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Élections européennes. La place de Giorgia Meloni et de Fratelli d’Italia dans le processus de renforcement et recomposition des droites extrêmes au sein de l’UE

La crise de la démocratie se manifeste également par le malaise avec lequel les classes dirigeantes vivent les campagnes électorales. Et une aversion similaire transparaît dans les commentaires des journalistes des grands médias.
15 février 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Giorgia Meloni aux côtés d'Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron, Olaf Scholz, Viktor Orban, Charles Michel, Bruxelles, 1er février 2024.
En effet, parce que les campagnes électorales se succèdent, les scrutins politiques nationaux, puis régionaux, administratifs pour les municipalités, et maintenant les élections européennes début juin. Au cours des campagnes électorales, les forces politiques, gouvernement et opposition, droite, centre et centre-gauche, au lieu de se préoccuper de la gestion néolibérale de l'économie – de plus en plus anti-populaire et impopulaire –, sont amenées à faire des promesses électoralistes en direction du corps électoral (augmentation des retraites, baisse des impôts, financement des services publics, etc. ). Or, ces promesses, le plus souvent, ne sont pas tenues, et, lorsqu'elles le sont à la marge, enlèvent quelques ressources qui pourraient favoriser les profits des banques et des multinationales. Paradoxalement, elles font percevoir à l'électorat qu'une autre politique serait possible.
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En Italie, le vote pour le Parlement européen a toujours été considéré comme un moment mineur dans l'affrontement politique, tant en raison des pouvoirs très limités de cette assemblée que parce que la gestion complexe de l'UE a toujours été confiée à la Commission européenne, qui a toujours dépendu de l'accord entre les deux principaux groupes parlementaires, ceux du PPE (Parti populaire européen) et du PSE (Parti socialiste européen).
Cependant, la situation géopolitique internationale chaotique, le regain d'importance des « grandes puissances » (Etats-Unis, Chine et Russie) – et les tensions qui en découlent –, face auxquelles les pays de l'UE font figure de micro-puissances, et l'émergence de nouveaux regroupements transnationaux (tels que les BRICS) formatent un contexte qui redonne de l'importance au « sujet continental » créé dans l'après-guerre et désormais fondé sur le Traité de Lisbonne de 2007.
Ces dernières années, l'Union européenne, avec l'adoption du traité de Maastricht – et, plus encore, après que les référendums de 2005 en France et aux Pays-Bas ont rejeté la « Constitution européenne » – a été de plus en plus dans la ligne de mire des forces politiques « souverainistes ». En Italie, elles sont représentées par le Mouvement 5 étoiles (« ni droite ni gauche ») et surtout par l'ultra-droite de la Lega de Matteo Salvini et des Fratelli d'Italia (FdI) de Giorgia Meloni.
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Ainsi, dès le début [22 octobre 2022], le gouvernement Meloni a dû composer avec une politique qui, sans renier les polémiques rudes et démagogiques du passé, ferait jouer à la nouvelle Première ministre un rôle important et actif au sein des instances européennes. Cela dans le but déclaré d'user et de briser la domination jusqu'ici incontestée des démocrates-chrétiens, des socio-libéraux et des libéraux.
L'exploit est plutôt réussi pour Giorgia Meloni. Elle a pu présenter sa participation aux sommets de Bruxelles (et plus généralement aux sommets internationaux tels que le G7, le G8 et le G20) comme une présence influente et efficace dans la protection des « intérêts nationaux » au sein des institutions internationales.
Mais l'intérêt sans précédent des post-fascistes pour les institutions de l'UE découle avant tout de leur espoir fondé de pouvoir obtenir, lors des élections de juin 2024, des résultats qui modifieront de manière significative l'image et la politique de l'UE.
La droite, et en particulier ses franges les plus extrêmes, progresse dans presque tous les pays. Dans plusieurs Etats membres de l'UE, on peut anticiper une progression significative du nombre de députés européens partageant cette orientation politique. On sait que les listes d'extrême droite ont déjà connu une croissance significative, dont on s'attend qu'elle soit confirmée et peut-être consolidée lors des élections de juin : en France (avec le Rassemblement national de Marine Le Pen, sans compter Reconquête de Marion Maréchal et Eric Zemmour), en Allemagne (avec les néonazis de l'AfD), aux Pays-Bas (avec le PVV-Parti pour la liberté de Geert Wilders), en Autriche (avec le FPÖ-Parti de la liberté), en Suède (avec les « Démocrates »), en Belgique (avec le Vlaams Belang flamand). En Espagne, l'absence d'enjeu gouvernemental – à la différence des élections de juillet 2023 – pourrait permettre à Vox de récupérer une part significative de l'électorat qui avait voté pour le Partido Popular (PP). Au Portugal, une hausse de Chega n'est pas à sous-estimer.
Sans oublier le Hongrois Viktor Orban, dont le parti Fidesz a annoncé qu'il rejoindrait le groupe de Giorgia Meloni au prochain Parlement européen. A cela s'ajoute la taille du PiS polonais, qui a toujours été membre du groupe actuellement présidée par Meloni (Conservateurs et réformistes européens-CRE, à la tête duquel se trouvait aussi Nicola Procaccini) et qui, bien qu'ayant perdu le gouvernement national à l'automne dernier, continue d'hégémoniser plus d'un tiers du corps électoral.
Selon les sondages, les populistes « anti-UE » devraient arriver en tête dans neuf pays (Autriche, Belgique, République tchèque, France, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne et Slovaquie) et en deuxième ou troisième position dans neuf autres (Bulgarie, Estonie, Finlande, Allemagne, Lettonie, Portugal, Roumanie, Espagne et Suède).
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En Italie, le parti Fratelli d'Italia (FdI) n'a recueilli « que » 6,4% des voix aux dernières élections de 2019, élisant cinq députés. Actuellement, les sondages le créditent d'environ 30%, ce qui équivaut à 25-26 sièges. Bien sûr, il faut avoir à l'esprit qu'en parallèle l'autre parti d'extrême droite – allié mais en concurrence sourde avec Fratelli d'Italia –, la Lega de Matteo Salvini, passerait de 34,2% en 2019 (28 député·e·s) à un résultat probablement inférieur à 10% (donc 7-8 élu·e·s).
Mais il ne s'agirait pas seulement d'un déplacement de voix et de sièges parlementaires au sein du champ de l'extrême droite. Le projet de Giorgia Meloni et de son groupe CRE est beaucoup plus articulé et ambitieux que celui de Matteo Salvini et du groupe Identité et démocratie (ID) auquel il se rattache (dans lequel on retrouve, entre autres, l'AfD, le RN et le Vlaams Belang).
Le groupe ID auquel appartient la Lega (son nom le dit déjà) a toujours adopté une ligne politique identitaire et souverainiste en Italie et en Europe, une opposition « pure » mais semi-impuissante face au système. Certes, cette approche a été payante lors du dernier tour des élections européennes en 2019, mais ce résultat important n'a en rien affecté la structure de l'UE.
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Aujourd'hui, Giorgia Meloni a explicitement exprimé sa volonté d'influencer l'orientation de l'Union avec son résultat positif prévisible. Au cours de ces 16 mois de présidence du Conseil des ministres (mais elle avait déjà commencé plus tôt), elle s'est efforcée de tisser des alliances qui lui faciliteront la tâche.
Elle se targue d'avoir noué une « amitié politique » avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et avec la présidente maltaise du Parlement, Roberta Metsola. Ses rencontres répétées avec Manfred Weber, le chrétien-démocrate bavarois et chef du groupe PPE à Strasbourg, sont connues.
Et surtout, elle espère profiter des retombées du glissement général vers des positions plus extrêmes du pôle traditionnel de droite, d'une droite qui a d'ailleurs largement contribué ces dernières années à « normaliser » l'extrême droite dans un échange mutuel, mettant définitivement de côté, comme un inutile vestige d'un passé désormais archivé, le « discriminant antifasciste ».
En Espagne, le PP s'est présenté lors des dernières élections de juillet comme disponible pour construire une majorité avec les néo-franquistes de Vox. En France, le parti néo-gaulliste des Républicains adopte de plus en plus le programme du RN et Macron lui-même, avec ses gouvernements, a adopté un langage raciste et islamophobe emprunté à celui de Marine Le Pen. Et la CDU (Christlich Demokratische Union) allemande, pivot du PPE, a commencé à faire des ouvertures significatives, bien que pour l'instant marginales, vers l'AfD.
Mais surtout en Italie, où l'alliance entre les « populaires » italiens, organisés dans le parti Forza Italia, et les post-fascistes alors de Gianfranco Fini et maintenant de Giorgia Meloni a été conclue il y a déjà trente ans et s'est consolidée au fil des décennies. Elle est passée de la domination incontestée du « libéral » Silvio Berlusconi à la suprématie des néo-fascistes.
Au sein des institutions européennes, l'extrême droite a jusqu'à présent été reléguée à un rôle sans importance. Dans la Commission dirigée par Ursula von der Leyen à partir de 2019, sur 27 membres, il n'y a que le Polonais Janusz Wojciechowski (PiS), commissaire à l'Agriculture, issu du groupe CRE.
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L'hypothèse d'un poids croissant de l'extrême droite dans les institutions européennes et l'appétit de pouvoir d'une extrême droite tenue à l'écart de la « salle de contrôle » depuis des décennies ont conduit à des scénarios inédits.
L'un des handicaps qui a pesé et pèse encore sur l'extrême droite est son organisation en deux « familles politiques », celles de l'ID et de CRE. Ainsi, il semble qu'un dialogue se soit ouvert entre les deux dirigeantes du RN français et de Fratelli d'Italia, Marine Le Pen et Giorgia Meloni, jusqu'alors intégrées dans deux groupes parlementaires différents et antagonistes.
La Première ministre italienne, dans sa dernière conférence de presse début janvier, avait saisi « une évolution intéressante » au sein du Rassemblement national, gratifiant Marine Le Pen de déclarations flatteuses et affichant l'objectif, d'une part, de la détacher des représentants néonazis allemands de l'Afd et, d'autre part, de l'impliquer dans le dialogue avec le PPE. Dans le même temps, la leader de la droite française avait salué les « signes de dialogue » de la première ministre italienne.
Jean-Paul Garraud, chef de groupe des parlementaires du Rassemblement national à Strasbourg, avait été très explicite dans un entretien accordé à un journal italien de référence (Il Foglio) et avait déclaré qu'« entre Giorgia et Marine il y a une similitude que l'on ne peut pas ne pas remarquer, ce sont deux dirigeantes qui parfois se sont inspirées l'une de l'autre », soulignant que la séparation actuelle de la droite européenne en deux groupes, celui de l'ID et celui de CRE, n'est pas fonctionnelle à « leur projet pour l'Europe ». Il a affirmé : « Personnellement, je n'exclus pas le fait qu'il pourrait y avoir demain des recompositions avec de nouveaux partis ou même de nouveaux groupes, portant un nouveau nom, si les chiffres nous donnent raison », tout en espérant « l'avènement d'un mouvement souverainiste européen ».
Il n'est pas simple d'interpréter le choix de Nicolas Bay, seul eurodéputé de Reconquête ! – le parti d'extrême droite français dirigé par Eric Zemmour – de rejoindre il y a quelques jours le groupe CRE dirigé par Giorgia Meloni. La décision a été communiquée à la presse par Marion Maréchal, prochaine cheffe de file de Reconquête ! aux élections européennes. Marion Maréchal a présenté ce choix en l'inscrivant dans la perspective de la création d'une « grande coalition de droite en France, sur le modèle de la coalition italienne », sans se prononcer sur l'hypothèse d'un rapprochement entre sa tante Marine et la dirigeante de Fratelli d'Italia.
Bien entendu, il est tout à fait improbable que ce rapprochement se concrétise avant le vote de juin. Les obstacles sont trop nombreux. Zemmour lui-même, qui pourrait ne pas vouloir adhérer à un projet qui, au moins en ce qui concerne la France, serait complètement hégémonisé par les amis/antagonistes du RN. Et, plus encore, Matteo Salvini qui, depuis quelque temps, s'engage de plus en plus à prendre ses distances avec la « conversion pro-européenne » de Giorgia Meloni et à se présenter comme le seul véritable représentant du « souverainisme italien ».
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Un autre obstacle est l'incapacité politique et « culturelle » de Giorgia Meloni à se dissocier des fréquentes remarques néofascistes des membres de son parti ou, plus généralement, de l'extrême droite.
L'épisode embarrassant qui s'est produit à Rome le 7 janvier, lorsqu'un millier de néofascistes (venus également d'autres pays européens) ont organisé une commémoration grotesque d'un événement sanglant qui s'est produit il y a 46 ans [la mort de trois militants d'extrême droite ; l'organisation fasciste CasaPound organise chaque année ce rassemblement], a fait grand bruit. La vidéo éloquente de cette manifestation inquiétante a rapidement fait le tour du monde, recueillant les commentaires plus ou moins sincèrement scandalisés de nombreuses personnalités politiques, y compris des représentants de divers partis de centre-droit et de droite.
Dans les jours qui ont suivi, Giorgia Meloni a choisi de ne pas s'exprimer. En effet, il n'y a pas si longtemps, elle et ses collaborateurs ont également participé à ces célébrations le bras tendu. Ces quelque mille néofascistes sont représentatifs d'un « noyau dur » beaucoup plus large de nostalgiques du régime de Mussolini qui constitue un secteur non négligeable de l'électorat melonien. Surtout, ceux-ci peuvent être utiles s'il s'agit de raviver le combat social et politique aujourd'hui passablement endormi en Italie. En outre, on peut rappeler que la Première ministre a grandi dans un environnement marqué non seulement par la nostalgie mussolinienne mais aussi par l'« anti-antifascisme », c'est-à-dire l'aversion pour une culture et pour toute initiative politique marquée par l'antifascisme.
Dès lors, pour ne déplaire à personne, ni aux potentats européens plus ou moins hypocritement encore conditionnés par l'antifascisme, ni à sa base militante, Giorgia Meloni a choisi de se taire, sachant bien que les réactions suscitées par l'épisode s'éteindraient au bout de quelques semaines. Ce qui s'est précisément produit.
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Pour animer sur le plan social la campagne électorale européenne, à l'instar de leurs collègues européens, les agriculteurs italiens sont descendus dans la rue avec une certaine force ces dernières semaines.
Matteo Salvini n'a pas manqué l'occasion de tenter de braquer les projecteurs sur ce mouvement. Il a immédiatement et sans réserve endossé les revendications du « mouvement des tracteurs », tant celles contre la politique agricole de l'UE (PAC) et son Green Deal, que celles qui critiquent le gouvernement de Rome, dont il est d'ailleurs le vice-président. En tant que ministre chargé des Infrastructures, il a fait adopter il y a quelques mois un décret renforçant les sanctions contre ceux qui « bloquent le trafic routier », pensant ainsi frapper les flash mobs des écologistes et les piquets de grève des travailleurs. Mais ces derniers jours, il a été photographié à plusieurs reprises en train de participer avec un air d'autosatisfaction à des manifestations au cours desquelles des agriculteurs ont bloqué des autoroutes et des voies rapides.
Bien que le ministre de l'économie (Giancarlo Giorgetti) soit un membre éminent de la Lega Nord, Matteo Salvini a réussi à contraindre toute la majorité de droite à continuer d'exonérer la grande majorité des agriculteurs du paiement de l'impôt sur le revenu et à annuler presque toutes les mesures visant à protéger les cultures contre l'exploitation intensive et l'abus de pesticides et de produits phyto-pharmaceutiques.
D'ailleurs, à l'heure où nous écrivons ces lignes, le dossier n'est pas clos et les différents mouvements dans lesquels les agriculteurs se sont organisés rivalisent dans la radicalité de leurs revendications et de leurs initiatives de lutte.
L'Italie compte un peu plus d'un million d'exploitations agricoles, pour la plupart des petites et très petites exploitations familiales. Or l'agriculture ne représente que 2,14% du PIB national. Jusqu'à il y a quelques décennies, les petits agriculteurs étaient divisés entre les principales familles politiques. Le syndicat lié à la gauche, la CGIL, avait également deux organisations, l'une dédiée aux salariés agricoles (les Federbraccianti) et l'autre aux petits exploitants/métayers et fermieres (les Federmezzadri). Depuis quelque temps, le monde agricole (à quelques exceptions près mais qui confirment la règle) soutient en bloc la droite et surtout l'extrême droite, notamment parce qu'il est intéressé à maintenir le chantage raciste contre les migrants, qui permet de renforcer les formes de subalternité et d'exploitation. Au moins la moitié des salariés agricoles sont des migrants, 46% selon les chiffres officiels mais qui ne tiennent pas compte du fait qu'une grande partie de ces migrants travaillent « au noir ».
Bien sûr, le malaise des agriculteurs a aussi de bonnes raisons car le laisser-faire néolibéral des dernières décennies a fait des ravages non seulement parmi le salariat, mais aussi parmi les petites et très petites exploitations qui sont de plus en plus asphyxiées par la puissante emprise de l'agro-industrie et des grandes entreprises de distribution commerciale.
Toutefois, les dirigeants des mouvements d'agriculteurs (économiquement dominants) ont préféré centrer leur lutte, tant en Italie que sur le continent, contre les mesures de protection de l'environnement et pour plus d'exonérations fiscales et plus de subventions nationales ou européennes.
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Dans la perspective du vote européen de juin prochain, la droite tente de tirer le meilleur parti des mobilisations des tracteurs et, au sein de la coalition qui gouverne l'Italie, chaque force politique essaie d'accumuler le maximum de consensus, sachant bien qu'après le vote – en Italie et à Bruxelles – s'ouvriront d'importants débats politiques et des réaménagements importants de positions de pouvoir.
Giorgia Meloni a émis l'hypothèse de se présenter comme tête de liste sur celle de son parti dans les cinq circonscriptions plurinominales qui divisent le territoire italien. [Ces cinq circonscriptions, avec un nombre de sièges différent et variable, forment un corps électoral unique.] Giorgia Meloni est bien consciente que sa présence au Parlement européen est substantiellement incompatible avec son rôle de Première ministre, mais elle sait aussi que Fratelli d'Italia, sans une forte visibilité de sa personne, ne représente pas grand-chose pour l'électorat.
Elle évalue également les raisons pour lesquelles elle pourrait se comporter différemment : le risque de déclencher un référendum sur sa personne et, également, de trop cannibaliser la base électorale résiduelle de ses alliés, la Lega et Forza Italia.
Ainsi, Elly Schlein, la jeune dirigeante du Parti démocrate, est elle aussi en train de décider si elle présentera sa candidature partout, c'est-à-dire dans les cinq circonscriptions, avec le risque de transformer le vote de juin en une sorte de référendum portant sur les deux dirigeantes.
Mais, selon tous les sondages, toutes ces « grandes manœuvres » ne parviennent pas à émouvoir ou à faire bouger les 40% d'électeurs italiens qui semblent avoir choisi de manière quasi structurelle de ne pas participer au rituel électoral.
En tout cas, malgré la faible influence institutionnelle du Parlement européen (son seul véritable moment de décision est celui de l'élection du président de la Commission), il semble que jamais le vote de juin n'ait été autant au centre des préoccupations des dirigeants et des forces politiques qu'en cette occasion. Nous savons, parce que tous les pronostics vont dans ce sens, qu'il y aura une présence plus forte de l'extrême droite. Par contre, nous ne savons pas si elle sera encore divisée en deux groupes politiques, ou si se produire une convergence, y compris avec les conflits-négociations qui marquent ces processus.
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Au fil des décennies, la composition du Parlement européen a profondément changé. En 1994, le groupe PSE était le groupe politique le plus important, avec une représentation de 35% (il n'est pas possible de comparer le nombre de députés européens, car leur nombre a augmenté au fil des ans en raison de l'adhésion d'autres Etats). Aujourd'hui, les « socialistes et démocrates » sont réduits à 20%, en raison de la diminution de leur poids dans des pays importants (Italie, France, Allemagne elle-même). Ils sont voués à connaître une nouvelle diminution, notamment en raison de leur implication dans des scandales tels que celui qui a mis en cause d'importants représentants « socialistes », comme la Grecque Eva Kaïli, une des vice-présidentes de l'Union européenne et l'Italien Antonio Panzeri, coupables d'avoir défendu contre toute évidence le caractère prétendument « démocratique » des régimes du Qatar, des Emirats arabes et du Maroc, en empochant à cette fin des pots-de-vin se chiffrant en centaines de milliers d'euros.
Le parlement qui sortira des urnes en juin verra probablement la reconfirmation du PPE comme premier parti (dans le parlement sortant, il contrôle 24% des députés, mais en 1999, il en contrôlait 37%). Mais les deux coalitions dans lesquels s'organise (encore) l'extrême droite (CRE et ID) pourraient, si les valeurs des sondages se confirment et s'ils additionnent leurs forces, constituer le groupe le plus important, pouvant influencer de manière décisive certaines politiques continentales déjà largement marquées par les forces réactionnaires, grâce également au glissement vers la droite que connaissent aussi bien le PPE que le groupe « libéral » de l'Europe du renouveau (ER), auquel appartiennent également les macroniens français.
Il va de soi que nous ne faisons pas partie des partisans du pacte entre PPE et PSE qui a dominé jusqu'à présent les institutions de l'UE. Mais nous ne sommes pas non plus partisans de l'idée néfaste du « pire est le mieux ». C'est pourquoi nous ne pouvons manquer de souligner combien la perspective que nous avons décrite constitue une hypothèse particulièrement mauvaise pour qui se préoccupe des droits démocratiques, des droits sociaux, et des mobilisations mettant en question le pouvoir déterminant des secteurs économiques et politiques qui provoquent et gèrent la catastrophe climatique et environnementale. (14 février 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Russie-débat. « Alexeï Navalny : la mort annoncée du principal opposant à Poutine annonce la fin de la politique en Russie »

Les informations faisant état de la mort du plus célèbre leader de l'opposition russe, Alexeï Navalny, dans un camp de prisonniers de l'Arctique sont choquantes, mais pas totalement inattendues. Sa mort souligne l'évolution politique de la Russie au cours des deux dernières décennies en mettant en relief qu'une contestation de l'intérieur n'est plus possible [1].
17 février 2024 | tiré du site alencontre.org
Alexeï Navalny a été le dernier homme politique public à poser un véritable défi au Kremlin, mais sa tentative de renverser le régime a échoué bien avant ce qui semble être sa mort « précoce » en prison [à l'âge de 47 ans].
Ses calculs irréalistes quant à l'impact de son retour en Russie en 2021 ont conduit au démantèlement des vestiges de toute opposition organisée qui n'était pas sanctionnée – et contrôlée – par l'État russe.
Alexeï Navalny a fini en prison, ses partisans ont été arrêtés ou ont fui à l'étranger. En conséquence, lorsque l'invasion de l'Ukraine a eu lieu, il y a eu très peu de manifestations de rue pour s'y opposer.
Actif dans la politique russe depuis plus de 20 ans, Alexeï Navalny s'est principalement attaché à identifier et à éradiquer la corruption de l'Etat, un problème dont la matière est presque illimitée dans la Russie moderne. Il a adopté de nouvelles méthodes pour faire connaître ses enquêtes à un public aussi large que possible, notamment l'Internet, en particulier par l'intermédiaire de sa chaîne YouTube. Certains de ses clips les plus populaires sont visionnés des dizaines de millions de fois.
Mais les enquêtes sur la corruption et les blogs n'ont pas suffi à remettre en cause la position de Poutine dans la politique russe. C'est pourquoi Alexeï Navalny s'est de plus en plus tourné vers l'action directe et les manifestations de masse dans les rues.
Il a connu son heure de gloire en 2011, lorsque les allégations de fraude généralisée lors des élections à la Douma de décembre 2011, associées à l'annonce du retour de Poutine à la présidence en septembre 2010, ont fait descendre des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de Moscou.
Bien que les manifestations n'aient pas été organisées par Navalny, son charisme et sa rhétorique plus radicale ont fait de lui le visage le plus visible des manifestations, éclipsant des leaders de l'opposition plus établis tels que Boris Nemtsov [assassiné le 27 février 2015 sur le pont Bolchoï Moskvoretski près du Kremlin, un lieu particulièrement sécurisé]. Cependant, les manifestations de masse de 2011-2012 n'ont pas empêché la réélection de Poutine en mars 2012 et ont fini par s'éteindre [2].
Mais les manifestations ont incité le Kremlin à changer de cap et à expérimenter la possibilité pour l'opposition de se présenter aux élections. Alexeï Navalny en a été le principal bénéficiaire, étant inscrit pour les élections à la mairie de Moscou à l'été 2013. C'était la seule chance réelle de Navalny de gagner le pouvoir dans le système électoral étroitement contrôlé de la Russie.
Il a fait campagne avec enthousiasme et a obtenu un score respectable de 27% des voix. Mais cela a également montré les limites de son influence. Moscou était à l'époque l'une des villes les plus favorables à l'opposition en Russie, l'une des rares régions où Poutine avait obtenu moins de 50% lors de l'élection présidentielle de 2012.
Si l'opposition pouvait vraiment défier le Kremlin, c'était à Moscou. Mais la participation a été extrêmement faible (32%) et le maire sortant, Sergueï Sobianine, a obtenu les 51% dont il avait besoin pour éviter un second tour face à Alexeï Navalny.
Ce résultat est révélateur du problème de l'opposition : sa dépendance à l'égard des limites d'un noyau de partisans engagés dont la flamme pour le changement ne s'est pas propagée à l'ensemble de la population.
Le dernier coup de dés
Dans la Russie d'aujourd'hui, les élections sont une chose acquise, mais elles représentent également une vulnérabilité potentielle pour le Kremlin. Le Kremlin doit trouver un équilibre délicat entre le contrôle des élections et leur légitimité. Trop de contrôle, ou une fraude pure et simple, et la valeur légitimante des élections s'en trouve réduite.
Cela peut conduire à des résultats potentiellement déstabilisants, comme l'ont montré les manifestations de masse à Moscou en 2011 ou en Biélorussie en 2021, et comme cela s'est produit lors des élections ukrainiennes de 2004, qui ont conduit à la première « révolution orange ».
Alexeï Navalny l'a bien compris et a fait de sa participation à l'élection présidentielle de 2018 son principal objectif. Sa stratégie a consisté à causer suffisamment d'ennuis aux autorités à l'approche du scrutin, notamment par le biais de diverses manifestations de rue, pour les contraindre à l'autoriser à se présenter en tant que candidat officiel à ces élections.
A cette fin, il a mis en place un réseau régional de QG Navalny qui fonctionnait en parallèle avec sa principale organisation de lutte contre la corruption, la FBK (Fondation anti-corruption). Cela permettait à Alexeï Navalny d'avoir une portée nationale potentielle, contrairement à l'ancienne opposition centrée sur Moscou.
Cette stratégie n'a pas produit le résultat escompté, à savoir l'inscription d'Alexeï Navalny sur les listes électorales. Mais elle a semblé ébranler suffisamment les autorités pour qu'elles veuillent s'occuper du « problème Navalny ».
Poison et emprisonnement
En août 2020, Alexeï Navalny tombe malade lors d'un vol et, selon les médecins allemands qui l'ont soigné, il échappe à une mort quasi certaine due à un agent chimique de type Novichok.
Il rentre d'Allemagne en janvier 2021 et est immédiatement arrêté à son arrivée à Moscou. Les manifestations de masse qui ont suivi ont été inhabituelles par leur ampleur régionale, mais pas suffisantes pour défier réellement le Kremlin. Au lieu de cela, les autorités ont interdit en Russie les structures liées à Navalny et ont soit arrêté, soit forcé les personnes qui travaillaient pour elles à fuir la Russie.
Le sort d'Alexeï Navalny est devenu le principal sujet de discorde pour Moscou dans ses relations avec les gouvernements et les médias occidentaux. Alexeï Navalny a fait l'objet de contacts incontournables à haut niveau avec les autorités russes ; le conseiller à la Sécurité nationale de Joe Biden, Jake Sullivan, avait averti que la Russie subirait les conséquences de la mort d'Alexeï Navalny en prison.
Mais tout cela est devenu insignifiant après l'invasion totale de l'Ukraine à la fin du mois de février 2022. Du jour au lendemain, le sort de Navalny a semblé amoindri dans le contexte de la plus grande guerre que l'Europe ait connue depuis 1945.
Le programme de Navalny, qui consistait à susciter suffisamment de protestations internes pour renverser le régime, est devenu obsolète lorsque les nouvelles lois anti-opposition ont été appliquées et que la plupart de ses partisans les plus ardents ont fui le pays. Alexeï Navalny a tenté de rester d'actualité en défendant ses idées depuis sa prison, notamment en appelant à mettre fin à la guerre en cédant tous les territoires ukrainiens, y compris la Crimée [3], et en versant des réparations à l'Ukraine. Il n'est pas certain qu'il ait gagné des partisans en Russie, mais il a certainement séduit les exilés et les gouvernements occidentaux.
L'Occident et ses alliés ont imposé un niveau de sanctions sans précédent à la Russie et fourni à l'Ukraine le soutien militaire nécessaire pour défaire Poutine sur le champ de bataille. Il n'y a littéralement rien d'autre que l'Occident puisse faire pour punir la Russie à propos du sort de Navalny.
Le reste n'est que dictature
Alexeï Navalny était manifestement un homme politique très courageux et charismatique qui a posé le défi intérieur le plus important au régime de Poutine depuis plus d'une décennie. Il n'a jamais vraiment été proche de mettre en question le pouvoir Poutine et il a peut-être souvent surestimé le niveau de soutien dont il bénéficiait en Russie.
Avec l'annonce de sa mort « précoce » en prison, la question demeure de savoir s'il aurait pu faire plus depuis son exil à l'Ouest. Il aurait rejoint une longue liste de dirigeants de l'opposition russe, de l'ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovski au champion d'échecs Garry Kasparov, qui n'ont pratiquement aucune influence sur ce qui se passe en Russie. Mais le refus d'Alexeï Navalny de s'engager dans cette voie, et sa conviction de sa propre importance, est précisément ce qui l'a distingué dans la politique russe.
En fin de compte, la mort d'Alexeï Navalny met un terme à l'époque où la politique était la politique en Russie. Aujourd'hui, il n'y a plus que l'autoritarisme personnel de Poutine. (Article publié sur le site anglais The Conversation le 16 février 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Alexander Titov est maître de conférences en histoire européenne moderne, Queen's University Belfast.
[1] Dès 2020, le régime répressif s'exacerbe et se consolide suite à l'invasion militaire de l'Ukraine en février 2022. Les arrestations se multiplient et la dureté des condamnations (nombre d'années de prison, conditions d'emprisonnement, lieu de détention…) s'accentue.
En décembre 2021, l'ONG Memorial International et les organisations régionales sont déclarées devant être dissoutes. En mars 2022, des perquisitions sont opérées dans les deux bureaux de l'ONG à Moscou. Oleg Orlov, vice-président de Memorial, est, en mars 2022, poursuivi et puni pour des « actions publiques répétées visant à discréditer les formes armées défendant les intérêts de la Russie et de ses citoyens ainsi que la paix et la sécurité internationales ». En décembre 2022, Memorial et le Centre pour les libertés civiles ukrainien, ainsi que l'opposant biélorusse Ales Bialiatscki se voient attribuer le Prix Nobel. Orlov fait face actuellement à un nouveau procès avec le risque d'une condamnation très lourde. Des informations sur la répression politique en Russie peuvent être glanées sur le site de Memorial. Vladimir Kar-Mourza a été condamné en avril 2023 à 25 ans de prison, une des peines de prison les plus lourdes infligées à un opposant politique. Il est détenu dans une prison située au nord de la Sibérie. (Réd.)
[2] Anna Colin Lebedev, enseignante à l'Université de Paris Nanterre, auteure entre autres de Jamais frères ? Ukraine et Russie : une tragédie postsoviétique (Seuil, 2022), précisait sur France Culture, en date du 17 février 2024, des aspects de la trajectoire de Navalny qui complètent le descriptif d'Alexander Titov : « Avant les années 2000, avant la lutte contre la corruption, une des clés de la compréhension du personnage renvoie aux années 1990. Navalny est un enfant de l'époque post-soviétique… Son activité professionnelle durant toutes les années 1990 était celle d'entrepreneur. Un jeune entrepreneur qui a lancé des entreprises, qui ont fait faillite, certaines ont été liquidées, d'autres ont continué à vivoter. Quand on examine sa biographie des années 1990, il y a un foisonnement d'activités dans le monde des affaires qui est complètement caractéristique de la Russie de l'époque où on navigue dans des eaux très troubles, où on bidouille, où on s'arrange, où on rencontre d'ailleurs la corruption en direct. Je pense que cela détermine une connaissance de la société, une manière de saisir la société très particulière où tous les enjeux de la société sont saillants. Et c'est en tant qu'entrepreneur qu'il se lance en politique et qu'il mène comme un projet dans les affaires… La corruption, il va la pratiquer et la subir, et la combattre. Il pense que le thème de la corruption parle plus à la population que le thème de la démocratie. [Le thème sera concrétisé en termes de slogan en qualifiant, dès 2011, Russie unie, parti de Poutine, de « parti des escrocs et des voleurs », un slogan qui aura une grosse audience et illustré par des vidéos. Il y avait une certaine liberté d'expression au début des années 2010.] Navalny va évoluer concernant sa « pensée nationaliste ». En 2011-2012 il est critiqué par un secteur de l'opposition en relation avec ses affiliations passées. Il a été exclu du Parti démocratique russe unifié Iabloko sur la base d'une accusation de nationalisme. Dans les années 2000-2010 il est proche de mouvements nationalistes assez radicaux dont on trouve des membres dans les soutiens à Vladimir Poutine. Il prône alors la participation à ce qui est appelé les « marches russes », des marches nationalistes. Il a des déclarations hostiles à l'égard de migrants [d'Asie centrale]. Il semble s'être défait de ces traits nationalistes, bien que ce ne soit pas absolument clair, et sa plateforme minimale, au-delà de la corruption, est la défense de l'Etat de droit, comme préalable à tout changement politique. » (Réd.)
[3] En 2014, Navalny fait des déclarations sur l'Ukraine qui lui étaient encore reprochées dernièrement par les Ukrainiens. Il était alors favorable à l'annexion de la Crimée par la Russie. (Réd.)

États-Unis - Élections 2024, déformation et dysfonction

Dans une Amérique polarisée, pleine de colère, rongée par l'anxiété et la crise, de vastes secteurs d'un électorat fragmenté et divisé se retrouvent au moins sur ce qu'ils ne veulent pas, à savoir,une version 2024 du duel électoral entre Joe Biden et Donald Trump pour la présidentielle. À dix mois de l'échéance, cependant, et avec des évolutions encore possibles mais peu probables, c'est le spectacle auquel il faut nous attendre.
Against the Current
Revue L'Anticapitaliste n° 153 (Février 2024)
Crédit Photo
Le président Joe Biden et sa vice-présidente, Kamala Harris, en 2022. © The White House
Cette perspective, entre les comparutions en justice de Trump et les ratés de Biden, permet de comprendre le climat général singulier, entre agitation politique et apathie. Des millions d'électeurs/trices de milieux populaires (les inconditionnels de Trump mis à part) vont devoir voter pour ceux des candidats et des partis qu'ils méprisent le moins, et non pour des programmes qu'ils apprécient.
C'est ce malaise, loin de tout enthousiasme, qui explique aussi pourquoi le candidat antivax et raciste Robert F. Kennedy Jr, cliniquement dérangé, obtient 24 % d'intentions de vote en tant qu'indépendant, ou pourquoi le sénateur démocrate de droite, Joe Manchin, envisage une campagne « sans étiquette » pour « mobiliser le centre » et pourrait décider du sort de l'élection.
Nul ne doit prendre à la légère ce qu'une seconde présidence Trump pourrait signifier, avec son personnel politique ; ses camps de déportation/concentration déjà annoncés, destinés à l'internement des demandeurs d'asile ; ses exclusions d'étudiant·es pour militantisme propalestinien ; ses attaques ciblées sur la presse ; ses licenciements en masse de personnels gouvernementaux que viendront remplacer des loyalistes du régime ; ses amnisties collectives pour les aspirants à l'insurrection du 6 janvier 2021 ; et tout le chaos que l'on peut attendre de sa politique impérialiste globale.
La campagne menée par Nikki Haley, la principale rivale de Trump ayant émergé, est soutenue (comprendre, achetée) par les frères Koch et leur publication Americans for Prosperity (comprendre, ploutocratie). Il s'agit d'une tentative de consolidation d'une option tout aussi ouvertement réactionnaire, mais plus en phase avec le néoconservatisme officiel que ne l'est la dérive criminelle de Trump et de son possible deuxième mandat. Cette candidature de Haley a de bonnes chances d'être bien accueillie par une bonne partie des classes dirigeantes capitalistes étatsuniennes. Un commentateur de droite, Nolan Finley, dans Detroit News, encourage d'ailleurs Haley à devenir la candidate « sans étiquette ».
Entre succès militants et ironie d'un échec politique
Pour ne pas tomber dans une vision trop sombre de la situation, il nous faut revenir sur les exemples positifs d'interventions sociales qui ont permis des avancées. On pense d'abord au retour des luttes du monde du travail qui ont fini par obtenir des acquis importants pour les ouvriers de l'automobile, chez UPS, et qui ont abouti à un début d'implantation syndicale chez Tesla et Amazon.
Deuxièmement, en ce moment même, on pense aux grandes manifestations en faveur du cessez-le-feu dans la guerre israélienne à Gaza et en Palestine.
Enfin, il y a le dégoût général qu'inspire l'extrémisme anti-avortement de la droite, cynique et profondément malfaisant, prêt à sacrifier la vie des femmes à la cause « pro-vie », à quoi s'ajoutent les censures contre des publications et les mesures visant à faire disparaître des électeurs des listes dans certains États.
Ces exemples montrent que les mouvements sociaux sur une base de classe ne faiblissent pas, comme le montrent aussi toute une multitude de luttes locales, dans des quartiers, autour du droit à l'avortement, de la question trans et du droit au logement, entre autres. Le fait que ces luttes ne parviennent pas à dynamiser le débat électoral au niveau national est la marque d'un système politique déformé et dysfonctionnel.
On ne se livrera pas ici à l'exercice des pronostics, ni à une analyse détaillée des sondages, ni (du moins pour l'instant) à une discussion en bonne et due forme de l'éventualité d'une candidature progressiste indépendante. Cette dernière possibilité, d'une importance capitale, devra faire l'objet d'une réflexion approfondie à l'avenir. Dans l'immédiat, nous nous intéresserons aux multiples ironies de ce début de saison électorale.
S'il y a un domaine dans lequel le gouvernement Biden-Harris devrait au moins recevoir une mention passable, voire avoir peut-être droit à quelques applaudissements, ce devrait être la santé générale de l'économie post-pandémie. Pourtant, c'est là que les sondages indiquent « une plus grande confiance dans les républicains », dont l'action est la plus caricaturalement favorable à l'enrichissement des riches, à l'appauvrissement des pauvres, aggrave les déficits tout en se prétendant fiscalement responsable.
Succès éclatant en termes de relations publiques pour la ploutocratie se présentant sous les traits d'un populisme. Les éditorialistes et le personnel du parti démocrate désespèrent manifestement de constater que la politique économique de Biden (les « Bidenomics ») ne parvient pas à obtenir l'adhésion qui devrait lui revenir. Les raisons de cette anomalie apparente, cependant, ne se limitent en rien à un simple problème de mauvaise « com ».
Il est vrai que ce gouvernement est arrivé au pouvoir avec un programme d'investissement et de reconstruction (Build Back Better) digne d'un réel intérêt, voire potentiellement porteur de transformations profondes (ce en dépit de toutes ses envolées nationalistes dirigées contre la montée en puissance de la Chine). Empruntant aux propositions de Bernie Sanders et aux partisans de la transition verte, le programme prévoyait une dépense fédérale substantielle (en matière d'infrastructures et de transition énergétique) correspondant à environ la moitié du budget annuel de défense.
Grâce au sénateur Manchin, entre autres, l'essentiel du programme fut revu à la baisse pour être réduit à ce qui allait devenir l'Inflation Reduction Act. Par exemple, la disparition progressive des aides attribuées pour faire face à la pandémie, qui virent la pauvreté infantile réduite de moitié – véritable succès face à la violence de l'inégalité de cette société ! Ainsi, dans l'État de Manchin lui-même, et selon les estimations officielles des services du recensement, le taux de pauvreté infantile en Virginie occidentale, le plus élevé du pays, est passé de 20,7 à 25 % entre 2021 et 2022.
Plus significativement encore, les dividendes mesurables de la reprise sont très majoritairement canalisés vers les secteurs de la population à hauts revenus qui en ont le moins besoin. Les personnes aux revenus moyens inférieurs et plus faibles encore, ne constatent quasiment aucune différence dans leur vie quotidienne.
L'inflation est à des niveaux bien inférieurs à son pic momentané de 8 %, mais les prix des produits de première nécessité restent bien plus élevés qu'auparavant, tandis que de leur côté, les hausses de taux d'intérêt de la Réserve fédérale, présentées comme nécessaires pour « réduire l'inflation », ont exacerbé la crise du logement qui frappe en priorité les jeunes (ainsi qu'un grand nombre de seniors aux revenus limités).
Pris dans leur globalité, ces statistiques macroéconomiques paraissent relativement bonnes à ce stade, mais pour des dizaines de millions de gens, la réalité économique quotidienne est différente. Les perspectives électorales de toute équipe au pouvoir en seraient rendues incertaines ; ce qui est vrai pour Biden en 2024 l'était pour Trump en 2020.
Ironie sans fin : question démographique
S'il devait y avoir un facteur jouant en faveur d'une marginalisation définitive du parti républicain (et tandis qu'il s'enfonce à grande vitesse dans une démence d'extrême droite), celui-ci a à voir avec le fait que sur le plan démographique les États-Unis ne seront bientôt plus un pays « blanc », et que chaque nouvelle génération est plus diverse encore que la précédente.
Ce sont précisément les jeunes africain·es-américain·es et les autres communautés immigrées non-blanches, les LGBT et les populations non-binaires, qui sont les principales cibles des idéologies suprémacistes blanches, chrétiennes nationalistes et de la droite religieuse, qui dominent entièrement le parti républicain, ainsi que le milieu fanatisé autour de Trump mais sans se limiter à lui.
Cependant, ce sont précisément ces secteurs plus jeunes, moins blancs et moins avantagés, parmi lesquels la majorité écrasante, dont sont censés bénéficier les démocrates, est en train de se réduire. Les sondages montrent que près d'un quart des africains-américains préfèrent Trump à Biden, signe remarquable de perte de confiance (quand bien même le phénomène resterait éphémère).
Que s'est-il donc passé ? Nous pensons principalement que les démocrates ont promis trop pour n'accomplir que trop peu de changements concrets, que ce soit sur le terrain de la justice raciale, de la réponse au problème de la dette étudiante, de la réforme de l'immigration, de la lutte contre le changement climatique, entre autres. Par ailleurs, le sentiment de soulagement lié à la fin du cauchemar de la (première) présidence Trump ne pouvait durer indéfiniment.
Dans une certaine mesure, l'âge comme l'apparence figée de Biden sont dissuasifs. Cela dit, sur les questions essentielles face auxquelles les démocrates voient leurs chances s'assombrir pour 2024, le problème de sénilité n'est pas tant celui de Biden que celui des politiques américaines elles-mêmes.
Le problème est particulièrement visible au regard de la guerre génocidaire en cours à Gaza. Le secteur de la jeunesse, crucial pour la base électorale démocrate, est de plus en plus solidaire de la Palestine, incapable de se reconnaître dans le soutien aveugle traditionnel du parti à Israël, et refuse désormais de se laisser duper par les gémissements sur une « solution à deux États » morte depuis des lustres. La reprise de l'offensive générale israélienne le 1er décembre dernier, en plus de la multiplication des violences meurtrières commises par les militaires et les colons, ne font qu'aggraver le dégoût profond et absolument nécessaire à l'égard de la complicité de Washington dans ce massacre.
Quant aux arabes américain·es et aux communautés palestiniennes, la fureur qu'inspire « Genocide Joe » Biden est difficile à décrire lorsque l'on n'en a pas été témoin soi-même. Les dirigeants de communautés telles que Dearborn dans le Michigan, qui avaient joué un rôle clé dans la victoire démocrate en 2020, déclarent sans ambages que « nous ne voterons plus jamais pour Biden même si l'autre candidat est pire ». Il est impossible de prédire dès à présent le choix électoral – vote ou abstention – que ce sentiment induira en novembre prochain (gardant à l'esprit que « les réalités politiques sont toujours locales »), mais les démocrates font preuve d'aveuglement volontaire s'ils en sous-estiment l'importance.
Un autre facteur qui exigera de rester vigilant concerne les flots d'argent bipartisan déversés par l'AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) et en provenance de diverses sources à droite, pour que des représentantes progressistes propalestiniennes au Congrès telles que Rashida Tlaib (Michigan), Cori Bush (Missouri) et Ilhan Omar (Minnesota) perdent dans leur primaire. AIPAC s'est engagé à mettre 20 millions de dollars à disposition de tout candidat qui se confrontera à Tlaib. Toute complicité démocrate dans cette entreprise aurait des conséquences électorales fatales.
Crise de l'immigration
À l'évidence, la crise de l'immigration et de l'asile représente un autre souci récurrent du gouvernement Biden. Voilà un exemple éclatant de la manière dont l'impérialisme crée un problème qu'il est dans l'incapacité de résoudre. Les grands centres urbains des États-Unis et du nord du Mexique, les plus petites villes et les réseaux de solidarité ne parviennent pas à faire face au nombre des réfugié·es et des demandeurs/ses d'asile désespéré·es cherchant à passer la frontière sud et qu'il faut héberger et nourrir.
La crise des réfugié·es est intégralement le produit bipartisan de décennies de politiques destructrices dont nous avons parlé dans ces pages : des décennies de « libre échange » qui ont anéanti une grande partie des exploitations agricoles familiales du Mexique, de guerres contre-révolutionnaires génocidaires en Amérique centrale, de sanctions économiques qui ont largement contribué à l'effondrement du Venezuela et de Cuba, d'interventions catastrophiques à répétition à Haïti, et ainsi de suite.
Mais pire encore que tout le reste, il y a la folie des cinquante années de guerre américaine « contre la drogue », une parfaite réussite si l'idée était de remettre le commerce de la drogue entre les mains de cartels criminels violents tout en détruisant des vies et des villes à travers l'Amérique du nord. En plus de tout ceci, l'aggravation des effets du changement climatique réduit à néant des moyens de subsistance tels que, par exemple, les plantations de café au Honduras. Nous avons déjà eu l'occasion de dire que les calamités liées aux trajectoires de ces migrations désespérées sont d'ordre planétaire, comme le montrent les souffrances endurées en Méditerranée ainsi que la cruauté de l'Italie, de la Grande-Bretagne et d'autres gouvernements européens.
Cette crise, au niveau de la politique intérieure, érode la confiance dans la capacité du gouvernement Biden à maîtriser la situation, même si celle-ci n'est pas de sa responsabilité et même si la solution de rechange consiste dans le sadisme assumé des républicains.
Récemment adoptée au Texas, une loi permet à la police locale d'arrêter des « illégaux » présumés, avec ou sans aucun motif, et permet aux cours locales de procéder à des détentions et des expulsions. En usurpant ce qui relève clairement de la juridiction fédérale en matière d'immigration, cette loi est si manifestement anticonstitutionnelle dans son application, et si ouvertement fasciste dans ses implications, que seule la composante majoritaire de la Cour Suprémaciste Blanche de États-Unis1 serait susceptible de la valider (l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a entamé des procédures en justice avant que la loi ne prenne effet ce mois-ci).
Reste un domaine dans lequel la droite et le parti républicain paraissent déterminés à s'autodétruire. On pense en l'occurrence à leurs efforts pour mener à son terme l'interdiction et la criminalisation de l'avortement aux États-Unis. D'un État à l'autre, là où le droit à l'avortement est laissé à la décision des électeurs et des électrices, ce droit l'emporte, et nettement. Les implications effroyables d'une victoire républicaine à la Maison Blanche et au Congrès maintiendront non seulement les femmes mais aussi une grande partie de l'ensemble de l'électorat du côté des démocrates. La détermination républicaine à s'infliger des défaites dans sa croisade anti-avortement tient à la place centrale de cette question dans la « guerre culturelle » lancée contre la diffusion des thématiques du genre, de la race, du social, dans les bibliothèques, les écoles, les universités, et dans l'ensemble de la société.
Ce spectre pourrait – tout juste – permettre aux démocrates de se maintenir au pouvoir après un choix électoral en 2024 que quasiment personne ne souhaite réellement avoir à faire, la secte autour de Trump mise à part. Voilà une branche bien fragile à laquelle s'agripper, et dans tous les cas, rien sur quoi une gauche progressiste pourrait compter. La lutte pour une autre orientation doit regarder dans d'autres directions, en commençant par le retour de la combativité dans le monde du travail, en solidarité avec la Palestine, avec les migrants, et pour la justice reproductive !
Publié dans Against The Current n°228, janvier-février 2024, traduction T.M. Labica.
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États-Unis-Sénat. Seuls trois démocrates, dont Bernie Sanders, s’opposent à une aide militaire nouvelle de 10 milliards de dollars pour Netanyahou

Le Sénat des États-Unis a adopté, dans la matinée du mardi 13 février, une loi prévoyant une aide militaire supplémentaire de plus de 10 milliards de dollars pour le gouvernement israélien, qui s'apprête à lancer une invasion terrestre catastrophique contre Rafah, une ville de Gaza peuplée de plus de 1,4 million d'habitants.
Tiré de A l'Encontre
13 février 2024
Par Jake Johnson
Bernie Sanders entre au Sénat.
Les sénateurs ont approuvé le projet de loi, qui comprend également une aide militaire à l'Ukraine et à Taïwan, par un vote bipartisan écrasant de 70 à 29, seuls trois membres du groupe démocrate de la chambre haute – les sénateurs Bernie Sanders (Indépendant, Vermont), Jeff Merkley (Démocrate, Oregon) et Peter Welch (Démocrate, Vermont) – s'étant opposés à cette décision.
La proposition prévoit un financement global de 95 milliards de dollars pour les trois pays, dont 14 milliards de dollars pour Israël.
« Ce projet de loi accorde au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou 10 milliards de dollars supplémentaires d'aide militaire sans restriction pour sa guerre effrayante contre le peuple palestinien. C'est inadmissible », a écrit Bernie Sanders sur les réseaux sociaux avant le vote de mardi. « Je voterai NON lors de l'adoption finale. »
Peter Welch et Jeff Merkley se sont également opposés au projet concernant l'aide militaire inconditionnelle à Israël, qui a reçu plus de 10 000 tonnes d'armes des Etats-Unis depuis le 7 octobre et reçoit déjà près de 4 milliards de dollars par an d'aide militaire états-unienne.
« La campagne menée par le gouvernement Netanyahou est en contradiction avec les valeurs et le droit des Etats-Unis, qui exigent des bénéficiaires de l'aide américaine qu'ils facilitent l'acheminement de l'aide humanitaire », a déclaré Jeff Merkley dans un communiqué publié lundi en fin de journée. « Bien que j'aie soutenu l'aide militaire à Israël dans le passé, et que je continue à soutenir l'aide aux systèmes défensifs comme Iron Dome (Dôme de fer) et David's Sling (Fronde de David, système antimissiles), je ne peux pas voter en faveur de l'envoi de plus de bombes et d'obus à Israël alors qu'ils les utilisent de manière indiscriminée contre les civils palestiniens. »
D'autres démocrates ont critiqué l'aide à Israël mais ont finalement voté en faveur du projet de loi.
Le sénateur Chris Van Hollen (Démocrate, Maryland) a prononcé un discours émouvant sur les conditions humanitaires désastreuses à Gaza, qu'il a qualifiées de « pur enfer ». « Les enfants de Gaza meurent aujourd'hui parce qu'on leur refuse délibérément de la nourriture. Outre l'horreur de cette nouvelle, une autre chose est vraie : il s'agit d'un crime de guerre. C'est un crime de guerre classique. Et cela fait de ceux qui l'orchestrent des criminels de guerre. »
Malgré cette déclaration, Chris Van Hollen a fait partie des membres du groupe démocrate qui ont voté en faveur du projet de loi sur l'aide.
Refus de tout amendement concernant l'UNRWA
Bernie Sanders avait proposé de retirer du projet de loi l'aide militaire offensive à Israël et de supprimer les dispositions interdisant le financement par les Etats-Unis de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), dont les opérations essentielles à Gaza sont sur le point de s'effondrer totalement après que l'administration Biden et d'autres gouvernements ont coupé les fonds à la suite d'allégations israéliennes non fondées visant une douzaine d'employés de l'agence.
En plus de fournir un soutien supplémentaire aux forces armées israéliennes, le projet de loi affaiblirait le contrôle du Congrès en permettant au département d'Etat de renoncer aux exigences de notification pour le financement militaire étranger d'Israël [en vertu de la loi sur le contrôle des exportations d'armes, le président doit officiellement informer le Congrès 30 jours civils avant que l'administration puisse prendre les mesures finales pour conclure une vente de matériel militaire à l'étranger de gouvernement à gouvernement].
« A maintes reprises, j'entends le président et les membres du Congrès exprimer leur profonde inquiétude au sujet de M. Netanyahou et de la catastrophe humanitaire qu'il a provoquée à Gaza », a déclaré Bernie Sanders lundi. « Alors pourquoi soutiennent-ils l'idée de donner à Netanyahou 10 milliards de dollars supplémentaires pour poursuivre sa guerre contre le peuple palestinien ? »
Le projet de loi est maintenant soumis à la Chambre des représentants des Etats-Unis, dont le président Mike Johnson (Républicain, Louisiane) a déclaré qu'il « devra continuer à travailler selon sa propre méthode sur ces questions importantes ».
Dans une déclaration faite lundi soir, Mike Johnson s'est plaint du fait que la mesure adoptée par le Sénat ne comporte « aucune modification de la politique frontalière » [mesure pour faire obstacle aux migrants à la frontière Mexique-Etats-Unis], alors même que c'est l'opposition des républicains qui a contraint les dirigeants du Sénat à retirer du programme d'aide à l'étranger les changements légaux proposés en matière d'immigration.
Les défenseurs des droits des immigré·e·s se sont largement opposés à ces modifications, qu'ils ont qualifiées d'attaque draconienne contre le droit d'asile. (Article publié sur Common Dreams, le 13 février 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
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La gauche américaine doit s’associer aux forces progressistes du Moyen-Orient pour mettre fin à la guerre régionale

Les progressistes en Iran et aux États-Unis doivent se connecter horizontalement pour résister au militarisme alors que nos dirigeants intensifient leurs menaces.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/19/la-gauche-americaine-doit-sassocier-aux-forces-progressistes-du-moyen-orient-pour-mettre-fin-a-la-guerre-regionale/
Depuis l'assaut brutal du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et l'invasion génocidaire de Gaza par Israël, on parle beaucoup de la possibilité d'une guerre régionale au Moyen-Orient, dans le contexte d'une administration américaine qui n'est pas disposée à appeler à un cessez-le-feu immédiat.
En tant que militante féministe socialiste irano-américaine ayant des liens avec des militant·es en Iran, aux États-Unis, en Israël et en Palestine, ces événements m'ont horrifiée, tant en raison de la brutalité et de la perte de vies humaines innocentes que de l'étouffement des voix des véritables progressistes.
Il se peut qu'une guerre plus large soit à nos portes avec les frappes militaires américaines du 2 février contre les forces iraniennes et les milices soutenues par l'Iran en Irak et en Syrie, qui ont tué 39 personnes, dont des civils, et les frappes américaines du 7 février à Bagdad, qui ont tué un haut dirigeant d'une milice soutenue par l'Iran et deux de ses escortes. Les dernières frappes américaines sont une réponse à une attaque de drone menée par des milices irakiennes soutenues par l'Iran contre une base américaine en Jordanie, qui a tué trois soldats américains et en a blessé des dizaines d'autres. Le gouvernement iranien a mis en garde contre des représailles.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont également lancé une nouvelle série de frappes contre les milices houthies au Yémen, en réponse aux attaques des Houthis contre des navires commerciaux et militaires en mer Rouge. Les Houthis affirment à leur tour qu'ils ont lancé leurs attaques en solidarité avec les Palestinien·nes.
Les attaques de drones et de missiles menées par l'Iran et ses milices contre des cibles américaines dans la région se poursuivent depuis plusieurs années, dans le cadre des efforts déployés par le gouvernement iranien depuis des décennies pour s'affirmer comme une puissance régionale. Le gouvernement iranien fournit une assistance militaire, logistique et autre au Hamas, aux milices chiites en Irak, aux milices houthies au Yémen, au Hezbollah au Liban et au gouvernement de Bachar Assad en Syrie.
Dans le même temps, les États-Unis fournissent à Israël une aide militaire de 3,8 milliards d'euros par an, vendent des armes à l'Arabie saoudite, à l'Égypte et à d'autres régimes arabes, et disposent de bases militaires dans la région, notamment au Qatar, à Bahreïn, au Koweït, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, ainsi que de plus petits avant-postes dans d'autres parties du monde. Les troupes américaines ont occupé l'Afghanistan de 2001 à 2021. Les troupes américaines ont également occupé l'Irak de 2003 à 2011. La Russie est également un important fournisseur d'armes pour divers États de la région, dont l'Iran, l'Arabie saoudite et la Turquie. Elle dispose d'une base navale et de forces terrestres en Syrie. Elle soutient également la production de missiles et de drones par l'Iran, des armes que la Russie a utilisées lors de son invasion de l'Ukraine.
Depuis plus de quatre décennies, la République islamique d'Iran utilise l'antisémitisme et son opposition à l'impérialisme américain et à l'occupation israélienne comme moyen de promouvoir ses propres ambitions impérialistes régionales, qui impliquent des objectifs économiques, idéologiques et stratégiques, et qui ont entraîné l'exploitation de la classe ouvrière et des peuples opprimés de la région. En 2018, dans un discours public, le président Rouhani a déclaré clairement que les frontières stratégiques de l'Iran sont le sous-continent indien à l'est, le Caucase au nord, la mer Rouge au sud et la Méditerranée à l'ouest.
Toutefois, avant la création de la République islamique en 1979, l'agression d'Israël contre le peuple palestinien et son refus de reconnaître le droit des Palestinien·nes à l'autodétermination avaient créé l'une des plaies les plus profondes de la région. L'occupation des terres palestiniennes, qui dure depuis 56 ans, a fourni un ennemi extérieur que les dirigeants autoritaires de la région ont utilisé pour dissimuler les contradictions internes de l'exploitation de classe, du patriarcat, du racisme et d'autres formes de préjugés et de domination qui existent dans chaque pays.
Le monde a commencé à voir les masses populaires du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord remettre en question certaines de ces contradictions internes lors du printemps arabe de 2011, du soulèvement syrien de 2011 et de la vague de protestations de 2019 au Soudan, en Algérie, en Irak, au Liban et en Iran. Toutefois, ces efforts ont été écrasés par des régimes autoritaires. Le régime d'Assad – qui a brutalement écrasé le soulèvement syrien de 2011 et détient plus de 100 000 personnes dans ses prisons, où la torture à l'échelle industrielle a été documentée – continue de prétendre qu'il soutient les Palestinien·nes alors qu'en réalité il a réprimé la population palestinienne en Syrie qui a défendu le soulèvement de 2011. Divers dirigeants arabes, iraniens et turcs, qui prétendent également défendre l'autodétermination des Palestinien·nes, ont brutalement écrasé les populations kurdes dans leur pays en raison de la demande d'autodétermination des Kurdes.
Le mouvement « Femme, vie, liberté » qui a émergé en Iran à l'automne 2022 a été une lueur d'espoir pour l'ensemble de la région. Les femmes et les hommes qui ont manifesté pendant des mois et ont été arrêté·es, tué·es, aveuglé·es et violées ne demandaient pas seulement la fin du hijab obligatoire. Elles et ils réclamaient le droit des femmes à disposer de leur corps, le droit à une éducation fondée sur l'esprit critique, la fin de la peine de mort, les droits des minorités nationales opprimées et les droits du travail. Elles et ils s'opposaient au fondamentalisme religieux, à la violence entre les sexes et l'État, au militarisme et à l'impérialisme, et appelaient à une coexistence pacifique avec les autres États de la région. Plusieurs déclarations de participant·es à ce mouvement ont appelé à dépasser les divisions ethniques, religieuses et de genre utilisées par les régimes autoritaires de la région.
Le contenu affirmatif du mouvement « Femme, vie, liberté » est également visible dans les efforts inlassables de Narges Mohammadi, la militante féministe iranienne des droits de l'homme qui a reçu le prix Nobel de la paix en octobre 2023. À l'exception d'une pétition de PEN America demandant sa libération, elle a été relativement peu couverte par les médias occidentaux, et peu de rapports en langue anglaise ont mentionné sa déclaration de prison concernant la Palestine et Israël, qui condamnait « les agressions contre les sans-abri, le massacre d'enfants, de femmes et de civil·es, les prises d'otages, [et] le bombardement d'hôpitaux, d'écoles et de zones résidentielles ». Mohammadi demande « un cessez-le-feu immédiat, la fin de la guerre… le respect des droits des êtres humains et la création des conditions d'une coexistence pacifique des peuples ».
Face à la résistance continue des féministes comme Mohammadi, à la résistance des jeunes dans les prisons, les écoles et les rues, et à la résistance des travailleurs et des travilleuses, des enseignant·es, des infirmières, des minorités nationales, des retraité·es et des personnes handicapées, le gouvernement iranien a intensifié sa répression. Il a imposé une loi sur le hijab et la chasteté qui a sévèrement alourdi les peines infligées aux femmes qui ne portent pas le « hijab approprié ». Il a exécuté davantage de jeunes Kurdes, Baloutches et Arabes, y compris des jeunes arrêtés lors des manifestations « Femme, vie, liberté ». L'Iran a le deuxième taux d'exécution le plus élevé après la Chine.
Les dissident·es iranien·nes, qu'iles soient en prison ou non, entament à leur tour une grève de la faim pour s'opposer à la peine de mort. Les grévistes de la faim, les féministes et d'autres dissident·es ont écrit des lettres ouvertes à Nada al-Nashif, haut-commissaire adjoint des Nations unies aux droits de l'homme, lui demandant d'annuler son voyage en Iran parce qu'elle ne serait pas autorisée à rencontrer les prisonnier·es politiques et les familles des personnes exécutées. Elle serait également contrainte de porter le hijab. Les signataires des lettres ouvertes adressées à Mme al-Nashif souhaitaient qu'elle attende les résultats d'une mission d'enquête de l'ONU sur les meurtres et les viols commis par le gouvernement iranien à l'encontre des manifestants du mouvement « Femme, vie, liberté ». Au lieu de cela, elle a poursuivi son voyage et a annoncé qu'il ne s'agissait pas d'une mission d'enquête visant à rendre visite aux prisonnier·es et à leurs familles, mais d'un voyage officiel destiné à rencontrer les responsables de la République islamique.
Les forces progressistes en Iran n'appellent pas à des visites officielles occidentales pour rencontrer les dirigeants du gouvernement ou à une intervention militaire américaine. Elles tendent horizontalement la main aux forces progressistes de base du monde entier pour obtenir un soutien moral et matériel dans leur lutte contre le militarisme, l'autoritarisme et le fondamentalisme religieux.
Compte tenu des mouvements de guerre actuels et de l'intensification de la confrontation entre les États-Unis et l'Iran, il est extrêmement important que ceux qui s'opposent à l'impérialisme américain et à la guerre d'Israël contre Gaza s'opposent simultanément aux frappes américaines dans la région, exigent un cessez-le-feu à Gaza et défendent la lutte en cours pour les droits des femmes et les droits des êtres humains en Iran.
Les militant·es progressistes en Iran travaillent dur pour s'opposer à la peine de mort et à l'incarcération de masse, pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps et pour défendre les droits des Kurdes, des Baloutches et des minorités nationales arabes, ainsi que des minorités religieuses telles que les Baha'is et les migrant·es afghan·es en Iran. Elles tendent la main aux femmes afghanes qui résistent aux talibans et aux autres forces religieuses fondamentalistes en Afghanistan. Leur travail est essentiel pour détourner le Moyen-Orient de l'autoritarisme et de la guerre.
Les progressistes américain·es qui partagent ces objectifs peuvent commencer par se joindre à l'appel à la libération de Narges Mohammadi et de tous les prisonnier·es politiques. Mais plus largement, elles et ils peuvent s'efforcer de relier horizontalement ces luttes au mouvement américain contre la violence sexiste et la violence d'État, au mouvement abolitionniste contre l'incarcération de masse, au mouvement pour les droits à la reproduction et à l'avortement, ainsi qu'à la lutte actuelle contre le militarisme.
Frieda Afary
Publié à l'origine dans TRUTHOUT
https://socialistfeminism.org/us-left-must-link-with-progressive-forces-in-middle-east-to-stop-regional-war/
Publié le 8 février 2024
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Aux États-Unis, des climatosceptiques condamnés à payer 1 million de dollars

Un tribunal des États-Unis a condamné deux personnes le 8 février pour avoir diffamé le climatologue Michael E. Mann. Une pratique récurrente pour décrédibiliser les scientifiques.
13 février 2024 | tiré de reporterre.net
La décision était attendue par la communauté scientifique. Le tribunal de la Cour supérieure de Washington D.C. a condamné le 8 février deux personnes pour diffamation, avec plus de 1 million de dollars (environ 928 000 euros) de dommages et intérêts compensatoires. Rand Simberg et Mark Steyn avaient affirmé que le climatologue Michael E. Mann avait trafiqué ses données et l'avaient comparé à un pédocriminel.
Michael E. Mann est une des figures majeures de la recherche sur le changement climatique depuis sa publication en 1999 d'un graphique surnommé « la crosse de hockey », qui montrait l'augmentation des températures au XXe siècle. Le climatologue avait porté plainte après deux publications sur des blogs.
En 2012, Rand Simberg, un ancien chercheur du groupe de réflexion Competitive Enterprise Institute avait comparé Michael E. Mann à Jerry Sandusky, un entraîneur de football étasunien (qui a travaillé dans la même université que le climatologue) condamné pour avoir sexuellement agressé des mineurs. « Mann pourrait être le Jerry Sandusky du changement climatique, sauf qu'au lieu d'agresser des enfants, il a agressé et torturé des données », avait publié Rand Simberg.
« Une volonté délibérée de nuire »
Ensuite, Mark Steyn, un essayiste d'extrême droite, a repris ces accusations et qualifié les recherches de Michael E. Mann de « frauduleuses », dans un blog publié par le National Review (Michael E. Mann avait porté plainte contre le groupe de réflexion et la revue, mais avait été débouté par la justice).
Au cours du procès, qui a duré quatre semaines, les deux hommes accusés ont maintenu leurs propos. Michael E. Mann a pour sa part affirmé que ces publications lui ont coûté des fonds pour ses recherches et l'exclusion d'au moins un projet. Dans sa décision du 8 février, le jury a estimé que les deux hommes poursuivis ont fait preuve de « méchanceté, dépit, mauvaise volonté, vengeance ou volonté délibérée de nuire ». Cette caractérisation était essentielle pour démontrer que leurs propos dépassaient le cadre de la liberté d'expression.
Après la décision de la justice, l'avocat de Michael E. Mann a affirmé dans un communiqué qu'en plus de rétablir l'intégrité du nom de son client, cette décision est « une grande victoire pour la vérité et les scientifiques [du monde entier] qui consacrent leur vie à répondre à des questions scientifiques vitales avec des conséquences sur la santé humaine et la planète ». Ce n'est pas la première fois que les travaux de Michael E. Mann sont contestés. En 2009, des accusations de manipulations des données ont entraîné des enquêtes judiciaires et universitaires. Toutes ont conclu que ses travaux étaient valides.
Une pratique fréquente des climatosceptiques
La remise en cause de la science est une pratique fréquente des climatosceptiques. « On a vu une augmentation des attaques contre les scientifiques, explique Lauren Kurtz, avocate et directrice du Climate Science Legal Defense Fund, une organisation de défense juridique des chercheurs qui a par le passé aidé le climatologue. Mais il y a désormais une baisse du nombre de débats sur la véracité de leurs recherches au profit d'attaques pour les décrédibiliser de façon plus nébuleuse et plus nocive, en disant que les scientifiques sont biaisés, qu'ils sont des militants ou que leur rôle n'est pas d'éduquer. Michael E. Mann n'est pas le seul à vivre cela, c'est juste qu'il est plus public. »
Dans son livre The New Climate War (2021), Michael E. Mann expose justement la manière dont des chercheurs financés par des entreprises d'énergies fossiles tentent de remettre en cause la science sur le dérèglement climatique pour profiter aux industries polluantes. Dès les premières pages de son livre, l'auteur évoque la responsabilité du Competitive Enterprise Institute, le groupe de réflexion où travaillait Rand Simberg, condamné dans cette affaire.

Iran : Détérioration de l’état de santé de trois membres emprisonnés du Syndicat des salarié.es de la Régie de bus de Téhéran et sa banlieue

Reza Shahabi, Davood Razavi et Hassan Saeidi, trois membres emprisonnés du Syndicat des travailleurs/travailleuses de la compagnie de bus de Téhéran et sa banlieue purgent une peine de cinq ans à la prison d'Evin en raison de leurs activités syndicales et de défense des droits des salarié.es. Ils sont confrontés à de graves problèmes de santé en raison de la négligence des autorités judiciaires et de la prison d'Evin à l'égard de l'aggravation de leurs problèmes de santé.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Reza Shahabi a subi des opérations au cou et au dos lors de sa précédente incarcération. Les médecins de la prison et le spécialiste de l'hôpital Taleghani ont confirmé la nécessité d'une opération immédiate et urgente du cou en soulignant les risques graves et irréparables en l'absence d'opération.
Malgré une douleur intense dans la région du cou et son hypertension artérielle, Reza Shahabi attend toujours d'être hospitalisé pour subir une intervention chirurgicale. Il n'a pas bénéficié d'un seul jour de congé médical depuis son arrestation le 12 mai 2022.
Davood Razavi, 63 ans, souffre de maladies gastro-intestinales, de problèmes de vue et de douleurs au genou. Il continue de souffrir de l'absence de traitement médical et de soins.
Davood Razavi a été arrêté le 27 septembre 2022. Il n'a bénéficié depuis d'aucun congé médical, malgré l'aggravation de ses problèmes digestifs et de ses hémorragies, ainsi que de la dégénérescence de sa vue, de ses douleurs au genou et de son arthrite.
Hassan Saeedi a perdu la plupart de ses dents en prison en raison d'une maladie des gencives et de la bouche et de la négligence des autorités pénitentiaires à soigner ses dents. La perte de ses dents a provoqué des troubles digestifs. Il a besoin de toute urgence de faire soigner ses dents à l'extérieur de la prison. Hassan Saeedi est en prison depuis le 18 mai 2022, sans un seul jour de permission de sortie, même après le grave accident de son fils.
Ces trois travailleurs emprisonnés et membres de longue date de notre syndicat ont été condamnés à des peines d'emprisonnement de longue durée injustes en raison de leur opiniâtreté, pendant deux décennies, à défendre les droits des salarié.es, ainsi que celui de s'organiser et de constituer des syndicats.
Après leur arrestation, ils ont été placés à l'isolement et soumis à des interrogatoires pendant des mois, puis condamnés à cinq ans d'emprisonnement, deux ans d'interdiction de séjour dans la région de Téhéran et à l'interdiction d'exercer des activités syndicales et sociales. Ces peines ont été confirmées en appel sans qu'ils aient pu se défendre devant le tribunal.
Nous sommes très préoccupés par l'état physique grave de nos membres emprisonnés, Reza Shahabi, Davood Razavi et Hassan Saeidi, et demandons qu'ils bénéficient immédiatement d'un congé médical. Nous demandons en outre leur libération inconditionnelle, ainsi que celle des autres travailleurs/euses, enseignant.es et étudiant.es emprisonné.es, ainsi que de toutes et tous les prisonnier.es politiques.
Syndicat des travailleurs de la compagnie de bus de Téhéran et de sa banlieue,
9 février 2024
htps ://www.instagram.com/vahedsyndica/
https://twitter.com/VahedSyndicate
vsyndica@gmail.com
Merci d'envoyer des lettres de protestation aux autorités suivantes, avec copie à : vsyndica@gmail.com
Guide de la République islamique d'Iran, Ayatollah Sayed 'Ali Khamenei
contact@leader.ir ; et info_leader@leader.ir ;
Pouvoir judiciaire de la République islamique d'Iran - Haut Conseil des droits de humains
info@humanrights-iran.ir ;
Mission permanente de la République islamique d'Iran auprès des Nations unies
missionofiran@gmail.com ; iranunog@mfa.gov.ir ; iran@un.int @Iran_UN
Ministère des affaires étrangères de la République islamique d'Iran : info@mfa.gov.ir
Ambassades d'Iran :
https://www.embassypages.com/iran
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L’Indonésie, le nickel et la Chine

Avec 21 millions de tonnes, l'Indonésie détient les plus importantes réserves mondiales de nickel. Le pays a fait de ce secteur de transformation du nickel pour la fabrication de batteries électriques la clé de son programme de développement national. Dans l'industrie du nickel dans l'archipel, les entreprises sont principalement chinoises. Pendant les deux mandats de Jokowi, la dépendance de l'Indonésie envers la Chine s'est accrue, alors que les pratiques chinoises en matière de conditions de travail et de droit des travailleurs, de relations avec les populations locales, de protection de l'environnement, vont à l'encontre des efforts des Indonésiens pour construire une société démocratique.
Tiré de Asialyst. Légende de la photo : Selon cette image aérienne prise le 21 septembre 2022, la fonderie de Virtue Dragon Nickel Industry, à Konawe, dans le Southeast Sulawesi. (Courrier international)
Le 24 décembre dernier dans l'île indonésienne de Sulawesi, une explosion dans une fonderie de nickel a fait dix-neuf morts et plusieurs dizaines de blessés. Selon une enquête préliminaire, durant un travail de réparation, un liquide inflammable aurait pris feu et fait exploser des réservoirs d'oxygène à proximité.
Onze des ouvriers étaient indonésiens et huit chinois. L'usine, située dans l'Indonesia Morowali Industrial Park (IMIP) dans la province de Sulawesi central, appartient en effet à l'entreprise PT* Indonesia Tsingshan Stainless Steel (ITSS), filiale du groupe chinois Tsingshan, un producteur d'acier inoxydable. ITSS est le plus important producteur d'acier inoxydable d'Indonésie. Elle a démarré en 2017. Le parc a été inauguré en 2013.
Cet accident mortel n'est pas le premier dans l'industrie du nickel en Indonésie, dont les entreprises sont principalement chinoises. De 2015 à 2022, l'ONG indonésienne Trend Asia, qui travaille sur la transition énergétique et le développement durable, a dénombré 47 morts et 76 blessés sur les sites miniers du nickel dans l'archipel. On soupçonne en outre dix ouvriers chinois de s'être suicidés.
En décembre 2022 notamment, deux employés d'une fonderie à Morosi, dans la province de Sulawesi du Sud-Est, sont morts dans une explosion provoquée par de la poussière de charbon qui avait pris feu. L'une des deux victimes, Nirwana Selle, âgée de 20 ans, est morte brûlée vive. La fonderie, inaugurée en 2021, appartient à la société PT Gunbuster Nickel Industry, une filiale de l'entreprise chinoise Jiangsu Delong Nickel Industry. Elle emploie 11 000 Indonésiens et 1 300 étrangers.
Le nickel dans la stratégie industrielle de l'Indonésie
En avril 2023, de nouveau dans le parc de Morowali, deux ouvriers sont morts ensevelis dans une décharge de déchets provenant de la combustion de ferronickel*. En mai, toujours à Morowali, un incendie s'est déclaré, suivi d'une explosion dans une fonderie qui appartient également à Gunbuster, faisant deux morts. En juin, un autre incendie dans cette même usinea fait un mort et six blessés.
Avec 21 millions de tonnes, l'Indonésie détient les plus importantes réserves mondiales de nickel, près de 24 % du total, dont une partie importante se trouve dans l'île de Sulawesi. Quatre des plus grandes mines de nickel d'Indonésie sont situées à Sulawesi : Sorowako, Asera, Pomalaa et Bahoomahi. La cinquième, Weda Bay, est dans l'île de Halmahera dans les Moluques et est exploitée par Tsingshan, en partenariat avec l'entreprise minière d'Etat indonésienne PT Aneka Tambang et la société minière française Eramet.
En 2020, l'Indonésie a interdit les exportations de minerai non traité. Le pays a fait de ce secteur de transformation du nickel pour la fabrication de batteries électriques la clé de son programme de développement national. D'après l'Agence internationale de l'énergie fondée par l'OCDE, « l'objectif de cette politique est de renforcer les installations de transformation nationales, de ramener la valeur ajoutée de la chaîne d'approvisionnement du nickel dans l'économie indonésienne et de stimuler la création d'emplois et le développement économique en Indonésie. »
*Une telle politique va à l'encontre des règles de l'Organisation mondiale du commerce, dont l'Indonésie est membre. L'Union européenne a annoncé en 2019 qu'elle engageait une procédure auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle considère en effet que l'interdiction d'exporter le minerai de nickel est une entrave à la liberté du commerce et « va gravement nuire au secteur européen de l'acier inoxydable, gros consommateur de nickel ».
En 2022, la ministre indonésienne des Finances Sri Mulyani Indrawati déclarait au World Economic Forum de Davos qu'en tant que plus grande économie de l'ASEAN, l'Indonésie n'entendait pas rester une exportatrice de matières premières sans valeur ajoutée.
La fabrication d'acier inoxydable représente 70 % de la demande mondiale de nickel. L'Indonésie est le troisième producteur mondial d'acier inoxydable derrière la Chine et l'Inde et le premier exportateur.
Outre l'acier inoxydable, le nickel est utilisé dans la fabrication de batteries de véhicules électriques. En décembre 2023, Hong Kong CBL, une filiale du fabriquant de batteries chinois CATL, a pris une participation dans PT Indonesia Battery Corporation, une filiale de la compagnie minière d'Etat indonésienne PT Aneka Tambang, pour la production de telles batteries.
L'Indonésie devient « indispensable pour l'industrie des véhicules électriques ». Elle souhaite bâtir une filière du nickel complète, de l'extraction du minerai, à la transformation et la fabrication de batteries et véhicules électriques.
Depuis 2020, le pays a ainsi signé pour plus de 15 milliards de dollars de contrats avec des entreprises comme les Sud-Coréennes Hyundai et LG et la Taïwanaise Foxconn. Le président Joko Widodo, familièrement appelé Jokowi, essaie de convaincre Elon Musk d'investir dans la production de véhicules électriques ou de batteries.
En décembre 2023, l'Indonésie a annoncé des incitations fiscales pour les constructeurs qui envisagent de produire des véhicules électriques. En janvier 2024, le ministre indonésien des Affaires économiques a annoncé que le plus grand constructeur de véhicules électriques du monde, le Chinois BYD, envisageait d'investir 1,3 billion de dollars pour construire en Indonésie une usine d'une capacité de 150 000 unités par an. En février, un autre constructeur chinois, Chery, s'est engagé à faire de l'Indonésie sa base de production pour l'ensemble de l'Asie du Sud-Est et dans ce but, à augmenter ses investissement dans le pays.
Une dépendance grandissante envers la Chine
La Chine est de loin le premier client de l'Indonésie, représentant plus de 22% des exportations de cette dernière, loin devant les Etats-Unis (11%), le Japon (8%), l'Inde (6%) et Singapour (5%) en 2021 (CIA World Factbook). En 2023, elle est également devenue son deuxième investisseur derrière Singapour et devant Hong Kong, le Japon et la Malaisie.
L'Indonésie est en terme de montant le premier récipiendaire sud-est-asiatique du projet chinois des « Nouvelles routes de la soie » (Belt and Road Initiative ou BRI). Les fonderies de nickel dans l'archipel font partie de la BRI. Dans un discours au parlement indonésien en 2013, le président Xi Jinping a montré l'importance de l'Indonésie dans ce projet.
De son côté, l'Indonésie voit dans les investissements chinois le moyen de développer des infrastructures déficientes qui ne permettent pas d'exploiter au mieux son potentiel de croissance. En particulier, le pays souhaite que la Chine l'aide pour ses projets dans les énergies renouvelables et les infrastructures. Des responsables indonésiens se plaignent de la réticence des pays occidentaux à financer son plan de fermeture des centrales électriques au charbon et des taux d'intérêt qu'elle juge élevés. La BRI a permis de financer notamment le train à grande vitesse, le premier d'Asie du Sud-Est, qui relie Jakarta à Bandung, troisième ville la plus peuplée d'Indonésie, et le développement d'une industrie du nickel.
En 2021, Luhut Binsar Pandjaitan, ministre coordinateur des Affaires maritimes et de l'Investissement, assurait que les investissements chinois répondaient aux besoins du gouvernement et que la Chine « ne dictait rien ».
Néanmoins d'après Bhima Yudhistira Adhinegara, directeur au Center of Economic and Law Studies à Jakarta, dans le cas du nickel, c'est la Chine qui profite le plus des accords qu'elle a passés avec l'Indonésie. Selon lui, « la Chine contrôle 61 % de la production totale nationale de nickel, alors que nos entreprises d'État n'en contrôlent que 5 %. »
Hongyi Lai de l'université de Nottingham, spécialiste des politiques économiques chinoises, explique qu'il existe dans l'opinion indonésienne une suspicion sur la Chine et son influence en Indonésie.
Face à cette suspicion, en mai 2023, malgré les accidents, Luhut affirmait d'une part : « Les investisseurs chinois ont un rôle important, notamment dans le domaine des hautes technologies et du transfert de technologies. » Et d'autre part : « Si [les Chinois] n'existaient pas, nous ne pourrions pas exporter 34 milliards de dollars de dérivés du nickel. »
L'environnement
Dans un rapport publié en janvier 2024, l'ONG Climate Rights International, qui défend les droits des populations en lien avec le changement climatique, constate que l'industrie du nickel menace l'existence et le mode de vie traditionnel des populations locales. En particulier, les activités minières dans l'Indonesia Weda Bay Industrial Park situé dans l'île de Halmahera dans les Moluques du Nord, dont les actionnaires sont trois entreprises chinoises, parmi lesquelles Tsingshan, contribuent à une déforestation massive.
On a donc un paradoxe entre la transition vers des énergies renouvelables dans laquelle s'inscrit l'usage de véhicules électriques et les dégâts causés à l'environnement et les populations locales par l'activité minière nécessaire au fonctionnement de tels véhicules.
Pour Yeta Purnama, chercheur au Center for Economic and Law Studies, un think tank indonésien, si les investissements chinois en Indonésie ne donnent pas la priorité à la santé et à la sécurité, le sentiment anti-chinois risque d'augmenter. En outre, d'autres accidents qui causeraient des victimes pourraient ternir l'image des deux pays dans le monde.
Les risques que présentent les entreprises minières chinoises en Indonésie ne concernent pas seulement le nickel. Le Business & Human Rights Ressources Centre mentionne ainsi un rapport de la Banque Mondiale qui conclut que le développement d'une mine de zinc et de plomb dans le nord de Sumatra par une filiale d'une entreprise d'État chinoise « présente des risques « extrêmes ».
Pour Hendri Yulius Wijaya, spécialiste des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance1 (ESG) du cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers (PwC) à Jakarta, l'Indonésie risque de manquer des occasions d'investissement dans l'industrie de transformation des minerais si elle ne fait pas suffisamment d'effort pour appliquer ces critères.
Un mouvement de protestation
Les conditions de travail dans les entreprises chinoises de l'industrie du nickel implantées en Indonésie sont de plus en plus dénoncées. En 2020 à Morosi (Sulawesi du Sud-Est), huit cents ouvriers de PT Virtue Dragon Nickel Industry, une autre filiale de Jiangsu qui réclamaient une hausse de salaire et des CDI avaient mis le feu à des équipements lourds et des bâtiments. Il n'y avait pas eu de victime mais cinq manifestants avaient été arrêtés.
En janvier 2023, dans l'usine de Gunbuster à Morowali, des heurts ont eu lieu. Là également, les travailleurs indonésiens protestaient contre leurs conditions de travail et leur salaire, et faisaient grève. Il y a eu deux morts, un ouvrier chinois et un ouvrier indonésien. En mars, ce sont des ouvriers de Virtue Dragon qui se sont mis en grève.
Quelques semaines après ces heurts, des ouvriers chinois travaillant dans la zone industrielle ont porté plainte auprès de la commission indonésienne des droits de l'homme pour leurs mauvaises conditions de travail, déclarant subir « de nombreux dommages physiques, psychologiques et financiers ».
En décembre 2023, de nouveau à Morowali, trois jours après l'accident qui avait fait dix-neuf morts dans l'usine de Tsingshan, quelque trois cents ouvriers ont manifesté pour demander de meilleures conditions de sécurité et de santé au travail.
Rizal Kasli, président de la Perhapi (l'association des professionnels de l'industrie minière d'Indonésie), estime que les heurts entre ouvriers à Gunbuster Nickel Industry sont dus entre autres à une « jalousie sociale des travailleurs locaux envers le traitement par GNI de la main d'œuvre étrangère ».
En fait, les ouvriers chinois en Indonésie travaillent dans des conditions pires que les Indonésiens, qui peuvent se syndiquer et défendre leurs droits. China Labor Watch, une ONG basée à New York qui enquête sur les conditions de travail en Chine, a constaté pour la période 2021-2023 les pratiques suivantes dans les entreprises chinoises : confiscation du passeport, violations de contrat, retenues de salaire, blessures et absence de sécurité au travail, absence de permis de travail indonésien, restriction des déplacements, violence physique pour enfreintes au règlement.
Les conditions de travail sont donc dénoncées non seulement par les travailleurs indonésiens mais aussi chinois. Pour Permata Adinda, une journaliste collectif Project Multatuli interviewée par le China-Global South Project, les ouvriers indonésiens doivent comprendre que c'est un problème de classe et non de nationalité.
Les investissements chinois en Indonésie posent encore d'autres problèmes. En septembre 2023, un millier de personnes ont manifesté devant l'agence gouvernementale chargée du développement de Batam, une île indonésienne qui fait face à Singapour, et de la région. Les manifestants protestaient contre l'expulsion prévue de 7 500 personnes de l'île voisine de Rempang, dans laquelle le verrier chinois Xinyi va construire un parc industriel et investir 11,5 millions de dollars.
Sortie « peu glorieuse »
Ce mercredi 14 février se tient l'élection présidentielle. En 2018 déjà, dans la dernière année du premier mandat de Jokowi, l'essor des investissements chinois en Indonésie et une présence grandissante de travailleurs chinois avait fini par produire un ressentiment à différents niveaux de la population indonésienne.
Prabowo, deux fois perdant face à Jokowi lors des précédentes élections mais nommé ministre de la Défense par ce dernier, va tenter une troisième chance d'être élu. Il a à ses côtés le fils de Jokowi, Gibran, comme candidat à la vice-présidence. Cette situation illustre à quel point la démocratie à reculé sous l'actuel président.
Durant la campagne électorale, Prabowo a déclaré qu'il poursuivrait les programmes de Jokowi.
Pendant les deux mandats de Jokowi, la dépendance de l'Indonésie envers la Chine s'est accrue, alors que les pratiques chinoises en matière de conditions de travail et de droit des travailleurs, de relations avec les populations locales, de protection de l'environnement, vont à l'encontre des efforts des Indonésiens pour construire une société démocratique. On comprend que l'hebdomadaire britannique The Economist qualifie de « peu glorieuse » la sortie de Jokowi.
Par Anda Djoehana Wiradikarta
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La suppression du « droit du sol » à Mayotte : une mesure d’exception dangereuse pour toutes et tous

C'est devenu une habitude : chaque visite ministérielle est l'occasion de déclarations fracassantes au premier rang desquelles figure systématiquement le renforcement de la lutte contre l'immigration. Ainsi pour tenter d'apaiser la colère des habitantes et habitants de Mayotte face à l'insécurité et à la crise migratoire, Gérald Darmanin a tout bonnement réitéré son souhait de supprimer le « droit du sol » en révisant la Constitution.
Tiré du site de la Ligue des droits de l'homme.
Le reniement de ce droit fondamental, qui existe depuis 1804, est le moyen proposé par le ministre de l'Intérieur censé pallier l'abandon de l'Etat et la déshérence de l'ensemble des services publics dans ce département le plus pauvre de France.
Or le droit applicable sur l'île est déjà une somme de dérogations, d'exceptions à la norme, qui entraînent des privations graves des droits fondamentaux. Alors que la LDH dénonçait déjà les aménagements restrictifs à Mayotte (l'acquisition de la nationalité française de tout enfant naissant à Mayotte étant actuellement subordonnée à l'exigence que l'un de ses parents soit en situation régulière depuis au moins trois mois), il s'agit aujourd'hui de porter, de façon ultime, atteinte au droit du sol dans ce département.
Il ne peut y avoir sur le même territoire national deux régimes de nationalité : la suppression pure et simple du « droit du sol » à Mayotte serait donc une fuite en avant répressive contraire au principe constitutionnel d'une République indivisible. Les Mahoraises et Mahorais ont avant tout besoin de la même égalité des droits que celle qui est reconnue dans tous les territoires de la République. Il s'agit également d'une mesure discriminatoire qui risquerait de se retourner contre eux, en ce qu'elle renverrait l'image d'un département différent qui ne répond pas aux mêmes principes que les autres territoires français.
Mais il s'agit également d'une mesure inefficace. Il n'a jamais été démontré que les règles d'accès à la nationalité ont un effet sur les flux migratoires, la limitation du « droit du sol » à Mayotte en est l'exemple même.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer le danger qu'elle cache : cette mesure risque d'ouvrir une brèche dans le droit, une crainte accentuée par le fait que les territoires d'outre-mer sont souvent utilisés comme les laboratoires d'expérimentation des politiques générales.
Alors que nous sortons de mois de débats délétères sur la loi immigration, Gérald Darmanin joue une fois de plus le jeu dangereux de l'extrême droite en reprenant leurs revendications.
La LDH dénonce cette annonce et rappelle que c'est l'instauration, en 1995, d'un visa obligatoire pour les Comoriens qui souhaitent venir dans l'île française, dit visa Balladur, qui a mis fin à la libre circulation entre les différentes îles de l'archipel. Elle demande que soient privilégiées des mesures sociales plutôt que répressives, notamment la défense de l'accès à l'éducation, à un logement digne, à l'eau pour toutes et tous et refuse que les personnes migrantes soient une fois de plus les boucs émissaires de politiques publiques insuffisantes.
Paris, le 12 février 2024
Ligue des droits de l'Homme (LDH)
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Jour d’élections en Indonésie : la danse des élites porte Prabowo Subianto au pouvoir

Le 14 février, l'Indonésie, troisième plus grande démocratie et quatrième nation la plus peuplée, a organisé le plus grand scrutin au monde en une seule journée. Après une série de manigances anti-constitutionnelles, le ticket de Prabowo Subianto soutenu par le Président sortant Jokowi, a revendiqué la victoire aux élections présidentielles.
Tiré du blogue de l'autrice. Légende de la photo (de droite à gauche) : L'ancien gouverneur de Jakarta Anies Baswedan (candidat #1), le ministre de la Défense sortant Prabowo Subianto (candidat #2), et l'ancien gouverneur de Central Java Ganjar Pranowo (candidat #3)
204,8 millions d'Indonésiens, dont plus de la moitié ont moins de 40 ans, étaient en droit de voter pour choisir leur président et vice-président, ainsi que les députés de la Chambre des représentants nationale, des Conseils représentatifs régionaux et enfin la composition des parlements locaux. Une victoire à la présidentielle en un seul tour requiert l'obtention de la moitié des voix (50 % + 1), dans au moins 20 des 33 provinces.
Les problématiques liées aux dynasties politiques en Indonésie est un sujet qui a occupé les pages des médias (principalement locaux mais aussi internationaux, dont un billet par notre équipe) pendant des mois et qui continue d'être un sujet de discussion en cours. La religion avec la participation active de Muhammadiyah et de Nahdlatul Ulama - la plus grande organisation islamique d'Indonésie qui revendique quelque 40 millions de membres - est aussi un thème déjà largement exploré. Ces organisations jouent un rôle important dans l'orientation des décisions des électeurs en faveur d'un candidat qu'elles soutiennent. Dans la pratique, ces organisations deviennent souvent une partie active du processus de décision politique.
Alors que beaucoup a été dit sur les dynasties politiques et la montée depuis 2016-2017 d'un islam conservateur, un autre phénomène, celui de l'insécurité sociale, de l'incertitude sanitaire, de la précarité et de la pauvreté, reste peu analysé. Les tensions sont évidentes alors que ces véritables problèmes qui affligent la nation, couplé au recul de la démocratie, s'aggravent.

L'ancien général Prabowo Subianto a façonné une image politique oscillant entre un nationalisme fervent et un populisme religieux, mêlant une position ferme à une assurance charismatique militaire. Il a perdu face à Joko Widodo (2014-2024), dit Jokowi, lors des deux scrutins précédents, puis il a été intégré au gouvernement en tant que ministre de la Défense. Son co-listier Gibran Rakabuming Raka, est le vice-président le plus jeune de l'histoire de la République. Il est surtout le fils de Jokowi, homme d'affaires qui est passé maître dans l'art de maîtriser le jeu politique. Incarnant l'essence même de la dynastie, le jeune Gibran a commencé sa carrière après avoir terminé ses études au Management Development Institute of Singapore. Il a occupé le poste de maire dans la ville de Surakarta, comme son père l'a été de 2005 à 2012, puis a été propulsé à la vice-présidence, toujours avec le soutien de son père.
L'autre candidat à la présidence était Ganjar Pranowo, une figure qui rappelle Jokowi pendant son premier mandat. Il se déplace sur les marchés, converse avec la population, utilise un langage simple - celui d'un politicien du peuple - direct et sans peur, toujours avec un sourire même quand il est en colère. Le candidat à sa vice-présidence était Mafud, qui joue le rôle d'une figure équilibrante - plus sérieux, pragmatique, au langage tranchant et bien informé sur les questions du pays. Il est aussi très direct, comme démontré lors du dernier débat vice-présidentiel où il a réussi à déstabiliser Gibran.
Enfin, l'outsider Anies Baswedan est une personne qui peut être décrite de nombreuses manières, mais certainement pas comme quelqu'un incapable d'attirer l'attention. En formant des alliances avec des partis et des représentants d'un islam plus strict, l'ancien gouverneur de Jakarta (2017-2022) s'est taillé une place de choix dans le paysage politique national et se présente comme un agent potentiel de changement. Son candidat à la vice-présidence était Muhaimin Iskandar, dit Cak Imin, vice-président du Conseil représentatif du peuple, la chambre basse du Parlement, depuis 2019.
Trois candidats face au problème d'inégalité sociale
L'économie indonésienne a connu un développement significatif au cours des dernières années, avec un taux de croissance qui, bien qu'il ne corresponde pas entièrement aux attentes du gouvernement sous Jokowi, pourrait être considéré comme raisonnablement louable, compte tenu des deux années de la pandémie de COVID-19 qui ont inévitablement entraîné un ralentissement. Cependant, le développement économique et le développement social (qualité de l'emploi, soins de santé et égalité sociale) sont des domaines distincts. Jokowi est affectueusement surnommé "Monsieur Infrastructure" précisément parce que le point focal de son programme politique a été le développement économique infrastructurel. Il a cherché à aborder la Chine avec prudence en politique étrangère, s'alignant sur l'Initiative Ceinture et Route en coordonnant dix projets pour l'Indonésie, un aspect distinctif de son mandat.

Source de la carte
[ Lire notre analyse Mediapart sur la genèse de l'Initiative Ceinture et Route / Belt and Road Initiative (BRI)]
Jokowi est également la figure centrale derrière la loi Omnibus, une réforme du travail représentant la véritable facette de la politique indonésienne basée sur une approche capitaliste axée sur l'accumulation et l'exploitation. C'est l'essence même de la loi Omnibus : une atteinte aux droits des travailleurs et à l'environnement au nom du "développement économique", qui rappelle la "stratégie du choc" administrée à l'Amérique du Sud à partir des années 70, puis à l'Europe de l'Est et finalement l'Asie.
Les données les plus récentes de la Banque mondiale indiquent une réduction de la pauvreté absolue, mais la pauvreté relative a augmenté. Selon les chiffres officiels, l'accessibilité à l'emploi aurait augmenté, et pourtant, le défi imminent de l'Indonésie réside dans la difficile situation des jeunes éduqués qui peinent à trouver du travail. Ainsi, le nombre de nouveaux pauvres, jeunes et précaires, augmente. L'insécurité résultant des bas salaires est un dilemme que les candidats auront du mal à résoudre sans un profond remaniement des priorités économiques.
Face aux manœuvres politiciennes, les programmes sont difficilement audibles. Tout juste les différents débats ont-ils donné l'occasion aux trois candidats de réitérer leurs affinités thématiques : concorde nationale pour Pranowo, piété et solidarités islamiques chez Baswedan, et enjeux de souveraineté et de défense pour Subianto. Les discussions tournent autour des investissements et de l'économie, tandis que la sphère sociale est souvent négligée ou traitée avec parcimonie.

Que fera le prochain dirigeant de l'Indonésie pour le bien-être social du pays ?
Dans son programme, le candidat Subianto avait promis d'augmenter le nombre de médecins dans les villages dépourvus d'une couverture médicale adéquate. Il a également mis l'accent sur la lutte contre le fléau de la corruption et sur la réforme de la bureaucratie pour améliorer le système de santé dans ces régions.
Baswedan avait proposé des règles plus strictes pour les auteurs de crimes contre les femmes, tout en ciblant les jeunes votants en promettant une réforme de l'éducation, telle qu'une diminution des frais de scolarité. Il avait planifié la construction dans différentes régions d'Indonésie de quarante villes offrant des services similaires à la capitale Jakarta, immense mégalopole menacée par la montée des eaux. Cette initiative vise à assurer “une répartition équitable de la population” et à “créer un environnement sain offrant un confort à tous les résidents”.
Ce projet de décentralisation se voulait une réponse à la construction de la nouvelle capitale à Kalimantan, en pleine jungle de Bornéo, méga-projet pour laquelle l'équipe de Subianto, soutenue par l'ancien président Jokowi, veut rester dans l'Histoire. Subianto a également annoncé des mesures de lutte subventionnée contre la pauvreté telles que des repas gratuits dans les écoles et pour les femmes enceintes.
L'Indonésie est un pays qui souffre d'une des plus grandes disparités sociales au monde mais aucun candidat ne semble avoir de plan concret et complet pour s'attaquer aux sources de l'inégalité.
Ces élections sont marquées par l'absence d'un candidat capable de soutenir des politiques visant à réduire ce phénomène, car tous sont issus de la même classe qui perpétue cette disparité sociale. Il est donc surprenant que les votants aient choisi de porter au pouvoir deux représentants de la classe hégémonique, respectivement symboles de la violence d'Etat et du népotisme. L'entrée de Gibran, fils de Jokowi, sur la scène politique semble s'être traduite par un adoucissement de l'image de Subianto, 72 ans, mais hormis pour le fait d'être issu d'une famille illustre, les capacités politiques de Gibran semblent bien faibles. Il semble improbable d'imaginer que Subianto, ancien lieutenant général de l'armée et beau-fils de l'ancien dictateur Suharto, qui a souvent menacé les médias et les journalistes, donnera la priorité aux politiques sociales du pays. Durant les troubles en 1998, il a été renvoyé de l'armée avec déshonneur après avoir été lié à l'enlèvement de plus de 20 étudiants pro-démocratie - dont 13 n'ont jamais été retrouvés.
Selon CBS News, “l'ancien militaire est aussi parvenu à se réinventer en grande partie grâce à TikTok, qu'il a utilisé pour se redonner une image de grand-père câlin, aimant les chats, et qui n'a pas honte de faire quelques pas de danse maladroits sur scène lors de rassemblements. Cette nouvelle image semble avoir conquis un nombre décisif de jeunes électeurs indonésiens, dont beaucoup ne se souviennent peut-être pas de ses précédentes incarnations. Il a toujours nié avoir commis des actes répréhensibles lorsqu'il commandait les forces de sécurité, mais il a également déclaré que l'Indonésie avait besoin d'un dirigeant autoritaire et a suggéré qu'il serait bon d'abolir la limitation du nombre de mandats présidentiels.”
Peut-être est-ce précisément cela qui amène les Indonésiens à percevoir Prabowo Subianto comme un "Mussolini indonésien". Doté de charisme, d'une démarche sévère et d'une attitude intrépide, il a réussi à s'imposer auprès des gens comme l'homme de la situation pour régler à la dure les problèmes d'insécurité et d'inégalité sociales. Dans un pays considéré jusqu'à présent comme le pivot démocratique de la région, les inquiétudes concernant le rôle des dynasties politiques, l'abus des aides sociales et d'autres ressources gouvernementales par le président lui-même et l'appareil d'État, ainsi que le piètre bilan de Subianto en matière de droits de l'homme, remettent en question la force de la démocratie indonésienne.

Dirty Vote est un documentaire réalisé par Dandhy Laksono qui expose la fraude électorale systématique présumée de l'administration du président Joko Widodo et qui est expliquée par trois experts en droit constitutionnel, à savoir Zainal Arifin Mochtar, Feri Amsari et Bivitri Susanti. Il a été téléchargé par plus de cinq millions de personnes en deux jours... puis le réalisateur et trois experts en droit constitutionnel figurant dans le film ont immédiatement été traduits en justice pour diffamation.
Lors d'un panel organisé à Bangkok par SEA-Junction, Lia Sciortino, experte de la politique indonésienne, a rappelé : "Au cours du deuxième mandat de Jokowi, l'opposition a été englobée dans le gouvernement, de sorte qu'il n'y avait plus d'opposition. Tous les partis faisaient partie de la coalition et c'est devenu une pseudo-démocratie. Il y a eu un recul progressif de la démocratie pendant le deuxième mandat de Jokowi, malgré qu'il soit le premier à ne pas être lié aux élites militaires. Le népotisme et la corruption ont été complètement normalisés pour la majorité des Indonésiens. Cette élection est juste une sélection du moindre mal car chaque candidat porte dans son programme une attaque contre la démocratie. Certains généraux qui ont exclu Subianto de l'armée le soutiennent désormais à nouveau.""
Sous couvert de scrutin électoral, ces compromis entre élites politiques, économiques, religieuses et militaires sont communs en Asie du sud-est, particulièrement au Cambodge, aux Philippines, Thaïlande et Malaisie , pour maintenir leur pouvoir respectif et le statu quo. Ces alliances en apparence contre-nature permettent de neutraliser “légalement” toute possibilité de pleine démocratisation des institutions et de véritable représentativité de genre, de classe et d'ethnie.
Galuh Wandita, fondatrice de Asia Justice and Rights (AJAR), a résumé : “Nous avons eu Reformasi [un soulèvement populaire qui a renversé la dictature de Suharto en 1998 ], mais nos rêves étaient bien plus grands que cela. Le sentiment de dégoût, résumé par le mot 'muak', va au-delà des universitaires et des artistes. La société civile est désormais sensibilisée, les freins et les contrepoids sont la clé de la réussite, quel que soit l'élu. Suharto est tombé grâce à la société civile et aux leaders étudiants - il a été poussé par le pouvoir populaire.”
* Cet article a été co-écrit par Aniello Iannone, maître de conférences et chercheur à l'université de Diponegoro, étudiant en sciences politiques spécialiste de l'Indonésie et de la Malaisie, et Laure Siegel, correspondante pour Mediapart en Asie du Sud-est, dans le cadre de l'atelier "Training on Popularizing Research : A cross-sectoral approach on social movements in Southeast Asia" organisé par Alter-Sea et Shape-Sea.
** Pour comprendre le contexte, notre premier article sur l'ouverture de la campagne électorale en Indonésie et l'analyse de Romaric Godin dans Mediapart ]
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