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Aux États-Unis, un procès d’ampleur menace Greenpeace de faillite

Un procès contre Greenpeace s'ouvre le 24 février aux États-Unis. L'ONG est notamment accusée d'avoir organisé les manifestations contre un oléoduc géant. Elle dénonce une procédure-bâillon, qui pourrait entraîner sa faillite.
Tiré de Reporterre
25 février 2025
Par Edward Maille
Atlanta (États-Unis), correspondance
Greenpeace a survécu à de nombreux procès, mais celui-ci menace de mettre fin à ses activités aux États-Unis. L'organisation de protection de l'environnement est poursuivie [1] par Energy Transfer dans un procès qui s'ouvre le 24 février et pour cinq semaines à Mandan, dans le Dakota du Nord. L'entreprise d'énergies fossiles l'accuse de diffamation et d'avoir orchestré en 2016 et 2017 des actions qu'elle juge illégales, lors des manifestations contre la construction du Dakota Access Pipeline. Greenpeace risque au moins 300 millions de dollars (287 millions d'euros) de dommages et intérêts. Il s'agit, selon l'ONG, de la « plus grande menace à laquelle [son] organisation ait jamais fait face ».
Entre 2016 et 2017, des dizaines de milliers de manifestants s'étaient réunis dans le Dakota du Nord pour s'opposer à l'oléoduc. Sur plus de 1 800 km, le pipeline, opérationnel depuis 2017, transporte du pétrole brut du Dakota du Nord jusqu'à l'Illinois. Plus de 300 tribus des Premières Nations étaient venues soutenir les Sioux de Standing Rock, la sixième plus grande réserve des États-Unis, où passe le pipeline. Ces derniers craignaient que le projet contamine leurs réserves d'eau et voyaient l'infrastructure énergétique comme une atteinte à leur souveraineté.
Durant les nombreuses manifestations, les forces de sécurité publiques et privées ont arrêté au moins 150 personnes, jeté des bombes lacrymogènes et lâché des chiens sur les opposants. Des centaines de manifestants ont été blessés.
Energy Transfer, responsable de la construction et de son fonctionnement, avait déjà porté plainte contre Greenpeace en 2017 pour crime organisé, mais un juge fédéral avait estimé que les faits n'étaient pas établis. En 2019, le groupe énergétique s'est tourné vers un tribunal qui dépend de la législation du Dakota du Nord, un État pro-énergies fossiles.
Des tribus des Premières Nations manifestant contre l'oléoduc dans le Dakota du Nord, le 4 septembre 2016. © Robyn Beck / AFP
L'entreprise accuse Greenpeace d'avoir organisé les manifestations, dont certaines jugées violentes, et le sabotage de parties de l'oléoduc, retardant ainsi le chantier. L'ONG dément, et affirme sur son site internet avoir mis en place certains ateliers de formation « non violentes », mais « en aucun cas [avoir] dirigé le mouvement d'opposition de Standing Rock ». Elle nie aussi les accusations de diffamation, précisant ne pas être à l'origine des propos sur les risques du projet de pipeline.
Elle l'assure : une défaite au procès « entraînerait la faillite de Greenpeace aux États-Unis ». L'ONG précise avoir déjà dépensé plusieurs millions de dollars dans sa défense.
« Le temps de l'impunité est fini »
Le procès, qui soulève la question du droit de manifester, est qualifié par Greenpeace de « procédure-bâillon », avec l'objectif de les intimider. Aux États-Unis, cette pratique est interdite dans 35 États, mais pas dans le Dakota du Nord, selon Reporters Committee for Freedom of the Press.
« Ce procès pourrait créer un précédent dangereux, où n'importe quel manifestant pourrait être tenu pour responsable des actions d'autres personnes lors d'une manifestation, y compris d'inconnus. Cela menace notre droit d'être solidaires les uns envers les autres », dit Kristin Casper, conseillère juridique générale pour Greenpeace International.
Afin de dénoncer cette « procédure-bâillon », Greenpeace International a poursuivi Energy Transfer le 11 février auprès d'une cour néerlandaise, où se trouvent ses locaux. Cette action juridique s'appuie sur une directive européenne de 2024 qui interdit les procédures-bâillons (les pays de l'Union européenne ont jusqu'à 2026 pour l'inscrire dans leur loi). Greenpeace International espère ainsi envoyer « un message puissant aux entreprises tyranniques pour leur dire que le temps de l'impunité est fini », dit Kristin Casper. Le groupe Energy Transfer, lui, se défend de toute atteinte à la liberté d'expression.
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RDC : 90 % des victimes des abus sexuels liés au conflit sont des femmes et des filles

Des expertes indépendantes de l'ONU ont exprimé lundi leur grave préoccupation concernant l'ampleur des violences sexuelles liées au conflit dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), dont 94% des victimes sont des femmes et des filles.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/02/27/rdc-90-des-victimes-des-abus-sexuels-lies-au-conflit-sont-des-femmes-et-des-filles/
Ces expertes du Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) se sont dites alarmées par le conflit en cours dans les provinces orientales de l'Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu et par la persistance des violences sexuelles liées au conflit qui, depuis des décennies, sont devenues une « caractéristique épouvantable » du conflit dans cette région.
Selon le Comité, les violences sexuelles liées au conflit sont souvent utilisées comme arme de guerre, en particulier par les groupes armés non étatiques, mais aussi par les forces armées et les forces de police congolaises.
Dans ses conclusions et observations finales, le Comité note que les violences sexuelles liées aux conflits ont lieu dans différents contextes, tels que les opérations militaires, les contextes humanitaires, y compris les camps et les déplacements ou lors de tâches quotidiennes.
Des violences ancrées dans le patriarcat
Dans l'est de la RDC, l'avancée des rebelles du M23 a également engendré une « nouvelle augmentation des violences sexuelles liées au conflit ».
Le rapport est notamment revenu sur le viol de 165 femmes détenues lors d'une évasion de la prison de Muzenze par des prisonniers masculins, dont la majorité a ensuite été tuée dans un incendie, dont les circonstances ne sont toujours pas claires.
Plus largement, ces violences, souvent utilisées comme une arme de guerre, sont ancrées « dans le patriarcat et les stéréotypes sexistes, pour punir les groupes rivaux et inspirer la peur aux civils ».
Ces violences incluent le viol, le viol collectif, le viol de masse, l'esclavage sexuel, la grossesse forcée, le mariage d'enfants, le mariage forcé et la prostitution forcée.
« Tous ces actes constitueraient souvent des violations du droit humanitaire et des droits de l'homme et s'apparenteraient souvent à des crimes internationaux, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ».
Le Comité a exhorté l'État partie à adopter une stratégie globale pour éliminer les violences sexuelles et lui a demandé de travailler avec des partenaires internationaux pour prévenir et punir les violences sexuelles liées au conflit.
Reddition des comptes
Pour la première fois, le Comité a également formulé des recommandations à la communauté internationale dans ses observations finales, notamment en soutenant une résolution pacifique du conflit, en veillant à ce que les auteurs de violences sexuelles liées au conflit rendent compte de leurs actes et en fournissant un soutien financier et technique pour protéger les femmes et les filles contre les violences sexuelles liées au conflit.
Le rapport fait état de l'existence de plus de 200 groupes armés dans l'ensemble de la RDC, dont plus de 100 rien que dans l'est du pays, qui commettent de nombreuses violations des droits humains, en plus des violences sexuelles liées au conflit.
Il s'agit notamment de meurtres et de massacres, de disparitions forcées, de détentions arbitraires et d'actes de torture, qui s'apparentent souvent à des crimes contre l'humanité et à des crimes de guerre.
« Dans plusieurs cas, ces violations ont également été commises par des acteurs étatiques », ont souligné les expertes indépendantes du CEDAW.
https://news.un.org/fr/story/2025/02/1153381
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Les coûts sociaux et économiques de la prostitution et des autres formes d’exploitation sexuelle

Ce rapport présente des arguments sociaux et économiques en faveur de l'introduction de l'approche du modèle nordique dans la politique et la législation relatives à la prostitution au Royaume-Uni, ainsi que d'autres interventions visant à mettre fin à l'impunité des tiers qui encouragent l'exploitation sexuelle des femmes, des enfants et d'autres personnes marginalisées et en tirent profit.
Tiré de Entre les lignes et les mots
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Le Royaume-Uni dépense d'énormes sommes d'argent public pour tenter – et échouer – à résoudre des problèmes sociaux massifs qui menacent le tissu même de notre société. Des problèmes tels que la grande criminalité organisée (GCO), l'augmentation du nombre d'enfants pris en charge, l'augmentation rapide des taux de violence masculine à l'encontre des femmes et des filles, le phénomène croissant des incels [NdT – voir textes proposés en annexe], des hommes qui, selon les termes de Keir Starmer, « se retranchent dans des vies parallèles ». M. Starmer a tenu ces propos dans le discours qu'il a prononcé après la condamnation d'Axel Rudakubana pour le meurtre de trois fillettes et la mutilation de plusieurs autres, ainsi que de leur institutrice. M. Starmer a poursuivi en évoquant le sentiment croissant que les règles non écrites qui nous unissent tous ont récemment été déchirées.
Dans le présent document, nous soutenons que l'un des principaux facteurs à l'origine de toutes ces questions et d'autres encore est la montée en puissance de la pornographie, de la webcamisation, des OnlyFans, des maisons closes et des salons de massage, des clubs de lap dance, des sites web qui présentent des catalogues de femmes, chacune étant apparemment prête, voire désespérée, à ce que les hommes la commandent comme s'il s'agissait d'une pizza. En d'autres termes, le « travail du sexe ». Une industrie colossale et puissante qui sert les femmes et les filles aux hommes et aux garçons comme des objets à reluquer, à masturber, sur lesquels on peut déverser ses frustrations.
Ce document plaide en faveur d'une approche radicalement nouvelle ; de la fin des euphémismes inutiles, tels que le « travail sexuel » ; de la fin du traitement des femmes comme des citoyennes de seconde zone ; de la fin de la complaisance envers les lobbyistes de l'industrie du sexe ; et surtout de la fin de l'omerta, le code du silence et de l'extrême loyauté envers l'avantage systématique des hommes aux dépens des femmes et des jeunes filles, qui conduit à notre refus culturel de voir ce qui nous crève les yeux.
https://nordicmodelnow.org/2025/02/11/the-social-economic-costs-of-prostitution/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
NdT – Annexe : Incels
L'ennemi ultime, c'est la femme – incursion dans le monde terrifiant des « incels »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/12/01/lennemi-ultime-cest-la-femme-incursion-dans-le-monde-terrifiant-des-incels/
Julie Bindel : Dans le monde tordu du mouvement des « incels »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/03/22/dans-le-monde-tordu-du-mouvement-des-incels/
TURQUIE. Montée en puissance de l'idéologie Incel « alimentée par les politiques gouvernementales misogynes »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/09/turquie-montee-en-puissance-de-lideologie-incel-alimentee-par-les-politiques-gouvernementales-misogynes/
« De la haine à l'état brut » : ce pour quoi le mouvement des « InCel » cible et terrorise les femmes
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/05/12/%E2%80%89de-la-haine-a-letat-brut%E2%80%89-ce-pour-quoi-le-mouvement-des-%E2%80%89incel%E2%80%89-cible-et-terrorise-les-femmes/
La tentation réactionnaire des incels
https://laviedesidees.fr/La-tentation-reactionnaire-des-incels
Les incels : le mouvement grandit en France
https://www.lesnouvellesnews.fr/les-incels-le-mouvement-grandit-en-france/
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Cinq mythes sur le mariage des enfants

Près d'une jeune femme sur cinq dans le monde s'est mariée alors qu'elle était encore enfant, selon l'agence des Nations Unies pour la santé reproductive et sexuelle. L'UNFPA exhorte les pays à dire « Non, je ne le veux pas » au mariage des enfants, une pratique illégale presque universellement condamnée, qui reste pourtant répandue à travers le globe.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/03/cinq-mythes-sur-le-mariage-des-enfants/?jetpack_skip_subscription_popup
« J'ai été mariée à 14 ans et j'ai perdu mon premier enfant à 16 ans pendant la grossesse », témoigne Ranu Chakma. Bien qu'il soit illégal et que cela constitue une violation des droits humains, le mariage des enfants est courant dans son village de Teknaf Upazila, sur la côte sud du Bangladesh.
Ces violations se produisent alors que de nombreux pays interdisent cette pratique néfaste, à l'instar de la Colombie, où une loi est entrée en vigueur au début du mois.
Voici cinq idées reçues sur le mariage des enfants.
Mythe 1 : Le mariage des enfants est toujours illégal
Le mariage d'enfants est interdit par de nombreux accords internationaux, qu'il s'agisse de la Convention relative aux droits de l'enfant, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ou du programme d'action de la Conférence internationale sur la population et le développement de 1994.
Pourtant, 640 millions de femmes et de filles dans le monde ont été mariées quand elles étaient enfants, et de nouveaux mariages d'enfants ont lieu chaque jour.
Comment cela est-il possible ?
De nombreux pays interdisent en principe le mariage des enfants, mais définissent l'âge autorisé du mariage comme étant autre que 18 ans ou autorisent des exceptions avec le consentement des parents ou en vertu du droit religieux ou coutumier. Dans de nombreux cas, ces mariages, et les mariages en général, ne sont pas enregistrés légalement, ce qui rend difficile l'application de la loi.
Pour lutter contre le mariage des enfants, il faut plus que des lois : il faut repenser la façon dont la société valorise les filles.
Des programmes tels que Taalim-i-Naubalighan, à Bihar, en Inde, où deux enfants sur cinq se marient avant l'âge de 18 ans, ont un impact. Ces programmes encouragent les jeunes à réfléchir à des sujets tels que les rôles des hommes et des femmes et les droits humains.
« C'est pourquoi j'ai pu aider ma sœur », affirme Altamash, un étudiant dont la sœur voulait éviter le mariage et poursuivre ses études. « Quand j'ai compris son désir et comment cela l'aiderait, j'ai défendu sa cause auprès de mon père. Elle va maintenant terminer ses études et je suis très fier d'elle ».
Mythe 2 : Le mariage d'enfants est parfois nécessaire
Le mariage d'enfants reste répandu en partie parce qu'il est considéré comme une solution à d'autres problèmes.
Dans les crises humanitaires, les taux de mariage d'enfants augmentent souvent. Les parents pensent que le mariage assurera l'avenir de leur fille en faisant d'un mari le responsable de son soutien économique et de sa protection contre la violence.
Le mariage d'enfants est considéré comme une solution qui préservera l'honneur d'une fille et de sa famille après – ou dans certains cas avant – qu'elle ne tombe enceinte. Dans les pays en développement, la majorité des naissances chez les adolescentes ont lieu dans le cadre du mariage.
Pourtant, le mariage des enfants n'est pas une véritable solution à ces problèmes. Le mariage d'enfants lui-même conduit les filles à subir des niveaux élevés de violence sexuelle, physique et émotionnelle de la part de leurs partenaires intimes. La grossesse est dangereuse pour les filles. Les complications liées à la grossesse et à l'accouchement sont l'une des principales causes de décès chez les adolescentes. Les filles mariées et les mères adolescentes sont souvent contraintes d'abandonner l'école, ce qui compromet leurs perspectives d'avenir.
À Madagascar, Nicolette, âgée de16 ans, était tellement habituée à voir ses camarades de classe disparaître de l'école après s'être mariées et être tombées enceintes, qu'elle n'a jamais pensé à remettre en question cette pratique. Jusqu'à ce qu'elle assiste à une séance de sensibilisation soutenue par l'UNFPA.
« Je ne savais pas que nous pouvions être victimes de mariages d'enfants », se rappelle-t-elle. Aujourd'hui, elle veut que toutes les filles de sa communauté le sachent : « Tout le monde a le droit de réaliser ses ambitions, et le mariage est un choix ».
Mythe 3 : Ce problème est en voie de disparition
Le mariage d'enfants peut sembler comme un problème du passé ou de régions reculées, mais il reste en fait une menace sérieuse pour les filles du monde entier.
Si les taux de mariage d'enfants diminuent lentement dans le monde, les pays où ces taux sont les plus élevés sont aussi ceux où la croissance démographique est la plus forte, ce qui signifie que le nombre absolu de mariages d'enfants devrait augmenter.
Le problème est mondial. Le plus grand nombre d'enfants mariés vit dans la région Asie-Pacifique. Le taux de mariage d'enfants le plus élevé est observé en Afrique subsaharienne. L'absence de progrès en Amérique latine et dans les Caraïbes signifie que cette région devrait arrivée en deuxième position en termes de prévalence de mariages d'enfants, d'ici à 2030.
Mais le problème ne se limite pas aux pays en développement. Il existe également dans des pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis.
« On m'a présenté quelqu'un le matin et on m'a forcée à l'épouser le soir même », explique Sara Tasneem, se souvenant de son mariage, d'abord une union spirituelle informelle à l'âge de 15 ans, puis légalement à l'âge de 16 ans. « Je suis tombée enceinte tout de suite, et nous nous sommes mariés légalement à Reno, dans le Nevada, où il suffisait d'une autorisation signée par mon père ».
Pour changer cette situation, il faut accélérer les actions visant à mettre fin aux mariages d'enfants, notamment en responsabilisant les filles.
« J'avais 13 ans lorsque mon père m'a donnée en mariage à un cousin », raconte Hadiza, 16 ans, au Niger. Heureusement, elle a eu accès à un espace sûr grâce à un programme pour la jeunesse soutenu par l'UNFPA. « J'ai parlé à un mentor de l'espace protégé qui, avec l'aide du chef de quartier, a négocié avec mes parents pour qu'ils reportent le mariage ».
Aujourd'hui, Hadiza est apprentie chez un tailleur et acquiert les compétences nécessaires pour devenir économiquement autonome. « Dans trois ans, j'envisage de me marier avec l'homme que j'aime », dit-elle.
Mythe 4 : Il s'agit d'une question culturelle ou religieuse
Le mariage des enfants est parfois présenté à tort comme une pratique imposée par la religion ou la culture. Or, aucune tradition religieuse majeure n'impose le mariage d'enfants.
En fait, les chefs culturels et religieux du monde entier adoptent souvent une position ferme contre le mariage des enfants, en particulier lorsqu'on leur fournit des preuves des conséquences de cette pratique.
« Nous avons toujours enseigné aux jeunes que, tant sur le plan religieux que légal, ce n'est pas conseillé », affirme Shirkhan Chobanov, l'imam de la mosquée Jumah à Tbilissi, en Géorgie. « Nous expliquons à ces jeunes gens qu'ils doivent accomplir d'autres tâches, principalement en ce qui concerne leur éducation, avant de songer à fonder une famille ».
L'UNFPA travaille avec des chefs religieux du monde entier qui s'efforcent de mettre fin au mariage des enfants, notamment des prêtres, des moines, des religieuses et des imams.
« Nous constatons de très bons résultats en ce qui concerne la lutte contre le mariage des enfants », affirme Gebreegziabher Tiku, un prêtre éthiopien.
Mythe 5 : Cela n'arrive qu'aux filles
Bien que la grande majorité des mariages d'enfants concernent des filles, les garçons peuvent également être mariés.
Selon les données de 2019, 115 millions de garçons et d'hommes à travers le monde ont été mariés avant l'âge de 18 ans. Ces unions sont également liées à une paternité précoce, à une éducation limitée et à des opportunités réduites dans la vie.
Toutefois, les filles sont touchées de manière disproportionnée par cette pratique. Environ une jeune femme sur cinq âgée de 20 à 24 ans s'est mariée avant son 18e anniversaire, contre un jeune homme sur 30. Les taux de mariage d'enfants pour les garçons sont très faibles, même dans les pays où le mariage d'enfants pour les filles est relativement élevé.
Les programmes d'autonomisation des jeunes permettent d'informer tous les adolescents sur leurs droits fondamentaux au Nicaragua, pays qui affiche l'un des taux les plus élevés de mariages d'enfants parmi les garçons.
Quel que soit le sexe de l'enfant concerné ou le pays dans lequel l'union a lieu, le mariage d'enfants est une pratique néfaste qui nécessite de s'attaquer à un ensemble commun de causes profondes. Il s'agit notamment de l'inégalité économique, de l'accès limité aux services et aux informations en matière de santé sexuelle et génésique et de facteurs tels que les conflits. L'une des principales causes profondes – l'inégalité entre les hommes et les femmes – doit faire l'objet d'une attention urgente et renouvelée.
« Si nous avons aboli le mariage des enfants, nous n'avons pas aboli la masculinité prédatrice », souligne Gabrielle Hosein, Directrice de l'Institut d'études sur le genre et le développement à l'université des Antilles, à Trinité-et-Tobago.
Pour Kevin Liverpool, militant au sein de l'association CariMAN, les hommes et les garçons ont un rôle essentiel à jouer.
« Il est important de sensibiliser ces groupes, ces individus, à ce qu'est le féminisme, aux raisons pour lesquelles l'égalité des sexes est importante pour les femmes, mais aussi pour les hommes et pour l'ensemble de la société ».
https://news.un.org/fr/story/2025/03/1153416
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Quand les violences sexuelles remplacent les bombes !

Les premières victimes d'une guerre sont les civils, on compte plus de femmes et d'enfants morts que de militaires dans les conflits actuels. Leur statut social, déjà vulnérable, s'accentue lors d'une guerre. À Beijing en 1995, la quatrième conférence mondiale sur les femmes adopte Le Programme d'action qui déclare les conséquences des conflits armés sur les femmes comme « un domaine critique requérant une action de la part des gouvernements et de la communauté internationale ». Lors d'un conflit armé, leurs droits sont mis en périls.
Tiré de Alter québec
https://alter.quebec/quand-les-violences-sexuelles-remplacent-les-bombes/
Photo : Des femmes au camp de réfugiés de Farchana au Tchad @ Yann Graf via flickr
Emma Soares, article publié dans Le Polémique, le journal étudiant en Sciences politiques et Études internationales de l'Université de Montréal.
Les Soudanaises témoignent
Au Soudan, la guerre en cours depuis plus d'un an menace les populations civiles, les femmes sont souvent laissées avec le choix de partir ou redouter les violences des paramilitaires. Dans le centre du pays, plusieurs femmes se sont enlevées la vie après avoir été violées par des soldats des Forces de soutien rapide, déjà accusés de crimes sévères dans un rapport de l'ONU. Les femmes soudanaises préfèrent se suicider plutôt que de subir les violences sexuelles qu'elles encourent par les militaires.
Un groupe de défense des droits humains situé sur place assure à la BBC « être en contact avec des femmes qui envisagent de se suicider, car elles craignent d'être agressées sexuellement ». Le droit international punit les violences sexuelles envers les femmes, mais comment les prévenir dans le contexte chaotique de la guerre ? Lorsque les camps de réfugié.es sont presque démuni.es de moyens pour protéger les femmes et sensibiliser aux violences sexuelles, quand trop de victimes craignent de dénoncer ces actes ou quand la justice manque lorsqu'elles le font ? L'historienne française Raphaëlle Branche aborde ces obstacles comme « une invisibilité organisée par les auteurs, qui détiennent fréquemment en temps de guerre les appareils policier et judiciaire ».
En octobre, une Soudanaise partage un témoignage bouleversant à la BBC où elle affirme « J'ai laissé les combattants me violer pour protéger mes filles ». Originaire de la région de Dar es — Salaam, contrôlée par le RSF, elle fait partie d'un groupe de femmes interrogées par la correspondante de la chaîne britannique. Leurs récits décrivent la brutalité des violences subies au cours de cette guerre. Parmi elles, une voix s'élève et brise le silence : « Il y a tellement de femmes qui ont été violées, mais elles n'en parlent pas […] Quelle différence cela ferait-il ? » ces femmes expriment peu d'espoir d'obtenir justice contre les hommes qui ont commis ces actes contre elles. Leurs témoignages espèrent alerter la communauté internationale pour obtenir justice pour ces femmes, vulnérables en temps de guerre et souvent seules accompagnées d'enfants.
En conflit armé, les violences envers les femmes peuvent être utilisées comme arme de guerre, un moyen de soumettre la population par la peur et la violence. Une « méthode de guerre » quand elle est organisée par une autorité politico-militaire de manière stratégique afin d'humilier, d'assouvir ou de chasser une population. Cela tend à rendre les groupes sociaux déjà discriminés à l'instar des femmes et des filles, d'avantages vulnérables.
Le haut-commissariat des droits de l'Homme des Nations Unies alerte sur une recrudescence de la violence fondée sur le genre dans les zones de conflit. On observe une instrumentalisation des violences sexuelles où le viol systémique devient une « tactique de guerre » d'avantage courante et plusieurs facteurs aggravent ce phénomène.
Le contexte politique du pays
La fin d'un conflit où les institutions sont érodées comme l'état de droit, les structures sociales, politiques et économiques
La normalisation de la violence, surtout basée sur le genre : La traite d'être humain, particulièrement celle des femmes pour l'esclavage sexuel lié à un niveau de violence et de militarisme élevé.
Plusieurs facteurs préexistants de la condition des femmes sont exacerbés par un conflit ou une guerre
Les femmes sont les plus touchées par le manque de biens essentiels comme les produits hygiéniques, les soins de santé liés aux grossesses ou aux enfants en bas âge, souvent obligées d'assurer la charge domestique.
La violence envers les femmes pendant un conflit armé constitue un crime reconnu dans le droit international depuis l'adoption, en 1949, de la quatrième convention de Genève sur la protection des civiles lors d'un conflit armé. Les violences sexuelles qui se perpétuent contre les femmes lors d'un conflit peuvent constituer des crimes de guerre, mais à ce jour, combien ont obtenu justice par ce recours ?
Une lutte historique
Diana H. Russel et Jill Radford ont été des pionnières dans l'étude des violences sexuelles envers les femmes. Leur livre, intitulé « The Politics of Woman Killing », aborde les mécanismes des violences sexuelles et leur instrumentalisation. Un chapitre dédié au « terrorisme sexiste contre les femmes » écrit avec Jane Caputi, décrie le fémicide comme un « continuum de terreur anti-féminine ». Cette première théorisation du concept inclue un large spectre de violences physiques et sexuelles dont la torture, l'esclavage sexuel, la stérilisation forcée et même la maternité forcée.
À l'époque, l'ouvrage a particulièrement raisonné en Amérique centrale. Au Guatemala, un groupe de femmes autochtones ont obtenu justice contre cinq anciens paramilitaires pour les viols commis à leur encontre lors de la guerre civile dans les années 1980. Ces femmes Achi ont été violées à plusieurs reprises par des membres des patrouilles d'autodéfense civile, attaquées dans leur village de Rabinal et dans un poste militaire. Pendant la guerre civile, de nombreuses femmes autochtones ont subi des violences sexuelles par des militaires.
En 2016, un premier groupe de femmes autochtones avaient déjà poursuivi des militaires en justice pour les avoir réduits à la condition d'esclaves sexuelles. Ces condamnations représentent des avancées historiques en matière de droit des femmes. Il est essentiel de se rappeler qu'ils ne sont pas acquis, mais conquis, les femmes mènent un combat perpétuel pour les préserver et la guerre les fait souvent reculer. Ces actes de violences extrêmes laissent des cicatrices profondes dans le tissu social des communautés et portent directement atteinte à leur humanité. Leur rendre justice est un premier pas vers la réaffirmation de leurs droits intrinsèques.
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Prise de Goma par le M23, et après ?

Fin janvier, le mouvement rebelle M23, soutenu par le Rwanda, s'est emparé de la ville de Goma, dans l'est du Congo-Kinshasa. Un conflit dont les enjeux ne sont pas nécessairement ceux mis en avant par les protagonistes. Et que la communauté internationale ne semble pas prête à stopper…
Tiré du site de la revue Contretemps.
Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo (RDC), est tombée fin janvier aux mains du M23, et ce malgré la présence des Casques bleus de la mission des Nations Unies (Monusco) qui ont participé à la défense de la ville. On compte, selon les ONG présentes, au moins 3000 morts et au moins autant de blessés, dont une majorité de civils.
Cet épisode vient endeuiller une région déjà profondément martyrisée par trois décennies de conflits, de pillages et de terribles exactions commises par divers groupes et forces armées. Avant cet assaut, on comptait déjà entre 700 000 et 1 million de personnes déplacées dans des camps de réfugiés autour de Goma du fait de la reprise des hostilités, impliquant le M23 à partir de novembre 2021. Les dirigeants de ce groupe armé sont issus d'une précédente rébellion, le CNDP, les deux étant soutenus par le Rwanda. Ils ont été brièvement intégrés à l'armée congolaise après un accord de paix signé en 2009, dont ils ont dénoncé la mauvaise application en 2012 en lançant le Mouvement du 23 mars (M23). Militairement vaincu fin 2013, le M23 a refait surface en 2021.
Les renforts de la puissante armée rwandaise et la fourniture de matériel militaire de pointe lui ont rapidement permis de s'imposer comme le principal groupe armé de la région, qui en compte plus d'une centaine. Un soutien du Rwanda documenté par plusieurs rapports de l'ONU. En 2024, le nombre des militaires rwandais aurait même dépassé celui des combattants du M23 et les experts onusiens considèrent qu'ils exercent de facto « le contrôle et la direction » des opérations, se rendant complice à ce titre des violations des droits humains – bombardements indiscriminés, viols, exécutions, tortures, recrutement forcés…
Des justifications critiquables
M23 et Rwanda justifient leur action par la défense de la communauté tutsie du Nord-Kivu. Mais les motifs qu'ils avancent doivent être distinguées de motivations plus profondes et pas nécessairement exprimées publiquement.
En effet, si la stigmatisation des Tutsis du Congo est une réalité historique indéniable et la question de leur accès à la propriété foncière un problème non résolu, ces injustices semblent surtout faire figure de prétexte. La résurgence du M23 n'est pas précédée par une recrudescence particulière des violences dans sa zone. Au contraire, c'est la reprise de la guerre et le soutien militaire du Rwanda qui ont eu pour effet de raviver dramatiquement le racisme et les persécutions contre les Tutsis, notent plusieurs chercheurs[1]. La communauté tutsie n'a pas non plus été épargnée par le M23 en matière de recrutements forcés, y compris d'enfants, dans les camps de réfugiés.
Le président rwandais Paul Kagame continue officiellement de nier la présence de ses militaires sur le sol congolais… tout en conditionnant leur retrait à la neutralisation préalable des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Cette milice, formée en 2000 par des génocidaires rwandais en exil, perpétue l'idéologie du génocide de 1994 et nourrit des projets de reconquête du Rwanda où elle mène sporadiquement attaques et assassinats. Sa neutralisation est une exigence légitime du Rwanda, mais lorsque le président congolais Félix Tshisekedi a cherché à donner des gages à la communauté internationale sur ce point, il a échoué à imposer cette ligne à ses officiers[2].
Dans l'argumentaire du Rwanda, la collaboration des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) avec les FDLR justifie donc l'action du M23. Mais là encore la chronologie est inversée : avant 2021, le groupe parait affaibli et incapable de déstabiliser le Rwanda, selon les déclarations mêmes du ministre rwandais de la Défense de l'époque[3]. C'est pour faire face à la montée en puissance du M23 que les FARDC ont réactivé leurs liens avec les FDLR, les aidant à se renforcer pour les utiliser comme supplétifs au combat[4].
Une guerre pour le pillage ?
Le contrôle des mines artisanales ou semi-industrielles, le prélèvement de taxes et la maîtrise des voies d'exportation illégale des minerais vers les pays voisins (Rwanda, Ouganda et Burundi) constituent un carburant incontestable des principaux conflits à l'est du Congo, mais pas nécessairement leur cause première. Celui impliquant le M23 ne fait pas exception.
Ses conquêtes territoriales lui ont permis de se financer et de faire converger davantage de flux illicites en direction du Rwanda. Ceux-ci n'avaient toutefois pas attendu l'offensive du M23 pour exister. Certains caciques congolais y trouvaient leur compte et les trafics ont même donné lieu à des collaborations opportunistes et contre-nature entre une milice alliée des FARDC et le M23. Les exportations rwandaises de Coltan sont par exemple passées de 100 à 200 tonnes par mois entre 2022 et 2023.
Un phénomène encore accru après la prise de contrôle de la mine de Rubaya par le M23 en avril 2024, mine qui produirait de 20 à 30 % du coltan mondial. On a alors assisté selon l'ONU à « la plus grande contamination jamais enregistrée à ce jour des chaînes d'approvisionnement en minerais dans la région des Grands Lacs ». La « contamination » désigne le camouflage de l'origine réelle des produits exportés dont la traçabilité doit théoriquement être assurée pour interdire l'exploitation des « minerais de sang »[5].
Une question également sécuritaire
Si la résurgence du M23 a renforcé la captation des ressources congolaises par le Rwanda, celle-ci préexistait largement. La chronologie des relations entre les pouvoirs congolais, rwandais, mais aussi ougandais et burundais, amènent ainsi certains analystes à relativiser le poids des enjeux miniers au regard des questions sécuritaires, même si ces deux aspects sont étroitement imbriqués.
Le début du premier mandat de Tshisekedi, élu en 2018, avait été marqué par une phase de rapprochement militaire et économique avec le Rwanda. Les forces rwandaises avaient été autorisées à mener des opérations ciblées au Congo pour éliminer le chef des FDLR et celui d'une faction dissidente. Le président Tshisekedi avait également accordé à une société rwandaise le droit de raffiner l'or d'un important gisement congolais.
La lune de miel a duré jusqu'à la mi-2021, mais semble avoir été progressivement compromise par le rapprochement de la RDC avec deux autres voisins : l'Ouganda et le Burundi. Après des attentats commis en novembre 2021 sur son sol, l'Ouganda a pu déployer plusieurs milliers de soldats en RDC pour lutter contre le groupe Allied Democratic Forces (ADF), affilié à l'État islamique. Des accords économiques étaient également conclus entre les deux pays au détriment des intérêts rwandais. Simultanément, le Burundi a déployé son armée au Sud-Kivu contre un groupe rebelle burundais. C'est vraisemblablement cette double projection de forces hostiles à proximité de sa frontière qui a été perçue par le Rwanda comme une menace sécuritaire autant qu'économique, et l'a conduit à soutenir le retour du M23[6].
Un conflit régional
Comme cela est fréquemment rappelé, ce conflit est de fait un conflit régional et les risques d'embrasement sont réels. En 2022, pour faire face à l'agression rwandaise, la RDC a adhéré à la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC) et a sollicité une aide militaire. Une force s'est déployée, majoritairement composée de soldats kényans, que Tshisekedi a congédiée l'année suivante, l'accusant d'inaction, voire de complicité avec le Rwanda et le M23. Seuls les soldats burundais sont restés (ils seraient aujourd'hui 10 000 à participer à la défense du Sud-Kivu contre la progression du M23).
Le pouvoir congolais s'est alors tourné vers la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) qui a, à son tour, envoyé une force de maintien de la paix (SAMIDRDC), composée principalement de soldats sud-africains. Lors de la prise de Goma, treize d'entre eux ont perdu la vie, et le ton est alors monté entre le président sud-africain Cyril Ramaphosa et son homologue rwandais. Le premier a qualifié les forces rwandaises de « milices », et Paul Kagame a exigé le départ de la SAMIDRDC, qualifiée de force belligérante, avec laquelle il n'a pas exclu une « confrontation ».
L'Ouganda, dont les relations avec Kinshasa et avec le M23 sont ambivalentes, a également renforcé sa présence militaire sous couvert de lutte contre les ADF. Quant au Burundi, qui a toujours été très hostile au régime rwandais (les milices du parti au pouvoir sont coutumières des exactions anti-tutsies), son président Évariste Ndayishimiye a accusé le Rwanda de « préparer quelque chose » contre son pays, assurant qu'il n'allait pas « se laisser faire ». Tshisekedi cherche par ailleurs à obtenir un soutien militaire supplémentaire de la Tanzanie, de la Namibie et du Zimbabwe. Une configuration qui, si elle dégénérait, ne serait pas sans rappeler la deuxième guerre du Congo, la « guerre mondiale africaine », de 1998 à 2003.
Pas de blanc-seing pour Tshisekedi
Dénoncer la violation de l'intégrité territoriale congolaise par le Rwanda, sa participation au pillage des minerais et sa complicité dans les violations des droits humains qui sont commis ne signifie pas pour autant donner quitus au régime Tshisekedi, qui porte également une lourde responsabilité dans la dégradation de la situation sécuritaire à l'Est. Tout d'abord, dénoncent les militants anti-corruption congolais, son régime a reproduit les pratiques du régime Kabila en matière de prédation. Il a aussi renoncé à réformer les lois minières favorables aux multinationales étrangères et dictées par les institutions financières internationales.
Il s'est ainsi privé des moyens de restaurer une véritable administration à l'est du pays ou d'engager une réforme pour remédier à la faiblesse chronique de l'armée nationale, gangrenée par la corruption et la désorganisation. Il a préféré s'appuyer sur deux sociétés militaires privées : Congo Protection, dirigée par un Roumain passé par la Légion étrangère française, et Agemira, dirigée par des anciens militaires français.
Il a surtout encouragé la constitution d'une coalition de groupes miliciens anti-M23 parmi lesquels on trouve les FDLR déjà mentionnés, mais également la mouvance dite des « wazalendo » (les patriotes), qui ont multiplié les exactions et contribué à souffler sur les braises de la haine ethnique. Réduire, comme le fait Tshisekedi, la crise de l'est de la RDC à l'agression rwandaise est un moyen commode pour camoufler un bilan politique et militaire particulièrement décrié par son opposition et la société civile.
Que veut vraiment le M23 ?
Après la prise de Goma, des interrogations demeurent sur la stratégie et les objectifs du M23 et de son parrain rwandais. « Goma ne peut pas être une fin en soi », a révélé l'ambassadeur itinérant du Rwanda, Vincent Karega, et la trêve unilatérale décrétée au lendemain de la prise de Goma par le M23 n'a pas empêché ce dernier de poursuivre sa progression en direction de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu.
Le porte-parole de l'Alliance fleuve Congo (AFC), l'aile « politique » du M23 récemment constituée sous la direction de Corneille Nangaa, un transfuge du régime Tshisekedi, a quant à lui déclaré vouloir renverser le président congolais. Il paraît désormais certain qu'il ne s'agit pas seulement de permettre au M23 d'accéder à la table des négociations, exigence rwandaise jusque-là refusée par Tshisekedi, ou même d'obtenir une réintégration au sein de l'armée nationale. Le M23 ne se contente pas de prendre le contrôle des richesses des zones conquises, il y nomme des administrations parallèles.
Selon certaines hypothèses, il pourrait s'agir de faire officialiser ce contrôle administratif sur les territoires du Kivu, permettant ainsi au Rwanda de se constituer une zone tampon à sa frontière, dirigée par un allié[7]. En cas de refus, le Rwanda tentera-t-il de rééditer le scénario de 1996, lorsqu'il avait, avec l'Ouganda, provoqué la chute de Mobutu et porté Kabila (père) au pouvoir ? Et quelle marge de manœuvre lui laisseraient alors les pays voisins et la « communauté internationale » ?
Impunité
Voilà les questions qui doivent vraisemblablement agiter le président congolais aujourd'hui tant le soutien diplomatique dont il bénéficie paraît fragile. Si les pays de la SADC ont exprimé leur « soutien indéfectible » à Kinshasa, l'EAC s'est contentée de l'inviter à ouvrir le dialogue avec le M23. Le sommet commun EAC-SADC qui a suivi n'a débouché que sur un appel à un cessez-le-feu. Union africaine, ONU, USA ou même Chine ont condamné, plus ou moins fermement, l'agression du Rwanda, sans toujours le nommer explicitement.
Mais le point commun de toutes ces déclarations est l'absence de toute mesure concrète pour les appuyer, contrairement à ce qui s'était produit en 2012, après la première occupation de la ville de Goma par le M23. Les pressions et les menaces internationales avaient alors contraint Rwanda et M23 à battre rapidement en retraite. Les autorités congolaises dénoncent une politique du deux poids deux mesures, au regard des réactions suscitées par l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Plusieurs centaines de Congolais s'en sont pris aux ambassades française, américaine et belge.
La Belgique, en froid avec le Rwanda, est pourtant le seul pays européen à défendre ouvertement l'adoption de mesures de rétorsion. Plusieurs leviers sont possibles, mais deux mesures paraissent indispensables compte tenu de la situation : la suspension de la coopération militaire et un embargo sur les minerais en provenance du Rwanda.
La réaction de l'Union européenne (UE) était particulièrement attendue sur ces deux points, en raison de l'aide qu'elle fournit à l'armée rwandaise : dans le cadre de la Facilité européenne pour la Paix (FEP), 20 millions d'euros (et un deuxième versement équivalent est prévu) ont été versés à l'armée rwandaise pour soutenir son action au Mozambique. Elle s'y est déployée en étroite concertation avec la France pour tenter d'y sécuriser le gigantesque projet d'exploitation de gaz naturel liquéfié de TotalEnergies et Exxon Mobil, menacé par une insurrection djihadiste.
De plus, la signature d'un protocole d'accord sur les matières premières critiques entre l'Europe et le Rwanda en février 2024 a été considéré comme un véritable appel au crime en RDC. L'UE se refuse aujourd'hui à le remettre en cause, au prétexte qu'il s'agirait d'un outil pour lutter contre le trafic illégal de minerais. Le Rwanda est par ailleurs un pays au dynamisme économique attrayant pour les investisseurs et il est l'un des tout premiers contributeurs aux missions de maintien de la paix de l'ONU. Il est considéré comme un partenaire plus stable et fiable que la RDC, et la Commission européenne rechigne à se brouiller avec lui.
Gesticulations françaises
L'attentisme européen s'expliquerait aussi par la volonté de ne pas compromettre la tentative de médiation entreprise par un pays qui s'oppose à toute forme de sanction, au motif que cela desservirait la reprise du dialogue entre belligérants : la France. La diplomatie française a elle aussi condamné « l'offensive menée par le M23, soutenu par lesforces armées rwandaises », mais freine des quatre fers l'adoption de mesures contraignantes. Elle s'est efforcée au cours des mois précédents de rééquilibrer progressivement sa position et reconnaît désormais l'agression rwandaise contre la RDC. Mais les couacs diplomatiques n'ont pas cessé pour autant (au dernier sommet de la Francophonie par exemple) et il faut croire que la balance continue de pencher du côté du Rwanda, pour différentes raisons.
Le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot s'est rendu le 29 janvier à Kinshasa, puis à Kigali. Emmanuel Macron s'est entretenu par téléphone avec tous les chefs d'État africains de la région, et a tenté de mettre sur pied une improbable équipe de médiateurs. Il a également essayé, en vain, de faire venir à Paris les présidents rwandais et congolais pour un mini-sommet. À ce jour, ces efforts s'apparentent surtout aux gesticulations, dont le président français est coutumier sur la scène internationale. Et l'on peut craindre que le temps qui passe en l'absence de pressions laisse davantage l'espace à l'aggravation de la guerre qu'à une solution de paix.
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Pourquoi la France soutient-elle le Rwanda ?
En 2021, le Mozambique a sollicité un partenaire inattendu pour tenter d'endiguer la progression d'une insurrection djihadiste dans la région du Cabo Delgado qui mettait en péril le gigantesque projet d'exploitation de gaz naturel de TotalEnergies et Exxon Mobil. L'armée rwandaise a été perçue, notamment en Afrique du Sud, comme un sous-traitant au service des intérêts français sur le sol africain.
Il ne fait aucun doute que l'intervention du Rwanda répond à des intérêts propres. Mais l'affirmation de Paul Kagame, qui a assuré que ses troupes n'étaient pas là pour « protéger des projets privés », est peu crédible. Selon The Mail & Guardian, c'est la France qui aurait soufflé l'idée au président mozambicain. Ce que les autorités françaises nient : « La France n'a donné aucun feu vert, orange ou rouge pour cette intervention », assure une source élyséenne. « En revanche, dans toutes les conversations entre MM. Macron et Kagame, la question du Mozambique a été évoquée. A chaque fois, les Rwandais nous ont tenus au courant de l'état de leurs discussions avec le Mozambique[8] ». Des journalistes et des chercheurs considèrent que la France a au minimum favorisé cette solution.
Interrogé par un parlementaire le 21 mars 2024, Jean-Claude Mallet, directeur des affaires publiques de TotalEnergies, a quant à lui réfuté toute action de son entreprise pour réclamer une action militaire française ou favoriser celle du Rwanda :
- « La seule chose que nous ayons vraiment essayé de dire, c'est : attention, l'armée mozambicaine ne tient pas la route, pour des raisons historiques. Si nous avons peut-être exercé une influence, c'est en disant : il serait bon que l'Union européenne puisse développer des actions de coopération. Mais c'était un avis. À cet égard, nous ne prenons aucune décision. »
Après la mission de formation militaire EUTM-Mozambique, à l'initiative de la France, l'Union européenne a accordé un soutien de 20 millions d'euros aux troupes rwandaises au Mozambique, via le mécanisme de Facilité européenne pour la paix (FEP). L'attribution d'une deuxième enveloppe de 20 millions a fait longtemps débat au sein de l'Union européenne, en raison de l'action de l'armée rwandaise en RDC. La France et le Portugal qui y étaient favorables ont finalement eu gain de cause.
Rapprochement diplomatique, convergence d'intérêts
Cette convergence d'intérêts pourrait surprendre ceux qui n'ont pas suivi le processus de rapprochement entre la France et le Rwanda commencé sous Nicolas Sarkozy et poursuivi par Emmanuel Macron. La normalisation diplomatique s'est concrétisée avec la nomination, après six ans de vacance du poste, d'un nouvel ambassadeur français à Kigali en juin 2021.
Le déploiement de forces rwandaises au Mozambique a également coïncidé avec la reprise de la coopération sécuritaire, rompue depuis que le Front patriotique rwandais avait chassé le gouvernement génocidaire soutenu par la France en juillet 1994. Un attaché de Défense a été affecté à l'ambassade de France à Kigali en août 2021. Puis, en mars 2022, une délégation rwandaise comprenant le chef d'état-major, le chef des services de renseignement militaire et le chef des opérations et de la formation, a été reçue à Paris par le chef d'état-major français des armées.
C'est ensuite le patron de la Direction du renseignement militaire (DRM) française qui était attendu à Kigali fin novembre. Par ailleurs, l'intervention au Mozambique n'était pas la première intervention rwandaise accueillie favorablement par l'Élysée. En décembre 2020, le Rwanda avait déjà envoyé des troupes en Centrafrique, pour défendre le régime de Faustin-Archange Touadéra contre plusieurs groupes armés. La France, dont l'influence dans le pays commençait à décliner, avait vu d'un bon œil la présence de ce nouvel allié pour contrebalancer l'ascendance russe du groupe Wagner.
Équilibrisme français
Le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi a dénoncé le soutien européen apporté à l'action rwandaise au Mozambique. En visite officielle en France fin avril 2024, il affirmait avoir mis en garde Emmanuel Macron : « Une mise au point s'imposerait si nous nous rendions compte que les contingents rwandais envoyés au Mozambique et assistés par l'État français étaient ensuite dirigés pour nous faire la guerre en RDC. Cela provoquerait un risque de crise diplomatique évident avec Paris. »
La France tentait depuis plusieurs mois d'adopter une position diplomatique plus équilibrée entre la RDC et le Rwanda. En février 2023, pour la première fois, un communiqué de la diplomatie française a « condamn[é] la poursuite des offensives du M23 avec le soutien du Rwanda, et la présence des forces rwandaises sur le territoire congolais », et appelé « les forces armées de RDC [à] cesser toute collaboration avec les FDLR, mouvement issu des milices ayant commis le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 ».
Mais le président Macron a longtemps rechigné à réaffirmer publiquement cette position, même à l'occasion de sa visite officielle en RDC en mars 2023, où il s'était permis de faire publiquement la leçon à son homologue congolais sur la gestion de la crise sécuritaire. Surtout, en vertu d'un rôle de médiateur qu'il entend jouer, Macron se refuse à franchir le pas d'une demande de sanctions internationales contre le Rwanda, réclamées par Tshisekedi. C'est toujours le cas après la prise du contrôle de Goma et Bukavu par le M23 et le Rwanda.
La mise en balance des intérêts français liés à la RDC et ceux liés au Rwanda explique sans doute la position française. Une coopération militaire institutionnelle, mais aussi portée par des acteurs privés de la sécurité, existe entre la France et la RDC, mais « pour l'instant, cette aide française est globalement limitée et discrète ». Les intérêts économiques français se développent en RDC, mais restent également modestes.
Aux yeux des responsables français, le marché potentiel et l'importance des richesses naturelles du pays nécessitent que l'on n'insulte pas l'avenir, mais la volonté de ne pas compromettre le rapprochement diplomatique opéré ces dernières années avec le Rwanda en tentant de tourner la page des accusations de complicité de génocide portées contre Paris, la perspective d'en faire un allié militaire en Afrique et l'importance des investissements immédiats au Mozambique l'emportent aujourd'hui.
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Article écrit pour Billets d'Afrique n°345, mars 2025 et reproduit avec l'aimable autorisation de l'association Survie.
Notes
[1] Voir aussi : « Est de la RDC : le M23 a ressurgi pour des raisons extérieures et non après de violences anti-Tutsi, pointe un rapport », publié sur RFI.fr le 6 août 2024.
[2] Voir aussi : « RDC : l'ONU épingle le double-jeu du gouverneur du Nord-Kivu » publié sur Afrikarabia.com le 16 janvier 2025.
[3] Voir aussi : Christophe Châtelot, « Est de la RDC : les Forces démocratiques de libération du Rwanda, la menace fantôme », Le Monde du 29 avril 2024.
[4] Voir aussi : Romain Gras, « RDC : Que reste-il des FDLR dans l'Est ? », publié sur Jeune Afrique.com, le 6 janvier 2025.
[5] Voir aussi : Marie Toulemonde, « RDC-Rwanda : la mine de coltan de Rubaya au cœur du financement du M23 », publié sur Jeune Afrique.com le 17 janvier 2025.
[6] Voir aussi : « Rwanda-RD Congo. La guerre des récits », publié sur Afrique XXI.info le 21 août 2024.
[7] Voir aussi : Kristof Titeca, « RD Congo-Rwanda. Une guerre aux racines multiples », publié sur Afrique XXI.info, le 28 janvier 2025.
[8] Laure Broulard (Kigali, correspondance) et Pierre Lepidi, « Un an après la visite d'Emmanuel Macron, “la confiance s'est installée” entre la France et le Rwanda », Le Monde , 27 mai 2022.
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M23, Rwanda et RD Congo, une longue et tumultueuse histoire

Chasse aux génocidaires, minerais convoités, minorité tutsie discriminée par Kinshasa… La guerre qui se déroule dans l'est de la RD Congo n'est pas la première. Bien souvent, l'ombre de Kigali plane, pour des motifs qui n'ont pas cessé de s'imbriquer depuis trente ans.
Tiré d'Afrique XXI.
Goma (est de la RD Congo), le 13 février. Dans le quartier populaire de Tumya, la foule se presse autour du corps d'un jeune homme. Ses dreadlocks sont imbibées de sang. Au milieu du carrefour le plus proche, un autre garçon gît les bras croisés, abattu à bout portant par une patrouille de ceux que l'on appelle, sans doute ironiquement, les « libérateurs ». Ces militaires sans insigne, très bien armés, au visage fermé, multiplient les rondes. Peut-être y a-t-il eu méprise ? Le jeune homme aux bras croisés portait des pièces d'uniforme militaire mais n'était pas un soldat : il tournait un clip avec le chanteur Idengo Delcat, la première victime aux dreadlocks.
Idengo Delcat était connu, sinon recherché : quelques jours plus tôt, profitant d'un incendie, il avait réussi à s'échapper de la prison de Munzenze, où il était détenu pour avoir traité de « zoba » (idiot) le chef de l'État congolais, Félix Tshisekedi. Auparavant, il avait dû quitter Beni, dans le « grand Nord », après avoir dénoncé les milices islamistes Allied Democratic Forces (ADF). À Goma, il se préparait à chanter que les combattants de l'Alliance Fleuve Congo (AFC), le M23, qui tiennent aujourd'hui la ville, ont un objectif commun avec les ADF, à savoir démanteler le pays. Dans le Nord-Kivu, comme à Beni, celui qui se présentait comme un « chanteur révolutionnaire » incitait ses compatriotes à la résistance. Autour du corps sans vie, la famille se tord les mains, les amis nous interpellent, « Idengo était un exemple pour nous ». Ils promettent de poursuivre son combat.
Depuis Goma, la longue marche du M23 s'est poursuivie vers Bukavu (sud du lac Kivu), Uvira et plus loin encore. Les combattants formés par l'armée rwandaise poursuivent désormais leur descente vers le lac Tanganyika, contrôlant déjà la rive du lac Kivu et se dirigeant vers le Maniéma, et sans doute vers le Katanga. Dans la province du cuivre, ils ne rencontreront sans doute guère de résistance car la population reproche aux habitants du Kasaï (centre du pays), proches du chef de l'État, d'avoir accaparé les carrés miniers. De plus, les Katangais demeurent fidèles à l'ancien gouverneur Moïse Katumbi, voire à l'ancien président Joseph Kabila, des enfants du pays.
Appuyés par l'armée rwandaise, les combattants du M23 ne sont pas des novices : être passé à l'offensive au moment où le monde avait les yeux tournés vers l'accession au pouvoir de Donald Trump n'est sûrement pas le fruit du hasard.
Les enfants des collines du Masisi
Longue est l'histoire de ces Tutsis originaires des collines du Nord-Kivu : leurs ancêtres y ont été amenés par les colonisateurs belges dans les années 1930. Ils y ont retrouvé des populations qui s'exprimaient déjà en kinyarwanda et respectaient le « mwami », l'autorité rwandaise traditionnelle destituée par les Belges. Depuis les années 1960, la nationalité congolaise, puis zaïroise, de ces « rwandophones » parfois jalousés pour leur réussite économique et leur entregent, a été successivement accordée, contestée, ou retirée. Cette situation a donné l'occasion à des milices d'autres ethnies de s'emparer de leurs terres lors de la « guerre du Masisi » de 1993, qui a déplacé 300 000 personnes, dont 60 000 se sont réfugiées au Rwanda.
D'aucuns, souvent des jeunes sans emploi, ont rejoint en Ouganda le Front patriotique rwandais (FPR), composé de réfugiés rwandais. Ils ont participé à la guerre contre le régime de Juvénal Habyarimana dans les années 1990. Après le génocide des Tutsis du Rwanda, en 1994, le FPR de Paul Kagame a pris le pouvoir. L'arrivée massive des réfugiés hutus rwandais dans l'est de la RD Congo, puis les guerres du Congo (1996-1997, 1998-2002, suivies des révoltes de Laurent Nkunda et Bosco Ntaganda au cours des années 2000) ont obligé les Tutsis du Nord-Kivu à fuir à leur tour, au Rwanda. À Kigali, on cite le chiffre de 100 000 réfugiés qui souhaiteraient regagner leurs terres.
Le 23 mars 2009 sont conclus des accords pour qu'ils puissent, enfin, retourner au pays. La promesse n'a pas été tenue car Joseph Kabila ne voyait pas comment les réinstaller sur des terres qui, entre-temps, avaient été occupées par d'autres, dont des réfugiés hutus arrivés en 1994. D'où le nom du Mouvement du « 23 » mars, M23.
De la main tendue de Tshisekedi à la rupture
En 2018, au terme d'une élection controversée, Félix Tshisekedi succède à Joseph Kabila. Il est désigné vainqueur par le président de la Commission électorale indépendante, un certain Corneille Nangaa, qui reconnaît ensuite qu'il n'a pas porté au pouvoir le véritable gagnant. Corneille Nangaa est aujourd'hui le leader politique de l'AFC et assure vouloir conquérir Kinshasa.
Dans un premier temps, le fils de l'« éternel opposant » Étienne Tshisekedi (1932-2017) décide de tendre la main au voisin Kagame. À Kigali, il se recueille longuement devant le mémorial du génocide et, surtout, il conclut plusieurs accords : la compagnie Rwandair est autorisée à desservir la RD Congo, l'exploitation conjointe de l'or du Sud-Kivu est prévue, et une raffinerie est construite à Bukavu. Il est aussi convenu – une nouvelle fois – de désarmer les FDLR, ces rebelles hutus se proclamant « Forces démocratiques pour la libération du Rwanda ». Cette milice a été grossie par l'apport des descendants des réfugiés hutus de 1994 et enrichie par l'exploitation des mines de coltan du Sud-Kivu, grâce à la terreur exercée sur les civils congolais et le viol de leurs femmes.
La réalité n'a pas tardé à saper la bonne volonté du nouveau président congolais : le voisin Kagame se révèle gourmand, l'Ouganda se montre jaloux des accords conclus avec le voisin rwandais – un ami certes, mais aussi un rival. Surtout, le meilleur adversaire de Félix Tshisekedi se trouve être… lui-même.
Liaisons dangereuses avec l'ancien régime rwandais
L'ancien de Bruxelles (où il a vécu une grande partie de sa vie) est demeuré fidèle à ses amis de jeunesse. Il les a fait venir pour le seconder et on les appelle ironiquement les « 32-2 » (en référence au préfixe international téléphonique de la Belgique et à celui, local, de Bruxelles). Ils sont rémunérés grassement, sans lien avec leurs compétences réelles. De plus, d'autres liaisons « bruxelloises » se sont révélées plus dangereuses : Kia Mandungu, fils de Mandungu Bula Nyati, ancien gouverneur du temps de Mobutu, est nommé conseiller spécial du chef de l'État. Il ouvre à Félix Tshisekedi la porte des Émirats, où il a passé dix années de sa vie, et des contrats sont signés.
Kia Mandungu est aussi un ami de Jean-Pierre Habyarimana, le fils du président rwandais tué dans un attentat contre son avion le 7 avril 1994, évènement qui a servi de prétexte aux extrémistes hutus pour lancer l'extermination finale. Kia Mandungu se trouve ainsi en relation avec l'ancien « establishment » hutu – notamment composé de génocidaires – réfugié en Europe et en Afrique. On peut imaginer que Kagame, ancien maître espion, a eu vent des amitiés sulfureuses de son nouvel allié et qu'il a pu redouter une « résurrection » des adversaires hutus.
Parallèlement, Tshisekedi invite à Kinshasa une délégation du M23 qui va séjourner plus d'un an dans un hôtel de la capitale. Il s'agissait moins de négocier le retour au pays de leurs familles que de les transformer en une sorte de « brigade spéciale » chargée de la protection personnelle d'un chef de l'État qui redoutait toujours Joseph Kabila et ses réseaux au sein de l'armée. Après une vaine attente, les cadres du M23 ont fini par quitter Kinshasa pour rejoindre leurs camps en Ouganda et se tenir prêts pour de prochains développements.
Préparer le retour des réfugiés
Car la rupture entre Kigali et Kinshasa n'a pas tardé : non seulement Kagame a été informé de la présence de « génocidaires » à la « Cour » de Kinshasa mais, en plus, son nouvel allié lui fait des infidélités : il a confié à l'Ouganda la construction d'une route reliant le Sud-Kivu à la frontière ougandaise, contournant ainsi les voies d'acheminement des minerais passant par le Rwanda.
Sortis des camps en Ouganda et remobilisés par Kigali en 2021, les hommes du M23 se sont donc emparés de la ville de Bunagana, sur la frontière ougandaise, dans l'indifférence générale. Ils ont ensuite conquis des zones plus vastes dans le Nord-Kivu, et plus précisément dans les collines du Masisi. Ils ont préparé l'éventuel retour des réfugiés toujours hébergés par le Rwanda. Si les combattants du M23 sont dirigés par Sultani Makenga, un ancien lieutenant de Laurent Nkunda, des politiques ont aussi fait leur apparition, tels que Bertrand Bisimwa, porte-parole du mouvement.
Pendant trois ans, les immenses camps de réfugiés établis autour de Goma n'ont intéressé que les humanitaires. Des milliers de civils ont pourtant été placés en première ligne lors des offensives successives qui ont fait de nombreuses victimes.
La guerre, un argument électoral
Durant la campagne électorale de 2023, les Congolais ont découvert un président transformé. Soucieux de faire oublier son faible bilan économique et le favoritisme d'un régime qui faisait la part belle aux Kasaïens, Tshisekedi a mis en avant d'incontestables préoccupations sociales : la gratuité de l'enseignement primaire et de l'accès aux hôpitaux pour les femmes enceintes, des travaux de voirie dans une capitale paralysée par les embouteillages.
Ces débuts de réalisations sociales et quelques grands projets n'ont cependant pas occulté la profonde corruption du régime : les seules dépenses d'une classe politique surpayée engloutissent plus de 60 % du budget de l'État (le salaire d'un député étant passé de 20 000 à 30 000 dollars par mois, environ 28 635 euros). L'organisation des élections de 2023 a été calamiteuse, marquée par de nombreuses fraudes – comment oublier les machines à voter placées dans la demeure même des députés avant de rejoindre les bureaux de vote ?
Pourtant, la victoire de Tshisekedi a été acceptée sur le plan international mais aussi dans le pays : moins grâce à la vérité des chiffres que parce que le chef de l'État sortant, orateur habile, a su réveiller la fibre patriotique de ses compatriotes. Tout au long de la campagne, il a multiplié les discours belliqueux, menaçant Kagame « à la moindre escarmouche » de porter la guerre sur le territoire du petit Rwanda.
Un patriotisme instrumentalisé
Les effectifs de l'armée ont été gonflés, Kinshasa a eu recours à des instructeurs roumains, à des conseillers français, à des mercenaires de tout acabit, payés jusqu'à 10 000 dollars par mois alors que les simples soldats ne voyaient pas la couleur de leur solde : cette dernière était dérobée par les généraux et réexpédiée dans la capitale (ce que l'on appelle l'« opération Retour »).
En outre, des jeunes « wazalendo » (« enfants du pays ») ont été recrutés dans les villages du Kivu, parmi les chômeurs et les délinquants, mais aussi – nous en avons rencontré – parmi des étudiants désireux de défendre leur pays et qui ont démontré que la fibre patriotique des jeunes Congolais demeure une réalité. Durant des mois, ce patriotisme a été aussi nourri par une propagande antirwandaise encouragée en haut lieu : Tshisekedi a reçu le gratin des intellectuels révisionnistes (comme Charles Onana) tandis que Kagame fourbissait ses armes. Ce durcissement du régime s'est accompagné d'une méfiance envers les éventuels rivaux politiques, qu'il s'agisse de Moïse Katumbi, ou de Joseph Kabila, qui a préféré s'exiler pour des raisons de sécurité.
Cette unité apparente derrière le chef de l'État a cependant été brisée par un autre projet : désireux de se maintenir au pouvoir, le président et ses compatriotes du Kasaï ont avancé l'idée d'une réforme constitutionnelle ouvrant la porte à un troisième mandat non prévu par la Constitution. Mis à part les proches de Tshisekedi, sa famille, ses courtisans et les ressortissants du Kasaï eux-mêmes, longtemps tenus à l'écart par Mobutu, l'opinion s'est montrée largement défavorable à ce projet. Les Congolais, instruits par de longues années de dictature mobutiste, demeurent attachés à la légalité.
Le stratège et ses amis de Davos
Tshisekedi a peut-être aussi sous-estimé son voisin. S'il a dû quitter prématurément son écolage à l'académie de Fort Leavenworth, aux États-Unis, Paul Kagame est reconnu comme l'un des meilleurs stratèges du continent africain. Il a participé aux guerres d'Ouganda aux côtés de Yoweri Museveni dans les années 1980 et a été chargé de la sécurité des régions soumises. Il a remplacé au pied levé, à la tête du FPR, son ami Fred Rwigyema, mort au combat en 1990. Pendant plusieurs années, il a affronté l'armée d'Habyarimana avant d'être confronté à la contre-offensive de l'opération française Turquoise (22 juin-21 août 1994), maquillée en action humanitaire. Il finit par stopper le génocide des Tutsis en juillet 1994. Puis il réussit à pacifier et à reconstruire le Rwanda détruit, avec le concours de la diaspora massivement rentrée au pays et désireuse de combler le vide – 1 million de morts – laissé par le génocide.
Depuis le lendemain du crime de masse, cet homme de fer et de feu, qui remet en cause régulièrement les frontières et pratique de fait l'expansion vers l'ouest, considère l'est de la RD Congo comme un « glacis sécuritaire » où il se donne le droit de faire barrage aux « forces génocidaires » hutues sans cesse poursuivies et sans cesse reconstituées.
Il a mené la guerre au Congo à trois reprises et par rebelles interposés, désireux à la fois de créer une « zone de sécurité » et de tirer profit des immenses ressources des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, exploitées sans états d'âme avec la protection de ses amis de Davos. Ces derniers sont d'ailleurs habilement courtisés et séduits par la perspective d'approvisionnement sûr en matières stratégiques, quel qu'en soit le coût humain.
Trahi par son orgueil
La protection des Tutsis congolais par milices interposées est son leitmotiv, la sécurité du Rwanda son obsession, la séduction des « grands » de ce monde sa méthode, grâce à ce mélange de services rendus (à la France d'Emmanuel Macron entre autres, au Mozambique, mais surtout aux États-Unis) et d'efficacité, principalement dans les missions des Nations unies.
Dans cette guerre-là, une fois passés les succès initiaux, Paul Kagame risque cependant d'être trahi par les erreurs de jugement qu'entraîne l'orgueil : il défie l'Union africaine et des puissances comme l'Afrique du Sud et l'Angola dont les dirigeants (João Lourenço à Luanda, Cyril Ramaphosa à Pretoria) ont participé aux luttes de libération. Il pourrait finir par déranger un pragmatique comme Donald Trump, peu touché par la mémoire du génocide et qui préférera peut-être accéder au tout (la RD Congo) plutôt qu'à la partie (le Rwanda).
Il ne faut pas oublier non plus la résistance des Congolais, même si elle mettra du temps à s'organiser. Au début des années 1960, après la disparition de Patrice Lumumba, les jacqueries qui ont éclaté dans l'Est et dans le centre du pays ont été les plus vastes révoltes paysannes africaines. Mais le long règne de Mobutu en a occulté le souvenir.
Ainsi, si Idengo Delcat a été abattu à Goma, ses chansons de résistance font déjà le tour du pays.
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Afrique du Sud. Renverser la haine et combattre l’effet Trump

Parti pris · Le crime de Stilfontein, où des centaines de mineurs artisanaux ont été affamés par la police sud-africaine, entre août 2024 et janvier, a de nouveau mis en lumière la politique xénophobe de l'État sud-africain. Ces ouvriers illégaux, désespérés au point d'accepter des conditions de travail abominables, viennent souvent de pays limitrophes, comme le Mozambique, avec lesquels l'Afrique du Sud entretient des relations asymétriques.
Tiré de afriquexxi
26 février 2025
Par Patrick Bond
Cette image montre un carrefour routier en extérieur. À gauche, un panneau marron avec un symbole de police indique "SAPS Khuma", suggérant la présence d'un poste de police local. À droite, un panneau vert montre deux flèches directionnelles : une vers "Vermaasdrift" et l'autre vers "Stilfontein". L'environnement est caractérisé par une végétation verte et dense, avec quelques arbres en arrière-plan et un ciel nuageux, créant une atmosphère calme et naturelle. Le sol est asphalté, donnant l'impression d'une route peu fréquentée.
Des centaines de mineurs ont été affamés par la police à Stilfontein, en Afrique du Sud.
© Willem Cronje / Alamy
Cet article a initialement été publié le 30 janvier en anglais dans le Global Labour Column.
Traduit de l'anglais par Michael Pauron
Pendant plusieurs mois, entre août 2024 et janvier, des centaines de mineurs du secteur informel, dans le centre de l'Afrique du Sud, ont été affamés par l'État, ce qui a choqué le pays et le monde entier. Seule une centaine de corps ont été découverts dans la mine de Stilfontein, à proximité des équipements de sauvetage, alors que beaucoup d'autres se trouvent encore dans les profondeurs des mines d'or.
Ces cadavres marquent un point bas dans une lutte des classes explicite déguisée par une xénophobie rampante qui plaira à Donald Trump. La perspective d'une visite de ce dernier à Johannesburg en novembre, lorsque le président Cyril Ramaphosa accueillera le sommet des dirigeants du G20, est ironique. Dans un discours prononcé en novembre 2024 lors du G20 de Rio de Janeiro, Cyril Ramaphosa s'est insurgé contre « l'utilisation de la faim comme arme de guerre, comme nous le voyons actuellement dans certaines parties du monde, notamment à Gaza et au Soudan ».
Pourtant, quelques jours auparavant, le ministre à la Présidence auquel Ramaphosa fait souvent appel pour expliquer au public la politique de l'État, Khumbudzo Ntshavheni, avait justifié plusieurs semaines d'oppression policière contre les mineurs de Stilfontein en les qualifiant de « criminels » et en proclamant que la police devait « les faire sortir ». Au moment de cette déclaration, cela faisait déjà trois mois que les mineurs étaient privés de nourriture, d'eau et de médicaments vitaux – par exemple, des antirétroviraux renforçant le système immunitaire pour les travailleurs vivant avec le VIH.
Lorsque plus de 1 800 mineurs de Stilfontein ont refait surface, ils ont été arrêtés. La grande majorité d'entre eux sont des immigrés des pays voisins, travaillant dans des conditions infernales. Les travailleurs survivants, affamés pendant des semaines, avaient fini par se livrer à l'anthropophagie sur leurs camarades décédés et par manger des insectes.
La moitié des réserves d'or de la planète
À environ deux heures de route au sud-ouest de Johannesburg, d'anciennes mines d'or établies dans les années 1940-1960 s'étendent sur tout le paysage. Leur profondeur de 2,8 kilomètres – voire 4 kilomètres pour la mine de Carletonville, à mi-chemin entre Stilfontein et Johannesburg – atteint le filon le plus prolifique du monde. En effet, l'or du Reef, découvert au milieu des années 1880, représentait à son apogée la moitié des réserves d'or historiques de la planète.
Mais à côté de l'or, du diamant, du charbon, du platine, du manganèse, du minerai de fer et des autres filons miniers épuisés qui ont fait la réputation de l'Afrique du Sud, on trouve les rebuts de la dégradation capitaliste : plus de 6 000 mines n'ont jamais été correctement fermées. Considérées comme épuisées par l'exploitation minière formelle, nombre d'entre elles sont aujourd'hui nettoyées par des mineurs artisanaux désespérés. Des résidus subsistent – par exemple, dans les colonnes qui soutiennent des toits vieux de plus d'un siècle, ou dans les raclures le long des parois des tunnels – qui sont tous d'une dangerosité exceptionnelle. Écrivant sur les conditions de travail à Stilfontein, le journaliste du Sunday Times Isaac Mahlangu a décrit :
Une hiérarchie souterraine dans laquelle ceux qui creusaient et exploitaient les mines aux niveaux les plus bas étaient principalement des étrangers, la majorité d'entre eux venant du Mozambique. Très peu de Sud-Africains faisaient ce travail. Ceux qui travaillaient à des niveaux supérieurs étaient des tireurs de corde ou s'occupaient du traitement de l'or. La poussière d'or était la principale monnaie d'échange pour l'achat de marchandises dans le magasin situé au niveau 10, dans les profondeurs du site.
Un sac de 5 kilos de farine de maïs coûte 5 000 rands, soit vingt-cinq fois son prix en surface. Un ouvrier lui a dit : « Un bouchon de Colgate [dentifrice] rempli d'or vaut 3 000 rands [environ 156 euros] sous terre, mais le magasin ne rend pas la monnaie. »
« Ils doivent mourir comme des rats »
Des témoignages continuent d'émerger sur la manière dont la police et les administrateurs responsables de Stilfontein Gold Mining (qui avaient abandonné le site depuis longtemps) ont contribué à cette tuerie. Bien que le capitalisme soit responsable de l'extrême irresponsabilité environnementale, sociale et économique dans tout le Reef, de nombreuses personnes en Afrique du Sud ont été poussées à faire des remarques xénophobes et inhumaines. Elles ont été encouragées par des populistes de droite très en vue qui ont surfé sur l'effet Trump.
Alors que la pression montait pour sauver la vie des mineurs, la ministre adjointe de la Police, Shela Polly Boshielo, a déclaré : « Nous créons un précédent en disant que les gens peuvent descendre sous terre, s'adonner à l'exploitation minière illégale, obtenir tout l'argent et tout le reste, et que [le gouvernement viendra] ensuite les sauver... Nous n'avons même pas affaire à des Sud-Africains qui essaient de gagner leur vie. Ce n'est pas le cas. [Ces personnes] sont dans l'illégalité.{} »
Le vice-président de l'Alliance patriotique, Kenny Kunene, a tenu des propos encore plus virulents : « Je n'ai aucune sympathie pour ceux qui sont morts en volant les richesses de notre pays... Je n'ai absolument aucune sympathie. Il faut qu'ils meurent tous comme des rats sous terre. Ils n'ont qu'à brûler en enfer. » Un thème récurrent est que les mineurs artisanaux volent la société, comme l'a laissé entendre un autre homme politique, le président d'ActionSA et ancien maire de Johannesburg, Herman Mashaba, qui a déclaré : « Personnellement, je n'ai aucune sympathie pour la criminalité. »
« L'aboutissement sanglant de politiques perfides »
À la mi-janvier également, le ministre des Ressources minières et pétrolières, Gwede Mantashe, a annoncé ne pas être d'accord avec des militants locaux qui proposaient la régularisation de l'exploitation minière artisanale, ce qui pour lui revenait à demander que son ministère « accorde des licences aux Mozambicains, aux Zimbabwéens et aux ressortissants du Lesotho pour voler de l'or. C'est une activité criminelle. C'est une attaque contre [l']économie [sud-africaine] commise par des ressortissants étrangers pour l'essentiel ». Mantashe a tenté de chiffrer ce « vol » : « L'exploitation minière illégale est une guerre contre l'économie... Ce sont des criminels qui attaquent l'économie. Le commerce illicite de métaux précieux est estimé en 2024 à environ 60 milliards de rands [312 millions d'euros], une perte pour l'économie du pays. »
Il existe trois réponses possibles aux xénophobes. La première fait appel aux valeurs humanistes de base de l'« ubuntu » (« nous sommes ce que nous sommes grâce aux autres »). Le soutien syndical le plus actif est celui de Mametlwe Sebei, président du Syndicat sud-africain des travailleurs des industries générales, qui est également avocat spécialisé dans les droits humains. Alors que deux ministres du gouvernement (Mantashe et le ministre de la police) visitaient Stilfontein à la mi-janvier, Sebei a déclaré lors d'une réunion de la communauté non loin des puits de mine :
Ces ministres sont ici sur la scène du crime. Des centaines de mineurs sont morts sous terre dans ce qui ne peut être que l'aboutissement sanglant de leurs pratiques policières perfides, planifiées et exécutées avec l'approbation des plus hautes sphères de l'État, y pris le Cabinet (1).
La communauté a refusé de rencontrer les ministres, qui ont dû se retirer honteusement.
Une deuxième réponse consiste à souligner qu'en comparaison avec l'orpaillage pratiqué avec des moyens artisanaux, il existe une fuite massive de richesses minières opérée par les sociétés minières multinationales, qui est loin d'être compensée par un réinvestissement dans l'économie, la société et les infrastructures.
« Notre pays est pillé par l'Afrique du Sud »
Troisièmement, la plus-value qui alimente le capitalisme sud-africain est le fruit du travail d'ouvriers immigrés depuis au moins 150 ans, et ces pays souffrent eux-mêmes d'une « malédiction » des ressources du fait des entreprises de Johannesburg. Comme l'explique Solomon Mondlane, de la Coalition de l'alliance démocratique (opposition) du Mozambique et candidat malheureux à la dernière élection présidentielle : « 50 % de notre gaz au Mozambique va en Afrique du Sud. 80 % de notre électricité au Mozambique est destinée à l'Afrique du Sud. Et elle l'achète moins cher qu'elle coûte ici au Mozambique, où nous payons le double pour ce qui est produit dans notre pays. Et ils nous disent qu'on les envahit, alors qu'en réalité notre pays est pillé par l'Afrique du Sud. »
Le dirigeant syndical sud-africain le plus connu, Zwelinzima Vavi, de la Fédération sud-africaine des syndicats, est d'accord :
L'Afrique du Sud est souvent accusée d'être un sous-impérialiste et de jouer ce rôle vis-à-vis de ses voisins et du reste du continent africain. Nos filles et nos fils [qui servent dans l'armée sud-africaine] ont été envoyés dans les régions septentrionales du Mozambique pour mener une guerre pour le compte de multinationales [TotalEnergies, ExxonMobil, ENI, BP, etc.] qui font la queue pour exploiter les énormes gisements de gaz au Cabo Delgado. Et ils y sont allés, bien sûr, avec des instructions claires de la France. Le président français, si vous vous en souvenez, est venu à l'improviste à l'Union Buildings (2) [en mai 2021] pour faire pression sur l'Afrique du Sud afin qu'elle déploie des soldats pour surveiller les vastes gisements de gaz dans les régions septentrionales du Mozambique.
Le président français, Emmanuel Macron, et son homologue sud-africain, Cyril Ramaphosa, à Johannesburg, le 28 mai 2021.
© GovernmentZA/Flickr
Vavi poursuit :
C'est ce qui me rend malade – quand les gens disent : « Ils volent nos mines, ils volent notre or. » Attendez, de quoi parlez-vous ? De quel or s'agit-il ? Comment avez-vous bénéficié, en tant que Sud-Africain noir, de cet or que vous voulez protéger ? Et comment célébrer la mort de 78 personnes « qui volent notre or et qui sont des ressortissants étrangers illégaux » ? Les Mozambicains ne viennent pas en Afrique du Sud par choix. ils ne traversent pas le parc Kruger à la recherche d'un portefeuille alors que lorsqu'ils sont dévorés par les lions, les léopards et les hyènes, il est impossible de retrouver des cadavres entiers... Si vous deviez passer quatre ou cinq jours par semaine avec vos enfants qui pleurent, assis, impuissants, ne sachant que faire ? C'est le désespoir qui les pousse. Le fait que la plupart des personnes secourues dans ces mines – les “zama zamas” – soient originaires du Mozambique n'est pas une coïncidence. C'est parce que la révolution a échoué là-bas, comme elle est en train d'échouer ici en Afrique du Sud.
Renforcer les liens entre les communautés
Les propres échecs de Ramaphosa sont indiscutables : ancien dirigeant du Syndicat national des mineurs, son investissement majeur dans l'entreprise britannique Lonmin en 2012 l'a conduit à traiter la grève des mineurs de Marikanade « crime ignoble » dans des courriels qu'il a rédigés 24 heures avant que la police massacre 34 opérateurs de foreuses de platine qui réclamaient un salaire de 1 000 dollars (956 euros) par mois. Ramaphosa était membre du conseil d'administration de Lonmin et avait par ailleurs conseillé à l'entreprise de continuer à utiliser des flux financiers illicites offshore.
À l'avenir, nous devons reconstruire la solidarité sud-africaine avec ceux qui luttent au Mozambique – une solidarité qui avait motivé les manifestations d'étudiants en 1976, peu de temps après que les nationalistes de gauche avaient battu les brutaux colons portugais, ce qui a conduit à l'indépendance. Cette solidarité est aujourd'hui nécessaire pour renforcer les liens entre les communautés et les travailleurs, d'autant plus que de nouvelles voix « rebelles » s'élèvent contre les nationalistes désormais corrompus. C'est l'agenda que sont en train de forger les mineurs artisanaux eux-mêmes, soutenus par la General Industries Workers Union of South Africa (Giwusa), la South African Federation of Trade Unions (Saftu), la Mining Affected Communities United in Action (Macua) et des avocats progressistes.
Alors qu'ils réclament une commission d'enquête sur les centaines de morts de Stilfontein, une partie du travail consiste à renverser psychologiquement la haine qui règne au sein de l'État et de la société. Cela est nécessaire pour que le « vol » des richesses minières souveraines soit mieux compris – et pour que l'internationalisme remplace la xénophobie.
Notes
1. Le Cabinet est le niveau le plus élevé de l'exécutif sud-africain. Il est composé du président, du vice-président et des ministres.
2. Le siège de la présidence.
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Aide, dépendance et guerre idéologique

L'aide étrangère n'a jamais été simplement une question d'assistance : elle impose un contrôle politique, économique et social, maintenant les pays bénéficiaires dans un cycle de dépendance.
Tiré d'Afrique en lutte.
Donald Trump a provoqué une onde de choc dans le monde entier dès sa première semaine de présidence. Parmi tous les décrets qu'il a signés, tant au niveau national qu'international, le plus important est sans doute celui qui a gelé tous les programmes d'aide étrangère des États-Unis pendant 90 jours, le temps que son administration réexamine leur adéquation avec ses objectifs politiques. Ce décret, signé le premier jour de son mandat, a également été accompagné d'autres décrets préjudiciables à l'équité et aux résultats en matière de santé mondiale, comme le retrait des États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé et le rétablissement de la politique de Mexico, également connue sous le nom de « règle du bâillon mondial » . Plus dévastateur encore, le gel de l'aide étrangère américaine s'est également appliqué au Plan d'urgence du président pour la lutte contre le sida (PEPFAR) et à tous les programmes de l'USAID, qui jouent un rôle déterminant dans la lutte contre le VIH depuis plus de deux décennies.
Le gel de l'aide étrangère et l'ordre de cessation des travaux envoyé par le secrétaire d'État américain Marco Rubio quelques jours plus tard ont déclenché une réaction en chaîne d'incertitude et d'inquiétude dans le monde entier, y compris ici en Afrique du Sud, où certaines organisations à but non lucratif financées par l'aide américaine ont annoncé qu'elles cesseraient leurs activités pour se conformer. Au cours des derniers jours de cette période périlleuse, Rubio a signé une dérogation partielle pour « l'aide humanitaire vitale », qui s'applique à la poursuite des « médicaments antirétroviraux et des traitements pour prévenir la transmission du VIH de la mère à l'enfant », a rapporté Devex . Mais les inquiétudes continuent de planer alors que de nombreuses organisations à but non lucratif locales attendent une communication officielle de Washington avant de reprendre leurs services. Beaucoup n'avaient pas conscience de l'ampleur de l'aide et de l'influence que les programmes PEPFAR et USAID avaient dans notre lutte locale contre le VIH jusqu'au décret exécutif de Trump. Environ 44 % des allocations du PEPFAR (équivalant à environ 3,1 milliards de dollars) en 2020 ont été versées aux ONG sud-africaines, selon la Fondation pour la recherche sur le sida (amFAR) .
Mais comment en sommes-nous arrivés là ?
La dépendance de l'Afrique du Sud à l'aide étrangère pour la santé n'est pas un accident, c'est une conséquence de l'histoire. Le système de santé publique du pays a été délibérément sous-financé et fragmenté sous le colonialisme et l'apartheid , ce qui a laissé de profondes inégalités structurelles. Même après l'apartheid, il reste difficile de combler ces lacunes. Dans ce vide, l'aide étrangère est devenue la solution. Des programmes comme le PEPFAR et l'USAID sont intervenus pour financer des interventions massives contre le VIH. Cette dynamique transforme ce qui devrait être un partenariat en une relation hiérarchique dans laquelle les pays donateurs détiennent le pouvoir et permettent au soft power idéologique et politique de faire son apparition. L'aide étrangère américaine n'est pas seulement une question d'altruisme, c'est aussi une question d'influence. L'aide est une forme de soft power qui fait avancer les intérêts politiques, idéologiques et économiques des États-Unis.
Le PEPFAR a été créé en 2003 sous la présidence de George W. Bush en réponse à la crise mondiale du VIH, en particulier en Afrique. Des dirigeants démocrates, dont Barbara Lee et le Congressional Black Caucus , milit depuis plusieurs années en faveur d'un programme mondial de lutte contre le VIH et, grâce à l'administration Bush, ils sont parvenus à trouver un terrain d'entente qui a reçu un soutien bipartisan et qui est devenu le PEPFAR. Il s'agit de l'engagement le plus important jamais pris par un seul pays pour lutter contre une maladie au niveau international. Initialement financé à hauteur de 15 milliards de dollars sur cinq ans , le PEPFAR visait à fournir un traitement antirétroviral, des services de prévention du VIH et des soins aux personnes touchées par l'épidémie. Cependant, dès sa création, le PEPFAR était lié à des valeurs conservatrices et évangéliques qui limitaient l'utilisation des fonds. Cela incluait le financement de programmes exclusivement axés sur l'abstinence et la limitation du soutien à des services complets de santé sexuelle et reproductive.
Le soutien bipartisan du PEPFAR reposait sur les exigences républicaines selon lesquelles ses programmes devaient refléter une morale fondée sur la foi. Ce compromis a entraîné d'importantes restrictions sur la manière dont les fonds pouvaient être utilisés. Par exemple, la première législation du PEPFAR imposait qu'un tiers de tous les fonds de prévention soit alloué à des programmes « d'abstinence et de fidélité », davantage motivés par une idéologie religieuse que par des preuves scientifiques.
L'un des exemples les plus flagrants de coercition idéologique par le biais de l'aide est la règle du bâillon mondial , qui interdit aux organisations recevant des fonds américains de fournir, de discuter ou de défendre des services d'avortement. Connue officiellement sous le nom de politique de Mexico, elle a été introduite pour la première fois en 1984 par le président Ronald Reagan. Elle empêche les organisations étrangères qui reçoivent des fonds du gouvernement américain de fournir, de discuter ou de défendre des services d'avortement, même si ces services sont financés par des sources non américaines. Cette politique a été abrogée et rétablie à plusieurs reprises en fonction du parti politique au pouvoir aux États-Unis. Les administrations républicaines ont historiquement appliqué la règle, tandis que les administrations démocrates l'ont abrogée. Cette politique a eu un effet dissuasif sur les organisations de santé mondiale, obligeant nombre d'entre elles à choisir entre recevoir des fonds ou fournir des services de santé reproductive essentiels. Les ONG sud-africaines qui dépendent du financement du PEPFAR ont dû composer avec ces restrictions, choisissant souvent entre la survie financière et la fourniture de services complets.
En 2019, j'ai rendu compte d'une enquête de l'amFAR auprès d'un tiers des 247 organisations mondiales de lutte contre le VIH financées par le PEPFAR et de la manière dont elles avaient modifié leurs services en raison de cette politique. L'étude a révélé qu'environ un tiers des changements apportés par les ONG n'étaient pas liés à l'avortement. La règle du bâillon a entraîné une réduction des services essentiels liés au VIH, notamment les tests, le dépistage du cancer du col de l'utérus et les soins de santé aux adolescents. L'un des principaux problèmes était la mise en œuvre excessive de la règle, les organisations – craignant la perte de financement – l'appliquant plus strictement que nécessaire. L'ambiguïté de la politique était intentionnelle, créant un effet dissuasif qui limitait les services de santé reproductive même au-delà de ce qui était obligatoire. Ce flou stratégique a permis au gouvernement américain d'influencer indirectement le respect des règles par la peur et l'incertitude. Bien que la loi libérale sur l'avortement en Afrique du Sud ait laissé une certaine marge de manœuvre aux organisations pour proposer des services d'orientation vers des services d'avortement, la politique est restée restrictive. Les ONG craignaient de perdre le financement américain, près d'un tiers des organisations interrogées déclarant que 90 % de leur budget dépendait des fonds américains pour la santé mondiale. Cette dépendance financière a forcé les organisations à choisir entre la conformité et la survie, ce qui a eu de graves répercussions sur les pays à forte prévalence du VIH.
Les groupes marginalisés, notamment les jeunes femmes et les communautés LGBTQ+, ont été (et seront encore) touchés de manière disproportionnée. La nouvelle version de la règle du bâillon de Trump a également fracturé la société civile, isolant les organisations qui continuaient de défendre les droits reproductifs. L'étude a rejeté les allégations selon lesquelles la politique n'avait pas eu d'impact sur les organisations financées par le PEPFAR, révélant une suppression généralisée des informations sur la santé et la défense des droits sexuels.
Il n'est pas surprenant que l'idéologie évangélique chrétienne ait joué un rôle dans la définition de la politique américaine sur l'avortement, mais son éthique morale plus large a également influencé l'approche du PEPFAR sur d'autres questions, notamment le travail du sexe. Le PEPFAR comprend un engagement contre la prostitution , une politique qui vise à faire taire les défenseurs des travailleurs du sexe en s'opposant au travail du sexe et en exigeant que les organisations financées par le PEPFAR n'utilisent pas les fonds pour promouvoir ou défendre la dépénalisation du travail du sexe. Non seulement cette clause confond le travail du sexe avec la traite des êtres humains – une tactique bien documentée utilisée par les conservateurs chrétiens – mais elle a forcé de nombreuses organisations de lutte contre le VIH à rompre leurs liens avec les groupes de défense des travailleurs du sexe, malgré le rôle bien documenté du travail du sexe dans la transmission du VIH .
Ces politiques illustrent la manière dont l'aide étrangère porte atteinte à la souveraineté nationale en matière de santé en dictant à quelles organisations les services peuvent être rendus et de quelle manière. Les structures de l'aide étrangère entretiennent une dynamique néocoloniale de contrôle des donateurs et de conformité des bénéficiaires. Lorsque les donateurs définissent l'ordre du jour, les bénéficiaires sont soumis à des pressions pour se conformer, sous peine de perdre des ressources vitales. Cependant, cette influence s'étend au-delà de la santé publique. Les États-Unis ont utilisé l'aide pour exercer un plus grand effet de levier politique, façonnant les paysages de la société civile dans les pays bénéficiaires. Les organisations évangéliques ont bénéficié de manière disproportionnée du financement du PEPFAR au cours de ses premières années, ce qui a permis leur expansion et renforcé les normes sociales conservatrices.
L'histoire du PEPFAR nous montre à quel point l'aide étrangère, même si elle est bénéfique, peut être utilisée comme un instrument de contrôle. Si les donateurs ne peuvent pas dicter explicitement les choix politiques, ils exercent une pression par le biais d'exigences de financement, d'obligations de rapport et de critères de performance. L'impact à long terme est un environnement politique contraint dans lequel les priorités nationales sont façonnées non pas par les besoins locaux mais par les intérêts stratégiques des gouvernements étrangers.
Mais il y a un fil conducteur dans cette histoire et dans les actions de l'administration Trump depuis le 20 janvier : le gel de l'aide étrangère et le rétablissement de la règle du bâillon mondial ne sont pas seulement politiques. Il ne s'agit pas seulement de Trump qui promeut un programme « America First ». Cela fait partie d'un projet plus vaste : la promotion et l'expansion des croyances évangéliques de droite. Il s'agit de faire progresser l'idéologie nationaliste chrétienne évangélique de droite. Trump n'a pas seulement réduit le financement de la santé mondiale de diverses manières, il a également réduit le financement des programmes LGBTQI, des initiatives DEI et des services de santé reproductive. Ces coupes budgétaires sont des outils pour renforcer les valeurs chrétiennes conservatrices à travers le monde.
La promotion d'une vision du monde évangélique-chrétienne nationaliste plus large vise à positionner les États-Unis comme le protecteur divin de la famille traditionnelle et des valeurs bibliques. Elle s'aligne sur les interprétations évangéliques de droite des prophéties bibliques, sur l'idée de l'exceptionnalisme américain et sur la croyance selon laquelle les États-Unis sont la nation élue de Dieu. C'est une façon d'ancrer une vision du monde qui va au-delà de l'aide internationale dans la guerre idéologique. Et nous devons la voir pour ce qu'elle est. Il s'agit de récompenser ceux qui soutiennent le christianisme conservateur, en particulier le conservatisme évangélique, et de punir ceux qui ne le font pas. Le message est clair : les pays qui s'alignent sur les valeurs chrétiennes conservatrices seront récompensés ; ceux qui ont des politiques sociales progressistes seront punis.
À propos de l'auteur
Pontsho Pilane est une écrivaine féministe, experte en communication et auteure de « Pouvoir et foi : comment les églises évangéliques façonnent silencieusement notre démocratie ».
Source : https://africasacountry.com
Traduction automatique de l'anglais
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Trump II : Plus qu’un simple changement de ton ou de style

Le style d'exercice du pouvoir que Trump II met en place, depuis son retour au Bureau ovale de la Maison-Blanche, en frappe de stupeur plusieurs, et ce, toutes catégories confondues, dans la population et à travers le monde. De plus, le chef de la capitale fédérale des USA accompagne souvent ses décisions de paroles tranchantes ou de propos brutaux mettant à jour des traits de caractère inquiétants pour la sécurité et la paix.
À première vue, il est facile de statuer, en raison de déclarations à l'emporte-pièce, fausses, volontairement mensongères et trompeuses de Trump II, en plus de vociférations vocales, de mots durs et de signes ou de gestes explicites, sur l'état d'une personne autoritaire habitée par un esprit revanchard. Et ce n'est pas nécessairement faux. On peut y retrouver également, toujours dans ses déclarations fracassantes et déstabilisantes, les affirmations d'un chef d'État qui l'identifie à sa personne et qui se prend — presque ou totalement — pour Louis XIV qui disait ceci : « L'État c'est moi », sinon pour Louis XVI qui précisait en ces termes : « C'est légal parce que je le veux ». En jouant un peu plus encore dans les formules de monarques plus lointains, toujours à l'époque de l'Ancien Régime, apparaissent d'autres déclamations, exprimées dans toute leur suprême splendeur ou leur royale volonté, notamment « Car ainsi nous plaît-il être fait » (Charles VI), « Car ainsi le voulons et nous plaît être fait » (Louis XI) ou encore « Car tel est notre plaisir » (Charles VIII, François Ier et Louis XIV)1.
Pour ce qui est du ton et des paroles farfelues qui accompagnent l'exercice du pouvoir, passons à autre chose et revenons à notre énigmatique Trump II. Demandons-nous si ce à quoi nous assistons avec ce deuxième mandat présidentiel consiste seulement en un simple changement de ton avec ses prédécesseurs qui ont occupé le Bureau ovale ou s'il ne faut pas plutôt voir dans certaines de ses déclarations étonnantes et tonitruantes des signes d'une rupture dans l'époque actuelle ? Sous-entendu : assistons-nous, en ce moment, à Washington, à une nouvelle lecture des rapports de force à l'échelle internationale qui entraînerait des changements dans les alliances politiques à nouer avec un pays, la Russie, d'où en contrepartie d'anciennes alliances à jeter aux orties avec les pays partenaires que sont le Canada, le Mexique, l'Europe de l'Ouest et certains pays, — récemment traités en alliés — de l'Europe de l'Est ?
De fait, il se passe des choses qui peuvent avoir des conséquences importantes en ce moment annonçant un changement d'ère ou d'époque et comportant des ruptures significatives rendant caduques les « annonciations farfelues » d'un certain historien américain contemporain de l'université Harvard — Francis Fukuyama pour ne pas le nommer — pronostiquant pompeusement, au lendemain de l'effondrement des régimes communistes d'Europe de l'Est, « la fin de l'histoire ». Nous y reviendrons d'ailleurs plus loin. Pour le moment, faisons un retour rapide sur ce qui peut bien expliquer la nouvelle perception des rapports de force à l'échelle mondiale entre les trois grands qui peuvent aspirer à se définir comme totius orbis dominatoris, c'est-à-dire le souverain du monde entier : et nous avons nommé les USA, la Russie et la République populaire de Chine (l'Inde figurant, pour l'instant, comme éventuel rival à ce trio ou à cette troïka dont la capacité de destruction et d'anéantissement ne saurait faire aucun doute).
L'histoire universelle — et par conséquent récente — est une immense marmite
L'histoire universelle est une immense marmite dans laquelle on peut trouver mille et une choses qui nous rapprochent ou nous éloignent du passé. Dans cette casserole, bouillonnante parfois, s'est déroulé un moment particulier qui nous semble intéressant à faire remonter à la surface et qui s'est produit environ quatre décennies après la célèbre prise de Constantinople par les Turcs en 1453. Il s'agit de la découverte d'une nouvelle voie de navigation qui a eu un immense impact, à l'époque, sur le système politique international et, par surcroît, du fameux voyage que Christophe Colomb entreprit en 1492. La trouvaille d'une route maritime océanique conduisant vers un nouveau continent habité allait avoir de multiples répercussions non seulement au niveau de la représentation de la Terre, mais aussi dans la place qu'occuperaient, à partir de ce moment, trois grands royaumes qui vont se métamorphoser par la suite en États-nations coloniaux, affirmant tour à tour leur suprématie, et ce pour les cinq prochains siècles ; rien de moins. Car la « découverte » de ces terres habitées, qui allaient être appelées Amérique du Sud, Amérique centrale et Amérique du Nord, va permettre d'enrichir certains royaumes colonisateurs européens qui vont littéralement piller, entre autres choses, l'or, l'argent et le cuivre de ces terres du Nouveau Monde. Bref, des métaux précieux qui vont contribuer à la relance économique de ces royaumes à la croissance poussive — à l'époque —, en y ajoutant le cuivre, aussi précieux et stratégique pour la fabrication d'armes de guerre et la conduite de conflits armés.
L'Espagne, la France et l'Angleterre allaient devenir à tour de rôle, entre le XVe et le XXe siècle, les principaux acteurs de l'expansionnisme ouest-européen, et ces trois grands empires n'hésiteront pas à se poser comme le centre du Monde (dont deux sur lesquels le soleil ne se couchait jamais : l'Espagne et l'Angleterre). La domination planétaire par ces empires est maintenant derrière nous, et ce depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Durant cette période pluriséculaire, la Russie passera de pays « arriéré » lointain et sans intérêt, à une terre débordante de ressources stratégiques suscitant des envies d'espace à conquérir pour notamment les troupes de Napoléon et d'Hitler. Mais pour la nouvelle nation qui a pris forme dans la foulée de la révolution américaine de 1776, s'imposera son leadership durant la Deuxième Guerre mondiale.
Le système politique international de 1945 à aujourd'hui
En 1945, nous assistons à la création de l'ONU, à la conclusion des Accords de Bretton Woods et à la création du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Des ententes et des institutions, fortement prescrites par les USA, servent à garantir la paix mondiale ainsi qu'un modèle de développement correspondant à l'ordre libéral et démocratique. Il s'agit donc d'un modèle voulu par les forces du « monde libre », par opposition aux pays du bloc de l'Est, soit les pays identifiés comme appartenant au « Rideau de fer ». Avec leurs alliés de l'ouest européen et du Japon, les USA vont promouvoir et personnifier ce modèle. En revanche, la Pax americana en fera voir de toutes les couleurs à certains peuples habitant les pays nouvellement indépendants et affranchis de leurs liens coloniaux avec les puissances de l'Europe de l'Ouest. Leur développement allait maintenant être complètement assujetti aux besoins économiques et capitalistiques de l'Oncle SAM. Car il correspondait au « développement du sous-développement », c'est-à-dire à la production d'une monoculture dans les pays identifiés au tiers-monde, ce qui ne fera pas l'unanimité. En effet, deux forces de résistance importantes et imposantes s'élèveront sur le chemin : l'URSS d'abord et la République populaire de Chine ensuite.
La présence de deux trublions dans le système politique international de 1947 à aujourd'hui
De 1947 à 1991, ce sont les tensions est-ouest, en lien avec la Guerre froide, qui ont caractérisé la polarisation à l'échelle internationale. En 1949, il y a eu la Révolution chinoise et, affinités idéologiques obligent, la naissance d'une alliance fragile — et peu prometteuse pour l'avenir de l'humanité — entre la République populaire de Chine et l'URSS. Car, d'une part, les relations économiques et diplomatiques entre la Chine dite communiste et les pays de l'Ouest seront gelées, jusqu'à leur normalisation au début des années soixante-dix. Mais d'autre part, l'alliance sino-soviétique sera rompue vers la fin des années cinquante, et ce jusqu'aux années quatre-vingt et pour cause. En 1989, se produit la chute du mur de Berlin et la naissance d'une illusion sécuritaire en Europe de l'Ouest. Illusion effectivement qui sera renforcée deux années plus tard avec l'implosion de l'Empire soviétique. Puis en 1991, l'URSS va s'effondrer et l'ours russe mettra quelques décennies avant de reprendre du poil de la bête. Si Vladimir Poutine, durant la présidence de Bill Clinton, n'en menait pas large, l'exploitation intensive des ressources naturelles que sont le gaz et le pétrole sur les terres nordiques de la Russie vont permettre au nouveau tsar Poutine — qui a joué de stratagèmes pour rester au pouvoir malgré certaines dispositions constitutionnelles qui devaient l'en empêcher — d'approvisionner les économies capitalistes ouest-européennes de ces énergies essentielles à leurs économies. Dès lors, des sommes d'argent massives qui engraissent le trésor du Kremlin, permettant un rééquipement militaire nucléaire, un redressement du service de défense et, dans la même foulée, l'adoption d'une politique agressive de conquête territoriale ramenant le rêve expansionniste de la Russie sous Catherine II.
L'Europe de l'Ouest dans tout ça ?
Le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale a eu pour effet de rendre l'Europe de l'Ouest complètement vulnérable et dépendante des USA. Son redressement économique a été tributaire du Plan Marshall. Pour ce qui est de sa défense territoriale face à l'URSS et dans le contexte de la Guerre froide, les pays de l'Europe de l'Ouest étaient complètement intégrés, pour ne pas dire inféodés, à l'OTAN, une organisation internationale conçue, contrôlée et dirigée par les USA. L'Europe de l'Ouest se retrouvant dès lors dans une situation pour n'être, dans un premier temps, qu'un vaste marché dans lequel les USA pouvaient déverser leurs produits finis et, dans un deuxième temps, que des territoires aux pouvoirs stratégiques et militaires diminués.
Il faudra attendre en 1992 avant que l'Union politique européenne (UE) et une monnaie commune (l'Euro) voient le jour. Le traité de Maastricht prévoit de fait une politique étrangère et de sécurité commune. Sauf que dans les faits, les 27 États membres de l'UE n'ont jusqu'à maintenant toujours pas été en mesure de mettre en commun leur politique militaire et de défense stratégique hors du cadre de l'OTAN.
Chose certaine, les volontés expansionnistes et belliqueuses de Poutine, sans négliger certains éléments de politique étrangère stratégique de Trump II, sont à coup sûr en train de changer la donne. Cette conjoncture provoque la multiplication des rencontres au sommet de l'UE, où la question surgie à l'ordre du jour est la suivante : que faire devant cet imprévisible président américain qui envoie des signes à l'effet qu'il veut larguer et abandonner les alliés européens à eux-mêmes devant les visées belliqueuses de Poutine ?
Nouvelle donne à l'échelle internationale et sur les plans intérieur et extérieur aux USA
Notre intention n'est pas de présenter ici un condensé de l'histoire mondiale post-1945. Mentionnons tout de même que de 1945 à aujourd'hui il y a eu un certain nombre de changements et de bouleversements qui ont donné lieu à une reconfiguration des rapports de force à l'échelle mondiale, le tout accompagné d'une redéfinition de la division internationale du travail.
Bref, il y a eu un certain nombre de changements économiques, idéologiques, politiques et militaires majeurs. À l'ouest, le Welfare State a cédé le pas à un État de type néolibéral au sein duquel les mesures sociales et progressistes, faisant la promotion de l'égalité des chances, ont été remises frontalement en question. L'intégration de la République populaire de Chine à la fois dans le système politique international et dans l'économie-monde a eu pour effet de faire de ce pays la manufacture mondiale qui affichera sous peu le plus fort PIB. Pour ce qui est de sa puissance militaire, elle est devenue indubitablement redoutable. L'Empire du Milieu peut compter sur un bassin de population d'un milliard d'êtres humains et dispose de la puissance atomique ainsi que d'un dispositif militaire nucléaire ultra sophistiqué. Les quatre modernisations prônées par Deng Xiaoping auront, par conséquent, été très profitables à ce pays qui, sous Mao Tsé-Toung, voulait tout au plus se poser en tant que leader des pays non alignés.
Depuis quelques années, la Chine commence à concurrencer sérieusement les USA et elle se taille une place un peu partout sur la planète en général, ainsi qu'auprès de pays du continent africain en particulier. Ce constat se répercute maintenant, entre autres choses, sur le résultat des votes à l'Assemblée générale de l'ONU.
En définitive, du lendemain de la Deuxième Guerre mondiale à l'effondrement de l'Empire soviétique au début des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, le monde n'a jamais cessé de changer d'assise, parfois lentement et parfois brusquement. Et résultat : nous sommes encore loin de la fin de l'histoire contrairement à la prévision fantaisiste de Fukuyama empruntée, en partie, à Hegel.
Chose certaine, la Chine talonne les USA au niveau de son PIB. En plus, ces derniers ont une économie qui dépend de la production manufacturière chinoise et sa balance commerciale est largement déficitaire avec ses principaux partenaires économiques que sont la Chine, l'Europe de l'Ouest, le Mexique et le Canada. La dette américaine est colossale et son principal banquier a aussi pour nom la Chine. Pendant ce temps, la Russie bombe du torse et effectue un rapprochement en direction de cette dernière, qui partage une idéologie comparable.
Puis le nouveau monarque élu des USA annonce vouloir rétablir la situation à son avantage. Il envisage un expansionnisme territorial (le Canada et le Groenland sont dans sa mire, tantôt à la blague, tantôt sur un ton menaçant), dont l'annonce a eu pour effet de prendre de court et d'étonner tout le monde. Trump II veut se lancer dans une guerre commerciale et annonce l'imposition éventuelle de tarifs douaniers pouvant aller jusqu'à 25 % sur les produits importés sur son territoire. N'en restant pas là, pour réduire la taille de l'appareil gouvernemental américain, il confie à un non-élu, Elon Musk — qui se retrouve en conflit d'intérêts —, la direction d'un supposé Département (parallèle) de l'efficacité gouvernementale qui a pour fondement légal la seule et simple volonté unilatérale du président Trump. Celui-ci a pour mandat de tronçonner les agences fédérales et de sabrer dans leurs effectifs de fonctionnaires, y compris dans les départements gouvernementaux.
Plus encore, dans le rayon des annonces saugrenues qui s'inscrivent dans un changement d'époque dans la politique intérieure américaine, on nous annonce maintenant que les accréditations à la salle de presse de la Maison-Blanche feront dorénavant l'objet d'une nouvelle sélection. Celles-ci seront accordées également à des réseaux sociaux présents sur le NET qui diffusent des informations vantant les idées — érigées en des vérités incontestables — et les politiques de Donald Trump. Doit-on y voir un souhait de propagande ? Retenons ceci :
«
Si toutes les sources d'information sont contrôlées par une autorité unique, il ne s'agit plus simplement de persuader le public de préférer une autre à une autre. Là, le propagandiste habile dispose du pouvoir de modeler l'esprit, de diriger les idées dans un sens déterminé, influence à laquelle même les hommes les plus intelligents et les plus indépendants ne peuvent pas échapper à la longue, s'ils sont privés d'une façon permanente de toute autre source d'information
» (Hayek, 2013[1946], p. 164).
Si Hayek parlait ici de cette inclination des dirigeants totalitaires à imposer leur mythe idéologique, la nouveauté ici est que le totalitarisme prend une tournure farouchement de droite. En plus, la présidence américaine n'empêche point la population d'être informée ailleurs, mais contrôlera les images, les messages et les idées qui seront diffusés à partir de sources exclusives. En restreignant l'accès à quelques médias bien triés, elle empêche aux autres de recevoir l'information en direct, ce qui nuit à leur capacité de critique. Ainsi, la stratégie consiste à les discriminer pour inciter les gens à se tourner vers les médias approuvés qui se voient attribuer, par défaut, une plus grande légitimité pour interpréter le message reçu. Et c'est à ce niveau que l'homme intelligent fera face à un dilemme : acquiescer ou non à ce qui est communiqué par les médias exclus, mais aussi les médias inclus. En contrôlant l'information et en détournant la vérité, l'astuce consiste aussi à démontrer la façon de pouvoir accepter ces alternatives proposées. Il y a alors redéfinition du bien et du mal, y compris des valeurs afférentes :
«
La meilleure façon de faire admettre aux hommes l'authenticité des valeurs qu'on leur propose, c'est de les convaincre de leur identité avec celles qu'ils avaient, du moins les meilleurs d'entre eux, toujours appréciées, sans toutefois les avoir auparavant parfaitement comprises ou reconnues. On persuade le peuple de troquer ses anciens dieux contre de nouveaux, en lui faisant croire que les nouveaux dieux lui avaient été révélés depuis toujours par son instinct naturel, mais qu'il en avait que confusément senti la présence. La technique la plus efficace pour arriver à cette fin consiste à employer des termes anciens en leur prêtant un sens nouveau » (Hayek, 2013[1946], p. 167).
Et la présidence américaine l'exprime par le MAGA, porté sur la tête — voire une casquette — comme une couronne sur laquelle tous les sujets peuvent y lire ce message mythique leur étant destiné pour l'avenir. Mais l'intrusion du web dans les outils de propagande suppose également le moyen des algorithmes, visant à multiplier les messages et à s'introduire insidieusement dans les écrans de la population américaine (et d'ailleurs). Le subliminal s'immisce tout autant, afin de renforcer la transformation des mentalités.
Par ailleurs, la réserve de Fort Knox fera l'objet d'une visite par Donald Trump et Elon Musk, question de faciliter possiblement le passage d'une réserve fondée sur l'or à une autre qui repose sur l'accumulation de cryptomonnaie. La déréglementation tant espérée par les idéologues de l'ultradroite néoconservatrice des années quatre-vingt semble être au poste de commande dans ce pays où la classe dirigeante donne des signes qu'elle entend cette fois-ci réussir dans sa volonté de faire « table rase » d'un certain passé.
Le passage du détroit de Béring et son impact sur la géopolitique et les alliances stratégiques mondiales…
Et pendant ce temps le réchauffement climatique poursuit son œuvre. Ce qui était jadis une réserve de neiges éternelles rendant impossible la navigation est en train de fondre à une vitesse plus accélérée qu'ailleurs sur la planète bleue. La preuve en est, l'étroit passage du détroit de Béring est maintenant accessible six mois par année et peut faciliter le déplacement de marchandises en provenance des USA, de la Russie et de la Chine vers des marchés autrement plus éloignés, lorsque transportés et déplacés de par le monde via le canal de Panama, le canal de Suez et le détroit de Malacca.
À la hauteur du passage le plus étroit du détroit de Béring, il n'y a que 85 kilomètres qui séparent la Russie des USA. Pour ce qui est de la distance entre les îles Diomède, c'est-à-dire entre la Grande (qui appartient à la Russie) et la Petite (aux USA), on calcule à peine trois kilomètres.
Qualifié durant la guerre froide de « Rideau de glace », le détroit de Béring est incontestablement un passage stratégique, puisque rejoignant deux océans, soit l'Arctique et le Pacifique. Il va sans dire que cet endroit comporte des bases militaires importantes pour les deux protagonistes qui ont polarisé le monde tout au long du XXe siècle (d'abord, la rivalité entre le système communiste versus le système capitaliste et ensuite, l'affrontement entre le bloc de l'Est versus le bloc de l'Ouest).
Quelques données montrent hors de tout doute qu'il y aura un déplacement majeur du transport maritime au cours des prochaines décennies. Que ce soit entre Shanghai et Rotterdam ou entre Seattle et l'Europe, une réduction de la navigation d'environ 4 000 à 5 000 km pour rejoindre les différents ports constitue un avantage économique indéniable. Par contre, les routes maritimes qui transitent par les canaux de Suez et de Panama seront moins fréquentées. Mais cela ne leur enlève en rien leur rôle stratégique dans les échanges, soit avec les pays du sud, soit avec le Moyen-Orient.
Cela dit, une route transpolaire pourrait même voir le jour et avoir pour effet de réduire les distances de transport entre la Russie et la Chine. Celle-ci, présente dans l'océan Arctique, pourrait avoir un impact aussi majeur que celle qui a vu le jour à la fin du XVe siècle avec la première expédition de Christophe Colomb. Pourquoi ? Parce que cette voie maritime arctique placerait la Russie au cœur des échanges commerciaux mondiaux et permettrait une intensification de ses liens avec son principal client en gaz et en pétrole, c'est-à-dire la Chine. Ainsi, par cette ouverture, leur position géographique les avantage par rapport aux USA… confrontés à la présence du Canada.
Pour le moment, le nombre de navires qui transitent annuellement par le détroit de Béring (50 environ) ne fait pas le poids face au canal de Panama (15 000), au canal de Suez (17 000) et au détroit de Malacca (80 000)2. Mais dans un monde où même les glaces éternelles ont un caractère précaire et fondent à vue d'oeil, il va falloir regarder la carte du monde non pas à plat sur un mur, mais à partir du cercle polaire dans toute son étendue…
Mais à l'approche du véritable jeu de bras de fer sur l'accaparement de la voie de l'arctique, s'annonce aussi le jeu d'équilibre entre la sécurité et la liberté. Car vouloir contrôler des trajectoires, c'est aussi imposer des limites à la liberté des échanges. Autrement dit, confronter une logique de monopoles à la libre concurrence, ce qui peut engendrer des tensions et des conflits. Car le contrôle suppose une sécurité économique qui, si nous extrapolons certaines notions de Friedrich A. Hayek (2013[1946]) de façon à les transposer à l'échelle internationale, peut servir à avantager certains joueurs au détriment d'autres, voire à créer de l'insécurité pouvant être synonyme d'instabilité.
À la fonte des glaces semblent s'ajouter maintenant un fossé et des divergences de vues entre les pays occidentaux. La prévision de Fukuyama est donc loin d'être confirmée. Elle donne lieu à une réfutation de la part du pays qui semblait avoir triomphé et réussi à imposer le passage de la bipolarité à l'unipolarité.
La nouvelle alliance politique aux USA : changement de ton ou changement d'ère ?
Trump II est à la tête d'une alliance politique qui vise à mettre en œuvre une contre-révolution républicaine et libertarienne qui a pour objectif la liquidation du système politique international issue de la Deuxième Guerre mondiale, la rupture des alliances internationales entre les USA et les partenaires du monde « libre », la déréglementation, la baisse des impôts, l'imposition de tarifs douaniers, la conduite d'une politique réactionnaire en regard des droits des femmes, l'expulsion de certains immigrants, le promotion des entreprises liées à la haute technologie, les nouvelles agences d'information en provenance des réseaux sociaux qui adhèrent à la « vérité » présidentielle, la mise de l'avant d'un nationalisme autoritaire et étroit, un populisme qui l'amène à identifier l'État à lui-même et un patriotisme exacerbé et ainsi de suite, ainsi de suite…
Décidément, nous n'assistons pas seulement à un changement de ton dans la conduite de la politique américaine, mais aussi possiblement à un changement d'ère. Une ère viciée sur le plan de la promotion des droits démocratiques et de l'accès à l'information, mais aussi une remise en question des alliances internationales qui se feront davantage entre têtes dirigeantes, et ce au mépris des institutions politiques gouvernementales prévues dans la constitution américaine. L'ambition, la richesse, le pouvoir constituent des pulsions caractéristiques de la nature humaine, mais amplifiées entre les mains d'un dirigeant qui s'appuie seulement sur lui-même. Un tyran attire un autre tyran, les visées personnelles sont extrapolées à l'échelle nationale, toujours en vantant des valeurs partagées par les populations. Mais cette ère de tyrannie diffère de la précédente, dans la mesure où, comme déjà dit, le totalitarisme s'est transformé en une montée de l'extrême droite libertarienne, axée sur la richesse, le pouvoir et la destruction de l'État en vue de l'avènement du tyran-État, à savoir dans un paradoxal retour vers l'histoire.
Sur la thèse de Fukuyama au sujet de la fin de l'histoire…
La thèse de Francis Fukuyama au sujet de la fin de l'histoire est d'un simplisme désarmant. Elle consiste en ceci : le professeur de l'université Harvard prétend qu'avec la victoire du système de gouvernement des démocraties libérales sur des idéologies rivales comme le fascisme et le communisme, la démocratie libérale constitue rien de moins que « le point final de l'évolution idéologique de l'humanité ».
Fukuyama a volontairement ignoré dans l'élaboration de sa thèse que les mouvements idéologiques de l'histoire peuvent s'inscrire tantôt dans les voies du progrès et tantôt dans les avenues des reculs. Il vaut la peine de se demander en vertu de quelle loi historique la nature humaine se serait-elle à ce point métamorphosée que tous les dirigeants politiques auraient un jour renoncer à la concurrence idéologique et politique, à la pratique du conflit, à la soif de puissance, aux comportements irrationnels et qu'elles et qu'ils auraient accepté subitement d'adhérer à un régime politique uniforme.
La lacune principale du raisonnement de Fukuyama réside dans sa conviction de la prévisibilité de l'histoire et de la permanence du moment présent. En matière d'avenir, affirmons-le avec force, rien n'est prévisible. Les tendances actuelles ne sont pas éternelles. À partir du moment où il est établi que l'histoire relève du domaine de la contingence, des changements imprévisibles et inattendus peuvent se produire. Les nombreuses erreurs de pronostic de la marche « irréversible de l'histoire » nous invitent plutôt à nous méfier des prévisions dans le champ de la pratique historique. Nous sommes d'avis que nous nous retrouvons toujours dans un mouvement historique qui s'alimente à la dynamique du changement et des conflits, et les théories pour rendre compte de ce mouvement dynamique sont en décalage sur la réalité. Voilà pourquoi il faut toujours se méfier des théories simplistes, même de celles venant des supposées sommités intellectuelles.
Pour conclure
Trump II veut s'afficher et s'imposer comme le « maître du monde » capable d'imposer une division entre la Russie et la Chine et il pense être en mesure de réaliser le tout seul, sans l'appui des pays alliés de la période post-Deuxième Guerre mondiale… C'est, selon nous, un pari qui comporte beaucoup de risques en raison de cette possible et éventuelle reconfiguration de la carte du transport maritime arctique. La Russie voudra-t-elle revivre une rupture dans ses relations diplomatiques et dans ses échanges commerciaux comme cela a été le cas durant l'ère de Lénine, de Staline et les années cinquante jusqu'aux années quatre-vingt-dix ? Voilà l'une des questions incontournables qui découlent des changements récemment observés dans les alliances politiques à l'échelle internationale. Interrogation à laquelle s'ajoute inévitablement celle-ci : la Chine et la Russie voudront-elles se priver du plaisir de participer et de contribuer à l'effondrement du « Tigre de papier » qu'est l'empire américain ? Cela serait étonnant.
Décidément, l'histoire est une immense marmite dans laquelle nous ne cessons de retrouver les mêmes ingrédients qui tantôt nous font vivre une période de paix provisoire et tantôt des tensions pouvant mener à une ou des conflits militaires ouverts. Ce sont donc résolument les quantités des ingrédients des différentes recettes qui changent. Pour ce qui est du reste, constatons que plus ça change, plus c'est pareil. Parce que malheureusement la mémoire — même collective — est une faculté qui oublie. Mais aussi parce que les instincts primaires de la nature humaine, pour ne pas nommer les passions, dépassent souvent la raison. Et parce que finalement il faut peut-être reconnaître cette assertion d'Yves Lacoste, selon laquelle « la géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre », alors que des aspirations économiques et de puissance servent à la cause ; on revient alors aux passions auxquelles une raison est donnée.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
28 février et 1er mars 2025
18h20
Références
Cordelier, Serge (dir.). 2002. Le dictionnaire historique et géopolitique du 20e siècle. Paris : La découverte, 768 p.
Fukuyama, Francis. 1992. La fin de l'histoire et le dernier homme. Paris : Flammarion, 451 p.
Hauser, Henri et Augustin Renaudet. 1946. Les débuts de l'âge moderne. Paris : Presses Universitaires de France, 654 p.
Hayek, Friedrich A. 2013. La route de la servitude [1946] (6e éd.). Paris : Presses Universitaires de France, 260 p.
Hocq, Christian. 2014. Dictionnaire d'histoire politique du XXe siècle. Paris : Ellipses poche, 1052 p.
Inglebert, Hervé. 2014. Le monde, l'histoire : Essai sur les histoires universelles. Paris : Presses Universitaires de France, 1237 p.
Mourre, Michel. 2006. Le petit Mourre : Dictionnaire d'Histoire universelle. Paris : Bordas, 1563 p.
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