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Le Pentagone et la Maison-Blanche ouvrent leurs portes aux médias “favorables”

Alors que la Maison-Blanche ouvre ses portes aux créateurs de contenu, le Pentagone réorganise l'accès des médias “traditionnels” à ses locaux. La presse américaine analyse les mutations des relations entre les médias et le pouvoir après l'investiture de Donald Trump.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Karolyne Leavitt, porte-parole de la Maison-Blanche, le 28 janvier 2025. Lors de son premier point de presse, elle a annoncé l'ouverture de la salle de presse présidentielle aux "nouveaux médias". Photo Roberto Schmitd/AFP.
Au Pentagone, le siège du ministère de la Défense américain, situé à l'écart du centre de Washington, le Correspondents' Corridor est un espace stratégique où “les journalistes ont leurs quartiers. Ils y disposent en permanence d'un accès à Internet, ainsi que d'un téléviseur et d'une petite cabine radio” pour capter des informations en temps réel, interpeller un porte-parole au détour d'un couloir ou saisir une déclaration à la volée, expliquent Kevin Baron, ancien vice-président de la Pentagon Press Association, laquelle représente l'ensemble des journalistes chargés de couvrir le ministère, et Price Floyd, qui a occupé le poste de ministre adjoint à la Défense pour les affaires publiques, dans une tribune publiée dans The Washington Post.
“Il est vraiment important que des journalistes chevronnés puissent arpenter chaque jour les couloirs du Pentagone pour les besoins de leur profession, en ayant la permission d'entrer dans les bureaux pour y obtenir des réponses à leurs questions”, insistent les cosignataires.
Mais, pour quatre grands médias américains, ce privilège va prendre fin. Le quotidien The New York Times, la chaîne NBC News, le diffuseur public américain National Public Radio (NPR) et le site Politico devront plier bagage. À partir du 14 février, leurs bureaux dans le Correspondents' Corridor seront occupés respectivement par le tabloïd conservateur New York Post, la chaîne pro-Trump One America News Network, le média ultraconservateur Breitbart News Network et le site HuffPost. Cette décision, communiquée par un mémo interne sans notification préalable aux médias concernés, intervient dans le cadre d'une nouvelle politique de “rotation annuelle des médias”, rapporte CNN.
Des médias “nettement favorables à Trump”
“Tout ce qui va changer pour eux, c'est qu'ils vont devoir abandonner leur espace de travail en présentiel dans le bâtiment pour permettre à de nouveaux médias de devenir à leur tour des membres résidents du corps de presse du Pentagone”, relativise Jonathan Ullyot, un haut responsable de la communication du ministère, cité par The Washington Post dans un autre article. Les médias concernés pourront donc toujours assister aux briefings et prétendre à des voyages officiels.
Selon CNN, aucune justification n'a été fournie quant aux critères d'attribution. Seule explication avancée par Jonathan Ullyot : l'instauration d'une rotation annuelle pour “permettre à davantage de médias d'avoir accès à l'espace limité du Correspondents' Corridor”. Concrètement, chaque année, une organisation de presse par catégorie (radio, télévision, presse papier et en ligne) devra céder sa place à un autre média.
Trois des nouveaux résidents, orientés à droite, sont considérés par CNN comme “des médias d'assez petite envergure et nettement favorables à Trump”. Seul média progressiste, le HuffPost détonne dans la sélection. Actuellement, il n'a pas de correspondant attitré au Pentagone.
L'orientation politique des nouveaux venus n'est pas le seul élément pointé du doigt. Breitbart News Network est ainsi censé remplacer NPR en tant que média radio, mais, comme le souligne CNN, “le mot ‘radio' n'apparaît même pas sur la page d'accueil du site”. L'organisation ne dispose que d'un podcast diffusé sur SiriusXM, une radio satellite, loin du vaste réseau national de NPR.
Place aux influenceurs et aux podcasteurs
Et le Pentagone n'est pas le seul à réorganiser ses relations avec les médias. La Maison-Blanche a annoncé l'ouverture de la salle de presse présidentielle aux “nouveaux médias”. Le 28 janvier, la porte-parole, Karoline Leavitt, a ainsi invité influenceurs, blogueurs, podcasteurs et créateurs de contenu à demander une accréditation, à condition qu'ils “produisent du contenu informationnel bien fondé”. Résultat : “C'est le débarquement des anneaux lumineux et trépieds pour smartphones à la Maison-Blanche !” décrit Fortune, média économique américain.
En moins de vingt-quatre heures, plus de 7 400 demandes ont été enregistrées, révèle le New York Post. Une tendance qui reflète l'évolution du paysage médiatique. Selon une étude du Pew Research Center relayée par Fortune, 17 % des Américains s'informent désormais sur TikTok, contre seulement 3 % en 2020. “Notre équipe doit faire passer le message du président Trump en tous lieux et nous devons adapter la Maison-Blanche au nouveau paysage médiatique de 2025. C'est capital !” affirme Karoline Leavitt, citée par The New York Times.
Cependant, Steven Buckley, spécialiste des médias numériques, estime, sur le site The Conversation, que cette mise en avant des influenceurs pourrait accentuer la défiance envers le journalisme, déjà importante. Seuls 31 % des Américains accordent encore une réelle confiance aux médias grand public, selon un sondage Gallup cité notamment par
Newsweek. “Si les influenceurs des réseaux sociaux ont tant d'importance aux yeux du président, souligne Steven Buckley, ce n'est pas seulement en raison de leur attitude favorable à son égard, mais surtout en raison de leur grande influence sur l'opinion publique.”
Aruzhan Yeraliyeva

Bernie Sanders redonne l’envie d’avoir envie

Le sénateur démocrate endosse le rôle de chef de file de la résistance au rouleau-compresseur Trump. Puissant et à la hauteur du moment, il appelle à la lutte, à ne pas baisser les bras et surtout, redonne du courage.
Une vidéo dont la traduction et le sous-titrage ont été assurés par Baptiste Orliange
5 février 2025 | tiré de regards.fr
https://regards.fr/bernie-sanders-redonne-lenvie-davoir-envie/
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Face aux attaques brutales de Trump, la riposte reste à construire

En deux semaines, Donald Trump a violé la Constitution et enfreint la loi pour mettre en œuvre des mesures qui menacent des millions d'emplois et les programmes de santé, d'éducation et de protection sociale des personnes âgées, des enfants et des pauvres.
Hebdo L'Anticapitaliste - 740 (06/02/2025)
Par Dan La Botz
Bloqué à plusieurs reprises par les tribunaux, Trump a donné au milliardaire Musk, à la tête du DOGE (Département de l'efficacité du gouvernement), le pouvoir de prendre le contrôle des systèmes informatiques du gouvernement. Le président agit avec le soutien unanime du Parti républicain. Les Démocrates tergiversent et ne parviennent pas à s'opposer à lui.
Un e-coup d'État ?
Les actions de Trump sont ahurissantes. Il a d'abord tenté d'imposer un gel des dépenses pour toutes les subventions et prêts gouvernementaux, ce qui aurait affecté 20 millions d'enfants pour les repas scolaires, 2 millions de personnes âgées pour les repas à domicile, 79 millions de bénéficiaires de Medicare, 93 millions de bénéficiaires de Medicaid et de l'assurance maladie pour les enfants… Deux juges fédéraux ont bloqué Trump. Mais Musk et son équipe ont pris le contrôle des systèmes informatiques du département du Trésor et pourraient bloquer les paiements. S'agit-il d'une sorte d'e-coup d'État ?
Trump a envoyé à plus de deux millions d'employéEs du gouvernement fédéral le courriel « Fork in the Road » (« face, à une bifurcation, il faut se décider ») — une copie des courriels envoyés par Musk en novembre 2022 aux employésE de Twitter/X — leur disant qu'ils peuvent démissionner maintenant et continuer à travailler à domicile pour recevoir leur salaire et leurs avantages jusqu'au 30 septembre 2025. S'ils choisissent de ne pas démissionner, ils doivent retourner au bureau, mais n'ont aucune garantie de conserver leur emploi. Il suffit de répondre à l'e-mail avec le mot « Démission ». Selon le nombre de démissions, un dépeuplement de plusieurs agences gouvernementales est possible.
Hausse des droits de douane
Trump a l'intention de lancer une guerre commerciale contre le Mexique, le Canada et la Chine, en imposant des droits de douane de 25 % sur les produits en provenance du Mexique et du Canada, et des droits de douane supplémentaires de 10 % sur la Chine. Il s'agit des trois principaux partenaires commerciaux des États-Unis. Justin Trudeau et Claudia Sheinbaum ont déjà annoncé que leurs pays riposteraient. Compte tenu de l'intégration de la production industrielle nord-américaine, ces droits de douane pourraient, par exemple, entraîner la fermeture d'usines automobiles au Canada, au Mexique et aux États-Unis. Les droits de douane rendront plus coûteuse l'importation de bois d'œuvre pour la construction américaine.
Choc et sidération
Trump a commencé à rassembler et à expulser les immigrantEs sans papiers à l'aide d'avions militaires, quelques centaines seulement jusqu'à présent, mais il promet de les expulser tous. Il estime leur nombre à 20 millions alors que les experts en dénombrent 11 millions. De nombreux immigréEs craignent désormais d'aller au travail, à l'école, à l'hôpital, à l'église ou au temple.
Tout cela fait partie de l'objectif de Trump : réduire la taille, le pouvoir et le coût du gouvernement fédéral et surtout mettre fin à l'État-providence.
Trump a renvoyé 17 inspecteurs généraux dont le travail est de mettre un terme à la fraude, aux abus et à la corruption, de sorte qu'il n'y a guère d'opposition efficace au sein de la bureaucratie. Jusqu'à présent, l'opposition politique a utilisé les tribunaux pour tenter de bloquer Trump, avec un certain succès, mais les affaires judiciaires seront pour finir soumises à la Cour suprême conservatrice qui a eu tendance à soutenir Trump.
Les Démocrates n'ont pas réussi à parler d'une voix unifiée et claire, ni à ralentir l'assaut de Trump. Les Démocrates progressistes ont appelé le parti à réaffirmer sa prétention historique à représenter la classe ouvrière. Mais le parti vient d'élire comme président Ken Martin, qui est un apparatchik modéré.
L'attaque de Trump a été si rapide, si profonde et si intense qu'il n'y a pas encore de réponse massive de la base. Les syndicats, les organisations noires et latinos, les groupes de femmes, les groupes LGBT et la gauche discutent et planifient, mais n'ont pas encore de stratégie.
Dan La Botz, traduction Henri Wilno
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Trump, la répression anti-migratoire et les profits de la peur

Selon le philosophe Alberto Toscano, auteur notamment de Late Fascism (« Le fascisme tardif », qui paraîtra bientôt en français aux éditions de la Tempête), les plans d'expulsion massive de Trump s'inscrivent dans une histoire longue de guerre politique et juridique contre les migrant·es.
21 janvier 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/profits-peur-trump-immigration-racisme/
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« Ils n'ont encore rien vu. Attendez 2025. » C'est ce qu'a déclaré Tom Homan, le « tsar des frontières » récemment nommé par Donald Trump, lors de la conférence du National Conservatism en juillet dernier, où Tom Homan a annoncé que, si Trump revenait à la Maison-Blanche, il dirigerait « la plus grande force de déportation que ce pays ait jamais vue ».
Quelques mois plus tôt, Stephen Miller, le futur chef de cabinet adjoint de Trump et principal agitateur anti-migrants, avait exposé sa propre vision sombre de la « répression migratoire la plus spectaculaire » : faire appel à l'ensemble des pouvoirs fédéraux pour une campagne de déportation massive qui écraserait les avocats spécialisés dans les droits des immigrants et tous les efforts visant à protéger les travailleurs sans papiers de la surveillance, de l'incarcération et de l'expulsion.
Aujourd'hui, à moins de quelques jours de l'investiture de Trump, les menaces à l'encontre des responsables municipaux ou étatiques désireux d'offrir un « sanctuaire » sont devenues plus explicites, comme lorsque Tom Homan a récemment promis de poursuivre le maire de Chicago, Brandon Johnson, s'il continuait à « héberger et dissimuler » des demandeurs d'asile.
Les plans de déportation massive de Trump sont alarmants, mais ils sont aussi une récapitulation consciente (bien qu'accélérée) de la longue histoire de racisme d'État anti-migrants des États-Unis, ainsi que le produit d'un système très rentable de détention et de surveillance soutenu par les administrations successives des deux grands partis. La principale fonction de l'expulsion dans les économies capitalistes qui dépendent de la main-d'œuvre immigrée et sans papiers n'est pas d'expulser ces travailleurs, mais de les subordonner.
Qu'elles prennent ou non la forme « spectaculaire » recherchée par Miller, elles rapporteront des dividendes de multiples façons : elles permettront aux prisons privées et autres entreprises carcérales chargées de gérer la répression à venir de continuer à faire des bénéfices, tout en permettant à Trump de tirer un profit politique de l'affirmation selon laquelle les migrants sont les premiers coupables du « carnage américain ». Cette stratégie ne connaît aucune limite morale ou factuelle, comme l'a montré la réponse de MAGA aux récentes violences à la Nouvelle-Orléans et à Las Vegas – déclarant « Nous devons sécuriser cette frontière » alors même que les deux attaques ont été perpétrées par des citoyens étatsuniens nés aux USA et ayant un long passé militaire.
Pour contester la violente désignation des migrants comme boucs émissaires qui s'annonce, il faudra se mobiliser contre la prétention de l'administration Trump à être le champion du « travailleur américain »…
150 ans de guerre juridique contre les migrants
La rhétorique qui entoure la politique phare du mouvement MAGA ressemble à une compilation des plus grands succès de 150 ans de lutte contre les migrants via des lois nativistes. Les diatribes sinophobes de Trump contre le fentanyl chinois franchissant la frontière rappellent que les travailleurs chinois ont été la première cible des lois répressives et racistes sur l'immigration aux États-Unis, à commencer par la loi Page de 1875, ainsi que d'un mouvement ouvrier nativiste qui s'est battu pour que la main-d'œuvre reste blanche.
Mais ce n'est que le début. En 2015, Donald Trump a invoqué la tristement célèbre « opération Wetback » menée par Dwight Eisenhower en 1954 comme un possible modèle à suivre pour sa propre administration. Les mensonges que Trump et le vice-président élu JD Vance ont répandus cet automne sur les immigrés haïtiens de Springfield, dans l'Ohio, montrent à quel point le racisme anti-Noirs et anti-Latinos a joué un rôle crucial, depuis le « boatlift » des immigrés cubains et haïtiens de Mariel en 1980, dans la présentation de la migration comme une crise de la sécurité nationale.
La promesse du programme des Républicains pour 2024 de « déporter les gauchistes pro-Hamas » des campus universitaires nous rappelle à quel point les politiques anti-migrants ont souvent été liées à des paniques politiques concernant les subversifs étrangers, depuis la loi McCarran-Walter de 1952, qui classait les communistes et les anarchistes dans la catégorie des « étrangers expulsables, jusqu'à la Loi sur les Ennemis Étrangers de 1798 (Alien Ennemies Act 1798, utilisée pour justifier l'internement massif des Étatsuniens d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale (et maintenant également citée par Trump et ses acolytes comme un moyen de contourner les obstacles juridiques à l'arrestation de millions d'immigrants sans papiers).
Aujourd'hui, le Congrès est sur le point d'adopter la loi Laken Riley, avec un soutien considérable des démocrates, qui élargit encore la détention obligatoire, y compris pour les immigrés en situation régulière, sous le prétexte d'une vague inexistante de « criminalité immigrée ».
Si l'idéologie xénophobe de MAGA n'a guère innové par rapport à ses prédécesseurs – se distinguant principalement par sa grossièreté sans fard – ses efforts pour transformer le racisme nativiste en une plateforme politique centrale trouvent également des précédents dans l'histoire récente de la loi sur l'immigration et de son application.
L'administration de Bill Clinton, et en particulier son soutien à des projets de loi tels que la Loi sur la Réforme de l'Immigration Illégale et la Responsabilité des Immigrés (Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act), qui criminalisent l'immigration, ont marqué un tournant pour la « machine à expulser » des États-Unis. Comme l'a fait valoir Silky Shah, directrice exécutive de Detention Watch Network, le tournant punitif des années Clinton a facilité la fusion de l'application des lois sur l'immigration et du complexe industriel carcéral en un seul et même paysage carcéral.
C'est en 2014, sous la présidence de Barack Obama – surnommé le « déporteur en chef » bien avant l'entrée en fonction de Trump – que le même Tom Homan, alors haut responsable de l'U.S. Immigration and Customs Enforcement (ICE), a commencé à promouvoir l'idée de recourir à la « séparation des familles » pour décourager l'immigration. Bien que Obama ait hésité à mettre en œuvre cette idée, il a néanmoins honoré Homan en lui décernant le Presidential Rank Award l'année suivante. Comme le note Silky Shah, le travail de l'administration Obama pour relier le système de détention/déportation aux forces de l'ordre « s'est étendu et a mis en place une puissante machinerie » que Trump exploitera plus tard.
Profit privé, propagande publique
La privatisation a constitué une dimension importante de ces systèmes imbriqués. Sous le couvert de « réformes » bienveillantes, l'administration Obama a supervisé à la fois l'augmentation des poursuites fédérales pour des délits d'immigration tels que la réadmission illégale et le recours accru à des prisons privées et à des « alternatives à la détention » pour les migrants, y compris diverses formes de surveillance et d'« e-carceration ».L'industrie des prisons privées, qui a déjà vu ses actions dopées par la nouvelle de la victoire électorale de Trump, s'attend à une manne sous sa seconde administration.
Pour sa part, et jusqu'à ses derniers jours, l'administration Biden a prolongé des contrats lucratifs avec les sociétés qui gèrent les installations privées où sont entreposés la majorité des migrants sans papiers détenus – plus de des détenus de l'ICE se trouvaient dans des centres de détention privés en juillet 2023 – malgré des cas documentés de « négligence médicale, de décès évitables, d'utilisation punitive de l'isolement cellulaire, d'absence de procédure régulière et de traitement discriminatoire et raciste », comme l'a rapporté The Guardian. Même les centres de détention dont le bureau de l'Inspecteur Général du ministère de la Sécurité Intérieure (Department of Homeland Security) a explicitement demandé la fermeture restent ouverts.
Les groupes de défense des droits humains ont protesté contre les brutalités résultant de la dépendance de l'administration Biden à l'égard de l'industrie de la détention, qui pèse plusieurs milliards de dollars et qui est dirigée par des sociétés telles que GEO Group (anciennement Wackenhut) et CoreCivic (anciennement Corrections Corporation of America). Entre-temps, comme l'a rapporté The Lever, des sociétés de capital-investissement ont réalisé des investissements considérables dans les centres de détention fédéraux pour immigrés, « ce qui signifie que des intérêts de Wall Street opaques, non tenus de rendre des comptes et qui font des profits sont prêts à gagner des centaines de millions de dollars en détenant et en surveillant les immigrés du pays ».
L'industrie pénitentiaire privée, qui a déjà vu ses actions dopées par la nouvelle de la victoire électorale de Trump, s'attend maintenant à une manne sous sa deuxième administration. Comme l'a déclaré le président exécutif de GEO Group lors d'une conférence téléphonique sur les résultats après l'élection : « Nous nous attendons à ce que la future administration Trump adopte une approche beaucoup plus agressive en ce qui concerne la sécurité des frontières ainsi que l'application de la loi à l'intérieur du pays, et qu'elle demande au Congrès des fonds supplémentaires pour atteindre ces objectifs. » Cette agressivité accrue à l'égard des migrants se traduit directement par une augmentation des revenus pour GEO et ses semblables.
Le profit à tirer de la punition racialisée des sans-papiers ne s'arrête pas à la détention et à l'expulsion, mais comprend également le contrôle et la surveillance électroniques des migrants. Le Programme de Surveillance Intensive de l'ICE (Intensive Supervision Appearance Program) comprend des chevillières, des « montres » de surveillance et des applications pour smartphone à reconnaissance faciale, qui font toutes l'objet, avec l'extraction de données, de contrats lucratifs avec le gouvernement.
Compte tenu d'un certain scepticisme quant à la capacité de l'administration Trump à mettre en œuvre tous ses plans draconiens – Evan Benz, avocat au Centre Amica pour les droits des immigrés, note qu' il n'y a « aucun moyen rentable ou pratique pour l'ICE de détenir et d'expulser légalement les plus de trois millions de migrants inscrits au registre des personnes non détenues, malgré ce dont Trump et ses sbires fascistes peuvent rêver pour l'année prochaine » – même un échec de la campagne de déportation massive s'avérerait toujours rentable pour les intérêts des prisons privées, tout en répandant la misère et la terreur parmi les migrants.
Une économie de la peur
Regarder la machine de détention et d'expulsion que Trump et son cabinet de bigots fortunés sont en train de mettre en marche, c'est contempler toute une économie politique de la peur et de la punition, générant des profits privés à partir du carburant de la propagande démagogique, tout en récoltant les bénéfices psychologiques du nativisme en remplissant les coffres des entreprises.
Pour les travailleurs immigrés, la peur a toujours été un facteur économique : elle les contraint à accepter des emplois moins bien rémunérés, entrave la syndicalisation et permet à des employeurs despotiques d'agir. Comme l'explique Nicholas De Genova, chercheur spécialiste en études migratoires (dont on pourra lire cet article sur Contretemps), la principale fonction de l'expulsion dans les économies capitalistes qui dépendent de la main-d'œuvre immigrée et sans papiers n'est pas d'expulser ces travailleurs, mais de les subordonner, en rendant leur main-d'œuvre bon marché et contrôlable du fait qu'ils sont expulsables.
Homan lui-même a demandé ‘l'extension des visas temporaires pour les travailleurs saisonniers aux travailleurs migrants travaillant toute l'année dans l'industrie laitière, qui dépend tellement des travailleurs sans-papiers que leur absence doublerait le prix du lait. Lorsqu'ils ne sont pas montrés du doigt comme des menaces pour la sécurité nationale, les travailleurs sans papiers sont réduits à des facteurs de production, moins importants que les animaux dont ils s'occupent et les marchandises qu'ils produisent.
Il est clair que la cible principale des plans de déportation massive de Trump n'est pas la « criminalité des migrants », mais cette vaste partie de la classe travailleuse étatsunienne composée de travailleurs sans papiers et de tous ceux et toutes celles qui tombent sous l'ombre redoutable de l'expulsabilité – notamment les étudiants activistes qui se mobilisent contre le génocide. La défense de la vie des migrants n'est donc pas seulement une priorité de tout mouvement pour la justice sociale, mais aussi une lutte politique et syndicale. Pour que cette lutte prenne de l'ampleur, il sera nécessaire de briser l'équation réactionnaire de la classe travailleuse avec la blancheur et la citoyenneté nationale, qui perdure depuis la fin du. XIXème siècle.
En 2018, des milliers de personnes se sont mobilisées contre le programme de séparation des familles de l'ICE – y compris des politiciens démocrates comme Kamala Harris, qui a ensuite adopté un message de « fermeté à l'égard de l'immigration ». Dans un développement prometteur, Liz Shuler, présidente de l'AFL-CIO, a déclaré récemment que la lutte contre les raids sur les lieux de travail et les déportations massives était une « priorité absolue » pour le mouvement ouvrier. Pour contrer l'attaque de Trump contre les migrants, il faudra que le mouvement, au centre duquel se trouvent les travailleurs migrants, aille au-delà des préoccupations humanitaires et s'attelle à la tâche ardue mais nécessaire de démanteler la machine à expulser.
*
ALBERTO TOSCANO enseigne à la School of Communications de l'Université Simon Fraser et codirige le Centre for Philosophy and Critical Theory de Goldsmiths, Université de Londres. Il a récemment publié Late Fascism : Race, Capitalism and the Politics of Crisis (Verso), Terms of Disorder : Keywords for an Interregnum (Seagull) et Fanaticism : On the Uses of an Idea (Verso, 2010 ; 2017, 2e éd.). Il a également traduit les travaux d'Antonio Negri, d'Alain Badiou, de Franco Fortini et de Furio Jesi.
Publié sur le site In These Times. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.
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États-Unis : Défendons les immigré·es !

Le futur président Donald J. Trump a appelé au « plus grand programme de déportation de l'histoire américaine ». Il s'agit d'une crise sur plusieurs fronts pour des millions d'immigré·s et leurs familles, d'autant plus que Trump a élargi la catégorie des personnes « expulsables ». Il a même menacé de passer outre la Constitution américaine et de mettre fin à la citoyenneté de naissance, qui a été ajoutée à la Constitution après l'abolition de l'esclavage.
Tiré de Inprecor
28 janvier 2025
Par Dianne Feeley
El Gran Paro Americano (la grande grève américaine), Los Angeles, le 1er mai 2006, lorsque plus d'un million d'immigrant·es et leurs sympathisant·es ont protesté contre un projet de loi anti-immigrants au Congrès. De grandes manifestations ont eu lieu à Chicago, New York, Houston et dans de nombreuses autres villes. Le projet de loi n'a pas abouti. Photo par Jonathan McIntosh - Travail personnel, CC BY 2.5, Lien.
Trump diabolise les immigrant·es, affirmant qu'ils empoisonnent, volent, assassinent et prennent les ressources des citoyens. Si les immigrant·es ont quitté leur pays pour diverses raisons, les récits révèlent le désespoir de ceux qui fuient la guerre, la violence, la pauvreté et les catastrophes climatiques.
De nombreux·ses Américain·es pensent que les immigré·es sans papiers devraient être expulsé·es parce qu'ils se sont faufilés hors de la file d'attente pour demander l'asile. Mais il n'y a pas de file d'attente ordonnée ! Le système est cassé, délibérément.
D'autres peuvent être gêné·es par le fait que le pays se diversifie de plus en plus. En 1965, moins de 5 % de la population était née en dehors des États-Unis, contre 15 % aujourd'hui. En outre, près de 90 % des immigrant·es proviennent de pays non européens. Ce pays a eu des frontières ouvertes pendant la majeure partie de son histoire, mais lorsque des Chinois ont été recrutés pour construire le chemin de fer transcontinental, des lois d'exclusion ont été mises en place.
Revendiquant un mandat, l'administration Trump mettra en œuvre une politique anti-immigration sévère dès le premier jour. Bien que les nouveaux responsables n'aient pas fixé d'objectif quant au nombre de personnes qu'ils prévoient d'expulser au cours de la première année, Stephen Miller, le chef de cabinet adjoint de Trump chargé de la politique, parle avec fermeté de fermer la frontière et de procéder à des déportations massives. Cela ne peut se faire qu'en annulant les différentes catégories dans lesquelles la plupart des immigré·es sans papiers bénéficient d'une protection minimale.
Trump utilisera également le commerce comme monnaie d'échange. Sa menace d'imposer des droits de douane de 25 % sur les produits mexicains et canadiens est sa première tentative pour effrayer les autorités canadiennes et mexicaines et les forcer à patrouiller à leur frontière avec les États-Unis. Un mois avant l'investiture de Trump, le gouvernement canadien a proposé 1,3 milliard de dollars canadiens (913,05 millions de dollars) pour renforcer la sécurité à la frontière, afin de se prémunir contre l'augmentation des droits de douane proposée. (Alors qu'un million de personnes tentent de franchir la frontière sud chaque année, moins de 20 000 franchissent la frontière nord). Pourtant, M. Trump continue d'exacerber la rhétorique en demandant que le Canada devienne le 51e État.
Aujourd'hui, sur les plus de 40 millions de résidents qui ont immigré aux États-Unis, environ 11 millions sont sans papiers. Sur ces 11 millions, près de 90 % travaillent, ce qui représente près de 5 % de la main-d'œuvre totale. De nombreux employeurs et secteurs d'activité cherchent déjà des « solutions de contournement » pour leurs employés, mais il existe un risque évident de lier les immigrant·es à un employeur spécifique.
Et malgré tous les discours sur la fermeture des frontières, deux tiers des 11 millions sont arrivés avec un visa d'étudiant, de travail ou de touriste et ont dépassé la durée de leur séjour.
L'héritage Biden
Alors que Trump a dénoncé le bilan de Biden en matière d'expulsions, la réalité est que Biden a expulsé plus de personnes chaque année de sa présidence que Trump. Au cours du premier mandat de Trump, environ 1,2 million de personnes ont été rapatriées.
Au début de la pandémie de grippe aviaire, Trump a ressuscité le titre 42 pour des raisons de santé, mettant fin à toute possibilité d'asile. Cet ordre général a été en vigueur de mars 2020 à mai 2023, chevauchant les administrations Trump-Biden. En fait, sur les 4 677 540 rapatriés sous Biden, 2 754 120 étaient en réalité exclus en vertu du Titre 42. Néanmoins, c'est Obama qui détient le titre de « Déporteur en chef » pour avoir déporté près de trois millions de personnes au cours de son premier mandat et près de deux millions au cours de son second mandat, pour un total d'un peu moins de cinq millions au cours de ses huit années de mandat.
Alors que l'administration Obama s'est concentrée sur l'expulsion des immigrants qui avaient été condamnés pour un crime, Trump a élargi le champ d'action à tous les immigrants sans papiers. Actuellement, environ 40 000 immigrant·es sont en détention, dont près de 80 % sont hébergés dans des prisons privées (principalement au Texas, dans le Mississippi ou en Californie). Thomas Homan, nommé par Trump pour être en charge de la sécurité des frontières, explique que l'administration commencera par déporter les « criminels ». En réalité, selon des chiffres récents, pas plus de 20 à 33% des personnes déportées sont condamnées pour un quelconque crime.
Si, sur le papier, la politique américaine professe des valeurs humanitaires, la nécessité de réunir les familles et encourage l'emploi, le système d'immigration n'a pas été mis à jour pour faire face à la nouvelle réalité des réfugié·es. Voici un aperçu de certaines de ces réalités.
Environ 1,6 million de demandeur·ses d'asile attendent que leur dossier soit examiné. Le temps d'attente moyen est de 4,3 ans. En vertu du droit international, l'asile devrait être accordé à ceux qui craignent de subir un préjudice crédible de la part de l'État s'ils sont renvoyés dans leur pays, mais le gouvernement américain rejette la plupart des demandes d'asile. En 2020, par exemple, l'administration Trump n'en a approuvé que 15 000.
Trois à quatre millions d'autres immigrant·es sont également en attente d'une audience. Lorsque les services de l'immigration et des douanes (ICE) jugent que ces personnes sont en sécurité, ils les remettent à leur famille ou les obligent à s'inscrire à des programmes de surveillance. Développés par l'industrie pénitentiaire privée, ces programmes comprennent les SmartLINKS et les moniteurs de cheville et de poignet.
Au moins 700 000 citoyen·nes de 17 pays différents ayant connu des guerres ou des catastrophes environnementales ont obtenu un statut de protection temporaire (TPS). Ce statut, d'une durée de six à dix-huit mois, est souvent renouvelé. Les demandeurs bénéficiant du TPS reçoivent un permis de travail et sont protégés contre l'expulsion. Si le secrétaire à la sécurité intérieure décide de ne pas renouveler le TPS pour un pays donné, les personnes concernées retrouvent leur statut antérieur. Quatorze des 17 pays devaient faire l'objet d'un renouvellement en 2025, mais M. Biden a reporté la date limite à 2026. Trump a qualifié plusieurs de ces pays, dont Haïti, de « pays de merde ».
Environ 530 000 jeunes sans-papiers qui sont arrivé·es aux États-Unis lorsqu'ils ou elles étaient enfants ont bénéficié d'une protection temporaire dans le cadre du programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals, Action différée pour les arrivées d'enfants). Cette politique a été mise en œuvre par l'administration Obama en juin 2012 après plusieurs sit-in et manifestations impressionnants de jeunes immigrés. Comme le TPS, elle fournit une autorisation de travail et protège les bénéficiaires de l'expulsion. Pourtant, les bénéficiaires du DACA n'ont pas de statut légal ni de voie d'accès à la citoyenneté. En fait, il y a jusqu'à trois millions de « Dreamers » qui n'ont pas déposé de demande alors que le DACA acceptait encore des candidats. Bien que ce programme soit populaire auprès d'une majorité d'Américains, il pourrait être supprimé par une décision de la Cour suprême ou par Trump.
Déjà 1,3 million de personnes ont reçu des mesures d'éloignement, mais leur pays n'a pas accepté leur retour. L'équipe de Trump s'efforce de trouver des pays tiers disposés à les accueillir.
Le plan de l'administration entrante ciblera probablement les hommes immigrés - de préférence célibataires - dans les villes où ils peuvent être arrêtés et expulsés : Chicago, Denver, Houston, Los Angeles, Miami, New York, Philadelphie et Washington. L'objectif est de les expulser rapidement avant qu'ils ne puissent faire l'objet d'une action en justice. En 2013, l'ACLU a rapporté que 83 % des personnes expulsées n'avaient pas vu leur affaire entendue par un juge.
Mais même si l'administration Trump ne peut pas expulser toutes les personnes arrêtées, le gouvernement pourrait les retenir en développant rapidement le « soft housing » : Un ancien fonctionnaire a déclaré qu'ils pourraient préparer 25 grands magasins fermés avec des lits de camp, des Port-a-Potties et un approvisionnement alimentaire de base dans les 90 jours. Le gouvernement du Texas a déjà offert 70 terrains de football pour ce type d'hébergement.
Un autre problème auquel se heurte un plan d'expulsion gouvernemental est que les 4,6 millions d'immigrés sans papiers vivent dans des familles à « statut mixte ». Comme certains de leurs membres sont citoyens américains, ces familles ont plus de chances de contester l'expulsion. Une étude portant sur les communautés ayant subi des perquisitions massives sur leur lieu de travail a révélé un traumatisme important au sein de la communauté. Mais la réponse de Tom Homan à une question de CBS News sur la possibilité de procéder à des expulsions massives sans séparer les familles a été froide : « Les familles peuvent être expulsées ensemble ».
Le Conseil américain de l'immigration a estimé que « l'arrestation, la détention, le traitement et l'expulsion d'un million de personnes par an » coûterait 88 milliards de dollars par an. Le Conseil conclut également que les déportations massives réduiraient le PIB américain de 4,2 à 6,8 %, soit de 1,1 à 1,7 billion de dollars (en dollars de 2022) par an. (Le comité éditorial du New York Times a publié un long article soulignant que l'économie américaine a besoin de 1,6 million d'immigrant·es par an pour maintenir sa croissance économique. Il concentre ses suggestions sur un processus ordonné par lequel le monde fournirait aux États-Unis ses membres les plus jeunes et les plus résistants. Les rédacteurs du Times sont commencé l'article en appelant à un renforcement de la « sécurité » aux frontières).
D'après ce que nous savons des précédentes déportations massives dans les années 1930 et 1950, certains immigrant·es se sentiront si peu sûrs d'eux qu'ils s'expulseront d'eux-mêmes. Le Conseil américain de l'immigration estime que l'auto-déportation représente environ 20 % du total, mais je pense que le chiffre pourrait être beaucoup plus élevé - plus proche de 75 %. Une grande partie de la rhétorique de Trump à l'encontre des immigrés pourrait viser à les effrayer pour qu'ils partent.
La menace
Voici quelques-uns des moyens utilisés par le projet 2025 pour mettre en place un plan de déportation :
• La mise en place d'une machine à expulser à l'échelle nationale : Le projet prévoit d'autoriser l'ICE à recourir à l'« expulsion accélérée » contre les immigré·es trouvé·es n'importe où dans le pays. Outre les descentes sur les lieux de travail, il permettrait des descentes dans les écoles, les hôpitaux et les institutions religieuses. L'administration tentera d'utiliser l'Alien Enemy Act de 1798 pour mener à bien son projet, une absurdité puisque les États-Unis ne sont en guerre avec aucun autre pays et qu'il n'y a donc pas d'« étrangers ennemis ». Trump a également laissé entendre qu'il pourrait déclarer une urgence nationale.
• Militarisation des frontières : Le projet 2025 prévoit « l'utilisation de personnel et de matériel militaires » pour empêcher les passages aux frontières. Cela signifie davantage de surveillance et de murs. (Pour 2025, l'ICE dispose d'un budget de 350 millions de dollars, soit 30 millions de plus que l'année précédente. Mais ce budget est insuffisant pour le projet de Trump).
• L'expansion des centres de « détention » des immigrant·es : Le projet prévoit de plus que doubler le nombre d'immigré·es détenu·es alors qu'ils/elles sont menacé·ees d'expulsion. Actuellement, environ 50 000 d'entre eux et elles sont emprisonné·es, la plupart dans des centres privés, d'autres dans des prisons.
• Élimination de programmes : tels que les Programmes de Statut de Protection Temporaire pour les personnes venant de pays où il y a une catastrophe naturelle ou un conflit armé. Établi par le Congrès en 1990, il légalise actuellement le statut de personnes originaires de 16 pays différents pour une période de temps spécifique et renouvelable.
Les groupes les plus importants sont les suivants : 350 000 Vénézuélien·nes, 200 000 Haïtien·nes et 175 000 Ukrainien·nes. Ces personnes ont un statut légal et peuvent travailler tant que le programme est renouvelé. Trump a tenté de se débarrasser du programme au cours de son premier mandat, mais il en a été empêché par une action en justice de l'ACLU. Il ne fait aucun doute qu'il essaiera à nouveau. Le programme DACA pourrait être une autre cible. D'autres programmes pourraient être renforcés, comme les visas H-B1 qui permettent l'entrée de travailleurs étrangers qualifiés, les visas H-B2 qui couvrent les travailleurs à bas salaire, en particulier les travailleurs agricoles et les travailleurs de l'industrie hôtelière (tels que ceux utilisés par les entreprises Trump), ou les visas de regroupement familial. Des factions des partisans MAGA de Trump se disputent le programme HB-1.
• Rendre obligatoires les programmes de vérification du travail : Le projet 2025 étendrait E-Verify, un système mal organisé destiné à prouver que les employés ont le droit de travailler aux États-Unis. Les secteurs de l'agriculture, de la construction et de l'hôtellerie dépendent de la main-d'œuvre immigrée et cherchent déjà des exceptions pour pouvoir continuer à fonctionner.
• L'enchevêtrement des contrôles locaux et fédéraux : Le projet 2025 appelle à l'extension de la participation des polices locales et d'État à l'application des lois fédérales sur l'immigration. Ceux qui s'y refusent risquent de se voir refuser tout financement fédéral, y compris pour les écoles qui enregistrent et éduquent les enfants d'immigrés. Les villes, comtés et États « sanctuaires » qui coopèrent peu avec l'ICE seront sans aucun doute visés.
Que pouvons-nous faire ?
Il existe un certain nombre d'organisations et de syndicats dans tout le pays qui œuvrent depuis des années pour la justice envers les immigré·es. Les socialistes peuvent contribuer à la mise en place de campagnes de soutien à celles et ceux qui ont fui leur pays à cause de la guerre, de la violence - notamment sexuelle -, du manque de travail ou des ravages du changement climatique.
En particulier depuis que la communauté immigrée s'est mobilisée pour rejeter le projet de loi Sensenbrenner, entre 2006 et 2008, les syndicats soutiennent de plus en plus les droits des immigré·es. Les syndicats qui comptent un nombre important de travailleur·ses immigré·es sont notamment SEIU, HERE et UE, et ils ont aidé l'AFL-CIO à les soutenir également. Comme l'a fait remarquer Liz Shuler, présidente de l'AFL-CIO, « Un·e immigré·e ne s'interpose pas entre vous et un bon emploi, c'est un milliardaire qui le fait. C'est un milliardaire qui le fait ».
Les délégations syndicales au Congrès ont insisté sur le fait que la frontière est une distraction par rapport aux problèmes du lieu de travail. Elles soulignent que tous les travailleurs, quel que soit leur statut en matière d'immigration, devraient avoir accès à la pleine protection des lois sur le travail et l'emploi. C'est l'absence d'une telle protection qui crée une « économie souterraine », source d'exploitation et de conditions de travail dangereuses pour ceux qui n'ont pas de statut légal.
Voici quelques suggestions sur la manière dont nous pouvons protéger les personnes sans statut légal :
Les campagnes doivent indiquer clairement aux fonctionnaires que nous nous opposons à ce que les gouvernements locaux et nationaux collaborent avec les autorités fédérales pour mettre en œuvre leurs plans d'expulsion.
Nous devons soulever l'injustice du système d'immigration, qui est conçu pour « échouer », dans nos syndicats et nos organisations communautaires. Cela signifie des discussions individuelles, en soulevant la question de manière concrète lors de réunions et de conférences.
Début janvier, Labor Notes a organisé une réunion en ligne pour les syndicalistes, à laquelle ont participé plus de 200 personnes. Un article citait cinq façons d'aider les membres et incluait le guide du National Immigration Law Center à l'intention des employeurs pour prévenir la persécution des travailleurs, qui suggérait des demandes contractuelles concrètes que le syndicat pourrait proposer. Contrairement à la diabolisation des immigré·es par Trump, notre message de solidarité considère que nos voisins et nos collègues contribuent à construire une société plus forte et plus saine. Ils ont fui des conditions difficiles, souvent à cause des politiques de Washington.
Dans nos communautés, nous devons trouver des moyens de faire savoir aux sans-papiers que nous les soutenons.
Cela peut prendre la forme de « veilles communautaires », en s'assurant que leurs enfants sont protégés, et d'autres méthodes d'accompagnement.
Publié le 14 janvier 2025 par Solidarity
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Décoder la stratégie de communication de Trump II

À première vue, il semble difficile de s'y retrouver dans les déclarations tonitruantes et stupéfiantes de Donald Trump au sujet du Canada (en faire le 51e État des USA), de la bande de Gaza (vider le territoire de la population palestinienne), de l'imposition d'une barrière tarifaire pour les produits canadiens, mexicains, chinois, etc., de purge dans l'appareil gouvernemental, etc…
Par-delà le caractère intempestif du 45e et 47e président des USA et sans égard pour sa personnalité ou ses troubles pour lesquels nous ne disposons d'aucune compétence ou expertise pour les diagnostiquer, nous tenterons, dans les prochaines lignes, de cerner certains éléments de la stratégie de communication mise en place par son équipe présidentielle. Cette stratégie semble de plus en plus s'inspirer d'éléments qui correspondent à la stratégie « du choc », de « la sidération et de la stupeur » et de la « saturation ». Qu'est-ce à dire ?
La stratégie du choc
La stratégie du choc a été conceptualisée par la journaliste Naomi Klein dans l'ouvrage La stratégie du choc paru chez Actes Sud en 2007. Pour l'essentiel cette stratégie suppose une méthode bien précise qui consiste à « intervenir immédiatement pour imposer des changements rapides et irréversibles à la société éprouvée par le désastre ». Cette stratégie a été mise de l'avant par certains économistes néolibéraux qui préconisaient des thérapies de choc. Elle s'inspirait des cadres des services de renseignement et des militaires qui appliquaient des méthodes de torture par électrochocs afin de rendre les suspects amnésiques et parfaitement manipulables. « Les partisans de la stratégie du choc, affirme Naomi Klein, croient fermement que seule une fracture radicale – une inondation, une guerre, un attentat terroriste – peut produire le genre de vastes pages blanches dont ils rêvent. C'est pendant les moments de grande malléabilité – ceux où nous sommes psychologiquement sans amarres et physiquement déplacés – que ces artistes du réel retroussent leurs manches et entreprennent de refaire le monde. »
Refaire le monde, c'est ce que Donald Trump, Elon Musk et Steve Bannon semblent vouloir nous imposer en ce début de mandat qui doit durer quatre ans, et ce via une démarche qui ne nous donnera pas le temps de décoder clairement leurs orientations ou leurs intentions réelles et de permettre aux personnes affectées et concernées de se tourner vers les recours juridiques pour contrer les visées présidentielles autoritaires, liberticides, réactionnaires, et nous en passons !
La stratégie de la sidération et de la stupeur
Sidération. Ce mot signifie « subir l'action funeste des astres », ou encore « être frappé d'insolation », c'est-à-dire être totalement privé de tout moyen de réagir de manière autonome face à la puissance infinie des étoiles ou d'une puissance divine. Le rêve que semble partager Donald Trump et Elon Musk en matière sidéral consiste à vouloir à la fois atteindre et conquérir Mars — la planète rouge du dieu de la guerre — et de traiter les humains du point de vue de la puissance cosmique. Ajoutons que sous l'angle médical et psychologique, la notion de sidération suggère l'anéantissement de toute force de résistance face à un choc émotionnel.
On peut également utiliser pour qualifier la nouvelle stratégie de communication déployée par Trump II, le terme de stupeur, qui signifie l'engourdissement et la paralysie. Devant la masse considérable de décrets qu'il signe, nous nous retrouvons dans une situation où on ne peut faire face correctement à cet amas indigeste. Pire, nous devenons, sur le coup, quasiment incapables d'exercer notre esprit critique et, par conséquent, notre puissance d'agir risque de s'amoindrir.
La stratégie de la saturation
Depuis son retour au Bureau ovale de la Maison-Blanche, le nombre de décrets signés par Donald Trump atteint un nouveau sommet historique et porte sur une foule de sujets allant de l'immigration à la justice, de l'identité de genre à l'environnement, des coupes dans les programmes gouvernementaux à la réduction drastique pour ne pas dire draconienne dans la fonction publique, etc. N'oublions pas non plus les décrets qu'il a signés et qui ont pour effet de déclarer l'état d'urgence à la frontière du Mexique, la remise en question du droit d'asile, la fin du « droit du sol » et l'envoi de personnes migrantes sans-papiers à Guantanamo. Ajoutons, last but not least, le décret qui a pour effet d'accorder la grâce présidentielle aux personnes reconnues coupables pour leur participation à l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Et comme dirait l'Autre : And more to come ! ou encore And many more to come ! Un mot, on le devine, s'impose : saturation.
Le pouvoir de l'information et de la communication
Dans une société des écrans comme la nôtre, il devient possible de proposer des idées, des images et des mises en scène, de façon à les décréter comme étant celles d'une réalité souhaitée. La signature des décrets dans le Bureau ovale devant les caméras n'est pas anodine et relève du symbolisme. Car c'est en ce lieu que l'avenir de la nation des USA se décide, en quelque sorte. Mais il s'agit aussi d'une mise en scène propre à une nouvelle télé-réalité. Derrière son bureau hautement symbolique, soi-disant du chef d'État le plus puissant de la planète, le président étasunien devient le producteur, le maître de jeu et la vedette de l'émission qui suscite le plus de « choc », le plus de rebondissements, le plus de réactions, et ce, partout dans le monde. Tous les projecteurs sont braqués sur lui, dans l'attente du prochain décret ou de la prochaine révélation choc.
En misant sur les écrans, le président étasunien occupe certes les devants de la scène, mais il expose son pouvoir, qui est aussi celui de sa signature au bas des décrets. D'ailleurs, celle-ci est souvent montrée ; preuve épique du geste posé pour le bien soi-disant de la population de son pays. Il devient héroïque, immortalisé par les images, puisqu'un Grand président l'est par ses gestes et ce qui est montré de lui. En même temps, son rôle de maître du jeu le place en situation où il prend constamment les devants, sans arrêt, toujours dans l'optique de pousser ses opposant.e.s, autant alliéEs qu'ennemiEs, sur la nécessité de réagir. Ces dernières et derniers deviennent les personnages secondaires ou encore les vilain.e.s qui abusent des bontés des USA, qui spolient leurs richesses, justifiant ainsi une action forte, soit celle d'une plume toute-puissante capable de renverser la situation. En ce sens, le président étasunien doit démontrer qu'il manie le « bâton » — soit un pouvoir donné par métonymie à la plume ; dans une réplique de la pièce The Conspiracy de Bulwer-Lytton disant que « la plume est plus forte que l'épée » — et le maintient en tout temps.
Il n'y a pas meilleure émission de superhéros que celle-ci, d'autant plus qu'elle prend scène dans la réalité.
Conclusion
En signant à une vitesse grand « V » cette avalanche d'actes administratifs unilatéraux Donald Trump inonde l'espace médiatique et tente d'empêcher les critiques de s'organiser en s'assurant que personne d'autre que lui et les membres de son équipe de stratèges — plus ou moins compétents —, ne contrôle le flot d'informations. Ce qu'il ne parvient pas, par ailleurs, à réaliser complètement. Au moment où nous écrivons ces lignes, certains de ces décrets font l'objet de dénonciations et de poursuites devant les tribunaux. Des jugements ont même été émis et ont pour effet de les suspendre d'application provisoirement.
Donald Trump ne se contente pas d'occuper, d'envahir et d'inonder l'espace médiatique. Il le submerge et le noie. En agissant ainsi il alimente le flot de controverses, ce qui a pour effet de détourner l'attention de la population en la bombardant d'une suite ininterrompue de déclarations ahurissantes. Cette stratégie de communication n'est pas sans risque pour le principal intéressé. Doit-on rappeler, comme l'observait à son époque Machiavel dans Le prince, que la citoyenne et le citoyen moyen ne raffolent pas d'agitation constante.
Parlant de citoyennes et de citoyens, la population totale des USA en 2023 est estimée à 334 900 000 habitantEs. Le nombre de personnes de 18 ans et plus s'élève à un peu plus de 260 millions. Sur ce dernier chiffre, en novembre dernier, il n'y a que 156 302 318 qui ont exercé leur droit de vote, alors que 49,8 % ont choisi Donald Trump et 48,32 % ont accordé leur vote à Kamala Harris. Les assises électorales de Donald Trump demeurent fragiles. Il n'a pas été plébiscité par l'électorat et encore moins par la population. Pour le moment, il adopte des comportements unilatéraux qui en font un tyran. En ce sens, il abuse abondamment de ses pouvoirs présidentiels. Il agit d'une manière opposée et contraire à ce qui est attendu de lui sur un plan légal ou constitutionnel.
Dans l'histoire du XXe siècle il y a des personnages politiques qui ont marqué leur époque et ils ont laissé une trace un peu plus longue que d'autres. Pensons ici à Roosevelt et à son New Deal. A contrario, il y a eu Margaret Thatcher et Ronald Reagan qui ont remis frontalement en question certaines assises du Welfare state et du keynésianisme. Qu'en sera-t-il de Trump II ? Ses décrets auront-ils pour effet d'inaugurer une nouvelle ère ou se permuteront-ils en mauvais souvenirs sous une prochaine administration ? Pour le moment, seules les personnes qui s'amusent au jeu des prédictions peuvent hasarder quelque chose sur le sujet. Pour notre part, nous laissons à d'autres la description « experte », c'est-à-dire la définition de la marche à suivre pour orienter les changements à mettre en place dans les présentes circonstances. Tout au plus pouvons-nous apporter un éclairage susceptible de rendre compte de ce qui se passe en vue de l'étape qui consiste à choisir son camp. Which side are you on ?
Guylain Bernier
Yvan Perrier
9 février 2025
10h50
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Houston, Dallas, Los Angeles … : des milliers de manifestants contre la politique xénophobe de Trump

Depuis le week-end dernier, de nombreuses manifestations traversent le pays pour témoigner de la colère contre les déportations et les violentes attaques du nouveau président contre les personnes immigrées.
5 février 2025 | tiré du site de Révolution permanente | Photos : Houston, Dallas, Los Angeles … : des milliers de manifestants contre la politique xénophobe de Trump
https://www.revolutionpermanente.fr/Houston-Dallas-Los-Angeles-des-milliers-de-manifestants-contre-la-politique-xenophobe-de-Trump
Depuis son retour au pouvoir, Trump a lancé une offensive sans précédent contre les immigrés : fin du droit du sol, état d'urgence à la frontière, chasse aux sans-papiers … Les premiers jours du mandat de Trump, qui a fixé un objectif de plus de 1000 arrestations par jour, ont été marqué par les raids violents de l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) contre les sans-papiers. Entre le 23 janvier et le 3 février, ce sont plus de 8000 personnes qui ont été arrêté par l'ICE.
Depuis le week-end dernier, des manifestations de plusieurs milliers de personnes ont éclaté dans les villes les plus touchées par l'offensive raciste de Trump. Des lycéens ont quitté leurs lieux d'étude en signe de protestation et des commerçants issus de l'immigration ont fermé leur établissement.
A Los Angeles, plusieurs manifestations ont réuni des milliers de personnes pendant trois jours. Dimanche, avec une importante présence de la diaspora mexicaine, les manifestants ont envahi l'autoroute avant d'être violemment réprimés par la police.
Lundi, à Los Angeles toujours, des centaines de lycéens ont quitté leur cours pour protester contre les arrestations commises par l'ICE dans leur quartier lors des dernières semaines.

Le Texas, en raison de sa proximité avec la frontière mexicaine et de la présence de millions d'immigrés (en particulier venant d'Amérique latine) sur son territoire et de son gouverneur ultra-réactionnaire, est également l'un des épicentres de la lutte contre le projet xénophobe de Trump. Que ce soit à Dallas, à Houston ou dans la Rio Grande Valley, des milliers de personnes ont défilé dans les rues pour dénoncer les pratiques de l'ICE et notamment l'extension de leur juridiction aux écoles, aux hôpitaux et aux lieux de culte.

A Denver également, un meeting pour organiser la défense des droits des immigrés a réuni plus d'un millier de personnes, avec comme mot d'ordre la lutte contre « la terreur de l'ICE ».

Atlanta, Chicago, Charlotte, San Jose, San Diego, New York, Boston et d'autres encore, nombreuses sont les villes qui ont vu les familles d'immigrés, les étudiants et les organisations communautaires prendre la rue pour dénoncer la politique raciste de Trump et manifester leur solidarité avec le sort des sans-papiers.
Alors que le Parti démocrate ne bronche pas devant ces offensives anti-immigration, ces mobilisations embryonnaires montrent que la population immigrée n'entend pas laisser passer aussi facilement les mesures xénophobes du nouveau président. Les témoignages de professeurs et de travailleurs de la santé qui ont annoncé qu'ils refuseraient de se plier aux ordres de la nouvelle administration sont un autre signe de la résistance que rencontre la politique de Trump auprès d'une partie de la population.
Face à une offensive historique contre les droits des immigrés, les manifestations du week-end dernier montrent la voie de ce qui pourrait être une résistance contre les politiques réactionnaires de Trump : une mobilisation d'ampleur organisée à la base, alliant tous les travailleurs qu'ils soient immigrés ou non, qui se dresse pour défendre non seulement les droits des sans-papiers, mais ceux des travailleurs dans leur ensemble.
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Religion, idéologie, doctrine politique : ce qui attend la nouvelle Syrie

Que peut-on saisir des projets économiques et politiques du groupe Hayat Tahrir Al-Cham, qui s'est rendu maître de la Syrie, à partir de ce qu'il a expérimenté à Idlib et commencé de faire à Damas ? Entretien avec le chercheur Patrick Haenni.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Et si l'observation des centres commerciaux, ou malls, implantés ces dernières années à Idlib constituait l'un des meilleurs moyens pour comprendre ce que pourrait devenir la Syrie de demain ?
Dans un article passionnant publié juste avant l'offensive victorieuse du groupe Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) sur Damas, le chercheur Patrick Haenni montrait à quel point ces lieux cristallisaient les tensions, mais aussi les accommodements possibles entre les normes islamiques, le consumérisme et la mise en place d'un espace public que les différentes composantes religieuses, politiques et sociales de la région d'Idlib ne se représentent pas à l'identique.
Pourquoi certains cafés et restaurants tenus par des capitaux proches de HTC acceptaient le narguilé tandis que d'autres, moins liés à HTC, l'interdisaient ? Pourquoi une loi de régulation plus stricte du mélange entre les sexes dans ces lieux avait-elle pu être adoptée au moment précis où HTC envoyait des messages de « modération » à l'intention de la communauté internationale ? Comment faire cohabiter un impératif ascétique lié à une culture combattante et islamiste et les aspirations à la consommation, voire à l'hédonisme, des sociétés ?
Alors que le ministre des affaires étrangères du gouvernement dirigé par Hayat Tahrir Al-Cham se trouvait récemment au Forum économique de Davos en Suisse, pour annoncer un plan de privatisations et débattre, notamment, avec Tony Blair, et tandis que Ahmed al-Charaa prononçait, jeudi 30 janvier, son premier discours à la nation depuis la chute de Bachar al-Assad, que peut-on dire de la vision du monde, à la fois politique et économique, portée par HTC ?
Entretien avec Patrick Haenni, chercheur affilié à l'Institut universitaire européen de Florence. Il publiera, avec Jerome Drevon, en juin, un ouvrage intitulé Transformed by the people. HTS' road to power in Syria, une analyse fine des mutations idéologiques et politiques de ce mouvement, basée sur un travail de terrain de plus de cinq ans dans l'ancien fief du mouvement dans le nord-ouest de la Syrie.
Mediapart : HTC est-il représentatif de cet « islam de marché » à la fois conservateur sur le plan des mœurs et libéral sur le plan économique que vous analysiez il y a quelques années à propos des Frères musulmans égyptiens ?
Patrick Haenni : L'Islam de marché interrogeait l'espace des convergences entre mondialisation et islamisation, et montrait les affinités entre l'islam politique et le nouvel ordre libéral, voir néolibéral, en train de se mettre en place dans les années 1990-2000. Là, nous sommes dans une configuration radicalement différente. HTC est un produit de la guerre, et il en reflète l'évolution.
HTC est un groupe armé, un mouvement de combattants, qui, de combats en batailles, a perdu énormément de ses cadres initiaux, lesquels étaient souvent des urbains éduqués. HTC a donc vu sa base prendre l'ascenseur social vers le bas.
Une très grande partie de la première génération, éduquée et politisée comme l'est Ahmed al-Charaa, est morte dans les combats ou a disparu du fait des scissions de HTC, d'abord avec l'État islamique, puis avec Al-Qaïda.
En raison de cet élagage, à partir de 2019, le mouvement a dû recruter localement, dans la région d'Idlib. Il en a découlé une mue sociologique. Le mouvement se provincialise, et sa nouvelle base sociale est constituée par les petites classes moyennes pour les cadres et un socle très rural pour les combattants.

On est ainsi passé d'un mouvement en partie internationaliste, recrutant souvent au sein des classes moyennes, à un mouvement plus local et moins diplômé, implanté davantage en bas de l'échelle sociale. Ce qui a obligé HTC à simplifier les formations idéologiques données aux combattants et à largement les dépolitiser.
Par ailleurs, l'expérience de l'exercice du pouvoir qui se met en place à Idlib en 2017 sous le nom de « Gouvernement syrien du Salut » est le produit d'un mouvement militarisé limité en ressources humaines et financières qui n'a jamais fait de la gouvernance locale sa priorité, ni n'y voit le lieu de réalisation de ses idéaux politiques. Son seul horizon utopique a toujours été la prise de Damas, Fath al-Cham,en arabe, à l'instar de l'appellation de son mouvement.
Contrairement aux Kurdes qui ont créé une dynamique de fonctionnarisation de la société syrienne du nord-est en ayant réussi à mettre près de 220 000 personnes dans une administration censée d'ores et déjà incarner leur idéal militant et préparer la Syrie de demain, Charaa fait, lui, de la gouvernance locale par défaut, par manque de ressources humaines et financières mais aussi parce que ses intérêts sont ailleurs.
- On est bien sur un régime néolibéral, mais c'est une forme de néolibéralisme par défaut.
À Idlib, pas d'administration pléthorique, mais un secteur public dégraissé, un État minimal et une propension à la décharge du service public sur le secteur associatif, les ONG, internationales ou locales, ou les Nations unies : un tiers de la population à Idlib vit ainsi dans des camps et survit sous perfusion onusienne.
Cela vaut également pour des secteurs à haute teneur idéologique comme l'éducation, où les salaires étaient payés par des financements occidentaux, et les manuels, ainsi que les examens, repris du gouvernement intérimaire syrien de l'opposition basé en Turquie.
Quant à l'État syrien, depuis la prise de pouvoir, le dégraissage a également commencé avec le renvoi de près de 30 % des employés du secteur public redoublé de suppressions de subventions à certains biens de première nécessité, comme l'huile de chauffage, les transports publics, l'essence ou, de manière plus cruciale, le pain dont le prix a été multiplié par 10 à certains endroits.
On est bien sur un régime néolibéral, mais c'est une forme de néolibéralisme qui, là encore, fonctionne « par défaut », et non comme conséquence d'une motivation idéologique de contraction de l'intervention étatique.
Est-il possible de cerner « l'idéologie » de HTC, que ce soit sur le plan économique ou politique ?
HTC ne possède pas une idéologie structurée. Ce sont bien sûr des islamistes, qui se sont déradicalisés sans devenir modérés pour autant.
Leur déradicalisation est le produit non intentionnel de quatre dynamiques : leur rupture avec le djihad global ; leur rupture avec le salafisme comme projet de purification à marche forcée de la religiosité ; leur pari sur les majorités silencieuses pour mieux marginaliser les minorités radicales agissantes à l'intérieur ou à l'extérieur du mouvement ; et, en conséquence, la pratique tacite d'un « salafisme inversé » d'acceptation d'une certaine inertie du social qui permet à un islam populaire, soufi notamment, de se réaffirmer sur la scène sociale après en avoir été occulté pendant près d'une décennie.
Cette déradicalisation ne se fait pas au nom d'une idéologie : c'est le produit d'une trajectoire que HTC maîtrise seulement partiellement. Sans surprise, quand on demande aux leaders du mouvement de se définir, les réponses varient et demeurent évasives : ils parlent de mouvement révolutionnaire, d'islamisme, de djihadisme politique, de conservatisme sunnite…
Le compromis trouvé à Idlib entre les normes de l'islam et la société à laquelle elles s'appliquent peut-il se reproduire à Damas, dont la composition sociologique et la diversité religieuse sont très différentes d'une petite ville conservatrice et homogène du nord du pays ?
Le leader de HTC, Ahmed al-Charaa, est un politique davantage qu'un idéologue ayant une recette claire pour reformater la société selon ses convictions. À Idlib, il a trouvé une forme d'équilibre dans une société polarisée entre une austérité révolutionnaire et combattante et une volonté jugeant que la révolution et le combat devaient déboucher sur la réalisation d'une société nouvelle laissant la place à une vie sociale non contrainte par la rigueur souhaitée par les premiers.
Al-Charaa a donc fait des compromis entre une aile populiste islamiste, parfois salafiste, dure et austère, et une société, toujours musulmane et conservatrice, mais qui voulait revivre et respirer. À Idlib, le compromis était tenable parce que la marge d'écart entre ces deux tendances n'était pas drastique.
À Damas, en revanche, la polarisation est bien plus forte. On a, d'un côté, le renforcement de cette aile populiste islamiste et parfois salafiste qui réinvestit un champ religieux moins contrôlé à Damas qu'il ne l'était à Idlib. Là-bas, HTC avait la main sur les mosquées, les écoles, les instituts de charia. Les prédicateurs étaient sous contrôle, parfois directement, parfois indirectement, par exemple en intégrant, pour les contenir, les plus durs dans les institutions religieuses que ces derniers ne contrôlaient pas.
À Damas, et dans les autres grandes villes, les radicaux étrangers ou les groupes de prédication (dawa) paradent en pick-up, rappellent la norme islamique dans ses versions les plus conservatrices, s'installent dans un champ religieux peu contrôlé pour l'instant.
Et de manière plus profonde, on voit aussi s'affirmer une identité sunnite vindicative difficile à contenir et qui a sa part sombre de violence revancharde. Elle s'affirme sur la côte ou dans la région de Homs, notamment dans les espaces urbains brassés d'un point de vue confessionnel et travaillés par une mémoire de la guerre civile souvent marquée par la haine et le sang.

Mais, de l'autre, on voit aussi une affirmation de la société civile, des bourgeoisies urbaines avec des styles de vie radicalement différents et soucieux de les défendre. Eux aussi recourent à la rue. On le voit à travers les manifestations, petites mais continues, de femmes notamment, qui arborent des slogans ouvertement séculiers tels « la religion à Dieu et la nation à tous ». Bouillonne ainsi une société civile politisée voulant être dans le jeu et improvisant réunions et formations politiques dans les cafés d'activistes.
Or les nouveaux maîtres de Damas ne pourront faire sans ces élites urbaines qui détiennent l'économie et qui, in fine, sont les dépositaires de l'expérience de l'État. Depuis la prise de Damas, les rencontres avec ces dernières sont légion, même si on ne sait pas encore quel type de partage de pouvoirs elles sont susceptibles – ou non – d'engendrer. En clair, si des visions différentes de la norme religieuse ont, bien sûr, toujours (co)existé, les pressions contraires qui ont contraint Charaa à l'arbitrage à Idlib sont bien plus divergentes à Damas.
L'ancienne politique d'arbitrages pratiquée à Idlib tient, désormais, pour les nouveaux dirigeants, d'une pratique du grand écart idéologique toujours plus complexe.
La prise de Damas a principalement été vue sous deux angles : soit la victoire finale d'une révolution, soit le début de l'imposition d'une idéologie islamiste. Les tensions en cours se jouent-elles principalement autour de l'idéologie et du religieux ?
Pas uniquement. Ces dimensions sont réelles mais il en est une autre, non moins fondamentale, qui est la dimension de classe.
La prise de Damas est vue par beaucoup, dans la capitale, comme un débarquement sociologique de la province d'Idlib, le fief de HTC avant son Blitzkrieg [« guerre éclair » – ndlr] victorieux le mois passé. À l'image de ces révolutionnaires issus des campagnes d'Idlib qui, arrivant dans le quartier huppé d'Al-Malki à Damas, ont créé, dans une mosquée du quartier, le « conseil des notables d'Al-Malki ». Une initiative que la bourgeoisie locale regarde en grinçant des dents, étant entendu qu'il n'y a pas plus de « notables » à Al-Malki que dans le XVIe arrondissement de Paris…
- Contrairement à la vision des talibans de Kaboul, il n'y a pas, chez le militant moyen de HTC, cette idée de Damas comme ville pécheresse.
Alors qu'elle était l'incarnation de la marge, la province d'Idlib devient d'ores et déjà implicitement une marque de statut social. Les voitures porteuses de plaques d'Idlib se voient privilégiées par la police de la route, prompte à leur donner la priorité au nom d'une libération qui leur est créditée.
Surtout, et de manière bien plus profonde, la politique de nominations et de licenciements au sein de la fonction publique prend la pente d'un double appui sur une appartenance sunnite et, plus spécifiquement, parfois, des réseaux de solidarité tissés autour de l'expérience du pouvoir développée par HTC à Idlib ces dernières années.
D'une certaine manière, on retrouve dans cette affirmation révolutionnaire et sociale d'une province spécifique au sein de la capitale ce qu'avait déjà connu Damas avec la prise de pouvoir du Baas en 1963, qui fut également à la fois l'affirmation de la province et celle d'une région.
Le chercheur français Michel Seurat disait il y a très longtemps que « l'État au Machrek, c'est une assabiyya[groupe ou réseau de solidarité – ndlr] qui a réussi » ; la Syrie aujourd'hui lui donne clairement, une fois de plus, raison.
Mais cette forme de revanche des campagnes sur les villes n'est-elle pas une vengeance, comme ce fut le cas lorsque les talibans s'emparèrent de Kaboul en 1996 ou lorsque les Khmers rouges prirent Phnom Penh ?
Contrairement à la vision des talibans de Kaboul, il n'y a pas, chez le militant moyen de HTC, cette idée de Damas comme ville pécheresse. Le contact de la ruralité et de l'urbanité est pour l'instant ambivalent.
Il y a, d'une part, la réaction défensive des élites, les sorties en pick-up « d'entrepreneurs de morale » venant prêcher la bonne parole et qui sont souvent pesants pour le voisinage, mais, d'autre part, les selfies des jeunes femmes avec les combattants débarqués de la campagne ou la satisfaction d'élites totalement épuisées par la prédation suffocante exercée sur eux par l'ancien régime.
Il y a surtout, comme à Idlib, un ancrage du mouvement dans les petites classes moyennes, provinciales souvent, mais pas pour autant déconnectées du urban life style qui existe dans les grandes villes.
Et quand la pression morale dépasse un certain seuil, comme ce fut le cas avec la tentative d'islamiser les manuels d'enseignement à Damas, d'imposer une police des mœurs à Idlib ou de priver les femmes de participation à des discussions sur le futur de la justice à Alep, alors les autorités corrigent le tir par le haut et imposent un rétropédalage.

Ce rétropédalage peut aussi se faire de manière spontanée : le conseil des notables du quartier d'Al-Malki, comme dans les autres quartiers de la ville, est d'ores et déjà en état de mort clinique tout simplement car la greffe de la culture provinciale n'y a pas pris souche.
En définitive, en dépit des décalages cognitifs, on n'est donc ni dans un triomphe revanchard de la ruralité sur l'urbanité – Charaa a passé son adolescence dans le quartier plutôt cossu de Mezze –, ni dans l'imposition d'une islamisation par le haut, comme ce fut le cas avec les talibans.
- HTC n'a jamais fait son “coming out” identitaire. Le groupe n'a jamais accouché d'une charte ou d'un document fondateur explicitant la nouvelle doctrine ou son identité politique.
Mais cette affirmation provinciale est aussi très contextuelle. À Damas, le syndicat principal des avocats a été importé et substitué par le syndicat local d'Idlib. Dans les régions, la « ruralisation » du pouvoir peut être plus forte et se faire via des plans de dégraissage sur la base des appartenances confessionnelles.
Elle peut aussi prendre la forme d'une islamisation de l'État. Ainsi, à Deir ez-Zor, l'autorité de l'État central s'effectue en réalité par le truchement des anciens frères d'armes de Charaa, originaires de la petite ville de Sheheil, à l'est de l'Euphrate, longtemps bastion du Front Al-Nosra. Dès leur prise de pouvoir, plusieurs femmes fonctionnaires de la municipalité non voilées ont été licenciées. Mais là encore, on est davantage dans l'ordre de l'initiative locale que de l'application d'un programme idéologique dûment élaboré par le haut.
En réalité, depuis sept ans, le leadership tend à pondérer ses bases, voire à contraindre les plus velléitaires idéologiquement. Et on est toujours bien face à une déradicalisation par le haut, souvent imposée par le leadership du mouvement à des cadres intermédiaires revêches.
Quelle est alors l'identité des nouveaux maîtres de Damas ?
Agent réel de déradicalisation, HTC n'a pourtant jamais fait son « coming out » identitaire. Le groupe n'a jamais accouché d'une charte ou d'un document fondateur explicitant la nouvelle doctrine ou son identité politique.
Le mouvement a fait l'économie d'un aggiornamento théologique. Sa déradicalisation est le fruit de l'exercice du pouvoir, non d'une mutation idéologique assumée et argumentée.

Elle est à la fois profonde, ancrée dans la durée et difficilement réversible car cristallisée par des changements de force en profondeur dans le mouvement, à savoir la mise à l'écart de la ligne dure, même si bien sûr les radicaux sont loin d'avoir tous disparus.
Elle reste pourtant sans discours sur sa propre transformation. Révolution silencieuse pour les uns, dont je suis, ou conspiration du silence d'un nouveau pouvoir déjà passé maître dans l'art de la taqiyya et de la dissimulation, pour les sceptiques cherchant une oriental touch. Il est sans doute un peu tôt pour répondre de manière définitive.
Ce que nous pouvons en revanche d'ores et déjà affirmer, c'est que cette déradicalisation est unique dans le paysage djihadiste, et ce, à deux titres. D'une part, il ne s'agit pas d'une révolution doctrinale alors qu'habituellement les djihadistes commencent par l'idéologie, comme l'ont fait les djihadistes égyptiens ou libyens. D'autre part, c'est une déradicalisation qui s'effectue par un acteur en position de force alors que la déradicalisation des djihadistes est d'ordinaire le produit d'une phase de faiblesse, et de l'expérience carcérale.
La déradicalisation s'effectue ici en position de pouvoir. Plus que cela, elle est le produit de l'exercice du pouvoir et des contraintes qu'il véhicule.
- HTC s'est fait transformer par la société qu'il contrôle. Sa déradicalisation, c'est du salafisme à l'envers.
Lorsqu'on est contraint de faire alliance avec l'armée turque, armée de l'Otan émanant de l'expérience d'un État laïc, il faut répondre à ceux qui rejettent le principe de recherche d'appui sur des forces infidèles.
Lorsqu'il s'agit de réaffirmer l'autorité de la ligne de HTC face au discours des idéologues du djihad global, l'adoption de l'école de jurisprudence chaféite permet de produire de la légitimité locale et du contrôle religieux. Le chaféisme n'est ainsi pas le reflet d'un traditionalisme mais le produit d'une stratégie affirmée de différenciation.
Lorsqu'il s'agit de gérer un champ religieux très dense avec plus de 1 200 mosquées, de multiples instituts de charia issus pour la plupart de la tradition soufie, contrairement à l'État islamique prêt à imposer son dogme à tout prix, HTC « fait avec », c'est-à-dire réhabilite le bas clergé local et ses visions du monde.
Quand les nouvelles recrues sont du terroir, peu éduquées, plus attachées à la défense de leur village qu'à l'avènement d'un califat mondial et que, de surcroît, l'État islamique reste un concurrent, la formation idéologique des combattants est révisée à la baisse, à la fois simplifiée et déradicalisée : il faut faire rempart – au risque de défections vers l'État islamique – et rendre accessible.
De fil en aiguille, HTC a progressivement amorcé un cours « thermidorien » et renoncé à « purifier le dogme » et la société, c'est-à-dire renoncé à l'idéal salafiste de la tabula rasa et, toujours plus – et de manière largement empirique – compose avec « l'inertie du social », selon les termes de l'historien François Furet. HTC s'est fait transformer par la société qu'il contrôle. La déradicalisation de HTC, c'est du salafisme à l'envers.
De manière stratégique, HTC à Idlib s'est comporté de façon profondément transactionnelle, y compris sur les questions de normes religieuses, et n'a pas clarifié sa ligne idéologique. De ce point de vue, il y a bien une part de taqiyya, de dissimulation dans ce flou stratégique.
Mais qu'est-ce qui est dissimulé ? Une radicalité impénitente qui sortira du bois une fois le pouvoir pris ou, à l'inverse, un recentrage idéologique sur une ligne révolutionnaire, sunnite et conservatrice mais déradicalisée et qui ne dit pas encore son nom pour faciliter la greffe d'un modèle encore fragile dans un milieu qui le voit parfois encore avec scepticisme ?
Si tout est sans doute possible, je penche pour la seconde option. En effet, si HTC s'est montré fortement transactionnel, il devra l'être d'autant plus après sa victoire face aux pressions externes – l'incantation internationale vers l'inclusivité et la paranoïa non moins globale et locale vis-à-vis de l'islam politique.
Les nouveaux dirigeants ne pourront préserver le pouvoir sans préservation de l'État, ce qui suppose un pacte avec la communauté internationale et avec les élites urbaines, seules détentrices de l'expérience étatique, toutes deux impossibles à obtenir en cas de régime islamique dur.
L'actuelle structure des contraintes liées à l'exercice du pouvoir après le 8 décembre devrait caler la boussole idéologique du mouvement sur le cap des réajustements centristes qu'il tenait depuis la rupture avec Al-Qaïda en 2016.
La trajectoire de HTC peut-elle être un modèle de déradicalisation pour d'autres organisations de ce type ?
En définitive, le recentrage idéologique de HTC rappelle moins les anciennes expériences djihadistes que l'expérience des partis d'extrême droite qui ont connu un itinéraire parfois similaire de dégagement des extrêmes dans un contexte de position de force, de volonté de prise de pouvoir et sans grands efforts de conceptualisation doctrinale.
En réalité, l'expérience d'Idlib permet de jeter quelques lumières sur les affirmations centristes de ces partis. Tout d'abord, le recentrage idéologique n'est jamais purement instrumental. À Idlib comme ailleurs, lorsqu'un mouvement radical opère un recentrage idéologique, cela provoque des tensions internes majeures, des scissions, des départs et des purges. Ce processus ne mène pas nécessairement à une véritable modération, mais il élimine les éléments les plus radicaux.
- Le recentrage ne transforme pas seulement les extrêmes ; le centre lui-même est redéfini en absorbant des aspects idéologiques des marges radicales.
Ensuite, le recentrage ne transforme pas seulement les extrêmes ; le centre lui-même est redéfini en absorbant des aspects idéologiques des marges radicales. À Idlib, cela se traduit par une influence persistante de la culture salafiste. Un radicalisme conservateur se maintient, mais à l'extérieur du mouvement et sur le mode d'une contestation populiste de ce dernier.
Par ailleurs, le recentrage n'est jamais purement politique. HTC a dû composer avec les réalités socio-religieuses d'Idlib puis de Damas et accepter une certaine revanche de la société qui prend le chemin d'une retraditionnalisation, tout comme les partis d'extrême droite européens s'adaptent à la modernité sociologique – acceptation des valeurs libérales, recul sur les modèles familiaux traditionnels, etc. – et renoncent à la tabula rasa conservatrice.
Les recentrages idéologiques sont, ensuite, généralement durables. HTC, comme les partis européens d'extrême droite, a consolidé son recentrage en s'éloignant des éléments radicaux, rendant un retour aux années de terreur improbable.
Contrairement aux partis européens, HTC n'agit pas dans un cadre démocratique institutionnel. Son recentrage repose sur des calculs politiques : assurer la paix sociale en faisant un pari sur les majorités silencieuses, obtenir une acceptabilité internationale nécessaire pour recevoir de l'aide humanitaire, et incarner une alternative gagnante au régime syrien.
Les recentrages idéologiques ne fonctionnent pas nécessairement uniquement en régime électoral. À Idlib, le recentrage idéologique de HTC a coïncidé avec une réduction relative de l'autoritarisme qui, contrairement à l'Égypte de Sissi ou à la Syrie de Bachar al-Assad, fonctionne moins à la répression brute qu'à la suppression de toute option politique concurrente.
Le pouvoir reste verrouillé. HTC concède des espaces limités de liberté politique et sociale, tout en contrôlant les institutions clés. Le recentrage idéologique est mis au service d'une entreprise de raréfaction des alternatives politiques au nom du rejet des extrêmes (al-ghulû, dans la terminologie islamiste).
À Idlib comme ailleurs, les réajustements idéologiques de formations politiques anciennement radicales peuvent soutenir des formes finalement assez ordinaires d'« extrême centre », pour reprendre le concept de Pierre Serna. D'un côté bizarrerie dans le paysage djihadiste, la déradicalisation de HTC se situe bien, de l'autre, dans un air du temps, singulièrement illibéral et mondial.
Joseph Confavreux


Myanmar 4 ans après le putsch : Peur, terreur, colère, résistance

Nyein Chan May est étudiante, cofondatrice et dirigeante de l'association German Solidarity Myanmar (GSM). Avant le coup d'État de février 2021, elle est venue en Allemagne pour étudier les sciences politiques. Elle a été cofondatrice du syndicat étudiant de l'université des langues étrangères de Yangon dans lequel elle a été active de 2012 à 2015. Féministe intersectionnelle, elle est également engagée dans la production de podcasts. Wolfgang Kremer s'est entretenu avec elle à propos de ce que peut apporter la solidarité internationale.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Wolfgang Kremer Chan, cela fait maintenant quatre ans que l'armée a effectué un coup d'État au Myanmar. Depuis ton exil, quel regard portes-tu sur la situation dans ton pays ?
Nyein Chan May - Peur, terreur, colère et résilience sont quatre mots qui permettent de décrire la situation. Les chiffres actuels font état de 19 847 morts dues à la violence politique et de plus de 28 000 personnes arrêtées pour des raisons politiques. 127 personnes ont été condamnées à mort. Malgré les succès militaires croissants des forces de résistance, le nombre d'attaques aériennes de la junte militaire contre des cibles civiles augmente.
Selon le Bureau des Nations-Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Cette situation horrible est le quotidien des habitant.e.s du Myanmar. Et c'est ce quotidien que je partage avec eux depuis l'Allemagne, car la totalité de mes ami.e.s et de ma famille est encore sur place. C'est pourquoi il ne s'agit pas d'un regard lointain, mais c'est comme si je vivais moi-même ces atrocités.
Et pourtant, les gens au Myanmar résistent depuis quatre ans, et ce sans soutien notable et efficace de la communauté internationale. Cette résilience remarquable me donne de l'espoir et me motive.
Hormis quelques spécialistes et des activistes, les gens en Allemagne et en Europe associent le plus souvent le Myanmar à la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi et à son parti, la LND, ainsi qu'au génocide de la minorité musulmane des Rohingyas en 2017. Quel est le rôle actuel de l'ASSK et de la LND et existe-t-il un espoir pour les Rohingyas de voir les persécutions cesser ?
Le conflit au Myanmar remonte à l'époque coloniale. Il ne s'agit pas d'une simple lutte de pouvoir entre un parti politique, comme la LND, et la junte militaire. Il s'agit plutôt de la résistance d'une population multiethnique qui ne veut pas vivre sous un régime autoritaire.
Aung San Suu Kyi continue de jouir d'un grand respect auprès d'une grande partie de la population, surtout en raison de son image personnelle. Cela ne signifie toutefois pas qu'elle ait une véritable influence sur l'ensemble de la résistance. Depuis le coup d'État, celle-ci est principalement conduite par la jeune génération, qui agit de plus en plus souvent de concert ou en accord ponctuel avec des groupes armés ethniques.
La situation des Rohingyas continue de se dégrader. Des informations nous parviennent selon lesquelles de jeunes hommes rohingyas sont enrôlés de force par l'armée et envoyés dans des affrontements où le risque de perdre la vie est élevé. Malheureusement, des informations font également état de violations des droits de l'homme commises par l'Arakan Army (AA), qui fait partie de l'alliance dite des trois Fraternités de groupes armés ethniques, qui a réalisé l'« opération 1027 » en octobre 2023 et a depuis pris le contrôle de nombreuses régions.
Environ 600 000 Rohingyas vivent au Myanmar dans des conditions que le HCR décrit comme « proches de l'apartheid ». Plus de 140 000 personnes sont enfermées dans des camps dans l'État de Rakhine. Les conditions de vie dans les centres de réfugiés, comme le camp de Cox's Bazar, sont également extrêmement précaires.
La réconciliation entre les communautés dans l'État Rakhine, des accords pour une coexistence pacifique ainsi que des poursuites judiciaires engagées contre les violations des droits de l'homme sont des conditions essentielles pour assurer un avenir sûr aux Rohingyas. Ces objectifs ne peuvent toutefois être atteints sans mettre fin à la domination des militaires, qui opprime et divise.
La situation humanitaire et économique au Myanmar est catastrophique. Quelles sont les tâches les plus urgentes pour une aide humanitaire efficace ?
Pour faire face à la crise humanitaire au Myanmar et contribuer à la résolution du conflit à long terme, la communauté internationale devrait adopter, en collaboration avec les acteurs régionaux, une stratégie qui combine l'aide transfrontalière et la coopération des organisations locales de la société civile. De telles approches se sont révélées efficaces pour améliorer les soins aux civils et renforcer les forces de résistance.
Étant donné que la junte bloque systématiquement l'aide humanitaire ou la détourne de son objectif, l'aide transfrontalière en provenance de pays voisins comme la Thaïlande, l'Inde et le Bangladesh devient de plus en plus importante. Ce type d'aide pourrait être dirigé de manière ciblée vers des régions particulièrement touchées comme Chin, Kachin et Rakhine, où les organisations ethniques sont actives et ont souvent un lien plus étroit avec la population.
Une telle aide transfrontalière devrait se déployer à plusieurs niveaux :
– Premièrement, en fournissant de la nourriture, des médicaments et des moyens éducatifs via des canaux fiables.
– Deuxièmement, en encourageant la mobilité dans les régions frontalières afin de pouvoir répondre rapidement à des situations d'urgence aiguë, comme les déplacements massifs de population suite à des attaques militaires.
– Troisièmement, en exerçant une pression internationale et en prenant des sanctions contre les États qui soutiennent la junte. Des accords avec les pays voisins devraient viser à mettre en place des corridors humanitaires transfrontaliers et à faciliter l'accès des ONG internationales aux zones frontalières.
Au début de l'année 2024, on espérait que la junte pourrait bientôt être renversée. Aujourd'hui, beaucoup craignent une sorte d'impasse militaire et un éclatement en territoires contrôlés par différentes forces. Un avenir fédéral pour le Myanmar est-il encore une option réaliste pour l'avenir ?
Le fédéralisme est un objectif commun à la plupart des forces de résistance, y compris aux groupes armés ethniques. Depuis l'indépendance en 1948, nous n'avons jamais eu l'occasion de réellement chercher à atteindre cet objectif de manière conséquente. La résistance en cours nous donne toutefois l'occasion de commencer à réfléchir au fédéralisme, de formuler des conceptions et de faire de ce rêve une réalité.
Le Myanmar est un pays qui a connu plus de sept décennies de conflits armés et une énorme diversité de protagonistes. Il n'est pas réaliste de s'attendre à ce qu'une unité entre les différents groupes puisse être établie en l'espace de quatre ans. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne nous efforçons pas d'y parvenir. Nous essayons de renforcer et de soutenir le dialogue politique au sein des forces de résistance. La lutte contre la junte et les démarches pour établir une démocratie fédérale doivent se faire en parallèle.
Tu as cofondé l'association German Solidarity Myanmar ( GSM) et tu en es actuellement la secrétaire générale. Quels sont vos projets et prévisions actuels ?
GSM est une jeune organisation militante qui œuvre en faveur du mouvement démocratique du Myanmar en défendant ses positions, en effectuant un travail de relations publiques et en faisant de l'éducation politique. Nous revendiquons une attitude plus déterminée et une politique réactive vis-à-vis du Myanmar de la part de la République fédérale d'Allemagne et de l'Union européenne.
Nous avons récemment publié le document « Asile et intégration des réfugiés birmans en Allemagne ». Ce document décrit non seulement les défis auxquels sont confrontés les réfugié.e.s du Myanmar en Allemagne mais formule également des revendications concrètes et des recommandations d'action en ce qui concerne la politique d'asile.
Dans ce contexte, nous organiserons prochainement des rencontres en ligne avec la diaspora du Myanmar en Allemagne, où il sera possible de discuter ouvertement et en toute sécurité de sujets tels que l'asile, la réinstallation et la vie en Allemagne. En outre, nous prévoyons d'autres discussions avec le ministère des Affaires étrangères, les députés du Bundestag (même après les nouvelles élections) et les représentants de l'Union européenne.
Et bien sûr, à l'occasion de l'anniversaire du coup d'État (le 31 janvier), il y aura une manifestation bruyante et colorée devant l'ambassade à Berlin !
Les implications géostratégiques du conflit sont complexes et la résistance civile et armée dans le pays est politiquement très hétérogène. A ce sujet, vous, l'association GSM, fournissez des données de fond importantes dans le cadre de vos « updates » hebdomadaires.
Le Myanmar n'est pas seulement un pays de conflits et de catastrophes humanitaires, c'est aussi un « point de rencontre » géopolitique stratégique. Nous considérons la lutte pour la démocratie au Myanmar comme faisant partie d'une lutte globale contre le front des autocraties qui se soutiennent mutuellement, comme actuellement la Chine et la Russie qui soutiennent la junte.
Outre les « Updates », nous organisons régulièrement des briefings Indo-Pacific afin de placer le Myanmar dans le contexte plus large de la géopolitique de la région. Ces briefings ont lieu à la fois en ligne et en présentiel.
Et l'importance géostratégique du Myanmar fait toujours l'objet de discussions de plaidoyer et de réunions d'échange avec des acteurs allemands et européens.
Tu te considères comme une féministe intersectionnelle. Dans la situation actuelle et dans une société profondément patriarcale et militarisée, est-ce que toi et tes camarades avez une chance d'être entendus et d'exercer une influence ?
C'est précisément cela - être entendues et avoir de l'influence - qui constitue notre contribution féministe à la résistance. Si nous parlons d'une révolution qui doit changer l'ensemble du système oppressif, nous devons également soulever la question de la lutte contre le patriarcat. Cela signifie que les femmes du Myanmar ne luttent pas seulement contre la junte militaire, mais aussi contre le patriarcat dans la société et au sein de la résistance.
Mes compagnons de lutte et moi-même sommes souvent critiqués pour ces efforts - également par les forces de résistance et parfois même par les femmes, comme si nous affaiblissions la résistance. Non, c'est tout le contraire ! Nous évoquons haut et fort le problème des structures patriarcales, parce que nous voulons élever cette révolution à un niveau supérieur. Car une démocratie qui ne réfléchit pas de manière intersectionnelle à l'égalité des sexes ainsi qu'aux droits des femmes et des groupes marginalisés et qui ne les prend pas en compte est une démocratie aux carences inacceptables. Nous en sommes fermement convaincus.
GSM est une association à but non lucratif, reconnaissante pour tout don et toute collaboration active !
Compte pour les dons :
German Solidarity with Myanmar Democracy e.V., GLS Bank
IBAN : DE18 4306 0967 1277 0150 00
BIC : GENODEM1GLS
https://www.sozonline.de/2025/02/myanmar-3/
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.
Interview publiée dans Sozialistische Zeitung (SOZ 2, Februar 2025 p. 19)
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Gaza. Avec Donald Trump, en avant toute vers le nettoyage ethnique

Le Proche-Orient a connu, au cours des dernières décennies, de nombreux plans, souvent américains, mais aussi onusiens, soviétiques, russes, arabes ou israéliens. Celui que le président Donald Trump a présenté lors de sa rencontre avec Benyamin Nétanyahou le 4 février a ceci de particulier qu'il ne prétend plus s'abriter, même partiellement, derrière la façade du droit international. Il le piétine de manière cynique en arguant d'un seul principe : la loi du plus fort. Les idées qu'il avance violent ce qui reste de légalité internationale, déjà largement mise à mal par les crimes contre l'humanité et le génocide à Gaza, qui se poursuivent en toute impunité avec le soutien des États-Unis et un large aval européen.
Tiré d'Orient XXI. Photo : L'image montre deux hommes assis dans un bureau opulent, probablement dans le Bureau Ovale. L'un porte un costume noir avec une cravate rouge, tandis que l'autre est habillé en costume bleu avec une cravate rouge. Ils semblent engagés dans une conversation, avec des expressions sérieuses. En arrière-plan, on voit une cheminée décorée et divers objets sur des étagères. L'ambiance est formelle et politique.
Washington, le 4 février 2025. Le président américain Donald Trump rencontre le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou dans le bureau ovale de la Maison Blanche. Andrew Caballero-Reynolds / AFP
L'histoire retiendra que le président étatsunien a été le premier chef d'État à recevoir le premier ministre israélien depuis l'émission d'un mandat d'arrêt à son encontre par la Cour pénale internationale pour crime de guerre à Gaza ; un accueil que le locataire de la Maison Blanche a qualifié d'« honneur ». Le trajet de Nétanyahou jusqu'à Washington a pourtant dû être prolongé pour ne pas traverser l'espace aérien de pays susceptibles, quant à eux, d'appliquer le droit international.
Donald Trump a d'abord affirmé sa volonté de faire de Gaza un territoire appartenant à long terme aux États-Unis (« long-term ownership ») : « Nous prendrons la bande de Gaza et nous ferons le travail ; nous nous approprierons ce territoire. » Depuis son accession à la présidence, il a revendiqué la prise de contrôle du canal de Panama et celui du Groenland, sans oublier sa proposition d'intégrer le Canada aux États-Unis. Tout cela au nom de la « défense de [leurs] intérêts » et au mépris des autres, sans exclure, pour cela, l'usage de la force. On comprend que Trump se réclame d'un de ses prédécesseurs, William McKinley (1843-1901), qui déclara la guerre à l'Espagne et, à l'issue de sa victoire, prit le contrôle de Porto Rico, de Guam et des Philippines, annexa Hawaï tandis que Cuba devenait un protectorat. Pire que Vladimir Poutine avec l'Ukraine, Trump ouvre ainsi la voie à la justification de tous les changements de frontières, de la conquête du Congo par le Rwanda à celle de Taïwan par la Chine.
Des projets liés à des intérêts personnels
Cette prise de contrôle d'un territoire situé à des milliers de kilomètres des États-Unis s'accompagne de la proposition de vider Gaza de sa population, de l'installer ailleurs, en Égypte ou en Jordanie qui n'en veulent pas. Gaza deviendrait, selon Trump, « la Côte d'Azur du Proche-Orient », dans la lignée des propositions de son gendre Jared Kushner, en mars 2024 (1). Celui-ci espère y investir et en retirer d'importants bénéfices — il est bon de rappeler que, pour Trump et son entourage, les projets sont souvent liés à des intérêts personnels sonnants et trébuchants.
Le président américain a inscrit ses déclarations dans le sillage des « accomplissements » de son premier mandat : la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël et l'installation de l'ambassade américaine sur place, la légitimation de l'annexion illégale par Israël du plateau du Golan syrien, les accords d'Abraham et le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien. Il a également précisé que Gaza « ne devrait pas passer par un processus de reconstruction et d'occupation par la même population qui y vit une existence misérable ». Quelle commisération pour ses habitants.
De plan, Trump n'en a guère en réalité : « Cela pourrait être payé par de riches pays voisins. Il pourrait s'agir [pour le point de chute des Palestiniens] de nombreux sites ou d'un seul grand site », n'en déplaise aux rédactions qui n'ont rien trouvé de mieux que de discuter de la faisabilité de la chose au lieu de rappeler son illégalité et, subsidiairement, son immoralité.
La fenêtre d'Overton
Il existe un danger à discuter « objectivement » dans les médias de ce plan de transfert massif de la population — un objectif qu'Israël cherche à remplir depuis 1948 —, c'est de le rendre légitime ; on le fait ainsi entrer dans le cadre de la « fenêtre d'Overton » (2)
. Pour cela, il faut « exposer régulièrement l'opinion publique à des idées auparavant considérées comme extrêmes, en les rendant plus visibles dans les médias et les réseaux sociaux. Cette exposition répétée peut graduellement normaliser ces idées et les rendre moins choquantes, les faisant entrer progressivement dans la fenêtre acceptée. »
En discutant en toute objectivité du nettoyage ethnique, on le rend « discutable ». Le fait même que le chef d'État le plus puissant au monde puisse se permettre de tels propos en dit long de cette fenêtre ouverte par 15 mois de génocide à Gaza. On a beau faire de Donald Trump le symbole d'un homme capable de toutes les folies et de tous les excès, c'est bien le bilan macabre de son prédécesseur et la complicité de ses homologues occidentaux qui lui permet de dérouler un tel discours.
On ne discute pas de savoir si le transfert de population, un crime contre l'humanité selon l'article 7 du statut de Rome (3), est possible ; on ne demande pas non plus à ses lecteurs et lectrices s'ils « [croient] au projet de Trump de transformer Gaza en Riviera », comme l'a suggéré Le Figaro dans un sondage. Sur France Info, chaîne du service public, on ne juge pas utile de reprendre un invité qui qualifie la démarche de Donald Trump de « pragmatique ». Mieux, on le questionne sur la faisabilité de la chose : « Comment imaginer ce transfert dans d'autres pays ? Dans quel pays ? L'Égypte ? La Jordanie, pays qui aujourd'hui refuse cette idée ? » Rien ne résiste au professionnalisme journalistique, pas même la perspective d'un nettoyage ethnique au lendemain d'un génocide.
Quand Arte met en bandeau, le 31 janvier 2025, dans son émission « 28 Minutes », « Faudrait-il évacuer la bande de Gaza le temps de la reconstruction ? », la chaîne, particulièrement muette sur le génocide à Gaza, contribue à l'acceptabilité de l'inacceptable. Il aurait été plus honnête de titrer « un crime contre l'humanité est-il nécessaire pour reconstruire Gaza ? ». Car c'est bien la question qui est posée après les déclarations de Trump.
Notes
1.« “Nettoyer Gaza” qui a un bord de mer au “potentiel précieux” : tollé en ligne après des propos de Jared Kushner », L'Orient Le Jour, 20 mars 2024.
2. Expression utilisée « pour désigner le fait que les idées jugées acceptables par la population sont toutes à l'intérieur d'un périmètre précis. Une sorte de fenêtre, en quelque sorte. »
3. « Le transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d'une partie de sa population civile, dans le territoire qu'elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l'intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d'une partie de la population de ce territoire. »
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