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Une stratégie écosocialiste pour gagner le futur

20 février 2024, par Sabrina Fernandes — , ,
Le monde où nous vivons connaît une crise multiforme : économique, politique et écologique. Des centaines de millions de personnes ont vu leur niveau de vie se détériorer et (…)

Le monde où nous vivons connaît une crise multiforme : économique, politique et écologique. Des centaines de millions de personnes ont vu leur niveau de vie se détériorer et les perspectives deviennent brumeuses, alors que d'autres centaines de millions de personnes connaissent les sécheresses, les inondations et d'autres impacts du changement climatique, qui ne se feront que s'aggraver avec le passage du temps.

Tiré de la revue Contretemps
15 février 2024

Par Sabrina Fernandes

Quand les négociations climatiques internationales stagnent et que l'activisme climatique prédominant se désespère toujours plus, la nécessité d'un modèle de société différente et d'une stratégie politique pour y parvenir n'a jamais été aussi urgente. Mais quelles seraient concrètement leurs caractéristiques ? Autrice, sociologue et militante au Brésil, Sabina Fernandes développe ici ce que pourrait être une stratégie écosocialiste permettant de stopper la marche du capitalisme vers la catastrophe.

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Développer une stratégie effective pour un changement politique radical implique d'avoir une vision claire des antagonismes, des alternatives et des voies d'exécution. Si nous reconnaissons que les nombreuses crises actuelles sont les effets communs du projet capitaliste (et non des déviations de celui-ci), pour donner des réponses, nous devons nommer l'antagoniste d'une manière qui permette aux gens d'identifier le problème et de s'y opposer. Ce n'est pas facile, vu que l'hégémonie capitaliste est aussi liée à sa capacité à masquer la réalité, à promouvoir le consensus et à terroriser ceux qui s'avisent à mettre sur le banc des accusés ce qui est mal.

Ensuite, nous devons imaginer ce qui vient après. Il ne suffit pas de s'opposer à quelque chose si l'on n'offre pas une alternative qui soit à la fois attractive et possible. Si le capitalisme est le mal, que voulons-nous à sa place ? On a proposé de nombreuses options, dont certaines pourraient être pires que notre capitalisme actuel. Si le capitalisme détruit la planète, que dire d'une nouvelle ère de capitalisme colonial dans l'espace ? Des multimillionnaires ont utilisé cette vision pour stimuler l'imagination et susciter la foi dans des solutions technologiques comme manière de favoriser leurs propres intérêts d'entrepreneurs et attirer davantage d'investisseurs. D'autre part, des scientifiques et le mouvement de défense de l'environnement répondent en affirmant l'évidence : il n'y a pas de planète B !

Notre tâche consiste à démontrer qu'il ne suffit pas de remplacer le capitalisme, vu que ses succédanés peuvent poser problème. Ce qui vient après doit aborder les failles du système actuel et être meilleur de différentes manières, afin de démontrer que le statu quo n'a simplement plus de sens. L'alternative doit faire que le capitalisme s'avère inadéquat, inutilisable et obsolète.

Le problème avec le comment réside dans le fait que souvent il est perçu comme une simple question de choix entre des mécanismes et des instruments disponibles dans un arsenal existant. Si nous voulons aller de la ville de México à Guadalaraja, nous pouvons choisir l'automobile, l'autocar, l'avion ou même les jambes. Une vision purement instrumentale du comment dépolitise les conditions et les conséquences des méthodes employées, et nous empêche d'évaluer continuellement la compatibilité entre une tactique adoptée et la stratégie générale.

Nos instruments sont soumis à des conditions politiques : temps et espace, chaînes de production et de distribution, disponibilité des ressources, engagement des acteur.trice.s, possibilité de déviation, question des ajustements dans le cours du processus de changement social… Cela signifie qu'une fois que nous identifions le capitalisme comme le problème principal et nous proposons en effet le socialisme comme la meilleure alternative, la manière d'y arriver implique non seulement un choix entre réforme ou révolution, mais détermine essentiellement les conditions nécessaires à créer pour prendre le pouvoir tout en le transformant, et le maintenir. Nous ne pouvons pas nous contenter de désirer la fin du capitalisme et de le remplacer par le socialisme.

Faire l'histoire, aujourd'hui et dans le futur

Karl Marx écrivait que « les hommes font leur propre histoire, mais… dans des conditions directement données et héritées du passé » [1]. Cela veut dire que nous ne devons pas accepter ces circonstances, ces conditions ou ces entraves, mais que notre tâche consiste à créer des conditions différentes pour en hériter dans le futur, des conditions qui nous offriront plus de possibilités d'implanter des éléments de notre stratégie.

Quand nous proposons le socialisme comme système qui nous sauvera du capitalisme, il ne suffit pas d'affirmer simplement que la révolution socialiste est nécessaire parce que sans elle la société ne survivra pas. Pour ceux et celles qui sont déjà convaincu.e.s de l'urgente nécessité de renverser le capitalisme, ces affirmations ne sont que des lapalissades utilisées pour confirmer nos propres positions radicales. Que cette réalité nous plaise ou non, nulle part nous avons à faire à l'imminence d'un soulèvement révolutionnaire et l'établissement d'alternatives socialistes à l'échelle globale. Dire cela n'est pas de l'anticommunisme défaitiste, mais c'est reconnaître simplement les conditions concrètes que nous a léguées le passé.

Assumer de manière critique nos déficiences nous mène à aborder les contradictions relatives aux temps de la construction du socialisme dans ce monde qui se réchauffe de manière accélérée. Cela nous met face au temps : le temps que nous avons perdu, le temps que nous consacrons maintenant et le temps que nous n'avons simplement pas. Si la révolution est le frein d'urgence du train emballé de l'Anthropocène, pour employer la métaphore de Walter Benjamin, nous avons aussi besoin d'un plan d'évacuation. La transition écologique passe par la manière dont nous prenons des mesures de sécurité pour nous préparer à l'impact de la révolution et pour nous équiper afin de débarquer dans un terrain inexploré.

Plus qu'aucune crise qui nous affecte aujourd'hui, la crise écologique altère radicalement notre sens de l'urgence, parce qu'elle comporte l'effondrement des conditions matérielles qui rendent la vie possible. Cette crise, comme les autres, est en majeure partie le produit du système capitaliste. Les facteurs de la grande accélération, qui va de l'augmentation des températures globales à la perte de la biodiversité, sont associés à l'aspect insoutenable du mode de production en vigueur. Cette grande accélération ne peut pas être arrêtée par des solutions capitalistes, parce que le capital requiert toujours plus de ressources naturelles pour que son cycle d'accumulation se poursuive.

En ce sens, le capitalisme vert suppose une menace supérieure au négationnisme climatique ordinaire, vu qu'il paraît reconnaître le consensus scientifique sur le changement climatique, mais qu'il occulte le rôle du capitalisme dans la crise. Ses solutions développent quelques critiques, mais seulement dans la mesure où elles sont compatibles avec l'objectif ultime de générer des bénéfices futurs. Considérer le capitalisme comme un problème que l'on peut gérer sans changements drastiques du mode de production conduit à de fausses solutions, et rejoint par conséquent le négationnisme climatique.

Il ne suffit pas de changer la manière d'acheter des produits pour résoudre le problème. Les systèmes de compensation des émissions de carbone permettent aux grands pollueurs de maintenir leur niveau d'émissions de gaz à effet de serre, alors que d'autres entreprises s'efforcent de réduire une partie de leurs émissions. Il ne suffit pas d'envisager de nouvelles technologies, dont le développement sert surtout à faire grossir les portefeuilles d'actions de multimillionnaires du secteur de la géo-ingénierie, mais qui peuvent avoir de graves conséquences. Nous ne pouvons pas remplacer simplement la façon de fournir l'énergie à l'industrie et aux entreprises de biens et de services et de les orienter vers les renouvelables, parce que les ressources que nous avons sur la terre sont limitées. Nous devrons nous adapter qualitativement et quantitativement.

Le capitalisme doit disparaître pour que la vie puisse continuer, mais dans nos conditions politiques actuelles aucune solution ne semble être à la fois radicale et suffisamment rapide pour faire face à la crise écologique sans contradictions. Nous affrontons les menaces immédiates de la réorganisation des forces d'extrême droite et fascistes – y compris écofascistes – et la domination croissante du capitalisme vert. Pendant que nous nous organisons pour lutter contre ces menaces, notre travail consiste aussi à identifier et à nous engager dans les possibles lignes d'action qui permettent en même temps d'aborder de nombreuses choses.

Un programme de prévention qui peut commencer sous le capitalisme, comme le soutient David Schwartzman, est essentiel. Pour échapper au désastre écologique, nous devrons mettre en pratique des idées, des politiques, des microsystèmes, des réformes et d'autres accords sociopolitiques qui ralentissent le rythme de la crise tout en jetant en même temps les bases d'un pouvoir populaire capable de la dépasser et de soutenir un nouveau système.

Il s'agit d'une question de soutenabilité radicale. Nous avons besoin d'une stratégie qui opère dans deux dynamiques différentes, de manière à pouvoir rendre compte des contradictions auxquelles on doit faire face. La stratégie requiert que nous pensions simultanément à des questions à court, moyen et long terme, mais avec une flexibilité reconnaissant que l'histoire n'est pas une séquence linéaire d'événements ; de nouvelles contradictions surgissent à mesure que nous faisons l'histoire.

Jeter des bases soutenables pour une action plus radicale dans le futur, c'est créer des conditions qui poseront des problèmes auxquels nous ne sommes pas préparés ou dont nous ne sommes même pas conscients aujourd'hui. Si notre stratégie a du succès, nos problèmes ne consisteront pas simplement à différer la fin du monde, mais à s'occuper de ce que nous faisons réellement dans cette planète durant les siècles à venir, dans les millions d'années qui restent.

Identifier le sujet du changement

Qui peut appliquer cette stratégie ? Uniquement des secteurs de la population dont les intérêts réels résident dans la préservation des conditions de vie sur Terre, en désirant simultanément que cette vie mérite d'être vécue d'une manière inclusive et pacifique ; des personnes qui ont besoin de regagner le temps qui leur a été arraché par l'exploitation capitaliste afin de prolonger le temps de la société humaine sur la Terre.

Notre stratégie ne court pas le risque de rester impliquée dans le capitalisme vert, parce que notre sujet de changement est la majorité de la société exploitée par ce système : la classe travailleuse, les personnes migrantes et réfugiées, les groupes indigènes, les personnes handicapées, les majorités racisées, les femmes et les personnes LGBTQI+ marginalisées. Notre stratégie requiert la construction d'un pouvoir collectif démontrant à la majorité de la classe subalterne qu'il est possible de réorganiser la société et que les résultats de cette restructuration sont désirables.

Les objectifs désirables sont partie intégrante d'une stratégie juste. La vie doit s'améliorer dès le début de l'application d'un programme écosocialiste pour garantir l'appui soutenu à l'horizon socialiste et la viabilité de la rupture, spécialement quand celle-ci se trouve sous des menaces externes de répression, de sanctions et de guerre. Ces menaces doivent se prévoir, vu que notre stratégie défiera dès le début les foyers de l'hégémonie capitaliste et créera les conditions d'une action contre-hégémonique organisée, le plus près d'une conscience socialiste généralisée.

Les menaces augmenteront d'autant plus que nous nous transformerons aussi en une menace. Néanmoins, ces menaces ne doivent pas être utilisées pour justifier des renoncements. Les attaques limitent les lignes d'action, mais elles ne peuvent pas être une excuse pour prendre le chemin le plus facile, c'est-à-dire restreindre les libertés qui constituent le noyau du projet socialiste. Notre stratégie préparera la guerre, mais elle essaiera de l'éviter en jetant les bases de la paix.

En résumé, notre stratégie consiste en une transition écologique, qui rende possible la transition socialiste, pour passer d'une société profondément insoutenable à une société où le risque d'effondrement aura été retardé au moins pour quelques siècles.

Vu que l'effondrement planétaire est un risque réel dans ce siècle, comme l'évalue le rapport d'évaluation globale sur la réduction du risque de désastres de 2022 [2], la transition écologique devrait se produire dans un court terme, dans les 20 ou 30 prochaines années. Ainsi, en supposant que le capitalisme soit le système dominant des prochaines décennies, la transition écologique se produira dans sa plus grande partie sous le système actuel. Cela n'est pas dû au fait que nous optons pour réaliser cette transition sous le capitalisme, mais au fait que si celle-ci n'intervient pas immédiatement, il n'y a pas de possibilité d'arriver au socialisme vu l'épuisement des conditions qui soutiennent la vie. Après tout, nous continuons dans le train.

La transition écologique constitue notre réponse initiale et, si elle se fait correctement, elle nous permettra d'appliquer les meilleurs plans à long terme. Bien sûr, une fois que se produit le passage du capitalisme au socialisme, on pourra réaliser des aspects bien plus radicaux de la transition écologique au sein d'une transition écosocialiste avec différents piliers de propriété et de pouvoir.

Vu que les réformes promues par les nombreux plans et accords de la transition écologique ne sont pas suffisants pour dépasser réellement le capitalisme, notre stratégie requiert la construction de puissants mouvements qui garantissent ces réformes, mais qui créent aussi les conditions de la rupture. André Gorz parlait de « réformes non-réformistes » par leur potentiel pour aider à cultiver des « contre-pouvoirs », le contraire du réformisme qui gère le système. Ainsi, une stratégie écosocialiste requiert une période de combinaison du travail d'organisation et avec un programme solide de transition écologique sous le capitalisme, pour que les fruits de ce labeur permettent, en dernière instance, de rompre avec le système et de construire une société écosocialiste.

Deux dynamiques politiques interagissent et se soutiennent mutuellement pour former une nouvelle stratégie.

Une dynamique entraîne une transition plus rapide du point A au point B, où nous gagnons du temps et nous offrons des lueurs d'une vie meilleure tandis que nous restons sous le capitalisme. La transition écologique implique une combinaison de plans de transitions et de pactes verts qui profitent du pouvoir limité des réformes dans un premier moment, en se centrant sur des réformes structurelles qui abordent la crise immédiate, renforcent le secteur et la gestion publics, suscitent la participation politique à divers niveaux, font un usage informé des campagnes et de la propagande pour créer de la conscience, préparent les organisations socialistes à gérer les problèmes à leur niveau, nationalisent les ressources, construisent des infrastructures qui favorisent un usage efficient de ces ressources et une vie plus collective et dépassent les frontières avec une perspective d'intégration régionale, de réparations et de solidarité internationale.

L'autre dynamique consiste à construire des mouvements, grâce auxquels nous renforçons la conscience de classe et les normes socialistes démocratiques qui construisent le pouvoir collectif pour une rupture plus radicale qui pointe tous les piliers de la propriété privée, du bénéfice et de l'accumulation dans ce qui sera la transition du capitalisme au socialisme. La construction de mouvement crée le sujet de la transition écologique, mais elle va au-delà, vu qu'elle génère les conditions pour le pouvoir socialiste. Une fois sous l'écosocialisme, la construction des mouvements est essentielle pour consolider le pouvoir populaire, vu qu'une marée implique l'autre et que notre stratégie continue à être réévaluée et réajustée.

Bien au-delà du GND (Green New Deal)

La profondeur de la crise écologique implique que si certaines conditions ne sont pas remplies il n'y a pas de possibilité de construire une société socialiste, bien que la classe ouvrière soit préparée au socialisme. Ainsi, une stratégie écosocialiste efficace se situe dans la connaissance et la matérialité de l'anthropocène, mais elle prétend raccourcir cette ère par des moyens écologiques.

Cette conclusion devrait guider les discussions sur les diverses demandes d'un nouveau pacte vert (Green New Deal, GND). En général, un GND est un ensemble de réformes, d'investissements et d'ajustement liés au frein et à l'adaptation au changement climatique, mais aussi à d'autres aspects de la crise écologique, qui doivent s'appliquer à court terme. Les GND doivent faire partie de notre stratégie, mais notre stratégie ne peut se résumer aux GND, vu qu'ils se résument à un ensemble de politiques publiques et qu'ils sont vulnérables aux changements de gouvernement.

De plus, les programmes nationaux de ce type doivent aussi se coordonner à travers des programmes régionaux et suivre une orientation globale plus générale. Les débats sur un GND présentés par les mouvements sociaux et les organisations de la société civile doivent ébaucher des principes et offrir des issues pour des accords internationaux et le renforcement des alliances. Après tout, la transition écologique requiert une action forte coordonnée pour atteindre des objectifs à court et à moyen terme.

On a présenté différentes versions du GND depuis que ce débat a resurgi aux USA après 2018 [3], certaines plus capitalistes et d'autres plus radicales. Indépendamment des étiquettes utilisées, l'avantage d'intégrer des programmes similaires au GND dans une stratégie écosocialiste est double : ils incluent des changements qui peuvent s'appliquer aujourd'hui et ils peuvent être des outils de mobilisation.

Parfois, les politiciens et les moyens de communication présentent le GND seulment comme une somme d'investissements nécessaires, mais c'est beaucoup plus que cela dans une stratégie écosocialiste. Le niveau d'investissements est important, surtout si nous tenons compte des énormes changements d'infrastructure que requiert la partie climatique de la transition. La seule conversion aux énergies renouvelables coûtera entre 30 et 60 billions de dollars supplémentaires d'ici 2050, selon différentes études. Rendre les habitations plus efficientes et construire de nouveaux logements confortables et respectueux du climat nécessite entre plus de financements. Changer le réseau des transports, développer les nouvelles technologies et cultiver nos aliments de manière efficiente, mais saine et soutenable, tout cela nécessiterait beaucoup plus d'investissements.

Actuellement, le secteur financier affirme pouvoir destiner plus de 100 billions de dollars en actifs pour financer la course vers les émissions zéro net. Mais c'est toujours dans la perspective de préserver le capital fossile, de conserver le paradigme capitaliste, en faisant le choix d'une diversification énergétique plutôt qu'une transition vers autre chose.

L'argument selon lequel la transition climatique peut générer beaucoup d'autres billions de croissance capitaliste attire les investisseurs et plaît aux politiciens prêts à incorporer l'agenda climatique dans leurs programmes, mais seulement s'ils peuvent en tirer profit. Les marchés financiers investiront dans la neutralité carbone de la même manière qu'ils évaluent les actions des entreprises. Ils ne se préoccupent pas de l'essentiel des problèmes écologiques provoqués par la Grande Accélération, parce que cela exigerait de remettre en question la logique de l'accumulation capitaliste dans son ensemble.

De plus, des éléments importants de la transition finissent par être minimisés quand les propositions du GND arrivent dans les programmes politiques généraux, comme cela est arrivé avec la loi de réduction de l'inflation (2022) de Joe Biden aux USA. Quand la politique est dictée davantage par l'investissement climatique que par la justice climatique, il n'y a pas de marge pour pousser les choses vers la gauche, mais le plus probable c'est que le capital fossile lutte pour sa part du gâteau.

Dans une stratégie écosocialiste, les programmes du GND promeuvent l'investissement afin de lutter contre de multiples crises et les combinent avec des initiatives qui impliquent les gouvernements, les communautés, les mouvements et les petites entreprises pour reconfigurer des aspects de la manière dont nous produisons, nous consommons et nous vivons. Un GND peut se centrer sur des objectifs accessibles rapidement et, vu que ces changements sont désirables, ils servent de pôle d'attraction pour réunir davantage de gens, ce qui favorise le bilan et contribue à présenter des demandes plus radicales.

Par exemple, quand on offre une garantie d'emploi vert, la mobilisation peut assurer que les postes de travail créés comportent des salaires dignes, des prestations sociales, des subventions de requalification et la syndicalisation. En combinant ces mesures, une plus grande pression d'en bas, cela peut donner lieu à un GND qui préconise une réduction de la journée de travail.

Lutter pour et contre le temps

La réduction de la journée de travail avec des taux de productivité stables altère le taux d'exploitation du travail, ce qui en fait une revendication anticapitaliste radicale. De fait, on a déjà obtenu des réductions significatives dans plusieurs États capitalistes centraux, appuyées par une longue histoire d'activité syndicale autour de cette question. L'Espagne a débuté récemment une expérience avec la semaine de travail de quatre jours. La France a passé à une semaine de travail de 35 heures en 2000, et les enquêtes indiquent que le nouveau temps libre est consacré à des activités comme la vie familiale, le repos et le sport.

Quand les taux de productivité sont déjà élevés, une semaine de travail plus courte peut même signifier plus d'efficience, ce qui est désirable dans certains secteurs par l'effet positif sur le bien-être de la classe travailleuse. Plus de temps libre entraîne des bénéfices pour la santé, moins de déplacements et ouvre des opportunités pour l'organisation politique, en alimentant les deux dynamiques de notre stratégie. De plus, cela peut aussi contribuer à une charge plus équitable du travail de reproduction sociale dans le foyer.

Ralentir le rythme de vie a des implications spécialement intéressantes au moment d'effectuer les investissements du GND pour les transports publics et les infrastructures ferroviaires.

Quand les gens se voient obligés de choisir entre voyager en train ou en avion, ils tiennent compte du coût, de la durée et du confort en général. La prolifération de lignes aériennes à bas coût a rendu les voyages plus accessibles, mais elle a aussi contribué dans une grande mesure au changement climatique. Le greenwashing de certaines lignes aériennes consiste à compenser leurs émissions carbone sur le marché des bons ou à permettre aux clients d'acheter leurs propres compensations carbone. D'autre part, la recherche sur les combustibles alternatifs dans l'aviation avance. Les technologies de conversion d'énergie solaire en combustible tendent à être plus efficientes que les biocombustibles, mais elles ont d'importantes répercussions dans l'utilisation de l'eau et du réseau solaire, et elles requièrent du CO2 capturé directement ou des options de capture et de stockage du carbone.

Cela signifie que, même si nous souhaitons que certaines technologies améliorent ainsi la transition énergétique en passant directement des énergies fossiles aux énergies renouvelables, les choses ne sont pas si simples. Une chose est de souhaiter la transition du secteur de l'aviation, ce qui implique aussi des changements dans sa dimension, et une autre très différente, c'est de préconiser le simple passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables, en passant par-dessus toutes les autres pressions écologiques associées à la chaîne de production et à la quantité de vols dans le monde entier, notamment dans les sociétés les plus riches.

Notre stratégie doit susciter la recherche et l'innovation dans de meilleures technologies avec des émissions de carbone basses ou nulles, en reconnaissant simultanément que les avancées technologiques ne résoudront pas en soi nos problèmes. Les enjeux liés à l'exploitation des minerais stratégiques nous aident à comprendre qu'il existe des limites intrinsèques au développement du secteur des transports.

Thea Riofrancos a démontré comment le rôle central du lithium dans les projections sur les énergies renouvelables fait partie d'un délicat « lien sécurité-soutenabilité » influencé par les attentes de croissance, en introduisant un chapitre vert dans la longue histoire des zones sacrifiées créées par l'extractivisme, normalement concentrées dans le Sud global ou dans des territoires racialisés du Nord global. Il est simplement absurde d'espérer que nous devions ouvrir toujours plus de mines pour extraire les matériaux nécessaires à produire mille millions de véhicules électriques (VE).

Néanmoins, cette logique a été complètement normalisée par les actuels paradigmes de l'investissement vert, avec des gouvernements au Canada, en Norvège et dans d'autres pays qui optent pour concéder des subventions aux clients, aux concessionnaires et aux fabricants d'automobiles afin de développer la vente de VE aux passagers, au lieu d'étendre massivement les transports publics.

Notre stratégie doit établir des priorités claires. Une manière de le faire consiste à aligner les intérêts des personnes avec les infrastructures nécessaires. Si nous devons réduire le nombre d'avions dans le ciel, comment pouvons-nous offrir aux gens des moyens alternatifs de transport sur des longues distances, qui s'avèrent attractifs en termes de coût, de durée et de confort ? Nous pouvons, par exemple, offrir aux gens davantage de trains à grande vitesse à la place de certaines routes aériennes, profiter des gares situées dans des lieux centraux et baisser les prix, peut-être déclarer le transport gratuit !

La crise énergétique et du coût de la vie qui a frappé l'Europe en 2022 a mené l'Allemagne et l'Espagne à expérimenter des subventions temporaires pour les trains régionaux et le transport de proximité. Si l'on prend au sérieux la crise climatique, les pays et les régions peuvent investir dans des programmes similaires au GND et changer la manière dont les gens utilisent les transports. En ajoutant des infrastructures, on produit d'autres effets positifs, comme la réduction de la congestion et des accidents routiers.

Même si un train à grande vitesse n'est pas aussi rapide qu'un avion, quand nous ralentissons le rythme de vie en donnant plus de temps libre aux gens, la compensation peut ne pas paraître si mauvaise. Le confort de monter simplement dans un train au lieu de passer par le système d'enregistrement d'un aéroport, ou de prendre un autobus gratuit sans passer par des tourniquets et acheter des billets, aide à modifier les comportements et à gagner le consentement de la population.

Quand le capitalisme offre un avantage, celui-ci comporte un prix, tant pour la clientèle que pour l'environnement. Les salades pré-coupées s'avèrent commodes dans un monde où nous avons peu de temps pour les tâches domestiques, mais elles coûtent davantage et comportent un excès d'emballages en plastic. Une stratégie écosocialiste crée des avantages de nature différente, en fournissant une infrastructure publique verte rendant la vie plus facile et meilleure marché pour les travailleur.euse.s, en conciliant les besoins des personnes et de la nature dans la transition écologique.

Vu que nous devons freiner et nous adapter rapidement, la transition écologique gagnera seulement cette course contre le temps si elle génère aussi du temps par la réorganisation de la production et de l'environnement dans lequel nous vivons.

Certaines choses viennent d'abord

Notre stratégie est aussi inégale et combinée. Nous comprenons que le capitalisme a impulsé l'inégalité sur la planète et que le colonialisme continue d'influencer l'avance industrielle et la division internationale du travail. Le sous-développement du Sud global se combine avec l'avance du Nord global.

Quand le sociologue brésilien Florestan Fernandes explique ce phénomène, il souligne que la persistance du capitalisme dépendant dans les pays de la périphérie fait partie d'un calcul capitaliste : le développement du capitalisme dans les marges finit par être dissocié des structures démocratiques et favorise l'établissement d'autocraties. L'intervention impérialiste contribue à tirer profit du déficit démocratique au profit des intérêts d'États plus puissants, s'il convient d'installer des dictatures, comme cela a été la routine en Amérique latine, ainsi qu'en Afrique et au Moyen Orient.

Cette division centre-périphérie a aussi de profondes implications écologiques. Le Climate Action Tracker calcule que le monde atteindra les 2.7° de réchauffement à la fin du siècle en cas de maintien des politiques actuelles. Le pacte pour le climat (Glasgow) de 2021 a échoué une fois de plus dans ses promesses et ses coupes plus radicales. Les politiques actuelles ne sont pas seulement diluées, mais il existe aussi une brèche dans leur application qui conduira à des résultants bien pires et inégaux.

L'Anthropocène peut être considérée comme le fruit de l'intervention humaine, mais de manière asymétrique. Les pays les plus riches ont davantage de responsabilité historique dans le changement climatique que les pays moins développés. Our World in Data calcule que les USA, le Royaume Uni et les 27 membres de l'Union européenne émettent 47 % des émissions mondiales. De plus, bien que le changement climatique affecte toute la planète, les pays les plus pauvres sont moins préparés pour s'adapter à ses effets.

Raison pour laquelle les pays les plus riches devraient assumer la plus grande partie des coûts de la transition écologique. Les programmes nationaux de GND doivent se financer par des fonds publics et les plus riches devraient payer davantage d'impôts. Les menaces de licenciements, de réduction d'effectifs et de tentatives de transférer la charge sur les consommateurs doivent être combattus grâce à une alliance solide entre les organisations de travailleur.euse.s et le mouvement écologique.

De plus, les mécanismes internationaux doivent garantir aux pays les plus pauvres l'accès aux fonds, aux exemptions de brevets pour des technologies clés et l'appui technique pour leur propre ensemble de programmes. Nous devons aller au-delà du financement vert et des promesses faites à l'ONU, vu que leur caractère volontaire a donné lieu jusqu'ici à un degré d'application décevant.

Lors de la COP15 à Copenhague, les pays riches se sont engagés à fournir 100.000 millions de dollars par an pour financer des projets pour freiner et s'adapter au changement climatique dans le Sud global, mais chaque année ces financements stagnent. Pour empirer les choses, une partie significative de ces milliers de millions promis ont consisté en prêts. Le Japon et la France ont assumé plus de la moitié de leurs engagements, spécialement par rapport aux USA, mais le gros de leur contribution a consisté dans des prêts remboursables.

Cela aide à expliquer le déséquilibre du financement, où l'on privilégie souvent les initiatives de ralentissement des changements climatiques sur les projets d'adaptation qui ne génèrent pas de bénéficies, ce qui s'ajoute à l'endettement dévastateur qui étrangle les économies des nations les plus pauvres. Dans son discours d'investiture, le nouveau président (de gauche) de la Colombie, Gustavo Petro, a relevé comment la dette est un obstacle à la transition dans le Sud global.

Des auteurs comme Olúfémi O. Táiwò ont réclamé un paradigme de réparations climatiques et de remise de la dette permettant aux nations les plus pauvres d'aborder le legs négatif de l'esclavage et de la colonisation comme partie de leur transition écologique. Les réparations sont inclues dans les deux dynamiques de notre stratégie, allant bien au-delà du transfert d'argent et offrant un cadre de transition juste qui confère un caractère politique aux conditions actuelles et passées.

La forêt amazonienne s'étend sur neuf pays, et bien que ces États aient sans doute le droit d'améliorer la vie de leurs citoyen.ne.s, ils partagent aussi la responsabilité de soigner l'Amazonie comme ne l'ont pas fait les pays du Nord global pour leurs propres écosystèmes. La mentalité selon laquelle « ils l'ont fait d'abord, ainsi nous pouvons aussi le faire », imprégnant certains discours développementistes dans la région, est aussi dangereuse qu'insensée. Les organisations socialistes dans les pays de la périphérie doivent exiger des réparations, mais la crédibilité de cette action dépend du fait qu'elles assument leur propre responsabilité pour explorer des voies de développement alternatives. La stratégie écosocialiste reconnaît que les États du Sud global ont des responsabilités sur les écosystèmes, mais à moins que les pays compensent leurs responsabilités historiques, le reste du monde sera matériellement incapable de réaliser la transition.

Même aujourd'hui, un certain courant anti-impérialiste soutient que le changement climatique est une tromperie élaborée par les pays impérialistes pour retarder le développement du Sud global. Bien qu'il s'agisse d'une position marginale, certaines variantes de cet argument sont invoquées dans les propositions de gauche sur la crise climatique.

Le pétrole est un bon exemple. Le Venezuela a 300.000 millions de barils en réserves de cru, les plus grandes du monde, et beaucoup affirment que sa souveraineté en dépend. Le développement et l'exportation de pétrole garantissent une affluence massive de capital étranger pour appuyer les investissements dans les services publics et les infrastructures, comme cela se produisit dans les meilleures années de la présidence de Hugo Chávez. Néanmoins, le capitalisme dépendant fait que le Venezuela ne peut pas être un producteur de pétrole autosuffisant. Il lui manque l'infrastructure et les ressources financières nécessaires pour le raffinage, et il est en même temps l'objet d'interventions étrangères qui déstabilisent son économie et détériorent le niveau de vie, créant ainsi une crise permanente.

Néanmoins, même si les socialistes vénézuéliens faisaient tout le nécessaire pour utiliser toutes leurs réserves de pétrole, la souveraineté si désirée resterait hors de portée, vu que le niveau d'émissions que celle-ci nécessiterait rendrait inhabitable la planète, et il n'y a pas de souveraineté sans vie. Ce qui subsisterait, ce serait l'éco-apartheid et les forces éco-fascistes alignées sur les entreprises, ratissant ce qui reste de la Terre à la recherche de résidus et condamnant la majorité des humains à lutter pour la survie.

Réduire les émissions de combustibles fossiles n'est pas une option, mais une nécessité. Il faut faire différents ajustements selon les niveaux de développement pour que les pays de la périphérie ne se voient pas excessivement pénalisés. Néanmoins, l'augmentation de la production du pétrole vénézuélien dépendrait sans doute des ventes aux mêmes pays du Nord global qui doivent avant tout éliminer leur dépendance au pétrole. La nécessité de la transition écologique signifie que le Venezuela ne pourrait pas non plus dépendre du marché du Sud global.

Néanmoins, la bonne nouvelle, c'est que les pays restés stagnants dans les marges du développement n'ont pas besoin de passer par une étape linéaire de plus grande dépendance au pétrole, au charbon et au gaz. Fournir l'électricité aux communautés pauvres pour la première fois peut être une mesure plus propre, en passant directement de l'absence d'énergie à un réseau électrique utilisant des sources renouvelables mixtes et tenant compte des impacts écologiques et communautaires. Il n'y aura pas besoin d'une étape de combustibles fossiles alors que fait partie de notre stratégie un mécanisme de réparations centré sur la démocratie énergétique.

Un pays sous-développé ne peut pas baser sa souveraineté sur les combustibles fossiles, car cela fait du développement de ces énergies un objectif en soi. En même temps, son degré de développement n'est pas le fruit du destin, mais le résultat d'une politique économique internationale historiquement construite. Dès lors, la suppression de la dépendance aux combustibles fossiles est une tâche des pays riches comme des pays pauvres. Un traité de non-prolifération des combustibles fossiles dans un cadre de transition juste pourrait contribuer à gérer ce processus de manière équitable.

Pour un internationalisme soutenable

La stratégie écosocialiste exige un redimensionnement de la souveraineté en termes de soutenabilité radicale. La transition énergique en elle-même nous fait gagner du temps et, si elle se centre sur les nécessités basiques, elle contribue aussi à nous organiser autour des services publics, du logement, de la planification communautaire, de l'impact technologique et d'un paradigme minier post-extractiviste.

La transition écologique sera différente dans chaque pays, selon les responsabilités historiques, mais elle doit se combiner avec la planification du commerce et du développement pour optimiser la manière dont les nations abordent leurs responsabilités écosystémiques. L'histoire nous a enseigné que les pays puissants ne sacrifieront pas volontairement leurs intérêts économiques pour un bien supérieur. Ce type d'impérialisme écologique va de pair avec l'impérialisme politico-militaire et avec sa propre contribution à l'extinction et à la barbarie. Les programmes de transition écologique requièrent la participation de la classe travailleuse pour aligner ses intérêts entre les nations les plus riches et les plus pauvres et exercer une pression commune sur les gouvernements et les institutions internationales.

La consommation d'énergie des pays de l'OCDE est quasiment dix fois supérieure à celle des pays à bas revenus. Bien que les ajustements de l'efficience réduiront cette brèche, les règles de consommation et le mode de vie générale des sociétés les plus riches doivent aussi changer. Ceci dit, le monde développé est aussi déchiré par l'inégalité et de nombreux.ses travailleur.euse.s ne participent pas à ce que Ulrich Brand et Markus Wissen appellent le « mode de vie impérial ». Ce mode de vie exerce une forte pression écologique sur la Terre et il est lié à l'extractivisme industriel touchant les communautés locales du Nord et transformant des régions entières du Sud en zones sacrifiées.

Les ressources minières nécessaires pour alimenter l'appétit capitaliste et soutenir un mode de vie promettant les grandes voitures, les grandes maisons, la viande abondante et les voyages en avion bon marché seront aussi problématiques, même s'ils s'alimentent en énergies renouvelables. Par conséquent, une stratégie écosocialiste doit impliquer de même une décroissance inégale et combinée.

La décroissance sélective concerne les secteurs économiques, les frontières et le territoire. Certaines régions auront besoin de niveaux beaucoup plus élevés d'investissement pour permettre aux gens de jouir pour la première fois d'une bonne alimentation, de logements, de transports et d'emplois stables.

D'autres régions, spécialement dans les pays à hauts revenus, investiront aussi dans des secteurs stratégiques et les feront croître, en même temps qu'ils dépendront des transferts pour construire des infrastructures inclusives et convenables pour les travailleur.euse.s confronté.e.s à des coûts élevés de la vie et aux emplois précaires. Ceci requiert le contrôle populaire des ressources – un thème actuellement à l'ordre du jour au Mexique, en Bolivie, au Chili, en Colombie et dans d'autres lieux – et des alternatives au modèle extractiviste hégémonique.

La lutte de classes dans la politique climatique se produit, de fait, entre le travail et le capital, comme le soutient Matt Huber, mais cela ne devrait pas empêcher de comprendre que la classe travailleuse et le capital sont organisés de manière souvent contradictoires dans tout le Nord global et le Sud global, comme l'ont ébauché les auteurs de la décroissance, de l'écosocialisme et de la théorie marxiste de la dépendance. Les contradictions politiques et économiques confondent souvent les intérêts de la classe travailleuse de différents pays, mais les reconnaître dûment nous aide à identifier où coïncident les intérêts de classe. Notre stratégie fonctionnera seulement si nous nous consacrons à l'éducation politique critique dans le travail syndical et au sein des mouvements, de manière à ce que la pratique transformatrice contrecarre l'influence de l'idéologie capitaliste.

Il est possible de reconnaître l'existence d'un mode de vie impérial, ainsi que sa distribution inégale. Parfois, l'image d'un Nord global et d'un Sud global peut supposer un obstacle analytique, vu qu'elle implique des lignes de conflit géographiques au lieu de processus historiques de production et de distribution des ressources, y compris de main d'œuvre. Les travailleur.euse.s de l'industrie automobile d'Allemagne et du Brésil affrontent des réalités différentes en matière d'infrastructures, de salaires, de droits et de géopolitique, mais dans leurs sociétés respectives ils/elles sont sujets à des antagonismes de classe similaires et affrontent les mêmes défis.

La transition écologique doit avoir un sens pour la classe travailleuse du monde entier. L'impératif conventionnel de la croissance économique a débouché sur l'emploi précaire et les taux élevés d'exploitation. Cela signifie qu'un débat sur la décroissance inégale et combinée peut améliorer réellement les demandes d'emplois écologiques socialement nécessaires et de qualité, ainsi que le type des conditions de vie que les communautés peuvent désirer, si nous centrons notre stratégie dans des cadres alternatifs de suffisance, de solidarité et de justice, comme le suggère Bengi Akbulut.

Pour réussir la transition écologique, la classe travailleuse mondiale devra ajuster ses attentes. Nous devons rejeter le style de vie consumériste du capitalisme et tenir compte des limitations énergétiques et matérielles à l'heure de planifier une vie digne. Ces impératifs génèrent des conflits autour de qui peut utiliser une ressource et dans quelle quantité, des problèmes qui ne pourront pas toujours se résoudre avec des technologies améliorées.

De fait, ce sont parfois les technologies les plus anciennes qui peuvent nous sauver, comme le retour à l'agro-écologie, l'usage du sol le plus efficient et sa contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La réforme agraire et un processus juste de délimitation des terres indigènes sont les conditions nécessaires pour que la classe travailleuse rurale bénéficie de la transition écologique en dépassant la pauvreté et en changeant notre manière d'alimenter le monde.

Vu qu'il n'existe pas de transition juste sans souveraineté indigène, notre compréhension de quoi va où – que ce soit des turbines éoliennes ou des forêts repeuplées – exige d'améliorer notre approche des droits territoriaux et des formes de vie. La classe travailleuse urbaine du monde entier doit sortir gagnante et doit coordonner la demande de manière à ce que l'exploitation des ressources ne conduise pas à la création de nouvelles zones sacrifiées.

Nous devons aussi être sincères sur le fait que de nombreux emplois promis durant la transition sont temporaires, vu qu'ils sont liés à la construction de nouvelles infrastructures. Dépasser l'obsolescence programmée signifiera aussi une production plus efficiente. Certains emplois peuvent être reconvertis des secteurs sales aux secteurs propres, tandis que d'autres devront disparaître complètement, comme l'industrie d'armements. Être sincères sur ce point aidera à approfondir la dynamique organisationnelle dans les syndicats, les associations et les mouvements sociaux en général, pour ne laisser personne en arrière. Ce type de calcul se produira au sein et hors des frontières, peut-être à de nombreuses reprises au quotidien. Le succès de notre stratégie écosocialiste dépend de la qualité de la construction du mouvement internationaliste et de notre capacité à coordonner la planification.

La classe travailleuse est très diverse. Elle inclut les travailleur.euse.s industriel.le.s auprès desquel.le.s les syndicats jouent un rôle important. Elle comprend aussi la nombreuse main-d'œuvre informelle. Selon l'Organisation internationale du travail, en 2019 il y avait 2.000 millions de travailleur.euse.s informel.les dans le monde entier. Certains d'entre eux – comme ceux qui ont des emplois temporaires dans les fermes et les pêcheries – affrontent des risques spécialement élevés de perte d'emploi et des problèmes de santé à mesure qu'avance le changement climatique. Nous devrions aussi considérer ces emplois comme des emplois climatiques, et pas seulement ceux des entreprises pour la production de panneaux solaires ou de batteries de lithium.

Les femmes qui effectuent des travaux de soins sont aussi cruciales pour la transition, et pas seulement en raison du rôle stratégique du secteur des soins pour améliorer la vie des personnes avec de basses émissions de carbone. Les femmes ont tendance à être en première ligne dans la résistance aux entreprises du capital fossile, dans la revendication de la réduction du temps de travail et de leur double charge horaire, et elles peuvent aider à tendre des ponts entre les classes travailleuses du Nord et du Sud au travers du mouvement féministe.

L'organisation de tous ces secteurs est vitale pour une véritable transition juste et internationaliste, et elle peut renforcer les campagnes de pression sur les gouvernements en faveur des programmes dont nous avons besoin. Plus elles auront de succès, plus il sera probable que s'y joignent des millions de personnes, non seulement la classe travailleuse la plus conscientisée par rapport aux problèmes écologiques et les activistes engagés, mais aussi les mouvements sociaux nés des zones de sacrifices qui ont participé à des luttes séculaires pour la terre, l'eau, les forêts et une vie digne dans le monde entier. Ce mouvement internationaliste se base sur la classe travailleuse en raison de son rôle dans la critique du capitalisme, source de nos crises actuelles, mais il est peuplé des divers groupes subalternes qui peuvent tout perdre si le fascisme fossile ou écologique finit par s'en sortir.

Ainsi, la dynamique de construction des mouvements dans notre stratégie s'occupera des questions pressantes de la transition écologique, mais elle doit aussi planifier la rupture comme conséquence de la nature profondément insoutenable de la machinerie capitaliste.

Aujourd'hui, notre stratégie requiert une action audacieuse, orientée par l'utopie qui peut nous guider de ce siècle vers le suivant pour construire une société plus juste.

Notre stratégie va au-delà de la survie. Il s'agit de la vie – une vie meilleure – et cela nous différencie déjà en soi des capitalistes et des tragédies qu'ils provoquent. Le long chemin de la transition est plein de contradiction et présentera plus de défis que ceux que le mouvement socialiste a jamais affronté. Le temps est essentiel et nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à le perdre, car notre objectif final consiste à atteindre une société émancipée capable de se maintenir durant les prochains siècles.

*

Sabrina Fernandes est activiste socialiste brésilienne et présentatrice du populaire canal marxiste de YouTube, Tese Onze. Actuellement, elle est chercheuse à l'International Research Group on Antiauthoritarianism and Counter-Strategies de la Fondation Rosa Luxemburg.

Cet article a été publié initialement par la revue espagnole Viento Sur.

Traduction du castillan : Hans-Peter Renk

Illustration : Suwa Kanenori, Fukagawa Garbage Incinerator, 1930

Notes

[1] Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, chapitre 1 (1851).

[2] Du Bureau des Nations Unies pour la réduction du risque de désastres.

[3] A l'occasion de la proposition de la députée de New York à la Chambre des représentants des États-Unis, Alexandria Ocasio Cortez [NdT].

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La Cour d’appel de Russie alourdit la peine de Boris Kagarlitsky à cinq ans de prison

20 février 2024 — , ,
Le sociologue russe, Boris Kagarlitsky, qui s'est prononcé contre la guerre en Ukraine et qui fut arrêté en juillet 2023 et qui fut libéré sous caution le 12 décembre dernier, (…)

Le sociologue russe, Boris Kagarlitsky, qui s'est prononcé contre la guerre en Ukraine et qui fut arrêté en juillet 2023 et qui fut libéré sous caution le 12 décembre dernier, a vu sa peine alourdie à cinq ans le 12 février 2024. @Nataliya Kazakovtseva/TASS

13 février 2024 | tiré d'Alter-Québec
https://alter.quebec/la-cour-dappel-de-russie-alourdit-la-peine-de-boris-kagarlitsky-a-cinq-ans-de-prison/

Plus tôt ajourd'hui, la Cour d'appel de Russie, considérant la condamnation à payer une amende comme une peine trop clémente, a revu hier la sentence initiale de Boris Kagarlitsky rendue le 12 décembre dernier. Accusé de justifier le terrorisme, le sociologue marxiste est maintenant condamné à cinq ans de prison. La décision signifie également que Kagarlitsky se verra interdire d'administrer un site Web pendant deux ans après sa libération. Dans le même temps, une amende de 609 000 roubles (plus de 9 000 $ CAN) a déjà été payée.

La sentence de culpabilité a été prononcée en décembre après avoir été reconnu coupable de « justification du terrorisme » pour des propos tenus dans une vidéo YouTube supprimée depuis et sur sa chaîne Telegram, à propos de l'attentat à la bombe contre le pont de Crimée.

La véritable raison de son emprisonnement est son opposition à la guerre en Ukraine menée par la Russie. En tant que rédacteur en chef de la plateforme de gauche en ligne Rabkor (Correspondant ouvrier), Kagarlitsky compte parmi les personnalités opposées à la guerre les plus en vue – et l'une des rares à rester en Russie.

Selon la décision, Kagarlitsky sera placé en garde à vue dans la salle d'audience et envoyé au centre de détention provisoire du Service pénitentiaire fédéral de Russie à Moscou. Boris lui-même n'est pas découragé : « Je suis sûr que tout se passera très bien. Et nous vous reverrons à la fois sur la chaîne et en liberté. Il faut juste vivre un peu et traverser cette période sombre pour notre pays ».

Le cas de Boris Kagarlitsky est une parodie de justice. C'est aussi une offense aux milliers de Russes qui ont exprimé leur solidarité avec lui : des lettres, des émissions, des affiches. Durant les cinq mois de liberté, Boris a témoigné de la manière qu'il fut arrêté et incarcéré. Nous présentons ci-dessous ce récit.

Liberté pour Boris Kagarlitsky ! Liberté pour tous les prisonniers et prisonnières politiques !

Boris Kagarlitsky

Lettre de Boris Kagarkitzky

Je me rendais à l'aéroport pour accueillir ma femme, qui revenait de l'étranger le 25 juillet l'an dernier. Mais la rencontre n'a pas eu lieu. Deux jeunes hommes polis se sont approchés de moi et, présentant leur carte d'agent du FSB (services secrets russes), m'ont informé que j'étais détenu : j'étais accusé de justifier le terrorisme. Dès le soir, j'ai été envoyé sous escorte à Syktyvkar, la capitale de la République de la population komie, où j'ai été incarcéré.

Je ne connaissais pas la République de la population komie, si ce n'est qu'à l'époque de Staline, une grande partie des institutions du Goulag s'y trouvaient, un sujet sur lequel j'ai bien sûr beaucoup lu et écrit. La raison de mon arrestation était une vidéo que j'avais publiée sur YouTube dix mois plus tôt. J'y parlais de l'actualité, mentionnant — sans plus de précision — la détérioration du pont de Crimée par des saboteurs ukrainiens. Mais j'ai également noté que la veille de cette attaque, des vœux de félicitations de Mostik le chat au président Poutine avaient été diffusés sur les réseaux sociaux russes ; comme le chat était la mascotte du pont saboté, j'ai plaisanté sur le fait qu'il avait agi comme un provocateur avec ses félicitations. Il s'agissait probablement d'une mauvaise blague, mais elle peut difficilement être considérée comme un motif suffisant d'arrestation, même si l'on tient compte des lois russes modernes. Malheureusement, le Léviathan n'a pas le sens de l'humour. J'ai dû passer quatre mois et demi dans une cellule de prison.

Le fait que l'arrestation ait eu lieu près d'un an après mes propos malheureux soulève divers soupçons quant à la signification politique de ce qui s'est passé. Ce n'était pas la première fois que je me retrouvais en prison. J'ai connu ma première — et plus longue — incarcération en 1982, alors que le dirigeant de l'URSS, Leonid Brejnev, était mourant. À l'époque, les agents de la sécurité de l'État ont attrapé tous les opposants connus, y compris notre groupe de jeunes socialistes, juste au cas où, à titre préventif. Quelque temps après la mort de Brejnev, j'ai été libéré sans même avoir été jugés.

Ce qui se passait dans les couloirs du pouvoir à Moscou à la fin du mois de juillet 2023 n'est pas encore tout à fait clair, même si l'on espère que tôt ou tard nous le découvrirons (je n'ai découvert les véritables raisons de ma première arrestation et de ma libération que bien plus tard, lorsque Mikhaïl Gorbatchev dirigeait le pays et qu'une partie des archives officielles sont devenues disponibles). Mais il semble que cette arrestation puisse être considérée comme un dommage collatéral dans une lutte pour le pouvoir. Imaginez que vous êtes un ballon sur un terrain de football où s'affrontent deux équipes professionnelles. Ils vous donnent des coups de pied et vous ne pouvez qu'essayer d'analyser le déroulement du match en vous basant sur vos sentiments. Malgré tout, l'expérience acquise dans la prison de Syktyvkar m'a été très utile en tant que sociologue. Après tout, j'ai eu l'occasion d'observer, de communiquer avec des personnes que je n'aurais jamais rencontrées dans d'autres circonstances.

Il faut donner le crédit à l'administration pénitentiaire, qui m'a placé dans une cellule avec de bonnes conditions et des voisins calmes. L'un d'entre eux s'est avéré être un prisonnier politique, assistant du député de la Douma Oleg Mikhailov, qui reste l'opposant le plus en vue de la République de Komi. Il est vrai que nous ne sommes pas restés longtemps ensemble. Les prisonniers de la cellule changeaient souvent, ce qui m'a permis de faire la connaissance d'un grand nombre de personnes et d'entendre l'histoire de leur vie.

Certain.es de mon voisinage accusé.es de meurtre et d'extorsion se sont révélés très gentils et polis dans la conversation ; un vice-maire d'une petite ville du nord, qui a déclenché une bagarre lors d'une fête locale et tué par inadvertance son collègue alors qu'il se produisait avec lui sur scène, était heureux de discuter de questions relatives aux finances municipales, au sujet desquelles il s'est révélé étonnamment mal informé. Un jour, peut-être très bientôt, je décrirai tout cela en détail.

Bien que je ne fusse pas le seul prisonnier politique à Syktyvkar, il se trouve que j'étais le plus célèbre, et c'est pourquoi l'administration et les gardiens de la prison me regardaient avec une curiosité évidente, essayant de comprendre pourquoi j'avais été amené là et ce qu'il fallait attendre de ce cas étrange. Le procès a été obstinément reporté, bien que personne ne m'ait interrogé ; pendant des mois, il ne s'est rien passé de nouveau. L'affaire pénale était censée être examinée par un tribunal militaire de Moscou, mais elle s'est perdue en cours de route et n'a refait surface dans leur bureau qu'à la toute fin du mois de novembre.

Le bureau du procureur a déclaré que la plaisanterie sur Mostik le chat avait été faite « dans le but de déstabiliser les activités des agences gouvernementales et de faire pression sur les autorités de la Fédération de Russie pour qu'elles mettent fin à l'opération militaire spéciale sur le territoire de l'Ukraine ».

Pendant que j'étais derrière les barreaux, une campagne de solidarité se déroulait à l'extérieur, à laquelle de nombreuses personnes ont participé en Russie et dans le monde entier. En outre, il semble que les dirigeants du Kremlin aient été particulièrement impressionnés par le fait qu'une grande partie des voix qui se sont élevées pour me défendre provenaient du Sud. Dans le contexte de la confrontation avec l'Occident, les dirigeants russes tentent de s'imposer comme des combattants du néocolonialisme américain et européen, de sorte que les critiques formulées à leur encontre au Brésil, en Afrique du Sud ou en Inde ont été accueillies avec vexation. L'économiste indienne Radhika Desai a même interrogé Vladimir Poutine sur mon sort lors du forum de Valdai.

Le procès a eu lieu le 12 décembre 2023. Le bureau du procureur a demandé que je sois envoyé en prison pour cinq ans et demi, mais le juge en a décidé autrement. J'ai été libéré de la salle d'audience après avoir été condamné à payer une amende de 600 000 roubles (le lendemain, cette somme a été collectée par les abonné.es de la chaîne YouTube Rabkor). Il est vrai qu'il n'a pas été facile de payer : j'ai dû déposer l'argent en personne, mais j'ai également été inscrit sur la « liste des extrémistes et des terroristes », à qui il est interdit d'effectuer des transactions financières. À l'heure actuelle, je dois demander une autorisation spéciale pour pouvoir donner à l'État l'argent qu'il me réclame. Il m'est interdit d'enseigner, ainsi que d'administrer des sites Internet et des chaînes YouTube.

Cependant, ils ne m'ont pas encore interdit de penser et d'écrire, ce que je fais pour l'instant.

Déclaration du RESU sur le deuxième anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie

20 février 2024, par Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine — , ,
12 février 2024 | tiré du site de la gaucheanticapitaliste.org https://www.gaucheanticapitaliste.org/declaration-du-resu-sur-le-deuxieme-anniversaire-de-linvasion-de-lukraine-par-

12 février 2024 | tiré du site de la gaucheanticapitaliste.org
https://www.gaucheanticapitaliste.org/declaration-du-resu-sur-le-deuxieme-anniversaire-de-linvasion-de-lukraine-par-la-russie/

Le 24 février 2024 marque le deuxième anniversaire de l'invasion totale de l'Ukraine par la Russie. Cette invasion totalement injustifiée a déjà coûté la vie à au moins 20 000 civils ukrainiens et à plus de 100 000 soldats. Des millions de personnes ont été forcées de fuir à l'étranger, des millions d'autres sont déplacées à l'intérieur de l'Ukraine.

L'agresseur continue de détruire des villes entières et des infrastructures civiles (réseaux d'électricité et de chauffage, écoles, hôpitaux, chemins de fer, ports, etc.) L'armée russe a procédé à des massacres de masse d'Ukrainien·ne·s (soldats et civils). Les violences sexuelles font partie de la stratégie de l'agresseur. De nombreux citoyen·ne·s (y compris des enfants) ont été déportés de force en Russie et au Belarus.

Le président russe Vladimir Poutine, le gouvernement russe, les principales forces politiques de la Fédération de Russie, les chefs religieux et les médias promeuvent un programme impérialiste qui nie aux Ukrainiens leur droit à l'indépendance, au statut d'État et à la liberté de choisir des alliances politiques.

Le peuple ukrainien refuse d'être une victime passive de cette agression et résiste massivement à l'invasion, avec ou sans armes.

Le peuple ukrainien refuse d'être une victime passive de cette agression et résiste massivement à l'invasion, avec ou sans armes. L'auto-organisation à la base (notamment par les syndicats, les organisations féministes et les associations de défense des droits civils) joue un rôle essentiel dans la défense du pays et la lutte pour une Ukraine libre, sociale et démocratique.

Toutefois, compte tenu de la complexité de la situation politique mondiale (illustrée par le blocage de l'aide financière à l'Ukraine par le Parti républicain au Congrès américain), la mobilisation en faveur de la résistance militaire et civile des Ukrainien·ne·s est plus que jamais nécessaire.

Le gouvernement russe a augmenté de 70% les ressources de sa propre industrie de guerre, auxquelles s'ajoutent des forces mercenaires privées et diverses formes de subventions destinées à rendre la guerre acceptable pour les populations les plus pauvres de la fédération, dont les hommes sont mobilisés comme chair à canon. Poutine exploite également l'hypocrisie de la rhétorique « démocratique » des pays occidentaux pour détourner l'opinion publique de la critique de ses propres crimes en Ukraine.

Dans le même temps, la solidarité avec le peuple ukrainien est mise à mal par un discours dominant qui présente les dépenses « pour aider l'Ukraine » comme une justification des coupes dans les budgets sociaux et de l'augmentation permanente des dépenses d'armement.

L'aspiration légitime à la paix, accompagnée de demandes de réponses aux urgences sociales et écologiques, ne peut se faire au détriment des vies et des droits des Ukrainien·ne·s : elle doit au contraire se transformer en une demande de transparence sur les dépenses réelles des gouvernements, en rejetant la militarisation croissante et les politiques économiques socialement régressives, au niveau national et mondial.

L'Ukraine ne peut pas gagner sans les armes fournies par l'OTAN pour repousser l'envahisseur. Pourtant, ce que sa victoire éventuelle sur Poutine représentera le plus, ce n'est pas une victoire de l'Occident dans la lutte des grandes puissances pour la domination mondiale, mais un triomphe de la résistance inflexible du peuple ukrainien et de son droit à décider de son avenir.

Nous appelons à faire de la semaine autour du 24 février (19-25) une période d'action internationale contre l'invasion russe et en solidarité avec l'Ukraine.

En tant que tel, ce sera une victoire pour les petites nations et les principes démocratiques partout dans le monde. Nous appelons à faire de la semaine autour du 24 février (19-25) une période d'action internationale contre l'invasion russe et en solidarité avec l'Ukraine.

Paix pour l'Ukraine. Arrêtez la guerre de la Russie !
Arrêt immédiat des bombardements russes et retrait de toutes les troupes russes de l'ensemble de l'Ukraine !
Soutien et solidarité les plus larges possibles avec le peuple ukrainien dans sa résistance légitime à l'invasion russe !

10 février 2024

Pour ajouter le nom de votre organisation à cet appel, veuillez écrire à l'adresse suivante info@ukraine-solidarity.eu
Consultez le site sur RESU ukraine-solidarity.eu

Photo : Manifestation en solidarité avec le peuple ukrainien, Bruxelles, 25 février 2023. (Dominique Botte / Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0)

Ne pas se taire contre le crime de guerre !

20 février 2024, par Omar Haddadou — , , ,
Atrocités à Gaza ! Temps béni pour les colons d'étendre l'annexion des terres palestiniennes. Netanyahou pose un ultimatum au Hamas pour la libération des otages avant le 10 (…)

Atrocités à Gaza ! Temps béni pour les colons d'étendre l'annexion des terres palestiniennes. Netanyahou pose un ultimatum au Hamas pour la libération des otages avant le 10 mars, sous peine d'un siège à Rafah. A Paris, la mobilisation se poursuit à l'heure où la Cij donne le ton de ses audiences sur la légalité de l'occupation.

De Paris, Omar HADDADOU

« J'entrerai dans vos montagnes ; je brulerai vos villages et vos moissons ; je couperai vos arbres fruitiers et, alors, ne vous en prenez qu'à vous seuls. » Thomas Bugeaud, le Maréchal sanguinaire.
L'horreur, terreau des Démocraties modernes ! Les Etats-Unis et l'Europe se gargarisent de la méthode génocidaire en Palestine, occupée depuis 75 ans, où les bombardements, 19 semaines durant, redoublent chaque jour de férocité.
Depuis les attaques du 7 octobre 2023, les hostilités ont atteint leur paroxysme. La prétendue pression diplomatique de la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, n'a rien à envier aux niaiseries de Jocrisse à solder. Le Ministère de la Santé palestinien fait état de 28 858 martyrs et 68 677 blessés. Les enfants sont les premières victimes de cette campagne barbare des temps reculés.

La puissance de frappe israélienne sur la bande de Gaza, réduite à 80 % en poussière, a pour point d'orgue la préparation imminente d'une offensive sur la ville de Rafah, abritant 1,4 millions de Palestiniens. Les ONG et les chefs d'Etats hostiles à la campagne punitive, dont l'Afrique du Sud, ont annoncé avoir déposé un nouveau recours auprès de la Cour internationale de justice (Cij) en vue d'examiner au plus tôt l'annonce par l'Etat hébreu d'une prochaine offensive militaire sur Rafah. Ce qui constitue, selon eux, une violation des droits.

Ladite institution juridique a entamé hier les audiences sur la légitimité de l'occupation par Israël de terres destinées à un futur Etat palestinien (Cisjordanie occupée, la bande de Gaza et Jérusalem - Est annexée). D'où la colère du Ministre palestinien des Affaires étrangères Riad Al-Maliki devant la haute juridiction de l'ONU : « Les Palestiniens subissent aussi le colonialisme et l'apartheid. Et certains s'indignent de ces paroles de la réalité qui est la nôtre. Cette occupation est une annexion et une suprématie par nature » s'indigne -t-il, demandant à la Cour de confirmer le droit des Palestiniens à l'autodétermination.

La mise en garde d'Emmanuel Macron, dimanche 18 février, quant aux retombées de l'opération militaire de Tsahal à Rafah, ne fera pas reculer la machine de guerre de Netanyahou, déterminé à honorer son serment : Eradiquer le Hamas, avec un permis de tuer étasunien dans la poche ! Derrière cet engagement funeste, se cache le dessein électoral. Le Premier ministre joue sa survie et en appelle à Washington pour le coup d'éclat.

Quant à Macron, il est acculé à danser sur l'air d'une valse à 2 temps ; gardant bien ferme sa lorgnette stratégique sur le Sahel et les JO : « Israël a le droit de se défendre en éliminant les groupes terroristes dont le Hamas par les actions ciblées » déclare-t-il le 12 novembre 2023. Mais, versatilité oblige, hier lundi, il pointe : « Une Démocratie ne peut pas faire ce qu'Israël est en train de faire ».

Au cœur de Paris, portant la cause palestinienne à bras le corps, ils étaient nombreux (es) ce samedi sur l'esplanade des Halles à scander « Halte au massacre à Gaza » « Palestine vivra, Palestine vaincra », drapeaux et Keffieh palestiniens en évidence. Fort de la décision du Conseil constitutionnel et d'une voix unanime, les manifestants dont les militants (es) venus en solidarité d'autres pays d'Europe, réclamaient un cessez-le feu immédiat.

C'est une femme frêle à la « verve kamikaze » à s'arracher la glotte, qui galvanisera l'assistance. Pointant du doigt la politique « d'extermination » entreprise par Netanyahou, elle exhorte la foule à reprendre après elle : « Free Plestine, free Palestine ! Nous sommes tous des Palestiniens (nes). Le ton massif, elle ajoute : « Nous allons mener des actions dans différents endroits de l'Hexagone. Usines, administrations, centres commerciaux... Venez tracter avec nous contre le génocide ! Nous appelons au boycott de Carrefour et Hewlett Packard. D'autres enseignes sont dans le collimateur ».
Outre les interventions des présidents des Collectifs et la programmation de rencontres, une mise en ligne des tracts, fait partie de l'engagement collégial.
La représentation théâtrale de la Nakba (1948) exécutée par une troupe de jeunes filles de l'Association de la Jeunesse palestinienne, venue de Gaza, a été chaleureusement ovationnée. Un rendez-vous est consigné pour la prochaine journée d'action.

Je quitte la place du Châtelet le cœur prostré, hanté par les images innommables de ces enfants gazaouis ravis à la vie par les tapis de bombes, pendant que des Parisiens (es) attablés aux terrasses providentiellement ensoleillées, savourent leur glace et leur café, le cœur guilleret ! O.H

Pour voir d'autres photos de Serge D'Ignazio de la manif à Paris

https://www.flickr.com/photos/119524765@N06/albums/72177720314869748/with/53536367835
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« Le capitalisme mondialisé est vecteur de graves pénuries » - Renaud Duterme

20 février 2024, par Laurent Ottavi, Renaud Duterme — , ,
Les vulnérabilités se multiplient et commencent à toucher tous les secteurs. Dans Pénuries, quand tout vient à manquer (Payot), Renaud Duterme, enseignant en géographie déjà (…)

Les vulnérabilités se multiplient et commencent à toucher tous les secteurs. Dans Pénuries, quand tout vient à manquer (Payot), Renaud Duterme, enseignant en géographie déjà auteur du Petit manuel pour une géographie de combat (2020) et de Nos mythologies écologiques (2021), dresse l'état de la raréfaction des ressources nécessaires à nos sociétés productivistes, en tire les conséquences en ce qui concerne les énergies et nos modes de vie, tout en insistant sur le danger qu'une conjonction de toutes ces fragilités pourrait constituer.

11 février 2024 | tiré du site d'Élucid
https://elucid.media/environnement/penuries-capitalisme-mondialise-vecteur-petrole-electricite-minerais-sobriete-renaud-duterme

Laurent Ottavi (Élucid) : De récents événements comme la crise Covid, la guerre en Ukraine ou encore le blocage du canal de Suez par un porte-conteneur, ont à la fois créé et révélé les grandes fragilités de la mondialisation. Pouvez-vous en donner des exemples et en évaluer la portée ?

Renaud Duterme : Jusqu'ici, les vulnérabilités de notre temps n'ont pas encore donné lieu à des pénuries majeures, davantage à des craintes, et les perturbations ont été surmontées. Cependant, la prise de conscience demeure encore très limitée. L'impression d'un système résilient – ce qu'il est effectivement dans une certaine mesure – l'emporte, alors que les vulnérabilités se multiplient et qu'elles commencent à toucher tous les secteurs.

Le fait est que l'approche interdisciplinaire manque à beaucoup d'analyses, et a fortiori dans le débat public, où on invite par exemple un économiste pour parler d'économie et un climatologue pour évoquer le réchauffement climatique. Or, les fragilités de notre temps résultent de causes très variées, des tensions géopolitiques aux perturbations climatiques en passant par la raréfaction des ressources ou les mouvements sociaux, au point que, quel que soit le fil que l'on tire, cela perturbe tous les autres.

Plus encore que d'interdisciplinarité, nous manquons d'une approche globale et systémique. Les différentes vulnérabilités auxquelles nous faisons et ferons face sont encore plus préoccupantes une fois combinées. Elles s'alimentent les unes les autres. Le château de cartes est capable de tenir debout malgré quelques cartes en moins, mais il y a de quoi nourrir des inquiétudes quant à la solidité de l'ensemble de la structure.

Élucid : Dans votre ouvrage, vous vous étonnez de la sous-estimation dont le pétrole fait l'objet, alors que celui-ci représente le « sang de nos économies » pour reprendre l'expression de Matthieu Auzanneau. Pouvez-vous rappeler l'importance du pétrole dans notre économie et les conséquences d'une raréfaction de ses stocks ?

Renaud Duterme : Beaucoup de malentendus circulent autour du pic pétrolier. Le pétrole sera présent en sous-sol pour encore très longtemps. En revanche, depuis le premier choc dans les années 1970, la raréfaction du pétrole le rend de moins en moins disponible et de plus en plus difficile à aller chercher, ce qui coûte de plus en plus cher (même en tenant compte d'éventuelles phases de baisse, l'évolution des prix n'étant pas linéaire). Aujourd'hui, nous considérons que le prix du pétrole est relativement bas lorsqu'il se situe autour des 80 dollars le baril, alors qu'un tel prix, il y a quelques années, aurait été considéré comme très élevé. Les choses vont s'intensifier à l'avenir avec des montagnes russes sur les prix du pétrole (qui sera en baisse lorsque la contraction économique générée par des prix trop élevés fera baisser la demande) et une trajectoire générale qui sera à la hausse.

De ce fait, la raréfaction du pétrole risque donc d'avoir deux conséquences majeures. La première est une remise en cause du système de délocalisation basé sur un pétrole bas marché afin d'alimenter les porte-conteneurs, les camions, les avions, etc., qui font fonctionner la mondialisation. La seconde conséquence a bien été mise en évidence par la guerre en Ukraine. Dans un contexte d'abondance pétrolière avec des gisements rentables un peu partout, la perturbation générée chez un producteur pose peu problème, car il est toujours possible de se reporter sur un autre. Si la guerre en Ukraine, par exemple, avait eu lieu il y a une ou deux décennies, les tensions auraient sans doute été moins importantes, car on aurait pu se fournir en pétrole auprès d'autres producteurs.

Aujourd'hui, la majorité des grands producteurs de pétrole ont déjà passé leur pic de production. En cas de perturbation chez l'un d'entre eux, il devient bien plus difficile de compenser par l'achat de pétrole ailleurs. Nous nous rabattons sur les États-Unis pour le gaz et sur le Moyen-Orient pour le pétrole, mais l'actualité vient nous rappeler l'instabilité du monde et en particulier de certaines régions. Un potentiel élargissement du conflit israélo-palestinien, notamment à l'Iran, aurait d'énormes conséquences, car deux des principales sources de pétrole pour le continent européen se tariraient ou deviendraient fortement perturbées.

« L'illusion est de penser qu'on pourra continuer nos modes de vie actuels et compenser uniquement par le nucléaire. »

L'électricité est une autre carte maîtresse de l'édifice mondialisé. Quel état des lieux faites-vous quant à cette énergie et quelles sont selon vous les perspectives à moyen terme ?

C'est plus ou moins la même chose. L'électricité est seulement un vecteur énergétique, alimenté par des énergies primaires. Elle est donc sujette aux tensions géopolitiques et l'on sait par exemple que des pays comme la Belgique et l'Allemagne sont fortement dépendants du gaz pour produire de l'électricité. L'impact climatique de notre production d'électricité impose, de plus, qu'elle soit de plus en plus décarbonée si l'on veut tenir les engagements internationaux et limiter les conséquences du réchauffement climatique.

D'autre part, toutes les sources d'électricité décarbonées ont un certain nombre de contraintes climatiques ou physiques. On peut penser notamment à l'intermittence des énergies éoliennes et solaires, qui doivent être compensées soit par des centrales à gaz – ce qui renvoie à la question de la dépendance géopolitique vis-à-vis d'autres producteurs – soit par des centrales à charbon, ce qui amplifie le problème climatique, soit par les centrales nucléaires. Sur ce dernier point, la question n'est pas d'être pour ou contre le nucléaire, comme il n'est pas question d'être pour ou contre telle ou telle énergie en général, mais de l'inscrire dans un contexte de contraintes physiques et climatiques beaucoup plus large.

Le nucléaire équivaut à plus ou moins 5 % des besoins énergétiques mondiaux aujourd'hui. L'illusion est de penser qu'on pourra continuer nos modes de vie actuels et compenser uniquement par le nucléaire. Même dans un pays comme la France, un des plus nucléarisés au monde, toute une série de contraintes est déjà là : l'assèchement des cours d'eau qui a déjà provoqué l'arrêt de plusieurs centrales, le désamour de la filière chez de nombreux ingénieurs, le vieillissement des centrales (donc de plus en plus souvent en panne et de plus en plus compliquées à réparer dans un contexte où la main-d'œuvre manque), les contraintes de délais dues à la construction d'une centrale, au repérage et à la faible acceptation sociale par la population locale. La seule solution sera la sobriété, voire la décroissance, c'est-à-dire la réduction drastique de nos besoins en électricité.

Après avoir analysé la question de la pénurie à l'aune du pétrole et de l'électricité, qu'en est-il en ce qui concerne les minerais ?

Ils constituent le second pilier de nos sociétés modernes, car celles-ci dépendent de flux énergétiques et des flux de matières. Or, la totalité de ces minerais est également non renouvelable. Comme pour le pétrole, l'épuisement total et soudain des ressources est un scénario illusoire. Les gisements seront de moins en moins concentrés, donc de plus en plus rares. Les prix augmenteront fortement, car, tout comme il faut plus d'énergie pour exploiter plus d'énergie, il faut plus de minerais pour exploiter plus de minerais. Les conséquences environnementales seront aussi d'autant plus importantes pour les extraire.

Le secteur de la mine est vorace en eau alors que de nombreux gisements miniers se trouvent dans des zones à fort stress hydrique : le Chili pour le cuivre, l'Amérique du Nord, la Chine. La conjonction de problèmes, à nouveau, sur fond de contraintes diverses (énergétiques, hydriques, etc.) et de moindre concentration des minerais, risque de rendre l'exploitation de certains minerais de plus en plus compliquée. Il nous faudra faire des arbitrages. Il est de ce fait fondamental de s'interroger sur la pertinence de la numérisation croissante de la société et de l'électrification promise de l'ensemble du parc automobile.

Au regard de l'ensemble des contraintes, ne serait-il pas plus judicieux d'envisager des politiques de sobriété pour ces deux secteurs, ce qui passe notamment par un débat démocratique sur la pertinence de l'utilisation accrue du numérique dans de nombreux secteurs (enseignement, santé, agriculture, objets quotidiens, etc.) ainsi que sur la pertinence de politiques visant à réduire notre dépendance à la voiture.

« Le techno-solutionnisme, dont l'objectif premier est de créer de nouveaux marchés pour relancer la machine économique, est juste intenable. »

Votre panorama signifie un retour des limites après une surexploitation irresponsable. Vous avez souligné au début de l'entretien le manque de conscience vis-à-vis des vulnérabilités de notre temps. Comment qualifieriez-vous les mesures annoncées par les gouvernements et leurs objectifs affichés sur ces questions ?

Nous mettons clairement des rustines sur des problèmes systémiques. Le cas de la voiture électrique, qui sert à relancer un marché, est significatif, sans même parler des camions, des avions ou des porte-conteneurs si essentiels au système actuel. De manière générale, l'option mise en avant est celle du solutionnisme technologique, qui cherche surtout à créer de nouveaux marchés pour relancer la machine économique. Elle est intenable à de multiples points de vue. Elle demande des délais considérables pour remplacer les infrastructures physiques.

On ne parle pas non plus des externalités sociales des solutions que l'on avance. Depuis des années déjà, nous avons délocalisé les activités polluantes dans des pays souvent pauvres et lointains. Nous proposons aujourd'hui des mesures qui aggravent les problèmes ailleurs. Je pense à l'extraction du cobalt ou à la fabrication des batteries. Je pense aussi à ce que nous allons faire des vieilles voitures. Des voitures qui ne sont plus aux normes et sont remplacées par des voitures dites « propres », mais qui ne le sont pas tant que cela au regard du cycle de production, partiraient à l'exportation, principalement pour aller polluer l'Afrique.

Enfin, les mesures et les objectifs affichés ignorent le sujet fondamental du manque de main-d'œuvre dans de nombreux secteurs stratégiques, sans laquelle nos sociétés ne peuvent pas fonctionner. Je pense à l'agriculture, au transport routier et au domaine médical. Lesdites pénuries trouvent principalement leur cause dans le capitalisme mondialisé où l'économie prime sur tout le reste avec des emplois qui perdent leur sens, sont pris dans des logiques comptables, et où le fantasme de la dématérialisation laisse penser qu'il serait possible d'avoir des sociétés faites de cadres, d'influenceurs et d'intellectuels. En bref, une négation du rôle primordial de l'industrie, de l'agriculture et des classes populaires.

Les différentes pénuries que vous avez évoquées questionnent l'extraction, la production, l'accroissement des transports et de la consommation, le libre-échange, la division mondiale du travail, la spécialisation et les mouvements de capitaux. Est-ce la fin de la mondialisation ?

Je distingue le processus de mondialisation du projet politique de la mondialisation actuelle. En tant que géographe, je considère le premier comme un processus d'interconnexion du monde, un processus qui date de 1492 avec la découverte des Amériques. Il est amalgamé aujourd'hui avec le projet politique de la mondialisation actuelle, qui se confond avec le capitalisme mondialisé pour suggérer que la seule alternative serait le repli sur soi.

On a imposé, principalement par la force (via la colonisation puis via les programmes d'ajustement du FMI) à l'ensemble du monde, un système économique particulier dans lequel l'économie est autonome par rapport au reste de la société, et où elle finit toujours par prendre le pas sur la société. En un mot, notre mondialisation est un capitalisme mondialisé qui se trouve de plus en plus dans sa forme la plus pure. Les grandes forces du marché, que ce soient les capitaux, les marchandises matérialisées par les grandes entreprises transnationales, en tirent une grande puissance.

La démondialisation que j'appelle de mes vœux n'est pas un repli sur soi ou une remise en cause du processus d'interconnexion du monde. En revanche, elle sort de la logique de capitalisme pur avec des mesures de protectionnisme et de relocalisation, le contrôle des mouvements de capitaux et de marchandises, et l'abandon des accords de libre-échange. L'élargissement des chaînes de production et les nombreuses vulnérabilités que j'ai mentionnées seront résolus à la condition de retrouver une certaine autonomie, qui n'est pas une autarcie ou un système moyenâgeux où chaque territoire serait replié sur lui-même.

Cette autonomie pourrait tout à fait s'accorder avec des accords de coopérations avec de nombreux pays dans une optique de diminution des flux matériels. L'idée n'est pas de refaire produire chez nous des choses inutiles, mais de produire davantage chez nous des choses utiles. Dit autrement, il y a nécessité de refabriquer des principes actifs majoritairement produits en Inde et en Chine, mais aucune à relocaliser la fast fashion.

« La grande question est celle de la décroissance : s'interroger sur l'utilité des choses que l'on produit. »

Les mêmes raisons remettent-elles en cause l'objectif de la numérisation du monde ?

La numérisation de la société, la généralisation de la 5G, les voitures et les frigos intelligents et autres promesses de technologiques nécessitent beaucoup de minerais et d'énergies dans un contexte de raréfaction des ressources. Or, même si nos démocraties sont imparfaites, nos gouvernements peuvent difficilement, pour des raisons électorales, dire que l'on va construire ou rouvrir des mines (le secteur le plus écocidaire du monde !) à cause de la réticence des populations. Développer la 5G demande, de surcroît, de remplacer des milliards d'appareils électroniques encore fonctionnels et entraînerait un effet rebond, puisqu'en cas de connectivité rapide, les usages d'Internet se multiplieraient. C'est une fuite en avant qu'il nous faut arrêter avant d'atteindre les contraintes physiques.

J'ajoute à cela que la numérisation accroît la vulnérabilité de nos sociétés. Une école, un hôpital et un supermarché ne peuvent plus fonctionner désormais sans Internet. Si une coupure globale d'Internet, comme un blackout sur l'électricité, semble réservée à la science-fiction, car cela repose sur des réseaux décentralisés, les effets localisés constituent d'ores et déjà notre réalité. Dans la région où je vis en Belgique, différents hôpitaux piratés ont été bloqués pendant plusieurs semaines, au point d'engendrer des retards d'opérations. Les perturbations créées ont d'ailleurs des effets sur le long terme qui dépassent la durée du blocage. Aux États-Unis une panne Internet qui avait touché des compagnies aériennes avait de son côté entraîné l'arrêt net du trafic. Les choses risquent de s'aggraver, sur fond de tensions géopolitiques.

Au-delà de l'aspect purement physique et du volet géopolitique, nous devons enfin nous poser la question de l'utilité de cette numérisation qui n'a jamais fait l'objet d'un débat démocratique. J'ai fait l'expérience avec mes élèves et j'ai été surpris de voir leur unanimité contre la 5G, qui tenait notamment à l'argument selon lequel la numérisation rend dépendant sans rendre heureux. C'est la grande question, celle de s'interroger sur l'utilité des choses que l'on produit, donc de la décroissance.

« La raréfaction peut conduire à une gestion libérale de la pénurie avec une privatisation de ce qui peut l'être et la réservation des ressources à ceux qui en ont les moyens. »

La mondialisation, disiez-vous, est un capitalisme qui s'affirme dans sa forme chimiquement pure. Dans le contexte de raréfaction des ressources avec leurs multiples conséquences qui se renforcent les unes les autres, le capitalisme serait-il entré en phase terminale ?

J'entends dire dans certains débats que le tarissement des flux physiques et des flux de matière va faire s'effondrer le capitalisme. Je ne le pense pas, car il a une grande force pour rebondir sur les crises et les chocs qu'il provoque. Il est vrai que le capitalisme a un besoin constant de croissance et de construction de bâtiments, de nouvelles routes et requiert donc des minerais et du béton en quantité astronomique. Le géographe David Harvey avait d'ailleurs bien fait le lien entre cette urbanisation et le capitalisme.

La raréfaction de tous les éléments que je mentionne dans le livre va néanmoins se traduire selon moi par une gestion libérale de la pénurie, avec une privatisation de ce qui peut l'être et la réservation des différentes ressources à ceux qui en ont les moyens. Ces arbitrages, par conséquent, seront gérés par l'argent. C'est la continuation du capitalisme avec un marché qui pilote la pénurie. Il y a trois façons de gérer les pénuries dont j'ai parlé jusqu'ici. La première, libérale, est à l'œuvre quasiment partout. La seconde, autoritaire et qui peut s'associer avec la gestion libérale comme l'ont montré les exemples de Trump et de Bolsonaro, alloue les différentes ressources de façon purement verticale. La troisième voie, démocratique, horizontale, implique beaucoup d'efforts, beaucoup de conscientisation et des rapports de force considérables.

La plasticité du capitalisme face à ces difficultés implique encore une accentuation des inégalités et de plus en plus d'autoritarisme. Ne seraient-ce pas ces fragilités-là qui risquent de le faire s'écrouler malgré tout à terme ?

C'est une possibilité. J'observe néanmoins que la perte de légitimité potentielle du capitalisme ne pousse pas les gens à en demander la fin. La tendance est plutôt à pointer l'autre, l'étranger du doigt. L'orientation de la contestation dépendra beaucoup du positionnement de la gauche sociale, militante, politique sur les sujets de la lutte des classes, de la mondialisation, quand les pénuries s'aggraveront.

Cela lui demande une remise en cause et notamment une reconnexion avec les classes populaires, premières victimes du déclassement, qu'elle ne connaît plus, qui sentent de sa part de la condescendance ou du mépris. François Ruffin est l'une des seules personnalités en France à échapper à ce travers. La gauche a peur de se faire associer à l'extrême droite et abandonne des sujets comme le protectionnisme et les frontières, de même qu'elle laisse de côté le sujet de l'insécurité, certes accentué par les médias, mais qui va fatalement augmenter dans un contexte de pénuries.

De façon générale, les idées que vous avancez dans votre livre pour faire face à ce temps des pénuries se résument-elles à ces deux mots : démondialisation et décroissance ?

Oui, à condition une nouvelle fois d'entendre par démondialisation l'abandon de la mondialisation comme projet politique et d'associer à la décroissance la diminution des flux matériels et des flux physiques dans une perspective de justice sociale, de démocratie et de bien-être, soit exactement la définition de Thimothée Parrique (Ralentir ou périr). La décroissance, contrairement à ce que soutiennent les libéraux, n'est pas la baisse du PIB, elle est une économie déconnectée du PIB, de la gestion comptable et basée sur d'autres indicateurs.

Il est cependant fort peu probable que ce projet prenne forme. Nous sommes très loin de la démondialisation et le rapport de force n'est pas du tout en faveur des forces progressistes. Je ne suis pas défaitiste, mais je pense qu'il faut se préparer à un échec. Il y aura alors nécessité d'appliquer des comportements individuels ou collectifs à l'échelle locale visant une certaine autonomie. Face aux vulnérabilités, aux ruptures d'approvisionnement de plus en plus importantes dans tous les secteurs, il sera fondamental d'organiser les choses ici et maintenant à l'échelle des quartiers, des entreprises, des collectivités pour une vie déconnectée des grands flux physiques, de matières et d'énergie.

Je précise qu'il ne s'agit pas d'opposer la ville à une campagne idéalisée, une caractéristique de l'extrême droite. Le géographe Guillaume Faburel a fait un formidable travail sur la déconstruction de la métropolisation. La ville, qui plus est la grande ville, dépend de grands flux de matières, des va-et-vient de camions pour la nourrir et elle dispose de très peu d'autonomie. Par contre, les campagnes vivent maintenant à bien des égards de la même façon que les citadins. Quand bien même il y a des terres agricoles dans ma commune, située dans une zone rurale de Belgique, l'essentiel des biens alimentaires vient d'ailleurs. Nous sommes dépendants des mêmes flux physiques. Ceci étant dit, la campagne dispose quand même d'un petit atout qui tient à une plus forte résilience du fait d'espace de stockage, d'une plus grande proximité et de moins forte densité.

Propos recueillis par Laurent Ottavi.

Photo d'ouverture : Thx4Stock team - @Shutterstock

La Concertation pour Haïti (CPH) dénonce la menace grave d’une minière canadienne à la vie, à l’eau et à l’environnement en Haïti

20 février 2024, par Concertation pour Haïti — , , ,
Alors que les bandes armées continuent de consolider leur emprise sur Haïti et que la moitié de la population est confrontée à une famine aiguë, la Concertation pour (…)

Alors que les bandes armées continuent de consolider leur emprise sur Haïti et que la moitié de la population est confrontée à une famine aiguë, la Concertation pour Haïti<https://aqoci.qc.ca/la-concertation...> alerte le public sur le lancement imminent des opérations d'une mine d'or par une société canadienne. Cela représente une grave menace sur cette nation caribéenne pour de graves dommages environnementaux et une diminution de l'approvisionnement déjà précaire en eau du pays.

La société Unigold, cotée à la bourse de Toronto, devrait obtenir bientôt une licence pour exploiter la concession Candelones, également connue sous le nom de Neita Sur, située à Restauracion, dans la province de Dajabon, à la frontière d'Haïti. La concession contiendrait 2,25 millions d'onces d'or et le permis donnerait à Unigold le droit exclusif d'extraire des minéraux métalliques pendant 75 ans. En avril 2023, la demande avait été étudiée par la Direction dominicaine des mines et envoyée au Ministère de l'énergie et des mines avec une recommandation positive.

Barrick Gold a également annoncé qu'elle avait acquis 60 % des droits d'exploration pour une autre concession connue sous le nom de Neita Norte ; Unigold détient les 40 % restants.

Selon Unigold, les opérations minières nécessiteront le captage initial de l'équivalent de 28 piscines olympiques (70 000 mètres cubes) d'eau. En moyenne, il faut 500 000 litres d'eau pour extraire et laver un kilogramme d'or.

La CPH se solidarise avec les organisations locales qui ont exprimé leur inquiétude quant à la pollution des rivières Massacre et Artibonite, partagées sur l'île d'Hispaniola, par les opérations minières qui utiliseront du cyanure pour extraire le minerai d'or. Ces deux rivières sont d'importantes sources d'irrigation pour le riz et d'autres cultures essentielles à la sécurité alimentaire d'Haïti.

‘Le modèle minier extractiviste conduirait à la contamination de l'eau dont nous avons tous besoin pour vivre, en plus d'autres dommages causés à la population paysanne,' ont déclaré les jésuites de la République dominicaine et d'Haïti dans une déclaration datant de septembre 2023, et ont décrit la mine comme une "menace sérieuse".

Le 4 février dernier, un regroupement d'associations dominicaines de la région déclarait : « Nous nous opposerons à toute exploitation minière, même s'il nous faudra pour cela offrir notre sang à la Terre-mère, pour la vie des générations futures. »

Haïti est le pays le plus vulnérable aux impacts du changement climatique en Amérique latine. La plupart des Haïtiens vivant en milieu rural doivent parcourir de longues distances pour trouver de l'eau et seuls 43 % d'entre eux ont accès à l'eau potable. La déforestation liée à la pauvreté a dégradé les bassins versants et les écosystèmes.

Le CPH estime que les impacts des activités de la Unigold, une société canadienne qui bénéficie du soutien du gouvernement canadien, sont incompatibles avec les efforts des projets de développement canadiens pour protéger l'environnement, particulièrement les réserves d'eau, et réduire les impacts du changement climatique.

Elle réitère son appel au Canada, lancé dans son rapport de 2016 sur l'exploitation minière en Haïti[1], d'assurer la reddition de compte des entreprises canadiennes opérant à l'étranger et lever les entraves juridiques existantes afin de permettre aux populations lésées par l'action des minières canadiennes dans les pays hôtes d'entamer des poursuites en justice au Canada.

Texte préparé par Mary Durran, Marcela Escribano, Jean-Claude Icart et Amélie Nguyen, membres de la CPH.

Fondée en 1994, la Concertation pour Haïti (CPH) est un regroupement d'organisations de la société civile et de membres individuels du Québec qui participent au mouvement de solidarité avec le peuple haïtien. La CPH essaie, de son mieux, d'accompagner la société civile haïtienne dans sa recherche de mieux-être, en œuvrant au niveau de la promotion des droits humains et des libertés fondamentales, de la justice sociale, du développement solidaire et de la sensibilisation du public d'ici.

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L’interdiction de l’avortement au Texas nuit aux soins de santé

L'interdiction de l'avortement au Texas nuit aux soins de santé, même pour les femmes qui souhaitent être enceintes Les lois strictes contre l'interruption de grossesse dans (…)

L'interdiction de l'avortement au Texas nuit aux soins de santé, même pour les femmes qui souhaitent être enceintes
Les lois strictes contre l'interruption de grossesse dans cet État américain limitent les soins pour les patientes atteintes de cancer et les bénéficiaires de la FIV.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/15/linterdiction-de-lavortement-au-texas-nuit-aux-soins-de-sante-meme-pour-les-femmes-qui-souhaitent-etre-enceintes/

En 2023, une femme est entrée dans un centre de santé de Houston en traînant une perche à perfusion. Elle souffrait d'hyperémèse gravidique, c'est-à-dire d'une forme extrême de nausées matinales. Elle vomissait constamment, ne pouvait retenir ni nourriture ni liquides et était maintenue en vie grâce à une perfusion.

« Elle était allée aux urgences tellement de fois », a expliqué le médecin Bhavik Kumar à openDemocracy, « et elle était si fragile et si maigre que les urgences l'ont renvoyée chez elle avec une perche à perfusion. Je n'avais jamais vu cela auparavant ».

La patiente a demandé un avortement, qui permet de soulager rapidement l'hyperémèse gravidique. Avant la chute de l'arrêt Roe v Wade, qui protégeait constitutionnellement le droit à l'avortement, en 2022, M. Kumar aurait pu fournir ces soins dans sa clinique ambulatoire. Mais en raison de la nouvelle interdiction quasi-totale du Texas, il n'a pas pu apporter son aide.

Lorsqu'on lui a demandé ce qu'il était advenu de la femme à la perche à perfusion, M. Kumar a répondu qu'il n'en savait rien. « Souvent, nous ne connaissons pas le résultat », a-t-il expliqué. « Une patiente peut venir dans ma clinique avec un certain nombre de problèmes, par exemple des saignements abondants et des antécédents d'hémorragie… Elle doit rentrer chez elle et attendre que son état devienne une urgence, puis se rendre aux urgences. Elles doivent alors se rendre aux urgences ».

Les données du département de la santé et des services sociaux du Texas confirment les propos de M. Kumar : 100% des avortements déclarés au Texas sont désormais pratiqués dans des hôpitaux. Avant la chute de l'arrêt Roe, ce chiffre était de 0,1%, l'écrasante majorité des avortements étant pratiqués dans des cliniques ambulatoires.

Trois lois principales réglementent l'avortement au Texas. L'« interdiction de déclencher », ainsi appelée parce qu'elle a été déclenchée par l'annulation de l'arrêt Roe v Wade par la Cour suprême, interdit presque totalement les avortements et prévoit des sanctions pénales et civiles ; une autre loi, promulguée avant l'arrêt Roe v Wade, criminalise la fourniture de soins liés à l'avortement ; et le SB8 (pour « Senate Bill 8 ») permet aux citoyens de poursuivre en justice toute personne qui aide et encourage un avortement.

Par conséquent, les femmes texanes qui souffrent d'une urgence obstétrique attendent que leur besoin d'avortement devienne une urgence, car c'est ce qu'exige l'« interdiction de déclencher ». Elle interdit l'avortement à tout moment de la grossesse, quelle qu'en soit la raison, à une exception près : l'avortement est autorisé s'il est, « dans l'exercice d'un jugement médical raisonnable », nécessaire pour sauver la vie de la mère ou éviter « un risque sérieux d'altération substantielle d'une fonction corporelle majeure ».

Le problème de cette exception est que les médecin·es ne savent pas exactement quand elle s'applique. Cette incertitude bouleverse les soins médicaux dans tout le Texas – pas seulement les soins liés à l'avortement, mais tous les soins de santé fournis aux personnes enceintes ou susceptibles de le devenir.

Selon Sonia Suter, professeure de droit à l'université George Washington, l'exception est si vague qu'elle est « pratiquement dénuée de sens », a déclaré Mme Suter à openDemocracy. « Quelle est l'ampleur du risque exigé par la loi ? « Quelle est la probabilité de préjudice ? » « Quelle doit être son imminence ? »

Selon la Cour suprême du Texas, il ne suffit pas qu'un·e médecin·e dise qu'un avortement est nécessaire selon son « jugement médical de bonne foi ». Au contraire, « le jugement médical impliqué doit répondre à une norme objective » – quoi que cela signifie.

« L'imprécision de ces lois est une caractéristique, a déclaré Mme Suter, et non un problème. Les exceptions vagues permettent à un profane de dire ‘oh, l'État se soucie des femmes'. Mais l'État s'en moque ».

Les médecin·es n'ont pas la formation juridique nécessaire pour interpréter les lois complexes sur l'avortement, et nombre d'entre elles et d'entre eux ont déclaré que les administrateurs de l'hôpital ou de la clinique ne leur donnaient pas de conseils à ce sujet. S'iels enfreignent les interdictions du Texas en matière d'avortement, iels s'exposent également à des sanctions sévères, notamment 99 ans de prison, des amendes d'au moins 100 000 dollars et la perte de leur licence médicale.

Dans ces circonstances, « la chose la plus facile à faire est de jouer la carte de la sécurité et de ne même pas mentionner l'avortement », a déclaré à openDemocracy un gynécologue qui a requis l'anonymat.

La crainte de se mettre en porte-à-faux avec la loi a conduit certains médecins texans non seulement à éviter de mentionner l'avortement, mais aussi à modifier leur façon de traiter des questions médicales telles que la FIV, les fausses couches, les grossesses extra-utérines et même la chimiothérapie.

Sarah*, une avocate qui travaille à Dallas, a vu de ses propres yeux comment les interdictions de l'avortement dans l'État peuvent affecter les soins médicaux de manière inattendue. Elle est tombée enceinte par FIV l'année dernière, et son médecin lui a déconseillé de tester ses embryons pour détecter des anomalies. Tous les tests effectués sur les embryons peuvent les endommager, lui a-t-il dit, et il ne voulait pas prendre ce risque.

Sarah a suivi les conseils de son médecin et est maintenant enceinte de quatre mois. Bien qu'elle soit enthousiaste à l'idée de devenir mère, elle s'inquiète de ce qui se passerait en cas de problème pendant sa grossesse. « Pour la première fois de ma vie, dit Sarah, je me suis dit : Je n'aime pas que l'État dans lequel je vis m'impose cette restriction. Et si je ne teste pas cet embryon, qu'il prend et qu'il y a un problème ? Je comprends que la vie est précieuse, mais je ne veux pas mettre au monde un enfant qui a plus de chances de souffrir qu'un enfant en bonne santé ».

L'expérience de Sarah n'est pas unique. Alex, qui travaille dans une organisation à but non lucratif à Houston et est enceinte de 15 semaines, a fait une fausse couche en 2019. Cette fausse couche s'est terminée par une dilatation et un curetage – une procédure qui retire le tissu fœtal de l'intérieur de l'utérus et constitue une partie standard des soins de fausse couche, essentielle pour prévenir les infections et les saignements abondants. Mais elle peut également être utilisée pour pratiquer un avortement. Alex craint de devoir quitter l'État si elle devait subir la même intervention aujourd'hui.

Elle a de bonnes raisons de s'inquiéter. « Le traitement est en grande partie le même pour une fausse couche et un avortement », a déclaré Mme Suter, « et il est vraiment très difficile de faire la distinction. Comment un médecin peut-il déterminer, lorsqu'une femme se présente avec des saignements, s'il s'agit d'un avortement auto-administré raté ou d'une fausse couche ? »

Kumar a ajouté : » »Les grossesses ectopiques peuvent également constituer une zone grise », a ajouté Kumar. Une grossesse extra-utérine se produit lorsqu'un ovule fécondé se développe en dehors de l'utérus, généralement dans une trompe de Fallope. Au fur et à mesure que la grossesse progresse, la trompe peut se rompre. Cette rupture peut provoquer une hémorragie interne importante, ce qui constitue une urgence médicale.

Bien que le Texas ait adopté une nouvelle disposition en septembre 2023 pour permettre le traitement des grossesses extra-utérines, ainsi que des fausses couches causées par la rupture prématurée des membranes, les médecin·es interrogé·es dans le cadre de cet article ont déclaré que la nouvelle loi n'était pas claire. De plus, un·e médecin·e peut toujours être accusé·e d'avoir fourni ce type de soins si quelqu'un prétend qu'iel a en fait pratiqué un avortement. Et s'elles ou il est inculpé, la loi de l'État prévoit que c'est la médecine ou le médecin lui-même – et non l'État, comme c'est généralement le cas dans les procédures pénales – qui a la charge de la preuve, ce qui signifie qu'elle ou il doit démontrer qu'iel a effectivement traité une grossesse extra-utérine ou une fausse couche.

En conséquence, a déclaré M. Kumar, « la façon dont nous gérons » les grossesses extra-utérines et les fausses couches « a vraiment changé ». Dans les deux cas, « nous devons attendre et surveiller beaucoup plus longtemps qu'auparavant et documenter la situation de manière beaucoup plus approfondie ». Cette approche est contraire aux meilleures pratiques médicales, a-t-il déclaré, car elle retarde les soins essentiels.

Même le traitement du cancer a été affecté par les interdictions d'avortement de l'État. Claire Hoppenot, gynécologue oncologue à Houston, a déclaré qu'elle avait récemment vu une femme enceinte atteinte d'un cancer du col de l'utérus. Cette femme a finalement été traitée par une procédure cervicale localisée, qui comporte un risque de fausse couche. Mme Hoppenot a déclaré qu'elle s'était interrogée : « Si elle fait une fausse couche à cause de cette intervention, cela va-t-il me poser des problèmes, même si l'intervention n'a rien à voir avec un avortement ? » En fin de compte, la grossesse de la patiente s'est déroulée sans problème, mais Mme Hoppenot a déclaré que ce genre de préoccupations concernant la loi « a changé la façon dont je parle aux patientes ».

La Cour suprême du Texas a reconnu que le personnel médical ne comprenait pas bien la portée de l'interdiction de l'avortement dans cet État. Dans un jugement daté du 11 décembre 2023 refusant des soins d'avortement à Kate Cox (une femme dont la grossesse n'était pas viable et qui a dû fuir le Texas pour se faire avorter), elle a demandé au conseil médical du Texas de clarifier exactement ce que l'exception étroite de l'interdiction signifiait en termes pratiques.

La Cour a déclaré que le conseil pouvait normalement « évaluer diverses circonstances hypothétiques, fournir les meilleures pratiques, identifier les lignes rouges, etc. », comme il l'a fait « dans d'autres contextes, tels que son Covid-19″ » À ce jour, cependant, la commission n'a pas donné d'indications sur la portée des interdictions d'avortement au Texas, et il n'y a pas de date limite pour qu'elle le fasse.

Contacté pour commenter cet article, le conseil n'a pas répondu. Le département de la santé et des services sociaux du Texas a d'abord déclaré qu'il avait « reçu [la] demande » pour cet article « et [qu'il] la traiterait ». Mais trois jours plus tard, il a répondu par écrit : « Nous n'émettons aucun commentaire sur les lois texanes relatives à l'avortement ».

Les partisans de l'interdiction au Texas affirment que le texte de la loi est déjà clair. Le sénateur Bryan Hughes, par exemple, a écrit dans une lettre adressée en août 2022 au conseil médical du Texas que « la loi texane indique clairement que la vie et les principales fonctions corporelles d'une mère doivent être protégées. Toute déviation, telle que des soins retardés pour des grossesses extra-utérines ou des fausses couches, devrait faire l'objet d'une enquête en tant que faute professionnelle potentielle ».

Même si la loi est claire pour les sénateurs de l'État, les preuves recueillies pour cet article indiquent qu'elle n'est pas claire pour les professionnel·les de la santé du Texas. Il en va de même dans d'autres États appliquant des interdictions d'avortement similaires. Par exemple, dans l'Oklahoma – qui interdit l'avortement sauf lorsqu'il est nécessaire pour préserver la vie de la mère – la plupart des hôpitaux n'ont pas pu expliquer quand et comment la décision serait prise d'interrompre une grossesse pour sauver la vie de la mère, selon une étude réalisée en 2023.

En d'autres termes, les problèmes causés par les lois floues sur l'avortement au Texas se posent également dans d'autres États américains : outre l'Oklahoma, l'Alabama, l'Arkansas, l'Idaho, l'Indiana, le Kentucky, la Louisiane, le Mississippi, le Missouri, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud, le Tennessee et la Virginie-Occidentale interdisent largement l'avortement, sauf lorsqu'il est nécessaire pour préserver la vie et/ou la santé de la mère (et, dans certains États, en cas d'inceste ou de viol).

Le « préjudice médical global » causé par ces interdictions signifie que les femmes « doivent attendre plus longtemps pour obtenir des soins en cas d'avortement ou de fausse couche » – c'est-à-dire jusqu'à ce que leur besoin de soins soit une urgence. Les retards dans les soins entraînent « une augmentation de la morbidité et de la mortalité maternelles », a expliqué M. Kumar.

L'Amérique a déjà le taux de mortalité maternelle le plus élevé des pays riches, et les personnes de couleur – en particulier les femmes noires – sont touchées de manière disproportionnée.

Les récentes interdictions d'avortement risquent d'aggraver ces problèmes, selon M. Kumar. En d'autres termes, ces interdictions sont mauvaises pour la santé des femmes. Cela semble clair, même si beaucoup d'autres aspects de ces lois restent flous.

*Le nom a été modifié

Kendall Turner, 5 février 2024
Kendall Turner est une écrivaine indépendante et une professeure qui a été stagiaire à la Cour suprême des États-Unis et a participé à des procès concernant l'avortement au Texas et dans d'autres États.
https://www.opendemocracy.net/en/5050/texas-abortion-ban-roe-v-wade-cancer-ivf-law/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Mouvements féministes au Pakistan : défis et luttes

Asma Aamir écrit sur la trajectoire et les pratiques actuelles des mouvements féministes pakistanais, leurs défis et leurs voies à suivre Tiré de Entre les lignes et les (…)

Asma Aamir écrit sur la trajectoire et les pratiques actuelles des mouvements féministes pakistanais, leurs défis et leurs voies à suivre

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/16/mouvements-feministes-au-pakistan-defis-et-luttes/

Je voudrais parler du Pakistan, un pays qui n'a pas d'État laïc, comme la Turquie et d'autres. Son nom officiel est la République islamique du Pakistan, et le pays est gouverné par les gouvernements fédéral et provinciaux, conformément à la Constitution de 1973. Le système judiciaire est divisé en tribunaux civils, tribunaux pénaux et tribunal de charia, qui examine les lois du pays conformément à la loi et au droit islamique.

La Cour fédérale de la Charia est la seule autorité dotée du pouvoir constitutionnel d'interdire et d'empêcher la promulgation de lois par le Parlement pakistanais lorsqu'elles sont jugées contraires aux préceptes islamiques. La cour se concentre principalement sur l'analyse des lois nouvelles ou existantes dans le pays. Si une loi viole le Coran, la Sunna ou les hadiths, le Tribunal de la Charia interdira sa promulgation.

La Constitution de 1973 garantit, dans son article 16, la liberté de réunion ; à l'article 17, la liberté d'association ; et à l'article 19, la liberté d'expression. Tout cela devrait renforcer l'exercice des droits fondamentaux par chaque citoyen, sans discrimination. L'absence de ces droits est le plus grand obstacle à la croissance d'une société. Les violations croissantes des droits humains constituent une menace ouverte pour la démocratie et le travail des défenseurs des droits humains. La Constitution garantit ces droits, mais ils ne sont pas exercés dans la vie pratique. Le viol est principalement contre les droits des femmes. Plus précisément, la liberté d'expression et de réunion des femmes et des filles est limitée. Il est nécessaire d'assurer la mise en œuvre de leurs droits dans le pays.

Pendant et après la pandémie, l'inflation a accru la pauvreté et les multiples défis sociaux, politiques et économiques du tissu social diversifié du Pakistan. La croissance démographique rapide et les impacts négatifs sur les minorités ethniques et religieuses entraînent des divisions croissantes entre les espaces urbains et ruraux et entre les grandes et les petites villes. Tous ces facteurs contribuent à la transformation continue du comportement social des masses. Le contexte de la pandémie a réduit la main-d'œuvre dans tous les secteurs économiques et causé la perte de nombreux emplois. Les travailleuses, en particulier celles de la classe ouvrière, qui travaillent dans les usines et dans le contexte domestique, ont le plus souffert. Les enseignantes ont été immédiatement démises de leurs fonctions. Et la violence à l'égard des femmes et des filles a augmenté pendant la pandémie.

« L'intolérance ethnique et religieuse est courante et des cas sont occasionnellement signalés » Asma Aamir


Le féminisme dans l'histoire pakistanaise

Face à tous ces défis, l'insécurité des minorités pakistanaises s'est accrue au fil du temps. Dans les années 1980, pendant le régime dictatorial et anti-femmes de Zia-ul-Haq, il y a eu un rétrécissement des espaces civils pour les femmes. Au cours de cette période, l'État a effectivement utilisé les forces politiques religieuses pour accéder au pouvoir. Il a réduit au silence les partis politiques, réprimé la presse et le monde universitaire par la censure et interdit les mouvements étudiants et syndicaux.

C'est à ce moment politique des années 1980 que le premier mouvement féministe, le Forum d'action des femmes, a gagné du terrain. Les femmes se sont réunies et ont renversé les ordonnances Hudud, promulguées en 1979, qui étaient discriminatoires à l'égard des femmes non musulmanes en ce qui concerne les témoignages dans les affaires de viol et de viol collectif. Ce mouvement a organisé l'événement pour protester contre la Loi des preuves (qui forçait la femme violée à présenter quatre témoins pour prouver le crime), les lois de Hudud et d'autres lois discriminatoires à l'égard des femmes. La manifestation a eu lieu sur l'avenue The Mall, à Lahore, ma ville natale. Bien qu'il s'agisse d'un acte pacifique, l'utilisation de gaz lacrymogène pour disperser la foule et arrêter des personnes n'était pas rare. Le Forum d'action des femmes a été ]– et continue d'être – une voix contre toutes sortes d'injustices, en particulier contre les femmes et les minorités. Plus tard, en 2006, les lois ont été mises à jour et n'exigent plus la présentation de quatre témoins.

Le deuxième mouvement féministe populaire du Pakistan a vu le jour en 2000, sous le nom d'Alliance contre le harcèlement sexuel [Alliance Against SexualHarassment – AASHA] et la devise pour mettre fin au harcèlement sexuel au travail. La militante et experte sur les questions de genre Fouzia Saeed, ainsi que d'autres compagnes, telles que la membre de la Marche Mondiale des Femmes Bushra Khaliq, ont engagé des personnalités importantes, telles que des femmes des mouvements populaires, des médias, des parlementaires et des partis politiques. Grâce à ces efforts, en 2010, elles ont eu la chance de faire adopter la loi sur la protection contre le harcèlement des femmes sur le lieu de travail.

Le mouvement populaire actuel, qui s'appelle Marche Aurat [La marche des femmes, en français], s'est renforcée il y a cinq ans, en 2018, avec la devise de la fin du patriarcat. La Marche Aurat est le mouvement des jeunes féministes, avec une approche plus inclusive et intergénérationnelle. Chaque année, la Marche Aurat a lieu le 8 mars, et tout au long de l'année des activités telles que des communiqués de presse, de petites manifestations et des œuvres artistiques sont également organisées.

Défis Contemporains

Les jeunes féministes sont confrontées à la mort, au viol et aux menaces d'attaque à l'acide alors qu'elles exercent leur droit constitutionnel de se réunir et leur droit à la liberté d'expression. Lever un drapeau dérange et irrite la mentalité patriarcale au Pakistan.

La structure, les pratiques et le tissu social sont contre les femmes. Le pouvoir du gouvernement est faible pour protéger les femmes. Les femmes font face à l'opposition à la maison, dans la rue et au travail, mais nous continuons à marcher dans les rues, en lien avec la Journée internationale de lutte des femmes et d'autres agendas.

Les attaques par commentaires et messages privés sur Internet ont apporté de l'insécurité aux jeunes filles. En conséquence, elles ont dû arrêter de publier du contenu sur leur participation dans les espaces publics ou ont commencé à ignorer ces commentaires, faisant face à la peur et à l'insécurité par elles-mêmes. Les médias et les tactiques néfastes de Youtubeurs ont détérioré la cause des filles et des femmes sans enquêter sur la source. Les médias imprimés et électroniques ont publié des affiches manipulées avec des images de filles et de femmes qui ont participé à des actes et à des marches, y compris la mienne.

Les réseaux sociaux affectent la sociologie et la psychologie de ce qui est communiqué, à l'aide de la technologie. Le populisme croissant expose comment la société n'est pas encore prête à donner et à offrir des droits sur le corps aux filles et aux femmes. La devise « merajismmerimarzi » (« mon corps, mon choix ») est devenue une expression osée et audacieuse utilisée par les jeunes féministes pour nier le contrôle du corps des femmes sous la forme de viol conjugal et de non-choix d'avoir des enfants. Beaucoup de gens répudient cette devise et peu l'admettent.

L'espace de divergence se réduit rapidement dans la région Asie-Pacifique. De même, les espaces civils et les mouvements de jeunes féministes au Pakistan sont également en échec.

Les menaces contre la vie des manifestantes se sont multipliées. Les femmes sont confrontées au harcèlement sur Internet, au harcèlement sexuel dans les espaces publics et à la stigmatisation, en raison des fondamentalismes, des secteurs de droite et de l'absence de laïcité. Tous ces défis se posent et demandent beaucoup à l'État et aux communautés de trouver des solutions, de considérer les femmes comme des citoyennes égales dans ce pays, de concevoir des politiques en faveur des femmes et de garantir des espaces civils pour les femmes et les filles.

Notre voie à suivre est de mobiliser et de renforcer les capacités de centaines de jeunes à construire le mouvement, sous la bannière de la Marche Mondiale des Femmes au Pakistan. Avec ce militantisme quotidien, nous continuerons à nous battre pour les droits des femmes et pour des changements structurels. C'est pourquoi nous disons que « nous résistons pour vivre, nous marchons pour transformer ».

*-*

Asma Aamir est membre de la Marche Mondiale des Femmes au Pakistan et membre suppléante du Comité international du mouvement, représentant la région Asie. Cet article est une version éditée de son discours à la 13e Rencontre internationale de la Marche Mondiale des Femmes, qui s'est tenue en octobre 2023 à Ankara, en Turquie.
Langue originale : anglais
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Édition par Helena Zelic
https://capiremov.org/fr/analyse/mouvements-feministes-au-pakistan-defis-et-luttes/

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M. Seguin, ou comment de toutes jeunes filles sont punies de vouloir vivre…

20 février 2024, par Elodie Taillon-Hibon — ,
La morale est très claire : il faut savoir rester à sa place, et quand on est une mignonne petite chèvre innocente et naïve, on ne peut impunément avoir le désir de gambader (…)

La morale est très claire : il faut savoir rester à sa place, et quand on est une mignonne petite chèvre innocente et naïve, on ne peut impunément avoir le désir de gambader découvrir la montagne si belle. On est alors châtiée par « la nature », car il n'est pas dans l'ordre des choses que les mignonnes petites chèvres aient un désir de liberté.

Tiré de Entre les lignes et les mots

« La Chèvre de M. Seguin », ou comment les toutes jeunes filles sont punies de vouloir vivre par de « vieux messieurs ».

« Ah qu'elle était jolie, la petite chèvre de M. Seguin… »

Nous connaissons toutes et tous cette histoire d'Alphonse Daudet qui nous raconte comment une mignonne petite chèvre blanche finit, emportée par sa curiosité et son désir de découvrir le monde, dévorée par un loup. La morale est très claire : il faut savoir rester à sa place, et quand on est une mignonne petite chèvre innocente et naïve, on ne peut impunément avoir le désir de gambader découvrir la montagne si belle. On est alors châtiée par « la nature », car il n'est pas dans l'ordre des choses que les mignonnes petites chèvres aient un désir de liberté.

Il a toujours été évident pour moi que Daudet envoyait ici un avertissement (certes pas par bienveillance) aux jeunes filles, ces petites chèvres blanches si mignonnes, qui voulaient découvrir le monde.

En 1989, J.- Cl. Brisseau réalise Noces Blanches. Une très jeune, très gracile, très frêle et très solaire Vanessa Paradis y incarne remarquablement la jeune Mathilde (dont la caractéristique la plus forte passe totalement inaperçue vu le film mais est pourtant centrale dans l'histoire : Mathilde est une jeune surdouée de la philosophie). Vanessa Paradis, pas encore dévorée par le loup du monde malgré son énorme succès dans la chanson, crève littéralement l'écran, face à Bruno Cremer, un vieux monsieur de 60 ans en prof de philo très distingué qui « vit une histoire » (sic) avec elle. Histoire dont on comprend bien que c'est la jeune Mathilde, cette Messaline, qui la pousse, la force, finalement, c'est elle qui le dévoie.

Elle sera punie Mathilde. Un peu comme Lolita de Nabokov d'ailleurs (même si les histoires sont différentes). Enfin, c'est ce qu'on nous laisse entendre. Elle finira suicidée, donc, socialement, « punie ». Et non « victime ». Alors que c'en est bien une, de victime, « Mathilde ». Ce message là aussi il est reçu : les jeunes filles trop brillantes et trop curieuses, trop avides de vouloir « vivre leur vie », comme la chèvre de Monsieur Seguin, seront « punies ».

Qui les punit ? Les vieux messieurs bien-sûr. La société également.

Difficile de ne pas refaire ce lien en entendant Judith Godrèche, en lisant Isild Le Besco ou Vahina Giocante. Difficile aussi de ne pas repenser à Adèle Haenel et à son quasi-slam/manifeste chez Mediapart…

Ces histoires, nous sommes des milliers je pense à les avoir vécues, avec des inconnus, en étant inconnues, dans ma génération. Celle des femmes qui ont aujourd'hui cinquante ans.

A quelques exceptions, elles se ressemblent toutes, ces histoires, elles ressemblent au désastre, elles ressemblent à une mort, elles laissent le goût du sang.

On met longtemps à s'en relever (s'en relève-t-on d'ailleurs vraiment tout à fait ?).

Comment une mignonne petite chèvre se fait piéger par un vieux loup dégueulasse qui se sert de son talent, de son expérience, de sa maturité, de sa position… mais qui se sert surtout de son iridescence à elle, de son désir de vivre, de son envie de liberté, de sa curiosité pour la vie, bref, des désirs romantiques de son âge (on n'est évidemment pas sérieuse quand on a entre 14 et 17 ans), qui se sert aussi souvent, de ce décalage fréquent entre des appétits intellectuels et une maturité affective, pour s'immiscer, séduire, détourner.

On ne disait pas « détournement de mineure » pour rien, c'est parce-que précisément, pendant cette minorité-là, ces trois ans d'immense vulnérabilité, il y a, dans notre société, un piège quotidien, où il suffit à un malin d'un peu d'expérience et d'une bonne dose de saloperie pour juste, tranquillement, te détourner, comme on détourne un cours d'eau avec quelques cailloux posés au bon endroit.

Ce serait presque une métaphore que tant de détournements aient eu lieu à la faveur de tournages. On tourne, on détourne, « ça tourne » et à la fin la tête vous tourne, vous êtes perdue, vous ne savez plus où vous habitez, qui vous êtes, ni dans quelle vie vous évoluez mais en tout cas, ce n'est plus « votre vie ». Avec ces réalisateurs qui sont d'abord là, on l'a bien compris ça y est, pour réaliser, rendre réels, leurs fantasmes dégoûtants, finalement. Le cinéma ne mérite pas cela, mais le cinéma est aussi un moment de duplicité, un monde de vérité renversée, inversée.

Si nombreuses à avoir commis cette erreur fatale de vouloir découvrir la belle montagne, avec nos petits sabots, nos petites cornes luisantes ! Ah comme c'est agréable de ne plus avoir cette corde autour du cou, de pouvoir folâtrer dans le thym et le serpolet, au milieu des trèfles mauves…

C'est très facile de jeter la pierre aux parents. Bien-sûr, parfois, on se dit, « ouhla, ils sont fous eux ». Mais pour les parents qui ont essayé, à l'époque, de protéger leurs enfants, comme Monsieur Seguin avec sa chèvre ? Que pouvaient-ils faire ? Leur passer une chaîne au pied ? Retour au couvent ? Vous croyez que les prédateurs ne savent pas à qui ils s'attaquent ? Ne voient pas très vite, d'abord, la situation de vulnérabilité ? Tiens, ses parents ne sont pas sur le tournage. Tiens, personne ne me demande de comptes. Tiens, la mère est seule à devoir trimer pour élever ses enfants avec un père aux abonnés absents. Tiens la mère est déjà elle-même massacrée par le patriarcat et fait trois tentatives de suicide par an (la mère de la Mathilde de Noces Blanches…) …

Quelle aide leur apportait-on à ces parents à l'époque ? Si la mère était « célibataire », elle risquait d'abord surtout de sérieux ennuis car voyons, tout le monde le sait, « chez les gens bien » ce « genre de choses » ça n'arrive pas, clamait « la bonne société ».

C'est un gros mensonge bien-sûr. C'est juste que les idées dominantes sont les idées de la classe dominante et que « les vieux messieurs » qui raptent les jeunes filles, qui les « séduisent » comme on disait parfois pudiquement, c'est très chic à Saint-Germain-des-Près (ça fait des livres) et dégueulasse chez les ouvriers de Tourcoing. Mais je vous garantis que depuis toujours il y en a partout, dans toutes les couches de la société.

A elles, si elles avaient plus de quinze ans, on venait leur expliquer qu'elles étaient « consentantes » (c'est, je pense, le sens profond du titre du livre de Vanessa Springora. C'est cela, que l'on nous disait : tu étais consentante). Mais consentante pourquoi ? Pour « tomber amoureuse » ? Peut-être. Mais qu'est-ce-que cela signifie à cet âge ? On a brodé sur le « désir » de la Messaline, de la très jeune fille « déjà très ‘en demande' pour son âge ». Mais en demande de quoi ? Certainement pas de pratiques sexuelles, encore moins de pratiques sexuelles violentes, bestiales, dégradantes. Certainement pas d'humiliation, de « correction », de « punition », d'« exhibition »… avec ces « vieux messieurs ».

Ce dont on rêvait à seize ans, c'était de grands espaces, de rencontres, de découvertes, bref, du monde. Alors c'est vrai, cela aussi, cela arrivait. Évidemment, il y a des « portes qui s'ouvrent » et elles ne sont pas tous les jours, toutes, celles de l'armoire de Barbe Bleue. C'est aussi comme cela que l'on se fait piéger et que rapidement, on ne trouve plus « la clef »…

Évidemment on n'est pas « la maîtresse » (sic) la proie d'un homme de vingt-cinq ou trente ans votre aîné à cet âge sans en retirer un « supplément » de « connaissances ». Cela fait « partie du jeu » : on se retrouve remplie à son corps défendant, d'une vie qui n'est pas la nôtre mais la sienne et on « apprend ». Mais Pygmalion, et on le comprend trop tard, c'est d'abord et surtout un « pig* ».

Cela vous laisse d'ailleurs particulièrement abattue, amoindrie, honteuse, vous vous sentez particulièrement bête et stupide quand rétrospectivement vous comprenez, vous « ouvrez les yeux » (comme la Belle au bois dormant). Mais comment, comment a-t-on pu ne pas voir, ne pas comprendre ? On se sent encore plus comme « une chèvre », voire, comme « une dinde ». On se sent punie et donc, on se sent en faute. Car rien de tel qu'une bonne punition pour vous faire sentir coupable.

Au mieux, on parlait de « malentendu » : « Ah c'est un malentendu, elle voulait de l'amour, il voulait du sexe » ! Pardon, je n'appelle pas cela un « malentendu ». La vérité c'est « il voulait du sexe, il voulait de la domination et elle ne le savait pas ».

Il n'y a aucun consentement possible dans une telle situation. Ce n'est pas un malentendu : c'est une arnaque, c'est un piège, c'est un rapt, c'est un détournement, c'est un enlèvement. Ce qu'elle comprend, ce qu'elle peut comprendre, ce qu'elle croit, on s'en fout ou plutôt, fort bien, qu'elle continue à le croire, « le vieux monsieur » a un tout autre objectif.

La vie que vous auriez du avoir si vous n'aviez pas croisé le chemin de ce « vieux monsieur », vous ne la connaîtrez jamais. Vous ne saurez jamais, quelle aurait du être votre vie « sans cela » si au lieu d'une vieille langue avinée et déjà tannée par le vice, c'est celle d'un jeune garçon (n'idéalisons pas, pas forcément plus gentil, mais certainement moins pervers et moins vicieux en tout cas, nécessairement moins expérimenté) que vous aviez connue. Quelle aurait été votre vie sans cette collision frontale qui en une fraction de seconde a fait durablement dévier votre existence de son axe, de sa course, souvent pour un long moment ?

Votre existence est un puzzle à trous, il manque des pièces que vous ne retrouverez jamais.

Ce type d'histoire n'est pour moi qu'une énième façon de punir les femmes, à tous les âges de notre vie, de vouloir devenir des êtres, des êtres libres, des égales. Un épisode de l'éternelle guerre contre les femmes. Rencontrer un Jacquot ou un Monsieur X comparable, c'est la plupart du temps d'abord te faire casser en mille morceaux, à tous points de vue, physiquement, mentalement, sexuellement, psychologiquement… C'est d'abord une punition.

* un cochon, in english.

Elodie Tuaillon-Hibon, Avocate au Barreau de Paris
https://blogs.mediapart.fr/elodie-tuaillonhibon/blog/080224/m-seguin-ou-comment-de-toutes-jeunes-filles-sont-punies-de-vouloir-vivre

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Faut le dire si on vous oestrogêne ! Les tabous féminins

Sans chichi, les tabous auxquels les femmes doivent faire face : Tiré de Entre les lignes et les mots https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/14/faut-le-dire-

Sans chichi, les tabous auxquels les femmes doivent faire face :

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/14/faut-le-dire-si-on-vous-oestrogene-les-tabous-feminins/

Sans chichi, les tabous auxquels les femmes doivent faire face :

Le tabou des règles, et son lot de tabous subsidiaires : le tabou de la tache de sang, des odeurs, du bruit de la protection périodique déballée, de la visibilité des protections périodiques sous les vêtements

Le tabou du Syndrome Pré-Menstruel (SPM) : toutes les joyeusetés avant les règles que vous devez cacher

Le tabou de l'ovulation : c'est déjà une période de vulnérabilité lorsque ce n'est ni le moment ni l'homme choisi pour faire des enfants. Mais quand le président désigne les femmes comme des cibles en garantissant l'impunité aux hommes, et qu'en même temps il veut réarmer la France d'une jeunesse forte, mieux vaut planquer vos ovules féconds. En temps de guerre, le viol des femmes, en espérant qu'elles soient fécondes, est une arme, notamment pour éradiquer la descendance de l'ennemi et la faire sienne.

Le tabou de l'infertilité : toujours plus prégnant sur les femmes et qui les oblige à de nombreux rendez-vous médicaux, prises hormonales et leurs effets, à cacher à tout le monde

Le tabou des 3 premiers mois de grossesse, au cas où… ;

Le tabou des interruptions de grossesse (dont on rappelle que, si certaines sont spontanées, aucune n'est volontaire, celles dites volontaires sont toujours le résultat d'un problème de contraception ou de relation sexuelle au mieux concédée à l'aide de la pression sociale mais jamais consentie) ;

Le tabou des effets négatifs des grossesses et accouchements sur le corps et le psychisme des femmes : post-partum, dyspareunies, fuites urinaires, relâchement musculaire, prise de poids, dépression,mortalité maternelle (augmentation des décès maternelsde 17% en Europe entre 2016 et 2020) ;

Le tabou de l'allaitement et ses effets ;

Le tabou des maladies spécifiquement féminines (cancer des seins, des ovaires, du col de l'utérus, PPV, SOPK, fibrome, etc) ;

Le tabou des chirurgies des parties féminines pour tenter d'atténuer leurs problèmes : hystérectomie, ovariectomie, masectomie ;

Le tabou des sécheresses vaginales et dyspareunies (non, le vagin n'est pas un espace vide, c'est un espace fermé, pour une bonne raison) ;

Le tabou de la ménopause (pré,péri à postménopause) ;

Le tabou des fuites urinaires ;

Le tabou des violences sexistes, des violences intrafamiliales et des violences sexuelles ;

Le tabou des mutilations sexuelles (qui prouvent que ça fait bien longtemps que les hommes ont compris le rôle du clitoris dans l'orgasme féminin, n'en déplaise à Freud et au patriarcat) ;

Le tabou des relations sexuelles insatisfaisantes des femmes et de leur difficulté d'accès à l'orgasme dans les relations hétéro ;

Le tabou des poils, du gras, des rides, des cheveux blancs, des seins (trop gros, trop petits, trop tombants, mais pourtant toujours suffisamment tentants pour qu'on soit obligées de les cacher), etc.

Y'a un moment dans notre vie où on ne vous oestrogène pas ?

Vous comprenez pourquoi on commence timidement à parler de l'éventualité de concéder un pauv' congé menstruel pour règles affreusement incapacitantes Pour mieux occulter l'ensemble de ces pénibilités du quotidien et du travail, qui vont bien au-delà des seules règles incapacitantes prévues dans les 3 propositions de loi « Congés menstruels » PS et Écologistes.

Si ça ce n'est pas du cumul de pénibilités, qu'est-ce qu'il vous faut de plus ?

Je mets au défi n'importe quel homme de mener sa vie professionnelle et personnelle en supportant l'ensemble de ces tabous et leurs effets.

Le tout en situation de dissonance cognitive et d'injonctions contradictoires permanentes, qui sont des facteurs majeurs de risques psycho-sociaux (RPS) :

Une forte sexualisation du corps des femmes : les femmes ne peuvent pas montrer un bout de téton en public mais les pubs et l'art crasse peuvent exposer et humilier sans vergogne le corps des femmes(Rapport Le Sexisme dans la publicité de RAP)

Une exposition du corps des femmes bourrée d'injonctions à la beauté, au bien-être, au positivisme, et à la performance à l'égal des hommes alors que tout est réuni pour les faire échouer. Un exemple récent : Elisabeth Borne nous enjoint de mériter notre petite place : « Je veux dire à toutes les femmes, tenez bon, l'avenir vous appartient. Il reste du chemin pour que chacun (sic) ait toutes ses chances par son mérite et son talent. »

Et après, on regarde les chiffres genrés des troubles psychiques, dépressions, anxiétés, et, non seulement on s'étonne que les femmes fassent plus d'épuisements mais en prime, on vient les culpabiliser parce qu'elles sont dans un état psychique déplorable : Voyez comme vous coûtez cher et comme vous n'êtes pas assez fortes, c'est normal que vous soyez dominées.

Vous allez me dire, c'est le but, épuiser les femmes par tous les moyens pour entraver leur indépendance et préserver leur dépendance économique, donc sexuelle, au patriarcat.

Vous voulez agir ? Rejoignez le collectif informel du Congé Superflux (congesuperflux at proton.me) pour exiger :

un congé hormonal, menstruel et reproductif tout au long de la vie : c'est une pénibilité au même titre que d'autres pénibilités de métiers masculins bien mieux reconnues et qui, pour certaines, donnent lieu à des congés pénibilité.

Une évaluation des pénibilités et risques que vivent les femmes dans leur quotidien et au travail pour faire face à ces tabous et difficultés (L'article Adapter le travail aux cycles des femmes présente quelques exemples de prises de risques au travail du fait de la vie hormonale).

des mesures de prévention primaire, c'est-à-dire une suppression de l'exposition aux risques et non des mesurettes de prévention secondaire et tertiaire (qui feront l'objet d'un prochain article).

La prévention tertiaire, par exemple, c'est l'injonction à renvoyer les femmes chez le docteur. Merci, on y a pensé. Mais, soit notre état est normal, soit ce n'est pas une maladie, soit les docteurs nous collent la pression pour prendre des hormones. Ou alors, on insiste vraiment et c'est partie pour 7 à 10 ans d'errance médicale. « Errance médicale », ça veut dire en claire, suspicion permanente de la parole des femmes qui aggrave, bien entendu leur état de santé (Article sur Les discriminations de sexe et d'ethnie dans la médecine)
Annabel B – ergonome (https://blogs.mediapart.fr)
Le Courrier de la Marche Mondiale des Femmes contre les Violences et la Pauvreté – N° 427 – 4 février 2024

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