Presse-toi à gauche !
Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

Subir la violence dans les médias : agressions symboliques et directes contre les femmes journalistes au Mexique

La violence contre les femmes journalistes au Mexique implique la convergence de deux problèmes urgents : la violence contre les journalistes et la grave violence de genre qui prévaut dans notre pays.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/08/24/subir-la-violence-dans-les-medias-agressions-symboliques-et-directes-contre-les-femmes-journalistes-au-mexique/
Alors que le journalisme est une profession intrinsèquement risquée, le nombre de femmes et d'hommes journalistes blessés, agressés ou tués dans le monde a augmenté au cours des trois dernières décennies. La violence à l'égard des femmes journalistes présente des caractéristiques particulières qui justifient une étude distincte, car elle se manifeste par une cruauté évidente dans les attaques physiques et par la fréquence avec laquelle elle est associée aux agressions sexuelles. Dans une recherche récemment publiée par la revue Comunicación y Género, de l'Université Complutense de Madrid, j'analyse les caractéristiques distinctives de la violence dirigée spécifiquement contre les femmes communicatrices au Mexique.
Les femmes journalistes sont touchées en tant que membres d'une profession qui devient de plus en plus la cible de conflits sociaux et de bouleversements politiques. L'Amérique latine a connu une augmentation marquée des agressions directes contre les femmes journalistes, y compris des expressions graves de violence. Actuellement, 13% des journalistes emprisonnés sont des femmes, selon les chiffres de Reporters sans frontières. Au Mexique, 8% des journalistes assassinés sont des femmes et, selon les chiffres du CIMAC, les agressions physiques contre les femmes journalistes ont augmenté de plus de 200%.
Les femmes journalistes sont doublement persécutées en raison de leur sexe et de leur participation à l'espace public, physique et symbolique, parce qu'elles sont des femmes qui élèvent la voix et occupent des niches d'influence que le système patriarcal destinait exclusivement à la voix des hommes. Outre les risques et les menaces auxquels sont exposés leurs collègues masculins, les femmes journalistes sont confrontées à des obstacles dans leur carrière qui sont liés à leur sexe, des défis auxquels les journalistes masculins ne sont généralement pas confrontés. Ainsi, la participation croissante des femmes dans les médias et dans le discours public s'est accompagnée d'une augmentation parallèle de la violence et des menaces auxquelles elles sont confrontées.
Le dernier cycle de l'étude Worlds of Journalism a montré, grâce à des enquêtes menées auprès de près de 500 journalistes du pays, que la présence des femmes dans le journalisme au Mexique se concentre dans les médias qui produisent des contenus pour les plateformes numériques (79,1%). Il y a également une proportion considérable de femmes dans les médias audiovisuels : 54,4% des personnes travaillant principalement à la radio et 49,3% de celles travaillant à la télévision sont des femmes. Au Mexique, les femmes journalistes continuent d'être affectées à une couverture sexuée. Les sujets dans lesquels les femmes sont le plus présentes sont : l'éducation et le style de vie (100% des personnes travaillant sur ces sujets sont des femmes) ; la culture (75%) ; et les questions sociales (65%). À l'autre extrême, les sujets qui continuent d'être dominés par les journalistes masculins sont la sécurité et la justice, la politique et le gouvernement, et les sports. Ce panorama montre que les femmes sont clairement reléguées à des sujets conformes aux conceptions traditionnelles des rôles de genre, et qu'elles sont exclues des sujets les plus difficiles en termes d'actualité.
Les asymétries de travail deviennent plus évidentes lorsque l'on considère l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes. La plupart des femmes gagnent entre 9 000 et 12 000 pesos par mois, tandis que les hommes ont tendance à recevoir entre 15 000 et 18 000 pesos par mois. L'écart salarial est beaucoup plus important à mesure que l'on monte dans l'échelle des revenus. Alors que 67% des personnes les moins bien payées sont des femmes (3 000 pesos par mois), 83% des personnes les mieux payées (à partir de 36 000 pesos) sont des hommes, et seulement 17% des femmes journalistes se situent à ce niveau de rémunération.
Les attaques les plus fréquentes auxquelles les femmes journalistes sont confrontées sont les insultes ou les discours de haine, la disqualification publique de leur travail, la remise en question de leurs principes moraux, le harcèlement au travail et la surveillance ou l'espionnage. Mais il existe deux types d'agression qui sont statistiquement liés au sexe des femmes journalistes et auxquels elles sont confrontées à un taux plus élevé que leurs homologues masculins. Ces agressions sont le harcèlement sexuel, auquel 34% des femmes journalistes ont été confrontées (contre 4% des hommes), et le harcèlement au travail, auquel 42% des femmes journalistes et 30% des hommes journalistes ont été confrontés.
Pour Dr Grisel Salazar Rebolledo, la lutte contre la violence à l'égard des femmes dans la profession journalistique doit être un effort commun qui implique la société dans son ensemble.
Dans un pays où les schémas patriarcaux sont profondément enracinés et où la professionnalisation du journalisme n'en est qu'à ses débuts, l'augmentation de la présence des femmes dans l'industrie des médias peut être perçue avec optimisme. Cependant, les données conduisent à des interprétations inquiétantes. L'étude montre que, bien que les femmes journalistes aient un niveau d'éducation légèrement supérieur, elles perçoivent des salaires nettement inférieurs, ce qui dénote un traitement inégal et discriminatoire. Cette situation, associée à la fréquence élevée du harcèlement au travail dont sont victimes les femmes journalistes, montre clairement que l'environnement professionnel leur est très défavorable et qu'elles doivent faire face à des obstacles matériels, mais aussi à des obstacles symboliques qui, en raison de leurs racines culturelles profondes, sont plus difficiles à surmonter.
La lutte contre la violence fondée sur le genre dans la profession journalistique doit être un effort conjoint impliquant la société dans son ensemble, y compris les médias, les organisations de la société civile et le secteur privé. L'éducation et la sensibilisation sont essentielles pour lutter contre les stéréotypes sexistes et promouvoir un environnement de respect et d'équité dans le journalisme et dans la société en général. Le manque de reconnaissance sociale du travail des journalistes entraîne un manque de soutien et une situation de solitude et d'abandon face aux agressions, encore plus marquée lorsque les victimes sont des femmes.
Grisel Salazar Rebolledo, Desinformémonos, 15 août 2024
Source : https://desinformemonos.org/padecer-la-violencia-en-los-medios-agresiones-simbolicas-y-directas-contra-mujeres-periodistas-en-mexico/
https://www.cdhal.org/subir-la-violence-dans-les-medias-agressions-symboliques-et-directes-contre-les-femmes-journalistes-au-mexique/
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Crime de détraqué ? Non, féminicide prostitutionnel !

Un homme a été confondu par son ADN et mis en examen pour le meurtre d'une femme prostituée il y a 22 ans. Un féminicide prostitutionnel qui peine à être reconnu.
Tiré de Entre les lignes et les mots
« Incroyable rebondissement dans un cold case vieux de deux décennies. Un homme vient d'être mis en examen des chefs d'assassinat et d'actes de torture et de barbarie pour un meurtre qui remonte à février 2002. »
22 ans après le meurtre d'une femme prostituée à Limoges, on comprend que soit applaudie son élucidation, l'auteur des faits ayant été confondu par son ADN lors d'un banal contrôle routier.
Mais pour que tout soit parfait, ne faudrait-il pas que les médias qui en rendent compte montrent qu'ils ont mis à profit ces 22 années pour présenter une analyse des faits qui aille au-delà du simple « fait divers » ? Car entretemps, est apparue une notion qui a changé les regards en profondeur, celle du « féminicide » : une grille nouvelle de lecture qui rend compte (enfin !) du caractère systémique de la haine des femmes, de la profonde misogynie qui sert de moteur à des agressions et à des meurtres.
Là où la justice comme les médias n'ont aucun mal à identifier un crime comme raciste ou antisémite, leur lucidité s'arrêterait-elle leur lucidité s'arrêterait-elle à la porte du machisme prostitutionnel ? Le meurtre de cette femme prostituée, ramené aux facilités d'un « meurtre barbare » ou d'une « sordide affaire » , n'a droit qu'à des exclamations sur « la sauvagerie de l'acte ».
Les faits sont pourtant criants de clarté. L'auteur s'est en effet tellement acharné sur sa victime qu'il a continué à lui donner des coups de couteau jusqu'après sa mort. Et ces coups de couteau, il ne les a pas distribués n'importe comment. Il s'est attaqué au pubis. La haine des femmes, la haine du sexe des femmes pourrait-elle être plus lisible ? Car si tuer une femme ne constitue pas un féminicide, tuer une personne parce qu'il s'agit d'une femme l'est ; et la tuer en marquant une volonté de l'anéantir en tant que personne et pour ce qu'elle représente.
« Client ou pas client » ?
Nulle part, dans aucun article dont nous avons pu avoir connaissance, n'apparaît seulement la question de savoir si l'homme était « client ». Aujourd'hui âgé de 46 ans, il est décrit comme un « cabossé de la vie », consommateur régulier d'alcool et de cannabis, connu de la justice pour des violences… et quitté par sa femme.
Alors, client ou pas client ? Comme si ce « détail » n'avait pas son importance. On sait pourtant (mais les médias le savent-ils ?) que la majorité des meurtres de femmes prostituées sont commis par des proxénètes et par des « clients », des hommes qui les utilisent comme des choses et se sentent sur elles des droits de propriétaire.
« Souvent motivés par des sentiments d'objectivation, d'emprise, de jalousie et de domination, ces crimes commis par un homme sur une femme résultent d'une logique sexiste où l'agresseur finit par s'approprier sa victime au point de considérer avoir droit de vie ou de mort sur elle », pouvait-on lire dans le Rapport sur les féminicides de l'Assemblée Nationale [1].
Ce que les interlocutrices de nos associations, bien placées pour savoir ce qui se joue dans le huis clos prostitutionnel, résument par cette formule : « Le type a payé, il pense qu'il a tous les droits. »
L'invisibilisation des féminicides prostitutionnels a assez duré. Les progrès de la société dans l'identification des féminicides s'arrêtent trop souvent aux quatre murs de la chambre conjugale. D'autres chambres, d'autres lieux sont pourtant encore plus dangereux.
Jusqu'à quand les personnes prostituées devront-elles rester des cas à part ? Des victimes de seconde zone ? Comment peut-on encore croire que l'incroyable prix payé par elles en meurtres et en agressions n'est du qu'à la lubie hasardeuse d'une poignée de « détraqués » ?
[1] Février 2020
Sandrine Goldschmidt
Sandrine Goldschmidt est chargée de communication au Mouvement du Nid et militante féministe. Journaliste pendant 25 ans, elle a tenu un blog consacré aux questions féministes (A dire d'elles – sandrine70.wordpress.com) et organise depuis quinze ans le festival féministe de documentaires « Femmes en résistance ». Aujourd'hui elle écrit régulièrement dans Prostitution et Société.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

État du monde : crise économique et rivalités géopolitiques

Mon interprétation de la situation actuelle repose sur l'hypothèse que l'espace mondial se transforme sous la double pression des dynamiques économiques et des rivalités géopolitiques dont les interactions diffèrent selon les conjonctures historiques.
27 août 2024 | tiré du site Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71857
Mettre en relation ces deux dimensions et les garder à l'esprit dans l'analyse est difficile pour deux raisons. D'une part, l'hyperspécialisation disciplinaire dans la recherche académique pousse au cloisonnement de la réflexion et à l'ignorance de travaux sur des thèmes semblables. D'autre part, il existe ce qu'on peut appeler un certain ‘biais' marxiste qui a privilégié les dimensions économiques au motif qu'elles constitueraient ‘l'infrastructure' de toute société. Il faut pourtant rappeler que Marx s'est intéressé au moins autant aux ‘superstructures' et au rôle des êtres humains dans la marche de l'histoire. Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte demeure exemplaire de son intérêt pour ces questions. Et je rappelle que Le Capital n'est pas un ouvrage économique, mais une critique de l'économie politique.
Toutefois, il existe un cadre analytique qui permet d'analyser ces interactions entre les dynamiques économiques et des rivalités géopolitiques et militaires : c'est celui proposé il y a plus d'un siècle par les analyses marxistes de l'impérialisme.
Pour comprendre la situation actuelle et en particulier la multipolarité capitaliste hiérarchisée, on dispose a minima de deux points d'appui théoriques.
D'une part, la définition donnée par Lénine :dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme : « Si l'on devait définir l'impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu'il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette définition embrasserait l'essentiel, car, d'une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d'industriels ; et, d'autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s'étendant sans obstacle aux régions que ne s'est encore appropriée aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d'un globe entièrement partagé.
Capital monopoliste financier et division du monde sont étroitement liées, voici donc la singularité de l'impérialisme. Il faut admettre que les analyses marxistes ont souvent eu du mal à relier les deux. Or, le capitalisme marche sur ses deux jambes : il est un régime d'accumulation à dominante financière, ainsi que Chesnais l'a détecté dès les années 1990, mais il est avant tout un régime de domination sociale, dont la police (à l'intérieur) et l'armée (vers l'extérieur) assurent la défense, et même à certains moments, en permettent la survie. Tel sont les messages de La mondialisation armée, un ouvrage que j'ai publié quelques mois avant le 11 septembre 2001 et aussi d'Un monde en guerres, publié en mars 2024.
On dispose d'autre part d'un autre outil analytique pour analyser l'impérialisme contemporain, c'est l'hypothèse de développement inégal et combiné proposé par Trotski. Cette hypothèse fait pour moi pleinement partie des analyses de l'impérialisme, même si pour beaucoup de ‘marxologues', son nom est souvent ignoré comme théoricien de l'impérialisme au côté de Boukharine, d'Hilferding, de Luxemburg et de quelques autres.
Trotski fonde son analyse en partant de l'existence d'un espace mondial qui contraint les nations et leur interdit de passer par les mêmes stades de développement que ceux parcourus par les pays avancés. C'est une approche opposée à la conception ‘stadiste' de Staline. On retrouve aussi cette conception par stades successifs dans les recommandations de la Banque mondiale qui considère que les pays du Sud doivent suivre les étapes de développement empruntées par les pays du Centre. Pour la Banque mondiale, il faut mettre en place les règles de bonne gouvernance et le programme économique des pays développés.
Trotski rappelle dans l'Histoire de la révolution russe que « Sous le fouet des nécessités extérieures, la vie retardataire est contrainte d'avancer par bonds. De cette loi universelle d'inégalité des rythmes découle une autre loi que, faute d'une appellation plus appropriée, l'on peut dénommer loi du développement combiné, dans le sens du rapprochement de diverses étapes, de la combinaison de phases distinctes, de l'amalgame de formes archaïques avec les plus modernes ». Et il ajoute à propos de la Russie tsariste qu'elle « n'a pas reparcouru le cycle des pays avancés, mais elle s'y est insérée, accommodant à son état retardataire les aboutissements les plus modernes ». Selon moi, cette caractéristique de la Russie tsariste d'il y a un siècle s'applique pleinement à la Chine contemporaine, bien que dans un contexte différent.
L'hypothèse du développement inégal et combiné, c'est une hypothèse qui s'intéresse aux évolutions, et aux mutations, autrement dit, elle regarde du côté des transformation du capitalisme. Elle invite donc à ne pas considérer de façon statique les critères utilisés par Lénine pour définir l'impérialisme – dont aucun d'ailleurs n'est obsolète - mais à prendre en compte les changements de physionomie de l'impérialisme. Celui-ci demeure aujourd'hui une structure de domination mondiale et il continue également de définir des comportements particuliers et différenciés de quelques grandes puissances.
C'est un fait indéniable qu'il s'est produit de nombreux changements dans la physionomie de l'impérialisme après la seconde guerre mondiale, en particulier la construction de l'hégémonie étatsunienne. Ces changements ont conduit certains marxistes à annoncer l'obsolescence de l'impérialisme en prenant en particulier appui sur la fin des guerres intercapitalistes. Au cours de ces dernières décennies, les processus de mondialisation ont également donné lieu à l'annonce du dépassement de l'impérialisme en raison de l'émergence d'une classe capitaliste transnationale, voire d'un Etat transnational.
La conjoncture historique actuelle contredit ces analyses et souligne que dans le cadre de l'impérialisme contemporain, les rapports sociaux capitalistes demeurent politiquement construits et territorialement circonscrits.
Une concordance de temporalités : le moment 2008
Trois points sont à mentionner :
a) Depuis la fin des années 2000, l'espace mondial est caractérisé par une convergence de crises. J'utilise le terme de crises faute de mieux car chacune d'entre elles possède sa propre temporalité qui est déterminée par sa spécificité économique, géopolitique, sociale et environnementale. Cependant, le fait qu'elles aient convergé à la fin des années 2000, confirme que le capitalisme est confronté à un ébranlement existentiel, à unecrise multidimensionnelle. On peut mentionner :
– la crise financière de 2008 qui s'est transformée en une ‘longue dépression' (M. Roberts) .
– l'irruption de la Chine comme ‘rival systémique' des Etats-Unis (langage des documents stratégiques étatsuniens). C'est une autre manière de constater le déclin de l'hégémonie des Etats-Unis ;
– l'engrenage des destructions environnementales produites par le mode de production et de consommation capitaliste ;
– les résistances sociales qui parsèment la planète depuis la révolution tunisienne de 2011 au cri de « Travail, pain, liberté et dignité ».
Les efforts des classes dominantes pour surmonter ces crises ne peuvent qu'accélérer la marche à la catastrophe et à la barbarie.
b) Une caractéristique majeure de ce moment 2008, c'est qu'il rétablit une forte proximité entre la concurrence économique et les rivalités politico-militaires. Comme je l'ai mentionné, cette proximité caractérisait déjà la situation d'avant 1914.
c) le moment 2008 ouvre un espace de rivalités mondiales qui est plus large que la confrontation est-ouest observée à l'époque de la guerre froide et qui n'est pas non plus celui d'un monde ‘occidental' qui s'opposerait au ‘Sud global'. Mon cadre d'analyse, c'est celui d'une multipolarité capitaliste hiérarchisée et donc de rivalités interimpérialistes. Ces rivalités semblent nouvelles après la période transitoire de domination écrasante des Etats-Unis qui a suivi la seconde guerre mondiale, mais elles furent une caractéristique majeure de l'ère pré-1914.
Toutefois, en un siècle, l'espace mondial s'est considérablement densifié. Le jeu des rivalités est donc plus ouvert en raison d'un nombre plus grand de pays qui aspirent à jouer un rôle dans une économie mondiale marquée par la constitution de blocs régionaux. Les rivalités prennent également des formes plus diversifiées qu'avant 1914. Elles établissent un continuum entre la concurrence économique et l'affrontement militaire, et qui passe par exemple par ce que certains experts nomment des ‘guerres hybrides' (cyberguerres, désinformation et surveillance, etc.)
Je note toutefois que bien que plus restreinte, la hiérarchie et le statut des impérialismes étaient déjà l'objet d'une discussion avant 1914 [1]. Il est intéressant de rappeler à cet égard la caractérisation de la Russie tsariste donnée par Trotski dans son Histoire de la révolution russe. Il écrit :« La participation de la Russie avait un caractère mal défini, intermédiaire entre la participation de la France et celle de la Chine. La Russie payait ainsi le droit d'être l'alliée de pays avancés, d'importer des capitaux et d'en verser les intérêts, c'est-à-dire, en somme, le droit d'être une colonie privilégiée de ses alliées ; mais, en même temps, elle acquérait le droit d'opprimer et de spolier la Turquie, la Perse, la Galicie, et en général des pays plus faibles, plus arriérés qu'elle-même. L'impérialisme équivoque de la bourgeoisie russe avait, au fond, le caractère d'une agence au service de plus grandes puissances mondiales ».
Ce statut ambigu de la Russie n'empêchait évidemment pas les marxistes de placer la Russie du côté des pays impérialistes. Cette souplesse de l'analyse et la prise en compte de facteurs multidimensionnels – économiques, politiques et militaires – permet de rendre compte de la diversité et de la hiérarchie qui caractérise la multipolarité capitaliste. Par exemple, dans la lignée des travaux du sociologue brésilien Ruy Mauro Marini, certains marxistes emploient aujourd'hui le terme de ‘sous-impérialisme' pour qualifier une liste plus ou moins longue de pays (Afrique du Sud, Brésil, Inde, Iran, Israël, Pakistan, Turquie, etc.) qui se trouvent dans une position intermédiaire.
La multipolarité capitaliste est donc d'un certain point de vue la norme historique. Elle est hiérarchisée et les impérialismes dominants, qu'ils soient déclinants ou émergents, luttent pour une part du gâteau mondial (la masse de valeur créée par le travail) qui non seulement ne progresse plus suffisamment, mais exige une dégradation gigantesque de l'environnement pour être produit. L'aspiration de pays émergents à conquérir un statut de puissance régionale ou mondiale élargit l'espace des rivalités économiques et militaires. Ces pays émergents ne sont pas antiimpérialistes, ils tentent au contraire de se faire une place au sein de l'impérialisme contemporain. Les gouvernements de ces pays développent souvent une rhétorique antioccidentale qui est faussement assimilée à de l'antiimpérialisme.
Le mouvement social doit évidemment mettre à profit les rivalités et ces contradictions inter-impérialistes. Toutefois, ceci ne peut en aucun cas conduire, au nom d'une ‘multipolarité anti-occidentale', à soutenir des gouvernements de pays tels que ceux de la Russie, de l'Iran, de l'Inde, et laisser ainsi croire que ceux-ci pourraient ouvrir un horizon émancipateur aux peuples victimes de l'exploitation capitaliste, alors même qu'ils répriment durement leur peuple.
Chine-Etats-Unis : un choc d'impérialismes
Ce sont ces transformations de l'espace mondial qui justifient selon moi le fait de parler de ‘choc d'impérialismes' entre la Chine et les Etats-Unis.
Il faut brièvement rappeler l'évolution de leurs rapports, car elle confirme que l'interdépendance entre pays rivaux s'est considérablement renforcée. Avant 1914, elle servait de justification aux thèses libérales qui faisaient du commerce international un facteur de paix. L'interdépendance servit également à Kautsky a annoncer l'émergence d'un ultra-impérialisme qui mettrait fin aux guerres.
Il convient évidemment de ne pas commettre les mêmes erreurs d'appréciation et donc ne pas se contenter d'observer l'interdépendance croissante des nations, mais d'envisager dans quel environnement économique et géopolitique elle se développe.
On peut dire qu'au cours des années 1990 et 2000 (jusqu'à 2008), l'interdépendance entre les Etats-Unis et la Chine fut un jeu ‘gagnant-gagnant' pour les classes capitalistes. En effet, la Chine a fourni de nouveaux territoires aux capitaux des pays occidentaux, qui subissaient alors une suraccumulation issue de la crise des années 1970 et 1980. Cette crise de suraccumulation, qui traduisait une baisse de la rentabilité du capital, n'avait pas été surmontée dans les pays du Centre. A l'inverse, elle avait ébranlé les pays émergents, victimes répétées de crises financières, celle du Mexique en 1983 , des pays asiatiques, de la Russie et du Brésil en 1997-1998 et celle de l'Argentine en 2000.
Cependant – confirmation de l'hypothèse du développement inégal et combiné -, la Chine n'est pas seulement restée un territoire d'accueil pour l'accumulation du capital occidental et asiatique, elle est aussi devenue une puissance économique et militaire qui conteste la domination étatsunienne.
Ainsi, l'émergence de la Chine sur le marché mondial a fourni une solution provisoire aux maux structurels qui assaillent le capitalisme. Toutefois, le durcissement de la concurrence économique dans un contexte de faible niveau de croissance économique a rapidement transformé le marché mondial en un « lieu de toutes les contradictions » selon la formule de Marx. Réciproquement, en devenant « l'atelier du monde », l'économie chinoise a répercuté sur son territoire les contradictions de l'économie mondiale qui surgissent en raison des limites que le capitalisme rencontre. L'industrie chinoise est en effet en situation de suraccumulation du capital depuis des années. La crise se déclencha d'abord dans la construction immobilière mais selon les analyses des économistes, cette suraccumulation frappe désormais des dizaines de secteurs traditionnels liés à la construction (acier, ciment, etc.), et même des secteurs industriels émergents. C'est le cas des panneaux solaires où la Chine a conquis une position de quasi-monopole mondial et de façon plus décisive le secteur des batteries des véhicules électriques. Il n'est donc pas étonnant que ce secteur soit un de ceux qui connaissent les plus forte tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis et l'Union européenne (c'est-à-dire principalement l'industrie allemande).
L'interdépendance économique présente donc des effets contradictoires. « La croissance économique de la Chine ne doit pas être incompatible avec le leadership économique étatsunien » déclare la secrétaire d'Etat au Trésor et elle propose la ‘relocalisation des activités des grands groupes étatsuniens présents en Chine dans les ‘pays amis' (nearshoring) [2]. Ecoutons la réponse du PDG de RTX (ex-Raytheon) concepteur du système de défense antimissile étatsunien et israélien et deuxième groupe militaire mondial : il est impossible de quitter la Chine car nous avons des centaines de sous-traitants qui sont indispensables à notre production. Cela en dit long sur le degré d'interdépendance construit par les chaines de production mondiale des grands groupes, y compris ceux à spécialisation militaire.
Autre exemple de l'interdépendance : le gouvernement chinois est désormais associé à l'élaboration des règles prudentielles des marchés financiers qui ont été mises en place au lendemain de la crise de 2008 et qui sont destinées à prévenir l'irruption de nouvelles crises financières. Le secrétaire étatsunien à la finance internationale s'est fortement félicité des excellentes relations du Trésor américain et « de nos homologues chinois de la Banque centrale de République populaire de Chine comme co-présidents du groupe de travail du G20 sur le développement d'une finance soutenable ». Cet appel des Etats-Unis à la Chine signifie que, pour les classes dominantes étatsuniennes, la préservation de la stabilité – et donc de la prospérité - du capital financier ne doit pas être compromise par les rivalités commerciales. C'est cependant un équilibre fragile.
La Chine, impérialisme emergent
En effet, la Chine constitue un impérialisme émergent, car, à l'image des pays capitalistes avant 1914, elle conjugue un fort développement économique et des capacités militaires de premier plan.
Certes, il serait absurde de comparer le rôle du militaire dans l'expansion économique mondiale de la Chine à celui des Etats-Unis et seuls ceux qui appliquent le concept d'impérialisme au seul ‘modèle étatsunien' peuvent le faire. A l'inverse, parce qu'elle émerge comme un impérialisme rival des Etats-Unis, la Chine est quasi mécaniquement contrainte à développer une politique étrangère expansive comme le confirme son insertion diplomatique dans la guerre menée par Israël. La Chine est déjà fortement présente au Moyen-Orient et elle y développe des relations à la fois avec l'Iran et les monarchies pétrolières (et Israël) , alliés des Etats-Unis.
La ‘route de la soie' (Belt and Road Initiative, BRI) mise en place par la Chine consiste en une construction tentaculaire d'infrastructures physiques et numériques. Elle rappelle l'expansion des chemins de fer avant 1914 – les infrastructures essentielles de l'époque – dans les pays dominés dont le rôle à la fois économique (rentabiliser du capital en excès dans les pays européens) et géopolitiques (le rôle du train Berlin-Bagdad dans l'alliance entre l'Allemagne et l'empire Ottoman !) est longuement analysé par Lénine, Luxemburg et les autres.
Israël, défenseur pyromane du bloc transatlantique
La guerre menée par Israël s'inscrit pleinement dans le cadre analytique de l'impérialisme : c'est un projet néocolonial. Humanisons les chiffres : 40000 morts à Gaza, cela équivaut en proportion de la population palestinienne, à plus de la moitié des morts en France provoquées par la guerre de 1914-1918. Il y a toutefois une différence essentielle : ce furent pour l'essentiel des soldats, alors qu'à Gaza, ces assassinats frappent à 60- 70% des femmes et des enfants.
“Nos ennemis communs partout dans le monde nous observent et ils savent qu'une victoire d'Israël est une victoire du monde libre dirigé par les États-Unis” » a déclaré le ministre de la défense d'Israël au lendemain du 7 octobre 2024. Il a ainsi confirmé que son pays est un pilier majeur du bloc transatlantique. Cependant, la façon dont le gouvernement Netanyahou se conduit vis-à-vis de l'Administration Biden confirme également que la multipolarité capitaliste contemporaine est plus diversifiée qu'avant 1914.
Du point de vue de l'analyse de la structure impérialiste actuelle et de sa hiérarchie, il est indéniable que le gouvernement israélien serait contraint d'arrêter la guerre dès lors que les USA cesseraient leurs livraisons d'armes [3]. En ce sens, l'image du ‘vassal' des Etats-Unis utilisée pour qualifier le statut d'Israël demeure sans doute exact. Toutefois, la dégradation de la position des Etats-Unis dans l'ordre mondial, l'essor du militarisme israélien, largement connecté à des fractions dominantes de l'establishment états-unien et à son ‘Complexe militaro-industriel', et enfin le chaos mondial qui sous-tend les relations internationales contemporaines, permettent au vassal de mener son propre jeu sans qu'il corresponde aux impératifs immédiats des classes dominantes étatsuniennes.
La politique de la ‘terre brûlée' menée par les gouvernements israéliens n'est plus seulement une image comme le montre la volonté d'Israël de raser Gaza (c'est-à-dire de niveler le territoire à ‘ground zero') et de pulvériser physiquement le peuple palestinien. Elle repose sur des processus meurtriers – génocidaires - que ni les Etats-Unis, ni l'Union européenne, qui est au moins autant coupable de soutien à la guerre israélienne que les Etats-Unis, ne veulent enrayer alors même qu'Israël prépare l'étape suivante d'attaque contre l'Iran. Pour les dirigeants des Etats-Unis et de l'UE, le soutien inconditionnel à Israël est le prix à payer pour défense des intérêts matériels et des valeurs du « monde occidental ».
Tous les dirigeants occidentaux savent pourtant que cette guerre met la région – et par contagion peut-être d'autres régions – au bord du gouffre. Ils savent également qu'elle accélère la désintégration de l''ordre international fondé sur les règles', pour reprendre ce mot d'ordre qui a servi de support politique et idéologique à la domination du bloc transatlantique depuis la seconde guerre mondiale. Tel est le dilemme posé aux Occidentaux. Il leur faut soutenir la conduite du gouvernement d'Israël alors même que la politique de Netanyahou précipite la fin de cet ‘ordre libéral international' et qu'elle annonce donc de nouveaux terrains de conflictualité entre le bloc transatlantique et de nombreux pays.
L'horizon indopacifique de la France
Annoncé en 2013 sous la présidence de François Hollande, l'horizon indopacifique a pris une place ascendante dans la stratégie militaro-diplomatique de la France depuis l'élection d'E. Macron en 2017. L'intérêt de Macron pour cette région a sans aucun doute été stimulé par le fait que, dès son élection, il avait été informé par l'Etat-major du désastre qui s'annonçait dans les guerres menées par l'armée française au Sahel. La stratégie indopacifique mise en avant par Macron résulte donc de la nécessité d'offrir un nouvel horizon aux militaires, même si l'Afrique subsaharienne demeure indispensable sur les plans économiques et géopolitiques en dépit de la débâcle sahélienne.
L'acharnement de Macron à maintenir la Nouvelle-Calédonie dans l'Etat français tient donc d'abord à ce recul au Sahel, mais il a également d'autres raisons. La possession de ces territoires confère à la France une zone économique exclusive (ZEE) vingt fois plus grande que celle du territoire métropolitain. Cette ZEE offre des perspectives d'appropriation de ressources sous-marines. Elle permet surtout à l'armée française de faire naviguer les sous-marins lanceurs d'engins nucléaires. Ces navires constituent, à côté de l'armée de l'air, l'autre composante de la dissuasion nucléaire. Cette présence de forces nucléaires dans le Pacifique protège le statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies de la France, en dépit du recul considérable de la place de son économie dans le monde. On peut ajouter, pour expliquer la politique de Macron, l'importance des ressources en nickel de l'archipel.
L'acharnement de Macron à dessaisir le peuple Kanak de ses droits légitimes et à maintenir le statut néocolonial de la Nouvelle-Calédonie est donc compréhensible si l'on prend en compte l'ensemble des atouts offerts à l'économie et la diplomatie française. Il faut toutefois en mesurer les effets négatifs au-delà même de la répression subie par le peuple kanak, dont plus de dix membres sont morts. Les décisions de Macron ont en effet provoqué une explosion sociale en Nouvelle-Calédonie d'un niveau inconnu depuis les années 1980 et qui témoigne de l'ampleur de la résistance populaire. De plus, la répression sanglante de ces manifestations dégrade chez les populations de la région Pacifique l'image de la prétendue ‘patrie des droits de l'homme' et elle complique l'activité diplomatique de la France.
Le déploiement de 3000 militaires s'appuie, comme les interventions au Sahel des années 2000 et 2010, sur l'appareil militaire. E. Macron cherche à conforter son pouvoir vacillant et séduire, grâce à ce projet néocolonial, l'électorat métropolitain réactionnaire de droite et d'extrême-droite. Sous un certain angle, l'acharnement de Macron rappelle ce qui se passa en Algérie à la fin des années 1950. La position de la fraction fascisante de l'armée, soutenue par la majorité de la population européenne, était de maintenir l'Algérie au sein de la France. Tel était selon ces militaires, le seul moyen de maintenir la ‘grandeur' de la France. Au contraire, De Gaulle, lui aussi militaire, préconisait précisément de mettre fin à la guerre contre le peuple algérien et lui accorder l'indépendance afin de maintenir ce qu'il appelait « le rang de la France dans le monde ». Selon lui, quitter l'Algérie permettait enfin de se tourner vers le monde grâce à l'arme nucléaire, la construction européenne où la France projetterait sa puissance et à un renouveau industriel appuyé sur des grands programmes technologiques à visée militaire et stratégique. Ce fut bien sûr cette ‘vision' gaulliste de la France impérialiste qui s'imposa contre le repliement sur l'Algérie. Le fait qu'E. Macron envoie trois mille militaires pour protéger 73000 européens présents en Nouvelle-Calédonie (sur les 270000 habitants de l'île selon les données de l'INSEE) signale à quel point la roue de l'histoire a tourné pour la place de la France dans le monde. La politique de Macron ne peut qu'encourager sur le territoire métropolitain, les pulsions nationalistes et chauvines, porteuses de racisme.
Pour conclure, comme je l'ai suggéré dans mon intervention, les transformations du capitalisme ne peuvent être lues à partir de ses seuls déterminants structurels. La remarque faite par Marx dans Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, que « les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux », souligne l'importance de ce que dans la littérature marxiste, on appelle les « facteurs subjectifs ». Ceux-ci incluent aussi bien le comportement et l'action des classes dominantes et des gouvernements – que les résistances et les offensives menées par des centaines de millions d'individus qui sont victimes des décisions prises par ‘ceux d'en haut'. « L'histoire ne fait rien, […] elle ‘ne livre pas de combats'. C'est au contraire l'homme, l'homme réel et vivant qui fait tout cela, possède tout cela et livre tous ces combats » (Marx et Engels, La Sainte-famille) .
Claude Serfati
P.-S.
• Contribution présentée à la 16e Université d'été du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qui s'est tenue du 25 au 28 août 2024 à Port Leucate reproduite avec l'autorisation de l'auteur. Elle s'inscrivait dans le débat : « 1954-2024 : 70 ans après, quels rapports de force mondiaux ? Résistances populaires et solidarité internationale face à l'impérialisme, au colonialisme et à la guerre ».
Notes
[1] Voir par exemple les différentes classifications faites par Lénine dans son ouvrage L'impérialisme, stade suprême du capitalisme (et dans ses notes préparatoires appelées ‘Cahiers sur l'impérialisme').
[2] U.S. Department of Treasury 2023, Communication de Janet L. Yellen, Johns Hopkins School of Advanced International Studies, April 20, https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy1425
[3] Le 25 aout 2024, le ministère de la défense d'Israël s'est félicité que depuis le début de la guerre, « ce sont 50000 tonnes d'équipement militaire qui ont livrés à Israël par 500 avions et 17 navires ».
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Pour le refus intégral de la guerre

Quatre réflexions avec un grand respect pour la force sincère et courageuse de l'engagement citoyen exprimé par les milliers de personnes qui participeront à la Troisième marche mondiale pour la paix et la non-violence qui partira de San José au Costa Rica le 2 octobre 2024 et y reviendra le 5 janvier 2025, après avoir effectué le tour du monde.
Proposé par Les artistes pour la Paix
Publié le 1er septembre 2024 par l' Agora des Habitants de la Terre
Première réflexion : nous ne devons jamais cesser de nous mobiliser pour la paix et la non-violence, en insistant sur le concept/objectif “Contre la guerre”
Dans les conditions actuelles, il est impératif de ne jamais oublier de rappeler que les mobilisations pour la paix, du niveau local au niveau mondial, doivent être avant tout contre la guerre. L'accent spécifique et prioritaire sur “contre la guerre” est nécessaire pour ne laisser aucune place à la crédibilité (éthique et politique) de l'idée encore prédominante de la guerre comme un fait naturel et inévitable.
Tout le monde se déclare en faveur de la paix, mais tout le monde, même en dehors des groupes sociaux dominants, n'est pas contre la guerre. Prenons le cas des forces progressistes. La paix les unit, la guerre les divise en blocs opposés : les pacifistes, les bellicistes et les “ça dépend “. La principale narration que nous devons combattre est celle de l'instrumentalisation de la guerre au service de la paix. D'où les thèses sur la légitimation de la “guerre juste” et surtout de la “guerre défensive”. Les États-Unis sont en guerre permanente depuis plus de cent ans, non pour attaquer, disent-ils, mais pour défendre (leur) monde libre, (leur) société libérale, (leur) économie libre partout, et dont ils considèrent les modèles comme les meilleurs. Ce n'est pas pour rien que la thèse préférée et imposée par les dominants de tous les temps est “si tu veux la paix, prépare la guerre”. Un principe appliqué sans réserve par tous les États. Que l'on songe au florissant commerce international des armes, légalisé. D'où aussi le fait que le ministère, appelé jadis de la guerre, est devenu quasi partout le ministère de la défense.
Le concept de guerre défensive mérite d'être modifié
Ce concept, apparemment d'une évidence incontestable, entretient dans l'imaginaire populaire l'idée fausse, ou au moins très ambiguë, de la légitimité des armes toujours plus puissantes comme facteur de « dissuasion » (voir nucléaire). Mais, de plus, il transforme la guerre en un instrument de paix légitimant ainsi l'absurde. La même logique de légitimité de la “guerre défensive” est utilisée par le gouvernement de Netanyahou dans la poursuite du génocide des Palestiniens : l'État d'Israël « justifie » le génocide au titre de sa “légitime défense” en réponse à l'attaque armée du Hamas contre Israël en octobre 2023.
Or, il s'agit d'un mensonge mystificateur. L'idée et la volonté du génocide ne datent pas d'octobre 2023. Elles font partie officiellement de l'agenda des dirigeants de l'État d'Israël, notamment sionistes, depuis sa création en 1948. Elles ont été à la base de la conquête et de la colonisation manu militari des territoires habités par la population palestinienne et, en général, arabe, dénoncées à plusieurs reprises comme illégales par des résolutions de l'ONU. Par ailleurs, l'argument d'Israël a été rejeté avec force, et à raison, par la Cour Internationale de Justice ainsi que par la Cour Pénale Internationale.
Il est vrai que si quelqu'un agresse une autre personne à coups de couteau ou sous la menace d'un révolver, celle-ci a non seulement le droit mais aussi la nécessité vitale de se défendre. La règle écrite en la matière précise également que personne ne peut se « faire justice » par soi-même. En outre, il est inévitable, ce qui ne signifie ni admissible, ni encore moins juste, que dans un monde fondé sur le principe « si tu veux la paix, prépare la guerre », il y ait des traités réglant la guerre, le commerce des armes, les accords militaires de sécurité commune entre pays/alliés fondés sur l'obligation pour chaque État membre d'intervenir militairement « en défense » d‘un autre État membre attaqué par un État tiers. C'est ainsi, cependant, que grâce aux traités d'alliance signés dans tous les continents, les États-Unis se sont donné la légitimité d'intervenir partout dans le monde « en défense de ».
En revanche, dans une situation inspirée par la recherche effective et sincère de la paix, les traités internationaux d'alliance militaire doivent être déclarés illégaux, inadmissibles. Ils doivent être remplacés par des institutions, dotées de moyens politiques et juridiques forts et contraignants, de prévention, empêchement et abolition de l'usage des armes. Il faut une nouvelle ONU renforcée, sans l'actuel Conseil de Sécurité. Il faut que la mobilisation contre la guerre déclare illégitimes les États qui refusent de signer ou de respecter les traités d'interdiction des armes bactériologiques, des armes nucléaires, du commerce des armes. Dans cet esprit de justice, il faut dénoncer les États qui augmentent leurs dépenses militaires et décident de les exclure du calcul relatif au déficit public, tout en maintenant dans le calcul les dépenses publiques dites sociales (par ailleurs en constante diminution par rapport aux besoins). Une énième preuve de l'absurde lié au choix des dominants en faveur de la guerre défensive.
* * *
Deuxième réflexion : la mobilisation contre la guerre doit clairement être menée dans le but de faire comprendre l'inutilité absolue de la guerre et, à notre époque, la non réparabilité des destructions causées par la guerre, en particulier dans le domaine de la vie.
C'est pourquoi la lutte “contre la guerre” doit avoir deux objectifs prioritaires interdépendants, aujourd'hui piétinés ou abandonnés : la concrétisation du droit universel à la vie pour tous et de la vie ; la sauvegarde et la promotion des biens communs du monde, matériels et immatériels, qui sont essentiels à la vie.
Pourquoi cette proposition ? Il toujours préciser que la guerre est destructrice de vie et donc du vivre ensemble de l'humanité, à l'échelle de la Planète. En outre, à l'ère de la prise de conscience de l'anthropocène et de la mondialisation des conditions de vie sur terre et de leur sécurité, nous devons insister fortement sur l'évidence que la guerre est incapable, par définition, de produire ne serait-ce qu'une petite miette de justice. Le principe logique est, comme le démontre avec une extrême clarté le génocide des Palestiniens, “ma sécurité d'existence et de survie signifie ta disparition”.
La reconstruction du monde après la Seconde Guerre mondiale a été possible parce que les classes dirigeantes de l'époque ont fondé leur reconstruction sur l'affirmation de principes, de droits et de règles inspirés d'une vision de la vie exprimée dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Comme l'on sait, la Déclaration a été critiquée, à juste titre, parce qu'elle était largement influencée par une approche occidentale, anthropocentrique et patriarcale de la société et de la vie. Cette approche a été partiellement modifiée et corrigée grâce, entre autres, à l'adoption dans le cadre de l'ONU des :
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale,
Déclaration sur la Biodiversité.
Il n'en reste pas moins vrai que l'ensemble de ces Déclarations, Pactes, Conventions et Traités ne sont pas parvenus à empêcher les pires violations jusqu'à ce jour. Il est temps de redéfinir les grandes orientations concernant les futurs communs que nous devons construire dans les décennies à venir fondés sur la coopération et l'harmonie, en valorisant les acquis obtenus par les luttes citoyennes.
L'un des acquis majeurs qui mérite d'être maintenu et renforcé est représenté par le principe affirmé par la communauté internationale pour la première fois, que pour vivre ensemble au niveau planétaire il est essentiel et incontournable d'assurer et renforcer en permanence deux piliers sociétaux.
Premier pilier : le principe de l'universalité des droits à la vie pour tous les habitants et les peuples de la Terre sans distinction ni exclusion. D'où l'affirmation de la responsabilité intégrale commune et partagée des peuples, de l'État de droit à l'échelle planétaire pour sauvegarder et promouvoir la réalisation de ces droits. Ce qui est radicalement différent de la fameuse et fumeuse « gouvernance globale » chère aux oligarchies dominantes.
Deuxième pilier : le principe de l'existence de biens communs publics mondiaux indis-pensables à la vie de tous les habitants de la Terre, dont les pouvoirs publics ”nationaux” sont tenus de garantir le soin, la promotion et la valorisation dans le cadre d'une coopération et d'une solidarité planétaires étroites.
Ces deux piliers ont permis, jusqu'aux années 1980, au système mondial de fonctionner et de se développer malgré ses limites, lacunes et contradictions et de nombreuses guerres locales (liées aux processus de démolition des empires coloniaux européens), sans troisième guerre mondiale. En effet, le monde a connu une réduction du taux de croissance de l'inégalité entre les pays riches et les pays pauvres, ce qui a contribué à diminuer l'impact des forces génératrices de conflits structurels et, par conséquent, de guerres destructrices.
À partir de la fin des années 1980, le système mondial a vu exploser ses contradictions, ses lacunes, ses faiblesses en raison des processus de multinationalisation et de globalisation de l'économie et de la finance selon les principes, les objectifs et les mécanismes violents de l'économie de marché capitaliste. Nous faisons référence aux processus de marchandisation et d'artificialisation de toutes les formes de vie ; à la libéralisation et à la déréglementation des marchés et de toutes les activités économiques (de moins en moins d'État et de plus en plus de marché) ; à la privatisation de tous les biens et services essentiels à la vie par le biais, notamment, du brevetage privé des organismes vivants à but lucratif (exemples : semences, OGM, médicaments…), et à l'innovation technologique (nouveaux matériaux, nouvelles énergies, informatique, robotique et, aujourd'hui, Intelligence Artificielle). Tout cela s'est fait avec l'assentiment et le soutien politico-financier des pouvoirs publics, et une bonne partie des forces sociales “progressistes”.
La propriété et le contrôle de l'usage des ressources fondamentales pour l'économie ont cessé d'être l'objet de la responsabilité et des obligations des pouvoirs publics. Ils sont passés sous la domination et le pouvoir de sujets privés (entreprises, institutions, marchés, bourses) de l'économie capitaliste. Comme on le sait, le but ultime du système capitaliste n'est pas la garantie/sécurité des droits à et de la vie, ni la préservation du bon état écologique de la Terre, la maison commune. L'objectif est la croissance de la valeur financière des capitaux et des porteurs d'intérêt (stakeholders) les plus puissants. En outre, le principal mode de fonctionnement du système n'est pas la coopération, la solidarité, mais la prédation, la concurrence oligopolistique, la compétitivité de tous contre tous. L'autre est devenu l'ennemi et le marché s'est transformé en arène où les gladiateurs les plus forts acquièrent le droit à la vie accordé par l'empereur (la finance) après avoir éliminé les autres.
On voit bien comment, dans ces conditions, les facteurs de violence et de guerre structurelle permanente ont pris le dessus. Les inégalités ont atteint des niveaux inacceptables. La guerre des riches contre les pauvres n'a jamais été aussi ouvertement menée. Et, last but not least, on a assisté à la résurgence de la forme la plus intégrale de la destruction de la vie et de l'humanité, à savoir le génocide de masse délibéré, qui sera l'objet de notre dernière réflexion.
* * *
Troisième réflexion. Puisque la mobilisation contre la guerre passe par des luttes pour la reconstruction planétaire des deux piliers, la mobilisation doit se concentrer sur deux objectifs : l'abolition des brevets à des fins privées et lucratives et la mise hors-la-loi de la finance prédatrice.
La poursuite de ces deux objectifs n'est pas aisée car les brevets privés et la finance prédatrice sont défendus violemment et sans scrupules par tous les groupes dominants, au premier rang desquels le monde qui tourne autour de la suprématie et de la domination économico-financière et technologico-militaire des États-Unis (et de l'UE).
Aujourd'hui, dans les conditions marquées par une crise profonde du système de vie de la Terre, il est nécessaire de mener des actions mondiales visant à “désarmer la technologie de la conquête de la vie” (justement, les brevets) et, en même temps, à “mettre hors-la-loi la finance prédatrice” (se traduisant par la transformation de toute forme de vie en avoirs financiers).
Le désarmement de la technologie de la conquête passe évidemment par l'abolition des brevets d'appropriation privée et à but lucratif des organismes vivants et de l'intelligence artificielle, ainsi que par la mise au ban du commerce des armes. Il ne s'agit plus seulement d'une question de bonne ou mauvaise utilisation des connaissances et des technologies qui, elles, seraient neutres par nature. Aujourd'hui les connaissances et les technologies ne sont plus essentiellement des forces extérieures à l'humain, mais une construction des sociétés humaines qui définissent leurs finalités et leurs objectifs concrets.
Mettre hors-la-loi la finance prédatrice passe par l‘interdiction des paradis fiscaux et de l'évasion fiscale, par un système de taxation mondiale pour la justice planétaire, par l'abolition de l'indépendance des bourses devenues des entreprises mondiales purement privées échappant à tout contrôle des pouvoirs publics.
Il est illusoire de penser qu'il est possible de construire la paix et une société non-violente sans abolir les brevets d'appropriation privée et de prédation de la vie ; sans bannir les licences de commerce d'armes ; avec le maintien des paradis fiscaux ; sans éliminer l'indépendance des marchés financiers et sans réglementer les grandes oligarchies planétaires en guerre permanente pour la domination.
Il est également illusoire de penser qu'il est possible d'atteindre les objectifs précités en quelques années et par l'action solitaire et désordonnée de telle ou telle “grande” organisation de la société civile, en l'absence d'une coopération stratégique forte et d'une solidarité effective entre les diverses réalités de résistance et d'opposition au monde actuel.
* * *
Quatrième et dernière réflexion. Aujourd'hui, 80 ans après le génocide des Juifs par l'Allemagne nazie, l'humanité est saccagée et proie de l'absurde génocide des Palestiniens par l'État d'Israël, sans oublier les autres exterminations de populations dans les quatre coins du monde, notamment en Afrique et en Asie. Le génocide des Palestiniens est la forme la plus avancée, de nos jours, de l'inadmissible et de l'absurde liés à une guerre prétendument juste et défensive.
Il faut clairement affirmer que le génocide des Palestiniens n'est pas une guerre à proprement parler. Il s'agit d'une action destructive délibérée unilatérale de la vie opérant sur une autre dimension de la condition humaine que celle « dictée » par la guerre et affichée en tant que « la sécurité pour la survie » ! Comme le génocide des Juifs ne fut pas dicté par un problème de « sécurité » des Allemands, mais par une vision profondément inégalitaire, violente, excluante et répressive raciste des peuples de l'humanité, de même le génocide des Palestiniens est l'expression brutale de formes absolues et dogmatiques (dans ce cas d'origine religieuse raciste) d'inégalité et d'exclusion de l'autre.
Les futurs de la paix qui se jouent dans les contextes actuels embrassent des conditions et obéissent à des logiques multiples, dans tous les domaines surtout concernant les conceptions de la vie, de l'humain, de la communauté globale de vie de la Terre.
Arrêter immédiatement le génocide, comme ordonné à raison par la Cour Internationale de Justice et la Cour Pénale Internationale, n'est pas essentiellement une question de droit international. C'est surtout une question de responsabilité humaine et éthique planétaire à charge de tous les sujets de l'Humanité, y compris les communautés sociales, culturelles et morales du monde. Les membres et les autorités de ces communautés doivent aller au-delà de l'invocation à la paix et des pétitions adressées aux autorités politiques des États et des puissants.
Devant la guerre, la pratique prédominante laisse croire que l'on peut se situer d'un côté ou de l'autre. À notre avis, on doit toujours se positionner « contre la guerre » et agir pour créer les conditions nécessaires et indispensables pour la paix. Devant le génocide aujourd'hui des Palestiniens, on ne peut être que contre sans aucune limite réductrice. Le génocide c'est la négation intégrale de la vie, de la justice. Le génocide des Palestiniens est également le génocide de l'humanité. En ne l'arrêtant pas, on reconnaît à l'État génocidaire le droit plus que symbolique de massacrer l'humanité, la justice. Or, un futur sans justice sera toujours un futur sans paix, antihumain. Au fait, les pères constituants de la République italienne ont bien fait d'établir l'art.11 de la Constitution qui stipule “l'Italie répudie la guerre”.
* * *
En conclusion
Même les empires actuels de la technologie conquérante (à la manière Musk) et des “nouveaux seigneurs” des conglomérats industriels et financiers planétaires s'effondreront : l'important est de ne pas attendre que cela vienne tout seul. Ce n'est pas Microsoft, Google, Meta, Amazon, Black Rock, Vanguard, Crédit Agricole, BNP, Crédit Suisse, Walmart, BASF, Bayer, Syngenta, Pfizer, Coca-Cola, Exxon, Nestlé, Danone, Dow Chemicals, China Petroleum, qui pourront empêcher et arrêter la « troisième guerre mondiale ». Ne parlons pas de X, Tesla, Space X et de leur patron, des bourses de Londres, New York, Chicago, Shanghai ou Tokyo, de la Commission européenne, de la Banque mondiale et du FMI, du gouvernement américain, des gouvernements des États membres de l'OTAN, du gouvernement de la Fédération de la Russie, de la Banque centrale européenne indépendante…
Il appartient aux citoyens en révolte d'imposer l'arrêt, tous ensemble - notamment les femmes1, les paysans, les peuples autochtones, les 4 milliards de personnes sans couverture médicale de base et sans accès à une eau potable saine, les sans-abris, les millions de migrants à la recherche d'un pays d'accueil, les travailleurs… À cet égard, les autorités morales mondiales, par exemple du monde des croyances religieuses et éthiques, ont un rôle majeur à jouer, non seulement en termes de pouvoirs d'influence et décisionnels. Nos solutions peuvent faire l'objet d'un soutien clair et explicite de leur part.
Pour promouvoir les conditions nécessaires et indispensables à la construction de la paix voici, en plus ou en renforcement des solutions déjà formulées dans les pages qui précèdent, des exemples de solutions à appliquer dans le domaine de la vie, sa sauvegarde, sa promotion/protection, les droits, les biens communs :
• Refuser la brevetabilité du vivant à titre privé et à but lucratif ainsi que de
l'Intelligence Artificielle, car une telle brevetabilité octroie le pouvoir de décision concernant la vie à des sujets privés motivés essentiellement par l'appât de profit et de puissance. Il faut redonner la responsabilité collective de la vie aux institutions et aux organismes publics communs démocratiques du niveau local à l'échelle mondiale.
• Instituer un Conseil Mondial Citoyen de la Sécurité des Biens Communs Mondiaux
essentiels pour la vie pour tous, notamment concernant l'eau pour la vie, l'alimentation et la santé en abandonnant la privatisation et la financiarisation prédatrice de ces trois biens et services clés.
• Dans un contexte inspiré par la recherche effective et sincère de la paix, les traités
internationaux d'alliance militaire dits « défensifs » doivent être déclarés illégaux, inadmissibles. Ils doivent être remplacés par des institutions mondiales, dotées de moyens politiques et juridiques forts et contraignants, de prévention, empêchement et abolition de l'usage des armes. Le Conseil de Sécurité de l'ONU est à abolir.
• Créer un Conseil Mondial Économique de la Coopération et des Échanges
Solidaires et Soutenables en remplacement de l'Organisation Mondiale du Commerce, qui impose de traiter tout bien, service et relation entre les humains et entre eux et la nature comme des marchandises et des avoirs financiers. L'accaparement des terres et des eaux de la planète doit être déclaré illégal.
• Interdire tout usage agricole, industrie, et tertiaire de substances chimiques qui
empoisonnent la vie de la Terre et conduisent à la dégradation et à la perte de la biodiversité et de la biocapacité de la planète.
• Abolir les paradis fiscaux, symboles de la légalisation du vol de la richesse collective
et de son acceptation éthique par nos sociétés et bannir l'évasion fiscale.
• Rétablir le caractère et les fonctions publiques de la monnaie, des monnaies. La
privatisation de la monnaie et de la finance mondiale est l'un des plus puissants instruments, de pair avec la technologie, de génération des facteurs des conflits et des guerres pour la puissance et la domination. Les collectivités locales, nationales et mondiales doivent récupérer la maîtrise commune de la finance. Il est urgent de réduire drastiquement le pouvoir de domination sur l'épargne et les investissements, de loin supérieur à celui des États, acquis par les grandes banques, les fonds d'investissement et les marchés boursiers. Il faut organiser une Convention mondiale citoyenne sur les banques, les fonds d'investissements et les bourses pour un Plan mondial pour la reconversion financière, la sécurité et la paix.
La lutte “Contre la guerre” est la lutte des justes, elle est la lutte éthique pour la vie et la justice. C'est le combat pour re-irriguer la Terre, reverdir les déserts, redonner de l'oxygène aux océans, pratiquer la fraternité, vivre l'amitié, en un mot, redonner de la joie et de l'amour à la vie. Bruxelles, 26 août 2024.
Note
1. Convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes : le développement complet d'un pays, le bien-être du monde et la cause de la paix demandent la participation maximale des femmes à égalité avec les hommes, dans tous les domaines.
Liste des premiers signataires
Donata Albiero, ancienne directrice d ‘école (Italie),
Mario Agostinelli, Association Laudato si…( Italie),
Alain Adriaens, Mouvement pour la Sobriété (Belgique),
Alassan Ba, Pharmacien,Centre d'Ethique (France-Sénégal),
Guido Barbera, Solidarietà Internazionale-CIPSI (Italie),
Cristina Bertelli, Université du Bien Commun (France),
Antonio Bruno, enseignant (Italie),
Ernesto Bonometti et Antonella Zonato, activistes eau bien commun (Italie),
Luca Cecchi, Activiste-Eau, Ass.Monastero del Bene Comune (Italie),
Martine Chatelain, Activiste Eau Secours (CND-Québec),
Giovanna Dal Lago, Ass. “Mamma no pfas”(Italie),
Éric Degimbe, Communauté de la Poudrière (Belgique),
Aníbal Faccendini, Cátedra del Agua, Université Nationale de Rosario (Argentine),
Ettore Fasciano, activiste pour les Droits Humains (Italie),
Adriana Fernández, éducatrice (Chili),
Paolo Ferrari, Médecin, Chrétiens de base Vérone, (Italie),
Alfio Foti, Convention des droits humains en Méditerranée (Italie),
Pierre Galand, ancien sénateur, Forum Nord-Sud (Belgique),
Lilia Ghanem, anthropologue, rédactrice de The Ecologist en arabe (Liban),
Melissa et Laury Gingreau, Ass. Méga Bassines non merci (France),
Luis Infanti de la Mora, évêque Diocèse Aysén, Patagonie (Chili),
Eric Jadoul, activiste pour les biens communs(Belgique),
Pierre Jasmin, pianiste, secrétaire général des Artistes Pour la Paix (CND-Québec),
Michele Loporcaro, agriculteur (Italie),
Claudia Marcolungo, professeure Univ. de Padoue (Italie),
Maurizio Montalto, avocat, défenseur de l'eau bien commun (Italie),
Loretta Moramarco, avocate, militante pour l'Eau (Italie),
Vanni Morocutti, Communauté de la Poudrière (Belgique),
Dario Muraro, activiste no pfas (Italie),
Marinella Nasoni, ancienne syndicaliste (Italie),
Christine Pagnoulle, professeure émérite Université de Liège, ATTAC (Belgique)
Maria Palatine, musicienne, chanteuse, harpiste (Allemagne),
Gianni Penazzi, guitaristempour la paix, les droits humains et l'environnement (Italie),
Nicola Perrone, journaliste, « Solidarietà Internazionale” (Italie),
Riccardo Petrella, professeur émérite Université de Louvain (Belgique),
Michela Piccoli, Mamma no pfas (Italie),
Pietro Pizzuti, comédien, Collectif des Artistes (Belgique),
Jean-Yves Proulx, éducation citoyenne (CND-Québec),
Paolo Rizzi, éducateur pour les droits humains et l'environnement (Italie),
Domenico Rizzuti, ancien dirigeant syndical /Recherche (Italie),
Anne Rondelet, pensionnée (Belgique),
Roberto Savio, journaliste, fondateur de IPS et de Other News (Italie),
Catherine Schlitz, Association PAC-Présence Action Culturelle (Belgique),
Patrizia Sentinelli, Association Altramente ancienne Ministre Coopération (Italie),
Cristiana Spinedi, enseignante (Suisse),
Mimmy Spurio, pensionnée, activiste eau (Italie),
Bernard Tirtiaux, sculpteur, écrivain (Belgique),
Hélène Tremblay, chercheuse, auteure, conférencière… (CND – Québec)
Pour ajouter votre signature :
https://framaforms.org/pour-le-refus-integral-de-la-guerre-1725177466
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Irrationalité et paranoïa de masse envahissent nos sociétés

« Mais, pourquoi ils nous agressent ? Qu'est-ce qu'on leur a fait pour qu'ils nous haïssent et nous bombardent comme ça ? ». Ces questions surprennent et ont de quoi nous faire réfléchir car elles sont le fait des citoyens russes ordinaires de la région de Koursk, interrogés par des reporters envoyés sur place pour couvrir l'avancée des troupes ukrainiens dans ce territoire russe. Et elles surprennent d'autant plus que ces citoyens Russes n'habitent pas à Vladivostok ou en Sibérie, mais pratiquement à cheval sur la frontière russe avec l'Ukraine, à seulement quelques dizaines de kilomètres des champs de bataille de la guerre déclenchée par l'invasion de ce pays par l'armée russe le 24 février 2022…
26 août 2024 | tiré du site du CADTM | Image yk - cc
https://www.cadtm.org/Irrationalite-et-paranoia-de-masse-envahissent-nos-societes
Simple naïveté ou bourrage des crânes, conditionnement du peuple par une propagande de l'État russe, asphyxiante et omniprésente ? Oui, sans aucun doute, mais sûrement plus que ça. Ce qui rend ces interrogations des citoyens de la région de Koursk emblématiques d‘un état d'esprit plus général de notre époque, c'est qu'elles sont en même temps le fait aussi des citoyens... israéliens qui se posent systématiquement des questions du genre « qu'est ce qu'on leur a fait pour que les Palestiniens ou les Arabes nous haïssent tellement et veulent nous faire du mal ? ». Des citoyens israéliens qui sont d'ailleurs souvent des témoins oculaires, sinon des acteurs, des actes de racisme, d'oppression, des bombardements et des massacres perpétrés contre leurs voisins palestiniens par une armée israélienne composée de citoyens ordinaires, c'est-à-dire... d'eux-mêmes !
Évidemment, on ne peut pas comparer la passivité teinté de fatalisme de la majorité des citoyens russes atomisés et repliés sur eux-mêmes, à l'actuel fanatisme raciste et va-t-en guerre de l'écrasante majorité des citoyens israéliens. Cependant, au-delà de leurs différences et des raisons qui font que les sociétés russe et israélienne paraissent aujourd'hui aveuglées par le chauvinisme et soudées derrière leur gouvernants archi-autoritaires (pour le cas israélien voir notre article Essayant de comprendre la dérive génocidaire de la société israélienne !), ce qui caractérise actuellement toutes les deux est leur basculement vers l'irrationalité. Ce qui fait qu'elles soient balayées par une vague de ce qui est la définition même de la paranoïa de masse : « Psychose caractérisée par un orgueil démesuré et une tendance au délire de persécution ». En somme, la folie des grandeurs (Le Grand Israël des uns ou l'Empire Russe promis par Dieu des autres…) mêlée à la suspicion pathologique qu'ils sont entourés par des ennemis qui ne veulent que leur destruction…
À vrai dire, si la paranoïa de masse reste pour l'instant l'apanage des sociétés russe et israélienne, par contre le basculement vers l'irrationalité de masse concerne pratiquement tout le monde actuel et constitue un phénomène de nos temps ! En effet, quelle société de par le monde peut prétendre ne pas connaître et ne pas subir cette irrationalité de masse des temps modernes, qui n'est rien d'autre que ce mélange d'obscurantisme et de mysticisme, de complotisme et de conception policière de l'histoire, à la recherche permanente des boucs émissaires pour « expliquer » tout ce qui préoccupe l'humanité, comme par exemple la catastrophe climatique ou les pandémies ?
Mais alors, qui sont les responsables de cette dérive si inquiétante et si dangereuse ? La réponse saute aux yeux : ce sont les gouvernants et les élites politiques et autres de nos pays. Tous ceux qui, par leurs actes et même par leur exemple personnel, distillent méthodiquement le poison de cette méfiance pathologique envers les « autres » (qui peuvent être les migrants, les minorités ethniques, sexuelles, religieuses, etc.) mêlé à la folie des grandeurs fondée sur la croyance qu'on est le peuple élu de Dieu dont les « autres » ne peuvent qu'être jaloux…
Force est de constater que ce poison, les gouvernants et leurs acolytes l'ont distillé à leurs sujets pratiquement depuis le fond des temps, et surtout durant ce XXe siècle de toutes les barbaries. Mais, force est aussi de constater que jamais autant qu'aujourd'hui ils ne l'ont fait aussi systématiquement, méthodiquement et à l'échelle planétaire, allant même jusqu'à se coordonner entre eux ! Le résultat est que les politiques et les attitudes tendant à imposer et à généraliser cette irrationalité, qu'on considérait jadis être des exceptions à la règle, tendent aujourd'hui à devenir... la règle. Et ce n'est pas évidemment un hasard que leurs meilleurs représentants sont actuellement tous ces politiciens au pouvoir ou aux portes du pouvoir catalogués à l'extrême droite et au néofascisme : du Russe Poutine à l'Américain Trump, de l'Indien Modi au Hongrois Orban, du Brésilien Bolsonaro à l'Argentin Milei, sans oublier les centaines de leurs émules de par le monde, et évidemment l'Israélien Netanyahou et ses ministres mystiques et fascistes, ainsi que les ultra-riches, comme Elon Musk, qui ne cachent plus leur ambition de gouverner le monde cauchemardesque de leurs rêves.
Toutefois, le fait qu'ils sont unis dans leur volonté de s'entraider et de se coordonner dans un réseau international ultra-réactionnaire, anti-ouvrier, raciste, misogyne, homophobe et liberticide, ressemblant de plus en plus à une Internationale brune, ne signifie pas qu'ils sont pareils. Par exemple, Trump n'est pas Poutine, et ses comportements ubuesques, faits de délires égocentriques, de promesses messianiques, de mensonges éhontés proférés par rafales, et d'appels au meurtre, font déjà des émules dont le plus illustre est l'Argentin Milei, « le président à la tronçonneuse ». Les catastrophes sociales sans précédents causées déjà par ce clone argentin de Trump, devraient faire réfléchir tous ceux qui ont tendance à penser que, dans la nuit de leur raisonnement, tous les néolibéraux, tous les libertariens et tous les réactionnaires sont gris, donc pareils. En réalité, toute cette pègre néofasciste cultive et nourrit l'irrationalité et la paranoïa de masse dont souffre nos sociétés, pour une raison très simple : parce que cette irrationalité et cette paranoïa font partie intégrante et servent leur projet néofasciste...
Alors, c'est tout à fait « normal » que tout ce beau monde se reconnaît, se regroupe et serre les rangs derrière ceux qu'il considère, d'ailleurs à juste titre, comme ses idoles, ses chefs et ses incontestables exemples à suivre : Poutine et Netanyahou ! Pourquoi eux et pas d'autres ? Mais, parce que ces deux-la font preuve de la plus grande brutalité et barbarie et d'une absence totale de scrupules, n'hésitant pas à commettre toute la gamme des crimes punis par le droit international (crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocides...) afin de démontrer leur détermination d'aller jusqu'au bout de leur projet raciste, obscurantiste, antidémocratique et liberticide.
Voici donc pourquoi le sort de l'humanité est en train de se jouer dans une large mesure en Palestine et en Ukraine, partout où des hommes et des femmes se battent, souvent les armes à la main, contre Netanyahou et Poutine, ces deux têtes pensantes de cette Internationale brune en formation. Plus que jamais, leur combat est notre combat, le combat de ceux et celles qui défendent bec et ongles, le peu qui reste de nos droits et libertés démocratiques, contre les amis et clones de Poutine et de Netanyahou, dans nos propres pays. D'ailleurs, n'est-ce pas le bras droit de Poutine, son éternel ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui déclare que « Israël poursuit des objectifs similaires à ceux de la Russie », avant de préciser que... « la destruction complète du mouvement Hamas » et « l'élimination de tout extrémisme à Gaza » sont similaires à la « démilitarisation » et la « dénazification » que Moscou poursuit en Ukraine ?
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

L’indépendantiste Christian Tein détenu en France

En prison depuis juin, l'indépendantiste Christian Tein devient le président du Front de libération nationale kanak et socialiste
Par Luis Reygada, L'Humanité, France, le 1er septembre 2024
Le leader indépendantiste, Christian Tein, fait partie des sept militants kanaks déportés en métropole au mois de juin. Le Front de libération nationale kanak et socialiste l'a désigné, samedi 31 août, comme son nouveau président.
Face à la stratégie de répression déployée par l'Hexagone pour sauvegarder ses intérêts en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, le Front de libération nationale kanak et socialiste a désigné, samedi 31 août, le leader Christian Tein comme son nouveau président.
Porte-parole de la Cellule de coordination des actions de terrain ( créée en novembre 2023 pour mener la contestation suite au projet de réforme du corps électoral sur l'archipel ), il est à l'isolement à la prison de Mulhouse-Lutterbach ( Haut-Rhin ) depuis le 23 juin, à 17 000 kilomètres de chez lui, soupçonné par Paris d'avoir orchestré la révolte qui a récemment embrasé le Caillou.
Une incarcération aux relents de justice coloniale, comme au temps où la France exilait les chefs autochtones récalcitrants, et que le parti de Tein, l'Union calédonienne, qualifie de « déportation politique ».
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Haïti : le Conseil présidentiel, 100 jours après : un bilan d’échec

Alors que les habitants de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince (AMP) et du département l'Artibonite continuent de subir l'assaut de la fédération des gangs Viv Ansanm, le Conseil présidentiel (CP) et le gouvernement Conille s'enlisent dans la nonchalance. Au lieu de mettre en place un plan de sécurité efficace, axé sur les ressources locales, ils se lancent dans une campagne de propagande irresponsable depuis plusieurs mois.
Faisant fi de la réalité catastrophique de la population livrée en pâture à la violence au quotidien, ils multiplient les promesses et des mesures cosmétiques en matière de sécurité qui n'ont jusqu'à aujourd'hui aucune prise sur la réalité du terrain. Soulignons que le temps passé à faire ces promesses et à prendre ces mesures cosmétiques signifie pour plusieurs millions de résidents de l'AMP et de l'Artibonite l'ajout des centaines, voire de milliers nouvelles vies fauchées, de femmes violées, d'hommes et enfants assassinés, etc.
Au nombre de ces mesures, on peut citer, à titre d'exemple, la déclaration de l'état d'urgence touchant 14 communes alors qu'aucun plan d'intervention des forces policières et militaires pour contrer les gangs a été conçu et mis en œuvre. C'est en ce sens qu'au lieu de commencer à repousser les malfrats pendant l'état d'urgence et de reprendre sous son contrôle les régions que ces derniers occupaient, la police a concédé d'autres territoires à la fédération des gangs Viv Ansanm, comme l'illustrent récemment l'occupation et les massacres des membres de la population de Ganthier et Gressier. En clair, l'État et la force publique ne font que multiplier des communiqués dans les médias et réseaux sociaux, sans se préoccuper de la mise en place concrète d'une stratégie de lutte pour résoudre le problème du banditisme, en instituant par exemple le Conseil de Sécurité.
Par ailleurs, un autre événement marque les 100 jours du Conseil présidentiel : l'accusation de corruption à l'égard de Gerald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin, trois membres du Conseil présidentiel. Une accusation, portée par le président du Conseil de l'administration de la Banque nationale de crédit (BNC) M. Raoul Pierre Louis, accusation qui n'a pas donné lieu jusqu'à maintenant à une sérieuse investigation par le gouvernement Conille, alors même que la lutte contre la corruption aurait dû constituer l'un des piliers de ce gouvernement de transition, comme le préconise l'Accord du 3 avril. De plus, ce qui est extrêmement grave, immédiatement après l'accusation, M. Pierre Louis a été démis de ses fonctions En effet, l'accusateur a été révoqué alors qu'aucune mesure n'a été prise pour mettre les présumés corrompus à la disposition de la justice. Le CP et le gouvernement refusent d'obtempérer aux revendications des organisations de la société civile demandant le remplacement des présumés corrompus. Alors que des milliers de survivant.e.s sont contraint.e.s de fuir leur milieu de vie pour se réfugier dans des camps d'infortune, les gouvernants semblent prioriser la consolidation des pratiques de spoliation des ressources de l'État.
Il faut également souligner que ce climat d'insécurité larvée a des conséquences socio-économiques graves dont une insécurité alimentaire grandissante pour une bonne partie de la population. Or, si le gouvernement ne fait qu'aborder le problème de l'insécurité à coups de communiqués et de mesures cosmétiques, rien n'est dit sur ces problèmes sociaux rampants. Au contraire, le pillage des maigres ressources de l'État continue comme cela a été le cas dans le passé.
Fort de ces constats, nous, organisations haïtiennes de la diaspora, condamnons l'attitude irresponsable du Conseil présidentiel (CP) et du gouvernement Conille dans le maintien du chaos social dans le pays. Nous exigeons la mise en place d'un plan de sécurité efficace pouvant mettre fin au climat de terreur des gangs dans les différentes communes de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince et de l'Artibonite. En lieu et place de la propagande et des déclarations creuses, nous demandons le retrait immédiat des présumés corrompus dans le Conseil présidentiel de manière à faciliter le bon déroulement de l'enquête sur le dossier de la BNC. De plus, il est essentiel que l'Accord du 3 avril soit non seulement officialisé et publié dans le journal le Moniteur, mais également mis en application sans délai par le gouvernement de transition. Enfin, nous saluons, avec consternation, la mémoire des milliers de citoyens, de citoyennes assassiné.e.s dans l'indifférence totale du gouvernement et du Conseil présidentiel. Nous appelons les classes populaires et les paysans, les paysannes à poursuivre la mobilisation pour la restauration de la sécurité dans le pays et l'élaboration d'un État de droit. Nous exhortons les forces progressistes tant à l'intérieur du pays que dans la diaspora à soutenir les justes revendications du peuple haïtien.
Chaque jour qui passe dans ce climat délétère constitue un véritable calvaire pour la population. Dans cette situation d'urgence, chaque minute compte. Le gouvernement de transition est responsable de mettre en application le plus tôt possible l'Accord du 3 avril et de tout faire pour prendre les mesures nécessaires et adéquates pour lutter contre le banditisme.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

« Le secteur paysan en Haïti se constitue en force pour affronter le système et le gouvernement »

Juslene Tyresias vient d'Haïti et est membre du Mouvement Paysan Papaye (MPP). « Le MMP, c'est un mouvement paysan qui a accompli ses 50 ans en 2023. Nous avons à peu près 60 000 membres et nous avons trois branches : les femmes, les hommes paysans et les jeunes. L'organisation a comme axe principal d'intervention l'agroécologie, l'éducation populaire, la lutte pour la protection et la gestion de l'environnement, et la question des femmes est au cœur du MMP comme axe transversal », explique-t-elle.
4 septembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/04/le-secteur-paysan-en-haiti-se-constitue-en-force-pour-affronter-le-systeme-et-le-gouvernement/#more-85126
Le MPP est actif dans 13 communes et 35 sections communales à travers le pays. Juslene explique que l'organisation travaille beaucoup pour améliorer les conditions de vie des paysannes et paysans qui, durant très longtemps, ont été réprimés par d'autres secteurs de la population. Elle dit que « Le travail sur le terrain, c'est l'éducation populaire via la méthode de Paulo Freire. Nous sensibilisons et conscientisons, les paysans, femmes hommes jeunes, pour être actrices et acteurs du changement social que nous défendons. Et la vision du MPP, c'est de défendre les intérêts et tout ce que les paysans ont comme revendications ».
Au cours de l'entretien, Juslene a évoqué la lutte paysanne en Haïti et la lutte contre l'impérialisme américain dans le contexte actuel. Cette interview a été réalisée lors du Congrès Rising Majority [La majorité qui se lève], qui s'est tenu en juin 2024 à Saint Louis, aux États-Unis, et qui a rassemblé 700 personnes issues de diverses organisations populaires, de partis, de syndicats et de mouvements de défense des droits humains dans le pays. Juslene a fait partie de la délégation d'observateurs internationaux qui a participé au congrès à l'invitation de la Grassroots Global Justice Alliance (GGJ).
Nous sommes ici aux États-Unis pour cette conférence Rising Majority (RM), et nous savons quel le rôle des EU dans la colonisation en Haïti, et tous les problèmes qu'il y a avec les entreprises transnationales. Qu'est-ce que vous pensez de l'organisation ici aux EU pour la libération d'Haïti, et quel est le rôle selon vous de la solidarité internationale avec le pays ?
Participer à Rising Majority est une contribution dans tout ce que nous avons comme revendications par rapport à l'ingérence des acteurs internationaux, surtout les EU, et dans les affaires privées et nationales d'Haïti. Et là, nous rencontrons vraiment pas mal de personnes qui luttent pour la transformation sociale au niveau mondial. Et ça, c'est notre lutte aussi. Nous sommes dans un espace où nous apprenons collectivement, où nous nous renforçons collectivement, où nous prônons le respect mutuel, la dignité humaine et le bien-vivre collectif. Pour moi, être aux EU aujourd'hui pour participer à l'Assemblée de RM, c'est un pas en plus par rapport à notre vision. Qui est une vision sur le long terme mais nous comptons quand même arriver à bout pour une transformation sociale et mondiale.
Une seule organisation, un seul pays, un seul peuple, ne peut pas lutter face à tous les obstacle du monde que nous comprenons. C'est pourquoi il faut avoir beaucoup d'organisation qui font alliances, et qui définissent et mènent une vision commune pour pouvoir affronter les forces de la mort. Auxquelles nous faisons face chaque jour dans nos actions, dans nos activités, dans notre vie, pour arriver à un monde plus juste et équitable, afin que chacun et chacune vive dignement.
L‘une des expériences que vous avez partagées lors de ces journées est l'importation de riz empoisonné des États-Unis vers Haïti, sous couvert d'aide humanitaire de la part d'entreprises. Pouvez-vous nous parler de cette affaire ?
L'importation, ou l'invasion des marchés locaux et nationaux avec des produits, est une caractéristique du système capitaliste dans lequel la majorité des pays évolue. Depuis les années 1980, Haïti, qui a été un pays souverainement autosuffisant sur le plan alimentation, fait face à une invasion massive de produits importés. Plus principalement, de riz qui vient des États-Unis et des pays asiatiques, et qui envahissent nos produits, ce qui constituent à écraser notre production locale et nationale. D'après une étude qui a été publiée en février 2024 par l'Université du Michigan, on a pu constater que ce riz importé que nous consommons beaucoup en Haïti a deux éléments cancérigènes. Le cadmium et l'arsenic.
Cela montre comment le système est en train de nous empoisonner pendant qu'ils écrasent notre production de riz. Sans parler du fait qu'il y a trois ou quatre ans, on a importé une variété de riz d‘un pays asiatique qui a attiré beaucoup de rats qui commencent à manger et à détruire les variétés de riz que nous avons, surtout dans la région de l'Artibonite. Les produits importés, non seulement ils sont nocifs, non seulement ils nous empoisonnent, mais aussi, cela contribue à la destruction de nos variétés. Nos gouvernements ne prennent pas en compte la relève, la multiplicité de nos variétés de semences en acceptant, ou du moins en répondant positivement, à tous les ordres que leur maîtres leur donne pour pouvoir détruire le peuple haïtien.
Quel est le rôle des organisations paysannes et des femmes, dans la construction et récupération de la souveraineté alimentaire du Haïti ?
Le rôle des organisations paysannes dans la récupération de la souveraineté alimentaire en Haïti est primordiale. Car c'est nous qui prônons l'agroécologie, qui diffusons les principes agroécologiques. Nous faisons le transfert des connaissances techniques et l'accompagnement des paysannes et des paysans. Nous jouons le rôle de porter nous leurs revendications auprès de l'Etat. Nous constituons une force pour pouvoir pousser l'Etat à changer ses agendas face à la population et à la paysannerie.
C'est une lutte qui est longue et nous affrontons beaucoup d'obstacles, parce que le système est en face de nous. Il passe par les médias, la religion et presque toutes les autres institutions comme l'Etat et les forces armées, pour nous contraindre à la soumission. Mais nous disons « non ». Le secteur paysan en Haïti se constitue en force pour pouvoir affronter et le système, et le gouvernement qui ne respecte pas nos lois. Et c'est pourquoi nous nous sommes engagées dans une lutte acharnée, en appliquant l'agroécologie et l'éducation populaire pour pouvoir récupérer notre souveraineté alimentaire et notre souveraineté nationale.
Haïti traverse une période de conflit et de crises difficiles qui touchent tous les secteurs de la société, mais la lutte continue. Si on pense au meilleur futur pour le peuple d'Haïti, lequel serait-il ?
Une vie meilleure pour Haïti, même si c'est dans un futur lointain, c'est pouvoir vivre en solidarité, comme cela a été. Parce que traditionnellement, le peuple haïtien est un peuple solidaire. Un peuple qui, culturellement, qui croit dans la confiance, dans la solidarité, l'entraide. Ce que nous vivons actuellement parvient de là-bas des acteurs internationaux, des acteurs politiques et, je dirais, de toute personne qui n'a pas de conscience ou de sensibilité. Quand on donne des armes aux jeunes pour pouvoir vivre dans des gangs – ce qui les détruisent humainement dans la société, parce que soit ils vont en prison, soit ils vont mourir – eh bien ça, c'est un acte barbare.
Haïti ne produit pas d'armes. Haïti ne produit pas de munitions. Et ce n'est pas la population qui fait entrer des armes en Haïti, ce sont des gens de la bourgeoisie, des gens dans la politique et même, je dirais, dans les autorités. Parce qu'à chaque fois, ils veulent acquérir le pouvoir et pour cela, ils passent par les armes, par l'argent. Eh bien, nous visons une Haïti prospère et libre. Libre de toute ingérence, libre de tout acte barbare, libre de tout obstacle qui nous empêche de vivre dans le meilleur, dans la meilleure vie possible, avec dignité. C'est ça notre vision, et nous combattons pour cela, nous nous engageons.
Entretien réalisé par Bianca Pessoa
Transcription et traduction du français par Gaëlle Scuiller
https://capiremov.org/fr/entrevue/juslene-tyresias-le-secteur-paysan-en-haiti-se-constitue-en-force-pour-affronterle-systeme-et-le-gouvernement/
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Équateur : De Rafael Correa à Guillermo Lasso en passant par Lenin Moreno

La Banque mondiale et le FMI ont 80 ans. 80 ans de néocolonialisme financier et d'imposition de politique d'austérité au nom du remboursement de la dette. 80 ans ça suffit ! Les institutions de Bretton Woods doivent être abolies et remplacées par des institutions démocratiques au service d'une bifurcation écologique, féministe et antiraciste. À l'occasion de ces 80 ans, nous republions tous les mercredis jusqu'au mois de juillet une série d'articles revenant en détail sur l'histoire et les dégâts causés par ces deux institutions.
4 septembre 2024 | tiré du site du CADTM | Photo : Guillermo Lasso
https://www.cadtm.org/Equateur-De-Rafael-Correa-a-Guillermo-Lasso-en-passant-par-Lenin-Moreno
Le 11 avril 2021, lors du deuxième tour des élections présidentielles, Guillermo Lasso (52,4 %), le candidat de la droite, a devancé Andres Arauz (47,6 %), le candidat soutenu par Rafael Correa et une partie de la gauche. Lasso a été élu grâce à la division de la gauche car une partie importante de celle-ci, qui a perdu toute confiance dans Rafael Correa, a appelé à voter nul. Les voix du camp populaire, qui était clairement majoritaire au premier tour des élections de février 2021, se sont divisées et cela a permis à un ancien banquier d'être élu président. La situation est grave car une occasion de rompre avec la politique néo libérale brutale de Lenin Moreno a été perdue. L'ex-banquier Lasso, quoique critique par pur électoralisme des positions de Lenin Moreno, va poursuivre le même type d'orientation néfaste : l'approfondissement de politiques néolibérales, la soumission aux intérêts privés du Grand capital, en particulier du puissant secteur bancaire équatorien, du secteur importateur-exportateur et la soumission à la superpuissance nord-américaine. Comment est-il possible qu'une partie importante des voix du camp populaire ne se soit pas reportée sur Andres Arauz pour éviter l'élection de Guillermo Lasso ? Cela s'explique par le rejet qu'a suscité dans une partie de la gauche, notamment dans la CONAIE, la Confédération des nations indigènes de l'Équateur, la politique de Rafael Correa en particulier à partir de 2011.
La victoire de Lasso n'était pas du tout garantie car, au premier tour des élections, les deux forces politique sorties victorieuses du scrutin étaient d'une part le mouvement politique soutenu par Rafael Correa avec 42 député·es et d'autre part Pachakutik, le bras politique de la CONAIE avec 27 élu·es, qui a obtenu le meilleur résultat parlementaire de toute l'histoire du mouvement indigène. Au niveau des élections présidentielles, le résultat du premier tour des présidentielles était clairement favorable au camp populaire car l'addition du résultat d'Andres Arauz (un peu plus de 32 %) et celui de Yaku Perez (un peu moins de 19 %) donnait une majorité à laquelle on pouvait ajouter une partie du candidat arrivé en quatrième position qui se présentait comme social-démocrate et qui avait obtenu près de 14 %. Lasso, l'ex-banquier venait certes en deuxième position avec 19 % mais avec un avantage très limité face à Yaku Perez, le candidat présenté par Pachakutik aux élections de février 2021, et 13 points de moins qu'Andres Arauz. Yaku Perez et la CONAIE ont d'abord dénoncé ce qu'ils ont appelé une fraude électorale massive. Puis Yaku Perez a passé un accord de soutien mutuel avec Guillermo Lasso quelques jours après le deuxième tour, accord qui a été rompu rapidement par Lasso. Ensuite la CONAIE a appelé avec différentes forces de gauche à voter nul au second tour en refusant de reporter leurs voix sur Andres Arauz pour battre Guillermo Lasso. Sur cette question la CONAIE et Pachakutik se sont divisés car un secteur de droite dans Pachakutik a appelé a voté en faveur de Lasso tandis que le président de la CONAIE, Jaime Vargas, avait appelé à voter pour Andres Arauz avec le soutien d'une majorité d'organisations indigènes de la partie amazonienne de l'Équateur membres de la CONAIE. Malgré les voix discordantes qui annonçaient qu'elles voteraient pour Lasso contre celles qui appelaient à voter pour Arauz, la CONAIE réaffirma ensuite l'appel à voter nul qui finalement a atteint 16,3 % le jour des élections.
L'élection de Lasso comme président ouvre une nouvelle étape dans l'application d'une politique encore plus favorable au Grand capital équatorien, aux multinationales étrangères, à une alliance entre les présidents de droite en Amérique latine et à la poursuite, voire au renforcement, de la domination des États-Unis sur le continent. Le résultat électoral du 11 avril 2021 est un jour sombre pour le camp populaire. Pour comprendre comment une partie importante du camp populaire a refusé d'appeler à voter en faveur d'Arauz pour battre Lasso, il convient d'analyser la politique suivie par Rafael Correa après avoir été réélu président en 2010.
Rappel sur la politique suivie par Correa entre 2007 et 2010
Commençons par un rappel concernant la présidence de Rafael Correa de 2007 à 2010 que j'ai analysée dans plusieurs articles antérieurs. L'Équateur a offert l'exemple d'un gouvernement qui adopte la décision souveraine d'enquêter sur le processus d'endettement afin d'identifier les dettes illégitimes pour ensuite en suspendre le remboursement. La suspension du paiement d'une grande partie de la dette commerciale, suivie de son rachat à moindre coût, montre que le gouvernement ne s'est pas cantonné aux discours de dénonciation. Il a procédé en 2009 de fait à une restructuration unilatérale d'une partie de sa dette extérieure et a remporté une victoire contre ses créanciers privés, principalement des banques et des fonds d'investissement des États-Unis. En 2007, le gouvernement de l'Équateur au début de la présidence de Rafael Correa est entré en conflit avec la Banque mondiale, le représentant permanent de la Banque mondiale a été expulsé. Entre 2007 et 2010, pendant la présidence de Rafael, il faut ajouter qu'une série de politiques positives importantes a été initiée : une nouvelle constitution a été adoptée d'une manière démocratique ce qui a annoncé d'importants changements qui par la suite n'ont pas débouché sur une authentique et profonde concrétisation ; l'Équateur a mis fin à la base militaire étasunienne de Manta sur la côte pacifique ; l'Équateur a tenté de mettre en place une banque du Sud avec l'Argentine, le Venezuela, le Brésil, la Bolivie, l'Uruguay et le Paraguay ; l'Équateur a quitté le tribunal de la Banque mondiale.
Le tournant de Rafael Correa à partir de 2011
Ensuite 2011 a marqué un tournant dans la politique du gouvernement équatorien sur plusieurs fronts, tant sur le front social qu'aux niveaux de l'écologie, du commerce et de la dette. Les conflits entre le gouvernement et une série de mouvements sociaux importants comme la CONAIE d'une part, les syndicats de l'enseignement et le mouvement étudiant, d'autre part, se sont envenimés. Rafael Correa et son gouvernement ont avancé dans des négociations commerciales avec l'UE au cours desquelles ils ont multiplié les concessions. Au niveau de la dette, à partir de 2014, l'Équateur a recommencé à augmenter progressivement le recours aux marchés financiers internationaux. Sans oublier, les dettes contractées auprès de la Chine. Sur le plan écologique, le gouvernement de Correa a abandonné en 2013 le projet de ne pas exploiter le pétrole dans une partie très sensible de l'Amazonie. Correa a pris également des positions patriarcales et réactionnaires sur la question de la dépénalisation de l'avortement et sur les LGBTQI.
L'abandon de l'Initiative Yasuní-ITT en 2013
L'Initiative Yasuní-ITT avait été présentée en juin 2007 par Rafael Correa. Elle consistait à laisser sous terre 20 % des réserves de pétrole du pays (environ 850 millions de barils de pétrole), situées dans une région de méga-biodiversité, le parc national Yasuní, au nord-est de l'Amazonie [1]. Comme l'explique Matthieu Le Quang : « Pour compenser les pertes financières de la non-exploitation, l'État équatorien demandait aux pays du Nord une contribution financière internationale équivalente à la moitié de ce qu'il aurait pu gagner avec l'exploitation (3,6 milliards de dollars calculés à partir des prix du pétrole de 2007). Cette politique était ambitieuse notamment dans ses objectifs de changer la matrice énergétique d'un pays qui, bien qu'exploitant et exportant son pétrole, n'en est pas moins un importateur de ses dérivés et en restait dépendant pour la génération d'électricité. » [2]] Matthieu Le Quang poursuit : « Une décision forte du gouvernement équatorien était d'avoir inscrit l'Initiative Yasuní-ITT dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, c'est-à-dire d'avoir mis l'accent sur la non-émission de gaz à effet de serre qu'engendrerait la non-exploitation du pétrole. » En août 2013, Rafael Correa, qui avait été réélu pour la troisième fois à la présidence en février avec plus de 57 % des voix dès le premier tour, a annoncé la fin de ce projet. Il a justifié sa décision par la faiblesse bien réelle des engagements pris par différents pays pour financer la non-exploitation du pétrole de Yasuni-ITT.
Fondamentalement pendant la présidence de Rafael Correa il n'y a pas eu de début d'abandon du modèle extractiviste-exportateur. Ce modèle consiste en un ensemble de politiques qui visent à extraire du sous-sol ou de la surface du sol un maximum de biens primaires (combustibles fossiles, minerais, bois…) ou à produire un maximum de produits agricoles destinés à la consommation sur les marchés étrangers afin de les exporter vers le marché mondial (dans le cas de l'Équateur il s'agit de la banane, le sucre, la palme africaine, les fleurs, le brocoli [3]). Il faut ajouter l'exportation de crevettes d'élevage et du thon (pêché de manière industrielle). Ce modèle a des nombreux effets néfastes : destruction environnementale (mines à ciel ouvert, déforestation, contamination des cours d'eau, salinisation/appauvrissement/empoisonnement/érosion des sols, réduction de la biodiversité, émission de gaz à effet de serre…), destruction des milieux naturels de vie de populations entières (peuples originaires et autres) ; épuisement des ressources naturelles non renouvelables ; dépendance à l'égard des marchés mondiaux (bourses de matières premières ou de produits agricoles) où se déterminent les prix des produits exportés ; maintien de salaires très bas pour rester compétitif ; dépendance à l'égard des technologies détenues par les pays les plus industrialisés ; dépendance à l'égard d'intrants (pesticides, herbicides, semences transgéniques ou non, engrais chimiques…) produits par quelques grandes sociétés transnationales (la plupart provenant des pays les plus industrialisés) ; dépendance à l'égard de la conjoncture économique et financière internationale.
François Houtart (1925-2017) qui a suivi de près le processus en cours en Équateur et qui soutenait la politique de Rafael Correa n'avait pas manqué d'exprimer des critiques et les avait communiquées au gouvernement. Un peu avant son décès, il écrivait à propos de la politique agricole : « Ces politiques sont également à court terme. Elles ne tiennent pas compte des changements naturels et de leurs effets à long terme, de la souveraineté alimentaire, des droits des travailleurs, de l'origine de la pauvreté rurale. Elles accentuent un modèle d'agro-exportation présenté comme un objectif, sans en indiquer les conséquences. » Il précisait : « En tant qu'auteurs, nous nous sommes demandé dans notre rapport s'il était possible de construire le socialisme du 21e siècle avec le capitalisme du 19e siècle. (…) Une fois de plus dans l'histoire, c'est le monde rural et ses travailleurs qui paient le prix de la modernisation. Ce fut le cas du capitalisme européen au XIXe siècle, de l'Union soviétique dans les années 1920, de la Chine après la révolution communiste. [4] »
Rafael Correa et les mouvements sociaux : une relation conflictuelle
Le gouvernement de Rafael Correa a montré une grande difficulté à prendre en compte les apports d'un certain nombre d'organisations sociales de premier plan. L'orientation de Rafael Correa et de la direction d'Alianza País, son mouvement politique, a consisté à contourner le plus souvent possible la plus grande organisation indigène, la CONAIE, le plus grand syndicat enseignant (l'Union nationale des éducateurs, UNE), le syndicat de l'entreprise Petroecuador (l'entreprise pétrolière nationale) et un nombre considérable d'organisations sociales. L'ensemble de ces organisations s'est vu régulièrement attaqué par le pouvoir exécutif qui les accuse de se mobiliser sur des bases corporatistes, dans le but de défendre des privilèges. De plus, Rafael Correa n'a pas pris en compte la revendication historique, portée principalement par la CONAIE, d'intégration de la composante indigène dans le processus de prise de décision sur toutes les grandes questions touchant les orientations du gouvernement. De son côté, la CONAIE, qui lutte pour que les principes généraux de la Constitution soient retranscrits sous forme de lois [5], n'hésite pas à se confronter à Rafael Correa. À plusieurs reprises, le gouvernement a essayé de faire approuver des mesures sans organiser préalablement un dialogue avec les organisations des secteurs sociaux concernés. Cette orientation n'est pas sans rappeler la politique du gouvernement Lula au Brésil, lorsque celui-ci a entrepris une réforme du système de retraites d'orientation néolibérale en 2003 (au même moment où, en France, le gouvernement de droite conduit par Jean-Pierre Raffarin mettait en œuvre une réforme similaire). Lula a mené campagne pour sa réforme en attaquant les acquis des travailleurs de la fonction publique présentés comme des privilégiés.
Parmi les contentieux les plus graves opposant le pouvoir exécutif aux organisations sociales équatoriennes viennent en premier lieu le projet de loi sur l'eau, d'une part, et la politique d'ouverture de Rafael Correa aux investissements privés étrangers dans l'industrie minière et pétrolière, d'autre part [6]. Lors d'une assemblée extraordinaire tenue les 8 et 9 septembre 2009 à Quito, la CONAIE n'a pas épargné la politique du gouvernement Correa qu'elle a stigmatisé comme néolibérale et capitaliste [7]. La CONAIE « exige de l'État et du gouvernement qu'ils nationalisent les ressources naturelles et qu'il mettent en œuvre l'audit sur les concessions pétrolières, minières, aquifères, hydrauliques, téléphoniques, radiophoniques, télévisuelles et des services environnementaux, la dette extérieure, le prélèvement des impôts et les ressources de la sécurité sociale », ainsi que « la suspension de toutes les concessions (extractives, pétrolières, forestières, aquifères, hydroélectriques et celles liées à la biodiversité) [8] ». Après le 30 septembre 2009, la CONAIE est passée à l'action en organisant des rassemblements et des blocages de routes et de ponts contre un projet de loi sur l'eau. Des mobilisations contre le gouvernement face auxquelles le président Correa a réagi en s'opposant d'abord à toute négociation, puis en jetant la suspicion sur le mouvement indigène en affirmant que la droite, et en particulier l'ex-président Lucio Gutiérrez, s'activait en son sein. Finalement, la CONAIE a obtenu une négociation publique au plus haut niveau : ainsi, 130 délégués indigènes ont été reçus au siège du gouvernement par le président Correa et plusieurs ministres, et ont finalement obtenu que le gouvernement fasse machine arrière sur plusieurs points, notamment avec l'instauration d'un dialogue permanent entre la CONAIE et l'exécutif, et avec des amendements sur les projets de loi sur l'eau et sur les industries extractives.
Un autre conflit social a également éclaté avec la mobilisation des enseignants, sous l'égide de l'UNE, le principal syndicat de la profession (dans lequel le parti MPD [9] exerce une influence importante), contre le gouvernement. Là aussi, le conflit a finalement débouché sur un dialogue. En novembre et décembre 2009 s'est développé un troisième front social avec le mouvement de protestation dans les universités contre un projet de réforme qui visait notamment à réduire l'autonomie universitaire, qui est considérée, en Amérique latine, comme une avancée sociale irréversible et un gage d'indépendance à l'égard des pouvoirs politiques.
Globalement, le gouvernement de Rafael Correa a rapidement montré de sérieuses limites dès lors qu'il s'agissait de définir une politique en prenant en compte le point de vue des mouvements sociaux sans épreuve de force.
En 2010 et en 2014, il y a eu d'importantes mobilisations sociales contre la politique du gouvernement Correa. Les revendications mises en avant par les organisations qui, autour de la CONAIE, ont appelé à la lutte en juin 2014 en disent long sur l'orientation du gouvernement : Résistance à l'extraction minière et pétrolière, à la criminalisation de la protestation sociale, au nouveau Code du travail ; une autre politique de l'énergie et de l'eau ; droit des communautés indigènes et, en particulier, le refus de fermetures des écoles communautaires [10] ; refus de la réforme de la Constitution permettant une réélection indéfinie ; refus de la signature d'un accord de libre-échange avec l'Union européenne.
En décembre 2014, Rafael Correa a voulu faire expulser la CONAIE de ses locaux ce qui a amené le CADTM comme de nombreuses organisations équatoriennes et étrangères à exiger du gouvernement qu'il renonce à cette décision [11]. Le gouvernement a reculé. Fin 2017, le gouvernement de Rafael Correa a voulu retirer la personnalité juridique à une organisation écologiste de gauche appelée Acción Ecológica. Il a fallu là aussi une vague de protestation nationale et internationale pour que finalement les autorités renoncent à cette atteinte aux libertés [12].
Conclusion sur la présidence de Rafael Correa
Dès le début de son premier mandat Rafael Correa a composé son gouvernement en prenant soin d'y faire coexister des ministres de gauche et des ministres liés plus ou moins directement à différents secteurs de la classe capitaliste traditionnelle équatorienne, ce qui l'a amené à des arbitrages perpétuels. Au fil du temps, Correa a fait de plus en plus de concessions au grand capital qu'il soit national ou international.
Malgré une rhétorique favorable au changement du modèle productif et au socialisme du 21e siècle, Correa, en dix ans de présidence, n'a pas engagé une modification profonde de la structure de l'économie du pays, des relations de propriété et des relations entre les classes sociales. Alberto Acosta, ex-ministre de l'énergie en 2007, ex-président de l'Assemblée constituante en 2008 et opposant à Rafael Correa depuis 2010 écrit avec son collègue John Cajas Guijarro que : « l'absence de transformation structurelle fait que l'Équateur reste une économie capitaliste liée à l'exportation de matières premières et, par conséquent, liée à un comportement cyclique à long terme lié aux exigences de l'accumulation transnationale de capital. Ce comportement cyclique de longue date est dû aux contradictions inhérentes au capitalisme, mais il est également fortement influencé par la dépendance à l'égard de l'exportation massive de produits primaires presque non transformés (extractivisme). En d'autres termes, l'exploitation capitaliste - tant de la main-d'œuvre que de la nature - selon les exigences internationales, maintient l'Équateur « enchaîné » à une succession de haut et de bas qui trouvent leur origine tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. » [13]
Lenin Moreno ou le retour de la politique néolibérale et de la soumission aux intérêts de Washington
En 2017, à la fin du mandat présidentiel de Rafael Correa et au moment où lui a succédé comme président Lenin Moreno (qui était le candidat soutenu par Correa), la dette dépassait le niveau atteint 10 ans plus tôt. Rapidement Lenin Moreno a fait de nouveau appel au FMI. Cela a provoqué de très fortes protestations populaires en septembre-octobre 2019 qui ont obligé le gouvernement a capitulé face aux organisations populaires et a abandonné le décret qui avait provoqué la révolte [14].
Rappelons par ailleurs que le gouvernement de Rafael Correa avait offert l'asile à Julian Assange dans l'ambassade de l'Équateur à Londres à partir de juin 2012. Correa a résisté à la pression de la Grande Bretagne et de Washington qui exigeaient que Assange leur soit livré. Lenin Moreno qui a succédé à Rafael Correa en 2017 s'est déshonoré en livrant Assange à la justice britannique en avril 2019 et en lui retirant la nationalité équatorienne que le gouvernement de Correa lui avait octroyée en 2017.
En 2019, Lenin Moreno a reconnu Juan Guaido comme président du Venezuela alors que celui-ci appelait à une intervention armée des États-Unis pour renverser le gouvernement du président élu Nicola Maduro.
En 2020, Lenin Moreno a passé un nouvel accord humiliant pour l'Équateur avec le FMI et en 2021 il essaye de faire adopter une loi afin de rendre la Banque centrale complètement indépendante du gouvernement et donc encore plus soumise aux intérêts des banques privées.
Sa popularité s'est réduite au néant : dans les derniers sondages, Lenin Moreno obtenait à peine un taux d'approbation de 4,8 %. Le résultat des candidats soutenus par Moreno aux élections parlementaires et au premier tour des présidentielles de février 2021 n'ont pas dépassé 3 %.
Le programme de Guillermo Lasso, vainqueur de l'élection présidentielle en Équateur le 11 avril 2021 et la nouvelle étape
Si Rafael Correa est arrivé à la présidence de l'Équateur en 2007, c'est grâce aux mobilisations sociales qui ont jalonné les années 1990 jusque 2005. Sans celles-ci ses propositions n'auraient pas trouvé l'écho qu'elles ont reçu et il n'aurait pas été élu. Malheureusement, après un très bon départ, il est entré en conflit avec une partie importante des mouvements sociaux et a opté pour une modernisation du capitalisme extractiviste-exportateur. Ensuite, son successeur Lenin Moreno a rompu avec Rafael Correa et est revenu à la politique brutale du néolibéralisme. Cette politique néolibérale pure et dure va être approfondie par Guillermo Lasso. Celui-ci a annoncé clairement qu'il voulait baisser les impôts sur les entreprises, qu'il voulait attirer les investissements étrangers, qu'il voulait donner encore plus de libertés aux banquiers, qu'il voulait consolider la politique d'ouverture commerciale en intégrant l'Alliance du Pacifique. Il est probable que Guillermo Lasso va tenter d'intégrer des leaders liés à Pachakutik et à la CONAIE d'une manière ou d'une autre à son gouvernement ou à son administration. Si cela réussissait, la CONAIE et Pachakutik en sortiront encore plus divisé qu'à la veille des élections du second tour. Il est fondamental pour l'avenir du camp populaire de s'opposer radicalement et activement au gouvernement que constituera Lasso.
L'avenir pendant la présidence de Guillermo Lasso
Une fois de plus, ce seront les mobilisations sociales qui pourront venir à bout de ces politiques et remettre à l'ordre du jour les mesures de changement structurel anticapitaliste indispensables à l'émancipation. La CONAIE et toute une série d'organisations syndicales, d'associations féministes et de collectifs écologistes avaient élaboré en octobre 2019 une excellente proposition alternative aux politiques capitalistes, patriarcales et néolibérales, elle devrait constitué la base d'un vaste de programme de gouvernement [15].
La question du rejet des politiques du FMI, de la Banque mondiale et des dettes illégitimes reviendra au centre des batailles sociales et politiques [16]. Dans un document rendu public en juillet 2020 par plus de 180 organisations populaires équatorienne on trouve la revendication suivante : « -suspension du paiement de la dette extérieure et réalisation d'un audit de la dette extérieure accumulée de 2014 à ce jour, ainsi qu'un contrôle citoyen sur l'utilisation des dettes contractées. [17] »
Réflexions finales sur le vote du 11 avril 2021
Avec 98,84 % de comptabilisation des votes :
- Arauz a obtenu 47,59%, ce qui correspond à : 4.100.283 voix.
- Lasso : 52,4 % correspondant à 4.533.275 votes.
- Votes nuls : 16,33 % correspondant à 1.715.279 votes.
- Total des votants : 10 501 517 votants.
- Absentéisme : 2 193 896 personnes.
Le vote nul a atteint 9,5 % au premier tour ; le vote nul a progressé de 6,83 % entre le premier tour et le second tour ; en termes de voix cela donne :
- Vote nul février 2021 : 1 013 395 voix.
- Vote nul avril 2021 : 1 715 279 voix.
- Différence : + 701 884 voix.
De manière générale, une grande partie de cette différence dans le vote nul peut être attribuée à la campagne de Pachakutik, de la Conaie, des mouvements sociaux et des organisations de gauche qui ne soutenaient pas le candidat de Correa. Cela signifie que moins de la moitié de leurs électeurs ont opté pour le vote nul ; il faut rappeler que Yaku Pérez a obtenu 19,39% au premier tour, soit 1 798 057 voix. En supposant que la majorité de ce vote corresponde au vote des Pachakutik, cela signifierait que 39% de sa base électorale a opté pour le vote nul. Dans le cas où, comme c'est le plus probable, il y a d'autres secteurs qui ont voté nul, il ne serait pas hasardeux de dire que le vote nul qui correspond à Pachakutik devrait être d'environ 30 % de son électorat. Autrement dit, un électeur de Pachakutik sur trois a opté pour le vote nul, qui peut être considéré comme son vote dur.
Malheureusement, les 70 % restants sont allés majoritairement à Lasso, probablement en rejet du corréisme, en raison de la longue histoire d'agressions contre le mouvement populaire ; mais cela signifie tout de même qu'il s'agit d'un vote à droite, tournant le dos à ce qui s'était passé au premier tour. Cela montre également la fragilité du vote pour une nouvelle alternative qui échappe à la polarisation entre le corréisme et la droite traditionnelle.
Cela montre aussi que si la CONAIE, Pachakutik et les autres organisations de gauche qui ont appelé au vote nul avaient appelé à voter contre Lasso ou avaient appelé à voter pour Arauz, il était très possible de battre Lasso et de faire pression sur Arauz pour qu'il prenne en compte les demandes exprimées tant dans le texte de la CONAIE d'octobre 2019 que dans la proposition du parlement des peuples de juillet 2020. Des textes excellents qui se situent à gauche du contenu de la campagne électorale de Yaku Perez au premier tour, ainsi que du programme d'Andres Arauz.
Pour en savoir plus sur l'Équateur au cours des 20 dernières années voir :
- Les prêts empoisonnés de la Banque mondiale et du FMI à l'Équateur
- Équateur : Les résistances aux politiques voulues par la Banque mondiale, le FMI et les autres créanciers entre 2007 et 2011
- - Pour la défense des droits des droits des communautés indigènes et paysannes : Lettre ouverte au président de l'Équateur : https://www.cadtm.org/Pour-la-defense-des-droits-des-droits-des-communautes-indigenes-et-paysannes
- - Nous dénonçons la renégociation de la dette par le gouvernement de Lenín Moreno : https://www.cadtm.org/Nous-denoncons-la-renegociation-de-la-dette-par-le-gouvernement-de-Lenin-Moreno
- - Vidéo : Eric Toussaint : Leçons de l'assemblée constituante en Équateur en 2007-2008 : https://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-Lecons-de-l
- - Vidéo : Équateur : Historique de l'audit de la dette réalisée en 2007-2008. Pourquoi est-ce une victoire ? (vidéo de 14 minutes) : https://www.cadtm.org/Equateur-Historique-de-l-audit-de
Notes
[1] Pour une présentation du projet en 2009, voir Alberto Acosta interviewé par Matthieu Le Quang « Le projet ITT : laisser le pétrole en terre ou le chemin vers un autre modèle de développement » publié le 18 septembre 2009, http://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=4757
[2] Matthieu Le Quang interviewé par Violaine Delteil, « Entre buen vivir et néo-extractivisme : les quadratures de la politique économique équatorienne » dans Revue de la Régulation, premier semestre 2019, https://journals.openedition.org/regulation/15076 [consulté le 30 décembre 2020
[3] En ce qui concerne la production de brocoli en Équateur, François Houtart écrit : « Il convient de mentionner l'étude réalisée en 2013 sur la production de brocoli dans la région de Pujilí, dans la province de Cotopaxi. 97 % de la production de brocoli est exportée vers des pays principalement capables de produire du brocoli (États-Unis, UE, Japon), sur la base d'avantages comparatifs (bas salaires, lois environnementales moins exigeantes). L'entreprise de production monopolise l'eau, qui ne suffit plus aux communautés voisines ; elle bombarde les nuages pour empêcher les averses de tomber sur les brocolis, mais dans les environs. Des produits chimiques sont utilisés à moins de 200 mètres des habitations contrairement à la loi. L'eau polluée s'écoule dans les rivières. La santé des travailleurs est affectée (peau, poumons, cancers). Les contrats sont conclus en partie sur une base hebdomadaire, avec un contremaître qui reçoit 10 % du salaire, ce qui lui permet d'échapper à la sécurité sociale. Les heures supplémentaires ne sont souvent pas rémunérées. L'entreprise qui transforme le brocoli pour l'exportation travaille 24 heures sur 24 en trois équipes. Il n'était pas rare que les travailleurs soient obligés de travailler en deux équipes à la fois. Le syndicat est interdit. En outre, les deux sociétés, qui ont maintenant fusionné, avaient leurs capitaux, l'une au Panama et l'autre aux Antilles néerlandaises. » https://www.cadtm.org/Ecuador-Un-factor-de-control-de-la
[4] « Estas políticas son también a corto plazo. No tienen en cuenta los cambios naturales y sus efectos a largo plazo, la soberanía alimentaria, los derechos de los trabajadores, el origen de la pobreza rural. Se acentúa un modelo agro-exportador presentado como una meta, sin indicar las consecuencias. » « Como autores, nos hemos preguntado en nuestro informe, si era posible construir el socialismo del siglo XXI con el capitalismo del siglo XIX ¿ (…) Una vez más en la historia, es el campo y sus trabajadores los que pagan el precio de la modernización. Fue el caso del capitalismo europeo en el siglo XIX, de la Unión Soviética en los años 20 del siglo XX, de China, después de la Revolución comunista. » https://www.cadtm.org/Ecuador-Un-factor-de-control-de-la
[5] Voir Floresmillo Simbana “Movimiento indígena y la revolución ciudadana” : https://www.cadtm.org/Movimiento-indigena-y-la
[6] L'Équateur possède une économie basée principalement sur la rente du pétrole. Il faut bien avoir en tête que le pétrole représentait pour l'année 2008, 22,2 % du PIB, 63,1 % des exportations et 46,6 % du budget général de l'État.
[7] Asamblea Extraordinaria de la CONAIE : Resoluciones de Nacionalidades y Pueblos, « Declarar al gobierno de Rafael Correa como gobierno neoliberal y capitalista por sus acciones y actitudes », disponible sur : https://kaosenlared.net/resoluciones-de-los-pueblos-y-nacionalidades-del-ecuador/
[8] Ibid
[9] Mouvement populaire démocratique, bras électoral du Parti communiste marxiste-léniniste (maoiste) de l'Équateur
[10] A propos de la volonté du gouvernement de Correa de fermer les écoles communautaires, François Houtart a écrit en 2017 : « le plan de fermeture de 18 000 écoles communautaires (appelées « écoles de la pauvreté ») au profit des écoles du millénaire (début 2017 : 71 construites, 52 en construction et fin 2017, 200 en fonctionnement) accentue les problèmes. Ces établissements du millénaire sont sans doute bien équipés, avec des enseignants compétents, mais dans une philosophie qui rompt avec la vie traditionnelle et s'ouvre à une modernité aujourd'hui remise en cause en raison de ses conséquences sociales et environnementales. Ils ne répondent pas non plus facilement au principe constitutionnel de l'éducation bilingue. En outre, dans plusieurs cas, le système de transport n'a pas pu correspondre aux besoins et oblige les étudiants à marcher pendant des heures sur des chemins en mauvais état, ce qui entraîne également un taux d'absentéisme élevé »
https://www.cadtm.org/Ecuador-Un-factor-de-control-de-la
[11] Voir la Lettre du CADTM Ayna à Rafael Correa, Président de l'Équateur, publiée le 27 décembre 2014 https://www.cadtm.org/Lettre-du-CADTM-Ayna-a-Rafael
[12] Voir en espagnol Acción Ecológica, ¡ GRACIAS !, publié le 17 janvier 2017, https://www.cadtm.org/GRACIAS
[13] Alberto Acosta, John Cajas Guijarro, Una década desperdiciada Las sombras del correísmo, Centro Andino de Acción Popular Quito, 2018
Citation originale en esp : « la falta de una transformación estructural provoca que el Ecuador se mantenga como una economía capitalista atada a la exporta ción de materias primas y, por lo tanto, amarrada a un comportamiento cíclico de larga duración vinculado a las demandas de acumulación del ca pital transnacional. Tal comportamiento cíclico de larga historia es originado por las contradicciones propias del capitalismo pero ; a su vez, es altamente influenciado por la dependencia en la exportación masiva de productos primarios casi sin procesar (extractivismo). Es decir, la explota ción capitalista –tanto de la fuerza de trabajo como de la Naturaleza– en función de las demandas internacionales, mantiene al Ecuador “encadena do” a un vaivén de animaciones y crisis económicas que se originan tanto interna como externamente. »
[14] CADTM AYNA, « Ensemble avec le peuple équatorien », publié 15 octobre 2019, https://www.cadtm.org/Ensemble-avec-le-peuple-equatorien Voir aussi le livre collectif : Franklin Ramírez Gallegos (Ed.), Octubre y el derecho a la resistencia. Revuelta popular y neoliberalismo autoritario en Ecuador, Buenos Aires, CLACSO. Il est téléchargeable gratuitement : http://www.clacso.org.ar/libreria-latinoamericana/buscar_libro_detalle.php?campo=titulo&texto=derecho&id_libro=2056
[15] CONAIE, Entrega de propuesta alternativa al modelo económico y social, 31 octobre 2019, https://conaie.org/2019/10/31/propuesta-para-un-nuevo-modelo-economico-y-social/
[16] Déclaration collective signée par Éric Toussaint, Maria Lucia Fattorelli, Alejandro Olmos Gaona, Hugo Arias Palacios, Piedad Mancero, Ricardo Patiño, Ricardo Ulcuango « Nous dénonçons la renégociation de la dette par le gouvernement de Lenín Moreno », publiée le 1er août2020, https://www.cadtm.org/Nous-denoncons-la-renegociation-de-la-dette-par-le-gouvernement-de-Lenin-Moreno
[17] Voir PROPUESTA-PARLAMENTO-DE-LOS-PUEBLOS.pdf publié en juillet 2020 https://rebelion.org/wp-content/uploads/2020/07/PROPUESTA-PARLAMENTO-DE-LOS-PUEBLOS.pdf
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Soudan : « 500 jours de guerre »

Depuis cette semaine, la guerre, au Soudan, entre l'armée soudanaise (SAF-général Abdel Fattah al-Burhan) et les forces paramilitaires Rapid Support Forces (RSF-Mohamed Hamdan Dogolo dit Hemeti) compte quelque 500 jours. Ce pays du nord-est de l'Afrique connaît actuellement la plus grande catastrophe humanitaire et de déplacement de population au monde. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), environ 10,5 millions de personnes sont déplacés au Soudan, dont huit millions sont des déplacés internes. En raison des combats qui ne cessent de s'étendre, beaucoup ont déjà été contraints de fuir à plusieurs reprises.
Tiré de A l'Encontre
3 septembre 2024
Par Saskia Jaschek
Soudan, mai 2024 : femmes et enfants fuient le conflit. (Photo : OCHA/Liz Loh-Taylor )
Les chiffres, toujours conservateurs, de différents organismes de surveillance concernant le nombre de morts peuvent englober plusieurs dizaines de milliers. En juin 2024, le représentant états-unien au Soudan Tom Perriello [à ce poste depuis fin février 2024] parlait en revanche d'au moins 150 000 morts. A cela s'ajoutent les personnes qui meurent des suites de la guerre et dont les décès n'ont été recensés nulle part jusqu'à présent. Les personnes handicapées, les personnes souffrant de maladies préexistantes et surtout les personnes âgées meurent chez elles, ou pendant leur fuite, ainsi que dans les camps ou dans les pays d'arrivée en raison du manque de soins de santé.
Les combats n'ont pas cessé 16 mois après le début de la guerre. La catastrophe humanitaire qu'ils ont engendrée est encore aggravée par la saison des pluies actuelle. Plus de 100 000 personnes se sont retrouvées sans abri à la suite des inondations [depuis le mois d'août : depuis fin juillet-début août] . Le choléra, qui s'était déjà déclaré peu après le début de la guerre, continue de se propager à cause des inondations. Les inondations détruisent également des espaces de vie là où les combats n'ont pas encore eu lieu. C'est le cas dans l'est du Soudan. Une rupture de barrage s'y est produite le 26 août [au nord, à quelque 40 km de Port-Soudan] tuant 30 personnes, près de 200 sont encore portées disparues. En outre, l'approvisionnement en électricité et en eau a été détruit par la rupture du barrage.
Pendant ce temps, 25,6 millions de personnes luttent contre la faim au Soudan. Cela représente environ la moitié de la population soudanaise. L'Integrated Food Security Phase Classification (IPC), une institution de surveillance de l'insécurité alimentaire, a indiqué que le Soudan était confronté à la pire crise alimentaire depuis le début de ses enregistrements. Selon l'IPC, 800 000 personnes sont en situation de famine aiguë et risquent donc de mourir de faim dans un avenir proche.
Une famine fabriquée par l'homme
Cette famine est fabriquée par l'homme et fait partie de la guerre politique. La région d'Al-Jazirah [un des 18 Etats du Soudan], au centre du Soudan, en est un exemple. Al-Jazirah est le centre de l'agriculture soudanaise. Depuis décembre 2023, les FRS n'ont cessé de prendre le contrôle de cet Etat. Leurs atrocités – pillages, vols, viols et meurtres – ont également forcé les personnes travaillant dans le secteur agricole à fuir. La « Coalition des agriculteurs de Al-Jazirah et El Manaqil [ville de l'Etat d'Al-Jazirah] » estime qu'environ 70% de tous les agriculteurs et agricultrices ont été déplacés depuis le début de la guerre. La production agricole s'est donc presque totalement effondrée dans la région.
Les millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays qui restent dans les camps de réfugiés surpeuplés dans les régions périphériques du pays sont particulièrement touchées par la faim. C'est le cas des 400 000 personnes vivant dans le camp de réfugiés de Zamzam au nord du Darfour. Comme l'a noté IPC, environ 64 personnes y meurent chaque jour, dont 15 sont des enfants de moins de cinq ans.
Les conditions dans les camps de réfugié·e·s des pays voisins sont également catastrophiques. Que ce soit au Tchad, en Ethiopie ou au Soudan du Sud, les rapports dressent un tableau similaire : des camps surpeuplés où font défaut la nourriture, les médicaments et même l'eau potable.
Les Emergency Response Rooms (ERR) locales, qui fournissent une grande partie de l'aide humanitaire sur place, se plaignent du manque de ressources. Ces centres d'urgence organisés à la base sont principalement financés par la diaspora soudanaise. Mais après 500 jours de guerre, leurs ressources sont également largement épuisées. Ils ont tous une famille et des proches qui les ont soutenus financièrement pendant cette période.
L'aide humanitaire internationale n'atteint qu'une fraction de la population qui en dépend. L'accès et le financement nécessaires font défaut. Selon les données des Nations unies, les pays donateurs ont fourni moins d'un cinquième des fonds nécessaires au Programme mondial contre la faim (PAM) pour lutter contre la famine.
Alors que la crise humanitaire est largement ignorée au niveau international, les Etats-Unis ont donné un signal, du moins sur le plan politique. Mi-août, ils ont lancé de nouvelles négociations de paix entre les RSF et la SAF à Genève, en Suisse. L'objectif de ces négociations de dix jours était d'établir un plan de cessez-le-feu et d'ouvrir des corridors humanitaires. Des tentatives de médiation comme celle-ci ont échoué à plusieurs reprises par le passé. Les négociations de Genève n'ont pas non plus été couronnées de succès. Ce résultat se profilait déjà par le simple biais de qui y participait : alors qu'une délégation des RSF a pris part aux négociations, aucun représentant de la SAF n'est venu à Genève.
Le dirigeant de la SAF, le général Abdel Fattah al-Burhan, a déclaré dans une interview que les négociations étaient une opération « whitewashing » des RSF et des pays qui les soutiennent [entre autres les Emirats arabes unis]. Depuis le début de la guerre, la SAF met l'accent sur une rhétorique d'Etat-nation, dans laquelle elle se voit légitimée en tant qu'armée de l'Etat soudanais. De la même manière, elle dévalorise les RSF en les qualifiant de « rebelles » avec lesquelles il n'est pas possible de négocier. Les paramilitaires des RSF étaient issus de milices rurales, mais avaient obtenu le statut d'entité étatique sous l'ancienne dictature d'Omar el-Béchir [au pouvoir d'octobre 1993 au 11 avril 2019]. Par la suite, les conflits de pouvoir entre ces entités se sont multipliés.
L'Arabie saoudite, l'Egypte et les Emirats arabes unis se sont également présentés comme médiateurs à Genève. Cela témoigne d'une ironie particulière de la diplomatie, car les gouvernements des trois pays sont connus pour leur soutien à différents camps dans la guerre en cours au Soudan. L'année dernière déjà, des analystes politiques avaient souligné à plusieurs reprises que la guerre pourrait rapidement prendre fin si des sanctions fermes étaient prises contre la SAFFAS et les RSF. Cela ne s'applique pas seulement aux grandes entreprises que possèdent les deux belligérants, mais commence par la suppression les livraisons de biens nécessaires à la conduite de la guerre comme les armes, les techniques de surveillance ou l'essence.
Le rappeur états-unien Macklemore a récemment montré à quoi pouvait ressembler un boycott solidaire. Celui-ci a annulé en début de semaine un concert à Dubaï. Il a donné comme raison sur Instagram le soutien des Emirats arabes unis aux RSF. Tant que les Emirats financent la RSF et lui fournissent des armes, il ne peut pas s'y produire, a déclaré Macklemore [1].
Une attitude cohérente comme celle-ci ne se retrouve pas actuellement parmi les gouvernants ayant une influence géopolitique, bien que la connaissance de quels Etats soutiennent quel belligérant soit largement répandue.
Pas de cessez-le-feu en vue
A Genève, l'espoir d'un cessez-le-feu s'est déjà envolé alors que les négociations étaient encore en cours. En effet, en même temps qu'elles se tenaient, la SAF et les SRF ont bombardé des zones résidentielles et des hôpitaux. Alors que la SAF bombarde sans relâche, surtout au Darfour, les SRF attaquent régulièrement Omdurman [ville située sur le Nil en face de la capitale Khartoum], contrôlée par la SAF. On peut s'attendre à ce que les actes de guerre des deux parties s'intensifient encore après la fin de la saison des pluies.
Même si les combats entre les généraux devaient cesser, une véritable paix est encore loin. En effet, la guerre a ravivé d'anciens conflits et fragmenté la population civile. La montée en puissance des milices locales et la militarisation de la population civile ont multiplié les acteurs de la guerre et les ont portés dans presque toutes les couches de la population.
De plus, la guerre a largement détruit l'infrastructure du Soudan et donc des conditions cruciales pour garantir une certaine autosuffisance du pays. Afin d'éviter une hécatombe due à la crise alimentaire, il serait important que l'aide humanitaire ne se limite pas à la livraison de denrées alimentaires, mais qu'elle rétablisse avant tout les capacités d'auto-approvisionnement de la population, par exemple en créant les conditions permettant de cultiver des plantes utiles et de garantir la potabilisation de l'eau. Pour cela, il faut à la fois assurer des accès au niveau local et un grand déploiement de l'aide internationale. À l'heure actuelle, rien de tout cela ne semble à portée de main. (Article publié le 30 août 2024 sur le site Analyse&Kritik; traduction rédaction A l'Encontre)
Saskia Jaschek, journaliste indépendante qui prépare un doctorat à l'université de Bayreuth (Allemagne) avec une recherche sur le mouvement de résistance soudanais.
[1] Selon Africanews du 3 septembre : « Le rappeur américain Macklemore a annoncé avoir annulé un concert prévu en octobre à Dubaï en raison du rôle des Emirats arabes unis « dans le génocide et la crise humanitaire en cours » au Soudan, à travers leur soutien présumé à la force paramilitaire qui combat les troupes gouvernementales dans ce pays. » L'annonce de Macklemore a ravivé l'attention sur le rôle des Emirats arabes unis dans la guerre qui secoue la nation africaine. Alors que les Emirats arabes unis ont nié à plusieurs reprises avoir armé les Forces de soutien rapide et soutenu son chef Mohammed Hamdan Dagalo (Hemeti), des experts des Nations unies ont rapporté en janvier des preuves « crédibles » selon lesquelles les Emirats envoyaient des armes aux RSF plusieurs fois par semaine depuis le nord du Tchad. » (Réd.)
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :