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Intellectuel… de gauche
(Ce texte a d'abord été publié dans l'édition de mai du journal Ski-se-Dit.)
Longtemps le mot « intellectuel » n'aura été qu'un adjectif. Ce n'est qu'après l'affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle, que l'on a commencé, dans la presse française, et particulièrement sous la plume du journaliste et écrivain Henry Fouquier, à l'utiliser comme nom ou substantif pour qualifier les journalistes, écrivains et hommes politiques de gauche ou progressistes. Il fallut attendre le début des années 1920 pour que la droite française, qui vilipendait jusqu'alors ces intellectuels, ne commence à s'approprier aussi le terme. Cette utilisation de l'adjectif comme nom s'est ensuite répandue, dans un sens comme dans l'autre, dans les autres langues.
Si le terme sied bien à la gauche, parce qu'il qualifiait ceux dont les actes engagent la réflexion, « gardiens de l'idéal républicain », contre les forces de l'argent, des armes et du conservatisme, il sied beaucoup moins à la droite, qui défend elle, souvent par d'affreuses contorsions de l'esprit, ces mêmes idéaux de richesses individuelles, de contrainte ou d'un passé idéalisé. Il sied de ce fait beaucoup mieux à des hommes et des femmes comme Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Foucault et Pierre Bourdieu, qu'à des Charles Maurras, Éric Zemmour, Michel Houellebecq et Michel Onfray ; et chez nous à des Françoise David, Normand Baillargeon et Francis Dupuis-Déri, qu'à des Christian Rioux, Sophie Durocher ou Mathieu Bock-Côté.
Le terme intellectuel, voyez-vous, confère un aura de respectabilité à ceux auxquels on l'attribue. Henry Fouquier considérait les intellectuels comme « des individus dont les actes engagent la réflexion et qui théorisent leurs pensées », dont les valeurs morales et l'intégrité constituent les seuls moteurs. L'intellectuel était et devrait ainsi être encore à la recherche du beau, du bon et du juste. Que l'on ait pu accoler à ce terme des racistes de tout acabit, des sexistes et des intolérants, des fascistes même, des déclinistes et promoteur du « grand remplacement », même des promoteurs de cette fumisterie de « la main invisible » selon laquelle l'addition des intérêts individuels aboutit à l'intérêt général, est une ignominie !
D'autres termes conviendraient beaucoup mieux à ces défenseurs d'un passé bêtement idéalisé et collaborateurs du grand capital. Ils auraient malheureusement pour eux le défaut d'exprimer des vérités qui n'ont rien de louables. L'appropriation à leur compte de termes propres à la gauche, en les dévoyant de leur sens originel, leur convient drôlement mieux. Non seulement elle leur confère un semblant de respectabilité, mais elle brouille les repères, elle brouille les cartes.
Le dévoiement des mots n'est pas anodin. Accoler à des termes comme « intellectuel », « démocratie », ou « défense », des idéaux réactionnaires, antidémocratiques et guerriers nous empêche d'y voir clair. Surtout lorsque ces termes sont utilisés de façon continue, dans des médias et par des communicateurs que nous jugeons dignes de confiance. De telles manipulations du langage ont entre autres pour effet d'inhiber la réflexion chez les populations occidentales, populations qui sont parmi les plus à même – je me répète – d'infléchir de façon positive, respectueuse des droits humains et progressiste l'orientation des politiques.
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Libération de l’ancien Député Antoine ALFREDO Junior : un signe inquiétant pour la justice haïtienne
Par Smith PRINVIL
Port-au-Prince, Haïti, 9 mai 2025-Dans un tournant qui suscite confusion et indignation, l'ex-député de la commune de Kenscoff, Antoine ALFREDO Junior, arrêté le 4 avril 2025 pour des accusations graves telles que complot contre la sûreté de l'État et financement de groupes criminels, a été libéré ce vendredi 9 mai 2025 après seulement un mois de détention. Malgré la lourdeur des charges pesant contre lui, la décision de son relâchement a laissé un goût amer dans la bouche des Haïtiens qui se battent quotidiennement contre l'impunité.
L'arrestation d'ALFREDO, un homme politique influent et ancien parlementaire, avait mis en lumière la grave situation sécuritaire qui frappe Haïti, marquée par l'implication présumée de certains acteurs politiques dans le financement de gangs armés. Au moment de son arrestation, de nombreux observateurs espéraient que la justice haïtienne allait enfin frapper un grand coup contre ceux qui nourrissent le chaos dans le pays.
Mais ce vendredi, contre toute attente, l'ex-député a été libéré. Pas de procès, pas de verdict, mais un simple contrôle judiciaire. Son passeport a été retenu par le Parquet, et il lui a été interdit de quitter le pays, une mesure qui semble plus symbolique que réelle. Le contraste avec la situation des milliers de détenus en attente de jugement est frappant. Ce genre de traitement réservé à un homme politique, au cœur d'un scandale d'une telle ampleur, soulève de nombreuses interrogations.
Dans les rues de Port-au-Prince, et au-delà, la décision a été accueillie avec une grande perplexité. Les citoyens, souvent pris au piège entre l'aspiration à un changement radical et l'inertie du système judiciaire, voient dans cette libération une nouvelle preuve de l'impunité qui sévit dans le pays. "C'est un choc. Comment un homme accusé de financer des gangs, de conspirer contre l'État, peut-il être remis en liberté si vite ? Cela donne l'impression que la justice n'est là que pour protéger les puissants", confie Jean-Marie, un citoyen de la capitale.
D'autres, plus désabusés, y voient la confirmation de ce qu'ils appellent la "loi du plus fort", où les hommes de pouvoir et leurs alliés échappent aux conséquences de leurs actions. "Ce n'est pas étonnant", ajoute Mireille, une militante des droits humains. "Cela arrive tout le temps, les politiciens ont toujours des routes secrètes pour sortir de la justice."
La rapidité avec laquelle ALFREDO a retrouvé sa liberté ne fait qu'accentuer le sentiment d'impunité qui gangrène les institutions haïtiennes. Alors que le pays est plongé dans une violence incontrôlable, les Haïtiens attendent des réponses fermes et des actions concrètes. Mais au lieu de cela, ils sont témoins de décisions qui font l'impasse sur les principes de justice. L'absence d'un véritable procès pour un homme accusé de tels crimes laisse un vide inquiétant dans la structure même de l'État de droit.
La décision du Parquet de libérer ALFREDO sans explication claire est d'autant plus préoccupante que cette affaire expose des failles béantes dans la transparence des procédures judiciaires. Où sont les garanties que cette affaire sera pleinement examinée ? Pourquoi aucune information détaillée n'a été donnée sur les enquêtes menées ?
Les observateurs internationaux et les organisations de défense des droits humains suivent avec attention cette affaire, car elle pourrait avoir des répercussions sur la perception du pays à l'échelle mondiale. Un Haïti où la justice est perçue comme biaisée et manipulée par des intérêts politiques ne peut espérer renouer avec une stabilité durable.
La libération d'Antoine ALFREDO Junior est plus qu'une simple décision judiciaire : elle est le symptôme d'un mal profond qui ronge la nation haïtienne. Alors que le pays continue de sombrer dans l'insécurité, le système judiciaire semble se soumettre aux pressions politiques et économiques, sacrifiant ainsi la confiance du peuple.
Les Haïtiens ne doivent pas accepter cette situation comme une fatalité. La mobilisation populaire doit être renforcée pour réclamer une justice équitable et indépendante, capable de traiter tous les citoyens de manière égale, qu'ils soient puissants ou démunis. Car tant que l'impunité régnera, Haïti restera enchaînée à un système qui ne sert que ceux qui ont déjà tout.
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Laura Gil élue à la tête de l’OEA : Ref-Haïti salue une avancée majeure pour l’égalité de genre
Par Smith PRINVIL
Port-au-Prince, 9 mai 2025 – L'élection de la diplomate colombienne Laura Gil à la tête de l'Organisation des États Américains (OEA) a suscité une vague de réactions positives à travers le continent. En Haïti, l'organisation féministe Le Refuge des Femmes d'Haïti (Ref-Haïti) n'a pas tardé à saluer ce qu'elle qualifie de « victoire historique pour la représentation des femmes dans les sphères de pouvoir ».
Mme Gil devient la première femme élue à la direction de cette institution continentale, fondée en 1948. Un fait inédit que Ref-Haïti interprète comme un signal fort en faveur de la parité et de l'inclusion dans les plus hautes instances de gouvernance régionale.
« Son élection est bien plus qu'un symbole. C'est une avancée réelle dans la lutte pour l'égalité. Elle montre à toutes les filles et les femmes qu'elles ont pleinement leur place dans les espaces de décision », a déclaré Novia Andrée Steciles Augustin, présidente de Ref-Haïti.
Active dans la défense des droits des femmes et des filles, Ref-Haïti milite depuis plusieurs années pour une gouvernance plus équitable et féministe, à la fois au niveau local et international. Pour l'organisation, l'accession de Mme Gil à ce poste stratégique doit désormais se traduire par des politiques concrètes, capables de répondre aux inégalités persistantes dans la région.
Tout en saluant cette nomination, Ref-Haïti rappelle que des défis importants demeurent : violences basées sur le genre, sous-représentation politique, inégalités économiques. « Le leadership féminin est un levier, mais c'est l'action qui fera la différence », souligne l'organisation.
Ref-Haïti réaffirme son engagement aux côtés de toutes celles qui, dans les Amériques, luttent pour faire entendre la voix des femmes et bâtir des sociétés plus justes, plus inclusives et plus humaines.
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Rapport de avril 2025 : Le sinistre record d’exécutions de femmes

De Vakilabad à Evin : Le sinistre record d'exécutions de femmes
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/07/rapport-de-avril-2025-le-sinistre-record-dexecutions-de-femmes/
L'exécution de cinq femmes en avril : un nouveau sommet de violence contre les femmes en Iran
Rapport de avril 2025 : Le sinistre record d'exécutions de femmes – Le mois de janvier 2025 a été marqué par une vague de protestations dans tout l'Iran, les femmes jouant un rôle de premier plan. De Téhéran à des villes plus petites comme Sanandaj et Ilam, des femmes de tous âges sont descendues dans la rue pour réclamer la justice, une aide économique et la fin de la discrimination. Leur présence a été frappante, démontrant une résistance inébranlable face à une répression croissante.
À l'aube du mardi 8 avril 2025, les murs de la prison de Vakilabad à Machhad ont été témoins d'une scène sombre et douloureuse. Au moins dix personnes ont été pendues, parmi lesquelles trois femmes. Exactement une semaine plus tard, le mardi 15 avril 2025, une autre femme opprimée a été pendue à la prison de Choubindar, à Qazvin.
Le lundi 28 avril, Marjan Sabzi, une nouvelle victime, a été pendue dans la prison de Dastgerd à Ispahan, en même temps que six autres détenus.
Avec l'exécution de ces cinq femmes en avril, le nombre de femmes exécutées en Iran en 2025 atteint désormais treize. Ces femmes étaient les victimes des conditions économiques désastreuses, de l'injustice structurelle et de la pauvreté chronique qui marginalisent des milliers de femmes en Iran.
Marzieh Esmaili, âgée de 39 ans et mère d'une adolescente, a été pendue à Qazvin pour avoir prétendument transporté 600 grammes de drogues contre seulement 10 millions de tomans (environ 100 dollars). Vivant dans une pauvreté absolue, Marzieh Esmaili n'avait aucun soutien social ou juridique. Elle n'avait ni famille ni les moyens financiers de se payer un avocat.
L'identité des trois autres femmes exécutéesà Vakilabad demeure inconnue, bien que l'une d'entre elles ait été accusée de meurtre. Les détails de son affaire restent flous, mais, comme dans de nombreux cas similaires, cette femme n'a pas bénéficié d'un procès équitable, ni d'un accès à un avocat indépendant, ni d'une réelle possibilité de se défendre. La majorité des femmes exécutées dans de telles conditions avaient auparavant été victimes de mariages précoces et de violences domestiques, des cris de détresse qui n'ont jamais trouvé écho.
L'exécution de ces femmes, perpétrée dans le lourd silence des médias d'État, ne représente qu'une partie du bilan sanglant d'un régime qui détient le triste record mondial d'exécutions de femmes, et qui instrumentalise la violence institutionnalisée contre les femmes pour assurer sa survie.
Dans son rapport annuel 2024, Amnesty International a indiqué que plus de 64% des exécutions mondiales avaient été recensées en Iran.
Comparaison statistique des exécutions de femmes en Iran
Sur une période de huit ans, de 2013 à 2020, au moins 120 femmes ont été exécutées en Iran. Durant ces années, la moyenne annuelle d'exécutions de femmes était de 15. Ainsi, en 2024, lorsque 34 femmes ont été exécutées, le nombre de femmes exécutées a plus que doublé par rapport à cette moyenne, signalant une augmentation alarmante.
Depuis l'arrivée au pouvoir d'Ebrahim Raïssi en 2021, le nombre d'exécutions, y compris celles des femmes, a fortement augmenté. Après la mort de Raïssi, le 19 mai 2023, et l'ascension de Massoud Pezeshkian en août 2023, cette tendance à la hausse s'est poursuivie, avec une rapidité encore accrue.
Au cours des 34 mois de la présidence de Raïssi, 63 femmes ont été exécutées, soit une moyenne mensuelle de 1,85 femme exécutée. Après la mort de Raïssi, la moyenne est montée à 3,3 femmes exécutées chaque mois.
Au cours de l'année 1403 du calendrier persan (du 20 mars 2024 au 20 mars 2025), 38 femmes ont été exécutées en Iran, marquant une hausse de 90% par rapport à l'année précédente.
De plus, en seulement neuf mois après l'arrivée au pouvoir de Pezeshkian, le nombre total de victimes d'exécutions en Iran a dépassé 1 000. Sur toute l'année 2024, plus de 1 000 exécutions ont été enregistrées.
Ces faits démontrent encore une fois que, peu importe qui occupe la présidence sous le régime clérical, la politique de répression brutale et de violations systématiques des droits humains reste une caractéristique intrinsèque de la dictature religieuse au pouvoir en Iran.
Femmes, cibles d'une cruauté et d'une violence organisées
L'exécution de femmes en Iran, sous le régime misogyne des mollahs, n'est pas seulement une vengeance contre quelques condamnées. Ce régime utilise les corps et les âmes des femmes pour semer la peur, humilier et exercer son contrôle. Les femmes qui osent élever la voix, tout comme celles qui tombent silencieusement victimes de la pauvreté et de la discrimination, sont toutes la cible d'une violence gouvernementale organisée.
Mortes à l'aube, la poursuite du massacre des femmes de 1988
Bien que lors des récentes exécutions, ces femmes n'aient pas été accusées de délits politiques, leurs exécutions étaient entièrement politiques, visant à faire taire les voix de la protestation et de la justice. Les voix des femmes exécutées au cours de près d'un demi-siècle de domination cléricale, uniquement pour leurs croyances, résonnent encore dans l'histoire. Des potences de Vakilabad aux salles de la mort d'Evin, leur résistance étouffée demeure vivante. Celles qui réclamaient justice devant le monde entier nous rappellent que le courage, même réduit au silence, ne meurt jamais.
Les cris des femmes exécutées en 1988 résonnent au printemps 2025
Avril 2025 a été marqué par une révélation nouvelle et terrifiante émanant du cœur du régime. Un enregistrement audio récemment publié par Hossein Ali Montazeri a exposé l'exécution massive de 300 femmes membres de l'OMPI (Organisation des Moudjahidines du Peuple d'Iran) durant l'été 1988. Parmi ces femmes figuraient également deux ressortissantes françaises.
Dans cet enregistrement diffusé par la BBC en avril 2025, Hossein Ali Montazeri, alors dauphin désigné de Khomeini, critique ouvertement la décision d'exécuter en masse les femmes membres de l'OMPI pendant l'été 1988. Cet enregistrement capture une conversation entre Montazeri et les membres de la « Commission de la mort » à la prison d'Evin, révélant des crimes où les principales victimes étaient de jeunes femmes exécutées uniquement pour leurs convictions politiques, sans avoir commis aucun acte criminel.
Montazeri évoque spécifiquement l'exécution d'environ 300 femmes de l'OMPI, dont deux françaises, précisant que celles-ci auraient pu être utilisées comme levier diplomatique. Il cite également l'exemple d'une jeune sympathisante de l'OMPI condamnée à mort uniquement en raison de son opposition idéologique au régime, alors qu'elle n'avait aucun antécédent criminel.
Dans cet enregistrement, Montazeri remet en question la légitimité religieuse d'exécuter des femmes, soulignant que même selon la jurisprudence chiite, de telles exécutions sont injustifiables. Il insiste sur le fait que nombre de ces femmes avaient été emprisonnées simplement pour avoir lu ou distribué des tracts.
Cette révélation met une nouvelle fois en lumière le massacre sanglant des femmes durant l'été 1988 – une violence qui était non seulement politique mais également profondément idéologique et misogyne. Cette bande audio constitue un témoignage historique du rôle central joué par les femmes dans la résistance et du prix qu'elles ont payé dans leur lutte contre la dictature misogyne au pouvoir en Iran.
Solidarité dans les prisons de femmes contre la peine de mort
Face à la brutalité croissante du régime, les prisonnières d'Evin à Zahedan ont élevé leur voix plus fortement contre la peine de mort. La campagne « Mardi non aux exécutions », qui a vu une large participation des prisons pour femmes, continue de s'amplifier chaque semaine.
Le dernier mardi d'avril 2025, la campagne « Mardi non aux exécutions » a franchi une nouvelle étape dans la dénonciation des crimes du régime et la protestation contre la vague croissante d'exécutions en Iran. Ce jour-là, les voix de protestation des prisonniers politiques à travers tout le pays, notamment dans les sections féminines des prisons, ont été entendues dans le monde entier, mettant une fois de plus en lumière la résistance héroïque des prisonnières contre les exécutions et la répression.
Lors de la 64ᵉ semaine de la campagne, à la mi-avril, le quartier des femmes de la prison de Zahedan a également rejoint le mouvement. Désormais, le nombre de prisons féminines participant à la campagne s'élève à dix, incluant Evin à Téhéran, Adelabad à Chiraz, Lakan à Rasht, Dizelabad à Kermanchah, Choubindar à Qazvin, la prison centrale de Sanandaj, la prison centrale d'Ourmieh, ainsi que les prisons de Marivan, Kamyaran et Zahedan.
Ces jours marqueront l'histoire des prisonniers politiques en Iran, en particulier celle des prisonnières. Elles inscrivent leur appel dans la conscience universelle des droits humains : personne ne doit être exécuté.
Les familles des prisonniers condamnés à mort ne restent pas silencieuses
Parallèlement à la campagne « Mardi non aux exécutions », désormais active dans 41 prisons à travers le pays, les familles des prisonniers politiques poursuivent également leurs rassemblements de protestation.
Lors de ces rassemblements, auxquels participaient les mères et pères âgés de ces prisonniers, les manifestants brandissaient les photos de 10 prisonniers politiques de l'OMPI condamnés à mort et scandaient des slogans tels que « Non aux exécutions » et « Non aux condamnations répressives ».
Les rassemblements des familles de prisonniers politiques reflètent une opposition généralisée à la répression et aux lourdes peines infligées aux prisonniers politiques en Iran.
Le mardi 29 avril, en plus d'un groupe de familles de condamnés à mortqui s'est réuni devant la prison d'Evin, des jeunes des villes de Boukan, Racht et Shahriar ont également mené des actions de protestation contre la peine de mort, exprimant leur solidarité avec les prisonniers en grève de la faim dans le cadre de la campagne « Les mardis contre les exécutions ».
Pendant ce temps, les prisonnières politiques en grève de la faim dans le quartier des femmes de la prison d'Evin ont organisé une manifestation à 11 heures dans la cour du quartier, en solidarité avec les familles rassemblées à l'extérieur.
En marchant et en scandant des slogans, elles ont exigé l'arrêt des exécutions ainsi que la libération des prisonniers politiques.
Un appel aux consciences éveillées du monde entier
Le rythme d'exécutions sans précédent en 2024 et 2025, notamment la brutalité ciblant les femmes et les mineurs, constitue un véritable signal d'alarme pour les consciences éveillées du monde entier.
La Commission des Femmes du Conseil National de la Résistance Iranienne renouvelle son appel aux gouvernements du monde entier, toute relation avec le régime iranien doit être conditionnée à l'arrêt des exécutions et de la torture en Iran.
https://wncri.org/fr/2025/04/30/rapport-de-avril-2025/
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Lutte de masse en Inde contre la culture du viol

Le 14 août 2024 à 23h55, les rues du Bengale, habituellement désertes à cette heure-ci, étaient bondées d'Indiennes revendiquant leur moitié de ciel. À l'approche du 77e anniversaire de l'indépendance du pays, elles ont fait de cette nuit leur propre fête en exigeant la fin de la culture du viol, qui sape toute notion d'indépendance.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/05/lutte-de-masse-en-inde-contre-la-culture-du-viol/
Avec l'aimable autorisation de la revue Inprecor
Presque tous les coins et recoins étaient occupés par des femmes : des travailleuses de différents secteurs confrontées au harcèlement sexuel sur leur lieu de travail ; des étudiantes dans les écoles, les collèges et les universités qui doivent se battre pour s'affirmer sur leurs campus centimètre par centimètre ; des femmes entravées par la corvée quotidienne des tâches ménagères ; des médecines, des infirmières, des enseignantes et des employées de maison qui sont toutes descendues dans la rue pour protester.
Cinq nuits plus tôt, une interne avait été violée et assassinée dans une salle de réunion pendant son service de nuit. Ses parents avaient été informés qu'elle s'était « suicidée » et avaient dû attendre trois heures avant d'être autorisés à entrer dans la salle.
Des rumeurs ont circulé sur sa santé psychologique. Le directeur de la faculté de médecine RG-Kar a même fait une remarque honteuse, en demandant ce « que faisait cette jeune fille si tard » dans la salle de réunion. Le rapport d'autopsie avait déjà révélé qu'elle avait été violée avant d'être étranglée.
Les propos du directeur ont suscité une vague d'indignation. Un appel à une manifestation « Reprenons la nuit » (Take Back the Night) à la veille du Jour de l'Indépendance en Inde s'est répandu comme une traînée de poudre, déclenchant dans le pays un vaste mouvement, d'une ampleur inédite depuis dix ans. Rien qu'au Bengale-Occidental, environ 250 lieux de manifestation ont été organisés dans les villes, les chefs-lieux de district et les villages, où des femmes et des personnes transgenres et queer ont bravé les couvre-feux pour occuper les rues et réclamer justice.
La nuit du 14 août s'est avérée historique
Ce n'était pas la première fois que la campagne « Reprenons la nuit » était organisée pour protester contre le harcèlement sexuel dans le pays. Ce n'était pas non plus la première fois que des femmes indiennes en colère manifestaient massivement, en solidarité, pour réclamer justice contre le viol et le harcèlement sexuel.
Ce n'était pas non plus la première fois qu'un crime aussi brutal était commis en Inde. Dans l'Inde d'aujourd'hui, où les pouvoirs en place entretiennent une culture du viol, régime après régime, ce qui s'est passé à RG-Kar ne fait pas exception. Dans l'Inde d'aujourd'hui, dirigée par un régime de droite fasciste dont les dirigeants sont ouvertement misogynes et ont utilisé le viol comme arme politique pour réprimer la dissidence et réduire les femmes au silence, ce meurtre et les graves dénis de justice commis par les autorités sont devenus la norme.
Mais ce qui était historique dans cette manifestation, c'était l'élan spontané des femmes. Dans différentes régions du Bengale-Occidental, des femmes avaient organisé des manifestations pour revendiquer la nuit, réclamer justice pour les victimes, exiger des transports publics sûrs pour les femmes, des toilettes publiques, exiger la mise en place d'un comité interne des plaintes fonctionnant sur chaque lieu de travail, et revendiquer les droits fondamentaux du travail pour les femmes dans les secteurs organisés et non organisés.
Pour beaucoup de ces femmes, c'était leur première manifestation. Pour beaucoup, c'était aussi leur première nuit sous le ciel étoilé. Pour beaucoup, c'était la première fois qu'elles lançaient des slogans.
Un carnaval de la résistance
Pour beaucoup, c'était aussi leur première expérience d'organisation politique. Des travailleuses précaires ubérisées, en uniforme, partageaient leurs expériences de harcèlement au travail. Des infirmières d'hôpitaux privés et publics parlaient du manque d'infrastructures pour exercer leurs fonctions de nuit en toute sécurité. Des artistes de théâtre parlaient du harcèlement auquel elles sont confrontées.
Des femmes, des personnes queer et transgenres avaient voyagé deux à trois heures pour se rendre sur les lieux de manifestation. Constatant l'absence de transports en commun, elles ont formé des groupes pour organiser voyages et venir ensemble.
Des femmes des bidonvilles voisins partageaient leurs expériences de harcèlement et de violence à la maison ou au travail. Des mères venaient avec leurs filles. Des sœurs venaient ensemble. Lors des rassemblements, de vieilles amies se retrouvaient. C'était un véritable carnaval de la résistance.
Des inconnu·es ont ouvert leurs portes toute la nuit pour permettre aux manifestant·es d'utiliser leurs toilettes. Les coopératives de marché du quartier ont gardé leurs locaux ouverts aux femmes. Des étudiantes des campus universitaires publics voisins ont négocié avec leurs autorités pour que les portes des campus et les foyers pour femmes restent ouvertes. Certaines femmes sont sorties de chez elles, sans être accompagnées par un homme, la nuit, déterminées à revendiquer leur propre espace public et à organiser des manifestations dans leur quartier.
« Azaadi »
Aux cris de « Azaadi » (« Liberté »), les femmes ont revendiqué d'être libérées du viol, de la violence domestique, du harcèlement au travail, de la surveillance morale, de la pénibilité des tâches ménagères, des salaires discriminatoires au travail, des remarques condescendantes des pères et des frères, de ce système capitaliste patriarcal et brahmanique. Des femmes brandissaient haut le drapeau rouge, tandis que des personnes queer et trans arboraient des drapeaux arc-en-ciel.
Des femmes portaient des portraits de révolutionnaires, rappelant l'héritage de la résistance féminine. Un immense drapeau rouge, orné du portrait de la révolutionnaire indienne martyre Pritilata Waddedar, flottait haut, veillant sur celles et ceux qui se considéraient comme ses camarades [1].
Il y avait des affiches faites à la main par des mains inexpérimentées, des slogans criés par celles qui étaient conditionnées à ne jamais élever la voix. Il y avait des chants, des performances, des partages d'expériences, tandis que les femmes passaient la nuit sous le ciel à discuter, crier, s'écouter, s'appuyant les unes sur les autres.
Pourtant, à mesure que la nuit avançait, les nouvelles d'une attaque contre les médecins grévistes de RG-Kar ont commencé à affluer. Un groupe de voyous avait pénétré dans les locaux du sit-in, démontant le site, tabassant les médecins protestataires et tentant de détruire la scène sacrilège. Leur intention était manifestement de falsifier les preuves et de menacer les manifestant·es. Pendant ce temps, les policiers en service ont reçu l'ordre de détourner le regard.
Ce qui avait commencé comme une manifestation s'est transformé en un véritable mouvement, rassemblant des personnes jusque-là indifférentes au sang versé dans les rues. Ce mouvement comprenait que la dignité et la sécurité des femmes sont liées au droit à un système de santé publique qui soigne les citoyens ordinaires. Or, ce système s'effondre sous l'effet de la corruption, mettant même en danger la vie des patient·es.
Culture de l'impunité, privatisation et État néolibéral
L'impunité et le message envoyé par l'énorme démonstration de force mise en œuvre pour vandaliser et détruire le lieu de manifestation de RG-Kar, ont libéré une colère qui couvait dans le pays depuis une décennie. Celles et ceux d'entre nous qui étaient étudiant·es lors de l'affaire du viol de Delhi en 2012 – où une jeune femme de la classe moyenne, brutalement violée et torturée par plusieurs hommes, a succombé à ses blessures – avaient vu des milliers d'étudiantes et de femmes de la classe moyenne occuper les rues pour réclamer justice.
Les manifestations avaient alors suscité des débats houleux sur les violences sexistes. Plus tard, une commission judiciaire a signalé que l'insuffisance des infrastructures et les défaillances du gouvernement et de la police étaient la cause profonde des crimes contre les femmes. Ce tollé a conduit à une modification des lois sur le viol en Inde. Pourtant, dix ans plus tard, alors que nous descendons à nouveau dans la rue, nous sommes toujours confronté·es à une culture de l'impunité.
Presque tous les partis politiques – de la gauche parlementaire aux centristes en passant par la droite – ont à maintes reprises protégé des violeurs et entretenu la culture du viol pour consolider leur emprise électorale. La montée du fascisme hindouiste (Hindutva) a entraîné une explosion de violences sexistes atroces. Le viol a souvent été utilisé comme arme politique pour réprimer les manifestations et affirmer son autorité sur les minorités.
Cette culture de l'impunité, entretenue par le fait de protéger les violeurs, de falsifier les preuves et d'utiliser ouvertement l'appareil d'État pour les protéger, avait créé des précédents que tout parti au pouvoir pouvait suivre. Que le parti au pouvoir au Bengale-Occidental ait utilisé tous ses moyens pour couvrir les auteurs du crime de RG-Kar n'était donc guère surprenant. Pourtant, cette fois, cela a alimenté la colère d'une population qui semblait en avoir assez.
Du crime à la révolte revendicative
Le viol et le meurtre de RG-Kar ont peut-être suscité une telle indignation parce que la victime était médecin, une femme occupant un emploi de col blanc « honorable », agressée alors qu'elle était de garde dans un hôpital public. Cela signifiait que les femmes n'étaient nulle part en sécurité. Cela a également révélé l'inégalité de nos espaces de travail, conçus pour fragiliser les femmes actives, les personnes trans et queer. Des femmes actives, issues des secteurs organisés et non organisés, ont afflué aux rassemblements.
Des rassemblements ont été organisés par des travailleuses de l'anganwadi (centres de santé ruraux), des travailleuses des cantines, des agents de santé infantile (ICDS), des employées de maison, des informaticiennes et des travailleuses précaires. La revendication de justice et de dignité s'est également propagée sur les lieux de travail. Elles ont exigé que les employeurs rendent des comptes pour garantir la sécurité dans l'entreprise des femmes, des personnes transgenres et queer, et qu'ils désignent précisément des personnes chargées de lutter contre les violences de genre.
Alors qu'une telle indignation avait été absente dans les cas précédents de violence sexiste – quand le viol a été utilisé par l'État comme une des armes pour réprimer les mouvements dans l'arrière-pays, quand la violence sexiste a été utilisée pour perpétuer les atrocités de caste ou pour intensifier l'occupation – les manifestations autour de l'agression de R.G.-Kar ont ouvert des possibilités de discussions autour des implications de tous ces silences.
L'état déplorable du système de santé
Le mouvement « Reprenons la nuit » a lancé un débat sur la justice de genre, dénonçant l'échec des mécanismes institutionnels à garantir la sécurité et la dignité des femmes sur leur lieu de travail et dans l'espace public. Cette lutte contre l'impunité a également renforcé la voix des professionnels de santé, qui ont exprimé leurs inquiétudes face à la corruption qui gangrène les hôpitaux publics.
Des témoignages provenant de différents hôpitaux publics ont commencé à affluer, révélant un système plus vaste, conçu pour rendre les soins plus inaccessibles aux personnes marginalisées. Ces récits ont mis à nu un système fragile, avec des travailleur·ses surmené·es et à bout de souffle, un système délibérément rendu dysfonctionnel par les lobbys qui poussent le système de santé vers la privatisation.
L'état déplorable du système de santé publique indien était déjà apparu pendant la pandémie. Celle-ci a suscité des discussions sur les politiques d'ajustement structurel imposées comme conditions à des prêts bancaires, à la demande de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, dans les années 1980. Cela a ouvert la voie à la privatisation, déchargeant ainsi l'État de son rôle de principal garant et pourvoyeur des services de santé.
Le viol et le meurtre d'une interne d'un hôpital public ont révélé l'indifférence de l'État envers les professionnel·les de santé publique. On attend d'elles et eux qu'ils redoublent d'efforts face à l'effondrement rapide du système. Ce meurtre a d'ailleurs suscité un mouvement plus large, mené par les jeunes médecins des 22 facultés de médecine du Bengale, pour exiger un système de santé publique meilleur et plus sûr.
Les médecins protestataires ont appelé à une grève illimitée et ont organisé un sit-in devant le ministère de la Santé. Alors que le gouvernement tentait d'éteindre l'incendie en promettant d'assurer la sécurité dans les hôpitaux publics par le déploiement de forces de sécurité dans les locaux hospitaliers, les manifestant·es ont rejeté cette idée et ont rétorqué que leur sécurité ne serait assurée que par la démocratisation de l'espace de travail et la mise en place d'infrastructures pour mettre fin à la corruption et contribuer à la reconstruction d'un système détérioré.
Les revendications du mouvement ont trouvé un écho particulier auprès des classes moyennes et ouvrières, premières bénéficiaires du système de santé publique. Elles ont subi de plein fouet les coûts de la privatisation du secteur de la santé.
Les partis politiques d'opposition ont tout fait pour détourner le mouvement à des fins électorales, mais ils ont été rejetés par la plus grande masse des protestataires, qui avaient désormais constaté que la quasi-totalité des partis politiques parlementaires œuvraient au maintien du statu quo. Face à l'immense indignation publique, le gouvernement a été contraint de muter le commissaire de police qui avait fermé les yeux et facilité la falsification de preuves dans l'affaire RG-Kar.
Les médecins protestataires ont suspendu leur grève, mais ont été contraint·es d'entamer une grève de la faim face au refus du gouvernement de céder sur leurs autres revendications. Cependant, après une réunion avec le chef du gouvernement de l'État, qui a promis d'examiner leurs revendications, la grève a été interrompue.
Un verdict… et la bataille continue
Le tribunal a condamné un auxiliaire bénévole de la police de Calcutta à la réclusion à perpétuité pour le viol et le meurtre brutal d'une médecin résidente de 31 ans au RG Kar Medical College and Hospital. Ce verdict a encore alimenté les protestations, car le procès semblait occulter la complicité de l'État dans la protection du meurtrier et exonérer les autorités hospitalières de leur responsabilité de préserver la dignité et la sécurité de leurs employé·es.
Alors que le Bengale se prépare à une nouvelle bataille pour contester les failles du verdict, l'État réclame la peine capitale pour l'auteur du crime. Pourtant, c'est le parti au pouvoir qui a d'abord protégé l'accusé et est connu pour sa complicité avec des organisations criminelles impliquées dans diverses affaires de corruption.
Il est toutefois intéressant de noter que la revendication de la peine capitale n'était pas issue du mouvement des jeunes médecins ni des mouvements de revendication de la nuit. La lutte pour la justice de genre en Inde a historiquement milité contre la peine capitale, la dénonçant comme un outil de répression étatique conférant à l'État le monopole de la violence. L'État cherche à se débarrasser d'un individu tout en démissionnant de sa responsabilité à initier un changement systémique.
Le verdict est tombé quelques jours seulement après le décès d'une femme enceinte adivasi (membre des peuples autochtones) dans un autre hôpital public d'une ville de district du Bengale.
Elle est décédée après avoir reçu une solution saline toxique, interdite dans d'autres États. Pourtant, sous la pression d'une entreprise pharmaceutique, les hôpitaux publics du Bengale, peu soucieux de la vie des femmes marginalisées, continuent de l'utiliser. Une fois de plus, sa mort a mis en lumière les failles du système de santé publique, où l'État et le capital se soucient peu de la vie des femmes et des personnes marginalisées.
Le rôle d'un mouvement féministe de masse
Il est significatif que le mouvement féministe en Inde contre le harcèlement sexuel au travail ait commencé avec le viol par plusieurs hommes d'une travailleuse communautaire qui dirigeait un programme de sensibilisation de l'État dans son village contre le mariage des enfants.
Ce mouvement, au début des années 1990, s'est battu pour que l'État soit tenu responsable en tant qu'employeur. Il a pu affirmer légalement que le sexisme et le harcèlement sexuel au travail créent un environnement de travail hostile. Il est du devoir de l'employeur de garantir la sécurité et la dignité de ses travailleur·ses.
Trente ans plus tard, nos espaces de travail restent conçus pour rendre vulnérables les femmes, les personnes trans et queer, dont le travail est censé être bon marché. De plus, le pourcentage de femmes actives dans le secteur formel diminue à mesure que la dérégulation du travail féminin s'accentue.
Dans le secteur informel, les employeurs ne sont tenus ni de garantir des conditions de travail sûres, ni de respecter les réglementations protégeant les droits des travailleur·ses. En réalité, on peut affirmer que la lutte pour la dignité au travail ne se limite pas à l'affirmation de l'identité des femmes en tant que travailleuses, mais concerne aussi la valorisation du travail lui-même.
À l'heure où les politiques néolibérales permettent à l'État de se désengager des services publics, où les codes du travail sont réécrits pour criminaliser la syndicalisation et allonger les horaires de travail afin de renflouer les caisses des patrons, où les fermetures d'usines et la privatisation des services publics favorisent le dérèglement du travail, où l'État fasciste normalise chaque jour la violence, la bataille pour le pain et les roses risque d'être longue. Cette bataille nécessiterait une organisation accrue des travailleurs dans les champs et les usines, dans les foyers et les hôpitaux, dans les écoles et dans la rue, pour revendiquer chaque centimètre carré d'espace sûr, chaque nuit et chaque jour.
Jhelum Roy
Jhe lum Roy est doctorante à l'université de Jadavpur et membre du groupe féministe Feminists in resistance, à Calcutta ; Publié par Against the Current n°235 (mars-avril 2025), traduit par Sylvie Parquet
https://againstthecurrent.org/atc235/india-mass-struggle-vs-rape-culture/
[1] Pritilata Waddedar (1911-1932), membre de l'Armée républicaine indienne, dirigea avec quinze autres personnes une attaque armée contre un club européen. Blessée par balle à la jambe, elle s'empoisonna au cyanure pour éviter d'être capturée par la police coloniale. Prévoyant la possibilité de sa mort, elle portait dans sa poche une lettre, « Inquilab Zindebad » (longue vie à la Révolution), qui a inspiré d'autres femmes depuis. Pritilata est la première femme martyre du Bengale et est considérée comme une icône révolutionnaire.
Publié dans Inprecor n°731 d'avril 2025
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Le président de l’UE devrait faire l’objet d’une enquête pour complicité dans les crimes de guerre d’Israël, selon un expert de l’ONU sur la Palestine

« Je ne suis pas quelqu'un qui dit : 'L'histoire les jugera' - ils devront être jugés avant cela », a déclaré Francesca Albanese dans une interview exclusive.
Tiré de The Intercept
https://theintercept.com/2025/05/03/eu-israel-palestine-war-crimes-accountability/
Arthur Neslen
3 mai 2025 04:00
En tant que La Cour de justice franchit les prochaines étapes de l'enquête et de la poursuite des crimes de guerre dans la guerre d'Israël contre Gaza, le principal expert de la Palestine aux Nations Unies fait pression pour encore plus de responsabilité internationale.
Dans une interview exclusive de grande envergure accordée à The Intercept, la rapporteuse spéciale de l'ONU pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, a appelé à ce que les hauts responsables de l'Union européenne – y compris la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen – soient accusés de complicité de crimes de guerre pour leur soutien à Israël lors de son assaut de 18 mois sur Gaza.
« Ils devront comprendre que l'immunité ne peut pas être synonyme d'impunité. »
« Le fait que les deux plus hautes personnalités de l'UE continuent de s'engager comme d'habitude avec Israël est plus que déplorable », a déclaré Albanese. « Je ne suis pas quelqu'un qui dit : « L'histoire les jugera » – ils devront être jugés avant cela. Et ils devront comprendre que l'immunité ne peut pas être synonyme d'impunité.
Israël a tué plus de 50 000 personnes et détruit la quasi-totalité des infrastructures civiles de Gaza depuis une attaque du Hamas en octobre 2023. La plupart des morts étaient des civils, dont des dizaines de milliers de femmes et d'enfants.
L'objectif initial d'Israël de restituer les otages pris par le Hamas s'est transformé en une vision soutenue par les États-Unis pour nettoyer ethniquement les Palestiniens de Gaza. À cette fin, l'armée israélienne a intensifié ses attaques meurtrières, ainsi qu'un embargo étanche sur la nourriture, l'eau, l'électricité et l'aide.
« Il est impossible de ne pas y voir une intention d'extermination », aécrit l'ancien chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, à la fin du mois dernier.
Une plainte contre Leyen, le président de la Commission européenne, a été déposée devant la Cour pénale internationale en mai dernier pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité à Gaza.
Depuis son entrée en fonction en décembre, la nouvelle chef des Affaires étrangères du bloc, Kaja Kallas, a accusé le Hamasd'être responsable de la décision d'Israël de mettre fin à son cessez-le-feu en mars, de maintenir des relations diplomatiques normales et de « manifester sa solidarité avec Israël ».
« La Convention sur le génocide de 1948 appelle les signataires non seulement à punir, mais aussi à prévenir le génocide », a déclaré Mouin Rabbani, analyste du Moyen-Orient et chercheur non résident au Center for Conflict and Humanitarian Studies. « Ici, nous avons les deux hauts responsables de l'UE qui non seulement refusent de prendre des mesures, même symboliques, pour prévenir le génocide, mais qui le normalisent et le soutiennent activement, en sachant pertinemment que leur soutien permet les crimes auxquels ils s'opposent nominalement. »
« Bien sûr, les points et les observations du Rapporteur spécial Albanese sont justes et tout à fait corrects. »
Un porte-parole de la Commission européenne, l'organe exécutif de l'UE, a insisté sur le fait que le bloc était toujours attaché au droit international, affirmant que les relations commerciales et diplomatiques des Européens avec Israël permettaient aux responsables d'exprimer leurs « positions et préoccupations ».
La porte-parole, Gioia Franchellucci, a déclaré : « L'accord d'association avec Israël est la base juridique de notre dialogue en cours avec les autorités israéliennes et il fournit des mécanismes pour discuter des questions et faire valoir nos points de vue. »
À la fin de l'année dernière, The Intercept a révéléqu'un rapport interne rédigé par un haut responsable des droits de l'homme de l'UE appelait les pays européens à suspendre toutes leurs relations politiques et le commerce d'armes avec Israël en raison de preuves de crimes de guerre.
Au-delà de demander des comptes aux dirigeants de l'UE, Albanese a déclaré qu'elle travaillait sur un rapport qui exposera les banques, les fonds de pension, les entreprises technologiques et les universités pour leur complicité dans la destruction de Gaza.
« Tous ceux qui sont impliqués dans l'occupation illégale, en lui apportant un soutien, aident et encouragent les violations du droit international et les violations des droits de l'homme, dont un certain nombre constituent des crimes », a-t-elle ajouté. « Il peut y avoir une responsabilité individuelle et une responsabilité individuelle pour ceux qui ont aidé et encouragé ou permis de tels crimes. »
La guerre d'Israël contre Gaza
Bien que l'International La Cour pénale a émis des mandats d'arrêt contre des dirigeants israéliens, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu, William Schabas, professeur de droit international à l'Université de Middlesex, un expert en génocide, qui a déclaré que poursuivre un haut responsable de l'UE romprait avec le précédent.
« Il est clair qu'il y a une affaire », a-t-il déclaré. « Tous les partisans d'Israël dans le monde ne sont pas des « complices », mais elle est à la tête d'une organisation intergouvernementale très importante et encourage Israël. Mais je pense qu'il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que le procureur de la CPI s'en occupe parce qu'il n'a émis que quelques mandats d'arrêt identifiant des personnes du gouvernement israélien et n'a montré aucun intérêt à aller plus loin que cela.
« Von der Leyen reflète clairement une position prise par de nombreux gouvernements de l'UE, qui est un soutien très inconditionnel à Israël, et ils le font en allant à l'encontre d'informations publiques suggérant qu'Israël commet des crimes terribles à Gaza et en Cisjordanie. »
Les derniers appels à la responsabilité juridique interviennent alors que l'audience publique de la Cour internationale de justice se poursuit sur les obligations d'Israël de permettre à l'aide humanitaire – et aux agences d'aide – d'accéder aux territoires palestiniens occupés.
Le tribunal a précédemment statué que les actions d'Israël à Gaza pourraient vraisemblablement équivaloir à un génocideet a ordonné à Israël d'autoriser davantage d'aide.
La question a déclenché des bouleversements politiques mondiaux et, tout en la minimisant, Albanese a déclaré qu'elle et sa famille avaient fait l'objet de menaces de mort depuis la publication de son rapport « Anatomie d'un génocide » en mars 2024.
« Je viens d'un endroit qui m'a appris que la mafia tue par le silence. Ça tue quand les gens ne réagissent pas.
« Ma sécurité est devenue de moins en moins certaine depuis que j'ai présenté mon rapport surl'anatomie d'un génocide », a déclaré Albanese. « J'ai reçu des appels au milieu de la nuit qui me menaçaient, moi, des membres de ma famille, mes enfants. Bien sûr, je ne peux pas vous dire que je suis en sécurité à 100 %. Bien sûr, je prends des précautions. Bien sûr, là où je vis, j'ai une protection – on ne sait jamais ! – mais en même temps, je ne me laisserai pas paralyser à cause de ces techniques de style mafieux.
« Je viens d'un endroit qui m'a appris que la mafia tue par le silence », a-t-elle déclaré. « Ça tue quand les gens n'y réagissent pas. C'est pourquoi je suis si motivé dans ce que je fais. Je continuerai à parler jusqu'à ce que je n'aie plus d'air dans mes poumons.
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Dans l’Alabama, Trump laisse les plus pauvres dans leurs eaux usées

Revenu à la Maison Blanche depuis 100 jours, Donald Trump s'en prend maintenant aux programmes de justice environnementale. Dans l'Alabama, il a annulé un accord pour lutter contre l'absence de systèmes d'assainissement.
Tiré de Reporterre
2 mai 2025
Par Edward Maille
Fort Deposit, Calhoun (Alabama, États-Unis), reportage
Terri Wewell, représentante démocrate au Congrès, est sur scène et dénonce les politiques de Donald Trump. Épaulée par des experts, elle parle de l'importance des aides sociales et des assurances maladie. Mais, depuis les gradins de l'auditorium de Fort Deposit (Alabama), la plupart des questions concernent les problèmes de fosses septiques. Cette préoccupation des habitants du comté de Lowndes fait suite à l'annulation par le ministère de la Justice d'un accord de « justice environnementale » avec les autorités de santé de l'Alabama, qui risque de renforcer la catastrophe sanitaire en cours dans la région.
L'objectif était de remédier au manque de systèmes d'assainissement pour évacuer les eaux usées d'habitations dans le comté. Le gouvernement a justifié cette décision en s'appuyant sur les politiques de Donald Trump contre les mesures de « diversité, équité, et inclusion ». La rhétorique républicaine est que ces programmes sont une forme de discrimination et favoriseraient certaines populations.
« Jamais vu une telle situation dans un pays développé »
Devant la foule, l'élue Terri Sewell est formelle : « Cela n'a rien à voir avec une initiative de diversité, équité et inclusion. C'est une crise de santé publique à propos d'un droit humain fondamental. Personne, surtout dans ce grand pays, ne devrait avoir des eaux usées dans son jardin. » En 2022, 80 % des foyers du comté n'avaient pas de système d'évacuation des eaux usées convenable, selon le journal Montgomery Advertiser.
En 2017, Philip Alston, envoyé spécial des Nations unies en visite dans la région, a affirmé qu'il n'avait « jamais vu une telle situation dans un pays développé ». La même année, une étude tirait la sonnette d'alarme sur des parasites intestinaux très répandus chez les habitants, à cause de l'insalubrité.
La maison de Willie Perryman, à Calhoun (Alabama), dans l'un des comtés les plus pauvres des États-Unis. © Edward Maille / Reporterre
La région se trouve dans la « Black Belt », le nom donné au croissant géographique formé par des comtés du sud-est du pays avec une majorité d'habitants noirs. La situation dure depuis trente ans dans cette région rurale, où la distance entre les maisons rend impossible le raccord à un système d'égout.
Flaques d'eaux usées
Dans la commune de Calhoun, une dizaine de kilomètres au nord de Fort Deposit, Willie Perryman est assis à côté de sa femme devant leur maison. Leur petit-fils tente de faire voler un cerf-volant. Deux chiots gambadent et s'aventurent à l'arrière de la maison, où l'enfant, lui, n'a pas le droit d'aller. « Je ne veux pas qu'il marche dans les microbes », dit Willie Perryman, 70 ans, se déplaçant avec sa canne.
Willie Perryman, 70 ans, devant sa maison de Calhoun (Alabama). © Edward Maille / Reporterre
De l'autre côté du bâtiment en tôle, un tuyau de PVC sort du mur avant de s'enfoncer dans la forêt. La canalisation laisse sur son passage une flaque d'eaux usées. « Ce sont mes urines et mes microbes qui fuient, explique Willie Perryman. J'ai besoin que quelqu'un s'en occupe. Je suis en colère, car je n'arrive pas à avoir de l'aide. » Le propriétaire n'a pas les moyens d'installer un système d'assainissement, et il n'est pas le seul.
Faute de moyens pour installer un système d'assainissement, de nombreux habitants de l'Alabama évacuent leurs eaux usées par de simples tuyaux qui vont les déverser dans la nature, à l'écart de la maison. © Edward Maille / Reporterre
Les tuyaux en PVC ont régulièrement des fuites, inondant d'eaux usées le jardin des personnes qui les utilisent. © Edward Maille / Reporterre
Le sol, dont la fertilité a jadis concentré les plantations esclavagistes dans la région, est en partie responsable des difficultés pour installer un système d'assainissement. « Le sol de la Black Belt n'absorbe pas les liquides, ou très lentement. Avec un bon sol, l'eau s'enfonce d'un pouce [2,5 centimètres] toutes les 30 minutes. Ici, cela prend 240 minutes », explique Sherry Bradley, la directrice exécutive du Blackbelt Unincorporated Wastewater Program (BBUWP). Il faut donc installer des systèmes d'assainissement individuels sophistiqués, que l'association aide à mettre en place.
Mais les ressources manquent dans ce comté, l'un des plus pauvres du pays, où presque un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. « Quand vous avez de la pauvreté, avec ce type de sol, vous allez avoir des tuyaux de PVC, explique la directrice. Les gens n'ont pas les moyens pour des systèmes individuels. » Ces tuyaux sont une alternative à bas coût pour évacuer les eaux usées à quelques mètres de la maison, les déversant dans la nature, sans aucun traitement d'épuration. Ils peuvent aussi avoir des fuites, répandant leur contenu sur leur passage.
Les installations individuelles appropriées, elles, coûtent « entre 18 000 et 30 000 dollars », de sorte que, parfois, « l'installation du système coûte plus cher que la maison ».
Négligence de la part des autorités
L'accord de « justice environnementale » conclu sous la présidence de Joe Biden en 2023, reconnaissait une négligence de la part des autorités locales dans leur gestion de la situation sanitaire. Avant l'accord, le ministère de la Justice enquêtait sur les pratiques des autorités locales, les soupçonnant de discrimination envers la population en raison de l'absence de mesures suffisantes mises en place, dans un comté majoritairement noir.
Un tiers des habitants du comté de Lowndes vit sous le seuil de pauvreté. © Edward Maille / Reporterre
L'accord permettait aussi « que le ministère de la Justice s'assure de la bonne utilisation des fonds fédéraux pour l'installation des systèmes dans le comté de Lowndes », dit Deborah J. Stewart, consultante pour l'entreprise de conseil Avalon, qui travaille avec l'association Lowndes County Unincorporated Wastewater Program, également chargée d'installer des systèmes d'assainissement.
Une maison où l'association Blackbelt Unincorporated Wastewater Program aide à installer une fosse septique. © Edward Maille / Reporterre
La fin de l'accord n'annule pas pour autant pas tous les projets en cours. Il existe d'autres fonds publics et privés pour continuer ce travail d'installation de systèmes d'assainissement. Dans un communiqué, le département de la santé de l'Alabama a expliqué qu'il comptait « continuer à travailler [avec les partenaires qui reçoivent des fonds, pour les distribuer] à l'installation des systèmes septiques », comme prévu par l'accord « jusqu'à l'expiration des fonds déjà alloués ».
« Je devais choisir : Noël pour mes trois petits-enfants ou faire pomper les eaux usées »
« Nous continuons notre travail », assure Perman Hardy, la présidente de la BBUWP, qui préfère ne pas commenter la décision du gouvernement. La sexagénaire comprend la souffrance des habitants de la région, puisqu'elle en est aussi passée par là. Chez elle, il ne s'agissait pas de tuyaux PVC fuyant dans le jardin, mais d'une fosse septique défectueuse. Régulièrement, les eaux usées remontaient par ses toilettes. « Tous les deux ans, je devais choisir : Noël pour mes trois petits-enfants ou faire pomper les eaux usées. Je devais expliquer à mes petits-enfants de 2, 5 et 7 ans pourquoi ils n'allaient pas avoir de Noël cette année », raconte-t-elle.
Sherry Bradley et Perman Hardy devant les locaux de l'association Blackbelt Unincorporated Wastewater Program à Haynville (Alabama). © Edward Maille / Reporterre
Le dilemme a duré une vingtaine d'années, jusqu'à ce que Perman Hardy apprenne que son système avait besoin d'une pompe. « Les personnes qui ont installé le système ont profité de moi », dit-elle. Le problème est aujourd'hui réglé. La chasse d'eau peut être tirée, même « pendant un orage ». De quoi motiver l'engagement de la présidente de l'association : « J'espère qu'avec notre travail, les gens pourront ressentir la même chose que moi. »
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Allemagne : Le succès de la 6e conférence syndicale de la Fondation Rosa Luxemburg

La 6e conférence syndicale de la Fondation Rosa Luxemburg (RLS) s'est tenue du 2 au 4 mai 2025 à Berlin. Avec plus de 3000 participant.es, ce fut le plus grand rassemblement de syndicalistes de gauche depuis des décennies – un indicateur impressionnant de la volonté d'organiser un contre-pouvoir face à des vents contraires de plus en plus violents.
6 mai 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
L'affluence était telle que les salles étaient pleines à craquer – un défaut dans l'organisation que la plupart des personnes présentes ont toutefois supporté avec patience et bonne humeur. Même si l'ambiance était chaleureuse, tout le monde était conscient que des temps plus difficiles sont à venir – et pas seulement à cause du nouveau gouvernement.
Plus que de simples retrouvailles
Cette conférence a été bien plus qu'une réunion de vétérans du syndicalisme. Elle a envoyé un message politique : la base vit, s'organise – et pose des questions qui vont au-delà du contenu des conventions collectives et des luttesnautour deéleur renouvellement. Son rayonnement a dépassé la clientèle classique de Die Linke et a attiré un grand nombre de personnes actives dans les syndicats – qu'elles soient proches du parti ou non, organisées ou non.
Les militants d'entreprise et les luttes des secteurs du mouvement syndical marqués par l'immigration étaient encore plus visibles que lors des conférences précédentes. La tribune n'a pas été monopolisée par des représentant.e.s de premier plan des directions des syndicats et des milieux officiels, mais surtout par des collègues impliqué.es dans des conflits d'entreprise – de Tesla, Charité Facility Management (CFM), du commerce de détail et autres.
Entre espoir et inquiétude
L'atmosphère était électrisante, presque euphorique – un mélange d'espoir, de sensation de renouveau et de combativité - et en même temps plus sérieuse et soucieuse que d'habitude, à la mesure de la situation actuelle. Régulièrement, des applaudissements éclataient, des slogans, des chants et même des larmes accompagnaient en particulier les discours combatifs. On sentait une aspiration au respect et à la dignité, à une époque où les humiliations et les abus dont sont victimes les travailleurs et les travailleuses sont devenus monnaie courante dans la société.
À la marge, il y a eu – comme toujours – des exagérations et des critiques. Certains groupes sectaires se sont fait remarquer de manière fâcheuse : Leur « critique » de Die Linke – par exemple l'affirmation selon laquelle « seul l'AfD est encore un parti pour la paix » - a suscité l'incompréhension de beaucoup. Une exagération qui n'est pas seulement bancale d'un point de vue analytique, mais dont l'effet peut être dangereux. Une chose est apparue clairement : La bataille antimilitariste a besoin d'une autre base – une base qui unit et non qui divise.
Et c'est exactement ce qu'a offert la conférence, y compris sur cette question : aucune hésitation à manifester sa solidarité avec la Palestine et le mouvement de solidarité en Allemagne. Au contraire – personne ne contestera qu'il s'agit aujourd'hui de l'expression la plus développée de la solidarité internationale dans le mouvement syndical.
Le rôle des appareils, dont l'aile gauche a fortement contribué à la tenue de cette conférence, mériterait quant à lui d'être examiné de manière plus critique. Car c'est justement cette partie de la bureaucratie syndicale qui perçoit tout mouvement de transformation des structures syndicales – non pas toujours avec une franche hostilité, mais avec tout de même avec un scepticisme foncier.
Orientation et objectifs
Le thème de la conférence était « aller vers plus de conflits, plus de démocratie, plus de politique » - et c'est précisément cette ligne qui a traversé de nombreuses discussions. L'un des thèmes centraux était le suivant : la formule actuelle de ces conférences est-elle suffisante pour promouvoir une politisation syndicale en profondeur ?
L'une des choses qui ressort clairement, c'est que la manière dont le syndicat est organisé fait toute la différence – et plus encore. Les méthodes d'organisation qui se limitent aux luttes tarifaires et pour le renouvellement des conventions collectives au sein des entreprises ne sont pas suffisantes. Il faut établir un lien stratégique entre le travail quotidien dans l'entreprise et la politisation de la société - sans faire de la politique par procuration, sans se contenter de créer des événements ponctuels. C'est dans ce contexte que la notion de « boulot de fond qui ne se voit pas » (“Kleinarbeit”) est devenue un mot-clé. Le moment où la propagande s'arrête et où commence l'organisation. Se tourner vers « le grand nombre » au lieu de se concentrer sur les milieux prétendument « progressistes ». Le fait de développer la culture du conflit de manière discrète mais continue. Sans faire de bruit, sans chercher la publicité - mais mettre le confdit au cœur de tout mouvement réel. Une réflexion particulière sur ce sujet mérite d'être poursuivie.
Quand la pratique rencontre la théorie : des espaces pour un apprentissage stratégique
L'atelier organisé avec Keith Brown de Labor Notes (USA) et animé par Violetta Bock a été un bel exemple d'éducation politique en lien avec des repères pratiques. Avec plus de 200 participant.e.s, il a compté parmi les événements les plus fréquentés de la conférence.
Le dosage était parfait : des exemples de la pratique de l'organizing aux Etats-Unis, des informations précises sur les luttes contre Trump et contre les entraves à la syndicalisation ("union busting ») - et en même temps des outils pour l'organizing sur son propre lieu de travail. Beaucoup sont ressortis de l'atelier avec le sentiment : je peux commencer dès demain.
Le fait que même le syndicat IGBCE (Chimie- énergie-mines) ait lui aussi découvert l'organizing pour redonner de la vigueur à ses équipes montre à quel point ces approches sont désormais au cœur du renouveau syndical.
Pas de paix avec le réarmement
Lors de la séance plénière de clôture, une prise de position claire contre le réarmement et l'industrie de guerre a été suivie d'un appel à se regrouper lors des prochains congrès syndicaux pour combattre la ligne d'adaptation de la direction. Il est encore trop tôt pour savoir combien de collègues s'engageront dans cette lutte. Mais l'appel est lancé.
Fanny Zeise, co-organisatrice de la conférence, a identifié trois piliers du renouveau syndical : « Plus de disponibilité pour les conflits, plus de démocratie et plus de politique – c'est ce qu'exige de nous le vent contraire du néolibéralisme qui ne cesse de progresser ».
Le futur gouvernement fédéral ne répond pas aux problèmes actuels, a déclaré Fanny dans son discours de samedi soir. Au contraire, il s'en prend à la journée de huit heures, obtenue de haute lutte il y a 100 ans. Il s'agit de construire une résistance avec la population et surtout dans les entreprises où les travailleurs sont prêts à faire grève.
Plus qu'un encouragement : un moment stratégique
La 6e conférence syndicale fut plus qu'un rendez-vous pour se donner du courage. Elle a été un point d'ancrage – peut-être même un tournant – pour un mouvement qui ne reste pas figé, mais qui veut repenser à la fois la conflictualité, la clarté politique et la façon de s'organiser pour rassembler. Ainsi, la Fondation Rosa Luxemburg n'a pas seulement mis à disposition un espace, mais elle a également consolidé - c'est le voeu que nous formons – une structure durable sur laquelle les syndicalistes de gauche pourront compter à l'avenir.
Michael Sankari
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde
Source - Internationale Sozialistische organisation, 06.05.2025 :
https://intersoz.org/zur-erfolgreichen-6-gewerkschaftskonferenz-der-rls/
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Le travail, l’État et le changement social

Commençons, comme le dit Nicos Poulantzas, par la création et le fonctionnement de l'État moderne dans sa matérialité d'appareil. Appareil spécialisé, centralisé, de nature proprement politique, consistant en un assemblage de fonctions anonymes, impersonnelles et formellement distinctes du pouvoir économique.
Par Ivonaldo Leite
Sociologue, Université Fédérale de Paraíba, Brésil
Spécificité donc de l'État moderne qui renvoie précisément à cette séparation relative du politique et l'économique, et à toute une réorganisation de leurs espaces et champs respectifs, impliquée par la dépossession totale du travailleur direct dans les rapports de production capitalistes.
Ces rapports sont le sol d'une réorganisation prodigieuse de la division sociale du travail dont ils sont cosubstantiels, réorganisation qui marque la plus-value relative et la reproduction élargie du capital au stade du machinisme et de la grande industrie. Cette division proprement capitaliste, sous toutes ses formes, représente la condition de possibilité de l'Etat moderne.
Alors, je ne prends ici qu'un seul cas de cette division, celui de la division entre travail manuel et travail intellectuel. Comme Marx l'a bien montré, cette division ne peut absolument pas être conçue sur le mode empirique-naturaliste, comme une scission entre ceux qui travaillent avec leurs mains et ceux qui travaillent avec leur tête. Elle renvoie directement aux relations politico-idéologiques telles qu'elles existent dans des rapports de production déterminés.
C'est-à-dire, il y a une spécificité de cette division dans le capitalisme, liée à la dépossession totale du travailleur direct de ses moyens de travail. Ce qui a comme effet : a) la séparation caractéristique des éléments intellectuels d'avec le travail accompli par le travailleur direct, travail qui, dans cette distinction d'avec le travail intellectuel (le savoir) revêt ainsi la forme capitaliste de travail manuel ; b) la séparation de la science du travail manuel alors que, au « service du capital », elle tend à devenir force productive direct ; c) les relations particulières entre la science-savoir et les rapports idéologiques, voire l'idéologie dominante, non pas au sens d'un savoir plus « idéologisé » qu'autrefois, ni simplement au sens d'une utilisation politico-ideologique du savoir par le pouvoir (ce fut toujours le cas), mais au sens d'une légitimation idéologique du pouvoir instittué dans la modalité de la technique scientifique, c'est-à-dire la légitimation d'un pouvoir comme découlant d'une pratique scientifique rationnelle ; d) les rapports organiques établis désormais entre le travail intellectuel ainsi coupé du travail manuel et les rapports de domination politiques, bref entre le savoir et le pouvoir capitalistes.
Ce que Marx avait démontré à propos du despotisme d'usine et du rôle de la science dans le procès de production capitaliste, en y analysant les relations désormais organiques entre savoir et pouvoir, entre le travail intellectuel (savoir-science investi dans l'idéologie) et les rapports politiques de domination, tels qu'ils existent et se reproduisent déjà dans le procès d'extorsion de la plus-value.
Mais la connaissance scientifique dispose aussi d'un niveau d'autonomie pour révéler les contradictions de l'État et exposer les intérêts du bloc de forces au pouvoir. Dans cette optique, nous comprenons, par exemple, pourquoi l'actuel président des États-Unis déteste les scientifiques et les universités. Depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, les chercheurs américains subissent des pressions inédites. Des agences comme la NASA et la NOAA sont touchées par des licenciements, tandis que des financements sont supprimés et des bases de données censurées. Certains termes comme « climat » ou « diversité » disparaissent des documents officiels.
Cependant, dans les temps turbulents comme ceux que le monde traverse actuellement, il est important de se rappeler que l'union entre le travail intellectuel et le travail manuel a le potentiel de générer un profond changement social, guidé par une perspective de transformation de l'appareil d'État dans une voie démocratique et émancipatoire. Ceci doit être accompagné par le déploiement de nouvelles formes de démocratie direct à la base et l'essaimage de réseaux et foyers autogestionnaires.
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Ukraine : comment tisser des liens syndicaux en temps de guerre

Une défaite militaire renforcera les forces réactionnaires, une issue perçue comme une victoire pourrait favoriser une voie progressiste.
Illustration : Katya Gritseva
Entretien avec Denys Gorbach, chercheur à l'université de Lund (Suède) et auteur d'une thèse sur la classe ouvrière ukrainienne.
Denys Gorbach, quel est le paysage syndical ukrainien ?
Il existe deux grands types d'organisations syndicales.
En premier lieu, on trouve une galaxie d'organisations syndicales souvent appelées « officielles » ou « traditionnelles », qui sont les héritières du syndicalisme soviétique. A l'époque, le syndicat était le bras gauche de la direction : il était chargé d'assurer la paix sociale en offrant des services et des cadeaux tout en faisant le travail de « gestion des ressources humaines ». Ce modèle de syndicats « prestataires de services » est celui de la Fédération des syndicats d'Ukraine (FPU), qui réunissait 4,8 millions de membres à la veille de la guerre, dont 1,5 millions dans l'enseignement et 0,7 million dans la santé publique. L'affiliation au syndicat « officiel », c'est-à-dire à la FPU, reste quasiment obligatoire dans le secteur public (la fonction publique, les administrations locales, l'enseignement, la santé, la culture, etc.) où la relation de dépendance vis-à-vis du gouvernement reste importante ; ainsi que dans la grande industrie (métallurgie, agro-industrie, secteurs extractifs, énergie) où il s'agit plutôt de construire un rapport de force face à un employeur privé. Dans ces secteurs, adhérer au syndicat fait « naturellement » partie de la procédure d'embauche. Une fois engagé, on est libre de quitter le syndicat, mais en réalité, les « services », tant méprisés par les syndicalistes les plus militants, sont très prisés par les ouvriers, qui passent souvent d'un syndicat à l'autre pour maximiser leurs avantages.
En second lieu, il existe des syndicats dits « indépendants », dont l'histoire prend racine dans l'immense grève de mineurs de 1989 qui a contribué à la chute de l'URSS. La plus grande structure, la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU), compte à peu près un million de membres, notamment des mineurs, mais aussi des cheminots, des enseignants, des médecins, des aides-soignants, des camionneurs, etc. En général, il s'agit d'une minorité militante, soit environ 10% des travailleurs, souvent les plus qualifiés, qui peuvent se permettre de mener une lutte permanente contre l'employeur. Ces syndicats « militants » s'opposent aux syndicats « prestataires des services », mais ils ne peuvent pas non plus consacrer la totalité de leurs budgets aux caisses de grèves, car même la minorité combative exige des services et des avantages (cadeaux de Noël, centres de vacances, etc.). Si les syndicats « traditionnels » peuvent compter sur les revenus de leurs sociétés immobilières (qui s'élevaient, par exemple, à la moitié des rentrées de la FPU avant la guerre) et sur des subsides patronaux au niveau des entreprises, les syndicats « indépendants » ne vivent que des cotisations de leurs membres.
Quels rôles jouent les syndicats en temps de guerre ?
Avant l'invasion russe en 2022, la crise sanitaire avait déjà fortement réduit les possibilités de militantisme : il était difficile de se mettre en grève lorsque l'entreprise souffrait des retombés économiques du Covid et que les risques de se faire licencier étaient plus élevés. Néanmoins, même dans ces conditions, le syndicat indépendant des mineurs a réussi à soutenir une importante grève sauvage qui a paralysé les mines de Kryvyi Rih en 2020.
Ensuite, la guerre est venue dégradée encore davantage la situation des entreprises industrielles (celles qui n'ont pas été matériellement détruites), notamment à cause du blocus maritime. A cela s'ajoutent la mobilisation militaire et les politiques antisociales du gouvernement, qui se sont intensifiées en 2022. La loi martiale ne laisse pas beaucoup d'espace pour combattre les politiques néolibérales. Les syndicats agissent surtout au niveau de la diffusion d'un contre-discours et de la construction de liens avec les mouvements ouvriers dans les pays occidentaux. En effet, c'est la pression venant de l'étranger qui est aujourd'hui la plus susceptible de faire bouger les lignes au niveau du gouvernement ukrainien.
En parallèle, la guerre a imposé de nombreuses nouvelles missions aux syndicats. Depuis février 2022, ils s'occupent de leurs membres partis au front. Une partie importante de leurs ressources est consacrée à la coordination de l'aide matérielle aux syndicalistes devenus soldats. Malheureusement, un grand nombre d'entre eux sont morts. Dans ces cas là aussi, c'est le syndicat qui s'occupe de leurs familles, pour leur apporter une aide matérielle mais aussi juridique. En effet, le service juridique syndical est la structure la plus proche, par exemple, pour aider les veuves à établir auprès des services publics que le soldat est bien mort au combat et non simplement disparu : sans cela, elles ne peuvent pas prétendre aux allocations de l'Etat.
Avez-vous des nouvelles des militants syndicaux qui vivent encore dans les territoires occupés par l'armée russe ?
Le mouvement syndical du Donbass s'est scindé en 2014, quand les séparatistes aidés par l'armée russe ont pris le contrôle d'un grand nombre de territoires là-bas. Certains militants ont quitté ces territoires ; d'autres ont décidé de continuer leurs activités sous le nouveau pouvoir. Mais si les syndicats « officiels » se sont reconvertis, sur le modèle antérieur de soumission directe aux autorités politiques, les syndicats « indépendants » ont tout simplement été bannis, comme toutes les autres organisations à vocation militante indépendante du pouvoir. Depuis 2015-2016, je n'ai reçu aucune information concernant des militants indépendants du Donbass : c'est une espèce éteinte. L'invasion de 2022 a été beaucoup plus brutale que la guerre du Donbass déclenchée en 2014. S'il existait une certaine tolérance envers certaines initiatives populaires en 2014-2015, celle-ci a complètement disparu avec cette nouvelle guerre : à présent, il n'y a plus que l'armée qui avance, en détruisant des villes entières sur son passage. Difficile d'imaginer un syndicat, quel qu'il soit, à Maryinka ou à Vovtchansk soit-disant « libérées », où il n'y a plus ni entreprises ni maisons. Marioupol était un bastion ouvrier : aujourd'hui, ce n'est plus qu'un ramassis de béton brisé.
La guerre pousse-t-elle les syndicats à s'engager dans des actions plus politiques, en faveur d'une transformation sociale plus importante ?
C'est devenu un refrain populaire en Ukraine : « nos gars reviendront du front et réinstaureront la justice sociale ». En réalité, c'est plus compliqué. Il est en effet possible que les syndicalistes reviennent de la guerre renforcés et soudés en tant que force politique. Mais il n'y a rien d'automatique dans tout cela. Beaucoup de choses dépendront de la façon dont la guerre finira : une défaite militaire renforcera les forces les plus réactionnaires et revanchardes dans le pays, tandis qu'une issue qui serait perçue comme une victoire par les masses pourrait favoriser une voie progressiste.
Que pouvons-nous faire en Belgique pour soutenir les travailleurs et syndicats ukrainiens ?
Les efforts déjà entrepris par la gauche occidentale, et notamment par certains syndicats (notamment français), sont extraordinaires et très utiles politiquement : je parle des convois solidaires, grâce auxquels les travailleurs ukrainiens reçoivent de l'aide humanitaire, mais rencontrent aussi des syndicalistes étrangers et apprennent le sens du mot « solidarité » en pratique. Ces contacts sont sans doute l'une des rares conséquences politiques positives de cette invasion, car auparavant, on ne voyait pas l'intérêt de tisser de tels liens, surtout du côté occidental. Aujourd'hui, nous avons la possibilité de rattraper les décennies d'isolement passées et de bâtir des ponts, plutôt que de reproduire le discours de l'extrême droite sur la protection des frontières. Dans l'immédiat, une campagne menée par les forces de gauche pour accueillir l'Ukraine dans l'espace européen et pour lui permettre de se reconstruire grâce à l'annulation des dettes et au transfert des avoirs russes gelés serait la bienvenue. Une telle campagne se démarquerait des récits de l'extrême-droite prorusse et des libéraux qui veulent saigner l'Ukraine indéfiniment.
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