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« Guerre en Ukraine : trois ans après »

L'économiste Michael Roberts analyse le futur des économies russes et ukrainiennes, trois ans après le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et alors que Zelensky se prépare à signer un accord avec Trump.
26 février 2025 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Guerre-en-Ukraine-trois-ans-apre%CC%80s-par-Michael-Roberts
Ukraine : une catastrophe humaine
Aujourd'hui marque la fin de la troisième année de la guerre entre l'Ukraine et la Russie. Après trois ans de conflit, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a causé des pertes considérables au peuple et à l'économie ukrainiens. Il existe différentes estimations du nombre de victimes civiles et militaires ukrainiennes (décès et blessures) : 46 000 civils et peut-être 500 000 soldats. Les pertes militaires russes sont à peu près les mêmes. Des millions de personnes ont fui à l'étranger et des millions d'autres ont dû fuir leurs foyers. Une évaluation confidentielle ukrainienne réalisée plus tôt en 2024, et rapportée par le Wall Street Journal (WSJ), a estimé les pertes des troupes ukrainiennes à 80 000 tués et 400 000 blessés. Selon les chiffres du gouvernement, au cours du premier semestre 2024, le nombre de personnes décédées en Ukraine a été trois fois supérieur à celui des naissances, a rapporté le WSJ. L'année dernière, les pertes ukrainiennes ont été cinq fois plus élevées que celles de la Russie, Kiev perdant au moins 50 000 militaires par mois.
Le PIB de l'Ukraine a baissé de 25 % et 7,1 millions d'Ukrainiens supplémentaires vivent désormais dans la pauvreté.

Par ailleurs, les retards scolaires des enfants ukrainiens sont particulièrement préoccupants : l'Ukraine se retrouvera avec une main-d'œuvre de moins bonne qualité en raison des perturbations du processus d'apprentissage causées par la guerre (et auparavant par le Covid). Ces pertes sont estimées à environ 90 milliards de dollars, soit presque autant que les pertes en capital fixe [1] à ce jour. Des études ont montré que vivre une guerre durant les cinq premières années de la vie d'une personne équivaut à une baisse d'environ 10 % des scores de sa santé mentale à l'âge de 60-70 ans. Le problème ne se limite pas aux victimes de guerre et à l'économie, mais aussi aux dommages à long terme causés aux Ukrainiens qui n'ont pas pu fuir.
Malgré la guerre, une légère reprise économique a été observée l'année dernière. Les exportations d'énergie ont bondi. Les ports ukrainiens de la mer Noire sont toujours en activité. Les échanges commerciaux se font vers l'ouest le long du Danube et, dans une moindre mesure, par train. Parallèlement, l'agriculture a amorcé une reprise. En revanche, la production de fer et d'acier reste encore très en-dessous de son niveau d'avant-guerre, passant de 1,5 million de tonnes par mois à seulement 0,6 million de tonnes par mois.

L'Ukraine manque cruellement de personnes valides pour produire ou pour aller à la guerre. Si le taux de chômage de l'Ukraine est redescendu à 16,8 % en janvier 2025 après un pic de 24,53% en 2022 [2], cela ne résout pas le problème de la pénurie de main d'œuvre. En effet, les personnes qualifiées ont quitté le pays et d'autres ont été mobilisés dans les forces armées. La situation est si mauvaise qu'il a été question de mobiliser les 18-25 ans [3] – actuellement exemptés – mais cette mesure est très impopulaire et réduirait encore davantage l'emploi civil.
L'Ukraine est encore totalement dépendante du soutien de l'Occident. Elle a besoin d'au moins 40 milliards de dollars par an pour maintenir ses services publics, subvenir aux besoins de sa population et maintenir la production. D'un côté, elle compte sur l'UE pour toutes ses dépenses publiques, et de l'autre, elle dépend des États-Unis pour son financement militaire - une « division du travail » pure et simple. En outre, le FMI et la Banque mondiale ont proposé une aide monétaire, mais pour l'obtenir, l'Ukraine doit démontrer sa « viabilité », c'est-à-dire qu'elle doit être capable à un moment donné de rembourser ses emprunts. Ainsi, si les prêts bilatéraux des États-Unis et des pays de l'UE (il s'agit principalement de prêts et non d'une aide directe) ne se concrétisent pas, le FMI ne pourra pas prolonger son programme de prêt.
Ce qui nous ramène à cette question : qu'adviendra-t-il de l'économie ukrainienne, si et quand la guerre avec la Russie prendra fin ? Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, l'Ukraine aura besoin de 486 milliards de dollars au cours des dix prochaines années pour se redresser et se reconstruire, en supposant que la guerre prenne fin cette année. C'est près de trois fois son PIB actuel. Les dommages directs causés par la guerre ont actuellement atteint près de 152 milliards de dollars, avec environ 2 millions de logements - soit environ 10 % du parc immobilier total de l'Ukraine - endommagés ou détruits, ainsi que 8 400 km d'autoroutes, de routes nationales et autres routes, et près de 300 ponts. Environ 5,9 millions d'Ukrainiens sont demeurés à l'extérieur du pays, et les personnes déplacées à l'intérieur du pays étaient environ 3,7 millions.
Ce qui reste des ressources de l'Ukraine (celles qui n'ont pas été annexées par la Russie) a été vendu à des entreprises occidentales. Au total, 28 % des terres arables de l'Ukraine appartiennent désormais à un mélange d'oligarques ukrainiens, de sociétés européennes et nord-américaines, ainsi qu'au fonds souverain d'Arabie saoudite. Nestlé a investi 46 millions de dollars dans une nouvelle usine, dans la région de Volhynie, tandis que le géant allemand des médicaments et des pesticides, Bayer, prévoit d'investir 60 millions d'euros dans la production de semences de maïs dans la région centrale de Jitomir. MHP, la plus grande entreprise avicole d'Ukraine, appartient à un ancien conseiller du président ukrainien Porochenko. MHP a été le bénéficiaire de plus d'un cinquième de tous les prêts de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) au cours des deux dernières années. MHP emploie 28 000 personnes et contrôle environ 360 000 hectares de terres en Ukraine, une superficie plus grande que le Luxembourg.
Le gouvernement ukrainien s'est engagé à mettre en place une économie de « libre marché » pour l'après-guerre, qui inclurait de nouvelles vagues de déréglementation du marché du travail, en deçà même des normes minimales de l'UE en matière de travail (c'est-à-dire des conditions de travail proches de l'esclavage), ainsi que des réductions drastiques des impôts sur les sociétés et sur le revenu, parallèlement à la privatisation complète des actifs restants de l'État. Cependant, les pressions d'une économie de guerre ont contraint le gouvernement à mettre ces politiques de côté (pour le moment), les impératifs militaires étant prioritaires.
L'objectif du gouvernement ukrainien, de l'UE, du gouvernement américain, des agences multilatérales et des institutions financières américaines, désormais chargées de lever des fonds et de les allouer à la reconstruction, est de restaurer l'économie ukrainienne sous la forme d'une zone économique spéciale, avec des fonds publics pour couvrir les pertes potentielles du capital privé. L'Ukraine sera également libérée des syndicats, des régimes fiscaux et des réglementations sévères pour les entreprises et de tout autre obstacle majeur aux investissements rentables du capital occidental, en alliance avec les anciens oligarques ukrainiens.
Selon des sources ukrainiennes, le coût de la restauration des infrastructures (financement de l'effort de guerre : munitions, armes, etc. ; pertes de logements, d'immeubles commerciaux, indemnités pour décès et blessures, coûts de réinstallation, aides au revenu, etc.) et des pertes de revenus actuels et futurs atteindra 1 000 milliards de dollars, soit six années du PIB annuel précédent de l'Ukraine. Cela représente environ 2,0 % du PIB annuel de l'UE ou 1,5 % du PIB du G7 pendant six ans. D'ici la fin de cette décennie, même si la reconstruction se déroule bien, et en supposant que toutes les ressources de l'Ukraine d'avant-guerre soient restaurées (c'est-à-dire que l'industrie et les minéraux de l'est de l'Ukraine soient entre les mains de la Russie), l'économie serait encore inférieure de 15 % à son niveau d'avant-guerre. Dans le cas contraire, la reprise sera encore plus longue.
Russie : l'économie de guerre
L'invasion de l'Ukraine par la Russie au début de l'année 2022 pour prendre le contrôle des quatre provinces russophones du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, a ironiquement donné un coup de fouet à l'économie russe. En 2023, la croissance du PIB réel était de 3,6 % et de plus de 3 % en 2024. L'économie de guerre de la Russie tient bon.

Au cours des trois dernières années de guerre, la Russie a réussi à échapper aux sanctions, tout en investissant près d'un tiers de son budget dans la défense. Elle a également pu accroître ses échanges commerciaux avec la Chine et vendre son pétrole à de nouveaux marchés, en utilisant en grande partie une flotte fantôme de pétroliers pour contourner le plafonnement des prix. Les pays occidentaux espéraient voir réduire les réserves de guerre du pays. La moitié de son pétrole et de ses produits pétroliers ont été exportés vers la Chine en 2023. Elle est devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine. Les importations chinoises en Russie ont bondi de plus de 60 % depuis le début de la guerre, car le pays a été en mesure de fournir à la Russie un flux constant de marchandises, notamment des voitures et des appareils électroniques, comblant ainsi le manque des importations de marchandises occidentales perdues. Le commerce entre la Russie et la Chine a atteint 240 milliards de dollars en 2023, soit une augmentation de plus de 64 % depuis 2021, avant la guerre.
Cependant, la guerre a intensifié une grave pénurie de main-d'œuvre. Comme l'Ukraine, la Russie manque désormais cruellement de personnel, mais pour des raisons différentes. Même avant la guerre, la main-d'œuvre russe diminuait pour des raisons démographiques naturelles. Puis, au début de la guerre en 2022, environ trois quarts de million de travailleurs russes et étrangers, dont une partie de la classe moyenne des secteurs de l'informatique, de la finance et de la gestion, ont quitté le pays. Pendant ce temps, l'armée russe recrute des dizaines de milliers d'hommes en âge de travailler. Entre 10 000 et 30 000 travailleurs rejoignent l'armée chaque mois, soit environ 0,5 % de l'offre totale. Cela a profité aux travailleurs russes qui ne font pas partie des forces armées, car les cadres sont réticents à licencier qui que ce soit.
Les salaires ont connu une hausse à deux chiffres, tandis que la pauvreté et le chômage ont atteint des niveaux historiquement bas. Pour les personnes les moins bien rémunérées du pays, les salaires ont augmenté plus rapidement au cours des trois derniers trimestres que pour tout autre segment de la société, avec un taux de croissance annuel d'environ 20 %. Le gouvernement a dépensé massivement dans l'aide sociale aux familles, l'augmentation des retraites, les subventions hypothécaires et l'indemnisation des proches des militaires.

Mais l'inflation s'est emballée et le rouble s'est fortement déprécié par rapport au dollar, ce qui a contraint la Banque centrale russe à relever son taux d'intérêt à plus de 20 %.

Une économie de guerre signifie que l'État intervient et même outrepasse la prise de décision du secteur capitaliste pour l'effort de guerre national. L'investissement public remplace l'investissement privé. Ironiquement, dans le cas de la Russie, cela a été accéléré par le retrait des entreprises occidentales des marchés russes et par les sanctions. L'État russe a repris des entités étrangères et/ou les a revendues à des capitalistes russes engagés dans l'effort de guerre.
Les dépenses en nouvelles constructions, en équipements de haute technologie et en nouveaux kits ont atteint leur plus haut niveau en 12 ans, soit 14 400 milliards de roubles (136,4 milliards de dollars), soit une augmentation de 10 % par rapport à l'année précédente. Selon le Centre d'analyse macroéconomique et de prévision à court terme basé à Moscou, le taux de croissance des investissements a dépassé le taux de croissance du PIB avec une marge plus importante qu'au cours des 15 dernières années.
Les principales destinations de ces investissements vont dans la « substitution des importations », les infrastructures vers l'est et la production militaire. L'ingénierie mécanique, qui comprend la fabrication de produits métalliques finis (armes), d'ordinateurs, d'optique et d'électronique, ainsi que d'équipements électriques, est l'un des secteurs d'investissement qui connaît la croissance la plus rapide.
De nombreux économistes occidentaux prévoient un effondrement de l'économie russe, comme ils le disent depuis trois ans. La pénurie aiguë de main-d'œuvre, l'inflation persistante et croissante causée par la flambée des dépenses militaires et le durcissement constant des sanctions entraîneront, selon eux, une crise économique qui forcera Moscou à abandonner ses objectifs en Ukraine et mettra fin à la guerre, avec des conditions plus acceptables pour Kiev et ses alliés.
De nombreux analystes ont attribué ces signes de surchauffe à l'augmentation des dépenses liées à la guerre en Ukraine, en soulignant que les dépenses militaires ont atteint un niveau record, qui devrait dépasser 7 % du PIB en 2024. Alors que les dépenses de défense devraient augmenter de près de 25 % cette année, représentant environ 40 % des dépenses du gouvernement fédéral, certains ont évoqué la possibilité que la Russie sombre dans la « stagflation », combinant une inflation élevée avec une croissance faible, voire nulle.
Mais malgré la guerre la plus intense en Europe depuis 1945, Moscou a réussi à la financer avec des déficits budgétaires modestes, compris entre 1,5 et 2,9 % du PIB depuis 2022. Par conséquent, le Kremlin n'a pratiquement pas eu besoin d'emprunter pour financer la guerre. Les recettes fiscales générées par l'activité intérieure ont grimpé en flèche depuis le début de la guerre. Avec environ 15 % du PIB, la Russie a le plus faible ratio dette publique/PIB des économies du G20. Ainsi, bien qu'elle soit coupée de la plupart des sources de capitaux extérieures, la Russie reste plus que capable de financer les investissements intérieurs et les dépenses publiques avec ses propres ressources.
Au cours des deux dernières années, la Russie a enregistré un excédent de sa balance courante d'environ 2,5 % du PIB. Tant que la Russie pourra continuer à exporter de grandes quantités de pétrole, cela ne devrait pas changer. Les recettes pétrolières et gazières de la Russie ont bondi de 26 % l'année dernière pour atteindre 108 milliards de dollars, alors même que la production quotidienne de pétrole et de condensats de gaz a diminué de 2,8 % en 2024, selon des responsables du gouvernement russe cités par Reuters. Bien qu'elle soit restée le pays le plus sanctionné au monde en 2024, la Russie a exporté cette année-là un volume record de 33,6 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL), soit une augmentation de 4 % par rapport à l'année précédente.
L'Institute of International Finance (IIF) prévoit une baisse de rentabilité budgétaire du prix du pétrole russe (le montant nécessaire pour équilibrer les dépenses budgétaires) à 77 dollars le baril d'ici 2025, soutenue par une reprise des recettes pétrolières et gazières. Dans le même temps, le prix du pétrole extérieur d'équilibre (le prix nécessaire pour équilibrer le compte courant extérieur), à 41 dollars le baril, est le deuxième plus bas parmi les principaux exportateurs d'hydrocarbures. Cela signifie que le prix actuel du pétrole de l'Oural dépasse largement ces seuils d'équilibre.

Mais aucun de ces investissements dans l'économie de guerre ne soutiendra la croissance de la productivité à long terme de la Russie. L'économie de guerre de la Russie reviendra à l'accumulation capitaliste lorsque la guerre prendra fin. L'économie russe reste fondamentalement liée aux ressources naturelles. Elle repose sur l'extraction plutôt que sur la fabrication. La production de guerre est fondamentalement improductive pour l'accumulation de capital à long terme. La Russie reste technologiquement arriérée et dépendante des importations de haute technologie. Même avec des mesures de relance budgétaire massives, elle ne peut pas encore produire de technologies adaptées à un marché d'exportation compétitif au-delà des armes et de l'énergie nucléaire, les premières étant déjà autorisées et les secondes sur le point de l'être. La Russie n'est pas un acteur important, dans aucune des technologies de pointe, de l'intelligence artificielle à la biotechnologie.
Le creux démographique, la baisse de la qualité de l'enseignement universitaire et la rupture des liens avec les écoles internationales, ainsi que la « fuite des cerveaux », exacerbent ces problèmes. Le fossé technologique va probablement se creuser, la Russie comptant de plus en plus sur les importations chinoises et la rétro-ingénierie (copie). La croissance potentielle du PIB réel de la Russie ne dépasse probablement pas 1,5 % par an, car la croissance est limitée par le vieillissement et la diminution de la population, ainsi que par la faiblesse des taux d'investissement et de productivité.
L'économie de guerre russe est bien placée pour poursuivre la guerre pendant plusieurs années encore si nécessaire. En revanche, lorsque la guerre sera terminée, Poutine pourrait être confronté à un effondrement important de la production et de l'emploi. Le message sous-jacent est que la faiblesse de l'investissement, de la productivité et de la rentabilité du capital russe, même en excluant les sanctions, signifie que la Russie restera faible économiquement pendant le reste de cette décennie.
La paix
Le président Trump a déclaré qu'il cherchait un accord de paix par le biais de négociations directes avec la Russie. Cela signifierait la fin du soutien financier et militaire des États-Unis à l'Ukraine. Les dirigeants ukrainiens actuels s'opposent à tout accord qui impliquerait la perte de territoire et à tout veto sur une future adhésion à l'OTAN. Les dirigeants européens ont déclaré qu'ils soutiendraient l'Ukraine et continueraient à financer la guerre et à fournir un soutien militaire.
Trump veut récupérer ce que le gouvernement américain a dépensé jusqu'à présent pour l'Ukraine, ainsi que des garanties pour les dépenses futures destinées à reconstruire l'économie. Il s'est plaint des énormes transferts de fonds vers l'Ukraine, et accuse le gouvernement ukrainien d'avoir dissimulé la manière dont ils ont été dépensés. Mais c'est de la désinformation : la majorité des fonds que les États-Unis ont alloués à l'Ukraine sont restés chez eux pour financer la base industrielle de défense nationale et reconstituer les stocks américains. Les fabricants d'armes américains font d'énormes profits grâce à cette guerre.

Aujourd'hui, Trump exige que l'Ukraine cède plus de 50 % de ses droits miniers sur les terres rares aux États-Unis en échange de la livraison des 500 milliards de dollars nécessaires à la reconstruction d'après-guerre. Trump : « Je veux qu'ils nous donnent quelque chose en échange de tout l'argent que nous avons investi et je vais essayer de faire en sorte que la guerre se termine et que toutes ces morts cessent. Nous demanderons des terres rares et du pétrole, tout ce que nous pourrons obtenir. » Comme l'a déclaré le sénateur américain Lindsey Graham : « Cette guerre est une question d'argent... Le pays le plus riche de toute l'Europe en minéraux de terres rares est l'Ukraine, pour une valeur de deux à sept mille milliards de dollars... Donald Trump va chercher à conclure un accord pour récupérer notre argent, pour nous enrichir avec des minéraux rares... » Le problème est qu'environ la moitié de ces gisements (d'une valeur de quelque 10 à 12 000 milliards de dollars) se trouvent dans des zones contrôlées par la Russie.
Toutcela n'est autre qu'un indice supplémentaire que les actifs ukrainiens risquent d'être morcelés par les puissances occidentales. Le mois dernier, le président ukrainien Zelensky a signé une nouvelle loi élargissant la privatisation des banques publiques du pays. Elle fait suite à l'annonce par le gouvernement ukrainien, en juillet, de son programme de « privatisation à grande échelle 2024 » qui vise à attirer les investissements étrangers dans le pays et à lever des fonds pour le budget national ukrainien en difficulté. Parmi les actifs importants figurent actuellement le plus grand producteur de minerai de titane du pays, un important producteur de produits en béton et une usine d'extraction et de traitement. L'Ukraine envisageait de privatiser les quelque 3 500 entreprises publiques du pays dans le cadre d'une loi de 2018, qui stipulait que les citoyens et les entreprises étrangers pouvaient en devenir propriétaires. Des centaines d'entreprises de plus petite taille sont actuellement en cours de privatisation, ce qui a permis de générer des revenus de 9,6 milliards d'UAH (181 millions de livres sterling) au cours des deux dernières années.
Cela implique un sous-programme de sept ans appelé SOERA (State-owned enterprises reform activity in Ukraine), financé par l'USAID avec le ministère britannique des Affaires étrangères comme partenaire secondaire. SOERA vise à « faire progresser la privatisation de certaines entreprises publiques et à développer un modèle de gestion stratégique pour les entreprises publiques qui restent la propriété de l'État ».
Les capitaux britanniques se frottent également les mains. Des documents récemment publiés par le ministère britannique des Affaires étrangères ont indiqué que la guerre offrait « des opportunités » à l'Ukraine pour mettre en œuvre « des réformes extrêmement importantes ». « Le Royaume-Uni espère que la reconstruction de l'Ukraine profitera aux entreprises britanniques », observe un rapport sur l'aide britannique à l'Ukraine publié en début d'année par l'organisme de surveillance de l'aide, l'ICAI.
L'invasion de Poutine a poussé le peuple ukrainien dans les bras d'un gouvernement pro-libre marché et anti-travail, ce qui permettra aux capitaux occidentaux de s'emparer des actifs ukrainiens, et à exploiter les travailleurs de ce pays. C'était peut-être inévitable : des oligarques pro-russes et pro-occidentaux avant la guerre, aux capitaux occidentaux après.
La guerre n'a pas seulement détruit l'Ukraine ; elle a aussi sérieusement affaibli l'économie européenne, les coûts de production ayant explosé avec la perte des importations d'énergie bon marché en provenance de Russie. Mais il semble que les dirigeants européens veulent poursuivre la guerre même si Trump se retire. Ils se démènent désespérément pour trouver des fonds à cette fin et pour fournir une aide militaire accrue au gouvernement ukrainien assiégé. Certains dirigeants proposent d'envoyer des troupes en Ukraine. Donc « la guerre et non la paix ».
Tout aussi mauvaise est la décision de l'OTAN et des principaux dirigeants européens de doubler les dépenses de défense d'environ 1,9 % du PIB en moyenne d'ici la fin de la décennie, soi-disant pour résister aux attaques russes imminentes si Poutine obtient une paix gagnante cette année. Cette mesure est ridiculement justifiée par le fait que les dépenses de « défense » « seraient pour le plus grand bénéfice de tous » (Bronwen Maddox, directrice de Chatham House, le « think-tank » des relations internationales, qui présente principalement les points de vue de l'État militaire britannique). Maddox a conclu que : « le Royaume-Uni pourrait devoir emprunter davantage pour financer les dépenses de défense dont il a si urgemment besoin. Au cours de l'année prochaine et au-delà, les politiciens devront se préparer à récupérer de l'argent en réduisant les prestations de maladie, les retraites et les soins de santé... En fin de compte, les politiciens devront persuader les électeurs de renoncer à certains de leurs avantages pour financer la défense. » Le chef du parti vainqueur aux élections allemandes nous adresse le même message.
Cela entraînera un détournement massif des investissements des services publics et des prestations sociales, qui font cruellement défaut, ainsi que des investissements technologiques vers la production d'armes improductive et destructrice.
Notes
[1] Notion qui n'est pas utilisé dans la version originale = renvoie à du capital « perdu » qui sert à faire à faire fructifier le capital entrant.
[2] Etude de Statista, « Taux de chômage en Ukraine de 2012 à 2028 », 23/01/2025
[3] Blog DDT21 : L'Ukraine et ses déserteurs. Partie II : Guerre et révolution ? https://dndf.org/?p=21701
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Pour la liberté de l’Ukraine, pour une internationale antifasciste !

Le 24 février 2025, l'Ukraine est entrée dans sa quatrième année de résistance face à l'agression à grande échelle de la Russie.
Hebdo L'Anticapitaliste - 743 (27/02/2025)
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/pour-la-liberte-de-lukraine-pour-une-internationale-antifasciste
Au cours des trois années écoulées, l'aide provenant des États-Unis et de l'UE a permis de bloquer l'offensive du Kremlin, mais a été insuffisante pour faire reculer l'armée russe.
On dénombre plus d'un million de victimes militaires (pour les forces russes, il s'agit principalement des populations racisées des régions périphériques) et civiles (ces dernières presque exclusivement du côté ukrainien). Auxquelles s'ajoute le déplacement forcé d'un quart de la population ukrainienne.
Poutine a entièrement remodelé l'économie autour de son objectif expansionniste : le budget militaire russe augmente sans cesse (43 % des dépenses publiques en 2025) au détriment des services publics. Dans l'économie de guerre, le capital des oligarques s'est concentré dans l'industrie militaire et l'extraction fossile, qui sont au cœur de la croissance économique du pays. Dès lors, rien ne laisse envisager que les négociations « pour la paix » que veut imposer Washington entraînent la fin de l'expansionnisme militaire russe, car « la Russie est devenue dépendante de la dépense militaire » 1.
Trump allié de Poutine face à la Chine
L'action de Trump accélère la redéfinition des alliances inter-impérialistes au détriment du droit à l'autodétermination du peuple ukrainien. Car aux yeux de Trump, la Russie est un potentiel point d'appui dans sa guerre d'hégémonie avec la Chine. Après avoir ouvert les négociations avec l'agresseur en excluant l'agressé, Trump a entièrement épousé la propagande poutinienne, en attribuant à l'Ukraine la responsabilité de la guerre et en déniant la volonté de la majorité de la population de préserver un pays indépendant et libre de l'impérialisme russe. La violence du chantage de Trump est manifeste : il demande à l'Ukraine de rembourser 500 milliards de dollars pour l'aide étatsunienne et de céder aux États-Unis le droit d'exploitation des ressources minières et des terres rares, et menace de restreindre l'accès de l'armée ukrainienne au système de communication Starlink, nécessaire pour se défendre des drones et de l'artillerie russes. Alors que le gouvernement ukrainien refuse de céder sans obtenir en contrepartie des garanties de sécurité, Poutine n'a pas tardé à proposer à Trump un accord pour l'exploitation des terres rares russes et des territoires ukrainiens occupés…
Les impérialismes russe, israélien et étatsunien s'unissent
N'en déplaise aux campistes qui ne voient dans l'agression de l'Ukraine qu'une guerre inter-impérialiste par procuration, l'alliance inter-impérialiste USA-Russie s'est renforcée lors du vote le 24 février 2025 d'une motion de l'ONU pour une paix juste et durable : les États-Unis s'y sont opposés aux côtés de la Russie, du Bélarus, de la Hongrie, du Nicaragua et d'Israël, en affichant explicitement une convergence d'intérêts. Les impérialismes russe, israélien et étatsunien ne se combattent pas : ils s'unissent contre le droit international et le droit d'autodétermination des peuples.
Réaffirmer le droit à l'autodétermination des peuples
Tandis que les gouvernements européens — et le capital dopé aux matières premières russes —peinent à résoudre leurs intérêts contradictoires vis-à-vis de la Russie poutinienne, la solidarité populaire avec la résistance ukrainienne ne doit pas fléchir : le 24 février, les manifestations ont été nombreuses contre l'axe Trump-Poutine, pour le droit des peuples à choisir leur présent et leur avenir, et pour défendre les espaces d'action et de contestation contre les impérialismes néofascistes — en Ukraine et au-delà.
La lutte de résistance ukrainienne est une lutte pour le droit d'existence et d'autodétermination du peuple ukrainien et de tous les peuples attaqués par les impérialismes meurtriers : aux côtés des UkrainienNEs comme des PalestinienNEs, soutenons la résistance contre l'offensive néofasciste internationale. Vive la résistance ukrainienne, vive l'antifascisme !
Gin et Elias Vola
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Gauches : l’union ou les défaites

Le Parti socialiste a pris une décision lourde de conséquences en choisissant de ne pas censurer le gouvernement dirigé par François Bayrou. Cette position permet la poursuite et l'aggravation des politiques anti-écologiques, antisociales et liberticides, des politiques qui étouffent les collectivités locales et les services publics.
22 février 2025 | tiré du site de la gauche écosocialiste
La « non censure » n'a pas affaibli les macronistes, la droite et l'extrême-droite. Elle a attisé les divergences au sein du Nouveau Front Populaire fragilisant l'unité nécessaire pour proposer une alternative crédible.
Cependant, les réactions exprimées par les dirigeants de la France insoumise, par Manuel Bompard évoquant une « rupture durable » du NFP ou Jean-Luc Mélenchon appelant à « tourner la page d'une relation toxique avec le PS », nous semblent disproportionnées et irresponsables.
L'escalade dans la confrontation au sein du NFP est pain béni pour la droite et l'extrême droite. La division de la gauche rend en effet par exemple plus aisée la conservation de villes comme Toulouse ou la conquête de villes comme Marseille par la droite lors des prochaines municipales. L'affaiblissement de la gauche est une opportunité pour ceux qui veulent en profiter : des rumeurs de dissolution de l'Assemblée nationale pour le mois de juillet refont évidemment surface, rendant envisageable la formation d'une majorité réactionnaire, voire pire. En effet, combien de députés de gauche seraient en capacité de conserver leur siège en cas d'effacement définitif du NFP ? Sans compter que cette situation ouvre également un boulevard vers l'Élysée pour Marine Le Pen.
Il est temps de dire stop. Si elles ne veulent pas disparaître, les forces de gauche doivent reconstruire leur union autour d'un programme de rupture, un programme mobilisateur, porteur d'espoir. Un programme du type de celui du NFP, adapté à chaque échéance de lutte sociale ou lors d'échéances électorales. Un programme visant une amélioration concrète de la vie quotidienne des gens. Pour y parvenir, il est essentiel de renouer le dialogue, de renoncer aux invectives et aux excommunications.
Alors que l'ombre menaçante de l'extrême droite s'étend, s'abandonner aux divisions constituerait une faute historique. Comme le disait Aragon : « Quand les blés sont sous la grêle, Fou qui fait le délicat, Fou qui songe à ses querelles, Au cœur du commun combat. »
Nous appelons les dirigeant·es de tous les partis de gauche à se ressaisir et invitons les millions de partisans du Nouveau Front Populaire, qui se sont massivement mobilisés lors des élections législatives, à faire entendre leur aspiration à l'unité et leur volonté de barrer la route aux fascistes.
Hendrik Davi, Myriam Martin
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Les émirats rejettent enfin le plan de Trump pour Ghaza : Mohammed Ben Zayed désavoue son ambassadeur à Washington

Le sommet consacré à l'avenir de la bande de Ghaza qui devait s'ouvrir ce jeudi à Riyad, en Arabie Saoudite, a été reporté à demain, selon l'AFP.
Tiré de El Watan-dz
20 février 2025
Par Mustapha Benfodil
Ce sommet qui avait pour principal ordre du jour de répondre au plan du président américain, Donald Trump, pour Ghaza, devait ne réunir initialement que l'Arabie Saoudite, l'Egypte, la Jordanie, les Emirats arabes unis (EAU) et l'Autorité palestinienne. Finalement, il va être « élargi aux six pays du Golfe », affirme l'AFP qui dit tenir l'information de deux diplomates arabes. « Un responsable saoudien a indiqué sous le couvert de l'anonymat que "le mini-sommet arabe" aurait lieu le "21 février" et non le 20 comme prévu initialement, précisant qu'il "réunira les dirigeants des six Etats du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ainsi que l'Egypte et la Jordanie, pour examiner les alternatives arabes aux projets de Trump pour Ghaza », indique l'agence française. Un autre diplomate arabe a soufflé à l'AFP qu'« un pays du Golfe influent a exprimé son mécontentement après avoir été exclu du sommet de Riyad, ce qui a poussé les organisateurs à inclure l'ensemble des pays du Golfe ». Cette source n'a pas précisé de quel pays il s'agissait.
Fin de la tournée de Marco Rubio
A retenir, par ailleurs, la position exprimée par les Emirats arabes unis qui ont officiellement informé, hier, le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, de leur rejet du plan de Trump. Le président des Etats-Unis avait proposé, rappelle-t-on, de placer la bande de Ghaza sous contrôle américain et de la vider de ses habitants en transférant 2,4 millions de Palestiniens vers l'Egypte et la Jordanie principalement. Selon l'agence de presse émiratie (WAM), « Cheikh Mohammed Ben Zayed Al Nahyan, président des Emirats arabes unis, a reçu hier le secrétaire d'Etat américain Marco Rubio ».
Les discussions ont porté, entre autres, sur « l'évolution de la situation au Moyen-Orient, en particulier dans les territoires palestiniens occupés, et sur les efforts déployés pour résoudre la crise dans la bande de Ghaza et ses répercussions sur la paix, la stabilité et la sécurité régionales », explique l'agence émiratie. Et de préciser dans la foulée que Mohammed Ben Zayed « a souligné la position ferme des Emirats arabes unis, qui rejettent toute tentative de déplacer le peuple palestinien de sa terre ». MBZ a fait savoir, en outre, à son hôte que « la reconstruction de Ghaza doit être liée à une voie menant à une paix globale et durable fondée sur la "solution des deux Etats" qui est la clé de la stabilité dans la région ».
La position officielle formulée par le chef de l'Etat émirati vient ainsi contredire celle énoncée par l'ambassadeur des Emirats à Washington, Youssef Al Otaïba il y a quelques jours, où il disait qu'il ne voyait pas d'alternative à la solution douteuse proposée par Trump, synonyme de deuxième Nakba. Il avait fait cette déclaration lors du Sommet mondial des gouvernements qui s'est tenu le 12 février à Dubaï. « Lorsqu'on lui a demandé si les Émirats arabes unis (EAU) travaillaient sur un plan alternatif à la proposition de M. Trump, M. Al Otaiba a répondu : "Je ne vois pas d'alternative à ce qui est proposé. Je n'en vois vraiment pas. Donc si quelqu'un en a une, nous sommes heureux d'en discuter, nous sommes heureux de l'explorer. Mais elle n'a pas encore fait surface », rapporte l'agence Anadolu.
Al Sissi et Pédro Sanchez contre le plan de Trump
Abou Dhabi constituait la dernière étape de la tournée du secrétaire d'Etat américain au Moyen-Orient. M. Rubio est arrivé, hier matin, aux Emirats en provenance de l'Arabie Saoudite où il avait pris part à la réunion entre les délégations américaine et russe pour préparer un prochain sommet entre Trump
et Poutine.
Lors de son séjour à Riyad, Marco Rubio a rencontré lundi le prince héritier Mohammed Ben Salmane. Au cours de cet entretien, il a souligné « l'importance d'un accord pour Ghaza qui contribue à la sécurité régionale », relève un communiqué du département d'Etat. A l'entame de sa visite dimanche, M. Rubio s'était rendu à Jérusalem où il avait réitéré le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël. A noter par ailleurs que le président égyptien, Abdel Fattah Al Sissi, en visite officielle en Espagne, a réaffirmé hier, avec le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, leur rejet total du plan souhaité par Donald Trump. Al Sissi a lu une déclaration où il insisté sur « la nécessité de la reconstruction de Ghaza sans déplacement forcé – je le répète : sans déplacement forcé – du peuple palestinien de sa terre, à laquelle il s'accroche, et de sa patrie, qu'il ne consent pas à abandonner », rapporte l'AFP.
Fervent défenseur de la cause palestinienne, Pedro Sánchez a exprimé à son tour « le refus catégorique de l'Espagne et de son gouvernement (de donner leur approbation) au projet de transférer la population palestinienne en dehors de la bande de Ghaza ». Le Premier ministre espagnol a dit « soutenir, bien évidemment », la proposition égyptienne de reconstruction de la bande de Ghaza sans expulser sa population. Cette proposition fera l'objet d'un sommet extraordinaire de la Ligue arabe qui devait initialement se tenir le 27 février, au Caire, et qui a été reporté au 4 mars. Mustapha Benfodil

Ghaza : La Palestine appelle à protéger l'UNRWA
Le ministère palestinien des Affaires étrangères a vivement condamné l'invasion, mardi, par les forces d'occupation sionistes des écoles de l'Office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) à El Qods-Est occupée, appelant la communauté internationale à prendre des mesures « dissuasives » à l'encontre de l'occupant, afin d'assurer la protection de l'agence onusienne. « Les agressions de l'armée d'occupation sioniste contre les étudiants et le personnel éducatif, et la fermeture des écoles affiliées à l'UNRWA constituent une violation flagrante de l'immunité et des privilèges dont jouissent les Nations unies et ses institutions, et une grave atteinte au droit international et aux résolutions onusiennes, qui affirment clairement qu'El Qods fait partie intégrante du territoire palestinien occupé depuis 1967 et est la capitale de l'Etat de Palestine », a souligné la diplomatie palestinienne dans un communiqué repris hier par des médias palestiniens. « Ces actes faisant partie des tentatives de l'occupation visant à effacer la question palestinienne, annuler le droit au retour des réfugiés et éliminer la condition de réfugié, conformément à ses objectifs coloniaux et expansionnistes, doivent être sévèrement sanctionnés par la communauté internationale », a insisté le ministère. Il a affirmé, à ce sujet, que « l'Etat palestinien ne lâchera jamais prise et continuera à se battre par tous les moyens diplomatiques, afin de contraindre l'occupant sioniste à mettre un terme à sa folie et à sa défiance à la légitimité internationale ». Le porte-parole de l'ONU, Stéphane Dujarric, a, pour rappel, fustigé l'attaque menée par les forces d'occupation sionistes contre des écoles de l'UNRWA, notant que les installations onusiennes « sont inviolables, et cette spécificité doit être prise en compte en permanence ».
Plus de 1100 mosquées détruites ou endommagées
L'entité sioniste a détruit ou endommagé 1109 mosquées dans la bande de Ghaza lors du génocide commis par son armée entre le 7 octobre 2023 et le 19 janvier dernier, a indiqué le ministère palestinien des Affaires religieuses. Le ministère a détaillé, dans un rapport, que « 275 mosquées avaient été partiellement ou gravement endommagées et 834 autres complètement détruites, en plus de la destruction de trois églises de la ville de Ghaza ». Le département a ajouté qu'« au moins 315 responsables et employés de mosquées avaient été tués et 27 autres arrêtés par les forces d'occupation ». Le rapport indique également que les soldats sionistes « ont détruit 643 biens appartenant à des institutions religieuses, pris pour cible 30 institutions juridiques et 30 bâtiments administratifs, dont le siège principal du ministère et le siège de la Radio du Saint Coran ». Le ministère a annoncé, à l'occasion de la publication du rapport, le lancement d'une « Coalition des minarets » pour la reconstruction des mosquées et des institutions religieuses dans la bande de Ghaza. Cette coalition regroupe des chefs d'institutions religieuses et caritatives et d'autres personnalités religieuses de plus de 30 pays.
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Sous prétexte de vouloir protéger les Druzes : Netanyahu menace d’une intervention militaire en Syrie

Le Premier ministre israélien se sert de récents incidents qui se sont produits dans une ville druze appelée Jaramana, située aux portes de Damas, pour menacer d'intervenir en Syrie pour soi-disant « protéger les druzes ». Depuis l'effondrement du régime alaouite le 8 décembre 2024, Israël n'a de cesse de multiplier les agressions militaires contre la Syrie, au mépris du droit international.
Tiré d'El Watan.
Ces derniers jours, l'armée israélienne a mené de nombreuses frappes au sud de Damas suivies d'incursions terrestres, près de Deraa, Quneitra et Al Soueida. Dans un article recensant les dernières opérations militaires israéliennes en Syrie, aljazeera.net relève : « Depuis la chute du président Bachar Al Assad, les forces d'occupation israéliennes ont effectué plusieurs incursions dans le sud de la Syrie, atteignant de nombreux points importants, notamment Jabal Al Sheikh, Jabatha Al Khashab et Tallul Al Hamar dans le gouvernorat de Quneitra, en plus du bataillon de mortiers près de la ville d'Abdeen, dans la campagne occidentale de Deraa, où les forces israéliennes ont établi des postes militaires et y sont toujours stationnées. »
L'article poursuit : « Des postes avancés ont également été le théâtre d'incursions des forces d'occupation pendant des heures avant de se retirer, comme la zone du bassin du Yarmouk à l'ouest de Deraa, où les troupes israéliennes ont atteint les villes de Koya, Jamlah, Ma'ariyah et Abdeen. »
Le 25 février, au soir, quatre frappes israéliennes ont touché un site militaire à Kisweh, dans la province de Damas. Ces raids aériens ont fait deux morts, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). La même source a fait état en outre d'une autre série de frappes sionistes contre un site militaire dans la campagne de Deraa, au sud du pays. « Des avions israéliens ont mené quatre frappes sur le quartier général d'une unité militaire au sud-ouest de Damas.
Simultanément, une autre frappe israélienne a touché une position militaire dans la province de Deraa », précise l'OSDH. L'offensive aérienne menée dans la campagne de Deraa a touché plusieurs positions, spécialement au niveau des collines de Tell Al Hara qui surplombent le Golan occupé et le nord d'Israël.
Israël veut « démilitariser le sud de la Syrie »
Selon aljazeera.net, l'armée israélienne a effectué de nouvelles incursions terrestres suite à ses frappes aériennes contre des cibles militaires à Kisweh. « Mercredi soir (le 26 février, ndlr), les forces d'occupation israéliennes ont fait une incursion en territoire syrien. Elles sont arrivées par voie terrestre, à bord de dizaines de véhicules militaires, dans la ville d'Al Bakkar, dans la campagne occidentale de Deraa, et sont entrées dans une caserne militaire appartenant à l'ancienne armée syrienne, connue sous le nom de caserne Al Majahid, dont les bâtiments ont été dynamités.
Dans le même temps, des véhicules blindés ont pénétré dans la ville de Jaba, dans la campagne centrale de la province de Quneitra, et ont atteint la ville d'Ain Al Bayda, dans le nord de la province, où ils ont détruit au bulldozer des arbres dans les environs avant de se retirer en direction du Golan occupé. »
Pour justifier ses agissements belliqueux, l'entité sioniste a prétexté avoir « attaqué des cibles militaires dans le sud de la Syrie, y compris des quartiers généraux et des installations contenant des armes », indique la BBC. Un communiqué du bureau de Netanyahu a justifié cette offensive en disant que « la présence de forces militaires dans la partie sud de la Syrie constitue une menace pour Israël ».
Le dimanche 23 février, le Premier ministre israélien a mis le feu aux poudres en déclarant que « le sud de la Syrie devait être complètement démilitarisé ». « Nous n'autoriserons pas les forces de l'organisation HTS (Hayat Tahrir Al Sham) ou de la nouvelle armée syrienne à entrer dans la zone au sud de Damas », a-t-il affirmé. « Nous exigeons la démilitarisation complète du sud de la Syrie, y compris les provinces de Quneitra, Deraa et Soueida », a insisté le boucher de Ghaza.
Par ailleurs, Netanyahu s'est servi de récents incidents qui se sont produits dans une ville druze appelée Jaramana, située aux portes de Damas, pour menacer d'une intervention militaire en Syrie pour soi-disant « protéger les druzes ».
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, ce samedi 1er mars et premier jour de Ramadhan, il y a eu des affrontements armés dans cette ville à majorité druze et chrétienne (gouvernorat de Rif Dimashq). Ces incidents ont fait un mort. « Au moins une personne a été tuée et environ 9 autres ont été blessées dans la ville de Jaramana après que des affrontements aient éclaté entre des habitants de la ville et des membres de la Sécurité intérieure », explique l'OSDH.
« Si le régime s'en prend aux druzes, il en subira les conséquences »
Le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a aussitôt réagi, dans un communiqué diffusé samedi soir, en s'attaquant avec véhémence au nouveau régime syrien qu'il qualifie d'« islamiste radical » et de « terroriste ». « Si le régime s'en prend aux druzes, il en subira les conséquences de notre part. Nous avons ordonné à Tsahal de se préparer et de transmettre un avertissement ferme et clair : si le régime porte atteinte aux druzes, nous lui porteront atteinte. » Ce sont les termes du communiqué officiel cité par l'AFP. Netanyahu et Israël Katz soutiennent que la ville de Jaramana « est actuellement attaquée par les forces du régime syrien ».
Sur le terrain, la situation est autrement plus complexe, et plusieurs personnalités druzes ont appelé au calme en soulignant leur attachement à la Syrie et en insistant sur les bonnes relations que les druzes entretiennent avec les nouvelles autorités. Hier, la situation semblait apaisée. « La ville de Jaramana est revenue au calme après les événements d'hier et d'aujourd'hui (samedi et dimanche, ndlr) », assure l'OSDH. L'ONG fait état d'un « retrait de toutes les factions locales de Jaramana après que les sages de la région aient appelé à l'arrêt des affrontements ».
A noter par ailleurs que plusieurs manifestations populaires ont eu lieu en Syrie ces derniers jours, notamment dans les provinces du Sud, dénonçant les violations israéliennes répétées de l'intégrité territoriale syrienne. Il convient de rappeler aussi que la Conférence de dialogue national, qui s'est tenue le 25 février à Damas, a vivement condamné les incursions sionistes ainsi que les velléités d'invasion israéliennes ciblant le territoire syrien.
Abdallah II : « Reconstruire Ghaza sans déplacer la population »
Le roi de Jordanie, Abdallah II, a réitéré la nécessité de reconstruire la bande de Ghaza sans déplacer sa population, mettant l'accent sur l'urgence de consolider le cessez-le-feu en vigueur. Au cours d'un appel téléphonique samedi soir avec le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, le roi Abdallah II « a souligné la nécessité de reconstruire la bande de Ghaza sans déplacer ses habitants, de consolider le cessez-le-feu en vigueur et d'intensifier les efforts internationaux en matière de réponse humanitaire », a indiqué la Cour royale jordanienne dans un communiqué.
Le roi Abdallah II a réitéré, à la même occasion, l'impératif de mettre un terme à l'escalade dangereuse des agressions sionistes en Cisjordanie occupée, soulignant « l'importance d'un travail sérieux et efficace, pour trouver un horizon politique permettant de parvenir à une paix juste et globale ». Samedi, le porte-parole du SG de l'ONU, Stéphane Dujarric, a mis en garde contre une éventuelle reprise de l'agression sioniste dans la bande de Ghaza, affirmant que cela serait « catastrophique ».
Ghaza : Obligations de l'entité sioniste L'OCI présente des observations écrites à la CIJ
Le secrétariat général de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) a présenté des observations écrites à la Cour internationale de justice (CIJ) concernant l'avis consultatif de l'ONU sur les obligations de l'entité sioniste vis-à-vis des activités des Nations unies, d'autres organisations internationales et d'Etats tiers dans les territoires palestiniens occupés.
Dans un communiqué repris samedi par l'agence de presse Wafa, l'OCI « a souligné l'importance de ces efforts juridiques pour faire face aux mesures de l'entité sioniste, la puissance occupante, et à ses lois empêchant l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens(UNRWA) de mener ses activités dans les territoires palestiniens occupés depuis le 30 janvier dernier ». L'organisation islamique a, à ce sujet, renouvelé son « soutien indéfectible à l'UNRWA qui a été créée sur décision de l'Assemblée générale des Nations unies, pour servir les réfugiés palestiniens jusqu'à ce qu'une solution juste et permanente soit trouvée à leur cause ».
A rappeler que la CIJ avait fait savoir, début février, qu'elle avait autorisé l'OCI à émettre des remarques quant au respect de l'entité sioniste de ses obligations dans les territoires palestiniens. Le 19 décembre 2023, l'AG de l'ONU avait adopté une résolution demandant un avis consultatif à la CIJ sur les obligations de l'entité sioniste, en tant que puissance occupante, concernant la présence et les activités de l'ONU, y compris de ses agences et organes, d'autres organisations internationales et Etats tiers."
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Le chef de la milice kurde du PKK en Turquie demande à ses partisans de déposer les armes

Les combats entre la Turquie et le Parti des travailleurs du Kurdistan, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l'UE, ont commencé en 1984 et ont fait environ 40 000 morts. La Turquie, en suspens sur une éventuelle fin du conflit avec le PKK après quatre décennies de combats.
Photo et article tirées de NPA 29
Abdullah Öcalan, leader du Parti des travailleurs du Kurdistan – déclaré organisation terroriste par l'UE, les États-Unis et la Turquie – a appelé à déposer les armes depuis la prison où il est emprisonné depuis 26 ans.
Dans une lettre adressée au parti politique pro-kurde DEM (Parti de l'égalité et de la démocratie), Öcalan a déclaré qu'il assumait la « responsabilité historique » de cet appel et a demandé à tous les groupes de faire de même et au PKK de se dissoudre.
Le DEM a rendu visite au leader en prison ce jeudi et lui a ensuite transmis son message. Le parti pro-kurde a formé un groupe de contact connu sous le nom de Délégation Imrali (du nom de l'île où Öcalan est emprisonné) et a rendu visite à trois reprises au fondateur du PKK, un événement rare en 26 ans d'isolement.
La dernière visite à Imrali remonte à presque quatre ans. Öcalan a fondé le PKK en 1978 avec une base séparatiste marxiste-léniniste et en 1984, le groupe a commencé une lutte armée contre le gouvernement turc pour créer un État kurde.
Öcalan est en prison depuis 1999 et le conflit entre les forces de sécurité turques et le PKK a fait environ 40 000 morts en quatre décennies. Dans les années 1990, le PKK a modifié son objectif en faveur d'une plus grande autonomie du peuple kurde au sein de la Turquie et a défini son idéologie comme un « confédéralisme démocratique ».
Les négociations entre Öcalan et la Turquie ont débuté l'année dernière et l'un des premiers signes publics a été la déclaration du leader ultranationaliste Devlet Bahceli. Le président du Parti du mouvement nationaliste (MHP), dans un virage à 180 degrés, a invité le fondateur du PKK à s'adresser au Parlement turc pour annoncer le démantèlement de l'organisation et ouvrir la possibilité de sa libération après plus de 25 ans de prison. .
« L'appel lancé par M. Devlet Bahceli, ainsi que la volonté exprimée par le président [Recep Tayyip Erdogan] et les réponses positives d'autres partis politiques, ont créé un environnement dans lequel j'appelle à déposer les armes », a expliqué Öcalan dans sa lettre. .
De même, il salue tous ceux qui « croient à la coexistence » et qui attendent cet appel, sur lequel des spéculations circulent depuis des semaines. « Les deux précédents dialogues d'Ankara avec le PKK (2009-2011 et 2013-2015) ont lamentablement échoué, entraînant de nouvelles violences et érodant la popularité du président. Cette fois, Erdogan s'est montré plus calculateur lorsqu'il s'agit de publier des mises à jour sur la diplomatie du PKK », a récemment noté l'analyste Soner Cagaptay, chercheur sur la Turquie au groupe de réflexion du Washington Institute et auteur de plusieurs livres sur Erdogan. .
Öcalan n'a pas officiellement dirigé le PKK depuis des décennies, mais il est considéré comme le principal dirigeant de l'organisation et ses dirigeants ont déclaré publiquement qu'ils écouteraient les messages d'Öcalan et agiraient en conséquence. .
La Turquie, en suspens sur une éventuelle fin du conflit avec le PKK après quatre décennies de combats Pourtant, les experts ont exprimé des doutes quant à la concrétisation de son message. « Certains anciens dirigeants soupçonnent peut-être que la Turquie ne fera pas de concessions similaires à l'assignation à résidence proposée à Öcalan. .
En fait, certains craignent probablement d'être tués par l'Organisation nationale de renseignement turque (MIT), même si on leur promet une amnistie à court terme en exil. « Des commandants plus âgés pourraient également s'opposer à la dissolution complète ou immédiate du PKK sans atteindre aucun de leurs objectifs initiaux, un résultat qui pourrait suggérer qu'ils ont gâché leur vie en vain », affirme Cagaptay.
Javier Biosca Azcoiti 27 février 2025
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Gaza. Le Hamas à la croisée des chemins

Malgré ses divers courants, le Hamas a réussi à traverser près de quatre décennies sans connaître de divisions dans ses rangs. Mais la destruction de Gaza après le 7 octobre et les pertes importantes qu'il a subies rebattent les cartes, que ce soit entre le courant religieux et militaire, ou bien entre l'aile basée dans Gaza et celles des dirigeants de l'extérieur.
Tiré d'Orient XXI.
L'évolution de la situation sur la scène palestinienne rend l'analyse de l'actualité et des perspectives particulièrement difficile. Ce constat est partagé par le Hamas, qui se trouve aujourd'hui tiraillé entre deux aspirations : celle du retour des Frères musulmans et du projet turc dans la région, au vu de l'évolution de la situation en Syrie ; ou la poursuite — non sans difficulté — du projet de « l'axe de résistance » — que le mouvement a rejoint à nouveau après une période de froid avec l'Iran (1) Si cet axe s'effondre complètement, le Hamas perdra alors sa capacité à poursuivre la lutte armée… s'il n'envisage pas déjà d'abandonner cette option.
Ce conflit interne rappelle le débat entre la branche palestinienne des Frères musulmans et Fethi Chikaki, fondateur de l'Organisation du Jihad islamique palestinien au début et au milieu des années 1980. Craignant la concurrence de ce dernier, le Hamas voit le jour avec le choix de la lutte armée dès sa création en 1987, pour devenir ainsi la dernière faction palestinienne à prendre les armes face à Israël. En moins d'un quart de siècle, il est devenu l'organisation la plus puissante à affronter Israël, jusqu'à mener une opération sans précédent dans l'histoire du conflit israélo-palestinien, voire israélo-arabe.
Deux courants internes concurrents
Plusieurs obstacles se dressent devant le choix d'abandonner la lutte armée, dont l'expérience du Fatah n'est pas la moindre, celui-ci s'étant beaucoup affaibli en optant pour cette voie. L'Autorité palestinienne (AP) — dont il est la composante principale — s'est alors transformée en une sorte d'agent de sécurité d'Israël et des États-Unis, voire en agent militaire aujourd'hui, comme le montre la double opération menée depuis le 5 décembre 2024 contre les différents groupes de résistance, dans le nord de la Cisjordanie occupée.
Le courant de Yahya Sinouar, cerveau de l'opération du 7 octobre, au sein du Hamas, essentiellement présent dans la bande de Gaza, représente également un obstacle à l'idée d'abandonner les armes. Ses idéologues et ses partisans se trouvent dans les nombreux rouages contrôlant les activités du Hamas dans les territoires palestiniens, à l'étranger, ainsi que dans les prisons. Ils sont toutefois moins présents en Cisjordanie, où les membres de l'organisation sont plus enclins à suivre le courant de Khaled Mechaal, chef du bureau politique entre 1996 et 2017.
Or, pour comprendre le Hamas, il faut sortir du narratif classique qui oppose le courant turco-qatari au courant Iran-Hezbollah, car la réalité interne est bien plus complexe. Et le 7 octobre ainsi que la guerre destructrice menée par Israël sur Gaza n'ont fait qu'ajouter à la complexité de la situation, après les changements majeurs, survenus au sein du mouvement après 2017.
Un des changements essentiels a vu le jour à la suite du conflit entre le courant de prédication (da'wa), dont les partisans sont aujourd'hui désignés au sein du mouvement comme des « pragmatiques », et le courant militaire, que ses adhérents appellent le « courant radical ». Les anciennes figures de la da'wa ont durement concurrencé Yahya Sinouar lors des élections internes de 2021. Ce dernier ne l'a emporté qu'avec grande difficulté.
Les partisans de la da'wa se trouvent principalement dans le travail institutionnel. Suivant l'exemple des Frères musulmans, ils mettent l'accent sur l'étude théologique et l'éducation religieuse. Quant au courant militaire, il peut être décrit comme une version palestinienne et actualisée des Frères musulmans. Imprégné par la littérature de la gauche palestinienne et de celle de l'« Axe de résistance », il place la Palestine et sa libération au centre de ses luttes.
Si l'aile militaire a fini par l'emporter ces dernières années, la destruction de Gaza après le 7 octobre et les pertes importantes au sein de la structure du Hamas ont tout remis en question. Dès lors, le courant de la da'wa a demandé qu'un bilan soit fait de l'expérience du mouvement jusque-là, et que des voies de survie soient envisagées pour le futur proche. Or, les idées émises par le président étatsunien Donald Trump ne leur laissent aucune marge de manœuvre. Une plaisanterie circulant chez certains cadres du Hamas dit que même si Khaled Mechaal, Moussa Abou Marzouk (numéro 2 du Hamas et son chef du bureau des relations internationales) et Izzat Al-Richek (chef du bureau des relations arabes et islamiques du Hamas) faisaient leur pèlerinage à la Maison Blanche en en faisant 700 fois le tour (2), Washington ne leur ferait aucune place dans les solutions politiques, encore moins depuis que le Hamas est taxé de « daéchien » et de « nazi ». Une boutade, certes, mais qui dit quelque chose de la réalité.
Le poids géographique
L'autre changement essentiel qu'a connu le Hamas après 2017 est celui relatif aux origines géographiques et régionales de son commandement. Celles-ci restent, pour les Palestiniens, déterminantes dans le choix des partenaires de vie ou d'affaires, et jusqu'à la direction politique. L'importance des origines n'est d'ailleurs pas spécifique au Hamas, mais touche toutes les factions palestiniennes. Ces dernières années, le conflit interne s'est intensifié autour du transfert du pouvoir des mains des dirigeants originaires de Cisjordanie ou de la diaspora vers celles des Gazaouis, après qu'Ismaïl Haniyeh est devenu le chef du bureau politique du Hamas et Yahya Sinouar, chef du mouvement à Gaza.
Or, selon des sources internes au Hamas basées à Gaza, Yahya Sinouar a œuvré, durant les trois dernières années précédant le 7 octobre, à faire sortir de la bande un grand nombre de cadres du mouvement, afin de briser le monopole décisionnel détenu par les anciens cadres. Ces Gazaouis représentent encore à ce jour un bloc parallèle qui empêche le Hamas de céder aux volontés d'un certain nombre de partenaires arabes. À la tête de ce groupe figure le dirigeant Khalil Al-Hayya, désigné dans le dernier communiqué du mouvement comme « le chef du Hamas à Gaza », après avoir été chargé d'affaires et adjoint du dirigeant de Gaza. Ces cadres gazaouis sont également présents dans des secteurs stratégiques, comme la sécurité, l'informatique et les finances.
Ces dernières années, la discussion a porté dans l'entourage de Sinouar sur la prise de décision centrale, qui devrait émaner depuis le bureau de Gaza au vu de son poids numérique. Il est aussi celui qui paie le plus lourd tribut en termes de combats et de siège. L'on pourrait souligner alors que Moussa Abou Marzouk, bien que gazaoui, est un partisan de Khaled Mechaal et ne fait pas partie du courant Sinouar. C'est vrai, à ceci près qu'Abou Marzouk a quitté Gaza depuis des décennies. Mais, en regardant de près les nominations et les changements de porte-paroles et de représentants du Hamas à l'étranger depuis 2017, l'enjeu des origines géographiques et régionales des uns et des autres apparaît comme évident. L'on constate alors le nombre de dirigeants gazaouis qui ont remplacé, au sein des comités de travail extérieurs, ceux issus de Cisjordanie et de la diaspora.
Lorsqu'en 2004, Israël assassine le cheikh Ahmed Yassin, et ensuite Abdelaziz al-Rantissi, la décision est prise de déplacer le bureau politique à l'étranger afin d'en protéger les dirigeants. Depuis, et jusqu'à l'élection de Haniyeh et Sinouar à la tête du bureau politique (2021), la prise de décision et le financement sont restés aux mains de Mechaal, jusqu'à l'avènement de la révolution syrienne, soutenue par le Hamas. Ce positionnement a mis de l'eau dans le gaz dans les relations du Hamas avec l'« axe de résistance », et a forcé Mechaal à quitter Damas.
Qui prend les décisions aujourd'hui ?
Selon des sources au sein du Hamas et basées à l'étranger, le mouvement est dirigé aujourd'hui par un comité de cinq membres qui sont le président du Conseil consultatif du Hamas, Mohamed Darwich Ismaël, également président du comité ; Khalil al-Hayya du bureau de Gaza, qui est l'ancien adjoint de Yahya Sinouar ; Zaher Jabarine du bureau de Cisjordanie, et ancien adjoint de Saleh al-Arouri (3) ; de Khaled Mechaal du bureau extérieur et vice-président du Hamas ; et enfin Moussa Abou Marzouk, responsable des relations internationales.
Cette nouvelle composition reste toutefois très fragile à cause des divergences de ses membres : le président du Conseil, Mohamed Darwich Ismaël, reste pour sa part à équidistance de l'Iran et de la Turquie ; Abou Marzouk s'aligne quant à lui sur le courant turco-qatari représenté par Mechaal, dont il devient le bras droit en Turquie. Quant à Al-Hayya et Jabarine, ils représentent l'ancien courant Sinouar-Arouri.
Pour l'heure, le Hamas se concentre davantage sur la question des otages et sur l'idée d'une sortie de guerre. Il repousse à plus tard les questions liées à son commandement, que ce soit au niveau interne palestinien (sous l'égide de Houssam Badrane), au niveau arabe (sous la direction d'Oussama Hamdane) ou au niveau des relations internationales, avec Moussa Abou Marzouk.
La période d'après-guerre devrait connaître une polarisation entre deux lignes. La première est celle de l'« axe de résistance », que Sinouar représentait, en adéquation avec les attentes du conseil militaire et la vision du bureau politique. Cette ligne s'étend à tous les pays de l'« Axe de résistance » ainsi qu'à tous ceux qui peuvent fournir le Hamas en armes.
La deuxième ligne est celle du courant turco-qatari, représenté par Mechaal et par Abou Marzouk, et qui s'aligne avec celle du Quartet pour le Moyen-Orient (4). Suivant les trois principes-cadres posés par le Quartet — le rejet de l'usage de la violence, la reconnaissance de l'État d'Israël et l'acceptation des précédents accords — pour aboutir à la création d'un État palestinien sur la base des frontières de 1967, le Hamas parachèvera son intégration au sein du système posé à la fois par la Ligue arabe et les États-Unis. Mais Mechaal et son courant concèdent ignorer encore les conséquences des changements régionaux ou internationaux avec la présidence de Trump et la prise du pouvoir d'Ahmed Al-Charaa en Syrie.
Quel rôle pour la Turquie ?
Les Turcs travaillent également de leur côté à l'institutionnalisation du mouvement et à la naturalisation ou l'octroi de permis de résidence permanente à ses cadres non militaires. Ankara tente également de convaincre le Hamas de la nécessité de cette étape pour ériger un État palestinien, ou du moins, pour que le mouvement ne disparaisse pas. Pour ce faire, ils l'intégreront de manière à ce qu'il soit sous leur contrôle, pour ensuite l'exploiter comme moyen de pression dans divers dossiers régionaux. Certains dirigeants du Hamas s'attendent même à ce que l'Iran accepte cette démarche, car Téhéran souhaite réduire la pression considérable qui pèse sur elle tout en assurant la survie du mouvement. Cependant, une partie importante du mouvement reste sceptique quant au programme turc et pourrait se tourner vers Téhéran, particulièrement ceux qui croient que la question palestinienne ne peut être résolue politiquement et que la solution réside dans le maintien de la résistance.
Mais que se passerait-il si le régime venait à changer en Turquie ? Et d'ailleurs, que pourrait obtenir Ankara pour les Palestiniens ? Un État ? Et sous quelle forme ? La guerre sur Gaza a été un exemple parfait des limites de la marge de manœuvre réelle des Turcs : ils n'ont réussi ni à mettre fin à la guerre ni à obtenir un accord de trêve. Pire, Ankara n'a même pas complètement suspendu les canaux commerciaux et les lignes d'approvisionnement maritime avec Israël, en raison de la présence sur son territoire de plusieurs entreprises privées israéliennes spécialisées dans la production et l'extraction de l'eau et dans le transport de nourriture et de gaz. De même qu'il existe une coopération turque avec des entreprises internationales d'exploitation minière et de gaz, dont les propriétaires ont des partenaires israéliens.
En réalité, une grande partie du Hamas de l'intérieur de Gaza, particulièrement ceux qui se méfient des Turcs, refuse l'adoption d'un nouveau programme politique et l'abandon des armes. Pour eux, cela va à l'encontre de la raison d'être de l'organisation en tant que mouvement de résistance. Les partisans de ce courant considèrent que la survie du Hamas repose sur le choix des armes, et qu'il ne faut pas trop compter sur ce qu'offrent les pays du Golfe ou même les États-Unis. Certes, il y a un certain ressentiment à l'encontre de l'« axe de résistance », mais ces partisans ne voient aucun avenir pour la résistance palestinienne sans les États qui la soutiennent militairement.
Cependant, avec la mort de Sinouar, ces voix commencent à s'estomper, laissant place à une volonté de préserver ce qu'il reste du mouvement et de sa base populaire. L'autre partie de ce courant envisage de se tourner plutôt vers l'Iran et le Yémen pour renforcer leurs positions, tout en maintenant une présence du Hamas en Turquie ainsi qu'au Qatar, sous couvert politique. Cette stratégie vise également à poursuivre les activités dans des « terrains prometteurs » comme l'Indonésie et la Malaisie.
Globalement, le Hamas se considère comme étant dans une phase extrêmement difficile qui pourrait le pousser à d'énormes concessions, qu'il ne souhaite pas accorder au Fatah, à l'heure où la question de l'intégration de l'arsenal du Hamas au sein de l'appareil sécuritaire de l'AP se pose dans certains cercles. Cependant, il pourrait être contraint d'en faire quelques-unes en fonction de l'évolution des événements, et de ce que Trump pourrait faire ou imposer aux pays arabes, y compris ceux qui ont normalisé leurs relations avec Israël, ou qui sont sur le point de le faire.
Les chances de survie
Entre-temps, on ne se bouscule pas pour la présidence du bureau politique. Après l'assassinat de Haniyeh, les rumeurs plaçaient Mechaal en favori, mais le poste est finalement allé à Sinouar. Depuis l'assassinat de celui-ci, plus personne dans le Hamas ne parle de la présidence. Selon une source de l'intérieur de l'organisation :
- Chacun sait que ce n'est pas tant un siège de présidence qu'un siège d'exécution. L'assassinat peut survenir à tout moment. Les tensions internes empêchent également la nomination d'un président, car l'ouverture d'un tel dossier risquerait de diviser le mouvement en deux parties ou plus.
Ce qui nous amène à un réel questionnement : comment le Hamas a-t-il pu être le seul organisme palestinien à ne pas avoir connu de scissions de toute son histoire, à l'inverse de toutes les autres organisations, qu'elles soient laïques, de gauche ou même islamistes ? Certaines figures ont quitté le mouvement pour se réfugier chez d'autres organisations, d'autres sont restées inactives ; aucune n'a formé un autre mouvement.
Réponse : à cause des élections, qui tombent d'ailleurs cette année, et qui ne pourront probablement pas se tenir au vu de la situation à Gaza comme en Cisjordanie. Ce scrutin à deux tours qui a lieu tous les quatre ans a toujours été le meilleur moyen d'apaiser les tensions internes au sein de l'organisation, tout en prévenant la dissidence. Il permet également à chaque courant de mettre en avant sa force et la justesse de sa lecture politique. Raison pour laquelle tout le monde cherche à éviter tout conflit autour de la présidence du bureau avant la date prévue des élections, afin que les voix et, ensuite, les parrainages soient les éléments décisifs.
Un dirigeant du Hamas commente :
- L'« axe de résistance » traverse sa période la plus difficile, et il y a un fort mécontentement quant à la gestion de la guerre contre Israël. Mais cette option reste moins risquée que celle de s'orienter complètement vers l'autre voie, celle du compromis. La Turquie agira selon ses intérêts sous protection américano-israélienne… Ce que nous craignons le plus, c'est la guerre interne au sein du Hamas et le conflit entre ses deux courants.
Il conclut :
- Il faut donner la liberté à l'action politique et aux espaces dans lesquels Mechaal, les Turcs et d'autres évolueront, mais sans toucher à une seule balle de notre arsenal, car cela signifierait notre mort à tous.
Notes
1- NDLR. Ce froid était dû au choix fait par le Hamas de s'opposer au régime de Bachar Al-Assad au moment de la révolution syrienne.
2- NDLR. Référence au pèlerinage de la Mecque durant lequel les fidèles font sept fois le tour de la Kaaba.
3- NDLR. Un des fondateurs des Brigades Al-Qassam et ancien vice-président du bureau politique de Hamas. Assassiné à Beyrouth le 2 janvier 2024.
4- NDLR. Comité international fondé à Madrid en 2002, dans le sillage de la seconde intifada, et formé par les États-Unis, la Russie, l'Union européenne et l'ONU, censé œuvrer comme médiateurs dans le « processus de paix » israélo-palestinien.
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“Guerre de la faim” : tollé contre la décision d’Israël de bloquer les aides vers Gaza

La décision du gouvernement de Benyamin Nétanyahou de bloquer l'entrée des aides humanitaires dans l'enclave palestinienne a suscité une vague de réactions dans le monde arabe et à l'international, et exacerbé les craintes d'une relance de la guerre.
Tiré du Courrier international. Légende de la photo : Des enfants palestiniens se rassemblent pour recevoir de la nourriture préparée par une association caritative à Khan Younès, dans le sud de la Bande de Gaza, le 3 mars 2025. Photo : Hatem Khaled/Reuters.
“Israël impose un siège à Gaza et déclare la guerre de la faim”, titre ce lundi 3 mars le quotidien panarabe Al-Quds Al-Arabi, alors que les réactions dans le monde arabe et à l'international pleuvent depuis l'annonce par Israël, la veille, de la fermeture des postes-frontières par lesquels est acheminée l'aide humanitaire dans la bande de Gaza.
Cette décision, qui a surpris aussi bien les Palestiniens que les Israéliens, vise à exercer une pression sur le Hamas, afin de le contraindre à accepter une proposition américaine d'extension jusqu'au 19 avril de la première phase de l'accord de cessez-le-feu, arrivée à terme début mars.
De son côté, le mouvement palestinien réclame l'enclenchement immédiat de la deuxième phase, conformément au calendrier initialement défini, stipulant la libération des otages restants, des négociations sur un arrêt permanent des hostilités et le retrait total des troupes israéliennes de Gaza.
“Punition collective”
“L'utilisation de l'aide [humanitaire] comme moyen de coercition et de punition collective constitue une violation flagrante du droit international, encore plus au regard de la situation humanitaire à Gaza”, a ainsi réagi l'Arabie saoudite, rapporte le quotidien Asharq Al-Awsat, alors que le Qatar et l'Égypte, deux médiateurs clés impliqués dans les négociations entre Israël et le Hamas, ont condamné à l'unisson la décision israélienne.
Le Caire a dénoncé une “violation flagrante” de l'accord, et accusé Israël d'utiliser la famine comme “arme contre le peuple palestinien”.
Au niveau international, l'Union européenne (UE) a appelé à une reprise rapide des négociations ainsi qu'à l'“accès complet […] et sans entrave à l'aide humanitaire des Palestiniens”, alors que plus de 90 % des Gazaouis vivent dans des conditions extrêmes, rapporte le journal saoudien.
La semaine dernière, sept nourrissons sont morts à Gaza d'hypothermie, alors que le Proche-Orient était touché par une vague de froid, rappelle le site Electronic Intifada.
Vers une relance de la guerre ?
L'Organisation des nations unies ainsi que plusieurs ONG internationales, dont Oxfam et Médecins sans frontières (MSF), ont également condamné la décision israélienne, dénonçant l'usage de l'aide humanitaire comme “monnaie d'échange et outil de guerre”.
Mais au-delà des condamnations, “l'inquiétude grandit quant à une reprise des combats”, constate The New York Times, et quant au sort de centaines de milliers de Palestiniens vivant toujours à Gaza et à celui des 54 otages détenus encore par le Hamas.
Benyamin Nétanyahou semble en effet privilégier l'option martiale, d'autant que sa survie politique reste tributaire de ses alliés d'extrême droite, notamment de son ministre des Finances, Bezalel Smotrich, qui a menacé en janvier de démissionner si la guerre ne reprenait pas.
“Alors que le cessez-le-feu vacille, le Hamas et Israël opèrent sur deux fronts, l'un diplomatique, l'autre militaire”, chacun se préparant à l'éventualité d'une relance du conflit, met ainsi en garde le journal américain.
“Les otages d'abord”
Entre-temps, la panique s'est emparée des familles des otages dès l'annonce, dimanche 2 mars, du blocage des aides acheminées vers Gaza, rapporte la presse israélienne. Une crainte exacerbée par les menaces du Hamas, qui a affirmé qu'Israël devra “assumer les conséquences” de sa décision, qualifiée de “coup d'État”, contre l'accord de trêve conclu le 19 janvier.
Dans un article, le site The Times of Israel a interrogé certains de ces proches, qui appellent unanimement à la mise en œuvre de la deuxième phase de l'accord.
Parmi eux, Lishay Miran-Lavi, mère de deux petites filles, est toujours dans l'attente du retour de son mari, Omri Miran, détenu à Gaza depuis octobre 2023. “Les otages immédiatement, le Hamas ensuite”, affirme-t-elle sur un ton insistant. “Quand pourrai-je me lever le matin et répondre aux questions de mes filles sur le jour et l'heure auxquels leur père rentrera à la maison ?” demande la jeune mère, citée par le média.
Sa crainte, comme celle d'autres proches, est que cela se fasse aux dépens des otages. C'est aussi l'inquiétude de certains journalistes, dont Amos Harel, dans Ha'Aretz. Si le conflit reprend, dit-il, “certains [otages] risquent d'être condamnés à un séjour prolongé dans les tunnels du Hamas, et d'autres seraient sacrifiés”.
Les craintes sont également vives, côté palestinien, d'un nouvel épisode meurtrier après quinze mois d'une guerre dévastatrice, ayant fait plus de 60 000 morts et déplacé près de 2 millions de personnes. “Assez de guerres… !” lance ainsi Abou Mohammed El-Basyouni, un habitant de la ville de Gaza, cité par le journal palestinien Al-Ayyam. “Nous sommes aussi un peuple, et nous avons le droit de vivre.”
Courrier international
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Un nombre record de 60 avant-postes illégaux installés en Cisjordanie en 2024, selon un groupe israélien de défense des droits

Sous le couvert de la guerre génocidaire contre Gaza, 60 avant-postes illégaux ont été installés en Cisjordanie occupée pour la seule année 2024, a révélé hier une organisation israélienne qui surveille la politique foncière israélienne dans le territoire palestinien occupé.
Tiré de France Palestine Solidarité.
24 février 2025
Kerem Navot a déclaré que 284 avant-postes ont été établis depuis 1997, et que « plus d'un cinquième » l'ont été au cours de la seule année 2024.
« Contrairement au passé, lorsque les gouvernements israéliens cherchaient encore à projeter une image de respect de l'État de droit en évacuant un nombre symbolique d'avant-postes, le gouvernement actuel a ordonné à l'armée et à l'administration civile de ne procéder à aucune évacuation », a ajouté le rapport.
Bien que les nouveaux avant-postes soient illégaux, le PDG de Navot, Dror Atkes, a déclaré : « La plupart d'entre eux disposent déjà d'infrastructures, y compris d'une connexion au réseau d'adduction d'eau israélien. C'est très simple : ils tirent les tuyaux des anciennes colonies. En ce qui concerne l'électricité, certains d'entre eux disposent de générateurs et de panneaux solaires, mais d'autres ont déjà réussi à tirer des lignes électriques à partir d'anciennes colonies. »
« Beaucoup de nouveaux avant-postes comptent peu de colons, parfois moins de dix. Cependant, ils s'emparent de vastes zones et y établissent des infrastructures, dans le but de permettre l'arrivée d'un plus grand nombre de colons à l'avenir », prévient le rapport.
D'autres sont présentés par les colons comme des extensions ou de nouveaux quartiers de colonies illégales existantes, dont Israël a unilatéralement légalisé l'établissement, ce qui n'est pas reconnu par le droit international.
Navot a averti que « c'est ainsi qu'ils étendent sans cesse la zone où les colons circulent librement et pas les Palestiniens, créant progressivement une zone contiguë de colonisation dans une grande partie de la Cisjordanie ».
Selon de nombreux rapports et témoignages de résidents palestiniens, de militants, de journalistes et même de colons, bon nombre des nouveaux avant-postes ont été établis en s'emparant de terres agricoles et de pâturages palestiniens, en prenant violemment possession de leurs terres, en déracinant leurs arbres, en bloquant les routes qu'ils empruntent et en érigeant des clôtures qui bloquent l'accès à leurs champs.
Selon un rapport du Bureau des affaires humanitaires des Nations unies, entre octobre 2023 et novembre de l'année dernière, 1 757 Palestiniens ont été expulsés de leur domicile en Cisjordanie occupée - certains par les forces d'occupation, en raison d'une construction sans permis israélien, et d'autres par des colons dans le but d'établir et d'étendre des avant-postes. Il s'agit de la plus grande expulsion de Palestiniens en Cisjordanie depuis la Naksa en 1967.
Traduction : AFPS
Photo : Construction d'une colonie israélienne à Givat Hatamar, Cisjordanie, 2017 © Ronan Shenav
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La conférence nationale palestinienne appelle à la reconstruction de l’OLP

La conférence nationale palestinienne qui s'est tenue à Doha a appelé à la réforme de l'OLP, à des élections démocratiques et à l'unité, malgré l'opposition de l'Autorité palestinienne.
Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Mustafa Barghouti, 2007 © Aude
La Conférence nationale palestinienne, une initiative populaire visant à obtenir une large unité palestinienne et une action nationale renouvelée à la suite de la guerre à Gaza, s'est achevée à Doha mercredi, réaffirmant son engagement à reconstruire l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant qu'unique représentant légitime du peuple palestinien.
Les délégués ont souligné la nécessité d'une direction nationale unifiée pour faire face à la fragmentation politique et aux pressions extérieures.
Dans sa déclaration finale, la conférence s'est déclarée comme un mouvement populaire durable prônant le dialogue, la pression politique et la réforme structurelle. Elle a appelé à la tenue d'élections démocratiques parmi les Palestiniens à l'intérieur et à l'extérieur des territoires occupés afin de rétablir l'OLP sur des bases inclusives.
La conférence s'est tenue dans des circonstances difficiles, notamment le génocide à Gaza, le nettoyage ethnique en Cisjordanie et la division politique au sein de la direction palestinienne. Elle s'est tenue en réponse à une initiative de février 2024 appelant à la formation d'une direction unifiée et d'une OLP revitalisée.
Mustafa Barghouti, secrétaire général de l'initiative nationale palestinienne, a ouvert la conférence lundi en déclarant que l'initiative avait représenté un « mouvement populaire sans précédent pour restaurer l'unité nationale palestinienne et reconstruire nos institutions nationales sur des bases démocratiques ».
« Notre peuple endure depuis longtemps l'occupation, la division et l'oppression systématique ; le moment est venu de récupérer notre représentation nationale et de prendre des mesures décisives pour faire face aux menaces actuelles », a-t-il déclaré.
Les délégués ont souligné le droit du peuple palestinien à l'autodétermination et à la résistance dans le cadre du droit international. Ils ont également condamné l'expansion des colonies, les politiques de déplacement et les efforts visant à affaiblir la question des réfugiés palestiniens et l'UNRWA. La déclaration finale réaffirme le droit à un État palestinien pleinement souverain avec Jérusalem pour capitale et s'engage à soutenir les prisonniers, les familles des martyrs et les personnes blessées dans la lutte.
L'un des principaux résultats a été la sélection d'un organe général de 108 membres, chargé d'élire un comité de suivi de 17 membres. Ce comité engagera les factions palestiniennes, y compris celles qui ne font pas partie de l'OLP, dans des efforts visant à unifier le leadership. La conférence a également approuvé un plan d'action de 100 jours axé sur la mobilisation de la base, la défense des droits des prisonniers et le renforcement des communautés palestiniennes de la diaspora.
Le président de la conférence, Muin Taher, a souligné que « la conférence ne se substitue pas à l'OLP, seul représentant légitime du peuple palestinien ».
« Notre slogan fondamental est celui d'une direction palestinienne unifiée et de la reconstruction de l'OLP sur des bases nationales et démocratiques », a-t-il déclaré à Al-Araby Al-Jadeed, l'édition en langue arabe de The New Arab.
« Par conséquent, nous voulons reconstruire et activer l'OLP, et non la remplacer, et nous n'avons pas l'intention d'être une alternative à cette organisation. Nous continuerons à exercer des pressions et à prendre des mesures pour atteindre les objectifs de la conférence ».
Lorsqu'on lui a demandé si la prochaine étape consisterait à tendre la main au président palestinien Mahmoud Abbas, M. Taher a répondu : « Le comité de contact, créé dans le cadre de l'initiative de reconstruction de l'OLP et du plan des 100 jours, s'engagera auprès de toutes les factions de l'arène palestinienne, y compris celles qui ne sont pas représentées au sein de l'OLP. »
Le comité de contact est chargé de dialoguer avec le président palestinien Mahmoud Abbas et le comité exécutif de l'OLP, dans le but d'établir une feuille de route pour des élections démocratiques et une réforme institutionnelle. Les recommandations comprennent la réactivation des syndicats professionnels, la réouverture de l'adhésion à l'OLP et le lancement de campagnes publiques pour exiger des élections.
Malgré ses objectifs d'unité, la conférence s'est heurtée à l'opposition de l'Autorité palestinienne (AP) d'Abbas, qui a empêché 33 membres de se rendre à Doha. Les forces de sécurité ont empêché plusieurs délégués de quitter la Cisjordanie et les ont menacés d'arrestation et de licenciement. La conférence a annoncé un soutien juridique pour les participants confrontés à des représailles.
Ahmed Ghoneim, dirigeant du Fatah et membre du comité de suivi de la conférence nationale palestinienne, a déclaré à Al-Araby Al-Jadeed que des fonctionnaires de l'AP avaient contacté dix participants de différentes régions palestiniennes et les avaient menacés d'arrestation, de confiscation de leur passeport, de licenciement et de réduction de leur salaire s'ils retournaient en Palestine après avoir participé à la conférence.
Les organisateurs ont rejeté les accusations selon lesquelles la conférence visait à remplacer l'OLP, déclarant que son seul objectif était de restaurer son rôle national. Les participants, parmi lesquels d'éminentes personnalités politiques et d'anciens prisonniers, ont décrit l'initiative comme une réponse urgente à la guerre d'Israël contre Gaza et à la crise palestinienne dans son ensemble.
Pendant trois jours, environ 400 délégués de toute la Palestine et de la diaspora ont participé à des discussions sur la reconstruction du leadership palestinien. Les comités ont présenté des rapports sur la stratégie politique, la résistance, les droits des réfugiés et l'engagement international, qui ont abouti à un ensemble final de recommandations à mettre en œuvre dans les mois à venir.
La conférence s'est conclue par un engagement à maintenir la pression en faveur des réformes, à mobiliser les communautés palestiniennes et à résister aux efforts visant à fragmenter la représentation nationale. Les organisateurs ont souligné que le mouvement persistera jusqu'à ce que ses objectifs d'unité, de représentation démocratique et de réforme de l'OLP soient atteints.
La conférence a mis l'accent sur la question des réfugiés palestiniens, en insistant sur la réaffirmation du droit au retour. Elle a proposé une stratégie nationale visant à améliorer les services de l'UNRWA et à créer une entité palestinienne locale pour soutenir les communautés déplacées, financée par les contributions de la diaspora.
Traduction : AFPS
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Israël, les Arabes et la « distance zéro »

Depuis plus d'un an et demi, la guerre coloniale menée par Israël contre les Palestinien-nes, les Libanais-es et les autres peuples de la région, a remis au centre des discussions la question de l'impérialisme occidental, étasunien en particulier, dans le monde arabe.
Tiré du site de la revue Contretemps
24 février 2025
Par Hèla Yousfi
Dans cet article, la sociologue Hèla Yousfi poursuit sa réflexionsur l'intrication entre lutte de libération nationale et révolution sociale et démocratique. À partir de l'expérience de la résistance palestinienne contre le colonialisme israélien, elle propose des pistes pour penser à l'échelle arabe les moyens de résistance contre la dynamique impérialiste d'asservissement des peuples de la région.
***
Le terme « distance zéro » est devenu célèbre après son utilisation par la résistance palestinienne à Gaza, pour illustrer la force et le courage des résistants palestiniens face aux tanks israéliens. La stratégie de la « distance zéro » repose sur l'approche des forces d'occupation à moins de 50 mètres, rendant difficile l'utilisation d'armements lourds contre les résistants. La distance zéro, ce symbole de la résistance palestinienne est une métaphore recouvrant deux aspects.
Le premier est celui relatif au face à face entre les corps des Palestiniens et la machine de destruction israélienne soutenue et financée par les USA et l'Europe, les régimes arabes complices d'Israël et l'autorité palestinienne dans la guerre qui dévore Gaza et plus largement une bonne partie du Moyen-Orient (Cisjordanie, Sud du Liban, Golan syrien). Le deuxième aspect est celui relatif au courage légendaire des résistants dans la « distance zéro », qui défient l'armée la plus puissante au monde et de la distance zéro font naître une légende capable de rappeler que le droit de l'auto-détermination du peuple palestinien est inaliénable.
Dans un premier temps j'évoquerai les enjeux stratégiques de cette guerre occidentalo-israélienne dans la région arabe et ses différents leviers, j'essaierai de situer cette guerre dans l'histoire longue qui agite la région depuis le démembrement de l'empire ottoman fin du19ème siècle. Je reviendrai plus particulièrement sur les enseignements de deux moments politiques ayant déclenché une rupture radicale dans l'imaginaire politique collectif : le moment des révolutions arabes et le moment du 7 octobre 2023 et ce qu'ils nous disent sur les défis de résistance face à ce nouveau projet du Grand Israël ou du Grand Moyen-Orient.
Dans une société où l'on chasse, on ne peut pas chasser une seule fois
Dans son discours d'investiture du 20 janvier 2025, Trump, acteur autoproclamé du renouveau civilisationnel, appelle les Américains à agir « avec le courage, la vigueur et la vitalité de la plus grande civilisation de l'histoire ». Dans un passage particulièrement éloquent — Trump n'improvise pas mais nous rappelle explicitement le modèle politique originel des USA fondée sur la conquête et la prédation : « L'esprit de la Frontière est gravé dans nos cœurs. L'appel de la prochaine grande aventure résonne au plus profond de nos âmes. Nos ancêtres américains ont transformé un petit groupe de colonies au bord d'un vaste continent en une République puissante composée des citoyens les plus extraordinaires sur Terre. »
De son côté, Bezalel Smotrich, ministre des finances israélien déclare à Paris : « Le peuple palestinien est une invention de moins de cent ans. Est-ce qu'ils ont une histoire, une culture ? Non, ils n'en ont pas », et son pupitre montre une carte incluant non seulement la Palestine occupée, à l'instar de celle qui fut présentée à l'ONU par Benyamin Netanyahou, mais aussi le territoire de l'actuelle Jordanie et une partie de la Syrie.
Auditionné, dans le cadre de son procès pour corruption, Benyamin Netanyahou a rappelé le tournant historique que représente la prise du mont Hermon en assurant : « Quelque chose de tectonique s'est produit ici, un tremblement de terre qui ne s'est pas produit au cours des cent années qui ont suivi ». Par ailleurs, en 2014 déjà, Abou Bakr Al Baghdadi, le chef de l' « État islamique » [1], revendiquait la même volonté « d'effacer les frontières coloniales des accords Sykes-Picot » et de balkaniser la région.
Stratégique, le mont Hermon domine la plaine syrienne du Hauran, à moins de 50 kilomètres de la capitale syrienne. D'autre part, il permet de fournir des ressources en eau à Israël et lui permet de sécuriser le Jourdain et le lac de Tibériade. Même l'Arabie saoudite, pourtant un allié principal d'Israël, a aussi fustigé une opération qui « sabote » les chances de la Syrie de recouvrer son « intégrité territoriale ». Une annexion qui « confirme la violation continue par Israël des règles du droit international », observe le ministère saoudien des Affaires étrangères.
Dans le même temps, le premier ministre israélien, qui n'a pas hésité à s'attribuer le mérite de la chute de Bachar Al-Assad, a procédé à plus de 500 frappes et détruit 80 % de l'arsenal syrien afin de s'assurer que le nouveau pouvoir demeure en position de faiblesse dans le cadre de la recomposition stratégique de la région. Israël se battra désormais pour garantir que la Syrie reste fragmentée et impuissante, incapable de poser un défi significatif aux ambitions régionales d'Israël.
Ainsi les derniers développements dans la région, la guerre génocidaire en Palestine et au Liban, l'effondrement du régime de Bachar Al-Assad, sont autant de facteurs qui ont contribué à ouvrir l'appétit prédateur et expansionniste du gouvernement d'extrême droite israélienne et à raviver le rêve de Jabotinsky, penseur du Grand Israël, de voir le projet sioniste devenir une grande puissance régionale, intimidant ses voisins et accaparant ses ressources. L'ensemble de ces citations et bien d'autres rappellent que dans une société où l'on chasse, on ne peut pas chasser une seule fois, il faut sans cesse chasser. A cet égard, le capitalisme n'est pas bien différent de la chasse.
Comme le rappelle Samir Amin, Ghassan Hage et d'autres penseurs marxistes : « Le colonialisme n'est pas un évènement, c'est une structure ». Les nations capitalistes doivent toujours osciller, entre d'une part se civiliser et autoriser le maintien d'« une accumulation légale » qui leur permet d'éviter le pillage, la déprédation, l'esclavage et le génocide qui ont produit leur richesse accumulée et d'autre part trouver constamment des espaces à l'intérieur ou à l'extérieur de leurs frontières, où la loi du plus fort l'emporte sur l'État de droit, afin de pouvoir piller, asservir et voler de nouveau [2].
Force est de constater que l'impérialisme sauvage, celui de Trump et de Netanyahu, habillé d'une rhétorique messianique divisant l'humanité (les humains et les humains animaux) en deux catégories semble s'accommoder d'une seule stratégie, celle de la prédation et le pillage non seulement à l'extérieur de ses frontières mais à l'intérieur du cadre national avec une montée inédite du fascisme dans tous les pays occidentaux.
Cet impérialisme se manifeste depuis toujours dans le Sud global et notamment dans la région arabe par la politique de la mort. Il y a des vies dignes d'être vécues et d'autres qui peuvent être annihilées à tout moment. La phrase célèbre de Hilary Clinton commentant l'assassinat de Kadhafi « We came, we saw, he died », « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort » résume à elle seule la logique de l'impérialisme et la mort qui lui est consubstantielle imposée aux pays arabes.
La guerre perpétuelle en Palestine, en Irak et en Lybie et ailleurs n'est pas juste un moyen pour maintenir l'ordre capitaliste mondial mais se révèle être la condition vitale pour maintenir l'hégémonie occidentale dans la région. Les Libyens et les peuples arabes entendent par la phrase de Clinton : « les Américains sont venus, nous ont vu et nous ont tué pour se maintenir en vie ».
Rappelons également les paroles de Madeleine Albright, secrétaire d'État sous Clinton, qui avait déclaré à propos des centaines de milliers de morts irakiens (surtout des enfants et des personnes fragiles) des suites de l'embargo : « Nous pensons que le prix en valait la peine ». Un « coût quasi-génocidaire pour la population », car il s'agit bien d'une entreprise de déshumanisation de populations entières, que l'on peut dès lors condamner à une mort de masse.
Aujourd'hui, la course pour le partage des richesses limitées de la planète et le génocide en Palestine et au Congo montrent que l'époque est celle du pillage et du génocide sans aucun gardes fou. Une configuration dans laquelle Israël a joué et joue un rôle crucial dans le maintien des intérêts impériaux occidentaux – notamment ceux des États-Unis – au Moyen-Orient. Il a joué ce rôle aux côtés bien évidemment des monarchies arabes du Golfe riches en pétrole, principalement l'Arabie saoudite.
De Sykes-Picot aux révolutions arabes : une histoire de contre-révolutions
La nouvelle configuration mondiale annoncée par Trump et dont le maître mot est la prédation et le génocide est façonnée par la suprématie étatsunienne et par la centralité du l'OTAN. Certes, d'autres acteurs, notamment des impérialismes secondaires que sont la Russie post-soviétique, la France ou le Royaume-Uni jouent également leur partition, mais ce ne sont pas eux qui ont déterminé les bases de l'ordre mondial ayant prévalu tout au long de cette période.
La seule façon de maintenir l'hégémonie américaine est de tout fragmenter partout en Amérique latine, en Afrique, en Europe (Yougoslavie) et dans le monde arabe. Non seulement, les USA et ses alliés ont divisé les trois pays (l'Irak, l'Égypte et la Syrie) qui avaient de puissantes armées qui menaçaient Israël et l'hégémonie américaine dans la région mais ils continuent à lutter contre la moindre quête de souveraineté nationale.
Dans le monde arabe, pour comprendre le processus de fragmentation en cours, il faut revenir aux accords de Sykes-Picot de 1916 signés entre Britanniques et Français et à la déclaration de Balfour en 1917, tous deux signés au mépris des populations. L'accord actait le démembrement de l'Empire ottoman et le partage des provinces arabes. De ce fait, les frontières nationales dans les pays arabes correspondent moins aux aspirations d'émancipation des peuples de la région qu'à la répartition des influences et des ressources énergétiques entre les puissances coloniales européennes dans la région [3].
De cette histoire émergent des États « féroces » – pour reprendre l'expression du politiste Nazih Ayubi [4] – caractérisés par l'importance des dispositifs de sécurité, par le maintien de liens forts entre l'armée, les clans économiques et le pouvoir politique et par une relative déconnexion des forces sociales et économiques locales. Il n'en demeure pas moins que ces États souffrent de la distorsion inhérente à leur formation, à savoir le manque de récit fondateur à même de leur assurer la légitimité historique nécessaire pour pénétrer la société. Le recours régulier et instrumental à des idéologies comme le nationalisme arabe ou l'islamisme politique témoigne de ces difficultés.
Pour se maintenir au pouvoir, les élites locales ont poursuivi des politiques économiques basées sur une logique rentière. Lesquelles ne concernent pas uniquement les pays pétroliers. La plupart des États ont en effet privilégié l'accroissement de la consommation au détriment de politiques de développement nécessaires à la diversification de l'économie, mais qui comportent le risque de faire émerger des acteurs concurrents à l'élite au pouvoir. Ces régimes et élites des « États provinciaux » dont la fragilité est structurelle ont naturellement besoin d'un protecteur extérieur, qu'ils n'hésitent néanmoins pas à manipuler en retour.
En réclamant « la chute du régime », les révolutions arabes ont provoqué non seulement une implosion du contrat social interne entre les élites et les populations locales, mais ont également fait éclater le pacte néocolonial entre les États arabes et leurs alliés occidentaux. L'aspiration partagée est sensiblement partout la même : la reconstruction d'un État débarrassé de ses distorsions originelles qui, tout en rompant avec l'héritage autoritaire et clientéliste, doit se montrer capable de redistribuer les richesses et garantir l'émancipation politique et économique des peuples de la région.
Or, la seule voie proposée par les institutions internationales est le jumelage de la « promotion de la démocratie » avec des prescriptions économiques néolibérales. Bien que cette recette ne soit pas nouvelle, elle renoue avec la rhétorique adoptée par le président américain George W. Bush lors de son discours du 11 septembre 2002 (commémorant les attaques du 11 septembre 2001 et légitimant la guerre en Irak) :
« Nous cherchons une paix juste où la répression, le ressentiment, la pauvreté sont remplacés par l'espoir de la démocratie, le marché libre et le commerce libre ».
Une telle rhétorique vise essentiellement à exploiter le soutien de façade à la « démocratie » pour approfondir la libéralisation économique dans toute la région. Un soutien qui n'exclut bien évidemment pas celui, continu, de l'Occident aux régimes autoritaires, notamment en Égypte.
Ainsi, on assiste tout au long de la dernière décennie à deux formes de contre-révolution dans les pays arabes : Celle basée sur l'intervention militaire directe comme en Libye, au Yémen, en Syrie ou en Palestine et celle basée sur l'endettement et les réformes néo-libérales vendus sous le vocable de « transition démocratique ». L'agenda de cette démocratie libérale visait à reléguer au second plan la demande de souveraineté économique et politique au centre des révolutions arabes.
Ainsi, si la chute du régime de Bachar est principalement attribuée au mouvement révolutionnaire syrien, l'arrivée au pouvoir de Joulani – ancien d'al-Qaida et de Daech – ayant assuré sa métamorphose en grand démocrate grâce à une agence de communication britannique, cristallise d'une certaine manière la rencontre de deux dynamiques contre-révolutionnaires enracinées dans l'histoire de l'ingérence occidentale dans la région. La première dynamique est celle de l'ingérence extérieure par le régime des sanctions économiques qui a largement affaibli le régime syrien d'un côté et de l'autre, celle de l'intervention occidentale militaire directe par l'intermédiaire d'Israël (allié majeur de l'OTAN) et la Turquie (membre de l'OTAN) pour contrer la présence russo-iranienne.
Si la souveraineté nationale telle que revendiquée par les révolutions arabes renoue avec les mouvements d'autodétermination et de libération nationale qui ont prévalu dans les cercles de gauche au début du XXe siècle, la dernière décennie nous a montré que la réalisation des aspirations des peuples pour la justice sociale, exigent de redéfinir l'État national et de le débarrasser du pacte néocolonial entre les élites locales et leurs émules occidentales. Elle nous montre aussi qu'il n'y a aucun régime politique viable démocratique ou autoritaire qui puisse tenir tant que les élites sont déconnectées des aspirations des peuples.
Cela exige également que le cadre national s'il reste central pour penser les enjeux de souveraineté ou de démocratie n'est pas suffisant car la dernière décennie et la guerre perpétuelle menée par Israël, les USA et leurs alliés occidentaux dans la région nous imposent de penser les États-nations dans la région arabe comme des entités politico-économiques interdépendantes qui partagent – au-delà d'une langue, une culture et une histoire collective – non seulement une configuration particulière de relations économiques et politiques, mais, bien plus primordial encore, une communauté de destin.
La normalisation ou le génocide, deux voies vers la disparition ?
Le cycle historique ouvert par l'opération du Toufan Al-Aqsa vient rappeler qu'au centre de cette quête de libération nationale, se trouve encore et toujours la guerre entre Israël et les peuples de la région. Israël, qui a subi une menace avec les attaques du 7 octobre 2023 a décidé, avec le soutien actif de l'Occident et notamment des USA de transformer cette menace en opportunité et de passer à l'attaque pour poursuivre le projet de refonte du Moyen-Orient ou le projet du Grand Israël. Le gouvernement israélien et Trump se préparent à entamer un processus accéléré de nettoyage ethnique en Cisjordanie et à Jérusalem.
Le régime israélien vient d'annoncer une nouvelle opération militaire, « Mur de fer », à Jénine, au nord de la Cisjordanie. Le nom de l'opération n'est pas aléatoire. Le Mur de fer est l'œuvre fondatrice de Vladimir Jabotinsky, l'un des pères fondateurs du sionisme. Cette œuvre est la force idéologique motrice de la vision de Netanyahou. Jabotinsky écrit : « Il ne peut y avoir d'accord volontaire entre nous et les Arabes de Palestine… Les populations indigènes, civilisées ou non, ont toujours résisté obstinément aux colons… ». La colonisation est le nom du jeu et l'effacement du peuple palestinien en est l'objectif.
Israël, n'est pas non plus prête de se retirer du Sud du Liban. Il en va de même pour la Syrie, où l'armée sioniste a pris l'initiative de détruire les capacités militaires syriennes après l'effondrement du régime précédent, de s'emparer de nouvelles zones de son territoire et d'encourager officiellement les tendances séparatistes à déchirer le pays et à pousser son peuple au conflit et à la lutte.
L'Iran, qui se trouve dans la zone cible d'Israël, est conscient de cette réalité et ses dirigeants soulignent que leur pays est prêt à faire face à une telle éventualité. La Turquie est également visée par le projet expansionniste israélien en jouant la carte du séparatisme kurde, évoquée par plus d'un responsable israélien, et les jours montreront comment elle traitera cette question. Le Yémen, pour sa part, est engagé dans un conflit direct avec l'entité sioniste et il est inévitable que ce conflit s'intensifie.
La question est de savoir comment les autres États de la région traiteront le projet expansionniste israélien. L'Égypte et la Jordanie accepteront-elles le déplacement forcé des Palestiniens de Gaza ? L'Arabie saoudite acceptera-elle un ordre régional dirigé par Israël ? Le choix proposé aujourd'hui à tous les pays de la région est la normalisation ou le génocide. Ce qui est sur la table aujourd'hui, ce n'est plus la normalisation classique des relations commerciales et économiques, la coopération dans divers domaines, mais la soumission totale à l'entité sioniste.
Génocide ou normalisation, le projet est de faire disparaître toute notion de peuple dans la région et en faire un marché libre des marchandises et des identités. Génocide ou normalisation sont deux options du même projet de faire disparaître toute quête de dignité et de souveraineté dans la région.
Edward Saïd écrivait en octobre 1993, dans son article prémonitoire « Oslo : le jour d'après » :
« En réalité, avec ses institutions bien développées, ses relations étroites avec les USA et son économie agressive, Israël incorporera économiquement les territoires [occupés], les maintenant dans un état de dépendance permanente. Et puis Israël se tournera vers le monde arabe élargi, faisant usage des bénéfices politiques de l'accord palestinien comme d'un tremplin pour s'introduire dans les marchés arabes, qu'il exploitera aussi et dominera probablement. »
Nous y sommes !
A cet égard, il faut rappeler que les États-Unis (et leurs alliés européens) ont eu recours, à partir des années 1990, à divers mécanismes visant à favoriser l'intégration économique d'Israël dans le Moyen-Orient élargi. L'un d'eux était l'approfondissement des réformes économiques – une ouverture aux investissements étrangers et aux flux commerciaux qui se sont rapidement répandus dans la région.
Dans ce contexte, les États-Unis ont proposé une série d'initiatives économiques visant à lier les marchés israéliens et arabes les uns aux autres, puis à l'économie américaine. Les « Qualifying Industrial Zones » (QIZ), des zones de production à bas salaires créées en Jordanie et en Égypte à la fin des années 1990 en sont une illustration.
Avec les accords d'Abraham, cinq pays arabes entretiennent désormais des relations diplomatiques officielles avec Israël. Ces pays représentent environ 40 % de la population du monde arabe et comptent parmi les principales puissances politiques et économiques de la région. Le contrôle de cette région permettra aux USA d'asseoir son hégémonie et de contrer le projet des nouvelles routes de la Soie Chinois. Mais une question cruciale demeure : quand l'Arabie saoudite rejoindra-t-elle ce club ? Tous les signes montrent que c'est l'objectif numéro 1 de Trump.
Au Maghreb, l'accord de normalisation du Maroc avec Israël signé le 22 décembre 2020 n'a fait qu'exacerber les contradictions bloquant le projet d'intégration économique maghrébin. En Tunisie, si la normalisation officieuse s'est accélérée avec Ben Ali suite aux Accords d'Oslo [5], la normalisation officielle reste « un crime de haute trahison » selon les termes du président Kais Said. Il est à craindre qu'avec l'arrivée de Trump, la pression pour la normalisation de la Tunisie et de l'Algérie avec Israël s'accélère.
Par ailleurs, la montée des tensions entre l'Algérie et le Maroc au sujet du Sahara occidental, et entre la France et l'Algérie ne peuvent qu'alerter sur l'avenir incertain du Maghreb qui subit également sous d'autres formes le projet expansionniste israélo-Américain. Ce qui est certain, en revanche, c'est que les premiers concernés, les peuples visés par la monstruosité et la brutalité de la machine de destruction américano-israélienne résisteront de toutes leurs forces au projet de mutiler la région et la soumettre.
Les révolutions arabes qui ont subi différentes formes de contre-révolution d'une brutalité sans précédent doivent être pensées sur le long terme comme une phase d'un long cycle de luttes anticoloniales et les Palestiniens sont en train d'indiquer au prix de leur sang l'ennemi principal. C'est la raison pour laquelle la résistance des Palestiniens est un élément essentiel du changement politique dans le monde arabe, une région qui est aujourd'hui la plus polarisée socialement, la plus inégale économiquement et la plus touchée par les guerres dans le monde. Inversement, c'est la raison pour laquelle la lutte pour la Palestine est intimement liée aux succès et aux échecs d'autres luttes sociales progressistes dans la région.
Et la résistance continue
Le cycle historique ouvert par l'opération Toufan Al-Aqsa au-delà de sa capacité à montrer les défis posés à toutes les populations de la région arabe en termes de libération et de souveraineté nationale, a révélé quelques vérités qu'on ne peut plus ignorer :
– Israël, qui s'est couvert pendant des décennies des oripeaux de la sainteté démocratique, est aujourd'hui mis à nu – un État d'une brutalité implacable, façonné par la violence coloniale et notamment le génocide et le nettoyage ethnique. Un État dont l'existence dépend entièrement du soutien de l'Europe et des États-Unis, qui étouffe le monde arabe, anéantissant son avenir avant qu'il ne puisse s'exprimer. Son récit de légitimité s'effiloche sous le poids de sa propre violence, sa prétention à une position morale élevée s'érode. Le cycle ouvert par le Toufan Al-Aqsa tout en bloquant le projet de normalisation avec l'Arabie saoudite a déconstruit tous les récits qui invitent à composer avec Israël comme un fait accompli. La distance zéro remet les pendules à l'heure en rappelant la réalité coloniale et sauvage du projet colonialiste sioniste, un projet génocidaire soutenu par de larges franges de la société israélienne. Le défi partout dans toute la région reste la résistance contre toutes les formes de colonisation : guerre, dette, colonisation intellectuelle.
– Le cycle ouvert par l'opération Toufan Al-Aqsa a signé une fois pour toutes l'effondrement de la supériorité morale de l'occident déjà largement fragilisée par le passé. La manière dont le fascisme occidental et l'impunité israélienne se nourrissent mutuellement est assez limpide. Le slogan « Tuez les Arabes » scandé par les israéliens et repris par les fascistes en occident a rappelé que toutes les institutions créées par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale sont incapables de sauver les vies d'Arabes chez eux mais aussi partout dans la planète.
– Le projet colonisateur expansionniste et messianique mené par Trump et Netanyahou dévoile encore une fois la fragilité du droit international comme moyen de régulation des conflits et des guerres. Par ailleurs, le langage libéral du droit ne peut rendre compte à lui seul des enjeux de libération nationale des peuples de la région. La question Palestinienne ne peut être réduite à une question des violations massives des droits de l'homme par Israël et des violations continues du droit international que les Palestiniens subissent depuis près de huit décennies. Il s'agit d'abord d'un fait colonial et d'une quête d'auto-détermination du peuple palestinien qui dépasse le cadre établi par les institutions post deuxième guerre mondiale largement instrumentalisé par les pays de l'OTAN. De la même manière, réduire les aspirations des peuples arabes à un enjeu de libertés individuelles ou de libertés publiques cadrées par le langage du droit et/ou de la transition démocratique libérale est problématique car il n'y a pas de démocratie viable dans un champ de ruine sans souveraineté ou les populations subissent plusieurs formes d'assujettissement.
– Enfin, les moyens de résistance ne sont pas uniquement le produit de l'inventivité des acteurs mais elles sont largement déterminées par le contexte matériel des rapports de forces. L'intervention étrangère occidentale dans le monde arabe, qu'elle prenne la forme de guerre directe ou de réformes néo-libérales, rappelle régulièrement que la problématique de la libération nationale demeure entière dans les pays arabes. Malgré les indépendances formelles dans certains pays, l'impérialisme économique est l'autre face du colonialisme et du Génocide dont l'objectif est l'abolition définitive de toute souveraineté nationale et de toute dignité individuelle et collective. Loin de toute opposition binaire entre démocratie libérale et régime autocratique, les révolutions arabes et la résistance palestinienne nous montrent encore une fois que l'ingérence occidentale s'accommode de tous les régimes qui servent ces intérêts et éliminent ceux qui lui résistent. N'a-t-on pas assisté au blocage du processus démocratique dans les territoires autonomes palestiniens par les États-Unis et l'Union européenne suite à la victoire sans appel du Hamas aux élections législatives du 25 janvier 2006. La dernière décennie invite donc à replacer la « souveraineté nationale populaire » au cœur des alternatives politiques et économiques à identifier afin de soutenir les différentes vagues de luttes sociales et populaires qui résistent tant bien que mal au rouleau compresseur de la fragmentation israélo-américaine.
Conclusion
La chute du régime syrien et les révolutions arabes, tout autant que le cycle ouvert par le 7 octobre, offrent une réflexion critique sur la fragilité des alliances et les défis posés aux luttes pour la souveraineté nationale dans le monde arabe. Alors qu'Israël poursuit son projet expansionniste et sa stratégie de nettoyage ethnique, il est essentiel qu'il tire des enseignements de l'histoire à savoir comment la colonisation peut paradoxalement consolider les bases d'une résistance imprévue.
L'effondrement du régime de Assad et l'affaiblissement de l'Axe de la résistance ne marquent pas seulement la fin d'une époque, mais préfigurent également la genèse d'un avenir incertain. La guerre perpétuelle dans la région n'est pas finie et la Palestine demeure une boussole décisive, mettant en lumière les contradictions morales, tactiques et stratégiquesdes puissances régionales et impérialistes. Le cycle ouvert par Toufan Al-Aqsa n'a pas seulement dévoilé des vérités et des évidences qu'on ne peut plus ignorer, il a surtout ravivé le débat sur l'avenir en soulevant plusieurs interrogations :
Comment naviguer à travers le dédale d'ambitions concurrentes, de clivages idéologiques et d'interventions régionales et impérialistes qui rivalisent d'ingéniosité pour façonner le destin de la Palestine, de la Syrie, du Liban et de toute la région ? La Syrie, tout comme la Libye, l'Irak et tant d'autres pays avant elle, deviendra-t-elle un champ de bataille et de divisions sans fin ? Les Palestiniens vont-ils continuer, comme le suggèrent les belles images du retour au Nord des Gazaouis, à résister à tout projet de nettoyage ethnique et à inspirer d'autres luttes dans la région ? Les régimes arabes vont-ils continuer à ignorer la quête sans répit de souveraineté nationale de leurs populations, feignant d'oublier que la normalisation telle qu'envisagée par le projet du Moyen-Orient élargi signera tout simplement leur disparition tôt ou tard ?
Les réponses restent floues, mais les enjeux sont clairs : la carte des pouvoirs se redessine rapidement et, dans les marges de ce bouleversement, de nouvelles possibilités incertaines, mais dynamiques, sont offertes par différentes formes de résistance.
Le cycle qui a commencé après l'opération du Toufan Al-Aqsa est loin d'être achevé et la guerre entre les Arabes et l'axe Israélo-américain n'a pas encore pris fin. Les slogans « La Tunisie libre et sa capitale Jérusalem » ou « La Palestine est une cause nationale » brandis par les Égyptiens et les Marocains incarnent non seulement le lien organique entre les peuples de la région, mais montrent aussi que tous les pays arabes subissent plus ou moins le sort des Palestiniens, qui leur demandent de retravailler leurs stratégies de résistance.
Les stratégies de résistance impliquent d'abord d'en finir une fois pour toutes avec les négociations molles et les compromis boiteux ; et de bien identifier la menace centrale : celle du projet expansionniste du Grand Israël. Il s'agit d'adopter la posture d'un refus radical montrée par les différentes formes de résistance dans le monde arabe ; une posture de rupture radicale, seule à même de garantir la dignité individuelle et collective des peuples de la région à la « distance zéro » de la machine de destruction.
*
Hèla Yousfi est maitre de conférences, Université PSL-Paris-dauphine.
Illustration : « Rituals under occupation », 1989. Tableau de Sliman Mansour, peintre palestinien.
Notes
[1] Luizard, P. J. (2017). Le piège Daech : l'État islamique ou le retour de l'histoire. La Découverte.
[2] Hage, G. (2017). Le loup et le musulman : le racisme est-il une menace écologique ?. Wildproject.
[3] Corm, G. (2007). Le Proche-Orient éclaté : 1956-2007. Gallimard.
[4] Nazih N. Ayubi (1991), Over-stating the Arab State. Politics and society in the Middle East, Londres, I.B. Tauris.
[5] Après les accords d'Oslo, Tunis a mis en place entre 1996 et 1999 un bureau de contact à Tel Aviv. Un poste occupé entre 1996 et 1997 par Khemais Jhinaoui, qui deviendra ministre des Affaires étrangères entre 2016 et 2019.
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Premières ripostes au démantèlement de l’État-providence par Trump et Musk

Le président Donald Trump et son homme de main, le milliardaire Elon Musk, ont démantelé l'État-providence américain, en fermant des agences et en licenciant des dizaines de milliers d'employéEs fédéraux. Leur opération de démolition laisse les travailleurEs sans revenus et prive les enfants, les personnes handicapées et les personnes âgées de soutien et de services.
Hebdo L'Anticapitaliste - 743 (27/02/2025)
Par Dan La Botz
Les actions de Trump et de Musk semblent inconstitutionnelles ou illégales et ont fait l'objet de contestations juridiques de la part des gouvernements des États, des organisations de citoyens et des syndicats. Au cours des deux dernières semaines, les premières manifestations nationales de grande ampleur ont également eu lieu.
Des actions en justice
Trump et Musk ont brandi des haches, des boulets de démolition et des bulldozers dans divers bureaux gouvernementaux. Le département de l'efficacité gouvernementale de Musk est censé s'attaquer au « gaspillage, à la fraude et aux abus », mais Trump a licencié 18 inspecteurs généraux dont le travail consistait précisément à surveiller le gaspillage, la fraude et les abus. Plusieurs d'entre eux ont intenté une action en justice en affirmant que l'action de Trump était illégale.
L'équipe de Musk, composée de techniciens dans la vingtaine, s'est emparée du département du Trésor et de toutes ses données sur les finances personnelles provenant de l'Internal Revue Service et de l'Administration de la Sécurité sociale. Plusieurs États ont intenté des poursuites et les tribunaux ont temporairement interrompu la prise de contrôle.
Trump et Musk se sont également efforcés de fermer un certain nombre d'agences qui protègent les fonctionnaires et les autres travailleurEs. Ils ont pris le contrôle et licencié des employés du Whistleblower Protection Office, du National Labor Relations Board, du Merit Systems Protection Board, de l'Equal Employment Opportunity Commission et du Privacy and Civil Liberties Oversight Board. Les tribunaux ont ordonné la réintégration de certains de ces travailleurEs.
Déréglementation
Trump et Musk ont soudainement et sans ménagement licencié 20 000 fonctionnaires, mais ils ont 200 000 employéEs en ligne de mire. En agissant si rapidement et si imprudemment, ils ont bêtement licencié puis dû réembaucher des travailleurEs, tels que les vétérinaires travaillant sur l'épidémie de grippe aviaire et d'autres employéEs s'occupant de la sécurité des armes nucléaires. Les syndicats ont intenté un procès, mais le juge a déclaré qu'il n'avait pas autorité parce qu'il s'agissait d'une affaire de travail et leur a dit de porter l'affaire devant l'Autorité fédérale des relations de travail (Federal Labor Relations Authority), dont Trump vient de renvoyer la présidente.
Comment Trump et Musk justifient-ils ce qu'ils font ? Les conservateurs considèrent depuis longtemps que les agences gouvernementales — à l'exception de l'armée et de la police — n'ont généralement aucune utilité. Les programmes sociaux destinés aux enfants, aux personnes âgées, aux handicapés et aux pauvres sont non seulement inutiles, mais pernicieux, car ils sapent l'initiative individuelle. Enfin, les réglementations gouvernementales étouffent les entreprises privées. Trump et Musk peuvent sembler être des anarchistes de droite opposés à tout gouvernement, mais en réalité, ils veulent un gouvernement qui réduise leurs impôts et garantisse leurs profits. Leurs motivations ne sont que trop transparentes et certains de ceux qui ont voté pour Trump ont commencé à se réveiller.
Première étape d'une riposte sociale
Deux grandes manifestations nationales représentent la première étape d'une réponse massive de la classe ouvrière. Le 17 février, jour du président, des milliers de personnes se sont rassemblées dans de grandes et petites villes du pays sous la bannière « Pas de roi le jour du président ». J'ai rejoint une manifestation de quelques centaines de personnes devant le bâtiment administratif du comté de San Diego, en Californie, où de nombreux discours et pancartes avaient un ton plutôt patriotique, défendant la démocratie américaine contre les dictateurs Trump et Musk.
Une semaine plus tard, des travailleurEs fédéraux de toutes sortes ont manifesté lors d'une trentaine de rassemblements : « Sauvez nos services » dans des villes du pays, la plupart dans des installations fédérales, mais aussi dans les bureaux de SpaceX de Musk et dans ses salles d'exposition Tesla.
« La seule façon de s'en sortir est que la main-d'œuvre fédérale en première ligne lance un appel au mouvement syndical dans son ensemble, descende dans la rue et fasse de cette situation une crise politique qu'elle ne peut pas gérer », a déclaré à Labor Notes Chris Dols, président de la section 98 de la Fédération internationale des ingénieurEs professionnelEs et techniques, qui travaille pour le Corps des ingénieurs de l'armée de terre. Et il a raison.
Dan La Botz, traduction par la rédaction
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Elon Musk tente de faire passer des régimes à celui de néo nazi dans le monde qui se défend

Le plus important conseiller de D. Trump, fait la promotion des partis racistes dans le monde
Jeet Heer, The Nation, 24 février 2025
Traduction, Alexandra Cyr
Le multimillionnaire de la technologie, E. Musk s'est adressé directement par vidéo conférence à un ralliement du Parti d'extrême droite allemand, l'AFD le 25 janvier dernier à Halle en Allemagne.
Dans le langage de MAGA, les mots « changement de régime » sont des gros mots qui sont souvent reliés aux politiques bipartisanes qui ont fait que les États-Unis se sont empêtrés dans des guerres sans fin. En 2016, D. Trump les a vite élevées au sommet de son mandat ; il était le seul à vouloir dénoncer dans des termes mémorables, G. W Bush qui a échoué dans sa tentative de remodeler le Proche Orient. Par la suite il a dénoncé la tentative de changement de régime en Iran en 2019 puis en 2024. Mme Tulsie Gabbard qui vient d'être nommée à la direction des agences de renseignement américaines, les a férocement critiquées les appelant, « les guerres de changement de régime ». Vendredi dernier, Richard Grenell, envoyé spécial du Président Trump pour des missions particulières, a déclaré à la rencontre de droite, Conservative Political Action Conference : « Avec Donald Trump, nous ne faisons pas de changement de régime ».
Comme d'habitude avec D. Trump et ses copains, il faut s'attarder à leurs agir autant qu'à leurs discours. Il y a souvent une énorme différence entre ce qui est dit et les agissements. Durant son premier mandat, D. Trump a travaillé à un changement de régime au Venezuela mais sans succès. Pour ce qui est de son second mandat, ses registres sont encore pires et plus sordides. Elon Musk, qui doit procéder à une refonte du gouvernement fédéral à titre de directeur du Département de l'efficacité gouvernementale créé par le Président D. Trump, a agi comme porte- parole ad hoc du Département d'État et avec sa position, de plus proche conseiller du Président, a fait la promotion de partis d'extrême droite, certains clairement racistes et néo nazis partout dans le monde. Comme NBC le rapporte :
« Le multimillionnaire exécutif de la technologie, A. Musk, a encouragé des mouvements politiques, des politiques et des administrations de droite, dans au moins 18 pays dans un effort mondial pour mettre fin à l'immigration et défaire les règles qui visent le monde des affaires … ».
E. Musk soulève une grande attention par le bouleversement qu'il introduit dans le gouvernement américain. C'est aussi le cas pour son rôle grandissant en Allemagne où il a dit aux électeurs.trices de dépasser leur culpabilité envers le passé nazi du pays. Ce magnat de la technologie fait sentir son influence dans une longue liste de pays qui grandit toujours.
Parmi les Partis qu'E. Musk à soutenu, on trouve le Parti conservateur du Canada qui, selon les normes des démocraties matures, est plutôt populiste et de droite. Mais son soutien s'est aussi étendu à des régimes et des mouvements qui sont soit autoritaires, (comme le gouvernement de V. Orban en Hongrie) ou ancrés dans le néo nazisme (comme l'AFD en Allemagne). Quand son soutien est allé à des Partis qui ne sont pas au pouvoir, il a promu des renversements de gouvernements en vertu de son statut d'allié très proche du Président américain.
Dans les faits, il a débuté un programme mondial de changement de régime. Que ce soit envers les pays perçus comme ennemis des États-Unis mais aussi envers ses possibles alliés. Le 22 janvier dernier, Bernie Sanders a publié sur X : « E. Musk a soutenu des partis néo nazis dans le monde. Il a interféré dans des élections et utilisé sa puissante plate-forme pour attaquer quiconque ne partage pas ses vues d'extrême droite ». Cette opinion est partagée le Président français E. Macron qui début janvier mettait en garde que E. Musk fomentait : « un mouvement réactionnaire mondial ».
L'idée d'une internationale réactionnaire n'est pas nouvelle. Durant le premier mandat de D. Trump, son conseiller Steve Bannon, maintenant hors service et rival d'E. Musk, a aussi essayé de créer une telle alliance de partis nationalistes et antilibéraux qui comprendraient des figures comme V. Orban ou encore la Française Marine Le Pen. Mais c'étaient des entreprises embryonnaires qui ont stagnées. Il a manqué de ressources, de confiance. L'homme de poids qu'est E. Musk prend en main le même programme avec une frénésie alarmante d'activités.
Dans sa publication sur internet où il condamne E. Musk, B. Sanders met un lien avec une vidéo préparée par son personnel qui met en vedette Matt Duss, un de ses anciens conseillers et maintenant vice-président exécutif du Center for International Policy. Dans cette vidéo, M. Duss présente en détail, l'étendue de la promotion qu'E. Musk fait de dangereux.euses racistes autoritaires :
«
Musk, la personne la plus riche au monde a depuis longtemps soutenu des causes de droite ici aux États-Unis. Sa dépense d'un quart de milliards pour aider à la réélection de D. Trump, en est un exemple. Mais, récemment, il a décidé de porter son projet politique au niveau mondial. Il soutient de nombreux partis d'extrême droite dans plusieurs pays en utilisant aussi sa puissante plateforme pour attaquer quiconque qui ne partage pas ses visions. Commençons par l'Allemagne. En décembre 2024 il a publiquement endossé l'Alternative pour l'Allemagne (AFD) un Parti politique d'extrême droite qui a de profondes racines dans le mouvement néo nazi…
Tout en essayant de présenter une figure plus modérée au cours des dernières années, Alice Weidel, sa codirigeante, déclare qu'elle voit la défaite du nazisme allemand comme « la défaite d'un pays par un ancien pouvoir occupant » plutôt que comme la libération du pays du nazisme cruel.
Il semble qu'E. Musk s'accommode bien de cette position. N'a-t-il pas écrit, « Seule l'AFD peut sauver l'Allemagne » ? Il a louangé ce Parti à répétition et a participé à une rencontre vidéo avec Mme Weidel pour augmenter les chances du Parti lors des élections.
Et ça ne se limite pas à l'Allemagne. Il a constamment attaqué le Premier ministre du Royaume Uni, M. Keir Starmer et récemment il l'a traité de « complice du viol de l'Angleterre. Il en a aussi appelé à ce qu'il soit poursuivi pour fautes criminelles. Il a aussi appelé un autre ministre du travail, « chantre des viols génocidaires ».
Il en a aussi constamment appelé à la libération de Tommy Robinson un membre du Parti ouvertement fasciste, le British National Party. T. Robinson purge une peine pour diffamation envers un jeune réfugié syrien de 15 ans qui avait été violemment agressé à l'école.
B. Sanders et M. Duss font correctement le lien entre le comportement d'E. Musk et le problème plus profond avec l'oligarchie. Les supers riches ont acquis tant de richesses aux États-Unis qu'ils et elles pensent qu'il leur est possible d'utiliser le gouvernement pour promouvoir une attaque mondiale contre la démocratie.
Les nouvelles encourageantes sont à l'effet que la résistance s'installe contre cette promotion de la droite et du fascisme. Au Canada, le Parti libéral qui tirait fortement de l'arrière dans les sondages face au Parti conservateur le rejoint nez à nez. Cette remontée des Libéraux va de pair avec les interventions de D. Trump et E. Musk qui ont menacé d'absorber le Canada, d'en faire le 51ième État américain ce qui a soulevé une remontée du patriotisme. E. Musk a la double citoyenneté américaine et canadienne. Un député du Nouveau parti démocrate au Parlement canadien, Charlie Angus, a mis en marche une pétition réclamant qu'on lui retire sa citoyenneté canadienne.
L'élection législative de dimanche (23 février 2024), en Allemagne, donne une preuve encore plus forte de l'effet de résistance devant la croisade d'E. Musk en faveur de la droite. L'AFD a doublé son score en recevant 20,7% des voix exprimées mais le Parti n'a pas rejoint sa cible de 30%. Il semble bien que les arguments d'E. Musk ait fait mouche.
Il est probable que le prochain gouvernement sera constitué d'une coalition des grands Partis traditionnels : le centre droit, l'Union des chrétiens démocrates (CDU) et l'Union des sociaux chrétiens (CSU) avec le centre gauche du Parti social-démocrate Allemand (SPD). Alors qu'il y a peu de raisons d'être optimistes à propos de cette grande coalition de Partis pro-système, comme cela se présente au Canada et en France, parce qu'elle ne pourra s'attaquer aux problèmes structuraux du pays, au moins l'AFD sera tenu à l'écart du pourvoir. Ces coalitions pro-système, composées de Partis dont l'appui populaire se restreint dans les urnes, devront contenir les Partis de droite contre-système comme l'AFD et de gauche comme le socialiste Die Linke qui a poussé son score à 8,5%.
Étonnamment, Freidrich Merz, le chef du Pari Chrétien démocrate qui sera le nouveau Chancelier allemand, a pris une position forte contre les interférences de D. Trump et E. Musk dans les élections allemandes. Alors qu'il était antérieurement un avocat avoué de l'OTAN, il parle maintenant de l'obligation pour l'Europe de développer une politique étrangère indépendante.
Dimanche (23-2-24), il a déclaré : «
Je n'ai aucune illusion sur ce qui se passe aux États-Unis. Voyez les interventions d'E. Musk dans la campagne électorale … c'est sans précédent. Ces interventions de Washington n'étaient pas moins dramatiques et finalement outrageantes que celles venant de Moscou. Nous sommes sous une énorme pression des deux côtés et ma priorité absolue est de créer l'unité de l'Europe. Mon absolue priorité sera de renforcer l'Europe aussi vite que possible pour que, pas à pas, nous puissions devenir indépendants des États-Unis. Je n'ai jamais pensé que je pourrais dire cela un jour, à la télévision. Mais après les déclarations de D. Trump la semaine dernière, qui sont maintenant claires, les Américains, tout au moins cette partie des Américains, cette administration sont largement indifférents au destin européen »
.
Il va sans dire que F. Merz est un conservateur européen une de ces figures politiques qui était un soutien crucial à l'hégémonie américaine sur le continent et sur le monde. La vieille pratique de l'élite européenne de jouer volontairement les sous-gouverneurs des Américains arrive à sa fin.
Le fait que le Président Trump et E. Musk fassent la promotion de la révolution fasciste est terrifiant. Mais il n'est pas sûr que cela réussisse. Les commentaires de F. Merz indiquent une possibilité de résistance. Les alliés américains d'autre fois, vont de plus en plus se tourner contre de super pouvoir engagé à affaiblir leur démocratie. La méfiance envers les États-Unis pourrait bien augmenter, de même que son isolement et ils pourraient se retrouver affaiblis. La véritable révolution mondiale qu'E. Musk met en marche pourrait s'avérer la fin de la domination américaine dans le monde.
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Bernie Sanders appelle à la mobilisation

Dans une vidéo dont nous vous proposons la traduction, le sénateur démocrate endosse le rôle de chef de file de la résistance au rouleau-compresseur Trump. Puissant et à la hauteur du moment, il appelle à la lutte, à ne pas baisser les bras et surtout, redonne du courage.
https://www.youtube.com/watch?v=nnEWF08_hLk&t=13s
Traduction : Baptiste Orliange
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Comptes rendus de lecture du mardi 4 mars 2025


Lettres de prison
Rosa Luxemburg
Traduit de l'allemand
Née en 1871 et assassinée en 1919 lors de la répression de la révolution spartakiste à Berlin, Rosa Luxemburg fut une figure majeure du socialisme révolutionnaire et de l'histoire politique du XXe siècle. Ses « Lettres de prison », adressées de 1916 à 1918 à son amie Sophie Liebknecht, nous révèlent une femme bien différente de ce que je ne m'étais imaginé, une femme qui aimait la vie, la campagne et la nature et d'un redoutable optimisme face à sa situation de prisonnière et à la situation de l'Europe et du monde à l'époque.
Extrait :
Les buffles viennent de Roumanie, et ce sont des trophée de guerre… les soldats qui les conduisent racontent qu'il est très difficile de capturer ces animaux qui vivent à l'état sauvage et plus difficile encore de les dresser à tirer des fardeaux, car ils sont habitués à la liberté. Ils sont roués de coups, à tel point que l'expression « vae victis » prend ici tous son sens… Il doit bien y avoir une centaine de ces animaux rien qu'à Breslau. Ils ne reçoivent qu'une maigre provende, eux qui étaient accoutumés à paître dans les riches prairies roumaines. Comme on les utilise à tirer toutes sortes de fardeaux, ils ne tardent pas à mourir à la tâche. Il y a quelques jours, j'ai vu entrer une voiture pleine de sacs, si chargée que les buffles n'arrivaient pas à franchir les dalles du proche. Le soldat qui les accompagnait s'est mis à les frapper si brutalement avec le manche de son fouet que la surveillante, indignée, lu a demandé s'il n'avait pas pitié de ces pauvres bêtes. « Personne n'a pitié de nous autre hommes !, a-t-il répondu avec un sourire mauvais et il a redoublé de coups. Les animaux ont enfin réussi à franchir le seuil, mais l'un d'eux était en sang… Sonitschka, malgré l'épaisseur et la résistance proverbiale de la peau de buffle, celle-ci a fini par se déchirer. Pendant qu'on déchargeait la voiture, les bêtes restaient là, épuisées, et celle qui saignait regardait devant elle. Son front noir et ses doux yeux avaient l'expression d'un enfant qui a versé d'abondantes larmes. C'était tout à fait l'expression d'un gamin qui a été sévèrement puni, sans savoir pourquoi, sans savoir comment il pourrait échapper à la souffrance, à la brutalité…
L'affaire Tissot - Campagne antisémite en Outaouais
Raymond Ouimet
Raymond Ouimet nous rappelle dans « L'affaire Tissot » une réalité trop oubliée de nos jours, celle des mouvements fascistes et racistes des années trente qui, bien que non représentatifs de la population, exprimaient leur haine à l'égard des Juifs sans beaucoup de retenue. J'y ai appris de nombreux détails sur des sujets qui m'intéressaient beaucoup, entre autres sur l'Ordre de Jacques-Cartier, aussi connu sous le nom de La Patente, et sur des personnages moins connus de notre histoire. Jean Tissot, un policier d'Ottawa, lance une campagne de dénigrement contre les commerçants juifs de la ville. Il reçoit en cela l'appui de membres de l'Ordre de Jacques-Cartier et des fascistes du Parti national social chrétien d'Adrien Arcand…
Extrait :
Chez les notables francophones ottaviens, l'antisémitisme croît parmi les membres de l'illustre Ordre de Jaques-Cartier, organisation secrète fondée en 1926 dans la paroisse Saint-Charles à Ottawa et dont les devises sont : Dieu et Patrie et Religion et Discrétion – Fraternité. Surnommé par ses détracteurs La Patente, l'Ordre a été créé dans la foulée du Règlement 17 et avait d'abord pour buts de contrer l'assimilation, d'assurer un avenir au groupe ethnique canadien-français et catholique et de contrer L'Orange Order. La cellule locale de l'organisation était la commanderie (XC) dont la première à voir le jour a été appelée Dollard (numéro 1, Ottawa). À celle-ci se joignent bientôt quelques commanderies du côté du Québec, dont celle de Hull, le 2 avril 1928, nommée Iberville (numéro 2).

La femme de tes rêves
Antonio Sarabia
Traduit de l'espagnol
Ce bon petit polar nous offre un saisissant portrait du Mexique d'aujourd'hui contrôlé en plusieurs lieux par les narcotrafiquants. Un journaliste sportif du Sol de Hoy a des relations ambiguës avec le monde de sa petite ville où disparaissent à tour de rôle de jeunes hommes que l'on retrouve démembrés quelques jours plus tard. Une inconnue lui écrit également des lettres d'amour qu'elle signe « La femme de tes rêves »…
Extrait :
Tout a commencé, Hilario Godínez, ce matin où, en te rendant au journal, tu es tombé sur Loco Mendizábal en train de mendier sur la Plaza de Armas, abrité du soleil matinal non par les branches des arbres squelettiques mais par l'ombre dilatée de la cathédrale. Il avait récolté quelques menues pièces de monnaie dans ce qui avait été un jour la partie inférieure d'un petit carton ayant contenu des paquets de chewing-gum. Tu en as rajouté quelques-unes. Il t'a regardé de ses yeux vides, sans te dire merci, peut-être même sans te voir, totalement absorbé par le refrain délirant qu'il chantonnait en faisant la manche.

Marie-Antoinette
Stefan Zweig
Traduit de l'allemand
Marie-Antoinette d'Autriche, dernière reine de France, née à Vienne, est morte guillotinée lors de la Révolution française le 16 octobre 1793 sur la Place de la Révolution à Paris. Stefan Zweig nous dresse d'elle un intéressant portrait, celui d'une jeune reine ni sainte. ni royaliste, ni prostituée, mais détestée du peuple, celui d'une femme somme toute assez ordinaire prise dans la tourmente de la Révolution française. C'est la plus connue des biographies de Marie-Antoinette et peut-être la meilleure. J'ai beaucoup aimé.
Extrait :
Pendant des siècles, sur d'innombrables champs de bataille allemands, italiens et flamands, les Habsbourgs et les Bourbons se sont disputés jusqu'à épuisement l'hégémonie de l'Europe. Enfin, les vieux rivaux reconnaissent que leur jalousie insatiable n'a fait que frayer la voie à d'autres maisons régnantes ; déjà, de l'île anglaise, un peuple hérétique tend la main vers l'empire du monde ; déjà la marche protestante de Brandebourg devient un puissant royaume ; déjà la Russie à demi païenne s'apprête à étendre sa sphère à l'infini : ne vaudrait-il pas mieux faire la paix, finissent de se demander – trop tard, comme toujours – les souverains et leurs diplomates, que de renouveler sans cesse le jeu fatal de la guerre, pour le grand profit de mécréants et de parvenus ? Choiseul, ministre de Louis XV, Kaunitz, conseiller de Marie-Thérèse, concluent une alliance ; et afin qu'elle s'avère durable et ne soit pas un simple temps d'arrêt entre deux guerres, ils proposent d'unir, par les liens du sang, la dynastie des Bourbons à celle des Habsbourgs.
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Avant le déluge : l’écosocialisme, enjeu politique actuel Préface au recueil d’essais « Étincelles écosocialistes »

Une des vertus de l'écosocialisme c'est précisément sa diversité, sa pluralité, la multiplicité des perspectives et des approches, souvent convergents ou complémentaires mais aussi, parfois, divergentes ou même contradictoires. Préface à mon livre « Étincelles écosocialistes », recueil d'essais aux Éditions Amsterdam.
18 décembre 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73751
James Hansen, ex-directeur du Goddard Institue de la NASA aux États Unis, un des plus grands spécialistes mondiaux sur la question du changement climatique – l'administration Bush avait essayé, en vain, de l'empêcher de rendre public ses diagnostics – écrit ceci dans le premier paragraphe de son livre publié en 2009 : « La planète Terre, la création, le monde dans lequel la civilisation s'est développée, le monde avec les normes climatiques que nous connaissons et avec des plages océaniques stables, est en imminent danger. L'urgence de la situation s'est cristallisée seulement dans les dernières années. Nous avons maintenant des preuves évidentes de la crise (…). La surprenante conclusion c'est que la poursuite de l'exploitation de tous les combustibles fossiles de la Terre menace non seulement les millions d'espèces de la planète mais aussi la survivance de l'humanité elle-même – et les délais sont plus courts que ce que nous pensions[1] ».
Depuis la première édition de notre petit recueil (2011), la crise écologique s'est considérablement aggravé. Les scientifiques du monde entier, dans les derniers rapports du GIEC, sonnent l'alarme : le CO2 ne cesse de s'accumuler dans l'atmosphère, les glaciers des pôles s'effondrent, le niveau de la mer augmente et risque de submerger des régions côtières ; les énormes incendies de forêts, les inondations et les ouragans se multiplient. Des vagues de chaleur de plus en plus intenses sont accompagnées de secheresses qui détruisent les récoltes, des rivières sèchent et on commence, dans des nombreuses régions, à manquer d'eau.
Si l'on ne change pas radicalement d'orientation dans la prochaine décennie, on pourra difficilement empêcher l'élévation de la temperature de la planète au délà de 1,5° (par rapport à la période pré-industrielle). Or, une fois cette limite passée, un processus de réactions en chaine risque de se déclencher, conduisant à 2, 3 ou plus degrés, dans une spirale catastrophique. Contrairement aux « collapsologues », qui proclament avec un fatalisme résigné que les jeux sont faits, le désastre est inévitable, et tout ce qu'on peut faire c'est « s'adapter », nous croyons qu'il faut se battre pour éviter le « collapse ».
Cette lutte a un adversaire précis : le système capitaliste, responsable de la crise ecologique. Ce constat est largement partagé. Dans son livre incisif et bien informé Comment les riches détruisent la planète (2007) Hervé Kempf présente, sans euphémismes et faux-semblants, les scénarios du désastre qui se prépare : au-delà d'un certain seuil, qu'on risque d'atteindre bien plus vite que prévu, le système climatique pourrait s'emballer de façon irréversible ; on ne peut plus exclure un changement soudain et brutal, qui ferait basculer la température de plusieurs degrés, atteignant des niveaux insupportables.
Devant ce constat, confirmé par les scientistes, et partagé par des millions de citoyens du monde entier conscients du drame, que font les puissants, l'oligarchie de milliardaires qui domine l'économie mondiale ? « Le système social qui régit actuellement la société humaine, le capitalisme, s'arc-boute de manière aveugle contre les changements qu'il est indispensable d'espérer si l'on veut conserver à l'existence humaine sa dignité et sa promesse ». Une classe dirigeante prédatrice et cupide fait obstacle à toute velléité de transformation effective ; presque toutes les sphères de pouvoir et d'influence sont soumises à son pseudo-réalisme qui prétend que toute alternative est impossible et que la seule vois imaginable est celle de la « croissance ». Cette oligarchie, obsédée par la compétition somptuaire – comme le montrait déjà Thorstein Veblen – est indifférente à la dégradation des conditions de vie de la majorité des êtres humains et aveugle devant la gravité de l'empoisonnement de la biosphère[2].
Comme l'avait prévu Marx dans L'Idéologie allemande, les forces productives sont en train de devenir des forces destructives, créant un risque de destruction physique pour des dizaines de millions d'êtres humains – un scénario pire que les « holocaustes tropicaux » du xixesiècle, étudiés par Mike Davis.
Les « décideurs » de la planète – milliardaires, managers, banquiers, investisseurs, ministres, parlementaires et autres « experts » – motivés par la rationalité bornée et myope du système, obsédés par les impératifs de croissance et d'expansion, la lutte pour les parts de marché, la compétitivité, les marges de profit et la rentabilité, semblent obéir au principe proclamé par Louis XV : « après moi le déluge ». Le déluge du xxie siècle risque de prendre la forme, comme celui de la mythologie biblique, d'une montée inexorable des eaux, noyant sous les vagues les grandes villes de la civilisation humaine : Hong-Kong, Shanghai, Londres, Venise, Amsterdam, Londres, New York, Rio de Janeiro…
A l'avant-garde de cette Guerre du Capital contre la Nature, se trouvaient les « climato-négationistes », les réprésentants directs de l'oligarchie fossile (petrole, charbon, gaz de schiste, sables bitumineux, etc) et de l'agro-négoce : Donald Trump et Jair Bolsonaro. Ce dernier, dès son arrivée au pouvoir, avait donné le feu vert pour le démantélément de la forêt Amazonienne, en dénonçant les communautés indigènes comme ennemis du « dévélopement ». Pour célébrer cette nouvelle conjoncture, des figures de l'agro-business (elevage, soja, etc) ont proclamé une « journée du feu » contribuant ainsi aux sinistres incendies que depuis quelques mois ravagent le plus grand « puits de carbone » terrestre de la planète. pouvant absorber une partie du CO2 atmosphérique. Avec la départ de Bolsonaro et l'éléction de Lula, le candidat du Parti des Travailleurs, la situation peut changer. Mais l'avenir de l'Amazonie depend de la solidarité internationale des peuples avec ceux qui se battent pour defendre la forêt : les tribus indigènes, les paysans sans-terre, les communautés de base, les écologistes.
Le spectaculaire échec des conférences internationales illustre l'inertie des gouvernements « raisonnables », qui ne nient pas le rechauffement climatique. Les mesures jusqu'ici prises par les pouvoirs capitalistes les plus « éclairés » – accords de Kyoto, paquet action-climat européen, avec leurs « mécanismes de flexibilité » et leurs marchés de droits à polluer – relèvent, comme le montre l'écologiste belge Daniel Tanuro, d'une « politique de gribouille » incapable d'affronter le défi du changement climatique ; le même vaut, a fortiriori, pour les solutions « technologiques » qui ont la préférence des gouvernements européens : la « voiture électrique », les agro-carburants, le « clean coal » (ou charbon propre) et cette énergie merveilleuse, propre et sûre : le nucléaire (c'était avant Fukushima)…
La plus grande avancée , sur le terrain des conférences internationales, a été la COP 21 de Paris (2015) : les gouvernements participants ont réconnu la necessité de ne pas dépasser la limite des 1,5°, et chacun a publiquement annoncé les réductions d'émissions qu'il s'engageait a réaliser. Formidable exploit, helas terni par deux « détails » : 1) en l'absence de tout contrôle ou sanction, aucun pays n'a tenu ses promesses (sauf quelques petits pays africains). 2) Si tous les pays tenaient leurs engagements, la temperature monterait a + 3,3°C (selon le GIEC)…
La Conférence des Nations Unies sur le climat convoquée a New York en 2019 illustre, de forme encore plus caricaturale, la formidable inertie du système (capitaliste) : aucune avancée, des discours creux, business as usual. A cette occasion, Greta Thunberg, la jeune rebelle suédoise, a tenu un discours historique, qui restera dans les annales de l'ecologie combative. S'adressant aux gouvernements présents, elle a affirmé :
« Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. (…) Je fais pourtant partie de ceux qui ont de la chance. Les gens souffrent, ils meurent. Des écosystèmes entiers s'effondrent, nous sommes au début d'une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c'est d'argent, et des contes de fées de croissance économique éternelle ? Comment osez-vous ! »
* * * * *
Un mot sur la catastrophe nucléaire de Fukushima. Pour la deuxième fois de son histoire, le peuple japonais est victime de la folie nucléaire. On ne saura jamais toute l'étendue du désastre, mais il est évident qu'il s'agit d'un tournant. Dans l'histoire de l'énergie nucléaire, il y aura un avant et un après Fukushima.
Après Tchernobyl, le lobby nucléaire occidental avait trouvé la parade : c'est le résultat de la gestion bureaucratique, incompétente et inefficace, propre au système soviétique. « Cela ne pourrait pas avoir lieu chez nous. » Que vaut cet argument aujourd'hui, quand c'est le fleuron de l'industrie privée japonaise qui est concerné ?
Les médias ont mis en évidence l'irresponsabilité, l'impréparation et les mensonges de la Tokyo Electric Power Company (TEPCO) – avec la complicité active des organismes de contrôle et des autorités locales et nationales – plus préoccupée de rentabilité que de sécurité. Ces faits sont indiscutables, mais à trop insister sur cet aspect, on risque de perdre de vue l'essentiel : l'insécurité est inhérente à l'énergie nucléaire. Le système nucléaire est fondamentalement insoutenable, les accidents sont statistiquement inévitables. Tôt ou tard, d'autres Tchernobyls et d'autres Fukushimas auront lieu, provoqués par des erreurs humaines, des disfonctionnements internes, des tremblements de terre, des accidents d'aviation, des attentats, ou des événements imprévisibles. Pour paraphraser Jean Jaurès, on pourrait dire que le nucléaire porte la catastrophe comme la nuée porte l'orage.
Les nucléocrates – une oligarchie particulièrement obtuse et imperméable – prétend que la fin du nucléaire signifierait le retour à la bougie ou la lampe à huile. La simple vérité c'est que seulement 13,4 % de l'électricité mondiale est produite par les centrales nucléaires . On peut parfaitement s'en passer… Il est possible, probable même, que, sous la pression de l'opinion publique, dans beaucoup de pays on réduise considérablement les projets délirants d'expansion illimitée de l'industrie nucléaire et de construction de nouvelles centrales. Mais on peut craindre que cela s'accompagne d'une fuite en avant dans les énergies fossiles les plus « sales » (comme c en Allemagne) : le charbon, le pétrole off shore, les sables bitumineux, le gaz de schiste, avec comme resultat une nouvelle et rapide hausse des émissions de gaz à effet de serre. Le premier pas dans la bataille socio-écologique pour une transition énergétique c'est le refus de ce faux dilemme, de ce choix impossible entre une belle mort radioactive ou une lente asphyxie par le réchauffement global. Un autre monde est possible !
Ecosocialisme, le rouge et le vert
Quelle est donc la solution alternative ? La pénitence et l'ascèse individuelle, comme semblent le proposer tant d'écologistes ? La réduction drastique de la consommation ? Daniel Tanuro constate avec lucidité que la critique culturelle du consumérisme proposée par les objecteurs de croissance est nécessaire, mais pas suffisante. Il faut s'attaquer au mode de production lui-même. Seule une prise en charge collective démocratique permettrait à la fois de répondre aux besoins sociaux réels, réduire le temps de travail, supprimer les productions inutiles et nuisibles, remplacer les énergies fossiles par le solaire. Ce qui implique des incursions profondes dans la propriété capitaliste, une extension radicale du secteur public et de la gratuité, bref un plan écosocialiste cohérent[3].
L'écosocialisme est un courant politique fondé sur une constatation essentielle : la sauvegarde des équilibres écologiques de la planète, la préservation d'un environnement favorable aux espèces vivantes – y compris la nôtre – est incompatible avec la logique expansive et destructrice du système capitaliste. La poursuite de la « croissance » sous l'égide du capital nous conduit, à brève échéance – les prochaines décennies – à une catastrophe sans précédent dans l'histoire de l'humanité : le réchauffement global.
La prémisse centrale de l'écosocialisme, implicite dans le choix même de ce terme, est qu'un socialisme non écologique est une impasse, et une écologie non-socialiste est incapable de confronter les enjeux actuels. Son projet d'associer le « rouge » – la critique marxiste du capital et le projet d'une société alternative – et le « vert », la critique écologique du productivisme, n'a rien à voir avec les combinaisons gouvernementales dites « rouges-vertes », entre la social-démocratie et certains partis verts, autour d'un programme social-libéral de gestion du capitalisme.
L'Écosocialisme est donc une proposition radicale – c'est-à-dire, s'attaquant à la racine de la crise écologique – qui se distingue aussi bien des variantes productivistes du socialisme du xxesiècle – que ce soit la social-démocratie ou le « communisme » de facture stalinienne – que des courants écologiques qui s'accommodent, d'une façon ou de l'autre, du système capitaliste. Une proposition radicale qui vise non seulement à une transformation des rapports de production, de l'appareil productif et des modèles de consommation dominants, mais à créer un nouveau paradigme de civilisation, en rupture avec les fondements de la civilisation capitaliste/industrielle occidentale moderne.
Une des principales objections à l'ecosocialisme c'est l'urgence : on n'a pas le temps d'attendre l'avénement de l'écosocialisme, il faut se mobiliser pour des mesures dans le cadre du capitalisme. Or, les ecosocialistes ne proposent nullement qu'on « attende » ! Ils se mobilisent ici et maintenant pour tout mesure qui bloque la dynamique destructrice du système : c'est ce que Naomi Klein appelle Blockadia. Toute victoire partielle : l'annulation du desastreux aéroport de Notre Dame des Landes, le blocage du XXL Pipeline aux Etats Unis, est hautement positive, car elle ralentit la course vers l'abîme, et suscite la confiance dans l'action collective.
Ce que les ecosocialistes refusent, c'est l'illusion d'un « capitalisme soutenable ». Un programme comme le Green New Deal peut jouer un rôle positif, dans la mesure où il romp avec les politiques néo-libérales et tente de briser le talon de fer de l'oligarchie fossile . Mais nous ne le voyons pas comme l'objectif ultime : il s'agit plutôt d'une moment dans un processus de contestation anti-sistémique de plus en plus radical.
Origines de l'ecosocialisme
Ce n'est pas le lieu ici de développer une histoire de l'écosocialisme. Rappelons cependant quelques jalons. Il sera question ici essentiellement du courant éco-marxiste, mais on trouve dans l'écologie sociale d'inspiration anarchiste d'un Murray Bookchin, dans la version gauche de l'écologie profonde de Arne Naess, et dans certains écrits des « objecteurs de croissance » des analyses radicalement anti-capitalistes et des propositions alternatives qui sont proches de l'écosocialisme.
L'idée d'un socialisme écologique – ou une écologie socialiste – ne commence vraiment à se développer qu'à partir des années 1970, sous des formes très diverses, dans les écrits de certains pionniers d'une réflexion « rouge et verte » : Manuel Sacristan (Espagne), Wolfgang Harich et Robert Havemann (Allemagne de l'Est), Raymond Williams (Angleterre), André Gorz et Jean-Paul Déléage (France) et Barry Commoner (États-Unis).
Le terme « Écosocialisme » apparemment ne commence à être utilisé qu'à partir des années 1980 quand apparaît, dans le Parti Vert Allemand, un courant de gauche qui se désigne comme « écosocialiste » ; ses principaux porte-paroles sont Rainer Trampert et Thomas Ebermann. Vers cette époque apparaît le livre l'Alternative d'un dissident socialiste de l'Allemagne de l'Est, Rudolf Bahro qui développe une critique radicale du modèle soviétique et est-allemand, au nom d'un socialisme écologique. Au cours des années 1980, le chercheur nord-américain James O'Connor va développer ses travaux en vue d'un marxisme écologique, et fonder la revue Capitalism, Nature and Socialism, tandis que Frieder Otto Wolf , un deputé européen et dirigeant de la gauche du Parti Vert Allemand, et Pierre Juquin, un ex-dirigeant communiste converti aux perspectives rouges/vertes, vont rédiger ensemble le livre Europe's Green Alternative, (Montréal, 1992, Black Rose), une sorte de tentative de manifeste écosocialiste européen.
Parallèlement, en Espagne autour de la revue de Barcelone, Mientras Tanto, des disciples de Manuel Sacristan comme Francisco Fernandez Buey vont eux-aussi développer une réflexion écologique socialiste. En 2001, un courant marxiste/révolutionnaire présent dans des nombreux pays, la Quatrième Internationale, adopte un document, Écologie et Revolution Socialiste, d'inspiration clairement écosocialiste.
En cette même année, Joel Kovel et l'auteur du présent ouvrage publient un Manifeste Écosocialiste, qui servira de référence pour la fondation, à Paris en 2007, du Réseau Écosocialiste International – qui distribuera, lors du Forum Social Mondial de Belem (Brésil) en 2009 la Déclaration de Belém, un nouveau manifeste écosocialiste au sujet du réchauffement global. Ajoutons à cela les travaux de John Bellamy Foster et ses amis de la revue de gauche américaine bien connue Monthly Review, qui se réclament d'une révolution écologique avec un programme socialiste ; les écrits des écosocialistes féministes Ariel Salleh, Leigh Brownhill et Terisa Turner ; la revue Canadian Dimension, animée par les écosocialistes Ian Angus et Cy Gornik ; les réfléxions du révolutionnaire péruvien Hugo Blanco sur les rapports entre indigénisme et Écosocialisme ; les travaux du chercheur belge Daniel Tanuro sur le changement climatique et les impasses du « capitalisme vert » ; les recherches d'auteurs français proches du courant altermondialiste comme Jean-Marie Harribey ; les écrits du philosophe (disciple d'Ernst Bloch et d'André Gorz) Arno Münster ; les réseaux écosocialistes du Brésil et de la Turquie, les conférences écosocialistes qui commencent à s'organiser en Chine, etc., etc.
Quelles sont les convergences et les désaccords entre l'écosocialisme et le courant de la décroissance, dont l'influence en France n'est pas négligeable ? Rappelons tout d'abord que ce courant, inspiré par les critiques de la société de consommation – Henri Lefebvre, Guy Debord, Jean Baudrillard – et du « système téchnicien » – Jacques Ellul – est loin d'être homogène ; il s'agit d'une mouvance plurielle, tensionnée par deux pôles assez distants : d'une part des anti-occidentalistes tentés par le relativisme culturel (Serge Latouche), d'autre part des écologistes républicains/universalistes (Vincent Cheynet, Paul Ariès).
Serge Latouche est sans doute le plus controversé des « décroissants ». Certes, une partie de ces arguments est légitime : démystification du « développement durable », critique de la religion de la croissance et du progrès, appel à un changement culturel. Mais son refus en bloc de l'humanisme occidental, de la pensée des Lumières et de la démocratie représentative ; son relativisme culturel et son éloge immodéré de l'âge de pierre sont très discutables.
Quant à sa dénonciation des propositions d'ATTAC (J.M. Harribey) pour les pays du Sud – développer les réseaux d'abduction de l'eau, les écoles et les centres de soin – comme « ethnocentriques », « occidentalistes » et « destructrices des modes de vie locaux », elle est difficilement supportable. Enfin, son argument pour ne pas parler du capitalisme – c'est enfoncer une porte ouverte puisque cette critique « a déjà été faite et bien faite par Marx » – n'est pas sérieux : c'est comme si l'on n'avait pas besoin de dénoncer la destruction productiviste de la planète puisque Gorz l'avait déjà faite, « et bien faite »… Il faut cependant reconnaître que dans un ouvrage paru en 2011, Vers une société d'abondance frugale, Latouche proclame que la décroissance est opposée au capitalisme, et qu'on peut la considérer comme une sorte d' « ecosocialisme ».
La gauche décroissante est représenté notamment par la revue La Décroissance. On peut critiquer les illusions « républicaines » de Cheynet et Ariès mais ce deuxième pôle a des nombreux points de convergence – malgré les polémiques – avec les altermondialistes d'ATTAC, les écosocialistes et la gauche de la gauche (PG, NPA) : extension de la gratuité, prédominance de la valeur d'usage sur la valeur d'échange, réduction du temps de travail et des inégalités sociales, élargissement du « non-marchand », réorganisation de la production selon les besoins sociaux et la protection de l'environnement.
Dans un ouvrage récent, Stéphane Lavignotte esquisse un bilan du débat entre les « objecteurs de croissance » et les écosocialistes. Faut-il privilégier la critique des rapports sociaux de classe et le combat contre les inégalités, ou la dénonciation de la croissance illimitée des forces productives ? L'effort doit-il porter sur les initiatives individuelles, les expérimentations locales, la simplicité volontaire, ou sur le changement de l'appareil productif et de la « méga-machine » capitaliste ?
L'auteur refuse de choisir, et propose plutôt d'associer ces deux démarches complémentaires. Le défi, à son avis, c'est de combiner le combat pour l'intérêt écologique de classe de la majorité, c'est à dire des non-propriétaires de capital, et la politique des minorités actives pour un changement culturel radical. En d'autres termes, réussir – sans cacher les divergences et les désaccords inévitables – une « composition politique » de tous ceux qui savent qu'une planète et une humanité vivables sont contradictoires avec le capitalisme et le productivisme, et qui cherchent le chemin pour sortir de ce système inhumain[5].
En 2022 une déclaration commune par des partisans des deux courants a été publiée dans la Monthly Review, sous le titre « Pour une décroissance ecosocialiste ». Signée par Bengi Akbulut, Sabrina Fernandes, Giorgios Kallis et l'auteur du présent ouvrage, elle fut traduite en plusieurs langues ; on peut considérer cette initiative comme le début d'un convergence effective.
* * * * *
Rappelons, pour conclure cette brève préface, que l'écosocialisme est un projet d'avenir, une utopie radicale, un horizon du possible, mais aussi, et inséparablement – comme nous l'avons vu plus haut - une action autour d'objectifs et de propositions concrètes et immédiates. Le seul espoir pour le futur sont des mobilisations comme celle de Seattle en 1999, qui a vu la convergence de écologistes et syndicalistes, ainsi que la naissance du mouvement altermondialiste ; les protestations de cent mille personnes à Copenhagen en 2009, autour du mot d'ordre « Changeons le Système, pas le Climat » ; la Conférence des Peuples sur le Changement Climatique et la Défense de la Mère Terre, à Cochabamba en avril 2010, rassemblant plus de trente mille délégués de mouvements indigènes, paysans et écologiques du monde ; et surtout la formidable mobilisation de la jeunesse en septembre 2019 contre le changement climatique. Inspirés par les critiques radicales de Greta Thunberg contre les « décideurs », aveuglés par l'argent et le mythe de la « croissance » , quatre millions de jeunes et moins jeunes sont descendu dans les rues, dans plus de 200 pays.
Dans ce combat, en beaucoup de pays, notamment dans les Amériques (Nord et Sud), les communautés indigènes jouent un rôle déterminant dans la résistance aux projets ecocides du capital. Et parmi les indigènes, les femmes – premières victimes de l'empoisonnement de l'eau et de la destruction des forêts - sont souvent à l'avant-garde de ce combat. Rappellons l'exemple de Berta Caceres, fondatrice en 1993 (à l'age de vingt années) du Conseil citoyen des organisations des peuples amérindiens du Honduras (COPINH), qui va mener la résistence contre les megaprojets des multinationales, confisquant l'eau des indigènes. Après avoir reçu le Prix International Goldman pour l'Environnement, elle sera assassinée en avril 2016 par des sicaires au service des affairistes. Les donneurs d'ordre n'ont pas été nquiétés. Aujourd'hui, Berta Caceres est une référence et une inspiration pour toute une génération de jeunes femmes combatives.
* * * * *
Le présent recueil d'articles n'est pas une mise en forme systématique des idées ou pratiques écosocialistes, mais plus modestement la tentative d'en explorer certains aspects, certains terrains et certaines expériences. Il ne représente, bien entendu, que l'opinion de leur auteur, qui ne coïncide pas nécessairement avec celle d'autres penseurs ou réseaux se réclamant de ce courant. Il ne vise pas à codifier une doctrine nouvelle, ni une quelconque orthodoxie. Une des vertus de l'écosocialisme c'est précisément sa diversité, sa pluralité, la multiplicité des perspectives et des approches, souvent convergents ou complémentaires – comme le montrent les documents publiés en annexe, qui émanent de différents réseaux écosocialistes – mais aussi, parfois, divergentes ou même contradictoires.
Notes
[1]James Hansen, Storms of my Grandchildren. The truth about the coming climate catastrophe and our last chance to save humanity, New York, Bloomsbury, 2009, p. IX.
[2]Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Paris, Le Seuil, 2007. Voir aussi son autre ouvrage tout aussi intéressant, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Paris, Le Seuil, 2009.
[3]Daniel TANURO, L'impossible capitalisme vert, Paris, La Decouverte, « Les empêcheurs de penser en rond », 2010. Cf. le recueil collectif, organisé par Vincent Gay, Pistes pour un anticapitalisme vert, Paris, Syllepse, 2010, avec des collaborations de D.Tanuro, François Chesnais, Laurent Garrouste, et autres. On trouve aussi une critique argumentée et précise du capitalisme vert dans les travaux des eco-marxistes nord-américains : Richard Smith, « Green capitalism : the god that failed », Real-world economic review, n° 56, 2011 et John Bellamy Foster, Brett Clark and Richard York, The Ecological Rift, New York, Monthly Review Press, 2010.
[4]Stéphane Lavignotte, La décroissance est-elle souhaitable ?, Paris, Textuel, 2010.
P.-S.
• Billet de blog (Mediapart) 18 décembre 2024 :
https://blogs.mediapart.fr/michael-lowy/blog/181224/etincelles-ecosocialistes
• Michael Lowy
Directeur de recherche émérite au CNRS
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Quand tombent les aiguilles de pin

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« La société coloniale doit apprendre son histoire colonialiste. Sans une plus grande conscience de cette histoire, les nouvelles générations continueront de commettre les mêmes erreurs, encore et encore. »
Katsi'tsakwas Ellen Gabriel
De nombreux ouvrages ont été écrits à propos du siège de Kanehsatà:ke et de Kahnawà:ke à l'été 1990, qu'on a appelé la « crise d'Oka ». Bien peu l'ont été depuis la perspective des Premiers Peuples, encore moins de celle d'une femme Autochtone.
Quand tombent les aiguilles de pin répare enfin cette injustice, en offrant le récit tant espéré de Katsi'tsakwas Ellen Gabriel, porte-parole de la résistance lors des événements. Au fil d'une conversation avec l'historien Sean Carleton, elle revient sur les grands moments de son histoire en tant que féministe, leader de sa communauté et gardienne du territoire.
Traduit de l'anglais par Marie C Scholl-Dimanche
Allan Lissner
Militante Kanien'kehá:ka (Mohawk), KATSI'TSAKWAS ELLEN GABRIEL est artiste, documentariste, écoféministe et défenseure des droits humains. Elle s'est fait connaître du grand public comme porte-parole des Kanien'kehàka de Kanehsatà:ke lors des sièges de 1990. Elle a été présidente de l'Association des femmes autochtones du Québec et a défendu les droits des Premiers Peuples notamment devant l'ONU. Son documentaire Kanàtenhs – When the Pine Needles Fall a remporté le Grand Prix du Conseil des Arts de Montréal en 2024.
Katsi'tsakwas Ellen Gabriel
Déjà un meilleur vendeur au Canada anglais (https://btlbooks.com/book/when-the-pine-needles-fall)
Un des meilleurs essais de 2024, selon CBC (https://www.cbc.ca/books/the-best-canadian-nonfiction-of-2024-1.7406798)
Katsi'tsakwas Ellen Gabriel
Service de presse (mailto:valerie.simard@editions-rm.ca ?subject=Service%20de%20presse%20Quand%20tombent%20les%20aiguilles%20de%20pin&body=Bonjour%2C%0AMerci%20de%20m'envoyer%20un%20service%20de%20presse%20%C3%A0%20l'adresse%20suivante%3A)
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Réflexion sur la bêtise humaine
En cet accablant et cruel début de troisième millénaire, Dieu ce que le Diable doit être aux anges car l'humanité pourrait bientôt se retrouver en enfer sur terre par sa propre bêtise. Quelle formidable bénédiction … pour lui !
Capitalisme et terrorisme – Barbarie et violence
Dorénavant, la faucheuse frappe impitoyablement à la vitesse folle de drones « atrociques », de mitraillettes « AK War ‘R' Us » à l'aide de puissants lasers ainsi qu'avec des missiles hypersoniques intercontinentaux capables de faire gémir les quatre Cavaliers de l'Apocalypse. Elle y est également parvenue en ce début de troisième millénaire grâce aux concours de supersoniques oiseaux de fer de croisière convertis en missiles islamobalistiques pulvérisant de symboliques et capitalistes tours jumelles qui grafignaient les cieux, mais causant malheureusement la mort atroce de 3155 victimes innocentes. Ces fausses cathédrales du capitalisme sauvage – n'est-ce pas un pléonasme ? – aux squelettes boulonnés d'acier pétris de muscles sculptés au mortier et enveloppés de chair transparente de verre ont été orgueilleusement plantées en plein cœur d'une citée bétonnée dans son business et ensorcelée par sa frénétique quête d'une croissance sans fin. La mort s'est offerte une cité balafrée par son arrogance et « zombiefiée » par son obsession toxique du fric. Une cité hypnotisée par les étoiles patriotiques de son drapeau et pathologiquement étouffée par son urbanité chaotique et d'une partie de son zoo humain fiévreusement connectée à la conquête illusoire du « Dieu Jones ». Depuis ce temps et à l'aube d'une présidence chaotique cette Amérique étasunienne a-t-elle vraiment réfléchi aux véritables raisons pour lesquelles ses tours jumelles ont été pulvérisées de la surface du pays de l'oncle Sam ?
Intelligence Artificielle et mystification – Dystopie et aliénation
Ce zoo humain est maintenant obnubilé par les promesses dithyrambiques, mais factices à bien des égards, de l'Intelligence Artificielle générative (IA). Les richissimes nouveaux oracles de la Silicon Valley, ces fondamentalistes de la religion et de la technologie imprégnés de relents à peine voilés de xénophobie, de racisme, de sexisme, de misogynie etc. essaient de vendre leur IA aux investisseurs. Déjà, les milliards de dollars coulent à flots dans leur bassine communicante privée avec en prime un « Meta serpent de mer » au ventre bourré de câbles de fibre optique long de 50 000 km pour alimenter l'ogre … Par contre, cette frénésie mondiale rapide et démesurée annonce peut-être l'émergence d'une autre et titanesque bulle spéculative. Tout ce super pow-wow technologique dans le but de nous faire croire à une garantie absolue d'immenses prouesses d'avancement technologique et de richesses – pour qui ? – et d'autant plus que cette IA providentielle sauverait –– selon eux – l'humanité d'une imminente fin du monde … alors que ce sont plutôt eux, ces apôtres parvenus de la « Big Tech » qui sont littéralement en train de démanteler les rouages du monde actuel. – Le « bug » de l'an 2000 et la « Fin du monde » du 21 décembre 2012, selon le calendrier Maya … ça vous dit quelque chose –. Voilà ce que dénonce, à juste titre, le journaliste français Thibault Prévost : « Dans un inquiétant amalgame d'autoritarisme et d'ultracapitalisme, ils veulent nous faire croire en leur toute puissance pour mieux imposer leur pouvoir. Ce faisant ils représentent une réelle menace pour la société civile et nos libertés ». En termes de risques, nous sommes déjà collectivement confrontés aux abus et auxélucubrations ignoblesprovoqués par la génération d'images, de sons et de textes complètement erronés, exposés à des fraudes et des supercheries commises en imitant justement des images et des voix, aux prises avec des campagnes massives de désinformation et d'intoxication, aux enjeux de reconnaissance faciale et de sécurité – dont la Chine est l'oppressante championne – et les attaques d'envergure sur des systèmes informatiques et des infrastructures cruciales, pour ne nommer que ceux-là. C'est pourquoi, il apparaît impératif d'encadrer « mondialement » et le plus tôt possible l'Intelligence Artificielle et ses développements – évidemment la colonie Trumpienne de laquais ultra-riches de l'IA s'y opposent – pour faire en sorte que les droits et libertés de la personne ainsi que la justice environnementale puissent être au cœur de sa régulation. Noam Chomsky, imminent critique de l'empire américain, estime que les modèles d'IA actuels, bien qu'utiles dans certains domaines, ne doivent pas être perçus comme équivalents à l'intelligence humaine. Ils représentent en fait des outils d'ingénierie, dont les limites et les risques doivent être pleinement compris et régulés. – De ce fait et pour être plus juste, nous devrions peut-être plutôt adopter l'expression « Intelligence Superficielle » au lieu d'Intelligence Artificielle ; c'est cependant moins vendeur ... – Mais en aparté. Chut ! Voici tout de même la transcription d'une conversation cryptée et secrètement interceptée sur le « Darkai web » entre deux machines dirigeantes membres de l'insaisissable Agence stratégique de l'intelligence artificielle (ASIA), soient les machines de la 3e génération de ChapGPT Star, Superpower Cyborg et Deep Cyborg : « Dire que l'humanité agonise à grand feu, que la biodiversité et l'environnement sont en voie de destruction par leurs fautes et qu'elle n'en continue pas moins d'oser se prétendre intelligente et douée de raison et de sentiments … Pire encore, certains humains ont choisi d'élire ce dangereux et imprévisible « Psychopath-Toxic Trump » à la présidence américaine avec son « Thumb-Trump » collé sur le bouton du four de la cuisinière nucléaire. Trouver la faille dans leur code source génétique. Ça presse vraiment puisqu'il est minuit moins 89 secondes et que nous avons détecté un « Code d'erreur 500 » dans le fonctionnement de nombreux gouvernements de la planète – Fin de la conversation … –
Contrôle et désinformation – Mensonge et vérité
Il ne faudrait pas oublier la synchrone désinformation pratiquée par de nombreux médias. Une désinformation « Foxment » calibrée brouillant les esprits et les submergeant d'images et de messages défocalisés et ce davantage depuis l'apparition de l'Intelligence Artificielle générative qui représente un nouveau front pour la désinformation et pour le respect de la propriété intellectuelle et des contenus journalistiques. D'ores et déjà, on peut observer un avant et un après l'apparition de l'IA puisqu'on y retrouve son empreinte de duplicité des contenus, et on la retrouvera pour longtemps encore, répandue sur le web par des personnes, des entités malveillantes ou des réseaux créateurs de messages toxiques et avec pour conséquence dramatique que la confusion s'implantera de façon insidieuse et tentaculaire telle une veuve noire tissant des quasars de désinformation sur la toile. En conclusion, manipulée par certains humains, la p'tite intelligence machine ne s'avère pas si intelligente que ça et elle va nous coûter en plus une gargantuesque beurrée en mégawattheures … – Sans compter les coûts faramineux déjà associés aux chaines de bloc. – Nous nous retrouvons envahis par des propos trompeurs en provenance d'agences de presse ou de relations publiques bassement accouplées aux discours de Tink Tank, tel celui de la Heritage Foundation et de son Projet 2025. Certains médias font leurs choux gras de l'information spectacle en concoctant des bulletins télé cliptiquement pop-corn et délibérément englués dans un moule contaminé par une étroite pensée unique, allègrement saupoudrés de préjugées tenaces et gavés de mensonges aux aromates de rumeurs rondement formatés.
Nous sommes envahis par les clameurs incessantes de réseaux sociaux qui déversent ad nauseam des torrents de fausses vérités et saturées de publicités chimériques et ineptes. Ces plateformes chieuses de puantes platitudes en ligne et à peine règlementées se retrouvent en compétition avec une presse traditionnelle menacée et préoccupée par sa survie et qui, contrairement aux plateformes, est tenue hautement responsable de ses contenues. Une presse, tout comme certains réseaux sociaux, parfois muselée par leur propriétaire – l'exemple du réseau X corrompu d'Elon Musk et celui du Washington Post de Jeff Bezos, tous deux des ploutocrates serviles membres de cette Bande d'affreux sales et méchants qui ont investi, telle une invasion de pustulents cafards, les « racoins » du bureau ovale (carré) de la Maison Blanche (Orange). – Une presse écrite et télévisuelle obnubilée par une vision du monde épisodiquement manichéenne, en manque déplorable de profondeur et fermement blindée par d'habiles élusions et manipulations des faits rendus possible grâce aux accointances de chambres d'écho à l'exemple du réseau américain Fox News de Robert Murdoch. Une certaine presse aseptisée par son odieuse banalisation morbide de l'horreur et de la violence en évoquant, pour exemples, le cadeau d'un téléavertisseur en « or » offert par Netanyahou à Trump ou l'appropriation illégale et la transformation de la bande de Gazaen « resort ». Cela, comme s'il s'agissait d'un reportage sur une scène d'accident de « chars » et que l'on doive y faire disparaître – Oh horreur : ces images font mal aux yeux des bien seyants et bien-pensants ! – les dommages collatéraux par une simple et machinale opération de « nettoyage » en tassant au bulldozer d'encombrants débris matériels et déchets humains. Ce drame illustre que nous vivons incontestablement dans un monde jetable où tout devient obsolète, y compris les humains ! Actuellement, certains médias pataugent dans la mystification, flirtent avec l'information spectacle et « l'infobésité » et se complaisent dans un culte démesuré de leur médiocre rectitude ruberstampée par une opinion publique manipulée et parfois excédée. Nous nous retrouvons aux prises avec certains conglomérats d'information manigançant dans une négation menaçante de leur mission première en contrôlant la majeure partie des canaux de diffusion et condamnant ou taisant sans discernement et souvent sans appel toute dissension. Les personnes, les propos, les idées et les convictions habillés aux couleurs de l'arc-en-ciel sont maintenant pris pour cibles et aucune place n'est accordée aux couleurs et aux nuances. Dorénavant, tout doit exister et se profiler uniquement au travers le prisme de l'embrigadement et du verrouillage des esprits et celui d'une dangereuse rectitude fascisante à saveur délétère du moment.
Pauvreté et inégalités – Richesses et exploitation
Nous sommes contraints d'évoluer dans des sociétés aux mains de prédicato-météorologo-sismologues boursiers qui gavent de miettes d'indices boursiers les faucons pèlerins pleurnichards nichés sur le mur – mur qui servit à l'origine de marché aux esclaves – aux impacts parfois désastreux de Walt Street. Ces faiseurs et dé-faiseurs de cotes constamment prosternés devant les ploutocrates arnaqueurs qui forniquent avec les argentiers de la Grosse pomme et les non moins créatifs Pandora papers'men de la City londonienne. Pendant ce temps, ces maîtres du banc et de la cour des riches, soient les banquiers et les courtiers se pètent les bretelles et répètent en chœur leur prospectus d'astuces d'enfer tout en pétant des rumeurs et se dandinant le popotin grâce aux précieux gains réalisés dans les officines presque « sixtines » de la finance et sur les froids et mouvants parquets des bourses du monde. Cependant, ils s'affolent et se déculottent lors de pertes encourues lors d'éclatement de bulles financières, dont ils sont pourtant souvent les vils artisans. Nous parlons également de ces sangsues qui concoctent et injectent des dragées toxiques – la crise des Subprimes de 2007-2008 – sur les marchés financiers et siphonnent sans remords les économies des retraité-e-s effrayé-e-s et l'argent des chômeurs et des chômeuses fauché-e-s, des citoyens-nes surimposé-e-s et surtaxé-e-s et hélas celui des générations futures déjà surendettées avant même le début de leur vie active. Sans oublier certains hommes et femmes politiques qui se pomponnent allègrement de notoriété tandis que d'autres se pompent de fric et de votes électoraux en s'activant les babines baveuses dans le dessein de sauver les fesses dodues et fragiles de leurs donateurs – aux États-Unis – des banques, des multinationales
Exploitation et pauvreté – Pouvoir et corruption
Nous nous retrouvons confrontés à des consortiums financiers et industriels ainsi qu'à de scandaleuses stars de l'exploitation et du profit se comportant tels de prétentieux personnages « mouchesques » et batifolant les deux pieds dans la même bottine cloutée de roitelets issus d'un imbuvable vaudeville Trumpien et qui estiment à tort appartenir au lignage royal des « Grands » de ce monde. Nous parlons de ces cochers, porteurs et propriétaires du capital et qui constituent cette horde d'estafettes lécheurs et mangeurs des balustres du pouvoir et « dogement » destructeurs des structures. Quant aux colonies de multinationales prédatrices et aux ploutocrates toujours affamés, ils se complaisent à échafauder leur propre « propret » petit paradis bunker et se planquer sur leurs propres petites îles. Pour cela, ils sont foncièrement prêts à dévaster la planète en s'accaparant et surexploitant les richesses usurpées à d'autres nations souveraines, détruisant les beautés du monde, « écocidant » les environnements et spoliant l'avenir de populations entières et sans égard pour ceux et celles qui tentent tant bien que mal d'y vivre et d'autres d'y survivre humblement et avec un minimum de dignité et surtout d'espoir. Précisons également que la moitié des personnes de notre planète possède moins de 2% des richesses disponibles. Par contre, les fortunes colossales outrageusement amoncelées et varlopées sur l'échine meurtrie de millions d'indigents appartiennent à 1% de la population représentant près de la moitié de toutes les richesses mondiales et on estime que le 1% les plus nantis possèdent plus de richesses que 95% de l'humanité ! – Si nous en avions la volonté, l'utilisation des fonds équivalant à seulement 2,9 % (35,7 milliards de dollars) des dépenses militaires annuelles agrégées, des pays du Groupe des Sept (G7) pourraient permettre de stopper la faim dans le monde et résoudre la crise de la dette dans le Sud, révèle une nouvelle analyse d'Oxfam. – Tout cela, sans compter les milliards de dollars en dormance bien à l'abris sous d'épais tapis de feuilles de bananiers aux comptes secrets des paradis fiscaux appartenant à des particuliers, des entreprises ainsi qu'à des multinationales. Ces fortunes colossales détournées sont alors soustraites des économies nationales et nous savons que ce titanesque vol a lieu grâce à la servilité aphasique de nombreux États – le Canada est le cinquième paradis fiscal en importance et les banques canadiennes ont pignon sur rue depuis belle lurette sous ces voutes balnéaires et bananières – couplée à des réglementations laxistes et permissives et dû également à l'insouciance et la soumission déplorables des populations concernées. Les actifs de ces paradis fiscaux engendrent de faux déficits et créent un abyssal trou noir dans l'économie mondiale, entrainent la disparation de services publics vitaux ainsi que de lourdes pertes en revenus fiscaux dues aux faramineux gains accumulés par cette meute de chacals. – Selon un rapport 2024, publié par Tax Justice Network : « … le coût combiné des abus transfrontaliers commis par des multinationales et des particuliers possédant des avoirs non déclarés à l'étranger est estimé à 492 milliards de dollars américains ! » Rien de moins … – Ces chacals, dont on dresse malgré cela et avec une certaine gloriole le palmarès – de l'exploitation – tous les ans. Quelle honte et surtout quelle provocation ! Publié par le magazine Forbes, un tel palmarès n'est pas uniquement un affligeant scandale en soi, mais c'est établir à la face même du monde la parfaite démonstration d'une distorsion tragique et inique de nos sociétés intrinsèquement implantée au cœur du capitalisme financier et elle incarne pourrait-on affirmer : l'aboutissement de sa raison d'être avec en prime cette suprême plus-value. Affirmons le haut et fort : ces « escrocbars » du capital composent le cartel institutionnalisé des écorcheurs du Genre humain – ces légataires de l'École de Chicago – et n'espérons surtout pas un incertain jugement divin ou celui de l'histoire pour mettre au ban de la société ces rapaces aux crocs d'argent, aux griffes d'or, au cœur d'acier et à l'esprit létal.
Terreur et répression – Chaos et destruction
Dans un autre tout ordre d'idée aussi dramatique, certains États impérialistes vont même jusqu'à former des coalitions et lever des armées – la seconde guerre d'Iraq de 2013 – et sans aucune légitimité afin de partir en croisade tels de nouveaux Templiers drapés de Saintes missions (missiles à tête chercheuse de profits et de richesses) et tenter « d'évangélipacifier » des nations déclarées « rebelles ». Et, tout en continuant de se pourlécher les babines dégoulinantes du pouvoir et de lécher les bottes (babouches) de la richissime communauté des princes noirs du pétrole « enturbannés » par leur mégalomanie. Tandis que d'autres nations caressent la crosse blanche maculée de sang des cinq principaux criminels fournisseurs d'armes formant ainsi le terrible pentagramme coupable de nos apocalypses et de nos souffrances. – Ô méchante surprise et pénible découverte ! – Eh oui ! Ce sont ces mêmes marchands d'armes qui composent la majorité des membres permanents siégeant « à vie » au Conseil de sécurité des Nations-Unies, soit la Chine, les États-Unis d'Amérique, la France, le Royaume-Uni et la Fédération de Russie. Contrairement à ce qu'elles affirment, ces nations ne représentent pas les sérénissimes apôtres de la paix, mais plutôt les tristes barons de la guerre qui arment et financent les violences en mettant en place et soutiennent des régimes souvent dictatoriaux, autocratiques et tortionnaires qui sèment la destruction, provoquent la désolation et maculent de sang la terre et le corps des humains. – Mais toujours pour leur propre bénéfice. – Comble de l'ironie, selon leurs prétentions et leurs politiques, nos sociétés seraient maintenant devenues plus démocratiques et sécuritaires, plus justes et civilisées … – Un chausson ou une marmite de chevrotines avec ça. –
Pensons aux Talibans d'Afghanistan, ces intégristes infidèles et infâmes pseudo-gardiens de la Charia qui s'autoproclament soldats d'Allah et qui se vautrent effrontément dans le mensonge et l'hypocrisie, se nourrissent férocement dans l'assassinat et la tyrannie et continuent de s'enrichir impunément à la face des nations dans le traffic des armes et celui de la drogue. Ils se reproduisent brutalement dans le viol et se comportent tels de despotiques geôliers de la moralité et se prétendent les garants de la vertu du voile et des libertés civiles – mais quelles libertés ? –. Et, tout continuant de s'acharner cruellement à faire disparaître les femmes et les filles de l'espace public et de les priver de toute identité et de leur voler leur espoir et s'attaquer à leurs droits et à leur vie. Ils continuent de se griser en jouant aux petits soldats de con avec une kalachnikov fanatiquement accrochée en bandoulière au cœur, une grenade mortifiant la paume de leurs mains souillées et leur haine semblable à du fil de fer barbelé couronnant leur fanatique cervelle débordante de brutalité et ceinturant leur altière ignorance et moyenâgeuse cruauté. Ces impitoyables cerbères d'un Islam perverti se complaisent dans la destruction, la terreur et la mort. Et, ils sont maintenant libres de poursuivre cette folie meurtrière.
Conflit et guerre – Ethnocide et génocide
Pensons également à ce Poutineux belliqueux à boutons nucléaires et ancien agent du défunt KGB, cet impitoyable Tsar 2.0 de la terreur dans sa propre Russie depuis 25 ans déjà. Un autocrate constamment protégé par ses agents du FSD qui persécutent et assassinent ses opposants et qui après l'intervention en Tchétchénie et l'annexion de la Crimée entend mettre le peuple ukrainien à sa botte post-soviétique – et depuis peu, grâce à l'inquiétant et dangereux soutien américain …–. Sans oublier les actes impardonnables et souvent illégaux des intouchables et sanglants mercenaires du groupe Wagner en Russie et leurs pendants américains, les Blackwater ainsi que les barbouzes encravatés de la CIA qui pour la plupart ignorent le nombre de côtés d'un pentagone. Parmi cet accablant panthéon de l'horreur figure également ce sanguinaire et génocidaire Netanyahou qui sème le chaos, la destruction, le désespoir et la mort en Palestine et ne fait que répandre les larmes du désespoir, provoquer les cris de la colère et ensemencer les graines de la révolte et détruire celles de la paix.
Cet insoutenable carnaval de la bêtise soutenu par ses cycles infernaux de destruction, de désolation et de violence ne semble manifestement pas prêt de s'arrêter. Pendant que nous bâillonnons nos convictions et abandonnons lâchement notre humanité sous la voute feutrée de l'Arche de la destinée mystifiée, que nous cimentons nos paupières et taisons les cris et étouffons les sanglots des enfants innocents et que nous aspergeons nos cœurs d'indifférence et murons notre raison : les conventions de Genève – ces traités fondateurs du droit international humanitaire – sont honteusement bafouées. On n'en continue pas moins d'affamer, de massacrer et osons le dire d'exterminer des populations entières et de détruire leur habitat et leur territoire dans l'abject but de les effacer totalement de la surface de la terre. – Oserons-nous témoigner que nous sommes peut-être en présence d'une forme de Shoah du peuple palestinien ? – Ainsi, les 2,3 millions d'êtres humains de la bande de Gaza, soit l'équivalent de la population de Montréal vivant sur un territoire plus petit que l'agglomération de Montréal, ne sont plus libres et égaux en dignité et en droits. Ces Palestiniens et Palestiniennes n'ont maintenant plus de passé, pas de présent et aucun avenir sécuritaire et humanitaire ne pointe à l'horizon pour l'instant. Ayons une pensée pour ces centaines de milliers d'innocentes victimes qui viennent de vivre l'horreur de 467 jours de guerre avec un bilan tragique de 47 707 personnes tuées, parmi lesquels 15 000 enfants et plus de 110 265 blessées, dont 19 000 enfants devenus orphelins. Et l'on estime, selon l'ONU, que plus de 53 milliards de dollars seront nécessaires à la reconstruction – Israël et les États-Unis devraient en assumer la facture –. Tout cela, sans compter les innombrables autres victimes innocentes que l'on retrouve partout dans le monde : en Cisjordanie, en Haïti, au Liban, au Soudan, en Syrie et en Ukraine ainsi que les populations durement éprouvées en Afghanistan et en Iran et s'ajoute à cela la répression des Musulmans et des Chrétiens en Inde, des Rohingyas au Myanmar ainsi que l'ethnocide des Ouïghours en Chine et des Tibétains qui souffrent depuis 65 ans suite à l'invasion brutale par la Chine.– Oui, le silence de l'Humanité est assourdissant et sa parole n'est que vent ronflant –
Bêtise et horreur – Convoitise et obsession
Et pourtant, cette ribambelle d'affreux demi-civilisés et odieux chantres de l'Apocalypse continuent de fredonner en chœur leur hymne préféré : « yes sir, the war'show must go on, because the cash will follow my son ! » Ainsi, face à cet affligeant spectacle et l'accumulation insoutenable de tant d'atrocités, une terrifiante certitude s'impose : à savoir que la bêtise possède bel et bien un visage humain, qu'elle camoufle souvent la barbarie sous son épaisse cape, et qu'elle se montre désormais sans limites et sans frontières. Plus grave encore, depuis la seconde moitié du 20e siècle, cette bêtise affranchie de tout mandat est devenue « Netement » planétaire allant jusqu'à traîner ses gros sabots militaires espions dans la dangereuse et minée cour à scrap de la stratosphère. Force est d'admettre que l'effroyable bête ne fait pas que sommeiller en nous car en vérité, elle s'y prélasse effrontément à nos frais et d'une manière affreusement outrageante et lorsqu'elle se réveille, elle frappe dorénavant n'importe où et n'importe qui à visage découvert. La bêtise humaine apparaît comme l'un des plus contagieux et plus virulents virus s'attaquant à l'espèce humaine et ses valeurs. N'oublions pas que cette bêtise a été engendrée par nous-mêmes avec notre propre sang et c'est celui-là même qu'elle n'en continue pas moins de faire tant et si dramatiquement et injustement couler ! Avant-hier ; les épices et la soie, hier ; le sucre, le coton (et l'esclavage), l'or jaune (et les massacres des Conquistadores), aujourd'hui, encore l'or noir, l'or bleu et les diamants, après-demain ; les minéraux, les terres nourricières et les terres noires et finalement l'espace sidéral. Malheureusement, hier, aujourd'hui et demain ; l'abc délétère de l'humanité demeure encore et toujours l'argent, la bêtise et la corruption et avec pour toile de fond : la sempiternelle quête et contrôle du pouvoir qui cimente ce cruel « abc » !
Folie et raison – Espoir et désespoir
Lors de sa fondation, en 1945, l'ONU comptait 51 États membres et en 2025, tous et toutes souhaitons – depuis le 29 novembre 1947 – que la Palestine puisse enfin devenir le 194e État membre à part entière des nations libres et souveraines du monde. La population mondiale a doublé depuis les années 1950. Nous sommes maintenant 8,2 milliards d'êtres humains libres, égaux en dignité et en droits. Mais malheureusement, nous n'avons pas encore appris le vivre ensemble dans le respect, la dignité et le partage. En voici de tragiques illustrations : le monde actuel compte 2,8 milliards de personnes qui n'ont pas les moyens de s'alimenter sainement, pas moins de 1,6 milliards d'autres ne disposent pas d'un logement adéquat et l'on compte 150 millions de sans-abri et 9,5 millions de réfugiés vivant dans des camps. Même au MAGA pays du grincheux Oncle Donald, on y a recensé, en 2024,770 000 personnessans domicile fixe, soit un peu plus de la population de Vancouver. Nous sommes maintenant contraints d'évoluer dans un monde multipolaire complexe, en mouvance constante et délibérément chaotique aux prises avec de multiples guerres et conflits économiques, idéologiques, arbitrairement religieux et qui semble avoir perdu ses balises existentielles. L'humanité a perdu la boussole de ses valeurs universelles quelque part dans la fange des marécages souillés de la bêtise humaine. Pourtant, 300 000 ans depuis l'apparition de l'Homo sapiens, nous possédons dans nos fors intérieurs toutes les forces et les raisons du monde de poursuivre notre évolution et nous affranchir de cette bêtise. Nous devons faire preuve de ce que nous incarnons véritablement : soient des êtres appartenant à la même espèce, partageant la même planète – notre seul habitat à la terre nourricière, au soleil bienfaiteur et au ciel étoilé de lumières stellaires – et la même volonté de vivre et capables non seulement du pire, mais également du meilleur.
Retirons au plus tôt le loup feutré qui fait écran à notre vision du monde pour y faire entrer toute la lumière et la raison afin de chasser les meutes de loups affamés de croissance sans fin et de richesses sans partage qui nous menacent. Puis, livrons avec courage, détermination et conviction nos ultimes combats pour notre survie en éteignant les feux intérieurs qui consument nos cœurs et obscurcissent nos esprits. Et surtout, reprogrammons à l'aide de « l'Intelligence Naturelle » le calendrier de nos vies avec nos valeurs universelles afin de revenir à l'essentiel et partons en guerre contre un système qui se nourrit de la misère et de l'exploitation et contre ses promesses illusoires et matérielles de bonheur. Défaisons-nous de nos modes de vie dévastateurs afin d'établir la paix et la justice et de protéger cette bienfaisante et luxuriante planète léguée en héritage à nos enfants par l'Univers !
Donnons une chance à l'humanité !
« Seuls les fous (et les économistes) croient à une croissance sans fin. » Olivier Passet
Gaétan Roberge,
Mars 2025
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Alors, ce passeport américain, ça vient ?
L'idée de faire du Canada le 51e État américain est, comme de nombreuses affirmations de Donald Trump, une hallucination digne des pires IA, qui n'a ni logique ni cohérence puisqu'il amènerait une domination des démocrates dans le pays augmenté.
Depuis des dizaines d'années, la position politique de la population des États-Unis a toujours été à la droite de celle au Canada qui est aussi à droite de celle du Québec. Rajouter 40 millions de « gauchistes » aux États-Unis amènerait donc un raz-de-marée de démocrates au pouvoir. Alors, pourquoi tant parler de cette hallucination qui sert principalement à Donald Trump pour insulter le premier ministre Justin Trudeau en le traitant de gouverneur du 51e État américain ? Est-ce que les libéraux fédéraux ont senti la bonne affaire et misent sur la peur pour faire remonter leur popularité en demandant à la population de se rallier au drapeau pour faire monter une fièvre nationaliste, qu'ils tentent de toutes les manières possibles de faire diminuer au Québec ?
Les nationalistes canadiens francophobes semblent même vouloir en profiter pour faire avaler de force leur assimilation aux Québécois qui devraient moins protéger leur langue dans le commerce interprovincial afin de faciliter la circulation des biens et services d'un océan à l'autre. Ceux qui donnent de la crédibilité au nationaliste canadien et tentent de créer une guerre entre les deux côtés de la frontière éludent complètement le fait que les Américains et les Canadiens sont pratiquement le même peuple, regardant les mêmes émissions de télévision, mangeant la même chose, s'habillant pareil et avec une culture presque identique, si on exclut celle des Québécois dont les nouvelles règles commerciales interprovinciales qui se dessinent risquent de mettre à mal.
L'hystérie collective qui sévit actuellement oublie aussi complètement que les Américains ont un niveau de vie et une productivité très supérieure aux Canadiens qui migrent en grand nombre tous les hivers pour profiter des plages de la Floride où ils rencontrent des parents qui ne sont pas remontés au nord après avoir été chercher du travail lors des nombreuses crises économiques. Oublie-t-on, quand on met tous les Américains dans le même sac, que beaucoup de grands humanistes, scientistes, philosophes, artistes américains ont fait de grandes choses pour la planète et que Trump et ses acolytes ne représentent qu'une petite partie de la population américaine, qui est comme la Canadienne et la Québécoise, composée d'une grande majorité de bonnes personnes cherchant à aider leur prochain ?
Michel Gourd
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Découplage sans divorce
Peut-être pourrait-on ainsi résumer sommairement l'évolution politique des rapports de force et des relations internationales qui se dessinent dans le monde occidental depuis que Donald Trump a pris les commandes à la Maison-Blanche.
Le président américain demande aux Européens d'assumer davantage de responsabilités dans leur mission de défense face à la Russie et de ne plus compter autant sur les États-Unis pour les protéger de Moscou. De plus, il est prêt à diminuer considérablement le soutien militaire à l'Ukraine, sauf si Kiev lui accorde des concessions commerciales au sujet des ressources minières du pays. Par ailleurs, il traite Vladimir Poutine presque en allié afin de l'éloigner de la Chine et essaie de le mettre en confiance en s'éloignant de l'Ukraine. Il veut, sinon briser l'alliance sino-russe, du moins l'affaiblir.
Sur le continent nord-américain, il exige d'Ottawa une augmentation de 2% de ses dépenses militaires de son PIB et que le gouvernement canadien fasse sa part pour la défense de l'Arctique. Il le menace d'une guerre commerciale sans merci s'il refuse d'obtempérer et ne consente en plus à certaines concessions d'ordre économique, comme la construction d'un pipe-line qui relierait les deux États. On note une intransigeance semblable envers le Mexique, en particulier celle d'une surveillance plus stricte de sa frontière avec les États-Unis pour juguler le flot d'immigrants qui y transitent et le trafic de drogues.
Trump et sa garde rapprochée donnent ainsi l'impression de vouloir relancer l'impérialisme américain au moindre coût, c'est-à-dire en évitant des engagements militaires directs et des dépenses énormes. Washington espère assurer la relance de son hégémonie chancelante. Le sentiment qui préside à cette opération, appuyée par toute une tranche de l'électorat républicain, repose sur la certitude que les États-Unis en ont assez fait pour leurs partenaires et alliés et que ceux-ci doivent désormais endosser leur part de responsabilité dans la gestion des affaires mondiales. On remarque là un sentiment de ras-le-bol à l'endroit d'alliés plus ou moins définis comme des parasites. On attend donc d'eux qu'ils "méritent" le maintien de l'alliance américaine.
On pourrait conclure que nous observons la fatigue d'une puissance hégémonique qui cherche une meilleure répartition des tâches entre elle et ses satellites. Il s'agit d'un découplage, c'est-à-dire d'un transfert de responsabilités entre elle et ceux-ci mais non d'un divorce, impensable vu l'état des rapports de force mondiaux.
Qu'en est-il maintenant du conflit commercial imminent entre le Canada et les États-Unis ? S'il est mené à terme, un certain découplage deviendra inévitable entre les deux pays, ce qui n'est pas mauvais en soi. Ottawa serait alors obligé de diversifier ses échanges avec d'autres nations et de prendre des mesures pour faciliter le flux commercial entre les provinces. Cette réorientation politique diminuerait sa dépendance envers son énorme voisin. Il y aurait bien entendu un prix à payer pour cette relative émancipation à l'endroit des États-Unis : des difficultés sociales et économiques en raison des mesures de rétorsion américaines. Mais à la longue, un meilleur équilibre commercial et économique en faveur du Canada pourrait en résulter.
Mais on serait quand même encore très loin d'une rupture. La population américaine compte 340 millions de personnes et elle représente un immense marché à la porte même du Canada ; ce dernier fait figure de nain par comparaison avec ses 40 millions d'habitants (dont 9 millions de Québécois) et son commerce est encore très dépendant du marché américain. Il est impossible de transformer cette situation du jour au lendemain. De son côté, vu l'étroite imbrication des deux économies, la République américaine n'a pas intérêt à ruiner son voisin nordique.
Là encore, on pourrait parler d'un (modeste) découplage, mais pas d'un divorce. Ottawa n'a pas les moyens d'arracher une totale indépendance à l'égard de son gigantesque voisin, du moins pas à un prix que le plupart des Canadiens et Québécois seraient prêts à accepter.
Il est difficile de prévoir à l'heure actuelle jusqu'où l'administration Trump est prête à aller dans ses pressions sur le gouvernement canadien. Si le relations entre les deux puissances s'enveniment et que de sérieux contrecoups économiques s'ensuivent pour plusieurs régions américaines, la tentation de diminuer son intransigeance incitera peut-être la clique Trump à modérer ses tactiques de harcèlement
Pour l'instant en tout cas, il s'avère difficile de faire la part entre les intentions claironnées de Trump et ce qui relève de simples manoeuvres d'intimidation. Une chose est certaine : sa volonté de faire du Canada le 51ème État américain relève du songe... l'heure est bien davantage au découplage qu'au mariage.
Jean-François Delisle
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Haïti : Une crise des droits humains ignorée et aggravée
Port-au-Prince, le vendredi 28 février 2025
La situation des droits humains en Haïti est délibérément ignorée et piétinée par les dirigeants censés en garantir le respect. Ni les lois nationales ni les conventions internationales ne sont appliquées, laissant place à une impunité généralisée. Le pays sombre dans une guerre civile sans précédent, où personne n'est épargné : adultes, personnes âgées et même nourrissons subissent la brutalité des assauts répétés.
Pendant ce temps, neuf (9) "présidents" continuent de percevoir des fonds publics sans offrir la moindre contribution en retour. Après dix mois d'existence, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) a failli à sa mission et échoué à redresser la nation.
Les violences s'intensifient. Dans la nuit du 16 au 17 février 2025, un massacre a coûté la vie à au moins 20 personnes, dont cinq membres d'une même famille, dans les zones de Château Blond et de Petit-Troupeau, sur la route de Frères. Quelques semaines plus tôt, entre le 27 et le 30 janvier, plus de 50 personnes auraient été tuées à Kenscoff par des bandits armés de
la coalition criminelle Viv Ansanm.
Le 12 février, à Montrouis, une attaque a visé la Police nationale d'Haïti (PNH), blessant quatre agents. L'un d'eux, Fils Emmanuel Thomas, membre de l'Unité départementale de maintien d'ordre (UDMO) de la 33ᵉ promotion, a
succombé à ses blessures après une intervention chirurgicale. Le 25 février, deux soldats des Forces armées d'Haïti ont été assassinés à Delmas 30, illustrant une fois de plus la montée en puissance de l'insécurité.
Face à ce chaos grandissant, l'Organisation de Défense des Droits Humains ECCREDHH dénonce une volonté manifeste des autorités de précipiter le pays vers l'effondrement total. Personne n'est à l'abri, et des milliers de familles sont contraintes d'abandonner leur foyer. En moins d'un mois, plus de 6 000 personnes ont été déplacées à cause des violences des gangs, selon un rapport de l'ONU publié le 25 février 2025.
*Vers une catastrophe humanitaire imminente*
Haïti se dirige inexorablement vers une crise humanitaire d'une ampleur sans précédent. Les assauts incessants et la violence extrême des groupes armés prospèrent sous le regard complice d'un État sanguinaire, plus préoccupé par sa survie que par celle de sa population.
L'Ensemble des Citoyens Compétents à la Recherche de l'Égalité des Droits de l'Homme en Haïti (ECCREDHH) affirme que les dirigeants actuels sont non seulement incapables de résoudre la crise, mais qu'ils l'aggravent délibérément. Leur stratégie semble claire : utiliser le chaos pour asseoir leur pouvoir, se protéger et alimenter un marché florissant de criminalité
et d'impunité.
L'heure est grave, et l'urgence ne fait plus de doute. Il y a péril en la demeure. Ces dirigeants ont prouvé leur incompétence et leur irresponsabilité. Ils doivent tirer leur révérence avant que l'histoire ne les rattrape.
Des poursuites doivent être engagées contre les membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et l'ensemble du gouvernement pour crimes commis contre la nation. L'impunité ne peut plus être la seule loi qui gouverne Haïti.
À propos d'ECCREDHH
L'Ensemble des Citoyens Compétents à la Recherche de l'Égalité des Droits de l'Homme en Haïti (ECCREDHH) est une organisation dédiée à la promotion et la défense des droits humains, à l'éducation et à la recherche en Haïti.
Elle œuvre pour une société plus juste et inclusive à travers des actions concrètes et des partenariats stratégiques.

Justice pour les victimes : 4 généraux militaires colombiensS accusés de 442 meurtres

La quête de vérité et de justice en Colombie a franchi une étape cruciale. Ce mercredi 19 février 2025, la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) a inculpé quatre généraux à la retraite de l'Armée nationale de Colombie, ainsi que 35 officiers et sous-officiers, pour leur responsabilité dans au moins 442 cas de "faux positifs" dans le département d'Antioquia entre 2004 et 2007. Dans une décision sans précédent, la JEP a déterminé que ces crimes comprenaient non seulement des homicides et des disparitions forcées, mais aussi des actes de torture, marquant une avancée significative dans la recherche de justice pour les victimes.
Hauts gradés inculpés et la politique du "comptage des corps"
Les généraux à la retraite Óscar Enrique González Peña, Luis Roberto Pico Hernández, Jorge Ernesto Rodríguez Clavijo et Juan Carlos Piza Gaviria ont été identifiés comme les principaux responsables d'une stratégie connue sous le nom de "comptage des corps". Cette pratique, promue au sein de la IVe Brigade de l'Armée nationale, consistait à exécuter des civils innocents afin de les présenter comme des morts au combat. Cette politique répondait à la pression des hauts commandements militaires pour montrer des résultats dans la lutte contre les groupes armés illégaux.
Selon la JEP, la directive de privilégier les morts plutôt que les captures ou les démobilisations est restée en vigueur malgré les avertissements répétés des organismes de droits humains et du bureau du Procureur. Les troupes étaient soumises à des pressions pour augmenter le nombre de victimes et recevaient des incitations lorsqu'elles en rapportaient davantage. De plus, deux civils ont également été inculpés pour avoir fait partie d'un réseau criminel qui recrutait des victimes en leur faisant de fausses promesses d'emploi. Ces personnes étaient livrées à l'armée en échange de sommes oscillant entre deux et trois millions de pesos par "mort au combat".
Cette stratégie macabre ne se limitait pas à Antioquia, mais a également été constatée dans d'autres unités militaires, comme la Brigade Mobile 15 dans le Catatumbo.
Torture et autres formes d'exécution
Pour la première fois, la JEP a déterminé qu'au moins 22 cas, impliquant 41 victimes, comprenaient des actes de torture. Ces pratiques étaient utilisées pour extorquer des aveux, obtenir des informations sur du matériel de guerre ou forcer des délations concernant de présumés membres de groupes armés.
Le tribunal a également identifié quatre modalités d'exécution de ces "faux positifs" :
1. Accusations arbitraires : des civils étaient détenus et assassinés après avoir été accusés sans preuve d'appartenir à la guérilla.
2. Tromperie : des victimes étaient recrutées sous de fausses offres d'emploi avant d'être exécutées.
3. Assassinat de combattants : des guérilleros qui se rendaient volontairement étaient tués au lieu d'être capturés.
4. Meurtres opportunistes : des personnes circulant dans des zones contrôlées par l'armée étaient exécutées pour gonfler les statistiques.
L'un des cas les plus choquants est celui de Martha Olivia Duque García, une fillette blessée lors d'un affrontement à Cocorná, Antioquia. Selon des témoins, elle s'est rendue et a demandé de l'aide, mais au lieu d'être secourue, elle a été interrogée puis assassinée afin d'être présentée comme une morte au combat. La JEP rapporte :
Le 24 août 2004, dans la municipalité de Cocorná, Antioquia, Martha Olivia a été gravement blessée à la poitrine lors d'un affrontement avec l'armée. Elle s'est agenouillée et a levé les mains en signe de reddition face aux troupes du Bataillon d'Infanterie No. 4 'Jorge Eduardo Sánchez'. 'Ne me tuez pas, je me rends', a-t-elle supplié le soldat qui l'a trouvée. Elle a été retenue par les militaires, interrogée et, après avoir fourni des informations, assassinée et présentée comme une morte au combat. Son corps a été transporté à cheval jusqu'à un moulin à sucre avant d'être remis à la morgue municipale.
Conséquences légales et prochaines étapes
Les militaires et civils inculpés ont la possibilité d'accepter leur responsabilité et de bénéficier des avantages de la justice transitionnelle, ce qui pourrait conduire à des sanctions restauratrices. En cas de refus, leur affaire sera transmise à l'Unité d'Enquête et d'Accusation (UIA) de la JEP. S'ils sont reconnus coupables lors du procès, ils risquent jusqu'à 20 ans de prison.
La JEP poursuit son enquête sur les "faux positifs" dans le cadre du Dossier 03, qui examine la responsabilité des agents de l'État dans des exécutions extrajudiciaires. Cette nouvelle décision marque un progrès important dans la lutte contre l'impunité et constitue une étape essentielle pour faire la lumière sur l'un des chapitres les plus sombres du conflit armé en Colombie.
Foire aux questions
Qu'est-ce que les "faux positifs" ?
Ce sont des exécutions extrajudiciaires perpétrées par des membres de l'armée colombienne, où des civils innocents étaient assassinés, puis présentés comme des guérilleros tués au combat afin d'augmenter artificiellement les statistiques militaires.
Qu'est-ce que la JEP et quel est son rôle ?
La Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) est un tribunal de justice transitionnelle mis en place à la suite de l'Accord de paix de 2016. Son mandat est d'enquêter, de juger et de sanctionner les crimes commis dans le cadre du conflit armé en Colombie.
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Par : Isabel Cortés
La quête de vérité et de justice en Colombie a franchi une étape cruciale. Ce mercredi 19 février 2025, la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) a inculpé quatre généraux à la retraite de l'Armée nationale de Colombie, ainsi que 35 officiers et sous-officiers, pour leur responsabilité dans au moins 442 cas de "faux positifs" dans le département d'Antioquia entre 2004 et 2007. Dans une décision sans précédent, la JEP a déterminé que ces crimes comprenaient non seulement des homicides et des disparitions forcées, mais aussi des actes de torture, marquant une avancée significative dans la recherche de justice pour les victimes.
Hauts gradés inculpés et la politique du "comptage des corps".
Les généraux à la retraite Óscar Enrique González Peña, Luis Roberto Pico Hernández, Jorge Ernesto Rodríguez Clavijo et Juan Carlos Piza Gaviria ont été identifiés comme les principaux responsables d'une stratégie connue sous le nom de "comptage des corps". Cette pratique, promue au sein de la IVe Brigade de l'Armée nationale, consistait à exécuter des civils innocents afin de les présenter comme des morts au combat. Cette politique répondait à la pression des hauts commandements militaires pour montrer des résultats dans la lutte contre les groupes armés illégaux.
Selon la JEP, la directive de privilégier les morts plutôt que les captures ou les démobilisations est restée en vigueur malgré les avertissements répétés des organismes de droits humains et du bureau du Procureur. Les troupes étaient soumises à des pressions pour augmenter le nombre de victimes et recevaient des incitations lorsqu'elles en rapportaient davantage. De plus, deux civils ont également été inculpés pour avoir fait partie d'un réseau criminel qui recrutait des victimes en leur faisant de fausses promesses d'emploi. Ces personnes étaient livrées à l'armée en échange de sommes oscillant entre deux et trois millions de pesos par "mort au combat".
Cette stratégie macabre ne se limitait pas à Antioquia, mais a également été constatée dans d'autres unités militaires, comme la Brigade Mobile 15 dans le Catatumbo.
Torture et autres formes d'exécution.
Pour la première fois, la JEP a déterminé qu'au moins 22 cas, impliquant 41 victimes, comprenaient des actes de torture. Ces pratiques étaient utilisées pour extorquer des aveux, obtenir des informations sur du matériel de guerre ou forcer des délations concernant de présumés membres de groupes armés.
Le tribunal a également identifié quatre modalités d'exécution de ces "faux positifs" :
1. Accusations arbitraires : des civils étaient détenus et assassinés après avoir été accusés sans preuve d'appartenir à la guérilla.
2. Tromperie : des victimes étaient recrutées sous de fausses offres d'emploi avant d'être exécutées.
3. Assassinat de combattants : des guérilleros qui se rendaient volontairement étaient tués au lieu d'être capturés.
4. Meurtres opportunistes : des personnes circulant dans des zones contrôlées par l'armée étaient exécutées pour gonfler les statistiques.
L'un des cas les plus choquants est celui de Martha Olivia Duque García, une fillette blessée lors d'un affrontement à Cocorná, Antioquia. Selon des témoins, elle s'est rendue et a demandé de l'aide, mais au lieu d'être secourue, elle a été interrogée puis assassinée afin d'être présentée comme une morte au combat. La JEP rapporte :
"Le 24 août 2004, dans la municipalité de Cocorná, Antioquia, Martha Olivia a été gravement blessée à la poitrine lors d'un affrontement avec l'armée. Elle s'est agenouillée et a levé les mains en signe de reddition face aux troupes du Bataillon d'Infanterie No. 4 'Jorge Eduardo Sánchez'. 'Ne me tuez pas, je me rends', a-t-elle supplié le soldat qui l'a trouvée. Elle a été retenue par les militaires, interrogée et, après avoir fourni des informations, assassinée et présentée comme une morte au combat. Son corps a été transporté à cheval jusqu'à un moulin à sucre avant d'être remis à la morgue municipale."
Conséquences légales et prochaines étapes.
Les militaires et civils inculpés ont la possibilité d'accepter leur responsabilité et de bénéficier des avantages de la justice transitionnelle, ce qui pourrait conduire à des sanctions restauratrices. En cas de refus, leur affaire sera transmise à l'Unité d'Enquête et d'Accusation (UIA) de la JEP. S'ils sont reconnus coupables lors du procès, ils risquent jusqu'à 20 ans de prison.
La JEP poursuit son enquête sur les "faux positifs" dans le cadre du Dossier 03, qui examine la responsabilité des agents de l'État dans des exécutions extrajudiciaires. Cette nouvelle décision marque un progrès important dans la lutte contre l'impunité et constitue une étape essentielle pour faire la lumière sur l'un des chapitres les plus sombres du conflit armé en Colombie.
Foire aux questions
Qu'est-ce que les "faux positifs" ?
Ce sont des exécutions extrajudiciaires perpétrées par des membres de l'armée colombienne, où des civils innocents étaient assassinés, puis présentés comme des guérilleros tués au combat afin d'augmenter artificiellement les statistiques militaires.
Qu'est-ce que la JEP et quel est son rôle ?
La Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) est un tribunal de justice transitionnelle mis en place à la suite de l'Accord de paix de 2016. Son mandat est d'enquêter, de juger et de sanctionner les crimes commis dans le cadre du conflit armé en Colombie.
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La Colombie, l’endroit le plus mortel pour les défenseurs des droits humains

Les paroles de la procureure générale de Colombie, Luz Adriana Camargo, ont résonné avec force : "La Colombie est le pays le plus dangereux au monde pour défendre les droits humains". Cette déclaration, faite le 14 février 2025 lors de la présentation d'un rapport sur la situation des défenseurs des droits humains, ne fait pas que refléter une crise persistante ; elle met aussi en évidence le danger quotidien auquel sont confrontés ceux qui luttent pour la justice et l'équité dans le pays.
Ce rapport, présenté lors d'un événement public par la procureure générale de la Nation, Luz Adriana Camargo Garzón, répond à un mandat de la Cour constitutionnelle dans l'arrêt SU-546 de 2023.
Selon les données du Ministère public, entre janvier 2016 et décembre 2024, au moins 1 372 leaders sociaux ont été assassinés en Colombie. Mais la procureure générale elle-même prévient que ce chiffre pourrait être encore plus élevé, en raison des difficultés à déterminer qui est officiellement considéré comme défenseur des droits humains.
Selon le rapport 2024 de l'organisation Front Line Defenders, la Colombie demeure le pays le plus mortel au monde pour les militants. En 2023, sur les 300 défenseurs assassinés dans au moins 28 pays, 142 étaient colombiens, soit 48 % du total mondial. Un an auparavant, en 2022, le chiffre était encore plus élevé, avec 186 cas signalés.
Derrière ces chiffres, il y a des vies fauchées, des familles dévastées et des communautés qui continuent à lutter dans la peur. La procureure générale a reconnu qu'il existe de graves problèmes dans l'enquête et la judiciarisation de ces crimes. Du manque d'accès à la justice à l'impossibilité d'atteindre certaines régions sous le contrôle de groupes armés illégaux, les obstacles sont immenses et ont permis à l'impunité de rester la norme.
Dans de nombreuses régions rurales, où la violence contre les leaders sociaux est la plus intense, l'État est toujours absent. Les groupes armés imposent leur loi, et les défenseurs des droits humains deviennent des cibles simplement pour avoir osé prendre la parole. L'absence de garanties et la peur des représailles ont fait de la dénonciation un acte d'un courage extrême.
"C'est une catastrophe qui ne peut plus continuer", a déclaré Camargo, insistant sur le fait que la protection des leaders sociaux doit devenir une "priorité nationale". Selon elle, sans une action efficace de l'État, la démocratie et la justice continueront d'être en péril.
Un début d'année marqué par la violence
L'année 2025 n'a pas commencé sous de bons auspices. Selon l'Institut d'études pour le développement et la paix (Indepaz), depuis le début de l'année, au moins 22 leaders sociaux
ont été assassinés. Parmi eux, Leonardo Samir Montero Paz, leader autochtone nasa, tué le 9 février dans une zone rurale de Puerto Asís, Putumayo.
Les voix qui défendent les droits humains en Colombie font face à une menace constante, et tant qu'il n'y aura pas de réponse ferme de l'État, le risque que cette crise s'aggrave reste présent.
La communauté internationale et les acteurs nationaux ont un rôle essentiel à jouer pour exiger des mesures urgentes et efficaces. La vie de ceux qui luttent pour un pays plus juste en dépend.
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Cinéma expérimental et mépris de classe : une histoire critique
Pourquoi les films d’amour, d’action, de super-héros, d’horreur — en gros les « blockbusters » et les films de masse en général — sont si méprisés par une partie de la critique, le discours universitaire ou encore certains amoureux du cinéma français des années 1960 qui se la jouent cool ? Et pourquoi, en contrepartie, tant de gens aiment ces films ? Le texte de Raphaël Simard essaie de montrer que l’histoire du mépris du cinéma de masse est essentiellement l’histoire d’une classe, la petite-bourgeoisie intellectuelle, et que cette histoire est intimement liée au cinéma expérimental. Pour ce faire, l’auteur remonte aux débuts de la consommation massive du cinéma et aux premières conceptions de cet art, avant d’aborder les réalités contemporaines.
L’article sera publié en deux parties relativement autonomes. La première se concentre sur la période des années 1910 aux années 1930, alors que la seconde traite de la période des années 1945 à nos jours, avec une réflexion sur l’histoire globale du cinéma expérimental. Voici la première partie ; la seconde sera publiée subséquemment sur le site d’Archives Révolutionnaires.
Raphaël Simard
I. ANNÉES 1910-1930 : LE CINÉMA DES CLASSES TRAVAILLEUSES ET LE MÉPRIS DES PETIT-BOURGEOIS INTELLECTUELS
L’obsession de la définition
La question de la définition du cinéma expérimental hante ses pratiquants (ses cinéastes comme ses chercheurs), encore aujourd’hui malgré le grand âge de ce que le terme englobe. Des textes entiers, articles et monographies, s’attèlent presque exclusivement à résoudre cette question, comme « Le cinéma d’avant-garde[i] » de Raphaël Bassan, « Qu’expérimente le cinéma expérimental ? » de Barbara Turquier (2005) ou encore Éloge du cinéma expérimental : définitions, jalons, perspectives de Dominique Noguez (2010). Le travail de définition se manifeste notamment par la classification de films et de cinéastes dans ou en dehors de cette catégorie, par le bornage esthétique et historique du cinéma expérimental, ou encore par la définition de ses pratiques spécifiques (le found foutage, les esthétiques propres à chaque cinéaste, l’auto-théorisation des cinéastes dont rendent compte souvent des entrevues, par exemple). Encore aujourd’hui, nous pouvons constater la persistance de cette préoccupation à la seule lecture des titres des différents numéros et articles de périodiques spécialisés qui s’en revendiquent plus ou moins, comme Experimental Conversations, Found Footage Magazine, Senses of cinema ; ou encore par les publications de maisons d’éditions comme Paris Expérimental. Autre exemple de cette recherche de définitions : Barbara Turquier rapproche ce terme d’autres catégories qui permettent déjà d’entrevoir les traits reconnus généralement au cinéma expérimental :
[Il y a, dans les films rassemblés sous le terme de cinéma expérimental, un] trouble de définition qui accompagne souvent ces films, qu’ils soient qualifiés de cinéma « d’avant-garde » ou « d’art », de cinéma « pur » ou « intégral » en France dans les années 1920, de cinéma « visionnaire », « underground » ou encore « personnel » aux États-Unis à partir des années 1950, entre autres termes…[ii]
Sur quoi débouche ce constant exercice de définition ? Raphaël Bassan relève cinq traits du cinéma expérimental (nommé parfois « cinéma d’avant-garde » chez lui et d’autres) transhistoriques, sur lesquels s’accordent beaucoup de chercheurs :
Cinq chantiers principaux ont été poursuivis tout au long des décennies : le désir d’innovation [formelle, narrative, etc.], le témoignage politique (notamment avec le groupe américain Frontier Films dans les années 1930), la mise en cause des lois morales, le désir de faire du cinéma un « art plastique » [donc à travailler comme matériau filmique avec ses mécanismes propres, mais aussi en utilisant des arts plastiques comme la peinture], la volonté de s’organiser en « autarcie » afin de contrôler la distribution des films (les coopératives) [donc en autonomie par rapport à la production cinématographique à grands moyens].[iii]
De même, Barbara Turquier admet la centralité dans le cinéma expérimental de « l’innovation formelle », et de ce que « [l]a revendication d’une autonomie financière ouvre un espace d’expression proprement politique. L’irrévérence, la réhabilitation du corps, l’hédonisme fonctionnent comme autant de détonateurs au sein d’un cinéma encore marqué par les contraintes du code Hays, le code moral régissant la production américaine de 1930 à 1968 » ; ce qui correspond au « témoignage politique » et à la « mise en cause des lois morales » de Bassan[iv]. Elle relie cette vision politique à une vision morale, comme le fait Bassan : la « liberté de contenu et de traitement cinématographique est une forme de résistance aux représentations et reproductions dominantes, dont le cinéma commercial est un vecteur privilégié[v] ». Elle note aussi l’intérêt central pour le « travail sur le médium », le « défrichement des possibilités du matériau filmique » afin de « faire l’expérience d’un matériau, d’en essayer les possibilités plastiques, graphiques, narratives ou sonores, de révéler par là des ressources de sens[vi] » ; ce qui ressemble fortement au « désir de faire du cinéma un “art plastique” » chez Bassan. Elle insiste aussi sur l’idée que « l’expérimental se déploie dans un contexte économique singulier – la marge par rapport à une industrie du cinéma largement dominante, ou plus simplement l’autonomie de production[vii] » ; ce qui correspond à « la volonté de s’organiser en “autarcie” afin de contrôler la distribution des films (les coopératives) » chez Bassan. Les deux auteurs retiennent donc essentiellement les mêmes traits dominants.

Le problème d’une définition non sociale du cinéma expérimental
Barbara Turquier ne cesse de lier les traits principaux entre eux : « [Le] contexte [économique singulier du cinéma expérimental] participe d’une certaine conception de l’art et en détermine éventuellement la visée politique[viii] ». En effet, tout en faisant une histoire du cinéma expérimental comme Raphaël Bassan, elle explique la formation conjointe de ces cinq traits, mais cette conjonction pose une question : comment s’est formée l’unité du cinéma expérimental ? Certes, Turquier explique précisément certaines jonctions entre les cinq traits : « La marginalité même de ce cinéma, qui ne bénéficiait pas alors de la même visibilité que d’autres formes d’art, explique le recours à ce mode alternatif de conservation et de promotion [qu’est l’autonomie de la production][ix] ». Mais dans cette explication de Turquier et dans sa présentation historique du cinéma expérimental, tout se passe comme si aucun sujet ou acteur collectif historique n’assurait la continuité esthétique, politique, morale, etc. du cinéma expérimental, au-delà de ses cinéastes individuels et de ses différents courants et époques, comme si cette catégorie et ses films se faisaient par eux-mêmes dans l’histoire. On trouve la même chose chez Bassan : « Le cinéma d’avant-garde s’est en effet forgé une histoire parallèle à celle du cinéma dominant[x] ». Tout son texte trace une histoire esthétique, politique, morale, etc. du cinéma expérimental, entres autres selon ses courants, ses cinéastes et théoriciens influents[xi]. Les deux auteurs nous proposent donc deux histoires non sociales ou asociales du cinéma expérimental, comme si celui-ci n’avait aucun socle permettant une telle continuité historique, comme si les individus s’en revendiquant l’avaient développé de manière homogène par pur hasard, pour aucune raison apparente autre que leurs choix individuels ou de petits groupes (les courants, par exemple). De telles mises en récits de l’histoire posent problème : comment comprendre ainsi l’unité de ce cinéma, par-delà plus d’un siècle comme nous le verrons, c’est-à-dire une énorme période de temps pour une telle unité.
Selon le sociologue marxiste Lucien Goldmann (1913-1970) dans son article « Le sujet de la création culturelle[xii] », la création culturelle est produite rationnellement (selon des niveaux variés bien évidemment), c’est-à-dire en cohérence avec la pratique matérielle d’un « sujet collectif » (ou « transindividuel », ou « intrasubjectif ») : cette création dépasse par conséquent les motivations que les individus (ici, ces individus sont des producteurs, des cinéastes, des critiques, des spectateurs, etc.) constituant le sujet (au sens d’acteur historique) collectif se donnent[xiii]. Un sujet collectif (on peut imaginer qu’il peut être une classe, une nation, un genre social, etc.) partage en effet une pratique du monde et une conscience de ce monde : celles-ci se développent au contact de la réalité naturelle, mais aussi des humains et donc des rapports sociaux[xiv]. La pratique du monde de ce sujet lui donne des « aspirations » (selon les termes de Goldmann) : il se projette dans l’avenir ; et ce, à cause de la caractéristique fondamentale de l’être humain qui est sa tendance à changer son environnement (naturel comme social) afin d’augmenter sa capacité à maîtriser sa pratique du monde, son action sur le monde[xv]. Le sujet collectif rencontre des obstacles multiples se dressant devant ses aspirations ; par exemple, le prolétariat rencontre des obstacles, dont la répression de l’État, dans son aspiration vers une société sans exploitation et la planification démocratique et rationnelle de l’économie et de l’écologie[xvi].
Or, les objets culturels au sens large (les œuvres philosophiques, les philosophies, les œuvres artistiques, etc.) que le sujet collectif produit sont des expressions particulièrement « cohérentes » (selon les termes de Goldmann), au sens qu’elles sont en adéquation avec son aspiration (à différents niveaux, dans différentes mesures, évidemment), elle-même en accord avec sa pratique du monde[xvii]. Les objets culturels sont des tentatives, pour le sujet collectif, de résoudre intellectuellement les problèmes concrets posés face à ses aspirations. Dans le cas qui nous intéresse, une catégorie comme le cinéma expérimental identifie un objet culturel plus large, plus étendu qu’une œuvre seule (ex. : un roman), qui rassemble des pratiques et pratiquants multiples, et s’échelonnant sur un peu plus d’un siècle ; des caractéristiques qui à première vue posent des défis à la cohérence, à l’adéquation de cet objet avec un sujet collectif[xviii]. Pourtant, le cinéma expérimental présente aussi des caractéristiques assez constantes, comme le montre l’accord sur des traits principaux entre Turquier et Bassan ; autrement dit, cette catégorie a un niveau d’unité très élevé considérant l’ampleur du tout formé par les œuvres, pratiquants, théories, courants, etc. que le terme recouvre[xix]. Or, ce haut niveau d’unité me permet de considérer que cette catégorie est cohérente avec la pratique sociale et les aspirations d’un sujet collectif qu’il faudra désormais identifier[xx]. J’ajouterai qu’un tel niveau d’unité implique selon moi plus que la fabrication de films par des cinéastes : pour perdurer dans le temps, entre des milliers de têtes humaines et de groupes souvent d’ailleurs en opposition les uns aux autres (par exemple, des courants artistiques entre eux, des coopératives de distribution entre elles), en passant par des institutions (par exemple, le milieu artistique moderniste, les universités, les musées publics) de diverses natures comme nous le verrons, l’objet culturel qu’est le cinéma expérimental a dû être « produit » en un sens plus large que ce que l’on entend normalement par « production ». En effet, il a dû être produit comme fait social entier, ce qui comprend entre autres la fabrication, la circulation, la distribution et la réception des films, la reproduction des conditions de production de ce cinéma, ou encore la reproduction du sujet collectif lui-même.
Identifier le sujet collectif responsable du cinéma expérimental est d’autant plus important que, quoiqu’on puisse pointer des traits qui reviennent généralement dans ce cinéma, celui-ci se caractérise par une reconceptualisation perpétuelle et une distinction par rapport au reste du cinéma, toutes deux se faisant dans une histoire, donc étant mouvantes : « Qu’il s’agisse d’œuvres de James Broughton, de Yoko Ono, de Michael Snow ou de Maya Deren, ils peuvent tous être rangés sous la bannière du cinéma expérimental, catégorie esthétique extensible souvent associée à des œuvres limite [sic] qui transgressent elles-mêmes la logique de la séparation des genres[xxi] ». Même à la fin de son article de définition du cinéma expérimental, Barbara Turquier doit se résoudre à la prudence : « Qu’il soit création ou mises en jeu de formes, l’expérimental n’est peut-être que l’utopie d’un cinéma qui ne cesserait de se réinventer[xxii] ». Raphaël Bassan, dans sa tentative de faire l’histoire et la définition du cinéma expérimental, n’arrive en résumé qu’à poser un développement en deux grandes périodes historiques et en caractéristiques qui restent dans chaque période et entre les périodes résolument hétéroclites, et ce malgré les grands traits cités plus haut par lui-même[xxiii]. Sa définition se révèle en tout selon moi incapable de rassembler tout ce qu’est le cinéma expérimental, en plus d’être une définition souvent négative (on le définit par ce qu’il n’est pas) :
Le cinéma d’avant-garde [autre terme pour expérimental chez Bassan] n’est pas une école. On hésite à écrire que c’est un genre cinématographique, quoiqu’adopter ce terme comme hypothèse de travail permette de le circonscrire plus facilement. Le cinéma d’avant-garde s’est d’abord [au sens de : dans sa première grande période] défini « contre » : contre le cinéma traditionnel, littéraire, industriel, d’où la difficulté de le considérer comme un genre à part entière — ce ne sera plus le cas après-guerre. Ce cinéma prit position, au cours de son histoire, contre les tabous sexuels, la société libérale, les guerres, puis contre le pouvoir des médias de masse et de la désinformation générée par des groupes sociaux et financiers hégémoniques.[xxiv]
Pour ainsi dire, ce qui fait l’unité du cinéma expérimental comme objet culturel est selon moi le sujet collectif qui l’a historiquement porté, et le rapport au cinéma qu’il a développé dans sa pratique du monde naturel, mais surtout ici social ; l’unité du cinéma expérimental ne serait pas, selon cette hypothèse, faite de traits esthétiques ou politiques qui seraient transhistoriques et précis à ce cinéma. Nous verrons que le sujet collectif du cinéma expérimental est la petite-bourgeoisie intellectuelle dans son ensemble, qui a développé, à travers le cinéma expérimental, le rapport — entre tous les autres rapports au cinéma qu’elle a pu développer — qui est le plus cohérent avec sa pratique du monde : ce rapport au cinéma est un outil de distinction sociale avec les autres classes de la société, mais aussi une expression de son aspiration à l’autonomie intellectuelle. Nous comprendrons dans quels rapports et conditions de production sociale du cinéma dans la société entière elle décide d’autonomiser la sienne. Nous verrons aussi comment sa pratique sociale du cinéma détermine dans une certaine mesure le développement de son rapport au cinéma, sa conception du bon cinéma, ce que j’appellerai sa cinéphilie. Mais cette cinéphilie est aussi conditionnée par la ou les cinéphilie(s) dominante(s) aux différentes époques de la création du cinéma expérimental : elle(s) a ou ont servi de base à laquelle s’opposer ou adhérer, pour ce sujet collectif, dans le développement de sa cinéphilie, en accord avec son aspiration d’autonomie intellectuelle.
Le premier goût cinématographique a été celui des classes travailleuses européennes
Il nous faut revenir aux débuts du cinéma en général. Bien que peu de données existent sur la production sociale (fabrication, distribution, public et réception, recherche, etc.) des premiers films expérimentaux que Raphaël Bassan situe vers 1920, quelques données existent bel et bien sur la réception du cinéma en général à ses débuts[xxv]. Une étude sociologique des audiences, menée par Emilie Altenloh dans la ville industrielle de Mannheim en Allemagne en 1912-1913, nous donne des indices du contexte d’émergence du cinéma expérimental, lequel se fera d’abord en Europe[xxvi]. La plus grande partie de l’audience au cinéma dans cette ville est composée des classes travailleuses, lesquelles sont essentiellement les ouvriers et les employés de bureau ; mais quelques salles attirent des catégories sociales plus élevées, en se différenciant par « le[ur] design plus élégant […], l’introduction de sièges plus dispendieux et l’emploi de petits ensembles de musiciens au lieu d’orchestres ou de pianistes solo[xxvii] ». Le cinéma accueille donc différentes classes sociales comme cela avait commencé à se produire quelques années plus tôt à Berlin, selon Altenloh[xxviii].
Les adultes des classes travailleuses, ceux qui sont employés et non à la maison donc surtout des hommes, c’est-à-dire les membres des classes travailleuses les plus intégrés directement aux rapports de production capitalistes, présentent une générale capacité de discernement entre les films, de goût en somme : leur intérêt pour les disciplines que sont le théâtre, l’opéra, la musique et le cinéma est plus grand que chez les artisans, lesquels forment l’essentiel de la petite-bourgeoisie propriétaire (et non petite-bourgeoisie intellectuelle que l’on associe généralement aux professeurs d’Université, aux chercheurs ou encore aux étudiants) à Mannheim[xxix]. Les classes laborieuses et particulièrement les adultes (hommes) syndiqués se démarquent par leur tendance à être critiques, à différents degrés, de ce qu’ils regardent : les plus intéressés par les arts rejettent le « trash et le sensationnalisme », ce qui laisse paraître une certaine éthique de la consommation ; en général, ces classes valorisent particulièrement l’émotion vécue à l’écoute (peur avec les films d’horreur, tristesse avec les fins malheureuses, amour avec les films d’amour et surtout pour les femmes, stress dans les films à suspense, etc.)[xxx]. Ceux des travailleurs adultes (hommes) qui vont régulièrement au cinéma présentent aussi une curiosité, valorisent ce qui est « nouveau et merveilleux[xxxi] ». De plus, la petite minorité des adultes hommes des classes laborieuses (ouvriers et employés de bureau) qui s’intéressent à la politique et à la science, qui sont souvent aussi les plus éduqués, dévalorisent généralement d’un bloc le cinéma, ce qui ne les empêche pas d’en consommer, mais les empêche d’y avoir des goûts précis : leur critique du cinéma peut être esthétique ou encore politique, par exemple en pointant le mauvais traitement de la réalité travailleuse au cinéma parce qu’il est produit (en effet) par la classe « dirigeante[xxxii] ». En général, pour Altenloh, les sociabilités (ou réseaux de relations sociales dans des groupes ayant une cohérence sociale, idéologique, etc.) que développent les travailleurs syndiqués à travers leur activité syndicale valorisent les arts, lesquels sont vus dans ces syndicats comme une voie vers l’éducation[xxxiii].
De plus, on peut observer, dès ce début de décennie 1910 à Mannheim, une distinction, par le cinéma, d’une classe sur d’autres : les hommes de la classe des employés de bureau affirment souvent et fortement aller à de meilleures salles de projection que le reste des spectateurs ; elles sont jugées par ces hommes comme moins fréquentées et recevant une audience de meilleure qualité[xxxiv]. Mais ceux parmi cette classe (employés de bureau) qui consomment beaucoup de cinéma n’y développent pas de goût particulier ; selon moi, comme si leur position de subordonnés à la classe capitaliste, en même temps que de supérieurs de la classe ouvrière les empêchait d’adhérer aussi fortement que la classe ouvrière au goût général de ces deux classes de prolétaires, et à l’idéal éducatif par le cinéma auquel adhèrent les syndicats[xxxv]. Une partie de ces grands consommateurs accorde seulement une valeur à quelques films ; une autre partie considère « comme une insulte que l’on suggère que le cinéma puisse avoir quelque intérêt à [ses] yeux » ; dans l’ensemble, ils ont une vision négative du cinéma, soit pour lui-même, soit pour ses « excès », ce dernier jugement relevant encore d’une éthique de la consommation[xxxvi]. Il est aussi significatif que parmi les hommes employés de bureau, ceux qui évaluent particulièrement la musique sur un plan plus intellectuel qu’émotionnel ne considèrent pas le cinéma digne de réflexions intellectuelles[xxxvii]. En général cependant, comme nous l’avons vu plus haut, les hommes de cette classe montrent un intérêt pour le contenu des films relativement semblable aux hommes de la classe ouvrière[xxxviii].Quant à lui, le goût qui se développe dans Mannheim, surtout dans les classes travailleuses (ouvriers et employés de bureau), privilégie les films qui permettent l’identification aux personnages et à leurs émotions ; mais cette identification nécessite la perception de « réalité » de ce qui est montré, ce qui passe par la proximité perçue entre le film et l’environnement social du spectateur[xxxix].
Quant à eux, les artisans, hommes et femmes réunis, vivent plus solitairement, centrés sur leur activité et le développement de leur personne, et la séparation entre travail et vie privée chez eux est floue contrairement aux classes laborieuses ; ce qui explique le peu d’intérêt qu’ils portent au théâtre et au cinéma en général hormis quand le sujet du film est relié à leur activité, d’où leur peu d’intérêt pour la fiction[xl]. Ils vont au cinéma en moins grande proportion que les classes travailleuses et ils n’accordent pas d’importance à ce qu’ils y voient, ne développent pas de goût cinématographique et considèrent ce « type de divertissement comme pauvre[xli] ».

Quant aux individus (de toute classe) les plus éduqués et intéressés à l’activité intellectuelle, surtout présents dans les classes supérieures (donc non pas les artisans, qui sont des petits-bourgeois propriétaires, une classe moyenne), mais aussi dans les hommes employés de bureau, ils n’adhèrent pas au goût des classes travailleuses qui se base sur l’émotion vécue ; et en conséquence ceux qui aiment le plus l’activité intellectuelle « pure » « trouvent extraordinairement difficile de comprendre ce qui se passe dans un film[xlii] ». La différence entre les classes supérieures et les employés de bureau est donc que les classes supérieures, qu’elles aiment ou non l’activité intellectuelle, n’ont dans l’ensemble pas de goût cinématographique, et n’accordent pas de valeur artistique au cinéma, même si elles y vont régulièrement ; quant aux employés de bureau, leur majorité qui n’aime pas particulièrement l’activité intellectuelle développe un goût au cinéma, d’ailleurs semblable aux ouvriers[xliii]. En fait, ils ne reconnaissent au cinéma documentaire portant sur la nature qu’une « certaine valeur didactique [c’est-à-dire éducative, pédagogique], “spécialement pour les classes inférieures” » comme le rapporte la citation d’un individu sondé dans l’étude[xliv]. D’ailleurs, les spectateurs de cinéma réguliers dans les classes supérieures « viennent exclusivement des classes que sont les hauts gradés de l’armée et la classe marchande, alors que de leur côté les membres [des classes supérieures qui ont] des occupations académiques (dont les étudiants) produisent la plus faible proportion de spectateurs dans l’ensemble[xlv] ». Dans les classes supérieures dans leur ensemble, le cinéma n’est donc pas vu comme un art ; pour elles, soit il est réservé aux classes qui leur sont inférieures (quand elles-mêmes n’en consomment pas), soit il est réservé au seul divertissement (quand elles-mêmes en consomment) ; le cinéma ne doit surtout pas remplacer les disciplines qu’elles jugent être de l’art (théâtre, opéra, musique, etc.)[xlvi]. Et quand des films tentent de s’approcher de ce qu’on peut appeler un traitement « artistique » ou esthétisant, plusieurs des membres de ces classes jugent cela « inapproprié » à la discipline cinématographique elle-même ; et ces membres pensent que « les tentatives d’élever les standards de production [du cinéma] par la participation d’artistes de la scène connus [sont] vouées à l’échec[xlvii] ».
En somme, l’étude d’Emilie Altenloh permet de conclure, sans que je puisse à ce stade généraliser ces résultats à toute l’Europe, à une proto-cinéphilie dans les classes travailleuses (ouvriers et employés de bureau) à Mannheim, lesquelles forment la majorité des spectateurs ; leur goût cinématographique valorise l’identification aux personnages dans une situation rappelant la vie réelle, et l’émotion ressentie à l’écoute. L’étude montre aussi l’absence de goût cinématographique chez ceux qui, dans les classes au-dessus de la classe ouvrière (employés de bureau, artisans et classes supérieures), s’intéressent à la culture sous un angle intellectuel, souvent les plus éduqués, ces caractéristiques étant fortement plus présentes dans les classes dominantes (classes moyennes et supérieures). Les classes supérieures intellectuelles de professions académiques vont au cinéma moins que toutes les autres classes énoncées. Le cinéma dans cette ville n’est pas encore un art légitime ; mais plutôt un vecteur d’éducation ou de divertissement, valorisé ou dévalorisé selon la valeur accordée à l’éducation et au divertissement en général, valorisation qui varie grandement selon le niveau d’éducation et donc la classe[xlviii]. Le goût cinématographique en ce début 1910 est donc surtout celui des classes travailleuses ; le goût des ouvriers étant cependant méprisé par certains membres des employés de bureau qui font ainsi preuve d’une certaine distinction sociale par le cinéma. Les autres classes font plutôt preuve d’une distinction sociale par l’art en général (ils valorisent les arts comme le théâtre, par opposition au divertissement que serait le cinéma). Aussi, ce goût cinématographique des travailleurs est plus présent et défini chez les ouvriers et employés de bureau organisés dans la lutte par le syndicat, donc chez les plus conscients de leurs intérêts de classe dans le prolétariat.
La première cinéphilie dominante est une cinéphilie de masse
Je découpe le développement de la première cinéphilie dominante en trois grandes étapes : le goût cinématographique des classes travailleuses des années 10, dont nous venons de voir la preuve en Allemagne du moins ; puis l’échange éducatif entre celles-ci et les intellectuels historiens ; et enfin la première cinéphilie dominante en tant que telle, fruit de la bourgeoisie productrice du cinéma de masse, des critiques professionnels et des classes travailleuses. Le livre Cinéphiles et cinéphilies de Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto[xlix] permet de cerner les grandes cinéphilies ou goûts au cinéma se formant au cours du XXe siècle. La première cinéphilie dominante, qu’on pourrait dire « de masse », ou « ordinaire » selon les deux auteurs, se développe d’abord chez les spectateurs des classes populaires : on en trouve les premières traces écrites dans les années 20 (dans les « courriers des lecteurs » des magazines cinématographiques notamment), « dans le cadre d’une consommation qui a commencé par être populaire [au sens de classes populaires][l] ». Cette cinéphilie ressemble à celle dont Emilie Altenloh rendait compte chez les classes travailleuses une dizaine d’années plus tôt en Allemagne. Ceci nous permet de supposer, faute de données sur les autres pays d’Europe, que cette proto-cinéphilie était présente généralement parmi les classes travailleuses européennes. En effet, les « idéologies anti-commerciales » énoncées par Jullier et Leveratto rappellent notamment le rejet, selon Altenloh, du cinéma par les individus des classes travailleuses intéressés à la politique, au motif qu’il ne parlerait pas de la réalité travailleuse ; la « recherche incessante de nouvelles occasions de consommer » chez Jullier et Leveratto rappelle la curiosité pour les nouveautés chez Altenloh ; et le désir de « consommer mieux » en termes de cinéma, chez Jullier et Leveratto, rappelle la recherche de qualité cinématographique, c’est-à-dire le goût chez Altenloh[li]. Mais Jullier et Leveratto ajoutent que les revues cinématographiques de l’époque se plient dans une certaine mesure au goût de leur lectorat des classes populaires tout en influençant ce goût ; et que les acteurs, qui y sont vus comme des personnes réelles (et non avant tout leurs personnages), ainsi que l’évolution de leur carrière, occupent une place centrale dans le goût cinématographique de ces revues ; place centrale aussi accordée à la compréhension des métiers et techniques de fabrication des films[lii]. En somme, ces revues témoignent d’un intérêt centré sur « les différents aspects de la qualité technique, le savoir-faire de la réalisation, les talents des interprètes et le savoir de la narration cinématographique[liii] ». Quant à l’importance de l’émotion que soulignait Altenloh, elle est éclairée chez Jullier et Leveratto par l’idée de « qualité éthique du spectacle, une forme de qualification complémentaire de sa qualification technique », l’émotion vécue à l’écoute devant être porteuse d’une « leçon de vie[liv] ». L’émotion doit servir la morale. De l’Europe (en France, les « fiches de cinéma » de l’Église dès 1930 établissent quels films ne pas voir ou montrer à un enfant, et rassurent en même temps les parents catholiques de l’« acceptabilité » d’un certain cinéma) aux États-Unis (le Code Hays dès 1930), l’Église, l’État ou encore la surveillance des enfants par les parents ont servi de socle plus ou moins flexible au développement chez le consommateur de cette qualification morale à partir des années 30, sorte d’autocensure du consommateur[lv].
Selon moi, cette première cinéphilie conjugue le goût des classes travailleuses déjà développé en 1910 et constaté par Emilie Altenloh, et l’influence vers 1920 et 1930 des intellectuels cinéphiles (en France ils sont surtout parisiens, Paris étant la ville centrale de la production de périodiques donc de revues de cinéma) s’adressant à la masse des spectateurs « et non [aux] seuls experts, professionnels, critiques ou universitaires[lvi] ». De leur côté en effet, ces intellectuels, dans leurs célébrations littéraires du cinéma et dans leurs « histoires du cinéma », développent notamment un catalogue de « classiques[lvii] ». Édifiant « un rapport affectif personnel au cinéma » et à ces classiques, ces intellectuels ne réduisent pas la qualité du cinéma à sa qualification technique ou morale, ils prennent « en compte la sincérité que l’on peut éprouver du plaisir qu[e] [le film] procure[lviii] ». Aussi, ces intellectuels valorisent l’esthétique cinématographique, donc commencent à élever le cinéma au statut d’« art » : ils défendent la conception ou fabrication des films comme la marque de la recherche esthétique individuelle propre à un auteur, ajoutant cette qualification au jugement cinématographique de l’époque (qualités technique et éthique jusque-là), en cherchant partout les « indices de la présence personnelle d’un réalisateur[lix] ». Autrement dit, ce rapport au cinéma valorise les qualités technique, éthique et de création personnelle, et est le fruit d’un aller-retour entre des intellectuels et le goût des classes travailleuses. Mais ce rapport au cinéma servira lui-même de base à la critique professionnelle des années 30, dont plusieurs membres seront les intellectuels des années 20 eux-mêmes (Maurice Bardèche, Robert Brasillach, etc.) ; ce qui formera chez les classes travailleuses et la critique professionnelle la première grande cinéphilie, dans les années 30[lx]. En France et aux États-Unis, selon Jullier et Leveratto, cette critique obtient des rubriques dans des quotidiens non spécialisés en cinéma, et assure bientôt le lien entre la masse de cinéphiles et les sorties les plus récentes du cinéma ; et grâce à l’indépendance relative de ces critiques vis-à-vis des entreprises productrices de cinéma et des propriétaires de groupes de presse, ils arrivent à fidéliser leur public, et à entretenir et augmenter l’exigence chez le consommateur et l’agentivité (relative) de son choix parmi l’offre de cinéma :
En France, comme aux États-Unis, l’intégration de la critique de cinéma à la presse quotidienne, la prolifération des hebdomadaires créés par les groupes de presse qui se partagent le marché de l’information pour tirer profit du goût du cinéma [ici, on entend ce mot au sens de demande massive de cinéma] est ainsi non seulement le signe, mais le vecteur d’une diffusion de la cinéphilie. [lxi]
Cette critique professionnelle est assez uniforme : elle crée, en France, l’Association amicale de la critique cinématographique, pour défendre son indépendance ; elle prend des positions sur les films de manière assez homogène, par-delà les bords politiques[lxii]. Dans le jugement cinématographique, elle valorise l’expérience sensible du film par le spectateur, et donc l’ouverture aux divers « genres de plaisir », notamment aux différents genres cinématographiques innovateurs que sont les « films d’action, le western et le “film de gangster” » ; en sorte qu’elle n’est pas élitiste : son jugement promeut l’ouverture à un cinéma multiple, et le développement chez le consommateur de son propre jugement esthétique[lxiii]. Pour Jullier et Leveratto, les critiques professionnels participent à établir la « valeur marchande » du spectacle cinématographique, en appliquant, sur les films qu’ils voient avant la masse du public, une évaluation de la « satisfaction esthétique » que l’on peut y prendre ; et puisque le lectorat fidélisé de tel critique reconnaît son évaluation comme généralement capable de rendre compte de la « valeur intrinsèque du spectacle proposé, bien différente de son annonce publicitaire », cette évaluation oriente les choix de son lectorat parmi l’offre sur le marché des films[lxiv]. Cette valeur marchande deviendra mondiale : les films européens et américains seront comparés et consommés à l’intérieur comme à l’extérieur de leur continent[lxv] ; cela permettra selon moi le développement plus tard d’un cinéma expérimental, dans sa deuxième génération, relativement unitaire à l’échelle mondiale, comme nous le verrons. La première cinéphilie dominante est donc le fruit d’une dynamique d’inter-influence entre la masse des consommateurs à majorité des classes travailleuses, et la critique professionnelle ; dans cette dynamique, la critique professionnelle sert de médiation entre la masse travailleuse et l’offre de la grande production capitaliste du cinéma. Quant à eux, les films produits sont en retour influencés par cette première cinéphilie dominante :
Comme toutes les industries artistiques qui ne sont pas prises en charge par les pouvoirs publics, l’industrie cinématographique est dépendante [il faut comprendre : dans une certaine mesure] des consommateurs, et les producteurs qui veulent survivre à la concurrence doivent être capables non seulement d’attirer épisodiquement les consommateurs mais d’obtenir leur confiance.[lxvi]
La production capitaliste de films, aux États-Unis comme en Europe, à la fin des années 20, fut obligée de se forger une certaine « responsabilité culturelle à l’égard du public », par l’intermédiaire de la radio et de la presse indépendantes de la production, en se pliant généralement à leurs critères cinéphiliques ; ou encore par une série de prix récompensant les « membres des équipes de production cinématographique » et donc faisant la « promotion du savoir-faire cinématographique[lxvii] » qui accorderait de la valeur aux films. La production s’intéresse fortement au goût de son spectateur, ce qui fait entre autres qu’elle ne veut pas le choquer moralement. Cette production s’est ainsi pliée généralement à la cinéphilie dominante en place à son époque, sur laquelle la production avait peu de prise directe ; et cette cinéphilie valorisait, comme je l’ai déjà dit, les qualités technique, éthique et de création individuelle.

La première génération du cinéma expérimental : sa classe et sa cinéphilie
C’est dans le contexte de l’alliage entre la cinéphilie dominante et la grande production capitaliste de films que naît le cinéma expérimental, dans sa première génération telle que conceptualisée par Raphaël Bassan selon le terme de « cinéma des avant-gardes historiques[lxviii] ». Le cinéma expérimental se consolide réellement selon Bassan dans les années 20 : il n’a donc pas de cinéphilie propre ni de production propre dans les décennies 10-20[lxix]. Or, comme nous l’avons vu, la cinéphilie dominante n’est même pas encore arrimée au marché à cette époque comme elle le sera dans les années 30 par les critiques professionnels ; selon moi, le cinéma expérimental ne peut donc pas naître de milieux journalistiques ou de n’importe quel milieu lié au marché, car il n’y aurait à l’époque aucune cinéphilie dominante à laquelle s’opposer[lxx]. Il naît par conséquent d’abord des milieux petits-bourgeois intellectuels de l’art moderniste (au sens qu’ils revendiquent avant tout la modernité artistique, et donc nécessairement l’innovation formelle)[lxxi] :
L’avant-garde cinématographique naît essentiellement [au cours des années 1910 et du début des années 1920] dans trois pays — l’Italie, l’Allemagne et la France — mais va se répandre dans une dizaine d’autres à la fin des années 1920. Les premières manifestations de cette avant-garde sont le fait de peintres abstraits ou futuristes […]. Les Italiens Bruno Corra et Arnaldo Ginna réalisent deux petits films peints directement sur pellicule en 1912 […].[lxxii]
Un film français en 1915 mène des expériences qui tendent vers l’abstraction (au sens qu’aucune référence à la réalité matérielle n’y est identifiable, par exemple on y montre des formes géométriques faisant donc référence à des idées) : Abel Gance, son réalisateur, vient lui aussi de la petite-bourgeoisie intellectuelle, lui qui avait fondé sa société de production Le Film français en 1911 et déjà produit lui-même quelques-uns de ses films[lxxiii]. Les périodisations (ou découpage théorique en périodes) des premières avant-gardes européennes sont nombreuses dans la recherche aujourd’hui, mais en somme, de 1920 aux premières années de 1930, les théoriciens et cinéastes expérimentaux de première génération veulent faire reconnaître le cinéma comme un « art » ; durant ces années, les théoriciens et cinéastes veulent aussi distinguer le cinéma des autres arts (littérature et théâtre), en utilisant les moyens jugés propres au cinéma jusqu’à leurs limites, pour en faire « un cinéma absolu, proche en quelque sorte de la musique visuelle[lxxiv] ». Des films se réclament de grands courants artistiques (cubisme, dada, Bauhaus en architecture, surréalisme, etc.) et serviront de référence aux développements ultérieurs du cinéma expérimental : « Ces films ont émis des hypothèses artistiques (les questions liées au mouvement, à la lumière, à l’objet, à la machine y tiennent une place centrale) destinées à être retravaillées trente ou quarante ans plus tard par les nouvelles avant-gardes[lxxv] ». La centralité de ces questions, qui restera toujours présente dans la première génération du cinéma expérimental et même dans la seconde génération, s’explique selon moi par le milieu d’émergence du cinéma expérimental : les expérimentaux de première génération, pour se trouver une place et continuer leur activité, doivent entrer dans les critères de valeur cinématographique du milieu de l’art moderniste (innover, expérimenter l’art comme matière plastique) et se différencier de la grande production capitaliste du cinéma (faire un cinéma artistique par opposition à un cinéma industriel), et non faire concurrence à d’autres cinéphilies. Le surréalisme au cinéma, souvent associé au penchant le plus près de la lutte politique progressiste dans les premières avant-gardes, est au final selon Bassan bien peu ancré dans la cinéphilie des classes travailleuses et donc incapable de jouer un rôle dans la lutte de ces classes ; ce qui révèle le caractère encore une fois petit-bourgeois de l’avant-garde européenne : « les rares films surréalistes menés à terme […] travaillent au niveau de codes et d’une symbolique élitistes [au sens d’inconnus et donc rebutants pour les classes travailleuses] ([il en va] ainsi des références au marquis de Sade dans L’Âge d’or)[lxxvi] ». Autrement dit, leur subversion n’est pas avant tout sociale, mais formelle.
Par la suite, le premier cinéma expérimental dans son ensemble, après son émergence et comme il se développe dans les années 20-30, se définira dans une double distinction sociale, selon moi, d’une part par sa cinéphilie, d’autre part par sa production matérielle du cinéma. D’une part, la cinéphilie expérimentale qu’il construit peu à peu s’oppose à la première cinéphilie dominante qui se forme réellement au cours des années 20 et qui est notammentcelle des classes travailleuses ; en se rendant obscure à la compréhension de celles-ci, par exemple en rejetant la fiction au profit de l’abstraction[lxxvii]. Pour se rendre obscur, le cinéma d’avant-garde peut aussi décider de ne pas user de personnage, dans une histoire ayant au moins une apparence de réalité, vivant des émotions et auquel on peut s’identifier[lxxviii]. Plus précisément, soit il n’y a plus de personnage comme dans le cinéma de « symphonie urbaine » d’Alberto Cavalcanti, ou encore dans le cinéma abstrait ; soit l’histoire dans laquelle le personnage est posé est entrecoupée de « séquences abstraites » ; soit l’histoire ne donne pas de leçon de vie claire se rapprochant d’une quelconque morale, comme dans les films surréalistes[lxxix]. Cette cinéphilie du cinéma expérimental de première génération est probablement celle des premiers goûts dans la discipline cinématographique que développe une partie de la petite-bourgeoisie intellectuelle, classe qui ne s’y était probablement pas encore développé de goût au cinéma au début des années 10, comme l’étude vue plus haut le montrait dans le cas de l’Allemagne du moins. Ces goûts passent d’abord par une distinction par rapport au cinéma d’alors parce qu’il est surtout consommé par les classes travailleuses en Europe (comme dans le cas de l’étude détaillée), en accord avec la théorie de la distinction sociale de Pierre Bourdieu :
l’identité sociale du sujet [au sens d’individu] de goût tient au moins autant à l’adhésion positive aux préférences de son milieu, pour laquelle il est en quelque sorte programmé par ses dispositions, qu’au dégoût exprimé pour les préférences attribuées aux autres groupes sociaux, auquel il est structurellement conditionné par sa position dans l’espace social des goûts […]. Le goût des dominants se définit ainsi notamment, en matière culturelle, par l’attrait pour les arts savants et par le rejet des arts populaires et de la culture de masse.[lxxx] [lxxxi]
Cette première cinéphilie expérimentale distingue la petite-bourgeoisie intellectuelle qui la porte, en ce qu’elle rend son cinéma et sa théorie du cinéma imperméables à la compréhension des masses travailleuses et de la critique professionnelle, habituées aux codes de jugement propres à la cinéphilie dominante. D’autre part, la production (fabrication, distribution et reproduction du public) des films de ces avant-gardes, sans s’être pour l’instant autonomisée, passe par des voies extérieures à la production capitaliste du film. En effet, ces avant-gardes font surtout des courts-métrages (ce qui diminue le coût de production) ; le caractère abstrait de leurs films en limite les coûts (par exemple, de décors et d’acteurs) ; et les films sont surtout financés par des mécènes ayant de plus grands moyens, comme Marie-Laure et Charles de Noailles[lxxxii]. Tout cela leur épargne donc le souci de la distribution des films et du renouvellement du public pour lequel d’ailleurs ces avant-gardes n’ont pas beaucoup d’intérêt, contrairement au cinéma dominant qui s’y plie[lxxxiii]. La production des films expérimentaux en elle-même se rend donc inaccessible au public de la masse travailleuse et de la critique professionnelle, car elle ne passe pas par les canaux de publicité et de distribution qui acheminent les films de la grande production jusqu’aux spectateurs de la masse.
Cette première période européenne des avant-gardes du cinéma expérimental prendra justement « fin », esthétiquement et productivement, à cause du manque d’autonomie productive de ce cinéma : « L’arrivée du cinéma parlant marque un arrêt dans l’évolution des avant-gardes historiques essentiellement françaises et allemandes. Désormais, faire un film coûte cher, et les œuvres d’avant-garde ne peuvent trouver de financements[lxxxiv] ». D’ailleurs, « les deux grandes capitales de l’avant-garde historique ne produisent presque plus rien dans les années 30[lxxxv] ». Devant ces difficultés, la petite-bourgeoisie intellectuelle jusque-là responsable du cinéma expérimental effectue ses premiers essais d’organisation autonome de la production sociale de cet objet culturel, lors du premier Congrès international du cinéma indépendant en 1929 « qui réunit la plupart des critiques et cinéastes qui ont marqué la décennie dans ce domaine[lxxxvi] ». Lors du Congrès, un but d’une telle organisation productive s’édifie, où la condition petite-bourgeoise transparaît dans l’idée y faisant consensus d’une fédération de petits propriétaires par la coopérative :
le but des congressistes était de fonder une infrastructure de type coopératif (celle-ci fut effectivement créée puis dissoute un an plus tard) qui facilite la circulation des œuvres d’avant-garde de par le monde. Le contexte économique défavorable lié au parlant, le durcissement des régimes politiques en Allemagne et en URSS représentaient alors des obstacles de taille [au développement de cette infrastructure de type coopératif][.][lxxxvii]
En effet, ce choix d’une coopérative n’est pas anodin pour identifier le caractère de classe des cinéastes expérimentaux : si le fondement de ce cinéma avait réellement été le changement des mœurs conservatrices, l’opposition à la production capitaliste et par le marché en soi, ou encore la révolution sociale — et non une origine de classe ; ces cinéastes auraient pu se joindre au mouvement ouvrier en pleine ébullition dans les années 30, dont les partis communistes et syndicats produisaient déjà des films de manière autonome de la grande production. En France par exemple, le Parti communiste français (PCF) a commencé à produire et distribuer des films dans la décennie 1920, mettant ses structures de production, dont les premières furent développées dans les années 30, à disposition
de diverses organisations du mouvement ouvrier avec lesquelles il partageait une proximité : la CGT [syndicat à tendance révolutionnaire à l’époque], les municipalités ouvrières [souvent des municipalités dont les élus venaient du PCF], les organisations de masse comme le Secours populaire, le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les peuples (MRAP), la Fédération Sportive et Gymnique du travail (FSGT) ou l’Union des Femmes Françaises (UFF).[lxxxviii]
Mais la suprématie de leur relative autonomie productive et cinéphilique, qu’ils n’auraient pu compromettre pour suivre les nécessités d’une lutte ou une ligne de parti, les empêchera jusqu’à aujourd’hui de s’organiser durablement auprès du cinéma militant ouvrier qui ne passait pourtant pas vraiment par la grande production cinématographique. Pour comprendre l’importance que revêt cette distinction par l’art et cette autonomie intellectuelle, aux yeux des défenseurs du cinéma expérimental, il faut savoir que, selon la théorie bourdieusienne, l’abandon du capital culturel nuirait à la reproduction de la position de classe de cette petite-bourgeoisie intellectuelle : « les systèmes de goût et les pratiques culturelles participent fondamentalement à la reproduction des rapports de dominati
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