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Le rapprochement de la Russie et de l’Afrique : un feu d’artifice éphémère

Lorsqu'on observe de près ces expressions d'enthousiasme pour Moscou dans la jeunesse africaine, il faut relever qu'ils n'expriment guère d'appétence pour la Russie de Poutine, la culture slave ou les standards de vie de la Russie contemporaine. La diplomatie est par excellence l'espace des affaires humaines où les symboles et les imaginaires sont parfois bien plus parlants que les postures politiques.
Tiré de MondAfrique.
À l'annonce de la chute du lieutenant-colonel Paul Henri Damiba, fin septembre 2022 dans les rues de Ouagadougou, des jeunes en liesse célèbrent la prise de pouvoir du jeune capitaine Ibrahim Traoré. Des rumeurs infondées font état d'une tentative de restauration du pouvoir déchu par la France. Au milieu des manifestants sont brandis des drapeaux russes comme signes de défiance envers l'ancienne puissance coloniale et de rapprochement envers Moscou.
Quelques mois plus tard, les troupes françaises partiront du Burkina Faso et le nouvel homme fort fera un voyage très remarqué à Moscou lors du deuxième sommet Russie-Afrique qui s'est tenu à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet 2023. À son retour au pays, il sera célébré dans les rues de Ouagadougou pour son propos souverainiste fort remarqué sur l'urgence, pour les États africains, d'assurer par eux-mêmes leur sécurité alimentaire.
Après Bamako et Bangui, une russophilie jusqu'alors discrète, ou cantonnée à l'espace virtuel des réseaux sociaux, bat désormais et ostensiblement le pavé. Ces drapeaux russes ne sont assurément pas sortis des chaumières de façon spontanée. On se croirait revenu dans certaines capitales africaines pro-soviétiques, lorsque certains régimes marxistes prononçaient de sévères réquisitoires contre le néocolonialisme ou l'impérialisme occidental. Même si le monde de Poutine n'est pas celui de Brejnev ou de Khrouchtchev.
La structuration des imaginaires
Pour ceux qui suivent avec grande attention les débats géopolitiques en Afrique subsaharienne, notamment dans les anciennes colonies françaises, la Russie a effectué un travail patient et souterrain de structuration des imaginaires au sein des jeunes générations, à travers des médias à forte audience et de puissants relais dans les réseaux sociaux. Maniant parfois sans vergogne affabulations et approximations, ces campagnes médiatiques n'hésitent pas à installer l'idée selon laquelle c'est par le seul fait d'une France néocoloniale que ses anciennes colonies demeurent dans les chaînes du sous-développement, précisément les États membres de la zone “franc”, alors que la Russie se targue de n'avoir jamais colonisé l'Afrique.
Une rhétorique dont Evgueni Prigojine était le porte-voix inégalable, servi par sa gouaille et son aplomb singulier.
Giorgia Meloni, un soutien de poids
Dans cette bataille du soft power dans le pré carré français, la Russie de Poutine aura bénéficié du soutien inespéré d'un allié de poids, à savoir l'Italie de la Première ministre Giorgia Meloni. Au plus fort de la déferlante de migrants sur les côtes italiennes, on se souvient de la sortie virulente du ministre italien des Affaires étrangères contre la France qu'il accusa de contraindre les Africains à l'émigration massive vers l'Europe, parce qu'elle rendait impossible dans leurs pays tout développement endogène, en ponctionnant leurs richesses par le biais de la monnaie néocoloniale qu'est le franc CFA.
Face à l'offensive de Moscou pour le contrôle des cœurs et des imaginaires en Afrique, les diplomaties européennes sont longtemps restées sur la défensive, voire atones, jusqu'à ce que la guerre en Ukraine vienne ramener le continent africain au centre de leurs priorités géostratégiques.
Ce tropisme russe, qui fait florès dans certaines capitales africaines, ne manque pas de susciter quelques questionnements. Durera-t-il le temps d'un effet de mode ou pourrait-on y voir un positionnement géopolitique de long terme pour ces pays d'Afrique ?
Pour s'en tenir à l'actualité immédiate, les récents attentats de Moscou, en pleine guerre avec l'Ukraine et l'OTAN, sont venus écorner la réputation d'invulnérabilité de la Russie. Or, la Russie de Poutine, dans son déploiement tous azimuts en Afrique depuis plus d'une décennie, a fait de son parapluie sécuritaire le signe distinctif de son efficacité et de sa capacité à sécuriser ses États partenaires d'Afrique. L'attentat qui a frappé fin mars le centre névralgique du pouvoir de Moscou pourrait instiller des doutes dans les esprits en Afrique, à l'instar des attentats de masse dont le Burkina Faso est actuellement le théâtre, en dépit de l'appui des forces recyclées du groupe Wagner.
Le manque d'appétence pour la Russie
Combien d'Africains, jeunes ou moins jeunes, choisiraient un visa pour Moscou si une proposition similaire leur était faite pour Paris, Berlin, ou Rome ? Il va de soi que la file d'attente devant les représentations consulaires de l'Union européenne serait interminable. Le socle historique et culturel des liens entre l'Europe et l'Afrique, fait de brassages des hommes et des cultures, est un capital anthropologique que les antagonismes géopolitiques actuels ou passés n'ont pas effacé. Avec le temps, ils se sont même renforcés.
Entre les sociétés africaine et européenne, y compris au niveau des formations politiques, ne cessent de se construire des ponts, des passerelles, que n'entament guère les divergences de vue au sommet des États. Lors des récents débats en France sur la récente loi immigration, dont certaines dispositions étaient jugées discriminatoires à l'endroit des étudiants originaires d'Afrique subsaharienne francophone ou des travailleurs de cette région d'Afrique installés en France, de vives protestations se sont élevées au sein de certaines formations politiques, dans la société civile, y compris au sein des universités, des milieux artistiques, de leaders d'opinion.
Des mouvements progressistes audibles en Europe
S'agissant de la conduite des affaires politiques dans les anciennes colonies françaises d'Afrique subsaharienne, si des ingérences sont parfois à déplorer ou des connivences coupables comme la Françafrique, il faut également se réjouir que les mouvements progressistes en Afrique ont paradoxalement trouvé au sein de cette même Europe des voix, des consciences éminentes et progressistes qui ont soutenu et soutiennent encore leurs combats pour l'émancipation des peuples africains. C'est sur ces acquis de l'histoire, en dépit des drames du passé, que les classes dirigeantes actuelles et futures en Europe devraient s'appuyer pour refonder durablement la relation entre ces deux espaces de civilisation.
La Russie ne peut guère se prévaloir, sur le long terme, d'un capital historique aussi solide, qui permettrait de considérer la russophilie actuelle comme une lame de fond qui déboucherait sur une tectonique des plaques dans cette bataille géopolitique dont l'Afrique est actuellement le théâtre.
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Au Soudan, la ville d’El-Fasher “au bord d’un massacre à grande échelle”

Dans la guerre que se mènent l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (RSF), la ville d'El-Fasher joue un rôle central. Sa conquête assurerait au groupe paramilitaire le contrôle total du Darfour, au risque d'un massacre d'ampleur.
Tiré de Courrier international.
Elle est la dernière ville du Darfour encore tenue par l'armée soudanaise du chef d'État de facto, le général Abdel Fattah Al-Burhan. Dans la guerre qui oppose cette dernière aux Forces de soutien rapide (RSF), la ville d'El-Fasher tient lieu de dernier bastion à conquérir par la milice armée dirigée par le général Mohamed Hamdane Dagalo, dit “Hemeti”. Un an après le début du conflit, El-Fasher est l'épicentre du conflit meurtrier qui a déjà déplacé plus de huit millions de personnes.

Le sort de cette ville assiégée inquiète l'ONU et Washington, qui avertissent contre les conséquences de son assaut par le groupe paramilitaire. Selon The New York Times, l'ambassadrice américaine auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, a annoncé ce 28 avril que la ville était “au bord d'un massacre à grande échelle”.
De son côté l'ONU appelle à la retenue les acteurs armés à El-Fasher et s'inquiète “des informations de plus en plus alarmantes [qui] font état d'une escalade dramatique des tensions”.
Le site Middle East Eye, dans son édition française, rapporte quant à lui les analyses de spécialistes qui estiment que le siège de la ville, entamé le 14 avril, pourrait entraîner un massacre, avec “des pertes à l'échelle de Hiroshima et de Nagasaki”. Les bombes atomiques américaines qui ont explosé au-dessus des deux villes japonaises en août 1945 avaient tué environ 215 000 personnes.
Population prise en otage
En cas d'attaque des RSF, la capitale de l'État du Darfour du Nord, qui compte environ 1,8 million de civils, pourrait même devenir une “zone de mise à mort”, préviennent les experts dans Middle East Eye. La ville est déjà sous blocus, les RSF contrôlant toutes les routes qui y mènent et pillent les marchandises susceptibles d'être livrées en ville. El-Fasher a d'ores et déjà faim et soif et manque cruellement de médicaments.
Si les RSF pillent ces marchandises, de son côté, l'armée soudanaise a interdit, selon des responsables américains et onusiens, aux Nations unies de faire passer de l'aide via le Tchad voisin, à l'exception d'un seul poste-frontière. Autrement dit, la population civile de la ville se trouve coincée entre ces deux forces armées ennemies.
L'inquiétude est d'autant plus vive que le précédent de la ville d'El-Geneina, dans l'ouest du Darfour, reste encore dans les mémoires. The New York Times rappelle qu'en octobre dernier, l'avancée des RSF et leur conquête de la ville s'étaient accompagnées d'exactions ethniques contre les populations civiles qui avaient causé la mort de 10 000 à 15 000 civils, selon les estimations de l'ONU. La plupart des victimes appartenaient à des groupes ethniques ciblés depuis longtemps par les Forces de soutien rapide, à majorité arabes.
El-Fasher constitue le dernier verrou pour un contrôle total, par les RSF, du Darfour, note le quotidien américain. La milice armée avait envahi la région à la fin de l'année 2023 et tient désormais quatre des cinq principales villes de la zone. La conquête d'El-Fasher assurerait alors à la milice, poursuit le journal new-yorkais, la maîtrise d'environ un tiers du territoire du Soudan, ce qui constituerait une bascule importante dans le conflit.
Plus encore, le scénario libyen tant redouté, soit une scission du Soudan en fiefs rivaux dirigés par des seigneurs de la guerre, apparaîtrait de plus en plus plausible.
Courrier international
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L’Ethiopie réprime une marche de réfugié·e·s soudanais·e·s en quête de sécurité

Mercredi 1er mai, 8 000 réfugié·e·s soudanais·e·s vivant dans les camps de Komar et Olala à la frontière soudano-éthiopienne ont décidé de se rendre à pied dans la ville éthiopienne la plus proche, fuyant l'insécurité et les mauvaises conditions de vie dans les camps. La marche a été réprimée par la police éthiopienne, et les réfugié·e·s attendent toujours des solutions.
Tiré du blogue de l'auteur.
Depuis le début de la guerre au Soudan en avril 2023, plus de 1,6 million de Soudanais·e·s ont fui leur pays. Environ 33 000 d'entre ell·eux ont trouvé refuge en Éthiopie. Les camps de Komar et Olala à la frontière soudano-ethiopienne accueillent des dizaines de milliers de réfugié·e·s qui fuient les combats dans leur pays d'origine. Ces camps de transit a été mis en place par le Service Gouvernemental des Réfugiés et Retournés d'Ethiopie, et le Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU (HCR).
Ces derniers temps, selon les habitant·e·s, les conditions de vie dans le camp se sont considérablement dégradées, avec une absence de services de santé. Un habitant rapporte qu'il y a eu plus de 15 accouchements ces dernières semaines sans assistance médicale, dans des conditions catastrophiques. Le HCR a reconnu dans une déclaration de presse que les conditions de vie dans le camp étaient "très difficiles".
Les habitant·e·s des camps de Komar et Olala ont également été victimes de nombreuses attaques par des milices locales de la région d'Amhara. Ces milices s'opposent à l'armée fédérale depuis plus d'un an dans la région, dans un conflit qui a fait au moins 200 mort·e·s l'année dernière, selon l'ONU. Ces dernières semaines, une série d'attaques de milices ont été menées contre les habitant·e·s du camp. Un habitant de Komar a été blessé par balle et hospitalisé.

Mercredi 1er mai, à 5 heures du matin, entre 7 000 et 8 000 réfugié·e·s ont décidé de quitter le camp et de se rendre à pied dans la ville de Gondar, la capitale régionale située à 120 kilomètres. Ils et elles voulaient se rendre au bureau du HCR, pour demander l'accès à un lieu de vie sécurisé. Dans une vidéo filmée par les réfugié·e·s en marche, l'un d'entre eux explique : "Nous en avons assez de ces problèmes de sécurité et de ces violations. Nous avons décidé de sortir et de chercher un endroit sécurisé, un refuge".

Mais à peine 3 kilomètres après le départ de la marche, leur progression a été stoppée par les forces de la police fédérale éthiopienne. Certaines personnes ont été arrêtées et détenues par les autorités éthiopiennes, les autres sont simplement bloquées sur la route depuis plusieurs jours. Dans une vidéo filmée sur place, l'un des réfugié·e·s exprime sa colère contre le gouvernement éthiopien : "Il y a des noms qui sont apparus sur la liste des personnes recherchées, juste parce qu'ils ont participé à une réunion. La police menace la sécurité de certains individus, alors que c'est justement un des problèmes qui nous poussent à partir. Le gouvernement utilise la violence contre les réfugiés, et bloque l'accès à certaines ressources, ils empêchent qu'on ait accès à de l'eau et à de la nourriture."

L'endroit où le cortège a été arrêté se trouve au cœur de la zone en proie à l'insécurité et aux conflits armés. Les réfugié·e·s bloqué·e·s se retrouvent ainsi obligé·e·s de camper en pleine nature, encore plus exposé·e·s que dans les camps qu'ils et elles ont quitté. Un d'entre eux raconte : "Hier, il y a eu des tirs qui ont créé un état de peur, il y a aussi eu une attaque de la part des milices contre le campement, mais quand les gens ont commencé à crier, ils sont partis. Au moment où on parle, tout peut arriver, parce que nous on a nulle part où aller, on n'est pas protégés, donc ils peuvent nous attaquer à tout moment."
Les Soudanais·e·s résidant à d'autres endroits du territoire éthiopien ont protesté contre cette répression disproportionnée des autorités éthiopienne face à une simple demande de protection. Sur les réseaux sociaux, des militant·e·s soudanais·e·s de la plate-forme "Darfour Victim Support" pointent du doigt : "les politiques discriminatoires mises en place par le gouvernement éthiopien à l'encontre des réfugié-e-s soudanais-e-s, par exemple l'interdiction d'accès au territoire éthiopien et la contrainte de résider dans des zones où la sécurité et les services de base font défaut".
Un des réfugié·e·s bloqué·e·s note également l'injustice liée à l'invisibilité de leur situation : "On ne se sent pas du tout en sécurité, et je pose la question au monde entier : pourquoi le monde n'est pas solidaire avec nous, comme ils sont solidaires avec d'autres peuples, comme le peuple ukrainien ?"

Le porte-parole du gouvernement éthiopien, l'administration régionale d'Amhara, la police fédérale n'ont pas fait de déclaration aux médias. Le HCR a reconnu à l'agence de presse Reuters que : "les raisons pour lesquelles ces personnes ont quitté le camp est parce qu'elles ne s'y sentaient pas en sécurité". Dans les vidéos filmées par les réfugié·e·s, cell·eux-ci disent toujours attendre une réponse du HCR et du gouvernement pour régler leur situation.

– Équipe de Sudfa (en collaboration avec des militant·e·s soudanais·e·s en Éthiopie)
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Le socialisme est-il interdit ? Le Mouvement socialiste russe a été reconnu comme « agent étranger »

Le 5 avril 2024, le Mouvement socialiste russe a été déclaré "agent étranger". Quel a été son rôle dans la politique de gauche russe ? Quelle est la raison de son statut d'"agent étranger" ? Avec ses membres, Posle.media rappelle l'histoire du mouvement au cours de la dernière décennie.
3 mai 2024 | tiré d'Arguments pour la l utte sociale
https://aplutsoc.org/2024/05/03/le-socialisme-est-il-interdit-le-mouvement-socialiste-russe-a-ete-reconnu-comme-agent-etranger/comment-page-1/
Le 5 avril 2024, le Mouvement socialiste russe (RSM) a été déclaré "agent étranger". C'est la première fois que les autorités russes interdisent de facto une organisation de gauche : il est évident que la loi oppressive et antidémocratique de Poutine élimine toute possibilité d'activité politique sous ce nom. Toutefois, si nous considérons le statut d'agent étranger comme une sorte de reconnaissance par le régime, il est bien mérité. Au cours de ses 13 années d'existence, le RSM s'est constamment opposé à l'agression militaire, à la dictature et à la privation des droits de la majorité des travailleurs. L'équipe de Posle.media s'est entretenue avec trois membres de l'organisation afin de retracer les étapes de son évolution, qui reflète à bien des égards l'histoire politique de la Russie au cours de la dernière décennie.
Ilya Budraitskis, philosophe politique et historien
Le congrès fondateur du Mouvement socialiste russe s'est tenu au printemps 2011. Il a précédé les événements politiques décisifs qui allaient changer le cours de l'histoire du pays : Poutine a annoncé son retour à la présidence en septembre et, en décembre, les manifestations de la place Bolotnaïa ont commencé à Moscou. Il est emblématique que le congrès de la nouvelle organisation fusionnant plusieurs groupes socialistes en un seul ait été accueilli par le Centre Sakharov, finalement fermé par les autorités.
Le manifeste du RSM, adopté lors du congrès, stipulait ce qui suit : "La gauche russe s'est retrouvée dans une situation où la crise du système politique s'aggrave et où la demande d'une alternative politique se fait de plus en plus pressante au sein de la société. Ainsi, le mouvement nouvellement créé ne revendiquait pas la possession exclusive d'un véritable programme révolutionnaire, pas plus qu'il ne considérait sa propre construction organisationnelle comme une fin en soi. Notre objectif était d'initier le processus de création d'une large coalition de gauche qui, à l'avenir, deviendra un pôle socialiste indépendant d'un large mouvement d'opposition. Cette analyse a été confirmée par ce qui a suivi peu de temps après.
Le RSM était représenté par une grande colonne lors de la première manifestation massive sur la place Bolotnaya le 10 décembre 2011, et une édition spéciale de notre journal a été publiée dans les minutes qui ont suivi. Dans les mois qui ont suivi, le RSM a participé activement à tous les événements clés du mouvement de protestation en pleine évolution : des membres de l'organisation ont pris la parole lors de rassemblements à Moscou et à Saint-Pétersbourg ; nous avons imprimé un journal quotidien pendant les deux semaines du célèbre "Occupy Abai", participé aux élections du Conseil de coordination de l'opposition, et même fait des incursions militantes dans les rassemblements de soutien à Poutine (qui étaient alors, comme aujourd'hui, largement fréquentés par des employés contraints du secteur public). La composition de notre organisation a beaucoup changé pendant cette période : dans la foulée des manifestations, de nombreux nouveaux camarades nous ont rejoints, tandis que d'anciens ont quitté l'organisation, peu convaincus par les tactiques de participation active au mouvement de masse démocratique. Notre position selon laquelle la lutte pour le changement social est inséparable de la lutte pour les droits démocratiques fondamentaux se démarquait déjà de l'arrière-plan des groupes staliniens et dogmatiques qui sous-estimaient le risque de succomber à une dictature pure et simple.
Après l'annexion de la Crimée et l'implication de la Russie dans le Donbas, le RSM s'est opposé sans équivoque au jeu impérial du régime de Poutine, dont les victimes n'étaient pas seulement des Ukrainiens, mais aussi des Russes ordinaires. Lors de la marche contre la guerre à Moscou au printemps 2014, la colonne du RSM a défilé sous une banderole où l'on pouvait lire "Le peuple paie toujours la guerre" : un slogan qui sonne encore plus juste aujourd'hui, dans la troisième année d'une guerre totale qui a fait des centaines de milliers de morts. En 2014-2015, alors que les autorités attisaient l'hystérie chauvine, le RSM n'a pas eu peur d'aller à contre-courant et n'a cessé de répéter son message : "l'ennemi principal est au Kremlin".
Kirill Medvedev, poète, traducteur et musicien
L'année 2017 a marqué un tournant municipal et électoral pour le RSM. Nous avons participé aux élections municipales à Moscou en 2017 et rejoint la campagne de Sergei Tsukasov pour la Douma de la ville de Moscou. Démocrate de gauche avec plusieurs années d'expérience en politique locale, Tsukasov était à l'époque le président du conseil local d'Ostankino, contrôlé par l'opposition. Sergei était soutenu par le Parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR) et avait de bonnes chances de l'emporter. C'est pourquoi, juste avant le jour du scrutin, il a été écarté de la course pour des motifs inventés de toutes pièces. Nous avons organisé de grands rassemblements à Moscou pour exiger que lui et les autres candidats de l'opposition retirés soient réintégrés. Finalement, la campagne de Sergei a soutenu le candidat du parti Iabloko qui a transformé ces efforts consolidés en une victoire sur son adversaire soutenu par le gouvernement. Il s'agit là d'un bon exemple de coopération au sein de l'opposition dans le district. Depuis lors, nous avons participé à des actions militantes locales à Ostankino.
En 2021, nous avons rejoint la campagne de Mikhail Lobanov pour la Douma de la ville de Moscou. Nos militants ont participé à diverses activités, de la préparation de l'ordre du jour à la rédaction des journaux locaux, en passant par le travail sur le terrain. La campagne de Lobanov a prouvé qu'un socialiste qui a rassemblé plusieurs personnes partageant les mêmes idées dans sa campagne peut devenir un leader qui unit l'opposition dans son ensemble dans une immense circonscription d'un million d'habitants. Nous avons travaillé avec d'autres hommes politiques de gauche, par exemple Vitaly Bovar à Saint-Pétersbourg, et nous avons désigné nos propres candidats, par exemple Kirill Shumikhin à Izhevsk. En 2022, nous avons soutenu l'initiative Vydvizhenie ("Nomination").
Les élections sont l'occasion de travailler sur un projet avec un calendrier et des résultats réalisables. Il s'agit d'une expérience nécessaire pour les groupes de gauche, qui opèrent généralement dans l'urgence, en essayant de répondre aux initiatives bien planifiées et dotées de ressources suffisantes des autorités. En outre, les élections sont l'occasion d'entrer en contact avec les habitants qui, malgré une dépolitisation massive, font davantage confiance et s'intéressent davantage à un candidat et à sa campagne qu'à des activistes extérieurs dont les objectifs et les motivations sont le plus souvent perçus comme flous et suspects.
Devenir un homme politique, se présenter aux élections et se battre pour représenter le peuple est une décision personnelle, un choix de vie sérieux qui est généralement irréversible. Les organisations de gauche russes ne produisent pratiquement jamais d'hommes politiques. Les gens les rejoignent à la recherche d'autre chose : une identité de groupe, une lutte collective pour un grand programme révolutionnaire. Les enjeux élevés en l'absence de moyens adéquats conduisent souvent à l'épuisement et à la déception.
C'est pourquoi il est si important que les politiciens de gauche, qui ont une expérience pratique des élections et des médias, collaborent avec les groupes d'activistes, qui ont des horizons théoriques, historiques et idéologiques. Les élections sont la principale plateforme pour une telle coopération et nous devrons continuer à le faire d'une manière ou d'une autre, mais bien sûr, ce n'est pas une fin en soi. Le résultat devrait être la formation d'un environnement commun et, en fin de compte, d'une organisation qui rassemble des politiciens, des militants et des experts ; ceux qui ont bénéficié de la coopération avec le CPRF et ceux qui ont toujours été déterminés à créer une infrastructure alternative de gauche. La guerre à grande échelle a perturbé de nombreux plans, mais elle a également accéléré la consolidation de forces de gauche saines - anti-guerre et démocratiques. Le RSM a toujours été à l'avant-garde de ce processus et y joue aujourd'hui un rôle particulier.
Sasha Davydova, activiste du RSM
Le jour où l'invasion de l'Ukraine a commencé, les membres du RSM sont descendus dans la rue pour protester contre la guerre. Je me souviens que nous avons imprimé à la hâte des tracts pour les distribuer dans les rues et que nous avons tenu des piquets de grève solitaires. Certains ont été arrêtés. Les manifestations sont terminées aujourd'hui, mais ce jour-là, il était déjà évident que la guerre changeait radicalement la donne. Les changements politiques du système plaçaient toute action politique organisée dans un cadre plus répressif que jamais.
Nous avons été contraints de nous adapter à la nouvelle réalité de la législation en temps de guerre, au sein de laquelle nous devions exister. Depuis le 24 février, nos priorités se sont déplacées vers la sécurité, la non compromission de nos camarades et la préservation de l'organisation. La question s'est posée de savoir comment agir, mais le RSM est resté fidèle à lui-même pendant la guerre. Les membres et les participants du mouvement ont fait le choix de quitter la Russie ou non, mais la plupart d'entre eux sont restés dans l'activisme.
Le RSM s'est développé en tant que média de gauche depuis 2022, et notre programme s'est également élargi. Nous avons commencé à réfléchir et à parler plus souvent de décolonialité pour tenter de faire évoluer le discours de l'opposition dans son ensemble vers la gauche. Nous avons poursuivi nos efforts dans le domaine des syndicats et soutenu les syndicats indépendants. Nos activistes se sont fait entendre pour faire avancer l'agenda social féministe : nous avons créé un zine sur la maternité, organisé des actions contre la violence de genre et fait campagne contre les attaques conservatrices sur l'autonomie corporelle des femmes. Dans le domaine de l'éducation, le RSM a organisé des écoles pour les sympathisants et des groupes de lecture. Nous avons fait de notre mieux pour ne pas rester isolés et repliés sur nous-mêmes, en cherchant plutôt à faire évoluer le discours d'opposition vers un démocratisme de gauche. Ainsi, nous avons dénoncé les inégalités flagrantes, écrit sur les grèves et les violations des droits des travailleurs, fait campagne contre la violence de l'ultra-droite, etc.
Dans différentes villes, nous avons également conclu des alliances horizontales avec d'autres initiatives et organisations, par exemple pour collecter des fonds en faveur des femmes et des prisonniers russes ou pour écrire des lettres aux prisonniers politiques. À Saint-Pétersbourg, nous avons continué à participer à des campagnes contre l'embourgeoisement et le développement immobilier dans les zones vertes.
Le RSM a noué des liens de solidarité internationale avec des organisations de gauche à l'étranger. En dehors de la Russie, les militants pouvaient se permettre de défiler ouvertement avec des slogans contre l'impérialisme, de s'aligner sur les syndicats le 1er mai, d'organiser des manifestations antifascistes et des actions de solidarité avec les prisonniers politiques russes.
Mais c'est la campagne "Monde juste" menée pendant les "élections" présidentielles qui a apporté la vengeance sous la forme d'un statut d'"agent étranger". Il s'agissait à la fois d'une campagne contre tous les candidats et d'un programme socialiste minimum qui a réuni la gauche en une coalition (et l'union de la gauche est un succès en soi). La campagne pour un monde juste a combiné une action politique légale et une campagne active sur le terrain qui a évité l'erreur de légitimer les soi-disant élections, qui ont été complètement mises en scène par le Kremlin. Je pense que leur résultat montre que notre position s'est avérée la meilleure possible, car un pari sur l'un des faux candidats (Davankov en particulier) ne pourrait jamais être l'expression d'une protestation. La campagne Just World avait pour but d'unir et de politiser les voix de ceux qui réclament la paix, l'égalité et la justice. Ce potentiel ne sera pas perdu.
Publié par Poste.media,
Dans https://posle.media/language/en/socialism-outlawed/
Traduit avec deepl.
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Argentine - « Le programme de Milei est une offensive contre les femmes et les personnes LGBTQI+ »

Suite à l'élection de Javier Milei, les attaques contre les droits des femmes et les minorités de genre se multiplient dans un pays où le mouvement féministe est particulièrement puissant et présent dans l'administration étatique.
Tiré de la revue Contretemps
30 avril 2024
Par Sabrina Cartabia et Paula Lenguita
Ces attaques sont institutionnelles et structurelles : la disparition du ministère des Droits des femmes en témoigne. Elles prennent aussi la forme d'agressions physiques et sexuelles contre les femmes, les minorités de genre et celles qui militent au sein des associations des droits humains pour la reconnaissance des crimes commis pendant la dictature.
L'une des dernières en date a été commise juste avant la manifestation du 24 mars – date du coup d'État de 1976 commémoré chaque année par une marche – contre une militante de l'association d'enfants de victimes de la dictature H.I.J.O.S, agressée à son domicile par un groupe qui a signé son crime en inscrivant sur le mur le slogan de Milei : VLLC (Viva la libertad carajo, « Vive la liberté putain »).
Peu de temps après l'élection de Milei, en janvier dernier, nous avons recueilli les points de vue de deux intellectuelles féministes, engagées dans le mouvement social et/ou les institutions. Sabrina Cartabia est avocate et conseillère au ministère des Femmes et de la Diversité de la province de Buenos Aires. Paula Lenguita est sociologue, professeure à l'Université de Buenos Aires.
Elles abordent les effets directs et indirects de la politique de Milei sur l'égalité de genre, en lien avec les autres enjeux de son programme : l'approfondissement des inégalités sociales et la destruction des services publics, parmi lesquels l'éducation et l'Université, pour la défense de laquelle une marche a été organisée ce 23 avril 2024.
***
Contretemps (C.) et Mouvements (M.) – Pouvez-vous revenir sur les éléments du programme de Milei qui sont défavorables aux femmes et aux personnes LGBTIQ+ ?
Paula Lenguita (PL) – Le programme d'action politique du parti fondé par Javier Milei, La Libertad Avanza, ne fait aucune référence explicite aux femmes ou aux personnes LGBTIQ+ parce qu'il ne reconnaît pas les discriminations ou les inégalités auxquelles ielles sont confronté·es. Plus encore, il est critique de la promotion de politiques de discrimination positive, parce qu'il considère qu'elles génèrent des discriminations contraires à l'égalité devant la loi.
Cependant, cette pensée politique de Javier Milei connaît aussi des variations. Par exemple, lorsqu'il a été invité à la clôture du festival du parti d'extrême droite espagnol, Vox, en octobre 2022, il s'est positionné dans la lutte contre le « zurderío », un terme péjoratif qu'il utilise souvent pour parler de la gauche politique [« les gauchistes »]. À cette occasion, il a proclamé que cette confrontation suppose que « ce n'est pas le temps des tièdes », et a développé l'argument selon lequel « nous les libéraux sommes supérieurs productivement, nous sommes supérieurs moralement ». Une conception suprématiste qui s'est modérée avec le triomphe électoral, lorsqu'à la clôture de l'élection présidentielle, le 22 octobre 2023, il a parlé en faveur de la « gente de bien » (les gens respectables). Plus récemment, lors de la conférence de Davos, il a rejoué ce scénario du « berger du néolibéralisme », dans une position qui ne se comprend qu'en opposition à un large éventail de positions politiques. Se considérant contre un dénominateur commun qu'il appelle le « collectivisme ».
Dans la cartographie de l'activisme anti-droits (« anti-derechos »)[1], Milei s'oppose explicitement aux politiques de discrimination positive et d'égalité des genres, et il est farouchement opposé aux droits reproductifs. Selon lui, ce sont des instruments qui faussent ce qu'il considère comme l'égalité devant la loi, c'est pourquoi l'une des premières mesures qu'il a souhaité prendre est la suppression du ministère des Femmes, du Genre et de la Diversité, créé en 2019. Cependant, l'abandon de cet engagement de l'État à protéger les droits des femmes et des personnes des minorités de genre [de la « dissidence sexuelle », terme utilisée en Amérique latine pour les personnes LGBTIQ+ ] en matière de violences et de discriminations sera un recul significatif. À plusieurs reprises au cours de la campagne, il a déclaré qu'il s'opposerait à la « politique de l'identité », que l'État n'a pas à financer. Il a également déclaré qu'il supprimerait l'obligation d'éducation sexuelle, car il s'agit d'un domaine où seule la famille pourrait décider, et non l'État. Il a enfin mentionné son intention de soumettre à un référendum l'abrogation de la législation actuelle sur l'interruption volontaire de grossesse, obtenue à la fin de 2020, et ce, même si c'est une initiative anticonstitutionnelle ; car en Argentine, il n'est pas possible de soumettre au vote public l'abrogation de la législation pénale.
Sabrina Cartabia (SB) – Le programme de Milei est défavorable aux femmes et aux personnes LGBTQI+ aux niveaux idéologiques, économiques et institutionnels.
D'un point de vue idéologique, c'est un programme conservateur qui est proposé : ramener la société argentine au début du XIXe siècle. Par exemple, un député de ce groupe a proposé que les hommes puissent avoir le droit de renoncer à leur paternité afin de ne pas être responsables des tâches de soins ou de ne pas payer la pension alimentaire, ce qui nous ramènerait à une situation de discrimination structurelle entre les enfants nés en-dehors ou dans le cadre du mariage. Cette proposition a été faite au moment où le mouvement des femmes a réussi à mettre sur la table du débat public le non-respect du paiement des pensions alimentaires comme un problème qui nécessite une intervention plus efficace de l'État, puisque près de7 pères sur 10 ne remplissent pas leurs obligations, surchargeant ainsi les mères et appauvrissant les enfants lorsque les couples se séparent. Cette offensive idéologique favorise les discours de violence et génère un sentiment d'impunité qui se reflète dans la vie quotidienne des femmes et des personnes LGBTIQ+ , qui ne sont pas considérées comme des personnes ayant des droits, mais comme des citoyen·nes de seconde zone. Dans le même temps, l'offensive idéologique se déploie au niveau institutionnel avec la disparition et l'amputation de domaines d'action publique clés pour le développement de politiques d'égalité entre les femmes et les hommes.
Enfin, sur le plan économique, la déréglementation et la réduction des dépenses proposées par Milei dans le cadre d'un plan d'austérité extrême touchent principalement les classes moyennes et populaires. Les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes LGBTIQ+ sont particulièrement vulnérables aux conséquences de ces politiques d'austérité sur leur vie quotidienne. Aujourd'hui, ielles se trouvent déjà dans une situation critique, avec des niveaux d'endettement élevés pour garantir leur simple subsistance. L'inflation devrait augmenter fortement, rendant l'accès à la nourriture très difficile, tandis que la dérégulation des loyers laissera de nombreuses personnes à la rue. La récession économique sera particulièrement ressentie par celles et ceux qui ont besoin de l'aide de l'État pour survivre. Milei affirme que la justice sociale est un vol et qu'elle devrait disparaître. Or la responsabilité du soin des autres, qui incombe presque exclusivement aux femmes, les empêche d'atteindre l'autonomie économique car elles sont cantonnées dans des emplois mal rémunérés et leur formation à de meilleurs emplois est entravée.
C. & M. – Depuis son élection, des attaques contre les femmes et les personnes LGBTIQ+ ont déjà eu lieu, comme l'attaque du bus rapportée par Pagina 12. Pouvez-vous revenir sur les différentes formes d'attaques contre les féministes et les minorités de genre que l'on peut observer ?
S. – Nous avons entendu parler d'agressions verbales sur la voie publique, mais aussi d'agressions physiques graves. Par exemple, une enseignante lesbienne a été brutalement attaquéepar un inconnu dans les transports publics et ce qui est peut-être le plus choquant dans cet événement, c'est l'apathie des passagers et du chauffeur de bus, qui n'ont rien fait pour empêcher le passage à tabac. La violence a été érigée en forme légitime d'expression par un personnage, Milei, qui a insulté et abusé des femmes en public chaque fois qu'il en a eu l'occasion. Enfin, des allié·es de ce gouvernement, comme Mauricio Macri, se sont déjà exprimé·es dans les médias pour appelerles groupes qui soutiennent Milei à sortir et à affronter les manifestant·es, qualifiant même d'« orcs » les personnes qui manifestent contre Milei – à l'image des personnages de Tolkien, qui sont des humanoïdes à l'apparence terrible et bestiale.
PL. – Le triomphe de l'extrémiste de droite Javier Milei a d'une manière ou d'une autre encouragé l'expression publique de différentes formes de violence symbolique et physique contre les femmes et la communauté LGBTQI+. Comme vous le dites, il y a eu l'enseignante lesbienne qui a subi une agression physique dans les transports en commun, près de l'Université nationale de Lomas de Zamora, le 23 novembre dernier. Il y a également le récit d'Adriana Carrasco, journaliste lesbienne et militante féministe active depuis les années 1980. Elle a également été victime d'un acte d'intimidation et de violence dans un bar du quartier de Buenos Aires. Ces deux agressions n'ont pas été signalées car le pouvoir judiciaire n'a pas mis en place suffisamment de mesures réparatrices ou préventives pour ces cas. Le cas qui a été signalé est celui d'adolescentes menacées dans une école religieuse, le San Juan Evangelista, situé dans le quartier de La Boca à Buenos Aires. Ces adolescentes ont subi des menaces qui ont été amplifiées sur les réseaux sociaux, telles que « nous allons vous violer, féminazis ».
C & M. – Bien que Milei se soit présenté comme un candidat anti-caste, il mène des négociations avec la coalition de partis de droite PRO (Propuesta republicana, « Proposition républicaine ») de Patricia Büllrich et Mauricio Macri. Quelles en sont les conséquences, en général et plus particulièrement pour l'égalité entre les femmes et les hommes ?
PL. – Bien que Javier Milei ait fondé sa campagne sur l'opposition à l'establishment politique et à la dollarisation, nous savions déjà avant même son entrée en fonction qu'il était en train de négocier avec ce même establishment politique pour former un gouvernement et obtenir les conditions nécessaires pour gouverner à court terme. Plus précisément, les négociations avec le parti de droite que vous mentionnez ont abouti à la présence de deux fonctionnaires-clés du gouvernement précédent de Mauricio Macri dans les mêmes ministères : Patricia Büllrich est responsable du ministère de la Sécurité et Luis Caputo occupe le poste de ministre de l'Économie. De plus, une grande partie de ces négociations se font avec d'ancien·nes fonctionnaires du gouvernement de l'ancien président libéral Carlos Menem dans les années 1990.
Sa trahison immédiate envers ses propres électeur·rices est un coût pour sa propre survie politique. Car même s'il a remporté le soutien d'une majorité lors des élections, il a besoin du soutien politique d'un système de partis qui est en crise. Cette trahison électorale est également nécessaire pour trouver un équilibre dans sa gestion, sur la base de nouveaux partenariats et de contre-pouvoirs afin de mettre en œuvre des réformes draconiennes qui nécessitent l'adhésion d'une grande partie de la « caste politique ». Comme l'ont souligné les féministes elles-mêmes lors des récentes manifestations du 28 septembre et du 25 novembre dans le pays, on peut souligner que c'est aussi une référence à la caste patriarcale. Il suffit de se baser sur ses propos, lorsqu'il a déclaré lors de la foire du livre de l'année dernière qu'il « n'a pas honte d'être un homme, d'avoir un pénis », « ni d'être blond aux yeux bleus ».
SB. – Le PRO était une alliance électorale conservatrice qui a de multiples liens avec le parti de Milei. En fait, Milei est devenu président avec le soutien explicite de personnalités du PRO telles que Macri et Büllrich. Les femmes argentines ont déjà vécu le gouvernement PRO, dont les politiques et décisions publiques étaient très similaires à celles de Milei, au point que Luis Caputo, qui était le ministre des Finances de Macri et qui est aujourd'hui le ministre de l'Économie de Milei, est revenu au pouvoir. Ce gouvernement était opposé à la légalisation de l'avortement et Patricia Büllrich était la ministre de la Sécurité qui a ordonné une répression excessive le 8 Mars 2017 qui a conduit à la criminalisation de femmes qui manifestaient simplement dans l'espace public. Elle est actuellement ministre de la Sécurité de Milei, et elle a pris ses fonctions avec un protocole anti-manifestation qui menace tou·tes celles et ceux qui veulent manifester, mais surtout les femmes parce qu'il leur est interdit d'être présentes avec leurs enfants. En même temps, on peut dire que, dans sa politique, le PRO s'est montré cohérent au sujet de la disparition des domaines porteurs d'égalité de genre.
C. & M. – Quelles sont les régressions que vous redoutez en matière de droit à l'avortement légal ? Quels sont les impacts sur les femmes des autres pays voisins d'Amérique latine ?
SB. – Tout d'abord, nous nous attendons à ce que le financement des services de santé sexuelle et reproductive soit supprimé, puis ils avanceront certainement une proposition législative visant à abroger la loi actuelle. Au-delà, l'effet symbolique de cette attaque frontale contre le droit à l'avortement pourrait permettre aux groupes anti-droits d'agir avec une extrême cruauté dans un contexte de permissivité institutionnelle de la violation des droits.
PL. – En ce qui concerne le droit à l'avortement légal, les politiques du gouvernement de Milei chercheront à faire reculer les avancées récentes. Tout dépendra de la force du mouvement féministe pour arrêter cette progression. Selon les déclarations du président élu pendant la campagne, l'atteinte aux droits sexuels et reproductifs des femmes inclut la loi sur l'Interruption Volontaire de Grossesse adoptée fin 2020. Tout d'abord, il dit qu'il mettra en place une procédure pour abroger la loi, ce qui est anticonstitutionnel comme je l'ai mentionné. Cependant, il cherchera également d'autres moyens de réduire l'application de la loi, par le désinvestissement des services publics qui la mettent en œuvre, et il renforcera probablement au niveau national les initiatives existantes dans certaines provinces, qui mettent en avant la clause de conscience afin de restreindre l'accès aux soins médicaux pour les interruptions de grossesse. Dans le prolongement de cette réduction de l'engagement de l'État, il y a également la politique d'éducation sexuelle et reproductive, qui impose des restrictions poussant les femmes vers des pratiques illégales, avec des conséquences pour leur vie et leur santé. En fin de compte, les féministes devront mener plusieurs batailles pour faire face aux obstacles dans les procédures légales en vigueur, y compris la fourniture de services médicaux sécurisés et l'accessibilité des services actuels aux personnes sans ressources.
En Argentine, l'articulation du mouvement anti-droits avec l'émergence de ce régime privé déclenche des affrontements ouverts avec le mouvement féministe. Mais les Argentines ne sont pas seules, nous comptons sur la force et la présence dans les rues des féministes latino-américaines et du monde en général. Parce que nous savons que cet internationalisme renforce la lutte nationale et consolide notre opposition ouverte contre ces restrictions des droits reproductifs qui mettent en danger la santé et la vie des femmes. Et enfin, cela entraînera une aggravation notable des inégalités sociales et économiques qui touchent les femmes à faible revenu, qui ne peuvent pas se permettre d'accéder à des services médicaux sûrs.
C. & M. – Le système d'éducation publique en Argentine est un symbole en Amérique latine, où les autres pays ont un système public moins développé et une éducation reposant davantage sur le secteur privé. En matière d'éducation, les féministes se mobilisent en faveur d'une Éducation sexuelle intégrale. Quelles sont les craintes liées à la volonté de Milei de privatiser l'éducation ?
SB. – L'ensemble du système public argentin est menacé. Cela inclut l'éducation et la santé. D'abord, parce que la proposition consiste à défaire tous les services publics et à passer à un schéma de privatisation totale. Avec une inflation galopante, le budget prévu en pesos pour 2024 est le même que celui de 2023, où l'inflation a atteint 140 % par an et devrait être de 30 % par mois en 2024. Cela pose un problème en termes d'accès aux services, mais aussi du point de vue de l'emploi, puisque la majorité des personnes travaillant dans les secteurs de la santé et de l'éducation sont des femmes. Dans le même temps, il a été annoncé que les salaires seraient gelés dans tous les emplois publics, avec une inflation qui pourrait atteindre l'hyperinflation, et d'autre part, des systèmes de retraite volontaire seront mis en place et une présence à 100 % est exigée, alors qu'après la pandémie, ces régimes avaient été assouplis, permettant une meilleure conciliation des tâches de travail et de soins dans la logique de la coresponsabilité de l'État pour les responsabilités familiales de celles et ceux qui travaillent. Tous les services publics sont menacés. La pauvreté augmentera de façon dramatique, laissant les classes moyennes actuelles dans une situation de précarité que nous ne pouvons même pas imaginer.
PL. – Comme je l'ai mentionné précédemment, la nomination au ministère de l'Éducation de Carlos Torrendell, en raison de son parcours politique et de ses orientations restrictives, est une autre indication du cap que le président élu essaiera de mettre en œuvre contre l'éducation sexuelle dans le pays. En effet, la privatisation de l'éducation, dans n'importe quel contexte, limite l'accès équitable à une formation de qualité et au respect des droits sexuels et reproductifs. Dans le pays, grâce à la législation en la matière, tous les niveaux d'éducation s'engagent à offrir une approche pédagogique sur ces droits pour les filles, les garçons et les adolescent·es sur l'ensemble du territoire. Cette approche est basée sur des informations précises, objectives et scientifiques avec des contenus fournis par une santé et une éducation publiques, gratuitement assurées par l'État. La privatisation de cette politique pourrait affecter le contenu et la qualité de l'éducation dispensée, car elle serait soumise à des intérêts économiques et à des critères restrictifs différents de l'équité recherchée. Pour être plus précise, la politique restrictive du gouvernement de Milei menace une tradition inclusive consacrée dans l'histoire éducative de notre pays, en introduisant des mécanismes d'exclusion et de différenciation basés sur des différenciations économiques, géographiques et d'accès aux normes académiques, en particulier pour les personnes à faible revenu ou les communautés marginalisées. Une situation qui les empêchera d'accéder à des informations cruciales pour leur santé sexuelle et reproductive. Les orientations restrictives du gouvernement auront un impact sur l'approche publique et démocratique de l'éducation argentine aujourd'hui, ainsi que sur des régressions indéniables en matière de santé sexuelle et de droits reproductifs des élèves.
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Propos recueillis par Viviane Albenga (membre du comité de rédaction de Mouvements) et Fanny Gallot (co-directrice de publication de Contretemps).
Illustration : © Wikimedia Commons / Romi Pecorari
Note
[1] Le terme de « mouvement anti-droits » renvoie aux franges conservatrices, religieuses ou réactionnaires hostiles au spectre des droits revendiqués par les mouvements féministes et LGBTQI+.
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France - Éditorial : contre l’escalade répressive, pour la solidarité avec la Palestine, faisons front maintenant !

En politique comme dans l'histoire, il existe des moments d'accélération et de bascule. Pour le meilleur mais aussi pour le pire. Nous vivons l'un de ces moments, lourd d'inquiétudes et de menaces pour nos droits et libertés.
Tiré de la revue Contretemps
24 avril 2024
Par Contretemps
Les deux mandats d'Emmanuel Macron sont marqués par des niveaux inédits d'autoritarisme et de répression. D'une très longue liste, on se contentera de mentionner les séquences des Gilets Jaunes, de la mobilisation à Sainte-Soline ou de la révolte des quartiers de l'été dernier. Ce déchaînement de violence d'Etat est l'accompagnement nécessaire d'une politique antisociale d'une grande brutalité et le signe de l'isolement croissant du pouvoir.
Pourtant, un nouveau cap a été franchi depuis le 7 octobre avec la volonté acharnée de criminalisation des expressions de soutien au peuple palestinien. Interdiction totale des manifestations pendant plusieurs semaines, annulation de plusieurs réunions et conférences, expulsion d'une responsable politique palestinienne, poursuites à l'encontre des organisations et des militant.es politiques et du mouvement social, amalgame systématique de la dénonciation des crimes perpétrés par Israël avec l'antisémitisme, pressions et menaces de sanctions dans les universités et les institutions de recherche, un climat liberticide s'est installé dans le pays, avec l'active complicité des médias et d'une large partie du spectre politique.
L'un de ses premiers effets a été le blanchiment de l'extrême droite, désormais considérée comme faisant pleinement partie du prétendu « arc républicain », au moment où en était exclue la première formation politique de la gauche. La défense zélée d'Israël a ainsi permis aux héritiers d'un parti fondé par des anciens Waffen-SS, des miliciens collaborationnistes et des tortionnaires des guerres coloniales de participer à des manifestations censées dénoncer l'antisémitisme.
Dès lors, c'est à juste titre que le Rassemblement National se targue d'avoir remporté une « victoire idéologique » avec le vote à l'Assemblée d'une « loi immigration » qui ouvre la voie à l'instauration de la « préférence nationale », son thème de prédilection. On savait depuis longtemps que le calcul politique du macronisme reposait sur son face-à-face électoral avec l'extrême droite. A présent, on comprend que sa politique vise explicitement à l'installer comme la solution d'alternance légitime face à sa majorité chancelante.
Un instant, on a pu croire que le fond avait été atteint dans la chasse aux sorcières à l'encontre des voix dissonantes. Que le soutien officiel, certes tardif et timoré, à un cessez-le-feu à Gaza, à l'acheminement de l'aide humanitaire, et même à une « solution à deux Etats » marquaient un changement de cap. Que la reconnaissance par la Cour de Justice Internationale de la « plausibilité » du génocide commis à Gaza aurait un impact au sommet de l'Etat. Il a fallu déchanter. A la fin janvier déjà, le ministère de la justice, comptait 626 procédures au motif d' « apologie du terrorisme » en lien avec la guerre à Gaza, et des poursuites engagées à l'encontre de 80 personnes.
Ces dernières semaines ont été marquées par une nouvelle escalade répressive, qui vise des acteur.ices de la gauche sociale et politique, des militant.e.s associatifs, des journalistes et des personnalités intellectuelles. Jean-Paul Delescaut, secrétaire de l'Union départementale CGT du Nord condamné à un an de prison avec sursis pour un tract syndical ; Mohamed Makni, élu municipal socialiste à Echirolles condamné à 4 mois de prison avec sursis pour avoir relayé des messages sur les réseaux sociaux ; Rima Hassan, militante franco-palestinienne candidate sur la liste LFI aux européennes et Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l'Assemblée, convoquées par la Police Judiciaire dans le cadre d'enquêtes pour « apologie d'actes de terrorisme », tout comme Anasse Kazib, syndicaliste SUD-Rail et porte-parole de Révolution Permanente, des militant.es de la section Solidaires Etudiant.es de l'EHESS, la journaliste Sihame Assbague et des dizaines d'autres ; une conférence de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan à Lille annulée à deux reprises, ce ne sont là que quelques exemples de l'emballement répressif en cours.
Il devient urgent de réagir. La dénonciation des actes liberticides, l'expression de solidarité avec celles et ceux qui sont visés sont indispensables. Mais cela ne saurait suffire. Des actions concrètes, unitaires et de grande ampleur sont nécessaires pour mettre en échec cette politique de l'intimidation et de la peur. Les organisations de la gauche politique et syndicale, le mouvement social, les réseaux internationalistes, les espaces de résistance intellectuelle portent à cet égard une responsabilité particulière.
Comme l'ont déjà proposé des personnalités de la gauche sociale et politique, nous jugeons impératif de construire dès maintenant le front le plus large pour défendre les libertés démocratiques et le droit d'exprimer la solidarité avec le peuple palestinien. Contretemps prendra toute sa place dans cette démarche de rassemblement, indispensable pour arrêter la course au désastre et redonner espoir au camp de l'émancipation.
La rédaction de Contretemps-web
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Illustration : Photographie de Martin Noda / Hans Lucas / Photothèque rouge.
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Macron - Le capitalisme porte la guerre et l’autoritarisme comme la nuée porte l’orage…

Depuis des mois, nous avançons aveuglés par l'éclat des bombes dans les fenêtres des médias et des réseaux sociaux. Nous les voyons tomber sur Gaza ou en Ukraine. Nous continuons, étonnés, étourdis même, par le son des canons qui résonnent au loin.
4 avril 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | Crédit Photo. Photothèque Rouge/Milo
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70617
À mesure que la guerre étend son ombre, nos gouvernants s'y préparent et entendent bien nous y jeter à corps perdus. Et derrière eux, les Bolloré, les Dassaut, les Peugeot et autres marchands de canons se pourlèchent les babines en calculant leurs prochains profits.
Capitalisme, colonialisme, autoritarisme et guerre
Le capitalisme mondialisé sous la domination des États-Unis et de ses alliés est entré dans une crise multidimensionnelle aux contradictions inextricables. Les crises environnementales (sécheresses, inondations, pandémies), les crises financières et économiques (subprimes, dettes…) et la crise d'hégémonie du système capitaliste se conjuguent et se renforcent. Ce système économique à bout de souffle renforce l'exploitation, les inégalités, et pour se maintenir attise la haine, le racisme et l'extrême droite… et la guerre. On en veut pour preuve la montée des budgets militaires partout dans le monde, en même temps que l'autoritarisme des États et la poussée des idées d'extrême droite.
Cette situation donne des ailes à tous les colonialismes à commencer par le projet colonial israélien qui consiste à nettoyer ethniquement les PalestinienNEs pour s'emparer des gisements massifs de gaz sur les rives de Gaza, des terres et de l'eau en Cisjordanie. En Ukraine, la Russie compte bien mettre la main sur les ressources naturelles, les immenses terres arables et les centrales nucléaires. Aux États-Unis, la guerre, pour conserver l'hégémonie sur la globalisation et rester le centre impérial, concentre les flux financiers et économiques. Et en France, le retour d'un impérialisme guerrier enchante les « capitaines d'industrie » et les financiers. Il s'agit pour l'État français de reprendre pied en Afrique et au Moyen-Orient, pour retrouver les marchés et les positions perdues ces vingt dernières années.
Économie de guerre et mise au pas
Avant la guerre, « l'économie de guerre » et « le réarmement »… réclamés par les laquais du capital, les économistes de cour, les intellectuels de préfecture. Ce ne sont pas leurs enfants qui vivront la misère et crèveront sous les balles. Alors, Macron ouvre en grande pompe des usines de poudre et de canons, tandis que le champagne coule à flots dans les salons dorés de la République. Il entend consacrer 413,3 milliards d'euros aux armées de 2024 à 2030. Et pour tout cela, il faut mettre le peuple au pas. Il faut lui apprendre la discipline et le sacrifice. Ainsi, Attal a décidé de cadenasser la jeunesse 10 heures par jour tous les jours en transformant les collèges en casernes, en développant l'uniforme, après le SNU.
Museler la contestation
De leur côté, Darmanin et Dupont-Moretti pourchassent toute parole contestataire, écologique ou sociale. La répression est particulièrement zélée envers l'expression de la solidarité pour le peuple palestinien sous génocide. Fin janvier, le ministère de la Justice comptait 626 procédures pour « apologie du terrorisme » en lien avec la guerre à Gaza. Le secrétaire de l'Union départementale CGT du Nord vient d'être condamné à un an de prison avec sursis pour un tract ; Rima Hassan, candidate sur la liste LFI aux européennes, est convoquée par la police judiciaire pour « apologie d'actes de terrorisme », ainsi que des militantes la section Solidaires ÉtudiantEs de l'EHESS, de SUD-Rail, la journaliste Sihame Assbague, notre propre directeur de publication et des dizaines d'autres… et désormais la députée Mathilde Panot.
Enfin, parce qu'il faudra bien payer pour les canons et le champagne, Le Maire annonce, à grand renfort de coupes dans les budgets de l'éducation, de la santé et de la protection sociale, l'austérité totale.
Tout cela jusqu'à quand ? Accepterons-nous de marcher au pas et d'envoyer nos enfants à l'abattoir ? Ou tournerons-nous nos fusils contre nos propres généraux ? Il est plus que temps de relever la tête et de refuser la censure et la répression. De refuser l'autoritarisme du gouvernement Macron et la guerre qui vient.
Guerre à la guerre ! Solidarité et liberté pour tous les peuples ! Liberté pour la Palestine ! Liberté pour l'Ukraine ! Plus que jamais anticapitalistes et internationalistes ! C'est ce que nous redirons le 1er Mai.
Thomas Rid
P.-S.
• Hebdo L'Anticapitaliste - 705 (25/04/2024). Publié le Mercredi 24 avril 2024 à 16h30 :
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/le-capitalisme-porte-la-guerre-et-lautoritarisme-comme-la-nuee-porte-lorage
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Grèce : Quelles suites après la grève réussie contre la misère ?

Mercredi 17 avril a eu lieu en Grèce une des grèves les plus suivies des dernières années : 100 % dans les transports, 70 % dans la construction, gros chiffres dans les entreprises et la livraison à deux-roues. Mais quasiment rien dans les supermarchés, pourtant au cœur des accusations d'exploitants de la misère. Il faut dire que ces derniers temps, la répression syndicale, qui touche aussi le secteur public, est plus forte que jamais, avec menaces sur les renouvellements de contrats.
25 avril 2024 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 705 | Crédit Photo : Banderole des étudiantEs toujours mobiliséEs contre les facs privées - NPA
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/grece-quelles-suites-apres-la-greve-reussie-contre-la-misere
Si la participation a été si forte, c'est que la Grèce est quasiment en tête de la vie chère en Europe. Les chiffres donnés par GSEE, la Confédération unique du secteur privé à l'origine de cette grève, sont édifiants : en trois ans, l'huile, produit de base en Grèce, a augmenté de 87 %, les laitages de 34 %, le prix de l'électricité de 39 %. Face à la pauvreté, le Centre KEPE propose l'institution de repas gratuits dans les écoles pour tous les enfants. Les expulsions de propriétaires endettéEs se multiplient, malgré la fréquente opposition solidaire du voisinage. Pour 6 foyers sur 10, le revenu mensuel suffit pour seulement 19 jours, et les « aides » diverses, malgré leur mise en scène, relèvent du bluff, et même du scandale : le ministre de la Santé instaure dans le public un « service spécial » d'opérations... payantes. Et pendant que le gouvernement se réjouit de l'attrait touristique du pays, les revenus engendrés (20 milliards sur les 11 premiers mois de 2023) ne sont en rien employés à lutter contre ce terrible appauvrissement.
Divisions syndicales
Absente des récentes mobilisations, alors que la Fédération du secteur public ADEDY s'y associait, GSEE a fini par appeler à la mobilisation — mais pas ADEDY ! — pour réclamer des salaires dignes et le rétablissement des conventions collectives. Si la grève a été réussie — et notamment dans certaines branches du Public — les manifs l'ont moins été ! L'une des raisons, la division : d'un côté, PAME, le courant syndical du KKE (PC grec) avec un discours autant anti-GSEE qu'anti-droite, de l'autre les syndicats de base et une partie de la gauche radicale, et enfin GSEE avec des accents radicaux strictement pour des effets de tribune, et avec elle une partie de la gauche radicale et réformiste.
ToutEs ensemble !
Comme le dit Prin, le journal du groupe NAR, pour les manifs à Salonique, « les rassemblements ont connu leur plus faible participation depuis de nombreuses années, et cela prouve la crise de l'actuel mouvement syndical et l'absence d'un projet militant et d'un cadre qui donnent envie de lutter aux travailleurEs ». Ce constat vaut en fait pour tout le pays, même si on vérifie une nouvelle fois que l'appel des bureaucrates de GSEE a permis une grève réussie. Pour sortir de ce cadre infernal et ouvrir des perspectives, la mobilisation universitaire contre les facs privées est exemplaire : grâce aux massives AG étudiantes et aux manifs « ToutEs ensemble », elle a su surmonter les divisions pour durer et, même si elle n'a pas encore gagné, elle a montré la voie.
A. Sartzekis, Athènes, le 20 avril 2024
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Portugal - Révolution des Œillets : Les masses en mouvement contre le colonialisme et le fascisme

Qui pouvait imaginer au printemps 1974 qu'une dictature née d'un coup d'État militaire en 1926 tomberait en seulement quelques heures, quasiment sans morts ni coups de feu (1) ? Le 25 avril 1974, le régime fondé par Salazar s'effondre pourtant, ouvrant une brèche dans laquelle va s'engouffrer le peuple portugais au cours des 19 mois suivants. Retour sur la révolution des Œillets, par Ugo Palheta.
Tiré de Gauche anticapitaliste
26 avril 2024
Par Ugo Palheta
Il est vrai que les luttes populaires n'ont jamais cessé au Portugal et que des putschs militaires ont déjà été tentés, mais on perçoit alors généralement le peuple portugais comme apathique – y compris au sein de la gauche internationale.
On estime en outre que les bases du régime salazariste sont solides : les forces de répression s'avèrent féroces et paraissent omniprésentes, à travers notamment un vaste réseau d'indicateurs ; de leur côté, les appareils idéologiques (Église, école, presse) se tiennent fermement du côté de la dictature et diffusent une idéologie particulièrement réactionnaire.
Les officiers sont l'étincelle
Pourtant l'histoire est capricieuse : le 25 avril 1974, la dictature s'effondre comme un château de cartes, grâce à l'action audacieuse menée par de jeunes officiers intermédiaires, réunis dans le cadre d'une organisation clandestine — le Mouvement des Forces armées (MFA). Alors inconnus de la population, ces capitaines et commandants s'étaient d'abord organisés autour de revendications relatives à des questions d'avancement et de statut. Mais à mesure qu'ils discutent ensemble de l'effroyable guerre coloniale menée par le Portugal depuis 1961, qui a conduit à la mort d'au moins 100 000 civilEs africainEs, ils comprennent que cette guerre ne peut être gagnée militairement, que la seule issue est politique, qu'elle doit conduire à l'indépendance des colonies, et que le régime y fera obstacle jusqu'à son dernier souffle. D'où la décision que prend le MFA d'organiser un soulèvement militaire.
Le coût du maintien de l'empire colonial
C'est donc aux colonies portugaises que naît la révolution. Ce sont bien les luttes héroïques menées par les mouvements de libération angolais, guinéens, cap-verdiens et mozambicains qui vont intensifier toutes les contradictions du fascisme portugais, celles-ci se condensant finalement au sein du pilier du régime : l'armée. Sans révolution anticoloniale, pas de révolution antifasciste. En contraignant la dictature à consacrer aux dépenses militaires jusqu'à près de la moitié du budget de l'État, les mouvements anticoloniaux sapent la capacité du régime à satisfaire minimalement les besoins de sa population.
Le Portugal est alors de loin le pays le plus pauvre d'Europe et présente les pires indicateurs en matière de santé, d'instruction, etc. Cela sans compter l'envoi au front de centaines de milliers de jeunes Portugais, la mort de milliers d'entre eux, les dizaines de milliers revenant mutilés, et l'exil forcé — vers la France notamment — de dizaines de milliers de jeunes hommes refusant de faire leur service militaire et de participer à cette sale guerre.
Industrialisation et nouvelle classe ouvrière
En outre, l'ouverture du pays aux capitaux étrangers impérialistes durant les années 1960 a pour conséquence une industrialisation rapide qui bouleverse les équilibres fragiles de la société portugaise, accentue l'exode rural et engendre une nouvelle classe ouvrière, sans l'expérience des défaites antérieures et qui jouera un rôle crucial dans les mois suivant la chute du régime. La guerre coloniale sans fin suscite également une contestation de plus en plus ouvertement politique au sein des universités, favorisant l'émergence d'une gauche révolutionnaire dynamique qui aura son importance au cours du processus révolutionnaire. Car le 25 avril qui, pour certains, devait être une simple transition dans l'ordre vers une démocratie bourgeoise, n'est qu'un début ; le combat va continuer.
Révolution démocratique, dynamique anticapitaliste
Les révolutions n'éclatent jamais pour les raisons et sous les formes qu'avaient imaginées les révolutionnaires. Les raisons de se révolter ne manquent pas, mais personne ne peut prédire quelle étincelle mettra le feu à la plaine.
Dans le cas portugais, c'est ainsi un putsch militaire qui, en faisant tomber la dictature et en fracturant l'État entre différents centres de pouvoir, va amener le peuple à prendre confiance en ses propres forces, à s'organiser et à lutter pour conquérir les libertés démocratiques et transformer les structures économiques et sociales.
Le plus grand mouvement de grève
Dès le 25 avril 1974, alors que le MFA multiplie les communiqués pour inviter la population à rester chez elle, spectatrice du changement de régime, des dizaines de milliers de personnes à travers le pays prennent la rue, acclament et encouragent les militaires insurgés, assiègent les principales institutions de la dictature, ou font pression pour la libération des prisonniers politiques. Dans les deux mois qui suivent, alors que le nouveau pouvoir — alliance entre le MFA, un vieux général opposant de la dernière heure (Spínola) et les principaux partis (dont le Parti communiste portugais, PCP) — tente d'opérer des changements institutionnels et de rationaliser le capitalisme portugais, le pays connaît le plus vaste mouvement gréviste de son histoire tandis que, déjà, des milliers de mal-logéEs s'organisent pour occuper des logements vides.
Auto-organisation
La chute si brutale du régime salazariste engage ainsi le Portugal dans un processus révolutionnaire qui demeure à ce jour le dernier soulèvement populaire à dynamique anticapitaliste en Europe. Dans la mesure où les organisations syndicales et politiques ont initialement une très faible implantation, les classes populaires construisent leurs propres outils démocratiques de lutte : dans les entreprises (commissions de travailleurEs), dans les quartiers (commissions d'habitantEs), dans les campagnes du Sud (ligues paysannes) et, tardivement, parmi les soldats. Cette auto-organisation populaire à vaste échelle radicalise les revendications et les aspirations, dans le sens d'une remise en cause de plus en plus franche de la propriété capitaliste et de la logique du profit.
Et bientôt se multiplient les appels à construire une autre forme de pouvoir : un pouvoir populaire, capable de concurrencer, briser et remplacer l'État capitaliste.
La bourgeoisie reprend la main en novembre 1975
Malheureusement, la stratégie étapiste du PCP (2), la fragmentation de la gauche révolutionnaire et les sectarismes croisés empêchent l'unification de ces formes d'auto-organisation populaire. De son côté, la bourgeoisie portugaise et internationale ne reste nullement l'arme au pied. En suscitant des violences contre-révolutionnaires contre la gauche dans le nord du pays, en soutenant un prétendu « socialisme démocratique » via notamment le Parti socialiste et la droite du MFA, elle parvient progressivement à reprendre le contrôle à l'automne 1975, jusqu'au coup d'État institutionnel du 25 novembre 1975 qui lui permet d'écarter les militaires les plus à gauche, de réunifier les structures de pouvoir et de renforcer les capacités répressives du nouvel État « démocratique ».
Des droits conquis
Les mobilisations populaires ne cessent pas du jour au lendemain mais l'occasion a été manquée. La révolution laisse néanmoins des traces importantes dans la société portugaise, avec la conquête de larges droits démocratiques et d'institutions (l'État social) que la bourgeoisie portugaise a, depuis lors, constamment cherché à démanteler. Et alors que l'extrême droite renaît actuellement au Portugal sur le plan électoral, la mémoire de cette révolution démocratique et sociale demeure un point d'appui pour celles et ceux qui n'ont pas renoncé à rompre avec le capitalisme et à bâtir un autre monde.
Article initialement publié sur le site de l'Anticapitaliste, le 24 avril 2024.
Crédit Photo : JVarlin-Wikirouge.
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Notes
1. Quatre personnes sont tuées le 25 avril lors de l'assaut populaire du siège de la police politique honnie.
2. Le PCP théorisait depuis les années 1960 la nécessité d'une étape démocratique durable devant précéder nécessairement la révolution socialiste. Or, dès le mois de mai 1974, les travailleurEs mobiliséEs combinent des revendications démocratiques et sociales dans le cadre de grèves dures, que condamne le PCP au nom de la nécessité d'une relance de l'économie portugaise et de ne pas effrayer la petite et moyenne bourgeoisie.
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1er mai : les syndicats doivent organiser la solidarité avec le peuple palestinien

À l'occasion du 1er mai, journée internationaliste par excellence, nous relayons l'appel urgent lancé aux syndicats états-uniens par la Fédération générale palestinienne des syndicats. Il est impératif que les travailleurs et leurs organisations, partout dans le monde, affirment par l'action leur solidarité avec le peuple palestinien soumis actuellement, à Gaza, à une guerre de nature génocidaire et, en Cisjordanie, à une intensification de la politique de nettoyage ethnique.
Tiré de la revue Contretemps
30 avril 2024
Par La Fédération générale palestinienne des syndicats
Frères et sœurs des syndicats et autres organisations syndicales aux États-Unis d'Amérique : au milieu de la douleur et du sang, dans les camps de déplacés, au milieu des décombres et des ruines de nos maisons, ateliers, usines, magasins et institutions détruits par l'occupation « israélienne », en utilisant des armes de fabrication américaine, au nom de la Fédération générale palestinienne des syndicats (PGFTU), nous vous appelons à la solidarité.
Au lieu de célébrer avec vous le 1er mai, Journée internationale des travailleurs, nous sommes occupés à envelopper des dizaines de personnes qui sont tuées 24 heures sur 24 au milieu d'une guerre génocidaire contre notre peuple – dans tous les sens du terme. Cela a conduit à la destruction de tout dans la bande de Gaza (hôpitaux, centres de santé, écoles, universités, rues, purification de l'eau, égouts et autres infrastructures, usines, magasins, centres culturels, mosquées, églises et même des enfants à naître). Aucun d'entre eux n'a été épargné par les bombes, les missiles et les obus de l'occupation (y compris les armes interdites au niveau international, comme le phosphore blanc).
Nous vivons un massacre massif et une dislocation forcée – un nettoyage ethnique – commis contre nous. Cette guerre dévastatrice et ses catastrophes nous ont imposé, à la Fédération générale palestinienne des syndicats à Gaza, de grandes responsabilités : récupérer les corps brisés et même les morceaux de notre peuple, soigner les blessés et essayer de soulager leurs douleurs (sans anesthésiques, antibiotiques ou autres médicaments), traiter les le traumatisme psychologique (surtout des enfants), tout en essayant de transmettre au monde la vérité sur ces souffrances et la catastrophe humanitaire et environnementale. Depuis le début de l'agression, nous, à la PGFTU, nous considérons comme faisant partie intégrante de notre peuple – non séparé de sa réalité. Nous avons souffert et perdu des milliers de membres, de bureaux syndicaux, d'installations et d'autres institutions.
Malgré nos efforts pour apporter une aide à notre peuple avec le soutien limité que nous avons reçu et pour faire entendre haut et fort la voix de notre peuple dans les forums internationaux, nous avons été confrontés à un silence et à une négligence choquants de la part du mouvement syndical international. Cependant, nous reconnaissons qu'il existe des exemples exceptionnels de syndicats, clairement démontrés lors de manifestations dénonçant la guerre de génocide sioniste menée dans la bande de Gaza. Chers camarades des syndicats américains, plusieurs actions ont été révélées au cours de l'agression, qui doivent être observées et dénoncées de près, notamment :
– Premièrement, les syndicats américains doivent dénoncer l'ampleur des crimes de guerre et du génocide commis contre notre peuple, ainsi que la position biaisée et la complicité des États-Unis dans l'autorisation de l'agression. Il faut y faire face et continuer de protester pour exercer des pressions contre l'exportation d'armes fabriquées aux États-Unis vers l'occupation. La pression doit être accrue sur l'administration américaine pour qu'elle abandonne ces actions hostiles contre le peuple palestinien.
– Deuxièmement, il y a la décision israélienne de suspendre ou de résilier les contrats de milliers de travailleurs de la bande de Gaza par les institutions locales, arabes et internationales dans le cadre de la guerre d'extermination, privant les employés de leurs droits et de leur indemnisation. Il aurait été préférable que ces institutions renforcent la sécurité économique des travailleurs en mettant en œuvre des mesures de soutien plutôt que de les licencier. Cette question doit être au cœur de vos préoccupations et de votre combat.
– Troisièmement : le mouvement syndical international, y compris la Fédération internationale des syndicats, s'est replié sur des positions verbales sans prendre de mesures sur le terrain ni faire pression sur les décideurs pour qu'ils mettent fin à cette guerre d'extermination, limitant les activités syndicales à des conférences et des déclarations et sans approfondir la nécessité de garantir l'aide humanitaire, ou d'influencer l'opinion publique internationale pour révéler la vérité sur les crimes sionistes et les pratiques des pays alliés qui continuent de soutenir Israël. Parmi ces mesures figure la lutte pour interdire les syndicats d'occupation au niveau international, car ils sont partenaires dans la guerre de génocide. Nous appelons notamment les syndicats américains à boycotter ces syndicats pour protester contre leur complicité dans cette guerre génocidaire.
– Quatrièmement, les syndicats peuvent jouer un rôle influent aux États-Unis pour venir en aide à des centaines de milliers de familles de travailleurs dont les maisons et les lieux de travail ont été détruits, les obligeant à s'abriter sous des tentes, sans travail ni revenu.
Vous pouvez contribuer à des projets financiers et à des fonds de secours pour les travailleurs et à la sécurité sociale temporaire en coordination avec la Confédération syndicale internationale pour soulager les souffrances de milliers de nos citoyens. Chers camarades… Nous faisons appel à vous pour être notre voix et notre défenseur à l'intérieur et à l'extérieur de l'Amérique. Ce que vivent nos peuples et ce à quoi les travailleurs et les syndicats en particulier sont exposés est la catastrophe la plus horrible connue par l'humanité au cours des dernières décennies.
Nous vous demandons de transmettre notre message et de donner une voix aux souffrances des travailleurs affamés et de leurs familles – pas seulement au peuple américain, pas seulement à vos syndicats, mais au monde entier. Nous sommes un peuple qui endure les bombardements, la faim, la maladie et toutes les formes de souffrance, mais nous sommes déterminés à vivre, à tenir bon et à reconstruire après cette destruction avec notre sang et de nombreux sacrifices. Merci pour vos efforts et bonne année à l'occasion de la Journée internationale des travailleurs. Nous porterons certainement l'étendard de la victoire malgré les massacres et les destructions.
De la part de vos camarades de la Fédération générale palestinienne des syndicats de Gaza.
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Traduction par Contretemps.
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