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Ce que nous apprend l’échec de Google à Toronto. Compte-rendu de lecture

En 2016 Google voulait inventer sa Google City à Toronto. Moins de quatre ans plus tard, l'affaire était réglée, Sidewalk sa filiale d'innovations urbaines, abandonnait Toronto à son sort et disparaissait même deux ans plus tard comme compagnie. Compte-rendu de lecture de Josh O'Kane, Sideways : the city Google couldn't buy. Penguin, Random House of Canada, 2024.
Tiré du blogue de l'auteur.
Une météorite avait traversé le ciel des smart cities. Au début, en 2016, Google voulait inventer Google City à Toronto. Moins de quatre ans plus tard, l'affaire était réglée, Sidewalk sa filiale d'innovations urbaines, abandonnait Toronto à son sort et disparaissait même deux ans plus tard comme compagnie.
Pourtant, tout le monde avait fantasmé sur la nouvelle disruption dont Google était à nouveau capable. Et aujourd'hui, Josh O'Kane nous en raconte l'histoire par le menu, celui du journaliste local qu'il est, particulièrement impliqué et tenace dans la recherche des informations lorsque la transparence s'évanouit dans les brumes du lac Ontario.
A vrai dire, nous ne saurons pas grand-chose des détails techniques des prodigieuses innovations annoncées dans le fameux Yellow Book de Sidewalks Labs et dans la réponse à l'appel d'offres, ce n'est pas le centre d'intérêt de O'Kane.
C'est dommage, mais étant donné que la « Google City » n'a pas été mise en œuvre du tout, on peut comprendre que les questions techniques réduites aux dessins et aux promesses donnent peu de prises aux analyses. On trouvera un plus grand intérêt pour ces « solutions » techniques chez Tierney (2019), dans une lignée critique assez classique inspirée de Foucault, Lefebvre ou encore Bratton (The Stack) mais finalement assez sommaire. De même, dans ce livre Sideways, manque une discussion détaillée du modèle économique de Google fondé sur la donnée et sa monétisation, même si la question des données est traitée tout au long du récit et que les questions budgétaires deviendront de plus en plus critiques dans le projet.
On l'aura compris, ce travail de journaliste n'est pas aligné avec les standards des travaux académiques : on y perd mais on y gagne aussi la finesse des descriptions de situations, des personnages et un sens détaillé des enjeux politiques. Et c'est là sans doute ce qui manque souvent : une véritable étude de cas centrée sur le terrain, ses acteurs et leurs logiques, analogue à ce qu'on peut trouver chez Laugaa, Pinson et Smith (2024) dans le cas de Bristol, qui est un contre-exemple remarquable des smart cities centralisées.
Car l'enjeu politique est précisément ce qui reste délibérément négligé par les prophètes de la smart city et tous les libertariens qui accompagnent toutes les innovations urbaines (de AirBnB à Uber). Toute l'histoire qui nous est racontée est en fait ce choc des cultures entre datascientists disrupteurs de la plus grande plateforme numérique au monde et urbanistes d'une agence de développement locale dépendant de plusieurs strates politiques, la ville, la province et l'Etat fédéral.
À la fin de l'ouvrage, l'auteur cite Siri Agrell, un assistant du maire de Toronto, John Tory : « Les gens pensent (à la suite de cet échec) que le gouvernement n'est pas prêt à traiter avec la technologie. Alors que je pense que c'est exactement l'inverse : le secteur de la tech n'a aucune idée de la façon d'affronter les vrais défis des villes ».
Mais adoptons succinctement la démarche chronologique de l'auteur. Deux histoires et enjeux d'acteurs éloignés vont se rencontrer.
Le choc des cultures : aménageur versus disrupteur
L'agence d'aménagement Waterfront Toronto doit urbaniser le secteur du port de Toronto nommé Quayside, une zone plus directement urbaine de 5 hectares situé le long du lac et proche d'une autre très grande zone à aménager dans le futur : Port Lands et l'ile de Villiers.
La ville de Toronto est très attractive notamment pour les entreprises du numérique et sa population croit rapidement (3M d'habitants en 2016), le prix du m2 se rapproche de ceux de New York City et de San Francisco. Mais à part l'équipement de toute la zone en haut débit, rien n'est vraiment prévu, une vision manque lorsqu'un nouveau CEO, Will Fleissig, est nommé début 2016.
Avec ses adjoints, ils prennent contact directement avec Sidewalk dont ils ont entendu parler, le 27 juin 2016. Ils sont en effet à la recherche d'idées mais aussi de soutiens financiers et commencent à travailler à un appel d'offres (RFP, Request for Proposals) qui sera publié finalement le17 Mars 2017, après des mois de contacts et de réunions avec plusieurs candidats, dont Sidewalk Labs.
Sidewalk Labs de son côté est une spin-off de Google, qui rassemble toutes les idées urbaines que les ingénieurs de Google avaient lancées au sein du projet Javelin (dont des voitures volantes, des villes flottantes, un dôme, des véhicules autonomes). Ce projet initie le mouvement de réorganisation de Google en plusieurs sociétés sous l'ombrelle de Alphabet, créé en 2015, qui permet de propulser des projets indépendamment du métier de base de Google qu'est le moteur de recherche et la publicité.
Larry Page, l'un des deux fondateurs de Google avec Serguei Brin, est très investi dans ces projets qu'ils laissent explorer et prospérer dans un esprit très utopique et sans souci de rentabilité immédiate. Sidewalk Labs va être prise en main par Daniel Doctoroff, personnage central de l'histoire, en raison de sa personnalité (forte et parfois abusivement colérique admet-on) et de sa trajectoire : en tant qu'investisseurs immobilier, il a été au cœur de la candidature de NYC pour les Jeux Olympiques de 2012, il fut l'adjoint au maire Bloomberg avant de travailler dans son entreprise en 2007 (il connait donc très bien les enjeux financiers et les données).
Sa philosophie, résume l'auteur, consiste à maximiser la ville pour les actionnaires, ce qu'il fera par excellence en recyclant le projet perdant d'un stade pour les Jeux en projet immobilier d'envergure connu comme les Hudson Heights à NYC. En tant que directeur de Sidewalk Labs, il lance des groupes de travail avec tous les experts de la ville et du numérique (dont Richard Florida). Sidewalk lance son logiciel de gestion de parkings « Flow » et met en compétition les villes qui veulent le tester (Colombus, Ohio, gagne).
L'entreprise crée aussi à New York City « LinkNYC », des kiosques wifi répartis dans la ville. Tous ces services sont guidés par un principe : récupérer un maximum de données et les revendre, dans la logique du « digital surplus » de Soshan Zuboff, et comme le font toutes les plateformes du secteur.
Cette vision est publiée en Février 2016 sous la forme d'un Yellow Book de 437 pages, où la ville devient en fait une plateforme numérique qui comble le fossé ville/tech. Le dôme est le principe technique suprême qui encapsule toute la ville, un peu à la mode d'EPCOT de Disney avant qu'il ne soit réduit à un parc à thème en 1982. Le dôme est physique et régule tout le climat, ce qu'on retrouve dans quantité d'œuvres de science-fiction et chez Richard Buckminster Fuller.
Mais chez Sidewalk Labs, il devient aussi réglementaire et politique : toutes les règles extérieures sont suspendues et seule l'autorité propriétaire du dôme et du système d'information a le pouvoir de décider les règles qui lui conviennent notamment en matière de données personnelles. Page voulait une ville à partir de zéro et notamment une ville modulaire, toute en éléments recombinables, Doctoroff avait l'expérience des procédures et de la profitabilité.
Leurs visions se combinent dans un Yellow Book qui redéfinit toute la ville comme « fief » dit O'Kane, totalement confié au secteur privé, habillé de soucis de « privacy by Design » avec l'aval de Anne Cavoukian, experte du domaine. Les caméras et les capteurs sont partout pour tracer les comportements qui seront qualifiés alors de « urban data » pour montrer que ce ne sont pas des données personnelles mais seulement des traces publiquement accessibles dans l'espace urbain, ce qui justifie leur exploitation intensive qui permettra les calculs de l'IA pour optimiser les services.
Cette catégorie juridique de « urban data » posera de sérieux problèmes plus tard. Pour le reste, les innovations qui n'en sont pas abondent, comme les vide-ordures ( !!), les écoles maternelles ( !!), la plantation d'arbres comme système technique, etc.. Cette naïveté des promoteurs de smart cities qui pensent réinventer la roue est très fréquente, il suffit de refuser la terminologie branchée qu'ils adoptent pour se rendre compte de la supercherie.
Négociations biaisées et ambitions territoriales cachées
Revenons aux côtés de Waterfront Toronto. L'appel d'offres que l'agence publie le 17 mars 2017 s'avérera trop imprécis sur plusieurs points qui vont entrainer des malentendus, si l'on est clément, ou des opportunités de manœuvre si l'on est plus cynique, pour les répondants. Des pans entiers de questions clés ne sont pas traités en matière de données principalement : la collecte des données dans les limites légales existantes, le partage des données récoltées avec les services urbains ou sous forme de trust en open data, la propriété intellectuelle et les revenus des brevets qui seront déposés à partir de l'expérience.
L'extension de la zone à urbaniser est évoquée mais sans aucune garantie puisque de toutes façons Waterfront n'a pas de mandat pour le faire. Mais l'appel d'offres accueille volontiers les idées sur cette zone étendue. Evidemment, les répondants mais surtout Sidewalk vont utiliser cette possibilité pour montrer que leurs solutions techniques (comme un train monorail suspendu) n'ont de sens que sur une zone qui dépasse de loin Quayside et plus tard qu'elles sont impératives pour la rentabilité de leur projet.
Trois répondants se présentent. La réponse de Sidewalk est en fait totalement inspirée de son Yellow Book avec cependant des adaptations puisque le dôme étant irréalisable, ils proposent des auvents rétractables, les immeubles seront à ossature bois (pour des raisons d'innovation responsable écologiquement), toutes choses qui demanderaient par exemple une modification du code de la construction au niveau de la province de l'Ontario. Ou encore des pavés amovibles chauffants qui permettent d'accéder en permanence aux réseaux, ce qui est totalement infaisable avec le climat de Toronto, et qui donne une impression de posture hors-sol comme c'est souvent le cas avec ces firmes du numérique qui n'ont aucune expérience réelle de la gestion urbaine.
Pour l'anecdote, Sidewalk s'aperçut même que dans toutes ses maquettes de ville conçues en laboratoire, jamais les églises n'apparaissaient, dans des pays où pourtant elles prolifèrent et alors qu'elles sont des lieux de vie sociale incontournables, certes équipées de plus en plus de techniques numériques de diffusion médiatique.

Cependant, Sidewalk est sélectionnée en Septembre 2017…. pour continuer les discussions avant de signer un accord définitif ! Le gouvernement fédéral soutient le projet en Octobre, mais l'auteur, journaliste, parviendra à montrer qu'en fait Justin Trudeau a eu une conversation téléphonique (cachée) au moins avec Eric Schmidt, le CEO de Google avant la décision et que toute l'annonce a été précipitée en fonction des agendas des uns et des autres pour réaliser une cérémonie très médiatique.
On peut penser que ce genre de détails n'aide guère à la compréhension du processus mais en fait, de telles opacités contribuent à miner les prétentions à la transparence et cela montre à quel point l'enjeu de réputation est essentiel dans la compétition financière désormais entre les Etats et les villes autour de ces labels technologiques.
Cela contribuera d'ailleurs à alimenter les soupçons des activistes qui sont évidemment des parties prenantes importantes de tout projet urbain, d'autant plus lorsque Google apparait derrière toute l'opération avec sa puissance et ses méthodes. Un blog de Bianca Wylie « Torontoist » sera très actif ainsi que l'Open Data Institute de Toronto et le Civic Tech de Toronto. Les consultations sont déjà agitées mais leur alarmisme n'est pas partagé par l'agence Waterfront qui considère qu'ils n'ont rien signé et qu'il faut leur donner le temps de tout ajuster.
Quand les temps médiatiques changent à propos des données : Cambridge Analytica, Zuboff, …
Mais l'année 2018 va changer la donne. Une fois encore des facteurs extérieurs majeurs changent les perceptions : le scandale Cambridge Analytica éclate en Mars 2018, le RGPD est mis en œuvre en Europe, les données sur NHS britannique sont collectées par Google, ce qui entraine une attention citoyenne et médiatique considérable sous forme de suspicion généralisée sur la question de la collecte et du traitement des données.
A tel point que le terme « smart cities » va se déprécier très vite, et que plus personne ne veut l'utiliser à Toronto, Waterfront parlant plutôt de « intelligent communities », on appréciera la nuance. Un effort de compréhension interculturelle sera même nécessaire tant la brutalité orientée business de Sidewalk sous influence de Doctoroff, l'ancien de Bloomberg, et leur culture du secret se heurtent à la tradition de relations civilisées de Waterfront : des conférences sur la culture canadienne et sa résistance à l'hégémonie US seront ainsi organisées à l'été 2018 pour le personnel de Sidewalk.
On peut dire que les critiques qui pointent la posture coloniale de ces grandes firmes apparaissent pertinentes au regard de ces efforts considérables pour ajuster les comportements.
L'accord est signé le 31 Juillet 2018 alors que les questions sur les données deviennent de plus en plus discutées dans le public. Sidewalk pense ainsi prendre les devants en créant un « civic data trust » indépendant, récupérant les données anonymisées et permettant à d'autres acteurs citoyens, administratifs ou privés d'exploiter les données récoltées.
Mais la définition des « urban data », comme indiqué déjà, continue à poser des problèmes. Toute utilisation des données doit en fait entrer dans le cadre légal existant au Canada qu'on appelle PIPEDA, agrégeant deux textes, Personal Data Protection et Electronic Document Act, qui datent tous les deux de 20 ans. Ces textes de loi relèvent du ministère de l'innovation alors que l'agence Waterfront relève, elle, en dernier ressort, du département fédéral des infrastructures.
Les pouvoirs publics canadiens à leurs échelles différentes tentent en fait d'éviter de devoir réécrire les lois car la procédure serait très longue, et préfèrent trouver une solution contractuelle ad hoc, ce qui évidemment ouvre la porte à toutes les critiques. Le commissaire à la privacy de l'Ontario prône ainsi ce qu'il appelle la « data minimization ».
A partir de 2019, année de la sortie du livre de Soshana Zuboff (The Age of Surveillance Capitalism), qui eut un écho puissant, les campagnes des activistes se sont multipliées, sous le hashtag #Block-Sidewalk notamment puis avec une plainte du CCLA en Avril 2019, tout cela pendant l'attente du plan masse qui n'était toujours pas fourni, et donc dans une situation d'information très imparfaite. Notons aussi que d'autres acteurs s'invitèrent dans la discussion, comme quoi la liste des parties prenantes n'est jamais vraiment closes dans ces projets : les syndicats du bâtiment notamment intervinrent pour soutenir le projet de Sidewalk alors que les Missisangas, nation indigène, exigèrent de participer à tout le processus car leurs idées et leurs intérêts n'avaient pas été pris en compte.
La prétention à créer un fief hors de tout contrôle, malgré les compromis
En juillet 2019, sort le plan masse (MIDP : Master Innovation Development Plan), document de 1524 pages intitulé « Toronto Tomorrow ». Il apparait qu'il est tout aussi énorme et ambitieux qu'au début sans avoir pris en compte la plupart des remarques faites par les diverses parties prenantes tout au long du processus. Sidewalk se pose comme le nouveau régulateur de toute cette zone, ignorant toutes les règles qu'il faudrait revoir à des échelles beaucoup plus larges, pour l'autoriser à construire des immeubles élevés à ossature bois, pour le système de transport léger sur rail ou encore pour piloter directement des feux de circulation adaptatifs.
Blayne Haggart, professeur associé en Science Politique à Brock University (Ontario) crée un blog pour étudier un à un les articles de l'énorme MIDP : un travail qui peut encore servir de référence pour conduire un examen critique de tout dossier de smart city ou de développement urbain.
Waterfront publie une réponse de 100 pages en Septembre signalant toutes les failles du plan masse et demande une réécriture pour le 31 Octobre 2019. Les deux points clés demeurent la gestion des données et des brevets et l'extension impossible vers Port Land puisqu'il faudrait de toutes façons un nouvel appel d'offres, ce que Sidewalk savait très bien en publiant son plan.
Et chose plutôt inattendue, Sidewalk répond en acceptant à peu près toutes les demandes de l'agence : la firme accepte de concourir pour les extensions éventuelles, elle abandonne sa référence à ce concept juridique fake que sont les « urban data », elle respectera les lois de chaque entité, elle partagera les revenus des brevets, etc. Il semble donc que tout rentre dans l'ordre et que Sidewalk ait appris l'art du compromis alors que toute la culture de ces disrupteurs leur imposent de tout faire pour éliminer le droit existant et faire plier les partenaires/ bureaucrates qui bloquent les innovations.
Waterfront accepte donc les 160 propositions de révision de Sidewalk à l'exception de seize d'entre elles, telles que le chauffage prélevant la chaleur des eaux usées à 4km du site ou encore les « ultrasmall efficient units » d'habitation qui sont en fait certes optimisées du point de vue énergétique mais inhabitables d'un point de vue…. humain !!
Le coup de grâce du Covid
Certes, Brin et Page ont quitté la direction de Alphabet en Décembre 2019, ce qui constitue un tournant historique pour la firme, autorisant moins de projections futuristes hasardeuses comme les aimait Brin, mais cela ne saurait remettre en cause le projet. Et pourtant, tout va s'écrouler en quelques mois, car fin Février 2020, Toronto, comme tout le reste de l'Amérique du Nord, est touché par la pandémie du Covid-19.
La conséquence qui affecte alors le plus directement le projet tient à l'effondrement du marché de l'immobilier de bureau. En effet, les confinements sous diverses modalités encouragent le télétravail et la fuite des zones denses. Waterfront devient plus exigeant sur le paiement par Alphabet du montant annoncé pour l'achat du lot et cela sans abattement. Sidewalk est sous pression de la part d'Alphabet pour revenir dans les règles d'un équilibre budgétaire et donc réduire ses coûts. Or, pour le faire sur un espace aussi restreint, il lui faudrait éliminer plusieurs des innovations qui faisaient pourtant l'intérêt de l'opération.
Sidewalk en tire la conclusion très rapidement que ce projet n'est plus intéressant, non viable économiquement et annonce qu'il stoppe sa participation le 6 mai 2020. Quatre ans de tractations diverses et de controverses sont ainsi annulés en trois mois à l'occasion du Covid, sans pouvoir établir si c'est une cause réelle ou une opportunité saisie pour mettre fin à un projet mal parti.
Les suites sont aussi radicales : Sidewalk Labs quitte Toronto puis quitte même le marché en tant qu'entreprise spécifique même si certaines innovations sont réintégrées dans Google même, reflétant ainsi une nouvelle stratégie d'Alphabet, indépendamment du Covid. Sidewalk dans ses derniers mois s'est d'ailleurs redéfini comme un incubateur de start-ups, de brevets et d'idées (dont les immeubles à ossature bois et le système de gestion de parking) et non plus comme l'aménageur urbain qu'il a tenté d'être à Toronto.
C'est avant tout son incapacité intrinsèque à forger des alliances hors du domaine de la tech qui apparait ainsi, et donc une forme d'inculture politique et urbanistique qui exige du temps long, du débat contradictoire et des partenariats et non des diktats à effet immédiat avec contrôle total.
De leur côté, Waterfront a dû relancer un appel d'offres pour un aménageur et non plus pour un « innovateur-sponsor » comme était perçu Sidewalk Labs. Mais la loi canadienne sur la vie privée a été changée dans les 6 mois qui ont suivi la fin de l'expérience de QuaySide : elle est proche du RGPD et étend ses obligations au secteur privé.
Cependant, il fallut deux ans pour sa mise en œuvre effective, car le temps administratif et politique ne relève pas des coups de force ou des passages à l'acte mais de l'acte d'institution durable et responsable, après examen contradictoire et minutieux. Bref, la culture libertarienne a échoué à abattre ou contourner l'Etat de droit mais cela n'empêche pas des promoteurs de tenter de le faire comme Jeff Bezos avec le nouveau siège d'Amazon (HQ2) à Cristal City (Virginie) près de Washington DC, en abandonnant cependant dès 2019 la localisation à NYC envisagée en raison de la controverse suscitée (effet de gentrification, avantages fiscaux exigés notamment). Elon Musk fait de même au Texas en achetant un village (Boca Chica) près de son site de lancement de Space X près de Brownsville et la gentrification de la ville apparait très vite.
Smart cities sans intelligence collective : un comble !
L'histoire racontée par Josh O'Kane explore encore d'autres biographies d'acteurs, car c'est son angle préféré. Cependant, pour l'analyse des dimensions politiques et des négociations internes entre les parties prenantes, son récit est remarquablement riche car il remet au premier plan ce que les belles histoires des technophiles et des libertariens veulent passer sous silence.
Ces innovations urbaines ne sont pas « techniques », elles sont encastrées dans des rapports sociaux, dans des environnements précis, dans des cadres juridiques, dans des cultures et des visions politiques qui entrent en conflit, elles sont « urbaines » au sens plein du terme. Le déni de ces dimensions ou leur instrumentalisation supposée par les techniques du numérique, du calcul et des modélisations conduit ces projets dans le mur et on ne peut pas s'en plaindre.
On peut cependant regretter que dans ces projets aux financements énormes de « smart cities », l'ingrédient le plus difficile à trouver soit « l'intelligence collective ».
Notes
Laugaa, M., Pinson, G. et Smith, A. (2024) . Les strates de la smart city L'institutionnalisation disjointe des politiques urbaines du numérique à Bristol. Réseaux, N° 243(1), 103-142.
Tierney, T. F. ‘Toronto's Smart City : Everyday Life or Google Life ?' Architecture_MPS, 2019, 15(1) : 1, pp. 1–21.
Un billet d'Irénée Régnault qui date de 2019 et qui soulevait déjà tous les problèmes du projet QuaySide : https://maisouvaleweb.fr/toronto-quayside-cite-etat-numerique-etre-democratique/
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Une extrême droite du désastre ? Entretien avec Richard Seymour

Le monde d'aujourd'hui regorge de catastrophes réelles. Mais de la préparation militaire aux fantasmes de déportation massive, l'extrême droite et la droite extrémisée promettent à leurs partisans de meilleures catastrophes : celles où ils seront aux commandes. Entretien avec Richard Seymour, qui vient de publier Disaster Nationalism, aux éditions Verso.
Tiré du site de la revue Contretemps
10 décembre 2024
Par Richard Seymour

Lorsque Carlos Mazón a pris le pouvoir à la tête d'un gouvernement de droite à Valence l'année dernière, il semblait que la crise climatique n'avait rien d'inquiétant. Il avait formé une coalition entre son parti conservateur, le Partido Popular, et le parti d'extrême droite, Vox, et pour sceller l'accord, il avait accepté de supprimer l'Unité d'Intervention d'Urgence de Valence. Le mois dernier, Valence a été dévastée par des inondations qui ont fait plus de 200 morts, les alertes n'ayant pas été diffusées et les patrons ont refusé de laisser les travailleurs rentrer chez eux pour se mettre à l'abri. Alors que la crise battait son plein, Carlos Mazón profitait d'un long déjeuner.
Malgré ces responsabilités politiques, l'extrême droite a tenté de tirer profit de la catastrophe. Elle reproche au Premier ministre Pedro Sánchez et à son gouvernement de gauche d'avoir détruit des barrages datant de l'époque franquiste qui auraient permis d'arrêter les crues soudaines. En réalité, comme le rapporte El Diario, la grande majorité des barrages supprimés étaient de petits déversoirs de moins de deux mètres de haut, et tous étaient des « infrastructures inutiles ». Les barrages franquistes n'auraient pas sauvé les habitants de Valence. Mais pour les partisans de la droite, qui nient l'existence d'une véritable catastrophe et en inventent de fausses, cette hallucination est essentielle pour comprendre la destruction de l'Espagne.
Cette tendance de la pensée de droite est le sujet du nouveau livre de Richard Seymour, Disaster Nationalism. Dans cet ouvrage, Seymour utilise les outils de la psychanalyse et du marxisme pour examiner ce qui se passe avec l'extrême droite mondiale. Olly Haynes l'a interviewé pour Jacobin à propos de son nouvel ouvrage.
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OLLY HAYNES Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est le nationalisme du désastre et pourquoi – comme vous le dites – ce n'est « pas encore le fascisme ou un pas-encore-fascisme » ?
RICHARD SEYMOUR J'ai remarqué il y a quelques années que la nouvelle extrême droite était obsédée par des scénarios fantastiques de mal imaginaire et extrême. Les camps de la mort de la FEMA, (Federal Emergency Management Agency, l'Agence fédérale de gestion des situations d'urgence étatsunienne) la « théorie du grand remplacement », la « grande réinitialisation », les villes 15 minutes, les antennes 5G qui sont des balises de contrôle de l'esprit, et les micropuces installées dans les gens par les vaccins.
En Inde, il existe une théorie appelée « Romeo jihad », selon laquelle les hommes musulmans séduisent les jeunes filles hindoues et les convertissent à l'islam, menant ainsi une sorte de guerre démographique. Ou encore les fantasmes de QAnon selon lesquels des pédophiles satanistes et communistes dirigent le monde. Ils sont réellement captivés et obsédés par des scénarios hallucinatoires de désastre extrême.
Comment cela se fait-il ? Les catastrophes réelles ne manquent pas : incendies, inondations, guerres, récessions et pandémies. Pourtant, ils entretiennent souvent des relations négationnistes avec ces catastrophes. Beaucoup disent que COVID-19 n'était qu'une excuse pour le IVe Reich, ou que le changement climatique est une excuse pour un régime libéral totalitaire, une nouvelle forme de communisme, etc. Les gens de droite sont vraiment captivés et obsédés par les scénarios hallucinatoires de catastrophes extrêmes.
Je prends souvent l'exemple des incendies de forêt en Oregon. Les incendies ont ravagé les plaines et les forêts et ont brûlé à 800 degrés Celsius. Ils constituaient une véritable menace pour la vie des gens. Mais beaucoup de gens ont refusé de partir parce qu'ils ont entendu dire que c'était en fait les Antifas qui mettaient le feu et que cela faisait partie d'une conspiration séditieuse visant à éliminer les chrétiens conservateurs blancs. Alors, plutôt que de fuir pour sauver leur vie, ils ont mis en place des points de contrôle armés et ont pointé leurs fusils sur les gens, affirmant qu'ils étaient à la recherche d'Antifas.
Pourquoi ce fantasme d'apocalypse de masse ? Parce qu'il transforme le désastre d'une manière qui est en fait assez vivifiante. La plupart du temps, lorsque les gens subissent des catastrophes, ils sont déprimés et se retirent un peu de la vie et de la sphère publique. Mais l'extrême droite offre une autre issue. Elle dit que « ces démons dans votre tête avec lesquels vous vous êtes battus, ils sont réels et vous pouvez les tuer ». Le problème n'est pas difficile, abstrait ou systémique, il s'agit simplement de mauvaises personnes, et nous allons les attraper ». Il s'agit de toutes les émotions difficiles auxquelles les gens sont confrontés face aux chocs économiques et au changement climatique, et de leur donner un exutoire qui leur semble valide et valorisant.
C'est ce que j'appelle le nationalisme du désastre. Il n'est pas encore fasciste car, bien qu'il organise les désirs et les émotions des gens dans une direction très réactionnaire, ils n'essaient pas de renverser la démocratie parlementaire, ils n'essaient pas d'écraser et d'extirper tous les droits de l'homme et les droits civils – pour l'instant. Ils manquent également de maturité organisationnelle et idéologique. Nous sommes dans une phase d'accumulation de la force fasciste.
Si l'on remonte à l'entre-deux-guerres, ce processus d'accumulation avait déjà eu lieu, il y avait déjà eu des pogroms massifs, il y avait déjà eu de grands mouvements d'extrême droite avant le fascisme. Nous nous trouvons donc à un stade précoce du fascisme inchoatif que je vois se développer ici.
OLLY HAYNES À la fin de The Anatomy of Fascism, publié en 2005, Robert Paxton nous avertit que la politique israélienne pourrait sombrer dans le fascisme. Quelle est la place d'Israël dans votre conception d'un fascisme qui n'en est pas encore un ?
RICHARD SEYMOUR Lorsque j'ai commencé à écrire ce livre, je ne m'attendais pas à parler beaucoup d'Israël. Je pensais qu'il s'intégrerait comme un élément mineur dans un patchwork mondial centré sur des États beaucoup plus importants. En fin de compte, j'ai dû écrire un tout nouveau chapitre en raison du génocide à Gaza.
Il est clair depuis un certain temps que le sionisme est toujours un génocide naissant parce que son désir ultime est que les Palestiniens n'existent pas. Et il y a toujours eu des éléments de fascisme hébreu depuis les années 1920. Je dirais que leur dynamique coloniale est tout à fait particulière. On ne voit pas cela aux États-Unis : il est évident que le colonialisme de peuplement est une réalité historique avec des répercussions permanentes, mais ce n'est pas une réalité vivante et actuelle. Le colonialisme de peuplement structure l'organisation de l'État, il structure la vie quotidienne, vous ne pouvez pas exister en Israël sans être conscient des Palestiniens et de leur désir récalcitrant et exaspérant d'exister.
Mais il y a d'autres aspects qui sont tout à fait similaires aux schémas observés aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Inde, au Brésil, etc. Il s'agit du déclin du système d'après-guerre, dans leur cas un accord corporatiste entre la main-d'œuvre juive, le capital juif et l'État, obtenu grâce à la purification ethnique de 1948. Ce système s'est effondré dans les années 1970 et, comme partout ailleurs, il est devenu néolibéral. Les syndicats israéliens ont décliné. Ils ont tenté de s'adapter par le biais de la politique de la troisième voie, et leur dernière chance a probablement été le processus d'Oslo. Aujourd'hui, ils existent à peine.
Il y a eu ces tendances à l'augmentation du pessimisme et de l'inégalité des classes, et la vieille utopie nationaliste du monde de l'après-guerre a disparu. La classe capitaliste est cosmopolite et étroitement intégrée à Washington, ce n'est pas l'utopie nationaliste juive qu'ils essayaient de construire. C'est pourquoi certains membres du mouvement sioniste tentent de reconstituer cette patrie juive, une sauvegarde juive si l'on peut dire. La droite a dit : « Non, nous avons dépassé cela maintenant. Nous sommes dans une situation où nous devons régler la question avec les Palestiniens une fois pour toutes ». Pour eux, cela signifie expulser les Palestiniens et coloniser résolument chaque parcelle de terre qui, selon eux, appartient au Grand Israël.
Cela nous amène-t-il au fascisme ? Pas tant qu'il y a des systèmes constitutionnels, libéraux-démocratiques. C'est une démocratie d'exclusion, et ce n'est pas inhabituel à cet égard ; l'Amérique jusqu'aux années 1970 était une démocratie d'exclusion, et je dirais même qu'elle l'est encore aujourd'hui, mais à un degré différent. Israël a une culture de plus en plus raciste, autoritaire et génocidaire et il est plus proche d'un coup d'État fasciste que n'importe où ailleurs. Je pense que le génocide et le processus de radicalisation de la base vont conduire à un coup d'État kahanisteou d'extrême droite.
Si vous voulez voir où le fascisme est assez avancé, je dirais que c'est là, mais aussi en Inde. Il faut entendre les alarmes : « Nous sommes au bord d'un génocide », car le BJP [Bharatiya Janata Party], un mouvement autoritaire de droite lié au fascisme historique, a colonisé l'État et supprimé les droits civils. Il s'agit d'un phénomène mondial dans lequel Israël joue un rôle unique et distinctif. Israël est très proche d'un régime fasciste millénariste. À moyen terme, c'est une possibilité réelle et dangereuse, étant donné qu'il s'agit d'un État nucléaire.
OLLY HAYNES Vous écrivez qu' « il serait stupide d'ignorer les fantasmes catastrophistes de la droite. Ils sont souvent en phase avec des réalités que l'optimisme libéral préfère ne pas reconnaître ». De quelles réalités s'agit-il ?
RICHARD SEYMOUR Ils mettent parfois le doigt sur des éléments importants de la réalité. Les théories complotistes à propos des villes de 15 minutes, par exemple, sont hallucinantes et délirantes parce qu'on croit qu'elles annoncent une sorte de dictature communiste anti-voiture. Mais au fond, il s'agit d'une véritable menace pour l'automobilité, le mode de vie suburbain et les avantages relatifs de la possession d'une voiture.
Si vous construisez des villes en fonction de la commodité et de la présence de pistes cyclables partout, en vous débarrassant autant que possible de la pollution et en supprimant les places de parking, c'est un problème si vous êtes quelqu'un qui aime se déplacer partout en voiture. C'est particulièrement problématique si l'on commence à mettre en place des barrières de circulation pour vous empêcher d'emprunter certaines routes.
Si vous êtes directement et personnellement concerné, vous pouvez avoir l'impression que la vie va changer radicalement au cours des prochaines décennies. Et ils n'ont pas tout à fait tort : le changement climatique nécessitera de vastes changements structurels. Les libéraux veulent nier la gravité de ce qui se prépare et de ce que les gens vivent déjà. Je pense que la réponse de la gauche devrait être de dire : « Oui, vous avez raison, nous allons tout transformer, mais ce sera bien mieux pour vous. Voici comment ».
L'exemple qui me vient toujours à l'esprit est celui de Barack Obama en 2016. Il s'est moqué de Donald Trump qui faisait du catastrophisme dans sa campagne, et il a dit avec son ironie : « Le lendemain, les gens ont ouvert leurs fenêtres, les oiseaux chantaient, le soleil brillait. » Le pathos qu'il essayait d'invoquer était que les gens étaient en fait plutôt heureux, que tout allait bien. Puis, lors des élections, il a eu sa réponse : Trump a gagné. Pour beaucoup de gens, les choses ne vont pas bien.
Trump a prononcé son discours d'investiture avec le discours écrit par Steve Bannon, parlant du « carnage américain », ce qui, à mon avis, est une sorte de poésie réactionnaire, car le carnage n'est pas une description inexacte de la destruction de l'Amérique industrielle. Ils ont mis le doigt sur un problème réel, mais leur réponse a été de blâmer la Chine, l'Asie de l'Est. La plupart des emplois perdus l'ont été à la suite d'une lutte des classes par le haut – réduction des effectifs, démantèlement des syndicats. Il y a eu un élément d'externalisation, mais ce sont les entreprises, les patrons, qui sont à blâmer, pas les travailleurs et les travailleuses d'Asie de l'Est.
Vous voyez donc qu'ils peuvent identifier certaines formes de désastre. Ce qu'ils ne peuvent pas faire, c'est les intégrer dans une analyse globale cohérente et solide. Tout ce qu'ils proposent, en réalité, ce sont des symptômes conçus pour ne rien résoudre, mais qui vous permettent d'aller massacrer des musulmans en Inde, des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, de tuer des partisans du Parti des Travailleurs au Brésil, de tirer, de poignarder ou d'utiliser des voitures pour écraser des manifestants de Black Lives Matter aux USA, ou d'organiser des émeutes racistes en Grande-Bretagne où ils ont essayé de brûler des demandeurs d'asile dans leurs hôtels. C'est ce que la droite propose comme alternative au désastre ; de meilleurs désastres, des désastres dans lesquels vous vous sentez en contrôle.
OLLY HAYNES Vous avez mentionné les meurtres de musulmans en Inde. Pourriez-vous expliquer ce qu'était le pogrom de Gujarat et pourquoi vous le considérez comme le point de départ de la vague actuelle de nationalisme du désastre ?
RICHARD SEYMOUR Je dirais que c'est le canari dans la mine de charbon. De toute évidence, c'est loin d'être le seul pogrom significatif en Inde. Il existe une sorte de machine à pogroms : Paul Brass en parle avec élégance. Pour l'essentiel, un incendie s'est déclaré dans un train, tuant un certain nombre de pèlerins hindous. Il s'agissait de membres du VHP, une organisation d'extrême droite, et le mouvement Hindutva [nationaliste hindou] a supposé que des musulmans avaient provoqué l'incendie à l'aide de bombes à essence.
Il y a peu de preuves de cela : des enquêtes impartiales ont conclu que l'incendie était un accident. Mais ils ont décidé qu'il y avait eu un génocide contre les hindous et, dans les jours qui ont suivi, ils ont incité la population à prendre les armes et à traquer, tuer et torturer les musulmans. C'est ce qu'ils ont fait, directement organiséspar des membres du BJP, incités par des dirigeants du BJP, avec la complicité et la participation de la police et d'hommes d'affaires qui ont payé des individus pour qu'ils participent à l'opération.
Il s'agissait d'une explosion collective de violence publique coordonnée, d'une permissivité assortie d'un certain degré de contrôle de la part des autorités. Le résultat a été que le vote du BJP a augmenté de 5 % alors qu'on s'attendait à ce qu'il perde cet État après avoir terriblement mal géré un vrai désastre : un tremblement de terre qui avait eu lieu l'année précédente.
Vous voyez donc le schéma : il y a une vraie catastrophe qui affecte les gens, le gouvernement la gère terriblement, puis il propose une fausse version de la catastrophe et il incite les gens à tuer quelqu'un et c'est très excitant. Les choses qu'ils fontsont horribles. Ils assassinent des bébés devant leur mère, ils enfoncent des pointes entre les jambes des femmes, ils coupent les gens en deux avec des épées.
Il est évident que cette situation s'est accumulée depuis un certain temps, et alors, dans les mois qui ont suivi, Narendra Modi a organisé des rassemblements de fierté hindoue et a dit aux gens que si nous pouvions restaurer la fierté de notre peuple hindou, tous les « Alis, Malis et Jamalis » ne pourraient pas nous faire de mal – il voulait évidemment parler de la population musulmane qui venait juste de subir un pogrom. Le fait que ces propos n'aient pas jeté le discrédit sur le BJP, mais qu'ils aient au contraire électrisé sa base et fait de Modi un sex-symbol pour la première fois, en dit long sur ce type de politique.
Nous l'avons vu à maintes reprises. Sans toutes les manifestations armées, rassemblements anti-confinement et sans les violences contre les manifestants de BLM, vous n'auriez pas vu l'insurrection bâclée du 6 janvier. Même chose au Brésil : Jair Bolsonaro avait 20 points de retard, il a presque gagné en 2022 et a obtenu plus de voix qu'en 2018. Comment a-t-il fait ? Un été de violence chaotique au cours duquel il a déclaré que les militants de gauche devaient être mitraillés, et ses partisans ont brandi leurs armes face aux partisans du Parti des Travailleurs, les ont agressés ou les ont assassinés. Je ne dis pas que le pogrom du Gujarat a précipité ces autres événements, mais il s'agissait d'un exemple précoce de ce qui se passait, et dès que Modi a été élu en 2014, il a montré que le capitalisme libéral tolérerait cela.
OLLY HAYNES La plupart des violences génocidaires commises depuis les années 1990 l'ont été à l'encontre de musulmans de diverses ethnies, et bien qu'il y ait beaucoup de racisme à l'encontre de différents groupes dans la politique occidentale, les attaques les plus véhémentes semblent être réservées aux musulmans.
Tommy Robinson, par exemple, se vante que les Noirs sont les bienvenus à ses rassemblements. Quel rôle joue la figure abstraite du « musulman » dans le discours nationaliste catastrophique et a-t-elle remplacé le « juif » en tant que figure de la haine d'extrême droite ?
RICHARD SEYMOUR Je ne pense pas que l'on trouve cela au Brésil ou aux Philippines. Mais c'est le cas dans toute une constellation d'États, de l'Inde à Israël, en passant par les États-Unis et la plupart des pays d'Europe occidentale, et même d'Europe de l'Est. En termes sémiotiques, ce n'est pas exactement la même chose que la figure du « Juif », parce qu'à l'heure actuelle, le discours de l'extrême droite ne donne pas l'impression que les musulmans, en plus d'être une sorte de masse misérable de la Terre, contrôlent tout.
Il y a eu des tentatives pour développer une sorte de théorie de la conspiration comme celle de Bat Ye'or sur l‘Eurabia, par exemple. Mais la plupart du temps, il ne s'agit pas de la croyance que les musulmans sont secrètement aux commandes et dirigent le système financier, mais plutôt qu'ils constituent une masse subversive, violente, anormale et inférieure qu'il faut soumettre à la violence et aux frontières pour la garder sous contrôle.
Je dirais que cela trouve son origine dans le tournant des années 1980 vers l'absolutisme ethnique, la coalition entre les partisans du Likoud en Israël et les fondamentalistes chrétiens aux USA, vers une sorte de politique identitaire absolutiste où tout le monde doit entrer dans une case particulière – il y a une sorte d'effondrement de la solidarité antiraciste unificatrice que nous avons vue à l'époque de la guerre froide, en Grande-Bretagne, prenant la forme de la noirceur politique. Tout cela s'est effondré, puis il y a eu l'affaire Rushdie et les musulmans ont été catégorisés comme un problème spécifique.
Il est important que cela soit ancré dans l'expérience quotidienne de la vie capitaliste. En Grande-Bretagne, par exemple, les personnes qui militaient dans le même syndicat dans les villes du Nord ou sur les docks, une fois que ces industries ont été fermées et que les syndicats ont été démantelés, se sont souvent dirigées vers des secteurs marginalisées de l'économie et ont découvert que leur logement était toujours ségrégué, que le système scolaire était effectivement ségrégué, que les mairies pratiquaient des politiques de ségrégation et que le maintien de l'ordre était ségrégationniste dans ce sens, c'est-à-dire très raciste.
Ajoutez à cela l'austérité et vous obtenez une misère publique, personne n'a rien, et vous blâmez toujours les gens en bas de l'échelle : « Ils ont tout, je n'ai rien ». C'est à ce moment-là que l'on commence à voir des émeutes dans les villes du Nord et que la guerre contre le terrorisme catalyse tout cela.
Il s'agit donc d'un phénomène mondial dans lequel la civilisation libérale s'est définie contre les « mauvais musulmans ». Au départ, il y avait l'idée que le problème n'était pas tous les musulmans, mais seulement ce que nous appelons le fascisme islamique : George W. Bush l'a souligné. Mais la manière dont cette idée a été comprise par la population et la manière dont elle a été politisée l'ont étendue à tous les musulmans. Le musulman est donc une figure centrale, mais je pense que nous devons le considérer comme faisant partie d'une chaîne d'équivalence avec le « prédateur transgenre des toilettes », le « marxiste culturel » et le migrant.
Aux Philippines, la principale catégorie est celle des toxicomanes : ce sont les personnes qui ont été assassinées. Cela peut prendre différents accents, mais je suis d'accord pour dire que globalement, et particulièrement pour l'Occident, « le musulman » coordonne tous ces autres problèmes.
OLLY HAYNES L'un des chapitres les plus intéressants porte sur le rôle du sexe dans le discours nationaliste sur les catastrophes. Vous avez également écrit un chapitre sur le génocide à Gaza, bien qu'il mette un peu moins l'accent sur la psychanalyse que vous utilisez dans d'autres chapitres.
Les questions d'exploitation et d'agression sexuelles sont revenues tout au long du génocide à Gaza, entre les soldats israéliens affichant des vidéos sur TikTok avec des sous-vêtements de femmes palestiniennes ou les émeutes pour la défense de soldats accusés d'avoir violé des détenus en prison. Pourriez-vous développer votre analyse du rôle du sexe dans l'imaginaire nationaliste du désastre ?
RICHARD SEYMOUR Je dirais qu'en termes d'économie libidinale de cette nouvelle extrême droite, leur prémisse sous-jacente semble être que quelqu'un est toujours violé et que le problème est que les « communistes » (parmi lesquels ils incluent Kamala Harris, etc.) veulent que les mauvaises personnes soient violées. Le mouvement incel (les « célibataires involontaires »), les défenseurs des droits des hommes, etc. tentent souvent de justifier le viol.
Il y a une sorte de contradiction dans cette économie libidinale entre des interdictions sévères renouvelées – plus de mariage gay, plus de transgenre, retour des femmes dans les cuisines, fétichisme de l'épouse traditionnelle (trad wife) – d'une part, et d'autre part, une liberté prédatrice totale pour les hommes, donc une permissivité sélective. Il n'est pas surprenant de voir cela dans les zones de guerre. Les guerres donnent généralement lieu à de nombreux viols : la victimisation de l'ennemi passe notamment par la brutalisation des femmes.
J'ai récemment effectué des recherches sur les auteurs de crimes, en particulier en ce qui concerne le génocide à Gaza, et l'une des choses qui revient est ce dont parle Klaus Theweleit, c'est-à-dire l'idée de la femme dangereuse. En termes modernes, il s'agit de la combattante de la justice sociale (social justice warrior), hurlante et rousse, etc., mais à l'époque où il écrivait, le mouvement des Corps Francs Allemagne, les Freikorps des années 1920, la femme dangereuse était une communiste qui avait un pistolet sous la jupe. C'est une personne que l'on veut approcher suffisamment pour la tuer. Cette proximité dangereuse est passionnante parce que vous vous approchez du danger, puis vous le surmontez et vous prenez ce que vous voulez, de la pire façon possible.
J'imagine qu'une grande partie de la politique masculine de droite aujourd'hui est une tentative de surmonter un sentiment d'inefficacité, d'impuissance, de paralysie, etc. Et franchement, lorsqu'ils parlent de viol, ils sous-entendent qu'ils sont vraiment excités et qu'ils désirent beaucoup. Mais les faits suggèrent que les jeunes hommes, les jeunes en général, ne sont pas aussi intéressés par le sexe que les générations précédentes. Ils ne sont pas aussi intéressés par le sexe, ils ne sont pas aussi intéressés par le romantisme, il n'y a rien de très sexy dans la vie contemporaine.
L'une des choses ici est qu'ils blâment les femmes pour le fait qu'elles n'ont pas de désir, et ils disent : « Nous sommes involontairement célibataires. » Ils disent que si les femmes les draguaient, ils seraient prêts à faire l'amour tout le temps. J'en doute. Ils sont aussi troublés, contrariés et foutus que tout le monde, voire plus. Mais je pense qu'ils essaient de regonfler leur désir en le transformant en une démonstration de pouvoir, d'efficacité, de puissance. Il y a beaucoup de cela, et je pense qu'il y aura des spécificités à Gaza, parce que toute cette affaire de soldats israéliens se filmant dans la lingerie volée de femmes palestiniennes, c'est évidemment parodique, c'est génocidaire, mais il y a quelque chose à ce sujet qui implique une identification inconsciente avec la victime.
OLLY HAYNES J'ai trouvé qu'il manquait au livre une analyse du rôle des centristes libéraux dans cette situation. Je pense notamment à Kamala Harris qui a fait campagne avec les Cheney, avant de perdre face à Donald Trump. C'est là, en arrière-plan, mais je me demandais si vous pouviez expliquer comment vous voyez les libéraux s'intégrer dans ce tableau ?
RICHARD SEYMOUR Il y a deux angles à cette question. Les centristes libéraux en tant qu'individus et en tant que groupe et leur relation symbiotique avec l'extrême droite. Le second est celui sur lequel je me concentre dans le livre, sur les échecs de la civilisation libérale. La barbarie qui lui est inhérente se manifeste dans l'impérialisme et la guerre, dans son racisme, dans son sadisme frontalier, dans le travail et l'exploitation, mais aussi dans les hiérarchies de classe et les misères qu'elles engendrent. La question est donc de savoir comment nous parvenons à des situations spécifiques dans lesquelles des personnes comme Obama, Hillary Clinton, et maintenant Kamala Harris et Joe Biden contribuent à l'accession au pouvoir de cette nouvelle formation.
Je dirais que le philosophe Tad DeLay pose une question intéressante dans son récent livre, The Future of Denial, sur la politique climatique : « Que veut le libéral ? » C'est une bonne question, car les libéraux ne cessent de proclamer leur affinité avec les valeurs égalitaires et libertariennes. Ils affirment soutenir la lutte contre le changement climatique, mais s'opposent également à tout moyen efficace d'y parvenir.
Je pense de plus en plus qu'en fin de compte, les libéraux ne veulent pas du libéralisme. Il est évident qu'il faut faire certaines distinctions parce qu'il y a des libéraux qui sont véritablement engagés philosophiquement et politiquement dans les valeurs libérales, qui se battront pour elles et qui iront à gauche s'il le faut. Mais il y a aussi les centristes purs et durs dont la politique s'organise principalement autour d'une phobie de la gauche.
Je parle ici d'un anticommunisme hallucinant, principalement connecté avec la droite, mais les libéraux ont une vision tout aussi irréaliste de la gauche et de sa menace supposée. Ce serait bien si la gauche était plus forte et si nous étions sur le point de provoquer une révolution communiste, mais ce n'est pas le cas.
Lorsque Bernie Sanders s'est présenté, je me souviens de la panique des libéraux américains. Un animateur craignait qu'une fois que les socialistes auraient pris le pouvoir, les gens seraient mis au pied du mur et abattus. Pensez aussi à la façon dont le centre dur (centre-gauche et centre-droit) a encouragé les théories du complot comme en Grande-Bretagne, l'opération « Cheval de Troie » : l'idée que les musulmans prenaient le contrôle des écoles de Birmingham. Cette théorie complotiste ne venait pas de l'extrême droite, mais du gouvernement.
Le rapport est le suivant : l'extrême droite reprend les prédicats déjà établis par le centre libéral, les radicalise et les rend plus cohérents en interne. Il y a quelques années, au début de la période où le New Labour était au pouvoir, il a commencé à mettre en place une véritable répression à l'encontre des demandeurs d'asile. Ils mettaient régulièrement en scène des images d'actualité où un ministre se trouvait à Douvres à la recherche de demandeurs d'asile dans les camionnettes des gens et d'autres choses de ce genre. Pendant ce temps, le British National Party (BNP) prenait de l'ampleur et déclarait dans des interviews : « Nous aimons ce qu'ils font, ils nous légitiment ». Ils ont pris des préoccupations qui étaient au bas de l'échelle des préoccupations des gens en 1997 et les ont poussées au sommet, ce qui a donné une légitimité au BNP.
Pour leurs propres raisons, ils ont tendance à amplifier les courants réactionnaires qui circulaient déjà. Puis, lorsque l'extrême droite se développe sur cette base, ils ont tendance à affirmer que « c'est une bonne raison pour nous d'aller plus loin dans cette direction, car cela montre que si nous ne nous attaquons pas à ce problème, l'extrême droite va se développer encore plus ». Il s'agit d'une machine à résonance, qui rebondit en quelque sorte l'une sur l'autre. L'un des problèmes que pose le choix entre un démocrate centriste et un républicain d'extrême droite est que ce choix repose sur l'exclusion de la gauche. Structurellement, les deux se nourrissent de cette exclusion, mais à long terme, c'est l'extrême droite qui en bénéficie.
OLLY HAYNES Vers la fin du livre, vous suggérez que les appels à la rationalité et à l'intérêt personnel des gens ne fonctionnent pas toujours, et que la politique du « pain et du beurre », bien que nécessaire, n'est peut-être pas suffisante : pour mobiliser les gens politiquement, il faut susciter leurs passions. Avez-vous une idée de ce à quoi doivent ressembler ces « roses » qui doivent être offertes à côté du « pain » ?
RICHARD SEYMOUR J'aurais dû utiliser cette métaphore dans le livre : « du pain et des roses » est une bonne façon de le dire. Je pense qu'il existe une aspiration légitime et innée à la transcendance qui est immanente à la vie en tant que telle. En d'autres termes, être en vie, c'est s'efforcer d'atteindre une situation toujours différente. La vie est un processus téléologique dans lequel nous nous efforçons d'atteindre un certain niveau de développement. Mais aussi, l'aspiration à la connaissance, l'aspiration à l'autre – c'est l'instinct social, l'aspiration, dans le langage de Platon, au bien, au vrai et au beau. Je pense que cet instinct est présent chez tout le monde et chez tous les êtres vivants.
Je dirais que l'on peut le voir lorsque nous avons ces ruptures de gauche, comme la campagne de Sanders. C'est très bien de parler de pain et de beurre. Il y a de bonnes choses dont les gens ont besoin, comme les soins de santé et un salaire minimum plus élevé, la lutte contre l'exploitation des employeurs, mais aussi, au-delà, la lutte contre le sadisme frontalier, en disant aux gens qu'ils veulent vivre dans une société décente.
Toute personne dotée d'un instinct décent a été attirée par cette campagne, électrisée par elle, parce qu'en fin de compte, qu'est-ce qu'il a dit ? Il n'a pas dit « votez pour moi et vous aurez plus de biens matériels », il a dit « votez pour moi et vous aurez une révolution politique ». Et ne vous contentez pas de voter pour moi, participez à un mouvement politique avec moi, prenez le pouvoir, renversez tous les éléments décrépits et sadiques de notre société et approfondissez la démocratie. Il a parlé d'un voyage improbable ensemble, pour refaire et transformer le pays.
Les gens ont vraiment envie de travailler ensemble pour atteindre quelque chose de plus élevé. L'une des pathologies de la vie moderne est que les gens se sentent frustrés, paralysés, inefficaces. Son mode d'expression caractéristique était « si nous restons unis » – et quand il disait cela, la foule entrait en éruption. Ce n'est qu'un exemple de rupture de gauche. Jean-Luc Mélenchon a son propre style, Jeremy Corbyn a un style très différent, mais l'idée de base est toujours la même : l'ethos social, l'effort commun.
Karl Marx et Friedrich Engels ont parlé de cette dialectique où l'on adhère à un syndicat au départ pour obtenir des salaires plus élevés, une journée de travail plus courte, des choses dont on a fondamentalement besoin, mais où l'on développe ensuite d'autres besoins, plus riches. Très souvent, les travailleurs se mettent en grève pour défendre leur syndicat, même s'ils perdent des journées de salaire et que leurs conditions matérielles objectives se détériorent quelque peu. Ils ont besoin les uns des autres, ils ont besoin de leur syndicat. Cela peut aller plus loin ; cela peut être politisé de manière beaucoup plus profonde. Le besoin le plus radical est le besoin d'universalité, au sens marxiste du terme.
Lorsque les gens descendent dans la rue pour lutter contre le changement climatique, ils pensent à un monde de plénitude, pas nécessairement un monde où ils ont tous les gadgets et les produits dont ils ont besoin, mais un monde où tout le monde et toutes les espèces ont une chance de prospérer et de s'épanouir. Je dirais que c'est normal. La question est de savoir comment ce communisme instinctif de base, comme le disait David Graeber (1961-2020), est contrecarré, écrasé et détourné. Comment ce besoin impeccablement respectable est-il négligé et pathologisé, de sorte que les gens n'osent même pas y penser, et encore moins l'exprimer ? De sorte que les gens adoptent une sorte de posture cynique.
Je pense que les roses dont nous avons besoin sont celles qui proviennent de notre unité : J'ai mentionné les termes platoniciens « le bon, le vrai et le beau ». Pensez à la culture et à ce travail que nous faisons ensemble, pensez à la recherche de la vérité dans les sciences et à ce travail que nous faisons ensemble. Nos efforts pour élever les normes morales en essayant de mettre fin à la violence, au viol et au racisme sont des capacités intrinsèques que nous possédons tous. Il est évident que nous ne sommes pas à la hauteur, que nous pouvons vivre des existences privatives où nous sommes égoïstes, haineux et rancuniers. Mais ce n'est pas tout. Si c'était le cas, nous pourrions tout aussi bien abandonner.
*
Entretien publié dans Jacobin. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.
Richard Seymour est journaliste, chercheur indépendant et militant révolutionnaire. Il tient le blog anglophone leninology.co.uk, est coéditeur de la revue Salvageet notamment l'auteur de Corbyn : The Strange Rebirth of Radical Politics, The Liberal Defense of Murder, American Insurgents.
Olly Haynes est un journaliste basé au Royaume-Uni, qui couvre la politique, l'environnement et la culture.
Illustration : Wikimedia Commons.
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Avis de tempête

Nul n'osait le prévoir, Trump est élu président des États-Unis. Les Républicains MAGA (Make America Great Again) sont majoritaires au Sénat et à la Chambre des représentants, sans oublier la Cour suprême.
Il ne s'agit pas d'un simple événement électoral mais d'un bouleversement qui a déjà des impacts dans le monde entier, comme pour la majorité des populations civiles.
Nous proposons quelques éclairages sur l'élection étasunienne et sur les possibilités de résistance. Les élections américaines ne sont pas, hélas, exceptionnelles dans ce monde en profondes mutations [1].
Télécharger le n° 7 d'Adresses : internationalisme et démocr@tie :
Adresses n°7
Beaucoup encore refusent de voir Vladimir Poutine et l'armée russe bombarder les équipements énergétiques et sociaux vitaux pour la population ukrainienne. Et multiplier les crimes de guerre. Un nouveau pas a été franchi avec l'utilisation de missiles balistiques, possibles vecteurs d'ogives nucléaires. La guerre contre les populations ukrainiennes est aussi une guerre contre les populations de la fédération de Russie [2].
Le temps du néolibéralisme semble passé
Une nouvelle conjoncture apparaît, où des gouvernements, sous des formes plus ou moins autoritaires, vont amplifier les politiques de privatisations, d'expropriations, d'inégalités et de contrôle social.
Comment appréhender et nommer ces nouvelles formes politiques ? Certain·es parlent de fascisme [3], d'autres de postfascisme, comme par exemple, Gaspar Miklos Tamas, à propos du régime de Viktor Orbán [4].
Si nous voulons encore espérer que ce triste conte d'hiver puisse se transformer par nos actions collectives en souriant conte de printemps, il nous faut analyser, au niveau mondial comme au niveau local, les similitudes et les particularités, les effets sociaux et les contradictions de ces régimes.
Nous devons aussi faire connaître les actions propres de groupes humains [5], les dialogues entre Palestiniens et Israéliens, les mobilisations – aussi fragmentaires soient-elles – qui rompent les inerties favorisées par l'individualisme et la guerre de toustes contre toustes.
Certains bouleversements au 20e siècle ont suscité des enthousiasmes. Bien des espérances se sont effondrées dans des dictatures et des crimes de masse, que certain·es ont cependant continué à nommer « socialisme », « communisme [6] », d'autres, souvent les mêmes, ne peuvent pas dépasser l'anti-impérialisme des imbéciles [7].
Il ne s'agit pas de refaire ou d'effacer l'histoire, mais bien de rendre visibles les fils tissés entre refus, résistance et espérance. Nous pouvons nous appuyer sur des déjà-existants, des biens communs, des solidarités locales ou plus larges.
Contre le roi marché, Samuel Farber nous propose de discuter aujourd'hui de Cuba [8] et Meron Rapoport nous propose des conversations inégales entre un Palestinien et un Israélien [9].
Il importe aussi de développer les analyses qui nous permettent de comprendre les évolutions politiques et leurs résonances de régions en régions. Voir l'article de Joy Asasira : « Les femmes africaines victimes de Trump [10] ».
Une preuve évidente de cette profonde transformation au-delà des crimes, des pogroms, des génocides c'est bien le fait que certains gouvernements ne reconnaissent pas la Cour pénale internationale (CPI) et s'affranchissent d'instances qui limitent leurs actions potentiellement criminelles. Cela en dit long sur la victoire actuelle de la logique « souverainiste » sur les droits communs des êtres humains. Aucun gouvernement ne devrait pouvoir se dérober et refuser les actions de la CPI ou de la Cour internationale de justice (CIJ). De plus, il ne sauraient y avoir d'immunité ni d'impunité pour des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.
Quelles que soient les limites actuelles du droit international et de ses instances. Monique Chemillier-Gendrau souligne que « le monde d'aujourd'hui, devenu un village par la puissance des communications et du commerce, ne dispose pourtant pas d'un droit commun à l'application effective [11] ».
Penser le droit commun, comme émancipateur, est un point d'appui nécessaire pour appréhender le chaos du monde qui voient de nombreux pays sortir de leurs « démocraties » et rompre avec leurs valeurs fondatrices. Ce mouvement de bascule ne fait hélas que s'amorcer.
Bonne lecture.
Au moment du bouclage…
Le régime criminel de Bachar al Assad est tombé
Au souffle de l'élection de Trump se mêlent les effets tragiques du 7 octobre. L'équilibre instable du Moyen Orient est bouleversé par la destruction de Gaza menée par Israël, le ciblage du Hezbollah. L'Iran, sans ses alliés (Hamas, Hezbollah) se retrouve en position de faiblesse. La Russie toujours plus acharnée dans sa guerre contre l'Ukraine voit ses opérations de déstabilisation se retourner contre elle. La Géorgie est proche d'un nouveau Maïdan et la population roumaine n'accepte pas le trucage des élections.
L'instabilité est renforcée dans la région alors que les puissances du processus d'Astana (Russie, Iran, Turquie) tentent d'éviter une perte d'influence pour les deux premiers et surtout l'irruption directe des populations suppliciées.
Les gouvernements de la Russie et de l'Iran ont subi un revers durable, celui de la Turquie semble renforcé. Cela se répercutera inévitablement sur les autres conflits, sur l'équilibre des BRICS et sur les rapports internationaux à l'investiture de Trump. Et celui au pouvoir à Pékin devra sortir de son silence.
Il est maintenant nécessaire et possible de revenir aux aspirations initiales de la révolution syrienne, à savoir la démocratie, la justice sociale et l'égalité, tout en respectant le droit à l'autodétermination des Kurdes et de toutes les minorités.
Notes
1. Bill Fletcher Jr., « Comment se défendre dans la nouvelle période Trump », p.7 ; Frieda Afary, « Donner du sens à la victoire de Trump et à la résistance », p. 11.
2. Ilya Budraitskis, « Poutine mène une guerre culturelle contre le peuple russe », p.28.
3. Taki Manolakos, « La fin du néolibéralisme préfigure la montée du fascisme », p. 15.
4. Gaspar Miklos Tamas, « Naissance du postfascisme dans la Hongrie de Orban », p. 19.
5. Oleksandr Kyselov, « Ukraine : la force vient de l'intérieur », p. 44.
6. Ilya Budraitskis, « L'impérialisme politique russe et la nécessité d'une alternative de gauche mondiale », p. 31.
7. Voir les précédents numéros d'Adresses.
8. Sam Farber, « Cuba : “libre” marché ou planification démocratique ? », p. 47.
9. Meron Rapoport, « Conversations inégales », p. 53.
10. Joy Asasira, « Les femmes africaines victimes de Trump », p. 59.
11. Monique Chemillier-Gendreau, « L'échec du droit international à devenir universel et ses raisons », p. 39.
Didier Epsztajn, Michel Lanson, Patrick Silberstein
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L’inquiétante étrangeté du monde – sur Le Double : Voyage dans le Monde miroir de Naomi Klein

Avec un livre en abyme, Naomi Klein entraîne le lecteur dans un voyage vertigineux à la poursuite du Double, le sien, une certaine Naomi Wolf avec laquelle on la confond souvent, égérie du féminisme dans les années 1990 passée au complotisme anti-vax et d'Al Gore à Steve Bannon, mais aussi le Double comme paradigme de notre temps en proie à l'inquiétante étrangeté de notre monde, avec ses miroirs, ses moi artificiels, ses réalités fabriquées.
16 décembre 2024 | tiré d'AOC media
https://aoc.media/critique/2024/12/15/linquietante-etrangete-du-monde-sur-le-double-voyage-dans-le-monde-miroir-de-naomi-klein/
J'ai lu deux fois Le Double de Naomi Klein. Normal me direz-vous avec un titre pareil, mais si je l'ai lu deux fois, ce n'est pas seulement à cause de son titre mais en raison de sa richesse et des multiples étapes de ce voyage dans ce que Klein appelle « le monde miroir ».
Je l'ai lu une première fois au pas de course, enjambant les obstacles, pour tenter de saisir l'unité de ce livre kaléidoscopique qui embrasse des sujets aussi différents que l'univers marchand des logos, la crise climatique, l'épidémie du Covid, la question du double chez Freud ou Philip Roth, l'ère politique des bouffons à la Donald Trump ou Javier Milei, le suprématisme blanc, la généalogie américaine du nazisme, le conflit israélo palestinien, mais aussi des questions plus personnelles comme le rapport à son double, une autre Naomi (Wolf) avec laquelle on la confond souvent, une ex féministe qui a viré complotiste à la faveur du Covid, devenue proche collaboratrice de Steve Bannon le maitre à penser de l'alt right, ou encore la campagne électorale au Canada de son mari candidat à la députation à laquelle elle participe tract en main dans les escaliers d'immeubles, et jusqu'au sujet plus délicat pour elle de l'autisme de son fils qualifié de « neurodivergent » par les médecins, une condition qui est selon elle un symptôme contemporain du rejet de l'Autre, du différent, du Double.
Je l'ai relu une deuxième fois, plus lentement, en étant attentif aux jointures de son texte, aux associations d'idées qui guident son raisonnement, plus narratif que déductif, parcourant une à une les surfaces réfléchissantes de ce « monde miroir », ces plans découpés qui donnent à ce livre sa profondeur de champ et son sujet véritable : la décomposition spectrale de notre folie collective. Entre les anti-vaccins, les influenceurs du bien-être et les démagogues de l'extrême droite, le livre déploie un arc narratif qui évoque davantage la fragmentation cubiste de l'objet que la polyphonie musicale à laquelle on serait tenté de le rapprocher. Sa lecture nécessite cette attention multidimensionnelle dont parlait Paul Klee, une vision mobile et disjonctive qui saisit les ruptures, les déplacements.
La pulvérisation du moi
Car il y a plus de deux livres dans Le Double, c'est un récit hydre à plusieurs têtes chercheuses comme le serpent de la mythologie, une fiction poulpe (sans aucun jeu de mots) qui plonge ses nombreux bras dans les ruines de notre monde néolibéral, fouillant ses décombres et brisant les cloisons qui nous empêchent d'en saisir l'unité.
Son véritable sujet c'est « l'évitement du monde » dont elle enregistre les modalités en trois parties. « La représentation, le cloisonnement et la projection sont les différents pas de danse de l'évitement. » Évitement du moi dont la fuite dans les artefacts numériques serait la forme archétypale. « Mes étudiants ont grandi en ayant conscience d'avoir un double extériorisé – un double numérique, une identité idéalisée, distincte de leur moi “réel” (le cloisonnement), qui leur sert à incarner le personnage qu'on attend d'eux (la représentation) s'ils veulent réussir. Dans le même temps, ils doivent projeter sur d'autres personnes (la projection) chacune des parties indésirables et dangereuses d'eux-mêmes : l'ignorant, le problématique, le déplorable, le “non-moi” qui délimitent les frontières du “moi”. Cette triade – le cloisonnement, la représentation et la projection – est en train de devenir une forme universelle de dédoublement, générant un personnage qui n'est pas exactement ce que nous sommes, mais que les autres perçoivent comme tel. »
De double en double et de miroir en miroir Naomi Klein poursuit l'image fuyante, diffractée, de nos moi en miettes. « Le moi comme marque parfaite, le moi comme avatar numérique, le moi comme mine de données, le moi comme corps idéalisé, le moi comme projection raciste et antisémite, l'enfant comme miroir du moi, le moi comme éternelle victime. Tous ces doubles ont un point commun, ils sont autant de façons de ne pas voir. Ne pas se voir clairement soi-même (parce que nous sommes trop occupés à afficher une version idéalisée de nous-mêmes), ne pas voir clairement les autres (parce que nous sommes trop occupés à projeter sur eux ce que nous ne supportons pas chez nous), et ne pas voir clairement le monde et les liens qui unissent les hommes (parce que nous nous sommes cloisonnés et volontairement aveuglés). Je pense que cela explique, plus que toute autre chose, l'inquiétante étrangeté de notre temps, avec tous ses miroirs, ses moi artificiels, ses réalités fabriquées. »
Naomi Klein ne s'exclut pas de ce processus de dissociation. Son moi fait partie du tableau, elle l'observe et l'interroge, le critique sans complaisance comme lorsqu'elle se moque de sa propre transformation en « logo » après le succès mondial de son best-seller « No Logo ». « Il y avait beaucoup d'hypocrisie dans cette mise en scène. (…) être la fille No Logo – le visage d'un mouvement anti-capitaliste émergent – et nier tout intérêt à me construire une image de marque. Être la seule, en somme, à faire proprement des affaires. N'est-ce pas finalement ce que nous sommes si nombreux à convoiter lorsque nous entrons dans cette arène, tout au moins quand nous tâchons d'y survivre ? Nous créons des personnages en ligne – des doubles de notre “vrai” moi – qui cultivent savamment la juste dose de sincérité et de dégout du monde ; nous manipulons l'ironie et le détachement qui ne sont pas trop promotionnels, mais font néanmoins le job ; nous flirtons avec les médias sociaux pour gonfler nos chiffres… »
Le carnaval est partout. Les méthodes et les concepts de la science politique ne suffisent plus à rendre compte des mutations que subissent les démocraties
Tout au long de son « voyage dans le monde miroir » elle ne se perd jamais de vue, incluant, en bonne einsteinienne, son propre reflet, celui de l'observatrice dans le champ observé. À chaque étape de son enquête dans l'univers ensorcelé des doubles, elle n'oublie jamais de mesurer l'ampleur des transformations en cours à l'aune de ses expériences personnelles, refusant de se positionner en surplomb de la dystopie numérique dans laquelle nous évoluons et qui nous transforme dans notre quête éperdue de la notoriété en nos doubles dévorants.
« La notoriété est la monnaie sans valeur de l'ère de la connexion permanente, à la fois un substitut à l'argent liquide et un moyen de s'en procurer. Elle se calcule sans tenir compte de ce que vous faites, mais en fonction de la masse de “vous” qui pénètre le monde. La notoriété s'obtient en jouant les victimes, mais aussi en victimisant les autres. C'est une chose que la gauche et la droite comprennent parfaitement. Quelle que soit l'influence qu'elle exerce, la notoriété est une donnée stable qui travaille exclusivement pour son propre compte et dans une seule optique : faire du volume. »
L'inquiétante étrangeté du bouffon
Dans ce monde envoûté, la vie politique apparaît non plus comme la scène de la délibération collective, le règne du logos et de la raison mais comme un théâtre hofmannien de l'étrange, soumis à ce que Freud appelait l'inquiétante étrangeté. Schelling le premier en avait donné une définition citée par Freud : « On qualifie de unheimlich (l'inquiétante étrangeté) tout ce qui devrait rester dans le secret, dans le dissimulé et qui est sorti au grand jour ». Les éléments de cette inquiétante étrangeté, Freud les empruntait en partie à Hoffmann le maître de l'étrange : la croyance en l'animisme, la magie et l'enchantement, la figure du double, la toute-puissance des pensées, le retour du refoulé, la relation avec les morts, les spectres, les fantômes.
Tout ceci se trouve dans ce livre dont Noemi Klein relate le surgissement dans les soubresauts de l'hypercrise actuelle, géostratégique, écologique, sanitaire, numérique… La vie politique n'est plus régie par la dissimulation mais par la simulation, non plus par le secret et le calcul raisonné, mais par l'épiphanie du fake et la parodie. Triomphe de la téléréalité sur le théâtre politique. La politique comme magie grotesque. Le mélange des genres devient la règle, confondant les registres du sérieux et du divertissement. Le carnaval est partout. Les méthodes et les concepts de la science politique ne suffisent plus à rendre compte des mutations que subissent les démocraties : simulation, dévoration, cannibalisation, parodie, carnavalisation, envoûtement. Le demos est sorti de son lit ; il déborde dans un champ bien plus large que celui de la sociologie et de la science politique, le domaine du bizarre, de l'inquiétant, celui des phénomènes paranormaux, le royaume de l'étrange.
C'est l'un des passages les plus fascinants du livre, lorsque Naomi Klein met ses pas dans ceux de Philip Roth, celui d' Opération Shylock et exhume le « pipikisme » cher à Roth pour analyser « cette force anti tragique qui dédramatise les choses – qui transforme tout en farce, qui banalise et superficialise tout ». Dans Opération Shylock publié en 1998, Roth rebaptisait son double grotesque et encombrant, Pipik, un sobriquet donné dans sa jeunesse « aux enfants un peu simplets, maladroits et inadaptés qui jouaient les intéressants ».
Depuis 2016, les pipik ont envahi le monde, ils sont sur Twitter ou Tiktok, inspirent les tweets des internautes comme les décrets des gouvernements, ils ont conquis le pouvoir et répandent depuis le Covid le pipikisme comme une « épidémie au carré ». « Quand la figure du bouffon devient centrale dans la vie publique, ce ne sont pas seulement les stupidités proférées par ses représentants qui posent un problème, c'est aussi leur capacité à rendre stupide tout ce qu'ils touchent, y compris – et surtout – les mots dont nous avons besoin pour les décrire et expliquer ce qu'ils font. Malheureusement, ces “doubl'idiots” pipikent si bien nos expressions et nos concepts qu'ils vont bientôt finir par nous laisser sans voix. Une fois pipikée, une idée peut-elle redevenir sérieuse ? »
Le pipikisme, forme actualisée du fascisme
C'est contre cette « pipikisation » des esprits que le livre de Naomi Klein déploie ses arguments les plus convaincants. Car on aurait tort de prendre à la légère le virus du grotesque qui s'est emparé des esprits. En désarmant la critique et la pensée, ce virus n'est pas seulement porteur d'insignifiance, il permet le retour du refoulé contenu dans le projet racialiste et colonialiste européen.
Dans deux chapitres clés qui apparaissent à la fin du livre : « Le nazi dans le miroir » et « L'ébranlable ethnicité », elle va au cœur politique de la thématique du double explorée tout au long du livre. Le pipikisme est la forme actualisée du fascisme. C'est « un archaïsme techniquement équipé » selon les mots de Guy Debord dans La Société du Spectacle, un fascisme augmenté par la puissance des algorithmes des Gafam et de l'intelligence artificielle qui codent et répandent son idéologie mortifère. « Si le fascisme, écrivait Debord, se porte à la défense des principaux points de l'idéologie bourgeoise devenue conservatrice (la famille, la propriété, l'ordre moral, la nation) en réunissant la petite bourgeoisie et les chômeurs affolés par la crise, il se donne pour ce qu'il est : une résurrection violente du mythe, qui exige la participation à une communauté définie par des pseudo-valeurs archaïques : la race, le sang, le chef. »
À ce devenir fasciste de l'Occident Naomi Klein apporte un éclairage historiographique et anthropologique qui permet de comprendre l'unité et la cohérence du projet racialiste et colonisateur qui resurgit sous nos yeux dans ces formes trumpistes. S'appuyant sur différentes sources (Joseph Conrad, James Q. Whitman, l'écrivain suédois Sven Lindqvist, Raoul Peck, Aimé Césaire, Frantz Fanon, W.E.B. Du Bois, ou encore Nehru, Premier ministre de l'Inde (1947-1964)) Klein retrace la généalogie de ces idéologies exclusivistes et des pratiques d'extermination qui ont inspirées le nazisme et qui se prolongent jusqu'à aujourd'hui dans les théories du Grand Remplacement.
« Tous, dans les années 1930, 1940 et 1950, affirme-t-elle dans un entretien récent, écrivaient sur le fascisme européen, qu'ils considéraient comme le double du colonialisme et de l'impérialisme européens… un retour, au cœur de l'Europe, de la science raciale, des technologies, des mécanismes d'enfermement et d'anéantissement, utilises autrefois contre les peuples noirs. C'est l'idée du boomerang conceptualisé par Hannah Arendt : le fascisme serait le retour de la colonisation en Europe… Je ne dirais pas que c'est une réplique directe du nazisme mais plutôt une nouvelle itération du colonialisme de peuplement. » Un nazisme d'inspiration donc plutôt que d'imitation.
Cette histoire sinueuse ne commence pas dans les Amériques, mais en Europe, dans les siècles qui ont précédé l'Inquisition espagnole, les bûchers et les expulsions sanglantes de juifs et des musulmans. Elle se poursuit dans le génocide des Amérindiens avant de revenir en Europe pendant l'Holocauste. Naomi Klein cite Aimé Césaire qui accusait dans son Discours sur le colonialisme les Européens de tolérer « le nazisme avant qu'il ne leur soit infligé » « Ils ont fermé les yeux, l'ont légitimé, car jusqu'alors, il n'avait été appliqué qu'aux personnes non européennes. » Le crime d'Hitler envers les Alliés, pensait Césaire, était d'avoir fait aux Juifs et aux Slaves ce qui « jusqu'alors était réservé exclusivement » aux colonisés non blancs en pays étrangers ».
L'analyse de Césaire qui n'a rien perdu de sa pertinence rejoignait les réflexions de Klein, sur le nazisme comme le Double maléfique de l'esprit européen. Selon Césaire « Hitler n'était pas seulement l'ennemi des États-Unis et du Royaume-Uni – il était leur ombre, leur jumeau, leur sosie tordu : « Oui, cela vaudrait la peine d'étudier cliniquement, en détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au bourgeois très distingué, très humaniste, très chrétien du XXe siècle que sans qu'il s'en rende compte, il a un Hitler en lui, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon. »
Le complexe de Gatsby
À l'appui de cette hypothèse, on peut citer un témoignage que ne cite pas Naomi Klein dans son livre, celui de Scott Fitzgerald, célèbre et pourtant invisibilisé par les images fastueuses avec lesquelles le cinéma a emballé son roman Gatsby le magnifique, publié en 1925. Tout fait symptôme dans ce roman qui précédait la crise de 1929. L'argent roi. Les fortunes vite faites. Les amours à « l'éclat de pur argent ». La plainte des saxophones dans la nuit. Un bolide jaune pâle. Le champagne qui coule à flots au cours des fêtes que donne Gatsby où s'étourdissent les riches New-Yorkais.
Au début du roman, le milliardaire Tom Buchanan, un des voisins de Gatsby explose au cours d'un diner où sont réunis tous les personnages du roman. « La civilisation court à sa ruine ! rugit-il avec une angoisse non feinte. Je suis d'un affreux pessimisme par rapport à ce qui se passe. As-tu lu The Rise of Colored Empires, d'un certain Goddard ? C'est un livre excellent. Tout le monde devrait l'avoir lu. L'idée, c'est que la race blanche doit être sur ses gardes, sinon elle finira par être engloutie. Une thèse scientifique, fondée sur des preuves irréfutables. […] Nous sommes la race dominante. Notre devoir est d'interdire aux autres races de prendre le pouvoir […]. Tout ce qui fait la civilisation, c'est nous qui l'avons inventé. Les sciences, disons, les arts, et le reste. Tu comprends ? »
Les arguments de Tom Buchanan , rappelle Sarah Churchwell, dans un article de The New York Review of Books, « American immigration : A century of racism », empruntaient à deux best-sellers de l'après-Première Guerre mondiale : The Passing of the Great Race, de Madison Grant (1916), et The Rising Tide of Color Against White World-Supremacy, de Lothrop Stoddard (1920).
Sarah Churchwell constate à quel point ces idées s'étaient généralisées , en grande partie grâce à la fausse légitimité fournie par les institutions culturelles, notamment les éditeurs, les magazines populaires et les professeurs d'université. Fitzgerald avait découvert ces « idées rassies » alors qu'il était étudiant à Princeton, où il lui arriva d'aller écouter une conférence sur l'eugénisme. Grant et Stoddard ne faisaient que rhabiller d'anciennes idées « eugénistes » avec les habits neufs du biologisme, mais la voix qui les animait a trouvé un écho puissant dans le monde en ruine des années 1920. Elle s'est même dramatiquement concrétisée dans l'Immigration Act de 1924, qui assignait des quotas d'immigration aux divers pays d'Europe (et du monde) et a eu pour conséquence de réduire l'immigration de plus de 90 %.
Le soutien populaire à cette loi a été énorme. Celle-ci est restée en vigueur pendant quarante ans, jusqu'à son annulation par Lyndon B. Johnson en 1965. Le sénateur Jeff Sessions, qui fut le procureur général des États Unis dans l'administration Trump de 2017 à 2018, affirmait en 2015 que la loi de 1924 avait réussi à ralentir « considérablement » l'immigration.
Le livre de Madison Grant fut traduit en allemand, et l'idée d'hygiène raciale allemande s'inspirait de ses théories. Son influence sur l'idéologie nazie ne saurait être niée. Dans The Nazi Connection (1994), Stefan Kühl a bien montré que les nazis tiraient leurs idées eugénistes des théories américaines, tout comme ils utilisaient les lois américaines sur la race pour légitimer les lois de Nuremberg de 1935. Hitler aurait même adressé une lettre à Madison Grant pour le féliciter. Il lui avouait que son livre, The Passing of the Great Race, était devenue sa « bible » ! Une bible que les avocats des Nazis citèrent au procès de Nuremberg pour prouver que les États-Unis s'étaient livrés aux mêmes crimes que ceux pour lesquels ils étaient poursuivis.
Naomi Klein, Le Double : Voyage dans le Monde miroir, Actes Sud, septembre 2024.
Christian Salmon
Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)
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« Il y a une vraie lutte des classes au sein de l’écologie »

12 décembre 2024 | tiré de l'Hebdo L'Anticapitaliste - 733
https://lanticapitaliste.org/opinions/politique/il-y-une-vraie-lutte-des-classes-au-sein-de-lecologie
À l'occasion de la sortie de son livre « Arrachons une vie meilleure » aux éditions Massot, l'Anticapitaliste a rencontré Ritchy Thibault.
Tu es porte-parole d'un collectif politique qui s'appelle PEPS (Pour une écologie populaire et sociale). Tu as 20 ans. Comment expliques-tu ton parcours militant ?
Je n'étais pas du tout destiné à l'action politique. J'appartiens à ces populations que l'État, que les dominants assignent à l'apolitisme, parce que ma mère est gitane, mon père est manouche. Je me suis retrouvé sur un rond-point avec les Gilets jaunes à l'âge de 14 ans, à Pineuilh, à côté de Sainte-Foy-la-Grande, la ville d'origine d'Élisée Reclus, que j'ai découvert après m'être engagé, lui qui fut un des précurseurs de l'écologie. Dès que je sortais du collège, je marchais jusqu'au rond-point, et j'ai passé mes soirées à me politiser au bord des feux sur le rond-point de Pineuilh, en Gironde. C'est comme ça que je me suis mis à lire, à comprendre que finalement il fallait acquérir des outils pour combattre l'injustice. Puis, je me suis mis à faire 5 500 km à pied en stop une fois mon bac passé, sans thune, où j'ai été sur les routes. Je suis allé voir des expériences individuelles, collectives, et je me suis dit que finalement, il y a tout un « déjà-là », il y a une perspective révolutionnaire.
Comment tu passes de cette politisation des Gilets jaunes — très axée sur la question sociale souvent opposée aux questions écologiques à l'époque — à une conscience écologique ?
Les Gilets jaunes ne me destinaient pas à l'écologie, parce que comme je l'ai lu depuis, les dominants ont désubstantifié l'écologie chez les classes populaires. Ils ont diabolisé cette notion. La manière dont ils parlent de l'écologie fait que la perception de l'écologie chez les classes populaires, c'est une punition : quelque chose qui nous prend des sous. Le mouvement des Gilets jaunes commence avec le refus de la taxe carbone, qui est une grosse escroquerie. Sous prétexte d'écologie, vous venez nous taper à nous, qui avons une petite bagnole pour aller au boulot, qui faisons 40 km aller-retour par jour et pendant ce temps-là, vous laissez ceux qui ont des jets privés circuler partout dans le monde. C'est ce qu'ont dit les Gilets jaunes. C'est vraiment l'injustice totale.
Arrivé à Paris, je me mets à fréquenter les camarades du collectif politique, dont je suis le porte-parole, parce que j'ai pris conscience que l'écologie, c'est vraiment la notion d'avenir dans notre champ politique. Je suis convaincu que tout va se passer autour de l'écologie au vu de la situation. Il y a une vraie lutte des classes au sein de l'écologie. Il y a l'écologie bourgeoise, mais il y a aussi une écologie radicale, une écologie décoloniale. On le voit notamment avec le discours de Jill Stein, lors de la présidentielle aux États-Unis. Il y a d'un côté les écologistes européens bourgeois qui veulent lui donner des leçons et elle, qui les rappelle à l'ordre, en disant que la vraie écologie, c'est celle qui se positionne du côté des peuples opprimés, notamment du peuple palestinien. Chez PEPS, on défend la notion d'écologie de libération. On dit que l'écologie, elle libère des oppressions.
Je me suis dit que ça me concernait directement en tant que jeune racisé. Les voyageurs en France — ceux qu'on appelle les gens du voyage — ils sont parqués à côté des sites les plus polluants et les plus pollués de ce pays. C'est ce qu'on appelle le racisme environnemental. À Rouen, en 2019, il y a l'incendie de Lubrizol. Le premier lieu de vie à côté de ce site classé Seveso, c'est un terrain dit d'accueil — qui n'a rien d'accueillant — de voyageurs. Les gens, pendant qu'on évacue tout le monde autour, sont parqués là-bas. On leur dit : « Vous pouvez sortir, mais pas avec les caravanes ». Or les caravanes, ce sont le logement des gens, leur habitat. En quelque sorte, on les parque et on les séquestre en train d'inhaler des fumées profondément toxiques. L'écologie, c'est notre affaire à nous, les dominéEs et les exploitéEs de ce monde.
Dans les motifs d'indignation, tu parles beaucoup aussi, évidemment, du racisme ? De l'antitsiganisme ?
C'est une de mes batailles principales. Ma grand-mère et sa génération ont vécu un internement et un génocide toujours pas reconnu plus de 80 ans après. L'antitsiganisme, c'est le racisme subi par toutes les populations qui sont perçues comme Tsiganes. Alors, Tsigane, c'est un exonyme, un terme de la littérature scientifique que j'évite d'utiliser, mais il s'avère que le terme « antitsiganisme » désigne le racisme subi par tous ceux qui sont désignés comme tels, à savoir les Roms, les Yéniches, les Sintis, les Manouches, les Gitans et les voyageurs. Ce sont les 6 collectifs principaux.
Il y a le racisme environnemental. L'espérance de vie des voyageurs est de plusieurs années inférieure au reste de la population. Il y a la discrimination à l'école. Il y a les crimes policiers. Moi, je l'ai vécu dans ma famille, avec Daniel, qui s'est fait tuer par des gendarmes quand j'avais une dizaine d'années. Il y a eu Angelo Garand, et sa sœur qui mène un combat salutaire pour la justice, et d'autres… Les voyageurs sont les plus victimes de crimes policiers.
Il y a des convergences à faire, avec toutes celles et ceux qui subissent le racisme, en tant que phénomène systémique et structurel. Je me suis rapproché du champ de l'antiracisme politique. Avec Amal Bentounsi, on passe beaucoup de temps dans des combats communs. Il y a une nécessité impérative que les personnes qui subissent le racisme d'État en France s'unissent, ne laissent personne de côté pour déconstruire la pyramide raciale.
Tu me disais que tu travailles avec Ersilia Soudais, qui est députée, que vous préparez ensemble un projet sur cette question ?
Tout à fait. Je tiens à remercier Ersilia Soudais qui est la première parlementaire qui s'engage pleinement sur la lutte contre l'antitsiganisme. En janvier, Ersilia va déposer une proposition de résolution pour la reconnaissance du Samudaripen — « la mort de tout » en romanès —, donc du génocide des Roms, des Sintis, des Gitans, des Manouches et des voyageurs. Notre objectif ? Que la France, 80 ans après, reconnaisse sa culpabilité, qui est immense dans ce génocide et les persécutions entre 1939 et 1946. Elle ouvrirait la voie, notamment à des indemnisations et des réparations des spoliations très graves. L'État a volé tous les outils de travail de nos ancêtres, via la Caisse des dépôts et des consignations. Cela a assigné des gens à la misère.
Comment tu vois la situation avec l'autoritarisme qui se développe ?
Il y a des dérives autoritaires graves. Il y a des populations en France, comme les voyageurs, qui n'ont jamais connu l'État de droit. On a laissé faire une expérimentation de la coercition étatique vis-à-vis de certaines populations, vis-à-vis des quartiers populaires, vis-à-vis des populations racisées, des voyageurs, et des musulmanEs aussi. […]
On a atteint un degré de répression pendant les Gilets jaunes, que les gens sous-estiment. On a laissé passer la normalisation de l'état d'urgence après les attaques terroristes de 2015, et les mesures d'exception sont devenues la norme et la banalité. Les dominants font de la répression, car ils veulent silencier la parole de l'opposition, et notamment de la jeunesse. Et donc, il y a une fascisation qui est grave. Ils préparent, ils donnent clé en main à l'extrême droite.
Hannah Arendt disait que choisir le moindre mal, c'est toujours choisir le mal. Macron n'est pas du tout un rempart. Parce que si la formation politique de Bardella, le Rassemblement national, était arrivée en tête aux élections législatives, il aurait pris un plaisir fou à gouverner avec lui.
Qu'est-ce qu'agir dans ce monde qui se durcit, qui se radicalise de plus en plus vers l'écofascisme ?
Il faut cesser d'opposer de manière antagonique nos formes de luttes. Ce qu'il nous faut aujourd'hui, ce n'est ni le parti d'avant-garde révolutionnaire qui va sauver les masses avec un discours pseudo-éclairant. Ce n'est pas non plus la social-démocratie. Ça ne marche pas. On pense qu'il y a une troisième voie. C'est la révolution rampante. C'est un peu le lierre et les ronces qui poussent à travers les différents socles, le socle de la pyramide sociale, et qui la font effondrer. Qui poussent dans le bitume des bourses du CAC40 et qui font s'effondrer les bâtiments. Je pense qu'il y a trois fronts de lutte : un front interne, les institutions pour faire entendre une voix dissonante ; un front externe, pour être capable de s'opposer frontalement au système avec des grèves, des blocages, des manifs sauvages, des piquets de grève ; et un front parallèle, construire dès maintenant une alternative. C'est la stratégie du pouvoir populaire. Il faut que le système s'effondre de nos alternatives, qu'on construise des pouvoirs populaires encore plus forts que le pouvoir étatique et centralisé.
Propos recueillis par Olivier Besancenot
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Tout le monde apporte son grain de sel (ou de sable !)

Plonger dans le livre Organiser, mobiliser, gagner : guide de renouveau syndical, c'est revenir à la base de l'implication syndicale. C'est prendre un pas de recul sur son action pour mieux comprendre son importance, qu'on milite depuis peu ou qu'on soit une personne d'expérience dans son syndicat.
Tiré du Point syndical.
Plonger dans le livre Organiser, mobiliser, gagner : guide de renouveau syndical, c'est revenir à la base de l'implication syndicale. C'est prendre un pas de recul sur son action pour mieux comprendre son importance, qu'on milite depuis peu ou qu'on soit une personne d'expérience dans son syndicat.
L'ouvrage est une adaptation québécoise du guide Secrets of a Successful Organizer de Labor Notes par le conseiller syndical de la CSN, Alain Savard. Son but est d'offrir une démarche « pour planifier des actions collectives qui fonctionnent ».
Certaines des 8 leçons ou des 47 « secrets » relèvent du gros bon sens. Et c'est vrai. Pour attirer plus de personnes aux assemblées, il faut interpeler les membres sur les enjeux qui les concernent. Logique. Mais pour savoir quels sont ces enjeux, il faut leur poser des questions et surtout, les écouter plus que leur parler.
À cette fin, prendre le temps de tenir des rencontres avec chacune et chacun des membres pour connaître leurs préoccupations est primordial. Il faut aussi chercher à les impliquer le plus possible en leur demandant de poser des actions simples et ciblées, comme porter un chandail d'une couleur précise ou encore signer une pétition. L'objectif n'est pas d'atteindre 100 % de participation le premier jour des moyens de pression, mais d'inclure progressivement les gens selon leur niveau de militantisme.
Le guide est rempli d'exemples de syndicats américains, canadiens et québécois qui ont mobilisé leurs membres sur des enjeux de premier et de deuxième front. Ces illustrations permettent de voir comment il est possible pour un syndicat de se positionner comme acteur de changement, de réaliser des gains en dehors des périodes de négociation et d'augmenter la mobilisation.
Le guide recourt à la cible d'un jeu de fléchettes pour représenter la constellation des membres en cinq paliers : le noyau, les militantes et militants, les sympathisantes et sympathisants, les désengagé-es et les hostiles. Le but est d'amener peu à peu chaque personne vers le centre pour solidifier le noyau et la relève.
Le guide n'a pas la prétention de nous permettre à tout coup de gagner nos luttes. Au contraire, l'auteur le mentionne clairement : « Vous perdrez plus souvent que vous gagnerez », mais chaque échec vient avec un apprentissage pour la suite.
Pour consulter l'ouvrage, c'est ici !
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Atome 33 : Histoire d’une lutte collective contre une pollution industrielle

Rouyn-Noranda est une ville prospère de l'ouest du Québec construite autour de la fonderie de cuivre Horne. Lorsque ses habitants apprennent en 2019 que leurs enfants présentent un taux d'arsenic bien supérieur à la moyenne, ils se tournent vers la fonderie pour lui demander de réduire sa pollution invisible. Ce qu'ils ne mesurent pas alors, c'est l'immense influence de l'entreprise face à eux, qui n'est autre que le géant mondial des matières premières : Glencore.
Grégoire Osoha a suivi l'action collective de ces citoyens déterminés et retrace l'histoire de la fonderie et de la multinationale. Il tente ainsi de comprendre pourquoi il est si difficile d'obtenir gain de cause quand bien même la santé est impactée et pointe les dérives d'un système qui semble prêt à tout au nom du profit.
Lire un extrait.
Grégoire Osoha a travaillé plusieurs années pour Amnesty International France, il est aujourd'hui journaliste indépendant, réalisateur de documentaires et de podcasts. Atome 33 est son deuxième livre chez Marchialy après Voyage au Liberland.
À paraître le 25 février en Europe et au Canada un peu plus tard aux Éditions Marchialy.
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Macron trahit la gauche et les écolos sur la question sahraouie

La reconnaissance par Macron de la marocanité du Sahara occidentale cachait des visées vite débusquées par des spécialistes. Ouvrir le territoire sahraoui aux intérêts des Groupes français afin d'y exploiter ses gisements miniers et maritimes. Une manif ce samedi 14 janvier pour dénoncer le coup du Khanjar du Président !

De Paris, Omar HADDADOU
Indignées, Alger et la Gauche française montent au créneau, contre Macron ! De la dernière colonie en Afrique, s'élèvent les voix de la Révolution pour l'Autodétermination de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Epuisées par le voyage jusqu'à Paris, les Militantes sahraouies et leurs enfants, avaient conservé ce sourire rayonnant, malgré le froid, conférant à leur beauté naturelle toute la puissance enchanteresse.
A celles et ceux qui prenaient part à la mobilisation, Place de la République, ce samedi 14 janvier, elles distribuaient des dattes et des bouteilles d'eau sous un florilège de chants patriotiques en arabe, les drapeaux nationaux en agitation continue : « Saluez Révolutionnaires, saluez ! Tous (es) les Révolutionnaires ! Ô peuple révolutionnaire, nous sommes Révolutionnaires et la terre libre, est aux Sahraouis (es) ! ».

Puis la voix d'un représentant de l'Association de la Communauté sahraouie en France de retentir : « Une seule solution, arrêtez l'occupation ! ».
Mais le coup porté par le chef de l'Etat français en s'arrogeant la latitude de fouler du pied les droits du peuple sahraoui et les résolutions de l'ONU, a mis le feu aux poudres à une vraie crise diplomatique entre Paris et Alger, sur fond de levée de boucliers de la Gauche et des Ecologistes français.
Rappelons ce fait marquant de la missive adressée le 30 Juillet au roi du Maroc. Emmanuel Macron affirmait, avec aplomb, que « le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ».
La déclaration de Fabien Roussel (PCF) en dit long sur les ambitions prédatrices et hégémonique d'Emmanuel Macron : « Il ouvre une crise diplomatique grave pour poursuivre le pillage de l'Afrique, dont les grandes richesses naturelles du Sahara Occidental ».

Une mise à nu étayée par la cheffe des Ecologistes, Marine Tondelier qui parle de « trahison de la position historique de la France ».
RECONNAISSANCE DE LA MAROCANITE DU SAHARA CONTRE INVESTISSEMENTS (ILLEGAUX) DANS LES TERRITOIRES OCCUPES !
Une résurrection néocolonialiste opéré par un Macron qui voit son statut de chef de l'Etat s'effriter lamentablement et ses gouvernements assignés à la queue leu leu pour remettre leur démission. La Gauche a de la matière observable sous les auspices de l'ingénu Bayrou, potentielle victime de la prochaine « secousse tellurique gouvernementale ». L'irréversibilité de la disgrâce du Président, est ponctuée par la supercherie et l'illusion cocasses de « France Afrique ».
Empoignant son bâton de pèlerin, Macron part à la conquête de zones d'influence et la promotion du protectionnisme des intérêts des entreprises françaises sur les territoires occupés du Sahara occidental.
Un espace dont le sous-sol suscite des convoitises par sa richesse considérable en minerais. De quoi éperonner les velléités hégémoniques d'Emmanuel Macron : On y relève d'importants gisements, tels que le fer, nickel, tungstène, titane, manganèse pierres précieuses, uranium, vanadium, et les très prisés : galène et bismuth pour leur importance stratégique dans l'industrie aéronautique et spatiale.
A noter aussi des filaments de grenats, rubis, saphir, topaze, béryl et tourmaline. Les tréfonds abriteraient également du pétrole à Al Ayoun et au sud-ouest. En reconnaissant la marocanité du Sahara occidental, Macron espère décrocher le Jackpot !
La mobilisation de ce samedi appelait avec force au respect des décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) et du Droit international. Elle exprimait son indignation face à l'attitude du gouvernement français qui encourage les entreprises à violer le Droit européen en investissant dans les territoires occupés du Sahara occidental. Le Président français s'est hasardé avec suffisance dans une ingérence délétère. Il cultive l'utopie que tout se décide à Paris !
Le réveil du Sahel lui a prouvé un changement de la donne.
En témoigne, le rejet catégorique par l'Indépendantistes sahraouis, le 17 octobre 2024, du projet de « partition » du Sahara occidental, soumis au Conseil de sécurité.
Le positionnement de la France témoigne - t-il de l'esprit vindicatif d'Emmanuel Macron envers Alger qui voit ses engagements diplomatiques et sa souveraineté bafoués en vertu d'un phantasme colonial atavique ? La crise diplomatique est plus que jamais consommée !
O.H
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L’Organisation Fief ; pose des pierres importantes...

L'organisation des femmes indépendantes, éduquées et féministes (FIEF) a organisée le samedi 14 décembre 2024, la première édition du Forum sur l'Inclusion et l'Autonomisation des Femmes à l'Hôtel Kinam, Pétion-Ville.
Plusieurs personnalités « toutes de sexes féminins », étaient présentes pour intervenir à cette activité : Sinedie S.Dupuy, Christine Stephenson et sans oublier la présence de Melodie BenJamin.
D'après les propos de la Présidente de FIEF madame Yvenie Chouloute : ” être féministe ne signifie pas être en désaccord avec le genre masculin, ni un mouvement qui vise à dénigrer les hommes ". Les deux autres intervenantes ; Mme Christine et Mme Dupuy, se rangent à cet avis en y ajoutant que « le féminisme est plutôt un combat qui tend à accélérer l'égalité, le leadership et les possibilités pour les femmes et les filles. »
L'objectif de ce forum était ; d'encourager la participation active des femmes dans les secteurs-clés de l'économie, de les inciter à être plus présentes dans les sphères publiques et privées. Tout un programme a été mis en place pour favoriser la réussite de cette journée : (panels de discussion avec des expertes, des leaders d'opinion et des femmes inspirantes, projection, Ateliers interactifs, Séances de photos individuelles, réseautage, etc.)
En termes d'affluence, pour la première réalisation de cet événement qui prône l'inclusion et l'autonomisation des femmes, on peut sans hésiter parler de grande réussite, d'après la présidente, son attente est comblée et déjà, elle commence à penser à la prochaine édition qui devrait se tenir en 2025.
Crédit Photos : Youbens Cupidon et Caleb François
Rédaction : Francois Alfred Dieudonné Junior en collaboration avec Smith PRINVIL
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Pour conjurer l’oubli de la Kanaky

Six mois après les révoltes en Nouvelle-Calédonie, Mediapart est parti à la rencontre des indépendantistes kanak, en tribu, dans les quartiers populaires de Nouméa, mais aussi dans la « brousse », au nord de la capitale. Avec pour objectif de donner la parole à celles et ceux qui en sont d'ordinaire privés.
Tiré du blogue de l'autrice.
« La colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, un crime contre l'humanité. C'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face. » La colonisation fait aussi partie de ce présent français sur lequel Emmanuel Macron refuse aujourd'hui de poser des mots aussi forts que ceux qu'il avait prononcés durant sa première campagne présidentielle au sujet de l'Algérie. Un présent que subissent au quotidien des dizaines de milliers de Kanak dans un archipel perdu au milieu de l'océan Pacifique, à 17 000 kilomètres de la métropole.
Lorsque les révoltes ont éclaté en Nouvelle-Calédonie au mois de mai, Mediapart a continué de documenter cette crise au cœur de ses engagements éditoriaux depuis sa création. Par le biais d'enquêtes, d'analyses, d'entretiens, mais aussi de reportages réalisés sur place par notre correspondant, le journaliste Gilles Caprais. Six mois plus tard, une fois le calme revenu et l'effervescence médiatique retombée, un impératif s'est imposé : il fallait retourner dans l'archipel, donner à voir et à entendre celles et ceux pour qui rien n'est réglé.
Pendant deux semaines, du 9 au 24 novembre, nous sommes donc partis à la rencontre des indépendantistes kanak, en tribu, dans les quartiers populaires de Nouméa, mais aussi dans la « brousse », au nord de la capitale. Sur notre route, nous avons aussi croisé celle de militant·es loyalistes et d'habitant·es issu·es de toutes les communautés qui composent la mosaïque calédonienne. Autant de personnes qui ont pris le temps, beaucoup de temps, pour se confier sur leurs histoires, leurs inquiétudes et leurs aspirations.

Ce reportage a aussi été l'occasion de mesurer physiquement les effets de la répression qui s'est abattue sur l'archipel au cours des derniers mois. La présence massive des gendarmes, sur les routes, dans les hôtels et dans les bars des quartiers chics de Nouméa ; le vrombissement régulier de leurs drones planant au-dessus de nos têtes ; ce sentiment diffus d'être observés dans chacun de nos mouvements. Mais aussi la dureté d'une capitale scindée en deux, où personne ne marche dans le centre-ville et où les destins se croisent rarement.
Aller en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, c'est aussi se départir de nos réflexes occidentaux pour découvrir un rapport au monde et aux mots différent du nôtre. Les mères y sont appelées « mamans » et les Européens qualifiés de « Blancs », sans que cela revête une quelconque connotation paternaliste ou raciste. La coutume, qui régit la société kanak et place l'humain au cœur de ses préoccupations, imprègne chaque échange. Il n'y a pas de petites phrases, de fausses confidences ou d'écume politique, telles qu'on peut en connaître en métropole. La parole y est aussi directe que précieuse. Et le temps n'a plus besoin de montre.
Durant notre reportage, nous avons aussi pu constater que beaucoup de peurs traversent aujourd'hui l'archipel. Et qu'il en est une qui ronge par-dessus tout les esprits : la peur de l'oubli. L'oubli de celles et ceux qui vivent loin et ne savent rien de ce qui se trame dans ce bout du bout du monde. L'oubli du passé que certain·es voudraient balayer. L'oubli de la culture kanak, de ses langues, et de son lien indéfectible à la terre. L'oubli du monde de l'invisible et de la parole des « vieux ». L'oubli du respect et de l'humilité que chacun·e leur doit.
Six mois après les révoltes qui ont embrasé la Nouvelle-Calédonie, Mediapart est donc revenu dans les lieux de la mobilisation dans l'espoir de conjurer cet oubli. Et vous propose le récit, en six épisodes, d'une indépendance déniée.
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Comment les médias indépendants peuvent exister et porter d’autres voix ?

Face à CNews et BFMTV, comment les médias indépendants peuvent exister et porter d'autres voix ? StreetPress se pose la question dans ce podcast vidéo avec Valentine Oberti de Mediapart, Paloma Moritz de Blast et Seumboy d'Histoires Crépues.
Tiré du blogue de l'auteur.
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La Ligue des travailleuses domestiques reçoit le Prix Orfinger-Karlin de la Ligue des droits humains

Ce dimanche 8 décembre, la Ligue des droits humains a décerné le Prix Régine Orfinger-Karlin à la Ligue des travailleuses domestiques de la CSC. Cette association rassemble des femmes sans-papiers de toutes origines qui travaillent comme aide soignantes, nounous, aide-ménagères, etc., en région bruxelloise et qui bataillent pour une reconnaissance de leur travail, invisible mais essentiel. Avec ce Prix, la Ligue des droits humains veut souligner la ténacité et le courage de la Ligue des travailleuses domestiques, ainsi que la force et la créativité de leurs actions.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Depuis 2018, la Ligue des travailleuses domestiques de la CSC, accompagnée par le CIEP MOC Bruxelles, soulève des montagnes pour faire reconnaître leurs droits. Ces femmes, sans-papiers, originaires d'Amérique latine, d'Asie (Philippines), ou encore d'Afrique, travaillent comme domestiques chez des particulier·ères, souvent dans des familles aisées. Elles nettoient les maisons, gardent les enfants ou prennent soin des personnes âgées. On estime que ces femmes sont entre 70 et 80 000 en Belgique.
Visibiliser les travailleuses invisibles
Ces travailleuses de l'ombre ont décidé de revendiquer haut et fort des droits : elles demandent un accès légal au marché du travail afin de mettre fin à la précarité de leur situation et de pouvoir cotiser à la sécurité sociale, ainsi qu'un accès aux formations d'Actiris pour les métiers en pénurie. Par ailleurs, les travailleuses domestiques exigent une protection juridique qui leur permette de porter plainte en toute sécurité et dignité contre les employeurs abusifs.
Ténacité et créativité
En remettant le prix Régine Orfinger-Karlin à la Ligue des travailleuses domestiques, la LDH souhaite mettre un coup de projecteur sur une cause méconnue et saluer la détermination et la créativité de cette association. Les travailleuses domestiques portent leurs revendications partout où elles le peuvent :en juin 2022, la Ligue des travailleuses a créé son propre Parlement sur la place du Luxembourg pour dénoncer l'exploitation et les violences auxquelles elles font face au quotidien et interpeller les ministres compétents. Le 25 novembre 2022, les travailleuses ont déposé une motion devant le Parlement bruxellois. Lors de la journée internationale du travail domestique en juin 2023, elles ont monté un procès fictif devant le Palais de justice de Bruxelles qui s'est soldé par la condamnation du gouvernement bruxellois pour son manque de courage politique. Dans la foulée, elles ont déposé plainte au Parlement européen pour signaler le non-respect de plusieurs directives européennes par la Région. En juin 2024, les travailleuses en grève ont créé leur gouvernement idéal et ont défilé lors d'un “gala” pour mettre en valeur leurs efforts. La force, la ténacité et la créativité de leur combat forcent l'admiration.
Bamko et le Collectif les 100 diplômées
Deux autres associations ou collectifs étaient nommés pour cette édition 2024 du Prix Régine Orfinger-Karlin, du nom de cette résistante et avocate des droits humains qui a marqué l'Histoire de la LDH : le Collectif les 100 diplômées qui bataille sans relâche pour l'accès à l'enseignement et au monde travail pour les femmes qui portent le foulard ainsi que Bamko, centre de réflexion féministe qui enrichit le débat autour de la lutte contre le racisme ou encore la décolonisation de l'espace public.
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Lithium en Argentine : comment penser une transition juste et féministe dans le gouvernement Milei

L'article de Terra Nativa - Amis de la Terre Argentine [Tiera Nativa - Amigas de la Tierra] aborde le contexte politique du pays et ses impacts sur la nature.
Tiré de Capire
04/10/2024 | Tierra Nativa – Amigas de la Tierra Argentina
Marí Fer
Le scénario politique, économique, social et environnemental en Argentine est marqué par des reculs permanents lorsque l'on parle de droits. L'extrême droite progresse simultanément et rapidement sur plusieurs fronts, affaiblissant notre démocratie et notre tissu social. Dans les premiers mois du gouvernement Milei, nous avons vu comment les impacts des politiques néolibérales touchent directement la vie des gens, en particulier dans les secteurs populaires, où l'État continue d'être absent et en recul constant. Le président cherche à imposer les règles du marché à toutes les relations sociales, ayant comme principal outil la destruction des structures de l'État. La réforme institutionnelle est telle que le Ministère de la déréglementation et de la transformation de l'Étata été créé, un organisme dont l'objectif est de « réduire les dépenses publiques ».
En même temps, quelques jours après l'investiture du gouvernement, le ministère de la Sécurité a créé le soi-disant Protocole pour le maintien de l'ordre public, un mécanisme de criminalisation des manifestations et des organisations sociales. Le protocole criminalise les blocages de rues et de routes, ce qui signifie que toute personne participant à une manifestation peut être considérée comme un criminel. Il convient de noter que le protocole n'est pas clair sur l'utilisation des forces de sécurité nationales et ne leur interdit pas expressément d'utiliser des armes à feu.
Ce contexte a conduit à l'institutionnalisation d'une série de mesures que le gouvernement met en œuvre depuis son arrivée au pouvoir : des milliers de licenciements dans l'État ; la réduction des ministères nationaux (dont le Ministère de l'Environnement et du Développement Durable et le Ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité) ; une dévaluation brutale de la monnaie nationale ; le retrait des subventions pour les transports et les services de base, avec de fortes augmentations des tarifs ; suppression du financement des universités publiques et du système scientifique national ; fermeture des médias publics ; fermeture des organismes nationaux axés sur la préservation des droits humains, des droits de la communauté LGBTQI+ et des peuples autochtones ; interdiction d'utiliser des concepts tels que « changement climatique », « agroécologie », « genre » et « biodiversité » dans les espaces liés à l'État ; suspension de la livraison de nourriture aux cuisines communautaires ; fin de la distribution de médicaments gratuits pour les patients atteints de cancer et de maladies chroniques ; coupes dans le budget du système de santé publique ; entre autres.
Cette combinaison d'actions affecte directement l'économie familiale, augmentant les taux de pauvreté et d'indigence. L'une des dernières actions du gouvernement a été d'opposer son veto à une loi qui proposait d'augmenter le montant minimum de la retraite pour plus de 8 millions de retraités, qui sont actuellement en dessous du seuil de pauvreté.
Ce revers s'est produit à travers le projet de loi « Bases et points de départ pour la liberté des Argentins », qui a été approuvé par le Congrès national malgré des mobilisations populaires massives contre lui. Alors que le projet de loi était débattu au Parlement, les forces de sécurité nationales ont brutalement réprimé les manifestations. Selon le Centre d'études juridiques et sociales (CELS), la répression a laissé 665 personnes avec différents types de blessures dans la seule ville de Buenos Aires. 47 travailleurs des médias ont été blessés et 80 personnes ont été arrêtées arbitrairement lors de manifestations dans les villes de Córdoba, Rosario et Buenos Aires. Le dernier d'entre eux a été libéré après trois mois dans une prison de haute sécurité pour « terrorisme » et « tentative de coup d'État ».
Au sein de cette énorme loi de réforme de l'État se trouve le grand Programme d'incitation à l'investissement (RIGI). Avec cette nouvelle structure, il cherche à stimuler les investissements dans les mines, le pétrole, le gaz et l'agriculture pendant 30 ans grâce à des politiques fiscales et douanières qui ne profitent qu'aux capitaux étrangers. RIGI cherche à consolider un modèle de spécialisation productive dans lequel l'Argentine est un simple exportateur de matières premières, dans un processus dirigé par des entreprises transnationales et sans aucune articulation avec la structure productive nationale. En vertu de ce régime, les sociétés transnationales doivent fournir 40 % de l'investissement initial au cours des deux prochaines années. À partir de la troisième année, ils pourront utiliser totalement gratuitement les dollars générés par les exportations, ce qui réduira à l'avenir la disponibilité de devises étrangères dans le pays. De plus, ils pourront bénéficier d'avantages fiscaux pendant trente ans.
Carte de la colonisation contemporaine : le lithium en Argentine sous contrôle transnational
Le lithium est un bien naturel commun qui joue un rôle stratégique dans la transition énergétique et est crucial dans le différend géopolitique. Pour aborder cette question de manière globale, en plus du RIGI, il est essentiel d'analyser la performance internationale de Milei, qui est pleinement alignée sur les intérêts des États-Unis. Depuis son entrée en fonction en tant que président, Milei a effectué 12 voyages à l'étranger,passant 47 jours à l'extérieur du pays, les États-Unis étant la destination la plus fréquente. Ses liens avec Elon Musk, qui est également à l'origine du lithium argentin pour sa société Tesla, sont bien connus. Lors de l'un de ses nombreux voyages aux États-Unis, Milei a rencontré l'homme d'affaires, concluant des accords pour éliminer « les obstacles bureaucratiques et promouvoir le marché libre ». Une autre de ses destinations était l'Espagne, où il a présenté son livre Capitalismo, socialismo y la trampa neoclásica [Capitalisme, socialisme et piège néoclassique] et il a assisté à un événement pour le parti d'extrême droite Vox.
L'Argentine est le pays qui possède les deuxièmes plus grandes réserves de lithium au monde et forme, avec le Chili et la Bolivie, ce que l'on appelle le « triangle du lithium ». Alors que ce minéral est considéré comme une ressource stratégique dans des pays comme le Chili, la Bolivie et le Mexique, en Argentine les lois continuent de répondre aux intérêts des grandes entreprises. La perte de souveraineté nationale sur nos actifs stratégiques ouvre la voie à un pillage illimité par les sociétés transnationales. Ainsi, un modèle économique dépendant et extractif se perpétue qui génère de la pauvreté dans les régions où la richesse est extraite.
Le lithium a commencé à être exploité dans les années 1980. Cependant, son exploitation s'est intensifiée au cours des première et deuxième décennies des années 2000. Les exportations de lithium ont augmenté rapidement depuis lors. En Argentine, la production de lithium a augmenté de 72,2 % entre 2015 et 2020, selon les données du Secrétariat des mines de 2021.
Chez Tierra Nativa, nous avons fait une carte des projets de lithium en opération dans le pays. Elle montre l'extranéité qui caractérise le contrôle de cette production. Cette cartographie géoréférencée révèle la concentration de projets de lithium sous le contrôle de sociétés transnationales du Nord, ce qui en fait un outil fondamental pour comprendre les nouvelles formes de colonialisme économique et environnemental à l'œuvre dans notre région. En même temps, cela nous permet de réfléchir à des stratégies pour une transition énergétique juste.
Élaboré par : Giuliana Alderete
Pour une transition juste, féministe et populaire
Actuellement, l'ère des ressources non renouvelables telles que le pétrole et le gaz naturel touche à sa fin, et cela n'est pas seulement dû à la finitude de ces ressources, mais aussi aux vastes preuves scientifiques sur la grande pollution qu'elles génèrent, contribuant à l'accélération du changement climatique. Cette question est à l'ordre du jour du Nord, du Sud, des organisations multilatérales, des États et, surtout, des grandes entreprises.
Notre système énergétique est un système colonial dominé par les grandes transnationales, avec concentration de la propriété, privatisation des entreprises publiques, augmentation de la consommation et plus grande participation du pouvoir des entreprises à la politique énergétique des États. L'Amérique latine et les Caraïbes, ainsi que l'Afrique et une grande partie de l'Asie, se caractérisent par l'exploitation des territoires et des zones sacrifiées. Les peuples autochtones, les Noirs et les communautés paysannes sont en première ligne contre les projets extractifs à grande échelle dans notre Sud.
La précarité énergétique est une réalité dans nos pays et creuse les inégalités. La marchandisation de l'énergie et les tarifs élevés empêchent les familles pauvres d'avoir un accès garanti à ce service. L'utilisation du bois de chauffage et du charbon de bois pour cuisiner augmente encore plus en temps de crise et affecte particulièrement la vie quotidienne et la santé des femmes, qui sont responsables des tâches de soin et de reproduction de la vie.
Le secteur de l'énergie est l'un des principaux responsables des conflits environnementaux et des violations des droits des peuples et des territoires. La politique énergétique est profondément liée à la géopolitique, aux politiques de développement et aux intérêts du capital transnational dans les secteurs de l'agro-industrie, des combustibles fossiles et des mines. Le contrôle des réserves et la contestation des sociétés transnationales pour l'exploitation de ces réserves font partie des motivations des coups d'État et des interventions dans les processus politiques des pays d'Amérique latine. Cela était évident lors du coup d'État en Bolivie en 2019, avec l'arrivée de la société d'Elon Musk au Brésil sous le gouvernement Bolsonaro et sa récente arrivée en Argentine sous le gouvernement Milei.
Le différend sur cette « transition » affecte nos démocraties. Par conséquent, cela affecte également la vie juste et souveraine de nos peuples. Il est nécessaire et urgent de réfléchir à la manière dont nous allons nous organiser pour que cette transition se fasse dans une perspective féministe et populaire. C'est-à-dire un processus qui construit, en même temps, des stratégies contre les différents systèmes d'oppression de genre et de classe et contre le racisme, le colonialisme, le fascisme et l'impérialisme.
En ce sens, Tierra Nativa défend la souveraineté économique et politique des États, la nationalisation des actifs stratégiques, la construction populaire des politiques publiques et de la planification de l'État, et le renforcement des liens régionaux en tant que stratégie fondamentale. Notre intention est que ce débat serve de contribution pour continuer à réfléchir à de nouveaux horizons.
Édition par Bianca Pessoa
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : espagnol
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« Tout le tribunal a envie de te violer »

Alors que la société française prend, année après année depuis le début de #Metoo, la mesure du caractère structurel des violences sexistes et sexuelles, les attentes fortes de justice suscitées par cette prise de conscience se heurtent encore à des formes d'inertie ou de résistances de l'institution judiciaire et de ses membres.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Dans ce contexte, le Syndicat de la magistrature a décidé d'évaluer l'ampleur de ces comportements au sein même de l'institution judiciaire et questionner les rapports de genre. Il s'agissait d'interroger la capacité de l'institution judiciaire à jouer son rôle dans le traitement, la sanction et la réparation de ce type de faits.
Le Syndicat de la magistrature a ainsi adressé à l'ensemble des magistrat·es un questionnaire, sous la forme d'une enquête dite de victimation. Il leur a été demandé s'ils·elles avaient déjà été victimes ou témoins de VSS au sens large au sein de l'institution judiciaire. Une série de questions leur a été posée sur la nature des faits, l'éventuel rapport hiérarchique avec l'auteur, les conséquences des faits, la manière dont a été traité leur signalement en interne, etc.
Les 525 réponses complètes obtenues (qui s'ajoutent aux 447 formulaires partiellement ou totalement remplis mais non validés, soit 972 au total) permettent d'esquisser l'ambiance sexiste, homophobe et transphobe dans la magistrature.
La note publiée ce 5 écembre 2024 (ci-dessous), intitulée « Tout le tribunal a envie de te violer – note sur les violences sexistes et sexuelles dans l'institution judiciaire », analyse les réponses au questionnaire envoyé, dresse un état des lieux de la question et propose des pistes d'amélioration.
Ce premier travail a vocation à ouvrir de nouveaux débats et à initier des changements pour les personnels de justice mais aussi – et surtout – pour les justiciables, qui attendent légitimement une réponse à la hauteur des enjeux à l'œuvre pour notre société.
Télécharger la « Note sur les violences sexistes et sexuelles au sein de l'institution judiciaire »
***
Introduction
Alors que la société française prend, année après année depuis le début de #Metoo, la mesure du caractère structurel des violences sexistes et sexuelles, les attentes fortes suscitées par cette prise de conscience vis-à-vis de la Justice se heurtent encore à des formes d'inertie ou de résistances auprès de certain·es magistrat·es. C'est dans ce contexte que des débats ont émergé, au sein du Syndicat de la magistrature, sur la nécessité d'évaluer l'ampleur de ces comportements au sein même de l'institution judiciaire. Après tout, pourquoi les tribunaux, les cours d'appel, l'École nationale de la magistrature, les services de l'administration centrale, échapperaient-ils à ce phénomène ? Les hommes et les femmes de justice sont, comme leurs concitoyen·es, aux prises avec les structures patriarcales de notre société. Si certains faits très graves font l'objet de poursuites pénales ou sont sanctionnés disciplinairement, des gestes ou des propos problématiques, s'apparentant parfois à des délits, sont évoqués au détour de conversations de couloir ou de cantine, ici et là, sans pour autant susciter de réaction institutionnelle. Alors que les auditeur·rices de justice – magistrat·es en formation – ont courageusement commencé à aborder cette question et que le principe d'un projet d'étude sur le sujet au sein du ministère de la Justice a été récemment adopté, aucune enquête approfondie n'a pour l'heure été menée.
S'interroger sur les violences sexistes et sexuelles qui seraient commises entre les professionnel·les de la justice, ce n'est donc pas seulement questionner les rapports de genre en son sein, c'est aussi et d'abord interroger la capacité des membres de l'institution judiciaire à jouer leur rôle dans le traitement, la sanction et la réparation de ce type de faits. Autrement dit, comment un procureur qui tente d'embrasser une auditrice de justice dans un couloir du tribunal orientera-t-il les enquêtes qu'il supervise dans ces matières ?
Il est rapidement apparu que la seule manière d'objectiver les violences sexistes et sexuelles dans la magistrature était d'interroger les magistrates et magistrats sur ce dont ils et elles avaient été victimes et/ou témoins. Un groupe de travail interne au syndicat a été constitué, notamment afin d'établir un questionnaire qui a ensuite été adressé à l'ensemble des juges et parquetier·ères de France ; sur environ 9 000 magistrat·es et auditeur·ices de justice, 525 y ont répondu, taux de réponse qui permet d'obtenir un premier aperçu de la situation, d'autant plus qu'au sein de la justice comme ailleurs, témoigner de ces faits, y compris de manière anonyme, est loin d'être une évidence.
Notre enquête conduit à un premier constat : l'institution est bien confrontée aux violences sexistes et sexuelles, très majoritairement sous la forme de propos ou de faits de harcèlement, mais également sous la forme d'agressions sexuelles et de viols. Les réponses mettent en évidence que ces violences sont le fait d'un double rapport de domination de genre et de hiérarchie, au sein d'une institution pyramidale. Les répondant·es se sont tous·tes dit·es en attente de réaction de la part d'une institution qui, à l'évidence, ne parvient pas à prévenir et traiter correctement ces situations. Ce premier travail d'état des lieux, d'analyse et de propositions a vocation à ouvrir de nouveaux débats et changements pour les personnels de justice mais aussi (et surtout), pour les justiciables qui attendent légitimement une réponse à la hauteur des enjeux à l'œuvre pour notre société.
https://www.syndicat-magistrature.fr/toutes-nos-publications/nos-guides-et-livrets/note-vss-2024/
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Lettre ouverte aux négociateurs de l’Arizona : "Pas de traversée du désert pour les droits des femmes !"

À l'heure où l'avenir de notre État fédéral se joue entre vos mains, au gré de vos négociations, coups de force, de poker ou de théâtre, nous tenons à vous faire part de notre sérieuse inquiétude quant au sort réservé aux droits des femmes.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Messieurs,
Nous, associations luttant quotidiennement pour une société plus égalitaire et plus juste, avons pris connaissance des déclarations de politique régionale et communautaire, en Wallonie comme en Flandre, et constatons amèrement qu'elles nous donnent plus de craintes pour l'avenir que de garanties pour nos droits. Au nord comme au sud du pays, les lunettes de genre semblent absentes sur des questions aussi cruciales que le logement ou l'emploi, et les chapitres « égalité » apparaissent bien maigres. L'accueil de la petite enfance, enjeu central pour l'accès des mères au marché du travail, se voit contaminé par des logiques marchandes et l'introduction, voire le renforcement, de priorités données aux parents qui travaillent porte atteinte au principe d'égalité entre les enfants.
« Ce qui filtre (ou ne filtre pas) des négociations est loin de nous rassurer »
À partir du moment où les mêmes partis – les vôtres – sont à la manœuvre dans les régions et au fédéral, comment ne pas redouter des politiques similaires pour votre futur gouvernement ? Ce qui filtre (ou ne filtre pas) des négociations de l'Arizona est par ailleurs loin de nous rassurer. Les réformes socioéconomiques sur la table risquent une fois de plus de toucher davantage les femmes, puisqu'elles sont statistiquement déjà plus pauvres que les hommes. La lutte contre les violences, ou pour l'égalité entre les femmes et les hommes ? Des non-sujets, semble-t-il. Sauf quand il s'agit de revenir en arrière, en proposant de supprimer les quotas de genre dans les CA des entreprises ? En Arizona, les droits des femmes pèsent peu face aux intérêts économiques…
Messieurs, l'avenir du pays, une fois encore, semble se décider « entre hommes ». Bien sûr, vous ne manquerez pas d'objecter : « Nul besoin d'être une femme pour mener des politiques d'émancipation pour tous et toutes ». Alors prouvez-nous que les enjeux d'égalité et que les droits des femmes, enjeux vitaux – car oui, il s'agit parfois de vie ou de mort ! – sont au cœur de vos préoccupations et de vos politiques. Montrez-nous que nos craintes ne se justifient pas et que la lutte contre les discriminations et les violences fondées sur le genre vous concerne au premier chef.
Laissez-nous tout d'abord vous rappeler qu'adopter des lunettes de genre pour chaque politique porte un nom : le gender mainstreaminget son corollaire, le gender budgeting. En l'occurrence, c'est une loi, donc une obligation à laquelle vous devrez vous conformer : celle d'évaluer en amont l'impact qu'aurait une mesure sur les femmes et sur les hommes et de rectifier le tir si cet impact devait se révéler différent en fonction du genre, donc discriminant. Cette application rigoureuse de la loi gender mainstreaming est un préalable et sous-tend dix mesures que nous estimons indispensables pour les droits des femmes et que nous vous conseillons fortement d'inscrire dans votre déclaration de politique générale (dix mesures qui ne sont pas listées ici par ordre de priorité) :
1.Créer un ministère des Droits des femmes et de l'Égalité de genre, de plein exercice, doté de moyens suffisants et maintenir la Conférence Interministérielle Droits des femmescomme outil de coordination des politiques d'égalité menées par les différentes entités fédérées, selon les principes de fonctionnement tels que définis sous la précédente législature.
2.Élaborer un nouveau plan d'action national de lutte contre les violences basées sur le genre (PAN) assorti d'un budget conséquent, avec pour boussole laConvention d'Istanbul, en partant de l'évaluation du PAN 2021-2025 et avec une implication directe et structurelle de la société civile. Nous veillerons aussi à la mise en œuvre effective de la loi « Stop Féminicide ».
3.Améliorer la loi sur l'avortement selon les recommandations du rapport du groupe d'expert∙es multidisciplinaires, remis au Parlement en avril 2023, dont l'allongement du délai jusqu'à 18 semaines post-conception, la fin des sanctions pénales pour les femmes et les médecins et la suppression du délai de réflexion.
4.Supprimer le statut de cohabitant·e et permettre à tous, et surtout à toutes, la constitution de droits sociaux propres, personnels et assurantiels, dans une logique de sécurité sociale forte et égalitaire sans sabrer dans d'autres mécanismes comme les allocations de chômage. Nous nous opposons fermement à toute mesure visant à limiter les allocations de chômage au-delà de deux années !
5.Garantir une pension minimum digne et égalitaire, réellement accessible aux femmes, ce qui implique de supprimer la condition de vingt années de travail effectif (et certainement pas d'augmenter le nombre d'années !), de tenir compte de toutes les périodes assimilées, qu'elles soient prises pour des raisons de soin (crédit-temps pour s'occuper des enfants, par exemple) ou liées à une inactivité involontaire (incapacité/invalidité de travail), et de revaloriser les années travaillées à temps partiel. Alors que l'écart de pension entre femmes et hommes est déjà de 26%, nous nous inquiétons fortement d'une réforme qui viendrait encore appauvrir de nombreuses pensionnées.
6.Transformer le SECAL (service des créances alimentaires) en un fonds universel et automatique des créances alimentaires tel que préconisé par l'étude de faisabilité confiée par l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes à la KU Leuven et l'Université d'Anvers etpubliée en octobre 2024.
7.Prendre en compte les spécificités genrées des parcours migratoires féminins, dont les violences que fuient les femmes, celles qu'elles rencontrent dans leur parcours etdans le pays d'accueil, dans le cadre d'une politique migratoire respectueuse de l'État de droit, de la Convention de Genève, de la Convention d'Istanbul et des droits humains fondamentaux.
8.Élaborer un plan d'action national contre le racisme, selon l'engagement pris par la Belgique à la Conférence de Durban de 2001, avec une réelle approche intersectionnelle et décoloniale qui reconnaît les formes de racisme qui affectent spécifiquement les femmes.
9.Revaloriser les métiers du soin, majoritairement féminins, dont on a vu le caractère essentiel durant la crise sanitaire, ce qui passe par une revalorisation salariale, de meilleures conditions de travail, une reconnaissance de la pénibilité de ces métiers et des maladies professionnelles qui y sont associées. Nous nous opposons fermement à toute coupe dans le secteur de la santé et du non-marchand ainsi qu'à tout ce qui mène à des emplois de plus en plus précaires qui rendent malades et ne permettent plus de vivre dignement (comme par exemple, l'élargissement des flexi-jobs à ces secteurs).
10.Garantir et renforcer les congés thématiques en les rendant plus accessibles, mieux rémunérés et mieux partagés. Pour que la conciliation entre nos vies professionnelle et familiale cesse de reposer sur les épaules des mères, et de les appauvrir !
Messieurs, il est grand temps de tenir compte de la moitié de la population belge dans vos négociations. Les droits des femmes et l'égalité de genre ne sont ni une matière résiduelle, ni une variable d'ajustement budgétaire ou un objet de marchandage politique. L'objectif de l'égalité demande de l'ambition, de la volonté politique et des moyens. Ne rien faire, c'est déjà reculer. Nous ne tolérerons aucun recul sur nos droits !
Signataires :
Carte blanche coordonnée par Vie Féminine et le Vrouwenraad
Awsa-Be (Arab women's solidarity association – Belgium)
BruZelle asbl
Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales (CPVCF)
Collectif contre les violences familiales et l'exclusion (CVFE)
Collectif des femmes
Des Mères Veilleuses
Elles pour Elles asbl
La Fédération des services maternels et infantiles (FSMI)
La Fédération Laïque de Centres de Planning Familial
Femmes CSC
Fem&Law
Furia
GACEHPA (Groupe d'action des Centres extrahospitaliers pratiquant l'avortement)
Garance
Jump, Solutions for equity at work
La Voix des Femmes
Le Monde selon les femmes
Mode d'Emploi asbl
Sofélia
Solidarité Femmes La Louvière
Soralia
Synergie Wallonie pour l'égalité entre les femmes et les hommes
Université des Femmes
Vie Féminine
Vrouwenraad (et ses membres)
Mis en ligne le 27 novembre 2024
https://www.axellemag.be/lettre-ouverte-feministes-negociateurs-arizona/
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Les Etats-Unis de Donald Trump : quels possibles contours sur le plan international ?

Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ne peut rivaliser avec le choc de son accession en 2016. Toutefois, il oblige à opérer un véritable changement de perspective historique. En 2020, la victoire de Joe Biden a été considérée par les adversaires nationaux et internationaux de Trump comme une libération d'une crise de démence. Or, en 2024, c'est le mandat unique de Biden qui ressemble à une interruption de l'ère Trump provoquée par le Covid. En matière de politique étrangère, Trump a toujours suscité la confusion. Fut-il, lors de son premier mandat, une menace pour l'ordre mondial dirigé par les Etats-Unis ou une sorte de révélateur du véritable visage de cet ordre mondial ? Et qu'aurait fait exactement Trump si ses toquades n'avaient pas été si souvent contrecarrées par la bureaucratie de la sécurité nationale [politique de la défense nationale et des relations extérieures] et par sa propre incompétence ?
3 décembre 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/les-etats-unis-de-donald-trump-quels-possibles-contours-sur-le-plan-international.html
Ecrire sur Trump, c'est souvent sombrer dans la psychopathologie, ce qui est très bien dans la mesure où cela va de soi. Trump à Mar-a-Lago serait peut-être plus facile à supporter s'il ressemblait davantage à Tibère à Capri [allusion à l'empereur romain lors de son séjour de perverti à Capri au début de notre ère]. Mais loin d'être un libertin débauché, Trump est un abstinent forcené qui ne s'intéresse à rien d'autre qu'au pouvoir et à la célébrité. Cette prédilection pour le pouvoir conduit à évoquer le fascisme et l'Europe des années 1930, ou un despotisme oriental transposé. Il a toujours été facile d'essayer de voir Trump comme faisant partie d'un ensemble international de dirigeants autocratiques (Modi, Erdogan, Orbán, Duterte), chacun d'entre eux étant, en fait, davantage défini par des conditions nationales spécifiques que par une quelconque tendance générale.
En réalité, Trump est une figure extrême de l'Americana [ce qui a trait à l'histoire, la géographie, le folklore et la culture des Etats-Unis]. Il fait appel à une forme typiquement états-unienne de nationalisme mercantile assorti d'une certaine dose d'escroquerie. Ses contemporains analogues les plus proches – et ils ne sont pas si proches – se trouvent au Brésil et en Argentine. Mais il a toujours eu plus en commun avec ses adversaires états-uniens qu'ils ne veulent bien l'admettre.
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Que signifiera un second mandat de Trump pour le monde au-delà des Etats-Unis ? Il est difficile de faire des prévisions étant donné la nature fantasque de Trump et les récentes transformations du système politique des Etats-Unis. Ni les Républicains ni les Démocrates ne sont vraiment des partis politiques au sens du XXe siècle : ils ressemblent davantage à des regroupements mouvants d'entrepreneurs performants. La monnaie de la cour de Mar-a-Lago – avec ses comparses, ses sbires, ses acolytes, ses clans et ses lumpen milliardaires –, c'est la loyauté. La future directrice de cabinet de Trump, Susie Wiles, qui a dirigé sa campagne électorale et qui est à la tête de la faction de la « mafia de Floride » [comme la qualifie aussi The Economist du 26 octobre 2024], aura son mot à dire sur les personnes qui obtiendront l'oreille de Trump. Mais la pensée de ce dernier est une concoction instable. Trump est un guerrier passionné du deal qui se laisse parfois aller à une rhétorique anti-guerre. Son discours anti-empire peut être aussi peu sincère que la « politique étrangère pour la classe moyenne » de Jake Sullivan [telle que présentée en février 2021], le conseiller installé par Biden en matière de sécurité nationale. Tous deux font un clin d'œil à des sentiments qu'ils ne peuvent pas assumer. Après tout, une position anti-guerre impliquerait moins de pouvoir, ou moins d'utilisation du pouvoir. Or, s'il est favorable à quelque chose, Trump l'est pour le maximum de pouvoir.
Comme Biden avant lui, Trump donne le ton à la cour plus qu'il ne gère les affaires pratiques du gouvernement. Dans ces conditions, les nominations au sein du cabinet prennent une importance accrue. Certaines de ses nominations sont assez conventionnelles. Son choix pour le poste de conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz, est un soldat de Floride qui n'aurait pas été dépaysé dans l'équipe de George W. Bush [2001-2009]. Mike Waltz a passé une grande partie de ces dernières années à s'insurger contre le retrait des forces américaines d'Afghanistan [décidé par Trump en février 2020 avec un délai de 14 mois et mis en œuvre par Biden], qui, selon lui, allait conduire à un « Al-Qaida 3.0 ». En ce qui concerne la Russie et la guerre en Ukraine, il s'est insurgé non pas contre le coût financier pour les Etats-Unis, mais contre la stratégie « trop peu, trop tard » de Biden.
Pour le poste de secrétaire d'Etat, Trump a nommé Marco Rubio [sénateur de Floride depuis 2011], un autre membre de la faction néoconservatrice orthodoxe qui a un jour coécrit un article avec John McCain [sénateur de 1987 à 2018 de l'Arizona, qui a succédé à Barry Goldwater] dans le Wall Street Journal, affirmant que le renversement de Kadhafi conduirait à « une Libye démocratique et pro-américaine ». Marco Rubio [d'une famille d'immigrés cubains] est obsédé par des projets visant à déstabiliser Cuba, le Venezuela et l'Iran. En 2022 encore, il critiquait les louanges « malheureuses » de Trump à l'égard des services de renseignement de Poutine. Un dossier interne de sélection des Républicains (très certainement obtenu et divulgué par des pirates iraniens) note que « Rubio semble s'être généralement présenté comme un néoconservateur et un interventionniste ».
Si Trump a nommé à des postes importants des membres de second rang de l'establishment, c'est en partie parce que beaucoup de professionnels les plus compétents avaient migré vers les démocrates. Kamala Harris a été soutenue par la plupart des membres de l'équipe de sécurité nationale de George W. Bush, notamment Michael Hayden [militaire, directeur de la CIA de 2006 à 2009, directeur de la National Security Agency-NSA de 1999 à 2005], James Clapper [directeur du renseignement national de 2010 à 2017], Robert Blackwill [diplomate, membre du think tank important Council of Foreign Relations] et Richard Haass [assistant de George H. Bush et président du Council of Foreign Relations de 2003 à 2023] – un véritable « who's who » de l'establishment de la politique étrangère.
Cela a conduit les républicains à faire un peu de ménage dans leurs rangs. Pour le poste de directeur de la CIA, Trump a choisi John Ratcliffe [élu de l'Illinois 2015-2020], son dernier directeur du renseignement national [de mai 2020 à janvier 2021] au cours de son premier mandat. Il a été sélectionné pour sa loyauté politique plutôt que pour toute autre qualité. Pete Hegseth offre la perspective d'un secrétaire à la Défense qui croit que les guerres d'Israël sont un accomplissement de la prophétie biblique et que les soldats états-uniens ne devraient pas être punis pour avoir commis des « soi-disant crimes de guerre ». Hegseth est un représentant du contingent de Fox News qui a la bouche écumante. Il nous rappelle également que nombre de ces personnes ont peu de chances de durer, si tant est qu'elles parviennent à être confirmées dans leurs fonctions [par le Sénat]. Le choix de Tulsi Gabbard [membre de la Chambre des représentants de 2013 à 2021] comme directrice du renseignement national irrite les commentateurs centristes et les politiciens européens en raison de ses opinions trop peu critiques à l'égard de la Russie de Poutine. Elle est également un prétexte pour que des démocrates prétendent que le retour de Trump est le résultat d'une ruse russe plutôt qu'un événement pour lequel l'establishment démocrate pourrait avoir une part de responsabilité. Dans l'ensemble, les nominations de Trump ne démontrent aucune désapprobation de l'establishment de la sécurité nationale. La logique des choix semble suivre une loyauté de tribu plus qu'autre chose.
***
Les républicains MAGA (Make America Great Again) aiment à se considérer comme différents des traditionnels fonctionnaires de Washington chargés de la sécurité nationale. Mais le sont-ils ? En juillet, Eliot Cohen, passionné de la guerre en Irak et cofondateur du Project for the New American Century [think tank néoconservateur créé entre autres par Dick Cheney, Robert Kagan, David Kristol, etc.], a décrit le programme politique de Trump comme étant « du réchauffé, et du réchauffé pas spécialement inquiétant d'ailleurs ». Selon Robert O'Brien, ancien conseiller de Trump en matière de sécurité nationale [de septembre 2019 à janvier 2021], il n'y a jamais eu de doctrine Trump, puisque ce dernier adhère « à ses propres instincts et aux principes états-uniens traditionnels qui sont plus profonds que les orthodoxies mondialistes de ces dernières décennies ». S'il y a eu un thème unificateur, Robert O'Brien insiste sur le fait qu'il a pris la forme d'une « réaction aux carences de l'internationalisme néolibéral ». Robert O'Brien, qui n'a pas reçu d'offre d'emploi dans la nouvelle administration, est à l'origine de la description de la philosophie de Trump comme étant « la paix par la force ». Il aime à dire que cette expression provient d'une citation un peu plus longue, qu'il attribue à tort à l'empereur Hadrien : « la paix par la force – ou, à défaut, la paix par la menace ». Cette phrase est en fait tirée d'un commentaire d'un historien moderne. Et comme beaucoup de choses chez Trump, « la paix par la force » est un héritage d'un ancien président des Etats-Unis : Ronald Reagan [janvier 1981-janvier 1989].
La politique étrangère de Trump présente des caractéristiques particulières, mais ce ne sont pas des aberrations. Les républicains MAGA sont prêts à peser de tout leur poids sur l'Amérique latine. Comme les démocrates, les alliés de Trump pensent que les Etats-Unis sont au cœur d'une deuxième guerre froide avec la Chine. La principale exception à la continuité entre Trump et Biden pourrait être l'Ukraine. Certaines personnalités proches de Trump, mais pas toutes, ont critiqué le soutien des Etats-Unis à l'Ukraine, principalement en raison de son coût élevé. La question de savoir si Trump mettra fin à ce soutien est probablement la plus importante sur le plan stratégique. Sous Joe Biden et Jake Sullivan, les Etats-Unis ont traité la guerre en Ukraine comme une possibilité d'affaiblir la Russie, et se sont peu souciés du fait que le prix pour cela soit payé en morts ukrainiens. Trump a affirmé qu'il mettrait fin à la guerre « avant même d'arriver dans le bureau ovale ». Mais la forme qu'il envisage pour cet objectif, si tant est qu'il l'ait imaginée, n'est pas claire. Il est probable qu'il aborde l'OTAN de la même manière qu'en 2018, avec de l'esbroufe et des menaces, mais sans conclusion. Les menaces risquent d'être un outil diplomatique très utilisé, quelle que soit leur efficacité.
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En ce qui concerne le Moyen-Orient, un membre de l'équipe de transition a déclaré que Trump était « déterminé à rétablir une stratégie de pression maximale pour mettre l'Iran en faillite dès que possible », même s'il convient de préciser que Biden n'a jamais tenté d'améliorer les relations avec l'Iran. Trump, comme Biden, est partisan d'Israël en tant qu'atout ou même expression de la puissance des Etats-Unis dans le monde. Les atrocités de la terre brûlée à Gaza sont le meilleur témoignage des conséquences horribles du consensus politique américain sur Israël. Pour une grande partie du monde, la destruction de Gaza sera le souvenir le plus marquant de la présidence de Joe Biden. Mais sous Trump, cela n'aurait pas été différent. Le problème, lorsqu'on présente Trump comme le signe avant-coureur de la fin d'un ordre international « éclairé », c'est qu'il pousse à se s'interroger sur ce qu'est réellement cet ordre. Au Liban, on dénombre 3500 morts [1], qui s'ajoutent aux dizaines de milliers de morts à Gaza. Les Etats-Unis ont soutenu Israël, qui avait sommé les forces de maintien de la paix de l'ONU (FINUL) de quitter le Liban et avait même attaqué leurs bases. Après l'élection présidentielle, le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer [Likoud, ex-ambassadeur aux Etats-Unis de 2013 à 2021], a rendu visite à Antony Blinken, secrétaire d'Etat de Biden, à Washington, et à Trump à Mar-a-Lago afin de discuter des opérations israéliennes au Liban. Le 15 novembre, le président du parlement libanais, Nabih Berry, a confirmé que des responsables à Beyrouth étudiaient un dit plan de cessez-le-feu proposé par les Etats-Unis. Le même jour, une frappe aérienne israélienne sur Tayouné, dans la banlieue sud de Beyrouth, a détruit un immeuble résidentiel de 11 étages. Au Liban, comme à Gaza, les Etats-Unis se sont posés en médiateurs distants tout en soutenant en pratique une agression brutale.
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Les héritiers néoconservateurs de Reagan, qui dirigent de nombreuses d'institutions, critiquent parfois la politique étrangère de Trump, non pas parce qu'il s'agit d'un désengagement du monde, mais parce qu'il s'agit d'un abandon de l'idéologie justificatrice de la puissance états-unienne. Lorsque vous renoncez à la profession trompeuse du respect des normes, des règles et de l'ordre international, vous renoncez également au jeu lui-même. La question de savoir si les Etats-Unis se sont jamais réellement soumis à des règles, quelles qu'elles soient, est abordée au mieux comme une question académique. La réalité à Gaza et au Liban est plus facilement ignorée que défendue. A cet égard, Trump est attaqué pour avoir rétabli la norme historique des Etats-Unis. Comme le dit Hal Brands – Henry Kissinger Distinguished Professor of Global Affairs à l'université Johns Hopkins [et intervenant à l'American Enterprise Institute] : sous Trump les Etats-Unis agissent « de la même manière étroitement intéressée et fréquemment exploiteuse que de nombreuses grandes puissances tout au long de l'histoire ». Trump n'est pas un isolationniste, pour autant que ce terme ait un sens utile, et ne propose pas de se retirer comme puissance mondiale. Au contraire, écrit Hal Brands, sur certaines questions, son administration « pourrait être plus agressive qu'auparavant ».
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Plus que tout autre homme politique états-unien, Trump a été associé au recentrage de l'attention impériale états-unienne en direction de la Chine. Mais dire que sa deuxième administration sera pleine de faucons visant la Chine ne rend pas compte de l'ampleur de la transformation qui s'est opérée à Washington depuis 2016. En ce qui concerne la Chine, l'administration Biden a repris tous les éléments du discours de Trump et en a ajouté quelques-uns. En juin 2024, le Council on Foreign Relations a organisé sa China Strategy Initiative pour discuter de l'avenir des relations entre les Etats-Unis et la Chine. La plupart des responsables de la politique étrangère qui s'intéressent à la Chine étaient présents. Dans son allocution d'ouverture, Kurt Campbell, haut responsable de la politique en direction de la Chine dans les administrations Obama et Biden, a souligné que « les caractéristiques essentielles de la stratégie états-unienne dans l'Indo-Pacifique font l'objet d'un accord largement bipartisan ». La preuve de l'efficacité de cette stratégie, a-t-il ajouté, est que la Chine et la Russie « considèrent nos partenariats transcontinentaux avec une inquiétude croissante ». Il est probable que Trump aborde la Chine de la même manière que Jake Sullivan, mais plus encore, de la mauvaise manière, mais plus rapidement.
S'il y a une question de politique étrangère sur laquelle Trump a été cohérent, c'est bien celle des droits de douane face aux exportations de la Chine et du protectionnisme en général. Cela fait très longtemps qu'il fait des déclarations, mal fondées, sur le déficit commercial des Etats-Unis. Son projet prévoit des droits de douane de 60% sur les importations chinoises et de 10 à 20% sur toutes les autres [y compris 25% pour le Mexique et le Canada, membres de l'Alena, au lieu de zéro sur la plupart des importations]. Les Etats-Unis sont une économie à dimension continentale et sont beaucoup moins orientés vers le commerce international que des pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne ou la Chine. Ils peuvent envisager des mesures drastiques que d'autres ne peuvent pas prendre. Mais les droits de douane imposés à un seul Etat sont souvent difficiles à appliquer, car les chaînes d'approvisionnement transnationales peuvent être modifiées pour les contourner. Des économistes compétents et agressifs tels que Robert Blackwill, qui a servi sous George W. Bush et rédigé une étude importante sur la « géoéconomie », ont pour la plupart soutenu Kamala Harris et ne sont pas actuellement disponibles pour aider Trump. Peut-être que certains reviendront du froid lorsque les courtisans loyalistes auront inévitablement tout gâché. Robert Lighthizer, le représentant américain au commerce pendant le premier mandat de Trump, pourrait bien reprendre son rôle [le Financial Times annonçait le 8 novembre qu'il avait été approché par Trump].
Le projet de tarifs douaniers à hauteur de 60% est la dernière manifestation d'une stratégie états-unienne plus générale à l'égard de la Chine que les démocrates ont qualifiée de puissance concurrente du XXIe siècle. En Chine, on considère qu'il s'agit d'un endiguement (containment). Les idéologues de l'orbite de Trump sont généralement plus combatifs sur cette question que ceux qui sont plus proches des démocrates. Pourtant, dans l'esprit du consensus bipartisan de Kurt Campbell [en charge pour l'Asie de l'Est et le Pacifique sous Obama de juin 2009 à février 2013, une fonction prolongée sous Biden], ils ne sont pas fondamentalement en désaccord. Trump n'a pas encore choisi son équipe chinoise, mais son intention d'étendre la guerre froide économique est dangereuse. Robert O'Brien estime qu'un second mandat de Trump entraînera davantage de mesures de containment, y compris « une attention présidentielle accrue aux dissidents et aux forces politiques susceptibles de défier les adversaires des Etats-Unis ». Cela n'augurerait rien de bon pour l'avenir des relations sino-américaines, qui sont déjà médiocres. Au cours des années Biden, selon le rapport annuel du renseignement national sur l'évaluation des menaces, la Chine a commencé à réorienter son dispositif nucléaire vers une compétition stratégique avec les Etats-Unis, en partie parce qu'elle s'inquiétait de l'augmentation de la « probabilité d'une première frappe états-unienne ». La Chine ne possède pas encore de forces nucléaires capables d'égaler celles des Etats-Unis, mais cette situation pourrait ne pas durer. La gestion de ce problème est rendue encore plus délicate par le caractère instable de Trump.
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En Europe, le retour de Trump a été accueilli avec le même sentiment de panique perplexe que sa victoire en 2016. Le 6 novembre, Le Monde titrait « La fin d'un monde américain ». La Frankfurter Allgemeine Zeitung a titré « Trumps Rache », soit « La revanche de Trump ». Les rumeurs d'un plan pour la guerre en Ukraine qui impliquerait de geler la ligne de front en échange de l'abandon par l'Ukraine de son adhésion à l'OTAN pour au moins vingt ans – édulcoré par une garantie compensatoire que les armes états-uniennes continueraient d'affluer – ne sont pas bien accueillies. Pourtant, personne ne croit que Trump démantèlera réellement la position militaire états-unienne en Europe. Elle a récemment été renforcée par une nouvelle base de défense antimissile en Pologne dont le personnel est composé de membres de la Marine des Etats-Unis. Il ne fait aucun doute que la Commission européenne s'efforce de trouver des moyens de protéger les économies européennes des répercussions des droits de douane voulus par Trump. Mais la réaction pavlovienne a été de profiter de l'occasion pour plaider en faveur d'une augmentation des dépenses militaires, ce qui ne contribue guère à l'investissement productif dont l'Union européenne a besoin.
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Un second mandat de Trump est clairement une catastrophe pour le peu d'efforts internationaux existants afin de coordonner la lutte contre le changement climatique. Sous Biden, les Etats-Unis ont pris la diplomatie climatique presque au sérieux. Dans la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act, août 2022), les Etats-Unis ont adopté une législation sur le climat qui allait au-delà de celle de tous les gouvernements précédents. Il est facile d'exagérer ces réalisations, qui sont tellement insuffisantes qu'elles relèvent de la négligence. Mais la position de Trump – « drill, baby, drill » – est certainement différente. Il y a fort à parier qu'il publiera une série de décrets démantelant les mesures limitées de transition énergétique actuellement en place aux Etats-Unis. En mai 2024, Wood Mackenzie, l'une des principales sociétés de recherche et de conseil du secteur de l'énergie, a publié un document indiquant que sa réélection « éloignerait encore davantage les Etats-Unis d'une trajectoire d'émissions nettes zéro ». L'équipe états-unienne à la COP29 (le deuxième sommet climatique successif organisé dans un grand Etat d'hydrocarbures – l'Azerbaïdjan) est apparue découragée.
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En Grande-Bretagne, on pourrait s'attendre à ce que le retour imminent de Trump provoque une remise en question de la portée des liens entre le pays et les Etats-Unis. Les tarifs douaniers sont évidemment préjudiciables aux intérêts commerciaux britanniques. Le 11 novembre, le président de la Commission des affaires et du commerce de la Chambre des communes, Liam Byrne (Labour), les a qualifiés de « scénario catastrophe ». La solution proposée par Liam Byrne était que la Grande-Bretagne négocie avec Trump une exemption des droits de douane en proposant de se rapprocher encore plus de la position états-unienne sur la Chine. Une réaction plus intéressante est venue de Martin Wolf dans le Financial Times. Il est d'accord avec Byrne pour dire que le gouvernement britannique devrait essayer de « persuader la nouvelle administration qu'en tant qu'allié proche et pays avec un déficit commercial structurel il devrait en être exempté ». L'offre proposée par Martin Wolf à Trump est une nouvelle augmentation des dépenses militaires. Cela pourrait ne pas fonctionner, mais « Trump apprécierait sûrement cette attitude soumise ».
Martin Wolf reconnaît que le retour de Trump implique des problèmes plus graves pour la Grande-Bretagne. Depuis la Seconde Guerre mondiale, affirme-t-il, le Royaume-Uni a cru que « les Etats-Unis resteraient le grand défenseur de la démocratie libérale et du multilatéralisme coopératif. Aujourd'hui, tout cela est plus qu'incertain. » Où était ce pilier de la démocratie au cours de la folie meurtrière internationale ininterrompue qui constitue le bilan des Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale ? Si les millions de morts au Vietnam, en Corée et en Irak n'ont pas remis en question l'alignement stratégique de la Grande-Bretagne sur les Etats-Unis, pourquoi la seconde élection de Donald Trump le ferait-elle ? Gaza est-elle la preuve du multilatéralisme coopératif que Martin Wolf a à l'esprit ? En fin de compte, cela n'a pas d'importance, car pour lui, « il n'y a pas de substitut à cette alliance de sécurité avec les Etats-Unis ». Aujourd'hui encore, même après Gaza, la réalité d'un monde façonné par la puissance états-unienne, souvent démocrate, se heurte à un tel déni. Le gouvernement britannique a refusé de mettre fin à l'utilisation des bases britanniques à Chypre pour soutenir les attaques israéliennes contre Gaza, ou de mettre fin à la vente de pièces détachées de F-35 à Israël. Selon le secrétaire à la Défense, John Healey, cela « saperait la confiance des Etats-Unis dans le Royaume-Uni ».
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Le style potentat de Trump modifiera l'ambiance des sommets du G7 et du G20, où la façade de coopération respectueuse a survécu à la destruction de l'enclave de Gaza. La réaction à sa victoire rappelle la raison pour laquelle les diables et les démons étaient nommés d'après des divinités étrangères dans l'Antiquité : votre diable est le dieu de votre voisin. Trump est un démon commode. Mais sa victoire n'amènera pas beaucoup de pays à reconsidérer leurs relations avec les Etats-Unis. Les différences tactiques mises à part, les centres traditionnels des préoccupations états-uniennes resteront l'Europe de l'Est, l'Asie de l'Est et le Moyen-Orient. Le thème sous-jacent de la politique étrangère des Etats-Unis reste le consensus des dites élites. Dans son utilisation des mécanismes de l'empire états-unien et de l'idéologie de sa primauté perpétuelle, Trump partage beaucoup avec ses prédécesseurs. Puissance maximale, pression maximale – sans illusions rassurantes. (Article publié dans la London Review of Books, vol. 46, n° 23, décembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Par Tom Stevenson est membre de la rédaction de la London Review of Books et auteur de Someone Else's Empire : British Illusions and American Hegemony, Verso Books, 2023.
[1] Un cessez-le-feu instable – déjà marqué par des bombardements israéliens – d'une durée de 60 jours est en cours depuis le 28 novembre. Déjà, selon L'Orient-Le Jour du 29 novembre, « des bombardements israéliens avaient ciblé les localités de Markaba, Taloussé et de Bani Hayan, dans le caza (district) de Marjeyoun, tandis que des bulldozers de l'armée israélienne ont pénétré dans d'autres villages frontaliers, également ciblés par des tirs d'artillerie israéliens ». Le 3 décembre, L'Orient-Le Jour titre : « Israël menace de ne plus “faire de différence entre le Hezbollah et l'Etat libanais” si la guerre reprend », ce qui traduit le projet politico-militaire israélien pour ce qui est de la « reconfiguration » du Liban. (Réd. A l'Encontre)
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Guerres, militarisation et résistances

Édito en accès libre de Monde en guerre. Militarisation, brutalisation et résistances, le dernier volume de la collection Alternatives Sud.
Frédéric Thomas est chargé d'étude au CETRI - Centre tricontinental. Le Centre tricontinental est un centre d'étude, de publication et de formation sur le développement, les rapports Nord-Sud, les enjeux de la mondialisation et les mouvements sociaux en Afrique, Asie et Amérique latine.
10 décembre 2024 |Billet de blog du CETRI | Photo : Isan (Flickr) - Militarización México. © Isan (Flickr) - Militarización México.
À l'heure où les conflits armés revêtent de plus en plus une forme hybride et les États recourent à la stratégie de la militarisation, il convient de repenser les violences et la sécurité. À rebours d'une lecture qui essentialise les conflits, il faut nommer les dynamiques, les causes et les responsables, redonner la primauté au politique sur le militaire et enrayer la normalisation de la violence.
S'il n'y a pas, pour l'instant, de guerre mondiale, nous faisons bien face à un monde en guerre. L'Ukraine et Gaza (et bientôt tout le Proche-Orient ?) en portent le plus violent et dévastateur témoignage. Mais les deux conflits sont, dans le même temps, le marqueur du regard biaisé porté sur la dynamique des affrontements armés et du double discours du Nord. L'ONU, s'appuyant sur les données et les critères de l'Uppsala Conflict Data Program – UCDP, définit la guerre comme un conflit armé étatique faisant annuellement au moins un millier de morts au cours de batailles. En fonction de ces critères, neuf guerres étaient en cours en 2023.
L'UCDP distingue par ailleurs deux autres catégories de conflits : les conflits « non étatiques » et la « violence unilatérale ». Les premiers résultent de l'affrontement entre des groupes armés organisés, tandis que la seconde renvoie à l'utilisation de la force armée par un État ou un groupe armé formalisé à l'encontre de la population civile. À l'instar des conflits interétatiques, leur nombre suit une courbe ascendante depuis une dizaine d'années – en particulier les violences non étatiques, qui explosent –, mais ils sont nettement moins meurtriers : ils représentent ensemble un peu moins d'un quart de toutes les victimes de conflits sur la dernière décennie. Entre 2019 et 2023, le Mexique a concentré à lui seul près des deux-tiers des personnes tuées au cours de conflits non étatiques, tandis que 20% des mort·es de la violence unilatérale ont succombé dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC).
Le monde n'avait plus connu autant de conflits depuis la Seconde guerre mondiale. Certes, le nombre de victimes est bien inférieur à celui de la période 1946-1999. De la fin de la Guerre froide à 2020, il est resté relativement bas ; à l'exception notable cependant du génocide au Rwanda en 1994 et de la guerre en Syrie, surtout en 2013-2014. Cette tendance générale recouvre néanmoins des moments et des foyers particulièrement meurtriers : ainsi, la RDC, en 1996, et l'affrontement entre l'Éthiopie et l'Érythrée (1998-2000), en 1999, concentrent respectivement près de 40 et de 50% des personnes tuées au cours de ces deux années. Mais, la guerre civile qui a éclaté en Éthiopie en 2021 a fait près de 300000 morts en deux ans, soit plus de la moitié de toutes les victimes de conflits armés sur cette période. C'est finalement moins la recrudescence des conflits qui doit nous préoccuper que leur transformation, imparfaitement appréhendée par les définitions « classiques » de la guerre.
Tendances actuelles
On ne s'attardera pas ici sur l'emploi dans les guerres actuelles de nouvelles technologies – armes autonomes, cyberattaques, etc. –, dont le drone est à la fois l'outil le plus connu et le plus massivement employé, notamment dans la guerre russo-ukrainienne où des spécialistes estiment qu'en 2023, l'Ukraine a perdu 10000 drones par mois (IEP, 2024). Ces quelques pages entendent plutôt se centrer sur les tendances récentes des dynamiques conflictuelles en matière de géopolitique, d'acteurs, d'enjeux et de stratégies, dans une perspective Nord-Sud.
Il convient tout d'abord de remarquer que la criminalité fait bien plus de victimes que les conflits armés. Ainsi, le nombre annuel d'homicides en 2019-2021 tournait autour de 440000, soit trois fois plus que les personnes tuées lors de conflits au cours de ces trois années. Mais la distinction entre organisation criminelle et groupe armé tend à se brouiller (voir plus loin). Par ailleurs, le principal champ de bataille, le lieu le plus violent pour les filles et les femmes continue d'être le domicile et la famille : en 2017, 58% des homicides de femmes avaient été commis par un conjoint ou un parent (ONU, 2020).
Opérations de maintien de la paix : entre frustration et transformation
Il existe une double concentration, géographique et meurtrière, des conflits violents. La plupart des guerres se concentrent en Afrique et au Moyen-Orient, tandis que la moitié des personnes tuées étaient éthiopiennes en 2021 et 2022 ; palestiniennes et ukrainiennes en 2023. Autre caractéristique, ces violences ont des racines historiques profondes, qui plongent souvent dans la période coloniale, dessinant de la sorte une conflictualité à longue portée sous la forme de conflits dormants ou de basse intensité, voire de « guerres sans fin », explosant à la faveur d'un événement particulier.
En outre, nombre de ces conflits sont internationalisés, au sens où l'une des parties ou les deux reçoivent le soutien de troupes d'un État extérieur, impliquant souvent, directement ou indirectement, l'une ou l'autre puissance régionale, voire mondiale, en fonction d'enjeux stratégiques. Ainsi en est-il de la situation en Lybie, au Soudan et dans la Corne de l'Afrique ; ces deux dernières régions faisant d'ailleurs l'objet d'articles de cet Alternatives Sud. À cet interventionnisme, il faut ajouter le trafic d'armes, dont les États-Unis sont – et de loin – le principal protagoniste, alimentant les conflits (Thomas, 2024a). Or, cette connexion nationale-internationale et la multiplication des acteurs s'affrontant sur le terrain rendent d'autant plus difficile la recherche d'une résolution pacifique.
Enfin, la majorité des conflits violents actuels ne relève pas (ou pas seulement) d'un affrontement entre États. Ils impliquent des acteurs non étatiques tels que des organisations terroristes (y compris transnationales), des sociétés ou entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP), des milices, des organisations criminelles et des groupes armés hybrides ou aux frontières poreuses avec la criminalité. D'où une fragmentation des réseaux et des acteurs, ainsi que des attaques qui ciblent le plus souvent les civils. D'où, également, au niveau de la recherche académique, une difficulté à appréhender la dynamique actuelle des conflits armés avec les outils d'analyse du vingtième siècle.
La globalisation néolibérale, la stratégie sécuritaire américaine, l'émergence d'un monde multipolaire avec la montée en puissance de la Chine et de pouvoirs régionaux, l'intensification des flux financiers et d'armes, ainsi que l'extension de la criminalité organisée comptent parmi les principaux phénomènes dont les effets travaillent la configuration des souverainetés étatiques et, corrélativement, la nature des conflits, toutes deux marquées par des formes de privatisation.
La « guerre contre la terreur » déclarée par la Maison blanche à la suite des attentats du 11 septembre 2001 constitue un jalon important de cette transformation. Par son caractère global et la plasticité de ses cibles et objectifs, elle consacre une stratégie offensive qui légitime la militarisation de la politique. De plus, elle catalyse une double érosion de la souveraineté étatique ; en amont, en qualifiant certains États de « voyou », appartenant à un « axe du mal » et, en aval, en normalisant le recours massif aux EMSP, ces entreprises qui vendent sur la scène internationale des services sécuritaires et militaires. Ainsi, l'occupation de l'Afghanistan et de l'Irak s'est accompagnée d'un usage massif d'EMSP (Bilmes, 2021), au point de constituer la première force de travail dans les deux pays.
Wagner, l'EMSP la plus connue et la plus dénoncée en Occident, participe en réalité d'une économie mondialisée où les principales entreprises sont américaines, et dont le marché en 2020 était évalué à quelque 224 milliards de dollars (Transparency International, 2022). L'action de ces entreprises pose pas mal de problèmes, notamment en termes de droit et d'éthique, car elles ne rendent de comptes à personne et jouissent d'une quasi-impunité. Se pose également, dans un contexte de grande opacité, la question de leur indépendance réelle par rapport aux politiques des États où elles sont implantées et leur potentielle utilisation dans des guerres par procuration. Dans cet ouvrage, Tek Raj Koirala questionne les dynamiques du secteur de la sécurité et sa division du travail, qui redouble largement les rapports Nord-Sud, à partir du cas d'ex-soldats népalais impliqués dans les EMSP en Afghanistan.
De façon plus générale, c'est la notion wébérienne de l'État comme détenteur du monopole de la violence légitime qui doit être interrogée. L'érosion étatique et la privatisation du pouvoir public sont souvent, partiellement au moins, des stratégies mises en place par les États eux-mêmes. Les rapports que ces derniers entretiennent avec les EMSP ne sont donc pas univoques, relevant davantage et tout à la fois de la compétition et de la collaboration que d'une subordination directe ou, au contraire, d'une indépendance totale.
Outre les États et les entreprises militaires, les guerres actuelles impliquent souvent d'autres catégories d'acteurs armés, ce qui complique le scénario conflictuel. La Colombie est un cas emblématique. L'accord de paix signé en 2016 avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) devait mettre fin au plus long conflit armé du continent latino-américain. Force est de reconnaître, huit ans plus tard, qu'on est loin du compte. Entre 2016 et 2024, 1559 leaders sociaux·ales ont été assassiné·es. Une centaine de massacres ont eu lieu au cours de ces trois dernières années, faisant près de 1000 victimes, et la Colombie est le pays le plus dangereux au monde pour les défenseurs et défenseuses de la terre et de l'environnement (Indepaz, 2024 ; Global Witness, 2024).
Si la guerre n'a pas disparu, elle s'est néanmoins transformée, rendant d'autant plus ardue la politique de « paix totale » du gouvernement de gauche de Gustavo Petro. Ainsi, le conflit armé s'est mué en « un scénario extrêmement hybride au sein duquel les frontières entre la politique et la criminalité sont toujours plus diffuses » et où les acteurs armés transitent de l'une à l'autre (Llorente, 2023). Cette hybridation varie en fonction des territoires – de leurs richesses en ressources naturelles, de la culture ou non de coca et de leur importance stratégique – et des organisations, mais elle est occultée par la rhétorique politique que ces dernières utilisent afin d'avoir accès aux négociations avec l'État colombien et d'en tirer parti. Cependant, le dénominateur commun de tous ces groupes est leur immersion dans une économie illicite et l'affrontement pour le contrôle d'un territoire afin d'accaparer tout type de rentes.
Politique et militarisation
Les dépenses militaires mondiales n'ont cessé d'augmenter au cours de la dernière décennie. Les États-Unis, qui représentent plus du tiers de ces dépenses – soit trois fois plus que la Chine, en deuxième position –, sont aussi, et de loin, le principal exportateur d'armes, concentrant, entre 2019 et 2023, 42% des exportations mondiales (Spiri, 2024). L'Inde, l'Arabie saoudite et le Qatar sont, de leur côté, les principaux importateurs, totalisant ensemble, pour la même période, plus d'un quart des importations mondiales. Loin d'être seulement la conséquence d'un contexte marqué par la (menace de) guerre, les dépenses militaires et la circulation d'armes participent d'une logique de militarisation.
« La guerre n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens », selon la formule canonique de Clausewitz. À l'heure actuelle, les interactions entre la politique et la guerre se sont intensifiées au point de constituer une forme politico-militaire. Sa manifestation peut-être la plus évidente réside dans la vague de coups d'États qui a secoué l'Afrique (Mali, Burkina Faso, Niger, Guinée et Gabon) depuis 2020. Ces irruptions violentes de militaires au sommet du pouvoir côtoient cependant, d'Alger à Bangkok, en passant par San Salvador, des modes de collaboration plus occultes ou paradoxaux entre gouvernements et forces armées.
En Amérique latine, selon Hoecker (lire son article dans cet Alternatives Sud), ce phénomène traduit « l'émergence du militarisme civil ». Ce retour des forces armées au-devant de la scène, sur un continent qui a connu la longue nuit des dictatures militaires, soulève nombre de questions et d'inquiétudes. Il ne s'agit pas pour autant d'un retour au passé, mais bien d'une reconfiguration. Ce sont en effet les partis politiques au pouvoir qui se tournent vers les forces armées, non sans opportunisme bien souvent, afin de les faire participer à la lutte contre l'insécurité. Ce faisant, ces dernières acquièrent un rôle de police particulièrement étendu, allant du contrôle des frontières à la répression de manifestations, en passant par la lutte contre la criminalité.
Les guerres aux gangs et au narcotrafic, encouragées par Washington, sont les vecteurs privilégiés de cette militarisation. En Amérique latine surtout, mais également en Asie. Marc Batac analyse ainsi dans cet Alternatives Sud la confluence d'intérêts entre acteurs internationaux et locaux, ainsi que les interactions entre le gouvernement et les forces armées, dans la mise en place d'une stratégie antiterroriste aux Philippines. À quelques encablures de là, en Indonésie, l'actuel président et ancien ministre de la défense Prabowo Subianto est accusé de crimes de guerre sous le régime de Suharto (fin des années 1990), notamment de torture et de disparition d'activistes (Muhtadi, 2022).
Cette sorte de passage de témoin du politique aux militaires renforce l'impopularité des premiers et le crédit accordé aux seconds. Il s'inscrit par ailleurs dans une dynamique spécifique. La popularité des militaires dans le Sud doit aussi se lire au revers du désenchantement démocratique, du clientélisme et de la corruption de la classe politique, des inégalités et de l'incapacité des gouvernements successifs à assurer l'accès aux services sociaux (emploi, éducation, santé, etc.) qui consacrent et concrétisent, en quelque sorte, la démocratie. Les baromètres d'opinion en Afrique et en Amérique latine montrent cette désaffection démocratique (Jeune Afrique, 2024 ; Latino Barometro repris par Hoecker dans cet ouvrage). En contrepoint, les forces armées sont investies de valeurs – probité, professionnalisme, sérieux, etc. –, d'une efficacité dans la lutte contre l'insécurité et d'une soumission à l'intérêt général, qui font justement défaut à la classe politique aux yeux d'une grande partie de la population, et particulièrement de la jeunesse.
La confiance envers l'institution militaire et les valeurs qui lui sont attribuées sont bien entendu largement idéologiques, basées sur des croyances et non sur l'épreuve des faits. Ainsi, l'emploi des forces armées dans la guerre contre le narcotrafic, dans les cas emblématiques de la Colombie et du Mexique, a été un échec. De même, la lutte contre les terroristes islamistes au Sahel, qui constitue l'une des principales justifications données par les putschistes aux coups d'État menés au Mali, au Burkina Faso et au Niger, n'engrange guère de résultat jusqu'à présent. Quant à la prétendue incorruptibilité des forces armées, l'histoire et l'actualité de nombreux pays, du Mexique au Népal en passant par le Pakistan et la RDC, montrent plutôt une institution militaire gangrénée par les affaires, le clientélisme et le népotisme.
Le succès de la lutte contre les bandes armées au Salvador constitue-t-il un contre-exemple ? L'article que nous publions dans cet ouvrage invite plutôt à questionner ce « succès » devenu « modèle », qui relèvent tous deux d'une stratégie de communication, au centre du processus de militarisation, et qui emprunte, au Salvador et ailleurs, principalement une triple voie : celle de l'information, celle du droit et celle du visuel (Thomas, 2024b). En effet, dans un contexte où l'information est plus que jamais un enjeu de pouvoir, le président salvadorien Bukele n'a de cesse de mettre en scène sur les réseaux sociaux sa réussite et de chercher à court-circuiter ou censurer tout contre-récit critique.
La dimension la plus visuelle de la militarisation est celle du « Kaki washing » : soit l'utilisation des forces armées comme stratégie de communication politique, afin de projeter sur le gouvernement l'image associée aux vertus et valeurs que les militaires inspirent et qui manquent aux politiques (Verdes-Montenegro, 2021). Enfin, la militarisation emprunte également une voie juridique, consistant à multiplier et à accroître les peines d'incarcération – et à leur donner une grande publicité – à des fins électorales et populistes. Le Salvador est ainsi devenu le pays avec le plus haut taux d'emprisonnement au monde. Cette politisation du droit pénal peut-être qualifiée de « populisme punitif » (López et Avila, 2022).
Les appels des gouvernements aux militaires afin de capter une part de leur popularité et (re)gagner une certaine légitimité ne sont cependant pas seulement des calculs opportunistes d'une classe politique en mal de crédibilité. Ils témoignent aussi du fait que les problèmes politiques sont de plus en plus identifiés et traités comme des questions sécuritaires. Ce processus, qualifié de « sécuritisation » (ENAAT, Rosa Luxembourg Stiftung, 2021), revient à donner la priorité au militaire sur la politique dans l'analyse et dans l'action, en occultant les enjeux sociaux sous le paradigme (socialement construit) de l'insécurité. Or, si cette dynamique correspond à la vague mondiale des droites illibérales et réactionnaires, elle ne s'y réduit pas, comme en témoigne notamment le cas mexicain où un président de centre gauche a fait un recours abondant aux forces armées (Coste, 2024).
Ordre, État et instrumentalisation
Le regard néocolonial tend, d'un côté, à accorder une sorte de « droit à la guerre » à certains États (du Nord) et à entériner leurs prétentions à mener des actions « chirurgicales », « morales », bref « civilisées », et, de l'autre, à décréter implicitement ou explicitement des régions et des peuples violents par nature, condamnés par-là à une violence chaotique sans issue. À l'encontre d'une telle vision, Terefe et Tesfaye montrent dans leur contribution à cet Alternatives Sud l'imbrication de facteurs sociohistoriques complexes – les mouvements sécessionnistes, les attaques terroristes, les ressources naturelles, les pouvoirs prédateurs, les interventions armées internationales – qui explique pourquoi la Corne de l'Afrique est en butte à une série de conflits violents depuis des décennies.
Ils mettent de plus en avant l'instrumentalisation des tensions et de l'instabilité de la région par les puissances mondiales et régionales (Égypte, Arabie saoudite, Iran, Turquie, États du Golfe), afin de faire prévaloir leurs propres intérêts. Engagés dans une « course aux bases militaires », ces États tendent à reproduire des rapports de domination hérités du colonialisme, en renforçant des régimes autoritaires clients, vecteurs de conflits civils armés, au détriment des aspirations populaires.
C'est à une autre sorte d'instrumentalisation que s'intéresse Naing Lin dans son article sur le conflit armé en cours dans la région de l'Arakan, au Myanmar : celle des tensions ethniques. La mobilisation par la junte militaire des groupes rohingyas vise ainsi à affaiblir et à diviser la résistance armée, tout en fomentant des exactions racistes. Alors qu'il s'agit ici d'entraîner un pourrissement du conflit et de miner l'avenir, Azadeh Moaveni analyse brillamment, à partir du conflit israélo-palestinien, un autre cas de figure : l'instrumentalisation des violences sexuelles pour justifier la poursuite de la guerre.
La militarisation est imprégnée de la rhétorique machiste et viriliste des « hommes forts », de la mano dura, inscrite dans une scénographie dont les femmes sont absentes. Celles-ci sont cependant au centre de la guerre, dont elles sont devenues à la fois le trophée, la cible et l'un des enjeux principaux. Le viol est conçu comme arme de guerre, mais aussi, plus cruellement encore, comme une manière de faire la guerre. Les travaux de Rita Segato (2021) sur les féminicides et les guerres contre les femmes éclairent l'attitude de gangs armés au Mexique et en Haïti, empreints d'une « masculinité prédatrice », luttant pour conquérir des territoires. Des conquêtes qui passent par l'appropriation violente du corps des femmes.
Stimulante est par ailleurs la thèse de Segato, selon laquelle les féminicides ne sont pas la conséquence de l'impunité, mais fonctionnent plutôt comme producteurs et reproducteurs de l'impunité. Elle met de la sorte en lumière la connivence entre l'État et les acteurs criminels, obligeant à repenser les processus de négociation et de sortie de conflit. Le risque est grand, en effet, de sacrifier la justice, et plus encore la réparation, au nom de la realpolitik, en enfermant les sociétés dans un cercle vicieux de violences et d'impunité.
Les différents articles de cet Alternatives Sud invitent dès lors à penser la militarisation au croisement d'un entrelac d'acteurs et de rapports sociaux qui traversent la sphère étatique sans s'y réduire. Les militaires viennent moins combler un vide de l'État que manifester sa présence sous une forme spécifique : celle de la coercition étatique. Entre deux modalités de l'action publique – la force armée ou les services sociaux –, le choix a été fait. La militarisation représente dès lors moins un recul du gouvernement face à l'armée qu'une révision de la division des pouvoirs et une reconfiguration de la puissance publique.
Dans une situation de crise, perçue ou présentée comme hors de contrôle, l'armée est appelée à intervenir (ou intervient directement) pour, justement, reprendre le contrôle et remettre de l'ordre. De même, une situation où la souveraineté nationale – dont les militaires seraient les garants – est mise à mal par une menace (parfois imaginaire), toujours qualifiée d'« extérieure » à la société et à la nation – attaques impérialistes, groupes terroristes, organisations subversives, gangs, narcotrafiquants –, facilite l'entrée des forces armées sur la scène politique.
Mais l'ordre est autant un fantasme qu'un dispositif de pouvoir. Il permet d'opérer un quadrillage de l'espace public, d'intensifier le contrôle social et de recourir à des mesures extraordinaires, tout en limitant les contre-pouvoirs. Le désordre justifie la militarisation qui, en retour, définit l'ordre, ce qu'il est, ce qu'il doit être. Et les moyens pour y parvenir. L'attribution de fonctions de police à l'armée se double ainsi d'une militarisation de la police (au Sud comme au Nord ?), tandis que l'état d'exception ou d'urgence tend à se poursuivre, se reproduire et s'autolégitimer, comme en témoigne le cas salvadorien.
Résistance
Évoquant l'Allemagne au cours et après la Première guerre mondiale, George Mosse a mis en avant le concept de « brutalisation » pour rendre compte de la banalisation et de l'intériorisation de la violence, ainsi que de la façon dont celle-ci a servi de catalyseur à une résurgence nationaliste et totalitaire. Le concept, qui ne fait pas consensus parmi les historien·nes, peut-il être utile à l'analyse des sociétés du Sud confrontées à de longues vagues de violences ? La militarisation serait-elle une forme renouvelée de réveil nationaliste et le recours aux forces armées le signe d'une « brutalisation » acceptée, institutionnalisée ? La mise en spectacle de la violence tend, en tous cas, à la normaliser.
La guerre n'est ni une fatalité ni un accident qui surviendrait dans un ciel serein. Elle est le plus souvent un moyen pour des acteurs de prendre ou de conserver le pouvoir, d'accaparer des ressources et de réprimer les mouvements sociaux. La dépolitisation et l'essentialisation des conflits armés occultent les causes et les responsabilités, ainsi que les résistances à ces guerres. Et elles hypothèquent ou compliquent davantage la sortie de crise.
Il est illusoire de croire qu'une solution militaire puisse être apportée à des problèmes qui ont, presque toujours, des racines socioéconomiques, historiques et politiques. Mais, tout aussi illusoire est l'idée qu'un accord entre les parties en conflit suffise à lui seul à ouvrir une voie pacifique. Par exemple, la violence qui déchire aujourd'hui le Soudan est une guerre contre la population, menée par deux groupes non représentatifs et sans projet national si ce n'est celui d'accaparer les ressources et les pouvoirs et d'exploiter les Soudanais et Soudanaises. Une lecture biaisée des conflits entraîne des mécanismes boiteux pour les prévenir et les résoudre.
Rim Mugahed décrit dans cet Alternatives Sud les attentes contradictoires et irréalistes auxquelles sont confrontées les militantes yéménites, ainsi que les dynamiques nationales et internationales croisées qui ont abouti à leur exclusion de la table de négociation, malgré la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies (votée en 2000) qui reconnaît le rôle central des femmes et impose aux différentes parties d'un conflit de soutenir leur participation aux négociations et à la reconstruction post-conflit. Malheureusement, au Yémen comme ailleurs, le modèle libéral de la paix, qui reste dominant, tend à réduire les négociations à un accord entre les élites locales qui s'affrontent, méconnaissant la violence structurelle dont elles font preuve et leur assurant l'impunité. Sans compter que, dans bien des cas, elles n'ont pas intérêt à ce que le conflit cesse (Mansour, Eaton et Khatib, 2023).
Lutter contre la guerre, c'est d'abord nommer les dynamiques, les causes et les responsables, arracher la violence à sa naturalisation et la militarisation à son récit fonctionnel. Démontrer et dénoncer les dépenses et profits considérables du complexe militaro-industriel mondial dont le Pentagone est l'un des principaux centres. Remettre la question de l'égalité et des pouvoirs au centre du questionnement et penser toute sortie de crise avec et à partir des organisations sociales en général, et des organisations de femmes en particulier, qui sont en première ligne. Sous la stratégie de la militarisation, les cibles – trafiquants de drogue, gangs, guérillas, etc. – tendent à devenir perméables et permutables, au point, très vite, d'englober les mouvements sociaux, les ONG de droits humains, les journalistes, etc., soit tous ceux et toutes celles qui, par leurs critiques et leurs actions, refusent de s'aligner sur la logique guerrière du pouvoir.
Celles et ceux, naïfs·ves ou complaisant·es, qui ne voient là que des « écarts » ou des « excès » qu'ils et elles s'empressent de justifier, se condamnent à ne rien comprendre et à céder à la discipline autoritaire et à la tolérance envers la violence de l'État que le populisme punitif prépare et entretient. Il nous faut, tout au contraire, repolitiser la question de la sécurité, du conflit et de la paix, dégager l'action d'une perspective uniquement étatique, afin de se donner les moyens politiques de ne pas continuer la guerre, mais bien de l'arrêter.
Bibliographie
Bilmes L. (2021), « Where did the tn spent on Afghanistan and Iraq go ? Here's where », The Guardian, 11 septembre, https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/sep/11/us-afghanistan-iraq-defense-spending.
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Se préparer de toute urgence pour 2025 ?

Alors que plusieurs dirigeants des pays les plus influents au monde adoptent la stratégie du fou, ceux du reste de la planète devraient penser à se préparer pour résister aux instabilités et pertes de pouvoir qu'ils pourraient vivre en 2025.
Il y aurait, fin 2024, plus d'une cinquantaine d'États en guerre sur la planète selon le rapport « Le retour des armes » de Caritas Italie sur les conflits oubliés. De très nombreux pays sont la croisée des chemins en 2025 et leur réponse aux défis qui les confrontent pourrait les positionner dans la géopolitique du nouvel ordre mondial.
Adeptes de la stratégie du fou
C'est le président américain, Richard Nixon, qui est renommé pour avoir privilégié la stratégie du fou pour tenter d'endiguer le bloc communiste, mais plusieurs dirigeants des pays les plus influents au monde l'utilisent actuellement. En menaçant plusieurs fois d'utiliser ses armes nucléaires ou de frapper des pays de l'OTAN qui auront soutenu Kiev, Vladimir Poutine l'a fait en 2024. Cette stratégie du fou est aussi une de celles que préfère Kim Jong un en Corée du Nord qui l'utilise pour menacer avec une poignée d'armes nucléaires un pays qui en a des milliers et les moyens les plus développés pour les lui envoyer.
En Chine, Xi utilise cette stratégie pour imposer sa domination sur la mer de Chine malgré un jugement international qui affirme qu'il n'a pas plus de droits que ses voisins sur ce plan d'eau. Lui et ses « loups guerriers » l'utilisent aussi pour affirmer irrationnellement qu'ils ont le droit d'envahir Taïwan par la force.
En Israël, Benjamin Netanyahu affirme pour sa part qu'il peut cibler les installations nucléaires iraniennes, ce qu'appuie Donald Trump qui lui a déjà demandé de se concentrer sur celles-ci avant tout autre objectif. Le président américain qui entrera en fonction dans quelques semaines est d'ailleurs considéré comme étant un grand utilisateur de la stratégie du fou, notamment avec ses menaces d'imposer des tarifs sur les produits entrant dans les États-Unis, de sortir de l'OTAN si ses membres ne dépensent pas tous 2% de leur PIB pour leur défense et de terminer la guerre en Ukraine en 24 heures, tout cela en début de mandat pendant qu'il expulsera tous les immigrants illégaux des États-Unis.
L'Europe en position de faiblesse en 2025
L'Europe entre dans une année de faiblesse avec ses deux pays moteurs, l'Allemagne en pleine débâcle économique en raison de l'effondrement de son modèle d'affaires et la France sans gouvernement stable à cause des censures potentielles et avec des problèmes de déstabilisation venus de plusieurs pays tels l'Azerbaïdjan et la Turquie. La Russie et la Chine se rajoutent à ces derniers et visent plus largement une mainmise sur tout le continent en utilisant principalement de la propagande et de la désinformation. Le ministre tchèque des Affaires étrangères, Jan Lipavsk, aurait affirmé en début décembre lors d'une réunion de l'OTAN qu'il y aurait eu cette année 500 incidents suspects qui auraient eu lieu en Europe et que jusqu'à 100 de ceux-ci pouvaient être attribués à des opérations hybrides, d'espionnage ou d'influence russes.
L'écrivain et avocat Philippe Sands, lauréat du prix du Livre européen en 2018 et qui en était président du jury cette année affirme, comme l'auteur du livre gagnant « L'avenir se joue à Kyiv », Karl Schlögel, que le futur de l'Europe dépend de la guerre en Ukraine, si celle-ci n'arrive pas a préservé le désir de démocratie et de gouvernance transparente dans ce pays. Selon lui, la réaction européenne n'a pas été à la hauteur jusqu'à maintenant. Une situation qui serait à changer de toute urgence en 2025.
Une très relative position de force pour l'Afrique
En ce qui concerne l'Afrique dont la richesse en ressources minières telle l'or, le cobalt, le fer, le phosphate, le lithium et de nombreux autres minéraux lui donne une relative position de force, elle reste en 2025 très vulnérable aux pressions géopolitiques de la Chine, nouveau grand investisseur, et celles des anciens colonisateurs occidentaux qui résistent à leur déclassement en dénonçant le piège de la dette chinoise dans lequel plusieurs pays en développement sont déjà tombés.
L'Europe tente donc de se rapprocher des pays africains avec de nombreux projets, dont celui lancé en 2022, Africa-EU Raw Materials Value Chain Partnership (AfricaMaVal), qui vise les secteurs miniers du lithium et du phosphate de pays comme le Rwanda, le Maroc et le Sénégal. Une situation que les pays africains pourraient optimiser en 2025.
La recristallisation commence ?
Dans le processus bien connu du changement qui est, décristallisation, changement et recristallisations, les guerres en Ukraine et Gaza, débutées en 2022 et 2023 pourraient correspondre à la première phase, 2024 à la deuxième et l'arrivée de Donald Trump le 20 janvier au commencement de la troisième. Dans un environnement où la stratégie du fou est si utilisée, l'arrivée d'un président américain autocrate a le potentiel de commencer la recristallisation d'un nouvel ordre mondial qui serait un peu plus basé sur la puissance militaire et le pouvoir brut et moins sur le droit et le respect des conventions internationales. Si le monde ne se ressaisit pas rapidement en 2025, il pourrait être forcé à endurer une situation qui deviendra de plus en plus difficile à changer à mesure que la paix mondiale sera basée sur cette force brute non régulée par des instances internationales.
En ce sens, la chute du régime de Bachar el-Assad, qui est une importante défaite de la Russie et de l'Iran, pourrait marquer un moment géopolitique à saisir. Elle pourrait entraîner un affaiblissement de l'axe Russie-Chine-Iran-Corée du Nord, et changer l'ordre mondial qu'il tente actuellement de cristalliser pour les décennies futures dans sa nouvelle position de force.
Michel Gourd
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On a dépassé le seuil de 1,5 °C de réchauffement : pourquoi c’est grave

2024 sera la première année où le réchauffement de la Terre dépassera les 1,5 °C. Le franchissement durable de ce seuil décuplerait les dégâts du changement climatique et le risque de franchir d'irréversibles points de bascule.
Tiré de Reporterre
11 décembre 2024
Par Vincent Lucchese
Des fragments de glace flottant entre deux icebergs près du Groenland. Les pôles terrestres et leur glace subissent particulièrement chaque dizième de degré de réchauffement climatique supplémentaire. - Adam Sébire / Climate Visuals (CC BY-NC-ND 4.0)
C'est désormais officiel : 2024 va avec certitude devenir la première année calendaire à voir la Terre dépasser le seuil des 1,5 °C de réchauffement global par rapport à l'ère préindustrielle. C'est le service changement climatiquede l'observatoire européen Copernicusqui en a fait l'annonce, lundi 9 décembre.
L'objectif de limitation du réchauffement à 1,5 °C — sur lequel se sont engagés les États en signant l'accord de Paris — n'est toutefois pas encore factuellement dépassé. Car le climat connaît des variations naturelles d'une année à l'autre. Pour être officiellement atteint, le seuil de 1,5 °C devra être mesuré en moyenne sur plusieurs décennies. Copernicus mesure par exemplele réchauffement actuel à 1,3 °C, en prenant en compte la moyenne des cinq dernières années.
Même si les chances de tenir l'objectif de 1,5 °C paraissent aujourd'hui quasi-nulles, le chiffre est loin d'être seulement symbolique. Reporterre revient sur quelques-unes des raisons qui rendaient ce seuil crucial.
Le réchauffement annuel moyen par rapport au seuil préindustriel depuis 1940. Copernicus Climate Change Service / ECMWF
Les climatologues ont coutume de rappeler que « chaque dixième de degré compte ». Il n'est en ce sens jamais trop tard pour agir car toute hausse de la température ne fait qu'augmenter les risques d'emballement climatique et la survenue de catastrophes toujours plus intenses. Le seuil de 1,5 °C demeure cependant important car il a beaucoup été étudié par la science : les recherches montrent à quel point s'aventurer au-delà pourrait être dramatique pour de nombreux êtres, humains et non-humains.
10 millions de personnes en plus touchées par la montée des eaux
En 2018, le Giec publiait ainsi un rapport spécial sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C. D'ici 2100, notaient les auteurs, un réchauffement limité à 1,5 °C, par rapport à un réchauffement de 2 °C, permettrait par exemple de réduire de 10 cm la montée du niveau des océans, exposant 10 millions de personnes en moins aux risques liés à la montée des eaux.
Pluies torrentielles, vagues de chaleur, baisses de rendements céréaliers, perte de biodiversité… Tous les dégâts sont bien plus forts à 2 °C qu'à 1,5 °C. Un cas emblématique est celui des coraux, très vulnérables aux vagues de chaleur marines et qui abritent 25 % des espèces océaniques connues : les pertes pourraient aller de 70 à 90 % à 1,5 °C de réchauffement, contre 99 % à 2 °C.
Les anomalies mois par mois de la température moyenne de l'air sur Terre depuis 1940. En orange l'année 2023, en rouge 2024. Copernicus Climate Change Service / ECMWF
Le seuil de 1,5 °C est particulièrement important pour les petits États insulaires en développement(PEID). Une étude publiée en 2023 dans la revue Nature Sustainability conclut que, même limité à 1,5 °C, le réchauffement menacera les PEID de dégâts majeurs, « conduisant probablement à des migrations forcées ». Et les choses empirent dès que l'on dépasse 1,5 °C.
C'est ce que soulignent aussi des chercheurs de l'Institut allemand Climate Analytics dans un rapport publié en avril : « À titre d'exemple, le montant des préjudices annuels dus aux cyclones tropicaux à Antigua-et- Barbuda augmenterait de près de moitié si le réchauffement climatique atteignait 1,7 °C en 2050 au lieu de 1,5 °C, et de plus de trois quarts avec un réchauffement climatique de 1,8 °C en 2050 par rapport à 1,5 °C. »
« De même, poursuivent les scientifiques, le nombre de personnes exposées chaque année à des canicules au Sénégal augmenterait de près d'un tiers avec un réchauffement de la planète de 1,7 °C en 2050 par rapport à 1,5 °C, et de moitié si le réchauffement atteignait 1,8 °C à la même date. »
D'irréversibles points de bascule dans la balance
L'autre argument majeur pour tenir l'objectif de 1,5 °C, c'est la crainte que le climat terrestre soit sur le point de franchir plusieurs points de bascule. C'est-à-dire des transformations drastiques dans les écosystèmes, déclenchés par un certain seuil de température, et irréversibles. La disparition des récifs coralliens évoquée précédemment, ou la fonte de la calotte glaciaire au Groenland, font partie de ces points de bascule à éviter.
Une étude internationale parue dans Science en 2022 estimait que plusieurs de ces points de bascule risquaient d'être franchis, même à 1,5 °C de réchauffement. Et plus la température monte, plus le nombre de points de bascule et la probabilité qu'ils soient franchis augmente.
Sur la péninsule ouest de l'Antarctique, de nombreux glaciers fondent à une vitesse alarmante : les glaciologues ne savent pas si, pour certains d'entre eux, les points de bascule ne sont pas d'ores et déjà franchis, ou sont sur le point de l'être. L'objectif de limitation du réchauffement à 2 °C est, quoi qu'il en soit, jugé là-bas largement trop haut.
Les anomalies de température dans les océans non-glacés en novembre 2024. En rouge, les chaleurs anormalement élevées ; en bleu les zones anormalement froides. Copernicus Climate Change Service / ECMWF
Pour les États insulaires et les populations côtières notamment, la montée des eaux ne s'arrêtera pas en 2100 dans tous les cas, souligne le rapport du Giec sur le réchauffement à 1,5 °C. Si les calottes glaciaires franchissent ces points de bascule, elles pourraient continuer à fondre sur une échelle allant « du siècle au millénaire » écrivent les scientifiques, provoquant une montée des eaux de plusieurs mètres (contre quelques dizaines de centimètres anticipés en 2100). Ces instabilités glaciaires pourraient être déclenchées quelque part entre 1,5 °C et 2 °C de réchauffement.
« Il n'existe pas un unique point de bascule pour notre système climatique mais, résume à Reporterre la climatologue Kristina Dahl, vice-présidente de l'ONG Climate Central, chaque dixième de degré de réchauffement au-dessus de 1,5 °C nous rapproche du déclenchement de dégâts irréversibles, comme l'extinction d'espèces ou le relâchement du méthane très réchauffant contenu dans le pergélisol en Arctique. »
Il est de retour.
Dans quelques semaines, Donald Trump se ré-installera à la Maison Blanche.
Un milliardaire, pour qui le réchauffement climatique est « un canular », sera à la tête de la plus grande puissance mondiale.
Dans une décennie cruciale pour l'écologie, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de temps.
La société civile doit continuer de se soulever, de se mobiliser et de faire pression sur les puissants.
Mais pour agir, il faut savoir.
Depuis 11 ans, nous publions des articles de qualité sur l'écologie, en accès libre et sans publicité, pour tous.
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Au Burkina Faso, les journalistes face à leurs vieux démons

Le 13 décembre 1998, le journaliste d'investigation Norbert Zongo perdait la vie dans l'incendie de sa voiture. Vingt-six ans après ce crime impuni, les journalistes burkinabè sont à nouveau ciblés par le pouvoir politique. Les suspensions et les enlèvements se multiplient, et, petit à petit, l'autocensure s'impose.
Tiré d'Afrique XXI.
Avis de sécheresse médiatique au Burkina Faso. Vingt-six ans après l'assassinat de Norbert Zongo, dont le souvenir est toujours vivace, la presse traverse une nouvelle tempête au « pays des hommes intègres ». Ce journaliste engagé avait été assassiné le 13 décembre 1998 alors qu'il enquêtait sur l'entourage du président Blaise Compaoré, et notamment son frère et conseiller, François. Ce crime impuni avait marqué les esprits dans un pays où les journalistes cultivent leur indépendance. Mais alors qu'il semblait appartenir à une époque révolue, la peur est de retour dans les rédactions. Depuis le double coup de force des militaires, en janvier et en septembre 2022, la liberté de la presse est plus que jamais menacée.
Les incidents et les actes d'intimidation envers les journalistes et les organes de presse se sont multipliés. Déjà, sous le court règne du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, de janvier à septembre 2022, les organisations professionnelles de la presse avaient tiré la sonnette d'alarme. « L'attitude du pouvoir du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration [MPSR, le nom de la junte, NDLR] vis-à-vis de la liberté d'expression et de la presse inquiète de plus en plus l'opinion nationale et, en particulier, les acteurs des médias que nous sommes », avaient-elles indiqué.
Un évènement avait particulièrement inquiété la profession. En mars 2022, des reporters du quotidien L'Observateur Paalga, l'un des titres les plus anciens du pays, avaient connu une mésaventure à la présidence. Alors que Damiba arrivait pour assister au Conseil des ministres du 18 mars, le photographe avait voulu immortaliser ce moment. Mais un membre de la garde du lieutenant-colonel l'avait sommé d'arrêter. « D'un ton courtois, il nous invite à supprimer toutes les photos que nous venions de prendre. Nous nous exécutons sous son contrôle. En plus de la photo du convoi du président, il nous fait supprimer celle que nous avions prises plus tôt du Premier ministre », avait écrit le journal dans sa livraison du 21 mars. Des militaires avaient par la suite vérifié que les images prises avaient bien été supprimées avant de « libérer les journalistes ». Les organisation de la presse avaient dénoncé une « grave intrusion dans le travail du journaliste » et une « atteinte à la liberté de la presse ».
Quelques jours après, des responsables de médias avaient été convoqués à la présidence du Faso. Pour plusieurs participants à cette réunion, il s'agissait plus de mettre au pas les journalistes que d'instaurer un dialogue. Mais ce n'était qu'un petit aperçu de ce qui allait suivre.
Des suspensions en rafales
Le 30 septembre 2022, le lieutenant-colonel Damiba est renversé. Le capitaine Ibrahim Traoré (« IB ») prend les rênes du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration – qui devient le MPSR-2. Très vite, les choses se compliquent pour les journalistes. Malgré l'existence du Conseil supérieur de la communication (CSC), une institution chargée de veiller à l'application de la réglementation en matière de communication et de sanctionner les manquements aux règles déontologiques des journalistes, le nouveau gouvernement se positionne en véritable régulateur du contenu des médias.
Le 3 décembre 2022, la diffusion des programmes de Radio France Internationale (RFI) est suspendue pour avoir « relayé un message d'intimidation attribué à un chef terroriste ». Le lendemain, sur les réseaux sociaux, un activiste pro-IB appelle au meurtre d'Alpha Barry, ancien ministre des Affaires étrangères et patron du groupe de presse Oméga Médias, et du journaliste Newton Ahmed Barry (par ailleurs ancien président de la Commission électorale nationale indépendante). Quelques mois plus tard, en avril 2023, les quotidiens français Libération et Le Monde, et la chaîne de télévision France 24 sont à leur tour suspendus, et les correspondantes des deux journaux, Agnès Faivre (membre du comité éditorial d'Afrique XXI) et Sophie Douce, sont expulsées du pays.
Au même moment, les menaces se multiplient sur les journalistes burkinabè : appels au meurtre sur les réseaux sociaux, publication de listes de journalistes à « abattre »... Plusieurs organisations le déplorent le 13 avril :
- Aujourd'hui, certains de nos concitoyens, y compris des autorités, pour des desseins que nous ignorons pour l'instant, accusent les médias de mettre leurs plumes, leurs caméras et leurs micros au service des terroristes. Sacrilège ! Ceux qui tiennent ce genre de discours ont un problème avec la vérité. La haine contre les médias et les journalistes s'est accentuée depuis l'arrivée du capitaine Ibrahim Traoré sur la scène politique. [...] On a assisté et on assiste encore à des appels incessants aux meurtres de journalistes et de leaders d'opinion, des cabales montées de toute pièce pour salir la réputation de certains de nos confrères.
Le 10 août 2023, un nouveau palier est franchi par le pouvoir. Le gouvernement décide « en toute responsabilité » de suspendre la diffusion des programmes de Radio Oméga, une radio privée très écoutée. Dans une déclaration du porte-parole du gouvernement, Jean-Emmanuel Ouédraogo, l'exécutif s'offusque de la diffusion d'une interview accordée par la station à Ousmane Abdoul Moumouni, dans laquelle ce Nigérien indiquait vouloir « restaurer la démocratie » dans son pays après le coup d'État militaire du 26 juillet 2023 ayant renversé Mohamed Bazoum (1). Le 7 décembre 2024, Jean-Emmanuel Ouédraogo, lui-même un ancien journaliste, a été nommé Premier ministre par Ibrahim Traoré, en remplacement d'Apollinaire Kyélem de Tambèla.
« Il n'y aura pas de sentiments »
Dans un entretien diffusé le 31 août 2023 sur les antennes de la télévision publique, Ibrahim Traoré annonce la couleur :
- Ici, les radios qui font la propagande, qui cherchent à donner plus d'aura à l'ennemi, à amplifier le conflit, nous allons [les] fermer… Ce ne sont pas seulement les radios occidentales, même les radios locales, qui s'alignent dans le sens de l'impérialisme, nous allons [les] fermer. Il n'y aura pas de sentiments sur ce volet parce que tout ce qu'ils divulguent, la propagande qu'ils font, ça tend à chaque fois à donner une autre vision du conflit, ensuite à amplifier le conflit, à donner une autre idée du conflit, c'est-à-dire qu'ils veulent changer la mentalité de nos peuples.
Le « conflit » dont parle alors le président concerne la guerre contre l'insurrection djihadiste dans le nord, l'est et l'ouest du pays.
Les menaces sont rapidement mises à exécution. Déjà en juin 2023, les services de l'administration fiscale avaient procédé à la fermeture temporaire du bimensuel L'Événement pour « non-paiement de ses impôts ». En avril 2024, le site Internet Savane Média subit le même sort. Après la publication d'une série d'enquêtes révélant des malversations dans l'armée, le directeur de publication du journal L'Événement, Atiana Serge Oulon, est traqué par les services de l'État : convocation par la justice militaire, audition par l'Autorité supérieure de contrôle de l'État et de lutte contre la corruption, audition par le Conseil supérieur de la communication, et enfin suspension de son journal le 20 juin 2024 (une suspension levée par la justice depuis).
Pis : alors qu'Oulon et sa jeune équipe s'apprêtent à mettre sous presse l'édition du 25 juin, le directeur de publication est enlevé à son domicile à 5 heures du matin le 24 juin par des agents de l'État. Six mois plus tard, personne ne sait où il se trouve, ni même s'il est encore en vie.
« L'autocensure se généralise »
Les journalistes Adama Bayala et Alain Traoré dit « Alain Alain », et le chroniqueur Kalifara Seré sont également enlevés durant la même période. Depuis, ils n'ont plus donné signe de vie. Lors de la 81e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), tenue à Banjul, en Gambie, en octobre 2024, la délégation du Burkina Faso, interrogée à ce sujet, a indiqué que trois d'entre eux, MM. Oulon, Bayala et Seré, avaient été réquisitionnés et envoyés au front, comme d'autres activistes jugés trop critiques par le pouvoir, et comme deux autres journalistes avant eux : Issaka Lingani et Yacouba Ladji Bama en novembre 2023 (pour une durée de trois mois).
Par ailleurs, des associations acquises à la cause du régime militaro-civil ont multiplié les menaces et les actes d'intimidation contre des médias jugés trop critiques. Elles ont notamment manifesté devant les locaux de la chaîne de télévision privée BF1. Ces organisations ont appelé à sanctionner de la manière « la plus sévère » les médias et les influenceurs sur les réseaux sociaux « dont le message portera atteinte à la nation et à ses autorités ».
Dans un rapport publié le 30 septembre 2024, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) indique que « les autorités du Burkina Faso ont progressivement restreint le droit à l'information et à la liberté de la presse. Les médias locaux sont contrôlés et de grands médias internationaux interdits. Les journalistes sont contraint·es d'adopter un “traitement patriotique” de l'information, c'est-à-dire favorable au pouvoir. Ils et elles font l'objet d'attaques et de menaces permanentes. L'autocensure se généralise ».
Une mainmise totale
La mainmise du régime se manifeste désormais jusque dans les textes régissant la profession. Le 21 novembre 2023, le gouvernement a fait adopter une loi organique portant attributions, composition, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication. Le processus a été fortement contesté par les organisations des journalistes. Un des points d'achoppement portait sur le mode de désignation du président du Conseil. Jusque-là, il était élu par le collège des conseillers (2). Or la nouvelle loi donne désormais la possibilité au chef de l'État de désigner seul le président de l'institution. Il ne s'est d'ailleurs pas fait prier : le 31 janvier 2024, Ibrahim Traoré a nommé Idrissa Ouédraogo, un communiquant officiant dans le privé connu pour ses positions hostiles à la liberté de la presse et fervent défenseur du pouvoir militaire. Par ailleurs, le champ de compétence du CSC a été élargi. L'institution peut désormais diligenter des perquisitions dans des entreprises de presse et procéder à la fermeture de médias.
Dès sa prise de fonctions, Idrissa Ouédraogo et son équipe ont fait pleuvoir les sanctions contre des médias privés (dont lefaso.net, qui a écopé d'une mise en demeure), mais aussi contre la presse internationale. Les suspensions se sont multipliées : VOA Afrique (une radio étasunienne), BBC Afrique (une radio britannique), Deutsche Welle (une radio allemande), TV5 Monde et le site Internet du Monde ont vu l'accès à leur site suspendu en juin 2024. Le CSC a justifié ces sanctions par la publication « de déclarations péremptoires et tendancieuses contre l'armée burkinabè, sans précaution aucune, [ce qui] constitue une désinformation de nature à porter le discrédit sur l'armée burkinabè ». En décembre 2024, c'est L'Observateur Paalga, une institution au Burkina, qui est dans le viseur du CSC pour un article publié le 16 octobre, intitulé : « Armée malienne : des généraux comme s'il en pleuvait ».
Situé en 58e position dans le classement 2023 de la liberté de la presse de l'ONG Reporters sans frontières (RSF), le Burkina a régressé à la 86e place en 2024. « Aujourd'hui, c'est la galère. On n'arrive pas à avoir des invités pour des interviews et des émissions. C'est la mort de la presse engagée au Burkina Faso », confie un journaliste sous couvert d'anonymat. Plusieurs de ses confrères, craignant pour leur liberté, ont été contraints de s'exiler.
L'affaire Zongo de nouveau enterrée ?
Le constat est d'autant plus amer que l'affaire Norbert Zongo est encore dans tous les esprits. Alors que de fortes présomptions pèsent depuis le début sur François Compaoré, ce dossier a longtemps été ignoré par la justice burkinabè. Il a fallu attendre la chute de Blaise Compaoré, en octobre 2014, pour que l'enquête avance. En mai 2017, la justice burkinabè a émis un mandat d'arrêt contre François Compaoré, alors en exil entre la France et le Bénin. Arrêté en France, il risquait d'être extradé. Mais les recours en justice du mis en cause, les coups d'État et la rupture diplomatique qui a suivi entre Ouagadougou et Paris ont stoppé la procédure.
Le dossier Zongo ne semble pas être aujourd'hui une priorité du pouvoir. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), appelée à se prononcer sur la procédure d'extradition, a indiqué le 7 septembre 2023 que « les assurances n'[avaient] pas été confirmées par le second gouvernement de transition mis en place par le nouveau chef d'État ».
Nombre de Burkinabè caressent encore l'espoir de voir les assassins de Norbert Zongo être jugés un jour, surtout depuis la nomination d'un journaliste à la primature. Mais quel intérêt un régime qui enlève et menace des journalistes aurait-il à faire la lumière sur l'assassinat du plus illustre d'entre eux ?
Notes
1- Le pouvoir militaro-civil de Ouagadougou, tout comme le pouvoir militaro-civil de Bamako, s'est montré solidaire des putschistes nigériens dès le début.
2- Collège constitué de personnalités désignées par le président de la République, le président de l'Assemblée de transition, le président du Conseil constitutionnel et les organisations de journalistes.
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Afrique du sud : Le problème ne vient pas des "étrangers"

Des sauveteurs bénévoles à la mine de Stillfontein. La véritable histoire des zama zamas est tragique. C'est l'histoire de personnes démunies, dont beaucoup étaient d'anciens mineurs, qui ont été éliminés par le capital parce qu'ils ne sont plus utiles. La seule façon pour eux de subvenir aux besoins de leur famille est de vendre leur travail dans l'économie parallèle de l'exploitation minière informelle.
Tiré d'Afrique en lutte.
Et c'est reparti. Il faut les enfumer, les affamer. Ce ne sont que des étrangers, après tout... même si, en réalité, beaucoup de mineurs informels (les « zama zamas ») sont en réalité des Sud-Africains. Mais d'où qu'ils viennent, ce sont des gens désespérés. Pour passer des mois dans une mine abandonnée pour survivre, il faut être désespéré.
Et leur désespoir a tous la même cause fondamentale, qu'ils viennent du Mozambique, du Zimbabwe, du Lesotho ou de Klerksdorp : des politiques économiques dont le but est de servir l'élite pendant que les masses souffrent.
Mais il faut bien sûr trouver un récit qui explique cette souffrance. Autrefois, c'était « l'héritage de l'apartheid » qui était censé expliquer la lenteur du changement. Aujourd'hui, ce sont les immigrants illégaux et la porosité de nos frontières qui sont en cause.
Deux sujets ont dominé l'actualité ces dernières semaines : les « zama zamas » à Stillfontein et la mort d'enfants suite à l'empoisonnement de la nourriture par les pesticides. Ces deux tragédies sont entièrement imputables au gouvernement lui-même. Pourtant, elles sont toutes deux associées au même terme : « makwerekwere »… des étrangers. Ils volent nos emplois. Ils empoisonnent nos enfants. Ils terrorisent nos communautés.
« Zama-zamas »
La véritable histoire des Zama Zamas est bien plus tragique. C'est l'histoire de personnes appauvries, dont beaucoup étaient d'anciens mineurs, qui ont été éliminés par le capital parce qu'ils n'étaient plus utiles. La seule façon pour eux de subvenir aux besoins de leur famille est de vendre leur travail dans l'économie parallèle de l'exploitation minière informelle. Ce sont des travailleurs, pas des criminels, pas plus que les mineurs massacrés à Marikana n'étaient des criminels, quoi qu'en ait dit Cyril Ramaphosa.
Les conditions de travail de ces travailleurs sont bien pires que celles d'Anglo ou de Sibanye-Stillwater. Ils n'ont aucun droit et sont exploités de manière brutale par des gangsters qui dirigent des syndicats du crime et qui, en fin de compte, sont à la recherche de ceux qui contrôlent les marchés mondiaux.
Et bien sûr, comme c'est souvent le cas, il existe une solution : légaliser et réglementer l'industrie. Cette stratégie n'a rien de révolutionnaire. Elle est déjà mise en œuvre dans de nombreux autres pays africains : l'Angola, le Tchad, l'Eswatini, Madagascar, le Malawi, le Mali, le Niger, la Sierra Leone, la Tanzanie et l'Ouganda. Mais ici, en Afrique du Sud, où se trouve l'industrie minière la plus importante et la plus développée du continent, l'exploitation minière artisanale reste illégale. Et la « stratégie » du gouvernement consiste à punir brutalement les mineurs informels, au lieu de s'attaquer à la cause. Répondre à la violence créée par l'État par la violence de l'État. Autant pour la libération nationale.
Les enfants tués
Bien sûr, Cyril Ramaphosa est plus sophistiqué que son ministre de la « dépollution », Ntshavenhi. Lorsqu'il a finalement décidé de parler à « la nation » de l'empoisonnement des enfants, il a pris soin de ne pas accuser les étrangers. Au lieu de cela, il a utilisé un autre récit, celui des fausses promesses.
Il admet donc que :
L'une des raisons pour lesquelles les gens utilisent des pesticides est la lutte contre les infestations de rats. Le problème des infestations de rats est dû en partie à une mauvaise gestion des déchets dans plusieurs municipalités.
Mais pourquoi ces municipalités sont-elles si négligentes ? Où trouve-t-il son explication ? Sont-elles paresseuses ? Dorment-elles ? Sont-elles stupides ? Parce que sans une analyse appropriée, il est peu probable que l'on trouve une véritable solution. Ce qu'il ne fait évidemment pas. Au lieu de cela, il promet que l'État fera beaucoup de choses dont il s'est montré, à maintes reprises, incapable de faire. Et il en est incapable précisément à cause des politiques de son gouvernement et des gouvernements de l'ANC depuis 1994.
Tué par l'échec de l'externalisation
Le système de gestion des déchets est presque complètement défaillant dans la plupart des régions d'Afrique du Sud. Les décharges sont fermées. Les déchets s'accumulent partout. Autrefois, il y avait des services municipaux de collecte des déchets. Pas de contrats pour les amis et la famille. Aujourd'hui, bien sûr, le « service » est externalisé.
Cette délocalisation porte une lourde responsabilité dans la mort des enfants. Elle crée des emplois pour les amis de l'élite au détriment des enfants des pauvres et de la classe ouvrière. C'est un prix élevé à payer pour créer une classe moyenne noire.
Et puis il y a le refus du gouvernement (dans ce monde libéralisé où il promet sans cesse de « libérer » l'économie) de réglementer les pesticides. Ce problème n'était pas inconnu. En 2010, Hanna-Andrea Rother, professeur à l'École de santé publique et de médecine familiale de l'UCT, a publié un article dans l'International Journal of Occupational and Environmental Health dans lequel elle était très explicite. Tout d'abord, la nature et la cause du problème :
Les pesticides hautement toxiques, comme l'aldicarbe, sont facilement disponibles sur les marchés informels de la périphérie urbaine du Cap. La demande et l'offre de pesticides de rue sont alimentées par le chômage, la pauvreté et des stratégies inadéquates de lutte contre les nuisibles.
Et puis l'ampleur du danger :
Les sachets d'aldicarbe vendus dans les rues du Cap contenaient entre 50 et 60 mg/kg, ce qui leur donne le potentiel de tuer cinq à six enfants pesant 10 kg ou moins. L'incapacité des législations nationales et internationales à protéger les enfants contre l'exposition à ce produit chimique constitue une violation flagrante des droits de l'homme.
Ces mots sont étrangement prophétiques. 14 années se sont écoulées pendant lesquelles le gouvernement a eu le temps et l'opportunité de réglementer et a échoué.
Tué par l'austérité
Et puis il y a les coupes budgétaires du gouvernement. Même le président de l'ANC du Comité de portefeuille sur la gouvernance coopérative et les affaires traditionnelles (COGTA), Zweli Mkhize, a déclaré que la réduction d'environ 1,3 milliard de rands du budget de la COGTA « compromettrait la capacité du ministère à soutenir les municipalités ».
La grande majorité du budget de la COGTA est versée aux municipalités sous forme de subventions. Ces subventions sont cruciales, en particulier pour les municipalités les plus pauvres, qui n'ont que peu ou pas d'autres sources de revenus.
Et regardons ce que le Président attend de ces municipalités sous-financées et mal gouvernées.
Nos municipalités locales devront prendre des mesures urgentes pour résoudre le problème des infestations de rats en nettoyant les villes et les villages et en éliminant les déchets.
Outre l'ironie de ce président qui dit à quiconque d'autre de « prendre des mesures urgentes », comment ces municipalités dysfonctionnelles et sous-financées prendront-elles des mesures urgentes ? Quand ont-elles pris des mesures urgentes ? Les premiers cas de choléra dans la région de Hammanskraal ont été signalés en février 2023. Et l'approvisionnement en eau n'est toujours pas réparé. Et bien sûr, le président nous a tous parlé à ce moment-là, en mai 2023 :
Le Département de l'eau et de l'assainissement a émis de nombreuses directives à la ville de Tshwane pour lutter contre la pollution causée par la station d'épuration des eaux usées de Rooiwal. Malheureusement, ces directives n'ont pas été suivies d'effet.
Alors, la solution cette fois-ci ? Pour l'empoisonnement aux pesticides ? Donner de nouvelles directives, qui ne seront pas non plus appliquées.
Quelle est la directive cette fois-ci ?
Des équipes d'inspection multidisciplinaires intégrées effectueront des contrôles de conformité auprès des installations de manipulation des aliments, des fabricants, des distributeurs, des grossistes et des détaillants. Cela comprendra les magasins Spaza et les revendeurs généraux.
Où sont les ressources ?
Des tas d'ordures jonchent les rues de Joburg. Aujourd'hui, bien sûr, le « service » est externalisé. Cette externalisation porte une lourde responsabilité dans la mort des enfants. Elle crée des emplois pour les amis de l'élite aux dépens des enfants des pauvres et de la classe ouvrière.
Considérons un seul aspect de cette « directive » : les inspecteurs de la santé, ou « praticiens de la santé environnementale », pour leur donner leur nom officiel. L'Afrique du Sud compte un quart du nombre d'inspecteurs de la santé que l'Organisation mondiale de la santé estime que nous devrions avoir.
Nous sommes dans une situation où nous avons 11,6 millions de chômeurs et 1 712 inspecteurs de santé dans tout le pays. La ville de Tshwane compte 73 inspecteurs de santé, soit un pour 60 000 habitants. Le ratio correct, selon le ministre , est de 1 pour 10 000.
Même si leur seule tâche consistait à inspecter les boutiques de luxe, ces 73 personnes auraient du mal à s'en sortir. Mais en fait, leur travail est bien plus vaste que cela. Il comprend :
– Hygiène alimentaire et sécurité dans les restaurants, les points de vente de nourriture et les installations de production alimentaire.
– Santé environnementale, y compris la qualité de l'eau et de l'air et la gestion des déchets.
– Santé et sécurité au travail.
– Prévention et contrôle des maladies.
– Habitat et assainissement urbain.
– Octroi de licences et réglementation des vendeurs de produits alimentaires et des entreprises impliquées dans la manipulation de matières dangereuses.
Notre honorable président s'attend à ce que ces quelques inspecteurs de la santé inspectent non seulement tous les magasins de spaza, mais aussi toutes les installations de manipulation des aliments, des fabricants aux détaillants. Et pas seulement une fois, mais régulièrement.
Les Sud-Africains en ont assez de ces récits fantaisistes qui ne peuvent être réalisés qu'avec des ressources inexistantes. C'est toujours la même histoire. Des promesses vides. Des histoires qui n'ont aucun rapport avec la réalité. Vous souvenez-vous du Plan national de développement ?
Quelques vraies solutions
Il est temps de se concentrer sur des solutions qui s'attaquent aux causes profondes de ces tragédies. Le gouvernement doit :
– Réglementer l'industrie des pesticides : interdire tous les pesticides hautement dangereux et appliquer des contrôles stricts sur la production et la vente de pesticides, en tenant les fabricants responsables de leur distribution.
– Renforcer le contrôle de la sécurité alimentaire : investir dans des inspecteurs de santé et fournir des ressources aux commerçants informels pour qu'ils se conforment aux normes de sécurité alimentaire au lieu de les fermer.
– Internaliser tous les services essentiels : rétablir les services municipaux de collecte des déchets.
– Mettre fin à l'austérité : allouer un financement adéquat aux municipalités pour améliorer la gestion des déchets, l'approvisionnement en eau et les services de lutte antiparasitaire.
– Lutter contre le chômage : introduire un revenu de base universel et mettre en œuvre un impôt sur la fortune pour remédier à la crise de la pauvreté systémique.
– Mettre fin à la libéralisation du commerce : élaborer des politiques qui protègent les industries locales et créent des emplois durables plutôt que d'inonder le marché de biens importés bon marché.
La mort tragique des enfants et la souffrance des mineurs informels devraient unir les Sud-Africains pour exiger un changement systémique plutôt que de faire des groupes vulnérables des boucs émissaires.
Source : https://www.amandla.org.za
Traduction automatique de l'anglais.
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Wagner a gagné plus de 2,5 milliards $ grâce à l’extraction d’or

(Agence Ecofin) – L'exploitation de l'or fait partie du modèle économique du groupe de mercenaires russes. Son récent passage sous la tutelle du Kremlin ne l'a pas empêché de continuer à fournir des prestations de sécurité, de formation et de combat à des acteurs étatiques en échange d'un accès au précieux métal jaune, au grand dam des mineurs artisanaux.
Tiré de MondAfrique.
Le groupe paramilitaire russe Wagner a gagné plus de 2,5 milliards de dollars grâce à l'extraction illicite d'or, notamment dans des pays africains, depuis le début de la guerre en Ukraine, souligne un rapport publié le 18 novembre par le Conseil mondial de l'or (WGC).
Intitulé « Le silence est d'or : un rapport sur les mineurs artisanaux exploités dans le but de financer la guerre, le terrorisme et le crime organisé », le rapport précise que cette somme provient essentiellement des bénéfices tirés des mines et des raffineries sous contrôle de Wagner dans des pays déchirés par des conflits comme la République centrafricaine, le Mali, la Libye et la Syrie, ainsi que des honoraires versés par les régimes à cette société militaire privée, aujourd'hui incorporée dans l'armée russe, en contrepartie de service de sécurité.
Le métal précieux pillé par Wagner peut être ramené en Russie directement via la base militaire russe de Lattaquié, en Syrie, ou indirectement via des centres internationaux de commerce de l'or comme Hong Kong, l'Inde, la Suisse, la Turquie et les Émirats arabes unis. Les recettes issues de ce commerce international illicite servent essentiellement à financer la machine de guerre russe.
Loin de réduire ses activités depuis la mort de son fondateur, Yevgeny Prigozhin, et son passage sous la tutelle des forces armées russes, Wagner étend son contrôle sur les ressources aurifères du Mali, notamment en prenant le contrôle d'une mine artisanale à Intahaka en février 2024.
Le rapport élaboré par l'ex-vice-Premier ministre britannique Dominic Raab indique également que les gains colossaux engrangés par les mercenaires de Wagner grâce au commerce illicite de l'or constituent un exemple frappant de l'exploitation de l'activité minière artisanale dans le secteur aurifère par des acteurs mal intentionnés pour financer des conflits, faciliter le blanchiment d'argent et l'enrichissement d'entreprises criminelles. Mais toute la filière de l'exploitation minière artisanale et à petite échelle de l'or (ASGM) n'est pas toxique et des millions de foyers, souvent dans les communautés les plus pauvres et les plus marginalisées, en dépendent.
Des gouvernements privés d'une précieuse source de revenus fiscaux
Cette filière particulièrement concentrée en Afrique, en Asie et en Amérique latine représente environ 20 % de l'approvisionnement annuel mondial en or et 80 % de la main-d'œuvre totale des mines d'or dans le monde. La production de l'ASGM a connu une croissance spectaculaire, passant de 304 tonnes en 2002 à 669 tonnes en 2018.
En 2022, on estimait que la filière fournissait des moyens de subsistance directs à quelques 15 à 20 millions de personnes, et qu'elle soutenait indirectement 270 millions de personnes supplémentaires.
Selon certaines estimations, 80 % de l'activité évolue dans l'économie parallèle. Cette situation est source de nombreux risques et défis. Les mineurs d'or locaux sont souvent la cible de gangs criminels, de groupes armés, d'organisations terroristes et de fonctionnaires corrompus. L'extorsion des entités de l'ASGM fait partie intégrante de l'expansion stratégique des affiliés de l'État islamique et d'Al-Qaeda opérant au Sahel. En Colombie, le Clan del Golfo et d'anciens groupes paramilitaires, l'Armée de libération nationale (ELN) et des dissidents des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), financent leurs activités par l'exploitation illégale de l'or.
Les communautés de l'ASGM sont également souvent exploitées par des intermédiaires peu scrupuleux qui se spécialisent dans l'exportation clandestine de l'or, privant ainsi les gouvernements nationaux d'une précieuse source de revenus fiscaux. Au Soudan, la spoliation des communautés des mineurs artisanaux d'or a par exemple privé le gouvernement d'un montant estimé à 2 milliards de dollars en une seule année.
D'autres risques menacent la filière de l'exploitation minière artisanale et à petite échelle de l'or. Le mercure est utilisé comme un moyen bon marché par les mineurs artisanaux pour séparer l'or du minerai. Or, l'exposition au mercure peut endommager les reins, réduire l'ouïe, nuire à la vue et causer des dommages neurologiques.
Quand les mineurs artisanaux ne peuvent trouver de mercure, il existe des cas très nombreux d'utilisation de cyanure qui nuit à la santé respiratoire et cardiovasculaire. L'exposition au plomb et au cadmium représente aussi un risque courant pour les personnes travaillant dans l'ASGM. L'absence d'autres normes de sécurité de base au sein de l'ASGM entraîne par ailleurs des taux élevés de mortalité, notamment en raison de glissements de terrain et d'effondrements, en plus de cas disproportionnés de pertes auditives, de déficiences de langage, de maladies respiratoires et d'autres affections.
Une approche concertée entre les acteurs nationaux et internationaux
Plus l'Etat de droit est faible, plus les risques sont grands que l'ASGM donne lieu au travail d'enfants et à de graves violations des droits de l'homme. En 2015, Human Rights Watch a documenté la pratique généralisée du travail des enfants dans les mines d'or artisanales au Ghana. En RDC, l'ONG Southern Africa Resource Watch (SARW) a révélé que des milices et des bandits ont déplacé les mineurs artisanaux dans la province du Nord-Kivu, les obligeant ainsi à adopter un mode de vie nomade.
Les instruments internationaux et nationaux destinés à protéger l'ASGM ne manquent pas, notamment les Principes directeurs des Nations Unies concernant les droits de l'homme et les affaires 2011, la législation de l'Union européenne sur les minerais de conflit et la loi américaine Dodd-Frank. On observe toutefois un manque saisissant de transparence entre entreprises et gouvernements concernant l'application des normes légales prescrites, ainsi qu'une dangereuse inertie dans l'application des lois pénales envers certains des auteurs des infractions les plus graves contre les mineurs artisanaux.
Troisièmement, en l'absence d'une approche concertée et coordonnée entre les différentes autorités nationales et agences internationales pour la protection des communautés de l'ASGM en difficulté, l'activité continue à causer des souffrances et des pertes humaines absurdes, tout en profitant à des organisations dangereuses qui menacent directement la paix et la sécurité régionales et internationales.
Pour éliminer ces menaces, les gouvernements, les organisations internationales et les acteurs du secteur de l'or doivent coordonner l'action menée pour démanteler les réseaux criminels (saisie des actifs provenant du commerce illégal de l'or, interdictions de visa des officiels qui collaborent avec le groupe Wagner ou toute organisation comparable, renforcement de la coopération judiciaire pour augmenter le nombre de poursuites, surveillance des raffineries et des centres de traitement…) et intégrer l'ASGM dans des chaînes d'approvisionnement légales (formalisation de l'activité minière artisanale, développement des systèmes d'alerte précoce pour les communautés minières vulnérables, élargissement des programmes d'achat d'or par les banques centrales, sensibilisation des acheteurs à se renseigner sur la source de l'or vendu en magasin, etc.).
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Soudan : Crimes de guerre au Kordofan du Sud

Les Forces de soutien rapide (RSF) et des milices arabes alliées ont perpétré de nombreuses exactions contre des civils dans le comté de Habila, dans l'État soudanais du Kordofan du Sud, de décembre 2023 à mars 2024, lors du conflit avec les Forces armées soudanaises (SAF) et le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord SPLM-N).
Tiré du site de Human rights watch.
– Ces exactions constituent des crimes de guerre et comprennent des meurtres, des viols et des enlèvements de résidents de l'ethnie Nouba, ainsi que le pillage et la destruction de maisons. Elles ont entraîné des déplacements massifs, transformant Habila et Fayu, non loin de là, en villes fantômes.
– Les Nations Unies et l'Union africaine devraient déployer d'urgence une mission pour protéger les civils au Soudan.
(Nairobi, le 10 décembre 2024) – Les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF) ont tué des dizaines de civils et blessé, violé et enlevé de nombreuses autres personnes lors de vagues d'attaques à Habila et Fayu, deux villes de l'État du Kordofan du Sud au Soudan, entre décembre 2023 et mars 2024, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Ces attaques, menées principalement contre des habitants membres de l'ethnie Nouba et ayant précédemment fait l'objet d'une faible couverture médiatique, constituent des crimes de guerre.
« Les exactions commises par les Forces de soutien rapide contre des civils au Kordofan du Sud sont emblématiques des atrocités qui continuent d'être perpétrées dans tout le Soudan », a déclaré Jean-Baptiste Gallopin, chercheur senior auprès de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Ces nouvelles constatations soulignent la nécessité urgente de déployer une mission pour protéger les civils au Soudan. »
Pendant 16 jours en octobre, des chercheurs de Human Rights Watch ont visité des zones dans la région des monts Nouba au Kordofan du Sud, contrôlées par le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (Sudan People's Liberation Movement–North, SPLM-N), un groupe armé principalement d'origine ethnique nouba qui contrôle des parties de cet État depuis des décennies. Les chercheurs ont visité des sites abritant des dizaines de milliers de personnes déplacées, principalement des Noubas, qui ont fui les zones contrôlées par les Forces armées soudanaises (Sudanese Armed Forces, SAF) ou les forces RSF, qui se battent pour le contrôle du pays, au Kordofan du Sud et dans d'autres régions du Soudan.
Les chercheurs ont mené des entretiens avec 70 personnes déplacées, dont 40 survivants des attaques menées par des combattants RSF contre Habila, Fayu et les villages voisins, et ont analysé des images satellite enregistrées entre décembre 2023 et octobre 2024. Les chercheurs ont également mené des entretiens avec 24 autres personnes, dont des travailleurs humanitaires, des responsables locaux et d'autres personnes connaissant la région.
Human Rights Watch a documenté les meurtres de 56 personnes non armées lors de ces attaques, dont 11 femmes et 1 enfant, sur la base d'entretiens avec des témoins. Les combattants RSF ont tué des personnes en les exécutant dans leurs maisons, et ont abattu d'autres personnes dans la rue. Les chiffres réels pourraient être nettement plus élevés, étant donné que la plupart des personnes ont fui dans diverses directions après les attaques.
Human Rights Watch a également documenté le viol de 79 femmes et filles, y compris dans un contexte d'esclavage sexuel, sur la base d'entretiens avec des survivantes, des témoins et des proches et ami-e-s des victimes.
Le 25 novembre, Human Rights Watch a envoyé par courrier électronique un résumé détaillé de ses conclusions, accompagné de questions spécifiques, au lieutenant-colonel Al-Fateh Qurashi, porte-parole des forces RSF, mais n'a pas reçu de réponse à ce jour.
Depuis le début du conflit entre les forces SAF et les forces RSF en avril 2023, des centaines de milliers de personnes ont fui vers le territoire contrôlé par le mouvement SPLM-N ; ce territoire était une zone de conflits tout au long des années 2010, mais est actuellement l'une des régions les plus stables du Soudan. Des affrontements ont eu lieu entre les SAF, les RSF et le SPLM-N dans d'autres parties du Kordofan du Sud, à la frontière des zones contrôlées par les SAF et les RSF. Parmi les zones touchées figuraient les villes de Habila et Fayu, ainsi que les villages voisins, tous situés dans le comté de Habila.
Le 31 décembre 2023, les forces RSF ont attaqué la ville de Habila, tenue par les FAS. Ce jour-là et les jours suivants, des combattants RSF ont tué au moins 35 civils et combattants qui étaient alors non armés, lors d'attaques délibérées et indiscriminées. Les combattants RSF ont blessé d'autres civils, et violé des femmes et des filles. Ils ont également commis de nombreux actes de pillage, infligés aux civils.
Suite du communiqué (en anglais)
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Solidarité avec le peuple haïtien en réponse aux commentaires du président français Emmanuel Macron lors du sommet du G20.

Le président français a déclaré d'une part : « ce sont les Haïtiens qui ont détruit, tué Haïti “, et d'autre part il a déclaré : ” Garry Conille était un “ super ” Premier ministre, “ était ” formidable, et ils l'ont renvoyé “, alors les Haïtiens sont une bande ”de cons".
Le CADTM - AYNA soutient la position des syndicats haïtiens suivants : SPEMENFP, CENEH, SHJRH, ANSTVH, MEEN, SDE / OAVCT, ANAGH, REPROH, SONHED, UNNOH sur la déclaration du Président français Emmanuel Macron sur la situation en Haïti après le limogeage de Gary Conille.
5 décembre 2024 | tiré du site du CADTM | Photo : Remi Jouan, CC, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Emmanuel_Macron_%286%29.JPG
Première considération : nous, membres des syndicats susmentionnés, inscrivons cette déclaration dans le cadre des pratiques habituelles d'ingérence des puissances impérialistes telles que les États-Unis, la France et d'autres en Haïti afin de pouvoir continuer à dominer le pays. Elle se traduit également par une attitude coloniale et un manque de respect de la part du président Macron à l'égard du peuple haïtien et de tous ceux/celles qui le dirigent ;
Deuxième considération : C'est une violation de la Convention de « Vienne » qui n'autorise aucun pays à s'ingérer dans les affaires intérieures d'un autre ;
Troisième considération : Si Emmanuel Macron considère Garry Conille « extra », « super », « qui est formidable », alors, il pourrait l'imposer comme Premier ministre de la France, et ainsi Conille aiderait Macron à être formidable aussi en France où il y a beaucoup de plaintes contre Emmanuel Macron en tant que président ;
Quatrième considération : Comme tout l'Occident, en particulier la France, déteste Haïti à cause de la bataille de La Vertières que nos ancêtres ont remportée sur la grande armée napoléonienne le 18 novembre 1803, « comment peuvent-ils vouloir que nous ayons des dirigeant·es vraiment grand·es et formidables pour nous diriger ». Toutes les personnes dotées de bon sens comprendraient déjà à quel jeu pervers Macron est en train de jouer. Maintenant, quand ces gens qui détestent tellement Haïti, qui imposent toujours des vassaux pour diriger notre pays, déclarent qu'une personne est un bon leader, nous savons déjà que cette personne ne peut pas être une bonne personne, ni un bon leader pour Haïti. De plus, la collusion apparente entre Garry Conille et les gangs terroristes suffit à montrer quel genre de personne il est et quel genre de sale besogne il accomplissait contre le peuple haïtien en tant que chef d'État.
Cinquième considération : Macron semble avoir la mémoire courte ou la perte de mémoire. Il semble avoir oublié les conséquences néfastes de la Fraude historique de 1825 par la France à Haïti, où avec la complicité des traîtres haïtiens de l'époque, il nous a forcés à payer pendant plus d'un siècle une soi-disant « Dette d'Indépendance » qui a détruit l'économie du pays et a permis de renforcer sa propre économie, et qui a permis, aussi, la construction de la « Tour Eiffel » qui rapporte à la France plusieurs millions chaque jour.
Nous, membres des syndicats susmentionnés, rappelons à Macron que les véritables assassins d'Haïti sont :
1) La grande fraude que le Roi Charles X a commise contre le Peuple Haïtien avec la complicité des traîtres locaux en avril 1825. Certes, nous pouvons dire : « la Restitution et la Réparation que la France n'a pas fait jusqu'à aujourd'hui », sont ces choses qui tuent vraiment Haïti ;
2) Le vol de notre réserve d'or par les Américains le 17 décembre 1914, qui jusqu'à présent n'a pas été remboursé ou réparé ;
3) L'ingérence et la domination politique et économique des puissances impérialistes telles que la France, le Canada et les Etats-Unis sur Haïti, où ils imposent des bandits cravatés, leurs laquais du PHTK à la tête de notre pays, voilà ce qui tue notre pays.
4) Le plan néolibéral imposé depuis les années 80 a tué l'économie d'Haïti, il tue Haïti en augmentant la pauvreté, la faim, la dépendance politique et économique ;
5) Le Génocide silencieux que les puissances impérialistes perpètrent avec le soutien de leurs complices internes, les oligarques criminels, les gangsters en cravate ainsi que les gangsters en sandales, est ce qui tue Haïti ;
6) Les armes et les munitions que les États-Unis et d'autres pays continuent d'envoyer à Haïti, comme l'a démontré une enquête de l'ONUDC, sont ce qui permet aux gangs terroristes de consolider la situation chaotique dont souffre Haïti aujourd'hui.
Ce que nous avons mentionné ici n'est qu'une partie des choses qui tuent vraiment Haïti, pour lesquelles Emmanuel Macron n'est pas du tout innocent. Il n'a aucune leçon à donner au peuple haïtien.
Pour conclure, le CPT (Conseil Présidentiel de Transition) que Macron essaie d'abrutir, devrait prendre toutes les mesures diplomatiques nécessaires pour exiger que Macron ravale cette déclaration et s'excuse auprès du peuple haïtien et de ceux qui le dirigent.
Cette déclaration devrait faire comprendre à tous les Haïtien·nes qui ont le sang de Dessalines dans les veines la nécessité d'organiser la Bataille de Libération Nationale qui consiste à lutter contre l'ingérence étrangère, à lutter pour retrouver notre souveraineté nationale et le droit d'élire nos dirigeant·es en tant qu'adultes. Enfin, la lutte pour la Libération Nationale implique la lutte contre tous les traîtres haïtien·es qui se sont joint·es à ces étrangers pour tenter de vendre et de détruire notre pays. Elle explique aussi que la lutte pour la Restitution et les Réparations doit être unie à la lutte de tous les peuples du monde qui se battent.
Vive une Haïti souveraine avec des dirigeant·es dignes !
Vive une Haïti avec du bien-être pour tous !
Les syndicats signataires sont :
*Garry Lapierre, Syndicat du Personnel du Ministère de l'Education Nationale et de la Formation Professionnelle (SPEMENFP)
*Bathol Alexis, Syndicat de défense des employés de l'OAVCT (SDE/OAVCT)
*Esther Eloy, Syndicat national des syndicats du ministère de l'éducation nationale et de la formation professionnelle (SPEMENFP)
*Louiné JOSEPH, Syndicat de Solidarité pour une Nouvelle Haïti pour l'Éducation (SONHED)
*Mayo Shelomit Dorvil, Syndicat des Huissiers de Justice de la République d'Haïti (SHJRH)
*Me Ainé Maten, Association Nationale des Griffiers D'Haïti (ANAGH)
*Fernando Jean-Mary, Collectif des enseignants pour l'innovation de l'éducation en Haïti (CENEH)
*Adler Alexis, Mouvement des enseignants des écoles nationales
*René Gary, Regroupement des Educateurs Progrèsistes d'Haïti (REPDH)
*Josué Mérilien, Union nationale des enseignants d'Haïti (UNNOH).
Auteur.e
CADTM AYNA
Abya Yala Nuestra América
Abya Yala est le nom donné par les Indiens Kunas du Panama et de la Colombie au continent américain avant l'arrivée de Christophe Colomb et des européens. L'expression « Abya Yala » signifie « terre dans sa pleine maturité » dans la langue des Kunas. Le leader indigène aymara de Bolivie Takir Mamani a proposé que tous les peuples indigènes des Amériques nomment ainsi leurs terres d'origine, et utilisent cette dénomination dans leurs documents et leurs déclarations orales, arguant que « placer des noms étrangers sur nos villes, nos cités et nos continents équivaut à assujettir notre identité à la volonté de nos envahisseurs et de leurs héritiers. ». Abya Yala est choisie en 1992 par les nations indigènes d'Amérique pour désigner l'Amérique au lieu de le nommer d'après Amerigo Vespucci.
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Bayrou entre en scène mais ne fera pas diminuer la crise

Le fait politique le plus frappant concernant la nomination de Bayrou, par Macron, à Matignon, est la sourde indifférence du pays lourde de menace. Les commentateurs interprètent cela comme de la lassitude et un désir de « stabilité ». Ce n'est pas faux, à condition de préciser que l'instabilité vient d'en haut, de Macron, et de ce budget qui a été battu à l'Assemblée nationale la veille de la grève très politique de la fonction publique du 5 décembre.
14 décembre 2024 | t iré du site d'aplutsoc
https://aplutsoc.org/2024/12/14/bayrou-entre-en-scene-mais-ne-fera-pas-diminuer-la-crise-editorial-du-14-decembre-2024/
Il y a deux aspects dans l'étape « Bayrou ».
L'un est la totale continuité antidémocratique, confirmée par le premier discours du premier ministre nous faisant le numéro des pères de famille montagnards qui n'aiment pas que l'on reporte ses dettes sur ses enfants : en vérité, la « dette publique » est le moyen par lequel l'État alimente la pompe à finance indispensable aux taux de profits du capital. La société n'a pas besoin des prêts des « investisseurs » pour fonctionner, ce sont eux vers qui les gouvernements successifs détournent le produit des impôts. La fin de la V° République et la fin de ce piège financier et fiscal sont donc des questions de plus en plus liées.
Bayrou va donc essayer de faire repasser un budget de guerre sociale fondamentalement identique au budget Barnier, alors que les recteurs, préfets et directeurs d'ARS sont déjà en train de voir comment ils pourront supprimer des postes, des services et des lits, sans base légale !
Mais il y a un autre aspect : avoir dû nommer Bayrou est une vraie défaite pour Macron, et cette nomination lui a été imposée au forceps et sous la menace, durant des prolongations à la fois comiques et consternantes, le tapis rouge déroulé et prenant l'eau. Bayrou était le seul premier ministre à être à la fois, bien sûr, sur la même ligne politique fondamentale que Macron, mais à ne lui devoir rien et à le rapetisser par sa seule présence à ses côtés. Bayrou ne le fait pas exprès, c'est la logique des choses : Macron diminue et le pouvoir présidentiel avec lui.
Le RN ayant fait savoir qu'il ne censurerait pas Bayrou « a priori », le même rapport de dépendance qu'avec Barnier s'établit.
La censure préalable annoncée par LFI n'a donc d'autre fonction que de tester le PS pour pouvoir diviser en l'accusant de trahison. Cette censure préalable n'est qu'une posture parlementaire impuissante, liée à la demande faite à Macron de bien vouloir démissionner pour que des élections présidentielles redonnent des couleurs à la V° République toute pâlichonne.
Les trois autres groupes parlementaires du NPF demandent à Bayrou de s'engager à ne pas utiliser le 49-3, voire à « geler » la réforme des retraites. De tels reculs, alors que Bayrou est en train de négocier officiellement avec LR, et officieusement, n'en doutons pas, avec le RN, ne sont possibles que sous la pression de la lutte sociale.
L'affrontement social devient la vraie perspective politique. Il est certainement possible d'imposer des reculs à cet exécutif très affaibli. Mais au-delà, l'affrontement social est la seule voie pour chasser Macron et changer de régime. La discussion sur la manière d'imposer une assemblée constituante, que L'APRÈS est de fait en train d'engager dans ses rangs et vers le NFP, est l'alternative à la cassure du NFP au nom de la soi-disant exigence de démission de Macron.
Unité, lutte sociale et constituante sont donc les maîtres mots du moment politique qui commence et qui, on le sait, ne durera pas des lustres.
Le 14/12/2024.
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Le resserrement des rangs autour du leader, n’endiguera pas la droite

Le récent congrès du PSOE s'est déroulé dans un contexte international et géopolitique de plus en plus instable, d'une part, et dans le contexte de centralité médiatique et judiciaire de corruption qui affecte le soi-disant sanchisme, en particulier le numéro 2 de ce parti, José Luis Ábalos, d'autre part.
7 décembre 2024 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/con-el-cierre-de-filas-en-torno-al-lider-no-se-para-a-la-derecha/
Dans ces conditions, le développement de ce rassemblement parlementaire à Séville était prévisible : démonstration maximale de resserrement des rangs autour du leader charismatique et de son Manuel de résistance, ainsi que réaffirmation de son engagement à continuer à jouer la carte du chantage (« la droite et l'extrême droite arrivent ») afin de discipliner ses partenaires au gouvernement et au parlement.
De cette manière, Sánchez cherche à atteindre son objectif de rester à la Moncloa jusqu'en 2027 et, malgré les mauvais présages des urnes, de remporter les prochaines élections. Comme on pouvait s'y attendre, il n'y a pas non plus eu de tentative d'autocritique par rapport à de nombreuses politiques développées au cours de ces années, pas même pour leur coresponsabilité dans l'inaction initiale face à la catastrophe tragique de la DANA [1] (Depresion Aislada en Niveles Altos), malgré le fait que les reproches soient venus de secteurs très différents, y compris de certains de ses partenaires, tels que Compromís et Podemos.
Rhétorique sociale-libérale, protectionnisme précaire et euro-atlantisme
Si nous prêtons attention au document-cadre de la Conférence, intitulé « Espagne 2030. Un socialisme qui avance, une Espagne qui dirige », il est juste de reconnaître quelques signes d'une rhétorique plus radicale contre les « méga-riches » en défense de « la classe moyenne et ouvrière », mais on voit peu de nouveautés programmatiques. En effet, le document commence par annoncer quatre défis majeurs à l'horizon 2030, ce qui semble bien loin en ces temps d'accélération réactionnaire : développer un modèle de croissance différent et faire face à l'urgence climatique (il faudrait expliquer comment le premier et le second peuvent être compatibles...) ; faire face à la transformation de l'ordre mondial et, enfin, répondre à la « montée des valeurs autoritaires à l'échelle internationale ».
Il s'en est suivi la tentative de magnifier les « choses impossibles que nous avons accomplies » dans la dernière étape (avec la réforme du travail, malgré ses limites, en premier lieu) et l'annonce des « choses impossibles que nous réaliserons » (avec le projet – difficilement viable avec ses alliés PNV et Junts – de protection constitutionnelle des conquêtes sociales), puis la définition d'un projet pour le pays avec dix objectifs : le premier d'entre eux (« Une économie plus compétitive, équitable et durable ») fixe déjà le cadre de ceux qui seront présentés plus loin : réduction du temps de travail, éducation de qualité, logement pour tous, lutte contre les inégalités sous toutes leurs formes, État autonome renforcé, démocratie pleine qui résiste à la désinformation, vocation en direction du projet européen, soutien à la (fausse) « solution de deux États en Israël et en Palestine » et le renforcement de « l'autonomie stratégique » de l'UE en matière de défense avec l'alibi de la guerre en Ukraine.
Parallèlement à la mesure la plus répandue de réduction du temps de travail, dont le contenu concret reste à apprécier, parmi les développements spécifiques qui pourraient attirer l'attention, on peut citer la création d'un « siège citoyen » au Congrès et au Sénat afin que des représentants de la société civile puissent intervenir ; le droit de vote dès l'âge de 16 ans et la convocation de conventions citoyennes délibératives ; l'interdiction de la conversion de logements résidentiels en logements touristiques et saisonniers, la création d'une société d'État pour la création de logements sociaux et l'exigence que les hypothèques et les loyers n'excèdent pas 30 % des salaires ; la réforme du système de financement régional (avec une formulation suffisamment ambiguë pour satisfaire toutes les baronnies...) ; ou enfin, l'abrogation de l'Accord de 1979 avec l'Église catholique en matière culturelle et éducative…
Certaines de ces promesses sonnent déjà comme une simple répétition de celles incluses dans les Congrès précédents, tandis que le peu d'attention accordée à la (nécro)politique migratoire (seulement la nécessité d'un « modèle d'immigration qui garantisse un flux constant ») ou l'absence d'une politique fiscale allant au-delà d'une référence générique au fait que les grandes entreprises seront obligées (comment ?) de répartir une partie des bénéfices scandaleux réalisés au cours des dernières années. Sans parler de l'abrogation toujours repoussée de la loi bâillon et de la loi sur les secrets officiels ; ou de la réforme démocratique et urgente du système judiciaire (où est cette annonce de la régénération démocratique ?) ; ou le manque de précision de ce que peut signifier « se plonger dans le processus de fédéralisation de l'État » ; ou, last but not least, le silence total sur le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui, confirmant une fois de plus sa complicité avec le régime répressif marocain.
Cependant, l'intérêt que ce document-cadre a pu avoir au Congrès n'a fait que dépasser le triomphe des féministes dites classiques avec leur amendement visant à empêcher l'inclusion de Q+ aux côtés des LGBTI. Chose qui a été réalisée grâce au lobby mené par l'ancienne vice-présidente Carmen Calvo, et qui a finalement été approuvée en séance plénière avec un très faible pourcentage de participation. Une décision qui représente un grave pas en arrière dans la reconnaissance de la diversité, contribue à promouvoir la transphobie, enhardit la droite dans sa guerre culturelle et éloigne le PSOE d'une position qui fait l'objet d'un large consensus dans la majeure partie du mouvement féministe ; surtout, parmi ses nouvelles générations.
En bref, Sánchez a profité du Congrès pour exiger la loyauté des militant-es face au harcèlement judiciaire, politique et médiatique qu'il subit, surtout depuis l'approbation de la loi d'amnistie (voulant oublier qu'il n'a pas protesté et qu'il a même été complice de celle qui, dans le passé, a affecté la souveraineté catalane et Podemos). En même temps, il propose un projet de gouvernement suffisamment ambigu sur les questions fondamentales auxquelles il est confronté avec le PP pour tenter d'attirer une partie de son électorat et même rétablir avec ce parti un système bipartite à partir d'un sens de l'État. Ce n'est guère une tâche réalisable, même comme nous le voyons face à l'urgence migratoire aux îles Canaries, puisque le PP continue d'être sous la pression non seulement de Vox (désireux de revendiquer sans complexe l'héritage de la dictature franquiste à l'approche du 50e anniversaire de la mort de son fondateur), mais aussi de la présidente de la Communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, tous deux renforcés par la victoire électorale de Trump. De plus, compte tenu de l'hétérogénéité de ses alliés au Parlement, il n'est pas non plus prévisible que certaines des lois et mesures progressistes promises, à commencer par leur inclusion dans le budget, se concrétisent.
Ainsi, nous allons nous retrouver avec un PSOE qui va continuer sur la voie du réformisme sans réformes structurelles remettant en cause les intérêts du grand capital et les bases du régime monarchique dont ce même parti a été et est un pilier fondamental. Ce n'est pas par cette voie qu'il pourra arrêter la menace réelle du bloc réactionnaire ni, malgré les bonnes données macroéconomiques, atténuer l'aggravation des inégalités. Il n'est possible, dans les meilleures hypothèses, que d'essayer de neutraliser le conflit social en répondant à certaines revendications, comme dans le cas de la lutte pour un logement décent ; mais cela n'arrivera pas si la taxe sur les locations saisonnières ne peut même pas être votée par le Parlement.
Cette impasse stratégique dans laquelle s'est engagé le PSOE n'est pas sans rapport avec l'évolution qui a longtemps caractérisé un social-libéralisme atlantiste qui tend à perdre de sa centralité dans de nombreux pays, comme on le voit maintenant en France et très probablement en Allemagne après les élections législatives de février. Dans ce contexte, dans le cas de l'Espagne, la résilience du gouvernement apparaît de plus en plus comme une anomalie grâce au fait qu'il a réussi à annuler le potentiel de rupture des partis qui ont émergé à sa gauche – Podemos puis Sumar – et, en même temps, à maintenir une politique de pactes avec les forces non étatiques, principalement au Pays basque et en Catalogne, en échange de modestes concessions pratiques.
Cependant, cette politique de la peur face au mal plus grand ne durera pas éternellement à une époque où l'agitation sociale et la désaffection politique, maintenant accrues par les conséquences de la catastrophe de la DANA, continueront à augmenter. Ce ne sont pas les politiques de ce gouvernement qui empêcheront le bloc réactionnaire de capitaliser sur la propagation de l'antipolitique parmi de nouveaux secteurs de l'électorat.
Peur de la démocratie interne
Sur le plan organisationnel, la consolidation d'un modèle de parti basé sur un césarisme de plus en plus renforcé autour du leader maxima est également évidente, comme l'a déjà critiqué l'un des rares délégués de la Gauche socialiste à avoir assisté au congrès, Manuel de la Rocha Rubí. Comme il l'a lui-même vérifié, il y a eu une démonstration claire de la « peur de la démocratie », qui s'est manifestée même dans le « refus de débattre de la gestion au Congrès, en violation d'un principe démocratique fondamental et d'un article clé de nos statuts », et une subordination totale du parti au gouvernement lui-même a été installée ; ce qui a été rendu encore plus visible avec le nombre de ministres qui font partie de la nouvelle Commission exécutive fédérale ; définitivement, conclut-il, « la position du Parti est fixée par le gouvernement et non l'inverse, sans même qu'il y ait possibilité d'une influence mutuelle ».
Le cas de Madrid, avec la démission forcée de Juan Lobato en tant que secrétaire général du PSM, quelle que soit l'opinion que l'on a sur son comportement vis-à-vis la compagne de Díaz Ayuso, est un autre exemple clair de ces pratiques, comme l'a critiqué à juste titre Izquierda Socialista de Madrid (« Les formes comptent ! ») face à l'interdiction des réunions pour monter quelque candidature que ce soit contre le parti au pouvoir, dirigé par l'actuel ministre Oscar López.
Ainsi, certainement, en vertu de la maxime de faire de la nécessité une vertu, le triomphe d'un modèle de leadership plébiscitaire qui n'aspire qu'à rester au gouvernement en faisant quelques concessions à ses alliés aux investitures dans des domaines qui n'affectent pas le noyau dur de l'économie politique qui est dicté par l'UE, principalement à partir de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.
Vide à gauche
À ces sombres perspectives s'ajoute l'absence tragique de forces politiques à gauche du PSOE capables de construire une alternative aux politiques de division des classes populaires pratiquées par la droite, mais aussi au social-libéralisme en déclin de Sánchez. Ni Sumar – de plus en plus adapté aux limites fixées par la Moncloa et l'UE – ni Podemos – malgré ses efforts pour apparaître aujourd'hui hypercritique à l'égard d'un PSOE avec lequel il continue pourtant d'aspirer à gouverner – n'ont la crédibilité d'être des références dans la tâche ardue de recomposer une gauche prête à tirer les leçons du cycle ouvert par le 15M et les processus catalans afin d'offrir une voie de refondation qui ne soit pas subordonnée à la politique institutionnelle.
Sur le plan plus social, les directions des grands syndicats, CCOO et UGT, subordonnées à leur tour à ce que dicte le gouvernement, n'apparaissent pas non plus aujourd'hui comme le cadre de référence d'une recomposition d'un mouvement ouvrier prêt à affronter un patronat et un grand capital de plus en plus enclins à favoriser l'arrivée du bloc réactionnaire au gouvernement.
Dans l'ensemble, les mobilisations pour un logement décent sur pratiquement tout le territoire de l'État espagnol – véritables expressions d'une lutte de classe qui s'attaque directement au capitalisme rentier – ainsi que l'admirable réponse solidaire du peuple valencien et d'autres parties de l'État face à la catastrophe éco-sociale de la DANA, ainsi que les différentes formes de résistance qui ont lieu dans différents secteurs – tels que la santé et l'éducation ou en solidarité avec la Palestine, montrent des symptômes d'espoir qu'un nouveau cycle de mobilisations d'en bas et de gauche puisse être rouvert dans la période à venir. C'est de ces expériences qu'il nous faudra tirer les leçons pour chercher de nouvelles formes de confluence dans les luttes et les débats d'acteurs collectifs renouvelés ; et avec eux, générer de nouvelles initiatives qui nous permettront de construire un front politique et social commun, capable de faire face à la menace réactionnaire et d'accumuler un potentiel contre-hégémonique à partir des quartiers et des lieux de travail. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons remettre au centre la nécessité d'une stratégie de transition éco-sociale et de rupture démocratique avec ce régime et avec le bloc de pouvoir qui le soutient.
Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de Viento Sur
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[1] Une DANA se produit lorsqu'une masse d'air froid en altitude reste isolée dans l'atmosphère tandis qu'en surface l'air est plus chaud et plus humide. Ce contraste entre température provoque une instabilité atmosphérique importante, ce qui peut entrainer des précipitations intenses et soudaines, souvent sous forme de violents orages ou de pluies torrentielles – Chat GPT

Grèce : un meeting pour des perspectives à gauche

La nécessité de donner une réponse politique de gauche en prolongement aux luttes sociales commence à intégrer la dimension unitaire. L'effacement d'un Syriza « pasokisé », qui s'est traduit par son implosion, clarifie le paysage.
9 décembre 2024 | tiré du site de la Gauche anticapitaliste
https://www.gaucheanticapitaliste.org/grece-un-meeting-pour-des-perspectives-a-gauche/
Par | 09/12/2024 | International
Grèce : un meeting pour des perspectives à gauche
Et si le congrès de Nea Aristera, groupe formé à l'initiative des ancienNEs cadres autour de Syriza, appelle à un Front populaire, en assumant la politique désastreuse de Tsipras au pouvoir, c'est dans la gauche radicale et révolutionnaire que des forces veulent en finir avec l'autoproclamation du parti révolutionnaire et travaillent à un cadre unitaire, à la lumière d'autres expériences. À cette fin, cinq groupes ont invité à Athènes le 8 novembre notre camarade Olivier Besancenot à animer un meeting sur la question du Nouveau Front populaire, qu'on met un peu à toutes les sauces ici. Parmi ces organisations, DEA, Anametrissi (y militent les camarades de la Tendance programmatique IVe Internationale, un des deux groupes de la section grecque), Metavassi (groupe issu de NAR, la principale organisation de la gauche révolutionnaire)…
Un meeting réussi
Olivier a d'abord insisté sur la gravité de la situation mondiale, la bourgeoisie choisissant de laisser former des gouvernements de droite extrême ou d'extrême droite, avec toutes les menaces de guerres qui s'amoncellent dans le cadre des concurrences interimpérialistes, et bien sûr une extension générale de la répression contre les mobilisations et la gauche. Il a montré comment le NFP est avant tout le fruit d'une mobilisation exceptionnelle qui donne espoir dans les capacités de résistance du mouvement de masse. Et cette mobilisation est en même temps le fruit des mouvements de masse antérieurs, par exemple contre la retraite à 64 ans, et de la pression unitaire qui a joué un rôle important pour le front syndical l'an passé. Mais la situation actuelle est celle d'un abandon du NFP pour un repli partidaire dans le cadre électoraliste des institutions, et face à cela, la volonté du NPA est de faire vivre des comités locaux NFP.
Diverses questions de la salle ont suivi, dénotant un intérêt dépassant le cadre des 5 organisations. De manière générale, tout le monde semblait fort heureux d'une rencontre ponctuée par un appel internationaliste à se battre. Succès de la participation avec 350 à 400 personnes. Tout le monde est reparti avec du tonus pour faire face aux échéances nombreuses, et avec l'idée qu'il faut travailler à créer un front à vocation unitaire et révolutionnaire.
La colère sociale monte !
Tous ces derniers jours, des mobilisations importantes ont lieu : contre la répression de syndicalistes enseignantEs, le gouvernement a voulu interdire la grève enseignante, il s'est retrouvé avec une grève de la fonction publique ! Ça bouge bien sûr dans les facs, face au projet de réduire d'un tiers des départements de l'université publique. Mais aussi chez les collégienNE s et lycéenNEs, contre le manque de profs et la fusion de classes. Les 2 500 pompiers saisonniers se mobilisent pour que leurs contrats ne se réduisent pas aux mois d'été, vu la situation catastrophique des incendies et de leur prévention. Les habitantEs d'îles comme Ikaria, Samothrace refusent en masse l'imposition de centaines d'éoliennes. Le tout sur fond de répression, devenant orwellienne contre les pompiers, ou comme au Pirée où des collégienNEs ont été convoqués par la police car « soupçonnéEs de vouloir occuper leur établissement » !
Un résultat peut-être prometteur de l'ambiance : PAME, le très sectaire courant syndical du KKE (PC grec), a invité à une conférence des syndicats radicaux, comme celui des livreurEs…
Sans oublier bien sûr la mobilisation annuelle du 17 novembre commémorant le massacre de l'Université polytechnique par la junte des colonels, un temps fort de l'agenda social et donc politique sera la grève générale appelée le 20 novembre, à un moment où 2,5 millions de contribuables vivent sous le seuil de pauvreté.
Article initialement publié le 22 novembre sur le site de l'Anticapitaliste
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Pourquoi nous détestons le Parti Socialiste

En 2017, Olivier Faure espérait (déjà !) une grande coalition, allant du Parti socialiste à la droite, « qui tienne compte de l'électorat très composite (…) (venu) faire obstacle à Marine Le Pen ». Il la souhaite encore et s'est ainsi dit, suite à la censure du gouvernement Barnier, prêt à discuter avec les macronistes et la droite, sur la base « de concessions réciproques ». Il s'est même dit prêt à faire « des compromis sur tous les sujets ». LFI continuant quant à elle à exiger la démission d'Emmanuel Macron, le NFP est ainsi proche de l'explosion. Et c'est tant mieux. Car cette alliance, mêlant les héritiers du hollandisme et ceux qui s'y sont opposés frontalement, constitue un obstacle majeur à l'émergence d'une véritable alternative à la politique actuelle. Hormis quelques sièges de députés, l'union avec le PS ne peut rien apporter de bénéfique. Le rejet de ce parti, parfois perçu comme une posture sectaire ou un refus obstiné de l'unité, découle pourtant directement de l'expérience : celle de ses choix politiques, de sa manière de gouverner et de l'espoir, vivace, de voir arriver sa disparition définitive.
9 décembre 2024 | tirer de Frustrations
https://www.frustrationmagazine.fr/pourquoi-nous-detestons-le-parti-socialiste/
En France, la vie politique est structurée par les partis et l'intérêt individuel des élus qui les composent. On le voit encore une fois depuis quelques mois, avec la création du NFP et les négociations pour avoir les places éligibles aux législatives, puis les négociations pour tenter d'aboutir à un choix commun de premier ministre NFP et enfin aujourd'hui avec toute la gauche “de gouvernement”, qui va boire la soupe de Macron, à part LFI. L'intérêt des partis est supérieur à celui des idées qu'ils prétendent défendre. Cette simple affirmation est une évidence pour la majorité de la population, qui affiche une juste défiance à la fois spontanée et réfléchie au personnel politique. Mais les militants politiques, et c'est bien normal, s'engagent initialement souvent avant tout pour des idées, des convictions, et sont donc sans cesse déçus par les élus et les dirigeants des partis politiques, qui visent avant tout la poursuite de leur carrière et des rémunérations qui l'accompagnent.
Pour le PS, les idées ne sont qu'un outil pour gagner les élections
Le Parti socialiste en est la plus pure illustration. Entre ses discours quand il est en campagne électorale et ce qu'il pratique une fois qu'il est au pouvoir, il y a un monde. Les idées ne sont pour lui qu'un outil parmi d'autres pour gagner des élections. Il joue le jeu classique et cynique des sociaux-démocrates qui consiste à faire des promesses antilibérales dans un cadre parfaitement libéral, comme nous avons déjà eu l'occasion de l'écrire : « cela a l'avantage de montrer une bonne volonté en faisant mine de vouloir mettre en place ce pour quoi on a été élu, puis de faire constater à tous l'échec de ces politiques alors même que celles-ci ne pouvaient qu'échouer dans ce contexte. C'est une des manœuvres de la bourgeoisie, aussi grossière qu'efficace, pour “naturaliser” une fois de plus le capitalisme ».
Quand il gouverne, le PS ne fait pas qu'accompagner le libéralisme, il accélère la destruction de notre modèle social, tout en ayant promis le contraire.
C'est pour cela que nous détestons le Parti socialiste. Ce n'est pas un préjugé, ce n'est pas un « refus d'unité », ça n'est pas un caprice qui empêcherait la gauche de gouverner. C'est que tout gouvernement où le PS aura une position déterminante mènera une politique de droite et c'est l'expérience qui le démontre. Quand il gouverne, le PS ne fait pas qu'accompagner le libéralisme, il accélère la destruction de notre modèle social, tout en ayant promis le contraire.
En particulier, Mitterrand et ses gouvernements ont libéralisé massivement l'économie. Le storytelling de gauche sur l'expérience mitterrandienne consiste souvent à considérer que les socialistes ont fait des réformes de gauche jusqu'en 1983, que cela a créé trop de problèmes économiques et qu'ils ont ensuite arrêté les réformes (le fameux “tournant” de la rigueur). En réalité, ce “tournant” était prévu dès le départ comme le montre le discours de politique générale du premier ministre Pierre Mauroy du 8 juillet 1981 où il affirme notamment : “Cette démarche, que je viens d'inscrire dans la durée, sera conduite dans la rigueur. Cela signifie la rigueur budgétaire. Cela signifie que nous défendrons le franc et le maintiendrons dans le système monétaire européen.” La soumission à l'Europe au détriment de la population française était déjà très claire. Le PS a par la suite réformé massivement tout au long des années 1980, en faveur du capital : il a mis fin au contrôle des crédits et des taux d'intérêts et a déréglementé les marchés financiers. Il a légalisé les produits dérivés à l'origine de la crise de 2008. Il a soutenu le traité de Maastricht qui nous a fait perdre notre indépendance monétaire et nous a livrés pieds et poings liés aux emprunts auprès des marchés financiers. Et dans le même temps, il a désindexé les salaires des prix.
Le PS a réformé massivement tout au long des années 1980, en faveur du capital : il a mis fin au contrôle des crédits et des taux d'intérêts et a déréglementé les marchés financiers. Il a légalisé les produits dérivés à l'origine de la crise de 2008. Il a soutenu le traité de Maastricht qui nous a fait perdre notre indépendance monétaire et nous a livré pieds et poings liés aux emprunts auprès des marchés financiers. Et dans le même temps, il a désindexé les salaires des prix
Lionel Jospin va garder cette cohérence libérale quand il devient Premier ministre en 1997 en privatisant à tout va (France Télécom, CIC, Crédit Lyonnais, les autoroutes ASF, le futur EADS, Air France, etc.) et en faisant bénéficier les entreprises privées d'exonérations massives de cotisations sociales lors de la mise en œuvre des 35 heures. Le PS va également autoriser les grandes entreprises du CAC 40 à racheter jusqu'à 10 % de leurs actions et diminuer la fiscalité sur les plus-values boursières des actions. A l'époque, il avait pourtant largement les moyens de faire autrement : la gauche était au pouvoir dans de nombreux pays européens, ce qui aurait permis de négocier des traités plus favorables aux salariés. La croissance était au beau fixe, ce qui permettait de dégager de larges marges de manœuvre financières. L'épisode le plus symptomatique fut sans doute celui de la “cagnotte”. En 1999, l'économie française connaît un taux de croissance dépassant les prévisions (3% au lieu de 2 %), ce qui crée l'équivalent d'environ quinze milliards d'euros de rentrées fiscales supplémentaires. Après avoir tenté maladroitement de cacher cette “cagnotte” pendant des mois aux Français, le gouvernement a finalement choisi, plutôt que de l'orienter vers les plus pauvres, de l'utiliser pour baisser la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu, soit celle qui est payée par les plus riches !
En 2012, après dix ans de disette, le PS revient aux plus hautes responsabilités. François Hollande a été élu sur un programme qu'il a peu à peu gauchisé pendant la campagne électorale, sous pression de la percée de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages. “Mon véritable adversaire, c'est le monde de la finance”, a-t-il clamé lors de son discours au Bourget de janvier 2012. Une fois élu, il ne fait ensuite que conforter les intérêts de la finance et du patronat. Il nomme immédiatement Emmanuel Macron secrétaire général adjoint de son cabinet, puis ministre de l'Economie en 2014. Il met en œuvre de multiples lois de déréglementation du droit du travail, facilitant les licenciements boursiers, plafonnant les indemnités de licenciement illicites, et permettant à des accords d'entreprise de déroger au droit du travail en défaveur des salariés. Les cadeaux au patronat atteignent dans le même temps des sommets, avec en particulier le CICE (Crédit d'impôt compétitivité emploi) versé aux entreprises pour un montant global de 20 milliards d'euros par an, sans contrepartie.
Lionel Jospin va garder cette cohérence libérale quand il devient Premier ministre en 1997 en privatisant à tout va (France Télécom, CIC, Crédit Lyonnais, les autoroutes ASF, le futur EADS, Air France, etc.) et en faisant bénéficier les entreprises privées d'exonérations massives de cotisations sociales lors de la mise en œuvre des 35 heures.
Le mandat de Hollande a été aussi un tournant sur le maintien de l'ordre, les manifestants étant systématiquement matraqués à partir de 2014, et sur l'immigration. Rappelons-nous de la pauvre Leonarda Dibrani, enfant de 15 ans arrêtée par la police à la sortie de son autobus scolaire en 2013 pour l'expulser au Kosovo, avant que, vu le tollé médiatique, François Hollande tente de reculer en l'autorisant elle seule, sans sa famille, à revenir en France, une aberration contraire à la Convention internationale des droits de l'enfant. Le PS a achevé également, pendant cette période, sa conversion à l'islamophobie, comme le raconte Aurélien Bellanger dans son ouvrage Les derniers jours du Parti socialiste.
Se débarrasser du PS
Pourquoi croire que le PS d'aujourd'hui fera différemment ? Par quel miracle ? Olivier Faure a voté absolument toutes les lois de régression sociale de François Hollande. Il a même hésité à soutenir Macron dès 2016. Il aurait été prêt à signer quasiment n'importe quel programme électoral pour assurer un nombre suffisant de députés à son parti. Pour le NFP, une soirée de négociations a d'ailleurs suffi : le PS, les programmes, il ne les applique pas, de toute manière. A terme, le but de Faure n'est pas de combattre Macron, mais de le remplacer. Il veut que le PS retrouve son rôle historique central : incarner une alternance politique acceptée par la bourgeoisie et défendant ses intérêts en prétendant le contraire.
Olivier Faure a voté absolument toutes les lois de régression sociale de François Hollande. Il a même hésité à soutenir Macron dès 2016. Il aurait été prêt à signer quasiment n'importe quel programme électoral pour assurer un nombre suffisant de députés à son parti.
Ce qui est peut-être encore pire pour l'avenir, c'est que la matrice du Parti socialiste est celle à laquelle toute formation de gauche qui vise le pouvoir a la tentation de s'adapter. À Frustration, notre désaccord le plus fort avec Jean-Luc Mélenchon concerne les alliances qu'il noue épisodiquement avec le Parti socialiste pour des raisons électorales. Cette stratégie fonctionne de ce point de vue : la FI a désormais 71 députés. Mais le revers de la médaille, c'est que le Parti socialiste en a quant à lui 65, alors qu'à l'issue du mandat de Hollande il était passé en cinq ans de 280 députés à seulement 30. La FI a largement contribué à faire renaître le PS, avec la Nupes puis le NFP, alors que l'occasion historique de s'en débarrasser était peut-être à portée de main.
Il est souhaitable d'isoler le PS et de peu à peu le réduire à néant. Non seulement au niveau national, mais aussi au niveau local : rappelons qu'il contrôle cinq régions. Il va y avoir du boulot pour s'en débarrasser. De nombreux militants ne sont pas convaincus de cette nécessité, pensant sincèrement que ce parti, ou au moins certains de ses dirigeants, peuvent changer, faire évoluer leurs positions vers plus de radicalité, tellement la situation sociale catastrophique d'aujourd'hui l'exige. Pourtant, depuis maintenant quarante ans, ça n'a jamais été le cas. Chaque programme présidentiel du PS est plus à droite que le précédent (je me suis infligé la lecture de celui d'Anne Hidalgo pour le vérifier), les courants de gauche au sein du PS ont constamment occupé une position marginale, et le programme porté par le NFP ne traduit pas un durcissement des positions du PS, mais bien un assouplissement des ambitions initiales de La France Insoumise.
La FI a largement contribué à faire renaître le PS, avec la Nupes puis le NFP, alors que l'occasion historique de s'en débarrasser était peut-être à portée de main.
La composition du futur gouvernement pourrait offrir une opportunité de clarification, notamment si le PS y joue un rôle. La fragilité intrinsèque d'une coalition hétérogène, minée par des dissensions internes et dépourvue de légitimité populaire, la rendra particulièrement vulnérable face à un mouvement social structuré, pérenne et offensif. C'est là que réside l'enjeu crucial : quel que soit le caractère disparate de la future équipe dirigeante ou le nombre de figures estampillées « de gauche » en son sein, il faudra agir sans délai pour la contrer. Les syndicats ont déjà amorcé cette dynamique, et il s'agit de la renforcer en multipliant les grèves et les actions collectives, notamment contre les directions d'entreprises, afin d'exercer une pression constante sur le véritable pouvoir tout en construisant une alternative collective, autonome et affranchie des partis politiques.
Guillaume Etievant
Crédit Photo : François Hollande en 2014 – Kremlin.ru, CC BY 3.0 via Wikimedia Commons
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Liberté de la presse : Le boycott d’Haaretz par Netanyahou ne nous empêchera pas de rendre compte de la sinistre vérité sur les guerres d’Israël

A la différence de la plupart des organes de presse israéliens, mon journal montre la souffrance à Gaza et au Liban. C'est pourquoi le gouvernement nous a ciblés [Aluf Benn est le rédacteur en chef de Haaretz].
Tiré d'Europe Solidaire Sans Frontières
26 novembre 2024
Benn Aluf
« La vérité est la première victime de la guerre » dit le vieux cliché, mais comme tout autre adage, il contient un brin de vérité. Un reportage sur un champ de bataille est toujours un défi : vous êtes empêché par un accès limité, un danger mortel, un brouillard délibéré, et des responsables qui s'en sortent en ne disant pas la vérité. Et cela devient encore plus compliqué lorsque les journalistes font partie de la société belligérante, surtout si le combat jouit d'un large soutien populaire en tant que guerre juste.
Le 7 octobre 2023, Israël a été attaqué par le Hamas, envahissant depuis Gaza pour tuer, piller violer et kidnapper des civils et des soldats. Le lendemain, le Hezbollah a rejoint le combat depuis le Liban. Israël a riposté avec acharnement, dépeuplant et détruisant les villes et villages de la Bande de Gaza, tuant quantité de civils parallèlement aux combattants et opérateurs du Hamas. En septembre 2024, les Forces de Défense Israéliennes (FDI) ont lancé une contre-offensive sur le front nord, portant un coup fatal à son grand rival le Hezbollah et rasant les villages chiites qui lui servaient de base avancée.
Bouleversé par l'attaque surprenante de l'ennemi et par les atrocités du Hamas, le public juif israélien s'est uni dans un soutien écrasant à ce qui a paru être un combat existentiel contre des ennemis irréductibles et sans pitié. Ce jugement prévaut tout à fait en ce 14e mois de guerre, malgré le nombre croissant de victimes dans les FDI et l'échec persistant d'une arrivée à la « victoire totale » promise par le premier ministre Benjamin Netanyahou.
L'attitude des citoyens a dicté les limites de la couverture de l'actualité dans les grands médias israéliens : ne montrer aucune pitié pour l'autre côté. La plupart des médias ne diffusent pas l'assassinat, la destruction et les souffrances humaines à Gaza et au Liban. Au mieux, ils citent la critique internationale des actions d'Israël, la qualifiant d'antisémite et d'hypocrite. On ne voit Gaza et le Liban qu'à travers les lentilles des reporters embarqués dans les unités d'invasion des FDI.
L'incarnation de la couverture médiatique en temps de guerre, c'est Danny Kushmaro, présentateur du journal à Channel 12, le plus grand réseau de télévision d'Israël. Rejoignant le mois dernier une force d'infanterie au Liban, un Kushmaro coiffé d'un casque a fait exploser une maison dans un village chiite occupé, tout en fanfaronnant : « Ne vous frottez pas aux Juifs. » Quand la cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt contre Netanyahou et l'ancien ministre de la défense Yoav Gallant, Kushmaro a réagi avec émotion à la télé à une heure de grande écoute, entouré de photos d'enfants morts et kidnappés du 7 octobre, disant que ces justifications étaient contre nous tous, nos soldats, ce peuple, ce pays ». Kushmaro, et ses collègues à l'antenne, ne se sont jamais donné le mal d'expliquer le fondement factuel derrièreles accusations de la CPI de famine délibérée en tant que méthode de guerre et autres crimes contre l'humanité, apparemment ordonnée par les dirigeants israéliens.
Israël a un censeur militaire, et chaque reportage sur la sécurité nationale ou le renseignement doit obtenir son approbation. La censure est un fléau, mais en temps de guerre, la contrainte statutaire et le filtrage font pâle figure comparés à l'autocensure du public. Les Israéliens ne veulent tout simplement pas savoir.
Presque toujours seul, Haaretz rend compte depuis des décennies de la souffrance des Palestiniens sous occupation israélienne et sur ce que les FDI considèrent comme le « dommage collatéral » du combat contre le terrorisme. A maintes reprises, le journal a été fustigé pour avoir critiqué la moralité des actions des FDI. Des lecteurs ont résilié leur abonnement et des politiques se sont alliés contre nous. Mais nous n'avons jamais bougé. Lorsque vous voyez des crimes de guerre, vous devez vous exprimer tant que la guerre fait rage plutôt que d'attendre jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour faire la différence. La guerre du 7 octobre n'est pas différente : à nouveau seuls, nous rendons compte de l'autre côté du conflit, malgré les difficultés pour accéder aux sources à Gaza et au Liban, tout en embarquant nos reporters avec les FDI comme les autres médias.
Netanyahou n'a jamais aimé notre attitude critique face à lui et sa politique d'occupation et d'annexion, appelant Haaretz et le New York Times « les plus grands ennemis d'Israël en 2012 » (même s'il s'est rétracté plus tard). Comme il a construit sa carrière sur la manipulation des médias, Netanyahou ne peut supporter les voix critiques, indépendantes. Pendant la décennie précédente, son abus du pouvoir de l'État pour fausser la couverture médiatique, dévoilée par Haaretz en 2015, a conduit Netanyahou sur le banc des accusés dans un procès pour corruption criminelle toujours en attente. Mais, même après son inculpation, il n'a fait que changer de tactique, non de stratégie, s'inspirant de la règle du jeu gagnant de son ami et mentor hongrois viktor Orban : attaquer les médias grand public comme hostiles, faire lancer par vos soutiens milliardaires des canaux de soutien, fabriquer une « machine empoisonnée » pour unifier votre base dans les réseaux sociaux. Au fil du temps, le courant dominant changerait de position, ajoutant les porte-parole du leader aux heures de grande écoute, craignant de perdre des téléspectateurs au profit de Channel 14,la Fox d'Israël dopée aux stéroïdes qui ne s'interdit rien.
Netanyahou est une personnalité qui divise, et le public juif israélien, quoique uni derrière la guerre, est profondément partagé entre pro- et anti-Bibistes. Mais Netanyahou utilise les combats extérieurs pour justifier la réduction au silence de ses critiques nationaux. Peu après le 7 octobre, le ministre des Communications Shlomo Karhi, copain du premier ministre, a soumis un projet de résolution du cabinet pour boycotter toute publicité gouvernementale ou abonnement à Haaretz, invoquant la « propagande anti-Israël » du journal. Tout d'abord bloqué par le ministère de la Justice, Karhi a relancé son plan pour affaiblir Haaretz, sous prétexte de propos controverséde notre éditeur Amos Schocken.
Dimanche dernier, la résolution du boycott de Haaretz, maintenant parrainée par Netanyahou, a été votée à l'unanimité du cabinet. Et pour faire bonne mesure, Karhi a également lancé un projet de loi pour privatiser la radiodiffusion publique, qui a été une épine dans le pied du gouvernement, contrairement à sa panoplie de porte-parole médiatiques. « Nous sommes élus par le public, et nous pouvons mettre en place un changement de régime si nous le voulons », a-t-il dit de la motivation profonde de son patron. Le boycott de Haaretz est dépourvu de base juridique, mais Netanyahou s'en moque éperdument : s'il est annulé, il lancerait une tirade contre « l'état profond juridique » et son travail de sape contre son gouvernement. Et il a misé sur les leaders de l'opposition qui, adhérant à la ferveur nationaliste-militariste, se sont abstenus de soutenir le journal.
Mais nous l'emporterons sur la récente agression de Netanyahou, exactement comme nous l'avons remporté sur la colère et le rejet de ses prédécesseurs. Haaretz s'en tiendra à sa mission qui consiste à rendre compte avec un œil critique de la guerre et de ses conséquences terribles pour toutes les parties. La vérité est parfois difficile à protéger, mais elle ne devrait jamais être la victime de la guerre.
Aluf Benn, rédacteur en chef de Harretz.
P.-S.
• Posted on novembre 29, 2024 :
https://aurdip.org/le-boycott-dhaaretz-par-netanyahou-ne-nous-empechera-pas-de-rendre-compte-de-la-sinistre-verite-sur-les-guerres-disrael/
• Traduction J.Ch. pour l'AURDIP.
Source - The Guardian, 26 novembre 2024 :
https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/nov/26/benjamin-netanyahu-haaretz-israel-gaza-lebanon-war
• Aluf Benn set rédacteur en chef de Harretz.
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Israël ferme son ambassade en Irlande avec fracas

Excédé par les sorties propalestiniennes de Dublin, Israël va retirer sa représentation diplomatique du pays, au grand regret de la presse de l'île d'Émeraude, qui juge légitimes les prises de position du gouvernement centriste.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Un graffiti "Victoire pour la Palestine" photographié à Dublin, le 22 mai 2024. Photo Hannah McKay/Reuters.
“L'Irlande a franchi toutes les lignes rouges.” Dans une déclaration virulente à l'égard du gouvernement irlandais, le ministre des Affaires étrangères israélien a annoncé la fermeture à venir de l'ambassade de l'État hébreu à Dublin. “La rhétorique et les actes antisémites commis par l'Irlande envers Israël se fondent sur la délégitimation et la diabolisation de l'État juif”, a justifié Gideon Saar, dimanche 15 décembre, dans des propos rapportés par le quotidien Times of Israel. À la place, Israël compte renforcer sa présence diplomatique en Moldavie, pays considéré comme plus favorable au “resserrement des liens”.
Tel-Aviv avait déjà rappelé son ambassadrice au mois de mai, en réaction à la reconnaissance par Dublin de l'État palestinien. Mais cette fermeture pure et simple de la représentation diplomatique marque, comme le constate la presse irlandaise, l'apogée des tensions entre les deux pays. “Les relations se sont fortement dégradées depuis le 7 octobre 2023, jour des attaques sanglantes du Hamas contre Israël suivi d'une riposte sur Gaza dont l'ampleur est critiquée par l'Irlande”, retrace The Irish Times.
Outre la reconnaissance de la Palestine au printemps, le gouvernement centriste a proposé en octobre le vote d'une loi sur l'interdiction du commerce avec les colonies des Territoires palestiniens occupés. Puis, en novembre, le Premier ministre, Simon Harris, a indiqué que la république d'Irlande appliquerait le mandat d'arrêt international lancé par la Cour pénale internationale contre son homologue, Benyamin Nétanyahou. Enfin, la semaine dernière, dernière goutte d'eau aux yeux de Tel-Aviv : la confirmation par la voix du vice-Premier ministre sortant (les législatives du 29 novembre ont débouché sur des tractations toujours en cours), Micheál Martin, de l'intervention de l'Irlande dans la plainte pour génocide portée par l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ).
“Aucune malveillance”
Cette accumulation de prises de position constitue, pour Gideon Saar, “des mesures anti-Israël extrêmes”. “L'approche irlandaise de ce conflit n'est pas motivée par des intentions malveillantes”, rétorque l'Irish Independent dans son éditorial du lundi 16 décembre.
- “Le gouvernement a condamné fermement les attaques du Hamas tout en étant très clair sur le droit d'Israël à se défendre, du moment que cette réponse était proportionnée. Ce qui se déroule à Gaza n'est pas proportionné, au vu des morts, des destructions et des restrictions sur l'aide humanitaire auxquels nous assistons depuis quinze mois.”
À ce stade, Micheál Martin a exclu toute mesure de réciprocité, en raison du “travail important” mené par l'ambassade irlandaise à Tel-Aviv. Une représentation diplomatique ouverte en 1996 seulement (la même année que celle d'Israël en Irlande), après une longue période de tergiversations entre les deux pays.
Considérée par l'État hébreu comme l'un des soutiens les plus farouches de la cause palestinienne en Europe, la république d'Irlande “est le seul pays à perdre son ambassade d'Israël parmi les 14 autres qui comptent intervenir auprès de la CIJ ou qui ont reconnu la Palestine en mai dernier en même temps que Dublin”, à savoir la Norvège et l'Espagne, remarque The Irish Times.
En 2018, Israël avait d'ailleurs déjà évoqué l'hypothèse d'une fermeture de sa représentation diplomatique dans le but de faire des économies (l'Irlande compte une minorité juive d'environ 2 200 membres). “Plutôt que de provoquer un électrochoc et d'inciter les deux parties à régler leurs différends, s'inquiète l'Irish Independent, la fermeture d'une ambassade mène souvent à un plus grand désengagement diplomatique, particulièrement regrettable.”
Courrier international
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