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École supérieure de journalisme : « Dick May / Jeanne Weill voulait en faire un lieu de défense de la démocratie, de la rigueur dans l’information »

10 décembre 2024, par Mélanie Fabre — , ,
« Dès les années 1890, elle s'inquiète des dérives qu'elle constate dans la presse, – appauvrissement de ses contenus, course au sensationnalisme » écrit Mélanie Fabre au (…)

« Dès les années 1890, elle s'inquiète des dérives qu'elle constate dans la presse, – appauvrissement de ses contenus, course au sensationnalisme » écrit Mélanie Fabre au sujet de Dick May, la fondatrice de la plus ancienne école de journalisme.

Par Mélanie Fabre, Le Café pédagogique, Paris, 6 décembre 2024

https://cafepedagogique.net/2024/12/06/ecole-superieure-de-journalisme-dick-may-jeanne-weill-voulait-en-faire-un-lieu-de-defense-de-la-democratie-de-la-rigueur-dans-linformation/

Mélanie Fabre est historienne, elle a consacré un travail de recherche sur cette École de journalisme. Dick May voulait en faire un lieu de défense de la démocratie, de la rigueur dans l'information, pour un « quatrième pouvoir » digne de ce nom. À méditer.

*« Le nouveau président de l'institution sera désormais Vianney d'Alançon »*

Le 15 novembre 2024, l'École supérieure de journalisme de Paris (ESJ Paris) annonce son rachat par un groupe de milliardaires mené par Vincent Bolloré, ce dernier paraissant avoir été un des premiers à se positionner dans cette initiative. Cette nouvelle pose de nombreuses questions, qu'il s'agit d'éclairer ici par une mise en perspective historique, en revenant sur les idéaux de Dick May, la fondatrice de cette école qui souhaitait en faire, en 1899, la première « université pour le quatrième pouvoir ». L'objectif était alors d'y préparer des journalistes bien formés, indépendants et attachés à la déontologie d'un métier qui s'était engagé sur une pente glissante lors du scandale de Panama puis de l'affaire Dreyfus.

Lorsque le visiteur curieux entre dans les locaux de l'École supérieure de journalisme de Paris, rue de Tolbiac, il passe devant une plaque commémorative en l'honneur de la fondatrice de l'école, Dick May, qui a également donné son nom à une bourse offerte par l'association des anciens élèves de cette école qui prend en charge, chaque année, les frais de scolarité d'un·e jeune bachelier·e prometteur·se pour sa première année d'étude à l'ESJ Paris. Dissimulée derrière un pseudonyme qui cache à la fois le fait qu'elle est une femme et qu'elle est d'origine juive – elle est fille de grand-rabbin –, Jeanne Weill est en effet la fondatrice de cette école de journalisme, la première créée en France, en pleine affaire Dreyfus. Désormais honorée par l'ESJ Paris et étudiée par plusieurs travaux scientifiques récents, Dick May doit se retourner dans sa tombe depuis le 15 novembre dernier, date à laquelle un consortium de grandes fortunes françaises, souvent impliquées dans le monde de la presse, a annoncé le rachat de l'école. On trouve parmi les investisseurs Vincent Bolloré, Bernard Arnault, la famille Dassault, mais également l'ancienne tête du Medef Pierre Gattaz. Le nouveau président de l'institution sera désormais Vianney d'Alançon, un entrepreneur très proche de l'évêque Dominique Rey, ultraconservateur.

* « Nouvelle étape de la bollorisation des médias* »

Libération, dans un article du 15 novembre, s'inquiète de cette « nouvelle étape de la bollorisation des médias », effectivement particulièrement inquiétante, et en rupture complète avec l'esprit dans lequel cette école a été fondée. Car c'est portée par les idéaux démocrates, dreyfusards et même socialistes que Dick May initie cette école qui constitue une nouveauté radicale dans le paysage universitaire. Dès les années 1890, elle s'inquiète des dérives qu'elle constate dans la presse, – appauvrissement de ses contenus, course au sensationnalisme -, mais surtout, avec le scandale de Panama, lorsque la lumière est faite sur la collusion entre les pouvoirs politiques, la puissance financière et la presse grand public. La situation semble très grave à Dick May, consciente que la France est entrée dans ce que les historiens appellent « la civilisation du journal ». En effet, de 2 millions de journaux vendus quotidiennement à Paris en 1880, on passe à 5,5 millions d'exemplaires en 1914. Alors qu'au début du XIX^e siècle, la presse était réservée à une élite économique et lettrée, à la Belle Époque, toutes les classes sociales lisent le journal, qui devient désormais, aux yeux de Dick May, un « quatrième pouvoir » évident.

L'affaire Dreyfus, qui se cristallise en 1898 et 1899 et déchaîne les passions dans la capitale, signe, pour beaucoup d'intellectuels, la faillite de la presse. La plupart des journaux sont en effet antidreyfusards et, autorisés par la loi de 1881 extrêmement libérale, versent dans l'antisémitisme, l'appel à la haine raciale et déversent à longueur de colonnes des contre-vérités qu'on n'appelle pas encore les fake news. Le journal La Croix, propriété de la congrégation catholique des assomptionnistes, se proclame alors « le plus antijuif de France », se positionne contre l'École supérieure de journalisme à sa création et attaque violemment Dick May, qui subira, dans les décennies suivantes, une véritable campagne de presse antisémite. L'ironie de l'histoire veut qu'aujourd'hui, en 2024, les assomptionnistes, propriétaires du groupe Bayard Presse, fassent partie des acheteurs de cette école de journalisme, ce qui n'a pas plu aux organisations syndicales représentatives du groupe, qui ont demandé à leur direction de se retirer du projet.

*« Attachement à la rigueur journalistique »*

Au tournant du XIXe et du XXe siècle, l'École de journalisme de Dick May est accueillie de manière très mitigée par le monde de la presse, mais la fondatrice réussit tout de même à mettre sur pied dès 1899 un cursus adéquat pour ce qu'elle considère comme un nouveau métier. Elle désire que sa formation promeuve un journalisme d'investigation, reposant sur des sources et étayé par des faits, loin de la presse d'opinion et des journaux à sensation.

Lors d'une interview publiée dans Le Temps du 3 novembre 1899, le célèbre journaliste Adolphe Brisson, futur enseignant dans l'école, mais d'abord sceptique sur cet établissement, lui demande :

– « Voyons ! vous êtes rédactrice en chef d'une feuille parisienne. On vous soumet deux comptes rendus d'un même événement, l'un strictement calqué sur les faits, mais terne, ennuyeux et monotone ; l'autre coloré, pittoresque, semé́ de traits piquants, mais où la réalité́, sans être altérée, aura subi des retouches, d'insignifiantes déformations, le coup de pinceau du peintre ou le coup de plume du poète. Pour lequel des deux opterez-vous ? Choisirez-vous la vérité́ ou la fantaisie ?
– La vérité !…
– Toute nue ?
– Toute nue !…
– Vous n'êtes pas sincère !…
– Monsieur !
– Madame la directrice !
– J'ai compris que nous allions nous fâcher. Et j'ai changé de conversation. »

Outre son attachement à la rigueur journalistique, Dick May est persuadée de l'importance des sciences sociales dans la formation de ses étudiants, et de la nécessité, pour les futurs journalistes, de disposer de cours d'économie, de sciences politiques et de relations internationales. Ces disciplines sont largement absentes de l'enseignement supérieur à la Belle Époque – d'après Dick May, « ces messieurs de l'Université ne commencent à s'intéresser aux choses que lorsqu'elles sont mortes » –, et c'est une des raisons pour lesquelles son initiative prend la forme d'un établissement d'enseignement supérieur privé, non financé par l'État.

Si, à cette époque, le caractère privé de cette institution permettait à sa fondatrice d'en faire un aiguillon pour l'enseignement public et d'explorer de nouvelles voies loin des lourdeurs administratives de l'Université française, Dick May, qui a toujours associé ses observations sur l'enseignement et sur la presse à une réflexion profonde sur la démocratie, serait sans doute bien triste de voir son école tomber dans les mains de milliardaires dont l'intérêt premier, dans cette opération de rachat, n'est probablement pas de fournir à notre démocratie des journalistes formés à la rigueur de l'argumentation, à la déontologie du métier et au respect de l'État de droit, qui lui tenaient tant à cœur.

Mélanie Fabre, LeCafé pédagogique, 2024-12-06

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Italie : une loi liberticide, esclavagiste et policière

10 décembre 2024, par Christian Mahieux — , ,
En Italie aussi, depuis de nombreuses années, sous les prétextes les plus divers, des gouvernements de différentes couleurs ont mis en place des lois visant à restreindre la (…)

En Italie aussi, depuis de nombreuses années, sous les prétextes les plus divers, des gouvernements de différentes couleurs ont mis en place des lois visant à restreindre la liberté de faire grève, de lutter, de manifester. Le gouvernement Meloni est déterminé à poursuivre cette opération en faisant faire à la répression étatique des luttes et de la contestation elle-même un saut qualitatif et quantitatif par le biais du projet de loi 1660, approuvé le 18 septembre 2024 par la Chambre des députés [Le projet de loi a été approuvé par 162 voix, contre 91 et 3 abstentions. Au moment du vote final, seuls 91 députés de l'opposition parlementaire, sur environ 160, étaient présents… Opposition qui a d'ailleurs fait voter quelques amendements pour renforcer le nombre de policiers] Avec cette « loi matraque », le gouvernement entend faire taire toutes les luttes en cours et étouffer dans l'œuf les futurs conflits sociaux, pourtant inévitables.

2 décembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/03/italie-une-loi-liberticide-esclavagiste-et-policiere/

Le projet de loi n°1660 a été présenté à la Chambre des députés le 22 janvier 2024, sur l'initiative conjointe des ministres Matteo Piantedosi (ministre de l'Intérieur), Carlo Nordio (ministre de la Justice) et Guido Crosetto (ministre de la Défense). Il engage les trois composantes de la coalition gouvernemetale, étant donné que les trois représentent, respectivement, la Lega, Forza Italia et Fratelli d'Italia.

Nouveaux délits, nouvelles aggravations des peines

La loi 1660 frappe à la fois : les manifestations contre les guerres, à commencer par celles contre le génocide des Palestiniens de Gaza, et celles contre la construction de nouvelles colonies militaires ; les piquets de travailleurs et travailleuses ; les protestations contre les « grands travaux inutiles », les catastrophes écologiques, la spéculation énergétique ; les formes de lutte que ces mouvements adoptent pour accroître leur efficacité comme les blocages de routes et de voies ferrées ; les occupations de logements vacants. La loi contient également des dispositions très sévères contre toute forme de protestation et de résistance, même passive, dans les prisons et les centres de détention des immigré⸳es sans permis, et aussi contre les protestations des membres de leur famille et les personnes qui les soutiennent. La loi 1660 va même jusqu'à sanctionner le « terrorisme de la parole », c'est-à-dire la détention d'écrits qui font l'apologie de la lutte. Derrière le recours à la catégorie « terrorisme », utilisée à dessein pour créer la peur, il n'y a rien d'autre que la lutte des classes, la lutte contre le colonialisme et les luttes sociales et écologiques.

Impunité totale pour la police

L'autre aspect de cette loi, c'est un ensemble de règlements qui assurent l'impunité totale de la police, la déchargeant de toute responsabilité pour son comportement, punissant sévèrement toute forme de résistance à ses actions, lui donnant le droit de porter des armes même en dehors du servie, et accroissant d'une manière générale ses pouvoirs.

Des règles draconiennes contre les manifestations et les piquets de grève

La plus lourde de toutes est celle qui prévoit jusqu'à 20 ans d'emprisonnement pour quiconque manifeste de manière « menaçante ou violente » pour empêcher la réalisation d'un « ouvrage public » ou d'une « infrastructure stratégique » (civile ou militaire). Les manifestations contre la TAV (Lyon/Turin, par exemple), le Pont du détroit de Messine, les nouvelles bases militaires, la plantation d'éoliennes, etc. entrent toutes dans ce champ d'application. Mais même s'il ne s'agit pas de ce type de travaux, la nouvelle peine pour résistance, violence ou menace (même la simple menace !) à l'encontre d'un fonctionnaire (même un seul), ou d'un organe de l'État, lors de n'importe quelle manifestation de rue – contre la guerre ou contre la fermeture d'une usine ou pour la liberté des camarades arrêté⸳es– va d'un minimum de 3 à un maximum de 15 ans d'emprisonnement. Il s'agit de règles répressives plus sévères que celles contenues dans le code fasciste Rocco, qui stipulait que la résistance à un fonctionnaire public dans le cadre de protestations collectives était une circonstance atténuante1.

Le blocage des routes ou des voies ferrées, moyen de lutte efficace utilisé dans les manifestations les plus déterminées, redevient un délit (non plus un « simple » délit administratif) et est puni d'une peine allant de 6 mois à 2 ans. Le fait de commettre une infraction à proximité d'une installation ferroviaire constitue une circonstance aggravante. La loi 1660 aggrave également la sanction pour ceux qui « dégradent » ou « détériorent » des biens meublés et immeubles « utilisés dans l'exercice de fonctions publiques » : de 6 mois à 1 an de prison, pouvant aller jusqu'à 3 ans en cas de récidive (pour avoir écrit sur des murs !). L'extension aux abords des chemins de fer et des ports des mesures applicables aujourd'hui pour l'interdiction d'accès aux événements sportifs2 a une fonction évidente de dissuasion contre la participation aux manifestations (telles les occupations de gares ou les récentes manifestations pour la Palestine dans les ports de Gênes, Salerne et Marghera). Le décret Caivano, qui a renforcé la répression à l'encontre des mineur⸳es, le prévoit déjà, en donnant au juge le pouvoir d'ordonner aux mineurs de ne pas participer à des manifestations politiques ou à des protestations. La militarisation des territoires réalisée ces dernières années par les assignations à résidence, les signatures quotidiennes obligatoires, les DASPO, les interdictions de manifester et les interventions policières de plus en plus fréquentes et dures contre les manifestations et les protestations, fait un saut qualitatif.

De lourdes sanctions contre les personnes occupants des logements vacants

L'occupation « non autorisée » de logements vides, effectuée avec « violence ou menace » (la violence contre les biens peut être une serrure fracturée), par des familles ou des individus sans abri est punie de peines allant de 2 à 7 ans. La réintégration rapide du propriétaire dans la possession du bien occupé devient la responsabilité de la police, qui peut le faire sans attendre une quelconque enquête judiciaire sur les circonstances spécifiques qui ont conduit à l'occupation. La sanction s'étend également aux individus ou collectifs qui apportent leur soutien. L'aggravation des peines pour la mendicité participe également de cette criminalisation de la précarité et de la marginalité sociale.

Le « terrorisme de la parole » peut être puni de 6 ans de prison !

La loi introduit deux nouvelles infractions : la première pour quiconque « se procure ou détient de la documentation préparatoire à la réalisation d'attentats terroristes et de sabotages », la seconde pour quiconque « distribue, diffuse, dissémine ou fait connaître par quelque moyen que ce soit du matériel contenant des instructions sur la préparation ou l'utilisation de matières explosives ou sur toute autre technique ou méthode en vue de réaliser un ou plusieurs délits non fautifs contre la sécurité publique, puni d'un maximum de cinq ans d'emprisonnement ». Compte tenu de l'extrême élasticité et de l'arbitraire du concept de « terrorisme » – par exemple, les terroristes sont, selon l'État italien, les organisations palestiniennes qui luttent pour la libération de leur peuple contre l'État colonial, raciste et génocidaire d'Israël, tandis que l'État d'Israël, tout en commettant un génocide par des moyens terroristes, ne fait que se « défendre » – il est évident que quiconque possède du matériel provenant de ces organisations, ou, par exemple, du matériel utile à la lutte contre les grands travaux inutiles (comme des instructions sur la manière de franchir une clôture), est passible, dans le premier cas, d'une peine de 2 à 6 ans, dans le second, d'une peine de 6 mois à 4 ans.

Parmi les plus haineuses, les mesures contre les immigré⸳es et les prisonnier⸳es

Toutes les mesures pénales décrites précédemment touchent également les immigré⸳es (il suffit de penser aux piquets de grève des travailleurs et travailleuses, qui, ces dernières années, ont été le fait, très souvent, par de salarié⸳es de la logistique immigré⸳es, ou à l'occupation d'appartements), mais certaines dispositions particulièrement odieuses les touchent spécifiquement et aggravent la législation spéciale déjà existante contre les immigré⸳es, mise en place au cours des trente dernières années sous la bannière du racisme d'État. Tout d'abord, un nouveau crime est introduit, qui frappe avec une extrême violence toute personne qui « promeut, organise ou dirige une émeute » dans un centre de rétention ou un centre d'accueil. La peine est de 1 à 6 ans (pour ceux ou celles qui y participent, elle est de 1 à 4 ans), et peut aller jusqu'à 20 ans si un membre des forces de police ou du personnel du centre subit des blessures graves ou très graves. Mais qu'est-ce qu'une émeute ? Comme pour le terme « terrorisme », le flou et l'arbitraire de la notion servent à élargir le nombre d'auteurs punissables et à alourdir les peines. Déjà aujourd'hui, la « violence », la « menace » ou la « résistance active » peuvent être punies ; avec la nouvelle loi, il sera facile de « construire » l'hypothèse d'une émeute.

Deuxièmement, les immigré⸳es enfermé⸳es dans les centres de rétention et les centres d'accueil peuvent être lourdement sanctionné⸳es en cas de « résistance passive » aux « ordres donnés », non seulement par les policiers mais aussi par le personnel des centres qui n'appartient pas aux forces de l'ordre de l'État – une règle destinée à éduquer les personnes enfermées à la soumission absolue. Troisièmement, le délai pendant lequel l'État peut révoquer la citoyenneté accordée à un étranger pour des condamnations liées au « terrorisme » est porté à 10 ans (contre 2 actuellement). Enfin, pour disposer d'un téléphone portable, l'immigré originaire d'un pays non européen doit être en possession d'un permis de séjour, que la législation de l'État rend très difficile à obtenir afin de préserver une zone d'immigration sans permis de séjour à surexploiter. Compte tenu de l'importance des téléphones portables pour tout type de communication aujourd'hui, il s'agit d'une grave amputation de la socialité des nouveaux immigrants et d'un obstacle majeur à leur processus de régularisation. Cette règle a été insérée au dernier moment et démontre qu'en l'absence d'une forte mobilisation publique et de masse, le processus parlementaire ne fera qu'exacerber la charge répressive de cette loi.

Dans le même temps, le nouveau délit de révolte pénitentiaire ou carcérale tombe comme un couperet sur le dos des prisonniers et prisonnières (dont 32% sont des immigré⸳es) : dans ce cas, quiconque « promeut, organise ou dirige une révolte » est puni d'une peine d'emprisonnement de 2 à 8 ans, pour ceux et celles qui y participent la peine est de 1 à 5 ans, mais avec des circonstances aggravantes (utilisation d'armes, blessés ou morts) la peine s'élève jusqu'à 20 ans ! La résistance passive aux ordres des gardiens de prison est également punie. Si cela ne suffit pas, une circonstance aggravante spéciale est introduite pour le délit d'incitation à la désobéissance aux lois, s'il est commis en prison ou par le biais d'écrits ou de communications destinés aux détenus.

Une disposition spécifique à l'égard des femmes

Jusqu'à présent, le report de l'exécution de la peine pour les femmes enceintes ou les mères d'enfants de moins d'un an était obligatoire ; avec la loi 1660, il devient facultatif, comme il l'est aujourd'hui pour les mères d'enfants de 1 à 3 ans.

L'énorme augmentation des pouvoirs et protections des forces de police

Leurs pouvoirs sont accrus directement lors du dégagement des maisons occupées et par le droit de porter en dehors du service, même sans permis, des armes non réglementaires ; indirectement par l'augmentation généralisée des peines pour toute forme de résistance, même passive, à leurs ordres et pour toute forme d'atteinte, même très légère, à leur corps – qui est punie d'office par des peines de 2 à 5 ans, contrairement aux atteintes aux citoyen⸳nes ordinaires, qui ne sont punies que sur plainte et avec des peines plus légères. Le seuil de 5 ans est important car il permet à la justice de mettre l'auteur présumé en prison par le biais de la détention préventive. Policiers, carabiniers, gardiens de prison deviennent ainsi des corps sacrés, comme l'ordre du capital au service duquel ils se trouvent.

Conclusion

Le Réseau Libre de lutter (Rete Liberi/e di lottare) explique : « Cette loi liberticide, esclavagiste et policière, rédigée sous la dictée des commandements militaires doit être dénoncée et stoppée ! Elle frappe toutes les luttes et formes de protestation en cours, et veut imposer dans les usines, les entrepôts, les écoles, les prisons, dans l'ensemble de la société, une économie de guerre et une discipline de guerre, avec ses terribles coûts matériels et humains pour les classes laborieuses, qui constituent l'écrasante majorité de la société. » Il faut « s'opposer à la fois à son caractère odieusement répressif et vindicatif ».

Fabrizio Burattini, militant CGIL romain complète : « Pour les forces politiques gouvernementales, il ne s'agit pas seulement de rechercher un appui facile pour cacher les vrais problèmes et s'inventer de nouveaux ennemis. L'idée que cultive l'extrême droite (et que partage en fait la « droite libérale ») est celle de régler ses comptes avec la société et ceux/celles qui l'animent, avec les conflits qui la font vivre et survivre. Et cela en frappant par des mesures ultra-répressives toute forme de solidarité : les piquets anti-expulsion, ou devant une usine menacée de fermeture, encore devant un centre de détention aux conditions inhumaines). Il s'agit d'un véritable programme politique, et non d'une simple répression. »

Concluons avec la Confederazione Unitaria di Base : « Ce n'est pas en durcissant les peines, en multipliant les délits et en poursuivant les dissident⸳es que l'on résoudra les problèmes du pays : tout cela n'est que l'expression musclée d'un gouvernement et d'une opposition de Sa Majesté qui cachent mal la sinistre volonté de mettre sous le tapis les problèmes qui accablent les citoyens et citoyennes, les travailleurs et travailleuses, les jeunes, les femmes, les personnes immigrées qui fuient la faim et les minorités ethniques. »

Christian Mahieux3

Cheminot retraité, coopérateur des éditons Syllepse [https://www.syllepse.net], Christian Mahieux est membre de SUD-Rail et de l'Union interprofessionnelle Solidaires Val-de-Marne, il coanime le Réseau syndical international de solidarité et de luttes [https://www.laboursolidarity.org/fr] et participe à Cerises la coopérative [https://ceriseslacooperative.info] et à La révolution prolétarienne [https://revolutionproletarienne.wordpress.com].

Publié dans Les Utopiques n°27 – Hiver 2024

Télécharger l'article au format PdF avec les illustrations : Les utopiques 27 – Mahieux
1 A l'exception de quelques révisions dans l'immédiat après-guerre puis dans les années 1970, pour l'essentiel le code pénal italien est encore celui rédigé en 1930 par le ministre de la Justice du gouvernement de Mussolini, Alfredo Rocco.

2 Divieto di Accedere alle manifestazioni SPOrtive (DASPO)

3 Cet article repose sur les contributions du Rete Liberi/e di lottare, du site alencontre.org et de la Confederazione Unitaria di Base (cub.it).

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La Géorgie, l’éternel recommencement

10 décembre 2024, par Sacha Dessaux — , ,
Depuis la dislocation de l'URSS en 1991, les différentes républiques socialistes ayant gagné leur indépendance peinent à la conserver. Elles oscillent entre une volonté de se (…)

Depuis la dislocation de l'URSS en 1991, les différentes républiques socialistes ayant gagné leur indépendance peinent à la conserver. Elles oscillent entre une volonté de se rapprocher de l'Occident et une influence russe qui n'accepte pas de perdre ses anciens États-clients. Le mois d'octobre dernier a vu deux de ces pays choisir leur destin : la Moldavie et la Géorgie. Dans un premier article, notre correspondant a présenté la situation en Moldavie. Cette fois-ci, c'est de la Géorgie dont il est question. Les milliers de personnes rassemblées devant le parlement dans la capitale Tbilisi protestant depuis deux jours contre la décision du gouvernement de suspendre les négociations d'adhésion à l'Union européenne témoignent des tensions que décrit notre collaborateur. La rédaction.

Tiré du Journal des Alternatives - alter.quebec
29 novembre 2024

Par Sacha Dessaux, correspondant en stage

Rare apparition publique de l'oligarque Ivanishvili encadré de drapeaux géorgiens et européens qui s'exprime pour défendre "sa" loi sur les influences étrangère. Crédit photo : FLIKR par Jelger Groeneveld - CC BY 2.0

Les faiblesses de la démocratie géorgienne

La Géorgie est le témoin tragique des faiblesses d'une jeune démocratie postsoviétique. Malgré son statut démocratique depuis la transition post-URSS, la voix du peuple peine à se faire entendre par les urnes et le pays n'arrive pas à trouver de stabilité.
Premier chef d'État de la nouvelle ère, Édouard Chevardnadze est démis suite à une révolution populaire en 2004. Le suivant, Mikheil Saakachvili, désormais emprisonné dans son pays, est forcé de s'exiler à la fin de son mandat en 2013. Il est poursuivi en justice par son successeur le sulfureux milliardaire et fondateur du parti actuellement au pouvoir Bidzina Ivanichvilli.

Ivanichvilli, justement, est un oligarque tout-puissant ayant fait sa fortune en Russie. S'il n'est plus premier ministre ni même chef de son parti, le Rêve géorgien, il reste le dirigeant officieux du pays du haut de sa fortune s'élevant à l'équivalent d'un tiers du PIB géorgien.

Alors qu'on estime que près de 80 % de la population est pro-européenne, le processus d'adhésion au statut de candidat à l'UE a été stoppé par Bruxelles, suite à l'adoption de la Loi sur les influences étrangères. Il s'agit d'une loi visant à réprimer l'opposition qui est basée sur un texte existant en Russie, ainsi qu'à l'adoption d'une loi anti-LGBT.

Le gouvernement joue donc sur deux tableaux : il est obligé de suivre la volonté populaire d'un rapprochement avec l'UE, mais il agit en sous-main pour ménager ses relations avec Moscou et surtout limiter toute opposition. Les élections d'octobre passé pouvaient alors être considérées comme un référendum pour l'accession à l'UE, puisqu'une réélection du Rêve géorgien empêcherait la relance des tractations avec Bruxelles, alors que le bloc d'opposition est fermement pro-Europe.

L'importance de cette élection combinée avec l'instabilité locale a vu de nombreux groupes observateurs internationaux être dépêchés pour s'assurer de la bonne tenue des élections et du respect du processus démocratique. Alors que le Rêve géorgien gagne les élections par une large marge (53 % de voix contre 37 % pour tous les partis d'opposition combinés), la présidente Zourabichvili pro-UE lance un appel à la fraude.
Le constat des groupes observateurs internationaux est sans appel : que ce soit par bourrage d'urne, achat de voix ou intimidation, il y a bel et bien eu fraude. La présidente parlera aussi de potentielles ingérences russes. S'ajoute à tout cela la puissance de l'appareil médiatique du milliardaire Ivanichvilli, qui a rendu dès le début la campagne absolument inégale. Malgré de fortes manifestations populaires suite à ces révélations, l'avenir à moyen terme géorgien semble s'inscrire loin de l'UE.

L'ombre russe

L'intérêt de la Russie dans la situation géorgienne est pluriel. D'abord, elle veut empêcher une avancée de l'Europe dans une région où elle est encore très influente. Aussi, elle cherche à éviter les risques de « contagion démocratique » en laissant se développer des démocraties fortes trop proches de ses frontières. Elle vise aussi à conserver une forte influence sur ce qu'elle estime être ses légitimes possessions. Cette influence est d'autant plus importante si on considère la crise qui se profile en Russie causée par l'impact financier et démographique de la guerre en Ukraine. Biélorussie, Ukraine, Géorgie et Moldavie composeraient alors un genre de ceinture de sécurité, de zone tampon entre la Russie et l'Europe, zone d'où Moscou pourrait alors projeter son influence vers les pays baltes.

L'invasion de l'Ukraine pour la Géorgie

L'invasion en Ukraine est un facteur capital d'inquiétude pour tous les pays proches de la Russie. Pour la Géorgie, elle est de plus venue réveiller un traumatisme. Dès la dislocation de l'URSS, la Géorgie a vu deux de ses régions se rebeller : l'Ossétie du Nord et l'Abkhazie. En 2008, alors que la Géorgie de Saakachvili se rapproche de plus en plus de l'Occident et surtout de l'OTAN, la Russie va affirmer son soutien aux deux républiques séparatistes en guise de réponse.

Un conflit va s'ouvrir, où l'armée géorgienne va complètement s'écraser. Les troupes russes arriveront même aux portes de Tbilissi, la capitale géorgienne. L'Ossétie du Nord et l'Abkhazie sont depuis des régions toujours revendiquées par la Géorgie, bien qu'en réalité elles soient de véritables dépendances russes qui a pu y installer des bases militaires qui sont donc dans le territoire de jure Géorgien.

Un rejet du Rêve georgien aux élections combiné avec le rapprochement vers l'Europe aurait pu être le début d'une escalade de conflit avec la Russie. Cette possibilité va logiquement inquiéter le peuple de Géorgie, pour qui la guerre est un souvenir proche. Cette situation explique aussi le résultat de cette élection qui peut paraître paradoxal, tant il semble aller contre l'intérêt idéologique d'une majorité du peuple.

L'avenir en marche

Après la confirmation de la victoire du Rêve géorgien par la commission électorale le 16 novembre, des centaines de personnes ont manifesté devant le siège de cette commission, s'additionnant aux multiples dizaines de milliers d'autres qui sont descendues dans les rues depuis le jour du scrutin. Les élu.es de l'opposition ont refusé de siéger au parlement, qu'ils estiment illégitime. Du côté du camp des vainqueurs, le premier ministre poursuit les menaces lancées par Ivanichvilli d'interdire les partis d'oppositions s'ils continuent de violer la constitution. Le rapprochement vers l'Europe, tant attendu depuis plus de vingt ans par presque toute la population, semble avoir été encore repoussé.

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France : Après le vote de la motion de censure et la journée de mobilisations du 5 décembre – Documents pour la discussion

10 décembre 2024, par Arguments pour la lutte sociale — , ,
Nous publions à titre de documents pour le débat, d'une part, le communiqué commun signé Génération-s, L'APRES et Picardie Debout en date du 06 décembre et, d'autre part, la (…)

Nous publions à titre de documents pour le débat, d'une part, le communiqué commun signé Génération-s, L'APRES et Picardie Debout en date du 06 décembre et, d'autre part, la position de la GDS exprimée par l'éditorial de Gérard Filoche.

6 décembre 2024 | Arguments pour la lutte sociale

Nous faisons remarquer que la formule employée dans le communiqué commun « Cette feuille de route et cette méthode peuvent rassembler au-delà des rangs du Nouveau Front Populaire » pose problème dans la mesure où on ne sait pas s'il s'agit d'obtenir, au cas par cas, sur des textes législatifs des majorités de circonstance ou s'il s'agit d'aller vers une alliance à vocation gouvernementale au-delà du NFP. La revendication d'un gouvernement du NFP, seul, avec Lucie Castets à sa tête, est l'urgence de l'heure. Et elle doit trouver un appui non dans la recherche d'hypothétique alliance parlementaire mais dans le rapport de forces social créé par les plus larges mobilisations sociales contre la réforme des retraites de Macron, contre les jours de carence de Kasbarian, pour les salaires, contre les licenciements, pour la reconstruction des services publics.

D'ailleurs, il est bon de souligner au passage, quand certaines directions syndicales voudraient lever le pied sur les mobilisations au prétexte qu'il n'y aurait plus de gouvernement, qu'il y a toujours un gouvernement illégitimement en place, celui démissionnaire de Barnier, « gérant les affaires courantes ». Macron nous a déjà fait le coup cet été en perpétuant pendant deux mois et demi le gouvernement « démissionnaire » de Gabriel Attal qui s'occupait activement de préparer un budget de guerre sociale contre la population laborieuse et les services publics.

Donc, les mobilisations sociales ont tout lieu d'être pour mettre effectivement à la porte Barnier et sa clique, pour imposer les revendications quelle que soit la formule gouvernementale qui sortira dans quelques jours sinon quelques semaines. Le débouché politique de ces mobilisations doit être un gouvernement NFP seul répondant aux revendications et aux besoins de la majorité sociale.

La proposition de la GDS, exprimée ici par Gérard Filoche, pose comme condition d'un pas en avant réel la constitution immédiate d'une nouvelle force de gauche, réunissant au moins Génération-s, L'APRES, GDS, la GES, Picardie Debout, Ensemble !…

La meilleure façon d'avancer vers une telle force ne serait-elle pas d'engager en commun dès aujourd'hui la bataille pour un gouvernement du NFP seul et pour une candidature unitaire à gauche. Dans le cours de l'action, les débats et les initiatives pour rassembler dans une nouvelle force de gauche irait de pair avec une structuration du NFP dépassant le cadre d'un simple cartel électoral de 4 partis (PS, PC, EELV, LFI) avec des adhésions directes de tous les supporters du NFP dans des structures de base vivantes et démocratiques.

Document 1
Communiqué commun de Génération-s, L 'Après et Picardie Debout 6 décembre 2024
GOUVERNER LA FRANCE : UNE FEUILLE DE ROUTE CLAIRE ET RESPECTUEUSE DES FRANCAIS·ES ET DU PARLEMENT

Présentant onze mesures prioritaires et une méthode de gouvernement respectueuse du Parlement, la proposition issue du groupe « Ecologiste et Social » de l'Assemblée nationale est la réponse la plus démocratique et responsable pour sortir de la crise institutionnelle. Consensuelle au sein du Nouveau Front Populaire Il y a trois mois encore, elle doit s'imposer à Emmanuel Macron qui ne peut s'enfermer dans le déni démocratique plus longtemps.

Frappé d'illégitimité dès sa désignation par le Président de la République, le gouvernement minoritaire de Michel Barnier est tombé. Compromis dans une alliance objective avec l'extrême-droite, dont il a repris le langage, le programme et sollicité le soutien, ce gouvernement a donc subi la censure de l'Assemblée. L'échec et le déshonneur, en même temps.

Depuis la décision irresponsable d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée, le pays traverse une crise institutionnelle inédite dans l'histoire de la Ve République. La gauche doit se montrer à la hauteur en proposant une solution démocratique et responsable correspondant à l'expression populaire de juin dernier, assurant la nécessaire stabilité gouvernementale et permettant l'adoption de mesures urgentes pour le pays.

La proposition adoptée par les député·es du -groupe « Écologiste et Social » de l'Assemblée nationale construite par Clémentine Autain et Charles Fournier et portée par leur présidente Cyrielle Chatelain est la réponse la plus :pertinente à ces deux enjeux.

Avec 11 propositions prioritaires parmi lesquelles l'abrogation de la réforme des retraites, une grande loi pour le climat, l'augmentation des salaires et la réduction des déficits, par la recherche de nouvelles recettes faisant contribuer les plus grandes fortunes, elle fixe un cap programmatique clair répondant aux demandes largement exprimées par les Françaises et les Français lors des élections législatives.

En assumant le refus d'utiliser le 49-3 et le choix de privilégier le débat parlementaire texte par texte, elle propose une méthode respectueuse de la démocratie parlementaire et réaliste pour s'inscrire dans la durée, à rebours de l'instabilité et de la violence institutionnelles des derniers mois.

Cette feuille de route et cette méthode peuvent rassembler au-delà des rangs du Nouveau Front Populaire. Après l'échec de Michel Barnier, Lucie Castets peut porter naturellement cette alternative et contribuer à stabiliser le pays et son gouvernement.

Emmanuel Macron doit désormais cesser d'ignorer l'expression démocratique de juin dernier, et saisir la main tendue pour sortir le pays de la crise.

Document 2
Pour consolider le NFP : une nouvelle force politique, et vite !

04/12/2024 | Gérard Filoche

La nouvelle force que nous appelons de nos vœux, à la GDS, tarde à advenir. Elle n'a pourtant jamais été aussi nécessaire. C'est ce qu'affirme Gérard Filoche dans cet appel à toutes et tous les unitaires de la gauche sociale et écologique bien décidé.es à relever l'espérance. Cet article a été écrit au tout début du mois de novembre (pour la revue Démocratie&Socialisme)…Barnier était encore Premier ministre !

Le NFP ne dégage pas toute la puissance d'action et de dynamique qu'il devrait et pourrait déchaîner. Alors qu'il a réalisé une magnifique percée en juillet dernier, effet différé des grandes manifestations contre la casse de nos retraites de 2023, le NFP a créé un nouveau paysage politique et propulsé en avant la gauche unie contre le risque que fait font peser le RN et la lamentable coalition des droites, mais il reste en dessous du niveau qu'il peut et devrait atteindre.

Un sursis à exploiter

Nous sommes des millions à avoir le sentiment d'avoir connu un sursaut, mais d'être en sursis. En ce mois de novembre 2024, le NFP devait être capable de tenir des centaines de meetings partout dans le pays avec tous ses dirigeants sur les estrades pour dénoncer le budget violemment antisocial de Barnier. D'autant qu'à l'Assemblée nationale, le prétendu « bloc central » révèle qu'il n'est pas uni et qu'il se disloque au contraire d'amendements en amendements, alors que le NFP prouve, lui, qu'il est capable de trouver des majorités élargies sur nombre de ses excellentes propositions pour les trois budgets de la nation.

Aucun éditorialiste ne souligne cet événement politique, le plus important depuis la rentrée parlementaire : alors que Macron a fait un coup d'État cet été contre la coalition arrivée en tête des législatives anticipées au prétexte qu'elle ne pourrait pas gouverner dans la durée, c'est la regroupement LREM-LR, soutenue pourtant par le RN, qui ne tient pas.

L'extrême instabilité au sommet suscitée par la dissolution du 9 juin, devrait être une occasion pour la gauche de se consolider, de construire partout des comités d'action unitaires, de la base au sommet, et de préparer sur le terrain les élections législatives anticipées qui, selon toute vraisemblance, auront lieu en 2025. Le système macroniste s'effrondre, et sa faillite devrait être exploitée par les nôtres. La menace du RN fascisant et raciste empoisonne chaque jour davantage la vie politique, même si le mensonge de sa propagande antisystème se dévoile dans chacun de ses votes au Parlement.

Certes, il y a bien, ici et là, quelques comités de Front populaire, de Strasbourg à Perpignan, de Pau à Lyon, des réunions locale aussi, mais les appareils des quatre principaux partis du NFP sont loin de réaliser tout ce qui devrait être fait en ce sens. Il y a beaucoup de luttes sociales, pour les salaires, l'emploi, les droits du travail, mais pas encore assez pour que naisse une dynamique nationale. On est en attente, sur un faux-rythme. Il y a même du doute qui s'exprime, en lien avec le souvenir de la défunte NUPES. Nombreux sont les nôtres qui pensent : « Ne nous trahissez pas. Démontrez que ce que vous voulez est bien ce que nous voulons, et ensuite nous verrons. »

Quid des « grands partis » ?

Des centaines de milliers d'électrices et d'électeurs sont inquiet.es, vigilant.es et disponibles, mais que leur est-il proposé qui puisse les faire agir collectivement ? La grande masse de la gauche n'est pas adhérente dans les quatre principaux partis, ni attirée par eux. Pas assez d'attrait. Pas assez d'action. Pas assez d'union. Pas assez de dynamisme. Certes, ces quatre partis ont obtenu 28 % des voix en cumulé et sont en tête, et ils se sont un peu développés : les Verts déclarent être passés de 5 000 à 18 000 membres, le PS annonce 10 000 nouvelles et nouveaux adhérent.es en vue de son congrès de 2025. À LFI, ça va, ça vient, en accordéon, entre l'action vigoureuse des groupes d'appui, et les recentrages, épurations et autres déconnections. Quant au PCF, il connaît la crise, Roussel ne sachant trancher s'il est unitaire ou non.

Comment la grande masse des « sans partis » pourrait-elle être attirée par le PS, tant que la menace des droitiers « hollandais » freine les efforts d'Olivier Faure pour ancrer résolument son parti à gauche ? Disons qu'il fait de son mieux et mérite le soutien de toute la gauche sur cette ligne. Mais le cœur de la gauche est bien plus à gauche que le PS. Ce qui pousse beaucoup jusque-là à se sentir plus proches de la combativité de LFI, mais avec grande défiance à son égard, car elles et ils ne supportent pas son fonctionnement résolument antidémocratique, ni le fait que sa direction soit par-là même totalement incontrôlable.

Espace disponible

C'est pourquoi, selon la GDS – et nous ne cessons de l'expliquer, de le souligner chaque jour –, il y a un grand espace pour une force politique nouvelle, capable de tirer les leçons du passé et d'être utile au Nouveau Front populaire. Entre le PS et LFI, il y a une disponibilité. Un « gisement » de plusieurs dizaines de milliers de militantes et de militants, jeunes et moins jeunes. Une force nouvelle pas pour disperser un peu plus, mais pour rassembler. Pas pour se concurrencer davantage, mais pour souder. Ni gauchistes, ni réformistes, mais au cœur d'une recherche de transformation sociale profonde, clairement dans le camp du travail contre le capital. L'excellent programme du NFP le permet.

On les rencontre dans toutes les initiatives, ce sont les mêmes avec Ruffin à Flexicourt et Lucie Castets à Hérouville, d'Épinal à Marseille, de Montpellier à Pau, de Nantes à Paris : on se croise, on se reconnaît dans les actions syndicales, d'Arras à Charleville, de Nice à Orléans, que ce soit dans les salles de François Ruffin, dans les meetings de Clémentine Autain et d'Alexis Corbière, ou même parmi celles et ceux qui sont allés à Blois ou à Valence, qu'on a retrouvés dans les manifs du 1er octobre, les commémorations du 17 octobre ou dans les nombreux « appels » et « pétitions » pour les droits des femmes, des immigrés, pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza.

L'union fait la force

Au sein de cette mouvance bien identifiable et massive de la gauche, il existe une pléiade de petites forces organisées, avec des cadres politiques expérimentés, des militants dévoués, un savoir-faire énorme, mais elles ne servent quasi à rien, elles sont ventilées tant qu'elles restent dispersées. Elles ont souvent les meilleures idées, la meilleure version pratique du programme, les meilleurs comportements démocratiques, mais tant qu'elles ne se décident pas à fusionner et à peser ensemble, elles n'ont pas l'impact qu'elles pourraient et devraient avoir. Tous les jours, la GDS le répète, notamment à l'Après, à Génération.s, à Ensemble !, à la GES, à Picardie Debout ! : faisons un parti commun, engageons des assises fondatrices ! Vite !

Il faut en faire prendre conscience, aucun de ces mini-partis ne percera seul. Pas de miracle spontané de la base. La base,elle, est demandeuse, elle attend, mais elle ne fera pas seule ce que ni les grands ni les petits partis ne sont pas capables de réaliser.. Il n'y aura pas de Bourgogne debout ! de Nantes debout ! Et il est impossible de « gagner » sans rassembler ! L'Après ne fera pas un parti seul. Génération.s n'a pas d'avenir seul. Ensemble ! ne survivra pas davantage seul. « Je » ne vaut rien. Sans fusion , aucun « Je » n'imposera sa candidature comme commune. Sans collectif, les élus de L'Après, de Génération.s, de Picardie debout ! se feront balayer dans le choix des circonscriptions en 2025. Sans parti commun, ils ne seront même plus identifiés par les électrices et les électeurs.

Seul un parti de gauche unifié, identifié peut agir. Sans fusionner, ils ne compteront plus à aucune table, ni pour agir ni pour négocier. Ils auront des candidat.es contre eux et perdront. Ne pas fusionner au plus vite, c'est suicidaire. 2025 sera l'année butoir. Pour les municipales de 2026, comme pour des candidatures uniques à d'éventuelles législatives, et à la présidentielle de 2027 (si ce n'est pas avant), dès le premier tour. Chaque jour compte, car le temps presse.

Toutes et tous ensemble !

Sans parti commun, ce sera le désarroi : ni les militants ni les dirigeants de ces groupes ne seront à la hauteur des prochaines échéances, aussi bien dans les luttes que dans les élections. À part des poignées valeureuses de militant.es très impatient.es et conscient.es, les dizaines de milliers de sympathisant.es disponibles ne se tourneront en aucun cas vers ces petits groupes s'ils restent séparés. Ce ne sera pas le cas s'ils annoncent un congrès de fusion pour une nouvelle force clairement unioniste et démocratique. S'ils créent un nouveau parti, un vrai, où on adhère, où on cotise, où on débat, où on vote, où on décide et agit efficacement, collectivement, loyalement. Un parti qui fasse son entrée solennelle dans le Nouveau Front populaire, dynamisant du même coup celui-ci. Il faut y croire, relever le défi, démontrer que c'est possible pour donner confiance.

Ce que chacun ne peut faire isolément, c'est l'annonce par toutes et tous, ensemble, de l'addition dynamique de nos forces en un seul parti, qui le fera. Il n'y a pas de baguette magique qui fait surgir des cadres, des collectifs, des militant.es de masse, des jeunes, des « salarié.es de première ligne » par millions. C'est une pure illusion. Un fantasme dissolvant.

Pour progresser, il faut d'abord rassembler, réunir, additionner, mettre en mouvement le meilleur de la gauche existante, bâtir soigneusement à la base comme au sommet. Donner l'idée qu'on méprise ces militantes et ces militants formé.es, que ce sont des has been, qu'on va leur passer par-dessus pour « faire du neuf », c'est se couper collectivement les ailes. C'est paralyser ce qui est disponible au nom d'un futur qui ne verra pas forcément le jour. Et si c'est un « Je » qui émerge, peu en voudront. Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais de « sauveur suprême ». Aucune forme de bonapartisme ne peut faire gagner le salariat des tours et des bourgs, des quartiers et des champs. Le salariat, c'est une classe sociale ; ce n'est pas un « Je », c'est un « Nous ».

Nous sommes en route, depuis septembre, pour créer ce « nous » ! Il faut désormais avancer publiquement. Pourquoi pas un Comité de liaison permanent ou une Alliance des forces d'ores et déjà disponibles pour agir et rassembler celles et ceux qui, sans partis à ce jour, veulent s'engager pour l'unité ? Une alliance ouverte aux hésitants, aux personnalités de la société civile, pour poursuivre les discussions vers un Parti des gauches unitaires large, démocratique, ouvert à toutes et tous, au cœur du Nouveau Front populaire.

C'est maintenant ! Debout ensemble ! Rassemblons-nous pour que le NFP élargi, démocratisé, dynamisé, l'emporte contre Macron-Barnier-Le Pen !

Source : http://www.gds-ds.org/pour-consolider-le-nfp-une-nouvelle-force-politique-et-vite/

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Le gouvernement censuré : une victoire démocratique contre le 49.3

10 décembre 2024, par Gauche écosocialiste — , ,
Michel Barnier et son gouvernement viennent d'être censurés par l'Assemblée nationale après avoir tenté d'imposer, à travers un 49.3, un projet de loi de financement de la (…)

Michel Barnier et son gouvernement viennent d'être censurés par l'Assemblée nationale après avoir tenté d'imposer, à travers un 49.3, un projet de loi de financement de la Sécurité sociale désastreux. Ce vote de censure historique marque une étape décisive pour la démocratie. Il met fin à un éphémère gouvernement Barnier, qui n'aura tenu trois mois que par le soutien combiné de la Macronie, de la droite et de l'extrême droite, et à ses tentatives de démantèlement des acquis sociaux.

4 décembre 2024 | tor du site de la Gauche écosocialiste
https://gauche-ecosocialiste.org/le-gouvernement-censure-une-victoire-democratique-contre-le-49-3/

Le projet de loi rejeté aurait vidé les caisses de la Sécurité sociale, menaçant l'avenir de nos hôpitaux, aggravant la précarité des soignants, gelant les retraites, rendant les consultations médicales et les médicaments inaccessibles. Ce texte, défendu malgré tout par Michel Barnier, ne laissait place à aucune concession réelle, contrairement à ce qu'il a pu prétendre.

Le Nouveau Front Populaire (NFP) a déposé une motion de censure qui a été adoptée avec un large soutien des parlementaires. Ce vote a eu raison d'un gouvernement autoritaire et déconnecté des réalités sociales. Plus encore, il marque un désaveu de la politique menée par Emmanuel Macron, qui s'accroche coûte que coûte à des mesures favorisant les plus riches, au détriment du plus grand nombre.

Avec ce vote de censure, Emmanuel Macron a seulement deux options : nommer un gouvernement du Nouveau Front Populaire mené par Lucie Castets pour répondre aux attentes des Français ou démissionner pour permettre au peuple de s'exprimer de nouveau par les urnes.

Cette censure est une victoire pour le NFP, les citoyens mobilisés et toutes celles et ceux qui refusent la destruction de notre modèle social. Elle montre qu'il est possible de stopper les dérives d'un gouvernement et de poser les bases d'une alternative démocratique, écologique et sociale.

Pour sortir de la crise politique et répondre aux attentes du pays, la Gauche Ecosocialiste réaffirme son soutien au NFP qui doit se préparer à prendre le pouvoir pour mettre en œuvre son programme basé sur la justice sociale, la bifurcation écologique et la souveraineté populaire. Il faut construire le NFP de la base au sommet, proposer un gouvernement conduit par Lucie Castets. Afin de parer à toute éventualité, il faut se mettre d'accord pour une candidature unique et commune sur une base de rupture à l'élection présidentielle.

Communiqué de la Gauche écosocialiste.

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Le malaise allemand : crise économique, montée de la droite et affaiblissement de la gauche

10 décembre 2024, par Leandros Fischer — , ,
L'annonce d'élections anticipées pour le 23 février prochain est un tournant dans la crise politique latente qui ébranle la première puissance d'Europe. L'éclatement de la (…)

L'annonce d'élections anticipées pour le 23 février prochain est un tournant dans la crise politique latente qui ébranle la première puissance d'Europe. L'éclatement de la coalition entre sociaux-démocrates, Verts et libéraux cristallise les effets de la récession économique, elle-même inscrite dans une trajectoire déclinante de plus long terme, et les divergences en matière de politique étrangère, en particulier au sujet de l'Ukraine.

Sur le plan politique, l'impopularité du bloc gouvernemental semble profiter avant tout à l'extrême droite incarnée par l'AfD. Mais, plus récemment, le paysage à gauche connait à son tour un bouleversement d'ampleur, l'effacement de Die Linke ayant permis la percée du nouveau parti de Sahra Wagenknecht, dont la combinaison de propositions sociales, d'opposition aux guerres en cours et de positions anti-migrants aux tonalités islamophobes suscite de fortes controverses.

Dans cet article Leandros Fischer, enseignant à l'université d'Aalborg (Danemark) et ancien militant de Die Linke, propose une analyse d'ensemble du malaise allemand. Sa focale porte plus particulièrement sur les reclassements en cours à gauche, sur fond de criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine et de militarisation croissante des politiques allemandes et européennes.

2 décembre 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/allemagne-crise-die-linke-bsw-afd-fascisme/

Ce n'était pas vraiment une surprise. Le chancelier allemand Olaf Scholz, qui n'est pas le plus charismatique des orateurs, a prononcé un discours inhabituellement énergique le 6 novembre dernier, et annoncé le limogeage de son ministre des finances, Christian Lindner, du parti ultra-néolibéral des Libres Démocrates (FDP). L'Allemagne se dirige maintenant vers des élections anticipées, qui auront lieu le 23 février.

L'annonce du limogeage de Lindner a sans doute surpris, mais elle n'était pas inattendue. La coalition SPD-Verts-Libéraux, au pouvoir depuis 2021, s'est révélée être un difficile mariage de convenance. Bien qu'ayant remporté les élections en mettant en avant des thèmes sociaux-démocrates classiques (notamment grâce à des dépenses publiques massives pendant la pandémie), le SPD (socialdémocrate) et, dans une moindre mesure, les Verts, ont été contraints de former une coalition avec le FDP, le parti allemand traditionnellement le plus néolibéral et défenseur acharné de la « discipline fiscale ».

Les convulsions économiques de ces dernières années ont mis à rude épreuve la déférence des Allemands à l'égard du « frein à la dette », le fameux Schuldenbremse, qui limite la capacité de l'Etat à emprunter. Le FDP voulait le conserver à tout prix. À bien des égards, la présence du FDP dans la coalition gouvernementale a servi d'alibi pratique au SPD et aux Verts au cours des trois dernières années et demi pour expliquer l'absence de mesures sociales significatives : « Oui, nous aurions aimé, mais le FDP, voyez-vous… ». Cependant, cet alibi s'est épuisé, car les différences étaient devenues insurmontables.

La cause immédiate de l'effondrement de la coalition au pouvoir a été le refus du SPD de financer l'aide militaire à l'Ukraine en puisant dans les dépenses sociales. Les sociaux-démocrates voulaient au contraire assouplir les contraintes fiscales imposées par le « frein à la dette ». Il va sans dire que le « soutien à l'Ukraine » est un point sur lequel les trois partenaires de la coalition sont d'accord, même si les Verts sont davantage encore « faucons » que leurs partenaires au gouvernement, en particulier le SPD. De manière révélatrice, Scholz a eu un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine le 15 novembre. Même si, dans la foulée, il a réitéré le soutien de son gouvernement à l'Ukraine, cet appel marque une rupture significative avec l'état d'esprit qui prévalait il y a deux ans, lorsque l'effondrement de la Russie apparaissait comme la seule issue acceptable aux yeux des dirigeants occidentaux.

Fin de cycle pour le « modèle allemand »

L'éclatement de la coalition dysfonctionnelle au pouvoir en Allemagne est à bien des égards un symptôme du malaise palpable dans lequel se trouve le pays, qui reflète la crise quasi-terminale du modèle économique qui a dominé la zone euro au cours des deux dernières décennies. Le pendant économique du discours de Scholz a été l'annonce récente par Volkswagen – la firme sans doute la plus emblématique du capitalisme allemand – de sonintention de réduire sa production en annonçant la fermeture de plusieurs usines, de réduire de 10 % les salaires et de les geler pour les deux prochaines années. Ces annonces ajoutent un nouveau clou au cercueil de l'industrie allemande, victime de la montée en flèche des prix de l'énergie et de la baisse de la demande mondiale pour les produitsmade in Germany au cours des dernières années.

En effet, la pensée à court terme qui a marqué l'ère Merkel vient maintenant hanter de nouveau le pays décrit comme « l'homme malade » de l'Europe à la fin des années 1990. Arrivée au pouvoir en 2005, Angela Merkel a poursuivi et amplifié le « programme de réformes » de Gerhard Schröder [chancelier socialdémocrate de 1998 à 2005], qui visait à mettre fin à cette stagnation. En libéralisant le marché du travail et en remodelant la protection sociale sur une base disciplinaire, les gouvernements allemands ont rétabli la rentabilité du capital en comprimant les salaires réels, dont l'évolution s'est cantonnée à des niveaux bien inférieurs à celle delaproductivité. Cela a permis à l'industrie allemande de surpasser ses principaux rivaux européens, notamment la France et l'Italie.

À bien des égards, la crise politique chronique en France – l'effondrement électoral du Parti socialiste et de la droite gaulliste, l'émergence d'un bonapartisme centriste sous la forme du macronisme, et la crise subséquente de ce dernier – résulte du désir du capital français d'imiter son rival allemand, ainsi que de la résistanceinébranlable du mouvement ouvrier à ces plans. Ce dernier élément contraste fortement avec la collaboration de la bureaucratie syndicale allemande, qui a non seulement accepté la baisse des salaires réels au titre de « prix de la mondialisation », mais a également participé au régime d'austérité brutal que les gouvernements allemands avaient imposé au Sud de l'Europe, en particulier à la Grèce.

Le revers de ce « miracle de l'exportation » a été l'adhésion religieuse aux excédents commerciaux et au « frein de la dette ». L'Allemagne est un pays dont les infrastructures s'effondrent et dont les niveaux élevés de sous-investissement chronique sont sur le point de rivaliser avec ceux des États-Unis. Quiconque a voyagé dans des trains allemands ces dernières années arrivera facilement à la conclusion que « l'efficacité allemande » n'est rien d'autre qu'un mythe bien entretenu. En outre, la quatrième économie mondiale est désespérément à la traîne en matière de digitalisation. L'innovation a également été reléguée au second plan, les constructeurs automobiles allemands, qui adorent le moteur diesel, étant largement distancés par la Chine dans le développement des véhicules électriques. Pour les gouvernements dirigés par Merkel avant Scholz, tout cela n'était qu'un petit prix à payer pour que l'Allemagne soit un « champion de l'exportation ».

La géopolitique du modèle allemand : de la « puissance normative » au paria mondial

Toutefois, le fondement de l'essor des exportations allemandes n'était pas seulement l'augmentation du taux d'exploitation combinée à l'orthodoxie ordolibérale. C'était aussi le produit d'une certaine niche géopolitique que les élites allemandes s'étaient taillée au cours des deux dernières décennies. Le « soft power » allemand s'est appuyé sur une politique étrangère discrète et réactive plutôt que proactive. En conséquence, l'Allemagne était un « géant économique et un nain politique ». Même si les gouvernements allemands post-1990 ont adopté une attitude interventionniste plus affirmée – en participant aux guerres en ex-Yougoslavie, en Afghanistan et au Mali –, ils accordaient la priorité aux intérêts économiques, qui ne pouvaient être servis globalement que par le développement d'un « pouvoir normatif » dans le cadre de l'intégration européenne.

L'apogée de cette approche a sans aucun doute été le refus du gouvernement Schröder de participer à l'invasion de l'Irak en 2003, même si l'Allemagne a fourni aux forces anglo-américaines des renseignements cruciaux sur les cibles à atteindre en territoire irakien. Tout en étant une fière atlantiste, qui a critiqué le refus de la guerre par l'Allemagne quand elle était dans l'opposition, Angela Merkel a poursuivi dans cette voie. Lors du vote crucial du Conseil de sécurité de l'ONU sur l'intervention militaire en Libye en 2011, l'Allemagne s'est abstenue. Ces décisions ont eu pour effet d'ouvrir la voie aux investissements allemands dans des pays tels que la Chine, l'Inde, la Russie et l'Afrique du Sud, tout en préservant les liens économiques de l'Allemagne avec les États-Unis.

Cependant, le facteur le plus crucial à cet égard était l'approvisionnement en gaz russe bon marché, qui a alimenté l'industrie allemande pendant des décennies. Les racines de ces relations économiques remontent à l'époque soviétique et à l'ouverture de Willy Brandt au bloc de l'Est, l'Ostpolitik. Même l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 n'a pas entamé les projets de l'Allemagne de poursuivre la construction du gazoduc Nordstream, conçu pour contourner des États potentiellement gênants comme la Pologne et l'Ukraine. Ce raisonnement économique s'est traduit politiquement par l'incapacité du gouvernement Merkel à ajuster ses dépenses consacrées à la défense au niveau exigé par les États-Unis, à savoir 2 % du PIB. La confiance dans cette stratégie mercantiliste reposait sur la domination de l'Allemagne au sein de la zone euro. Il s'agissait d'un raisonnement à court terme dicté par les intérêts particuliers des entreprises allemandes, qui ne tenait pas compte de la tournure que prendraient les relations entre les États-Unis et la Russie au sujet de l'Ukraine.

L'invasion de l'Ukraine par la Russie a changé la donne et mis le pays sur la voie d'une militarisation affirmée, la réintroduction du service militaire obligatoire étant même ouvertement discutée. Les « explosions mystérieuses » qui ont mis hors service le pipeline Nordstream en octobre 2022 ont mis un terme définitif à la dépendance économique de l'Allemagne à l'égard de la Russie. Le gouvernement Scholz a participé activement à l'escalade à propos de l'Ukraine, cette attitude se justifiant par l'argument de la compensation de la naïveté passée à l'égard de Vladimir Poutine. Pourtant, la montée en flèche de l'action de Rheinmetall – le fabricant du char de combat Leopard – ne peut compenser l'effet néfaste des sanctions contre la Russie, qui ont entraîné l'effondrement d'industries de taille moyenne au cours des deux dernières années, en particulier dans l'est de l'Allemagne. La récente annonce de Volkswagen aggrave une situation déjà désespérée.

Dans cette situation économique difficile, la gestion de la politique étrangère par la ministre verte Annalena Baerbock n'a fait qu'empirer les choses. Promettant une « politique étrangère féministe » avant d'accéder au gouvernement, les Verts ont déambulé sur la scène géopolitique mondiale avec la grâce d'un éléphant. Après l'effondrement des liens économiques avec la Russie, les élites qui décident de la politique étrangère semblent avoir accepté que la concurrence avec la Grande-Bretagne pour le rôle de premier lieutenant européen des États-Unis est la seule carte à jouer. Elles vont même jusqu'à endosser ce rôle avec la plus grande arrogance et le plus grand manque de réflexivité possibles, par exemple en pointant du doigt et en menaçant la Chine, la deuxième puissance économique mondiale, pour ses liens économiques avec la Russie.

En effet, la « politique étrangère féministe » de Baerbock a jusqu'à présent consisté à réduire l'isolement de « l'Occident collectif » en imposant des sanctions à la Russie et en vendant des armes à des parangons des droits de l'homme tels que la Turquie et l'Arabie saoudite. Plus significatif encore, le soutien diplomatique et militaire déterminé de l'Allemagne au régime israélien, qui commet un génocide sur la population de Gaza tout en étendant sa guerre d'anéantissement au Liban, a signé l'effondrement final du soft power allemand, les fondations politiques des partis allemands ainsi que l'Institut Goethe [l'équivalent du réseau des Instituts français à l'étranger] devenant la cible de campagnes de boycott dans les pays du Sud.

Des fascistes en embuscade

La désindustrialisation et le sentiment d'effondrement du prestige national ont été les ingrédients classiques du renforcement des forces fascistes ainsi que de celles qui ouvrent la voie au fascisme, et l'Allemagne de 2024 n'est en aucun cas une exception. Il n'y a cependant rien d'irrésistible dans la montée électorale de l'AfD [l'« Alternative pour l'Allemagne »], qui recueille aujourd'hui près de 20 % des intentions de vote au niveau national et contient une fraction de nazis purs et durs dont le poids va croissant. Adoptant de manière démagogique une position anti-guerre sur l'Ukraine, l'AfD est la version allemande de la politique trumpiste ; elle formule un antagonisme politique entre « le peuple », qu'elle prétend représenter, et une « élite » économiquement incompétente, immergée dans la politique « woke » et le « politiquement correct ».

De manière alarmante, l'AfD a fait des percées significatives dans la classe ouvrière, en particulier, mais pas seulement, dans l'est de l'Allemagne, reflétant des développements similaires en France et aux États-Unis. Si l'on se fie aux sondages effectués lors des récentes élections régionales, le racisme et la conviction que l'immigration est le principal problème auquel l'Allemagne est confrontée sont les principales motivations des électeurs de l'AfD, leur position pseudo-pacifiste sur l'Ukraine ne jouant qu'un rôle mineur.

Toutefois, le gouvernement dirigé par Olaf Scholz a fait de son mieux pour légitimer les principaux arguments de l'AfD. Dans le sillage du génocide israélien en cours contre le peuple palestinien à la fin de l'année 2023, Scholz a parlé publiquement de la nécessité de « déporter massivement » les « antisémites » potentiels, ce qui, dans ce cas, vise sans doute possible les jeunes de la classe ouvrière allemande d'origine musulmane, naturellement enclins, en tant que victimes du racisme, à s'identifier aux assiégés de Gaza. Le clownesque ministre des affaires économiques, Robert Habeck [des Verts], est intervenu à la télévision à peu près au même moment pour rappeler aux musulman.es allemand.es que leur acceptation en tant que citoyen.ne.s éga.ux.les était conditionnée par le fait qu'ils et elles renoncent à la solidarité avec la Palestine.

Lorsqu'au début de l'année 2024, des révélations ont fait état d'une réunion secrète entre de hauts responsables de l'AfD et des néo-nazis connus, discutant de la « remigration » de millions de personnes, non seulement des migrant.e.s mais aussi des Allemand.e.s ayant des racines étrangères, des manifestations massives contre l'AfD ont eu lieu dans toutes les grandes villes. Alors que la majorité des manifestants sont sans aucun doute descendus dans la rue pour exprimer un véritable dégoût à l'égard de l'AfD, les organisateurs ont veillé à ce que leur discours soutienne non seulement le gouvernement Scholz, mais aussi les principales institutions racistes, telles que la police. L'ironie de la situation n'a pas échappé aux manifestant.e.s venus en soutien à la Palestine qui ont tenté d'intervenir lors de ces défilés, mais qui, dans de nombreux cas, ont été expulsés aux cris de « Ce n'est pas votre manifestation ». Le « libéralisme » allemand, en particulier celui des Verts, apparaît de plus en plus comme un mélange de politiques racistes et de postures moralisantes.

Le 7 novembre, le Bundestag [parlement fédéral] a voté une résolution prétendument « contre l'antisémitisme », dans laquelle celui-ci est défini presque exclusivement comme opposition au sionisme, et qui autorise le refus ou le retrait du financement des chercheur.se.s et des artistes exprimant leur soutien aux droits des Palestiniens. Cette résolution est un pas de plus sur la voie de l'autoritarisme et du rétrécissement des espaces publics pour la pensée critique. Elle a été élaborée à huis clos entre le gouvernement et l'opposition dirigée par la CDU, les députés se plaignant en privé de l'immense pression exercée sur eux par l'ambassade d'Israël et des groupes de pression. L'AfD a soutenu la résolution avec enthousiasme, tandis que Die Linke, le parti de gauche, s'est honteusement abstenu. Seule la BSW [Alliance Sahra Wagenknecht], une scission récente de Die Linke, a voté contre. Fait assez révélateur, l'AfD a félicité les Verts, son ennemi juré, d'avoir enfin reconnu que la principale source d'antisémitisme dans l'Allemagne d'aujourd'hui est constituée par les migrant.es musulman.es.

La croissance électorale de l'AfD suit un schéma bien connu, selon lequel les partis traditionnels tentent de « se rapprocher des gens ordinaires » en adoptant les thèmes de discussion de l'extrême droite, accordant ainsi à cette dernière une plus grande légitimité politique. La répression des manifestations de soutien à la Palestine et l'annulation d'événements accueillant des intervenant.e.s critiques d'Israël – dont beaucoup sont manifestement juif.ve.s – ont été un facteur clé parmi d'autres dans la légitimation de l'AfD. Celle-ci n'est pas seulement dangereuse pour les musulmans, elle entraîne également des conséquences de plus en plus inquiétantes pour les Juif.ve.s d'Allemagne.

Depuis le 7 octobre , les institutions gouvernementales et les forces dominantes ont fait de leur mieux pour instiller la peur dans les communautés juives, leur rappelant à chaque étape que leur véritable foyer se trouve ailleurs, dans un État qui commet un génocide. Un récent article en ligne de l'hebdomadaire Der Spiegel concernant un attentat déjoué à l'ambassade d'Israël à Berlin (supprimé depuis), qui désignait celle-ci comme « l'ambassade juive », est symptomatique de cet état de fait. Quel meilleur cadeau pour un parti comme l'AfD, dont de nombreux responsables défendent une vision du monde antisémite issue de la tradition allemande völkisch, déguisée derrière un soutien trop zélé à Israël !

Die Linke : un parti invertébré

L'absence d'une alternative crédible à la gauche est un autre facteur décisif de la montée de l'extrême droite. Dans les sondages, Die Linke, le principal parti allemand de la gauche radicale depuis la fin des années 2000, figure constamment sous le seuil de 5 % nécessaire pour entrer au parlement fédéral[1]. Il reste à voir s'il parviendra à déjouer les pronostics en février prochain et à réintégrer le Bundestag. À en juger par ses piètres résultats électoraux dans trois États de l'Est autrefois considérés comme ses terres d'élection – la Thuringe, la Saxe et le Brandebourg (où, pour la première fois de son histoire, il a été exclu d'une assemblée de l'Est), l'avenir du parti ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices.

Sa tête de liste lors des dernières élections européennes, Carola Rakete, est une activiste de l'humanitaire aux idées politiques floues, presque inexistantes, qui a voté en faveur d'une augmentation de l'aide militaire à l'Ukraine. Le bilan de la direction sortante a été un véritable désastre, Die Linke n'adoptant aucune position lisible sur la guerre par procuration entre la Russie et l'OTAN et considérant que la crise du coût de la vie n'a rien à voir avec les rivalités interétatiques accrues. Les principaux représentants de la gauche du parti ont mis quelques mois avant d'appeler à un cessez-le-feu à Gaza par crainte d'être traités d'« antisémites ».

À quelques exceptions près, le parti a été absent des mobilisations de soutien à la Palestine, les militant.e.s des nombreux campements de solidarité qui ont proliféré dans les universités allemandes au printemps dernier ayant massivement voté pour MeRA25, le mouvement paneuropéen de l'ancien ministre grec des finances Yanis Varoufakis, qui a vivement condamné le soutien du gouvernement allemand à Israël. Une exception honorable à la faiblesse de Die Linke a été la députée européenne Özlem Demirel, dont les positions sur l'Ukraine et Gaza ont été sans équivoque. Néanmoins, comme le dit l'adage, l'exception confirme la règle.

Le sentiment croissant que le parti a perdu le contact avec les électeurs de la classe ouvrière a joué un rôle clé dans l'émergence d'une nouvelle direction lors du congrès du parti il y a un mois. Le binôme précédent, composé de Janine Wissler et Martin Schirderwan ayant annoncé qu'il ne se représenterait pas, lui a succédé celui d'Ines Schwerdtner et de Jan van Aken. Lors de ce congrès, l'aile gauche a tenu bon, comme en témoigne le départ du parti de certains de ses responsables les plus à droite et les plus sionistes, qui ont toutefois conservé leurs mandats dans les parlements régionaux afin de continuer à déstabiliser le parti et à pratiquer le chantage de l'extérieur.

La nouvelle direction a également bénéficié de l'intégration dans Die Linke de l'ensemble du bureau exécutif des Jeunes Verts, qui ont collectivement quitté leur parti d'origine. A l'appui de sa décision, ce groupe a mentionné l'échec des Verts sur les questions d'immigration et d'environnement, mais aussi le fait que ce parti ne défende pas un « modèle économique alternatif » au capitalisme. Il n'est pas exagéré d'interpréter ce changement comme un résultat indirect de la mobilisation en soutien à la Palestine, dont les rangs comptent de nombreu.x.se.s participant.e.s issu.e.s des mouvements écologistes et antiracistes radicaux.

La nouvelle direction a toutefois déjà échoué à son premier test en s'abstenant sur la mal nommée « résolution sur l'antisémitisme » au Bundestag, prétendument parce que l'un des députés les plus à droite du groupe parlementaire a menacé par texto qu'il voterait en faveur de la résolution si le reste du groupe votait contre. À l'occasion du premier anniversaire du 7 octobre , Schwerdtner a également publié une déclaration qui, tout en condamnant les actions d'Israël, attribuait au Hamas la « haine éliminatoire », une terminologie tout droit sortie du répertoire sioniste qui affirme que la résistance palestinienne est l'héritière des SS. Cette mollesse de fond est masquée par des coups de com', tels que l'annonce par Schwerdtner et van Aken qu'ils ne percevront qu'un salaire revu à la baisse dans le cadre de leurs nouvelles fonctions à la direction du parti.

Plus significatif encore, Die Linke a engagé une procédure visant à expulser Ramsis Kilani, militant germano-palestinien et figure éminente du mouvement de solidarité avec la Palestine, sur la base du même mélange d'accusations infondées, de déformations et de distorsions qui a servi à la chasse aux sorcières anti-Corbyn au sein du Parti travailliste. Le contraste est saisissant avec l'indulgence dont a bénéficié l'ancien premier ministre du Land de Thuringe, Bodo Ramelow, qui, en violation des décisions du parti, a plaidé en faveur de l'envoi d'armes à l'Ukraine.

Une chose est certaine : le parti n'ira nulle part en essayant de plaire à tous et, en fin de compte, en ne plaisant à personne. Se concentrer sur les questions de « fin de mois » – un économisme déguisé en « retour à la classe » – et espérer que les clivages autour de l'UE, de l'Ukraine ou de Gaza vont disparaître comme par magie, ce que Die Linke fait depuis dix ans, ne peut que conduire à des résultats désastreux. En outre, imaginer qu'on puisse représenter la classe ouvrière dans toute sa diversité en évitant la seule question qui unit toute l'Allemagne issue de l'immigration, qui est, bien évidemment, la Palestine, relève du pur fantasme.

Si le parti finit par évoluer vers la gauche, ce ne sera certainement pas en raison d'une « stratégie interne intelligente » élaborée par son aile gauche, mais en raison des pressions concertées exercées par des mouvements extraparlementaires qui remettent en cause, entre autres, l'idéologie de la raison d'Etat – le soutien inconditionnel de l'Allemagne à Israël – de manière frontale.

Le parti de Wagenknecht n'est pas une alternative

Les progrès électoraux de la BSW (Alliance Sahra Wagenknecht), le parti national-souverainiste dirigé par l'ancienne porte-parole de Die Linke au Bundestag, n'ont pas aidé Die Linke à résoudre ses difficulté. La BSW a grignoté sa base électorale, en particulier parmi les retraités, lors des trois dernières élections en Allemagne de l'Est. Selon les sondages, sa position contre la guerre en Ukraine a été l'un des facteurs les plus importants pour le vote en sa faveur, une position confirmée par son opposition au stationnement de nouveaux missiles nucléaires américains de portée intermédiaire en Allemagne.

Depuis 2015, Wagenknecht conteste le soutien aux migrants exprimé par de Die Linke, arguant que le parti est en train de perdre le soutien de la classe ouvrière à cause de ces positions. Elle a présenté son approche comme le moyen le plus efficace de réduire l'attrait de l'AfD, allant jusqu'à attaquer les politiques d'asile déjà draconiennes du gouvernement par la droite. Pourtant, les résultats des dernières élections régionales semblent indiquer autre chose. La BSW n'a pas affaibli l'AfD, mais Die Linke. Cela signifie-t-il que Wagenknecht a tout faux ?

La réponse est « oui et non ». La dirigeante de la BSW est certainement dangereuse et irresponsable en s'adaptant de manière opportuniste au climat prévalent de xénophobie, et, sur ce point, elle doit être farouchement combattue. Quant aux représentant.e.s de son mouvement qui ne partagent pas nécessairement ses vues sur cette question, ils et elles doivent être interpellés à ce sujet. Il n'y a rien de « naturel » dans le racisme, une idéologie cultivée par un ensemble d'institutions, de politiciens et de médias contrôlés par la classe dirigeante. Mais cela n'absout certainement pas Die Linke.

Il semble que BSW ait trouvé un créneau en tant que seul parti au parlement fédéral (du fait du passage dans ses rangs de plusieurs parlementaires de Die Linke) résolument opposé au soutien militaire de l'Allemagne à Israël et à l'Ukraine. Son opposition à la lamentable « résolution sur l'antisémitisme » découle d'un désir de compenser les capitulations continues de Die Linke en matière de politique étrangère. Les militant.e.s du mouvement de soutien à la Palestine qui cherchent un soutien parlementaire en posant des questions sur les livraisons d'armes allemandes à Israël déclarent avoir rencontré une porte ouverte au BSW, tandis que les membres de l'aile gauche de Die Linke doivent se débattre avec les méandres internes d'un parti qui compte également dans ses rangs des membres portant fièrement des T-shirts de soutien à Tsahal lors de rassemblements anti-palestiniens.

La question des migrants n'est pas le seul domaine problématique de BSW. Wagenknecht a déclaré à plusieurs reprises que son parti n'était pas de gauche, car, selon elle, la gauche est aujourd'hui associée à la « politique des identités ». Alors que ses détracteurs sont toujours prompts à dépeindre son parti comme un marécage rouge-brun, l'accent mis la « politique de bon sens » sent plutôt le centrisme d'avant 2008, qui se considère comme l'héritier du SPD et de la CDU [chrétiens-démocrates], avant que ces deux partis ne « dérivent » en devenant respectivement pro-guerre et partisan de « l'ouverture des frontières ». Il n'est pas étonnant que, dans les Länder de l'Est où elle a remporté ses premiers succès électoraux, la BSW ait entamé des négociations en vue de constituer une coalition avec précisément ces deux partis.

Sur le plan économique, l'ambition de la BSW de reprendre le flambeau du passé de Die Linke en tant que parti protestataire ne cadre pas bien avec la vision corporatiste de Wagenknecht et sa fétichisation du Mittelstand, cette Allemagne des petites et moyennes entreprises qui emploient souvent des centaines de travailleu.r.se.s. Le fait est que la BSW est un parti en proie à de graves contradictions sur le plan politique, stratégique et organisationnel.

Il prétend que Die Linke a abandonné la classe travailleuse, tout en soulignant que les capitalistes opposés au « féodalisme économique » sont les bienvenus dans ses rangs. Il développe une rhétorique anti-immigration, mais avec des élu.e.s qui portent des noms tels que Dagdelen, Mohammed Ali, De Masi, Nastic et Hunko, il possède sans doute l'équipe dirigeante avec la plus grande « diversité ». Il se proclame un parti ouvert sans attaches idéologiques, alors qu'il s'agit d'un club exclusif avec des procédures d'entrée rigoureuses.

Les contradictions sont en partie dues au fait que Wagenknecht suit les préceptes d'Ernesto Laclau en forgeant des « chaînes d'équivalence » discursives, qui articulent des positions opposées sur une série de questions, certaines progressistes, d'autres réactionnaires, et qui lui permettent d'apparaître comme l'incarnation de la « volonté populaire ». Il s'agit toutefois d'une politique entièrement réactive qui sera finalement contrainte de choisir un camp, à gauche ou à droite, si elle veut rester opératoire. Ce fut le cas de Podemos en Espagne et de La France Insoumise, qui ont commencé sur des bases similaires de « ni gauche ni droite ».

La gauche radicale serait bien avisée de prendre ces contradictions au sérieux pour en tirer profit. Considérer la BSW exclusivement à travers le prisme de ses positions social-chauvines à l'égard des migrants, elles-mêmes apparentées à celles de la social-démocratie danoise au pouvoir, est tout à fait erroné. Avec une nouvelle présidence Trump à l'horizon, la pression va s'accroître sur la gauche pour qu'elle se replie dans un front unique contre un « racisme » abstrait : « oubliez Gaza, nous avons un président américain raciste qui est maintenant contrôlé par le Kremlin et qui répand la désinformation à travers les ‘populistes' ». La position qui considère la BSW exclusivement comme une scission de droite de Die Linke est complètement désarmée face à un tel chantage. Ces forces prétendument « antiracistes », notamment les Verts, n'ont rien à offrir à celles et ceux qui sont quotidiennement confrontés au racisme en Allemagne, si ce n'est les expulsions, l'appauvrissement et le soutien au génocide en Palestine. Elles sont irrécupérables.

En réalité, la BSW est le reflet inversé de la dérive de Die Linke vers un social-libéralisme anodin. On trouve dans les deux partis des personnes ayant des instincts sincèrement de gauche, ainsi que des opportunistes de toute sorte. Plutôt que de proclamer l'une ou l'autre de ces deux formations comme étant « la » solution, une meilleure stratégie à l'heure actuelle serait d'élargir et de développer le mouvement de solidarité avec la Palestine, qui est aujourd'hui l'avant- garde de la politique progressiste oppositionnelle en Allemagne. Bien qu'il soit mis à l'écart par la plupart des partis politiques et la bureaucratie syndicale, le mouvement s'est avéré résistant, bouillonnant et extrêmement diversifié. Il est devenu le nœud de toutes les luttes sérieuses contre le racisme, y compris l'antisémitisme, contre l'impérialisme et le militarisme, l'écocide et, bien sûr, contre le génocide en Palestine.

En outre, la gauche doit s'exprimer sur les dangers croissants d'escalade nucléaire à propos de l'Ukraine. Des dangers qui ont refait surface avec le « cadeau d'adieu » de Joe Biden à Zelensky, qui a autorisé l'utilisation de missiles américains de longue portée contre des cibles situées au cœur de la Russie. Enfin, toute gauche qui s'efforce d'être hégémonique devra parler des effets néfastes de la désindustrialisation au lieu de se contenter de proclamer abstraitement que la solution réside dans la « lutte des classes ». Certes, c'est le cas à bien des égards, mais, en soi, cela ne suffira pas à réduire pas l'attrait de l'AfD.

La gauche doit être perçue et reconnue comme la force la plus opposée au statu quo, ce que les courbettes de Die Linke devant le public libéral et la complaisance de la BSW à l'égard du sentiment anti-immigration dominant excluent d'emblée.

*

Leandros Fischer enseigne à l'université d'Aalborg (Danemark). Ses recherches portent sur les questions migratoires le rapport de la gauche allemande à la question palestinienne. Il a milité dans Die Linke de 2007 à 2022 et est l'un des co-auteurs de l'ouvrage collectif Contre l'antisémitisme et ses instrumentalisations, qui vient de paraitre aux éditions La fabrique.

Cet article est paru le 24 novembre 2014 sur le site de Counterfire. Traduction Contretemps.

Illustration : Montecruz Foto / Wikimedia Commons.

Note

[1] Aux élections fédérales de 2021, Die Linke avait obtenu 4,89% des suffrages. Elle n'avait pu entrer au Bundestag qu'en remportant trois mandats directs dans les Länder de l'Est, ce qui, en vertu d'une loi électorale complexe, lui permet de contourner le seuil de 5%. Aux élections européennes de mai dernier, elle a obtenu 2,76%, le parti de Sahra Wagenknecht BSW obtenant de son côté 6,17% (NdT) .

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Plus que jamais, soyons aux côtés de la résistance du peuple ukrainien

10 décembre 2024, par Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine (RESU) — , , ,
L'onde de choc de la victoire de Donald Trump, le 5 novembre 2024, continue de secouer le monde et, en premier lieu, les principales zones de guerres et de conflits. 3 (…)

L'onde de choc de la victoire de Donald Trump, le 5 novembre 2024, continue de secouer le monde et, en premier lieu, les principales zones de guerres et de conflits.

3 décembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/03/plus-que-jamais-soyons-aux-cotes-de-la-resistance-du-peuple-ukrainien/

Le « président élu » sera officiellement investi le 20 janvier 2025 mais déjà ce changement politique a des effets concrets sur la situation mondiale.

À propos de l'Ukraine, Trump s'est dit, à plusieurs reprises, capable de régler le conflit en 24 heures, avec sans doute l'intention d'imposer le gel des frontières dans les positions actuelles et la démilitarisation de la région. Cela pourrait signifier que toutes les aides militaires livrées à l'Ukraine pour se défendre seraient stoppées. Ce plan est ce qu'on appelle « la paix des forts » qui donne l'avantage absolu à l'agresseur, l'envahisseur.

Dire qu'en France et en Europe des organisations politiques présentent au nom de « la paix des peuples » des projets analogues (gel des positions sans retrait des agresseurs, référendum dans les territoires sous occupation militaire…) !

Poutine a parfaitement compris les intentions de Trump.

Il s'est empressé d'élever l'intensité et le degré de violence de ses frappes, d'élargir la définition de co-belligérance à toute aide apportée à l'Ukraine et de revoir sa doctrine d'engagement de l'arme atomique. À l'appui de cette révision, il a ordonné le lancement d'un nouveau missile balistique vecteur d'ogives nucléaires. Certes, sur Dnipro, les charges restaient conventionnelles mais le message est clair et le pire est possible. Aujourd'hui, le but recherché est encore de faire peur aux opinions publiques des pays qui soutiennent l'Ukraine pour qu'elles s'opposent à toutes livraisons d'armes.

Sur le front, les combats sont acharnés et les Russes préparent une contre-offensive massive dans la région de Koursk pour enlever à l'Ukraine le contrôle de ce territoire russe qui pourrait servir de monnaie d'échange lors d'éventuelles négociations. À cette fin, selon différentes sources, un premier contingent de 10 000 soldats coréens est arrivé sur les zones de combat. D'autres sont attendus, des Houthis sont annoncés. C'est un tournant dans l'internationalisation de la guerre.

Poutine, sous le coup d'un mandat d'arrêt lancé par le CPI pour des crimes de guerre en Ukraine (dont la déportation d'enfants ukrainiens vers la Fédération de Russie) ne peut que se réjouir des divisions suscitées par les mandats lancés contre Nétanyahou et des premières annonces de Donald Trump. Mais il doit aussi tenir compte de la crise de surchauffe de son économie de guerre et de l'inflation qui en découle, des difficultés de recrutement malgré les larges avantages promis aux engagés. Pour lui aussi le temps est compté.

La décision du président encore en fonctions des États-Unis, Joe Biden, suivie maintenant par la Grande-Bretagne et la France, d'autoriser Kyiv à lancer des missiles dans la profondeur du territoire russe vise peut-être à dissuader la Corée du Nord et d'autres pays d'impliquer leurs soldats dans les combats mais surtout à permettre aux Ukrainiens et aux Ukrainiennes de se défendre en frappant les aéroports militaires, les arsenaux, les pas de tirs.

L'Ukraine a le droit et le devoir de se défendre, il faut lui en donner les moyens. Rapidement avant qu'il ne soit trop tard.

L'Ukraine va devoir compter essentiellement sur l'Europe pour lui fournir armes et munitions, ce que celle-ci fait aujourd'hui avec parcimonie. Mais l'Europe est divisée.

La Russie, depuis des années, pèse de tout son poids économique et idéologique pour trouver des soutiens et accroître cette division. Ses alliés nationalistes et conservateurs se renforcent et même remportent les élections dans certains pays de l'Union européenne.

En février 2025, cela fera trois ans que le peuple ukrainien a repoussé une attaque massive sur son territoire. Mais la guerre commencée en 2014 continue, le front subit des assauts constants dans le Donbass et les troupes aguerries comme la population sont épuisées. La conscription pour la relève se révèle d'autant plus difficile qu'elle se confronte aux politiques économiques menées antisociales, à l'affaiblissement des services publics et à un traitement inégalitaire.

Le peuple ukrainien solidaire s'auto-organise, aide les combattant.es mais les contre-réformes néolibérales du gouvernement Zelenski ne peuvent qu'aggraver son épuisement. Et pourtant, les Ukrainiens et les Ukrainiennes résistent et refusent encore, majoritairement, tout renoncement à une partie du territoire. La gauche ukrainienne exprime cette volonté :

« De l'Ukraine à la Palestine, l'occupation est un crime. »

Les négociations éventuelles doivent se dérouler dans la transparence et sous contrôle populaire.

En Ukraine, comme au Proche-Orient et dans l'ensemble du monde, les populations refusent de vivre sous occupation et luttent pour leur indépendance et la possibilité de décider pour elles-mêmes.

Jamais, dans ce siècle, la paix mondiale n'aura été autant menacée.

La « paix des forts » n'est jamais qu'une étape dans un embrasement généralisé ; la paix juste et durable ne peut passer que par la défaite des agresseurs, leur retrait des territoires occupés et la garantie de l'indépendance des peuples.

C'est pourquoi, plus que jamais, nous devons nous mobiliser aux côtés du peuple ukrainien !

Paris, le 30 novembre 2024

ukrainesolidaritefrance@gmail.com
https://www.facebook.com/profile.php?id=100087563586225

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Socrate : « Connais-toi toi-même, Israël ! »

Le nombre de victimes à Gaza approche 45 000 et le nombre de blessés dépasse 106 000. Sans compter les milliers qui se trouvent sous les décombres, sans compter les victimes de (…)

Le nombre de victimes à Gaza approche 45 000 et le nombre de blessés dépasse 106 000. Sans compter les milliers qui se trouvent sous les décombres, sans compter les victimes de l'effet indirect de la guerre, qui fera augmenter le nombre à plus de 200 000.

Ovide Bastien
Photo Serge d'Ignazio

Que c'est difficile de voir le carnage et la destruction perpétrés quotidiennement par Israël ! Que c'est difficile de voir ce pays tenter de justifier tout cela au nom du droit à la défense ! Que c'est difficile, voire déchirant, lorsque la personne qui appuie tout cela et fait sienne la propagande le justifiant est quelqu'un qu'on connaît très bien et avec lequel on a même développé de profonds liens affectifs !

Lundi, 2 décembre, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, affirme que Gaza compte désormais, en proportion de sa population, le plus grand nombre d'enfants amputés au monde, plusieurs d'entre eux ayant subi une amputation sans la moindre anesthésie, parce que, comme nous le savons tous, Israël limite systématiquement depuis plus d'un an toute aide humanitaire qui entre à Gaza, parfois la bloquant carrément, parfois permettant à Israéliens ou groupes armés d'attaquer les convois.

Mercredi, 5 décembre, Amnesty International, à la suite d'une longue et méticuleuse enquête, publie un très volumineux rapport alléguant qu'Israël est bel et bien en train de commettre un génocide à Gaza.

Le jour même, Loay Alshareef, dans ce qui constitue de toute évidence un geste de propagande visant à blanchir le visage de plus en plus noirci de son pays sur le plan international, publie le message suivant sur LinkedIn :

« Le visage d'Israël qu'ils ne veulent pas que vous voyiez ! J'ai visité ‘Save a Child's Heart' en Israël, une ONG qui, en offrant des chirurgies cardiaques qui sauvent des vies d'enfants à travers le monde entier, montre l'humanité à son meilleur – et cette ONG fait cela sans distinction de race ou de religion. (...) Merci, Israël, pour tes incroyables efforts humanitaires visant à sauver ces enfants et tant d'autres ! »

Qu'une telle propagande, d'un pays dont l'expertise en ce domaine est tout aussi impressionnante que celle qu'il possède en haute technologie militaire, provienne d'une personne comme Loay Alshareef que je ne connais guère, c'est une chose. Cependant, que cette propagande soit entièrement appuyée par une personne que je connais fort bien, et avec laquelle j'ai même de profonds liens affectifs, c'est une tout autre affaire !

« Des gens formidables qui se soucient de tout le monde et font de leur mieux pour aider tout le monde, » commente, en dessous du message publié sur LinkedIn, le papa de deux de mes ex-étudiantes du Collège Dawson.

J'ai donné des cours aux deux excellentes filles de ce papa Juif. Je les ai même accompagnées, chacune une année différente, pendant leur stage d'un mois au Nicaragua, tissant avec elles aussi, ainsi que les autres stagiaires, des liens inoubliables.

Depuis des mois, je vois avec désolation cet homme accorder son appui indéfectible et admiratif au carnage qu'Israël commet quotidiennement à Gaza. J'ose espérer que ses deux filles, comme tant d'autres jeunes juifs à travers le monde, ne sont pas du même avis.

En lisant ce nouveau commentaire de lui, je sens monter en moi une immense émotion d'indignation, de colère et de révolte. Tellement forte, que contrairement à toutes les autres fois où j'ai réussi à me retenir, laisser passer et ne rien écrire, cette fois je n'y arrive pas. Les nombreuses scènes d'êtres humains, la plupart enfants et femmes, déchiquetés en mille morceaux, souvent sous l'effet de bombes étatsuniennes de 2 000 lb lancées par l'armée de l'air israélienne, me font perdre complètement le contrôle :

« Félicitations, Israël ! Tu as tué plus de 17 200 enfants au cours des quatorze derniers mois. Quel merveilleux exemple de profonde humanité ! », j'écris, rempli de colère et d'ironie mordante.
« Continue à croire aux mensonges et à rester aveugle à la réalité », me répond-il.
« Croire aux mensonges et rester aveugle à la réalité, c'est exactement ce que font presque tous les Israéliens et Israéliennes présentement, » je rétorque.
« J'ai servi dans l'armée de l'air israélienne pendant trois ans, j'ai vécu les faits et je connais la vérité, » me dit-il.

On sait que le Cour internationale de la justice juge plausible qu'Israël soit en train de commettre un génocide et a déclenché une enquête à ce sujet ; on sait aussi que la Cour pénale internationale a récemment émis un mandat d'arrêt contre le premier ministre israélien et son ex-ministre de la Défense, les accusant de crimes contre l'humanité, entre autres d'avoir utilisé la faim comme arme de guerre.

Et voilà que dans le Guardian du 6 décembre, Peter Beaumont nous rapporte une autre nouvelle qui ne fera rien pour rehausser l'image d'Israël dans le monde. Selon l'Organisation mondiale de la santé, il faudra, au rythme actuel extrêmement lent où on évacue de Gaza Palestiniens malades et blessés, dont des milliers d'enfants, de cinq à dix ans pour résorber l'arriéré, affirme Beaumont. Récemment, seuls 78 des 12 000 patients nécessitant une évacuation ont reçu le feu vert de l'armée israélienne. Environ 2 500 de ces patients, poursuit-il, étaient des enfants, et certains, à cause de mois d'attente, sont décédés.

L'armée israélienne met souvent des mois à répondre aux demandes d'évacuation médicale, et le nombre d'évacuations, ces derniers mois, a chuté, sousligne Beaumont. Dans certains cas, l'armée rejette le patient ou, lorsqu'il s'agit d'enfants, les soignants qui les accompagnent. Parfois sans explication aucune, parfois pour de vagues raisons de sécurité.

Selon Moeen Mahmood, directeur de Médecins Sans Frontières (MSF) en Jordanie, les décisions que prennent l'armée israélienne ne reposent sur aucun critère ou logique. Elles semblent purement arbitraires, affirme-t-il.

En aout, MSF demande la permission d'évacuer 32 enfants et leurs gardiens ; l'armée n'autorise l'évacuation que de six personnes. En novembre, MSF demande la permission d'évacuer huit Palestiniens, dont un enfant de deux ans avec amputations aux jambes. La demande est tout simplement rejetée.

Le 7 décembre, Sean Semo publie sur LinkedIn une photo de la page de couverture de la Sainte Bible. Et sur cette page apparaît le message suivant :

« Selon ce best-seller vieux de 3 000 ans, Israël est la patrie juive »
« Une histoire authentique qu'on ne peut remettre en question ou altérée, » commente le père de mes ex-étudiantes.
« Exactement, » ajoute une autre personne. « Israël est la patrie juive, une patrie promise par Dieu. Et il est beaucoup plus difficile pour les antisémites et les fanatiques anti-israéliens de réécrire la Bible... il en existe trop de copies imprimées...
».

**************
J'ai terminé la rédaction de cet article hier soir. Une fois couché, cependant, j'ai eu beaucoup de mal à m'endormir. Remontait sans cesse en moi l'immense émotion de révolte que je vivais, il y a plus de 51 ans, lorsque je me retrouvais à Santiago, Chili, une semaine après le déclenchement du coup d'état qui renversait brutalement, avec l'appui de Washington, l'Unité populaire de Salvador Allende.

C'est le 18 septembre 1973. Je regarde à la télévision la cérémonie diffusée en direct commémorant l'indépendance du Chili, et je vois le leader de l'Église catholique, le cardinal Silva Henriquez, déambuler avec les quatre membres de la junte qui vient de renverser brutalement Allende, et lui offrir solennellement « toute sa désintéressée collaboration ». Une junte qui est en train de remplir le stade national à Santiago de centaines de membres et sympathisants de l'Unité populaire ! Qui pratique la torture (on estime à environ 28 000 le nombre de personnes torturées sous Augusto Pinochet), exécute sommairement, met la hache dans tous les médias progressistes ! Qui vient tout juste de bannir la CUT (Central única de los trabajadores), la plus grosse centrale de syndicats au Chili. Qui déclare agir au nom de Dieu et vouloir sauver la culture judéo-chrétienne qui constitue l'âme et l'identité du Chili.

Ayant passé huit ans au séminaire à me préparer au sacerdoce, et cherchant à imiter la vie de Jésus qui priorise pauvres, persécutés et exploités, tout cela me scandalise profondément. Je suis sidéré !

Comme je le suis présentement, en 2024, lorsque je vois Israël, appuyé par Washington, qui déclare que la terre où habitaient Palestiniens et Palestiniennes depuis des siècles, lui a été octroyé par Dieu lui-même. Perpétrer carnage et destruction, dès lors, revient à agir afin que volonté divine soit faite. Et ceux et celles qui résistent deviennent des terroristes représentant le mal incarné.

Entrelacs, QC
Le 8 décembre 2024

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Syrie : la vieille taupe est sortie d’Idlib.

10 décembre 2024, par Vincent Presumey — , ,
Après la libération d'Alep, de Hama, et alors que celle de Homs, de Deraa, de Soueida, semble proche, quelques réflexions, car la lutte démocratique consiste en rapports de (…)

Après la libération d'Alep, de Hama, et alors que celle de Homs, de Deraa, de Soueida, semble proche, quelques réflexions, car la lutte démocratique consiste en rapports de forces mondiaux : la chute d'Assad sonnerait comme un évènement de même importance, voire plus, mais en sens opposé, que l'élection de Trump.

Tiré du site Aplutsoc
https://aplutsoc.org/2024/12/06/syrie-la-vielle-taupe-est-sortie-didlib/
Date : 6 décembre 2024
Author : aplutsoc2
Photo : Daraa libérée, au moment même où cet article a été écrit, la ville où la révolution a commencé en 2011.

Il s'avère que la cause profonde du retournement de situation qui s'est produit en Syrie, est à rechercher à Idlib.

Depuis des mois et des mois, le monde avait oublié cette poche surpeuplée de réfugiés, dont on n'avait reparlé que lors du tremblement de terre, alors qu'elle subissait et subit encore des bombardements russes.

Deux processus contradictoires et combinés se produisaient à Idlib.

D'une part, l'organisation de services publics et militaires, en somme d'un appareil d'Etat tenant à peu près la route, alors même que l'Etat officiel d'Assad n'assurait plus rien. Il était devenu préférable, en terme de conditions matérielles et de sécurité, de vivre à Idlib qu'ailleurs en Syrie ! Signalons par exemple qu'il n'y avait plus d'électricité depuis des années pour l'immense majorité des habitants d'Alep, elle est revenue ces derniers jours !

D'autre part, Idlib était un lieu de contestations, de confrontations – bref, de la vie démocratique continuée issue de la révolution syrienne de 2011, cette vie et cette continuation à laquelle les têtes dures mais creuses des esprits forts bien pensants occidentaux de gauche ou de droite traditionnelles ne veulent jamais croire, et écartent d'un ricanement suffisant et épais.

L'administration était cadrée par le HTS et d'autres organisations, en grande partie regroupée sous impulsion turque dans l'ANS. Mais les manifestations contre tout monopartisme et contre la sharia n'ont pas cessé. Entre le HTS, les autres groupes et les services turcs, les conflits n'ont pas cessé, à tous les niveaux et toutes les échelles, donnant des marges d'interventions aux organisations locales et à la population, souvent organisée en liens de solidarités entre réfugiés de même provenance.

Socialement et politiquement ce chaudron bouillonnait, d'autant plus que la Turquie y refoulait des réfugiés. Socialement, humainement, politiquement, le HTS devait porter un coup sous peine d'en prendre lui-même de la part des masses entassées à Idlib.

Le coup lancé juste après le cessez-le-feu au Liban n'a pas été ordonné par la Turquie mais a reçu son feu vert après le refus par Bachar du partage territorial cyniquement proposé par Erdogan. L'heure précise correspond bien sûr au cessez-le-feu qui évitait à ses auteurs d'être accusés de faire le jeu d'Israël tout en minimisant au maximum toute capacité de réaction du Hezbollah obligé de se centrer sur le maintien ou le rétablissement de son emprise sur le Liban.

Il n'était prévu, ni par la Turquie, ni par la direction du HTS, que la double dynamique de l'effondrement de l'armée d'Assad et de la volonté de retour des réfugiés allait accélérer à ce point les évènements.

Voila l'explication n°1. D'autres facteurs interviennent certes, mais il faut partir de cette explication n°1, celle d'Idlib, du mouvement d'en bas, de la révolution syrienne, si l'on veut y comprendre quelque chose. Deraa et Soueida se sont tout de suite joints à cet élan d'en bas.

Ceci aide à comprendre que c'est un HTS qui aurait sans doute été confronté à une explosion à Idlib qui a ouvert ce processus dont il ne contrôle que la forme militaire rapide et apparente mais qui repose sur la réalité humaine et populaire la plus massive. Et donc que le HTS soit un lieu de transformations. Là aussi, les sceptiques pousseront les hauts cris : comment, al-Qaïda deviendrait démocratique ?

Mais je n'ai pas dit cela, juste que l'issue est un combat et que la réalité est contradiction. Le scepticisme ne sert de rien, c'est la vigilance qui est nécessaire, et ce n'est pas la même chose. Les seuls vrais vigilants sont ceux qui soutiennent la révolution et la chute des Assad, pas ceux qui hurlent de peur devant elles.

C'est un fait : à l'exception du Nord-Est d'Alep, où la politique pro-Assad des FDS-YPG, d'une part, et l'emprise turque sur les forces de l'ANS (et non de HTS, ni de l'ALS proprement dite), risque de produire des confrontations arabo-kurdes voire turcomanes-kurdes meurtrières, le « communautarisme » que les Assad attisaient est le grand vaincu de ces derniers jours. Chrétiens d'Alep, kurdes de certains quartiers d'Alep, villes chrétiennes comme Mhardeh et al-Suqaylabiyya – à l'ouest de Homs et quelques dizaines de km de la côte -, ismaéliennes comme Salamiya (Sud-Est de Hama), s'entendent avec le HTS et sont respectés. Le HTS en appelle aux alaouites et, dans le sud, les druzes se dressent en soutien à la chute d'Assad.

Il y a même des chiites qui reviennent vivre dans des localités qu'occupait le Hezbollah qui soi-disant était « leur » parti, comme à Nobl et Zahraa (ou Neghaoulé), au Nord-Ouest d'Alep.

L'enjeu des combats révolutionnaires est aussi leur explication immédiate. La lutte armée en Syrie est prolongée par le conflit des récits dominants et des interprétations, qui pèse dans le rapport de force, social, humain, et armé, lui-même.

Le récit de l'émancipation n'est pas une promesse de succès assuré, c'est lui même un combat : il dit « Bien creusé, vieille taupe », bien creusé à Idlib, Deraa ou Soueida, et il s'oppose à ceux qui disent « toujours pareil, pas de lumière, djihadistes partout ! » agissant ainsi pour qu'aucune émancipation n'advienne.

Oui, l'épopée du peuple syrien, abandonné, assassiné par tous les impérialismes, qui a connu 10 fois le sort de Gaza, contre lequel les horreurs de Marioupol et de Gaza ont été préparées, s'inscrit dans l'Histoire.

VP, le 06/12/2024.

Glossaire :

HTS : Armée de Libération du Levant, issue d'al-Qaida, djihadiste puis islamiste syrianisée ;
ASL, Armée Syrienne Libre, émanation du soulèvement originel de 2011 ;
ANS, Alliance Nationale Syrienne (en fait parrainée par la Turquie) dont la composition sur une base de bandes de mercenaires étrangers la rend bien peu … nationale ;
YPG : Unité des Protection du Peuple du PYD, Parti de l'Union Démocratique, projection syrienne du PKK [Parti des Travailleurs Kurdes] de Turquie.

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Défendre le Rojava, c’est défendre l’humanité

10 décembre 2024, par /kurdistan-au-feminin.fr — , ,
La situation est grave, le danger est grand. Si nous ne résistons pas efficacement, les valeurs de la révolution risquent d'être perdues, écrit le journaliste kurde Selahattin (…)

La situation est grave, le danger est grand. Si nous ne résistons pas efficacement, les valeurs de la révolution risquent d'être perdues, écrit le journaliste kurde Selahattin Soro, ajoutant que « Défendre le Rojava, c'est défendre le Kurdistan. Défendre le Rojava, c'est défendre la liberté des femmes. Défendre le Rojava, c'est défendre l'humanité ! »

Tiré de Kurdistan au féminin

Le ministre britannique de la Défense John Healey est arrivé à Ankara le 14 novembre et a visité TUSAŞ (Turkish Aerospace Industries Incorporated Company) en compagnie de Yaşar Güler. Mark Rutte, le nouveau secrétaire général de l'OTAN, est arrivé à Ankara le 25 novembre et a également choisi TUSAŞ comme lieu de sa visite.

Ronen Bar, le chef de l'agence de renseignement intérieure israélienne Shin Bet, a eu une réunion secrète avec Ibrahim Kalın, le chef de l'Organisation nationale du renseignement turque (MIT), le 18 novembre.

A mon avis, ce trafic peut être largement suffisant pour nous donner quelques indices et les codes des évolutions.

Au vu de tous ces événements, alors que les Kurdes et leurs amis du monde entier célébraient avec enthousiasme et excitation le 46e anniversaire du PKK, à Londres, capitale du Royaume-Uni, les domiciles, les lieux de travail et les institutions des patriotes kurdes, qui fonctionnent depuis des années sous le régime de la loi britannique, ont été perquisitionnés par la police vers 3 heures du matin, le 27 novembre. Alors que cette pratique se poursuit toujours et que les patriotes arrêtés sont toujours en détention, les Kurdes et leurs amis continuent leur résistance à l'extérieur.

Un autre événement intéressant et stratégiquement important est l'attaque soudaine lancée par l'organisation terroriste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), basée à Idlib, également connue sous le nom d'al-Nusra ou Jabhed-ul-Nusra, l'al-Qaïda syrien, sous la direction de Mohammed Colani, contre la ville d'Alep, et la situation nouvelle et critique sur le terrain syrien.

Comme nous le savons tous, « l'islam politique et fondamentaliste » est une création britannique. Al-Qaïda, qui s'est formé en Afghanistan, en Turquie et au Pakistan sur la base du projet de ceinture verte basé sur « l'islam politique » contre les Soviétiques, a été formé par des organisations de renseignement. Après l'effondrement de l'Union soviétique, ces mouvements ont pris de nouveaux noms et de nouvelles formes et continuent d'exister de manière efficace. Dans la dernière étape de ce processus, HTS, en tant qu'élément radical de la ligne musulmane des Frères musulmans, s'est organisé et s'est développé en tant que petit émirat islamique dans la région d'Idlib en Syrie sous les auspices et la supervision de l'État turc. Idlib et les régions voisines sont devenues un petit Afghanistan par l'intermédiaire de l'État turc. En plus de ces groupes, l'État turc a occupé les régions d'Afrin, Azaz, Bab, Jarabulus, Serêkaniyê et Girê Spî et s'est lancé dans une guerre génocidaire implacable contre l'administration autonome du nord et de l'est de la Syrie avec la soi-disant « Armée syrienne libre-ASL », composée d'éléments terroristes sous son contrôle. La République turque elle-même et ces groupes terroristes développent des attaques génocidaires continues depuis 2018 et utilisent toutes sortes de technologies de guerre sans limite pour éliminer tous les espaces de vie.

Le 27 novembre, alors que la République turque se préparait à une attaque génocidaire de grande ampleur contre l'administration autonome du nord et de l'est de la Syrie, le HTS a lancé une attaque de grande ampleur contre Alep et, au même moment, des groupes de l'ASL ont attaqué la ligne Shehba-Til Rifat. Après que l'armée d'Assad a capitulé Alep sans résistance, le HTS a avancé vers les villes de Hama et Homs, tandis que les gangs de l'ASL, des groupes terroristes autorisés par la République turque, ont lancé des attaques brutales contre les zones de Shehba, Sheikh Maqsoud, Ashrafiyah et Manbij. Ces attaques ne peuvent être considérées et évaluées comme des attaques ordinaires et localisées. La Syrie et le Rojava sont la ligne rouge des Kurdes et doivent être protégés et adoptés dans tous les cas et le prix nécessaire doit être payé. A cet égard, le processus qui a commencé est aussi vital et important que le « Printemps arabe » qui a débuté en Tunisie en 2010. La démarche du HTS est très stratégique, et bien que l'objectif ici soit de liquider l'administration Assad, l'objectif principal est de liquider l'Administration autonome du Nord et de l'Est de la Syrie-Rojava et d'éliminer les gains kurdes, et ceci est certainement planifié et exécuté par le gouvernement fasciste AKP-MHP de la République turque.

Il ne fait aucun doute que l'Iran, la Russie et leurs partenaires, ainsi que les États-Unis, l'UE et leurs partenaires, utiliseront ce processus pour leurs propres intérêts et détermineront leurs positions, et les groupes terroristes utiliseront ce processus pour atteindre leurs objectifs laissés inachevés par l'EI. Tout comme la guerre et le processus de l'EI se sont transformés en une grande révolution en faveur des peuples du Rojava, la même situation peut maintenant conduire à une révolution et à des gains bien plus importants. Mais la situation est grave et le danger est grand. Si l'on ne fait pas preuve d'une attitude adéquate et d'une résistance efficace, les valeurs révolutionnaires acquises au prix de grands sacrifices pourraient être perdues face aux attaques fascistes de la République turque.

La protection et la sauvegarde de ces valeurs constituent sans aucun doute le devoir fondamental et primordial de l'Administration autonome du Rojava-Nord et Est de la Syrie. Mais c'est la tâche la plus urgente de tout le Kurdistan et surtout de notre peuple vivant en Europe. Notre peuple dans toutes les régions, en particulier la jeunesse du Kurdistan, doit rejoindre la résistance du Rojava et jouer son rôle.

Le jeu en cours n'est pas simple et ordinaire. Le 9 octobre 1998, le leader Abdullah Öcalan a été emmené hors de Syrie par une conspiration et on voulait le liquider en tant que mouvement et peuple. Le leader Abdullah Öcalan et le peuple kurde ont répondu à cette conspiration en créant le printemps des peuples avec la grande et historique révolution du Rojava. Aujourd'hui, alors que la révolution et ses valeurs, le système d'auto-gouvernance démocratique, créé sur la base du paradigme du leader Abdullah Öcalan, sont censés être liquidés par les conspirateurs, le génocide kurde inachevé et raté est voulu achever. Face à cela, chaque individu kurde et ses amis doivent participer activement au processus avec l'esprit de mobilisation contre ce processus de génocide.

Défendre le Rojava, c'est défendre le Kurdistan !
Défendre le Rojava, c'est défendre la liberté des femmes !
Défendre le Rojava, c'est défendre l'humanité !

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Le régime d’Assad est tombé, vive la révolution du peuple syrien !

10 décembre 2024, par Gauche anticapitaliste — , ,
Après 14 ans de révolution et de guerre, le régime tyrannique et sanguinaire de Bachar al-Assad est tombé ce 8 décembre 2024 à l'issue d'une phase politico-militaire initiée (…)

Après 14 ans de révolution et de guerre, le régime tyrannique et sanguinaire de Bachar al-Assad est tombé ce 8 décembre 2024 à l'issue d'une phase politico-militaire initiée seulement douze jours auparavant. Des groupes armés de l'opposition tels que HTS (Front de la libération du Levant – islamistes) et l'Armée nationale syrienne (ANS – soutenue par la Turquie) ont lancé une offensive à Alep qui a déclenché une réaction en chaîne : les milices et les forces pro-Assad se sont rapidement effondrées, ont fui ou se sont rendues à la rébellion, ville après ville, région après région.

Tiré de Gauche anticapitaliste
8 décembre 2024

Par Gauche anticapitaliste

Des villes et villages emblématiques de la révolution ont été libérés les uns après les autres, parfois par des insurrections populaires locales : Alep, Hama, Deraya, Deraa, Homs, Kafranbel… Partout dans le pays, des forces se sont levées, civiles et armées, contre le régime qui reculait à vue d'oeil. Tout le monde a été surpris par une telle avancée et une telle conjonction des forces : sunnites, Druzes, chrétien·nes, kurdes se sont joints au mouvement contre le régime Assad. Le drapeau de la révolution, historiquement porté par l'Armée syrienne libre, s'est propagé à travers le pays. Cette nuit du 7 au 8 décembre, Assad était introuvable à Damas : il a manifestement cherché refuge dans un État partenaire du régime. Damas et l'ensemble du pays ont explosé de joie : d'innombrables vidéos de fête populaire ont envahi les réseaux sociaux, jusque dans la diaspora syrienne en Europe et notamment en Allemagne. Et il y a de quoi.

Ce régime était la continuation de la dictature d'une famille qui aura dirigé le pays pendant plus d'un demi-siècle. Un régime opportuniste vis-à-vis des puissances internationales qui pouvait à la fois combiner un discours sur la soi-disant « résistance » et participer à la « guerre contre le terrorisme » allié à George W. Bush. Un régime qui prétendait résister à Israël mais qui n'a jamais levé le petit doigt, y compris face au génocide des Palestinien·nes à Gaza. Un régime coupable de multiples crimes contre l'humanité contre sa propre population : que ce soit le massacre de plus de 30 000 personnes à Hama en 1982, le bombardement chimique au gaz sarin qui a tué plus de 1 400 civils dans la Ghouta (banlieue de Damas) le 21 août 2013, la famine provoquée par le siège contre le camp de réfugié·es palestinien·nes de Yarmouk entre 2013 et 2015, et la torture à une échelle de masse dans des prisons telles que celle de Sednaya (surnommée « l'abattoir »). Le bombardement systématique par Bachar Al-Assad des hôpitaux, des écoles, des marchés et de toutes les infrastructures civiles des zones qui échappaient à son contrôle, n'avait rien à envier aux crimes des États-Unis à Mossoul ou Raqqa, à ceux de Poutine à Marioupol ou à ceux de Netanyahou à Gaza. Il a attisé les braises du sectarisme religieux et a libéré les islamistes les plus radicaux de ses prisons au début de la révolution, au même moment où il enfermait les révolutionnaires non confessionnels et pro-démocratiques en masse. Au final, il aura produit la mort de plus d'un demi-million de Syriens et de Syriennes ainsi que l'exil et le déplacement forcé de plus de la moitié de la population du pays.

Le régime était proche de l'effondrement en 2013 et n'a tenu que grâce à ses parrains : Poutine et les mollahs iraniens. Incapable de reconstruire la Syrie dans les zones sous contrôle de ses bandes armées, Assad avait transformé son pays en centre névralgique de la production de captagon, une drogue de synthèse. Depuis plusieurs années, il cherchait la voie de la normalisation avec les pays de la région, en particulier les pétromonarchies du Golfe.

Assad a pu bénéficier de l'invasion des milices du Hezbollah et de nombreuses milices chiites envoyées et dirigées par l'Iran, tout autant que de l'aviation russe qui a notamment participé à l'écrasement d'Alep insurgée en 2016. Il a également bénéficié de la mansuétude des puissances occidentales, en premier lieu des États-Unis d'Obama qui méprisait la révolution syrienne. Les États-Unis n'avaient comme seul intérêt que de limiter l'expansion de forces djihadistes telles que Daesh, et ont empêché la rébellion de recevoir les armes anti-aériennes pour se défendre. La révolution et l'insurrection syrienne ont fait l'objet de tentatives de détournement par des puissances réactionnaires telles que le Qatar, l'Arabie Saoudite, la Turquie et les États-Unis, cherchant toutes à instrumentaliser leur soutien pour fidéliser des groupes armés sur place en faveur de leurs intérêts : les États-Unis pour armer les Kurdes du PYD (et leur coalition des Forces démocratiques syriennes ou FDS) contre Daesh, la Turquie et son « Armée nationale syrienne » composée de volontaires arabes payés pour refouler les Kurdes, l'Arabie Saoudite et le Qatar pour soutenir diverses forces réactionnaires locales. En outre, des secteurs de la gauche internationale se sont compromis à soutenir directement ou indirectement le régime et sa propagande. Impossible d'oublier à ce titre les prises de positions de Mélenchon ou du PTB soutenant la répression d'insurgé·es syrien·nes et relativisant ce faisant les massacres de civils à des moments décisifs tels que la bataille d'Alep en 2016.

Ce régime est tombé comme un fruit pourri, car plus personne n'était prêt à mourir pour le défendre, et parce que ses parrains sont trop occupés à tuer des Ukrainien·nes ou à se réorganiser au Liban et en Iran. La chute du régime Assad constitue une victoire importante et historique. La population syrienne en joie ne s'y trompe pas. Les portes des prisons du régime sont ouvertes, permettant aux milliers de prisonnier.e.s de la dictature d'en sortir, les réfugié·es commencent à discuter d'un jour pouvoir revoir leur pays, leur famille, leurs ami·es, leur ville ou village martyrisés, voire de pouvoir faire le deuil de leurs proches, dont de nombreux·ses disparu·es. Les geôles d'Assad ayant été ouvertes, l'heure est venue pour la justice et la vérité pour des dizaines de milliers de disparu·es.

Le message qui est envoyé aux peuples du monde entier, c'est qu'aucune tyrannie sanguinaire n'est indestructible. Même quand tant de puissances régionales et internationales tentent d'écraser un peuple. C'est un message aussi pour les impérialismes mondiaux et régionaux et toutes les forces réactionnaires à travers le monde.

Pour autant, si cette victoire majeure est bien la précondition pour que tout redevienne possible, l'avenir politique du pays n'est pas encore réglé et il est nécessaire de rester clairvoyant·es et vigilant·es dans notre solidarité. En effet, les buts de la révolution syrienne vont au-delà de la chute du régime : il s'agit de bâtir une société démocratique et de justice sociale. Dès lors, l'avenir repose sur la participation politique la plus large possible et non sur des directions politico-militaires intégristes et autoritaires. De même, tout doit être fait pour garantir l'inclusion et le respect de toutes les composantes culturelles, ethniques et religieuses du pays, contre toute forme de chauvinisme. Ainsi nous devons nous opposer et dénoncer les opérations de l'ANS, qui poursuit les objectifs du régime turc contre les zones contrôlées par les FDS au Nord du pays, dans des villes telles que Tel Rifaat ou Manbij, opérations qui s'accompagnent de violations des droits humains (kidnappings, assassinats) et qui ont déjà provoqué le déplacement de plus de 150 000 civils. À ce sujet, il est remarquable que Salih Muslim, dirigeant du PYD, ait salué la chute du régime et qu'il ait publiquement appelé au dialogue avec HTS pour construire une nouvelle Syrie pour toustes.

Cette question des minorités nous amène à un autre danger : les puissances régionales et internationales n'ont pas dit leur dernier mot en Syrie. Que ce soit la Turquie, l'Iran, Israël, les Émirats arabes unis, l'Arabie Saoudite et peut-être bientôt les États-Unis de Trump, ces régimes réactionnaires vont tenter chacun à leur manière de tirer leur épingle du jeu dans la suite des évènements. Aucun n'avait envie de voir le triomphe d'une opposition armée appuyée sur le mécontentement populaire. Étant donné le passif autoritaire de HTS et de l'ANS, qui tentent en outre de rassurer les diverses puissances, nous devons garder en tête ce qui s'est produit en Égypte, en Libye ou en Tunisie (voire auparavant en Iran en 1979) où les processus révolutionnaires, même après avoir chassé le dictateur, voient les forces de la contre-révolution se réorganiser sous d'autres formes. Par ailleurs, Daesh existe encore dans une poche désertique à l'Est du pays et pourrait tenter de profiter de la situation.

La Gauche anticapitaliste salue et soutient l'orientation de nos camarades de la gauche révolutionnaire dans la région : seule l'auto-organisation des classes populaires en lutte pour leurs revendications démocratiques et sociales pourra créer l'espace démocratique permettant une réelle libération et une alternative politique. Pour y arriver, elles devront surmonter les obstacles de la lassitude après autant d'années de guerre et d'exil, de pauvreté et de dislocation de la société. La reconstruction d'une société civile et d'organisations populaires de masse (syndicats, organisations féministes, associations locales, etc.) sera essentielle dans ce combat. Un avenir démocratique et social est à ce prix.

En Europe, les peuples en lutte auront tout intérêt à se laisser inspirer et à apprendre du processus révolutionnaire syrien et à se tenir à ses côtés dans la nouvelle période qui s'ouvre, lourde de possibilités mais aussi de dangers.

. Vive la révolution du peuple syrien !

. Aux peuples de Syrie de gérer ensemble leur pays : à bas les puissances réactionnaires internationales, stop à l'offensive pilotée par le régime turc contre les Kurdes !

. Liberté et justice pour toutes les composantes du peuple syrien !

. Pour une Syrie démocratique et sociale !

Déclaration de la Gauche anticapitaliste, le 8 décembre 2024.

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En Inde, le Premier ministre Narendra Modi rappelé à l’ordre par son extrême droite

10 décembre 2024, par Abhishek Dey — , ,
Le Premier ministre indien s'est hissé au pouvoir avec l'aide d'un groupe paramilitaire, le RSS, “gardien du temple” du nationalisme hindou, qui supporte de moins en moins le (…)

Le Premier ministre indien s'est hissé au pouvoir avec l'aide d'un groupe paramilitaire, le RSS, “gardien du temple” du nationalisme hindou, qui supporte de moins en moins le culte de la personnalité pratiqué par Modi. Plongée au cœur de la lutte pour le pouvoir au sein de la droite extrême indienne.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Mohan Bhagwat et Narendra Modi. Dessin de Peter M. Hoffman, Allemagne pour Courrier international. Article paru en anglais dans Himal.

“Lorsqu'on s'élève à une telle hauteur, il ne faut pas se prendre pour un dieu. C'est aux gens de dire s'il y a un dieu en nous.” Ces mots ont été prononcés le 5 septembre par Mohan Bhagwat, le chef du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, “Organisation des volontaires nationaux”). Le RSS, un groupe d'extrême droite de la mouvance nationaliste hindoue, est l'aile paramilitaire et idéologique du Bharatiya Janata Party (BJP, “Parti du peuple indien”) actuellement au pouvoir. Et c'est là que le Premier ministre indien, Narendra Modi, a fait ses premiers pas en politique.

Aussi les mots de Bhagwat ont-ils été perçus comme une pique visant Modi : lors de sa campagne pour les élections législatives du printemps 2024, il avait proclamé à la télévision que son énergie ne pouvait provenir d'un corps biologique, et qu'il était l'instrument des dieux. Ce n'est pas la première fois que Bhagwat s'en prend au Premier ministre en public. En juin, une semaine après l'annonce des résultats des élections, il a déclaré devant ses militants qu'un véritable sevak, ou “serviteur”, ne devait pas être arrogant, et que la campagne électorale “n'avait pas respecté les convenances”.

Un seul visage

Bien qu'il n'ait nommé personne, ses remarques ne sont pas passées inaperçues au sein de la hiérarchie du BJP : c'est la veille de ce discours, le 10 juin, que Modi a prêté serment pour un troisième mandat d'affilée de Premier ministre. Historiquement, l'ascension et les succès électoraux du BJP doivent beaucoup à la mobilisation et aux campagnes du RSS en sa faveur. Cependant, depuis 2014, lorsque Modi a pour la première fois accédé au pouvoir à l'échelon national, les campagnes législatives du BJP ressemblent de plus en plus à des campagnes présidentielles, avec un seul visage au premier plan, celui de Narendra Modi.

Aux élections de 2024, une fois de plus, le parti s'est fortement appuyé sur l'immense culte de la personnalité de Modi. Les promesses électorales des différents candidats ont été présentées comme émanant de Modi en personne ; plusieurs cadres et ministres du parti sont allés jusqu'à ajouter “Modi ka parivar”, soit “Famille de Modi”, à leurs profils sur les réseaux sociaux.

Culte de la personnalité obsessif

Lors de ce scrutin, le BJP n'a remporté que 240 sièges à la chambre basse du Parlement, contre 303 aux élections précédentes, en 2019. C'est la première fois depuis 2014 qu'il n'obtient pas de majorité absolue. Les commentaires de Bhagwat ont donc été perçus comme un blâme et un rappel à la réalité adressés à Modi et au BJP, qui s'étaient targués de pouvoir rafler au moins 370 sièges.

“Mohan Bhagwat tend un miroir à Modi, explique le journaliste politique au magazine indien The Print D. K. Singh [les prénoms, en Inde, sont souvent réduits à leur initiale]. Lorsqu'il parle d'ahankaar, c'est-à-dire d'‘arrogance', il se réfère manifestement à l'ego démesuré et au culte de la personnalité obsessif de Modi.”

“Le RSS croit au ‘nous' collectif, à travers sa ‘double mission' de formation du caractère des individus [pour les uniformiser] et de construction de la nation.”
Cela fait maintenant quelque temps que la direction du RSS est mal à l'aise face à ce Modi dont l'influence dépasse la sienne, et qui a mis à l'écart ses principaux dirigeants au cours de ses dix années passées dans le fauteuil de Premier ministre.

Lutte de pouvoir

“Ce n'est un secret pour personne, les relations entre Bhagwat et Modi sont tendues depuis des années”, commente pour sa part Dhirendra Jha, un journaliste qui suit les activités du RSS. “Cela dit, si l'on considère le RSS dans son ensemble, les membres qui se trouvent tout en bas ou au milieu semblent très contents de Modi, qu'ils voient comme un leader capable de créer l'Hindu Rashtra” – la grande nation hindoue qu'appelle de ses vœux le RSS. “Les tensions, qui restent occasionnelles, ne concerne que la direction de l'organisation.”

Modi a déjà atteint deux objectifs que la droite hindouiste poursuit depuis longtemps. Le premier : l'abrogation, en 2019, de l'article 370 de la Constitution indienne, privant ainsi le Jammu-et-Cachemire de son statut d'État et de son autonomie. Le second : la construction du temple de Rama, à Ayodhya, consacré en janvier 2024. Pourtant, souligne D. K. Singh, alors qu'ils s'étaient mobilisés en masse pour Modi en 2014 et 2019, les adhérents du RSS sont largement restés en retrait de la campagne électorale de 2024.

Selon certains observateurs, les propos postélectoraux de Mohan Bhagwat sont révélateurs d'une lutte de pouvoir entre lui et Modi. Car Bhagwat a perdu de son influence, notamment au profit d'autres membres de l'organisation comme B. L. Santhosh et Dattatreya Hosabale. Modi a nommé ces deux proches à des postes en vue, nominations que d'aucuns voient comme des signes de son poids croissant dans l'équilibre des pouvoirs entre le BJP et le RSS. Si la guerre interne entre les deux mouvements n'est pas nouvelle, elle atteint cependant une intensité sans précédent.

Maître à penser

Le RSS a été fondé en 1925 par K. B. Hedgewar, qui voulait créer une organisation apolitique aux objectifs socioculturels – avec notamment l'expansion de la domination hindoue en Inde. En 1948, le groupe a été interdit après qu'un de ses membres a assassiné le Mahatma Gandhi. Mais l'interdiction a été levée dès l'année suivante, et le RSS a progressivement saisi l'importance de participer aux élections afin d'acquérir le pouvoir dont il avait besoin pour atteindre ses objectifs.

C'est en 1951 que Syama Prasad Mukherjee, un militant du nationalisme hindou, a créé le parti Bharatiya Jana Sangh (ou Jan Sangh, “Mouvement du peuple indien”). Le RSS l'a soutenu pour rapidement en faire son aile politique, tout en se réservant le domaine idéologique et le rôle de maître à penser. Mais les relations du RSS avec le Jan Sangh, puis avec son successeur, le BJP, n'ont jamais été un long fleuve tranquille.

En 1998, Atal Bihari Vajpayee fut le premier dirigeant du BJP et membre du RSS à devenir Premier ministre de l'Inde. “Vajpayee devait s'agenouiller au sens propre devant le RSS au moment de choisir ses ministres”, écrit le journaliste Nilanjan Mukhopadhyay dans son ouvrage The RSS. Icons of the Indian Right [“Le RSS. Les icônes de la droite indienne”, inédit en français].

Crimes intolérables

Ces relations complexes ont marqué le début d'une longue phase de tensions larvées. Le RSS et ses ramifications sont devenus certains des critiques les plus véhéments du gouvernement Vajpayee, en particulier à partir de l'arrivée d'un nouveau chef, K. S. Sudarshan, à la tête du RSS, en 2000. Les voix les plus virulentes reprochaient continuellement au gouvernement Vajpayee de ne pas en faire assez pour construire le fameux temple de Rama sur le site controversé d'Ayodhya, où une mosquée du XVIe siècle avait été détruite en 1992 par des manifestants nationalistes hindous.

Résultat, en 2004, le gouvernement Vajpayee n'a pas été réélu. Mais l'hostilité entre le RSS et les chefs du BJP a perduré. En 2005, lors d'une interview, Sudarshan a déclaré que Vajpayee devrait se retirer et laisser place à des chefs du parti plus jeunes.

Sudarshan lui reprochait de s'éloigner de ses racines idéologiques. Un peu comme Bhagwat, aujourd'hui, voit en Modi un Premier ministre dont l'immense popularité le soustrait à l'autorité que le RSS exerçait autrefois sur lui. Deux crimes intolérables aux yeux du RSS, qui s'est toujours considéré comme la force suprême à même de guider le nationalisme hindou.

Chaque fois que le BJP, ou le Jan Sangh avant lui, a goûté au pouvoir ou tenté de se soustraire au contrôle du RSS, ce dernier a resserré son emprise.

Se fondre dans l'organisation

Arrivé au pouvoir en 1977 après l'état d'urgence imposé par la Première ministre Indira Gandhi, le Janata Party [une coalition de partis d'opposition hétéroclites] forma le premier gouvernement indien qui ne soit pas issu du parti du Congrès. Mais il fut rapidement rongé par des luttes intestines à cause, notamment, de l'influence exercée par le RSS par le truchement du Jan Sangh [qui était membre de cette coalition].

Initialement, tous les membres du Janata Party étaient d'accord pour se distancier de toute idéologie théocratique. Mais les membres du Jan Sangh ont rapidement refusé de rompre leurs liens avec le RSS. De sorte qu'ils ont été soupçonnés d'utiliser la force organisationnelle du RSS pour prendre le contrôle de toute la coalition. Cette question de la “double appartenance” n'a jamais été résolue. Et de fait, c'est l'une des multiples raisons qui ont mené à l'éclatement du Janata Party, en 1980.

Le RSS a toujours eu une aversion pour la politique centrée sur une personnalité, explique le politologue français Christophe Jaffrelot :

“Le type de personnalisation du pouvoir que cultive Narendra Modi est en contradiction totale avec l'éthique du RSS. Dans ce groupe, les personnalités doivent passer au second plan, se fondre dans l'organisation, et non la dominer.”
Sauf que la politique de Modi a toujours reposé sur sa personnalité, et ce dès ses premiers jours au poste de ministre en chef du Gujarat [un État de l'ouest de l'Inde].

Structure de pouvoir parallèle

Après les émeutes antimusulmanes de 2002 au Gujarat, Narendra Modi a été fustigé – notamment par le BJP – pour avoir permis ces violences de masse, qui ont fait au moins un millier de morts, essentiellement musulmans. Mais il a pu compter sur le soutien infaillible du RSS.

C'est également au RSS qu'il doit ses débuts politiques : il a passé plusieurs années dans l'organisation avant d'être nommé au sein du BJP, au milieu des années 1980. Mais au fil du temps, Modi a bâti au sein du BJP une structure de pouvoir parallèle rassemblant un influent lobby de figures politiques qui le soutiennent personnellement, d'industriels qui financent ses campagnes et de militants de base du parti qui sont directement en contact avec les électeurs. Tout cela a significativement réduit sa dépendance vis-à-vis du RSS.

Avant même qu'il n'arrive au poste de Premier ministre, des frictions, en coulisses, l'avaient déjà opposé au RSS. Dès 2007, aux élections législatives du Gujarat, le RSS s'est tenu en retrait de la campagne de Modi. Celui-ci en est tout de même sorti victorieux et, au cours des années suivantes, il a continué d'écarter de nombreux dirigeants du RSS au Gujarat, de sorte à y monopoliser le pouvoir.

Malgré ces frictions, jugeant les enjeux élevés, le RSS a soutenu la candidature de Modi au fauteuil de Premier ministre. La hiérarchie du RSS voyait en lui un homme capable de mener le BJP, et partant le RSS, au pouvoir à l'échelle nationale. Le pari a largement porté ses fruits.

Les fidèles au poste

Le RSS en voulait au gouvernement Vajpayee de ne pas lui laisser suffisamment de place dans la sphère culturelle. Modi, lui, n'a donné au mouvement aucune raison de se plaindre sur ce point, bien au contraire. Après sa victoire de 2014, il a nommé plusieurs hommes du RSS à la tête de grandes organisations du domaine de l'éducation et de la culture.

Modi a par ailleurs placé des fidèles du RSS au sein de son gouvernement : en 2020, 38 des 52 ministres issus du BJP étaient passés par le RSS.

Mais le Premier ministre a réservé les fonctions les plus influentes à son cercle de proches. L'actuel ministre de l'Intérieur, Amit Shah, est un fidèle lieutenant depuis l'époque du Gujarat ; il doit son ascension directement à Modi, plutôt qu'à ses liens avec le RSS.

Quant à Subrahmanyam Jaishankar, le ministre des Affaires étrangères, et Ajit Doval, le conseiller à la sécurité nationale, ce sont également des fidèles de Modi, qui ont obtenu leur poste directement de celui-ci ; ils n'ont jamais été membres du RSS.

Panique

“Les jours sont loin où la hiérarchie du RSS exerçait une influence majeure dans les décisions du BJP”, observe le journaliste spécialiste du RSS Dhirendra Jha.

“Depuis un certain temps, une partie des hauts dirigeants du RSS, dont Mohan Bhagwat, est très mécontente parce que Modi ne les consulte plus ni sur les questions et décisions politiques ni sur les nominations importantes.”
Les propos tenus par Bhagwat après les résultats en demi-teinte du BJP aux législatives laissent penser que certaines figures clés du RSS entendent raffermir leur emprise sur le parti. “Le RSS ne prend la parole que lorsque le gouvernement de Narendra Modi est attaqué, précise Christophe Jaffrelot. Pour le reste, ils doivent bien admettre que la façon dont le BJP met en œuvre ses politiques et son idéologie reste très populaire auprès des jeunes membres du RSS. Ce n'est que lorsqu'il y a des tensions, lorsque la popularité de Modi s'effrite, que le RSS intervient.”

Les luttes de pouvoir entre le RSS et le BJP se jouant habituellement en coulisses, les récentes sorties de Bhagwat ont été très remarquées. Mais selon Dhirendra Jha, “les commentaires de Bhagwat reflètent la panique que suscitent la perte de sièges du BJP au Parlement et la peur de perdre le pouvoir. C'est tout. À mes yeux, à l'heure actuelle, le BJP et le RSS ne sont pas en conflit.”

Abhishek Dey

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En Israël, l’accord avec le Hezbollah passe mal : “Mais de quelle victoire parle Nétanyahou” ?

10 décembre 2024, par Courrier international — , , , ,
Le cessez-le-feu annoncé ce mardi 26 novembre entre le Hezbollah libanais et l'État hébreu a surpris l'ensemble de la presse israélienne. En particulier à cause de son timing, (…)

Le cessez-le-feu annoncé ce mardi 26 novembre entre le Hezbollah libanais et l'État hébreu a surpris l'ensemble de la presse israélienne. En particulier à cause de son timing, d'un objectif stratégique annoncé mais que partiellement atteint, et de la différence de “traitement” entre la milice chiite pro-iranienne au Liban et le Hamas dans la bande de Gaza, qui détient encore une centaine d'otages israéliens.

Tiré de Courrier international.

L'accord de cessez-le-feu de soixante jours, conclu ce mardi 26 septembre sous la pression de l'administration américaine de Joe Biden, a été négocié entre le gouvernement israélien et le gouvernement libanais, “un État failli depuis une décennie”, souligne dans Ha'Aretz, Yaniv Kubovich.

Or, poursuit le journaliste, tout le monde sait que “seul le Hezbollah détient la clé d'une trêve digne de ce nom”, ce qui rend l'accord pour le moins fragile. Certes, celui-ci est censé être placé sous la supervision ultime des États-Unis, mais Washington a accepté une annexe officieuse exigée par le gouvernement israélien et reconnaissant “une liberté d'action israélienne totale sur le sol libanais en cas de tentative de renforcement du Hezbollah ou de toute autre entité hostile”.

Le message envoyé par Nétanyahou est “ambivalent”, souligne pour sa part, toujours dans Ha'Aretz, le journaliste Jack Khoury. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a revendiqué sa “victoire totale” contre le Hezbollah, mais a lancé dans le même temps un avertissement aux 80 000 civils israéliens déplacés du Nord : “Surtout, ne rentrez pas chez vous.”

Pourquoi pas alors une trêve avec le Hamas ?

Par ailleurs, comment ne pas faire la comparaison avec la guerre menée dans la bande de Gaza ? s'interroge le journaliste Ben Caspit dans Maariv. “Nétanyahou vient d'accepter un cessez-le-feu avec une organisation mille fois plus armée, nocive et redoutable que le Hamas [palestinien], sans l'avoir anéantie et tout en refusant une trêve avec la milice islamiste palestinienne, alors que cette dernière est décapitée et détient toujours une centaine d'otages israéliens.”

Cette incompréhension est partagée par toute la presse israélienne. Ainsi, dans Yediot Aharonot, l'éditorialiste Sima Kadmon n'y va pas de main morte. “La plupart des Israéliens ne font pas confiance au Premier ministre. Hier soir [le mardi 26 novembre], il a entamé son allocution par ces paroles typiquement israéliennes, surréalistes et attendues : ‘Hivtahti lakhem nitzahon [je vous avais promis la victoire].' Mais de quelle victoire parle-t-il ?” se demande la chroniqueuse.

Cet accord va-t-il enfin rebattre les cartes sur le plan interne israélien ? Quelle sera la position des deux partis d'extrême droite membres du gouvernement Nétanyahou ? Interrogé par Yaïr Kraus dans Yediot Aharonot, le ministre Yitzhak Wasserlauf (membre du parti Otzma Yehudit ou “Pouvoir juif”) est clair.

“L'objectif de la guerre [contre le Hezbollah] que nous nous étions fixé était de restaurer la sécurité d'Israël. Un accord qui ne garantit pas le retour des 80 000 civils israéliens déplacés n'est pas un accord mais une reddition.”
De fait, la trêve israélo-libanaise négociée sous l'égide de l'administration Biden laisse davantage de questions que de réponses. Pour la journaliste Ravit Hecht, dans Ha'Aretz, “la séparation des deux fronts [libanais et palestinien] est un exploit dont Nétanyahou peut s'attribuer le mérite. Mais il ne faut pas oublier la différence fondamentale entre les deux fronts, qui est inversement proportionnelle à la nécessité de poursuivre les combats.”

Concernant la bande de Gaza et le Liban, poursuit Ravit Hecht, quelle sera la position des partis d'extrême droite membres du gouvernement Nétanyahou ? “Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich ne sont pas fous” et ne saborderont pas la coalition. L'extrême droite compte garder la main en Cisjordanie et “l'opinion israélienne, bien que majoritairement frustrée par l'accord du 26 novembre, garde davantage les yeux rivés sur la bande de Gaza et les otages détenus par le Hamas”.

Courrier international

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Ghaza, le coup de grâce de Trump

Le monde entier est pétrifié par l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche à cause de ce qu'il va entreprendre pour assouvir son obsession de faire des Etats-Unis le (…)

Le monde entier est pétrifié par l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche à cause de ce qu'il va entreprendre pour assouvir son obsession de faire des Etats-Unis le gendarme de la planète. La zone qu'il va privilégier sera le Moyen-Orient, ayant d'autres projets moins destructeurs pour le conflit Russie - Ukraine. Il vient de déclarer que si « les otages à Ghaza ne seront pas libérés avant le 20 janvier 2025, le prix à payer sera ''terrible'' au Moyen-Orient, et pour les responsables qui ont perpétré ces atrocités contre l'humanité ».

Tiré de El Watan-dz
5 décembre 2024

Par Ali Bahmane

Comme il ne cite pas la responsabilité d'Israël dans la tragédie de Ghaza et d'une manière générale dans le drame palestinien, on en déduit qu'il va s'aligner résolument sur Tel- Aviv, faire ce qu'a fait Biden, c'est-à-dire déverser des armes et des dollars et envisager toutes sortes d'autres mesures d'appui à la stratégie israélienne. Netanyahu l'a chaleureusement félicité pour cette déclaration comme il l'a fait pour les congressistes américains qui l'ont applaudi il y a quelques mois.

Le drame du monde actuel est qu'il n'y a aucun moyen de contrer l'administration américaine, tant celle-ci a les moyens de sa politique. En outre, Washington a une arme favorite : son droit de veto au Conseil de sécurité pour contrecarrer toutes les tentatives internationales de faire cesser le carnage de Ghaza et dire non à toute résolution visant à hisser le statut de la Palestine au rang d'Etat membre et non plus de simple observateur.

Nombre d'initiatives dans le monde ont échoué dans leur volonté de réformer cette injustice historique qui est le droit de veto octroyé à une poignée de grands pays. Une récente rencontre à Oran, en Algérie, a souligné la nécessité et l'urgence de l'octroi à l'Afrique d'un siège permanent au Conseil de sécurité disposant des mêmes droits et devoirs que les autres membres. Aucune réaction positive n'est venue des membres permanents du Conseil sécurité, leur souci majeur reste toujours de conserver ce précieux outil, le droit de veto, pour servir leurs intérêts.

Tout comme Biden, Trump se montre totalement insensibles au coût humain terrifiant de Ghaza qui est de 45 000 morts, dont les deux tiers sont des femmes et des enfants, 90 000 blessés et la destruction de plus de 80% des infrastructures. Le soutien total à tout ce que fait Israël est inscrit dans la philosophie politique de l'establishment américain, bien qu'elle ne fasse pas toujours l'unanimité au sein de la population américaine, notamment de sa jeunesse. Et Washington, qui ne se soucie aussi guère de l'embrasement de la région, est resté insensible à l'attaque du Liban avec son cortège de morts et de destructions.

Il est établi qu'il encourage indirectement l'opération actuelle de déstabilisation de la Syrie par des groupes djihadistes, dont le premier à tirer profit est Israël qui a maintes fois bombardé la Syrie, au prétexte qu'elle aide le Hezbollah libanais.

Sur la tragédie de Ghaza, il est utile de rappeler c'est la rapporteure spéciale de l'ONU, Francesca Albanese, qui a eu des mots justes et poignants en disant que « dans le camps de concentration le plus grand et le plus honteux du XXIe siècle, Israël génocide les Palestiniens, un quartier à la fois, un hôpital à la fois, une école à la fois, un camps de réfugiés à la fois, une ''zone de sécurité'' à la fois ». Avec des armes européennes et américaines, et dans l'indifférence de toutes les « nations civilisées ».

Un autre écho intéressant, celui de l'ancien ministre de la Défense et vice-Premier ministre israélien de Netanyahu qui a alerté sur les crimes de guerre commis par l'armée israélienne à Ghaza, en affirmant que la route « empruntée actuellement est la conquête, l'annexion et le nettoyage ethnique ».

Le général Moshé Yaalon a révélé, sur la base de témoignages d'officiers sur le terrain à Ghaza, des crimes de guerre et d'épuration ethnique sont commis dans l'enclave. « J'assume ce que j'ai dit. L'armée israélienne n'est pas la plus morale du monde », a-t-il ajouté, accusant Benyamin Netanyahu de mener le pays vers « la ruine » avec l'appui de ministres extrémistes, citant celui des Finances « fier de pouvoir réduire de moitié la population de Ghaza.

Comment peut-on appeler cela ? Il n'a aucun problème moral à tuer deux millions de Ghazaouis ». Le témoignage de ce haut responsable israélien, somme toute bien courageux, vient en écho à la déclaration de guerre contre Ghaza de Trump. Mais son impact ne peut être que moral, loin de suffire à changer la donne.

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Israël. La chasse aux « mauvais juifs » est ouverte

Lois et décrets ministériels s'accumulent à grande vitesse contre les Palestiniens. Comme dans tout système d'apartheid, il existe très officiellement des lois pour eux et (…)

Lois et décrets ministériels s'accumulent à grande vitesse contre les Palestiniens. Comme dans tout système d'apartheid, il existe très officiellement des lois pour eux et d'autres pour les Israéliens. Mais ces décisions s'étendent désormais aux Juifs israéliens. Celles et ceux qui s'opposent aux massacres et à la guerre peuvent être accusés de trahison. Sont visés des journalistes et des journaux comme Haaretz, des réalisateurs, des dirigeants d'ONG, des militants pacifistes...

Tiré d'Orient XXI.

Le 10 octobre 2024, le film Lyd devait être projeté à Jaffa, ancienne ville portuaire rattachée à Tel-Aviv, habitée à la fois par des Juifs et des Palestiniens. Lyd est le nom arabe de la ville de Lod, connue pour abriter le principal aéroport israélien. Mi-documentaire et mi-fiction uchronique, le film dépeint la Nakba de 1947 à 1949 et imagine la vie à Lyd si cette expulsion massive n'avait pas eu lieu. Lod a connu, en juillet 1948, un massacre perpétré dans la mosquée Dahamshe où, selon les sources, entre 95 et 250 Palestiniens qui s'y étaient réfugiés périrent sous les tirs d'obus tirés par des chars israéliens. Sorti en juillet 2013, Lyd, co-réalisé par Rami Younis, un journaliste palestinien citoyen israélien né à Lod et la documentariste américaine Sarah Ema Friedland, a été diffusé dans plusieurs festivals aux États-Unis.

Des films interdits de projection

Mais, ce 10 octobre, le film n'a pas été projeté. Le matin même, la police a informé son diffuseur, Mahmoud Abou Arisha, patron du cinéma Al Saraya, que c'était interdit. Le ministre de la culture, Miki Zohar, avait requis l'intervention policière en arguant d'un « risque sérieux et immédiat pour l'ordre public ». Lui-même avait été alerté par un militant connu d'extrême droite. Inutile de préciser que ni ce dernier, ni le ministre, ni le policier n'avaient vu le film. Une pétition a été présentée par quatorze associations artistiques israéliennes pour annuler cette interdiction, faisant valoir que « le rôle de la police est de protéger la liberté d'expression, pas ceux qui veulent l'abolir ». Réponse du ministre de la police, Itamar Ben Gvir : « Les gens de gauche qui hurlent suite à l'annulation de la projection de Lyd doivent comprendre qu'une loi est une loi et un ordre, un ordre. »

Lyd n'est pas le premier à être interdit de diffusion en Israël ces derniers temps. En août 2024, Jenin Jenin 2, du cinéaste et acteur Mohammad Bakri, Palestinien citoyen israélien, avait subi le même sort. Et en octobre, ce fut au tour du film 1948 — Remember, Remember Not (1948 — Se souvenir, Ne pas se souvenir), de l'Israélienne Neta Shoshani.

Mais l'accumulation de ces décisions sur un temps court est symptomatique d'une évolution notoire : la poussée de la censure dans une atmosphère générale où l'aspiration à un « État fort » et autoritaire ne cesse de croître. Habitués depuis longtemps, les Palestiniens d'Israël en sont les premières victimes. Ainsi, le 7 novembre, le parlement a voté une loi permettant que « l'expulsion d'un terroriste » puisse être accompagnée de celle de ses proches, parents, enfants, frères ou sœurs. La décision, de facto, ne concerne que les Palestiniens citoyens israéliens, car Israël n'a jamais eu besoin de législation pour expulser de leur terre des Palestiniens occupés. Ce nouveau dispositif s'ajoute à la liste toujours plus longue des lois suprémacistes séparant juridiquement le traitement des citoyens israéliens, selon qu'ils sont juifs ou palestiniens.

Parallèlement — et c'est une nouveauté — s'installe une ambiance de chasse aux « traîtres juifs ». Le parlement connaissait depuis plus d'une décennie une poussée d'autoritarisme, incarné par la détermination de la droite d'abolir les prérogatives de la Cour suprême pour la soumettre au bon vouloir du seul exécutif. On assiste désormais à un flot de votes sur des projets de loi, des décrets et décisions portant sur la restriction de la liberté d'expression et d'action qui ne concerne plus uniquement la population palestinienne (1). Elle vise désormais également toute parole jugée « offensante » envers Israël et sa politique.

Ainsi, une loi a été adoptée en octobre 2024 permettant de priver de son emploi tout enseignant qui aurait manifesté « de la sympathie pour une organisation terroriste ». Lorsque l'on sait qu'est jugée « terroriste » toute manifestation de soutien à la cause palestinienne, quelle qu'en soit la forme, on imagine la pression sur des enseignants en histoire, par exemple, qui oseraient s'éloigner de la version « officielle » sur l'expulsion des Palestiniens en 1948, selon laquelle « Israël n'a expulsé aucun Arabe. Ils sont partis volontairement ». Un autre projet de loi, encore en débat, parmi plusieurs du même acabit, prévoit une amende équivalente à 3 000 euros et une année d'emprisonnement pour quiconque brandirait un drapeau palestinien dans une institution publique. Ce dernier cible clairement les étudiants.

Les menaces qui pèsent sur le journal Haaretz, à la fois « quotidien de référence », mais aussi pôle principal de résistance dans la société à la politique coloniale menée par Benyamin Nétanyahou, sont l'incarnation de cette campagne contre le droit d'expression.

Haaretz, « soutien du terrorisme »

Ainsi, le 24 novembre 2024, le gouvernement a approuvé une proposition du ministre de la communication, Shlomo Karhi, qui enjoint toute administration publique et tout organisme bénéficiant d'un soutien financier de l'État de cesser de faire de la publicité dans ce journal ou d'y abonner ses personnels. Nétanyahou a fait savoir son soutien à cette proposition. Le gouvernement l'a justifiée au motif que « de nombreux éditoriaux (…) ont porté atteinte à la légitimité de l'État d'Israël ». Il accuse le propriétaire de Haaretz, Amos Schoken, de « soutien au terrorisme ». En fait, lors d'une conférence donnée à Londres quelques jours plus tôt, le 27 octobre, devant une audience essentiellement juive, ce dernier — qui revendique son sionisme — avait vilipendé le « cruel régime d'apartheid imposé à la population palestinienne » et évoqué les « combattants palestiniens de la liberté, qu'Israël appelle des terroristes ». Il reviendra sur ces propos peu après, précisant qu'il juge « le recours à la terreur illégitime », sans pour autant renier les termes de « combattants de la liberté ».

Le gouvernement s'est emparé de l'affaire pour commencer d'instruire ce qui ressemble à un procès en trahison des Israéliens dénonçant le colonialisme de leur État. Sans attendre le vote de la proposition de loi, le ministre de l'intérieur, Moshé Arbel, a immédiatement suspendu tous les abonnements des employés de son ministère à Haaretz. Le ministre de la justice, Yariv Levin, a proposé l'adoption d'une loi visant tout Israélien sans exclusive qui appellerait à boycotter l'État d'Israël ou ses dirigeants à être condamné à dix ans de prison, et à vingt ans en temps de guerre. Le directeur de la rédaction du journal, Aluf Benn, a réagi :

  • Nétanyahou veut un pouvoir israélien sans justice indépendante, où la police et les agences de sécurité sont transformées en milices privées [à son service], et bien entendu sans médias critiques et libres (…) Il ne nous effraie pas, et nous ne capitulerons pas. (2)

Benn a l'expérience de ce type de pressions. Il y a plus d'un an, le ministre Karhi avait déjà proposé au gouvernement d'imposer un boycott du journal dans tout l'appareil d'État : « armée, police, prisons, ministères et entreprises publiques » (3). Mais depuis le 7 octobre 2023, la ferveur patriotique qui a envahi la société israélienne permet à l'agenda de l'extrême droite coloniale de se positionner publiquement avec une confiance accrue.

« Le nouveau chef de la Défense l'a décidé : l'apartheid est officiel »

Selon de nombreux témoignages, la réélection de Donald Trump a rendu Nétanyahou et son extrême droite « euphoriques » (4). L'idée de parvenir à changer radicalement le rapport des forces dans la région au bénéfice d'Israël s'accompagne d'un sentiment de pouvoir parallèlement installer dans le pays un régime qui impose définitivement sa domination. Un exemple stupéfiant : une des premières décisions du nouveau ministre de la Défense, Israël Katz, a consisté à mettre fin à la possibilité d'incarcérer un colon juif sous le statut dit des « détentions administratives », qui permet d'emprisonner quiconque pour « menace à la sécurité » sans notification du délit supposé, sans jugement, et sans limite de temps. Actuellement, on estime à plus de 3 000 le nombre de ces détenus palestiniens détenus sans inculpation (sans compter le nombre inconnu de Gazaouis incarcérés). Le ministre de la Défense a décidé que, désormais, les citoyens juifs, eux, seraient exemptés en totalité de la détention administrative. On en comptait 16 au moment où il a pris sa décision — tous des colons extrémistes du type de ceux qui se déchaînent actuellement en Cisjordanie contre la population palestinienne — ; ils sont libres ipso facto. Des règles pour les uns, d'autres pour les autres. « Le nouveau chef de la Défense l'a décidé : l'apartheid est officiel », a titré Haaretz, le 24 novembre. Les colons, eux, sablent le champagne.

Étant parvenu à limoger son principal concurrent politique, l'ex-ministre de la défense Yoav Gallant — fameux auteur, au lendemain du 7 octobre, de la déclaration sur les « animaux humains » palestiniens — Nétanyahou s'entoure désormais de complices conjoncturels ou d'affidés inconditionnels. Ben Gvir a déjà transformé la police en une milice armée à sa botte. Dans le viseur de l'extrême droite figurent désormais la procureur générale de l'État, Gali Baharav-Miara, et le chef du Shin Beit (le service de sécurité intérieure), Ronen Bar, jugés tous deux insuffisamment fiables.

Un « État fort » sans comptes à rendre

Quant à Herzi Halevi, le chef d'état-major, son temps semble compté : non pour avoir mené la monstrueuse guerre à Gaza, mais pour avoir soutenu une négociation qui a pourtant mené à la libération d'otages israéliens et, surtout, pour avoir radicalement récusé tout retour à une occupation militaire à Gaza. Par ailleurs, si Nétanyahou veut sortir indemne des commissions d'enquête à venir concernant les responsabilités dans le fiasco sécuritaire du 7 octobre 2023, il est important pour lui de faire porter exclusivement la faute des attentats du Hamas à l'état-major. Pour la juriste israélienne Yaël Berda, professeure de droit à l'université hébraïque de Jérusalem :

  • Nous y sommes. Le coup d'État autoritaire est advenu. (…) Si vous ne soutenez pas l'État, alors il se retourne contre vous. Ce tournant autoritaire ne laisse de place ni au désaccord ni au débat (5).

Cet « État fort » qui se met en place est, évidemment, amoureux de Trump : une communication de fausses nouvelles (fake news) doit alimenter la maîtrise absolue d'une « information alternative ». C'est pourquoi l'une des priorités de Nétanyahou et de ses acolytes messianistes est d'empêcher la diffusion d'informations sérieuses sur ce qui est advenu et advient quotidiennement à Gaza et au Liban. Celles-ci proviennent le plus souvent du travail réalisé par des médias locaux et des ONG israéliennes. Malgré la pression exercée par un appareil de propagande massif (la célèbre « hasbara ») et les nombreux obstacles opposés par les gouvernants, dont l'impossibilité pour les journalistes d'entrer à Gaza, ces derniers continuent de fournir autant d'informations vérifiées que possible sur les guerres en cours.

Si de plus en plus d'Israéliens quittent leur pays ces temps-ci — les chiffres exacts de ces départs restent inconnus —, ce n'est pas tant à cause des crimes massifs commis dans les Territoires palestiniens occupés (TPO) qu'en raison du sentiment, dans certains secteurs de l'opinion, d'une érosion galopante de la « démocratie » dont les Juifs israéliens ont bénéficié depuis la création de leur État. De ce point de vue, l'adoption par le parlement de la loi sur « Israël État-nation du peuple juif », en 2018, a constitué un tournant majeur en officialisant le suprémacisme juif comme pilier central de l'État. La frange la plus raciste, coloniale et messianique de l'opinion a commencé alors d'imposer plus radicalement un agenda qu'elle promouvait depuis longtemps. Son poids s'est accru bien plus encore, initialement dans une atmosphère de panique devant le fiasco sécuritaire du 7 octobre, puis de plus en plus encouragé par les « succès » de la campagne de destruction de Gaza, perçue comme une revanche légitime. Le sentiment paradoxal mêlant peur, surpuissance et immunité qui s'est alors installé ne pouvait qu'alimenter fortement le rejet des « traîtres de l'intérieur », ces rares Juifs israéliens hostiles à la dérive suprémaciste qui s'est emparée de l'immense majorité de la population. La voie ouverte vers l'État fort n'est que la conséquence naturelle de cette évolution.

Notes

1- Le terme « Nakba » avait déjà été retiré des livres scolaires d'histoire distribués aux jeunes Palestiniens citoyens israéliens en 2009, par exemple.

2- Aluf Benn, « Netanyahu's governement wants to shut us down », Haaretz, 26 novembre 2024.

3- Jonathan Lis, « Israeli Government imposes sanctions on Haaretz, cuts all ties and pulls advertising », Haaretz, 24 novembre 2024.

4- Neri Zilber, « Benjamin Netanyahu's allies call for purge as Israeli PM's power grows », Financial Times, Londres, 24 novembre 2024.

5- Alona Ferber, « We are there : two stories of Israeli authoritarianism », Prospect Magazine, Londres, 4 novembre 2024.

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Guerre à Gaza : la preuve par l’intention génocidaire

10 décembre 2024, par Pierre Barbancey — , ,
Dans le rapport explosif qu'elle publie ce jeudi, *Amnesty International* ne se contente pas de dénoncer les crimes commis par Israël dans l'enclave palestinienne, mais (…)

Dans le rapport explosif qu'elle publie ce jeudi, *Amnesty International* ne se contente pas de dénoncer les crimes commis par Israël dans l'enclave palestinienne, mais démontre la volonté de pratiquer un véritable génocide. Une démonstration accablante qui va être transmise aux juges de la Cour internationale de justice et doit pousser les États à agir.

*الحرب في غزة : دليل على نية الإبادة الجماعية
מלחמה בעזה : הוכחה לכוונת רצח עם

Tiré de L'Humanité, France, le 5 décembre 2024
https://www.humanite.fr/monde/genocide/guerre-a-gaza-la-preuve-par-lintention-genocidaire
Par Pierre Barbancy,
Photo Serge d'Ignazio

Le volumineux rapport produit par Amnesty International – 296 pages dans sa version anglaise – va-t-il faire basculer la guerre à Gaza ? Il faut l'espérer, mais le chemin reste d'autant plus long qu'on doit s'attendre à une contre-offensive tous azimuts d'Israël et de ses soutiens.

Lors de la conférence de presse organisée à La Haye, la secrétaire générale de l'ONG, Agnès Callamard – qui condamne l'attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023 –, a précisé qu'Amnesty est présente dans 72 pays, dont certains soutiennent Tel-Aviv sans aucune nuance.

À l'image du procureur britannique de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, qui a subi des pressions et des menaces <https://www.humanite.fr/monde/bande...> , y compris de la part d'un groupe de sénateurs états-unien, l'organisation de défense des droits de l'homme fait part de ses/ « craintes de représailles visant les institutions et les personnes »/ qui ont participé à la publication de ce rapport.

Un travail de fourmi pour prouver le génocide

Celui-ci contient un examen des attaques meurtrières et destructrices d'Israël, ainsi que <https://www.humanite.fr/wp-admin/po...>'>l'ampleur des meurtres et des blessures des Palestiniens depuis le mois d'octobre 2023. Mais ce qui est sans doute plus compliqué pour le gouvernement de Benyamin Netanyahou est le chapitre 7 consacré aux « intentions d'Israël à Gaza ».

Il y a pratiquement un an, à la suite de la plainte déposée par l'Afrique du Sud, les juges de la Cour internationale de justice (CIJ) avaient pointé un « <https:/www.humanite.fr/monde/afriq...>'>risque de génocide et avaient demandé à Israël de prendre un certain nombre de mesures. Si l'intention génocidaire est prouvée, rien ne devrait plus arrêter la CIJ, qui va recevoir ce rapport d'Amnesty International.

« Nous avons passé énormément de temps à nous pencher sur l'intention génocidaire,a souligné Agnès Callamard. /Les actes génocidaires ont été démontrés. Mais ce qui fait la spécificité d'un génocide, c'est l'intention. Le critère pour déterminer cette intention génocidaire est très strict. Il existe très peu de jurisprudence en la matière au niveau des États. Il en existe un peu plus pour les responsabilités individuelles. »

Toute une section du rapport détaille cette jurisprudence. « Il est nécessaire de démontrer que l'intention génocidaire est la seule conclusion raisonnable que l'on puisse tirer des constatations réalisées, a rappelé la secrétaire générale d'Amnesty. Dans le contexte d'un conflit armé, ce n'est pas facile. Mais ce n'est pas parce qu'il y a un conflit armé qu'un génocide ne peut pas survenir. »

D'où ce travail de fourmi pour essayer de faire place nette dans tous les éléments qui ont été regroupés car il existe beaucoup d'objectifs militaires sur le terrain qui viennent brouiller les données d'enquête. « Il faut essayer de les laisser de côté et voir ce qu'il reste sur la table. C'est ce que nous avons fait. Nous nous sommes intéressés aux objectifs militaires, nous avons reconnu les objectifs militaires d'Israël et une fois qu'on les laisse de côté, il reste des faits. Et ces faits-là ne peuvent pas être expliqués par l'objectif militaire consistant à vaincre le Hamas. Car cet objectif ne saurait justifier certains actes observés », soutient Agnès Callamard

« Les Palestiniens de Gaza n'en peuvent plus d'attendre que nous agissions »

Au terme de toutes ces enquêtes, après avoir constaté les comportements répétés d'Israël, les tendances répétées, cumulatives – des incidents qui se répètent constamment malgré les avertissements –, s'est dégagée une tendance générale. « Après avoir considéré tous ces éléments et l'objectif militaire, nous n'avons pu trouver qu'une conclusion raisonnable, à savoir que ”en plus de” ou ”afin de” parvenir à un objectif militaire, Israël avait l'intention de commettre un génocide. »

La chercheure Kristine Beckerie a également expliqué que la méthode employée reposait sur trois piliers. D'abord, les déclarations. « Amnesty a été très prudente en se limitant aux déclarations d'acteurs qui avaient la capacité d'influencer ce qui se passait à Gaza, comme le ministre de la Défense ou le premier ministre »,souligne-t-elle.

Dans l'examen de ces déclarations, l'ONG pour les droits de l'homme en a identifié plus de vingt « qui appelaient à des actes génocidaires injustifiés. Ce faisant, on s'est demandé si ces déclarations avaient été suivies d'actes concrets. Dans plusieurs cas, oui ». Amnesty s'est également intéressée à des photos et des enregistrements réalisés par des soldats en train de détruire des objets en prononçant certaines paroles.

Enfin, en plus de tout cela, il s'agissait de voir comment l'ensemble s'inscrivait dans une échelle de répétition des éléments graves constatés sur le temps plus long. « C'est ainsi que nous avons pu conclure à la présence d'une intention génocidaire et qui correspond aux actions entreprises à Gaza. »

Reste maintenant à utiliser ce rapport parce que, comme l'a martelé Agnès Callamard, « les Palestiniens de Gaza n'en peuvent plus d'attendre que nous agissions. Les États doivent arrêter de feindre l'impuissance ». Au-delà des déclarations, rien n'est vraiment entrepris pour stopper Israël.

Pis, certains, comme les États-Unis ou l'Allemagne, continuent à livrer des armes. Et à l'ONU, Washington protège Israël en apposant son veto à toutes les résolutions condamnanthttps://www.humanite.fr/monde/conse...>
.">la guerre menée à Gaza Elle dit maintenant espérer que « les juges de la CIJ se pencheront sur le rapport et que celui-ci leur apporte les éléments nécessaires pour conclure à un génocide ».

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Gaza : Un soldat israélien a reçu l’ordre de tuer un Palestinien brandissant un drapeau blanc, affirme un réserviste

Des commandants de haut rang ordonnent de tirer sur des Palestiniens en raison de leur appartenance ethnique sans encourir de répercussions, écrit un journaliste et soldat de (…)

Des commandants de haut rang ordonnent de tirer sur des Palestiniens en raison de leur appartenance ethnique sans encourir de répercussions, écrit un journaliste et soldat de réserve israélien.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Un ancien soldat de réserve israélien ayant servi à Gaza a révélé que les commandants de l'armée donnaient l'ordre aux troupes d'ouvrir le feu sur tout Palestinien, qu'il représente ou non une menace.

Dans un article de Haaretz publié mercredi, le journaliste israélien Chaim Har-Zahav, qui a effectué une mission de réserve de 86 jours dans l'enclave, décrit en détail ce dont il a été témoin pendant cette période.

« La vie des Palestiniens dans la bande de Gaza dépend avant tout de l'échelle de valeurs privée et personnelle des commandants dans la bande », écrit M. Har-Zahav, qui ajoute que tout officier supérieur qui ordonne le meurtre de Palestiniens simplement en raison de leur identité ne subira aucune conséquence.

« Une vie humaine dans la bande de Gaza vaut moins que la vie des milliers de chiens errants qui errent dans la région à la recherche de nourriture. Alors qu'il existe un ordre clair interdisant de tirer sur les chiens à moins qu'un soldat ne soit en réel danger lorsque les mâchoires du chien se referment sur lui, les humains sont autorisés d'être abattus sans aucune restriction réelle ».

Dans son article, Har-Zahav relate un incident au cours duquel un commandant supérieur a ordonné de tirer sur un homme non armé qui agitait un drapeau blanc. Bien qu'on lui ait dit que l'homme ne représentait pas une menace et qu'il n'avait manifestement pas d'armes, le général a réagi en déclarant : « Je ne sais pas ce qu'est un drapeau blanc, tirez sur lui, c'est un ordre ».

« Personne n'a exécuté l'ordre, et il est entendu que les commandants sur le terrain savaient qu'il s'agissait d'un ordre clairement illégal », a écrit l'ancien réserviste.
Dans un message posté sur X, anciennement connu sous le nom de Twitter, l'auteur de l'article a réaffirmé que la vie des Palestiniens dépendait « entièrement des valeurs et de la vision du monde du soldat qui tient l'arme », ajoutant que les « valeurs, ordres et normes » de l'armée israélienne « n'existent plus ».

Un crime de guerre télévisé

Middle East Eye a déjà couvert des cas de tirs délibérés sur des civils à Gaza, dont l'un des plus anciens remonte à novembre de l'année dernière, lorsqu'une famille fuyant vers le sud a été prise pour cible par des snipers israéliens.

Hala tenait dans ses bras son petit-fils Taim, qui brandissait un drapeau blanc, symbole universel de reddition, lorsqu'elle a été abattue.

Sur les images exclusives de l'assassinat obtenues par MEE, on voit Taim courir vers un groupe de personnes qui ont été forcées de prendre un autre chemin pour se mettre à l'abri. Ses parents sont restés sur place, tentant d'apporter à sa grand-mère une aide médicale urgente.

Cela a marqué le début d'une année de tourments pour la famille Abd al-Aati, au cours de laquelle leurs vies sont devenues des montagnes russes.

« Chaque nuit, il nous dit qu'il voit la balle qui a tué sa grand-mère. Elle est passée juste au-dessus de sa tête et il l'imagine encore », a déclaré Yousef, son père, à MEE.

« Il m'est très difficile de dire cela, mais je pense qu'il a développé des problèmes psychologiques. Mais après tout, même nous [les adultes] pensons encore à ce qui s'est passé à Gaza comme si cela se passait devant nous aujourd'hui « .

Dans un incident similaire diffusé par la chaîne britannique ITV News en janvier, on voit les forces israéliennes prendre pour cible un groupe d'hommes marchant à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, en levant les mains en signe de reddition. Mohammed Abu Safia, un caméraman travaillant pour ITV News, a capté le bruit des drones au-dessus de sa tête.

Alors que le groupe progressait, des coups de feu ont retenti et Ramzi Abu Sahloul, qui tenait un drapeau blanc, a été abattu et tué.

Bien que l'armée israélienne ait d'abord prétendu que le clip avait été « clairement édité », les preuves fournies par ITV indiquent la chronologie du déroulement de l'incident grâce à de multiples angles de caméra, à l'imagerie satellite, à la géolocalisation et à l'analyse d'experts.

En outre, le brigadier-général Dan Goldfuss, commandant supérieur israélien de la 98e division, a confirmé à ABC News que les soldats vus dans la vidéo faisaient partie de sa force, ajoutant que l'événement faisait l'objet d'une enquête.

« Ce n'est pas ainsi que nous appliquons nos règles d'engagement. Non, nous ne tirons pas sur des gens qui agitent des drapeaux blancs. Nous ne tirons pas sur des civils », a déclaré M. Goldfuss. Le journaliste d'ABC a répondu « Mais vous le faites parfois », ce qui a incité M. Goldfuss à rejeter cette affirmation.

« Il y a des erreurs, c'est la guerre. Ce n'est pas une machine qui fonctionne, ce sont des gens », a-t-il déclaré.

Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, a qualifié le meurtre de Sahloul de « crime de guerre télévisé ».
« Comment peut-on justifier le meurtre d'une personne agitant un drapeau blanc ? À cette distance ? Quel genre de danger ces personnes représentaient-elles ? Ils ne faisaient que parler à un journaliste », a-t-elle ajouté.

Un horrible meurtre prémédité

Le matin du 24 janvier, la famille Barbakh s'apprêtait à quitter le quartier d'Amal, à l'ouest de Khan Younis, après que l'armée israélienne eut émis des ordres d'expulsion, forçant les Palestiniens à se diriger vers la « zone humanitaire » d'al-Mawasi, désignée par Israël, selon Al Jazeera.

Nahed Adel Barbakh, 14 ans, a été le premier à sortir de la maison avec un drapeau blanc, lorsqu'il a été immédiatement touché par une balle dans les jambes et est tombé au sol. Alors que sa famille tentait de le ramener à l'intérieur de la maison, Nahed, en essayant de se relever, a reçu deux autres balles dans le dos et dans la tête.

Ramez, son frère aîné, est sorti en courant de la maison pour le sauver, mais il a lui aussi été touché et est tombé sur son frère.

« Je continuais à espérer qu'ils étaient encore en vie, qu'ils avaient encore un peu de souffle », a déclaré leur mère Islam. » Je ne pouvais penser à rien d'autre que » Je veux mes enfants, je veux mes enfants « .

Bien qu'ils n'aient pas pu récupérer leurs corps à ce moment-là en raison des tirs israéliens, Ahmed, leur frère de 18 ans, a pris une dernière photo des deux enfants.

« J'ai pris une photo de mes frères assassinés pour ne jamais les oublier et pour documenter ce crime qui a été commis, le crime consistant à tirer sur un enfant qui porte un drapeau blanc, puis sur son frère qui se précipite pour le sauver », a-t-il déclaré.

L'ONG Euro-Med Rights Monitor a qualifié l'assassinat des frères d'« exécution et d'horrible meurtre prémédité ».

« Euro-Med Monitor a souligné que les meurtres et les exécutions israéliens constituaient des violations flagrantes du droit international, attirant l'attention sur les lois interdisant de prendre délibérément pour cible ou de tuer des civils qui ne participent pas directement aux hostilités, car de telles violations pourraient être considérées comme des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et une forme de génocide », a déclaré l'organisation.

Un code d'éthique jeté par la fenêtre

Un autre cas récent documenté par Al Jazeera montre les forces israéliennes prenant pour cible des Palestiniens non armés qui tentent de se diriger vers le nord de l'enclave, l'un d'entre eux au moins brandissant un drapeau blanc.

Le groupe se trouvait près du rond-point Nabulsi, au sud-ouest de la ville de Gaza, lorsqu'il a été attaqué. Sur la vidéo, on peut voir un homme poursuivi par un véhicule blindé, après quoi les troupes ouvrent le feu sur lui. Plus tard, un bulldozer est utilisé pour enterrer deux corps.

Le professeur Richard Falk, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme en Palestine, a déclaré à Al Jazeera que ces tirs étaient une « confirmation éclatante de la poursuite des atrocités israéliennes ».

« Les yeux et les oreilles du monde ont été agressés en temps réel par cette forme de comportement génocidaire », a déclaré M. Falk.

Selon Har-Zahav, le code d'éthique et les directives de l'armée israélienne ont été « jetés par la fenêtre depuis le 7 octobre ».

Le journaliste a ajouté que les limites dans la bande de Gaza et ce qui constitue une « ligne rouge » ne sont pas fixes et restent floues pour les Palestiniens de Gaza.

« Ils le découvrent à leurs dépens : ils sont tués par balles lorsqu'ils s'approchent de la ligne imaginaire décidée par [l'armée israélienne], qui change de temps en temps », a-t-il déclaré.

Selon Har-Zahav, qu'il s'agisse de civils pris au mauvais endroit et au mauvais moment ou de membres du Hamas recueillant des renseignements, dès qu'un Palestinien est pris pour cible et tué, « il devient officiellement un terroriste et entre dans les statistiques qui figureront le lendemain dans la déclaration du porte-parole [de l'armée israélienne] louant l'héroïsme des combattants qui ont encore réduit le nombre de terroristes dans la bande de Gaza ».


Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Middle East Eye

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Une énorme base de données de preuves documente les crimes de guerre d’Israël à Gaza

Une femme accompagnée d'un enfant est abattue alors qu'elle brandit un drapeau blanc ■ Des fillettes affamées sont écrasées à mort dans la file d'attente pour du pain ■ Un (…)

Une femme accompagnée d'un enfant est abattue alors qu'elle brandit un drapeau blanc ■ Des fillettes affamées sont écrasées à mort dans la file d'attente pour du pain ■ Un homme de 62 ans menotté est écrasé, manifestement par un char d'assaut ■ Une frappe aérienne vise des personnes qui tentent d'aider un garçon blessé ■ Une base de données de milliers de vidéos, photos, témoignages, rapports et enquêtes documente les horreurs commises par Israël à Gaza.

Tiré d'Agence médias Palestine.

La note de bas de page n° 379 du document très fouillé et très complet que l'historien Lee Mordechai a rédigé contient un lien vers un clip vidéo. On y voit un gros chien ronger quelque chose au milieu de buissons. « Wai, wai, il a pris le terroriste, le terroriste est parti – parti dans les deux sens du terme », dit le soldat qui a filmé le chien en train de manger un cadavre. Après quelques secondes, le soldat lève la caméra et ajoute : « Mais quelle vue magnifique, quel magnifique coucher de soleil ! Un soleil rouge se couche sur la bande de Gaza ». Un beau coucher de soleil, assurément.

Le rapport que le Dr Mordechai a mis en ligne – « Bearing Witness to the Israel-Gaza War » – constitue la documentation la plus méthodique et la plus détaillée en hébreu (il existe également une traduction en anglais) des crimes de guerre perpétrés par Israël dans la bande de Gaza. Il s'agit d'un acte d'accusation choquant composé de milliers d'entrées relatives à la guerre, aux actions du gouvernement, des médias, des forces de défense israéliennes et de la société israélienne en général. La traduction anglaise de la septième version du texte, la plus récente à ce jour, compte 124 pages et contient plus de 1 400 notes de bas de page renvoyant à des milliers de sources, notamment des rapports de témoins oculaires, des séquences vidéo, des documents d'enquête, des articles et des photographies.

Par exemple, il y a des liens vers des textes et d'autres types de témoignages décrivant des actes attribués à des soldats des FDI qui ont été vus « tirant sur des civils agitant des drapeaux blancs, maltraitant des individus, des captifs et des cadavres, endommageant ou détruisant allègrement des maisons, diverses structures et institutions, des sites religieux et pillant des biens personnels, ainsi que tirant au hasard avec leurs armes, tirant sur des animaux locaux, détruisant des propriétés privées, brûlant des livres dans des bibliothèques, dégradant des symboles palestiniens et islamiques (y compris en brûlant des Corans et en transformant des mosquées en espaces de restauration) ».

Un lien renvoie à une vidéo montrant un soldat à Gaza brandissant une grande pancarte prise dans un salon de coiffure de la ville de Yehud, dans le centre d'Israël, avec des corps éparpillés autour de lui. D'autres liens renvoient à des images de soldats déployés à Gaza lisant le Livre d'Esther, comme il est d'usage lors de la fête de Pourim, mais à chaque fois que le nom du méchant Haman est prononcé, ils tirent un obus de mortier au lieu de se contenter d'agiter les bruiteurs traditionnels. Un soldat est vu en train de forcer des prisonniers ligotés et les yeux bandés à envoyer des salutations à sa famille et à déclarer qu'ils veulent être ses esclaves. Des soldats sont photographiés tenant des piles d'argent qu'ils ont pillées dans les maisons de Gaza. Un bulldozer des FDI est vu en train de détruire une grande pile de paquets de nourriture provenant d'une agence d'aide humanitaire. Un soldat chante la chansonnette des enfants « L'année prochaine, nous brûlerons l'école », alors qu'on voit une école en flammes à l'arrière-plan. Et il y a de nombreuses séquences où l'on voit des soldats montrant des sous-vêtements féminins qu'ils ont pillés.

La note de bas de page n° 379 figure dans une sous-section intitulée « Déshumanisation dans les forces de défense israéliennes » qui est incluse dans le chapitre intitulé « Discours israélien et déshumanisation des Palestiniens ». Elle contient des centaines d'exemples du comportement cruel de la société israélienne et des institutions de l'État à l'égard des habitants de Gaza qui souffrent – d'un premier ministre qui parle d'Amalek, au chiffre de 18 000 appels d'Israéliens sur les médias sociaux pour raser la bande, aux médecins israéliens qui soutiennent le bombardement des hôpitaux de Gaza, en passant par l'humoriste qui plaisante sur le fait que la bande de Gaza est une zone de non-droit, à un humoriste qui plaisante sur la mort de Palestiniens, en passant par un chœur d'enfants chantant doucement « Dans un an, nous anéantirons tout le monde, puis nous reviendrons labourer nos champs », sur la mélodie de la chanson emblématique de la guerre d'indépendance, « Shir Hare'ut » (Chanson de la camaraderie).

Les liens de « Bearing Witness to the Israel-Gaza War » mènent également à des images graphiques de corps éparpillés, dans toutes les conditions possibles, de personnes écrasées sous les décombres, de flaques de sang et de cris de personnes qui ont perdu toute leur famille en un instant. Des éléments attestent du meurtre de personnes handicapées, d'humiliations et d'agressions sexuelles, de l'incendie de maisons, de la famine forcée, de tirs aléatoires, de pillages, de l'abus de cadavres et de bien d'autres choses encore.

Même si tous les témoignages ne peuvent être corroborés, l'image qui s'en dégage est celle d'une armée qui, dans le meilleur des cas, a perdu le contrôle de nombreuses unités, dont les soldats ont fait ce qui leur plaisait, et qui, dans le pire des cas, permet à son personnel de commettre les crimes de guerre les plus atroces que l'on puisse imaginer.

Mordechai cite des preuves des horribles situations difficiles que la guerre a imposées aux habitants de Gaza. Un médecin qui ampute la jambe de sa nièce sur une table de cuisine, sans anesthésie, à l'aide d'un couteau de cuisine. Des gens qui mangent de la chair de cheval et de l'herbe, ou qui boivent de l'eau de mer pour apaiser leur faim. Des femmes obligées d'accoucher dans une salle de classe bondée. Des médecins regardant, impuissants, des blessés mourir parce qu'il n'y a aucun moyen de les aider. Des femmes affamées poussées dans une file chaotique à l'extérieur d'une boulangerie ; selon le rapport, deux filles de 13 et 17 ans et une femme de 50 ans sont mortes écrasées lors de cet incident.

Selon « Bearing Witness », en janvier, dans les camps de personnes déplacées de la bande de Gaza, il y avait en moyenne un cabinet de toilette pour 220 personnes et une douche pour 4 500 personnes. Un grand nombre de médecins et d'organisations de santé ont signalé que des maladies infectieuses et des affections cutanées se propageaient parmi un grand nombre de Gazaouis.

De plus en plus d'enfants

Lee Mordechai, 42 ans, ancien officier du corps des ingénieurs de combat des FDI, est actuellement maître de conférences en histoire à l'Université hébraïque de Jérusalem, où il se spécialise dans les catastrophes humaines et naturelles des époques antique et médiévale. Il a écrit sur la peste de Justinien au VIe siècle et sur l'hiver volcanique qui a frappé l'hémisphère nord en 536 de notre ère. Il aborde le sujet de la catastrophe de Gaza d'une manière académique et historique, avec une prose sèche et peu d'adjectifs, en utilisant la plus grande diversité possible de sources primaires ; ses écrits sont dépourvus d'interprétation et ouverts à l'examen et à la révision. C'est précisément la raison pour laquelle les visages reflétés dans son texte sont si épouvantables.

« J'ai senti que je ne pouvais pas continuer à vivre dans ma bulle, que nous parlions de crimes capitaux et que ce qui se passait était tout simplement trop important et contredisait les valeurs dans lesquelles j'avais été élevé ici », explique Mordechai. « Je ne cherche pas à confronter les gens ou à polémiquer. J'ai rédigé ce document pour qu'il soit connu de tous. Ainsi, dans six mois, un an, cinq ans, dix ans ou cent ans, les gens pourront revenir en arrière et constater que c'est ce que l'on savait, ce qu'il était possible de savoir, dès janvier ou mars dernier, et que ceux d'entre nous qui ne savaient pas ont choisi de ne pas savoir. »

« Mon rôle en tant qu'historien, poursuit-il, est de donner la parole à ceux qui ne peuvent pas s'exprimer, qu'il s'agisse d'eunuques au XIe siècle ou d'enfants à Gaza. Je cherche délibérément à ne pas faire appel aux émotions des gens et je n'utilise pas de mots qui pourraient être controversés ou obscurs. Je ne parle pas de terroristes, de sionisme ou d'antisémitisme. J'essaie d'utiliser un langage aussi froid et sec que possible et de m'en tenir aux faits tels que je les comprends ».

Mordechai était en congé sabbatique à Princeton lorsque la guerre a éclaté. Lorsqu'il se réveille le 7 octobre, c'est déjà l'après-midi en Israël. En quelques heures, il a compris qu'il y avait une disparité entre ce que le public israélien voyait et la réalité. Cette compréhension découle d'un système alternatif de réception d'informations qu'il s'était créé neuf ans plus tôt.

« En 2024, lors de l'opération Bordure protectrice [à Gaza], je suis rentré de mes études doctorales aux États-Unis et de mes recherches dans les Balkans. J'ai eu l'impression qu'il n'y avait pas de discours ouvert en Israël ; tout le monde disait la même chose. J'ai donc fait un effort conscient pour accéder à d'autres sources d'information – [basées sur] les médias étrangers, les blogs, les médias sociaux. Cela ressemble aussi à mon travail d'historien, qui consiste à rechercher des sources primaires. Je me suis donc créé une sorte de système personnel pour comprendre ce qui se passait dans le monde. Le 7 octobre, j'ai activé le système et j'ai rapidement réalisé que le public en Israël avait un retard de quelques heures – Ynet a publié un bulletin sur la possibilité que des otages aient été pris, mais j'avais déjà vu des clips d'enlèvements. Cela crée une dissonance entre ce qui est dit sur la réalité de la situation et la réalité réelle, et ce sentiment s'intensifie ».

En effet, la disparité entre ce que Mordechai a découvert et les informations parues dans les médias israéliens et étrangers n'a fait que s'accroître. « Au début de la guerre, l'histoire la plus marquante était celle des 40 nourrissons israéliens décapités le 7 octobre. Cette histoire a fait les gros titres des médias internationaux, mais lorsqu'on la compare à la liste [officielle de l'Assurance nationale] des personnes tuées, on se rend vite compte que cela n'a pas eu lieu. »

Mordechai a commencé à suivre les informations en provenance de Gaza sur les réseaux sociaux et dans les médias internationaux. « Dès le début, j'ai été inondé d'images de destruction et de souffrance, et j'ai compris qu'il y avait deux mondes séparés qui ne se parlaient pas. Il m'a fallu quelques mois pour comprendre quel était mon rôle ici. En décembre, l'Afrique du Sud a présenté ses revendications officielles de génocide à l'encontre d'Israël en 84 pages détaillées avec de multiples références à des sources pouvant être recoupées.

Je ne pense pas que tout doive être accepté comme une preuve », ajoute-t-il, “mais il faut s'y frotter, voir sur quoi cela repose, examiner ses implications”. Au début de la guerre, j'ai voulu retourner en Israël pour faire du bénévolat pour une organisation de la société civile, mais pour des raisons familiales, je n'ai pas pu. J'ai décidé d'utiliser le temps libre dont je disposais pendant mon congé sabbatique à Princeton pour essayer d'éclairer le public israélien qui ne consomme que les médias locaux.

Il a publié la première version de « Bearing Witness », de huit pages seulement, le 9 janvier. Selon le ministère de la santé de Gaza, officiellement connu sous le nom de ministère palestinien de la santé – Gaza, le nombre de personnes tuées dans la bande de Gaza s'élevait alors à 23 210. « Je ne crois pas que ce qui est écrit ici entraînera un changement de politique ou convaincra beaucoup de gens », écrit-il au début de ce document. « J'écris plutôt ceci publiquement, en tant qu'historien et citoyen israélien, afin de faire connaître ma position personnelle concernant l'horrible situation actuelle à Gaza, au fur et à mesure que les événements se déroulent. J'écris en tant qu'individu, en partie à cause du silence général décevant sur ce sujet de la part de nombreuses institutions académiques locales, en particulier celles qui sont bien placées pour le commenter, même si certains de mes collègues se sont courageusement exprimés ».

Depuis lors, Mordechai a passé des centaines d'heures à collecter des informations et à écrire, continuant à mettre à jour le document qui apparaît sur le site web qu'il a créé. Depuis qu'il s'est lancé dans ce projet, il a amélioré sa façon de travailler : il compile méticuleusement des rapports provenant de différentes sources sur une feuille de calcul Excel, à partir de laquelle, après un examen plus approfondi, il sélectionne les éléments qui seront mentionnés dans le texte. Il utilise une grande variété de sources : images filmées par des civils, articles de presse, rapports des Nations unies et d'autres organisations internationales, médias sociaux, blogs, etc.

Bien qu'il reconnaisse que certaines de ses sources ne respectent pas les normes journalistiques ou éthiques, Mordechai s'en tient à la crédibilité de sa documentation. « Ce n'est pas comme si je copiais-collais tout ce que les autres proposent. D'un autre côté, il est clair qu'il y a un fossé entre ce qui existe et ce que nous aimerions voir : Nous aimerions que chaque incident dans la bande de Gaza soit examiné correctement par deux organisations internationales indépendantes et non indépendantes, mais cela n'arrivera pas. »

« C'est pourquoi j'examine les sources, je vérifie si elles ont été prises en flagrant délit de mensonge, si un organisme à but non lucratif ou un blogueur a transmis des informations dont je peux prouver qu'elles sont incorrectes – et si c'est le cas, je cesse de les utiliser et je les supprime. Je donne plus de poids aux sources neutres, comme les organisations de défense des droits de l'homme et les Nations unies, et je fais une sorte de synthèse entre les sources pour voir si elles [les informations] sont cohérentes. Je travaille également de manière très ouverte et j'invite tous ceux qui le souhaitent à me contrôler. Je serais très heureux de voir que je me suis trompé dans ce que j'ai écrit, mais ce n'est pas le cas. Jusqu'à présent, j'ai dû faire très peu de corrections ».

La lecture du rapport de Mordechai permet de dissiper le brouillard qui recouvre les Israéliens depuis le début de la guerre. Le nombre de morts en est un bon exemple : La guerre du 7 octobre est la première guerre dans laquelle Israël ne fait aucun effort pour comptabiliser le nombre de tués dans l'autre camp. En l'absence de toute autre source, de nombreuses personnes dans le monde – gouvernements étrangers, médias, organisations internationales – s'appuient sur les rapports du ministère palestinien de la santé – Gaza, qui sont jugés tout à fait crédibles. Israël s'efforce de nier les chiffres du ministère. Les médias locaux indiquent généralement que la source de ces données est le « ministère de la santé du Hamas ».

Cependant, peu d'Israéliens savent que non seulement les FDI et le gouvernement israélien ne disposent pas de leurs propres chiffres concernant le nombre de morts, mais que des sources israéliennes haut placées, ne disposant pas d'autres données, finissent par confirmer celles publiées par le ministère à Gaza. De quel rang ? Benjamin Netanyahu lui-même. Le 10 mars, par exemple, le Premier ministre a déclaré dans une interview qu'Israël avait tué 13 000 militants armés du Hamas et estimé que pour chacun d'entre eux, 1,5 civil avait été tué. En d'autres termes, jusqu'à cette date, entre 26 000 et 32 500 personnes avaient été tuées dans la bande de Gaza. Ce jour-là, le ministère palestinien a publié un chiffre de 31 112 morts à Gaza, dans la fourchette citée par M. Netanyahu. À la fin du mois, M. Netanyahou a parlé de 28 000 morts, soit environ 4 600 de moins que le chiffre officiel palestinien. Fin avril, le Wall Street Journal a cité une estimation d'officiers de haut rang des FDI selon laquelle le nombre de morts s'élevait à environ 36 000, soit plus que le chiffre publié par le ministère palestinien à l'époque.

Mordechai : « Il semble que, du côté israélien, on choisisse de ne pas s'occuper des chiffres, bien qu'Israël puisse ostensiblement le faire – la technologie existe, et Israël contrôle le registre de la population palestinienne. L'establishment de la défense dispose également d'images faciales ; il pourrait les recouper et voir si une personne déclarée morte est passée par un point de contrôle. Allez, montrez-moi ! Donnez-moi des preuves et je changerai d'approche. Cela me compliquera la vie, mais je serai beaucoup moins contrarié. »

» Je pense que nous devons nous demander quel ‘niveau' de preuves est nécessaire pour que nous changions d'avis sur le nombre de Palestiniens qui ont été tués. C'est une question que chacun d'entre nous doit se poser – peut-être que pour vous les preuves que je cite ne sont pas suffisantes – parce qu'il doit y avoir une sorte d'étape réaliste dans l'accumulation des preuves à partir de laquelle nous accepterons les chiffres comme fiables.

« Pour moi, explique-t-il, ce stade est arrivé il y a longtemps. Une fois que l'on a fait le sale boulot et que l'on comprend un peu mieux les chiffres, la question n'est plus de savoir combien de Palestiniens sont morts, mais pourquoi et comment le public israélien continue de douter de ces chiffres après plus d'un an d'hostilités et en dépit de toutes les preuves ».

Dans son rapport, il cite les chiffres du ministère palestinien qui mentionnent, parmi les personnes tuées depuis le début de la guerre jusqu'en juin dernier, 273 employés des Nations unies et des organisations humanitaires, 100 professeurs, 243 athlètes, 489 travailleurs de la santé (dont 55 médecins spécialistes), 710 enfants de moins d'un an et quatre prématurés qui sont morts après que les FDI ont forcé l'infirmier qui s'occupait d'eux à quitter l'hôpital. L'infirmier s'occupait de cinq prématurés et a décidé de sauver celui qui semblait avoir les meilleures chances de survie. Les corps en décomposition des quatre autres ont été retrouvés dans des couveuses deux semaines plus tard.

La note de bas de page du texte de Mordechai concernant ces nourrissons ne fait pas référence à un tweet d'un Gazaoui ou à un blog pro-palestinien, mais à une enquête du Washington Post. Les Israéliens qui s'interrogent sur « Bearing Witness to the Israel-Gaza War » au motif qu'il s'appuie sur les médias sociaux ou sur des rapports non vérifiés doivent savoir qu'il s'appuie également sur des dizaines d'enquêtes menées par presque tous les médias occidentaux qui se respectent. De nombreux médias ont examiné les incidents survenus à Gaza en appliquant des normes journalistiques rigoureuses – et ont trouvé des preuves d'atrocités. Une enquête de CNN a corroboré l'affirmation palestinienne concernant le « massacre de la farine », au cours duquel environ 150 Palestiniens venus chercher de la nourriture auprès d'un convoi d'aide le 1er mars ont été tués. Les FDI ont déclaré que c'était la foule et la bousculade des habitants de Gaza eux-mêmes qui les avaient tués, et non les tirs d'avertissement effectués par les soldats dans la zone. En fin de compte, l'enquête de CNN, basée sur une analyse minutieuse de la documentation et sur 22 entretiens avec des témoins oculaires, a révélé que la plupart des morts étaient effectivement dues aux tirs.

Le New York Times, ABC, CNN, la BBC, des organisations internationales et l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem ont publié les résultats de leurs propres enquêtes sur des actes de torture, des sévices, des viols et d'autres atrocités perpétrés contre des détenus palestiniens dans la base de Sde Teiman des FDI dans le Néguev et dans d'autres installations. Amnesty International a examiné quatre incidents dans lesquels il n'y avait pas de cible militaire ni de justification à l'attaque, et au cours desquels les FDI ont tué 95 civils au total.


Une enquête menée fin mars par Yaniv Kubovich dans Haaretz a montré que les FDI créaient des » zones de tuerie » dans lesquelles de nombreux civils étaient abattus après avoir franchi une ligne imaginaire délimitée par un commandant sur le terrain ; les victimes étaient classées comme terroristes après leur mort. La BBC a mis en doute les estimations des FDI concernant le nombre de terroristes que ses forces ont tués en général ; CNN a fait un rapport détaillé sur un incident au cours duquel une famille entière a été éliminée ; NBC a enquêté sur une attaque contre des civils dans des zones dites humanitaires ; le Wall Street Journal a vérifié que les FDI s'appuyaient sur des rapports de décès à Gaza publiés par le ministère palestinien de la santé ; AP a affirmé dans un rapport détaillé que les FDI n'avaient présenté qu'un seul élément de preuve fiable montrant que le Hamas opérait sur le terrain d'un hôpital – le tunnel découvert dans la cour de l'hôpital Shifa ; The New Yorker et The Telegraph ont publié les résultats d'enquêtes approfondies sur des cas d'enfants dont les membres ont dû être amputés, et bien d'autres choses encore – toutes mentionnées dans « Bearing Witness ». »


Le rapport publié cette semaine par le ministère palestinien de la santé à Gaza, selon lequel, depuis le 7 octobre, 1 140 familles ont été totalement rayées du registre de la population locale – très probablement victimes de bombardements aériens – n'est pas inclus dans l'ouvrage.

Mordechai cite de nombreux éléments relatifs au laxisme des règles d'engagement des FDI dans la bande de Gaza. Un clip montre un groupe de réfugiés avec une femme à l'avant, tenant son fils d'une main et un drapeau blanc de l'autre ; on la voit se faire tirer dessus, probablement par un sniper, et s'effondrer tandis que l'enfant lui lâche la main et s'enfuit pour sauver sa vie. Un autre incident, largement diffusé fin octobre, montre Mohammed Salem, 13 ans, appelant à l'aide après avoir été blessé lors d'une attaque de l'armée de l'air ; lorsque des personnes s'approchent pour offrir de l'aide, elles sont la cible d'une autre attaque de ce type. Salem et un autre jeune ont été tués, et plus de 20 personnes ont été blessées.

Mordechai reconnaît que regarder les témoignages visuels de la guerre a endurci son cœur – aujourd'hui, il peut visionner même les scènes les plus horribles. « Lorsque les vidéos d'ISIS ont été publiées [il y a des années], je ne les ai pas regardées. Mais là, j'ai senti que c'était mon obligation, parce que c'est fait en mon nom, donc je dois les voir pour transmettre ce que j'ai vu. Ce qui est important, c'est la quantité, ce sont des enfants et encore des enfants et encore des enfants ».

Lorsqu'on lui demande laquelle des milliers d'images, qu'il s'agisse de vidéos ou d'images fixes, de personnes mortes, blessées ou souffrantes l'a le plus marqué, Mordechai réfléchit et mentionne la photo du corps d'un homme qui a ensuite été identifié comme étant Jamal Hamdi Hassan Ashour. Ashour, 62 ans, aurait été écrasé par un char d'assaut en mars, son corps ayant été mutilé au point d'être méconnaissable. Une sangle sur l'une de ses mains atteste qu'il avait été détenu auparavant, selon des sources palestiniennes. L'image a été publiée sur une chaîne Telegram israélienne avec la légende suivante : « Vous allez adorer ça ! ».

« Je n'ai jamais rien vu de tel dans ma vie », déclare Mordechai à Haaretz. « Mais le pire, c'est que l'image a été partagée par des soldats dans un groupe Telegram israélien et qu'elle a suscité des réactions très favorables. Outre les informations concernant Ashour, « Bearing Witness » fournit des liens vers les images d'un certain nombre d'autres corps dont l'état suggère qu'ils ont été écrasés par des véhicules blindés. Dans un cas, selon un rapport palestinien, les victimes étaient une mère et son fils.

Un cas mentionné uniquement dans une note de bas de page témoigne des questions relatives aux méthodes de Mordechai et aux dilemmes auxquels il a été confronté. Fin mars, Al Jazeera a diffusé une interview d'une femme qui s'était présentée à l'hôpital Shifa de Gaza et avait déclaré que des soldats des FDI avaient violé des femmes. Peu après, la famille de cette femme a démenti les allégations qu'elle avait faites et Al Jazeera a supprimé le reportage, mais de nombreuses personnes avaient encore des doutes.

« Selon ma méthodologie, après la suppression par Al Jazeera, l'information n'est pas crédible et n'a pas eu lieu », explique Mordechai. « Mais je me pose aussi la question : Peut-être que je participe à la réduction au silence de cette femme ? Et ce n'est pas pour honorer la vérité que cette femme est réduite au silence, mais au nom de son honneur et de celui de sa famille. Est-ce parfait ? Ce n'est pas parfait, mais en fin de compte, je suis un être humain et c'est à moi de décider. J'ai donc expliqué dans une note de bas de page qu'il s'agissait de l'allégation d'une seule femme et j'ai ajouté [qu'elle était] « presque certainement fausse » pour exprimer mes réserves.

« Je ne garantis pas que chaque témoignage soit totalement fiable. En fait, personne ne sait exactement ce qui se passe à Gaza – ni les médias internationaux, ni les Israéliens, ni même les forces de défense israéliennes. Dans « Bearing Witness », je soutiens que le fait de faire taire les voix de Gaza – de restreindre les informations qui en sortent – fait partie de la méthode de travail qui rend la guerre possible. Je suis convaincu du bien-fondé de la synthèse que j'utilise, et j'aimerais avoir tort. Mais du côté israélien, il n'y a rien. Je parle de preuves – apportez-moi des preuves !

L'un des cas décrits dans le document, même si de nombreux Israéliens auront du mal à le croire, concerne l'utilisation par les FDI d'un drone qui émettait le son des pleurs d'un nourrisson afin de déterminer où se trouvaient les civils et peut-être de les faire sortir de leur abri. Dans la vidéo référencée par le lien donné par Mordechai, on entend des pleurs et on voit les lumières d'un drone.

« Nous savons qu'il existe des drones équipés de haut-parleurs, peut-être qu'un soldat qui s'ennuie décide de le faire pour plaisanter et que cela est perçu comme une horreur par les Palestiniens », explique-t-il. » Mais est-ce si exagéré qu'un soldat, au lieu de se filmer avec des culottes et des soutiens-gorge ou de dédier l'explosion d'une rue à sa femme, fasse quelque chose de ce genre ? C'est peut-être une invention, mais c'est compatible avec ce que je vois ». Cette semaine, Al Jazeera a diffusé un reportage d'investigation sur les « drones pleureurs » et a affirmé que leur utilisation avait été confirmée par un certain nombre de témoins oculaires qui ont tous raconté la même histoire.

» Nous pouvons toujours contester les témoignages de ce type, mais il est plus difficile de le faire lorsque l'on est confronté à des montagnes de témoignages plus étayés « , note Mordechai. « Par exemple, des dizaines de médecins américains qui ont travaillé bénévolement à Gaza ont rapporté qu'ils voyaient presque tous les jours des enfants qui avaient reçu une balle dans la tête. Est-ce que nous essayons même d'expliquer ou de faire face à cela ? »L'un des sommets de la brutalité militaire israélienne à Gaza s'est manifesté lors du deuxième grand raid sur l'hôpital Shifa à la mi-mars, ajoute l'historien ; il y consacre d'ailleurs un chapitre distinct. Les FDI ont affirmé que l'hôpital était un centre d'activité du Hamas à l'époque et qu'il y avait eu des échanges de tirs pendant le raid, à la suite duquel 90 membres du Hamas avaient été arrêtés, dont certains de haut rang.

Cependant, l'occupation de Shifa par les FDI s'est poursuivie pendant environ deux semaines. Pendant cette période, selon des sources palestiniennes, l'hôpital est devenu une zone de meurtres et de tortures. Selon certaines sources, 240 patients et membres du personnel médical ont été enfermés dans l'un des bâtiments pendant une semaine, sans accès à la nourriture. Les médecins présents sur place ont rapporté qu'au moins 22 patients étaient décédés. Un certain nombre de témoins oculaires, y compris des membres du personnel, ont décrit des exécutions. Une vidéo tournée par un soldat montre des détenus ligotés et les yeux bandés, assis dans un couloir, face à un mur. Selon les sources, après le retrait des FDI de l'hôpital, des dizaines de corps ont été découverts dans la cour. Un certain nombre de clips documentent la collecte des corps, certains mutilés, d'autres enterrés sous des décombres ou gisant dans de grandes mares de sang coagulé. Une corde a été nouée autour du bras de l'un des hommes morts, ce qui montre peut-être qu'il a été ligoté avant d'être tué.

D'autres sommets de brutalité ont été atteints au cours des deux derniers mois dans le cadre de l'opération militaire en cours dans la partie nord de la bande de Gaza. L'opération a commencé le 5 octobre. Les FDI ont coupé Jabalya, Beit Lahia et Beit Hanoun de la ville de Gaza, et les habitants ont reçu l'ordre de partir. Beaucoup l'ont fait, mais plusieurs milliers sont restés dans la zone assiégée.

À ce stade, l'armée a lancé ce que l'ancien chef d'état-major des FDI et ministre de la défense, Moshe Ya'alon, a qualifié cette semaine de « nettoyage ethnique » de la région : Les groupes d'aide ont été interdits d'accès, le dernier dépôt de farine a été incendié et les deux dernières boulangeries fermées, et même les activités des équipes de défense civile qui évacuaient les blessés ont été interdites. L'approvisionnement en eau a été interrompu, les ambulances ont été neutralisées et les hôpitaux ont été attaqués.

Mais le principal effort de l'armée s'est concentré sur les raids aériens. Presque chaque jour, les Palestiniens font état de dizaines de morts lors du bombardement d'immeubles d'habitation et d'écoles, qui étaient devenus des camps de déplacés. Le rapport de Mordechai cite des dizaines de témoignages bien documentés sur les campagnes de bombardement : familles ramassant les corps de leurs proches parmi les ruines, funérailles dans d'immenses fosses communes, blessés couverts de poussière, adultes et enfants en état de choc, personnes pleurant avec des morceaux de corps éparpillés autour d'elles, etc.

Dans un clip vidéo datant du 20 octobre, on voit deux enfants extraits des décombres. Le premier a l'air abasourdi, les yeux exorbités et totalement couvert de sang et de poussière. À côté de lui, on retire un corps sans vie, apparemment celui d'une fille.

Au cours des deux dernières semaines, Haaretz a, pour sa part, envoyé des questions à l'unité du porte-parole de l'IDF concernant une trentaine d'incidents, la plupart à Gaza, au cours desquels de nombreux civils ont été tués. L'unité a répondu qu'elle avait classé la plupart d'entre eux comme des événements inhabituels et qu'ils avaient été renvoyés à l'état-major général pour une enquête plus approfondie.

Mordechai rejette d'emblée l'affirmation couramment entendue par les Israéliens selon laquelle ce qui se passe à Gaza n'est pas si terrible par rapport à d'autres guerres. « Bearing Witness » montre, par exemple, que plus d'enfants ont été tués à Gaza que tous les enfants tués dans toutes les guerres du monde au cours des trois années qui ont précédé la guerre du 7 octobre. Dès le premier mois de la guerre, le nombre d'enfants morts était dix fois supérieur au nombre d'enfants tués dans la guerre en Ukraine en un an.

Plus de journalistes ont été tués à Gaza que pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Selon une enquête publiée par Yuval Avraham sur le site web Sicha Mekomit (Local Call), concernant les systèmes d'intelligence artificielle utilisés dans les campagnes de bombardement des FDI à Gaza, l'autorisation a été donnée de tuer jusqu'à 300 civils afin d'assassiner des personnalités de haut rang du Hamas. En comparaison, des documents révèlent que pour les forces armées américaines, ce chiffre s'élevait à un dixième de ce nombre – 30 civils – dans le cas d'un meurtrier d'une plus grande envergure que Yahya Sinwar : Oussama Ben Laden.

Un rapport d'enquête du Wall Street Journal affirme qu'Israël a déversé plus de bombes sur Gaza au cours des trois premiers mois de la guerre que les États-Unis n'en ont largué sur l'Irak en six ans. Quarante-huit prisonniers sont morts dans les centres de détention israéliens au cours de l'année écoulée, contre neuf à Guantanamo au cours de ses 20 années d'existence. Les chiffres sont également éloquents lorsqu'il s'agit des données concernant les décès dans les guerres menées par d'autres pays : Les forces de la coalition en Irak ont tué 11 516 civils en cinq ans, et 46 319 civils ont été tués en 20 ans de guerre en Afghanistan. Selon les estimations les plus indulgentes, quelque 30 000 civils ont été tués dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023.

Le rapport de Mordechai reflète non seulement les horreurs qui se produisent à Gaza, mais aussi l'indifférence d'Israël à leur égard. « Au début, on a tenté de justifier l'invasion de l'hôpital Shifa ; aujourd'hui, il n'y a même pas cette prétention – vous attaquez des hôpitaux et il n'y a pas de discussion publique. Nous ne faisons face d'aucune manière aux implications de ces opérations. Vous ouvrez les médias sociaux et vous êtes submergés par la déshumanisation. Qu'est-ce que cela nous fait ? J'ai grandi dans une société dont l'éthique était totalement différente. Il y a toujours eu des pommes pourries, mais regardez l'affaire du bus n° 300 [un événement survenu en 1984, au cours duquel des agents du Shin Bet sur le terrain ont exécuté deux Arabes qui avaient détourné un bus] et voyez où nous en sommes aujourd'hui. Il est important pour moi de tendre un miroir, il est important pour moi que ces choses soient connues. C'est ma forme de résistance ».

Un sombre secret

Dans les versions les plus récentes de « Bearing Witness », Mordechai a ajouté une annexe qui explique pourquoi, selon lui, les actions d'Israël à Gaza constituent un génocide, un sujet qu'il développe au cours de notre conversation. « Nous devons déconnecter la façon dont nous concevons le génocide en tant qu'Israéliens – les chambres à gaz, les camps de la mort et la Seconde Guerre mondiale – du modèle qui apparaît dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [de 1948] », explique-t-il. « Il n'est pas nécessaire qu'il y ait des camps de la mort pour que cela soit considéré comme un génocide. Tout se résume à la commission d'actes et à l'intention, et l'existence de ces deux éléments doit être établie. En ce qui concerne la commission d'actes, il s'agit de meurtres, mais pas seulement – [il y a] aussi des blessures, des enlèvements d'enfants et même de simples tentatives d'empêcher les naissances au sein d'un groupe particulier de personnes. Ce que tous ces actes ont en commun, c'est la destruction délibérée d'un groupe.

« Les personnes à qui je parle ne discutent généralement pas des actes commis, mais de l'intention. Ils diront qu'il n'existe aucun document montrant que Netanyahou ou [le chef d'état-major des FDI] Herzl Halevi ont ordonné un génocide. Mais il y a des déclarations et des témoignages. Il y en a beaucoup, beaucoup.

L'Afrique du Sud a soumis un document de 120 pages contenant un grand nombre de témoignages prouvant l'intention. Le journaliste Yunes Tirawi a recueilli des déclarations sur le génocide et le nettoyage ethnique sur les médias sociaux de plus de 100 personnes ayant des liens avec Tsahal – apparemment de nombreux officiers de réserve.

« Que faisons-nous avec tout cela ? De mon point de vue, les faits parlent. Je vois une ligne directe entre ces déclarations, l'absence de volonté de réagir à ces déclarations, et la réalité sur le terrain qui correspond à ces déclarations ».

La version anglaise de « Bearing Witness » fait référence à des articles rédigés par six autorités israéliennes de premier plan, qui ont déjà déclaré qu'à leur avis, Israël commet un génocide : Omer Bartov, spécialiste de l'Holocauste et du génocide ; Daniel Blatman, chercheur sur l'Holocauste (qui a écrit que ce que fait Israël à Gaza se situe entre le nettoyage ethnique et le génocide) ; l'historien Amos Goldberg ; Raz Segal, spécialiste de l'Holocauste ; Itamar Mann, expert en droit international ; et l'historien Adam Raz.

« La définition est moins importante », déclare Mordechai. « Ce qui est important, ce sont les actions. Admettons que la Cour internationale de justice de La Haye déclare dans quelques années qu'il ne s'agit pas d'un génocide mais d'un quasi génocide. Cela atteste-t-il d'une victoire morale d'Israël ? Ai-je envie de vivre dans un endroit qui perpétue un « quasi-génocide » ? Le débat sur le terme attire l'attention, mais les choses se produisent d'une manière ou d'une autre, qu'elles atteignent la barre ou non. En fin de compte, nous devons nous demander comment arrêter cela et comment nous répondrons à nos enfants lorsqu'ils nous demanderont ce que nous avons fait pendant la guerre. Nous devons agir ».

Mais la définition est importante. Vous dites aux Israéliens : « Regardez, vous vivez à Berlin en 1941. » Quel est l'impératif moral pour les personnes qui vivaient à Berlin à l'époque ? Qu'est-ce qu'un citoyen est censé faire lorsque son État commet un génocide ?

« Une position morale a toujours un prix. S'il n'y a pas de prix, il s'agit simplement d'une position normative acceptée. La valeur d'une chose pour une personne est exprimée par le prix qu'elle est prête à payer pour l'obtenir. D'un autre côté, je suis conscient que les gens ont aussi d'autres considérations et d'autres besoins – ramener de la nourriture à la maison, préserver les liens avec leur famille – chacun doit prendre ses propres décisions. De mon point de vue, ce que je fais, c'est parler et continuer à parler, que les gens m'écoutent ou non. Cela me prend beaucoup de temps et de force mentale, mais je suis arrivé à la conclusion que c'est la chose la plus utile que je puisse faire ».

Après notre séparation, Mordechai m'a envoyé un dernier lien. Celui-ci ne concernait pas les témoignages sur les atrocités commises à Gaza, mais une nouvelle de la regrettée romancière américaine Ursula K. Le Guin, « The Ones Who Walk Away from Omelas » (Ceux qui s'éloignent d'Omelas). L'histoire parle de la ville d'Omelas, où les gens sont beaux et heureux, et où leur vie est intéressante et joyeuse. Mais à l'âge adulte, les citoyens d'Omelas apprennent peu à peu le sombre secret de leur ville : leur bonheur dépend de la souffrance d'un enfant qui est contraint de rester dans une pièce insalubre sous terre, et ils ne sont pas autorisés à le consoler ou à l'aider. « C'est l'existence de l'enfant, et leur connaissance de son existence, qui rend possible la noblesse de leur architecture, le caractère poignant de leur musique, la profondeur de leur science. C'est à cause de l'enfant qu'ils sont si doux avec les enfants », écrit Le Guin.

La majorité des habitants d'Omelas continuent à vivre avec cette connaissance, mais de temps en temps, l'un d'entre eux rend visite à l'enfant et ne revient pas, mais continue à marcher et abandonne la ville. L'histoire se termine ainsi : « Ils avancent dans les ténèbres et ne reviennent pas. L'endroit vers lequel ils se dirigent est un lieu encore moins imaginable pour la plupart d'entre nous que la cité du bonheur. Je ne peux absolument pas le décrire. Il est possible qu'il n'existe pas. Mais ils semblent savoir où ils vont ».

Le bureau du porte-parole des FDI a répondu que les FDI « n'opèrent que contre des cibles militaires et prennent toute une série de précautions pour éviter de blesser des non-combattants, notamment en lançant des avertissements aux citoyens. En ce qui concerne les arrestations, tout soupçon de violation des ordres ou du droit international fait l'objet d'une enquête et est traité. En général, si l'on soupçonne un soldat d'avoir eu un comportement répréhensible pouvant être de nature criminelle, une enquête est ouverte par la division des enquêtes criminelles de la police militaire ».


Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Haaretz

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Israël commet un génocide contre les Palestiniens et Palestiniennes à Gaza - Amnistie international

10 décembre 2024, par Amnesty International — , , , ,
Les recherches d'Amnesty International ont permis de rassembler suffisamment d'éléments pour conclure qu'Israël a commis et continue de commettre un génocide contre les (…)

Les recherches d'Amnesty International ont permis de rassembler suffisamment d'éléments pour conclure qu'Israël a commis et continue de commettre un génocide contre les Palestiniens et Palestiniennes dans la bande de Gaza occupée, a déclaré l'organisation dans un nouveau rapport appelé à faire date paru jeudi 5 décembre 2024.

Tiré du site d'Amnistie international.

Ce rapport, intitulé « On a l'impression d'être des sous-humains ». Le génocide des Palestiniens et Palestiniennes commis par Israël à Gaza, établit que, dans le cadre de l'offensive militaire qu'il a lancée à la suite des attaques meurtrières du Hamas dans le sud de son territoire le 7 octobre 2023, Israël a fait impudemment subir aux Palestinien·ne·s de Gaza un déchaînement de violence et de destruction permanent, en toute impunité.

« Le rapport d'Amnesty International montre qu'Israël a commis des actes interdits par la Convention sur le génocide, dans l'intention spécifique de détruire la population palestinienne de Gaza. Ce pays s'est notamment rendu coupable de meurtres, d'atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale des personnes, et de soumission délibérée des Palestiniens et Palestiniennes de Gaza à des conditions de vie destinées à entraîner leur destruction physique. Mois après mois, Israël a traité la population palestinienne de Gaza comme un groupe sous-humain ne méritant pas le respect de ses droits fondamentaux ni de sa dignité, et a démontré son intention de la détruire physiquement », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International.

« Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d'alarme pour la communauté internationale : il s'agit d'un génocide, qui doit cesser immédiatement.

« Les États qui continuent à l'heure actuelle de transférer des armes à Israël doivent savoir qu'ils violent leur obligation d'empêcher le crime de génocide et qu'ils risquent de devenir complices de ce crime. Tous les États ayant une influence sur Israël, en particulier les principaux fournisseurs d'armes comme les États-Unis et l'Allemagne, mais aussi certains autres États membres de l'Union européenne, le Royaume-Uni et d'autres pays, doivent agir sans délai pour mettre immédiatement un terme aux atrocités commises par Israël contre les Palestiniens et Palestiniennes de Gaza. »

Ces deux derniers mois, la crise est devenue particulièrement dramatique dans le nord de la bande de Gaza, où la population assiégée est confrontée à la famine, au déplacement et à l'anéantissement sur fond de bombardements incessants et de restrictions asphyxiantes de l'aide humanitaire vitale.

« Nos recherches révèlent que, pendant des mois, Israël a persisté à commettre des actes génocidaires, en ayant pleinement conscience des préjudices irréparables qu'il infligeait aux Palestinien·ne·s de Gaza. Il a continué de le faire malgré les innombrables alertes sur la situation humanitaire catastrophique et en dépit des décisions juridiquement contraignantes de la Cour internationale de justice (CIJ) lui ordonnant de prendre des mesures immédiates pour permettre la livraison d'aide humanitaire à la population civile de Gaza », a déclaré Agnès Callamard.

« Israël a affirmé à maintes reprises que ses actions à Gaza étaient légales et pouvaient être justifiées par son objectif militaire d'éradiquer le Hamas, mais l'intention génocidaire peut coexister aux côtés des objectifs militaires et n'a pas besoin d'être sa seule et unique intention. »

Amnesty International a examiné les actes israéliens à Gaza avec soin et dans leur totalité, prenant en compte leur récurrence et leur simultanéité, ainsi que leurs effets immédiats et leurs conséquences cumulées et se renforçant mutuellement. L'organisation a tenu compte de l'ampleur et de la gravité du bilan humain et des destructions au fil du temps. Elle a aussi analysé les déclarations publiques des autorités, ce qui l'a amenée à conclure que les actes interdits avaient souvent été annoncés ou réclamés en premier lieu par des responsables haut placés en charge de l'effort de guerre.

« Compte tenu du contexte préexistant de spoliation, d'apartheid et d'occupation militaire illégale dans lequel ces actes ont été commis, une seule conclusion raisonnable est possible : ce que vise Israël est la destruction physique des Palestinien·ne·s de Gaza, que ce soit parallèlement à son objectif militaire d'élimination du Hamas ou comme moyen d'y parvenir », a déclaré Agnès Callamard.

« Les atrocités criminelles commises le 7 octobre 2023 par le Hamas et d'autres groupes armés contre des Israélien·ne·s et des victimes d'autres nationalités, telles que les massacres et les prises d'otages, ne sauraient en aucun cas justifier le génocide des Palestiniens et Palestiniennes commis par Israël à Gaza. »

La jurisprudence internationale reconnaît qu'il n'est pas nécessaire que le responsable parvienne à détruire le groupe protégé, en tout ou en partie, pour que le crime de génocide soit établi. Le seul fait de commettre des actes interdits dans l'intention de parvenir à cette destruction est en soi suffisant.

Le rapport d'Amnesty International se penche en détail sur les violations commises par Israël à Gaza durant les neuf mois allant du 7 octobre 2023 à début juillet 2024. L'organisation a interrogé 212 personnes, parmi lesquelles des victimes et des témoins palestiniens, des membres des autorités locales gazaouies et des professionel·le·s de la santé, a mené un travail sur le terrain et a analysé un vaste éventail de preuves visuelles et numériques, dont des images satellite. Elle a aussi examiné les déclarations des autorités gouvernementales et militaires israéliennes et des organes officiels israéliens. Elle a communiqué à maintes reprises ses conclusions aux autorités israéliennes mais, à l'heure de la publication de son rapport, elle n'avait reçu aucune réponse de fond.

Une échelle et une ampleur sans précédent

Les actions d'Israël après les attaques meurtrières du Hamas du 7 octobre 2023 ont conduit la population de Gaza au bord de l'effondrement. Au 7 octobre 2024, la violente offensive militaire israélienne avait fait plus de 42 000 morts parmi la population palestinienne, dont plus de 13 300 enfants, et plus de 97 000 blessés. Beaucoup ont été touchés par des attaques directes ou menées délibérément sans discrimination, qui ont souvent décimé des familles entières, toutes générations confondues. Cette offensive a provoqué des destructions sans précédent qui, selon les expert·e·s, ont atteint un niveau et une vitesse jamais vus dans aucun autre conflit du 21e siècle, rasant des villes entières et détruisant des infrastructures essentielles, des terres agricoles et des sites culturels et religieux. Elle a rendu inhabitables de vastes zones de la bande de Gaza.

Mohammed, qui a fui avec sa famille de la ville de Gaza à Rafah en mars 2024 et a été déplacé de nouveau en mai 2024, a décrit leur lutte pour survivre dans des conditions effroyables :

« Ici, à Deir al Balah, c'est comme si c'était la fin du monde. […] On doit protéger nos enfants des insectes, de la chaleur, et il n'y a pas d'eau propre, pas de toilettes, et pendant ce temps, les bombardements incessants se poursuivent. On a l'impression d'être des sous-humains. »

Israël a imposé à Gaza des conditions de vie donnant lieu à un mélange mortel de malnutrition, de famine et de maladies, et exposé la population palestinienne à une mort lente et calculée. Il a aussi soumis des centaines de Palestinien·ne·s de Gaza à la détention au secret, à la torture et à d'autres mauvais traitements.

Pris isolément, certains des actes sur lesquels Amnesty International a enquêté constituent de graves violations du droit international humanitaire ou du droit international relatif aux droits humains. Mais si l'on s'intéresse à la campagne militaire israélienne dans son ensemble et aux effets cumulés des politiques et des actions d'Israël, l'intention génocidaire est la seule conclusion raisonnable.

L'intention de détruire

Afin d'établir, en tant que telle, l'intention spécifique d'Israël de détruire physiquement la population palestinienne à Gaza, Amnesty International a analysé l'ensemble des comportements de ce pays à Gaza, étudié les déclarations déshumanisantes et génocidaires des responsables gouvernementaux et militaires israéliens, en particulier aux plus hauts niveaux, et pris en compte le contexte du système d'apartheid imposé par Israël, de son blocus inhumain de la bande de Gaza et de son occupation militaire illégale du territoire palestinien depuis 57 ans.

Avant de parvenir à sa conclusion, Amnesty International a examiné les déclarations d'Israël affirmant que ses forces armées avaient visé le Hamas et d'autres groupes armés à travers Gaza en toute légalité et que les destructions sans précédent et la privation d'aide humanitaire résultaient de comportements illégaux du Hamas et d'autres groupes armés, comme le positionnement de combattants au sein de la population civile ou le détournement de l'aide humanitaire. L'organisation a conclu que ces affirmations n'étaient pas crédibles. La présence de combattants du Hamas à proximité ou au sein de zones densément peuplées ne dispense pas Israël de son obligation de prendre toutes les précautions possibles pour épargner les civil·e·s et éviter les attaques aveugles ou disproportionnées. Les recherches d'Amnesty International ont montré qu'Israël avait à maintes reprises omis de prendre de telles précautions et avait commis de nombreux crimes de droit international qui ne sauraient être justifiés par les actions du Hamas. Par ailleurs, l'organisation n'a trouvé aucune preuve à l'appui du fait que les restrictions extrêmes et délibérées de l'aide humanitaire vitale imposées par Israël pourraient être expliquées par le détournement de l'aide.

Dans son analyse, Amnesty International a aussi examiné d'autres arguments comme ceux selon lesquels Israël agissait simplement avec imprudence ou voulait seulement détruire le Hamas, peu importe s'il fallait pour cela détruire les Palestinien·ne·s, auquel cas il ferait preuve d'un mépris cynique pour les vies humaines mais pas d'une intention génocidaire.

  • Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d'alarme pour la communauté internationale : il s'agit d'un génocide, qui doit cesser immédiatement.
  • - Agnès Callamard, Amnesty International

Cependant, qu'Israël considère la destruction de la population palestinienne comme nécessaire pour détruire le Hamas ou comme une conséquence acceptable de cet objectif, le fait qu'il voie les Palestiniens et Palestiniennes comme une population sacrifiable ne méritant aucune considération est en soi une preuve de son intention génocidaire.

Nombre des actes illégaux constatés par Amnesty International ont été précédés par des déclarations des autorités appelant à leur perpétration. L'organisation a examiné 102 déclarations rendues publiques par les autorités gouvernementales et militaires israéliennes ou par d'autres responsables entre le 7 octobre 2023 et le 30 juin 2024 qui déshumanisaient les Palestiniens et Palestiniennes, appelaient à des actes génocidaires ou à d'autres crimes contre cette population ou bien les justifiaient.

Parmi ces déclarations, Amnesty International en a identifié 22 qui avaient été faites par de hauts responsables chargés de gérer l'offensive et qui semblaient demander ou justifier des actes génocidaires, ce qui est une preuve directe de l'intention de commettre un génocide. Les propos en ce sens ont souvent été repris, y compris par des soldats israéliens sur le terrain, comme le montrent des vidéos vérifiées par Amnesty International dans lesquelles on voit des soldats lancer des appels à « anéantir » la bande de Gaza ou à la rendre inhabitable, et célébrer la destruction de maisons, de mosquées, d'écoles et d'universités palestiniennes.

Meurtres et atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale

Pour établir l'existence d'actes génocidaires de meurtres et d'atteintes graves à l'intégrité physique et mentale contre la population palestinienne de Gaza, Amnesty International a réexaminé les conclusions des enquêtes qu'elle avait menées sur 15 frappes aériennes survenues entre le 7 octobre 2023 et le 20 avril 2024, qui avaient tué au moins 334 civil·e·s, dont 141 enfants, et en avait blessé des centaines d'autres. L'organisation n'a pas trouvé d'éléments prouvant que ces frappes visaient un objectif militaire.

Par exemple, le 20 avril 2024, une frappe aérienne israélienne a détruit la maison de la famille Abdelal dans le quartier d'al Jneinah, dans l'est de Rafah, tuant trois générations de Palestinien·ne·s, dont 16 enfants, dans leur sommeil.

Même si les frappes étudiées ne représentent qu'une fraction des attaques aériennes israéliennes, elles mettent en évidence une pratique généralisée d'attaques directes contre la population civile et les biens de caractère civil ou d'attaques délibérément aveugles. Ces attaques ont aussi été menées d'une manière conçue pour faire un grand nombre de mort·e·s et de blessé·e·s parmi la population civile.

Imposition de conditions de vie destinées à entraîner la destruction physique

Le rapport d'Amnesty International montre qu'Israël a délibérément imposé à la population palestinienne de Gaza des conditions de vie destinées à entraîner, à terme, sa destruction. Ces conditions ont été instaurées par trois pratiques simultanées dont les effets dévastateurs se renforcent perpétuellement les uns les autres : la dégradation et la destruction d'infrastructures vitales et d'autres biens indispensables à la survie de la population civile ; l'utilisation répétée d'ordres d'« évacuation » massive draconiens, arbitraires et trompeurs pour déplacer de force la quasi-totalité de la population de Gaza ; et l'interdiction ou l'obstruction de l'acheminement de services essentiels, d'aide humanitaire et d'autres produits vitaux vers la bande de Gaza et au sein de celle-ci.

Après le 7 octobre 2023, Israël a imposé un siège total à Gaza, coupant l'approvisionnement en électricité, en eau et en carburant. Durant les neuf mois étudiés pour ce rapport, Israël a maintenu un blocus asphyxiant et illégal, a sévèrement contrôlé l'accès aux sources d'énergie, n'a rien fait pour faciliter un accès humanitaire digne de ce nom au sein de la bande de Gaza, et a empêché l'importation et la livraison de biens vitaux et d'aide humanitaire, en particulier dans les zones situées au nord du Wadi Gaza. Ce faisant, il a exacerbé la crise humanitaire préexistante. Associées aux destructions massives de logements, d'hôpitaux, de systèmes d'adduction d'eau, d'infrastructures sanitaires et de terres agricoles, ainsi qu'aux déplacements forcés de masse, ces mesures ont provoqué des niveaux catastrophiques de famine et entraîné la propagation de maladies à un taux alarmant. Les effets ont été particulièrement terribles pour les jeunes enfants et les femmes enceintes ou allaitantes, et risquent d'avoir des conséquences à long terme sur leur santé.

  • L'incapacité cataclysmique et honteuse de la communauté internationale, depuis plus d'un an, à faire pression sur Israël pour qu'il cesse ses atrocités à Gaza, d'abord en retardant les appels à un cessez-le-feu puis en poursuivant les transferts d'armes, est et restera une tache dans notre conscience collective.
  • - Agnès Callamard, Amnesty International

À maintes reprises, Israël a eu la possibilité d'améliorer la situation humanitaire à Gaza. Or, pendant un an, il a refusé de façon répétée de prendre des mesures qui étaient de toute évidence en son pouvoir, comme l'ouverture de suffisamment de points d'accès à Gaza ou encore la levée des restrictions strictes sur les denrées pouvant entrer dans la bande de Gaza ou de ses mesures d'obstruction de l'acheminement de l'aide humanitaire au sein de ce territoire alors que la situation empirait progressivement.

Avec ses ordres d'« évacuation » à répétition, Israël a déplacé près de 1,9 million de Palestiniens et Palestiniennes, soit 90 % de la population de Gaza, dans des poches de territoire toujours plus réduites et peu sûres, et dans des conditions inhumaines. Certaines personnes ont été déplacées jusqu'à 10 fois. Ces vagues successives de déplacements forcés ont laissé beaucoup de gens sans travail et profondément traumatisés, en particulier du fait que 70 % des habitant·e·s de la bande de Gaza sont des réfugié·e·s ou des descendant·e·s de personnes réfugiées dont les villes et villages ont fait l'objet d'un nettoyage ethnique par Israël pendant la Nakba de 1948.

Bien que les conditions soient vite devenues impropres à la vie humaine, les autorités israéliennes ont refusé d'envisager des mesures qui auraient permis de protéger les civil·e·s déplacés et de répondre à leurs besoins essentiels, ce qui montre qu'elles ont agi de façon délibérée.

Elles n'ont pas autorisé les personnes déplacées à retourner chez elles dans le nord de Gaza ni à se réinstaller temporairement dans d'autres parties du territoire palestinien occupé ou en Israël, tout en continuant de priver de nombreux Palestinien·ne·s de leur droit au retour, en vertu du droit international, dans les zones d'où ils avaient été déplacés en 1948. Elles ont agi ainsi en sachant pertinemment que la population palestinienne n'avait aucun endroit sûr où se réfugier dans la bande de Gaza.

L'obligation de rendre des comptes pour le génocide

« L'incapacité cataclysmique et honteuse de la communauté internationale, depuis plus d'un an, à faire pression sur Israël pour qu'il cesse ses atrocités à Gaza, d'abord en retardant les appels à un cessez-le-feu puis en poursuivant les transferts d'armes, est et restera une tache dans notre conscience collective », a déclaré Agnès Callamard.

« Les gouvernements doivent cesser de prétendre qu'ils sont impuissants pour arrêter ce génocide, qui a été rendu possible par des décennies d'impunité pour les violations du droit international commises par Israël. Les États ne doivent pas se contenter d'exprimer leurs regrets ou leur consternation mais doivent agir fermement et durablement sur le plan international, aussi inconfortable que puisse être le constat d'un génocide pour certains des alliés d'Israël.

« Les mandats d'arrêt décernés en novembre par la Cour pénale internationale (CPI) contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et l'ancien ministre de la défense Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité offrent aux victimes un véritable espoir de justice qui n'a que trop tardé. Les États doivent témoigner leur respect à l'égard de cette décision de la Cour et des principes universels du droit international en arrêtant les personnes recherchées par la CPI et en les lui remettant.

« Nous appelons le Bureau du procureur de la CPI à envisager de toute urgence de rajouter le génocide à la liste des crimes sur lesquels il enquête et demandons à tous les États d'utiliser toutes les voies juridiques disponibles pour traduire les responsables en justice. Nul ne devrait être autorisé à commettre un génocide sans avoir à répondre de ses actes. »

Amnesty International demande aussi que tous les otages civils soient libérés sans condition et que le Hamas et les autres groupes armés palestiniens responsables des crimes du 7 octobre soient amenés à rendre des comptes.

L'organisation appelle par ailleurs le Conseil de sécurité des Nations unies à imposer des sanctions ciblées aux responsables israéliens et du Hamas les plus impliqués dans des crimes de droit international.

Complément d'information

Le 7 octobre 2023, le Hamas et d'autres groupes armés ont procédé à des tirs de roquettes aveugles sur le sud d'Israël et s'y sont rendus coupables de massacre et de prise d'otages. Ils ont tué 1 200 personnes, dont plus de 800 civil·e·s, enlevé 223 personnes civiles et fait prisonniers 27 militaires. Les crimes commis par le Hamas et d'autres groupes armés pendant cette attaque feront l'objet d'un prochain rapport d'Amnesty International.

Depuis octobre 2023, Amnesty International a mené des enquêtes approfondies sur les multiples violations et crimes de droit international commis par les forces israéliennes, notamment des attaques directes contre la population civile ou des biens de caractère civil et des attaques menées délibérément sans discrimination qui ont tué des centaines de civil·e·s, ainsi que d'autres attaques illégales et des sanctions collectives contre la population civile. L'organisation a appelé le Bureau du procureur de la CPI à accélérer son enquête sur la situation dans l'État de Palestine et fait campagne en faveur d'un cessez-le-feu immédiat.

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La menace fasciste se précise d’autant que Milei appelle à la création de l’Internationale Brune !

10 décembre 2024, par Yorgos Mitralias — ,
"Il est de notre devoir moral de défendre l'héritage de notre civilisation occidentale. L'Occident est en danger...Nous ne devons pas laisser le socialisme avancer. Nous devons (…)

"Il est de notre devoir moral de défendre l'héritage de notre civilisation occidentale. L'Occident est en danger...Nous ne devons pas laisser le socialisme avancer. Nous devons s'unir et établir des canaux de coopération à travers le monde. Nous pourrions nous considérer comme une Internationale de droite, un réseau d'entraide composé de tous ceux qui souhaitent diffuser les idées de liberté dans le monde".

Cet appel en faveur de la fondation d'une Internationale de l'extrême droite doit être pris très très au sérieux. D'abord, parce que celui qui a prononcé ces paroles n'est pas n'importe qui, c'est le président d'Argentine et le coqueluche des fascistes et autres extrémistes de droite de par le monde Javier Milei. Ensuite, parce que parmi ceux qui les ont applaudi ont été l'ex-président du Brésil Jair Bolsonaro,le chef de Vox et des Franquistes espagnols Santiago Abascal, le stratège du néofascisme international Steve Bannon, et surtout la co-présidente du Republican National Committee et belle-fille de Donald Trump Lara Trump. Et aussi, parce que cet appel a été lancé au cours de la récente rencontre à Buenos Aires, de la Conférence d'action politique conservatrice (CPAC), la très puissante et incontournable organisation des réactionnaires américains, laquelle devient de plus en plus internationale et radicale d'extrême droite. Et enfin, parce que des éminences de l'extrême droite mondiale, comme la méta-fasciste première ministre italienne Giorgia Meloni ou le premier ministre hongrois Victor Orban se sont déjà prononcé en faveur de la création d'une telle Internationale.

Mais, ce n'est pas tout. Ce qui rend cet appel encore plus crédible et donc encore plus alarmant, c'est que le grand capital international se montre désormais de plus en plus intéressé, sinon favorable à Milei et à ses idées, considérées il y encore peu farfelues et extrémistes. Comme par exemple le britannique The Economist, le bateau amiral de la presse financière bien-pensante internationale, qui n'a pas hésité il y a quelques jours, à faire pratiquement l'éloge de Milei et de ses "exploits" économiques. A tel point que le même Economist est allé jusqu'à conseiller Trump d'oublier son protectionnisme, de suivre l'exemple de Milei et d'appliquer durant sa nouvelle présidence, les...thérapies de choc du très libertarien président d'Argentine. Et pour tout dire, ces éloges de Economist semblent faire école, car, victoire de Trump aidant, le pestiféré qu'était Milei jusqu'à récemment, est en train d'avoir actuellement les faveurs de la presse de droite des pays européens…

Cependant, il est à supposer que ce soudain virage des grands médias européens en faveur des politiques de Milei n'est pas dû seulement à des affinités idéologiques. Manifestement, il est aussi dû au fait qu'en bon libertarien, Milei prône la totale liberté de commerce, c'est-à- dire une politique diamétralement opposée au protectionnisme agressif prêché par Trump. Un protectionnisme qui, évidemment, fait peur aux bourgeoisies européennes, d'autant plus que Trump multiplie les menaces d'imposer des tarifs douaniers exorbitants sur leurs produits.

D'ailleurs, c'est exactement ces politiques protectionnistes de Trump qui devraient diviser l'extrême droite internationale, interdisant qu'elle puisse regrouper toutes ses forces dans une unique Internationale. Par exemple, on voit mal comment pourraient coexister durablement dans une même Internationale l'Amérique de Trump et la Russie de Poutine, quand Trump menace d'imposer les tarifs douaniers de 100 % sur les produits des pays membres de BRICS, si ces pays, dont la Russie, adoptent des politiques qui « dédolarisent » l'économie mondiale et sapent la suprématie du dollar. De l'autre côté, Milei qui est contraire à tout protectionnisme, et devrait donc s'aligner sur les positions des Brics, a déjà exclu catégoriquement que son Argentine adhère aux Brics, lesquels ne partagent pas du tout ses politiques libertariennes.

Toutefois, ces -bien réelles- difficultés que rencontre la construction de l'Internationale Brune de nos temps, ne devraient pas nous inciter à considérer que sa création est condamnée d'avance à l'échec. Car, même divisés, les néofascistes et autres extrémistes de droite ont toujours le vent en poupe, se coordonnent, passent à l'attaque et menacent comme jamais depuis 80 ans, nos droits, nos libertés et nos vies. D'ailleurs, comme nous l'écrivions déjà il y a plus de deux ans, en août 2022, « depuis la fin de la dernière guerre mondiale, jamais autant qu'aujourd'hui ne s'est fait sentir la menace représentée par une extrême droite revigorée, agressive et qui monte presque partout en flèche. Pourquoi ? Mais, parce qu'à l'opposée de ce qui se passait durant les dernières 6-7 décennies, maintenant cette menace ne provient plus de quelques groupuscules ou même petits partis de nostalgiques de l'entre deux-guerres, mais d'une nouvelle droite décomplexée qui gouverne ou s'apprête à gouverner même des pays catalogués parmi les plus grandes puissances de ce monde ! ».(1)

Cependant, l'heure n'est ni à la résignation ni au défaitisme au moment où se succèdent les bonnes nouvelles qui montrent que rien n'est encore perdu, que ceux d'en bas continuent à se battre, et parfois avec succès. Comme par exemple la gauche radicale française qui contrecarre les plans antidémocratiques de Macron en faisant tomber le gouvernement Barnier. Ou et surtout le peuple sud-coréen et sa mobilisation exemplaire qui non seulement fait avorter le coup d'état du président réactionnaire et va-t-en guerre, mais passe aussi à la contre-attaque. Et plus que tout autre, le peuple (en armes) syrien qui fait tomber le boucher Assad fils et son régime, un des plus barbares, sanguinaires et réactionnaires de ce dernier demi siècle.

Il y a plus de deux ans, nous écrivions déjà que « la perspective, tout à fait réelle, que Poutine pourrait faire la jonction avec un Trump II ré-installé à la Maison Blanche dans deux ans, devrait être prise très au sérieux par les antifascistes et les démocrates de par le monde qui doivent préparer leur riposte au plus vite. Avec ou sans Internationale Brune, l'extrême droite représente désormais une menace existentielle pour nous tous ». Malheureusement, bien que cette prévision, qualifiée à l'époque de « catastrophiste » par certains, s'est vérifié, la gauche internationale continue de sous-estimer le danger et se montre aussi inapte à se mobiliser pour affronter la menace néofasciste que la gauche (communiste et social-démocrate) des années ‘30.

Pourtant, l'appel de Milei, qui constitue un pas décisif vers la création de l'Internationale Brune, devrait nous rappeler que le temps presse comme jamais dans les derniers 80 ans. Alors, allons-nous voir l'histoire se répéter et que la barbarie fasciste triomphe sans que nous réagissions avant qu'il ne soit trop tard ?

Note

1. Vers l'Internationale Brune de l'extrême droite européenne et mondiale ? : https://www.cadtm.org/Vers-l-Internationale-Brune-de-l-extreme-droite-europeenne-et-mondiale

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Aide humanitaire : dans un monde « à feu et à sang », l’ONU réclame 47 milliards de dollars

10 décembre 2024, par El-Watan — ,
Les Nations Unies ont déclaré avoir besoin de cette somme pour aider 190 millions de personnes l'an prochain. Ils invoquent un monde malmené par les conflits et le changement (…)

Les Nations Unies ont déclaré avoir besoin de cette somme pour aider 190 millions de personnes l'an prochain. Ils invoquent un monde malmené par les conflits et le changement climatique.

4 décembre 2024 | El Watan

Ce mercredi, l'ONU a lancé un appel humanitaire à hauteur de 47,4 milliards de dollars pour aider 190 millions de personnes l'an prochain dans un monde malmené par les conflits et le changement climatique. « Le monde est à feu et à sang », a déclaré le chef des affaires humanitaires des Nations unies, Tom Fletcher, lors de la présentation de l'appel à Genève, expliquant que « la combinaison des conflits, de la crise du climat et des inégalités a créé un parfait désastre ». « Nous sommes confrontés à une crise multiple à l'échelle mondiale et ce sont les personnes les plus vulnérables qui en paient le prix », a-t-il relevé.

L'ONU a pu aider l'an dernier 116 millions de personnes dans le monde. Elle estime que quelque 305 millions de personnes auront besoin d'aide humanitaire l'an prochain, mais les 47,4 milliards de dollars demandés visent à fournir une assistance à seulement 190 millions d'entre elles.

Tom Fletcher a affirmé qu'il lui aurait été plus facile de demander un montant record comme ces dernières années. Mais il a expliqué l'importance d'« établir des priorités face au manque de financements » même s'il s'agit de « choix difficiles ». Si « nous bénéficions d'une année de financement exceptionnelle, nous irons au-delà des 190 millions, mais je dois être cynique et réaliste quant aux perspectives d'y parvenir », a-t-il relevé.

En novembre, l'ONU n'avait reçu que 43 % des près de 50 milliards de dollars demandés pour 2024. « Nous devons absolument nous attacher à atteindre ceux qui en ont le plus besoin et être vraiment impitoyables en ce qui concerne l'affectation des fonds et les domaines dans lesquels nous pouvons avoir le plus d'impact », a-t-il insisté.

Les conséquences du sous-financement des appels humanitaires sont sévères, se désole l'organisation : en 2024, l'aide alimentaire a été réduite de 80 % en Syrie, tandis que l'aide en matière d'eau et d'assainissement a dû être diminuée au Yémen alors que le pays est touché par le choléra. « Le système humanitaire est aujourd'hui débordé, sous-financé et littéralement attaqué », a déploré Tom Fletcher. « Nous avons besoin d'un élan de solidarité mondiale » face à la lassitude des donateurs, a-t-il dit.

Alors que de nombreux observateurs craignent que le président américain élu Donald Trump réduise son soutien financier aux organisations internationales, Tom Fletcher a expliqué qu'il se rendrait à Washington au cours des prochains mois pour « dialoguer avec la nouvelle administration ». Mais la fatigue des donateurs ne concerne pas que les États-Unis, a-t-il dit, assurant qu'il irait aussi dans d'autres capitales pour « enfoncer des portes » afin de convaincre les donateurs traditionnels et de trouver de nouveaux alliés. Mais l'obstacle le plus important à l'assistance et à la protection des personnes dans les conflits armés est la violation généralisée du droit international humanitaire, prévient l'ONU. Alors qu'il reste encore quelques semaines avant qu'elle ne se termine, 2024 est déjà considérée comme l'année la plus meurtrière pour les travailleurs humanitaires, avec un bilan dépassant les 280 morts de 2023.

Selon Tom Fletcher, 2024 a aussi été catastrophique pour les populations que l'ONU soutient. Gaza, Ukraine, Soudan, Liban, Syrie... 2024 a été l'une des années les plus brutales de l'histoire récente pour les civils pris dans les conflits selon l'ONU, et si aucune mesure urgente n'est prise, l'année 2025 pourrait être pire encore.

À la mi-2024, près de 123 millions de personnes avaient été déplacées de force par les conflits et la violence, soit la douzième hausse annuelle consécutive. En parallèle, des catastrophes d'origine climatique ravagent des régions, provoquant des déplacements massifs de population.

En ce qui concerne les conflits, ce n'est pas seulement le fait qu'il y ait tant de conflits en même temps qui posent problème, mais le fait qu'ils durent plus longtemps, dix ans en moyenne désormais, a souligné Tom Fletcher. Plus les crises durent, plus les perspectives sont sombres : l'espérance de vie diminue, les taux de vaccination s'effondrent, l'éducation est en souffrance, la mortalité maternelle monte en flèche et le spectre de la famine grandit, relève-t-il.

Pour voir la vidéo de l'intervention, cliquez sur ce lien.

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Les murs

10 décembre 2024, par Nicole Muchnik — ,
Il y en a pour tous les goûts. En béton, en barre, avec ou sans fil de fer barbelé, de simple fil de fer barbelé, de sable, avec ou sans radar, zone tampon ou « no man's land » (…)

Il y en a pour tous les goûts. En béton, en barre, avec ou sans fil de fer barbelé, de simple fil de fer barbelé, de sable, avec ou sans radar, zone tampon ou « no man's land » ; et même virtuels, la dernière tendance qui semble aller de pair avec la mondialisation. Ces murs seraient-ils le paradigme parfait de ce dont l'humanité ne veut même pas entendre débattre, à savoir de l'égalité ?

8 novembre 2024 | Billet de blog de Mediapart.fr
https://blogs.mediapart.fr/nicole-muchnik/blog/081124/les-murs

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Il y en a pour tous les goûts. En béton, en barre, avec ou sans fil de fer barbelé, de simple fil de fer barbelé, de sable, avec ou sans radar, zone tampon ou "no man's land" ; et même virtuels, la dernière tendance qui semble aller de pair avec la mondialisation. Ce sont les murs, érigés pour diviser, pour empêcher les migrations, contre ceux qui sont perçus comme différents, pour protéger ceux qui ont quelque chose à protéger.

Murs entre les pays, à l'intérieur d'un même pays, traversant les villes pour isoler des quartiers entiers, des communautés ; murs dans le désert, ou murs infranchissables et barrières autour d'habitations privilégiées comme aux Etats-Unis, en Israël, peut être déjà en Europe. Pour Elisabeth Vallet, politologue canadienne de l'université du Québec à Montréal (UQAM),« On compte aujourd'hui soixante-dix à soixante-quinze murs construits ou annoncés dans le monde, les murs existants s'étalant sur environ 40 000 kilomètres », soit autant que la circonférence de la Terre.

Après 1989 et la chute du mur de Berlin, on aurait pu dire qu'il n'y en aurait plus jamais et qu'on pouvait oublier ceux qui existaient encore. Pourtant, « Jamais depuis le Moyen-Âge il n'y a eu autant de demande de murs », écrit le Guardian, évoquant les anciens ghettos et autres fantasmes.Tandis que le mur de Berlin était destiné à empêcher la sortie, les murs construits aujourd'hui protègent surtout les nations contre l'entrée d'étrangers.

Très récemment, en 2015, pour couper la « route des Balkans » et ses flots humains venus du Moyen Orient, Viktor Orban fit construire 151km de mur le long de la frontière avec la Serbie, complété de barbelés à lames coupantes, et doublé en 2017. À Belfast, ce sont au moins 88 murs « de la paix », des murs de 16 mètres de haut surmontés d'un grillage pour arrêter les cocktails Molotov, que ni les catholiques ni les protestants ne veulent abattre car la peur demeure.

Tous les présidents américains des dernières décennies ont construit ou amélioré des portions de barrières le long de la frontière, dont 128 miles construits sous l'administration Obama. Long de 1300 km, le mur entre les États-Unis et le Mexique contre l'immigration clandestine est la plus longue barrière du monde, après celle de 3 326 km construite par l'Inde face au Bangladesh. Sa construction a commencé en 2006, avec la signature par George W. Bush du Secure Fence Act.

Composée de cylindres d'acier de 8 mètres de haut, de grillages et de béton, elle est équipée de nombreuses caméras et détecteurs de mouvements, sans compter ses 1800 tours de contrôle, 150 tunnels sous la frontière et les 18.000 hommes de la Border Patrol. Selon le chercheur canadien Julian Saada, « l'Agence nationale de sécurité américaine estimait à 178 milliards de dollars le coût de la sécurisation des frontières en 2015 ». Une somme vraiment importante si l'on considère que les immigrés continuent d'immigrer, et les trafiquants de contourner murs et barrières, par mer avec des sous-marins, ou par air avec des drones.

A quelques kilomètres de San Diego, à cheval sur la frontière américano-mexicaine, se trouvait le Friendship Park, avec ses tables de pique-nique, quelques chênes et une vue imprenable sur le Pacifique et où les émigrés mexicains pouvaient retrouver leurs familles. Symbole de paix et de fraternité entre les peuples, le parc fut inauguré en 1972 par Pat Nixon. Aujourd'hui, le parc de l'amitié est fermé et sillonné de trois murs parallèles de cinq mètres de haut. Seuls quelques manifestants et quelques familles viennent "converser silencieusement" à l'aide de pancartes avec des groupes de l'autre côté.

Un mur sépare aujourd'hui Israël et la Palestine. La section en Cisjordanie truffée de technologies coûterait à elle seule plus d'un million de dollars par kilomètre au gouvernement israélien. La barrière Gaza-Israël (parfois appelée mur de fer) est aujourd'hui fortifiée par des murs de béton de 8 mètres, avec des tours de contrôle tous les 300 mètres. Elle est bordée de fossés de 2 mètres de profondeur, de barbelés et de routes. Destiné à empêcher les non Israéliens de revenir sur leurs territoires, ce « Mur de la honte » condamné par la Cour internationale de justice court sur les collines de Cisjordanie en dehors de la frontière officielle et a en fait permis l'annexion de terres palestiniennes. Il révèle la volonté israélienne d'imposer une nouvelle carte politique des deux pays.

La clôture entre le Maroc et la ville espagnole de Melilla construite en 2005 pour endiguer le flux de migrants d'Afrique vers l'Europe, a été doublée, portée à six mètres et complétée par des fils de fer barbelés entre les deux murs. Là aussi, on ne sait quel esprit malade a eu l'idée de placer les fameuses « concertinas » sur la clôture intérieure- soit des lames coupantes qui causent de terribles blessures- heureusement retirées en 2007. En 2022, plus de 2000 migrants ont tenté de forcer la frontière sans succès, sauf pour une centaine, et deux dizaines de morts.

Curieusement, l'un des murs les plus chers est fait de sable. Il s'agit de la « Grande Muraille » du Maroc, érigée en 1980 dans le désert pour prévenir les incursions du Front Polisario qui revendique une partie du territoire. Deux rangées de murs de sable sur 2 720 km, renforcées par des postes de contrôle militaires, des mines et des fils barbelés. Environ 120 000 soldats sont censés garder cette barrière de sable, dont l'entretien coûte deux millions de dollars par an.

En Afrique toujours, le Botswana a installé une barrière électrifiée sur sa frontière avec le Zimbabwe afin d'empêcher le passage de bétail atteint de fièvre aphteuse, mais encore et surtout des milliers de migrants qui tentent de passer dans un pays plus riche. Pour se protéger contre les migrants sub-Sahariens, l'Algérie est presque entièrement entourée d'un mur de sable d'environ 6700 km et de quelques 5m de hauteur. Toujours en Afrique, le Kenya a entrepris en 2015 la construction de 700 km de muraille, dont quelques 30 km avaient été commencés en 2020.

On peut s'étonner que l'un des royaumes les plus riches du monde soit confiné dans ses propres murs. Craignant les terroristes venus du Yémen au sud et de l'Irak au nord, l'Arabie saoudite construit depuis 2007 la barrière la plus moderne le long de sa frontière avec l'Irak. Equipée d'un système de surveillance radar sophistiqué sur 5 000 kms de long, elle pourra se protéger tant de la mer comme du ciel et coûtera environ 10 milliards de dollars.

Et puis Chypre, depuis que le général Young traça un jour au crayon vert sur la carte sa fameuse « ligne verte », un mur traverse l'île et sépare même en sections vieille ville de Nicosie. Patrouillée par des « casques bleus », cette ligne de 180 km est infranchissable et empêche toute relation normale entre Chypriotes turcs et Chypriotes grecs depuis près d'un demi-siècle. Mais là aussi, comme en Israël, on parle encore et avec enthousiasme de négociations.

Dans la catégorie des murs intérieurs traversant les villes, il y a celui de Bagdad, érigé par l'armée américaine pour diviser les communautés chiites et sunnites ; ou celui de la ville de Padoue, en Italie, bâti pour isoler un quartier d'immigrés africains. A Rio de Janeiro, certains sont prévus autour de quelque favelas. On pense bien sûr à ces milliers de familles divisées. ou simplement empêchées d'avoir des relations humaines normales avec leurs voisins, mais qu'en est-il des familles « ghettoïsées » volontairement par peur des voleurs, des terroristes, des jeunes, bref, des habitants de la planète ? C'est le cas de milliers de riches, retraités ou non, dans les « Gated Communities » aux Etats-Unis ou ailleurs, conçues pour préserver leur mode de vie face à celui des habitants des quartiers les plus problématiques qui les entourent. Il y en a plus d'une centaine autour de Los Angeles, sous surveillance 24 heures sur 24.

D'ailleurs, le marché des murs est en plein essor, convoité par les plus grands fabricants d'armes du monde. Les contrats se chiffrent en milliards et font appel aux techniques les plus raffinées. C'est, aux Etats Unis, les 740km de mur entre le Mexique et l'Arizona, fortifiés et complétés en 2022 par une « barrière virtuelle » de 45 km construite par Boeing. Avec ses capteurs thermiques, détecteurs de mouvement et radars de surveillance basés sur l'intelligence artificielle, il ne s'agit pas d'un mur physique.

Au total, cette barrière que Donald Trump vantait d'être « infranchissable » ne semble pas décourager l'afflux de milliers de migrants mais semble en revanche dramatiquement efficace contre la faune. Et les 4096 km de murs entrepris en 2007 par l'Inde pour la protéger du Bangladesh sont a peu près terminés. Plus récemment encore, la Finlande a commencé en 2023 la construction d'une barrière de 200 km pour la séparer de la Russie.

Ces murs seraient-ils le paradigme parfait de ce dont l'humanité ne veut même pas entendre débattre, à savoir de l'égalité ? Bien des philosophes s'y sont frottés. Depuis Platon se cassant les dents pour parvenir à glisser le concept d'égalité dans la jeune démocratie, ou Aristote défendant la « nature unique » de l'être humain, en dépit de Voltaire, Rousseau, Hobbes et tant d'autres, il est toujours aussi difficile de convaincre les peuples qu'il n'y a jamais eu sur terre qu'une seule race humaine et que les individus qui la composent sont égaux.

Mais tandis que l'on a peu prés accepté que, au contraire des animaux, l'humanité n'est pas divisée en races et qu'il n'y qu'une nature humaine, à l'intérieur d'une même communauté les inégalités demeurent. Inégalité de sexe, mais aussi d'argent, de soins, du risque, de la liberté de pensée et d'action. Protéger ceux qui « ont plus » contre ceux qui « ont moins ».

« Les hommes élèvent trop souvent des murs et ne construisent pas assez de ponts ». Antoine de St Exupéry.

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Les Etats-Unis de Donald Trump : quels possibles contours sur le plan international ?

10 décembre 2024, par Tom Stevenson — , ,
Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ne peut rivaliser avec le choc de son accession en 2016. Toutefois, il oblige à opérer un véritable changement de (…)

Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ne peut rivaliser avec le choc de son accession en 2016. Toutefois, il oblige à opérer un véritable changement de perspective historique. En 2020, la victoire de Joe Biden a été considérée par les adversaires nationaux et internationaux de Trump comme une libération d'une crise de démence. Or, en 2024, c'est le mandat unique de Biden qui ressemble à une interruption de l'ère Trump provoquée par le Covid. En matière de politique étrangère, Trump a toujours suscité la confusion.

Tiré de A l'Encontre
3 décembre 2024

Par Tom Stevenson

Fut-il, lors de son premier mandat, une menace pour l'ordre mondial dirigé par les Etats-Unis ou une sorte de révélateur du véritable visage de cet ordre mondial ? Et qu'aurait fait exactement Trump si ses toquades n'avaient pas été si souvent contrecarrées par la bureaucratie de la sécurité nationale [politique de la défense nationale et des relations extérieures] et par sa propre incompétence ?

Ecrire sur Trump, c'est souvent sombrer dans la psychopathologie, ce qui est très bien dans la mesure où cela va de soi. Trump à Mar-a-Lago serait peut-être plus facile à supporter s'il ressemblait davantage à Tibère à Capri [allusion à l'empereur romain lors de son séjour de perverti à Capri au début de notre ère]. Mais loin d'être un libertin débauché, Trump est un abstinent forcené qui ne s'intéresse à rien d'autre qu'au pouvoir et à la célébrité. Cette prédilection pour le pouvoir conduit à évoquer le fascisme et l'Europe des années 1930, ou un despotisme oriental transposé. Il a toujours été facile d'essayer de voir Trump comme faisant partie d'un ensemble international de dirigeants autocratiques (Modi, Erdogan, Orbán, Duterte), chacun d'entre eux étant, en fait, davantage défini par des conditions nationales spécifiques que par une quelconque tendance générale.

En réalité, Trump est une figure extrême de l'Americana [ce qui a trait à l'histoire, la géographie, le folklore et la culture des Etats-Unis]. Il fait appel à une forme typiquement états-unienne de nationalisme mercantile assorti d'une certaine dose d'escroquerie. Ses contemporains analogues les plus proches – et ils ne sont pas si proches – se trouvent au Brésil et en Argentine. Mais il a toujours eu plus en commun avec ses adversaires états-uniens qu'ils ne veulent bien l'admettre.

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Que signifiera un second mandat de Trump pour le monde au-delà des Etats-Unis ? Il est difficile de faire des prévisions étant donné la nature fantasque de Trump et les récentes transformations du système politique des Etats-Unis. Ni les Républicains ni les Démocrates ne sont vraiment des partis politiques au sens du XXe siècle : ils ressemblent davantage à des regroupements mouvants d'entrepreneurs performants. La monnaie de la cour de Mar-a-Lago – avec ses comparses, ses sbires, ses acolytes, ses clans et ses lumpen milliardaires –, c'est la loyauté. La future directrice de cabinet de Trump, Susie Wiles, qui a dirigé sa campagne électorale et qui est à la tête de la faction de la « mafia de Floride » [comme la qualifie aussi The Economist du 26 octobre 2024], aura son mot à dire sur les personnes qui obtiendront l'oreille de Trump. Mais la pensée de ce dernier est une concoction instable. Trump est un guerrier passionné du deal qui se laisse parfois aller à une rhétorique anti-guerre. Son discours anti-empire peut être aussi peu sincère que la « politique étrangère pour la classe moyenne » de Jake Sullivan [telle que présentée en février 2021], le conseiller installé par Biden en matière de sécurité nationale. Tous deux font un clin d'œil à des sentiments qu'ils ne peuvent pas assumer. Après tout, une position anti-guerre impliquerait moins de pouvoir, ou moins d'utilisation du pouvoir. Or, s'il est favorable à quelque chose, Trump l'est pour le maximum de pouvoir.

Comme Biden avant lui, Trump donne le ton à la cour plus qu'il ne gère les affaires pratiques du gouvernement. Dans ces conditions, les nominations au sein du cabinet prennent une importance accrue. Certaines de ses nominations sont assez conventionnelles. Son choix pour le poste de conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz, est un soldat de Floride qui n'aurait pas été dépaysé dans l'équipe de George W. Bush [2001-2009]. Mike Waltz a passé une grande partie de ces dernières années à s'insurger contre le retrait des forces américaines d'Afghanistan [décidé par Trump en février 2020 avec un délai de 14 mois et mis en œuvre par Biden], qui, selon lui, allait conduire à un « Al-Qaida 3.0 ». En ce qui concerne la Russie et la guerre en Ukraine, il s'est insurgé non pas contre le coût financier pour les Etats-Unis, mais contre la stratégie « trop peu, trop tard » de Biden.

Pour le poste de secrétaire d'Etat, Trump a nommé Marco Rubio [sénateur de Floride depuis 2011], un autre membre de la faction néoconservatrice orthodoxe qui a un jour coécrit un article avec John McCain [sénateur de 1987 à 2018 de l'Arizona, qui a succédé à Barry Goldwater] dans le Wall Street Journal, affirmant que le renversement de Kadhafi conduirait à « une Libye démocratique et pro-américaine ». Marco Rubio [d'une famille d'immigrés cubains] est obsédé par des projets visant à déstabiliser Cuba, le Venezuela et l'Iran. En 2022 encore, il critiquait les louanges « malheureuses » de Trump à l'égard des services de renseignement de Poutine. Un dossier interne de sélection des Républicains (très certainement obtenu et divulgué par des pirates iraniens) note que « Rubio semble s'être généralement présenté comme un néoconservateur et un interventionniste ».

Si Trump a nommé à des postes importants des membres de second rang de l'establishment, c'est en partie parce que beaucoup de professionnels les plus compétents avaient migré vers les démocrates. Kamala Harris a été soutenue par la plupart des membres de l'équipe de sécurité nationale de George W. Bush, notamment Michael Hayden [militaire, directeur de la CIA de 2006 à 2009, directeur de la National Security Agency-NSA de 1999 à 2005], James Clapper [directeur du renseignement national de 2010 à 2017], Robert Blackwill [diplomate, membre du think tank important Council of Foreign Relations] et Richard Haass [assistant de George H. Bush et président du Council of Foreign Relations de 2003 à 2023] – un véritable « who's who » de l'establishment de la politique étrangère.

Cela a conduit les républicains à faire un peu de ménage dans leurs rangs. Pour le poste de directeur de la CIA, Trump a choisi John Ratcliffe [élu de l'Illinois 2015-2020], son dernier directeur du renseignement national [de mai 2020 à janvier 2021] au cours de son premier mandat. Il a été sélectionné pour sa loyauté politique plutôt que pour toute autre qualité. Pete Hegseth offre la perspective d'un secrétaire à la Défense qui croit que les guerres d'Israël sont un accomplissement de la prophétie biblique et que les soldats états-uniens ne devraient pas être punis pour avoir commis des « soi-disant crimes de guerre ». Hegseth est un représentant du contingent de Fox News qui a la bouche écumante. Il nous rappelle également que nombre de ces personnes ont peu de chances de durer, si tant est qu'elles parviennent à être confirmées dans leurs fonctions [par le Sénat]. Le choix de Tulsi Gabbard [membre de la Chambre des représentants de 2013 à 2021] comme directrice du renseignement national irrite les commentateurs centristes et les politiciens européens en raison de ses opinions trop peu critiques à l'égard de la Russie de Poutine. Elle est également un prétexte pour que des démocrates prétendent que le retour de Trump est le résultat d'une ruse russe plutôt qu'un événement pour lequel l'establishment démocrate pourrait avoir une part de responsabilité. Dans l'ensemble, les nominations de Trump ne démontrent aucune désapprobation de l'establishment de la sécurité nationale. La logique des choix semble suivre une loyauté de tribu plus qu'autre chose.

***

Les républicains MAGA (Make America Great Again) aiment à se considérer comme différents des traditionnels fonctionnaires de Washington chargés de la sécurité nationale. Mais le sont-ils ? En juillet, Eliot Cohen, passionné de la guerre en Irak et cofondateur du Project for the New American Century [think tank néoconservateur créé entre autres par Dick Cheney, Robert Kagan, David Kristol, etc.], a décrit le programme politique de Trump comme étant « du réchauffé, et du réchauffé pas spécialement inquiétant d'ailleurs ». Selon Robert O'Brien, ancien conseiller de Trump en matière de sécurité nationale [de septembre 2019 à janvier 2021], il n'y a jamais eu de doctrine Trump, puisque ce dernier adhère « à ses propres instincts et aux principes états-uniens traditionnels qui sont plus profonds que les orthodoxies mondialistes de ces dernières décennies ». S'il y a eu un thème unificateur, Robert O'Brien insiste sur le fait qu'il a pris la forme d'une « réaction aux carences de l'internationalisme néolibéral ». Robert O'Brien, qui n'a pas reçu d'offre d'emploi dans la nouvelle administration, est à l'origine de la description de la philosophie de Trump comme étant « la paix par la force ». Il aime à dire que cette expression provient d'une citation un peu plus longue, qu'il attribue à tort à l'empereur Hadrien : « la paix par la force – ou, à défaut, la paix par la menace ». Cette phrase est en fait tirée d'un commentaire d'un historien moderne. Et comme beaucoup de choses chez Trump, « la paix par la force » est un héritage d'un ancien président des Etats-Unis : Ronald Reagan [janvier 1981-janvier 1989].

La politique étrangère de Trump présente des caractéristiques particulières, mais ce ne sont pas des aberrations. Les républicains MAGA sont prêts à peser de tout leur poids sur l'Amérique latine. Comme les démocrates, les alliés de Trump pensent que les Etats-Unis sont au cœur d'une deuxième guerre froide avec la Chine. La principale exception à la continuité entre Trump et Biden pourrait être l'Ukraine. Certaines personnalités proches de Trump, mais pas toutes, ont critiqué le soutien des Etats-Unis à l'Ukraine, principalement en raison de son coût élevé. La question de savoir si Trump mettra fin à ce soutien est probablement la plus importante sur le plan stratégique. Sous Joe Biden et Jake Sullivan, les Etats-Unis ont traité la guerre en Ukraine comme une possibilité d'affaiblir la Russie, et se sont peu souciés du fait que le prix pour cela soit payé en morts ukrainiens. Trump a affirmé qu'il mettrait fin à la guerre « avant même d'arriver dans le bureau ovale ». Mais la forme qu'il envisage pour cet objectif, si tant est qu'il l'ait imaginée, n'est pas claire. Il est probable qu'il aborde l'OTAN de la même manière qu'en 2018, avec de l'esbroufe et des menaces, mais sans conclusion. Les menaces risquent d'être un outil diplomatique très utilisé, quelle que soit leur efficacité.

***

En ce qui concerne le Moyen-Orient, un membre de l'équipe de transition a déclaré que Trump était « déterminé à rétablir une stratégie de pression maximale pour mettre l'Iran en faillite dès que possible », même s'il convient de préciser que Biden n'a jamais tenté d'améliorer les relations avec l'Iran. Trump, comme Biden, est partisan d'Israël en tant qu'atout ou même expression de la puissance des Etats-Unis dans le monde. Les atrocités de la terre brûlée à Gaza sont le meilleur témoignage des conséquences horribles du consensus politique américain sur Israël. Pour une grande partie du monde, la destruction de Gaza sera le souvenir le plus marquant de la présidence de Joe Biden. Mais sous Trump, cela n'aurait pas été différent. Le problème, lorsqu'on présente Trump comme le signe avant-coureur de la fin d'un ordre international « éclairé », c'est qu'il pousse à s'interroger sur ce qu'est réellement cet ordre. Au Liban, on dénombre 3500 morts [1], qui s'ajoutent aux dizaines de milliers de morts à Gaza. Les Etats-Unis ont soutenu Israël, qui avait sommé les forces de maintien de la paix de l'ONU (FINUL) de quitter le Liban et avait même attaqué leurs bases. Après l'élection présidentielle, le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer [Likoud, ex-ambassadeur aux Etats-Unis de 2013 à 2021], a rendu visite à Antony Blinken, secrétaire d'Etat de Biden, à Washington, et à Trump à Mar-a-Lago afin de discuter des opérations israéliennes au Liban. Le 15 novembre, le président du parlement libanais, Nabih Berry, a confirmé que des responsables à Beyrouth étudiaient un dit plan de cessez-le-feu proposé par les Etats-Unis. Le même jour, une frappe aérienne israélienne sur Tayouné, dans la banlieue sud de Beyrouth, a détruit un immeuble résidentiel de 11 étages. Au Liban, comme à Gaza, les Etats-Unis se sont posés en médiateurs distants tout en soutenant en pratique une agression brutale.

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Les héritiers néoconservateurs de Reagan, qui dirigent de nombreuses d'institutions, critiquent parfois la politique étrangère de Trump, non pas parce qu'il s'agit d'un désengagement du monde, mais parce qu'il s'agit d'un abandon de l'idéologie justificatrice de la puissance états-unienne. Lorsque vous renoncez à la profession trompeuse du respect des normes, des règles et de l'ordre international, vous renoncez également au jeu lui-même. La question de savoir si les Etats-Unis se sont jamais réellement soumis à des règles, quelles qu'elles soient, est abordée au mieux comme une question académique. La réalité à Gaza et au Liban est plus facilement ignorée que défendue. A cet égard, Trump est attaqué pour avoir rétabli la norme historique des Etats-Unis. Comme le dit Hal Brands – Henry Kissinger Distinguished Professor of Global Affairs à l'université Johns Hopkins [et intervenant à l'American Enterprise Institute] : sous Trump les Etats-Unis agissent « de la même manière étroitement intéressée et fréquemment exploiteuse que de nombreuses grandes puissances tout au long de l'histoire ». Trump n'est pas un isolationniste, pour autant que ce terme ait un sens utile, et ne propose pas de se retirer comme puissance mondiale. Au contraire, écrit Hal Brands, sur certaines questions, son administration « pourrait être plus agressive qu'auparavant ».

***

Plus que tout autre homme politique états-unien, Trump a été associé au recentrage de l'attention impériale états-unienne en direction de la Chine. Mais dire que sa deuxième administration sera pleine de faucons visant la Chine ne rend pas compte de l'ampleur de la transformation qui s'est opérée à Washington depuis 2016. En ce qui concerne la Chine, l'administration Biden a repris tous les éléments du discours de Trump et en a ajouté quelques-uns. En juin 2024, le Council on Foreign Relations a organisé sa China Strategy Initiative pour discuter de l'avenir des relations entre les Etats-Unis et la Chine. La plupart des responsables de la politique étrangère qui s'intéressent à la Chine étaient présents. Dans son allocution d'ouverture, Kurt Campbell, haut responsable de la politique en direction de la Chine dans les administrations Obama et Biden, a souligné que « les caractéristiques essentielles de la stratégie états-unienne dans l'Indo-Pacifique font l'objet d'un accord largement bipartisan ». La preuve de l'efficacité de cette stratégie, a-t-il ajouté, est que la Chine et la Russie « considèrent nos partenariats transcontinentaux avec une inquiétude croissante ». Il est probable que Trump aborde la Chine de la même manière que Jake Sullivan, mais plus encore, de la mauvaise manière, mais plus rapidement.

S'il y a une question de politique étrangère sur laquelle Trump a été cohérent, c'est bien celle des droits de douane face aux exportations de la Chine et du protectionnisme en général. Cela fait très longtemps qu'il fait des déclarations, mal fondées, sur le déficit commercial des Etats-Unis. Son projet prévoit des droits de douane de 60% sur les importations chinoises et de 10 à 20% sur toutes les autres [y compris 25% pour le Mexique et le Canada, membres de l'Alena, au lieu de zéro sur la plupart des importations]. Les Etats-Unis sont une économie à dimension continentale et sont beaucoup moins orientés vers le commerce international que des pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne ou la Chine. Ils peuvent envisager des mesures drastiques que d'autres ne peuvent pas prendre. Mais les droits de douane imposés à un seul Etat sont souvent difficiles à appliquer, car les chaînes d'approvisionnement transnationales peuvent être modifiées pour les contourner. Des économistes compétents et agressifs tels que Robert Blackwill, qui a servi sous George W. Bush et rédigé une étude importante sur la « géoéconomie », ont pour la plupart soutenu Kamala Harris et ne sont pas actuellement disponibles pour aider Trump. Peut-être que certains reviendront du froid lorsque les courtisans loyalistes auront inévitablement tout gâché. Robert Lighthizer, le représentant américain au commerce pendant le premier mandat de Trump, pourrait bien reprendre son rôle [le Financial Times annonçait le 8 novembre qu'il avait été approché par Trump].

Le projet de tarifs douaniers à hauteur de 60% est la dernière manifestation d'une stratégie états-unienne plus générale à l'égard de la Chine que les démocrates ont qualifiée de puissance concurrente du XXIe siècle. En Chine, on considère qu'il s'agit d'un endiguement (containment). Les idéologues de l'orbite de Trump sont généralement plus combatifs sur cette question que ceux qui sont plus proches des démocrates. Pourtant, dans l'esprit du consensus bipartisan de Kurt Campbell [en charge pour l'Asie de l'Est et le Pacifique sous Obama de juin 2009 à février 2013, une fonction prolongée sous Biden], ils ne sont pas fondamentalement en désaccord. Trump n'a pas encore choisi son équipe chinoise, mais son intention d'étendre la guerre froide économique est dangereuse. Robert O'Brien estime qu'un second mandat de Trump entraînera davantage de mesures de containment, y compris « une attention présidentielle accrue aux dissidents et aux forces politiques susceptibles de défier les adversaires des Etats-Unis ». Cela n'augurerait rien de bon pour l'avenir des relations sino-américaines, qui sont déjà médiocres. Au cours des années Biden, selon le rapport annuel du renseignement national sur l'évaluation des menaces, la Chine a commencé à réorienter son dispositif nucléaire vers une compétition stratégique avec les Etats-Unis, en partie parce qu'elle s'inquiétait de l'augmentation de la « probabilité d'une première frappe états-unienne ». La Chine ne possède pas encore de forces nucléaires capables d'égaler celles des Etats-Unis, mais cette situation pourrait ne pas durer. La gestion de ce problème est rendue encore plus délicate par le caractère instable de Trump.

***

En Europe, le retour de Trump a été accueilli avec le même sentiment de panique perplexe que sa victoire en 2016. Le 6 novembre, Le Monde titrait « La fin d'un monde américain ». La Frankfurter Allgemeine Zeitung a titré « Trumps Rache », soit « La revanche de Trump ». Les rumeurs d'un plan pour la guerre en Ukraine qui impliquerait de geler la ligne de front en échange de l'abandon par l'Ukraine de son adhésion à l'OTAN pour au moins vingt ans – édulcoré par une garantie compensatoire que les armes états-uniennes continueraient d'affluer – ne sont pas bien accueillies. Pourtant, personne ne croit que Trump démantèlera réellement la position militaire états-unienne en Europe. Elle a récemment été renforcée par une nouvelle base de défense antimissile en Pologne dont le personnel est composé de membres de la Marine des Etats-Unis. Il ne fait aucun doute que la Commission européenne s'efforce de trouver des moyens de protéger les économies européennes des répercussions des droits de douane voulus par Trump. Mais la réaction pavlovienne a été de profiter de l'occasion pour plaider en faveur d'une augmentation des dépenses militaires, ce qui ne contribue guère à l'investissement productif dont l'Union européenne a besoin.

***

Un second mandat de Trump est clairement une catastrophe pour le peu d'efforts internationaux existants afin de coordonner la lutte contre le changement climatique. Sous Biden, les Etats-Unis ont pris la diplomatie climatique presque au sérieux. Dans la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act, août 2022), les Etats-Unis ont adopté une législation sur le climat qui allait au-delà de celle de tous les gouvernements précédents. Il est facile d'exagérer ces réalisations, qui sont tellement insuffisantes qu'elles relèvent de la négligence. Mais la position de Trump – « drill, baby, drill » – est certainement différente. Il y a fort à parier qu'il publiera une série de décrets démantelant les mesures limitées de transition énergétique actuellement en place aux Etats-Unis. En mai 2024, Wood Mackenzie, l'une des principales sociétés de recherche et de conseil du secteur de l'énergie, a publié un document indiquant que sa réélection « éloignerait encore davantage les Etats-Unis d'une trajectoire d'émissions nettes zéro ». L'équipe états-unienne à la COP29 (le deuxième sommet climatique successif organisé dans un grand Etat d'hydrocarbures – l'Azerbaïdjan) est apparue découragée.

***

En Grande-Bretagne, on pourrait s'attendre à ce que le retour imminent de Trump provoque une remise en question de la portée des liens entre le pays et les Etats-Unis. Les tarifs douaniers sont évidemment préjudiciables aux intérêts commerciaux britanniques. Le 11 novembre, le président de la Commission des affaires et du commerce de la Chambre des communes, Liam Byrne (Labour), les a qualifiés de « scénario catastrophe ». La solution proposée par Liam Byrne était que la Grande-Bretagne négocie avec Trump une exemption des droits de douane en proposant de se rapprocher encore plus de la position états-unienne sur la Chine. Une réaction plus intéressante est venue de Martin Wolf dans le Financial Times. Il est d'accord avec Byrne pour dire que le gouvernement britannique devrait essayer de « persuader la nouvelle administration qu'en tant qu'allié proche et pays avec un déficit commercial structurel il devrait en être exempté ». L'offre proposée par Martin Wolf à Trump est une nouvelle augmentation des dépenses militaires. Cela pourrait ne pas fonctionner, mais « Trump apprécierait sûrement cette attitude soumise ».

Martin Wolf reconnaît que le retour de Trump implique des problèmes plus graves pour la Grande-Bretagne. Depuis la Seconde Guerre mondiale, affirme-t-il, le Royaume-Uni a cru que « les Etats-Unis resteraient le grand défenseur de la démocratie libérale et du multilatéralisme coopératif. Aujourd'hui, tout cela est plus qu'incertain. » Où était ce pilier de la démocratie au cours de la folie meurtrière internationale ininterrompue qui constitue le bilan des Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale ? Si les millions de morts au Vietnam, en Corée et en Irak n'ont pas remis en question l'alignement stratégique de la Grande-Bretagne sur les Etats-Unis, pourquoi la seconde élection de Donald Trump le ferait-elle ? Gaza est-elle la preuve du multilatéralisme coopératif que Martin Wolf a à l'esprit ? En fin de compte, cela n'a pas d'importance, car pour lui, « il n'y a pas de substitut à cette alliance de sécurité avec les Etats-Unis ». Aujourd'hui encore, même après Gaza, la réalité d'un monde façonné par la puissance états-unienne, souvent démocrate, se heurte à un tel déni. Le gouvernement britannique a refusé de mettre fin à l'utilisation des bases britanniques à Chypre pour soutenir les attaques israéliennes contre Gaza, ou de mettre fin à la vente de pièces détachées de F-35 à Israël. Selon le secrétaire à la Défense, John Healey, cela « saperait la confiance des Etats-Unis dans le Royaume-Uni ».

***

Le style potentat de Trump modifiera l'ambiance des sommets du G7 et du G20, où la façade de coopération respectueuse a survécu à la destruction de l'enclave de Gaza. La réaction à sa victoire rappelle la raison pour laquelle les diables et les démons étaient nommés d'après des divinités étrangères dans l'Antiquité : votre diable est le dieu de votre voisin. Trump est un démon commode. Mais sa victoire n'amènera pas beaucoup de pays à reconsidérer leurs relations avec les Etats-Unis. Les différences tactiques mises à part, les centres traditionnels des préoccupations états-uniennes resteront l'Europe de l'Est, l'Asie de l'Est et le Moyen-Orient. Le thème sous-jacent de la politique étrangère des Etats-Unis reste le consensus des dites élites. Dans son utilisation des mécanismes de l'empire états-unien et de l'idéologie de sa primauté perpétuelle, Trump partage beaucoup avec ses prédécesseurs. Puissance maximale, pression maximale – sans illusions rassurantes. (Article publié dans la London Review of Books, vol. 46, n° 23, décembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Par Tom Stevenson est membre de la rédaction de la London Review of Books et auteur de Someone Else's Empire : British Illusions and American Hegemony, Verso Books, 2023.


[1] Un cessez-le-feu instable – déjà marqué par des bombardements israéliens – d'une durée de 60 jours est en cours depuis le 28 novembre. Déjà, selon L'Orient-Le Jour du 29 novembre, « des bombardements israéliens avaient ciblé les localités de Markaba, Taloussé et de Bani Hayan, dans le caza (district) de Marjeyoun, tandis que des bulldozers de l'armée israélienne ont pénétré dans d'autres villages frontaliers, également ciblés par des tirs d'artillerie israéliens ». Le 3 décembre, L'Orient-Le Jour titre : « Israël menace de ne plus “faire de différence entre le Hezbollah et l'Etat libanais” si la guerre reprend », ce qui traduit le projet politico-militaire israélien pour ce qui est de la « reconfiguration » du Liban. (Réd. A l'Encontre)

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Réponse aux camarades de l’Insurgé – Sur la situation US

10 décembre 2024, par Katya Gritseva — , ,
Les camarades de l'Insurgé ont publié, datée du 17 novembre dernier, leur analyse des élections américaines. Il nous arrive de reprendre certains de leurs articles car nous (…)

Les camarades de l'Insurgé ont publié, datée du 17 novembre dernier, leur analyse des élections américaines. Il nous arrive de reprendre certains de leurs articles car nous avons de larges zones d'accord sur des questions internationalistes décisives telles que la Syrie ou l'Ukraine. Si nous avons publié leur article sur les États-Unis, c'est au contraire comme exemplaire des désaccords de méthode que nous pouvons avoir non seulement avec eux, mais avec ce qu'il est convenu d'appeler « l'extrême-gauche » d'une façon générale. C'est précisément parce que ces camarades s'en distinguent par ailleurs sur des points décisifs qu'il est, pour ainsi dire, exemplaire de relever ce que cette analyse a de « bateau », de traditionnel et, si l'on veut, d' « orthodoxe », au mauvais sens du terme.

2 décembre 2024 | tiré d'Arguements pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2024/12/02/reponse-aux-camarades-de-linsurge-sur-la-situation-us/

Dans son préambule, l'Insurgé estime que la présentation médiatique des deux principaux candidats était biaisée : Trump passait pour « fasciste », avec les guillemets, et ce biais semblait être entretenu par Trump lui-même puisque « certes, tous les discours de Trump confortaient cette image » ; et Harris passait pour « intelligente » et attachée à la liberté d'avortement, ce qui, si l'on comprend bien, était tout aussi « biaisé » que de faire passer Trump pour « fasciste » malgré l'impression que lui-même donnait.

Présentant les résultats comme un « retour au réel », nos camarades semblent entendre par ce « réel » que Trump n'est pas si fasciste et que Harris était une candidate capitaliste réactionnaire. C'est ce second point -la nature de Harris – qui semble les préoccuper le plus et qu'ils développent le plus dans le restant de leur déclaration, dont la méthode consiste à montrer, sur la base des programmes de l'une et de l'autre, que là où va Trump Harris allait aussi, même si c'était un peu moins vite.

La démonstration est implacable : les Démocrates ont perdu à cause de ce que tous nous savions déjà depuis plus d'un siècle, à savoir qu'ils sont un parti bourgeois. Faisant ainsi gagner un autre parti bourgeois « fasciste » (avec ou sans guillemets ?), c'est ballot n'est-ce pas, mais ceci n'est guère abordé par nos camarades …

Il n'est pas nécessaire de rentrer dans le détail de la démonstration, portant de fait exclusivement sur Harris : tout ce qui est expliqué là est connu, archiconnu, compris et reconnu. Personne parmi les militants révolutionnaires qui ont préconisé de barrer la route à l'élection de Trump ne l'a nié, tous le savaient et l'ont dénoncé, sans éprouver le moindre besoin de peindre Harris ne serait-ce qu'en rose.

Faut-il en déduire, comme le font manifestement nos camarades, que Harris était tellement réactionnaire que le vote Trump de femmes qui souhaitaient en même temps le droit à l'avortement, et le vote Trump de noirs et de latinos, au fond, n'a pas été un vote si différent que s'ils avaient voté Harris, même si « la xénophobie et le racisme » ont sous-tendu la campagne de Trump beaucoup plus, somme toute, tout de même, que celle de Harris ?

Et même envers les syndicats, certains républicains sont tout autant « pro-Labor », on vous le dit, avec sans doute ni plus ni moins la même hypocrisie, que bien des démocrates ! Bref : dans la nuit du capital, tous les chats sont gris, il n'y pas grande différence. Business as usual !

A propos des syndicats, le soutien traditionnel des principaux appareils syndicaux à Harris n'a donc rien changé à la nature profonde de Harris et le faible poids des syndicats ne pouvait d'ailleurs infléchir les résultats.

Nulle mention des puissantes grèves menées depuis deux ans, notamment par la nouvelle direction de l'UAW, qui a appelé à voter Harris en prenant son temps, en mettant en avant le danger de Trump traité de scab.

Une mention, par contre, des Teamsters, dont la direction a refusé de choisir. Cela serait-il un pas vers l'indépendance envers les Démocrates, vers le fameux « parti ouvrier basé sur les syndicats » judicieusement conseillé par Léon Trotsky à ses camarades américains déjà en 1936 ? Les Teamsters auraient-ils été plus « avancés » que les autres par cette position « n'apportant de soutien à personne » ?

En fait, leurs dirigeants ont un peu plus soutenu, à leur façon … Trump, en participant à la convention républicaine de Milwaukee qui l'a investi ! Bonjour le pas en avant vers l'indépendance de classe !

Ces précisions, qui devraient être indispensables, manquent dans l'analyse de l'Insurgé, comme y manquent toute appréhension des processus concrets dans la lutte des classes aux États-Unis depuis deux ans, et de leur réfraction dans les organisations.

D'ailleurs, ajoutent-ils, le protectionnisme agressif affiché par Trump était plus fait pour séduire l'électorat ouvrier que le protectionnisme mollasson affiché par Harris …

Ils ne l'écrivent pas et peut-être ne l'explicitent pas complètement pour eux-mêmes, mais au fond, leur « analyse » conduit invariablement à une seule et même conclusion : il ne s'est rien passé aux États-Unis le 5 novembre 2024, c'est bonnet blanc et blanc bonnet !

La vertueuse conclusion de nos camarades est bien entendu, sur le papier, autre : tout cela a toujours été ainsi et sera toujours ainsi tant qu'il n'y aura pas un parti ouvrier aux États-Unis. Ni Harris, ni Trump (comme diraient les chefs des Teamsters !) il faut une alternative de classe ! Ah, mais !

Bon, mais comment avancer vers cela dans les conditions réelles du moment présent ? Dans ces conditions réelles, il y a non seulement tout ce qu'expliquent nos camarades, ainsi que tout ce qu'ils passent sous silence sur les grèves récentes et la position exacte des dirigeants des Teamsters, mais il y a surtout tout ce dont, dans le programme et les actes de Trump et des trumpistes, ils n'écrivent pas un mot alors que ces gens-là seront au pouvoir le 20 janvier prochain – pas un mot, sauf pour nous dire qu'il ne faut pas s'affoler, les républicains sérieux veillent au Sénat !

Si, pardon, il y a un mot sur le projet de « déporter » 20 millions de personnes et la remise en cause de l'IVG. Mais, somme toute, il semble que ceci fasse partie du business as usual. Trump avait une image « fasciste » : une image, et des guillemets …

Pas un mot sur Project 2025, le plan central de destruction de la place des organisations syndicales, et qui commence par l'interdiction des syndicats dans la Fonction publique fédérale, pas un mot sur qui Trump est en train de nommer, pas un mot sur l'offensive visant la constitution américaine, certes une constitution bourgeoise, une des plus exemplaires même, mais qui est menacée dans ses fondements et pas en bien …

Comment avancer vers l'indépendance de classe ? Mais en combattant réellement cela ! Pas en distillant de tels commentaires blasés et désabusés dont on ne peut que déduire que, par on ne sait quel miracle, tant qu'un « parti ouvrier » n'aura pas émergé, il n'y a qu'à commenter judicieusement en quoi les capitalistes d'antan attachés à la constitution américaine ne valent fondamentalement pas mieux, en dernière analyse, que la meute de barbares qui arrivent avec Trump et Musk coordonnés avec Poutine.

Parce qu'il ne faudrait pas que la discussion académique sur la justification de mettre ou pas des guillemets à « fasciste » pour Trump et pour savoir si c'est juste une image biaisée et que Harris, quand même, etc., ne puisse avoir lieu qu'entre vaincus aigris ressassant ce qu'ils ont toujours su et écrit, que « je te l'avais bien dit, mon gars, il aurait fallu un parti ouvrier, ouais ! », dans un petit camp de concentration …

N'est-ce pas ?

Le 02/12/2024.

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En mission au Chili

10 décembre 2024, par Par Luc Allaire
Pour la vérité, la justice et la réparation pour les victimes des violations des droits humains au Chili

Pour la vérité, la justice et la réparation pour les victimes des violations des droits humains au Chili

Assemblée des Jeunes Paysan·nes d’Asie du Sud-Est et de l’Est pour la Justice Agraire Dili, Timor-Leste – 22-24 octobre 2024

9 décembre 2024, par Vía Campesina — ,
L'Assemblée Régionale des jeunes pour la région de l'Asie du Sud-Est et de l'Est, organisée par La Via Campesina, s'est tenue à Dili, au Timor-Leste, rassemblant de jeunes (…)

L'Assemblée Régionale des jeunes pour la région de l'Asie du Sud-Est et de l'Est, organisée par La Via Campesina, s'est tenue à Dili, au Timor-Leste, rassemblant de jeunes paysan·nes pour aborder des luttes communes et renforcer la solidarité dans toute la région.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Des représentant·es de la jeunesse du Timor-Leste, des Philippines, de Thaïlande, de Corée du Sud, d'Indonésie, du Japon, du Cambodge, de Malaisie et d'Australie ont participé à cette assemblée de trois jours, tenue du 22 au 24 octobre, pour promouvoir la coopération régionale, partager des connaissances et militer pour la justice agraire et des systèmes alimentaires durables.

L'assemblée, accueillie par MOKATIL en collaboration avec le Secrétariat Régional Asiatique de La Via Campesina, visait à construire une approche unifiée pour faire face aux défis des communautés rurales d'Asie du Sud-Est et de l'Est. Ces rassemblements sont essentiels pour former des stratégies collectives, donner du pouvoir aux jeunes paysan·nes et renforcer les mouvements de base pour faire face aux problèmes critiques qui touchent les communautés agricoles, qu'il s'agisse des droits fonciers ou de la souveraineté alimentaire.

Le Secrétaire d'État aux Coopératives du Timor-Leste a ouvert l'événement en accueillant les délégué·es et en réaffirmant l'engagement du gouvernement à promouvoir les coopératives agricoles. Il a souligné l'importance des jeunes pour défendre les droits paysans et assurer la durabilité de l'agriculture pour les générations futures.

Les représentant·es de MOKATIL ont partagé leurs perspectives sur les luttes des familles paysannes du Timor-Leste, dues à l'expansion capitaliste et à des projets écologiquement destructeurs. Ils ont mis en avant le besoin urgent de l'engagement des jeunes pour protéger les droits agraires et maintenir des pratiques agricoles durables face à ces défis.

Pendant l'assemblée, les jeunes représentant·es de chaque organisation participante ont présenté les problématiques qui touchent les agriculteur·rices dans leurs pays :

– Philippines (Paragos) : Les paysan·nes philippin·es font face à de graves difficultés, car les entreprises, souvent soutenues par le gouvernement, accaparent les terres, poussant beaucoup dans la pauvreté et forçant les jeunes à abandonner l'école. Les membres de Paragos se sont engagé·es à résister à ces injustices, et les délégué·es de l'assemblée ont proposé de créer une vidéo de solidarité pour sensibiliser aux luttes des paysan·nes philippin·es.

– Timor-Leste (MOKATIL) : MOKATIL a présenté ses initiatives visant à soutenir la jeunesse timoraise dans la construction de systèmes agricoles durables, essentiels pour la reprise économique post-COVID. Malgré des obstacles comme des politiques défavorables, les impacts climatiques et un manque de compétences en adaptation, les jeunes de MOKATIL restent déterminé·es à promouvoir une réforme agraire.

– Corée du Sud (KWPA) : L'Association des Femmes Paysannes de Corée a exprimé ses préoccupations au sujet des importations de riz non taxées, qui compromettent les prix locaux et rendent la concurrence difficile pour les agriculteur·rices coréen·nes. La KWPA plaide aussi pour la préservation des semences traditionnelles, la promotion de l'agroécologie et l'amélioration de l'égalité des genres en milieu rural, en impliquant particulièrement la jeunesse dans ces efforts.

– Australie (AFSA) : L'Alliance pour la Souveraineté Alimentaire d'Australie a rapporté que plus de 70% des terres agricoles australiennes sont utilisées pour l'exportation, souvent avec une main-d'œuvre immigrée sous-payée. L'AFSA soutient des initiatives permettant aux jeunes australien·nes d'accéder aux terres agricoles, visant à promouvoir un secteur agricole agroécologique et localement dirigé.

– Thaïlande (AOP)
: L'Assemblée des Pauvres a souligné le déplacement des paysan·nes thaïlandais·es dû aux projets gouvernementaux comme la construction de barrages et la récupération des forêts, qui, bien que destinés à la conservation, nuisent souvent aux communautés agricoles locales.

– Cambodge (FNN) : Le Réseau des Agriculteur·rices et de la Nature a mobilisé les jeunes cambodgien·nes dans des coopératives agricoles, axées sur l'agroécologie et les pratiques d'agriculture biologique. Le FNN propose des formations en gestion d'entreprise pour les jeunes et les implique dans la défense de leurs droits au niveau communautaire et ministériel.

– Indonésie (SPI) : Le Syndicat des Paysan·nes Indonésien·nes a discuté de ses efforts pour promouvoir la réforme agraire, tout en notant que les jeunes sont contraint·s de s'éloigner de l'agriculture en raison de politiques défavorables, du contrôle des terres par les multinationales et de la monopolisation. Le SPI pousse pour un modèle de distribution des terres plus équitable au profit des communautés rurales.

Le troisième jour, les participant·es ont visité la municipalité d'Aileu, où ils·elles ont discuté avec des membres de MOKATIL de la gestion des adhésions et des processus de production. Au cours de la visite, les jeunes ont également réalisé une vidéo de solidarité pour leurs pairs aux Philippines et à Sumatra, en Indonésie, qui ont perdu leurs terres en raison des saisies par les entreprises. Le groupe a conclu la journée par une visite du secrétariat de MOKATIL et de l'Entrepôt National pour voir de près le travail de l'organisation.

Cette publication est également disponible en English.

https://viacampesina.org/fr/assemblee-des-jeunes-paysan·nes-dasie-du-sud-est-et-de-lest-pour-la-justice-agraire/

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Corée du Sud : l’Assemblée nationale s’oppose au coup de force du président

9 décembre 2024, par La rédaction de Mediapart — , ,
Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol a proclamé mardi la loi martiale, invoquant la menace des « forces communistes nord-coréennes » et dénonçant l'obstruction de l'opposition (…)

Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol a proclamé mardi la loi martiale, invoquant la menace des « forces communistes nord-coréennes » et dénonçant l'obstruction de l'opposition au parlement. Mais, comme le permet la constitution, l'Assemblée nationale a voté une résolution réclamant sa levée.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
3 décembre 2024

Par La rédaction de Mediapart

Pour la première fois depuis 1979, la Corée du Sud est confrontée à l'autoritarisme de son dirigeant. Alors que l'opposition bataillait sur le projet de budget à l'Assemblée nationale, le président Yoon Suk-yeol a décidé de recourir à l'armée pour la museler, en proclamant la loi martiale, tout en s'abritant derrière la menace du frère ennemi nord-coréen.

Mais, quelques heures plus tard, l'Assemblée nationale, où l'opposition est majoritaire, a adopté une résolution réclamant sa levée. Selon la Constitution, dans ce cas, le chef de l'État doit se conformer à cette décision. Le président de l'Assemblée, Woo Won-sik, a ainsi estimé que « le président devrait immédiatement lever la loi martiale ». « La déclaration de la loi martiale n'est plus valide », a-t-il ajouté, cité par les médias sud-coréens.

Dans un discours télévisé surprise mardi soir, Yoon Suk-yeol, 63 ans, a affirmé que cette mesure était motivée par les « forces communistes nord-coréennes ». « Sans se soucier des moyens de subsistance du peuple, le parti d'opposition a paralysé le gouvernement, à des fins de destitutions, d'enquêtes spéciales et pour protéger son leader de poursuites judiciaires », a t-il ensuite lancé.

Cette intervention surprise intervient alors que le Parti du pouvoir au peuple de Yoon continue de batailler avec le principal parti d'opposition, le Parti démocrate, sur le projet de budget de l'année prochaine. Les députés de l'opposition ont approuvé la semaine dernière, à travers une commission, un programme budgétaire considérablement réduit.

« Notre Assemblée nationale est devenue un refuge de criminels, un repaire de dictature législative qui cherche à paralyser les systèmes administratif et judiciaire et à renverser notre ordre démocratique libéral », a déclaré M. Yoon. Il a accusé les élus de l'opposition de couper « tous les budgets essentiels aux fonctions premières de la nation qui sont la lutte contre les crimes liés à la drogue et le maintien de la sécurité publique […], transformant le pays en un paradis de la drogue et en un lieu de chaos pour la sécurité publique ».

Les activités politiques interdites

M. Yoon a poursuivi en qualifiant l'opposition, qui détient une majorité au Parlement, de « forces hostiles à l'État ayant l'intention de renverser le régime ». Il a assuré que sa décision était « inévitable ». « Je rétablirai la normalité dans le pays en me débarrassant de ces forces hostile à l'État dès que possible », a ajouté le président sud-coréen.

Ce dernier est cependant contesté même par son propre parti. Sur son compte Facebook, le chef de la formation du président, le Parti du pouvoir du peuple, Han Dong-hoon, a jugé que « la déclaration de loi martiale du président est une erreur » et qu'il « œuvrerait avec les citoyens pour l'arrêter ».

Lee Jae-myung, chef du Parti démocrate et qui avait perdu la présidentielle de 2022 face à Yoon, a lancé un appel au peuple pour qu'il vienne à l'Assemblée nationale et marque ainsi son opposition à une mesure qu'il a qualifiée d'« illégale ». Élu en 2022, le président Yoon Suk-yeol a été affaibli par des accusations de trafic d'influence l'impliquant lui et son épouse. Il a été accusé par l'opposition d'avoir étouffé les enquêtes.

Après le vote de l'Assemblée nationale sur la levée de la loi martiale, Han Dong-hoon et Lee Jae-myung se sont serré la main pour montrer leur unité face au risque de la dictature.

Selon des images des télévisions sud-coréennes, des policiers et des militaires ont été déployés devant l'Assemblée nationale, repoussant des manifestant·es qui voulaient y entrer. Le général Park An-soo, qui a été nommé commandant de la loi martiale, a interdit « toutes les activités politiques », y compris les rassemblements de citoyen·nes.

Les médias sont également placés sous la coupe des militaires, a déclaré le général dans un décret qui est entré en vigueur mardi soir. Les activités syndicales sont également proscrites. Les personnes qui enfreignent le décret peuvent être arrêtées sans mandat d'un tribunal.

C'est la première fois en quarante-cinq ans qu'un dirigeant sud-coréen déclare la loi martiale. Il faut remonter à octobre 1979, après un soulèvement prodémocratique qui avait été réprimé par l'armée, qui a dirigé le pays jusqu'en 1993. Au total, pendant la dictature militaire, la loi martiale a été adoptée à 12 reprises de 1948 à 1979.

Les États-Unis, grand allié de la Corée du Sud et soutien militaire avec plus de 28 000 soldats basés dans le pays, a indiqué « suivre la situation de près ». Au lendemain de la nouvelle victoire à la présidentielle de Donald Trump le 5 novembre, le président sud-coréen avait félicité le républicain, disant espérer travailler plus étroitement avec Washington à l'avenir. En rupture avec son prédécesseur Moon Jae-in, Yoon Suk Yeol a adopté une ligne plus dure avec la Corée du Nord, dotée de l'arme nucléaire.

La rédaction de Mediapart

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Longtemps, je me suis entraîné de bonne heure : Entrevue avec Anthony Lacroix

9 décembre 2024, par Marc Simard
Un étudiant se fixe trois objectifs : rédiger son mémoire de maîtrise et suivre un programme d’entraînement tout en écoutant À la recherche du temps perdu. Voilà la convention (…)

Un étudiant se fixe trois objectifs : rédiger son mémoire de maîtrise et suivre un programme d’entraînement tout en écoutant À la recherche du temps perdu. Voilà la convention que nous propose Anthony Lacroix dès l’ouverture de son quatrième recueil, Proust au gym, publié en avril dernier aux (…)

Les syndicats et les livraisons d’armes à l’Ukraine

9 décembre 2024, par Rédaction-coordination JdA-PA
Martin Gallié, UQAM, Réseau européen en solidarité avec l’Ukraine Le Réseau européen en solidarité avec l’Ukraine vient de rendre public une analyse du soutien des mouvements (…)

Martin Gallié, UQAM, Réseau européen en solidarité avec l’Ukraine Le Réseau européen en solidarité avec l’Ukraine vient de rendre public une analyse du soutien des mouvements syndicaux international et national au peuple ukrainien. Le rapport de recherche fut réalisé par Martin Gallié du (…)

Éclater la famille

Le numéro 102 s'en vient ! Abonné·es : il devrait vous être livré début janvier, tout dépendant de la grève chez Postes Canada ✊ La famille peut avoir l'air d'un sujet (…)

Le numéro 102 s'en vient ! Abonné·es : il devrait vous être livré début janvier, tout dépendant de la grève chez Postes Canada ✊

La famille peut avoir l'air d'un sujet banal, d'un concept qui va de soi, car, après tout, tout le monde ou presque a une famille. Or, c'est précisément cette omniprésence de la famille, à la fois dans nos vies individuelles et dans la société, qui fait d'elle un sujet qu'il est nécessaire de creuser.

Ce dossier est porté par la conviction que la famille est une institution, un concept et un ensemble de pratiques qui méritent notre plus grande attention. Non seulement elle est au coeur du quotidien, mais elle peut aussi être instrumentalisée à des fins politiques et devenir un vecteur de contrôle social. La manière dont les gouvernements la définissent et la façonnent en dit également long sur les limites et les marges de notre société.

Le dossier vise donc à éclater le concept même de famille, au-delà des critiques convenues. Il s'ouvre sur un article de Denyse Baillargeon, qui nous offre un portrait historique des différentes formes qu'a prises la famille dans l'histoire récente du Québec. Puis, Diane Labelle nous offre un texte très personnel sur les conceptions et pratiques autochtones de la famille, d'hier à aujourd'hui. Ces deux contributions illustrent que la famille n'a pas toujours revêtu les attributs de la famille nucléaire dont la majorité se revendique.

Le dossier accorde une place importante à des critiques de son instrumentalisation à des fins de contrôle et de surveillance des populations marginalisées. Alex Arseneau explore comment la notion de « droits des parents » devient, dans les discours transphobes, une arme contre les enfants queers. Quant à Alexandra Borrelli et Alicia Boatswain-Kyte, elles montrent que les biais racistes s'invitent aussi à la DPJ, où les familles et les enfants noirs sont surreprésentés en raison du profilage racial. Enfin, Anne-Marie Piché nous présente l'évolution récente des pratiques en adoption internationale, qui font l'objet de plus en plus de revendications éthiques et politiques.

L'entretien avec la Coalition des familles LGBT+ témoigne de l'immense chemin parcouru, ces dernières années, pour la reconnaissance juridique et sociale des familles issues de la diversité sexuelle, et de l'importance des efforts militants derrière ces victoires. Malgré ces avancées, l'article de Caroline Brodeur sur la réforme du droit de la famille illustre que, sur le plan législatif, on omet et on exclut encore sciemment certains types de famille au Québec.

Le mot de la fin est accordé à celleux qui refusent la parentalité biologique et la famille nucléaire au 21e siècle, dans un texte d'Arianne Des Rochers qui rassemble plusieurs témoignages anonymes. Le choix de ne pas avoir d'enfants n'est pas interprété ici comme un refus catégorique de la famille, mais comme une invitation à repenser celle-ci, à l'ouvrir sur toutes sortes de nouvelles configurations relationnelles, à l'étendre bien au-delà du noyau familial.

Un dossier qui nous fait réaliser que, plus que jamais, le privé est politique, et que pour transformer radicalement les rapports sociaux, le microcosme de la famille est sans doute un bon endroit où commencer.

Un dossier coordonné par Caroline Brodeur et Arianne Des Rochers

Illustré par Natascha Hohmann

Avec des contributions de Alex Arseneau, Denyse Baillargeon, Alexandra H. Borrelli, Alicia Boatswain-Kyte, Caroline Brodeur, Coalition des familles LBGT+, Arianne Des Rochers, Diane Labelle, Anne-Marie Piché

Illustration : Natascha Hohmann

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Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

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