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Vote budget 2025

Bayrou déclenche le 49.3, Melenchon exclut les socialistes du NFP !
La France dans l'impasse ! Une 3ème dissolution du gouvernement n'est pas à exclure ! La Macronie continue à miner la vie politique française. Le Premier ministre François Bayrou a eu recours, ce lundi, au 49.3, pour adopter le Budget 2025. Le Socialiste Olivier Faure refuse de voter la censure. Mélenchon le désavoue et l'exclut NFP.
De Paris, Omar HADDADOU
Elle a prévu le chaos politique en France, on en est plein dedans ! Au lendemain de sa dépossession de sa victoire aux Législatives, le 9 juin 2024, la Gauche, profondément blessée par les entourloupes assassines, avait conscience de l'intensité du cataclysme qui sourdait dans les soubassements de l'exécutif.
Elle observait ce 3ème acte comme continuum de la faillite gouvernementale où tous les voyants étaient au rouge. L'empressement des 3 B (Borne, Barnier et Bayrou) - éblouis par la hauteur de la responsabilité – à répondre à l'appel d'Emmanuel Macron, l'amusait. Mais cette Gauche vaillante, était loin de se figurer en son sein un (e) potentiel transfuge répondant au nom d'Olivier Faure, Secrétaire générale du Parti Socialiste (PS).
Le coup porté à ses camarades restera dans les annales. En effet, c'est avec une bienveillance tartufe, honteusement grisée par l'accès au sérail, que la girouette de la Gauche applaudira la manœuvre du naufragé Bayrou. Le locataire de Matignon a été acculé, ce lundi 3février, à recourir, à deux reprises, à l'Article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le Budget de l'Etat.
Fort de son apport tranchant, le Rassemblement National (RN) de Marine le Pen et Bardella, fera part de sa résolution demain (mercredi). Le perchoir du Premier ministre, est donc entre les mains de ses deux groupes.
Face à cette cabale politique, la France Insoumise est montée au créneau. D'où la déclaration sentencieuse, ce lundi, de Jean-Luc Mélenchon : « Le vote de non-censure par le Parti Socialiste, consomme son ralliement au gouvernement Bayrou. Le NFP est réduit d'un Parti ! Le PS quittait le Nouveau Front Populaire, après avoir décidé de ne pas sanctionner le gouvernement sur le budget ».
Demain, les Françaises et les Français seront fixés sur le vote ou rejet de la mention de censure.
Dans une déclaration à la presse, la Présidente de LFI, Mathilde Panot, a appelé tous les opposants à voter la censure : « Le budget qu'est en train de présenter Monsieur Bayrou est pire que le Budget présenté par Monsieur Barnier. Et donc mérite la censure ». La cheffe des Ecologistes, Marine Tondelier, se veut moins acerbe. Elle déplore le choix des Socialistes et appelle à l'Union : « Soit on a envie que le NFP meurt, et on répète que c'est la fin toute la journée, soit on décrète que c'est surmontable, et on le surmonte ». Pour l'ancien ministre (Droite), Jean-François Copé, le Président Macron « a joué avec le feu » déclare -t-il sur une chaîne à forte audience. Et de poursuivre : « On ne peut pas tenir comme ça jusqu'à 2027. On est tous victimes de cette dissolution dont on paye le prix aujourd'hui. Il faut organiser la présidentielle, au plus tôt ! ».
Résolue à faire tomber le gouvernement Bayrou, Mathilde Panot a mobilisé la Gauche pour voter 2 motions de censure !
Séquence émotions !
O.H
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Le futur président Donald J. Trump a appelé à la plus importante déportation de l’histoire ds Etats-Unis

Le futur président Donald J. Trump a appelé au « plus grand programme de déportation de l'histoire américaine ». Il s'agit d'une crise sur plusieurs fronts pour des millions d'immigré·s et leurs familles, d'autant plus que Trump a élargi la catégorie des personnes « expulsables ». Il a même menacé de passer outre la Constitution américaine et de mettre fin à la citoyenneté de naissance, qui a été ajoutée à la Constitution après l'abolition de l'esclavage.
Tiré de NPA 29
30 janvier 2025
USA (Solidarity)
Photo El Gran Paro Americano (la grande grève américaine), Los Angeles, le 1er mai 2006, lorsque plus d'un million d'immigrant·es et leurs sympathisant·es ont protesté contre un projet de loi anti-immigrants au Congrès. De grandes manifestations ont eu lieu à Chicago, New York, Houston et dans de nombreuses autres villes. Le projet de loi n'a pas abouti.
États-Unis : Défendons les immigré·es !
Trump diabolise les immigrant·es, affirmant qu'ils empoisonnent, volent, assassinent et prennent les ressources des citoyens. Si les immigrant·es ont quitté leur pays pour diverses raisons, les récits révèlent le désespoir de ceux qui fuient la guerre, la violence, la pauvreté et les catastrophes climatiques.
De nombreux·ses Américain·es pensent que les immigré·es sans papiers devraient être expulsé·es parce qu'ils se sont faufilés hors de la file d'attente pour demander l'asile. Mais il n'y a pas de file d'attente ordonnée ! Le système est cassé, délibérément.
D'autres peuvent être gêné·es par le fait que le pays se diversifie de plus en plus. En 1965, moins de 5 % de la population était née en dehors des États-Unis, contre 15 % aujourd'hui. En outre, près de 90 % des immigrant·es proviennent de pays non européens. Ce pays a eu des frontières ouvertes pendant la majeure partie de son histoire, mais lorsque des Chinois ont été recrutés pour construire le chemin de fer transcontinental, des lois d'exclusion ont été mises en place.
Revendiquant un mandat, l'administration Trump mettra en œuvre une politique anti-immigration sévère dès le premier jour. Bien que les nouveaux responsables n'aient pas fixé d'objectif quant au nombre de personnes qu'ils prévoient d'expulser au cours de la première année, Stephen Miller, le chef de cabinet adjoint de Trump chargé de la politique, parle avec fermeté de fermer la frontière et de procéder à des déportations massives. Cela ne peut se faire qu'en annulant les différentes catégories dans lesquelles la plupart des immigré·es sans papiers bénéficient d'une protection minimale.
Trump utilisera également le commerce comme monnaie d'échange. Sa menace d'imposer des droits de douane de 25 % sur les produits mexicains et canadiens est sa première tentative pour effrayer les autorités canadiennes et mexicaines et les forcer à patrouiller à leur frontière avec les États-Unis. Un mois avant l'investiture de Trump, le gouvernement canadien a proposé 1,3 milliard de dollars canadiens (913,05 millions de dollars) pour renforcer la sécurité à la frontière, afin de se prémunir contre l'augmentation des droits de douane proposée. (Alors qu'un million de personnes tentent de franchir la frontière sud chaque année, moins de 20 000 franchissent la frontière nord). Pourtant, M. Trump continue d'exacerber la rhétorique en demandant que le Canada devienne le 51e État.
Aujourd'hui, sur les plus de 40 millions de résidents qui ont immigré aux États-Unis, environ 11 millions sont sans papiers. Sur ces 11 millions, près de 90 % travaillent, ce qui représente près de 5 % de la main-d'œuvre totale. De nombreux employeurs et secteurs d'activité cherchent déjà des « solutions de contournement » pour leurs employés, mais il existe un risque évident de lier les immigrant·es à un employeur spécifique.
Et malgré tous les discours sur la fermeture des frontières, deux tiers des 11 millions sont arrivés avec un visa d'étudiant, de travail ou de touriste et ont dépassé la durée de leur séjour.
L'héritage Biden
Alors que Trump a dénoncé le bilan de Biden en matière d'expulsions, la réalité est que Biden a expulsé plus de personnes chaque année de sa présidence que Trump. Au cours du premier mandat de Trump, environ 1,2 million de personnes ont été rapatriées.
Au début de la pandémie de grippe aviaire, Trump a ressuscité le titre 42 pour des raisons de santé, mettant fin à toute possibilité d'asile. Cet ordre général a été en vigueur de mars 2020 à mai 2023, chevauchant les administrations Trump-Biden. En fait, sur les 4 677 540 rapatriés sous Biden, 2 754 120 étaient en réalité exclus en vertu du Titre 42. Néanmoins, c'est Obama qui détient le titre de « Déporteur en chef » pour avoir déporté près de trois millions de personnes au cours de son premier mandat et près de deux millions au cours de son second mandat, pour un total d'un peu moins de cinq millions au cours de ses huit années de mandat.
Alors que l'administration Obama s'est concentrée sur l'expulsion des immigrants qui avaient été condamnés pour un crime, Trump a élargi le champ d'action à tous les immigrants sans papiers. Actuellement, environ 40 000 immigrant·es sont en détention, dont près de 80 % sont hébergés dans des prisons privées (principalement au Texas, dans le Mississippi ou en Californie). Thomas Homan, nommé par Trump pour être en charge de la sécurité des frontières, explique que l'administration commencera par déporter les « criminels ». En réalité, selon des chiffres récents, pas plus de 20 à 33% des personnes déportées sont condamnées pour un quelconque crime.
Si, sur le papier, la politique américaine professe des valeurs humanitaires, la nécessité de réunir les familles et encourage l'emploi, le système d'immigration n'a pas été mis à jour pour faire face à la nouvelle réalité des réfugié·es. Voici un aperçu de certaines de ces réalités.
Environ 1,6 million de demandeur·ses d'asile attendent que leur dossier soit examiné. Le temps d'attente moyen est de 4,3 ans. En vertu du droit international, l'asile devrait être accordé à ceux qui craignent de subir un préjudice crédible de la part de l'État s'ils sont renvoyés dans leur pays, mais le gouvernement américain rejette la plupart des demandes d'asile. En 2020, par exemple, l'administration Trump n'en a approuvé que 15 000.
Trois à quatre millions d'autres immigrant·es sont également en attente d'une audience. Lorsque les services de l'immigration et des douanes (ICE) jugent que ces personnes sont en sécurité, ils les remettent à leur famille ou les obligent à s'inscrire à des programmes de surveillance. Développés par l'industrie pénitentiaire privée, ces programmes comprennent les SmartLINKS et les moniteurs de cheville et de poignet.
Au moins 700 000 citoyen·nes de 17 pays différents ayant connu des guerres ou des catastrophes environnementales ont obtenu un statut de protection temporaire (TPS). Ce statut, d'une durée de six à dix-huit mois, est souvent renouvelé. Les demandeurs bénéficiant du TPS reçoivent un permis de travail et sont protégés contre l'expulsion. Si le secrétaire à la sécurité intérieure décide de ne pas renouveler le TPS pour un pays donné, les personnes concernées retrouvent leur statut antérieur. Quatorze des 17 pays devaient faire l'objet d'un renouvellement en 2025, mais M. Biden a reporté la date limite à 2026. Trump a qualifié plusieurs de ces pays, dont Haïti, de « pays de merde ».
Environ 530 000 jeunes sans-papiers qui sont arrivé·es aux États-Unis lorsqu'ils ou elles étaient enfants ont bénéficié d'une protection temporaire dans le cadre du programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals, Action différée pour les arrivées d'enfants). Cette politique a été mise en œuvre par l'administration Obama en juin 2012 après plusieurs sit-in et manifestations impressionnants de jeunes immigrés. Comme le TPS, elle fournit une autorisation de travail et protège les bénéficiaires de l'expulsion. Pourtant, les bénéficiaires du DACA n'ont pas de statut légal ni de voie d'accès à la citoyenneté. En fait, il y a jusqu'à trois millions de « Dreamers » qui n'ont pas déposé de demande alors que le DACA acceptait encore des candidats. Bien que ce programme soit populaire auprès d'une majorité d'Américains, il pourrait être supprimé par une décision de la Cour suprême ou par Trump.
Déjà 1,3 million de personnes ont reçu des mesures d'éloignement, mais leur pays n'a pas accepté leur retour. L'équipe de Trump s'efforce de trouver des pays tiers disposés à les accueillir.
Le plan de l'administration entrante ciblera probablement les hommes immigrés – de préférence célibataires – dans les villes où ils peuvent être arrêtés et expulsés : Chicago, Denver, Houston, Los Angeles, Miami, New York, Philadelphie et Washington. L'objectif est de les expulser rapidement avant qu'ils ne puissent faire l'objet d'une action en justice. En 2013, l'ACLU a rapporté que 83 % des personnes expulsées n'avaient pas vu leur affaire entendue par un juge.
Mais même si l'administration Trump ne peut pas expulser toutes les personnes arrêtées, le gouvernement pourrait les retenir en développant rapidement le « soft housing » : Un ancien fonctionnaire a déclaré qu'ils pourraient préparer 25 grands magasins fermés avec des lits de camp, des Port-a-Potties et un approvisionnement alimentaire de base dans les 90 jours. Le gouvernement du Texas a déjà offert 70 terrains de football pour ce type d'hébergement.
Un autre problème auquel se heurte un plan d'expulsion gouvernemental est que les 4,6 millions d'immigrés sans papiers vivent dans des familles à « statut mixte ». Comme certains de leurs membres sont citoyens américains, ces familles ont plus de chances de contester l'expulsion. Une étude portant sur les communautés ayant subi des perquisitions massives sur leur lieu de travail a révélé un traumatisme important au sein de la communauté. Mais la réponse de Tom Homan à une question de CBS News sur la possibilité de procéder à des expulsions massives sans séparer les familles a été froide : « Les familles peuvent être expulsées ensemble ».
Le Conseil américain de l'immigration a estimé que « l'arrestation, la détention, le traitement et l'expulsion d'un million de personnes par an » coûterait 88 milliards de dollars par an. Le Conseil conclut également que les déportations massives réduiraient le PIB américain de 4,2 à 6,8 %, soit de 1,1 à 1,7 billion de dollars (en dollars de 2022) par an. (Le comité éditorial du New York Times a publié un long article soulignant que l'économie américaine a besoin de 1,6 million d'immigrant·es par an pour maintenir sa croissance économique. Il concentre ses suggestions sur un processus ordonné par lequel le monde fournirait aux États-Unis ses membres les plus jeunes et les plus résistants. Les rédacteurs du Timesont commencé l'article en appelant à un renforcement de la « sécurité » aux frontières).
D'après ce que nous savons des précédentes déportations massives dans les années 1930 et 1950, certains immigrant·es se sentiront si peu sûrs d'eux qu'ils s'expulseront d'eux-mêmes. Le Conseil américain de l'immigration estime que l'auto-déportation représente environ 20 % du total, mais je pense que le chiffre pourrait être beaucoup plus élevé – plus proche de 75 %. Une grande partie de la rhétorique de Trump à l'encontre des immigrés pourrait viser à les effrayer pour qu'ils partent.
La menace
Voici quelques-uns des moyens utilisés par le projet 2025 pour mettre en place un plan de déportation :
• La mise en place d'une machine à expulser à l'échelle nationale : Le projet prévoit d'autoriser l'ICE à recourir à l'« expulsion accélérée » contre les immigré·es trouvé·es n'importe où dans le pays. Outre les descentes sur les lieux de travail, il permettrait des descentes dans les écoles, les hôpitaux et les institutions religieuses. L'administration tentera d'utiliser l'Alien Enemy Act de 1798 pour mener à bien son projet, une absurdité puisque les États-Unis ne sont en guerre avec aucun autre pays et qu'il n'y a donc pas d'« étrangers ennemis ». Trump a également laissé entendre qu'il pourrait déclarer une urgence nationale.
• Militarisation des frontières : Le projet 2025 prévoit « l'utilisation de personnel et de matériel militaires » pour empêcher les passages aux frontières. Cela signifie davantage de surveillance et de murs. (Pour 2025, l'ICE dispose d'un budget de 350 millions de dollars, soit 30 millions de plus que l'année précédente. Mais ce budget est insuffisant pour le projet de Trump).
• L'expansion des centres de « détention » des immigrant·es : Le projet prévoit de plus que doubler le nombre d'immigré·es détenu·es alors qu'ils/elles sont menacé·ees d'expulsion. Actuellement, environ 50 000 d'entre eux et elles sont emprisonné·es, la plupart dans des centres privés, d'autres dans des prisons.
• Élimination de programmes : tels que les Programmes de Statut de Protection Temporaire pour les personnes venant de pays où il y a une catastrophe naturelle ou un conflit armé. Établi par le Congrès en 1990, il légalise actuellement le statut de personnes originaires de 16 pays différents pour une période de temps spécifique et renouvelable.
Les groupes les plus importants sont les suivants : 350 000 Vénézuélien·nes, 200 000 Haïtien·nes et 175 000 Ukrainien·nes. Ces personnes ont un statut légal et peuvent travailler tant que le programme est renouvelé. Trump a tenté de se débarrasser du programme au cours de son premier mandat, mais il en a été empêché par une action en justice de l'ACLU. Il ne fait aucun doute qu'il essaiera à nouveau. Le programme DACA pourrait être une autre cible. D'autres programmes pourraient être renforcés, comme les visas H-B1 qui permettent l'entrée de travailleurs étrangers qualifiés, les visas H-B2 qui couvrent les travailleurs à bas salaire, en particulier les travailleurs agricoles et les travailleurs de l'industrie hôtelière (tels que ceux utilisés par les entreprises Trump), ou les visas de regroupement familial. Des factions des partisans MAGA de Trump se disputent le programme HB-1.
• Rendre obligatoires les programmes de vérification du travail : Le projet 2025 étendrait E-Verify, un système mal organisé destiné à prouver que les employés ont le droit de travailler aux États-Unis. Les secteurs de l'agriculture, de la construction et de l'hôtellerie dépendent de la main-d'œuvre immigrée et cherchent déjà des exceptions pour pouvoir continuer à fonctionner.
• L'enchevêtrement des contrôles locaux et fédéraux : Le projet 2025 appelle à l'extension de la participation des polices locales et d'État à l'application des lois fédérales sur l'immigration. Ceux qui s'y refusent risquent de se voir refuser tout financement fédéral, y compris pour les écoles qui enregistrent et éduquent les enfants d'immigrés. Les villes, comtés et États « sanctuaires » qui coopèrent peu avec l'ICE seront sans aucun doute visés.
Que pouvons-nous faire ?
Il existe un certain nombre d'organisations et de syndicats dans tout le pays qui œuvrent depuis des années pour la justice envers les immigré·es. Les socialistes peuvent contribuer à la mise en place de campagnes de soutien à celles et ceux qui ont fui leur pays à cause de la guerre, de la violence – notamment sexuelle -, du manque de travail ou des ravages du changement climatique.
En particulier depuis que la communauté immigrée s'est mobilisée pour rejeter le projet de loi Sensenbrenner, entre 2006 et 2008, les syndicats soutiennent de plus en plus les droits des immigré·es. Les syndicats qui comptent un nombre important de travailleur·ses immigré·es sont notamment SEIU, HERE et UE, et ils ont aidé l'AFL-CIO à les soutenir également. Comme l'a fait remarquer Liz Shuler, présidente de l'AFL-CIO, « Un·e immigré·e ne s'interpose pas entre vous et un bon emploi, c'est un milliardaire qui le fait. C'est un milliardaire qui le fait ».
Les délégations syndicales au Congrès ont insisté sur le fait que la frontière est une distraction par rapport aux problèmes du lieu de travail. Elles soulignent que tous les travailleurs, quel que soit leur statut en matière d'immigration, devraient avoir accès à la pleine protection des lois sur le travail et l'emploi. C'est l'absence d'une telle protection qui crée une « économie souterraine », source d'exploitation et de conditions de travail dangereuses pour ceux qui n'ont pas de statut légal.
Voici quelques suggestions sur la manière dont nous pouvons protéger les personnes sans statut légal :
Les campagnes doivent indiquer clairement aux fonctionnaires que nous nous opposons à ce que les gouvernements locaux et nationaux collaborent avec les autorités fédérales pour mettre en œuvre leurs plans d'expulsion.
Nous devons soulever l'injustice du système d'immigration, qui est conçu pour « échouer », dans nos syndicats et nos organisations communautaires. Cela signifie des discussions individuelles, en soulevant la question de manière concrète lors de réunions et de conférences.
Début janvier, Labor Notes a organisé une réunion en ligne pour les syndicalistes, à laquelle ont participé plus de 200 personnes. Un article citait cinq façons d'aider les membres et incluait le guide du National Immigration Law Center à l'intention des employeurs pour prévenir la persécution des travailleurs, qui suggérait des demandes contractuelles concrètes que le syndicat pourrait proposer. Contrairement à la diabolisation des immigré·es par Trump, notre message de solidarité considère que nos voisins et nos collègues contribuent à construire une société plus forte et plus saine. Ils ont fui des conditions difficiles, souvent à cause des politiques de Washington.
Dans nos communautés, nous devons trouver des moyens de faire savoir aux sans-papiers que nous les soutenons.
Cela peut prendre la forme de « veilles communautaires », en s'assurant que leurs enfants sont protégés, et d'autres méthodes d'accompagnement.
Publié le 14 janvier 2025 par Solidarity
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Afrique du Sud, l’indignité d’une politique

Les autorités sud-africaines n'ont pas hésité à provoquer la mort de dizaines de personnes en assiégeant les mineurs clandestins.
Tiré de NPA 29
« Vala Umgodi » est le nom du projet du gouvernement sud-africain. En langue nguni, cela signifie « boucher les trous » et dans la réalité le projet vise avant tout les mineurs illégaux qui continuent d'exploiter des mines abandonnées parce que jugées non rentables.
Affamer les mineurs
Les forces de police se sont positionnées à l'entrée de la mine aurifère de Stillfontein dans le but d'arrêter les mineurs clandestins depuis août 2024. Ils étaient plusieurs centaines. Elles ont ainsi empêché le ravitaillement en nourriture et en eau des mineurEs par les habitantEs des townships environnants afin de les obliger à sortir.
Par peur d'être arrêtés, mais aussi sous la menace des gangs qui contrôlent la mine, les « zama zamas » (« ceux qui tentent leur chance » en zoulou) sont restés bloqués pendant des semaines. Les volontaires sont descendus dans la mine et ont expliqué que les mineurs étaient désormais bien trop faibles pour remonter à l'aide des cordages comme ils en avaient l'habitude. Ils ont aussi demandé que les morts puissent être évacués. Ces demandes se sont heurtées à l'intransigeance des autorités expliquant que ce n'était pas à la police de récupérer « les dépouilles des criminels ».
Certains responsables de l'ANC ont parlé d'enfumer les mineurs, la porte-parole du gouvernement Khumbudzo Ntshavheni déclarait : « Nous allons les asphyxier, ils vont remonter. Les criminels ne doivent pas recevoir d'aide, ils doivent être persécutés ». Il a donc fallu une décision de justice pour obliger le gouvernement à mettre en place un système de sauvetage pour extraire les travailleurs qui sont dans un état de faiblesse extrême, le 13 janvier. Le bilan est terrible puisque l'on décompte 87 morts.
Politique anti-ouvrière
Préférant mener une politique libérale, les dirigeants de l'ANC sont incapables de répondre aux besoins sociaux des populations. Ils n'hésitent pas alors à utiliser des boucs émissaires comme les populations immigrées ou criminaliser ceux qui luttent.
Une stratégie qui n'est pas nouvelle, puisque déjà le gouvernement en 2012 avait traité de hors-la-loi les mineurs grévistes de Marikana, justifiant une répression faisant 34 morts.
Les caciques de l'ANC se réfugient derrière le respect de la légalité, comme le ministre des Mines, Gwede Mantashe, en affirmant : « C'est un crime contre l'économie, c'est une attaque contre l'économie », pour justifier cette politique indigne, alors que la plupart sont éclaboussés par des scandales de corruption et de détournement de fonds.
Les « zama zamas » sont avant tout des travailleurs pauvres qui tentent de récupérer quelques minerais pour faire vivre leur famille.
La seule solution qui vaille est de régulariser cette activité, ce que d'ailleurs beaucoup de pays africains ont fait. Cela aurait l'avantage de soustraire ces travailleurs aux mafias locales en favorisant leur auto-organisation.
Paul Martial
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C’est la fin de la vendetta RNC contre la Coalition sortons les radios-poubelles

RNC abandonne sa chasse aux fantômes. RNC Média, pourtant très pressée de se vanter de sa poursuite bidon et de ses recherches pointues pour nous trouver (ahem ahem) ne s'est pas félicitée de son fiasco.
Alors que le 30 janvier devait être une date pour préparer le procès, voilà que ce sont plutôt des désistements et règlements sans préjudice qui sont survenus la semaine précédente, sans tambour ni trompette.
Depuis juin 2021, l'entreprise médiatique persécutait judiciairement deux pauvres bougres qu'elle croyait liés à la Coalition ; par la suite, elle a ajouté 3 autres personnes tombées des nues.
RNC tentait de lever l'anonymat de la Coalition en instrumentalisant les tribunaux, croyant que ça ne serait qu'une formalité.
Mais les mesures de sécurité de la Coalition ont tenu le coup. La sauvegarde de notre identité est indemne.
C'est une bonne nouvelle pour la liberté et la démocratie. Ça signifie que de simples citoyens et citoyennes peuvent critiquer une entreprise à condition de prendre de solides précautions afin de se protéger.
Mais des personnes innocentes ont quand même vécu un important stress, et ont été prises en otage par les poursuites judiciaires de RNC.
Comme l'ont rappelé plusieurs juges, l'anonymat est une composante essentielle de l'exercice de la liberté d'expression.
La sécurité des membres de la Coalition était menacée. Depuis plus de 25 ans, la radio-poubelle met en danger les gens qui la dénoncent. Durant les années du harcèlement par Radio X, le lecteur de nouvelles Pierre Jobin a développé une grave dépression. Sophie Chiasson a perdu sa carrière et a tenté de se suicider. Encore aujourd'hui, les noms et adresses de boucs émissaires sont révélés en ondes, jetés en pâture aux laquais décérébrés et violents de la radio-poubelle.
Ce média n'a jamais été crédible ni fiable. On l'a toujours dit. Radio X, l'officine de RNC à Québec, n'a plus aucun garde-fou, aucune limite. C'est la base pour les porte-paroles et représentants des Trump, Poutine et autres dangers de ce monde.
Radio X n'est plus seulement une radio-poubelle, dans le contexte actuel, c'est une radio d'égout. Elle célèbre l'élection de leur président champion Donald Trump.
Mais leur fiesta reste ombragée par notre petite victoire.
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La Coalition sortons les radio-poubelles de Québec
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L’organisation des anarchistes en Ukraine – le point de vue d’un activiste local

Présentation par Robert :
Un document important qui nous vient d'un chercheur danois, Bjarke Friborg, travaillant sur le mouvement ouvrier, donne la parole ici à un militant libertaire ukrainien, dont l'identité n'est pas dévoilée. Il brosse un tableau de l'activité des groupes libertaires en soutien à leurs camarades soldats sur le front, qui appartiennent à la gauche anti-autoritaire et au syndicalisme indépendant. Ce témoignage fournit des éléments d'informations très intéressants sur la gauche ukrainienne en général. Au début du conflit il y avait une division entre les pacifistes, ceux qui soutenaient une démarche diplomatique et le soutien à une résistance armée contre l'envahisseur. Les pacifistes regardaient avec méfiance la militarisation du corps social, la déclarant porteuse de valeurs antidémocratiques. Mais le caractère même de l'offensive militaire du régime de Poutine a fait que les deux courants se sont unis pour se défendre par les armes, ou pour répondre ici aux besoins de leurs camarades montés au front.
Nous avions publié précédemment l'interview de Maxim Butkevitch , libertaire et antimilitariste, expliquant son évolution politique. Il expliquait d'ailleurs que, lorsque la guerre se terminerait, il ne manquera pas de revenir à ses options de militant libertaire. Si, dans le combat de l'opposition russe se manifeste, malgré le caractère dictatorial du régime, des voix qui pensent la Russie d'après Poutine, en Ukraine se dégagent aussi des forces qui posent la question de la reconstruction du mouvement ouvrier. Le militant parle de six à sept projets politiques de gauche, dont l'un envisageant la construction d'un parti de gauche.
Document
Les anarchistes ukrainiens sont parmi les plus actifs de l'aile gauche du pays. Dans cette interview, Ksusha de Kiev parle de ce que la guerre a signifié pour elle et pour le mouvement, et des perspectives d'avenir pour une Ukraine libre.
Tout d'abord, j'aimerais vous parler de mon parcours et de moi-même. Je m'appelle Ksusha et je suis un anarchiste d'Ukraine. Je vis actuellement à Kyiv, où je suis actif dans les collectifs de solidarité. Mon intérêt pour les idées anarchistes est né lors du soulèvement de Maïdan de 2013 et 2014 à Kharkiv, où je suis né et où je vivais à l'époque.
Dans la période post-Maïdan, lorsque la Russie a attaqué Louhansk et Donetsk – et en réponse à la première vague de réfugiés de la région – les anarchistes de Kharkiv ont entrepris de transformer un bâtiment occupé en résidence temporaire pour certains réfugiés. L'objectif était de les aider à se remettre sur pied et de pouvoir leur proposer rapidement un logement.
Un ami qui était membre d'un collectif anarchiste m'a invité à participer à la rénovation du bâtiment. C'est ainsi que je me suis impliqué dans les activités anarchistes. Dès lors, j'ai participé continuellement à des projets anarchistes et à diverses actions et manifestations contre l'État policier. Je suis également devenu membre d'un groupe éco-anarchiste qui luttait contre les projets de construction et la déforestation, participait à des actions contre la production de fourrure et organisait des marchés aux puces gratuits.
C'est ainsi que se sont déroulées les six années suivantes. Puis j'ai déménagé à Kiev, et mon activité anarchiste a diminué parce que je n'ai pas trouvé de collectif approprié. Lorsque la guerre à grande échelle a commencé en 2022, je n'avais toujours pas de liens actifs avec les anarchistes locaux. Ce n'est qu'environ un mois plus tard que j'ai pris contact avec un gars qui m'a présenté une initiative organisée par des anarchistes appelée Opération Solidarité. L'intention était de soutenir les camarades qui étaient allés au front.
Les personnes que nous soutenions appartenaient largement à la gauche anti-autoritaire, incluant des socialistes, des anarchistes, des punks, des antifascistes, des féministes – tous avec des opinions progressistes et de gauche. Ce fut le début de mon travail actif au sein du collectif. Plus tard, l'Opération Solidarité s'est scindée en deux, mais la plupart des militants se sont rapidement regroupés sous le nom de Collectifs de Solidarité.
Soutien aux anti-autoritaires et aux syndicalistes au front
Je voudrais maintenant vous parler un peu plus du groupe Collectifs Solidaires et de ses activités. Les collectifs de solidarité sont principalement constitués d'anarchistes et leurs activités sont divisées en trois domaines principaux.
Le premier axe est consacré au soutien militaire aux figures anti-autoritaires qui sont au front. Nous fournissons des vêtements, du matériel de premiers secours tactiques, des technologies comme des talkies-walkies et des lunettes de vision nocturne, ainsi que des tablettes, des ordinateurs portables, des voitures et même des avions et des drones coûteux – en bref, tout ce dont les soldats ont besoin mais que l'armée ne peut pas fournir.
L'armée souffre toujours d'importantes pénuries de fournitures pour les soldats, et une très grande partie de l'équipement de base nécessaire provient de volontaires civils. Les personnes qui soutiennent leurs amis, leur famille, leurs connaissances et leurs collègues qui participent à la guerre ont créé un vaste réseau d'entraide.
Collectifs Solidaires fait partie de ce réseau, mais avec la différence que nous soutenons exclusivement des individus anti-autoritaires. Nous soutenons actuellement 80 à 100 personnes, dont des anarchistes, des antifascistes, des punks, des éco-anarchistes, des féministes, des BZers, des personnes LGBTQ+ et des militants syndicaux. Le nombre de camarades que nous soutenons a considérablement augmenté au fil du temps.
Le deuxième domaine est l'aide humanitaire . Nous soutenons les personnes qui souffrent des conséquences directes de la guerre : celles qui ont perdu leur maison ou qui ne reçoivent pas d'aide de l'État pour leurs besoins de base, comme les médicaments ou l'équipement technique dont elles ont besoin.
Nous participons à des projets où nous réparons des maisons, par exemple dans la région de Kherson, où les inondations ont causé d'énormes dégâts après que les forces russes ont détruit le barrage de Kakhovka. Nous aidons les écoles dans les zones de guerre en leur fournissant, entre autres, des ordinateurs portables à usage éducatif. Chaque mois, nous visitons les zones proches des lignes de front pour aider les habitants d'une manière ou d'une autre.
Le troisième domaine est le travail médiatique . Le but de notre groupe média est de mettre en lumière les activités des anti-autoritaires pendant la guerre. Au lieu d'être marginalisés, nous voulons faire partie de la société, communiquer nos activités à l'extérieur, être en contact avec nos camarades de l'Ouest et rendre compte de notre travail.
Un réseau d'action pour la survie
Les Collectifs de Solidarité ne sont pas une entité centralisée. Il a toujours été important pour nous de fonctionner en réseau. Nous travaillons avec un large éventail de personnes.
Certains ont un potentiel politique et prévoient de créer une organisation ou un projet, tandis que d'autres ont déjà des projets politiques en cours. Certains ont déjà été actifs, par exemple en organisant des manifestations et en ouvrant des centres sociaux, mais dans cette situation de guerre, ils ont choisi de se concentrer sur leurs tâches immédiates. Nous ne sommes donc pas limités à soutenir uniquement les camarades politiquement actifs qui construisent actuellement quelque chose de social.
Ce qui est important pour nous, c'est l'action décentralisée, le soutien aux projets politiques et une saine volonté d'aider, mais nous n'excluons pas ceux qui ne sont pas actifs politiquement en ce moment ou qui ne planifient rien pour l'avenir. Nous avons été critiqués pour cela, mais notre priorité initiale était d'aider nos camarades à survivre à cette guerre.
Les collectifs de solidarité tentent d'obtenir des résultats en collaborant avec les syndicats. C'est un domaine sur lequel nous mettons particulièrement l'accent car le travail syndical n'est pas très populaire aujourd'hui. Avec les réformes néolibérales en Ukraine, l'ensemble du mouvement risque d'être réprimé, mais nous essayons de soutenir les projets restants et ceux qui sont actifs professionnellement.
Nous n'avons pas de ressources pour d'autres formes d'activités sociopolitiques. Cependant, toutes nos actions peuvent être considérées comme politiques. Lorsque nous soutenons les militants syndicaux, cela affecte la lutte pour les droits des travailleurs et constitue une manière d'entraver les réformes néolibérales qui prévalent actuellement en Ukraine. Mais l'entraide entre camarades au front et le soutien aux communautés locales sont certainement aussi politiques.
Les anarchistes dans l'armée
Je vais maintenant essayer de répondre à la question sur l'organisation des anarchistes dans l'armée ukrainienne.
Au début de la guerre à grande échelle, plusieurs camarades ont convenu de créer une organisation unifiée qui pourrait réunir tous les individus anti-autoritaires combattants en Ukraine en une seule unité, qu'il s'agisse d'un groupe, d'une entreprise ou de quelque chose de plus grand. Ces rêves existent toujours. Au moins un camarade travaille toujours activement à la réalisation de cette idée, et d'autres anarchistes l'espèrent également.
Cependant, après avoir discuté avec plusieurs camarades de l'armée, je suis arrivé à la conclusion qu'il est beaucoup plus durable d'avoir une centaine de camarades répartis sur une ligne de front de mille kilomètres. Ils ont lancé de petits projets dans différentes unités et plantent ainsi les graines de méthodes collaboratives anti-autoritaires partout où ils se trouvent.
Tout d'abord, c'est beaucoup plus sûr. Si une équipe anarchiste de près de 50 personnes était envoyée dans le combat le plus intense, il serait très probable que l'équipe entière soit anéantie.
Dans tous les cas, l'unité des camarades ferait partie de l'armée ukrainienne, car des unités indépendantes ne peuvent pas exister dans une guerre de cette nature, où nous nous défendons contre une invasion à grande échelle. Ce n'est pas une guerre de guérilla. Il n'est pas possible d'être une force armée dans cette guerre sans être sous le contrôle de l'armée ukrainienne.
Bien sûr, je ne suis pas contre une entité anti-autoritaire par principe – au contraire, cela semble fantastique. Mais lorsque l'unité a été créée au cours des premiers mois de la guerre à grande échelle, la plupart des anti-autoritaires et des anarchistes n'avaient qu'une expérience de la vie civile, et nous n'avions aucune formation militaire.
Presque aucun des fondateurs de l'unité anti-autoritaire n'avait d'expérience en matière de coopération avec l'armée ukrainienne ou d'organisation d'unités et d'opérations militaires. Il n'y avait aucun lien avec ce genre de structures. Dans l'ensemble, nous avions de mauvaises cartes en main. Quand la guerre a commencé, nous n'étions pas prêts.
L'unité anti-autoritaire n'a pu être créée que grâce à un commandant bienveillant, Youri Samoilenko. Il avait des liens avec les Forces de défense territoriale, qui organisaient des volontaires au sein des forces armées ukrainiennes. Au sein de ces forces, Samoilenko a réussi à organiser une sorte de sous-unité.
Cependant, le groupe a été entravé par l'attitude des hauts dirigeants de l'armée. Le groupe n'a pas pu développer ses compétences ni participer aux batailles, même si la majorité le souhaitait. Les gens ont donc commencé à se disperser dans différentes unités.
Germes anti-autoritaires
Maintenant que deux ans et demi se sont écoulés depuis le début de la guerre à grande échelle, nous avons environ trois projets prometteurs.
Je n'entrerai pas dans les détails sur où et comment ils ont été formés. Des camarades anti-autoritaires se sont établis dans les unités dont ils font partie. Ils ont des gens à différents niveaux dans l'armée, des relations, une compréhension des opérations de guerre et des connaissances sur la façon de travailler avec les gens dans l'armée. Une compréhension a été obtenue de ce qui peut être développé et de ce qui peut être dangereux. Dans l'ensemble, une combinaison de compréhension et d'expérience a été obtenue.
Les projets se développent progressivement et des individus antiautoritaires les rejoindront de plus en plus à l'avenir, y compris depuis l'étranger. Les projets ne sont pas aussi vastes que ceux que souhaitaient les fondateurs de l'entité anti-autoritaire, mais ils sont viables dans des conditions de guerre. Ce sont des modes d'organisation qui progressent lentement mais sûrement.
À mon avis, la pratique est plus importante qu'un plan politique ambitieux et bien ficelé. Les petits projets au sein de l'armée sont quelque chose qui nous est possible, et nous pouvons les développer avec les forces dont nous disposons.
En ce qui concerne les nuances des formations militaires anarchistes en Ukraine, il faut tenir compte du fait qu'au siècle dernier, l'Union soviétique a détruit toute la culture politique anarchiste par la répression, la terreur et la famine.
De plus, le mot « gauche » est aujourd'hui diabolisé en Ukraine. De gauche, rouge, communiste : pour beaucoup, tout est associé au communisme soviétique. Notre mouvement anarchiste est donc assez jeune comparé, par exemple, au mouvement anarchiste espagnol ou au mouvement de libération du Kurdistan.
L'activité anarchiste est liée à la gauche libertaire, qui en Ukraine n'existe que depuis 20 à 30 ans. Tout devait être reparti de zéro, et il n'était pas possible de s'appuyer sur un contexte existant ou sur des institutions fonctionnant depuis longtemps. Lorsque nous lançons des projets dans l'armée ou dans la société civile, nous sommes confrontés à une diabolisation de nos idées. Il y a de la méfiance à notre égard : « Les gauchistes, ce sont des communistes. Les communistes, c'est ça l'Union soviétique. Et l'Union soviétique est un grand traumatisme ».
C'est un véritable exploit que, malgré de tels obstacles, nous ayons aujourd'hui une centaine de personnes dans l'armée. Ce n'est pas un grand nombre, mais ils créent et développent des projets là-bas. Bien sûr, ce sont des projets qui sont encore beaucoup plus jeunes que le mouvement lui-même, mais j'ai confiance en leur potentiel car ils ont rapidement pris de l'ampleur. Au cours des deux dernières années, quelques groupes ont connu une évolution prometteuse.
Ce que la guerre nous a appris
Je voudrais vous parler un peu de ce que nous avons appris de l'époque d'avant la guerre. La situation est peut-être similaire à celle d'autres pays limitrophes de la Russie ou de la Biélorussie, comme la Finlande, les pays baltes et la Pologne.
Avant le début de cette guerre à grande échelle, la société ne comprenait pas que nous pourrions être attaqués avec une telle force. Personne n'aurait pu imaginer quelque chose d'aussi vaste et sanglant que l'attaque qui a débuté en 2022.
À mon avis, le mouvement de gauche de l'époque était divisé en deux camps. On prévoyait une certaine forme d'escalade militaire, mais pas une guerre à grande échelle. On pensait que la guerre à Louhansk et dans le Donbass pourrait s'étendre. Mais je ne pense pas que quiconque s'attendait à des attaques de missiles, à des sabotages d'infrastructures et à des attaques venant de toutes les directions. Ceux qui s'attendaient à un certain degré d'escalade mettaient en pratique des compétences tactiques et croyaient que la société devait investir dans la préparation à la guerre et que les gens devaient se préparer en acquérant des compétences militaires et de premiers secours.
L'autre camp, en revanche, considérait l'escalade comme peu probable et avait une attitude extrêmement négative à l'égard de tout ce qui ressemblait à une militarisation. Selon eux, la préparation militaire et la préparation militaire constituaient un soutien à des valeurs profondément antidémocratiques. Ce camp plus pacifiste voyait des traits autoritaires dans l'acquisition de compétences militaires. À leurs yeux, l'Ukraine ne doit pas être militarisée, car cela provoquerait en soi de la violence, et le mouvement ne doit pas s'orienter vers la capacité d'agir militairement.
Ce camp voulait se concentrer sur la résolution des problèmes internes de l'Ukraine – sur la lutte contre le néolibéralisme et contre l'extrémisme de droite.
De cette façon, le mouvement était caractérisé par deux ailes différentes jusqu'à ce que Poutine annonce qu'il utiliserait la force militaire contre l'Ukraine. C'est là que les deux groupes se sont réunis. La veille du début de l'invasion à grande échelle, une réunion conjointe a eu lieu sur la manière de procéder en cas d'attaque. Je dois dire que le mouvement s'est préparé assez tard au type de guerre à laquelle nous étions confrontés.
Tant ceux qui réclamaient une préparation que ceux qui s'y opposaient n'étaient pas préparés. Le groupe qui avait participé aux exercices avait peut-être des compétences militaires de base, mais il n'était pas préparé aux frappes aériennes et aux tirs d'artillerie. Les connaissances qu'ils avaient étaient peut-être plus adaptées à la guérilla.
Sur cette base, on peut peut-être conclure que dans les pays voisins de la Russie en Europe, où les gens vivent actuellement en paix, il est nécessaire de reconnaître que la Russie est un État impérialiste – un agresseur qui essaie de tout résoudre par la force plutôt que par la diplomatie. Il ne faut pas exclure la possibilité que le pays dans lequel on vit soit exposé au même terrorisme que l'Ukraine.
L'extrême gauche doit se préparer
Il est absurde de rêver d'une autodéfense par la démocratie et par des moyens diplomatiques lorsqu'il s'agit d'un État comme la Russie. Les histoires de pacifisme et de paix et les discours sur la nécessité d'éviter de provoquer la violence ne fonctionnent pas face à un agresseur violent.
S'il existe un intérêt pour l'autodéfense parmi les camarades en Finlande, dans les pays baltes ou en Pologne, je dirais qu'une certaine forme de préparation pratique et d'acquisition de connaissances théoriques peut avoir des effets positifs. La pratique des premiers secours, la participation à des cours de défense publique, la construction de drones et de nombreuses autres activités civiles peuvent créer une bonne base pour être prêt à agir en cas d'attaque.
Les militants de gauche en Ukraine, qui pratiquaient des compétences tactiques et suivaient des cours de premiers secours, n'étaient certainement pas préparés à l'attaque massive russe, mais ils avaient néanmoins une certaine expérience et une certaine préparation qui leur ont permis de rejoindre des unités militaires spécialisées. Ils avaient une longueur d'avance sur ceux qui rejoignaient la défense sans aucune connaissance ou compétence de base.
Ils étaient nombreux dans ce dernier groupe. Mais certains avaient déjà mis en pratique leurs compétences tactiques sur différents types de terrain. Des exercices comprenant le maniement des armes, les techniques de mouvement, le camouflage et d'autres compétences de base qui offraient certainement un avantage par rapport à l'absence de connaissances en combat armé.
Une certaine forme de préparation mentale peut également être utile. Si vous ne rejetez pas simplement la possibilité qu'une attaque puisse être dirigée contre vous, vos communautés et votre pays, vous pouvez vous préparer à l'avance à assumer un rôle qui n'est pas celui de la victime, du réfugié ou du destinataire passif. , mais plutôt quelqu'un qui participe à la résistance.
« Qu'as-tu fait pendant la guerre ? »
Certains camarades justifient leur participation à la guerre en arguant qu'elle nous donne des « points » sociaux qui nous prépareront mieux pour l'avenir. Nous pouvons dire que nous avons également participé à la guerre, et nous en serons reconnaissants.
Nous partons du principe que la guerre prendra fin un jour et que le temps viendra de promouvoir le changement social et de lancer des projets sociaux. On nous demandera : « Et qu'avez-vous fait pendant la guerre ? » « Quelle a été votre contribution ? »
Il se peut que dans la société d'après-guerre, des tendances désagréables apparaissent, selon lesquelles ceux qui ont participé aux activités militaires s'élèvent plus haut dans la hiérarchie et sont plus valorisés que les civils et les réfugiés.
L'idée selon laquelle nous participons à la guerre pour être visibles et obtenir le droit d'agir dans une société d'après-guerre repose sur l'hypothèse que l'Ukraine évoluera vers une direction plus hiérarchisée et militarisée. Je ne dis pas que cela n'arrivera pas, et je ne nie pas qu'aller à la guerre, soutenir les soldats et aider les civils qui souffrent pendant la guerre puisse, pour ainsi dire, fournir des arguments politiques pour des actions futures.
Mais pour moi, tant personnellement qu'en tant qu'anarchiste, c'est la pratique qui me motive : la pratique de la création de relations horizontales, la pratique du présent. Je considère personnellement l'entraide – même à plus petite échelle – comme une activité politique et une réalisation de la philosophie de l'anarchisme. Je ne veux pas m'enfermer dans des théories et des considérations sur ce qui est bien et ce qui est mal à faire dans cette situation.
Lorsque vous ressentez le besoin d'aider vos camarades et les personnes touchées par la guerre, il est très humain de vouloir participer à des activités de soutien et de décider de contrer les valeurs anti-humaines que représente le régime agresseur.
Espoir pour l'avenir
Je dirais que la petite réalité – les collectifs de solidarité – que nous créons actuellement et que nous avons expérimentés nous-mêmes en cours de route, peut grandir et se développer. Cela peut offrir de nouvelles opportunités pour des projets collectifs tels que des coopératives de drones, la réhabilitation des victimes de guerre, des projets culturels, des maisons occupées pour les réfugiés – c'est ce dont je rêve.
Ce sont des rêves qui peuvent se réaliser parce que nous avons un projet dans lequel les personnes impliquées font actuellement un effort énorme et qui, je crois, donne de bons résultats. En tant qu'anarchiste, c'est ma perspective centrale pour l'avenir.
Quand il s'agit de grands slogans, tendances et projets politiques, je dirais que construire un mouvement n'a jamais été une valeur absolue pour moi. Un mouvement se crée de lui-même lorsqu'il y a activité. À l'heure actuelle, il est créé de manière très décentralisée, mais avec une collaboration interfonctionnelle. D'après ce que je sais, il y a actuellement six ou sept projets de gauche en Ukraine.
Certains sont de petits groupes de trois ou quatre personnes, d'autres sont plus grands. L'un des groupes souhaite créer un parti de gauche en Ukraine. Nous avons donc des valeurs assez différentes, mais nous collaborons toujours. Les projets fonctionnent de manière indépendante, mais s'entraident d'une manière ou d'une autre.
Le processus de construction d'un mouvement ne peut pas être accéléré par la force, et de nouvelles ressources n'apparaissent pas de nulle part. On ne peut investir dans un projet et le développer qu'au stade où il se trouve à ce moment-là.
L'article est traduit de l'anglais par Bjarke Friborg du magazine en ligne finlandais Takku. Il a été publié plus tard en finnois dans le magazine Kapinatyöläinen n°1. 61 . L'auteur est anonyme. Les colonnes interstitielles sont celles de la rédaction.
https://solidaritet.dk/om-at-organisere-anarkister-i-ukraine-som-en-lokal-aktivist-ser-det/
Source : Aplutsoc. https://aplutsoc.org/2025/01/31/lorganisation-des-anarchistes-en-ukraine-le-point-de-vue-dun-activiste-local/
Illustration : Liberté pour l'Ukraine. 2022, l'année où Poutine s'est assis sur le dos du tigre. Illustration : Per Johan Svendsen.
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Nous sommes de grands combattants pour la liberté, affirme à Davos le président argentin Javier Milei, qui décide d’éliminer le féminicide du code pénal argentin

La semaine dernière, j'exprimais la tristesse profonde que je ressentais en apprenant que dans les premiers quinze jours de 2025, huit Nicaraguayennes avaient été tué par leur conjoint. Un fait qui ramenait immédiatement à ma mémoire des scènes de violence familiale dont j'avais été témoin lors de mes séjours annuels au Nicaragua, de 1995 à 2018, accompagnant la plupart du temps des étudiants et étudiantes du Collège Dawson. Des scènes tellement troublantes qu'elles resteront à jamais gravées dans ma mémoire.
À peine deux jours après que j'eus rédigé cet article, j'apprends un autre événement bouleversant. Le président argentin, Javier Milei, annonce qu'il va éliminer du code pénal le féminicide. Un crime qui ne fut ajouté à ce code qu'en 2012, et ce à la suite d'un très long et fort impressionnant combat des femmes en Argentine.
Fini, dit Milei, le temps où le féminisme fanatique faisait en sorte qu'on place la femme sur un piédestal en imposant une sentence plus sévère si c'était elle plutôt qu'un homme qui se faisait assassiner !
Quelques jours plus tôt, au Sommet de Davos où se réunissaient des délégués issus du monde des affaires, des gouvernements, de la société civile, des médias et du monde universitaire, le président argentin Milei prenait la parole.
L'année dernière, dit-il à son auditoire, je me sentais un peu seul ici.
Je ne me sens plus seul, car tout au long de cette année, j'ai pu trouver des camarades dans cette lutte pour les idées de liberté aux quatre coins de la planète », poursuit-il. « Du merveilleux Elon Musk à la féroce dame italienne, ma chère amie, Giorgia Meloni ; de Bukele au Salvador à Viktor Orbán en Hongrie ; de Benjamin Netanyahu en Israël à Donald Trump aux États-Unis. Lentement, une alliance internationale de toutes les nations qui veulent être libres et qui croient aux idées de liberté s'est formée.
De quelle liberté exactement parlez-vous, M. Milei ?
Le premier ministre d'Israël Benjamin Netanyahou, votre camarade dans cette lutte pour les idées de liberté, ne fait que resserrer l'étau d'une occupation brutale et illégale des terres ancestrales des Palestiniens et Palestiniennes. Au lieu de libérer le peuple palestinien d'une oppression qui dure depuis des décennies, il ne fait qu'accentuer celle-ci. Il vient de massacrer 48 000 Palestiniens à Gaza ; il en a blessé 112 000. La plupart enfants et femmes. Il a tué 18 000 enfants, dont 1 000 bébés. Dans son zèle pour faire augmenter la liberté d'expression dans le monde, il a libéré la planète d'un nombre record, en temps de guerre, de journalistes ; il a aussi libéré Gaza de journalistes étrangers, défendant à ceux-ci d'y faire des reportages. Il a non seulement libéré Gaza du plus grand nombre, en temps de guerre, d'employés de l'ONU mais il a eu le courage énorme de libérer Gaza, et de fait tous les autres territoires palestiniens occupés, de l'UNRWA, l'immense agence de l'ONU qui, depuis 1948, offre de l'aide humanitaire aux réfugiés palestiniens. Il a libéré 17 000 enfants de leurs parents – ils n'en ont plus ! –, et a libéré un nombre record d'enfants, en temps de guerre, d'un ou deux de leurs membres, les enfants ayant subi une amputation, souvent sans anesthésie aucune parce que votre camarade Netanyahou empêchait l'aide humanitaire d'entrer à Gaza. La Cour pénale internationale a d'ailleurs émis un mandat d'arrêt contre lui pour crimes contre l'humanité, et l'immense majorité de la population de la planète croit que l'invasion de Gaza fut génocidaire.
Votre autre grand camarade dans cette lutte pour les idées de liberté, Donald Trump, accueille, aujourd'hui 4 février, Netanyahou à la Maison Blanche. Il est le tout premier leader d'un pays invité par Trump.
Trump voudrait donner un coup de main au premier ministre d'Israël qui, malgré un effort impressionnant de destruction massive d'infrastructures – Gaza a été réduit à de pures décombres – n'a pas réussi à réaliser son grand objectif – libérer Gaza de ses quelques 2,3 millions de survivants. Ces derniers jours, presque un million de Gazaouis remontent courageusement au nord de Gaza, la plupart à pied. Ils restent obstinément sur leurs terres ancestrales, même si cela veut dire ne vivre que dans de simples tentes !
Que l'Égypte et la Jordanie et d'autres pays arabes accueillent les Gazaouis comme immigrants, affirmait Trump il y a quelques jours, alors qu'exactement au même moment, il procédait lui-même à l'expulsion de son propre pays de milliers d'immigrants, les retournant dans des avions militaires, souvent mains et biens menottés, dans leur pays d'origine !
Je vais utiliser Guantanamo, à Cuba – lieu de détention et de torture qui a fort terni la réputation des États-Unis en termes de droits humains – pour emprisonner les 30 000 immigrants sans papier qui sont extrêmement dangereux, affirme Trump, dans un style carrément fasciste ! Ainsi, dit-il, je ferai d'une pierre deux coups : se trouveront libérés de ces criminels à la fois mon pays et celui d'où ils proviennent !
M. Milei ! De quelle liberté parlez-vous ?
Votre camarade Trump vient de cibler, sans preuve aucune comme d'habitude, les minorités. Fonçant de l'avant comme un soldat courageux qui, dans cette lutte pour les idées de liberté que vous menez ensemble, n'a absolument peur de rien, il affirme que si soixante-sept personnes sont mortes après qu'un avion de ligne eut heurté un hélicoptère militaire en vol près de l'aéroport Ronald Reagan de Washington DC mercredi soir, 29 janvier, c'est à cause du « wokisme malsain » que vous avez eu le courage de dénoncer avec tant de vigueur à Davos. Au lieu d'embaucher une personne compétente comme contrôleur aérien, autrement dit un homme blanc normal, on avait embauché, dit Trump, et ce à cause des programmes de diversité, d'équité et d'inclusion mis en place dans les gouvernements antérieurs, un noir, un Latino, un gay, un musulman, etc.
Comme vous l'aviez déjà fait en Argentine, votre camarade Trump, en prenant le pouvoir, a aboli tous ces programmes ! La liberté progresse dans le monde ! Seront dorénavant libérées de leur emploi des milliers de personnes issues des minorités. Bravo chers combattants pour la liberté !
Juste avant de laisser le pouvoir après avoir imposé une dictature brutale de presque 17 ans, votre voisin, le Chilien Augusto Pinochet, avait pris soin, dans son combat pour le droit à la vie et à la liberté, de durcir considérablement la loi anti-avortement de son pays. L'avortement, stipule la loi No. 18.826 adoptée par Pinochet en 1989, sera interdit en toutes circonstances : Aucune action ne sera entreprise dans le but de provoquer un avortement.
Certes, la lutte de Pinochet pour défendre la liberté, la vie, et la propriété privée ne fut pas facile. Pour y arriver, votre précurseur dans cette voie du néolibéralisme radical que vous empruntez, a dû effectuer, comme votre camarade Netanyahou, des tâches difficiles. Il a dû relever courageusement des défis gigantesques.
Comme vous, M. Milei, Pinochet percevait le socialisme comme le cancer qui ronge l'âme judéo-chrétienne de son peuple. Pour restaurer cette âme, il a dû torturer quelques 27 000 Chiliens et Chiliennes, en emprisonner environ 250 000, soit dans le stade national ou dans des camps de concentration, et en tuer ou faire disparaitre plus de 3000.
J'oubliais un détail. Comme vous, M. Milei, Pinochet se scandalisait devant cette déviation culturelle qui amenait les femmes à porter des pantalons plutôt que des robes ; qui amenait les curés à croire à cette fausse idée qu'est la justice sociale, et à vivre avec et comme les pauvres dans les bidonvilles. Il a donc obligé les femmes à porter des robes et a carrément expulsé du Chili – non pas à Guantanamo, cependant ! – tous ces curés, sauf quelques-uns qu'il a torturés et tués.
Cependant, Pinochet a réussi à faire ce que vous tentez de réaliser présentement : une économie carrément néolibérale où santé, éducation, logement, eau, et même pension, etc. ne sont, comme nous l'indique le gros bon sens, que de simples marchandises à vendre sur le marché. Salvador Allende, que Pinochet a courageusement renversé du pouvoir, croyait à des idées complètement fausses ! Il pensait que tout cela représentait des droits fondamentaux ! Mais quelle stupidité !
M. Milei !
Je fais de mon mieux pour exprimer fidèlement votre pensée et votre vision du monde. Cependant, lectrices et lecteurs trouveront peut-être que je déforme quelque peu vos propos. Que je verse un peu trop dans l'ironie et le sarcasme....
Je vous laisse donc la parole, M. Milei. Vous êtes sans doute mieux placé que moi pour dire ce que vous voulez dire !
Extraits du discours du président argentin Javier Milei à Davos le 23 janvier dernier
Dans mon discours, ici, devant vous l'année dernière, je vous ai dit que c'était le début d'une nouvelle Argentine, que l'Argentine avait été infectée par le socialisme pendant trop longtemps et qu'avec nous, elle allait embrasser à nouveau les idées de liberté ; un modèle que nous résumions dans la défense de la vie, de la liberté et de la propriété privée. (...)
Et voilà qu'un an plus tard, l'Argentine est devenue un exemple mondial de responsabilité fiscale, de respect de nos obligations, de la façon de mettre fin au problème de l'inflation et aussi d'une nouvelle façon de faire de la politique, qui consiste à dire la vérité en face et à faire confiance aux gens pour qu'ils comprennent. (...)
Je suis venu ici aujourd'hui pour vous dire que notre bataille n'est pas gagnée, que si l'espoir renaît, il est de notre devoir moral et de notre responsabilité historique de démanteler l'édifice idéologique du wokisme malsain. Tant que nous n'aurons pas réussi à reconstruire notre cathédrale historique, tant que nous n'aurons pas réussi à faire en sorte que la majorité des pays occidentaux embrassent à nouveau les idées de liberté, tant que nos idées ne seront pas devenues la monnaie courante dans les couloirs d'événements comme celui-ci, nous ne pouvons pas abandonner car, je dois le dire, des forums comme celui-ci ont été les protagonistes et les promoteurs du sinistre agenda du wokisme qui cause tant de dommages à l'Occident. Si nous voulons changer, si nous voulons vraiment défendre les droits des citoyens, nous devons commencer par leur dire la vérité.
Et la vérité, c'est qu'il y a quelque chose de profondément erroné dans les idées qui ont été promues dans des forums comme celui-ci. (...) ...une grande partie du monde libre préfère encore le confort du connu, même si c'est la mauvaise voie, et s'obstine à appliquer les recettes de l'échec. Et la grande pierre d'achoppement qui apparaît comme le dénominateur commun des pays et des institutions qui échouent, c'est le virus mental de l'idéologie du wokisme. C'est la grande épidémie de notre époque qu'il faut soigner, c'est le cancer qu'il faut éliminer.
Cette idéologie a colonisé les institutions les plus importantes du monde, depuis les partis et les États des pays libres de l'Occident jusqu'aux organisations de gouvernance mondiale, en passant par les institutions non gouvernementales, les universités et les médias, et a façonné le cours de la conversation mondiale au cours des dernières décennies. Tant que nous n'aurons pas éliminé cette idéologie aberrante de notre culture, de nos institutions et de nos lois, la civilisation occidentale et même l'espèce humaine ne pourront pas retrouver la voie du progrès que notre esprit pionnier exige.
Il est essentiel de briser ces chaînes idéologiques si nous voulons entrer dans un nouvel âge d'or. (...) L'Occident représente l'apogée de l'espèce humaine, le terreau fertile de son héritage gréco-romain et de ses valeurs judéo-chrétiennes a planté les graines d'un événement sans précédent dans l'histoire. S'imposant définitivement face à l'absolutisme, le libéralisme a inauguré une nouvelle ère de l'existence humaine. Dans ce nouveau cadre moral et philosophique qui place la liberté individuelle au-dessus des caprices du tyran, l'Occident a pu libérer la capacité créatrice de l'homme, initiant un processus de création de richesses jamais vu auparavant.
Je m'excuse, M. Milei, de m'immiscer dans votre discours. Mon seul but, en résumant ici votre pensée, est de raccourcir un peu cet article.
Vous vantez, comme l'avait fait Adam Smith, les progrès immenses que permettait l'arrivée du capitalisme. PIB par habitant montant en flèche, 90% de la population mondiale qui sort de la pauvreté, etc. Et tout cela, vous dites, grâce à une convergence de valeurs fondamentales, le respect de la vie, de la liberté et de la propriété, qui a rendu possible le libre-échange, la liberté d'expression, la liberté de religion et les autres piliers de la civilisation occidentale.
Ensuite, faisant vôtre les idées de Milton Friedman, vous dénoncez l'arrivée du socialisme qui, sous le couvert d'un paradis égalitaire, s'est mis à distribuer la richesse en s'attaquant aux créateurs de cette richesse, les capitalistes, ce qui n'a mené qu'à l'appauvrissement. Peut-être plus dangereux encore que le socialisme, dites-vous, sont ces leaders qui disent adopter le capitalisme mais qui, en avançant des idées complètement erronées comme le droit fondamental à la santé, à l'éducation, au logement, etc. et un wokisme malsain – environnementalisme fanatique, féminisme radical, immigration de masse issue d'une fausse culpabilité, programmes de diversité, d'équité et d'inclusion – finissent par saper ce capitalisme, détruisant ainsi les fondements culturels de notre grande civilisation !
Je vous redonne la parole, M. Milei :
Poussant un programme socialiste, mais opérant insidieusement au sein du paradigme libéral, cette nouvelle classe politique a déformé les valeurs du libéralisme. Elle a remplacé la liberté par la libération, en utilisant le pouvoir coercitif de l'État pour distribuer la richesse créée par le capitalisme. Leur justification était l'idée sinistre, injuste et aberrante de justice sociale, complétée par des cadres théoriques marxistes visant à libérer l'individu de ses besoins. Et au cœur de ce nouveau système de valeurs, le principe fondamental de l'égalité devant la loi ne suffit pas, car il existe des injustices cachées à la base qui doivent être corrigées, ce qui représente une mine d'or pour les bureaucrates qui aspirent à la toute-puissance.
Chacun des piliers de notre civilisation a été transformé en une version déformée de lui-même par l'introduction de divers mécanismes de sa version culturelle. Des droits négatifs à la vie, à la liberté et à la propriété, nous sommes passés à un nombre artificiellement infini de droits positifs. Ce fut d'abord l'éducation, puis le logement et de là, à des choses dérisoires comme l'accès à l'internet, au football télévisé, au théâtre, aux soins esthétiques et à une foule d'autres désirs qui ont été transformés en droits humains fondamentaux, des droits que, bien sûr, quelqu'un doit payer.
Et qui ne peuvent être garantis que par l'expansion infinie et aberrante de l'État. En d'autres termes, du concept de liberté comme protection fondamentale de l'individu contre l'intervention du tyran, nous sommes passés au concept de libération par l'intervention de l'État. C'est sur cette base que s'est construit le wokisme, un régime de pensée unique, et soutenu par différentes institutions dont l'objectif est de criminaliser la dissidence. Féminisme, diversité, inclusion, égalité, immigration, avortement, environnementalisme, idéologie du genre : voilà autant de têtes d'une même créature dont l'objectif est de justifier l'avancée de l'État par l'appropriation et la déformation de nobles causes.
Examinons-en quelques-unes. Le féminisme radical est une distorsion du concept d'égalité et, même dans sa forme la plus bienveillante, il est redondant, puisque l'égalité devant la loi existe déjà en Occident. Tout le reste n'est que recherche de privilèges, et c'est bien là l'essence du féminisme radical : opposer une moitié de la population à l'autre alors qu'elles devraient être du même côté. Nous allons même jusqu'à normaliser le fait que, dans de nombreux pays prétendument civilisés, si vous tuez une femme, cela s'appelle un féminicide, et que cela entraîne une peine plus lourde que si vous tuez un homme, simplement en raison du sexe de la victime.
Légaliser, en fait, que la vie d'une femme vaut plus que celle d'un homme, c'est brandir l'étendard de l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes, mais lorsqu'on examine les données, il est clair qu'il n'y a pas d'inégalité pour une même tâche, mais que la plupart des hommes ont tendance à être mieux payés que la plupart des femmes. Toutefois, elles ne se plaignent pas que la plupart des prisonniers soient des hommes, que la plupart des plombiers soient des hommes, que la plupart des victimes de vols ou de meurtres soient des hommes, et encore moins que la plupart des personnes tuées à la guerre soient des hommes. (...)
Le wokisme se manifeste d'ailleurs par un sinistre environnementalisme radical et la bannière du changement climatique. Préserver notre planète pour les générations futures est une question de bon sens - personne ne veut vivre dans une décharge. Mais là encore, le wokisme a réussi à pervertir cette idée élémentaire de préservation de l'environnement pour le plaisir des êtres humains, et nous sommes passés à un environnementalisme fanatique où l'homme est un cancer qu'il faut éliminer, et où le développement économique n'est rien de moins qu'un crime contre la nature.
Toutefois, lorsqu'on affirme que la Terre a déjà connu cinq cycles de changements brusques de température et que, dans quatre d'entre eux, l'homme n'existait même pas, on nous traite de gens qui croient encore que la terre est plate. Ceci, afin de discréditer nos idées, et sans même tenir compte du fait que la science et les données nous donnent raison.
Ce n'est pas une coïncidence si ces mêmes personnes sont les principaux promoteurs de l'agenda sanguinaire et meurtrier de l'avortement, un agenda conçu sur la base du postulat malthusien selon lequel la surpopulation détruira la terre et que nous devons donc mettre en œuvre un mécanisme de contrôle de la population. En fait, ce principe a déjà été adopté, à tel point que le taux de croissance de la population sur la planète commence aujourd'hui à poser problème.
Quelle tâche ils se sont assignés avec ces aberrations de l'avortement ! Depuis ces forums, ils ont promu l'agenda LGBT, voulant nous imposer que les femmes sont des hommes et que les hommes ne sont des femmes que si c'est ainsi qu'ils se perçoivent, et ils ne disent rien lorsqu'un homme se déguise en femme et tue son rival sur un ring de boxe ou lorsqu'un prisonnier prétend être une femme et finit par violer toutes les femmes qui croisent son chemin en prison. (...) ...dans ses versions les plus extrêmes, l'idéologie du genre constitue une véritable maltraitance des enfants. Ce sont des pédophiles, je veux donc savoir qui cautionne ces comportements.
D'autre part, dans nos entreprises, nos institutions publiques et nos établissements d'enseignement, le mérite a été mis à l'écart par la doctrine de la diversité, ce qui implique une régression vers les systèmes nobiliaires d'antan. On invente des quotas pour toutes les minorités que les politiciens peuvent imaginer, ce qui ne fait que nuire à l'excellence de ces institutions. Le wokisme a également dénaturé la cause de l'immigration ; la libre circulation des biens et des personnes est au cœur du libéralisme, comme nous le savons, l'Argentine, les États-Unis et bien d'autres pays ont été rendus grands par les immigrants qui ont quitté leur patrie à la recherche de nouvelles opportunités.
Cependant, de la tentative d'attirer des talents étrangers pour promouvoir le développement, nous sommes passés à une immigration de masse motivée non pas par l'intérêt national, mais par la culpabilité. L'Occident étant la cause supposée de tous les maux de l'histoire, il doit se racheter en ouvrant ses frontières au monde entier, ce qui aboutit nécessairement à une colonisation à rebours, qui s'apparente à un suicide collectif.
C'est ainsi que nous voyons aujourd'hui des images de hordes d'immigrés abusant, violant ou tuant des citoyens européens qui n'ont commis que le péché de ne pas avoir adhéré à une religion particulière. Mais quand on s'interroge sur ces situations, on est taxé de raciste, de xénophobe ou de nazi. Le wokisme a imprégné nos sociétés si profondément, promu par des institutions telles que celle-ci, que l'idée même de sexe a été remise en question par l'infâme idéologie du genre. (...)
Car en dominant les chaires des universités les plus prestigieuses du monde, elle forme les élites de nos pays à contester et à nier la culture, les idées et les valeurs qui ont fait notre grandeur, endommageant encore davantage notre tissu social. Que reste-t-il pour l'avenir si nous enseignons à nos jeunes à avoir honte de notre passé ? « (...) Le marché étant un mécanisme de coopération sociale où les droits de propriété sont échangés volontairement, la prétendue défaillance du marché est une contradiction dans les termes. La seule chose qu'une intervention de l'État génère, ce sont de nouvelles distorsions du système des prix, qui à leur tour entravent le calcul économique, l'épargne et l'investissement, et finissent donc par engendrer plus de pauvreté ou un enchevêtrement immonde de réglementations, par exemple, comme celles qui existent en Europe, et qui tuent la croissance économique.
Pour cette même raison, puisque le wokisme n'est ni plus ni moins qu'un plan systématique de l'État-parti pour justifier l'intervention de l'État et l'augmentation des dépenses publiques, cela signifie que notre première croisade, la plus importante si nous voulons retrouver l'Occident du progrès, si nous voulons construire un nouvel âge d'or, doit être la réduction drastique de la taille de l'État. Non seulement dans chacun de nos pays, mais aussi dans tous les organismes supranationaux.
Le 1er février, le camarade de Milei, Donald Trump, impose un tarif de 25% sur tous les produits provenant du Canada (pour l'énergie, il sera de 10%) et du Mexique
Au moment même où, en Argentine, plus de deux millions de vos concitoyens et concitoyennes prenaient la rue, samedi 1er février, pour dénoncer les propos que vous teniez à Davos, M. Milei, votre camarade dans la lutte pour les idées de liberté, Donald Trump, annonçait une nouvelle mesure fracassante pour faire avancer cette liberté dans le monde.
Celui, dont l'élan pour une plus grande liberté dans le monde le poussait à affirmer qu'il allait, par une guerre commerciale, faire du Canada un autre état de son pays ; qu'il allait s'accaparer, par la force si nécessaire, le Canal de Panama et le Groenland, annonce, samedi 1er février, qu'à partir du 4 février prochain, il va imposer un tarif de 25% sur les produits provenant du Canada et du Mexique.
Mon tarif pour l'énergie provenant du Canada sera de 10%, poursuit-il.
Et si le gouvernement Trudeau ose riposter en imposant un tarif sur nos produits, je vais simplement augmenter encore plus le tarif sur les produits canadiens !
Le représentant du pays qui, depuis des décennies, a sans cesse prêché, et souvent imposé le libre échange aux autres pays, surtout les plus pauvres de la planète ; le Donald Trump dont la marque de commerce est de faire des ‘deals', et qui avait conclu avec le gouvernement Trudeau et le gouvernement mexicain le ‘deal' qu'est le libre-échange USA-Mexique-Canada ; le Donald Trump dont la grande spécialité, qu'il a perfectionnée pendant des années dans son émission de télévision The Apprentice, est de manipuler la population en lui faisant croire aveuglément au récit qu'il invente, plante un couteau tarifaire dans le dos du Canada et du Mexique.
Le Canada et le Mexique nous traitent très mal, annonce-t-il ! Notre déficit commercial avec eux est énorme. Et ils laissent entrer chez nous une immense quantité de fentanyl et d'immigrants illégaux !
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Derrière la guerre russe, le conflit de classes

Volodimir Ichtchenko est sociologue et collaborateur scientifique de l'Osteuropa-Institut [Institut de l'Europe orientale] à la Freie Universität [Université Libre] de Berlin.
Texte original : The class conflict behind Russia's war
https://alameda.institute/publishing/dossier-ukraine/.
Traduction de Gérard Billy à partir de la version allemande (légèrement abrégée) parue dans SoZ 1 Januar 2025. avec vérification et compléments tirés du texte original.
Contraintes intrinsèques et contradictions du capitalisme rentier post-soviétique
À l'origine de l'invasion de l'Ukraine, il n'y a pas simplement l'expansionnisme de Vladimir Poutine. Il y a un projet du capitalisme russe, celui que lui-même et ses alliés mettent en œuvre depuis l'effondrement de l'Union Soviétique, écrit Volodimir Ichtchenko, dans un article qui se donne pour objectif « d'expliquer comment les fondements politiques et idéologiques de l'invasion reflètent les intérêts de la classe dominante ».
Poutine n'est pas un déséquilibré avide de pouvoir, pas plus qu'il n'est un exalté habité par une idéologie ni un malade mental. En faisant la guerre à l'Ukraine, il défend les intérêts collectifs rationnels de la classe dirigeante russe. Il n'est pas du tout inhabituel que les intérêts de classe collectifs ne se recoupent que partiellement avec ceux des représentants individuels de cette classe, ou même les contredisent. Mais quelle est en réalité la classe qui gouverne en Russie – et quels sont ses intérêts collectifs ?
Si on demande quelle classe est au pouvoir en Russie, à gauche, la réponse sera probablement la plupart du temps : des capitalistes. Dans l'espace post-soviétique, le citoyen moyen les traitera sûrement de voleurs, escrocs, ou mafieux. Une réponse se voulant légèrement plus intellectuelle sera : des oligarques. Il est facile d'écarter les réponses de ce type comme reflétant une fausse conscience. Cependant, une démarche analytique plus productive consisterait à se demander pourquoi les citoyens post-soviétiques soulignent l'aspect brigandage et l'interdépendance étroite entre le monde des affaires privées et l'État, qui est contenue dans le terme « oligarques ».
Nous avons besoin de nous attaquer sérieusement à la spécificité du monde post-soviétique.
Historiquement, l'« accumulation primitive » s'est faite dans et par le processus de désintégration centrifuge qui a emporté l'État et l'économie soviétiques. Le politologue Steven Stolnick a qualifié ce processus de « brigandage aux dépens de l'État ».
Les membres de la nouvelle classe dominante ont, ou bien privatisé la propriété étatique (et souvent pour « trois francs six sous »), ou bien saisi les occasions, nombreuses, de siphonner les profits provenant d'établissements formellement publics pour les faire aboutir dans les poches de personnes privées. Ils ont mis à profit leurs relations informelles avec des fonctionnaires de l'État et les possibilités légales, souvent ouvertes à cette seule fin, de fraude fiscale massive et de fuite des capitaux, tout en organisant simultanément des prises de contrôle hostiles sur les entreprises dans le but d'engranger à court terme des gains rapides.
L'économiste russe Ruslan Dzarasov a formalisé ces pratiques avec le concept de « rente d'initié » : grâce au contrôle qu'ils exercent sur les flux financiers des entreprises, les initiés, qui dépendent des relations qu'ils entretiennent avec les détenteurs du pouvoir, perçoivent des revenus qui ont un caractère analogue à celui d'une rente. On trouvera assurément des pratiques de ce genre aussi dans d'autres parties du monde, mais le rôle qu'elles jouent dans la formation et la reproduction de la classe dominante russe est bien plus important en raison des formes prises par la transformation post-soviétique à ses débuts, avec l'effondrement centrifuge du socialisme d'État et la reconsolidation politico-économique qui a suivi sur une base clientéliste.
D'autres chercheurs de premier plan, comme le sociologue hongrois Iván Szelényi qualifient ce genre de phénomène de « capitalisme politique ». À la suite de Max Weber, on pourrait dire que le capitalisme politique se caractérise par le fait d'utiliser l'occupation de fonctions politiques pour accumuler une richesse privée. Je dirais que les capitalistes politiques sont la fraction de la classe capitaliste dont le principal atout compétitif réside dans les privilèges qui lui sont octroyés de par ses liens avec l'État, par opposition aux capitalistes qui fondent leur supériorité sur des innovations technologiques ou le coût particulièrement bas de la force de travail.
On ne trouve pas des capitalistes politiques seulement dans les pays post-soviétiques, mais ils prospèrent principalement dans les régions où l'État joue traditionnellement un rôle dominant dans l'économie et a accumulé un capital immense qui est désormais à la disposition de l'exploitation privée.
Le concept de capitalisme politique est capital pour comprendre en quoi, lorsqu'il parle de « souveraineté » ou de « sphères d'influence », le Kremlin ne tient pas un discours irrationnel tissé de concepts périmés. En même temps, cette rhétorique n'exprime pas nécessairement l'intérêt national de la Russie, mais elle reflète directement les intérêts de classe des capitalistes politiques russes.
Si les privilèges accordés par l'État sont un facteur décisif pour accumuler de la richesse, ces capitalistes n'ont pas d'autre choix que de marquer avec précision les contours du territoire sur lequel ils exercent un contrôle monopolistique, contrôle qui ne peut être partager avec aucune autre fraction de la classe capitaliste.
Contradictions internes
Normalement, dans les États capitalistes, la bourgeoisie ne se mêle pas directement de la conduite de l'État. La bureaucratie étatique jouit en règle générale d'une large autonomie vis-à-vis de la classe capitaliste, qu'elle sert cependant en établissant et mettant en œuvre les règles qui profitent à l'accumulation capitaliste. Les capitalistes politiques, eux, ne sont pas demandeurs de règles générales, ils veulent en revanche pouvoir contrôler de près les décideurs politiques. Ou bien ils investissent eux-mêmes les postes de responsabilité politique et les mettent au service de leur enrichissement privé.
Un grand nombre des figures emblématiques classiques du capitalisme entrepreneurial ont profité de subventions de l'État, de réglementations fiscales avantageuses ou de mesures protectionnistes variées. Mais à l'inverse des capitalistes politiques, leur survie et leur expansion sur le marché ne dépendent que rarement du personnel politique affecté à telle ou telle fonction, de l'occupation du pouvoir par tel ou tel parti ou de tel ou tel type de régime politique. Le capital transnational pourrait tout à fait survivre et survivrait même sans les États-nations où il a son siège. Les capitalistes politiques ne peuvent s'en tirer dans la compétition mondiale s'ils ne disposent pas au moins d'un territoire où ils puissent récolter des rentes d'initiés sans immixtion extérieure.
La corruption est pour cette raison un problème endémique du capitalisme politique, même quand celui-ci est géré par une bureaucratie efficace, technocratique et autonome.
Le meilleur exemple d'un capitalisme politique qui a réussi, c'est la Chine. Mais en Russie, à la différence de la Chine, les institutions du PC soviétique se sont désintégrées, elles ont été remplacées par un régime qui s'appuie sur des réseaux clientélistes personnels qui ont faussé la façade formelle de la démocratie libérale pour la faire fonctionner à leur profit. Souvent, les initiatives visant à moderniser et professionnaliser l'économie s'en trouvent contrariées.
Mais, pour le dire sans fard, on ne peut pas sempiternellement voler aux mêmes endroits. Il devient nécessaire de muer pour aller vers un modèle différent de capitalisme pour maintenir le taux de profit, que ce soit par des investissements en capital ou en intensifiant l'exploitation de la force de travail – ou bien il faut s'étendre dans l'espace pour trouver de nouvelles sources d'extraction de la rente.
Réinvestissement et exploitation de la force de travail se heurtent l'un et l'autre à des entraves structurelles dans le capitalisme politique post-soviétique. D'un côté, beaucoup hésitent à se lancer dans des investissements à long terme, quand leur modèle d'entreprise et même la détention de leur titre de propriété dépendent fondamentalement de la présence de certaines personnes aux manettes du pouvoir. En général, il est apparu plus judicieux de placer simplement les gains obtenus sur des comptes offshore.
D'un autre côté, la main-d'oeuvre post-soviétique est urbanisée, bien formée et coûteuse. Les salaires relativement bas pratiqués dans la région ne sont possibles que parce qu'il subsiste une infrastructure matérielle développée et des institutions sociales que l'Union Soviétique a laissées en héritage. Celui-ci représente une lourde charge pour l'État, mais il n'est pas possible de s'en défaire sans saborder le soutien de secteurs-clés de l'électorat.
Aspirant à mettre fin aux rivalités entre capitalistes politiques qui étaient la marque des années 90, les dirigeants bonapartistes du type Poutine et autres autocrates post-soviétiques ont amorti la guerre de tous contre tous en servant les intérêts de certaines fractions de l'élite et en réprimant les autres – sans pour autant rien changer aux fondements du capitalisme politique.
En Ukraine
Quand l'expansion prédatrice a commencé à se cogner à ses limites internes, les élites russes ont tenté de la délocaliser, pour maintenir la rentabilité de leurs investissements en augmentant les dimensions de leur champ d'action. D'où l'intensification des projets d'intégration sous direction russe comme l'Union Économique Eurasienne. Celle-ci s'est heurtée à deux obstacles. Le premier était relativement secondaire : les capitalistes politiques locaux. En Ukraine, par exemple, ceux-ci étaient intéressés par l'énergie russe à bon marché, mais ils tenaient aussi à leur propre droit souverain de récolter les rentes d'initiés afférentes à leur territoire. Ils ont pu instrumentaliser le nationalisme antirusse pour légitimer leurs propres prétentions sur la partie ukrainienne de l'État soviétique en décomposition, mais sans réussir à mettre au point un projet propre de développement national.
L'alliance entre le capital transnational et les classes moyennes professionnelles dans l'espace post-soviétique, politiquement représentées par les sociétés civiles pro-occidentales en lien avec les ONG, a davantage bousculé en donnant une idée de ce qui pourrait pousser au milieu des ruines d'un socialisme d'État dégradé et désintégré. Pour l'intégration post-soviétique menée par la Russie, elle était un obstacle plus important. De là est né le principal conflit politique qui agite l'espace post-soviétique, lequel a culminé avec l'invasion de l'Ukraine.
La stabilisation bonapartiste décrétée par Poutine et autres dirigeants post-soviétiques a favorisé la croissance d'une classe moyenne professionnelle. Une fraction d'entre elle profite des avantages du système, p.ex. quand elle est employée dans l'appareil d'État ou dans des entreprises d'État stratégiques. Mais une grande majorité est néanmoins exclue du capitalisme politique.
Les plus importantes chances d'améliorer leurs revenus et de faire carrière, de même que de gagner en poids politique, sont liées à la perspective d'une intensification des relations politiques, économiques et culturelles avec l'occident. Ces personnes sont en même temps l'avant-garde du soft power occidental. L'intégration dans des institutions à direction européenne (UE) ou américaine (USA) représentent pour elles un projet de modernisation de substitution, pour entrer dans le « vrai » capitalisme aussi bien que dans le « monde civilisé » en général. Cela signifie par la force des choses une rupture avec les élites post-soviétiques, leurs institutions et la mentalité socialiste profondément enracinée des masses plébéiennes « arriérées » qui, après le désastre des années 90, tiennent au moins à une certaine stabilité.
Pour la plupart des Ukrainiens, cette guerre est une guerre d'autodéfense. Le reconnaître ne doit pas faire oublier l'abîme qui sépare leurs intérêts de ceux qui prétendent parler en leur nom.
Le caractère profondément élitiste du projet pro-occidental est la raison qui explique pourquoi celui-ci n'est parvenu dans aucun des pays post-soviétiques à devenir réellement hégémonique, même quand il était soutenu par un nationalisme antirusse historique. Même maintenant, la coalition négative qui s'est mobilisée contre l'invasion russe, ne signifie pas que les Ukrainiens sont unis autour d‘un agenda positif déterminé. Ceci explique aussi la neutralité sceptique du Sud global quand il est sommé de se solidariser, ou bien avec un prétendant au pouvoir mondial (la Russie), ou bien avec un candidat à l'intégration à l'occident (l'Ukraine), dont l'objectif n'est pas de lutter contre l'impérialisme, mais de s'associer à celui qui réussit le mieux.
Ce que signifie « lutte contre la corruption »
La discussion concernant le rôle de l'occident dans les enchaînements qui ont conduit à l'invasion russe se concentre en règle générale sur les gesticulations menaçantes de l'OTAN en direction de la Russie. Mais si on prend en considération la structure politique spécifique du capitalisme politique, on voit immédiatement pourquoi une intégration de la Russie à l'occident n'aurait jamais pu fonctionner sans une transformation politique radicale de celle-ci.
Il était totalement impossible d'intégrer les capitalistes politiques post-soviétiques dans des institutions dirigées par l'occident alors que le but explicite de celles-ci était de les éliminer comme classe en les privant de leur avantage concurrentiel le plus important : les privilèges sélectifs que leur accordaient les États post-soviétiques.
Ce qui s'appelle l'agenda anticorruption est un chapitre essentiel, sinon même le chapitre le plus important des projets forgés par les institutions occidentales pour l'espace post-soviétique. Ceux-ci sont repris dans leur ensemble par la classe moyenne pro-occidentale de la région. Mais pour les capitalistes politiques, l'aboutissement de cet agenda signifierait leur mort politique et économique.
Devant l'opinion publique, le Kremlin s'efforce de présenter la guerre comme une lutte pour la survie de la Russie comme nation souveraine. L'enjeu principal est néanmoins d'assurer la survie de la classe dominante russe et de son modèle de capitalisme politique. La restructuration « multipolaire » de l'ordre mondial résoudrait le problème pour un certain temps.
Voilà pourquoi le Kremlin tente de vendre son projet – qui n'a pour motivation que ses intérêts de classe – aux élites du Sud global en leur faisant miroiter qu'elles conserveraient leur propre « zone d'influence » souveraine, fondée sur leur droit à « représenter une civilisation ».
La crise du bonapartisme post-soviétique
Les intérêts contradictoires des capitalistes politiques post-soviétiques, des classes moyennes professionnelles et du capital transnational constituent la structure du conflit politique d'où a surgi en fin de compte la guerre actuelle. Mais la crise de l'organisation politique des capitalistes politiques a exacerbé les menaces qui pèsent sur elle.
Les régimes bonapartistes comme celui de Poutine ou d'Alexandre Loukachenko au Belarus reposent sur un soutien passif et dépolitisé et tirent leur légitimité du fait qu'ils ont surmonté le désastre de l'effondrement post-soviétique, et non d'un consentement actif qui garantirait l'hégémonie politique de la classe dirigeante. Ce type de régime autoritaire personnalisé est fondamentalement fragile en raison du problème de la succession. Il n'existe pas de règles ou de traditions claires pour transférer le pouvoir, pas d'idéologie articulée à laquelle un nouveau dirigeant devrait adhérer, et pas de parti ou de mouvement dans lequel celui-ci pourrait être socialisé. La question de la succession représente le point faible où les conflits internes au sein de l'élite peuvent s'échauffer dangereusement et par où les soulèvements d'en bas ont le plus de chances de réussir.
De tels soulèvements se sont multipliés à la périphérie de la Russie ces dernières années : non seulement l'Euromaidan ukrainien de 2014, mais aussi les révolutions en Arménie, la troisième révolution au Kirghizstan, le soulèvement raté de 2020 au Belarus et, plus récemment, le soulèvement au Kazakhstan. Dans les deux derniers cas, le soutien russe s'est avéré crucial pour assurer la survie du régime local.
En Russie même, les rassemblements « Pour des élections équitables » organisés en 2011 et 2012, ainsi que les mobilisations ultérieures inspirées par Alexei Navalny, n'ont pas été négligeables. À la veille de l'invasion, l'agitation sociale grossissait, tandis que les scrutins montraient une baisse de la confiance en Poutine et un nombre croissant de personnes souhaitant qu'il se retire. Il est à noter que l'opposition à Poutine était d'autant plus forte que les personnes interrogées étaient jeunes.
Aucune des dites révolutions de couleur post-soviétiques n'a représenté par elle-même une menace existentielle pour les capitalistes politiques post-soviétiques comme classe. Elles ont seulement amené au pouvoir d'autres fractions de la même classe, et ce faisant, aggravé la crise de la représentation politique à laquelle elles avaient tout d'abord été une réaction. C'est ce qui explique la fréquence de ce genre de protestation.
Les révolutions de couleur sont, comme le dit le politologue Beissinger, des révolutions citoyennes et citadines typiques de notre époque. En s'appuyant sur une énorme quantité de données statistiques, il montre que les révolutions citoyennes et urbaines, à la différence des révolutions sociales du passé, n'affaiblissent que passagèrement les dominations autoritaires et ne renforcent les sociétés civiles que provisoirement. Elles ne débouchent ni sur une organisation politique plus solide ou plus égalitaire, ni sur des transformations démocratiques durables.
Il est significatif que les « révolutions de couleur » s'étant déroulées dans les pays post-soviétiques aient affaibli l'État et rendu les capitalistes politiques locaux plus vulnérables face à la pression du capital transnational – tant directement qu'indirectement par l'intermédiaire des ONG pro-occidentales. En Ukraine, par exemple, après l'Euromaidan, FMI, G7 et société civile se sont opiniâtrement attachés à la mise en place d'institutions « anti-corruption » .
Les huit années qui se sont écoulées ensuite n'ont vu éclater aucun scandale de corruption d'une certaine ampleur. En revanche a été institutionnalisée la surveillance d'importantes entreprises étatiques et du système judiciaire par des citoyens d'États étrangers et des activistes anti-corruption, restreignant ainsi pour les capitalistes politiques autochtones les possibilités d'engranger des rentes d'initiés. Les capitalistes politiques russes ont de bonnes raisons de se sentir devenir nerveux en voyant les problèmes dans lesquels sont embarqués ces oligarques ukrainiens jadis si puissants.
La date de l'invasion, de même que l'erreur de pronostic de Poutine croyant à une victoire rapide et facile peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs : ainsi l'avance temporaire de la Russie en matière d'armement hypersonique, la dépendance de l'Europe par rapport à l'énergie russe, la répression de l'opposition dite pro-russe en Ukraine, la stagnation du protocole de Minsk de 2015 après la guerre du Donbass, ou bien encore le fonctionnement défaillant des services de renseignement russes en Ukraine.
J'ai cherché à esquisser à grands traits le conflit de classe qui est à l'arrière-plan de l'invasion, à savoir entre les capitalistes politiques intéressés par l'expansion territoriale pour soutenir le taux de rente, d'une part, et le capital transnational allié aux classes moyennes professionnelles – qui ont été exclues du capitalisme politique – d'autre part.
Le concept marxiste d'impérialisme ne peut être utilement appliqué à la guerre actuelle que si nous pouvons identifier les intérêts matériels qui la sous-tendent. En même temps, le conflit ne concerne pas seulement l'impérialisme russe. Le conflit actuellement résolu en Ukraine par les chars, l'artillerie et les roquettes est le même que celui que les matraques de la police ont réprimé au Belarus et en Russie même.
L'aggravation de la crise d'hégémonie post-soviétique – l'incapacité de la classe dominante à mettre sur pied une direction politique, morale et intellectuelle stable – est la cause principale de l'escalade de la violence.
Conséquences contradictoires
La classe dirigeante russe n'est pas uniforme. Il y a des secteurs à qui les sanctions occidentales font subir de lourdes pertes. Mais la relative autonomie du régime russe par rapport à la classe dominante lui permet de défendre les intérêts collectifs de long terme indépendamment des pertes endurées par certains représentants ou certains groupes. En même temps, la crise qui, à la périphérie de la Russie,secoue des régimes analogues, alourdit les menaces existentielles qui pèsent sur la classe dominante russe prise dans sa totalité.
Les fractions plutôt souverainistes du capital politique russe ont pris l'avantage sur celles qui se prêteraient à des compromis, mais même ces dernières comprennent probablement qu'elles perdraient toutes à la chute du régime.
Avec cette guerre, le Kremlin a tenté de désamorcer ces menaces à l'horizon d'un avenir prévisible, en se donnant pour but ultime une restructuration « multipolaire » de l'ordre mondial. En dépit de son coût élevé, la guerre donne une légitimité au découplage de la Russie par rapport à l'occident et rend en même temps extrêmement difficile de revenir en arrière après l'annexion de nouveaux territoires ukrainiens.
En même temps, la clique russe au pouvoir élève l'organisation politique et la légitimité idéologique de la classe dominante à un niveau supérieur. Il y a déjà des signes indiquant une évolution vers un régime politique autoritaire renforcé, plus idéologique et volontariste, s'inspirant explicitement du modèle plus efficace du capitalisme politique chinois.
Pour Poutine, cela représente pour l'essentiel une nouvelle étape du processus de consolidation post-soviétique qu'il a démarré au début des années 2000 en mettant au pas l'oligarchie russe. Au récit un peu flou de la première phase, mettant en avant la prévention des catastrophes et le rétablissement de la « stabilité », succède un nationalisme conservateur plus nettement articulé, lequel prend pour cibles à l'étranger l'Ukraine et l'Occident, et à l'intérieur les « traîtres » cosmopolites. C'est à peu près le seul langage idéologique disponible dans le contexte de la crise idéologique post-soviétique.
Certains auteurs avancent que le renforcement d'une politique d'hégémonie par en haut peut favoriser la montée d'une politique contre-hégémonique plus vigoureuse par en bas. Si cela est exact, il se pourrait que le tournant du Kremlin en direction d'une politique idéologiquement plus marquée et se voulant plus volontaire, crée les conditions d'une opposition politique de masse mieux organisée, plus consciente et plus enracinée dans les classes populaires que n'en a jamais vu aucun pays post-soviétique, et ouvrir en fin de compte la voie à une nouvelle vague de révolution sociale.
Une évolution de ce genre pourrait à son tour modifier fondamentalement l'équilibre des forces sociales et politiques dans cette partie du monde, avec une possibilité de mettre fin au cercle vicieux dans lequel elle se débat depuis l'effondrement de l'Union Soviétique il y a à peu près trente ans.
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Le techno-féodalisme est un Léviathan de pacotille

Qu'exprime le retour au pouvoir de Donald Trump et plus spécifiquement son alliance avec Elon Musk et les patrons de Meta, Amazon, Google, etc. ? Une nouvelle étape dans l'ascension de seigneurs techno-féodaux, analyse icil'économiste Cédric Durand, qui s'interroge également sur la politique qu'il nous faudrait opposer à ce qui pourrait bien constituer un « grand événement de l'histoire universelle. »
3 février 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/techno-feodalisme-leviathan-trump-musk/
Dans, L'homme sans qualité, le grand Roman de Robert Musil qui se déroule à Vienne dans l'année qui précède la première guerre mondiale, le général Stumm fait à Ulrich, le personnage principal, une remarque dont le narrateur nous dit qu'elle est pleine de sagesse :
« Vois-tu, tu voudrais toujours qu'on soit clair (…). Certes, j'admire ce trait, mais si tu pensais historiquement, une fois ? Comment donc ceux qui participent immédiatement à un grand évènement pourraient-ils savoir à l'avance s'il sera un grand évènement ? Tout au plus en s'imaginant qu'il en est un ! Si tu me permets un paradoxe, j'affirmerai donc que l'histoire universelle est écrite avant de se produire : elle commence toujours par être des racontars ».
Les racontars du grand évènement en cours sont ceux qui entourent l'arrivée au pouvoir de Donald Trump et le vent glacial qu'a fait souffler la cérémonie d'investiture du 20 janvier 2025 sur la situation politique mondiale. Si l'avalanche de décrets [executive orders] – plus d'une centaine en une semaine – et d'agressions verbales étaient attendues, la mise en scène de la fusion entre le pouvoir politique et les géants de la Tech américaine fut une surprise.
Contrairement à l'usage qui veut que les premières places soient réservées aux anciens présidents et aux autres invités d'honneur, Mark Zuckerberg de Meta, Jeff Bezos d'Amazon, Sundar Pichai de Google et Elon Musk de Tesla étaient à proximité immédiate du président. Plus à l'arrière, Tim Cook d'Apple, Sam Altman d'Open AI et Shou Zi Chew de Tik Tok se trouvaient, mêlés dans la petite foule des dignitaires du nouveau régime, avec Barack Obama, Georges W. Bush, les Clinton et les ministres choisis par Trump lui-même.
Quelques heures plus tard, les deux saluts nazis d'Elon Musk adressés à la foule des supporter trumpistes ne faisait que conforter de la pire manière l'avertissement donné par Joe Biden au peuple étasunien au moment de quitter la maison blanche : “une oligarchie dotée d'une richesse, d'un pouvoir et d'une influence extrêmes est en train de prendre forme en Amérique et menace directement notre démocratie tout entière”. Ce constat du président sortant, trop tardivement lucide, ne mord pas.
D'abord parce que l'influence des plus riches aux États-Unis donne depuis longtemps un caractère oligarchique au régime politique. Ensuite, parce que ces milliardaires de la Tech furent très majoritairement, jusqu'à ces dernières années, des soutiens du parti démocrate et des adversaires déclarés de Donald Trump. Celui-ci ne manqua d'ailleurs pas de le souligner : “Ils l'ont déserté”. “Ils étaient tous avec lui, chacun d'entre eux, et maintenant ils sont tous avec moi.-”.
La question cruciale porte sur la nature de ce réalignement de la Tech : s'agit-il d'un simple revirement opportuniste, dans les mêmes grands paramètres systémiques, ou bien d'un moment de rupture digne de la qualification de grand évènement de l'histoire universelle ? Risquons-nous à cette seconde hypothèse.
Le contraire d'un absolutisme
Trump aime les hommages ostentatoires. Lorsque les puissants courtisans s'empressent auprès du souverain, « The great estate of Palm Beach », comme il appelle sa résidence de Mar el Lago, ne prend-il pas des airs de petit Versailles ? Mais Trump n'a rien d'un apprenti Louis XIV.
Loin d'une reprise en main centralisatrice du pays, son retour au pouvoir s'effectue sous le signe du rejet de l'interventionnisme et des restrictions imposées par l'administration Biden : si l'argent du fossile était acquis à Trump, le basculement de la tech et de la frange la plus mobilisée de la finance répond à la vigoureuse politique anti-trust menée par Lina Khan, à l'attitude défiante vis-à-vis des cryptos de Gary Gensler à la tête de la Security Exchange Commission et à l'orientation modérément progressiste des démocrates sur le plan de la fiscalité.
Autrement dit, le ralliement des entrepreneurs de la Tech à Trump s'effectue sous le signe de la réaction et vise à l'élargissement de leur champ d'action. Y compris sur la scène internationale où ils comptent sur l'activisme de la nouvelle administration, notamment en Europe, pour faire bouger les lignes réglementaires et fiscales en leur faveur.
Deux décrets signés par Donald Trump le jour même de son investiture ne laissent aucun doute sur l'orientation prise. Le premier révoque une décision de Joe Biden relative à la sécurité des systèmes d'intelligence artificielle qui obligeait “les développeurs de systèmes d'IA qui présentent des risques pour la sécurité nationale, l'économie, la santé ou la sécurité publique des États-Unis à partager les résultats des tests de sécurité avec le gouvernement américain”.
En somme, les autorités publiques gardaient un droit de regard sur les évolutions à la frontière de l'IA. Ce n'est plus le cas. On peut objecter que si les promesses de la Tech sont loin d'être toujours tenues, il doit en être de même pour les menaces existentielles que la foison de dystopies numériques envisage. Maigre consolation. S'agissant de la technologie la plus disruptive de notre époque, avec la volonté de se soustraire à toute forme de supervision publique, c'est l'intention qui compte.
L'autonomisation des Big Tech du fait de la dérégulation de l'IA se double d'une forme de subordination de la puissance publique. Dans la même rafale inaugurale, un second décret annonce la création du Department of Government Efficiency (DOGE service), dont la direction est confiée à Musk, sur la base de la réorganisation du US Digital Services (USDS).
L'USDS a été institué sous l'administration Obama pour mieux intégrer les systèmes d'information entre les différentes branches du gouvernement. Pour Richard Pierce, un professeur de droit à l'université George Washington, cette manière d'intégrer DOGE au gouvernement fédéral va fonctionner, c'est-à-dire qu'elle va « lui donner une plate-forme de surveillance et de projection de ces recommandations » . La nouvelle entité dispose en effet ainsi d'un accès illimité aux données non classifiées de toutes les agences gouvernementales.
Il est difficile de surestimer les potentielles conséquences de cette nouvelle situation. Mais la première mission confiée à DOGE ce même 20 janvier, permet d'imaginer ce que cela implique. Sous le label “reformer le processus fédéral de recrutement et rétablir le mérite dans la fonction publique », la nouvelle administration entend exercer un contrôle beaucoup plus étroit sur les fonctionnaires, notamment en ce qui concerne leur « engagement en faveur des idéaux, des valeurs et des intérêts américains » et leur volonté de « servir loyalement le pouvoir exécutif ».
A cette fin de surveillance politique, DOGE est convoqué de manière à “intégrer des technologies modernes pour soutenir le processus de recrutement et de sélection […et..] veiller à ce que les responsables des départements et des agences, ou les personnes désignées par eux, participent activement à la mise en œuvre des nouveaux processus et à l'ensemble du processus de recrutement ». En somme, Musk et ses machines se voient confier l'encadrement politique des fonctionnaires fédéraux, ce qui nourrit à juste titre les craintes de chasse aux sorcières et de politiques discriminatoires magnifiées par la puissance algorithmique.
Le fond de ces deux décisions ne souffre d'aucune ambiguïté : d'un côté, les entrepreneurs de la Tech se débarrassent de la supervision publique pour leurs applications les plus sensibles ; de l'autre, le cœur de ce qui fait l'État – la gestion des carrières de la bureaucratie – se soumet à leur dispositif de surveillance. Le nouveau trumpisme n'est donc pas un absolutisme car il ne vise pas à opérer l'unification politique des classes dominantes dans l'État fédéral. Son essence est au contraire d'émanciper la fraction la plus offensive du capital de toute contrainte sérieuse de la part de l'État fédéral tout en mettant l'appareil administratif sous son contrôle.
Il serait folie de ne pas prendre au sérieux l'affirmation au cœur de la principale puissance mondiale d'un projet aussi radical. Le grand évènement qui s'esquisse touche aux rapports entre Capital et État et pourrait affecter tant les rapports de classe que les relations internationales. C'est une velléité de techno-féodalisme aux visées hégémoniques globales qu'on peut décrire à grands traits.
A l'assaut de la puissance publique
Tout d'abord, il faut rappeler que si la transformation des rapports économiques associée au déploiement des technologies numériques rend possible le techno-féodalisme, cela ne résulte pas d'un déterminisme technique. En Chine où l'essor des Big Tech est, comme aux États-Unis, remarquable, les rapports entre celles-ci et l'État sont volatiles mais marqués par la persistance d'une capacité de la puissance publique à imposer un alignement du secteur avec des objectifs développementistes définis par le politique.
En Occident, l'exemple de la Libra offre une autre illustration du fait que le techno-féodalisme est résistible. En 2018, Facebook fut à l'initiative de ce projet de crypto monnaie. Pour les plus de 2 milliards d'utilisateurs de la plateforme cette crypto aurait eu l'avantage d'offrir un moyen pratique et bon marché de transférer de l'argent dans le monde entier. Pour le réseau social l'opportunité de profit était évidente : plus d'engagement des utilisateurs, plus de données grâce aux opérations commerciales et des revenus additionnels issus des commissions sur les transactions. Mais, en 2021, le verdict final des parlementaires, du département étasunien du Trésor et de la Fed est tombé : Niet. L'échelle du projet était telle qu'il représentait une menace en termes de risque financier systémique, de concentration de pouvoir économique, voire de fragilisation du dollar.
De l'autre côté de l'Atlantique, à la banque des règlement internationaux, Benoît Cœuré ne fait pas mystère de ce qui est en jeu : « la mère de toutes les questions politiques […] est l'équilibre des pouvoirs entre le gouvernement et les Big Tech dans l'élaboration de l'avenir des paiements et du contrôle des données qui y sont liés”. Face aux crypto-monnaies, il est essentiel que les autorités publiques développent des monnaies numériques de banques centrales.
Quatre ans plus tard, la première décision de Donald Trump en ce domaine prend l'exact contrepied de la position de Cœuré : d'un côté, il laisse le champ libre aux zélateurs des crypto-monnaies en appelant à la mise en place d'une régulation qui soutienne « l'innovation dans les actifs financiers numériques et les blockchains ». De l'autre, il lie les mains des banques centrales en exigeant “des mesures qui protègent les Américains des risques liés aux monnaies numériques des banques centrales (MNBC) (….), notamment en interdisant l'établissement, l'émission, la circulation et l'utilisation d'une telle monnaie dans la juridiction des États-Unis ”.
Moins d'État plus de Big tech. Ou plus tôt, une dislocation de l'autonomie du politique sous l'emprise du capital numérique telle est donc la première caractéristique du techno-féodalisme qui se met en place aux Etats-Unis. Le mouvement général est le suivant : 1) la monopolisation des connaissances va de pair avec la centralisation des moyens algorithmiques de coordination des activités humaines ; 2) en l'absence de contrepoids du côté de la puissance publique, elle donne lieu à déplacement du pouvoir d'organisation du social dans les mains des Big Tech ; 3) le corolaire est une capacité hors norme et croissante d'influence de ces acteurs privés sur les comportements individuels et collectifs.
La fragmentation de conversation publique par les réseaux sociaux, la volonté de capture du pouvoir monétaire par le biais crypto-monnaies et, plus fondamentalement, la tentative de centralisation de ce que Marx appela le général intellect par l'IA participent de ce même mouvement de déplacement du pouvoir politique un peu plus loin des institutions publiques.
La haine de l'égalité
La privatisation tendancielle du politique, c'est-à-dire l'affaiblissement des médiations des rapports entre classes et fractions de classe ouvre un abime de questions qu'on laissera de côté ici. Mais elle s'accompagne d'une pulsion antidémocratique qui renvoie à un second trait du techno-féodalisme : la haine de l'égalité.
Au début des années 1990, le manifeste Cyberspace and the American Dream [Le cyberspace et le rêve américain] était hanté par le radicalisme de l'icône libertarienne Ayn Rand. Son idéologie qui prône le droit des pionniers à enfreindre toute règle collective pour mener à bien leur action créatrice tend jusqu'à aujourd'hui un miroir complaisant dans lequel nombre d'entrepreneurs de la tech aiment se reconnaître. La sortie de Marc Zuckerberg plaidant pour davantage d'énergie masculine » n'est que la pointe émergée d'une culture sexiste omniprésente dans le secteur de la Tech qui manifeste la brutalité d'une passion pour l'inégalité.
Le culte randien de la performance et le mépris de ceux considérés comme faibles ou déviants – femmes, racisés, pauvres, trans…- sont les deux faces d'une même pièce. C'est ce socle qui a rendu possible le rapprochement rapide avec l'extrême droite. Et c'est lui encore que l'on trouve dans le dédain pour l'intégrité de la personnalité qu'exprime le refus de la régulation en matière numérique, c'est-à-dire le primat donné au droit à l'innovation des grandes firmes sur la protection des individus et du commun dans la gouvernementalité algorithmique.
Un régime prédateur
Le troisième caractère distinctif de ce régime émergent résulte de la substitution de la logique productiviste/consumériste du capitalisme par un principe de prédation et d'attachement. Si l'appétit de profit reste aussi vorace que dans les périodes précédentes du capitalisme, chez les Big Tech les ressorts de la recherche de profit ont changé. Quand le capital traditionnel investit pour baisser les coûts ou servir de nouveaux besoins solvables le capital techno-féodal investit pour prendre le contrôle de champs d'activité sociale de manière à créer des rapports de dépendance qu'il peut ensuite monétiser.
Les services que proposent les monopoles numériques ne sont pas des produits comme les autres. D'abord, ils constituent des infrastructures critiques : la panne géante de Microsoft à l'été 2024 a rappelé qu'un bug pouvait impacter significativement l'activité dans un grand nombre de secteurs tels que les aéroports, les hôpitaux, les banques, les administrations, la grande distribution….
Ensuite, en utilisant massivement leurs services, nous renforçons le pouvoir de ces géants américains, qui ne cessent d'apprendre sur la base des données que nous générons. Plus nous faisons appel à leurs services, plus Microsoft, Google, Amazon et l'empire de Musk renforcent leur avance commerciale et technologique, ce qui rend leurs services encore plus performants et ainsi la dépendance plus aiguë. Enfin, sur le plan économique, cette subordination se paye cash en termes de capture de valeur. La facture que règle les états et les entreprises aux Big Tech ne cesse d'enfler.
Dans le jeu à somme nulle qui s'installe, la contrepartie de l'accélération de l'accumulation dans les Big Tech, c'est la stagnation ailleurs. A l'échelle de l'économie mondiale, c'est une question de développement inégal, dont l'Europe est désormais aussi une victime, amenée dans ce domaine à rejoindre la totalité des autres pays, à l'exception de la Chine.
Au sein du capital, c'est une stratification qui se met en place dans laquelle une grande part des géants économiques des autre secteurs sont progressivement relégués au second plan à mesure qu'ils accroissent leur dépendance au cloud et à l'IA. Quand bien même l'engouement boursier pour l'IA a une dimension spéculative, synonyme d'instabilité, les mouvements de capital considérables autour de la Tech depuis une décennie correspondent à une réorganisation économique de grande ampleur dont la conséquence est une concentration et une centralisation extrême de l'accumulation du capital.
Au sein de la population, la logique est celle d'une polarisation aggravée, les inégalités corollaires à l'exploitation capitaliste étant redoublées par l'appropriation rentière de valeur par les monopoles intellectuels. Last but not least, le principe de prédation est aussi celui qui préside à la réification du vivant et au pillage de la nature. Les besoins effrénés de ressources que requiert le numérique se traduisent par des destructions écologiques qui, du point de vue des humains, sont aussi une perte de valeur d'usage donnant à la croissance ainsi générée a un caractère antiéconomique.
Chercher la contradiction
Pour la gauche, l'emprise directe sur les processus politiques des dirigeants de la Tech et l'alignement tendanciel de l'appareil d'État étasunien et de sa projection globale sur leurs intérêts posent des questions stratégiques épineuses. Quelle place donner au combat contre les Big Tech ? Comment l'articuler au combat anticapitaliste qui la définit, fonde son ancrage populaire et tisse le lien avec les mouvements sociaux ? Quel sens donner à l'internationalisme face à un adversaire techno-féodal qui déborde d'emblée les cadres nationaux ?
Il n'existe pas de réponses simples à ces questions. A un moment où, dans nombre de pays, notamment en Europe, la dégradation de l'emploi vient fragiliser un peu plus la situation d'un monde du travail déjà malmené par le choc inflationniste et où l'agenda de l'extrême droite progresse à grand pas, il n'est pas évident de définir la place à accorder à une menace moins immédiate et plus insaisissable.
Cette difficulté n'est pas sans rappeler celle qui se pose dans l'articulation des combats écologiques et pour la justice sociale. A la différence cependant qu'avec le tandem Trump-Musk, l'offensive techno-féodale prend la forme d'une agression ouverte face à laquelle vont rapidement se dessiner les figures classiques de la capitulation, de la collaboration et de la résistance. Or pour ce genre de configuration, la gauche historique dispose d'une riche expérience théorique et pratique, notamment dans le contexte de la lutte antifasciste et des mouvements de libération nationale.
On doit à Mao Tse-Toung, dans son texte classique De la contradiction (1937) une des manières les plus ramassées de saisir le problème. Et c'est le philosophe Slavoj Žižek qui nous en donne la quintessence :
La contradiction principale (universelle) n'est pas superposable à la contradiction qui doit être traitée comme dominante dans une situation particulière – la dimension universelle réside littéralement dans cette contradiction particulière. Dans chaque situation concrète réside une contradiction ‘particulière' distincte, au sens précis où, pour remporter la bataille de la résolution de la contradiction principale, il convient de traiter une contradiction particulière comm
e la contradiction prédominante à laquelle doivent être subordonnées toutes les autres luttes.
Dans le contexte actuel, la contradiction principale, universelle, reste celle née de l'exploitation capitaliste qui oppose de manière antagonique le capital au travail vivant. Mais l'offensive techno-féodale risque de déboucher rapidement sur une situation dans laquelle l'opposition aux Big Tech étasuniennes passerait au premier plan, devenant la contradiction prédominante, celle dont la résolution est un prérequis pour remporter la bataille principale. Lorsque nous en serons là, si nous n'y sommes pas déjà arrivés, les tâches de la gauche vont s'en trouver bouleversées.
Prenant l'exemple des guerres coloniales dont fut victime la Chine, Mao explique ainsi :
Quand l'impérialisme lance une guerre d'agression contre un tel pays, les diverses classes de ce pays, à l'exception d'un petit nombre de traîtres à la nation, peuvent s'unir temporairement dans une guerre nationale contre l'impérialisme. La contradiction entre l'impérialisme et le pays considéré devient alors la contradiction principale et toutes les contradictions entre les diverses classes à l'intérieur du pays (y compris la contradiction, qui était la principale, entre le régime féodal et les masses populaires) passent temporairement au second plan et à une position subordonnée.
Les conditions d'un front anti-techno-féodal
Dans la configuration qui nous intéresse, cette plasticité tactique implique d'être prêt à la constitution d'un front anti-techno-féodal qui inclurait, au-delà des forces de gauche, des forces démocratiques, y compris donc des fractions du capital en rupture avec les Big Tech.
Pour échapper au processus de colonisation numérique, son agenda devrait-être celui d'une politique numérique non-alignée avec pour objectif de créer un espace économique pour que les différentes couches constitutives alternatives aux Big Tech puissent se développer. Cette stratégie de souveraineté implique simultanément une forme de protectionnisme numérique – ou de démantèlement si l'on se situe aux États-Unis, et un nouvel internationalisme technologique fondé sur des coopérations à géométrie variable qui permettent d'opérer à des échelles suffisamment vastes.
Mais la perspective d'une telle alliance de circonstance ne doit pas créer d'illusions. D'abord, les contours de celle-ci sont aujourd'hui extrêmement incertains. La confusion idéologique résultant d'une situation qui se transforme à grande vitesse est bien sûr en cause, mais des raisons structurelles jouent aussi. Parce que le capitalisme contemporain se caractérise par des formes complexes d'interpénétration et d'articulation des différents capitaux entre les secteurs et les territoires, il est difficile de lire où et comment des fissures vont se former et s'élargir au point de devenir des oppositions et quels vont être les points institutionnels où il faudra appuyer pour les travailler.
Ensuite, parce que la mise en œuvre du programme qui la cimentera ne va pas de soi. Une des grandes leçons des expériences développementistes est que, souvent, la bourgeoisie nationale échoue. Faute de discipline suffisante, les capitaux domestiques adoptent une attitude rentière dans laquelle la puissance publique devient une vache-à-lait, meilleure à reproduire les inégalités existantes qu'à impulser la transformation structurelle qui permettrait de rompre la dépendance.
Enfin, parce que la puissance de la gouvernementalité algorithmique et l'impératif écologique de parcimonie obligent à anticiper les risques de capture bureaucratique. La résistance au techno-féodalisme doit avoir une dimension populaire. L'implication directe des masses dans la bataille passe par la question des usages et des outils numériques. Mais elle ne s'y limite pas. L'opposition au techno-féodalisme exige la construction de capacités administratives et de politiques industrielles pour orienter l'investissement. Les mettre sous tension démocratique implique d'y adjoindre des contre-pouvoirs et d'établir des formes de contrôle sur les ressources mobilisées afin de générer des boucles de rétroactions nécessaire pour soutenir la légitimité de l'action publique.
Les milliardaires de la Tech ne sont pas seulement des riches qui convoitent la proximité du pouvoir pour défendre leurs intérêts ploutocratiques. Ces capitalistes sont des seigneurs techno-féodaux en devenir, déterminés à saisir l'opportunité de leur alliance avec Trump pour abattre les derniers obstacles politiques à l'instauration d'un nouvel ordre social fondé sur la projection et la manipulation des algorithmies afin de centraliser la valeur produite par le travail et d'imposer leurs lubies millénaristes.
Cette ascension techno-féodale n'a rien d'inéluctable. L'étroitesse extrême de la base sociale sur laquelle elle repose, son aspiration à faire disparaître les médiations politiques ou encore les valorisations financières fictives auxquelles elle donne lieu en font un échafaudage vulnérable. La brutalité avec laquelle le projet avance garantit que la détestation qu'il suscite va aller croissant. Déjà, au sein même de la galaxie MAGA, Steve Bannon promet de combattre de toutes ses forces les tentatives de Musk « mettre en œuvre le techno-féodalisme à l'échelle mondiale ».
Sous les coups de boutoirs des prouesses numériques chinoises, le vernis des prétention suprématiste des géants de la côte ouest s'écaille, instillant le doute sur leur invincibilité. Le techno-féodalisme étasunien est un Leviathan de pacotille. Mais la nature de la coalition qui va l'abattre reste incertaine. Si la gauche est à sa tête, alors, vraiment, il faudra comme le général Stumm parler de grand évènement.
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Prendre au sérieux l’alliance des tours et des bourgs. Pour un antiracisme de classe

Le weekend du 11 et 12 janvier se sont tenues à Pantin à l'appel de plusieurs organisations et collectifs, dont Contretemps, des journées de débat sur le thème « L'alliance des tours et des bourgs ? Chiche ! ». Nous reprenons ici l'intervention de Stathis Kouvélakis. Les vidéos de ces journées sont disponibles ici, ici et ici.
28 janvier 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/alliance-tours-bourgs-antiracisme-classe/
Nous l'avions dit lors du meeting organisé en juillet dernier, dans la foulée des législatives : le sursaut qui a permis de mettre un coup d'arrêt à la marche vers le pouvoir de l'extrême droite n'est qu'un sursis. Il en faut bien davantage pour inverser la tendance, battre durablement l'extrême droite et propulser une véritable alternative de gauche, c'est-à-dire portée par une gauche de rupture. Sans minorer l'importance de la mobilisation multiforme qui a permis ce sursaut, il convient d'en souligner la fragilité et tenir un langage de vérité et non d'autosatisfaction ou d'optimisme forcé.
La percée de l'extrême droite dans les classes populaires
Voici donc quelques faits, sous forme de chiffres, qui devraient inciter à réflexion. Commençons par ceux justement des législatives. Il est vrai que, démentant tous les sondages, le NFP est arrivé en tête du second tour en termes de sièges, et le RN en 3e position seulement. Mais il n'en reste pas moins qu'en termes de suffrages, le RN se place nettement en tête, aussi bien au premier qu'au second tour, avec, respectivement, 1 million et 3 millions de voix de plus que le total de la gauche.
Cette avance inverse l'ordre d'arrivée des précédents scrutins nationaux. En 2022, la gauche avait en effet nettement devancé l'extrême droite aux deux tours des élections législatives, et fait jeu égal au premier tour de la présidentielle. Force est donc de constater que la dynamique électorale est aujourd'hui du côté de l'extrême droite. Celle-ci progresse à chaque scrutin, et franchit désormais nettement la barre des 30%, tandis que la gauche stagne autour d'un petit tiers des voix, soit un niveau d'une faiblesse inédite depuis plus d'un siècle. Elle ne parvient d'ailleurs même pas à atteindre cet étiage bas lorsqu'elle se présente rassemblée, ce qui, rappelons-le, ne s'était jamais produit pour un scrutin législatif avant 2022 et dément l'idée intuitive que l'unité débouche sur un total supérieur à la somme des parties.
La question qui se pose dès lors est celle des fondements de cette évolution différentielle. Allons directement au nœud du problème : le moteur de la dynamique de l'extrême droite se trouve dans la position dominante qu'elle a su au fil des années conquérir au sein des classes populaires, en particulier dans ce qu'on peut considérer comme leur épicentre, les ouvriers et les employés. Et rien n'indique que cette dynamique se soit atténuée ou, a fortiori, inversée. Regardons quelques données de sociologie électorale tirées d'enquêtes réalisées le jour du vote[1].
En 2017, au 1er tour de la présidentielle, l'extrême droite obtient 42% du vote des ouvriers, 39% de celui des employés, un groupe composé aux trois quarts de femmes. En 2022, au même tour de scrutin, les scores sont respectivement de 47% et de 39%. Au premier tour des législatives de juin dernier, ils dépassent les 50% et les 44% selon les instituts de sondages. Même en tenant compte de l'abstention, 31% des ouvriers et 28% des employés ont voté pour l'extrême droite, soit une proportion égale à celle de l'abstention, pourtant élevée dans ces catégories.
On ne peut donc plus dire, comme ce fut naguère le cas, que l'abstention est le premier parti chez les ouvriers et les classes populaires[2]. Si au fil des scrutins, l'extrême droite progresse dans toutes les catégories de la population, sa progression la plus importante continue de s'opérer au sein des classes travailleuses. Ce phénomène apporte également un démenti flagrant aux théories dominantes chez les politologues selon lesquelles les classes moyennes diplômées sont le socle de toute stratégie électorale gagnante.
L'évolution du vote du gauche est une image inversée de ce qui précède : dans ces mêmes catégories elle se situe dans les scrutins présidentiels autour de sa moyenne nationale, à savoir un petit tiers. Les trois quarts environ de cette part revient au vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon, seul candidat de gauche à obtenir des résultats un tant soit peu significatifs parmi les ouvriers et les employés. Dans le scrutin législatif de mai dernier les scores du NFP sont particulièrement faibles dans ces catégories, ce qui renvoie à une abstention sensiblement supérieure à la moyenne, et qui semble avoir touché davantage l'électorat de LFI que celui de la gauche dite « modérée ». A l'inverse, la gauche, et surtout cette gauche « modérée », obtient des scores supérieurs à sa moyenne nationale dans le salariat dit intermédiaire et les cadres et professions intellectuelles, des catégories par ailleurs moins touchées par l'abstention.
Que viennent faire dans ce tableau les « tours » et les « bourgs » ? La réponse réside dans une lecture spatiale, ou géospatiale, de ces résultats. Il apparaît en effet clairement que le vote RN progresse en proportion inverse de la taille de l'agglomération. A l'inverse, le vote de gauche, en particulier celui de LFI, est nettement polarisé vers les grandes agglomérations. Lors de la dernière présidentielle, Mélenchon est arrivé en tête dans les villes de plus de 30 mille habitants, et Le Pen en 3e position, l'écart étant presque de 1 à 3 pour les villes de plus de 100 mille habitants.
À l'inverse, la candidate d'extrême droite était nettement en tête dans les bourgs de moins de 3500 habitants, l'écart variant du simple au double pour les communes de moins de 1000 habitants. Plus préoccupant encore, dans ces petites communes, le score de Mélenchon est en recul par rapport à 2017, alors qu'au niveau national il progresse de plus de deux points. Lors des dernières législatives, le RN devance de nouveau nettement la gauche dans les agglomérations de moins de 50 mille habitants, l'écart s'approchant du simple au double pour celles de moins de 10 mille habitants.
De là vient naturellement l'image des « tours » et des « bourgs », avec sa part de vérité mais aussi d'illusion. Car ce qui apparaît comme une question territoriale renvoie en fait à une double fracture : tout d'abord une fracture de classe. Ces différentiels de comportement électoral ne renvoient pas à des qualités intrinsèques aux espaces en question mais avant tout à la projection spatiale d'une polarisation de classe. Chassées par la spéculation immobilière, les classes populaires quittent les grandes agglomérations, en particulier les centres-villes, et investissent massivement les espaces qu'on appelle « périurbains » et « ruraux », eux-mêmes très diversifiés. A l'inverse, dans les villes se concentre une population plus jeune, plus diplômée et la très grande majorité de l'emploi de cadres (dont 45% est concentré en Ile de France). Dit autrement, le différentiel s'explique avant tout par la différence de composition sociale entre ces espaces[3].
Mais une deuxième ligne de fracture intervient aussitôt, qui comporte elle une projection spatiale, à savoir la fracture raciale. Les fractions racisées des classes travailleuses se retrouvent davantage dans les grandes agglomérations, en particulier dans leurs banlieues populaires, ou même dans les poches populaires subsistantes des centres-villes, tandis que les classes travailleuses blanches les quittent, ou bien demeurent dans des espaces périphériques où se maintient un tissu industriel, souvent dégradé. Ce que désigne donc la métaphore des tours et des bourgs, qui n'est une métaphore à manier avec précaution, c'est l'enchevêtrement de cette double fracture, en d'autres termes la dynamique de racisation de la fracture de classe de la société française.
Trois écueils pour une politique antiraciste
Qui dit racisation dit racisme car c'est bien le racisme qui produit les races et non l'inverse. Aussi bien l'expérience ordinaire de la réalité sociale que le travail militant et les multiples travaux sociologiques consacrés à cette question nous informent que le racisme est bien au cœur de l'adhésion croissante à l'extrême droite, une force politique dont le racisme constitue la colonne vertébrale idéologique. Ceci étant dit, qui nous semble peu prêter à controverse, plusieurs écueils se présentent, qui entravent la compréhension du phénomène et empêchent le déploiement de stratégies aptes à le combattre.
Premier écueil, l'idée selon laquelle le racisme serait l'apanage de l'électorat d'extrême droite, présenté de la sorte comme une excroissance pathologique de la société française. Cela revient à nier le fait massif que le racisme est un phénomène structurant de ladite société, qu'il est enraciné dans son histoire longue, notamment coloniale, dans ses institutions et dans son fonctionnement économique. Il serait absurde de penser que celles et ceux qui ne votent pas pour l'extrême droite en seraient préservés. Et pourtant, l'extrême droite est restée politiquement marginale jusqu'au début des années 1980. Il a fallu donc le basculement dans une conjoncture nouvelle, à la fois sur le plan économique, social et politique pour que le racisme préexistant se traduise sur le champ politique par la percée électorale et idéologique d'une formation d'extrême droite.
Les éléments de cette conjoncture ont été analysés maintes fois, je ne ferai donc que les énumérer rapidement : contre-réforme néolibérale et liquidation du compromis social de l'après-guerre. Ralliement de la gauche dite de gouvernement à ces politiques néolibérales, donc trahisons répétées des attentes qu'elle a pu susciter. Transformation des partis, en particulier des partis de gauche, en simples machines électorales et rétrécissement spectaculaire de leur base sociale, détachée de sa composante ouvrière et populaire au profit des classes moyennes et diplômées.
Affaiblissement dramatique du tissu syndical, associatif, culturel, qui, malgré ses lacunes et ses biais, notamment raciaux, a assuré pendant plus d'un siècle la présence concrète de la gauche dans le quotidien des classes populaires et permis de déjouer au moins partiellement leur fracturation. Renforcement de cette exclusion du champ politique par la dépossession démocratique impulsée par la mondialisation du capitalisme néolibéral, orchestrée en France et dans cette région du monde par l'Union européenne. En parallèle, ralliement de la droite et de la gauche de gouvernement au consensus raciste et autoritaire, fait de discours et de politiques anti-immigration, islamophobes et de plus en plus axées sur la répression.
C'est dans ce contexte qu'émerge ce que les sociologues ont appelé la « conscience triangulaire » à savoir le fait que les classes populaires se définissent par opposition aux élites qui les dominent mais aussi à celles et ceux qui se trouvent « en-dessous » d'elles, à savoir les minorités racisées. Celles-ci leur apparaissent comme d'autant plus menaçantes qu'elles représentent à la fois une forme de déchéance contre laquelle il s'agit de se défendre, par la revendication de blanchité et de francité, mais aussi un concurrent.
Un concurrent d'autant plus redoutable que les avantages de cette blanchité nationale sont perçues comme fragiles, remises en causes par des mécanismes échappant à leur contrôle, que ce soit la mondialisation, le retrait de l'Etat social et de sa logique d'universalité des droits, l'arrogance des élites politiques et intellectuelles ou les transformations d'un marché du travail structuré de façon croissante par le capital scolaire et la logique des diplômes. C'est dans cette conscience triangulaire que réside la mentalité de qu'on appelle parfois de « petit blanc », pour désigner le racisme ordinaire des classes populaires blanches, avec le risque d'énonciation à partir d'une position de surplomb que comporte ce vocable et qui ne peut, à mon sens, que reconduire le problème qu'il est censé mettre à distance.
La politisation du racisme qui est le carburant de la montrée de l'extrême droite renvoie donc à un ensemble de tendances lourdes qui traversent la société française et sans doute la plus grande partie du monde. Le racisme est intrinsèquement une façon globale d'organiser et de percevoir des questions d'ordre matériel, qui relèvent de la division sociale du travail, du logement, du système scolaire, du mode de vie. Et aussi, j'y reviens dans un instant, une façon de se situer sur le plan symbolique, au premier lieu celui de l'appartenance nationale, l'ensemble s'inscrivant dans la logique des rapports capitalistes qui structurent l'ensemble du monde social. C'est pourquoi il est parfaitement trompeur, pour ne pas dire pathétique, de le présenter comme un problème de « valeurs », d'ordre simplement moral ou culturel, ce qu'on désigne parfois comme « le sociétal ».
Cette façon de voir se décline de deux façons : l'une relève du mainstream libéral, l'autre imprègne cette gauche qui s'obstine à contourner la question du racisme. Dans la vision libérale, les classes populaires sont perçues comme frustes et culturellement arriérées, donc, s'agissant des classes populaires blanches, comme plus ou moins naturellement ou spontanément racistes. On se retrouve alors face au choix suivant : l'adaptation à cette vision, et c'est la version conservatrice qui incite à en rabattre sur les « valeurs progressistes ». Ou alors, c'est la version morale et « humaniste », le pari qu'une bonne pédagogie permettra à ces couches de s'ouvrir aux valeurs « universalistes » prétendument portées par les classes moyennes éduquées.
Pour la gauche qui se veut colorblind, disons, pour aller vite, celle que représente François Ruffin, le racisme n'est qu'une fausse conscience, un voile d'illusions appelé à se dissoudre dès lors que les « vrais » problèmes, d'ordre socioéconomique, sont mis en avant, moyennant un discours adéquat. Cette approche pêche d'une part par son économisme, à savoir la croyance que des revendications économiques, pour cruciales qu'elles soient, suffisent en elles-mêmes à dépasser la fragmentation produites par le jeu des petites différences matérielles et symboliques, redoublées par les effets des discours racistes qui saturent la sphère publique.
Cette croyance économiciste s'accompagne, d'autre part, de la confiance dans les vertus d'une bonne petite pédagogie humaniste, celle que François Ruffin désigne, je le cite dans le texte, comme son « laïus, mille fois répété : ‘Devant la justice, la police, la santé, l'éducation, qu'importe notre religion, notre couleur de peau, nous devons être tous et toutes égaux' ». On peut effectivement lui accorder que ce n'est qu'un laïus, c'est-à-dire, selon la définition du Larousse un « discours vague, creux et emphatique ». Un laïus qui remplit pourtant une fonction précise, à savoir l'idée parfaitement illusoire que pour détacher les classes populaires de l'emprise de l'extrême droite il faut renoncer à combattre le racisme.
À ce premier écueil vient s'ajouter un second, qui est en quelque sorte son symétrique inversé. Non pas contourner le problème, ou penser qu'on peut s'en tirer à peu de frais, voire en lui cédant une part de terrain, mais le considérer comme un fait intangible. Donc faire une croix sur les secteurs populaires qui sont tombés dans l'orbite de l'extrême droite, en les considérant comme irrécupérables car imprégnés de racisme. Le combat antiraciste se ramène ainsi à une dénonciation permanente des « racistes » qui « votent mal » et grossissent les rangs de l'électorat d'extrême droite. Alors qu'elle en perçoit la fonction sociale et politique, cette conception du racisme aboutit paradoxalement à une attitude moralisatrice semblable à celle de la vision libérale.
L'issue résiderait-elle alors dans un secteur de la société qui serait plus ou moins préservé de la contamination raciste, qu'il faudrait chercher parmi les « abstentionnistes » ? Mais les abstentionnistes ne sont pas un groupe nettement séparé du corps des votants. L'abstentionnisme n'est pas une sécession définitive mais le résultat d'une participation électorale intermittente.
Ainsi, au cours d'une année électorale combinant scrutin présidentiel et législatif, seuls 14% des inscrits n'ont participé à aucun scrutin. Bien entendu, cette participation est inégale selon l'âge et les catégories sociales : elle varie du simple au double entre ouvriers et cadres et du simple au triple entre les jeunes et les plus âgés. Sa constante progression est un élément central de l'exclusion politique des classes populaires qui caractérise l'ère néolibérale à l'échelle internationale. Il va donc de soi que l'élargissement de la base de la gauche, et tout particulièrement de la gauche de rupture, passe par une mobilisation accrue de la jeunesse et des classes populaires, racisées ou non.
Mais l'abstentionnisme est un agrégat hétérogène tant socialement que sur le plan idéologique. Du fait justement de l'intermittence croissante de la participation, on y retrouve les mêmes grandes tendances que parmi les votants. C'est pourquoi le RN s'est également révélé capable d'y puiser des forces, d'autant que sa position dominante parmi les classes populaires, combinée à son absence de toute expérience de pouvoir, en fait le réceptacle privilégié d'un vote de défiance. La conclusion qui me semble s'imposer est qu'au vu de l'état actuel des rapports de forces, la gauche ne peut retrouver une dynamique majoritaire, donc une possibilité de victoire, sans gagner une partie substantielle des classes populaires blanches actuellement sous l'emprise de l'extrême droite.
Quelle stratégie pour l'antiracisme ?
Comment saper la base populaire du bloc d'extrême droite et unifier les classes travailleuses et populaires, telle est la question stratégique que nous devons affronter de toute urgence. Une autre réponse se présente ici, c'est celle qui passe par les affects, ressort indispensable de la constitution de tout groupe. Son point fort est qu'elle place la focale sur le facteur subjectif. Il est en effet certain que les sujets racistes sont d'abord soudés par l'affect. Ils partagent des stéréotypes qui les constituent en communauté et produisent en miroir la communauté de leurs cibles.
Pourtant, s'il constitue un puissant ciment, l'affect ne suffit pas en lui-même à constituer le groupe. Les affects n'existent pas à l'état pur, dans une sorte de communion intersubjective sans autre condition que leur propre circulation. Les affects durables et partageables sont structurés par un ensemble de représentations et de discours. Disons pour faire vite qu'ils s'encastrent dans une idéologie. Et pour agir à une échelle de masse, une idéologie doit communiquer, fut-ce de façon biaisée, avec des expériences réelles, c'est-à-dire avec les intérêts matériels des groupes sociaux antagonistes.
L'affect raciste a donc besoin d'une grille d'interprétation de la réalité, qui comporte plusieurs niveaux d'élaboration, qui vont du langage ordinaire et de ses clichés jusqu'aux visions d'ensemble systématisées, qui se donnent mêmes les apparences d'une connaissance savante du monde. Dans une configuration partiellement refoulée de nos jours, les discours racistes s'adossaient à la pseudo-science coloniale fondée sur l'idée d'une hiérarchie naturelle des races. Aujourd'hui, ils relèvent davantage d'un essentialisme culturaliste et d'une sociologie de bazar. Leur objectif est de « démontrer » le lien entre immigration, chômage et délinquance, ou l'incompatibilité entre islam et République, ou encore l'existence d'un « grand remplacement », dans un retour explicite au bon vieux racisme biologique qui n'était de toute façon jamais bien loin.
Allons au plus pressé : la médiation idéologique fondamentale du discours raciste est celle de la nation. Les groupes racisés ne sont pas tant perçus comme des étrangers, des éléments extérieurs à la société, mais bien davantage comme des « étrangers de l'intérieur », c'est-à-dire comme des faux nationaux, des nationaux toujours en manque de la véritable essence nationale. Être racisé en France aujourd'hui c'est avant tout subir un « déni de francité » pour reprendre l'expression de Patrick Simon et de Vincent Tiberj. C'est pourquoi du reste l'islamophobie est le nom actuellement dominant du racisme même si l'« islam » ne renvoie pas en tant que tel à une race, tout comme d'ailleurs le terme d'« immigré ». Le fantasme raciste consiste alors à restituer l'intégrité supposée perdue ou menacée de la nation en la débarrassant d'une façon ou d'une autre de cet élément dissolvant. Le conflit de classe est ainsi déplacé en conflit racial, toujours présenté comme une forme de purification nationale.
Mais, aussi désirable et radicale qu'elle puisse paraître, l'exclusion des « ennemis de l'intérieur » ne suffit pas. Elle demande à être complétée par des mesures d'inclusion à destination des « bons nationaux », ou du moins par une promesse de telles mesures. A défaut de résoudre le chômage et la misère par l'économie de guerre et l'expansion territoriale, à l'instar du fascisme des années 1930, l'extrême droite actuelle promet du protectionnisme et une forme de redistribution interne aux classes populaires, consistant à déshabiller les uns pour soi-disant mieux vêtir les autres. Certes, ce programme social est vague et criblé de contradictions. Il n'en constitue pas moins un ingrédient constitutif du projet d'ensemble, car indispensable au maintien de sa base populaire, comme on le voit par exemple par le fait que le RN continue de défendre, au moins formellement, l'abrogation de la réforme des retraites, la baisse de certaines taxes frappant la consommation populaire et même, malgré son aversion des fonctionnaires, certains services publics.
Plutôt que de se livrer à des diatribes morales, qui ne font que conforter son image de donneuse de leçons, la gauche ferait donc mieux de s'attacher à déconstruire sans relâche ce programme social et montrer en quoi les classes populaires blanches n'ont rien de substantiel à gagner de son application. En d'autres termes, que les avantages symboliques et les micro-privilèges matériels de la blanchité sont dérisoires comparées aux ravages d'un cadre capitaliste néolibéral que l'extrême droite ne ferait que radicaliser si elle parvenait au pouvoir, notamment en écrasant toute contestation. Si elle n'est pas suffisante en elle-même, cette partie de la démonstration me semble essentielle : on ne gagnera jamais une partie quelconque des classes populaires durement frappées par des décennies de saccage social, et tout particulièrement les classes travailleuses blanches, si on ne les convainc pas qu'elles ont quelque chose à gagner matériellement en se tournant vers la gauche.
Le deuxième volet de cette même démonstration est que pour gagner véritablement quelque chose, il faut le prendre aux vrais possédants, et non aux plus proches, et orienter vers cette cible les affects négatifs qui surgissent de la situation d'injustice et d'oppression. On ne peut donc séparer, même à ce niveau, l'économique de l'idéologique, l'affect de l'intérêt matériel. Et l'efficacité de cette démonstration d'ensemble dépend largement de sa possibilité d'être portée sur le terrain, par un travail d'enracinement militant et de reconstitution d'un maillage de proximité aujourd'hui déficient.
Dialectiser le rapport à la nation
Mais cela n'est qu'une partie de la réponse. L'autre partie se joue sur le terrain qui apparaît comme celui privilégient l'extrême droite, et, plus généralement, les forces conservatrices et réactionnaires, à savoir le terrain de la nation. La thèse que je soutiens est la suivante : oui, la nation est l'opérateur nécessaire du racisme, la manière dont le conflit de classe est nié, neutralisé, ou rendu invisible. Mais la nation est aussi un terrain contesté, celui où peut se construire un peuple nouveau, dépassant la fracture raciale, celui où peut se construire une volonté collective de transformation sociale, celui qui n'enferme pas dans des frontières mais se conçoit comme la médiation nécessaire à la mise en œuvre d'un projet émancipateur qui les dépasse. Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels écrivaient que « comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique », il doit « s'ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation ». En d'autres termes, la nation est le terrain où se joue la capacité de direction, celle de l'hégémonie d'une classe et du bloc social qu'elle rassemble autour d'elle.
Aujourd'hui, dans les mouvements populaires qui ont éclaté un peu partout dans le monde au cours des dernières décennies, de l'Amérique latine aux printemps arabes, et des occupations des places espagnoles ou grecques aux Gilets jaunes, on a vu surgir en masse les drapeaux nationaux, et eux seuls. Ce message venant d'en bas, des peuples insurgés contre l'injustice, n'était nullement celui du nationalisme et du racisme mais celui, démocratique et égalitaire, qui disait : « nous sommes le peuple », « le pays est à nous », « nous avons le droit de décider de notre devenir collectif ». C'était également une telle volonté qui a majoritairement animé le non français de 2005 au TCE, et aussi celle qui a fait triompher en 2011 le non du peuple grec aux diktats de la Troïka européenne, des votes que les élites politiques des deux pays se sont empressées de fouler aux pieds.
Cette notion de souveraineté populaire n'a comme seul cadre d'exercice concret, du moins dans un premier temps, que le cadre national. En l'assumant, elle renoue avec la conception révolutionnaire de la nation, celle de 1789 et de 1793, celle aussi de la Commune de Paris, qui se dressait contre une bourgeoisie qui préférait capituler devant Bismarck plutôt que de céder au peuple, comme elle préféra par la suite Hitler au Front populaire. Cette souveraineté est émancipatrice et internationaliste à condition d'assumer aussi la part obscure de l'histoire nationale, les réalités de la colonisation et de l'impérialisme, pour mener à son terme un travail de décolonisation des pratiques, des institutions et des esprits. Cette « reconquête de la souveraineté populaire » dont parle Houria Bouteldja dans son dernier ouvrage rejoint la construction de cette « nouvelle France » qu'évoque Jean-Luc Mélenchon. Une France désoccidentalisée, multiraciale, solidaire des peuples du Sud, à commencer par le peuple palestinien. Seule une telle vision de la nation peut porter un projet contre-hégémonique, une alternative de pouvoir en mesure de battre le fascisme et de mettre fin à la longue nuit néolibérale.
Pantin, 11 janvier 2025.
Notes
[1] Chiffres des sondages jour du vote IPSOS.
[2] Comme le soulignait notamment Annie Collowald, un constat encore valide au début des années 2000, quand le score national du FN se situait entre 18% (présidentielle de 2002) et 10,4% (présidentielle de 2007).
[3] Cf. notamment les analyses d'Olivier Bouba-Olga ici et ici. Cf. également les données de l'INSEE montrant l'accroissement des disparités sociales entres quartiers dans la plupart des grandes villes.
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Grossesse forcée : Les politiques oppressives du régime iranien à l’égard des femmes

En Iran, les femmes sont confrontées à une discrimination systémique inscrite dans le cadre juridique du pays.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/28/grossesse-forcee-les-politiques-oppressives-du-regime-iranien-a-legard-des-femmes/?jetpack_skip_subscription_popup
Le régime iranien a mis en œuvre et appliqué une série de politiques oppressives qui violent les droits des femmes, allant des lois sur le hijab obligatoire aux grossesses forcées, en passant par les restrictions à l'avortement, les mariages d'enfants, la violence domestique et le féminicide.
Cet article se penche sur ces questions et souligne que les femmes iraniennes sont soumises à certaines des lois les plus répressives au monde. Nous nous penchons sur l'impact de ces lois sur la vie des femmes en Iran.
Les lois misogynes du régime iranien
Le régime iranien a une longue histoire de promulgation de lois qui suppriment les droits des femmes. L'une de ces lois est la « Loi sur la protection de la famille et la croissance démographique des jeunes », adoptée le 16 octobre 2021 et promulguée par le président Ebrahim Raïssi, aujourd'hui décédé, le 19 novembre 2021.
Cette loi vise à accroître la population en encourageant les naissances, souvent au détriment de la santé et de l'autonomie des femmes. En vertu de cette loi, les professionnels de la santé qui pratiquent des avortements de manière répétée sont qualifiés d'« ennemis de Dieu », une accusation passible de lourdes peines.
La loi interdit également les avortements thérapeutiques pour les fœtus de plus de quatre mois, même lorsque la grossesse met en danger la santé de la mère ou que le fœtus est gravement malformé.
En outre, tous les établissements de santé et les laboratoires sont tenus d'enregistrer et de communiquer des informations sur les femmes enceintes, en particulier celles qui demandent un avortement, afin que l'État puisse les surveiller et éventuellement les punir.
Grossesses forcées et restrictions en matière de contraception
Des informations récentes émanant de femmes iraniennes âgées de 25 à 35 ans confirment l'existence d'un « comportement policier » dans les centres de soins de santé en ce qui concerne la grossesse. Ces femmes rapportent que les professionnels de la santé subissent des pressions pour promouvoir la grossesse et décourager l'utilisation de contraceptifs. La situation est encore plus désastreuse dans les zones rurales pauvres comme Ghal'e Ganj, dans le sud-est de l'Iran.
Un agent de santé de cette région a révélé qu'il y a 3 ans, les autorités locales lui ont ordonné de cesser d'enseigner les méthodes de contraception, de retirer toutes les fournitures contraceptives et de ne promouvoir que les « grossesses saines ». Lorsqu'elle s'est inquiétée des difficultés économiques rencontrées par ces familles, elle a été menacée d'être réaffectée dans une région frontalière reculée entre les provinces de Kerman et de Sistan-Balouchestan, des zones connues pour leurs conditions de vie difficiles.
Les experts décrivent la « loi sur la protection de la famille et la croissance démographique des jeunes » comme l'une des lois les plus discriminatoires à l'égard des femmes en Iran. Cette loi prévoit des incitations financières pour encourager la natalité, notamment des subventions pour investir dans le marché boursier, une augmentation des prêts immobiliers et un accès prioritaire aux produits subventionnés par le gouvernement. Toutefois, ces promesses sont restées largement lettre morte et n'ont pas convaincu de nombreuses femmes.
La loi interdit également la distribution de contraceptifs et interdit aux médecins d'en recommander l'utilisation. Même le dépistage génétique visant à prévenir la naissance d'enfants souffrant de handicaps congénitaux a été limité, mais pas entièrement supprimé. L'objectif du régime semble être de forcer les femmes à avoir autant d'enfants que possible, sans tenir compte de leur situation ou de l'impact potentiel sur leur santé.
Le mariage des enfants : Une réalité tragique
Le mariage des enfants est un autre problème grave en Iran, où les filles peuvent être légalement mariées à un très jeune âge, souvent sans leur consentement. La loi sur la protection de la famille et la croissance démographique des jeunes encourage explicitement le mariage des enfants, en particulier dans les zones rurales et pauvres. De nombreuses jeunes filles sont mariées de force par leur père, souvent à des hommes beaucoup plus âgés qu'elles. Ces filles sont privées de leur enfance et subissent de graves traumatismes physiques et psychologiques en raison des grossesses précoces et des responsabilités de la vie conjugale.
Dans la ville de Machhad, au nord-est du pays, des fillettes de 10 ans ont été retirées de l'école pour épouser des hommes qu'elles ne connaissaient pas. Ces filles souffrent souvent de graves problèmes de santé dus à des complications lors de l'accouchement, et certaines restent handicapées à vie. La cause première de cette pratique est l'aggravation de la pauvreté en Iran, qui pousse les familles à marier leurs filles en échange d'une aide financière.
Le sort des femmes iraniennes mariées à l'étranger
L'absence de protection juridique pour les femmes iraniennes mariées à des ressortissants étrangers est un autre problème alarmant. Ces mariages impliquent souvent la vente de jeunes filles à des hommes originaires de pays voisins comme l'Afghanistan, le Pakistan et l'Irak.
Ces mariages sont rarement enregistrés légalement, laissant les femmes et leurs enfants sans droits légaux ni citoyenneté. Beaucoup de ces hommes sont déportés ou tués dans les conflits, laissant leurs femmes comme de jeunes veuves sans aucun moyen de subsistance. Le régime iranien ne reconnaît pas ces enfants comme des citoyens iraniens, les laissant apatrides et sans accès aux droits fondamentaux.
Les femmes iraniennes sont soumises à certaines des lois les plus oppressives au monde, des lois qui les privent de leur autonomie, de leur dignité et de leurs droits humains fondamentaux.Du hijab et de la grossesse forcés au mariage des enfants et à l'apatridie, le cadre juridique du régime iranien est profondément ancré dans la misogynie. La communauté internationale doit reconnaître la gravité de ces violations et défendre les droits des femmes iraniennes, qui continuent de souffrir sous un régime qui leur refuse justice et égalité.
https://wncri.org/fr/2025/01/25/grossesses-forcees/
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Les femmes résistantes méconnues débarquent enfin sur Wikipédia

Après plusieurs rejets de la plateforme pour « manque de sources », le musée de la Résistance en Morvan organise des ateliers pour la rédaction de fiches Wikipédia sur les femmes méconnues de la Résistance.
Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/politique/histoire/les-femmes-resistantes-meconnues-debarquent-enfin-sur-wikipedia
Publié le 28 janvier 2025
Emma Meulenyser
photo © Rafael Henrique / SOPA Images / SPUS / ABACA
Le musée de la Résistance en Morvan organise des ateliers ouverts à tous, pour la rédaction de fiches Wikipédia sur les femmes résistantes méconnues du grand public.
Une belle initiative pour donner plus de visibilité aux femmes qui ont fait l'histoire. Le musée de la Résistance en Morvan propose au grand public des ateliers de rédaction de fiches Wikipédia pour mettre en avant des femmes ayant résisté contre le nazisme, dont les noms ont disparu de la mémoire collective.
La région, qui fût elle-même un haut lieu de résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, a perçu la légitimité qu'une fiche Wikipédia confère à qui en est l'objet et s'est ainsi fixé l'objectif de rendre hommage à toutes ces femmes comme Janette Colas, Lise Le Bournot, Yvonne Moreau ou encore Louise Aubin, méconnues du grand public.
L'idée est partie d'un simple constat : une adhérente du musée a souhaité rédiger une fiche Wikipédia sur Lise Le Bournot, mais celle-ci fut rejetée par la plateforme pour « manque de sources », explique l'historienne Aurore Callewaert à France Inter. L'implication du musée a ainsi permis de multiplier ces sources et rendre enfin leur légitimité à certaines des nombreuses femmes de la Résistance.
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La nouvelle législation belge sur la prostitution : Distinguer la réalité de la fiction

En lisant les récents titres tels que « Les travailleuses du sexe belges bénéficient d'un congé de maternité et d'une pension en vertu d'une loi inédite », on pourrait penser que la Belgique est en train de réaliser une avancée positive sans précédent pour les femmes. Mais la réalité est quelque peu différente.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/18/la-nouvelle-legislation-belge-sur-la-prostitution-distinguer-la-realite-de-la-fiction/?jetpack_skip_subscription_popup
Une législation similaire est en place en Allemagne et en Nouvelle-Zélande depuis des années. Mais essayer de faire entrer une pratique fondamentalement exploiteuse et dangereuse dans le cadre du droit du travail ne la transforme pas en quelque chose de sain et de respectueux, à l'instar du métier de serveuse ou des soins de santé. Croire le contraire est un symptôme de pensée magique qui serait attachante chez un enfant en bas âge mais qui est férocement irresponsable chez un adulte.
Mais, la BBC a dit qu'elle allait assurer la sécurité des femmes, leur permettre de refuser des « clients » et leur accorder des avantages et des pensions. La BBC – la BBC ! – ne peut pas s'être trompée à ce point ? Mais en vérité, il y a une longue histoire de médias grand public qui se laissent convaincre par les intérêts particuliers. Il suffit de penser à la façon dont les barons du tabac et de l'amiante ont longtemps trompé la vigilance de tant de personnes. Et la BBC aurait-elle un dossier équilibré sur cette question ?
L'industrie de la sexploitation fait fortune. Non pas pour les femmes qui en sont la matière première, mais pour des tiers – proxénètes, trafiquants, tenanciers de maisons closes et grands sites web qui inondent les ondes de pornographie violente, misogyne et raciste et d'immenses catalogues de femmes que les hommes peuvent louer pour en user et en abuser sexuellement.
Tout comme les barons du tabac et de l'amiante, les proxénètes se sont emparés des institutions, des gouvernements et même des agences des Nations unies. Les organismes de financement, comme l'Open Society Foundation et ses filiales, la Fondation Bill et Melinda Gates, Mama Cash, la Fondation Ford et de nombreuses filiales des Nations unies, exigent souvent un soutien à la « décriminalisation du travail du sexe » comme condition d'obtention du financement.
En conséquence, les organisations de femmes qui ne soutiennent pas ce principe sont privées de financement et celles du Sud, en particulier, n'ont souvent pas les ressources nécessaires pour créer un site web et sont donc plus ou moins inconnues au niveau international. Les lobbyistes de l'industrie du sexe peuvent donc affirmer, sans sourciller, que « toutes les organisations dirigées par des travailleuses du sexe » soutiennent la « décriminalisation du travail sexuel ». Mais ils n'expliquent évidemment pas qu'ils entendent par là : la dépénalisation de l'ensemble de l'industrie, y compris les proxénètes et les tenanciers de maisons closes (aujourd'hui redéfinis comme « gérants »), la publicité et les clients. Ils pourraient dire haut et fort que, bien sûr, le trafic sexuel serait illégal, mais pas qu'ils l'ont redéfini de telle sorte que la plupart des trafiquants de sexe passeraient à travers les mailles du filet sans être inquiétés.
Malgré tous ces avantages – médias dociles, mainmise sur les principales institutions, financement généreux des fantassins, etc. -, les proxénètes ont essuyé de sérieux revers ces dernières années.
En septembre 2023, le Parlement européen a voté en faveur d'une résolution qui définit la prostitution comme une forme de violence, à la fois cause et conséquence de l'inégalité persistante entre les femmes et les hommes, et qui encourage les États membres à adopter une approche fondée sur le modèle nordique.
Cette année, Reem Alsalem, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence à l'égard des femmes, a présenté aux Nations unies un rapport novateur qui définit également la prostitution comme une forme de violence et plaide en faveur du modèle nordique. Elle a ensuite rédigé un excellent document de synthèse sur la lutte des femmes pour sortir de la prostitution et sur le soutien dont elles ont désespérément besoin.
Cette année encore, la Cour européenne des droits de l'homme a statué que la loi française sur le modèle nordique ne violait pas la Convention européenne des droits de l'homme.
Cette décision a évidemment porté un coup dur aux proxénètes et à ceux qui les encouragent, qui ont l'habitude de dominer le discours. Mais leurs problèmes remontent à plus loin. Il fut un temps, il y a une quinzaine d'années, où ils présentaient l'Allemagne comme le modèle que tous les pays devraient suivre.
Mais l'Allemagne, avec ses méga-bordels propres et efficaces et son million d'hommes payant pour des actes sexuels chaque jour, s'est révélée n'être pas si propre que cela. Il s'est avéré que ces méga-bordels étaient remplis de femmes migrantes, la plupart victimes de la traite des êtres humains depuis les régions les plus pauvres d'Europe de l'Est et d'Afrique subsaharienne, qui subissent des horreurs inimaginables, et qu'il existe une clandestinité rampante largement contrôlée par des syndicats du crime organisé et des gangs de motards. Les problèmes pour les femmes et pour la société étaient trop difficiles à ignorer, et les proxénètes ont donc changé leur fusil d'épaule.
L'Allemagne a une législation, ont-ils dit, ce qui signifie, comme l'a expliqué Franki Mirren, la meneuse de claques de l'industrie du sexe, que « le travail sexuel est contrôlé par le gouvernement et n'est légal que dans certaines conditions spécifiées par l'État ». Ce qui est vraiment le mieux pour les « travailleuses du sexe », insistent les proxénètes, c'est la décriminalisation qui, selon Mirren, implique « la suppression de toutes les lois spécifiques à la prostitution », comme cela a été mis en œuvre en Nouvelle-Zélande en 2003. Cela convenait au lobby des proxénètes, car la faible population de la Nouvelle-Zélande et son isolement géographique font qu'il est difficile pour le lobby de l'abolition de la prostitution, beaucoup moins bien financé, de contester les affirmations hyperboliques de son succès.
Mais nous avons contesté ces affirmations et un nombre croissant de femmes néo-zélandaises qui ont vécu l'expérience du système ont courageusement commencé à parler de sa réalité (voir les liens à la fin de cet article pour des exemples). Peu à peu, la prise de conscience du fait que le système néo-zélandais était lui aussi loin d'être parfait a commencé à se répandre.
Les abolitionnistes allemands·e ont compilé des données sur le nombre d'homicides commis par des proxénètes et des parieurs, sur des femmes impliquées dans la prostitution sous différents régimes. Nous avons dressé un tableau de ces données qui montre clairement que le nombre d'homicides est beaucoup plus élevé en Nouvelle-Zélande, avec son système décriminalisé, en Allemagne et aux Pays-Bas, avec leur système légalisé, qu'en Suède, en Norvège et en France, qui ont adopté le modèle nordique.
Il serait tentant de suggérer sur cette base que le modèle nordique est plus sûr pour les femmes. Mais la vérité est que la prostitution est l'activité la plus dangereuse au monde et que rien ne peut la rendre sûre. Ce que fait le modèle nordique, lorsqu'il est bien appliqué, c'est de réduire la taille de l'industrie, le nombre de femmes impliquées et le nombre d'hommes qui achètent des services sexuels, ce qui, heureusement, entraîne une diminution du nombre de meurtres.
En résumé, les proxénètes avaient un sérieux problème de relations publiques.
Leur solution ? La Belgique !
En 2022, la Belgique a dépénalisé la prostitution en fanfare : Le premier pays européen à dépénaliser la prostitution ! Le début d'une révolution européenne éclairée ! Et ainsi de suite.
Mais un peu plus d'un an plus tard, la Belgique a adopté une nouvelle législation sur le « travail du sexe » – la législation qui vient d'entrer en vigueur dans les articles triomphants de la BBC et d'autres. Mais attendez une minute – la caractéristique principale de la décriminalisation totale n'est-elle pas qu'il ne devrait pas y avoir de lois spécifiques à la prostitution ? Cela ne signifie-t-il pas que la Belgique n'a plus de décriminalisation et qu'elle a maintenant une légalisation Tout à fait. Mais qu'est-ce qui est gênant entre les proxénètes et leurs partisan·es ? S'ils disent que c'est la dépénalisation, alors c'est la dépénalisation, d'accord ?
Espace P, une organisation belge qui apporte son soutien aux « travailleuses du sexe », a utilement publié le texte de la nouvelle législation en anglais. Elle prévoit des contrats de travail légaux, qui donnent accès aux prestations de sécurité sociale habituelles des employé·es, ainsi qu'à certaines protections spéciales. Cela signifie que le gouvernement belge reconnaît désormais la prostitution comme un travail normal, même s'il nécessite quelques garanties supplémentaires.
L'une des principales garanties est que les « employeurs » ne peuvent pas obliger les « travailleuses du sexe » à « avoir des relations » avec un « client » spécifique ou à se livrer à une pratique spécifique, et qu'un tel refus ne peut pas être considéré comme une « rupture du contrat de travail et ne doit pas entraîner de conséquences négatives pour la “travailleuse du sexe” sur le plan de l'emploi ». Toutefois, si elle exerce ce droit de refus plus de dix fois en six mois, la loi prévoit des services de médiation pour aider à la résolution du problème.
Il reste à voir comment cela fonctionnera dans la pratique. Esther, survivante de la prostitution et experte politique du NMN, est sceptique. La loi ignore les forces du marché et la coercition causée par les exigences des acheteurs, et la manière dont cela se répercutera sur ce que les propriétaires de maisons closes considèrent comme des services normaux. Les femmes qui refusent certaines pratiques (comme la pénétration anale ou le fisting) risquent de ne plus trouver beaucoup d'acheteurs une fois que ces pratiques seront considérées comme des services normaux. Comment les propriétaires de maisons closes réagiront-ils à cette situation ? Pourront-ils même se maintenir à flot si les femmes refusent les actes sexuels dangereux popularisés par le porno en ligne ?
C'est un peu comme les femmes sur OnlyFans contraintes de faire des choses de plus en plus extrêmes à cause de la concurrence et de leur besoin de gagner de l'argent. Les trafiquants seront moins chers que les maisons closes en contraignant les femmes qu'ils contrôlent, qui n'auront pas de contrat de travail. Cela conduira soit à un système à deux vitesses (l'une des principales choses dont se plaignent les proxénètes et leurs meneurs dans le cadre de la « légalisation »), soit les propriétaires de maisons closes utiliseront leur pouvoir de persuasion pour s'assurer que les femmes qu'ils emploient ne refusent jamais une pratique, comme ils le font en Nouvelle-Zélande, ainsi qu'en a témoigné Chelsea Geddes.
Esther a résumé la situation : « Une femme seule avec un acheteur pourra-t-elle refuser un acte sexuel pour ces raisons ? Les personnes qui rédigent ces lois n'ont aucune idée de la manière dont la coercition et cette industrie fonctionnent réellement ».
Un autre problème est que, selon le système de sécurité sociale belge, vous n'avez pas droit aux allocations de chômage si vous quittez volontairement un emploi ou si vous refusez d'en accepter un qui vous est proposé. Quelles sont les conséquences de cette situation, maintenant que la prostitution est officiellement acceptée comme un travail normal ? Les chômeuses seront-elles contraintes d'accepter un emploi dans une maison close ? Les femmes qui quittent une maison close se verront-elles refuser les allocations de chômage et seront-elles donc contraintes de rester dans la prostitution contre leur gré ? Que signifierait le « droit » de refuser des actes sexuels spécifiques dans ces circonstances ? Nous supposons que cela ne signifie pas qu'elle peut refuser d'avoir des « relations » avec n'importe quel client tout en étant payée.
Dans cet article, nous n'avons abordé que quelques-unes des contradictions inhérentes à tout système de prostitution régularisé, que les proxénètes et leurs pom-pom girls préféreraient que nous ne soulignons pas. Esther a beaucoup écrit sur de nombreuses autres contradictions et sur le fait que la prostitution ne pourra jamais se conformer aux normes modernes de santé et de sécurité, aux réglementations en matière d'emploi et à la législation sur l'égalité. Prétendre que c'est le cas risque d'avoir des conséquences négatives pour les autres travailleurs et travailleuses et de conduire à un affaiblissement des normes, en particulier pour les femmes. Si une « travailleuse du sexe » fait des fellations dans le cadre de son contrat de travail, qu'est-ce qui empêcherait le patron de n'importe quelle autre entreprise d'inclure dans la description de votre travail le fait de faire des fellations à des clients importants et à des cadres ?
En définitive, ce nouveau développement est très éloigné de la prétendue libération proclamée si bruyamment. En réalité, elle inscrit dans la loi le droit des hommes à l'accès sexuel aux femmes et place les femmes dans une position de subordination par rapport aux hommes. Cela n'est pas compatible avec les aspirations d'une société démocratique moderne et égalitaire. C'est pourquoi nous demandons l'adoption du modèle nordique.
Témoignage des femmes néo-zélandaises
La réalité du commerce sexuel dépénalisé en Nouvelle-Zélande
Sur #DECRIM : Chelsea Geddes sur le système de prostitution dépénalisé de la Nouvelle-Zélande
« Je rêvais souvent de quelque chose de mieux, mais au fond de moi, j'ai toujours su que c'était un rêve
»
« Je crois que la prostitution légalisée renforce et enhardit les attitudes misogynes chez les hommes
»
Sara Smiles : Mon histoire dans le monde du viol rémunéré.
https://nordicmodelnow.org/2024/12/11/belgiums-new-prostitution-legislation-separating-fact-from-fiction/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Remettre le monde à l’endroit : point sur les i concernant la « prostitution des mineures », des enfants.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/10/remettre-le-monde-a-lendroit/?jetpack_skip_subscription_popup
Remettre le monde à l'endroit : point sur les i concernant la « prostitution des mineures », des enfants.
Si la prostitution des mineures est constamment dans les médias, la couverture du sujet a pour angle mort le trou béant qui existe entre la vie d'un enfant et celle des adultes ainsi que le rôle des adultes et de la société entière dans la construction et la protection des enfants.
On nous rebat les oreilles avec les chiffres accablants(20 000 enfants victimes ?) et les risques accrus présentés par les réseaux sociaux. On réfléchit aux facteurs de risque et à la population visée en mettant l'accent sur l'adolescente en situation difficile.
Les images choisies et le discours mentionnent des jeunes filles vulnérables comme si la vulnérabilité était la cause du problème et son explication. Leur vulnérabilité est présentée comme une porte d'entrée vers la prostitution… alors qu'en réalité elle n'en est que le moyen. Mais les enfants sont vulnérables, par définition ! Ce sont les adultes qui les exploitent.
Les enfants ne font qu'évoluer dans la société que nous, les adultes, créons. Et ce sont les adultes qui voient en eux des proies faciles et opportunes et abusent de leur vulnérabilité.
Les adultes gagnent de l'argent, connaissent le coût psychologique et humain de leurs actions, la stratégie de l'agresseur, le besoin dans l'adolescence de se sentir important, vu, valorisé. Ils savent la difficulté de cette période de la vie qu'ils ont déjà vécue. Surtout, ils savent mille fois plus de choses que les enfants sur la sexualité.
Ne nous méprenons pas : les enfants mis en situation de prostitution ne sont pas idiots, ou incapables d'accomplir des choses merveilleuses, ce n'est pas cela qu'on dit. Mais il faut du temps et de l'expérience pour apprécier l'existence du bien et du mal, la réalité de l'humanité et la bonté et la saleté humaine. Quand les expériences fondamentales d'un enfant tournent autour de personnes qui les considèrent comme des proies faciles pour leurs idées perverses, on ne peut pas construire un autre monde dans sa tête et, oui, on est sur-vulnérable. La vulnérabilité n'autorise pas les adultes à faire n'importe quoi. Depuis quand être vulnérable autorise l'autre (adulte ou enfant) à traiter un être humain comme un objet ou un moins que rien ?
Comme il est facile de trouver des annonces sur internet et de contacter « comme si de rien n'était » un proxénète ou un enfant, ou de trouver du contenu pédocriminel ! On dirait presque une pêche à la ligne de canard à la fête foraine. La prostitution des enfants en France, ce sont des chiffres faramineux mais pour chaque enfant, combien d'adultes pédocriminels et violeurs ?
Le monde à l'endroit
Pour chaque vidéo sur internet, combien d'hommes pervers à se masturber ? Combien d'adultes qui se sont dit que c'était acceptable ? Combien d'adultes pour s'exciter sexuellement exclusivement quand c'est une situation de contrainte ? Combien d'adultes se sont dit que ce n'est pas grave parce qu'ils lui donnent de l'argent de poche, lui qui n'a même pas l'âge d'être embauché pour un travail rémunéré ? Combien d'adultes se sont confortés dans leur choix en se disant qu'elle était « consentante » par la simple présence de l'enfant ? Combien d'adultes pour gâcher la vie des adultes de demain pour satisfaire leur perversité ?
La vulnérabilité des enfants n'est pas leur responsabilité et ils et elles n'en ont d'ailleurs souvent pas conscience, surtout pendant l'adolescence. Pourtant, ils et elles sont physiquement et psychologiquement différents des adultes. Il nous appartient de dire la vérité, pour remettre les adultes à leur place et regarder bien en face nos obligations et responsabilités et notre société.
Il faut remettre le monde à l'endroit !
A lire également :notre guide à destination des pros
Rosalie
https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/tribunes/le-monde-a-lendroit/
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Le début de l’IA populaire ?

Comme Prométhée qui a dérobé le feu aux dieux de l'Olympe pour en faire don aux humains, DeepSeek a donné l'IA à la population en général et surtout aux universitaires du monde entier en leur fournissant un puissant code source ouvert peu dispendieux capable de faire compétition aux géants de l'industrie.
En dévoilant officiellement son dernier né, DeepSeek-R1 le 20 janvier, le jour de l'investiture de Donald Trump, l'entreprise basée à Hangzhou dans l'est de la Chine, a révolutionné l'intelligence artificielle (IA). Le président américain qui a lancé Stargate, le plan IA sur cinq ans de 500 milliards de dollars, a qualifié l'arrivée de cette IA, de signal d'alarme pour l'industrie technologique américaine. En quelques jours DeepSeek-R1 a battu ChatGPT et est devenue l'application gratuite la plus téléchargée sur l'App Store américain d'Apple, se retrouvant parmi les cinq meilleures IA conversationnelles dans le classement de l'Université de Berkeley.
Changement de paradigme
Alors qu'OpenAI voulais augmenter significativement ses tarifs, DeepSeek-R1 a des prix 95 % inférieur. En rendant disponible au monde entier une IA ayant les capacités des meilleurs moteurs privés actuellement sur le marché à des coûts de l'ordre du million de dollars plutôt que du milliard, DeepSeek fait comme Prométhée et donne à la majorité des humains l'accès à une invention équivalente à celle du feu. Les universités, écoles de formation, petites entreprises et surdoués de toute la planète qui ne pouvaient que regardés envieux les puissantes entreprises informatiques développé ces outils à technologie privée qui étaient hors de porté de prix pour eux, ont déjà téléchargé par centaines de milliers le nouveau logiciel libre.
Les caractéristiques du logiciel sont tellement révolutionnaires qu'on pourrait avancer que c'est en janvier 2025 qu'est née l'IA populaire. L'ancien paradigme qu'il fallait avoir des milliards de dollars pour espérer créer quelque chose de valable en IA est maintenant mort et enterré. Le patron d'OpenAI, Sam Altman, a estimé il y a quelques jours que son entreprise est maintenant du « mauvais côté de l'Histoire » parce que son modèle d'intelligence artificielle (IA) n'est pas ouvert et que les développeurs ne peuvent pas les télécharger gratuitement et modifier leur code source.
Les gros se relèveront
Avec des entreprises comme Meta, Google, Microsoft, Nvidia et OpenAI, les États-Unis qui dominaient le secteur doivent maintenant se battre pour conserver leur première place. La diminution de 1000 milliards en quelques jours de leur valeur en bourse n'est qu'une perte à court terme pour les investisseurs de ces puissances de l'informatique. Plusieurs commencent déjà à se refaire. Ils profiteront comme toutes les autres parties prenantes de cette industrie de la très importante baisse des coûts de production.
Au cours du mois de janvier, Meta a indiqué qu'il dépenserait jusqu'à 65 milliards de dollars en 2025 pour étendre ses infrastructures d'IA. Microsoft pense investir 80 milliards cette année. Son patron Mark Zuckerberg a aussi annoncé « plusieurs centaines de milliards de dollars » d'investissements dans l'intelligence artificielle au cours des années à venir.
Pour sa part OpenAI, associé à Oracle et à SoftBank, a projeté d'injecter rapidement 100 milliards de dollars et jusqu'à 500 milliards au cours des prochaines années. Apple, qui était très en retard au niveau de l'IA, pourrait aussi profiter du nouveau paradigme pour se mettre à niveau.
En France, l'entreprise « Mistral AI », qui vient de lancer son propre nouveau modèle « Mistral Small 3 », voit un élément important et complémentaire de sa technologie dans DeepSeek-R1.
Les défis à régler de l'intelligence artificielle
Ce don aux humains ordinaires de la planète du Prométhée DeepSeek ne veut pas dire que tout est maintenant au beau fixe dans l'industrie de l'IA. Son empreinte environnementale augmente sans cesse. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), une requête sur ChatGPT consomme dix fois plus qu'une recherche sur Google, soit 2,9 Wh d'électricité. Or ChatGPT traite actuellement environ 1 milliard de requêtes par jour provenant de 300 millions d'utilisateurs hebdomadaires. Les fermes de serveurs ont consommé en 2023 environs 1,4 % de l'électrique mondial et cela pourrait monter à 3 % d'ici 2030. L'approvisionnement mondial en électricité pourrait donc devenir insuffisant d'ici aussi peu de temps qu'en 2027.
Les centres de données nécessitent par ailleurs des systèmes de refroidissement qui consomment beaucoup d'eau. On parle entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes d'eau en 2027. Selon une étude parue dans la revue scientifique Nature Computational Science, le matériel qui sert à la production de l'IA, comme les cartes mémoire, graphiques et les serveurs ont créés 2,600 tonnes de déchets électroniques en 2023 et pourrait atteindre 2,5 millions de tonnes en 2030.
Les robots conversationnels sont aussi sujets à des hallucinations. Celle baptisé Lucie en France a récemment du être retiré au bout de trois jours pour avoir fournis des calculs incohérents comme le poids d'un trou de gruyère et parlé d'œufs de vache. Un développeur informatique américain, Tyler Glaiel, a eu comme réponse d'une AI à la question « peut-on faire fondre des oeufs », que c'était possible et que la façon la plus courante était de le chauffer à l'aide d'une cuisinière ou d'un four à micro-ondes. Il y a aussi la possibilité que des hallucinations servent de références à des questions futures.
De plus, les réponses des IA peuvent être manipulées ou soumises à de la censure. Quand il est interrogé sur la crise du Covid, la censure en Chine ou les Ouïghours, DeepSeek R1 répond par des éléments de propagande chinoise.
Michel Gourd
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Intelligence artificielle : la surprise chinoise

Effondrement du marché boursier. Des pertes de plusieurs millions de dollars pour les entreprises technologiques. Surprise et stupéfaction face aux progrès de la Chine dans le domaine de l'intelligence artificielle. Le moment DeepSeek.
tiré de Viento Sur
https://vientosur.info/inteligencia-artificial-capitalismo-y-geopolitica/
Le 27 janvier, un tremblement de terre a traversé l'échiquier géopolitique international. Wall Street a vu les prix s'effondrer. À l'avant-garde de cet effondrement se trouvaient les actions des entreprises technologiques, qui ont entraîné le reste vers le bas, puis ont eu un impact sur les marchés boursiers mondiaux. Un vrai lundi noir. En quelques heures, les grandes entreprises technologiques ont perdu près de 1 000 milliards de dollars ce jour-là.
Qu'est-ce qui avait causé une telle dissolution ? L'annonce qu'une entreprise chinoise a mis sur le marché un assistant d'Intelligence Artificielle qui utilise des processeurs à faible coût, qui seraient plus efficaces dans le traitement des données et donc moins énergivores. Son coût de production est bien inférieur à celui de ses semblables d'origine américaine, tout comme son coût pour le public. Sinon, il est open source, ce qui signifie que tout utilisateur peut en savoir plus sur ses sources, voir comment l'algorithme a été construit et même l'adapter à ses besoins.
Cependant, DeepSeek R1 n'est pas sans restrictions. Par exemple, pour « éviter les contenus qui menacent la sécurité nationale », il ne donne pas d'informations sur la place Tiananmen ou Taïwan. En outre, les services sont réglementés de manière à ce que « les valeurs socialistes fondamentales soient respectées »
Le moment DeepSeek
En 1957, l'URSS a lancé son satellite Spoutnik 1 dans l'espace, ce qui a surpris le monde et suscité de grandes attentes, tout en indiquant clairement que l'Union soviétique avait été en avance dans la course à l'espace et que cela pouvait constituer une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. Cet événement est depuis connu sous le nom de moment Spoutnik.
La situation posée par le lancement par l'entreprise chinoise d'un modèle de chatbot de recherche IA, capable de rivaliser avec des avantages avec les moteurs de recherche ChapGPT, Gemini ou Meta AI, peut être assimilée, en raison de sa surprise et de son choc, à ce moment de la fin des années 50 du siècle dernier.
Bien sûr, il y a des différences. Le lancement de Spoutnik 1 a eu lieu en pleine guerre froide, qui a connu son moment le plus dangereux avec la crise des missiles de Cuba, qui a confronté deux modèles différents d'accumulation et de gestion de la main-d'œuvre. Au contraire, le lancement de DeepSeekR1 s'inscrit dans le cadre de la dialectique dispute-collaboration entre les deux grandes puissances de l'époque, les États-Unis et la Chine.
Sinon, ce lancement a signifié « le début de la course à l'espace entre les États-Unis et l'Union soviétique » qui, selon Meta AI, « a eu un impact significatif sur l'histoire de l'exploration spatiale et a marqué une nouvelle ère dans laquelle l'humanité a commencé à comprendre l'espace ». Au contraire, l'apparition du moteur de recherche DeepSeekR1 est un nouveau chapitre dans la lutte pour le leadership géopolitique dans le domaine technologique, en particulier dans l'IA la plus avancée...
Géopolitique et technologie
Ces derniers temps, les deux grandes puissances ont pris des mesures protectionnistes. Les États-Unis, sous l'administration Biden, ont élargi les contrôles établis par la première administration Trump. Il a interdit la vente de produits de haute technologie à la Chine, puis a fait pression sur le Japon et les Pays-Bas pour qu'ils se joignent à l'interdiction d'exporter des équipements de fabrication de puces avancés vers la République populaire. La réponse de la Chine à ces obstacles ne s'est pas fait attendre. Il a restreint l'exportation de deux minéraux clés – le germanium et le gallium – essentiels à la production de puces de pointe, et a également interdit l'achat de produits de la société américaine Micron.
Les principales entreprises américaines de haute technologie ont averti opportunément que la politique protectionniste nuirait à leur propre industrie et finirait par favoriser la production chinoise. À la fois parce qu'elle interdisait à leurs entreprises de participer au marché chinois – elles exportaient quelque 400 000 millions de dollars par an en puces – et parce qu'elles favorisaient la recherche de substitution en République populaire.
Ils avaient raison. La société DeepSeek a été fondée en 2023, au moment où les États-Unis commençaient à renforcer leurs restrictions. Peu de temps après, et de manière surprenante, les entreprises chinoises ont annoncé des résultats très positifs dans la production d'un type de puces compétitives, même supérieures à celles développées par Nvidia et AMD aux États-Unis. Il est devenu clair que les restrictions imposées par les États-Unis n'ont pas retardé le développement chinois ; au contraire, ils l'ont stimulé.
C'était maintenant au tour de la R1, qui utilise des puces fabriquées par Nvidia. Ces puces ne sont pas à la pointe de la technologie, elles sont donc moins chères. Le budget de formation du nouveau moteur de recherche ne représente que 10% de ce qui est investi dans ChatGPT. Ces données remettent en question les gros investissements réalisés par Microsoft ou Meta AI, par exemple, lorsque l'entreprise chinoise y est parvenue avec beaucoup moins de ressources. Il se peut qu'à partir de maintenant, les critères d'évaluation de l'efficacité des dépenses et des investissements dans la haute technologie changent.
L'instant de l'instant
La Chine a annoncé le 20 janvier le lancement de DeepSeek R1, quelques heures avant que Donald Trump, déjà président par intérim, n'annonce, en grande pompe, un investissement de 500 000 milliards de dollars dans le projet Stragate, conçu pour construire des centres de données basés sur de nouvelles entreprises d'IA. C'est le début de l'âge d'or des États-Unis qui annonce le jour de son investiture.
Le moment DeepSeek, qui a laissé Donald Trump très instable et minimisé son annonce, était-il le produit de l'évolution logique du calendrier du projet ou ce moment a-t-il été politiquement pensé ? En d'autres termes, le fait de le faire connaître le 20 janvier était-il une décision de l'entreprise qui le produit ou de l'État chinois ?
Quelle que soit la réponse, il est clair que la Chine progresse dans la réduction de l'écart technologique avec les États-Unis. Ce n'est pas pour rien que Trump et Elon Musk ont annoncé qu'ils chercheraient un accord stratégique avec la République populaire. C'est parce qu'il existe une forte interdépendance économique entre les puissances et que les nouvelles technologies jouent un rôle central dans cette intégration conflictuelle. C'est que le contrôle de l'IA, le plus avancé des processus technologiques actuels, sera décisif dans la résolution du différend actuel entre les deux grandes puissances.
Ainsi, la collaboration compétitive s'impose, si un nouveau cygne noir n'apparaît pas...
29/01/2025
Eduardo Lucita est membre du collectif EDI – Economists of the Left
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Une reconfiguration du capitalisme ?

Cet article est un chapitre d'une note de la Fondation Copernic à paraître aux Éditions du Croquant, « Que faire de l'IA ? », 2025 ».
Les possibles-ATTAC nº 41 (hiver 2024-2025)
« Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel » écrivait Marx dans Misère de la philosophie (1847). La combinaison du big data, du cloud et de l'IA pourrait-elle donner naissance à une nouvelle forme de capitalisme ? Il faut certes se défier de tout déterminisme technologique et, disons-le, Marx n'y échappe pas avec cette formulation. En fait, les rapports sociaux entretiennent avec le développement scientifique et technique un double lien. D'une part, l'utilisation d'une technologie, plutôt qu'une autre parmi toutes celles qui sont potentiellement disponibles, dépend de la configuration des rapports sociaux et en particulier des rapports de production. D'autre part, la technologie utilisée peut elle-même participer d'une reconfiguration de ces rapports sociaux.
Ainsi par exemple, l'invention du grand moulin hydraulique a été faite au début de l'Empire romain. Cette invention n'a jamais été utilisée à l'époque où elle a vu le jour parce que les grands propriétaires d'esclaves n'en avaient pas besoin. Elle réapparaît un millier d'années plus tard au XIe siècle dans le contexte de rapports sociaux différents dans le cadre de la domination seigneuriale. Le grand moulin s'impose contre le petit moulin à bras des paysans pour conforter la domination seigneuriale et reconfigure en partie cette dernière1.
Il est utilisé dans la production de textiles dans des centres spécialisés, accroissant ainsi les échanges, entraînant l'apparition de nouvelles couches sociales que ce soit leurs travailleurs ou les « bourgeois » propriétaires. De même, la généralisation du machinisme, permise par l'invention de la machine à vapeur, en Angleterre, berceau du capitalisme industriel, supposait qu'auparavant en soient créées les conditions politiques et sociales : reprise du mouvement des enclosures au XVIIIe siècle qui rend disponible la main d'œuvre pour travailler dans les fabriques ; victoire politique des forces contre-révolutionnaires à la fin du XVIIIe siècle ; écrasement de la révolte luddiste au début du XIXe siècle. Ce n'est qu'à partir du moment où ces conditions politiques et sociales ont été remplies que la « révolution industrielle », marquée par un bouquet d'innovations techniques, allait être une arme aux mains de la classe dominante britannique pour permettre la mise en place du capitalisme industriel.
Cependant, même s'il faut refuser tout déterminisme technologique, la question ne se pose pas moins de savoir quelles sont les conséquences de l'introduction de technologies numériques nouvelles dans l'organisation du capitalisme ou, pour le dire autrement, le mode d'accumulation du capital en sera-t-il transformé ? Il nous faut pour cela revenir sur l'histoire du capitalisme lui-même.
Du capitalisme fordiste au capitalisme financier
Après la seconde guerre mondiale, sur la base des rapports de forces de l'époque, se met en place dans les pays du Nord ce que les économistes régulationnistes ont appelé le « capitalisme fordiste ». Si les formes concrètes qu'il peut prendre diffèrent suivant les pays, ce type de capitalisme possède néanmoins des traits communs. Il s'agit d'un capitalisme essentiellement organisé sur une base nationale avec un pilotage macroéconomique effectué par l'État dans le cadre de politiques contracycliques dites « keynésiennes ». Au niveau international, les accords de Bretton-Woods assurent une stabilité financière et économique et l'hégémonie des États-Unis, malgré l'existence du bloc soviétique. La finance est bridée, que ce soit à l'échelle nationale ou mondiale. Un nouveau rapport salarial se met en place sur la base de compromis sociaux institutionnalisés caractérisés par l'existence de conventions collectives nationales ou de branches, ce qui limite les effets de la concurrence entre les entreprises. Ce qui domine, c'est le modèle de la grande entreprise managériale intégrée dans laquelle les actionnaires sont, de fait, contenus, avec une organisation du travail taylorienne qui autorise une production de masse, l'augmentation régulière des salaires avec un partage des gains de productivité permettant une consommation de masse. Se met en place parallèlement un État social avec le développement de la protection sociale.
Cet agencement s'adosse à la seconde révolution industrielle apparue à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle (électricité, automobile, téléphone). Cette vague d'innovations naît durant la grande dépression de la fin du XIXe siècle (1873-1896) qui marque la fin du capitalisme concurrentiel, celui analysé par Marx, et la naissance du capitalisme monopoliste caractérisé par la formation de firmes géantes avec une structuration oligopolistique des marchés et la mise en place du taylorisme qui va s'imposer progressivement malgré une forte résistance ouvrière. Elle sera brisée en Europe pendant la première guerre mondiale au nom de l'Union sacrée et aux États-Unis par une violence de classe d'un niveau inouï. Le mouvement continu de concentration industrielle, combiné à cette nouvelle organisation du travail, permet une forte croissance de la productivité et crée les conditions d'une production de masse standardisée. Mais ce capitalisme est pris d'emblée dans une contradiction entre la production de masse et l'insuffisance de la demande solvable. En effet, à une production de masse doit correspondre une consommation de masse, ce qui nécessite l'accroissement du pouvoir d'achat des salariés qui forment désormais la majorité de la population, ce à quoi se refusent les classes dirigeantes. Cette contradiction va être à l'origine de la crise des années 1930 et sera résolue après la seconde guerre mondiale par la mise en place du capitalisme fordiste.
On a alors affaire à un ordre productif cohérent capable d'assurer sur la longue durée les conditions d'une accumulation efficace du capital. Rétrospectivement cette période apparaît comme un « âge d'or », mais les « Trente Glorieuses » ne l'étaient pas pour les salarié·e·s soumis à une division du travail hiérarchique aliénante, ni pour les femmes enserrées dans une domination patriarcale, ni pour les équilibres écologiques avec une « société de consommation » où les « désirs » de consommation sont façonnés par les grandes entreprises.
Cette forme particulière de capitalisme entre progressivement en crise à la fin des années 1960 sous la conjonction de plusieurs éléments qui se combinent. D'une part, l'internationalisation croissante des grandes entreprises rend de moins en moins efficace les politiques macroéconomiques menées au niveau national. D'autre part, la période de reconstruction de l'après-guerre et la première phase d'équipement des ménages se terminent, ce qui amoindrit l'effet d'entraînement de la demande solvable. Enfin, la multiplication des révoltes ouvrières, la montée d'un puissant sentiment de remise en cause du capitalisme lui-même dans de nombreux pays, indiquent clairement que le fordisme a atteint ses limites. Les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 servent de détonateurs à la crise qui se traduit par une forte chute de la rentabilité du capital et par la « stagflation », combinaison d'une stagnation économique et d'une forte inflation Au milieu des années 1980 se met en place un nouveau mode de gestion des entreprises dont l'objectif est la valorisation continue du cours de l'action en Bourse et l'augmentation des dividendes versés aux actionnaires. L'entreprise est mise au service des actionnaires. Les intérêts des dirigeants deviennent étroitement liés à ceux des actionnaires avec une explosion de la rémunération des dirigeants (stock options, salaire lié au cours de l'action, bonus…). C'est cette envolée des profits non réinvestis qui, en permettant de dégager des liquidités très importantes, a nourri la financiarisation de l'économie.
Cette financiarisation a été permise et s'est développée avec la déréglementation des marchés financiers qui a levé tous les obstacles à la liberté de circulation des capitaux et qui a fortement réduit les contrôles publics sur les institutions financières. Elle a abouti à une globalisation du capital, la mondialisation néolibérale. Mais la stagnation des salaires, voire dans certains pays leur recul, a fait resurgir un vieux problème du capitalisme vu en leur temps par Marx et Keynes. Le salaire est certes un coût pour chaque entreprise qui cherche donc à payer ses employés le moins cher possible. Mais c'est aussi un élément décisif pour assurer une demande solvable surtout dans des pays où l'énorme majorité de la population est salariée. Ainsi, aux États-Unis et dans l'Union européenne, 60 % à 70 % de la demande est d'origine salariale et cette demande a des conséquences sur la hauteur de l'investissement productif. Or nous avons assisté depuis les années 1970 à une baisse tendancielle des gains de productivité à tel point que certains économistes ont pu parler de « stagnation séculaire ».
Comment en effet soutenir l'activité économique, source de profits, quand les salaires stagnent ou régressent ?
La réponse du néolibéralisme à cette question a été : de moins en moins de salaires, mais de plus en plus de dettes. Si ce modèle a été totalement adopté par les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Irlande, tous les pays capitalistes développés s'y sont plus ou moins engagés. Aux États-Unis, cette logique n'a pas concerné simplement les biens immobiliers mais aussi les dépenses courantes des ménages, notamment les plus pauvres. Grâce à un marketing bancaire souvent à la limite de l'escroquerie et à des techniques financières « innovantes » (titrisation, réalimentation permanente du crédit…), les institutions financières ont repoussé au maximum les limites possibles de l'endettement.
C'est l'origine de la crise financière de 2007-2008.
La crise a commencé quand les ménages les plus exposés ont été dans l'incapacité de rembourser leurs emprunts et elle s'est répandue comme une traînée de poudre, les pare-feux permettant de cloisonner l'incendie ayant été détruits systématiquement par la déréglementation financière. Cette crise peut donc être considérée comme une crise du régime d'accumulation du capitalisme néolibéral. C'est ce qui s'est passé dans la sphère de production qui a été à la racine de la crise qui s'est déclenchée dans la sphère financière. Si les classes dirigeantes ont été capables de colmater les brèches par des politiques monétaires « non conventionnelles », elles n'ont pas réussi à stabiliser le système dans son ensemble, ce d'autant plus que la crise écologique qui s'aggrave jour après jour mine les bases physiques sur lesquelles il est construit. C'est dans ce cadre qu'il faut regarder l'arrivée des nouvelles technologies.
Les effets paradoxaux des innovations techniques
Le dernier quart du Xxe siècle a vu l'apparition d'une nouvelle base technologique avec la « révolution numérique ». La mise en place du capitalisme néolibéral s'est accompagnée d'une transformation des conditions de la production permises par l'arrivée d'une grappe de nouvelles technologies. Les effets en ont été contrastés. À l'exception des États-Unis pendant une courte période à la fin des années 1990 et au début des années 2000, la baisse des gains de productivité a continué.
On connait le fameux paradoxe de Robert Solow, « prix Nobel » d'économie » : « On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de la productivité ». Et de fait, en dépit des apparentes fabuleuses avancées de l'informatique, les gains de productivité se sont ralentis partout, passant d'environ 5 % par an dans les années 1950 à moins de 1 % avant la crise sanitaire et même une baisse nette de la productivité en Europe depuis. Pour le dire encore autrement, la loi dite de Moore à propos des progrès fulgurants des ordinateurs reste pour le moment confinée aux ordinateurs eux-mêmes sans développer la productivité des autres secteurs, en tout cas dans des proportions comparables.
L'introduction des nouvelles technologies numériques est censée booster une productivité atone, notamment par l'automatisation du travail. Or après des décennies, et malgré une sophistication croissante de ces outils, il n'en est rien. Comment expliquer ce paradoxe ? Une première explication renvoie à la déconnexion entre l'évolution croissante des profits des entreprises et la quasi-stagnation de l'investissement productif, une part de plus en plus importante des profits étant, sous une forme ou une autre, redistribuée aux actionnaires. Le néolibéralisme se caractérise par une utilisation des profits à des fins essentiellement de rentabilité financière, ce qui se traduit par un arbitrage favorable à la distribution des dividendes aux actionnaires et aux rachats par les entreprises de leurs propres actions plutôt que d'augmenter les investissements nets. Mais ce déficit d'investissements ne peut tout expliquer, car les entreprises continuent malgré tout d'investir avec le renouvellement accéléré des équipements. Et, prises dans une logique concurrentielle et dans un discours idéologique les incitant sans cesse à adopter les dernières technologies numériques, elles sont souvent amenées à une fuite en avant où, à côté de leur fonctionnement traditionnel qu'elles dominent plus ou moins, s'ajoutent de nouveaux processus peu maitrisés avec de nouveaux métiers qui viennent se surajouter aux anciens. Loin donc d'être un facteur de rationalisation, l'introduction des technologies numériques a été un facteur de complexité supplémentaire et donc de perte de productivité, ce d'autant plus que la destruction du modèle social entrepris depuis des décennies ne prédispose pas à une haute productivité des salarié.es. Toute la question est de savoir si l'introduction massive de l'IA va changer cette situation ou va au contraire l'aggraver.
De plus, des études de plus en plus nombreuses commencent à avancer l'idée que les innovations techniques autour de l'informatique qui sont apparues depuis la fin du XXe siècle n'apportent pas autant de changements que l'on pourrait croire parce que les nouveaux objets nous font faire différemment les mêmes choses qu'autrefois et non pas des choses nouvelles. Exemples : on achète les billets de train par internet mais ce n'est pas ça qui nous fait voyager plus ou autrement ; le click and collect dans les grandes surfaces ne transforme pas nos habitudes alimentaires et ne nous fait pas manger davantage ni mieux. C'est une des différences avec le cycle antérieur du capitalisme fordiste qui a produit de nouveaux objets qui ont modifié en profondeur notre façon de vivre par rapport aux générations précédentes. Est-ce que l'apparition du big data, du cloud et de l'IA pourront changer cette situation ? La généralisation des algorithmes va-t-elle aboutir à une révolution des objets et à une transformation radicale de la sphère des services ?
Mais une telle éventualité est-elle soutenable ? En effet, l'empreinte écologique du monde numérique est colossale. Contrairement à ce que véhicule une vision naïve, le monde numérique est loin d'être immatériel. Il est constitué de métaux rares, de pétrole et s'appuie sur une infrastructure considérable et énergivore. De plus, même si l'efficacité énergétique des appareils électroniques s'améliore au fil du temps, on assiste assez classiquement à un effet rebond car non seulement ils sont de plus en plus nombreux, envahissant notre vie quotidienne, mais étant de plus en plus sophistiqués, leur fabrication génère des dégâts écologiques de plus en plus importants. Cet effet rebond est d'autant plus fort que la concurrence entre les entreprises du secteur favorise le renouvellement régulier des appareils, avec comme conséquence l'amoncellement des déchets électroniques. Avec l'IA et la concurrence nouvelle qu'elle induit entre les firmes, on assiste à la recherche continue d'une puissance de calcul et de stockage des données de plus en plus importante avec la construction de supercalculateurs et la multiplication des data centers énormes consommateurs d'énergie. La généralisation des technologies numériques va donc accroître la contradiction entre le respect des équilibres écologiques et la dynamique d'un capitalisme reconfiguré par les technologies numériques.
La valorisation du recours aux algorithmes passe sous silence que rien ne serait possible sans une intervention massive des « travailleurs du clic » qui collectent, transforment les données ou « entraînent » les algorithmes2.
Cette « tâcheronisation » du travail avec des emplois précarisés et sous-payés est l'envers du décor de l'intelligence artificielle. Il faut y ajouter les emplois « ubérisés » des travailleurs des plates-formes, rémunérés à la tâche et ceux de la logistique soumis à une discipline de travail déshumanisante. Enfin, il faut noter que les usagers des plates-formes fournissent un travail souvent gratuit qui permet l'amélioration de leur fonctionnement par exemple le fait de noter des contenus. Loin de disparaître, le travail humain est la condition de l'existence de la généralisation de la numérisation et du développement de l'IA.
Un nouveau capitalisme ?
Nous assistons à un double phénomène. D'une part, les impératifs de l'accumulation du capital influencent le développement des algorithmes. D'autre part ces derniers transforment le processus de l'accumulation3.
Quoi que l'on puisse penser des usages possibles des données massives et de l'IA, il faut partir d'un constat : aujourd'hui les technologies numériques sont utilisées et développées par les entreprises en tant que moyen d'accumulation du capital. Elles utilisent pour cela gratuitement les expériences fournies par l'activité humaine qu'elles transforment en données, données elles-mêmes transformées en produits prédictifs destinés soit à cibler les acheteurs de leurs produits, soit à être vendus à des acteurs économiques qui les utiliseront à leur tour pour cibler les consommateurs finaux.
La logique de l'accumulation capitaliste s'applique ici à fond : pour être de plus en plus efficace pour prédire et formater les comportements des consommateurs finaux, il faut augmenter sans cesse la quantité de données disponibles, leur variété, mais surtout utiliser des données qui renvoient aux comportements les plus intimes. On assiste ainsi à une accumulation exponentielle des données, le big data, permise par l'arrivée du cloud qui permet de les stocker et de les utiliser dans des machines apprenantes formatées par l'apprentissage profond, le deep learning. De plus, l'invention des « larges modèles de langage » (LLM) permet la génération de textes de plus en plus performants (IA générative) et les progrès considérables de la performance des processeurs graphiques (GPU) permet qu'un même ensemble d'algorithmes puissent être utilisés dans une grande variété de situations.
Cette grappe d'innovations est d'abord utilisée dans un nouveau type d'entreprise, la plateforme, qui est techniquement un ensemble d'ordinateurs en réseau gouvernés par des algorithmes et dont la fonction est d'être un intermédiaire qui facilite les interactions entre plusieurs groupes d'utilisateurs, particuliers ou agents économiques (plateforme dite multiface) ou qui sert d'intermédiaire entre le consommateur et les produits ou services qu'il désire (plateforme dite revendeur)4.
Mais ces technologies numériques peuvent être utilisées dans à peu près tous les secteurs de la vie sociale. Loin de se réduire aux entreprises de plateformes, la logique algorithmique infuse l'ensemble de l'économie et, au-delà la vie sociale dans son ensemble. Ainsi les entreprises traditionnelles non seulement utilisent massivement les données qui leurs sont fournies par les firmes numériques, mais produisent elles-mêmes des objets connectés fournissant à leur tour de nouvelles données. De plus, la capacité prédictive de l'IA tend à faire de l'être humain un simple accessoire de la machine.
Même si l'être humain reste le décideur en dernier ressort, qui osera aller contre la « recommandation » d'une machine ayant mouliné des milliards de données ? La décision humaine ne relèverait plus d'un débat et d'une confrontation entre des choix distincts basés sur des options politiques et des conceptions éthiques différentes, mais sur le traitement statistique probabiliste de milliards de données. Car il s'agit non seulement d'anticiper les comportements des consommateurs mais aussi d'influencer leur consommation future.
Ce dernier objectif n'est, en soi, pas nouveau. De « la réclame » lors de la création des grands magasins, que décrit Zola dans Au bonheur des dames, à la publicité moderne, contrôler et influencer les consommateurs a toujours été un objectif allant de pair avec une marchandisation croissante. Cependant la publicité traditionnelle agit de l'extérieur sur les individus - elle est donc repérable -, et de façon globale, même si elle se veut ciblée, ce qui limite malgré tout sa portée. L'IA agit au contraire de manière quasi invisible, ciblant les individus à partir de leurs comportements antérieurs. Pire même, le développement des robots conversationnels (chatbot) permet à la plateforme d'échanger directement avec les personnes qui les utilisent, leur soutirant ainsi de nouvelles informations sur elles-mêmes, informations qui seront ensuite transformées en données qui serviront à la production de nouveaux produits. Ainsi, la production de marchandises est maintenant soumise à un processus de numérisation des activités humaines. L'extraction de données personnelles, qui permet la manipulation des comportements, tend à devenir le carburant de l'accumulation du capital. En elle-même cette accumulation de données ne servirait pas à grand-chose si elle n'était pas réinjectée d'une façon ou d'une autre dans le circuit de production des marchandises, c'est-à-dire de biens et de services ayant une utilité sociale, une « valeur d'usage », pouvant être soit fournis « gratuitement » en échange de l'abandon de leurs données par les utilisateurs, soit monétisés et vendus.
Le développement de l'IA, le cloud computing et le big data vont-ils entraîner une nouvelle logique d'accumulation du capital ? Tout d'abord, il faut noter le développement de phénomènes rentiers qui peuvent faire penser à l'avènement d'un « techno-féodalisme ». Ces rentes peuvent être de plusieurs sortes5 : rente liée à la propriété intellectuelle ; rente liée à l'utilisation d'actifs « intangibles » (logiciels, bases de données, procédures informatiques, etc.) qui, une fois l'investissement initial réalisé, peuvent être reproduits à des coûts marginaux6 négligeables ; rente dite « d'innovation dynamique » permise par l'accumulation de données dans les chaînes de valeur contrôlées par les firmes. Remarquons toutefois que ce phénomène de rente est consubstantiel au fonctionnement du capitalisme – Marx parlait même de « féodalisme industriel » – et s'est considérablement aggravé avec la naissance du capitalisme monopoliste où les profits des firmes reposent à la fois sur l'exploitation du travail et sur l'existence de rentes liées à leur pouvoir de marché.
On retrouve ce même pouvoir de marché dans le cas des plateformes à travers « l'effet réseau » qui se manifeste doublement : d'une part, plus le nombre de personnes utilisant un service croît et plus ce service devient utile et efficace pour ses utilisateurs ; d'autre part, un nombre croissant d'utilisateurs augmente la valeur économique du service en question. La valeur ou l'utilité à rejoindre la plateforme dépend du nombre d'utilisateurs. L'effet réseau pousse donc au monopole avec pour conséquence que le « vainqueur prend tout », winner-take-all. Ce n'est donc pas a priori la plateforme la plus performante qui l'emporte, mais celle qui, pour une raison ou une autre, réussit à attirer de plus en plus d'utilisateurs. Ces derniers sont d'ailleurs prisonniers de cette plateforme, le coût du changement étant élevé, car la quitter fait perdre ce qui en est l'atout principal, le nombre très élevé d'utilisateurs.
Il faut insister sur un point concernant la formation du prix des services rendus par la plateforme. Le pouvoir de marché de l'effet réseau lui permet d'élever ses prix au-dessus de ses coûts alors même que le service est rendu à un coût marginal quasi nul. Il s'agit donc de prix administrés par la plateforme et qui ne correspondent à aucune réalité économique nécessaire, si ce n'est la volonté de faire les profits les plus élevés possibles. Mais là aussi on retrouve de fortes similitudes dans le capitalisme moderne.
Contrairement à ce qu'affirme l'économie standard, le prix n'est en général pas le mécanisme d'adéquation entre l'offre et la demande sur un marché, tout simplement parce que le marché n'existe pas, sauf pour quelques produits et pour les actifs financiers. Pour qu'un marché existe, il faut une institution qui l'organise et qui permette de mettre en relation acheteurs et vendeurs. Pour des millions de produits disponibles, il n'y a pas de marché au sens strict du terme et les prix sont administrés par les entreprises. Ces dernières, campagnes de publicité à l'appui, essaient de faire distinguer leurs produits par des qualités réelles ou supposées, le prix n'étant qu'un des éléments du choix du consommateur. Parler ici de « marché » est abusif et signifie simplement que la validation sociale de la production se fait a postériori dans l'échange.
Toutefois il est clair que des modifications substantielles du capitalisme sont en cours : apparition d'un nouveau type d'entreprise, la plateforme ; d'un moteur nouveau de l'accumulation, les données ; recomposition des frontières entre travail gratuit et travail rémunéré ; nouveau type de travail polarisé à l'extrême qui combine emplois précarisés et sous-payés, régis de plus en plus par des contrats commerciaux (auto-entreprenariat), et emplois de haut niveau ultra qualifiés ; nouvelle forme de capital qui s'entremêle avec le capital financier et le capital industriel, le capital numérique ou algorithmique, qui a sa propre logique et qui tend à se diffuser dans toutes les sphères de la vie sociale.
Cette nouvelle forme de capital repose certes sur l'exploitation du travail mais aussi, à une échelle jamais vue, intègre dans son processus de valorisation les données issues de l'expérience humaine. Ce qui est nouveau, c'est que les plateformes s'appuient sur l'exploitation du comportement des utilisateurs pour développer et revendre une capacité à prédire leurs comportements. Cet effet boucle a pu se retrouver sous une forme différente dans le capitalisme fordiste où les salarié·e·s.e.s participaient à leur propre exploitation et oppression en échange de pouvoir accéder à des biens de consommation dont ils étaient les producteurs. La différence essentielle tient au fait que ce qui était un processus en grande partie extérieur, en surplomb – d'où les révoltes ouvrières de la fin des années 1960 – devient maintenant, de fait, quasi invisible et donc intériorisé.
Cette nouvelle configuration ne remplace pas le capitalisme financiarisé du néolibéralisme, bien au contraire. Tout d'abord, la logique néolibérale, tout entière tournée vers la marchandisation de toutes les activités sociales, a été la condition pour que le capitalisme numérique voit le jour, que ce soit par la déréglementation du secteur des nouvelles technologies, en particulier celui des télécommunications, ou par le durcissement considérable du droit de propriété intellectuelle et la possibilité de marchandiser les données. Ensuite ce capitalisme numérique ou algorithmique s'articule avec le capitalisme financier, industriel ou commercial. Si la logique d'accumulation néolibérale, dominée par le poids déterminant des actionnaires, notamment des institutions financières, n'a pas disparue, elle est de plus en plus en plus dépendante des plateformes et des machines algorithmiques.
Tend ainsi à se combiner dans le fonctionnement des entreprises à la fois la logique entrepreneuriale qui fait de la concurrence le moteur de l'action et la logique algorithmique qui s'appuie sur des processus prédictifs aboutissant à des décisions automatisées, logique qui se décline aussi au sein des institutions publiques. Enfin, les firmes numériques participent pleinement au jeu du capitalisme financier (cotations boursières, rachat d'entreprises, etc.).
Il faut pour terminer souligner un point. Le capitalisme a toujours fonctionné historiquement avec l'hégémonie d'une grande puissance, le Royaume-Uni au XIXe siècle, les États-Unis par la suite. Le déclin relatif de l'hégémonie états-unienne et la montée impressionnante de la Chine comme postulant à cette hégémonie structurent en grande partie les relations internationales. Cette lutte pour la suprématie se joue en grande partie sur le terrain des technologies numériques comme le montrent les mesures de rétorsion prises par les États-Unis contre la Chine. Dans cette situation, non seulement la plupart des pays, en particulier l'Union européenne, sont dans une situation de subordination, mais la question de la régulation de l'IA, afin qu'elle puisse rester sous contrôle politique et citoyen risque de passer au second plan.
Novembre 2024
NOTES
1. Voir Pierre Dockes, La libération médiévale, Flammarion 1979 et Mathieu Arnoux, Le temps des laboureurs, Albin Michel 2012.
2. Voir Antonio A. Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Seuil 2019.
3. Nous nous appuyons ici sur quatre ouvrages qui, au-delà de leurs divergences, synthétisent et globalisent une énorme production de travaux : Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l'économie numérique, Zones 2020 ; Maya Bacache Beauvallet, Marc Bourreau, Économie des plateformes, La Découverte, 2022 ; Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, Le capitalisme algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l'ère de l'intelligence artificielle, Écosociété 2023 ; Yanis Varoufakis, Les nouveaux serfs de l'économie, LLL 2024. Voir aussi Daniel Bachet, Les marchés réorientés : plateformes, intelligence artificielle et capitalisme algorithmique, https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-40-ete-2024/dossier-ou-en-est-l-altermondialisme-dans-le contexte-de-la-crise-globale-du/article/les-marches-reorientes-plateformes-intelligence-artificielle-et-capitalisme
4. Ces définitions sont issues de Maya Bacache-Beauvalleyt et Marc Bourreau, op cit.
5. Nous reprenons ici l'essentiel de la taxonomie mise en évidence par Cédric Durand, op cit.
6. Le coût marginal désigne le coût de production d'une unité supplémentaire.
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« La RD Congo est une réserve pour les dominants »

Dans Barbarie numérique, une autre histoire du monde connecté, le sociologue Fabien Lebrun explore les conséquences d'un monde toujours plus connecté, notamment en République démocratique du Congo, où une grande partie des minerais nécessaires à cette « révolution numérique » sont disponibles. Pour lui, cette situation est l'une des principales causes des guerres dans l'est du pays depuis trente ans.
Tiré d'Afrique XXI.
Nous avons toutes et tous des minerais de sang dans la poche et sommes les complices indirect·es de crimes abominables pour répondre aux injonctions du monde numérique. C'est du moins le propos défendu dans Barbarie numérique, une autre histoire du monde connecté (préfacé par le philosophe québécois Alain Deneault, avec un avant-propos du prix Nobel de la paix Denis Mukwege), du sociologue Fabien Lebrun. Dans cet ouvrage, il revisite la « révolution numérique » au prisme de l'histoire du capitalisme mondial et de la République démocratique du Congo (RD Congo). Pour lui, la « transition » (qu'elle soit énergétique ou numérique) vantée par « l'idéologie du capital » n'existe pas. Seule l'addition de besoins et de technologies (production d'hydrocarbures et extractivisme pour les énergies renouvelables, la numérisation et l'intelligence artificielle) et l'accumulation financière demeurent, avec des conséquences environnementales et sociétales désastreuses.
En RD Congo, où la situation dans l'Est s'est détériorée ces derniers jours avec l'offensive du M23, groupe armé soutenu par le Rwanda, ses habitant·es sont exploité·es depuis toujours pour nourrir une mondialisation effrénée, estime le sociologue. « Scandaleusement » riches, ses terres sont convoitées au mépris des Congolais·es qui vivent dessus. Hier, il s'agissait d'esclaves. Puis du caoutchouc et des minerais pour les armes (dont l'uranium qui a servi pour construire la bombe atomique lâchée le 6 août 1945 sur Hiroshima). Aujourd'hui, le cobalt, le tantale, le tungstène et autres terres rares nécessaires pour les smartphones et les batteries électriques suscitent autant d'appétit que l'or au temps des conquistadors, qui ont pillé les Amériques à partir du XVIe siècle.
La thèse défendue par l'auteur peut être toutefois interprétée comme une forme de dépolitisation des guerres à répétition dans la région. Comme le soulignent par exemple Christoph Vogel et Aymar Nyenyezi Bisoka dans Afrique XXI, ces points de vue (comme d'autres) ont tendance à enfermer l'Afrique « dans une vision réductrice ». « Ces récits tendent à réduire l'Afrique à un simple réceptacle de politiques extérieures », écrivent les chercheurs. Selon eux, ces discours perpétuent l'idée du « fardeau de l'homme blanc », ce qui « justifie ainsi les interventions internationales sous prétexte de paix, de stabilité et de développement ».
Fabien Lebrun avance l'idée que ce « technocolonialisme » utilise les mêmes pratiques que le colonialisme et le néocolonialisme : travail forcé, fraude, financements de groupes armés… Les « minerais de sang » sont au cœur d'une plainte déposée en France et en Belgique les 16 et 17 décembre 2024 par la RD Congo contre des filiales du géant américain Apple pour recel de crimes de guerre, blanchiment de faux et tromperie des consommateurs. Celui-ci a annoncé avoir suspendu ses livraisons, ce qui, selon les avocats de Kinshasa, ne l'exonère pas de ses crimes passés.
Dans cet entretien, le sociologue, également auteur d'un essai sur le rôle néfaste des écrans sur les enfants (On achève bien les enfants. Écrans et barbarie numérique, éditions Le bord de l'eau, 2020, 16 €), lie le « boom minier » des années 1990 aux guerres à répétition dans le pays depuis trois décennies. Il estime qu'il est nécessaire de revoir notre rapport à la connexion et aux technologies, d'« entamer une décroissance minérale et numérique » pour préserver des vies en RD Congo.
« Les puissances capitalistes financent les milices »
Michael Pauron : Dans Barbarie numérique, vous connectez les guerres qui déchirent l'est de la RD Congo depuis trente ans à l'exploitation des minerais nécessaires pour construire les appareils connectés... N'est-ce pas dépolitiser ces conflits qui ont bien souvent des ressors socio-politiques plus complexes ?
Fabien Lebrun : Les ressources dont a besoin la « révolution numérique » sont très mal réparties sur terre : la RD Congo est sans doute le seul pays au monde qui dispose dans son sol et son sous-sol de la quasi-totalité de la table de Mendeleïev [qui recense tous les éléments chimiques connus, NDLR]. Et, depuis trente ans, des centaines de milices évoluent dans la région. Qui finance ? Les puissances capitalistes et aussi le secteur extractif mondial. Pour moi, d'un point de vue économique et industriel, c'est l'élément central de ces guerres à répétition. Tout cela correspond à la période de la numérisation et de la miniaturisation.
Rappelons que, chaque année, sont vendus environ 1,5 milliard de smartphones, 500 millions de téléviseurs, 500 millions de PC, 200 millions de tablettes, 50 millions de consoles de jeux vidéos… Sans oublier les milliards d'écrans, d'objets connectés (comme le réfrigérateur, la voiture…) qui dépendent de minerais et de métaux dont une grande partie se trouve en Afrique centrale – du moins pour les plus stratégiques.
Michael Pauron : Pour vous, tout tend à prouver que le retour du groupe armé soutenu par le Rwanda, le M23, en 2021, est intimement lié aux minerais… Quelle est votre hypothèse ?
Fabien Lebrun : En 2021, Félix Tshisekedi passe un accord avec l'Ouganda pour faciliter la construction de routes et l'acheminement de produits miniers, forestiers et agricoles. Presque au même moment, plusieurs rapports montrent qu'il va falloir davantage de tantale et de minerais stratégiques pour la 5G et pour la voiture électrique notamment.
Dans ce contexte, plusieurs observateurs estiment que le Rwanda, qui ne veut pas se voir priver de certaines sorties et donc d'une partie de ce marché, a réactivé le M23 en réaction aux accords entre l'Ouganda et la RD Congo. Je penche pour cette hypothèse, d'autant que le M23 a rapidement mis la main sur la mine de Rubaya, dans le Rutshuru, où sont présentes 15 % des réserves mondiales de coltan. Cela étant dit, certains réfugiés du M23 sont en Ouganda. Kampala a donc au minimum fermé les yeux.
Michael Pauron : La RD Congo accuse le Rwanda de piller ses sous-sols. On sait que l'Ouganda en profite également... Cette situation pourrait-elle exister sans la complicité de certaines élites congolaises ?
Fabien Lebrun : Il y a des intérêts divergents et contradictoires des élites de la région. Pendant les deux guerres du Congo [de 1996 à 1997 et de 1998 à 2002, NDLR], les armées sur place qui découvrent toutes ces richesses se sont fait beaucoup d'argent. Il y a eu toute une économie de guerre. Ensuite, les armées ne pouvaient pas rester sur place. Des groupes ont donc été téléguidés. Quatre-vingt-dix pour cent des minerais 3TG [étain, tantale, tungstène et or, NDLR] estampillés rwandais sont congolais. Et ce pillage bénéficie de la complicité de Congolais, c'est évident.
Félix Tshisekedi (comme Joseph Kabila avant lui) pourrait stopper ce pillage mais les Forces armées de RD Congo participent largement à cette exploitation, comme les centaines de groupes armés. Les élites congolaises y compris locales signent des contrats, bradent les terres de leur population et se font beaucoup d'argent.
« L'Histoire permet de voir une continuité »
Michael Pauron : Mi-décembre 2024, la RD Congo a déposé plusieurs plaintes en France et en Belgique contre des filiales d'Apple qui exploitent des « minerais de sang ». Quelles pourraient-être les conséquences d'une telle démarche ?
Fabien Lebrun : Il y a déjà eu une plainte en 2019 aux États-Unis (1) d'un collectif de juristes contre Apple, Dell, Microsoft et Tesla pour complicité de mort d'enfants dans des mines de cobalt congolaises. La plainte a finalement été rejetée en mars 2024. Mais le fait que ce soit un État qui attaque est inédit. Tant mieux si cette plainte conduit à une prise de conscience plus large, car il y a déjà eu de nombreuses campagnes contre les minerais de sang sans que cela ne change quoi que ce soit.
Michael Pauron : À travers l'histoire de la RD Congo et de la « révolution numérique », vous dénoncez une continuité du capitalisme, de la traite négrière à l'extractivisme des métaux nécessaires pour construire nos appareils connectés. Quels sont les points communs entre le commerce triangulaire et l'exploitation des mines en RD Congo ?
Fabien Lebrun : La démarche du livre est de remettre en perspective le dernier quart de siècle du numérique avec cette grande histoire du capitalisme. À travers la technologie et l'histoire du Congo, on reprécise ce qu'on entend par capitalisme et son développement, ses racines et sa naissance. On peut se concentrer sur ses pratiques, son rapport à la terre et à l'exploitation minière.
Je pars de ce que Karl Marx appelait « l'accumulation primitive du capital (2) », à savoir la longue période de la traite négrière et du commerce triangulaire, du XVIe au XIXe siècle, qui met en relation Europe, Afrique et Amérique. Il s'agit du commencement de la mondialisation, qui participe aux premiers profits, ou capitaux, notamment européens à travers les conquistadors et les colons (espagnols, portugais, français, hollandais et anglais). Nous assistons à la naissance de l'extractivisme : l'or et l'argent, énormément puisés sur le continent américain dès le XVIe siècle, ont fait la richesse de l'Espagne et du Portugal.
Plonger dans l'Histoire permet de voir une continuité dans l'apparition conjointe d'une révolution industrielle – ou de la transformation du capitalisme – et un besoin de prélèvement de ressources naturelles. Le Congo est à ce titre emblématique : des hommes, des femmes et des enfants ont été « prélevé·es » pendant la traite négrière afin de répondre à la demande de sucre, de café ou encore de cacao en Europe ; à partir de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, la forêt a été exploitée de manière intensive dans ce pays, notamment pour le caoutchouc avec l'expansion de l'automobile et de l'industrie du pneu ; durant les guerres du XXe siècle, des métaux essentiels à l'industrie de l'armement sont exploités au Congo – citons l'uranium du Katanga et la course aux armements durant la guerre froide ; et, dans les années 1990, avec l'informatisation du monde, le pays répond une nouvelle fois présent avec la richesse de son sous-sol et sa diversité minéralogique.
« L'état d'esprit colonial perdure »
Michael Pauron : Vous expliquez que la notion d'extractivisme avait pratiquement disparu. Quand réapparaît-elle ?
Fabien Lebrun : Le concept d'extractivisme est revenu il y a vingt-cinq ans lors d'une période qu'on a qualifié de « boom minier », qui correspond au développement du numérique mais aussi à la forte demande des pays émergents (Inde, Chine…). Plusieurs travaux montrent une forte augmentation de la pression sur les terres, principalement dites « métalliques ». Cette période a été rapprochée du XVIe siècle, baptisé « le siècle de l'or ». C'est une continuité.
Michael Pauron : Vous parlez également de la continuité du colonialisme, que vous qualifiez de néocolonialisme ou de « technocolonialisme ». Qu'entendez-vous par là ?
Fabien Lebrun : L'état d'esprit des structures coloniales et des institutions ainsi que leurs pratiques perdurent à travers une division internationale du travail et une production mondialisée. Les pratiques criminelles se poursuivent dans ce nouveau stade du capitalisme : extractivisme, fraude et travail forcé qu'on peut comparer à l'esclavagisme. En définitive, il faut faire travailler les Congolaises et les Congolais pour alimenter notre mondialisation.
Michael Pauron : Le colonialisme se perpétue également à travers le vocabulaire, comme l'expression de « scandale géologique » pour qualifier la RD Congo...
Fabien Lebrun : L'expression vient des colons belges, et plus exactement du géologue Jules Cornet au début des années 1880, d'abord pour parler du Katanga, puis de l'ensemble de la RD Congo. À travers ce terme, on voit bien la convoitise et la potentielle goinfrerie : le sol est considéré riche en matière première pour pouvoir développer différents marchés, différentes marchandises, différents produits de la société occidentale. Derrière cette expression, on parle d'un lieu voué à être exploité. C'est une réserve pour les dominants. On parle de la terre pour la maltraiter. On a là un lieu, un territoire qui va participer à l'économie mondialisée. Une projection utilitariste. Ni la nature ni l'humain ne comptent.
« Il n'y a pas de transition, il y a addition et accumulation »
Michael Pauron : Dans votre ouvrage, vous remettez en cause le narratif de ce capitalisme numérique, comme les mots « dématérialisation » et « transition ». Pourquoi les considérez-vous comme inappropriés ?
Fabien Lebrun : Au niveau de l'idéologie, de l'utilisation des mots et de la langue, le terme « dématérialisation » est en effet un de mes pires ennemis. Il est central dans l'idéologie capitaliste contemporaine. « Dématérialiser » sous-entend « numériser » et « informatiser ». À travers ce terme et d'autres, comme « cloud », « cyberespace »..., on cherche à rendre « éthéré » des choses sur lesquelles on n'aurait pas de prise. Or un smartphone c'est 60 métaux et la voiture électrique c'est 70 métaux, la quasi-totalité des 88 disponibles dans la croûte terrestre. Plus on vend des technologies efficaces et plus on miniaturise, plus on recourt à l'ensemble de la table de Mendeleïev. Dans les vingt à trente prochaines années, il va falloir extraire plus de métaux qu'on en a extrait dans toute l'histoire de l'humanité. Nous n'avons jamais été dans une société aussi matérielle. Parler de « dématérialisation » est simplement faux.
C'est la même chose avec l'intelligence artificielle. Il s'agit d'une puissance de calcul qu'il faut rendre plus performante, et qui est basée sur une somme de données qu'il faut traiter, stocker, analyser. On va multiplier la construction des centres de données (les « data centers »), ce qui correspond à du béton, du verre, de l'acier et de l'eau pour refroidir.
Les énergies renouvelables reposent sur le même type de ressources. L'idéologie du capital appelle ça une « transition ». Or il n'y a pas de transition, il y a addition et accumulation, comme le montre très bien l'historien Jean-Baptiste Fressoz, et conformément au principe du capitalisme qui repose sur une croissance infinie.
Elon Musk sait que les minerais s'épuisent, raison pour laquelle il veut aller les chercher sur la Lune et sur les autres planètes ou sur les astéroïdes. Emmanuel Macron et d'autres veulent aller les chercher dans les fonds marins. La Russie et la Chine veulent aller sous les pôles. Tous pensent que le XXIe siècle est un siècle extractiviste et que ces nouveaux secteurs permettront d'éviter l'effondrement du capitalisme. Or cet effondrement est déjà entamé.
Michael Pauron : Votre ouvrage prône la déconnexion. Comment y parvenir dans un monde ultra connecté ? Comment limiter la marche technologique actuelle pour sauver des vies congolaises ?
Fabien Lebrun : Beaucoup de gens me disent que c'est impossible. Mais si on réfléchit à la production de tous ces appareils connectés, on tombe forcément sur l'Afrique centrale, et en particulier sur la RD Congo, qui concentre de nombreuses problématiques liées à la production des technologies connectées. Dans ce cas, si on pense à la place que prennent ces appareils dans notre vie et les conséquences que cela engendre au Congo, il m'apparaît évident qu'il faut revoir nos technologies, la façon dont elles sont conçues, et sans doute accepter qu'elle deviennent moins performantes, moins efficaces, afin qu'elles exigent moins de pression sur la terre, la géologie, le foncier et l'humain.
Il faut réintroduire la notion de limite. On n'a pas le choix. Il va falloir entamer une décroissance minérale et numérique. Se déconnecter d'un seul coup est compliqué mais il faut politiser la technologie car elle donne une direction à notre monde, à notre société et à différentes formes de dominations et d'oppressions. Tout cela devrait être débattu dans toutes les assemblées, dans toutes les administrations et dans toutes les entreprises.
Il faut se questionner sur nos besoins réels et non pas sur ceux créés par l'industrie. Un téléphone à clapet, c'est une trentaine de métaux, soit deux fois moins de pressions qu'un smartphone. D'un point de vue coût-bénéfice, un smartphone avec soixante métaux est inutile.
Notes
1- Le collectif international Rights Advocates (IRAdvocates) représentant quatorze victimes congolaises avait porté plainte en décembre 2019 devant la Cour fédérale. Les parties civiles reprochent à ces sociétés d'avoir tiré profit du travail forcé d'enfants dans les mines de cobalt en RD Congo.
2- Karl Marx, Le Capital. Critique de l'économie politique, 1867.
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Mali. L’État rompt avec l’ordre libéral dans les mines industrielles

Depuis le coup d'État militaire de 2020, les autorités maliennes se sont engagées dans un bras de fer tendu avec les compagnies étrangères titulaires des permis miniers. Les deux parties se disputent âprement les revenus du sous-sol autour de la nouvelle législation.
Tiré d'Afrique XXI.
En novembre 2024, l'État malien emprisonne Terence Holohan, le PDG de la compagnie australienne Resolute Mining, qui extrait de l'or dans le sud du Mali depuis 2008. En décembre, la justice malienne émet un mandat d'arrêt contre Mark Bristow, le PDG de l'entreprise canadienne Barrick Gold, qui réplique par la suspension de ses opérations à Loulo-Gounkoto (1). Décrite comme l'une des plus grandes entreprises aurifères au monde, Barrick Gold exploite l'or dans l'ouest du Mali depuis sa fusion avec la société anglaise Randgold, en 2018. C'est au Mali que cette dernière avait commencé l'exploitation aurifère, en 1996, grâce au rachat des actifs de la compagnie austro-américaine BHP-Utah.
Les motifs de ces actions judiciaires convergent vers l'accusation que ces compagnies spolient l'État. Parallèlement, l'État impose désormais les dispositions du code minier de 2023, qui lui est beaucoup plus favorable, aux contrats en vigueur signés antérieurement.
Avant le coup d'État de 2020, le Mali s'était toujours abstenu d'incarcérer les représentants des groupes miniers. Qui plus est, depuis 1987, il s'était résolu à recourir à l'arbitrage international pour résoudre ses différends avec les compagnies minières étrangères. Et, jusque-là, le Mali ne les contraignait pas à se conformer à la nouvelle réglementation tant que les contrats étaient en cours de validité.
En réalité, ces inflexions traduisent l'affirmation d'une rupture de l'État malien avec l'ordre libéral qui s'est imposé au monde depuis la chute du mur de Berlin. Et cette rupture s'inscrit dans une certaine profondeur historique.
À l'indépendance, la nationalisation
L'ordre libéral repose sur des idées et des pratiques qui prônent le désengagement de l'État dans la production au profit des acteurs privés et la privatisation des actifs publics. D'après Daniel Yergin et Joseph Stanislaw (2), la plus grosse vente des actifs publics dans le monde s'est produite après la chute du mur de Berlin.
Dans le secteur extractif malien, il s'est traduit notamment par la suppression de toutes les entreprises publiques ; la limitation à 20 % de la participation de l'État au capital des entreprises mixtes ; l'absence de représentant de l'État dans les mines ; le transfert de l'autorité judiciaire vers le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi).
Ancienne colonie française, le Mali accède à l'indépendance en 1960 sous la présidence socialiste de Modibo Keïta, un civil. Avec l'aide de l'URSS, l'État crée dès 1961 le Bureau minier du Mali, une société nationale. Celle-ci est rebaptisée Société nationale de recherches et d'exploitation des ressources minières (Sonarem) en 1963. Son rôle est d'entreprendre l'exploration et l'extraction des ressources du sous-sol. En 1963, le Mali met en place son premier code minier postcolonial, qui fait implicitement de la Sonarem l'unique entité autorisée à entreprendre les activités minières à caractère industriel. En d'autres termes, les entreprises privées sont exclues du droit de propriété sur les ressources minérales. Ces entreprises ne peuvent s'engager dans la recherche et l'extraction des ressources que pour le compte de l'État, contre rémunération. Il s'agit d'une rupture avec le libéralisme colonial fondé sur la reconnaissance du droit de propriété privée.
Le socialisme, « seul gage de la stabilité »
Ainsi, dans la période 1963-1968, seules deux entreprises privées occidentales interviennent dans le secteur extractif malien pour le compte de l'État. Il s'agit de la société allemande Klöckner (pour l'étude de faisabilité sur l'exploitation des gisements de phosphate de Tilemsi, dans le Nord) et de la compagnie anglaise Selection Trust (pour l'exploration de diamant à Kéniéba, dans l'Ouest). La plupart des travaux géologiques sont menés par l'État en partenariat avec l'URSS et non plus avec la France. Jusque-là acteur principal de l'exploration minière, la France est écartée à la suite des tensions nées de la dislocation de la Fédération du Mali.
Les mines ne sont pas le seul secteur que l'État nationalise dans les années 1960. La plupart des secteurs de l'économie sont concernés. Par exemple, 1960 voit la naissance de la Société malienne pour l'importation et l'exportation (Somiex), qui détient le monopole sur le commerce (3). À l'époque, l'étatisation de l'économie s'inscrit dans la stratégie d'importation de l'État socialiste. Pour les dirigeants du moment, comme Seydou Badian Kouyaté (4) (ministre du Développement de 1962 à 1965), le socialisme est « le seul gage de la stabilité politique ».
En novembre 1968, le gouvernement de Modibo Keïta est renversé par un coup d'État militaire mené par le lieutenant Moussa Traoré, qui deviendra plus tard général d'armée. Ce putsch montre que l'importation du socialisme au Mali n'a pas assuré la stabilité politique. L'une des rhétoriques de légitimation du nouveau pouvoir est l'élimination du socialisme. L'insertion de l'ordre libéral dans l'économie malienne en général et dans les mines en particulier est, dès lors, progressive, allant de la reconnaissance du droit de propriété privée à la vente des actifs publics.
Les pressions de la France
À l'arrivée aux affaires de Moussa Traoré, le Mali s'est déjà rapproché de la France pour rompre avec la nationalisation de l'économie. Cet engagement a été pris par le gouvernement de Modibo Keïta dans le cadre des accords monétaires franco-maliens (1967), dont l'une des conséquences immédiates est la dévaluation du franc malien la même année. La libéralisation de l'économie malienne était la condition posée par le gouvernement de Gaulle pour coopérer à la convertibilité du franc malien, créé depuis 1962 (5).
Au cours des deux ans qui suivent la prise du pouvoir par les militaires, plusieurs missions diplomatiques françaises se rendent au Mali pour rappeler l'exigence française de l'application de ces accords. L'extrait suivant du compte rendu de la mission conduite auprès de Moussa Traoré, en janvier 1970, par Yvon Bourges (alors secrétaire d'État aux Affaires étrangères), témoigne de la pression française sur le dirigeant malien :
- Monsieur Yvon Bourges a souligné avec la plus grande insistance les graves préoccupations que causait au gouvernement français l'aggravation de la situation générale du Mali sur les plans économique et financier, et en particulier la détérioration constante du compte d'opération, la persistance du déficit budgétaire et l'absence de tout signe de redressement des sociétés d'État et de la Banque du développement du Mali. Il a insisté très vivement sur la nécessité de prendre dans tous ces domaines des mesures immédiates […] et indiqué que l'effort de la France en faveur du Mali ne pourrait se poursuivre que si le gouvernement malien donnait des preuves de sa bonne volonté d'aboutir : l'heure n'est plus aux déclarations d'intention mais aux actes.
C'est dans ce contexte que le gouvernement de Moussa Traoré libéralise l'économie, en cassant le monopole des entreprises publiques. L'une des mesures emblématiques est la suppression, en 1971, du monopole de la Somiex sur le commerce. Pour le cas particulier des mines, l'État reconnaît le droit de propriété privée sur celles-ci grâce à la réforme du code minier de 1969, qui met fin également au monopole de la Sonarem.
Attirer les investisseurs étrangers
Par ailleurs, l'État supprime, dès 1969, la disposition légale qui excluait la privatisation des entreprises publiques sous Modibo Keïta. Cela signifie qu'au Mali le mouvement de privatisation est antérieur aux programmes d'ajustement structurel (PAS) des institutions financières internationales, qui ne commencent qu'en 1982. Néanmoins, c'est dans le cadre des PAS – autrement dit sur l'injonction de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international – que la plupart des entreprises publiques sont dissoutes, comme la Somiex, en 1988.
Le gouvernement Moussa Traoré ne dissout pas d'entreprise minière. Au contraire, en partenariat avec l'URSS, il crée une entreprise publique extractive en 1983, la Société de gestion et d'exploitation des mines d'or de Kalana (Sogemork). Le gouvernement vend, toutefois, des données géologiques nationales aux compagnies étrangères : l'américaine Ree-Co Minerals Inc, l'austro-américaine BHP-Utah et la canadienne Iamgold. En outre, pour offrir une meilleure protection juridique aux groupes miniers étrangers, le gouvernement consent, à partir de 1987, au transfert de l'autorité judiciaire de l'État vers le Cirdi. Ce dernier appartient au groupe de la Banque mondiale et siège à Paris.
Comme l'illustre l'extrait suivant d'un entretien à Bamako, en 2017, avec un ancien haut fonctionnaire des mines, ces politiques libérales visaient à rendre le sous-sol attractif :
- Nos pays ont décidé de créer les meilleures conditions pour attirer les investisseurs. C'est là où on a mis la stabilisation du régime, c'est là où on a mis les exonérations douanières, les exonérations fiscales ; c'est là où on a conçu la limitation de la participation, c'est là où on a mis tellement de petites choses qui pouvaient attirer les investisseurs. Et dont l'objectif était de permettre à ces investisseurs de rentrer le plus facilement dans leurs fonds. Donc, les garanties participaient de cela, les avantages fiscaux participaient de là, la fiscalité et mieux encore, même en ce qui concerne le règlement des différends. On a décidé que ces différends ne seront plus réglés dans nos pays, que c'est le Cirdi qui sera l'instance de règlement des différends entre les sociétés minières et nous. Les sociétés minières, en réalité, ce ne sont pas des sujets de droit international. Ce sont les États qui sont sujets de droit international. Mais par cet artifice juridique, on les a élevées au même niveau que nous.
Dans le même sens, en juillet 1995, Ibrahim Abba Kantao (directeur national de la Géologie et des Mines) soutient dans L'Essor (média public) que, sans les multinationales, le développement des industries extractives au Mali sera impossible : « Je ne pense pas que la libéralisation du secteur minier soit préjudiciable à notre pays. [...] Et tant qu'on ne prône pas le libéralisme, nos ressources n'auront pas de chance d'être exploitées. »
En 1991, un code minier ultralibéral
L'introduction de l'ordre libéral au Mali et plus généralement en Afrique ne s'est pas opérée uniquement sous la pression de l'extérieur. Elle est le fruit de la « rencontre (6) » entre des volontés locales et extérieures.
En mars 1991, le pouvoir de Moussa Traoré est renversé à son tour par un coup d'État militaire conduit par le colonel Amadou Toumani Touré, communément appelé ATT. Celui-ci deviendra plus tard général d'armée, comme son prédécesseur. ATT rend le pouvoir aux civils un an plus tard, avant de le reprendre par les urnes en 2002. Cependant, dans la courte période 1991-1992, son gouvernement franchit un pas décisif. Il dissout la Sogemork en février 1992.
Un an plus tôt, avec l'assistance de la Banque mondiale, son gouvernement élabore un nouveau code minier, le plus favorable aux compagnies privées de toute l'histoire du Mali, y compris la période coloniale. Ce code octroie des exonérations douanières aux entreprises sur les produits pétroliers pour toute la durée de leur contrat, soit trente ans, alors que dans le code précédent (1970) ces exonérations n'étaient concédées qu'en phase de recherche géologique. En outre, il baisse la taxe ad valorem (taxe sur la valeur des ventes) de 5 % à 3 %. Aussi, contrairement au code de 1970 qui ne prévoit pas de seuil de participation de l'État dans les sociétés mixtes, celui de 1991 limite cette participation à 20 %. De plus, le code de 1991 cantonne les droits de l'État sur les produits miniers à la stricte perception des impôts et dividendes.
Les injonctions de la Banque mondiale
La plupart de ces dispositions seront reprises dans les codes ultérieurs, jusqu'à celui de 2023. Contrairement à ses successeurs, le code de 1991 impose peu de contraintes écologiques aux multinationales. Enfin, il leur garantit la stabilité fiscale tout en leur permettant de choisir le code qui leur paraît le plus favorable. En d'autres termes, l'État ne les contraint pas à se soumettre à la nouvelle réglementation, mais les multinationales sont libres de migrer vers elle à leur guise.
Ainsi, les multinationales, dont les activités étaient jusque-là régies par le code minier de 1970, obtiennent les avantages de celui de 1991. C'est ce qui explique pourquoi, de 1991 à 2017, les plus importantes mines d'or maliennes étaient régies par le code de 1991, bien qu'initialement soumises à celui de 1970. C'est le cas des mines de Loulou (exploitée par Randgold puis Barrick Gold), Syama (exploitée par BHP-Utah, Randgold puis Resolute Mining), Sadiola (exploitée par Iamgold et la sud-africaine Anglogold Ashanti puis la canadienne Allied Gold). Lorsqu'il est question de renouveler leur contrat d'extraction de la mine de Sadiola, en 2017, Anglogold Ashanti et Iamgold sont réticentes à se voir appliquer le code de 2012 alors en vigueur, revendiquant les avantages du code de 1991. C'est le principal point de désaccord avec l'État.
Le point culminant de la libéralisation de l'extraction industrielle des mines maliennes est la dissolution, en 2000, de la dernière société publique minière, la Sonarem, par le gouvernement Alpha Oumar Konaré. Cela fait écho à l'idée de la Banque mondiale selon laquelle les États doivent se désengager de l'extraction au profit du privé pour leur stabilité politique. Lors d'une interview réalisée en 2021, un ancien conseiller de cette institution a expliqué que cette idée avait été diffusée en Amérique latine d'abord, puis en Afrique : « C'est la Banque mondiale qui a commencé à dire : “Voilà, vous avez un potentiel en cuivre, en or, etc. Vous ne pouvez pas continuer à exploiter par vous-mêmes ces gisements. Parce que le risque est trop grand. Vous avez un gisement de cuivre et le prix du cuivre tombe : vous ne pouvez plus continuer à sortir du cuivre. Et vous faites ça avec l'argent de la nation.” La Banque mondiale a dit : “Laissez les compagnies minières prendre ce risque d'investir.” »
Rangold, « l'une des grosses plaies »
Les pressions que les militaires exercent sur les firmes transnationales minières résultent d'idées antérieures à leur arrivée au pouvoir sur le partage jugé inéquitable des ressources. Cette perception de certains hauts cadres était aussi celle de beaucoup de citoyens maliens.
Interviewé en 2017, le représentant malien d'une multinationale confiait que sa propre épouse l'accusait de complicité de pillage des ressources du Mali. Même certains de ceux qui s'enrichissaient avec l'or du Mali admettaient que l'État gagnait moins que les compagnies étrangères. Les avantages du code de 1991 étaient perçus comme abusifs par de hauts responsables de l'administration des Mines, qui s'en ouvraient régulièrement, y compris en public.
Pour le cas particulier de Randgold (devenue Barrick Gold), de hauts fonctionnaires chargés du recouvrement des revenus miniers de l'État ne cachaient pas leur exaspération qu'elle n'ait versé aucun dividende au Mali depuis le démarrage de l'exploitation de la mine de Loulo, en 2005. L'extrait suivant de l'entretien réalisé avec l'un d'eux, par l'auteur de ces lignes, en 2017, en témoigne :
- L'une des grosses plaies du secteur minier actuellement concerne Randgold. À chaque réunion, nous attirons l'attention des gouvernants sur ce point-là. Depuis la création de Loulo, il y a bientôt vingt ans, Randgold n'a pas payé un franc de dividende à l'État. Parce que dans leur convention, il y a un paragraphe qui dit que tant que [la mine] doit un franc à un actionnaire, il ne peut pas y avoir de dividende tant que ce montant n'a pas été soldé. Donc, Randgold a profité de cette clause pour endetter la mine régulièrement, bien que faisant des profits extrêmes. On a toujours dénoncé ça. À chaque fois qu'un nouveau ministre des Finances vient ou un ministre des Mines, ils disent qu'ils vont revoir la situation. Mais après ça, quand ils rencontrent la société, on n'entend plus rien.
En réalité, la critique des politiques libérales de l'État et des multinationales remonte aux années 1990. Si les gouvernements successifs ont souvent été dénoncés pour leur bienveillance à l'égard des multinationales, aucun n'a pris de décision radicale. La critique restait donc dans le vide.
La fin de l'âge d'or du libéralisme ?
En comblant ce vide par des poursuites pénales contre des responsables de compagnies étrangères, par l'imposition d'un nouveau code minier rétroactif, par le rehaussement de la participation de l'État dans le capital des sociétés minières à 30 % avec la possibilité d'obtenir cette part en produits miniers, ainsi que par la création d'une société publique minière (2022), les militaires au pouvoir rompent avec l'héritage des programmes d'ajustement structurel. Indéniablement, c'est la fin de l'âge d'or du libéralisme dans l'extraction minière industrielle au Mali.
Avant eux, d'autres militaires, autour du capitaine Amadou Haya Sanogo, tombeur d'ATT en 2012, ont esquissé une posture de fermeté à l'égard des compagnies minières. C'est ainsi qu'ils se sont rendus, armés, sur le site aurifère de Sadiola, dans l'Ouest, pour inspecter le local où l'or était transformé en lingots. Mais le pouvoir de Sanogo fut trop éphémère pour s'imposer.
À ce stade, il est difficile de parler de retour de l'histoire. Car, contrairement au pouvoir de Modibo Keïta, le pouvoir actuel ne revendique pas le monopole de l'État sur les mines et n'a pas aboli le droit de propriété privée. Les nationalisations en cours diffèrent de celles de la décennie 1960 en ceci qu'elles ne portent pas sur l'appropriation totale des activités d'extraction industrielle minière. Il s'agit plutôt du rachat par l'État de mines antérieurement exploitées par les multinationales. Mais les deux régimes ont en commun de s'inscrire dans le renforcement de l'entrepreneuriat d'État, entretenu par rhétorique de la souveraineté nationale.
Notes
1- Les deux parties ont entamé un nouveau cycle de discussions le 28 janvier.
2- Daniel Yergin, Joseph Stanislaw, La Grande Bataille : les marchés à l'assaut du pouvoir, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000.
3- Journal officiel malien, 15 novembre 1960.
4- Seydou Badian Kouyaté, Les Dirigeants africains face à leur peuple, Paris, François Maspero, 1964.
5- Loi n° 62-54 A.N.-R.M « portant réforme monétaire en République du Mali ».
6- Anna Lowenhaupt Tsing, Friction : délires et faux-semblants de la globalité, Paris, La Découverte, 2020.
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Sheinbaum contre Trump

Je pense aux menaces d'augmentation des droits de douane contre la Colombie et contre le Panama que D. Trump prétend reprendre. Beaucoup ne savent pas que tout cela, mêmes ces menaces proférées sont en violation de la Charte de l'Organisation des États américains que les États-Unis ont contribué à fonder. Son art. 20 stipule : « Aucun État ne peut utiliser ou encourager l'utilisation de mesures coercitives de caractère économique ou politique en vue de contraindre la volonté d'un autre État pour en tirer quelque avantage que ce soit ».
Democracy Now, 29 janvier 2025
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr
Amy Goodman : (…) Jeudi, la Présidente du Mexique, Mme Claudia Sheinbaum, rejoindra d'autres leaders latinoaméricains.es à Teguicigalpa au Honduras. C'est une réunion d'urgence pour s'entendre sur la réponse à donner aux expulsions de masse et autres décisions du Président américain. Dans un de ses premiers décrets, il désigne les cartels mexicains « d'organisations terroristes » et poursuit en envoyant 1,500 soldats.es à la frontière avec le Mexique. Voici la réponse de Mme Sheinbaum à une question d'un.e journaliste à ce sujet.
Journaliste : Les cartels étant considérés comme des organisations terroristes, quelles mesures le Mexique va-t-il prendre dans de futurs cas comme celui-ci Mme la Présidente ?
Mme Sheinbaum : Nous combattons ces groupes criminels et ce que nous demandons, c'est de la collaboration et de la coordination. Les décisions unilatérales n'aident pas. La collaboration, oui. Nous procédons en ce moment à une analyse des implications pour diverses organisations non liées au crime pour qui par cette décision pourraient être confrontée à des problèmes économiques. Quoi qu'il en soit, nous voulons faire une proposition aux États-Unis avec qui nous devons travailler pour que nous puissions collaborer.
A.G. : En même temps, Mme Sheinbaum s'est moquée de la volonté du Président Trump de renommer le Golfe du Mexique, « Golfe de l'Amérique » tel qu'il l'a annoncé durant une récente conférence de presse. Elle s'est installé devant une carte datant de 1607 où la majorité de l'Amérique du nord est identifiée comme « Amérique mexicaine ».
Mme Sheinbaum : Les Nations unies ont reconnu le nom de « Golfe du Mexique ». Mais pourquoi ne pas adopter le terme Amérique mexicaine ? Ça a belle allure n'est-ce pas ? Depuis 1607, la Constitution de Apatzingan parlait d'Amérique mexicaine, donc, allons-y, utilisons ce vocable. Ça a belle allure n'est-ce pas ? Alors, le Golfe du Mexique se nomme ainsi depuis 1607 et il est aussi reconnu internationalement.
A.G. : Cette semaine, Google a annoncé qu'il renommerait le Golfe du Mexique, « Golfe d'Amérique » sur son moteur Google Map pour les utisateurs.rices américians.es.
Pour aller plus loin quant aux 100 jours de la Présidente mexicaine, Mme Sheibaum, nous rejoignons Edwin Ackerman, sociologue et professeur à l'Université de Syracuse. Il est l'auteur de « Origins of the Mass Parties : Dispossession and the Party-Form in Mexico and Bolivia.
Professeur Ackerman, soyez à nouveau le bienvenu sur Democracy Now. Pourquoi ne répondez-vous pas à ce que nous venons juste de diffuser ? Et donnez-nous vos commentaires sur les 100 premiers jours de la première Présidente du Mexique.
Edwin Ackerman : Merci beaucoup de votre invitation.
Je pense que ces 100 derniers jours ont été définis par une constante tension dans les négociations avec l'administration Trump ; nous pourrons en parler un peu plus. Mais je voudrais aussi souligner qu'intérieurement, ces 100 jours ont valu la peine publiquement au Mexique. Ils ont été marqués par une série de réformes constitutionnelles, environ une douzaine, au cours de ces trois mois. Il faut se rappeler que Mme Sheinbaum a été élue avec une forte majorité, soit les deux tiers dans les deux Chambres. C'est en quelque sorte un héritage de la popularité de son prédécesseur appelé familièrement AMLO. À titre personnel elle détient un niveau de popularité qui lui a permis de mettre de l'avant de très importantes réformes constitutionnelles qui vont des droits des autochtones, aux droits au logement et probablement le plus controversé portant sur la sécurité nationale. N'est-ce pas une très importante partie de ces 100 jours ?
Il y a aussi eu le dévoilement du très important plan économique de six ans qui devrait toucher plusieurs éléments de ce qu'on appelle, industrialisation pour substituer aux importations. C'est une sorte de politique qui a existé dans les pays d'Amérique latine durant les années 1950 jusqu'aux années 1970 approximativement et qui a donné une croissance économique significative en développant la production nationale pour remplacer les importations de façon stratégique.
Ceci dit, la violence des cartels continue. C'est clairement un enjeu de long terme. Elle n'a pas diminué d'aucune façon. On voit quelques signes de baisse dans le taux d'homicide mais par ailleurs, il y a des concentrations significatives de la violence, des poches notamment dans l'État de Sinaloa (qui se sont renforcées) au cours des trois derniers mois. La ville de Culiacan a été paralysée par la violence. Donc ça continue et c'est très sérieux.
Finalement, je veux mentionner les relations avec D. Trump qui a menacé (le Mexique) de droits de douane supplémentaires en lien avec le trafic et la production de Fentanyl au Mexique. Ou plutôt, présumément la production de Fentanyl dans le pays et encore la question de savoir comment gérer les expulsions, non seulement celle des citoyens.nes du Mexique mais encore plus difficile celle des non citoyens.nes qui arriveront sur le sol mexicain ; c'est un autre niveau de complications dans les négociations.
Juan Ganzalez (d.n.) : Professeur Ackerman je voulais vous demander si vous pourriez nous en dire plus sur les réformes qui ont été adoptées. (Mme Sheinbaum) profite de 80% d'appuis positifs par le public mexicain. Beaucoup qui n'ont pas voté pour elle la soutienne maintenant. Certaines de ces réformes comme la baisse de l'âge de la retraite pour les femmes de 65 ans à 60 ans. Quel est son argumentation à ce sujet ?
E.A. : D'accord. Il y a eu une série de réformes qui expliquent en partie sa popularité comme vous l'avez mentionné. En particulier celles qui visent les femmes. Elle a expliqué lors de ces conférences matinales que, pour des raisons historiques, ce sont les femmes qui ont toujours absorbé une part très importante des tâches domestiques sans salaire. Comme elle l'a souligné encore une fois, c'était ainsi pour des raisons historiques. Donc, pour elle c'est une raison de baisser leur âge d'accès à la retraite contrairement aux hommes.
J.G. : Et il y a eu des changements majeurs du côté des ressources naturelles du Mexique, par exemple pour ce qui est des bénéfices sociaux que les compagnies pétrolières et autres industries critiques devront appliquer. Pouvez-vous nous parler de cela aussi ?
E.A. : D'accord. Il y a eu d'importants changements dans le secteur de l'énergie ; le gouvernement en veut une part plus importante ou devenir un actionnaire plus important dans les marchés et recentrer son rôle. En examinant la liste des réformes vous voyez que c'est le thème dominant. Par exemple, dans un secteur un peu différent, celui du logement, une importante réforme est maintenant en place qui transforme l'existant fond national de crédit qui est là depuis des décennies, et lui donne maintenant l'obligation de mettre de ces crédits dans la construction de logements abordables. C'est faire de cette institution de fonds une agence active dans la construction avec le but de construire un million de nouveaux logements au cours des six prochaines années. L'État s'introduit directement dans l'enjeu du logement.
A.G. : Mme Sheinbaum est une scientifique du climat et elle est l'ancienne mairesse de Mexico. Pouvez-vous nous parler de ce que représente l'arrivée de D. Trump à la présidence et comment Mme Sheinbaum devrait répondre ? J. Trudeau est allé souper à Mar-a-Lago et il a dû démissionner. (…) Mme Sheinbaum n'a pas fait ça ni rien de semblable (…) même quand la menace d'augmentation des droits de douanes contre son pays (…) est arrivée (…) mais elle accepte le retour des migrants.es citoyens.nes du Mexique expulsés.es par avion.
E.A. : D'accord, c'est exact. Donc, je pense que le gouvernement mexicain a adopté une stratégie basée sur son expérience antérieure durant le premier mandat de D.Trump. Il faut se rappeler que AMLO était au pouvoir une partie du temps. Nous avons quelques archives, une sorte d'histoire de la manière de négocier avec D. Trump. Il semble que le gouvernement ait évalué que la diplomatie, une sorte de pensée diplomatique stratégique, valait mieux que les confrontations publiques pour atteindre des résultats. On a vu plusieurs exemples de ça durant le premier mandat Trump dans ses interactions avec AMLO. Il y a aussi eu des menaces d'augmentation des droits de douanes à cette époque. Plusieurs de ces mesures ont été neutralisées après avoir été brandies. Je pense que Mme Sheinbaum a été capable jusqu'à maintenant d'en faire autant.
Je pense que cela a à voir avec certaines choses. Premièrement, il faut se placer avant les années Trump. Il n'est pas exagéré de dire que, du point de vue mexicain à propos de beaucoup d'enjeux, il n'y a pas de différence entre les administrations démocrates ou républicaines. Si vous pensez à la construction du mur, elle a commencé sous une administration démocrate sous Clinton en 1994 et s'est poursuivie sous Obama. Donc, ce mur n'est pas le propre de D. Trump. Quant aux expulsions de masse, je ne doute pas que votre auditoire est bien au fait que durant les administrations Obama et Biden il y en a eu un nombre significatif encore plus important que durant le premier mandat de D. Trump. Et même les pressions pour que le Mexique prenne des mesures contre l'entrée de migrants.es de l'Amérique centrale aux États-Unis ont été exercées avant que D. Trump ne le fasse. Il y a donc une longue expérience de négociations ou de conversations évidemment très difficiles (entre ces deux pays) dans des conditions complètement inégales.
Ensuite, je veux dire aussi que l'administration mexicaine pense que cette histoire de droits de douanes est un bluff. Pas seulement parce que de telles menaces ont déjà existé sans rien donner de concret mais aussi parce qu'il y a des raisons structurelles pour que cette imposition n'aie pas lieu ; les États-Unis se tireraient dans le pied. Non seulement les prix pratiqués aux États-Unis augmenteraient et seraient refilés aux consommateurs.rices mais plus largement cet usage des droits de douanes est lié à un stade de développement du capitalisme qui n'existe plus. Le point de vue qui guide D. Trump prétend que vous pouvez propulser les capitalistes nationaux alors que nous sommes à l'âge de la globalisation du capital. Par exemple, vous imposez des droits de douane aux importations venant du Mexique, est-ce que l'on sait si ces produits ont été produit avec des capitaux mexicains plutôt qu'américains ou internationaux ? Donc, cela établit des limites à la politique des droits de douane.
J.G. : Professeur, je veux que nous continuions sur ce sujet parce que clairement, puisque le Mexique est le plus important partenaire commercial des États-Unis en ce moment, cette politique serait contreproductive pour le Mexique mais aussi pour de plus petits pays d'Amérique latine.
E.A. : C'est vrai.
J.G. : Je pense aux menaces d'augmentation des droits de douane contre la Colombie et contre le Panama que D. Trump prétend reprendre. Beaucoup ne savent pas que tout cela, mêmes ces menaces proférées sont en violation de la Charte de l'Organisation des États américains que les États-Unis ont contribué à fonder. Son art. 20 stipule : « Aucun État ne peut utiliser ou encourager l'utilisation de mesures coercitives de caractère économique ou politique en vue de contraindre la volonté d'un autre État pour en tirer quelque avantage que ce soit ». Croyez-vous que cette politique du Président Trump va renforcer l'opposition de l'Amérique latine contre les États-Unis ?
E.A. : Je le crois. On soupçonne que cela est en train d'arriver en ce moment. Il y a des discussions, des possibilités de réunions pour rafraîchir certaines tentatives de collaboration qui existaient déjà sous des formes institutionnelles. Cela a été particulièrement en marche durant ce qui a été une première vague dite « vague rose » qui a commencé au début des années 2000 quand une série de gouvernements progressistes sont arrivé au pouvoir sur tout le continent sud-américain. Certains de ces efforts ont ensuite été abandonnés ou mis de côté lorsque les formations de droite ont été élues dans ces pays. Mais une nouvelle vague rose arrive qui est partiellement intéressée et ce avant la prise du pouvoir par D. Trump, à créer des liens plus solides politiquement pour coordonner les réponses et économiquement pour une certaine intégration de leurs économies. On a beaucoup entendu parler de cela au cours des trois derniers mois.
A.G. : Je vous remercie Professeur Ackerman. (…) Dernière heure : La Présidente du Honduras, Mme. Xiomara Castro déclare qu'elle a annulé la réunion de mardi de la CELAC (Communauté des États latinos américains et caraïbéens) pour manque de consensus.
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L’ennemi numéro un du Mexique

Il n'y a pas de place pour l'erreur. Le président des États-Unis, Donald J. Trump, aujourd'hui pour la deuxième fois, n'est pas un simple homme dérangé qui laisse libre cours à ses caprices et à ses excentricités politiques. Au-delà de sa personnalité dure et abominable, il est, et a toujours été, un homme d'affaires qui, en tant que tel, vient à personnifier les tendances idéologiques et politiques qui ont pris racine dans un large secteur de la société américaine. Et c'est là que réside le danger.
https://rebelion.org/el-enemigo-numero-uno-de-mexico/
27 janvier 2025
Plusieurs éléments, même contradictoires, s'entremêlent dans cette idéologie : le classisme, le racisme, la xénophobie, le nationalisme exacerbé et agressif, la nostalgie d'une époque imaginaire où les États-Unis ont émergé en puissance, par conséquent un expansionnisme et un néocolonialisme ravivés qui nous renvoient plus au XIXe siècle ou au début du XXe qu'au XXIe. Par son homophobie et son suprémacisme WASP (blanc, anglo-saxon, protestant), entre autres.
L'idée centrale de Trump (au moins au niveau de la propagande), qui avait déjà pénétré un large secteur de la société américaine depuis sa campagne de 2016 mais encore plus dans cette campagne de 2024, est incarnée dans le slogan Make America great again (MEGA). On y voit l'attitude défensive face au déclin de la puissance américaine sur la scène planétaire et le monde multipolaire. Un déclin lent mais très perceptible. Les prévisions indiquent que d'ici quelques années, la Chine sera la première puissance mondiale dans l'ordre économique, technologique et peut-être militaire. Le groupe croissant des BRICS apparaît à ses côtés, qui vise à éliminer le dollar en tant que monnaie dominante dans le commerce et la finance au niveau international. La balance commerciale des États-Unis est déficitaire avec les principales nations dans les termes de l'échange : le Mexique, la Chine et le Canada. Malgré la tendance présumée à la relocalisation des entreprises, 59 milles nouvelles entreprises ont été créées en Chine en 2024 en tant qu'investissement direct étranger (IDE), ce qui impliquait une augmentation de 9,9% en glissement annuel (https://www.jornada.com.mx/noticia/2025/01/18/economia/china-arribaron-59-mil-empresas-de-inversion-extranjera-en-2024-1306).
L'idéologie politique et sociale du trumpisme est alimentée centralement par le néoconservatisme qui a émergé dans la seconde moitié des années 1970 en réponse à la révolution culturelle et au virage à gauche du Parti démocrate après 1968, contre la guerre du Vietnam, dans les luttes pour les droits civils des minorités et la révolution sexuelle. La « révolution conservatrice » a été menée par des idéologues et des politiciens tels que Raymond Aaron, Patrick Moynihan, Daniel Bell, Newt Gringrich, Milton Friedman et d'autres, qui ont atteint le pouvoir politique avec l'arrivée de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis et l'accession de Margaret Thatcher comme première ministre de Grande-Bretagne. Ils ont postulé la réduction des impôts, la déréglementation des marchés et la contraction de l'État uniquement à ses fonctions minimales de sécurité nationale et de sécurité publique, au détriment des fonctions sociales telles que l'éducation, la santé et l'assistance aux pauvres.
La différence entre Trump et ceux qui l'entourent et leurs prédécesseurs dans les années 1980 et 1990 est qu'ils étaient libéraux en ce qui concerne le commerce. Trump a incorporé le protectionnisme comme expression du nationalisme extrême. Mais, comme pour eux, sa base est constituée par les secteurs religieux traditionnels et le conservatisme ancestral de la société américaine. À présent, il a également intégré les secteurs intermédiaires avec ses aspirations et les groupes qui se sentent menacés ou ont été touchés par l'ouverture du commerce aux fabricants asiatiques, beaucoup d'entre eux entrant par le Mexique par l'ancien ALENA, puis l'AEUMC, y compris le prolétariat des anciennes industries situées dans le nord du pays. Ajoutez à cela son aversion xénophobe pour les immigrants, chez qui il voit également une menace pour l'emploi blanc parce qu'ils acceptent des salaires plus bas et changent le profil démographique du pays.
Or ce Trump 2.0 ou « reloaded », comme il est traité dans la presse, propose un isolationnisme virtuel et un discours impérialiste qui réédite la politique américaine du XIXe siècle et du début du XXe. Dans son discours d'investiture, il a fait référence à la Loi sur les ennemis étrangers de 1798, à la Destinée manifeste et aux anciens présidents McKinley et Theodore Roosevelt, des protectionnistes qui, depuis la guerre avec l'Espagne décadente, ont étendu leurs domaines territoriaux à Porto Rico, aux Philippines et à Cuba. Il s'agit d'un revers idéologique d'au moins 150 ans, mais avec la puissance technologique et militaire supérieure que les États-Unis conservent encore aujourd'hui. Sur cette base, il propose de conquérir le Groenland, de récupérer le canal de Panama pour les États-Unis et même d'annexer le Canada en tant que nouvel État de l'Union américaine. Des objectifs que même l'impérialisme le plus extrême ne s'était pas fixés jusqu'à récemment, peut-être en pratique irréalisables pour des raisons que je n'exposerai pas ici.
Trump, un grand magnat de l'immobilier, bien qu'il ait eu quelques échecs dans ce domaine, n'arrive pas seul. Depuis sa campagne, et plus encore lorsqu'il a triomphé aux élections de novembre, il a intégré plusieurs des hommes les plus riches des États-Unis et du monde. Elon Musk, le plus haut représentant de l'oligarchie technologique, se distingue comme un proche conseiller et promoteur de l'actuel président, et nouveau fonctionnaire en charge du département de l'efficacité du gouvernement, également nouvellement créé. Entre autres tâches, il cherchera à moderniser les instruments de gestion pour la collecte des tarifs que le président a l'intention de facturer, et à appliquer une « austérité franciscaine » pour réduire les dépenses et réduire l'énorme déficit budgétaire dont il a hérité. Avec Trump, l'oligarchie pétrolière arrive à la Maison-Blanche, détruisant des projets d'économie verte et des sources d'énergie propre, cherchant à augmenter considérablement la production de pétrole brut et de ses dérivés et proposant de revitaliser l'industrie nationale de l'essence, aujourd'hui menacée par des unités d'origine asiatique.
L'intégration de ces personnages, devenant à la fois grands hommes d'affaires et fonctionnaires de l'État, soulève à nouveau le vieux débat parmi les marxistes sur l'État : la classe capitaliste a-t-elle tendance à occuper directement la direction des institutions de l'État ou à déléguer cette fonction aux professionnels de l'administration publique, une bureaucratie d'État comme celle proposée par Max Weber ?
L'administration Trump est consciente de la détérioration et du déclin de son pays dans le contexte mondial et cherche à l'inverser en peu de temps avec des mesures radicales qui nichent dans l'imaginaire collectif d'une grande partie de la société américaine : retrouver son rôle non seulement hégémonique mais dominant dans le contexte mondial. Il parle ainsi, de manière populiste, d'une « révolution du bon sens » et d'un nouvel « âge d'or » du pouvoir américain.
Quant au Mexique, Trump a depuis longtemps ouvert ses cartes. Les points de pression sur le gouvernement récemment installé de Claudia Sheinbaum sont connus : la menace d'imposer des droits de douane en dehors de l'AEUMC et maintenant la demande de le revoir avant 2026 ; la déclaration déjà exécutée de considérer les cartels de drogue comme des gangs terroristes, ce qui ouvre la porte à une plus grande ingérence, même territoriale, dans notre pays ; la fermeture de la frontière avec le Mexique pour prévenir l'immigration illégale et lutter contre le trafic de drogues, en particulier le fentanyl ; la transformation une nouvelle fois du Mexique – comme il l'a fait en juin 2019 – en un tiers pays sûr pour retenir les migrants d'autres pays ici et expulser ceux qui se trouvent déjà sur le territoire américain ; la reprise de la construction du mur frontalier suspendu par l'administration de Joe Biden ; pour expulser des centaines de milliers de travailleurs mexicains (qui, selon les estimations, pourraient atteindre cinq millions) qui sont sans documents d'immigration aux États-Unis.
Le nouveau président yankee est donc présenté comme la plus grande menace et le plus grand ennemi du Mexique en ce moment. Son argument essentiel s'appelle la force. Il peut ainsi contourner les lois et les traités (tels que l'AEUMC et les conventions sur les droits de l'homme), intervenir dans d'autres territoires, violer les droits des travailleurs immigrés et menacer d'autres pays à la convenance de l'oligarchie financière qui a directement pris le pouvoir politico-militaire de ce qui est encore la plus grande puissance mondiale. La guerre tarifaire entre les États-Unis et le Mexique, si elle était déclenchée, tuerait dans le berceau le soi-disant Plan Mexique, qui tente d'attirer des investissements industriels et de services en tirant parti de l'avantage comparatif que l'AEUMC donne à notre pays, et même les entreprises du secteur automobile déjà établies sur notre territoire pourraient émigrer.
Et Trump trouve notre pays dans des conditions de grande vulnérabilité. Avec un déficit budgétaire historique de 5,9% du PIB hérité du gouvernement de López Obrador et que Claudia Sheinbaum doit de toute urgence réduire (c'est-à-dire sans marge pour augmenter les dépenses sociales en faveur des personnes expulsées massivement) ; avec une dette publique qui atteint un niveau record, de 16 billions de pesos ; avec une faible croissance économique prévue à 1,2% par la CEPALC pour 2025, la plus faible du continent américain ; avec près de 80% de notre commerce extérieur qui dépend des États-Unis ; avec l'intention de relocaliser l'industrie et les services en suspens, en raison des doutes que la réforme judiciaire et la disparition des organismes autonomes suscitent quant à la sécurité juridique dans le pays, et en raison des problèmes de sécurité publique eux-mêmes ; avec la dépendance croissante de la balance des paiements mexicaine à l'égard des envois de fonds du nord ; avec des réductions budgétaires pour le service consulaire, qui aurait entre ses mains la responsabilité de défendre les Mexicains menacés d'expulsion ; et sans avoir conclu le remplacement à l'Institut national des migrations, toujours en charge de l'infortuné Francisco Garduño et aussi avec un budget insuffisant, le Mexique sera, une fois de plus, le troisième pays sûr dont Trump a besoin pour plaire à ses électeurs anti-immigrants.
De plus, déjà en 2019, Trump a soumis le gouvernement mexicain en le forçant, sous la menace d'augmenter les droits de douane, qu'il répète maintenant, à recevoir des immigrants sans papiers de toutes nationalités expulsés par les États-Unis et à fermer les frontières nord et sud en utilisant l'armée et la Garde nationale, donnant un virage radical à la politique d'immigration que López Obrador avait initialement proposée. Quelque temps plus tard, Trump se moquait de cet épisode tragique pour des myriades de travailleurs migrants et leurs familles et pour le pays, racontant comment il a mis à genoux le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Marcelo Ebrard. « Je n'ai jamais vu quelqu'un plier comme ça », a-t-il déclaré lors d'un rassemblement avec des supporters dans l'Ohio en 2022.
Pendant des décennies, le Mexique a fondé ses relations étrangères presque exclusivement sur le Nord. L'ALENA et l'AEUMC sont l'expression de cette politique préférentielle ou obligatoire, tout comme la coopération militaire des gouvernements récents, y compris ceux d'Andrés Manuel López Obrador et de Claudia Sheinbaum Pardo. Cela est corroboré par d'autres formes de dépendance : financière, technologique, monétaire (en raison de l'afflux croissant d'envois de fonds qui contribuent aux réserves nationales et à la stabilité du peso).
Aujourd'hui, le Nord menace de se retourner contre le Mexique, et nos liens avec le Sud et les autres blocs internationaux sont trop faibles pour y trouver suffisamment de soutien pour résister. La solitude du pays dans le nouveau contexte géopolitique qui devrait être menaçant semble être la destination de l'ère Trump 2.0 qu'on inaugure.
Il est vrai que la politique agressive du trumpisme dans les différents ordres fait face à de nombreux inconvénients pour son propre pays, tels que la pression au niveau des salaires due aux pénuries de main-d'œuvre dans certains secteurs, et ils trouveront des formes de résistance - ils les trouvent déjà - à la fois au pays et à l'étranger. Pourtant, c'est une menace qui tend maintenant à être établie à long terme pour le Mexique, un pays pour lequel la croissance a été construite sur une dépendance négociée dont les règles ont maintenant changé.
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Brésil : « Le gouvernement a célébré l’accord Mercosur-Union européenne »

Bientôt deux ans après le retour de Lula au pouvoir, Israel Dutra, membre de la direction du MES (Movimiento Esquerda Socialista) et du PSOL (Partido Socialismo e Liberdade) du Brésil, dresse pour nous un tableau de la situation sociale et politique.
16 janvier 2025 | Hebdo L'Anticapitaliste - 737
Peux-tu établir un bilan des dernières élections municipales au Brésil fin 2024, et en particulier des résultats de la gauche ?
Le résultat des élections municipales d'octobre a renforcé la formation des forces dites du « centrão » qui en réalité n'est pas un courant de centre, mais un secteur de droite qui s'allie tantôt avec le gouvernement, tantôt avec l'opposition plus conservatrice...
Quatre éléments principaux peuvent être mis en évidence :
∙ Une forte tendance à réélire les maires en place, en raison des manipulations de fonds publics, fonds électoraux, investissements publics et autres avantages concentrés dans les mains de ceux qui sont déjà au gouvernement municipal ;
∙ Une grande apathie du mouvement de masse, accrue par l'abstention et le nombre de votes blancs et nuls ; il n'y a pas eu de grands événements ou de rassemblements de masse au cours de la période électorale. Le poids du financement public (un fonds d'un milliard de dollars pour tous les partis) a également provoqué une distorsion entre le grand nombre de personnes payées par les grands partis pour faire la campagne et la majorité militante des autres, réduisant l'espace pour le travail bénévole et l'action spontanée ;
∙ Au sein de la droite et de l'extrême droite, le résultat a été plus contradictoire. Alors que l'extrême droite a gagné des positions, avec des postes de maires et de conseillers municipaux, Bolsonaro a été davantage remis en question en tant que leader, alors que de nouveaux secteurs de droite ont émergé régionalement. Le renforcement des partis liés au « centrão », tels que le MDB (Movimiento democratico brasileno) et le PSD (Partido social democratico), témoigne de cette tendance ;
∙ La gauche en général et particulièrement le PT (Partido dos trabalhadores) et le PSOL lorsqu'il était allié au PT a été affaiblie comme cela a été le cas à Sao Paulo et à Belem (où le PSOL a perdu la mairie).
Malgré tout, le PSOL garde un poids significatif, remportant d'importantes victoires électorales, conservant et même augmentant son nombre de conseillerEs dans les principales capitales. L'élection de Porto Alegre — où le PSOL a remporté un siège, même si le candidat du PT a perdu au second tour — est un exemple.
Qu'en est-il de la campagne visant à envoyer Bolsonaro en prison après la publication du rapport de la police fédérale sur la tentative de coup d'État du 8 janvier 2023 ?
Après les élections, la situation nationale a connu des changements majeurs. Outre l'entrée en scène des jeunes secteurs du prolétariat (dont nous parlerons plus loin), Bolsonaro et ses pairs ont vu leur situation se compliquer fortement avec la révélation de plans de coup d'État incluant l'assassinat de Lula, du vice-président Alckmin et du ministre de la Cour suprême, Alexandre de Moraes. La violence et l'improvisation de ces plans, qui ont été révélés par la police fédérale, accusant 37 personnes, dont Bolsonaro, ont suscité une grande indignation au sein de la population. Malheureusement, il n'y a pas eu de grandes mobilisations pour cette campagne. Nous avons plaidé pour l'arrestation immédiate de Bolsonaro et de tous les auteurs du coup d'État, ce qui inclut des dirigeants politiques, des militants et même des chefs d'entreprise.
Quelles sont les grandes luttes du moment ? Vous pouvez notamment parler de la « VAT », la grève de Pepsico et la lutte contre le « 6 × 1 » ?
Les « bonnes nouvelles » viennent des lieux de travail. Un mouvement s'est formé contre le régime 6 × 1 (6 jours travaillés, 1 jour de repos) — qui est le temps de travail actuel dans la plupart des cas — exigeant une réduction de la semaine de travail. Ce mouvement a été organisé et centralisé par un mouvement national appelé « VAT » (Vida Além do Trabalho, « La vie au-delà du travail ») dont le principal dirigeant est Rick Azevedo, le conseiller PSOL le mieux élu à Rio de Janeiro. Un rassemblement national a été organisé le 15 novembre et a réuni des milliers de personnes, en particulier des jeunes, dans les rues afin de faire pression pour que le projet de loi sur la réduction du temps de travail soit adopté par le Parlement. La pétition en ligne a recueilli plus de 3 millions de signatures.
Parallèlement, les salariéEs de la multinationale Pepsico (Pepsicola) ont mené une grève de grande ampleur pendant neuf jours, donnant ainsi un retentissement national à la lutte contre le régime 6 × 1. Cette grève a été exemplaire, car bien qu'elle n'ait pas obtenu de résultats significatifs — seulement des victoires sur une partie des revendications initiales — elle a mis à l'ordre du jour la lutte pour la réduction de la journée de travail.
Qu'en est-il des autres mouvements sociaux, des sans-terre, des sans-abri ?
Nous sommes dans une période de grand reflux des mouvements sociaux, avec de nombreux secteurs sur la défensive. Il y a de grandes revendications, motivées par les inégalités dans le pays. Le MST (Mouvement des Sans-Terre) a adopté un ton plus critique à l'égard des mesures gouvernementales, tant en ce qui concerne la réforme agraire que les questions environnementales. C'est justifié, car on a de plus en plus l'impression que les choix du gouvernement fédéral en matière d'agenda économique sont une continuation de l'ajustement [du FMI], comme le paquet que le ministère des Finances veut approuver, qui comprend des coupes budgétaires dans plusieurs domaines sociaux. C'est absurde et nous faisons campagne contre ces coupes.
D'autre part, le mouvement environnemental commence à organiser sa mobilisation pour une année décisive, puisqu'en 2025 nous aurons la COP30 au Brésil, au cœur de l'Amazonie. Et les mouvements sociaux organiseront un vaste programme parallèle de mobilisation et de débats.
Quelles sont les mesures d'austérité budgétaire du ministre Haddad ? Qui s'y oppose et propose de les combattre ?
La proposition du ministre des Finances, Haddad, est accueillie avec euphorie par la fédération des banquiers (Febraban). Elle consiste à suivre le prétendu « plafond de dépenses », qui a été configuré par le prétendu « nouveau cadre fiscal », qui n'est rien d'autre qu'un modèle qui évite les dépenses publiques afin de continuer à payer les titres de la dette.
Le résultat concret est de réduire les prestations pour les plus pauvres (les personnes ayant besoin d'une assistance sociale) et de geler les salaires des fonctionnaires, ainsi que de réduire la croissance du salaire minimum pendant quelques années.
Il y a quatre semaines, nous avons lancé, avec des dirigeantEs politiques, des intellectuelLEs et des leaders sociaux, un manifeste contre ce train de mesures, qui n'a cessé de gagner en force et en soutien. Pour sortir de la crise budgétaire, il faudrait taxer les plus riches, lutter contre les privilèges, s'attaquer aux profits abusifs des banques et rouvrir le débat sur la dette publique.
Quelles sont les réactions à propos de l'accord Mercosur-Union européenne ?
Le Brésil a un poids fondamental dans une série d'accords politiques internationaux ayant un impact géopolitique. La position de Lula, par exemple sur la Palestine, dénonçant ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie comme un génocide, était correcte et importante.
Récemment, nous avons eu des réunions comme celle du G20 au Brésil. L'année prochaine, la COP30 se tiendra en Amazonie. C'est dans ce cadre que l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur a été annoncé, sous les vives protestations de pays comme la France.
Le gouvernement a célébré l'accord Mercosur-Union européenne comme une victoire, mais les mouvements sociaux émettent de fortes réserves. En particulier au sein du MST et de la Via Campesina, selon leurs dirigeants cela conduirait à une recolonisation européenne des pays du Mercosur. Il en résulterait un renforcement du modèle historique, oppressif et prédateur de la monoculture agro-exportatrice. Il s'agirait d'une étape dans la « reprimarisation » fondée sur quatre secteurs économiques majeurs : les produits agricoles, les minéraux, le bétail et la cellulose. La question des droits de douane par rapport aux secteurs industriels nationaux suscite des inquiétudes.
Propos recueillis par la Commission Amérique latine
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Des climatosceptiques étasuniens ont infiltré le Parlement européen

Venu des États-Unis, un groupe de réflexion d'extrême droite et climatosceptique œuvre à démanteler les lois environnementales de l'Europe. Et ce, avec l'aide de députés européens.
Tiré de Reporterre. Légende de la photo : Le Heartland Institute transmet ses idées climatosceptiques au parlement européen. Wikimedia commons/ CC BY-SA 3.0/Diliff
La vague climatosceptique étasunienne est-elle en train de déferler sur l'Union européenne ? C'est la question que soulève une enquête du journal britannique The Guardian. Celui-ci a révélé le 22 janvier qu'un groupe de réflexion climatosceptique étasunien œuvrait, avec l'aide d'eurodéputés d'extrême droite, à démanteler les réglementations environnementales européennes.
Nommé le Heartland Institute, ce groupe d'influence a eu de nombreuses positions climatosceptiques. « [Il] a des liens avec l'administration Trump et a bénéficié de financements de la part d'entreprises comme ExxonMobil et de riches donateurs républicains américains », indique The Guardian. D'après le journal, les relations ont été établies il y a deux ans avec deux eurodéputés autrichiens du Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ), groupe d'extrême droite et antimigration.
Ils ont permis au président du Heartland Institute, James Taylor, d'être accueilli au Parlement européen. Là, il a notamment pu rencontrer « des hommes politiques hongrois pour discuter de la politique climatique et de la loi sur la restauration de la nature [visant à stopper l'effondrement de la biodiversité] », poursuit l'article. Cela a pu avoir des conséquences sur la position de la Hongrie : « Plus tard dans le mois, le vote de la loi a été retardé lorsque la Hongrie a retiré son soutien, mais le projet de loi a finalement été adopté. »
« Un négationnisme climatique décomplexé »
Cette ingérence « n'est pas une surprise », réagit auprès de Reporterre l'eurodéputée La France insoumise Manon Aubry. « On observe déjà des groupes d'influence d'extrême droite œuvrer par exemple sur la question de l'avortement. Cela s'étend à l'écologie. »
Ce cas est révélateur de la rapidité avec laquelle l'extrême droite climatosceptique est arrivée à percer au sein des institutions européennes. L'Institut Heartland profite « d'une période où le sentiment anticlimat de la droite augmente fortement », estime The Guardian. « Nous craignons de voir renaître un négationnisme climatique décomplexé », a réagi Kenneth Haar, du Corporate Europe Observatory, auprès du quotidien.
Depuis les élections de juin dernier, ayant abouti à un nouveau Parlement européen plus à droite, le terrain de jeu est encore plus favorable. « Au fur et à mesure que le nombre de députés d'extrême droite grandit, que la quantité d'États d'extrême droite augmente, le nombre de leurs relais aussi, constate Manon Aubry. Et leur impact sera plus grand du fait de la victoire de Trump. Ils pourront mettre la pression en disant : “Dérégulez ou l'on vous met des droits de douane.” »
Des effets déjà visibles
Pour l'eurodéputée, l'effet de cette offensive de dérégulation est déjà visible au niveau de la Commission européenne : « Les premiers textes qu'elle a proposés — le paquet dit “Omnibus” — visent à déréguler les normes écologiques et sociales sur les entreprises [1]. Elles venaient pourtant d'être adoptées sous le mandat précédent. Cette influence sur la Commission européenne et le Conseil européen, c'est nouveau. Avant, elle se limitait à quelques députés. »
Au niveau du Parlement européen, tout dépendra de l'attitude de la droite. « L'Institut Heartland est susceptible de devenir l'un de ceux qui aideront à créer une alliance politique étroite entre les conservateurs et l'extrême droite qui sera très destructrice » pour le climat, s'inquiétait auprès du Guardian Kenneth Haar, du Corporate Europe Observatory.
« Ensemble, droite et extrême droite ont la majorité, confirme Manon Aubry. Et le cordon sanitaire se défait à vitesse grand V. L'extrême droite a de plus en plus de responsabilités, la charge de plus en plus de rapports. Ils ont compris qu'ils pouvaient gagner. »
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L’agence de Musk le nomme chef du gouvernement

Je pense depuis longtemps que les médias américains seraient plus lucides sur l'ascension et le retour de Donald Trump si cela se passait à l'étranger, dans un pays étranger, où nous sommes habitués à ce que les correspondants étrangers écrivent avec une autorité plus incisive. Ayant suivi avec une inquiétude croissante les développements des dernières 24 et 36 heures à Washington, j'ai pensé tenter une telle dépêche. Voici une histoire qui devrait être écrite ce week-end :
La junte de Musk saisit des bureaux gouvernementaux clés
WASHINGTON, D.C. - Ce qui a commencé jeudi comme une purge politique des services de sécurité intérieure s'est transformé vendredi en un véritable coup d'État. Les unités techniques d'élite alignées sur l'oligarque des médias Elon Musk se sont emparées des systèmes clés du Trésor national bloquant l'accès extérieur aux dossiers du personnel fédéral et mettant hors ligne les réseaux de communication du gouvernement.
1 février 2025 | tiré de Doomsday Scenario
https://www.doomsdayscenario.co/p/musk-s-junta-establishes-him-as-head-of-government?fbclid=IwY2xjawIN-ylleHRuA2FlbQIxMQABHaS3YaDqfWqR-4kpGdSBep4riPlDT37lpGE0rq6ahq2YmR5RHkUVD1OtPA_aem_El8ovcsvVVzd1yQNPFZIQQ
Avec une rapidité qui a stupéfié même les observateurs politiques de longue date, les forces loyales à la junte de Musk l'ont installé au poste de chef du gouvernement non élu et pratiquement incontesté en quelques jours seulement, mettant à mal le système constitutionnel de cette démocratie de longue date et sa fière tradition d'État de droit vieille de près de 250 ans. Après s'être installées dans des ministères clés ainsi que dans un bâtiment adjacent au complexe présidentiel, les forces de M. Musk ont commencé à émettre des directives à l'intention des fonctionnaires et à forcer la démission d'agents jugés insuffisamment loyaux, comme le chef de l'autorité aéronautique du pays.
Le nouveau président de ce pays du G7, un oligarque de niveau intermédiaire nommé Donald Trump, est apparu, au milieu des mesures prises par Musk, comme étant de plus en plus un simple chef d'État en figure de proue. Trump est un criminel condamné qui a un long passé de corruption. Il est revenu au pouvoir à la fin du mois de janvier après un intermède de quatre ans au cours duquel il a promis des châtiments et des représailles contre les opposants étrangers et l'« État profond » national. Il a été accusé d'avoir tenté de renverser la transition pacifique du pouvoir qui l'avait destitué en 2021, mais des éléments loyalistes du système judiciaire ont réussi à bloquer ses poursuites et son incarcération, facilitant ainsi son retour au pouvoir.
Au cours des deux dernières semaines, les factions présidentielles loyalistes et les équipes soutenues par Musk ont lancé de vastes purges illégales, dignes de Staline, au sein des forces de police nationales et des procureurs, ainsi que des bureaux connus sous le nom d'inspecteurs généraux, qui sont généralement chargés d'enquêter sur la corruption du gouvernement. Alors que les chiffres officiels de ces évictions sans précédent ont été tenus secrets, des rumeurs ont circulé dans la capitale selon lesquelles le nombre de fonctionnaires de carrière touchés par les premières purges pourrait s'élever à plusieurs milliers, les commissaires politiques continuant d'évaluer les antécédents des membres des forces de police.
Le président vieillissant et mentalement affaibli, qui adhère depuis longtemps à la pensée conspirationniste, a passé une grande partie de la semaine à tenir des propos étranges sur les minorités raciales et ethniques opprimées du pays, qu'il a accusées sans preuve d'être à l'origine d'un accident d'avion mortel survenu de l'autre côté de la rivière, en face de la résidence présidentielle. Les attaques infondées et racistes contre ces minorités ont été l'un des principaux fondements de l'ascension imprévue de Trump dans le monde politique, après une carrière de magnat de l'immobilier et d'animateur de télé-réalité. Elles remontent à sa première annonce de candidature à la présidence en 2015, lorsqu'il a exprimé son indignation face à l'envoi de « violeurs » dans le pays par son voisin du sud.
Dès son retour à la présidence, il a mobilisé les forces de sécurité paramilitaires d'extrême droite pour mener des descentes dans les églises, les écoles et les lieux de travail, afin d'identifier et d'expulser les minorités raciales, y compris celles qui vivaient depuis longtemps en harmonie avec la majorité chrétienne blanche du pays. Il a également immédiatement fait libérer de prison quelque 1 500 partisans qui avaient participé à son insurrection ratée de 2021, dont des membres de milices violentes d'extrême droite lui ayant juré allégeance dès leur libération, en cas de troubles civils futurs. Par ailleurs, alors même qu'il relâchait des criminels violents dans les rues, M. Trump a retiré par décret la protection de sécurité gouvernementale accordée depuis longtemps à d'anciens militaires et responsables de la santé qu'il accuse de l'avoir trahi.
Soulignant son apparente déconnexion de la réalité, des informations ont fait surface selon lesquelles le président avait ordonné aux forces militaires de provoquer une catastrophe environnementale et d'inonder des régions d'une province séparatiste connue sous le nom de Californie et dirigée par un opposant politique très en vue. Cette décision met en lumière la façon dont l'armée, qui avait résisté aux prises de pouvoir inconstitutionnelles de Trump lors de sa première administration, est maintenant dirigée par un ministre de la Défense soumis, une personnalité favorisée de la télévision, inexpérimenté et confronté à une série d'allégations embarrassantes concernant son comportement en état d'ébriété sur le lieu de travail.
Les alliés étrangers, qui se sont longtemps alignés sur les États-Unis sur la scène internationale, ont été déstabilisés par la rhétorique nationaliste et impérialiste de plus en plus inquiétante provenant des comptes de médias sociaux du président, en grande partie postés sur un réseau détenu et géré par Trump lui-même, et se sont inquiétés. Lors de conversations privées dans les ambassades de la capitale, ils ont exprimé leur inquiétude quant à la possibilité que le président mobilise l'armée pour réaliser des ambitions territoriales jusqu'ici inimaginables, notamment s'emparer de leur voisin du nord, qui partage la plus longue frontière non défendue du monde, et potentiellement coloniser le Panama et le Groenland.
Le ministre de la Défense du pays, qui a déjà déclaré qu'il ne pensait pas que les femmes devraient être autorisées à servir dans des rôles de combat, et le nouveau ministre de l'Intérieur de Trump, qui est apparu à la télévision nationale portant l'uniforme paramilitaire de la force de sécurité frontalière au cœur de l'ascension politique de Trump, ont passé une grande partie de leurs premiers jours à faire écho et à amplifier l'hystérie du président au sujet des minorités raciales et ethniques. Ces fonctionnaires et d'autres représentants du gouvernement ont également annulé immédiatement toutes les célébrations officielles des fêtes religieuses et des fêtes des minorités ethniques, et ont cherché à effacer les sites web officiels, ainsi que tout enseignement de la longue histoire de ces minorités dont le pays peut être fier, aux travailleurs comme aux écoliers. Dans la nuit de vendredi à samedi, quelques heures après le départ des journalistes, le cabinet du ministre de la Défense a annoncé qu'il interdirait aux médias indépendants de l'establishment de travailler dans les quartiers généraux militaires du pays et qu'il les remplacerait par des organes de presse proches de la droite.
Le ministre de la Propagande de l'administration a également annoncé vendredi, apparemment sans grande préparation, qu'il allait déclencher une guerre commerciale immédiate, inattendue et apparemment irréfléchie avec les deux principaux partenaires économiques du pays. Une mesure qui, si elle était mise en œuvre, bouleverserait l'économie nationale, perturberait les chaînes d'approvisionnement et accélérerait le retour d'une crise inflationniste qui a ébranlé la politique intérieure au cours des cinq dernières années et qui semblait tout juste revenir à la normale. Ironiquement, c'est cette même crise inflationniste et les promesses de Trump de baisser le prix des œufs lors de sa campagne électorale qui ont ouvert la voie à sa victoire électorale imprévue en novembre.
Les autres oligarques du pays ont observé avec inquiétude l'ascension inattendue et rapide de Musk au pouvoir, ainsi que la concurrence entre les grandes entreprises de médias et de technologie qui sont en lien avec l'empire commercial de Musk (comme Meta, Amazon, Disney, Paramount, Apple et OpenAI). Ces entreprises ont rapidement négocié et payé des pots-de-vin au président pour permettre la poursuite de leurs activités sans entrave. Les conditions initiales de paiement allaient de cadeaux d'un million de dollars pour l'inauguration présidentielle à des paiements de 15 et 25 millions de dollars de la part de Disney et Meta pour financer la construction d'un sanctuaire présidentiel. Le paiement le plus élevé jamais enregistré est celui de 40 millions de dollars effectué par Amazon, qui a été organisé comme un cadeau pour l'épouse du président en échange de la possibilité pour l'entreprise de médias de tourner un biopic hagiographique.
On ignore également les termes précis de l'accord qui ont permis ces pots-de-vin et paiements, ainsi que la date à laquelle les paiements ultérieurs sont attendus. Cependant, Trump a décidé de licencier et d'affaiblir les organismes de surveillance du gouvernement qui ont longtemps gêné l'élite financière du pays, ce samedi.
Tout au long de la semaine de prise de pouvoir, qui s'est déroulée à un rythme effréné et semble de plus en plus irréversible d'heure en heure, ni les leaders parlementaires loyalistes ni ceux de l'opposition n'ont soulevé d'objection significative à l'encontre du nouveau régime ou du démantèlement du système constitutionnel d'équilibre des pouvoirs du pays. Quelques membres du corps législatif gériatrique ont publié des messages épars sur les réseaux sociaux pour condamner la décision, mais le Parlement, dont les deux chambres sont contrôlées par des membres dits « MAGA » triés sur le volet pour leur loyauté envers le président, est rentré chez lui plus tôt que prévu pour le week-end, alors que les forces de Musk se répandaient dans les rues de la capitale.
Le rôle éventuel que les forces de Musk permettraient au Parlement de jouer dans la nouvelle structure gouvernementale n'était pas clair au moment de son retour à l'Assemblée nationale, connue sous le nom de Capitole.
Notes
1. Églises écoles et lieux de travail : Les agents chargés de l'application des lois sur l'immigration pourront désormais arrêter des migrants dans des lieux sensibles comme les écoles et les églises, après que l'administration Trump a rejeté les politiques limitant les endroits où ces arrestations pourraient avoir lieu, alors que le nouveau président cherche à tenir ses promesses de campagne de procéder à des expulsions massives. La mesure annoncée mardi annule les directives qui, depuis plus d'une décennie, empêchent deux agences fédérales clés de l'immigration - l'Immigration and Customs Enforcement et le Customs and Border Protection - de mener des opérations de contrôle de l'immigration dans des endroits sensibles.
2. La vengeance de Trump contre Milley envoie un signal inquiétant aux hauts gradés de l'armée. Le général Mark A. Milley a été chef d'état-major des armées des États-Unis de 2019 à 2023.
Cette semaine, le président Trump a révoqué le dispositif de sécurité du général à la retraite Mark Milley et a annoncé une enquête sur la conduite de l'ancien chef d'état-major interarmées, mettant en œuvre les représailles promises tout en envoyant un message effrayant aux hauts gradés de l'armée.
Trump, qui a également révoqué l'habilitation de sécurité de Milley dans des ordres adressés au secrétaire à la Défense Pete Hegseth, est depuis longtemps en conflit avec Milley, qui s'est exprimé ouvertement contre le président dans des livres et des commentaires publics.
Richard Kohn, professeur émérite à l'Université de Caroline du Nord et expert des relations civilo-militaires, a déclaré que la décision de Trump découragerait les officiers supérieurs de faire leur travail et de conseiller honnêtement le président, notant qu'un ancien chef d'état-major interarmées n'a jamais vu ses détails de sécurité révoqués auparavant.
3. Amazon. Quelques jours avant l'élection de novembre, Bezos est intervenu pour empêcher le Washington Post, dont il avait fait l'acquisition en 2013, de soutenir la vice-présidente Kamala Harris. « Les soutiens présidentiels ne font rien pour faire pencher la balance d'une élection », a écrit Bezos dans un éditorial expliquant sa décision. « En réalité, les soutiens présidentiels créent une impression de partialité. Une impression de non-indépendance. Y mettre fin est une décision de principe, et c'est la bonne. »
Le milliardaire a également insisté sur le fait qu'il n'y avait aucune contrepartie dans sa décision.
Les employés du journal étaient furieux et des dizaines de lecteurs ont annulé leur abonnement en signe de protestation. Au cours des mois qui ont suivi, une série de rédacteurs et d'écrivains de renom ont quitté le Post ou ont démissionné de son comité de rédaction. Plus tôt cette semaine, la dessinatrice Ann Telnaes, lauréate du prix Pulitzer, a démissionné du journal après que le Post a supprimé son dessin représentant Bezos et d'autres personnalités de la Silicon Valley rendant hommage à une statue de Trump.
Traduction avec le logiciel DeepL
et André Frappier
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Merci Trump !

Dans le drame du triangle Groenland-Danemark-États-Unis, Trump devrait être remercié. D'une part, parce que ce drame montre à quel point la relation entre le Danemark et le Groenland sous la forme du royaume danois est dépassée et offre une chance de changer cette relation, et d'autre part, parce qu'une perception réaliste du rôle du Danemark dans le monde en tant que petit État doit enfin se matérialiser.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/29/groenland-des-inuits-a-dedommager/
L'illustration est tirée de l'article de Wikipédia intituléExercice Strikeback.
Le problème en tant qu'équation de pouvoir
La raison ?
La crainte que l'indépendance du Groenland ne crée un vide de pouvoir dans l'Arctique que la Russie et la Chine combleront militairement et en termes d'accès aux minerais stratégiques.
Qui ?
Les déclarations de Trump sont avant tout un message adressé à Moscou et à Pékin, puis à Copenhague et à Nuuk.
Résultats attendus :
Expansion de la présence militaire et civile américaine au Groenland et augmentation des contacts directs en dehors de Copenhague entre les deux pays.
Résultats souhaitables :
Construction d'une véritable communauté d'égaux, le Groenland et les îles Féroé ayant nettement plus d'influence sur la défense, la sécurité et les affaires étrangères qui concernent les deux pays.
Les récentes déclarations de Trump sur la possibilité d'utiliser des moyens militaires ou économiques pour prendre le contrôle du Groenland parce que la propriété du pays est cruciale pour la sécurité militaire et économique des États-Unis ont déclenché l'une des plus grandes tempêtes politiques de ces derniers temps au Danemark et au Groenland, un véritable choc pour un petit État qui a presque toujours fait volontiers ce que disait le grand frère. Bien que l'on ne sache jamais ce que Trump veut dire – l'une de ses principales astuces politiques, qu'il partage ironiquement avec Poutine, consiste à créer de l'incertitude – cet événement représente l'une des crises les plus graves dans les relations entre le Danemark et les États-Unis au niveau gouvernemental, malgré la tentative de Lars Løkke de lutter contre les incendies : « Je n'ai pas l'impression que nous soyons dans une crise de politique étrangère ». Mais il faut y voir une réaction traditionnelle du ministère des affaires étrangères lorsque les choses s'échauffent vraiment. Et après l'investiture de Trump, le sifflet a pris une autre tournure.
Le vice-président J.D. Vance, dans une interview accordéeà Fox News Sunday avant son investiture, n'a rien fait pour minimiser le conflit : « Nous n'avons pas besoin d'utiliser la force militaire. Ce que les gens oublient toujours, c'est que nous avons déjà des troupes au Groenland. Le Groenland est stratégiquement très important pour l'Amérique », soulignant que les États-Unis pourraient utiliser la force militaire s'ils le souhaitaient. Le fait qu'il n'y ait pas de crise est directement contredit par le fait que, en réponse à la question explicitede Mette Frederiksen, Trump ne rejettera pas les droits de douane sur les exportations danoises vers les États-Unis. Elle ne dira pas non plus après sa conversation avec Trump et la réunion au sein de la commission de la politique étrangère :
« Il a été suggéré par les États-Unis qu'il pourrait malheureusement se produire une situation dans laquelle nous travaillerions moins ensemble qu'aujourd'hui dans le domaine économique. »
La raison, bien sûr, est qu'en tant que Première ministre, elle veut avertir la population et les milieux d'affaires qu'une crise se profile, qui pourrait avoir des conséquences économiques désagréables pour le Danemark.
Et lorsque Trump a répété son désir de prendre le contrôle du Groenland lors d'une conférence de presse après son investiture, le Premier ministre a dû une fois de plus convoquer les chefs de parti pour un briefing confidentiel – mais cette fois-ci, pas les « ailes extrêmes », comme l'opposition de gauche et de droite est si joliment appelée.
La déclaration de Trump intervient à un moment où les relations entre le gouvernement autonome groenlandais et le gouvernement danois sont déjà au plus bas, alors que les héritages coloniaux continuent de faire surface, plus récemment sous la forme du scandale de la spirale (pose obligatoire de stérilet), de l'utilisation par les municipalités danoises de tests de parentalité qui ne s'appliquent qu'aux Européens blancs et du racisme latent dont sont victimes de nombreux Groenlandais au Danemark. Et même si le président et le présidium du Parlement danois, sous la pression de Mette F, ont dû introduire l'interprétation simultanée au Parlement danois, ont rejeté le piétinement du ministère des Affaires étrangères concernant la nomination d'un Groenlandais comme ambassadeur du Royaume au Conseil de l'Arctique, et ont récemment annoncé qu'ils allaient désormais allouer une somme non spécifiée à deux chiffres d'un milliard d'euros pour la modernisation de la défense dans l'Arctique. Et maintenant, après le début de la crise Trump, il est soudain possible d'examiner l'utilité des tests de parentalité. Dans l'ensemble, ces revirements doivent laisser une étrange sonnerie dans les oreilles groenlandaises : – Pourquoi quelque chose ne se produit-il que lorsqu'il y a une pression extérieure ?
L'importance de la sécurité du Groenland pour les États-Unis
Mais pourquoi Trump, le premier président debout des États-Unis, fait-il aujourd'hui ces déclarations inédites dans les relations internationales des États ? Si tu fais bouillir les déclarations et que tu essaies d'en trouver la substance, il le fait à cause de la perspective de l'indépendance du Groenland, entendue comme une sécession complète du Danemark. Quelque chose qui, aux yeux de Trump, risque de créer un vide de pouvoir dans une région vitale pour la défense du continent nord-américain – auquel le Groenland appartient géographiquement – et qui contiendrait d'importants gisements de minéraux et de métaux stratégiques, cruciaux pour le maintien de la supériorité technologique et militaire américaine. Jusqu'à présent, la Chine est le seul arbitre du raffinage de ces matériaux critiques et a récemment imposé un embargo sur l'exportation de certains des matériaux les plus importants pour la fabrication de la microélectronique. Et n'oublions pas qu'il pourrait y avoir beaucoup d'argent dans le processus d'extraction, ce qui pourrait profiter au futur pouvoir oligarchique des États-Unis.
Ce qui est surprenant lorsque Trump fait une déclaration aussi forte sur les matières premières essentielles, c'est que les États-Unis eux-mêmes possèdent de grandes quantités de ce que l'on appelle les éléments de terres rares. Le fait est que les États-Unis sont contraints d'envoyer des matières premières concentrées pour être raffinées en Chine : le plus grand producteur de terres rares du monde occidental, American Mountain Pass, envoie toute sa production en Chine, écrit Information. Ni les États-Unis ni l'Union européenne ne disposent de la technologie nécessaire pour le traitement, mais la Chine, oui – les terres rares en question se trouvent dans de nombreux endroits, ce n'est donc pas l'extraction qui pose un problème. Ils s'appuient donc sur des chaînes de valeur mondiale hautement spécialisées. En outre – toujours selon Information – la composition géologique des gisements de terres rares au Groenland n'est pas optimale et elles se trouvent en même temps que l'uranium, dont le gouvernement groenlandais a interdit l'exploitation.
Les conditions géographiques, climatiques et de transport rendent également difficile une exploitation minière rentable – ce que le rapport « Pour le bien du Groenland » de 2014 soulignait déjà. L'un des pères du rapport était le professeur de géologie Minik Rossing, qui a également exprimé son scepticisme sur la Deadline de DR récemment. À cela s'ajoute la nécessité de faire venir de la main-d'œuvre étrangère. En outre, le Groenland n'a pas de droits de propriété privée sur les terres, ce qui, avec la nouvelle loi sur les projets à grande échelle, serait perçu aux yeux des Américains comme une contrainte sévère pour une industrie extractive. Le Groenland n'est pas étranger au pillage des ressources de la terre qui a lieu ailleurs dans le monde, où les sociétés minières frappent comme des oiseaux de proie, mettant la terre à sec et laissant aux habitants les déchets toxiques et le nettoyage.
Mais les États-Unis – et l'UE aussi – construisent d'autres chaînes de valeur selon des lignes plus nationales dans le cadre de leurs tentatives de rompre leur dépendance à l'égard de la Chine, alors peut-être que les considérations stratégiques finiront par l'emporter sur les considérations commerciales.
Mais surtout, Trump ne veut tout simplement pas risquer que l'influence russe ou chinoise s'accroisse à mesure que l'influence danoise se réduit dans un pays qui s'étend sur plus de 2 millions de kilomètres carrés mais qui ne compte qu'environ 56 000 habitants. Les grandes puissances ne tolèrent pas le vide de pouvoir.
Et il n'y a rien de nouveau là-dedans. Car faut-il que Trump s'inquiète, les outils du contrôle américain n'existent-ils pas déjà ? Avec la doctrine Monroe de 1823, les États-Unis ont déjà affirmé qu'ils ne laisseraient pas des puissances extérieures s'établir sur les continents américains. Cette déclaration a été systématiquement suivie de la guerre hispano-américaine, qui a donné aux États-Unis Porto Rico et le contrôle de Cuba dans les Caraïbes, ainsi que l'achat des Antilles danoises en 1917. De la même manière, jusqu'à aujourd'hui – et plus récemment avec l'invasion du Panama en 1989 – les États-Unis n'hésitent pas à envahir directement ou à subvertir secrètement des pays américains s'ils estiment qu'ils sont confrontés à une prise de pouvoir « communiste », c'est-à-dire à un changement des relations de pouvoir en faveur des pauvres dans les pays en question – ou qu'ils se sont simplement mis en travers des intérêts et de la politique des États-Unis.
Dans le cas du Groenland, la vente des Indes occidentales signifiait que les États-Unis reconnaissaient en même temps la souveraineté du Danemark, bien que la doctrine Monroe s'appliquât toujours. Avec la Seconde Guerre mondiale, l'importance stratégique du Groenland est devenue évidente – d'abord parce que les États-Unis avaient besoin d'une station d'escale pour les avions qu'ils fournissaient à l'Angleterre, et plus tard, lorsque les États-Unis sont entrés en guerre eux-mêmes après l'attaque de Pearl Harbor, ils devaient également empêcher que le pays soit utilisé par les nazis pour menacer l'Amérique du Nord. L'ambassadeur danois à Washington, Kauffmann, est donc confronté à un ultimatum : soit les États-Unis occupent le Groenland sans autre forme de procès, soit un accord est conclu en vertu duquel le Danemark peut influencer les conditions de l'occupation et les États-Unis garantissent l'approvisionnement du pays. Kaufmann a sagement opté pour cette dernière solution.
En 1946, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont étudié la possibilité d'acheter le Groenland au Danemark – la guerre froide avait commencé. En 1951, la relation a été cimentée lorsque le Danemark et les États-Unis ont conclu un accord de défense, qui est de facto irrévocable car il faut que les deux parties y mettent fin. Par cet accord, les États-Unis se sont engagés à défendre le Groenland contre toute attaque. L'accord a également allégé la charge financière du Danemark.
Le développement des fusées en tant qu'armes de guerre que l'Allemagne nazie avait commencé a été poursuivi par les superpuissances afin que les fusées aient une portée beaucoup plus grande et puissent délivrer des têtes nucléaires. Et comme le nord du Groenland se trouve sur la trajectoire directe des fusées russes vers l'Amérique du Nord, les États-Unis ont construit une énorme base à Thulé – l'actuelle base spatiale de Pittufik – pour leurs bombardiers stratégiques, le stockage des armes nucléaires et un radar à très longue portée qui peut avertir les États-Unis et le Canada d'une attaque de fusées russes. En outre, le Groenland joue également un rôle dans la surveillance de ce que l'on appelle le GIUK gap, par lequel les sous-marins russes équipés d'armes nucléaires peuvent passer pour aller et revenir de la grande base libre de glace de la flotte russe du Nord sur la péninsule de Kola, à l'est de la Norvège.
Le traité de défense donne effectivement aux États-Unis les coudées franches pour faire ce qu'ils veulent dans le domaine de la défense. Le scandale de la lettre secrète du premier ministre social-démocrate H.C. Hansen, datant de 1957, montre bien que le Danemark en était parfaitement conscient. Lalettre secrète de Hansen de 1957, qui selon la devise « don't hear, don't see », permettait aux États-Unis de stocker des armes nucléaires sur la base de Thulé. La publication de cette lettre en 1995 a constitué une rupture de confiance cruciale dans les relations entre le Danemark et le Groenland. Mais elle n'a pas modifié la liberté de mouvement des États-Unis au Groenland. Même si les États-Unis, le Danemark et le Groenland ont signé un addendum à l'accord de défense à Igaliku en 2004, par lequel le Groenland a rejoint l'accord de défense et les États-Unis ont été tenus de notifier aux deux autres pays les changements majeurs dans la présence militaire américaine.
Le changement climatique, qui ouvre des voies de navigation beaucoup plus courtes entre l'Europe et l'Asie et donne potentiellement accès à de vastes ressources, et les tensions géopolitiques croissantes sous la forme d'un antagonisme grandissant entre les États-Unis et leurs alliés d'une part, et la Russie et la Chine d'autre part, ont remis l'Arctique sous les feux de la rampe (voir « L'Arctique, l'Atlantique Nord et la politique de sécurité » dans « L'OTAN est-elle sûre ? », Éditions Solidarité). Sur le plan militaire, la Russie a rouvert et modernisé un certain nombre de bases de l'Arctique, par ailleurs fermées. Il s'agit en premier lieu de la base aérienne de Nagurskoye, dans l'archipel de la Terre François-Joseph. En outre, le changement climatique permet d'utiliser toute l'année la route maritime du Nord, c'est-à-dire la route au nord de la Sibérie, ce dans quoi la Russie et la Chine investissent massivement. Principalement à des fins civiles et commerciales, mais bien sûr aussi à des fins militaires. Les États-Unis et les pays de l'OTAN la perçoivent comme une menace potentielle pour la route d'approvisionnement vulnérable entre l'Amérique et l'Europe à travers l'Atlantique Nord.
Dans un commentaire paru le 8 janvier dans le média de défense OLFI, le rédacteur en chef Peter Ernstved Rasmussen décrit avec justesse la relation entre le Danemark et le Groenland comme suit :
« Le gouvernement danois a fait son propre lit. Au lieu d'équilibrer les relations avec le Groenland, les gouvernements successifs ont poursuivi la mentalité de race maîtresse. Les Groenlandais se sentent provoqués à juste titre. Les États-Unis aussi, car nous n'avons jamais voulu prendre la sécurité au sérieux. Maintenant, la facture arrive, et elle sera coûteuse. »
Il est clair pour tout le monde que le Danemark est incapable de faire respecter sa souveraineté – quels que soient les efforts et la volonté de sacrifice de l'équipage militaire. Une patrouille en traîneau à chiens – Sirius – et quatre frégates qui peuvent à peine naviguer ne suffisent pas pour cette zone si étendue. Une véritable application de la souveraineté nécessitera des ressources que le Danemark, même s'il est l'un des pays les plus prospères du monde, ne pourra jamais mobiliser. Et ce, malgré la décision politique prise ces dernières années de déverser des milliards dans la défense de l'Arctique. Pour compenser l'insuffisance de la défense aérienne du Danemark au Groenland, il a également été envisagé aux États-Unis d'intégrer le Groenland au NORAD, le Commandement de l'aérospatiale et de la défense de l'Amérique du Nord.
Mais rien n'a été fait. Et pourquoi ? Parce que les politiciens, les officiers et les fonctionnaires du ministère de la Défense préfèrent dépenser l'argent pour quelque chose qui compte dans le calcul des objectifs de force de l'OTAN. L'Arctique ne compte pas, et l'OTAN n'a même pas de stratégie pour l'Arctique. Il s'agit là d'un nouveau scandale parmi tant d'autres au sein de l'armée, qui jette un doute légitime sur la sagesse de déverser d'innombrables milliards dans une défense avant qu'elle n'ait été dotée des compétences financières et managériales nécessaires.
Et qu'en est-il de l'indépendance ?
On pourrait commencer par faire le tri dans la langue, car il y a beaucoup de confusion sur ce que l'on entend réellement au Groenland et en groenlandais par ce que l'on traduit en danois par « autodétermination », « autonomie », « indépendance » et « détachement ».
Le mécontentement des Groenlandais à l'égard des relations entre le Danemark et le Groenland n'est pas nouveau. Il n'a cessé de croître depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une guerre qui a rompu l'isolement du Groenland ; grâce au stationnement de troupes américaines dans des bases réparties dans tout le pays et au fait que les États-Unis étaient responsables de l'ensemble de l'approvisionnement du pays, la population groenlandaise s'est vu montrer un monde extérieur au pays. Lorsque le démantèlement des empires coloniaux européens s'est accéléré après la guerre mondiale, avec notamment la création du Comité de décolonisation de l'ONU, le Danemark a anticipé cette évolution en faisant du Groenland un comté danois en 1953 – en suivant le modèle portugais. En 1946-1951, le Portugal a transformé son Império Colonial Português en « provinces d'outre-mer » qui faisaient partie intégrante de la mère patrie. Cela a empêché les décolonisateurs trop zélés de s'immiscer dans les affaires des colonies et d'exiger leur indépendance.
L'intégration du Groenland au Danemark, soutenue par la plupart des Groenlandais, a également accéléré le développement qui allait conduire plus tard à l'autonomie locale (1979) puis à l'autonomie gouvernementale (2009). La tentative de danification du Groenland a bien sûr échoué, mais le reste de la modernisation de l'ensemble de la société groenlandaise a à la fois jeté les bases de l'État-providence – par exemple, les plus grands fléaux du Groenland que sont la tuberculose et la rougeole ont été éradiqués – et créé ses propres contradictions.
Contradictions parce que les Groenlandais étaient les spectateurs d'un développement auquel ils ne se sentaient pas associés et qu'ils se sentaient encore, à bien des égards, comme des citoyens de seconde zone dans leur propre pays. Par exemple, les salaires au Groenland étaient fixés en fonction d'un critère de lieu de naissance. Dans le même temps, de nombreux jeunes Groenlandais ont commencé à faire des études au Danemark, ont appris le danois et l'anglais, et sont devenus de plus en plus difficiles à refuser lorsqu'il s'agissait de déterminer leur propre situation. Les jeunes Groenlandais ont été influencés par des mouvements tels que la rébellion de la jeunesse et la lutte anti-impérialiste, et cette évolution a conduit à une organisation et à des revendications politiques, allant de l'autonomie locale et de l'auto-gouvernement à un désir généralisé d'une certaine forme d'indépendance.
Toutefois, il convient de noter qu'un sondage réalisé par l'Université du Groenland en 2024 montre que les Groenlandais interrogés considèrent la situation économique, le chômage et l'augmentation du coût de la vie comme les problèmes les plus urgents. Les questions de sécurité et de défense sont bien moins importantes sur la liste.
« Indépendance », « Autodétermination », « Sécession » ?
Les options politiques futures du Groenland peuvent être résumées comme suit :
– Indépendance totale
– Indépendance au sein d'un Commonwealth calqué sur le Commonwealth britannique avec des États égaux.
– Libre association, où le Groenland est indépendant mais a des accords avec d'autres pays dans des domaines politiques sélectionnés (par exemple, la sécurité et la défense).
La veille du Nouvel An, Múte Egede, le président du gouvernement autonome du Groenland, a prononcé son discours du Nouvel An, dans lequel il a notamment déclaré, dans la traduction danoise de Naalakkersuisut [le gouvernement autonome] :
«
Il est temps pour nous de faire un pas nous-mêmes et de façonner notre avenir, également en ce qui concerne les personnes avec lesquelles nous devrions coopérer étroitement et aussi celles qui devraient être nos partenaires commerciaux. Car notre coopération avec d'autres pays et nos relations commerciales ne peuvent pas continuer à se faire uniquement par l'intermédiaire du Danemark.
Ces dernières années, Inatsisartut [le parlement du Groenland] et Naalakkersuisutont travaillé ensemble pour prendre des mesures afin de rédiger notre constitution, qui est la base de notre sécession d'avec le Danemark.
»
Le mot « sécession » n'apparaît qu'une seule fois, tandis que le mot « indépendance » apparaît quatre fois. Une grande partie de la confusion sur ce qu'ils veulent réellement est probablement due à des traductions imprécises du groenlandais au danois. Pour le parti Naleraq et Pele Broberg, cependant, le langage est clair : l'indépendance signifie un détachement complet du Danemark. Pour IA – le parti frère de SF et EL, actuellement le plus grand parti du Groenland et qui forme avec Siumut la coalition gouvernementale actuelle et Siumut, l'« indépendance » signifie probablement quelque chose comme une construction politique dans le voisinage des deux dernières options.
Et il est judicieux que le Groenland profite de la crise créée par les déclarations de Trump pour obtenir de meilleures conditions selon ses propres termes. Il doit être difficile pour le gouvernement groenlandais d'attendre constamment que des pressions extérieures tirent le gouvernement danois vers l'auge.
Le royaume danois est-il uni ?
Au cours du débat du Parlement danois sur l'introduction de l'interprétation simultanée, il s'est passé quelque chose d'étrange que peut-être peu de gens ont remarqué. Mette Frederiksen a infligé à Inger Støjberg un violent remaniement qui, à première vue, semblait disproportionné car le remaniement portait notamment sur l'importance du Groenland pour l'OTAN et sur la politique de défense et de sécurité du Danemark. Mais ce que Mette Frederiksen a fait, c'est envoyer à Nuuk les premiers signaux indiquant qu'ils étaient – enfin – prêts à discuter de l'organisation et de la fonction du royaume danois.
Elle avait flairé quelque temps auparavant que la relation avec le Groenland était essentiellement une question de sécurité.
Après tout, le Groenland fait partie de l'étrange entité connue sous le nom de « royaume danois ». On pense que ce terme est apparu pour la première fois dans la thèse de doctorat « Rigsfællesskabet » de l'avocat Frederik Harhoff en 1993 (Frederik Harhoff, Rigsfællesskabet, Klim 1993).
Superficiellement, le mot donne l'impression que les participants sont égaux, quelque chose comme le Commonwealth britannique. Mais ce n'est pas le cas. Le royaume danois est une construction informelle qui n'est décrite dans aucune loi, qui n'a donc aucune signification juridique et qui, en tant que telle, n'est pas une coopération entre des entités politiques égales. Le Groenland et les îles Féroé font partie du royaume danois et sont soumis à la Constitution danoise. Cependant, le Parlement danois a délégué des responsabilités aux gouvernements autonomes des deux pays. Par conséquent, la loi de 2009 sur l'autonomie du Groenland stipule également que « la décision sur l'indépendance du Groenland est prise par le peuple groenlandais ». Le gouvernement groenlandais doit ensuite entamer des négociations avec le gouvernement danois, après quoi un accord doit être approuvé par un référendum au Groenland et enfin par le Parlement danois. Cette situation est similaire à la soi-disant « union » entre l'Angleterre et l'Écosse, où le parlement de Westminster a également le dernier mot, indépendamment de ce que le peuple écossais pourrait décider lors d'un référendum.
Sans minimiser les liens étroits qui existent entre les habitants du Groenland et du Danemark – environ 17 000 Groenlandais vivent au Danemark et 6 à 7 000 Danois au Groenland – le Groenland joue un rôle pour le Danemark avant tout dans ses relations avec les États-Unis, où, comme le dit le premier ministre, il ne devrait pas y avoir plus qu'une feuille de papier A4 entre les deux pays. Quelque chose qui cadre bien avec le fait que si Mette F a qualifié d'« absurde » le désir de Trump d'acheter le Groenland la dernière fois, cette fois-ci, le Premier ministre est resté silencieux. Jusqu'au jour où, alors que le fils de Trump effectuait un voyage éclair à Nuuk et que le premier ministre avait annulé au pied levé une visite à Copenhague, elle a pris la parole pour dire que « toute discussion [sur l'avenir du Groenland] doit commencer à Nuuk » et pas ailleurs, que le Danemark était une ancienne puissance coloniale qui avait commis des erreurs assez grossières en cours de route, que le désir d'indépendance du Groenland était légitime, mais aussi que les États-Unis étaient l'allié le plus important du Danemark.
Le petit État du Danemark a pu jusqu'à présent jouer la « carte du Groenland », précisément parce que dans la structure non légalisée actuelle, il n'est pas question de pays égaux. Même si le terme « communauté » est censé impliquer l'égalité. En réalité, le royaume danois est une invention danoise dont le but réel est de maintenir pour le Danemark une importance que sa taille ne justifie pas vraiment – si le Groenland était retiré du Danemark, la superficie du royaume diminuerait de 98%.
Le Danemark en tant que petit État
La dissolution du Danemark-Norvège en un seul royaume après les guerres napoléoniennes en 1814, puis la dissolution de l'État tout entier après la guerre perdue contre la Prusse et l'Autriche en 1864, ont réduit le Danemark à un petit État. Sa survie en tant qu'État indépendant dépendait d'un équilibre entre une bonne relation avec son voisin le plus proche, l'Allemagne, et la protection d'une autre grande puissance ou d'une alliance d'États.
Après la Seconde Guerre mondiale, le Danemark a dû réorganiser ses relations d'alliance. Une alliance de défense nordique a d'abord été tentée, mais les différences entre les intérêts de la Norvège et de la Suède étaient trop importantes, et finalement, le gouvernement social-démocrate, influencé par le coup d'État communiste de Prague en 1948, a accepté de rejoindre le Pacte atlantique – plus tard l'OTAN, dont la puissance dominante était les États-Unis. Les États-Unis étaient désormais le principal garant de la sécurité du Danemark dans le monde occidental, un rôle qu'ils ont conservé depuis, malgré quelques accrocs sur la route, comme la critique de la guerre américaine au Vietnam et la politique de la note de bas de page. C'est dans ce contexte qu'il faut voir le long silence puis les déclarations très prudentes de Mette Frederiksen, dont le but principal est de ne pas irriter le président américain Trump.
L'alliance avec les États-Unis a été construite à tel point que les déclarations de Trump sur le Groenland ont fait l'effet d'une véritable « bombe au ministère d'État » (Hans Engell dans le P1Genstartde DR, 15 janvier). Dans le même temps, la crise a montré au Danemark et aux Danois que le Danemark est en fait un petit État – malgré les tentatives des premiers ministres successifs de s'affirmer et de manger des cerises avec les grands en se joignant, par exemple, presque automatiquement aux aventures américaines en Afghanistan et en Irak. Mais quand on mange des cerises avec les grands, on se retrouve souvent avec des cailloux dans la tête.
Le fait qu'il ne faut rien avoir à dire aux États-Unis ressort de la manière très prudente dont le gouvernement s'exprime, même s'il est désormais clair que la conversation de 45 minutes de Mette Frederiksen avec Trump a été extrêmement franche, du moins de la part de ce dernier.
Et bien que plusieurs dirigeants de l'UE aient pris leurs distances avec les déclarations de Trump, il n'y a pas eu de réaction unifiée, ce qui aurait pu être bienvenu par ailleurs. Car les autres pays européens de l'OTAN n'auraient pas dû conclure quoi que ce soit non plus.
La réaction du Danemark est apparemment de travailler à huis clos pour ne pas contrarier l'homme de Washington. Mais cela ne peut qu'exercer une forte influence sur la politique du gouvernement lorsque la personne en qui vous aviez le plus confiance vous attaque soudainement. Une réponse possible pourrait être de mettre en attente le prochain accord de base bilatéral avec les États-Unis pour le moment.
Une nouvelle communauté
Dès 2018, l'un des meilleurs diplomates du service extérieur, Taksøe-Jensen, a suggéré de dissoudre le royaume danois dans son livre « Hvis Grønland river sig løs – en rejse i kongerigets sprækker ». Et un autre diplomate de haut rang, Zilmer-Johns, a fait une remarque similaire un peu plus tard. Lorsqu'il a pris sa retraite, il s'est exprimé et a déclaré àWeekendavisenen avril 2023 qu'au lieu de rafistoler le royaume danois, dont aucune des parties n'est satisfaite, le Danemark devrait entamer une discussion sur – ce à quoi une autre communauté pourrait ressembler.
Zilmer-Johns avait remarqué que parmi les politiciens groenlandais et féroïens, il y avait un manque fondamental de confiance dans le fait que le Danemark sauvegarderait pleinement les intérêts des deux autres royaumes. Enfin, Zilmer-Johns déclare :
« C'est aussi pour cela que je pose la question : Devrions-nous plutôt créer une communauté moderne où nous ne sommes pas préoccupés par ce que nous ne voulons pas ensemble, mais où nous nous concentrons sur ce que nous voulons ensemble ? Je suis sûr qu'il y aura un fort intérêt dans les trois parties du royaume, également dans le domaine de la défense et de la sécurité. »
Alors que le parti Naleraq souhaite une sécession complète, le parti IA au pouvoir estime que l'indépendance qu'ils souhaitent relève du domaine danois, sous peine d'être avalés par les États-Unis. L'une des figures clés de la politique groenlandaise, Aqqaluk Lynge – cofondateur du parti IA et dirigeant de longue date de la Conférence circumpolaire inuit (CCI) – a décrit le royaume danois dans une interview à P1 Morgen comme quelque chose qui a donné au Groenland la prospérité, la sécurité et la sûreté. Par conséquent, l'idée que se fait l'IA de l'avenir du Groenland n'est pas celle d'un État, mais d'une communauté d'égaux avec les autres parties du royaume. Auparavant, Aja Chemnitz (IA), qui est l'un des deux députés groenlandais, avait déclaré : « IA pense que nous ne pouvons plus attendre que le Groenland ait sa propre politique étrangère, de sécurité et de défense. Le Groenland doit avoir un droit de veto sur les affaires étrangères et la sécurité de notre pays. » « Rien sur nous, sans nous ».
Enfin, Aqqaluk Lynge déclare sans ambages dans un article d'opinion sur Altinget de 2023 que
« … il [est] assez peu probable que les grandes puissances reconnaissent une nouvelle formation étatique dans l'Arctique.Par conséquent, nous ne nous approcherons pas d'un Groenland indépendant reconnu par la communauté internationale dans un avenir proche. »
Et il réitère sa position dans un article surKNR :
« Nous n'avons notre liberté qu'au sein du royaume danois, il faut en tenir compte. Nous avons fait de gros efforts pour l'obtenir au sein du Commonwealth, et cela peut changer très rapidement, comme le menace Trump ».
Naturellement, les États-Unis tenteront de contourner Copenhague s'ils estiment qu'il est dans leur intérêt de le faire. Au cours de la première administration Trump, les États-Unis ont rouvert le consulat à Nuuk, ce qui a provoqué une telle nervosité au sein du département d'État qu'ils se sont empressés d'envoyer un représentant à Nuuk pour un séjour permanent. Dans la nouvelle ère Trump, nous assisterons probablement à d'autres contacts, prêts, accords de coopération, etc. visant à rapprocher le Groenland des États-Unis. Parallèlement, l'UE redoublera également d'efforts – Ursula von der Leyen et Múte Egede ont ouvert un bureau de l'UE à Nuuk peu avant Noël. Le nouvel aéroport de Nuuk, qui peut accueillir des vols long-courriers, est un autre élément du relâchement des liens entre le Groenland et le Danemark et une porte d'entrée vers une plus grande influence américaine.
Quel que soit l'avenir politique choisi par le Groenland – et les îles Féroé – il est temps que le Danemark prenne le taureau par les cornes et se rende compte que le temps est compté pour l'actuel royaume danois, nettoie les derniers vestiges du paternalisme danois et entame des négociations sérieuses avec le Groenland et les îles Féroé sur le type de communauté que les deux pays souhaitent. Sans une diligence raisonnable, le danger est que la prédiction diplomatique de Zilmer-John : « Si nous ne le faisons pas, nous courons le risque que cela déraille », devienne réalité, et cela ne profite qu'aux États-Unis.
Lynge exprime l'opinion de nombreux Groenlandais lorsqu'il déclare dans une interview vidéoà Berlingske le 21 janvier.
« Nous ne supporterons pas que les gens de MAGA courent ici en jouant au fandango ».
Donc merci à Trump, mais non merci.
Niels Frølich
Membre de l'équipe éditoriale de Critical Review En savoir plus
https://solidaritet.dk/tak-trump/
Communiqué par ML
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Grève générale en Serbie

De nombreux acteurs sociaux ont appelé à une grève générale le vendredi 24 janvier (appelée officiellement par les étudiant·es et lycéen·enes) qui a été marquée par des rassemblements de masse, qui se sont poursuivis samedi et dimanche, portant le nombre de manifestations à plus de 150. Au moins 22 000 personnes ont manifesté à Novi Sad, 15 000 à Niš dimanche, 6 000 à Kragujevac. Pour la ville de Belgrade, on estime qu'environ 35 000 personnes se sont rassemblées près du bâtiment du gouvernement, tandis que 20 000 autres personnes se sont rassemblées au rond-point près de la municipalité. Belgrade compte 1,3 million d'habitant·es et la Serbie 6,60 millions.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Les manifestations, qui ont débuté en novembre et réclament que les autorités rendent des comptes et que justice soit rendue pour l'effondrement de l'auvent de la gare de Novi Sad, le 1er novembre dernier, qui a fait 15 victimes. Cette contestation est devenue le plus grand défi auquel les autorités ont été confrontées depuis que le Parti progressiste serbe a pris le pouvoir en 2012. Le président Aleksandar Vucic a appelé à « punir sévèrement » les responsables de la tragédie qui s'est produite dans la gare, mais rien n'a été fait.
Mais pour beaucoup les dirigeants corrompus, par l'intermédiaire desquels des proches de fonctionnaires ont passé les commandes de construction de cet auvent, sont les symboles d'un régime qu'ils et elles ne supportent plus. Ils et elles demandent également que Vucic lui-même soit tenu pour responsable.
Les étudiant·es sont mobilisé·es en permanence depuis novembre 2024. Ils et elles expliquaient en décembre dernier « Nous avons suspendu nos études, organisé des assemblées générales et voté des revendications, créé des groupes de travail. Nous avons occupé les locaux des facultés et les avons adaptés à notre vie quotidienne. Nous avons installé des cuisines, des dortoirs, des pharmacies, des ateliers, des cinémas et des salles de classe qui dispensent des cours pendant la grève. En trois semaines, presque tous les bâtiments universitaires de Serbie sont devenus des centres d'auto-organisation politique 24 heures sur 24. Nous recevons le soutien de nos concitoye·nes, dont les dons nous permettent de vivre. Chaque jour, d'autres groupes vulnérables de la société se joignent à notre lutte... Nous mettons en pratique le principe de la démocratie directe. Lors de ces réunions, tout le monde a une voix égale et le droit de décider de toutes les questions ».
De son côté, le syndicat indépendant des éducateur·trice, de nombreuses écoles et personnes employées dans l'éducation se sont opposé·es à la décision des syndicats « représentatifs » de poursuivre les négociations avec le ministère de l'Éducation. Des troupes de théâtre de Belgrade, ainsi que le Théâtre national serbe de Novi Sad, puis le Théâtre national de Sombor, ont annulé leurs représentations et ont lu une déclaration de protestation contre la tentative d'assassinat d'une étudiante en référence à la voiture qui a foncé le 16 janvier sur un rassemblement étudiant.
Plus tôt le 15 janvier, le syndicat TENT a décidé de se mettre en grève et demande « la satisfaction des revendications des étudiant·es, la détermination des responsabilités dans la situation catastrophique de l'industrie électrique - mais aussi la destitution du directeur général de l'EPS AD, de l'ensemble du directoire, du conseil de surveillance, de l'Assemblée de EPS, et le Ministre des Mines et de l'Énergie. » Trois jours plus tard entre 53 000 et 55 000 personnes ont participé à une manifestation devant la Télévision Rodio de Serbie (RTS), sous le mot d'ordre « Notre droit à tout savoir » ce qui constituait selon un quotidien serbe l'un des plus grands rassemblements de l'histoire de la Serbie. À la suite du mouvement étudiant, d'autres secteurs de la société serbe se mettent en mouvement qui vient de culminer avec ce week-end de grève générale.
A la suite de ces manifestations, le premier ministre serbe, Milos Vucevic a démissionné le 25 janvier. « Afin d'éviter de ne pas augmenter davantage les tensions dans la société, j'ai pris cette décision », a-t-il déclaré. Une première victoire du mouvement des étudiants.
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« Submersion migratoire » : Bayrou reprend la rhétorique du RN et prépare une offensive anti-immigrés

Lundi soir sur LCI et mardi à l'Assemblée, François Bayrou s'est fait le porte-parole du programme raciste du RN en évoquant un risque de « submersion migratoire ». Le PS a donc été obligé d'agiter la censure. Toute forme de stabilité offerte à ce gouvernement se paiera par une offensive raciste
28 janvie4 2025 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Submersion-migratoire-Bayrou-reprend-la-rhetorique-du-RN-et-prepare-une-offensive-anti-immigres
Macron avait déjà repris et popularisé des poncifs racistes de l'extrême droite : « ensauvagement », « décivilisation ». Son bras-droit, Gérald Darmanin alors ministre de l'Intérieur avait en 2020 déploré l'« ensauvagement de la société ». Le Premier Ministre François Bayrou, soutien de la première heure du Président, s'essaye désormais à la théorie conspirationniste et suprémaciste du « grand remplacement » en évoquant lundi soir sur LCI une « submersion migratoire » à Mayotte et en France. À l'Assemblée ce mardi, le chef du gouvernement a persisté en précisant qu'il parlait de submersion migratoire à Mayotte, où les Comoriens sont traités en étrangers sur leur archipel, avant d'ajouter « et ce n'est pas le seul endroit en France ». Un discours réitéré qui ne laisse pas le doute quant à la volonté d'assumer cette rhétorique empruntée à l'extrême-droite, que Jean Marie Le Pen avait popularisé en 1989 : « Nous sommes menacés par une vague, une submersion », affirmait-il.
Ces déclarations de Bayrou ont cependant reçu des réponses contradictoires. D'un côté, un secteur de la macronie avait déjà préparé le terrain. Lundi, Le Figaro publie une interview de Maud Bregeon, députée macroniste et ancienne porte-parole du gouvernement Barnier, dans laquelle celle-ci plaide pour remettre sur la table les mesures les plus dures de la loi Immigration. Mardi sur France Info, la députée de la Marne, Laure Miller, a soutenu les propos de Bayrou : « Si vous discutez avec n'importe qui dans la rue, vous verrez qu'il y a ce sentiment de submersion migratoire ». Mais il a également causé quelques remous chez les députés macronistes, du moins sur la forme. « Je n'aurais jamais tenu ces propos et ils me gênent » a ainsi affirmé Yaël Braun-Pivet qui n'a pourtant pas hésité à voter il y a un an la Loi Immigration. « Ce n'était pas le meilleur mot à utiliser », concède un ministre aux journal Les Echos. Bruno Retailleau (Intérieur) et Gérald Darmanin (Justice) se sont sans surprise félicités qu'ils reprennent leurs rhétoriques racistes.
Une offensive qui ouvre une crise avec le PS
Le Parti Socialiste, qui a jusque-là très bien plié pour refuser de censurer le gouvernement Bayrou-Retailleau, a été obligé de réagir à des propos d'un racisme aussi décomplexé, mais qui affleuraient déjà dans la déclaration de politique générale de Bayrou : « L'installation d'une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c'est un mouvement de générosité qui se déploie […]. Mais que trente familles s'installent et le village se sent menacé. » Les dirigeants du Parti Socialiste ont donc claqué la porte des négociations en cours visant à trouver un accord en vue de la CMP ce jeudi autour du budget 2025.
Désormais, le Parti Socialiste veut faire monter les enchères et parle plus volontiers de censure.Cette sortie aura des « conséquences déflagratoires » a réagi le député PS Laurent Baumel. La menace est plus prégnante encore au sein de de l'entourage d'Olivier Faure : « Le secrétaire général du PS, Pierre Jouvet, la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin, son collègue député Arthur Delaporte, ou encore l'eurodéputée Chloé Ridel… Désormais, les menaces des cadres socialistes sont à prendre au pied de la lettre », pointe L'Opinion. Mais si rien n'est gravé dans le marbre, comme l'ont illustré le cirque autour des menaces de censure lors du discours de politique générale, il reste que la tension est remontée d'un cran suite aux propos de Bayrou.
Un accord précaire : la crise politique de retour au premier plan
Cette crise ouverte avec le PS illustre la très relative stabilité de l'accord obtenue par Bayrou. Un coup à « gauche » sur la question du budget et le « conclave » sur les retraites, un coup à droite pour contenter l'aile droite de son gouvernement, Retailleau et les LR. Une stratégie à très haut risque qui vise à tenter d'élargir son socle et de résoudre la quadrature du cercle d'une Assemblée structurellement divisée et instable.
Or cette fois, en voulant consolider son bloc sur la droite et tester le RN qui reste une clé pour une non-censure avec un PS polarisé, Bayrou risque de ruiner le tour de dressage qu'il avait réussi avec les socialistes et se met à la portée d'une censure du RN, comme Barnier. Et l'extrême droite est gourmande et n'a pas tardé à réagir. « Ce que l'on attend de lui, ce sont des actes qui suivent les constats et pour l'instant on a beaucoup de constats et très peu d'actes », a réagi Marine Le Pen au Palais-Bourbon. Pour l'heure, pas d'accord ni avec le PS ni avec le RN.
Une offensive qui présage de l'offensive autoritaire et raciste à venir
Mais la précipitation des macronistes à passer à l'après-budget témoigne de leurs ambitions racistes et sécuritaires. Sentiment d'insécurité, sentiment de « submersion » disent-ils, alors que Retailleau, Darmanin et les médias capitalistes saturent l'espace de discussions plus écœurantes les unes que les autres : violence de mineurs, guerre contre la drogue, restriction de droits délirants pour les prisonniers…
En menant une campagne permanente contre les réfugiés avec ou sans titres de séjour, comme avec la circulaire Retailleau qui veut rendre quasi-impossible la régularisation, les capitalistes préparent des offensives racistes contre toutes les personnes d'origine étrangère. Le « sentiment de submersion » de Bayrou s'arrête au prénom, à la couleur de peau ou à la manière de s'habiller ou de manger, il ne regarde pas la situation administrative.
Dans le monde entier, les partis de l'extrême centre néolibéral, se convertissent ouvertement aux thèses de l'extrême droite. En Allemagne, la démocratie-chrétienne (CDU) est prête à voter avec l'AfD, un parti nostalgique du nazisme, pour déporter des étrangers. En temps de crise, la démocratie capitaliste montre son vrai visage : raciste, policière et profondément anti-ouvrière.
Dans ces conditions, maintenir la « stabilité » d'un tel régime comme s'y engage le Parti Socialiste ou les directions syndicales en trouvant des accords avec le gouvernement pour ne pas le censurer, ou en participant au dialogue social, c'est permettre à ce gouvernement de mener des attaques racistes violentes qui vont s'abattre contre la population d'origine immigrée.
Toutes les oppositions en parole des directions syndicales à la loi immigration de 2024 ne valent rien si celles-ci s'acharnent à sauver le gouvernement qui ne rêve que de pourrir toujours plus la vie des travailleurs immigrés. La lutte contre l'extrême droite, si elle est sincère, doit passer par une lutte décidée contre ce gouvernement, son budget austéritaire et ses lois racistes !
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Le malaise andalou. Une approche de la question nationale andalouse

Nous avons voulu compléter notre dossier sur la question nationale par une contribution sur les nations qu'on associe généralement au « régionalisme », dont l'Andalousie est un exemple.
18 janvier 2025 | tiré du site inprecor.fr | Illustration : Le syndicat des ouvriers agricoles, Sinidicato Obrero del Campo, aujourd'hui SAT, a joué un rôle très important dans les mobilisations paysannes depuis la fin des années 1970.
Malaise. État de malaise physique ou spirituel. [Ou particulièrement, sentiment indéfini de ne pas être bien physiquement.]
Dictionnaire de María Moliner. Le sud, un jour, se lèvera
Une nation se lèvera
Fatiguée et blessée
République d'Andalousie
Tino Tovar, pasodoble de comparsa du Carnaval de Cadix « Tic Tac », année 2018.
Le présent texte se veut une approche de la question nationale andalouse en essayant d'analyser comment elle opère dans le panorama politique actuel et comment elle constitue un fait fondamental pour la libération sociale en Andalousie, quelle relation elle entretient avec la construction de l'État espagnol pour conclure par une proposition sur la façon dont nous devrions y faire face dans le but d'avancer vers une révolution écosocialiste en Andalousie et à partir de l'Andalousie.
Le malaise andalou
En Andalousie, nous avons un malaise : l'étrange sensation de vivre dans une crise permanente. Il ne s'agit pas d'une exagération, mais d'un malaise collectif face au rôle social et économique qui nous incombe. En d'autres termes, et pour faire simple, tout le monde en Andalousie sent, d'une manière ou d'une autre, que nous sommes plus pauvres que le reste de l'Espagne. Que nous pourrions être obligés de partir pour avoir un avenir, que l'on se moque de notre façon de parler ou que les choses sont plus difficiles ici.
Les facteurs sont multiples et les visions différentes, certaines contradictoires et d'autres complémentaires. Il ne s'agit pas d'un problème temporaire, ni d'un phénomène imputable aux derniers gouvernements ou aux crises économiques de la dernière décennie. Le malaise andalou est vieux de plusieurs siècles et s'inscrit dans l'identité de notre peuple. L'Andalousie ne peut être comprise sans le malaise andalou.
Mais comme je l'ai dit, le malaise andalou n'est pas seulement un sentiment, c'est un fait matériel. Ce malaise a une base réelle. Regardons quelques données.
En 2024, le nombre de personnes en risque de pauvreté en Andalousie est le plus élevé d'Espagne 1, le taux AROPE qui mesure le pourcentage de personnes en risque de pauvreté (idem) ou d'exclusion sociale est également le plus élevé d'Espagne (idem) et le nombre de personnes ayant des difficultés à joindre les deux bouts est supérieur de 7 points à la moyenne nationale (idem).
Le taux de chômage est beaucoup plus élevé que la moyenne de l'État, les salaires sont nettement inférieurs à la moyenne de l'État, six des dix municipalités aux revenus les plus faibles de l'État sont andalouses et même l'espérance de vie est plus faible.
C'est donc un fait qu'il existe en Andalousie une situation spécifique d'appauvrissement et d'inégalité dont souffrent directement les classes populaires et que l'Andalousie a joué un rôle de périphérie politique, sociale, économique et culturelle au sein de l'État espagnol.
La question est maintenant de savoir comment ce malaise andalou fonctionne politiquement, quelle est sa signification, comment il est canalisé et à qui il profite.
Les mauvaises réponses
Au cours des dernières décennies, différentes réponses politiques au malaise séculaire de l'Andalousie et à la situation spécifique d'oppression vécue par les classes populaires andalouses sont apparues.
À l'heure actuelle, nous pouvons distinguer trois catégories principales de réponses au malaise andalou, qui sont terriblement erronées et qui nous mènent dans des voies sans issue, comme je le décrirai ci-dessous.
Le premier de ces groupes pourrait être appelé le chauvinisme identitaire. Il s'agit de la tendance à placer la culture et l'identité au centre de la question andalouse comme une cause et non comme une conséquence de l'évolution matérielle et historique de notre peuple. Dans ce type de réponse, la cause de notre oppression est notre culture et notre façon d'être.
Cette réponse se décline en deux versions. L'une, profondément réactionnaire et classiste, affirme plus ou moins explicitement que la responsabilité de la situation socio-économique de l'Andalousie réside dans les prétendues caractéristiques culturelles des classes populaires andalouses. L'autre version, prétendument plus progressiste, est une forme d'autosatisfaction de la situation de l'Andalousie –se rattachant au mythe de l'Andalousie exotique ou orientale si typique du 19e siècle –, nie le malaise andalou et présente l'Andalousie comme un paradis de vertus où il fait bon vivre, précisément en raison de notre culture et de notre identité.
Ces deux visions du chauvinisme identitaire sont profondément ancrées dans la population andalouse et dans le reste de l'Espagne et nous conduisent à la même impasse et à la même paralysie.
Sur la scène politique andalouse, ces éléments ont été particulièrement utilisés dans leur version la plus prétendument progressiste par des positions politiques qui suggèrent une sorte de régionalisme andalou interclassiste qui présente la libération andalouse comme une conséquence directe d'un développement culturel et identitaire particulier, en ignorant la question des classes, de la libération sociale et de la construction même du régime espagnol, comme je l'expliquerai plus loin.
Un deuxième groupe de réponses erronées au malaise andalou est ce que nous pourrions appeler l'anti-catalanisme. Cette idée est profondément ancrée dans la société andalouse et c'est l'élément le plus utilisé par l'État espagnol pour canaliser l'agitation andalouse.
Ces réponses sont basées sur l'idée que l'origine de la situation d'oppression économique de l'Andalousie se trouve dans le développement d'autres territoires en Espagne. Elles partent d'un fondement réel – celui des rôles différents joués par les territoires et les nations dans la construction de la notion même d'Espagne et du sacrifice de certains d'entre eux – pour désigner le peuple catalan (ou basque) dans son ensemble comme l'ennemi d'une Espagne dont l'Andalousie serait le fer de lance, la zone la plus lésée par toute revendication nationale de l'une ou l'autre des nations sans État.
Mais l'idée qui sous-tend cette réponse erronée est un fort interclassisme. La conception des nations, des peuples ou des territoires comme un tout univoque et homogène avec des intérêts égaux, comme s'ils n'étaient pas liés à la classe sociale. Un territoire prétendument privilégié est présenté dans la construction territoriale de l'État comme s'il s'agissait de son peuple, et non d'une classe sociale qui dirige à la fois ici et dans l'État, et qui est responsable du rôle joué par l'Andalousie.
Le plus curieux est que l'État qui « répartit » n'est pas pointé du doigt. Cette théorie est toujours dirigée contre la Catalogne (ou Euskadi) mais jamais contre l'État. Pourquoi ? Parce qu'au cœur de cette vision, il n'y a pas une défense de l'Andalousie en soi, mais de l'Andalousie comme fer de lance de l'Espagne, comme la plus espagnole des « Espagnes ».
C'est actuellement l'axe fondamental du discours de la droite et de l'extrême droite en Andalousie, incluant la création d'un nouveau régionalisme andalou conservateur qui tente de redéfinir les symboles, l'histoire et l'identité andalouses.
Nous trouvons un troisième groupe de mauvaises réponses : ce n'est qu'une question de classes sociales. Ses partisans en viennent à proposer une résolution plus simple de la question : la nier. Ils affirment simplement qu'il n'y a pas de problème territorial en ce qui concerne l'Andalousie et que tous les indices socio-économiques de l'Andalousie répondent exclusivement à la question des classes, niant ainsi l'oppression spécifique de l'Andalousie. Tant sur le plan matériel que sur le plan culturel.
Cette réponse a généralement été défendue par la gauche centraliste, à la fois les plus socio-libéraux et ceux historiquement regroupés autour du Parti communiste espagnol, ou maintenant Sumar/Izquierda Unida ou Podemos. Bien qu'ils se réfèrent généralement aux luttes andalouses des années 1970 et 1980, ils y font toujours allusion comme à une lutte du passé, appréhendée avec nostalgie et dans le contexte particulier de la transition espagnole et de sa défense. Elles ne sont jamais évoquées comme un problème actuel ou comme une oppression majeure qui croise la question de la classe ou du patriarcat.
En somme, ils nient l'existence d'un malaise andalou endémique, il n'y a donc pas pour eux de question nationale andalouse mais simplement la question de la classe ouvrière en Espagne.
Cette réponse refuse de comprendre la composition des classes populaires andalouses, leur situation socio-économique et donc leurs expressions culturelles, identitaires, politiques et combatives. C'est un refus de comprendre la situation en Andalousie.
Face à ces trois réponses erronées, il convient de s'interroger sur l'origine et le développement du malaise andalou et sur son maintien.
L'origine du malaise andalou
Il est courant, lorsqu'on parle de l'Andalousie, de dire qu'il s'agit d'une terre « arriérée », de souligner que la clé pour comprendre la situation socio-économique de l'Andalousie est qu'elle est « sous-développée ». Ainsi s'insinue l'idée largement répandue selon laquelle le développement économique est une échelle univoque, à sens unique, dans laquelle l'Andalousie se trouve simplement à quelques échelons du reste de l'État espagnol.
Cette idée, qui est largement utilisée dans l'analyse de nombreuses régions du monde, est très utile pour maintenir le statu quo, ce qui est bénéfique pour les classes dirigeantes qui profitent de la façon dont l'État espagnol a été construit, en termes de classes et de territoire.
Elle leur est très utile pour deux raisons principales : premièrement, parce qu'elle nous place, nous les victimes du malaise andalou, dans une position purement passive, puisque nous ne pouvons qu'attendre que l'évolution naturelle nous fasse gravir l'échelle du développement ; deuxièmement, parce qu'elle ne nous montre qu'une seule voie possible : le développement le long de cette échelle à sens unique, le long de laquelle d'autres territoires ont déjà progressé avant nous.
C'est essentiellement faux. Et ce, pour une raison fondamentale : l'Andalousie n'est pas sous-développée. L'idée que l'origine de la situation de l'Andalousie est qu'elle est arrivée tardivement au développement capitaliste parce que les structures sociales, économiques et politiques d'une période précapitaliste s'y sont prolongées, est fausse.
Comme le soulignent des auteurs tels que Delgado Cabeza, Arenas Posadas et García Jurado, non seulement l'Andalousie n'est pas arrivée tardivement au développement du capitalisme, mais elle a joué un rôle de pionnier dans le développement du capitalisme dans la péninsule ibérique.
La conquête et la colonisation castillane de l'Andalousie entre le 11e et le 15e siècle et la colonisation ultérieure de l'Amérique à partir des côtes andalouses ont jeté les bases de la construction, entre le 15e et le 18e siècle, d'un développement particulier du capitalisme que des auteurs comme García Jurado appellent le « capitalisme seigneurial andalou », dans lequel un processus de prolétarisation précoce de la main-d'œuvre, la privatisation et la clôture des terres et l'importance du marché 2 sont apparues très tôt.
À cela s'ajoutent les institutions politiques issues de la conquête d'Al-Andalus, qui jouent le rôle de garant de la propriété privée des moyens de production, notamment de la terre, et d'une répression brutale au bénéfice des élites.
Très tôt est apparu le « problème de la terre », qui était déjà utilisée comme marchandise, avec des ouvriers sans terre prolétarisés par la spoliation des terres et qui a atteint son apogée au début du 19e siècle avec le désamortissement 3.
À partir du 17e siècle, le chômage est apparu comme un problème structurel et majeur en Andalousie4, où il existait une énorme classe de journaliers totalement dépossédés des moyens de production et obligés de vendre leur force de travail pour survivre.
Ce développement précoce du capitalisme en Andalousie, en lien avec les institutions héritées de la conquête d'Al-Andalus, la formation d'une classe sociale mêlant la seigneurie castillane et le problème de la terre et du commerce avec la colonisation de l'Amérique, ont eu un effet sur tous les aspects de la société andalouse.
C'est précisément ce développement particulier du capitalisme andalou qui façonne les structures sociales, la démographie, la culture, les secteurs économiques et l'identité de l'Andalousie.
Et à son tour, c'est ce qui façonne l'Andalousie en tant que nation. En ce sens, il est intéressant d'observer l'Andalousie à la lumière de ce que Gramsci a écrit sur la question méridionale. Il a compris que l'Italie du Sud fonctionnait, sur le plan politique et économique, comme une « immense campagne, par opposition à l'Italie du Nord, qui fonctionne comme une immense ville » 5. Et c'est précisément ces caractéristiques économiques et politiques et le rôle joué par le Sud qui ont formé et développé une question nationale pour le Sud. Il en va de même en Andalousie, où un fait national s'est constitué sur la base d'éléments matériels, sur un développement particulier du capitalisme qui a façonné toutes les structures sociales et l'identité nationale.
Ainsi, l'État espagnol moderne repose sur deux questions étroitement liées : la classe et le territoire. L'État espagnol, et la notion même d'Espagne, se sont constitués comme un artefact au bénéfice d'une classe sociale qui s'est formée au fur et à mesure que le capitalisme se développait, et qui tirerait profit de ce processus. Et qui, en même temps, il se construisait sur la base d'une distribution territoriale des secteurs économiques, des bénéfices et des politiques, qui généraient directement des territoires sacrifiés. L'Andalousie était l'un de ces territoires.
La clé de cette construction territoriale de l'État espagnol a été et continue d'être l'extractivisme. C'est la relation constituée avec certains territoires, transformés en zones sacrifiée par le biais d'un capitalisme purement extractif.
L'Andalousie sert de lieu d'extraction de matières premières manufacturées dans d'autres lieux, elle sert de zone d'implantation pour les industries les plus polluantes, de décharges dangereuses ou de stockage de déchets nucléaires (le seul cimetière nucléaire de l'État se trouve en Andalousie). Nous sommes également un territoire d'où l'on extrait une main-d'œuvre bon marché grâce à l'émigration de millions de personnes ou dans lequel on place certains secteurs productifs qui génèrent peu de valeur ajoutée, ont un impact environnemental énorme et répartissent très mal la richesse, comme le tourisme ou la construction. Le même processus peut être observé dans l'extraction de revenus par le biais du logement, le territoire étant le plus touristique d'Europe, ou au niveau culturel avec l'appropriation de la culture andalouse en tant que culture espagnole, avec l'exemple flagrant du flamenco.
Par conséquent, l'Andalousie n'est pas arrivée tardivement au capitalisme, et elle n'est pas non plus en retard. L'Andalousie joue un rôle pionnier et fondamental dans le capitalisme espagnol, elle joue un rôle de périphérie en expropriation permanente. L'Andalousie a été et est sacrifiée quotidiennement au profit de la classe sociale qui dirige l'État. Pour reprendre l'idée de Manuel Delgado Cabeza, l'Andalousie n'est pas arriérée, mais elle est l'arrière-cour du développement des autres.
Comme nous l'avons souligné, les bénéficiaires du rôle de l'Andalousie ne sont pas les classes populaires du nord de l'État, de la Catalogne, du Pays basque ou de Madrid. Les bénéficiaires de tout ce processus de construction territoriale de l'État espagnol sont l'oligarchie et les élites qui profitent de cette expropriation permanente de la richesse. Les élites andalouses aussi, ne l'oublions pas.
C'est pourquoi, en Andalousie, le malaise andalou a une explication qui rend inséparables la question nationale et la question sociale. On ne peut comprendre l'une sans l'autre, car la configuration nationale même de l'Andalousie repose sur les intérêts de la classe privilégiée. En d'autres termes, l'intérêt des classes laborieuses andalouses passe par une transformation, subversive, du rôle de zone sacrifiée que l'État espagnol a donné à l'Andalousie, c'est-à-dire qu'il passe aussi par la libération nationale de l'Andalousie.
Ainsi, nous bannissons du chemin de la libération de l'Andalousie toute hypothèse qui indiquerait la nécessité d'une approche interclassiste de la question andalouse ou d'une alliance avec les élites andalouses ou l'oligarchie andalouse.
Il n'est pas possible, même avec une vision étapiste telle que proposée par certains courants nationalistes à d'autres moments de l'histoire, de promouvoir une sorte de « révolution nationale » en alliance avec une bourgeoisie progressiste, car celle-ci a pleinement intérêt au maintien du statu quo, puisque la situation d'oppression en Andalousie correspond pleinement à ses intérêts matériels.
Une souveraineté andalouse pour construire l'écosocialisme
Par conséquent, une fois que nous avons vu l'origine du malaise andalou et comment l'État espagnol a été configuré sur l'imbrication des privilèges de classe et de l'inégalité territoriale, dont les classes ouvrières andalouses sont les perdantes, il ne nous reste qu'une seule réponse.
Une réponse qui aurait pour objectifs simultanés la libération sociale de la classe ouvrière et le dépassement du rôle de périphérie extractive dont souffre l'Andalousie. De plus, elle incorporerait de manière intersectionnelle la lutte contre l'oppression hétéropatriarcale subie par les femmes et les personnes LGTBIQ+, l'antiracisme, tout cela dans le cadre de la crise écologique d'une planète aux ressources limitées.
C'est là que le concept de souveraineté entre en jeu. Pour l'expliquer, je cite Nancy Fraser lorsqu'elle explique que la clé est de savoir comment et qui décide de l'utilisation de ce qui reste une fois qu'on a reproduit la vie et reconstitué ce qui a été dépensé. Fraser souligne que « la manière dont une société utilise ses capacités excédentaires est centrale : elle soulève des questions fondamentales sur la manière dont les gens veulent vivre – où ils choisissent d'investir leurs énergies collectives, comment ils entendent équilibrer le “travail productif” avec la vie de famille, les loisirs et d'autres activités – ainsi que sur la manière dont ils aspirent à se comporter avec la nature non humaine et sur ce qu'ils entendent léguer aux générations futures. Les sociétés capitalistes ont tendance à laisser ces décisions aux “forces du marché” » 6.
C'est précisément en Andalousie que nous subissons une double usurpation de la capacité à décider, de la souveraineté, sur tout ce qui est important dans la société. D'une part, en subissant un modèle économique, le capitalisme, qui accorde cette souveraineté aux « forces du marché » ; et d'autre part, en subissant un type de capitalisme, extractif et périphérique, qui nous place dans une situation de dépendance totale et d'infériorité. En tant qu'hommes et femmes de la classe ouvrière et de l'Andalousie, la subalternité est double.
Carlos Arenas Posadas a dit (et j'ai lu Oscar García Jurado) que « les peuples pauvres sont ceux qui n'ont pas la liberté de gérer leurs ressources, ceux qui n'ont pas les moyens de développer pleinement leur potentiel ».
Par conséquent, l'idée de souveraineté que nous devons défendre est précisément cela. La capacité des sujets politiques à décider démocratiquement comment, quoi, combien et quand produire, comment distribuer démocratiquement, comment utiliser notre temps, nos corps et comment nous relier les uns aux autres, aux autres sujets politiques, aux animaux non humains et à la planète.
Celles et ceux qui souffrent de ces oppressions croisées entre classe, nation andalouse, hétéropatriarcat et race sont les classes populaires andalouses et, à ce titre, sont constitué·es en tant que sujet politique pour lequel nous revendiquons la souveraineté.
La seule réponse utile pour les classes populaires andalouses est donc cette idée de souveraineté comme projet politique qui mise sur la capacité à décider de nos vies dans le but de renverser l'oppression de classe et le rôle de périphérie extractive, c'est-à-dire l'oppression nationale, que nous subissons en Andalousie.
Une telle souveraineté impliquerait de décider de notre propre voie, qui ne consiste pas à continuer à gravir l'échelle du développement capitaliste. Il ne s'agit pas de promouvoir un développement avec les mêmes valeurs et paramètres que ceux suivis par d'autres territoires, mais plutôt de le renverser.
De promouvoir un développement endogène écosocialiste, en partageant les richesses, selon les clés indiquées par l'économie écoféministe et en affrontant la crise climatique et énergétique de manière équitable, dans une relation saine avec la planète.
Seule cette proposition, qui comprend que l'oppression de classe en Andalousie ne peut être envisagée qu'en recoupant le fait national andalou et la construction territoriale de l'État espagnol qui condamne l'Andalousie à l'extractivisme, a le potentiel de comprendre l'identité même du peuple andalou.
Le peuple andalou a été façonné par des processus historiques et par le développement économique et social. C'est précisément ce processus qui a généré ses caractéristiques, ses éléments culturels, ses institutions sociales, ses expressions de toutes sortes, ses traditions et son identité. Tout ce processus constitue un fait complexe, contradictoire et différencié, avec ses propres expressions et une réalité différenciée.
La seule façon d'essayer de l'organiser et d'avancer vers une rupture avec le capitalisme pour façonner une Andalousie écosocialiste sera de comprendre ce fait national et de formuler une proposition pour résoudre ses contradictions : la souveraineté andalouse pour l'écosocialisme.
Si, par contre, la gauche de transformation sociale continue à ne pas comprendre la question nationale andalouse, il sera impossible non seulement que l'Andalousie cesse de souffrir des douleurs, silencieuses et séculaires, qui provoquent ce malaise andalou, mais il ne sera jamais possible non plus de se connecter réellement avec le seul peuple capable de surmonter ce malaise : la classe ouvrière andalouse.
Il ne sera jamais possible de transformer un peuple qui ne se comprend pas. En tant que révolutionnaires, notre obligation est de faire la révolution écosocialiste dans le lieu et le moment historique où nous vivons. Notre lieu s'appelle l'Andalousie.
Le 16 décembre 2024
Notes
1. « L'état de la pauvreté en 2024 ». Réseau européen de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale en Espagne.
2. Approximación al capitalismo andaluz, Oscar García Jurado.
3. Le désamortissement ou désamortisation (desamortización en espagnol) est un processus économique entamé en Espagne à la fin du 18e siècle par Manuel Godoy et qui s'est prolongé jusqu'au 20e siècle, consistant à mettre aux enchères publiques des terres et des biens improductifs détenus dans l'immense majorité des cas l'Église catholique ou les ordres religieux, qui les avaient accumulés par le biais de nombreux legs ou donations, ainsi que des propriétés foncières appartenant à la noblesse.
4. Oscar García Jurado, idem.
5. Gramsci, Antonio. « Rapport sur le troisième congrès du parti communiste italien », publié dans l'Unitá, 24 février 1926. Dans « La question méridionale », Antonio Gramsci.
6. Nancy Fraser, Le capitalisme est un cannibalisme, 2025.
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Autriche : Un gouvernement d’extrême droite en vue

Le chancelier conservateur Karl Nehammer, qui s'était engagé lors des élections législatives autrichiennes du 29 septembre à ne pas être le marchepied de Kickl pour la chancellerie, vient de démissionner de ses postes de chancelier et de chef de parti le 4 janvier en lui laissant la voie libre.
19 janvier 2025 | tiré du site de la gauche anticapitaliste
https://www.gaucheanticapitaliste.org/autriche-un-gouvernement-dextreme-droite-en-vue/
En septembre, le Parti autrichien de la liberté (FPÖ), d'extrême droite, dirigé par Herbert Kickl, devenait le premier parti avec 28,85 %, juste devant le Parti populaire autrichien (ÖVP), conservateur de droite, avec 26,27 %. Les sociaux-démocrates, 21,1 %, avaient exclu d'emblée toute coalition avec le FPÖ à un niveau national. Les conservateurs ont pu choisir s'ils préféraient gouverner avec Kickl ou avec les sociaux-démocrates.
Les négociations avec les sociaux-démocrates et les libéraux de « Neos » en vue d'une coalition gouvernementale ont été interrompues par « Neos » et les conservateurs. Les deux n'étaient pas du tout disposés à négocier ne serait-ce qu'une participation des riches et des super-riches à l'assainissement nécessaire du budget (réintroduction d'un impôt sur les successions ou sur la fortune), tant la pression exercée par le capital était forte. Les sociaux-démocrates avaient également proposé des alternatives telles qu'une taxe sur les banques — tout a été balayé d'un revers de main.
Depuis, les conservateurs se sont déclarés prêts à former un gouvernement avec l'extrême droite. Kickl a fait du lobbying avec succès en promettant de mettre en œuvre le programme économique des conservateurs s'il pouvait en échange occuper la chancellerie et des ministères importants.
Une politique contre la classe ouvrière
Le FPÖ et l'ÖVP savent que la mise en œuvre du programme économique de l'ÖVP entraînera un changement d'humeur de la population.
Il est prévu de détruire, ou du moins d'affaiblir considérablement, le système de santé ; de s'attaquer aux travailleurEs du secteur public (gel des salaires des enseignantEs et des infirmières…) et aux retraitéEs (gel des pensions et relèvement de l'âge légal de départ à la retraite) ; de mettre en place une « réforme du marché du travail », c'est-à-dire de réduire les prestations et de durcir les conditions d'emploi ; d'augmenter les impôts de masse.
En raison des procédures en cours contre des représentants de premier plan de l'ÖVP et du FPÖ, les deux partis voient d'un bon œil l'affaiblissement des contrôles démocratiques et de l'État de droit. Ils prévoient aussi de s'attaquer à l'indépendance de la télévision et de la radio publiques et d'exercer une influence massive sur la presse papier.
L'affaiblissement de la « chambre des travailleurs » (Arbeiterkammer ou AK, dont l'origine remonte à la révolution de 1918-1919), voire sa destruction par la réduction ou la suppression des cotisations à cette chambre, est un autre point de départ. Il en va de même pour l'indépendance de la justice (suspension des procédures, empêchement des enquêtes et de l'ouverture de nouvelles procédures), de la Cour des comptes, de l'Institut de statistique publique d'Autriche ou encore de l'administration publique.
Racisme et réaction au cœur du programme
En renforçant encore les mesures xénophobes et anti-minorités, le mécontentement doit être détourné vers des boucs émissaires présumés (réfugiéEs, migrantEs, chômeurEs, bénéficiaires de l'aide sociale, LGBTIQ+ ou encore artistes critiques envers la société). En outre, le FPÖ et l'ÖVP soutiennent tout ce qui alimente la crise climatique et prônent l'abandon des objectifs climatiques.
De larges alliances pour la défense des droits démocratiques et sociaux et contre l'« orbanisation » sont désormais une nécessité. Leur succès dépendra de l'engagement total de la social-démocratie et des syndicats (les organisations à gauche de la social-démocratie ne jouent qu'un rôle très limité en Autriche). C'est un très grand défi compte tenu des décennies paralysantes du partenariat social, durant lesquelles les temps de grève moyens se mesuraient en minutes, voire en secondes par personne et par an !
Parallèlement, nous devons développer un programme de gauche offensif et démystifier non seulement le populisme de droite du FPÖ, mais aussi l'idéologie néolibérale des « Neos ».
Article initialement publié sur l'Anticapitaliste, le 16 janvier 2025
Crédit Photo : DR
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La russification forcée des enfants ukrainiens

Ce dossier se place dans la continuité d'une précédente enquête qui a servi de base à une communication envoyée en décembre 2022 au bureau du procureur de la Cour pénale interna- tionale (CPI). Celle-ci a contribué au dépôt, en mars 2023, de mandats d'arrêt contre Poutine et sa commissaire aux droits de l'enfant Maria Lvova-Belova. Ce nouveau volet de notre en- quête révèle que Russie-Unie (R-U, voir enca- dré Russie-Unie), le parti politique de Poutine, a contribué à planifier, coordonner et exécu- ter la déportation, la russification et l'adoption des enfants ukrainiens. L'enquête souligne la dimension génocidaire de cette entreprise qui vise à incorporer les enfants ukrainiens à la na- tion russe. L'intention génocidaire se traduit dans les propos des membres de Russie-Unie qui répètent que l'Ukraine n'existe pas, que les terres et le peuple ukrainiens sont russes, et qui témoignent d'une volonté fanatique de russifier les enfants ukrainiens. La nouvelle communica- tion appelle donc la CPI à étendre ses mandats à d'autres hauts responsables et à requalifier ces crimes afin d'accroître la pression judiciaire sur le pouvoir russe.
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Trois ans de guerre en Ukraine : manifestons les 23 et 24 février

Le Comité français du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (RESU), en ce début d'année 2025, appelle à participer massivement aux manifestations, actions, débats publics et autres initiatives qui seront organisés par les défenseurs·euses du peuple ukrainien à l'occasion du 3e anniversaire de l'invasion généralisée déclenchée par Poutine le 24 février 2022, et notamment à la manifestation prévue à Paris le dimanche 23 février.
7 janvier 2025 | tiré d'inprecor.fr
https://inprecor.fr/node/4526
Les actions menées autour de cette date auront une importance particulière en raison de l'avènement de Donald Trump à la présidence américaine, et des diverses pressions diplomatiques et économiques qui vont s'ajouter à l'agression meurtrière des armées russes et nord-coréennes et à l'occupation, pour imposer à l'Ukraine l'acceptation de celle-ci. La majorité des forces d'extrême droite en Europe pèsent en ce sens.
Nous rejetons les pressions menées au nom de « la paix » alors qu'elles ne contestent pas l'occupation, la russification des régions occupées, les déportations de populations et notamment d'enfants, et alors que pour l'impérialisme russe, l'Ukraine ne doit pas exister. Cette « paix »-là, c'est la légitimation d'annexions et c'est la poursuite de la guerre et de l'oppression.
Le Comité français du RESU réaffirme qu'il n'y aura pas de paix sans la justice que revendique la résistance populaire ukrainienne, armée et non armée. C'est pourquoi nous œuvrons à sa victoire pour une paix durable parce que juste contre les armés d'invasion de l'impérialisme russe. Et c'est aussi pourquoi nous nous insérons dans la solidarité internationaliste avec les luttes des mouvements sociaux, syndicaux, féministes et démocratiques en Ukraine.
Le Comité français du RESU soutient parallèlement la résistance antiguerre en Russie et au Bélarus.
Le Comité français du RESU appelle les gouvernements et États européens à fournir les moyens militaires et la protection aérienne que l'Ukraine demande – et aussi à annuler sa dette extérieure.
Le Comité français du RESU continuera de porter, dans la gauche et les mouvements sociaux français et dans les actions de solidarité avec l'Ukraine, la voix des Ukrainiennes et des Ukrainiens qui luttent à la fois contre le démantèlement des services publics, de la santé et de l'éducation, et contre l'invasion et l'occupation. En effet les politiques néolibérales du pouvoir portent atteinte aux droits des travailleuses et des travailleurs, à la résistance et à la lutte contre l'invasion russe.
Publié le 5 janvier 2024 par le RESU
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