Presse-toi à gauche !
Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

Droit à l’information : Contre la raison d’État, solidarité avec Julian Assange

Les 20 et 21 février la Haute Cour britannique a examiné l'ultime appel du journaliste australien, persécuté depuis 2010, et embastillé à Londres à la suite de la réponse favorable donnée à la demande d'extradition vers les États-Unis où une peine de 175 ans de prison lui est promise.
La décision n'interviendra au plus tôt qu'au mois de mars. En cas de confirmation de l'extradition, ne resterait alors qu'un dernier recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme.
22 février 2024 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 696 |Crédit Photo
Wikimedia commons / Alisdare Hickson
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/droit-linformation-contre-la-raison-detat-solidarite-avec-julian-assange
La solidarité monte
Sans doute bien tardive, bien sûr trop timide encore, mais bien réelle : des rassemblements se sont tenus dans 19 villes en France mardi 20 février, 500 personnes à Paris, 300 à Bordeaux. Des rassemblements mensuels se tiennent comme à Metz. Cette solidarité doit encore s'affirmer. Elle sera un élément déterminant. L'enjeu est d'importance : le droit à l'information comme une des pièces centrales de la démocratie. La solidarité a aussi un enjeu immédiat, c'est la vie de celui qui a créé la plateforme Wikileaks en 2006 et qui nous a ainsi permis d'accéder à des infos très reprises, pleinement confirmées et de première importance. Il faut empêcher son extradition. Il faut arracher Julian Assange de la prison et des griffes de la CIA.
Julian Assange n'est pas un espion
Né en 1971, il est un journaliste pleinement de son temps. Il a grandi avec l'informatique et avec ses compagnons altermondialistes, il a expérimenté les possibilités nouvelles offertes par la révolution numérique. La présentation de Julian Assange en espion russe est au moins aussi crédible que celle que certains médias nous ont servie à propos des Gilets jaunes qui seraient des agents de Poutine ! Le partage et la fuite massive de métadonnées rendue possible par Wikileaks est au centre des débats. Edwy Plenel, dans un « parti pris » de 2020 posait très justement la question centrale de toute l'affaire : « le secret des pouvoirs doit-il l'emporter sur le droit de savoir ? »
Le droit de savoir
L'activité de J. Assange a été déterminante pour la révélation mondiale de la réalité de la guerre en Irak, en Afghanistan, la mise sous les projecteurs de la torture à Guantanamo, la révélation documentée de disparitions et de crimes d'État. Grâce à Wikileaks, les médias du monde entier ont pu écrire de manière irréfutable sur des corruptions et des fraudes fiscales massives, sur des mensonges d'État, sur des atteintes aux libertés fondamentales. Toute son activité, non seulement n'a aucun caractère criminel mais elle est totalement légitime et indispensable dans une perspective d'émancipation.
Pour le journalisme, pour le pluralisme
La défense déterminée de J. Assange ne vaut pas approbation de la ligne éditoriale de Wikileaks : notre combat contre le néolibéralisme autoritaire, contre le néofascisme implique le pluralisme. À l'heure du néolibéralisme autoritaire, de la menace néofasciste, nous avons besoin de débats informés pour construire l'alternative écosocialiste. Parce que son extradition serait une terrible régression, nous disons : « Pleine solidarité à Julien Assange ! »
Fernand Beckrich
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Il fait sombre avant l’aube, mais le colonialisme israélien touche à sa fin

Dans ce texte, Ilan Pappé analyse la difficulté croissante de légitimation de la logique d'extermination et de déshumanisation inhérente au colonialisme de peuplement mis en œuvre par le projet sioniste. Il la situe dans le cadre de la crise interne de la société israélienne et conclut à la fin de ce projet en tant qu'il s'incarne dans un État juif qui se veut à la fois démocratique et colonisateur. Mais la fin de ce projet est aussi un moment de danger maximal, qui voit se combiner une guerre génocidaire à Gaza et une escalade de violence en Cisjordanie. Face à cette catastrophe, l'auteur en appelle à l'élaboration de visions alternatives pour l'avenir de la Palestine, différentes du modèle occidental d'État-nation.
Tiré du site de la revue Contretemps.
Le sionisme comme colonialisme de peuplement
L'idée que le sionisme est un colonialisme de peuplement n'est pas nouvelle. Dans les années 1960, les universitaires palestiniens qui travaillaient à Beyrouth au centre de recherche de l'OLP avaient déjà compris que ce à quoi ils étaient confrontés en Palestine n'était pas un projet colonial classique. Ils ne considéraient pas Israël comme une simple colonie britannique ou américaine, mais comme un phénomène existant dans d'autres parties du monde, défini comme un colonialisme de peuplement.
Il est intéressant de noter que pendant 20 à 30 ans, la notion de sionisme en tant que colonialisme de peuplement a disparu du discours politique et universitaire. Elle est réapparue lorsque des universitaires d'autres régions du monde, notamment d'Afrique du Sud, d'Australie et d'Amérique du Nord, ont reconnu que le sionisme était un phénomène similaire au mouvement des Européens qui ont créé les États-Unis, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud. Cette idée nous aide à mieux comprendre la nature du projet sioniste en Palestine depuis la fin du 19e siècle jusqu'à aujourd'hui, et nous donne une idée de ce à quoi il faut s'attendre à l'avenir.
Je pense que cette idée particulière des années 1990, qui reliait si clairement les actions des colons européens, en particulier dans des endroits tels que l'Amérique du Nord et l'Australie, aux actions des colons venus en Palestine à la fin du 19e siècle, a permis d'élucider clairement les intentions des colons juifs qui ont colonisé la Palestine et la nature de la résistance palestinienne locale à cette colonisation. Les colons ont suivi la logique la plus importante adoptée par les mouvements coloniaux, à savoir que pour créer une communauté coloniale réussie en dehors de l'Europe, il faut éliminer les indigènes du pays où l'on s'est installé. Cela signifie que la résistance indigène à cette logique était une lutte contre l'élimination, et pas seulement une libération. Ce point est important si l'on pense à l'opération du Hamas et aux autres opérations de résistance palestinienne depuis 1948.
Les colons eux-mêmes, comme c'est le cas de nombreux Européens venus en Amérique du Nord, en Amérique centrale ou en Australie, étaient des réfugiés et des victimes de persécutions. Certains d'entre eux étaient moins malchanceux et cherchaient simplement une vie meilleure et de meilleures opportunités. Mais la plupart d'entre eux étaient des parias en Europe et cherchaient à créer une Europe dans un autre endroit, une nouvelle Europe, au lieu de l'Europe qui ne voulait pas d'eux. Dans la plupart des cas, ils ont choisi un endroit où quelqu'un d'autre vivait déjà, les peuples indigènes. Ainsi, le noyau le plus important parmi eux était constitué par leurs dirigeants et idéologues, qui ont fourni des justifications religieuses et culturelles à la colonisation de la terre d'autrui.
On peut ajouter à cela la nécessité de s'appuyer sur un empire pour commencer la colonisation et la maintenir, même si, à l'époque, les colons se sont rebellés contre l'empire qui les avait aidés et ont exigé et obtenu l'indépendance, qu'ils ont souvent obtenue et ont ensuite renouvelé leur alliance avec l'empire. La relation anglo-sioniste qui s'est transformée en alliance anglo-israélienne en est un exemple.
L'idée que l'on peut expulser par la force les habitants du pays que l'on veut est probablement plus compréhensible – et non justifiée – dans le contexte des 16e, 17e, et 18e siècles, parce qu'elle allait de pair avec une approbation totale de l'impérialisme et du colonialisme. Elle a été alimentée par la déshumanisation commune des autres peuples non occidentaux et non européens. Si vous déshumanisez les gens, vous pouvez plus facilement les éliminer.
La particularité du sionisme en tant que mouvement colonial de peuplement est qu'il est apparu sur la scène internationale à une époque où, partout dans le monde, on commençait à s'interroger sur le droit de supprimer les peuples indigènes, d'éliminer les indigènes et les peuples autochtones, et de ne pas se préoccuper de leurs droits. Nous pouvons donc comprendre les efforts et l'énergie déployés par les sionistes et, plus tard, par l'État d'Israël pour tenter de dissimuler le véritable objectif d'un mouvement de colonisation tel que le sionisme, à savoir l'élimination de la population autochtone.
Une extermination désormais sans fard. Pourquoi ?
Mais aujourd'hui, à Gaza, ils éliminent la population autochtone sous nos yeux, alors comment se fait-il qu'ils aient presque abandonné 75 ans de tentatives de dissimuler leurs politiques d'élimination ? Pour comprendre cela, nous devons apprécier la transformation de la nature du sionisme en Palestine au fil des ans.
Aux premiers stades du projet colonial sioniste, ses dirigeants menaient leurs politiques d'élimination avec une véritable tentative de résoudre la quadrature du cercle en prétendant qu'il était possible de construire une démocratie tout en éliminant la population autochtone. Le désir d'appartenir à la communauté des nations civilisées était très fort et les dirigeants ont supposé, en particulier après l'Holocauste, que les politiques d'élimination n'excluraient pas Israël de cette association.
Pour résoudre cette quadrature du cercle, les dirigeants ont insisté sur le fait que leurs actions d'élimination contre les Palestiniens constituaient des « représailles » ou une « réponse » aux actions palestiniennes. Mais très vite, lorsque ces dirigeants ont voulu passer à des actions d'élimination plus substantielles, ils ont abandonné le faux prétexte des « représailles » et ont simplement cessé de justifier ce qu'ils faisaient.
À cet égard, il existe une corrélation entre la manière dont le nettoyage ethnique s'est déroulé en 1948 et les opérations menées par Israël à Gaza aujourd'hui. En 1948, les dirigeants ont justifié chaque massacre commis, y compris le tristement célèbre massacre de Deir Yassine le 9 avril [de cette année 1948], comme une réaction à une action palestinienne : il pouvait s'agir de jeter des pierres sur un bus ou d'attaquer une colonie juive, mais cela devait être présenté à l'intérieur et à l'extérieur comme quelque chose qui ne sort pas de nulle part, comme de l'autodéfense. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'armée israélienne s'appelle « Forces de défense israéliennes ». Mais parce qu'il s'agit d'un projet colonial de colonisation, elle ne peut pas toujours compter sur des « représailles ».
Les forces sionistes ont commencé le nettoyage ethnique pendant la Nakba en février 1948. Pendant un mois, toutes ces opérations ont été présentées comme des représailles à l'opposition palestinienne au plan de partage de l'ONU de novembre 1947. Le 10 mars 1948, les dirigeants sionistes cessent de parler de représailles et adoptent un plan directeur pour le nettoyage ethnique de la Palestine.
De mars 1948 à la fin de 1948, le nettoyage ethnique de la Palestine qui a conduit à l'expulsion de la moitié de la population palestinienne, à la destruction de la moitié de ses villages et à la désarabisation de la plupart de ses villes, a été réalisé dans le cadre d'un plan directeur systématique et intentionnel de nettoyage ethnique. De même, après l'occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en juin 1967, chaque fois qu'Israël a voulu changer fondamentalement la réalité ou s'engager dans une opération de nettoyage ethnique à grande échelle, il s'est passé de justification.
Nous assistons aujourd'hui à un schéma similaire. Au début, les actions ont été présentées comme des représailles à l'opération Déluge al-Aqsa, mais maintenant c'est l'offensive appelée « épée de guerre » qui vise à ramener Gaza sous le contrôle direct d'Israël, mais en nettoyant ethniquement sa population par une campagne de génocide.
La grande question est de savoir pourquoi les hommes politiques, les journalistes et les universitaires occidentaux sont tombés dans le même piège qu'en 1948. Comment peuvent-ils encore aujourd'hui adhérer à l'idée qu'Israël se défend dans la bande de Gaza ? Qu'il réagit aux actions du 7 octobre ? Ou peut-être ne tombent-ils pas dans le piège. Ils savent peut-être que ce qu'Israël fait à Gaza utilise le 7 octobre comme prétexte.
Quoi qu'il en soit, jusqu'à présent, la revendication d'un prétexte par Israël chaque fois qu'il agresse les Palestinien.ne.s a aidé cet État à maintenir le bouclier d'immunité qui lui a permis de poursuivre ses politiques criminelles sans craindre de réaction significative de la part de la communauté internationale. Le prétexte a contribué à accentuer l'image d'Israël comme faisant partie du monde démocratique et occidental, et donc à l'abri de toute condamnation et de toute sanction. Tout ce discours sur la « défense » et les « représailles » est important pour le bouclier immunitaire dont Israël bénéficie de la part des gouvernements du Nord.
Mais comme en 1948, aujourd'hui encore, Israël poursuit son opération, se passe de prétexte, et c'est à ce moment-là que même ses plus grands soutiens éprouvent des difficultés à approuver ses politiques. L'ampleur des destructions, des massacres à Gaza, du génocide, est telle que les Israéliens ont de plus en plus de mal à se persuader eux-mêmes que ce qu'ils font est en fait de l'autodéfense ou de la réaction. Il est donc possible qu'à l'avenir, de plus en plus de gens aient du mal à accepter cette explication israélienne du génocide à Gaza.
Pour la plupart des gens, il est clair que ce qu'il faut, c'est un contexte et non un prétexte. Historiquement et idéologiquement, il est très clair que le 7 octobre est utilisé comme prétexte pour achever ce que le mouvement sioniste n'a pas pu achever en 1948.
En 1948, le mouvement de colonisation sioniste a utilisé un ensemble particulier de circonstances historiques que j'ai décrites en détail dans mon livre Le nettoyage ethnique de la Palestine, afin d'expulser la moitié de la population de la Palestine. Comme je l'ai dit, au cours de ce processus, ils ont détruit la moitié des villages palestiniens, démoli la plupart des villes palestiniennes, et pourtant la moitié des Palestinien.nes sont restés à l'intérieur de la Palestine. Les Palestinien.nes qui sont devenus des réfugiés en dehors des frontières de la Palestine ont poursuivi la résistance. De ce fait, l'idéal colonial des colons d'éliminer les autochtones n'a pas été atteint et, progressivement, Israël a utilisé tout son pouvoir – de 1948 à aujourd'hui – pour poursuivre l'élimination des autochtones.
De son début à son achèvement, l'élimination de l'autochtone ne se limite pas à une opération militaire consistant à occuper un lieu, à massacrer des gens ou à les expulser. L'élimination doit être justifiée ou devenir une inertie et le moyen d'y parvenir est la déshumanisation constante de ceux que vous avez l'intention d'éliminer. On ne peut pas tuer massivement des gens ou commettre un génocide contre un autre groupe humain sans le déshumaniser. Ainsi, la déshumanisation des Palestinien.nes est un message explicite et implicite transmis aux Juifs israéliens par le biais de leur système éducatif, de leur système de socialisation dans l'armée, des médias et du discours politique. Ce message doit être transmis et maintenu si l'on veut que l'élimination soit complète.
L'échec du projet sioniste
Nous assistons donc à une nouvelle tentative particulièrement cruelle d'achever l'élimination. Et pourtant, tout n'est pas désespéré. En fait, ironiquement, cette destruction inhumaine de Gaza met en évidence l'échec du projet colonial du sionisme. Cela peut sembler absurde, car je décris un conflit entre un petit mouvement de résistance, le mouvement de libération palestinien, et un État puissant doté d'une machine militaire et d'une infrastructure idéologique qui se concentre uniquement sur la destruction du peuple autochtone de Palestine.
Ce mouvement de libération n'a pas d'alliance forte derrière lui, alors que l'État auquel il est confronté bénéficie d'une alliance puissante – des États-Unis aux multinationales, en passant par les sociétés de sécurité de l'industrie militaire, les médias et les universités mainstream. Nous parlons de quelque chose qui semble presque désespéré et déprimant parce qu'en face il y a cette immunité internationale pour les politiques d'élimination qui commencent dès les premiers stades du sionisme et se poursuivent jusqu'à aujourd'hui. Ce sera probablement le pire chapitre de la tentative israélienne de pousser les politiques d'élimination à un niveau inédit, dans un effort beaucoup plus concentré de tuer des milliers de personnes en peu de temps, comme ils n'ont jamais osé le faire auparavant.
Alors comment cela peut-il être aussi un moment d'espoir ? Tout d'abord, ce type d'entité politique, d'État, qui doit maintenir la déshumanisation des Palestiniens afin de justifier leur élimination est une base très fragile si l'on se projette dans un avenir plus lointain. Cette faiblesse structurelle était déjà apparente avant le 7 octobre et une partie de cette faiblesse réside dans le fait que si l'on exclut le projet d'élimination, il y a très peu de choses qui unissent le groupe de personnes qui se définissent comme la « nation juive » en Israël.
Si l'on exclut la nécessité de combattre et d'éliminer les Palestinien.nes, on se retrouve avec deux camps juifs en guerre, que nous avons vus s'affronter dans les rues de Tel-Aviv et de Jérusalem jusqu'au 6 octobre 2023. D'immenses manifestations ont opposé des juifs laïques, celles et ceux qui se décrivent comme tels – pour la plupart d'origine européenne – qui croient qu'il est possible de créer un État démocratique pluraliste tout en maintenant l'occupation et l'apartheid à l'égard des Palestinien.nes à l'intérieur d'Israël -, à un nouveau type de sionisme messianique qui s'est développé dans les colonies juives de Cisjordanie, ce que j'ai appelé ailleurs l'État de Judée, qui est soudainement apparu parmi nous, croyant qu'ils ont maintenant un moyen de créer une sorte de théocratie sioniste sans aucune considération pour la démocratie, et croyant que c'est la seule vision d'un futur État juif.
Il n'y a rien de commun entre ces deux visions à part une chose : les deux camps se moquent des Palestinien.nes, les deux camps croient que la survie d'Israël dépend de la poursuite des politiques d'élimination à l'égard des Palestinien.nes. Cela ne tiendra pas la route. Il va se désintégrer et imploser de l'intérieur parce qu'il est impossible, au 21e siècle, de maintenir un État et une société sur la base d'un sentiment d'appartenance commun qui fait partie d'un projet génocidaire d'élimination. Cela peut certainement fonctionner pour certain.es, mais pas pour tou.tes.
Nous en avons déjà vu les signes avant le 7 octobre, lorsque des Israélien.nes qui ont des opportunités dans d'autres parties du monde en raison de leur double nationalité, de leurs professions et de leurs capacités financières, envisagent sérieusement de délocaliser leur argent et leur personne en dehors de l'État d'Israël. Ce qui restera, c'est une société économiquement faible, dirigée par ce type de fusion entre le sionisme messianique, le racisme et les politiques d'élimination des Palestinien.nes.
Oui, au début, l'équilibre des forces est du côté de l'élimination et non des victimes de l'élimination, mais l'équilibre des forces n'est pas seulement local, il est régional et international, et plus les politiques d'élimination sont oppressives (c'est terrible à dire mais c'est vrai), moins elles peuvent être couvertes comme une « réponse » ou des « représailles » et plus elles sont perçues comme une politique de génocide brutal. Il est donc moins probable que l'immunité dont jouit Israël aujourd'hui se poursuive à l'avenir.
Je pense donc qu'en ce moment très sombre, ce que nous vivons – et c'est un moment sombre parce que l'élimination des Palestinien.nes est passée à un niveau supérieur – est sans précédent. En termes de discours employé par Israël, d'intensité et d'objectif des politiques d'élimination, il n'y a pas eu une telle période auparavant dans l'histoire, c'est une nouvelle phase de la brutalité contre les Palestinien.nes. Même la Nakba, qui a été une catastrophe inimaginable, n'est pas comparable à ce que nous voyons aujourd'hui et à ce que nous allons voir dans les prochains mois. Je pense que nous sommes dans les trois premiers mois d'une période de deux ans qui verra les pires horreurs qu'Israël puisse infliger aux Palestiniens.
Mais même dans ce moment sombre, nous devrions comprendre que les projets coloniaux qui se désintègrent utilisent toujours les pires moyens pour tenter de sauver leur projet. C'est ce qui s'est passé en Afrique du Sud et au Sud-Vietnam. Je ne dis pas cela comme un vœu pieux, ni comme un activiste politique : je le dis en tant que spécialiste d'Israël et de la Palestine, avec toute la confiance que m'inspirent mes qualifications scientifiques. Sur la base d'un examen professionnel sérieux, j'affirme que nous assistons à la fin du projet sioniste, cela ne fait aucun doute.
Ce projet historique est arrivé à son terme et c'est un terme violent – de tels projets s'effondrent généralement de manière violente. C'est donc un moment très dangereux pour les victimes de ce projet, et les victimes sont toujours les Palestinien.nes ainsi que les Juif.ve.s, parce que les Juif.ve.s sont également victimes du sionisme. Ainsi, le processus d'effondrement n'est pas seulement un moment d'espoir, c'est aussi l'aube qui se lève après l'obscurité, c'est la lumière au bout du tunnel.
Un tel effondrement produit cependant un vide. Le vide apparaît soudainement ; c'est comme un mur qui s'érode lentement en se fissurant, mais qui s'effondre en un court instant. Et il faut être prêt pour de tels effondrements, pour la disparition d'un État ou la désintégration d'un projet de colonisation. Nous avons vu ce qui s'est passé dans le monde arabe, lorsque le chaos du vide n'a pas été comblé par un projet constructif et alternatif ; dans ce cas, le chaos continue.
Une chose est claire : quiconque réfléchit à l'alternative à l'État sioniste ne doit pas chercher en Europe ou en Occident des modèles susceptibles de remplacer l'État qui s'effondre. Il existe de bien meilleurs modèles locaux, hérités du passé récent et plus lointain du Machrek (la Méditerranée orientale) et du monde arabe dans son ensemble. La longue période ottomane possède de tels modèles et héritages qui peuvent nous aider à tirer des idées du passé pour envisager l'avenir.
Ces modèles peuvent nous aider à construire un type de société très différent qui respecte les identités collectives ainsi que les droits individuels, et qui est construit à partir de zéro comme un nouveau type de modèle qui bénéficie de l'apprentissage des erreurs de la décolonisation dans de nombreuses parties du monde, y compris dans le monde arabe et en Afrique. Il faut espérer que cela créera un nouveau type d'entité politique qui aura un impact énorme et positif sur le monde arabe dans son ensemble.
*
Ilan Pappé est un historien israélien antisioniste, professeur à l'Université d'Exeter, directeur du Centre européen pour les études palestiniennes, et un soutien de la lutte de libération du peuple palestinien. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Les dix légendes structurantes d'Israël (Paris, Nuits Rouges, 2022) et Le nettoyage ethnique de la Palestine (nouvelle édition à paraître en mai aux éditions La fabrique).
Ce texte a initialement été publié ici le 1er février 2024 et repris en français sur le site Znet. Traduction révisée et intertitres de Contretemps.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Au Sri Lanka, les femmes premières victimes du FMI et de la microfinance

Réunion annuelle du CADTM Asie du Sud
Pendant la réunion annuelle du CADTM Asie du Sud, qui s'est tenue à Katmandou (Népal), les mardi 13 et mercredi 14 février 2024, Amali Wedagedara, Nalini Ratnarajah et Balasingham Skanthakumar ont analysé la situation politique, économique, sociale du Sri Lanka. Bientôt deux ans après le soulèvement populaire (Aragalaya) qui avait abouti à la fuite de l'ancien président Gotabaya Rajapaksa, le FMI et les instituts de microfinance font peser le poids de leurs choix sur les Sri-Lankaises et les minorités.
Tiré du CADTM infolettre , le 2024-03-01
https://www.cadtm.org/Au-Sri-Lanka-les-femmes-premieres-victimes-du-FMI-et-de-la-microfinance
26 février par Balasingham Skanthakumar , Amali Wedagedara , Nalini Ratnarajah , Maxime Perriot
Amali Wedagedara
Printemps 2022 : notamment à cause de chocs extérieurs comme la pandémie de Covid-19 ou l'agression de l'Ukraine par la Russie, le Sri Lanka se retrouve en manque criant de devises extérieures pour importer les produits de base. Il doit faire face à des pénuries, de pétrole notamment et fait défaut sur sa dette extérieure. Les prix des produits de premières nécessités explosent. S'ensuit une insurrection populaire exceptionnelle qui aboutit, comme précisé au-dessus, à la fuite du Président Rajapaksa, représentant d'une famille omniprésente dans les sphères de pouvoir. Il est remplacé par son ancien premier ministre, Ranil Wickremesinghe, qui, dès septembre 2022, commence à négocier avec le Fonds monétaire international le 17e accord de l'Histoire du pays. Il met également en place une répression extrême sur tout type de manifestation – il est aujourd'hui interdit de manifester de manière non statique au Sri Lanka – et sur toutes les formes d'expressions critiques sur les réseaux sociaux.
Pour obtenir les prêts d'urgence du FMI – débloqués petit à petit par tranche de 330 millions de dollars pour atteindre 3 milliards au total – il a appliqué sans broncher les conditionnalités de l'institution de Bretton Woods. Au programme, baisse des budgets de l'éducation, de la santé, attaque sur le droit du travail, baisse des subventions sur les produits de première nécessité, hausse de la TVA… La crise économique et l'inflation, qui frappaient déjà de plein fouet les classes les plus populaires du pays, ont été considérablement accentuées par le FMI. Les dépenses quotidiennes n'ont fait qu'augmenter depuis deux ans et la population est exsangue. Exemple : la population sri-lankaise est confrontée au prix de l'électricité le plus élevé de toute l'Asie du Sud. Et celui-ci continue à augmenter.
La crise de la dette publique et les conditionnalités du FMI font tache d'huile sur la dette privée, sur la dette des ménages : 54% des ménages sri-lankais sont endettés. C'est aussi eux qui supportent la restructuration de la dette intérieure. En effet, les fonds de pension sri lankais qui ont daigné restructurer une partie de la dette du Sri Lanka qu'ils possédaient se remboursent en réduisant les pensions de la population, particulièrement des plus pauvres. Comme d'habitude, le capital s'en tire à bon compte et c'est la majorité de la population, et particulièrement les classes les plus populaires, les minorités et les femmes, qui paient au prix fort et sur leurs besoins essentiels les crises de la dette publique.
Les femmes et les minorités sont les premières victimes des politiques du FMI
Nalini Ratnarajah
Les mesures du FMI ont un impact considérable sur la nutrition des femmes et sur les conditions des accouchements
Nalini Ratnarajah a montré en quoi les femmes et les minorités sont les premières à subir les politiques d'austérité dictées par le FMI.
Les baisses des budgets imposés notamment dans la santé par l'institution financière internationale affectent le système de sécurité sociale, et donc l'accès des femmes et des personnes marginalisées – qui ne peuvent pas se rendre dans les hôpitaux privés – à l'hôpital public et aux médicaments. Ces mesures touchent notamment les conditions d'accouchements des femmes, ainsi que la qualité de leur nutrition, qui est considérablement affectée.
De plus, les violences sexistes et sexuelles augmentent quand la situation économique se dégrade et que l'État se retire. La situation du foyer devient beaucoup plus compliquée et les violences patriarcales ont tendance à se faire plus nombreuses.
Précisons également que les femmes sont les premières à rembourser la dette via leur travail dans les plantations de thé, les taxes qu'elles paient, ou encore leurs envois d'argent depuis les pays du Golfe. Ces trois éléments fournissent des devises ou des revenus au gouvernement pour rembourser la dette extérieure.
Nalini Ratnarajah a également rappelé la croissance de la haine anti-musulman·es, projetée contre les Tamouls. Celle-ci est accentuée par l'influence du pouvoir indien raciste de Modi sur le Sri Lanka.
Microfinance au Sri Lanka : le capital gagne du terrain
Une nouvelle loi a tout simplement interdit les pratiques de prêts traditionnelles, permettant aux institutions de microfinance de gagner toujours plus de terrain
À l'instar des politiques promues par le Fonds monétaire international, les institutions de microfinance poussent des millions de femmes dans le surendettement. En 2018, les taux d'intérêt pratiqués par le secteur de la microfinance ont atteint jusqu'à 220%, provoquant des manifestations importantes des femmes victimes de la microfinance abusive. Celles-ci réclamaient l'annulation de leurs dettes, clamant qu'elles avaient déjà remboursé plusieurs fois compte tenu des taux d'intérêt complètement fous qu'elles ont dû payer.
Sur les 2,4 millions de personnes (dont 2,3 millions de femmes) pris dans le piège de la microfinance, plusieurs milliers ont fait défaut sur leur dette. Dans un contexte préélectoral, le gouvernement a presque encouragé ces femmes à arrêter les paiements et a compensé les pertes des institutions de microfinance avec de l'argent public. Le gouvernement a donc socialisé les pertes de ces institutions financières, comme les États européens l'ont fait avec les banques pendant la crise financière de 2008-2010.
Au moment de l'arrivée de la pandémie de Covid-19, les mobilisations des femmes victimes de microfinance abusive ont logiquement décliné. Celles-ci ont essayé de se rabattre sur des pratiques traditionnelles de prêts entre femmes – les « tontines » en français. Cette pratique réunit un groupe de femmes qui se prêtent à tour de rôle pour des projets conséquents. C'était sans compter sur l'État sri-lankais, qui, via une nouvelle loi, a tout simplement interdit ces formes de prêts !
Cette loi a rendu illégales les pratiques traditionnelles car elle a interdit à quiconque de prêter sans être enregistré·e sur un registre officiel. C'est un cadeau énorme fait au capital et aux institutions de microfinances qui gagnent encore du terrain au détriment de femmes qu'elles poussent dans le surendettement, parfois jusqu'au suicide.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Iran : des législatives “vides de sens” snobées par les réformateurs et boudées par les électeurs

Les élections prévues le vendredi 1er mars se joueront uniquement entre conservateurs, le camp réformateur ayant décidé de ne pas présenter de candidats. Un boycott à peine voilé, doublé du risque d'une très faible participation, alors que le pouvoir fait déjà face à une crise de légitimité, expliquent les médias iraniens.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Une urne symbolique pour les élections parlementaires iraniennes dans une rue de Téhéran, le 26 février 2024. Photo Wana News Agency/Reuters
Depuis des semaines, les dirigeants du régime iranien exhortent les 61 millions d'électeurs à se rendre, le vendredi 1er mars, dans les bureaux de vote afin d'élire leurs 290 représentants au Parlement pour un nouveau mandat de quatre ans. Plongée dans une crise économique aiguë et ayant déjà connu un soulèvement populaire inédit l'an dernier à la suite de la mort de la jeune Kurde Mahsa Amini, la République islamique fait face à un enjeu crucial, d'autant que le précédent scrutin, en 2020, a été marqué par un fort recul du taux de participation. Seuls 42,6 % des électeurs avaient voté, soit le plus faible pourcentage depuis la révolution islamique, en 1979.
Selon le dernier sondage mené par le gouvernement et relayé par le quotidien Etemad, la participation définitive dans l'ensemble du pays risque de ne pas dépasser les 36 %, tandis qu'à Téhéran, la capitale, elle devrait atteindre seulement 18 %. Lancée le jeudi 22 février, la campagne électorale reste, pour le moment, très discrète.

“Il semble que même certains groupes conservateurs n'aient aucun espoir de voir un taux de participation élevé aux prochaines élections”, confie le journal.
Un désintérêt croissant
Le “manque de confiance dans les autorités”, la “corruption dans les sphères supérieures du système” politique du pays, l'“indifférence des parlementaires aux protestations”, ainsi que la “passivité des députés sur la question de l'amélioration des conditions de vie” de la population sont les principales raisons du désintérêt des Iraniens pour cette nouvelle échéance électorale, rapporte de son côté le journal Hammihan.
De nombreuses figures de l'opposition, au sein de la diaspora mais aussi en Iran, ont d'ailleurs appelé ouvertement au boycott des élections. Fait inédit, le Front des réformes, principale coalition des partis réformateurs (qui font partie de la vie politique de la République islamique ; à distinguer des partis ou formations d'opposition en exil) a déclaré qu'elle ne présentera aucun candidat à ces élections “vides de sens” et “non compétitives”.
Cité par le journal Hamdeli, le vice-président de cette coalition, Mohsen Armin, a justifié cette décision par l'absence de liberté, un espace politique de plus en plus “verrouillé” et une société “très en colère”. La “participation aux élections n'aboutira à aucun changement”, a-t-il regretté.
La défiance envers le pouvoir s'est fortement exprimée lors des manifestations sans précédent qui ont éclaté après la mort, en septembre 2022, de Mahsa Amini, une jeune femme morte après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour port du voile inapproprié. La contestation, qui s'est répandue dans tout le pays, a été violemment réprimée par le régime iranien avant de s'éteindre. Mais le feu couve toujours sous les cendres.
“Peur de l'échec” ?
Arrivé au pouvoir en 2021, le président conservateur Ebrahim Raïssi et le camp auquel il appartient tentent de verrouiller davantage un pouvoir politique de plus en plus contesté, y compris de l'intérieur. Pour les législatives de 2024, il n'y aura “plus de compétition entre conservateurs et réformistes”, s'est réjoui, pour sa part, le journal Iran Newspaper, proche du pouvoir. Les réformateurs “ont refusé de se présenter sous prétexte que leurs candidats seraient disqualifiés”, mais “en réalité ils avaient peur de l'échec”, d'après le quotidien.
“Désormais, la principale concurrence se jouera entre les conservateurs eux-mêmes, qui participent [aux élections] avec trois listes”, indique Iran Newspaper.
L'absence de concurrence a d'ailleurs exacerbé les divisions dans le camp des conservateurs. Selon le média d'opposition Radio Farda, le noyau dur du pouvoir, composé notamment du président, Ebrahim Raïssi, et du président de l'Assemblée iranienne, Mohammad Bagher Ghalibaf, constitue le groupe le plus important, majoritaire au sein du Parlement. Les groupes proches des “mollahs traditionnels” forment deux autres listes avec la “jeunesse radicale conservatrice”, précise Radio Farda.
Vers un front d'opposition élargi ?
Le quotidien Kayhan, l'un des principaux journaux ultraconservateurs, a critiqué récemment ces jeunes, les accusant d'être au service de “projets ennemis”. Ils ont “une apparence religieuse et révolutionnaire”, mais ils “ne manquent aucune occasion de critiquer les dirigeants au pouvoir”, a écrit le journal.
Dans le camp adverse, composé essentiellement de mouvements d'opposition en exil, le boycott des élections a conduit à la “formation du plus grand alignement” entre diverses forces politiques, “des réformateurs aux opposants du régime à l'étranger”, constate Radio Farda. Un rapprochement inédit entre des groupes intégrés à la République islamique et ses contempteurs mais qui ne se traduit pas, pour l'instant, par la formation de listes communes ou mixtes.
“Ce niveau de consensus parmi un grand nombre de forces politiques” est “sans précédent” dans l'histoire de la République islamique. Désormais le régime iranien est “confronté à sa plus grande crise de légitimité”, conclut le média d'opposition.
Courrier international
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Inde : la future troisième économie mondiale bientôt aux urnes

À l'approche des élections générales, le Premier ministre Narendra s'avance en favori pour obtenir un troisième mandat consécutif. Il peut se prévaloir des chiffres insolents de l'économie indienne, souligne Olivier Guillard dans cette tribune.
Tiré de The asialyst. Légende de la photo : Le Premier ministre indien Narendra Modi à la tribune du Bharat Mobility Global Expo 2024, à New Delhi, le 2 février 2024. (PTI Photo) (Source : Asian Age)
Voilà deux mois que le troisième millénaire est entré dans sa 25ème année. Un millésime 2024 particulier à maints égards à cause de ses graves crises, conflits et zones de tension, mais aussi en ce qu'il marquera du sceau de la démocratie et des scrutins délicats rien de moins que sept des 10 pays les plus peuplés du globe. 2024 – « l'année électorale ultime » selon Time Magazine, « la mère de toutes les années électorales » selon l'expression du Council on Foreign Relations. Au total, quatre milliards d'individus ventilés sur une soixantaine d'États convieront leurs électeurs à déposer leur bulletin dans l'urne. L'Asie-Pacifique a entamé tambour battant cette longue procession électorale en organisant depuis janvier quatre scrutins au Bangladesh, à Taïwan, au Pakistan et en Indonésie. D'ici deux mois, un autre acteur asiatique et non des moindres mobilisera à son tour logistique, esprit civique et appétences démocratique pour renouveler son parlement national : l'Inde.
En avril–mai, la « plus grande démocratie du monde » attirera la lumière sur un scrutin aux ordres de grandeur comptables par définition sans pareil avec 980 millions d'individus inscrits sur les listes électorales. Peu importent leur sensibilité politique ou partisane, la plupart des observateurs de ce grand rendez-vous électoral quinquennal – les 18e élections à l'Assemblée nationale ou Lok Sabha – anticipent un très probable nouveau succès de la coalition chevillée autour du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. Cette victoire historique plus que plausible confierait à l'énergique ancien ministre-en-chef du Gujarat un troisième mandat consécutif. Une performance politique dont seul avant lui Jawaharlal Nehru (Après des victoires électorales obtenues en 1951, 1957 et 1962) pourrait se prévaloir.
En avril–mai, la « plus grande démocratie du monde » attirera la lumière sur un scrutin aux ordres de grandeur comptables par définition sans pareil avec 980 millions d'individus inscrits sur les listes électorales. Peu importent leur sensibilité politique ou partisane, la plupart des observateurs de ce grand rendez-vous électoral quinquennal – les 18e élections à l'Assemblée nationale ou Lok Sabha – anticipent un très probable nouveau succès de la coalition chevillée autour du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. Cette victoire historique plus que plausible confierait à l'énergique ancien ministre-en-chef du Gujarat un troisième mandat consécutif. Une performance politique dont seul avant lui Jawaharlal Nehru* pourrait se prévaloir.
Fort d'une légitimité politique et d'une autorité que bien peu de monde lui dispute dans son pays, le dernier invité d'honneur des cérémonies du 14 juillet à Paris se présente devant l'électorat indien en s'appuyant sur un argument de poids : en 2024, la cinquième économie mondiale – et troisième économie d'Asie – se porte bien. Elle traverse au mieux une conjoncture internationale agitée par des ondes de choc géopolitiques allant des marges orientales de l'Europe au détroit de Taïwan, en passant par un Moyen-Orient en ébullition.
Les médias asiatiques se sont penché sur ce contexte économique opportun, jalousé par nombre d'acteurs étatiques (En 2022, seulement 3 % de croissance du PIB chinois, +2,6 % En Corée du Sud et en Thaïlande et +2,4 % à Taïwan, selon la Banque asiatique de Développement) infiniment moins bien lotis en matière de croissance économique. Les chiffres et les prévisions de croissance pour 2023 et 2024 sont parfois insolents, au regard par exemple de l'atonie générale inquiétante de la zone euro (+0,2 % de croissance du PIB en Allemagne). « Les perspectives de l'économie indienne semblent prometteuses, avec une croissance du PIB de 7 % pour l'exercice 2025, annonce fièrement The Indian Express, en s'appuyant sur les données détaillées du dernier rapport du ministère indien des Finances. Pour l'exercice en cours, l'économie indienne devrait connaître une croissance de + 7,3 %. Ce serait la troisième année consécutive que la croissance du PIB dépasserait les +7 %. » Et pour expliquer ce dynamisme économique indien, l'auteur de l'article met en avant les bénéfices d'une « bonne récolte agricole, la rentabilité soutenue de l'industrie manufacturière, la bonne résistance des services ainsi que l'amélioration attendue de la consommation des ménages et du cycle d'investissement privé ».
Cette incontestable montée en régime du géant d'Asie méridionale n'a pas uniquement profité aux comptes publics ou aux grands trusts industriels du pays. Les 1,4 milliard d'Indiens en ont également perçu des dividendes concrets dans leur vie quotidienne : l'extrême pauvreté a significativement reculé en l'espace de quelques années (Laquelle concernait environ un Indien sur six en 2015 contre désormais moins d'un sur huit), consécutivement aux transferts sociaux vers la population la plus exposée. La santé publique et l'hygiène sont davantage pris en compte par les autorités (projet « Clean India » ou mission « Swachh Bharat Abhiyan » : campagne nationale pour la construction de toilettes publics lancée en 2014), faisant notamment reculer la mortalité infantile.
La construction annuelle depuis 2018 de plus de 10 000 km de routes supplémentaires offre certes à l'économie des gains de productivité importants mais également à la population des possibilités de déplacement nouvelles (trajets plus nombreux, moins heurtés et plus courts). La part du budget dévolue au financement des grands projets d'infrastructures est passée de 0,4 % du PIB en 2014 à 1,7 % aujourd'hui.
La croissance la plus rapide parmi les grandes économie du monde
Cet enthousiasme « comptable » ne se limite pas uniquement aux frontières du pays. Quelque 6 000 km vers l'Est et quatre fuseaux horaires plus loin, dans la capitale de la désormais quatrième économie mondiale, le Japon, l'analyse panoramique des récentes performances économiques et financières indiennes est pareillement allègre. « Cette fois, la croissance économique rapide de l'Inde « a des jambes ». Les facteurs qui avaient précédemment freiné l'élan ont enfin été pris en compte », décrit le Nikkei Asia. Un constat flatteur sans appel : « La qualité des performances récentes de l'économie indienne est incontestable. Le pays a été l'économie majeure à la croissance la plus rapide en 2022 et 2023 et devrait l'être à nouveau en 2024. »
Notons que les titans industriels et autres tout puissants conglomérats indiens se portent pour certains d'entre eux à merveille. C'est notamment le cas de l'incontournable Tata Group (Compagnies aériennes, aérospatiale, conseil, production d'électricité, énergie électrique, finance, hôtellerie, technologies de l'information, commerce de détail, commerce électronique, immobilier, télécommunications, etc. Plus d'un million de salariés) dont le magazine India Today nous apprend que la capitalisation boursière atteint désormais les 365 milliards de dollars – soit 24 milliards de dollars de plus que la totalité du PIB pakistanais (341 milliards de dollars selon le FMI) (En comparaison, pour l'exercice fiscal 2022-2023, l'économie pakistanaise affiche une croissance négative (PIB -0,17 %), handicapée notamment par les inondations majeures et une dette publique plus que préoccupante).
Du reste, le regard européen sur l'insolente bonne santé de l'économie (Pourtant, on reproche à ce dynamisme économique indiscutable de ne pas créer suffisamment d'emplois pour accueillir chaque année les millions de jeunes gens arrivant sur le marché du travail) du pays de Nehru et Gandhi lors de la décennie écoulée, sous le management énergique et pro-business de Narendra Modi, est à l'aune des lectures indienne et nipponne esquissées plus haut. Depuis Davos et son incontournable World Economic Forum (WEF) (L'édition 2024 (54ème du nom) de cette grand-messe mondiale s'est tenue du 15 au 19 janvier 2024), les éloges et satisfécits pleuvent également sur les artisans de la réussite indienne. Pour son président Borge Brende, le PIB indien atteindra d'ici 5 ans le seuil symbolique des 10 000 milliards de dollars, garantissant ainsi à l'Inde le troisième rang mondial derrière les États-Unis et la Chine. « L'économie indienne est celle qui connaît la croissance la plus rapide parmi toutes les grandes économies du monde. Nous avons vu à Davos cette année que l'Inde suscitait un grand intérêt et je pense que cela va continuer […]. Quand on vient en Inde, on ressent un certain optimisme, ce qui n'est pas le cas partout dans le monde », s'enthousiasme l'ancien ministre norvégien des Affaires étrangères (Borge Brende préside le WEF depuis 2017), confiant au passage : « Le Premier ministre indien Narendra Modi est toujours le bienvenu à Davos ». Un témoignage nécessairement apprécié du côté du Panchavati, la résidence officielle du chef de gouvernement indien.
Que de chemin parcouru depuis 2014. Qui se souvient aujourd'hui qu'une douzaine d'années plus tôt – en 2013 précisément, un an avant l'arrivée aux affaires de Narendra Modi -, la très respectée banque américaine Morgan Stanley intégrait l'Inde dans le cercle peu flatteur des économies de marché émergentes vulnérables, surnommées les « cinq fragiles » du fait notamment de leur dépendance aux capitaux étrangers pour alimenter leur économie ou de l'importance du déficit de leur balance courante. Un club comprenant à cette époque le Brésil, la Turquie, l'Afrique du Sud, l'Indonésie, et donc l'Inde.
En août dernier, depuis l'emblématique Fort Rouge de New Delhi où l'on célébrait le Jour de l'Indépendance, le Premier ministre Narendra Modi promettait à ses concitoyens que leur économie intégrerait le club huppé des économies développées d'ici 2047, année qui honorerait le centenaire de l'indépendance nationale, obtenue à l'été 1947. 23 ans avant cette échéance historique autant que symbolique, les augures semblent favorables à pareille prophétie.
Propos recueillis par Olivier Guillard
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

À Soueïda, les Druzes enclenchent leur propre révolution

Depuis août 2023, la province de Soueïda connaît des manifestations régulières appelant au changement du régime de Bachar Al-Assad. Le mercredi 28 février, un manifestant a été tué par les tirs des forces de sécurité, provoquant un déferlement de colère de la part de la population locale.
Tiré de NPA 29
Photo :Manifestation pacifique contre le régime syrien à Soueïda, le 29 septembre 2023 Sam Hariri/AFP
Ce mouvement de contestation, démarré douze ans après le soulèvement populaire qui s'est transformé en une guerre civile, étonne, surtout de la part de la communauté druze, soucieuse jusque-là de conserver sa neutralité. Le chercheur et journaliste Mazen Ezzi nous livre son point de vue sur la mobilisation en cours dans la région.
Quand Orient XXI m'a demandé d'écrire un article sur les événements qu'a connus la province de Soueïda, afin de rendre cela plus accessible à un lecteur non-arabe et non-spécialiste, j'étais vraiment heureux. J'ai toujours écrit en arabe ou en anglais, et je ne me suis jamais adressé à un lecteur francophone, alors que je vis comme réfugié à Paris depuis cinq ans.
Très vite cependant, la difficulté de la tâche m'est apparue. Comment en effet écrire un article explicatif portant sur une question proche-orientale extrêmement complexe, qui a ses propres dynamiques, sa propre histoire et son propre contexte, sans se perdre dans les détails ? Ce texte est censé répondre à une question simple : pourquoi une région syrienne limitrophe et périphérique, où vit une petite minorité ethnique, a connu en 2023 des manifestations pacifiques réclamant un changement politique ?
Pour y répondre, il faut d'abord souligner que, ce qui est surprenant dans cette contestation pacifique et populaire à Soueïda, c'est qu'elle advient douze ans après la révolution syrienne de 2011 contre un régime dictatorial en place depuis soixante ans.
La dernière décennie a connu une guerre civile qui a causé la mort de près d'un demi-million de personnes et le déplacement de six millions de réfugiés, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, ainsi que l'arrestation de centaines de milliers de personnes, la destruction de villes et de villages entiers, mais aussi la division du pays entre cinq armées étrangères, qui ont chacune leur base et leur zone d'influence.
Une guerre durant laquelle des crimes contre l'humanité ont été commis, des politiques de changement démographique ont été menées et, dans certains cas, des mesures de nettoyage ethnique ont été appliquées. Tout cela dans un pays marqué également par des crises globales – et non des moindres –, comme le réchauffement climatique.
Une contestation festive
Commençons par les manifestations pacifiques : celles-ci se poursuivent depuis le mois d'août dernier dans la province à majorité druze de Soueïda, dans le sud du pays. Les revendications, l'organisation, les formes et les moyens de cette contestation sont très ancrés dans l'environnement local.
Les habitants ont ainsi décidé que le moment était venu de mettre fin au règne du parti Baas, au pouvoir depuis 1963. Ses locaux qui n'ont pas été fermés à travers la province ont été récupérés par la population — puisqu'ils tombaient légalement sous le régime de la propriété publique — pour en faire des crèches, des écoles, des dispensaires ou même des centres de développement communautaire.
Les manifestants tentent de recourir à divers moyens de lutte pacifique, à travers des célébrations quotidiennes sur les grandes places des 130 villes et villages de la province. Un important mouvement féministe, enraciné localement et porté par des revendications spécifiques (égalité, nationalité, etc.), participe également à cette mobilisation. Concerts, chants, festivals, spectacles équestres et folkloriques, chants populaires ou improvisés au gré des événements… tout cela donne une dimension politique supplémentaire aux demandes des protestataires, que le régime est incapable de satisfaire.
Ces manifestations bénéficient d'un large soutien, notamment parmi de nombreux fonctionnaires et employés de l'État, historiquement loyaux au pouvoir en place, dont ils tirent profit en retour. Mais ces employés, comme les classes moyennes en général, sont désormais touchés par l'incapacité des autorités à assurer les moyens de subsistance quotidiens, comme le taux de change de la livre, le pouvoir d'achat, les salaires, le prix du carburant, la fourniture d'électricité, l'accès à l'eau potable, les infrastructures, la santé, l'éducation et le système judiciaire.
L'État est en faillite et son financement dépend principalement de l'emploi de personnes qui ne reçoivent pas de réelle compensation. Outre la poursuite du train de vie luxueux des membres du petit groupe à la tête du pays, la priorité du pouvoir est de maintenir les services de sécurité et l'armée, ainsi que sa gigantesque machine bureaucratique.
Une victoire au goût de défaite
La contestation actuelle est une réponse directe à la récente libéralisation des prix instaurée par le gouvernement. Cette décision a entraîné une nouvelle dévaluation de la livre — et du pouvoir d'achat —, accentuant la détresse de la populations face à la menace de famine, d'autant que plus de la moitié des Syriens souffrent gravement d'insécurité alimentaire.
La détérioration économique s'est accélérée depuis que le conflit armé a relativement diminué à partir de 2018, c'est-à-dire depuis la victoire militaire — aux airs de défaite politique — remportée par les forces du régime sur les rebelles autour de Damas, à Deraa et à Homs, entraînant le déplacement forcé des opposants vers le nord-ouest de la Syrie.
Cette victoire a été obtenue au prix de la destruction de villes et de régions entières, de réseaux routiers et d'électricité ainsi que des infrastructures. Un changement démographique a ciblé la population des campagnes sunnites et de certains des plus grands bidonvilles entourant Alep et Damas. Le succès militaire du régime est une victoire au goût amer, celle de la violence de l'État sur la société. Elle ne peut avoir de bénéfice sur le plan politique tant que le seul langage utilisé par le régime est celui de la force et des armes.
Les récentes manifestations — ou le soulèvement populaire comme les gens préfèrent l'appeler — constituent le point culminant d'un long mouvement de protestation qui a commencé à Soueïda en 2011. La première vague de manifestation pacifique s'est déroulée de 2011 à 2014. Elle se caractérisait par son élitisme et par le faible nombre de participants. En 2020, le mouvement s'est élargi et renforcé grâce notamment à la forte implication des jeunes, avec des campagne de protestation menées sous les slogans « Khna'touna » (« Vous nous étouffez ») et « Bedna n'ich » (« Nous voulons vivre »). Le soulèvement de 2022 était quant à lui dirigé contre les gangs de sécurité affiliés au régime et mené par des factions armées locales.
« L'union des minorités »
Soueïda fait partie des zones placées sous le contrôle fragile du régime, étant donné qu'il s'agit d'une région périphérique de la Syrie, qu'aucune route internationale ne traverse et où il n'y a pas de passage douanier bien qu'elle partage une longue frontière avec la Jordanie. Elle ne compte pas non plus de richesses ou de ressources naturelles dont le régime pourrait avoir besoin. La province est habitée par la minorité druze, qui constitue environ 3 % de la population syrienne, et sa population n'y dépasse pas le demi-million.
Depuis début 2011, le régime syrien a préféré ne pas intervenir directement à Soueïda, pour éviter les frictions avec les Druzes et s'assurer leur loyauté dans le conflit armé avec les sunnites, qui constituent 70 % de la population — le cercle décisionnel, la direction des services de sécurité et militaires, ainsi que les institutions gouvernementales les plus importantes sont quant à eux majoritairement contrôlés par les Alaouites, qui représentent seulement 12 % de la population du pays.
Face au narratif de la révolution syrienne prônant le renversement populaire du régime, celui-ci a opposé son propre récit selon lequel il existerait une alliance des minorités face à la menace extrémiste sunnite. C'est ainsi que le pouvoir a autorisé une petite marge de manœuvre aux habitants de Soueïda, comme il l'a fait — mais de manière plus large et plus systématique — dans les régions kurdes du nord-est de la Syrie.
La présence de l'armée a alors diminué au fil du temps, tout comme les interférences directes en matière de sécurité dans la vie quotidienne de la population. Ainsi, depuis la mi-2014, des groupes civils armés sont apparus à Soueïda pour protéger leurs territoires, notamment le mouvement Rijal Al-Karama (Les Hommes de la dignité), le plus important groupe d'autodéfense de la région, en plus d'un large éventail de milices loyales au pouvoir et de factions de sécurité proches du régime.
Cette faible marge de manœuvre et la présence des forces armées locales ont permis à la province d'adopter une position neutre à l'égard de la guerre depuis 2014. En ayant recours à une fatwa stipulant que toute personne tuée au combat n'aurait pas droit à la prière funéraire, les Druzes ont empêché leurs enfants de rejoindre les rangs de l'armée pour se battre ou de faire le service militaire, qui est pourtant obligatoire. D'autre part, le voisinage avec des factions armées de l'opposition actives à la frontière de la province, du côté de la campagne de Damas et de Deraa, est devenu de plus en plus difficile en raison de l'islamisation et de la radicalisation de ces factions. À plusieurs reprises, de violents affrontements ont éclaté entre elles et les groupes armés locaux.
Cette position de neutralité a eu pour effet la détérioration des relations entre le régime et Soueïda, et au fil du temps, la région s'est transformée en une espèce de grande prison que beaucoup de jeunes hommes ne pouvaient plus quitter, sous peine d'être arrêtés aux points de contrôle militaires ou aux barrages de sécurité entourant la province et d'être obligés d'effectuer leur service militaire.
De tels incidents au cours des dernières années ont provoqué des conflits et des heurts récurrents entre le régime et la communauté locale. À chaque fois qu'un jeune homme originaire de la province était arrêté dans une autre région du pays, les familles répondaient en enlevant des officiers ou des employés de l'État pour servir de monnaie d'échange. Car souvent, le seul moyen d'obtenir l'attention du régime est d'exercer une pression sur lui.
Trafic de captagon
Cette neutralité a permis à Soueïda de ne pas subir directement et militairement la guerre. En même temps, elle a amené Damas à marginaliser toujours plus cette région, en réduisant notamment les subventions publiques. Le traitement par le régime de la « question de Soueïda » s'est réduit essentiellement à la sécurité, comme cela s'est produit en septembre 2015 avec l'attentat à la bombe contre le convoi transportant cheikh Wahid Al-Bal'ous, fondateur des Hommes de la dignité. L'assassinat d'Al-Bal'ous a représenté un coup dur, quoique non fatal, porté à la première tentative locale d'organisation et d'autoprotection, destinée à garantir une neutralité totale entre les différentes parties en guerre.
L'indifférence du régime à l'égard de la province a atteint son paroxysme fin 2018, lorsque l'Organisation de l'État islamique (OEI) a attaqué les villages situés dans la partie est du pays, causant la mort de centaines de civils. Seules les factions armées locales ont pu repousser cette offensive, sans que l'armée syrienne n'intervienne. Or, la plupart des membres de l'OEI qui ont perpétré le massacre dans le désert oriental de Soueïda venaient du camp de Yarmouk, à Damas, conformément à un accord que l'organisation djihadiste avait conclu avec le régime sous parrainage russe quelques mois auparavant, pour mettre fin à la guerre ravageant le camp.
Au fil du temps, ce chaos « géré » par les forces de sécurité a mis en lumière le rôle pivot de Soueïda dans le trafic de drogue, la région étant devenue une plaque tournante pour l'acheminement du captagon vers la Jordanie et, de là, vers le Golfe Arabo-Persique. Le flou entretenu par le régime au prétexte de cette instabilité régionale a permis d'atteindre deux objectifs : ne pas fournir de services de base à la population, et justifier auprès d'Amman l'impossibilité de contrôler entièrement la frontière entre les deux pays.
En plus du trafic de captagon vers la Jordanie, la région a été inondée par la drogue, et des gangs criminels présents dans tous les domaines de l'économie de guerre ont pullulé, pratiquant les enlèvements contre rançon, les vols et le trafic de drogue et d'armes, et se livrant à de nombreux assassinats. La situation a poussé les jeunes hommes et femmes de Soueïda vers les routes de l'exil.
Dans ce contexte, il n'est guère surprenant de voir qu'au cours des récentes manifestations, la colère civile soit dirigée directement contre le régime syrien et qu'elle exige son changement à travers la mise en œuvre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en décembre 2015. Celle-ci prévoit le lancement d'un processus politique en Syrie, qui passerait par un transfert pacifique du pouvoir, avec la participation du régime, à une autorité civile de transition, en vue d'établir un système démocratique pluraliste. Cependant ce processus politique est gelé et le régime refuse d'y prendre part car il implique un réel partage du pouvoir avec l'opposition.
Tentatives de division
Mais Soueïda ne figure pas sur la liste des intérêts prioritaires de Damas. Depuis le début des manifestations, aucun responsable gouvernemental, législatif, militaire, judiciaire ou sécuritaire n'en a parlé ou ne s'est rendu dans la province. Il semble plutôt qu'après deux mois de protestations le régime ait choisi d'ignorer ce qui s'y passe. Car utiliser la répression à l'encontre des Druzes saperait son narratif sur la guerre contre le terrorisme islamique radical.
Ceux-ci forment une alliance tribale qui adhère à une secte mystique et hermétique. Ils ne sont pas partisans du « djihad », ils ne versent pas dans le prosélytisme et n'ont pas de visées expansionnistes. Ce sont des paysans qui vivent dans une zone frappée par la sécheresse et le manque d'eau, et par le dérèglement climatique qui commence à affecter leur production agricole de pommes, de raisins, de cerises, d'olives et de céréales.
L'État représente un fardeau pour ces paysans, entièrement dépendants des sociétés de vente au détail liées au régime qui achètent leurs récoltes à des prix qui couvrent à peine les coûts de production. L'aide fournie par les organisations internationales est redirigée vers les partenaires du Trust syrien pour le développement (STD), une ONG dirigée par Asma Al-Assad, l'épouse du chef de l'État. Le STD travaille avec toutes les organisations étrangères autorisées à exercer dans les zones contrôlées par le pouvoir.
Le régime ne cherche pas nécessairement à mater par la force le mouvement de protestation, mais il s'efforce constamment de diviser les rangs des manifestants, de les monter les uns contre les autres, de les accuser de vouloir faire sécession et d'intelligence avec l'étranger, y compris Israël. Les autorités mobilisent également les réseaux de ceux qui ont historiquement bénéficié de ses largesses, notamment les chefs religieux et traditionnels druzes, à Soueïda, dans la campagne de Damas et à Quneitra, sur le plateau du Golan, ainsi qu'au Liban, pour affaiblir le soulèvement.
Ces accusations ne trouvent aucun écho dans la province, où il semble que les gens, malgré la faim, la fatigue et l'oppression, restent convaincus que la seule solution pour eux et pour le reste de la population est un changement politique réel et pacifique qui garantisse une transition pacifique la démocratie.
Malgré ce chemin long et difficile, les manifestants tentent de maintenir la dialogue, de réfléchir et de trouver des solutions aux difficultés quotidiennes qui les accablent. Ils aspirent à une gouvernance locale et solidaire, de bas en haut, qui fait défaut aux Syriens depuis des décennies. La communauté locale s'efforce ainsi, à travers un mouvement de protestation pacifique et sans s'appuyer sur aucun allié interne ou externe, de faire face à un régime dictatorial dirigé par une junte militaro-sécuritaire, sortie victorieuse d'une guerre civile dévastatrice.
Puis-je dire à présent que la difficulté pour moi n'a pas été tant d'écrire pour un lecteur étranger et non-spécialiste que d'expliquer les causes de ce miracle de Soueïda ?
Mazen Ezzi Traduit de l'arabe par Sarra Grira.
Journaliste et chercheur syrien, originaire de Soueïda, installé à Paris.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

« Nous ne serons pas complices de la violation du droit international par Israël »

Nous, les parlementaires signataires de cette lettre, déclarons notre engagement à mettre fin aux ventes d'armes de nos nations à l'État d'Israël. Nos bombes et nos balles ne doivent pas être utilisées pour tuer, mutiler et déposséder les Palestiniens. Mais c'est le cas : nous savons que des armes mortelles et leurs pièces détachées, fabriquées ou expédiées par nos pays, contribuent actuellement à l'assaut israélien contre la Palestine, qui a fait plus de 30 000 morts à Gaza et en Cisjordanie.
Tiré du blogue de l'auteur.
Nous ne pouvons pas attendre. À la suite de l'arrêt provisoire rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) dans l'affaire de la Convention sur le génocide contre l'État d'Israël, l'embargo sur les armes n'est plus une nécessité morale, mais une obligation légale.
Nous ne nous rendrons pas complices des graves violations du droit international commises par Israël. La CIJ a ordonné à Israël de ne pas tuer, blesser ou « [infliger] délibérément aux [Palestiniens] des conditions d'existence visant... leur destruction physique ». Israël a refusé. Au lieu de cela, ils poursuivent l'assaut prévu sur Rafah qui, selon le secrétaire général des Nations unies, « augmentera de façon exponentielle ce qui est déjà un cauchemar humanitaire ».
Aujourd'hui, nous prenons position. Nous allons prendre des mesures immédiates et coordonnées dans nos assemblées législatives respectives pour empêcher nos pays d'armer Israël.
Signataires
Janet Rice, Parlement australien
Larissa Waters, Parlement australien
David Shoebridge, Parlement australien
Jordon Steele-John, Parlement australien
Lidia Thorpe, Parlement australien
Adam Bandt, Parlement australien
Max Chandler-Mather , Parlement australien
Elizabeth Watson-Brown, Parlement australien
Stephen Bates, Parlement australien
Sarah Hanson-Young, Parlement australien
Peter Whish-Wilson, Parlement australien
Nick McKim, Parlement australien
Mehreen Faruqi, Parlement australien
Dorinda Cox, Parlement australien
Barbara Pocock, Parlement australien
Penny Allman-Payne, Parlement australien
Peter Mertens, Parlement fédéral belge
Ludwig Vandenhove, Parlement fédéral belge
Melissa Depraetere, Parlement fédéral belge
Jos D'Haese, Belgique, Parlement flamand
Germain Mugemangango, Belgique, Parlement wallon
Nilto Tatto, Congrès national brésilien
Célia Xakriabá, Congrès national brésilien
Chico Alencar, Congrès national brésilien
Erika Hilton, Congrès national brésilien
Fernanda Melchionna, Congrès national brésilien
Guilherme Boulos, Congrès national brésilien
Glauber Braga, Congrès national brésilien
Henrique Vieira, Congrès national brésilien
Ivan Valente, Congrès national brésilien
Luciene Cavalcante, Congrès national brésilien
Luiza Erundina, Congrès national brésilien
Sâmia Bomfim, Congrès national brésilien
Talíria Petrone, Congrès national brésilien
Tarcísio Motta, Congrès national brésilien
Niki Ashton, Parlement canadien
Matthew Green, Parlement canadien
Alma Dufour, Assemblée nationale française
Nadège Abomangoli, Assemblée nationale française
Laurent Alexandre, Assemblée nationale française
Gabriel Amard, Assemblée nationale française
Ségolène Amiot, Assemblée nationale française
Farida Amrani, Assemblée nationale française
Rodrigo Arenas, Assemblée nationale française
Clémentine Autain, Assemblée nationale française
Ugo Bernalicis, Assemblée nationale française
Christophe Bex, Assemblée nationale française
Carlos Martens Bilongo, Assemblée nationale française
Manuel Bompard, Assemblée nationale française
Idir Boumertit, Assemblée nationale française
Louis Boyard, Assemblée nationale française
Aymeric Caron, Assemblée nationale française
Sylvain Carrière, Assemblée nationale française
Florian Chauche, Assemblée nationale française
Sophia Chikirou, Assemblée nationale française
Hadrien Clouet, Assemblée nationale française
Éric Coquerel, Assemblée nationale française
Alexis Corbière, Assemblée nationale française
Jean-François Coulomme, Assemblée nationale française
Catherine Couturier, Assemblée nationale française
Hendrik Davi, Assemblée nationale française
Sébastien Delogu, Assemblée nationale française
Karen Erodi, Assemblée nationale française
Martine Etienne, Assemblée nationale française
Emmanuel Fernandes, Assemblée nationale française
Sylvie Ferrer, Assemblée nationale française
Caroline Fiat, Assemblée nationale française
Perceval Gaillard, Assemblée nationale française
Raquel Garrido, Assemblée nationale française
Clémence Guetté, Assemblée nationale française
David Guiraud, Assemblée nationale française
Mathilde Hignet, Assemblée nationale française
Rachel Keke, Assemblée nationale française
Andy Kerbrat, Assemblée nationale française
Bastien LachaudFrançais, Assemblée nationale
Maxime Laisney, Assemblée nationale française
Arnaud Le Gall, Assemblée nationale française
Antoine Léaument, Assemblée nationale française
Élise Leboucher, Assemblée nationale française
Charlotte Leduc, Assemblée nationale française
Jérôme Legavre, Assemblée nationale française
Sarah Legrain, Assemblée nationale française
Murielle Lepvraud, Assemblée nationale française
Élisa Martin, Assemblée nationale française
Pascale Martin, Assemblée nationale française
William Martinet, Assemblée nationale française
Frédéric Mathieu, Assemblée nationale française
Damien Maudet, Assemblée nationale française
Marianne Maximi, Assemblée nationale française
Manon Meunier, Assemblée nationale française
Jean-Philippe Nilor, Assemblée nationale française
Danièle Obono, Assemblée nationale française
Nathalie Ozio, Assemblée nationale française
Mathilde Panot, Assemblée nationale française
René Pilato, Assemblée nationale française
François Piquemal, Assemblée nationale française
Thomas Portes, Assemblée nationale française
Loïc Prud'homme, Assemblée nationale française
Adrien Quatennens, Assemblée nationale française
Jean-Hugues Ratenon, Assemblée nationale française
Sébastien Rome, Assemblée nationale française
François Ruffin, Assemblée nationale française
Aurélien Saintoul, Assemblée nationale française
Michel Sala, Assemblée nationale française
Danielle Simonnet, Assemblée nationale française
Ersilia Soudais, Assemblée nationale française
Anne Stambach-Terrenoir, Assemblée nationale française
Andrée Taurinya, Assemblée nationale française
Matthias Tavel, Assemblée nationale française
Aurélie Trouvé, Assemblée nationale française
Paul Vannier, Assemblée nationale française
Léo Walter, Assemblée nationale française
Andrej Hunko, Bundestag allemand
Nicole Gohlke, Bundestag allemand
Bernd Riexinger, Bundestag allemand
Kathrin Vogler, Bundestag allemand
Sevim Dagdelen, Bundestag allemand
Ates Gürpinar, Bundestag allemand
Thomas Pringle, Oireachtas irlandais
Jimmy Dijk, Parlement des Pays-Bas
Sarah Dobbe, Parlement des Pays-Bas
Mariana Mortágua, Parlement portugais
Pedro Filipe Soares, Parlement portugais
José Soeiro, Parlement portugais
Joana Mortágua, Parlement portugais
Isabel Pires, Parlement portugais
Laura Castel, Cortes Generales espagnoles
Gerardo Pisarello, Cortes Generales espagnoles
Ione Belarra, Cortès générales espagnoles
Javier Sánchez, Cortès générales espagnoles
Joan Queralt Jiménez, Cortès générales espagnoles
Hèctor Sánchez Mira, Cortès générales espagnoles
Enrique Santiago, Cortès générales espagnoles
Engracia Rivera Arias, Cortès générales espagnoles
Mertxe Aizpurua, Cortès générales espagnoles
Oskar Matute, Cortès Générales espagnoles
Gorka Elejabarrieta, Cortès Générales espagnoles
Josu Estarrona, Cortès générales d'Espagne
Félix Alonso, Cortès générales espagnoles
Tesh Andala, Cortès générales espagnoles
Eloi Badia, Cortès Générales espagnoles
Rafael Cofiño, Cortès générales espagnoles
Íñigo Errejón, Cortès générales espagnoles
Esther Gil de Reboleño, Cortès générales espagnoles
Nahuel González, Cortès générales espagnoles
Txema Guijarro, Cortès générales espagnoles
Alberto Ibañez, Cortès générales d'Espagne
Manuel Lago, Cortès générales espagnoles
Alberto Ibañez , Cortès Générales espagnoles
Carlos Martín, Cortès générales espagnoles
Verónica Martínez, Cortès Générales espagnoles
Lander Martínez, Cortès Générales espagnoles
Águeda Micó, Cortès Générales espagnoles
Gala Pin, Cortes Generales espagnoles
Jorge Pueyo, Cortes Generales espagnoles
Engracia Rivera, Cortès générales espagnoles
Agustín Santos, Cortès générales espagnoles
Francisco Sierra, Cortès générales espagnoles
Juan Antonio Valero, Cortès générales espagnoles
Vicenç Vidal, Cortès générales d'Espagne
Aina Vidal, Cortès générales d'Espagne
Sevilay Çelenk , Grande Assemblée nationale de Turquie
Cengiz Çandar, Grande Assemblée nationale de Turquie
Sezgin Tanrıkulu, Grande Assemblée nationale turque
Burcugul Cubuk, Grande Assemblée nationale turque
Ozgul Saki, Grande Assemblée nationale turque
Gulistan Kılıc Kocyigit, Grande Assemblée nationale turque
Kamuran Tanhan, Grande Assemblée nationale turque
Halide Turkoglu, Grande Assemblée nationale turque
Gulcan Kacmaz Sayyigit, Grande Assemblée nationale turque
Omer Faruk Gergerlioglu, Grande Assemblée nationale turque
George Aslan, Grande Assemblée nationale turque
Adalet Kaya, Grande Assemblée nationale turque
İbrahim Akin, Grande Assemblée nationale turque
Sezai Temelli, Grande Assemblée nationale turque
Semra Gokalp Caglar, Grande Assemblée nationale turque
Jeremy Corbyn, Parlement britannique
Claudia Webbe, Parlement britannique
Jon Trickett, Parlement britannique
Zarah Sultana, Parlement britannique
Nadia Whittome, Parlement britannique
Katy Clarke, Parlement britannique
Mick Whitley, Parlement britannique
Bell Ribeiro-Addy, Parlement britannique
Sam Tarry, Parlement britannique
Colum Eastwood, Parlement britannique
Chris Stephens, Parlement britannique
John Hendy, Parlement britannique
Martyn Day, Parlement britannique
Allan Dorans, Parlement britannique
Richard Thomson, Parlement britannique
Alan Brown, Parlement britannique
Philippa Whitford, Parlement britannique
Stuart McDonald, Parlement britannique
Tommy Sheppard, Parlement britannique
John McDonnell, Parlement britannique
Kim Johnson, Parlement britannique
Beth Winter, Parlement britannique
Richard Burgon, Parlement britannique
Ian Lavery, Parlement britannique
Rachael Maskell, Parlement britannique
Christine Blower, Parlement britannique
Amy Callaghan, Parlement britannique
Apsana Begum, Parlement britannique
David Linden, Parlement britannique
Gavin Newlands, Parlement britannique
Ian Mearns, Parlement britannique
Ian Byrne, Parlement britannique
Grahame Morris, Parlement britannique
Imran Hussain, Parlement britannique
Kate Hollern, Parlement britannique
Clive Lewis, Parlement britannique
Patricia Gibson, Parlement britannique
Anne McLaughlin, Parlement britannique
Joanna Cherry , Parlement britannique
Deidre Brock, Parlement britannique
Rashida Tlaib, Congrès américain
Cori Bush, Congrès américain
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Gaza - Les méandres de la stratégie chinoise

Quelques jours après les attaques du 7 Octobre 2023, une délégation de pays arabes se rendait à Pékin, tandis que l'envoyé spécial de celle-ci pour le Proche-Orient se lançait dans une grande tournée dans la région. Tous les regards se sont alors dirigés vers la Chine qui, depuis 1988, a reconnu l'État palestinien. Mais l'empire du Milieu veut-il vraiment intervenir ? Et en a-t-il les moyens ?
Tiré de orientxxi
26 février 2024
Par Martine Bulard
Riyad Al-Maliki (à gauche), ministre des affaires étrangères de l'Autorité palestinienne, serre la main de Ma Xinmin (à droite), directeur général du Département des traités et du droit du ministère des affaires étrangères chinois, lors d'une audience à la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye, sur les conséquences juridiques de l'occupation israélienne des territoires palestiniens, le 22 février 2024.
Robin van Lonkhuijsen/ANP/AFP
Depuis qu'elle a parrainé la réconciliation spectaculaire entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, en mars 2023, les commentateurs voient la Chine partout. Certains l'ont même imaginée prête à prendre la place des États-Unis ou, en tout cas, à endosser l'habit du faiseur de paix entre Palestiniens et Israéliens. Aujourd'hui, la déception semble à la mesure de cette attente inconsidérée. Quatre mois après le 7 octobre 2023, c'est plutôt morne plaine. Tel-Aviv bombarde, Pékin se tait. Et tout le monde se demande : mais que fait la Chine ?
« L'Occident confond l'agitation et l'action », me répond un ex-diplomate chinois à l'Unesco, qui rappelle que les dirigeants de son pays sonnent rarement les trompettes avant d'avoir atteint leur but. En l'occurrence, il faut obtenir « d'abord un cessez-le-feu durable » puis un accord sur « une feuille de route conduisant à la paix ». Vaste programme. Les bonnes relations de Pékin avec les pays arabes comme avec Israël sont censées faciliter la chose. Mais Tel-Aviv s'est déclaré « profondément déçu » des premières déclarations des dirigeants chinois.
Dès le 8 octobre 2023, un communiqué du ministère des affaires étrangères chinois pointe la gravité des évènements et appelle « les parties concernées à mettre immédiatement fin aux hostilités afin de protéger les civils et d'éviter une nouvelle détérioration de la situation » (1). Le lendemain, l'une des porte-parole, Mao Ning, se fait plus précise : « Nous nous opposons et condamnons les actes qui portent atteinte aux civils ». Sans ambiguïté, elle condamne donc les massacres mais elle ne mentionne pas le Hamas, à l'heure où le monde entier est prié de dénoncer « l'organisation terroriste ». Surtout, elle inscrit ces crimes dans le temps long de l'affrontement israélo-palestinien : « La récurrence du conflit montre, une fois de plus, que l'impasse prolongée du processus de paix ne peut pas perdurer » (2). Impardonnable.
Cette analyse rencontre pourtant celle de la plupart des pays de la région, en dehors de l'Inde et des pays asiatiques « occidentaux », tels la Corée du Sud ou le Japon qui se sont rangés derrière Israël — avec quelques nuances pour Tokyo qui a refusé de parler « d'organisation terroriste » à propos du Hamas, et n'a pas voulu « se joindre aux États-Unis, au Royaume Uni, à la France, à l'Allemagne et à l'Italie pour publier [le 9 octobre] une déclaration commune (…) promettant un soutien uni à Israël » (3). La Chine ne manque pas de souligner que, loin d'être isolée, elle se trouve en phase avec nombre des pays du Sud. En démontrent les votes au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU), où Washington et Tel-Aviv sont bien seuls.
Déjà Mao Zedong…
La position chinoise n'a rien d'opportuniste. Son soutien aux Palestiniens est historique, impulsé dès le début par Mao Zedong, bien qu'Israël ait été l'un des premiers États à reconnaître la République populaire de Chine, dès 1950 (contre 1964 pour la France, et 1972 pour les États-Unis). Selon les principes du non-alignement dont le pouvoir chinois est partie prenante, le Grand Timonier appuie ostensiblement tout mouvement de libération et de lutte contre la colonisation, ce qui inclut par exemple l'Égypte de Gamal Abdel Nasser. Une solidarité sans faille, certes, mais davantage politique que financière ou militaire. En 1988, Pékin reconnait l'État palestinien. Néanmoins, il n'est encore qu'un nain politique.
Depuis, son poids au Proche-Orient a singulièrement évolué, même si la Chine reste d'une très grande prudence. Mêlant habilement commerce et politique, elle instaure des relations avec les vingt-deux pays de la Ligue arabe au début des années 1990, et exige d'eux, en contrepartie, une rupture diplomatique avec Taïwan.
Dans un premier temps, elle rentre dans le maelstrom proche-oriental par la petite porte du commerce énergétique. Sa soif de pétrole et de gaz la pousse à développer des liens avec les pays du Golfe puis, plus lentement, avec l'Iran. Ces partenaires vont assurer près des deux tiers de son approvisionnement au début des années 2000. Toutefois, Pékin reste méfiant et s'attache à diversifier ses sources : ses achats énergétiques en provenance de la région ne dépassent pas actuellement 46 % du total. Dans le même temps, les entreprises chinoises s'enrichissent en vendant leurs marchandises, et les investissements commencent à décoller. Les échanges avec Israël, officiellement reconnu en 1992, connaissent eux aussi une croissance fulgurante.
La Chine est alors en pleine phase de normalisation. Dans ce monde qu'elle sait sous influence américaine — et donc intouchable —, elle préserve ce qu'elle estime être son devoir internationaliste : la défense des droits du peuple palestinien. En 1997, les dirigeants adoptent un plan de paix en quatre points qu'ils défendent à l'ONU et dans leurs rencontres bilatérales, sans toutefois en faire une priorité (4).
Une politique arabe tardive
Il faudra cependant attendre les années 2000 pour assister à un changement de stratégie diplomatique au Proche-Orient. Plusieurs éléments y poussent. La politique de tout-export et d'implantation mondiale suppose de sécuriser ses relations : rien n'est plus dangereux aux yeux de Pékin que l'instabilité. En 2002, la Chine se dote d'un envoyé spécial pour le Proche-Orient chargé de faire le tour des popotes, même s'il échappe au radar de la plupart des observateurs. Deux ans plus tard, elle crée le Forum de coopération Chine–États arabes qui comprend les vingt-deux pays de la Ligue arabe. Le Forum prend de l'importance avec le lancement des nouvelles routes de la soie qui se déclinent en plusieurs thèmes, et abordent diverses questions : économiques (avec 10 milliards de dollars d'investissements promis en 2023), politiques, géostratégiques et militaires.
Pékin est obsédé par deux menaces. Tout d'abord, les mouvements indépendantistes des Ouïghours musulmans au Xinjiang, notamment après les révoltes de 2009. La Chine compte sur la solidarité des pays arabes dans ce domaine. De plus, elle craint qu'en cas de conflit les États-Unis bloquent les goulots d'étranglement que représentent le détroit d'Ormuz, le canal de Suez et le détroit de Bab El-Mandeb. Cela explique les rapprochements avec l'Égypte, où le président Xi Jinping s'est rendu deux fois depuis son arrivée au pouvoir, ainsi que les investissements dans les infrastructures portuaires.
Israël, un partenaire sous influence
Le possible blocage américain n'est pas qu'un fantasme. En juillet 2000, sous pression des États-Unis, le gouvernement israélien annule un contrat portant sur quatre avions militaires Falcon. D'autres interdictions tomberont. Si entre 1990 et 2000, les ventes d'armes israéliennes à Pékin atteignent 323 milliards de dollars (298 milliards d'euros), elles passent à zéro en 2002, selon les données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI). Exit celui qui figurait alors au troisième rang parmi les acheteurs d'équipements militaires israéliens. L'Inde, le voisin honni, prend sa place. Pas étonnant que Pékin ne considère pas Tel-Aviv comme un partenaire stratégique très fiable.
Les affaires étant les affaires, les entreprises chinoises publiques et privées développeront quand même leurs investissements dans les domaines alimentaires, des télécommunications et de la recherche (Huawei), de la cybersécurité et des infrastructures (tramway, port). Mais là encore, la société chinoise qui gérait une partie du nouveau port de Haïfa se retrouve marginalisée, sur intervention de Washington qui y voit un danger pour la base servant d'escale à ses sous-marins située à quelques encablures plus loin. Une fois encore, c'est un groupe indien, Adani, qui rafle la mise. De quoi conforter les doutes chinois. Car même si les deux pays sont étroitement liés commercialement, la Chine occupe la troisième place dans les échanges israéliens, derrière les États-Unis et l'Union européenne. Elle maintient donc le dialogue en tablant sur l'avenir, sans illusion. À court terme, elle ne dispose pas du moindre levier pour pousser aux négociations. Certains lui reprochent de ne pas se préoccuper du sort d'une otage sino-israélienne du 7 octobre 2023, Noa Argamani. Ils oublient que les autorités chinoises ne reconnaissent pas la double nationalité, et considèrent cette femme comme israélienne, ainsi que l'a rappelé l'ambassadeur à Tel-Aviv, se déclarant sensible au sort « de tous » les otages.
Un ancrage solide avec un minimum de publicité
En maniant habilement les relations bilatérales avec chaque gouvernement, les interventions au sein des organisations multilatérales dédiées et les échanges commerciaux, la Chine a conforté sa présence au Proche-Orient. Elle est devenue le premier partenaire commercial de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l'Iran, à qui elle paie ses achats de pétrole en yuans et non plus en dollars. Cela en dit long à la fois sur la confiance des dirigeants arabes dans l'économie chinoise, et sur la méfiance des pétromonarchies à l'égard des États-Unis, capables à tout moment geler leurs avoirs, comme Washington l'a montré pour la Russie. Le succès est d'autant plus solide que, fidèles aux principes de non-ingérence, les dirigeants chinois veillent à ne jamais s'immiscer dans les querelles régionales (Iran contre Arabie Saoudite, Qatar et Émirats arabes unis, Houthis et Yémen-Arabie Saoudite).
Comme le résume parfaitement l'ex-premier ministre australien Kevin Rudd (5) :
Cette présence stratégique croissante a été rapide et remarquable. Une fois de plus, [sa] capacité à mettre en œuvre sa stratégie avec un minimum de publicité a été fondée sur son formidable levier économique dans chaque capitale, et sa capacité à minimiser le risque d'être prise dans le réseau complexe des tensions intrarégionales. En ne prenant pas parti, la Chine a établi, développé et maintenu des amitiés avec tous les belligérants de la région, équilibrant soigneusement ses relations avec l'Iran, les États arabes et Israël.
De fait, la Chine a multiplié contacts et discussions. Après avoir rencontré l'ambassadrice d'Israël à Pékin le 17 octobre 2023, son envoyé spécial pour le Proche-Orient Zhai Jun s'est lancé dans une valse de voyages, d'abord au Qatar où se négociait le sort d'une partie des otages du Hamas les 19 et 20 octobre, puis le jour suivant en Égypte afin de participer au Sommet du Caire pour la paix, le 24 octobre aux Émirats arabes unis, et ensuite en Jordanie et en Turquie.
Signe des temps : le 20 novembre 2023, une délégation composée de ministres des affaires étrangères de pays membres de la Ligue arabe (Arabie Saoudite, Égypte, Jordanie, Qatar, État palestinien) et de l'Organisation de la coopération islamique (Indonésie, Nigéria, Turquie), lancée dans une tournée internationale en faveur de la paix, a commencé son périple par Pékin et non par Washington ou Paris. Le lendemain, se tenait une réunion des BRICS+ (Brésil, Russie, Chine, Afrique du Sud auxquels se sont joints depuis le début de l'année, l'Éthiopie, l'Iran, les Émirats, l'Arabie saoudite) entièrement consacrée à cette guerre. Deux jours plus tard, se mettait en place un premier cessez-le-feu temporaire et un premier échange d'otages. Certains observateurs y ont alors vu une preuve de l'efficacité chinoise… C'était aller un peu vite en besogne.
Pas question de tomber dans le piège américain
Depuis rien n'a avancé. Et les dirigeants occidentaux – Américains en tête –reprochent à l'empire du Milieu de ne pas intervenir pour mettre fin aux attaques des Houthis qui ciblent les navires liés à Israël en mer Rouge. Ils l'accusent de ne pas faire pression sur l'Iran. Pékin assure de son côté avoir demandé que « cessent ces attaques » qui pénalisent ses exportations. C'est notamment le cas du géant du transport maritime Cosco qui a dû emprunter une route plus longue et donc plus coûteuse. Mais les moyens d'action de la Chine restent limités.
Il lui est surtout reproché de ne pas participer à la coalition dirigée par les États-Unis qui bombarde les positions houthis au Yémen, alors qu'en 2008, elle avait rejoint le front occidental pour lutter contre les pirates attaquant les porte-conteneurs. Mais « nous ne sommes pas les shérifs du monde, rappelle l'ancien ambassadeur, nous respectons le droit international ». En 2008, il y avait en effet un mandat de l'ONU, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Et pour cause, Washington ne pourrait obtenir de feu vert sans contraindre Israël à accepter un cessez-le-feu immédiat.
Plus fondamentalement, la Chine ne veut pas mettre le moindre orteil dans ce « bourbier », fabriqué et entretenu par les États-Unis selon elle. Ce que Wang Yi, le ministre des affaires étrangères, traduit ainsi à l'issue d'une rencontre avec ses homologues d'Arabie Saoudite, de Bahreïn, du Koweït, d'Oman, d'Iran et de Turquie, en janvier 2022 :
Le Moyen-Orient a une longue histoire, des cultures uniques et des ressources naturelles abondantes, mais la région souffre de troubles et de conflits depuis longtemps, en raison d'interventions étrangères (6).
Et d'enfoncer le clou : « Les projets de grand Moyen-Orient proposés par les États-Unis ont des conséquences désastreuses ».
Rappelant à la suite du président Xi Jinping qu'il « ne peut y avoir de sécurité dans la région sans une solution juste à la question de la Palestine », il ajoute : « Nous croyons que les peuples du Moyen-Orient sont les maitres du Moyen-Orient. Ils n'ont pas besoin d'un patriarcat ».
Selon Wang Yi,
certains politiciens et membres de l'élite américaine espèrent que [nous allons] répéter leurs erreurs et combler le « vide de pouvoir » qu'ils laissent. Mais la Chine ne tombera pas dans le piège. (…) Elle ne cherche pas à remplacer les États-Unis.
Que les États-Unis se débrouillent donc avec le chaos qu'ils ont créé ! Pour l'heure, la Chine compte les points de l'impuissance américaine et laisse le monde prendre conscience du double standard occidental dans la défense des droits humains. Reflétant l'opinion de nombre de dirigeants, le ministre jordanien des affaires étrangères Ayman Safadi a ainsi renvoyé dans les cordes le représentant du président Joe Biden en lui rétorquant : « Si un autre pays dans le monde faisait un fragment de ce qu'Israël a fait, il se verrait imposer des sanctions de tous les coins du monde » (7).
.
Toujours aussi peu habile, l'ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye, a publié sur X (ex-Twitter) la photo des bombardements à Gaza et celle des champs cultivés du Xinjiang, comme si les massacres des uns pouvaient justifier la répression des autres.
Certes Pékin ne peut pas asseoir son autorité internationale sur la seule faillite du camp occidental. Mais elle ne peut aujourd'hui que multiplier les initiatives diplomatiques de dialogue et de rencontre, quand d'autres comme Washington disposent d'un atout infaillible pour faire céder Tel-Aviv : arrêter les livraisons d'armes.
Terrorisme et lutte armée vue par Pékin
Le représentant chinois à la Cour internationale de justice (CIJ), Ma Xinmin, a été auditionné le 22 février 2024. Il a défendu le droit des Palestiniens à un État et a fait la différence entre « terrorisme » et « lutte armée » pour l'indépendance. Ci-dessous un extrait de son intervention :
Dans la poursuite du droit à l'autodétermination, le recours à la force par le peuple palestinien pour résister à l'oppression étrangère et pour achever l'établissement d'un État indépendant est un droit inaliénable, fondé en droit international. Après la seconde guerre mondiale, divers peuples y ont eu recours pour gagner leur indépendance. De nombreuses résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies, telle la résolution 3070 de 1973, reconnaissent « la légitimité de la lutte du peuple pour la libération de la domination coloniale et l'occupation étrangère par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée ». Cela se reflète également dans les conventions internationales. Par exemple, la Convention arabe pour la répression du terrorisme de 1998 affirme « le droit des peuples à combattre l'occupation et l'agression étrangères par tous les moyens, y compris la lutte armée, afin de libérer leurs territoires et de garantir leur droit à l'autodétermination et à l'indépendance ». Ainsi la lutte armée est fondée sur le droit international et se distingue des actes de terrorisme. Cette distinction est reconnue par plusieurs conventions internationales. Par exemple, l'article 3 de la Convention de l'Organisation de l'unité africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme de 1999 stipule que « la lutte menée par les peuples conformément aux principes du droit international pour leur libération ou leur autodétermination, y compris la lutte armée contre le colonialisme, l'occupation, l'agression et la domination par des forces étrangères ne doit pas être considérée comme des actes terroristes ». En revanche, l'usage de la force par toute entité ou individu au nom « du droit à l'autodétermination » en dehors du contexte de domination coloniale ou d'occupation étrangère n'est pas légitime. De plus, pendant la lutte armée légitime des peuples, toutes les parties sont tenues de respecter le droit international humanitaire et, en particulier, de s'abstenir de commettre des actes de terrorisme en violation du droit international humanitaire.
Martine Bulard - Ex-rédactrice en chef du Monde diplomatique, autrice notamment de Chine-Inde, La course du dragon et de l'éléphant, (Fayard, 2008), L'Occident malade de l'Occident (avec Jack Dion, Fayard, 2009).
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Finalement, l’extrême droite israélienne obtient la guerre dont elle a toujours voulu

Conçue comme une réponse à l'attaque du Hamas du 7 octobre (2023), le conflit à Gaza est de plus en plus devenu une guerre d'élimination de tout le peuple palestinien. C'était un but des fascistes locaux depuis longtemps.
James Bamford, The Nation, 26 février 2024
Traduction, Alexandra Cyr
« La prochaine balle ira directement dans ton ventre » hurle le colon de garde, en Anglais et en Hébreux ». Il vient juste de tirer avec une mitraillette Uzi à quelques fils au-dessus de nos têtes. C'était en 1990, à Kiryat Arba, une colonie illégale dans les territoires occupés. Nous tentions de filmer la maison de Robert Manning, un citoyen américain recherché aux États-Unis pour un meurtre brutal avec une bombe et suspecté d'autres tentatives de bombardement d'Arabes américains.nes.
À l'époque, je travaillais comme producteur d'investigation pour ABC News ; j'étais accompagné d'une équipe israélienne, un vidéographe et un technicien du son. Depuis des années, R. Manning se cachait et évitait les États-Unis avec l'aide active du gouvernement israélien qui l'avait même accepté dans l'armée. Quelques heures plus tôt, après avoir découvert son domicile, nous l'avions secrètement filmé alors qu'il se rendait à son auto, armé de ce qui semblait être une mitraillette Uzi et nous l'avons suivi jusqu'à une base militaire.
Cet incident qui remonte à 30 ans, a une grande pertinence aujourd'hui. En plus d'être réserviste dans l'armée israélienne il était aussi un soldat de premier rang dans la violente et raciste organisation Kach fondée par un rabbin orthodoxe américain, Meir Kahane. Même s'il a été assassiné en 1990 et que Kach a été banni par le gouvernement israélien en 1994, au fil du temps les rabbins fidèles à l'organisation appelés les Kahanistes ont sérieusement gagné en pouvoir et en force au point où ils jouent un rôle majeur dans le gouvernement israélien actuel. Ils sont même influents dans les prises de décisions qui concernent la guerre avec le Hamas. La solution prônée par le rabbin Kahane était finalement l'usage de la force pour éliminer tous les Palestiniens d'Israël proprement dit et des territoires occupés soit, exactement ce que donne à voir Gaza en ce moment au monde entier.
Selon le quotidien israélien Haaretz, « la vision kahaniste en est une où la violence et la revanche sont intrinsèquement liées à la religion juive et Israël ne mérite pas d'exister s'il n'expurge pas tous les non Juifs de son milieu. Avec cette approche d'identité ethnique d'Israël, qui est un appel clair à expulser tous les citoyens.nes arabes et les Palestiniens.nes qui résident dans les territoires occupés, ce rabbin a non seulement gagné une certaine réputation à dire ce que les autres n'osaient même pas penser mais aussi d'avoir la volonté d'agir préventivement contre les Arabes ».
En 1968, à Brooklyn, le rabbin Kahane fonde la Ligue de défense juive qui brandissait un drapeau affublé d'un poing levé contre l'étoile de David. Trois ans plus tard, il était reconnu coupable à New York de conspiration pour fabrication d'explosifs. Il a reçu une sentence suspendue de cinq ans. Il déménage en Israël cette année-là et a fait partie des fondateurs du parti politique Kach qui milite pour l'expulsion forcée de toute la population palestinienne, à laquelle il réfère avec le mot « chiens », à la fois d'Israël proprement dit et des territoires occupés. Ce parti a aussi été introduit aux États-Unis où il a été banni en 1994 au titre d'organisation étrangère terroriste. En 1984, l'appel au nettoyage ethnique violent prôné par le rabbin Kahane a reçu suffisamment de soutien populaire pour que le parti gagne un siège au parlement israélien.
Pendant ce temps, aux États-Unis, la Ligue de défense juive continuait à grandir et s'est vite transformée en une version juive du Ku Klux Klan. Elle a été à l'origine d'attaques à la bombe contre des Arabes américains.nes partout dans le pays mais, pas contre les noirs.es. Entre 1980 et 1985, le FBI a dénombré pas moins de 17 de ces attaques. Une des cibles premières fut Alex Odeh, un Palestinien né dans ce qui est maintenant la Cisjordanie occupée. À l'époque il était le directeur régional pour la Californie du sud du Comité contre la discrimination des Arabes américains, un groupe américain militant pour les droits des Palestiniens.
En octobre 1985, une bombe a été placée et a éclatée à l'entrée du siège social du Comité tuant M. Odeh au moment où il ouvrait la porte. Quelques heures plus tard, Irv Rubin, président national de la Ligue juive donnait son appréciation : « Je ne verserai pas une larme pour M. Odeh. Il a reçu ce qu'il méritait ». Le FBI s'est centré sur trois des membres éminents de la Ligue et associés de longue date au rabbin Kahane détenant en plus de lourd dossiers criminels soit, Robert Manning, Andy Green et Keith Fuchs. Dans une entrevue, un ancien agent du FBI m'a déclaré : « Le plus important était de savoir sur oui ou non le rabbin Kahane était derrière ces bombardements ». Plus tard, tous les suspects se sont enfui en Israël et malgré leur histoire violente et criminelle, ils ont pu avoir la garantie de la citoyenneté en bénéficiant de la loi sur le retour. Ils se sont installés dans des colonies dans les territoires occupés.
Malgré les enquêtes fouillées des agents déterminés du FBI les années ont passé sans aucune arrestation ou extradition. Pourtant, R. Manning et son épouse étaient aussi suspects numéro un dans un autre meurtre brutal, celui de Patricia Wikerson secrétaire d'une petite entreprise d'ordinateurs à Los Angeles. Elle a été tuée par un bombe arrivée par la poste. R. Manning avait été engagé par un autre membre de la Ligue de défense juive pour tuer le patron de Mme Wilkerson et ainsi régler un différend financier. Mme Wilkerson a été tuée par erreur par cette puissante explosion.
Dix ans plus tard, à cause du manque d'action, il était clair qu'Israël protégeait délibérément ces violents kahanistes. Un ancien membre de haut niveau du Département de la justice américain réclamant l'anonymat analysait : « Nous considérons leur réponse (celle d'Israël) fallacieuse. Nous leur disons qu'ils ont une obligation internationale, qu'ils violent une entente internationale en ne faisant rien quand on le leur demande … Ils ont eu des années pour légalement arrêter R. Manning et ils ne l'ont pas fait. Donc, tout ce qu'on peut dire c'est qu'ils n'ont absolument aucun intérêt à nous aider ».
En 1990 je suis allé en Israël pour tenter de retrouver R. Manning et l'interroger. Il semble que notre affaire ait provoqué des fortes réactions dans le pays et motivé le Département de la justice à faire plus de pression sur Israël qui a finalement extradé M. Manning. En 1994, il a été trouvé coupable pour le meurtre de Mme Wilkerson lors d'un procès à Los Angeles et a reçu une sentence de prison à vie avec une possibilité de libération conditionnelle après 30 ans.
En octobre dernier, malgré les protestations des familles Odeh et Wilkerson, R. Manning a pu bénéficier de la liberté conditionnelle après 30 ans de prison. Il devrait être libéré complètement de la prison fédérale à l'été 2024. Mais les deux autres suspects dans le meurtre de M. Odeh, dont Andy Green n'ont jamais été arrêtés et sont toujours libres.
Il a été un des associés le plus proche du rabbin Kahane, même son adjoint principal. En 1980, les deux personnages ont conspiré pour faire exploser le Dôme du rocher et ainsi tuer des centaines d'Arabes et de Palestiniens. Ce site religieux est vénéré par tous les Musulmans de par le monde, c'est le plus vieil ouvrage d'architecture islamique et il est situé aux côtés de la Mosquée Al-Aqsa le troisième lieu saint de l'Islam. Pour les Musulmans, le prophète Mohamed serait monté au ciel depuis cette mosquée. Mais, pour les Juifs, ce bout de terrain où se trouvent les deux sanctuaires est connu comme « le Mont du temple » et révéré comme le lieu où les premiers et seconds temples (juifs) étaient érigés. Le rabbin Kahane soutenait que lorsque la mosquée Al-Aqsa serait détruite avec ses dépendances, les Juifs pourraient construire le troisième temple par-dessus les gravats.
Les deux protagonistes ont été attrapés avant de commettre leur méfait et ont été condamnés à six mois de prison. Mais ce projet de destruction de la mosquée Al-Aqsa et de ce qui l'entoure est longtemps resté une obsession pour le rabbin A. Green et les fidèles du parti.
Plus tard, A. Green a changé de nom pour celui de Baruch Ben-Yoseph. Il est devenu président du mouvement d'extrême droite en faveur de l'établissement du Temple et a été rejoint par un autre Juif suprémaciste, obsédé par la destruction de la mosquée Al-Aqsa soit, Itamar Ben-Gvir. Même s'il a été condamné pour incitation à la haine et soutien à une organisation terroriste en 2007, en 2022 le Premier ministre Nétanyahou l'a nommé au puissant ministère de la sécurité nationale. Haaretz lui avait donné le titre de « successeur idéologique de l'ancien rabbin Meir Kahane ».
Ses propos ont d'ailleurs été présentés en preuve de génocide contre Israël par l'Afrique du sud, lors des audiences devant la Cour internationale de justice.
Dans le Monde, la sociologue Eva Illouz, professeure à l'Université hébraïque de Jérusalem écrit qu'il représente ce qu'on est bien obligé d'appeler le « fascisme juif ». Et elle ajoute qu'en tant qu'avocat, il a défendu des terroristes juifs et a applaudi à des opérations terroristes commises par des Juifs. Par exemple, celle de Baruch Goldstein qui avait tué 29 Palestiniens pendant leur prière à la mosquée d'Ibrahim. Il s'identifie tellement au terrorisme juif qu'il a même proposé d'abolir cette notion (pourtant reconnue par la police et le Shin Beth israéliens). Dans le Jerusalem Post, le rédacteur en chef, Yaakov Katz, le nomme « la version israélienne moderne de la suprématie blanche américaine et du fascisme européen ».
Le Times of Israël note que le parti de I. Ben-Gvir, Otzma Yehudit (Pouvoir juif), est vu comme le successeur du parti raciste Kach et de son fondateur Meir Kahane. Lors des dernières élections, le parti a fait alliance avec le parti Jewish Home-National Union de Bezalel Smotrich pour former ce que Ynetnews nomme « une dynastie de racisme et de provocation ». Peu après, B. Smotrich était nommé au puissant ministère des finances. En même temps, le petit-fils du rabbin Kahane, Meir Ettinger, est devenu le leader de Hilltop Youth, un groupe qui vit dans des postes avancés illégaux en Cisjordanie et qui attaque fréquemment brutalement des innocents.es palestiniens.nes. Récemment il a appelé à l'activation de cellules secrètes en disant : « Comme alternative à l'armée, il est possible d'activer des cellules de colons militaires armés pour perpétrer des massacres de Palestiniens.nes afin faire stopper leurs attaques ».
Le racisme et la suprématie juive s'étant répandus dans la société israélienne, la route était ouverte pour le retour du Kahanisme. En août dernier, Matan Vilnai, ancien adjoint à l'état-major de l'armée israélienne, mettait en garde : « N'importe qui peut constater que nous sommes en train de devenir un sinistre État kahaniste, raciste, religieux, radical, du Jourdain à la Méditerranée ». La semaine dernière, l'ancien Premier ministre Ehud Olmert présentait sa propre mise en garde dans Haaretz. Parlant des Kahanistes, qu'il désigne de : « Gangs de promoteurs de pogroms, (ils) ont pris le contrôle du gouvernement israélien et ont transformé son chef en serviteur. Les choses sont si désastreuses qu'on ne peut éviter de dire clairement et fortement : Nétanyahou, ça va finir dans encore plus de sang. Prenez note, vous aurez été averti ».
Selon l'académicien Idan Yaron, qui a passé plusieurs années à étudier le phénomène kahane, le leadership politique actuel en Israël n'a aucune tolérance pour qui que ce soit qui n'est pas Juif.ve : « Quiconque conteste l'approche nationale religieuse, quiconque n'est pas « un.e vrai.e Juif.ve » selon la définition du rabbin Kahane, doit être éliminé.e. Et ce n'est pas une métaphore. Le Premier ministre israélien est en train de légitimer le mouvement kahaniste et ses leaders qui sont absolument engagés envers ce rabbin et son programme. Ils ont tout fait pour perpétuer sa doctrine ».
Longtemps, B. Nétanyahou a démontré des idées similaires à celle de ce rabbin. En novembre 1989, alors qu'il était sous-ministre des affaires étrangères, il a fait un discours à l'Université Bar-Ilan. Selon le Jerusalem Post, il déplorait que : « le gouvernement n'est pas exploité politiquement des circonstances favorables pour procéder à des expulsions sur une large échelle. Politiquement les dommages auraient été minimes … Je pense qu'il y a encore des possibilités d'expulser beaucoup de monde ». Certains.nes de ses plus proches collaborateurs.trices l'ont accusé d'être un clone de Kahane. L'actuel membre du cabinet de guerre, Benny Gantz, ancien ministre de la défense, déclarait en 2019, que : « Kahane serait fier de Nétanyahou ».
Cette dangereuse renaissance du kahanisme est soutenue par les milliards de dollars des contribuables américains.es dont les politiciens du Congrès et de la Maison blanche qui espèrent ainsi, s'attirer les faveurs des lobbys des riches donnateurs.trices Juifs.ves et pro-israéliens.nes, dotent le gouvernement israélien. En mars 2022, durant sa visite en Israël l'ancien vice-président Mike Pence, a rencontré bien amicalement le disciple du rabbin Kahane, I. Ben-Gvir et le fondateur du parti Pouvoir juif, Baruch Marzel qui a servi d'homme de main au rabbin Kahane et a été son porte-parole durant une décennie. Mike Pence a déclaré à I. Ben Gvir que c'était un grand honneur que de le rencontrer et a ajouté : « Demeurez fort, nous allons être avec vous ».
Deux mois plus tard, le Président Biden autorisait le retrait de la liste des « organisations étrangères terroristes » la ramification (américaine) de Kach, Kahane Chai (vive Kahane). William Lafi Youmans, professeur associé à l'Université George Washington, prévient que : « Kach et Kahane s'étant divisés en divers groupes et partis politiques, ils continuent d'exposer, d'inspirer et d'agir violemment contre les civils.es palestiniens.nes. Au lieu de les retirer de cette liste, le Département d'État aurait dû procéder à une mise à jour et l'étendre (dans le temps) ».
En mai dernier, les violentes menaces d'expulsion des Palestiniens.nes des territoires occupés par Israël et de destruction de la mosquée Al-Aqsa ont atteint un sommet le jour israélien de Jérusalem, une fête qui marque la conquête de la ville par les troupes israéliennes en 1967. La foule marchait dans les quartiers palestiniens en scandant des slogans racistes dont : « Kahane avait raison » et « Mort aux Arabes ». I. Ben Gvir, disciple du rabbin Kahane et membre du cabinet Nétanyahou s'était joint aux manifestants.es ; pour la première fois un ministre prenait part à une telle manifestation. Le ministre des finances, Bazalel Smotrich y était aussi apparu.
Cinq mois plus tard, le 7 octobre, l'aile militaire du Hamas passait à l'attaque et tuais 1,200 Israéliens.nes, pour la majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées. Le chef de l'aile politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, déclarait : « L'opération inondation d'Al-Aqsa est lancée ».
La guerre dont les Kahanistes ont longtemps rêvée pour expulser ou éradiquer les Palestiniens.nes, s'emparer de leurs terres et détruire l'Esplanade des mosquées a commencé. En 1993, Andy Green alias Ben Yosef confiant disait : « Pensez à ce à quoi nous feront face quand nous bouterons les Arabes hors du Mont du temple. Nous allons devoir affronter le jihad de la totalité du monde musulman. Je suis prêt à le faire parce que je sais que c'est ce que Dieu veut ». Celui qui mène le jihad juif d'après Kahane, c'est l'ami de Ben Yosef, le ministre de la sécurité nationale, Ben-Gvir. En 2022, en réponse à un article critique dans Haaretz, il écrivait : « Vous avez clarifié que je suis dans le droit chemin et que le rabbin Kahane, que son sang soit vengé, me sourit ». Shaul Magid, un membre distingué des études juives au Collège Dartmouth et auteur d'un ouvrage portant sur le rabbin Kahane met en garde : « Ben-Gvir est de loin bien plus dangereux pour la société israélienne que Kahane ne l'a jamais été ».
L'ancien premier ministre Ehud Olmert approuve sans ambiguïté. Comme il le note dans Haaretz : « Le but ultime de cette gang (les Kahanistes) est de purger les territoires occupés de leur population palestinienne, de nettoyer l'esplanade des mosquées de ses fidèles (musulmans.nes) et d'annexer les territoires à l'État d'Israël. Le bain de sang est le moyen d'y arriver. Aussi bien le sang israélien dans le pays et dans les territoires qui sont contrôlés depuis 57 ans que le sang juif d'ailleurs dans le monde. Et aussi beaucoup de sang palestinien dans les territoires bien sûr, à Jérusalem s'il n'y a pas d'alternative et parmi les Arabes citoyens.nes d'Israël. Cet objectif ne sera pas atteint sans d'énormes bains de sang. Armageddon ».
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Au côté des Palestinien·es, la résistance continue

Un génocide est exposé en direct sur nos écrans. Les mutilations, les villes dévastées, les dizaines de milliers de morts dans des circonstances atroces, les attaques d'hôpitaux, les véhicules de Médecin sans frontières visés par des missiles et la suppression des subventions à l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) – tout cela caractérise la tentative de génocide en cours.
Tiré de Inprecor 718 - mars 2024
29 février 2024
Par Antoine Larrache
Manifestation à Strasbourg (France). © Photothèque Rouge
Une lutte sans pitié
Les grandes puissances impérialistes nous présentent leurs « faits alternatifs » – une méthode popularisée par Trump – selon lesquels Israël se défendrait contre une agression. Michel Warchawski utilise la métaphore selon laquelle Israël est la queue qui fait bouger le chien que sont les États-Unis, pour montrer qu'Israël possède une autonomie vis-à-vis des puissances occidentales mais est intimement lié à elles.
Celles-ci, par leur collaboration avec Israël, montrent la nature de leur domination sur le monde : elles mènent une lutte à mort contre les classes populaires, contre celles et ceux qui, par leur simple existence, nuisent à leurs intérêts économiques et politiques. Le financement, la fourniture d'armements, les investissements, le soutien politique – notamment l'islamophobie – des classes dominantes montrent l'unité entre la politique d'Israël et leurs politiques dans leur propre pays.
Il y a urgence à agir. Le gouvernement Netanyahou a fixé un ultimatum au 10 mars, début du ramadan, pour la libération des otages israélien·es, menaçant de renforcer l'attaque sur Rafah, avec la possibilité d'un approfondissement du génocide, la population étant repoussée vers l'Égypte et la mer.
Les mobilisations existent
Ces dernières semaines, 50 000 personnes ont manifesté à Londres, autant à Copenhague, 20 000 à Bruxelles, des dizaines de milliers aux États-Unis. Des collectifs militants existent – Palestine Solidarity Campaign en Grande-Bretagne, Stop Annekteringen af Palæstina au Danemark, Urgence Palestine notamment en France, etc. – et construisent la mobilisation à la base.
Des actions de boycott, dans le cadre de la campagne BDS, sont réalisées, avec efficacité, puisque McDonald's aurait vu sa croissance dans le monde limitée à 0,7 % au lieu des 5,5 % prévus, avec une baisse de fréquentation de 13 % durant 2023 aux États-Unis, attribuée notamment au boycott (1) . Les appels contre Carrefour ont permis de grands rassemblements. Puma ne renouvellera pas son partenariat avec la Fédération israélienne de football, sous la pression du boycott et des actions de saturation téléphoniques, des boîtes emails, etc.
Parfois, le désespoir gagne, comme c'est le cas lorsqu'un jeune homme s'immole par le feu aux États-Unis (2) . Mais des éléments positifs existent, avec des discussions de plus en plus régulières dans les organisations syndicales pour soutenir le peuple palestinien. En Israël même, des résistances existent, à l'image du travail réalisé par les sites +972 magazine et B'tselem et des manifestations organisées et dont nous nous faisons l'écho, même si elles sont limitées en termes numériques, pour mettre en valeur le fait que des juifs résistent au sionisme morbide, dans le monde entier.
Une rencontre internationale aura lieu les 16 et 17 mars à Barcelone pour coordonner la résistance. La construction de la mobilisation est une tâche essentielle pour la IVe Internationale et ses organisations. Comme l'avait déclaré nos camarades de la région arabe « à Gaza pourrait bien se jouer l'avenir du monde » (3) : comme l'Ukraine, la Palestine est un lieu où se mesure le désordre mondial. Les puissances impérialistes essaient de solidifier ou agrandir leur contrôle sur certaines régions, dans le cadre de la crise globale du capitalisme et du durcissement de la concurrence internationale.
Notre combat
Nous sommes dans un monde en guerre. Celle-ci s'inscrit dans la durée et tous les éléments du rapport de forces comptent pour trouver une issue.
La mobilisation en solidarité avec la Palestine, comme la résistance sur place et en Ukraine, s'inscrivent dans ce cadre. En agissant, les classes populaires s'homogénéisent. Les discussions politiques sont multiples, sur comment construire un mouvement, le front unique, et les solutions pour la Palestine.
Pour la IVe Internationale, elles commencent par le droit au retour de tou·tes les Palestinien·es sur le territoire historiquement reconnu de la Palestine, l'élimination de l'apartheid du fleuve à la mer, la lutte contre toutes les formes d'oppression, de racisme et d'exploitation dans toute la région, l'imposition de l'égalité des droits pour tous les peuples et, par conséquent, le démantèlement de l'État sioniste en tant qu'État « des Juifs ».
Nous souhaitons le développement d'un vaste mouvement révolutionnaire égalitaire de tous les peuples de Palestine dans leur lutte pour l'autodétermination. Ce qui nécessite le rejet du sionisme par le peuple juif d'Israël et sa participation à une révolution arabe porteuse d'une dynamique démocratique, laïque et socialiste.
Le 27 février 2024
1. « Le chiffre d'affaires de McDonald's en baisse après un boycott massif », Inès Bennacer, 7 février 2024, Forbes.
2. « Man Dies After Setting Himself on Fire Outside Israeli Embassy in Washington, Police Say », Aishvarya Kavi, 25 février 2024, New York Times.
3. Déclaration d'Al Mounadil-a (Maroc), de l'Organisation des Révolutionnaires socialistes (Égypte), de Mahmoud Rechidi (porte-parole du Parti socialiste des travailleurs, suspendu, Algérie) et du Groupe révolutionnaire communiste (Liban).
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :