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« Black Box Diaries », la journaliste courageuse qui a lancé le mouvement #MeToo japonais

Le documentaire de la journaliste qui a initié le mouvement #MeToo au Japon continue de recevoir des prix ; le dernier en date au Fipadoc de Biarritz. Et bien qu'il puisse également remporter un Oscar, il reste censuré dans son pays. La plateforme de streaming Filmin vient de le sortir, et en mars il arrivera dans les salles françaises.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Lauréat le 31 janvier dernier du Grand Prix de la dernière édition du Fipadoc, le prix principal du festival du film documentaire de Biarritz, « Black Box Diaries » est également l'un des documentaires favoris pour remporter un Oscar dans sa catégorie. Après être passé par les principaux festivals spécialisés, on peut maintenant le voir sur Filmin, après que la plateforme de streaming vient de l'inclure dans son catalogue, tandis qu'en France, il sortira dans les salles commerciales le 12 mars.
En France, une pétition est également en cours sur Change.org, exhortant sa sortie au Japon, où il ne trouve toujours pas de distributeur. C'est assez gênant : le documentaire a été distribué dans 58 pays à travers le monde et continue de recevoir des prix. Mais dans son pays d'origine, « Black Box Diaries » reste un sujet inconfortable.
Le début du documentaire, qui se déroule comme un véritable thriller d'investigation, est si direct qu'il est percutant. Regardant la caméra, la journaliste Shiori Ito annonce qu'elle commencera à tout documenter en enregistrant des vidéos sur son iPhone et confesse sa peur de ce qui se passera lorsque le procès contre son agresseur commencera ; c'est-à-dire contre le célèbre journaliste qui l'a violée deux ans plus tôt. Et puis viennent les images réelles des caméras de l'hôtel, prises la nuit où le viol a eu lieu.
Saut dans le temps, deux ans en arrière : mai 2015, après le dîner auquel Shiori Ito, une jeune femme qui veut devenir journaliste, est invitée par Noriyuki Yamaguchi, ancien chef du bureau de Washington du Tokyo Broadcasting System. On les voit arriver à l'hôtel Sheraton de Tokyo en taxi.
Le véhicule est arrêté à la porte de l'hôtel et, tandis que le portier – qui sera un témoin essentiel – tient la porte ouverte, Yamaguchi tire et sort de force Shiori Ito de l'intérieur, qui résiste et chancelle. Il est évident qu'elle ne va pas bien, ne tient pas sur ses jambes, mais il la traîne à l'intérieur de l'hôtel. Le viol n'est pas montré, ce n'est pas non plus nécessaire.
La journaliste et cinéaste Shiori Ito est la réalisatrice et protagoniste de ce documentaire, un travail journalistique de premier ordre dans lequel elle raconte l'enquête courageuse et l'épreuve qu'elle a dû endurer jusqu'à ce qu'elle réussisse à traduire son agresseur en justice, sachant qu'il était peu probable qu'il soit poursuivi.
Car l'homme qui l'a agressée était connu pour être le journaliste le plus proche de l'ancien Premier ministreShinzo Abe, sur qui il a même écrit une biographie. Le même Shinzo Abe qui, en 2022, mourrait sous les balles lors d'un meeting.
« Je me suis concentrée, en tant que journaliste, sur la recherche de la vérité. Je n'ai pas eu d'autre choix. Mon travail a été la seule façon de me protéger », confesse Shiori Ito, regardant la caméra. Car ce qui est extraordinaire chez cette femme, c'est qu'elle a tout documenté, avec des vidéos ou des enregistrements secrets des conversations que, pendant les deux années d'enquête précédant le procès, elle a eues avec des procureurs et des enquêteurs. Elle savait que si elle ne conservait pas les preuves, personne ne la croirait.
« Quand je me suis réveillée, il était en train de me violer », l'entend-on dire en pleurant dans une déclaration. « Il n'y a pas de preuves », répond froidement le policier.
Les chances qu'une femme policière soit assignée à l'affaire étaient très rares : moins de 8% des forces de police japonaises sont des femmes. De plus, les victimes devaient reconstituer leur incident avec des poupées grandeur nature. Tokyo, une ville de 14 millions d'habitants, ne possédait alors qu'un seul centre d'aide aux victimes de viol et une ligne téléphonique d'assistance. C'est à cette société que Shiori Ito a dû faire face lorsqu'elle a décidé de porter plainte.
Par-dessus tout, il y avait la question culturelle. « Au Japon, où parler de viol reste tabou, seules 4% des victimes signalent leurs cas à la police. Les victimes et leur entourage peuvent être stigmatisés et même exclus de la société. Ma famille était contre mes actions », reconnaît-elle. Elle a découvert que le viol ne pouvait être prouvé que par une violence physique grave ou des menaces, en raison des systèmes judiciaires obsolètes du pays, où la législation sur les agressions sexuelles datait d'il y a 110 ans.
Le viol était moins punissable que le vol d'un sac à main. Socialement, il était également mal vu de le signaler. La législation devait changer. Et son cas est devenu un cas historique au Japon.
Le documentaire suit le chemin tortueux qu'elle a dû emprunter pour porter l'affaire devant la justice. Même lorsque la police était sur le point d'arrêter le violeur, un ordre est venu d'en haut pour le libérer, et ils ont retiré l'enquêteur principal de l'affaire. Le procès pénal ayant été rejeté, ils ont dû chercher une voie civile. Le dépôt de la plainte a été un choc total au Japon, le début d'un mouvement #MeToo auquel se sont également jointes ses collègues journalistes femmes. « Cela a choqué le public », explique la journaliste. « Il y a eu une réaction violente de l'extrême droite, avec une campagne en ligne de messages désobligeants et de menaces de mort, en plus des gens dans la rue qui critiquaient tout : mon apparence et mon passé. Pourquoi avais-je le bouton supérieur de mon chemisier déboutonné lors de la conférence de presse ? se demandaient-ils. C'était une preuve que j'étais une prostituée : une vraie Japonaise ne parlerait pas d'une telle honte. »
D'abord, elle a écrit un livre, intitulé « Black Box », puis ce documentaire, un journal audiovisuel. Pourquoi une boîte noire ? « Une boîte noire est définie comme un système dont le fonctionnement interne est caché ou n'est pas facilement compris », explique-t-elle. « Le Japon est une terre de boîtes noires, et j'ai appris ce qui se passe dans cette société quand on commence à les ouvrir. »
Shiori Ito a finalement gagné… bien que l'affaire soit actuellement en appel et que son documentaire ne soit toujours pas diffusé au Japon. Mais quelque chose a changé : la loi et, surtout, le soutien social à cette cause. « Plus tard, lorsqu'un changement historique dans la loi japonaise sur le viol a été adopté, j'ai senti que mon objectif principal avait été atteint et que je pouvais revenir à une vie normale », ajoute-t-elle. « Mais c'était trop tard. J'étais devenue une héroïne, une méchante, une icône, mais je ne pouvais pas vivre avec moi-même. » La blessure était trop grande. Elle continue de guérir du préjudice subi.
Amaia Ereñaga
https://vientosur.info/black-box-diaries-la-periodista-valiente-que-inicio-el-metoo-japones/
Traduit pour ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article75080
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Pourquoi les femmes de Malaisie attendent encore l’égalité

Chaque année, la Journée internationale des femmes revient avec son mélange habituel de hashtags de célébration et de platitudes d'entreprise.
Et bien que la Malaisie ait connu sa part de percées – comme la nomination historique de Tengku Maimun Tuan Mat en tant que première femme juge en chef du pays – la réalité pour la plupart des femmes reste un combat épuisant pour les droits fondamentaux.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/29/pourquoi-les-femmes-de-malaisie-attendent-encore-legalite/?jetpack_skip_subscription_popup
L'inégalité de genre profondément enracinée et les préjugés institutionnels jettent encore une longue ombre sur tout progrès accompli. Le plafond de verre peut avoir des fissures, mais il est loin d'être brisé.
Mirage de progrès
Oui, les femmes malaisiennes sont plus nombreuses que les hommes dans les universités – une statistique prometteuse qui semble excellente sur le papier.
Mais le pipeline de l'académie au leadership est obstrué par la discrimination systémique.
Les chiffres racontent l'histoire : la représentation féminine au Parlement a chuté à 13,6% en 2022 contre 14,4% en 2018 – loin de la moyenne mondiale de 25,5%. Le quota de 30% tant vanté pour la représentation politique féminine reste un objectif insaisissable, plus un slogan qu'une stratégie.
Cela ne s'arrête pas là. Une enquête de 2019 intitulée « Perceptions et réalités : les droits publics et personnels des femmes musulmanes en Malaisie » par Sisters in Islam (SIS) a révélé que 74% des répondants croient que les femmes font face à une discrimination institutionnalisée, tandis que 63% pointent du doigt les autorités religieuses qui policent de manière disproportionnée le comportement des femmes.
Les infractions des hommes, bien sûr, passent largement inaperçues. C'est un système à deux niveaux qui protège le patriarcat derrière une façade de piété.
Même les réformes légales qui semblaient être des pas en avant se sont avérées être un tour de passe-passe.
L'amendement récent permettant aux mères malaisiennes de transmettre la citoyenneté à leurs enfants nés à l'étranger est venu avec un piège : la révocation de la citoyenneté automatique pour les enfants nés en Malaisie de résidents permanents.
Pendant ce temps, les épouses étrangères d'hommes malaisiens risquent de perdre leur citoyenneté si elles divorcent dans les deux ans.
Ces politiques ne visent pas à protéger la souveraineté – elles visent à maintenir les femmes dépendantes.
Pandémie cachée : Violence domestique
Si vous pensez que la violence domestique est une « question privée », détrompez-vous.
Les cas signalés ont grimpé de 5 260 en 2020 à 7 468 en 2021. Ils ont légèrement diminué en 2022 et 2023 mais ont de nouveau augmenté en 2024 à 7 116.
Et ce ne sont que les cas que nous connaissons. Pour chaque femme qui signale des abus, d'innombrables autres restent silencieuses – piégées par la peur, la stigmatisation et un système judiciaire qui se range souvent du côté de l'agresseur.
La police est réticente à intervenir, les refuges sont sous-financés et le processus légal est un labyrinthe cauchemardesque. Les ordonnances de protection sont retardées, les affaires judiciaires traînent pendant des années et, au bout du compte, beaucoup de femmes se demandent si cela en valait même la peine. Justice différée est justice refusée – peu importe comment vous l'interprétez.
Le bureau n'est pas mieux
L'écart salarial entre les genres se situe à un énorme 21% – et c'est si vous avez la chance d'être embauchée en premier lieu.
Les préjugés de genre dans l'embauche et les promotions sont aussi communs que le café de bureau. Dans les bâtiments gouvernementaux, les femmes font face à des codes vestimentaires qui ont moins à voir avec le professionnalisme qu'avec le contrôle.
Les commentaires récents du mufti de Penang questionnant la participation des femmes aux activités de team-building révèlent un préjugé plus profond : les rôles des femmes dans la société devraient être confinés et secondaires.
Cette mentalité s'étend aussi au sport. Depuis 2019, Terengganu a interdit les gymnastes féminines, et les plongeuses musulmanes ont récemment été empêchées de concourir aux Jeux malaisiens (Sukma) en raison de leur tenue. Ce n'est pas à propos de moralité – c'est à propos de contrôle.
Divorce : Liberté refusée
Il n'a besoin que de trois mots ; je reçois des questions.
Je peux demander le fasakh, attendre des mois en file
Prouver la douleur, les cicatrices, chaque grief en nature
Ce vers résume les iniquités dans les lois familiales islamiques de Malaisie. Tandis que les hommes peuvent prononcer talaq trois fois et s'en aller, les femmes doivent endurer un marathon bureaucratique pour obtenir le fasakh – prouvant chaque cicatrice, chaque trahison, dans un détail exhaustif.
Une étude de 2024 par Sisters in Islam a trouvé qu'un nombre significatif de femmes musulmanes dans la communauté à faible revenu croient que ces lois favorisent massivement les hommes, avec plus de la moitié rapportant des difficultés à obtenir une pension ou une pension alimentaire pour enfants après le divorce.
Ce n'est pas la justice. C'est un système conçu pour épuiser les femmes jusqu'à la soumission, les piégeant dans des mariages toxiques ou de longs combats légaux.
Police de la moralité : Contrôle sous un autre nom
La police religieuse est devenue un instrument brutal pour faire respecter les normes patriarcales. La flagellation publique d'un homme malaisien à Terengganu en décembre 2024 pour khalwat (proximité étroite avec un non-mahram, c'est-à-dire quelqu'un qui n'est pas proche parent) était un avertissement stark à tous : les lois de moralité sont en hausse. Et soyons honnêtes – elles ciblent de manière disproportionnée les femmes.
Ces lois ne protègent pas la moralité publique ; elles l'instrumentalisent. Elles justifient la surveillance, codifient la discrimination basée sur le genre et privent les femmes de leur autonomie – tout en prétendant défendre les valeurs religieuses.
Réalité sombre : Mariage d'enfants
Malgré les affirmations de progrès, le mariage d'enfants reste une réalité sinistre en Malaisie, avec des filles musulmanes dès l'âge de 16 ans – ou même plus jeunes avec l'approbation du tribunal de la charia – étant mariées, souvent à des hommes plus âgés.
Selon le Département des statistiques de Malaisie, 1 124 mariages d'enfants ont été enregistrés en 2020, en baisse par rapport à 1 856 en 2018. De 2022 à 2024, près de 90 mariages d'enfants ont été enregistrés sous les tribunaux de la charia, avec les chiffres les plus élevés au Kelantan, Selangor et Kedah.
Ces mariages, souvent justifiés comme « protection » ou soulagement de la pauvreté, nient en vérité aux filles leurs droits à l'éducation, à la santé et à un avenir de leur choix.
Un rapport de 2018 par Sisters in Islam (SIS) et Arrow a mis en évidence les grossesses hors mariage comme un facteur majeur conduisant aux mariages d'enfants. Bien que certains États comme Selangor aient fait des progrès, le problème persiste à l'échelle nationale.
Les efforts pour interdire le mariage d'enfants ont été bloqués par des affirmations que cela violerait les normes religieuses et culturelles.
Nancy Shukri, la ministre du Développement des femmes, de la famille et de la communauté, a reconnu la complexité du problème en raison de la juridiction des États.
Elle a aussi révélé, en 2024, que 44 263 grossesses d'adolescentes ont été enregistrées au cours des cinq dernières années, avec 17 646 impliquant des adolescentes non mariées. Au Sarawak, 9 258 cas ont été signalés entre 2019 et 2023, en partie à cause des lois coutumières permettant les mariages d'enfants.
La persistance du mariage d'enfants ne reflète pas seulement un échec à protéger les filles de Malaisie mais expose aussi le besoin urgent d'une action fédérale complète pour mettre fin à cette pratique une fois pour toutes.
Plan pour un vrai changement
La Malaisie a besoin de plus que des gestes symboliques et des promesses vides. Il est temps pour une stratégie complète pour démanteler l'inégalité de genre.
Voici ce qui doit arriver :
– Réformer la loi familiale islamique – Assurer que les femmes aient des droits égaux dans les cas de mariage, divorce et garde d'enfants. Simplifier le processus de fasakh et éliminer le préjugé de genre dans les tribunaux de la charia
– Renforcer les protections contre la violence domestique – Élargir les définitions légales d'abus domestique pour inclure le contrôle psychologique et financier. Augmenter le financement pour les refuges et rationaliser les ordonnances de protection
– Faire respecter l'égalité salariale et l'égalité au travail – Implémenter et surveiller les lois d'égalité salariale et faire respecter les quotas de diversité de genre dans les postes de direction dans tous les secteurs
– Mettre fin à la police de la moralité – Abroger les lois qui ciblent de manière disproportionnée les femmes et codifient le patriarcat sous le prétexte de moralité religieuse
– Atteindre le quota de 30% – pour de vrai – Faire respecter le quota de 30 % pour la représentation politique féminine pour s'assurer que les voix des femmes ne soient pas seulement entendues mais qu'on agisse en conséquence
Plus de compromis
Les aspirations de modernité de la Malaisie sonnent creux tant que la moitié de sa population est retenue par des lois et des mentalités dépassées.
Les droits des femmes ne peuvent pas être relégués en marge des négociations politiques ou écartés comme des sensibilités culturelles.
Le temps du changement incrémentiel est fini. Si la Malaisie veut vraiment avancer, elle doit prendre une position décisive pour l'égalité de genre.
Tout autre chose est un compromis inacceptable.
Ameena Siddiqi
Ameena Siddiqi est directrice des communications chez Sisters in Islam (SIS). Avec une solide expérience en édition, médias et communications, elle joue un rôle central dans l'avancement de la mission de SIS de promouvoir les droits des femmes dans le cadre islamique en Malaisie. Son travail est motivé par un engagement à amplifier les voix, favoriser le dialogue et plaider pour un changement significatif.
Aliran
https://m.aliran.com/civil-society-voices/why-malaysias-women-are-still-waiting-for-equality
Traduit pour l'ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article75089
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Ethiopie : la santé malade de l’austérité

Malgré la répression, les grévistes de la santé continuent leur mobilisation et mettent en exergue leurs conditions déplorables de travail et de rémunération.
Depuis le 12 mai, le personnel de santé des différents hôpitaux que compte le pays est en grève. Sur la dizaine de revendications avancées figure en bonne place la question des rémunérations. L'exigence est d'être au niveau du standard des pays d'Afrique de l'Est soit 1000 dollars par mois.
Réparer des années d'injustice
A cela, s'ajoute un temps de travail conforme aux recommandations de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) soit 45 heures avec le paiement des heures supplémentaires, des indemnités de transport et de logement, une prime de risque et des soins médicaux gratuits pour les professionnels et leurs familles. Cette dernière demande pourrait être surprenante, et pourtant selon le témoignage d'un médecin parlant de ses collègues, il explique : « Il y a eu des cas où ils n'avaient même pas les moyens de se faire soigner lorsqu'ils tombaient malades et étaient contraints de mendier ».
Le lancement de la grève a été précédé d'une intense mobilisation sur les réseaux sociaux autour des hashtags #HealthWorkersMatter (les travailleurs de la santé comptent) ou #PayHealthWorkersFairly (payer équitablement les travailleurs de la santé). A cette occasion les populations ont pu découvrir qu'un médecin spécialiste gagne 80 dollars par mois, un médecin généraliste 7600 birrs mensuel soit une cinquantaine d'euros, les autres personnels de santé, infirmiers ou aides-soignants, touchent des salaires encore bien moindres.
Un système de santé en lambeaux
Le seul moyen de s'en sortir est de cumuler plusieurs postes augmentant le nombre d'heures de travail comme l'indique un docteur de Black Lion Specialized Hospital : « Je viens de terminer mon service de nuit, j'ai travaillé la nuit précédente dans un hôpital privé et je suis de retour aujourd'hui. Nous sommes soumis à une pression intense. » avec un risque avéré de dégradation des qualités des soins prodigués aux patients. La situation est bien plus désastreuse dans les provinces du pays où les heures supplémentaires ne sont pas payées et les salaires arrivent avec retard, ce qui entraîne des vagues de démission aboutissant à des déserts médicaux.
La déclaration d'Abuja sur la santé fixe comme objectif un budget dédié à la santé équivalent à 15% du PIB. Pour l'Ethiopie on en est loin, la Banque Mondiale estimait en 2022 que ses dépenses représentaient 2,85% de son PIB.
La répression plutôt que la négociation
Au lieu de répondre aux revendications, les autorités ont eu un discours contradictoire. Affirmant que la grève a peu d'impact mais accusant les personnels de santé de tuer les patients. Elles ont emprisonné Mahlet Gush une anatomopathologiste renommée ainsi que huit autres collègues. La Dr Mahlet est accusée « d'incitation à l'émeute et aux troubles » et de « collaboration avec des forces hostiles à la paix pour fomenter une rébellion urbaine » puis d'autres accusations ont été portées à son encontre, notamment d'avoir « provoquer la mort de patients par la grève ». Sauf que depuis plus d'un an elle n'exerce plus d'activité clinique.
En fait, son incarcération est liée à l'interview qu'elle a donnée à la BBC critiquant l'état catastrophique de l'offre de soins dans le pays. Cette répression, habituelle pour le gouvernement qui n'hésite pas à étouffer les voix dissidentes, a conduit l'Ethiopian Human Rights Commission (Commission éthiopienne des droits de l'homme) organisme public, à marquer sa réprobation.
La répression s'est accentuée. Ainsi Amnesty International a reçu une liste de 121 salariés de la santé qui ont été arrêtés. D'autres subissent des intimidations et des menaces notamment le retrait de leur licence.
En dépit de ces pressions, la grève tient bon et les autorités ont commencé à négocier, mais le personnel met comme préalable à l'ouverture des pourparlers la libération des salariés emprisonnés et la levée de toutes les sanctions.
Une victoire des grévistes serait un encouragement pour d'autres secteurs notamment celui de l'enseignement, lui aussi fort mal traité.
Paul Martial
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Afrique : De l’OUA à la nécessité de la refondation souverainiste de l’UA !

Il y a 62 ans, 32 États indépendants d'Afrique se retrouvaient un 25 mai à Addis-Abeba pour fonder l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA). 1963, c'était trois ans après l'accession au droit d'avoir un drapeau, un hymne, un État des deux courants indépendantistes national révolutionnaire panafricain dont les figures de proues étaient Kwame Nkrumah, Modibo Keita, Sékou Touré et Gamal Abdel Nasser et national réformiste à sa tête L. S. Senghor, Houphouët Boigny et Bourguiba. L'OUA fut ainsi baptisée par les chefs d'Etats qui voulaient « accomplir » et par ceux qui voulaient « trahir » la « mission » libératrice que « chaque génération doit découvrir » selon la formule de Franz Fanon.
Tiré d'Afrique en lutte.
Née d'un tel compromis entre indépendantistes radicaux et néocoloniaux, l'OUA prolongeait le piège de la seconde balkanisation qu'a été la « loi cadre » qui préfigurait l'implosion des entités panafricaines coloniales AOF et AEF en entités territoriales émiettées qui vont chacune aller, divisée, à l'indépendance. La « loi cadre » était donc une stratégie de division pour saboter le projet panafricain du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) de « l'indépendance dans l'unité ».
Ce compromis historique entre indépendantistes radicaux panafricains et néocoloniaux réformistes a été obtenu sur la base de « l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation » et la « coopération pour parachever la libération du continent du colonialisme ».
La petite bourgeoisie radicale indépendantiste progressiste a concédé à la bourgeoisie réformiste l'érection des frontières au sein de l'AOF/AEF de l'empire colonial français et au sein des territoires de l'empire colonial britannique en proclamant « intangibles les frontières Étatiques ». Pour parachever cette stratégie de division, les impérialistes et leurs laquais néo-coloniaux vont liquider les éphémères Fédération du Mali et l'Union Guinée Ghana Mali par les coups d'États contre Nkrumah et Modibo.
A l'actif de l'OUA, il faut signaler la reconnaissance de la République Saharouie et un soutien plutôt porté par les radicaux indépendantistes que les réformistes néocoloniaux aux luttes de libération nationale des colonies portugaises, de la Namibie, du Zimbabwe et anti-apartheid d'Afrique du Sud. Les unes après les autres les luttes armées anti-coloniales en Angola, Guinée Bissau-Cap-Vert, Mozambique, Zimbabwe, Namibie et Afrique du Sud avec l'apport de Cuba socialiste vont débarrasser l'Afrique du colonialisme direct.
L'OUA signe son arrêt d'inutilité politique et sa servilité néocoloniale par son silence face à l'appel de Thomas Sankara en 1987 de « refuser collectivement de payer la dette, car si je le fais tout seul je ne serai pas parmi vous au prochain sommet » et son laisser faire de l'assassinat de cet illustre président qui a fait un temps rêver d'une Afrique en voie de libération.
Au baptême de l'UA
Le cataclysme de la fin du monde bipolaire avec la fin de l'URSS et du camp socialiste d'Europe va assommer les courants révolutionnaires et progressistes souverainistes anti-impérialistes. L'impérialisme Euro-Atlantique/G7 et Israélien va se lancer dans le projet de « re-mondialisation » de son hégémonie séculaire sous l'égide de l'impérialisme Yankee. Cette « re-mondialisation » prend la forme du totalitarisme de la pensée unique libérale imposée au monde et à l'Afrique par le biais de la dette, des plans d'ajustement structurel du FMI/BM et le dévoiement des luttes populaires africaines vers la généralisation à travers « les conférences nationales de la démocratie multipartite » néocoloniale. Elle se manifeste aussi sous la forme du cycle des guerres d'agression de l'impérialisme contre l'Irak, la Yougoslavie, l'Afghanistan, la Côte d'Ivoire, la Libye, etc.
C'est dans ce contexte qu'est impulsée la mutation de l'OUA en UA par les États de la partie sud de l'Afrique et la Libye d'abord en 1999 au sommet de Syrte puis en 2002 à Durban en Afrique du Sud.
Se définissant comme « une Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène internationale », l'UA se dote d'institutions spécialisées et d'organes spécialisés dont « la création d'institutions financières continentales : (la Banque centrale africaine (BCA), le Fonds monétaire africain (FMA) et la Banque africaine d'investissement (BAI)) ».
Panique à bord chez les impérialistes voyant que l'axe Libye et Afrique du Sud/Namibie/Angola/Mozambique s'orientait vers une coopération économique rompant avec la dépendance verticale extravertie aux économies impérialistes, il fut décidé de s'attaquer à la Libye en instrumentalisant le prétendu « printemps arabe » pour y prolonger la politique de la canonnière Otanienne ainsi qu'en Syrie. Pourquoi la Libye ? Parce que comme nous l'écrivions en août 2011 dans notre article intitulé « Guerre coloniale de la Françafric, de l'Eurafric et de l'Usafric contre le peuple Libyen », les impérialistes reprochaient à Khadafi : « D'avoir empêché jusqu'ici la mise en place de « l'union Europe-Méditerranée » par laquelle le grand patronat Français veut rééquilibrer la construction européenne dominée par l'Allemagne ; D'être à l'initiative du Fond Monétaire Africain (FMA) qui est un fond africain qui rompt le monopole quasi - exclusif qu'impose jusqu'ici le FMI et la Banque Mondiale à l'Afrique ; D'être l'une des parties à l'origine du projet en cours de réalisation du satellite à 100% africain ; D'avoir investi dans les pays d'Afrique notamment dans des infrastructures à des taux d'intérêts bas ; D'avoir transformé la Libye en pays d'Afrique avec un niveau de vie proche de celui des pays développés avec l'éducation et la santé gratuites ; D'avoir diversifié les fonds souverains en dollars, euros et surtout en réserve d'or ; D'avoir nationalisé le pétrole, le raffinage et expulsé les bases militaires US ; D'avoir doté la Libye d'un réservoir en eau unique au monde ; D'avoir soutenu les luttes de libération nationale en Afrique et dans le monde contre les colonialistes ».
et à l'AES et le Sénégal
Une fois la Libye ramenée à l'âge de pierre et le meurtre sauvage de Khadafi obtenu, les djihado-terroristes armés jusqu'au dents ont essaimé dans le Sahel se mêlant aux séparatistes et ethnicistes pour planter leurs griffes dans les États des bourgeoisies bureaucratiques néocoloniales dont la faillite réside dans la généralisation de la corruption et du vol impuni de l'argent public. C'est là un processus d'embourgeoisement de la petite bourgeoisie intellectuelle néocoloniale. Les classes politiques, y compris les gauches révolutionnaires et communistes, ont été happées par les capitulations et l'intégration des principaux leaders à la tête des partis dans les systèmes néocoloniaux dont pourtant les militants ont été les meneurs et sacrifiés des luttes pour la démocratisation des dictatures néocoloniales civiles et militaires qui ont sévi entre 1960 et 1990.
Ces vingt années, 1990 et 2010, ont révélé aux yeux d'une partie de plus en plus importante de l'intelligentsia et de nos peuples la faillite totale des dictatures néocoloniales soumises au FMI/BM, des alternances démocratiques qui font se succéder des régimes politiques ayant tous la même politique libérale apatride dictée par les plans libéraux d'ajustement structurel et qui en plus dans le cas du Mali, Burkina, Niger se sont révélés complices de la duplicité des impérialistes françafricains, eurafricains et usafricains dans leur prétendue « guerre contre le terrorisme » dans le cadre de leur stratégie réactionnaire de dupe de « choc, guerre de religions, de cultures, de civilisations » et « d'occupation militaire du Sahel » comme nous l'écrivions dès 2010.
Si dans les pays de l'AES, la corruption généralisée par l'intégration de la quasi-totalité de la classe politique dans le système néocolonial a empêché l'existence d'une offre politique alternative, malgré l'effort de certains des résistants de la gauche communiste comme nos camarades de Sanfin du Mali, c'est au Sénégal qu'a émergé, en plus d'une minorité de résistants de gauche communistes, une offre politique alternative à l'intégration des ex-gauches, notamment communistes au néocolonialisme.
Dans l'AES, c'est donc la fraction souverainiste des armées nationales qui est venue parachever les révoltes populaires contre les États faillis et au Sénégal, la rébellion souverainiste s'est dotée d'un parti-front et de leaders qui ont chassé dans les urnes le régime néocolonial.
L'actuelle seconde phase souverainiste de libération africaine voit donc s'opérer le développement plus ou moins rapide des prises de consciences inégales souverainistes, mais tendanciellement historiquement en hausse constante.
La crise de la CEDEAO/UEMOA avec le départ de l'AES préfigure la crise qui va progressivement atteindre l'UA dont les chefs d'États néocoloniaux sont de plus en plus confrontés aux exigences de souveraineté des peuples.
L'AES, qui rappelle la mort-née Union Guinée/Ghana/Mali, est l'antithèse du piège attrape-nigaud de « l'unité par la coopération » qui fut le sceau de naissance de l'OUA et de sa mutation en UA. L'AES est vite passée à la « confédération » qui doit être une phase de transition vers la « fédération » des peuples et États qui se sont libérés du néocolonialisme.
Que le Sénégal souverainiste confronté à une phase de transition dans laquelle une sous-phase de redressement des finances publiques se révèle incontournable, œuvre, nous l'espérons avec le nouveau gouvernement du Ghana, à empêcher la poursuite de l'utilisation par les impérialistes de la CEDEAO/UEMOA contre l'AES est déjà très positif et doit être considéré comme une étape préparatoire à la convergence puis à l'unité avec l'AES confédérée le moment venu.
C'est ainsi que nous tirerons les leçons des échecs de l'OUA pour refonder à terme l'UA en une confédération puis une fédération des États souverains d'une Afrique débarrassée du néocolonialisme.
25/05/25
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Le plan hasardeux de l’Église catholique pour "réparer" le catholicisme américain

Le catholicisme américain est devenu un champ de bataille. Le sédévacantisme — cette tendance opposée aux réformes libérales de l'Église issues du concile Vatican II dans les années 1960 (messe en langue vernaculaire, hiérarchisation moins marquée, implication accrue des laïcs, accent mis sur la justice sociale) — gagne en popularité.
22 mai 2025 | tiré de Canadian Dimension | Photo : Messe d'inauguration du pape Léon XIV sur la place Saint-Pierre, Cité du Vatican. Photo courtoisie de la Conférence des évêques catholiques d'Angleterre et du Pays de Galles / Flickr.
https://canadiandimension.com/articles/view/maga-and-the-pope
Il constitue aujourd'hui la base du mouvement du « catholicisme traditionnel » ou TradCath, un courant profondément réactionnaire et de droite au sein de l'Église, particulièrement prégnant aux États-Unis, notamment chez les convertis protestants en quête de rigueur et d'autorité dans un christianisme hiérarchique, ainsi que chez certains jeunes hipsters post-ironiques (voir : Dasha Nekrasova du balado Red Scare).
Depuis la démission de Benoît XVI — un homme allant jusqu'à attribuer les abus sexuels commis par le clergé à un excès de relativisme moral en théologie —, les conservateurs de l'Église, très présents aux États-Unis, ont souvent eu le sentiment que leur voix était marginalisée dans les affaires ecclésiastiques. Depuis peu, les tensions longtemps souterraines au sein du catholicisme américain explosent au grand jour. Le réseau américain Eternal Word Television Network (EWTN), par exemple, est désormais connu pour son attitude passivement agressive envers la mise en œuvre de Vatican II. Des figures comme le cardinal Raymond Burke adoptent une posture intransigeante de guerre culturelle « anti-libérale », Burke allant même jusqu'à défier publiquement le défunt pape François et remettre en question son autorité.
Si le mouvement TradCath existe aussi dans plusieurs pays — notamment en France et en Pologne —, c'est aux États-Unis que les braises sont les plus vives. On craint depuis plusieurs années qu'un tel mouvement réactionnaire ne débouche sur un schisme majeur, qui pourrait mener à une sécession d'une partie de l'Église américaine du Saint-Siège — un courant parfois désigné sous le nom de « catholicisme MAGA ».
Avec l'élection du pape Léon XIV — un Américain modéré, synodaliste progressiste mais conservateur sur la doctrine —, on espère manifestement qu'il puisse utiliser son influence locale pour adoucir les angles les plus durs du catholicisme américain, tout en poursuivant les orientations pastorales et tournées vers le Sud global initiées par François, dont il était proche. Si les catholiques américains peuvent s'identifier à un pape qui est l'un des leurs, un homme bien connecté dans leur univers et intimement familier des conflits internes au catholicisme américain, alors peut-être pourra-t-il recoller les morceaux. Mais si cela vous évoque les ambitions centristes désastreuses du Parti démocrate, c'est peut-être que vous êtes plus perspicace que les cardinaux.
Les mouvements alignés sur MAGA ne peuvent être apaisés par une modération bienveillante. L'Église catholique ne peut plus rien faire pour apaiser les catholiques MAGA — tout comme leurs homologues politiques, ils sont allés trop loin dans l'abîme de l'irrationnel. Steve Bannon, qui avait qualifié François de « marxiste », a déjà lancé la même accusation contre le plus modéré Léon, l'accusant d'être « anti-Trump, anti-MAGA et pro-frontières ouvertes ». Les influenceurs MAGA sont déjà montés au front, déclarant que Léon est encore plus radical que François, l'accusant d'être atteint du « virus mental woke » parce qu'il a un jour retweeté un message sur George Floyd. Ce nouveau chef d'un ordre religieux international a même été accusé de ne pas être suffisamment « America First ». Et comme si cela ne suffisait pas, certains tentent maintenant, par des raisonnements pseudo-scientifiques, de prouver que le nouveau pape serait transgenre.
Voilà les personnes que l'Église catholique pense, à tort, pouvoir apaiser. Le mouvement catholique MAGA est voué à son propre sort, car ses fidèles se complaisent dans leur haine du Saint-Siège et ne montrent aucun désir d'en dévier, ce qui correspond parfaitement à leurs obsessions complotistes et à leur rejet de toute autorité en dehors de QAnon et Donald Trump. Prolongement de la Nouvelle Droite, ils se méfient de toute influence « étrangère » ou « globale », ce qui inclut le Vatican, souverain et éloigné.
L'Église pourrait annuler Vatican II, excommunier tous les Latinos, et publier une bulle pontificale déclarant qu'il est péché de boire de la bière « woke » — elle ne pourrait toujours pas les satisfaire. Si l'Église veut éviter d'éventuels schismes à venir, une voie plus prometteuse serait de chercher à combler le fossé avec le mouvement réformateur moderniste croissant en Allemagne. Autrement, il serait plus judicieux pour elle de concentrer ses efforts sur le maintien de son influence dans le Sud global, là où son impact est le plus important et porteur de sens. C'est ce que le pontificat de François avait bien compris : il a méthodiquement remodelé l'épiscopat mondial, en promouvant systématiquement des évêques d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, désormais influents au sein du Collège des cardinaux, au détriment des anciens centres européens de pouvoir.
L'avenir de l'Église se joue dans le Sud global. Et alors que ces régions affrontent des défis majeurs liés à l'instabilité politique et aux bouleversements climatiques, elles auront besoin d'une Église réformée pour répondre à leurs besoins. À la place, l'Église s'apprête à s'enliser dans le bourbier américain, ce qui pourrait lui coûter bien plus d'énergie et de ressources qu'elle ne peut se le permettre.
Jack Daniel Christie est écrivain et artiste d'origine anishinaabe, partageant son temps entre Toronto et Montréal. Sa poésie et sa prose ont été publiées notamment dans Commo, Bad Nudes et Calliope. Finaliste du prix Irving Layton en fiction, il est rédacteur en chef du fanzine de poésie et série d'événements Discordia Review. Il a déjà écrit sur le phénomène TradCath sur le blogue de Discordia.
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Budget de Trump : plus d’inégalités et de corruption

La semaine dernière, la Chambre des représentantEs, dominée par le Parti Républicain, a adopté par 215 voix contre 214 le « Big Beautiful Bill », comme l'appelle le président Donald Trump, qui accorde de nouvelles réductions d'impôts aux riches et plus d'argent à l'armée tout en réduisant toute une série de programmes sociaux destinés aux classes ouvrières et aux pauvres.
29 mai 2025 | Hebdo L'Anticapitaliste - 756
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/budget-de-trump-plus-dinegalites-et-de-corruption
Le projet de loi, de plus de 1 000 pages, réduit Medicaid, qui fournit des soins de santé aux adultes et aux enfants à faible revenu, réduit le Supplemental Nutrition Assistance Program, qui fournit une aide alimentaire aux personnes ayant peu ou pas de revenus, et réduit le soutien à l'éducation à tous les niveaux, de l'école élémentaire à la recherche universitaire.
Une loi pour les riches qui augmente la dette
Selon les estimations de l'office budgétaire du Congrès, quelque 8,6 millions d'AméricainEs, hommes et femmes, risquent de perdre toute couverture de santé d'ici à 2034. Et Trump est en train de licencier 100 000 fonctionnaires fédéraux. Dans le même temps, le projet de loi prévoit plus d'argent pour l'armée et les autorités chargées de l'immigration.
Malgré les coupes dans les programmes sociaux, le projet de loi augmentera la dette nationale d'environ 3 300 milliards de dollars. Le projet de loi est maintenant transmis au Sénat, également à majorité républicaine, qui l'amendera ; les deux chambres devront ensuite concilier leurs divergences. Au bout du compte, la loi sera dévastatrice pour les pauvres et une aubaine pour les riches.
La monnaie de Trump et la corruption
Alors qu'il s'emparait de la nourriture et des soins médicaux des pauvres, Donald Trump organisait un dîner à son Trump National Golf Club, dans la banlieue de Washington, pour 250 milliardaires, les plus gros acheteurs de sa cryptomonnaie $TRUMP, une pièce numérique qui n'a d'autre fonction que la spéculation. Les convives présents ont acheté en moyenne 1,7 million de dollars de $TRUMP, les sept premiers achetant 10 millions de dollars et l'un d'entre eux, 40 millions de dollars. De nombreuses personnes présentes — dont un grand nombre sont originaires de pays asiatiques — ont déclaré avoir investi dans le $TRUMP afin de pouvoir influencer le président et la politique économique des États-Unis.
Depuis qu'il est devenu président, Donald Trump a ajouté des milliards à sa fortune personnelle, dont plus récemment 320 millions de dollars d'honoraires grâce à la vente de sa cryptomonnaie. Alors que les convives arrivaient, des dizaines de manifestantEs brandissaient des pancartes portant des slogans tels que « Crypto Corruption » et « Les États-Unis sont à vendre », et criaient : « Honte, honte, honte ».
Les démocrates ont critiqué l'utilisation par Donald Trump de sa fonction pour s'enrichir. « Le dîner de Donald Trump est une orgie de corruption », a déclaré la sénatrice Elizabeth Warren du Massachusetts lors d'une conférence de presse du parti démocrate organisée avant le dîner. « Donald Trump utilise la présidence des États-Unis pour s'enrichir grâce aux crypto-monnaies et il le fait au vu et au su de tous. »
Trump intouchable
Des gouvernements et des hommes d'affaires du monde entier passent des accords avec Trump pour tenter d'influencer les politiques américaines. Donald Trump veut imposer des droits de douane de 46 % sur les importations vietnamiennes ; le gouvernement vietnamien coopère avec la famille Trump, qui construit un complexe de golf de 1,5 milliard de dollars à l'extérieur de Hanoï, la capitale du pays, peut-être pour tenter de réduire les droits de douane qui touchent environ un tiers des exportations vietnamiennes. Mais il y a 20 propriétés avec la marque Trump dans des pays du monde entier : coopérer avec les entreprises privées du président devient un moyen d'essayer d'influencer les décisions politiques.
Trump fait tout cela en toute impunité. Le président américain n'est pas tenu par les lois relatives aux conflits d'intérêts. La Cour suprême lui a accordé l'immunité. Sa loyale Pam Bondi contrôle le ministère de la Justice. Il est intouchable.
Alors que la résistance aux attaques de Trump contre les travailleurEs et les pauvres se développe lentement, il n'y a que peu ou pas de résistance à la corruption de Trump. Pourquoi ?
Certains, bien sûr, admirent l'homme d'affaires qu'est Trump, d'autres se laissent embobiner par lui. Quoi qu'il en soit, il contrôle l'exécutif, le législatif et bénéficie du soutien de la Cour suprême, si bien qu'il semble tout-puissant. De plus, dans l'histoire des États-Unis, nous n'avons sans doute jamais vu une corruption d'une telle ampleur. La rapidité des actions de Trump nous laisse pantois. En réponse, nous avons des critiques des démocrates, mais la direction de ce parti est à la fois divisée et impopulaire. Et nous avons quelques dizaines de manifestantEs qui crient « Honte ! » Que faudrait-il faire ? C'est à nous de le déterminer.
Dan La Botz,
traduction Henri Wilno
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Sur le mythe de l’abandon de l’hypocrisie par Washington

La visite de Donald Trump dans les États arabes du Golfe a donné lieu à beaucoup de commentaires sur un changement radical que le nouvel-ancien président américain aurait introduit dans la politique étrangère américaine. L'hypocrisie reste cependant une constante de cette politique.
28 mai 2025
Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/280525/sur-le-mythe-de-l-abandon-de-l-hypocrisie-par-washington
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.
La visite de Donald Trump dans les États arabes du Golfe a donné lieu à beaucoup de commentaires sur un changement radical que le nouvel-ancien président américain aurait introduit dans la politique étrangère américaine, en particulier envers la région arabe. Les commentaires se sont fondés sur les déclarations de Trump lors de la visite, en particulier son éloge de ce qu'il a décrit comme les succès remarquables des régimes du Golfe exportateurs de pétrole et de gaz, insinuant que la principale source de leur richesse était leur habileté à gérer les affaires. Il a accompagné cet éloge de l'affirmation répétée qu'il avait opéré un changement radical dans la politique étrangère de Washington, de sorte que l'Amérique dorénavant ne fasse plus la leçon à d'autres États sur la démocratie, ou ne tente plus d'en reconstruire certains sur des bases démocratiques, en référence aux échecs américains en Irak et en Afghanistan.
En réalité, la seule période de l'histoire moderne qui a vu un changement réel, bien que limité, dans la politique arabe de Washington a été durant le premier mandat de George W. Bush (2001-2005) et la première moitié de son second mandat (2005-2009). L'orgueil démesuré des États-Unis à l'apogée de l'hégémonie mondiale unipolaire qu'ils ont connue au cours de la dernière décennie du siècle dernier, après l'effondrement du système soviétique, a abouti à l'accession des « néoconservateurs » au pouvoir dans la nouvelle administration. Ceux-ci ont promu une politique « idéaliste » naïve, fantasmant sur une reproduction du rôle joué par l'Amérique dans la reconstruction de l'Europe occidentale et du Japon sur des bases prétendument démocratiques, mais cette fois dans la région arabe. En fait, l'idéologie néoconservatrice a fourni à l'administration Bush, pour la poursuite de son occupation de l'Irak, un prétexte qui a pris de plus en plus d'importance lorsque le prétexte principal originel – le mensonge selon lequel Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive – s'est effondré.
Washington s'est alors lancé dans une tentative de construire un système « démocratique » en Irak répondant à ses intérêts et a tenté de l'imposer au peuple irakien par le biais de législateurs de son choix – jusqu'à ce que le mouvement populaire répondant à l'appel de l'autorité religieuse chiite l'oblige à accepter une assemblée constituante élue au lieu d'une assemblée nommée par l'occupant. À ce stade, dans un effort visant à confirmer la sincérité de ses intentions, l'administration Bush, en particulier par l'intermédiaire de Condoleezza Rice après sa promotion de conseillère à la sécurité nationale au poste de secrétaire d'État, a déclaré que l'époque où la stabilité autoritaire avait la priorité sur les exigences de la démocratie était révolue et que le moment était venu d'inverser l'équation. Cette prétention s'est accompagnée de pressions sur le royaume saoudien, le Koweït et l'Égypte pour qu'ils mettent en œuvre des réformes limitées. Elle s'est rapidement estompée en Égypte lorsque Hosni Moubarak, au second tour des élections législatives de 2005, ferma la parenthèse démocratique limitée qu'il avait ouverte au premier tour, sachant pertinemment que les Frères musulmans en seraient les principaux bénéficiaires. Les résultats du premier tour furent suffisants pour confirmer son point de vue auprès de Washington, qui cessa par la suite d'exercer des pressions sur lui.
La perspective « idéaliste » des néoconservateurs s'est entièrement effondrée à la suite du déclenchement de la guerre civile irakienne en 2006. L'administration Bush s'est alors débarrassée des néoconservateurs les plus en vue dans la seconde moitié du second mandat du président (2007-2008). Elle revint au cours que les États-Unis avaient suivi à l'échelle mondiale depuis le début de la Guerre froide. Dans les pays du Nord mondial, ce cours a développé un discours idéologique démocratique presque exclusivement dirigé vers la sphère soviétique (pour rappel : Washington a accueilli le régime portugais quasi-fasciste parmi les membres fondateurs de l'OTAN en 1949, et le coup d'État en Grèce en 1967 n'a pas empêché ce pays de rester membre de l'alliance tout au long du régime militaire qui a pris fin en 1974).
Dans les pays du Sud mondial, le cours « réaliste » constituait la norme. En effet, Washington a joué un rôle clé dans le renversement par la force de plusieurs régimes démocratiques progressistes et leur remplacement par des dictatures de droite (le plus célèbre de ces nombreux cas est probablement le coup d'État militaire de 1973 contre Salvador Allende au Chili). Barack Obama et Joe Biden ont tous deux suivi le même cours hypocrite, quelles que puissent être leur prétention au contraire. L'hypocrisie a même atteint son paroxysme sous Biden, qui, en 2021 et 2023, a convoqué un « Sommet pour la démocratie » incluant des personnalités éminentes de la galaxie néofasciste, telles que le brésilien Bolsonaro, le philippin Duterte et l'indien Modi, sans oublier, bien sûr, l'israélien Netanyahu.
Dans la région arabe, les prétentions démocratiques de Washington depuis l'époque de la Guerre froide ne l'ont pas empêché de parrainer l'établissement d'un régime imprégné d'extrémisme religieux dans le royaume saoudien tout en exploitant ses richesses pétrolières. Washington a même poussé à l'accentuation de cet extrémisme ou à son raffermissement face à la « révolution islamique » de 1979 en Iran. C'est ce qu'a souligné le prince héritier Mohammed ben Salmane lui-même dans une célèbre interview donnée après son entrée en fonction, en réponse à une question sur l'extrémisme religieux qu'il avait entrepris de démanteler dans le royaume. Le prétexte utilisé par les États-Unis et d'autres pays occidentaux ayant des intérêts dans la région arabe pour justifier leur silence sur le despotisme était le « respect des cultures locales ». C'est le même prétexte qu'utilise Donald Trump pour justifier la priorité qu'il donne aux intérêts étatsuniens et à ses intérêts personnels et familiaux sur toute autre considération.
Si Trump a introduit un changement quelconque dans le cours de la politique étrangère américaine, c'est en abandonnant le discours démocratique que cette politique avait pratiqué en combinaison hypocrite avec un « réalisme » qui privilégiait les valeurs matérialistes sur toutes autres valeurs. Trump a ainsi abandonné l'un des outils de la soft power que l'Amérique imaginait exercer sur le monde entier jusqu'à son arrivée à la Maison Blanche. Le cours néofasciste que Washington a adopté au cours du second mandat de Trump n'est cependant pas moins hypocrite qu'auparavant. Le vice-président J.D. Vance a fait la leçon aux gouvernements européens libéraux sur la « démocratie » en défense des forces néofascistes dans leurs propres pays, et nous avons vu Trump lui-même se targuer d'offrir l'asile à une poignée de fermiers blancs sud-africains sous prétexte qu'ils subissaient un génocide, pur fruit de l'imagination de ses amis suprémacistes blancs, tout en incitant à un véritable et terrible génocide à Gaza. La morale de tout cela est que l'hypocrisie a été la caractéristique constante la plus éminente de la politique étrangère de Washington depuis des décennies et jusqu'à ce jour.
Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 27 mai. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
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La famine comme arme de génocide : Gaza 2025 - Union Soviétique 1941

Les images des enfants de Gaza, que la plupart des médias occidentaux refusent de montrer, ne laissent aucun doute : elles rappellent celles des camps d'extermination nazis filmées par des cinéastes comme John Ford, Samuel Fuller ou George Stevens juste après leur libération par l'armée américaine : des squelettes vivants, la peau collée sur les os, les yeux enfoncés dans les orbites, le regard embrumé !
Alors, force est de constater que le présent recours de l'État d'Israël a la famine comme arme de guerre contre la population de Gaza ressemble comme deux gouttes d'eau au « * Hungerplan* » (Plan de la faim) mise en œuvre par les nazis en Union Soviétique en 1941-1942, afin d'éliminer 30 millions de citoyens soviétiques. Dans les deux cas, même déshumanisation préalable des victimes, même volonté de ceux qui se posent en « * Herrenrasse* » (race des maîtres) d'exterminer leurs « * Untermenschen* » (sous-hommes) slaves et juifs alors, et palestiniens aujourd'hui, et même projet de vider le territoire de ses populations indigènes afin de l'occuper et le coloniser.
Et à Goering qui déclare à Galeazzo Ciano, ministre des affaires étrangères de Mussolini, que *« de 20 à 30 millions de personnes mourront de faim cette année en Russie. Et c'est sans doute très bien ainsi, car certains peuples doivent être décimés » *fait écho le ministre israélien Bezalel Smotrich qui déclare sans ambages qu'il serait *"justifié et moral de faire
mourir de faim 2 millions de Palestiniens à Gaza »…*
Ceci dit, il y a eu finalement « seulement » environ 6 millions de soviétiques (militaires, civils, juifs) morts de la faim, non pas parce qu'il a manqué aux nazis la volonté ou la détermination d'aller au bout de leur *Hungerplan*, mais en raison de la mauvaise tournure qu'a pris pour eux leur guerre contre l'URSS. Alors, Ernest Mandel a manifestement raison quand il constate que *« ce n'est pas vrai que les projets d'extermination des nazis étaient exclusivement réservés aux Juifs. Les Tziganes ont connu une proportion d'extermination comparable à celle des Juifs. À plus long terme, les nazis voulaient exterminer cent millions de personnes en Europe centrale et orientale, avant tout des Slaves ». (1)*
En somme, la Shoah n'est pas l'unique holocauste de l'histoire. Mais, s'il n'est pas unique, s'il y a eu d'autres avant ou en même temps que la Shoah, alors le meme Ernest Mandel a de bouveau raison de tirer la conclusion suivante : »Nous disons à dessein que l'holocauste est jusqu'ici le sommet des crimes contre l'humanité. Mais il n'y a aucune garantie que ce sommet ne soit pas égalé, ou même dépassé, à l'avenir. Le nier a priori nous semble irrationnel et politiquement irresponsable. Comme le disait Bertolt Brecht : « II est toujours fécond le ventre qui a accouché de ce monstre. »
En quelques mots Ernest Mandel non seulement invalide les arguments de tous ceux qui ont fait leur fortune en répétant que la Shoah est unique, « indicible » et « irrépétible », mais il nous avertit et nous prépare à la possibilité de nouveaux holocaustes. Et ce faisant, il répond d'avance aux deux réactions trop bien connues, aussi infondées et stupides l'une que l'autre : celle qui traite de « sacrilège » et interdit toute comparaison de la Shoah (2) avec ce qui arrive actuellement aux Palestiniens de Gaza, et l'autre qui s'interroge « comment est-ce possible que les juifs fassent aux Palestiniens ce qu'eux-mêmes ont subi des Allemands ? ». Tant que reste « fécond le ventre qui a accouché de ce monstre », c'est-à-dire tant qu'existent et se réunissent ce que Mandel appelle les « prémisses matérielles, sociales et idéologiques du génocide nazi », des nouveaux holocaustes sont possibles et notre devoir est de nous préparer à les prévenir en mobilisant toutes nos forces contre leurs « prémisses » !
Alors, que dire et que faire de tous ces dirigeants des 153 pays, dont les nôtres, qui bien que signataires de la « Convention sur le génocide », refusent ostensiblement de l'appliquer ? Que dire et que faire d'eux qui refusent le « devoir de prévenir le génocide » que leur impose cette Convention, un devoir « qui naît dès qu'un État a connaissance, ou aurait normalement dû avoir connaissance, d'un risque grave de génocide », qui comprend le « recours a la famine comme arme de guerre »,… « des actes constitutifs de crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, notamment l'extermination, et d'actes de génocide » ? (3) Que dire et que faire de ces complices de génocidaires et d'autres coupables de crimes contre
l'humanité ? …
Et la gauche dans tout ça, gauche israélienne en tout premier lieu ? Vu ce qu'elle ne dit pas et ce qu'elle ne fait pas en plein génocide des Palestiniens de Gaza, on ne peut que s'exclamer : cette gauche israélienne n'a que le nom ! (4) Car il n'y a nul besoin même d'être de gauche pour se révolter contre ce genocide, pour faire tout son possible pour le faire cesser, tout en luttant bec et ongles contre les génocidaires à la tête de ton propre pays.
Et pourtant, cette « gauche » israélienne ne fait rien de tout ça. Bien sûr, elle dénonce Netanyahou, elle va même jusqu'à l'appeler fasciste, mais elle ne dit rien des Palestiniens qui sont méthodiquement affamés, et systématiquement bombardés et massacrés par dizaines des milliers par l'armée de leur pays. Elle leur refuse sa solidarité. Elle s'en fout d'eux.
Comme d'ailleurs s'en foutent éperdument d'eux ses pareils de « gauche » dans la Diaspora qui parlent « en général » de paix et de coexistence avec les Palestiniens, mais n'osent même pas se démarquer des génocidaires et de leurs exécutants (militaires et autres) en faisant ce qu'avaient fait jadis les antifascistes allemands sous le Troisième Reich, et font, fort heureusement, aujourd'hui des milliers d'autres juifs aux Etats-Unis et de par le monde : descendre dans la rue aux côtés des Palestiniens, en brandissant publiquement les quatre mots qui sauvent l'honneur à la fois des juifs et de l'humanité : « not in my name » !
Notes
1. *Ernest Mandel » Prémisses matérielles, sociales et idéologiques du
génocide nazi* » :
https://ernestmandel.org/spip.php?page=article&id_article=183&lang=fr
2. Voir notre article *"**Auschwitz, la faillite de l'idée du progrès et
la réhabilitation de la dimension utopique du socialisme*" :
https://ujfp.org/auschwitz-la-faillite-de-lidee-du-progres/
3.
https://www.hrw.org/fr/news/2025/05/15/gaza-le-nouveau-plan-israelien-se-rapproche-de-lextermination
4. *Ce qu'un « sommet pour la paix » nous révèle sur l'état de la gauche
israélienne :*
https://agencemediapalestine.fr/blog/2025/05/12/ce-quun-sommet-pour-la-paix-nous-revele-sur-letat-de-la-gauche-israelienne/
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Gaza : un terrorisme d’Etat

L'attaque du Hamas le 7 octobre 2023 a été un acte terroriste et barbare. Mais la riposte du gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou, massacrant plus de soixante mille habitants de Gaza, en leur majorité des femmes, des enfants et des personnes agées, a été cent fois plus terroriste.
Tiré du blogue de l'auteur.
1) Qui gouverne Israël ?
Benjamin Netanyahou et sa clique sont les héritiers d'un mouvement qui n'a jamais occulté sa nature criminelle.
En décembre 1948, lors de la visite de Menahem Begin, un des principaux leaders du parti Hérout, aux États-Unis, une trentaine de Juifs américains, plutôt "sionistes de gauche", parmi lesquels Hannah Arendt et Albert Einstein, ont envoyé au New York Times une déclaration qui dénonce catégoriquement ce personnage et son mouvement :
"Aux éditeurs du New York Times"
Parmi les phénomènes politiques les plus inquiétants de notre époque, est l'émergence, à l'intérieur de l'État d'Israël nouvellement créé, du "Parti de la Liberté" (Tnuat Haherut), un parti politique qui ressemble beaucoup, dans son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et ses prétentions sociales, aux partis politiques nazis et fascistes. Il a été créé par des membres et sympathisants de l'ancien Irgun Zvai Leumi, une organisation chauvine, droitière et terroriste, en Palestine. (...)
Un exemple choquant a été donné par ce qu'ils ont fait contre le village arabe de Deir Yassin. Ce village, situé à l'écart des routes principales et entouré de terres juives, n'a pris aucune part à la guerre et a même combattu des groupes arabes qui avaient l'intention d'y établir une base. Le 9 avril, selon le New York Times, des groupes terroristes ont attaqué ce paisible village, qui n'était en rien un objectif militaire dans ce conflit, tué la plupart de ses habitants (240 personnes, hommes, femmes et enfants), et gardé quelques-uns en vie, afin de les faire parader, en tant que prisonniers, dans les rues de Jérusalem. (...)
L'incident de Deir Yassin illustre le caractère et les actions du Parti de la Liberté. À l'intérieur de la communauté juive, ils prêchent un mélange d'ultra-nationalisme, de mysticisme religieux et de supériorité raciale. (...)" [1]
Le gouvernement actuel d'Israël, hégémonisé par le Likoud (héritier direct du Hérout de Begin), a cependant dépassé, de loin, les crimes commis par ses ancêtres dénoncés comme "fascistes" par Albert Einstein. C'est un gouvernement qui comporte d'ailleurs des personnages comme Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, qui vont bien au-delà, dans leur ultra-nationalisme raciste, de leurs alliés fascistes du Likoud. Ce gouvernement était devenu assez impopulaire – notamment par sa tentative d'évincer la Cour suprême – et était au bord de l'écroulement, menacé par de larges manifestations dans toutes les villes du pays. Il a été sauvé par l'attaque du 7 octobre 2023.
2) Que s'est-il passé le 7 octobre 2023 ?
Le Hamas, mouvement fondamentaliste et réactionnaire qui gouvernait la bande de Gaza, avait été longtemps soutenu par Netanyahou pour diviser le mouvement national palestinien. Lors d'une réunion du Likoud en mars 2019, Benjamin Netanyahou déclarait : "Ceux qui veulent empêcher la création d'un État palestinien doivent soutenir le renforcement du Hamas (...)".
Que s'est-il donc passé le 7 octobre ? On a pu lire et entendre les propositions les plus contradictoires, dans la plus grande confusion. Enzo Traverso propose une analyse sobre et objective :
"L'attaque du 7 octobre, qui a tué des centaines de civils israéliens, peut évidemment être qualifiée d'acte terroriste. Il n'était pas nécessaire d'assassiner et de blesser des civils, et de tels actes ont de surcroît toujours nui à la cause palestinienne. C'est un crime que rien ne peut justifier et qui doit être condamné. La réprobation nécessaire de ces moyens d'action ne remet cependant pas en cause la légitimité – reconnue par le droit international – de la résistance à l'occupation, une résistance qui implique aussi le recours aux armes." [2]
Un des aspects les plus tragiques de cette attaque barbare a été le fait que beaucoup de victimes appartenaient à des kibbutzim de gauche, pacifistes, et étaient même parfois directement engagées dans des actes de solidarité avec les Palestiniens de Gaza. Si le Hamas avait attaqué seulement les bases militaires et pris deux cents soldats israéliens comme otages, cela aurait pu être une victoire politique. Mais le Hamas, depuis longtemps, avait choisi d'ignorer la distinction entre militaires et civils comme méthode de lutte.
3) La réponse d'Israël est un terrorisme d'État.
La riposte du gouvernement israélien a été cent fois plus terroriste que l'attaque du Hamas. Elle a résulté dans la destruction de Gaza, de ses maisons, écoles, hôpitaux, universités, et dans le massacre de plus de soixante mille Gazaouis (des milliers de corps ensevelis sous les décombres n'ont pas encore été pris en compte), dont la majorité étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées. Parmi les civils ainsi assassinés, des médecins, des infirmières, des écrivains, des poètes, des musiciens, des journalistes, des cinéastes, des travailleurs des associations humanitaires, des employés des Nations Unies. On compte aussi plus de cent mille blessés, parmi lesquels de nombreux enfants mutilés. Netanyahou et sa clique ont aussi utilisé la faim comme arme de guerre, en bloquant l'entrée à Gaza des secours alimentaires et médicaux. Il s'agit, comme le constate dans son récent livre le politologue Gilbert Achcar, "du pire épisode du long calvaire du peuple palestinien". [3]
L'objectif maintenant déclaré de cette criminelle destruction est l'expulsion des deux millions de Palestiniens de la bande de Gaza, un nettoyage ethnique sans précédent. Malgré le soutien de Donald Trump, ce projet est irréalisable, aucun pays n'étant disposé à recevoir tout un peuple expulsé de sa terre.
Il s'agit d'un crime de terrorisme d'État, un véritable crime contre l'humanité. De nombreux universitaires israéliens, comme Raz Segal, parlent de génocide. Lee Mordechai, professeur à l'université de Jérusalem, après avoir rejeté ce terme, a changé d'avis : il s'agit de génocide.
4) L'opposition à la guerre se renforce, en Israël même.
La politique d'extermination du gouvernement israélien a rencontré une opposition croissante dans l'opinion publique internationale, y compris la diaspora juive. Des milliers de jeunes juifs ont participé aux protestations, notamment aux États-Unis. Il est ridicule de les accuser d'"antisémitisme". Les gouvernements européens, après deux années de complicité, commencent à prendre leurs distances.
Mais à l'intérieur même de l'État d'Israël, l'opposition à cette guerre s'étend. Les médias se réfèrent surtout aux familles des otages qui exigent un cessez-le-feu et des négociations avec le Hamas. Ces négociations ont permis la libération de plusieurs otages et un nombre important de prisonniers palestiniens, mais pas Marwan Barghouti, le "Nelson Mandela palestinien"...
Cependant, le refus de cette guerre barbare ne se limite pas à ces familles : il est beaucoup plus profond et ample. Il inclut des ONG comme B'Tselem, qui défendent les prisonniers palestiniens, Standing Together, qui réunit juifs et palestiniens dans l'opposition à la guerre, ou Breaking the Silence, qui publie des témoignages sur les crimes commis à Gaza ; les journalistes du quotidien Haaretz, comme Gideon Levy et Amira Hass ; des milliers d'officiers et soldats réservistes, notamment de l'aviation, qui ont publié des déclarations refusant de participer à la guerre (l'état-major de l'armée reconnaît que près de 40 % des réservistes ne répondent pas à l'appel) ; 3600 Israéliens qui ont signé un appel demandant des sanctions contre Israël. Les manifestations se multiplient, notamment sur les campus, où on a pu voir des pancartes proclamant : "Stop the Genocide", "Palestinian Lives Matter".
La principale force politique dans cette opposition est le Parti communiste israélien (Hadash), dont plusieurs députés, juifs comme Ofer Kassif, qui a appelé les soldats à refuser d'obéir aux ordres de participer au génocide, ou arabes, comme Ayman Odeh et Aida Touma-Souleiman, ont été suspendus de la Knesset (parlement) pour avoir dénoncé la guerre. Pour les communistes et pour les Israéliens les plus critiques, c'est toute l'entreprise colonialiste en Cisjordanie et à Gaza qu'il faut rejeter.
5) Quel avenir ?
Au-delà de la guerre et des massacres, peut-on imaginer un avenir commun pour Juifs israéliens et Arabes palestiniens ?
Pour le grand écrivain palestinien Elias Sanbar, ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l'Unesco, le premier pas serait "une reconnaissance pleine et anticipée de la Palestine" (dans les frontières de la ligne verte de juin 1967) :
"Qu'est-ce qui interdirait à des nations souveraines de reconnaître pleinement un pays même si la souveraineté de ce dernier est captive d'un puissant occupant ?" [4]
La gauche en France et ailleurs est divisée entre partisans d'un État, de deux États, d'une fédération binationale, etc. J'aimerais ajouter une autre idée : une confédération démocratique, socialiste et multinationale des peuples du Moyen-Orient. Est-ce un rêve ? Certes, mais comme disait Lénine, "il faut rêver"...
Michael Löwy
Notes
[1] Le journaliste grec Giorgo Mitralias a re-découvert et publié dans son blog ce document.
[2] Enzo Traverso, Gaza devant l'histoire, Québec, Lux, 2025, p. 88.
[3] Gilbert Achcar, Gaza, génocide annoncé. Un tournant dans l'histoire mondiale, Paris, La Dispute, 2025.
[4] Elias Sanbar, "La dernière guerre ?". Palestine, 7 octobre 2023 - 2 avril 2024, Paris, Gallimard, "Tracts", n° 56, 2024
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En l’espace d’une semaine, un avant-poste de colon efface toute une communauté palestinienne

Après avoir construit sur leurs terres, des colons israéliens ont attaqué et chassé les habitants de Maghayer Al-Dir, l'un des derniers villages du sud de la vallée du Jourdain.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Le matin du 18 mai, des colons israéliens ont établi un avant-poste illégal au sein de la communauté palestinienne de bergers de Maghayer Al-Dir, dans la zone C de la Cisjordanie, à seulement 100 mètres des habitations des résidents.
En milieu de semaine, avant toute confrontation violente ou incident de vol de bétail, près de la moitié des villageois palestiniens avaient fait leurs bagages et pris la fuite, les autres se préparant à faire de même : sous le regard des colons, les familles ont commencé à charger leurs moutons, leurs meubles, la nourriture pour animaux et des réservoirs d'eau dans des camions.
Mais samedi après-midi, la « patrouille » habituelle des colons dans le village a dégénéré en une attaque organisée. Quatre colons ont commencé à bousculer de jeunes Palestiniens qui se tenaient sur les toits des bâtiments en cours de démantèlement. « [Les colons] cherchaient la bagarre », a déclaré Avishay Mohar, un militant et photographe qui se trouvait sur place.
Les colons et les Palestiniens ont commencé à se lancer des pierres. Alors que l'affrontement semblait avoir pris fin, les colons ont appelé des renforts : environ 25 colons supplémentaires, certains masqués, beaucoup armés de fusils d'assaut et de matraques, se sont joints à l'attaque contre les habitants et les militants internationaux, qui ont riposté.
Un colon a été touché à la tête par une grosse pierre, s'est effondré et a perdu connaissance. Un Palestinien a également été touché au visage par une pierre. Un deuxième colon, apparemment mineur, a saisi le pistolet dans le gilet de son ami inconscient et a commencé à tirer en l'air. « Un autre colon est arrivé avec un M16 et a commencé à tirer sur nous », se souvient Mohar. Alors que la panique se propageait, les habitants ont couru frénétiquement vers le village voisin de Wadi Al-Siq, dont la population avait été déplacée quelques mois plus tôt lors d'une vague de violence des colons soutenus par l'État en octobre 2023.
Les colons ont poursuivi les habitants en fuite dans la vallée, leur jetant des pierres et brisant leurs téléphones. Ils ont saisi les deux appareils photo, le téléphone, le portefeuille et la batterie externe de Mohar. Au sol, il a vu les colons frapper à coups de matraque un garçon palestinien de 15 ans à la tête. Mohar a commencé à avoir des vertiges à cause des coups et avait du mal à relever la tête. « J'ai dit aux colons : « Si vous continuez, vous allez me tuer ! » » Ils ont continué à le frapper violemment dans le dos.
Après l'arrivée tardive de l'armée et l'appel des ambulances, les recherches pour retrouver les 12 blessés— dont certains ont été retrouvés entre 500 et 600 mètres du village — se sont poursuivies jusque dans la nuit. Le lendemain matin, il ne restait plus un seul habitant à Maghayer Al-Dir. Les 23 familles, soit environ 150 personnes, avaient été contraintes de fuir.
« Cette attaque a envoyé un message aux communautés palestiniennes de toute la Cisjordanie », a déclaré Mohar. « Non seulement vous ne pouvez pas rester, mais vous ne pouvez même pas partir tranquillement. »
« Ici aussi, il y aura des Juifs »
Depuis octobre 2023, plus de 60 communautés de bergers palestiniens de Cisjordanie ont été déplacées, et au moins 14 nouveaux avant-postes ont été construits sur leurs ruines ou à proximité. Une communauté expulsée violemment, Wadi Al-Siq, a été victime d'abus, notamment d'agressions sexuelles, qui ont conduit à la dissolution de l'unité « Desert Frontier » de l'armée israélienne.
Comme dans le cas de Maghayer Al-Dir, la création d'avant-postes de colons éleveurs a été le principal facteur qui a poussé les Palestiniens à quitter leurs maisons dans la zone C. Selon un récent rapport des ONG Peace Now et Kerem Navot, les colons israéliens ont utilisé des avant-postes pastoraux pour s'emparer d'au moins 786 000 dunams de terres, soit environ 14 % de la superficie totale de la Cisjordanie. Au cours des deux dernières années et demie, sept communautés pastorales palestiniennes voisines de Maghayer Al-Dir ont été dépeuplées.
Maghayer Al-Dir était la dernière communauté palestinienne restante dans la périphérie de Ramallah, à l'est de la route Allon, une autoroute stratégique nord-sud construite par Israël dans les années 1970 pour relier les colonies et préparer l'annexion potentielle du territoire situé à l'est de la route, le long de la frontière jordanienne. Originaires du Naqab/Néguev, les familles de Maghayer Al-Dir ont été expulsées en 1948 vers une autre partie de la vallée du Jourdain, avant que l'État ne décide de construire une base militaire et de les déplacer une nouvelle fois vers leur site actuel.
Dans une vidéo tournée par le militant Itamar Greenberg le jour où les colons ont établi le nouvel avant-poste, on peut entendre un colon se vanter du nettoyage ethnique de Maghayer Al-Dir. « C'est le dernier endroit qui reste – Dieu merci, nous avons chassé tout le monde… Toute cette zone n'est plus que des Juifs », explique le colon en montrant du doigt l'étendue à sa gauche. La caméra se concentre ensuite sur le site où les jeunes du sommet de la colline s'affairent à construire l'avant-poste. « Ici aussi, il y aura des Juifs. »
Comme l'a rapporté +972 en août 2023, la plupart des communautés vivant dans le territoire situé entre Ramallah et Jéricho, une zone de 150 000 dunams, ont été contraintes de fuir au cours des mois précédents, lorsque les colons ont commencé à construire rapidement des avant-postes pour le bétail et à s'en prendre violemment aux habitants, avec le soutien de l'armée israélienne et des institutions de l'État. Aujourd'hui, seules deux communautés palestiniennes, M'arajat et Ras Al-Auja, subsistent dans toute la partie sud de la vallée du Jourdain.
Même avant la construction du dernier avant-poste, Maghayer Al-Dir était complètement encerclée par des colonies et des avant-postes israéliens. Au nord se trouve l'avant-poste semi-autorisé de Mitzpe Dani ; à l'est, Ruach Ha'aretz (« Esprit de la terre »), établi peu avant la guerre et agrandi par la suite ; et au sud, près du village désormais déserté de Wadi Al-Siq, se trouve l'un des avant-postes de Neria Ben Pazi. Bien que Ben Pazi ait été sanctionné par le gouvernement britannique la semaine dernière pour son rôle dans la construction d'avant-postes illégaux et l'expulsion de familles bédouines palestiniennes de leurs maisons, il a été vu en train de patrouiller dans le village dans les jours qui ont précédé le départ forcé de la communauté.
« Les colons sont venus préparés, avec un plan, pour s'emparer des terres et nous expulser », a déclaré un habitant du village qui a préféré rester anonyme par crainte de représailles de la part des colons.
Ces dernières années, les colons des avant-postes environnants ont commencé à ériger des clôtures qui isolent les maisons des habitants de la route principale menant à Maghayer Al-Dir. Ils volaient également de manière systématique l'eau du puits du village pour abreuver leurs moutons.
Un autre habitant, qui a également souhaité garder l'anonymat, explique qu'il n'y a aucune différence entre la violence des colons et celle de l'État. « Le problème, c'est qu'aujourd'hui, il n'y a pas de loi », déclare-t-il à +972. « [Les colons] disent ‘Nous sommes le gouvernement', et la police est avec eux. » Il envisage désormais de vendre son troupeau de moutons, car les colons s'emparent de plus en plus des terres sur lesquelles les Palestiniens faisaient paître leur bétail.
« L'année dernière, des colons sont entrés dans le village et ont attaqué mes proches », a-t-il poursuivi. « Nous avons essayé de nous défendre en filmant, et j'ai été arrêté. Heureusement, le juge d'Ofer [tribunal militaire] m'a libéré en demandant [ironiquement] au procureur si nous étions censés servir le café aux colons qui envahissaient nos maisons. »
Une tactique familière
Le jeudi 22 mai, la famille Malihaat a passé la journée à faire ses cartons. Les colons avaient érigé leur dernier avant-poste à l'intérieur d'une bergerie appartenant à Ahmad Malihaat, 58 ans, père de neuf enfants. Quelques heures après sa mise en place, a-t-il raconté, les colons « ont rapidement essayé de s'emparer de nos moutons, afin de pouvoir ensuite prétendre [aux autorités israéliennes] qu'ils leur appartenaient et les emmener ».
Il s'agit d'une tactique bien connue de la communauté : début mars, des dizaines de colons armés de fusils et de gourdins ont volé plus de 1 000 moutons à la communauté de bergers de Ras Ein Al-‘Auja. Craignant que cela ne se reproduise, les habitants de Maghayer Al-Dir ont concentré leurs efforts initiaux sur l'évacuation du bétail du village dans les jours qui ont suivi la construction de l'avant-poste.
Pourtant, la famille Malihaat a témoigné que mercredi soir, les colons ont réussi à leur voler un âne et 10 sacs de nourriture pour animaux. Malihaat se souvient que les colons lui ont dit d'aller en Jordanie ou en Irak. « Ils veulent nous expulser, nous et les autres communautés bédouines, et s'emparer des terres par tous les moyens. »
Malgré l'ordre de l'administration civile du 18 mai de cesser leurs activités de construction, les colons ont agrandi l'avant-poste de Maghayer Al-Dir jour après jour, installant une grande tente et raccordant le site à l'eau courante d'un avant-poste voisin érigé peu avant la guerre.
Alors qu'ils rassemblaient leurs biens et se préparaient à partir, Malihaat raconte qu'il n'avait pratiquement pas dormi ni mangé depuis la construction de l'avant-poste. Il ajoute que son régime alimentaire se composait « principalement de cigarettes et d'eau ». À ce moment-là, il avait presque prédit l'attaque imminente. « On ne sait jamais ce que [les colons] vont faire. Ils vont peut-être frapper votre fils, puis appeler la police et vous arrêter, vous ou votre fils, et vous devrez payer une caution de 20 000 shekels. »
Malihaat ne sait pas encore où sa famille va s'installer. Il a indiqué qu'une fois qu'une communauté de bergers est déplacée, elle obtient parfois l'autorisation temporaire de s'installer sur des terres appartenant à d'autres communautés palestiniennes dans la zone B de la Cisjordanie. Mais ce n'est pas une solution à long terme.
« Quand votre voisin est gentil, tout va bien, mais eux [les colons], ils ne veulent pas la paix », a conclu Malihaat. « Ils veulent vous expulser, vous tuer et détruire votre maison. »
En réponse à la demande de +972, un porte-parole de l'armée israélienne a déclaré que le nouvel avant-poste était situé sur un terrain appartenant à l'État et n'empiétait pas sur la zone où réside la communauté. L'administration civile a également confirmé qu'un ordre d'arrêt des travaux avait été émis pour l'avant-poste, « en raison de la présence d'éléments de construction illégaux dans la zone ».
Une version de cet article a été publiée pour la première fois en hébreu sur Local Call. Vous pouvez la lire ici.
Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine
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