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26-29 février : La Via Campesina appelle à une Semaine de Mobilisation contre l’OMC

La 13e Conférence ministérielle (CM13) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est prévue du 26 au 29 février 2024 à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis.
Tiré de Entre les lignes et les mots
La Via Campesina a appris que les négociations alimentaires et agricoles lors de la 13e ministérielle aborderont (i) une solution permanente à la question de la constitution de stocks publics, en suspens depuis 2013, (ii) le Mécanisme spécial de sauvegarde, une demande de longue date des pays en développement, (iii) les subventions substantielles fournies par les pays développés du Nord global à leurs agro-industries, et (iv) les subventions à la pêche industrielle ainsi que le traitement spécial et différencié demandé par les pays en développement pour protéger la pêche artisanale.
Ces questions font l'objet de discussions depuis plusieurs années, mais l'OMC a démontré à plusieurs reprises son manque de pertinence en ne tenant pas compte des demandes et des aspirations d'une grande partie des pays du Sud et des petit.e.s exploitant.e.s agricoles du monde entier. Au lieu de répondre à ces préoccupations, l'OMC n'a fait qu'engendrer et aggraver les crises de la faim dans le monde, de l'extrême pauvreté, des conflits agraires et de la crise alimentaire.
Depuis plus d'une décennie, l'incapacité de cette institution à parvenir à un consensus sur une solution durable pour les stocks alimentaires publics, malgré la présentation de propositions détaillées par plus de 80 pays en développement, illustre clairement son alignement sur les intérêts des États-Unis et d'autres pays fortement orientés vers l'exportation.
L'OMC est devenue un espace où la règle du droit prévaut, quelques pays développés déterminant le cours du commerce mondial. Malgré l'affirmation des pays du Sud, l'OMC reste bloquée dans les limbes, semblant creuser sa propre tombe.
Pour La Via Campesina, cette situation n'est pas du tout surprenante. Au cours des 30 dernières années, notre mouvement mondial n'a cessé de mettre en évidence les effets néfastes de l'OMC et le rôle qu'elle joue dans l'affaiblissement et la marginalisation des économies paysannes et rurales du monde entier. L'accord sur l'agriculture, sous couvert d'« État de droit », a été le principal outil par lequel l'OMC a imposé des réformes néolibérales à l'échelle mondiale, uniquement pour élargir l'accès au marché pour les grandes entreprises du Nord, et les entreprises agroalimentaires basées dans d'autres pays orientés vers l'exportation.
La Via Campesina s'est activement mobilisée contre l'OMC pendant trois décennies, soulignant son manque de pertinence et son éloignement des réalités vécues par les populations dans divers territoires.
Mobilisez-vous en février ! Exprimez nos contre-propositions !
Alors que la 13ème réunion ministérielle débute à Abu Dhabi le 26 février, La Via Campesina exhorte ses membres dans tous les pays à descendre dans la rue et à se mobiliser contre l'OMC, en dénonçant les politiques néfastes qu'elle a imposées au cours des trois dernières décennies. Notre lutte collective pour un commerce équitable, des prix justes pour les produits, une transition significative vers l'agroécologie paysanne et la défense de la terre, de l'eau et des forêts constitue en fin de compte une bataille contre le système économique néolibéral promu par l'OMC.
Au milieu de l'incertitude de l'Organisation mondiale du commerce, en particulier après la paralysie totale de son Organe d'appel pour le règlement des différends, des nombreux pays expriment leur frustration et se tournent de plus en plus vers des accords commerciaux bilatéraux et régionaux pour le commerce agricole. Malheureusement, ces accords reproduisent souvent le problème de l'Accord sur l'agriculture.
La Via Campesina s'oppose fermement à tous les accords de libre-échange qui mettent en péril la souveraineté alimentaire d'un pays, sapent l'autonomie et l'autosuffisance des économies locales et ont des effets négatifs sur la vie, les conditions de vie et les salaires de tou.te.s les travailleur.euse.s, y compris les travailleur.euse.s migrant.e.s et les femmes. En tant que voix mondiale des peuples de la terre, nous demandons un cadre commercial international fondé sur les principes de solidarité, de justice sociale, d'internationalisme et de souveraineté alimentaire. Nous exigeons un cadre qui s'aligne sur les garanties mentionnées dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan.ne.s et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Etant donné que les institutions multilatérales mondiales ne parviennent pas à établir un système commercial juste et équitable, les paysan.ne.s prennent l'initiative de formuler un tel cadre. Bien que des informations supplémentaires sur cette initiative seront partagées bientôt, La Via Campesina appelle tous les membres et alliés à descendre dans la rue pendant la semaine du 26 au 29 février 2024 et à faire entendre leurs voix.
Envoyez vos initiatives et actions à communications@viacampesina.org et partagez-les sur les réseaux sociaux en nous taggeant sur :
Instagram : @la_via_campesina_official
Facebook : @ViaCampesinaOfficiel
Twitter : @via_campesina @via_campesinaSP @viacampesinaFR
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« Lancer un grand front international contre l’extrême droite »

Au terme d'une nouvelle édition du Forum social mondial (FSM) qui s'est déroulée à Katmandou, au Népal, du 15 au 19 février, l'heure est au bilan. « Ce fut un événement très positif pour la région. Mais il faut aller de l'avant, promouvoir des initiatives concrètes dans un contexte international complexe marqué par l'offensive de l'extrême droite », estime l'historien et économiste belge Eric Toussaint. Fondateur et porte-parole du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM), Toussaint a participé au FSM, où son organisation a promu six activités qui ont été largement suivies. Interview.
Eric Toussaint du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes « Lancer un grand front international contre l'extrême droite ». Echos du Forum social mondial au Népal, 15-19 février 2024
20 février | tiré du CADTM | Photo : Marche d'ouverture du Forum social mondial de Katmandou (Népal), le jeudi 15 février 2024
https://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-du-Comite-pour-l-abolition-des-dettes-illegitimes-Lancer-un
Q : Quel bilan tirez-vous de cette nouvelle édition du Forum social mondial qui vient de s'achever ?
Positif, mais...
Éric Toussaint (ÉT) : Il a été très positif, principalement en raison de la participation de secteurs populaire très divers et parmi les plus opprimés. Je pense notamment aux Dalits, la caste des intouchables, aux peuples natifs et indigènes, historiquement marginalisés mais très organisés, aux forces syndicales, à de nombreuses féministes issues des classes populaires. La majorité était originaire du Népal et de l'Inde. Les organisateurs ont compté plus de 18 000 inscriptions (ndr de plus de 90 pays) et lors de la manifestation d'ouverture du jeudi 15, entre 12 et 15 000 participants se sont mobilisés. Dans les conférences, les ateliers et les activités culturelles, chaque jour, il y avait pas moins de 10.000 personnes. C'était une excellente décision de venir au Népal.
Cependant, le FSM en tant que tel n'a pas atteint la même représentation qu'au cours de sa première décennie d'existence, depuis sa fondation à Porto Alegre, au Brésil, en 2001. Il y avait très peu de participant-es venant d'Europe, d'Amérique latine ou d'Afrique. Bref, un bon niveau de participation régionale mais une faible présence des autres continents. Cela montre les difficultés du FSM à prendre des initiatives globales ayant un impact réel.
Il manque une dynamique internationale mobilisatrice
Q : Pensez-vous que le dernier grand rassemblement pré-pandémique pour le FSM 2019 à Salvador de Bahia, au Brésil, a été un succès ?
ET : Pas tout à fait. Si nous pensons à cette édition à Salvador de Bahia, bien qu'elle ait été bien suivie, elle était essentiellement réduite à la région du Nord-Est avec des représentations de quelques autres régions du Brésil. Malheureusement, la présence d'autres continents était faible à Salvador de Bahia.
Nous percevons aujourd'hui une réalité contradictoire. D'une part, le Forum social mondial ne constitue plus une véritable force d'attraction et de propulsion. D'autre part, c'est le seul espace mondial qui existe encore. C'est pourquoi il est encore important pour des réseaux internationaux comme le CADTM d'y participer.
Je suis convaincu que si le FSM avait une force réelle - telle que nous l'avons obtenue en février 2003 lorsque nous avons appelé à de grandes mobilisations pour la paix et contre la guerre en Irak - son pouvoir serait aujourd'hui significatif : à la fois pour faire face au génocide en Palestine et pour aider à construire un large frein à la croissance de l'extrême droite que l'on peut observer dans de nombreuses régions du monde.
Quand je dis cela, je fais référence, entre autres, à Narendra Modi en Inde, nationaliste, anti-slam et anti-musulman, violent ; à Ferdinand Marcos Junior aux Philippines, héritier non seulement de la dictature familiale mais aussi du répressif Rodrigo Duterte ; à la régression réactionnaire du régime en Tunisie, de plus en plus similaire à l'ancienne dictature de Ben Ali, avant le printemps arabe. En Europe, il y a des gouvernements extrémistes et bellicistes comme ceux de Vladimir Poutine en Russie, de Giorgia Meloni en Italie, de Viktor Orban en Hongrie et en Ukraine un gouvernement de droite néolibéral pro-OTAN. Je pense aussi aux menaces réelles de Chega, une nouvelle extrême droite au Portugal qui aspire à récolter 20 % des suffrages alors qu'elle était absente électoralement entre 1975 et il y a seulement trois ans ; la possibilité d'une victoire de Marine Le Pen en France aux prochaines présidentielles ; VOX en Espagne ; la victoire électorale du parti d'extrême droite aux Pays-Bas, l'avancée de l'AFD en Allemagne... Et sans prétendre les citer tous, en Amérique latine, des présidents comme Nayib Bukele au Salvador ou Javier Milei en Argentine, avec un programme économique et social plus radical que Pinochet lui-même dans le Chili dictatorial. Tout cela dans le contexte mondial d'une possible victoire électorale de Donald Trump aux prochaines élections présidentielles américaines. Sans oublier le gouvernement fasciste de Benjamin Netanyahu en Israël, promouvant un projet raciste, génocidaire et colonialiste.
A la recherche de meilleures propositions
Q : Si le Forum social mondial n'a pas la force d'être une force de propulsion et d'union dans une réalité mondiale que vous décrivez comme dramatique, la question est évidente : que devraient faire, selon vous, les secteurs progressistes ?
ET : Je pense que la formule d'un FSM avec seulement des mouvements sociaux et des ONG mais sans partis politiques progressistes (comme défini dans la Charte des principes de 2021) ne permet pas une lutte adéquate contre l'extrême droite. Face à la montée de l'extrême droite et des projets fascistes, il faut chercher un autre type de convergence internationale. Dans ce sens, le CADTM, avec d'autres acteurs sociaux, a contacté le PSOL (Parti Socialisme et Liberté) et le PT (Parti des Travailleurs) de Porto Alegre, berceau du Forum Social Mondial depuis 2001, pour proposer la création d'un Comité d'organisation qui convoquerait une réunion internationale en mai pour discuter de la marche à suivre, en vue d'une grande réunion dans un an. Avec une vision large pour intégrer les mouvements sociaux de toutes sortes, les féministes, les activistes pour la justice climatique, les croyants progressistes, dans la perspective de réfléchir à la meilleure façon de résister à l'extrême droite. Des acteurs importants tels que le mouvement brésilien des travailleurs sans terre (MST) pourraient y participer activement. S'ils ont réussi au Brésil à se libérer de Jair Bolsonaro avec une large politique d'alliances politiques et sociales, il est essentiel d'en tirer des leçons politiques concrètes. Le Forum social mondial pourrait continuer, mais nous sommes convaincus qu'un nouveau cadre de forces capables de se remobiliser est nécessaire.
Q : Il y a des initiatives comme l'Alliance internationale des peuples qui réfléchissent déjà dans ce sens...
ET : Bien sûr, elle devrait être impliquée et jouerait un rôle. Mais nous avons besoin d'une nouvelle initiative de front uni plus large. Nous pensons que cette première réunion pourrait être convoquée en mai 2024 à Porto Alegre, au Brésil, et il serait concevable, par exemple, d'avoir une forte présence de l'Argentine, des forces de la gauche radicale avec la gauche du péronisme, des organisations syndicales telles que la Central de Trabajadores de Argentina et même la CGT (Confederación General de Trabajadores) et les mouvements sociaux et féministes très diversifiés. Ce serait un premier pas vers une grande conférence en 2025 par exemple à Sao Paulo si l'alliance de gauche (PT, PSOL, etc.) remporte les élections municipales en 2024.
La construction de cette nouvelle initiative internationale serait large et diverse, incorporant divers courants révolutionnaires, de la 4e Internationale à la social-démocratie en passant par l'Internationale progressiste, à travers toute la gamme des sensibilités de gauche. Ainsi que des organisations et personnalités progressistes aux États-Unis (par exemple Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez, le syndicat automobile UAW qui a remporté une victoire importante en 2023). Et des partis et mouvements de gauche d'Europe, d'Afrique, d'Asie et de la région arabe. Il s'agirait aussi d'élargir la participation à des personnalités engagées du monde culturel qui apportent leur propre contribution. Il est nécessaire de convaincre le plus grand nombre de forces possible, y compris celles qui doivent surmonter les différences et les divisions historiques, et qui comprennent et acceptent le grand défi prioritaire du moment, à savoir la lutte contre l'extrême droite. Nous savons qu'un tel appel ne sera ni simple ni facile à concrétiser : il exige une grande générosité et une forte volonté politique. La complexité du moment historique et les dangers qui pèsent sur l'humanité et la planète nous imposent d'essayer d'y arriver.
Auteur.e
Eric Toussaint Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d'ATTAC France.
Il est l'auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020,Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d'un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d'œil dans le rétroviseur. L'idéologie néolibérale des origines jusqu'à aujourd'hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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La traite des femmes nigérianes en Europe, un « business » complexe

Nombre de femmes prostituées dans les grandes villes européennes viennent du Nigeria. Perçu comme un moyen de sortir de la misère, ce phénomène est solidement ancré dans l'État d'Edo. Mais c'est souvent un véritable enfer qui attend les « candidates », soumises à un rythme de travail effréné et à de violents châtiments, ainsi que leurs familles, piégées par l'accord passé avec les Madams.
Tiré d'Afrique XXI.
La grande majorité des femmes africaines en situation de prostitution dans les grandes villes européennes est originaire du Nigeria, et principalement de l'État d'Edo, dans le sud du pays. Cette traite transcontinentale a débuté vers la fin des années 1980, mais a surtout pris de l'ampleur au cours de la décennie 2000 puis des années 2010, marquées par l'augmentation du nombre d'arrivées d'exilé·es en Europe. Entre 2015 et 2018, les Nigérian·es étaient la troisième nationalité la plus représentée parmi les personnes ayant emprunté la voie de la Méditerranée, selon l'agence européenne Frontex. À la sur-représentation des femmes originaires de l'État d'Edo dans la prostitution de rue en France s'est alors ajoutée la présence de nombreuses mineures, parfois très jeunes, alimentant une panique morale autour de la migration illégale et de la traite.

Mobilisé à des fins de durcissement des politiques migratoires, l'argument de la traite a également été repris par les pouvoirs publics européens pour justifier un renforcement des contrôles et des barrières administratives limitant la mobilité féminine en particulier. Ces restrictions ont favorisé les réseaux de trafic tout en augmentant les risques encourus sur la route, mais elles n'ont pas permis de juguler le système d'exploitation, particulièrement rentable, qui s'est développé entre le Nigeria et l'Europe depuis une trentaine d'années.
Les nombreux phénomènes liés à la migration, plus ou moins volontaire, de jeunes femmes destinées à la prostitution en Europe sont complexes et rarement considérés dans leur profondeur historique, économique, politique et sociale.
La traite sexuelle, une pratique ancienne au Nigéria
Si, aujourd'hui, le phénomène a pris une ampleur internationale, les pratiques d'exploitation sexuelle ont commencé à se développer au niveau régional dès la période coloniale. Les historiens montrent en effet qu'au début du XXe siècle, il existe des transferts de jeunes filles originaires du sud-est du Nigeria vers d'autres régions, à l'Ouest et jusqu'au Ghana, dans le cadre d'activités de prostitution forcée, à destination notamment des hommes européens (1).
Parallèlement à ces pratiques se développe également, pendant la colonisation, le système de prêt sur gage : le pawnship. Il s'agit de la mise en gage d'une personne pour garantir le remboursement d'un prêt, cette personne devant servir le créancier jusqu'à la fin du remboursement. Des parents gagent ainsi leurs enfants pour couvrir des frais exceptionnels, tels qu'un mariage ou le paiement de l'impôt colonial (2).
Si ces phénomènes sont parfois transnationaux, ils restent conscrits à l'Afrique de l'Ouest. Ce n'est qu'à partir des années 1980 qu'on observe des mouvements transcontinentaux, d'abord en direction de l'Italie. Il est difficile d'expliquer pourquoi et comment la prostitution des femmes edos se développe dans ce pays. Toutefois, on peut lier ces formes spécifiques de mobilités féminines avec les migrations de travail des hommes en direction du secteur agricole au sud de l'Italie, qui s'intensifie dans les années 1980 et 1990 (3). Il faut également mettre ces mouvements migratoires en perspective de la situation économique et politique du Nigeria, particulièrement délétère à cette époque. L'application des programmes d'ajustement structurel à la suite du deuxième choc pétrolier de 1979 ont en effet plongé le Nigeria dans une période de récession, marquée par l'austérité économique mais aussi par l'instabilité politique, avec une succession de coups d'État et de régimes militaires entre 1983 et 1998.
Un des effets indirects de ces crises a été la féminisation des responsabilités économiques, notamment vis-à-vis de la famille, et l'élaboration, par les femmes nigérianes, de stratégies de survie individuelles et collectives, le plus souvent informelles. S'inscrivant dans ce qu'on nomme au Nigeria le « hustling » (4), la migration féminine vers l'Europe se développe comme une solution face à une situation nationale profondément dégradée. La prostitution transnationale, organisée par d'anciennes prostituées, devient alors une alternative migratoire par défaut, une « voie d'émancipation » parmi d'autres, qui ne se transforme en système d'exploitation qu'au cours de la décennie suivante.
Aux facteurs économiques et politiques favorisant ces mouvements s'ajoutent les formes genrées de violences sociales et familiales (violences domestiques, excision, mariage forcé, inceste), face auxquelles l'État nigérian n'offre aucune protection efficace – les règles religieuses et coutumières locales s'imposant souvent devant les lois fédérales – et qui jouent parfois un rôle important dans la décision de partir pour l'Europe. La pression familiale est un autre facteur déterminant, puisque la migration de leurs filles en Europe est perçue par de nombreux parents comme le seul moyen d'améliorer les conditions de vie du reste de la famille. L'activité prostitutionnelle est donc parfois considérée comme un sacrifice temporaire auquel les filles concèdent, ou qu'elles choisissent elles-mêmes de s'imposer, dans l'optique, à terme, d'une vie meilleure pour elles et pour leurs proches.
Le rôle des madams
Le centre névralgique de ce trafic se trouve à Benin City. Dans la capitale de l'État d'Edo, la traite est devenue un véritable modèle économique ; le recrutement, le transport puis l'exploitation sexuelle des jeunes femmes en Europe reposent sur des réseaux familiaux ou communautaires dont certains, bien structurés, peuvent exploiter plusieurs dizaines de femmes en même temps et générer des sommes colossales puisque chacune d'entre elles doit payer, en moyenne, entre 30 000 et 50 000 euros à ses trafiquants. Les retombées financières de ce « business » – en tout cas considéré comme tel au Nigeria – sont si importantes qu'elles ont profondément transformé le paysage économique et social de l'État.
D'une part, l'enrichissement des familles par le biais de la prostitution des filles est un des seuls outils d'ascension sociale collective disponibles (5). Celles qui sont parvenues à s'élever socialement ont réussi en devenant des Madams, c'est-à-dire en exploitant d'autres femmes à leur tour. Elles ont ensuite investi leurs gains dans des projets commerciaux ou immobiliers, symboles concrets de leur ascension, visibles de tou·tes dans la ville de Benin.
D'autre part, les normes sociales ont été redéfinies à partir des modèles de réussite que représentent les Madams, anciennes prostituées (parfois elles-mêmes victimes de traite) devenues proxénètes puis opératrices économiques et personnalités influentes dans l'État d'Edo. Elles ont ainsi contribué à façonner les imaginaires migratoires et la perception de la prostitution transnationale comme potentielle source d'enrichissement, à la fois par les jeunes femmes et par les familles. Les plus riches d'entre elles font partie de la première génération de femmes nigérianes parties en Europe au début des années 1980 pour y être prostituées. Établies en Italie, certaines sont retournées au Nigeria après avoir accumulé suffisamment de capital financier et ont été surnommées les « Italos ». Nombreuses sont celles qui, disposant de la double nationalité, font encore des allers-retours entre l'Italie et le Nigeria. Dans un contexte de durcissement continu des politiques migratoires européennes et des conditions d'obtention de visas, les Madams conservent un quasi-monopole sur les connexions avec l'Europe.
Une logique sacrificielle an sein des familles
À la fin des années 1990, les Madams de la première génération, les « Italos », deviennent des « sponsors » ; elles encouragent les filles à tenter leur chance en Europe et persuadent les parents qu'il s'agit d'un projet rentable puisqu'en « sponsorisant » leurs filles elles prennent en charge l'ensemble des coûts liés à leur voyage. Beaucoup de jeunes filles victimes de traite en Europe sont originaires des régions rurales et pauvres d'Edo State, notamment de la zone Esan, à l'Est, mais aussi des quartiers pauvres de Benin City comme Upper Sakponba ou Saint Saviour, où un grand nombre de familles reçoivent le soutien financier d'une fille, d'une mère, d'une tante ou d'une cousine basée en Europe, ce qui renforce l'argumentaire des Madams et facilite l'adhésion des parents. Certains prennent même la décision d'envoyer leur fille (ou leur nièce) sans son accord.
Lorsque la décision est prise, les relations se formalisent entre la fille « candidate » au départ, ses parents et ceux de la Madam qui va sponsoriser son voyage. Souvent, la famille de la fille et celle de la Madam se connaissent déjà ; parfois, elles ont même des liens familiaux. Lorsque les parents décident d'envoyer de très jeunes filles, de 12 ou 13 ans par exemple, celles-ci, une fois en Europe, passent sous le contrôle et la responsabilité de leur Madam, ce qui s'inscrit dans une logique de « confiage », courante en Afrique de l'Ouest, permettant la prise en charge temporaire des enfants issus de familles défavorisées (6).
En contexte edo, c'est le plus souvent la fille aînée qui part. Ce « sacrifice » de l'un des enfants de la fratrie est fréquemment le résultat d'un choix parental, imposé aux filles (en particulier pour les plus jeunes dans un contexte où on ne s'oppose pas à ses parents), mais c'est aussi, parfois, un choix auto-imposé, pour aider la famille à subvenir aux besoins des autres membres, notamment des frères et sœurs cadet·tes. L'entourage des filles, mais aussi la société, contribuent à renforcer ce sens du sacrifice, ce qui en pousse certaines à accepter les propositions des trafiquant·es. La migration « informelle » ou « illégale » de jeunes femmes vers l'Europe représente une option courante pour un grand nombre de familles pauvres, mais également pour certaines familles de la classe moyenne, qui peinent elles aussi à accéder aux services de base et aspirent également à améliorer leur niveau de vie.
Parfois, la nature de l'activité qui sera exercée en Europe est connue, parfois pas. Mais les conditions de travail, elles, ne le sont jamais. Pas plus que les cadences imposées, la rue, le froid, la violence de certains clients, l'obligation de travailler pendant les règles menstruelles ou encore le temps nécessaire à rembourser une dette dont le montant a été donné en euros et dont la démesure est ainsi passée inaperçue : la valeur du naira est très fluctuante et n'a cessé de baisser ces quinze dernières années, ce qui complique la perception de l'équivalence entre l'euro et le naira (7). Les risques liés au voyage, les accidents en mer ou dans le désert, sont plus ou moins clairement perçus, mais cela n'empêche pas la décision de s'engager – ou d'engager sa fille – dans un tel projet.
Les bénéfices générés par la prostitution sont visibles au Nigeria ; les familles s'imaginent donc pouvoir bénéficier, à court terme, d'une source de revenus potentiellement importante ou encore, à moyen terme, des investissements de leur fille au pays, comme la construction d'une maison ou l'achat d'une boutique.
Serment d'allégeance
À leur arrivée en Europe, les jeunes filles sont immédiatement placées sous l'autorité de leur Madam ou bien d'une autre femme qui agit pour le compte de la Madam. Celle-ci devient alors une figure d'autorité presque maternelle (8) et par ailleurs totalement tyrannique. Les Madams imposent en effet un rythme de travail effréné – la majorité des jeunes femmes travaillent tous les jours, quelles que soient les conditions météo et leur état de santé, du début de la soirée jusqu'au petit matin – et exigent des sommes très élevées qui sont censées couvrir le remboursement des frais de voyage mais qui représentent, en réalité, dix à quinze fois le coût effectif du trajet. À ces montants s'ajoute toute une série de frais supplémentaires, les trafiquant·es leur faisant également payer le loyer, la nourriture, les vêtements, les médicaments ainsi que certaines démarches administratives (9).
Si ces sommes ne sont pas versées, les filles s'exposent à des menaces, des châtiments, des violences physiques et morales : elles peuvent être battues ou renvoyées dans la rue jusqu'au soir. Mais elles exposent également leurs familles à des actions de représailles conduites par les proches des Madams, au Nigeria. C'est parce que le lien qui existe entre elles et leurs proxénètes ne les engage pas seules que les jeunes femmes ne peuvent s'extraire facilement de ce système d'exploitation. Un véritable contrat a été élaboré avant le départ, qui implique plusieurs protagonistes et qui est souvent scellé au cours d'un rituel très codifié. Avant le départ, la jeune fille prête un serment d'allégeance à sa Madam, dans lequel elle s'engage à suivre ses ordres et à lui rembourser une dette sans jamais en parler à qui que ce soit. Le montant en euros est énoncé à ce moment-là, sans que l'équivalent en nairas ne soit précisé.
Lors de cette cérémonie, un membre de la famille de la jeune fille – souvent sa mère ou sa tante – est présent, la Madam est là aussi – physiquement ou par téléphone – ou elle est représentée par un·e proche. Garant officiel de l'accord, un priest (investi de l'autorité d'une divinité) dirige la cérémonie et scelle un compromis qui n'engage alors pas seulement la « candidate » au départ, mais également sa famille. Le non-respect du contrat (somme partiellement ou pas remboursée, dénonciation à la police…) entraîne des répercutions mystiques de la part des divinités sollicitées que le priest énonce au cours du rituel : la maladie, l'infertilité, la folie ou la mort attendent les contrevenantes (10).
La pression des temples
En Europe, ces rituels ont fait l'objet d'une attention particulière et d'un travail de réflexion sur les conséquences, psychologiques notamment, que les serments et leur rupture pouvaient avoir sur les victimes (11). Mais ces pratiques, parfois abusivement comparées au vaudou, ont également suscité, notamment dans la presse, une certaine fascination exotisante (12), faisant passer au second plan la dimension socio-économique de ces serments. Or, comme le montre Dr. Precious Diagboya, le recours au pouvoir mystique des divinités pour sceller des contrats ou régler des contentieux est une pratique extrêmement courante dans l'État d'Edo, où elle pallie la lenteur et l'inefficacité du système judiciaire officiel, fortement corrompu. Les recouvrements de dettes contractées dans le cadre de la traite sont notamment assurés par des temples dont l'autorité religieuse est renforcée par le rôle social et politique central qu'ils occupent dans la société edo, ce qui leur permet d'agir en toute légitimité et de percevoir, au passage, 10 % des sommes récupérées (13).
Pendant la période d'exploitation sexuelle des femmes en Europe, les priest interviennent régulièrement, par téléphone notamment, en cas d'opposition ou de conflit, pour rappeler l'importance de l'engagement pris ainsi que les conséquences d'une éventuelle rupture de l'accord. Mais c'est aussi sur la famille au Nigeria que s'exerce la pression des temples, qui peuvent convoquer officiellement les parents afin qu'ils répondent des manquements de leur fille sous peine de se voir contraints de vendre leurs biens pour rembourser les sommes dues.
En mars 2018, l'Oba, monarque héritier du royaume de Benin et autorité religieuse suprême dans la région edo, a prononcé une annulation des serments prêtés dans le cadre de la traite ainsi qu'une interdiction formelle de sceller de nouveaux serments (14). Cette déclaration, très médiatisée, a effectivement permis de mettre fin à la servitude pour dette de quelques femmes contraintes à la prostitution en Europe, mais elle n'a mis fin ni au principe d'endettement ni aux rouages coercitifs de l'exploitation sexuelle. Les trafiquant·es se sont réorganisé·es, soit en délocalisant les cérémonies en dehors de la zone d'autorité de l'Oba, soit en s'appuyant sur la menace physique et les violences envers les familles pour obliger les femmes à payer. De nombreuses familles sont ainsi victimes de représailles très violentes : menace de mort, destruction des biens ou assassinats, les Madams ayant recours aux services d'Area Boys ou de Cultists (15).
Depuis quelques années, le rôle des jeunes hommes appartenant à des Cults – parfois impliqués dans des activités criminelles telles que le trafic d'armes et de stupéfiants – dans les dynamiques de traite en Europe s'est renforcé (16). D'une part en raison des liens étroits, de parenté ou conjugaux, entre Madams et Cultists, d'autre part, en conséquence de l'annulation de serments et du renforcement de la violence physique comme mode de persuasion privilégié. Toutefois, et malgré de récentes enquêtes révélant l'influence grandissante des Cults nigérians en Europe, la traite sexuelle du Nigeria vers l'Europe n'est pas passée aux mains d'une « Mafia africaine » structurée et globalisée. Ces dynamiques d'exploitation relèvent encore majoritairement de petits réseaux communautaires ou familiaux qui n'ont pas forcément de liens entre eux. Qu'elles soient le fait des Cults ou des temples, les menaces sur les familles sont néanmoins bien réelles, et de nombreux parents, se sachant en danger, demandent à leurs filles de payer les sommes réclamées, ce qui est impossible lorsque celles-ci ont fui leur Madam.
Une intégration difficile
Face aux menaces, à la pression, au sentiment de responsabilité et de culpabilité, certaines jeunes femmes décident de devenir proxénètes à leur tour. Ce choix leur apparaît comme la seule manière de retourner le système d'exploitation en leur faveur, de garantir l'enrichissement de la famille et d'obtenir une forme de reconnaissance sociale, quitte à risquer la prison.
Celles qui parviennent à s'émanciper, soit en remboursant la totalité de la dette, soit en se soustrayant au contrôle des trafiquant·es, font ensuite face à de très grandes difficultés sociales et financières. Maintenues isolées et sous l'emprise de leur Madam pendant plusieurs années, elles ont peu de connaissances sur la société d'accueil et sur leurs droits, elles ne parlent pas la langue du pays d'accueil et ont du mal à naviguer dans le système administratif. Les parcours d'intégration sont donc généralement longs et délicats. En outre, les parcours de ces femmes se déploient dans un continuum transnational, allant du Nigeria vers l'Europe en passant par le Niger, la Libye, la Méditerranée puis le sud de l'Italie, dont une des principales caractéristiques est la récurrence des violences, psychologiques comme physiques (et sexuelles en particulier). Les viols dont les filles et les femmes sont victimes sur la route, notamment en Libye (17), constituent des épisodes traumatiques qui, suivis par la prostitution forcée en Europe, entraînent des situations de polytrauma pas toujours identifiées, trop rarement prises en charge et pourtant centrales dans les processus de réparation puis d'insertion.
D'autres difficultés interviennent aussi d'un point de vue légal. Aujourd'hui, en France, les femmes nigérianes victimes de traite sexuelle représentent une part importante des demandeuses d'asile hébergées en Centre d'accueil pour les demandeurs d'asile (Cada), mais le statut de réfugiée leur est majoritairement refusé. En effet, malgré la reconnaissance par la Cour nationale du droit d'asile de l'appartenance des femmes originaires des États d'Edo et de Delta à un groupe social vulnérable à la traite (18), il leur est demandé de justifier de leur extraction du réseau. Faute de preuves suffisantes, près de 80 % d'entre elles sont déboutées du droit d'asile. L'accès au logement est par ailleurs limité par leur situation administrative, et elles sont nombreuses à être hébergées par le 115 (la plateforme d'urgence sociale en France), déménageant d'un hôtel social à un autre, y compris lorsqu'elles ont des enfants. De manière générale, la fin de l'exploitation sexuelle des femmes nigérianes est synonyme de grande précarité.
Malgré la mise en place de dispositifs spécifiques (19), les besoins restent énormes, et les réponses pérennes à des situations très complexes sont encore limitées. Pourtant, la détermination des femmes nigérianes, elle, est manifeste. D'abord dans leur capacité à surmonter les épreuves, et ensuite dans leur aptitude à se mobiliser pour faire face aux défis de l'insertion (20). Mais si l'avenir de ces femmes, de leurs enfants et de leurs familles repose en partie sur leur résilience, il dépend surtout de la volonté des sociétés d'accueil à comprendre leurs parcours, leurs histoires, et à leur offrir la possibilité de se réparer et de construire, ici, leur avenir.
Notes
1- Aderinto Saheed, « Journey to Work : Transnational Prostitution in Colonial British West Africa », Journal of the History of Sexuality 24, n° 1 (2015), 99-124
2- Laurent Fourchard, « Prêt sur gage et traite des femmes au Nigeria, fin XIXe-années 1950 », in B. Lavaud-Legendre (dir.), Prostitution nigériane. Entre rêves de migration et réalités de la traite, Karthala, 2013, p. 15-32.
3- Alessandro Cangiano, Salvatore Strozza, « Gli immigrati extracomunitari nei mercati del lavoro italiani : alcune evidenze empiriche a livello territoriale », Economia e Lavoro, vol. 39, n° 1, 2005.
4- Concept populaire au Nigeria, le « hustling » renvoie à la notion de débrouille, mais aussi de lutte pour la survie, incluant des activités légales et illégales. Le terme est souvent utilisé par les prostituées elles-mêmes, qui se qualifient plus volontiers de « hustlers » que de « sex workers ».
5- Élodie Apard, Precious Diagboya, Vanessa Simoni, « “La prostitution, ça ne tue pas !” Projets d'ascension sociale familiale dans le contexte de la traite sexuelle (Nigeria-Europe) », Politique africaine, vol. 159, n° 3, 2020, pp. 51-82.
6- Le « confiage » consiste à envoyer un enfant chez un parent ou une connaissance pour qu'il y travaille, mais aussi pour qu'il y soit socialisé ou éduqué. Voir : El Hadji Mouhamadou Fadilou Di Ba, « Le confiage : une culture et/ou un système de protection de l'enfance ? », Parentalité(s) et après ?, Érès, 2021, pp. 313-336.
7- Début 2024, le taux de change est de 1 000 nairas pour 1 euro, les sommes à cinq chiffres sont donc extrêmement courantes dans la vie quotidienne des Nigérian·es.
8- Le titre « Iya Onisan » leur est souvent attribué. En langue bini, il signifie littéralement « la mère du derrière », c'est donc une mère qui a le contrôle sur le corps des femmes et, en l'occurrence, sur leurs organes sexuels.
9- En France, profitant du fait que les filles ne parlent pas français et ne connaissent pas le système administratif, juridique ou social français, les trafiquant·es leur font par exemple payer plusieurs centaines, parfois jusqu'à un millier d'euros, les faux récits qu'elles utilisent dans le cadre des demandes d'asile.
10- Vanessa Simoni, « “I Swear an Oath”. Serments d'allégeances, coercitions et stratégies migratoires chez les femmes nigérianes de Benin City », in B. Lavaud-Legendre (dir.), Prostitution nigériane. Entre rêves de migration et réalités de la traite, Karthala, 2013, p. 33-60
11- Voir notamment : Simona Taliani, « Coercion, Fetishes and Suffering in the Daily Lives of Young Nigerian Women in Italy », Africa, vol. 82, n° 4, 2012, p. 579-608 ; Simona Taliani, « Du dilemme des filles et de leurs réserves de vie. La crise sorcellaire dans la migration nigériane », Cahiers d'études africaines, vol. 231-232, n° 3-4, 2018, pp. 737-761 ; Roberto Beneduce, « Une nouvelle bataille de vérité. Discours sorcellaires, cicatrices corporelles et régimes de crédibilité dans le droit d'asile », Cahiers d'études africaines, vol. 231-232, n° 3-4, 2018, pp. 763-792.
12- Entre autres : Mathilde Harel, « Prostituées nigérianes victimes du “juju” », Le Monde diplomatique, novembre 2018 ; Olivier Mélennec, « “Madam” et “juju” : comment les Nigérianes sont exploitées sexuellement en France », Ouest-France, juillet 2018 ; Nelly Assénat et Corrine Blotin, « Proxénétisme : rite vaudou et chantage, le gang des Nigérians jugé à Marseille », France Bleu, octobre 2021.
13- Precious Diagboya, « Oath Taking in Edo : Usages and Misappropriations of the Native Justice System », IFRA-Nigeria Working Papers Series, n° 55, 2019.
14- Élodie Apard, Éléonore Chiossone, Precious Diagboya, Bénédicte Lavaud-Legendre, Cynthia Olufade, et al. Temples et traite des êtres humains du Nigéria vers l'Europe, CNRS - COMPTRASEC UMR 5114, 2019.
15- Tandis que les Area Boys sont des jeunes gens formant, dans les grandes villes du Nigeria, des sortes de gangs très peu organisés, les Cultists sont des membres de confraternités basées sur le secret de l'appartenance et la solidarité entre les membres.
16- Le rôle des Cults dans le trafic d'êtres humains a commencé à être pris en compte, en France, après le procès des « Authentic Sisters ». Voir Sam O. Smah, « Contemporary Nigerian Cultists Groups : Demystifying the “Invisibilities” », IFRA-Nigeria Working Papers Series, n° 57, 2019.
17- Écouter la série de podcasts « True Talk about Libya Road », réalisés par les membres de l'association Mist (Mission d'intervention et de sensibilisation contre la traite).
18- Jurisprudence du 16 octobre 2019, étendue le 24 février 2020.
19- Notamment le dispositif national d'accueil et de protection des victimes de traite (Ac.Sé.), qui permet une mise à l'abri et un accompagnement, ou encore les Parcours de sortie de la prostitution (PSP), qui prévoient l'accès à un hébergement et une aide à l'insertion. Si ces dispositifs fonctionnent et permettent à de nombreuses femmes d'être aidées, les places disponibles sont limitées, de même que les moyens humains dédiés à leur mise en œuvre.
20- En 2020, des femmes nigérianes victimes de traite ont fondé, avec des travailleuses sociales françaises, leur propre association de santé communautaire, basée sur la pair-aidance.

Sénégal : Macky Sall s’accroche désespérément au Parti-État

Que le prochain scrutin présidentiel s'est transformé en un quasi-référendum opposant deux camps : celui des adeptes de la continuité néocoloniale, face à l'immense majorité du peuple, qui en souffre et le subit en victime non consentante.
Tiré d'Afrique en lutte.
Celui-ci, Macky Sall, né après les « indépendances africaines » des années 1960 et prétendant de ce fait être « mentalement décolonisé », va entamer son mandat en surfant sur la vague électoralement porteuse de la Charte de gouvernance démocratique issue des Assises Nationales. L'ayant signée a posteriori sans avoir pris part aux délibérations qui ont abouti au consensus politique le plus large jamais réalisé au Sénégal, le président fraîchement élu s'est empressé de confier au pilote desdites Assises, le patriarche Amadou Mahtar Mbow, la charge de conduire également les travaux d'une Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI). Une mission dont ce nonagénaire et son équipe vont s'acquitter de façon magistrale. Tant et si bien qu'ils complèteront leur rapport final d'un avant-projet de Constitution, une manière élégante de souligner à la fois l'ampleur et l'urgence des réformes institutionnelles à opérer pour « refonder l'Etat et la société », selon les propres termes de la Charte des Assises Nationales.
Or, dès réception dudit rapport final et avant-même la cérémonie tardive de restitution, une levée de boucliers fut orchestrée dans les media par le conseiller juridique du président Sall, un certain Ismaïla Madior Fall, premier juriste local à occuper ce poste, réservé de tout temps à un maître de Requêtes au Conseil d'Etat français…, tout comme d'ailleurs celui de conseiller militaire revenait systématiquement (l'on n'ose pas dire de droit) à un Saint-Cyrien français. Il ira même jusqu'à reprocher publiquement au patriarche Mbow d'avoir outrepassé son mandat !
Quant au chef de l'Etat, il va se borner à faire le tri des recommandations de la CNRI, pour n'en retenir que celles qui convenaient à son nouveau « Plan Sénégal émergent » … Autant dire qu'il avait délibérément choisi de jeter à la poubelle l'essentiel du programme de refondation de la société et de l'Etat, proposé par les sages du pays. Précocement victime du syndrome de l'ivresse du pouvoir, il va alors renier un à un tous ses engagements antérieurs : de la réduction volontaire de la durée du septennat en cours à l'annonce d'une « gestion sobre et vertueuse » de la chose publique, ou encore le slogan « la patrie avant le parti », en passant par son pseudo-référendum
constitutionnel, frauduleux dans le fond comme dans la forme… La liste de ses manquements de tous ordres est interminable et va aller s'aggravant au cours de sa présidence pour culminer à l'approche de la fin de son second et dernier mandat.
Auparavant, il a eu à croiser sur sa route un jeune inspecteur des impôts et domaines du nom d'Ousmane Sonko. Ce dernier est non seulement un des initiateurs du premier syndicat professionnel de son corps d'origine, mais aussi et secondairement le co-fondateur d'un parti politique d'opposition du nom de Pastef (Patriotes du Sénégal pour le Travail, l'Éthique et la Fraternité). Fondé en 2014, ce parti se réclame ouvertement de l'héritage politique de Mamadou Dia, véritable père de l'indépendance formelle du Sénégal. Il n'y a point de hasard en histoire, dit-on. Il se trouve, en effet, qu'Ousmane Sonko a pris part aux travaux des Assises nationales (Commission Économie) et va signer par deux fois ladite Charte : d'abord dès 2008 en sa qualité de responsable syndical, puis à nouveau en 2018, en tant que président de Pastef et député non inscrit, unique élu de la Coalition Ndawi Askan Wi (NAW) en 2017. Un exemple sans précédent, à ma connaissance, de confirmation d'un engagement politique avec une décennie de recul. Mais surtout, un contraste éthique saisissant avec un autre signataire rendu fameux par le reniement public de sa signature !
Quoi qu'il en soit, l'adversité entre le chef du nouveau Parti-Etat, Alliance pour la République (APR) et celui qui va peu à peu s'imposer comme le leader de l'opposition patriotique et démocratique (Pastef), ira crescendo au fur et à mesure de l'amplification des succès électoraux de ce dernier, aux divers scrutins aussi bien nationaux que locaux. Depuis sa radiation arbitraire de la fonction publique (2016) jusqu'à l'invalidation arbitraire de la liste des candidats titulaires à la députation de la Coalition Yeewi Askan Wi (YAW) qu'il dirigeait (2022), en passant par la multiplication des procès en sorcellerie, sous divers prétextes aussi fallacieux les uns que les autres (viol avec armes à feu, diffamation, vol du téléphone portable d'une gendarme en civil, attentat à la sûreté de l'Etat lié à une entreprise terroriste, etc.), qui s'avèreront en fin de compte n'être qu'autant de pétards mouillés…
En effet, malgré sa séquestration prolongée à domicile, suivi de son kidnapping et de son emprisonnement, et en dépit de la dissolution autoritaire précédée de la fermeture illégale du siège national de Pastef, et surtout la campagne de terreur blanche prolongée, mais dirigée presqu'exclusivement contre les dirigeants, militants et sympathisants du Parti (plusieurs dizaines de morts par armes à feu, près de 1500 prisonniers d'opinion à travers le pays, nombreux exilés, etc.), en dépit donc de cette véritable guerre non déclarée visant à l'anéantir, le Pastef est parvenu à rester debout et à résister victorieusement aux violents assauts du pouvoir totalitaire du Président sortant. Aussi bien sur le plan politique, en le contraignant à renoncer publiquement à une troisième candidature, qu'au plan juridique en réussissant à présenter un candidat de substitution au président Sonko, illégalement écarté, en l'occurrence le Secrétaire général du Parti, Bassirou Jomaay Faye, qui l'a précédé à la prison du Cap Manuel !
C'est précisément la faillite de son perfide système de parrainage sur mesure, visant à choisir lui-même ses adversaires (et qui lui avait si bien réussi lors du scrutin présidentiel de 2019), avec une vingtaine de candidats au prochain scrutin, qui va le pousser à la faute fatale : la promulgation d'un décret illégal interrompant le processus électoral à la veille de l'ouverture de la campagne, couplée à une loi scélérate dérogatoire à la Constitution et votée nuitamment en procédure d'urgence par un parlement croupion, d'où les députés de l'opposition avaient été préalablement expulsés, suscitant stupeur, indignation et colère dans l'opinion tant intérieure qu'africaine et mondiale…
Une tentative désespérée de coup de force anticonstitutionnel, fort heureusement retoqué par un Conseil constitutionnel pour une fois compétent ! Du coup, il a recours aux manœuvres dilatoires, en appelant à un énième faux « dialogue », visant à prolonger aussi longuement que possible une soi-disant « transition » qui, conformément à la loi fondamentale en vigueur, ne l'autorise pas à présider aux cérémonies officielles de la prochaine « fête de l'indépendance », le 4 avril 2024.
Faut-il rappeler qu'en 1993, la première tentative de mise œuvre du consensus issu des travaux de la Commission Nationale de Réforme du Code électoral, présidée par feu le juge Kéba Mbaye, a entraîné sa démission fracassante de la présidence du Conseil constitutionnel au cours du scrutin présidentiel de février, tandis que l'élection des députés du mois de mai suivant s'est soldée par l'assassinat du vice-président de la même juridiction, Me Babacar Sèye, « juge des élections » ? Il importe de préciser que, dans l'intervalle séparant les deux scrutins, la majorité parlementaire mécanique du Parti-Etat PS avait unilatéralement brisé le consensus du « Code Kéba Mbaye », en retirant le droit de vote aux représentants des candidats au sein de la Commission Nationale de Recensement des Votes, désormais réduits au statut de simples observateurs, pour le réserver exclusivement aux magistrats de la Cour d'Appel de Dakar ! L'on voit que le changement unilatéral et partisan des règles du jeu en cours de partie, par l'héritier de Me Wade n'est que la perpétuation d'une vieille tradition de fraude politicienne typiquement senghorienne, même si elle est en réalité héritée de la tradition jacobine française…
Il n'en demeure pas moins que le prochain scrutin présidentiel s'est transformé en un quasi-référendum opposant deux camps : celui des partisans et bénéficiaires du vieux et calamiteux système du parti-Etat, adeptes de la continuité néocoloniale, face à l'immense majorité du peuple, qui en souffre et le subit en victime non consentante. Nos concitoyens sont dans l'attente d'une véritable alternative et non pas d'une troisième alternance trahie par des politiciens professionnels, qui ne sont ni patriotes, ni démocrates ! Tant et si bien que l'on peut prédire sans risque de se tromper que, si et seulement si le scrutin est calme et paisible, régulier et sincère, qu'un second tour est plus qu'improbable, tant le raz de marée « pastefien » en faveur de la Coalition Jomaay Président semble inéluctable…
Toutefois, il apparaît que partout en Afrique, les échéances électorales, loin d'être des moments forts de débats constructifs, de respiration et de régulation de la vie démocratique, se réduisent à des luttes pour le pouvoir personnel et s'avèrent être les principaux facteurs de crise sociale et d'instabilité institutionnelle, sinon de violence sanglante généralisée. Aussi, n'est-il pas exclu que le président sortant tente un ultime coup fourré pour sauver sa mise, en divisant les rangs du mouvement patriotique et démocratique. Une conspiration assurément vouée à l'échec, étant donné le niveau de prise de conscience des masses et surtout de la jeunesse, auxquelles l'on s'adresse désormais dans les langues africaines, (via media et réseaux sociaux) et le degré de détermination qui en résulte chez les gens.
Quoiqu'il en soit, le minuscule arbre du Sénégal ne saurait nous cacher l'immense forêt africaine… La multiplication des crises structurelles autant dans la sous-région ouest-africaine qu'à travers l'ensemble de notre continent, dans un contexte global de faillite politique, économique et morale de l'Occident impérial, dominé par des génocidaires non repentis, (esclavagistes, colonialistes anciens et nouveaux, ségrégationnistes, racistes incorrigibles et prédateurs impénitents), devraient nous convaincre de l'urgente nécessité de changer radicalement de cap.
D'autant qu'il est aujourd'hui manifeste que ceux qui craignent, depuis toujours, l'avènement de la libre expression d'un authentique suffrage universel, régulier et sincère en Afrique, forment une sainte alliance de prédateurs étrangers, désormais associés à des Africains traîtres à leur patrie et esclaves de leurs intérêts égoïstes. Cette association de malfaiteurs incorrigibles n'est guidée que par la volonté de puissance et de domination, le culte du profit et l'esprit de lucre.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, pourquoi s'étonner que la gestion dépendante et incompétente, autoritaire et corrompue, autrement dit le pouvoir personnel à la solde de l'étranger, qui a caractérisé l'évolution de la quasi-totalité des États africains, des indépendances avortées à nos jours, aient abouti à une impasse, sinon au chaos plus ou moins généralisé partout ou presque ?
Il s'agit donc à présent de savoir tirer les bonnes leçons de la riche expérience de luttes pour la survie collective, accumulée par les peuples africains du continent et de la Diaspora d'ascendance africaine directe, afin de nous donner les moyens de recouvrer la maîtrise de nos propres destinées dans des délais non prohibitifs, de concert avec les autres peuples opprimés du monde, dont il y a également beaucoup à apprendre.
Ainsi, au-delà des principes généraux de l'égale dignité de tous les êtres humains et du caractère inviolable de la vie sur terre, affirmés dès 1212 dans le Serment des Chasseurs, plus connu sous le nom de Charte du Mandé, le premier et le plus concis des « textes sacrés de la liberté », (il ne compte que sept articles, à ne pas confondre avec le faux apocryphe dit du « Kurukan Fugan » qui en compte quarante-quatre…) la leçon principale à tirer de notre expérience historique dans les Temps modernes devrait être que même si tout africain possède un terroir de naissance, forcément situé sur un territoire donné, au sein d'un quelconque pays à travers le continent-mère, il doit être évident, pour chacun et pour tous, que la nation à construire ou la patrie à défendre ne saurait être autre qu'une Afrique véritablement libre parce que, réunifiée, souveraine et démocratique sur la base du principe égalitaire absolu : non ethnique, non racial, non sexiste et non confessionnel ; et, par voie de conséquence, une Afrique non violente.
Senghor, père du système du parti-État (1/2)
Dialo Diop est membre de la Coalition Jomaay Président.
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La guerre oubliée : tirer la sonnette d’alarme pour le Darfour

Le nouveau rapport des Nations Unies sur le Darfour n'a pas encore été officiellement publié, mais il fait déjà du bruit. Avec raison ! Les lecteurs réguliers du Brief du Jour sont bien au courant de la détérioration de la situation dans cette région de l'ouest du Soudan. Nous avons mis en évidence la spirale infernale qui se déroule au Darfour, nous avons détaillé les massacres ethniques et autres atrocités, et appelé à une plus grande action internationale à de nombreuses reprises l'année dernière.
Tiré d'Afrique en lutte.
Aujourd'hui, un rapport du groupe d'experts sur le Soudan du Conseil de sécurité des Nations Unies révèle au monde davantage sur les horreurs qui se déroulent dans cette région. Ce rapport, qui n'a pas encore été publié mais qui a été largement diffusé dans les médias, constitue une lecture inquiétante.
Le rapport décrit les vagues d'attaques catastrophiques menées par les Rapid Support Forces (RSF) et leurs milices alliées dans la capitale du Darfour occidental, El Geneina. Selon le rapport de l'ONU, les RSF ont tué entre 10 000 et 15 000 personnes dans la ville et ses environs l'année dernière.
Le rapport confirme que les RSF et leurs alliés ont pris pour cible des civils de l'ethnie Massalit lors d'attaques qui « pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ». Human Rights Watch a également documenté la façon dont la RSF et les milices alliées ont perpétré des meurtres ethniques ciblés, des violences sexuelles et des actes de torture à l'encontre de civils de l'ethnie Massalit.
Ces nouvelles atrocités ont contraint plus d'un demi-million de personnes à fuir vers le Tchad, faisant maintenant partie des 10,7 millions de personnes qui ont été déracinées de leurs maisons au Soudan, principalement depuis que le conflit a éclaté en avril. Le nombre de personnes déplacées à l'intérieur du Soudan - neuf millions - est le plus élevé au monde.
Le rapport du groupe d'experts de l'ONU cite les noms des principaux membres des RSF et des milices qui ont supervisé les atrocités commises au Darfour.
Il présente également des allégations crédibles à l'encontre des Émirats arabes unis, qui auraient expédié des armes et des munitions aux RSF au Darfour, en violation de l'embargo sur les armes décrété par les Nations Unies.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait agir sur la base de ces conclusions.
Jusqu'à présent, il a condamné les exactions commises au Darfour, mais il n'a pas encore pris de mesures pour sanctionner les responsables des atrocités ni condamné explicitement les violations de son propre embargo sur les armes.
Le Conseil de sécurité devrait agir sur ces deux fronts. Il devrait ajouter les noms des auteurs de crimes graves à sa liste de sanctions générales, et suivre de près toutes les allégations liées au transferts illicites d'armes. Les autres gouvernements devraient faire de même, en utilisant le nouveau rapport de l'ONU pour prendre des mesures dans le cadre de leurs propres régimes de sanctions.
Cette mise à jour est sinistre, je sais. Les atrocités continuent au Darfour et le monde ne fait pas assez pour les arrêter. Et elles ne s'arrêteront probablement pas avant que le monde agisse.
Andrew Stroehlein, Directeur des relations médias en Europe de Human Rights Watch
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« Milei veut modifier les rapports de force en soumettant les mouvements sociaux » – Claudio Katz

Nous publions cette entrevue de Claudio Katz, économiste, chercheur et professeur à l'Université de Buenos Aires sur la politique du nouveau président d'Argentine, Javier Milei, accordée à Rébellion le 5 Février 2024.
7 février 2024 | alter québec
https://alter.quebec/milei-veut-modifier-les-rapports-de-force-en-soumettant-les-mouvements-sociaux-claudio-katz/
« Milei cherche à introduire en Argentine une réforme du travail pour précariser l'emploi et consolider un modèle néolibéral comme au Chili, au Pérou ou en Colombie ».
Rébellion : En novembre et décembre, vous avez écrit que le projet de Milei dépendait de la résistance populaire. Quelle est votre évaluation de la grève et de la mobilisation de la CGT ?
Claudio Katz : Ils ont eu un impact extraordinaire tant par leur caractère massif que par leurs répercussions politiques. La place (devant le parlement) et ses environs étaient remplis d'une affluence spontanée qui complétait la présence syndicale. C'était une protestation frappante 45 jours après le début du gouvernement, en plein milieu des vacances et par temps chaud. La marche a été organisée avec des assemblées régionales et a connu une grande participation des secteurs jeunes, communautaires et culturels. Une fois de plus, quand le mouvement ouvrier organisé intervient, sa puissance est écrasante. Il a été le protagoniste des principales batailles populaires.
La mobilisation a également eu un grand effet international…
Certainement. Des actes de solidarité ont été enregistrés devant les ambassades dans de nombreux pays européens et dans les principales capitales de l'Amérique latine. Cela a montré qu'une conscience mondiale naissante contre l'extrême droite se dessine. On commence à remarquer que si Milei l'emporte, Kast, Bolsonaro, Uribe ou Corina Machado dans notre région, et Trump, Le Pen ou Abascal dans le nord, se renforceront.
Si, au contraire, nous parvenons à arrêter Milei, la vague mondiale des réactionnaires subira sa première défaite dans les rues face à une résistance organisée. Alors que l'anarchocapitaliste cherche le soutien international du FMI, des banquiers et des grands capitalistes, la lutte des travailleurs et des travailleuses argentins suscite la solidarité par en bas, dans de nombreux coins de la planète. Cette ligne de fracture est très prometteuse.
Observez-vous l'activisme international de Milei dans son discours à Davos ?
Oui. Là-bas, il a réitéré ses éloges bien connus pour le capitalisme, mais avec le postulat absurde que ce système traverse son moment de plus grande prospérité. Il a exposé ce diagnostic insolite le même jour où un rapport sur l'inégalité illustrait ce qui s'est passé au cours des quatre dernières années. Pendant cette période, la richesse des cinq hommes les plus riches de la planète a doublé, au détriment de l'appauvrissement d'un nombre incalculable de personnes.
Dans son apologie libertaire, Milei a rejeté toute forme de régulation étatique et nié l'existence de défaillances du marché. Il vit dans un monde fantastique, ignorant que le capitalisme ne pourrait pas fonctionner une minute sans le soutien des États. Il a également relancé la présentation enfantine de l'entrepreneur comme bienfaiteur social, ignorant l'exploitation, la précarisation de l'emploi, le chômage et le parasitisme des financiers.
À ces idéalisations mythiques de l'école néolibérale autrichienne, il a ajouté deux ajouts plus conventionnels. D'une part, la critique réactionnaire du féminisme et en particulier de l'avortement pour l'exercice effectif du principe de liberté individuelle qu'il valorise tant. D'autre part, il a une nouvelle fois nié le changement climatique, au milieu des catastrophes provoquées par les sécheresses, les inondations et la fonte que nous observons quotidiennement. Il ne méconnaît pas ces évidences par ignorance, mais pour son soutien intéressé aux compagnies pétrolières. Il est aligné sur le business de la pollution pour privatiser YPF (compagnie publique de pétrole de l'Argentine), favoriser le groupe Techint et livrer les gisements de Vaca Muerta (un projet d'exploitation du Gaz de Schiste).
Mais il a également émis un avertissement exotique contre la contamination socialiste de grandes institutions occidentales…
Oui, il semblait être un lunatique dans le discours réprimandant les banquiers pour permettre l'influence socialiste dans leurs réunions. Il est absurde de supposer qu'à la Mecque mondiale du néolibéralisme et de l'entreprise libre, il existe un courant de pensée anticapitaliste. Mais comme d'habitude, Milei a déployé ces emportements parce qu'il est contrarié. Dans ce cas, son mécontentement est dû au déclin de la mondialisation et à la dévaluation conséquente du Forum de Davos.
Les personnalités éminentes du passé n'assistent plus à cette réunion. Cette défection s'aligne sur le renforcement du virage vers une intervention régulatrice des États dans les économies centrales. Les tarifs et les dépenses publiques reviennent, maintenant avec des subventions aux chaînes d'approvisionnement et des lois favorisant la fabrication locale de haute technologie. Milei est contrarié par ce virage néokeynésien qui s'éloigne de son orthodoxie globaliste. Il est un néolibéral démodé, toujours attaché au globalisme des années 90.
Mais toujours fidèle au script des États-Unis…
Bien sûr. C'est sa priorité. Il est allé à Davos pour soutenir la campagne d'agression des États-Unis contre la Chine. La nouvelle puissance asiatique a déjà atteint des niveaux de productivité supérieurs à son rival occidental dans d'innombrables segments de l'activité industrielle. C'est pourquoi il participe à ce forum avec des propositions de libre-échange, dans l'intention de promouvoir ses affaires au détriment des États-Unis. Dans sa dénonciation exotique du socialisme, Milei a soutenu le lobby anti-chinois du leader américain.
Il est tellement au service de Washington qu'il ne se soucie pas d'affecter les énormes échanges commerciaux de l'Argentine avec la Chine avec cette campagne. Il a déjà retiré le pays des BRICS, exprime des gestes de reconnaissance envers Taïwan et met en péril le principal marché des exportations. Dans cette aventure, il dépasse Bolsonaro, qui a tenté la même politique de choc avec Pékin.
Milei attend toujours, en revanche, une rétribution financière de Wall Street pour autant de soumission au Département d'État. Il ne prend pas en compte que la Chine a déjà émis plusieurs avertissements à l'Argentine. Elle exige le remboursement des prêts-swaps et a prévu qu'elle pourrait remplacer l'achat de soja et de viande par des fournisseurs du Brésil, de l'Australie ou de l'Uruguay. Tout comme avec le Conicet, Arsat, les universités publiques ou YPF (Pétrolier public argentin), Milei pourrait détruire en un mois un échange commercial avec la Chine construit au fil de plusieurs décennies.
Est-ce simplement de la soumission aux États-Unis ou une nouvelle stratégie globale de l'extrême droite ?
Les deux. Milei a une grande affinité avec Netanyahu, car ce sont les deux figures centrales du nouveau virage international de l'extrême droite. Avec leurs pratiques atroces, ils favorisent le passage du discours à l'action.
Le massacre à Gaza commandé par Netanyahu et la destruction de l'économie argentine que promeut Milei diffèrent de la gestion conventionnelle de Bolsonaro ou du premier Trump et s'alignent sur Orban et Meloni. Les deux figures réactionnaires du moment soutiennent des actions draconiennes pour réorganiser la géopolitique, suivant la contre-offensive impériale lancée par les États-Unis pour regagner des positions dans le monde.
Au Moyen-Orient, ce durcissement implique de déclencher un incendie pour bloquer la relation de la Chine avec l'Arabie saoudite et le progrès conséquent dans la dé-dollarisation de l'économie mondiale. En Amérique latine, cela suppose de reprendre avec une plus grande virulence la restauration conservatrice pour étouffer l'émergence fragile d'un nouveau cycle progressiste. Milei est une pièce de la stratégie conçue par Trump pour un nouveau mandat depuis la Maison-Blanche.
Cette ligne d'action rapproche-t-elle Milei du fascisme ?
Ce n'est pas le terme approprié pour caractériser son projet. Milei cherche à introduire en Argentine une réforme du travail pour précariser l'emploi et consolider un modèle néolibéral similaire à celui développé au Chili, au Pérou ou en Colombie. Pour atteindre cet objectif, il doit modifier les rapports de force en pliant les syndicats, les mouvements sociaux et les organisations démocratiques. C'est un objectif thatchérien, axé sur la rupture des puissantes organisations populaires du pays. Il cherche à régler un conflit social emblématique en faveur des classes dominantes, comme cela s'est produit avec la grève des mineurs anglais en 1984.
Milei est entouré de groupes fascistes, mais son projet n'est pas fasciste. Il n'a pas immédiatement l'intention de forger un régime tyrannique, avec le déploiement de la terreur contre les organisations populaires. Ce modèle réactionnaire apparaît généralement dans des conjonctures de danger révolutionnaire. Pour l'instant, le libertaire cherche à soumettre les travailleurs avec le soutien de la classe dominante et des médias.
Les puissants lui pardonnent tout pour qu'il puisse concrétiser son ajustement. Ils ne disent rien des erreurs d'un dirigeant qui dépense de l'argent public pour rénover sa résidence pour y installer ses chiens, qui perd son temps dans des débats délirants sur les réseaux sociaux avec de faux comptes, ou qui judiciarise le chauffeur qui a renversé un chien.
Les propriétaires de l'Argentine détournent le regard, attendant que leur plan de guerre contre le peuple fonctionne. Il y a beaucoup d'enjeux commerciaux au détriment de la majorité. La démolition des retraites et la vente du Fonds de garantie rouvrent, par exemple, la possibilité de réintroduire l'escroquerie des AFJP (le fonds de retraite de l'État). La restauration de l'impôt sur le revenu pour les salariés aux revenus les plus élevés finance le blanchiment et le nouveau pardon aux grands évadés fiscaux.
Mais ne génère-t-il pas d'opposition avec sa gestion erratique et imprévisible ?
Si. Chaque jour, il intervient avec une certaine improvisation, car il réagit de manière chaotique face aux échecs qu'il rencontre. Il a été très affecté par le succès de la grève et, avec sa furie habituelle, il a limogé des fonctionnaires et des ministres. Son grand projet est la remodelassions régressive du pays, à travers le Décret de Nécessité et d'Urgence et la loi omnibus (une loi qui a eu une première approbation, avec des articles comme la privatisation des actifs de l'État et la restriction des droits des manifestants). Ce sont deux initiatives anticonstitutionnelles visant à perpétrer un pillage gigantesque.
Mais il rencontre la même limite qui a obligé Bolsonaro en 2019 à négocier ses mesures avec de nombreux législateurs ou gouverneurs, en accordant des avantages en échange de votes. Dans ces négociations, la moitié de son projet a déjà été élaguée, et il le ferait approuver en général, mais en coupant complètement les initiatives spécifiques. Il bénéficie du soutien du PRO (Parti républicain), de l'UCR (Parti social-démocrate) et de la Coalition fédérale pour attaquer les droits populaires, mais ce soutien ne s'étend pas à la gestion des affaires. Il y a une différence entre l'objectif commun de détruire les syndicats et les mouvements sociaux, et la question de qui profite des privatisations et de la dérégulation.
Les entreprises qui rivalisent pour cette part du gâteau ont différents porte-parole au Congrès. C'est pourquoi la droite conventionnelle tente de limiter les pouvoirs délégués à l'Exécutif. Elle donne carte blanche pour réprimer la protestation sociale, mais cherche à s'approprier une part de la réforme fiscale en cours. Le libertaire n'arrive pas à orienter ces conflits au Parlement, et son autorité politique s'affaiblit dans l'interminable série de négociations avec la droite conciliante. S'il parvient à un accord à la Chambre des députés, il devra encore passer par la trituration du Sénat, alors que les tribunaux émettent déjà des jugements limitant son action.
Que fera Milei si ces obstacles persistent ?
Tout indique qu'il envisage une aventure référendaire. Cela pourrait être maintenant ou plus tard. Il étudie cette convocation aux urnes, sous le prétexte que le Congrès ne le laisse pas gouverner. De cette manière, il reprendrait la campagne contre la « caste » sur laquelle il a basé son succès électoral. Il imagine ce recours comme le coup d'envoi du régime politique autoritaire qu'il aspire à construire. La réforme électorale — déjà rejetée par le Congrès — soutenait ce modèle en définançant l'activité électorale et en privatisant la politique, en fragmentant la carte électorale en de nombreuses circonscriptions.
Le grand problème de Milei est l'absence d'une base politique propre. C'est là que réside la grande différence entre Milei, Bolsonaro, Trump ou Kast. Il n'a pas ce soutien et jusqu'à présent, il n'a pas pu le forger. Il n'a pas réussi à créer un mouvement réactionnaire contre la grève ni à répéter les marches de droite de l'ère Macri ou les manifestations régressives de la pandémie contre le progressisme.
Il envisage également l'option répressive que Bullrich évoque chaque jour, avec des amendes multimillionnaires aux syndicats, des restrictions au droit de réunion et des provocations contre les manifestants. La présence de la gendarmerie dans les rues s'intensifie, et Milei cherche un prétexte pour autoriser l'intervention des forces armées dans la sécurité intérieure. Dans cette optique, il a épuré le haut commandement et a placé à sa tête un homme très connecté avec le Pentagone. Mais même dans ce domaine, il n'a pas obtenu de résultats.
Le grand test est le protocole contre les barrages pour empêcher les manifestations, qui a été débordé maintes et maintes fois jusqu'à présent. Le fiasco de la police arrêtant au hasard des manifestants devant le Congrès confirme cet échec. Je pense que dans ce domaine, la dispute avec la protestation populaire active et courageuse continuera.
La situation économique ne sera-t-elle pas tout aussi déterminante ?
Sans aucun doute. Milei cherche à baisser les salaires et à appauvrir la majorité, afin de stabiliser la monnaie en réduisant l'inflation par le biais d'une récession induite. Avec la réduction des dépenses publiques, la contraction de la consommation intérieure et l'effondrement du niveau d'activité, il espère aplatir l'inflation. Cela s'est déjà produit à plusieurs reprises dans le passé.
Il s'agit de l'ajustement orthodoxe en cours, qui tend à générer une chute du PIB supérieur à celle observée l'année dernière. Milei mise sur l'organisation du front monétaire avec l'arrivée de dollars provenant de la récolte record, des exportations d'hydrocarbures et de la réduction des importations. Son objectif est de recréer, avec l'approbation du FMI, une situation similaire à celle des années 90 avec Menem. Dans ce contexte, il forgerait sa base politique de droite.
Et cette répétition est-elle réalisable ?
Nous ne le savons pas, mais rappelons que Menem a réussi à survivre au désastre inflationniste de son début prolongé et Milei commence à peine à suivre cette trajectoire. Le Riojano pouvait compter sur le justicialisme, les gouverneurs et la bureaucratie syndicale. Son émule n'a pas ce soutien, et pour continuer dans la course, il devra passer le test immédiat d'un trimestre tumultueux. S'il doit dévaluer à nouveau en mars ou avril, il fera face à une grande crise.
Cette perspective d'une nouvelle grande dévaluation du peso est déjà visible en raison de l'escalade des prix, neutralisant les effets de la mégadévaluation de décembre. De plus, le cercle vicieux de la récession qui fait chuter les recettes et accroît le déficit budgétaire est très visible, annulant tous les effets des coupes décidées par le gouvernement.
Ces incohérences intensifient les conflits entre les trois grands secteurs capitalistes du pays. Milei-Caputo est le représentant du capital financier et fait chuter l'économie pour garantir le remboursement des créanciers. Ils exploitent le peuple, mais si cette confiscation n'est pas suffisante, ils sont prêts à exiger des paiements des deux autres groupes de pouvoir. Un secteur est l'agrobusiness, qui a bénéficié grandement de la dévaluation, mais résiste maintenant à contribuer à l'impôt sur les retenues exigé par le gouvernement. L'autre segment des industriels est en phase avec la réforme du travail promise par Milei, mais est affecté par l'ouverture commerciale et la réduction des avantages fiscaux dans les provinces.
Quels sont donc les scénarios en gestation ?
Les alternatives dépendent du résultat de l'agression contre le peuple. Tous les prédécesseurs de Milei ont réussi à imposer leur agenda pendant un certain temps, sans jamais parvenir à remodeler l'économie néolibérale ni à stabiliser un gouvernement de droite. La différence entre Videla, Menem et Macri résidait dans la durée pendant laquelle ils ont réussi à préserver leurs modèles.
La dernière expérience a été la plus courte et cette brièveté pourrait se reproduire si la bataille populaire en cours remporte un succès similaire à celui de la réforme des retraites de 2017. Milei espère éviter cette frustration en haussant les enchères avec l'option de la dollarisation, et les groupes de pouvoir suivent attentivement sa gestion, évaluant s'ils continuent à le soutenir ou s'ils préparent un remplacement avec le tandem Villaroel-Macri (ancien président de droite de 2015 à 2019). Tout dépendra du résultat de la bataille sociale qui se joue dans les rues et ce qui se passe avec la loi omnibus donnera un premier indice de cette confrontation.
Remarquez-vous des changements dans la résistance populaire ?
La massivité et la diversité lors de l'acte de la CGT (confédération générale du travail) indiquent qu'il y a une certaine prise de conscience de l'intensité de la lutte en cours. De nombreux participants à cette manifestation ont souligné que « cela ne fait que commencer » et d'autres ont appelé à continuer à descendre dans les rues jusqu'à ce que Milei soit vaincu. Dans certains quartiers, les assemblées et les casseroles réapparaissent avec une certaine réminiscence de 2001, et un élément clé a été la clôture de l'acte avec le discours d'une mère de la Place de Mai. Cette centralité des droits de l'homme sera déterminante pour la bataille actuelle.
Je trouve également intéressante l'ouverture de la direction de la CGT, qui s'est réunie avec des députés du FIT (Front de Gauche et de travailleurs) et a invité la plupart des organisateurs de l'acte à la tribune. Ils ne veulent pas répéter le rejet de leurs complicités passées, de leur inaction à l'époque de Macri ou de leur aveuglement face à l'irruption des mouvements sociaux.
Quoi qu'il en soit, la continuité d'un plan de lutte reste en suspens, car il est évident qu'une grève ne suffit pas à arrêter Milei. Dans les manifestations, on demande encore et encore l'unité des travailleurs contre ceux mécontents de cette convergence. Cette consigne exprime un profond désir de redoubler la lutte, avec l'organisation syndicale à la tête d'un front qui vaincra l'austérité.
Je trouve également significative la radicalisation qui commence à se faire sentir parmi les secteurs qui espèrent occuper la rue jusqu'à la chute du gouvernement. Le cinéaste Aristarain l'a explicitement exposé. Enfin, je prêterais attention à la signification du slogan : « la Patria no se vende » (la Patrie ne se vend pas), adopté par de nombreux participants à la manifestation. Dans cette revendication, la Patrie est Arsat (entreprise publique satellitale), le Conicet (organisme dédié à la promotion de la science) et les salaires. C'est une façon de remettre en question le néolibéralisme, soulignant que « je ne me vends pas », car « je ne suis pas une marchandise ». Le sens sous-jacent est une variante du patriotisme progressiste.
En résumé, il semble que nous retournons aux crises typiques et aux dénouements vertigineux de l'Argentine…
Oui. Tout s'accélère à nouveau et commence à se jouer en plein été. L'impression initiale d'une trêve jusqu'en mars-avril s'est dissipée, car l'audace avec laquelle agit Milei est évidente. C'est sa caractéristique principale et le reste est secondaire. S'il improvise ou s'il a un plan est un élément accessoire, comparé à un comportement réactionnaire déterminé et très similaire à celui de Thatcher, Fujimori ou Yeltsin. Les puissants le soutiennent pour cette position et du côté populaire, il faut répondre avec la même résolution. La pièce est en l'air, et celui qui fera preuve de la plus grande détermination l'emportera.
Claudio Katz, économiste et chercheur du CONICET, professeur à l'UBA (Université de Buenos Aires) et membre du réseau des Économistes de Gauche (EDI).
Rébellion a publié cet article avec l'autorisation de l'auteur.
Traduction avec Deepl révisé par Mario Gil Guzman
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Haïti : un État solitaire

Haïti est solitaire. Elle est traitée avec désinvolture et mépris par les grandes puissances et la communauté internationale dès son indépendance en 1804.
Cet État rebelle-ensorcelé dans une culture du marronnage-patauge depuis deux siècles dans une sempiternelle crise multidimensionnelle. Celle-ci entre depuis bientôt trois ans dans un état de décomposition totale. Toutes les institutions nationales sont à plat depuis l'assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. Le pays est livré à des bandes armées qui contrôlent plus de 80% de la capitale. Des dirigeants sans scrupules, sans aucun sens de la « Res publica » et du bien-être collectif dilapident au mépris de la misère de la population les maigres ressources du Trésor public.
Le Premier ministre Ariel Henry -qui joue également le rôle de chef d'État sans échappe présidentielle-dirige le pays depuis le 20 juillet 2021 avec l'appui de la communauté internationale particulièrement les pays membres du Gore Group-est contesté par les citoyens qui étaient dans les rues partout dans les grandes villes du pays pour réclamer sa démission le 7 février dernier.
Si la Police nationale-le bras armé du pouvoir- se montrait impuissante face aux groupes criminels qui terrorisent la population depuis près de trois ans, sa répression a été sans précédent contre ceux qui réclament le départ de l'équipe gouvernementale. Cinq agents de la Brigade de Surveillance des Aires protégés (BSAP) sont tués et entrés dans des fosses communes comme des indigents. Ce mode opératoire n'est pas différent de celui des bandits qui décapitent et brûlent les cadavres des policiers avant de les laisser à la merci des carnivores. Le régime au pouvoir a montré son vrai visage. Le neurochirurgien tyrannise et s'enferme dans un cynique froid qui fait penser au prince machiavélien. Par cette action macabre, il entendait lancer un message clair aux autres agents de la BSAP en rébellion : en cas de persistance dans cette voie, ils vont avoir le même sort que les martyrs du 7 février.
La crise haïtienne actuelle est la résultante de la politique d'exclusion socio-économique, d'apartheid social et de marginalisation des couches populaires que nos élites économiques et politiques ont mis en place depuis 1804. Haïti reste après deux siècles de vie indépendante un des pays les plus inégalitaires du monde. 60% des richesses nationales se concentrent entre les mains de moins de 5% de la population. Une minorité roule dans le luxe extravagant tandis que la grande majorité croupit dans la misère révoltante. Les crises successives de 1804 à nos jours traduisent l'échec de la mise en place de l'État moderne pour offrir des services sociaux de base à la population. En ce sens Sauveur Pierre-Etienne croit que ‘' la non-émergence de l'État moderne en Haïti est la conséquence du sous-développement et des dictatures récurrentes que le pays a connues''.
Prise en otage par les bandes armées, le pouvoir sanguinaire et la mafia financière, la population est à bout de souffle. Face à cette situation dramatique, Haïti est seule. La communauté internationale tergiverse. Certains pays dont la République dominicaine tire les ficelles. Les armes et les munitions alimentant le secteur criminel en Haïti arrivent des États-Unis en transitant par le territoire voisin. Ironiquement, Luis Abinader Corona, un anti-Haïtien farouche, se transforme en porte-parole de l'État haïtien au niveau international. À l'Organisation des États américains (OEA) comme à l'Organisation des Nations Unies (ONU), il ne cesse de crier à gorge déployée la nécessite de déployer des forces étrangères en Haïti pour faire face aux groupes armés.
Les pays membres du Core Group passent le dossier haïtien au second plan. Haïti n'est plus une priorité pour la France qui fait face au réveil de l'Afrique et au rejet des rapports de domination qu'elle établit dans le continent noir dont la plupart des pays proclament leur indépendance après la Seconde Guerre mondiale. Certains dirigeants progressistes africains ont opté pour un partenariat plus fructueux avec la Chine, l'Inde et la Russie. L'Hexagone n'est rien sans ce continent riche en ressources naturelles. Selon la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), l'Afrique abrite 54 % des réserves mondiales de platine, 78 % de diamants, 40 % de chrome et 28 % de manganèse. « Dix-neuf des 46 pays d'Afrique subsaharienne possèdent d'importantes réserves d'hydrocarbures, de pétrole, de gaz, de charbon ou de minéraux et 13 pays explorent actuellement de nouvelles réserves ‘', relève le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ».
L'image des États-Unis est politiquement décriée en Haïti. Après quatre interventions militaires dont trois en moins de vingt ans (1915, 1994, 2004, 2010), ils ne parviennent pas à stabiliser la formation sociale. La crise haïtienne survient à un moment où le monde fait face à des défis majeurs écrit l'ex-président dominicain Leonel Fernandez. L'administration américaine se montre plus préoccupée de la guerre russo- ukrainienne et des problèmes du Moyen-Orient qu'à ce qui se passe en Haïti.
L'Ukraine a une valeur stratégique pour Washington et le bloc occidental dans la lutte pour contenir l'hégémonie russe. Dans le Grand Échiquier (1997), Brzeziński qualifie l'Ukraine de « pivot géopolitique ». Sans elle, la Russie cesse d'être un empire eurasien. Si elle récupère le contrôle du pays, ses 38 millions d'habitants, ses ressources naturelles (houille, minerai, etc.) et son accès à la mer Noire, elle redevient un puissant État impérial, s'étendant de l'Europe à l'Asie.
La guerre au Moyen-Orient opposant le Hamas à l'Israël depuis le début d'octobre 2023 plonge l'administration américaine dans un dilemme entre cautionner les crimes contre l'humanité commis par Tsahal sous l'ordre du Premier ministre Benjamin Netanyahu et relâcher un allié certain dans cette région riche en hydrocarbures. À elle seule, l'Arabie saoudite détient le quart des réserves prouvées de la planète (262,7 milliards de barils), suivie de l'Irak (112,5 milliards), des Émirats arabes unis (97,8 milliards), du Koweït (96,5 milliards) et de l'Iran (93,1 milliards). Au total, près des deux tiers des réserves connues de pétrole se trouvent ainsi concentrées sous le sol de ces cinq pays (Le Monde Diplomatique, 2006). À l'instar de l'Ukraine, l'Israël et le Moyen-Orient tiennent une importance géopolitique et géoéconomique pour la première puissance mondiale contrairement à Haïti déjà placée dans sa sphère d'influence d'autant qu'elle ne sent pas réellement menacée par une autre puissance rivale ou un mouvement politique d'envergure au niveau interne.
Si le président dominicain fait de crise haïtienne son cheval de bataille pour les prochaines présidentielles de mai 2024, le locataire de la Maison blanche n'entend nullement s'impliquer à fond dans la crise haïtienne afin d'éviter qu'elle ait un impact non-désiré sur sa réélection le 5 novembre prochain.
Les instances internationales comme l'OEA et l'ONU gardent des souvenirs d'échec en Haïti. Le bilan de la Mission des Nations-Unies pour la stabilisation en Haïti (Misutha) est catastrophique tant au niveau politique, institutionnel, sécuritaire que sanitaire. Le choléra dont est accusé le bataillon népalais de cette mission fait plus de 10 000 victimes sans réparation.
Le Canada sans grande influence internationale et sans leadership régional se montre assez réticent face à Haïti qui est une terre de feu. Aujourd'hui, Haïti est alors seule dans le monde. Elle est oubliée par l'Humanité. Il revient aux Haïtiens de prendre en main leur destin pour libérer le pays des affres des tyrans au pouvoir afin d'établir une société plus juste en harmonie aux aspirations du plus grand nombre. Une telle bataille ne peut été gagnée sans l'engagement citoyen des élites, une volonté réelle de changement de paradigme dans les pratiques politiques et la prise de conscience des masses qui, « depuis 1843, luttent pour démocratiser le régime politique, moderniser la vie économique, socialiser l'État »
(Michel Hector)
Ce combat doit être engagé à trois niveaux :
– d'abord, une action cordonnée des élites sociales et intellectuelles pour le renversement de ce régime tyrannique au pouvoir représenté par le Dr Ariel Henry incarnant le mal absolu dans l'opinion publique ;
– ensuite, un combat politique pour transformer le pays en un État moderne capable de garantir un minimum de bien être aux masses urbaines et rurale de concert avec les élites économiques ;
– enfin, une lutte patriotique pour libérer le pays de l'ingérence étrangère tout en tant compte bien évidemment des intérêts géopolitiques des États-Unis et des voisins caribéens en particulier la République dominicaine qui aspire au rang de puissance régionale.
Pour cela, l'espace public dans le sens de Jüger Habermas doit être occupé par des hommes et des femmes intellectuellement préparés, moralement éprouvés et patriotiquement engagés dans la formation idéologique des masses. Sinon, l'on va tomber dans les pièges de changement de gouvernement sans changer l'appareil étatique, c'est-à-dire l'infrastructure juridico-politique et la superstructure comme on l'avait fait en 1843 (Boyer), en 1946 (Lescot) et plus récemment en 1986 (Duvalier) et en 2004 (Aristide). Ce qui revient à dire que la révolution s'impose mais pas celle qu'on claironne dans les médias ces derniers temps par les réactionnaires gardiens du système d'apartheid social.
Bleck Dieuseul Desroses,
Professeur d'Histoire et de Géopolitique
Port-au-Prince, 19 février 2024
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La guerre contre les peuples autochtones au Mexique

Alors qu'une réforme constitutionnelle à la Pyrrhus et limitée sur les droits des indigènes est en cours de présentation au Congrès de l'Union, bien loin de l'exhaustivité juridique proposée dans le dialogue de San Andrés, la guerre contre les peuples indigènes du Mexique se poursuit sur tout le territoire national.
19 février 2024 | tiré de Rebelión
https://rebelion.org/la-guerra-contra-los-pueblos-indigenas-3/
Le soi-disant crime organisé dévaste les espaces communautaires du Chiapas, d'Oaxaca, de Guerrero, du Michoacán, de Morelos, entre autres États assiégés par la justice, tandis que la militarisation et le militarisme vont de pair avec les déclarations présidentielles répétées de reconnaissance des forces armées, qui n'ont pas diminué la présence meurtrière des cartels dans les zones rurales et urbaines. Ainsi, l'accumulation militarisée et criminelle qui caractérise le capitalisme d'aujourd'hui est violemment imposée.
Le cas d'Ostula, dans le Michoacán, est paradigmatique. Le communiqué du 2 février de la communauté nahua de Santa María Ostula fait état d'attaques du cartel Jalisco New Generation qui, avec un commando d'au moins 50 tueurs à gages, est entré sur le territoire communal, incendiant des maisons et blessant un membre de la communauté. Grâce à l'organisation autonome, la garde communale a affronté les criminels, affirmant qu'elle continuera d' être en première ligne, garantissant la sécurité et la tranquillité de notre population, bien qu'elle souligne que le contexte ne s'est pas amélioré, mais récemment, les attaques armées de la part de ce groupe criminel contre notre garde se sont intensifiées. Et ils demandent : qu'ont fait le gouvernement du Michoacán et la Garde nationale pour garantir la justice afin que ces actes criminels ne se répètent pas ? Absolument rien ! Au contraire, le gouvernement de l'État n'a pas cessé de criminaliser notre garde communale malgré le fait que le juge du sixième district, basé à Uruapan, a ordonné aux autorités publiques de l'État de ne commettre aucun acte tendant à l'ignorer.
De même, comme l'ont signalé les médias alternatifs, les réseaux de solidarité et les organisations de défense des droits de l'homme, les attaques des paramilitaires et des cartels du crime organisé contre les communautés zapatistes et non zapatistes se sont poursuivies dans plusieurs régions de l'État du Chiapas, provoquant de multiples formes de violence et des déplacements forcés de la population (voir Camino al andar, EZLN.
EZLN
Dans le domaine de l'administration de la justice, la guerre contre les peuples se fait par la judiciarisation de la résistance contre les mégaprojets en cours. C'est le cas de la condamnation à 46 ans et six mois de prison du défenseur communautaire David Hernández à Oaxaca, pour s'être opposé à la construction d'un parc industriel du Corridor interocéanique sur les terres d'usage commun du mont El Pitayal, Puente Madera. L'Assemblée communautaire de Puente Madera et l'Assemblée des peuples indigènes de l'isthme pour la défense de la terre et du territoire (APHDTT) ont déclaré que la criminalisation d'Hernández démontre la corruption et la collusion des autorités du pouvoir judiciaire avec les groupes politiques et économiques de la région liés au crime organisé, qui sont entravés par les défenseurs du territoire et cherchent à les réduire au silence par l'emprisonnement, en les faisant disparaître ou en les assassinant. Les assemblées affirment que Hernández a été criminalisé depuis 2017, pour s'être opposé à l'imposition de la sous-station électrique de l'armée mexicaine, et qu'à ce moment-là, il a été illégalement détenu et battu par la police municipale, étant en outre victime de campagnes de diffamation et de menaces contre son intégrité physique et psychologique. Encore une fois, en 2021, pour sa représentation en tant qu'agent communautaire de Puente Madera et membre de la coordination d'Aphdtt, il a été poursuivi et persécuté par les autorités locales et étatiques, ainsi que par la Sedena, la marine et la garde nationale, faisant face à un premier procès fédéral (269/2021) tenu de façon injustifiée. Les assemblées ont exigé l'annulation de la peine et la dissidence de l'affaire pénale 446/2022, qui comprend les mandats d'arrêt contre les 17 défenseurs de Puente Madera. Ils ont également appelé les peuples, les communautés et les organisations à publier des déclarations et à mener des actions de solidarité avec Hernández Salazar (Desinformémonos, 9/2/24).
Dans le même ordre d'idées, le 9 février, une déclaration a été publiée par les prisonniers politiques de San Juan Cancuc, au Chiapas, exigeant leur libération immédiate, dans le cadre de l'audience à venir sur leur cas. Il s'agit de quatre camarades qui sont en prison depuis 20 mois avec des accusations fabriquées de toutes pièces et de faux témoins : Agustín Pérez Domínguez, Martín Pérez Domínguez, Agustín Pérez Velazco et Juan Velasco Aguilar, qui, par une simple note manuscrite, demandent au bureau du procureur indigène et au juge de les libérer, et exigent qu'ils ne soient pas laissés seuls, s'engageant à poursuivre la lutte jusqu'à ce qu'ils obtiennent leur liberté.
Dr. Gilberto López y Rivas, Professeur-Chercheur. Institut national d'anthropologie et d'histoire.
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« Sortons des accords de libre-échange, assumons le protectionnisme écologique »

Ces derniers jours, Emmanuel Macron et son gouvernement ont multiplié les effets d'annonce en réponse à la colère du monde agricole. Mise sur pause de la trajectoire de réduction de l'usage des pesticides, dérogations en tout genre, arrêt de la « surtransposition » : les propositions pleuvent mais passent à côté de l'ampleur de la transformation nécessaire. Pire, elles continuent de creuser le dangereux sillon dans lequel les libéraux, la droite et l'extrême droite se sont engagés à bride abattue : fustiger une prétendue « écologie punitive » pour éviter de s'attaquer aux causes réelles du malaise agricole. Car le problème ne vient pas des normes en elles-mêmes, mais du fait qu'elles ne sont pas les mêmes pour tout le monde.
17 février 2024 | tiré du site de La gauche écosocialiste
https://gauche-ecosocialiste.org/sortons-des-accords-de-libre-echange-assumons-le-protectionnisme-ecologique/
En effet, les agriculteurs sont soumis à une concurrence déloyale généralisée, alimentée par la multiplication des accords de libre-échange signés à la pelle par l'Union européenne. La Commission européenne a ainsi mis en place plus de 40 accords de libre-échange qui ajoutent à la compétition déjà féroce que se livrent les pays européens entre eux la concurrence supplémentaire de pays dont les conditions de production sont bien moins exigeantes.
Depuis 2017, des accordssont entrés en vigueur avec le Canada, le Japon, Singapour, le Vietnam et la Nouvelle-Zélande, tous avec le soutien d'Emmanuel Macron. Et pas plus tard que la semaine dernière, alors que la colère du monde agricole faisait rage, le groupe de la Gauche au Parlement européen, que je préside et dans lequel siègent les Insoumis, a été le seul à s'opposer à deux nouveaux accords avec le Chili et le Kenya.
Et comme si cela ne suffisait pas, des négociations sont ouvertes avec le Mexique, l'Australie, l'Inde et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Sur ce dernier, le président de la République a eu beau jeu d'annoncer jeudi dernier à la tribune du Conseil européen qu'il refusait de conclure l'accord « en l'état ». Car ce report (opportunément après les élections européennes ?) fait suite à une opposition de façade qui ne dupe personne.
Il ne suffit pas de reprendre à son compte l'objectif de « souveraineté alimentaire ». Encore faut-il la faire advenir en actes. Et en la matière, les faits sont têtus : au chevet des agriculteurs le lundi, les députés européens Renaissance se font le chantre des accords de libre-échange le mardi. Qui peut pourtant raisonnablement penser qu'il est souhaitable d'importer de la Nouvelle-Zélande, à 20 000 kilomètres, de la viande, du beurre, du lait, du miel, des fruits et légumes, que nous produisons déjà localement ? Le libre-échange prétendument durable n'est qu'une chimère entretenue par les plus fervents partisans d'un système économique à bout de souffle, qui exploite les paysans et malmène terres, animaux, végétaux et rivières.
Mais cela ne s'arrête pas là. À cette concurrence mondialisée s'ajoute une concurrence aux frontières mêmes de l'Union européenne, qui a également largement ouvert son marché aux importations agricoles ukrainiennes. Résultat : les importations de poulets et d'œufs ont doublé au dernier semestre. Depuis un pays où le salaire minimum est à moins de 200 € par mois.
Il est temps de repenser globalement notre modèle : mettons un terme aux accords de libre-échange, assumons le protectionnisme écologique, et planifions la relocalisation de la production alimentaire.
Le système actuel n'est pas seulement injuste et inefficace, il est aussi intenable. Alors que les ménages subissaient une hausse de plus de 10 % des prix alimentaires en un an, les agriculteurs ont connu, eux, une baisse de 10 % de leur revenu. Aux deux extrémités de la chaîne, la précarité fait rage : en France, 1 agriculteur sur 5 vit sous le seuil de pauvreté et 1 personne sur 3 ne mange pas à sa faim.
Entre les deux, les industries agroalimentaires, les distributeurs et leurs actionnaires font bombance. Depuis 2021, les marges des entreprises agroalimentaires se sont envolées, au point d'atteindre le niveau historique de 48 %. Des grands groupes comme Danone, Lactalis ou Unilever mais aussi les enseignes de la grande distribution ont enregistré des profits considérables, alors même que leurs ventes ont parfois baissé en volumes.
Paysans et consommateurs ne peuvent continuer plus longtemps à être les vaches à lait des multinationales de l'agroalimentaire. Il est impératif d'établir des prix planchers sur les produits agricoles afin de garantir une rémunération juste et suffisante pour les paysans. Autre levier indispensable : contrôler les marges de l'industrie agroalimentaire et de la grande distribution, et bloquer les prix des biens essentiels.
Enfin, la sortie de l'ornière passe par une refonte complète de la politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne, afin de sortir de la logique du financement à l'hectare et de rediriger les aides vers les plus petites exploitations. Ce combat pour l'agriculture est un des plus importants qui soient. Nous n'abandonnerons jamais les paysans aux griffes du marché. C'est le seul chemin à suivre. Faute de quoi, les paysans resteront encore longtemps sur la paille.
Manon Aubry, tribune aux Echos le 13 février 2024.

La LFI rejette un accord avec le NPA pour les élections européennes

Les prochaines élections européennes doivent permettre d'exprimer une colère populaire contre le macronisme et contribuer à la riposte contre le danger du RN. C'est la raison pour laquelle depuis plusieurs mois, le NPA propose qu'à cette occasion se regroupent dans une liste commune celles et ceux – courants politiques, personnalités, etc. – qui n'ont pas renoncé à lutter contre l'Europe actuelle, libérale et inégalitaire, autoritaire et raciste, pour défendre un programme porteur d'une telle ambition.
22 février 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69872
Nous adressant à l'ensemble des forces de la gauche antilibérale ou anticapitaliste, nous avons rencontré à trois reprises une délégation de La France insoumise. Nous y avons discuté de la disponibilité du NPA et de la possibilité concrète de participation à une campagne commune autour de leur liste d'union populaire s'appuyant sur le programme de la Nupes.
A l'issue de ces rencontres, LFI vient de nous envoyer un courrier qui met fin à cette perspective. Enregistrant selon eux que “nos discussions ont fait émerger une série de désaccords”, LFI considère que ceux-ci leur “paraissent aujourd'hui trop importants pour garantir notre capacité commune à mener une campagne cohérente”. Nous le regrettons d'autant plus que les raisons exprimées dans le courrier de LFI ne nous semblent pas suffisantes pour justifier la fin de nos échanges.
Le premier désaccord posé dans le courrier de LFI concerne l'Ukraine. Bien que nous nous accordions pour dénoncer ensemble l'agression russe de Poutine et demander le retrait des troupes russes d'Ukraine, la demande d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne pose une difficulté. A cette demande, LFI répond d'ores et déjà par la négative. Nous pensons qu'une telle position de refus pourrait renforcer les courants les plus réactionnaires et leurs politiques qui visent à transformer l'Europe en forteresse assiégée. De plus, ce refus ne répond pas à la demande des courants progressistes ukrainiens qui cherchent des points d'appuis dans la guerre contre Poutine. Par ailleurs, on peut aussi penser que si une liste incluant l'ensemble des forces issue de la Nupes avait vu le jour (une bataille menée pendant plusieurs mois par LFI), la position d'une telle liste sur l'adhésion de l'Ukraine à l'UE n'aurait de toute façon pas pu être celle que LFI pose aujourd'hui comme condition pour une campagne commune. Un double standard donc.
Plus globalement, LFI nous reproche de vouloir “reconstruire une gauche radicale autour de LFI et du NPA”. Quoi qu'en dit LFI, nous n'avons jamais pensé qu'une campagne européenne commune devait se résumer à un tête-à-tête entre nos deux organisations. Par contre, pour la même raison politique qui avait conduit le NPA à ne pas participer à la Nupes en mai-juin 2022, nous continuons à penser qu'il existe à gauche deux orientations contradictoires, entre des forces qui gèrent le système et une gauche de combat qui défend une rupture avec celui-ci. L'instabilité puis l'éclatement de la Nupes en ont été une des expressions, et pour le NPA, l'enjeu des prochaines élections européennes devrait être de permettre l'expression la plus large de cette gauche de rupture, qui fort heureusement dépasse les périmètres respectifs de nos organisations.
Face à la montée dramatique de l'extrême-droite, une liste regroupant la gauche de combat aurait permis d'entraîner dans cette lutte l'ensemble du mouvement social. En ne prenant pas ses responsabilités, LFI n'est pas à la hauteur des urgences de la situation. Pour sa part, le NPA continuera sa politique unitaire afin de pouvoir regrouper, dans la rue comme dans les urnes, toutes les forces de gauche qui sont prêtes à porter une rupture avec le néo-libéralisme et l'extrême-droite.
Montreuil le jeudi 22 février 2024
Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)