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Le grand retour de l’austérité

La CAQ a accédé au pouvoir en 2018 en misant sur les ratés de l'austérité imposée par le PLQ de Philippe Couillard. On peut comprendre que le gouvernement tente aujourd'hui par tous les moyens de nier les lourdes conséquences de ses choix politiques…
Tiré de Le point syndical. Illustration : Alain Pilon
« Il faut s'en tenir aux dépenses vraiment nécessaires » en procédant à des « analyses chirurgicales ». « Il n'y a aucune commande de réduction budgétaire », juste des « gestionnaires qui se sont aperçus qu'ils étaient en dépassement de budget. » Tel est le discours tenu tout l'été par les ministres de la CAQ, la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, en tête.
Le dernier budget, déposé il y a six mois à peine, prévoyait tout un chapitre sur « l'optimisation de l'action de l'État et l'examen des dépenses gouvernementales » assorti de prévisions couvrant à peine l'augmentation des besoins. Déjà, la CSN notait que ce budget mettrait à mal les services publics, le gouvernement ayant choisi de se priver de plus de 2 milliards $ l'année précédente en offrant des baisses d'impôt qui ont surtout profité aux mieux nantis.
Or, loin des tapis feutrés de l'Assemblée nationale et des salles de presse, les conséquences de l'austérité frappent déjà. Depuis la fin de l'été, on découvre chaque jour une nouvelle coupe ou une nouvelle politique de restrictions dans nos services publics.
Le 24 octobre, Sonia LeBel a annoncé un gel de recrutement dans les ministères et dans plusieurs sociétés d'État, dont les services correctionnels et les organismes gouvernementaux. Dans les réseaux publics de la santé et des services sociaux, de l'éducation et de l'enseignement supérieur, cette politique vise le personnel administratif.
Dans les écoles primaires et secondaires, 400 millions $ ont été retranchés cette année du budget d'entretien, et ce, dans un contexte où de nombreux établissements nécessitent des travaux importants. Les programmes de francisation ont aussi subi le couperet gouvernemental, certains centres n'acceptant plus d'inscriptions cet automne.
Dans les cégeps, nombre de projets de rénovation et d'agrandissement ont été mis en suspens. La situation est si alarmante que les présidentes et les présidents des conseils d'administration des cégeps ont publié une lettre ouverte conjointe le 19 novembre pour exprimer leur inquiétude sur la mission même des cégeps, qui est en péril.
En novembre, la nouvelle PDG de Santé Québec tenait une tournée médiatique pour expliquer la toute première mission que lui a confiée le gouvernement : couper plus de 1,5 milliard $ cette année !
En Abitibi-Témiscamingue, le chat était sorti du sac en septembre lors du conseil d'administration du CISSS. La réunion aurait dû se dérouler à huis clos, mais des journalistes ont pu y assister par erreur. Les coupes à venir ont été évoquées ainsi que la possible révision des services dans la région. Le déficit atteindrait 110 millions $. Officiellement, les gestionnaires se veulent rassurants : les soins et les services à la population seront préservés…
Le président du Conseil central de l'Abitibi-Témiscamingue–Nord-du-Québec–CSN, Félix-Antoine Lafleur, en doute. « La population active de la région, c'est environ 100 000 personnes. Ça fait 1000 $ par personne de déficit. Comment croire qu'il n'y aura pas d'impact ? »
Parmi les pistes de solution proposées par le syndicat, notons la fin du recours aux agences privées de placement de personnel. Le CISSS a payé 145 millions $ à ces agences l'an dernier, soit 27 % de plus que l'année précédente. C'est plus que le déficit au complet !
Recruter, dans le public
Les syndiqué-es du réseau public demandent d'ailleurs depuis longtemps que cesse l'utilisation de ces agences privées pour investir plutôt dans le réseau public. Et ce n'est pas qu'une question de bonne gestion financière : ça concerne aussi la qualité des soins et des services à la population. À cet effet, les employé-es des CHSLD, en nombre insuffisant et déjà essoufflés, constatent que la qualité de vie des résidentes et des résidents se dégrade. Les employé-es d'agence peuvent être compétents, néanmoins, ils sont dépêchés pour de très courtes périodes dans les établissements. L'époque où le personnel des CHSLD pouvait créer de vrais liens humains avec les bénéficiaires est décidément révolue.
4000 en moins
Pour réduire son déficit, le CISSS a retranché 4000 heures de soins par mois au CHSLD Pie-XII, à Rouyn-Noranda. C'est intenable pour les employé-es, qui peinent à assurer aux aîné-es dans ces milieux de vie les soins dont ils ont besoin. Le 17 octobre, après avoir proposé d'autres solutions aux gestionnaires, le syndicat local affilié à la CSN, la Fédération de la santé et des services sociaux–CSN et le conseil central ont dénoncé cette mauvaise décision et ont alerté la population de la région sur les répercussions de l'austérité caquiste.
Des coupes partout
Cette nouvelle période d'austérité se confirme à une vitesse folle en santé et dans les services sociaux. Au CHUM, 26 postes de préposé-es aux bénéficiaires et 7 postes d'agentes administratives ont été supprimés. D'autres coupes et des postes non remplacés ont aussi été dévoilés dans les médias depuis, notamment au CISSS de Laval et au CIUSSS du Centre-Sud de l'Île-de-Montréal. On doit s'attendre à ce que pas mal tous les établissements procèdent éventuellement à de telles annonces, qui découlent directement des choix politiques de la CAQ.
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6 décembre 1989 : 35 ans après la tragédie, le combat doit continuer

Il y a 35 ans, le 6 décembre 1989, le Québec était marqué à jamais par un acte de violence misogyne : la tuerie de l'École Polytechnique de Montréal. Cet événement, au-delà de l'horreur qu'il a suscitée, a aussi mis en lumière un problème profond : les violences faites aux femmes, simplement parce qu'elles sont des femmes.
Tiré de Ma CSQ.
« En 2024, cette tragédie demeure un rappel brutal de l'importance de lutter contre le sexisme et les violences genrées qui persistent encore aujourd'hui. Commémorer le 6 décembre est essentiel pour honorer la mémoire des 14 victimes et réaffirmer notre engagement collectif à bâtir une société plus juste et égalitaire », souligne la vice-présidente de la CSQ, Nadine Bédard-St-Pierre.
Ne jamais oublier
Il aura fallu 30 ans, soit en 2019, pour que l'on reconnaisse enfin cet attentat comme antiféministe. « Cette attaque ciblait les femmes parce qu'elles étaient des femmes, c'est important de le reconnaître et de ne jamais l'oublier », ajoute Nadine Bédard-St-Pierre. Bien que 35 ans se soient écoulés, les violences faites aux femmes, sous des formes diverses, continuent d'être présentes : féminicides, harcèlement, agressions, inégalités économiques, cyberviolence. Chaque année, des milliers de femmes au Québec et dans le monde en sont victimes.
« Pour la CSQ, cette journée est l'occasion de réitérer son engagement envers l'équité et la lutte contre toutes les formes de violence », souligne la vice-présidente.
Un combat toujours nécessaire
Malgré des progrès, il reste encore tant à faire : les statistiques montrent que les femmes continuent de faire face à des obstacles au cours de leur vie, qu'il s'agisse de violences physiques ou psychologiques, d'inégalités, de représentations stéréotypées, etc. « Cette journée du 6 décembre nous rappelle aussi que chaque action compte : éduquer, sensibiliser, légiférer et, surtout, écouter les femmes », conclut Nadine Bédard-St-Pierre.
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Francisation : l’aveuglement fait place à l’improvisation

Après des mois de représentations auprès des élus et de mobilisations aux quatre coins du Québec, nous recevons l'annonce du retour de 10 millions de dollars aux centres de services scolaires qui offrent des services de francisation de qualité avec une grande déception. Non seulement s'agit-il d'une somme économisée par l'abandon de l'allocation octroyée aux étudiants qui suivaient des cours de francisation à temps partiel, mais elle n'est même pas pérenne.
Ce que le gouvernement appelle aujourd'hui un investissement n'est rien d'autre qu'une aide d'urgence pour stopper l'hémorragie dans certains milieux.
- Bien sûr que la FAE est heureuse pour les 5000 nouveaux élèves qui seront francisés grâce à cette somme, mais qu'en est-il de toutes les autres personnes qui sont laissées pour compte ?
- - Annie-Christine Tardif, vice-présidente à la vie professionnelle à la FAE
Concrètement, ces 10 millions représentent des miettes comparativement aux besoins du réseau. Cette annonce génère, encore une fois, de l'incertitude et provoque de l'instabilité. Qu'arrivera-t-il après le 31 mars ? Les 5 000 élèves supplémentaires devront-ils attendre de nouveau avant d'être accueillis dans le réseau du ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration (MIFI) ? Pendant ce temps, la situation continuera de se détériorer dans les CSS qui n'auront pas leur part du gâteau. Comment ces sommes seront-elles réparties et comment ce montant a-t-il été déterminé ? En aucune façon, cette somme ne traduit une volonté politique de sauver les services de francisation dans les centres de services scolaires.
Nous dénonçons également le fait que le ministre Jean-François Roberge n'ait pas rencontré les personnes concernées pour discuter de la situation et trouver des solutions viables et concrètes. Le ministre Roberge a finalement réalisé que le réseau MIFI n'était pas en mesure d'accueillir les élèves dont les cours ont pris fin de façon abrupte dans les centres d'éducation des adultes, mais il improvise une solution bancale plutôt que de continuer à miser sur un réseau scolaire solide, établi et mature.
« Des centaines d'enseignantes et enseignants ont perdu leurs emplois au cours des dernières semaines. Le ministre Roberge pense-t-il vraiment que ces personnes ont attendu patiemment dans leur salon qu'il se réveille pour se trouver un autre emploi ? S'il souhaite qu'elles poursuivent leur enseignement auprès des personnes immigrantes, il faudrait leur démontrer que leur apport est important et leur assurer une stabilité. On le dénonce dans la rue depuis des semaines : le gouvernement Legault est en train de démanteler un service de qualité, mais aussi un tissu social qui permettait d'intégrer les personnes issues de l'immigration dans la société québécoise », s'insurge Madame Tardif.
Par ailleurs, la FAE s'attendait minimalement à ce que les investissements supplémentaires, puisés à même les économies réalisées par la coupe de l'allocation de participation des élèves à temps partiel (entre 65 et 67 M$), soient à la hauteur de la proportion des élèves francisés dans le réseau scolaire par rapport à ceux inscrits dans le réseau du MIFI. De même, cette annonce ne répond pas aux autres demandes de la FAE, à savoir le déplafonnement du nombre d'élèves équivalent temps plein, que le ministère avait limité à 8 789, et à la fin de l'interdiction d'utiliser d'autres enveloppes budgétaires dans les centres de services pour continuer d'assurer des services en francisation.
Le ministre Roberge ne cesse de répéter que son ministère travaille activement pour trouver de nouveaux partenaires afin que des classes ouvrent rapidement. Pendant ce temps, les centres d'éducation des adultes ont le personnel, les locaux et l'expertise pour répondre aux besoins ; il n'a donc pas à chercher bien loin. Que se cache-t-il derrière cet entêtement à vouloir démanteler les services de francisation dans les CSS ?
Pour en savoir plus, consultez notre page sur le sujet.
La vidéo "Stop au démantèlement de la francisation"
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Les principes et les statuts de l’Alliance ouvrière

Nous publions les principes et les statuts de l'Alliance ouvrière discutés à son congrès de 2024 (PTAG)
Nos principes
1. Démocratie et liberté
Malgré l'éloge constant de la classe politique et des grands médias pour les institutions « démocratiques » de notre pays (parlement, chambre des communes, etc.), nous savons qu'il ne s'agit que de façades qui n'ont rien à voir avec la démocratie réelle. Quel pouvoir détient vraiment le travailleur moyen sur les grandes décisions politiques qui affectent sa vie ? Nous sommes limités à voter une fois aux quatre ans pour mandater l'une ou l'autre des grandes-gueules carriéristes qui, sitôt advenue au pouvoir, abandonne toutes ses belles promesses électorales et se range docilement derrière les intérêts des corporations et des grandes banques – les véritables dirigeants de ce pays.
Alliance Ouvrière défend la perspective d'un système véritablement démocratique. Un système où les gens ordinaires ne voteraient pas seulement pour un représentant aux quatre ans, mais détiendraient un réel pouvoir sur les décisions qui les affectent : de la vie quotidienne à la shop et dans les quartiers jusqu'aux décisions de planification économique et de politique étrangère. D'ici là, nous continuons à défendre le peu de démocratie possible dans le système actuel. Nous réclamons la transparence des gouvernements, institutions et corporations ainsi que le droit du peuple d'être informé correctement. Nous défendons la liberté de former des associations et organisations indépendantes, la liberté d'expression, de contestation et de manifestation.
2. Égalité et unité
Nous défendons l'égalité pour tous les travailleurs et travailleuses au-delà des nationalités ou des spécificités démographiques. Nous cherchons à nous unir sur la base de la classe sociale au-delà des divisions nationales, culturelles, de sexe, etc. qui la traverse. Nous rejetons les politiques qui visent à « diviser pour mieux régner » incarnées par les guerres culturelles, inventant des critères de divisions toujours plus saugrenus les uns que les autres pour briser notre unité. Nous nous opposons aux idéologies rétrogrades (racisme, sexisme, etc.) au sein de la classe et défendons le droit à tous et toutes de participer à la lutte sans discrimination.
Nous luttons pour la perspective d'un monde réellement égalitaire, libéré des inégalités socioéconomiques, des divisions nationales et des guerres impérialistes. La véritable liberté ne sera possible que lorsque les travailleurs et travailleuses prendront en main la direction de la société indépendamment des monopoles, des banques, des corporations et autres institutions parasitaires qui perpétuent les inégalités et empêchent la majorité de l'humanité de mener une vie digne.
3. Classe contre classe
Nous avons un parti pris pour les travailleurs et travailleuses et nous défendons leur droit de lutter pour améliorer leur conditions de travail et de vie. Nous reconnaissons que l'appareil légal n'est qu'un compromis historique et qu'il est moralement juste d'agir au-delà du code du travail lorsque nécessaire. Nous rejetons la collaboration de classe et l'inféodation du mouvement ouvrier à des partis électoraux vendus à l'ordre établi. Nous croyons en la nécessité d'avoir nos propres organisations, indépendantes des structures imposées par l'État.
Nous défendons la centralité ouvrière – le principe stratégique selon lequel la classe ouvrière doit jouer le rôle déterminant dans le mouvement pour dépasser le capitalisme. Un changement social fondamental ne peut venir que par l'organisation solide des travailleurs et travailleuses pour la défense des intérêts de la classe.
Nos objectifs
Les classes populaires ont la volonté de lutter contre les injustices. Que ce soit les luttes menées par les centrales syndicales dans les sphères économiques et politiques, les envolés de mécontentement généralisées tel le mouvement des convois de la liberté ou les luttes menées par les diasporas migrantes contre l'agression impérialistes sur leur nation, nous voyons que l'ordre de choses actuel provoque la colère du peuple.
Cependant, les mouvements populaires feront toujours face à des limites si nous n'arrivons pas à innover dans nos méthodes. D'un côté, on échoue de s'inscrire dans la continuité d'un projet politique plus large. On manifeste un jour pour la Palestine, le lendemain contre la corruption, l'autre jour pour la négo syndicale. On court d'une lutte à l'autre sans faire d'avancées – sans construire une structure qui permettrait de pérenniser notre force de frappe. Bref, on se contente de mobiliser sans organiser. Sans canaliser les luttes dans des organisations, capables de relancer de nouvelles vagues de luttes, de se consolider et grossir pour répéter jusqu'à la victoire, on tombe dans le mouvementisme. On saute d'un mouvement à l'autre sans être capable de les lier par la pratique et de renforcer le pouvoir de la classe sur le long terme.
De l'autre côté, même si les luttes mènent parfois à des organisations et servent des projets politiques plus larges, elles échouent de le faire pour notre propre classe, et sont plutôt récupérées par des forces de classe réactionnaires. Nous pouvons penser au mouvement des convois de la liberté, qui bien que comportant une participation de la classe ouvrière, s'est ultimement fait canaliser dans la faction conservatrice de la classe dirigeante (Poilèvre et cie). Nous pouvons penser également aux grèves étudiantes de 2012, qui au final auront surtout profilées au projet social-démocrate de la petitebourgeoisie et au parti politique Québec Solidaire. Dans tous les cas, la classe ouvrière, bien que partie intégrante de ces mouvements, n'a pas su apprendre à les diriger selon ses propres intérêts.
C'est pourquoi notre objectif principal est de constituer la classe ouvrière en force politique indépendante. [1] Agir en force politique indépendante, cela veut dire d'abord se concevoir comme classe (avoir une conscience de classe), comprendre le nous comme la classe ouvrière plutôt que la nation, l'appartenance à l'un ou l'autre des côtés de la guerre culturelle, ou d'autres divisions secondaires. Cela veut dire ensuite de se doter des outils qui nous permettent d'agir indépendamment et collectivement en tant que classe, de puissantes organisations capables de rivaliser avec le patronat et l'État. De son côté, le grand patronat, qui détient le contrôle de l'économie, est bien organisé pour faire valoir ses intérêts et est en mesure de tirer les ficelles de la politique en sa faveur. Si nous voulons être capable de lui faire face, nous avons besoin de : A. organiser solidement la classe ouvrière ainsi que B. Éduquer et mobiliser politiquement la classe ouvrière.
A. Organiser solidement la classe ouvrière
Cela veut avant tout dire construire les organisations de défense de base de la classe ouvrière, les syndicats. Malheureusement, des décennies d'absence de syndicalisme de classe ont effrité la capacité des syndicats à assumer ce rôle fondamental. Ceux-ci ayant été incapable de s'adapter à une réalité changeante du monde du travail, le taux de syndicalisation est bas (29%) et tend à diminuer. Parmi les syndicats qui existent, plusieurs sont des organisations peu démocratiques, avec une implication minimale ou inexistante des membres. Si implication il y a, c'est généralement au sens de mobilisation (manifestations, piquets de grève) et rarement au sens d'organisation. Parfois, même la démocratie formelle (assemblées, élections, etc.) est limitée, en particulier dans certains syndicats internationaux. [2].
Les syndicats ont accepté l'appareil légal comme étant légitime, plutôt que de le comprendre comme un simple compromis historique. Bien qu'il soit juste de reconnaître que les gains du mouvement ouvrier passé tel que la reconnaissance légale des syndicats, le droits de grève, etc. sont des acquis précieux qui été arrachés à la bourgeoisie par la lutte, il faut également reconnaître que ces gains sont conditionnels au rapport de force exercé par la classe.
Malheureusement, au sein du mouvement syndical actuel, on se fourvoie trop souvent en s'appuyant principalement sur ces acquis légaux plutôt que sur la construction d'un réel rapport de force. Même les syndicats plus militants et ancrés dans leur base sont coincés dans cette mentalité de paix industrielle, où tout militantisme se doit de respecter les règles du jeu de la bourgeoisie. Ce problème est exacerbé par le fort poids joué par les employés permanents au sein des syndicats, trop souvent des personnes issues d'études universitaires poursuivant des ambitions carriéristes, formés à une mentalité de « ressources humaines ». L'État, lui, ne se limite pourtant pas à respecter les règles de son propre jeu et peut écraser même les luttes syndicales légales via des lois de retour au travail ou d'autres stratagèmes bureaucratiques. Même s'il est prouvé que l'État agit de manière inconstitutionnelle, la judiciarisation des luttes donne toujours le bénéfice du doute à la partie patronale. Après des délais de plusieurs années avant un règlement en cours, les membres sont démobilisés et le mal est fait.
Ce dont nous avons besoin, ce sont de syndicats qui sont réellement capables d'accomplir leur rôle, des syndicat de lutte de classe. D'abord, cela veut dire des syndicats combatifs, prenant partie fermement pour obtenir le plus de gains possibles pour leur membres, n'ayant pas peur de mener des grèves, des actions dérangeantes et des campagnes politiques à la défense de la classe, et ce en permanence et non seulement lors des périodes de négociation de la convention. Ensuite, cela veut dire des syndicats démocratiques dans lesquels les membres sont réellement organisés au sein de la structure syndicale, sont impliqués dans les discussions stratégiques, et où la volonté de la base est réellement ce qui dirige l'action syndicale. Finalement, cela veut dire des syndicats militants, se basant sur les intérêts absolus de la classe ouvrière dans son ensemble plutôt que sur l'intérêt étroit de leurs propres membres, et capables de mener des actions qui dépassent ce qui est permis par l'État.
B. Éduquer et mobiliser politiquement la classe ouvrière
Le syndicat est l'organisation de défense de base de la classe ouvrière, un outil essentiel sans lequel il serait impossible de rivaliser avec la classe dirigeante. Cependant, les syndicats possèdent en soi des limites qu'ils ne pourront dépasser s'ils sont laissés à eux-mêmes. Il ne suffit que de regarder l'état du mouvement syndical actuel qui a été laissé à lui-même depuis les vagues de militantisme politique des années 70 et 80. Le syndicalisme ne mène, spontanément, qu'à la conscience syndicale. Si nous voulons avoir une conscience de classe, alors nous devons également avoir une organisation de classe, qui ne se limite pas à défendre les intérêts « sur la job », mais aussi les intérêts des travailleurs et travailleuses dans l'ensemble de la société. Ceci ne viendra pas d'un développement spontané du mouvement syndical, mais d'une impulsion de l'extérieur.
Tout en reconnaissant le rôle essentiel des syndicats, nous devons lutter contre le syndicalisme étroit et aller au-delà de la conscience syndicale. Ceci implique d'éduquer la classe ouvrière pour qu'elle soit en mesure de comprendre ses propres intérêts et former son opinion indépendamment des grands médias. Comment, par exemple, former des militants capables de tenir tête aux permanents syndicaux de carrières, confiants et connaisseurs, habitués de diriger les structures syndicales ? Comment faire pour que les travailleurs et travailleuses saisissent la nature des réformes néolibérales et voient au-delà des mensonges des politiciens ? Comment faire pour que les syndicats situent leurs luttes dans un horizon internationaliste, en solidarité avec les peuples ailleurs dans le monde qui sont opprimés par l'impérialisme Canadien ? Cela implique un vaste effort d'éducation politique pour apprendre à déceler nos propres intérêts de classe, comprendre notre histoire, et développer nos capacités.
Dans cette optique, il n'existe pas de meilleur école que la lutte. C'est en menant la lutte politique que la classe ouvrière apprendra en pratique qui sont ses amis et ses ennemis. Il faut viser à mobiliser la classe ouvrière dans des campagnes politiques dépassant le cadre étroit des conditions de travail. Il faut apprendre à lutter contre les fermetures de shop, contre les réformes néo-libérales, contre les permis de travail fermés, contre la spéculation immobilière, bref, lutter contre la classe dirigeante dans l'ensemble des sphères de la vie sociale, et ultimement pour le renversement complet de l'ordre établi.
Notre stratégie
Si l'on veut se constituer en force politique indépendante, alors il faut apprendre à lutter avec nos propres moyens, à faire de la lutte politique ouvrière. Cela veut dire non seulement se préoccuper des autres sphères de la vie sociale au-delà des luttes économiques, mais surtout, de se réapproprier nos propres méthodes de lutte.
Ce qui fait que la classe ouvrière possède un réelle poids et lui donne un rôle historique, c'est son contrôle sur la production. Dans notre société, les moyens de production sont détenus par une minorité qui encaisse les profits, mais le processus de fabrication des marchandises est divisé parmi des millions de travailleurs et travailleuses. La minorité qui possède s'enrichit sur le dos de la majorité qui travaille. La classe ouvrière, consciente d'elle-même, peut utiliser son contrôle sur la production – faire la grève – non seulement pour des gains au travail, mais pour défendre ses intérêts dans l'ensemble de la société. C'est là que se situe le potentiel d'un réel rapport de force : dans notre capacité à faire des grèves politiques.
Le rôle de l'État est, en premier lieu, de préserver la domination économique de la classe dominante, ce qui implique en grande partie de réprimer le droit de grève. Historiquement, faire la grève, même pour des raisons économiques, était carrément illégal, et l'État réprimait sévèrement le syndicalisme. C'est éventuellement devenu intenable : face au dynamisme et à la combativité du mouvement ouvrier, valait mieux ouvrir la valve de l'autocuiseur que de contenir la pression jusqu'à ce que ça explose. L'État a opté pour encadrer le syndicalisme afin de s'assurer qu'il ne nuise pas trop au bon fonctionnement de la société et surtout, qu'il n'en vienne pas à menacer l'existence même du capitalisme. On en arrive aujourd'hui avec un ensemble de loi – le code du travail – issu d'un pacte de paix sociale entre le patronat et les syndicats.
Les syndicats ont, malheureusement, plié l'échine et se sont soumis à ces lois pacifiantes et démobilisatrices. Souvent, ils font même confiance à l'État et font la promotion de politiques qui renforcent le rôle de l'État dans la société (social-démocratie) . Ils ignorent ce qui est principal, le rapport de force entre les classes, pour se concentrer sur du lobbying parlementaire. Quand ils n'arrivent pas à obtenir leur objectif de cette façon, ils se replient et se contentent de se dire qu'ils ont fait « tout en leur possible. »
La récupération de l'outil de la grève politique pour rétablir le rapport de force de la classe ouvrière est nécessaire. Mais nous ne pouvons pas nous contenter de crier des mots d'ordres radicaux de l'extérieur du mouvement syndical comme des clients insatisfaits – appeler à la grève politique n'amènera pas à la grève politique. Nous ne pouvons pas non plus nous contenter de rester isolés dans des microsorganisations avec un membership dans les deux chiffres et aucune influence dans la société. Pour améliorer le mouvement syndical, il faut être dans le mouvement syndical. Pour avoir des meilleurs syndicalistes, il faut être les meilleurs syndicalistes. Il est facile de critiquer lorsqu'on est à l'extérieur du mouvement, mais lorsqu'on est confronté à ses réalités, à ses problèmes concrets, ce n'est pas si simple. La réalité est qu'un bon nombre de syndicalistes sont des personnes bien intentionnées, réellement dévouées pour la classe, qu'il ne faut pas aliéner avec une posture ultra-radicale. Ils font simplement face aux mêmes limites que nous.
Ce que l'on propose, c'est un processus à long terme, un travail qui nécessitera des années. Pour cela, nous ne pouvons pas nous contenter de nous éparpiller dans les différents syndicats sans coordination ni stratégie commune. Notre objectif (constituer la classe ouvrière en force politique indépendante), concrètement, veut dire qu'Alliance Ouvrière vise à agir comme centre politique pour organiser le déploiement des militants pour la grève politique dans le mouvement ouvrier. Voici comment nous proposons d'y arriver :
1. S'organiser sur la base de caucus ou comité par industrie pour planifier l'expansion et la consolidation du syndicalisme de lutte de classe. Les caucus peuvent servir à augmenter la densité syndicale par industrie en formant de nouveau syndicats, à réformer les syndicats existants pour en faire des syndicats combatifs, démocratiques et militants ainsi que de promouvoir l'unité et la coordination intersyndicale.
2. Mener des campagnes politiques combatives contre les attaques de l'État sur la classe ouvrière (réformes du code du travail, privatisations, etc.). Ce faisant, encourager les syndicats à lutter politiquement et à adopter des tactiques militantes plutôt que de se limiter au lobbying et aux campagnes de communication.
3. Constituer un centre d'éducation et d'information sur les questions d'organisation en milieu de travail, sur les questions politiques (grèves politiques, rôle politique et social du syndicalisme, histoire ouvrière) et sur les luttes ouvrières en cours. Collectiviser les expériences et approfondir notre compréhension de la lutte politique ouvrière.
En menant cette approche en trois fronts, nous pourrons apprendre à organiser et diriger la classe ouvrière au sein des organisations de défense de base (syndicat), à mener de lutter politiques d'envergure et à approfondir notre compréhension du mouvement syndical. En combinant ces trois fronts, nous pourrons éventuellement mener des grèves politiques pour le pouvoir ouvrier.
Nos statuts
1. Mission
Alliance Ouvrière vise à constituer la classe ouvrière en force politique indépendante. Nous organisons et mobilisons la classe ouvrière dans les milieux de travail et les autres sphères de la vie sociale afin de récupérer l'outil de la grève politique.
2. Membres
Toute personne ayant participé à au moins une assemblée générale, et étant en accord les principes, les objectifs et la stratégie d'Alliance Ouvrière peut devenir membre.
Les membres ont le devoir de contribuer au travail de base d'Alliance Ouvrière, soit l'organisation de la classe ouvrière dans les milieux de travail, et de respecter les principes généraux d'Alliance Ouvrière.
Les membres ont le droit de voter et se faire élire, de participer aux rencontres de leur organisation de base et aux congrès, ainsi que de partager leur point de vue lors des rencontres.
3. Cotisations
La cotisation pour les membres d'Alliance Ouvrière est de 10$ par mois, qui est remise et administrée par l'exécutif de chaque chapitre régional.
Le chapitre régional doit remettre 20% de son budget au comité de coordination.
4. Instances de base
Les instances de base d'Alliance Ouvrière sont le caucus industriel et le chapitre régional. Les instances de base sont des organisations avec leur propre structure démocratique, définie en concordance avec les principes, les objectifs, la stratégie et les statuts d'Alliance Ouvrière.
Toute région ou industrie avec au minimum trois membres d'Alliance Ouvrière peut former une instance de base et nommer un délégué au comité de coordination.
4.1 Le caucus industriel
Le caucus industriel est la principale instance d'Alliance Ouvrière, et vise à coordonner la stratégie des militants dans chaque industrie pour arriver à l'objectif de la grève politique. Il est formé de membres d'Alliance Ouvrière dans une industrie spécifique.
Le caucus tient une assemblée générale au minimum aux six mois. Le caucus se divise en comités basés sur des tâches ou des milieux de travail spécifiques selon les besoins.
Le caucus élit un comité exécutif chargé d'organiser les rencontres, de coordonner les activités entre les rencontres et de coordonner les actions des différents comités.
4.2 Le chapitre régional
Le chapitre régional est l'instance chargée de coordonner les différents caucus industriels d'Alliance Ouvrière dans une ville ou région, de mener des campagnes politiques et d'organiser des activités d'éducation. Il est formé de membres d'Alliance Ouvrière dans une ville ou région.
Le chapitre tient une assemblée générale au minimum aux trois mois. Le chapitre peut se diviser en sous-comités selon les besoins.
Le chapitre élit un comité exécutif chargé d'organiser les rencontres, de coordonner les activités entre les rencontres et de coordonner les actions des différents comités.
5. Comité de coordination
Le comité de coordination est l'instance chargée d'organiser les congrès, d'approuver la création des instances de base, et d'assurer la communication et la coordination entre les différentes instances d'Alliance Ouvrière.
Politiquement, le comité de coordination doit mettre de l'avant des campagnes politiques nationales, mettre en commun les ressources des instances, et promouvoir l'unité d'action.
Le comité de coordination d'Alliance Ouvrière est composé d'un représentant de chaque chapitre régional élu lors du congrès. Si un chapitre régional est formé entre deux congrès, le chapitre régional élit un représentant au comité de coordination lors d'une de ses assemblées générales.
6. Congrès
Le congrès est l'instance dirigeante d'Alliance Ouvrière. Le comité de coordination élu au congrès précédent est responsable d'organiser le congrès suivant.
Toutes les instances de base d'Alliance Ouvrière ont le droit d'amener des propositions aux congrès. Tous les membres d'Alliance Ouvrière ont le droit de participer au congrès ainsi que de débattre, proposer des amendements, et voter les propositions amenées par les instances.
Le congrès doit se tenir au minimum aux deux ans.
[1] Lorsqu'on utilise le mot politique ici, c'est au sens large - l'organisation de la vie sociale - et non au sens des institutions politiques (partis, parlements, municipalités, etc.). On parle de mener des luttes politiques, et non de faire du lobbyisme ou de la politique partisane.
[2] Les syndicats internationaux se distingues des syndicats "Canadiens" ou Québécois par le fit que les directions centrales sont situées aux États-Unis, et parfois possèdent un droit de veto sur les décsions prises en assemblées syndicales locales

Une chronologie de la grève illimitée de la FAE de 2023

Nous publions ici la seconde partie de la chronique du GIREPS consacrée à la grève des 65 500 enseignantes (du préscolaire, du primaire, du secondaire, de l'enseignement en milieu carcéral, de la formation professionnelle et de l'éducation des adultes) syndiquées à la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) qui a été déclenchée le 23 novembre 2023 avec un mandat de grève illimitée et qui a pris fin après cinq semaines.
Cette seconde partie présente une chronologie des évènements qui ont marqué cette mobilisation historique (Partie 2). Elle fait suite à une première partie centrée sur le contexte de cette grève, la dynamique syndicale dans laquelle elle s'inscrit ainsi que sur les revendications (Partie 1). Une dernière partie proposera quelques pistes de réflexion (Partie 3).
L'ensemble a été exclusivement rédigé à partir des articles de presse, communiqués syndicaux, chroniques, synthèses ou commentaires repérés sur les pages Facebook (de la FAE, des syndicats membres de la FAE et du Front commun) qui ont été publiés, et ce jusqu'à trois mois après la signature de l'entente mettant fin à la grève.

Dévitalisation — Anatomie d’une violence silencieuse

À travers une série de dessins représentant l'anatomie de l'utérus, l'artiste iranienne Nikoo Nateghian, qui vit et travaille à Bruxelles, nous plonge dans les méandres des lois oppressives iraniennes. Chaque détail anatomique renvoie à un article de loi, soulignant ainsi la manière dont le système juridique peut être utilisé pour opprimer et contrôler les femmes en Iran. Ce projet, intitulé « Dévitalisation », explore ainsi la violence insidieuse qui touche les femmes iraniennes émanant des systèmes législatifs qui violent leurs droits fondamentaux.
Tiré de Agir par la culture
Nikoo Nateghian
La représentation anatomique de l'utérus que l'artiste confronte à ces textes agit comme un moyen de neutralisation et de désensibilisation de la perception de cet organe féminin puissant et sacré. Les articles de loi, avec leur langage juridique impérieux, interviennent pour perturber cette contemplation paisible. Ils déconstruisent la connaissance acquise par l'observation des planches anatomiques, révélant ainsi la manière dont ces lois contribuent à la dévitalisation des femmes en Iran, en les réduisant à de simples cas à traiter par le système judiciaire.
Art. 1133 (amendé le 10/11/2002). Un homme peut demander le divorce en respectant les conditions prévues par la loi.
Art. 1133 (amendé conditions énoncées aux articles 1119, 1129 et 1130 de cette loi). Les situations permettant à la femme de demander le divorce comprennent la disparition de l'époux pendant quatre ans, le refus de l'époux de fournir une pension alimentaire, le non-respect de l'époux des autres droits obligatoires, le mauvais traitement de l'époux au point où la vie devient insupportable, les maladies sexuellement transmissibles graves de l'époux qui mettent l'épouse en danger.
Art. 1180. Un enfant mineur est placé sous l'autorité parentale de son père et de son grand-père paternel. L'enfant non émancipé ou mentalement handicapé est placé sous l'autorité parentale de son père et de son grand-père paternel si l'incapacité ou le handicap existaient déjà durant la minorité.
Art. 1181. Chacun des pères et des grands-pères a autorité parentale sur ses enfants.
Art. 1233. Une femme ne peut pas accepter une tutelle sans le consentement de son mari.
Art. 1114. L'épouse doit résider dans le domicile désigné par son époux, à moins que le choix du domicile ne lui ait été confié.
Art. 1117. L'époux peut interdire à son épouse de pratiquer une profession ou un métier qui contrevient aux intérêts de la famille, à ses propres valeurs ou aux valeurs de sa femme.
Art. 367. Dans l'article 366 de cette loi, si les ayants droit des deux parties plaignantes demandent la peine de Qisâs et que les montants du prix du sang pour les deux victimes ne sont pas les mêmes, et si le prix du sang pour les auteurs est supérieur à celui des victimes, par exemple si les deux meurtriers sont des hommes et l'une des deux victimes est une femme, le demaneur de la peine de Qisas du côté de la femme doit payer la moitié du montant complet du prix du sang. Dans ce cas, en raison de l'incertitude quant à l'identité du meurtrier de la femme, l'excédent du prix du sang mentionné est réparti également entre les meurtriers.
Art. 301. L'indemnité pour les hommes et les femmes est égale, mais lorsque le montant de l'indemnité est inférieur au tiers complet, l'indemnité pour la femme est la moitié de celle de l'homme. (Cette règle s'applique à l'indemnité pour les coups et blessures n'ayant pas entraîné la mort).
Art. 351. Le « walî damm » (tuteur du sang) est le même que les héritiers de la victime, à l'exception du conjoint qui n'a pas le droit de demander la peine de qisâs.
Art. 630. Si un homme surprend sa femme en train d'avoir des rapports sexuels avec un autre homme et a connaissance de son consentement à l'adultère, il peut les tuer sur-le-champ, et s'il s'agit d'un rapport sexuel forcé pour sa femme, il peut seulement tuer l'homme. La punition pour les coups et blessures est la même que pour le meurtre dans ce cas.
Art. 258. Lorsqu'un homme commet un meurtre sur une femme, le walî (tuteur) de la victime doit payer la moitié du diyeh complète avant de recourir à la peine de représailles et si les héritiers de la victime acceptent, le meurtrier peut négocier un arrangement pour le montant total du prix du sang, soit moins, soit plus que cela.
Art. 382. Lorsqu'une femme musulmane est délibérément tuée, le droit de représailles est établi. Mais si le meurtrier est un homme musulman, le walî (tuteur) de la victime doit payer la moitié du diyeh complet avant de recourir à la peine de représailles. Si le meurtrier est un homme non musulman, aucune compensation n'est exigée avant d'appliquer la peine de représailles. Dans le cas de la peine de représailles pour le meurtre d'une femme non musulmane par un homme non musulman, le paiement de la différence du diyeh entre eux est requis.
Art. 209. Si un homme musulman tue intentionnellement une femme musulmane, il est condamné à la peine de mort. Cependant, le parent de la femme doit payer la moitié du prix du sang à l'auteur d'assassinat avant l'exécution. (Il est à noter que ce titre de « parent » est généralement appliqué au tuteur légal de la femme mineure.)
Art. 963. Si les époux ne sont pas des ressortissants du même pays, leurs relations personnelles et patrimoniales sont régies par les lois de l'État du pays dont l'époux est le ressortissant.
Art. 964. Les relations entre les parents et les enfants sont régies par les lois de l'État du pays dont le père est le ressortissant.
Art. 1105. Dans les relations entre époux, la direction de la famille incombe à l'époux.
Art. 1108. Si l'épouse refuse sans motif légitime de remplir ses devoirs conjugaux, elle ne sera pas en droit de recevoir de pension alimentaire.
Art. 1043 (amendé le 05/11/1991). Le mariage d'une fille vierge, même si elle a atteint l'âge de la puberté, est soumis à l'autorisation de son père ou de son grand-père paternel. Si le père ou le grand-père paternel refuse injustement de donner son autorisation, celle-ci est nulle pour autant que la fille obtienne l'autorisation du tribunal civil spécial. Le tribunal exigera que l'époux ait été présenté en bonne et due forme, que les conditions du mariage soient respectées et que la dot soit convenue entre les parties. Le mariage devra ensuite être enregistré au bureau d'enregistrement du mariage.
Art. 1158. Un enfant né pendant le mariage a pour père l'époux de sa mère, pour autant que la cohabitation ait préexisté dans un délai de 6 à 10 mois précédant la naissance de l'enfant.
Art. 1167. Un enfant né hors mariage n'est pas rattaché
au père adultérin.
Art. 220. Le père ou le grand-père qui tue son propre enfant n'est pas soumis à la peine de mort, mais il doit payer une indemnité au walî (tuteur) de l'enfant et subir une punition.
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Transition de genre : une BD pour mieux comprendre

Parue en septembre 2024, la bande dessinée/Petite fille deviendra grand,/illustrée par Marie-Lou Lesage/,/est l'occasion pour lui, devenu auteur, de partager désormais avec un plus large public son histoire, et d'apporter sans détour, mais avec délicatesse, des réponses justes et éclairantes à des questions qu'il est parfois difficile de se poser, et de poser.
Tiré de Le Café pédagogique, Paris, 27 novembre 2024
Par Claire Berest
*Depuis 2020, Louis Feghlou, étudiant en médecine, raconte au quotidien, à travers son compte @loulouparfois sur Instagram et Tiktok, son parcours de vie d'homme transgenre et en particulier les différentes étapes qui jalonnent sa transition, entamée à l'âge de 18 ans.
Petite fille deviendra grand, Louis Feghlou et Marie-Lou Lesage. Editions Leduc – Collection Leduc Graphic <https://www.editionsleduc.com/produ...> /./
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*Autobiographie d'un parcours*
Dans la première partie de l'album, l'auteur, né Alia, raconte ses origines, sa famille, son éducation, et la sensation diffuse, très tôt, d'être en décalage avec les codes féminins. Le coming out lesbien qui arrive à l'adolescence, apporte, un temps, une réponse. Mais n'empêche pas« la sensation de vide », de perdurer, et avec elle l'impression de ne pas s'être« vraiment trouvée »…
Jusqu'à ce qu'un reportage documentaire mette enfin les mots « dysphorie de genre » et « transidentité » sur ce qui était là, mais sans pouvoir, ou savoir, se dire. C'est alors un intense et renversant moment de bascule, placé exactement au centre du livre, évoqué dans une sorte de tourbillon graphique bouleversant. Un avant, et un après. La seconde partie de l'album est consacrée aux différentes étapes de la transition sociale, puis de la transition physique de réassignation, qui vont prendre plusieurs années, et confronter l'auteur, et son entourage, à de nombreuses interrogations et discussions.
Le récit prend donc son temps, et le rythme de narration fait ici particulièrement sens. Il rappelle en effet combien un parcours de transition vient de loin, et combien il se construit, étape après étape. On est bien loin des représentations qu'en font parfois certain·es, qui veulent y voir une lubie adolescente et un effet de mode. L'auteur ne cache d'ailleurs rien des difficultés rencontrées, des échecs et des rejets, de ce parcours vécu « comme un train en marche »au cours duquel, parmi ses proches,« des personnes descendraient à certains arrêts et ne remonteraient jamais ». Mais il raconte aussi les réussites, la libération et le bonheur de ne plus être, enfin,« incomplet »…
*Un album nécessaire*
Depuis 2021, une circulaire de l'Éducation nationale encadre l'accueil des élèves transgenres, ou en interrogation sur leur identité de genre, afin de les protéger de toute discrimination expliquant que : La transidentité est un fait qui concerne l'institution scolaire. Celle-ci est en effet confrontée, à l'instar de leur famille, à des situations d'enfants – parfois dès l'école primaire – ou d'adolescents qui se questionnent sur leur identité de genre ». Le texte a ses limites, mais il aussi le mérite d'exister, et de rappeler qu'il est de la responsabilité de tous et de toutes, au sein de l'Ecole, de se mobiliser « pour créer des environnements scolaires qui garantissent à ces élèves le droit à l'intégrité, au bien-être, à la santé et à la sécurité. »
Pour autant, une circulaire ne peut mettre fin à elle seule aux menaces et agissements discriminatoires. Comme le rappelait le sociologue Arnaud Alessandrin, dans un entretien donné auCafé pédagogiqueen octobre 2023,« plus de 80% des jeunes trans ou non binaires disent avoir vécu une scolarité dégradée ou très dégradée du fait des violences transphobes ou d'une peur qu'elles s'abattent sur eux ». A leur façon les « manuels scolaires parfois très stigmatisants »ou encore les « cours d'éducation à la sexualité (…) qui oublient littéralement l'existence de ces mineurs », participent de cette violence, et témoignent de l'écart important entre les préconisations officielles et ce qui se joue concrètement sur le terrain.
Pour combattre cette violence, et faire de l'Ecole un véritable lieu d'accueil, il faut s'attaquer aux idées reçues qui font le terreau de la transphobie, mais aussi permettre aux élèves trans de ne plus se sentir invisibilisé·es et empêché·es d'exister. Le très bel album/Petite fille devient grand/, particulièrement adapté par son langage, à la fois pudique et sans tabou, à un lectorat adolescent, peut, à coup sûr, contribuer efficacement à l'un et à l'autre…
Claire Berest, 27 novembre 2024
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Stanley Ryerson : militant révolutionnaire et historien

L'automne 2024 est l'occasion du lancement d'une nouvelle collection de livres chez M Éditeur, une petite maison d'édition installée au Québec et dont le catalogue se compose principalement d'ouvrages progressistes. La collection se présente ainsi : « La série Recherches matérialistes publie des ouvrages critiques en sciences sociales dans une perspective marxiste. Elle vise à rendre accessibles divers travaux, passés et présents, concernant l'histoire, l'économie et la pensée politique, pour outiller les militant·es contemporain·es. La série désire en particulier valoriser la recherche québécoise ou portant sur le Québec. »
4 décembre 2024 | tiré de contretemps.eu
Le premier ouvrage publié est une réédition de Capitalisme et confédération (Stanley Ryerson, 1972). Dans ce livre, l'auteur présente une synthèse de la construction du Canada en intégrant les éléments économiques, sociaux et politiques, avec un intérêt particulier pour la lutte des classes. Ce livre est constitutif de l'historiographe marxiste canadienne et recèle une valeur programmatique pour la collection, dont l'objectif est d'encourager une réflexion marxiste afin d'alimenter la lutte d'émancipation du prolétariat. Contretemps vous présente ici la nouvelle préface à l'ouvrage, rédigée par Nathan Brullemans et Alexis Lafleur-Paiement.
Stanley Bréhaut Ryerson (1911-1998) demeure à ce jour le plus important intellectuel marxiste canadien, tant pour son rôle dirigeant au sein du Parti communiste du Canada (PCC) que pour ses contributions théoriques et historiques. Sa vie durant, il choisit de mettre son talent intellectuel au service du peuple, se privant longtemps d'une carrière prestigieuse à laquelle le destinait son milieu d'origine. C'est ainsi que, dans les années 1930, il rejoint le Parti communiste, entraînant rapidement son licenciement du collège Sir George William's (Montréal).
Dès lors, il se consacre au travail militant comme journaliste, éducateur populaire et organisateur. Durant trente ans, il produit une riche documentation destinée aux ouvrières et aux ouvriers. Lorsqu'il quitte le Parti en 1971, il poursuit sa mission au sein de la jeune Université du Québec à Montréal (UQAM). Sa proximité avec le mouvement indépendantiste lui attire la sympathie de la gauche québécoise. Malgré ses ruptures et ses soubresauts, la trajectoire de Ryerson suit le fil d'un marxisme vivant, porté vers la théorie, mais aussi profondément enraciné dans la pratique.
Alors que Ryerson incarnait jadis l'éminente figure de l'intellectuel du Parti, sa vie et son œuvre sont moins connues des jeunes générations, ce qui s'explique notamment par le ressac des grandes causes politiques qui furent les siennes, à savoir le marxisme et l'autodétermination du Québec. D'abord, le marxisme est entré en crise depuis les grandes défaites qu'a subies le mouvement ouvrier à partir des années 1970[1], puis de l'effondrement du Bloc de l'Est en 1991. Les restructurations néolibérales, la flexibilisation du travail et le saccage des syndicats rendent maintenant difficile une politique ouvrière radicale[2].
Ensuite, les échecs référendaires de 1980 et de 1995 ont affaibli le mouvement indépendantiste québécois qui s'est replié dans une posture identitaire[3]. Ce climat délétère complique la diffusion des idées marxistes, avec des conséquences pour la transmission de la pensée de Ryerson. Les études à son sujet se font rares et ses ouvrages demeurent difficiles d'accès. De fait, pratiquement aucun de ses livres n'a été traduit en français, alors que Capitalisme et confédération n'a pas été réédité depuis 1978.
Pourtant, nous sommes convaincus que l'œuvre de Ryerson, ainsi que sa méthode liant la recherche théorique et l'engagement politique, méritent notre attention. C'est pourquoi nous proposons, dans cette introduction, de présenter brièvement le parcours de Stanley Ryerson et les lignes de force qui traversent son œuvre, sensible aux trajectoires nationales et coloniales. Partant, le lecteur pourra mieux apprécier le riche contenu du livre Capitalisme et confédération, sa plus importante contribution à l'historiographie canadienne et à l'étude des trajectoires coloniales / nationales.
Une vie intellectuelle et militante[4]
Stanley Bréhaut Ryerson est né le 12 mars 1911 dans une famille de la bourgeoisie intellectuelle torontoise. Son père est le doyen de la faculté de médecine de l'Université de Toronto et lui-même fréquente la meilleure école de la ville, le Upper Canada College (1919-1929). Il s'inscrit ensuite en langues modernes à l'Université de Toronto, tout en étant précepteur pour les enfants de certains des plus importants notables de la province.
À l'été 1931, il s'installe à Paris pour sa troisième année d'études universitaires. Il y rencontre de jeunes marxistes et évolue du libéralisme progressiste de son adolescence vers le communisme. Dès son retour au Canada (printemps 1932), il s'implique dans la Ligue des jeunes communistes (aile jeunesse du Parti communiste du Canada), puis devient rédacteur en chef du journal The Young Worker. En 1933-1934, le jeune Ryerson retourne à Paris pour ses études de deuxième cycle, toujours en langues modernes. L'époque est bouillante de contradictions sociales qui affermissent ses convictions. Il précise :
Ces deux séjours à Paris sont déterminants pour [moi]. C'est l'époque de la crise, de la montée des fascismes, et du Front populaire, et aussi celle où le marxisme et le communisme exercent une fascination certaine sur les intellectuels. C'est l'heure des choix ! [Je] considère que le communisme est alors la seule voie susceptible de résoudre les problèmes sociaux et la crise des valeurs engendrées par le capitalisme.[5]
En août 1934, il s'installe à Montréal afin d'enseigner au collège Sir George William's. L'expérience est de courte durée puisque Ryerson devient membre du Parti communiste du Canada, fait qui, lorsqu'il est connu en 1937, entraîne son licenciement. Alors que le PCC est en pleine ascension, il éprouve des difficultés à recruter des intellectuels, un vide qui permet à Ryerson d'occuper un rôle unique au sein de l'organisation[6].
À partir de 1935, les choses s'accélèrent pour le jeune Stanley qui cumule les postes au sein du Parti. Il est nommé directeur du programme d'éducation du PCC, puis devient membre du comité central. L'organisation considère alors que les Canadiens français sont les « masses les plus exploitées du Canada » et cherche conséquemment à développer sa présence au Québec[7].
Ryerson apparaît comme la personne désignée pour s'occuper de cette tâche en sa qualité d'intellectuel bilingue. Il est élu secrétaire du Parti pour le Québec et rédacteur en chef adjoint du journal de l'aile provinciale, Clarté. À partir de 1937, Ryerson travaille à temps plein pour le Parti et devient un de ses principaux dirigeants, ce qui lui vaut d'être arrêté, et de voir ses livres confisqués puis brûlés par la police. En 1939, il passe à la clandestinité, peu de temps avant que le PCC soit déclaré illégal[8].
En septembre 1942, les dirigeants communistes clandestins (dont Ryerson) décident de se livrer aux autorités et sont brièvement incarcérés, avant de lancer une organisation paravent pour le Parti communiste, appelée Parti ouvrier progressiste. Ryerson, de retour à Toronto, continue de s'occuper de l'éducation et prend la tête de la nouvelle revue théorique National Affairs Monthly en 1944. Cette période agitée ne l'empêche pas de publier une quinzaine de livres et de brochures entre 1937 et 1949.
En 1951 et après, Ryerson voyage régulièrement en URSS en tant que représentant du Parti et intègre la rédaction de la revue du Kominform, Pour une paix durable et une démocratie populaire. Il participe au XXe Congrès du Parti communiste d'Union soviétique (1956) en tant que membre de la délégation du Canada et rencontre Nikita Khrouchtchev. En 1960, Ryerson prend la direction du Centre d'études marxistes (Toronto) et dirige l'édition canadienne de la World Marxist Review.
Durant cette décennie, il joue non seulement un rôle dirigeant dans le Parti communiste du Canada, mais obtient aussi une renommée dans le mouvement communiste mondial en tant que directeur de la revue Marxist Quarterly. Cette période faste est marquée par la publication de deux ouvrages historiques majeurs : The Founding of Canada (1960) et Unequal Union (1968), traduit en français sous le nom Capitalisme et confédération (1972).
Les années suivantes se révèlent plus compliquées pour Ryerson, qui démissionne de son poste au comité central en 1969 en raison de désaccords avec les autres dirigeants concernant l'invasion soviétique de la Tchécoslovaquie (1968), la question de l'autodétermination du Québec et la démocratie socialiste. En 1970, Ryerson se réinstalle à Montréal où il est embauché comme professeur à l'UQAM. Ses divergences avec le PCC persistant, il décide de le quitter en 1971.
L'engagement marxiste continue d'animer les travaux de Ryerson, mais c'est surtout dans le domaine académique qu'il brille dans les années 1970 et 1980, alors que la cause de l'indépendance du Québec devient son principal combat à la même époque. Il poursuit son implication dans le Comité international des sciences historiques, tout en publiant de nombreux articles. Il obtient un doctorat de l'Université Laval (1987) en témoignage de son œuvre, pour lequel il doit seulement écrire un texte d'une cinquantaine de pages décrivant sa vie et sa vision de l'histoire[9]. Ryerson prend sa retraite en 1991 et obtient l'éméritat du département d'histoire de l'UQAM l'année suivante. Il décède le 25 avril 1998.
Cette vie profondément marquée par l'action politique et intellectuellement riche a laissé des traces durables. Ryerson a rédigé un grand nombre de textes : plus de 500 selon la recension non exhaustive de Robert Comeau et de Robert Tremblay[10]. De cette masse ressortent une vingtaine de livres et de brochures, dont les deux ouvrages fondamentaux parus en 1960 et en 1968. Sans prétendre épuiser le sujet, nous pouvons donner quelques indications au lecteur afin qu'il s'oriente dans cette œuvre colossale, tout en soulignant ses traits fondamentaux.
« L'histoire du peuple », une œuvre à vocation politique
L'œuvre de Ryerson, bien que globalement cohérente dans sa méthode et ses sujets, semble formée de blocs successifs.
Il y a d'abord les réflexions historiques dans un dessein d'éducation et d'agitation politique (vers 1935-1949), suivi d'une deuxième période marquée par l'approfondissement théorique et les questions internationales (vers 1950-1960), elle-même suivie par la séquence des « grandes études marxistes » sur l'histoire du Canada (1960-1972) et, enfin, d'un quatrième moment plus académique, marqué du sceau de l'indépendantisme (après 1972).
Cette division schématique ne saurait gommer les récurrences dans son œuvre, au premier rang desquelles l'approche marxiste, la connexion entre théorie et pratique, et la centralité de l'histoire canadienne. C'est d'ailleurs sur ces éléments de continuité que nous voulons insister, avec une attention particulière à la méthode de Ryerson et à ses ouvrages des années 1960.
La vision de l'histoire de Stanley Ryerson est restée étonnamment constante durant ses quelques soixante années de travail. La cohérence de sa démarche trouve son origine dans le programme initié par le Parti dans les années 1930 sous la direction de Margaret Fairley et de Ryerson. Ce projet, appelé « l'histoire du peuple », cherche à présenter une chronique du Canada et des luttes populaires canadiennes aux travailleurs, de manière accessible et didactique. Les grandes études marxistes publiées par Ryerson dans les années 1960 forment l'apogée de ce programme au long cours[11], avec trois axes principaux.
D'abord, l'histoire est considérée comme un outil nécessaire afin de comprendre les structures sociales du présent, dans le sillon du matérialisme historique. Ensuite, l'histoire possède une valeur heuristique pour éduquer les classes laborieuses et élever leur niveau de conscience, permettant aussi de les intéresser aux luttes politiques. Enfin, l'histoire peut servir d'appui aux luttes politiques concrètes, puisqu'elle permet de comprendre leurs ressorts, mais aussi parce qu'elle offre un bassin comprenant la totalité des expériences accumulées par la classe ouvrière dans son combat pour son émancipation.
De fait, l'histoire joue un rôle essentiel dans le processus révolutionnaire, qui n'est pas sans rappeler « l'historicisme réaliste » d'Antonio Gramsci (1891-1937)[12]. Dans un article de 1947, Ryerson explique :
« Notre étude théorique portera fruit dans la mesure où elle fusionnera avec les tâches pratiques de la lutte. […] Nous traitons de la vraie histoire de notre pays afin d'armer et d'inspirer le camp du peuple dans son combat contre le fascisme en Amérique, et pour aider à faire avancer la lutte pour un Canada socialiste ! »[13]
Malgré son éloignement du marxisme révolutionnaire, Ryerson conserve le même cadre épistémologique quarante ans plus tard, lorsqu'il explique en 1987 : « Au plan social, l'histoire répond à des besoins précis : besoins de savoir leur genèse pour comprendre les problèmes actuels, besoin pour les groupes sociaux de prendre conscience de leurs racines et de leur identité pour devenir des agents efficaces. »[14]
De plus, l'œuvre de Ryerson a une propension multidisciplinaire qui associe l'histoire, l'économie, les sciences politiques et les études culturelles. Ces différents domaines sont pour lui autant de moyens de connaître les réalités passées et présentes, et des outils pour agir concrètement en vue de transformer la société. Cette ouverture est perceptible dans son approche à la fois globale et située, puisque « c'est dans un contexte international que se constitue le national »[15].
Conséquemment, Ryerson n'a de cesse d'entretenir le dialogue avec ses camarades étrangers, surtout par l'entremise du Comité international des sciences historiques. La focalisation sur le contexte canadien s'avère une manière de comprendre les dynamiques internationales, sous forme d'étude de cas, quoique jamais réductible totalement. Le chercheur militant doit pratiquer sans cesse des allers-retours dans ses analyses entre son domaine et les grands facteurs qui structurent le monde (capitalisme, impérialisme). Après, l'étude d'un contexte donné demeure nécessaire pour vérifier les principes généraux, mais aussi pour lutter efficacement dans ledit contexte.
Une autre manière de synthétiser l'approche de Ryerson est d'affirmer avec Jean-Paul Bernard que sa méthode « se caractérise par la valorisation, sans exclusive, de la totalisation, de la conceptualisation, et de la primauté du présent dans le rapport présent / passé »[16]. C'est dans cette perspective qu'il étudie l'histoire de la transition du féodalisme au capitalisme (vers 1775-1840), le développement de la classe ouvrière canadienne et les luttes politiques du XIXe siècle.
À partir de ses recherches, Ryerson croit que nous sommes en mesure de comprendre les structures politiques, sociales et économiques qui fondent le Canada, et de mieux les combattre. Pour lui, le développement du capitalisme canadien s'inscrit dans une transition internationale, mais implique une spécificité, soit l'assujettissement des Canadiens français, politiquement et économiquement, ainsi que la relégation aux marges des peuples autochtones. Son œuvre accorde un intérêt marqué aux rapports entre les différentes nations qui forment le Canada, où le droit à l'autodétermination des peuples joue un rôle central.
Alors que le PCC s'est longtemps crispé sur la question nationale québécoise, les études pionnières de Ryerson sur le républicanisme dans les deux Canadas l'entraînent vers une position d'ouverture. De sa fondation jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale (1921-1939), le Parti refuse de reconnaître que les Canadiens français forment une nation distincte, évacuant ipso facto la question de l'autodétermination nationale[17].
Ryerson joue alors un rôle important dans la reconnaissance du Québec comme nation minoritaire, notamment grâce à son ouvrage French Canada (1943), où il met de l'avant les traditions démocratiques et anti-impérialistes du Québec. Jusque dans les années 1960, le PCC et Ryerson adhèrent néanmoins aux thèses de Lénine sur la question nationale, à savoir que toute nation a un droit conditionnel à l'autodétermination, dans une logique de subordination aux luttes du prolétariat[18]. L'historien abandonne cette position après sa rupture avec le Parti.
Dans le sillage de la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme au Canada, Ryerson qualifie le Québec de « nation dominée » et réexamine le potentiel révolutionnaire du mouvement national québécois. La conjoncture politique, marquée par les événements d'Octobre 1970 et du Front commun intersyndical de 1972, prouve à ses yeux la jonction entre la lutte de libération nationale et la lutte des classes[19].
Pourtant, Ryerson n'est pas un souverainiste jusqu'au-boutiste : il défend la reconnaissance des Franco-Québécois comme nation et leur droit réel à l'autodétermination qui lui semble irréalisable dans le Canada tel qu'il existe. Une fédération socialiste demeure la solution qu'il privilégie en théorie, mais l'indépendance est préférable dans le contexte bloqué de l'époque Trudeau. Cette position s'harmonise avec l'air du temps : « Il paraît assez évident que, tout au long des années 70, les positions de l'auteur correspondent au plus près au sentiment politique dominant au sein des mouvements sociaux du Québec, au point d'en constituer l'expression intellectuelle la mieux articulée. »[20]
En somme, l'historien révolutionnaire désire comprendre l'origine des structures d'exploitation qui s'imposent aux sociétés contemporaines, saisir les potentialités de la classe ouvrière – agent révolutionnaire par excellence – et découvrir comment instaurer les conditions sociopolitiques d'égalité pour les nations, dont le Québec. Son œuvre, « essentiellement marquée par le matérialisme historique »[21], concourt à l'objectif d'un monde libéré du capitalisme et de l'impérialisme.
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En 1996, l'historien David Frank écrivait au sujet de Stanley Ryerson : « Le renouveau de l'histoire du Canada dans les dernières décennies a accumulé à son endroit une dette qui est loin d'être toujours reconnue. »[22] Si cette mésestime persiste, un problème plus grave affecte aujourd'hui l'œuvre de Ryerson : son manque de lecteurs. Cet écueil est d'autant pénible que les ouvrages de Ryerson recèlent une valeur historique, épistémologique, didactique et heuristique importante pour approcher l'histoire du Canada. Plus de cinquante ans après sa publication, l'heure est venue d'un retour à Capitalisme et confédération.
L'ouvrage paraît aux éditions Parti pris en 1972, en tant que « version refondue, corrigée et augmentée » du livre Unequal Union sorti en anglais en 1968[23]. Le titre francophone est sans doute plus conforme à l'esprit du projet de Ryerson qui veut éclairer en chassé-croisé les structures économiques et politiques, c'est-à-dire la concomitance des processus d'accumulation dans la colonie et la formation d'un appareil d'État bourgeois moderne, hostile aux nations minoritaires et aux souverainetés autochtones.
La question centrale de Capitalisme et confédération est la suivante : « Quel rapport y aurait-il entre l'institution du travail salarié et la Confédération canadienne ? En d'autres termes : entre l'industrie capitaliste et la question nationale ? »[24] Les deux axes qui expliquent l'histoire du Canada seraient, d'un côté, les classes sociales et la transition vers le capitalisme, et de l'autre, la consolidation des appareils d'État et les principes démocratiques nationaux. La proposition de Ryerson consiste à restituer la formation de ces catégories à travers la combinaison de la lutte des classes et du contexte colonial / national.
Le livre s'inscrit dans le renouveau de l'historiographie marxiste canadienne des années 1970[25]. Néanmoins, contrairement à la tradition économiciste issue de la IIe Internationale, Ryerson ne considère pas les phénomènes étatiques et nationaux comme de simples reflets superstructurels de la base économique[26]. Il se distancie du structuralisme althussérien qui préconise une subordination de l'histoire à la philosophie marxiste (à travers les concepts de classes, de surdétermination, d'appareils idéologiques d'État, d'instances et de modes de production). Son œuvre s'inscrit plutôt dans l'historicisme d'Edward P. Thompson, qui demeure attaché à une méthode inductive et à la recherche empirique[27].
De fait, Ryerson accorde une primauté aux événements, à l'agentivité humaine et à l'imprévisibilité de la lutte des classes. Comme il le dit, son projet est celui d'une « histoire socio-économique, politique et philosophique qui tienne pleinement compte des réalités sociales, nationales, humaines »[28]. Il s'en dégage une méthode d'interprétation historique flexible qui, sans mobiliser un appareil conceptuel abstrait, intègre les notions marxistes avec agilité et une certaine simplicité[29].
Ainsi, l'ouvrage renvoie dos à dos les lectures économicistes et nationalistes de l'histoire canadienne, qui recoupent approximativement les vues des Écoles historiques de Québec et de Montréal[30]. La première vision, incarnée par Fernand Ouellet, prétend que la Conquête anglaise de 1760 n'entraîne pas une coupure radicale avec l'économie de la Nouvelle-France. L'accent est mis sur la continuité des structures coloniales, mercantiles et seigneuriales ainsi que sur la prolongation du commerce des fourrures, quoiqu'en soulignant le dynamisme économique impulsé par les marchands anglais[31].
De manière semblable, l'historien Harrold Innis contribue à l'histoire économique du Canada en insistant sur les aspects techniques et géographiques. Ryerson estime que la thèse de Ouellet se focalise unilatéralement sur la conjoncture économique et néglige les questions nationales et politiques, notamment les révolutions atlantiques et l'arrivée massive des loyalistes qui entraîne un développement inégal des institutions politiques[32]. Dans le cas d'Innis, notre auteur considère que son « matérialisme » ressemble plutôt à une métaphysique, car il fait l'histoire de l'extraction des ressources naturelles en déconnexion des rapports sociaux qui médiatisent la nature, évacuant du coup la référence aux classes sociales[33].
À l'extrême opposé, la thèse du « nationalisme traditionnel » portée par Lionel Groulx apparaît aussi inacceptable, car elle comprend la nation comme une « mystique réactionnaire » et « empêche de situer le fait national dans le contexte universel de l'évolution des formations socio-économiques »[34].
Pour Ryerson, l'empire colonial relève d'un espace mondial où se joue un conflit entre de nombreuses classes et fractions de classes : marchands anglais, petits-bourgeois républicains, capitaines d'industrie émergente, seigneurs, clercs, paysannerie… sans oublier la classe ouvrière naissante. Le recoupement des positions de classes et des intérêts nationaux permet de dépasser l'explication simpliste de l'école nationaliste[35].
Capitalisme et confédération présente la formation de l'État canadien dans le contexte d'une transition inégale de l'économie d'Ancien Régime vers le mode de production capitaliste. Dans le sillage de Maurice Dobb, Ryerson rappelle la distinction analytique entre le capital marchand et le capital industriel[36]. Les marchés précapitalistes sont compatibles avec le commerce métropolitain, alors que le passage au capitalisme commande la transformation de la terre en capital, la dépossession des producteurs directs et, à terme, l'irruption d'une révolution industrielle.
La théorie de Ryerson repose sur l'idée que l'essor de la petite industrie caractérise la transition capitaliste autour de 1830. Cette dynamique s'exprime selon lui à travers trois secteurs : 1) le commerce du bois et les chantiers maritimes, 2) les usines et les ateliers, et 3) l'expansion de la petite entreprise de biens de consommation. Dans les deux premiers cas, les capitalistes sont canadiens-anglais (avec des prolétaires francophones), alors que le troisième secteur est dominé par « l'embryon d'une bourgeoisie industrielle francophone »[37]. Mais cette transition est bloquée par les forces coloniales, économiques comme politiques.
L'inertie coloniale est aggravée par la crise qui sévit dans les campagnes, résultat de la distribution inégale des terres, du renforcement des charges féodales après la Conquête et des mauvaises récoltes. Cette crise agraire plus ou moins permanente (avec une intensité particulière dans les années 1830) pousse des milliers d'habitants – c'est-à-dire des paysans canadiens français – à migrer vers les États-Unis, sans avoir été préalablement transformés en prolétaires salariés, en raison de l'absence de travail industriel suffisant en ville. Il faut attendre l'étouffement des insurrections de 1837-1838 pour lancer la révolution industrielle canadienne et construire des institutions bourgeoises modernes[38].
Toujours est-il que Ryerson discerne l'apparition d'un conflit de classe qui oppose les petits capitalistes industriels aux élites aristocratiques, marchandes et cléricales. En s'appuyant sur le mécontentement généralisé des habitants face au régime seigneurial, les conditions sont mûres pour la révolution. C'est à partir de ces antagonismes que Ryerson pose le diagnostic d'une révolution bourgeoise avortée. Plus précisément, il décrit les insurrections de 1837-1838 comme une « révolte paysanne dirigée par la petite-bourgeoise » ou encore – d'une manière aussi stimulante que paradoxale – comme une « révolution bourgeoise sans bourgeoisie »[39].
De plus, les insurrections se manifestent à un moment où le pouvoir des capitalistes canadiens apparaît encore bigarré. Certains des insurgés sont attachés au régime seigneurial, comme Louis-Joseph Papineau. Il n'en demeure pas moins que les révolutions au Canada adoptent l'esprit démocratique bourgeois de l'époque, tout en s'incarnant de manière originale suivant leur situation géopolitique et économique[40].
Ryerson considère aussi l'expérience révolutionnaire canadienne comme une itération des révolutions atlantiques, au sens de l'historien Jacques Godechot[41]. Il rappelle l'influence politique des révolutions américaine et française, ainsi que leur impact sur la formation intellectuelle des leaders canadiens. L'historien note des filiations directes, comme pour l'exilé polonais Von Schultz qui avait combattu le despotisme du tsar en Pologne en 1831, avant de s'engager dans la révolution du Haut-Canada[42].
Le nationalisme des Patriotes est loin d'exprimer un sentiment ethnique étroit, comme le pense lord Durham qui réfléchit les rébellions en termes de conflit de « races ». Il est plus juste de parler d'un « patriotisme démocratique » se préoccupant de la condition des Canadiens français. C'est un fils de loyalistes, Robert Nelson, qui proclame le 28 février 1838 la République du Bas-Canada. Sans oublier, de manière plus fondamentale, que l'action révolutionnaire de 1837-1838 a lieu dans les deux Canadas, où les colons d'origine britannique se soulèvent aussi[43].
L'auteur conçoit les insurrections du Haut et du Bas-Canada comme des sœurs. Leurs origines sont similaires : c'est l'oppression du pouvoir impérial, et la domination des marchands et des propriétaires terriens. Dans le Haut-Canada, c'est le despotisme du « family compact » sur les petits colons qui mène à une lutte armée de libération nationale. Le leader William Lyon Mackenzie déclare sa solidarité avec l'insurrection du Bas-Canada, bien que les liens militaires soient trop faibles pour mener à la réussite de la révolte.
Ces républicains sont aussi en faveur de l'abolition de l'esclavage, alors que la déclaration d'indépendance de Nelson affirme que les Autochtones possèdent les mêmes droits que tous les autres citoyens. Dans le Bas-Canada, les récriminations contre le despotisme du gouverneur, l'arbitraire des autorités, les blocages sociaux et économiques, ainsi que l'infériorisation des francophones, se mêlent dans un mouvement révolutionnaire, nationaliste et républicain, avec une direction démocratique.
Il est clair pour Ryerson que le triomphe de la contre-révolution n'efface pas l'apport décisif des rébellions aux transformations politiques et économiques de la colonie. C'est après l'Acte d'Union de 1840 que le gouvernement responsable est établi grâce à la pression de Lafontaine, offrant les bases de l'état bourgeois établi en 1867.
Mais ces éléments politiques seraient insuffisants pour comprendre pleinement le développement du Canada : ce qu'il fallait pour unir le pays, c'est un réseau de communication efficace, un chemin de fer. À partir de 1850, il se développe un capitalisme de connivence entre les hommes d'État canadiens et les grandes compagnies de chemin de fer, particulièrement la Grand Trunk Railway. Le train devient l'instrument du colonialisme et permet de lancer les bases d'une accumulation capitaliste élargie, principalement au service des intérêts anglais[44].
L'ouvrage prend au sérieux la question du colonialisme et ses effets corrosifs sur les sociétés autochtones, soulignant « l'exploitation effrénée des populations indigènes », marquée par la violence de l'accumulation primitive[45]. Pour Ryerson, cela relève d'un « régime de colonialisme infiniment plus opprimant et impitoyable que celui qui fut par la suite imposé aux colonies blanches par leur métropole »[46].
En plus d'un siphonnage de l'économie traditionnelle, il faut ajouter les stratégies d'accaparement des terres stimulées par l'expansion territoriale d'un Canada voulant imposer son hégémonie a mari usque ad mare. C'est à partir de ces transformations qu'il faut comprendre les soulèvements des Métis de 1869 et de 1885 que Ryerson considère comme « le seul exemple d'une intervention réelle des masses dans la question de la Confédération »[47].
On peut dire que Ryerson conçoit la domination et l'exploitation des Premières Nations par l'Empire britannique en deux temps, qui répondent à la logique de transition du colonialisme classique vers l'impérialisme. Le premier moment est l'exploitation mercantile coloniale du travail autochtone à travers le commerce des fourrures, au profit des marchands anglais (jusqu'en 1840 environ)[48]. La seconde phase, caractérisée par la domination capitaliste, implique un double mouvement de prolétarisation et d'encasernement des peuples autochtones.
En somme, dans Capitalisme et confédération, Ryerson offre une remarquable leçon d'histoire intégrée, avec une focale sur les classes populaires et les peuples minoritaires. Il atteint son objectif d'écrire une histoire à même d'éclairer la conscience collective, et de nous aider à lutter contre des systèmes d'exploitation profondément enracinés, mais jamais irrévocables.
***
Depuis l'œuvre pionnière de Ryerson, de nombreuses avancées ont été faites sur le terrain de l'histoire sociale au Québec, alors que le marxisme s'est considérablement renouvelé dans sa méthode historique[49]. Pareillement, divers travaux stimulants ont vu le jour depuis les années 1990 concernant les rébellions de 1837-1838 et la transition vers le capitalisme au Canada. Les contributions les plus importantes associent les insurrections patriotes aux révolutions atlantiques et éclairent leur contenu républicain, des idées qui trouvent leur origine dans l'œuvre de Stanley Ryerson[50].
À la jonction du marxisme et de l'histoire, la discussion sur la transition au Canada a fait des progrès considérables. Plusieurs hypothèses ont été formulées quant à la nature des modes de production dans la vallée du Saint-Laurent et aux causes des changements sociaux afférents[51]. À la lumière de ces travaux, Capitalisme et confédération apparaît comme une œuvre séminale, pleine d'intuitions qui n'ont pas fini de produire leurs fruits et, surtout, porteuse d'une méthode dialectique dont la maîtrise n'a guère d'équivalent. Ainsi, le projet de Stanley Ryerson d'une sociologie historique de la formation étatique, coloniale et nationale, liée à une théorie de la transition vers le capitalisme, continue de susciter l'intérêt[52].
Maintenant, laissons place à l'œuvre de Stanley Bréhaut Ryerson. Que la lectrice ou le lecteur y trouve une histoire riche et vivante, présentée suivant une méthode marxiste dont il ne faut jamais oublier le potentiel heuristique et révolutionnaire.
Nathan Brullemans et Alexis Lafleur-Paiement[53]
Montréal, le 15 juin 2024.
Notes
[1] Sur la crise du marxisme, voir MOREAU, François et Richard POULIN. « Montée et déclin du marxisme au Québec » dans Critiques socialistes, no 1 (automne 1986), pages 101-146.
[2] À ce sujet, voir notamment CAMFIELD, David. La crise du syndicalisme au Canada et au Québec, Montréal, M Éditeur, 2014, et ROBERT, Martin et Martin PETITCLERC. Grève et paix. Une histoire des lois spéciales au Québec, Montréal, Lux, 2018.
[3] PIOTTE, Jean-Marc et Jean-Pierre COUTURE. Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec, Montréal, Québec Amérique, 2012.
[4] La meilleure source biographique demeure COMEAU, Robert et Robert TREMBLAY (dir.). Stanley Bréhaut Ryerson, un intellectuel de combat, Hull, Vents d'Ouest, 1996.
[5] RYERSON, Stanley B. Connaître l'histoire, comprendre la société : un rapport en voie de mutation ?, thèse de doctorat, Université Laval, 1987, page 44.
[6] KEALEY, Gregory. « Stanley Bréhaut Ryerson : intellectuel révolutionnaire canadien » dans COMEAU, Robert et Bernard DIONNE (dir.). Le droit de se taire. Histoire des communistes au Québec, Montréal, VLB, 1989, page 200.
[7] BISAILLON, Joël. Stanley Bréhaut Ryerson (1911-1998) et l'analyse de sa pensée sur la question nationale au Québec, mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 2008, page 53.
[8] Le PCC est interdit à trois reprises : en 1921, 1932 et 1940.
[9] RYERSON. Connaître l'histoire, comprendre la société, 1987.
[10] COMEAU et TREMBLAY. Stanley Bréhaut Ryerson, 1996, pages 381-411.
[11] KEALEY, Gregory. « Stanley Bréhaut Ryerson : historien marxiste » dans COMEAU et DIONNE. Le droit de se taire, 1989, page 250.
[12] DOUET, Yohann. L'histoire et la question de la modernité chez Antonio Gramsci, Paris, Garnier, 2022.
[13] RYERSON, Stanley B. « Marxism and the Writing of Canadian History » dans National Affairs Monthly, vol. 4-2 (1947), page 51. Nous traduisons.
[14] RYERSON. Connaître l'histoire, comprendre la société, 1987, page 45.
[15] RYERSON, Stanley B. « À propos de Les syndicats nationaux… de Jacques Rouillard » dans Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 35-3 (1981), page 400.
[16] Dans COMEAU et TREMBLAY. Stanley Bréhaut Ryerson, 1996, page 98.
[17] BISAILLON. Stanley Bréhaut Ryerson, 2008, page 28.
[18] BISAILLON. Stanley Bréhaut Ryerson, 2008, page 93.
[19] BISAILLON. Stanley Bréhaut Ryerson, 2008, page 182.
[20] Sur l'enjeu des liens entre le Canada et le Québec, voir l'excellent DENIS, Serge. « Stanley B. Ryerson et le Québec contemporain, 1965-1993 » dans COMEAU et TREMBLAY. Stanley Bréhaut Ryerson, 1996, pages 157-208 (page 196 pour la citation).
[21] MASSÉ, Georges. « Démarche historienne et apport d'un marxiste québécois à l'historiographie ouvrière » dans COMEAU et TREMBLAY. Stanley Bréhaut Ryerson, 1996, page 307.
[22] FRANK, David. « L'influence de Stanley B. Ryerson auprès de la nouvelle gauche anglo-canadienne » dans COMEAU et TREMBLAY. Stanley Bréhaut Ryerson, 1996, page 359.
[23] Le livre connaît deux éditions en français, d'abord sous le titre Le capitalisme et la confédération (1972) puis sous le titre Capitalisme et confédération (1978) qui présentent le même texte.
[24] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 13.
[25] Par exemple : BOURQUE, Gilles. Classes sociales et question nationale au Québec, 1760-1840, Montréal, Parti pris, 1970 ; BOURQUE, Gilles et Anne LEGARÉ. Le Québec. La question nationale, Paris, Maspero, 1979 ; NIOSI, Jorge. La bourgeoisie canadienne. La formation et le développement d'une classe dominante, Montréal, Boréal, 1980 ; GAGNON, Charles. Feu sur l'Amérique, Montréal, Lux, 2006.
[26] RYERSON, Stanley, B. « Prise de conscience : nationalité et tensions sociétales. Notes pour un témoignage » dans Cahiers de recherche sociologique, no 20 (1993), page 16.
[27] THOMPSON, Edward P. The Making of the English Working Class, New York, Penguin, 1966.
[28] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 15.
[29] FECTEAU, Jean-Marie. « Classes, démocratie, nation. La transition au capitalisme chez Stanley B. Ryerson » dans COMEAU et TREMBLAY. Stanley Bréhaut Ryerson, 1996, page 238.
[30] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 24.
[31] OUELLET, Fernand. Histoire économique et sociale du Québec (1760-1850), Montréal, Fides, 1966.
[32] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, pages 25-26.
[33] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 514, et KEALEY. « Stanley Bréhaut Ryerson : historien marxiste », 1989, page 248.
[34] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 24.
[35] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 504.
[36] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 515.
[37] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972,page 47.
[38] KEALEY. « Stanley Bréhaut Ryerson : historien marxiste », 1989, page 254.
[39] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 113.
[40] KEALEY. « Stanley Bréhaut Ryerson : historien marxiste », 1989, page 252.
[41] COVO, Manuel et al. « Les révolutions atlantiques. Une vague démocratique » dans BANTIGNY, Ludivine (dir.). Une histoire globale des révolutions, Paris, La Découverte, 2023, pages 223-263.
[42] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972,page 178.
[43] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 82. Voir aussi MAUDUIT, Julien. La guerre d'indépendance des Canadas, Montréal, McGill's University Press, 2022.
[44] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 317.
[45] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 20. Au sujet des peuples autochtones et du processus colonial canadien, on consultera aussi les six premiers chapitres de RYERSON, Stanley. The Founding of Canada, Toronto, Progress Books, 1960.
[46] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 20.
[47] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 460.
[48] RYERSON. Le capitalisme et la confédération, 1972, page 515.
[49] Pour un exemple concernant la transition, voir BRENNER, Robert et al. The Brenner Debate : Agrarian Class Structure and Economic Development in Pre-Industrial Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.
[50] Voir notamment GREER, Allan. Habitants et patriotes : la Rébellion de 1837 dans les campagnes du Bas-Canada, Montréal, Boréal, 1997 ; LAMONDE, Yvan. Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896, Montréal, Fides, 2000 ; BELLAVANCE, Marcel. « La rébellion de 1837 et les modèles théoriques de l'émergence de la nation et du nationalisme » dans Revue d'histoire de l'Amérique française, no 53-3 (2000), pages 367-400 ; HARVEY, Louis-Georges. Le printemps de l'Amérique française, Montréal, Boréal, 2005 ; DUCHARME, Michel. Le concept de liberté au Canada à l'époque des révolutions atlantiques, Montréal, McGill's University Press, 2010.
[51] BERNIER, Gérald et Daniel SALÉE. Entre l'ordre et la liberté. Colonialisme, pouvoir et transition vers le capitalisme dans le Québec du XIXe siècle, Montréal, Boréal, 1995 ; GREER, Allan. Habitants, marchands et seigneurs. La société rurale du Bas-Richelieu, Montréal, Septentrion, 2000 ; GRENIER, Benoît. « Pouvoir et contre-pouvoir dans le monde rural laurentien aux XVIIIe et XIXe siècles » dans Bulletin d'histoire politique, no 18-1 (2009), pages 143-163 ; GREER, Allan. Property and Dispossession : Natives, Empires, and Land in Early Modern North America, Cambridge, Cambridge University Press, 2018 ; SANFILIPPO, Matteo. Le féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent. Un problème historiographique, Ottawa, Presses universitaires d'Ottawa, 2022.
[52] DUFOUR, Frédérick Guillaume. « Lamonde, la Brève histoire des idées au Québec et les défis d'une sociologie historique des processus de formation étatique, nationales et coloniales au Québec et au Canada » dans Bulletin d'histoire politique, no 29-1 (2020), pages 195-211.
[53] Les auteurs codirigent la série Recherches matérialistes chez M Éditeur et sont membres du collectif Archives Révolutionnaires (https://archivesrevolutionnaires.com/).
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La guerre, Yes Sir !
Il s'agit là du titre d'un roman publié par Roch Carrier en 1970 ; c'est une fable à la fois réaliste et surréaliste dont l'action se situe dans le Québec rural au début des des années 1940.
Dernièrement, le président Donald Trump a évoqué lors d'une rencontre à Mar-a-Lago en présence de Justin Trudeau la possibilité que le Canada devienne le cinquante-et-unième État américain dont le premier ministre serait nommé gouverneur. Tout ça si Ottawa s'avérait incapable de faire face aux tarifs douaniers de 25% que Trump menace d'imposer si Ottawa ne resserre pas la sécurité aux frontières. Tous eux n'ont évidemment pas pris au sérieux cette farce. Il semble que Trump, comme bon nombre de ses compatriotes considère les Canadiens comme des Américains du nord, vu l'étroite imbrication de leurs économies respectives. Comme on sait, les liens commerciaux sont intenses entre les deux pays. Il faut y ajouter la proximité culturelle, surtout entre le Canada anglais et son grand voisin du sud. Le Canada est donc un satellite des États-Unis, même s'il bénéficie d'une certaine autonomie vis-à-vis de son puissant voisin, surtout en politique étrangère. Vu le rapport de forces entre les deux pays, peut-il en être autrement ? L'alliance militaire canado-américaine cimente encore davantage les liens entre les deux États.
Mais peut-on pour autant en déduire que l'hypothétique annexion du Canada par Washington irait de soi et que l'opération si elle se produisait, se ferait sans douleur ? certainement pas.
Tout d'abord, aucun indice ne permet de penser que l'ensemble des Américains serait intéressé à "gober" le Canada, une ingestion qui se révélerait vite indigeste. L'intégration, même relative, des deux économies et les liens commerciaux entre les deux États satisfont la plupart des citoyens et citoyennes de la république du sud.
Une annexion ne pourrait que déstabiliser leurs économies respectives, ce qui compromettrait la stabilité politique nord-américaine. Le Mexique est beaucoup plus faible que le Canada mais pour autant Trump n'a jamais évoqué la possibilité de son annexion. Les institutions canadiennes viennent tout droit du parlementarisme britannique, celles des États-Unis sont républicaines. Le type de société et l'échelle des valeurs diffèrent donc beaucoup entre l'un et l'autre pays.
Il faut ensuite relever que le nationalisme "canadian" poserait un problème épineux à Washington en cas d'annexion. La Maison-Blanche se heurterait à une résistance farouche de la part d'une bonne partie de la population. Il en résulterait un conflit majeur et indésirable pour le gouvernement américain. Après tout, le déploiement des investissements américains au Canada rapporte déjà beaucoup aux firmes américaines (et donc indirectement à l'État par le biais des taxes et impôts). Alors, pourquoi risquer de tout bousiller ? Ottawa dispose d'une influence internationale importante et une tentative d'annexion plomberait encore davantage la crédibilité américaine dans le monde déjà très amochée.
Si l'annexion se produisait, comment disposer de cet immense territoire ? Trump en plaisantant, a affirmé à Mar-a-Lago qu'on pourrait diviser le Canada en deux États, l'un libéral et l'autre conservateur, mais dans la réalité il faudrait le diviser en plusieurs États et donc, tenir compte de ses particularités régionales (en particulier de celle du Québec), ce qui représenterait tout un casse-tête pour les dirigeants américains. L'équilibre des forces partisanes au Congrès s'en trouverait bouleversé.
Pour terminer, la question du Québec se poserait. Le Québec a plutôt mauvaise réputation aux "States" vu ses velléités souverainistes et son rôle de trouble-fête au sein de la fédération canadienne. On peut douter que la classe politique américaine et que la plupart de ses électeurs soient intéressés à se charger de ce "fardeau".
Toutes ces considérations constituent de la politique-fiction j'en conviens, mais elle peuvent nous donner une idée des possibilités d'action et de leurs limites chez les deux voisins nord-américains et par ricochet sur les nôtres, ici au Québec.
Jean-François Delisle
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Extrême droite sur Internet : la montée des influenceur·ses nationalistes

Si Internet favorise l'extrême droite, c'est aussi parce que ses stratégies de communication s'y sont adaptées, notamment en utilisant les techniques issues du marketing. La communication policée du RN lui donne un vernis de respectabilité, tout en favorisant tout un écosystème d'influenceurs et de groupes plus radicaux où les discours racistes se libèrent. Analyse.
Tiré du blogue de l'auteur.
Cet article est le deuxième volet d'une recherche sur Internet et l'extrême droite. Vous pouvez lire le premier article ici.
Avant même l'apparition des médias alternatifs et des réseaux sociaux, Internet a permis à des groupes traditionnellement peu ou pas mis en avant par les médias « mainstream » de s'exprimer publiquement. Pour Dominique Cardon, nous vivions à la fin du XXème siècle dans une « sphère publique restreinte » (1).
Dans cet espace, les médias (journaux, télévision, radio) avaient une fonction de « gatekeepers » (« gardiens de porte ») ; en sélectionnant les prises de parole publiques, le système médiatique décidait quels discours avaient une visibilité et une légitimité, et les hiérarchisait. Le fait d'être repris dans les médias légitime un discours ou une personnalité auprès du grand public. Il permet en tout cas de se faire connaître, d'avoir une existence dans le débat. L'internet permet de contourner ces gatekeepers, et ainsi de donner la parole à des groupes qui n'ont traditionnellement pas voie de cité dans les médias, d'ouvrir la porte aux « quidams » (2). En France, ce sont les groupes d'extrême droite qui ont été les pionniers de ce type d'expression directe, contournant le système médiatique. Le Front National a été le premier parti politique français à créer un site internet en 1996, et un compte Facebook en 2006 (3).
Cette présence n'est pas surprenante, elle est dans la continuité des stratégies historiques du parti et de ce courant. Avant de créer le Front National en 1972, Jean-Marie Le Pen s'associe à Léon Gaultier, ancien officier SS, pour créer en 1963 la SERP (Société d'Études et de Relations Publiques) avec laquelle il diffusera sous le manteau des enregistrements défendant l'OAS – Organisation Armée Secrète, qui avait tenté un coup d'état pour conserver l'Algérie française (4). Cette société d'édition se spécialisera dans les chants militaires, incluant des chants de la Wehrmacht et des Waffen SS. Elle a été condamnée en 1968 pour « apologie de crimes de guerre » après la diffusion de chants du IIIe Reich (5). L'image sulfureuse de ces hommes leur interdisant l'accès aux médias, c'est donc « par les marges » qu'ils arrivent à la médiatisation (6). L'adresse de la SERP deviendra d'ailleurs l'adresse officielle du premier siège du FN.

Le FN est devenu RN, et la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen va désormais jusqu'à refuser la filiation à l'extrême droite (7), et tenter d'effacer les traces de l'antisémitisme qui l'a créé et continue de le nourrir (8). Maintenant que le RN a « blanchi » son image et se veut un parti « républicain », cette stratégie de « communication par les marges » est utilisée par les nouveaux groupuscules d'extrême droite, tels que le Bloc Identitaire en France (dissous en 2021) ou CasaPound en Italie (9).
Ces groupuscules, plus radicaux que les partis institutionnalisés, n'ont pas accès par défaut à l'agenda médiatique, et doivent donc, pour se faire entendre, utiliser des moyens détournés. Internet leur offre la possibilité de diffuser eux-mêmes leurs contenus, et d'accéder ainsi à une visibilité : « Une vidéo qui « fait le buzz » a toutes les chances d'être reprise par les journalistes se sentant autorisés à commenter l'activité des réseaux sociaux » (10). Ces groupes organisent donc des actions spectaculaires (occupation de mosquées, irruption dans un fast-food avec des masques de cochon, organisation d'« apéros saucisson-pinard »...), inspirées des actions des mouvements écologistes type Greenpeace. Ce côté sensationnel, associé à des messages politiques simplifiés, et la diffusion importante de ces actions sur l'internet, leur permet de rentrer dans l'agenda médiatique. Ces actions de « second degré » ne visent pas les personnes présentes physiquement à ces manifestations, mais les les sympathisant·es sur les réseaux sociaux, et surtout les journalistes.
D'ailleurs, les groupes ne s'y trompent pas dans la formation de leurs militant·es. Celle-ci « ne consiste pas dans l'apprentissage approfondi des théories politiques. […] Devenir un militant de ces organisations consiste à apprendre à communiquer dans des formes [adaptées aux] supports médiatiques qui hybrident davantage l'information et le divertissement, tels que la presse gratuite, les réseaux sociaux, les chaînes d'information en continu ou la presse locale » (11).
L'internet devient donc un échelon intermédiaire, entre une communication limitée de groupe radical et les médias mainstream. Exister sur Internet permet de toucher beaucoup plus de personnes qu'avec des enregistrements sonores de plaidoirie, mais aussi, grâce aux reprises des médias, de toucher petit à petit le grand public, et se faire une place dans le débat politique national. C'est ainsi que le discours de l'extrême droite se répand et se banalise. Ces groupuscules, bien que non affiliés au RN, communiquent sur YouTube, sur des blogs, sur les réseaux sociaux, et diffusent les thématiques de l'extrême droite.
L'intérêt pour le RN est que ces vidéastes parviennent à « politiser » un public jeune qui serait naturellement tenté par l'abstention. […] « Plus le RN cherche à se respectabiliser, plus il est obligé d'adopter un langage très institutionnel, très policé, et plus il risque de se couper de son électorat contestataire, explique Julien Boyadjian (12). Mais c'est d'autant plus intéressant pour eux de déléguer à d'autres ce travail de politisation moins lisse, moins formaté. » (13)
Les groupuscules radicaux utilisent donc Internet pour faire émerger leurs problématiques dans l'espace public. Qu'on en parle en bien ou en mal ne change rien, on en parle, ces thèmes font l'actualité. C'est ce qu'on appelle l'astroturfing (14) : quand un groupe restreint impose ses problématiques en faisant croire qu'elles concernent un groupe plus grand. Une fois ce discours infusé dans la société, les forces en présence (partis politiques, associations de la société civile...) sont obligées de s'adapter à cet agenda médiatique, et de réagir aux thématiques imposées par l'extrême droite (immigration, sécurité, islam...), laissant de côté les leurs (écologie, inégalités sociales, éducation...).
En France, cette stratégie a payé, et le rôle des militant·es des groupuscules identitaires est de plus en plus prégnant au RN, influençant la ligne du parti et ses votes à l'Assemblée nationale. De nombreux membres du Bloc Identitaire ou de Génération Identitaire ont rejoint les rangs du FN, comme Philippe Vardin et Damien Rieu (désormais avec Zemmour) ou encore Grégoire de Fournas (député RN, ancien membre du BI, qui avait été suspendu quinze jours pour avoir crié « Qu'il retourne en Afrique ! » au député La France insoumise (LFI) Carlos Martens Bilongo (15)).
« « Il y a eu une imprégnation générale des idées et du style identitaires », explique un ancien cadre du BI. En 2021, Jordan Bardella reprenait à son compte la théorie complotiste du « Grand Remplacement », très relayée dans les milieux identitaires » (16). Le « Grand Remplacement » est une théorie développée par le polémiste d'extrême droite Renaud Camus. Elle « fait référence à un supposé processus de substitution des Européens ou des Français "de souche" par des immigrés extra-européens, venus principalement d'Afrique » (17).
Les influenceur·ses d'extrême droite : rendre l'idéologie « cool »
Les règles de diffusion d'un contenu sur l'internet ne sont pas les mêmes que dans les médias traditionnels, et l'extrême droite s'est adaptée à ces nouveaux canaux. Leurs idéologues ne diffusent plus sous le manteau des cassettes de chants de guerre de la Wehrmacht, mais reprennent les codes de la publicité et de la « culture LOL » (18) d'internet pour toucher un public plus large. Le cas de YouTube et des influenceur·euses d'extrême droite qui y officient est particulièrement représentatif de cette dynamique.
Les médias mainstream étant de plus en plus critiqués pour leur manque d'objectivité, le public se tourne vers des sources d'information alternatives. Une tendance qui s'est renforcée depuis la pandémie de COVID-19 et les confinements généralisés. L'extrême droite s'y est adapté en présentant ses médias comme « alternatifs » ou « citoyens », en opposition à un système médiatique présenté comme manipulatoire. Nous avons analysé dans un autre article comment la publicité a diffusé ses techniques manipulatoires dans tout l'espace public (médias, prises de parole politiques...), les érigeant en norme de discours, et créant ainsi un doute permanent dans la parole publique qui se paie aujourd'hui par cette défiance généralisée envers les médias et les politiques (19).
Une étude de 2018 du Pew Research Center a trouvé que 73% des adultes états-uniens visitaient YouTube, allant jusqu'à 94% pour les 18-24 ans. En 2017, YouTube était uniquement derrière Facebook comme réseau social le plus populaire pour s'informer. En parallèle, la confiance dans les médias mainstream est en déclin constant, avec seulement 32% des Américains affirmant avoir confiance dans les médias, selon une étude de 2016 du Gallup Poll. (20)
Une étude récente sur les jeunes consommateurs d'informations a découvert qu'ils avaient plus confiance dans les contenus « générés par les utilisateurs » que par les médias traditionnels. (21)
C'est une aubaine pour l'extrême droite, qui a développé le concept de « réinformation » (22), capitalisant sur le doute légitime des citoyen·nes pour mieux imposer sa vision du monde. Le fait de se faire passer pour des médias « alternatifs », créés par et pour des « citoyens désintéressés », permet ainsi de contourner la méfiance par défaut envers les contenus politiques identifiés comme venant d'un parti ou d'un « camp politique ». Une fois créée cette forme de confiance, les internautes sont plus perméables aux idées diffusées. Ainsi le site Novopress créé en 2005, se présente comme une « arme de réinformation », qui entend défendre une information « alternative et sans tabous » afin de lutter contre « le monde de la pensée et de l'information uniques » (23).
Car même si nous sommes conscient·es que les informations que nous recevons ne sont pas toujours vraies, il reste très difficile de distinguer le vrai du faux : aux États-Unis, 84 % des adultes interrogés se sentaient confiants (39 % très confiants et 45 % plutôt confiants) dans leur capacité à reconnaître de fausses informations (24). En France, 73% des Français·es ne jugent pas fiables les informations reçues via les réseaux sociaux numériques. Mais lorsqu'une étude de 2017 (25) teste cette capacité à distinguer le vrai du faux, la rumeur selon laquelle « des maires de villes de province font venir des personnes étrangères de Seine-Saint-Denis dans leur ville en échange de subventions » est jugée comme une affirmation fausse par seulement 31 % des répondants (certainement fausse à 9 % et probablement fausse à 22 %) » (26).
YouTube a pris une place de premier choix dans la création de médias alternatifs, et l'extrême droite s'en est emparée, notamment avec des réseaux d'influenceurs, présentant une idéologie ultra-conservatrice tout en reprenant les codes « cool » de la culture Internet. Un exemple est ce que Rebecca Davis appelle le RIA (Réseau d'Influence Alternative). Dans son rapport « Broadcasting alt-right on YouTube » (27), elle décrit un réseau de YouTubeurs états-uniens d'extrême droite (approximativement 65 sur 80 chaînes) qui récupèrent cette méfiance pour diffuser leur idéologie.
On peut parler de réseau dans le sens où ceux-ci partagent les mêmes sujets de prédilection – la menace « woke » et féministe, la peur des étranger·es, le « racisme scientifique », la détestation des « élites » et des SJW (« Social Justice Warriors » ou « Guerriers de la justice sociale »)... – se citent les uns les autres et apparaissent dans les vidéos des autres chaînes du réseau. La variété des sujets abordés ainsi que la production importante de contenus exprime le projet de ne pas être uniquement des sources d'information alternatives, mais bien de remplacer les médias mainstream (28).

Ces chaînes adoptent une charte graphique et un ton de parole « légers », drôles, reprenant les codes des influenceur·ses commerciaux·les (29). Cela leur permet de toucher un public très divers, de masquer la radicalité des opinions qu'ils défendent, et d'invisibiliser la souffrance des personnes désignées comme ennemies ou inférieures (personnes LGBT, non-blanches, femmes, « wokistes »...).
Parce qu'elles brassent des sujets divers (féminisme, racisme, corruption...), ces vidéos sont autant de portes d'entrée dans l'univers de la « droite alternative » (30). Une fois happé par ce ton léger, il devient très facile de virer vers des vidéos de plus en plus radicales, par le jeu des collaborations, c'est-à-dire d'invitations sur les vidéos les uns des autres pour des débats ou des partages d'expériences. Cela crée des passerelles depuis des chaînes mainstream et plus modérées, vers d'autres chaînes beaucoup plus radicales qui prônent ouvertement la suprématie blanche et l'action violente. Ces YouTubeurs se citent entre eux, créant ainsi une illusion de sourçage des informations. Une information peut être recoupée par plusieurs chaînes du réseau et donc donner l'impression d'être vérifiée, alors que toutes citent la même source. Tout cela crée les conditions d'une radicalisation de ces internautes.
Elles arrivent aussi à être les vidéos les plus mises en avant par YouTube sur n'importe quel sujet, en utilisant les failles dans les algorithmes. Les techniques de SEO (Search Engine Optimization) sont utilisées depuis de nombreuses années par les grandes entreprises et les publicitaires pour mettre leurs publications en avant dans les moteurs de recherche. L'idée est de connaître les règles qu'utilisent les algorithmes pour classer les contenus, et formater sa page ou son post pour qu'il corresponde à ces règles (format de vidéo, mots-clés dans le titre, images de présentation, etc.) et se retrouve mis en avant. Les influenceurs d'extrême droite reprennent ces techniques à leur profit, ce qui fait que jusqu'à la purge de 2020 des contenus d'extrême droite par YouTube, quand on tapait le mot-clé GamerGate (31), l'algorithme mettait systématiquement en avant des vidéos de harceleurs comme Mia Yiannopoulos ou Carl Benjamin, plutôt que des victimes de ces harceleurs.

Les algorithmes des GAFAM mettent en avant les contenus qui créent le plus d'engagement chez les internautes, c'est-à-dire surtout des commentaires (positifs ou négatifs). L'onglet « recommandé pour vous » de YouTube renvoie donc le plus souvent à des vidéos clivantes, guidant les internautes dans un voyage vers de plus en plus de radicalité :
En 2016, une publication interne à Facebook montrait que « 64% des entrées dans des groupes extrémistes sont dus à nos outils de recommandation », spécifiquement via les fonctionnalités Suggestions pour vous et Découvrir (32).
En 2017, l'algorithme [de YouTube] recommandait environ 10 fois plus de contenus affirmant que la Terre est plate que de vidéos fondées sur la vérité scientifique. Pourquoi ? Parce que ce type de contenus fait réagir les utilisateurs, les fidélise et permet de diffuser davantage de publicité, donc de générer plus d'argent. (33)
Le résultat de cette stratégie est que le 4 janvier 2018, la vidéo la plus vue en direct sur YouTube est un débat animé par les youtubeurs d'extrême droite Andy Warski et Jean-François Gariépy, autour du « racisme scientifique » – qu'ils appellent « race realism ». Les invités sont Richard Spencer, suprémaciste blanc qui a popularisé le terme d'alt-right, et Carl Benjamin, libertarien présenté comme plus modéré que son adversaire. Les débats tournent autour de la notion de race, des qualités inhérentes à la « whiteness » (« blanchité »), et les commentaires sont largement favorables à Richard Spencer : « Je n'ai jamais vraiment écouté parler Spencer avant, mais on voit tout de suite qu'il est d'un niveau bien plus élevé », commente Nashmau (34), un utilisateur. Ces vidéos ont néanmoins été supprimées en même temps que plusieurs chaînes d'extrême droite le 29 juin 2020 (35). Mais celle-ci avait engrangé 450,000 vues et été mise en avant par YouTube en tant que #1 trend.
En France aussi, il existe un réseau de youtubeurs d'extrême droite avec les mêmes pratiques. Des chaînes comme celle de Papacito, Valek, Bruno le Salé, Raptor dissident ou Lapin du futur, font des millions de vues (une vidéo sur le racisme anti-Blancs de Valek est en 2023 à 1,7 millions de vues (36)). Tout en reprenant les codes du stand-up et en faisant des placements de produits pour des compléments alimentaires ou des applications bancaires, ils distillent une idéologie raciste à destination des jeunes (37).
Cette idéologie n'est pas neutre. Les appels au meurtre et à la violence sont monnaie courante dans ces vidéos, ce qui mène d'ailleurs régulièrement à des condamnations ou à des suspensions de compte. Cette banalisation de la violence a des effets réels, et pousse certains internautes à aller jusqu'à commettre des actes terroristes. Le YouTubeur Papacito a été condamné pour une vidéo montrant l'exécution d'un électeur de LFI (38).

La culture du LOL, entre blagues sexistes et mèmes racistes
Sur les forums comme dans les vidéos YouTube, c'est beaucoup par l'humour que l'extrême droite fait passer ses idées. En effet, la culture du LOL normalise les blagues sexistes. Celles-ci sont beaucoup mieux acceptées que les blagues racistes et se propagent plus facilement. Mais sur les forums, tout se mélange, c'est d'ailleurs le principe même de l'humour Internet. Sous couvert d'ironie, de troll (39) et de « shitposting » (40), les internautes mélangent blagues sexistes et racistes, créant ainsi, selon l'expression de Mathilde Saliou, une « intersectionnalité des haines » (41).
Le forum « Blabla 18-25 » de jeuxvidéos.com a été très actif dans plusieurs campagnes de cyberharcèlement à caractère sexiste depuis 2013 (42) et est en parallèle devenu un soutien quasi-officiel à Henry de Lesquen, ancien président de Radio Courtoisie, figure de l'extrême droite et de la « remigration ». Celui-ci reprend les codes de la rhétorique catholique contre-révolutionnaire, ce qui semble de prime abord assez loin de l'esprit d'un forum nommé « Blabla du 18-25 ». Mais ses formules surannées (il a traité un journaliste juif de « menteur pharisien ») et ses attaques racistes particulièrement violentes (il utilise le terme « Congoïde » pour désigner les personnes noires) en font une sorte de « troll » IRL (In Real Life).

Les internautes se sont emparés de son image décalée, en créant et diffusant de manière massive des mèmes et des gifs à son effigie. « Cynique, décomplexée et collant à l'actualité, cette communication, qui s'adresse aux jeunes internautes en reprenant leurs codes visuels et leurs références culturelles, est taillée pour une viralité qui va bien au-delà des cercles habituels de l'extrême droite » (43).

Cette communication opportune pour le personnage a été depuis copiée par des équipes plus officielles, comme celle d'Eric Zemmour, qui a repris ces codes à son profit lors de sa campagne de 2022. « Cette cool connexion s'avère une arme d'autant plus redoutable qu'il n'est nul besoin de partager ces idées pour en rire, et que même ceux qui s'en offusquent participent […] à leur viralité » (44). Ces figures de l'extrême droite sont transformées en « icônes pop », les rendant quasiment sympathiques et surtout omniprésentes sur la Toile, particulièrement dans les discussions sur les jeux vidéo. C'est une stratégie habile dans la mesure où en France, en 2018, 3 internautes sur 4 étaient des gamers, soit 32,3 millions de personnes (45).

Le recrutement des militant·es par l'internet
Selon le journaliste Paul Conge, auteur d'une étude sur l'extrême droite, les jeux vidéos sont « un vecteur identitaire très fort pour des jeunes gens qui ont entre 14 et 18 ans, qui n'ont pas forcément une culture politique au départ – mais qui en acquièrent une grâce à ça » (46). Le journaliste s'est fait passer pour un adolescent dans le but de rencontrer des recruteur·ses de groupes d'extrême droite. Ceux-ci vont sur des jeux multijoueurs en réseau comme Fortnite ou des forums, et « trollent » des joueur·ses ou des groupes. Le but est de faire déraper la discussion, et selon les réactions, d'inviter les joueur·ses intéressé·es dans des forums plus confidentiels, où se discutent ouvertement les thèses racistes et les moyens de résister au « Grand Remplacement ». Le même mécanisme est d'ailleurs utilisé par des représentant·es du RN dans les conventions de tuning : iels s'insèrent, distillent leurs discours, et réussissent à amener leurs idées dans des domaines qui n'ont au départ rien à voir avec la politique.

Le phénomène dit du « troll » est particulièrement adapté aux stratégies de l'extrême droite. Un troll est un internaute qui « cherche délibérément à engendrer des polémiques, par exemple en abordant un sujet controversé ou en s'en prenant aux autres participants » (47). Il y a de nombreux types de trolls, qui vont du « grammar nazi » (« nazi de la grammaire ») débusquant et moquant la moindre faute d'orthographe jusqu'aux trolls politiques organisés par des personnalités, des entreprises ou des gouvernements pour discréditer des adversaires ou perturber les débats à l'intérieur d'une nation ennemie. Le troll est un produit typique de l'économie de l'attention (voir l'autre partie de cet article).

L'irruption de trolls d'extrême droite dans des parties de jeux vidéo ou des conversations en ligne est une arme redoutable. Même si le troll est évacué par les participant·es, la multiplication des attaques crée un climat de tension permanente, et impose les sujets de l'extrême droite dans les conversations. Plus leurs thématiques sont discutées, plus elles seront présentes dans les tendances, et donc mises en avant par les algorithmes. Se présenter sous la forme de l'humour, même violent, permet au discours en question de se rappeler en permanence aux membres du groupe par des blagues, des mèmes, des images, des références.
L'ironie est utilisée comme une arme. Toute critique est impossible, car elle se fait opposer la sentence : « tu dois être vraiment stupide pour penser que je pense ce que je dis. Tu vois bien que c'est ironique. » « Mais en même temps, leurs contenus [sont] odieux, et [abaissent] chaque fois le curseur de l'acceptable » (48). Un ou plusieurs internautes peuvent alors être intéressés par les propos du troll et se mettre en contact avec lui, en dehors du groupe initial.
C'est un phénomène très sérieux dont même l'OTAN s'inquiète, dans un rapport de 2021, comme d'une arme pouvant être utilisée par des États pour interférer dans la politique intérieure d'autres États. La Russie est reconnue avoir utilisée des « usines à trolls » diffusant de fausses informations et encourageant les rumeurs complotistes. Ceci afin de favoriser l'extrême droite européenne, plus favorable a priori à son régime et propice à déstabiliser les États de l'intérieur (49). De nombreux internautes pro-Trump ont aussi utilisé les trolls pour promouvoir leurs candidats, allant jusqu'à s'auto-nommer « Trump's Troll Army » (« l'armée de trolls de Trump »). Joe Biden a lui aussi utilisé des « usines à troll » pour promouvoir sa campagne (50). Brenton Tarrant, terroriste responsable de la tuerie de Christchurch, écrivait avant son attaque que « les mèmes ont fait plus pour le mouvement ethnonationaliste que n'importe quel manifeste » (51).
Conclusion
Les discours de l'extrême droite se sont adaptés aux codes de l'internet pour asseoir sa domination. Gardant son côté sulfureux historique, tout en reprenant l'humour léger de la publicité et le cynisme des forums Internet, elle a réussi à faire de l'internet un porte-voix pour ses idées excluantes. La médiatisation par les marges des groupuscules les plus violents a permis aux groupes plus institutionnels et policés comme le RN de se hisser aux postes d'élu·es, tout en se démarquant de cette image de milices qui lui collait à la peau. Comme une division du travail idéologique, on voit les représentant·es de partis d'extrême droite afficher une image de respectabilité et d'ouverture, en encourageant en douce les groupes les plus radicaux à saturer la toile de discours racistes et d'appels au meurtre.
Ce jeu entre partis « officiels » et groupuscules radicaux permet à l'extrême droite de déplacer la fenêtre d'Overton. Cette métaphore a été imaginée par le sociologue du même nom pour désigner les opinions considérées comme acceptables par l'opinion publique, et donc susceptibles d'être introduites dans la législation (52). Toute opinion exprimée dans l'espace public qui se trouverait en dehors de cette fenêtre métaphorique serait par défaut discréditée comme insensée ou trop extrême. Par exemple, la prohibition de l'alcool aux États-Unis a duré pendant 13 ans (de 1920 à 1933). Elle était donc acceptable politiquement à ce moment précis de l'Histoire, à cet endroit du monde. En 2024, un·e politicien·ne qui proposerait l'interdiction de la vente et de la consommation d'alcool serait sûr·e de ruiner son image et sa carrière. Elle n'est plus dans la fenêtre d'Overton.
De même, la théorie du « grand remplacement » est longtemps restée confinée à d'obscurs groupuscules ou des terroristes (Brenton Tarrant a intitulé son manifeste « Le grand remplacement » avant de tuer 50 personnes à la sortie d'une église néo-zélandaise). Elle est désormais reprise dans de nombreux médias (notamment la chaîne CNews, possédée par Vincent Bolloré) et par de nombreux responsables politiques d'extrême droite ; d'abord cantonnée à Éric Zemmour et ses soutiens, elle est passée au Rassemblement National et même maintenant au groupe politique « centre-droit » Renaissance.
L'agenda médiatique actuel est déplacé vers les problématiques de l'extrême droite, qui saturent petit à petit le débat politique. Les discours racistes des marges se retrouvent au cœur des gouvernements et de leurs politiques, que les élu·es soient ou non affilié·es à des partis d'extrême droite. En France, la loi sur l'immigration, proposée par Renaissance, pourtant désigné par le ministère de l'Intérieur comme « centre-droite » a été votée par 100% des parlementaires du RN tandis que 22% des parlementaires de Renaissance s'abstenaient ou votaient contre. Une première dans ce mandat (53). Marine Le Pen a d'ailleurs qualifié ce vote de « victoire idéologique » (54).
Notes
1- Jurgen HABERMAS, L'espace public. Archélogie de la publciité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, 1993
2- Dominique CARDON, La démocratie Internet, éditions du Seuil et La République des idées, 2010
3- Achraf BEN BRAHIM, Pourquoi l'extrême-droite domine la toile. Le grand remplacement numérique, Éditions de l'aube et fondation Jean Jaurès, 2023, p. 13
4- Jonathan THOMAS, La propagande par le disque. Jean-Marie Le Pen, éditeur phonographique, Paris, EHESS, in Achraf BEN BRAHIM, op. cit.
5- Valérie IGOUNET, « Plongée dans les sonorités nationalistes », France TV Infos, 20 juin 2016, à consulter ici : https://blog.francetvinfo.fr/derriere-le-front/2016/06/20/plongee-dans-les-sonorites-nationalistes.html
6- Achraf BEN BRAHIM, op. cit., p. 12
7- Youmni KEZZOUF, « Pour le Conseil d'État, le RN est bien d'extrême-droite », Mediapart, 21 septembre 2023 https://www.mediapart.fr/journal/politique/210923/pour-le-conseil-d-etat-le-rn-est-bien-d-extreme-droite
8- Youmni KEZZOUF et Marine TURCHI, « Israël-Hamas, le RN tente de faire oublier son passé antisémite », Mediapart, 11 octobre 2023
9- Pietro Castelli GATTINARA, Caterina FROIO, « Quand les identitaires font la une. Stratégies de mobilisation et visibilité médiatique du bloc identitaire », Revue française de science politique, 2018/1 (Vol. 68), p. 103 https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2018-1-page-103.htm
10- Caterina FROIO, Samuel BOURON, « Entrer en politique par la bande médiatique ? Construction et circulation des cadrages médiatiques du Bloc identitaire et de Casapound Italia », Questions de communication, 2018/1 (n° 33), p. 221 https://shs.cairn.info/revue-questions-de-communication-2018-1-page-209?lang=fr
11- Caterina FROIO, Samuel BOURON, op. cit., p. 218
12- maître de conférences à Sciences-Po Lille et spécialiste de la politisation en ligne.
13- Lucie DELAPORTE, « Les Youtubeurs de la haine : un fascisme débonnaire », Mediapart, 14 mars 2021 https://www.mediapart.fr/journal/france/140321/les-youtubeurs-de-la-haine-un-neofascisme-debonnaire
14- David CHAVALARIAS, op. cit.
15- Valérie HACOT, « Les identitaires, nouveau vivier du FN », Le Parisien, 24 juillet 2018, https://www.leparisien.fr/politique/les-identitaires-nouveau-vivier-du-fn-11-05-2018-7711248.php?ts=1701272182641
16- Ellen SALVI, « Le passé identitaire du député RN Grégoire de Fournas est aussi un passif judiciaire », Mediapart, 18 décembre 2023 https://www.mediapart.fr/journal/france/181223/le-passe-identitaire-du-depute-rn-gregoire-de-fournas-est-aussi-un-passif-judiciaire?at_medium=custom7&at_campaign=1046
17- Alice GALOPIN, Thibault LE MENEC, « L'article à lire pour comprendre pourquoi le "grand remplacement" est une idée raciste et complotiste », France Info, 13 mars 2022 https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/l-article-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-le-grand-remplacement-est-une-idee-raciste-et-complotiste_4965228.html
18- Laughing Out Loud, ou « Mort de Rire » en français. Voir Monique DAGNAUD, « De la BOF génération à la LOL génération », Slate, 13 septembre 2010, à consulter ici ; https://www.slate.fr/story/27079/bof-generation-lol-generation
20- Rebecca DAVIS, Alternative Influence, Broadcasting the reactionnary right on YouTube, Data & Society, 2018, p. 5, traduction personnelle https://datasociety.net/wp-content/uploads/2018/09/DS_Alternative_Influence.pdf
21- Ibid., p. 16, traduction personnelle
22- Jen SCHRADIE, L'illusion de la démocratie numérique. Internet est-il de droite ?, éditions quanto, 2022. Voir aussi son interview sur France Inter : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-code-a-change/pourquoi-internet-favorise-la-droite-2707050
23- Elsa GIMENEZ, Olivier VOIROL,"Les agitateurs de la toile. L'internet des droites extrêmes. Présentation du numéro", Réseaux, 2017/2, n. 202-203, p. 9-37 https://shs.cairn.info/revue-reseaux-2017-2-page-9?lang=fr
24- PEW RESEARCH CENTER (2016), Many Americans Believe Fake News Is Sowing Confusion, http://www.journalism.org/2016/12/15/many-americans-believe-fake-news-is-sowing-confusion/ , cité par Franck REBILLARD, « La rumeur du PizzaGate durant la présidentielle de 2016 aux États-Unis. Les appuis documentaires du numérique et de l'Internet à l'agitation politique », Réseaux, 2017/2 (n° 202-203), Éditions La Découverte, p. 278-279 https://shs.cairn.info/revue-reseaux-2017-2-page-273?lang=fr
25- KANTAR, Baromètre de la confiance des Français dans les médias, cité par Franck REBILLARD, op. cit.
26- Franck REBILLARD, op. cit.
27- Rebecca DAVIS, op. cit., p. 16, traduction personnelle
28- « By creating an alternative media system on YouTube, influencers in the AIN express a wish not only to provide an additional, alternative option for young audiences, but also to replace their consumption of mainstream news entirely. » Rebecca DAVIS, op. cit., p. 15
29- « personnes qui modèlent l'opinion publique et promeuvent des biens et services à travers la « calibration consciente » de leur personnalité en ligne » définition de Rebecca DAVIS, op. cit., p. 6, traduction personnelle
30- Ou alt-right, terme dont la paternité est revendiquée par Richard Spencer, militant d'extrême droite états-unien. Il désigne une nouvelle forme d'extrême droite, plus moderne, tournée contre le féminisme, le « gauchisme », et pour un suprémacisme blanc.
31- Le GamerGate est une campagne de cyberharcèlement envers Zoë Quinn, une programmeuse de jeux vidéos, lancée par son ex-petit ami Eron Gjoni, jaloux de la sortie du jeu Depression Quest de Zoë. Elle prend de l'ampleur sur les forums tels que Reddit, 4Chan, 8Chan et Twitter, ou le « 18-25 » de jeuxvideo.com en France, utilisant les algorithmes pour inonder le web de leur rancœur et leurs menaces de mort. cf. Mathilde SALIOU, Technoféminisme, Comment le numérique aggrave les inégalités, Éditions Grasset & Fasquelle, 2023, pp. 35-50
32- Mathilde SALIOU, op. cit., p. 59
33- Mathilde SALIOU, op. cit., p. 57
34- « I've never really listened to Spencer speak before, but it is immediately apparent that he's on a whole different level. » traduction personnelle
35- « YouTube supprime des chaînes racistes, dont celle du polémiste Dieudonné », RTS, 30 juin 2020 https://www.rts.ch/info/monde/11438734-youtube-supprime-des-chaines-racistes-dont-celle-du-polemiste-dieudonne.html
36- Valek, « ANTIRACISME », YouTube, 24 septembre 2019 consultable ici : https://www.youtube.com/watch?v=tHt_L9mz85o&t=485s
37- Lucie DELAPORTE, op. cit.
38- « Une enquête ouverte contre Papacito, le youtubeur d'extrême droite, pour provocation au meurtre », Le Monde, 9 juin 2021 https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/09/une-enquete-ouverte-contre-le-youtubeur-d-extreme-droite-papacito-pour-provocation-au-meurtre_6083462_3224.html
39- « perturber quelque chose parce que c'est amusant » : Lucie RONFAUT, « Des ados ont trollé Trump, et ce n'est pas forcément une bonne nouvelle », Libération, 27 juin 2020. https://www.liberation.fr/planete/2020/06/27/des-ados-ont-trolle-trump-et-ce-n-est-pas-forcement-une-bonne-nouvelle_1792456/ La pratique du trolling prend souvent la forme de remarques hors de propos au milieu d'une conversation, dans le but de la faire dégénérer.
40- Le shitposting (« poster de la merde ») est une variante du troll (ou trolling) qui consiste à littéralement poster de la merde, c'est-à-dire avancer des positions absurdes et contraires au bon sens, dans le but de faire déraper une conversation.
41- Mathilde SALIOU, op. cit.
42- Dont on peut retrouver une liste non-exhaustive de 2013 à 2017 dans cet article : Jules DARMANIN, « La misogynie du forum 18-25 de jeuxvidéo.com est connue depuis des années », BuzzFeed, 3 novembre 2017 https://www.buzzfeed.com/fr/julesdarmanin/jeuxvideocom-des-annees-de-harcelement-misogyne-et-de
43- Achraf BEN BRAHIM, op. cit., p. 53
44- Ibid., p. 57
45- Selon une étude de Médiamétrie. Cité par Mathilde SALIOU, op. cit., p. 39
46- Christophe CECIL-GARNIER, Paul CONGE, « Soirées tuning, cours de drague et jeux vidéo : les nouvelles méthodes de recrutements de l'extrême droite », StreetPress, 4 septembre 2020 https://www.streetpress.com/sujet/1599222757-soirees-tuning-cours-drague-jeux-video-nouvelles-methodes-recrutement-extreme-droite-fn-rn
47- Rapport de l'OTAN, « DEEP ADL - Infographie : Les usines à trolls (Médias - (Dés)information - Sécurité », 3 janvier 2021 https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_175693.htm
48- WU MING 1, Q comme Qomplot. Comment les fantasmes de complot défendent le système, Lux Éditeur, 2022, p. 119
49- Sylvain TRONCHET, « Les "influenceurs du Kremlin", ces Français qui ont choisi de relayer la propagande russe depuis Moscou », France Info, 18 décembre 2023 https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/reportage-les-influenceurs-du-kremlin-ces-francais-qui-ont-choisi-de-relayer-la-propagande-russe-depuis-moscou_6251514.html
50- Siddhartya ROY, « Joe Biden, Kamala Harris Got a Big Social Media Boost from Indian Troll Farms », Newsweek, 2 novembre 2020 https://www.newsweek.com/joe-biden-kamala-harris-got-big-social-media-boost-indian-troll-farms-1544047
51- « Memes have done more for the ethnonationalist movement than any manifesto », in David R. KIRKPATRICK, « Massacre suspect traveled the world but lived on the internet », New York Telegraph, 15 mars 2019. https://www.nytimes.com/2019/03/15/world/asia/new-zealand-shooting-brenton-tarrant.html
52- « Policies that are widely accepted throughout society as legitimate policy options », MacKinac Center for Public Policy, dont Joseph P. Overton a été vice-président https://www.mackinac.org/OvertonWindow
53- Pauline GRAULLE et Ilyes RAMDANI, « Loi immigration : à l'Assemblée nationale, la victoire au goût de débâcle du camp présidentiel », Mediapart, 20 décembre 2023 https://www.mediapart.fr/journal/politique/201223/loi-immigration-l-assemblee-nationale-la-victoire-au-gout-de-debacle-du-camp-presidentiel?at_medium=custom7&at_campaign=1046
54- « Projet de loi immigration : le RN votera pour le texte issu de la CMP, annonce Marine Le Pen, qui salue une "victoire idéologique" », Franceinfo avec AFP, 19 décembre 2023 https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/loi-immigration-le-rn-votera-pour-annonce-marine-le-pen-qui-revendique-une-victoire-ideologique_6254361.html
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Le Frente Amplio remporte les élections en Uruguay

Yamandú Orsi, candidat du parti de centre-gauche Frente Amplio (Front large), a battu son rival du Parti national lors du second tour de l'élection présidentielle en Uruguay, qui s'est tenu fin novembre. Le premier tour avait eu lieu le 24 octobre, simultanément avec les élections législatives et deux référendums.
6 décembre 2024 | tiré d'Inprecor.org | Photo : Comício da Frente Ampla - © Comício da Frente Ampla
https://inprecor.fr/node/4473
Le Frente Amplio large (FA) gouvernera à nouveau le pays suite à sa victoire au second tour des élections qui se sont tenues ce dimanche 24 novembre. Le candidat de la coalition Frente Amplio, le professeur d'histoire Yamandú Orsi, a battu le candidat du Parti national (conservateur) Álvaro Delgado de près de 4 %, ce qui permettra à la formation de centre-gauche d'accéder à nouveau à la présidence du pays.
Orsi était le candidat soutenu par l'ancien président José Mujica et avait remporté les primaires du FA face à Carolina Cosse, qui était, elle, soutenue par les groupes de gauche du Frente Amplio. Battue aux primaires, Carolina Cosse a finalement participé en tant que candidate à la vice-présidence. L'extrême droite représentée par le parti Cabildo Abierto du général de réserve Manini Ríos, qui avait obtenu de bons résultats lors des dernières élections, a cette fois-ci subi une défaite importante et est passée de trois sénateurs et neuf députés en 2019 à seulement deux députés aujourd'hui.
Simultanément au premier tour des élections présidentielles était organisé un plébiscite qui visait à inscrire le thème de la Sécurité sociale dans la constitution comme un droit humain fondamental. Bien qu'il ait près de 40 % des suffrages, le changement n'a pas atteint le niveau nécessaire pour être approuvé. Dans une interview exclusive à la Revista Movimento1 accordée entre les deux tours des élections, la sénatrice suppléante Cecilia Vercellino (PVP/FA) expliquait :
Le plébiscite sur la Sécurité sociale proposait d'incorporer dans la Constitution de la République trois mesures de protection, qui s'opposaient à la loi votée par le gouvernement actuel, et qui allaient beaucoup plus loin : lier les pensions les plus basses au salaire minimum national. En d'autres termes, faire qu'aucun retraité ne gagne moins que le salaire minimum national (ce gouvernement a gelé les pensions, elles n'ont pas augmenté durant tout son mandat) ; rétablir à 60 ans l'âge minimum à partir duquel on peut, si on le souhaite, prendre sa retraite (ce gouvernement a porté l'âge minimum à 65 ans) ; et surtout, principale proposition progressiste, a généré toute la controverse : l'élimination du profit dans la gestion de la Sécurité sociale, ce qui signifie la fin des AFAP (Gestionnaires privés des fonds de retraite par capitalisation en Uruguay). Il ne reste que 12 pays dans le monde avec ce modèle d'AFAPs et l'Uruguay est l'un d'entre eux.
Le FA était divisé sur cette question. Dès le départ, ses dirigeants ont clairement indiqué qu'ils ne soutiendraient aucune proposition de plébiscite, avec ou sans AFAP. Ils ne voulaient ni n'acceptaient de s'engager dans une autre lutte, qu'ils considéraient comme perdue, et qui pouvait, selon eux, détourner l'attention et les forces destinées à la reconquête du gouvernement. Des secteurs comme celui auquel j'appartiens (le PVP, Parti pour la Victoire du Peuple) n'étaient pas et ne sont pas d'accord avec ce point de vue d'une partie de la FA et, avec le Parti socialiste et le Parti communiste (eux aussi partie prenante du FA), nous avons soutenu l'initiative du PIT-CNT (la confédération syndicale uruguayenne) dès le début, bien sûr avec des nuances et des débats, mais nous l'avons fait sans hésitation parce que, si nous devions perdre et si nous avions tort, nous préférerions le faire en soutenant et en appuyant la classe ouvrière organisée.
Le nouveau gouvernement du FA, qui n'aura pas la majorité absolue au parlement à deux sièges près, a déjà annoncé la nécessité de lutter contre la pauvreté en réformant le système de protection sociale pour combattre l'actuelle situation de pauvreté qui affecte environ 20 % des enfants de moins de six ans et de créer un système unique contre le crime organisé.
Publié le 25 novembre 2024 par la revue Movimento, traduit par Luc Mineto
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Russie - Ce que cachent les missiles hypersoniques

Le jeudi 21 novembre Poutine « dévoilait » une nouvelle arme de son arsenal en ordonnant le lancement du missile hypersonique, « Oreshnik » (noisetier), de portée intermédiaire. Un « test » réussi ou une démonstration d'impasse de son « opération militaire spéciale » ?
Hebdo L'Anticapitaliste - 731 (28/11/2024)
Par Catherine Samary
Les États-Unis avaient été informés, 30 minutes avant, du lancement de ce missile sans ogive nucléaire mais capable d'en transporter. Il n'a guère fait de dégâts, frappant une ancienne usine de Dnipro. Il s'agissait pour Poutine d'une opération théâtrale à plusieurs dimensions envers divers publics : faire peur, en Ukraine et auprès des opinions publiques de pays la soutenant ; en poussant d'un cran la rhétorique nucléaire dans ses menaces à destination de l'Occident, en amendant un oukaze pour signifier que toute aide apportée à l'Ukraine signalerait le pays concerné comme « cobelligérant » et susceptible de représailles nucléaires.
Parallèlement, il s'agissait pour Poutine de se montrer rassurant en direction de la population russe, quant aux capacités de défense du pays. Le dirigeant russe s'est réjoui de la réussite d'un « test » — permettant de lancer la production d'autres missiles de ce type. Sauf que son coût serait selon les experts, de 100 à 200 fois supérieur à celui des missiles quotidiennement envoyés sur l'Ukraine (et massivement interceptés). Par ailleurs, l'Ukraine a déjà été confrontée à l'envoi de missiles hypersoniques russes précédemment qualifiés par Poutine d'invincibles. Ce fut le cas en mai 2023, lorsque Kiev s'est servi d'un système antimissile américain Patriot pour détruire un missile Kh-47M2 Kinjal (lancé sur l'Ukraine depuis un MiG-31 russe) et qui, selon Poutine comme il l'a redit pour son « Oreshnik », ne pouvait être intercepté…
Les difficultés du régime poutinien
Mais surtout, Poutine a accompagné sa présentation de l'opération « Oreshnik » d'une mesure significative à destination de ses soldats : l'annulation de leurs dettes — ce qui s'ajoute à plusieurs mesures budgétaires déjà prises pour trouver des volontaires — et aider leur famille lorsqu'ils meurent au front, ce qui est la règle.
Début novembre, selon des services de sécurité étatsuniens, la Russie aurait formé des soldats nord-coréens qui pourraient aller sur le front. Cela marquerait à la fois un tournant de la guerre et un aveu. Jusqu'alors il n'y a eu aucun recours à des troupes étrangères pour se battre aux côtés de Kiev ou de Moscou — mais ce recours soulignerait encore la difficulté de recrutement de soldats — ce qui est également vrai en Ukraine, avec un autre contexte. Poutine s'est tourné vers les populations les plus pauvres du fin fond de la fédération de Russie et a offert des salaires bien supérieurs à ce qu'offre l'industrie, produisant aussi des pénuries de main-d'œuvre de ce côté. L'économie de guerre russe tourne à plein régime et distribue des salaires — mais elle ne permet pas de « vivre » ni de produire ce dont la population a besoin. Et l'inflation risque d'aggraver les tensions.
Globalement, « l'opération militaire » lancée par Poutine en février 2022 était supposée obtenir une chute du gouvernement Zelensky et une soumission de l'Ukraine au « monde russe » en quelques jours. Depuis près de trois ans, les UkrainienNEs résistent toujours (ce qui a surpris Biden et autres forces de l'OTAN) en réclamant les moyens de repousser l'envahisseur (1).
L'Ukraine se bat, en légitime défense
Dans l'attente de négociations qui seraient catalysées par Trump après son investiture, les deux parties cherchent à consolider leur position. Selon la presse étatsunienne, le président Biden a autorisé Kiev à effectuer sous sa supervision des attaques sur le territoire russe avec des missiles d'une portée de 300 km capables d'atteindre la région de Koursk (2) où seraient les forces nord-coréennes. Il s'agirait de dissuader celles-ci d'intervenir et de cibler des sites militaires d'où partent les attaques répétées sur les infrastructures et populations de l'Ukraine depuis des mois — faisant des milliers de morts et centaines de milliers de blesséEs.
Cette guerre a transformé le régime russe dans un sens fascisant – tuant ses opposantEs, les emprisonnant ou les forçant à s'exiler (3), (4). Elle a aussi creusé des haines « anti-russes » même dans les régions russophones de l'Ukraine. Sans que cesse l'aveuglement d'une partie des gauches dans le monde dont le seul ennemi impérial possible était l'Otan — et qui, pour certains, voient en Poutine une alternative progressiste à l'Occident.
L'ère Trump ouvre de grandes incertitudes. Notre rôle est d'aider la résistance populaire en Ukraine (5) — armée et non armée, et indépendante des gouvernants — et les opposantEs russes à la guerre en construisant les alternatives internationalistes (6).
Catherine Samary
1. https://lanticapitaliste…
2. https://lanticapitaliste…
3. https://inprecor.fr/node…
4. https://links.org.au/aut…
5. https://inprecor.fr/node…
6. https://lanticapitaliste…
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Martinique : Halte à la répression ! Libérez Petitot ! Non à la criminalisation de la contestation sociale !

Certes, donner des injonctions de fermeture des mairies aux élu-e-s de la population n'est pas très conventionnel. Certes, leur crier de façon assez lapidaire « NOU KÉ ATAKÉ ZOT », c'est prêter le flanc aux polémiques qui jouent sur les ambiguïtés.
30 novembre 2024 | • Inprecor. 3 décembre 2024 | Photo : Rodrigue Petitot, Le R, arrive au tribunal de Fort-de-France, le 15 novembre 2024. • ©Kelly Babo
https://inprecor.fr/node/4466
Mais, à qui fera-t-on croire que Préfet et Procureure de la République, qui scrutent à la loupe toute déclaration du RPPRAC ignoreraient que les attaques en question concernent le terrain électoral dans lequel cette organisation a déclaré publiquement vouloir se lancer ?
À qui fera-t-on croire que l'appel à la répression exprimé par un grand nombre d'élu-e-s (territoriaux ou municipaux), est autre chose qu'une couverture pour la propre impuissance dans laquelle les plonge le système colonial ?
Le prétexte à la répression contre Petitot ne trompe que les naïfs. Le harcèlement judiciaire actuel n'est que la mise en exécution du plan sinistre de Retaillau, dont tout le monde sait que les jours comme ministre, sont comptés jusqu'au renversement du gouvernement illégitime, rétrograde, et liberticide du sieur Barnier.
Le GRS réclame la libération immédiate de Petitot et de tous les contestataires victimes de la criminalisation du mouvement social. Une honte pour la prétendue « patrie des droits de l'Homme » !
Le mouvement ouvrier et démocratique se doit de s'opposer fermement à la répression qui, en dernière instance, s'attaquera à tout ce qui bouge, si on laisse faire ! La mobilisation contre la vie chère, pour une vie digne, pour l'emploi, la santé, l'École, et pour notre liberté, est un seul et même combat.
Fort-de-France le 30 novembre 2024
Groupe Révolution Socialiste
P.-S.
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Dialogue Binet-Tanuro : le défi écologique passé au crible

C'est une initiative de la CGT de Loire Atlantique (44) réalisée en mai 2024 : un dialogue entre Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT et Daniel Tanuro, ingénieur agronome et auteur d'ouvrages sur le défi écologique avec notamment son dernier livre : « Ecologie, luttes sociales et révolution » (La Dispute). Un débat qui aborde (presque) toutes les questions : les limites de la planète, la contradiction entre le « social » et « l'environnemental« , la sécurité sociale professionnelle et environnementale, la décroissance mondiale de la production énergétique (sans pénaliser les pays pauvres), le sens du mot « production« , du « travail » et de l'industrie, et aussi les sources de luttes et d'espoir. Un échange très fécond. Plus bas, noter aussi un autre dialogue entre le même Daniel Tanuro et Sébastien Menesplier (secrétaire confédéral chargé de l'environnement) dans le cadre de « journées de l'écosyndicalisme » à Nantes en avril 2024.
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Déclaration de la confédération syndicale de Géorgie contre la répression.

L'Union des syndicats professionnels de Géorgie déclare qu'il n'y a pas d'alternative à l'intégration européenne, c'est la volonté inébranlable du peuple géorgien inscrite dans la Constitution géorgienne. Les autorités et chaque membre de la société ont l'obligation et la nécessité vitale de concentrer leurs efforts sur une intégration rapide dans l'Union européenne.
4 décembre 2024 |tiré d'Arguments pour la lutte sociale
Jusqu'à présent, chaque progrès du pays dans des directions différentes est lié au processus d'intégration européenne, et chaque défi qui inquiète la population de notre pays ne peut être résolu qu'en introduisant des normes européennes, avec une large participation du public. C'est pourquoi nous pensons que la décision du gouvernement de refuser d'ouvrir les négociations jusqu'en 2028, ainsi que le nom du candidat à la présidentielle qu'il a désigné, auraient dû être connus du public avant les élections.
Nous considérons que seule l'intégration européenne permettra d'assurer le bien-être de la société, la sécurité sociale, un emploi décent et, en général, une protection et un respect inébranlables des droits humains.
Nous condamnons catégoriquement l'excès évident de force de la part des forces de l'ordre, qui s'est manifesté par la violation des droits des représentants des médias et des participants aux manifestations, y compris par la violence physique. Nous pensons que chaque auteur et toutes les personnes responsables doivent être identifiés et tenus responsables immédiatement.
Il est également nécessaire de prévenir les actes de violence et de vandalisme contre les forces de l'ordre de la part des personnes impliquées dans la manifestation.
L'Union des syndicats professionnels de Géorgie est prête à fournir une assistance juridique à toutes les personnes dont les droits du travail seront violés en raison de l'exercice de la liberté d'expression ou d'autres droits légaux.
Syndicat professionnel des travailleurs des transports et de la route de Géorgie
Syndicat des métallurgistes, des industries minières et chimiques
Syndicat ferroviaire
Union des syndicats professionnels d'Abkhazie
Syndicat Professionnel des Travailleurs du Métro
Syndicat Professionnel des Énergéticiens
Union professionnelle des travailleurs de la connectivité
Syndicat Professionnel des Travailleurs Médicaux, Pharmacie et Protection Social
Union professionnelle des marins
Syndicat Professionnel des Bâtisseurs et Travailleurs Forestiers
Syndicat professionnel des travailleurs du secteur des services, des services publics et des banques
Syndicat professionnel des travailleurs de l'industrie pétrolière et gazière
Union professionnelle des fonctionnaires
Union professionnelle de l'art, des médias, des institutions culturelles et éducatives, des travailleurs du sport et du tourisme.
Syndicat libre des enseignants et des scientifiques de Géorgie (SPMTP)
Le 2 décembre 2024.
Source : RESU
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Une interview de Yuriy Samoilov, dirigeant du syndicat indépendant des mineurs ulrainiens

Yuriy Samoilov est un dirigeant du Syndicat indépendant des mineurs d'Ukraine (NPGU-KVPU) à Kryvyi Rih et un militant de l'organisation ukrainienne de gauche Sotsialnyi Rukh (Mouvement social). Dans cet entretien avec Federico Fuentes pour LINKS International Journal of Socialist Renewal, réalisé avec l'aide de Serhii Shlyapnikov, Samoilov donne une perspective syndicale et de gauche sur la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Il explique comment les syndicats font face au double défi de l'occupation étrangère et des attaques contre les droits des travailleurs, ainsi qu'à la nécessité d'une solidarité internationale avec les travailleurs ukrainiens.
Federico Fuentes
3 décembre 2024 | Links - Traduction Patrick Le Tréhondat
Quels ont été les effets sur le moral de la population des attaques incessantes de la Russie contre les infrastructures énergétiques ?
L'été [juin-août] a été marqué par de nombreuses attaques contre les infrastructures énergétiques. Tout le monde fait des réserves de générateurs et de batteries. Le chauffage n'a pas encore été allumé dans les grands bâtiments, mais il a neigé hier [13 novembre], de sorte que les gens sont déjà gelés et craignent l'hiver à venir, en particulier les personnes âgées et celles qui ont des enfants. À Kryvyi Rih, les attaques russes se concentrent désormais sur les zones résidentielles et les hôtels. Quatre hôtels ont été détruits, ainsi que plusieurs bâtiments résidentiels. Des civils, des familles entières, ont été tués. Il y a quelques jours, une frappe a eu lieu près de notre bureau syndical. Un grand bâtiment de cinq étages a été détruit. Plusieurs personnes sont mortes, dont une mère et ses trois jeunes enfants, dont le plus jeune n'avait que sept mois. Le père n'a survécu que parce qu'il était au travail. Les enfants doivent étudier dans les sous-sols ou en ligne. Tout le monde craint de nouvelles attaques. En ce qui concerne les installations énergétiques, les Russes ont bombardé tout ce qu'ils pouvaient. Les seules cibles restantes sont les centrales nucléaires, mais les frapper représenterait une situation tout à fait différente. Si une centrale nucléaire était bombardée, les radiations se propageraient également à l'Ouest. Si un missile touchait la centrale nucléaire de Rivne, toute la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la République tchèque seraient touchées par les radiations. Il est possible qu'ils commencent à bombarder certaines sous-stations de distribution à proximité des centrales nucléaires ; nous y sommes habitués parce qu'ils l'ont fait l'année dernière.
Comment le gouvernement et les syndicats ont-ils réagi aux attaques contre les habitations ?
Le gouvernement verse des indemnités aux personnes qui perdent leur logement. Lorsque les maisons peuvent être réparées, les autorités locales procèdent aux restaurations. D'après ce que je vois, cela se fait assez rapidement. En ce qui concerne les syndicats, lorsque la maison d'un membre est détruite, nous fournissons un logement temporaire.
Les syndicats, en particulier les sections locales telles que les mineurs de Kryvyi Rih, ont joué un rôle important dans la résistance ukrainienne. Comment les syndicats ont-ils contribué à la défense de la souveraineté de l'Ukraine ?
La moitié des membres du NPGU ont rejoint le front dès le début de la guerre. Ils se sont engagés dans la défense territoriale ou ont été incorporés dans l'armée. Aujourd'hui, environ 70 % de ceux qui étaient syndiqués au début de la guerre combattent. Les syndicats soutiennent fortement ceux qui se battent parce qu'ils restent syndiqués. Mais le nombre de syndiqués a diminué à cause de la guerre. Nous couvrons les travailleurs des grandes entreprises, où il est plus facile de recruter des militaires. Aujourd'hui, il existe des exemptions qui empêchent les travailleurs d'être enrôlés dans l'armée. Mais en général, tout le monde se sent poussé à aller se battre. Les centres de formation de la défense territoriale sont très durs et fonctionnent sur le mode de la provocation. Les recruteurs pénètrent dans des entreprises comme ArcelorMittal, mais les syndicats s'y opposent.
Comment la guerre a-t-elle affecté le travail normal des syndicats ? Les syndicats ont-ils dû mettre de côté leurs propres revendications et actions, telles que des grèves pour maintenir les salaires, afin de ne pas être perçus comme sapant l'effort de guerre ?
Actuellement, à l'usine de minerai de fer de Kryvyi Rih, nous sommes impliqués dans un conflit du travail. Malgré la guerre, nous demandons une augmentation de salaire de 20 %. Nous négocions dans le cadre légal dont nous disposons. Avant la guerre, les grèves et les manifestations étaient reconnues comme légales par les tribunaux. Aujourd'hui, nous continuons à faire valoir nos revendications sans recourir aux manifestations ou aux grèves. Nous sommes en effet limités dans les actions que nous pouvons entreprendre pour protéger nos droits.
Comment les syndicats ont-ils réagi aux mesures prises par le parlement ukrainien, la Verkhovna Rada, pour restreindre les droits des travailleurs ?
La classe ouvrière et les syndicats n'ont pas de parti à la Verkhovna Rada qui représente leurs intérêts. Le seul député issu d'un syndicat est Mykhailo Volynets, qui appartient à la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU) et est membre de la faction parlementaire Batkivshchyna (Patrie). Surfant sur la vague d'espoir que représentait Volodymyr Zelensky en 2019, plusieurs partis sans véritable idéologie sont entrés à la Verkhovna Rada. Les syndicats ne savent pas comment travailler avec ces partis. Ils n'ont pas non plus trouvé les moyens d'amender la législation au parlement à cause de la guerre. En revanche, les syndicats ont déjà fait échouer les tentatives d'adoption d'un nouveau Code du travail. En Ukraine, le Code du travail adopté à l'époque de l'Union soviétique est toujours en vigueur [contrairement à la Russie, où il a été aboli au début de la présidence de Vladimir Poutine en 2001]. Et malgré toutes les lois de décommunisation, ils n'ont pas encore réussi à « décommuniser » le Code du travail. C'est grâce au travail des syndicats et à l'intervention des organisations syndicales internationales.
Des rapports occidentaux font état d'une lassitude croissante à l'égard de la guerre en Ukraine. Que pensent les Ukrainiens des spéculations sur ce qui serait très probablement un accord de paix injuste ?
Plus que la fatigue, qui est déjà passée, nous avons maintenant l'apathie. L'apathie, c'est pire. La plupart des gens n'attendent plus rien. J'ai l'impression qu'il s'agit d'une répétition de 1943 [lorsque la moitié de l'Ukraine était sous l'occupation nazie et que les perspectives de victoire semblaient incertaines]. J'ai l'impression que le soutien occidental à l'Ukraine va disparaître et que nous serons laissés seuls face à l'impérialisme russe.
Nombreux sont ceux qui partagent vos craintes quant à une baisse du soutien occidental ?
Nous nous trouvons dans une situation similaire à celle de la Tchécoslovaquie en 1938 - ceux qui connaissent l'histoire comprendront ce que je veux dire. Les dirigeants européens et américains considèrent la situation de la même manière qu'à l'époque, lorsque l'Europe cherchait des moyens d'apaiser Hitler. Comme beaucoup d'autres pays, l'Ukraine n'est pas considérée comme faisant partie du monde « civilisé ». En ce sens, il n'y a pas de distinction entre nous et les nations d'Amérique latine, d'Asie ou d'Afrique et l'Occident nous traite tous de la même manière.
Les pays occidentaux ont utilisé l'aide militaire à l'Ukraine comme prétexte pour réduire les dépenses sociales dans leur pays. Que diriez-vous aux gouvernements qui cherchent à utiliser la juste guerre d'autodéfense de l'Ukraine pour mener des attaques régressives contre leurs propres travailleurs et syndicats ?
En Ukraine, les droits sociaux des travailleurs et des syndicats sont également réduits. Plusieurs lois ont été adoptées qui réduisent considérablement les droits des travailleurs et du personnel militaire. Les pensions ont été réduites : avant la guerre, il était rare que les pensions soient réduites, mais aujourd'hui, ce sont les retraités qui sont visés. Même les personnes handicapées sont visées, avec un projet de loi en cours de discussion qui les privera du droit de réclamer des dommages et intérêts à leur employeur en cas de blessure ou de perte de capacité de travail. Cette mesure s'appliquera également au personnel militaire. Les gouvernements des autres pays observent la situation et cherchent à suivre la même voie. Ils cherchent n'importe quelle excuse pour réduire les prestations sociales des travailleurs. Nous ne devrions pas écouter de telles excuses.
Comment les syndicats ont-ils réagi au « plan de victoire » récemment annoncé par Zelensky ?
Un plan ne se limite pas à cinq mots sur une page. Un plan nécessite un ensemble complet d'actions à mettre en œuvre dans tout le pays. Ce n'est pas le cas. Par exemple, nous ne disposons pas d'une véritable mobilisation militaire. Il est vrai que nous attendons le soutien de l'Occident mais, à l'intérieur, nous sommes mal organisés. L'Ukraine dispose d'un énorme potentiel militaro-industriel, notamment en termes de personnes compétentes capables de développer des armes modernes. Mais aujourd'hui encore, les entreprises minières et métallurgiques ne reçoivent pas de commandes de minerai de fer ou de métal de l'intérieur du pays. De nombreuses entreprises industrielles ukrainiennes pourraient fonctionner, mais ne le font pas pour l'instant.
Comment les syndicats [internationaux] peuvent-ils aider au mieux leurs homologues ukrainiens ?
Bien qu'ils disent que je ne devrais pas aborder ce sujet, il est important de souligner que les syndicats internationaux ont seulement suspendu l'adhésion des syndicats russes qui soutiennent l'agression militaire contre l'Ukraine. La seule confédération à avoir exclu son syndicat russe affilié pour son soutien à la guerre est l'UITA [Union internationale des travailleurs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes]. Aucune autre structure syndicale n'a expulsé de syndicats russes soutenant l'agression militaire. Depuis 2014, les biens des syndicats de Crimée et des territoires occupés ont été remis à des syndicats jaunes basés en Russie. Ces mêmes syndicats sont profondément ancrés dans les syndicats européens et mondiaux. Je ne connais pas toute la situation, mais j'aimerais savoir comment les syndicats mondiaux et européens peuvent accepter de l'argent d'un agresseur aux mains pleines de sang. Une partie des cotisations perçues par ces syndicats provient de régions d'Ukraine ensanglantées. Je pourrais dire la même chose des Nations unies. Récemment, [le secrétaire général de l'ONU António] Guterres s'est rendu à un sommet des BRICS à Kazan, où une photo a été prise de lui serrant la main de Poutine, la tête baissée. Où avons-nous vu une telle photo auparavant ? Lorsque le dernier président de la première République tchèque a serré la main d'Hitler. La même posture. La même photo. Le moins que l'on puisse attendre des organisations internationales est qu'elles ne se salissent pas les mains avec le sang de l'impérialisme russe.
J'ai entendu dire qu'il y avait également un mécontentement à l'égard de la Croix-Rouge.
Je pense qu'il serait bon que les syndicats protestent devant les sièges de la Croix-Rouge dans différents pays, car la politique actuelle de la Croix-Rouge facilite manifestement l'agression. La Croix-Rouge vient inspecter les camps et les prisons où sont détenus les prisonniers de guerre russes en Ukraine. Pourtant, il n'y a pas eu un seul rapport sur la condition des prisonniers de guerre ukrainiens dans les prisons russes, bien que de nombreux Ukrainiens soient morts dans les prisons russes, comme le documente le bureau du procureur ukrainien, et que beaucoup d'autres aient été tués en se rendant sur le champ de bataille.
Pensez-vous que les syndicats internationaux et les organisations de gauche n'apportent pas d'aide à l'heure actuelle ?
Il est important de dire qu'une aide est apportée. Par exemple, notre ville a été privée d'eau potable. Cela a créé une situation que je n'ai vue nulle part ailleurs, où les magasins ne vendent que de l'eau potable. À Kryvyi Rih, ces magasins sont nombreux et vendent de l'eau propre à 2,50 dollars le litre. En réaction, des syndicats d'Europe et du monde entier, ainsi que des groupes de gauche, ont collecté des fonds pour acheter des filtres afin que nous puissions distribuer de l'eau gratuitement à certaines parties de la population. Mais de nombreux groupes de gauche continuent à défendre des positions pro-russes. Ils pensent qu'il n'y a qu'un seul impérialisme, l'impérialisme américain, et affirment que l'impérialisme russe n'existe pas. Or, il existe de nombreux impérialismes. Les groupes de gauche indépendants et les syndicats peuvent nous aider en parlant au monde de la gauche indépendante en Ukraine et du fait qu'il y a des Ukrainiens de gauche qui se battent sur le front et qui organisent les travailleurs. C'est important car beaucoup considèrent que les politiques de gauche sont liées à l'impérialisme russe. Au contraire, nous devons construire un internationalisme au sein du mouvement syndical qui cherche à unir tous les travailleurs du monde - en Europe, aux États-Unis, en Amérique latine, en Afrique, en Asie et en Ukraine.
2 décembre 2024
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Extrême droite sur Internet : la montée des influenceur·ses nationalistes

Si Internet favorise l'extrême droite, c'est aussi parce que ses stratégies de communication s'y sont adaptées, notamment en utilisant les techniques issues du marketing. La communication policée du RN lui donne un vernis de respectabilité, tout en favorisant tout un écosystème d'influenceurs et de groupes plus radicaux où les discours racistes se libèrent. Analyse.
3 décembre 2024 | Billet de blog
https://blogs.mediapart.fr/tanguy-delaire/blog/031224/extreme-droite-sur-internet-la-montee-des-influenceur-ses-nationalistes
Pour lire l'ensemble de l'article cliquez sur ce lien
Conclusion
Les discours de l'extrême droite se sont adaptés aux codes de l'internet pour asseoir sa domination. Gardant son côté sulfureux historique, tout en reprenant l'humour léger de la publicité et le cynisme des forums Internet, elle a réussi à faire de l'internet un porte-voix pour ses idées excluantes. La médiatisation par les marges des groupuscules les plus violents a permis aux groupes plus institutionnels et policés comme le RN de se hisser aux postes d'élu·es, tout en se démarquant de cette image de milices qui lui collait à la peau. Comme une division du travail idéologique, on voit les représentant·es de partis d'extrême droite afficher une image de respectabilité et d'ouverture, en encourageant en douce les groupes les plus radicaux à saturer la toile de discours racistes et d'appels au meurtre.
Ce jeu entre partis « officiels » et groupuscules radicaux permet à l'extrême droite de déplacer la fenêtre d'Overton. Cette métaphore a été imaginée par le sociologue du même nom pour désigner les opinions considérées comme acceptables par l'opinion publique, et donc susceptibles d'être introduites dans la législation [1]. Toute opinion exprimée dans l'espace public qui se trouverait en dehors de cette fenêtre métaphorique serait par défaut discréditée comme insensée ou trop extrême. Par exemple, la prohibition de l'alcool aux États-Unis a duré pendant 13 ans (de 1920 à 1933). Elle était donc acceptable politiquement à ce moment précis de l'Histoire, à cet endroit du monde. En 2024, un·e politicien·ne qui proposerait l'interdiction de la vente et de la consommation d'alcool serait sûr·e de ruiner son image et sa carrière. Elle n'est plus dans la fenêtre d'Overton.
De même, la théorie du « grand remplacement » est longtemps restée confinée à d'obscurs groupuscules ou des terroristes (Brenton Tarrant a intitulé son manifeste « Le grand remplacement » avant de tuer 50 personnes à la sortie d'une église néo-zélandaise). Elle est désormais reprise dans de nombreux médias (notamment la chaîne CNews, possédée par Vincent Bolloré) et par de nombreux responsables politiques d'extrême droite ; d'abord cantonnée à Éric Zemmour et ses soutiens, elle est passée au Rassemblement National et même maintenant au groupe politique « centre-droit » Renaissance.
L'agenda médiatique actuel est déplacé vers les problématiques de l'extrême droite, qui saturent petit à petit le débat politique. Les discours racistes des marges se retrouvent au cœur des gouvernements et de leurs politiques, que les élu·es soient ou non affilié·es à des partis d'extrême droite. En France, la loi sur l'immigration, proposée par Renaissance, pourtant désigné par le ministère de l'Intérieur comme « centre-droite » a été votée par 100% des parlementaires du RN tandis que 22% des parlementaires de Renaissance s'abstenaient ou votaient contre. Une première dans ce mandat [2]. Marine Le Pen a d'ailleurs qualifié ce vote de « victoire idéologique » [3].
[1] « Policies that are widely accepted throughout society as legitimate policy options », MacKinac Center for Public Policy, dont Joseph P. Overton a été vice-président https://www.mackinac.org/OvertonWindow
[2] Pauline GRAULLE et Ilyes RAMDANI, « Loi immigration : à l'Assemblée nationale, la victoire au goût de débâcle du camp présidentiel », Mediapart, 20 décembre 2023 https://www.mediapart.fr/journal/politique/201223/loi-immigration-l-assemblee-nationale-la-victoire-au-gout-de-debacle-du-camp-presidentiel?at_medium=custom7&at_campaign=1046
[3] 54 « Projet de loi immigration : le RN votera pour le texte issu de la CMP, annonce Marine Le Pen, qui salue une "victoire idéologique" », Franceinfo avec AFP, 19 décembre 2023 https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/loi-immigration-le-rn-votera-pour-annonce-marine-le-pen-qui-revendique-une-victoire-ideologique_6254361.html

La collaboration syndicale internationale contre l’extrême droite est absolument vitale

Ce qui est plus important, c'est que nous renforcions notre travail de solidarité pratique au cours des 12 prochains mois. Je sais que l'on pourrait dire que chaque année a été cruciale dans cette guerre, et chaque année dans une guerre est par définition cruciale. Mais il est évident que les forces armées ukrainiennes ont subi des revers récemment.
tiré de Entre les lignes et les mots
Le Public and Commercial Services Union (PCS) a été l'un des premiers au Royaume-Uni à défendre l'Ukraine et le mouvement syndical ukrainien après l'invasion russe du 24 février 2022. Avec le recul, comment évaluez-vous ce que vous avez accompli ?
John Moloney : Au début, je pense que nous étions potentiellement un catalyseur important pour d'autres syndicats, dans la mesure où nous étions un syndicat de taille moyenne avec des références de gauche et compte tenu du fait, en particulier, que notre secrétaire général de l'époque, Mark Serwotka, s'est montré très ferme dès le premier jour en faisant passer le message que le syndicat devait être du côté du peuple et du mouvement syndical d'Ukraine.
Je pense que cela a non seulement eu un impact évident en incitant les gens à soutenir cette position au sein de notre syndicat, mais aussi, dans une moindre mesure, dans d'autres syndicats. C'était un point de départ important. Je pense que le fait que nous ayons été fermes dans notre soutien malgré les défis (comme nos propres conférences l'ont démontré) a signifié que peut-être l'Ukraine a été perçue par d'autres syndicats comme une question importante qui devrait être défendue, et que, au sein des syndicats où la question est encore en cours de décision, le débat interne est également une bonne chose. En fin de compte, ce débat a abouti à ce que je pense être la bonne conclusion.
Je pense donc que notre adoption précoce, si vous voulez, a eu ce type d'importance pour le mouvement syndical et, évidemment, lorsqu'il s'est agi du Congrès des syndicats, lorsque la décision a été prise sur la position intersyndicale à adopter à propos de l'Ukraine. Je ne veux pas trop insister sur notre influence, mais je pense que le fait que nous ayons, avec d'autres syndicats, pesé de tout notre poids en faveur de cette position a eu son importance.
Il est évident que nous ne pouvons pas refaire l'histoire, mais un certain nombre de syndicats qui ont par la suite adopté une position en faveur des syndicats ukrainiens ne l'ont peut-être pas fait, ou nous avons pu constater qu'ils ont été retardés dans l'adoption de cette position.
L'ancien gouvernement conservateur et l'actuel gouvernement travailliste ont affirmé à maintes reprises que « nous sommes aux côtés de l'Ukraine ». Quelle évaluation le PCS fait-il de la qualité de ce soutien ? Que faut-il faire d'autre, le cas échéant ?
Tout d'abord, elle est épisodique. Ainsi, lorsqu'il s'agit d'aide et d'argent à l'Ukraine, cela a tendance à être retardé.
En d'autres termes, il n'y a pas de financement régulier de l'État ukrainien, il n'y a pas d'aide régulière. De même, au Royaume-Uni, il y a chaque année d'énormes quantités de véhicules usagés que l'État, par l'intermédiaire du ministère de la défense, de la fonction publique ou des forces de police, met tout simplement au rebut, alors qu'ils pourraient en fait être recyclés et envoyés en Ukraine. Il en va de même pour le matériel radio, les batteries, le matériel médical, etc. En d'autres termes, l'État ne s'est, à mon avis, pas totalement mobilisé en termes d'aide.
Nous avons essayé de convaincre les parties de l'État qui ont le pouvoir d'arrêter la mise à la casse ou la vente de ces véhicules de les exporter directement vers l'Ukraine. Mais nous avons beaucoup de mal à persuader les différentes parties de l'État de le faire. Il y a donc une dichotomie : d'un côté, un ministre peut affirmer qu'il soutient pleinement l'Ukraine, mais de l'autre, lorsqu'il s'agit d'une procédure ministérielle formelle, il donne son accord pour que, disons, 100 véhicules partent à la casse ou soient vendus parce qu'ils ont atteint leur date de fin d'utilisation. Cette personne ne demande pas : « Ukraine, voulez-vous ces cent véhicules ? » alors qu'en général, c'est l'Ukraine qui les veut.
La situation est similaire pour ce que nous considérons comme des produits de consommation courante, tels que les piles, les seringues, etc. qui, dans ce pays, existent littéralement par millions. Il n'y a pas de mobilisation systématique pour mettre ce matériel à la disposition de l'Ukraine.
En ce qui concerne une question aussi simple que l'annulation de la dette, la Grande-Bretagne, du moins officiellement si j'ai bien compris, n'a rien dit au sujet des dettes croissantes de l'Ukraine. Mais il semble que le Royaume-Uni, et évidemment les États-Unis aussi, soient presque satisfaits de voir l'Ukraine accumuler des dettes énormes pour tenter de rester dans la guerre. La position du PCS est qu'il devrait y avoir une remise de dette afin que l'Ukraine, après la guerre, n'ait pas à passer littéralement des décennies à rembourser la Grande-Bretagne et les États-Unis.
Enfin, la Grande-Bretagne n'exerce aucune pression sur le gouvernement Zelensky en ce qui concerne les droits syndicaux. Certains pays de l'Union européenne (UE) disent qu'ils le feront, évidemment si l'Ukraine veut accéder à l'UE.
Pour accéder à l'UE, l'Ukraine doit respecter certains droits fondamentaux, mais en ce qui concerne les droits syndicaux, les gouvernements britanniques se sont montrés totalement indifférents, pour autant que nous puissions le constater.
Le parti travailliste n'est au pouvoir que depuis quelques mois et, pour l'instant, il n'a pas soulevé la question des droits syndicaux en Ukraine. Nous pensons qu'ils devraient le faire.
Le travail de la campagne de solidarité avec l'Ukraine (USC) depuis plus d'une décennie est largement responsable du fait que l'Ukraine bénéficie d'un soutien majoritaire au sein du monde du travail organisé au Royaume-Uni. Ce soutien est, par exemple, supérieur à celui obtenu dans de nombreux pays de l'Union européenne, à l'exception, peut-être, de la France. Quels sont pour vous les principaux enseignements de ce succès ?
Eh bien, tout d'abord, chaque pays devrait avoir un Chris Ford [organisateur de l'USC] ! Je veux dire que la raison pour laquelle l'USC a connu un succès relatif et certainement disproportionné par rapport à son nombre est littéralement le dévouement pur et simple, mais aussi la nature systématique de son travail.
Littéralement chaque semaine, elle fait quelque chose. Il ne s'agit donc pas d'une de ces campagnes où l'on organise une série de réunions et où, entre les réunions, la campagne passe son temps à attendre la réunion suivante ! L'USC a certainement concentré son travail sur des aspects pratiques, tels que l'adhésion des syndicats à une position de soutien à l'Ukraine, mais elle s'est également montrée infatigable dans la collecte de fonds.
En d'autres termes, elle peut honnêtement démontrer aux syndicats ukrainiens qu'au cours de cette période, nous avons collecté des dizaines de milliers de livres sterling et que nous avons expédié ceci, nous avons expédié cela. Je pense donc que l'une des choses que les autres peuvent apprendre de l'USC est qu'elle s'est concentrée, si l'on peut dire, sur un ensemble d'objectifs très étroits. Elle a des objectifs politiques plus larges, mais les deux objectifs qu'elle s'est fixés sont (1) de gagner le débat au sein des syndicats au Royaume-Uni et (2) de démontrer aux gens qu'ils peuvent faire quelque chose de concret pour l'Ukraine.
Ils ont accepté pour eux-mêmes, si l'on peut dire, des objectifs limités mais très exigeants, se sont tenus à ce qu'ils voulaient faire et ne se sont pas laissés distraire. Je pense que ce sont des leçons que d'autres campagnes de solidarité autour de l'Ukraine dans d'autres pays pourraient tirer.
Quels sont les principaux défis à relever pour renforcer la solidarité avec l'Ukraine au sein des syndicats britanniques ?
Il est clair que tous les syndicats ont des centres d'intérêt différents. En Grande-Bretagne, si vous êtes un syndicat affilié au parti travailliste, votre principale préoccupation au cours des derniers mois a été les récentes élections. Il est clair que le mouvement syndical s'est concentré, à juste titre, sur les nouveaux droits que le gouvernement travailliste accordera aux syndicats et aux travailleurs, ainsi que sur les discussions et les campagnes menées autour de cette question.
La bande de Gaza est également devenue de plus en plus un axe majeur du travail international des syndicats. Le principal défi consiste donc à savoir si un syndicat choisira de mettre l'accent sur l'Ukraine, car il est tout à fait compréhensible qu'il y ait de nombreuses possibilités de mettre l'accent sur ce sujet.
Pour le PCS, il s'agit simplement de revenir aux premiers principes, qui s'appliquent à Gaza et à l'Ukraine et sur lesquels mon syndicat a une position très claire. Si l'on croit à la solidarité fondamentale avec les peuples victimes d'invasions, celle-ci doit s'appliquer à l'Ukraine tout autant qu'elle s'applique, à juste titre, à la Cisjordanie et à Gaza. C'est donc le maintien de cette attention particulière à l'Ukraine qui constitue, je pense, le principal défi à l'heure actuelle.
Une grande partie du travail de solidarité avec les syndicats ukrainiens se fait de syndicat à syndicat, voire de section syndicale à section syndicale. Quel(s) niveau(x) syndical(aux) le PCS privilégie-t-il dans son travail de solidarité avec les organisations syndicales ukrainiennes ?
Au sein du PCS, nous n'avons guère réussi à inciter les branches individuelles à travailler sur cette question. Il y a des exceptions, mais je pense que nous devons admettre que nous n'avons pas réussi à mobiliser des pans entiers de la base pour faire du travail de base en rapport avec l'Ukraine. Pratiquement tout le travail a eu tendance à être un travail de « haut niveau ». Ainsi, le Comité exécutif national (CEN) a envoyé une délégation en Ukraine, le CEN a accepté d'envoyer de l'argent et de l'aide médicale, etc. à l'Ukraine. Malheureusement, nous avons lamentablement échoué à mobiliser, comme je l'ai dit, la base pour faire ces choses.
Cela dit, nous avons eu trois séries de débats sur l'Ukraine lors de la conférence et de larges majorités ont voté pour soutenir le mouvement syndical ukrainien et le peuple ukrainien. Mais ce que nous n'avons pas réussi à faire, c'est, si l'on peut dire, de prendre ce soutien de la base tel qu'il a été démontré lors de la conférence et de le traduire en un travail important au niveau des branches.
Avez-vous un plan ou une idée sur la manière dont vous pouvez commencer à changer cela ?
Là encore, nous devons nous inspirer du livre de jeu de l'USC et faire ce travail de manière beaucoup plus systématique. Comme je l'ai dit, nous apportons notre aide là où nous le pouvons. Par exemple, l'USC nous a récemment demandé de discuter avec les différentes régions de l'État pour savoir si des batteries de véhicules de rechange, des vestes de pompiers, etc. pouvaient être données à l'Ukraine. Nous l'avons fait, mais nous avons tendance à attendre qu'on nous le demande.
Ce que nous devons développer, c'est une masse critique d'activistes, afin de pouvoir commencer à travailler de manière beaucoup plus systématique. Je pense et j'espère que le troisième anniversaire de l'invasion russe, qui aura lieu en février prochain, nous permettra d'essayer de lancer une campagne plus sectorielle, de rassembler un petit nombre de personnes pour qu'elles effectuent un travail plus systématique.
Au niveau du militantisme syndical politique conscient, la bataille sur la politique à l'égard de l'Ukraine a, dans le cas du Royaume-Uni, été menée entre les positions de l'UCS et celles de la Stop the War Coalition, cette dernière perdant, semble-t-il, progressivement du terrain syndicat après syndicat. Comment expliquez-vous cette tendance ? Pensez-vous que la solidarité et le soutien à l'Ukraine au sein des syndicats se sont consolidés au point qu'il est difficile d'envisager un retour en arrière ?
Pour nous, au sein du PCS, les faits sur le terrain étaient très clairs. Ainsi, l'argument avancé par certains au début de la guerre, selon lequel c'était l'Ukraine qui avait en quelque sorte poussé la Russie à l'invasion, était tellement faux qu'il était impossible à soutenir.
Certaines personnes ont également immédiatement commencé à répéter la phraséologie de Poutine selon laquelle il ne s'agissait pas d'une guerre, mais littéralement d'une « opération militaire spéciale ». Là encore, je pense que la grande majorité des activistes ont compris ce qu'il en était.
Il y a également eu un débat sur la part de responsabilité de l'OTAN, mais là où ce débat a eu lieu, quoi que les gens aient pu penser de l'OTAN, personne n'a pensé que la Russie avait raison de l'invoquer pour justifier son invasion.
Je pense donc que les faits ont eu raison de cette opposition, y compris celle qui prétendait que l'Ukraine était intrinsèquement fasciste et raciste. Les gens ont passé en revue la litanie des crimes supposés concernant l'Ukraine, mais lorsque nous avons eu un débat ouvert, et certainement parmi nos représentants et nos militants, cette position n'a pas pu être maintenue lorsque nous sommes arrivés à la conférence nationale.
Lors de la première conférence nationale qui a adopté des positions en faveur de l'Ukraine, il y a eu très peu d'opposition. Encore une fois, je dois reconnaître à Mark Serwotka, en tant que secrétaire général, une grande partie du mérite. Il avait beaucoup d'influence sur un grand nombre de membres et une position ferme.
Mark a clairement indiqué qu'il ne pouvait pas comprendre comment quelqu'un pouvait rationnellement soutenir l'argument selon lequel l'Ukraine était coupable et, plus tard, il a rejeté l'argument selon lequel il s'agissait d'une guerre inter-impérialiste où l'Ukraine n'était que le jouet des puissances impérialistes et n'avait pas d'action propre.
Mark a joué un rôle important, mais l'argument lui-même a permis d'éliminer tout contre-argument parce que, pour être franc, le contre-argument n'a pas de base factuelle et est profondément irrationnel. Pour ce qui est d'un retour en arrière, dans notre syndicat, je ne vois pas comment on pourrait le faire, en partie parce que nous avons une règle selon laquelle on ne peut pas annuler une position politique dans les trois ans qui suivent l'adoption de la politique.
Maintenant, en théorie, lors de la conférence de l'année prochaine, nous pourrions voir des gens avancer l'argument que oui, il y a trois ans, nous avons soutenu l'Ukraine, mais que nous devons maintenant en tirer les leçons. Je ne pense pas que cela se produise. Ou si c'est le cas, je pense que l'argument sera rejeté.
Des règles similaires s'appliquent dans d'autres syndicats. Leurs règlements stipulent généralement que si une position est adoptée lors d'une conférence, elle ne peut être réexaminée pendant une période donnée.
D'après mon impression sur l'ensemble du débat au sein du mouvement syndical ici, les contre-arguments avancés sont si faibles qu'il me semble très difficile d'imaginer que la position adoptée puisse être renversée, en particulier si l'on établit un parallèle avec ce qui se passe en Palestine. Il semble incroyable d'affirmer que ce qui est arrivé à la Palestine est mauvais, ce qui est le cas, mais que ce qui arrive à l'Ukraine est juste.
Deux pays ont été envahis. Deux pays sont bombardés. Oui, l'Ukraine dispose d'un système de défense que les Palestiniens n'ont pas. Mais ce n'est pas cette question qui doit déterminer notre orientation fondamentale. La question est plutôt la suivante : S'oriente-t-on vers l'agresseur ou vers les victimes de l'agression ?
Quelques syndicats semblent avoir une politique contradictoire vis-à-vis de la solidarité avec l'Ukraine, étant en faveur de l'aide humanitaire mais contre le soutien militaire, malgré les appels persistants des syndicats ukrainiens en faveur de ce dernier. Que pensez-vous qu'il faille faire à ce sujet ?
Eh bien, tout d'abord, je dois être honnête, car bien que le PCS n'ait pas de « politique contradictoire » au sens strict du terme, c'est-à-dire une motion qui dit « Armez l'Ukraine » et une autre qui dit « Pas d'armes pour l'Ukraine », nous sommes néanmoins dans une position inconfortable et espérons que la prochaine conférence pourra clarifier si nous soutenons pleinement le soutien militaire.
Nous ne sommes pas allés jusqu'à la conclusion logique qui, selon vous, correspond aux positions politiques que nous avons adoptées jusqu'à présent. Je présume et j'espère, ne serait-ce que par souci de clarté, que la prochaine conférence donnera lieu à un débat clair sur le soutien militaire. Et il est évident que la PCS aura une position claire, qu'elle ait gagné ou perdu.
L'une des contradictions du mouvement syndical international, en particulier de la Confédération syndicale internationale (CSI), est qu'elle n'a pas encore expulsé la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR), alignée sur Poutine, ni insisté pour que l'Organisation internationale du travail (OIT) fasse de même et ferme le bureau de l'OIT à Moscou. Que pense le PCS de cette situation ?
Il est certain que le syndicat a pris position : nous avons voté la suspension et nous voterions l'expulsion de la FNPR, alignée sur Poutine, mais pas parce qu'elle est alignée sur l'État. Il y a beaucoup de fédérations syndicales qui sont alignées sur des États qui, à mon avis, sont discutables.
Cependant, toutes les preuves dont nous disposons montrent que la FNPR était ouvertement en faveur de l'invasion et les documents que j'ai vus indiquent qu'elle souhaitait ouvertement que la Russie conquière toute l'Ukraine et qu'elle reprenait la position de certaines personnes selon laquelle l'Ukraine ne devrait pas exister : elle devrait soit être absorbée par la Russie, soit être transformée en un pays différent. Sur cette base, nous pensons qu'il est juste et approprié qu'ils soient suspendus de la CSI et qu'ils soient expulsés.
Sur les autres questions, le PCS n'a pas de position, donc je ne vais parler qu'à titre personnel, mais il me semble que si l'on adopte la position de l'OIT sur l'agression, alors, au minimum, elle devrait suspendre ses relations avec le gouvernement russe, non seulement en raison de ce qui s'est passé en Ukraine, mais aussi de manière plus générale. Je veux dire, vous savez, la FNPR n'est pas un syndicat libre, comme je comprends ce concept dans ce pays. Pour des raisons diplomatiques, il se peut que vous souhaitiez maintenir certains liens, car la Russie est peut-être encore affiliée à l'OIT par traité, mais je pense néanmoins que vous devriez vous différencier. Je pense que ce type de bataille doit être mené au sein des différentes fédérations internationales : dans la fédération dont nous sommes membres [l'Union syndicale européenne des services publics (FSESP)], nous avons toujours plaidé en ce sens.
Certaines fédérations ont pour règle de ne pas pouvoir expulser un affilié à moins d'organiser un congrès tous les quatre ans ; d'autres ne peuvent que suspendre un affilié jusqu'à ce qu'une décision d'expulsion soit prise lors du congrès suivant. Pour notre part, nous avons soutenu, certainement lors d'au moins un congrès de la FSESP, que la FNPR devrait être expulsée des organisations syndicales internationales auxquelles elle est affiliée.
À l'occasion du deuxième anniversaire de l'invasion russe, le mouvement syndical solidaire de l'Ukraine a participé à une réunion publique de solidarité internationale à Kiev. Toutefois, cette réunion s'est déroulée en grande partie par téléconférence. Que doit faire le mouvement syndical qui soutient l'Ukraine à l'occasion du troisième anniversaire ?
Vous avez évoqué l'idée d'une délégation à Kyiv à l'occasion du troisième anniversaire, et je ne manquerai pas de faire savoir au PCS que si cette initiative voit le jour, nous devrions essayer d'envoyer une délégation pour y participer.
Mais ce qui est plus important, c'est que nous renforcions notre travail de solidarité pratique au cours des 12 prochains mois. Je sais que l'on pourrait dire que chaque année a été cruciale dans cette guerre, et chaque année dans une guerre est par définition cruciale. Mais il est évident que les forces armées ukrainiennes ont subi des revers récemment.
Nous savons maintenant que Trump sera le président des États-Unis. Je pense que nous pouvons probablement deviner qu'il essaiera de forcer l'Ukraine à signer un accord de paix basé sur le démembrement de l'Ukraine. La position du PCS est qu'il ne devrait pas y avoir de démembrement de l'Ukraine. Il est évident que c'est au peuple ukrainien de décider sur quelle base il accepterait la paix.
Nous espérons transformer l'année à venir en une année d'établissement de véritables liens à la base, où nos branches tendraient la main aux syndicats ukrainiens ou nos branches seraient beaucoup plus actives dans l'aide à la solidarité avec le mouvement syndical ukrainien et, bien sûr, avec le peuple ukrainien en général.
Certains syndicats affirment que le syndicalisme devrait s'engager dans la lutte pour la démocratie et adopter une position plus active en cas de violation évidente des droits humains et du travail, comme dans le cas de l'invasion de l'Ukraine. Pensez-vous que le syndicalisme peut et doit faire un front commun international, indépendamment de ses gouvernements, pour la démocratie et contre le fascisme ?
Je pense que c'est d'une importance vitale. La menace de l'extrême droite est évidemment présente, et pas seulement dans ce pays. Vous avez peut-être vu que la nouvelle dirigeante du parti conservateur est très à droite et que son cheval de bataille est la négation du climat et la guerre contre les réfugiés. Une droite fasciste ou en tout cas autoritaire est également présente dans ce pays, avec le Reform Party de Nigel Farage.
Nous avons également observé avec une certaine nervosité ce qui va se passer en Ukraine au cours des 12 prochains mois, car, compte tenu des récentes avancées de l'armée russe, il est clair que c'est très inquiétant.
Je suis en train de réfléchir à ce que cela peut signifier concrètement en Europe, bien sûr, mais aussi dans le reste du monde, surtout depuis la victoire de Donald Trump.
La position politique des États-Unis est également très inquiétante et le mouvement syndical américain serait certainement très menacé. C'est pourquoi la solidarité internationale et les liens, comme le dit Alphonse Bech [coordinateur syndical du RESU], sont absolument vitaux.
La seule question est de savoir comment nous le faisons. Et si nous le faisons, comment pouvons-nous nous assurer qu'il se concentre sur les aspects pratiques autant que sur les positions.
John Moloney, Secrétaire général adjoint Syndicat des services publics et commerciaux, Royaume-Uni.
Publié dans le Bulletin d'information syndicale n°13 du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (octobre-novembre 2024) : 2024 – 11 – 28 – Trade Union Newsletter FR 13
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Climat : l’année 2024 est la première au-dessus du seuil de 1,5°C de réchauffement

Le Service changement climatique (C3S) de l'observatoire européen Copernicus a confirmé que 2024 avait été plus chaude que 2023 après un mois de novembre marqué par une succession de typhons dévastateurs et de sécheresses historiques.
Tiré d'El Watan.
Après un mois de novembre exceptionnellement chaud, le Service changement climatique (C3S) de l'observatoire européen Copernicus annonce que 2024 sera, de fait, l'année la plus chaude jamais enregistrée, dépassant de plus de 1,5 °C les niveaux préindustriels. Ce mois de novembre, marqué par des typhons dévastateurs en Asie et des sécheresses persistantes en Afrique australe et en Amazonie, a affiché une température moyenne mondiale supérieure de 1,62 °C à celle d'un mois de novembre normal avant l'industrialisation.
Selon la base de données ERA5 de Copernicus, novembre est le 16e mois sur les 17 derniers à enregistrer une anomalie de 1,5 °C par rapport à la période 1850-1900. Cette limite correspond à l'objectif le plus ambitieux fixé par l'Accord de Paris de 2015, qui vise à contenir le réchauffement bien en dessous de 2 °C et à poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5 °C. Cependant, cette limite s'applique aux tendances de long terme : une moyenne de réchauffement d'1,5 °C doit être observée sur une période d'au moins 20 ans pour être considérée comme franchie. Actuellement, la moyenne mondiale est d'environ 1,3 °C, et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estime que le seuil sera probablement atteint entre 2030 et 2035, indépendamment des réductions d'émissions de gaz à effet de serre.
Les derniers calculs de l'ONU montrent que le monde est loin d'atteindre ses objectifs en matière de réduction des émissions de carbone, exposant la planète à un réchauffement « catastrophique » de 3,1 °C d'ici la fin du siècle, ou 2,6 °C si les engagements climatiques supplémentaires sont tenus. Les pays ont jusqu'à février pour soumettre des révisions de leurs contributions climatiques nationales (NDC), mais l'accord minimal de la COP29 risque de justifier un manque d'ambition.
Les nations en développement ont obtenu des promesses d'aide annuelle de 300 milliards de dollars de la part des pays riches d'ici 2035, soit moins de la moitié de leur demande pour financer la transition énergétique et l'adaptation aux changements climatiques. Le sommet de Bakou s'est conclu sans engagements concrets pour accélérer la sortie des énergies fossiles, malgré un accord de principe à la COP28 de Dubaï.
En 2024, les catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique ont causé des pertes économiques mondiales estimées à 310 milliards de dollars, selon Swiss Re, un des principaux assureurs mondiaux.
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Marilyn Monroe, une femme brisée par la violence patriarcale

Interview d'Aurore Van Opstal par Francine Sporenda
Aurore Van Opstal est journaliste et réalisatrice. Diplômée en sciences du travail de l'université libre de Bruxelles, elle vient de publier « Les hommes qui ont tué Marilyn », préface de Muriel Salmona, (éditions l'Esprit du temps).
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/06/marilyn-monroe-une-femme-brisee-par-la-violence-patriarcale/?jetpack_skip_subscription_popup
FS : Pourquoi as-tu voulu écrire cette fiction sur Marilyn ? Qu'est-ce qui t'a intéressée dans cette personnalité mythifiée ?
AV : Ce qui m'a poussée à écrire sur Marilyn, c'est la dissonance déchirante entre l'image publique, stéréotypée et hypersexualisée, et la femme profondément humaine, complexe et vulnérable qu'elle était. En tant que féministe, je ne peux ignorer le fait qu'elle incarne à la fois un objet façonné par le patriarcat et un sujet luttant pour affirmer son humanité dans un monde qui cherchait à l'effacer. Marilyn est devenue une icône parce que son existence a mis en lumière ce que la société attend des femmes : qu'elles soient belles, disponibles, consommables. Mais elle a aussi montré, dans ses moments de fragilité et de rébellion, qu'elle ne se réduisait pas à ces attentes. C'est cet aspect tragique et profondément humain qui m'intéressait : Marilyn Monroe n'est pas qu'un sex-symbol, c'est une femme qui a vécu l'oppression patriarcale à un degré extrême, et elle mérite d'être racontée autrement.
FS : Marilyn Monroe, dit un autre de tes personnages, cherchait avant tout à être aimée. Je vois ça comme une manifestation de son aliénation, de son conditionnement par sa socialisation féminine, qui enjoint aux femmes de placer l'amour au centre de leur vie, alors que l'amour n'est pas du tout une priorité dans la vie des hommes, socialisés à l'égocentrisme. Tes commentaires ?
AV : Je partage entièrement cette analyse. Marilyn a été façonnée, dès son plus jeune âge, pour chercher la validation extérieure, notamment celle des hommes. Ce conditionnement n'est pas propre à elle : il est imposé à toutes les femmes par la socialisation patriarcale. On apprend aux filles à se définir par le regard d'autrui, à se sentir « valides » seulement si elles sont désirées, aimées ou choisies par des hommes. C'est une forme d'aliénation insidieuse, mais puissante, car elle incite les femmes à se mettre au service des autres, à se sacrifier pour être « dignes » d'amour, tout en étant encouragées à occuper la marge. Pendant ce temps, les hommes, socialisés à l'égocentrisme, ne sont pas conditionnés à placer l'amour au centre de leur existence. Ils sont socialisés à occuper l'espace, à s'affirmer, à exiger, tandis que les femmes, comme Marilyn, apprennent à se plier, à plaire. C'est ce qui rend son histoire tragique et, en même temps, universelle : elle est un miroir des luttes intérieures imposées par une société patriarcale à chaque femme qui aspire à exister par elle-même
FS : Agressée sexuellement plusieurs fois dans l'enfance, MM se serait ensuite vue toute sa vie comme un objet sexuel, un « vagin sur pattes », destiné à être utilisé par les hommes, d'où son devenir de sex-symbol. Tu décris aussi MM comme incapable de dire non aux hommes qui veulent coucher avec elle. Pourquoi cette annihilation de la volonté chez elle selon toi ?
AV : L'anéantissement de la volonté de Marilyn face aux hommes qui la désiraient est la conséquence directe d'un système qui a objectifié son corps dès son plus jeune âge. Lorsqu'une fille subit des violences sexuelles, surtout dans l'enfance, elle apprend que son corps ne lui appartient pas. Elle intériorise l'idée que sa valeur est réduite à sa capacité à satisfaire les désirs masculins. Marilyn n'a jamais eu l'occasion de se réapproprier son corps ; elle est passée de l'abus familial à une industrie du divertissement qui a érigé son objectification en norme. Elle a été entraînée à dire « oui » pour survivre, pour éviter la violence, pour recevoir un semblant de validation. Mais ce « oui » était souvent un « non » bâillonné par la peur, la manipulation, et la conviction que refuser lui aurait coûté encore plus cher. Cette annihilation de sa volonté est le résultat d'un patriarcat oppressif qui détruit la capacité des femmes à s'affirmer et à dire « non » par la peur, le trauma, et le conditionnement systémique. Marilyn n'était pas une femme « faible » ; elle était une femme brisée par un système impitoyable.
FS : Marilyn, agressée de multiples façons par les hommes, a pourtant à son époque souvent été vue comme une coupable, une tentatrice induisant les hommes à la lubricité, une aguicheuse, une pécheresse. Tu peux commenter ?
AV : C'est là l'un des mécanismes les plus pervers du patriarcat : blâmer la victime tout en sanctifiant le bourreau. Marilyn a été réduite à son apparence, hypersexualisée à outrance, tout en étant culpabilisée pour l'effet qu'elle produisait. Elle était perçue comme une tentatrice, alors que cette image de « pécheresse » lui avait été imposée par la société et les hommes qui l'exploitaient. C'est une forme de double peine : elle était « coupable » de susciter le désir, mais ce désir, c'était la société patriarcale qui l'avait construit, qui avait fait d'elle l'objet de fantasmes collectifs pour ensuite la condamner moralement. Cette hypocrisie révèle à quel point les femmes sont toujours placées sous la coupe d'un regard masculin jugeant et oppresseur. La sexualisation des femmes, suivie du blâme pour leur propre sexualisation, est une stratégie utilisée pour les maintenir dans un état de soumission et de honte permanentes. En réalité, Marilyn ne cherchait qu'à exister, à trouver sa place, à être vue pour qui elle était, mais le système n'a jamais cessé de lui rappeler que sa valeur résidait uniquement dans son corps et son utilité pour le désir masculin
FS : Une de tes personnages, Margaret, dit que, après les agressions sexuelles de l'enfance, les hommes qui entrent plus tard dans la vie de ces femmes sentent leur vulnérabilité et « achèvent le travail commencé par nos agresseurs ». Peux-tu commenter ?
AV : C'est une observation douloureusement juste, et elle mérite d'être entendue. Le trauma de l'agression sexuelle, particulièrement durant l'enfance, laisse des marques indélébiles sur l'esprit et le corps. Ces femmes portent des stigmates que certains hommes, consciemment ou non, exploitent. Il y a une sorte de prédation continue qui survit dans les recoins les plus sombres de notre société patriarcale. Les hommes qui perçoivent cette vulnérabilité – une faille laissée par le premier agresseur – peuvent en effet la manipuler pour asseoir leur propre pouvoir, pour continuer à instrumentaliser ces femmes, à les réobjectifier et à renforcer leur soumission. C'est une continuité du contrôle patriarcal qui se réinvente à chaque relation abusive, chaque homme qui profite du trauma d'une femme. Le « travail » de l'agresseur initial ne s'arrête pas au premier crime ; il se propage comme une maladie dans les structures sociales, affectant les interactions des femmes longtemps après que les violences originelles ont eu lieu. Pour ces femmes, la lutte pour retrouver leur pouvoir sur leur corps et leur esprit est constante, et chaque relation toxique qui s'insinue dans leur vie est une blessure supplémentaire infligée par une société qui ne protège pas ses victimes.
FS : Le même personnage dit « je sais qu'être féministe n'implique pas d'être misandre », mais elle ajoute « si tu savais comme je hais les hommes parfois ». La misandrie est-elle incompatible avec le féminisme, ou est-elle au contraire une attitude de protection raisonnable de la part de femmes polytraumatisées par les hommes ?
AV : Ce que Margaret exprime ici est la douleur et la colère d'une femme polytraumatisée, pas un appel à la haine aveugle. Il est important de comprendre que le féminisme n'a jamais été une lutte contre les hommes en tant qu'individus, mais bien contre le patriarcat, une structure qui privilégie les hommes et opprime les femmes. Dire que certaines femmes ressentent de la haine ou de la défiance envers les hommes n'est pas contradictoire avec le féminisme ; c'est une réalité vécue pour celles qui ont souffert, été trahies, blessées de manière répétée. Dans ce contexte, ce sentiment est une réponse humaine et compréhensible à des violences réelles.
Il est crucial de ne pas confondre la misandrie avec l'institutionnalisation de la misogynie. La haine des femmes est systémique et tue. La défiance des femmes vis-à-vis des hommes est souvent une stratégie de survie, une manière de se protéger, de se reconstruire en s'éloignant de ceux qui leur ont fait du mal. Elle peut, bien sûr, devenir un fardeau, un mur à abattre pour guérir pleinement. Mais elle n'est pas intrinsèquement incompatible avec le féminisme, tant qu'elle ne devient pas l'objet du mouvement. Le féminisme lutte pour la libération de toutes et tous. Pourtant, il serait inhumain et injuste de demander aux femmes qui souffrent de réprimer leurs émotions, y compris la colère, pour paraître « acceptables » aux yeux du patriarcat
FS : Marilyn aurait toute sa vie « réalisé de mauvais choix amoureux ». Pourquoi les femmes comme elles sont-elles attirées toute leur vie par des hommes particulièrement destructeurs ? Que penses-tu de la notion de trauma bonding ?
AV : Les « mauvais choix » de Marilyn en matière amoureuse ne peuvent être dissociés de son histoire de violence et de traumatisme. Lorsqu'une femme est blessée de manière répétée, elle intègre souvent, même inconsciemment, une dynamique où elle recherche des relations qui reproduisent ces schémas destructeurs. C'est une forme de répétition traumatique. Le trauma bonding, ou le lien traumatique, désigne précisément ce phénomène où la victime reste attachée à son agresseur ou à des partenaires toxiques par un lien émotionnel complexe, mêlant peur, dépendance et espoir de réparation.
Les femmes comme Marilyn, qui ont été brisées dès l'enfance, finissent par intérioriser un sentiment d'indignité, par croire que la souffrance fait partie de ce qu'elles méritent ou qu'elle est nécessaire pour être aimées. Cette croyance est renforcée par le patriarcat qui valorise la douleur féminine et romantise les relations toxiques. C'est pourquoi elles se retrouvent souvent attirées par des hommes qui renforcent leur sentiment d'infériorité et perpétuent ce cycle. Comprendre ce mécanisme, c'est comprendre que ces « mauvais choix » ne sont pas une question de volonté ou de faiblesse, mais le résultat d'un conditionnement profondément enraciné dans le trauma et la violence.
FS : Ton livre va bien au-delà du personnage de Marilyn, qui est un peu un prétexte à une réflexion sur les violences masculines envers les femmes et les enfants. Il y a un déni persistant dans la société face à ces violences, qui sont encore vues comme le fait de fous et de monstres, et ayant un caractère exceptionnel :« il ne peut pas y avoir autant d'agresseurs en ce bas monde ! ». Ce déni est très présent chez beaucoup de femmes, pourquoi sont-elles dans le déni par rapport à ces violences ?
AV : Ce déni, qu'on retrouve dans une grande partie de la société, y compris chez les femmes, est une réaction de défense. Admettre que les violences masculines sont systémiques et omniprésentes serait un choc insoutenable pour beaucoup, car cela remet en cause l'idée que l'on est à l'abri, que les hommes de notre entourage ne peuvent pas être dangereux. Ce déni est également nourri par une culture patriarcale qui minimise, normalise et invisibilise la violence faite aux femmes. Les agresseurs sont souvent présentés comme des « monstres » isolés pour protéger l'idée que les hommes, dans leur ensemble, ne sont pas coupables. C'est une stratégie de dissociation qui évite de remettre en cause les fondements mêmes de la société patriarcale.
Pour les femmes, reconnaître l'ampleur des violences masculines, c'est aussi accepter que les hommes qu'elles aiment – pères, frères, amis, maris – puissent faire partie du problème. C'est une prise de conscience douloureuse, qui met en lumière leur propre vulnérabilité et les limites de leur sécurité. Ce déni est donc une manière de se protéger psychologiquement, de ne pas affronter une réalité trop dure à accepter. Mais il perpétue malheureusement la culture du silence et laisse les agresseurs impunis.
FS : MM était accro à son psychanalyste Greenson et accordait une grande confiance au freudisme. Considères-tu que Greenson et son approche freudienne ont joué un rôle dans la détérioration mentale de sa patiente ?
AV : Il est clair que l'approche freudienne adoptée par Greenson n'a pas aidé Marilyn à guérir. Au contraire, elle a peut-être aggravé sa détérioration mentale. La psychanalyse freudienne, en particulier à cette époque, était marquée par une pathologisation du désir féminin, par des explications réductrices centrées sur la sexualité et par une hiérarchisation des rôles genrés qui renforçait les normes patriarcales. Greenson a maintenu Marilyn dans une relation de dépendance psychologique malsaine, créant un lien de contrôle sous couvert de soin.
La psychanalyse, dans son approche traditionnelle, tend à voir la femme comme « hystérique », à la rendre responsable de ses souffrances et à nier les causes sociales et systémiques de ses traumatismes. Dans le cas de Marilyn, au lieu de l'aider à se reconstruire, l'approche freudienne a perpétué son auto-objectivation et son sentiment d'être « défectueuse » sur le plan mental. Plutôt que de l'émanciper, elle a été enfermée dans une dynamique où elle dépendait d'un homme censé la guérir, mais qui, au final, a contribué à son aliénation
FS : Une de tes personnages dit : « les hommes me fatiguaient autant qu'ils me fascinaient » et plus loin, on lit « que c'est harassant d'être féministe et hétérosexuelle . Ça résume parfaitement le vécu de beaucoup d'hétérosexuelles, et les contradictions dans lesquelles elles se débattent. Tes commentaires ?
AV : Ces contradictions font partie du fardeau que beaucoup de femmes doivent porter. Être féministe et hétérosexuelle, c'est naviguer constamment entre désir et désillusion. D'un côté, il y a l'attrait, la volonté de croire en des relations égalitaires, en des partenariats respectueux, et de l'autre, il y a la réalité d'un système patriarcal où les rapports de domination imprègnent souvent les dynamiques amoureuses. Les hommes, en tant qu'individus, ne sont pas tous des oppresseurs, mais ils bénéficient d'un système qui les place en position de pouvoir, parfois même inconsciemment. Cette contradiction crée une fatigue morale et émotionnelle pour les femmes hétérosexuelles qui cherchent à concilier leurs désirs avec leurs convictions.
Elles sont confrontées à un double défi : lutter contre les oppressions structurelles tout en essayant de construire des relations affectives sincères et épanouissantes dans un contexte qui ne les favorise pas. Ce va-et-vient entre fascination, déception, colère et amour est un cycle épuisant, une danse complexe entre l'intime et le politique. Il n'y a pas de solution simple à ce dilemme, mais il mérite d'être nommé et exploré. Être féministe, c'est vouloir mieux pour soi et pour toutes, y compris dans les relations amoureuses, même si cela implique de remettre constamment en question les modèles qui nous sont imposés
FS : En conclusion, ton personnage de MM déclare : « les hommes m'ont tuée en bouffant toute force de vie en moi ». On connaît le mythe de la « femme fatale », mais c'est une inversion patriarcale : il y a beaucoup plus d'« hommes fatals », beaucoup plus de dominées détruites par des dominants que l'inverse, pour des raisons évidentes. Tes commentaires ?
AV : Absolument. Le mythe de la « femme fatale » est l'une des nombreuses inversions patriarcales destinées à détourner l'attention des véritables rapports de domination. La femme fatale est dépeinte comme une manipulatrice, une séductrice qui détruit les hommes par son pouvoir sexuel, mais c'est une fiction qui sert à masquer une réalité bien plus cruelle : celle de la domination masculine et de la destruction qu'elle inflige. Les « hommes fatals » sont bien réels et omniprésents, car ils exercent leur pouvoir non seulement sur le plan intime, mais aussi au niveau social, économique et politique. Les femmes qui s'opposent à ce pouvoir ou qui ne se conforment pas aux attentes sont souvent broyées par ce système.
Marilyn est un exemple tragique de cette dynamique. Ce sont les hommes autour d'elle – ceux qui l'ont exploitée, objectifiée, trahie et contrôlée – qui ont épuisé sa force vitale, pas l'inverse. C'est pourquoi il est crucial de déconstruire ces mythes patriarcaux qui inversent la réalité des rapports de force. Le féminisme a pour mission de révéler ces mécanismes, de nommer les véritables oppresseurs et de redonner aux femmes leur voix et leur humanité. Ce que Marilyn, à travers sa souffrance, nous montre, c'est qu'il n'y a rien de fatal dans le désir des femmes de vivre libres ; ce sont les systèmes de domination, incarnés par les « hommes fatals », qui rendent cette liberté si difficile à atteindre.
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« Femmes, vie, liberté » : l’Iranienne, prix Nobel de la paix, Narges Mohammadi, libérée de prison… temporairement

Libérée pour raisons médicales, la journaliste et militante Narges Mohammadi n'a été autorisée à quitter sa prison de Téhéran que pour trois semaines. Les appels à une remise en liberté définitive se sont multipliés depuis sa sortie.
Tiré de L'Humanité, France, le jeudi 5 décembre 2024
https://www.humanite.fr/feminisme/droits-des-femmes/femmes-vie-liberte-liranienne-prix-nobel-de-la-paix-narges-mohammadi-liberee-de-prison-temporairement
Par Julia Hamlaoui
« Femmes, vie, liberté », a scandé la prix Nobel de la Paix 2023, <https:/www.humanite.fr/monde/iran/...>'>Narges Mohammadi , à sa sortie de prison mercredi 4 décembre, selon son mari Taghi Rahmani. Si le slogan du mouvement de contestation né après la mort de Mahsa Amini en septembre 2022 est devenu emblématique, la liberté n'est pour le moment que « temporaire » pour journaliste iranienne enfermée depuis 2021 à la prison d'Evin, près de Téhéran, capitale de la République islamique.
Âgée de 52 ans, la militante, maintes fois <https:/www.humanite.fr/monde/empri...>'>condamnée et emprisonnée depuis 25 ans pour son engagement contre le voile obligatoire pour les femmes et contre la peine de mort, a pu sortir provisoirement pour raisons médicales. « Selon l'avis du médecin légiste, le parquet de Téhéran a suspendu l'exécution de la peine de Narges Mohammadi pour trois semaines », a indiqué son avocat, Me Mostafa Nili, précisant qu'elle « a été libérée de prison ». « La raison de sa libération est son état physique après l'ablation d'une tumeur et une greffe osseuse réalisées il y a 21 jours », a ajouté Me Nili sur le réseau social X, bloqué en Iran.
« Appel à une libération immédiate et inconditionnelle »
Une libération temporaire « insuffisante », a réagi depuis Paris son comité de soutien. « Après une décennie d'emprisonnement, Narges a besoin de soins médicaux spécialisés dans un environnement sûr », a déclaré dans un communiqué la fondation Narges Mohammadi dont l'appel a été rejoint par le comité Nobel. « Nous demandons aux autorités iraniennes de mettre un terme définitif à son emprisonnement et de veiller à ce qu'elle reçoive un traitement médical adéquat pour ses maladies », a affirmé son président, Jørgen Watne Frydnes, lors d'une conférence de presse à Oslo.
Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a également réclamé la « libération immédiate et inconditionnelle » de Narges Mohammadi, même s'il juge « important »qu'elle ait été remise temporairement en liberté mercredi pour raison médicale. « Nous réitérons notre appel à la libération immédiate et inconditionnelle de Mme Mohammadi, ainsi que de toutes les Iraniennes et de tous les Iraniens qui sont détenus ou emprisonnés pour avoir légitimement exercé leur liberté d'expression et d'autres droits de l'homme », a réagi un porte-parole du Haut-Commissariat, Thameen Al-Kheetan, auprès de l'AFP.
En juin, la militante iranienne avait été condamnée à une nouvelle peine d'un an de prison pour « propagande contre l'État ». Elle avait refusé d'assister à l'audience de son procès après avoir demandé, sans succès, que celui-ci soit ouvert au public. Emprisonnée et malade, elle n'en poursuit pashttps://www.humanite.fr/monde/iran/...>
.">moins son combat En mars, elle avait diffusé un message audio depuis sa prison dans lequel elle dénonçait une « guerre à grande échelle contre les femmes » dans la République islamique.
Fin septembre, à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies à New York, elle avait aussi envoyé, toujours de sa prison, une lettre aux principaux dirigeants mondiaux pour qu'ils demandent la libération des prisonniers politiques et la fin de la répression des femmes et de la société civile en Iran.
Début novembre, elle a soutenu une étudiante iranienne arrêtée après <https:/www.humanite.fr/monde/iran/...>'>s'être dévêtue en public devant une université à Téhéran. L'étudiante « a transformé son corps en symbole de dissidence », a-t-elle alors affirmé, réclamant « sa libération et la fin du harcèlement des femmes » en Iran.
Après l'ablation d'une tumeur et une greffe osseuse réalisées il y a 21 jours, Narges Mohammadi a pu sortir provisoirement de prison pour trois semaines.
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*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, 6 décembre 2024
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La loi « chasteté et voile » : Une nouvelle vague répressive contre les femmes et les filles iraniennes

Il faut s'y opposer avec le slogan « Femme, Résistance, Liberté »
Tiré de Entre les lignes et lesmots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/04/un-nom-plusieurs-vies-le-mythe-de-la-femme-musulmane-autres-textes/?jetpack_skip_subscription_popup
Après des mois de débats entre le Majlis (parlement) et le Conseil des gardiens du régime et un an et demi après sa rédaction par le pouvoir judiciaire, la loi dite « chasteté et voile » a finalement été publiée le 30 novembre 2024. La loi se compose de 74 articles répartis sur cinq chapitres. Intitulé à l'origine « Soutien à la culture de la chasteté et du voile », le projet a été préparé après le soulèvement de 2022 et soumis au Majlis par Ebrahim Raïssi.
Le 27 novembre 2024, Mohammad Bagher Ghalibaf, président du Majlis, a annoncé lors d'une conférence de presse que la loi « chasteté et voile », adoptée par le Majlis, serait mise en œuvre à partir du 13 décembre 2024. Il a affirmé que la loi n'impliquait pas de « patrouilles de moralité ou d'emprisonnement ». Cependant, le texte, divisé en cinq chapitres, attribue des responsabilités répressives à diverses institutions officielles, notamment le ministère de la culture et de l'orientation, la radiodiffusion publique (IRIB), le ministère de l'éducation, le ministère de la santé, les municipalités, le ministère de la science et d'autres organismes gouvernementaux.
Par exemple, le chapitre trois viole de manière flagrante la Déclaration universelle des droits de l'homme, les conventions internationales telles que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les conventions relatives aux droits des femmes. Il oblige de nombreux ministères, organisations et municipalités à aller au-delà des patrouilles de moralité pour réprimer le port incorrect ou l'absence de hijab.
La clause 8 de l'article 16 charge spécifiquement les municipalités et les conseils de village de tout le pays, en collaboration avec des organismes comme l'Organisation de la propagande du régime, le ministère de la culture et de l'orientation, le ministère des sports et de la jeunesse, l'IRIB et le siège de la promotion de la vertu et de la prévention du vice, de « maintenir une surveillance permanente des espaces publics dont ils ont la charge, tels que les parcs, les centres culturels, les sites historiques et les transports publics urbains. Ils sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour promouvoir les conditions de chasteté et de hijab, d'assurer la présence active des promoteurs de la vertu et de soutenir leurs actions dans ces espaces ».
En plus de cibler les femmes sous prétexte de faire respecter les règles relatives au voile, cette loi impose des sanctions sévères aux fonctionnaires, aux chefs d'entreprises et aux autres personnes qui refusent de coopérer avec les mesures du régime. Ceux qui ne signalent pas ou n'agissent pas contre les personnes qui s'opposent au voile obligatoire, ou qui refusent d'appliquer la loi, s'exposent à des sanctions allant de cinq à six ans de suspension de la fonction publique, à des amendes équivalant à deux à six mois de revenus de l'entreprise, ou à d'autres sanctions financières significatives.
Afin de réprimer les protestations et d'empêcher la propagation de la dissidence parmi les femmes et la société en général, la loi charge également le ministère du renseignement, l'unité de renseignement de la police (FARAJA) et l'organisation de renseignement des pasdarans de mettre en œuvre des mesures contre le non-respect des règles relatives au voile.
La commission des Femmes du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), faisant écho à la déclaration de Mme Maryam Radjavi, considère cette loi « criminelle et inhumaine » comme une nouvelle étape dans les efforts du régime pour réprimer les femmes et les filles iraniennes, dans le but d'étouffer les soulèvements. La commission appelle toutes les organisations internationales et les organes compétents à condamner cette loi.
La commission des Femmes exhorte toutes les femmes iraniennes éprises de liberté à résister à cette loi oppressive et inhumaine sous la bannière “Femme, Résistance, Liberté”.
Commission des femmes du Conseil national de la Résistance iranienne
Le 1er décembre 2024
https://wncri.org/fr/2024/12/01/la-loi-chastete-et-voile-femmes-iraniennes/
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Toutes les dix minutes, une femme dans le monde est tuée par un proche

Selon un nouveau rapport de l'ONU, publié ce lundi 25 novembre, 85 000 femmes ont été tuées de manière intentionnelle en 2023 et le domicile reste « l'endroit le plus dangereux » pour elles, puisque 60 % ont été tuées par « leur conjoint ou d'autres membres de leur famille ».
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/03/les-femmes-forcees-de-fuir-leur-foyer-sont-confrontees-a-des-risques-accrus-de-violence-sexuelle-previent-le-hcr-et-autres-textes/?jetpack_skip_subscription_popup
Chaque jour, 140 femmes ou filles meurent sous les coups ou agissements de leur partenaire ou d'un parent proche, ce qui signifie qu'une femme/fille est tuée toutes les 10 minutes.
Plus élevé que l'estimation de 48 800 victimes de 2022, ce changement n'indique pas une augmentation réelle car il est largement dû aux différences dans la disponibilité des données au niveau des pays.
À l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, célébrée le 25 novembre, le rapport publié par ONU Femmes et l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), intitulé Féminicides en 2023, révèle que le féminicide – la forme la plus extrême de violence à l'égard des femmes et des filles – est omniprésent dans le monde.
Des meurtres qui pourraient être évités
Il s'agit d'un « niveau alarmant » de meurtres qui pourraient pourtant être « évités », et une violence « qui dépasse les frontières, touche toutes les catégories sociales et groupes d'âge », insiste le rapport de l'ONUDC et d'ONU Femmes.
« La violence à l'égard des femmes et des filles n'est pas inéluctable – elle peut être évitée ! Nous avons besoin à cette fin d'une législation solide, d'une meilleure collecte de données, d'une plus grande redevabilité gouvernementale, d'une culture de tolérance zéro et de moyens financiers accrus pour les organisations de défense des droits des femmes et les organes institutionnels compétents », a affirmé dans un communiqué, la Directrice exécutive d'ONU Femmes, Sima Bahous.
L'Afrique enregistre le nombre le plus élevé de victimes de féminicides
Sur le continent américain et en Europe (58% et 64% respectivement), les féminicides sont majoritairement perpétrées par le conjoint ou l'ex-conjoint, tandis que dans le reste du monde, ce sont des membres de la famille qui sont le plus souvent en cause.
L'Afrique continue d'enregistrer le plus grand nombre de victimes en termes globaux, bien qu'il soit conseillé d'interpréter les estimations régionales avec prudence, car elles sont sujettes à une grande incertitude en raison des limitations persistantes en termes de disponibilité des données.
Le détail du rapport montre que le nombre le plus élevé de victimes de féminicides commis par un partenaire intime ou un membre de la famille a été enregistré en Afrique en 2023, avec 21 700 victimes. Suivent l'Asie avec 18 500 victimes, les Amériques avec 8 300 victimes, l'Europe avec 2 300 victimes et de l'Océanie avec 300 victimes.
« Le nouveau rapport sur le féminicide souligne le besoin urgent d'une justice pénale solide qui condamne les auteurs responsables de tels actes, tout en assurant un soutien adéquat aux survivantes, notamment l'accès à des mécanismes de signalement sûrs et transparents », a déclaré Ghada Waly, Directrice exécutive d'ONUDC.
« Dans le même temps, nous devons nous opposer aux préjugés de genre, aux inégalités de pouvoir et aux normes néfastes qui perpétuent la violence à l'égard des femmes et les démanteler ». « ..... »
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Les femmes forcées de fuir leur foyer sont confrontées à des risques accrus de violence sexuelle, prévient le HCR

Alors que la violence sexiste reste l'une des violations des droits de l'homme les plus répandues dans le monde, le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) avertit que les risques sont accrus pour les femmes et les filles qui vivent des situations de conflit ou qui ont été forcées de fuir leur foyer.
Tiré de Entre les lignes et lesmots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/03/les-femmes-forcees-de-fuir-leur-foyer-sont-confrontees-a-des-risques-accrus-de-violence-sexuelle-previent-le-hcr-et-autres-textes/?jetpack_skip_subscription_popup
Selon les données de l'ONU, les rapports de violence sexuelle liée aux conflits ont augmenté de façon choquante de 50% l'année dernière par rapport à l'année précédente. Les femmes et les filles représentaient 95% des cas vérifiés.
Ces chiffres ne représentent qu'une petite fraction de la réalité, car de nombreux cas de ces abominables violations et violences affectant la santé, la dignité, la sécurité et l'autonomie des femmes et des filles ne sont pas signalés.
Dans le monde entier, plus de 60 millions de femmes et de filles déplacées de force ou apatrides sont exposées à des risques élevés de violence sexiste. Dans de nombreux endroits reculés, l'accès humanitaire est coupé ou les ressources et l'assistance sont rares. L'accès à la justice reste également limité et les survivantes craignent les représailles et la marginalisation sociale.
Les corps des femmes, une extension du « champ de bataille »
« Nos collègues continuent d'entendre des survivantes parler des horreurs auxquelles elles ont été confrontées, qu'il s'agisse de violence brutale, de torture, d'exploitation sexuelle, de violence sexuelle, y compris en tant qu'arme de guerre », a déclaré lors d'un point de presse régulier de l'ONU à Genève, Shabia Mantoo, porte-parole du HCR.
Par exemple, en République démocratique du Congo (RDC), les femmes et les filles sont confrontées à une situation insupportable, leur corps étant devenu une extension du « champ de bataille » dans un contexte de violence cyclique et d'insécurité croissante, y compris dans les sites de déplacement désignés. Selon les données humanitaires, les rapports de violence sexiste ont augmenté cette année, la majorité de ces violations étant signalées comme des viols.
Au Tchad, des femmes ont déclaré avoir été violées alors qu'elles fuyaient le conflit au Soudan voisin.
Outre les violences sexuelles liées aux conflits, les femmes et les filles déplacées de force sont également confrontées à des risques élevés de violence de la part de leur partenaire intime. Dans certains contextes de déplacement, les risques pour elles ont été estimés à 20% de plus que pour les femmes et les filles non déplacées.
En Afghanistan, les restrictions croissantes imposées aux femmes et aux filles, les taux élevés de violence domestique et la détérioration générale de la situation économique contribuent à une crise de santé mentale.
90% des femmes empruntant la route de la Méditerranée sont violées
Par ailleurs, parmi la litanie de risques et d'abus auxquels sont confrontés les réfugiés et les migrants se déplaçant sur les routes vers la Méditerranée, la violence et l'exploitation sexuelles, la réduction en esclavage et la traite des êtres humains continuent d'être signalées. Selon les estimations humanitaires, 90% des femmes et des jeunes filles qui empruntent la route de la Méditerranée sont violées.
Selon le HCR, il ne s'agit là que de quelques illustrations de cette pandémie chroniquement sous-estimée. Comme pour aggraver les choses, le HCR craint que, faute d'un financement adéquat, des millions de femmes et de filles déplacées de force ne puissent pas accéder à des services essentiels l'année prochaine.
Par exemple, pour six grands plans régionaux de réponse aux réfugiés – couvrant les besoins humanitaires des réfugiés de la RDC, de l'Afghanistan, du Soudan, de l'Ukraine, du Sud-Soudan et de la Syrie – les programmes de lutte contre la violence sexiste pour l'ensemble de l'année pour toutes les organisations participantes, d'un montant de 236 millions de dollars, ne sont actuellement financés qu'à hauteur de 28%.
https://news.un.org/fr/story/2024/11/1150996
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Déclaration collective du Mouvement féministe anti-guerre du Caucase : Contre l’autoritarisme de l’Azerbaïdjan, la COP29, le capitalisme vert, les guerres et le glissement régional vers l’autoritarisme

Face à l'oppression, nous élevons nos voix pour celles et ceux qui sont réduit·es au silence. Dans le sillage de celui de l'écoblanchiment, nous faisons tomber le masque de l'exploitation. Dans l'ombre de la guerre, nous demandons justice pour les peuples du Caucase : Arméniens, Azerbaïdjanais, Géorgiens, Talysh, Lezgins, Avars, Tats, Kurdes, Tchétchènes, Kabardins, Tatars, Abkhazes, Ossètes, Tcherkesses, au total plus de 50 groupes ethniques qui habitent notre patrie.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Aujourd'hui, nous sommes unies – militantes arméniennes, azerbaïdjanaises et géorgiensne, ainsi que leurs allié·es du monde entier – pour exiger la fin des systèmes d'oppression qui dévastent nos terres et nos communautés.
Nous, une coalition de militantes, nous sommes réunis pour faire entendre nos voix et délivrer plusieurs messages au monde.
Ensemble, nous déclarons
1. Stop à l'Azerbaïdjan : un hôte de la COP29 qui masque l'autoritarisme par un écoblanchiment
Le régime azerbaïdjanais a enfermé les personnes dans une prison à ciel ouvert. Ses frontières terrestres sont fermées pour quatre ans depuis 2020 sous le prétexte de la pandémie de COVID. Le régime veut avoir le contrôle total de nos corps et de nos esprits. Il emprisonne celles et ceux qui pensent différemment, il exile celles et ceux qui sont déclaré·es être d'autres ethnies et d'autres orientations politiques, il empêche celles et ceux qui sont dans le pays de partir et de trouver refuge ailleurs, il enfonce les personnes dans la pauvreté et opprime la dissidence en prenant en otage les proches des dissident·es.
Celles et ceux qui s'expriment – journalistes, activistes, féministes ou des courageux/courageuses sans étiquette de villages comme Söyüdlü et Nardaran – sont confronté·es à la brutalité policière, à l'emprisonnement et, dans certains cas, au risque de disparition sans même l'illusion d'un procès. Il ne s'agit pas seulement d'une persécution politique, mais de l'effacement systématique des voix qui osent envisager un Azerbaïdjan plus libre. Mais comme nous le voyons aujourd'hui, le régime ne parvient pas à nous faire taire, car nous faisons partie de celles et ceux qui refusent de renoncer à leur existence et continuent donc à résister.
Nous sommes ici pour nos ami·es et camarades détenu·es dans les prisons azerbaïdjanaises :
Pour Sevinj Vagifqizi
Pour Nargiz Absalamova
Pour Elnara Gasimova
Pour Bahruz Samadov
Pour Igbal Abilov
Pour Farid Mehralizada
Pour Gubad Ibadoghlu
Pour Afiyaddin Mammadov
Pour Fazil Gasimov
Pour Aykhan Israfilov
Pour Elvin Mustafayev
Pour Mahammad Kekalov
Pour Ulvi Hasanli
Pour Hafiz Babali
et les 300 autres prisonnier·es politiques.
Alors que ces prisonnier·es politiques languissent derrière les barreaux, torturé·es dans le silence, le monde regarde ailleurs. Pendant des décennies, le monde a détourné le regard et toléré un dictateur qui opprime son propre peuple. Ces puissances ont non seulement toléré un dictateur, mais elles ont rendu son règne possible en alimentant son clan avec l'argent du pétrole. Ce n'est qu'au moment où cette dictature est devenue dangereuse pour les pays voisins que certains ouvrent les yeux. Aliyev n'a pas réussi à résoudre ce conflit pendant près de 20 ans au pouvoir. Il a déclenché une guerre avec l'Arménie et à procédé à un nettoyage ethnique des Arménien·nes. Cependant, même à cette époque, nous voyons comment le profit peut rendre à nouveau indifférent·es ceux qui ont une voix.
Aujourd'hui, nous disons : C'en est fini de l'autoritarisme. L'autoritarisme ne peut pas être « blanchi ». L'hypocrisie doit cesser. Nous appelons les participant·es à la COP29 à exiger la libération des prisonnier·es politiques en Azerbaïdjan et à rejeter toute forme de complicité avec la dictature d'Aliyev. La justice environnementale doit être synonyme de liberté, et non d'oppression déguisée en durabilité.
2. Faire en sorte que notre région cesse d'être un champ de bataille pour les intérêts capitalistes et impériaux
Depuis que les premiers puits de pétrole ont été forés en Azerbaïdjan, notre région a souffert du joug des forces impériales. Aujourd'hui, la Russie et l'Occident, ainsi que des puissances régionales comme la Turquie, exploitent notre région à des fins de profit et de contrôle, aggravant les divisions au sein de notre peuple. Sous couvert d'« énergie verte », l'Occident cherche de nouveaux marchés d'extraction, tandis que la Russie et la Turquie s'accrochent à leurs ambitions impériales. Nos pays sont utilisés comme des pions, des lieux de conflit et de profit, déchirés par des intérêts extérieurs. Rien n'a vraiment changé en un siècle : la logique coloniale et impériale du « diviser pour régner » se poursuit.
Mais aujourd'hui, elle revêt un nouveau masque, celui de l'énergie « verte et durable ». Sous le nom d'énergie verte – un nouveau masque pour l'extractivisme enveloppée dans la rhétorique de la durabilité et ancrée dans le profit – les alliés du Nord visent à profiter du transit de l'énergie verte et des biens en provenance de l'Est. Mais pour les empires « intermédiaires » comme la Russie, nous ne sommes qu'un atout et une ex-colonie – la périphérie de l'Empire, qu'elle ne veut pas perdre.
Le fait d'être au carrefour des empires et du capital mondial est synonyme d'effusions de sang, de guerres et d'énormes souffrances pour nous, les peuples indigènes de ces terres. Nos élites nationales font partie du même club que les puissances coloniales et le capital et ne seront jamais de notre côté. Elles n'hésiteront jamais à nous imposer la guerre et la dévastation pour conserver leur pouvoir. C'est ce que le régime azerbaïdjanais a fait en 2020 en menant une guerre et, plus tard, en 2023, en procédant au nettoyage ethnique des Arménien·nes de leurs maisons. Soyons clairs : les plans de l'Azerbaïdjan visant à transformer le Haut-Karabakh en une soi-disant « zone verte » est un programme d'exploitation fondé sur le déplacement ethnique, l'extraction de matières premières et la monopolisation des ressources.
Aux profiteurs : la « transition verte » de notre région ne doit pas se faire aux dépens de notre peuple, ni aggraver les inégalités, ni exploiter nos ressources. Nous exigeons une transition qui soit au service des populations, et non des entreprises ou des empires mondiaux.
3. Tenir les tyrans locaux responsables
L'impérialisme nous entube, mais cela ne rend pas nos dictateurs locaux meilleurs pour autant. Ces soi-disant dirigeants n'apportent que dévastation, insécurité et pauvreté. Après plus de 20 ans de règne d'Aliyev, qui a succédé aux 30 ans de règne de son père, le peuple azerbaïdjanais n'a connu que la souffrance : absence de nourriture décente, de soins de santé, d'emplois, d'éducation et de liberté.
En Géorgie, cela fait plus d'une décennie que l'on souffre sous le règne du Rêve géorgien et d'Ivanichvili. La population a été confrontée à un système de santé défaillant, à des emplois précaires et à une économie néolibérale qui n'offre rien d'autre que la misère. Aujourd'hui, M. Ivanishvili veut supprimer la liberté d'expression et de réunion, en se cachant derrière l'excuse d'une conspiration du « Parti de la guerre mondiale », qui permet commodément à la Russie d'échapper à toute responsabilité dans sa guerre en Ukraine et dans le chaos qui règne dans notre région.
Ces aspirants monarques détiennent une part considérable de nos économies. Ivanishvili contrôle à lui seul un tiers du PIB de la Géorgie, tandis qu'Aliyev et sa famille, sans parler de ses filles, sont assis sur une somme estimée à 13 milliards de dollars, soit près de la moitié du budget national de l'Azerbaïdjan.
À nos soi-disant dirigeants, nous disons : « Le peuple mérite la dignité, pas les dictateurs.
4. Soutenir le Caucase : Non isolé, mais comme un élément essentiel de la lutte mondiale
Les pays du Caucase du Sud – l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Géorgie – ne sont pas isolés et dépendent fortement de la politique mondiale, mais ce n'est pas une voie à sens unique.
Aujourd'hui, le régime azerbaïdjanais est désespéré et revendique donc un pouvoir régional. Il tente d'accueillir la COP29, d'influencer les élections en Géorgie, de s'engager activement dans la politique en Turquie, d'avoir un bastion en Asie centrale, d'acheter des politiciens européens, de s'engager dans un lobbying illégal aux États-Unis et, bien sûr, de forcer l'Arménie à se soumettre politiquement après la défaite de 2020. Ce qui est le plus ignoble, c'est le rôle qu'elle joue et le soutien qu'elle apporte au génocide de Gaza en approvisionnant Israël en pétrole et en gaz. Plus de 40 000 personnes sont massacrées par le régime israélien avec le soutien du régime azerbaïdjanais, et sa compagnie pétrolière nationale – SOCAR – en est honteusement complice.
Nous ne sommes pas séparé·es de la politique mondiale, de ce qui se passe dans le reste du monde. Nous ressentons le chaos et les turbulences des relations internationales plus que les habitant·es des métropoles.
Nous, les peuples du Caucase, rejetons la cupidité, la violence et l'hypocrisie de nos élites et de leurs alliés mondiaux.
Notre appel à l'action
Nous appelons toutes les personnes, tous les mouvements et tous les dirigeants à reconnaître que le régime de l'Azerbaïdjan est l'antithèse de la justice. Unissons-nous pour dénoncer ces crimes, pour amplifier les voix de celles et ceux qui sont réduit·es au silence et pour nous réapproprier les discours sur la justice sociale. Seul un monde qui donne la priorité à la liberté et à l'égalité sur le profit, et à la résilience des communautés sur la croissance capitaliste, peut maintenir la vie sur cette planète.
À celles et ceux qui tentent de nous diviser, nous disons :
Nous ne choisirons pas entre le fascisme génocidaire et le fascisme non génocidaire.
Nous ne choisirons pas entre la Russie et l'Occident.
Nous ne choisirons pas entre la famine et une fausse liberté.
Nous ne choisirons pas entre vos valeurs traditionnelles imposées et vos valeurs « civilisées ».
Nous rejetons ces fausses dichotomies. Nous disons : La peste est dans vos deux maisons.
Notre lutte est mondiale, notre solidarité indéfectible, notre engagement inébranlable. Fini le silence. Finie la complicité.
22 novembre 2024
https://links.org.au/caucasus-feminist-anti-war-movement-against-azerbaijans-authoritarianism-cop29-green-capitalism
Publié pour la première fois – 18 novembre 2024 sur LeftEast
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Pétrole en Afrique : avec l’UE, c’est sang pour sang de profits

Cabo Delgado, situé au nord du Mozambique, est le lieu d'une guérilla djihadiste qui a débuté en 2017 lors d'une attaque de postes de police de la ville de Mocímboa da Praia. Ce groupe est formé de jeunes qui ont mis en cause les pratiques de l'islam des populations, la jugeant non conforme.
Tiré d'Afrique en lutte.
Le péril jeune
Cette milice baptisée Ash-Shabab, signifiant « les jeunes », a fait allégeance à l'État islamique. Au-delà de la dimension religieuse, leur propagande dénonce la corruption du gouvernement et l'appropriation des terres des villageoisEs pour piller les ressources naturelles. Aux causes religieuses et économiques de cette guérilla s'ajoutent des motivations communautaires. Au fil des ans, les djihadistes se sont renforcés grâce à l'adhésion, forcée ou non, d'une partie des populations.
Cette situation est le principal obstacle pour l'exploitation d'un des plus grands gisements de gaz. Des entreprises étatsunienne (Exxon Mobil), italienne (Eni) ou française (TotalEnergies) s'y sont positionnées. Cette dernière a investi plus de 20 milliards de dollars dans l'installation d'infrastructures qui ont causé l'expulsion des populations de leurs terres.
Au service des multinationales
Le gouvernement mozambicain s'est refusé à tout dialogue ou réformes qui auraient pu désamorcer le conflit. Il a choisi la manière forte en utilisant l'armée pour régler cette affaire en vain, puis l'emploi des mercenaires de Wagner qui a tourné au désastre. Les autorités ont fait appel à la SADC, la communauté de développement de l'Afrique australe. Elle a déployé une mission militaire qui a pris fin en juillet 2024 avec un bilan mitigé. Les forces rwandaises, également présentes, ont réussi seulement à établir un cordon protecteur autour des installations industrielles.
L'Union européenne a participé aux financements de toutes ces interventions militaires par le biais de la FEP (Facilité européenne pour la paix) et par des missions de formation militaire dans le cadre de EUMAM-Mozambique, financées à hauteur de plus de 80 millions d'euros.
Financer un pays envahisseur
Les troupes rwandaises ont bénéficié également de 20 millions d'euros l'année dernière. La France et l'Italie ont insisté avec succès pour que cette aide soit reconduite en dépit de l'agression militaire du Rwanda en République démocratique du Congo. Le récent rapport d'Human Rights Watch documentant la pratique systématique de la torture dans les geôles rwandaises n'aura pas infléchi la décision. Si ce versement est assujetti à des conditionnalités pour la forme, elles ne pourront être contrôlées, si tant est que l'Union européenne en ait la volonté.
Quant à TotalEnergies, elle participe à la politique de sécurisation en versant des primes aux militaires mozambicains de la Joint Task Force, structure dédiée à la protection du site gazier. Elle s'est illustrée par des graves violations des droits humains dans l'enceinte même de la multinationale, mais peu importe pour elle, business is business.
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RDC : Une guerre de trente ans

Le dernier rapport de l'ONG Médecins sans frontières (MSF) fait état d'une très forte augmentation des violences sexuelles au Kivu, région orientale de la RDC. Plus de 25 000 femmes ont été soignées, sans compter celles qui préfèrent se taire. Un chiffre qui en dit long sur le calvaire que subit la population. Des violences dont sont coupables autant les différentes milices qui pullulent que les acteurs étatiques de la région. Quant aux puissances occidentales, si la France est à l'origine de cette guerre continue, les autres restent dans un attentisme confinant à une complicité garante d'un approvisionnement en minerais indispensables aux industries de haute technologie.
Tiré d'Afrique en lutte.
En 1994, c'est un dictateur sur le déclin qui cède aux pressions des représentants de la France pour faire de la région du Kivu la base arrière de l'opération militaire Turquoise au Rwanda, présentée comme une action humanitaire.
Du génocide rwandais à la guerre du Congo
Mobutu, alors au pouvoir depuis près de trente ans au Zaïre, qui deviendra plus tard la République démocratique du Congo (RDC), ne savait certainement pas que son accord allait ouvrir non seulement la fin de son règne mais le début de trois décennies de conflits. Une guerre hélas qui se prolonge toujours devenant une des plus longues et des plus meurtrières de l'histoire moderne de l'Afrique.
Bien que soutenu par la France, le pouvoir génocidaire rwandais n'est pas parvenu à contenir l'offensive du Front patriotique rwandais (FPR) dirigé par Paul Kagame et composé en grande majorité d'exilés tutsis mais aussi d'opposants hutus. Le FPR, en conquérant le pouvoir, a mis fin à l'extermination des Tutsis, provoquant la déroute du régime rwandais. Ce dernier a entrainé la population dans sa fuite, notamment vers le Zaïre, encadrée par l'opération française Turquoise.
Cette opération militaire a permis l'exfiltration des principaux dirigeants et de nombreux acteurs du génocide. À partir des camps de réfugiés, ils ont ensuite tenté de reconquérir le pouvoir par la force avec les armes conservées lors de leur exil mais aussi par des livraisons qui ont eu lieu en RDC sans que les autorités françaises ne s'y opposent.
Alors que le Rwanda était dévasté, les nouvelles autorités ont considéré les camps de réfugiés comme des menaces graves pour la sécurité du pays. C'est à partir de ces camps que les génocidaires ont recruté des combattants pour lancer leurs attaques contre le pays dans l'objectif captieux de reconquérir le pouvoir. Ils se sont installés durablement dans la région orientale du Congo et ont créé une milice, le Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR).
Paul Kagame a mené des opérations armées contre les camps sans faire de distinction entre civils et génocidaires, et, avec l'aide de l'Ouganda, il a provoqué la chute du régime de Mobutu considéré comme bien trop conciliant avec les membres de l'ancien régime rwandais.
L'interventionnisme rwandais et ougandais
Le Rwanda et l'Ouganda ont participé à la création d'une guérilla l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) conduite par Laurent Désiré Kabila qui au bout de quelques mois s'est emparé du pouvoir. Ce fait militaire est considéré comme la première guerre du Congo.
Une fois nommé président, Laurent Désiré Kabila a souhaité le départ de ses anciens alliés rwandais et ougandais qui espéraient influencer le gouvernement à leur profit. Leur objectif étant de transformer le Congo en une sorte de dominion permettant à la fois la sécurisation de leur frontière respective et l'exploitation des richesses du pays. Cette volonté de domination de la RDC a été la principale raison de la seconde guerre du Congo, dans laquelle seront impliqués d'autres pays et qui a vu la multiplication de milices.
Un accord de paix a été conclu, débouchant sur des élections remportées par Joseph Kabila, le fils de Laurent Désiré. Cependant, les problèmes de fond perdurent et alimentent les conflits successifs que connait le pays.
La politique rwandaise
L'apparition des FDLR a été un élément supplémentaire de crise. Cette milice s'en est pris aux populations et plus particulièrement à la communauté tutsi. Une communauté composée des Banyamulenge, une population présente au Congo depuis le 19e siècle, ainsi que des Tutsis venant du Rwanda, issus d'une immigration plus récente initiée par les colons belges. Cette communauté est régulièrement victime d'un ostracisme alimenté par des politiciens l'accusant de soutenir le Rwanda et remettant en cause la « congolité » de ses membres. Dans ce contexte s'est créé le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), une milice qui entendait protéger les Tutsis de RDC et qui sera soutenue par le Rwanda.
En parallèle de cette politique, l'exploitation des richesses congolaises a pris au fil du temps de plus en plus d'importance pour le Rwanda. Dès 1999 les troupes rwandaises et ougandaises alliées qui soutenaient l'AFDL se sont affrontées pour le contrôle des mines d'or dans la région de Kisangani, débouchant sur l'accord de Mweya. C'est cette compétition entre l'Ouganda et le Rwanda pour l'exploitation des richesses qui au fur et à mesure déterminera la politique rwandaise en RDC.
Le CNDP et le gouvernement congolais ont signé un accord de paix le 23 mars 2009. Celui-ci a donné son nom, M23, à la prochaine milice qui se crée, trois ans plus tard, pour contester l'application de l'accord. Le M23 a pris de l'ampleur et est arrivé à s'emparer de la grande capitale régionale Goma. Inquiets par la déstabilisation potentielle du pays, les occidentaux ont alors fait pression sur les autorités rwandaises en suspendant une aide de 200 millions de dollars pour qu'elles cessent leur soutien au M23. En parallèle s'est créé un bataillon offensif de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), composé de 3 000 soldats provenant d'Afrique du Sud, du Malawi et de la Tanzanie qui réussiront à vaincre cette milice en 2013.
La contre-offensive de Kagame
Alors que le M23 après sa défaite ne faisait plus parler de lui, il est réapparu en novembre 2021. Au départ, aucun élément particulier n'est à signaler. Les FDLR depuis longtemps ne représentent plus une menace pour le Rwanda, on n'enregistre pas non plus d'attaques contre la communauté banyamulenge. Le seul fait marquant est, six mois plus tôt, la signature d'un accord de construction d'infrastructure routière avec l'Ouganda sur deux axes Kasindi-Beni-Butembo et Bunagana-Goma, cette dernière route passant à quelques kilomètres de la frontière rwandaise. Cet investissement marque la volonté des autorités congolaises de développer un partenariat économique avec l'Ouganda, qui conduirait à marginaliser le Rwanda. Le M23 devient donc un élément de pression sur Kinshasa. Il mène des opérations militaires de conquête de territoires, soutenues massivement par Kigali (capitale du Rwanda) qui lui fournit des hommes et des armements lourds et sophistiqués. Il occupe une grande partie des territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo. Le M23 tente aussi de jouer une partition politique remettant en cause le pourvoir de Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo depuis 2019, avec l'intégration en tant qu'aile politique de l'Alliance Fleuve Congo (AFC) de Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et artisan de l'élection truquée de Tshisekedi en 2019. Cette Alliance Fleuve Congo tente de fédérer l'ensemble des oppositions au gouvernement et de se présenter comme une alternative politique.
D'une certaine manière, Kagame a deux fers au feu, s'il doit faire des concessions au niveau militaire, il pourra toujours garder une influence sur la vie politique intérieure du pays. Même si c'est de manière feutrée, Kagame évoque aussi la remise en cause de la frontière coloniale en se référant aux conquêtes du roi rwandais Rwabugiri au 19e siècle qui aurait conquis les actuels territoires de Rutshuru, de Masisi et de Walikale. Une interprétation réfutée par la plupart des historiens qui ne font état que de quelques prises de chefferies accolées au Rwanda comme celles de Jomba et de Bwisha.
L'impuissance du gouvernement congolais
Félix Tshisekedi caressait l'espoir de réitérer ce qui s'était passé avec le CNDP, une pression financière des occidentaux à l'encontre du Rwanda et une offensive militaire d'ampleur de la MONUSCO. Cette option n'est plus possible. Le Rwanda est devenu un point d'appui des politiques africaines des USA et de l'Europe, de par sa participation efficace aux missions de paix onusiennes, son rôle de sécurisation de l'installation des majors pétrolières comme TotalEnergies au Mozambique et son acceptation des migrants refoulés de Grande-Bretagne – même si ce projet a été abandonné par le nouveau gouvernement britannique. Acculés par les preuves des experts de l'ONU, les occidentaux se sont contentés d'assortir leur condamnation du Rwanda de quelques sanctions pour des officiers rwandais directement impliqués dans l'intervention en RDC. Pourtant, les pays occidentaux ont les moyens de faire cesser cette politique d'agression du Rwanda. En 2021, le pays a bénéficié de 1,25 milliard de dollars d'aide, l'équivalent des deux tiers de son budget.
Les autorités congolaises ont alors fait appel à la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC en anglais). La Force régionale de la Communauté de l'Afrique de l'Est (EACRF en anglais) débarque dans le pays en novembre 2022. Elle est composée essentiellement de troupes du Kenya, qui espère un retour économique de son investissement militaire. Cependant le Kenya n'était pas prêt à une confrontation militaire avec le Rwanda et a essayé de déployer des efforts diplomatiques. En vain. Elle a été renvoyée au bout d'un an en raison de son inaction et les autorités se sont tournées vers les pays de l'Afrique australe. Ainsi, mi-décembre 2023 a été mise en place une mission militaire composée de soldats de Tanzanie, du Malawi et d'Afrique du Sud. La South African National Defence Force étant la force principale avec un déploiement de 2 900 soldats, sans que les résultats sur le terrain soient très probants.
Au niveau national, Tshisekedi a décrété l'état d'urgence dans les zones des Kivu. Cela a impliqué le plein pouvoir des militaires, pas forcément aptes à gérer des régions, et surtout cela a débouché sur une totale impunité de leur politique arbitraire, voire violente, contre les populations. Cette mesure a permis aussi aux officiers de s'enrichir en mettant la main sur les services de douanes, d'impôts, et d'achat des services municipaux et régionaux. Un rapport de synthèse des auditions sur l'évaluation de l'état de siège établi en 2021 indique que sur la somme de 37 millions de dollars débloquée pour ces régions, 53 % ont fini dans les poches des officiers supérieurs à Kinshasa.
Les autorités congolaises sont parfaitement conscientes de l'état déplorable des Forces armées de la RDC (FARDC). Elles sont une sorte de mille-feuille composé de milices armées qui, au gré des accords de paix, ont été intégrées dans l'institution, leurs chefs ayant des statuts d'officier. La plupart n'ont eu aucune formation militaire et conservent leur fonctionnement de milices avec des lignes de commandement parallèles. À cela s'ajoute la corruption. Une partie des soldes est détournée par les officiers, tout comme l'argent pour le matériel et l'énergie. Les soldats n'hésitent pas à vendre leurs munitions et parfois leurs armes aux milices locales. Le reste des soldes est tellement dérisoire que peu de soldats sont motivés pour combattre. De plus l'essentiel des émoluments des officiers viennent des primes d'opérations, souvent données de manière discrétionnaire. Ce système favorise une relation clientéliste entre subordonnés et supérieurs hiérarchiques ainsi que la pérennisation des conflits. Le gouvernement de Tshisekedi, au lieu de tenter de régler ces problèmes endémiques, préfère organiser des procès contre les soldats qui fuient les combats avec, à la clef, des condamnations à la peine capitale, sans pour autant qu'il y ait des résultats concrets sur le terrain.
Autres mesures problématiques, l'appel aux civils dans le cadre du programme des « volontaires de défense de la patrie » et la coopération avec les différentes milices qui écument la région. Ces groupes ont trouvé une nouvelle virginité – en dépit de leurs nombreux crimes – en se baptisant Wazalendo (« les patriotes » en kiswahili). Le pouvoir leur fournit des armes et ferme les yeux sur les violations des droits humains. Si leur efficacité est variable selon les milices, elle est aussi réelle, du fait de leur connaissance du terrain et de la motivation à défendre leur terre, et cette politique renforce la fragmentation communautaire du pays. Les conséquences sont graves car les communautés sont souvent en compétition entre elles pour l'accès à la terre ou/et aux richesses minérales.
On note enfin depuis quelque temps la présence des sociétés de mercenaires, comme Agemira, enregistrée en Bulgarie et dirigée par un ancien gendarme français, ou la société roumaine Asociatia RALF.
Économie de guerre
La situation de la RDC dépend fortement de la politique extérieure des pays voisins. Ainsi, les rapports conflictuels entre le Rwanda et l'Ouganda ont des effets directs sur les conditions sécuritaires du pays. C'est ainsi que les experts de l'ONU, tout en montrant le soutien fort et actif du Rwanda au M23, ont souligné également l'aide de l'Ouganda à cette milice, conséquence directe du réchauffement des relations diplomatiques entre les deux pays. Une des questions de fond est l'absence de l'État et la corruption à grande échelle exercée par toutes les personnes dépositaires d'un pouvoir aussi minime soit-il. L'État est absent dans les zones rurales, et déliquescent et prédateur dans les villes. Les politiciens, pour la plupart, activent les ostracismes communautaires dans le but de se construire une popularité permettant d'accéder à des responsabilités politiques qui ouvrent la voie aux sources d'enrichissement. Le coût du Parlement congolais entre 2021 et 2023 s'élève à 1,1 milliard de dollars, dont un tiers de dépenses irrégulières.
Les mines deviennent l'objet de conflits sans fin entre différentes milices. Dernier exemple en date, la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) s'est affrontée au « Groupe Zaïre » pour le contrôle du site minier de Bianda sur le territoire de Djugu, entraînant la mort de cinq personnes. Le Groupe Zaïre, en représailles, a assailli le village de Gbata, entrainant d'autres attaques de la CODECO qui s'est emparée du site minier de Mambeu, avec 21 morts. Ce type de confrontations violentes a lieu sur l'ensemble des territoires de l'est de la RDC.
Ainsi se développe une véritable économie de guerre basée sur les exploitations minières dites des trois T : la cassitérite pour produire l'étain, la wolframite pour le tungstène et le coltan pour le tantale. L'extraction de ce minerai se fait dans des conditions indignes où les populations, y compris les enfants, sont astreintes à un travail forcé sous la menace de milices armées et parfois même des FARDC. Le système de traçabilité certifiant que ces minéraux ne sont pas produits par le travail des enfants et ne financent pas les milices, est, de l'avis de tous, totalement défaillant et a souvent joué contre les intérêts des populations.
Cette exploitation participe à l'enrichissement des élites du Rwanda qui l'exporte vers les principales industries de haute technologie bénéficiant du soutien de l'Union européenne (UE) qui déclare « le pays est un acteur majeur au niveau mondial dans le secteur de l'extraction de tantale. Il produit également de l'étain, du tungstène, de l'or et du niobium, et dispose de réserves de lithium et de terre rares ». Et l'UE rajoute que ce protocole « contribuera à assurer un approvisionnement durable en matières premières », en particulier en matières premières critiques, « ce qui est une condition préalable essentielle à la réalisation des objectifs en matière d'énergie verte et propre ». Seul problème, le Rwanda ne produit aucun de ces minerais, et ceux qu'il fournit sont issus du pillage de la RDC.
Les milices, lorsqu'elles ne contrôlent pas des mines, vivent sur le racket des populations avec l'instauration de checkpoints installés dans les différents lieux de passage. Une autre activité fort lucrative, notamment dans le parc national des Virunga, est le commerce du charbon de bois, qui peut rapporter près de 60 000 dollars par jour aux différents groupes armés mais détruit un site caractérisé par une biodiversité exceptionnelle. D'autres sources de financement sont mobilisées comme le braconnage pour la vente de l'ivoire et la vente de viande de brousse 1 ou les activités de pêche illicite.
Une diplomatie dans l'impasse
Dans cette guerre aux multiples acteurs, l'impunité règne et ne fait que favoriser les violences contre les civils. D'autant que les armements des deux camps deviennent plus lourds avec l'utilisation de l'artillerie mais aussi de l'aviation et des drones. C'est ainsi que le M23 n'hésite pas à bombarder des camps de réfugié·es.
On compte plus de sept millions de personnes déplacées à cause des violences. Les populations n'ont comme seul choix que de quitter leur village pour rejoindre les camps de réfugié·es surpeuplés autour des grandes villes, considérées comme plus sûres.
Pour tenter de dénouer cette situation, une politique diplomatique s'est mise en place autour deux initiatives de paix, celle de Nairobi et d'Angola. La première est dédiée aux réunions entre milices armées et gouvernement congolais, la seconde se concentre sur des solutions régionales. Les autorités de la RDC refusent que le M23 soit présent dans les discussions de Nairobi, arguant qu'il ne s'agit pas d'une milice congolaise mais d'une émanation de l'armée rwandaise. Ceci étant dit, les liens entre les deux pays ne sont pas totalement rompus, des réunions entre hauts dignitaires des deux régimes continuent sous la houlette de João Lourenço, le présidant angolais. Ce dernier a annoncé, en marge de la 79e session de l'Assemblée générale de l'ONU du mois de septembre 2024, une proposition d'accord de paix entre les deux pays qui s'articulerait autour de deux axes, le retrait des troupes rwandaises et la neutralisation des FDLR. Reste un point en suspens, l'exigence de l'Alliance Fleuve Congo d'une négociation directe avec le gouvernement congolais qui s'y refuse catégoriquement. Dernièrement les FARDC ont commencé à s'attaquer aux FDLR, une façon pour le pouvoir congolais de montrer sa volonté de trouver une issue diplomatique au conflit.
Un gouvernement répressif
Le rétablissement de la peine de mort en RDC, utilisée contre les déserteurs mais aussi contre les dirigeants de l'Alliance Fleuve Congo, s'inscrit dans une politique volontaire de restrictions de la vie publique. Preuve en est l'augmentation des attaques contre le droit de réunion et de manifestation, les limites aux libertés d'expression et de la presse ou sur les réseaux sociaux avec l'adoption du nouveau code numérique, tout comme les harcèlements et les enlèvements des militants de l'ONG la LUCHA, voire les assassinats des opposants politiques comme pour Chérubin Okende, porte-parole du parti Ensemble pour la République de Moïse Katumbi. Fin août 2023, la garde présidentielle a tiré à bout portant sur les membres d'un groupe mystico-religieux, « Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations » qui manifestaient pacifiquement contre la présence de la MONUSCO, tuant au moins 57 personnes.
Pour réprimer les oppositions, les autorités ont à leur main des structures comme l'Agence nationale de renseignements (ANR), la Détection militaire des activités anti-patrie (DEMIAP) ou le Conseil national de sécurité qui possèdent chacun des prisons secrètes où les tortures sont fréquentes.
Tshisekedi, au-delà de ces déclarations, n'a nullement rompu avec la gouvernance des pouvoirs antérieurs, que ce soit sur les fraudes électorales, la corruption ou les politiques de division ethnique. Certes, le président rwandais Paul Kagame a une lourde responsabilité dans la détérioration du tissu social. Les premières victimes sont les membres de la communauté tutsie de RDC, qu'ils et elles soient Banyamulenge ou issu·es des immigrations de l'époque coloniale. Mais cette dégradation de la capacité du vivre ensemble est accentuée par la politique des autorités congolaises qui favorisent les Wazalendo, leur offrant une impunité pour leurs crimes passés et obère ainsi le futur du pays en encourageant ces milices armées, véritable terreur pour les populations.
Le 7 octobre 2024
Notes
1- La viande de brousse est un terme collectif désignant la viande provenant de mammifères, de reptiles, d'amphibiens et d'oiseaux sauvages vivant dans la jungle, la savane ou les zones humides.
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Soudan, 930 000 réfugiés dans l’est du Tchad

Depuis le mois d'avril 2023, les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, sont engagées dans une lutte de pouvoir avec les Forces de soutien rapide (FSR), contrôlées par son ancien adjoint, Mohamed Hamdan « Hemedti » Dagalo. (1)
Tiré de MondAfrique.
Les FSR sont une force paramilitaire qui trouve son origine au Darfour, une vaste région de l'ouest du Soudan dont une partie jouxte le Tchad. A partir de 2003, l'ancien président du Soudan, Omar el-Béchir, a mobilisé des milices majoritairement arabes pour réprimer des mouvements rebelles issus des communautés non arabes du Darfour, qui accusaient le pouvoir central de les opprimer. Hemedti faisait partie du commandement des Janjawids, l'une des milices progouvernementales les plus puissantes. Dix ans plus tard, le régime de Khartoum a formalisé l'intégration de ces milices dans son appareil sécuritaire en créant les FSR. Après avoir joué un rôle important dans la chute du président el-Béchir en 2019, ces forces paramilitaires ont, en octobre 2021, participé avec l'armée régulière à un coup d'Etat contre le gouvernement de transition mixte, dirigé par des civils et des militaires.
Les négociations visant à fusionner les deux forces ont exacerbé les tensions entre Burhan et Hemedti, ce qui a conduit à un conflit violent en avril 2023. Les combats ont dévasté plusieurs régions et mené le Soudan à l'effondrement.
Depuis dix huit mois, l'est du Tchad a accueilli plus de 930 000 personnes fuyant la guerre au Soudan voisin. Le conflit soudanais s'intensifiant, ce chiffre risque encore de s'accroître alors que l'aide humanitaire ne suffit déjà pas à satisfaire les besoins des réfugiés et des populations hôtes.
Les populations de l'est du Tchad, notamment celles du Ouaddaï, où se concentre la majorité des réfugiés, faisaient déjà face à une extrême pauvreté et à des divisions entre communautés arabes et non arabes. L'accroissement soudain de la population et l'importation des fractures communautaires soudanaises risquent de déstabiliser la région.
Une enquète de Crisis Group
Fuyant la guerre qui ravage le Soudan voisin, plus de 930 000 personnes ont trouvé refuge dans l'est du Tchad depuis avril 2023. La majorité s'est installée dans la province du Ouaddaï, qui souffrait déjà d'un taux élevé de pauvreté, d'une pénurie de services de base et de tensions communautaires, notamment entre groupes arabes et non arabes. L'arrivée d'un nombre de personnes supérieur à la moitié de la population totale de la province a amplifié ces vulnérabilités. Les rixes entre bénéficiaires d'une aide humanitaire insuffisante, ainsi qu'entre réfugiés et populations locales autour de l'accès aux ressources, sont désormais courantes, tandis que les tensions interethniques s'accentuent. Alors que le conflit soudanais s'intensifie, une hausse du nombre de réfugiés dans les mois à venir risque d'aggraver ces problèmes. Pour éviter ce scénario, le gouvernement tchadien devrait, avec l'appui de ses partenaires internationaux, travailler à réduire les tensions à travers un soutien économique d'urgence et des actions de sensibilisation visant à prévenir de nouveaux épisodes de violences communautaires.
La guerre au Soudan a éclaté en avril 2023, poussant vers l'exode près de vingt pour cent des quelques 50 millions d'habitants de ce pays d'Afrique du Nord-Est. Plus de huit millions de personnes se sont déplacées à l'intérieur du Soudan, tandis que trois millions ont fui à l'étranger, principalement en Egypte, au Tchad et au Soudan du Sud. Les Soudanais qui ont trouvé refuge à l'est du Tchad proviennent principalement de l'Etat du Darfour occidental, dont la capitale, Al‑Geneina, a été le théâtre en 2023 de graves exactions contre les populations non arabes, et de celui du Darfour septentrional. De nombreux Tchadiens installés au Darfour, pour des raisons familiales ou économiques, ont aussi été contraints de regagner leur pays.

La province du Ouaddai, épicentre de la crise
Les autorités de N'Djamena ont permis le déploiement rapide de l'aide humanitaire, tout en contrôlant la frontière pour empêcher l'entrée d'armes sur leur territoire. La province du Ouaddaï, frontalière du Darfour, est devenue l'épicentre de la crise : cette région semi-aride d'environ un million d'habitants, où les conditions de vie étaient déjà très précaires avant-guerre, accueille plus de 70 pour cent des personnes arrivées au Tchad pour fuir le conflit soudanais. Malgré les contraintes logistiques et sécuritaires, les agences onusiennes et les ONG internationales ont rapidement mis en place une assistance d'urgence à la frontière.
Mais cette aide ne suffit pas à satisfaire les besoins des nouveaux venus, dont la plupart sont logés dans des camps, d'autant que l'arrêt des importations depuis le Soudan entraîne une forte inflation des prix de la nourriture et que la pression démographique durcit la compétition pour l'accès à l'emploi et au logement. Au chômage et sans perspectives d'avenir, des centaines de jeunes Tchadiens rejoignent des groupes armés au Soudan dans l'espoir de s'enrichir. Les réfugiés, quant à eux, importent fréquemment au Tchad leurs griefs identitaires, en particulier à l'encontre des communautés arabes, qu'ils accusent des massacres à l'origine de leur exode. Ces ressentiments se superposent et renforcent les fractures communautaires déjà présentes dans une région qui a connu, lors de la guerre au Darfour dans les années 2000, une autre crise majeure de réfugiés.

Plusieurs facteurs risquent d'accroître la fréquence et la gravité des violences qui touchent le Ouaddaï. Alors que les combats dans la région du Darfour s'intensifient, le nombre de personnes cherchant refuge au Tchad devrait continuer à augmenter, ce qui risque d'accentuer les tensions au sein des populations locales et nouvellement arrivées sur le partage de l'aide humanitaire et l'accès aux opportunités économiques. Cette situation pourrait entraîner une augmentation des agressions à l'encontre des réfugiés, accusés par certains membres de la population hôte de faire monter les prix et de s'accaparer les ressources essentielles, notamment l'eau et le bois.
La protection contre les violences basées sur le genre est l'un des grands défis de cette crise. Les femmes et les enfants, qui constituent la majorité des nouveaux arrivants, sont en effet souvent chargés d'aller repérer ces ressources à l'extérieur des camps, et sont donc les plus exposés à ces attaques. La détérioration de la situation socioéconomique pourrait également pousser plus de jeunes hommes Tchadiens à s'enrôler dans le conflit soudanais, creusant encore davantage les fractures communautaires.
Alors que les ingérences régionales dans le conflit soudanais se multiplient et qu'un règlement négocié de la crise semble peu probable, les autorités tchadiennes, avec l'appui de leurs partenaires internationaux, devraient prendre des mesures urgentes pour limiter ces tensions. Les bailleurs de fonds devraient honorer leurs promesses de dons pour pallier les carences d'une réponse humanitaire que les Nations unies estiment sous financée. Avec davantage de fonds, les ONG et agences onusiennes pourraient cibler les principaux points de tension, en particulier l'accès à l'eau et au bois de chauffe.
Le gouvernement tchadien devrait, quant à lui, apporter un soutien économique direct pour soulager les habitants du Ouaddaï, tout en planifiant, à moyen terme, la construction d'infrastructures, notamment de routes et de systèmes d'adduction d'eau. Les autorités devraient également travailler à réduire le sentiment anti-arabe, qui a été fortement exacerbé par la guerre au Soudan. A cette fin, des messages forts de solidarité et de cohésion sociale provenant de N'Djamena, y compris via des visites du président Mahamat Déby Itno dans la région, seraient particulièrement utiles. Ils devraient être coordonnés avec l'action de réconciliation menée sur le terrain par les comités mixtes composés d'autorités locales, de chefs coutumiers et de représentants des nouveaux arrivants. Enfin, en profitant des liens familiaux et communautaires transfrontaliers, les autorités tchadiennes pourraient assumer un rôle de médiation locale entre les parties au conflit au Darfour.
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« Désarmer Bolloré » : les collectifs écologistes ciblent l’extrême droite

De nombreux collectifs écologistes figurent parmi les organisations signataires de l'appel à « désarmer Bolloré ». Signe que les mouvements environnementaux ont entamé un tournant stratégique, pour davantage lutter contre l'extrême droite.
2 décembre 2024
'est une assemblée générale qui promet d'être mouvementée. Le géant français Vivendi, dont le groupe Bolloré est l'actionnaire principal [1], a convié ses actionnaires le lundi 9 décembre à Paris, pour voter (ou rejeter) un projet de scission des différentes activités de la société. Mais d'autres personnes ont prévu de s'inviter à la fête : les organisations signataires de la campagne d'action « Désarmer Bolloré » ont appelé à se réunir « dans un furieux carnaval », au théâtre des Folies Bergère, pour perturber de manière « festive » l'assemblée générale.
Il s'agira de la première mobilisation [2] de cette campagne lancée en juillet (quelques jours après les élections législatives anticipées). « Nous devons, sans attendre de prochaines échéances électorales, unir nos forces contre les vecteurs de fascisation de la société », écrivait alors la centaine d'organisations signataires — en désignant les différentes activités du milliardaire Vincent Bolloré comme des responsables de cette « fascisation ». Parmi les adhérents de la campagne : des syndicats, des associations antiracistes et féministes, mais aussi de nombreux collectifs écologistes.
« Pendant l'entre-deux-tours des législatives, on s'est demandé ce qu'on allait faire. Il y a eu une réponse rapide et unanime : en cas de gouvernement d'extrême droite, on ne pourrait pas se cantonner à lutter contre les mégabassines », raconte Sarah [*], membre des Soulèvements de la Terre, mouvement qui s'était jusque-là fait connaître pour ses actions contre l'artificialisation des terres, le maraîchage industriel etl'accaparement de l'eau.
La militante poursuit : « Évidemment, il faut continuer à s'opposer aux mégabassines jusqu'à l'arrêt des chantiers, mais on ne peut pas faire que ça. On ne peut pas laisser la lutte contre l'extrême droite à d'autres, c'est trop grave. Il n'y a pas le choix. »

D'autres associations écologistes avaient déjà amorcé un changement de stratégie similaire, à l'image d'Action Justice Climat (anciennement Alternatiba Paris), qui a opéré en avril une scission avec le réseau national, pour lier davantage lutte contre le changement climatique et lutte contre l'extrême droite.
« On a ancré dans nos principes fondateurs la lutte contre les idées d'extrême droite. Ce sont des sujets qu'on traitait depuis longtemps, mais les derniers résultats électoraux ont démontré que c'était un enjeu urgent, à traiter maintenant », expique Léa Geindreau, porte-parole d'Action Justice Climat.
Exploitation des terres et des humains
Selon elle, les élections européennes puis le scrutin législatif semblent avoir été un « soubresaut pour le mouvement climat » dans son ensemble. Parmi les signataires de Désarmer Bolloré, on retrouve ainsi l'association pour la conservation des océans Bloom, l'association contre la bétonisation Terres de luttes, les mouvements de désobéissance civile Extinction Rebellion et ANV-COP21, l'organisation de chercheurs militants Scientifiques en rébellion…
« La cible du groupe Bolloré est apparue de façon assez évidente », dit Sarah, des Soulèvements de la Terre. Depuis les années 1990, le milliardaire breton a investi dans une multitude d'activités. Agricoles, tout d'abord : il est notamment actionnaire d'un groupe financier belgo-luxembourgeois (Socfin) qui gère des participations dans de grandes plantations de palmiers à huile en Afrique et en Asie.
Il possède également des sociétés industrielles (dépôts pétroliers, bornes de recharge électrique, portiques de sécurité, verbalisation électronique…) ; des médias (Canal+, CNews, Europe 1, Le Journal du dimanche…) ; et des entreprises dans le secteur de la musique, du livre et de la communication (Universal Music France, Hachette, Havas…).
« La mainmise qu'il a sur ses médias est un superpouvoir »
Or des enquêtes ont documenté la gestion problématique — voire illégale — de Vincent Bolloré sur ses activités. Ainsi, l'émission « Complément d'enquête » a révélé que le groupe Bolloré employait, via une filiale de la Socfin, des travailleurs sous-payés (dont des enfants) dans les palmeraies, notamment au Cameroun. Après son acquisition de différents médias, Vincent Bolloré a également licencié des journalistes, censuré des enquêtes en cours, supprimé des programmes d'investigation et placé au cœur des rédactions ses propres équipes de journalistes et de chroniqueurs aux idées réactionnaires.
« Vincent Bolloré tire de l'argent de l'exploitation des terres et des humains, à travers ses activités agricoles en Afrique et en Asie, et il l'injecte dans le rachat de médias qu'il transforme pour propager ses idées d'extrême droite », résume Sarah, des Soulèvements de la Terre. « L'empire de Vincent Bolloré est tentaculaire, il possède énormément de choses, abonde Léa Geindreau. La mainmise qu'il a sur ses médias est un superpouvoir, ça lui permet de mettre des sujets à l'agenda sur ses différentes antennes. »
« Je me sers de mes médias pour mener un combat civilisationnel », a même lâché Vincent Bolloré en petit comité,d'après une biographie écrite par le journaliste Vincent Beaufils.
Actions coordonnées et alliances
Collectifs écologistes, féministes, antifascistes, syndicaux se sont donc regroupés pour « désarmer » le milliardaire. Outre la perturbation de Vivendi le 9 décembre, une « première grande vague d'actions coordonnées, du 29 janvier au 2 février 2025 » a été annoncée le 2 décembre.
« L'une ou l'autre des ramifications de ce royaume tentaculaire est probablement implantée pas loin de chez vous, écrivent les organisations dans un communiqué. Il est d'intérêt public de faire obstacle à son développement », suggérant aux comités locaux de choisir eux-mêmes un type d'action à mener en fonction de leur situation géographique. Le milliardaire n'a pas officiellement réagi, mais Le Journal du dimanche — qu'il possède — avait dénoncé une « menace à peine voilée » en juillet.

Les organisations ont également annoncé une « première grande vague d'actions coordonnées, du 29 janvier au 2 février 2025 ».
Un collectif de libraires indépendants a d'ores et déjà appelé, le 19 novembre, à ne pas mettre en avant dans leurs magasins les ouvrages édités par les maisons du groupe Hachette, qui appartient à Vivendi. « Ces livres financent et arment, souvent bien malgré eux, une entreprise qui vise à nous détruire », écrivent-ils dans une tribune publiée dans plusieurs médias.
Depuis son rachat du groupe Hachette, Vincent Bolloré a par exempleplacé à la tête des éditions Fayard Lise Boëll, l'ancienne éditrice de la personnalité d'extrême droite Éric Zemmour (Reconquête !). Elle a depuis publié le nouveau livre de Jordan Bardella, figure du Rassemblement national.
Lire aussi : Pour la liberté de la presse et la démocratie, stoppons Bolloré
Mais en passant des manifestations contre les mégabassines à des actions contre la propagation des idées d'extrême droite, n'y a-t-il pas un risque de dispersion ? Non, répondent systématiquement les différents collectifs écologistes. « Notre écologie est une écologie décoloniale, antifasciste, queer, affirme Sarah, des Soulèvements de la Terre. On considère qu'on ne peut pas penser l'écologie sans penser la libre circulation des personnes. L'antiracisme n'est pas un champ d'action, c'est tout simplement un des présupposés de base de notre militantisme. »
« Ces alliances entre écologistes, syndicalistes, groupes antifascistes, sont intéressantes, estime Julien Troccaz, secrétaire fédéral de SUD-Rail, une des fédérations signataires de Désarmer Bolloré. On a ouvert des frontières et on voit qu'on se retrouve sur plusieurs champs de lutte partagés. Se retrouver avec toutes les composantes du mouvement social, c'est un signe de force. »
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Conférence-débat : médias et extrême droite (vidéo)

L'extrême droite mène une bataille culturelle acharnée pour imposer son agenda, ses thèmes et son vocabulaire avec l'appui de certains médias et amuseurs publics au service de milliardaires réactionnaires. Comment lutter contre cette offensive culturelle et politique ? Quelle est la responsabilité des médias indépendants dans ce combat ? Retrouvez nos réponses en vidéo avec Carine Fouteau, Mathieu Molard, Stéphane Ortega, Elian Barascud et Rémy Cougnenc.
Tiré du blogue de l'auteur.
L'extrême-droite mène une bataille culturelle acharnée pour : Délégitimer les discours critiques sur la société capitaliste Déconsidérer les gauches et les écologistes. Imposer son agenda, ses thèmes et son vocabulaire avec l'appui de certains médias et amuseurs publics au service de milliardaires réactionnaires.
À l'évidence, le groupe Bolloré en est l'exemple type, présent dans la presse écrite, la télévision, l'édition… il s'agit non simplement d'un réseau d'opinion mais d'un secteur militant.
Comment déconstruire le discours de l'extrême-droite ? Comment lutter contre cette offensive culturelle et politique ? Quelle est la responsabilité des médias indépendants dans ce combat ?
Retrouvez nos réponses en vidéo avec :
– Carine Fouteau (Présidente et directrice de la publication de Mediapart)
– Mathieu Molard (co-rédacteur en chef du site d'information indépendant StreetPress, auteur d'enquêtes sur l'extrême droite)
– Stéphane Ortega (Rapport de forces)
– Elian Barascud (Le Poing)
– Rémy Cougnenc (la Marseillaise)
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gauche.media
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