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Au cœur du mouvement israélien pour coloniser Gaza

Profitant de la guerre de Gaza, Nachala a fait pression pour rectifier ce qu'elle considère comme l'« injustice historique » du désengagement israélien de 2005. Si le cessez-le-feu vacille, le groupe est prêt à bondir, avec peu d'obstacles sur son chemin.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Daniella Weiss, 79 ans, dirige l'organisation de colons d'extrême droite Nachala. Elle est sortie de son SUV Mitsubishi blanc et s'est garée sur le parking de la gare de Sderot, à seulement trois kilomètres de la bande de Gaza. Nous étions le 26 décembre, la deuxième nuit de Hanoukka, et depuis des semaines, Nachala faisait la promotion agressive d'une « procession vers Gaza » festive et d'une cérémonie d'allumage de bougies dans une zone militaire fermée près de la frontière. L'événement devait être la prochaine étape de la campagne de plus en plus intense de Nachala pour reconstruire les colonies juives à Gaza. S'ils ne pouvaient pas encore entrer dans la bande de Gaza, ils essaieraient au moins de s'en approcher le plus possible.
Un groupe d'adolescentes en jupes longues se presse pour prendre des selfies avec Weiss, qui a été sanctionné par le gouvernement canadien en juin pour avoir commis des actes de violence extrémiste contre des Palestiniens en Cisjordanie occupée. Non loin de là, un groupe d'étudiants de la yeshiva de Sderot saute et scande « Am Yisrael Chai » – un ancien slogan qui signifie « Le peuple d'Israël vit », devenu un mantra nationaliste. Dans le coin le plus éloigné du parking, deux conteneurs maritimes (ce que les colons appellent des caravanes) arborant les mots « Gaza est à nous pour toujours ! » sont posés sur de lourds camions à plateau, attendant, semble-t-il, l'ordre de pénétrer dans le territoire dévasté. Au loin, des explosions sporadiques à Gaza illuminent l'horizon d'une lumière infernale, le bruit faisant trembler les fenêtres d'un centre commercial adjacent.
« Nous allons emmener ce cortège dans la zone de la Flèche noire, sur une colline qui surplombe Gaza », déclare Weiss à +972, décrivant le plan de Nachala pour la nuit. (La Flèche noire est un mémorial dédié aux parachutistes israéliens, administré par le Fonds national juif, situé à moins d'un kilomètre de la barrière de ciment et de barbelés qui sépare Gaza d'Israël.) « Avec un peu de chance, la police nous laissera y aller », a-t-elle ajouté en souriant. « Nous trouvons toujours un moyen. »
La ferveur fondamentaliste de Weiss dément son âge. L'une des dernières survivantes de la génération fondatrice des chefs de file des colons, elle est l'ancienne secrétaire générale du Gush Emunim (Bloc des fidèles), le mouvement messianique nationaliste religieux qui a éclaté au début des années 1970 et a mené l'entreprise de colonisation en Cisjordanie occupée. À l'approche de l'âge mûr, beaucoup de ses homologues ont troqué la vie militante contre le confort bourgeois sous les toits de terre cuite des colonies de banlieue ou ont mis derrière eux leur époque de terrorisme et de sabotage pour faire carrière dans les médias ou la politique. Pas Weiss.
À l'exception d'un passage en tant que maire de Kedumim, une colonie ultra-radicale près de la ville palestinienne de Naplouse, Weiss est restée sur les collines de la Cisjordanie occupée, exhortant les jeunes Israéliens juifs à prendre le contrôle de la terre. En 2005, elle a fondé Nachala avec un autre des dirigeants les plus extrémistes du Gush Emunim, Moshe Levinger, de la tristement célèbre colonie de Kiryat Arba près d'Hébron, dans le but de maintenir la flamme anti-establishment du mouvement des colons. Depuis, elle est devenue une sorte de gourou pour les jeunes colons radicaux vivant sur les collines, les guidant dans la construction d'avant-postes illégaux et dans l'art de la résistance, tant civile qu'incivile, à toute tentative des autorités israéliennes de les contrôler.
Presque immédiatement après l'attaque du Hamas le 7 octobre, Weiss et le reste du mouvement des colons ont jeté leur dévolu sur Gaza. Dans le contexte du bombardement massif et du nettoyage ethnique du nord du territoire par Israël, ils ont redoublé d'efforts pour rétablir les colonies juives là-bas, diffusant leurs intentions haut et fort, et sachant qu'ils pouvaient compter sur un soutien important au sein de la coalition gouvernementale.
En décembre dernier, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui dirige le parti du sionisme religieux et fait office de seigneur de la Cisjordanie, a déclaré que (ce n'était pas la première fois) sur la radio publique israélienne : « Nous devons occuper Gaza, y maintenir une présence militaire et y établir des colonies ». Beaucoup dans le camp de Smotrich voulaient prolonger la guerre, estimant que plus Israël continuerait à brutaliser Gaza, plus il y aurait de chances que les colons réussissent à installer un avant-poste – le germe d'une colonie – dans la bande de Gaza.
L'annonce d'un accord de cessez-le-feu, entré en vigueur le 19 janvier, a ralenti la dynamique du mouvement de réinstallation à Gaza, mais ne l'a pas stoppé.
Le cessez-le-feu est fragile, dangereusement fragile : rien ne garantit qu'il durera au-delà de la phase initiale de six semaines, qui n'implique qu'un retrait partiel d'Israël du territoire. Et selon certaines informations, le Premier ministre Benjamin Netanyahu aurait déjà cédé à la demande de Smotrich de relancer la guerre après la fin de la première phase et d'affirmer progressivement le contrôle total d'Israël sur la bande de Gaza, afin de maintenir la cohésion de son gouvernement d'extrême droite. La réalisation de cet objectif dépendra en grande partie de la volonté de l'administration Trump d'exercer une pression continue sur Netanyahou pour qu'il mette en œuvre les étapes suivantes de l'accord de cessez-le-feu, ce qui mettrait très probablement en péril la survie de la coalition gouvernementale de Netanyahou.
Dans ce contexte d'incertitude, le mouvement des colons continue de faire pression pour imposer sa vision exterminatrice de la réinstallation à Gaza. La nuit précédant l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, Nachala a conduit plusieurs dizaines de militants au mémorial de la Flèche noire pour organiser une manifestation contre l'accord. Les colons prient ouvertement pour que l'accord échoue, tandis qu'une poignée d'entre eux, les plus militants, restent campés à quelques encablures de la barrière de séparation.
Si le cessez-le-feu venait à être rompu et que les troupes terrestres israéliennes revenaient en force dans la bande de Gaza, les colons seraient prêts à relancer leur offensive, encore plus déterminés à y établir de nouvelles colonies. Dans ce cas de figure, le chemin qui leur resterait à parcourir qui serait terriblement court.

« Une période de miracles »
Dans les années 2000, après trois décennies d'occupation de la Cisjordanie et de Gaza par Israël, la bande de Gaza abritait près de 9 000 colons israéliens répartis dans 21 colonies. Dix-sept d'entre elles se trouvaient dans une zone que les Israéliens appelaient Gush Katif, sur la côte sud de Gaza, ce qui empêchait de facto les Palestiniens des villes de Khan Younis et de Rafah d'accéder à la mer Méditerranée. Beaucoup de colons venus à Gaza appartenaient aux factions les plus extrémistes du mouvement sioniste religieux, croyant fermement en la vision messianique d'une présence physique juive sur chaque centimètre carré de la terre biblique d'Israël.
Lorsque Israël a unilatéralement retiré tous les colons juifs de Gaza en 2005 – ce que les Israéliens appellent « le désengagement » – le Premier ministre Ariel Sharon a souligné à la communauté internationale qu'il espérait que cette décision montrerait qu'Israël était sérieux dans sa volonté de faire les compromis territoriaux nécessaires pour parvenir à un éventuel accord de paix avec les Palestiniens.
Devant l'opinion publique israélienne, Ariel Sharon a fait valoir que ces colonies en particulier n'avaient guère de sens stratégique ; Gaza n'abritait aucun site ancien d'une grande importance religieuse, et la défense des colonies exigeait trop de sacrifices humains. En privé, cependant, Ariel Sharon et ses conseillers avaient un objectif différent : mettre en suspens la création éventuelle d'un État palestinien en dissociant les destins de la Cisjordanie et de Gaza. « L'importance du plan de désengagement réside dans le gel du processus de paix », a déclaré Dov Weisglass, conseiller de Sharon. « Le désengagement est en réalité du formol. »
Pourtant, pour les membres de la droite nationaliste religieuse israélienne, tout retrait territorial était inacceptable. Depuis 2005, ils considèrent le désengagement comme une « injustice historique » qui doit être corrigée.

Avec le début de l'invasion terrestre de Gaza fin octobre 2023, les sionistes religieux extrémistes d'Israël ont vu une opportunité. Des soldats de droite ont commencé à télécharger des vidéos d'eux-mêmes jurant de retourner à Gush Katif et de recoloniser Gaza. Parmi les décombres, ils arboraient le drapeau orange devenu l'emblème du mouvement anti-désengagement, déployaient des banderoles proclamant les futurs sites de nouvelles colonies et clouaient des mezzouzas aux encadrements des portes des maisons palestiniennes en ruines.
Alors qu'une grande partie d'Israël a passé les mois qui ont suivi le 7 octobre dans le deuil, les dirigeants du mouvement des colons sont entrés dans un état d'anticipation quasi extatique qui n'a fait que s'accentuer avec le temps. « De mon point de vue », faisait remarquer Orit Strook, ministre du gouvernement du parti du sionisme religieux, au cours de l'été, « cela a été une période de miracles ».
De son côté, Nachala a commencé à organiser des événements destinés à cultiver le soutien à la réoccupation et à la réinstallation de Gaza. En novembre 2023, quelques semaines seulement après le 7 octobre, elle a tenu un congrès consacré à cet objectif dans la ville méridionale d'Ashdod. Quelques mois plus tard, en janvier 2024, Weiss et ses partenaires extrémistes ont organisé la « Conférence pour la victoire d'Israël » à Jérusalem, à laquelle ont assisté plusieurs milliers de personnes, dont 11 ministres et 15 membres de la coalition gouvernementale. Les orateurs ont salué les efforts de reconstruction des colonies de Gaza et appelé à l'expulsion des Palestiniens qui y vivent.
En mai, à l'occasion de la fête de l'indépendance d'Israël, Nachala a organisé un rassemblement à Sderot, au cours duquel le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a réitéré la demande du mouvement en faveur de la « migration volontaire » des habitants de Gaza — un euphémisme grossier pour désigner le nettoyage ethnique — devant une foule en liesse de plusieurs milliers de personnes. En octobre, Nachala a organisé un rassemblement « festif » pour la fête de Souccot dans une zone militaire fermée près de la frontière, où des militants d'extrême droite ont installé des stands et organisé des ateliers sur la manière de préparer la colonisation de Gaza.
Lorsque le groupe s'est réuni en décembre pour la célébration de Hanoukka sur le parking de Sderot, la foule était beaucoup moins nombreuse, mais l'atmosphère n'en était pas moins joyeuse. « Voulez-vous rejoindre notre noyau de colonisation ? » demanda une femme portant un foulard orange ; un pendentif représentant le troisième temple reconstruit suspendu à une chaîne en or autour de son cou. Elle vendait des t-shirts, des serviettes, des drapeaux de voiture et des grenouillères pour bébés imprimés des mots « Gaza fait partie de la terre d'Israël ! » afin de collecter des fonds pour les efforts de son « noyau », ou groupe de colonisation. Sur les six « noyaux » de ce type organisés par Nachala pour s'installer dans différentes parties de la bande de Gaza, chacun composé d'une centaine de familles, le sien, le noyau du nord de la bande de Gaza, était « le meilleur », a-t-elle déclaré, « parce qu'il est le plus réaliste ».
En effet, expliquait-t-elle, l'armée israélienne avait déjà « vidé » la majeure partie du nord de Gaza. Quant aux Palestiniens qui sont restés, ajoute-t-elle, « ils ne sont évidemment pas innocents », et ils seraient donc traités en conséquence, c'est-à-dire expulsés ou tués.

Résidant à Ashkelon, une ville située à 19 kilomètres au nord de Gaza, cette femme était tellement convaincue que les efforts de colonisation aboutiraient qu'elle avait refusé de renouveler son bail pour l'année à venir. « D'ici l'été prochain, nous serons dans notre nouvelle maison [à Gaza] », a-t-elle déclaré. « Dieu a prévu notre retour. »
L'aide d'en haut
Bien que les colons aiment attribuer à Dieu le mérite d'avoir accéléré leur retour potentiel à Gaza, ils ont reçu une aide considérable de sources terrestres. Avant l'accord de cessez-le-feu, les forces israéliennes ont construit une vaste architecture d'occupation dans la bande de Gaza. Le long de ce que l'armée israélienne appelle le corridor de Netzarim, une route goudronnée de six kilomètres qui traverse la bande de Gaza, elle a construit plus d'une douzaine d'avant-postes et de bases militaires, équipés de logements climatisés, de douches, de cuisines et de synagogues (un rabbin orthodoxe a déclaré que de nombreux rouleaux de la Torah avaient été introduits à Gaza). D'autres groupes de postes de contrôle et d'installations d'inspection militaire ont également été construits à travers la bande de Gaza. Bien que cette infrastructure semble avoir été supprimée avec le retrait des forces israéliennes de Netzarim, elle pourrait être reconstruite aussi rapidement qu'elle a été démantelée.
À la mi-décembre, le site d'information israélien Ynet a publié un article élogieux sur une « petite retraite en bord de mer » que l'armée avait construite dans le nord de Gaza, équipée d'un système de dessalement, de studios de physiothérapie, d'un cabinet de dentiste mobile et d'une salle de jeux. « Ce lieu de retraite est un havre de paix impressionnant, offrant un confort de style civil », au milieu « des décombres de la région déchirée par la guerre », vantait l'article.
« Parmi les autres commodités, on trouve un comptoir à café avec une grande machine à expresso, des distributeurs de pop-corn et de barbe à papa, ainsi qu'un salon proposant des gaufres belges et des bretzels frais », poursuivait-il. C'est ainsi, selon le titre de l'article, que « les FDI se préparent à un séjour prolongé à Gaza ».
Pour les Palestiniens qui sont restés dans le nord de Gaza, cependant, « cela » n'a signifié que davantage de souffrances. Au nord de Netzarim, les forces israéliennes ont systématiquement démoli des quartiers entiers, détruit des infrastructures essentielles à la survie, notamment des hôpitaux, et utilisé la famine comme arme de guerre. Des images aériennes des villes autrefois densément peuplées de Beit Lahiya, Beit Hanoun et Jabalia montrent un paysage de dévastation totale, avec des montagnes de gravats gris s'étendant presque jusqu'à l'horizon.

Pour Weiss, cette dévastation était une étape bienvenue dans un plan divin. Dans une interview accordée à Kan, la chaîne publique israélienne, à la mi-novembre, elle révélait que lors d'une expédition le long de la barrière de séparation pour repérer de futurs sites de colonisation, elle avait contacté des officiers de l'armée en service actif ayant des sympathies d'extrême droite qui lui avaient fourni une jeep militaire pour l'emmener dans la bande de Gaza, où ils avaient inspecté le site qui avait été la colonie de Netzarim. « Nous, les colons, avons toutes sortes de méthodes », a déclaré Weiss à Kan.
La prochaine étape serait simple, a-t-elle poursuivi. Dans les mois à venir, ils tenteraient d'amener beaucoup plus de militants de Nachala dans les bases militaires de Gaza ; puis, en utilisant une méthode perfectionnée par le mouvement des colons depuis des décennies, ils refuseraient de partir. « Ce qui se passe en ce moment est un miracle ; nous menons une guerre sainte », a déclaré Weiss. « Dans un an, le peuple d'Israël sera de retour à Gaza. »
Netanyahu a qualifié à plusieurs reprises la perspective de reconstruire des colonies juives à Gaza « d'irréaliste ». Mais au sein du Likoud, le propre parti de Netanyahu, sans parler de sa coalition gouvernementale, l'idée bénéficie d'un soutien important. Selon le reportage de Kan sur le mouvement de colonisation de Gaza, on estime que 15 000 des quelque 60 000 électeurs du Likoud appartiennent à des groupes pro-colonisation purs et durs. Interrogé par Kan sur l'existence d'une majorité au sein du parti en faveur de la réinstallation à Gaza, Avihai Boaron, membre du Likoud à la Knesset, a répondu : « Oui, absolument ».
L'élection de Donald Trump pour un second mandat a considérablement renforcé les ambitions déjà maximalistes du mouvement des colons. Lors de l'événement Nachala à Sderot, le sentiment général était que, avec Trump au pouvoir, les colons, et l'extrême droite en général, auraient encore plus de liberté.
Debout devant une banderole promettant de construire une « Nouvelle Gaza » – une ville entièrement juive sur les ruines de ce qui est aujourd'hui la ville de Gaza – un homme nommé Yaakov expliquait avec enthousiasme comment un avenir autrefois impensable était devenu possible à ses yeux. « Nous allons raser tout Gaza et construire une ville par-dessus », a-t-il déclaré. « Si vous m'aviez posé la question il y a six mois, je vous aurais traité de fou. »

Quelques heures après son entrée en fonction, Trump a annulé les sanctions que l'administration Biden avait imposées à d'éminents dirigeants et organisations de colons, dont Amana, la branche immobilière et de lobbying du mouvement, dirigée depuis 1989 par Ze'ev « Zambish » Hever, un ancien membre du groupe terroriste Jewish Underground. L'ambassadeur de l'administration Trump en Israël, le pasteur baptiste Mike Huckabee, est un partisan de l'annexion par Israël de tout ou partie de la Cisjordanie. Le nouveau secrétaire à la Défense de Trump, Pete Hegseth, a non seulement approuvé l'annexion dans des interviews, mais a même suggéré qu'un temple juif pourrait être reconstruit sur le mont du Temple/Haram Al-Sharif à Jérusalem.
Puis est venu le plan surprise du président visant à nettoyer ethniquement toute la bande de Gaza de ses Palestiniens et à s'emparer du territoire. L'extrême droite israélienne – et, à vrai dire, une grande partie du centre – a accueilli la proposition avec un enthousiasme non dissimulé. « En supposant que l'annonce de Trump concernant le transfert des Gazaouis vers les nations du monde se traduise par des actes », a déclaré Weiss dans un communiqué du 5 février, « nous devons nous empresser d'établir des colonies dans toutes les parties de la bande de Gaza ».
Jouer la carte du long terme
Malgré tout le pouvoir que le mouvement des colons a acquis au sein de la politique israélienne – et sur le sort des Palestiniens – la majorité du pays n'a jamais soutenu la reconstruction des colonies à Gaza (plus de la moitié, selon de récents sondages, s'y oppose). Mais le succès de la droite des colons israéliens n'a jamais découlé d'un véritable soutien de masse. Au contraire, c'est un cas d'école de mouvement d'avant-garde.
Les colons ont construit un lobby qui a appris à exercer une influence au sein du Likoud, tout en transformant simultanément ses propres représentants politiques en faiseurs de rois parlementaires. En Cisjordanie, modèle de ce que les colons espèrent réaliser à Gaza, l'occupation s'est enracinée tant par l'action apparemment unilatérale des colons que par une planification délibérée de l'État.
En février dernier, un groupe de jeunes installés au sommet d'une colline, connus pour attaquer les bergers et les villes palestiniennes en Cisjordanie, a réussi à franchir un poste de contrôle militaire et à entrer dans la bande de Gaza avant d'être retrouvé par l'armée, tandis que d'autres tentaient de construire un avant-poste dans la zone tampon militarisée. Cette tentative a échoué, mais même avec le cessez-le-feu en vigueur, le risque demeure qu'un groupe de colons, qu'il soit issu des rangs de Nachala ou d'ailleurs, tente à nouveau sa chance.
Et bien que le retrait de la plupart des forces israéliennes du cœur de Gaza ait réduit les chances de réussite des colons dans un avenir immédiat, Weiss et ses compagnons de lutte ne se trompent pas en pensant que le temps joue en leur faveur. Comme les colons l'ont souvent fait comprendre – et comme Weiss l'a elle-même souligné lorsqu'elle s'est adressée à la foule lors du rassemblement de Sderot – ils jouent la carte du long terme.
« Aujourd'hui, il y a 330 colonies en Judée et en Samarie », a-t-elle déclaré, en utilisant le terme biblique préféré des colons pour désigner la Cisjordanie, « et près d'un million de Juifs au-delà de la Ligne verte. Cela ne s'est pas fait en un jour, et cela n'a pas été obtenu sans lutte.
« Nous voulons retourner dans la bande de Gaza, l'héritage de la tribu de Juda », a-t-elle poursuivi sous les applaudissements. « Nous voulons que le Néguev occidental s'étende jusqu'à la mer Méditerranée. Et nous atteindrons cet objectif grâce au mérite de toutes les personnes présentes ici et de tous ceux qui prient pour le retour du peuple juif sur l'ensemble de ses terres. »
Après la fin du discours de Weiss et les brèves exhortations de plusieurs autres militants d'extrême droite, les colons militants sont montés dans leurs grandes camionnettes blanches, ont attaché leurs nombreux enfants dans les sièges auto et se sont dirigés vers le mémorial de la Flèche noire. Un seul vétéran activiste de Nachala, Hayim, s'est attardé sur le parking, rassemblant les nombreuses pancartes qui avaient été attachées aux clôtures grillagées et enroulées autour des arbres. Il nous a désigné les caravanes, toujours garées à leur place alors que le cortège partait.
Les caravanes, expliqua-t-il, n'étaient pas destinées à être emmenées à Gaza cette nuit-là ; elles étaient là pour illustrer l'engagement du mouvement à coloniser Gaza, étape par étape. « En fin de compte, le gouvernement suit le peuple », a déclaré Hayim. « L'objectif ici est de créer une vague de fond que le gouvernement ne peut ignorer. »
Une version de cet article a également été publiée dans The Nation. Lisez-la ici.
Joshua Leifer est membre du comité de rédaction de Dissent. Il est l'auteur de Tablets Shattered : The End of an American Century and the Future of Jewish Life.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine
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L’offensive israélienne en Cisjordanie est le deuxième acte du génocide de Gaza

L'Agence Média Palestine propose une traduction de cette analyse de Qassam Muaddi, journaliste palestinien, de la continuité de la stratégie militaire et politique israélienne. L'assaut continu d'Israël en Cisjordanie n'a pas pour but d'anéantir la résistance palestinienne. Il vise au nettoyage ethnique des Palestiniens de leurs foyers et prépare le terrain pour l'annexion.
Tiré d'Agence médias Palestine.
L'armée israélienne a étendu son offensive militaire en cours dans le nord de la Cisjordanie, du camp de réfugiés de Jénine aux camps de réfugiés de Nur Shams et d'al-Far'a à Tulkarem et Tubas. L'attaque israélienne a entraîné le déplacement d'au moins 40 000 Palestiniens, selon l'UNRWA.
Des scènes de Gaza se répètent dans les camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie, où les résidents racontent avoir été chassés de chez eux par l'armée israélienne alors que les soldats vont de maison en maison, séparent les hommes, les femmes et les enfants en différents groupes et les font sortir de leur quartier sous la menace d'une arme. « C'était très humiliant et douloureux », a déclaré mardi un résident du camp de réfugiés de Nur Shams à Mondoweiss.
Les trois camps de réfugiés et les villes environnantes sont au cœur d'une nouvelle vague de résistance armée palestinienne depuis 2021, en particulier à Jénine. Dans ces trois régions, les groupes de militants locaux palestiniens ont affronté les raids israéliens avec une efficacité croissante et une expérience grandissante, malgré des moyens très limités.
Israël a tenté de briser le phénomène croissant dans le nord de la Cisjordanie au cours des quatre dernières années. Début 2022, il a intensifié ses campagnes de représailles militaires avec l'« opération Briser la vague », en lançant des raids de plus en plus violents et disproportionnés dans les camps de réfugiés palestiniens. En juillet 2022, Israël a réintroduit les frappes aériennes en Cisjordanie pour cibler les combattants palestiniens à Jénine, avant d'étendre l'utilisation des frappes aériennes à d'autres parties du nord de la Cisjordanie.
Après le 7 octobre 2023, Israël a intensifié ses raids, profitant de la fureur post-7 octobre pour changer sa stratégie militaire en Cisjordanie. Selon des responsables israéliens, l'offensive actuelle, baptisée « Opération Mur de Fer », vise à « changer le statu quo sécuritaire » en Cisjordanie en écrasant définitivement la résistance armée, ce qui suggère que son objectif principal est motivé par la sécurité. Mais la véritable raison de l'escalade généralisée en Cisjordanie dépasse toute prétention de maintenir la « sécurité ».
Au-delà de la « sécurité »
La flambée de violence israélienne après le 7 octobre n'était souvent pas accompagnée d'une explication sécuritaire, et une grande partie de celle-ci n'était pas dirigée contre des groupes armés. Israël a imposé des centaines de points de contrôle supplémentaires à travers la Cisjordanie et a arrêté jusqu'à 5 000 Palestiniens, dont plus de 3 600 en détention administrative, c'est-à-dire sans inculpation ni procès. Il a intensifié les démolitions de maisons dans la zone C (qui représente plus de 60 % de la Cisjordanie) et distribué des armes à feu aux colons qui ont déplacé de force jusqu'à 20 communautés rurales palestiniennes en Cisjordanie. La plupart de ces communautés étaient situées dans des zones qui n'avaient pas connu d'activité armée palestinienne depuis des années, comme dans les collines du sud d'Hébron et sur les pentes orientales de la vallée centrale du Jourdain.
Plusieurs mois après le 7 octobre, en mai 2024, Israël a également abrogé la loi de désengagement israélienne de 2005, qui avait conduit Israël à retirer les colons de la bande de Gaza et du nord de la Cisjordanie à la suite de la deuxième Intifada. L'abrogation de cette loi a permis aux colons israéliens de retourner dans les colonies évacuées dans les régions de Jénine et de Naplouse.
En janvier, à la suite d'une fusillade palestinienne près de Qalqilya qui a tué trois Israéliens, le chef des conseils régionaux des colonies israéliennes, Yossi Dagan, a appelé l'armée israélienne à envahir les villes de Cisjordanie comme elle l'a fait à Gaza. Le ministre israélien des Finances et leader du sionisme religieux radical, Bezalel Smotrich, a appelé à « faire de Jénine et Naplouse des villes comme Jabalia », en référence à la ville et au camp de réfugiés situés au nord de Gaza qu'Israël a complètement détruits et dépeuplés de force au cours des quatre derniers mois de la guerre, avant le cessez-le-feu actuel. Selon Smotrich, de telles actions, associées à l'expansion des colonies, rendraient impossible la création d'un État palestinien.
Lorsqu'un autre représentant de la droite religieuse dure, Itamar Ben-Gvir, a démissionné de son poste de ministre de la Sécurité nationale en opposition à l'accord de cessez-le-feu actuel, Smotrich n'a pas quitté le cabinet de Netanyahu, bien qu'il ait voté contre le cessez-le-feu. Les analystes ont décrit l'offensive du « mur de fer » en Cisjordanie comme une concession de Netanyahu à Smotrich en échange de son abstention de démissionner, ce qui aurait mis en péril le cabinet de Netanyahu et l'aurait forcé à convoquer de nouvelles élections.
La voie de l'annexion
Le principal projet politique de Smotrich a toujours été l'annexion et la colonisation massive de la Cisjordanie, qui s'est accompagnée de la destruction de toutes les possibilités de création d'un État palestinien. Avant le 7 octobre, Smotrich a déclaré que les Palestiniens n'existaient pas et que les villes palestiniennes de Cisjordanie, comme Huwwara, devraient être « rayées de la carte ». Dès 2017, il a présenté un « plan décisif » pour le nettoyage ethnique des Palestiniens de Cisjordanie qui n'accepteraient pas de vivre sous la « souveraineté juive », leur donnant le choix entre quitter le pays ou être tués.
L'idée que Netanyahou aurait besoin de l'apaiser pour maintenir son gouvernement signifie que la Cisjordanie et la vie des Palestiniens qui y vivent sont le prix à payer pour le cessez-le-feu à Gaza – et pour la survie politique de Netanyahou.
Mais ces ambitions en Cisjordanie sont également partagées par Netanyahou lui-même et par de nombreux membres de son cabinet qui sont issus de la base religieuse de droite et du mouvement des colons en Cisjordanie. Netanyahou lui-même avait promis en 2020 d'annexer de grandes parties de la Cisjordanie, en particulier la vallée du Jourdain, déclarant à plusieurs reprises qu'il n'y aurait jamais d'État palestinien sous son mandat. Netanyahu a également déclaré, au début de sa carrière politique dans les années 1980, qu'Israël devrait saisir toutes les occasions pour déplacer le plus grand nombre possible de Palestiniens, tant de Cisjordanie que de l'intérieur des frontières de l'État israélien, et plus important encore, de Gaza.
En 2018, la Knesset israélienne a adopté à une écrasante majorité la loi sur l'État-nation, stipulant que l'autodétermination nationale entre le Jourdain et la mer Méditerranée n'appartient qu'au peuple juif. Lors de la dernière guerre contre Gaza en juillet 2024, la Knesset israélienne a adopté une résolution, également à une écrasante majorité, rejetant la création d'un État palestinien où que ce soit en Palestine historique. Ces deux textes de loi font écho aux appels de la droite religieuse israélienne en faveur d'une colonisation et d'une annexion complètes de la Cisjordanie, ce qui témoigne d'une forte volonté au sein de la politique et de la société israéliennes de concrétiser enfin cette ambition. Pour les Palestiniens de Cisjordanie, cela signifie qu'ils sont dans la ligne de mire, avec à l'horizon immédiat la destruction et l'expulsion forcée, qu'elle soit partielle ou totale.
Sans perspective de fin et avec les déclarations israéliennes selon lesquelles l'offensive du « mur de fer » inclura toute la Cisjordanie, il devient clair que l'attaque israélienne n'est pas une mesure de sécurité. C'est un instrument pour réaliser les aspirations politiques de la droite sioniste. La première étape a entraîné le déplacement de 40 000 Palestiniens des camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie, mais cela ne s'arrêtera pas là. Alors que le fragile cessez-le-feu à Gaza touche à sa fin, les Palestiniens se préparent à ce qui pourrait suivre en Cisjordanie, craignant que ce à quoi ils sont confrontés ne soit que le début d'un nouveau chapitre dans la guerre d'Israël contre le peuple palestinien.
Qassam Muaddi est le rédacteur palestinien de Mondoweiss. Suivez-le sur Twitter/X à @QassaMMuaddi.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss
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La négation du génocide à Gaza dans les études sur l’Holocauste

L'universitaire Raz Segal relate l'étrange expérience d'avoir été accusé d'antisémitisme, alors qu'il est lui-même juif et spécialiste de l'Holocauste ainsi que d'autres génocides, pour avoir commis le crime impardonnable de s'opposer à la guerre génocidaire menée par l'État colonial d'Israël contre les Palestinien-nes de Gaza.
Tiré du site de la revue Contretemps.
Qu'est-ce qui se trouve au cœur du soutien inconditionnel que l'Allemagne accorde à Israël, y compris durant les seize derniers mois de son assaut génocidaire contre Gaza ? Cette question demeure pertinente même si la trêve actuelle devait mettre un terme au génocide : l'aborder met en lumière le processus de colonisation israélienne qui s'est étendu sur plusieurs décennies et a mené à ce génocide, une Nakba qui continue de se dérouler indépendamment du cessez-le-feu. En réalité, les attaques d'Israël contre les Palestiniens n'ont pas cessé et, en Cisjordanie occupée, elles se sont même intensifiées depuis le début du cessez-le-feu à Gaza, avec des attaques meurtrières perpétrées par des colons israéliens et l'armée israélienne.
Une collaboration étroite entre des spécialistes de l'Holocauste en Israël et en Allemagne apporte des éléments de réponse inquiétants à cette question. Lors d'un événement en ligne organisé par le Programme d'Études sur l'Holocauste au Western Galilee College (WGC) israélien le 19 décembre 2024, trois intervenants – Alvin Rosenfeld, professeur d'anglais et d'études juives à l'Université d'Indiana, Verena Buser, historienne allemande qui enseigne en ligne au WGC, et Lars Rensmann, professeur de sciences politiques à l'Université de Passau en Allemagne – ont attaqué des chercheurs en études sur l'Holocauste et le génocide, dont moi-même, pour avoir osé qualifier les crimes commis par Israël à Gaza de génocide.
Bien que l'événement ait été organisé en l'honneur de Yehuda Bauer, figure fondatrice des études sur l'Holocauste, décédé le 18 octobre 2024 à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans, les intervenants ont à peine mentionné son nom ou son travail. De même, Ils n'ont pas pris en compte les preuves accablantes du génocide en cours à Gaza depuis le 7 octobre 2023. À la place, ils ont tout simplement choisi de nier l'existence du génocide.
Verena Buser, par exemple, a affirmé que les universitaires qui qualifient les actions d'Israël à Gaza de génocide ignorent les « nombreuses critiques internationales » concernant la validité des chiffres des victimes palestiniennes qui, a-t-elle ajouté, « ne font pas la distinction entre les combattants et les civils ». La vérité est qu'il existe un large consensus international selon lequel Israël a tué plus de 46 000 Palestiniens.
Les chiffres réels sont d'ailleurs probablement bien plus élevés : un article récent du Lancet affirme qu'Israël avait tué plus de 64 000 Palestiniens à la fin du mois de juin 2024, dont une majorité de civils, y compris des milliers d'enfants. Selon Save the Children, « le territoire palestinien occupé est désormais le lieu le plus meurtrier au monde pour les enfants : environ 30% des 11 300 enfants identifiés comme tués à Gaza entre octobre 2023 et août 2024 avaient moins de cinq ans. » De plus, près de 3 000 enfants palestiniens à Gaza n'avaient toujours pas été identifiés à la fin du mois d'août 2024.
La négation du génocide par Verena Buser ne s'est pas limitée à la minimisation classique du nombre de victimes – une stratégie bien connue du négationnisme de l'Holocauste. Elle est allée plus loin en invoquant de prétendus « rapports » affirmant qu'il n'y aurait pas de famine à Gaza, ou que si famine il y a, elle serait due aux « défis logistiques » posés par la guerre. Pourtant, elle n'a cité aucun de ces rapports ni précisé quels seraient ces défis logistiques. Rien d'étonnant à cela : un large consensus international existe sur les politiques de famine délibérée, abondamment documentées d'Israël, dont les dirigeants militaires israéliens ont discuté ouvertement.
La plupart des universitaires dans la ligne de mire des intervenants de l'événement du WGC sont des Juifs, moi y compris. Nous sommes attaqués pour la manière dont nous comprenons et exprimons notre critique des atrocités israéliennes à travers le prisme de notre identité juive. Apparemment, nous ne sommes pas le bon type de Juifs. En nous accusant d'antisémitisme en raison de la manière dont nous nous identifions en tant que Juifs, ces détracteurs reproduisent une vision antisémite qui refuse la pluralité des identités juives et enferme tous les Juifs dans une seule et même entité homogène : « les Juifs ». Ainsi, les attaques contre les chercheurs juifs s'inscrivent dans un cadre idéologique plus large, profondément raciste, dont le but principal est de dénigrer les Palestiniens.
Plus scandaleux encore, l'historien israélien Dan Michman, qui dirige l'Institut International de Recherche sur l'Holocauste à Yad Vashem, a fait appel à nul autre qu'Adolf Hitler pour donner du poids aux attaques des orateurs :
- Personne ne trouve à redire au terme « palestinien » . . .. Mais si vous remontez un siècle en arrière, dans Mein Kampf, par exemple… Hitler dit à un moment donné que les sionistes veulent établir un État palestinien afin d'avoir une base pour leurs activités criminelles. Or, il y a un siècle, un État palestinien était un État juif. Et le fait est que pendant la période du mandat [britannique] en Palestine, les habitants juifs étaient appelés Juifs palestiniens, les Arabes étaient des Arabes palestiniens. . .. En 1948, Israël a été créé, et les Juifs palestiniens sont devenus des Israéliens, de sorte que le terme [palestinien] est resté ouvert, et ce n'est que depuis les années 1950 que nous commençons à entendre parler des Palestiniens.
Il semble que Michman ait voulu faire écho à Lars Rensmann, qui a affirmé dans son intervention au début de l'événement que « les nazis étaient ouvertement, agressivement, depuis leurs origines, depuis Hitler en 1920 … ouvertement antisionistes et ont attaqué l'État sioniste potentiel ». L'argument est limpide : puisque Hitler était antisioniste, alors l'antisionisme ne peut être qu'une forme d'antisémitisme. Une affirmation répétée inlassablement au cours de l'événement, comme une incantation cherchant à rendre inaudibles les critiques du sionisme.
Ce faisant, ils ignorent la riche histoire des Juifs antisionistes et des organisations et partis politiques juifs antisionistes, ainsi que les nombreux Juifs antisionistes et organisations juives dans le monde aujourd'hui. Plus absurde encore, on aboutit ainsi à une situation bizarre où un professeur allemand se pose en juge de la légitimité des identités juives, tandis qu'un historien israélien spécialiste de l'Holocauste invoque Hitler pour discréditer les Juifs antisionistes – un raisonnement qui, en fin de compte, ne fait que reproduire la logique raciste du nazisme.
Michman et Rensmann ne dirigent pas leurs attaques contre les néonazis et autres groupes d'extrême droite qui connaissent une recrudescence en Allemagne et ailleurs. Non, leur cible privilégiée, ce sont les Juifs antisionistes. Ce paradoxe apparent s'explique aisément : ils ne peuvent tolérer l'existence même de Juifs qui rejettent le sionisme, notamment lorsqu'il s'agit de chercheurs spécialisés dans l'histoire de l'Holocauste et des génocides, qui osent affirmer que l'attaque israélienne sur Gaza depuis octobre 2023 correspond à la définition juridique du génocide.
Ces chercheurs juifs ne sont pourtant pas isolés. William Schabas, l'un des plus importants experts en droit international sur le génocide et issu d'une famille de survivants de l'Holocauste, déclarait lors d'une interview à la fin du mois de novembre 2024 :
- À Gaza, l'infrastructure a été massivement détruite, les gens ont été incapables de s'échapper – et puis il y a eu les déclarations terribles faites par [l'ancien ministre israélien de la défense] Yoav Gallant. . .. Les déclarations ont été faites par des ministres, des porte-parole du gouvernement et des chefs militaires, qui ont tous une influence sur les troupes. Elles sont plus fréquentes et plus graves que dans tout autre cas porté devant la Cour internationale de justice dont j'ai connaissance… .. Avec la famine, le manque d'accès à l'eau et à l'hygiène, la destruction systématique des maisons, écoles et hôpitaux, se dessine une image qui pourrait être interprétée comme résultant d'une intention génocidaire”.
Mais pour Rensmann, il ne peut y avoir de débat : “l'accusation de génocide contre Israël fait partie intégrante de l'histoire de l'antisémitisme du XXe et du XXIe siècle.”
Buser s'est appuyé sur Rensmann pour rejeter les universitaires spécialisés dans les études sur l'Holocauste et les génocides, pour la plupart juifs, dont les travaux s'appuient sur le vaste corpus de sources sur le génocide israélien à Gaza, qui ne cesse de s'enrichir. Il s'agit notamment des documents relatifs à l'accusation de génocide portée par l'Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice, des nombreuses cartes, témoignages de Palestiniens, photos aériennes et autres sources figurant dans les rapports d'Amnesty International, de Human Rights Watch, de Forensic Architecture et de la rapporteuse spéciale des Nations unies Francesca Albanese sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, ainsi que des milliers de vidéos fièrement téléchargées sur les réseaux sociaux par des soldats et des officiers israéliens dans lesquelles ils documentent leur propre violence et leurs propres crimes.
En niant cette réalité abondamment documentée, Buser affirme que les universitaires spécialisés dans l'étude de l'Holocauste et des génocides qu'elle cherche à discréditer utilisent la Déclaration de Jérusalem sur l'antisémitisme (JDA), qui « acquitte l'antisionisme et les comparaisons avec les nazis d'accusations d'antisémitisme ». La JDA, poursuit-elle, permet donc à ces universitaires de faire des déclarations antisionistes ou de suggérer des comparaisons historiques qu'elle considère comme antisémites, y compris, selon ses termes, que « l'État d'Israël est un État blanc, colonisateur et d'apartheid qui commet un génocide à Gaza ».
Or, la Déclaration de Jérusalem affirme explicitement que “critiquer ou s'opposer au sionisme en tant que forme de nationalisme n'est pas antisémite” et que “les normes du débat qui s'appliquent aux autres États et aux autres conflits liés à l'autodétermination nationale doivent aussi s'appliquer au cas d'Israël et de la Palestine.” Autrement dit, si critiquer n'importe quelle idéologie politique ou politique d'un État est un droit fondamental, alors il en va de même pour le sionisme et Israël.
Cette déclaration conclut également qu'“aussi controversé que cela puisse être, comparer Israël à d'autres précédents historiques, y compris au colonialisme de peuplement ou à l'apartheid, n'est pas en soi antisémite.” Mais pour Buser et ses collègues du WGC, toute critique du sionisme relève de l'antisémitisme. Dans sa présentation, elle dresse ainsi la liste des onze chercheurs qu'elle considère comme les plus « coupables », dont huit sont juifs – moi y compris.
L'idée de l'unicité de l'Holocauste
Comment comprendre ce partenariat entre des universitaires israéliens et allemands spécialistes de l'Holocauste, qui attaquent des chercheurs juifs tout en niant le génocide israélien en cours, tout en reproduisant le racisme exterminateur dirigé contre les Palestiniens ? Pour commencer à démêler cette question, il faut se rappeler que l'événement du Western Galilee College (WGC) visait à honorer Yehuda Bauer, figure fondatrice des études sur l'Holocauste. Il est le penseur le plus associé à l'idée que l'Holocauste est unique dans l'histoire de l'humanité. Cette idée, qui a également guidé les travaux de Rosenfeld et Michman, a joué un rôle fondamental dans les sphères politiques et les sociétés d'Israël et d'Allemagne.
L'affirmation de l'unicité absolue de l'Holocauste dans l'histoire de l'humanité a été facilitée par la formulation du concept de génocide dans la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide en 1948. De ce fait, ce que nous appelons aujourd'hui l'Holocauste (un terme alors inexistant) a été considéré comme un crime d'une gravité supérieure au génocide. Cette hiérarchie a ensuite façonné le champ académique des Études sur l'Holocauste et les Génocides, séparant la violence de masse nazie de l'histoire longue des génocides coloniaux occidentaux et des génocides soviétiques qui l'avaient précédée.
Mais cette classification a aussi permis d'occulter d'autres crimes massifs, notamment ceux commis par les Alliés et l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale, tels que les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki par les États-Unis, actes que l'expert en génocide Leo Kuper (1908-1994) a décrit en 1981 comme des actes relevant du génocide dans son ouvrage Genocide : Its Political Use in the Twentieth Century.
Les intérêts communs soviéto-occidentaux sur le nouveau crime de génocide s'arrêtaient là. En Occident, cette hiérarchie a fait des Juifs les victimes les plus pures, ce qui a été rendu possible par la place fondamentale des Juifs dans le monde judéo-chrétien. Comme l'a soutenu le regretté historien de l'Holocauste Alon Confino (1959-2024) dans A World Without Jews, un brillant ouvrage paru en 2014, les nazis considéraient la destruction des Juifs précisément de cette manière, comme essentielle à l'anéantissement de la civilisation judéo-chrétienne afin de créer une civilisation nazie à la place. L'unicité de l'Holocauste s'est donc appuyée sur l'idée que les Juifs sont un peuple unique et l'a renforcée.
Cette posture victimaire a ensuite été récupérée pour alimenter un discours de supériorité morale, étroitement lié au projet sioniste : l'amalgame entre un peuple, les Juifs, et un État, Israël. C'est ainsi qu'est née l'opinion commune à Israël et à l'Occident selon laquelle l'armée israélienne est l'armée la plus morale du monde. En conséquence, il est devenu inimaginable qu'Israël puisse commettre un quelconque crime au regard du droit international, sans parler d'un génocide.
Cette impunité d'Israël dans le système juridique international a brouillé la reproduction du nationalisme d'exclusion et du colonialisme de peuplement dans l'État israélien depuis ses origines dans la Nakba de 1948, en passant par la Nakba actuelle dans les décennies de violence de masse israélienne contre les Palestiniens, culminant aujourd'hui dans le génocide israélien à Gaza.
L'idée d'un Holocauste unique a également joué un rôle structurant dans l'engagement allemand vis-à-vis d'Israël. L'ancienne chancelière allemande Angela Merkel a décrit de manière célèbre cet engagement dans un discours à la Knesset israélienne en 2008 comme une « raison d'État » de l'Allemagne.
Cette formule, initialement introduite en 2005 par le diplomate social-démocrate Rudolf Dressler (1940-2025) qui fut ambassadeur d'Allemagne en Israël de 2000 à 2005, a été reprise par le chancelier Olaf Scholz en octobre 2023, en pleine attaque israélienne contre Gaza. Cinq jours plus tard, à Tel-Aviv, Scholz ajoutait que « l'histoire de l'Allemagne et sa responsabilité dans l'Holocauste nous obligent à préserver la sécurité et l'existence d'Israël ».
Mais cette insistance sur l'unicité de l'Holocauste remplit une fonction plus profonde en Allemagne. Elle permet de dissocier le nazisme du reste de l'histoire allemande, en en faisant un événement hors du temps, coupé de toute continuité avec le passé colonial et post-nazi du pays, avant et après l'Holocauste.
Ce tour de passe-passe masque les liens entre le nazisme et le génocide colonial commis par l'Empire allemand en Namibie contre les Héréros et les Namas dans le sud-ouest de l'Afrique au début du vingtième siècle. Il efface aussi les résurgences du nationalisme allemand d'exclusion, du racisme à l'encontre des migrants et des réfugiés. Au pire, cette mystification légitime un racisme anti-palestinien au moment même où Israël commet un génocide contre eux. L'idée de l'unicité de l'Holocauste ne remet donc pas en question, mais au contraire perpétue le nationalisme exclusiviste et le colonialisme de peuplement qui ont conduit à l'Holocauste et qui continuent aujourd'hui à structurer à la fois l'État des persécuteurs et celui des survivants.
L'événement organisé par le WGC reflétait ainsi ce que Bauer avait exprimé un an avant sa mort, en novembre 2023, dans un article paru dans Haaretz. Utilisant une terminologie coloniale, Bauer décrivait l'attaque d'Israël contre Gaza comme la défense d'une « société plus ou moins civilisée » contre la « barbarie du Hamas », appelant à une « lutte implacable » entre « deux visions du monde, qui s'adressent à des types humains différents ». Le partenariat israélo-allemand en études sur l'Holocauste au WGC utilise précisément cette vision du monde profondément raciste, une vision qui a mis les Juifs en danger par le passé et qui les cible à nouveau aujourd'hui – cette fois pour justifier les atrocités israéliennes à Gaza tout en niant qu'elles relèvent d'un génocide.
*
Raz Segal est professeur agrégé d'Études sur l'Holocauste et les Génocides à l'Université de Stockton (New Jersey), où il est également titulaire d'une chaire sur l'étude des génocides modernes. Il a perdu un poste à l'Université du Minnesota en raison d'une intense pression politique après avoir qualifié l'attaque israélienne contre Gaza de génocide.
Publié dans Jacobin. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.

Le démon du nettoyage ethnique est sorti de la bouteille en Israël

Trump a normalisé le discours sur le nettoyage ethnique à Gaza, révélant les aspirations de nombreux Juifs en Israël. Le premier ministre et le ministre de la défense ont fait du transfert de population une politique gouvernementale, faisant progresser l'héritage de Kahane.
Tiré de Association France Palestine Solidarité
12 février 2025
Photo : Des Palestiniens fuient le nord de la bande de Gaza vers le sud, 27 novembre 2023 © UNRWA/Ashraf Amra
Il est facile de dénigrer le ministre de la Défense Israël Katz, avec sa grande gueule, sa démarche maladroite avec son gilet pare-balles, et son image d'outsider sur les questions de sécurité, contrairement aux généraux qui ont occupé ce poste avant lui.
Il serait faux de tourner en dérision l'instruction qu'il a donnée jeudi dernier à l'armée israélienne de préparer un plan de « départ volontaire » des Palestiniens de la bande de Gaza, dans l'esprit de l'initiative du président américain Donald Trump.
C'est la première fois qu'Israël annonce un plan pratique d'expulsion des Arabes du territoire qu'il contrôle. Désormais, le transfert est la politique du gouvernement.
Katz a accompagné son ordre d'une réprimande publique du chef du renseignement militaire, le général de division Shlomi Binder, qui a mis en garde contre une escalade de la situation sécuritaire dans les territoires occupés et une détérioration des relations avec les pays arabes en réponse au plan de Trump. Le message aux officiers supérieurs a été reçu : La promotion dépendra du soutien apporté au transfert.
Une vaste série de promotions est attendue prochainement au sein de l'armée israélienne, qui comprendra le remplacement des personnes qui auront la responsabilité de tout transfert, comme le chef des opérations à l'état-major général de Tsahal et le chef du commandement sud de l'armée.
Toute nomination d'un officier ayant le grade de colonel ou un grade supérieur nécessite la signature de M. Katz, et le ministre a l'intention d'instaurer dans l'armée les mêmes tests de loyauté politique que ceux mis en place dans la police par le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, qui a quitté ses fonctions.
Le transfert de Katz est censé être « volontaire », en fonction de la volonté des Palestiniens de Gaza qui demandent à partir et de la volonté d'autres pays de les accueillir.
Toutefois, sa mise en œuvre n'a pas été placée sous la juridiction des ministères des affaires étrangères, des transports ou du tourisme, mais a été confiée à l'armée israélienne. Cela signifie qu'Israël ne créera pas d'agences de voyage pour les habitants de Gaza, ne leur proposera pas de vols bon marché ou de points de fidélité.
Au contraire, il encouragera probablement leur départ par la famine ou, selon les termes euphémiques du ministre des finances Bezalel Smotrich, par la « gestion de l'aide humanitaire », ou encore en reprenant la guerre pour « anéantir le Hamas », comme l'a promis le Premier ministre Benjamin Netanyahu. L'idée est que, lorsque les cris des habitants de Gaza résonneront, les pays du monde entier seront incités à ouvrir leurs portes aux réfugiés de Khan Yunis et de Jabalya.
Il est également facile de se moquer de Trump, qui présente des idées grandioses puis les rétracte, qui s'occupe d'un spectacle et non d'un contenu, qui détermine la politique sans travail préparatoire du personnel. Mais que pouvons-nous faire lorsqu'il est le président et qu'il fixe son programme en tirant de la hanche ? Il y a seulement deux semaines, Trump a bénéficié de la vénération des opposants de Netanyahou en Israël, après avoir imposé un cessez-le-feu à Netanyahou, y compris le retour d'une partie des otages.
Le camp des « just-not-Bibi » attendait avec impatience l'effondrement de la coalition et la fin de la guerre. Mais cet espoir s'est évanoui après l'accueil enthousiaste que Netanyahou a reçu à la Maison Blanche, remplacé par l'évaluation que Trump profère des absurdités, et que tout n'est qu'un spectacle de duplicité : Il dira « transfert » pour apaiser Smotrich et Ben-Gvir, mais en pratique, il imposera un retrait de Gaza et la conclusion d'un accord avec le Hamas.
En effet, Trump a libéré de la bouteille les souhaits secrets de nombreux Juifs en Israël, qui ne croient pas aux perspectives de vivre avec des Arabes sur la même bande de terre. « C'est nous ou eux », selon la version de droite, ou « nous ici et eux là-bas », selon la formulation de gauche.
Comme me l'a dit l'un des leaders de la gauche sioniste il y a quelques années : « Dans nos cœurs, nous sommes tous des Kahane ; tout le reste est une question d'éducation ». Les sondages d'opinion réalisés ces derniers jours confirment son argument : Dès que Trump a normalisé le discours sur le nettoyage ethnique, une grande majorité de Juifs en Israël souhaite expulser les Palestiniens de Gaza.
Il est également facile d'éprouver de la dérision pour Netanyahou, l'éternel dirigeant qui se dérobe à toute responsabilité. Ce qui n'a pas été dit à son sujet, c'est qu'il n'a pas de politique, qu'il est un ballon de football entre la Maison Blanche et la droite radicale en Israël, ne rêvant que d'une impasse et d'un statu quo.
Mais lorsqu'on examine ses actions depuis qu'il a formé sa coalition de droite étroite il y a dix ans, et jusqu'à la gestion de la guerre actuelle, en tant que chef d'un gouvernement de droite totale, on constate une tendance claire indiquant l'accomplissement de l'héritage du rabbin Meir Kahane.
La liste est longue et comprend la loi sur l'État-nation, qui a conféré aux Juifs un statut plus élevé en Israël, les mesures d'annexion et d'expropriation des Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem, le remplissage des rangs du Likoud par des partisans de Kahane, son alliance avec Ben-Gvir et Smotrich et, surtout, une politique de déportation et de ruine à Gaza en réponse à l'attaque du Hamas du 7 octobre et au massacre dans les communautés frontalières d'Israël.
M. Netanyahou était prêt à prendre le risque d'un mandat d'arrêt délivré par la Cour internationale de La Haye et à faire face aux pressions de l'administration Biden et de ses partisans en Israël, qui lui demandaient de présenter un plan pour le « jour d'après » et la remise de Gaza à l'Autorité palestinienne, dans le seul but de vider la bande de Gaza de ses habitants et de la préparer à l'annexion et à l'implantation de colonies juives.
Une sélection de discours prononcés par Kahane lors de son unique mandat de membre de la Knesset il y a 40 ans, recueillie par notre correspondant Ofer Aderet, se lit comme le programme du gouvernement actuel. « Il y a une divergence totale, une contradiction insoluble entre le concept de sionisme et d'État juif et le concept de démocratie occidentale », déclarait Kahane, bien avant Yariv Levin et son remaniement judiciaire.
« Un État de souveraineté juive, dans lequel le Juif est le propriétaire... le non-Juif n'ayant aucun droit de dire quoi que ce soit sur les décisions nationales concernant le destin de l'État ou de la nation », c'est ce que Kahane a dit dans un discours, annonçant la campagne de Netanyahu aux dernières élections, lorsqu'il a qualifié les législateurs arabes de « partisans de la terreur ».
Et évidemment, la solution kahaniste, le transfert. « Chacun vivra dans son propre pays... qu'ils y vivent dans l'amour et la fraternité et dans la coexistence avec leurs frères, une coexistence arabe, mais pas ici. » Un véritable brouillon de l'initiative Trump.
Kahane était perçu comme un voyou et un marginal, que la Knesset a éjecté de son sein. Son héritier, Rehavam Ze'evi, plus institutionnel et partisan du transfert, n'a pas obtenu le soutien des masses et a été condamné rétrospectivement comme un violeur et un criminel.
Mais leurs idées n'ont pas disparu, et une génération et demie plus tard, elles sont arrivées dans le courant dominant, qui se cache encore derrière des arguments hypocrites tels que « le souci humanitaire pour les Palestiniens » ou « nous avons déjà tout essayé et le conflit n'a pas été résolu ; il est peut-être temps de trouver une autre solution. » Il ne faut donc pas se moquer de la déclaration de Trump ou de l'enthousiasme de Netanyahou ou des ordres de Katz.
Le démon de l'épuration ethnique sorti de la bouteille du politiquement correct et du respect des droits de l'homme, démon qui se cachait jusqu'à présent, sera difficile à remettre dans la bouteille.
Traduction : AFPS
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« From Ground Zero ». Gaza sous les bombes racontée par ses habitants

Fresque composée de 22 courts métrages tournés dans l'enclave palestinienne pendant la guerre génocidaire, From Ground Zero propose une immersion dans le quotidien des habitant·es de ce territoire, sans renoncer à la dimension cinématographique et créative. Supervisée par le réalisateur Rashid Masharawi, cette expérience originale est projetée dans les cinémas français à partir de ce mercredi 12 février, après avoir fait le tour des festivals du monde entier.
Tiré de orientxxi
12 février 2025
Par Ramdam Bezine
Gaza 2023—2025 Bande de Gaza Cinéma Palestine
L'image montre un groupe de personnes se tenant sur des décombres, probablement après un effondrement de bâtiment. Ils semblent être en train de filmer ou de prendre des photos, avec du matériel de caméra visible. En arrière-plan, on peut voir une structure endommagée, avec des fenêtres brisées et des pans de mur manquants. Le ciel est nuageux, ce qui ajoute à l'atmosphère sombre de la scène. L'environnement est chaotique, reflétant les conséquences d'une destruction.
Chaque court métrage, d'une durée de trois à six minutes, est tourné en situation réelle.
Masharawi Fund

L'image présente un visuel frappant avec un contraste fort entre des couleurs sombres et des éléments plus vifs. On y voit un personnage assis, semblant contempler son environnement, qui est en ruines. Le décor évoque une zone de conflit, avec des bâtiments endommagés et des débris. Au-dessus, des silhouettes colorées volent, ajoutant une dimension symbolique. Le texte indique "FROM GROUND ZERO" et "STORIES FROM GAZA", ce qui suggère un lien avec des récits de vie et de résilience dans un contexte difficile. L'ensemble transmet une atmosphère de désolation mais aussi d'espoir.
From Ground Zero
Courts métrages supervisés par Rashid Masharawi
1h52
12 février 2025
Le film n'a pas encore commencé que déjà un bruit sourd envahit l'écran. Le ronronnement d'un drone, fond sonore de Gaza depuis le début du génocide, précède l'image. Comme pour rappeler qu'avant l'art, avant la vie même, c'est la guerre qui occupe l'espace. From Ground Zero, projet orchestré par le réalisateur palestinien Rashid Masharawi, rassemble 22 courts métrages, tournés littéralement sous les bombes, par 22 réalisateur·ices gazaoui·es.
C'est un huis clos inédit, où la guerre est un fil rouge, une trame à partir de laquelle les histoires se développent. Divisé en deux parties, le film intègre un temps d'entracte, pour permettre au spectateur une respiration. Regarder les courts métrages s'enchaîner tient de l'expérience émotionnelle. La tristesse, la compassion, l'émerveillement face à la créativité et à la résistance quotidienne précèdent l'envie de hurler, de détourner le regard. Les images, jamais crues, sont pourtant honnêtes. La mort, le sang, l'immensité des gravats ne sont pas des effets spéciaux, du maquillage ou des décors en carton-pâte. Les déflagrations ne sont pas l'œuvre de bruiteurs, et les personnages à l'écran jouent rarement un rôle de composition. Dans le court métrage Sorry Cinema d'Ahmed Hassouna, les jeunes hommes qui récupèrent la farine à même le sol en feront vraiment du pain quand le réalisateur aura crié : « Coupez ! »
Documenter le quotidien, non sans poésie
Fiction, drame, expérimental, animation… Les styles se succèdent, proposant un florilège d'histoires et de formats. Treize des 22 films assument toutefois une approche documentaire sans concession. Alaa Damo, par exemple, dresse le portrait de Moss'ab, secouru deux fois en vingt-quatre heures de sous les décombres. Dans Selfie, la réalisatrice Reema Mahmoud documente sa vie de femme dans un camp de réfugiés, avant son retour dans une maison partiellement détruite. « Il est 4 heures au fuseau horaire de la guerre », poétise-t-elle, avant de lancer une bouteille à la mer, dédiée à un ami inconnu. Mustafa Kolab, producteur de films d'animation, se met en scène dans le documentaire expérimental Echo, où on le voit à contre-jour face à la mer, dans un plan-séquence où la sérénité de l'image tranche avec le fond sonore, composé de l'enregistrement d'une conversation téléphonique. On entend le réalisateur donner des consignes d'évacuation à ses proches, entre sirènes d'ambulances et explosions. Nul besoin de montrer lorsque les projections mentales suffisent à elles seules à partager le sentiment de panique et d'urgence.
Dans Jad et Natalie, l'acteur et dramaturge Aws Al-Banna se filme sur les décombres sous lesquels sont enterrées sa fiancée Nour et sa famille. Khamis Masharawi, quant à lui, filme dans Peau douce un groupe de six enfants ayant, comme la plupart d'entre eux à Gaza, compris déjà le risque imminent de leur mort. Mais quand leur mère inscrit leur nom sur leurs bras et leurs jambes, afin d'identifier leur corps en cas de bombardement, le geste leur fait faire des cauchemars, qu'ils traduisent à travers des petits films d'animation réalisés à partir de leurs dessins. La guerre est alors vue à travers leur regard : des oiseaux géants détruisent les immeubles, les yeux expriment la stupeur, les sourires n'existent plus. « Je ne veux pas qu'on m'écrive dessus, lance un jeune garçon à la caméra. Si mon corps explose, je ne veux pas qu'on rassemble mes morceaux. » Autre refus, celui qu'oppose Hana Wajeeh Eleiwa à la morosité et l'abattement ambiants, pour leur préférer la danse et le chant, dans un film sobrement intitulé : Non. Dans une mise en abîme, la réalisatrice se montre en quête d'un sujet de tournage. Après avoir refusé les idées de son cameraman jugées trop sombres, une mélodie dans l'air attise sa curiosité et l'emmène auprès du groupe de musiciens Sol Band, déterminé à apporter de la joie aux réfugiés de leur camp grâce à la musique.
Tamer Nijim, lui-même acteur, professeur de théâtre et travailleur social auprès d'enfants déplacés, a tourné son court métrage après avoir été forcé de quitter son quartier de Cheikh Radwan dans la banlieue de Gaza-ville, et d'évacuer vers le sud. « Au départ je ne voulais pas participer à ce film, confie-t-il dans un entretien avec Orient XXI. Je pensais que je n'aurais pas le temps, qu'avec toutes les restrictions, le manque de nourriture et d'eau, ça n'allait pas être possible. » Rashid Masharawi trouve cependant les mots et finit par le convaincre malgré les « grosses difficultés à Rafah, principalement à cause de problèmes d'équipement et d'électricité ».
Son film Le Professeur suit un enseignant – joué par son propre père – à la recherche d'eau, de pain et d'électricité à travers ruines et désespoir. « J'ai voulu montrer la dignité, l'honneur, la force de cet homme, qui, malgré la douleur et le dénuement, finit par proposer lui-même son aide aux autres, explique le jeune réalisateur. À travers lui, ce sont tous les pères palestiniens, et tout mon peuple que j'ai voulu représenter. » Aujourd'hui réfugié en Égypte, Tamer Nijim se languit de son pays et de ses proches. « On veut vivre en paix, sans violence. J'espère que la frontière va rouvrir pour que je puisse rejoindre ma famille. »
Une créativité décuplée par la guerre
Dès décembre 2023, deux mois après les attaques du 7 octobre et le début de la guerre génocidaire sur Gaza, Rashid Masharawi lance son projet via un fonds à son nom créé spécialement pour l'occasion. Il revient pour Orient XXI sur la genèse du projet.
En tant que réalisateur, je suis habitué à réagir à ce qui se passe en Palestine de manière artistique, cinématographique. Cette fois, ce qui se déroulait était tellement catastrophique que j'ai jugé important de donner la parole à des hommes et des femmes sur place, pour raconter leur survie au quotidien.
Les habitant·es de Gaza sont filmés au plus près :
Nous voulons rappeler que les gens qui y vivent sont humains. Dès le début, on a présenté les Palestiniens comme des chiffres, avec chaque jour des décomptes macabres. Lorsqu'ils apparaissent à l'écran, ces chiffres ont des visages, des noms, des histoires, des métiers, des rêves… Ce sont des hommes, des femmes, des enfants, des artistes. Des humains normaux, innocents.
Entre déplacements forcés et pénuries, entre deuils et incertitudes, l'urgence d'un contexte peu propice à la création artistique ne les a pourtant pas empêchés de se saisir de leur propre narratif, comme le rappelle le réalisateur :
Toutes ces personnes, qui ont tourné, joué, aidé, ont vécu les pertes et la destruction. Ils ont tous risqué leur vie pour tourner ces films, et je pense qu'ils ont participé au projet parce qu'ils croient au pouvoir de l'image. Il était primordial de les encourager, de leur expliquer à quel point il était important qu'ils disent eux-mêmes leurs histoires.
Depuis la France, Masharawi et la société de production Coorigines leur apportent soutien moral, financier et artistique, afin de leur permettre de tourner malgré des conditions de vie délétères. Durant toute la période de création, donc, mais aussi après. « J'ai eu une relation privilégiée avec les réalisateurs et leurs films », raconte le metteur en scène palestinien.
Quand on travaille avec des gens dans cette situation, on devient une famille. Certains ont travaillé sans quasiment aucun équipement, et ont dû faire preuve d'une créativité qu'on n'a jamais vue jusque-là dans l'histoire du cinéma. Ils m'ont presque rendu jaloux en tant que réalisateur ! J'aurais aimé avoir eu certaines idées ! (Sourire) Ils sont allés jusqu'à charger leur matériel électronique avec des batteries de voiture !
Laura Nikolov, présidente de Coorigines et superviseuse du projet, s'émerveille elle aussi de ce sens de la débrouille né de la détresse : « Certains se sont carrément enfermés dans des armoires avec des couvertures pour obtenir un son sans bruits parasites ! » La réussite du projet tient du tour de force.
Fixer la mémoire
Si les images en provenance de Gaza trouvent leur chemin sur les réseaux sociaux et à la télévision malgré le shadow banning (1) et la censure, elles sont vite supplantées par d'autres actualités. Le cinéma de Rashid Masharawi et le projet From Ground Zero prennent alors tout leur sens. Comme une manière plus pérenne de figer le présent, une photographie qui prendrait en compte à la fois l'apparence de la réalité et ce qui se cache sous sa surface. « Le cinéma a beaucoup plus de pouvoir que les médias d'information continue », assure le metteur en scène.
Ils tuent la mémoire en remplaçant les sujets chaque jour les uns après les autres, et vous font oublier ce que vous avez vu la veille. Le cinéma fixe, protège la mémoire, c'est une forme de documentation du présent, qui prend en compte les personnalités, les rêves, les espoirs…
En a-t-il encore, lui, l'enfant de Gaza, qui a vu s'enchaîner les guerres et les massacres ?
J'ai perdu plus de 30 membres de ma famille lors de cette dernière guerre. Toutes nos maisons ont été détruites, et à travers elles tous mes souvenirs d'enfance. Mais j'aurais toujours de l'espoir. Je n'ai jamais eu peur de notre disparition, aucune occupation ne dure éternellement. Je suis dévasté par les pertes immenses, mais nos racines sont là. Je ne ferais pas de films si je n'y croyais plus.
Rashid Masharawi annonce déjà travailler, toujours avec des réalisatrices et réalisateurs gazaoui·es, sur la suite du projet, pour le moment titrée From Ground Zero Plus. Avec le souhait, peut-être, que le bruit des drones se sera d'ici là définitivement tu.

Trancher le noeud gordien

Cette perpétuelle question continue désespérément à se poser : la paix entre Palestiniens et Israéliens est-elle possible ? Au moins, un cessez-le-feu durable s'avère-t-il concevable ?
photo Serge d'Ignazio
Dans le contexte actuel, la réponse ne peut être que négative. Bien au contraire, la situation est plus explosive que jamais. La présence de Donald Trump et de sa garde rapprochée à la Maison-Blanche et dans les postes clés de l'appareil politique, avec leur parti-pris fanatique bien connu en faveur de l'État hébreu aggrave les choses. Même s'ils ne se déclarent pas opposés à la solution à deux États, en pratique ils y ont renoncé, c'est presque officiel. À la place, ils essaient d'imposer aux Palestiniens un État croupion qui ne comprendrait qu'une modeste partie de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est (un petit faubourg sans doute).
Les sionistes d'extrême-droite au pouvoir à Tel Aviv veulent ressusciter "le grand Israël biblique" qui s'étendrait du rivage de la Méditerranée au Jourdain. Officiellement d'ailleurs, ils qualifient la Cisjordanie de "Judée-Samarie", ce qui équivaut à nier aux Palestiniens la légitimité de leurs revendications territoriales. Ils rêvent d'une seconde NAQBA semblable à celle ayant provoqué l'exode d'une majorité d'Arabes de leur pays pour faire place à l'État d'Israël. Ils multiplient depuis des années, en Cisjordanie conquise, le nombre de colons qui sont désormais rendus à environ 800 000 au milieu d'une population palestinienne de 3 millions de personnes, ce qui représente une grosse écharde dans la chair palestinienne.
Les milieux de droite, d'extrême-droite et toute une partie de l'opinion israélienne appuient à divers degrés cette ambition de judaïser ce qui reste de l'ancienne Palestine arabe. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou a augmenté récemment les opérations militaires en Cisjordanie afin de "préparer le terrain" pour appuyer la nouvelle poussée de colonisation, préparer le terrain pour la continuer et démoraliser les résistants palestiniens.
Cette ambition territoriale a-t-elle des chances de se réaliser ? Netanyahou et consorts y croient-ils vraiment ? Ou s'aveuglent-ils volontairement, prenant leurs rêves les plus fous pour la réalité ?
La solution du partage de la Cisjordanie entre Israéliens et Palestiniens est irréaliste. Il est probable que le gouvernement israélien, appuyé par Washington, exercerait une pression intense sur les Palestiniens (d'ordre militaire, économique et démographique) pour les faire céder, c'est-à-dire pour qu'ils abandonnent la majeure partie du territoire où ils sont majoritaires. Si les négociateurs palestiniens capitulaient, ils se retrouveraient à la tête d'un État qui ne recouvrirait qu'une petite partie de la Cisjordanie ; la majorité de leurs compatriotes demeurerait donc sous souveraineté israélienne. Quel serait leur statut ? Pas question pour les responsables israéliens de leur accorder la citoyenneté israélienne et le droit de vote qui l'accompagne, car cela bouleverserait l'équilibre des forces partisanes à la Knesset.
En Cisjordanie, le conflit entre une majorité de Palestiniens et de Palestiniennes, sans statut politique et légal bien défini, et Israël ne pourrait alors que rebondir. La population occupée subirait encore l'arbitraire de l'occupant. Seuls les colons israéliens bénéficieraient des droits politiques et civiques. Or, en dépit des efforts forcenés du gouvernement Netanyahou pour faire grandir rapidement le nombre de colons juifs en Cisjordanie, les Palestiniens y sont et seront toujours majoritaires. Il n'y aura pas de nouvelles NAQBA. Les Palestiniens ne manifestent aucune intention de fuir en masse leur terre natale ; d'ailleurs, les pays arabes voisins refuseraient sûrement d'accueillir cette foule de réfugiés. Il suffit de penser aux 2,2 millions de Gazaouis qui tiennent à demeurer sur leurs terres dévastées par la récente guerre, même au milieu des ruines. L'Égypte et la Jordanie refusent d'en accepter chez eux. Donald Trump peut aller se rhabiller (c'est le cas de le dire) avec sa tentation d'en faire une "riviera" méditerranéenne.
Par ailleurs, si un gouvernement moins "colonisateur" s'installait au pouvoir à Tel Aviv et décidait dans un élan de justice marqué par l'idéalisme de rendre aux Palestiniens une partie considérable de la Cisjordanie, il se heurterait alors à la résistance féroce des colons juifs dont certains sont établis en Cisjordanie depuis déjà des décennies. Ils feraient valoir leurs "droits acquis" et refuseraient certainement d'obtempérer à l'ordre de cet hypothétique gouvernement de revenir en Israël. Si le gouvernement persistait dans sa décision de les rapatrier, une guerre civile risquerait d'éclater. De quel côté pencherait l'armée ? La question se poserait avec acuité. Elle serait aussi divisée que le gouvernement auquel elle est censée obéir et que l'opinion publique israélienne elle-même. C'est une situation classique à laquelle est confrontée toute puissance colonisatrice, comme la France en Algérie à la fin des années 1950 et la Grande-Bretagne en Irlande à la fin de la décennie 1910. Plus le temps passe, plus le nombre de colons juifs se multiplie en Cisjordanie et plus le problème devient épineux. Dans un avenir prévisible, il semble impensable qu'un cabinet israélien adopte ce genre d'initiative qui entraînerait des déchirements à l'intérieur même d'Israël. La situation présente est grosse de conflits non seulement entre Israéliens et Palestiniens, mais potentiellement entre Israéliens eux-mêmes, sans oublier les divisions classiques à l'intérieur même de la société palestinienne entre "jusqu'au boutistes" d'une part et "pragmatiques" d'autre part, ces derniers prêts à davantage de compromis au nom du réalisme.
Les gouvernements occidentaux dans leur ensemble (y compris Ottawa) s'opposent au projet de déporter les Gazaouis, proposition qui provoque leur sincère indignation. Mais ils ont longtemps soutenu Israël et son "droit à l'autodéfense", ils continuent malgré tout à commercer avec l'État hébreu. Ils n'envisagent aucune mesure de rétorsion envers cet État qui demeure, malgré tout, leur protégé. On est donc loin d'assister de leur part à un retournement concret en faveur des Palestiniens.
La "solution" de l'annexion par Israël de la majeure partie de la Cisjordanie et même de Jérusalem-Est est donc impossible. Elle forme la "recette" parfaite pour l'éternisation du conflit, car elle mène à l'impasse. Le rapatriement de tous les colons juifs en Israël n'est guère plus envisageable. On se trouve donc devant un entrelacement épineux, quasi inextricable. Seules de fortes pressions de la part des alliés d'Israël permettraient de trancher le noeud gordien..
On reste perplexe devant le soutien aveugle de Trump à Netanyahou, et par conséquent à ses projets d'annexion territoriale. Au moins, Biden y apportait certaines nuances et réserves. En pratique, il laissait assez largement le champ libre à Netanyahou, mais ne l'encourageait pas dans ses lubies d'expansion territoriale débridées. Il est vrai que la logique détachée des réalités les plus élémentaires de Trump est cohérente avec ses déclarations de transformer le Canada en 51ème État américain...
Jean-François Delisle
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Immigration (France) : la machine infernale du référendum

Portés par les ministres de l'intérieur et de la justice, les appels à un référendum sur l'immigration légitiment le projet de « révolution nationale » de l'extrême droite qui entend instaurer une xénophobie d'État, par cette même voie.
10 février 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | Photo montage : Pierre-Yves Bocquet. Mediapart
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73587
C'est un texte trop peu remarqué et commenté. Il a été déposé à la présidence de l'Assemblée nationale par Marine Le Pen et les député·es du Rassemblement national (RN) le 25 janvier 2024, soit le jour même de la censure par le Conseil constitutionnel de 35 des 86 articles de la dernière loi sur l'immigration. Intitulée « Citoyenneté-Identité-Immigration », cette proposition de loi constitutionnelle est la formulation la plus complète et la plus explicite du projet politique de l'extrême droite en cas de victoire à une future élection présidentielle.
On doit à un haut fonctionnaire, Pierre-Yves Bocquet, actuellement directeur adjoint de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage, une alerte aussi pertinente qu'inquiétante sur sa portée et sa dangerosité. En cas d'adoption par référendum de ces dispositions, explique-t-il, ce ne serait pas un changement de politique, mais un changement de régime, « une nouvelle Révolution nationale, autoritaire, plébiscitaire et xénophobe. La VIe République du RN ».
Développée de façon fort pédagogique dans une récente livraison de la collection « Tracts / Gallimard », cette démonstration surgit au moment même où deux figures éminentes du gouvernement de François Bayrou, le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau et le ministre de la justice Gérald Darmanin, plaident pour un référendum sur l'immigration. Au-delà de l'enjeu invoqué, dans la foulée de sa remise en cause à Mayotte, qui est la fin du droit du sol, leurs plaidoyers légitiment par avance la voie choisie par le RN pour son coup de force institutionnel.

Reprenant et développant un projet de loi référendaire présenté lors de la campagne présidentielle de 2022, le texte déposé en 2024 par le RN montre combien la question obsessionnelle de l'immigration, et donc des droits des étrangers et des étrangères, est le cheval de Troie d'une remise en cause de l'État de droit, et donc des droits des citoyen·nes
Son premier objectif est l'affirmation de « la primauté du droit national », c'est-à-dire le rejet radical de tout droit supranational veillant au respect par un État des droits humains fondamentaux. Exactement ce que met en œuvre Donald Trump depuis qu'il a pris ses fonctions de président des États-Unis, mais aussi ce que revendiquent la Russie de Vladimir Poutine et la Hongrie de Viktor Orbán, explicitement mentionnées par le RN dans l'exposé des motifs.
Cette inversion de la hiérarchie des normes entre le droit interne et le droit international, que partagent tous les régimes autoritaires et identitaires, se traduit dans le texte du RN par une modification radicale de l'article 1er de la Constitution : « La Constitution est la norme suprême de l'ordre juridique français. Elle s'impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles. Aucun engagement international de la France, aucune règle du droit international public ou de la coutume internationale ni aucune décision d'une juridiction internationale ne peut avoir pour effet de remettre en cause la Constitution. Toute juridiction doit, le cas échéant, laisser inappliquées de telles stipulations, règles ou décisions. »
L'instauration de ce « bouclier constitutionnel », selon la formulation du RN, signifierait que la France ne serait plus tenue de se conformer au droit international et européen qui protège les libertés fondamentales. Le droit des étrangers sert ici de levier pour un coup de force antidémocratique, instaurant, écrit Pierre-Yves Bocquet, « une prison juridique à la taille de la France, qui prive tous ses habitants, français comme étrangers, de la faculté qu'ils ont aujourd'hui de saisir les juridictions internationales pour faire reconnaître leurs droits fondamentaux ».
Le deuxième bouleversement introduit par ce projet référendaire est l'instauration de la « priorité nationale », autrement dit d'une xénophobie légale. Ce nouveau principe constitutionnel est ainsi formulé : « Afin de garantir aux Français, en toutes circonstances, une priorité dans l'accès à l'emploi, à égalité de mérites, dans le secteur privé et, le cas échéant, dans le secteur public, ainsi que dans le bénéfice de l'action des services publics et des politiques publiques, y compris le logement, la loi y limite l'accès des étrangers. »
Cette xénophobie d'État accompagne toute une série de dispositions qui constitutionnalisent le rejet des étrangers et des étrangères – suppression du droit du sol, discrimination des binationaux et des binationales, limitation des politiques de lutte contre les discriminations.
Enfin, le projet du RN instaure explicitement une République identitaire en faisant entrer dans la Constitution plusieurs références à « l'identité de la France » sans prendre la peine de la définir, sinon par le refrain sous-jacent qu'elle est menacée par les migrant·es et les étrangers et étrangères.
« La République assure la sauvegarde de l'identité de la France et la protection de son patrimoine historique, culturel et linguistique et de ses paysages, en métropole et en outre-mer », énonce l'article 2 révisé, tandis qu'un amendement à l'article 5 de la Constitution confie au président la République la responsabilité de veiller « à la sauvegarde de l'identité et du patrimoine matériel et immatériel, historique et culturel de la France ».
« Pistolet braqué sur la Constitution »
Continuant de faire la courte échelle à l'extrême droite, les apprentis sorciers du gouvernement Bayrou légitiment donc, en revendiquant eux aussi un référendum sur les questions migratoires, la voie institutionnelle choisie par le RN pour son coup de force contre une République garante des droits fondamentaux.
L'esprit bonapartiste de la Constitution de la Ve République, qui permet la confiscation de la volonté de toutes et tous par le pouvoir d'un·e seul·e, offre au présidentialisme cette arme redoutable : le référendum. « En proposant aux électeurs de trancher des problèmes compliqués avec une réponse simple (oui ou non),écrit Pierre-Yves Bocquet, le référendum ne leur donne la parole que pour les empêcher de délibérer. »
C'est en fait la perpétuation du plébiscite dont Napoléon Bonaparte fut l'inventeur – de l'instauration du Consulat à celle de l'Empire héréditaire – et son neveu Napoléon III le perpétuateur – pas moins de cinq durant son long règne, dont celui qui a rétabli l'Empire sur les décombres de la Deuxième République.
Avec une grande cohérence, le projet référendaire du RN s'empare de cette arme redoutable en revendiquant l'usage discrétionnaire qu'en fit, à deux reprises, le fondateur de la Ve République. « La voie la plus démocratique qui soit » : ces mots de Charles de Gaulle sont cités dès les premières lignes de son exposé des motifs par le RN.
Par deux fois – en 1962 avec succès pour imposer l'élection du président au suffrage universel et en 1969 en vain pour réduire les pouvoirs du Sénat –, le général de Gaulle s'est appuyé sur l'article 11 de la Constitution pour contourner les assemblées, opposées à des réformes qui affaiblissaient le pouvoir législatif au bénéfice du pouvoir présidentiel.
« Pistolet braqué sur la Constitution », cet article 11, qui donne au président de la République le pouvoir de soumettre un référendum, est au cœur d'un débat entre constitutionnalistes. À l'instar de Laurent Fabius en 2022, alors président du Conseil constitutionnel, ils lui opposent l'article 89 qui à la fois contraint tout référendum au préalable d'un vote identique des deux assemblées et en limite le champ, précisant notamment que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ».
Un scénario à la Donald Trump
Au-delà de l'alarme sur le projet politique de l'extrême droite, l'intérêt du « tract » de Pierre-Yves Bocquet est de démontrer que cette parade est bien fragile face à l'absolutisme présidentiel dont on ne cesse de constater combien il peut allègrement malmener les principes démocratiques les plus élémentaires.
Outre le général de Gaulle, qui en 1962 fut accusé par ses opposants de violer la Constitution, le RN peut même convoquer l'un d'entre eux, et non des moindres, qui se convertit avec zèle au présidentialisme alors même qu'il était supposé le défaire. En 1988, François Mitterrand, président de la République depuis 1981, n'hésita pas à déclarer que « l'usage de l'article 11 établi et approuvé par le peuple peut désormais être considéré comme l'une des voies de la révision concurremment à l'article 89 ».
En cas de victoire de l'extrême droite à la prochaine élection présidentielle, le scénario d'un coup de force institutionnel est donc écrit, à l'image de celui que met en pratique Donald Trump depuis qu'il est à la Maison-Blanche, ne se privant d'aucun des leviers de l'abus de pouvoir présidentiel. Forte de l'effet de souffle qui lui conférerait sa légitimité électorale, Marine Le Pen, s'il s'agit d'elle, invoquera l'article 11 pour imposer ce référendum dans un délai que Pierre-Yves Bocquet estime à 70 jours après le deuxième tour de l'élection présidentielle.
Et si le « oui » l'emporte, la xénophobie d'État aura valeur constitutionnelle, « ointe de la légitimité que donne l'expression directe de la volonté populaire ». Dès lors, poursuit Pierre-Yves Bocquet, la devise de la France sera transformée en : « Liberté – seulement pour les Français –, Égalité – seulement entre les Français – et Fraternité – seulement des Français entre eux ».
Il n'y a d'autre parade que de tenir bon, politiquement, sur le refus de cette perdition politique. Elle n'a d'autre but que de détourner notre pays des urgences démocratiques, sociales, écologiques…
Pour éviter cette catastrophe, le haut fonctionnaire suggère aux responsables politiques de ne pas trop tarder à la rendre impossible par l'instauration d'un simple alinéa à l'article 89 de la Constitution, énonçant que celle-ci « ne peut être révisée que selon les procédures prévues par le présent article ».
Mais cette parade constitutionnelle, qui entend désamorcer la machine infernale de l'article 11, semble bien fragile quand les digues politiques ne cessent de céder. C'est ainsi que François Bayrou, devenu premier ministre, propose de relancer un débat sur l'identité française alors même qu'en 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il fit partie des opposants à cette diversion xénophobe autour de « l'identité nationale ». Aujourd'hui, il n'hésite pas à convoquer un imaginaire que ne renierait pas l'extrême droite, après avoir utilisé ses mots de « submersion migratoire » : « C'est une remise en cause de ce que nous sommes, nous, Occidentaux », a-t-il déclaré le 8 février au Parisien.
Comme Mediapart l'avait défendu en 2009, dans un appel intitulé « Nous ne débattrons pas » dont les signataires allaient de Dominique de Villepin à Olivier Besancenot, en passant par François Hollande, il n'y a d'autre parade que de tenir bon, politiquement, sur le refus de cette perdition politique. Elle n'a d'autre but que de détourner notre pays des urgences démocratiques, sociales, écologiques, etc., qui permettent de construire du commun, dans la diversité de notre peuple.
Depuis 1945, la France a connu 118 textes majeurs sur l'immigration (lireiciet là leur inventaire), à un rythme qui s'est accéléré depuis 1980, avec 49 lois et ordonnances en quatre décennies, soit plus d'une par an. Cette frénésie n'a rien réglé des problèmes vécus au quotidien par toutes celles et tous ceux qui vivent dans ce pays. Bien au contraire, elle n'a fait que donner crédit aux adversaires historiques de la promesse démocratique d'une égalité des droits, sans distinction d'origine, de condition, d'apparence, de croyance, de sexe ou de genre.
Renvoyée aux marges politiques par la défaite du nazisme, puis par la décolonisation, l'extrême droite, dont la haine de l'égalité est le socle idéologique, n'est revenue en force dans le débat public qu'avec ce refrain du bouc émissaire, l'immigration. Tous les élus et gouvernants, de quelque bord qu'ils soient, qui acceptent de l'entonner à leur tour lui ouvrent grand la route du pouvoir.
Edwy Plenel
P.-S.
• MEDIAPART. 10 février 2025 à 17h35 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/100225/immigration-la-machine-infernale-du-referendum
Les articles d'Edwy Plenel sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/edwy-plenel
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Migration et démocratie, Allemagne 2025

La montée de la droite autoritaire en Europe est étroitement liée à la « scandalisation » de la migration et de la société migratoire. Les événements de la semaine dernière en Allemagne illustrent de manière paradigmatique cette dynamique. Par Manuela Bojadžijev, Ivo Eichhorn, Serhat Karakayali, Bernd Kasparek.
12 février 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots | Photo : mobilisation massive contre l'AfD
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/02/12/migration-et-democratie-allemagne-2025/#more-90640
La montée de la droite autoritaire en Europe est étroitement liée à la « scandalisation de la migration et de la société migratoire. Les événements de la semaine dernière en Allemagne illustrent de manière paradigmatique cette dynamique.
Friedrich Merz, le candidat des partis conservateurs à la chancellerie, a décidé de jouer le tout pour le tout après une attaque au couteau mortelle perpétrée à Aschaffenburg. À la manière de Trump, il a annoncé que dès le premier jour de son mandat de chancelier il fermerait les frontières de l'Allemagne à tous ceux qui cherchent protection.
Ce faisant, il a imité un peu trop ostensiblement les décrets du président américain. Et il est allé encore plus loin que cette annonce. La semaine dernière, il a soumis à la fois une résolution et un projet de loi au vote du Parlement allemand, et ce malgré le fait que ces initiatives ne pourraient obtenir la majorité qu'avec l'approbation de l'AfD, parti d'extrême droite.
Mercredi dernier dans la matinée, le Parlement a commémoré les victimes de la Shoah. C'était le 80e anniversaire de la libération du camp de concentration d'Auschwitz. Dans l'après-midi, les conservateurs (CDU/CSU), les libéraux (FDP) et l'extrême droite (AfD) ont voté ensemble un plan en cinq points qui proclamait comme objectif la « fin de l'immigration illégale », qu'il chercherait à l'atteindre par des mesures drastiques : fermeture des frontières, détention illimitée, « centres fédéraux de retour ». Le vendredi suivant, le projet de « loi sur la limitation des flux migratoires » n'a échoué que de justesse : en ce jour anniversaire, la normalisation d'un parti d'extrême droite n'était plus acceptable pour certains conservateurs et libéraux.
Depuis des jours, presque tous les jours, des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour protester contre le rapprochement de la CDU/CSU, du FDP et de l'AfD. Depuis la semaine dernière, une alliance conservateurs-fascistes est envisageable. Friedrich Merz a démontré que, bien qu'il assure le contraire, il est prêt à travailler avec l'AfD. Pourtant, un coup d'œil au contenu des motions déposées révèle que ce rapprochement a depuis longtemps eu lieu au niveau des mesures et de la rhétorique.
Pour les conservateurs, la source de l'insécurité sociale est la migration elle-même. Il ne s'agit pas des seuls demandeurs d'asile célibataires mâles, contre lesquels Friedrich Merz aime attiser la haine. Lors du débat au Bundestag, par exemple, il a répété la rumeur raciste selon laquelle « des viols collectifs sont commis quotidiennement par la classe des demandeurs d'asile ». Les conservateurs veulent en fait mettre fin à toute migration liée à l'asile. Ils exigent la fermeture des frontières et la fin du regroupement familial pour les bénéficiaires d'une protection subsidiaire.
Mais cela ne s'arrête pas à l'asile. Friedrich Merz s'est également insurgé contre ceux qui ont fui la guerre en Ukraine. Avec ses remarques désobligeantes sur les « petits princes », il a clairement indiqué que tous les migrants peuvent être visés à tout moment.
Le projet des conservateurs de punir les crimes graves en ajoutant la perte de la citoyenneté souligne que leur politique migratoire vise à diviser la société migratoire, c'est-à-dire la société dans laquelle nous vivons tous ensemble.
La possession d'un deuxième passeport devient la preuve que le détenteur ne peut pas être un « vrai Allemand ». La citoyenneté devient révocable pour ceux dont les familles ont émigré en Allemagne. Les conservateurs visent tout ce qui a été obtenu par les luttes antiracistes menées en faveur de l' inclusion, de l'égalité et de la démocratisation de la société de migration.
Les implications fondamentales de cette perspective politique ne semblent pas être pleinement comprises par les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts non plus. Fondamentalement – il faut le dire sans détour – ils sont d'accord avec l'AfD et la CDU qui prétendent que la migration est un problème et une source d'insécurité sociale.
Ils soulignent que les projets de la CDU/CSU et de l'AfD ne sont pas efficaces, qu'ils attaquent les fondements démocratiques et constitutionnels de l'Allemagne et de l'Europe, et qu'ils ne tiennent pas compte des besoins de l'économie et de la démographie.
Jusqu'à ce point, c'est correct. Mais les conclusions qu'ils en tirent sont erronées. Le SPD et les Verts font le vieux rêve de la gestion des migrations, à savoir que l'État peut gérer arbitrairement la politique migratoire pour promouvoir la « bonne migration » et réduire la « mauvaise migration ».
Leur défense des mesures drastiques de la réforme du régime d'asile européen commun (RAEC) vise à déplacer la régulation de la migration vers les frontières extérieures. C'est exactement la politique qui a déjà été tentée dans l'UE depuis les années 2000 et qui a provoqué la longue crise des politiques migratoires européennes.
Tout le monde semble d'accord. La migration est un problème qui doit être résolu. Certains la détestent de tout leur cœur et veulent simplement s'en débarrasser. D'autres disent que la migration est un problème complexe.
Par conséquent, de meilleurs instruments sont nécessaires pour gérer la migration. Des distinctions plus subtiles sont nécessaires pour pouvoir agir de manière plus ciblée. Il existe déjà de nombreuses distinctions juridiques et de nombreux statuts.
La population vivant en Allemagne est divisée en plus de 50 statuts juridiques différents, allant de la suspension temporaire de l'expulsion à la citoyenneté à part entière. Bien sûr, la migration pourrait être subdivisée en bons et mauvais étrangers, en réfugiés et travailleurs migrants, en migrants bénéficiant d'une protection subsidiaire et en migrants hautement qualifiés, en migration de main-d'œuvre féminine et homosexuels en fuite, entre celles et ceux qui fuient le Sud global et celles et ceux qui fuient depuis l'Asie, en migrants de première, deuxième, troisième et quatrième génération.
Mais qu'est-ce que cela apporterait ? Chacune de ces divisions doit avoir des critères et justifier pourquoi un critère peut être utilisé pour attribuer ou refuser certains droits au groupe concerné. L'origine, l'éducation, les parcours migratoires, etc. servent déjà de tels critères.
Pourtant, ce regroupement délibéré des formes de migration constitue la base sur laquelle les forces de droite s'appuient constamment, pour diviser la société en transformant en ressentiments, depuis le début des luttes pour la démocratie, les inégalités et les différences. De l'introduction du suffrage universel à l'émancipation des Juifs, en passant par l'application des lois du travail et l'égalité des sexes, les forces de droite ont toujours réagi au développement de la participation démocratique en mobilisant ces ressentiments. Elles ont toujours échoué lorsque les mouvements démocratiques ont insisté sur l'égalité pour tous comme principe fondamental et refusaient la division.
Cela montre pourquoi la réponse de la SPD et des Verts à la coopération conservatrice-fasciste en matière de politique migratoire ne semble pas convaincante : ils proposent de continuer à optimiser la gestion des migrations, même si cela n'a pas fonctionné jusqu'à présent. Ce faisant, ils partagent le même postulat que les forces nationalistes : que la démocratie et la migration s'opposent ou, du moins, sont complètement extérieures l'une à l'autre.
La migration est complexe, tout comme la société. La grande réussite démocratique a été de simplifier radicalement cette complexité en termes de droits : des droits égaux indépendamment de l'origine, du sexe, de l'orientation sexuelle, des croyances religieuses, etc.
Cette revendication universelle a dû être affirmée encore et encore. Aujourd'hui, il est important de prendre cette revendication à nouveau au sérieux et de lutter pour la démocratisation de la société de la migration – en tant que société de tous, indépendamment de leur origine.
Il est possible de ne pas fantasmer sur la migration comme un ennemi à vaincre, comme le fait la droite, ou de ne pas la considérer simplement comme un objet à gérer, comme le fait le « centre démocratique ».
Une politique migratoire démocratique suppose que les mouvements migratoires d'aujourd'hui sont les citoyens (en devenir) de demain. Elle cherche les institutions de négociation et de prise de décision collectives au-delà des frontières et des inégalités. Elle commence là où les droits de l'homme et les droits civils ne sont pas simplement compris comme des concessions souveraines.
Son objectif, cependant, est de faire participer toutes les personnes concernées aux décisions sur la façon dont nous vivons ensemble, et de dire qui vit ensemble, où et comment. Pour l'Allemagne, cela doit signifier de ne plus nier et combattre la réalité de longue date de la société migratoire. Cela signifie de plaider pour une nouvelle forme de citoyenneté en Europe.
L'alternative, telle qu'elle se dessine dans une conjoncture mondiale, en serait la répétition de l'horreur qui a déjà englouti l'Europe et le monde, une fois auparavant.
Manuela Bojadžijev, professeure en anthropologie culturelle, Humboldt-University, Berlin, Allemagne
Ivo Eichhorn, philosophe, Goethe-University, Francfort, Allemagne
Serhat Karakayali, professeur, études sur les migrations et la mobilité, Leuphana-University, Lüneburg, Allemagne
Bernd Kasparek, professeur associé en Infrastructures programmables, Delft University of Technology, Pays-Bas
Traduit de l'anglais par Isabelle Saint-Saëns
https://blogs.mediapart.fr/un-collectif-dintellectuels-allemand-es/blog/070225/migration-et-democratie-allemagne-2025
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Serbie : manifestations de masse contre un capitalisme de connivence

Les manifestations qui ont éclaté en Serbie suite à l'effondrement de la canopée de la gare de Novi Sad, le 1er novembre dernier, ne cessent de prendre de l'ampleur. Elles ont déjà contraint à la démission le premier ministre, le maire de la Novi Sad, et ébranlent profondément le pouvoir du président Aleksandar Vučić. Cet accident a mis en lumière les défaillances systémiques d'un capitalisme de connivence, basé sur les relations incestueuses entre intérêts privés et pouvoir politique.
Dans cet article, Tamara Kamatović, enseignante-chercheuse à l'université d'Europe centrale de Vienne, elle-même originaire de Novi Sad, analyse la dynamique de ces manifestations de masse et les perspectives qu'elles ouvrent pour le changement social et politique dont la Serbie a besoin.
7 février 2025 | tiré du site alencontre.org
https://www.contretemps.eu/manifestations-serbie-capitalisme-connivence/
Peu après l'effondrement du toit de la gare centrale de Novi Sad, qui a fait quinze morts, un journaliste de la télévision a demandé au journaliste local Igor Mihaljević de réagir à l'événement. Son jugement, dévastateur et incisif, a fourni le contexte qui manquait à la couverture médiatique occidentale de l'accident et des manifestations de ces derniers mois.
Selon Mihaljević, il s'agit du dernier drame en date dans l'histoire souvent tragique de la deuxième ville de Serbie. Dans le passé, Novi Sad a subi la campagne génocidaire de l'armée hongroise qui a massacré des Juifs, des Serbes et des Roms dans toute la région. C'était à l'époque de l'occupation militaire dévastatrice de la Yougoslavie par l'Allemagne nazie et ses États satellites. Plus récemment, en 1999, il y a eu la campagne de bombardement de l'OTAN, qui a duré de soixante-dix-huit jours a causé la mort de 527 Yougoslaves et paralysé de grandes villes comme Novi Sad en détruisant des infrastructures essentielles. Mais cette fois-ci, selon Mihaljević, c'est différent : c'est désormais l'État serbe lui-même qui tue son peuple.
L'effondrement de la gare a laissé la ville et le pays en état de choc, déclenchant des peurs archaïques de voir le ciel s'effondrer. De nombreux Serbes, en particulier à Novi Sad, se méfient désormais des structures aériennes, certains évitant même la nouvelle ligne de chemin de fer à grande vitesse financée par la Chine. Toutefois, les conséquences ont également déclenché une puissante vague de mobilisations, si intenses qu'elles menacent de renverser le président Aleksandar Vučić et ébranlent son Parti progressiste serbe (SNS), notoirement corrompu.
Manifestations étudiantes
Emmené par des étudiant.e.s de plus de trente universités et facultés – notamment de la faculté d'art dramatique de Belgrade, qui a lancé l'appel à l'action à la fin du mois de novembre – le mouvement s'est constitué autour de quatre revendications clés.
La première est la publication de tous les documents internes relatifs aux travaux de rénovation de gare de Novi Sad, réalisés par Serbian Railway Infrastructure, l'État serbe, China Railway International et China Communications Construction Company, qui ont commencé la construction de la gare en 2021. Les autres revendications concernent l'abandon toutes les charges retenues contre les étudiant.e.s et les jeunes manifestant.e.s arrêtés et détenus qui manifestent depuis l'effondrement de la canopée, l'engagement de poursuites pénales et l'inculpation des responsables de la répression à l'encontre des étudiant.e.s et des enseignant.e.s, ainsi qu'une augmentation de 20 % des crédits budgétaires alloués aux établissements publics d'enseignement supérieur en Serbie.
Depuis novembre, les étudiant.e.s ont organisé des grèves massives, avec notamment un rassemblement de plus de 100 000 personnes sur la place Slavija de Belgrade le 22 décembre. Les manifestations se sont poursuivies jusqu'au Nouvel An, les manifestant.e.s déclarant qu'il n'y avait rien à « fêter » tant que justice n'était pas rendue. Ces manifestations se poursuivent et ont contraint, le 28 janvier, le premier ministre Milos Vučević et le maire de Novi Sad, Milan Đurić, à démissionner.
Les étudiant.e.s ont organisé des assemblées et transmis efficacement leur message aux médias. Avec un sens aigu des moments Instagramables, ils ont gracieusement dirigé des campagnes sur les médias sociaux, souvent avec des images de drones des manifestations et des visuels accrocheurs. Leurs actions et revendications n'ont pas seulement remis en question le pouvoir de l'État, elles constituent critique sévère d'une corruption systémique plus profonde : un système judiciaire corrompu qui soutient un État mafieux et un gouvernement qui non seulement manque à ses devoirs envers ses citoyen.ne.s, mais se fait complice de leur mort.
Ce qui a commencé comme une réaction dans les grandes villes de Serbie s'est transformé en un mouvement national, s'étendant également à des villes plus petites. Comme l'a fait remarquer sur X/Twitter Aleksandar Matković, militant et universitaire de Novi Sad, la carte des manifestations, qui couvre presque toutes les municipalités du pays, montre que la situation risque de dégénérer en une crise gouvernementale ou en un conflit plus important.
Les événements ont également suscité de profondes inquiétudes culturelles liées à l'identité nationale. Lundi, l'Église orthodoxe serbe a publié un article dénonçant les manifestations étudiantes, affirmant qu'elles véhiculaient un « récit et un mode de vie anti-saint Sava, anti-chrétien et anti-serbe ». L'affirmation selon laquelle les étudiant.e.s vivent dans un « univers parallèle » a été démentie dans un communiqué publié mardi, qui précise que le texte ne reflète pas la position du plus haut dignitaire religieux de l'Église, le patriarche Porfirije.
Récemment, les manifestations ont pris une tournure violente, les manifestant.e.s s'engageant dans des affrontements de rue avec les partisans du parti au pouvoir, le SNS. Dans la nuit de mardi à mercredi, vers 3 heures du matin, un groupe de partisans du SNS a attaqué des étudiants à Novi Sad. De nombreux Serbes ont été particulièrement choqués par une série d'attentats à la bombe. Les médias ont largement donné la parole à des partisans du SNS de la ville de Jagodina qui ont dénoncé avec virulence les étudiant.e.s. Un homme d'un certain âge a même déclaré qu'il serait heureux que sa fille soit battue s'il s'avérait qu'elle participait aux manifestations.
Des nationalistes au service des multinationales
Nous vivons un moment où l'on s'intéresse de façon croissante à la capacité des mouvements de masse à susciter des changements politiques. À la suite du retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, la couverture médiatique obsessionnelle présente souvent la corruption et la vénalité de cet homme comme ayant été rachetées par son investiture en tant que chef d'État. Les parallèles avec Vučić [le président serbe] sont frappants, d'autant plus que Trump et son gendre Jared Kushner ont récemment finalisé un accord commercial visant à construire un hôtel de luxe de la franchise Trump sur le site de l'ancien ministère yougoslave de la Défense à Belgrade. Ce site, bombardé par l'OTAN en 1999, est longtemps resté un symbole des bombardements et des menaces représentées par l'Alliance atlantique.
Aujourd'hui, le deal signé avec Kushner, négocié avec des agents immobiliers à Abou Dhabi, reflète une réalité plus large dans les Balkans : la multiplication de projets immobiliers conçus comme un échange de méga-cadeaux entre des chefs d'État et des chefs d'entreprise des États-Unis, de l'Union européenne, de la Chine et d'ailleurs. Ces arrangements ne profitent en fin de compte qu'à un très petit nombre de personnes, mais ils bénéficient d'une protection judiciaire. En revanche, les revendications des étudiant.e.s – axées sur le renforcement de l'éducation et la création d'institutions véritablement au service de la population, ainsi que sur la restauration de la légitimité du procureur de la République – remettent directement en cause les intérêts des autocrates et des promoteurs capitalistes que ceux-ci protègent.
Une grande partie de la couverture médiatique occidentale de l'accident de Novi Sad et des manifestations qui en ont résulté est inexacte, dans la mesure où elle souligne les liens étroits de la Serbie avec la Russie et laisse entendre que les manifestations étudiantes s'inscrivent dans une tradition antirusse semblable à celle de Maidan [en Ukraine, en 2014]. Si ce cadrage vise à attirer l'attention sur les manifestations, il est trompeur quant à l'enjeu réel. La préoccupation ici n'est pas l'ingérence étrangère d'un autre pays, elle touche à la corruption intérieure, à la criminalité et à la question fondamentale de savoir à quoi l'État sert vraiment et au service de qui il agit.
Des analystes comme le politologue Florian Bieber, qui insistent sur la nécessité pour le mouvement de s'aligner sur les partis d'opposition serbes, oublient que ces défis ne sont pas propres à la Serbie, mais qu'ils s'inscrivent dans une crise mondiale de la gouvernance. De ce fait, la victoire électorale ne peut être le seul objectif de la politique. Comme l'a relevé le [théoricien marxiste] regretté Fredric Jameson, nous assistons à une érosion globale du pouvoir de l'État. Jameson a évoqué à un « double pouvoir » dans lequel des structures alternatives émergent pour remplir les fonctions essentielles que l'État n'a pas réussi à assurer. Les manifestations étudiantes traduisent cette idée dans la pratique, par le biais de soupes populaires, de réseaux d'autodéfense et d'autres formes de solidarité collective. Les étudiant.e.s ne se contentent pas d'exiger un changement, mais démontrent activement à quoi pourrait ressembler une alternative autonome et gérée par la communauté.
Une alternative face à l'effondrement
De nombreuses suites étaient envisageables après le désastre de Novi Sad. Les relations commerciales entre l'État serbe et la Chine risquaient d'alimenter la xénophobie à l'encontre de l'importante communauté chinoise de Serbie. L'effondrement de la canopée de la gare aurait pu être oublié, et vu comme une tragédie isolée. Au lieu de cela, les étudiant.e.s serbes ont démontré qu'il est possible de remettre en question un systèmes corrompu. Le succès dépend maintenant de notre capacité à exploiter le potentiel des formes nouvelles et émergentes de cohésion sociale.
Les mouvements étudiants serbes ont déjà été à l'origine de changements politiques majeurs. En 1968, ils ont obtenu des concessions de la part de Josip Broz Tito, qui avait reconnu la validité de nombre de leurs revendications économiques et politiques. Le président Vučić peut parfois se présenter comme le successeur de Tito, mais il n'offre que des promesses vides, ne parvenant pas à mettre en œuvre de véritables changements. En 2000, le président Slobodan Milosević a été renversé après une lutte interne de trois ans déclenchée par le mouvement Otpor ! dirigé par des étudiant.e.s.
Plus récemment, les protestations contre le soutien du gouvernement serbe au projet d'extraction de lithium de la multinationale britannique Rio Tinto – qui ignore les risques environnementaux bien documentés – se sont multipliées. a mis en évidence la résistance croissante à l'extractivisme parrainé par l'État. Les pressions exercées ont finalement contraint, en 2022, le gouvernement à faire volte-face et à bloquer les projets de l'entreprise dans le pays. Cet épisode souligne une fois de plus que la rhétorique nationaliste masque souvent une collusion avec des intérêts capitalistes étrangers, qui donnent la priorité aux accords économiques plutôt qu'au bien- être de la population. Les manifestations étudiantes actuelles se sont appuyées sur cette dynamique, creusant davantage ces contradictions et remettant en question les réseaux bien établis entre pouvoir politique et intérêts économiques.
L'effondrement de la canopée de la gare de Novi Sad est une métaphore grotesque de l'incertitude qui règne en Serbie. en 1964, cette construction symbolisait une époque où l'État yougoslave était prospère et se modernisait – une ère de projets d'infrastructure ambitieux et de progrès social. Mais la négligence dans son entretien et son effondrement final rappellent brutalement l'incapacité de Vučić à maintenir un tel héritage en état de fonctionnement. Alors qu'il se présente comme un dirigeant fort, sa gouvernance été marquée par l'inégalité économique, la répression politique et l'incapacité à investir dans les institutions et les biens publics qui définissaient naguère la vision yougoslave du progrès collectif.
Les étudiant.e.s qui aujourd'hui descendent dans la rue ne protestent pas seulement contre un accident isolé ; ils et elles affrontent un système qui a longtemps privilégié la survie politique au détriment du bien-être de la population. Si ce mouvement réussit, il pourra enfin briser ce cycle infernal et pousser la Serbie vers un avenir où l'État sera vraiment au service pour son peuple. S'il échoue, l'effondrement de la canopée pourrait servir d'avertissement terrible d'une nouvelle décadence à venir. Il ne nous reste plus qu'à espérer une victoire.
*
Cet article a été initialement publié le 1er février dans Jacobin (États-Unis). Traduction Contretemps.
Photo : Dejan Krsmanovic, Wikimedia Commons.
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Lettre d’informations syndicales du Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine (RESU)

Bienvenue dans le numéro 14 de la lettre d'information syndicale du RESU. Nous y présentons l'ensemble des luttes des travailleurs, des mouvements sociaux et des communautés en Ukraine, en mettant particulièrement l'accent sur le travail effectué en 2024 par les associations féministes Bilkis et Feminist Workshop et par le syndicat des travailleurs de la santé Sois comme Nina.
Source : Aplutsoc
https://aplutsoc.org/2025/02/09/le-numero-14-de-la-lettre-dinformations-syndicales-du-reseau-europeen-de-solidarite-avec-lukraine-resu-est-disponible/
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“La lutte pour la liberté en Ukraine est intimement liée à la lutte globale contre la montée des forces fascistes”

Dans cet entretien, l'historienne et militante ukrainienne Hanna Perekhoda revient sur certaines des idées préconçues et simplifications qui, en Europe occidentale, structurent les discussions sur la guerre en Ukraine.
11 février 2025.
Source : Voxeurop.
https://voxeurop.eu/fr/hanna-perekhoda-ukraine-guerre/
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Pour les obliger à accueillir les Palestiniens de Ghaza : Trump menace l’Égypte et la Jordanie de leur couper l’aide américaine

« Je pense que je pourrais conclure un accord avec la Jordanie. Je pense que je pourrais conclure un accord avec l'Egypte. Vous savez, nous leur donnons des milliards et des milliards de dollars par an », a déclaré Trump dans une interview accordée à Fox News. Il laisse ainsi clairement entendre qu'il n'hésiterait pas à recourir au chantage pour obliger ses partenaires arabes à accepter son deal et aller au bout de son plan d'une nouvelle Nakba.
Tiré de El Watan-dz
12 février 2025
Par Mustapha Benfodil
Le président Trump signant des décrets dans son bureau à Washington - Photo : D. R.
Décidément, il ne se passe pas un jour sans que le président américain, Donald Trump, ne se fende d'une nouvelle décision ou déclaration polémique, avec son lot de réactions plus outrées les unes que les autres. Car hormis Netanyahu et l'establishment israélien, pour l'heure, il n'y a pas grand monde qui applaudit aux suggestions hasardeuses du milliardaire à la mèche rousse, même ses alliés les plus sûrs comme la Grande-Bretagne ou l'Arabie saoudite.
Moins de vingt-quatre heures après avoir fait part de sa détermination à « acheter et posséder Ghaza », Trump a menacé l'Egypte et la Jordanie de leur couper les aides américaines si Le Caire et Amman ne consentaient pas à accueillir les Palestiniens de Ghaza. « M. Trump a indiqué qu'il pourrait supprimer l'aide à la Jordanie et à l'Egypte si ces pays n'accueillaient pas des réfugiés palestiniens, affirmant qu'un grand nombre de Palestiniens voudraient quitter Ghaza si un endroit sûr leur était offert », a rapporté hier Al Jazeera.
L'AFP confirme : « Donald Trump a déclaré lundi qu'il allait ‘peut-être' arrêter les aides à l'Egypte et à la Jordanie si elles n'accueillent pas les Palestiniens de Ghaza, ce que les deux pays refusent à ce stade. » « Le président américain, dans le cadre de son plan pour l'enclave, souhaite déplacer les Ghazaouis dans ces deux pays. Mais l'Egypte a rejeté plus tôt lundi « tout compromis » portant atteinte aux droits des Palestiniens vivant à Ghaza », ajoute l'agence française.
« Les Palestiniens ne pourront pas revenir à Ghaza »
Dans une interview accordée à Fox News qui a été diffusée lundi, Donald Trump est revenu sur son plan pour Ghaza en le présentant comme un « projet de développement immobilier pour l'avenir », rapporte l'AFP. Il a confirmé sa détermination à « prendre possession » de la bande de Ghaza. Dans la foulée, il a assuré qu'il pourrait y avoir jusqu'à « six sites différents où les Palestiniens pourraient vivre en dehors de Ghaza » dans le cadre du scénario qu'il est en train de préparer.
Au journaliste qui lui demande si les Palestiniens déplacés auront « le droit au retour » après la reconstruction de Ghaza, Trump a répondu catégoriquement : « Non, ils n'en auraient pas, car ils auront des logements bien meilleurs. » « En d'autres termes, je parle de leur construire un endroit permanent parce que s'ils doivent revenir maintenant, il faudrait des années avant qu'ils puissent le faire. Ce n'est pas habitable », a-t-il ajouté.
Les Etats-Unis, a-t-il poursuivi, veulent construire de « belles communautés » pour les deux millions d'habitants de Ghaza. « Il pourrait y en avoir cinq, six ou deux. Mais nous construirons des communautés sûres, un peu à l'écart de l'endroit où ils se trouvent, là où est tout ce danger », a-t-il précisé, avant de lancer : « Il faut le voir comme un développement immobilier pour l'avenir. Ce serait un terrain magnifique. Il n'y aurait pas de dépenses importantes. » En recevant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu la semaine dernière, Donald Trump avait mis le feu aux poudres en déclarant que les Etats-Unis allaient « prendre le contrôle de la bande de Ghaza ».
Depuis, il n'a fait que confirmer que ses propos étaient à prendre très au sérieux. Avant-hier, il a avoué à des journalistes à bord de l'Air Force One qui le transportait en Nouvelle-Orléans où il devait assister à la finale du Super Bowl : « Je suis déterminé à ce que les Etats-Unis achètent Ghaza et en prennent possession.
Quant à la reconstruction, nous pourrions demander à des pays du Moyen-Orient d'en construire une partie, peut-être que d'autres pays le feront aussi, sous nos auspices. Mais nous sommes déterminés à posséder Ghaza, à en prendre le contrôle et à nous assurer que le Hamas ne revienne pas. »
Le Caire et Amman ne cèdent pas. Malgré la réponse ferme de l'Egypte et de la Jordanie à son injonction d'accueillir les Palestiniens de Ghaza, Trump n'en démord pas et semble prêt à tous les moyens pour les faire plier. « Je pense que je pourrais conclure un accord avec la Jordanie. Je pense que je pourrais conclure un accord avec l'Egypte.
Vous savez, nous leur donnons des milliards et des milliards de dollars par an », a-t-il glissé. Trump laisse clairement entendre qu'il n'hésiterait pas à recourir au chantage pour obliger ses partenaires arabes à accepter son deal et aller au bout de son plan d'une nouvelle Nakba. Malgré les pressions du président américain, l'Egypte a réitéré son rejet total des visées de Donald Trump sur le territoire palestinien.
Ce lundi, le ministre égyptien des Affaires étrangères Badr Abdelati l'a encore rappelé lors de son entretien à Washington avec son homologue américain Marco Rubio. Dans un communiqué du ministère égyptien des Affaires étrangères, il est indiqué que « les deux ministres ont discuté des développements régionaux à Ghaza, en Syrie, en Libye, au Soudan, dans la Corne de l'Afrique et dans la mer Rouge.
En ce qui concerne la question palestinienne, le ministre Abdelati a souligné la constance de la position égyptienne, arabe et islamique sur la question palestinienne, et l'importance de réaliser les aspirations légitimes du peuple palestinien, exprimant la disponibilité de l'Egypte à coordonner avec l'administration américaine, afin d'œuvrer à la réalisation de la paix juste souhaitée au Moyen-Orient d'une manière qui réponde aux droits légitimes du peuple palestinien, principalement son droit à établir un Etat indépendant sur l'ensemble de son territoire national ».
Le chef de la diplomatie égyptienne, ajoute le communiqué, « a mis l'accent sur l'importance d'accélérer le processus de redressement rapide, de déblayer les décombres et de reconstruire l'enclave en présence des Palestiniens de Ghaza, compte tenu de leur attachement à leur terre et de leur rejet total du déplacement, avec le soutien total du monde arabe et islamique et de la communauté internationale ».
« 1,44 milliard de dollars d'aide à l'Égypte en 2024 »
Côté américain, un court communiqué a été publié par le département d'Etat sur cette rencontre dans lequel il est notamment précisé : « Le secrétaire d'Etat Marco Rubio a rencontré aujourd'hui (lundi, ndlr) le ministre égyptien des affaires étrangères Badr Abdelati. Le secrétaire d'Etat et le ministre des Affaires étrangères (égyptien) ont affirmé l'importance du partenariat entre les Etats-Unis et l'Egypte, qui comprend la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région.
Le secrétaire d'Etat a remercié le ministre des Affaires étrangères pour les efforts de médiation déployés par l'Egypte en vue de la libération des otages, pour le maintien des livraisons d'aide humanitaire dans la bande de Ghaza et pour l'acceptation des évacuations médicales.
Le secrétaire d'Etat a réaffirmé l'importance d'une coopération étroite pour faire progresser la planification post-conflit de la gouvernance et de la sécurité de Ghaza, et souligné que le Hamas ne pourra plus jamais gouverner Ghaza ni menacer Israël. » A noter que le roi de Jordanie Abdallah II était attendu hier à Washington où il devait s'entretenir avec le président américain Donald Trump.
Réagissant au plan de Trump pour Ghaza, la Jordanie avait d'emblée exprimé son rejet catégorique de tout projet de transfert forcé des Palestiniens. « La solution à la question palestinienne se trouve en Palestine. La Jordanie est pour les Jordaniens et la Palestine est pour les Palestiniens », avait tranché dimanche le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi.
L'aide américaine dont bénéficient l'Egypte et la Jordanie, et que le président américain menace de supprimer si les deux Etats refusaient de se soumettre à son plan, est très substantielle. Un document officiel de la Chambre américaine du commerce en Egypte indique : « Depuis 1946, les Etats-Unis ont fourni à l'Egypte plus de 85 milliards de dollars d'aide étrangère bilatérale, l'aide militaire et économique ayant augmenté de manière significative après 1979. »
« L'aide annuelle des États-Unis à la Jordanie a triplé »
Le document précise toutefois que « l'aide étrangère des Etats-Unis a considérablement diminué au cours des deux dernières décennies, car les fondamentaux économiques de l'Egypte ont continué à s'améliorer de manière spectaculaire, et les relations bilatérales ont commencé à mettre l'accent sur la notion de commerce, pas d'aide ».
Et de souligner : « Au cours de l'exercice 2023, l'aide de toutes les agences américaines s'est élevée à 1,43 milliard de dollars, et 1,44 milliard de dollars a été demandé pour l'exercice 2024. Actuellement, l'Egypte occupe la troisième place dans la région MENA, après Israël et la Jordanie, en termes de fonds d'assistance demandés pour l'exercice 2024. »
En septembre 2024, Reuters rapportait que « l'administration Biden a notifié le Congrès américain de la fourniture à l'Egypte d'une aide militaire de 1,3 milliard de dollars sans conditions, pour la remercier notamment des efforts de médiation dans la guerre entre Israël et le Hamas ».
Pour ce qui est de la Jordanie, un document officiel du département d'Etat fait savoir : « Les Etats-Unis sont le principal fournisseur d'aide bilatérale à la Jordanie, avec plus de 1,65 milliard de dollars pour l'exercice 2021, dont plus de 1,197 milliard de dollars alloués par le Congrès américain à la Jordanie par l'intermédiaire de l'USAID dans le budget de l'exercice 2021, et 425 millions de dollars de fonds du département d'Etat pour le financement militaire à l'étranger.
Les Etats-Unis ont également fourni près de 1,7 milliard de dollars d'aide humanitaire pour soutenir les réfugiés syriens en Jordanie depuis le début de la crise syrienne. Cela comprend plus de 265 millions de dollars d'aide humanitaire aux organisations qui aident les réfugiés syriens et non syriens en Jordanie et les communautés d'accueil jordaniennes au cours de l'année fiscale 2021.
En 2018, les Etats-Unis et la Jordanie ont signé un protocole d'accord non contraignant pour fournir 6,375 milliards de dollars d'aide étrangère bilatérale à la Jordanie sur une période de 5 ans, en fonction de la disponibilité des fonds. »
Un document du Congrès américain précise de son côté : « L'aide annuelle des Etats-Unis à la Jordanie a triplé en des termes historiques au cours des 15 dernières années.
Les Etats-Unis fournissent une aide économique et militaire à la Jordanie respectivement depuis 1951 et 1957. L'aide bilatérale totale des Etats-Unis (supervisée par les départements d'Etat et de la Défense) à la Jordanie jusqu'à l'année fiscale 2020 s'élevait à environ 26,4 milliards de dollars. La demande de budget du président pour l'exercice 2025 comprend 1,45 milliard de dollars pour la Jordanie.
Le 16 septembre 2022, les Etats-Unis et la Jordanie ont signé leur quatrième protocole d'accord régissant l'aide étrangère américaine à la Jordanie. L'accord septennal, soumis aux crédits du Congrès, engage l'administration à rechercher un total de 1,45 milliard de dollars d'aide économique et
militaire annuelle pour la Jordanie. »
ONU : Plus de 53 milliards de dollars nécessaires pour reconstruire Ghaza
Le relèvement et la reconstruction de la bande de Ghaza dévastée par plus d'un an d'agression nécessiteront plus de 53 milliards de dollars, dont plus de 20 milliards sur les trois premières années, selon une estimation de l'ONU publiée hier.
« Les sommes nécessaires au relèvement et à la reconstruction à court, moyen et long terme dans la bande de Ghaza sont estimées à 53,142 milliards de dollars. Sur ce montant, le financement nécessaire à court terme pour les trois premières années est estimé à environ 20,568 milliards de dollars », écrit le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, dans un rapport à l'Assemblée générale, citée par l'AFP.
Dans une résolution adoptée en décembre réclamant un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel à Ghaza, l'Assemblée avait demandé au secrétaire général de lui fournir dans les deux mois une évaluation des besoins de Ghaza à court, moyen et long terme.
« Bien qu'il n'ait pas été possible, dans le contexte actuel, d'évaluer pleinement l'ensemble des besoins qui seront nécessaires dans la bande de Ghaza, l'évaluation intermédiaire rapide donne une première indication de l'ampleur considérable des besoins en matière de relèvement et de reconstruction dans le territoire », a noté le rapport publié hier.
Alors que « plus de 60% des habitations » ont été détruites depuis octobre 2023, le secteur du logement nécessitera environ 30% des besoins de reconstruction, soit 15,2 milliards, selon le rapport. Viennent ensuite le commerce et l'industrie (6,9 milliards), la santé (6,9), l'agriculture (4,2), la protection sociale (4,2), les transports (2,9), l'eau et l'assainissement (2,7) et l'éducation (2,6).
Le rapport a noté également les coûts particulièrement élevés anticipés pour les secteurs de l'environnement (1,9 milliard), « en raison de l'importante quantité de décombres contenant des engins non explosés et du coût élevé associé à l'enlèvement des débris ». L'ONU estime que le conflit a généré « plus de 50 millions de tonnes de débris, sous lesquels des restes humains côtoient des engins non explosés, de l'amiante et d'autres substances dangereuses ».
Antonio Guterres insiste par ailleurs sur le fait que « pour qu'il soit viable, tout effort de relèvement et de reconstruction doit être fermement ancré dans un cadre politique et sécuritaire plus large », avec Ghaza comme « partie intégrante d'un Etat palestinien pleinement indépendant, démocratique, d'un seul tenant, viable et souverain ».
« Il est indispensable que l'Autorité palestinienne soit un acteur central de la planification et de la mise en œuvre des activités de relèvement et de reconstruction de la bande de Ghaza », ajoute-t-il dans ce rapport daté du 30 janvier, soit avant les déclarations de Donald Trump qui a annoncé vouloir prendre « possession » du territoire.
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USAID : des millers de personnes impactées, les partenaires internationaux fragilisés – AQOCI

Multinationales - Olivier Petitjean, Ivan du Roy

Qu'on consomme leurs produits, qu'on admire leurs marques ou qu'on dénonce leurs pratiques, les multinationales sont omniprésentes dans nos vies. Mais les connaît-on vraiment ? Quand sont-elles apparues ? Comment sont-elles devenues si puissantes ?
https://www.editionsladecouverte.fr/multinationales-9782348077074
LIRE UN EXTRAIT
Ce livre, associant chercheurs et journalistes, offre une fresque historique et critique inédite sur ces entreprises qui ont contribué à façonner le monde dans lequel nous vivons. Des premiers câbles télégraphiques sous-marins aux géants du Web, de IG Farben au pesticide RoundUp, de Rockefeller à Elon Musk, des " républiques bananières " au lobbying intensif, il retrace leur montée en puissance progressive jusqu'à nos jours. À travers des dates emblématiques, des épisodes-clés et des portraits, il montre comment leur expansion découle de choix économiques et politiques, mais aussi juridiques, techniques, financiers ou culturels.
L'histoire des multinationales épouse celle des relations entre États, des conflits et des grandes crises. Elle suit de près la trajectoire des changements technologiques, que ces entreprises ont contribué à orienter et accélérer. Elle accompagne la mutation de nos vies quotidiennes, à travers l'avènement d'une société de consommation de masse puis du tout-numérique. Elle est aussi l'histoire de la transformation de notre environnement naturel, de l'extraction des matières premières, de la production d'énergie à une échelle toujours plus importante, jusqu'à engendrer des menaces inédites.
L'histoire des multinationales est donc notre histoire.
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Les prophètes de L’IA de Thibault Prévost

Trumpisme, biais racistes et menace écologique : « L'IA n'est pas une technique, c'est une idéologie »
19 janvier 2025 | tiré du site de Lux Éditeur
Pour l'observateur critique des technologies Thibault Prévost, la victoire de Trump coïncide avec le moment où les milliardaires de la Silicon Valley imposent l'intelligence artificielle dans les sphères politiques et économiques. Avec des racines idéologiques communes.
Journaliste (il est notamment chroniqueur pour le site Arrêt sur images), observateur critique des technologies numériques, Thibault Prévost est l'auteur du récent livre Les Prophètes de l'IA (Lux éditeur), où il explique pourquoi les promoteurs de l'intelligence artificielle (IA) sont aussi ceux qui alertent sur la menace qu'elle ferait peser sur l'humanité.
[…]
Lisez la suite ici.
Dan Israel, Mediapart, 19 janvier 2025
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Comptes rendus de lecture du mardi 18 février 2025


La peur du peuple
Francis Dupuis-Déri
J'ai lu de nombreux bouquins de Francis Dupuis-Déri, un de nos intellectuels que j'apprécie beaucoup. « La peur du peuple » est un essai fouillé sur la « démocratie directe » – la véritable démocratie en fait, celle de l'agora. Dupuis-Déri nous y présente la lutte entre l'agoraphobie et l'agoraphilie politiques, soit entre la haine et l'amour de la démocratie (directe), en décrivant les arguments et les manœuvres des deux camps. Le peuple, dont nous faisons partie, a-t-il la capacité de s'autogouverner ? Doit-il être gouverné par une élite pour que triomphe le bien commun ? Peut-on parler de démocratie si le peuple ne s'assemble pas pour exprimer et incarner sa volonté politique ? Un essai éclairant et agréable à lire. Une travail remarquable...
Extrait :
En effet, il est pour le moins curieux de conclure que le régime électoral est l'équivalent moderne de la démocratie (directe), simplement parce que celle-ci serait impossible dans la modernité. Cette prétendue impossibilité devrait nous mener à conclure que nous ne vivons pas en démocratie. Mais plusieurs préfèrent affirmer qu'un régime électoral, c'est finalement comme la démocratie (directe), voire mieux encore selon les principes de la démocratie. C'est comme si, ne pouvant avoir de carrés, nous disions que les cercles sont non seulement des carrés, mais que les cercles sont même plus carrés que les carrés, et que les carrés sont dans les fait une menace aux seuls vrais carrés, les cercles.

Les sacrifiés de la bonne entente
Luc Bouvier
Ce très intéressant bouquin raconte l'histoire des francophones du Pontiac. Au début de sa colonisation, dans la première moitié du 19e siècle, le Pontiac est une terre plus ou moins réservée à la population anglophone. Tranquillement, en raison de l'industrie forestière, les francophones s'y installent. Dans les années 1950, la population d'origine française devient majoritaire, mais l'anglicisation fait des ravages. Deux institutions vont assurer cette assimilation des francophones : l'école et l'église. L'institution scolaire, gérée majoritairement par des commissaires irlandais, refuse d'offrir un enseignement français selon le poids démographique des francophones, allant jusqu'à appliquer dans ses écoles le règlement 17 du gouvernement de l'Ontario. Elle permet de la sorte l'anglicisation de générations de francophones. L'église a également travaillé à assurer la suprématie de la langue et de la culture anglaises dans le Pontiac. Sous la gouverne de l'évêque ontarien de Pembroke, le clergé n'offre la plupart du temps qu'un ministère de langue anglaise aux francophones et combat toute initiative qui leur serait favorable. J'aime l'histoire, et particulièrement la nôtre, et j'ai beaucoup aimé ce bouquin.
Extrait :
Cette anecdote résume toute l'histoire des relations entre francophones et anglophones, officiellement marquées du sceau de la bonne entente. C'est cette histoire, cachée et niée, autant par la communauté anglophone que francophone mais pour des raisons bien différentes - que raconte ce livre. Cette histoire, c'est aussi celle de la plupart des minorités francophones à travers le Canada qui vivent sous la camisole de force du bon-ententisme.

Les Frères Karamazov
Fiodor Dostoïevski
Traduit du russe
Plusieurs personnes ont raconté avoir tout lu ou presque tout lu les romans de Dostoïevski à une certaine époque de leur vie. Ce fut entre autres le cas de l'historien Roger Blanchette. « Les Frères Karamazov » est le dernier roman de ce très grand écrivain russe et son meilleur de l'avis de plusieurs. Je dois aussi admettre que c'est un de ses bons romans, et probablement le plus abouti, même si je lui ai préféré « L'idiot ». « Les Frères Karamazov » est un long drame familial, dans lequel le père, plutôt odieux, finit assassiné, et qui tourne autour de trois frères, ses fils Dimitri, Ivan et Aliocha. Derrière ce qui ne ressemble plus guère à un roman policier, ce sont les interrogations sur la raison d'être de l'homme, sur la misère, sur l'orgueil, sur l'innocence aussi, qui se jouent dans cette Russie, peu après les réformes de 1860.
Extrait :
Alexéi Fiodorovitch Karamazov était le troisième fils d'un propriétaire foncier de notre district, Fiodor Pavlovitch, dont la mort tragique, survenue il y a treize ans, fit beaucoup de bruit en son temps et n'est point oubliée. J'en parlerai plus loin et me bornerai pour l'instant à dire quelques mots de ce « propriétaire », comme on l'appelait, bien qu'il n'eût presque jamais habité sa « propriété ». Fiodor Pavlovitch était un de ces individus corrompus en même temps qu'ineptes – type étrange mais assez fréquent - qui s'entendent uniquement à soigner leurs intérêts. Ce petit hobereau débuta avec presque rien et s'acquit promptement la réputation de pique-assiette : mais à sa mort il possédait quelque cent mille roubles d'argent liquide. Cela ne l'empêcha pas d'être, sa vie durant, un des pires extravagants de notre district. Je dis extravagant et non point imbécile, car les gens de cette sorte sont pour la plupart intelligents et rusés : il s'agit là d'une ineptie spécifique, nationale.

S'indigner, oui, mais agir
Serge Mongeau
J'ai rencontré Serge Mongeau il y a de nombreuses années lors d'un salon du livre. Ça avait été fort agréable. C'est un homme aimable, humain et sans prétention. Celui que l'on nomme en fait le père de la simplicité volontaire au Québec poursuit dans ce petit essai de moins de cent pages sa défense du bien commun, de l'environnement et de la justice. Même s'il nous y donne l'heure juste sur la situation dans le monde, il ne baisse pas lui-même les bras. Il nous incite bien plutôt à faire la même chose en vivant vraiment en adéquation avec les valeurs que nous défendons. Parce que c'est en incarnant le changement que l'on amène le changement…
Extrait :
Il y a, dans notre société, beaucoup de réalités que je trouve inacceptables : les inégalités sociales croissantes, l'absence d'une véritable démocratie, la destruction de la nature et la détérioration de l'environnement, pour ne nommer que celles-là. Je ne suis pas seul à penser ainsi ; je fais partie de cette grande famille de la gauche qui, tout au long de l'histoire moderne, s'est préoccupée du bien commun. Nous rêvons, nous discutons, nous écrivons, nous mettons sur pied des organisations, nous militons...
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Le populisme, vecteur du monde politique de 2025

Le langage de la vie réelle : entretien avec Juliette Farjat
L’autrice Juliette Farjat a récemment fait paraître son livre Le Langage de la vie réelle aux Éditions sociales (2024). Cet ouvrage est d’un grand intérêt pour qui désire approcher la philosophie du langage à partir d’une grille d’analyse marxiste. Notre collaborateur Antoine Deslauriers s’est entretenu avec l’autrice à propos de son dernier titre. Cet échange offre une réflexion approfondie sur la linguistique et la théorie du langage, situant le débat à la croisée de la philosophie analytique et du marxisme.
Juliette Farjat, Le langage de la vie réelle, Paris, Les Éditions sociales, coll. « Les éclairées », 2024, 334 p.
Le titre de votre ouvrage – Le langage de la vie réelle – est emprunté à une célèbre formule de L’Idéologie allemande[1]. Sachant que « les questionnements sur la nature et les fonctions du langage […] semblent a priori complètement étrangers au corpus marxien » (22), pour quelle raison avez-vous choisi d’inscrire votre réflexion dans le sillage des travaux de Karl Marx ?
Le choix de partir de Marx pour mener une réflexion sur le langage est déterminé par deux objectifs théoriques distincts.
D’abord, j’avais l’intuition que, contrairement aux apparences, il y avait dans l’œuvre marxienne beaucoup de choses intéressantes sur le langage. D’une part parce qu’il y a en réalité chez Marx un certain nombre de textes, peu étudiés, qui s’interrogent explicitement sur le langage : sur son rôle dans la vie sociale en général, sur son rapport avec la « conscience », sur la spécificité de la « langue bourgeoise » ou du langage idéologique, etc. Ensuite, parce que Marx est un auteur qui accorde beaucoup d’importance à la langue de ses adversaires théoriques et politiques, ainsi qu’à sa propre écriture. En examinant la manière dont il critique minutieusement certaines formulations et certains usages du langage, ainsi que la façon dont il cherche lui-même à échapper à ces critiques, on peut donc tenter de reconstruire une théorisation marxienne positive du langage et de ses usages. Enfin, d’un point de vue plus général, la « conception matérialiste de l’histoire », en tant qu’elle accorde un primat aux pratiques, me semble exiger la prise en compte des pratiques langagières dans l’analyse des sociétés. Le premier objectif du livre était donc de réussir à montrer qu’il y avait bien chez Marx, des pistes de réflexions prometteuses sur le langage.
Mais cette démarche, qui s’inscrit dans le champ des études marxiennes, a été portée par une seconde exigence, plus générale : celle de proposer, à partir des intuitions de Marx, une philosophie du langage convaincante en elle-même. Il me semble en effet que, de même que la philosophie sociale d’inspiration marxiste a eu tendance à négliger l’étude des pratiques langagières, la philosophie du langage contemporaine a tendance, à l’inverse, à négliger l’étude du social. Elle laisse ainsi trop souvent de côté les enjeux critiques de l’analyse langagière. C’est donc tout simplement la dimension de critique sociale que la théorie marxienne permet d’apporter à la philosophie des pratiques langagières que je voulais promouvoir.
L’une des grandes thèses de votre livre veut qu’« il conv[ient] de remplacer l’étude de la langue par l’étude des pratiques langagières » (105). À quel genre de difficultés souhaitez-vous remédier en adoptant ce parti pris méthodologique ?
Cette idée selon laquelle il faut penser le langage du point de vue des pratiques plutôt que de la langue n’a rien d’original, elle est même largement admise aujourd’hui. Cependant, il me semble que nous avons du mal à l’intégrer véritablement ou à en tirer toutes les conséquences. Car il est en réalité très difficile de se défaire de cette vision du langage comme d’un système de signes, c’est-à-dire comme d’un ensemble de mots qui détermineraient notre manière de voir le monde. Or, le problème de cette façon de penser est que cela nous conduit à croire que les mots ont une sorte d’existence autonome, qu’ils possèdent en eux-mêmes leur signification, et qu’ils produisent magiquement (en vertu de leur seule existence) un certain nombre d’effets. J’ai l’impression que c’est un tel présupposé qu’on trouve parfois dans les ouvrages critiques qui analysent le vocabulaire « néo-libéral » ou la « langue du capital ». Il me paraît pourtant clair que le problème ne vient pas des mots pris isolément, ni même de la langue comme système de mots, mais des usages que nous en faisons et qui, seuls, en déterminent le sens. Ce que nous appelons la langue n’est en fait que le résultat de tels usages, et c’est donc sur eux qu’il faut se concentrer. C’est parce que tel ou tel mot est utilisé de telle manière, dans tel contexte et par telle personne qu’il finit par s’imposer à nous.
Quelque part, responsabiliser la langue ou les mots revient à déresponsabiliser les individus et risque de nous rendre inattentifs aux processus langagiers, aux mécanismes concrets par lesquels nous pouvons être influencés, déterminés. Ce sont les pratiques langagières dans lesquelles nous parlons qui sont déterminantes et non la langue en tant que telle. Et c’est précisément pour cela qu’il me semble que s’il y a quelque chose à réformer dans le langage, ce sont ces pratiques plutôt que le lexique ou les règles de grammaire qui sont constitutives de ce que nous appelons la langue. C’est déjà ce genre de choses que Marx reprochait à la critique nominaliste que Stirner formule à l’égard du langage. Celui-ci, en effet, critique le langage en tant que tel, en tant que les mots qui le composent auraient une trop grande généralité qui les empêcherait d’atteindre la singularité des choses du réel. Marx, à l’inverse, considère que, selon l’usage qu’on en fait, la généralité d’un mot peut tantôt être idéologique (comme lorsqu’on parle de l’humanité en général pour invisibiliser les différences de classes), tantôt être un outil de connaissance (comme lorsqu’on parle de « production » en général pour pouvoir comparer les différents modes de production).
Dans son article « Le langage autorisé » (1975), Pierre Bourdieu s’emploie à montrer que l’« autorité advient au langage du dehors[2] ». À l’encontre de la théorie des « actes de langage » de John L. Austin, Bourdieu soutient que ce sont les « conditions sociales d’utilisation des mots » qui font leur pouvoir, et non « les mots [eux-]mêmes[3] ». Sans rejeter tout à fait cette perspective (cf. chap. 6, p. ex.), vous la jugez impropre à rendre compte de ce qui fait la puissance et l’efficacité du langage. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi l’approche bourdieusienne ne vous « semble […] pas satisfaisante » (10) ?
Comme je l’ai indiqué dans la réponse précédente, je serais d’accord avec Bourdieu pour dire que le pouvoir du langage ne réside pas dans les mots eux-mêmes, que c’est une illusion de croire qu’il en est ainsi. Mais je n’en tire pas les mêmes conséquences que lui. Pour Bourdieu, dire que les mots n’ont pas de pouvoir revient à dire que le pouvoir ne vient pas du tout du langage, ou plutôt que ce que nous considérons comme le pouvoir du langage n’est en fait qu’un « témoignage » secondaire et superficiel d’une autorité qui lui préexiste et qui lui est extérieure : l’autorité de celui qui parle. De mon point de vue, le problème de cette thèse est qu’elle n’accorde au fond aucune effectivité aux usages réels du langage, reconduisant ainsi l’idée selon laquelle il faudrait distinguer le monde social matériel et son reflet langagier inessentiel. Or, je ne crois pas qu’on puisse considérer le pouvoir en dehors de son exercice et de ses effets, lesquels existent concrètement dans des structures sociales, mais aussi dans des pratiques, et notamment dans les pratiques langagières. Ainsi, le fait que tel mot, chargé de tel ou tel présupposé, se mette à dominer le monde social et à être utilisé partout ne vient certes pas d’une puissance magique du mot lui-même. Mais je ne crois pas non plus que cela soit seulement dû à l’autorité de celui qui l’aurait prononcé pour la première fois. Il me semble que cette puissance est bien plutôt liée à l’ensemble des usages dont il a fait l’objet, des connotations qu’il a prises dans tels discours, tels médias ou telles discussions, des autres mots auxquels il a été associé, en somme des pratiques langagières dans lesquelles il a été mobilisé.
Dans l’article que vous citez, Bourdieu explique que les manifestations symboliques « doivent leur efficacité spécifique au fait qu’elles paraissent enfermer en elles-mêmes le principe d’un pouvoir résidant en réalité dans les conditions institutionnelles de leur production et de leur réception[4] ». Or, il me semble que le pouvoir du langage peut également s’exercer d’une manière tout à fait inverse : certains énoncés langagiers tirent leur efficacité du fait qu’ils semblent renvoyer à une réalité qui se situe en dehors du langage alors qu’elle est en fait construite par l’énoncé lui-même. Dans le livre, je prends l’exemple de ce que l’analyse du discours appelle le « préconstruit » : il s’agit d’énoncés qui renferment des présupposés qui ne sont pas l’objet explicite de l’affirmation, mais qui doivent être admis pour que l’affirmation puisse être comprise. Dans une phrase comme « La préservation du modèle social français nécessite la mise en place de réformes », la nécessité de mettre en place des réformes est l’objet principal de l’énoncé, alors que la nécessité de préserver le modèle social français est présupposée sans faire l’objet d’une affirmation explicite. Ce genre d’énoncés nous « forcent » donc à admettre ces présupposés pour que la discussion puisse avoir lieu, et ces présupposés sont linguistiquement construits dans la phrase comme relevant de l’évidence, comme n’ayant pas à être interrogés. C’est ce genre de mécanismes qu’on ne peut plus identifier si on choisit de ne s’intéresser qu’à la position sociale de celui qui parle plutôt qu’au contenu et à la forme de ce qui est dit.
Pour finir, on peut remarquer qu’en réalité, ce qui intéresse Bourdieu lorsqu’il réfléchit au langage, c’est le fait qu’il constitue un marqueur social, que nos manières de parler reflètent notre position dans un champ. Je ne peux qu’être d’accord avec cette idée, mais je crois simplement que les pouvoirs du langage ne se réduisent pas à cela : que le langage est capable de bien d’autres formes de domination, sans doute plus insidieuses et moins faciles à identifier, mais auxquelles j’essaie précisément, pour cette raison, de donner une place dans le livre.
Votre lecture des « Grundrisse » vous conduit à affirmer que Marx conçoit le langage à la fois comme « le produit […] [et] le producteur de la société » (37). Cette proposition est-elle compatible, cependant, avec l’interprétation matérialiste de l’histoire qui est ébauchée dans L’Idéologie allemande et le Manifeste du parti communiste ?
Comme je l’ai indiqué dans la première réponse, il me semble que la reconnaissance de la dimension sociale et socialisante du langage est compatible avec « la conception matérialiste de l’histoire », dans la mesure où on admet que ce matérialisme n’est pas substantiel (il ne s’agit pas, par exemple, de n’accorder de réalité qu’à l’économie), mais constitue un matérialisme des pratiques. C’est comme ensemble d’activités, de pratiques concrètes que Marx cherche à penser le social. Et parmi ces pratiques, on compte les pratiques langagières. En fin de compte, ce sont bien plutôt les idéalistes qui considèrent le langage comme un domaine séparé et indépendant de la réalité matérielle. D’un point de vue matérialiste, il faudrait au contraire reconnaître que les pratiques langagières sont toutes aussi réelles ou tout autant des pratiques que les autres pratiques sociales.
Mais pour répondre plus précisément à votre question, il convient de préciser certaines choses. Pour que la thèse que je viens de formuler puisse être vraiment compatible avec la perspective matérialiste de Marx, il faut avoir renoncé à la tentation de considérer le rôle du langage comme étant en rivalité avec celui du travail ou de l’économie. Autrement dit, l’idée que le langage peut être considéré comme « producteur du social » ne signifie pas que c’est le langage et non le travail qui produit le social. Mon propos est plutôt de dire qu’il faut justement abandonner la perspective (souvent associée au marxisme) qui cherche à fonder le social en général sur une activité (par exemple le travail), ou sur un niveau de la réalité particulier (par exemple l’économie). C’est ce que j’essaie de montrer dans le deuxième chapitre du livre, en critiquant les approches fondationnelles en ontologie sociale : que ce soient celles qui, dans une perspective marxiste, cherchent à fonder le social sur le travail, ou celles qui, dans une perspective constructiviste, cherchent à fonder le social sur le langage. Il me semble que Marx lui-même fournit un certain nombre d’arguments qui vont dans ce sens et qui seuls permettent d’accorder toute son importance au langage, sans que cela soit au détriment du travail ou de l’économie.
C’est comme ensemble d’activités, de pratiques concrètes que Marx cherche à penser le social. Et parmi ces pratiques, on compte les pratiques langagières. En fin de compte, ce sont bien plutôt les idéalistes qui considèrent le langage comme un domaine séparé et indépendant de la réalité matérielle. D’un point de vue matérialiste, il faudrait au contraire reconnaître que les pratiques langagières sont toutes aussi réelles ou tout autant des pratiques que les autres pratiques sociales.
Vous soulignez, à juste titre, qu’en posant l’« idée d’une socialisation par et dans le langage », on court le risque de « tomber dans une forme d’idéalisme ou de constructivisme radical pour lequel le social n[’est] constitué que de représentations langagières » (59). Afin d’éviter cet écueil, vous prenez le contre-pied d’une « part[ie] […] de la théorie critique » et vous inspirez de la « philosophie wittgensteinienne » (76). Pourriez-vous nous indiquer ce qui, dans cette philosophie, vous parait à même de lever certaines des tensions qui travaillent les différentes intuitions de Marx au sujet du langage ?
Wittgenstein est en effet une référence importante pour moi, précisément dans la mesure où il accorde une place centrale au langage, mais dans une perspective qu’on pourrait dire non-idéaliste. En effet, il s’efforce de penser le langage comme un ensemble de pratiques sociales, en tirant toutes les conséquences de cette idée. Pour ce faire, il insiste en particulier sur les similarités et sur la continuité entre les pratiques langagières et les autres types de pratiques.
Cela implique d’abord de reconnaître que les pratiques langagières sont toutes aussi plurielles que les autres pratiques : interroger quelqu’un, raconter quelque chose, faire un discours ou plaisanter sont des pratiques dont il faut reconnaître l’hétérogénéité, même si elles impliquent toutes le langage. Exactement de la même manière qu’on ne songerait pas à décrire des activités comme marcher, manger ou jouer simplement en termes de mouvements du corps. C’est lorsqu’on pense le langage à partir de l’idée de « langue » que nous avons tendance à identifier toute utilisation du langage à un monde ou à une sphère autonome qui serait séparée de la réalité.
Et cela implique ensuite de reconnaitre qu’il n’y a pas de primat des pratiques corporelles sur les pratiques langagières : à la fois parce que les pratiques langagières mobilisent elles aussi le corps et parce que les premières comme les secondes peuvent être comprises comme un donné (il se trouve que nous parlons) plutôt que comme quelque chose qui doit être expliqué par autre chose.
Cette perspective permet donc effectivement de mon point de vue de résoudre une tension présente chez Marx et qu’on trouve notamment formulée dans L’Idéologie allemande. Marx semble en effet osciller dans ce texte entre deux positions : celle qui consiste à dire, contre les jeunes hégéliens qu’il faut passer « du langage à la vie » et qui suggère donc que l’analyse du langage doit être laissée de côté ; et celle qui semble à l’inverse nous inviter à rattacher le langage (comme « conscience pratique réelle ») à la vie. Il me semble que cette apparente contradiction disparaît dès lors qu’on comprend que pour Marx, c’est seulement en tant qu’il est pensé (par les jeunes hégéliens) comme « monde à part » ou comme sphère des idéalités (séparée de la vie concrète) qu’il faut cesser d’étudier le langage. Dès lors qu’on le conçoit dans sa concrétude, et dans sa matérialité propre, le langage mérite d’être étudié tout autant que les autres pratiques. Et c’est d’ailleurs ce que fait Marx lorsqu’il étudie et critique la langue de l’idéologie, en en faisant la genèse sociale (donc en la rattachant à la réalité) et en en analysant les effets sociaux et politiques (des effets eux aussi bien réels). On comprend donc que pour légitimer l’étude du langage dans une perspective marxienne, il faut d’abord se défaire de cette idée que le langage serait arrimé à la sphère de l’esprit ou des idées pensée comme séparée de la vie matérielle. Et c’est précisément ce que Wittgenstein permet de faire, puisqu’il critique le « mentalisme » associé à nos conceptions spontanées du langage. De ce point de vue, le sens de ce que nous disons ne doit pas être recherché dans l’esprit de celui qui parle ou qui écoute (comme si le langage n’était que l’habillage de processus mentaux qui existeraient indépendamment de lui), mais dans les usages que nous faisons des mots et dans le contexte dans lequel nous parlons.
Vous faites remarquer que, pour Marx, la « critique […] des discours porte [en elle] l’exigence d’une critique conjointe du langage et de l’ordre social dont il émerge » (143). Comment cette double exigence s’applique-t-elle aux sociétés capitalistes et à leur langage ?
Cette idée selon laquelle toute critique du langage doit aussi être une critique de la société permet de distinguer la critique marxienne du langage de la critique idéologique du langage. Critiquer le langage de façon idéologique (comme le font les jeunes hégéliens et en particulier Stirner), c’est critiquer les mots ou la langue en elle-même, comme si elle constituait un domaine à part qui déterminerait la réalité. Marx, de son côté, critique les discours en prenant soin de les rattacher à la réalité sociale de deux manières : en faisant la genèse sociale des discours (en comprenant quelles sont les positions de classes et les intérêts sociaux qui les motivent) et en en analysant les effets sociaux (en particulier des effets de légitimation de l’ordre social et d’obstacles à la connaissance et à la transformation du monde social).
Mais cette exigence de critiquer conjointement le langage et la réalité peut être entendue en un sens plus large. Notamment parce que, dès lors qu’on pense le langage du point de vue des pratiques langagières, on doit reconnaître que ces pratiques font partie de la réalité, qu’elles sont des activités réelles, qui ont lieu dans des conditions et dans des contextes eux-mêmes réels et qui ont, encore une fois, des effets bien réels. Dans la deuxième partie du livre, c’est de ce point de vue que j’essaie de formuler des critiques du langage dans les sociétés capitalistes : avec l’idée que ces pratiques ne peuvent être étudiées indépendamment de leur contexte. Je propose de les décrire à partir des concepts marxiens d’idéologie et d’aliénation.
Le concept d’idéologie permet, me semble-t-il, de décrire tous les phénomènes par lesquels des paroles peuvent exercer une forme de contrainte sur d’autres paroles possibles, soit en les délégitimant dans des discours soit en les empêchant ou en les cadrant dans les interactions. Mais, pour les étudier selon cette double exigence, il faut tenter de rendre compte des mécanismes sociaux, institutionnels et linguistiques par lesquels ce genre de contraintes parvient à s’exercer et des effets de préservation de l’ordre social qu’ils sont susceptibles de créer. Il suffit, par exemple, de penser à tous les dispositifs institutionnels qui prétendent être à l’écoute des travailleurs et qui finissent en réalité par gommer la singularité de leurs paroles pour en effacer toute trace de conflictualité.
Le concept d’aliénation quant à lui permet de décrire les processus par lesquels nous pouvons être en un sens dépossédés de nos paroles et même plus largement de notre rapport au langage. D’une part parce que nous pouvons être amenés à prononcer des expressions ou des phrases malgré nous, à ne plus nous reconnaître véritablement dans ce que l’on dit, d’autre part parce que la mobilisation de notre faculté langagière dans le travail (et dans certains types de métiers en particulier) peut influencer notre rapport au langage y compris au-delà des moments de travail effectifs. Là encore, il faut analyser ce type de processus dans toute leur matérialité, en les considérant comme des phénomènes réels et non superficiels ou seulement idéels. Dans le livre, j’analyse ainsi les effets que peuvent avoir les usages du langage dans des domaines variés et très concrets : par exemple, dans la publicité, dans les nouvelles formes de travail, ou encore dans notre rapport à internet ou à l’intelligence artificielle.

Dans le huitième chapitre de votre ouvrage, vous faites vôtre le geste opéré par Michael Hardt et Antonio Negri[5] et vous servez des concepts bakhtiniens de « polyphonie » et de « dialogie » afin de penser « des pratiques langagières aux vertus libératrices » (262). À quoi pourraient correspondre de telles pratiques ?
Les concepts de polyphonie et de dialogie empruntés à Bakthine ont, pourrait-on dire, deux types de fonctions : une fonction descriptive et une fonction normative.
Du point de vue de sa fonction descriptive, le concept de polyphonie permet de mettre en avant la multiplicité des voix, des manières de parler, des types de discours à l’œuvre dans le monde social, mais aussi à l’intérieur de chaque sujet parlant. L’idée est que notre propre parole est toujours le résultat de l’entremêlement d’une multiplicité de langages, de vocabulaires, de formulations empruntées à différents locuteurs, à différentes sources ou différents milieux (le langage familial, la langue de métier, etc.). Le concept de dialogie, quant à lui, permet d’insister sur le fait que ce que l’on dit et ce que l’on se dit à soi-même dans le flux de la parole intérieure, ne correspond jamais à une sorte de discours unilatéral et cohérent. Car ces diverses voix, non seulement coexistent, mais sont également en dialogue constant, et parfois en conflit. Ainsi, même si j’adopte malgré moi des formules que j’ai entendu dans la publicité, ou dans le discours médiatique, et que donc je fais mien leur vocabulaire, cela ne signifie pas forcément que j’y adhère totalement et explicitement. Je peux avoir d’autres points de vue, d’autres paroles en moi qui me permettent de relativiser ces propos qui pourtant habitent ma conscience.
Mais ces concepts ont aussi une face normative, car on peut dire que cette dimension polyphonique et dialogique du langage doit être entretenue, valorisée, suscitée ou qu’il faut lutter contre toute tentative d’imposition d’un langage unique et unilatéral. Car c’est cette polyphonie qui nous permet d’avoir une relative liberté dans notre rapport au langage. Si nous avons toujours affaire aux mêmes discours ou aux mêmes modes paroles, alors nous n’avons pas d’autres discours ou d’autres expressions qui pourraient nous permettre de les relativiser de les remettre en cause. Bakthine montre, par exemple, que la fin de l’isolement linguistique de la cité athénienne s’est accompagnée de la naissance du genre parodique : car seul le contact avec d’autres langues permet de relativiser et éventuellement de se moquer de la sienne propre. À partir de là, on peut distinguer entre des pratiques qui tendent à réduire cette polyphonie (par exemple, en retraduisant toute parole nouvelle dans un langage convenu, en imposant des cadres ou des normes strictes à l’expression, en exposant et en valorisant toujours le même type de discours) et d’autres qui tendent au contraire à la valoriser (en étant attentif à l’altérité des paroles entendues, en leur donnant la possibilité d’exister et d’être diffusées, en favorisant un rapport créatif à la langue, etc.).
Refusant l’idée d’un rapport de détermination mécanique entre base concrète et superstructure, vous affirmez qu’« il [ne] suff[it] [pas] de transformer le monde pour que puisse se transformer son langage » (323). À vos yeux, en effet, le langage se distingue des autres formes de médiation sociale (l’argent, l’État, le marché, etc.) en ce qu’il n’est pas extérieur aux sujets qui l’emploient. Partant, vous considérez que « tout processus qui vise à révolutionner le monde social suppose et implique un bouleversement de notre rapport au langage » (323). Sans faire dans la prospective ou la futurologie, quel pourrait être le résultat de pareil bouleversement ?
D’abord, j’essaie de montrer dans le livre, en particulier dans le premier chapitre, qu’on ne peut pas considérer le langage comme relevant de la « superstructure ». Car le langage est présent dans toutes les sphères de la vie sociale, et médiatise l’ensemble de nos activités. C’est même pour cette raison qu’il me semble devoir jouer (et qu’il a joué d’ailleurs) un rôle crucial dans tout processus révolutionnaire. Comme vous le soulignez, le problème est, en effet, que nous ne sommes pas extérieurs au langage comme nous sommes extérieurs à l’État de sorte qu’il n’est pas possible de prendre le pouvoir sur le langage de la même manière qu’on peut envisager une prise du pouvoir d’État. De même, il n’est pas possible d’abolir le langage comme on pourrait vouloir abolir la propriété privée ou l’argent. On ne peut pas sortir du langage pour échapper à ses pouvoirs, ou même pour l’évaluer de l’extérieur. C’est donc seulement depuis le langage qu’on peut subvertir notre rapport au langage, et cela n’est précisément possible que dans la mesure où il est polyphonique et dialogique, que dans la mesure où on peut faire jouer un discours ou une voix contre un autre discours ou une autre voix.
J’ajouterais que c’est surtout de manière négative qu’on peut penser un bouleversement de notre rapport au langage. D’abord pour les mêmes raisons que celles qui sont avancées par Marx lorsqu’il se refuse à produire une description trop précise de ce que pourrait être le communisme. Mais aussi pour des raisons qui tiennent à la nature spécifique du langage. Mon idée n’est, en effet, pas de mettre en avant un type de parler, un type d’usage du langage par contraste avec d’autres. Par exemple, je ne souhaite pas défendre l’usage rationnel du langage par rapport à des usages qui ne le seraient pas, ni un type de pratiques langagières (comme la délibération démocratique ou la poésie) au détriment des autres, ni même un type d’exigence ou d’attente générale relative à l’activité langagière (par exemple, l’exigence de transparence contre les paroles malhonnêtes, illusoires, ou fausses). En somme, je ne voulais pas promouvoir une bonne pratique langagière qu’il conviendrait unilatéralement de valoriser. Car la richesse du langage tient de mon point de vue à sa diversité, à ses multiples usages possibles, de sorte qu’aucune pratique ne peut être décrétée comme étant supérieure à d’autres.
En bref, mon objectif est moins de promouvoir un usage du langage parmi d’autres (cela reviendrait encore à vouloir cadrer le langage, à le limiter), que de dire qu’il faudrait libérer le langage des contraintes qui pèsent sur lui.
Notes
[1] « La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle ». Marx, Karl et Friedrich Engels, L’idéologie allemande, trad. Henri Auger, Gilbert Badia, Jean Baudrillard et Renée Cartelle, Paris, Les Éditions sociales, coll. « Les essentielles », 2012 [1932], p. 20
[2] Bourdieu, Pierre, « Le langage autorisé. Note sur les conditions sociales de l’efficacité du discours rituel », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 1, no 5-6, novembre 1975, 184.
[3] Ibid., 183.
[4] Ibid., 186.
[5] Negri, Antonio et Michael Hardt, Multitude, trad. Nicolas Guilhot, Paris, La Découverte, 2004, p. 246 et s.
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POUR UNE POLITIQUE CULTURELLE

Chine / Etats-Unis : où nous mène le nouveau cycle de guerre commerciale ?

La Chine et les Etats-Unis donnent l'image de deux boxers sur un ring parvenus au 12ème round de leur combat sur les sanctions commerciales, entamé par Donald Trump en 2018 et poursuivi à la Maison Blanche par Joe Biden sur les hautes technologies. Ils se connaissent bien et ils ont préparé leurs tactiques réciproques. Les 10% de droits de douane appliqués par Trump à partir du 4 février et les contremesures chinoises du 10 février ne sont qu'une première salve destinée à établir le rapport de force. Il faut s'attendre à des accords provisoires et à de nouveaux rebondissements qui ne règleront probablement rien pour le déficit commercial américain.
Tiré de Asialyst
7 février 2025
Par Hubert Testard
Lion et Dragon combattants, peinture iranienne du XVIIIe siècle de Muhammad Baqir, Metropolitan Museum of Art à New York. DR.
Le Chine est depuis le 4 février le seul pays touché par les sanctions commerciales annoncées par le président américain depuis sa réélection. Le Mexique et le Canada ont obtenu un répit de 30 jours qui pourrait conduire à des accords durables si les concessions faites permettent à Washington d'en faire un triomphe médiatique. L'Europe est menacée, sans savoir encore de quoi.
Dans le cas de la Chine la négociation s'annonce plus complexe. Car elle a en arrière-plan des enjeux géopolitiques, comme le rôle que pourrait ou non jouer le président chinois Xi Jinping dans la recherche d'une issue à la guerre menée par la Russie en Ukraine, économiques avec l'avenir de l'application chinoise controversée TikTok aux Etats-Unis, ou technologiques avec le contrôle de l'« empire du milieu » sur les terres rares et les métaux critiques.
Les sanctions américaines ne mordent pas pour le moment
Les 10% de droits de douane décrétés par Trump ne sont pas une bonne nouvelle pour une économie chinoise en plein marasme et confrontée à l'atonie de la demande intérieure. Mais ce n'est pas une catastrophe. Le yuan a perdu 4% de sa valeur face au dollar depuis le mois d'octobre dernier, et près de 13% depuis deux ans. Le billet vert s'envole comme toujours en période d'incertitude, et l'impact réel des droits de douane a de bonnes chances d'être inférieur au taux annoncé.
Par ailleurs l'inflation en Chine est très faible. L'indice des prix à la production dans l'industrie a perdu 2% de sa valeur entre décembre 2022 et décembre 2024 alors que cet indice a progressé de 5,4% aux Etats-Unis sur la même période. La décision prise par Trump ne fait en réalité que rétablir l'équilibre des prix relatifs sur un an (qui se calculent en combinant inflation et variations de change) et ne suffit pas à compenser le renforcement de la compétitivité prix de l'industrie chinoise sur deux ans.
Une des annonces de Washington aura un impact plus immédiat. Il s'agit de la suppression des exemptions de droits de douane sur les petits colis. Cette décision va pénaliser les grands du e-commerce chinois au profit notamment d'Amazon. Sans doute une première rétribution après le ralliement de Jeff Bezos lors de la campagne électorale américaine.
Les contremesures chinoises ont un impact sectoriel limité mais stratégique
Les décisions annoncées par Pékin ne sont pas globales. Elles consistent à surtaxer à hauteur de 15% les exportations américaines de charbon et de gaz naturel liquéfié (GNL), et de 10% les machines agricoles, les grosses cylindrées automobiles et les camionnettes. Certaines restrictions à l'exportation ou l'inscription de nouvelles entreprises américaines sur la « liste noire » chinoise complètent le dispositif.
Les exportations américaines de GNL vers la Chine ne représentent que 2,3% de leurs ventes mondiales, et moins de 4% des importations chinoises. C'est un peu différent pour le charbon, où le marché chinois capte 11% des exportations américaines (mais seulement 2,5% des achats de charbon par Pékin). Il sera facile pour les deux pays de compenser la réduction éventuelle du volume d'échanges de GNL en se tournant vers d'autres destinations. Ce sera plus difficile pour Washington en ce qui concerne le charbon. L'année 2024 avait été une très bonne année pour les ventes américaines de charbon vers le marché chinois – avec une progression de plus de 70% -, et le choc des droits de douane pourrait briser cette progression.
Globalement les mesures annoncées sur l'énergie ne portent que sur 5% des ventes américaines vers la Chine. Les autres sanctions décidées par Pékin ont un impact encore plus ciblé. Celles portant sur l'automobile vont pénaliser Ford et GM pour un volume global assez faible, sans affecter Tesla qui produit ses modèles à Shanghai.
La décision potentiellement la plus dangereuse pour les Etats-Unis est l'allongement de la liste des métaux critiques soumis à des restrictions à l'exportation. Après les annonces faites en décembre 2024 sur le gallium (qui vise le marché des semi-conducteurs), cette liste s'étend désormais à un groupe d'alliages rares et de métaux critiques (tungstène, tellurium, bismuth, molybdène…). Des métaux qui ont une fonction clé dans les chaînes de valeur industrielles de l'électronique, l'aéronautique ou des voitures électriques.
Quelle est la suite du film ?
Lors de la première guerre commerciale initiée par Donald Trump contre la Chine à partir de mars 2018, les sanctions américaines avaient progressé en plusieurs étapes : des droits de douane sur les panneaux solaires, les machines à laver, l'acier et l'aluminium entre janvier et mars, une surtaxe de 25% pour 50 milliards de dollars de produits exportés par la Chine en avril, et de nouvelles annonces en juillet avec une surtaxe de 10% portant sur 200 milliards de dollars de produits.
Pékin avait réagi rapidement par des sanctions équivalentes. Les négociations pour un accord commercial global ont commencé au mois de mai 2018. Après diverses péripéties et des compromis partiels les deux pays sont parvenus à un accord global intitulé « Phase One » le 15 janvier 2020.
La phase actuelle a été qualifiée par le président américain de « première salve. » Ce qui veut dire que d'autres mesures vont probablement être prises après analyse des contre-mesures chinoises tandis que les deux pays entament des négociations. Les objectifs de Donald Trump ne sont pas d'une clarté limpide. Il a surtout mis en avant la question du fentanyl, une drogue de synthèse qui tue des dizaines de milliers d'Américains chaque année, qui a déjà donné lieu à un accord bilatéral entre Xi Jinping et Joe Biden en novembre 2023, avec des résultats semble-t-il insuffisants. Il mentionne le déficit bilatéral en termes généraux, alors qu'il évoque des secteurs précis comme l'acier ou les semi-conducteurs quand il s'agit de protéger globalement l'industrie américaine.
Il faut s'attendre à une nouvelle succession d'annonces, de contre-annonces et d'accords partiels ou globaux dans les prochains mois, à un rythme probablement soutenu car le président américain veut aller très vite sur tout.
Comment réduire les déséquilibres commerciaux des deux pays ?
Le problème de Donald Trump n'est pas seulement la Chine. Le déficit de la balance des paiements du pays est global et structurel. Il dépasse 2% du PIB du pays chaque année depuis vingt-cinq ans. Ce déficit ne résulte pas d'un complot mondial mais tout simplement d'un excès de consommation et d'une insuffisance d'épargne, qui limite l'investissement et donc l'offre de produits américains sur le marché intérieur.
C'est exactement l'inverse dans le cas de la Chine, qui souffre d'une insuffisance de la consommation intérieure et d'un excès d'épargne. Le taux d'épargne brute chinois atteint plus du double du taux américain depuis vingt ans. Il explique les excédents commerciaux permanents du pays.
Source : Banque Mondiale.
Si le bon sens l'emportait, chacun des deux pays travaillerait à rétablir un meilleur équilibre entre l'épargne et la consommation. Des discussions sur ce sujet ont d'ailleurs eu lieu dans le passé entre les experts économiques des deux administrations, à une époque où Washington avait une vision des équilibres macro-économiques.
Le protectionnisme de Trump peut conduire à une réduction du déficit américain, mais ce sera probablement par une hausse de l'inflation et une baisse de la croissance, ce qui n'est clairement pas l'objectif. Par ailleurs freiner les exportations chinoises ne sert pas à grand-chose si dans le même temps les investisseurs chinois ne sont pas les bienvenus aux Etats-Unis et ne peuvent pas contribuer à une relance de la production industrielle nationale.
Par Hubert Testard
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Une exigence du droit international des droits humains
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Une exigence du droit international des droits humains
Me Lucie Lamarche, Professeure, département des sciences juridiques, UQAM, membre du comité Droit à la santé de la Ligue des droits et libertés
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La ville n’échappe donc plus aux relations internationales et au droit international. Elle s’impose à eux notamment par son action en réseaux de villes. Les Nations unies le reconnaissent, bien que timidement.On constate donc l’émergence de la ville des droits humains sur la scène internationale et ce, malgré des asymétries linguistiques : la ville sera-t-elle des droits humains ? ou plus largement résiliente, inclusive, voire égalitaire ? Au-delà des mots, une question lancinante et cruciale demeure : c’est celle de l’imputabilité et de l’autonomie de moyens des gouvernements municipaux. On parlera alors de leurs compétences à agir pour la protection et la promotion des droits humains. Comme le démontrent Frate et Robitaille dans ce numéro de la revue7, le droit canadien souffle à cet égard le chaud et le froid. Et, trop souvent, la ville fait la manchette lorsqu’il s’agit de dénoncer son manque de moyens ou de ressources ou encore l’impossibilité de sa soumission aux règles des ordres supérieurs de gouvernement, soit-il fédéral ou provincial. Au Canada, la ville – petite ou grande – s’affranchit lentement de ses maîtres. Ce sinueux processus est-il accompagné par le droit international des droits de la personne ? Nous prenons pour exemple le 7e Rapport périodique de contrôle sur le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels soumis par le Canada à l’attention du Comité du même nom récemment8. Reconnaissant que ce type de rapport réponde à des règles de présentation déterminées par le Comité des Nations unies, nous ne pouvons néanmoins passer sous silence l’absence absolue de considération pour les autorités locales dans celui-ci. Patrimoine Canada, éditeur canadien des rapports de mise en œuvre des traités de droits humains ratifiés par le Canada, souligne à juste titre l’adoption par le gouvernement fédéral de stratégies nationales importantes, comme celles sur le logement, l’itinérance ou la santé mentale. Pas un mot toutefois sur les complaintes des gouvernements locaux qui désespèrent de recevoir les ressources appropriées afin d’assumer leurs responsabilités en la matière. Des réalités complexes s’imposent aux municipalités et aux villes qui rappellent que les solutions ne pourront être qu’asymétriques. Une pilule difficile à avaler en contexte constitutionnel canadien. [caption id="attachment_20780" align="alignright" width="277"]

1 En ligne : https://uclg.org/fr/ 2 En ligne : https://www.ledevoir.com/politique/montreal/798260/mairesse-montreal-valerie-plante-sera-new-york-semaine-climat 3 En ligne : https://www.un.org/fr/common-agenda 4 En ligne : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n24/272/23/pdf/n2427223.pdf 5 Gwangju Guiding Principles for a Human Rights City (Gwangju Principles), 17 mai En ligne : https://www.uclg-cisdp.org/sites/default/files/Gwangju%20Guiding%20Principles%20for%20Human%20Rights%20City.pdf 6 En ligne : https://rm.coe.int/168071a600#:~:text=La%20Charte%20europ%C3%A9enne%20de%20l’autonomie%20locale%20est%20le%20premier,de%20d%C3%A9fendre%20 et%20de%20d%C3%A9velopper art 1. 7 Voir l’article Municipalités et droits humains : une rencontre qui se densifie, page 22 8 Doc NU E/C.12/CAN/7, septembre 9 Lamarche et al. Les Nations Unies, Le Droit International Des Droits Humains Et Les Autorités Locales : Quel Dialogue ?, Revue québécoise de droit international, 34 (1), 1-32, 2021. 10 En ligne : https://www.ohchr.org/fr/hrbodies/hrc/home
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