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“Guerre de la faim” : tollé contre la décision d’Israël de bloquer les aides vers Gaza

La décision du gouvernement de Benyamin Nétanyahou de bloquer l'entrée des aides humanitaires dans l'enclave palestinienne a suscité une vague de réactions dans le monde arabe (…)

La décision du gouvernement de Benyamin Nétanyahou de bloquer l'entrée des aides humanitaires dans l'enclave palestinienne a suscité une vague de réactions dans le monde arabe et à l'international, et exacerbé les craintes d'une relance de la guerre.

Tiré du Courrier international. Légende de la photo : Des enfants palestiniens se rassemblent pour recevoir de la nourriture préparée par une association caritative à Khan Younès, dans le sud de la Bande de Gaza, le 3 mars 2025. Photo : Hatem Khaled/Reuters.

“Israël impose un siège à Gaza et déclare la guerre de la faim”, titre ce lundi 3 mars le quotidien panarabe Al-Quds Al-Arabi, alors que les réactions dans le monde arabe et à l'international pleuvent depuis l'annonce par Israël, la veille, de la fermeture des postes-frontières par lesquels est acheminée l'aide humanitaire dans la bande de Gaza.

Cette décision, qui a surpris aussi bien les Palestiniens que les Israéliens, vise à exercer une pression sur le Hamas, afin de le contraindre à accepter une proposition américaine d'extension jusqu'au 19 avril de la première phase de l'accord de cessez-le-feu, arrivée à terme début mars.

De son côté, le mouvement palestinien réclame l'enclenchement immédiat de la deuxième phase, conformément au calendrier initialement défini, stipulant la libération des otages restants, des négociations sur un arrêt permanent des hostilités et le retrait total des troupes israéliennes de Gaza.

“Punition collective”

“L'utilisation de l'aide [humanitaire] comme moyen de coercition et de punition collective constitue une violation flagrante du droit international, encore plus au regard de la situation humanitaire à Gaza”, a ainsi réagi l'Arabie saoudite, rapporte le quotidien Asharq Al-Awsat, alors que le Qatar et l'Égypte, deux médiateurs clés impliqués dans les négociations entre Israël et le Hamas, ont condamné à l'unisson la décision israélienne.

Le Caire a dénoncé une “violation flagrante” de l'accord, et accusé Israël d'utiliser la famine comme “arme contre le peuple palestinien”.

Au niveau international, l'Union européenne (UE) a appelé à une reprise rapide des négociations ainsi qu'à l'“accès complet […] et sans entrave à l'aide humanitaire des Palestiniens”, alors que plus de 90 % des Gazaouis vivent dans des conditions extrêmes, rapporte le journal saoudien.

La semaine dernière, sept nourrissons sont morts à Gaza d'hypothermie, alors que le Proche-Orient était touché par une vague de froid, rappelle le site Electronic Intifada.

Vers une relance de la guerre ?

L'Organisation des nations unies ainsi que plusieurs ONG internationales, dont Oxfam et Médecins sans frontières (MSF), ont également condamné la décision israélienne, dénonçant l'usage de l'aide humanitaire comme “monnaie d'échange et outil de guerre”.

Mais au-delà des condamnations, “l'inquiétude grandit quant à une reprise des combats”, constate The New York Times, et quant au sort de centaines de milliers de Palestiniens vivant toujours à Gaza et à celui des 54 otages détenus encore par le Hamas.

Benyamin Nétanyahou semble en effet privilégier l'option martiale, d'autant que sa survie politique reste tributaire de ses alliés d'extrême droite, notamment de son ministre des Finances, Bezalel Smotrich, qui a menacé en janvier de démissionner si la guerre ne reprenait pas.

“Alors que le cessez-le-feu vacille, le Hamas et Israël opèrent sur deux fronts, l'un diplomatique, l'autre militaire”, chacun se préparant à l'éventualité d'une relance du conflit, met ainsi en garde le journal américain.

“Les otages d'abord”

Entre-temps, la panique s'est emparée des familles des otages dès l'annonce, dimanche 2 mars, du blocage des aides acheminées vers Gaza, rapporte la presse israélienne. Une crainte exacerbée par les menaces du Hamas, qui a affirmé qu'Israël devra “assumer les conséquences” de sa décision, qualifiée de “coup d'État”, contre l'accord de trêve conclu le 19 janvier.

Dans un article, le site The Times of Israel a interrogé certains de ces proches, qui appellent unanimement à la mise en œuvre de la deuxième phase de l'accord.

Parmi eux, Lishay Miran-Lavi, mère de deux petites filles, est toujours dans l'attente du retour de son mari, Omri Miran, détenu à Gaza depuis octobre 2023. “Les otages immédiatement, le Hamas ensuite”, affirme-t-elle sur un ton insistant. “Quand pourrai-je me lever le matin et répondre aux questions de mes filles sur le jour et l'heure auxquels leur père rentrera à la maison ?” demande la jeune mère, citée par le média.

Sa crainte, comme celle d'autres proches, est que cela se fasse aux dépens des otages. C'est aussi l'inquiétude de certains journalistes, dont Amos Harel, dans Ha'Aretz. Si le conflit reprend, dit-il, “certains [otages] risquent d'être condamnés à un séjour prolongé dans les tunnels du Hamas, et d'autres seraient sacrifiés”.

Les craintes sont également vives, côté palestinien, d'un nouvel épisode meurtrier après quinze mois d'une guerre dévastatrice, ayant fait plus de 60 000 morts et déplacé près de 2 millions de personnes. “Assez de guerres… !” lance ainsi Abou Mohammed El-Basyouni, un habitant de la ville de Gaza, cité par le journal palestinien Al-Ayyam. “Nous sommes aussi un peuple, et nous avons le droit de vivre.”

Courrier international

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Un nombre record de 60 avant-postes illégaux installés en Cisjordanie en 2024, selon un groupe israélien de défense des droits

Sous le couvert de la guerre génocidaire contre Gaza, 60 avant-postes illégaux ont été installés en Cisjordanie occupée pour la seule année 2024, a révélé hier une organisation (…)

Sous le couvert de la guerre génocidaire contre Gaza, 60 avant-postes illégaux ont été installés en Cisjordanie occupée pour la seule année 2024, a révélé hier une organisation israélienne qui surveille la politique foncière israélienne dans le territoire palestinien occupé.

Tiré de France Palestine Solidarité.
24 février 2025

Kerem Navot a déclaré que 284 avant-postes ont été établis depuis 1997, et que « plus d'un cinquième » l'ont été au cours de la seule année 2024.

« Contrairement au passé, lorsque les gouvernements israéliens cherchaient encore à projeter une image de respect de l'État de droit en évacuant un nombre symbolique d'avant-postes, le gouvernement actuel a ordonné à l'armée et à l'administration civile de ne procéder à aucune évacuation », a ajouté le rapport.

Bien que les nouveaux avant-postes soient illégaux, le PDG de Navot, Dror Atkes, a déclaré : « La plupart d'entre eux disposent déjà d'infrastructures, y compris d'une connexion au réseau d'adduction d'eau israélien. C'est très simple : ils tirent les tuyaux des anciennes colonies. En ce qui concerne l'électricité, certains d'entre eux disposent de générateurs et de panneaux solaires, mais d'autres ont déjà réussi à tirer des lignes électriques à partir d'anciennes colonies. »

« Beaucoup de nouveaux avant-postes comptent peu de colons, parfois moins de dix. Cependant, ils s'emparent de vastes zones et y établissent des infrastructures, dans le but de permettre l'arrivée d'un plus grand nombre de colons à l'avenir », prévient le rapport.

D'autres sont présentés par les colons comme des extensions ou de nouveaux quartiers de colonies illégales existantes, dont Israël a unilatéralement légalisé l'établissement, ce qui n'est pas reconnu par le droit international.

Navot a averti que « c'est ainsi qu'ils étendent sans cesse la zone où les colons circulent librement et pas les Palestiniens, créant progressivement une zone contiguë de colonisation dans une grande partie de la Cisjordanie ».

Selon de nombreux rapports et témoignages de résidents palestiniens, de militants, de journalistes et même de colons, bon nombre des nouveaux avant-postes ont été établis en s'emparant de terres agricoles et de pâturages palestiniens, en prenant violemment possession de leurs terres, en déracinant leurs arbres, en bloquant les routes qu'ils empruntent et en érigeant des clôtures qui bloquent l'accès à leurs champs.

Selon un rapport du Bureau des affaires humanitaires des Nations unies, entre octobre 2023 et novembre de l'année dernière, 1 757 Palestiniens ont été expulsés de leur domicile en Cisjordanie occupée - certains par les forces d'occupation, en raison d'une construction sans permis israélien, et d'autres par des colons dans le but d'établir et d'étendre des avant-postes. Il s'agit de la plus grande expulsion de Palestiniens en Cisjordanie depuis la Naksa en 1967.

Traduction : AFPS

Photo : Construction d'une colonie israélienne à Givat Hatamar, Cisjordanie, 2017 © Ronan Shenav

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La conférence nationale palestinienne appelle à la reconstruction de l’OLP

La conférence nationale palestinienne qui s'est tenue à Doha a appelé à la réforme de l'OLP, à des élections démocratiques et à l'unité, malgré l'opposition de l'Autorité (…)

La conférence nationale palestinienne qui s'est tenue à Doha a appelé à la réforme de l'OLP, à des élections démocratiques et à l'unité, malgré l'opposition de l'Autorité palestinienne.

Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Mustafa Barghouti, 2007 © Aude

La Conférence nationale palestinienne, une initiative populaire visant à obtenir une large unité palestinienne et une action nationale renouvelée à la suite de la guerre à Gaza, s'est achevée à Doha mercredi, réaffirmant son engagement à reconstruire l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant qu'unique représentant légitime du peuple palestinien.

Les délégués ont souligné la nécessité d'une direction nationale unifiée pour faire face à la fragmentation politique et aux pressions extérieures.

Dans sa déclaration finale, la conférence s'est déclarée comme un mouvement populaire durable prônant le dialogue, la pression politique et la réforme structurelle. Elle a appelé à la tenue d'élections démocratiques parmi les Palestiniens à l'intérieur et à l'extérieur des territoires occupés afin de rétablir l'OLP sur des bases inclusives.

La conférence s'est tenue dans des circonstances difficiles, notamment le génocide à Gaza, le nettoyage ethnique en Cisjordanie et la division politique au sein de la direction palestinienne. Elle s'est tenue en réponse à une initiative de février 2024 appelant à la formation d'une direction unifiée et d'une OLP revitalisée.

Mustafa Barghouti, secrétaire général de l'initiative nationale palestinienne, a ouvert la conférence lundi en déclarant que l'initiative avait représenté un « mouvement populaire sans précédent pour restaurer l'unité nationale palestinienne et reconstruire nos institutions nationales sur des bases démocratiques ».

« Notre peuple endure depuis longtemps l'occupation, la division et l'oppression systématique ; le moment est venu de récupérer notre représentation nationale et de prendre des mesures décisives pour faire face aux menaces actuelles », a-t-il déclaré.

Les délégués ont souligné le droit du peuple palestinien à l'autodétermination et à la résistance dans le cadre du droit international. Ils ont également condamné l'expansion des colonies, les politiques de déplacement et les efforts visant à affaiblir la question des réfugiés palestiniens et l'UNRWA. La déclaration finale réaffirme le droit à un État palestinien pleinement souverain avec Jérusalem pour capitale et s'engage à soutenir les prisonniers, les familles des martyrs et les personnes blessées dans la lutte.

L'un des principaux résultats a été la sélection d'un organe général de 108 membres, chargé d'élire un comité de suivi de 17 membres. Ce comité engagera les factions palestiniennes, y compris celles qui ne font pas partie de l'OLP, dans des efforts visant à unifier le leadership. La conférence a également approuvé un plan d'action de 100 jours axé sur la mobilisation de la base, la défense des droits des prisonniers et le renforcement des communautés palestiniennes de la diaspora.

Le président de la conférence, Muin Taher, a souligné que « la conférence ne se substitue pas à l'OLP, seul représentant légitime du peuple palestinien ».

« Notre slogan fondamental est celui d'une direction palestinienne unifiée et de la reconstruction de l'OLP sur des bases nationales et démocratiques », a-t-il déclaré à Al-Araby Al-Jadeed, l'édition en langue arabe de The New Arab.

« Par conséquent, nous voulons reconstruire et activer l'OLP, et non la remplacer, et nous n'avons pas l'intention d'être une alternative à cette organisation. Nous continuerons à exercer des pressions et à prendre des mesures pour atteindre les objectifs de la conférence ».

Lorsqu'on lui a demandé si la prochaine étape consisterait à tendre la main au président palestinien Mahmoud Abbas, M. Taher a répondu : « Le comité de contact, créé dans le cadre de l'initiative de reconstruction de l'OLP et du plan des 100 jours, s'engagera auprès de toutes les factions de l'arène palestinienne, y compris celles qui ne sont pas représentées au sein de l'OLP. »

Le comité de contact est chargé de dialoguer avec le président palestinien Mahmoud Abbas et le comité exécutif de l'OLP, dans le but d'établir une feuille de route pour des élections démocratiques et une réforme institutionnelle. Les recommandations comprennent la réactivation des syndicats professionnels, la réouverture de l'adhésion à l'OLP et le lancement de campagnes publiques pour exiger des élections.

Malgré ses objectifs d'unité, la conférence s'est heurtée à l'opposition de l'Autorité palestinienne (AP) d'Abbas, qui a empêché 33 membres de se rendre à Doha. Les forces de sécurité ont empêché plusieurs délégués de quitter la Cisjordanie et les ont menacés d'arrestation et de licenciement. La conférence a annoncé un soutien juridique pour les participants confrontés à des représailles.

Ahmed Ghoneim, dirigeant du Fatah et membre du comité de suivi de la conférence nationale palestinienne, a déclaré à Al-Araby Al-Jadeed que des fonctionnaires de l'AP avaient contacté dix participants de différentes régions palestiniennes et les avaient menacés d'arrestation, de confiscation de leur passeport, de licenciement et de réduction de leur salaire s'ils retournaient en Palestine après avoir participé à la conférence.

Les organisateurs ont rejeté les accusations selon lesquelles la conférence visait à remplacer l'OLP, déclarant que son seul objectif était de restaurer son rôle national. Les participants, parmi lesquels d'éminentes personnalités politiques et d'anciens prisonniers, ont décrit l'initiative comme une réponse urgente à la guerre d'Israël contre Gaza et à la crise palestinienne dans son ensemble.

Pendant trois jours, environ 400 délégués de toute la Palestine et de la diaspora ont participé à des discussions sur la reconstruction du leadership palestinien. Les comités ont présenté des rapports sur la stratégie politique, la résistance, les droits des réfugiés et l'engagement international, qui ont abouti à un ensemble final de recommandations à mettre en œuvre dans les mois à venir.

La conférence s'est conclue par un engagement à maintenir la pression en faveur des réformes, à mobiliser les communautés palestiniennes et à résister aux efforts visant à fragmenter la représentation nationale. Les organisateurs ont souligné que le mouvement persistera jusqu'à ce que ses objectifs d'unité, de représentation démocratique et de réforme de l'OLP soient atteints.

La conférence a mis l'accent sur la question des réfugiés palestiniens, en insistant sur la réaffirmation du droit au retour. Elle a proposé une stratégie nationale visant à améliorer les services de l'UNRWA et à créer une entité palestinienne locale pour soutenir les communautés déplacées, financée par les contributions de la diaspora.

Traduction : AFPS

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Israël, les Arabes et la « distance zéro »

Depuis plus d'un an et demi, la guerre coloniale menée par Israël contre les Palestinien-nes, les Libanais-es et les autres peuples de la région, a remis au centre des (…)

Depuis plus d'un an et demi, la guerre coloniale menée par Israël contre les Palestinien-nes, les Libanais-es et les autres peuples de la région, a remis au centre des discussions la question de l'impérialisme occidental, étasunien en particulier, dans le monde arabe.

Tiré du site de la revue Contretemps
24 février 2025

Par Hèla Yousfi

Dans cet article, la sociologue Hèla Yousfi poursuit sa réflexionsur l'intrication entre lutte de libération nationale et révolution sociale et démocratique. À partir de l'expérience de la résistance palestinienne contre le colonialisme israélien, elle propose des pistes pour penser à l'échelle arabe les moyens de résistance contre la dynamique impérialiste d'asservissement des peuples de la région.

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Le terme « distance zéro » est devenu célèbre après son utilisation par la résistance palestinienne à Gaza, pour illustrer la force et le courage des résistants palestiniens face aux tanks israéliens. La stratégie de la « distance zéro » repose sur l'approche des forces d'occupation à moins de 50 mètres, rendant difficile l'utilisation d'armements lourds contre les résistants. La distance zéro, ce symbole de la résistance palestinienne est une métaphore recouvrant deux aspects.

Le premier est celui relatif au face à face entre les corps des Palestiniens et la machine de destruction israélienne soutenue et financée par les USA et l'Europe, les régimes arabes complices d'Israël et l'autorité palestinienne dans la guerre qui dévore Gaza et plus largement une bonne partie du Moyen-Orient (Cisjordanie, Sud du Liban, Golan syrien). Le deuxième aspect est celui relatif au courage légendaire des résistants dans la « distance zéro », qui défient l'armée la plus puissante au monde et de la distance zéro font naître une légende capable de rappeler que le droit de l'auto-détermination du peuple palestinien est inaliénable.

Dans un premier temps j'évoquerai les enjeux stratégiques de cette guerre occidentalo-israélienne dans la région arabe et ses différents leviers, j'essaierai de situer cette guerre dans l'histoire longue qui agite la région depuis le démembrement de l'empire ottoman fin du19ème siècle. Je reviendrai plus particulièrement sur les enseignements de deux moments politiques ayant déclenché une rupture radicale dans l'imaginaire politique collectif : le moment des révolutions arabes et le moment du 7 octobre 2023 et ce qu'ils nous disent sur les défis de résistance face à ce nouveau projet du Grand Israël ou du Grand Moyen-Orient.

Dans une société où l'on chasse, on ne peut pas chasser une seule fois

Dans son discours d'investiture du 20 janvier 2025, Trump, acteur autoproclamé du renouveau civilisationnel, appelle les Américains à agir « avec le courage, la vigueur et la vitalité de la plus grande civilisation de l'histoire ». Dans un passage particulièrement éloquent — Trump n'improvise pas mais nous rappelle explicitement le modèle politique originel des USA fondée sur la conquête et la prédation : « L'esprit de la Frontière est gravé dans nos cœurs. L'appel de la prochaine grande aventure résonne au plus profond de nos âmes. Nos ancêtres américains ont transformé un petit groupe de colonies au bord d'un vaste continent en une République puissante composée des citoyens les plus extraordinaires sur Terre. »

De son côté, Bezalel Smotrich, ministre des finances israélien déclare à Paris : « Le peuple palestinien est une invention de moins de cent ans. Est-ce qu'ils ont une histoire, une culture ? Non, ils n'en ont pas », et son pupitre montre une carte incluant non seulement la Palestine occupée, à l'instar de celle qui fut présentée à l'ONU par Benyamin Netanyahou, mais aussi le territoire de l'actuelle Jordanie et une partie de la Syrie.

Auditionné, dans le cadre de son procès pour corruption, Benyamin Netanyahou a rappelé le tournant historique que représente la prise du mont Hermon en assurant : « Quelque chose de tectonique s'est produit ici, un tremblement de terre qui ne s'est pas produit au cours des cent années qui ont suivi ». Par ailleurs, en 2014 déjà, Abou Bakr Al Baghdadi, le chef de l' « État islamique » [1], revendiquait la même volonté « d'effacer les frontières coloniales des accords Sykes-Picot » et de balkaniser la région.

Stratégique, le mont Hermon domine la plaine syrienne du Hauran, à moins de 50 kilomètres de la capitale syrienne. D'autre part, il permet de fournir des ressources en eau à Israël et lui permet de sécuriser le Jourdain et le lac de Tibériade. Même l'Arabie saoudite, pourtant un allié principal d'Israël, a aussi fustigé une opération qui « sabote » les chances de la Syrie de recouvrer son « intégrité territoriale ». Une annexion qui « confirme la violation continue par Israël des règles du droit international », observe le ministère saoudien des Affaires étrangères.

Dans le même temps, le premier ministre israélien, qui n'a pas hésité à s'attribuer le mérite de la chute de Bachar Al-Assad, a procédé à plus de 500 frappes et détruit 80 % de l'arsenal syrien afin de s'assurer que le nouveau pouvoir demeure en position de faiblesse dans le cadre de la recomposition stratégique de la région. Israël se battra désormais pour garantir que la Syrie reste fragmentée et impuissante, incapable de poser un défi significatif aux ambitions régionales d'Israël.

Ainsi les derniers développements dans la région, la guerre génocidaire en Palestine et au Liban, l'effondrement du régime de Bachar Al-Assad, sont autant de facteurs qui ont contribué à ouvrir l'appétit prédateur et expansionniste du gouvernement d'extrême droite israélienne et à raviver le rêve de Jabotinsky, penseur du Grand Israël, de voir le projet sioniste devenir une grande puissance régionale, intimidant ses voisins et accaparant ses ressources. L'ensemble de ces citations et bien d'autres rappellent que dans une société où l'on chasse, on ne peut pas chasser une seule fois, il faut sans cesse chasser. A cet égard, le capitalisme n'est pas bien différent de la chasse.

Comme le rappelle Samir Amin, Ghassan Hage et d'autres penseurs marxistes : « Le colonialisme n'est pas un évènement, c'est une structure ». Les nations capitalistes doivent toujours osciller, entre d'une part se civiliser et autoriser le maintien d'« une accumulation légale » qui leur permet d'éviter le pillage, la déprédation, l'esclavage et le génocide qui ont produit leur richesse accumulée et d'autre part trouver constamment des espaces à l'intérieur ou à l'extérieur de leurs frontières, où la loi du plus fort l'emporte sur l'État de droit, afin de pouvoir piller, asservir et voler de nouveau [2].

Force est de constater que l'impérialisme sauvage, celui de Trump et de Netanyahu, habillé d'une rhétorique messianique divisant l'humanité (les humains et les humains animaux) en deux catégories semble s'accommoder d'une seule stratégie, celle de la prédation et le pillage non seulement à l'extérieur de ses frontières mais à l'intérieur du cadre national avec une montée inédite du fascisme dans tous les pays occidentaux.

Cet impérialisme se manifeste depuis toujours dans le Sud global et notamment dans la région arabe par la politique de la mort. Il y a des vies dignes d'être vécues et d'autres qui peuvent être annihilées à tout moment. La phrase célèbre de Hilary Clinton commentant l'assassinat de Kadhafi « We came, we saw, he died », « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort » résume à elle seule la logique de l'impérialisme et la mort qui lui est consubstantielle imposée aux pays arabes.

La guerre perpétuelle en Palestine, en Irak et en Lybie et ailleurs n'est pas juste un moyen pour maintenir l'ordre capitaliste mondial mais se révèle être la condition vitale pour maintenir l'hégémonie occidentale dans la région. Les Libyens et les peuples arabes entendent par la phrase de Clinton : « les Américains sont venus, nous ont vu et nous ont tué pour se maintenir en vie ».

Rappelons également les paroles de Madeleine Albright, secrétaire d'État sous Clinton, qui avait déclaré à propos des centaines de milliers de morts irakiens (surtout des enfants et des personnes fragiles) des suites de l'embargo : « Nous pensons que le prix en valait la peine ». Un « coût quasi-génocidaire pour la population », car il s'agit bien d'une entreprise de déshumanisation de populations entières, que l'on peut dès lors condamner à une mort de masse.

Aujourd'hui, la course pour le partage des richesses limitées de la planète et le génocide en Palestine et au Congo montrent que l'époque est celle du pillage et du génocide sans aucun gardes fou. Une configuration dans laquelle Israël a joué et joue un rôle crucial dans le maintien des intérêts impériaux occidentaux – notamment ceux des États-Unis – au Moyen-Orient. Il a joué ce rôle aux côtés bien évidemment des monarchies arabes du Golfe riches en pétrole, principalement l'Arabie saoudite.

De Sykes-Picot aux révolutions arabes : une histoire de contre-révolutions

La nouvelle configuration mondiale annoncée par Trump et dont le maître mot est la prédation et le génocide est façonnée par la suprématie étatsunienne et par la centralité du l'OTAN. Certes, d'autres acteurs, notamment des impérialismes secondaires que sont la Russie post-soviétique, la France ou le Royaume-Uni jouent également leur partition, mais ce ne sont pas eux qui ont déterminé les bases de l'ordre mondial ayant prévalu tout au long de cette période.

La seule façon de maintenir l'hégémonie américaine est de tout fragmenter partout en Amérique latine, en Afrique, en Europe (Yougoslavie) et dans le monde arabe. Non seulement, les USA et ses alliés ont divisé les trois pays (l'Irak, l'Égypte et la Syrie) qui avaient de puissantes armées qui menaçaient Israël et l'hégémonie américaine dans la région mais ils continuent à lutter contre la moindre quête de souveraineté nationale.

Dans le monde arabe, pour comprendre le processus de fragmentation en cours, il faut revenir aux accords de Sykes-Picot de 1916 signés entre Britanniques et Français et à la déclaration de Balfour en 1917, tous deux signés au mépris des populations. L'accord actait le démembrement de l'Empire ottoman et le partage des provinces arabes. De ce fait, les frontières nationales dans les pays arabes correspondent moins aux aspirations d'émancipation des peuples de la région qu'à la répartition des influences et des ressources énergétiques entre les puissances coloniales européennes dans la région [3].

De cette histoire émergent des États « féroces » – pour reprendre l'expression du politiste Nazih Ayubi [4] – caractérisés par l'importance des dispositifs de sécurité, par le maintien de liens forts entre l'armée, les clans économiques et le pouvoir politique et par une relative déconnexion des forces sociales et économiques locales. Il n'en demeure pas moins que ces États souffrent de la distorsion inhérente à leur formation, à savoir le manque de récit fondateur à même de leur assurer la légitimité historique nécessaire pour pénétrer la société. Le recours régulier et instrumental à des idéologies comme le nationalisme arabe ou l'islamisme politique témoigne de ces difficultés.

Pour se maintenir au pouvoir, les élites locales ont poursuivi des politiques économiques basées sur une logique rentière. Lesquelles ne concernent pas uniquement les pays pétroliers. La plupart des États ont en effet privilégié l'accroissement de la consommation au détriment de politiques de développement nécessaires à la diversification de l'économie, mais qui comportent le risque de faire émerger des acteurs concurrents à l'élite au pouvoir. Ces régimes et élites des « États provinciaux » dont la fragilité est structurelle ont naturellement besoin d'un protecteur extérieur, qu'ils n'hésitent néanmoins pas à manipuler en retour.

En réclamant « la chute du régime », les révolutions arabes ont provoqué non seulement une implosion du contrat social interne entre les élites et les populations locales, mais ont également fait éclater le pacte néocolonial entre les États arabes et leurs alliés occidentaux. L'aspiration partagée est sensiblement partout la même : la reconstruction d'un État débarrassé de ses distorsions originelles qui, tout en rompant avec l'héritage autoritaire et clientéliste, doit se montrer capable de redistribuer les richesses et garantir l'émancipation politique et économique des peuples de la région.

Or, la seule voie proposée par les institutions internationales est le jumelage de la « promotion de la démocratie » avec des prescriptions économiques néolibérales. Bien que cette recette ne soit pas nouvelle, elle renoue avec la rhétorique adoptée par le président américain George W. Bush lors de son discours du 11 septembre 2002 (commémorant les attaques du 11 septembre 2001 et légitimant la guerre en Irak) :

« Nous cherchons une paix juste où la répression, le ressentiment, la pauvreté sont remplacés par l'espoir de la démocratie, le marché libre et le commerce libre ».

Une telle rhétorique vise essentiellement à exploiter le soutien de façade à la « démocratie » pour approfondir la libéralisation économique dans toute la région. Un soutien qui n'exclut bien évidemment pas celui, continu, de l'Occident aux régimes autoritaires, notamment en Égypte.

Ainsi, on assiste tout au long de la dernière décennie à deux formes de contre-révolution dans les pays arabes : Celle basée sur l'intervention militaire directe comme en Libye, au Yémen, en Syrie ou en Palestine et celle basée sur l'endettement et les réformes néo-libérales vendus sous le vocable de « transition démocratique ». L'agenda de cette démocratie libérale visait à reléguer au second plan la demande de souveraineté économique et politique au centre des révolutions arabes.

Ainsi, si la chute du régime de Bachar est principalement attribuée au mouvement révolutionnaire syrien, l'arrivée au pouvoir de Joulani – ancien d'al-Qaida et de Daech – ayant assuré sa métamorphose en grand démocrate grâce à une agence de communication britannique, cristallise d'une certaine manière la rencontre de deux dynamiques contre-révolutionnaires enracinées dans l'histoire de l'ingérence occidentale dans la région. La première dynamique est celle de l'ingérence extérieure par le régime des sanctions économiques qui a largement affaibli le régime syrien d'un côté et de l'autre, celle de l'intervention occidentale militaire directe par l'intermédiaire d'Israël (allié majeur de l'OTAN) et la Turquie (membre de l'OTAN) pour contrer la présence russo-iranienne.

Si la souveraineté nationale telle que revendiquée par les révolutions arabes renoue avec les mouvements d'autodétermination et de libération nationale qui ont prévalu dans les cercles de gauche au début du XXe siècle, la dernière décennie nous a montré que la réalisation des aspirations des peuples pour la justice sociale, exigent de redéfinir l'État national et de le débarrasser du pacte néocolonial entre les élites locales et leurs émules occidentales. Elle nous montre aussi qu'il n'y a aucun régime politique viable démocratique ou autoritaire qui puisse tenir tant que les élites sont déconnectées des aspirations des peuples.

Cela exige également que le cadre national s'il reste central pour penser les enjeux de souveraineté ou de démocratie n'est pas suffisant car la dernière décennie et la guerre perpétuelle menée par Israël, les USA et leurs alliés occidentaux dans la région nous imposent de penser les États-nations dans la région arabe comme des entités politico-économiques interdépendantes qui partagent – au-delà d'une langue, une culture et une histoire collective – non seulement une configuration particulière de relations économiques et politiques, mais, bien plus primordial encore, une communauté de destin.

La normalisation ou le génocide, deux voies vers la disparition ?

Le cycle historique ouvert par l'opération du Toufan Al-Aqsa vient rappeler qu'au centre de cette quête de libération nationale, se trouve encore et toujours la guerre entre Israël et les peuples de la région. Israël, qui a subi une menace avec les attaques du 7 octobre 2023 a décidé, avec le soutien actif de l'Occident et notamment des USA de transformer cette menace en opportunité et de passer à l'attaque pour poursuivre le projet de refonte du Moyen-Orient ou le projet du Grand Israël. Le gouvernement israélien et Trump se préparent à entamer un processus accéléré de nettoyage ethnique en Cisjordanie et à Jérusalem.

Le régime israélien vient d'annoncer une nouvelle opération militaire, « Mur de fer », à Jénine, au nord de la Cisjordanie. Le nom de l'opération n'est pas aléatoire. Le Mur de fer est l'œuvre fondatrice de Vladimir Jabotinsky, l'un des pères fondateurs du sionisme. Cette œuvre est la force idéologique motrice de la vision de Netanyahou. Jabotinsky écrit : « Il ne peut y avoir d'accord volontaire entre nous et les Arabes de Palestine… Les populations indigènes, civilisées ou non, ont toujours résisté obstinément aux colons… ». La colonisation est le nom du jeu et l'effacement du peuple palestinien en est l'objectif.

Israël, n'est pas non plus prête de se retirer du Sud du Liban. Il en va de même pour la Syrie, où l'armée sioniste a pris l'initiative de détruire les capacités militaires syriennes après l'effondrement du régime précédent, de s'emparer de nouvelles zones de son territoire et d'encourager officiellement les tendances séparatistes à déchirer le pays et à pousser son peuple au conflit et à la lutte.

L'Iran, qui se trouve dans la zone cible d'Israël, est conscient de cette réalité et ses dirigeants soulignent que leur pays est prêt à faire face à une telle éventualité. La Turquie est également visée par le projet expansionniste israélien en jouant la carte du séparatisme kurde, évoquée par plus d'un responsable israélien, et les jours montreront comment elle traitera cette question. Le Yémen, pour sa part, est engagé dans un conflit direct avec l'entité sioniste et il est inévitable que ce conflit s'intensifie.

La question est de savoir comment les autres États de la région traiteront le projet expansionniste israélien. L'Égypte et la Jordanie accepteront-elles le déplacement forcé des Palestiniens de Gaza ? L'Arabie saoudite acceptera-elle un ordre régional dirigé par Israël ? Le choix proposé aujourd'hui à tous les pays de la région est la normalisation ou le génocide. Ce qui est sur la table aujourd'hui, ce n'est plus la normalisation classique des relations commerciales et économiques, la coopération dans divers domaines, mais la soumission totale à l'entité sioniste.

Génocide ou normalisation, le projet est de faire disparaître toute notion de peuple dans la région et en faire un marché libre des marchandises et des identités. Génocide ou normalisation sont deux options du même projet de faire disparaître toute quête de dignité et de souveraineté dans la région.

Edward Saïd écrivait en octobre 1993, dans son article prémonitoire « Oslo : le jour d'après » :

« En réalité, avec ses institutions bien développées, ses relations étroites avec les USA et son économie agressive, Israël incorporera économiquement les territoires [occupés], les maintenant dans un état de dépendance permanente. Et puis Israël se tournera vers le monde arabe élargi, faisant usage des bénéfices politiques de l'accord palestinien comme d'un tremplin pour s'introduire dans les marchés arabes, qu'il exploitera aussi et dominera probablement. »

Nous y sommes !

A cet égard, il faut rappeler que les États-Unis (et leurs alliés européens) ont eu recours, à partir des années 1990, à divers mécanismes visant à favoriser l'intégration économique d'Israël dans le Moyen-Orient élargi. L'un d'eux était l'approfondissement des réformes économiques – une ouverture aux investissements étrangers et aux flux commerciaux qui se sont rapidement répandus dans la région.

Dans ce contexte, les États-Unis ont proposé une série d'initiatives économiques visant à lier les marchés israéliens et arabes les uns aux autres, puis à l'économie américaine. Les « Qualifying Industrial Zones » (QIZ), des zones de production à bas salaires créées en Jordanie et en Égypte à la fin des années 1990 en sont une illustration.

Avec les accords d'Abraham, cinq pays arabes entretiennent désormais des relations diplomatiques officielles avec Israël. Ces pays représentent environ 40 % de la population du monde arabe et comptent parmi les principales puissances politiques et économiques de la région. Le contrôle de cette région permettra aux USA d'asseoir son hégémonie et de contrer le projet des nouvelles routes de la Soie Chinois. Mais une question cruciale demeure : quand l'Arabie saoudite rejoindra-t-elle ce club ? Tous les signes montrent que c'est l'objectif numéro 1 de Trump.

Au Maghreb, l'accord de normalisation du Maroc avec Israël signé le 22 décembre 2020 n'a fait qu'exacerber les contradictions bloquant le projet d'intégration économique maghrébin. En Tunisie, si la normalisation officieuse s'est accélérée avec Ben Ali suite aux Accords d'Oslo [5], la normalisation officielle reste « un crime de haute trahison » selon les termes du président Kais Said. Il est à craindre qu'avec l'arrivée de Trump, la pression pour la normalisation de la Tunisie et de l'Algérie avec Israël s'accélère.

Par ailleurs, la montée des tensions entre l'Algérie et le Maroc au sujet du Sahara occidental, et entre la France et l'Algérie ne peuvent qu'alerter sur l'avenir incertain du Maghreb qui subit également sous d'autres formes le projet expansionniste israélo-Américain. Ce qui est certain, en revanche, c'est que les premiers concernés, les peuples visés par la monstruosité et la brutalité de la machine de destruction américano-israélienne résisteront de toutes leurs forces au projet de mutiler la région et la soumettre.

Les révolutions arabes qui ont subi différentes formes de contre-révolution d'une brutalité sans précédent doivent être pensées sur le long terme comme une phase d'un long cycle de luttes anticoloniales et les Palestiniens sont en train d'indiquer au prix de leur sang l'ennemi principal. C'est la raison pour laquelle la résistance des Palestiniens est un élément essentiel du changement politique dans le monde arabe, une région qui est aujourd'hui la plus polarisée socialement, la plus inégale économiquement et la plus touchée par les guerres dans le monde. Inversement, c'est la raison pour laquelle la lutte pour la Palestine est intimement liée aux succès et aux échecs d'autres luttes sociales progressistes dans la région.

Et la résistance continue

Le cycle historique ouvert par l'opération Toufan Al-Aqsa au-delà de sa capacité à montrer les défis posés à toutes les populations de la région arabe en termes de libération et de souveraineté nationale, a révélé quelques vérités qu'on ne peut plus ignorer :

– Israël, qui s'est couvert pendant des décennies des oripeaux de la sainteté démocratique, est aujourd'hui mis à nu – un État d'une brutalité implacable, façonné par la violence coloniale et notamment le génocide et le nettoyage ethnique. Un État dont l'existence dépend entièrement du soutien de l'Europe et des États-Unis, qui étouffe le monde arabe, anéantissant son avenir avant qu'il ne puisse s'exprimer. Son récit de légitimité s'effiloche sous le poids de sa propre violence, sa prétention à une position morale élevée s'érode. Le cycle ouvert par le Toufan Al-Aqsa tout en bloquant le projet de normalisation avec l'Arabie saoudite a déconstruit tous les récits qui invitent à composer avec Israël comme un fait accompli. La distance zéro remet les pendules à l'heure en rappelant la réalité coloniale et sauvage du projet colonialiste sioniste, un projet génocidaire soutenu par de larges franges de la société israélienne. Le défi partout dans toute la région reste la résistance contre toutes les formes de colonisation : guerre, dette, colonisation intellectuelle.

– Le cycle ouvert par l'opération Toufan Al-Aqsa a signé une fois pour toutes l'effondrement de la supériorité morale de l'occident déjà largement fragilisée par le passé. La manière dont le fascisme occidental et l'impunité israélienne se nourrissent mutuellement est assez limpide. Le slogan « Tuez les Arabes » scandé par les israéliens et repris par les fascistes en occident a rappelé que toutes les institutions créées par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale sont incapables de sauver les vies d'Arabes chez eux mais aussi partout dans la planète.

– Le projet colonisateur expansionniste et messianique mené par Trump et Netanyahou dévoile encore une fois la fragilité du droit international comme moyen de régulation des conflits et des guerres. Par ailleurs, le langage libéral du droit ne peut rendre compte à lui seul des enjeux de libération nationale des peuples de la région. La question Palestinienne ne peut être réduite à une question des violations massives des droits de l'homme par Israël et des violations continues du droit international que les Palestiniens subissent depuis près de huit décennies. Il s'agit d'abord d'un fait colonial et d'une quête d'auto-détermination du peuple palestinien qui dépasse le cadre établi par les institutions post deuxième guerre mondiale largement instrumentalisé par les pays de l'OTAN. De la même manière, réduire les aspirations des peuples arabes à un enjeu de libertés individuelles ou de libertés publiques cadrées par le langage du droit et/ou de la transition démocratique libérale est problématique car il n'y a pas de démocratie viable dans un champ de ruine sans souveraineté ou les populations subissent plusieurs formes d'assujettissement.

– Enfin, les moyens de résistance ne sont pas uniquement le produit de l'inventivité des acteurs mais elles sont largement déterminées par le contexte matériel des rapports de forces. L'intervention étrangère occidentale dans le monde arabe, qu'elle prenne la forme de guerre directe ou de réformes néo-libérales, rappelle régulièrement que la problématique de la libération nationale demeure entière dans les pays arabes. Malgré les indépendances formelles dans certains pays, l'impérialisme économique est l'autre face du colonialisme et du Génocide dont l'objectif est l'abolition définitive de toute souveraineté nationale et de toute dignité individuelle et collective. Loin de toute opposition binaire entre démocratie libérale et régime autocratique, les révolutions arabes et la résistance palestinienne nous montrent encore une fois que l'ingérence occidentale s'accommode de tous les régimes qui servent ces intérêts et éliminent ceux qui lui résistent. N'a-t-on pas assisté au blocage du processus démocratique dans les territoires autonomes palestiniens par les États-Unis et l'Union européenne suite à la victoire sans appel du Hamas aux élections législatives du 25 janvier 2006. La dernière décennie invite donc à replacer la « souveraineté nationale populaire » au cœur des alternatives politiques et économiques à identifier afin de soutenir les différentes vagues de luttes sociales et populaires qui résistent tant bien que mal au rouleau compresseur de la fragmentation israélo-américaine.

Conclusion

La chute du régime syrien et les révolutions arabes, tout autant que le cycle ouvert par le 7 octobre, offrent une réflexion critique sur la fragilité des alliances et les défis posés aux luttes pour la souveraineté nationale dans le monde arabe. Alors qu'Israël poursuit son projet expansionniste et sa stratégie de nettoyage ethnique, il est essentiel qu'il tire des enseignements de l'histoire à savoir comment la colonisation peut paradoxalement consolider les bases d'une résistance imprévue.

L'effondrement du régime de Assad et l'affaiblissement de l'Axe de la résistance ne marquent pas seulement la fin d'une époque, mais préfigurent également la genèse d'un avenir incertain. La guerre perpétuelle dans la région n'est pas finie et la Palestine demeure une boussole décisive, mettant en lumière les contradictions morales, tactiques et stratégiquesdes puissances régionales et impérialistes. Le cycle ouvert par Toufan Al-Aqsa n'a pas seulement dévoilé des vérités et des évidences qu'on ne peut plus ignorer, il a surtout ravivé le débat sur l'avenir en soulevant plusieurs interrogations :

Comment naviguer à travers le dédale d'ambitions concurrentes, de clivages idéologiques et d'interventions régionales et impérialistes qui rivalisent d'ingéniosité pour façonner le destin de la Palestine, de la Syrie, du Liban et de toute la région ? La Syrie, tout comme la Libye, l'Irak et tant d'autres pays avant elle, deviendra-t-elle un champ de bataille et de divisions sans fin ? Les Palestiniens vont-ils continuer, comme le suggèrent les belles images du retour au Nord des Gazaouis, à résister à tout projet de nettoyage ethnique et à inspirer d'autres luttes dans la région ? Les régimes arabes vont-ils continuer à ignorer la quête sans répit de souveraineté nationale de leurs populations, feignant d'oublier que la normalisation telle qu'envisagée par le projet du Moyen-Orient élargi signera tout simplement leur disparition tôt ou tard ?

Les réponses restent floues, mais les enjeux sont clairs : la carte des pouvoirs se redessine rapidement et, dans les marges de ce bouleversement, de nouvelles possibilités incertaines, mais dynamiques, sont offertes par différentes formes de résistance.

Le cycle qui a commencé après l'opération du Toufan Al-Aqsa est loin d'être achevé et la guerre entre les Arabes et l'axe Israélo-américain n'a pas encore pris fin. Les slogans « La Tunisie libre et sa capitale Jérusalem » ou « La Palestine est une cause nationale » brandis par les Égyptiens et les Marocains incarnent non seulement le lien organique entre les peuples de la région, mais montrent aussi que tous les pays arabes subissent plus ou moins le sort des Palestiniens, qui leur demandent de retravailler leurs stratégies de résistance.

Les stratégies de résistance impliquent d'abord d'en finir une fois pour toutes avec les négociations molles et les compromis boiteux ; et de bien identifier la menace centrale : celle du projet expansionniste du Grand Israël. Il s'agit d'adopter la posture d'un refus radical montrée par les différentes formes de résistance dans le monde arabe ; une posture de rupture radicale, seule à même de garantir la dignité individuelle et collective des peuples de la région à la « distance zéro » de la machine de destruction.

*

Hèla Yousfi est maitre de conférences, Université PSL-Paris-dauphine.

Illustration : « Rituals under occupation », 1989. Tableau de Sliman Mansour, peintre palestinien.

Notes

[1] Luizard, P. J. (2017). Le piège Daech : l'État islamique ou le retour de l'histoire. La Découverte.

[2] Hage, G. (2017). Le loup et le musulman : le racisme est-il une menace écologique ?. Wildproject.

[3] Corm, G. (2007). Le Proche-Orient éclaté : 1956-2007. Gallimard.

[4] Nazih N. Ayubi (1991), Over-stating the Arab State. Politics and society in the Middle East, Londres, I.B. Tauris.

[5] Après les accords d'Oslo, Tunis a mis en place entre 1996 et 1999 un bureau de contact à Tel Aviv. Un poste occupé entre 1996 et 1997 par Khemais Jhinaoui, qui deviendra ministre des Affaires étrangères entre 2016 et 2019.

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Premières ripostes au démantèlement de l’État-providence par Trump et Musk

4 mars, par Dan La Botz — , ,
Le président Donald Trump et son homme de main, le milliardaire Elon Musk, ont démantelé l'État-providence américain, en fermant des agences et en licenciant des dizaines de (…)

Le président Donald Trump et son homme de main, le milliardaire Elon Musk, ont démantelé l'État-providence américain, en fermant des agences et en licenciant des dizaines de milliers d'employéEs fédéraux. Leur opération de démolition laisse les travailleurEs sans revenus et prive les enfants, les personnes handicapées et les personnes âgées de soutien et de services.

Hebdo L'Anticapitaliste - 743 (27/02/2025)

Par Dan La Botz

Les actions de Trump et de Musk semblent inconstitutionnelles ou illégales et ont fait l'objet de contestations juridiques de la part des gouvernements des États, des organisations de citoyens et des syndicats. Au cours des deux dernières semaines, les premières manifestations nationales de grande ampleur ont également eu lieu.

Des actions en justice

Trump et Musk ont brandi des haches, des boulets de démolition et des bulldozers dans divers bureaux gouvernementaux. Le département de l'efficacité gouvernementale de Musk est censé s'attaquer au « gaspillage, à la fraude et aux abus », mais Trump a licencié 18 inspecteurs généraux dont le travail consistait précisément à surveiller le gaspillage, la fraude et les abus. Plusieurs d'entre eux ont intenté une action en justice en affirmant que l'action de Trump était illégale.

L'équipe de Musk, composée de techniciens dans la vingtaine, s'est emparée du département du Trésor et de toutes ses données sur les finances personnelles provenant de l'Internal Revue Service et de l'Administration de la Sécurité sociale. Plusieurs États ont intenté des poursuites et les tribunaux ont temporairement interrompu la prise de contrôle.

Trump et Musk se sont également efforcés de fermer un certain nombre d'agences qui protègent les fonctionnaires et les autres travailleurEs. Ils ont pris le contrôle et licencié des employés du Whistleblower Protection Office, du National Labor Relations Board, du Merit Systems Protection Board, de l'Equal Employment Opportunity Commission et du Privacy and Civil Liberties Oversight Board. Les tribunaux ont ordonné la réintégration de certains de ces travailleurEs.

Déréglementation

Trump et Musk ont soudainement et sans ménagement licencié 20 000 fonctionnaires, mais ils ont 200 000 employéEs en ligne de mire. En agissant si rapidement et si imprudemment, ils ont bêtement licencié puis dû réembaucher des travailleurEs, tels que les vétérinaires travaillant sur l'épidémie de grippe aviaire et d'autres employéEs s'occupant de la sécurité des armes nucléaires. Les syndicats ont intenté un procès, mais le juge a déclaré qu'il n'avait pas autorité parce qu'il s'agissait d'une affaire de travail et leur a dit de porter l'affaire devant l'Autorité fédérale des relations de travail (Federal Labor Relations Authority), dont Trump vient de renvoyer la présidente.

Comment Trump et Musk justifient-ils ce qu'ils font ? Les conservateurs considèrent depuis longtemps que les agences gouvernementales — à l'exception de l'armée et de la police — n'ont généralement aucune utilité. Les programmes sociaux destinés aux enfants, aux personnes âgées, aux handicapés et aux pauvres sont non seulement inutiles, mais pernicieux, car ils sapent l'initiative individuelle. Enfin, les réglementations gouvernementales étouffent les entreprises privées. Trump et Musk peuvent sembler être des anarchistes de droite opposés à tout gouvernement, mais en réalité, ils veulent un gouvernement qui réduise leurs impôts et garantisse leurs profits. Leurs motivations ne sont que trop transparentes et certains de ceux qui ont voté pour Trump ont commencé à se réveiller.

Première étape d'une riposte sociale

Deux grandes manifestations nationales représentent la première étape d'une réponse massive de la classe ouvrière. Le 17 février, jour du président, des milliers de personnes se sont rassemblées dans de grandes et petites villes du pays sous la bannière « Pas de roi le jour du président ». J'ai rejoint une manifestation de quelques centaines de personnes devant le bâtiment administratif du comté de San Diego, en Californie, où de nombreux discours et pancartes avaient un ton plutôt patriotique, défendant la démocratie américaine contre les dictateurs Trump et Musk.

Une semaine plus tard, des travailleurEs fédéraux de toutes sortes ont manifesté lors d'une trentaine de rassemblements : « Sauvez nos services » dans des villes du pays, la plupart dans des installations fédérales, mais aussi dans les bureaux de SpaceX de Musk et dans ses salles d'exposition Tesla.

« La seule façon de s'en sortir est que la main-d'œuvre fédérale en première ligne lance un appel au mouvement syndical dans son ensemble, descende dans la rue et fasse de cette situation une crise politique qu'elle ne peut pas gérer », a déclaré à Labor Notes Chris Dols, président de la section 98 de la Fédération internationale des ingénieurEs professionnelEs et techniques, qui travaille pour le Corps des ingénieurs de l'armée de terre. Et il a raison.

Dan La Botz, traduction par la rédaction

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Elon Musk tente de faire passer des régimes à celui de néo nazi dans le monde qui se défend

4 mars, par Jeet Heer — , ,
Le plus important conseiller de D. Trump, fait la promotion des partis racistes dans le monde Jeet Heer, The Nation, 24 février 2025 Traduction, Alexandra Cyr Le (…)

Le plus important conseiller de D. Trump, fait la promotion des partis racistes dans le monde

Jeet Heer, The Nation, 24 février 2025
Traduction, Alexandra Cyr

Le multimillionnaire de la technologie, E. Musk s'est adressé directement par vidéo conférence à un ralliement du Parti d'extrême droite allemand, l'AFD le 25 janvier dernier à Halle en Allemagne.

Dans le langage de MAGA, les mots « changement de régime » sont des gros mots qui sont souvent reliés aux politiques bipartisanes qui ont fait que les États-Unis se sont empêtrés dans des guerres sans fin. En 2016, D. Trump les a vite élevées au sommet de son mandat ; il était le seul à vouloir dénoncer dans des termes mémorables, G. W Bush qui a échoué dans sa tentative de remodeler le Proche Orient. Par la suite il a dénoncé la tentative de changement de régime en Iran en 2019 puis en 2024. Mme Tulsie Gabbard qui vient d'être nommée à la direction des agences de renseignement américaines, les a férocement critiquées les appelant, « les guerres de changement de régime ». Vendredi dernier, Richard Grenell, envoyé spécial du Président Trump pour des missions particulières, a déclaré à la rencontre de droite, Conservative Political Action Conference : « Avec Donald Trump, nous ne faisons pas de changement de régime ».

Comme d'habitude avec D. Trump et ses copains, il faut s'attarder à leurs agir autant qu'à leurs discours. Il y a souvent une énorme différence entre ce qui est dit et les agissements. Durant son premier mandat, D. Trump a travaillé à un changement de régime au Venezuela mais sans succès. Pour ce qui est de son second mandat, ses registres sont encore pires et plus sordides. Elon Musk, qui doit procéder à une refonte du gouvernement fédéral à titre de directeur du Département de l'efficacité gouvernementale créé par le Président D. Trump, a agi comme porte- parole ad hoc du Département d'État et avec sa position, de plus proche conseiller du Président, a fait la promotion de partis d'extrême droite, certains clairement racistes et néo nazis partout dans le monde. Comme NBC le rapporte :
« Le multimillionnaire exécutif de la technologie, A. Musk, a encouragé des mouvements politiques, des politiques et des administrations de droite, dans au moins 18 pays dans un effort mondial pour mettre fin à l'immigration et défaire les règles qui visent le monde des affaires … ».

E. Musk soulève une grande attention par le bouleversement qu'il introduit dans le gouvernement américain. C'est aussi le cas pour son rôle grandissant en Allemagne où il a dit aux électeurs.trices de dépasser leur culpabilité envers le passé nazi du pays. Ce magnat de la technologie fait sentir son influence dans une longue liste de pays qui grandit toujours.

Parmi les Partis qu'E. Musk à soutenu, on trouve le Parti conservateur du Canada qui, selon les normes des démocraties matures, est plutôt populiste et de droite. Mais son soutien s'est aussi étendu à des régimes et des mouvements qui sont soit autoritaires, (comme le gouvernement de V. Orban en Hongrie) ou ancrés dans le néo nazisme (comme l'AFD en Allemagne). Quand son soutien est allé à des Partis qui ne sont pas au pouvoir, il a promu des renversements de gouvernements en vertu de son statut d'allié très proche du Président américain.

Dans les faits, il a débuté un programme mondial de changement de régime. Que ce soit envers les pays perçus comme ennemis des États-Unis mais aussi envers ses possibles alliés. Le 22 janvier dernier, Bernie Sanders a publié sur X : « E. Musk a soutenu des partis néo nazis dans le monde. Il a interféré dans des élections et utilisé sa puissante plate-forme pour attaquer quiconque ne partage pas ses vues d'extrême droite ». Cette opinion est partagée le Président français E. Macron qui début janvier mettait en garde que E. Musk fomentait : « un mouvement réactionnaire mondial ».

L'idée d'une internationale réactionnaire n'est pas nouvelle. Durant le premier mandat de D. Trump, son conseiller Steve Bannon, maintenant hors service et rival d'E. Musk, a aussi essayé de créer une telle alliance de partis nationalistes et antilibéraux qui comprendraient des figures comme V. Orban ou encore la Française Marine Le Pen. Mais c'étaient des entreprises embryonnaires qui ont stagnées. Il a manqué de ressources, de confiance. L'homme de poids qu'est E. Musk prend en main le même programme avec une frénésie alarmante d'activités.

Dans sa publication sur internet où il condamne E. Musk, B. Sanders met un lien avec une vidéo préparée par son personnel qui met en vedette Matt Duss, un de ses anciens conseillers et maintenant vice-président exécutif du Center for International Policy. Dans cette vidéo, M. Duss présente en détail, l'étendue de la promotion qu'E. Musk fait de dangereux.euses racistes autoritaires :

«

Musk, la personne la plus riche au monde a depuis longtemps soutenu des causes de droite ici aux États-Unis. Sa dépense d'un quart de milliards pour aider à la réélection de D. Trump, en est un exemple. Mais, récemment, il a décidé de porter son projet politique au niveau mondial. Il soutient de nombreux partis d'extrême droite dans plusieurs pays en utilisant aussi sa puissante plateforme pour attaquer quiconque qui ne partage pas ses visions. Commençons par l'Allemagne. En décembre 2024 il a publiquement endossé l'Alternative pour l'Allemagne (AFD) un Parti politique d'extrême droite qui a de profondes racines dans le mouvement néo nazi…

Tout en essayant de présenter une figure plus modérée au cours des dernières années, Alice Weidel, sa codirigeante, déclare qu'elle voit la défaite du nazisme allemand comme « la défaite d'un pays par un ancien pouvoir occupant » plutôt que comme la libération du pays du nazisme cruel.

Il semble qu'E. Musk s'accommode bien de cette position. N'a-t-il pas écrit, « Seule l'AFD peut sauver l'Allemagne » ? Il a louangé ce Parti à répétition et a participé à une rencontre vidéo avec Mme Weidel pour augmenter les chances du Parti lors des élections.

Et ça ne se limite pas à l'Allemagne. Il a constamment attaqué le Premier ministre du Royaume Uni, M. Keir Starmer et récemment il l'a traité de « complice du viol de l'Angleterre. Il en a aussi appelé à ce qu'il soit poursuivi pour fautes criminelles. Il a aussi appelé un autre ministre du travail, « chantre des viols génocidaires ».

Il en a aussi constamment appelé à la libération de Tommy Robinson un membre du Parti ouvertement fasciste, le British National Party. T. Robinson purge une peine pour diffamation envers un jeune réfugié syrien de 15 ans qui avait été violemment agressé à l'école.
B. Sanders et M. Duss font correctement le lien entre le comportement d'E. Musk et le problème plus profond avec l'oligarchie. Les supers riches ont acquis tant de richesses aux États-Unis qu'ils et elles pensent qu'il leur est possible d'utiliser le gouvernement pour promouvoir une attaque mondiale contre la démocratie.

Les nouvelles encourageantes sont à l'effet que la résistance s'installe contre cette promotion de la droite et du fascisme. Au Canada, le Parti libéral qui tirait fortement de l'arrière dans les sondages face au Parti conservateur le rejoint nez à nez. Cette remontée des Libéraux va de pair avec les interventions de D. Trump et E. Musk qui ont menacé d'absorber le Canada, d'en faire le 51ième État américain ce qui a soulevé une remontée du patriotisme. E. Musk a la double citoyenneté américaine et canadienne. Un député du Nouveau parti démocrate au Parlement canadien, Charlie Angus, a mis en marche une pétition réclamant qu'on lui retire sa citoyenneté canadienne.

L'élection législative de dimanche (23 février 2024), en Allemagne, donne une preuve encore plus forte de l'effet de résistance devant la croisade d'E. Musk en faveur de la droite. L'AFD a doublé son score en recevant 20,7% des voix exprimées mais le Parti n'a pas rejoint sa cible de 30%. Il semble bien que les arguments d'E. Musk ait fait mouche.

Il est probable que le prochain gouvernement sera constitué d'une coalition des grands Partis traditionnels : le centre droit, l'Union des chrétiens démocrates (CDU) et l'Union des sociaux chrétiens (CSU) avec le centre gauche du Parti social-démocrate Allemand (SPD). Alors qu'il y a peu de raisons d'être optimistes à propos de cette grande coalition de Partis pro-système, comme cela se présente au Canada et en France, parce qu'elle ne pourra s'attaquer aux problèmes structuraux du pays, au moins l'AFD sera tenu à l'écart du pourvoir. Ces coalitions pro-système, composées de Partis dont l'appui populaire se restreint dans les urnes, devront contenir les Partis de droite contre-système comme l'AFD et de gauche comme le socialiste Die Linke qui a poussé son score à 8,5%.

Étonnamment, Freidrich Merz, le chef du Pari Chrétien démocrate qui sera le nouveau Chancelier allemand, a pris une position forte contre les interférences de D. Trump et E. Musk dans les élections allemandes. Alors qu'il était antérieurement un avocat avoué de l'OTAN, il parle maintenant de l'obligation pour l'Europe de développer une politique étrangère indépendante.

Dimanche (23-2-24), il a déclaré : «

Je n'ai aucune illusion sur ce qui se passe aux États-Unis. Voyez les interventions d'E. Musk dans la campagne électorale … c'est sans précédent. Ces interventions de Washington n'étaient pas moins dramatiques et finalement outrageantes que celles venant de Moscou. Nous sommes sous une énorme pression des deux côtés et ma priorité absolue est de créer l'unité de l'Europe. Mon absolue priorité sera de renforcer l'Europe aussi vite que possible pour que, pas à pas, nous puissions devenir indépendants des États-Unis. Je n'ai jamais pensé que je pourrais dire cela un jour, à la télévision. Mais après les déclarations de D. Trump la semaine dernière, qui sont maintenant claires, les Américains, tout au moins cette partie des Américains, cette administration sont largement indifférents au destin européen »

.

Il va sans dire que F. Merz est un conservateur européen une de ces figures politiques qui était un soutien crucial à l'hégémonie américaine sur le continent et sur le monde. La vieille pratique de l'élite européenne de jouer volontairement les sous-gouverneurs des Américains arrive à sa fin.

Le fait que le Président Trump et E. Musk fassent la promotion de la révolution fasciste est terrifiant. Mais il n'est pas sûr que cela réussisse. Les commentaires de F. Merz indiquent une possibilité de résistance. Les alliés américains d'autre fois, vont de plus en plus se tourner contre de super pouvoir engagé à affaiblir leur démocratie. La méfiance envers les États-Unis pourrait bien augmenter, de même que son isolement et ils pourraient se retrouver affaiblis. La véritable révolution mondiale qu'E. Musk met en marche pourrait s'avérer la fin de la domination américaine dans le monde.

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Bernie Sanders appelle à la mobilisation

4 mars, par Bernie Sanders, Regards.fr — , ,
Dans une vidéo dont nous vous proposons la traduction, le sénateur démocrate endosse le rôle de chef de file de la résistance au rouleau-compresseur Trump. Puissant et à la (…)

Dans une vidéo dont nous vous proposons la traduction, le sénateur démocrate endosse le rôle de chef de file de la résistance au rouleau-compresseur Trump. Puissant et à la hauteur du moment, il appelle à la lutte, à ne pas baisser les bras et surtout, redonne du courage.

https://www.youtube.com/watch?v=nnEWF08_hLk&t=13s

Traduction : Baptiste Orliange

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Comptes rendus de lecture du mardi 4 mars 2025

4 mars, par Bruno Marquis — , ,
Lettres de prison Rosa Luxemburg Traduit de l'allemand Née en 1871 et assassinée en 1919 lors de la répression de la révolution spartakiste à Berlin, Rosa Luxemburg fut une (…)

Lettres de prison
Rosa Luxemburg
Traduit de l'allemand

Née en 1871 et assassinée en 1919 lors de la répression de la révolution spartakiste à Berlin, Rosa Luxemburg fut une figure majeure du socialisme révolutionnaire et de l'histoire politique du XXe siècle. Ses « Lettres de prison », adressées de 1916 à 1918 à son amie Sophie Liebknecht, nous révèlent une femme bien différente de ce que je ne m'étais imaginé, une femme qui aimait la vie, la campagne et la nature et d'un redoutable optimisme face à sa situation de prisonnière et à la situation de l'Europe et du monde à l'époque.

Extrait :

Les buffles viennent de Roumanie, et ce sont des trophée de guerre… les soldats qui les conduisent racontent qu'il est très difficile de capturer ces animaux qui vivent à l'état sauvage et plus difficile encore de les dresser à tirer des fardeaux, car ils sont habitués à la liberté. Ils sont roués de coups, à tel point que l'expression « vae victis » prend ici tous son sens… Il doit bien y avoir une centaine de ces animaux rien qu'à Breslau. Ils ne reçoivent qu'une maigre provende, eux qui étaient accoutumés à paître dans les riches prairies roumaines. Comme on les utilise à tirer toutes sortes de fardeaux, ils ne tardent pas à mourir à la tâche. Il y a quelques jours, j'ai vu entrer une voiture pleine de sacs, si chargée que les buffles n'arrivaient pas à franchir les dalles du proche. Le soldat qui les accompagnait s'est mis à les frapper si brutalement avec le manche de son fouet que la surveillante, indignée, lu a demandé s'il n'avait pas pitié de ces pauvres bêtes. « Personne n'a pitié de nous autre hommes !, a-t-il répondu avec un sourire mauvais et il a redoublé de coups. Les animaux ont enfin réussi à franchir le seuil, mais l'un d'eux était en sang… Sonitschka, malgré l'épaisseur et la résistance proverbiale de la peau de buffle, celle-ci a fini par se déchirer. Pendant qu'on déchargeait la voiture, les bêtes restaient là, épuisées, et celle qui saignait regardait devant elle. Son front noir et ses doux yeux avaient l'expression d'un enfant qui a versé d'abondantes larmes. C'était tout à fait l'expression d'un gamin qui a été sévèrement puni, sans savoir pourquoi, sans savoir comment il pourrait échapper à la souffrance, à la brutalité…

L'affaire Tissot - Campagne antisémite en Outaouais
Raymond Ouimet

Raymond Ouimet nous rappelle dans « L'affaire Tissot » une réalité trop oubliée de nos jours, celle des mouvements fascistes et racistes des années trente qui, bien que non représentatifs de la population, exprimaient leur haine à l'égard des Juifs sans beaucoup de retenue. J'y ai appris de nombreux détails sur des sujets qui m'intéressaient beaucoup, entre autres sur l'Ordre de Jacques-Cartier, aussi connu sous le nom de La Patente, et sur des personnages moins connus de notre histoire. Jean Tissot, un policier d'Ottawa, lance une campagne de dénigrement contre les commerçants juifs de la ville. Il reçoit en cela l'appui de membres de l'Ordre de Jacques-Cartier et des fascistes du Parti national social chrétien d'Adrien Arcand…

Extrait :

Chez les notables francophones ottaviens, l'antisémitisme croît parmi les membres de l'illustre Ordre de Jaques-Cartier, organisation secrète fondée en 1926 dans la paroisse Saint-Charles à Ottawa et dont les devises sont : Dieu et Patrie et Religion et Discrétion – Fraternité. Surnommé par ses détracteurs La Patente, l'Ordre a été créé dans la foulée du Règlement 17 et avait d'abord pour buts de contrer l'assimilation, d'assurer un avenir au groupe ethnique canadien-français et catholique et de contrer L'Orange Order. La cellule locale de l'organisation était la commanderie (XC) dont la première à voir le jour a été appelée Dollard (numéro 1, Ottawa). À celle-ci se joignent bientôt quelques commanderies du côté du Québec, dont celle de Hull, le 2 avril 1928, nommée Iberville (numéro 2).

La femme de tes rêves
Antonio Sarabia
Traduit de l'espagnol

Ce bon petit polar nous offre un saisissant portrait du Mexique d'aujourd'hui contrôlé en plusieurs lieux par les narcotrafiquants. Un journaliste sportif du Sol de Hoy a des relations ambiguës avec le monde de sa petite ville où disparaissent à tour de rôle de jeunes hommes que l'on retrouve démembrés quelques jours plus tard. Une inconnue lui écrit également des lettres d'amour qu'elle signe « La femme de tes rêves »…

Extrait :

Tout a commencé, Hilario Godínez, ce matin où, en te rendant au journal, tu es tombé sur Loco Mendizábal en train de mendier sur la Plaza de Armas, abrité du soleil matinal non par les branches des arbres squelettiques mais par l'ombre dilatée de la cathédrale. Il avait récolté quelques menues pièces de monnaie dans ce qui avait été un jour la partie inférieure d'un petit carton ayant contenu des paquets de chewing-gum. Tu en as rajouté quelques-unes. Il t'a regardé de ses yeux vides, sans te dire merci, peut-être même sans te voir, totalement absorbé par le refrain délirant qu'il chantonnait en faisant la manche.

Marie-Antoinette
Stefan Zweig
Traduit de l'allemand

Marie-Antoinette d'Autriche, dernière reine de France, née à Vienne, est morte guillotinée lors de la Révolution française le 16 octobre 1793 sur la Place de la Révolution à Paris. Stefan Zweig nous dresse d'elle un intéressant portrait, celui d'une jeune reine ni sainte. ni royaliste, ni prostituée, mais détestée du peuple, celui d'une femme somme toute assez ordinaire prise dans la tourmente de la Révolution française. C'est la plus connue des biographies de Marie-Antoinette et peut-être la meilleure. J'ai beaucoup aimé.

Extrait :

Pendant des siècles, sur d'innombrables champs de bataille allemands, italiens et flamands, les Habsbourgs et les Bourbons se sont disputés jusqu'à épuisement l'hégémonie de l'Europe. Enfin, les vieux rivaux reconnaissent que leur jalousie insatiable n'a fait que frayer la voie à d'autres maisons régnantes ; déjà, de l'île anglaise, un peuple hérétique tend la main vers l'empire du monde ; déjà la marche protestante de Brandebourg devient un puissant royaume ; déjà la Russie à demi païenne s'apprête à étendre sa sphère à l'infini : ne vaudrait-il pas mieux faire la paix, finissent de se demander – trop tard, comme toujours – les souverains et leurs diplomates, que de renouveler sans cesse le jeu fatal de la guerre, pour le grand profit de mécréants et de parvenus ? Choiseul, ministre de Louis XV, Kaunitz, conseiller de Marie-Thérèse, concluent une alliance ; et afin qu'elle s'avère durable et ne soit pas un simple temps d'arrêt entre deux guerres, ils proposent d'unir, par les liens du sang, la dynastie des Bourbons à celle des Habsbourgs.

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Avant le déluge : l’écosocialisme, enjeu politique actuel Préface au recueil d’essais « Étincelles écosocialistes »

4 mars, par Michael Löwy — ,
Une des vertus de l'écosocialisme c'est précisément sa diversité, sa pluralité, la multiplicité des perspectives et des approches, souvent convergents ou complémentaires mais (…)

Une des vertus de l'écosocialisme c'est précisément sa diversité, sa pluralité, la multiplicité des perspectives et des approches, souvent convergents ou complémentaires mais aussi, parfois, divergentes ou même contradictoires. Préface à mon livre « Étincelles écosocialistes », recueil d'essais aux Éditions Amsterdam.

18 décembre 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73751

James Hansen, ex-directeur du Goddard Institue de la NASA aux États Unis, un des plus grands spécialistes mondiaux sur la question du changement climatique – l'administration Bush avait essayé, en vain, de l'empêcher de rendre public ses diagnostics – écrit ceci dans le premier paragraphe de son livre publié en 2009 : « La planète Terre, la création, le monde dans lequel la civilisation s'est développée, le monde avec les normes climatiques que nous connaissons et avec des plages océaniques stables, est en imminent danger. L'urgence de la situation s'est cristallisée seulement dans les dernières années. Nous avons maintenant des preuves évidentes de la crise (…). La surprenante conclusion c'est que la poursuite de l'exploitation de tous les combustibles fossiles de la Terre menace non seulement les millions d'espèces de la planète mais aussi la survivance de l'humanité elle-même – et les délais sont plus courts que ce que nous pensions[1] ».

Depuis la première édition de notre petit recueil (2011), la crise écologique s'est considérablement aggravé. Les scientifiques du monde entier, dans les derniers rapports du GIEC, sonnent l'alarme : le CO2 ne cesse de s'accumuler dans l'atmosphère, les glaciers des pôles s'effondrent, le niveau de la mer augmente et risque de submerger des régions côtières ; les énormes incendies de forêts, les inondations et les ouragans se multiplient. Des vagues de chaleur de plus en plus intenses sont accompagnées de secheresses qui détruisent les récoltes, des rivières sèchent et on commence, dans des nombreuses régions, à manquer d'eau.

Si l'on ne change pas radicalement d'orientation dans la prochaine décennie, on pourra difficilement empêcher l'élévation de la temperature de la planète au délà de 1,5° (par rapport à la période pré-industrielle). Or, une fois cette limite passée, un processus de réactions en chaine risque de se déclencher, conduisant à 2, 3 ou plus degrés, dans une spirale catastrophique. Contrairement aux « collapsologues », qui proclament avec un fatalisme résigné que les jeux sont faits, le désastre est inévitable, et tout ce qu'on peut faire c'est « s'adapter », nous croyons qu'il faut se battre pour éviter le « collapse ».

Cette lutte a un adversaire précis : le système capitaliste, responsable de la crise ecologique. Ce constat est largement partagé. Dans son livre incisif et bien informé Comment les riches détruisent la planète (2007) Hervé Kempf présente, sans euphémismes et faux-semblants, les scénarios du désastre qui se prépare : au-delà d'un certain seuil, qu'on risque d'atteindre bien plus vite que prévu, le système climatique pourrait s'emballer de façon irréversible ; on ne peut plus exclure un changement soudain et brutal, qui ferait basculer la température de plusieurs degrés, atteignant des niveaux insupportables.

Devant ce constat, confirmé par les scientistes, et partagé par des millions de citoyens du monde entier conscients du drame, que font les puissants, l'oligarchie de milliardaires qui domine l'économie mondiale ? « Le système social qui régit actuellement la société humaine, le capitalisme, s'arc-boute de manière aveugle contre les changements qu'il est indispensable d'espérer si l'on veut conserver à l'existence humaine sa dignité et sa promesse ». Une classe dirigeante prédatrice et cupide fait obstacle à toute velléité de transformation effective ; presque toutes les sphères de pouvoir et d'influence sont soumises à son pseudo-réalisme qui prétend que toute alternative est impossible et que la seule vois imaginable est celle de la « croissance ». Cette oligarchie, obsédée par la compétition somptuaire – comme le montrait déjà Thorstein Veblen – est indifférente à la dégradation des conditions de vie de la majorité des êtres humains et aveugle devant la gravité de l'empoisonnement de la biosphère[2].

Comme l'avait prévu Marx dans L'Idéologie allemande, les forces productives sont en train de devenir des forces destructives, créant un risque de destruction physique pour des dizaines de millions d'êtres humains – un scénario pire que les « holocaustes tropicaux » du xixesiècle, étudiés par Mike Davis.

Les « décideurs » de la planète – milliardaires, managers, banquiers, investisseurs, ministres, parlementaires et autres « experts » – motivés par la rationalité bornée et myope du système, obsédés par les impératifs de croissance et d'expansion, la lutte pour les parts de marché, la compétitivité, les marges de profit et la rentabilité, semblent obéir au principe proclamé par Louis XV : « après moi le déluge ». Le déluge du xxie siècle risque de prendre la forme, comme celui de la mythologie biblique, d'une montée inexorable des eaux, noyant sous les vagues les grandes villes de la civilisation humaine : Hong-Kong, Shanghai, Londres, Venise, Amsterdam, Londres, New York, Rio de Janeiro…

A l'avant-garde de cette Guerre du Capital contre la Nature, se trouvaient les « climato-négationistes », les réprésentants directs de l'oligarchie fossile (petrole, charbon, gaz de schiste, sables bitumineux, etc) et de l'agro-négoce : Donald Trump et Jair Bolsonaro. Ce dernier, dès son arrivée au pouvoir, avait donné le feu vert pour le démantélément de la forêt Amazonienne, en dénonçant les communautés indigènes comme ennemis du « dévélopement ». Pour célébrer cette nouvelle conjoncture, des figures de l'agro-business (elevage, soja, etc) ont proclamé une « journée du feu » contribuant ainsi aux sinistres incendies que depuis quelques mois ravagent le plus grand « puits de carbone » terrestre de la planète. pouvant absorber une partie du CO2 atmosphérique. Avec la départ de Bolsonaro et l'éléction de Lula, le candidat du Parti des Travailleurs, la situation peut changer. Mais l'avenir de l'Amazonie depend de la solidarité internationale des peuples avec ceux qui se battent pour defendre la forêt : les tribus indigènes, les paysans sans-terre, les communautés de base, les écologistes.

Le spectaculaire échec des conférences internationales illustre l'inertie des gouvernements « raisonnables », qui ne nient pas le rechauffement climatique. Les mesures jusqu'ici prises par les pouvoirs capitalistes les plus « éclairés » – accords de Kyoto, paquet action-climat européen, avec leurs « mécanismes de flexibilité » et leurs marchés de droits à polluer – relèvent, comme le montre l'écologiste belge Daniel Tanuro, d'une « politique de gribouille » incapable d'affronter le défi du changement climatique ; le même vaut, a fortiriori, pour les solutions « technologiques » qui ont la préférence des gouvernements européens : la « voiture électrique », les agro-carburants, le « clean coal » (ou charbon propre) et cette énergie merveilleuse, propre et sûre : le nucléaire (c'était avant Fukushima)…

La plus grande avancée , sur le terrain des conférences internationales, a été la COP 21 de Paris (2015) : les gouvernements participants ont réconnu la necessité de ne pas dépasser la limite des 1,5°, et chacun a publiquement annoncé les réductions d'émissions qu'il s'engageait a réaliser. Formidable exploit, helas terni par deux « détails » : 1) en l'absence de tout contrôle ou sanction, aucun pays n'a tenu ses promesses (sauf quelques petits pays africains). 2) Si tous les pays tenaient leurs engagements, la temperature monterait a + 3,3°C (selon le GIEC)…

La Conférence des Nations Unies sur le climat convoquée a New York en 2019 illustre, de forme encore plus caricaturale, la formidable inertie du système (capitaliste) : aucune avancée, des discours creux, business as usual. A cette occasion, Greta Thunberg, la jeune rebelle suédoise, a tenu un discours historique, qui restera dans les annales de l'ecologie combative. S'adressant aux gouvernements présents, elle a affirmé :

« Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. (…) Je fais pourtant partie de ceux qui ont de la chance. Les gens souffrent, ils meurent. Des écosystèmes entiers s'effondrent, nous sommes au début d'une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c'est d'argent, et des contes de fées de croissance économique éternelle ? Comment osez-vous ! »

* * * * *

Un mot sur la catastrophe nucléaire de Fukushima. Pour la deuxième fois de son histoire, le peuple japonais est victime de la folie nucléaire. On ne saura jamais toute l'étendue du désastre, mais il est évident qu'il s'agit d'un tournant. Dans l'histoire de l'énergie nucléaire, il y aura un avant et un après Fukushima.

Après Tchernobyl, le lobby nucléaire occidental avait trouvé la parade : c'est le résultat de la gestion bureaucratique, incompétente et inefficace, propre au système soviétique. « Cela ne pourrait pas avoir lieu chez nous. » Que vaut cet argument aujourd'hui, quand c'est le fleuron de l'industrie privée japonaise qui est concerné ?

Les médias ont mis en évidence l'irresponsabilité, l'impréparation et les mensonges de la Tokyo Electric Power Company (TEPCO) – avec la complicité active des organismes de contrôle et des autorités locales et nationales – plus préoccupée de rentabilité que de sécurité. Ces faits sont indiscutables, mais à trop insister sur cet aspect, on risque de perdre de vue l'essentiel : l'insécurité est inhérente à l'énergie nucléaire. Le système nucléaire est fondamentalement insoutenable, les accidents sont statistiquement inévitables. Tôt ou tard, d'autres Tchernobyls et d'autres Fukushimas auront lieu, provoqués par des erreurs humaines, des disfonctionnements internes, des tremblements de terre, des accidents d'aviation, des attentats, ou des événements imprévisibles. Pour paraphraser Jean Jaurès, on pourrait dire que le nucléaire porte la catastrophe comme la nuée porte l'orage.

Les nucléocrates – une oligarchie particulièrement obtuse et imperméable – prétend que la fin du nucléaire signifierait le retour à la bougie ou la lampe à huile. La simple vérité c'est que seulement 13,4 % de l'électricité mondiale est produite par les centrales nucléaires . On peut parfaitement s'en passer… Il est possible, probable même, que, sous la pression de l'opinion publique, dans beaucoup de pays on réduise considérablement les projets délirants d'expansion illimitée de l'industrie nucléaire et de construction de nouvelles centrales. Mais on peut craindre que cela s'accompagne d'une fuite en avant dans les énergies fossiles les plus « sales » (comme c en Allemagne) : le charbon, le pétrole off shore, les sables bitumineux, le gaz de schiste, avec comme resultat une nouvelle et rapide hausse des émissions de gaz à effet de serre. Le premier pas dans la bataille socio-écologique pour une transition énergétique c'est le refus de ce faux dilemme, de ce choix impossible entre une belle mort radioactive ou une lente asphyxie par le réchauffement global. Un autre monde est possible !
Ecosocialisme, le rouge et le vert

Quelle est donc la solution alternative ? La pénitence et l'ascèse individuelle, comme semblent le proposer tant d'écologistes ? La réduction drastique de la consommation ? Daniel Tanuro constate avec lucidité que la critique culturelle du consumérisme proposée par les objecteurs de croissance est nécessaire, mais pas suffisante. Il faut s'attaquer au mode de production lui-même. Seule une prise en charge collective démocratique permettrait à la fois de répondre aux besoins sociaux réels, réduire le temps de travail, supprimer les productions inutiles et nuisibles, remplacer les énergies fossiles par le solaire. Ce qui implique des incursions profondes dans la propriété capitaliste, une extension radicale du secteur public et de la gratuité, bref un plan écosocialiste cohérent[3].

L'écosocialisme est un courant politique fondé sur une constatation essentielle : la sauvegarde des équilibres écologiques de la planète, la préservation d'un environnement favorable aux espèces vivantes – y compris la nôtre – est incompatible avec la logique expansive et destructrice du système capitaliste. La poursuite de la « croissance » sous l'égide du capital nous conduit, à brève échéance – les prochaines décennies – à une catastrophe sans précédent dans l'histoire de l'humanité : le réchauffement global.

La prémisse centrale de l'écosocialisme, implicite dans le choix même de ce terme, est qu'un socialisme non écologique est une impasse, et une écologie non-socialiste est incapable de confronter les enjeux actuels. Son projet d'associer le « rouge » – la critique marxiste du capital et le projet d'une société alternative – et le « vert », la critique écologique du productivisme, n'a rien à voir avec les combinaisons gouvernementales dites « rouges-vertes », entre la social-démocratie et certains partis verts, autour d'un programme social-libéral de gestion du capitalisme.

L'Écosocialisme est donc une proposition radicale – c'est-à-dire, s'attaquant à la racine de la crise écologique – qui se distingue aussi bien des variantes productivistes du socialisme du xxesiècle – que ce soit la social-démocratie ou le « communisme » de facture stalinienne – que des courants écologiques qui s'accommodent, d'une façon ou de l'autre, du système capitaliste. Une proposition radicale qui vise non seulement à une transformation des rapports de production, de l'appareil productif et des modèles de consommation dominants, mais à créer un nouveau paradigme de civilisation, en rupture avec les fondements de la civilisation capitaliste/industrielle occidentale moderne.

Une des principales objections à l'ecosocialisme c'est l'urgence : on n'a pas le temps d'attendre l'avénement de l'écosocialisme, il faut se mobiliser pour des mesures dans le cadre du capitalisme. Or, les ecosocialistes ne proposent nullement qu'on « attende » ! Ils se mobilisent ici et maintenant pour tout mesure qui bloque la dynamique destructrice du système : c'est ce que Naomi Klein appelle Blockadia. Toute victoire partielle : l'annulation du desastreux aéroport de Notre Dame des Landes, le blocage du XXL Pipeline aux Etats Unis, est hautement positive, car elle ralentit la course vers l'abîme, et suscite la confiance dans l'action collective.

Ce que les ecosocialistes refusent, c'est l'illusion d'un « capitalisme soutenable ». Un programme comme le Green New Deal peut jouer un rôle positif, dans la mesure où il romp avec les politiques néo-libérales et tente de briser le talon de fer de l'oligarchie fossile . Mais nous ne le voyons pas comme l'objectif ultime : il s'agit plutôt d'une moment dans un processus de contestation anti-sistémique de plus en plus radical.

Origines de l'ecosocialisme

Ce n'est pas le lieu ici de développer une histoire de l'écosocialisme. Rappelons cependant quelques jalons. Il sera question ici essentiellement du courant éco-marxiste, mais on trouve dans l'écologie sociale d'inspiration anarchiste d'un Murray Bookchin, dans la version gauche de l'écologie profonde de Arne Naess, et dans certains écrits des « objecteurs de croissance » des analyses radicalement anti-capitalistes et des propositions alternatives qui sont proches de l'écosocialisme.

L'idée d'un socialisme écologique – ou une écologie socialiste – ne commence vraiment à se développer qu'à partir des années 1970, sous des formes très diverses, dans les écrits de certains pionniers d'une réflexion « rouge et verte » : Manuel Sacristan (Espagne), Wolfgang Harich et Robert Havemann (Allemagne de l'Est), Raymond Williams (Angleterre), André Gorz et Jean-Paul Déléage (France) et Barry Commoner (États-Unis).

Le terme « Écosocialisme » apparemment ne commence à être utilisé qu'à partir des années 1980 quand apparaît, dans le Parti Vert Allemand, un courant de gauche qui se désigne comme « écosocialiste » ; ses principaux porte-paroles sont Rainer Trampert et Thomas Ebermann. Vers cette époque apparaît le livre l'Alternative d'un dissident socialiste de l'Allemagne de l'Est, Rudolf Bahro qui développe une critique radicale du modèle soviétique et est-allemand, au nom d'un socialisme écologique. Au cours des années 1980, le chercheur nord-américain James O'Connor va développer ses travaux en vue d'un marxisme écologique, et fonder la revue Capitalism, Nature and Socialism, tandis que Frieder Otto Wolf , un deputé européen et dirigeant de la gauche du Parti Vert Allemand, et Pierre Juquin, un ex-dirigeant communiste converti aux perspectives rouges/vertes, vont rédiger ensemble le livre Europe's Green Alternative, (Montréal, 1992, Black Rose), une sorte de tentative de manifeste écosocialiste européen.

Parallèlement, en Espagne autour de la revue de Barcelone, Mientras Tanto, des disciples de Manuel Sacristan comme Francisco Fernandez Buey vont eux-aussi développer une réflexion écologique socialiste. En 2001, un courant marxiste/révolutionnaire présent dans des nombreux pays, la Quatrième Internationale, adopte un document, Écologie et Revolution Socialiste, d'inspiration clairement écosocialiste.

En cette même année, Joel Kovel et l'auteur du présent ouvrage publient un Manifeste Écosocialiste, qui servira de référence pour la fondation, à Paris en 2007, du Réseau Écosocialiste International – qui distribuera, lors du Forum Social Mondial de Belem (Brésil) en 2009 la Déclaration de Belém, un nouveau manifeste écosocialiste au sujet du réchauffement global. Ajoutons à cela les travaux de John Bellamy Foster et ses amis de la revue de gauche américaine bien connue Monthly Review, qui se réclament d'une révolution écologique avec un programme socialiste ; les écrits des écosocialistes féministes Ariel Salleh, Leigh Brownhill et Terisa Turner ; la revue Canadian Dimension, animée par les écosocialistes Ian Angus et Cy Gornik ; les réfléxions du révolutionnaire péruvien Hugo Blanco sur les rapports entre indigénisme et Écosocialisme ; les travaux du chercheur belge Daniel Tanuro sur le changement climatique et les impasses du « capitalisme vert » ; les recherches d'auteurs français proches du courant altermondialiste comme Jean-Marie Harribey ; les écrits du philosophe (disciple d'Ernst Bloch et d'André Gorz) Arno Münster ; les réseaux écosocialistes du Brésil et de la Turquie, les conférences écosocialistes qui commencent à s'organiser en Chine, etc., etc.

Quelles sont les convergences et les désaccords entre l'écosocialisme et le courant de la décroissance, dont l'influence en France n'est pas négligeable ? Rappelons tout d'abord que ce courant, inspiré par les critiques de la société de consommation – Henri Lefebvre, Guy Debord, Jean Baudrillard – et du « système téchnicien » – Jacques Ellul – est loin d'être homogène ; il s'agit d'une mouvance plurielle, tensionnée par deux pôles assez distants : d'une part des anti-occidentalistes tentés par le relativisme culturel (Serge Latouche), d'autre part des écologistes républicains/universalistes (Vincent Cheynet, Paul Ariès).

Serge Latouche est sans doute le plus controversé des « décroissants ». Certes, une partie de ces arguments est légitime : démystification du « développement durable », critique de la religion de la croissance et du progrès, appel à un changement culturel. Mais son refus en bloc de l'humanisme occidental, de la pensée des Lumières et de la démocratie représentative ; son relativisme culturel et son éloge immodéré de l'âge de pierre sont très discutables.

Quant à sa dénonciation des propositions d'ATTAC (J.M. Harribey) pour les pays du Sud – développer les réseaux d'abduction de l'eau, les écoles et les centres de soin – comme « ethnocentriques », « occidentalistes » et « destructrices des modes de vie locaux », elle est difficilement supportable. Enfin, son argument pour ne pas parler du capitalisme – c'est enfoncer une porte ouverte puisque cette critique « a déjà été faite et bien faite par Marx » – n'est pas sérieux : c'est comme si l'on n'avait pas besoin de dénoncer la destruction productiviste de la planète puisque Gorz l'avait déjà faite, « et bien faite »… Il faut cependant reconnaître que dans un ouvrage paru en 2011, Vers une société d'abondance frugale, Latouche proclame que la décroissance est opposée au capitalisme, et qu'on peut la considérer comme une sorte d' « ecosocialisme ».

La gauche décroissante est représenté notamment par la revue La Décroissance. On peut critiquer les illusions « républicaines » de Cheynet et Ariès mais ce deuxième pôle a des nombreux points de convergence – malgré les polémiques – avec les altermondialistes d'ATTAC, les écosocialistes et la gauche de la gauche (PG, NPA) : extension de la gratuité, prédominance de la valeur d'usage sur la valeur d'échange, réduction du temps de travail et des inégalités sociales, élargissement du « non-marchand », réorganisation de la production selon les besoins sociaux et la protection de l'environnement.

Dans un ouvrage récent, Stéphane Lavignotte esquisse un bilan du débat entre les « objecteurs de croissance » et les écosocialistes. Faut-il privilégier la critique des rapports sociaux de classe et le combat contre les inégalités, ou la dénonciation de la croissance illimitée des forces productives ? L'effort doit-il porter sur les initiatives individuelles, les expérimentations locales, la simplicité volontaire, ou sur le changement de l'appareil productif et de la « méga-machine » capitaliste ?

L'auteur refuse de choisir, et propose plutôt d'associer ces deux démarches complémentaires. Le défi, à son avis, c'est de combiner le combat pour l'intérêt écologique de classe de la majorité, c'est à dire des non-propriétaires de capital, et la politique des minorités actives pour un changement culturel radical. En d'autres termes, réussir – sans cacher les divergences et les désaccords inévitables – une « composition politique » de tous ceux qui savent qu'une planète et une humanité vivables sont contradictoires avec le capitalisme et le productivisme, et qui cherchent le chemin pour sortir de ce système inhumain[5].

En 2022 une déclaration commune par des partisans des deux courants a été publiée dans la Monthly Review, sous le titre « Pour une décroissance ecosocialiste ». Signée par Bengi Akbulut, Sabrina Fernandes, Giorgios Kallis et l'auteur du présent ouvrage, elle fut traduite en plusieurs langues ; on peut considérer cette initiative comme le début d'un convergence effective.

* * * * *

Rappelons, pour conclure cette brève préface, que l'écosocialisme est un projet d'avenir, une utopie radicale, un horizon du possible, mais aussi, et inséparablement – comme nous l'avons vu plus haut - une action autour d'objectifs et de propositions concrètes et immédiates. Le seul espoir pour le futur sont des mobilisations comme celle de Seattle en 1999, qui a vu la convergence de écologistes et syndicalistes, ainsi que la naissance du mouvement altermondialiste ; les protestations de cent mille personnes à Copenhagen en 2009, autour du mot d'ordre « Changeons le Système, pas le Climat » ; la Conférence des Peuples sur le Changement Climatique et la Défense de la Mère Terre, à Cochabamba en avril 2010, rassemblant plus de trente mille délégués de mouvements indigènes, paysans et écologiques du monde ; et surtout la formidable mobilisation de la jeunesse en septembre 2019 contre le changement climatique. Inspirés par les critiques radicales de Greta Thunberg contre les « décideurs », aveuglés par l'argent et le mythe de la « croissance » , quatre millions de jeunes et moins jeunes sont descendu dans les rues, dans plus de 200 pays.

Dans ce combat, en beaucoup de pays, notamment dans les Amériques (Nord et Sud), les communautés indigènes jouent un rôle déterminant dans la résistance aux projets ecocides du capital. Et parmi les indigènes, les femmes – premières victimes de l'empoisonnement de l'eau et de la destruction des forêts - sont souvent à l'avant-garde de ce combat. Rappellons l'exemple de Berta Caceres, fondatrice en 1993 (à l'age de vingt années) du Conseil citoyen des organisations des peuples amérindiens du Honduras (COPINH), qui va mener la résistence contre les megaprojets des multinationales, confisquant l'eau des indigènes. Après avoir reçu le Prix International Goldman pour l'Environnement, elle sera assassinée en avril 2016 par des sicaires au service des affairistes. Les donneurs d'ordre n'ont pas été nquiétés. Aujourd'hui, Berta Caceres est une référence et une inspiration pour toute une génération de jeunes femmes combatives.

* * * * *

Le présent recueil d'articles n'est pas une mise en forme systématique des idées ou pratiques écosocialistes, mais plus modestement la tentative d'en explorer certains aspects, certains terrains et certaines expériences. Il ne représente, bien entendu, que l'opinion de leur auteur, qui ne coïncide pas nécessairement avec celle d'autres penseurs ou réseaux se réclamant de ce courant. Il ne vise pas à codifier une doctrine nouvelle, ni une quelconque orthodoxie. Une des vertus de l'écosocialisme c'est précisément sa diversité, sa pluralité, la multiplicité des perspectives et des approches, souvent convergents ou complémentaires – comme le montrent les documents publiés en annexe, qui émanent de différents réseaux écosocialistes – mais aussi, parfois, divergentes ou même contradictoires.

Notes

[1]James Hansen, Storms of my Grandchildren. The truth about the coming climate catastrophe and our last chance to save humanity, New York, Bloomsbury, 2009, p. IX.

[2]Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Paris, Le Seuil, 2007. Voir aussi son autre ouvrage tout aussi intéressant, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Paris, Le Seuil, 2009.

[3]Daniel TANURO, L'impossible capitalisme vert, Paris, La Decouverte, « Les empêcheurs de penser en rond », 2010. Cf. le recueil collectif, organisé par Vincent Gay, Pistes pour un anticapitalisme vert, Paris, Syllepse, 2010, avec des collaborations de D.Tanuro, François Chesnais, Laurent Garrouste, et autres. On trouve aussi une critique argumentée et précise du capitalisme vert dans les travaux des eco-marxistes nord-américains : Richard Smith, « Green capitalism : the god that failed », Real-world economic review, n° 56, 2011 et John Bellamy Foster, Brett Clark and Richard York, The Ecological Rift, New York, Monthly Review Press, 2010.

[4]Stéphane Lavignotte, La décroissance est-elle souhaitable ?, Paris, Textuel, 2010.
P.-S.

• Billet de blog (Mediapart) 18 décembre 2024 :
https://blogs.mediapart.fr/michael-lowy/blog/181224/etincelles-ecosocialistes

• Michael Lowy
Directeur de recherche émérite au CNRS

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Quand tombent les aiguilles de pin

4 mars, par Katsi'tsakwas Ellen Gabriel — , ,
✊ « La société coloniale doit apprendre son histoire colonialiste. Sans une plus grande conscience de cette histoire, les nouvelles générations continueront de commettre les (…)

« La société coloniale doit apprendre son histoire colonialiste. Sans une plus grande conscience de cette histoire, les nouvelles générations continueront de commettre les mêmes erreurs, encore et encore. »

Katsi'tsakwas Ellen Gabriel

De nombreux ouvrages ont été écrits à propos du siège de Kanehsatà:ke et de Kahnawà:ke à l'été 1990, qu'on a appelé la « crise d'Oka ». Bien peu l'ont été depuis la perspective des Premiers Peuples, encore moins de celle d'une femme Autochtone.

Quand tombent les aiguilles de pin répare enfin cette injustice, en offrant le récit tant espéré de Katsi'tsakwas Ellen Gabriel, porte-parole de la résistance lors des événements. Au fil d'une conversation avec l'historien Sean Carleton, elle revient sur les grands moments de son histoire en tant que féministe, leader de sa communauté et gardienne du territoire.

Traduit de l'anglais par Marie C Scholl-Dimanche

Allan Lissner

Militante Kanien'kehá:ka (Mohawk), KATSI'TSAKWAS ELLEN GABRIEL est artiste, documentariste, écoféministe et défenseure des droits humains. Elle s'est fait connaître du grand public comme porte-parole des Kanien'kehàka de Kanehsatà:ke lors des sièges de 1990. Elle a été présidente de l'Association des femmes autochtones du Québec et a défendu les droits des Premiers Peuples notamment devant l'ONU. Son documentaire Kanàtenhs – When the Pine Needles Fall a remporté le Grand Prix du Conseil des Arts de Montréal en 2024.

Katsi'tsakwas Ellen Gabriel
Déjà un meilleur vendeur au Canada anglais (https://btlbooks.com/book/when-the-pine-needles-fall)
Un des meilleurs essais de 2024, selon CBC (https://www.cbc.ca/books/the-best-canadian-nonfiction-of-2024-1.7406798)

Katsi'tsakwas Ellen Gabriel
Service de presse (mailto:valerie.simard@editions-rm.ca ?subject=Service%20de%20presse%20Quand%20tombent%20les%20aiguilles%20de%20pin&body=Bonjour%2C%0AMerci%20de%20m'envoyer%20un%20service%20de%20presse%20%C3%A0%20l'adresse%20suivante%3A)
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