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Avancée historique : pour la première fois au Québec, le secret sur les prélèvements en eau est levé !

Montréal, le 21 décembre 2023 - Après plusieurs années de mobilisation de nombreux acteurs de la société civile, les données sur les prélèvements d'eau par les entreprises au Québec seront enfin dévoilées. Dès le 1er janvier 2024, ces données seront rendues facilement accessibles au public sur le site internet du ministère de l'Environnement.
Le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) et Eau Secours saluent cette avancée historique qui constitue un premier pas vers une plus grande transparence. Les organismes souhaitent que ce nouveau cadre juridique permette d'obtenir rapidement un portrait plus clair des prélèvements en eau au Québec.
« La transparence est un élément crucial pour protéger l'eau qui fait partie de notre patrimoine commun. Un accès facilité aux données est essentiel à une participation citoyenne éclairée aux débats publics », affirme Me Merlin Voghel, avocat au CQDE.
Pour rappel, la Loi instituant le Fonds bleu et modifiant d'autres dispositions législatives (projet de loi 20) a été adoptée par l'Assemblée nationale le 9 juin 2023. Elle consacre le principe de la transparence pour toute information obtenue en vertu des règlements sur les redevances et sur la déclaration des prélèvements en eau. Ces deux règlements, édictés sous une forme finale le 6 décembre dernier, ont précisé cette obligation de transparence, en plus d'abaisser le seuil de prélèvement à compter duquel un préleveur doit déclarer ses prélèvements et payer une redevance.
Quelques limites à la transparence
S'il s'agit d'une belle victoire, les organismes soulignent qu'il convient de demeurer vigilant⋅es. Seules les données des plus gros préleveurs doivent obligatoirement être déclarées et rendues publiques, soit les données d'environ 1,5% des 21 000 entreprises exerçant des activités visées par les règlements. Pour obtenir un portrait global de la situation, le ministère devra donc déployer d'importants efforts pour obtenir les données
auprès des préleveurs n'ayant pas à lui transmettre de déclaration.
Il sera aussi important que le ministère veille à ce que l'obligation d'installer des compteurs d'eau pour toute nouvelle installation ou lors de toute modification d'installation soit appliquée. Bien que cette obligation existe depuis plus de dix ans, les données obtenues démontrent qu'elle n'a pas été respectée et qu'aucune sanction ou amende n'a été imposée.
« On constate un besoin criant d'accroître sans délai nos connaissances sur les prélèvements en eau par les entreprises au Québec. Nous encourageons le ministère à user de ses pouvoirs pour obtenir un portrait plus juste de la situation, sans se contenter des données des plus gros préleveurs », explique Me Merlin Voghel.
Rehaussement des redevances : vers une réduction de la consommation d'eau ?
La hausse des redevances constitue aussi une avancée majeure, bien qu'elle ne concerne que 2% des entreprises visées.
« Nous espérons que cette hausse aura l'effet escompté, c'est-à-dire un changement de comportement de la part des entreprises vers une réduction de la consommation d'eau. C'est notamment ce que nous surveillerons avec grande attention dans les prochaines années », explique Rébecca Pétrin, directrice générale d'Eau Secours.
Une autre nouveauté : la révision des règlements au cinq ans
Les deux organismes saluent également l'assujettissement des deux règlements à une révision tous les 5 ans, comme ils le recommandaient. Ces révisions seront l'occasion de prendre de nouvelles décisions au regard des informations collectées.
« Avec ces nouveaux éléments, les 5 prochaines années devraient nous permettre de dresser la situation de l'eau au Québec. Il est cependant important de rester attentif⋅ves à la révision réglementaire dans 5 ans. Ce n'est que le début. », conclut Rébecca Pétrin.
La réforme en chiffre :
1er janvier 2024 :
Première publication des données sur les prélèvements en eau par les entreprises au Québec.
Entrée en vigueur des nouveaux taux de redevances payables sur les prélèvements en eau, en fonction des activités exercées :
- L'embouteillage et le transport de l'eau : 500 $ par million de litre prélevés, en remplacement de 70 $
- La fabrication de boissons, de produits minéraux non-métalliques (ex : le béton), de pesticides, d'engrais, de produits chimiques agricoles ou inorganiques et l'extraction de pétrole et de gaz : 150 $ par million de litres prélevés, en remplacement de 70 $
- L'ensemble des autres activités visées : 35 $ par million de litres prélevés, en remplacement de 25 $
1er janvier 2025 :
Le seuil d'assujettissement à une déclaration obligatoire passe de 75 000L à 50 000L par jour. À compter du dépassement de ce seuil sur une journée de prélèvement, le préleveur est assujetti à une déclaration obligatoire de tous ses prélèvements en eau pour l'année en cours et pour toutes les années subséquentes, peu importe le volume.
1er janvier 2026 :
Le seuil d'assujettissement au paiement de redevances sur les prélèvements en eau passe de 75 000L à 50 000L par jour. À compter du dépassement de ce seuil sur une journée de prélèvement, le préleveur est assujetti au paiement de redevances sur tous ses prélèvements en eau pour l'année en cours et pour toutes les années subséquentes, peu importe le volume.
Historique et faits saillants à consulter au lien suivant
<https://www.cqde.org/fr/nos-actions...>
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Victoire de Marc Nantel face à la Fonderie Horne, les avocats du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) ont défendu avec succès le droit de l’accès à l’information du citoyen

Montréal, le 22 décembre 2023 - Les avocats du CQDE, dont Me Marc Bishai, annoncent avec plaisir que la Cour du Québec a donné raison au citoyen Marc Nantel dans l'appel par la Fonderie Horne d'une décision de la Commission d'accès à l'information.
Pour rappel, le litige découle de l'opposition de l'entreprise minière, une filiale de la multinationale Glencore, à ce que le ministère de l'Environnement (MELCC) communique à Marc Nantel un tableau concernant les intrants de la Fonderie Horne, en réponse à une demande d'accès à l'information déposée en juin 2020. Plus précisément, le tableau en litige porte sur les quantités et concentrations en arsenic, en bismuth, en antimoine, en plomb, en cadmium et en mercure des concentrés livrés à la Fonderie Horne provenant de chacun de ses fournisseurs. Dans cette décision, la Commission d'accès à l'information avait conclu en faveur du citoyen et avait établi que la Loi sur la qualité de l'environnement confère un droit d'accès direct et immédiat au document en question. Dans un jugement étoffé, le juge, l'honorable Serge Champoux, a balayé tous les arguments de la Fonderie Horne qui avançait que les renseignements devraient être tenus confidentiels, notamment en vertu du secret industriel.
Marc Nantel : « C'est une victoire pour la transparence ! La Fonderie Horne refusait toujours de rendre publique la teneur en éléments toxiques des intrants qu'elle traite en alléguant son droit au secret industriel. Bien que ces informations soient essentielles pour protéger l'environnement et la santé de la population, la Fonderie priorise ses intérêts économiques. Il est dommage qu'un citoyen comme moi soit forcé d'entreprendre d'aussi longues démarches juridiques simplement pour obtenir des informations que la loi déclare publiques. Je remercie les avocats qui m'ont épaulé. Sans eux, un simple citoyen fait difficilement le poids contre des firmes d'avocats spécialisées dans le domaine. L'accès à l'information est nécessaire pour que les citoyens puissent influencer les décisions concernant la Fonderie Horne et tenter de résoudre le problème des émissions toxiques dans l'air. »
Me Marc Bishai : « Nous sommes très heureux de ce dénouement qui, nous l'espérons, marque enfin l'aboutissement des démarches de Monsieur Nantel qui durent depuis juin 2020. Les intrants de la Fonderie pour l'année 2019 devraient enfin être rendus publics, comme le prévoit la Loi. C'est cet accès à l'information qui permet à des citoyen·nes comme Marc Nantel de participer collectivement aux décisions nécessaires pour protéger l'environnement et la santé publique. »
Quelques passages du jugement de la Cour du Québec
« [120] [...]. Le lien entre le matériel brut reçu de fournisseurs de la Fonderie et les rejets de contaminants paraît indiscutable. Le Ministre veut savoir ce qui est traité par la Fonderie pour comprendre ce qui en émane. »
« [8] Il paraît évident dans la mécanique envisagée par le législateur que les demandes d'accès devraient être traitées et tranchées avec diligence et qu'inversement, il soit compris que des informations ou des renseignements qui ne sont transmis qu'au terme d'interminables procédures, perdront soit leur pertinence, soit leur utilité. Autrement dit, dans ces domaines, bien souvent, le seul écoulement du temps équivaut à un déni d'accès. »
« [27] [...] [E]n trame de fond, il est clair que les deux lois en cause, la Loi sur la qualité de l'environnement et la Loi sur l'accès, sont deux ensembles législatifs majeurs dans l'organisation sociale et légale de la société québécoise. »
« [115] [...] [L]a Loi sur la qualité de l'environnement [...] favorise l'implication citoyenne dans le maintien et l'amélioration de la qualité de l'environnement.
[116] Ce choix qu'a fait le législateur semble celui de privilégier le droit des citoyens de connaître les risques environnementaux qui les concernent sur le droit des industriels à protéger certains secrets.
[117] Lue avec ces principes en tête, la décision de la CAI ne présente pas d'erreur de droit qui justifie qu'elle soit cassée. »
Source : Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE)
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Des chaires de recherche industrielle travaillant sur les combustibles fossiles ont reçu 300 fois plus de financement que les projets d’énergie alternative , selon un rapport de Greenpeace Canada

Montréal – Les compagnies pétrolières et gazières injectent des millions dans la recherche académique, influençant les priorités et la portée de domaines de recherche essentiels, selon un nouveau rapport de Greenpeace Canada, « Un mécénat qui interroge : Quand l'industrie des combustibles fossiles finance la recherche universitaire ». Au cours de la dernière décennie, elles ont égalé ou dépassé les 31 millions de dollars en financement fédéral accordé aux chaires de recherche industrielle universitaires travaillant sur des projets de combustibles fossiles, en plus de millions supplémentaires sous forme d'autres subventions de recherche et de dons. À titre de comparaison, les chaires de recherche industrielle pour les projets d'énergie alternative n'ont reçu que 100 000 dollars au cours des 10 dernières années.
9 janvier 2024 | tiré du site de Greenpeace Canada
https://lh3.googleusercontent.com/a/ACg8ocLfyIHS43S-w0Rvt6oFpzHO3m91zx30iu_kesTqHX455w=s96-c
« Il est terrifiant que les entreprises de combustibles fossiles influencent la recherche académique sur l'efficacité énergétique et l'atténuation des changements climatiques. Alors que la science nous dit que nous devons nous éloigner rapidement des combustibles fossiles, elles détournent les esprits les plus brillants vers la recherche sur les moyens d'augmenter l'extraction du pétrole et du gaz », a déclaré Nola Poirier, chercheuse principale et rédactrice chez Greenpeace Canada.
Le rapport explore l'investissement considérable de l'industrie des combustibles fossiles dans les universités canadiennes, en particulier dans les domaines de l'extraction pétrolière et gazière et des émissions, établissant un parallèle inquiétant avec le précédent historique des entreprises de tabac finançant la recherche médicale. Une autre préoccupation est que la proximité de l'argent des combustibles fossiles compromet la recherche essentielle sur le climat et l'énergie de ces départements et institutions. Le financement des combustibles fossiles peut influencer les sujets de recherche, les orientant vers des intérêts alignés avec l'industrie, tels que la recherche axée sur la capture et le stockage de carbone, soutenue par le secteur fossile et douteuse en tant que solution aux changements climatiques, au détriment des technologies d'énergie renouvelable plus prometteuses.
« La recherche académique doit être indépendante et fondée sur des données probantes. Mais les entreprises pétrolières et gazières ne sont pas neutres. Elles ont un intérêt financier direct dans l'énergie fossile, dans le maintien du statu quo, et il a été démontré qu'elles ont volontairement retardé et minimisé les actions contre les changements climatiques », a déclaré Poirier. « Lorsque l'industrie des combustibles fossiles finance la recherche académique et peut affecter des dons à des projets spécifiques qu'elle soutient, cela entre en concurrence avec la recherche cruciale pour accélérer la transition énergétique et contrer les pires impacts des changements climatiques. »
Ce problème n'est pas unique au Canada. En 2022, des universitaires, scientifiques, chercheur·se·s du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et bien d'autres ont signé une lettre ouverte appelant les universités aux États-Unis et au Royaume-Uni à interdire le financement des combustibles fossiles dans la recherche sur les changements climatiques, l'environnement et la politique énergétique. La lettre déclarait : « Nous croyons que ce financement représente un conflit d'intérêts inhérent, est contraire aux valeurs académiques et sociales fondamentales des universités, et soutient les tactiques d'écoblanchiment de l'industrie. »
Les compagnies pétrolières et gazières ont réalisé d'énormes profits ces dernières années, et leurs coffres bien remplis signifient qu'elles disposent des fonds nécessaires pour investir et influencer la recherche académique. « En plus de leur impact néfaste sur la recherche critique sur le climat et l'énergie, ces investissements massifs des combustibles fossiles dans la recherche académique servent à légitimer les entreprises pétrolières et gazières, les combustibles fossiles en général, et les soi-disant solutions climatiques soutenues par l'industrie », a déclaré Poirier. « En permettant à ces entreprises d'investir dans la recherche sur la politique énergétique et climatique, et en égalant leur financement dans de nombreux cas, le gouvernement subventionne l'industrie et sabote ses propres efforts pour atténuer les changements climatiques. »
En réponse à ces découvertes troublantes, Greenpeace Canada plaide pour une fin du financement de la recherche sur la politique énergétique et le climat par l'industrie des combustibles fossiles, et souligne également la nécessité d'aligner ces recherches avec les objectifs environnementaux mondiaux et de protéger l'intégrité de la recherche climatique solide provenant des institutions canadiennes.
FIN
Notes aux médias
[1] Le rapport en français se trouve ici. Erratum page 4. Correction : des projets liés au pétrole et au gaz ont reçu 31.5 millions de dollars (31 595 650.$) et non 31 595 650 millions de dollars.
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La mort d’Ed Broadbent afflige les syndicats du Canada

Bruske : « Ed a fait du Canada un pays plus favorable aux travailleurs et travailleuses. Nous honorerons sa mémoire en continuant à bâtir un pays où les gens prennent mieux soin les uns des autres. » Les syndicats du Canada déplorent la perte d'Ed Broadbent, qui a longtemps été chef du NPD et champion syndical.
« Ed Broadbent a été un géant parmi nous, un homme au cœur et à l'intégrité incomparables. Ed s'est fait le champion des causes des travailleurs et travailleuses et a toujours défendu les personnes les plus marginalisées. Il était un grand leader, mentor et ami pour un grand nombre d'entre nous, et il nous manquera plus que nous ne saurions le dire », déclare Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada.
Parlementaire accompli, son militantisme au nom des travailleurs et travailleuses et son appui inébranlable aux syndicats ont fait d'Ed Broadbent un pilier du mouvement syndical canadien. En 2011, il a fondé l'Institut Broadbent qui a défendu la cause du changement progressiste grâce à de précieuses recherches et analyses, à l'éducation et au soutien d'une nouvelle génération de dirigeants.
« Nous nous engageons à honorer l'héritage d'Ed en continuant à défendre les droits des travailleurs et travailleuses, la justice sociale et la préservation de la démocratie au Canada et dans le monde entier », a dit madame Bruske.
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« Pour les exilés, la frontière est partout, toujours là, en eux »

Anne-Claire Defossez est sociologue, chercheuse à l'Institute of Advanced Study de Princeton, près de New York. Didier Fassin est médecin, anthropologue et sociologue, il est enseignant-chercheur à Princeton, mais aussi directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et, depuis le printemps dernier, titulaire de la chaire « Questions morales et enjeux politiques dans les sociétés contemporaines » au Collège de France. Ils ont co-écrit L'exil, toujours recommencé. Chronique de la frontière.
11 janvier 2024 | tiré du site alencontre.org
Entre les accidents de montagne, la répression subie par les exilés, sans parler des naufrages en mer plus tôt dans leur périple, on voit bien l'inégalité entre les vies humaines. On ne ressort pas indemne de la lecture de votre recherche autour de la frontière franco-italienne près de Briançon. N'est-il pas un peu désespérant pour des chercheurs en sciences sociales de travailler sur un tel objet ?
Anne-Claire Defossez : Je ne dirais pas cela. Certes, les histoires que nous rapportons sont souvent très dures, très émouvantes. Mais jamais, après les avoir entendues, nous n'avons eu le sentiment que ces gens étaient des victimes passives de leur destin d'exilés. Car ils manifestent un courage, une ténacité, une solidarité entre eux absolument remarquables. Dans un contexte d'incertitude permanente et de contraintes immenses, ils trouvent la force morale de continuer. Ils ont dû quitter une situation qui était invivable, littéralement au sens où leur vie était menacée par les persécutions, les violences, la pauvreté. Ils rencontrent sur leur route, qui peut durer des années, des vicissitudes terribles, ils sont agressés par les polices et des bandes armées, ils sont enfermés dans des camps et dans des prisons, ils voient mourir des compagnons de voyage, ils sont parfois obligés de tenter à de nombreuses reprises de franchir une frontière. Et pourtant, ils continuent ! Ces expériences invitent plus à l'admiration qu'au désespoir.
En outre, je dirais aussi qu'à chacun de nos séjours – car pendant cinq ans nous avons passé en hiver et en été plusieurs semaines sur place – nous avons été impressionnés par l'engagement des personnes qui se dédient, certaines à plein temps, d'autres au gré de leur disponibilité, au secours et à l'accueil des exilés. Avec l'idée qu'on ne doit pas renoncer à exercer la solidarité que consacre le principe constitutionnel de fraternité et qu'on ne peut pas laisser mourir des personnes dans la montagne. À cet égard, il faut rappeler que la traversée des Alpes ne devrait pas exposer à la mort, comme c'est le cas de celle du Sahara ou de la Méditerranée où plus de 29 000 personnes se sont noyées au cours des dix dernières années. Au col de Montgenèvre, des milliers de touristes, de randonneurs, de transporteurs circulent sans même faire l'objet de contrôles. Mais les exilés, eux, pour éviter les forces de l'ordre, doivent emprunter des chemins dangereux, escarpés, où certains se perdent, se noient, font des chutes.
Vous faites un lien entre militarisation du territoire de Briançon et hausse des morts des exilés. Comment l'expliquez-vous ?
Didier Fassin : En 2018, à la suite de l'opération de blocage de la frontière par le groupuscule d'extrême droite Génération identitaire et de la manifestation citoyenne organisée en réponse, le ministre de l'Intérieur a envoyé un escadron de gendarmes mobiles pour contrôler la frontière. Dans le mois qui a suivi, trois morts sont survenues par noyade ou chute, dans certains cas à l'occasion de courses-poursuites par les forces de l'ordre. C'étaient les premières victimes de la violence politique de cette frontière. De même, cet automne, dans les semaines qui ont suivi l'envoi de la « border force » annoncée par la Première ministre, trois exilés ont perdu la vie dans la montagne. Il faut comprendre qu'on est passé en quelques années d'une soixantaine de policiers à la frontière à 250 policiers, gendarmes et autres militaires.
Cependant cette présence massive n'a quasiment pas d'effet sur les passages. Les policiers et gendarmes avec lesquels nous avons pu parler le savent bien. Les exilés qu'ils interpellent et renvoient en Italie retentent la traversée le lendemain ou le surlendemain. Et ce, jusqu'à réussir. Ce que nous confirmaient les conversations que nous avons eues, côté italien, avec les bénévoles qui aident les exilés : très peu renoncent. D'ailleurs, selon les statistiques que nous avons pu reconstituer, huit personnes sur dix passent sans avoir rencontré personne. Autrement dit, la répression mise en œuvre n'a d'autre conséquence que de faire prendre plus de risque aux exilés.
Vous soulignez en outre que cette militarisation de la frontière a un coût très important, estimé autour de 14 000 euros pour chaque refoulement ou non-admission…
Didier Fassin : En nous appuyant sur les données d'un rapport parlementaire fait pour le Calaisis, nous avons évalué le coût de chaque non-admission, en nous limitant au seul ajout de forces de l'ordre, donc sans compter la police aux frontières qui était déjà en place et sans intégrer les achats de matériel supplémentaire, drones, motoneige, véhicules tout-terrain. Nous parvenons ainsi à la somme exorbitante de 14 000 euros pour chaque non-admission, dont, tant au sein des forces de l'ordre que parmi les fonctionnaires de la préfecture, chacun sait qu'elle n'empêchera pas de nouvelles tentatives. Du reste, les chiffres de non-admissions publiés ne représentent rien des franchissements réels, puisque d'une part ils n'intègrent pas la grande majorité des personnes qui passent sans être arrêtées et d'autre part ils enregistrent plusieurs fois les mêmes exilés lorsqu'ils font l'objet de non-admissions répétées.
Au fond, la comptabilité des moins de 3 000 refoulements chaque année sert à deux choses. D'abord, en interne, elle fournit la base de calcul des primes des agents, d'autant plus élevées qu'il y a eu plus de non-admissions. La prime la plus importante revient au directeur de la police aux frontières, qui est donc incité à exercer une pression sur ses équipes pour « faire du chiffre », comme le disent les agents. Ensuite, vis-à-vis du public, y compris des maires conservateurs qui réclament toujours plus de moyens militaires, il faut montrer que l'État agit. On a affaire à une forme de spectacle de la souveraineté quand bien même la réalité montre que le souverain est nu, incapable d'empêcher les exilés de franchir la frontière. Cette situation est d'autant plus absurde quand on sait que ce sont en moyenne à peine 4 000 personnes qui passent chaque année. Ce chiffre est celui du Refuge solidaire où pratiquement tous les exilés font une halte allant de quelques heures à quelques jours pour reprendre des forces avant de se remettre en route.
Anne-Claire Defossez : Il montre bien le décalage considérable entre, d'un côté, les discours alarmistes au sujet d'une soi-disant « invasion migratoire » alimentant le fantasme du « grand remplacement » et, de l'autre, la réalité – documentée – sur le terrain : 4 000 personnes par an, sur l'un des deux lieux d'entrée en France depuis l'Italie, c'est peu à l'échelle d'une population française de plus de 67 millions d'habitants. Sachant en outre qu'une bonne partie d'entre elles ne va pas rester en France, mais gagner d'autres pays européens, notamment le Royaume-Uni et l'Allemagne, ou parfois plus au nord la Scandinavie.
Vous avez concentré vos travaux sur le territoire de Briançon. Est-ce un territoire emblématique de ces « désordres du monde » que vous décrivez ?
Didier Fassin : Briançon nous a d'emblée intéressés car s'y trouvaient rassemblés sur cette scène de la frontière trois protagonistes : les exilés, les acteurs de la solidarité et les forces de l'ordre. Les exilés arrivent soit par la route des Balkans, lorsqu'ils viennent du Moyen-Orient ou même d'Afrique du Nord, car les Maghrébins passent de plus en plus par la Turquie pour éviter la Méditerranée, soit par la route du Sahara pour les Maliens, Ivoiriens, Guinéens, Camerounais ou Soudanais. Les solidaires, comme ils s'autodésignent, ont été très tôt actifs, à la fois en faisant des maraudes dans la montagne pour mettre à l'abri des personnes rencontrant des difficultés, surtout en hiver dans le froid et la neige, et en organisant un hébergement transitoire dans la vallée. Cette action s'appuyait sur des personnes dont certaines avaient déjà des engagements associatifs, syndicaux, politiques, et d'autres n'avaient jamais eu aucune de ces expériences. Enfin, il y avait ces forces de l'ordre, toujours plus nombreuses, toujours mieux équipées. Cette scène, donc, nous a semblé constituer un microcosme de ce qui se joue sur une frontière.
Mais très vite nous nous sommes rendu compte que ce lieu que nous étudiions pouvait servir de prisme donnant à voir ce qu'était l'exil, ce qu'était l'histoire de ces gens qui avaient quitté leur pays dans des conditions souvent dramatiques, qui avaient vécu des épreuves particulièrement traumatisantes au long de leur périple. Chacun des récits que nous avons recueillis au cours des cinq années de notre enquête s'inscrivait dans une géopolitique globale, devenait une véritable fenêtre d'observation des désordres du monde. Ainsi, alors que les talibans en Afghanistan gagnaient du terrain, on voyait arriver des Afghans, mais avec un décalage dans le temps puisqu'il leur faut souvent plusieurs années pour parvenir jusqu'à la frontière française. Nombre d'entre eux ont travaillé en Turquie pour gagner un peu d'argent, espérant parfois y rester, mais s'en faisant expulser. Ils ont alors été enfermés dans un camp sur une île en Grèce, d'où ils ont fini par partir avant d'être retenus dans d'autres camps et d'être harcelés par d'autres polices.
Ils ont ensuite tenté, parfois dix ou quinze fois, d'entrer en Croatie, en étant souvent battus, déshabillés, humiliés par les forces de l'ordre de ce pays, qui les dépouillent de tout ce qu'ils possèdent, brûlent leurs sacs et leurs vêtements, brisent leurs téléphones, et les renvoient sans rien vers la Bosnie. Or ces deux pays, la Grèce et la Croatie, sont encouragés dans leurs pratiques violentes à l'encontre des exilés par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui les décrit comme les « remparts de l'Union européenne ». Les récits des exilés venant d'Afrique subsaharienne révélaient de même l'impact de la politique européenne d'externalisation des frontières de l'autre côté de la Méditerranée, en déléguant, contre aides financières, au Niger, au Maroc, à l'Algérie, à la Tunisie, à la Libye et à la Turquie la répression des exilés et en fermant les yeux sur les graves atteintes aux droits humains commises par ces pays.
À cet égard, le « moment ukrainien » a été un moment de vérité. L'accueil généreux qui a été fait aux femmes et aux hommes qui fuyaient leur pays envahi par les troupes russes a montré deux choses. D'abord, qu'il était possible de faire face en Europe à des déplacements massifs de populations, dont certaines s'installeraient probablement de manière définitive. Ensuite, que, par contraste, l'hostilité à l'encontre des autres exilés tenait en large part à leur double identification raciale ou religieuse, puisqu'il s'agissait principalement d'Africains et de musulmans
Anne-Claire Defossez : Nous concentrer sur cette région briançonnaise nous a permis de réinterroger ce qu'est une frontière et ce qu'elle a été au fil du temps, car nous avons consulté les archives municipales de Briançon. Bien sûr, elle est un lieu physique, mais elle se manifeste surtout par une alternance d'ouvertures et de fermetures, avec des gens désirables, comme des ouvriers piémontais dont on avait besoin tout au long du XIXe siècle et au-delà, et des indésirables, comme les vagabonds qui auraient impacté les budgets communaux ou, aujourd'hui, des ressortissants d'anciennes colonies françaises. En nous centrant sur cet espace, nous avons pu mettre mieux en lumière le fait que la frontière est d'abord un objet politique, dont la signification et les interdits varient au fil du temps, des contextes et au gré des évolutions idéologiques.
Vous parlez d'une « incorporation » de la frontière comme faisant partie de l'expérience des exilés. Il s'agit pour vous de « partir d'une situation pour saisir les relations sociales qui se tissent et se transforment en son sein ». Pourquoi parler d'incorporation ? Et vous-mêmes, en tant que passeurs de savoirs, avez-vous quelque part incorporé, vous aussi, cette frontière ?
Anne-Claire Defossez : L'incorporation de la frontière est une façon pour nous de dire que celle-ci n'est pas simplement une ligne dont, une fois dépassée, on s'est débarrassé. D'abord, c'est plutôt une bande de territoire, de vingt kilomètres de part et d'autre de cette ligne, où les contrôles douaniers ou policiers peuvent être menés sans restriction, tout comme autour des ports, gares, aéroports. Sans nécessité d'aucune justification précise pour les fonctionnaires qui y procèdent. C'est en fait sur l'apparence que ces contrôles s'opèrent. Il y a donc une démultiplication de la frontière en tant que territoire qui rend cette frontière toujours plus prégnante temporellement et géographiquement. Mais aussi, comme les exilés le rappellent, la simple vue d'un uniforme les met immédiatement dans un état d'inquiétude, de peur, de stress, compte tenu de la perspective du contrôle d'identité, de l'interpellation, de la rétention et, au bout du compte, du renvoi dans leur pays. Et ce d'autant qu'ils ont eu, tout au long des milliers de kilomètres de leur voyage, une expérience éprouvante, voire terrible, des forces de l'ordre qui les ont arrêtés, brutalisés, enfermés. Il y a donc une sorte d'inscription de la frontière dans leurs corps.
Didier Fassin : Il faut ajouter que la frontière est aussi, pour les solidaires, une réalité très concrète, car, lors des maraudes de mise à l'abri de personnes exilées, ils prennent garde de ne pas la franchir, sous peine d'être accusés d'aide à l'entrée irrégulière sur le territoire français, passible de cinq années d'emprisonnement. Relevons tout de même ce paradoxe qu'il s'agit d'une frontière censée avoir disparu avec la création dans les années 1990 de l'espace Schengen, aux obligations duquel la France est le pays qui a le plus souvent dérogé.
Vous avez également interrogé les fonctionnaires de police, de gendarmerie, de la douane, du ministère de la Justice. Comment vivent-ils leur mission ? En souffrent-ils aussi ? Ont-ils eux aussi incorporé la frontière ?
Anne-Claire Defossez : Il était important pour nous, par souci de rigueur méthodologique, de pouvoir rendre compte de l'ensemble des points de vue, y compris des autorités publiques et bien sûr des forces de l'ordre. Ces dernières sont du reste très diverses, certaines s'occupant du contrôle des frontières, d'autres œuvrant dans le secours en montagne.
Didier Fassin : Il n'a pas toujours été facile de les rencontrer. Il a fallu, dans certains cas, faire intervenir le cabinet du ministre de l'Intérieur, tandis que dans d'autres les circonstances de l'enquête nous ont permis d'entrer en relation avec des agents sur le terrain. Ce qui nous a frappés dans les échanges que nous avons eus, c'est la désillusion dont beaucoup nous ont fait part, et ce, indépendamment de leurs inclinations politiques. D'abord, nous disaient-ils, ils n'étaient pas entrés dans la police ou la gendarmerie pour courir après des exilés dans la montagne, interpeller et refouler des familles avec des nourrissons et des enfants. Ensuite, ils déclaraient se rendre compte de l'inutilité de leur action, puisque ceux qu'ils arrêtaient finissaient toujours par passer. Cela étant, certains se réjouissaient, sans aucun doute en lien avec leurs opinions, de pouvoir mettre en difficulté les exilés, n'hésitant pas à le leur faire savoir. Mais d'autres se disaient critiques de la politique qu'on leur faisait mettre en œuvre et se montraient sensibles à la situation de ces personnes qui avaient traversé de telles épreuves.
Anne-Claire Defossez : Néanmoins, on entendait souvent un discours d'inversion des rôles. Selon certains, notamment parmi les responsables, c'étaient les associations et leurs bénévoles qui mettaient en danger les exilés en les amenant à croire qu'ils les aideraient à traverser, et ils allaient même jusqu'à les désigner comme passeurs, alors que les policiers et les gendarmes allaient au contraire les chercher dans la montagne pour les protéger des dangers. Du reste, certains maraudeurs ont fait l'objet d'inculpation pour aide à l'entrée irrégulière, mais les tribunaux en ont jugé autrement en les relaxant. En réalité, ces accusations visent avant tout à intimider et à décourager les bénévoles qui mettent à l'abri les exilés.
La « loi Darmanin » a été votée en fin d'année dernière. À la lumière de vos travaux, comment comprenez-vous cette nouvelle loi sur l'immigration ?
Didier Fassin : La loi est en complet décalage avec la réalité telle que nous avons pu l'observer et telle que de nombreuses études permettent de la comprendre. Les migrations sont un phénomène mondial dont l'Europe ne prend qu'une part minime. La très grande majorité des gens qui fuient leur pays en raison de violences, de guerres ou de conditions socio-économiques souvent liées aux enjeux climatiques sont des déplacés internes ou des migrants vers les pays voisins. De plus, au sein de l'Europe, la France n'est plus un pays attractif pour les étrangers. Le nombre des exilés accueillis en proportion de la population nationale est l'un des plus faibles, les demandes d'asile y sont beaucoup moins souvent accordées qu'ailleurs puisque notre pays est l'un des derniers de l'Union. D'ailleurs, là où nous avons conduit notre enquête, ce sont des effectifs modestes de passages. Il n'y a donc pas d'afflux massif comme on l'entend souvent et le lieu commun de l'appel d'air ne correspond à aucune démonstration scientifique. Peut-on un instant imaginer que des personnes qui ont fui des persécutions et parcouru des milliers de kilomètres au péril de leur vie seraient simplement attirées par les bénéfices d'un État-providence toujours plus discriminant à leur égard ? On est dans le seul registre de l'idéologie.
De plus, il y a évidemment une certaine ironie à constater que le gouvernement et le Parlement se dotent d'un arsenal législatif en contradiction avec les valeurs républicaines dont ils se réclament, tandis que, sur le terrain, la police aux frontières ne respecte pas les lois qu'elle est censée faire appliquer en violant les droits des exilés inscrits dans la réglementation nationale. L'État français a d'ailleurs été condamné sur ce point à de nombreuses reprises, tant par les tribunaux administratifs que par la Commission nationale consultative des droits de l'homme et la Cour européenne des droits de l'homme. Dans le Briançonnais, l'association Tous migrants distribue même des fascicules aux forces de l'ordre pour leur rappeler la loi et leur signaler que la désobéissance s'impose lorsque les ordres que les agents reçoivent sont contraires à des principes supérieurs.
Anne-Claire Defossez : Au-delà du décalage de la loi votée par rapport à la réalité, il s'agit bien d'un déni assumé, car les autorités savent que les nouvelles mesures seront sans efficacité au regard de l'objectif affiché de contrôle des frontières, qu'elles vont contre l'intérêt national notamment sur le plan économique, comme le montre l'opposition du patronat, et qu'elles n'ont d'autres objectifs qu'électoralistes. Pourtant, les sondages montrent que les préoccupations des Français ne tournent pas autour de cette question puisque celui réalisé chaque année par l'Ifop indiquait en 2023 que le contrôle de l'immigration irrégulière n'arrivait qu'en onzième position dans ce qui souciait les personnes interrogées. Même parmi les sympathisants du Rassemblement national, d'autres questions, notamment concernant le niveau de vie, sont prioritaires.
Mais il est plus facile de désigner des boucs émissaires que de s'attaquer aux inégalités sociales, aux dysfonctionnements des services publics et plus généralement aux problèmes graves auxquels est confrontée notre société. Ce qui est certain, c'est que la loi qui vient d'être votée et qui reprend les propositions formulées de longue date par l'extrême droite, outre qu'elle ébranle les fondements de la République en matière d'égalité et de fraternité, va aggraver la stigmatisation et la précarité non seulement des personnes en situation irrégulière, dont beaucoup relèvent pourtant du droit d'asile, mais également des étrangers en situation régulière. C'est une blessure profonde au cœur de la société française. (Entretien publié dans l'hebdomadaire Politis, en date du 10 janvier 2024. Un hebdomadaire français utile à lire pour les lectrices et lecteurs de Suisse française)
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Pas aphones

Il te reste, Souveraine, terre-fille des extrêmes, dans une tirelire, assez de sous pour répandre quelques zestes d'une paix-grenadine, te mettre au parfum à nouveau d'une vitalité et couvrir toutes les rues de chants s'ouvrant sur l'art, sur une heure bonne pour tout l'ensemble.
Au détour de chaque instant qui vrille, il y a un être qui vient, qui va, toujours sachant combien coûtent ces pas, ces accès à tes attentes en profondeur, nécessairement qui doivent déboucher, d'abord et avant tout, sur la réparation de ta tente d'antan, avec en plan les tillacs de la déraison à abattre pour que soient cendres devenues les horreurs.
Un grand feu, dans tes yeux, projette quelques sourires, aux pas aphones d'une interconnexion, sur les contours d'une voie de traverse invitant un bon nombre de promeneurs à l'enquête et aux découvertes pour demain, et dans la vérité, contre tout traquenard du passé sur ton appartenance.
À plusieurs reprises, quand tu hurles « Amériques ! », de folles fées se lèvent, clameurs de mers en furie dans les gestes, s'emparent de la peau-mémoire des ancêtres comme d'un chagrin, te toisent bien plus qu'un vilain truc, te bousculent à tout coup en te parlant de choses pas vraiment nécessaires, souvent sans visière ajoutée.
Dans l'art de la voyance et du flair, à mille nœuds fuyant vengeance, tu cherches une couleur à donner à tes vœux de cohabitation, dos à dos aux chapelles et aux corridors, pour qu'ils soient bien plus lisibles pour tes voisins de partout.
Avec de la suie du calumet de grand-mère, un onguent a été trouvé contre le dard d'un scorpion dans ton bras près du cœur, au lever du jour près des cataractes, dans la foulée d'une autre saison, en plein centre de ta guérison.
Et, le temps de te ressaisir, tu écriras trois chansons pour Joséphine la poète et autant pour Anacaona sa consoeur, en remontant les vents du Québec et du Xaragua, dans les mille parures d'un tableau de feuilles, offrandes d'esprits et d'ancêtres pour l'harmonie, dans la marche des territoires, des animaux, des ombres et des sources sans fin.
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Pop-culture, politique et militantisme en ligne. Entretien avec Benjamin Patinaud

Benjamin Patinaud est connu pour la chaîne YouTube Bolchegeek qui, à travers des vidéos comme Le film qui voulait nous sauver et La haine des riches, propose une analyse politique des productions de l'industrie culturelle. Par son activité de vidéaste, il fait partie de ceux qui ont contribué à la diffusion des idées de gauche radicale sur une plateforme où les personnalités d'extrême droite ont longtemps été les seules à proposer du contenu. Depuis un an, il produit également des vidéos pour le journal L'Humanité.
Tiré du site de la revue Contretemps
8 janvier 2024
Par Benjamin Patinaud et Anthony Galluzzo
Anthony Galluzzo s'est entretenu avec lui suite à la parution de son premier ouvrage, Le syndrome Magneto (Le diable Vauvert, 2023). Dans cet entretien, ils reviennent sur certaines des thèses de son livre, sur son parcours et sur l'évolution politique du YouTube francophone.
Anthony Galluzzo – Avant d'aborder ton ouvrage, j'aimerais qu'on revienne un peu sur ton parcours, à travers ton pseudonyme de vidéaste, « Bolchegeek ». Comment en es-tu venu à t'intéresser à ce que l'on appelle la culture « geek » ?
Benjamin Patinaud – Le pseudo « Bolchegeek » est mon pseudo de gamer à la base, c'était une blague avec des potes. Le terme « geek » veut un peu tout et rien dire, mais quand il s'est popularisé en France, il m'a parlé, je me suis senti concerné. Je lisais des comic books, j'aimais la science-fiction, je jouais aux jeux vidéo et je faisais du jeu de rôle. Une culture très partagée par mes amis dès le collège et par mon grand frère aussi, qui m'a initié aux comic books. Par ailleurs, je m'intéressais à la politique, je militais à la LCR en arrivant à la fac. La culture geek n'était pas très présente dans les milieux de gauche à l'époque. Le terme s'est un peu perdu depuis : la culture geek, comme la culture punk avant elle, s'est diluée dans le mainstream. La culture super héros par exemple occupe le haut du box-office mondial. Se passionner pour Star Wars aujourd'hui n'est plus quelque chose de marginal. Ce n'est plus vraiment une sous-culture. Rajoute à cela le fait que cela veut tout et rien dire : est-ce que le fan de Kaamelott qui fait des GN [jeu de rôle grandeur nature], c'est la même sociologie et la même sous-culture que le mec de banlieue qui est fan de One Piece ? Je n'ai pas l'impression que ce soit exactement le même groupe. Les geeks eux-mêmes se sont détournés de ce terme, et ce mouvement a aussi commencé à développer un discours critique sur lui-même. Avec les essais vidéo notamment, cela a commencé à s'hybrider avec l'analyse culturelle, avec la sociologie. Me dire « geek » aujourd'hui, cela ne m'arrive plus vraiment. Ça n'a plus trop de sens.
Anthony Galluzzo – Dans quel contexte as-tu commencé à produire des vidéos ?
Benjamin Patinaud – Quand j'ai commencé à faire des vidéos, vers 2015, je venais de déménager pour suivre ma compagne. J'étais loin de la bande de potes avec laquelle on faisait des fanzines, des courts métrages. Youtube, c'était un peu la voie évidente, le cliché du mec qui peut faire ça tout seul dans sa chambre. A ce moment-là, le contenu de type vulgarisation scientifique commençait à décoller sur la plateforme, avec notamment le lancement de la chaine Nota Bene. A cette époque, je suis resté sous les radars car je ne correspondais pas trop aux standards, je n'avais pas de ligne éditoriale. Je ne faisais ni de la vulgarisation, ni de la critique. Les années sont passées et on a commencé à davantage « formater » nos vidéos, à faire les choses plus sérieusement. On s'est rapprochés progressivement d'un format dont on ignorait l'existence à l'époque, l'essai vidéo, qui est venu peu à peu supplanter sur Youtube un format plus ancien, la critique, qui était davantage basée sur l'opinion. L'essai vidéo permet de développer du contenu analytique sur plein de phénomènes, pas seulement la pop culture. J'ai beaucoup regardé les video essayists anglosaxons comme F.D Signifier, ContraPoints, Shaun, Lindsay Ellis, Philosophy Tube… Ça nous a beaucoup nourri.
Anthony Galluzzo -Tu parlais de ton passage à la LCR. C'est à partir de là que tu t'es formé au marxisme ?
Benjamin Patinaud – En fait, je suis un peu cancre. Je n'ai jamais été trop dans la marxologie, le côté très érudit, très nerd (dans la culture populaire, le nerd incarne une personne solitaire, passionnée par des sujets intellectuels, surtout scientifiques), que tu retrouves beaucoup dans les organisations trotskystes. J'aime qu'on m'explique les choses. Donc je suis beaucoup plus redevable de la formation que des lectures. Je me suis nourri de plein de discussions avec les vieux militants de la LCR, qui diffusaient leurs connaissances. J'étais à la fac à l'époque, pendant le mouvement contre le CPE. Ça alimentait l'action. J'ai une licence de linguistique, mais j'ai arrêté les études quand il a fallu faire un mémoire, justement parce que je n'ai jamais eu la discipline universitaire. J'aime écouter les spécialistes pour redigérer ce qu'ils disent sous la forme d'essais vidéo. J'avais le même rapport aux grands textes marxistes, trop ardus pour moi. Je les ai reçus à travers de multiples discussions avec des érudits dans les orgas, et ensuite j'ai cherché à remobiliser tout ce qu'ils m'ont transmis. Il y a tout un tas de grandes références théoriques que je n'ai jamais lues, comme Gramsci, par exemple, dont on parle sans arrêt. Je préfère lire des choses plus appliquées et concrètes, des études de cas. Être matérialiste, ça s'apprend, et c'est clairement à la Ligue que j'ai intégré cette grille de lecture. Il y a certaines façons de parler d'art, purement esthétiques, qui ont leur intérêt aussi, mais qui ne sont pas les miennes. Ce qui m'intéresse, ça va davantage être de restituer le contexte d'une œuvre, sa réception, son économie… Un angle d'analyse que je dois clairement à mes fréquentations militantes.
Anthony Galluzzo – Dans ton travail de vidéaste, comment est-ce que tu passes de l'idéation à la réalisation ? Comment est-ce que tu documentes et travailles tes intuitions ?
Benjamin Patinaud – J'ai des enveloppes, avec des notes qui dorment là et que je complète depuis des années. Avec Kath, dite la Petite Voix, qui produit les vidéos, et avec les gens avec qui je travaille, ça correspond pas mal à du « sparring ». Quand j'ai une idée, je l'explique à Kath, qui fait un retour, qui la critique, qui la teste. Je vais te donner un exemple pour illustrer un peu le procédé : la vidéo « John Wick et le contrat social ». En regardant les films, j'ai été intrigué par l'univers, par la société que met en scène le film : les personnages parlent souvent de dette, de contrat, d'économie. Et dans ces films, tu as même un mec qui a tout un discours sur le contrat social. Automatiquement, tu te mets à penser à Rousseau, à Hobbes, à tout un tas de souvenirs de lycéen. J'ai la chance d'être entouré par pas mal d'intellos. Dans ces cas-là, je vais les voir, et je leur parle de ce que j'ai vu. Et ces amis m'indiquent des lectures. Pour la vidéo sur John Wick, ils m'ont amené à lire Dette : 5000 ans d'histoire de David Graeber. J'ai aussi mis ça en lien avec le travail de Lordon sur Imperium. Au fil des lectures et des conversations, cette vidéo, que je m'étais imaginée attachée à Rousseau et à Hobbes, m'a finalement amené vers les réflexions sur les institutions de Graeber et de Lordon. Procéder comme ça, ça te pousse à illustrer tout un ensemble de concepts à travers un film dont le propos, à la base, n'est pas du tout de discuter de ces concepts. C'est aussi un kiff formel : on va parler de dette, de contrat, de monnaie et de capitalisme à travers un mashup (composition qui emprunte des images ou des sons à un ou plusieurs films ou chansons) des images du film. Je réalise beaucoup moins de travail documentaire en amont que des camarades comme Cinéma et politique ou Videodrome, qui sont beaucoup plus exigeantes et plus universitaires. Je limite mes lectures et j'affine mon angle pour éviter de me retrouver noyé sous la documentation.
Anthony Galluzzo – Dans ton ouvrage tu présentes ce que tu appelles « le syndrome Magneto », que tu décomposes ensuite en un ensemble de « symptômes », qui sont des caractéristiques communes à beaucoup d'œuvres issues de l'industrie culturelle américaine. Je te propose de revenir sur certaines de ces thèses. Tout d'abord, peux-tu nous résumer ce que tu désignes par « Syndrome Magneto » ?
Benjamin Patinaud – Exprimé de la façon la plus simple et ramassée, le syndrome Magneto, c'est quand un méchant a partiellement raison, mais reste le méchant. Qu'est ce qui le justifie ? C'est paradoxal. S'il a raison, pourquoi n'est-il pas le héros de l'histoire ?
Anthony Galluzzo -Tu évoques dans ton livre l'opposition habituelle entre un héros conservateur et un méchant révolutionnaire : le méchant agit, le héros réagit…
Benjamin Patinaud – C'est un trope connu, que tu peux retrouver sur certains sites les référençant, comme Tvtropes par exemple. C'est une opposition qui revient souvent dans des œuvres super héroïques manichéennes opposant des « gentils » et des « méchants ». C'est davantage une habitude narrative qu'un élément foncièrement idéologique : l'élément perturbateur va souvent être amené par le méchant et le héros va être là pour contrer son projet souvent hyper alambiqué. Fatalement, le héros va essayer de rétablir un statu quo ante, un état antérieur, contre un mec qui est venu tout perturber. Le héros est donc souvent un conservateur, voire un réactionnaire au sens où il réagit à ce que fait le méchant. Le ressort est d'abord narratif, mais il a une conséquence idéologique et politique : le personnage qui se rebelle contre un ordre établi et essaye d'amener un nouveau modèle de société est en général présenté comme le méchant. La position révolutionnaire est très rarement portée par le héros. Les auteurs vont donc attribuer à l'antagoniste tout un ensemble d'idées radicales. Les scénarios intègrent souvent les enjeux politiques actuels et vont faire porter la critique au méchant. Cela a un impact sur la façon dont l'œuvre va traiter la légitimité des actions des personnages. Les seules fois où le héros s'oppose de façon radicale à l'ordre existant, c'est dans un cadre dystopique. Dans ce cadre-là, le statu quo est présenté comme injuste, et le héros peut alors s'y opposer de façon violente. En revanche, si l'univers de la fiction nous est présenté comme normal, dans la continuité du nôtre, les oppositions violentes sont discréditées. Elles sont l'apanage du méchant. Le héros va reconnaitre le problème tout en s'opposant aux destructions de son adversaire. C'est la conséquence politique de la structure narrative habituelle de récits manichéens qu'on retrouve beaucoup chez les super héros. Et comme le dit Alan Moore, il ne faut pas oublier que ce sont des schémas narratifs qui ont été mis en place pour plaire à des petits garçons dans les années 1930. Ce qui est intéressant, c'est ceux qui comme Alan Moore transgressent ce schéma naïf, de justice immanente. Mais ça reste tout de même un schéma inévitable qui contraint la narration.
Anthony Galluzzo – Sur la base de ce manichéisme, tu parles de la disqualification systématique du projet révolutionnaire, sans cesse interprété comme un paravent à des intérêts personnels et égoïstes…
Benjamin Patinaud – Là aussi c'est quelque chose de courant, même s'il y a de nombreuses exceptions. Ce sont des tendances. Ce qui est souvent donné à voir, c'est un projet révolutionnaire séduisant en apparence, qui combat une injustice réelle, mais qui reste dangereux, car il cache un projet dystopique. C'est cet héritage de la pensée antitotalitaire du 20e siècle : les grands projets révolutionnaires auraient tous sombré dans la dystopie, et il faudrait donc s'en méfier systématiquement. On va bien sûr trouver des variantes. Certains révolutionnaires sont présentés comme sincères, et ils vont devenir des despotes malgré eux. D'autres personnages sont plutôt des manipulateurs : leur projet est malfaisant dès le départ. C'est le cas du Bane [du Batman] de Nolan. Il est vraiment présenté comme un révolutionnaire au sens fort, avec une inspiration « Occupy Wall Street ». On découvre dans le film que c'est un prétexte pour détruire la ville. Scar dans le Roi Lion rentre aussi dans ce schéma. D'où une suspicion permanente contre les projets révolutionnaires, qui soit sont des pentes glissantes, soit cachent quelque chose. C'est un trope très répandu : le monde d'après est systématiquement présenté comme pire que le monde d'avant. Ce qui est une façon de reconnaitre la critique, tout en disqualifiant le critique, en faisant de lui quelqu'un de pervers.
Anthony Galluzzo – Un des meilleurs exemples que tu analyses aussi en vidéo, c'est Thanos dans la franchise Avengers.
Benjamin Patinaud – Le film nous le présente comme quelqu'un qui a tort dans ses méthodes : c'est quand même quelqu'un qui veut perpétrer un génocide, c'est donc assez facile de le disqualifier. Mais jamais il nous est dit qu'il se trompe dans son diagnostic, que son analyse de la situation ne tient pas. S'il avait raison de pointer certains problèmes, que fait-on pour les solutionner ? Le film ne traite pas la question. Je pense que c'est inhérent au fonctionnement de l'industrie culturelle. Je ne pense pas que les créateurs de ces fictions cherchent forcément à invalider la critique. Ce sont des œuvres industrielles, sans véritable auteur, avec des chaînes de décision compliquées et des enjeux économiques qui brouillent tout. Ce sont des films plutôt inconséquents, qui cherchent à intégrer des enjeux contemporains et qui finalement s'en débarrassent. Thanos permet de parler d'écologie sans rien dire d'écologique. Ils n'ont finalement pas grand-chose à dire sur le sujet.
Anthony Galluzzo – Ce sont des objets effectivement difficiles à analyser idéologiquement. On est dans un flux, on n'est pas censés prendre garde à ce qui se passe. Dans un film comme Spider-Man : Across The Spider-Verse, par exemple, on voit Spiderman et Spider-Woman se déplacer en discutant, tout en arrêtant et en ficelant des voleurs à la tire. Ce qui est induit dans cette scène, c'est que le petit voleur est un « méchant », qu'on peut arrêter sans y penser dans un effet comique…
Benjamin Patinaud – Oui, parce que c'est l'activité emblématique, traditionnelle du super héros : arrêter des voleurs de sac à main, des braqueurs de banque… C'est très peu interrogé. Cela repose sur une équivalence basique : un acte de délinquance, c'est quelque chose d'intrinsèquement mauvais. Tu as quelques exceptions. Dans Spiderman III de Sam Raimi, on nous expose les raisons pour lesquelles le méchant, l'Homme-sable, commet des crimes. Il a une trajectoire sociale et l'histoire te permet de comprendre pourquoi il en est arrivé là. Mais ça nécessite de déployer tout un arc narratif. Les auteurs qui cherchent à casser cette équivalence doivent en faire toute une histoire. Un super héros qui s'en prend à un délinquant anonyme, cela ne nécessite aucune mise en contexte : c'est une violence acceptée comme légitime et normale par le spectateur. Dans Batman notamment, on réduit souvent la délinquance à de la folie dangereuse.
Anthony Galluzzo – Si on prend l'entièreté de la culture comics depuis près d'une centaine d'années, il y a des choses très variées, y compris des œuvres très subversives. Mais prenons la culture comics telle qu'elle a été redigérée par Hollywood à travers les blockbusters Marvel et DC depuis une vingtaine d'années. Est-ce que tu considères que même là, il y a suffisamment d'ambiguïté, de polysémie, pour que se développent des interprétations politiques variées ?
Benjamin Patinaud – Il y a de la polysémie du simple fait qu'il y a beaucoup de gens impliqués dans l'écriture, et qu'ils ne cherchent pas à faire directement de la propagande. Tu vas trouver des choses parfois très contradictoires au sein d'un même film. Ryan Coogler dans Black Panther et Wakanda Forever a injecté tout un ensemble de références afro-militantes : des références positives et explicites à Lumumba et à Toussaint Louverture, dans un film qui est pourtant une soupe un peu bizarre, avec un méchant qui a un syndrome Magneto. Les auteurs de comic books sont plutôt des gens issus de la gauche démocrate américaine. Et pourtant, les schémas mobilisés sont aussi très conservateurs. C'est pour ça à mon sens qu'on ne peut pas se contenter du jeu des boîtes. Si tu prends la culture comics d'un bloc, surtout à partir des productions cinématographiques Marvel, c'est la culture dominante, mainstream. Dans Spider-Man : Across The Spider-Verse, le héros n'est plus Peter Parker mais Miles Morales. C'est un prolo racisé : il est mi-portoricain, mi-afro-américain. En même temps, son père afro-américain est un gentil flic, dans un univers où le racisme ne semble pas exister, et n'est pas interrogé. Sur son sac, on peut voir un écusson Black Lives Matter. Le film n'a rien de radical pour autant. BLM y est une espèce de marque vidée de sa substance. Le film se situe en fait simplement dans l'air du temps. On peut y voir un Spiderman indien faire une vanne sur le pillage colonial britannique. Tu te rends compte que ce genre de blagues est devenu mainstream. C'est quelque chose que les commentateurs réactionnaires ont du mal à comprendre : pour eux, ces films sont le produit d'une gauche radicale qui pousse un agenda politique. En fait c'est tout le contraire. Ces films témoignent de l'évolution de la société, et montrent que ces idées sont devenues courantes… La réception des œuvres et leur réappropriation par le public, ça me semble très important. Un film comme Black Panther, qui vu de chez nous peut paraitre inoffensif, parle beaucoup à un certain public afro-américain. Le film a constitué un véritable événement culturel. En comprenant leur réception du film, tu comprends pourquoi la suite, Wakanda Forever, est beaucoup plus explicite. Marvel a certainement compris que les références radicales voire anticoloniales du film alimentent son succès. La question que je ne saurais pas dénouer, c'est est-ce que ça sert à quelque chose… Mais on peut au moins dire que c'est un bon témoin de ce qui se passe culturellement et politiquement.
Anthony Galluzzo – J'ai l'impression que ton livre est très personnel : il correspond à ton historique de visionnage. Tu ne procèdes pas de manière systématique, en constituant un corpus par exemple. Et en même temps, il y a une portée générale. Tu organises les thématiques en syndromes, il y a une architecture globale. Ça me pose la question de la construction de ton objet. J'ai l'impression que tu utilises comme synonymes des concepts comme culture populaire, culture de masse et pop culture, pour évoquer la production de l'industrie culturelle américaine. Comment tu as choisi de mobiliser cette terminologie ?
Benjamin Patinaud – Pop culture, culture populaire, de masse, mainstream… Ce ne sont pas des termes interchangeables du tout pour moi, mais c'est un flou qui m'arrange parfois aussi. La catégorisation peut être difficile. Sur la chaine, on essaye d'aller au-delà de la pop culture et traiter de la culture populaire. On avait par exemple fait une vidéo sur Noël. Une kermesse, c'est de la culture populaire. Quand on parle de pop culture, on désigne souvent la culture populaire post-seconde guerre mondiale qui est industrialisée et très dominée par les Etats-Unis. Il y a des croisements. Les fanzines de super héros appartiennent aux deux catégories. Le terme « populaire » lui-même pose question : est-ce que ça renvoie à ce que consomme la plupart des gens, est-ce que cela désigne une culture des classes populaires ? On parle aussi parfois de culture dominante, ce qui semble contradictoire, car elle n'est pas censée être celle des classes populaires. Il y a plein d'ambiguïtés dans les emplois de ces termes que je ne résous pas, mais que j'aimerais retravailler plus tard. Cela dit, dans le texte, je n'emploie pas ces termes de façon interchangeable.
Anthony Galluzzo – Et concernant le corpus, pourquoi avoir puisé davantage dans la culture américaine, et moins dans les cultures japonaises et sud-coréennes, qui sont pourtant elles aussi fortement consommées à un niveau mondial ?
Benjamin Patinaud – Comme tu le disais, c'est mon historique de visionnage. Avec une petite altération : quand je discute d'une thématique, des fans de Naruto par exemple peuvent me renvoyer à certains épisodes de cette série que je ne regarde pas du tout. C'est l'avantage de l'échange avec une communauté sur internet : la vidéo sert de support à des échanges. Les gens discutent entre eux, m'envoient des messages pour m'indiquer des angles d'analyse et d'autres exemples qui viennent de leur corpus à eux. Je me dis que je n'ai pas trop mal fait mon boulot si, avec mon corpus, je dégage des idées qui peuvent faire réfléchir les gens à partir de leurs références propres.
Anthony Galluzzo – Revenons un peu à ton travail de vidéaste. J'aimerais discuter avec toi de l'évolution du Youtube politique francophone. Avec Usul, tu fais partie des premiers vidéastes à avoir produit et diffusé des analyses de gauche radicale à propos de différents phénomènes. Vous avez participé à une forme de lutte idéologique. Comment tu perçois l'évolution de cette lutte ?
Benjamin Patinaud – On pourrait s'imaginer qu'il y a sur Youtube, et plus largement sur les réseaux sociaux, du contenu dans tous les sens : des essais vidéo d'extrême droite, d'extrême gauche, de centristes, et cetera. En fait, pas vraiment. Je ne connais pas trop d'essais vidéo d'extrême droite. Ça existe peut-être, mais c'est une sphère qui me semble largement dominée par la gauche. L'extrême droite va davantage faire du clash, mais aussi du lifestyle, en mettant en avant un mode de vie, une façon de se comporter. Tu ne trouves pas de lifestyle d'extrême gauche, à part depuis quelques temps des gens comme Dany & Raz qui parlent à partir de leur mode de vie, de leur expérience personnelle, de leurs goûts. Tout le monde ne travaille pas les mêmes formats. Il y a aussi des facteurs sociologiques à considérer, et ça devrait faire l'objet de recherches bien précises. Qui était sur Internet au début ? Est-ce que le public n'était pas en grande partie composé de jeunes mecs blancs des classes moyennes, un peu isolés, attirés de fait par certains types de discours. J'ai l'impression que les gens qui ont ce profil là aujourd'hui ne vont plus systématiquement vers l'extrême droite. Autre phénomène nouveau : il y a aujourd'hui énormément de contenu féministe, notamment radical. Je croise des jeunes de quinze ans avec plein de profils qui se forment politiquement très rapidement avec internet, en se positionnant très précisément dans leurs courants. L'écosystème est beaucoup plus riche et diversifié aujourd'hui. Il y a désormais des gens qui se forment politiquement en lisant des threads Twitter, comme nous à l'époque on aurait vu une conférence. Et je dis vraiment ça sans mépris. Il y a aussi un côté actif dans cette militance-là. Mais je suis aussi un peu perdu. Il y a sans doute plein de choses qui m'échappent complètement dans les évolutions récentes.
Anthony Galluzzo – J'ai l'impression qu'il y a eu un tournant il y a quelques années. Jusque récemment, l'extrême droite semblait assez largement hégémonique sur Youtube. Elle mettait les rieurs de son coté, multipliait les hommes de paille sur les « woke ». Depuis quelques temps, cela ne semble plus fonctionner aussi bien et ce sont de plus en plus eux qui sont moqués.
Benjamin Patinaud – ContraPoints a un point de vue intéressant par rapport à la fin de la domination de l'alt-right dans la sphère anglosaxonne. Elle a bien relevé que des vidéastes comme hbomberguy, qui vient plutôt du jeu vidéo, ont commencé à se moquer des masculinistes. Cela a changé leur Youtube à eux. L'arrivée des streamers aussi est très intéressante. L'un des plus célèbres streamers au monde, Hasan Piker, est très politique. Et il est bien accepté, il fait des conventions Twitch à côté de streamers plutôt gaming et lifestyle, et il est de gauche radicale. Le gros de son travail, c'est de commenter l'actualité huit heures par jour. Il représente bien ce que les américains appellent la « dirtbag left » : il parle mal, il rigole, il trolle un peu. Il a une formation politique solide et une culture internet. Ce sont des évolutions qu'on peut généralement voir se dessiner aux États-Unis avant qu'elles arrivent en France. La dirtbag left est à mon sens le dernier grand tournant. La gauche sur internet, jusque récemment, c'était la plupart du temps de la vulga, plutôt polie, plutôt correcte. On lui reprochait d'ailleurs souvent d'être « politiquement correcte ». La dirtbag left prend le contrepied, avec un style plus provocateur, un peu mauvais esprit. Ce qui semble se passer c'est tout simplement que le public grandit. Inonder internet de contenus culturels bas de gamme, faciles à produire, qui tournent en boucle sur les mêmes obsessions sur les wokes ou autres hommes de paille, c'est très adapté à ces plateformes mais c'est toujours la même chose. Au bout d'un moment des gens vont chercher autre chose et notamment des choses qui vont un peu plus loin, qui sont un peu plus stimulantes que juste flatter des bas instincts. D'où la montée des essayistes vidéo sur le web anglosaxon après un moment de domination des contenus alt-right centrés sur l'anti-progressisme, quasi identiques et souvent purement opportunistes.
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Photo d'illustration : Maxime Noyon
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Beata Umubyeyi Mairesse : « Je cherche à construire une histoire collective} »

Née au Rwanda, le 18 juin 1994, elle a échappé au génocide avec sa mère, grâce à l'action d'humanitaires suisses. Après un premier roman, en 2019, « Tous tes enfants dispersés », dans lequel l'horreur était vue de biais, puis un deuxième, « Consolée » en 2022, elle publie « le Convoi », fruit d'une enquête qui a duré deux ans, au cours de laquelle elle a rencontré maints témoins de son histoire mêlée à celle d'autres survivants.
Article signé par Muriel Steinmetz, paru dans L'Humanité (France). Mise à jour le 12 janvier 2024 à 14h37
Beata Umubyeyi Mairesse publie ces jours-ci « le Convoi ». Il lui a fallu quinze ans de temps, une enquête de très longue haleine et des photographies retrouvées, pour s'autoriser à écrire son histoire, inscrite dans celle du peuple tutsi. Elle naît en 1979 à Butare ( renommé Huye depuis 2006 ), principale ville de la province du sud du Rwanda.
Son père, polonais, est décédé. Sa mère, tutsie, est une survivante. Avec elle, Beata peut fuir le pays à feu et à sang, plus de deux mois après le début du génocide des Tutsis par les Hutus, en 1994 <https://www.humanite.fr/medias/docu...> . Elle a 15 ans lors des premiers massacres, le 7 avril.
Le 18 juin, elle parvient à quitter le pays dans un convoi humanitaire suisse de Terre des hommes. Beata est métisse. Elle étudie à l'école internationale des « enfants blancs ou des métis de pères occidentaux » . Le Convoi n'est pas un roman, comme Tous tes enfants dispersés (2019, Éditions Autrement). L'ouvrage est le résultat d'une enquête acharnée entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l'Italie, l'Afrique du Sud.
*Vous aviez déjà évoqué cette période terrible de l'histoire et de votre histoire, entre autres, dans un roman, « Tous tes enfants dispersés », paru en 2019…*
Il y a une dizaine d'années, je faisais le choix de la fiction. Je ne souhaitais pas alors publier mon témoignage. Je pense pourtant que les témoignages de survivants du génocide <https://www.humanite.fr/en-debat/ge...> revêtent une grande importance. Plusieurs s'y sont livrés, seuls ou avec l'aide de journalistes occidentaux. J'avais choisi la fiction, parce que je n'étais pas prête à confier mon expérience intime à des inconnus.
Il y avait aussi que j'avais compris que cette histoire n'était pas tant indicible qu'inentendable. Malgré la gentillesse et l'hospitalité qu'on m'offrait en France, très peu de personnes voulaient entendre notre histoire, certaines souhaitant se protéger. D'autres, par délicatesse, pensaient me protéger. Ma famille d'accueil, qui m'avait écoutée, m'a très vite envoyée voir une psychanalyste.
Quand j'ai décidé d'écrire, vingt ans après, j'ai cherché une façon d'être enfin entendue. La fiction permettait une mise à distance rassurante, pour le lecteur et moi-même, mais aussi de toucher à une expérience universelle. C'est ce que j'ai fait dans mes nouvelles puis dans mon premier roman.
J'ai entrepris l'enquête sur « le Convoi » sans d'abord un projet d'écriture. C'est lorsque l'humanitaire qui nous a sauvé la vie est mort brutalement que j'ai décidé d'écrire. Ça ne pouvait qu'être un récit, et à partir du moment où je racontais l'histoire des autres enfants, je me devais aussi de raconter un peu la mienne.
*Vos recherches vous ont conduite à rentrer en contact avec des gens de plusieurs pays…*
J'ai d'abord contacté les journalistes de la BBC à Londres. Le reporter principal souffrait de syndrome post-traumatique, notamment à cause de son expérience au Rwanda. J'ai compris pourquoi il restait parfois si longtemps sans répondre à mes messages. C'était troublant d'entendre un journaliste dire à une victime que c'était elle qui pouvait lui apporter de l'espoir.
***« Je n'étais pas à la place habituelle de la victime africaine, qui livre une souffrance à laquelle les Occidentaux vont apporter une aide. »*
J'ai ensuite échangé avec son collègue sud-africain, Hamilton Wende. C'est celui qui a le mieux compris le sens de ma quête. D'autres m'ont moins soutenue, plus préoccupés par leur image que par mon projet.
Je n'étais pas à la place habituelle de la victime africaine, qui livre une souffrance à laquelle les Occidentaux vont apporter une aide, ou sur laquelle ils vont mettre leurs mots. J'appartiens aux deux mondes et j'ai acquis leurs codes. Après avoir été une victime, je suis devenue une humanitaire puis une écrivaine. Une sorte d'anomalie, finalement.
*Avez-vous rencontré des réticences à revenir sur ce passé maudit déjà lointain ?*
Mon enquête a progressé en spirale, de façon non linéaire. J'ai d'abord cherché les journalistes et j'ai obtenu quelques images, dont j'ai pensé dans un premier temps ne rien pouvoir faire. La rencontre avec un survivant sauvé par la même ONG m'a amenée à vouloir retrouver les autres enfants, ce qui m'a ensuite poussé à contacter les humanitaires.
De là se sont ensuivies d'autres rencontres, avec un photographe italien, notamment, puis de nouveau des survivants tutsis et, enfin, un historien français, auteur d'un travail remarquable sur la question des images produites sur le génocide.
Les anciens enfants sauvés par les convois ont été très ouverts et m'ont encouragée à écrire ce récit. Ils ont une conscience aiguë de l'importance de trouver et de laisser des traces de notre histoire. Aucun n'a craint de revenir sur ce passé douloureux.
*L'abandon de la fiction – au cours de laquelle vous ne vous sentiez pas tenue « de raconter l'histoire exacte », selon vos propres termes d'alors – vous permet-il enfin d'exorciser la terreur inoubliable avec l'aide d'autrui ?*
L'écriture, chez moi, n'est pas un acte cathartique. J'ai toujours préservé un espace de thérapie pour démêler l'écheveau de mes chagrins intimes. Il me semble qu'il faut aller plutôt bien pour pouvoir sortir de son récit personnel et chercher à construire une histoire collective comme je le fais ici, au-delà du pathos et du ressentiment.
J'ai presque écrit ce livre dans une démarche pédagogique. Au-delà de la volonté de faire connaître cette histoire d'immense sauvetage oublié, au-delà de la nécessité de faire entendre nos voix de survivants, il s'agissait aussi d'amener les lecteurs à s'interroger sur des questions très politiques. Qui raconte l'histoire, à qui ? Comment se fait-il que les faits historiques du continent africain ont constitué si longtemps un narratif avant tout destiné aux Occidentaux ?
*L'apport de tous ces témoignages vous a-t-il permis une mise à distance salutaire ?*
Il y avait en effet la « bonne distance » à trouver, afin de faire de ce récit quelque chose de collectif ; façon pour moi de m'éloigner de ce que l'écrivaine nigériane Ngozi Adichie a très justement nommé « le danger d'une histoire unique ». Il fallait donner la parole aux différents protagonistes de cette scène initiale, sur la photo de couverture, au moment où nous traversons la frontière pour fuir le Rwanda. Il s'agissait aussi de signifier ce que le temps fait à la mémoire. C'est pourquoi j'ai voulu que ce livre soit un texte littéraire, car le temps est bien avant tout une matière littéraire.
Pensez-vous que « le Convoi », qui par ailleurs met en lumière certaines complicités de la France avec les génocidaires, puisse au moins un peu atténuer la souffrance, la vôtre et celle du peuple tutsi ?
Pour vous répondre, j'ai envie d'emprunter ici les mots de Neige Sinno, dans son récit Triste Tigre. Elle dit que la littérature ne l'a pas sauvée. J'aime aussi pourtant croire ce qu'a dit Lydie Salvayre. À la question « que vaut un livre devant une vie qu'on brise ? », elle répondait que nous avons, tous et toutes, un féroce besoin d'envol auquel, quelquefois, la littérature répond.
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Programme complet des futures parutions des Éditions Écosociété (janvier à juin 2024)

Voici le programme complet des futures parutions des Éditions Écosociété (janvier à juin 2024).
Dans la rue - Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec / 30 janvier
François Saillant / Régulière
– Une plongée dans l'histoire du FRAPRU, un mouvement combatif, créatif et déterminant pour le droit au logement au Québec. Un livre qui permet également de mesurer l'impact des décisions politiques passées sur la crise actuelle du logement.
De la cour au jardin - Transformer son terrain en aménagement écologique et comestible / 5 mars
Christelle Guibert / Illustrations d'Orcéine / Collection Savoir-faire
– Transformer sa cour arrière ou son jardin en un écosystème productif et nourricier, voilà l'objectif de ce guide incontournable !
Texter, publier, scroller / 5 mars
Emmanuelle Parent / Collection Radar (15 ans et plus)
– Connaître les codes des réseaux sociaux, rester soi-même et mieux communiquer avec les autres. Dans un portrait réaliste des bons et mauvais côtés des réseaux sociaux, Emmanuelle Parent outille les ados pour favoriser leur bien-être numérique... et leur bien-être tout court.
Santé inc. - Cinq mythes et faillites du système de santé / 19 mars
Anne Plourde / Collection Polémos
– Le privé fait moins avec plus, ce qui est l'exact contraire de l'efficacité. Une démonstration implacable de l'échec du privé en santé, un appel à s'en débarrasser.
Écosabotage - De la théorie à l'action / 2 avril
Anaël Châtaignier / Hors-série
– Les activistes du climat gagneraient-ils à inclure l'écosabotage dans leur arsenal tactique ? Une réflexion essentielle sur l'activisme, suivie d'un petit manuel d'écosabotage.
Jardiner dans les ruines - Quels potagers dans un monde toxique ? / 17 avril
Bertille Darragon / Illustrations de Pauline Stive / Hors-série
– Il faut se rendre à l'évidence : à travers l'eau, l'air et le sol, nos potagers sont contaminés par nos modes de vie. Voici le livre de référence pour réduire l'impact des assauts toxiques du monde industriel sur nos jardins.
AfroQueer – 25 voix engagées / 7 mai
Fabrice Nguena / Préface de Frieda Ekotto et Marthe Djilo Kamga / Illustrations de Dimani Mathieu Cassendo
/ Collection Parcours
– 25 portraits bouleversants de personnalités inspirantes pour sortir les personnes queer et afrodescendantes de l'invisibilité.
La conquête de la Palestine – Une guerre de cent ans / 14 mai
Rachad Antonius / Collection Régulière
– La guerre de Gaza déclenchée en octobre 2023 ne peut se comprendre si on ne s'en tient qu'aux événements immédiats qui l'ont déclenchée.
Parler sexe / 14 mai
Maude Painchaud-Major / Collection Radar (15 ans et plus)
– Longueur du pénis, zones érogènes, consentement, masturbation, hétéronormativité... Avec une parole franche, directe et décomplexée, Maude Painchaud-Major veut aider les ados à se libérer des diktats autour de la sexualité, loin des carcans et des pressions de performance, pour inventer la sexualité qui leur convient.
Défendre le logement – Une politique de la crise / 4 juin
Peter Marcuse et David Madden / Préface de Marcos Ancelovici / Traduction de Julien Besse / Collection Régulière
– Et si la « crise du logement » était l'état normal du marché immobilier ? Un ouvrage majeur sur le processus de marchandisation du logement.

L’abbé Pierre – combattant pour les sans-abris

Sélection officielle du festival de Cannes 2023, réalisé par Frédéric Tellier, le long métrage L'Abbé Pierre une vie de combats, auquel prêtent vie Bernard Lavernhe et Emmanuelle Bercot (jouant l'assistante dévouée Lucie Coutas), n'a pas trop de ses 138 minutes pour raconter la biographie passionnante d'un grand héros contemporain.
Par Pierre Jasmin, artiste pour la Paix
D'abord actif dans la résistance de la Seconde guerre mondiale qui lui donne son surnom d'abbé Pierre (son vrai nom était Henri Grouès), on le voit accompagner, au péril de sa vie menacée par une mitrailleuse allemande, un groupe de juifs fuyant la France vers la Suisse à travers les montagnes enneigées. C'est une époque qu'on oublie où les curés collabos, en France comme en Ukraine, sermonnent en chaires leurs ouailles pour les inciter à l'obéissance totale envers les nouveaux maîtres nazis de Vichy et de Galicie, en qui ils voient avec enthousiasme des ennemis des Juifs et des communistes.
Élu à la Libération député de la Meurthe-et-Moselle de 1946 à 1951, membre de groupes républicains indépendants de gauche, Grouès n'hésite pas à insulter le gouvernement pour son manque de soutien des pauvres, en particulier les sans-abris, auprès de qui il finira par s'engager corps et âme, pour toute la vie, en fondant le mouvement laïc Emmaüs.
Le film raconte une vie militante édifiante, puisqu'aux nombreux moments de découragement narrés sans ménagements par le scénario fondé sur des faits, c'est sa fidèle assistante qui le « ramasse » par ses solutions de compromis ; ou alors ce sont ces hommes violents qu'il a secourus sans discrimination qui lui suggèrent la solution de chercher leur financement, non plus uniquement par des dons de charité, mais par leurs fouilles dans des décharges publiques comme chiffonniers.
Grouès connaît des moments bouleversants, comme l'hiver 54 aux records de froid, qui le motivent à squatter un poste de radio pour un discours vigoureux qui va essaimer, interpeller la France entière et le rendre célèbre. Célébrité compromise par son action charitable, ouverte aux damnés de la terre, y compris les musulmans d'Algérie et de Tunisie pourchassés par la police dans les tristement célèbres « ratonnades racistes » de 1961, qui provoquèrent une centaine de morts noyés dans la Seine le 17 octobre.
C'est dans un taudis montréalais que je l'ai connu, se partageant à quatre, à la lueur de bougies, un poulet livré dans un logis appartenant aux Chantiers catholiques, auquel l'électricité était coupée pour non-paiement. Rappelons l'intérêt de l'abbé Pierre pour les organismes d'inspiration scoute (son totem était castor méditatif). Mon action auprès des Artistes pour la Paix y a sans doute trouvé son origine, car faisant escale à Montréal depuis l'Amérique du Sud, il m'avait raconté y être intervenu en vain auprès de propriétaires alimentés en eau par des canalisations qui traversaient un bidonville, dont les enfants mouraient de dysenterie faute d'avoir accès à cette eau : il avait quémandé à ces riches de ne changer l'eau de leur piscine qu'une fois par mois au lieu d'une fois par semaine, et d'installer deux robinets pour les miséreux du bidonville, essuyant, malgré sa réputation internationale de saint homme entretenue par les pages couvertures du Paris Match, un refus. Il m'avait dit alors sa tentation de bénir le père d'une victime pour qu'il prenne un fusil et monte là-haut régler le compte d'un de ces salopards, ce que sa foi lui interdisait absolument.
Mais sa célébrité utilisée à faire construire d'innombrables logements sociaux lui pèse, car elle suscite d'intenses jalousies et même des trahisons au sein de son propre conseil d'administration : quoi de neuf, depuis le Christ abandonné au Jardin des oliviers ? De plus, son travail incessant dans des conditions d'inconfort extrême fragilise sa vieillesse narrée sans ménagements, mais n'est-ce pas par ce don total de soi qu'on reconnaît un saint ?
Il est plutôt étonnant de voir le milieu du cinéma français plutôt conservateur créer deux films sociaux remarquables, tel l'incomparable Simone Veil – le voyage du siècle l'an dernieri et exactement un an plus tard, l'Abbé Pierre pour marquer encore une fin d'année d'un sursaut d'idéal humanitaire bienvenu.
Notes
1. https://lautjournal.info/20230106/lengagement-feministe-historique-de-simone-veil
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