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« Le Canard Enchaîné » : deux anciens dirigeants condamnés pour discrimination syndicale

« La section syndicale a à peine trois ans ; c'est la première créée dans les 110 ans d'histoire de notre journal de gauche et, déjà, arrive une condamnation pour discrimination syndicale, alors que nous sommes censé défendre les libertés dans nos colonnes. Ce sont les milliardaires de la presse qui vont être jaloux... »
Si Christophe Nobili choisit l'humour pour se féliciter du jugement rendu le 28 février par les Prudhommes de Paris, cela ne saurait cacher son amertume d'être obligé d'en arriver là. Nicolas Brimo et Michel Gaillard, absents à l'audience, respectivement ancien directeur général et ancien président du Canard Enchaîné, ont été condamnés à titre personnel – une première à notre connaissance dans ce type de dossier – pour discrimination syndicale à l'encontre du délégué
syndical SNJ-CGT.
Le SNJ et le SNJ-CGT saluent cette décision qui reconnaît le préjudice subi par Christophe Nobili, défendu par Me Joyce Ktorza. Les deux syndicats, qui accompagnaient la plainte du journaliste au titre de l'atteinte portée à la profession, recevront également des dommages et intérêts. Autre satisfaction : malgré les tentatives de l'avocat de la direction d'obtenir un report, l'affaire a bien été jugée selon le calendrier prévu.
Et le dossier est épais. La direction du Canard a ainsi tout fait pour licencier le délégué syndical, essuyant deux refus de l'Inspection du travail et deux autres du ministère du Travail, ce qui ne l'empêche pas, désormais, de saisir le Tribunal administratif. Christophe Nobili a également été à de nombreuses reprises dénigré publiquement par ses employeurs, dans les colonnes mêmes de l'hebdomadaire satirique ou lors de réunions au journal. Sans oublier une mise à pied avec suppression de salaire, des entraves à son retour dans la rédaction après le refus du licenciement, le retrait de sa signature au bas de ses articles...
Les dirigeants Nicolas Brimo et Michel Gaillard, ainsi que l'ex-dessinateur André Escaro et sa compagne Edith Vandendaele, l'ont également attaqué – et ont perdu leur procès devant le tribunal judiciaire de Paris en décembre dernier – pour « atteinte à la présomption d'innocence », suite à une interview donnée au média en ligne Blast. Cette interview portait principalement sur les soupçons d'emploi fictif d'Edith Vandendaele, que Christophe Nobili a révélés dans son livre « Cher Canard » et pour lequel les quatre protagonistes de l'affaire sont renvoyés, en juillet prochain, devant la justice pénale, notamment pour abus de biens sociaux.
La direction voyait déjà d'un très mauvais œil la création par Christophe Nobili d'une section syndicale SNJ-CGT dans la rédaction. L'enquête judiciaire sur l'emploi fictif a d'ailleurs révélé, deux ans après les faits, que cette création avait coûté au journaliste une promotion. Mais les ennuis ont décuplé – également pour celles et ceux qui l'ont soutenu en interne – après la parution du livre.
Le SNJ et le SNJ-CGT espèrent que cette condamnation aux Prud'hommes amènera la direction actuelle du Canard, nommée par Nicolas Brimo et Michel Gaillard et qui les soutient toujours aveuglement, à un peu de raison. Et qu'elle se rangera enfin du côté des salariés et actionnaires du journal, qui se sont portés partie civile dans le procès pénal qui doit avoir lieu cet été. A moins que, comme en octobre dernier, un énième report soit demandé par les prévenus et leur fan club…
Le 3 mars 2025
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L’égalité des genres en matière d’emploi prendrait près de deux siècles, selon l’OIT

Trente ans après l'adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Pékin, qui visaient un agenda ambitieux pour l'égalité, les femmes continuent de faire face à d'importants obstacles économiques, selon une nouvelle note de l'Organisation internationale du Travail.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/08/en-2158-serieusement/
GENÈVE (OIT Infos) – Trente ans après l'adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Pékin, qui avaient fixé des objectifs ambitieux en matière d'égalité, les femmes rencontrent encore des barrières significatives sur le marché du travail, selon une nouvelle note de l'Organisation internationale du Travail (OIT), intitulée Women and the economy : 30 years after the Beijing Declaration(Les femmes et l'économie : 30 ans après la Déclaration de Pékin), publiée à l'occasion de la Journée internationale des femmes.
Malgré la réduction de l'écart d'emploi entre les femmes et les hommes, qui est passé de 27,1 à 23,1 points de pourcentage depuis1991, le taux d'emploi des femmes reste bien inférieur à celui des hommes. En 2024, seulement 46,4% des femmes en âge de travailler occupaient un emploi, contre 69,5% des hommes. Au rythme actuel de progression, il faudrait près de deux siècles pour parvenir à l'égalité des taux d'emploi.
Bien que de plus en plus de jeunes femmes poursuivent des études et des formations, cela ne s'est pas traduit par des avancées significatives sur le marché du travail. Les femmes occupent seulement 30% des postes de direction dans le monde, avec une amélioration modeste au cours des vingt dernières années.
Elles restent surreprésentées dans les secteurs faiblement rémunérés, comme les soins infirmiers et la petite enfance, tandis que les hommes dominent des domaines comme les transports et la mécanique. De plus, les femmes perçoivent en moyenne des salaires inférieurs, travaillent moins d'heures rémunérées et occupent davantage d'emplois informels, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire inférieur.
Des réformes urgentes sont nécessaires pour lutter contre les inégalités en matière de responsabilités familiales, l'écart salarial entre les hommes et les femmes ainsi que la violence et le harcèlement au travail. – Sukti Dasgupta, Directrice du département Conditions de travail et égalité de l'OIT
D'un autre côté, des progrès ont été réalisés pour réduire l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes. En 2024, les femmes occupant un emploi – qu'elles soient salariées ou indépendantes – ont gagné 77,4 cents pour chaque dollar gagné par un homme, un écart toujours important, mais en amélioration par rapport aux 70,1 cents en 2004.
« Trois décennies après que les dirigeants du monde entier se sont réunis à Pékin et se sont engagés à faire progresser les droits des femmes, d'importants défis perdurent à concrétiser la Déclaration de Pékin », explique Sukti Dasgupta, Directrice du département Conditions de travail et égalité de l'OIT.
« Malgré des avancées, des millions de femmes continuent de rencontrer des obstacles persistants afin d'entrer, de rester et de progresser dans un emploi décent. Des réformes urgentes sont nécessaires pour lutter contre les inégalités en matière de responsabilités familiales, l'écart salarial entre les hommes et les femmes ainsi que la violence et le harcèlement au travail – autant de facteurs qui perpétuent des lieux de travail inéquitables et peu sûrs pour les femmes », a-t-elle ajouté.
La note de l'OIT met en lumière les tendances mondiales en matière d'emploi et de conditions de travail pour les femmes et les hommes, en insistant sur les inégalités persistantes, souvent exacerbées par des facteurs tels que le statut migratoire ou le handicap. Elle souligne également les obstacles systémiques qui entravent l'accès des femmes à l'emploi et à des conditions de travail décentes. Ces défis sont le reflet d'inégalités structurelles profondes, de normes sociales discriminatoires et de politiques économiques qui ne tiennent pas suffisamment compte des besoins différenciés des femmes et des hommes.
En tant que pilier des efforts mondiaux en faveur de l'autonomisation et l'émancipation des femmes, le Programme d'action de Pékin demeure un levier puissant d'influence sur les politiques et les législations qui favorisent le progrès social et économique. À l'heure des mutations numériques, environnementales et démographiques, sa vision est plus pertinente que jamais.
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Au Cameroun, la révolte des travailleurs du sucre

Une grève dans une filiale camerounaise du géant français Castel a été violemment réprimée en février, causant la mort d'un ouvrier et d'un policier. Depuis, la situation reste précaire.
Tiré de Reporterre.
« On n'avait jamais perdu de camarade jusqu'ici, mais voilà, c'est arrivé. Cela montre bien que la situation va de mal en pis », s'indigne un membre du Syndicat des travailleurs saisonniers de la filière canne à sucre (Strascas), au Cameroun. Le 4 février, un mouvement de grève des ouvriers de la Société sucrière du Cameroun (Sosucam) a été violemment réprimé par les forces de sécurité à Nkoteng, dans le centre du pays, tournant au drame : un employé d'une vingtaine d'années, Gaston Djora, a été tué par balle et un policier a succombé à ses blessures.
Tous les Camerounais connaissent la Sosucam, installée dans le département de la Haute-Sanaga, à une centaine de kilomètres au nord de Yaoundé : ils consomment son sucre depuis des décennies. Créée en 1964, l'entreprise appartient à 26 % à l'État du Cameroun et à 74 % au groupe français Somdia, lui-même propriété de la multinationale française Castel, principal producteur de vin dans le monde. Il contrôle aussi 80 % du marché de la bière au Cameroun.
La Sosucam produit annuellement environ 100 000 tonnes de sucre. Elle possède deux usines et 25 000 hectares de plantations de canne à sucre, réparties sur plusieurs arrondissements : Mbandjock, Nkoteng et Lembe-Yezoum. Près de 8 000 personnes travaillent sur ces sites, dont 90 % sont des saisonniers, employés comme manœuvres pendant la campagne sucrière (novembre-mai), et parfois aussi pendant l'intercampagne (juillet-août). Une grande partie d'entre eux, soit environ 3 500 personnes, sont dans les champs pour planter, glaner ou couper, les autres officient dans les usines et le transport des récoltes.
« Travailler sans être payé, ce n'est pas possible »
Pour ces saisonniers, originaires pour beaucoup du nord du pays, une région défavorisée, les conditions de travail sont très pénibles : « Aucune couverture médicale, pas de logement décent pour certains, salaires très bas, manque d'équipements de protection, non-respect du cadre légal limitant le travail temporaire », a résumé dans un rapportde 2023 le Strascas, qui rend aussi compte d'entraves à ses activités et d'accidents du travail récurrents.
Lorsque la grève a débuté le 26 janvier, le salaire mensuel de base d'un manœuvre agricole était de 56 000 francs CFA (85 euros) — une somme ne permettant pas de vivre décemment. Au niveau national, le salaire minimum garanti pour les ouvriers agricoles est de 45 000 francs CFA (69 euros).
En février 2022, les saisonniers avaient déjà fait grève pour dénoncer des licenciements abusifs et leurs conditions de travail. Il y avait eu des violences. L'entreprise, déjà mise en cause pourdes problèmes environnementaux et sociaux par les populations riveraines, avait dû suspendre les licenciements. Elle avait aussi augmenté de 75 francs CFA (0,11 centime d'euro) une « prime de coupe », parfois donnée en fin de journée aux coupeurs de canne (elle était ainsi passée de 0,27 à 0,38 centime d'euro), et accordé une « prime de campagne » de 15 000 francs CFA (23 euros).
Cette année, les ouvriers se sont révoltés en raison d'un changement dans les dates et modalités de paie, un retard de paiement, et des rétrogradations inexpliquées d'échelons sur la grille salariale ayant entraîné des baisses de salaire. « Le travail est très dur et l'est de plus en plus. Travailler sans être payé, ce n'est pas possible. Les gens se sont rassemblés pour dire : “Pas de travail s'il n'y a pas d'argent ! Trop, c'est trop” », explique à Reporterre le président du Strascas, Mahamat Zoulgue.
Ils ont ramassé « des gars en ville pour les mettre de force dans des bus »
Le mouvement a commencé à Mbandjock, suivi par 2 000 personnes, et s'est propagé le 29 janvier à Nkoteng avec 1 500 grévistes supplémentaires. « Les premiers jours, tout était calme, on se rassemblait le matin, puis chacun rentrait chez lui », témoignent des saisonniers, pour qui « cette crise couvait depuis longtemps ». Au bout de quelques jours, la direction de la Sosucam a renoncé à changer le système de paiement des salaires. Mais elle n'a pas répondu aux revendications concernant le niveau de la rémunération, si bien que les grévistes n'ont pas repris le chemin des plantations.
La situation a fini par dégénérer le 4 février à Nkoteng, lorsque les forces de sécurité ont entrepris, selon des témoignages, de « ramasser des gars en ville pour les mettre de force dans des bus qui devaient les conduire aux champs. La population a dit non et s'est levée comme un seul homme. C'est à ce moment-là que la police a commencé à tirer avec de vraies balles et que l'un des nôtres est tombé ». Durant les affrontements, un policier a reçu un coup mortel à la tête, un nombre indéterminé de personnes ont été blessées, et des champs de canne à sucre ont été incendiés.
«
Ce qui était à l'origine une réclamation relative à la date de paiement des acomptes d'une partie du personnel, à laquelle il a été répondu favorablement, est devenue progressivement une entrave au travail accompagnée de tensions et heurts urbains et échappant totalement au cadre de l'entreprise
», a commenté la Sosucam dans un communiqué.
Disant avoir mené une « concertation » avec « les délégués du personnel, les présidents des syndicats, les représentants désignés des manœuvres agricoles coupeurs », elle a ensuite annoncé, le 7 février, une augmentation du salaire de base des coupeurs de canne de… 1 000 francs CFA (1,5 euro). Elle a invité dans la foulée les employés à reprendre le travail. « La reprise en marche ! » a-t-elle posté les jours suivants, en lettres capitales, sur son compte LinkedIn, avec une vidéo de camions chargeant des tiges de canne à sucre — sans faire aucune allusion à l'ouvrier et au policier tués.
Pression et chantage
Si une partie des travailleurs sont retournés dans les champs, plusieurs centaines d'autres sont restés chez eux. « On ne peut pas se satisfaire des mesures annoncées par Sosucam », commente un membre du Strascas, qui revendique 450 adhérents et 2 000 sympathisants. « Nous n'avons pas été invités aux présumées réunions de concertation. Pourtant, nous avions écrit pour dire que notre syndicat souhaitait participer. La direction a préféré discuter avec des syndicats qui lui sont inféodés », précise un autre.
Le 15 février, la compagnie, qui a dit avoir comptabilisé treize jours d'arrêt de production, 970 hectares de plantations partis en fumée et une perte de plus de 5 milliards de francs CFA (7,6 millions d'euros), a adressé une note aux « collaborateurs de Sosucam » pour constater « un taux d'absentéisme élevé ». Ajoutant : « Seront considérés comme démissionnaires et remplacés » ceux qui n'auront pas repris le travail « sous vingt-quatre heures ».
Quelques jours après, elle a été obligée de lancer une campagne de recrutement pour trouver 600 ouvriers agricoles. « La répression et le remplacement des travailleurs saisonniers absents ne sauraient être une option pour trouver des solutions durables à la crise », laquelle « reste la même, irrésolue et latente », a réagi le Strascas, qui réclame un « dialogue inclusif » et plaide pour un salaire de base d'au moins 70 000 francs CFA (107 euros) pour les manœuvres agricoles.
« Nous ne baissons pas les bras »
« Les travailleurs ont toujours la même colère », constate un syndicaliste, qui s'exprime comme d'autres sous anonymat par crainte de représailles. « Dans cette société, rien ne change jamais. Même pour obtenir une augmentation symbolique de 5 francs CFA [moins de 1 centime d'euro], on est obligé de faire grève. Jusqu'à perdre un camarade… » soupire un autre.
Les saisonniers ont reçu l'appui de la députée européenne Marina Mesure, membre de La France insoumise (LFI), qui a demandé à la Commission européenne d'examiner la situation au regard de la directive européenne adoptée en 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises — la maison mère de la Sosucam étant installée dans un État membre de l'Union européenne, la France. Contacté par message électronique, le groupe Castel n'a pas réagi.
Les autorités camerounaises, elles, n'ont guère manifesté d'empathie pour les employés de la société : s'il a parlé de la nécessité d'un « dialogue franc et sincère », le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Grégoire Owona, a fustigé des « mouvements sociaux sauvages ».
« Nous ne baissons pas les bras, répond Mahamat Zoulgue, le président du Strascas. Le combat continue pour trouver des solutions. »
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Un accord tardif a été conclu dans le cadre de la Cop16 pour protéger la biodiversité, mais est-ce suffisant ?

On se souviendra peut-être de la COP15 de Montréal sur la biodiversité en décembre 2022. Malgré les frustrations de maintes délégations du Sud géostratégique, beaucoup d'experts en la matière considèrent la Déclaration de Montréal-Kunming comme l'équivalent en matière de biodiversité de l'Accord de Paris lors de la COP21 en 2015 en matière de climat. Pendant que celle de Paris stipulait de ne pas dépasser un réchauffement de 1.5°C, celle de Montréal appelait à protéger 30 % des terres et des mers pour la nature.
Alors que la COP15 de Montréal se concluait par un »accord historique », la COP16 à Cali l'été dernier finissait en queue de poisson faute de quorum. Puis, soudain, son prolongement à Rome paraît aboutir à « un plan pour financer la sauvegarde de la nature ». À voir nous dit le journal The Guardian, en association avec Carbon Brief. Pas plus que l'objectif de non- dépassement de 1.5°C de réchauffement terrestre, déjà dépassé, l'objectif de protection de 30% des surfaces terrestres et maritimes, et de son financement, ne seront atteints.
Marc Bonhomme, 7/03/25
6 mars 2025 | The Guardian - Down to Earth
La semaine dernière, les pays ont signé un compromis sur le financement de la protection de la nature, obtenu de haute lutte à l'issue de négociations marathon à Rome, mettant enfin un terme aux réunions de la Cop16 sur la biodiversité. En novembre, le sommet des Nations unies sur la nature a été suspendu dans le désordre après que les négociateurs ont manqué de temps pour achever leur travail à Cali, en Colombie. Ils ont dû se réunir à nouveau à Rome pour terminer le travail.
En Italie, les gouvernements ont adopté une feuille de route pour trouver les 200 milliards de dollars US par an pour la nature d'ici à 2030, y compris des discussions sur un nouveau fonds pour la biodiversité – une demande clé de négociation de nombreux pays du sud de la planète. Ils se sont également entendus sur les indicateurs qui permettront aux États de mesurer leurs progrès en Arménie à la fin de l'année 2026.
Les quelques ministres présents se sont empressés de qualifier la conférence de succès. La présidente de la Cop16, Susana Muhamad, ministre colombienne de l'environnement sortante, a pleuré à l'issue de cette "journée historique".
Steven Guilbeault, ministre canadien de l'environnement et du changement climatique, a déclaré : « Nos efforts montrent que le multilatéralisme peut être porteur d'espoir en cette période d'incertitude géopolitique ».
Mais, en privé et de plus en plus en public, on craint que les années 2020 ne soient une nouvelle décennie d'échec pour la nature. Les gouvernements n'ont jamais atteint un seul des objectifs de l'ONU en matière de biodiversité. Le risque d'une nouvelle répétition s'accroît : les 23 cibles et les quatre objectifs convenus il y a moins de trois ans à Montréal sont déjà sous assistance respiratoire.
À la veille des négociations de Rome, une analyse réalisée par Carbon Brief et le Guardian a révélé que plus de la moitié des pays du monde n'ont pas prévu de protéger 30 % des terres et des mers pour la nature, bien qu'ils se soient engagés à le faire en 2022 [à la COP15 de Montréal] dans le cadre d'un accord mondial. Il s'agit de l'objectif principal de l'accord de cette année. Si de grands pays riches en biodiversité comme le Mexique, l'Indonésie, la Malaisie, le Pérou, les Philippines, l'Afrique du Sud et le Venezuela ne le mettent pas en œuvre, l'objectif mondial ne sera pas atteint.
Selon un rapport publié l'année dernière par Earth Track, les subventions qui alimentent le réchauffement climatique et détruisent la nature ont continué à croître malgré l'objectif de réformer 500 milliards de dollars des subventions les plus nocives d'ici la fin de la décennie. Seuls le Brésil et l'Union européenne montrent des signes d'action, selon les chercheurs.
Dans les deux cas, il s'agit de questions antérieures à Trump et au récent changement des vents géopolitiques sur l'environnement.
Pendant ce temps, les indicateurs scientifiques continuent de se dégrader. Selon le dernier indice « Planète vivante », les populations mondiales d'espèces sauvages ont chuté en moyenne de 73 % en 50 ans. Nous aurons une meilleure idée des progrès accomplis sur d'autres objectifs lors de la Cop17 l'année prochaine, mais certains ministres de l'environnement sont de plus en plus nombreux à dénoncer l'absence de progrès.
Interrogé par ma collègue Phoebe Weston à Rome, le ministre malgache de l'environnement, Max Fontaine, a brossé un tableau peu reluisant de la situation.
« Honnêtement, c'est presque impossible quand on voit les tendances de l'évolution des choses », a-t-il déclaré. « Nous n'allons pas dans la bonne direction, nous devons tous redoubler d'efforts. »
Jean-Luc Crucke, ministre belge du climat et de la transition écologique, a qualifié les négociations de la COP de « moins mauvais » processus. Si l'on veut vraiment sauver la nature, a-t-il dit, « il n'y a pas d'autre solution que celle-là ». Mais des questions se posent sur sa pertinence. Avant le sommet de Rome, certains craignaient qu'il n'y ait pas assez de pays présents au sommet de l'ONU sur la nature pour que les négociateurs puissent prendre des décisions contraignantes.
Bien sûr, il y a eu quelques petites victoires. À Cali, les gouvernements sont parvenus à un accord visant à encourager les entreprises à partager les bénéfices commerciaux tirés des découvertes utilisant des données génétiques issues de la nature, grâce à la création d'un fonds volontaire, qui a été lancé à Rome. Nous devrons attendre de voir combien d'argent ce nouveau fonds finira par générer. Les pays ont également reconnu officiellement les communautés autochtones dans le processus décisionnel mondial sur la biodiversité.
Ce n'est pas fini tant que ce n'est pas fini. Mais si, au cours d'une nouvelle décennie, les objectifs en matière de protection de la nature ne sont pas atteints, des questions plus difficiles se poseront quant à l'utilité de négocier des accords internationaux que les pays n'ont apparemment pas la capacité ou la volonté d'honorer.
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Une odeur de pétrole sur le sommet climatique de Bakou

Plus de 100 chefs d'État et de gouvernement sont attendus à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan , dans les prochains jours pour la COP 29 où flottera l'odeur du pétrole.
5 mars 2025 | tiré de Mondafrique
https://mondafrique.com/a-la-une/une-odeur-de-petrole-sur-le-sommet-climatique-de-bakou/
L'odeur est épaisse dans l'air, preuve de l'abondance des énergies fossiles dans ce petit pays au bord de la mer Caspienne.Les torches des raffineries illuminent le ciel nocturne et de petits puits de pétrole parsèment la ville, leurs pistons se soulevant et s'abaissant à mesure qu'ils extraient le pétrole du sol. Le symbole national est également la flamme de gaz, incarnée sous la forme de trois gratte-ciels imposants surplombant la ville.
L'Azerbaïdjan s'est bâti sur le pétrole depuis le milieu du XIXe siècle , et les combustibles fossiles représentent désormais 90 % de ses exportations.Rien ne nous rappelle plus clairement la question fondamentale que les dirigeants mondiaux sont venus résoudre à Bakou : la planète brûlera-t-elle pour que les producteurs de combustibles fossiles puissent continuer à gagner de l'argent, ou doivent-ils emprunter une autre voie ?
Le fait que la plus grande économie du monde, les États-Unis, soit sur le point de s'éloigner de l'orientation énergétique propre promue par Joe Biden vers les politiques de « forage » de Donald Trump sera un sujet de conversation majeur parmi les dizaines de milliers de délégués au sommet climatique de l'ONU Cop29 .Cependant, nombreux sont ceux qui souligneront qu'aucun pays n'a jamais produit autant de pétrole et de gaz que les États-Unis aujourd'hui , avec 20 % de licences pétrolières et gazières de plus délivrées pendant l'administration Biden que pendant le premier mandat de Trump.
Les dirigeants du climat ont réagi avec défi au résultat des élections américaines. « Le résultat de cette élection sera considéré comme un coup dur pour l'action climatique mondiale, mais il n'arrêtera pas les changements en cours pour décarboner l'économie et atteindre les objectifs de l'Accord de Paris », a déclaré Christiana Figueres, ancienne responsable du climat de l'ONU et cofondatrice du groupe de réflexion Global Optimism.
Trump n'assistera pas à la COP29, une réunion de deux semaines qui est la dernière d'une série semestrielle remontant à 1992, lorsque la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques – le traité parent de l'accord climatique de Paris de 2015 – a été signée.
Ces discussions peuvent sembler n'avoir abouti à rien, alors que les émissions de gaz à effet de serre continuent d'augmenter et que le bilan des phénomènes météorologiques extrêmes – les ouragans record dans l'Atlantique, les inondations dramatiques de la semaine dernière en Espagne et une sécheresse en Afrique qui a menacé des millions de personnes de famine – devient de plus en plus évident de jour en jour.
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Iran. Les femmes kurdes célèbrent la Journée du 8 mars, malgré les menaces du régime

IRAN / ROJHILAT – Dans la ville kurde de Sanandaj, les femmes ont célébré la Journée internationale des femmes du 8 mars malgré les menaces des forces de sécurité iraniennes.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Un groupe de militantes des droits des femmes, de militantes syndicalistes, de syndicalistes et du mouvement des Mères pour la paix se sont réunis aujourd'hui à Sanandaj, dans la province du Kurdistan, pour célébrer la Journée internationale des femmes, malgré la pression des forces de sécurité qui tentaient d'empêcher l'événement.
Le Réseau des droits de l'homme du Kurdistan ((Kurdistan Human Rights Network, KHRN) a appris que sept groupes ont participé au rassemblement, dont les militantes des droits des femmes de Sanandaj (Sîne), l'Union des femmes du Kurdistan, les militantes des droits civiques des femmes de Sanandaj, les Mères pour la paix, le groupe sportif Arghavan de Sanandaj, le groupe culturel et d'alpinisme Chil Chama et le syndicat des enseignants du Kurdistan.
Les participants ont scandé des slogans en faveur des droits des femmes et contre les exécutions et les soi-disant « crimes d'honneur ».
Une déclaration cosignée par trois organisations de défense des droits des femmes, soulignant la lutte continue pour l'égalité et la liberté.
Le texte intégral de la déclaration :
Le 8 mars rappelle la lutte historique des femmes contre l'oppression, les inégalités et l'exploitation. Cette journée, qui trouve ses racines dans les protestations des travailleuses du XIXe iècle, a marqué le début de mouvements de grande ampleur qui ont permis d'obtenir des avancées significatives en matière de droits politiques, sociaux et économiques. De la lutte pour le droit de vote à la résistance aux systèmes patriarcaux et à la violence structurelle, les femmes ont toujours défendu fermement le chemin de la liberté et de l'égalité, refusant d'abandonner leurs idéaux malgré d'innombrables obstacles.
Cependant, en Iran, les autorités au pouvoir ont constamment cherché à priver les femmes de leurs droits fondamentaux par des politiques misogynes. Des lois répressives telles que le hijab obligatoire, le mariage des enfants, les restrictions aux libertés individuelles et les violations des droits reproductifs servent d'outils pour contrôler les femmes et légitimer la domination patriarcale. Ces politiques non seulement limitent la liberté et l'autonomie des femmes, mais légitiment et normalisent également la violence généralisée à leur encontre. Les taux croissants de féminicides, de violences sexuelles, de maltraitance des enfants et de sanctions sévères contre les femmes mettent en évidence leur situation désastreuse en Iran. En outre, la discrimination dans l'allocation des ressources dans le cadre des inégalités systémiques du néolibéralisme et des crises économiques affecte de manière disproportionnée les segments vulnérables de la société, en particulier les femmes marginalisées, notamment les femmes baloutches, kurdes et migrantes, ainsi que celles qui travaillent dans le secteur informel. Dans ces circonstances, les femmes, aux côtés d'autres mouvements de protestation tels que les travailleurs, les retraités, les enseignants et les étudiants, se sont unies dans la lutte pour la justice et l'égalité, amplifiant les voix de la résistance contre l'oppression structurelle.
En Iran, les femmes restent sous la coupe d'un gouvernement qui craint profondément leur présence. Cette peur s'est intensifiée depuis la révolution Jina et son slogan « Femmes, vie, liberté », qui a poussé les autorités à prononcer des peines de mort et des peines de prison contre des militantes. Des personnalités telles que Pakhshan Azizi, Sharifeh Mohammadi et Verisheh Moradi, que l'État a cherché à réduire au silence, sont devenues des symboles de la résistance à la répression. Ces voix ne se sont pas éteintes ; au contraire, elles sont devenues un cri mondial contre la tyrannie.
La lutte des femmes au Kurdistan est l'un des exemples les plus avancés de mouvements de libération des femmes, servant de modèle de résilience et d'auto-organisation au Moyen-Orient. Les femmes kurdes ont non seulement lutté contre une oppression multidimensionnelle fondée sur le sexe, l'ethnie et la classe, mais ont également présenté un nouveau modèle de résistance, d'auto-organisation et de lutte pour la libération en créant des structures indépendantes et organisées. Par leur détermination sur les champs de bataille, dans les mouvements sociaux et dans les cercles intellectuels, elles ont joué un rôle irremplaçable dans la promotion des idéaux d'égalité et de liberté. Leur participation et leur organisation dans tous les aspects de la vie politique et sociale affirment la vérité indéniable selon laquelle la libération des femmes est le fondement d'une liberté sociétale plus large.
Le mouvement des femmes a atteint un point de non-retour. La prise de conscience, l'organisation et l'expérience historique de cette lutte rendent impossible un retour à l'ère de l'inégalité et de l'oppression. Les femmes du monde entier, en particulier celles du Moyen-Orient, ne reviendront plus jamais à un passé où leurs voix étaient réduites au silence. Ce mouvement n'est pas seulement une lutte pour les droits des femmes, mais un changement fondamental et irréversible qui transformera des sociétés entières. La victoire dans cette lutte n'est pas une simple possibilité ; c'est une nécessité inévitable pour la justice et la liberté.
Nous déclarons que le 8 mars, Journée internationale des femmes, est la commémoration d'un vaste mouvement social et politique, et que les femmes en Iran, en particulier au Kurdistan, sont plus déterminées que jamais à réaliser leurs aspirations. Les femmes et les hommes s'unissent contre toutes les formes d'inégalité et continuent de lutter pour un monde libre, égalitaire et juste. Par conséquent, cette année, à l'occasion de la Journée internationale des femmes, notre lutte doit donner la priorité à la lutte contre les exécutions, les crimes d'honneur et les difficultés économiques et les inégalités croissantes.
Signé par :
Union des femmes du Kurdistan
Militantes pour les droits des femmes à Sanandaj
Militantes pour les droits civiques des femmes de Sanandaj
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Lineda Carrié : Un Engagement Indéfectible pour l’Émancipation des Femmes en Haïti

Cayes, Haïti, le 9 mars 2025 – Dans un contexte où les femmes haïtiennes continuent de lutter contre des défis multiples, Lineda CARRIÉ, entrepreneure et Présidente de la Chambre de Commerce des Femmes Entrepreneures et Professionnelles du Sud (CCFEPS), incarne un symbole d'espoir et de résilience.
Par son engagement, elle œuvre sans relâche pour l'autonomisation des femmes, en particulier dans le Grand Sud de l'île, et défend ardemment leurs droits économiques et sociaux. À travers son rôle à la tête de la CCFEPS, elle facilite l'accès des femmes aux financements, à la formation et aux opportunités de marché, tout en menant une bataille plus large pour éradiquer les violences basées sur le genre.
Un engagement pour l'autonomisation et l'égalité
L'autonomisation des femmes haïtiennes est au cœur de la mission de la CCFEPS. "Nous œuvrons pour qu'elles puissent accéder aux financements nécessaires pour développer leurs entreprises, qu'elles soient formées dans des domaines clés et qu'elles trouvent des opportunités sur le marché. L'autonomie financière est cruciale pour leur émancipation, et pour leur offrir un moyen de se protéger contre les violences auxquelles elles sont souvent confrontées", explique Lineda CARRIÉ. Cependant, malgré leur contribution essentielle à l'économie, les femmes haïtiennes se heurtent à des obstacles persistants : un accès limité aux financements, une discrimination systématique dans le domaine économique, et une exclusion sociale de plus en plus marquée.
Des défis profondément enracinés
Avec plus de 50% de la population haïtienne composée de femmes (IHSI, 2015), l'inégalité entre les sexes reste un problème de taille dans le pays. Selon CARRIÉ, bien que des progrès législatifs aient été réalisés dans le domaine des droits des femmes, leur mise en œuvre reste largement insuffisante. "Les femmes continuent de faire face à des défis majeurs : violences physiques et psychologiques liées à l'insécurité généralisée, accès restreint aux opportunités économiques, inégalités d'éducation et absence de protection sociale et juridique", souligne-t-elle.
Les violences basées sur le genre en Haïti, qu'elles soient domestiques, sexuelles, économiques ou institutionnelles, sont des fléaux omniprésents. Celles-ci trouvent souvent leur origine dans une culture patriarcale renforcée par la pauvreté, l'impunité, et un manque flagrant d'éducation. Ce climat contribue à maintenir un silence social autour des abus, rendant difficile pour de nombreuses femmes de dénoncer leurs agresseurs et de trouver justice. La situation est encore plus compliquée par l'absence de statistiques fiables, ce qui empêche une évaluation correcte de l'ampleur du problème.
L'urgence d'une action collective
Malgré ces difficultés, l'espoir réside dans la mobilisation collective. "La clé pour changer les choses est l'unité et l'action concertée. Nous devons renforcer les lois existantes, en assurer leur application stricte, et punir sévèrement les auteurs de violences", affirme CARRIÉ. L'accès aux financements et à l'autonomisation économique des femmes est également un pilier essentiel de son engagement. Pour elle, former les agents publics, notamment les policiers, juges et travailleurs sociaux, est une étape indispensable pour assurer une meilleure prise en charge des victimes de violences.
Les femmes haïtiennes doivent également être mieux représentées dans les instances décisionnelles. "Lorsque les femmes occupent des positions de pouvoir, leurs besoins sont mieux pris en compte", insiste Lineda CARRIÉ. Encourager leur participation active dans les sphères politiques et économiques ne serait pas seulement bénéfique pour elles, mais pour l'ensemble du pays.
Un programme national de développement durable à l'horizon 2030
Dans le cadre des Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies, notamment l'ODD 5 : "Parvenir à l'égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles", la mise en œuvre d'un plan d'action national doit inclure des stratégies de sensibilisation et d'éducation sur les droits des femmes. Pour CARRIÉ, il est indispensable d'intégrer l'égalité des sexes dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge, tout en multipliant les campagnes d'information et de formation via les médias, les réseaux sociaux, les leaders communautaires et les organisations locales.
"Impliquer les hommes et les garçons dans cette lutte est crucial pour initier un changement culturel profond et durable", estime-t-elle. Par ailleurs, CARRIÉ plaide pour une réforme du système judiciaire, afin de garantir que les victimes de violences soient systématiquement protégées et qu'elles aient accès à des réfuges et à des services d'accompagnement adaptés.
La Journée internationale des droits des femmes : un levier, pas une fin
À l'occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, Lineda CARRIÉ appelle à un engagement renouvelé et à des actions concrètes. "Cette journée est importante, mais elle ne doit pas se limiter à une simple commémoration. Elle doit être un catalyseur pour des actions durables en faveur de l'égalité des sexes et des droits des femmes", explique-t-elle.
Elle conclut son message en adressant un message fort à toutes les femmes haïtiennes : "Vous êtes fortes, résilientes et essentielles au développement de notre pays. Ne laissez personne limiter vos ambitions. Continuons à nous soutenir, à nous éduquer et à nous battre pour nos droits. L'avenir d'Haïti dépend de l'émancipation de ses femmes."
Un appel à l'action pour l'avenir d'Haïti
Les mots de Lineda CARRIÉ résonnent comme un appel à la solidarité et à l'action pour un Haïti où les femmes ne sont pas seulement des victimes, mais des actrices et des leaders du changement. Alors que les défis restent nombreux, l'engagement sans faille de cette entrepreneure et militante offre une lueur d'espoir. L'émancipation des femmes est non seulement essentielle pour leur propre bien-être, mais également pour l'avenir et la prospérité de tout le pays.
Smith PRINVIL
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Basculement réactionnaire : agir face au recul des droits des femmes

Le 8 mars résonne cette année comme un cri d'alarme et un appel à la résistance face à l'ascension des politiques réactionnaires, populistes et anti-intellectualistes. Cette journée est l'occasion de dénoncer les attaques à grande échelle dont font l'objet les droits des femmes et des minorités sexuelles.
Tiré du site du CETRI
Le monde est-il en train de basculer ? Aux bouleversements écologiques, guerres et injustices sociales, viennent s'ajouter les frasques d'un leader imprévisible qui accroissent la brutalité et le chaos. L'absence de réponses collectives aux enjeux globaux a alimenté un repli sur soi qui s'est manifesté par l'essor d'idéologies nationalistes, de mouvements populistes et de réflexes identitaires. Si la perspective d'un basculement peut effrayer et potentiellement précipiter l'effondrement, elle peut aussi ouvrir la voie à des transformations profondes de nos écosystèmes naturels, socio-économiques et politiques.
Une offensive mondiale anti-genre
À l'aune de ces défis, le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, revêt cette année une résonance particulière. Elle est l'occasion de dénoncer les attaques à grande échelle dont font l'objet les droits des femmes et des minorités sexuelles.
Souvent qualifiées de « retour de bâton », ces attaques relèvent d'une réaction conservatrice à des avancées obtenues en matière d'égalité de genre. Elles visent à « remettre les femmes à leur place », à préserver un statu quo patriarcal et à restreindre les droits des personnes LGBT+. La dangerosité de ces offensives ne se limite toutefois pas à ces conséquences directes. Elle réside aussi dans le recyclage et l'exploitation qui sont faites de la grammaire du genre, ainsi que dans sa portée symbolique, qui a permis de coaliser des acteurs très différents.
Si ces offensives « anti-genre » s'inscrivent ainsi dans la continuité d'un conservatisme de longue date, elles s'en distinguent en termes d'acteurs, de discours et de stratégies. Apparues initialement en Europe et en Amérique latine, au milieu des années 2000, elles se sont intensifiées et propagées depuis à tous les continents.
Originellement portées par des organisations de la société civile et des cercles catholiques, opposés à la montée en puissance du concept du genre promu par les conférences onusiennes, les campagnes anti-genre ont évolué. Elles ont été récupérées par des acteurs, en apparence hétérogènes, mais unis autour de la contestation de « la théorie » ou de l'« idéologie de genre », percevant dans ce concept le fondement intellectuel des lois et des politiques qu'ils rejettent.
Ce phénomène, à l'origine religieux et sociétal, s'est transformé en un véritable projet politique, puis étatique avec le développement de mesures publiques anti-genre et la formation de nouvelles alliances diplomatiques. Des partis, principalement situés à droite ou à l'extrême-droite de l'échiquier, ont fait de la « phobie du genre » un élément clé de leur stratégie. Ils veulent ainsi s'opposer aux droits des femmes et des minorités sexuelles, mais aussi toucher de nouveaux publics et accroître leur influence. Ce processus s'est opéré dans un climat de méfiance croissante envers les institutions démocratiques, alors que les inégalités structurelles ne cessaient de se creuser.
Aux États-Unis sous Trump, en Hongrie sous Orbán ou au Brésil sous Bolsonaro, ces politiques sont devenues un projet d'État à part entière. Elles ont servi à la fois des objectifs idéologiques et le pouvoir des dirigeants. De même, Vladimir Poutine s'est posé en victime menacée en s'affirmant comme « le dernier rempart civilisationnel » face à un « impérialisme occidental » qui défend des valeurs féministes et pro-LGBT+, menaçant l'intégrité de la nation russe. Il a ainsi légitimé sa politique étrangère agressive.
Un appel à la résistance
Alors que les politiques réactionnaires, populistes et anti-intellectualistes d'extrême-droite gagnent du terrain en Europe et dans le monde, ce 8 mars doit retentir comme une alarme et un appel à la résistance : les avancées sociales et les droits des femmes et des minorités sexuelles sont en danger. Les coups portés sont tantôt directs et frontaux, visant l'égalité de genre, les droits sexuels et reproductifs ou l'impunité des violences ; tantôt indirects, lorsque, comme en Belgique, des manœuvres politiques bloquent une proposition de loi améliorant l'accès à l'avortement.
Certains discours conservateurs puisent dans des nationalismes sexuels anciens, de la première moitié du 20e siècle, où racisme et xénophobie se combinaient au sexisme et à l'homophobie. Des dirigeants d'hier, comme d'aujourd'hui, ont alors en commun d'invoquer une masculinité viriliste et un ordre sexuel traditionnel, fondé sur la famille nucléaire hétérosexuelle où les rôles de genre sont strictement définis et inégalitaires.
D'autres figures politiques, masculines et féminines, dans un jeu de trompe-l'œil, feignent de défendre les droits des femmes, tout en détournant ces luttes à leur compte, sans se soucier de leur réalisation. À travers des discours fémonationalistes (ou homonationalistes, comme en Israël), elles cherchent à se présenter en protecteur des femmes (ou des personnes LGBT+), mais poursuivent leurs agendas nationalistes, ultra-libéraux, racistes et anti-immigration. En fin de compte, la défense des droits des femmes n'est rien d'autre qu'un prétexte pour exclure des populations dont la « culture » est perçue comme incompatible avec l'« identité nationale ».
Le sexisme et le racisme sont des leviers, mobilisés par l'extrême-droite et les « contre-mouvements » sociaux, afin de consolider une « politique du ressentiment ». À l'inverse de l'indignation qui émerge face à l'injustice, le ressentiment naît, comme l'explique Éric Fassin, de « l'idée qu'il y en a d'autres qui jouissent à ma place, et donc qui m'empêche de jouir. Autrement dit, c'est une réaction non pas aux inégalités, mais aux progrès de l'égalité ». Dans cette logique, les frustrations et la colère populaire ont été habilement dirigées contre le féminisme ou les défenseur·euses des droits des minorités.
Dans le contexte néolibéral qui est le nôtre, il est illusoire de vouloir séparer les enjeux économiques des enjeux culturels, ceux de la redistribution et de la reconnaissance. Les luttes pour les droits des minorités ne sont pas uniquement culturelles, tout comme les luttes de classe ne sont pas seulement matérielles. Dépasser ces oppositions binaires est une démarche indispensable pour recréer un front des luttes à même de contrer les offensives réactionnaires qui sévissent aujourd'hui, en Europe et dans le monde.
Aurélie Leroy
https://www.cetri.be/Basculement-reactionnaire-agir
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Face à l’internationale d’extrême droite : que reste-t-il de la quatrième vague féministe ?

L'extrême droite est à l'offensive à l'échelle mondiale et les mouvements – et conquêtes – féministes sont l'une de ses cibles. Que peuvent ces mouvements face à la vague néo-réactionnaire portée par Trump, Milei et consorts ? Quelle stratégie adopter ? Aurore Koechlin propose une série de réponses en commençant par un bilan de ce qu'on a pu appeler la quatrième vague féministe.
Photo et aarticle tirés de NPA 29
Il y a dix ans, en 2015, naissait le mouvement Ni Una Menos en Argentine, suite à une série de féminicides, dont celui de Chiara Páez. Les manifestations massives qui déclaraient « pas une femme de moins », constituaient le premier acte d'une mobilisation féministe internationale, qui allait bientôt embraser l'Amérique latine, puis le monde avec Me Too. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) devenait le centre de ce qu'on peut appeler « la quatrième vague du féminisme ».
Dans de nombreux pays d'Amérique latine, comme l'Argentine, le Mexique, ou la Colombie, ces luttes se sont traduites par des victoires, avec l'obtention par la mobilisation de la légalisation de l'avortement. Dix ans après pourtant, le tableau semble plus sombre. En Argentine comme aux États-Unis, l'extrême droite, via Milei et Trump, a pris le pouvoir. Leurs politiques s'attaquent directement aux luttes et aux acquis féministes et LGBTI+ de la décennie précédente. Tant et si bien qu'il semble légitime, en ce 8 mars 2025, de s'interroger : que reste-t-il de la quatrième vague féministe ?
Différentes réponses politiques à la crise de la reproduction sociale
La montée, puis la prise de pouvoir, par le fascisme dans les années 1920 et 1930 est classiquement interprétée comme une réponse à la force du mouvement ouvrier, et au risque d'une révolution imminente. Plus précisément, la crise politique ouverte par la crise économique de 1929 ne parvenait à être réglée ni par le maintien au pouvoir de la bourgeoisie, ni par la prise de pouvoir du prolétariat. Le fascisme est alors apparu comme une réponse crédible à une bourgeoisie en pleine crise d'hégémonie.
Elle faisait en quelque sorte d'une pierre deux coups : conserver son pouvoir économique via un gouvernement qui défendrait ses intérêts, et écraser toute contestation par la destruction physique du mouvement ouvrier. Cette corrélation entre montée de l'extrême droite et force du mouvement ouvrier est précisément ce qui a poussé ces dernières années une partie de l'extrême gauche à minimiser le danger de l'extrême droite : la bourgeoisie parvenant malgré tout à imposer ses contre-réformes libérales, l'extrême droite n'aurait pas été une réelle alternative aux yeux des classes dominantes. À tort malheureusement, comme l'évolution de la situation l'a montré.
Dans cette perspective, on pourrait alors relire la montée de l'extrême droite à l'échelle internationale dans les années 2010 et 2020 comme une réponse à la force non moins internationale du mouvement féministe et LGBTI+ : c'est par exemple l'analyse que propose Veronica Gago[1]. Le mouvement féministe aurait en quelque sorte pris la place d'un mouvement ouvrier affaibli, notamment en mettant en son centre l'arme de la grève féministe comme réponse aux attaques néolibérales et patriarcales contemporaines. Et de fait, l'extrême droite développe un discours très élaboré sur le genre et les sexualités, et apparaît comme cristallisant une forme de backlash contre la quatrième vague féministe.
Il est symptomatique que Milei arrive au pouvoir dans un des pays où le mouvement féministe a été le plus fort ces dernières années, l'Argentine. Dès son accession au pouvoir, Trump a immédiatement promu un ensemble de décrets anti-trans, transférant les femmes trans emprisonnées dans des prisons pour hommes, déremboursant les transitions pour les mineur·e·s, interdisant aux personnes trans le service militaire et les compétitions sportives, ou encore faisant annuler les passeports des personnes non binaires.
L'actrice Hunter Schafer, connue pour son interprétation dans la série Euphoria, a dénoncé récemment sur les réseaux sociaux que suite à son renouvellement de passeport, on lui a imposé la lettre « M », alors que son genre à l'état civil avait été changé depuis qu'elle était adolescente. Trump a également interdit l'usage par son administration ou par les recherches scientifiques financées par l'État de certains mots, désormais interdits – comme « genre », « femme », « LGBT », « race », ou encore « changement climatique ».
Mais la montée de l'extrême droite n'est pas d'abord une réponse à la force du mouvement féministe : si ces deux phénomènes sont effectivement corrélés, c'est qu'ils sont le produit d'un tiers facteur, la crise du capitalisme et de sa dernière mue néolibérale, crise qui est tant économique et sociale que sanitaire et écologique. Or, dans cette crise multiforme, la question du genre est centrale. En effet, un des aspects que revêt la crise du capitalisme néolibéral n'est autre que la crise de la reproduction sociale, également appelée « crise du care ».
Qu'entend-on par-là ? Le capitalisme est depuis toujours pris dans une contradiction indépassable entre sa recherche effrénée d'accumulation de la sur-valeur, produite par la force de travail, et la nécessité dans laquelle il se trouve de reproduire cette dernière, donc d'assigner une partie de la force de travail non à la production de la sur-valeur mais à la reproduction de la force de travail elle-même (historiquement, cette assignation a surtout été celle des femmes, des populations immigrées et aujourd'hui racisées). Nancy Fraser a bien montré comment à chaque époque du capitalisme, ce dernier est parvenu à résoudre cette contradiction de façon différente, mais toujours imparfaite[2].
Aujourd'hui, à un capitalisme néolibéral correspond une gestion néolibérale de la reproduction sociale. Celle-ci connaît alors un double mouvement. D'un côté, la prise en charge de la reproduction sociale par les services publics est remise en cause (baisse des financements, manque d'effectifs, fermetures, etc.) pour que se développe au contraire sa marchandisation. De l'autre, la reproduction sociale revient de plus en plus à la charge des femmes de façon gratuite et invisibilisée dans le cadre familial. C'est ce que souligne Nancy Fraser :
« Dans un contexte d'inégalités sociales croissantes, cela aboutit à une reproduction sociale à deux vitesses : utilisée comme marchandise pour celleux qui peuvent en payer le prix, restant à charge de celleux qui n'en ont pas les moyens »[3].
Si bien que la prise en charge de la contradiction passe par un dépassement de celle-ci, en faisant en partie au moins du travail reproductif un travail productif de sur-valeur sur le marché. Mais ce dépassement se fait au prix de la reproduction sociale elle-même : un certain nombre de travailleur·se·s ne parviennent plus à assurer leur propre reproduction sociale. C'est pourquoi on peut parler de crise de la reproduction sociale.
Or, ces évolutions ne se font pas sans une réponse du mouvement féministe et LGBTI+. La quatrième vague du féminisme, en soulignant combien la famille est le lieu de production de violences, combien la construction de deux genres uniques et opposés sert en définitive à la renforcer, remet en question cette structure comme unité économique de la société. Elle défend au contraire une autre prise en charge de la reproduction sociale, par sa socialisation, tout au contraire de ce que fait le néolibéralisme. La quatrième vague féministe propose ainsi de sortir de la crise de la reproduction sociale par le développement des services publics, mais aussi leur extension, par exemple par la mise en place de crèches et de cantines collectives dans les entreprises et dans les lieux de vie.
L'extrême droite propose une résolution bien différente à cette crise de la reproduction sociale, et en tout point opposée. De la même façon que dans le champ de la production elle propose un néolibéralisme autoritaire et identitaire, elle propose dans le champ de la reproduction sociale une version encore plus autoritaire et identitaire de ce qui existe déjà. Il va s'agir de poursuivre la destruction des services publics et leur mise sur le marché de façon accélérée, tout en en préservant une fraction de la population, du moins c'est ce qu'elle promet en discours.
Félicien Faury a effectivement montré que le RN défendait une forme de « protectionnisme reproductif » pour les classes moyennes blanches, ce qui pourrait d'ailleurs constituer une des raisons explicatives du vote des femmes pour le RN en France[4]. L'accès à ce qui reste de services publics ne serait ainsi assuré que pour les populations blanches. Mais au-delà, l'extrême droite propose une autre voie d'issue à la crise de la reproduction sociale, et qu'elle assume très largement – le retour des femmes au foyer, dont les trad wives sont la manifestation la plus spectaculaire sur les réseaux sociaux.
C'est pourquoi la production idéologique d'un discours réactionnaire et transphobe n'a pas uniquement pour but d'écraser les avancées de la nouvelle vague féministe, ni d'instrumentaliser ces thématiques dans un but électoral autour de « paniques morales » construites de toute pièce, même si ces deux dimensions sont évidemment importantes. Elle est aussi parfaitement en adéquation avec une vision du monde congruente entre la sphère de la production et la sphère de la reproduction.
La famille doit reprendre toute sa dimension économique, elle doit redevenir le lieu central de la reproduction sociale : pour ce faire, il faut une idéologie qui le justifie et qui réaffirme cette fiction qu'est la famille hétérosexuelle monogame composée d'un « homme » et d'une « femme », avec une division clairement genrée du travail.
Féminisme ou barbarie : une polarisation accrue
Regarder une telle situation en face a de quoi inquiéter. D'un certain côté, les années 2010 où nous connaissions un incroyable élan de mobilisations nationales – avec les mobilisations contre la Loi travail, celles des étudiant·e·s et des cheminot·e·s, ou encore celle des Gilets jaunes – et internationales – qu'on pense à Black Lives Matter ou à Me Too – semblent bien lointaines. Cette situation n'est pas effacée bien sûr, et nous devons nous rappeler qu'en France, la plus grande mobilisation de ces dernières années, celle contre la réforme des retraites, a eu lieu il y a seulement deux ans. Mais il est indéniable que la situation a évolué : il est difficile aujourd'hui de ne pas tenir compte dans l'équation politique du danger que représente cette internationale d'extrême droite qui s'est développée, qui gouverne dans de nombreux pays, et qui en menace d'autres.
Néanmoins, la montée de l'extrême droite ne met pas fin à la quatrième vague féministe. La particularité de la situation est que les deux ont lieu simultanément. En France, le mouvement Me Too continue de se développer dans toutes les sphères de la société : le procès Mazan en est une fois de plus la preuve, et avec l'affaire Bétharram, pose enfin à une échelle de masse la question de l'inceste et de l'oppression spécifique des enfants. Aux États-Unis, suite à la révocation de l'arrêt Roe vs Wade, une véritable mobilisation numérique s'est déployée sur Tik Tok afin de permettre aux femmes souhaitant avorter et ne pouvant plus le faire d'être hébergées dans un autre État, voire un autre pays, comme le Canada[5].
En Argentine, une manifestation massive a eu lieu le 1er février dernier pour répondre aux propos anti-féministes et anti-LGBTI+ de Milei. La situation est donc avant tout caractérisée par une très forte polarisation. Cette polarisation trouve d'ailleurs une expression dans certaines enquêtes scientifiques. Il y a quelques mois, Le Monde titrait « Les jeunes femmes sont de plus en plus progressistes, tandis que les hommes du même âge penchent du côté conservateur »[6] : ce constat effectué par plusieurs études concerne les jeunes générations, et a lieu simultanément à l'échelle internationale, puisqu'il se retrouve tout aussi bien en Europe, aux États-Unis, qu'en Corée du Sud, en Chine ou en Tunisie.
En France, le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) ne dit pas autre chose dans son dernier rapport de janvier 2025, intitulé significativement « À l'heure de la polarisation » : surtout chez les jeunes, les femmes sont plus féministes, et les hommes sont plus masculinistes[7].Dans un tel contexte de polarisation croissante, et de force de la quatrième vague féministe à l'échelle internationale, le mouvement féministe doit prendre la mesure de toutes ses responsabilités dans la lutte contre l'extrême droite.
Dans les pays où il est le plus fort, il doit être force d'impulsion pour des réponses unitaires contre l'extrême droite – manifestations, constitution de collectifs unitaires pour organiser la riposte, grèves féministes contre l'extrême droite. Dans les pays où il est plus faible, la question se pose un peu différemment. C'est le cas de la France, dont la particularité est double : d'une part, le mouvement social y est très fort, d'autre part, la quatrième vague ne s'y est pas développée autant que dans d'autres pays, y compris d'Europe (par exemple l'État espagnol, l'Italie, la Belgique ou la Suisse). Cela implique trois choses.
Premièrement, le mouvement féministe ne doit pas tomber dans le piège sectaire d'un repli sur lui-même à une heure où il peut se sentir très minoritaire. Cette tentation est toujours présente, elle peut l'être d'autant plus dans une période où le risque de démoralisation est fort. Parce que le mouvement féministe a le sentiment que son action politique ne parvient pas à influencer la société, il se tourne sur lui-même, sur ses débats internes, sur le niveau de responsabilité dans la situation de chaque collectif, pire, sur le degré de pureté militante de chacun·e de ses membres.
Quel groupe, quel·le individu a dit, a fait telle chose problématique ? Et dans une période au climat dégradé, on ajoute de la peur à la peur. Rien de plus démobilisateur. Nous devons nous le répéter une fois pour toute : nos pratiques et nos discours ne seront jamais « parfaits » tant que nous vivrons dans une société qui demeure inchangée par ailleurs. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas les politiser, mais cela veut dire qu'il est absurde de les moraliser.
Ensuite, le mouvement féministe doit réussir à se détacher au moins partiellement des critiques qui le créditent de tous les maux de la terre, et qui ne peuvent tout simplement là encore que mener à l'inaction. Les risques de récupération par l'État, le fait que les fractions les plus dotées du mouvement (en termes de race et de classe) soient celles qui soient le plus mises en avant, son caractère situé, etc., n'est pas le propre du mouvement féministe, il concerne tous les mouvements sociaux : que chacun·e balaye devant sa porte. Pourquoi n'interroge-t-on que le mouvement féministe ? Je vous laisse deviner la réponse.
Cela ne veut bien sûr pas dire qu'il ne faille pas œuvrer à améliorer cet état de fait, c'est une certitude. Mais cela ne doit pas servir de prétexte pour disqualifier l'entièreté du mouvement, comme c'est le cas depuis des années dans certains milieux d'extrême gauche, pourtant souvent bien moins prompts à critiquer les syndicats et les partis. Depuis Me Too, des femmes et des minorités de genre qui n'avaient jamais milité auparavant se sont politisé·e·s sur la question des VSS : plutôt que de leur reprocher de ne pas être suffisamment anti-carcéral·e·s, passons un cap en les convainquant que l'extrême droite, par sa vision du genre, des sexualités et de la famille, est notre ennemi mortel. Nos choix, nos corps, nos familles, nos vies sont en jeu. En tant que femmes, que LGBTI+, nous n'avons rien à prouver.
C'est donc tout le contraire qu'il faut faire. Il faut agir, et il faut le faire dans la démarche la plus large et unitaire possible. D'autant plus que, sous la pression de la situation, des clarifications ont lieu en accéléré. Dans le mouvement social, l'islamophobie, les attaques anti-trans, sont maintenant clairement identifiées à l'extrême droite. Parallèlement, le mirage d'un féminisme néolibéral, qui depuis les années 1980 avait fait tant de promesses, est en train de s'effondrer sous nos yeux, avec le ralliement des secteurs du capitalisme réputés « progressistes » à Trump.
Le plus marquant est sans doute celui du secteur de la Tech, avec l'exemple de Mark Zuckerberg, qui a, du jour au lendemain, mis fin à toute politique de diversité au sein de son entreprise, et tenu un discours crypto-masculiniste. Ce faisant, nous avons la démonstration éclatante que le capitalisme n'a jamais été que tactiquement et en apparence un allié des femmes et des minorités de genre.
Enfin, le mouvement féministe doit sortir de son isolement, et renforcer ses alliances. La première et la plus évidente vu le danger de l'extrême droite est bien sûr avec le mouvement antiraciste. Une autre est également d'une grande importance – celle avec les syndicats, à l'heure actuelle première organisation des travailleur·se·s. Aucune riposte contre l'extrême droite ne pourra se faire sans les syndicats. Et concernant les liens entre mouvement féministe et syndicats, beaucoup reste encore à faire.
Le dernier mouvement contre la réforme des retraites en France l'a mis dramatiquement en lumière lors du 8 mars 2023. Dans une sorte d'alignement des étoiles, non seulement le mouvement féministe l'avait tout particulièrement préparé, mais l'intersyndicale s'en était emparée pour faire du 7 et du 8 des journées de mobilisation, afin d'essayer de porter le départ en grève reconductible. Ce fut effectivement un immense succès féministe : en tout, près de 150 000 personnes ont manifesté le 8 mars dans toute la France. Mais on était très loin des 3 millions et demi de la veille… Et l'histoire a montré qu'il n'y a pas eu de départ en grève reconductible.
Les causes en sont multiples, et ont été analysées depuis, mais au-delà de ça, ce qui a très certainement joué, et que nous devons regarder en face également, c'est un manque de conviction de la part des syndiqué·e·s de la pertinence des revendications féministes, et de la grève pour le 8 mars en particulier. Ce travail reste encore très largement à faire, et c'est à nous de le porter, pour ce 8 mars, en construisant l'échéance avec les équipes syndicales, en s'en emparant pour tisser de nouvelles convergences, mais bien sûr également au-delà.
Pour cela, nous pouvons nous inspirer de la démarche de la Coordination féministe, qui a appelé à la grève féministe pour battre l'extrême droite pour le 25 janvier et le 8 mars[8]. Ce type d'initiatives doivent être prolongées dans les mois qui viennent. Nous devons bien en avoir conscience, la polarisation dans laquelle nous nous trouvons ne peut mener qu'à une chose : féminisme ou barbarie. Mais rien n'est encore écrit. En ce 8 mars 2025, même si la situation a changé, que reste-t-il de la quatrième vague féministe ?
Tout. Et pour cette raison, tout est encore possible.
Aurore Koechlin 7 mars 2025
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Admission de l’Indonésie aux BRICS : nouveau pas vers un « capitalisme multipolaire »

L'admission éclair de l'Indonésie au groupe BRICS a renouvelé les interrogations autour de son expansion. L'attractivité de la coalition repose sur son potentiel économique et l'ambivalence de son horizon géopolitique, mais la cooptation de nouveaux membres dépend de critères « larges » dont l'application fait la part belle aux intérêts des premiers membres. Alors que la réélection de Donald Trump pourrait temporairement casser l'élan « pro-BRICS » de ces dernières années, l'adhésion de l'Indonésie au groupe constitue une nouvelle brique dans l'édification d'un monde capitaliste multipolaire. Par François Polet, docteur en sociologie et chargé d'étude au Centre tricontinental (CETRI).
4 février 2025 | tiré d'europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73858
Longue marche vers un capitalisme multipolaire
Faut-il le rappeler, les BRICS ont été créés en 2009 (par la Russie, la Chine, l'Inde et le Brésil) en vue de réformer un système international dominé par les pays occidentaux et intensifier la coopération économique entre ses membres. Il s'agissait en quelque sorte du pendant non occidental du G7, ce club des pays riches s'employant à coordonner leurs vues sur les grands enjeux économiques et financiers mondiaux. Pour autant, comme le rappellent les auteurs et autrices d'une livraison récente d'Alternatives Sud, en dépit du maniement d'une rhétorique progressiste, les BRICS ne visent pas la transformation du modèle de développement dominant promu par le G7, mais oeuvrent plutôt à l'avènement d'un « capitalisme multipolaire ». [1]
Ce forum intergouvernemental n'a pas été formé en 2009 par hasard. Ses membres ont connu une croissance telle durant les années 2000 (et les années 1990 pour ce qui est de la Chine) que leur influence sur les institutions de la gouvernance mondiale était en décalage de plus en plus flagrant avec leur poids réel dans l'économie mondiale. Une situation de moins en moins supportable pour les pays concernés. Ce, d'autant plus que la récession de 2007-2008 venait de démontrer que l'architecture internationale n'était pas seulement inéquitable, mais aussi incapable de prévenir l'apparition de crises systémiques aux effets dévastateurs pour les pays en développement. Les futurs membres se sont très tôt accordés sur la nécessité « d'une nouvelle monnaie internationale de réserve, susceptible de faire contrepoids au dollar et de stabiliser le système financier global ». [2]
« L'attraction magnétique des BRICS » repose sur la force de son idée centrale – la promesse d'un monde plus équilibré – mais aussi sur son ambivalence
Les BRICS ont poursuivi une double stratégie consistant à accroître leur influence au sein des institutions existantes et à mettre en place des structures alternatives, en particulier la Nouvelle banque de développement et l'Accord de réserve contingente (un fonds de réserve de devises) créés en 2014. Les tensions croissantes entre pays occidentaux, Chine et Russie à partir de la deuxième moitié des années 2010, avec l'annexion de la Crimée, l'affirmation des ambitions de Pékin de Xi Jinping, la guerre commerciale initiée par Donald Trump, l'invasion de l'Ukraine par la Russie et enfin les sanctions occidentales contre la Russie, ont graduellement accru la dimension géopolitique des BRICS – que Pékin et Moscou s'efforcent désormais explicitement de transformer en plateforme anti-occidentale d'une « majorité globale ». Voire en embryon d'un ordre international alternatif.
Treize années séparent le premier élargissement des BRICS, avec l'admission de l'Afrique du Sud en 2010, du deuxième, en août 2023, lors du sommet de Johannesburg, où six pays ont été invités à rejoindre le groupe – Iran, Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis, Argentine, Égypte et Éthiopie. Cette même année 2023 a aussi mis en évidence l'attractivité de la coalition parmi les pays du « Sud global » : pas moins d'une quarantaine de pays ont exprimé un intérêt à rejoindre ce forum. Plus de la moitié ont officiellement formulé une demande d'adhésion. Une nouvelle catégorie de pays « partenaires » des BRICS a été créée lors du Sommet suivant, en octobre 2024 à Kazan, à laquelle treize pays aspirants ont été invités. Parmi eux l'Indonésie, cooptée deux mois plus tard, janvier 2025, pour devenir le dixième membre effectif de la coalition [3]. L'intégration du pays le plus peuplé d'Asie du Sud-Est et du monde musulman donne une nouvelle envergure à la coalition, qui représente désormais la moitié de l'humanité et plus de 40% de l'économie mondiale.
Ressorts d'une attraction magnétique
Dans un texte rédigé pour l'Africa Policy Research Initiative, Mihaela Papa revient sur les ressorts de cette expansion récente de la coalition. [4] « L'attraction magnétique des BRICS » repose sur la force de son idée centrale – la promesse de marchés émergents dans un monde plus équilibré – et la multiplicité des interprétations auxquelles cette idée se prête, notamment quant aux objectifs et moyens de la réforme du système international. Une force de gravité renforcée par la proactivité croissante de ses membres, Chine et Russie en tête, dans la perspective de constitution d'un bloc contre-hégémonique.
L'ambiguïté du projet contribue à son attractivité en ce qu'il permet la coexistence de motivations hétérogènes chez les candidats. La participation aux BRICS peut d'abord apparaître comme un moyen de renforcer les liens avec des économies et des institutions financières en pleine expansion : promesse d'investissements étrangers, de partenariats, d'accès à des marchés, à des crédits, à des ressources énergétiques, à des technologies… potentiellement sans passer par le dollar. Cet enjeu pragmatique est la principale motivation de la majorité des nouveaux membres effectifs et « partenaires ». Ensuite, la participation à la coalition peut être motivée par le renforcement de l'autonomie stratégique d'un pays, via la diversification de ses relations diplomatiques et commerciales – réduisant sa perméabilité aux pressions occidentales.
Enfin la participation aux BRICS porte en elle la promesse de contribuer à l'avènement d'un monde multipolaire. Celui-ci est tantôt entendu dans un sens « réformiste » d'une démocratisation de la gouvernance mondiale, offrant davantage d'espace au « Sud global ». Tantôt en un sens « radical » ou « révisionniste » de lutte contre les principes et pratiques associés à l'Occident, que l'on parle d'une géopolitique impérialiste ou d'une conception universelle de la démocratie et des droits humains (plus rarement du libre-échange, ardemment défendu par la coalition face aux velléités protectionnistes des États-Unis…). En d'autres termes, si la majorité des pays envisagent leur participation aux BRICS sous l'angle de la concrétisation du principe de « non-alignement actif » ou de « multi-alignement », incarnés par l'Inde et le Brésil [5], d'autres y voient d'abord l'expression de leur alignement sur le camp anti-occidental – cas de l'Iran, du Venezuela, de Cuba…
Critères partagés, intérêts contingents
Si ces considérations renseignent quant aux motivations, elles en disent peu sur le processus de sélection des nombreux candidats. La décision d'inviter un nouveau membre est théoriquement prise par consensus. Le pays candidat doit avoir démontré son adhésion aux principes des BRICS (dont la réforme de la gouvernance globale ou le rejet des sanctions non validées par l'ONU), avoir une influence régionale, entretenir de bonnes relations avec les membres et contribuer au renforcement du groupe. La formalisation des critères a fait l'objet de tensions entre les membres initiaux, de même que le rythme de l'élargissement du groupe. Si la Chine et la Russie poussent à l'expansion rapide de la coalition, l'Inde et surtout le Brésil craignent la dilution de leur influence et de leur statut. [6] En-deçà des principes, le processus de cooptation paraît surtout guidé par « un mélange de considérations pragmatiques, d'intérêts contingents et de souverainisme sourcilleux » souligne Laurent Delcourt. [7]
L'adhésion de l'Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis se sont imposées du fait du poids financier et de la puissance énergétique qu'ils apporteraient au groupe. La candidature de l'Argentine a été poussée par la diplomatie brésilienne, en vue de renforcer le pôle latino-américain de l'attelage, mais surtout pour éviter qu'il devienne « une source de risques en devenant un club de régimes autoritaires ayant des positions anti-occidentales ». [8] Des enjeux diplomatiques du même ordre ont contribué à ce que le Brésil bloque l'entrée du Venezuela lors du Sommet de Kazan. [9] La candidature du Pakistan est entravée par l'Inde pour des raisons de rivalité régionale. [10] Et la non-sélection de l'Algérie est officiellement motivée par des critères économiques, mais Alger y voit la main des Émirats, avec lesquels ses rapports sont tendus, qui auraient convaincu l'Inde de mettre son veto [11].
Equations politiques internes et coûts géopolitiques
Le retrait de l'Argentine décidé par le président Javier Milei rappelle que les logiques d'adhésion aux BRICS sont aussi tributaires d'équations politiques internes. De même, l'inclusion accélérée de l'Indonésie aux BRICS résulte également d'une alternance politique. Le président Subianto, personnalité autoritaire réputée pro-russe, a sorti son pays de la posture attentiste qui le caractérisait auparavant, dictée par l'espoir de ne pas gâcher sa demande d'adhésion à l'OCDE. Le « non-alignement » invoqué par Jakarta pour justifier ce changement d'optique devrait pencher nettement dans le sens des intérêts de Moscou [12].Un tournant qui explique vraisemblablement l'insistance de Vladimir Poutine à précipiter l'accession de l'Indonésie… ignorant le moratoire sur l'élargissement du groupe annoncé par son propre ministre des Affaires étrangères six semaines plus tôt. [13]
Les tergiversations de l'Arabie Saoudite, invitée à rejoindre le groupe à Johannesburg, mais qui n'avait toujours pas répondu formellement à l'invitation au début de l'année 2025, illustrent les craintes des coûts géopolitiques de la participation à une coalition dominée par des puissances hostiles à l'Occident. Les menaces de Donald Trump, un mois avant sa prise de fonction, d'imposer des droits de douane de 100% aux pays contribuant à la dédollarisation des échanges accentuent ces craintes [14]. Cette diplomatie coercitive pourrait casser temporairement l'élan « pro-BRICS » d'une série de pays fortement dépendants des États-Unis sur les plans sécuritaire et économique. Mais sur le plus long terme, elle a toutes les chances d'aboutir au résultat inverse – et à renforcer l'attractivité du club pour les pays en développement, en quête d'un monde plus respectueux des souverainetés et des intérêts du « Sud global ».
François Polet
LVSL
Notes :
1 CETRI, BRICS+ : une alternative pour le Sud global ?, Syllepse – CETRI, Paris – Louvain-la-Neuve, 2024.
2 Laurent Delcourt, « BRICS+ : une perspective critique », in CETRI, Ibid.
3 L'Argentine a décliné l'invitation début 2024, tandis que l'Arabie saoudite n'a ni accepté, ni rejeté la sienne en janvier 2024.
4 Mihaela Papa, « The magnetic pull of BRICS », Africa Policy Research Insitute – APRI, 3 décembre 2024.
5 Notons que les deux nouveaux membres africains – l'Égypte et l'Éthiopie – sont les premiers bénéficiaires de l'aide états-unienne du continent.
6 Ces critères ont été précisés lors du Sommet de Johannesburg d'août 2023.
7 Dès 2017, les velléités chinoises d'élargir les BRICS ont fait craindre une tentative de mettre la dynamique au service du projet des Nouvelles routes de la soie, grande priorité diplomatique de Xi Jinping. Voir Evandro Menezes de Carvalho, « Les risques liés à l'élargissement des BRICS », Hermès, La Revue, n° 79(3), 2017.
8 Editorial d'un journal économique brésilien (Valôr Econômico) cité par Oliver Stuenkel, « Brazil's BRICS Balancing Act Is Getting Harder », America's Quarterly, 21 octobre 2024.
9 Dans un contexte de dégradation des relations entre les présidents brésilien et vénézuélien liée aux conditions de la réélection de ce dernier en juillet 2024.
10 Mirza Abdul Aleem Baig, « Why Did Pakistan Fail To Secure BRICS Membership At 2024 Summit ? – OpEd », Eurasia review, 27 octobre 2024.
11 El Moudjahid, 28 septembre 2024. L'Algérie a néanmoins intégré la catégorie des pays partenaires et rejoint la Nouvelle banque de développement.
12 Notons que ce même principe de non-alignement motivait la présidence précédente à… ne pas rejoindre les BRICS, craignant que cela soit interprété en Occident comme un rapprochement avec l'axe Pékin-Moscou. Juergen Rueland, « Why Indonesia chose autonomy over BRICS membership », East Asia Forum, 25 octobre 2023.
13 Saahil Menon, « Why Was Indonesia's BRICS Membership Short-Circuited ? », Modern Diplomacy, 14 janvier 2025.
https://lvsl.fr/admission-de-lindonesie-aux-brics-nouveau-pas-vers-un-capitalisme-multipolaire/