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Retour sur la révolution mexicaine (1910-1945)

La révolution mexicaine (1910-1945) a non seulement modifié les structures du pouvoir politique, mais a également porté la promesse de la justice sociale et du développement économique. Via une analyse de la structure sociale du Mexique prérévolutionnaire et des luttes des classes sociales pendant le conflit armé, cet article revient sur la révolution mexicaine comme un processus contrasté de restructuration sociale.
Introduction
- « La bourgeoisie veut les choses que la minorité scientifique n'a pas à lui donner. Le prolétariat, pour sa part, veut le bien-être économique et la dignité sociale au moyen de la prise de possession de la terre et de l'organisation sociale, ce à quoi s'opposent autant le gouvernement que les partis bourgeois1. » Début novembre 1910, le révolutionnaire Ricardo Flores Magón analysait ainsi les problèmes politiques et sociaux auxquels le Mexique faisait face. Le 20 novembre, un soulèvement armé renversa le régime de Porfirio Díaz, au pouvoir depuis 34 ans.
Parce qu'il s'agit d'un processus à la fois politique et social, il est délicat de définir temporellement la révolution mexicaine. L'historiographie s'accorde à considérer le soulèvement armé du 20 novembre 1910 comme le début, tandis que la fin est débattue. Nous utilisons la chronologie proposée par les historiens William Beezley et Michael Meyer2. La première étape est le conflit armé (1910-1920). Dans la deuxième, caractérisée par une relative stabilité politique, les leaders révolutionnaires cherchaient à changer la société (1920-1938). Dans la troisième, les leaders révolutionnaires entreprenaient la création d'une société juste par le développement économique (1938-1945).
Cet article revient sur la révolution mexicaine en tant que révolution sociale, c'est-à-dire affectant la structure sociale et les inégalités de participation politique. Nous décrivons la structure sociale du Mexique prérévolutionnaire, documentons la participation des classes sociales au conflit armé, et examinons la restructuration sociale du Mexique sur le temps long.
Structure sociale du Mexique prérévolutionnaire
Les données du recensement de 1910 permettent de décrire la structure de classes. Sur les 4,6 millions d'actifs, il y avait environ 3 millions de peones de hacienda (ouvriers agricoles), 400 000 agriculteurs et 830 hacendados (propriétaires terriens). Parmi les 15 millions de Mexicains, l'historien Jesús Silva Herzog estime ainsi à 12 millions ceux qui dépendaient directement de l'agriculture, soit 80% de la population. Le monde paysan se structurait donc en trois classes :
1. Les 830 hacendados – moins de 1% de la population – possédaient 97% du territoire national. Ils se partageaient 8245 haciendas, dont certaines se mesuraient en milliers d'hectares. Selon les États, entre 88,2% et 99,8% des habitants n'avaient aucune propriété.
2. La classe des agriculteurs est difficile à définir. J. Silva Herzog fait l'hypothèse qu'elle inclut les propriétaires de terrains dans des aires urbaines et les ouvriers agricoles proches de l'hacendado. En somme, il s'agissait d'actifs vivant de l'agriculture et formant une classe intermédiaire entre hacendados et peones.
3. Les peones dépendaient des hacendados par un lien de subordination pouvant prendre plusieurs formes juridiques. Les salaires étaient faibles et en nature. Il était courant que les peones contractent des emprunts auprès de l'hacendado, ce qui les contraignait à rester indéfiniment sur ses terres pour tenter de rembourser leur dette, constituant une situation d'esclavage de fait3.
Le secteur industriel comprenait surtout des industries traditionnelles : mines, textile, agroalimentaire. L'industrie lourde émergea à la fin du porfiriat ; elle se caractérisait par une hiérarchisation entre une bourgeoisie d'affaires et un milieu ouvrier pauvre. Enfin, le secteur tertiaire était très peu développé. Par exemple, il y avait 3000 médecins pour 15 millions d'habitants, soit 2 pour 100 0004.
Ces inégalités de classe intersectaient avec des inégalités régionales. Comme dans tout le continent, la structure sociale ne se réduisait pas à une opposition universelle entre peones et hacendados : dans Rural Guerrillas in Latin America, l'historien Richard Gott décrit des conditions variantes « non seulement de pays à pays, ou de province à province, mais de vallée à vallée »5. Les États du nord (Hidalgo, Nuevo León) et la ville de Mexico profitèrent davantage de l'industrialisation, avec l'installation d'industries lourdes comme des aciéries et des cimenteries. Les États ruraux du centre (Puebla, Oaxaca, Guerrero, Michoacán) restaient en retard de développement. Ces inégalités s'observaient aussi à l'intérieur des États. Prenons l'exemple de Tlaxcala. Dans le nord dominaient des haciendas de plusieurs milliers d'hectares où vivaient des peones. Dans le centre et le sud, les haciendas étaient moins grandes et coexistaient avec un tissu industriel et artisanal. Enfin, le bassin du fleuve Atoyac-Zahuapán était caractérisé par une agriculture davantage spécialisée et les peones résidaient en dehors des haciendas6.
Les classes sociales face au conflit armé
« Une révolution populaire bourgeoise de caractère agraire »7 : par cette belle expression oxymorique, le sociologue Jorge Martínez Ríos décrit la participation politique des classes sociales au conflit armé (1910-1920). La révolution était de caractère agraire par ses objectifs et populaire mais surtout bourgeoise par son leadership. Par exemple, le leader révolutionnaire Francisco Madero était originaire d'une riche famille d'entrepreneurs et avait étudié à HEC et à l'Université de Californie à Berkeley. Les classes populaires souffraient d'un déficit d'inclusion politique en raison d'une part du faible accès au système éducatif, et d'autre part de l'idéologie positiviste et des pratiques excluantes du porfiriat. Miguel Salvador Macedo, entrepreneur proche du régime, les décrit ainsi : seuls les scientifiques (científicos) peuvent être dirigeants politiques et sociaux parce que « la science et la morale sont hors de portée »8 des classes populaires. Le régime réprimait systématiquement les mouvements sociaux, notamment d'importantes grèves ouvrières au début du XXe siècle.
Bien que ces conditions fassent supposer une participation populaire plutôt faible, les historiens ne parviennent pas à l'évaluer validement. J. Martínez Ríos souligne : « Jusqu'à quel point furent connues les thèses agraires et ouvrières dans les grands secteurs de la population ? Nous ne le savons pas9. » Observons toutefois le développement du mouvement ouvrier, organisé par les structures syndicales. Par exemple, dès 1915, environ 100 000 ouvriers étaient membres du syndicat anarchosyndicaliste Casa del Obrero Mundial. Enfin, la participation variait selon les régions. Par exemple, la stratégie d'agitation permanente des guérillas révolutionnaires dans les États de Morelos, Guerrero, Veracruz et Puebla encouragea de nombreux paysans – y compris hacendados – à participer au conflit armé.
L'ensemble des leaders révolutionnaires reconnaissaient l'importance fondamentale du problème agraire, mais divergeaient sur la solution. Ceux originaires du nord, où la société rurale comprenait des agriculteurs cherchant à devenir hacendados, concevaient que le problème se posait en termes de productivité de la terre et de coexistence pacifique entre les classes sociales. Le centre et le sud, au contraire, étaient caractérisés par la cohabitation parfois violente de grands hacendados et de nombreux peones. Les leaders révolutionnaires qui en étaient originaires étaient plus radicaux et projetaient l'abolition du système des haciendas10.
Une restructuration sociale contrastée
Les divergences originelles des leaders révolutionnaires furent suivies, sur le temps long, de politiques sociales à l'instrumentation et aux effets contrastés. La première loi agraire fut adoptée en 1915. Ses principales dispositions furent la redistribution de la terre, notamment la restitution aux communautés indigènes des terres acquises sous le porfiriat, et la création d'un statut par la suite emblématique, les ejidos, c'est-à-dire des terrains attribués à un groupe de paysans qui en sont propriétaires collectivement mais dont le fruit des récoltes revient à chaque paysan individuellement. En vertu de la loi des Ejidos de 1920, ces paysans étaient assurés de posséder une parcelle de terre « suffisante pour produire […] le double du salaire journalier moyen de la région ». Toutefois, la réforme agraire fut instrumentée de manière incohérente selon les régions. Elle ne supprima pas le système des haciendas, bien que celles-ci ne couvraient plus qu'environ la moitié des terres agricoles après la révolution (8 millions sur 16 en 1958). Elle ne résolut pas l'aggravation de l'exode rural : selon le recensement de 1940, 1,5 million d'hectares d'ejidos étaient à l'abandon11.
Le secteur industriel bénéficia d'une politique d'investissement, notamment les industries lourdes et d'extraction et les réseaux ferroviaire et routier. Ceci favorisa la croissance économique, puis l'augmentation des ressources des gouvernements fédéral et fédérés, et finalement le développement des services publics et de l'État-providence. Le taux d'alphabétisation augmenta de 38,5% en 1930 à 56,8% en 1950 ; une classe moyenne urbaine émergeait12.
Si la société mexicaine devenait plus égalitaire par la distribution des ressources économiques et territoriales, la bourgeoisie continuait à s'approprier les ressources politiques. La culture politique restait autoritaire. Le sociologue Pablo González Casanova explique comment le système éducatif participait à son inculcation aux classes populaires : « Dans toute structure sociale il y a une éducation politique. […] Le peuple est constamment éduqué, et est éduqué de manière autoritaire où la structure du pouvoir et l'attitude des strates dominantes sont autoritaires13. » Le nouveau régime se fondait sur une alliance entre l'ancienne l'oligarchie porfiriste et une partie des classes populaires qui participèrent au conflit armé ; il fonctionnait selon une alternance de répression et de compromis.
Conclusion
Avant 1910, la société mexicaine, structurée en classes dotées de différentes ressources sociales et politiques, était profondément inégalitaire. Les leaders révolutionnaires, dont l'ancrage populaire ou non reste difficile à évaluer, s'accordaient sur la nécessité de la changer, mais divergeaient sur les manières d'y arriver. Ces divergences originelles contribuent à expliquer le caractère contrasté de la restructuration sociale entreprise par les gouvernements de la révolution. Bien que l'industrialisation et le développement de l'État-providence contribuèrent à la réduction des inégalités, la réforme agraire resta inachevée et la socialisation politique des classes populaires marquée par l'autoritarisme.
Le bilan social de la révolution mexicaine est donc à bien des égards complexe et contrasté. L'établir n'est pas neutre politiquement. Comme l'exprimait l'éditorialiste Sabino Bastidas Colinas à l'occasion du centenaire de la révolution : « La révolution est-elle bien terminée ? A-t-elle rempli sa mission ? En avait-elle ? Quel est son bilan ? A-t-elle été couronnée de succès ? La révolution s'est-elle épuisée ? S'est-elle fatiguée ? Pourquoi sommes-nous si nostalgiques de la révolution ? Reste-t-il quelque chose à faire ? Que faire aujourd'hui de la révolution mexicaine ?14 »
Coline Ferrant
Maîtresse de conférences en développement et politiques sociales (Assistant Professor in Social Development & Policy) à Habib University (Karachi, Pakistan).
coline.ferrant@ahss.habib.edu.pk
Notes
1.Adolfo Gilly, La revolución interrumpida, Mexico, Ediciones Era, 2007, p. 81.
2.William H. Beezley, Michael C. Meyer, (dir.), The Oxford History of Mexico, New York, Oxford University Press, 2010.
3.Jesús Silva Herzog, Breve historia de la revolución mexicana, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1960.
4.Collectif, Nueva historia general de México, Mexico, El Colegio de México, 2010.
5.Richard Gott, Rural Guerrillas in Latin America, Londres, Penguin Books, 1973, p. 573.
6.Raymond Buve, « Agricultores, dominación política y estructura agraria en la revolución mexicana : el caso de Tlaxcala (1910-1918) », Revista mexicana de sociología, vol. 52, n°2, 1989, p. 181-236.
7.Jorge Martínez Ríos, « Revolución y conciencia social en México », in Collectif, Estudios sociológicos. Sociología de la revolución, tome II, Mexico, Instituto de Ciencias de Zacatecas, 1959, p. 394.
8.Cité dans Léopoldo Zea, El positivismo en México, Mexico, El Colegio de México, 1943, p. 171-173.
9.Jorge Martínez Ríos, op. cit., p. 389.
10.Lucio Mendieta y Núñez, « Un balance objetivo de la revolución mexicana », Revista mexicana de sociología, Mexico, vol. 22, n°2, mai-août 1960, p. 529-542.
11.Isidro Fabela (dir.), Documentos históricos de la revolución mexicana. Revolución y régimen constitucionalista, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1960.
12.Collectif, Estudios sociológicos. Sociología de la revolución, Mexico, Instituto de Ciencias de Zacatecas, 1959.
13.Pablo González Casanova, La democracia en México, Mexico, Ediciones Era, 2004, p. 211.
14.Sabino Bastidas Colinas, « ¿Ya acabó la revolución mexicana ? », El País, 17 novembre 2009.
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L’idéaliste et le tueur dans « La fonte des glaces »

Les deux co-scénaristes avaient collaboré pour le bruit des arbres mettant en vedette Roy Dupuis. Sarah aurait aussi travaillé sur le beau film sur un réfugié syrien fondateur d'une chocolaterie Du chocolat pour la paix, chocolaterie et film célébrés par la cheffe du Parti Vert, Elizabeth May. Elle en a offert une barre à Joe Biden lors de sa visite à Ottawa : il semblait y tenir vraiment, sensible au slogan la paix, un morceau à la fois, malgré sa dureté envers les Palestiniens.
Par Pierre Jasmin, artiste pour la paix
« La fonte des glaces » : voici une œuvre remarquable, tant par son scénario serré servi par des dialogues courts et punchés, que par le jeu de son héroïne Christine Beaulieu, dans un rôle physiquement exigeant qu'aucune autre comédienne n'aurait pu assumer. Vous avez droit de soupçonner subjective la critique de celui qui l'ayant choisie artiste pour la paix de l'année 2020 est sensible au scénario d'une idéaliste en butte à un système carcéral rigide, comme les APLP le sont face aux gouvernements, aux médias officiels et à l'armée.
Mais on trouvera vite des raisons d'adorer ce film avec son adéquation symbolique d'images de glace sur le St-Laurent que chevauche en canot la lutte solidaire de prisonniers sous la supervision de leur monitrice, leur inculquant ainsi, sans bla-bla moralisateur, la vigueur et l'entraide en équipe d'un sport dont tous sortent vainqueurs. De telles sorties qui exigent des moyens de surveillance et d'équipements exceptionnels suscitent la jalousie des « screws » traditionnels, préférant la discipline astreignante d'exercices punitifs en vase clos. Ceux qui ont connu la prison y verront soit une facilité, soit au contraire l'honnêteté du scénario, qui utilise en moteur de contraste idéalisant l'héroïne, l'hargneuse description de gardiens de prison répressifs, tel le regretté Pierre Falardeau dans un de ses chefs d'œuvre, le party (1990), où l'art interprétatif de Lou Babin ouvrait finalement les cœurs endurcis avec la chanson mythique de Richard Desjardins le cœur est un oiseau.
Une actrice à l'engagement imperturbable
L'héroïne du film, Louise Denoncourt, a la force constante, d'une part d'encourager ses prisonniers à s'ouvrir par une sorte de musicothérapie collective primaire mais efficace, et d'autre part, de faire face, sans jamais broncher, à leurs caprices ou dures récriminations, alors qu'ils ont à leur passif une ou des morts violentes, d'où un suspense continu avec une tension qui ne se relâche jamais. Les téléspectateurs/trices de la série cinquième rang qui vient d'achever sa cinquième et dernière année réussie constateront non sans frémir que son papa, un ex-policier rendu dépressif par la mort accidentelle de sa femme, la mère de Louise, est joué par Marc Béland qu'on présente d'abord en proie à une fascination morbide pour la thèse d'un assassinat.
La police ayant conclu à un simple accident, cela suffit à la pragmatique Louise, jusqu'à ce qu'elle rencontre un meurtrier coupable de 21 assassinats commandés, y compris possiblement celui-là, interprété par Lothaire Bluteau venant d'intégrer l'équipe privilégiée supervisée. S'ensuit un intense duel psychologique dont l'issue n'est pas forcément à l'avantage du meurtrier à la solde des Hells, joué par l'acteur charismatique de l'excellent JÉSUS DE MONTRÉAL de Denys Arcand, il y a trente-cinq ans.
Leur face à face est montré avec rigueur, sans la complaisance d'une multitude de films français en milieux carcéraux récompensés par le Festival de Cannes. Mais ce film féministe trop authentiquement québécois risque de passer à la trappe, à moins d'une gymnastique périlleuse de sous-titres nécessitée par les acteurs très bien recrutés pour leur proximité représentative avec de réels prisonniers au langage coloré et populaire.
L'engagement des femmes, le désengagement des hommes
Le Nouvel Obs, qui vient cette semaine de reprendre son nom mythique, révèle le résultat d'un sondage français selon lequel, dans la génération des 18 à 24 ans, les femmes seraient très à gauche à 11,3% (les hommes seulement à 2,6% !) et plutôt à gauche à 21% (les hommes à 17,9%). Effectués au Canada et aux États-Unis, des sondages similaires obtiendraient sans doute des résultats semblables, compte tenu de l'offensive répugnante des droites contre l'interruption de grossesse assistée, contre les garderies et les maisons de femmes battues « trop coûteuses », contre les transgenres et le wokismei.
Sans tracer de parallèle étroit, j'ai donc préféré « la fonte des glaces » à « l'Hôtel silence », un film de Léa Pool, où l'extraordinaire acteur Sébastien Ricard, engagé dans la vraie vie, joue un homme désengagé qui ne retrouvera une motivation à vivre, un peu trop prévisible, qu'en côtoyant une population résiliente dont une mère exemplaire jouée par Lorena Handschin survivant péniblement à une guerre de cinq ans. L'homme se raccrochera finalement et sereinement à l'amour de sa mère et de sa fille aimée qui n'est pas de lui.
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Aya Nakamura, l’artiste francophone la plus écoutée au monde

Aya Nakamura, chanteuse franco-malienne à l'aura internationale – elle est l'artiste francophone la plus écoutée au monde –, a été la cible de propos racistes de la part de membres de l'extrême droite, suscitant l'ouverture d'une enquête par le parquet. « The Conversation » dresse un portrait de cette grande artiste.
Tiré de MondAfrique.
Cette polémique enfle depuis quelques semaines après une déclaration d'Emmanuel Macron concernant la participation de la chanteuse plusieurs fois primée (dont les Victoires de la musique 2024) à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques où elle interpréterait une chanson d'Édith Piaf.
Cette hypothèse a suscité des réactions de la droite et de l'extrême droite, surtout du parti « Reconquête » et d'un groupuscule d'ultradroite « Les Natifs » qui a déployé une banderole : « Y'a pas moyen Aya, ici c'est Paris, pas le marché de Bamako », faisant référence au refrain de sa chanson phare, « Djadja ».
Un sondage réalisé le 10 mars par Winimax RTL révèle que 63 % des Français seraient opposés à l'idée que la chanteuse puisse interpréter Édith Piaf lors de la cérémonie d'ouverture des JO. Les arguments avancés sont les suivants : les Français n'aiment pas ses chansons (73 %) ; elle ne représente pas la musique française (73 %), et encore moins la jeunesse (60 %). D'autres Français déplacent la polémique sur le terrain linguistique ; c'est le cas du député RN du Nord, Sébastien Chenu qui considère qu'Aya Nakamura ne valorise pas la langue française ou de Marion Maréchal qui déclare qu'elle « ne chante pas en français. Ce n'est ni notre langue ni notre culture. »
Pourtant, le premier titre de la chanteuse, « Djadja », sorti en avril 2018, est devenu le « tube de l'été » en traversant les frontières belges, suisses, autrichiennes, allemandes, etc.
La chanson « Djadja », 2018, a cumulé 951 millions de vues sur YouTube.
Aux Pays-Bas, « Djadja » a pris la tête des ventes, ce qui était une première depuis 1961 où Édith Piaf avait réussi cet exploit avec « Je ne regrette rien ». Le clip de « Djadja » a cumulé 951 millions de vues sur YouTube. Depuis, la chanteuse a atteint plus de 9 millions d'auditeurs par mois et est l'artiste française la plus écoutée sur Spotify.
Pourquoi Nakamura ne peut donc pas, selon certains, « représenter la France » aux JO ? Maltraiterait-elle à ce point la langue française ?
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Galerie d’affiches en solidarité avec les femmes palestiniennes

Pour la fin immédiate du génocide, nous avons publié 44 affiches de 17 pays pour la défense de la vie et du territoire des femmes palestiniennes. Le 8 mars est la Journée internationale de la femme. En cette année 2024, nous revenons au sens internationaliste de cette date pour exprimer la lutte des femmes pour la fin du génocide en cours en Palestine.
07/03/2024 |
Par Capire
Chaque année, depuis plus d'un siècle, nous nous mobilisons ce jour-là pour faire avancer dans les rues, les réseaux et les jardins la lutte féministe pour la construction d'un nouveau monde sans racisme, patriarcat, pauvreté, faim, guerres et colonialisme. Partout dans le monde, les femmes construisent à plusieurs mains les alternatives concrètes pour la construction de ce monde de paix que nous voulons, sans violence, avec la souveraineté alimentaire et une économie centrée sur la durabilité de la vie.
La liberté des femmes n'est possible qu'avec l'autodétermination des peuples. Tant que la Palestine ne sera pas libre, aucune femme ne sera vraiment libre.
En ce 8 mars 2024, nous nous joignons aux voix des femmes et des personnes dissidentes de genre du monde entier qui s'unissent en solidarité avec le peuple palestinien. Capire, avec ALBA Mouvements, l'Assemblée Internationale des Peuples (AIP) et le collectif Utopix, a lancé un appel international à des affiches en solidarité avec les femmes palestiniennes. Cette galerie est le résultat de cet appel, qui montre comment l'art est capable de renforcer la solidarité et les alliances internationalistes.
Ce sont 44 affiches de 17 pays de toutes les régions du monde : Pologne, Inde, Venezuela, Brésil, Afrique du Sud, Suisse, Suède, Kenya, Zimbabwe, Italie, Colombie, Chine, Porto Rico, État espagnol, Guatemala, Philippines et Tunisie. Elles montrent comment les femmes sont les premières victimes de la crise capitaliste et du génocide en cours. Mais elles sont aussi les protagonistes de l'union et de la lutte contre l'impérialisme.
Depuis 1947, et plus profondément depuis octobre 2023, nous assistons à un génocide. Poussés par de sordides intérêts économiques, les pays du Nord global soutiennent l'assaut militaire de l'armée colonialiste israélienne à Gaza et en Cisjordanie – ou choisissent de garder le silence face au massacre, ce qui signifie également être complice.
Les attaques militaires totalisent plus de 30 mille morts. Les chiffres du Ministère de la santé de Gaza indiquent qu'au moins 25 000 de ces victimes sont des femmes et des enfants. Face à l'expansion génocidaire de la guerre d'Israël, les Palestiniennes et les Palestiniens du monde entier, les militants des mouvements sociaux, féministes, anti-impérialistes et antiracistes exigent un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza, la reconnaissance de la souveraineté palestinienne et une solution pour les personnes qui ont vu leurs familles et des villes entières bombardées sous leurs yeux.
[-* La lutte palestinienne continue, car c'est la base de ce que signifie être palestinien. Comme nous l'a dit la militante palestinienne Yasmeen El-Hassan en mai 2023, « il n'y a qu'une seule maison, nous ne sommes qu'un seul peuple et c'est ce qui guide notre lutte. Nous sommes les natifs de cette terre. Cela signifie que nous sommes leurs gardiens ». Abeer Abu Khdeir, de la Marche Mondiale des Femmes, renforce la relation directe du peuple palestinien avec sa terre en préconisant que « nous avons le droit de nous battre partout dans le monde, parce que notre terre est occupée ». « Cette terre n'est pas israélienne, c'est notre terre », a-t-elle déclaré.Leila Khaledc'est aussi un exemple de la résistance palestinienne en disant que « ils ont peur, parce que les Palestiniens sont unis par l'espoir de réaliser leurs rêves par la lutte ».->https://capiremov.org/entrevista/abeer-abu-khdeir-as-forcas-israelenses-estao-atacando-a-palestina-sem-parar/]
Autour du monde, nous avons radicalisé notre espoir dans la lutte pour le droit du peuple palestinien à son territoire et à l'autodétermination. Nous continuerons à marcher jusqu'à ce que la Palestine soit libre !
Découvrez toutes les affiches ci-dessous ! Cliquez sur les diapositives pour les voir avec leurs légendes complètes. Visitez le websited'Utopix pour télécharger les affiches.
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La Worker Writers School
La Worker Writers School (1) soutient les écrivains issus de l'une des populations les plus omniprésentes et pourtant les moins entendues de la ville de New York : les travailleurs à bas salaires. Mark Nowak, poète et ancien syndicaliste, a fondé l'institut dans une usine Ford en 2011. La plupart des participants sont affiliés à des organisations syndicales progressistes comme Domestic Workers United (2), Haitian Women for Haitian Refugees (3), la Taxi Workers Alliance (4), le Worker Justice Center (5), le Laundry Workers Center (6), le Retail Action Project (7), la Damayan Migrant Workers Association (8) et le Restaurant Opportunities Center (9).
Lors d'ateliers d'écriture mensuels, des chauffeurs de taxi, des aides ménagères, des vendeurs ambulants, des ouvriers du bâtiment, des employé.e.s de restaurants, des aides-soignantes à domicile, des femmes de ménage, des manucures de salons de beauté et des caissières de magasins de détail, entre autres, se réunissent pour réimaginer leur vie professionnelle à travers la poésie. Le programme finance également une retraite d'écriture annuelle pour les étudiants du nord de l'État de New York et une assemblée pédagogique d'automne pour les écrivains, les universitaires, les travailleurs et le grand public de la ville de New York. Plus largement, le programme nourrit de nouvelles voix littéraires directement issues de la classe ouvrière mondiale et inspire de nouvelles tactiques pour le changement social de la classe ouvrière.
Source première : https://theintercept.com/2024/03/30/pen-america-festival-boycott-israel-palestine/
(1) https://pen.org/worker-writers-school/
https://twitter.com/workerwriters
(2) https://www.domesticworkersunitednyc.org
(3) https://haitianrefugees.org
(7) https://www.retailactionproject.org/
(8) https://www.damayanmigrants.org/
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Reconnaissance et condamnation du massacre des Algériens le 17 octobre 1961

Une nouvelle génération de Députés brise l'omerta dans l'hémicycle. Le combat contre les nostalgiques de la colonisation ne fait que commencer. La résolution reconnaissant et condamnant le massacre du 17 octobre 1961 à Paris, a été adoptée. Sabrina Sebaihi et ses collègues s'en félicitent.
De Paris, Omar HADDADOU
Comble de la traitrise, c'est d'écrire l'Histoire à sa guise !
Le chemin biaisé de la mémoire a donné du fil à retordre aux Historiens et aux peuples de débusquer le réel. La Gauche, notamment les groupes Ecologiste et Renaissance, menés par les Députées baroudeuses, Sabrina Sebaihi et Julie Delpech, a dû ferrailler ferme pour que la République regarde son passé en face.
La chape de plomb sur le massacre des manifestants Algériens (es), le 17 octobre 1961 à Paris, faisant plus de 200 morts, sous l'autorité du sinistre Préfet Maurice Papon, auteur de l'injonction : « Pour un coup reçu, vous en donnez 10 ! » se dissipe au fil des témoignages poignants.
En donnez 10 ! sous-entend « Tuez 10 ! ».
Aujourd'hui, l'outil de communication et sa force de frappe, contribuent activement et massivement à la prise de conscience des jeunes sur le passé colonial. La classe politique et l'Exécutif n'ont plus la main sur l'orientation de l'Histoire des peuples. Mais la responsabilité de l'Etat sous Vichy et l'enseignement de cet infâme épisode dans les manuels scolaires, restent comme des trous béants dans l'espace régalien.
Ramener la réalité à sa vraie dimension, tel est à présent le crédo de la Gauche française.
Un élan qui ulcère viscéralement l'opposition. En témoigne la résolution « condamnant la répression meurtrière et sanglante » des manifestants Algériens (es) le 17 octobre 1961, adoptée ce jeudi à l'Assemblée nationale à 67 contre 11 voix.
A la tribune, Sabrina Sebaihi, ne mâchait pas ses mots : « Il ne faut rien céder à ceux qui veulent écrire l'Histoire pour se racheter une conscience. On a voulu jeter un voile pudique sur cette part de notre Histoire » s'indigne -t-elle, avant de s'offusquer des officiers sanguinaires français, honorés sur la place de Paris.
Et la Députée Julie Delpech de la relayer : « Un voile d'omission a tenté de couvrir l'ampleur de cette tragédie. Le souvenir de cette journée reste gravé dans notre mémoire ».
Les Elus (es) dressent des rapports et des bilans glaçants.
Des constats battus en brèche, avec insolence et un condensé de racisme, par le Député du RN (Rassemblement national) : « Oui le FLN était un mouvement terroriste (hués), comme le HAMAS l'est aujourd'hui. En proposant cette résolution, vous (La Gauche) placez vos pas sur ceux d'Emmanuel Macron ! ».
En position de force, l'Homme devient l'oublieux de ses martyres d'hier. Les Algériens (es)des deux rives graveront dans le marbre le postulat suivant :
Les oppressés du III Reich sont devenus leurs oppresseurs ! Ironie de l'Histoire, une Légion d'Honneur leur est décernée.
Le carnage prémédité du 17 octobre a été sciemment couvert par les autorités de l'époque. Ni le Général de Gaule, ni le Premier ministre Michel Debré, ne reconnaitront la responsabilité de l'Etat. Ils se garderont même de pointer du doigt Maurice Papon, sommé à accomplir la sale besogne, celle d'étouffer impitoyablement la mobilisation pacifique des Indépendantistes algériens dans un bain de sang. Oui ? On a laissé faire le Préfet de police qui impudemment tonnait : « Mais la France tant que j'aurais un souffle, je n'y laisserai pas faire ! ».
Les « Français Musulmans d'Algérie », comme les nommait l'occupant, aspirant à l'autodétermination avaient répondu à l'appel du Front de Libération National (FLN).
Plus de 40. 000 Algériens et leurs familles, partis de la banlieue Est, se rassemblent à Paris pour protester contre le couvre-feu.
Le dispositif des CRS et des gendarmes (10.000), appelé ironiquement « Comité d'accueil », les prend en tenaille. On dénombre 12.000 arrestations. La répression est innommable ! Sur le pont de Neuilly, les Algériens (es) sont jetés dans la Seine et meurent par noyade. D'autres, dont des enfants et des femmes, seront criblés à bout portant de balles. Un grand nombre échappant à la mitraille, fera les frais de la ratonnade. S'en suivront des rafles et des internements dignes de la seconde Guerre mondiale.
Ceux qui ont l'Algérie en travers de la gorge, osent l'ineptie : « Nous n'avons pas à rougir de la Police nationale ! » meuglait le nostalgique de « l'Algérie française », Jean-Louis Arajol, Secrétaire Général du Syndicat de Police. Réclamant une revanche sur le FLN avec une police chauffée à blanc, Maurice Papon aura accompli la tâche exécrable de faucheur de vies, validant le Crime d'Etat.
Les auteurs de ce massacre ne seront jamais poursuivis en Justice !
O.H
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Gaza : derrière les massacres, les profiteurs de guerre

Certains y verraient une première inflexion. Tandis que le Canada décrète la fin des exportations d'armes vers Israël, les États-Unis portent au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution pour un « cessez-le-feu immédiat ». Après plus de cinq mois d'un conflit où les tueries de civils se sont produites à un rythme inédit au XXIè siècle, le temps de l'impunité est-il terminé pour Israël ?
21 mars 2024 | tiré de la lettre Le Vent se lève
Si l'opinion publique des pays nord-américains et européens semble chaque jour davantage en faveur d'une condamnation des bombardements israéliens, des intérêts économiques veillent à la préservation d'une bonne entente avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu. Au-delà des producteurs d'armes, qui profitent directement de la situation, une nébuleuse d'acteurs a intérêt au maintien du statu quo [1].
Les bombardements israéliens sur Gaza ont coûté la vie à plus de 30 000 Palestiniens – selon les chiffres officiels acceptés par les institutions internationales -, dont la grande majorité sont des civils. Parmi eux, au moins 19 000 femmes et enfants. Tandis que les représentants israéliens multipliaient les appels à l'épuration ethnique, l'Afrique du Sud portait une accusation de « génocide » contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ). Le 26 janvier, celle-ci statuait : il existe un « risque génocidaire », Israël pourrait enfreindre la Convention des Nations Unies sur le génocide. Les États qui le soutiennent militairement pourraient en être complices.
Les semaines suivantes, le gouvernement américain (ainsi que la grande majorité des européens) est demeuré un appui constant de Benjamin Netanyahu, malgré des déclarations inquiètes quant au sort des civils de Gaza. Son projet de résolution à l'ONU appelant à un « cessez-le-feu immédiat » marque peut-être un premier changement d'orientation – après cinq mois d'un soutien de facto inconditionnel.
« Je pense réellement que nous constaterons un bénéfice causé par la hausse des commandes sur l'ensemble de notre portefeuille. »
Greg Hayes, PDG de l'entreprise d'armement RTX, le 24 octobre, à propos des bombardements à Gaza
Entre-temps, l'administration Biden aura requis 14,3 milliards de dollars d'équipement militaire pour Israël – en plus des 3,8 milliards de dollars d'aide que les États-Unis concèdent déjà annuellement. Ce montant a été bloqué par le Congrès, mais Joe Biden l'a contourné à deux reprises en décembre 2023, pour imposer des ventes d'armes à Israël d'une valeur de plus de 200 millions de dollars.
De longue date, les opérations israéliennes sur Gaza sont une aubaine pour de nombreuses entreprises de défense basées aux États-Unis. Et elles ne s'en cachent pas. Selon Molly Gott et Derek Seidman, rédacteurs pour le média d'investigation Eyes on the Ties, cinq des six plus importants producteurs d'armes au monde sont basés aux États-Unis. Il s'agit de Lockheed Martin, Northrop Grumman, Boeing, General Dynamics et RTX (anciennement Raytheon). Sans surprise, elles ont vu leur cour en Bourse atteindre des sommets lorsque les bombardements israéliens sur Gaza ont commencé. Le lendemain des attentats du 7 octobre, il avait augmenté de 7 %.
Et les dirigeants de ces entreprises s'en sont publiquement réjouis. Évoquant le conflit lors d'une réunion datant du 24 octobre, le PDG de RTX, Greg Hayes, déclarait : « Je pense réellement que nous constaterons un bénéfice causé par la hausse des commandes sur l'ensemble de notre portefeuille. ». Le lendemain, le Directeur financier et Vice-président exécutif de General Dynamics, Jason Aiken, répondait à une question concernant les opportunités pour son entreprise : « La situation en Israël est terrible […] Mais si l'on considère le potentiel en termes de hausse de la demande, c'est probablement du côté de l'artillerie que cela aura lieu ».
Il ne fait aucun doute que ces armes sont directement utilisées pour commettre les crimes dont sont victimes les Palestiniens dans la bande de Gaza, ainsi que l'a rapporté Stephen Semler dans Jacobin. Elles incluent des missiles Hellfire, des obus d'artillerie et des fusils d'assaut, mais aussi du phosphore blanc, que Semler décrit comme « une arme incendiaire, capable de brûler à travers la chair, les os et même le métal ». Ce matériau est interdit d'utilisation à proximité des civils par le Protocole III des Conventions de Genève – et l'armée israélienne l'a utilisé à plusieurs reprises.
Mais au-delà des fournisseurs militaires, de nombreuses sociétés américaines ont d'importants investissements en Israël, et profitent directement du conflit – et de l'occupation de la Cisjordanie.
AU-DELÀ DE L'ARMEMENT
Parmi les entreprises basées aux États-Unis qui ont été visées par les campagnes de boycott, on trouve notamment l'entreprise d'informatique HP, le pétrolier Chevron et la société immobilière RE/MAX. HP fournit du matériel informatique à l'armée et la police d'Israël, ainsi que des serveurs à l'Autorité israélienne de l'immigration et de la population – une entité qui possède un rôle central dans l'occupation de la Cisjordanie, et le maintien d'un régime inégalitaire que de nombreuses associations et institutions onusiennes décrivent comme une forme d'apartheid.
Le géant de l'énergie Chevron extrait quant à lui du gaz revendiqué par Israël en Méditerranée orientale, et fournit à l'État israélien des milliards de dollars, afin de payer des licences de gaz. De plus, Chevron est impliqué dans le transfert illégal de gaz égyptien vers Israël, via un pipeline traversant la zone économique exclusive palestinienne à Gaza. Et potentiellement partie prenante du pillage, par Israël, des réserves de gaz palestiniennes en mer au large de la bande de Gaza – un crime de guerre en droit international.
En 2017, un rapport du Centre de recherche sur les entreprises multinationales (CREM), basé à Amsterdam, détaillait le rôle de la société Noble Energy dans la violation des droits des Palestiniens, en lien avec l'extraction de gaz en Méditerranée orientale – l'entreprise a été acquise par Chevron en 2020. Outre sa participation au blocus, qui empêche les autorités de Gaza d'avoir accès aux petites réserves de gaz au large de ses côtes, le CREM rapporte que ses activités d'extraction dans les champs gaziers israéliens pourraient également épuiser les réserves palestiniennes de gaz…
Les pétroliers ExxonMobil Corporation et Valero ne sont pas en reste par rapport à Chevron, et fournissent sans relâche du carburant aux bombardiers israéliens
« En ne faisant aucun effort pour s'assurer du consentement des Palestiniens, Noble Energy a manqué de se conformer aux Principes directeurs de l'OCDE pour les entreprises multinationales et aux Principes directeurs des Nations-unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme ». Le rapport poursuit : « L'entreprise a également pu contribuer à la violation du collectif à l'autodétermination. Si le gaz naturel palestinien était effectivement drainé […], on pourrait soutenir que Noble Energy a participé à un acte de pillage, en violation du droit humanitaire international et du droit pénal. »
RE/MAX commercialise quant à elle des propriétés dans les colonies israéliennes en Cisjordanie. Et a continué à le faire après les attentats du 7 octobre, alors que la violence des colons israéliens ne cessait de s'accroître.
D'autres entreprises américaines ont été désignées les mouvements de boycott : Intel, Google/Alphabet, Amazon, Airbnb, Expedia, McDonald's, Burger King et Papa John's, etc. Si leur affichage garantit des campagnes efficaces, elles ne sont que la partie émergée de l'iceberg. L'American Friends Service Committee (AFSC) maintient une liste plus complète des entreprises impliquées dans l'occupation de la Cisjordanie.
Parmi les cas particulièrement flagrants de complicité dans le processus de colonisation figure Caterpillar Inc., le géant de la construction, dont le bulldozer blindé D9 est fréquemment utilisé par l'armée israélienne pour détruire des maisons, des écoles et d'autres bâtiments palestiniens – ainsi que dans des attaques contre Gaza. En 2003, l'activiste américaine Rachel Corrie a été écrasée par l'un de ces bulldozers, « alors qu'elle tentait de défendre une maison palestinienne d'une démolition alors que la famille était encore à l'intérieur », selon l'AFSC.
Les pétroliers ExxonMobil Corporation et Valero ne sont pas en reste par rapport à Chevron, et fournissent sans relâche du carburant aux bombardiers israéliens. Motorola Solution Inc., l'entreprise de communications et de surveillance, fournit depuis longtemps la technologie de surveillance qu'Israël utilise pour surveiller les Palestiniens de Cisjordanie et sur les checkpoints de Gaza. La société de voyages et de tourisme TripAdvisor, quant à elle, est impliquée dans l'occupation d'une manière plus banale : comme Airbnb, elle fait office d'agent de réservation pour des propriétés dans des colonies et sur le plateau du Golan.
Selon le Bureau des représentants américains au commerce, en 2022, les États-Unis ont exporté pour pas moins de 20 milliards de dollars de biens et services vers Israël – soit 13,3 % des importations totales de ce dernier. Israël a exporté pour 30,6 milliards de dollars vers les États-Unis, un chiffre qui représente 18,6 % de toutes ses exportations. Le commerce et les investissements américains en Israël jouent un rôle significatif dans son économie israélienne, et constituent potentiellement un levier majeur.
Si le projet de résolution onusienne pour un cessez-le-feu porté par Joe Biden semble marquer une première inflexion diplomatique, nul doute que de puissants acteurs n'ont guère intérêt à cette issue pacifique.
Note :
[1] Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre : « The Obscene US Profiteering From Israeli War and Occupation ».

Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité

Préface de Coline Cardi : « Jusqu'à l'os »
au livre de Patricia Bouhnik : Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité
Tiré de Entre les ligne s et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/29/preface-de-coline-cardi-jusqua-los/
Avec l'aimable autorisation des Editions Syllepse
« Depuis toujours, sortir de sa cage a été accompagné de sanctions brutales […] C'est l'idée que notre indépendance est néfaste qui est incrustée en nous jusqu'à l'os1. »
Ce livre est une invitation au voyage dans les territoires obscurs de Paris, dans les plis et replis de la ville, dans les marges, les franges, les « angles morts » de l'espace public. Il est une invitation à regarder et à entendre celles qu'on ne veut pas voir : les femmes pauvres, jeunes ou vieilles, désaffiliées, qui vivent avec ou dans la rue. Trop souvent rendues muettes, réduites à des ombres, à des figures sombres et déviantes du féminin. Femmes « infâmes », a priori peu respectables, il s'agit de leur redonner forme et voix. Au-delà de la diversité de leurs trajectoires et de leur quotidien, « leur point commun, écrit Patricia Bouhnik, c'est l'absence de place, de qualités reconnues, de droits et de ressources ». Il s'agit alors de restituer une part à ces sans-part2, de rendre compte de la capacité de celles qu'on juge incapables, de compter les incomptées, rejetées aux bords de la ville comme du politique.
Les « vies périphériques, infimes et méprisées3 », quand elles se déclinent au féminin, continuent d'être « reléguées aux oubliettes ». Chercher à en rendre compte suppose alors d'explorer les « silences de l'histoire4 », de documenter les processus historiques et contemporains d'invisibilisation, voire de disparition – ces processus qui conduisent à ne plus voir ces femmes, à ne plus vouloir les voir.
Il faut remonter au 19e siècle, ce moment où les frontières de genre et les frontières de l'espace urbain sont politiquement redessinées et progressiment incorporées. La ville du 18e siècle, rappelle Arlette Farge, est bruyante, bouillonnante et marquée par la forte présence des femmes issues des milieux populaires5. Le 19e siècle opère un « grand nettoyage ». Les politiques hygiénistes contribuent à vider les rues des « indésirables », les plus pauvres, relégué.es aux marges, associé.es au risque. Dans cette ville moderne décrite par Georg Simmel ou Walter Benjamin, seuls sont autorisés les modèles du flâneur et de la flâneuse : ils « incarnent et portent ostensiblement un modèle de comportement auquel les membres des classes bourgeoises vont adhérer et dans lequel ils vont se reconnaître ». Cette nouvelle police de l'espace public et de la précarité est aussi une police du genre : les femmes qui occupaient les rues et les centres sont désormais assignées à la sphère « privée », à des fonctions de mères et d'épouses. « Ce siècle d'effacement d'une partie des femmes s'est accompagnée de la catégorisation et de la disqualification des contrevenantes : mendiantes, prostituées, vagabondes », rappelle Patricia Bouhnik.
Les pandémies, et celle, plus récente, de la Covid-19, n'ont fait qu'accélérer encore le processus. Les mesures de confinements ont crûment mis en lumière les inégalités sociales et les vulnérabilités. Elles ont aussi conduit celles et ceux qui vivent avec, de, ou dans la rue, à se cacher encore davantage. Et les femmes, là encore, ont payé le plus lourd tribut : dans les logements, elles ont assuré l'ensemble des tâches éducatives et domestiques. La coexistence des sphères d'activité pour les deux sexes aurait pourtant pu donner lieu à des configurations inédites et plus égalitaires. Au-dehors, les « femmes contraintes de vivre à la rue, d'y traîner, d'y stationner, faute d'espace et de ressources, sont toujours là, avec la nécessité de se faire plus discrètes que jamais ». Les glaneuses ne peuvent plus glaner, celles qui vivent de la prostitution ou de la mendicité sont obligées de se cacher davantage. Les modifications architecturales récentes liées à l'organisation des Jeux olympiques, couplées aux lois répressives sur l'immigration et les usages de drogues, repoussent les précaires, exilées, racisées, encore plus loin dans les coulisses de l'espace public urbain. Dans ce contexte, rester invisibles est un principe de survie : il ne faut pas donner prise. S'abriter du stigmate pour ne pas « faire tache dans le paysage ». Éviter les contrôles policiers. Se protéger des violences masculines, omniprésentes.
On compte trop peu les mortes à la rue et les sciences sociales ont joué un rôle dans ce processus de disparition. Ce livre oblige à en prendre la mesure. En dehors de la question prostitutionnelle, les recherches sur la dimension genrée des formes contemporaines de la désaffiliation et des modes de présence et d'existence dans les marges de l'espace public et urbain, sont récentes. Dans les travaux de sociologie urbaine ou de sociologie de la déviance, « le coin de la rue » a, pour l'essentiel, jusque-là désigné, un lieu de sociabilité masculine et de construction de masculinités populaires. On pense, bien sûr, à l'ouvrage de William Foote Whyte, Street Corner Society (1 943), auquel le titre de ce livre fait explicitement référence6. On n'y croise que des hommes, « des femmes ont pourtant toujours été là, au coin de la rue, à la fois diverses, cachées et proches ». Il s'agit dès lors de rompre avec cette forme d'aveuglement pour repenser ces espaces, en s'attardant sur les trajets, les trajectoires et le quotidien de femmes qui, elles aussi, les traversent, les habitent parfois. Cet ouvrage propose une cartographie nouvelle de la ville et de ses marges. « Je suis partie de ces disparitions-là pour tisser le fil des histoires, recouper les contextes et déterminants et tenter de restituer la force des expériences et capabilités engagées », écrit Patricia Bouhnik.
Rendre compte de ces « composantes silencieuses et masquée de la vie sociale », demande du temps : dix années de rencontres et d'échanges, d'« équipées ethnographiques » avec une trentaine de femmes qui vivent dans la rue, dans les quartiers du nord-est de Paris et de l'autre côté du périphérique. Prendre le temps, c'est aussi accepter d'être mise à distance, c'est attendre d'être autorisée, de respecter les distances imposées, c'est parler de soi, de ses trois enfants notamment, de sentir et de ressentir, les odeurs, le froid, de se retrouver parfois dans des formes d'incertitude morale. C'est les suivre dans les kilomètres parcourus au quotidien sans jamais s'imposer. Ou encore rester assise avec elles, sur un banc, à même le sol, dans une tente ou dans une ancienne boutique de vêtements où se retrouvent des femmes vieilles et pauvres – mosaïque de petits mondes.
Rendre compte de ces existences fragiles c'est aussi nommer ces femmes. Les catégories de l'action publique ou de l'analyse sociologique n'y suffisent pas. Les nommer, c'est les reconnaître, les identifier, leur redonner un prénom propre : Josiane, Monique, Solange, Cathy, Brigitte, Riyina, Awa, Farhia, Houda, Anita, Marie, Louise, Violette, Jenny, Coralie, Corinne, Océane, Pauline, Anita, Halima, Yuan, Iny. Leur redonner corps aussi. « Vous avez un mètre dans la tête », dit Solange à Patricia. En leur donnant forme et figure, l'écriture nous oblige à voir les corps et les manières d'occuper l'espace, au-delà des « marques d'infamies à même la peau ». Elles sont blondes, brunes, les cheveux déjà gris, noires, blanches, ridées, décharnées, rondes, en pantalon le plus souvent, les yeux rendus hagards par la prise de crack, ou au contraire toujours à l'affût. Certaines s'efforcent de prendre soin de ce corps, d'autres, au contraire, s'attachent à gommer tout signe de féminité, préfèrent ne pas se laver : l'odeur permet de tenir les autres à distance. Lutter s'apprend par corps.
En traçant ces portraits, ces « vies précaires au bord du monde commun », Patricia Bouhnik repense les processus de désaffiliation et de discrimination en articulant rapports de genre, de classe, de race, d'âge et de sexualité. Ces trajectoires de précarisation sont marquées par des mises à l'écart successives : ruptures familiales ou conjugales, perte d'emploi, placement des enfants, exil, expulsions. Les violences de genre y jouent un rôle central, dans les espaces domestiques comme à la rue. Elles n'ont pas osé porter plainte ou la police n'a pas voulu les entendre. Certaines ont frôlé la mort, elles ont réussi à partir, s'appauvrissant encore. D'autres vivent ces violences au quotidien, taillent une pipe contre une dose de crack. Le déclassement se mesure aussi à des formes successives de dépouillement. Partie avec trois valises dans lesquelles Cathy a rangé son passé, il ne lui en reste plus qu'une aujourd'hui. La vie entière de Coralie tient quant à elle dans un sac à dos. Awa et Fahria n'ont plus de sac du tout.
Leur rapport aux institutions est marqué d'ambivalences. Certaines, migrantes, réfugiées et sans papiers, sans droits et sans ressources, fuient les contrôles policiers. Pour les autres, c'est la crainte des services sociaux qui domine : éviter à tout prix le stigmate de « mauvaise mère » quand elles ont encore leur enfant à charge. Accepter de l'aide, c'est aussi prendre encore le risque d'être violentée, cette fois dans les centres d'hébergement mixtes, tant les structures liées au sans-abrisme n'ont pas été pensées pour les femmes. Aller à la rencontre des « filles du coin de la rue » suppose alors de donner des gages : Patricia Bouhnik leur rappelle régulièrement n'être ni travailleuse sociale, ni policière, ni bénévole dans une association.
Au sens strict du terme, ces femmes ne constituent pas une « population » ni un tout homogène. Toutes ne sont pas logées à la même enseigne, « leurs histoires et leurs modes d'inscription dans la ville sont disparates ». Là est une des grandes forces de cet ouvrage : il souligne les différences pour montrer comment le quotidien de la précarité est lui-même traversé par des inégalités, les rejoue même. Pour négocier leur place, pour ne pas perdre complètement la face, les femmes rencontrées tâchent sans cesse de se distinguer, de mettre à distance les stigmates. Elles mobilisent des figures féminines repoussoirs auxquelles il ne faudrait surtout pas être assimilées. Monique évite celles qu'elle considère comme « sans dignité ». Louise ne veut pas « passer pour une marginale ». Entretenir ces distinctions est vital. Cela fait partie des « microstratégies » qui « misent sur une habile utilisation du temps, des occasions qu'il présente et aussi des jeux qu'il introduit dans les fondations d'un pouvoir7 ». Pour les saisir, le regard sociologique se concentre sur l'infiniment petit, le difficilement dicible – condition nécessaire pour comprendre les capacités des « incapables ».
Patricia Bouhnik met ainsi en évidence l'important travail déployé par ces femmes pour survivre. Non marchand, non reconnu, invisible, il s'agit bien d'un travail. Que Ryana nomme d'ailleurs comme tel. Il concerne le corps au premier chef. Corps-ressource, il est aussi toujours menacé. Pour ne pas subir de violences supplémentaires, il s'agit de déployer des techniques, d'intérioriser de nouveaux codes corporels, d'être au monde. On les perçoit dans les manières de se vêtir, de parler, de se mouvoir, d'affirmer un possible usage de la violence pour se défendre. Le corps peut aussi constituer une monnaie d'échange. Il faut alors payer de sa personne, « la norme de domination et de servitude volontaire est pratiquée ici à l'amiable ». Pour d'autres, en prendre soin est un moyen de se maintenir dans un état de « femmes respectables8 ». Dans ce contexte, les atteintes corporelles et la maladie sont lourdes de conséquences : elles constituent un risque supplémentaire de déclassement pour ces femmes qui, par ailleurs, ont très peu accès aux soins.
Ce travail désigne aussi les systèmes de débrouille et de survie mis en place pour trouver des ressources mentales et matérielles pour soi et pour les autres. Travail au noir, services sexuels, ramassage d'objets dans les rues pour les revendre ensuite, vols, constituent le travail d'« interstices » . Il désigne également les manières d'habiter : les places choisies sur le trottoir, les tentes ou les caravanes sont savamment aménagées. Ces intérieurs parfaitement rangés permettent, malgré tout, de construire une forme de « chez-soi ». Comme ailleurs, le travail est aussi domestique et de care : « Les mères et les sœurs, dans ces configurations de précarité et de malheur quotidiennes, se trouvent en première ligne pour supporter les charges et se sacrifier pour la famille. » Même placés, les enfants restent omniprésents dans l'esprit de leur mère.
Les capacités des « incapables » se logent, enfin, au cœur des solidarités et des jeux d'interdépendance mis en place – formes fragiles et nécessaires de sororité quand il s'agit, ensemble, de « faire corps ». Au final, ce livre est politique : il rappelle avec force que les « filles du coin de la rue » font partie du monde commun.
Coline Cardi9
Patricia Bouhnik : Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité
https://www.syllepse.net/les-femmes-du-coin-de-la-rue-_r_22_i_1067.html
1. Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset, 2006.
2. Jacques Rancière, Aux bords du politique, Paris, Le Seuil, 1990.
3. Michel Foucault, « La vie des hommes infâmes », dans Dits et écrits III, Paris, Gallimard, 1994.
4. Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l'histoire, Paris, Flammarion, 1998.
5. Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au 18e siècle, Paris, Gallimard/Julliard, 1979.
6. William Foote Whyte, Street Corner Society : The Social Structure of an Italian Slum, Chicago, University of Chicago Press, 1943 (traduction française : Street Corner Society, Paris, La Découverte, 1995).
7. Michel de Certeau, L'invention du quotidien, t. 1 : Arts de faire, Paris, Gallimard, [1980] 1990, p. 63.
8. Beverley Skeggs, Des femmes respectables : classe et genre en milieu populaire, Marseille, Agone, 2015.
9. Sociologue, maîtresse de conférences à l'Université Paris 8 et chercheuse au Cresppa/CSU. Ses travaux portent sur la dimension genrée du contrôle social et de la régulation, notamment au travers des figures de la « délinquante » et de la « mauvaise mère ». Elle a codirigé, avec Geneviève Pruvost, l'ouvrage Penser la violence des femmes (Paris, La Découverte, 2012).
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Le « wokisme » n’existe pas

Le « wokisme » ne désigne pas un mouvement car nul ne s'en revendique ; à défaut d'être un phénomène identifiable, il est le mot par lequel on cherche à éloigner le débat sur le caractère systémique des injustices. Le procès du « wokisme » permet en réalité de disqualifier les minorités dans leurs revendications et participe à une offensive réactionnaire contre l'éveil (wokeness) de la société.
25 mars 2024 | texte tiré d'AOC.info
https://aoc.media/analyse/2024/03/24/le-wokisme-nexiste-pas/
L'idée de l'inexistence du « wokisme » paraîtra sans doute surprenante à nombre de lecteurs. On le comprend : livre après livre, tribune après tribune, des auteurs de toutes disciplines, des journalistes aussi, décrivent une nouvelle configuration idéologique dont il conviendrait d'examiner, toutes affaires cessantes, les redoutables effets. Le doute, ici exprimé, quant à sa réalité ne relève pourtant ni de la provocation, ni de la cécité. Je n'ignore évidemment pas l'existence de cas qui donnent crédit à l'hypothèse d'atteintes systématiques aux libertés d'expression et de création. Quel que soit leur véritable nombre, il est parfaitement légitime de s'en préoccuper : ces libertés sont au fondement de la démocratie et doivent être soigneusement préservées.
Le point de vue que je défends se construit, pour l'essentiel, autour de trois propositions.
La première est d'établir que l'hétéro-désignation manque sa cible, le « wokisme » supposé étant introuvable non seulement parce que nul ne se revendique d'un mouvement qui porterait ce nom, mais surtout parce que les traits supposés le définir sont tellement généraux qu'ils permettent de ranger sous la même dénomination des théories parfaitement distinctes. Je chercherai à établir la valeur de cette proposition en procédant à l'analyse critique de l'idéaltype du « wokisme », tel qu'il est décrit par l'un de ses adversaires les plus déterminés.
La deuxième proposition consiste à montrer que le champ indéfini d'extension de l'accusation tient à sa nature : elle ne vaut que par la fonction qu'elle remplit et n'a nullement pour objectif de décrire le réel. Il s'agit d'euphémiser, voire de nier, la réalité des discriminations ou, au moins, de ne pas reconnaître leur nature et leurs causes.
Enfin, face au caractère systémique des injustices, que celles-ci se situent dans le champ social, dans celui des rapports de sexe ou dans celui des identités raciales, il s'agira d'énoncer ce qu'exige l'éveil par rapport à celles-ci (la wokeness, celle-ci étant considérée comme l'indice d'un bon fonctionnement de la démocratie), tout en se montrant attentif aux ornières dans lesquelles elle pourrait se perdre.
Introuvable « wokisme »
Le terme de « wokisme » suggère l'existence d'un mouvement politique homogène chargé de propager l'idéologie woke. Celle-ci se déclinerait en de multiples sens, mais on choisira, afin d'essayer de la circonscrire, la caractérisation qu'en fait Pierre-Henri Tavoillot (l'un des organisateurs du fameux colloque sur la « déconstruction » qui s'est tenu à la Sorbonne en janvier 2022).
Le philosophe définit le « wokisme » par quatre éléments qui font système : « D'abord, l'idée que la réalité se définit essentiellement comme domination. […] Deuxièmement, le grand dominateur dans cette affaire, c'est l'Occident. C'est en lui que se condensent toutes les oppressions : celle de l'Europe sur le reste du monde (impérialisme), celle de l'homme blanc sur toutes les femmes (patriarcat), celle de l'industrie sur la nature (productivisme), celle des riches sur les pauvres (capitalisme). Troisième point : face à cette grande domination, on a l'impression d'une amélioration des choses : la décolonisation, l'émancipation féminine, l'antiracisme et autres types d'émancipation semblent acquis ; or, pas du tout, ce n'est qu'illusion. […] Et quatrième élément : il faut agir, il faut annuler, changer la langue, déboulonner les statues, modifier les livres… ».
L'intérêt de cette définition est qu'elle synthétise très correctement les principaux griefs, tout en évitant les caractérisations fragiles par des termes caricaturaux à volonté polémique. Il en est ainsi de celles qui voient dans le « wokisme » une nouvelle Inquisition, un totalitarisme en marche, un héritier du trotskisme ou encore une religion sans avenir (la synthèse étant une religion totalitaire dont les fidèles sont disposés à envoyer au goulag celles et ceux qui luttent pour les libertés d'expression et de création).
Pierre-Henri Tavoillot insiste préalablement sur la domination, afin de suggérer qu'il serait inexact de privilégier ce prisme pour comprendre la réalité sociale. C'est le premier moment du déni : l'idée que les rapports sociaux ne puissent être, dans leur totalité, appréhendés par la domination ne devrait pas conduire à nier son importance, ni même à la relativiser.
La conception de la liberté comme absence de domination, que privilégie le républicain critique, est en effet plus convaincante que celle qui la définit par l'absence d'interférence. L'exemple classique pour illustrer ce point de vue est celui de l'esclave qui a la chance d'avoir un maître bienveillant : restant soumis au pouvoir du maître, il n'est pas libre. L'illusion du libéral-conservatisme, acharné à relativiser la dimension de la domination, est de croire qu'il l'est.
Le deuxième trait définitionnel emprunte à la rhétorique bien connue du « fardeau de l'homme blanc » : non, l'Occident n'est pas réellement coupable de ce dont on l'accuse (impérialisme, patriarcat, capitalisme productiviste). L'accusation serait injustifiée car l'Occident, lieu où sont nées les Lumières, ne pourrait être tenu pour responsable des dévoiements de ses principes. Deuxième moment du déni : comme le souligne Suzanne Citron, la France n'a pas dérogé à ses principes, bien qu'elle fût la patrie des droits de l'homme mais parce qu'elle l'était.
Troisième trait : les choses s'améliorent et les « wokistes » sont indifférents à ces évolutions favorables. Indifférents ? Certainement pas, mais celles et ceux qui luttent pour l'émancipation considèrent en effet, à l'instar des révolutionnaires de 1789, qu'il reste beaucoup à faire : il suffit de penser à la persistance des inégalités salariales entre les sexes, la difficulté à voir aboutir judiciairement les plaintes pour viol, le niveau invraisemblablement élevé des féminicides, la non-reconnaissance des mérites des femmes dans la recherche, notamment en science (le cas de Rosalind Franklin est loin d'être une anomalie).
Enfin, quatrième trait, la volonté destructrice du « wokisme », qu'il s'agisse des œuvres d'art, de notre passé ou de notre langue. On reconnaît là l'une des accusations les plus communes, laquelle relève de la cancel culture. Mais, comme l'a souligné Laure Murat, « qui annule quoi ? »[1]. Si les mouvements #MeToo et Black Lives Matter ont souvent recours à la culture de l'annulation, c'est pour dénoncer des situations iniques et exiger des institutions qu'elles prennent leurs responsabilités en cessant d'honorer les personnes accusées d'actes racistes ou d'agressions sexuelles.
Plutôt que sur la dénonciation, il conviendrait d'insister sur la responsabilité, puisqu'il s'agit d'inviter ceux qui sont incriminés à assumer leurs propos, à se justifier, ce qui relève en définitive de la prise de conscience éthique. La cancel culture n'est donc souvent que le seul moyen, pour ceux et celles qui n'ont aucun pouvoir, d'exprimer leur indignation en attirant l'attention sur certains dysfonctionnements dont la société s'accommode si volontiers.
N'oublions pas que cancel culture est une « expression de la droite américaine adoptée par les néoconservateurs français pour mieux disqualifier les interpellations progressistes »[2]. Aux États-Unis, les déboulonnements de statues visent en priorité ce qui symbolise le pouvoir colonial, les suprématistes blancs, les confédérés et le racisme institutionnalisé.
Dans le contexte européen, l'interpellation faite aux musées sur l'origine de leurs collections, en majorité issues des conquêtes impérialistes, montre que la cancel culture, loin de nier l'histoire ou de faire preuve d'une « inculture » systématique, attire souvent notre attention sur les contradictions d'une société qui prône officiellement l'antiracisme et célèbre partout la violence des colons dans l'espace public. Laure Murat, citant Guerre aux démolisseurs de Victor Hugo, rappelle que c'est « l'État qui, le premier, “annule” ou détruit … car il détient seul le pouvoir de censure et de contrôle ». L'histoire se fait en érigeant des monuments tout autant qu'en les faisant tomber.
Dans le même sens, Philippe Forest, pourtant fort peu bienveillant à l'égard du « wokisme », ne voit pas à l'université ce que craignent les anti-« wokistes » : il dit n'avoir jamais assisté, au sein de son établissement, « à ces cas dont on fait grand bruit dans la presse ». Et il ajoute, « je ne dis pas qu'ils n'existent pas, mais aussi scandaleux qu'ils soient, je pense qu'on a tendance à en exagérer l'importance. C'est toujours les mêmes anecdotes qui tournent en boucle : la conférence de Sylviane Agacinski annulée, le collège Evergreen aux États-Unis, la tragédie grecque empêchée pour cause de “blackface”, le professeur congédié pour avoir montré à ses étudiants un extrait du Mépris de Godard… Quelle est l'ampleur véritable du phénomène ? À titre personnel, je n'ai jamais été confronté à ce wokisme radical ».
On constate que la thèse du système « wokiste » a bien du mal à trouver de solides fondements. D'autant que nombreux sont ceux qui, comme moi, sont considérés comme « wokistes » alors que les indices d'appartenance sont évanescents. Que l'on en juge par l'exposé rapide de mes convictions. Mon engagement anticolonialiste vaut, pour mes adversaires, adhésion à la mouvance décoloniale. Ma critique de la « laïcité de combat » est l'indice de mon choix en faveur du multiculturalisme, voire du communautarisme (la distinction étant sans importance pour la plupart des anti-« wokistes »). Mon adhésion au républicanisme critique est comprise comme anti-républicaine (comme si, seule, l'occurrence française était légitime). Mon souci de concilier laïcité et tolérance est perçu comme une concession à un régime de coopération (et non de séparation) entre l'État et les églises. Ma défense de l'universalisme, constante depuis les débuts de ma vie intellectuelle, ne vaut rien pour ceux qui, de l'instruction de son procès, déduisent sa définitive condamnation. Enfin, mon souci de tenir compte des processus de subalternisation des savoirs périphériques, c'est-à-dire l'intérêt accordé à la notion d'injustice épistémique, indiquerait mon mépris pour l'objectivité et, plus globalement, la volonté de relativiser la science, de contester son privilège dans l'accès public au savoir, autrement dit l'absolu contraire de ce que je pense.
Bref, l'universaliste, le rationaliste, le républicain disparaissent sous les amalgames qu'une paresse de la pensée présente comme des articles de foi, sans accorder la moindre attention à la complexité des choix.
À quoi sert l'anti-« wokisme » ?
La promotion académique et sociétale du « wokisme » entretient bien des similitudes avec les querelles qui l'ont précédée (sans pour autant avoir disparu), celles du politiquement correct et de l'islamo-gauchisme. Elles obéissent à une même logique de désignation d'un ennemi supposé, ennemi de l'intérieur mais complice de ceux qui, en dehors de la « civilisation occidentale », chercheraient à en saper les fondements. « Wokisme » permet donc de disqualifier l'ensemble des forces contestataires issues des populations minorisées, accusées, entre autres griefs, d'hypersensibilité. Le refus de rester indifférent devant l'oubli de nos principes suscite une vive réaction venue de milieux politiques et intellectuels divers, mais ayant en commun une conception exclusive de l'appartenance citoyenne.
Au sein d'une nation fortement sécularisée, et ayant fait de la laïcité sa religion civile, l'une des modalités principales de disqualification est de constituer, au sein de nos sociétés démocratiques, une religion nouvelle, généralement décrite comme sectaire. Et si l'opprobre ne suffit pas, on dira que cette religion est à visée totalitaire, voire que ses fidèles sont les agents du totalitarisme. Le caractère outrancier de ce diagnostic ne semble pas un obstacle à sa crédibilité, si l'on juge cette dernière au nombre de passages médiatiques des anti-« wokistes » les plus ardents.
Aussi, alors que les « wokistes » sont suspectés de croire en des choses qui défient le bon sens (non malgré l'absurdité de leurs croyances mais en raison même de cette absurdité, comme le souligne Jean-François Braunstein), est-il permis de se demander si la qualification du « wokisme » comme totalitarisme ne relève pas du même mécanisme, tant, pour ceux qui savent à quoi renvoie le concept, le jugement est en effet absurde. Absurde, mais aussi indécent : faudrait-il comprendre que les « wokistes » font régner la terreur sur les campus et participent au lynchage de ceux qui résistent à la religion « wokiste » ? On mesure l'indécence lorsque l'on sait ce que furent réellement les lynchages aux États-Unis.
Mais, revenons un instant à l'absurdité : elle est au fondement de la constitution de la catégorie « wokisme ». Le procédé est parfaitement décrit par Jean-Yves Pranchère : « Les Lumières ont existé, mais celui qui, en choisissant tel texte de Mercier sur les bibliothèques, tel texte de Diderot sur les rois qu'il faudrait étrangler avec les tripes des prêtres, expliquerait que les Lumières ont été un cas de « lumiérisme », et que le « lumiérisme » qui rassemble Voltaire et Rousseau, Montesquieu et Adam Smith, Kant et d'Holbach, Helvetius et Lessing, etc., est un totalitarisme qui veut expurger les bibliothèques, assassiner les savants, faire régner la terreur, promouvoir le cannibalisme (on imagine au passage une lecture de Montaigne qui dirait que Montaigne voulait nous apprendre à manger les petits enfants), celui-là devrait être tenu pour un histrion »[3]. C'est ainsi que procèdent les anti- « wokistes » lorsqu'ils se veulent constructeurs de concepts.
De cette offensive, qui déborde largement le terrain académique, il n'est pas interdit de penser que son objectif principal, conjointement poursuivi par le pouvoir politique et la droite universitaire, est de combattre l'influence des courants critiques au sein de la recherche en sciences sociales. Cette hypothèse est étayée par le fait que le procès en « wokisme » est instruit contre tous ceux qui remettent en question l'ordre établi, qui sont attentifs à la justice sociale, à la condition féminine et à celle des minorités racisées. Dans ce procès, les procureurs s'approprient parfois les thématiques (notamment en revendiquant leur attention aux injustices, aux inégalités ou aux discriminations) et le vocabulaire des accusés pour les vider de leurs sens.
Quelles sont les craintes des anti-« wokistes » ? Les plus courantes concernent la fragmentation de la nation (ou son émiettement), une nation au sein de laquelle règne « une atmosphère toujours plus servilement diversitaire et victimaire »[4]. La « tribalisation » de la République serait déjà une réalité, les élites se soumettant à la « tyrannie des minorités » et célébrant la « religion diversitaire » au sein de laquelle l'individu, réduit à son assignation identitaire, ne s'appartient plus et substitue l'émotion à la rationalité. On mobilise volontiers les invariants de l'universalisme incantatoire, celui qui confond le « même » et le « commun », qui proteste contre la prétendue sacralisation de l'altérité et s'indigne de la disparition de l'esprit critique au profit du « masochisme moralisateur ».
On alerte aussi sur les dangers de l'islamo-gauchisme, comme figure de l'ennemi intérieur. Cette accusation, généreusement utilisée, popularisée par les pouvoirs publics et relayée par quelques figures médiatiques notoires, laisse entendre que le rôle de l'État est de dire quels courants de pensée seraient acceptables. Procédé dont l'efficacité est douteuse car, comme le remarque François Dubet, « selon la vieille loi de la prédiction créatrice, ce procès fait advenir l'adversaire qu'il combat ». Pourtant, la suspicion d'islamo-gauchisme reste disponible, essentiellement en raison de la fonction qu'elle remplit.
Depuis l'invention du terme, son champ d'application semble ne plus connaître de limites. Sont en effet désignés les courants théoriques perçus comme anti-occidentaux ou encore anti-blancs, c'est-à-dire étrangers à la culture nationale : intersectionnalisme, postcolonialisme, décolonialisme, culture de l'annulation, féminisme « misandriste » et, bien évidemment, « wokisme ».
Gilles Bastin fournit la croustillante recette de ce qu'il nomme justement « boniment néo-républicain » : « Prenez un mot (si possible anglo-saxon, comme “woke”, mais un mot composé “islamo-gauchisme”, par exemple, fera l'affaire), agitez-le fortement dans les médias en le mélangeant à d'autres types de mots (“postcolonial” est idéal mais, si vous n'y pensez pas, “repentance” ou “cancel culture” iront très bien). Au bout d'un moment, vous le verrez enfler, se transformer, devenir un symptôme, puis une menace que vous pourrez finalement brandir pour effrayer l'opinion ». On ne saurait mieux décrire le phénomène de construction du soupçon.
À cet égard, l'instrumentalisation de la laïcité constitue une excellente illustration. Le maintien affiché d'une norme, le modèle français de laïcité, vise en réalité à en imposer une nouvelle, comme le souligne le titre même du rapport Baroin de décembre 2002, « Pour une nouvelle laïcité ». On y lit que la laïcité est contestée « par certaines populations immigrées, qui, issues d'une culture non laïque et non démocratique, ne perçoivent pas le sens de ce principe ». Traduction, on ne peut plus claire, de ce que Géraldine Bozec appelle un « nationalisme cognitif » de la part de ceux qui mettent en œuvre les politiques publiques[5]. La crise de la laïcité est imputée à la gauche parce qu'elle a « défendu les différences culturelles » et le « communautarisme ». Ce rapport, qui revendique un ethnocentrisme décomplexé, exprime, hélas, ce que, probablement, pensent une majorité de Français.
Une autre fâcheuse conséquence de cette manipulation de l'opinion publique doit être mentionnée : le recul du débat démocratique. La démocratie ne peut, sans risque pour sa survie, laisser prospérer le dégoût du vrai, et, plus généralement, l'indifférence quant à la science, méprisée pour sa vocation à l'universalisation de ses propositions. La démocratie étant, par nature, l'espace où s'échangent les raisons, la promotion du règne généralisé de la doxa, soit la sacralisation du relativisme cognitif au nom d'un pseudo-idéal démocratique selon lequel tout se vaudrait est, à coup sûr, un péril mortel.
De fait, la remise en cause de la valeur de l'objectivité et de la possibilité de la vérité prépare les esprits à accepter le procès en « wokisme », procès instruit dans un nombre de plus en plus grand d'ouvrages et d'articles qui cherchent à donner une consistance à une mouvance, dont, redisons-le, nul ne se revendique. Il n'est pas interdit de penser que les procureurs qui instruisent à charge ce procès représentent une authentique menace pour la démocratie. La wokeness, c'est précisément l'attention inquiète pour la défense des principes démocratiques.
Wokeness versus « wokisme »
Loin de la vision anti-« wokiste » du monde, je souhaite désormais examiner les exigences de la wokeness, autrement dit les conditions de l'émancipation.
L'émancipation peut être définie comme la volonté politique de se défaire de la situation de minorité à laquelle on est soumis. La tentation est grande de hiérarchiser les luttes et, par conséquent, de négliger celles fondées sur la reconnaissance au nom d'un primat sur celles ayant la redistribution pour horizon ou, bien sûr, de choisir la priorité inverse. Je pense, au contraire, que nous devons articuler les unes et les autres. Rechercher les conditions de cette articulation, c'est faire l'éloge de la complication, là où un universalisme incantatoire, lui-même actif dans la chasse aux « wokistes » (ceux-ci étant toujours accusés d'être anti-universalistes), continue de la tenir à distance.
Cet effort doit s'accompagner d'un autre, tout aussi important : être lucide sur les risques que l'exaltation identitaire fait courir à la cause défendue[6]. On ne peut sans péril emprunter les mêmes chemins que ceux de l'oppresseur. Si l'on souhaite que le « wokisme » reste un mythe, qu'il demeure introuvable, l'universalisme, en tant que tel, ne peut être relativisé.
Il peut en effet arriver que les dominés empruntent le vocabulaire, voire l'idéologie des dominants et revendiquent une essence, celle-là même à laquelle ils sont assignés. L'oubli de l'appartenance à une commune humanité se manifeste mécaniquement par le rejet de toute possibilité d'universalisation et, notamment, celle des propositions générales de la science. L'objectivité, la réalité, la vérité deviennent des catégories particulières liées à une histoire et/ou à une communauté. La wokeness, dans la perspective que nous défendons, doit se tenir à l'écart de ces ornières.
La victime a le droit d'être écoutée, et de l'être avant quiconque. Il est, de surcroît, inacceptable de ne pas la considérer comme fondée à décrire l'oppression de son propre point de vue. L'antiracisme ne peut ignorer les revendications fondées sur les situations particulières de racisation. Pour justifier cette position, il est fréquent de citer, à bon escient, Hannah Arendt : « Lorsqu'on est attaqué en tant que Juif, c'est en tant que Juif que l'on doit se défendre ; non en tant qu'Allemand, citoyen du monde, ou même au nom des droits de l'homme[7]. » Ne pas comprendre cette primauté d'un moment, c'est rester enfermé dans une conception décharnée de l'égalité, pour utiliser le vocabulaire de Césaire.
Faut-il pour autant emprunter au raciste les raisonnements servant à légitimer ses privilèges ?
La tentation de l'« essentialisme inversé », c'est-à-dire celle de la reproduction du processus raciste d'essentialisation, mais en inversant la hiérarchie qu'il instaure, doit être écartée. Elle avait d'ailleurs été fermement condamnée par Frantz Fanon dans les Damnés de la terre (chapitre sur « Les mésaventures de la conscience nationale »)[8].
Dans la perspective que nous défendons, elle contrevient à l'exigence centrale de ne pas privilégier une appartenance au détriment de toutes les autres. L'« essentialisme inversé », en n'accordant de l'importance qu'à la race, emprunte au racisme ses schémas de pensée. Cette essentialisation identitaire implique le refus de l'alliance, autrement dit elle prive l'autre de toute expression de solidarité (ou de critique). L'humanisme réel pourrait-il s'en accommoder ? La réponse est bien entendu dans la question.
Une pensée de l'éveil qui négligerait le ressort universaliste des luttes pour l'émancipation donnerait crédit à l'accusation de manichéisme, puisque la division dominants/dominés, au lieu d'être un moteur du changement, deviendrait l'essence du réel, autrement dit tiendrait l'histoire à distance. Elle serait alors conforme à la description de l'anti-« wokisme » : dès lors, elle deviendrait wokisme.
Mais, malgré les tentatives de nous persuader du contraire, la wokeness reste, pour l'essentiel, éloignée de cette dérive. On interprétera, par conséquent, l'anti-« wokisme » comme l'expression d'un désir d'oubli : celui d'un passé dont on s'emploie à réécrire l'histoire, de façon à ce qu'il apparaisse comme une sorte d'accident ou d'anomalie au regard de l'universalité de nos principes. L'expression aussi d'une forme d'aveuglement : on refuse d'admettre la persistance d'un racisme quotidien, lequel explique les profondes inégalités qui ont accompagné l'intégration des populations immigrées.
Les revendications identitaires, pour être combattues, doivent être comprises comme la conséquence d'un déficit, voire d'un déni, de reconnaissance, au lieu d'être stigmatisées comme l'indice d'une volonté de séparation. Ce déficit est sans doute la marque d'une insuffisante intégration de nos passés dans une histoire commune. Réjane Sénac souligne, à juste titre, « la persistance du déni des inégalités et des injustices comme structurant l'histoire et le présent de la société française ». Un véritable engagement républicain implique de « réarticuler les mémoires des souffrances humaines afin qu'elles deviennent toutes des éléments fondamentaux pour rebâtir le monde en commun »[9].
À l'opposé, ceux qui ont recours au mythe du « wokisme » fabriquent un épouvantail sur lequel concentrer la colère, et détournent de ce qui devrait réellement faire peur : la catastrophe écologique, le recul de la démocratie, la banalisation de l'extrême droite et la perspective, corrélative, qu'elle parvienne au pouvoir. Le « wokisme », à défaut d'être un phénomène identifiable, est le mot par lequel on cherche à éloigner le débat sur les questions liées aux discriminations et, peut-être surtout, comme Bourdieu l'avait pressenti, à l'immigration. Il serait heureux que l'on puisse, le plus tôt possible, voir en lui une invention lexicale sans postérité.
NDLR : Alain Policar publiera le 5 avril 2024 Le « wokisme » n'existe pas. La fabrication d'un mythe, aux éditions Le Bord de l'eau.
Alain Policar
POLITISTE, CHERCHEUR ASSOCIÉ AU CEVIPOF
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Le Québec et la guerre en Ukraine

Les guerres mondiales ont marqué profondément l'histoire du Québec. La Nouvelle-France est passée sous contrôle britannique lors de la guerre de Sept Ans. La crise de la Conscription de 1918 a remis la question de l'indépendance à l'ordre du jour, pour la première fois depuis la rébellion des Patriotes de 1837-1838.
Éditions du Renouveau québécois ; Nombre de pages : 222 ; Année de publication : 2023
https://lautjournal.info/publications/le-quebec-et-la-guerre-en-ukraine
Aujourd'hui, la guerre en Ukraine provoque un chamboulement complet de la géopolitique internationale et menace de dégénérer en conflit mondial. Les alliances militaires se recomposent et se raffermissent. Les budgets militaires explosent. Les États-Unis opèrent un découplage économique avec la Chine – particulièrement dans le domaine des matériaux stratégiques – et enrôlent les pays amis dans une économie de guerre camouflée sous la dénomination de « transition énergétique ».
Les ressources minières et énergétiques canadiennes et québécoises sont dans le collimateur de l'Oncle Sam. Le Canada et le Québec répondent présents en subventionnant à coups de dizaines de milliards les usines de la filière batteries. Une politique qui n'est pas sans lien avec la décision du gouvernement Legault d'augmenter de 50% le potentiel hydroélectrique du Québec.
Dès le déclenchement de la guerre, le Québec s'est rallié spontanément à l'Ukraine, sans examen approfondi des politiques qui ont mené à cette guerre. Ce recueil d'articles publiés dans L'aut'journal a pour objectif de combler cette lacune. Il propose une analyse de la guerre en Ukraine d'un point de vue québécois, en rupture avec l'alignement du Canada sur les politiques de l'Empire américain, et renoue avec la tradition pacifiste du peuple québécois