Presse-toi à gauche !
Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

Woke : Une perspective de classe

Ces dernières années, l'extrême droite a réussi à imposer des cadres conceptuels qui ont été acceptés même par des sections de la gauche, affaiblissant ainsi ses propres positions politiques. L'utilisation péjorative du terme « woke », à l'origine associé à la conscience sociale et à la lutte pour la justice, en est un exemple clair. L'extrême droite a développé une stratégie délibérée pour délégitimer les luttes pour la justice sociale et les droits humains.
https://vientosur.info/woke-una-perspectiva-de-clase/
« Woke », qui dans sa racine signifiait et signifie toujours être éveillé et vigilant face aux discriminations raciales et aux inégalités systémiques. L'ultra-droite a tenté et a en partie réussi à vider ce mot de son contenu émancipateur et à en faire une caricature. Elle parle de guerre culturelle et concentre tous ses efforts pour opposer la lutte contre les oppressions, telles que le système patriarcal, le racisme, les droits des personnes LGBTQI, à la lutte contre l'exploitation. Leur principal objectif est de diviser la classe ouvrière entre les hommes blancs hétérosexuels et les femmes, les femmes et les femmes transgenres, les écologistes et les agriculteurs, les Noir-es et les migrant-es, les Latinos et les femmes, etc.
Le vice-président des États-Unis, J.D. Vance, est peut-être l'exemple le plus clair d'un champion de la guerre culturelle. Vance, issu d'une famille de base, syndicaliste et démocrate de l'est désindustrialisé des États-Unis, qu'il a magistralement dépeint politiquement dans son livre et son biopic (A Hillbilly Odyssey), a été utilisé par Trump pour gagner des voix dans les régions industrielles appauvries des États-Unis, à travers un discours contre « l'élite démocrate libérale » hypocritement soucieuse d'être politiquement correcte sur des questions telles que le racisme, le changement climatique, le sexisme et la LGBTQIphobie, entre autres. En effet, les élites du parti démocrate ont maintenu une politique impérialiste, raciste à bien des égards, totalement incohérente en matière de réduction des émissions polluantes et surtout, engagée dans la mondialisation néolibérale qui a appauvri de nombreuses sections de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le reste du monde. Les partis politiques sociaux-libéraux du monde entier ont répété des phénomènes parallèles. Mais à gauche, au lieu d'adhérer au cadre mental de l'extrême droite, nous devrions être capables de générer une critique et une stratégie pour surmonter le social-libéralisme sans avaler les idées réactionnaires qui circulent partout et qui sont en train de devenir un nouveau sens commun, qui n'est rien d'autre qu'un mélange de la sagesse acceptée au fil des ans, de l'opinion répandue du moment et d'un mélange d'idées contradictoires. Elle peut trouver son origine dans la réalité et/ou dans l'invention que nous appelons aujourd'hui « fake news ».
Les partis sociaux-démocrates classiques, qui ont embrassé la mondialisation et n'ont pas su inverser l'accumulation des richesses par les plus riches, ont ouvert la voie à l'extrême droite. Leur incapacité à enrayer la perte de pouvoir d'achat, à améliorer les services publics ou à freiner la spéculation immobilière est flagrante. En effet, rares sont les gouvernements sociaux-démocrates qui ont cédé à l'agenda des classes dominantes, aux coupes budgétaires, aux politiques néolibérales comme les accords de libre-échange qui ont fini par détruire des secteurs entiers de l'économie dans certaines régions industrielles dont l'activité principale a été transférée dans d'autres pays. En ce sens, les principales organisations de la classe ouvrière, les syndicats, ont été incapables de proposer une stratégie locale ou globale pour stopper la mondialisation néolibérale.
Dans le même temps, les magnifiques mouvements qui luttent pour les droits des personnes LGBTQI, ou le mouvement féministe, ont réalisé de grandes avancées qui ont dû être acceptées par les partis au pouvoir. C'est là qu'apparaît l'élément central de ce que l'ultra-droite appelle la guerre culturelle, un terme utilisé pour éloigner le débat de la lutte des classes et pour pouvoir confronter différents secteurs des travailleurs. L'extrême droite s'en prend à l'incapacité des gouvernements sociaux-démocrates à réduire les inégalités sociales, non pas parce qu'ils se sont pliés aux intérêts des riches, ce qui est le cas depuis des décennies, mais parce qu'il y a trop de féminisme, trop d'immigré-es, trop de droits LGBTQI. Rédigé ainsi, cela semble absurde, mais c'est la base de l'argument. L'extrême droite, aux États-Unis et dans une partie croissante des régions du monde, a réussi à associer le mécontentement social à l'acceptation d'idées socialement conservatrices.
Trump est un milliardaire américain qui s'est fait connaître grâce à une émission de télévision dans laquelle il renvoyait des gens. Ses principaux soutiens sont certains des hommes les plus riches du monde, comme Elon Musk et Jeff Bezos ou la Heritage Foundation. Toutefois, le pouvoir d'achat moyen des électeurs de Trump est inférieur à celui des électeurs du Parti démocrate.
Les références de Trump à un passé où de nombreux secteurs de la classe ouvrière américaine vivaient mieux lui ont permis de se rapprocher d'eux. Rien de nouveau sous le soleil : la montée des nazis en Allemagne était largement due au discrédit de la social-démocratie allemande, dont le gouvernement a écrasé la révolution dans les années 1920. Les similitudes du tandem Trump-Musk avec le fascisme des années 1920 et 1930 sont multiples ; Mussolini était également associé à un gourou technologique de son époque, Guglielmo Marconi, auquel on a longtemps attribué l'invention de la radio, même si cela n'est pas tout à fait clair aujourd'hui.
Il ne s'agit pas du tout de dire que Trump essaie de gouverner pour la classe ouvrière, mais bien au contraire. Son cabinet est rempli de millionnaires qui ont l'intention de détruire ce qui reste des services publics aux États-Unis, d'attaquer les syndicats, tout cela pour augmenter les profits de leur classe. Ils savent que c'est un plan dangereux car une offensive comme celle qu'ils préparent peut rencontrer et rencontrera une résistance, c'est pourquoi ils montent certaines sections de la classe ouvrière contre d'autres. Nous ne pouvons pas oublier que l'ultra-droite est le bélier de la classe dirigeante lorsque celle-ci ne peut plus gouverner comme avant et que le parti républicain et ceux qui le financent savaient qu'ils ne pourraient pas gagner avec le programme classique de la droite, mais qu'ils devaient se jeter dans les mains de l'ultra-droite pour reconquérir la Maison Blanche. En effet, la fondation Heritage, néoconservatrice et d'extrême droite, a élaboré un programme intitulé Project 2025 qui, entre autres mesures, prévoit de dissoudre les départements du commerce et de l'éducation, de rejeter l'idée de l'avortement en tant que soin de santé et d'affecter les protections climatiques. Cela représente un danger pour l'architecture économique et industrielle des États-Unis, qui dépend d'une chaîne d'approvisionnement mondiale qui pourrait être fortement affectée par les droits de douane. Par exemple, le pétrole canadien est essentiel à l'industrie du raffinage au Texas. L'administration Trump le sait et exerce une pression militaire et économique sur différents États pour tenter de minimiser ces risques, ce qui pourrait conduire à davantage de militarisme.
Lorsque la gauche adhère à l'état d'esprit de la droite au nom d'une soi-disant lutte des classes, elle oublie une chose fondamentale. La classe ouvrière est diverse et plurielle, la moitié sont des femmes, il y a des personnes LGBTQI, des migrant-es et une myriade de combinaisons de conditions différentes. Trump et l'extrême droite tentent de dépeindre la classe ouvrière comme des Blancs appauvris afin de les opposer à d'autres sections de la classe ouvrière. En tant qu'homme de droite, c'est compréhensible. Ce qui est ridicule, c'est que les gens de gauche soient si peu perspicaces. Quelqu'un peut-il vraiment penser que nous pouvons affronter la vague néo-droitière sans les femmes ou les membres racialisés de la classe ouvrière ? C'est la voie du fascisme rouge ou communofascisme qui, tout au long de l'histoire, n'a fait que mener les classes populaires au fascisme. En Allemagne, une scission de Die Linke, l'Alliance Sahra Wagenknecht, qui porte le nom de sa dirigeante, a décidé de suivre cette voie. Le fascisme social repose sur deux idées fondamentales : être de gauche sur le plan économique et de droite sur le plan social. Comme si le patriarcat, le racisme et les autres systèmes d'oppression qui se développent sous le capitalisme n'étaient pas liés aux relations d'exploitation dans lesquelles nous vivons. Que quelqu'un de la gauche postmoderne dise cela serait critiquable, bien que compréhensible, mais que certains communistes autoproclamés dissocient le système d'oppression qui se développe au sein du capitalisme des relations de production qui y sont établies est ce qui se rapproche le plus de l'antimarxisme. Que veulent ceux qui, à partir de postulats prétendument de gauche, utilisent le mot woke pour se plaindre du féminisme, de l'immigration, des politiques LGBTQI ? Un parti communiste de révolutionnaires mâles blancs ? Il est certain qu'il existe des divergences entre les différentes sections de la gauche. Certaines d'entre elles ont rompu avec une perspective de classe à la fin des années 1960 et au début des années 1970, notamment en raison de l'orientation d'une grande partie du marxisme dominant, dominé par la vision stalinienne, qui était assez conservatrice dans certains aspects sociaux et qui considérait les mouvements qui se développaient contre les systèmes d'oppression à l'intérieur du capitalisme comme des luttes de seconde classe. C'est aussi parce que la classe ouvrière, bien qu'elle existe et occupe un rôle central dans la production et la reproduction du capital, n'apparaît pas, la plupart du temps, comme une force révolutionnaire. En effet, des idées contradictoires coexistent en son sein, des préjugés de toutes sortes existent, mais cela ne change rien au fait que tout ce qu'une personne utilise chaque jour de sa vie (à l'exception de l'air que nous respirons) provient de la transformation des ressources naturelles en produits par les travailleurs et les travailleuses. Peu importe l'argent dont dispose Elon Musk, sans les personnes qui produisent les Tesla ou entretiennent les X, ces entreprises ne fonctionneraient pas. Les capitalistes monopolisent pratiquement la propriété des moyens de production, mais sans la force de travail des travailleurs et des travailleuses, ils ne peuvent ni produire ni reproduire le capital. Le philosophe hongrois György Lukacs avait déjà analysé la contradiction entre l'existence de la classe ouvrière et l'absence de conscience collective de la classe ouvrière dans son ouvrage Histoire et conscience de classe - Études de dialectique marxiste (1923). Cette contradiction, associée à la dégénérescence des partis communistes sous le stalinisme, a conduit de nombreux mouvements apparus dans les années 1960 et 1970 à abandonner la perspective de classe et à se concentrer sur l'identité, ainsi qu'à renoncer à un horizon de révolution sociale, puisque la disparition de la classe ouvrière en tant que sujet révolutionnaire signifiait qu'il n'y avait plus de moyen de rassembler la diversité existant au sein de la société dans une action commune d'émancipation.
Certes, la classe ouvrière est comme l'air, elle existe, sans elle nous ne pourrions pas respirer, mais nous ne la voyons pas et ce n'est qu'en de rares occasions et dans des circonstances très spécifiques qu'elle se transforme en un coup de vent capable de tout renverser, de même que la plupart du temps les travailleurs et travailleuses restent fragmentés, avec une conscience collective relativement faible et ce n'est qu'à certains moments historiques qu'ils et elles ont été capables de renverser le régime d'injustice généralisée dans lequel nous vivons et qui s'appelle le capitalisme. Cependant, les élites n'oublient pas l'histoire, elles savent ce qui s'est passé en Russie en 1917, la révolution de 1936 dans de nombreuses régions d'Espagne, elles savent que c'est l'énergie colossale de la classe ouvrière consciente et en marche qui les a portées en avant. C'est pourquoi elles concentrent leur guerre culturelle sur la fragmentation et le dressage des travailleurs et des travailleuses les un-es contre les autres et c'est pourquoi c'est une très mauvaise idée d'entrer dans leur jeu.
Il est nécessaire de souligner que, pour retrouver une certaine perspective de classe, des millions de travailleurs et travailleuses doivent être considéré-es comme souffrant de racisme, de sexisme, de LGBTQIphobie et d'islamophobie. Accepter le discours de l'extrême droite, c'est céder sur le terrain de la politique. La gauche doit pouvoir faire son autocritique sans trahir ses principes fondamentaux. Il est possible de débattre des stratégies et des tactiques sans nier la nécessité de transformer des structures telles que le patriarcat, le racisme, l'islamophobie, la LGBTQIphobie (...). En fait, Trump et ses épigones mondiaux -Bolsonaro, Abascal, Meloni, Orbán-, lorsqu'ils s'adressent aux travailleurs, tentent de les réduire aux secteurs blancs des anciennes ceintures industrielles afin de les confronter au reste de la classe, qu'ils tentent de masquer avec le terme « woke ».
L'obsession de l'extrême droite pour l'immigration est un autre point clé dans sa tentative de fragmenter et d'affronter la classe, au même titre que l'antiféminisme. Avant de poursuivre, je pense qu'il est nécessaire de souligner que ce n'est pas contre toutes les personnes migrantes, mais contre celles qui sont racialisées et issues de la classe ouvrière. La majorité des migrant-es sont des travailleurs et travailleuses et, lorsqu'ils et elles arrivent dans leur pays de destination, ils et elles ont tendance à faire partie des secteurs les plus pauvres. Or ce n'est pas la migration qui génère la pauvreté, mais les taux élevés d'exploitation qu'ils et elles subissent, sous la forme de bas salaires, d'absence de droits et de lois racistes, telles que la loi sur les étrangers. Ce n'est pas un hasard si, dans les provinces espagnoles les plus dépendantes de l'exploitation des travailleurs et travailleuses racisé-es comme Almeria, Murcia ou Huelva, VOX obtient les pourcentages de voix les plus élevés. Le modèle productif dépendant d'une main-d'œuvre sans droits a besoin de justifier idéologiquement son existence. En fait, le travail des migrant-es (comme celui de tout autre travailleur), par exemple, le secteur de la viande en Catalogne a exporté à lui seul 5348 millions d'euros en 2023. Dans ce secteur, la majorité des travailleurs et travailleuses sont des migrant-es, mais la redistribution des richesses est très faible. Ceux qui thésaurisent l'argent sont les hommes d'affaires, c'est-à-dire que ce sont ces grandes entreprises agro-exportatrices qui génèrent de la pauvreté parmi leurs employé-es, sans parler des impacts environnementaux de l'agro-industrie. Il n'est pas surprenant que le parti d'extrême droite Aliança Catalana, comme la Plate-forme pour la Catalogne avant lui, bénéficie d'un soutien particulier dans les régions où les personnes racisées sont exploitées de manière particulièrement intense. Une fois de plus, l'ultra-droite parvient à relier un besoin de la classe dirigeante, à savoir le maintien de la précarité pour garantir les profits, à une idée politique selon laquelle l'immigration est un problème, afin d'émasculer son objectif.
Trump et « tutti quanti » se présentent comme anti-establishment alors qu'en réalité ils cherchent à préserver le statu quo sous couvert d'un faux bon sens. Elon Musk, Jeff Bezos, les milliardaires de la Heritage Foundation, etc. luttent pour l'absence de syndicats dans leurs entreprises avec un seul objectif : éviter à tout prix le partage de la plus-value avec les travailleurs et les travailleuses.
Trump a utilisé le machisme pour gagner des élections, il a promu le mythe de l'homme hétérosexuel persécuté, mais la solution n'est pas de construire une gauche machiste (ils ne le disent pas, ils disent qu'il y a trop de féminisme), mais de développer une perspective révolutionnaire capable de promouvoir la lutte féministe dans une perspective de libération et de fin de l'oppression de classe. Si quelqu'un en doute, il suffit de lui rappeler que le 8 mars 1917 (23 février, selon le calendrier julien utilisé en Russie), les ouvrières du textile de Petrograd se sont soulevées dans une grande manifestation pour réclamer du pain et la paix. Ce mouvement s'est étendu, avec des grèves et d'autres mobilisations, de sorte que le tsar a été contraint d'abdiquer et que le gouvernement provisoire a accordé le droit de vote aux femmes. Nous avons vu ici que le féminisme a fait d'énormes progrès lorsqu'il a pu utiliser l'arme par excellence de la classe ouvrière : la grève. Deux grandes grèves féministes (2018 et 2019) qui ont fait reculer les idées machistes.
L'essentiel est de défendre une pensée critique qui ne soit ni complaisante ni réactionnaire. Il ne s'agit pas d'accepter sans critique toutes les positions qui émergent des secteurs de gauche, mais de les analyser avec un sens de la camaraderie et sans perdre de vue le contexte dans lequel elles sont développées. Dans un monde où l'extrême droite cherche à s'approprier le langage pour saper la possibilité de changement, il est plus important que jamais que la gauche défende son propre cadre interprétatif et ne cède pas à la manipulation discursive de ceux qui s'opposent à la justice et à l'égalité.
La lutte de la classe ouvrière ne peut être réduite à la lutte économique de la classe ouvrière, mais elle ne peut pas non plus être oubliée. Lutter contre l'exploitation de classe sans considérer les luttes LGBTQI, féministes, antiracistes, autodéterministes, environnementalistes comme faisant partie de la lutte de la classe ouvrière pour vivre dans un monde plus juste dénote un manque de compréhension de la façon dont la conscience collective peut passer de la fragmentation à l'avancement. Les exemples sont nombreux, nous avons déjà mentionné les grèves féministes, nous ne pouvons pas non plus oublier la grève du 3 octobre 2017 où le mouvement pour l'autodétermination et l'indépendance de la Catalogne a pu accumuler la plus grande puissance à travers une grève générale qui a conduit au blocage du pays par des millions de personnes, de la classe ouvrière dans leur grande majorité. En ce sens, le mouvement pour le droit au logement fait progresser sa perspective de classe. Historiquement, ce mouvement a été une lutte des classes populaires en général et de la classe ouvrière en particulier contre l'accumulation et le pillage des rentiers. Aujourd'hui, des grèves des loyers ont déjà lieu à Sentmenat, Banyoles, Vilanova i la Geltrú et Sitges, mais la nécessité d'une grève générale du logement est dans l'air. En d'autres termes, utiliser le pouvoir de la classe organisée pour arrêter la production et la reproduction du capital afin de mettre un terme à la spéculation rentière.
Je donne pour la fin deux exemples de la façon dont la perspective de classe nous permet de rassembler ce que l'ultra-droite veut affronter. Deux exemples qui me semblent d'autant plus pertinents que, si le mouvement d'extrême droite actuel se caractérise par quelque chose, outre le machisme et le racisme, c'est par sa haine des personnes LGBTI et des personnes racisées (Musk est un immigré sud-africain et ils ne le détestent pas vraiment). Le premier exemple, c'est le festival « Pits and Perverts » en soutien à la lutte des mineurs contre les fermetures décrétées par Margaret Thatcher. Ce mouvement consistait en un festival de charité organisé en 1984 en soutien à la grève des mineurs britanniques. Organisé par le groupe Lesbians and Gays Support the Miners (LGSM), il a permis de récolter des fonds pour les grévistes, symbolisant la solidarité entre la classe ouvrière et les mouvements LGTBQI+, et a été brillamment dépeint dans le film Pride. Le second exemple se déroule au printemps 2015, les travailleurs contractuels de Movistar se sont mis en grève et ont été soutenus par des personnes issues du mouvement révolutionnaire indépendantiste et de nombreux autres secteurs, mais l'un des faits les plus frappants est que les travailleurs, pour la plupart des hommes hétérosexuels, certains nés en Catalogne mais beaucoup originaires d'Équateur, du Pérou ou de Bolivie, ont été soutenus par le mouvement LGBTI à Barcelone et se sont rendus à la manifestation de soutien, où ils ont reçu d'énormes démonstrations de solidarité. En d'autres termes, une lutte économique d'hommes majoritairement hétérosexuels, certains racisés, d'autres non, est venue soutenir la manifestation des LGBTI et a été reçue comme ce qu'elle était, des compagnons de lutte. Ce jour-là, nous avons été férocement wokes, parce que nous nous levions et luttions contre les injustices du système.
En définitive, il ne s'agit pas d'avoir une perspective ouvrière centrée uniquement sur la tentative d'agir politiquement sur les lieux de travail, car la lutte des classes ne se réduit pas à la lutte économique, Il ne s'agit pas non plus de poser mécaniquement la nécessité de grèves générales pour avancer dans la conquête de droits non liés au travail, mais de comprendre que regrouper ce qui est dispersé et unir ce qui est différent signifie chercher à organiser le pouvoir qui nous permettra de renverser le système dans lequel nous vivons, exploités et opprimés, et cela implique inévitablement de se percevoir d'abord comme une classe, en surmontant la fragmentation à laquelle le système nous soumet. Comprendre l'autonomie des mouvements sociaux, mais en même temps faire progresser dans la conscience collective que c'est là où nous produisons et reproduisons le capital que nous pouvons être en mesure d'accumuler plus de pouvoir, et ce n'est pas le seul endroit, car nous avons de magnifiques exemples historiques de luttes populaires qui ont avancé dans leurs revendications, mais il est nécessaire de reconnaître que sans le pouvoir de la classe ouvrière, aucune révolution n'a jamais été faite.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Rapport FIP 2024 : L’année la plus meurtrière pour les journalistes depuis trois décennies

La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a publié son 34e rapport annuel sur les journalistes et les professionnels des médias tués en 2024, dont les chiffres sont choquants.
Tiré du Journal des alternatives. Photo : capture d'écran des pages 10 et 11 du rapport de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) voir lien à la fin de l'article
Au total, 122 journalistes ont été tués dans différentes parties du monde, dépassant le record de 113 morts enregistré en 2007, lorsque la guerre en Irak a ravagé la presse. Sur ce total, 14 étaient des femmes, ce qui souligne les risques supplémentaires encourus par les femmes reporters, en particulier dans les zones de conflit ou sous des régimes répressifs.
À ce scénario s'ajoute une autre statistique inquiétante : le nombre de journalistes emprisonnés a augmenté de 30 % par rapport à l'année précédente, passant de 393 en 2023 à 516 en 2024. Cette augmentation n'est pas un chiffre isolé, mais la confirmation d'une détérioration globale de la liberté de la presse, où la censure gouvernementale et la persécution des voix critiques sont devenues des pratiques systématiques.
Gaza : l'épicentre de la violence contre la presse
S'il est un endroit où le journalisme a payé un prix atroce, c'est bien à Gaza. Dans ce petit territoire de 360 km², 64 journalistes ont été tués en 2024, soit presque la moitié des journalistes assassinés cette année-là. Depuis le début de la guerre, 152 journalistes et travailleurs et travailleuses des médias ont perdu la vie à Gaza, faisant de ce conflit le plus meurtrier de l'histoire moderne pour la presse.
La FIJ a dénoncé le ciblage délibéré des journalistes par l'armée israélienne, rassemblant des preuves pour déposer des plaintes auprès de la Cour pénale internationale (CPI). En conséquence, des mandats d'arrêt ont été délivrés à l'encontre de dirigeants israéliens et du Hamas, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant, pour crimes de guerre.
Asie-Pacifique : une augmentation alarmante des meurtres
La région Asie-Pacifique a également connu une augmentation inquiétante des attaques meurtrières contre les journalistes. En 2024, 22 travailleurs et travailleuse des médias ont été tués, soit une augmentation de 83 % par rapport à l'année précédente. Parmi les pays les plus touchés, citons :
· Pakistan : six des sept journalistes tués ont été pris pour cible par des tueurs à gages.
· Inde : trois journalistes ont été victimes d'attaques ciblées.
· Bangladesh : cinq journalistes ont été tués, dont trois alors qu'ils couvraient des manifestations en faveur de la démocratie.
Cette augmentation reflète le climat croissant d'hostilité à l'égard de la presse dans les pays où la démocratie et l'État de droit sont menacés.
Amérique latine : une légère baisse, mais l'impunité persiste
En Amérique latine et dans les Caraïbes, les assassinats de journalistes ont enregistré une légère baisse : neuf décès en 2024, contre onze en 2023. Cependant, le Mexique reste le pays le plus dangereux pour la pratique du journalisme, avec cinq journalistes tués au cours de l'année.
Le problème n'est pas seulement la violence, mais aussi l'impunité : 95% des crimes contre les journalistes au Mexique ne sont pas résolus. En Colombie, bien que les meurtres aient diminué, les menaces et les attaques ont augmenté, avec plus de 500 violations de la liberté de la presse documentées en 2023.
Afrique et Europe : Conflits oubliés et guerre en Ukraine
En Afrique, la situation est également grave, avec dix journalistes tués en 2024. La crise au Soudan fait de ce pays un des pires endroits pour journalistes, six d'eux ayant été tué alors qu'ils couvraient le conflit.
En Europe, la guerre en Ukraine continue d'être meurtrière pour la presse. Quatre journalistes ont été tués en 2024, victimes de bombardements ou d'exécutions lors de déplacements forcés. En outre, 43 journalistes indépendants ont été tués dans différentes parties du monde, ce qui représente plus d'un tiers de tous les décès dans le secteur. Nombre d'entre eux travaillaient sans protection, sans assurance ni réseau de soutien pour assurer leur sécurité et celle de leur famille.
L'augmentation du nombre de journalistes emprisonnés : l'autre visage de la répression
L'assassinat n'est pas la seule méthode pour réduire la presse au silence. En 2024, 516 journalistes ont été emprisonnés dans le monde, un record absolu. Et ces chiffres pourraient être bien plus élevés, car dans les pays aux régimes répressifs, les informations sur les arrestations arbitraires sont rares.
La Chine, la Turquie, l'Égypte et la Russie figurent parmi les principaux responsables de ces persécutions, soumettant les journalistes à des procédures judiciaires irrégulières et leur refusant le droit à une défense équitable.
Un appel urgent à la communauté internationale
Face à cette crise mondiale, la FIJ insiste sur la nécessité d'adopter une Convention de l'ONU pour la protection des journalistes, un mécanisme qui pourrait contribuer à endiguer la violence et à garantir la justice pour les victimes. La liberté de la presse est en état de siège, et sans mesures efficaces, le journalisme restera une profession à haut risque.
L'année 2024 a été dévastatrice pour le journalisme, mais elle nous rappelle aussi l'urgence d'agir, et de ne pas tout simplement fermer les yeux. Chaque journaliste tué est une voix réduite au silence, un droit violé, une histoire qui ne sera jamais racontée.
La communauté internationale a l'obligation morale de protéger ceux et celles qui risquent leur vie pour la vérité.
Car lorsque la presse est attaquée, c'est la société tout entière qui est perdante.
Rapport complet en anglais : https://www.ifj.org/fileadmin/user_upload/IFJ_Killed_List_report_2024.pdf
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

France - Médias : Attac France porte plainte contre "Le Figaro"

Dans un article publié le 22 novembre 2024, Le Figaro a qualifié Attac d'association « /communautariste/ » qui serait « /liée aux Frères musulmans/ ». Malgré plusieurs adresses au journal, l'article n'a pas été corrigé [1 <#nb1>]. Cette double affirmation grotesque et mensongère, digne du site parodique Le Gorafi, atteint gravement à la réputation de notre association. *C'est pourquoi Attac a déposé plainte pour diffamation.
Ce genre d'amalgame aux relents islamophobes est irresponsable. En ces temps de montée des idées d'extrême droite, Le Figaro contribue à attiser un climat de défiance vis-à-vis des organisations progressistes en général, et d'Attac en particulier. Cette initiative n'est pas anodine alors même que le terme « d'islamogauchisme » est brandi jusqu'à l'Assemblée nationale pour discréditer l'opposition.
Elle s'ajoute à d'autres tentatives de disqualification des mouvements sociaux et écologistes. Gérald Darmanin avait déjà qualifié d'éco-terroristes les manifestant·es contre la méga-bassine de Sainte-Soline. Attac avait même été convoquée devant une Commission d'enquête sur les « groupuscules auteurs de violences ».
Ces attaques impliquent l'augmentation de certaines dépenses (frais d'avocat, conseil juridique, paiement d'amendes). Vous pouvez nous aider financièrement à y faire face. Vous le savez, nos ressources reposent sur les adhésions et les dons : tous les soutiens, petits et grands, sont les bienvenus !
Il nous paraît important que la justice soit saisie afin de ne pas laisser ces méthodes de désinformation et de stigmatisation se propager et devenir banales. Il est désolant de voir qu'un quotidien comme Le Figaro foule au pied la déontologie journalistique la plus élémentaire, contribuant ainsi à fausser le débat public.
Nous ne laisserons rien passer dans notre combat pour un monde plus juste et solidaire !
Lou Chesné, Vincent Drezet, Youlie Yamamoto, porte-paroles d'Attac
Note de bas de page
[1 <#nh1>] « La France insoumise et les islamistes : l'histoire secrète d'une alliance politique » <http://adherez.attac.org/civicrm/ma...> , /Le Figaro/, 22/11/2024
Instagram <http://adherez.attac.org/civicrm/ma...> | Bluesky <http://adherez.attac.org/civicrm/ma...> | Telegram <http://adherez.attac.org/civicrm/ma...> | Facebook <http://adherez.attac.org/civicrm/ma...> | Mastodon <http://adherez.attac.org/civicrm/ma...>
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Vers un (dés)ordre impérial d’un nouveau type

À peine plus d'un mois s'est écoulé depuis l'investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis, avec le techno-oligarque Musk à ses côtés, et la liste des initiatives et mesures que le tandem à la tête de la première puissance mondiale est prêt à mettre en œuvre est déjà très longue. Chacune d'entre elles témoigne de leur ferme volonté de transformer en un nouveau « sens commun » – comme ils le définissent eux-mêmes – un paradigme ultralibéral sur le plan économique, autoritaire sur le plan politique et réactionnaire sur le plan culturel, au service de leur projet MAGA, c'est-à-dire de leur ferme volonté de freiner radicalement le déclin impérial que leur pays subit depuis longtemps.
Tiré de Inprecor
11 mars 2025
Par Jaime Pastor
Diverses analyses et critiques ont déjà été publiées dans Viento Sur et d'autres publications alternatives sur la signification du début de cette nouvelle présidence à la Maison Blanche. Dans cet article, je me concentrerai sur les implications des mesures annoncées, principalement sur le plan géopolitique : à commencer par ses prétentions à s'emparer du Groenland, du Canada et du canal de Panama, pour continuer par le réaffirmation de son soutien total à Netanyahou dans la politique génocidaire qu'il mène contre le peuple palestinien et, bien sûr, par sa dédiabolisation de Poutine et sa disposition à reconnaître les territoires occupés par la Russie en Ukraine (en échange, bien sûr, de la mainmise sur une partie substantielle des terres rares…).
De toute évidence, cette stratégie est au service d'un projet néo-impérialiste qui vise à étendre son arrière-cour, à vassaliser l'Europe, à rechercher la détente avec la Russie et à s'assurer le contrôle du Moyen-Orient afin de pouvoir se concentrer sur la région indo-asiatique et, surtout, sur la concurrence géostratégique avec la Chine. Tout cela dans le cadre d'une guerre technologique, commerciale et extractiviste à l'échelle mondiale, au nom de la nécessité de faire passer la protection des Américains WASP [blancs, anglo-saxons et protestants] et de leur mode de vie impérial, désormais remis en question, avant le reste du monde. La faisabilité de l'ensemble de ce projet, en particulier au regard de ses effets sur l'économie et la société nord-américaines, mais aussi face aux résistances qui commencent à se manifester sur de nombreux fronts, n'est pas encore établie.
Malgré la confusion que cette volte-face a pu susciter sur la scène internationale, il n'est pas difficile de comprendre qu'elle s'inscrit dans un contexte général de crises de plus en plus imbriquées - dont la crise écologique est l'expression la plus extrême - et, en conséquence, de l'entrée dans un jeu à somme nulle de plus en plus compétitif dans la lutte pour les ressources dans « un monde où les élites croient que le gâteau ne peut plus grossir. À partir de là, en l'absence d'un modèle alternatif, la seule façon de préserver ou d'améliorer sa position devient la prédation. C'est l'ère dans laquelle nous entrons », conclut Arnaud Orain.
Super-oligarchie, changement de régime et nouvelle redistribution coloniale
Une nouvelle ère où la « super-oligarchie de la finance et du contrôle des communications » (Louça, 2025) entend combiner son pouvoir sur le marché avec le contrôle direct du pouvoir étatique, Elon Musk étant l'expression suprême de sa volonté d'imposer ses intérêts à l'échelle internationale.
Un bond en avant qui cherche à s'appuyer sur l'alliance avec les gouvernements et les forces politiques qui opèrent déjà sous l'impulsion de l'Internationale réactionnaire pour, comme l'a exprimé J. D. Vance lors du sommet de Munich, promouvoir un véritable « changement de régime » dans les pays où survivent encore des formes de démocratie libérale héritées du consensus antifasciste issu de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, bien qu'il soit encore trop tôt pour considérer que ce programme atteindra ses principaux objectifs, il semble évident que nous passons d'un interrègne au début d'une autre phase dans laquelle la reconfiguration de l'ordre impérial par les États-Unis cherche à se présenter comme un modèle pour stabiliser et généraliser un nouveau mode de gestion, de construction de l'hégémonie et de gouvernance politique : celui des autoritarismes réactionnaires (Urbán, 2024) ou des autocraties électorales (Forti, 2025), qui aspirent à créer les meilleures conditions possibles pour trouver une issue à l'impasse déjà séculaire qui caractérise le capitalisme mondial. Cette issue implique évidemment d'imposer la logique de l'accumulation au détriment de nombreuses conquêtes sociales et politiques, remportées grâce aux mouvements d'en bas, et des limites biophysiques de la planète.
C'est pourquoi la volonté de Trump de remodeler l'ordre géopolitique en faveur des intérêts de MAGA doit être considérée comme la réponse à la fin de la mondialisation heureuse – dont la Chine a été la grande bénéficiaire – par le biais d'un ethnonationalisme protectionniste et oligarchique qui, à son tour, est en train de faire son chemin parmi les grandes puissances d'un côté comme de l'autre. Dans le cas des États-Unis, cela les amène maintenant à remettre radicalement en question la politique étrangère déployée depuis la chute du bloc soviétique par les présidents successifs des États-Unis, en particulier en ce qui concerne les relations avec l'ancien ennemi de l'Est, afin de redéfinir leur empire.
Car, comme le fait remarquer Romaric Godin (2025) : « Il s'agit maintenant de construire un véritable empire, avec un réseau de vassaux qui viendront consommer ses produits, en particulier ses biens technologiques, son pétrole ou son gaz liquéfié (…) ce qui est en jeu aujourd'hui pour une partie du capitalisme américain, c'est d'éviter la compétition, c'est-à-dire d'éviter un grand marché transatlantique et transpacifique comme à l'époque néolibérale, au profit d'un empire : un centre et des périphéries où chacun a un rôle à jouer dans sa relation avec le centre. »
Dans ce cadre, le rapprochement avec la Russie réactionnaire et nostalgique de son ancien Empire, dont témoigne sans équivoque ce récent vote commun au Conseil de sécurité de l'ONU sur le « conflit » en Ukraine, est la démonstration la plus évidente du changement radical auquel nous assistons et dans lequel les deux grandes puissances s'accordent à respecter mutuellement l'usage de la bonne vieille politique de la force dans leurs sphères d'influence respectives. Cela se reflète également dans leur contribution commune à la crise de légitimité ultime de l'ONU et de tant d'autres institutions internationales (comme l'UNRWA, l'UNESCO, l'OMS…) qui existent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ; ou, plus grave encore, dans le rejet des pourtant fort modérés Accords de Paris sur le changement climatique.
C'est par-dessus cette vieille construction internationale que passe la volonté de pratiquer une diplomatie qualifiée à tort de « transactionnelle » (alors qu'elle est en réalité subordonnée au business as usual) par le biais de négociations bilatérales avec les différentes puissances, comme nous le voyons également avec la guerre commerciale. Et, avec elle, la poursuite de la guerre culturelle mondiale sur le plan politico-idéologique à travers le discours trumpiste (Camargo, 2025), repris par l'Internationale réactionnaire. Cette dernière est désormais considérée comme le seul allié fiable pour défendre ce « qu'ils considèrent comme les valeurs les plus fondamentales » (c'est-à-dire le suprémacisme blanc et chrétien, la famille patriarcale et l'islamophobie), menacées par « l'immigration massive » et la complicité du progressisme, comme l'a dénoncé le vice-président Mike Pence dans son discours déjà évoqué lors de la Conférence de Munich sur la sécurité.
Et l'Union européenne ?
Au milieu de ce changement radical de scénario, l'Union européenne apparaît comme un bloc régional en déclin et de plus en plus divisé entre, d'une part, le choix de s'aligner sur le shérif de Washington, comme le fait déjà Orban depuis la Hongrie, et, d'autre part, la recherche d'une « autonomie stratégique » sur les plans géopolitique, énergétique, économique, technologique et de défense, comme le propose le rapport Draghi. Ceux qui défendent cette dernière option, faisant de nécessité vertu, semblent désormais prêts à accorder une priorité absolue non seulement aux crédits militaires pour leur réarmement – avec même la France de Macron qui propose déjà de partager son parapluie nucléaire –, mais même à une plus grande dérégulation économique au nom de la compétitivité, ouvrant ainsi la porte à un virage libertarien jusque dans les hautes sphères de l'UE (1). Sur cette voie, il semble bien évident que la démocratie, l'inégalité sous toutes ses formes et le réchauffement climatique en subiront les effets, ce qui ne fera qu'accroître le sentiment d'insécurité face à l'avenir au sein des classes populaires et aggraver leurs divisions internes.
Le choix de renforcer une économie de guerre ne trouve aucune justification, car, comme l'a dénoncé Mariana Mortagua, « les pays de l'UE réunis ont plus de militaires en activité que les États-Unis et la Russie, et la somme de leurs budgets de défense est plus élevée que celle de la Russie et plus proche de celle de la Chine ». À cela s'ajoute que, si l'UE a montré sa volonté de continuer à soutenir l'Ukraine face à l'invasion illégitime dont elle est victime de la part de la Russie, cette attitude contraste avec sa complicité permanente avec l'État colonial d'Israël dans le génocide qu'il commet contre le peuple palestinien et le refus de son droit légitime à l'autodétermination. Ce sont donc les intérêts géopolitiques dans un cas comme dans l'autre, et non la défense de la démocratie contre l'autoritarisme ou l'illibéralisme, qui se cachent derrière la pratique du double standard de la part de l'UE, comme l'a dénoncé très justement l'historien Ilan Pappé récemment (2). Même le projet scandaleux annoncé par Trump et Musk de transformer Gaza en un « paradis touristique » n'a pas suscité une condamnation unanime de la part de l'UE.
C'est pourquoi il ne faut pas à nouveau faire l'erreur d'idéaliser une Europe du bien-être et des valeurs démocratiques alors que chaque jour qui passe nous sommes témoins de l'évolution de partis institutionnels et de leur adaptation à l'agenda de l'extrême droite dans sa politique sécuritaire et raciste, comme nous le constatons avec sa politique migratoire et la réduction croissante des droits et libertés fondamentaux.
Et la gauche ?
Dans ce contexte général, la gauche européenne est confrontée à d'énormes défis qui l'obligent plus que jamais à faire face à la reconfiguration en cours de l'ancien ordre impérial. Le rejet des nouveaux pactes inter-impérialistes que Trump et Poutine tentent de mettre en place devrait s'accompagner d'une ferme opposition à une UE qui ne cherche qu'à freiner son déclin en tant que bloc impérialiste en revendiquant une meilleure place dans le nouveau partage colonial.
Sans perdre de vue l'énorme faiblesse de la gauche anticapitaliste, il est urgent de rassembler nos forces dans le cadre des nouvelles résistances qui se mettent en place dans différents pays pour défendre et étendre nos droits et contre-pouvoirs. Sur cette voie, il s'agira d'être capables de construire des fronts socio-politiques unitaires tant pour la lutte commune contre les différents impérialismes que pour répondre à la menace que représentent les autoritarismes réactionnaires en plein essor dans nos propres pays. Ces initiatives devraient favoriser le dépassement du cadre de subordination à la politique du moindre mal qui caractérise les différentes versions du néolibéralisme progressiste, car il a été amplement démontré que ces politiques n'ont pas permis de s'attaquer à la racine des facteurs structurels qui ont facilité l'essor actuel de la réaction (3).
Il s'agit donc de reformuler une stratégie intersectionnelle, contre-hégémonique et écosocialiste, étroitement liée à la lutte pour la dissolution de l'OTAN et à la solidarité avec tous les peuples agressés dans la défense de leur droit à décider de leur propre avenir, face à toute ingérence ou prédation coloniale de leurs ressources, que ce soit à Gaza ou en Ukraine. Dans ce sens, face à la possibilité d'un traité de paix en Ukraine conclu entre Trump et Poutine, il ne faudra pas renoncer à exiger - avec la gauche résistante en Ukraine et l'opposition anti-guerre en Russie - le retrait immédiat des forces russes du territoire occupé, l'annulation inconditionnelle de la dette contractée depuis le début de la guerre (Toussaint, 2025) et la mise en place d'un plan de reconstruction écologiquement et socialement juste.
Face à toutes les sortes de campisme ou de repli national-étatique, nous avons devant nous la difficile double tâche de continuer à défendre une Europe démilitarisée de l'Atlantique à l'Oural, en lien étroit avec la recherche d'une sécurité globale et pluridimensionnelle - qui est apparue comme une nécessité existentielle lors de la dernière crise pandémique - en opposition à la conception de la sécurité aujourd'hui dominante, militariste à l'extérieur et punitive à l'intérieur de nos propres pays.
Jaime Pastor
Traduit pourESSFpar Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro. Source : Viento Sur 1er mars 2025
Références
Camargo, Laura (2024) Trumpismo discursivo. Origen y expansión del discurso de la ola reaccionaria global. Madrid : Verbum.
Forti, Steven (2024) Democracias en extinción. Madrid : Akal.
Godin, Romaric (2025) « Un capitalisme en crise, prédateur et autoritaire », Inprecor.
Louça, Francisco (2025) « ¿Quién es el enemigo ? La superoligarquía », Viento Sur, 19/02.
Toussaint, Eric (2025) « La dette : un instrument de pression et de pillage entre les mains des créanciers », CDTM.
Urbán, Miguel (2024) Trumpismos. Neoliberales y autoritarios. Barcelone : Verso.
1. En réalité, c'est déjà en train de se produire : https://legrandcontinent.eu/es/2025/02/16/desregulacion-en-lugar-de-deuda-comun-el-giro-libertario-de-la-comision-von-der-leyen-sobre-el-informe-draghi/ et https://www.mediapart. fr/journal/international/260225/ue-la-commission-saborde-son-propre-agenda-vert
2. « C'est la grande hypocrisie européenne : soutenir la résistance de l'Ukraine tout en qualifiant de terrorisme la résistance de la Palestine », el diario.es, 25/02/25.
3. Cela s'applique également à la variante socio-libérale, clairement en déclin, comme nous avons pu le constater lors des récentes élections en Allemagne, où une nouvelle coalition gouvernementale avec la démocratie chrétienne est annoncée, ce qui pourrait aggraver sa crise. Pour le cas espagnol, je me réfère à mon article « 41e Congrès du PSOE : le resserrement des rangs autour du leader n'arrête pas la droite », à paraître dans Inprecor n°730.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Trump II : L’incarnation d’un Idéal-type (au sens wébérien du terme) de la quintessence abjecte et grotesque. Deuxième partie (2 de 3)

Cet effritement des perspectives progressistes a eu pour effet de créer un vide politique alimenté toujours par l'impression que les institutions de la démocratie représentative ne correspondaient qu'à des scènes formelles habitées par des spécialistes qui font quotidiennement la preuve de leur incapacité à esquisser un avenir vraisemblable. Un vide politique qui se nourrit d'un scepticisme envers un jeu politique qui ne vaut pas la peine d'être joué complètement.
Photo : Cette illustration de Donald Trump a été réalisée par Asier Sanz. Il s'agit d'un assemblage-collage qui joue sur la paréidolie, c'est-à-dire cette tendance instinctive qui existe chez l'humain et qui consiste à voir ou à reconnaître des formes familières dans des paysages, des nuages ou des images vagues. https://asiersanz.com. Consulté le 8 mars 2025.
Les illusions de la démocratie libérale
Il y a probablement eu un trop grand nombre de personnes qui ont cru (et qui continuent à croire) naïvement ou en toute sincérité dans les mensonges de la démocratie libérale qui s'est mise en place dans les pays occidentaux au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Expliquons-nous.
Commençons par mentionner que le XXe siècle a été un siècle de grands tumultes sur la scène politique et économique. Il y a eu les deux grands conflits mondiaux (1914-1918 et 1939-1945) et plusieurs crises économiques (1929 à 1939 ; 1957-1958 ; 1960-1961 ; 1970 ; 1974-1975 ; 1982-1983 ; les nombreux et fréquents ralentissements économiques des années quatre-vingt-dix qui ont été accompagnés d'une longue et interminable crise des finances publiques1). Durant la première moitié du XXe siècle, il y a eu une exacerbation des contradictions politiques et l'arrivée de partis politiques autoritaires, dans les années vingt et trente, en Italie (le fascisme) et en Allemagne (le nazisme). Il s'est produit dans certains pays européens des soulèvements ouvriers majeurs (en Autriche [Vienne la rouge], en Allemagne [la révolte spartakiste de Berlin en 1919], en Italie [occupation des usines et mise en place des conseils ouvriers en 1920], en Angleterre [la grève générale de 1926], etc.) ainsi que des révolutions prolétariennes (en Russie en 1917 et en Hongrie en 1919) annonciatrices, sur le plan du discours idéologique, de l'émancipation de l'humanité qui s'est accompagnée en URSS du Goulag et, par les membres de la nomenklatura au pouvoir, d'une lutte à finir avec la dissidence.
Au sein des pays industrialisés de l'Europe de l'Ouest, de l'Amérique du Nord et du Japon, la vie politique va connaître, dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, de grandes mutations. Nous allons assister à l'émergence d'une démocratie libérale qu'on peut qualifier de pluraliste et de représentative. Les pays occidentaux vont entrer dans l'ère de la politique-spectacle2, alors que la vie politique va se professionnaliser et les partis politiques vont traiter l'électorat comme une clientèle à séduire. Mais la joute politique que se livrent dès lors les partis se déroule dans la logique de l'alternance gouvernementale, sans véritable alternative politique. Les citoyennes et les citoyens constatent qu'entre les grands partis traditionnels, c'est « bonnet blanc, blanc bonnet ». Ceci va avoir pour effet de contribuer grandement à développer le cynisme et l'indifférence d'une frange importante de la population envers les affaires publiques. Certes, le droit de vote, dans les démocraties occidentales, va devenir universel et être accordé aux citoyennes et aux citoyens de 18 ans et plus. Pour ce qui est de l'exercice du pouvoir, la vaste majorité n'aura pas voix au chapitre.
Bref, le modèle de la démocratie libérale représentative et pluraliste qui prend forme et qui se répand dans les pays capitalistes développés, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, s'accompagne d'une universalisation du droit de vote et de la transformation des partis politiques en organisations permanentes au sein desquelles nous retrouvons principalement des professionnelLEs de la politique. Ces deux phénomènes ont pour effet de brouiller les cartes de la représentation politique. Plus la politique se massifie et moins le peuple est souverain. Certains auteurs (Robert Michels et Moisei Ostrogorski3) ont conclu à l'impossibilité pratique d'un gouvernement par le peuple. Au mieux, le peuple peut choisir, via une élection, des représentantEs appeléEs à gouverner en son nom. Mais l'idée d'un marché libre ou libéral occasionne des difficultés. Ce qui oblige les gouvernements à envisager des règles ou des mesures pour tenter de limiter les crises économiques et les déficits commerciaux. De là est apparu le planisme, qui sert donc à planifier les budgets étatiques, les visées du marché, en plus d'orienter les politiques de façon à assurer une protection nationale — ce qui nous éloigne du marché libre.
La professionnalisation de la vie politique et parlementaire entraîne la disparition, dans le processus démocratique, de celles et ceux qui comprennent le moins la vie politique. Ceci permet aux dirigeantEs du gouvernement et des partis politiques de diriger avec le moins d'entraves possible. Le rôle du peuple se limite strictement à voter et non pas à être partie prenante du processus décisionnel.
La démocratie libérale pluraliste et représentative correspond tout au plus à une simple procédure : une méthode de sélection du personnel spécialisé dans l'art du gouvernement. La scène politique, lors d'une élection, prend la forme d'un marché dominé par les grands partis politiques en compétition pour obtenir le plus grand nombre de voix. À l'ère de la démocratie représentative pluraliste, les partis politiques traditionnels sont à la recherche des votes de la majorité silencieuse. Pour obtenir des voix, ils font des promesses mirobolantes qu'ils savent qu'ils ne pourront tenir. En politique comme dans le monde de la publicité, c'est le règne du look, du paraître et de la séduction qui l'emporte. Voilà pourquoi nous avançons que la vie politique, dans ce que nous appelons les démocraties libérales occidentales, s'est métamorphosée, à travers le temps, en politique-spectacle. Cette politique fonctionne au simulacre, à l'illusion et aux gros mensonges. La lutte entre les protagonistes et porte-parole des partis politiques s'est exacerbée avec le temps. Elle va devenir, à partir de la crise de la fin des années soixante-dix du siècle dernier, plus clivante et davantage polarisée. Attardons-nous sur quelques-unes des grandes mutations du dernier quart de siècle à aujourd'hui.
Sur les grandes mutations du dernier quart du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui
Du milieu des années soixante-dix jusqu'à aujourd'hui, nous avons assisté, dans les pays capitalistes occidentaux et les démocraties libérales, à une transformation progressive du capitalisme et du pouvoir politique. Nous avons été à partir de ce moment et jusqu'à tout récemment confrontés à des institutions qui ont permis une nouvelle forme d'autorégulation du marché mondial. Les dirigeants politiques et les acteurs privés de la Commission trilatérale — organisation créée en 1973 — ont jeté les bases de nouvelles règles de l'économie de marché dans les supposées « ingouvernables démocraties ». La classe politique, pour sa part, a adopté les règles du jeu souhaitées par les barons du capitalisme oeuvrant sur la scène mondiale. Ces nouvelles règles, qui ont été par la suite sanctionnées dans le cadre de traités dits de libre-échange et de règlements adoptés par l'Organisation mondiale du commerce et de Grands sommets des chefs (G-5, G-7, G-8, G-20 et des Sommets de Seattle en 1999 et de Québec en 2002, etc.), n'ont pas été sans conséquences économiques, sociales et politiques majeures pour la majorité de la population.
L'érosion de l'État-nation et régression de la démocratie
Les nouvelles règles du jeu issues de ces organisations à caractère économique et de ces sommets entre dirigeants politiques ont eu pour effet d'éroder certains pouvoirs de l'État. Le pouvoir politique s'est montré incapable de maîtriser la dynamique de la vie économique. Constatons-le : les organisations qui, en dernière analyse, exercent le contrôle du marché mondial sont de nature technobureaucratique et les représentantEs des grandes entreprises ont un accès direct aux décideurEUSEs de ces organisations. Nous avons toutes et tous été à même de constater que jusqu'à tout récemment, le développement du marché mondial a découlé d'une stratégie politique qui a été définie dans des institutions comme le Fonds monétaire international (le FMI), la Banque mondiale, le G7, l'accord de libre-échange nord-américain, etc.. L'État-nation a cessé de faire le poids devant ces institutions politiques internationales réunissant une simple poignée de dirigeantEs des pays les plus développés de trois continents. Nous avons assisté, au cours des cinquante dernières années, soit de 1975 à aujourd'hui, à une véritable régression démocratique qui a profité principalement aux grands acteurs de la mondialisation (les administrateurs des entreprises transnationales, les banquiers de Wall Street, les membres des groupes sélects en provenance de la Silicon Valley : GAFA(M) et NATU4).
Il importe d'ajouter que le primat du marché mondial qui entraîne l'érosion des pouvoirs de l'État national a également eu pour effet d'encourager, à partir du début des années quatre-vingt du siècle dernier, le démantèlement du Welfare State. La nouvelle figure étatique qui s'est mise en place à l'heure du néolibéralisme ou du rétrolibéralisme est maintenant attaquée frontalement par Trump II et Musk (l'agence DOGE). Des années quatre-vingt jusqu'à aujourd'hui, il a été surtout question de privatisations, de dérèglementations, d'ouverture aux capitaux étrangers. Maintenant, aux USA et ailleurs dans certains pays, une contre-révolution réactionnaire est en cours. Une contre-révolution inspirée par les super chefs autoritaires que sont les Trump (USA), Milei (Argentine), Meloni (Italie) et Orban (Hongrie). Or, il importe ici de mettre un mot sur ce qui a accompagné la néo-libéralisation occidentale, c'est-à-dire un néoconservatisme favorable à un État autoritaire. Philip Allmendinger (2002, p. 102) mentionne d'ailleurs ceci : « Les libéraux ont besoin d'un État fort pour contenir la dissidence et surveiller le marché. Les conservateurs ont besoin du potentiel de richesse matérielle offert par le marché afin de justifier un État plus autoritaire5 ». Ainsi, les USA actuels poursuivent dans cette lignée débutée par les Thatcher et Reagan de ce monde.
La transformation de la société
La vaste majorité — pour ne pas dire la quasi-totalité — des sociologues s'entendent sur le constat que nous ne vivons plus dans la société industrielle qui s'est développée à partir du milieu du XIXe siècle. Pour saisir les transformations survenues progressivement depuis la Deuxième Guerre mondiale, certains utilisent le concept de société post-industrielle, d'autres ont proposé celui de société de l'information (c'est-à-dire Hytech). Dans une société de ce type, les organisations de la classe ouvrière ont soit été démantelées, soit rendues illégales. Certaines ont été transformées en véritable caricature électoraliste — pensons ici à l'euro communisme — ou bureaucratisées et rigidement encadrées par un dispositif juridique qui restreint la portée des revendications syndicales et salariales dans un cadre limité et routinier. Dans le monde complexe d'aujourd'hui, il ne semble plus y avoir, à gauche, d'acteurs centraux capables de formuler un projet de société mobilisateur et utopique. La lutte pour le progrès social, jadis fondée sur l'utopie socialiste, est remplacée aujourd'hui par des luttes pour la reconnaissance de droits particuliers (les droits à la non-discrimination et les droits à l'égalité). Peut-être est-ce en raison des dérives communistes perçues et de la montée du totalitarisme vantant d'ailleurs des visées socialistes. Peu importe, à l'heure actuelle, il s'agit ici de constater l'impossibilité de la gauche à dégager, comme au XIXe et une partie du XXe siècle, de grandes solidarités d'inspiration progressiste visant la transformation sociale. C'est plutôt, plus récemment, à droite et chez les ultra-droitistes que l'utopie contre-révolutionnaire s'est enracinée et développée. Toujours dans cette idée de la liberté, dont le néolibéralisme semble incapable de lui donner sa véritable valeur.
La gauche socialiste, la sociale-démocratie, le syndicalisme révolutionnaire ou le syndicalisme de combat sont maintenant des forces sociales et politiques quasi absentes ou complètement absentes de l'arène sociale et de la scène politique partisane. Comment interpréter ce phénomène ? Minimalement, de deux façons : on peut, dans une perspective tautologique, le considérer comme le syndrome de l'absence d'un véritable projet politique de transformation sociale ; on peut aussi considérer ce vide comme l'expression ou le résultat d'une transformation majeure du champ politique lui-même.
Sur les transformations du champ politique dans les démocraties libérales occidentales
Pour résumer en quelques mots autour de cette transformation de la forme et du contenu de l'action politique, disons que nous avons assisté à une remise en question frontale par les forces rétrolibérales — c'est-à-dire néolibérales et maintenant ultralibérales — du modèle politique qui s'est imposé un peu partout en Occident au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale : le modèle de la démocratie sociale ou le modèle de la démocratie représentative parlementaire associée au Welfare State.
Ce modèle de démocratie sociale représentative parlementaire correspondait grosso modo aux caractéristiques suivantes :
• La scène politique est réputée être le lieu où les membres d'une société ont la possibilité de définir leur avenir à travers une dynamique de conflit.
• L'État est la figure centrale du pouvoir : sa conquête est l'enjeu fondamental de l'action politique.
• Les institutions représentatives (parlementaires) sont le théâtre où se répercutent les conflits et les oppositions relativement au changement social et politique.
• Le processus électoral est un mode d'accès privilégié à la compétition politique pour l'exercice du pouvoir d'État.
• Les groupes d'intérêts sont au cœur des pratiques de pression et de mobilisation qui expriment les revendications et les aspirations des groupes identifiés à la société civile.
• Les partis sont les agents centraux de la lutte pour le pouvoir d'État.
Dans la foulée des réformes engendrées par les exigences de la mondialisation néolibérale, c'est ce modèle politique qui a fait l'objet d'un processus d'effritement et de dépassement. Mais, n'allons pas trop vite. Du lendemain de la Deuxième Guerre jusqu'à la crise des années soixante-dix et quatre-vingt, l'action partisane politique s'est fondée sur le culte du changement. En règle générale, la quasi-totalité des partis politiques partageait la volonté de croire et de faire croire qu'ils étaient porteurs d'un projet crédible et distinct de transformation sociale et que leur action s'inscrivait dans une lutte pour le changement visant plus d'égalité.
Or, ce modèle politique construit sur la valorisation du changement est entré en crise dès lors que le projet de transformation de la société, centré sur les idéaux d'égalité sociale, a commencé à être remis en question. En effet, quelque part à partir du tournant des années soixante-dix, les thématiques du changement et du progrès social s'amenuisent. Le socialisme n'apparaît plus comme cet avenir pensable annoncé par les figures de proue du marxisme et du socialisme démocratique. On observe en même temps que les grandes réformes économiques, sociales et culturelles ont sombré dans la routine bureaucratique. Les promesses d'une participation effective des citoyennes et des citoyens à la vie collective ne sont pas réalisées. Et cela n'est pas surprenant, car exiger l'égalité suppose une plus grande intervention de l'État dans tous les rouages de l'activité du travail, en particulier. Autrement dit, il s'agit d'imposer des règles, de bureaucratiser en quelque sorte l'accès et le développement de cette activité. Plus de droits pour les uns équivaut à plus de contraintes pour les autres, d'où une perte de liberté. Cette perception suppose aussi une forme de discrimination, dans le sens où le transfert de la richesse vers l'aide aux autres reviendrait à faire des travailleuses et des travailleurs des pourvoyeuses et des pourvoyeurs au maintien de personnes qui profiteraient alors du système dit « égalitaire ».
Ici et là, des voix se sont élevées pour commencer à s'attaquer à la notion même de progrès social en dénonçant les effets destructeurs du productivisme — pensons ici au rapport intitulé Halte à la croissance —, pendant que d'autres voix ont décidé de remettre en question certaines politiques associées à « l'État-providence ». Avec la crise des années soixante-dix et quatre-vingt, nous avons assisté, à gauche, à la perte de l'espoir de transformer le monde, alors que les visions de l'avenir sont devenues de plus en plus pessimistes. Contrairement aux promesses d'une croissance continue et ininterrompue, le futur désormais allait prendre l'allure de la régression sociale, de l'austérité, du chômage et de la précarisation du travail.
Cet effritement des perspectives progressistes a eu pour effet de créer un vide politique alimenté toujours par l'impression que les institutions de la démocratie représentative ne correspondaient qu'à des scènes formelles habitées par des spécialistes qui font quotidiennement la preuve de leur incapacité à esquisser un avenir vraisemblable. Un vide politique qui se nourrit d'un scepticisme envers un jeu politique qui ne vaut pas la peine d'être joué complètement. Ce scepticisme a pris tantôt la forme d'un absentéisme lors des élections ; tantôt s'est-il manifesté, à gauche, par une chute du militantisme politique et un désinvestissement des groupes d'action collective. Justement parce que les visées communes ne sont point valorisées par ce système, parce que l'individualisme domine. Le néolibéralisme considère l'individu comme un être d'échange et non comme un être social. Ainsi, tout mouvement de revendications axé sur le collectif — militantisme, mouvement social et syndicalisme — est dépeint comme un acte improductif, irrationnel, voire même exercé par des individus chialeurs et frustrés de ne pas avoir autant de succès que les autres.
Notes
1. Mentionnons ici qu'il y a eu ensuite les crises de 2008 et celle qui a accompagné la pandémie en 2020.
2. Schwartzenberg, Roger-Gérard. 1992. L'État spectacle. Paris : Garnier-Flammarion, 318 p.
3.Michels, Robert. 2009. Les partis politiques. Bruxelles : Éditions de l'Université de Bruxelles, 271 p. ; Ostrogorski, Moisie. 1993. La démocratie et les partis politiques. Paris : Fayard, 768 p
4. Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, Netflix, Air BNB, Tesla et Uber.
5.Traduction libre de : « Liberals need a strong state to contait dissent and police the market. Conservatives need the potential for material wealth offered through the market to justify a more authoritarian state » (Allmendinger, Philip. 2002. Planning Theory. Houdmills and New York : Palgrave, p. 102).
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

RDC : le combat pour les droits humains de Caritas Bukavu en temps de guerre

Une entrevue avec Damas, le chef d'antenne de l'ONG congolaise par Charlie Wittendal, correspondant en stage au journal et chargé de communication pour le FSMI.
Tiré du Journal des alternatives.
Dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), les violences sexuelles sont utilisées comme armes de guerre, dévastant des communautés entières. Dans ce conflit reconnu comme le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale, avec plus de six millions de morts, des millions de déplacés et plus d'un million de femmes victimes de violences, celles-ci et leurs filles sont particulièrement vulnérables.
Un conflit aux racines profondes
Si ce conflit est complexe et multifactoriel, marqué par le génocide rwandais de 1994, des tensions ethniques et l'implication d'une multitude de groupes armés, l'économie de guerre s'est transformée en économie de prédation des ressources naturelles.
Le chercheur et spécialiste en conflits armés, Nicolas Hubert, a expliqué que les groupes armés et les forces régulières contrôlent l'exploitation minière dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, y compris la province de l'Ituri, riches en ressources naturelles. Ces « minerais de sang » qui y sont extraits circulent avec des chaînes d'approvisionnement internationales impliquant de grandes entreprises comme Apple et Google. Les minerais extraits illégalement sont exportés vers des marchés internationaux sous des étiquettes trompeuses avec des impacts sociaux et économiques dévastateurs pour les populations locales.
Actualités dans la région du Nord-Kivu
Depuis janvier 2025, les combats se sont intensifiés dans les provinces du Nord et Sud-Kivu opposant les forces Gouvernementales de la RDC et les rebelles du M23. Le M23 a pris la ville de Goma, capitale du nord Kivu, entre le 24 et le 27 janvier, suivi par la ville voisine de Bukavu, province du Sud Kivu, le 16 février. Des combats causant des déplacements massifs de civils, des meurtres et des violences sexuelles. Simplement au cours de la semaine du 27 janvier au 2 février 2025, l'Unicef remarque que le nombre de victimes de viol accueillies au sein des 42 structures de santé a quintuplé, dont parmi elles, 30 % étaient des enfants. Entre le 26 janvier et le 7 février, L'ONU estime près de 3 000 personnes tuées et 2 900 blessées. Face à ces violences des rebelles, il est urgent d'agir.
Damas est le chef d'antenne de Caritas Bukavu depuis 2018, une ONG humanitaire qui œuvre dans cette région. Il témoigne de cette réalité. « On ne sait plus sur quel pied danser. Nous sommes enfermé.es dans nos maisons, muselé.es, incapables de travailler », confie-t-il. Les activités humanitaires sont paralysées, les autorités ont fui et les membres de la société civile doivent se cacher pour survivre. « Nous plaidons pour la démocratie, la liberté d'expression, mais même notre sécurité est en danger. »
Caritas Bukavu
Caritas Bukavu s'engage pour la paix et la défense des droits humains en soutenant les survivantes de violences sexuelles, en assistant les personnes déplacées et en menant des actions de cohésion sociale et de plaidoyer local. L'organisation sensibilise sur l'égalité des genres, l'éducation pour les enfants et la protection de l'environnement, tout en répondant aux urgences avec des distributions de vivres et une aide financière.
Grâce à des partenariats tels que la Caritas Espagne, la Caritas Belgique ou le fonds de Nations Unies pour la Démocratie, elle renforce l'autonomisation des femmes et leur participation à des instances décisionnelles. Elle procure des programmes de mentorat, la création d'activités génératrices de revenus, et une assistance psychosociale et socio-économique pour les survivantes.
Violences faites aux femmes comme arme de guerre
Les femmes sont particulièrement vulnérables dans les régions de conflit. Le viol est utilisé comme arme de guerre : certaines sont agressées devant leurs familles, qui sont ensuite massacrées. D'autres sont capturées en fuyant, violées, mutilées, et abandonnées. Ces violences servent à semer la terreur : elles facilitent la prise de contrôle des territoires, provoquent des déplacements massifs et détruisent le tissu social. Les victimes contractent des infections, sans accès aux soins, leurs maisons sont détruites, leurs biens pillés. Damas raconte : « C'est plus que la guerre. Ils retirent les organes, laissent les survivantes traumatisées, sans aucun soutien ». La réparation judiciaire est inexistante, les bourreaux ont été libérés en cascade pendant la guerre : toutes les prisons sont vides et d'autres incendiées par les rebelles et les forces gouvernementales.
Pourtant, face à cette horreur, des initiatives existent. Le Dr Mukwege et son hôpital offrent des soins médicaux, psychologiques, et un soutien juridique aux survivantes. Caritas Bukavu organise des centres d'écoute, distribue des biens essentiels, et propose des programmes de réinsertion. Ces efforts se font en coordination avec des agences comme l'UNICEF et l'OMS, malgré les risques.
Responsabilité internationale
Ce conflit est aussi une responsabilité internationale : l'exploitation illégale des ressources congolaises finance ces atrocités, au bénéfice de multinationales occidentales et asiatiques. Il est impératif d'interpeller les gouvernements et les entreprises pour qu'ils cessent de soutenir, directement ou indirectement, ce cycle de violence. Les groupes humanitaires appellent le Conseil des droits de l'homme et le Conseil de sécurité de l'ONU à ouvrir un couloir humanitaire sûr, malgré l'entrave des groupes armés. Ils exigent que les responsables des violences soient jugés, que l'exploitation illégale des ressources cesse, et que les populations reçoivent une protection immédiate. Il est urgent d'agir pour soulager les souffrances des victimes de ce conflit.
L'ONG Caritas Bukavu est inscrite comme entité au Forum social mondial des intersections et compte organiser une activité.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

En Tunisie, un procès aussi politique que kafkaïen

L'ouverture du procès de complot présumé contre la sûreté de l'État a débuté à Tunis mardi 4 mars 2025 en l'absence des principaux détenus politiques. Reporté au 11 avril, sa première audience a été l'occasion pour les familles des détenus et leurs avocats de rappeler toutes les incohérences de cette affaire.
Tiré d'Afrique XXI.
Je pense que depuis les procès des assassinats politiques de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi (1), nous n'avons pas connu d'affaire en justice d'une telle envergure après la révolution. Surtout qu'avant, la couleur politique [des accusés] était clairement identifiée : les islamistes, la gauche, les syndicalistes… Là, on a un peu de tout, y compris Bernard-Henri Lévy.
L'avocat et ancien juge Ahmed Souab ironise en sortant du tribunal de première instance de Tunis, et rappelle au passage la longue liste des accusés improbables de ce procès. Comme une centaine de ses confrères de la défense dans l'affaire dite du complot contre la sûreté de l'État, il s'est exprimé devant le juge, sans prendre de pincettes.
- Nous étions entassés les uns sur les autres dans une salle trop petite, à suffoquer, devant un écran d'où les principaux prévenus étaient absents. Pour moi, c'est digne d'un hammam, pas d'une salle de tribunal. Nous ne pouvons pas parler d'un procès équitable dans de telles conditions.
Les accusés absents
Ce mardi 4 mars, les plaidoiries des avocats dans une salle comble — la fameuse salle d'audience numéro 6, réservée aux présumés terroristes, les accusés étant jugés sur la base de la loi antiterroriste et du code pénal — portent plus sur la forme que sur le fond pour cette affaire hautement politique. Une position assumée de la défense qui refuse de commencer le procès sans la présence des détenus. Ces derniers sont restés dans leur cellule, refusant l'ordre de comparaître par visioconférence — une mesure héritée de la période Covid-19 et qui a été ici ordonnée par la justice pour motif de « danger ».
Sur l'écran, seulement deux prévenus : Saïd Ferjani, cadre du parti islamiste Ennahdha, emprisonné dans le cadre d'une autre affaire, celle de la société Instalingo (Lire l'encadré ci-dessous), et Hattab Slama, directeur commercial et grand inconnu de cette affaire dite du complot. La justice lui reproche d'avoir garé sa voiture dans le parking de la maison de l'un des accusés et détenus politiques, Khayem Turki, aux côtés de véhicules de diplomates étrangers en visite alors chez ce dernier. Les deux prisonniers sont restés silencieux, résignés, écoutant les avocats de la défense face à un juge stoïque qui les a laissés s'exprimer pendant les cinq heures du procès.
Pour la défense, même si cette première audience était décevante, symboliquement, elle a porté ses fruits : « Nous voulions surtout montrer à l'opinion publique locale et internationale ce qui se passe avec ce procès. L'objectif n'est pas vraiment de convaincre le juge, mais plutôt de dénoncer les conditions dans lesquelles se déroulent un tel procès », explique Dalila Ben Mbarek Msaddek, avocate et sœur de Jaouhar Ben Mbarek, autre détenu.
Les familles et les avocats attendaient depuis plus de deux ans ce moment, d'où la déception de ne pas voir les accusés présents physiquement. L'année dernière, lorsque Jaouhar Ben Mbarek avait été entendu par le juge dans une autre affaire, il avait comparu physiquement, malgré sa grève de la faim et il avait pu s'exprimer devant le juge. « C'est ce que la justice redoute, que les prisonniers s'expriment dans la salle d'audience. On les réduit donc au silence », explique Haifa Chebbi, avocate et nièce de Issam Chebbi, président du parti Al Joumhouri et également emprisonné. « Cinquante ans en arrière, lors des procès politiques de la gauche sous Bourguiba, tous avaient pris la parole face au juge », renchérit Rabâa Ben Achour, universitaire venue soutenir les familles à l'extérieur du tribunal.
Un dossier vide
L'affaire compte en tout 40 accusés. Certains d'entre eux comparaissaient librement, comme Ahmed Nejib Chebbi, ancien candidat à la présidentielle et membre de la coalition d'opposition à Kaïs Saïed, le Front du salut, ou encore Chaïma Issa, ancienne détenue politique également membre de cette coalition. Une grande partie des accusés, dont l'ancien président de l'instance électorale, Kamel Jendoubi, et la militante féministe et ancienne députée, Bochra Belhaj Hmida, vivent en exil à l'étranger. Six figures politiques de l'opposition sont emprisonnées depuis février 2023 : Khayam Turki, homme politique, Abdelhamid Jelassi, ancien membre du parti islamiste Ennahda, Ghazi Chaouachi ancien député et secrétaire général du parti de gauche Le Courant démocratique, Issam Chebbi leader du parti Al Joumhouri, Ridha Belhaj, avocat, ancien ministre et membre du parti Nidaa Tounes et Jaouhar Ben Mbarek, constitutionnaliste. Ils avaient tous préparé des plaidoiries en amont de l'audience et remis des lettres à leurs familles pour les lire à la presse. On lit dans celle de Jaouhar Ben Mbarek :
- Notre procès ne pourra donc avoir lieu que si nous assistons à l'audience, et que les portes de la salle d'audience sont ouvertes à tous les Tunisiens. Nous n'accepterons pas que ce procès se déroule dans des salles obscures et dans un secret honteux… Nous n'accepterons jamais…
Outre la liste farfelue des accusés, les noms de l'ancien ambassadeur de France, André Parant, et celui de l'Italie, Fabrizio Saggio, actuel conseiller diplomatique de Georgia Meloni et coordinateur du Plan Mattei qui définit la nouvelle politique africaine du pays, ainsi qu'une officielle américaine ont également été mêlés à ce dossier, sans qu'il n'y soit donné aucune suite. Dalila Ben Mbarek Msaddek insiste :
- L'une de nos demandes préliminaires à la tenue d'un procès équitable était que la justice les auditionne. Nous avons nous-mêmes essayé d'écrire aux ambassades citées pour leur demander leur témoignage, mais nous n'avons pas eu de réponse.
Les révélations du dossier d'instruction montre l'aspect bancal de l'enquête qui repose exclusivement sur les témoignages de trois anonymes, surnommés X, XX et XXX, recueillis qui plus est après l'arrestation des accusés. Les demandes d'une confrontation avec les accusés ont là aussi été rejetées. Pire, le juge d'instruction en charge de l'affaire a finalement quitté le pays peu après la publication du rapport d'instruction, dans des circonstances mystérieuses.
« Une situation alarmante »
Le jour J, la justice tente de calmer le jeu. À l'entrée de la salle d'audience, les policiers sont affables et enregistrent les noms des journalistes, tout en les laissant rentrer. Interdiction cependant de filmer et d'enregistrer sans l'autorisation de la cour, comme dans la majorité des procès en Tunisie, ce qui n'a toutefois pas empêché des enregistrements vidéos et audio de filtrer.
Des représentations de chancelleries étrangères étaient présentes, dont la France, l'Allemagne, la Belgique, le Canada, la République tchèque, l'Espagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède, le Haut-Commissariat des droits de l'Homme de l'ONU (OHCHR), ainsi qu'une délégation de l'Union européenne. Ce procès est également scruté de près par les ONG de défense des droits humains qui ont manifesté devant le tribunal, aux côtés d'associations locales et des familles, et qui étaient aussi présentes dans la salle. L'ONG Human Rights Watch a ainsi dénoncé l'absence des détenus dans un communiqué appelant à leur libération immédiate :
- La pratique des procès à distance est par essence abusive, puisqu'elle porte atteinte au droit des détenus à être présentés physiquement devant un juge afin qu'il puisse évaluer leur état de santé ainsi que la légalité et les conditions de leur détention.
Car ce procès, en plus d'autres pratiques liberticides, vaut en effet à la Tunisie d'être de plus en plus visée pour ses « persécutions d'opposants politiques » selon les mots du communiqué de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, publié le 18 février 2025, et dénonçant une « situation alarmante » en Tunisie. Le ministère des affaires étrangères a répondu une semaine plus tard via sa page Facebook, se déclarant « stupéfait » des critiques de l'ONU et insistant sur le fait que la Tunisie « n'a pas besoin de souligner son attachement aux valeurs des droits de l'homme ». Quant aux détenus, ils auraient été arrêtés, toujours selon le ministère, « pour des crimes de droit public qui n'ont aucun lien avec leur activité partisane, politique ou médiatique, ou avec l'exercice de la liberté d'opinion et d'expression ».
Malgré la présence des chancelleries étrangères, aucune réaction européenne n'a été enregistrée à ce procès. Lors d'une conférence organisée notamment autour des accusés en exil à Paris, le lundi 3 mars, dans les locaux de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), Anne Savinel-Barras la présidente d'Amnesty France, a rappelé que « ces détentions sont arbitraires aux yeux du droit international » mais que, pour l'Europe, « la seule question qui importe avec la Tunisie, c'est l'obsession migratoire. Tout est conditionné à cela ». Si certains députés européens ont à plusieurs reprises élevé la voix contre la dérive autoritaire en Tunisie, réclamant de revoir certains soutiens financiers au regard du traitement des opposants politiques et des exilés subsahariens, aucune action concrète n'a été engagée par la Commission européenne qui, au contraire, multiplie les déclarations sur le durcissement de sa politique migratoire, en collaboration avec Tunis. Par ailleurs, l'Italie s'est plusieurs fois félicitée de la baisse des arrivées de migrants irréguliers sur les côtes italiennes entre 2024 et 2025 au départ de la Tunisie. De leur côté, les autorités tunisiennes ont annoncé que, depuis 2023, le nombre d'exilés arrivés en Italie via la Tunisie a baissé de 80 %. L'Agence Frontex parle d'une baisse de 38 % des franchissements irréguliers des frontières européennes en 2024, une chute due à la réduction de 59 % des départs depuis la Tunisie et la Libye.
« Un régime qui ne plie pas »
Aujourd'hui, la majorité des prisonniers, même ceux dont les familles étaient jusque-là discrètes, sortent de leur silence. C'est le cas de Ghalia Eltaïef, fille de Kamel Eltaïef, homme d'affaires influent, jadis proche de l'ancien dictateur Zine El-Abidine Ben Ali, emprisonné dans le cadre de cette affaire du complot. Dans la foulée de l'audience de mardi, elle a publié sur Facebook une partie du rapport d'instruction concernant son père et a dénoncé l'absence de preuves tangibles qui pourraient l'incriminer. « L'objectif est clair : règlement de comptes politiques et diffamation des opposants à travers des dossiers montés de toutes pièces, et une instrumentalisation de la justice à des fins illégitimes », écrit-elle.
La prochaine audience est prévue pour le 11 avril 2025, « des délais normaux » selon Haifa Chebbi, qui ne s'attend de toute façon pas à un procès long mais à des peines lourdes « pour donner l'exemple », ajoute-t-elle, pessimiste. Parmi les accusés, plusieurs risquent la peine capitale, sous moratoire en Tunisie. Pour la société civile qui peine à se mobiliser autour de l'affaire, seulement une centaine de personnes étaient présentes devant le tribunal mardi. « Il n'y a pas de desserrement possible », estime Rabaa Ben Achour. « Nous n'avons pas vu une seule lueur de compromis dans le bras de fer que nous avons avec le régime de Kaïs Saïed depuis trois ans. C'est un régime qui ne plie pas », conclue-t-elle.
Outre ce procès politique, sans doute l'un des plus connus et des plus attendus, il existe une quinzaine d'autres affaires dites de « complot » qui sont également en attente de procès. Cela sans compter les nombreux activistes, journalistes et militants de la société civile emprisonnés sous le coup du décret 54, qui punit la diffusion de fausses nouvelles et qui est principalement utilisé pour museler la liberté d'expression selon les ONGs de défense des droits humains, ou pour « blanchiment d'argent ». Aujourd'hui, les associations de défense des libertés recensent entre 70 et 80 prisonniers politiques ou d'opinion.
Le dernier procès en date est celui de l'affaire Instalingo — une entreprise spécialisée dans la création de contenus web et dont les chefs et employés ont été accusés d'avoir voulu déstabiliser le gouvernement en répandant de fausses informations. Il a donné lieu à des peines de réclusion criminelle qui vont de 5 à 54 ans de prison, et ce à l'encontre des 38 inculpés, dont plusieurs membres du parti islamiste Ennahda. Son président, Rached Ghannouchi, 83 ans, a par exemple écopé de 22 ans de prison. Après ce verdict qui a donné le ton sur la sévérité des peines encourues, la justice tunisienne a libéré la militante des droits humains et ancienne présidente de l'Instance vérité et dignité, en charge après la révolution de 2011 de la justice transitionnelle, Sihem Ben Sedrine, ainsi que le journaliste Mohamed Boughalleb. Un desserrement ponctuel qui, pour nombre de militants de droits humains, servirait à justifier les lourdes condamnations.
Notes
1- NDLR. Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ont été assassinés en 2013. Le premier a été tué devant chez lui le 6 février 2013, et ce premier assassinat politique post-révolution a provoqué un séisme dans le pays. Après sa mort, il est devenu le martyr de la gauche. Moins de six mois plus tard, le 25 juillet, Mohamed Brahmi, leader du Courant populaire (nationaliste arabe) est assassiné à son tour. Un sit-in s'organise alors devant l'Assemblée nationale constituante pendant tout le mois d'août 2013, et le pays traverse une crise politique sans précédent qui débouchera sur la formation d'un gouvernement d'union nationale.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Vers la fin de la paix au Soudan du sud ?

Ces dernières semaines, les tensions ont repris entre les milices partisanes du vice-président nuer Riek Machar et l'armée régulière du président dinka Salva Kiir. Le premier a accusé le second d'avoir attaqué ses troupes dans la région de Ulang (Est). En réplique, le 7 mars, l'une de ses milices a pris d'assaut un hélicoptère des Nations unies à Nasir (Est), avec à son bord douze soldats, dont un proche du président Salva Kiir, le général David Majur Dak. Tous les passagers ont péri.
Tiré d'Afrique XXI.
Ces dernières semaines ont également été marquées par l'arrestation de ministres et de hauts responsables proches de Riek Machar.
L'accord de paix signé en 2018 risque d'éclater. Deux ans après l'obtention de son indépendance en 2011, le Soudan du Sud avait sombré dans une guerre civile meurtrière, qui a fait au moins 400 000 morts et plus de 4 millions de déplacés.
L'accord de paix prévoyait l'organisation d'élections démocratiques et la fusion des deux armées au sein des Forces unifiées nécessaires (NUF). Mais sept ans après, les élections ont été continuellement repoussées, et les NUF n'ont jamais vu le jour. La reprise des affrontements ravive ainsi de vieilles querelles communautaires et politiques.
Déployée depuis 2011, l'opération des Nations unies au Soudan du Sud (Unmiss) s'inquiète dans un communiqué publié le 7 mars : « La mission appelle tous les acteurs à s'abstenir de nouvelles violences et les dirigeants du pays à intervenir d'urgence pour résoudre les tensions par le dialogue et garantir que la situation sécuritaire à Nasir, et plus largement, ne se détériore pas. » De son côté, International Crisis Group s'alarme sur l'avenir du plus jeune pays du monde : « Le Soudan du Sud est au bord d'une nouvelle guerre totale. »
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Le Maroc, pierre angulaire de la politique de Trump en Afrique et en Europe

La nouvelle administration américaine a envoyé un message codé au Maroc. L'aide publique au développement et les actions de l'USAID en particulier voient le Maroc traité comme la plupart des autres pays de la planète. Mais la coopération militaire n'est en rien interrompue et se voit au contraire accélérée.
Tiré de MondAfrique.
Plusieurs facteurs expliquent cet investissement en équipements et formation pour la guerre alors que les Etats-Unis ont freiné leur appui à l'Ukraine et aux alliés européens de l'OTAN.
En premier lieu le nouveau président américain est un vieil ami de la maison royale chérifienne. Donald Trump, désormais surnommé Trump II se voit dynastique comme son ancien ami Feu Hassan II roi du Maroc qui accueillait en 1992 le jeune américain qui deviendra 33 ans après le 47° Président des États–Unis d'Amérique. Ainsi dès le 5 mars 2025, le Général d'Armée Michael Langley, Commandant du Commandement américain pour l'Afrique US AFRICOM s'est déplacé au Maroc pour célébrer un événement spécial dans la zone sud de la méditerranée. La cérémonie s'est tenue à la 1ère Base aérienne des Forces Royales Air (BAFRA) à Salé non loin de Rabat, la capitale ; là où s'est opérée la livraison officielle du premier lot composé de 6 hélicoptères d'attaque Apache AH-64E sur une commande de 36 appareils. La chargée d'Affaires de l'Ambassade des États-Unis au Maroc, Aimée Cutrona se trouvait aux cotés de Michael Langley qui a souligné l'impact de cette livraison sur la structure de défense du Maroc. « Avec l'acquisition de ces hélicoptères « Apache », le Maroc fait un grand bond en avant en termes de capacités, renforçant ainsi sa sécurité et sa position stratégique dans la région », a-t-il déclaré, rappelant le rôle clé de Rabat en tant qu'important allié non-membre de l'OTAN des États-Unis.
Les médias espagnols (voir EL INDEPIENDENTE du 06/03 et LA RAZON du07/03) proches de l'armée espagnole et des milieux conservateurs, ont vite marqué le coup considérant qu'il s'agit là d'un défi stratégique pour l'Espagne car l'acquisition des Apache AH-64E par le Maroc souligne le « talon d'Achille » de l'Espagne qui est celui de son déficit d'hélicoptères.
Pour sa part, le Général de Corps d'Armée Mohammed Berrid, Inspecteur Général des Forces Armées Royales et Commandant de la Zone Sud, a préparé d'avance sa réponse à toutes les critiques en soulignant le jour de la cérémonie tenue à Salé que « La livraison officielle du premier lot d'hélicoptères d'attaque Apache AH-64 marque une avancée majeure dans le renforcement du partenariat stratégique et de la coopération militaire solide entre le Royaume du Maroc et les États-Unis d'Amérique ». Pour tranquilliser les inquiétudes éventuelles et clarifier la primauté de la coopération esprits malveillants, il ajoute que l'acquisition de ces hélicoptères est une « nouvelle pierre ajoutée à l'édifice de nos relations solides et profondément enracinées ».
L'Africom à Kenitra
De plus, le 1 février 2025, le journal espagnol LA RAZON a révélait que les États-Unis, dans le cadre du renforcement des relations avec le Maroc sous la présidence de Donald Trump, le commandement de l'AFRICOM, de Stuttgart, en Allemagne, pourrait être transféré dans la ville de Kénitra, au Maroc.
Les militaires américains ont en tous cas étudié la question sur le terrain. À l'époque, il était question de la base de Rota, en Espagne, mais cette possibilité a perdu de son attrait avec la nouvelle administration américaine.
Rappelons que Le Maroc accueille régulièrement des exercices militaires conjoints, tels que « African Lion », l'une des plus importantes manœuvres militaires du continent, sous la houlette des armées américaines et marocaines co-organisatrices.
Le siège de la zone Sud des Forces Armées Royales ( FAR) du Maroc à Agadir a abrité du 24 au 28 février la réunion finale de planification de la 21ème édition de l'exercice militaire « African Lion 2025 », prévue du 12 au 23 mai, se déroulera à Agadir, Tan-Tan, Tiznit, Kénitra, Benguerir et Tifnit.
Une pointure comme ambassadeur américain
Par ailleurs, le magazine Politico, bien informé tient que John Peter Pham serait candidat pour devenir le prochain envoyé des États-Unis en Afrique de la nouvelle administration du président Donald Trump. Si la nomination de l'ambassadeur M. John Peter Pham au poste stratégique de Secrétaire d'État adjoint pour l'Afrique, se confirmait, elle pourrait marquer un tournant géopolitique dans l'approche américaine, non seulement du dossier africain, mais également celui du flanc sud de l'Europe. M. Pham est connu pour sa connaissance approfondie de cet espace à risques multiples et pour son soutien indéfectible au Maroc.
Le samedi 8 mars 2025, Donald Trump a annoncé, sur son réseau social privilégié, Truth Social, la nomination de Mr. Duke Buchan III au poste d'ambassadeur des États-Unis auprès du Royaume du Maroc. C'est une personnalité d'une loyauté remarquable à Trump, président des finances du comité national républicain, ambassadeur des États-Unis en Espagne et en Andorre, entre 2017 et 2021, qui va observer minutieusement l'attitude du Sud européen envers le pays africain le plus proche.
Est-ce un simple hasard ou une opération diplomatico-politique américaine qui aligne en ce début d'année tant d'éléments où le Maroc rivalise avec l'Europe et s'affirme comme la partenaire stratégique d'un retour de Washington dans cette partie du monde qui jouxte Méditerranée, Atlantique et bande sahélo-saharienne.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Pression internationale contre les états-unis : l’appel se renforce pour levée du blocus contre cuba et son exclusion de la liste des états commanditaires du terrorisme

La récente déclaration du Groupe des Amis en Défense de la Charte de l'ONU devant le Conseil des droits humains à Genève a ravivé le débat sur l'impact du blocus économique, commercial et financier que les États-Unis imposent à Cuba. Dans une déclaration percutante, les 20 pays membres du Groupe ont exigé la levée immédiate de cette mesure coercitive ainsi que l'exclusion de l'île de la liste unilatérale des présumés États commanditaires du terrorisme.
Photo PCF.fr
Un blocus économique aux conséquences graves
Le vice-ministre des Relations extérieures de Cuba, Carlos Fernández de Cossío, dénonce régulièrement le caractère agressif de la politique américaine envers son pays. Dans une récente entrevue accordée à Prensa Latina, le diplomate a rappelé que la « politique étrangère mise en œuvre par le gouvernement des États-Unis est agressive. On reconnaît ouvertement que le but est d'exercer une pression économique sans relâche sur Cuba ». Fernández de Cossío a également mis en garde contre de possibles nouvelles mesures coercitives, soulignant que le blocus non seulement empêche Cuba d'accéder à financement et marchés internationaux, mais qu'il a aussi un impact direct et fort négatif sur la vie quotidienne des Cubains et Cubaines.
L'inclusion de Cuba sur la liste des États commanditaires du terrorisme : une décision arbitraire
L'un des points les plus controversés reste l'inscription de Cuba sur la liste des États commanditaires du terrorisme. Cette désignation, dépourvue de fondements objectifs, a été largement rejetée par la communauté internationale.
Le Groupe des Amis en Défense de la Charte de l'ONU a qualifié cette mesure d' « injustifiée et arbitraire », soulignant qu'elle répond davantage à une stratégie de pression politique qu'à des faits vérifiables. La déclaration a été faite lors d'un dialogue avec le Rapporteur spécial sur la défense des droits humains dans la lutte contre le terrorisme.
On ne peut ignorer le rôle historique joué par Cuba dans la médiation des conflits en Colombie et son appui au processus de paix. L'île a joué un rôle clé en tant que garant dans les négociations avec différents groupes armés et en facilitant le dialogue entre les parties en conflit. Son engagement en faveur de la stabilité régionale et de la résolution pacifique des différends est largement reconnu sur la scène internationale.
C'est pourquoi la Colombie insiste tant pour la levée du blocus américain contre Cuba et son retrait de la liste controversée des États commanditaires du terrorisme.
La rencontre récente à Bogotá entre le vice-ministre des Affaires multilatérales de Colombie, Mauricio Jaramillo, et l'ambassadeur de Cuba, Javier Caamaño Cairo, renforce la coopération diplomatique croissante entre les deux pays. Lors de cette réunion, les deux responsables ont souligné l'importance stratégique des Caraïbes dans la politique étrangère colombienne et réaffirmé leur engagement en faveur du multilatéralisme.
Un soutien international ferme et grandissant
La déclaration du Groupe des Amis en Défense de la Charte de l'ONU a été appuyée par plusieurs rapporteurs et experts indépendants de l'ONU, qui ont documenté les effets dévastateurs de ces restrictions sur les droits humains à Cuba.
Cet appel vient s'ajouter aux 32 résolutions adoptées par l'Assemblée générale de l'ONU au cours des dernières décennies, où la majorité des États membres ont systématiquement voté contre le blocus. la scène internationale.
L'impact énorme du blocus sur la vie quotidienne des Cubains et Cubaines
Les sanctions imposées par Washington ont restreint l'accès de Cuba à fournitures médicales, denrées alimentaires et technologie, affectant gravement des secteurs clé de l'économie comme la santé et l'éducation.
Malgré ces défis, le gouvernement cubain a réaffirmé sa volonté d'établir une relation respectueuse et constructive avec les États-Unis, fondée sur la reconnaissance mutuelle de la souveraineté et du droit international.
Un appel à la communauté internationale
Alors que de plus en plus de pays rejoignent cet appel, la légitimité de la demande cubaine se renforce et l'isolement des États-Unis sur cette question devient de plus en plus évident.
Seul l'avenir dira si la pression internationale pourra influer sur la politique américaine. En attendant, le peuple cubain continue de résister aux effets d'un blocus économique largement condamné et qualifié par des experts en droits humains de violation des principes fondamentaux du droit international.
Voici la déclaration émise par le Groupe d'Amis en Défense de la Charte des Nations Unies :
Algérie, Bélarus, Bolivie, Chine, République populaire démocratique de Corée, Cuba, Érythrée, Guinée équatoriale, Iran, Laos, Mali, Nicaragua, Palestine, Russie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Syrie, Ouganda, Venezuela et Zimbabwe.
1. Le Groupe d'Amis en Défense de la Charte des Nations Unies exprime sa condamnation ferme de la réinsertion injustifiée de Cuba dans la « Liste des États supposément commanditaires du terrorisme », une liste arbitraire, illégale et unilatérale établie par le Département d'État des États-Unis.
2. Cette action inacceptable confirme le discrédit et le manque de transparence de cette liste, et démontre l'intention d'intensifier l'assiège économique criminel contre Cuba afin de compliquer ses opérations financières et commerciales et provoquer davantage de pénuries au sein du peuple cubain.
3. L'inclusion injuste de Cuba dans cette liste renforce l'impact négatif du blocus économique, commercial et financier criminel sur la réalisation des droits humains du peuple cubain.
4. Le Groupe rappelle les appels répétés adressés au gouvernement des États-Unis par plusieurs titulaires de mandats de procédures spéciales, de nombreux États, des organisations internationales, la société civile et d'autres acteurs, afin de retirer Cuba de la liste et de lever le blocus.
5. Le Groupe rejette fermement la manipulation politique de la lutte contre le terrorisme.
6. Le Groupe réaffirme sa solidarité indéfectible avec le peuple et le gouvernement cubains, et presse le gouvernement des États-Unis de mettre fin immédiatement et sans condition au blocus, de respecter les 32 résolutions adoptées à cet égard par l'Assemblée générale de l'ONU, et d'exclure Cuba de la liste des États supposément commanditaires du terrorisme.
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :