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Trudeau utiliserait la querelle des tarifs pour « rester au pouvoir » ?

Le président des USA, Donald Trump, a ou aurait accusé Justin Trudeau d'utiliser la querelle autour des tarifs douaniers pour s'accrocher ou rester au pouvoir. C'est vraiment du n'importe quoi. Chaque jour Trump confirme que la politique active est un champ d'activité pour lequel il n'existe aucun critère de qualification à la base. N'importe qui peut se présenter à un poste de représentante-représentant du peuple et devenir ensuite chefFE du pouvoir exécutif. Dans un contexte de poly-crises comme celles que nous connaissons (écologie, guerres, répartition de la richesse, etc…) c'est affligeant de voir et de constater qu'il en est ainsi.
Yvan Perrier
5 mars 2025
20h15
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Trump, Poutine et la guerre en Ukraine : le réveil douloureux de l’Europe face à la montée du fascisme mondial

Depuis quelques semaines, et plus encore ces derniers jours, un état de paralysie semble s'être emparé du paysage politique européen. Pourtant, Trump, Poutine et d'autres dirigeants d'extrême droite n'ont jamais caché leurs ambitions. Ils les ont ouvertement énoncées pendant des années, sans prétention. Il faut le dire clairement : leur projet est fasciste.
27 février 2025 | tiré d'International View Point
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article8872
Un régime fasciste est en train de s'installer aux États-Unis. En Russie, il est déjà en place depuis trois ans – une réalité que beaucoup ont préféré nier, s'accrochant à l'illusion d'un retour en douceur à la normale, à un statu quo qui n'a été perçu que comme temporairement perturbé par la guerre de la Russie contre l'Ukraine.
Le même statu quo qui a permis à l'Union européenne – l'Allemagne en premier lieu – de continuer à importer des hydrocarbures russes bon marché tout en exportant des produits haut de gamme vers la Chine et les États-Unis. Un monde si confortable que les Ukrainiens, dans leur résistance obstinée, ne sont devenus rien de plus qu'une nuisance. Si seulement ils avaient accepté de vivre sous l'occupation d'un régime qui viole, tue et torture à grande échelle, peut-être aurions-nous pu continuer à prospérer indéfiniment... Une illusion aussi naïve que cynique.
Alors que l'Europe occidentale a mis de côté ses investissements dans la défense, la Russie, quant à elle, a utilisé ses revenus énergétiques pour moderniser son appareil militaire. L'annexion de la Crimée en 2014 et ses nombreuses opérations d'influence à travers l'Europe – y compris des crimes et des assassinats – sont restées pratiquement impunies. En 2022, lorsque la Russie a envahi l'Ukraine, le système européen de prospérité et de stabilité, construit sur la corruption morale, s'est effondré.
Pourtant, les dirigeants européens se sont accrochés à cette illusion, limitant leur capacité à imposer des sanctions rapides et efficaces contre la Russie et retardant l'aide à l'Ukraine à un moment critique – alors qu'elle avait la meilleure chance de modifier l'équilibre des forces sur le champ de bataille. Cette hésitation a permis à la Russie de s'emparer de territoires et de renforcer ses positions, ce qui a considérablement rendu les contre-offensives de l'Ukraine nettement plus coûteuses.
Après avoir concentré tous nos efforts sur la fermeture des yeux sur la réalité, nous nous trouvons maintenant abasourdis par une situation où tous nos points de référence se sont effondrés en quelques semaines. Le discours de J.D. Vance à Munich en est un exemple frappant.
J.D. Vance a été très clair : son ennemi n'est pas Vladimir Poutine, avec qui la nouvelle administration américaine partage de nombreuses affinités idéologiques. Son véritable ennemi, c'est l'Europe, ce sont tous ceux qui résistent à l'ordre qu'il cherche à imposer. Le même homme qui prône la construction de murs pour empêcher les migrants d'entrer veut aussi interdire les « barrières » contre l'extrême droite en Europe. Comme The Guardian l'a décrit avec justesse, il s'agissait d'un appel aux armes pour que les forces populistes de droite prennent le pouvoir à travers l'Europe, avec la promesse que le « nouveau shérif en ville » les aiderait à le faire. Rien ne doit résister à leur marche triomphale.
Les déclarations soulignant la nécessité urgente pour les pays européens d'augmenter radicalement et rapidement leurs dépenses militaires sont, malheureusement, correctes
Pourtant, il existe des obstacles à cet assaut contre l'Europe. La première ligne de défense est la société civile européenne, ses institutions démocratiques. Mais il y a un autre rempart : l'effort de millions d'Ukrainiens qui, depuis trois ans, se battent pour arrêter la montée du fascisme russe.
Cette barrière pourrait s'effondrer à tout moment, tandis que l'Europe continue de regarder, hochant la tête en signe de reconnaissance passive, sans voir que les mêmes eaux troubles s'infiltrent déjà de l'intérieur.
La répression contre les migrants, l'institutionnalisation de la misogynie et de l'homophobie, le déni du changement climatique, l'exploitation impitoyable des personnes et de la nature, la liquidation de l'Ukraine, l'expulsion des Palestiniens – ce sont les piliers du nouvel ordre émergent, qui prend déjà forme. À présent, cela devrait être clair comme le jour : abandonner les victimes d'une agression militaire – tout comme nous l'avons fait avec les Palestiniens et nous nous préparons maintenant à le faire avec les Ukrainiens – revient à donner carte blanche aux autocrates pour imposer leur domination par la force brute.
Il s'agit d'une équation simple que toute personne rationnelle devrait être capable de saisir. Il est donc d'autant plus perplexe que les actions de Donald Trump et celles de son administration aient apparemment choqué les Européens. Après tout, il a clairement indiqué à plusieurs reprises que c'était exactement ainsi qu'il avait l'intention d'agir. Ce qui est vraiment surprenant, ce n'est pas Trump lui-même, mais plutôt le manque de préparation et de prévoyance stratégique des Européens.
Les déclarations soulignant la nécessité urgente pour les pays européens d'augmenter radicalement et rapidement leurs dépenses militaires sont, malheureusement, correctes. Selon le Financial Times, les dépenses militaires de la Russie ont maintenant dépassé les budgets de défense combinés de tous les pays européens. D'ici 2025, Moscou allouera encore plus de fonds à la guerre – 7,5 % de son PIB, soit près de 40 % du budget national.
C'est l'un des avantages des régimes autoritaires sur les démocraties : ils peuvent mobiliser rapidement des ressources humaines et économiques pour la guerre, en imposant des mesures coercitives sans craindre une opposition de masse. Un État autoritaire, dont la population a été imprégnée d'une idéologie capitaliste tardive de cynisme et d'individualisme – comme c'est le cas en Russie – peut pousser cette logique encore plus loin. Pourtant, l'Europe semble aveugle à une autre réalité fondamentale des régimes autoritaires : une fois qu'un autocrate s'est lancé dans une guerre d'expansion, il ne peut pas simplement s'arrêter. La survie de son régime devient inséparablement liée à la guerre, qui finit par consumer toute la structure du pouvoir.
Les dirigeants européens, à l'instar d'Emmanuel Macron et d'Olaf Scholz, qui parlent aujourd'hui de la nécessité très réelle de renforcer la défense de l'Europe, sont les mêmes qui ont ouvert la voie à cette crise. Ils condamnent les abus de pouvoir sur la scène internationale tout en tolérant la logique darwinienne au sein de leurs propres sociétés – soutenant un système où les plus puissants continuent de dominer les plus vulnérables. Cette contradiction affaiblit leur crédibilité et alimente une méfiance croissante à l'égard des institutions démocratiques. Une telle incohérence crée un terrain fertile pour la montée des mouvements fascistes, qui capitalisent sur ces fractures pour mobiliser un électorat désabusé.
L'aggravation des inégalités, le sentiment croissant d'injustice et la perception d'une élite politique déconnectée de la réalité affaiblissent leur légitimité. Une société qui se sent abandonnée ou ignorée aura du mal à soutenir les engagements internationaux, même lorsqu'elle défend des principes fondamentaux tels que la défense des droits et de la souveraineté.
La répression contre les migrants, l'institutionnalisation de la misogynie et de l'homophobie, le déni du changement climatique, l'exploitation impitoyable des personnes et de la nature, la liquidation de l'Ukraine, l'expulsion des Palestiniens – ce sont les piliers du nouvel ordre émergent, qui prend déjà forme
Les populistes exploitent ce mécontentement en alimentant l'idée que les gouvernements sacrifient les intérêts nationaux au profit de causes prétendument lointaines, comme le soutien à l'Ukraine. Des personnalités politiques comme Jean-Luc Mélenchon en France et Sahra Wagenknecht en Allemagne dénoncent l'injustice sociale tout en adoptant la loi du plus fort sur la scène internationale, justifiant les violations commises par des régimes autoritaires comme la Russie. Leur positionnement opportuniste, motivé par des calculs électoraux, enlève toute crédibilité à leur rhétorique. Pourtant, il est impossible de séparer la justice sociale nationale des politiques internationales d'un pays. Une société qui tolère, voire encourage, le cynisme et la domination sur la scène mondiale normalisera inévitablement ces mêmes dynamiques dans ses relations sociales internes – et vice versa.
Une société plus juste et plus cohésive est mieux équipée pour soutenir les engagements internationaux et les budgets de défense – dont la nécessité est désormais indéniable. Des politiques de redistribution efficaces et urgentes sont essentielles pour restaurer la confiance des citoyens. Ainsi, l'aide que les pays européens peuvent apporter à l'Ukraine ne se limite pas à une aide militaire ou économique ; Il s'agit également de résoudre leur propre crise interne de légitimité. Cependant, il faut le répéter encore et encore : l'aide qui compte vraiment pour chaque Ukrainien est l'aide militaire. C'est la condition la plus cruciale pour la survie de l'Ukraine en tant que société, ainsi que pour chacun de ses habitants.
Beaucoup, en particulier en Allemagne, expriment des inquiétudes quant à l'influence de l'extrême droite en Ukraine. Pourtant, rien n'alimente plus l'extrémisme qu'un « accord de paix » injuste imposé à une victime d'agression contre sa volonté. Aucune situation n'est plus radicalisante qu'une occupation militaire associée à une oppression systématique et brutale. Si l'Ukraine est forcée d'accepter une paix dictée par la Russie, la frustration et l'injustice accumulées serviront de carburant aux mouvements radicaux, qui prospéreront aux dépens des forces modérées et progressistes. L'histoire regorge d'exemples d'accords de paix imposés qui ont donné naissance à des monstres – des organisations terroristes nées du désespoir et du ressentiment.
Trump déclare ouvertement sa volonté de négocier sans égard pour le gouvernement ukrainien ou son peuple. Ce faisant, il s'aligne entièrement sur l'agenda du Kremlin et légitime rétroactivement l'agression russe. Pire encore, en refusant d'appeler cette invasion pour ce qu'elle est vraiment – une guerre d'agression illégale, accompagnée de violations flagrantes du droit international et de crimes de guerre documentés – il envoie un message profondément dangereux. Il renforce l'idée que de telles politiques expansionnistes peuvent non seulement être tolérées, mais même récompensées. Taïwan, les Philippines, les États baltes, la Moldavie et l'Arménie doivent maintenant se préparer à être les prochains sur la liste. Dans ce contexte, il est impératif d'adopter une position ferme et sans équivoque : aucune négociation ne peut avoir lieu aux dépens du peuple ukrainien, et encore moins sans son consentement.
Le temps des lamentations est révolu. Le moment est venu d'agir. Car un jour, quand la poussière retombera et que le brouillard se lèvera, nous nous demanderons inévitablement avec horreur : comment avons-nous pu être si passifs, si aveugles, si indifférents face à ce désastre imminent ?
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Des débats à poursuivre et à approfondir face à la montée de la droite

4 mars 2025 | Presse_gauche_2017
Les intervenant-es présent-es à cette rencontre soulignent l'importance des défis auxquels doit faire face la gauche québécoise confrontée à la montée de la droite et de l'extrême droite et la nécessité d'esquisser les perspectives communes.
Le panel tire des conclusions des débats de cette soirée. Une des principales, c'est qu'il faut multiplier les rencontres dans les prochains mois pour dégager des perspectives d'actions unitaires face à la montée de la droite. Il faut aussi mieux définir le projet de société proposé par la gauche face à la nouvelle situation.
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Politique étrangère de Trump 2 : le détricotage renforcé du multilatéralisme

La nouvelle séquence de Trump ravive son néo-souverainisme, centré sur la réaffirmation des prérogatives américaines et la remise en question de la coopération multilatérale. Quels sont les effets de cette politique sur le multilatéralisme et le système des Nations Unies ? De l'ONU à l'OTAN, en passant par la diplomatie des clubs, les menaces sur leur existence et leurs esprits sont bien réelles.
26 février 2025 | tiré d'Europe solidaires sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73762
Lors de son premier mandat, Donald Trump s'inspire du président Jackson (1829-1837) jusqu'à placer un de ses portraits à la Maison Blanche. Il trouve dans cette figure qui n'appartient pas à la génération des « pères fondateurs » et qui s'imposa lors de sa première victoire électorale sur l'un des représentants de la dynastie des Adams, un modèle de populisme ainsi qu'un défenseur d'une conception ethnoculturelle de la nation à l'origine de la première « déportation » d'une nation amérindienne.
Par ailleurs, comme tout jacksonien, Donald Trump ne fut pas tant exaspéré par ses ennemis que par ses alliés, à l'instar des tensions majeures qui se sont manifestées avec les États membres de l'Alliance Atlantique. Au début de ce deuxième mandat, les références à des figures présidentielles antérieures se sont diversifiées. Donald Trump convoque William McKinley (1897-1901) et sa politique active d'acquisition territoriale ; Theodore Roosevelt (1901-1909) et sa politique impérialiste affichée ; ainsi que Ronald Reagan (1981-1989) qui, lui aussi prêta serment dans la rotonde du Capitole, et dont l'ambition fut de rétablir la grandeur des Etats-Unis notamment par la supériorité technologique du pays.
Par ailleurs, la nouvelle séquence Trump s'ouvre avec une réactivation des positions expansionnistes adoptées au cours du XIXe siècle avec pour épicentre le continent américain. Reprise par la force du Canal de Panama, inclusion du Canada en tant que membre des États-Unis d'Amérique réactivent la doctrine Monroe ayant pour finalité d'éviter toute intrusion de la part d'acteurs tiers au sein du continent. Étendu à d'autres territoires comme le Groenland, un tel expansionnisme s'enracine dans la « destinée manifeste », cette idée également déployée au XIXe siècle selon laquelle les États-Unis sont voués « à s'étendre sur le territoire donné par la Providence » selon l'expression originelle de John O'Sullivan en 1845. Le nouveau locataire de la Maison Blanche veut « poursuivre » cette destinée « jusque dans les étoiles, en envoyant des astronautes américains planter la bannière étoilée sur Mars ».
Mais une constance se manifeste entre les deux administrations, renvoyant à l'ADN de la politique étrangère cultivée par Trump : son néo-souverainisme. Celui-ci se traduit par une réaffirmation des prérogatives souveraines des États-Unis sans aucune conscience des limitations d'une part, et dans une volonté affichée de détruire les principes mêmes de la coopération multilatérale d'autre part. Toutes les organisations intergouvernementales deviennent ainsi des cibles privilégiées dont la nouvelle administration cherche à torpiller l'esprit : ce « multilateral way of life » qui serait, aux yeux de Donald Trump, le produit d'élites mondialisées hostiles aux intérêts des États-Unis.
Certains analystes perçoivent derrière une telle dénonciation la fin de l'exceptionnalisme américain ayant pour visée la projection de ses valeurs dans le monde. Il est vrai que cet exceptionnalisme extraverti à l'origine d'un ordre international libéral fait l'objet de mise à distance tout comme dans le premier mandat. En effet, Trump pulvérise cette convergence bipartisane entre Républicains et Démocrates ayant contribué à asseoir la politique étrangère des États-Unis depuis des décennies. Cela ne signifie pas, néanmoins, la disparition d'une certaine exceptionnalité fondée sur l'apologie de la puissance des États-Unis. Quelles sont alors les conséquences de cette politique néo-souverainiste sur le multilatéralisme et, plus largement, le système des Nations Unies depuis la deuxième investiture de Donald Trump ?
Détruire l'héritage d'Obama. Tel était le fil rouge de la politique multilatérale de l'administration Trump 1. Outre les retraits de l'Accord de Paris sur le climat ou encore de l'Unesco, une telle politique a paralysé une partie des activités de l'Organisation mondiale du commerce. En refusant de nommer des juges au sein de l'Organe de règlement des différends, elle enraya l'activité contentieuse de l'organisation. Avec une Alliance Atlantique considérée à la fois comme obsolète et inégalitaire eu égard aux contributions des États-Unis, l'administration Trump 1 causa également de l'émoi au sein de l'Otan.
Dans l'esprit des alliés, ce fut l'intérêt même de Washington pour le sort du vieux continent qui interrogea. Un moment symbolique fut particulièrement révélateur : la cérémonie d'inauguration du nouveau Quartier Général de l'Otan à Bruxelles en 2017. Le président apporta en guise de présents des fragments des tours jumelles du World Trade Center effondrés après les attentats suicides du 11 septembre 2001 mais ne fit aucune allusion au fameux article 5 du Pacte Atlantique stipulant que les alliés se protégeront mutuellement en cas d'attaque armée. Un article mobilisé une seule fois depuis la fin de la guerre froide ; à savoir après le 11 septembre 2001 pour exprimer la solidarité stratégique de l'ensemble des alliés avec les États-Unis.
Détricoter le multilatéralisme de façon radicale. Avec son second mandat, les salves adoptées par l'administration Trump 2 se font plus organisées, plus systématiques, plus directives, plus immédiates. Le président fait montre d'un exceptionnalisme totalement délié de cet esprit du tissage qui caractérise la coopération multilatérale. À l'échelle régionale, la hausse des droits de douane envers le Canada et le Mexique remet en question l'Accord Canada États-Unis Mexique entré en vigueur en 2020 et remplaçant l'Accord de Libre-Echange Nord-Américain. Certes, les réactions ne se sont pas faîtes attendre : mesures de réciprocité ou encore négociations relatives à la question migratoire pour contrecarrer l'action unilatérale de la nouvelle administration. Toujours est-il que le mouvement néo-souverainiste s'engage dès les premiers jours de la présidence sur le sol même du continent américain.
À l'échelle universelle, il décide de quitter l'Organisation mondiale de la santé, ou à nouveau des Accords de Paris, une sortie effective dans un an, ce qui oblige les États-Unis à mettre en œuvre les engagements de la précédente administration Biden pendant cette période de transition. Elise Stefanik nommée à la tête de la mission diplomatique des États-Unis à l'ONU adopte un discours plus qu'acerbe à l'endroit de l'organisation, que ce soit sur le plan financier ou bien en ce qui concerne les actions entreprises en son nom.
Quant à la Cour pénale internationale et les mandats d'arrêt prononcés à l'encontre du Premier ministre israélien et de son ministre de la Défense, la position de Trump 2 s'inscrit dans le prolongement de l'IIlegetimate court Couteraction Act prévoyant « des sanctions contre employés et associés de la CPI si elle enquêtait ou poursuivant certains individus, y compris des forces armées d'alliés ou partenaires des Etats-Unis ». Le décret signé le 6 février, prévoit le gel des avoirs détenus aux États-Unis par les dirigeants, employés et agents de la Cour, ainsi que par leurs familles et tout personne considérée comme ayant apporté son aide aux travaux d'enquête et de la juridiction. Ces personnes se voient également interdire l'entrée sur le sol des États-Unis.
À nouveau, ce mouvement néo-souverainiste s'enclenche immédiatement après la prise de fonction. Il y a là une véritable volonté d'impulser le plus rapidement possible un démontage des formes multilatérales existantes. À cet esprit multilatéral, Trump substitue la logique du bilatéral comme essence même de la politique étrangère. Cette logique de transaction directe, sans intermédiaire et esprit de collégialité sous le giron d'organisations intergouvernementales, torpille le système des Nations Unies. Déjà fort critiqué pour ses carences de représentativité, d'efficacité mais aussi de légitimité, celui-ci est encore plus fragilisé par les coups de butoir assénés par la nouvelle administration Trump. Certes, d'autres États comme la Chine profiteront de ce désinvestissement pour impulser leur propre agenda et infléchir les directions prises par les Nations Unies selon leurs propres priorités. Mais comment aspirer à l'universalité sans un État membre comme les États-Unis ? Les appels à une deuxième Charte des Nations Unies formulés par une coalition d'ONG et notamment le Global Governance Forum soutenu par l'Inde et l'Afrique du Sud par exemple peuvent-ils être entendus à la Maison Blanche alors que la réforme de l'organisation est plus que nécessaire ?
La promotion d'un multilatéralisme solidaire voire sa défense constitue l'un des enjeux les plus saillants de cette séquence diplomatique qui s'ouvre
Parmi les organisations multilatérales les plus exposées à ces menaces pour leur propre existence, le sort de l'Otan doit être considéré. Trump continuera de faire pression sur les États européens membres afin qu'ils élèvent leur budget de défense à 5 % de leur PIB alors que la dynamique résultant de la guerre entre la Russie et l'Ukraine les avait déjà amenés à se rapprocher des 2 %. Envisager de sortir définitivement de l'Alliance se révèle toutefois bien plus aléatoire. Rare initiative bipartisane de la précédente législature, le Congrès a adopté une procédure qui prévoit une information de six mois avant d'entreprendre tout plan de retrait par la présidence, ainsi qu'une majorité qualifiée – les deux tiers du Sénat – pour rendre tout départ effectif.
Malgré cet élément dissuasif concernant une éventuelle sortie de l'Otan, d'autres indices sont révélateurs d'un manque d'appétence de l'administration pour le multilatéralisme, y compris le plus souple. La nouvelle administration se désintéresse de la diplomatie de club, c'est-à-dire des enceintes multilatérales qui ne sont pas celles des organisations intergouvernementales en tant que telles. Le G7 et le G20 au tout premier plan ne sont pas considérés comme des lieux de dialogue pertinents par Trump. Alors qu'ils ont été des espaces de discussion ouverte et non contraignante au sein desquels les différentes administrations trouvaient une ressource pour leur propre diplomatie, le nouveau président leur tourne ostensiblement le dos à l'instar des relations dégradées avec l'Afrique du Sud actuelle présidente du G20 et ce, alors même que les États-Unis doivent assurer la présidence en 2026, ce qui oblige à une coordination renforcée.
Ainsi, Marco Rubio, le nouveau Secrétaire d'État, a déclaré boycotter la réunion des Ministres du forum prévue fin février, prétextant la soi-disant « politique antiaméricaine » de l'Afrique du Sud mais aussi les questions foncières suite à une nouvelle loi adoptée permettant à l'État sud-africain d'exproprier des terres sans compensation lorsqu'elles sont considérées comme inutilisées ou abandonnées. La nouvelle administration l'interprète comme une atteinte aux droits des propriétaires qui sont essentiellement de minorité blanche dans le pays.
À ce diagnostic du détricotage flagrant, s'ajoute une tendance particulièrement préoccupante pour une certaine tradition multilatérale. Le multilatéralisme peut présenter plusieurs formes comme en attestent les initiatives des émergents et notamment celles de la Chine, parallèlement au système des Nations Unies. Mais il en est une qui repose sur des valeurs de solidarité, de liberté et plus largement de référence aux droits humains. Cette tradition établit un lien étroit entre sa substance – améliorer les conditions d'existence des individus et des peuples face à des enjeux mondiaux auxquels nous sommes toutes et tous confrontés d'une manière ou d'une autre –, et les moyens – cultiver la coopération, la discussion, la délibération collégiale. Ce multilatéralisme trouve dans les puissances moyennes démocratiques l'un de ses piliers les plus conséquents.
À l'heure où ce multilatéralisme fait l'objet d'inventaire et doit nécessairement être réformé, il ne faudrait pas que ce multilatéralisme disparaisse dans les reliques de l'histoire. Ce multilatéralisme est de plus en plus contesté par les États du « Sud global ». Trump se veut le fossoyeur de ce multilatéralisme. Qui pourrait alors se faire l'avocat d'une ONU renouvelée, et de cette conception multilatérale ? Depuis 1994 et la fin de l'implication états-unienne au sein de la Mission des Nations Unies en Somalie, les États-Unis cultivent un multilatéralisme sélectif. Avec Trump 2, un autre danger se donne à voir : un refus sans appel du multilatéralisme solidaire et des valeurs qui en font la sève.
La promotion d'un tel multilatéralisme voire tout simplement sa défense constitue l'un des enjeux les plus saillants de cette séquence diplomatique qui s'ouvre avec la mise en place de la nouvelle administration, d'autant plus si celle-ci parvient à nouer des alliances avec d'autres gouvernements nationalistes et néo-souverainistes alignés avec cette conception radicale. Celle qui privilégie la représentation d'un globe objet de conquêtes et d'exploitation sans limites, et non d'une planète à préserver comme habitat du vivant.
Frédéric Ramel
Politiste
Ce texte, publié en partenariat avec l'Association française de science politique, est issu de son webinaire Poli(cri)tique.
P.-S.
• AOC, mercredi 26 février 2025 :
https://aoc.media/analyse/2025/02/25/politique-etrangere-de-trump-2-le-decricotage-renforce-du-multilateralisme/?loggedin=true
• Frédéric Ramel. Politiste, Professeur des universités en Science politique à Sciences Po Paris, chercheur au CERI.
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Haïti : Dette et souveraineté alimentaire, l’impossible cohabitation

La souveraineté alimentaire a été toujours au cœur des luttes décoloniales ayant abouti à l'indépendance d'Haïti. Les captifs réduits en esclavage se sont clairement fixés des objectifs visant à éliminer le système colonial pour le remplacer par des structures agraires capables d'assurer la souveraineté alimentaire du pays, en posant les bases de nouveaux rapports sociaux de production, avec la construction d'un « État haïtien ». 220 années après, la réalité alimentaire en Haïti est accablante et le rêve des captifs libérés n'est toujours pas traduit en réalité.
7 février 2025 | tiré du site du CADTM | Photo : Haïti, Jlanghurst, Wikimedia Commons, CC, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mountainous_Farming_Plots_Haiti.jpg
https://www.cadtm.org/Haiti-Dette-et-souverainete-alimentaire-l-impossible-cohabitation
"Durant l'occupation militaire étasunienne de 1915, plus de 50.000 paysan·nes haïtien·nes furent dépossédé·es et expulsé·es dans la région Nord, impliquant la migration de plus de 300 000 Haïtien·nes"
Selon la CNSA (2024), pour la période de mars à juin 2024, près de 5 millions de personnes (50% de la population analysée) sont en situation d'insécurité alimentaire aigue et par conséquent ont besoin d'une action urgente pour combler leurs déficits de consommation alimentaire et protéger leurs moyens d'existence. Aussi, la prévalence de l'insécurité alimentaire projetée a augmenté de 45 à 50% par rapport à la période d'août 2023 à février 2024. Ces données, bien sûr, devraient être prises avec des pincettes. Cependant, comment interpréter et comprendre la réalité d'Haïti aujourd'hui en matière de souveraineté alimentaire ? Comment en est-on arrivé là, de l'autosuffisance alimentaire à la grande dépendance ? Quelle incidence le système dette a sur les politiques publiques capables de favoriser l'atteinte de l'objectif de la souveraineté alimentaire ? Comment les mouvements sociaux, particulièrement la classe paysanne, luttent-ils pour y arriver ?
Dans ce travail, nous tentons de démontrer que la situation alimentaire d'Haïti n'est pas le fruit d'un hasard, mais plutôt le résultat d'un projet néocolonial, assorti d'un ensemble de politiques imposées au pays par les puissances impériales et leurs institutions, bien aidées par l'État en Haïti [1]. Plusieurs éléments historiques ayant hypothéqué la mise en place des politiques publiques favorables à la souveraineté alimentaire peuvent être soulignés dont l'accaparement des terres de plaine par les grands généraux, la poursuite de la production de denrées d'exportation, la triple rançon de l'indépendance [dette France, taxes, vente de denrée à moitié prix). La volonté des grands généraux de l'indépendance de reproduire le même système colonial de production de denrées pour l'exportation, donc la continuité du drainage des ressources de la nouvelle nation vers les grandes métropoles ; la rançon de l'indépendance (faussement appelée Dette de l'indépendance) exigée par la France à Haïti pour indemniser les colons et bénéficier de la reconnaissance d'une indépendance acquise au prix d'un génocide humain perpétré durant plus de quatre siècles ; le drainage de la force de travail et les richesses créées par les paysan·nes haïtien·nes, obligé·es de vendre leur production à moitié prix, comme injonction du néocolonialisme.
Agriculture paysanne familiale, agrobusiness : deux projets en lutte depuis 1804
"La dette écologique qu'accusent les puissances impérialistes envers Haïti est énorme et doit être obligatoirement faire l'objet de réparation"
Dès la proclamation de l'indépendance d'Haïti le 1er janvier 1804, deux visions antagoniques s'affrontaient : celle favorisant la grande propriété et celle préconisant la petite propriété foncière. La prise en otage de l'État par les créoles et les Généraux, surtout après l'assassinat de Dessalines a hypothéqué la mise en place des politiques publiques favorables à la souveraineté alimentaire en accaparant les terres de plaine dans l'objectif de poursuivre la production de denrées d'exportation. « L'État en Haïti » attribuait de grands domaines sous forme de dons aux Généraux et de petites domaines aux officiers subalternes de l'armée. Cette dynamique a conduit à l'émergence d'une bourgeoisie foncière qui, à l'instar des colons, deviennent propriétaires des moyens de production avec la possibilité de s'enrichir rapidement et de jouir de tous les privilèges. La masse des cultivateurs étaient considérée comme la force de travail sur les grands domaines. Ainsi, la société s´est divisée en deux groupes sociaux : d'un côté, la masse de travailleur·euses agricoles dont les conditions de travail et de vie rappellent pour la plupart celles des anciens captif·ves esclavisé·es ; de l'autre côté, les détenteurs des moyens de production, généralement des dirigeants militaro-politiques absentéistes.
Cependant, le projet de la grande plantation n'a pas pu se réaliser en raison de plusieurs facteurs. D'abord, le projet fait face à la résistance constante de la masse des travailleur·euses. Ensuite, le manque de financement, étant donné l'isolement dont Haïti a été l'objet par les puissances esclavagistes, suite à l'indépendance. Les grands propriétaires, face à ses obstacles, ont recouru à différents modes d'exploitation des parcelles. Entre autres modes, on considère : le métayage, l'affermage, l'usufruit, deux-moitiés (où la récolte est divisée en deux parties : 50% pour le propriétaire et 50% pour les cultivateur·ices) etc. Ce nouveau régime, qualifié de semi-féodal provoquait l´indignation chez les cultivateurs. Certains se lançaient dans des mouvements de résistance contre l'État, assiégé par les féodaux, pour la répartition des terres.
La prise en otage de l'État par les créoles et l'accaparement des terres agricoles n'a pas mis fin au projet de la petite exploitation, de l'agriculture paysanne familiale et du projet de la souveraineté alimentaire. Non seulement les paysans et paysannes continuaient à produire différentes qualités de denrées, mais l'espace de la petite exploitation augmentait, car pendant tout le XIXe siècle, ils se livraient à des combats sans relâche pour la réforme agraire. Certaines terres agricoles, appartenant à des « grandons » absentéistes, ont été occupées par les paysan·nes. Parfois, ces paysan·nes s'armaient pour revendiquer leur droit à la propriété et à une vie meilleure. Des soulèvements et mouvements paysans, dirigés notamment par des figures comme Acaau et Goman entre 1843 et 1848, ont même réussi à renverser certains gouvernements, à l'instar de celui de Boyer. Tout l'élan de la lutte paysanne pour la petite exploitation, la polyculture et la souveraineté alimentaire en Haïti a subi un contrecoup avec l'occupation états-unienne de 1915 qui impliquait la pénétration du capital yankee dans l'agriculture, au détriment de l'économie nationale.
L'occupation Etats-Unienne de 1915 : Projet anti-paysan, anti-souveraineté alimentaire en Haïti
Si pendant tout le long du XIXe siècle, le projet de la petite exploitation ou de la souveraineté alimentaire résistait contre le projet de la classe dominante, l'occupation militaire états-unienne de 1915 marque un tournant décisif anti-paysan·ne, anti-souveraineté alimentaire en rétablissant le pouvoir de l'« État en Haïti » centralisé, organisé autour des grandes villes, en cassant l'élan du mouvement paysan revendicatif comme les « cacos », les « Piquets » et en provoquant l'accaparement des terres agricoles au profit des compagnies multinationales. En effet, durant l'occupation militaire du territoire haïtien par les États-Unis (1915-1934), alors que les différentes constitutions de la République ont interdit aux étrangers d'avoir des propriétés privées, en particulier des terres, dans le pays, les occupants ont rédigé une nouvelle Constitution en 1918, octroyant le droit de propriété aux Étrangers ; De là a commencé un processus violents d'accaparement et d'expulsion des paysan·nes des terres pour l'implantation d'entreprises transnationales étatsuniennes, telles que la HASCO, SHADA, McDonald's, Plantation Dauphin, entre autres. Des expériences qui ont servi à saper toutes les bases de la mise en place de politiques publiques pouvant garantir la souveraineté alimentaire du pays.
Les occupants ont détruit un ensemble d'expériences alternatives en cours dans la paysannerie afin de faciliter la pénétration du capital étatsunien, plusieurs dispositions légales furent prises tout au long de l'occupation. La première mesure prise par les occupants fut l'imposition, sous la pointe de la baïonnette, de la Constitution de 1918, rédigée par l'occupant, et qui à travers son Article 5 annule l'interdiction aux étrangers d'être propriétaires, en particulier de la terre. Outre les mesures prises dans la nouvelle Constitution imposée, les occupants vont faire voter la Loi du 22 décembre 1922, qui autorisait l'affermage des terres de l'État pour une période de 9 à 30 ans, renouvelable aux personnes ou compagnies qui auraient fait la preuve de leur capacité financière, la Loi du 20 février 1924 autorisait l'affermage des terres inoccupées et la vente de propriétés de l'État et la loi du 16 février 1924, qui régissait le droit de propriété immobilière pour les étrangers et les sociétés immobilières ; la Loi 6 juin 1924, sur la vérification des titres de propriété ; la Loi du 1er février 1926, complétée par celle du 27 juillet 1927, autorisait l'État à récupérer, s'il le jugeait nécessaire, les terres louées en accordant au fermier déplacé un délai de 8 à 40 jours pour vider les lieux (Castor, 1988).
" L'occupation militaire étasunienne a contribué à la destruction d'entre 20 et 35% de la couverture boisée dans le pays"
Tous ces dispositifs juridico-administratifs ont contribué à la déduction entre 20 et 35% de la couverture boisée dans le pays ; ce qui fait que les États-Unis se placent au deuxième rang des prédateurs de la biodiversité et de l'écosystème en Haïti, derrière la colonisation espagnole qui a détruit plus de 50%, tenant compte qu'au débarquement du funeste Christophe Colomb, l'île accusait une couverture végétale à plus de 90%. Ainsi, la dette écologique qu'accusent les puissances impérialistes envers Haïti est énorme et doit être obligatoirement faire l'objet de réparation. Cependant, cette réparation n'interviendra que dans la dynamique de lutte contre le néocolonialisme, contre la capitalisme et l'extractivisme. De même, durant l'occupation militaire de 1915, plus de 50.000 paysan·nes haïtien·nes ont été dépossédé·nes et expulsé·nes dans le Nord impliquant la migration de plus 300.000 Haïtien·nes (Castor, 1988).
La désoccupation militaire du pays en 1934 n'a pas mis fin à l'orientation anti-paysanne de « l'État en Haïti » et les accaparements des terres agricoles en Haïti. Bien au contraire, ce projet a même été renforcé pendant la deuxième guerre impérialiste communément appelé « guerre mondiale ». Par exemple, pour cultiver un type d'hévéa appelée « crystoptegia glandiflora », considérée comme « fibre stratégique », utilisée dans la fabrication de cordes destinées à la marine étasunienne, l' « État en Haïti » accordait à la Société Haïtiano-Américaine de Développement Agricole (SHADA) 133 400 hectares de terres agricoles, dont 58 400 consacrées à la production de sisal, et 75 000 à l'exploitation du bois de construction (Gilbert, 2016). Cette expérience a non seulement réduit la capacité agricole du pays, principalement en raison du remplacement des cultures vivrières par le sisal, mais a aussi contribué à l'accumulation d´une dette extérieure estimée à environ 60% de son budget annuel.
En dépit de cette expérience préjudiciable au pays, en 1944 et 1955, l'Etat en Haïti a signé deux conventions minières avec la Reynold´s Mining Corporation et la Société d'Exploitation et de Développement Économique et Naturel (SEDREN). L'étendue totale de terre occupée par la compagnie Reynold's reste encore inconnu. Cependant, selon les données disponibles, la propriété de la compagnie s'étalait sur sept (7) localités (Chassereau, Sainte Croix, Sainte/Croix extension, Crescent, Desmarets, Berquin, Ensemble) s'étendant sur environ 908,18 hectares de terres (Pierre, 2017). Quant à la SEDREN, la superficie de sa concession était estimée à 115 000 hectares. Pour s'approprier cet espace, la compagnie a exproprié les paysans et paysannes qui habitaient ces zones durant plusieurs décennies. Les terres autrefois dédiées à l'agriculture ont été préposées à d'autres usages. Cette transformation a conduit à une réduction de l'espace cultivable et de la production agricole dans ces zones, et, par conséquent, a entrainé la perte de l´autosuffisance alimentaire du pays, avec des conséquences néfastes sur les communautés. Les terres utilisées n'ont jamais été réhabilitées et sont devenues aujourd'hui des terres arides.
Politique de libéralisation commerciale : Aggravation de la situation d'insécurité alimentaire en Haïti
"Durant l'occupation militaire étasunienne de 1915, plus de 50.000 paysan·nes haïtien·nes ont été dépossédé·nes et expulsé·nes dans le Nord impliquant la migration de plus 300.000 Haïtien·nes"
Jusqu'au début des années 1980, Haïti a été presqu'autosuffisant en matière de d'alimentation. Le massacre des cochons créoles, considérés comme carnet d'épargne des familles paysannes, entre (1980-1982) et l'imposition des politiques néolibérales à partir de 1983, vont porter un coup fatal aux structures et politiques économiques et sociales dans le pays. La libéralisation commerciale, à travers le dumping dans les produits agricoles vont déstructurer l'économie paysanne et imposer à l'Etat en Haïti un ensemble de politiques économiques, créant des monopoles avec comme conséquences l'inaccessibilité des populations aux droits économiques, sociaux et culturels.
Durant la dernière décennie, surtout avec l'arrivée au pouvoir du PHTK (Parti Haïtien Tèt Kale), imposé au pays par ce que l'on appelle faussement la « communauté internationale », la réalité socioéconomique du pays n'a pas cessé de détériorer. En effet le tremblement de terre de 2010 va servir de prétexte aux acteurs internationaux pour expérimenter un ensemble de stratégies politique, économique et sociale qui va augmenter non seulement le niveau de d'ingérence dans les affaires internes du pays, mais aussi aggraver la situation socioéconomique des couches majoritaires. Le Plan Stratégique pour le Développement d'Haïti (PSDH), rédigé et imposé à Haïti par les institutions financières internationales contribue grande à l'extraversion de l'économie haïtienne, en favorisant des politiques extractivistes, comme les zones franches agricoles, les zones franches industrielles, l'exploitation minière. En même temps, l'État prend un certain nombre de décisions économiques qui dégradent un peu plus les conditions de vie des populations, soit en augmentant drastiquement le coût de l'essence, la suppression des subventions sociales, des mesures économiques et monétaires aggravant un peu plus le niveau de l'inflation.
Aujourd'hui, selon les chiffres publiés par l'IHSI (Institut Haïtien de Statistiques et d'informatique), l'inflation en rythme mensuel atteint plus de 23%. En même temps, la CNSA (Coordination Nationale pour la sécurité alimentaire), évalue à plus de 5,6 millions le nombre d'individus en situation d'insécurité alimentaire, dont une grande partie est représentée par des paysan·nes, des femmes et des enfants. Donc, s'il faut chercher les causes ayant entrainer Haïti dans cette situation, il y a lieu de considérer non seulement les éléments historiques, mais aussi les projets politiques qui se construisent autour de la paysannerie haïtienne, qui vont se faire sentir sur les masses populaires.
Néocolonialisme, capitalisme, extractivisme : une association criminogène contre la souveraineté alimentaire
"Jusqu'au début des années 1980, Haïti a été presqu'autosuffisant en matière de d'alimentation"
Comment interpréter les bonnes notes attribuées par les institutions financières internationales au gouvernement illégitime et illégal en Haïti sur les indicateurs macroéconomiques, alors que la situation de la population haïtienne ne cesse de détériorer ? La réalité est que derrière tout cela se cache un ensemble d'accords liés, entre autres, à l'élargissement de la Compagnie de Développement Industriel (CODEVI) du Grupo M, appartenant à un entrepreneur dominicain, le renforcement du Parc Industriel de Caracol (PIC), la mise en place de zones franches agroindustrielles, telle que AGRITRANS, des contrats liés à l'exploitation minière (or, carbonate de calcium, iridium, argent, pétrole, entre autres) avec des compagnies étatsuniennes, canadiennes telles que la Unigold, VCS Mining et autres. En quelque sorte, on assiste à la mise en place de politiques publiques néocoloniales dont les objectifs fondamentaux sont de faciliter le captage d'énormes ressources du pays avec pour effet une généralisation de la pauvreté et un endettement massif. Ces différents types d'investissements occasionnent des accaparements de terres agricoles, occupées par des paysan·nes depuis des lustres, hypothéquant ainsi les possibilités pour le pays à définir des politiques publiques capables de contribuer à la souveraineté alimentaire.
"Le système Dette est intrinsèquement lié au système alimentaire mondial"
La réalité alimentaire en Haïti n'est pas étrangère à la division internationale du travail, aux impacts des accords de libéralisation commerciale, à la structuration du système alimentaire mondial. Elle est le produit des politiques néolibérales (en particulier la libéralisation commerciale) imposées par les institutions financières internationales avec comme corollaire la déstructuration de l'économie paysanne, créant ainsi une armée de main-d'œuvre à bon marché, pour les économies régionales, en particulier en République Dominicaine, qui connaît une explosion d'investissements directs étrangers, et l'entrée de capitaux massifs dans son économie, bien que déconnectés de la réalité globale des masses populaires dans ce pays.
Ainsi, ces politiques mettent à mal les structures agraires en Haïti, créant des monopoles, où quelques familles contrôlent le commerce import/export, et à travers le dumping réduisent les capacités productives des exploitations agricoles. La déstructuration de l'économie paysanne crée des poches de pauvreté extrême, et ce sont les paysan·nes producteur·ices qui paient le plus lourd fardeau. Ainsi est favorisée l'entrée d'ONG internationales dans les communautés paysannes pour consolider le marché de l'aide alimentaire dont l'objectif central est le renforcement de la dépendance alimentaire du pays vis-à-vis de l'extérieur.
Souveraineté alimentaire, un objectif politique lié aux revendications paysannes
« Pour seules réponses à la crise alimentaire, la Banque mondiale, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) et les « conglomérats philanthropiques » proposent d'accélérer l'expansion des biotechnologies, de relancer la Révolution verte, de réintroduire le prêt conditionnel de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, et de recomposer le pouvoir aujourd'hui fragmenté de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en concluant le « cycle du développement » des négociations commerciales de Doha. Ces institutions ont reçu du grand capital un mandat clair pour alléger la faim, atténuer les troubles sociaux et réduire le nombre total des paysans producteurs dans le monde – sans pour autant devoir réformer la structure du système alimentaire mondial »
[2]
Le système Dette est intrinsèquement lié au système alimentaire mondial. C'est un tout cohérent dans la logique capitaliste qui vise forcément à maintenir les pays du Sud dans un dépendance accrue vis-à-vis de l'aide internationale en renforçant le rôle joué par les institutions financières internationales dans la définition et l'orientation des politiques publiques, en particulier agricoles dans ces pays.
Les travaux du Comité Interministériel pour l'Aménagement du Territoire (CIAT) [3], financé en grande partie par la communauté internationale, particulièrement la France, le Canada, la BID, entre autres, contribuent à répandre l'idée de la nécessité d'une réduction du nombre d'exploitations paysannes, donc du nombre de paysans et paysannes s'adonnant à la production agricole, dans l'objectif d'organiser le marché foncier dans le pays. Autant dire un changement structurel à caractère politique dans la structure agraire haïtienne. Ce qui est de nature à favoriser le système alimentaire mondial, en hypothéquant de manière durable les possibilités d'arriver à la souveraineté alimentaire.
Dette, budget national et politiques néocoloniales
"On assiste à la mise en place de politiques publiques néocoloniales dont les objectifs fondamentaux sont de faciliter le captage d'énormes ressources du pays avec pour effet une généralisation de la pauvreté et un endettement massif"
La dépendance alimentaire actuelle en Haïti est intrinsèquement liée à la question de la dette. Cette dernière est utilisé par les puissances coloniales capitalistes comme levier de destruction du secteur agricole haïtien, en imposant et renforçant la libéralisation commerciale. En effet, dans les années 1825, sur la pointe des baïonnettes, la France, ancienne métropole, impose à la première république noire une rançon, appelle abusivement dette de l'indépendance. Pour le paiement de cette dette odieuse, nombreuses sont les terres agricoles qui ont été sacrifiées par les dirigeants politiques pour répondre à cette exigence. C'est sur la base du rachat de la dette que les grandes entreprises multinationales états-uniennes ont envahi les espaces agricoles haïtiens. La destruction des espaces agricoles, des écosystèmes pour assurer le déploiement du capital, va avoir des impacts considérables sur l'autosuffisance alimentaire du pays. Le processus d'endettement d'Haïti va aussi entrainer une dépendance accrue de l'économie du pays par rapports aux institutions financières internationales, comme la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire Internationale, le soumettant à des conditionnalités, telles que la réduction des dépenses publiques et la promotion de certains projets environnementicides comme l'exploitation minière, les zones franches touristiques ou industrielles, l'agro-industrie, la privatisation des entreprises stratégiques du pays afin de dégager de la trésorerie pour pouvoir rembourser la dette.
Comme nous le montrent les tableaux ci-dessous, tirés des lois des finances pour les exercices 2021-2022, et 2022-2023, de plus en plus de fonds publics sont alloués au paiement du service de la dette, alors que de moins en moins de crédits budgétaires sont vont au secteur de production pour aborder de manière holistique le problème non seulement de la dépendance alimentaire, mais aussi de respecter l'identité culinaire du pays et ainsi garantir la souveraineté alimentaire.


Le service de la dette externe d'Haïti n'a cessé de croître durant les dernières années, représentant en moyenne jusqu'à 20% du budget national entre 2011 et 2023. Si l'on tient compte de la dette d'Haïti envers le Venezuela, malgré les diverses annulations dont avait bénéficié le pays, en termes de solidarité de la part du pays frère, l'utilisation qu'avaient fait les dirigeants de ces fonds, empreintes de corruption de dilapidation, hypothèque de manière pérenne l'économie nationale.
Durant la même période (2011-2023), on constate une réduction drastique des services publics, une absence caractérisée de l'Etat dans la fourniture des services de base, la disparition de subventions de produits essentiels tels que le carburant, dont le prix a augmenté entre 2018 et 2023 à plus de 400%, sous les injonctions des institutions financières internationales (FMI / BM), comme préalable à des aides au gouvernement haïtien. De ce fait, la combinaison entre augmentation du service de la dette externe et la réduction, voire annulation, de toute subvention de services sociaux au profit de la population, crée un mélange criminogène, occasionnant une paupérisation massive de la majorité de la population, avec plus de la moitié en situation de crise alimentaire, si l'on pourrait se fier aux chiffres de la Coordination Nationale pour la Sécurité Alimentaire (CNSA).
"Dans les années 1825, sur la pointe des baïonnettes, la France, ancienne métropole, impose à la première république noire une rançon, appelle abusivement dette de l'indépendance. Pour le paiement de cette dette odieuse, nombreuses sont les terres agricoles qui ont été sacrifiées par les dirigeants politiques pour répondre à cette exigence"
En dépit des mouvements de protestation des masses populaires, l'aggravation des conditions de vie de la grande majorité de la population, la déstructuration de l'économie, particulièrement l'économie paysanne, la quasi disparition de ce que l'on appelle la « classe moyenne », comme conséquences des mesures d'austérité appliqué par le gouvernement illégitime, placé à la tête du pays par le Core Group, téléguidé par les pays néocoloniaux (Etats-Unis, France, Canada, l'Union Européenne), les institutions financières internationales continuent à féliciter les autorités en place pour avoir créé les conditions nécessaires au renforcement de la division internationale du travail en Haïti et le déploiement du capital transnational à travers des projets de zones franches industrielles, zones franches agricoles, l'exploitation des mines, avec comme corollaire, les accaparements massifs de terres agricoles. Un secteur agricole déjà en proie aux conséquences du désordre climatique, l'absence de politique agricole, la dépaysannisation du milieu rural, un service de la dette externe représentant parfois plus de 3 fois le montant accordé au secteur agricole, il va sans dire que la souveraineté alimentaire apparaît comme un vœu pieux.
Alors que l'insécurité alimentaire bat son plein et menace près de la moitié des populations ; malgré les efforts menés par les paysans/nes producteurs/rices pour maintenir une part importance de la consommation locale (près de 40%), depuis plus de trois décennies, les gouvernements en Haïti, à travers les lois des finances ne consacrent qu'entre 4 et 8% du budget national au secteur agricole. Qui pis est, près de 60% du budget du Ministère de l'Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) sont consacrés au paiement de salaires de fonctionnaires. Du même coup, l' « État en Haïti » prend des mesures pour favoriser le développement de l'agrobusiness, à travers le Code des investissements :
Article 2 [4]
L'État accorde des garanties générales à tous les investisseurs. Dans le cadre du présent Code, il définit les conditions et les formes générales d'incitations offertes en Haïti, à certains types d'investissements susceptibles d'accroître la compétitivité des secteurs jugés prioritaires ou d'importance stratégique et ceci, en raison de leurs apports respectifs à la valeur ajoutée, à la création d'emplois durables, au renouvellement de l'équipement national de production ; à la croissance économique ; à la réduction du déficit de la balance des paiements et à la formation de la main-d'œuvre nationale.
Cela va sans dire que la recherche de la souveraineté alimentaire du pays, la réalité des populations vivant cette insécurité ne fait pas partie des objectifs fixés dans la recherche de ces investissements, l'agriculture industrielle tournée vers l'extérieur étant le leit motiv dans ce secteur :
Article 30 [5]
Sont considérés comme investissements dans l'agriculture ceux réalisés, entre autres,
dans :
1. la pêche en haute mer ;
2. l'aquaculture sur une base industrielle ; l'élevage industriel ;
3. l'horticulture sur une base « bio » ou non (fruits et légumes, plantes ornementales et médicinales, fleurs, thé, épices, etc.
4. la sylviculture.
En analysant les documents élaborés par le gouvernement en Haïti entre 2010 et 2011, intitulés : « Politique de développement agricole 2010-2025 (Mars 2011)”, et « Plan national d'investissements agricoles (Mai 2010) représentant en quelque sorte la politique publique devant guider les actions gouvernementales durant cette période, il faut considérer deux aspects de ce travail. D'abord, les documents sont liés au PDNA (Post-Disaster Needs Assessment) et au Plan Stratégique pour le Développement d'Haïti (PSDH) qui ont été élaborés et imposés par des institutions internationales dans l'objectif d'utiliser le territoire haïtien comme espace de l'expansion du capital en crise ; ensuite, à bien des égards, les documents ne sont qu'un ramassis de propositions liées aux programmes des ONG d'aide alimentaire dans le pays, sans aucune corrélation avec les revendications [6] des paysannes et paysans haïtiens.
" La combinaison entre augmentation du service de la dette externe et la réduction, voire annulation, de toute subvention de services sociaux au profit de la population, crée un mélange criminogène"
Loin de questionner les structures agraires, et de considérer les différentes dimensions de la souveraineté alimentaire, en particulier la dimension politique pour remettre en cause le système alimentaire et surtout les relations de production dans le pays et au niveau international, les documents du MARNDR ne font que renforcer la dépendance du pays et consolider la prépondérance des acteurs du système alimentaire dans la perversion des alternatives engagées par les acteurs paysans, en particulier les réseaux, organisations et mouvements paysans.
Il y a lieu aussi de considérer le document de politique publique élaboré par la Coordination Nationale pour la Sécurité alimentaire intitulé « Politiques et Stratégies nationales de Sécurité et Souveraineté Alimentaire et Nutritionnelle en Haïti (PSNSSANH) » qui, en fait, représente un pas important dans la définition des politiques publiques en la matière. C'est un document qui a été adopté en Conseil des Ministres au cours de l'année 2021. Malgré les belles propositions incluses dans le document qui a pris en compte certaines des revendications paysannes exprimées dans les Cahiers de revendications paysannes [7], il n'en demeure pas moins vrai que le cadre défini pour l'application de ces mesures reste attaché au système alimentaire mondial, dont les objectifs n'est autre que la promotion de la sécurité alimentaire, encadré par les politiques néolibérales. Autant dire que le document porte en lui-même les contradictions qui l'empêche d'atteindre ses objectifs.
Face à un système alimentaire mondial qui prouve ses limites, voire son incapacité, à apporter les réponses à la crise mondiale, la souveraineté alimentaire s'impose aujourd'hui comme l'alternative pour construire de nouveaux rapports de force au niveau mondial qui suppose une transformation des institutions financières internationales, le dépassement du système-dette qui représente l'une des causes majeures de la pauvreté, en particulier de la faim, dans le monde. Face aux destructions et aux impacts des politiques néocoloniales sur l'espace haïtien et les conditions de vie des populations, la dette écologique qu'accusent les puissances impérialistes envers Haïti est énorme et doit être obligatoirement faire l'objet de réparation. Cependant, cette réparation n'interviendra que dans la dynamique de lutte contre le néocolonialisme, contre la capitalisme et l'extractivisme.
Malgré ces grands coups portés à l'agriculture haïtienne, cette dernière résiste. Elle contribue, pour une large part à la demande interne jusque dans les années 1970-80 ; aujourd'hui encore, malgré l'absence de l'État, les paysans.nes arrivent à couvrir près de 40% de la demande locale. Les institutions financières internationales (le système capitaliste), la bourgeoisie compradore en Haïti se sont toutes liguées pour casser la résistance du pays en matière de système alimentaire, d'autosuffisance alimentaire, mettant en place une stratégie de destruction de l'économie haïtienne en particulier l'économie paysanne, à commencer par le massacre des porcs créoles au début des années '80, alors que ces animaux constituaient l'essence même de l'épargne paysan et participaient du développement et la vulgarisation des techniques agroécologiques. Ensuite, la libéralisation commerciale, en utilisant le dumping comme élément essentiel de désarticulation des structures de production, l'imposition par les institutions financières internationales du paiement d'une dette odieuse et illégitime, utilisée par les pouvoirs à l'encontre des populations, et une augmentation de la part du budget national allouée au paiement de cette dette. Ces politiques découragent les paysans, détruisent l'agriculture et renforcent la dépendance alimentaire du pays. Pendant ces dernières années, surtout après la publication du rapport Collier, les terres agricoles du pays sont systématiquement menacées par les projets de zones franches industrielles, des industries de transformation d'huiles essentielles en particulier le vétiver, entre autres ; cela induit une urbanisation anarchique et le passage d'une économie de production à une économie de service de basses gammes.
Mouvements sociaux populaires haïtiens en lutte pour la souveraineté alimentaire
Le mouvement social populaire haïtien n'est pas spectateur du processus de destruction des espaces agricoles par les mega-projets qui induisent une dépendance alimentaire accrue. Le mouvement populaire haïtien, la classe paysanne sont en lutte constante contre les politiques économiques extractivistes anti-paysans.nes, anti-souveraineté alimentaire, imposées par les institutions de Breton woods, en particulier à travers le mécanisme de la dette externe. D'ailleurs, les actions de dénonciation, de mobilisations contre les politiques la libéralisation commerciale, en particulier la ZLEA (Zone de Libre Echange des Amériques), les APE (Accord de Partenariat Économique), le processus d'élaboration des Cahiers de revendications paysannes ont contraint l'État à travers le document Politiques et Stratégies nationales de Souveraineté et Sécurité Alimentaires et nutritionnelle en Haïti (PSNSSANH) à reconnaitre que celle-ci contribue à notre situation alimentaire actuelle. Toutefois, ce document, dans ces stratégies, ne prend pas en compte les causes réelles du processus de la dépendance alimentaire du pays. Ces stratégies non seulement ne prennent pas en compte la question agraire comme élément fondamental du problème alimentaire, mais aussi, elles sont aux antipodes des revendications de la classe paysanne comme : définir et mettre en œuvre une politique agraire et foncière qui permet à toutes et à tous sans discrimination, femmes et hommes, jeunes et vieux, mais surtout aux paysans et paysannes de jouir de leurs droits souverains sur les ressources naturelles comme le stipule la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Paysans.nes et Autres Personnes Travaillant dans le Milieu Rural (UNDROP), adaptée en 2018, sous l'impulsion de la Via Campesina.
Le mouvement social populaire haïtienne, plus particulièrement la classe paysanne a élaboré des cahiers de revendications paysannes. Dans ce document, il est posé clairement la problématique agraire comme élément essentiel pour atteindre la souveraineté alimentaire, une réforme agraire intégrale.
A côté du plaidoyer que mènent les mouvements sociaux populaires haïtiens, diverses initiatives de développement d'expériences agroécologiques à travers le pays voient le jour. Il s'agit pour les organisations et mouvements paysans d'expérimenter des stratégies visant la souveraineté alimentaire des communautés qui, malgré leurs limites, montrent l'importance d'une politique agricole prenant en compte ces expériences et les revendications paysannes. Des expériences développées par la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), dans la région Nord et Sud du pays, celles en cours avec Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen (TK) ou le Mouvman Peyizan Papaye (MPP) sont porteuses non seulement en ce qui a trait à la restructuration de l'économie et des communautés paysannes, à la régénération des écosystèmes, à la mitigation des effets du désordre climatique, mais aussi et surtout à la contribution à l'autosuffisance alimentaire.
Tout compte fait, les cahiers de revendications paysannes sont de véritables outils de lutte pour la souveraineté alimentaire en Haïti. Toutefois, seul un État populaire, anti-capitaliste, anti-néocolonial, souverain, est capable de répondre à ces revendications. En ce sens, le projet de la souveraineté alimentaire implique la fondation ou la restauration de l'État haïtien en lieu et place de l'« État en Haïti », pour pourvoir s'inscrire dans la décolonialisation des rapports avec le capitalisme, et ainsi renverser le système-dette, tout en insistant sur la nécessité pour les pays colonialistes de réparer les torts causés aux peuples par le système néocolonial. Tout processus d'émancipation des peuples passe d'abord par l'abolition du système-dette qui est la nouvelle version du colonialisme, la mort du système capitaliste et la construction de nouveaux modèles de rapports sociaux de production au niveau mondial.
C'est pourquoi, le mouvement populaire haïtien, le mouvement paysan se battent sans relâche contre la domination, contre les modèles économiques capitalistes néolibérales, néocoloniales, contre les mécanismes d'endettement, contre les projets extractivistes.
La lutte pour la souveraineté alimentaire est intrinsèquement liée à la lutte pour la vie pour l'autodétermination des peuples, et la construction du buen vivir, cela doit obligatoirement passer par la construction d'un projet politique qui prend en compte les revendications fondamentales des populations haïtiennes.
Références bibliographiques
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CNSA, Politiques et Stratégies nationales de Souveraineté et Sécurité Alimentaires et nutritionnelle en Haïti (PSNSSANH), septembre 2020
HOLT-GIMÉNEZ, Eric : De la crise alimentaire à la souveraineté alimentaire, le défi des mouvements sociaux, ALTERNATIVES SUD, Vol. 17-2010 / 37)
PAPDA, Kaye revandikasyon òganizasyon peyizan ak peyizán Ayisyen yo, Me 2018, ISBN : 978-99970-73-91-4
PERCHELET, Sophie, Haïti, entre colonisation, dette et domination, 2 siècles de luttes pour la liberté, Ed. CADTM, Octobre 2010, ISBN : 978-2-930443-15-7
CASTOR, Suzy, L'occupation américaine d'Haïti, une publication du CRESFED, Port-au-Prince, 1988
Notes
[1] Ici, on prête le concept développé par le professeur Jean Casimir dans : Genèse de l'État haïtien, 1804-1859, livre paru sous la direction de Michel Hector et Laënec Hurbon, 2009.
[2] Eric Holt-Giménez : De la crise alimentaire à la souveraineté alimentaire, le défi des mouvements sociaux, ALTERNATIVES SUD, Vol. 17-2010 / 37)
[3] http://www.ciat.gouv.ht
[4] Loi portant sur le code des investissements modifiant le décret du 30 octobre 1989
relatif au Code des Investissements, Journal LE MONITEUR, Spécial No. 4, Mardi 26 novembre 2002
[5] Ibid.
[6] PAPDA, Cahier national des revendications des organisations paysannes, 2018
[7] Op. cit
Auteur.e
Jean-Pierre Ricot
Social worker and program director of the Platform to Advocate Alternative Development in Haiti (PAPDA)
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Les écosocialistes appellent à de vraies solutions à la crise climatique

La conférence lance une stratégie pour construire un mouvement de masse pour répondre à l'urgence climatique créée par le capitalisme
Rapport de la Conférence sur l'écosocialisme 2024
15 janvier 2025
Le 7 décembre 2024, plus de 150 personnes se sont réunies à l'Université de Londres South Bank, dont certaines se sont jointes en ligne pour discuter et construire un mouvement écosocialiste international.
L'année 2024 a été marquée par une nouvelle accélération de la crise environnementale.
L'environnement que l'humanité partage continue d'être attaqué sur terre, en mer et dans les airs par une économie capitaliste mondiale et des industries de combustibles fossiles bien établies, quel que soit le coût pour le monde naturel.
La Conférence sur l'écosocialisme a eu lieu deux semaines seulement après que la COP29 en Azerbaïdjan a vu l'accord d'un accord de financement climatique désespérément inadéquat, laissant les pays les plus pauvres faire face et s'adapter aux dommages importants causés par l'urgence climatique avec un soutien minimal des pays les plus riches.
Suite à la popularité et au succès de la Conférence sur l'écosocialisme de 2023, qui s'est tenue entièrement en plénière, nous avons voulu élargir la participation à la conférence de cette année.
L'écosocialisme interagit avec une myriade de questions sociales, environnementales et de justice, qui devraient toutes être abordées. Nous avons donc structuré la journée de manière à donner aux participant-es plus de variété et de choix dans les sujets abordés, ainsi qu'à ce que chaque session soit hybride afin que les gens puissent y assister en ligne.
La séance plénière d'ouverture a donné le ton de la journée. Au nom du comité d'organisation, Simon Hannah a défini un cadre pour les discussions de la journée, en insistant particulièrement sur le lien entre la lutte contre la montée de l'extrême droite et la nécessité de promouvoir et de développer une alternative écosocialiste. Jess Spear de Rise in Ireland nous a rejoints en ligne et, en plus de parler de l'intersection de différents points de basculement dans une spirale calamiteuse, a examiné pourquoi le Parti vert en Irlande avait obtenu de si mauvais résultats lors des récentes élections, alors qu'il avait été en coalition avec le Fianna Fáil et le Fine Gael, et avait ainsi perdu sa crédibilité en tant qu'alternative radicale. Asad Rehman, de War on Want, a résisté à l'idée de se concentrer uniquement sur ce qui s'était passé et ce qui ne s'était pas passé lors de la COP29 à Bakou, et a souligné les développements récents dans différentes parties du Sud, tels que la crise financière sri-lankaise et les manifestations de masse qui ont suivi le défaut de paiement de sa dette extérieure en 2022, qui ont ébranlé les récits politiques dominants.
Au cours de la deuxième session, les participants ont pu choisir parmi trois sujets différents, chacun se déroulant dans son propre amphithéâtre avec un lien zoom hybride pour les participants en ligne.
Simon Hannah a présenté certains des principaux sujets dans son nouveau livre Reclaiming The Future : A Beginners Guide to Planning the Economy, sur la façon dont la propriété sociale et la démocratie économique participative pourraient créer une économie plus durable. Il s'est concentré sur l'élimination de la production à des fins lucratives et sur la façon dont cela peut conduire à une relation plus durable avec la nature. Eric Meier, co-fondateur de l'INDEP – le Réseau international pour la planification économique démocratique, a donné un aperçu de l'évolution historique et récente du discours sur la planification économique. Il a conclu en disant que la question de savoir si une planification économique démocratique est possible est fondamentalement résolue par un oui retentissant et que ce que nous devons aborder et pour lesquels nous devons lutter, ce sont des questions concernant sa forme institutionnelle, le rôle de la technologie et la manière dont elle peut être stratégiquement intégrée dans les campagnes et les programmes.
Démantèlement du colonialisme vert : Hamza Hamouchene, un militant algérien basé à Londres, a été le premier à parler des effets injustes de la classe capitaliste du Nord sur le Sud, citant les recherches de son livre le plus récent, Démantèlement du colonialisme vert. Natalie Trevino, théoricienne critique interdisciplinaire de l'exploration spatiale, a parlé de l'histoire coloniale de l'exploration spatiale et de la façon dont ses dirigeants actuels vendent l'idée fausse que la colonisation de la Lune est notre ticket pour résoudre la crise climatique.
La solidarité ouvrière et le documentaire de GKN : Shaun Dey de Reel News a présenté en avant-première son documentaire sur l'occupation de l'usine GKN. Le documentaire a montré comment, face à la menace de licenciements massifs, les travailleurs de l'automobile de GKN à Florence ont occupé leur usine pour sauver des emplois et construire des technologies vertes. Après le documentaire, nous avons entendu Em Wright, qui fait partie du Worker Climate Project, qui met en relation et responsabilise les syndicalistes qui luttent contre les questions climatiques et une transition juste sur leur lieu de travail. La discussion qui a suivi a porté sur les éléments pratiques de l'organisation syndicale et sur la manière dont celle-ci interagit avec la lutte de classe au sens large ainsi qu'avec des campagnes spécifiques, telles que la précarité énergétique. La session a discuté des défis auxquels sont confrontés des projets tels que l'occupation de GKN, qui pourraient être caractérisés comme des « îlots de socialisme » toujours forcés de fonctionner dans le capitalisme (c'est-à-dire que l'usine GKN doit toujours créer un surplus et des bénéfices pour survivre).
Le déjeuner a été offert dans l'espace d'exposition, où un certain nombre d'organisations de soutien avaient leurs stands. Après le déjeuner, les participant-es avaient le choix d'assister à l'une des deux discussions suivantes :
Lutte contre l'extrême droite et les théories du complot : Richard Hames (de son vrai nom Sam Moore) co-auteur de The Rise of Ecofascism : Climate Change and the Far Right. Richard a parlé de différentes tendances à l'extrême droite, d'approches différentes de l'environnement – non seulement le négationnisme que nous connaissons très bien, mais aussi des approches qui, par exemple, blâment les migrants ou les approches « woke » et cherchent à promouvoir le capitalisme vert. Alex Heffron, un agriculteur et écrivain du sud du Pays de Galles, a présenté un argument très intéressant sur la façon dont les politiques vertes sont considérées comme une menace par certains agriculteurs, ce qui peut les pousser dans les bras de l'extrême droite négationniste du climat. Alex a parlé de la façon dont nous pourrions développer des politiques écosocialistes pour les agriculteurs qui reconnaissent la nature précaire de l'agriculture pour les agriculteurs les plus pauvres et s'attaquent aux énormes patrons de l'agro-industrie et de la chaîne d'approvisionnement (comme les supermarchés).
Construire des mouvements écosocialistes : La session a examiné la formation d'un mouvement écosocialiste sous différents angles. Nous avons entendu parler de l'importance d'intégrer le modèle social du handicap ; le rôle que peuvent jouer les syndicats dans la construction du mouvement ; et la situation internationale, en mettant l'accent sur l'articulation des luttes dans le monde avec leurs défis et préoccupations particuliers. La discussion qui a suivi a été constructive et critique, avec un débat sur les modèles de compréhension du handicap en tant qu'oppression, sur les limites des directions syndicales et sur les difficultés à surmonter les intérêts acquis du noyau impérial.
La journée s'est terminée par une session de conférences sur la stratégie pour discuter de la construction de mouvements écosocialistes. La session a lancé un réseau d'action écosocialiste axé sur l'activité dans les mouvements ouvriers et environnementaux pour faire campagne pour qu'ils construisent une campagne de masse pour faire face à l'urgence climatique.
Will McMahon – l'un des co-organisateurs de la conférence – a déclaré : « J'ai pensé que la conférence a été un grand succès et j'ai hâte de construire le Réseau d'action écosocialiste au cours de l'année prochaine afin que nous puissions diffuser ces idées radicales dans le monde entier ».
Terry Conway, de la communauté unie de Hackney et Islington, qui a parrainé et envoyé des délégués à l'événement, a déclaré : « La Conférence sur l'écosocialisme 24 a été confrontée aux dures réalités politiques et a examiné comment nous pouvons transformer notre planète pour faire face à la crise environnementale. Mais en rassemblant les gens pour discuter de l'urgence causée par le capitalisme rampant et de la manière de faire campagne pour des alternatives écosocialistes, cela a également apporté un message d'espoir. »
Paris Wilder, co-organisateur de la conférence, a déclaré : « Les mouvements environnementaux du monde entier exigent des gouvernements qu'ils agissent, mais hésitent à remettre en question le système sous-jacent qui a donné naissance au changement climatique : le capitalisme. »
Simon Hannah, secrétaire adjoint de la section de Lambeth UNISON, dont la section syndicale a aidé à parrainer la conférence, a déclaré : « Les discussions ont été formidables et il a été utile de réfléchir à des campagnes locales ainsi qu'à des débats politiques plus larges comme la réforme ou la révolution pour sauver la planète. Nous construirons le mouvement écosocialiste tout au long de l'année 2025 dans le but d'une grande action autour de la COP30 plus tard dans l'année. »
Le communiqué du comité d'organisation de la conférence doit être publié prochainement. L'objectif général à la fin de la conférence était le suivant :
- Des réformes progressives ne suffisent pas, nous avons besoin d'un changement systémique radical.
- Les campagnes doivent à la fois remettre en question la logique de marché gaspilleuse du capitalisme et en même temps lutter contre le changement climatique.
- L'écosocialisme devrait s'efforcer de révolutionner la façon dont nous utilisons et pensons aux ressources – comme les campagnes pour des transports publics gratuits, les campagnes sous propriété publique.
- Agir en solidarité avec les réfugiés et les immigrants et ceux qui sont forcés de se déplacer alors que les conditions climatiques leur rendent la vie impossible.
La déclaration finale basée sur le projet soumis par le comité d'organisation et amendé par les personnes présentes à la conférence est en ligne ici.
par Simon Hannah
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IVe Internationale : « Il s’agit d’un Manifeste écosocialiste, un Manifeste du marxisme révolutionnaire d’aujourd’hui »

Entretien. La IVe internationale qui tient son congrès en février 2025 discutera de « Rompre avec la croissance capitaliste, pour une alternative écosocialiste » autour d'un Manifeste du marxisme révolutionnaire à l'ère de la destruction écologique et sociale. Nous avons demandé à Christine Poupin de nous en dire plus sur ce manifeste.
Hebdo L'Anticapitaliste - 743 (27/02/2025)
Comment a germé l'idée de ce manifeste, et comment a-t-il été élaboré ?
En juin 2018, lors d'une réunion du Bureau, un camarade a dit que nous devrions travailler à un projet de société future. J'ai rarement vu une proposition emporter une telle adhésion. Le manque d'un horizon enthousiasmant est si criant que cette proposition est apparue comme une évidence, et le chantier s'est ouvert. Le Comité international de 2019 a discuté d'une « Proposition pour un débat programmatique » et a décidé de poursuivre largement et publiquement le débat. Courant 2020, trois commissions — sur l'écologie, les questions LGBTIQ et l'oppression des femmes et le féminisme — ont produit chacune une contribution sur le type de société que nous voulons. Un groupe de travail s'est ensuite constitué pour s'atteler au travail de rédaction. Premier plan, premières rédactions des différentes parties, échanges avec des scientifiques… Un travail de plusieurs mois débouche sur une première « Contribution à l'élaboration d'un programme écosocialiste dans le cadre de la nécessaire réduction de la production matérielle globale » qui est adoptée comme base de travail par le Comité international de février 2022. C'est désormais un texte global dans lequel « le monde pour lequel nous nous battons » occupe une place importante. Le travail se poursuit — rapport en octobre 2023, changement de plan, changement de titre… — pour aboutir à une version « provisoirement définitive » adoptée par le Comité international de février 2024. C'est cette version qui, traduite en français, anglais, castillan, arabe, portugais… est discutée dans les différentes sections. Discussions qui donnent lieu à de nombreux amendements, apportant précisions, nuances, compléments. Un nouveau travail d'enrichissement du document aboutit au texte qui est soumis au vote du Congrès mondial de février 2025.
À partir de là, le Manifeste entame une nouvelle vie, publique, car nous souhaitons qu'il soit largement débattu bien au-delà des rangs de la Quatrième internationale.
Quelle est l'importance d'un tel texte, et quel est son objectif pour la IVe Internationale ?
Je pense que ce texte est très important pour la IVe Internationale, et au-delà. Juste une première précision : ce n'est pas un texte « écolo ». Nous avons déjà adopté des textes importants sur l'écologie au 15e congrès en 2003 avec « Écologie et socialisme » et au dernier congrès en 2018 avec « La destruction capitalisme de l'environnement et l'alternative écosocialiste ». Là, c'est autre chose ; c'est véritablement un Manifeste écosocialiste, un Manifeste du marxisme révolutionnaire d'aujourd'hui. Dire « aujourd'hui », cela signifie dans une situation qui est surdéterminée par la menace de cataclysme que le bouleversement climatique fait peser sur l'humanité. Et cela conditionne notre programme, notre projet.
Dès l'intro, le texte donne le cadre et le niveau de l'enjeu. Notre époque est celle d'une double crise historique : la crise de l'alternative socialiste face à la crise multiforme de la « civilisation » capitaliste. L'objectif est bien de contribuer à répondre à cette crise de l'alternative. D'y contribuer à partir des acquis historiques de notre courant, marxiste, révolutionnaire, antibureaucratique et de ses actualisations inspirées des luttes sociales et écologiques, et des réflexions critiques anticapitalistes qui se développent dans le monde.
Nous sommes convaincuEs que la révolution est plus que jamais nécessaire, non seulement pour mettre fin à l'exploitation, aux oppressions, à la domination du capital sur nos vies, mais aussi pour « tirer le frein d'urgence » et sauver l'humanité d'une catastrophe écologique sans précédent dans l'histoire humaine. Mais nous sommes aussi convaincuEs aussi qu'il ne suffit pas de dire « une seule solution la révolution » (même si c'est vrai !)… Nous avons besoin de mieux comprendre le monde et les multiples crises qui le secouent, et sur cette base de construire un programme de revendications à partir des besoins et des exigences des exploitéEs et des oppriméEs, un programme qui inévitablement pose la question du pouvoir, qui dirige ? qui possède ? Un programme pour aider à agir, car nous savons que c'est dans l'action, dans l'auto-organisation que se construisent l'envie, la force et la conscience de pouvoir changer le monde.
Dans notre vocabulaire, on appelle cela la démarche de transition. Rien que de très classique ! Mais elle doit absolument être réactualisée dans son contenu pour répondre aux menaces et aux défis globaux posés par la crise écologique.
L'existence de ce manifeste exprime-t-il un changement de période, au sens léniniste, et/ou un changement de paradigme politique pour la IVe Internationale ?
Deux fois oui ! Le monde est à un moment de bascule. Comme le dit notre camarade Daniel Tanuro : « Il est trop tard pour éviter la catastrophe, il s'agit d'empêcher qu'elle se transforme en cataclysme. L'enjeu est la soutenabilité physique de l'espèce humaine sur la seule planète vivable du système solaire ».
Le bouleversement écologique n'est pas une manifestation parmi d'autres de la crise historique du capitalisme. Il est au cœur des contradictions insurmontables de ce système, qu'il aggrave tout en étant aggravé par ces contradictions.
Il ne s'agit donc plus seulement d'intégrer l'écologie dans quelques chapitres de notre programme mais de faire du respect des équilibres écologiques de la planète son fil conducteur.
Nous utilisons le terme « écosocialisme » depuis longtemps déjà, mais nous avons besoin d'en tirer toutes les implications. La décroissance de la consommation globale d'énergie, donc la décroissance de la production matérielle et des transports, est une contrainte physique incontournable. La décroissance n'est ni un programme ni un projet de société, mais une décroissance juste, tenant compte des responsabilités différenciées et des conséquences inégales, doit imprégner notre programme, tout notre programme.
Il s'agit aussi d'intégrer pleinement les apports du féminisme sur la place de la reproduction sociale et de mettre le soin aux humains et au vivant au centre. L'obligation de rompre avec le tout-productivisme, qui a imprégné et imprègne encore le mouvement ouvrier, a aussi des implications stratégiques. Nous devons partir des luttes écosociales existantes, pour gagner la participation des salariéEs et les arracher à l'hégémonie productiviste du capital, ce qui est un enjeu décisif. Ainsi, les luttes antiproductivistes et contre toutes les oppressions ne sont pas à côté des luttes contre l'exploitation mais font partie de la lutte des classes vivante. Tel est le sens de ce projet de Manifeste. Faire vraiment de l'écosocialisme notre programme.
Propos recueillis par la rédaction

L’Espagne : exception étonnante et modèle pour le Québec ?

Donald Trump retourne à leur pays des millions d'immigrant-es, les qualifiant souvent de simples violeurs, criminels, etc. La CAQ et le PQ veulent limiter davantage l'immigration, celle-ci, disent-ils, accentuant la crise du logement et contribuant au déclin du français au Québec. Le président argentin, devenu l'étoile montante de l'extrême-droite au niveau international, dénonce, au récent Sommet de Davos, ce fléau qu'est devenu la migration massive fruit, dit-il, de la fausse mauvaise conscience de l'Occident qui se perçoit erronément comme étant la racine de tous les maux dans le monde ! Les partis de centre-gauche en Europe se voient de plus en plus chasser du pouvoir, tandis que la droite radicale étend son influence en alimentant les inquiétudes liées à l'immigration et à la stagnation économique.
Le gouvernement de coalition dirigé par les socialistes en Espagne constitue cependant une exception étonnante à cette triste tendance que nous observons de jour en jour.
The Economist affirme qu'en 2024 l'Espagne est l'économie la plus dynamique de l'Union européenne et une des plus performantes au monde. Et un facteur clé contribuant à cela est précisément ce qui la démarque de ses voisins la France, l'Allemagne et l'Italie : sa grande ouverture en matière d'immigration.
En octobre 2024, le premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, affirmait au parlement qu'il fallait choisir entre un pays ouvert et prospère et un pays fermé et pauvre{}. C'est aussi simple que cela, insistait-il. Tout au long de l'histoire, le mouvement migratoire a été l'un des grands moteurs du développement des nations, tandis que la haine et la xénophobie ont été - et continuent d'être - le plus grand destructeur de nations. L'essentiel est de bien gérer la migration.
Dans un pays où le taux de natalité est l'un des plus bas de l'UE, poursuivait-il, l'immigration n'est pas seulement une question d'humanité. C'est le seul moyen réaliste de faire croître l'économie et de maintenir l'État-providence.
En 2024, plus de 400 000 postes vacants en Espagne ont été pourvus par des migrant-es et des personnes ayant la double nationalité et à partir de 2025, on prévoit d'offrir des permis de résidence et de travail à 900 000 migrant-es sans papiers.
L'économie espagnole a progressé de 3,2 % en 2024, affirme la correspondante du Guardian Ashifa Kassam. Ce chiffre dépasse de loin la contraction de 0,2 % de l'Allemagne, la croissance de 1,1 % de la France et celle de 0,5 % de l'Italie. Ce chiffre est également supérieur à celui de la Grande-Bretagne, dont le PIB total a augmenté de 0,9 % l'année dernière, et à celui des Pays-Bas, qui a progressé de 0,8.
Certes, le tourisme contribue énormément, comme c'est le cas en France et en Italie, à la création d'emplois dans les hôtels, les restaurants et autres services. Cependant, si l'Espagne a tant profité du nombre record de touristes qu'elle accueillait en 2024 – 94 millions –, réussissant à ramener son taux de chômage au niveau le plus bas depuis 2008, c'est parce qu'elle a su montrer une grande ouverture à l'immigration. Ce sont les migrant-es qui comblaient les lacunes d'un marché du travail où la population en âge de travailler vieillit.
Javier Díaz-Giménez, professeur d'économie à IESE Business School de Barcelone, souligne d'autres facteurs qui, à son avis, ont contribué au succès de l'économie espagnole.
D'une part, l'Espagne jouit d'une abondance d'énergies renouvelables éoliennes et solaires, ce qui a permis de maintenir l'énergie à un prix relativement bas. D'autre part, l'Espagne a puisé dans les fonds de relance Covid de l'UE pour soutenir l'économie et a même osé encourir un déficit en 2024 pour effectuer des dépenses publiques record, consacrant surtout celles-ci à la modernisation des infrastructures vitales et aux investissements verts, y compris les zones urbaines à faibles émissions et les subventions pour les petites entreprises.
Le gouvernement de Pedro Sánchez a fait augmenter le salaire minimum en Espagne de plus de 50% depuis son arrivée au pouvoir en 2018.
Comme le note María Ramírez dans le Guardian, toutes les données économiques en Espagne ne sont pas cependant roses.
L'Espagne est toujours confrontée à une faible productivité, à une dépendance excessive à l'égard du secteur public et à des salaires bas (le PIB par habitant n'a pas augmenté autant que le PIB), même si elle s'est améliorée dans ces domaines également, » affirme Ramírez. « Le tourisme, bien que moteur de l'économie, a exacerbé la pénurie de logements et alimenté une réaction brutale contre les visiteurs, les plateformes de location à court terme et les fonds d'investissement poussant les habitants à quitter les centres-villes.
L'immigration a accentué la pression sur les logements abordables, la demande dépassant l'offre à mesure que la population augmente, » poursuit-elle. « Certains politiciens accusent les riches acheteurs vénézuéliens et colombiens d'être responsables de la hausse des prix dans les quartiers les plus chers de Madrid. Les immigrés les plus pauvres, en particulier ceux originaires des pays d'Afrique du Nord, continuent d'être victimes de discrimination et d'exploitation de la part d'employeurs ou de propriétaires peu scrupuleux et criminels. Pendant ce temps, les politiciens régionaux et nationaux sont souvent pris dans des conflits concernant le logement des mineurs immigrés qui sont arrivés seuls en Espagne.
Tout cela étant reconnu, l'Espagne représente peut-être un modèle à suivre pour le Québec où il existe une abondance d'énergie propre et peu coûteuse.
Augmenter le salaire minimum. Avoir le courage d'effectuer des investissements massifs dans les infrastructures publiques, incluant dans ces secteurs si importants, à la fois sur le plan humain et économique, que sont la santé et l'éducation. Accélérer de façon radicale la transition à l'énergie verte. Ne pas couper mais plutôt augmenter les budgets permettant aux immigrant-es d'apprendre le français. Et ne pas craindre, comme l'a fait Pedro Sánchez, d'augmenter le déficit pour réaliser tout cela.
Voilà un modèle que pourrait suivre le Québec dans la conjoncture actuelle.
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Les pannes du REM : Le ver est dans la pomme

Le REM est gratuit cette semaine. Les usagers réguliers qui ont déjà payé leur passe mensuelle doivent l'avaler de travers celle-là. Comme s'ils en n'avaient pas déjà assez de subir les multiples pannes, voilà que la CPDQ infra se paie une campagne de marketing cheap sur leur dos. Un chausson avec ça ?
Privatisation sournoise
Les problèmes du REM sont tout sauf imprévisibles. Ils sont le résultat d'un mélange des genres. On ne peut servir deux maîtres en même temps : soit c'est la maximisation du rendement financier, soit c'est le bien commun. Dans le cas du REM, le projet de transport en commun électrifié sert depuis le début à masquer une gigantesque mécanique de transfert d'argent de la population vers le secteur financier. C'est une forme de privatisation extrêmement sournoise.
Quelques données de base bien connues permettent de camper le décor. La CPDQ infra possède un contrat de 99 ans avec le gouvernement qui fera qu'à son échéance, nous aurons payé trois fois le prix de cette infrastructure. En plus de cela, le gouvernement lui garantit un rendement de près de 8% par année avec l'argent des contribuables. Comme si cela n'était pas assez, le REM a cannibalisé la ligne publique de train de banlieue la plus rentable.
Oublions l'argument à l'effet que le REM permet de créer des emplois ici. Particulièrement depuis le passage de Michael Sabia, les investissements de la Caisse sont grandement tournés vers l'étranger. La vocation de la Caisse qui était de soutenir l'économie québécoise, n'est plus qu'un vague souvenir. Un fait concernant le REM l'illustre parfaitement : la Caisse est actionnaire à 17% d'Alstom qui elle, a choisi de faire construire les wagons du REM… en Inde. C'est tout dire…
Les services publics comme vache à lait de la haute finance
Il faut le dire haut et fort, la conception financière du REM est d'abord et avant tout celle d'une machine à accaparer le fric des contribuables. À cet égard, il a fait des p'tits puisqu'après l'avoir conçu, Michael Sabia est allé mettre en place la Banque d'infrastructure Canadienne (BIC) qui permet à des grands fonds d'investissement tels Black Rock de financer des infrastructures publiques avec à la clé… un rendement annuel garanti avec l'argent des contribuables. C'est retors à souhait.
Aujourd'hui, Michael Sabia est à la tête d'Hydro-Québec. Depuis son arrivée, on voit se multiplier les grands projets éoliens qui, pour se donner un vernis d'acceptabilité sociale, s'associent à des communautés autochtones et des MRC malgré que l'opérateur soit privé. Ces MRC ou Conseils de bande ont des budgets annuels de quelques millions et embarquent dans des projets qui, pour certains, dépassent les milliards d'investissement. Qui donc les financera ? Poser la question c'est y répondre. Michael Sabia a pensé à tout. Nous sommes à l'ère des services publics servant de vache à lait à la haute finance. Les usagers du REM en paient actuellement le gros prix.
Martine Ouellet
Cheffe de Climat Québec
Germain Dallaire
Syndicaliste
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Ils auraient dû nous écouter au sujet du libre-échange

Il y a près de 40 ans, la gauche mettait en garde contre les conséquences d'un ancrage économique du Canada aux États-Unis. L'élection de Donald Trump montre à quel point ces avertissements étaient justes.
Article publié dans rabble.ca, le 30 janvier 2025 et traduit par Ovide Bastien
C'est réconfortant mais en même temps douloureux de constater que c'est la gauche qui a mis en garde contre les dangers de l'intégration économique avec les États-Unis il y a plusieurs décennies.
En 1987, une large coalition d'organisations se formait pour lutter contre l'accord de libre-échange conclu par le Premier ministre Brian Mulroney avec les États-Unis. Conscients que l'intégration à l'économie américaine entraînerait des pertes d'emplois et une diminution de l'autonomie politique, celle-ci invitait un large éventail de groupes à se joindre à Pro-Canada, qui est devenu le Réseau Action Canada. Les syndicats, les églises, l'Assemblée des Premières Nations, le tout nouveau Conseil des Canadiens et le Comité d'action national sur le statut de la femme s'unissaient au-delà de leurs divergences pour s'opposer conjointement au libre-échange.
L'accord de libre-échange avec les États-Unis marquait le début de la mise en œuvre du néo-libéralisme au Canada. Ronald Reagan et Margaret Thatcher avaient déjà effectué ce virage aux États-Unis et en Angleterre, mais le Canada restait alors un pays plus social-démocrate. Brian Mulroney entreprenait de changer cela.
Lorsque je me suis engagée, les coprésidents étaient Maude Barlow, présidente du Conseil des Canadiens et ancienne libérale, et Tony Clarke, qui était à l'époque un cadre supérieur de la Conférence des évêques catholiques. Nous étions alors en pleine lutte pour le droit à l'avortement et nous sommes parvenus à former une coalition contre le libre-échange en même temps que nous nous battions dans les rues pour l'avortement. Il s'agissait d'une coalition extraordinairement diversifiée qui comprenait des nationalistes qui estimaient que le Canada était déjà trop dépendant des États-Unis, des syndicalistes qui s'inquiétaient surtout des pertes d'emploi dans le secteur manufacturier, des féministes qui se concentraient sur les pertes d'emploi des femmes et sur la pression à la baisse qui s'exercerait sur nos programmes sociaux, et je pense qu'il est juste de dire qu'à l'époque, aucun des groupes non autochtones n'était très au fait des questions autochtones. Les divisions entre les syndicats internationaux et nationaux étaient très profondes, mais ils parvenaient à surmonter celles-ci afin de s'unir contre le libre-échange.
Nous avons dit à l'époque - et nous avons aujourd'hui raison - que l'intégration de notre économie dans celle d'une superpuissance dix fois plus grande que la nôtre était une erreur. Dans les années 1970, l'industrie manufacturière représentait près de 25 % de notre PIB, aujourd'hui elle n'en représente plus que 10 % », me confiait récemment Maude. « Ne vous méprenez pas, les menaces tarifaires du président Donald Trump concernent en réalité les ressources du Canada, en particulier les minéraux rares et l'eau. (1)
Marjorie Cohen, une économiste féministe qui faisait partie de la commission de l'emploi du Comité national d'action sur le statut des femmes (CNA), démontrait dans sa recherche que non seulement des emplois féminins, par exemple dans l'industrie textile, seraient perdus, mais aussi que des pressions seraient exercées pour que nous réduisions nos programmes sociaux afin de nous aligner sur les États-Unis. Le CNA, la plus grande coalition féministe de l'époque, participait activement à la lutte contre le libre-échange dès le début. La Coalition contre le libre-échange de Toronto, qui a précédé l'AED, se réunissait souvent dans les bureaux du CNA à Toronto.
Il était plus facile de former une coalition à l'époque, à la fois parce qu'il y avait plus d'organisations nationales, que les syndicats étaient plus militants et que Maude Barlow était brillante pour gérer les différences à la table des négociations. Mais les différences étaient également plus importantes. L'une des plus grandes divisions était entre les syndicats du Congrès du travail du Canada, qui comprenaient de nombreux syndicats américains, comme les Travailleurs canadiens de l'automobile, qui se sont ensuite séparés du syndicat américain et sont devenus Unifor, et un mouvement syndical strictement canadien organisé par des progressistes du Québec et du Canada anglais qui ne voulaient pas faire partie des grands syndicats américains. Mais nous étions aussi un peu plus enthousiastes à l'idée de grands débats, dont beaucoup ont eu lieu mais sans jamais faire éclater la coalition. Nous étions tous opposés au libre-échange, car nous savions qu'il nous rendrait trop dépendants des États-Unis à tous les niveaux.
L'élection de 1988 est devenue l'élection du libre-échange parce que c'était de loin la question dominante. Lors du débat des chefs en 1988, John Turner, alors leader des libéraux, déclarait :
Nous avons construit un pays à l'est, à l'ouest et au nord. Nous l'avons construit sur une infrastructure qui a délibérément résisté à la pression continentale des États-Unis. Nous l'avons fait pendant 120 ans. D'un seul trait de plume, vous avez renversé cette situation, vous nous avez jetés dans l'influence nord-sud des États-Unis et vous nous réduirez, j'en suis sûr, à une colonie des États-Unis, car lorsque les leviers économiques disparaissent, l'indépendance politique s'effond aussi forcément.
Les libéraux et les néo-démocrates étant opposés au libre-échange, nous avons obtenu une majorité de voix contre l'accord de libre-échange lors des élections de 1988. Cependant, les conservateurs, qui eux y étaient favorables, ont remporté les elections en raison de notre système électoral antidémocratique.
Lorsque les libéraux sont arrivés au pouvoir en 1994, Mulroney venait de signer l'ALENA, qui incluait le Mexique dans l'accord de libre-échange. Les libéraux ont soutenu l'ALENA alors qu'ils s'étaient opposés au libre-échange en 1988.
La coalition que nous avons formée contre le libre-échange s'est transformée, dix ans plus tard, en mouvement antimondialisation.
Les syndicats et les jeunes militants se sont mobilisés dans le monde entier contre les institutions de la mondialisation des entreprises. Ils ont fait valoir que ces institutions retiraient du pouvoir à l'État-nation. Si la cible de la mondialisation des entreprises était bonne, les États-nations du Nord ont conservé leur pouvoir. Aujourd'hui, nous voyons un président d'extrême droite qui semble vouloir faire voler en éclats le système actuel du capitalisme international pour satisfaire sa propre quête de pouvoir et les intérêts de ses amis milliardaires. Et comme nous le voyons aux États-Unis et dans les pays européens où des gouvernements d'extrême droite sont arrivés au pouvoir, nous ne pouvons pas vraiment compter sur le gouvernement pour nous sortir de cette crise.
Il ne fait aucun doute que le capitalisme néolibéral est en crise, cela se combine avec la crise de la gouvernance mondiale due à l'insistance de la plupart des gouvernements occidentaux à soutenir Israël en dépit des accusations de génocide portées par les tribunaux internationaux. Nous traversons la pire crise mondiale depuis les années 1930. Nous vivons une époque révolutionnaire, mais je crains que, comme en Allemagne et en Italie dans les années 1930, ce ne soient les fascistes et l'extrême droite qui en profitent étant donné l'énorme faiblesse de la gauche.
Avec la transformation rapide du système économique en ce que l'économiste grec Yanis Varoufakis appelle le techno-féodalisme, la gauche a été laissée pour compte, incapable d'envisager un avenir différent qui pourrait assurer une vie décente à chacun et divisée par des politiques puristes et, au Canada, par la capacité du gouvernement de Justin Trudeau à coopter la plus grande partie de l'opposition provenant des ONG.
Maintenant que notre économie est tellement intégrée à l'économie américaine, les tarifs douaniers de Trump pourraient être catastrophiques à la fois pour les travailleuses et travailleurs canadiens et américains. Jim Stanford, qui a participé au mouvement antimondialisation en tant que chercheur pour les Travailleurs canadiens de l'automobile, aujourd'hui Unifor, rédige présentement des articles importants sur la façon dont le Canada pourrait résister aux tarifs douaniers.
Les premiers ministres, le cabinet fédéral et l'actuel premier ministre Justin Trudeau – qui très bientôt ne le sera plus – organisent des réunions d'urgence et consultent un comité spécial composé de représentants des entreprises et des syndicats.
Mais nous ne pouvons pas compter sur le gouvernement, quel qu'il soit, pour résister aux changements préconisés par Trump.
Nous avons besoin d'une autre coalition intersectorielle de groupes qui peuvent s'organiser contre la montée du fascisme aux États-Unis et peut-être ici au Canada. Et d'une vision de ce à quoi l'avenir devrait ressembler. Le Green New Deal était un bon début, mais nous avons besoin de plus.
(1) Note du traducteur, Ovide Bastien. Maude Barlow laisse entendre ici que ce serait l'accord de libre-échange qui aurait contribué à cette énorme baisse de l'industrie manufacturière canadienne. Lectrices et lecteurs peuvent donc soupçonner que la baisse au Canada amenait une hausse de l'industrie manufacturière aux Etats-Unis. Cependant, la situation est plus complexe que cela, car dans ce même laps de temps – de 1970 à aujourd'hui – l'industrie manufacturière états-unienne connaissait une baisse tout aussi prononcée que celle du Canada.
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