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Un oubli impardonnable pour la gauche : la situation de la classe ouvrière

Lorsqu'un marxiste révolutionnaire est interrogé sur la situation d'un pays, il dispose de trois cadres référentiels et catégoriels pour répondre.
20 septembre 2024 | tiré du site inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4302
Le premier cadre, basique et élémentaire, préalable et déterminant par rapport aux autres, renvoie aux conditions de la classe ouvrière, notamment à sa situation matérielle de vie et de travail (salaires, inflation, pouvoir d'achat, accès aux services de base et à la sécurité sociale) et au régime de libertés politiques dans lequel se déroule son processus de prise de conscience en tant que classe (liberté d'organisation syndicale, liberté de formuler des contrats collectifs, de présenter des revendications contradictoires, droit de grève, droit de mobilisation, possibilités de s'organiser en partis politiques révolutionnaires, liberté d'opinion et de production intellectuelle, entre autres).
Le deuxième cadre, les conditions dans lesquelles la bourgeoisie et les classes (et castes) dirigeantes s'approprient les richesses, le modèle dominant d'accumulation capitaliste, les caractéristiques du modèle de représentation politique qui exprime la domination bourgeoise et le régime de libertés politiques dont les riches disposent pour devenir de plus en plus riches.
Le troisième cadre, la relation des bourgeoisies nationales avec les nations impérialistes et les centres du capitalisme mondial, qui implique un débat actualisé sur les types d'anti-impérialisme, parmi lesquels les réarrangements des bourgeoisies nationales et de leurs systèmes de relations qui peuvent provoquer des fissures temporaires avec les liens historiques avec le centre impérialiste, et qui sont présentés comme de l'anti-impérialisme. Toute contradiction temporaire ou circonstancielle n'est pas de l'anti-impérialisme. Aujourd'hui, un anti-impérialisme cohérent et durable est un anticapitalisme.
Il est impossible de parvenir à une compréhension globale des deuxième et troisième cadres de l'analyse catégorielle sans une définition correcte du premier.
Depuis les premières heures du 29J-2024, lorsque le président du Conseil national électoral (CNE) du Venezuela, Elvis Amoroso, a annoncé les résultats des élections tenues la veille, une controverse s'est déclenchée sur la transparence et la fiabilité des données étayant l'annonce. Cette situation a généré un débat et une fissure dans la gauche internationale autour de trois grands pôles : le premier, celui de la géopolitique, le deuxième celui de la négociation pour sortir de la crise de légitimité, et le troisième celui du point de vue du monde du travail.
Le bloc majoritaire, celui de la géopolitique, pose tout en termes de « gauche au gouvernement » contre « droite et ultra-droite dans l'opposition ». Les catégories de droite et de gauche sont des signifiants vides si elles ne partent pas de la conformation et des confrontations entre classes sociales, des processus d'accumulation du capital et des rapports d'oppression ou de libération avec les classes subalternes, notamment la classe ouvrière.
Les partisans de la géopolitique ne mentionnent pas les processus de formation d'une nouvelle bourgeoisie dans le processus bolivarien, mis en évidence par des événements tels que la crise bancaire de 2009 (fermeture de banques créées avec des capitaux issus des relations avec le gouvernement) ou la révélation de la méga-corruption de l'affaire PDVSA-Cripto impliquant une centaine de dirigeants du PSUV, dont l'un des membres du bureau politique (on a parlé de 3 milliards de dollars, puis de 15 milliards de dollars et dernièrement de 23 milliards de dollars).
Il ne suffit pas de maintenir un discours de gauche pour être de gauche, si cela couvre l'incubation d'un secteur bourgeois et le maintien du modèle rentier de l'accumulation bourgeoise. Les programmes et les actions des gouvernements doivent être évalués au-delà des formalités discursives, pour cela il est important de les confronter ou de les relier à la logique d'accumulation et de distribution de la richesse nationale.
Le bloc géopolitique omet cela. Il ne consulte pas la gauche historique vénézuélienne PCV-authentique, le vrai PPT, les Tupamaros historiques, entre autres, pour savoir s'il y a cohérence et consistance entre la définition de la gauche par le gouvernement et sa pratique.
Le pire des « arguments de la gauche géopolitique » est que si le gouvernement vénézuélien « tombe », cela aura un effet désastreux sur la formation et l'avancée de la gauche dans leur pays, ignorant le discrédit social continental et mondial croissant du madurisme dans leurs pays, qui est ce qui les affecte vraiment.
Mais, de plus, dans le meilleur des cas, cette définition « géopolitique » implique une demande de sacrifice de la classe ouvrière vénézuélienne, d'acceptation soumise de ses conditions d'exploitation et d'oppression dans son propre pays, afin que les autres gauches au niveau international puissent, comme un bouchon, rester à flot. Il est terrible de penser seulement à demander ce sacrifice à la classe ouvrière vénézuélienne.
Le deuxième bloc est celui de la négociation, de l'accord pour sortir de la crise. Dans cet effort, nous trouvons les gouvernements du Brésil (Lula), de la Colombie (Petro), jusqu'à récemment du Mexique (AMLO) et, par intermittence, du Chili (Boric). Ce secteur semble être inspiré par le désir d'éviter une plus grande détérioration sociale et la possibilité de générer une atmosphère de commotion et de guerre civile dans le pays. Malgré leurs bonnes intentions louables, leurs efforts ont le défaut d'omettre deux éléments fondamentaux : 1) la situation matérielle et les libertés de la classe ouvrière vénézuélienne et 2) le fait que l'authentique gauche vénézuélienne (PCV, PPT, Tupamaros et autres groupes qui n'ont pas été autorisés à légaliser leurs partis) est hors-la-loi, n'a aucune possibilité d'obtenir une personnalité juridique ou une participation autonome dans le cadre électoral. Cette omission n'est pas un problème mineur.
Récemment, ce secteur a proposé (Lula et Petro) la tenue de nouvelles élections nationales pour sortir de l'impasse générée par le refus du gouvernement de montrer les procès-verbaux qui appuient la déclaration de triomphe de Maduro, alors que l'opposition a publié sur son propre site web plus de 81 % des copies des procès-verbaux, que le gouvernement accuse de ne pas être authentiques. Cette proposition de nouvelles élections doit être comprise comme une voie de continuité avec les politiques d'accord inter-bourgeois (ancienne et nouvelle bourgeoisie) promues par le gouvernement Maduro entre 2018-2024, qui n'ont pas réussi à se conclure en raison de la résistance d'un secteur de l'ancienne bourgeoisie dont María Corina Machado (MCM) fait partie et qu'elle représente.
De nouvelles élections ne pourraient évidemment pas être organisées à court terme, car elles déboucheraient sur une nouvelle impasse, mais devraient l'être à moyen terme (deux ans ou plus), précédées par la formation d'un gouvernement de cohabitation, de consensus ou d'intégration qui construise la viabilité d'une éventuelle transition (lois qui protègent le régime de Maduro de la prison, garanties pour la nouvelle bourgeoisie du respect de son patrimoine et des possibilités de continuer à accumuler). Le MCM s'est rapidement opposé à cette proposition parce qu'elle représente un secteur liquidationniste de la nouvelle bourgeoisie, qui va dans le sens d'un formatage de tout ce qui s'est passé – et accumulé par la nouvelle bourgeoisie – au cours des vingt-cinq dernières années.
C'est-à-dire que la question centrale aujourd'hui – sortir de l'impasse conjoncturelle de la logique du capital – est un accord inter-bourgeois, mais l'atteindre ne signifie pas la résolution de la crise du modèle d'accumulation et de représentation politique de la bourgeoisie initiée en 1983, mais il ouvre des voies dans cette direction. Les politiques de renversement de la bourgeoisie maduriste ou du secteur bourgeois représenté par Machado commencent à inquiéter la bourgeoisie latino-américaine, car cela pourrait créer une situation incontrôlable ; la médiation des présidents progressistes de la région tente de contribuer à éviter ce risque, en construisant un chemin de rencontre pour les secteurs bourgeois en conflit.
Le troisième bloc est constitué par les différentes nuances de la gauche qui s'appuient sur l'analyse de classe. Ce secteur, minoritaire dans ses relations partisanes au niveau international, a du mal à faire valoir ses arguments face au maelström médiatique qui installe l'idée d'une polarisation en deux blocs antagonistes (droite contre gauche, ignorant la lutte inter-bourgeoise et l'existence d'organisations à gauche du Madurismo).
La gauche vénézuélienne non maduriste est celle qui comprend le mieux ce qui se passe structurellement, mais elle a tendance à avoir des difficultés à proposer des analyses dans un langage compréhensible par la majorité de la population, qui parvienne à dépasser l'aspect pamphlétaire, le sectarisme ou l'ultra-gauchisme et même la « politique du foie ». Ce secteur a besoin de renouveler son discours pour peser davantage dans le débat et contribuer à clarifier la situation des organisations sociales et politiques de la classe ouvrière internationale.
Les discours qui présentent ce qui existe au Venezuela comme une contradiction entre la droite et la gauche, ou qui, même face aux erreurs du Madurismo, privilégient son « indépendance » vis-à-vis de l'impérialisme américain, constituent un large spectre connu sous le nom de « campisme », sont prépondérants.
L'oubli impardonnable de la gauche campiste (qui pose tout en termes de noir et de blanc) est que son lieu d'énonciation, de communication et de prise de position n'est pas la situation matérielle de la classe ouvrière vénézuélienne et les causes multiples de cette situation, qui incluent l'effet du blocus américain, mais aussi les politiques néolibérales et anti-ouvrières du gouvernement Maduro.
15/09/2024
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Pacte asile et migration : un pas de plus dans la nécropolitique européenne

L'adoption par les instances de l'Union européenne du « Nouveau Pacte sur la Migration et l'Asile », en avril de cette année, s'est faite à bas bruit. Ce nouveau durcissement des politiques migratoires de l'UE s'explique en partie par la pression croissante des droites radicales, xénophobes et racistes. Mais il renvoie aussi à des facteurs d'ordre structurels, inscrits dans la logique même de l'intégration européenne et de la conception de la « liberté de circulation » qui y est à l'œuvre. C'est ce que montre Emmanuelle Carton dans cet article.
24 septembre 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/pacte-asile-migration-necropolitique-europeenne/
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En cette année 2024, les politiques migratoires en Europe offrent un tableau bien sombre. La Méditerranée demeure un chemin mortifère pour les milliers de personnes qui empruntent la voie maritime pour atteindre les côtes européennes, tandis que la Manche représente toujours un passage mortel pour rejoindre le Royaume-Uni. De même, l'Atlantique est quotidiennement traversé par des candidat·es à la migration et à l'asile, qui empruntent la voie maritime séparant l'Afrique des Canaries (Espagne). Le 10 avril 2024, l'Union européenne (UE), complice de ce bilan macabre, a franchi un nouveau cap vers une « nécropolitique »[1]. L'adoption du nouveau pacte sur la migration et l'asile par les vingt-sept pays de l'Union se traduira par une sélection brutale entre les personnes qui seront sauvées et celles qui seront condamnées. Après le vote des eurodéputé·es et l'approbation du Conseil de l'UE, le texte entrera en vigueur d'ici 2026. Ce pacte renforce une politique centrée sur les frontières, qui érige des barrières contre l'immigration dite « irrégulière » et risquant dès lors d'intensifier les dangers rencontrés par les nouveaux et nouvelles arrivant·es[2] tout au long de leur périple. Le texte prévoit un durcissement du contrôle à l'arrivée dans l'UE ainsi qu'un système de solidarité entre États membres pour l'accueil des demandeurs et demandeuses d'asile, tout en maintenant le système dit « de Dublin »[3]. Cette volonté de « maîtrise des flux migratoires » alimente les fantasmes sur une immigration perçue comme une menace pour l'intégrité et la sécurité des pays européens, offrant un terrain fertile aux politiques racistes venant de l'extrême droite. À l'approche des élections européennes (juin 2024), l'adoption du pacte a représenté un tournant stratégique pour les électeurs et les électrices, appelé·es à se positionner dans les urnes sur la direction à donner à leur continent concernant la question migratoire.
Une « crise de l'accueil » plutôt qu'une « crise migratoire »
Depuis les larges mouvements de population déclenchés en 2014-2015 par la guerre civile en Syrie, les pays européens font le choix de mobiliser la rhétorique de la « crise migratoire »[4]. Avec l'adoption du Nouveau Pacte européen sur la migration et l'asile, dont les négociations ont débuté en septembre 2020, l'UE s'érige en grand régulateur de la migration dite « irrégulière ». Il serait pourtant bien plus justifié de caractériser cette situation non pas comme une « crise migratoire » mais comme une « crise de l'accueil » en Europe[5] . Dans une série de condamnations retentissantes, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a multiplié les sévères réprimandes envers les États membres pour leurs pratiques inhumaines à l'encontre des nouveaux et nouvelles arrivant·es en quête de protection internationale : traitements dégradants, enfermements en centres de rétention , échecs patents à garantir une protection adéquate aux demandeur·euses d'asile. La CEDH souligne le désarroi persistant auquel sont confrontés les nouveaux et nouvelles arrivant·es sur le sol européen et le manque d'application du droit international. Alors que le bilan tragique s'aggrave, avec des milliers de disparu·es en Méditerranée en 2023, la gestion des politiques migratoires de l'EU a fait l'objet de nombreuses remontrances. Le dernier rapport en date du Réseau d'observation de la violence aux frontières met en lumière de nombreuses preuves de l'implication ou de la complicité de Frontex dans l'absence de secours porté aux personnes en danger dans la mer[6]. On pourrait également citer l'exemple lourd de sens de Fabrice Leggeri, ancien directeur de Frontex aujourd'hui élu député européen du Rassemblement national. Cette multiplication de constats révèle l'absence de réponse institutionnelle aux conditions inhumaines de l'accueil en Europe. Le bilan macabre exige un réexamen urgent de la manière dont l'Europe traite celles et ceux qui cherchent refuge, sécurité, prospérité sociale et économique sur ses rivages.
Présenté comme un rempart à l'échec de la « politique de Dublin », le nouveau Pacte comprend principalement de nouvelles législations visant à établir un mécanisme pour faire face aux « arrivées irrégulières massives de migrants dans un État membre ». Concrètement, le Pacte met en place un système d'évaluation rapide des demandes d'asile, avec une « procédure à la frontière » obligatoire, visant à déterminer la validité des demandes. Le pacte vise ainsi à faciliter le retour de celles et ceux jugé·es inaptes à recevoir la protection internationale. La base de données Eurodac, qui se fonde sur l'identification des empreintes digitales des nouveaux et nouvelles arrivant·es afin de déterminer si une personne a déjà été enregistrée dans un autre État membre de l'UE, selon les dispositions du règlement Dublin, sera désormais utilisée à de nouvelles fins. Eurodac permettra le partage des données biométriques entre les autorités chargées du maintien de l'ordre, facilitant l'identification de la migration dite « irrégulière » et justifiant alors des mesures de détention ou d'exclusion. La réforme prévoit l'abaissement de l'âge de la prise de données de 14 à 6 ans, la possibilité d'utiliser la force comme mesure de dernier recours pour obliger les personnes à donner leurs données biométriques ainsi que celle de maintenir des enfants en détention en vue de la prise de ces données. Ce nouveau tournant approfondit la politique migratoire européenne basée non pas sur un accueil mais une criminalisation des personnes en déplacement.
Une « solidarité » entre États contre l'immigration
Dans ce texte, le recours à la notion de « solidarité » entre États membres revêt une signification particulière. Plutôt que de promouvoir une assistance dans la Méditerranée ou une coopération en faveur de l'aide, l'accueil et la justice sociale, cette « solidarité » semble plutôt orientée vers une approche collective dirigée contre l'immigration. Il s'agit de collectiviser les mécanismes de surveillance aux frontières, de renforcer les infrastructures de gestion des frontières (construction de murs, installation de vidéos surveillance, mise en place de barbelés) au sein de l'UE. Dans une logique de « partage des responsabilités », le pacte autorise les contributions financières à des projets de limitation de l'immigration dans les pays tiers. Cela se traduit par davantage d'accords avec des États frontaliers, comme la Tunisie, l'Égypte ou la Turquie, qui acceptent de tenir le rôle de gardes-frontières en échange d'importants transferts financiers. À titre d'exemple, depuis 2018, l'Italie a déjà conclu un transfert de compétence avec les garde-côtes libyens selon lequel ces derniers ont l'obligation de désigner un port sûr pour les bateaux naufragés. Cependant, l'expression sinistre « enfer libyen » est devenu célèbre pour évoquer les conditions prétendument « sûres » dans lesquelles se trouvent les personnes en exil : viols, torture, détention, esclavage. Sophie Beau, directrice de SOS-Méditerranée France, raconte comment les garde-côtes libyens ont tiré sur le navire humanitaire Ocean Viking, destiné à secourir les naufragé·es. De plus, le dernier accord signé en mai 2024 entre l'UE et le Liban prévoit, en échange de milliards d'euros, des mesures visant à freiner les départs des exilés syriens vers l'Europe. L'adoption du Pacte témoigne clairement d'une solidarité interétatique dirigée contre la « menace migratoire » : ensemble contre l'« immigration irrégulière ».
L'UE a récemment reconduit son Mémorandum d'entente avec la Tunisie moyennant un soutien financier d'une valeur de 150 millions d'euros. Cet engagement s'appuie sur 5 piliers dont l'un concerne la migration et la mobilité visant une « gestion efficace des frontières, le développement d'un système d'identification et de retour des migrants irréguliers déjà présents en Tunisie vers leurs pays d'origine ». La Tunisie a annoncé avoir intercepté 21 545 personnes migrantes au moment de leur tentative de traverser la Méditerranée vers l'Italie depuis ses côtes, entre janvier et avril 2024. Dans le même temps, plusieurs enquêtes internationales mettent en lumière le soutien financier de l'Europe à des opérations clandestines dans les pays d'Afrique du Nord dont le but est d'arrêter les personnes en route vers l'Europe lorsque celles-ci se trouvent au Maroc, en Mauritanie et en Tunisie. Avec l'argent de l'UE, les autorités de ces pays ont pour mission de détenir ces personnes pour les transférer dans des zones désertiques ou reculées afin de les empêcher de partir demander l'asile aux portes de l'Europe. Une fois transférées dans ces zones, elles sont abandonnées sans aucune assistance, eau ou nourriture, et sont ainsi exposées aux risques d'enlèvement, d'extorsion, de torture, de violences sexuelles et, dans les cas les plus graves, de mort. D'autres sont emmenées vers des zones frontalières où, selon les témoignages, elles sont vendues par les autorités à des trafiquants d'êtres humains et à des gangs qui les torturent pour obtenir une rançon. Les enquêtes ont révélé que l'Europe finance sciemment, et dans certains cas participe directement à des détentions et expulsions systématiques basées sur des critères racistes visant des communautés noires dans ces trois pays d'Afrique du Nord. Ces enquêtes révèlent que ce système de déplacements massifs et d'abus est non seulement connu à Bruxelles depuis des années, mais aussi qu'il est soutenu par l'argent, les véhicules, les équipements, les renseignements et les forces de sécurité fournis par l'UE et les pays membres.
Décider qui peut entrer ou décider qui régulariser ?
La Présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Layen a déclaré que « ce sont les Européens qui décideront qui vient dans l'UE et qui peut y rester, pas les passeurs ». Le choix de déterminer qui peut franchir les portes de l'UE et qui se voit refuser l'accès découle d'une décision politique, d'une gestion que l'on peut qualifier de « nécropolitique ». La conséquence pour celui ou celle qui voit son accès refusé entraine une issue radicale : la mort. D'après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), en 2024, sur les 11 889 arrivées en Grèce 48,8 % proviennent d'Afghanistan, 13,8 % de Syrie, tandis que moins de 5 % sont originaires de pays tels que l'Érythrée, la Palestine, le Yémen, le Soudan, ou l'Éthiopie, entre autres. Ces pays ont tous en commun de faire face à une situation de crise : guerre civile, instabilité politique significative, conflits ou crises humanitaires, entraînant des mouvements de personnes en quête de meilleures conditions sociales et économiques. Utiliser le pouvoir politique pour dicter qui pourra entrer et qui se verra refuser l'accès traduit une logique politique largement axée sur des critères inégalitaires. La majorité des personnes qui traversent les frontières européennes de manière irrégulière viennent de pays autrefois colonisés. L'histoire coloniale de ces pays a largement façonné des dynamiques de dépendance envers les anciens pays impérialistes. Cette relation a grandement profité à l'enrichissement des nations du Nord, notamment l'Europe. Aujourd'hui, le système global des relations économiques internationales maintient une nouvelle forme de domination, avec de nouvelles expressions d'impérialisme. La dette, en particulier, demeure un instrument de domination du Sud par le Nord. Elle permet, via des institutions comme le FMI ou la Banque mondiale, de perpétuer un système de domination économique en échange de prêts pour rembourser d'anciennes dettes. Ainsi, l'instabilité politique et le manque de structures sociales pour garantir la sécurité et les moyens de subsistance d'une grande partie de la population dans de nombreux pays des Suds, entraînent d'importants mouvements de populations.
Dans le cadre de la nécropolitique, l'UE exerce son autorité en adoptant des politiques qui discriminent les individus en fonction de leurs origines. Cette tendance est particulièrement visible dans le nouveau pacte asile et migration, qui prévoit que les décisions sur l'admission ou le renvoi des nouveaux et nouvelles arrivant·es sont influencées par leur nationalité ou leur région d'origine. En pratique, cela se traduit par des politiques migratoires européennes racistes qui favorisent les ressortissant·es de pays considérés comme économiquement ou politiquement stables, tandis que celles et ceux des régions en crise sont d'abord vu comme de l'immigration « irrégulière ». De plus, contraint·es de suivre le processus de demande d'asile de plus en plus complexe des pays européens, ces dernier·es se heurtent à des obstacles administratifs croissants pour accéder à leur demande de protection, pourtant garantie par le droit international. Récemment, plusieurs États européens ont adopté de nouvelles législations nationales qui bafouent l'accès à une politique d'accueil digne, comme c'est le cas en France avec l'adoption de la loi asile et migration en décembre 2023. En Europe des millions de personnes sont issues de l'exil. Dans les années 1970, l'Europe et notamment les anciennes puissances coloniales comme la France et le Royaume-Uni ont organisé la venue massive de personnes venant des anciennes colonies afin d'accueillir une main d'œuvre peu chère pour reconstruire les pays d'après-guerre. L'utilisation d'une main-d'œuvre provenant en grande partie de pays anciennement colonisés représente matériellement l'exploitation et la domination d'une partie de cette population. Dans Les damnés de la terre, Frantz Fanon traitait principalement du colonialisme et des effets psychologiques de l'oppression sur les peuples colonisés. Achille Mbembe s'inspire de sa formule pour parler aujourd'hui des « damnés de la mer » qui partent à la recherche d'un refuge et trouvent en fait la faim en Europe. Aujourd'hui, les politiques d'austérité ont affaibli les espoirs d'une vie digne en Europe. Face aux crises économiques successives traversées par les pays européens au cours des trente dernières années, l'immigration est désignée comme étant en partie responsable d'une politique sociale coûteuse. En réponse, la nouvelle politique migratoire a eu un impact majeur sur le droit d'asile dans les États, entraînant la montée des nationalismes de plus en plus axés sur la notion de frontières comme remparts contre l'insécurité et le « raz-de-marée » que représenterait l'immigration irrégulière[7].
Pourtant, les personnes en situation irrégulière continuent de jouer un rôle majeur dans nos économies européennes. A titre d'exemple, la transition écologique, prévoyant l'adoption d'ici 2030 de véhicules sans émission de carbone, renforce fortement l'exploitation des personnes sans papiers. La Hongrie ambitionne le rôle de principal producteur de batteries pour véhicules électriques. Pour ce faire, elle facilite l'arrivée de personnes non régularisées en situation de migration pour assurer la production de ces batteries. Alors que Giorgia Meloni coopère avec les autorités tunisiennes pour renforcer les contrôles à la frontière maritime afin d'empêcher les nouveaux et nouvelles arrivant·es d'atteindre les côtes italiennes, les gros exploitants du sud de l'Italie continuent de bénéficier d'une main-d'œuvre bon marché dans le domaine agricole. La ligne qui sépare l'Europe du reste du monde, principalement des pays du Sud, est souvent qualifiée d'« Europe Forteresse ». Sous couvert de « gestion de crise migratoire », l'UE opte pour une régulation qui semble répondre aux exigences fluctuantes du marché mondial[8]. Ce pacte, concentré davantage sur la gestion des conséquences que sur la mise en place de réponses structurelles visant à réduire le nombre de décès aux frontières, caractérise les politiques migratoires actuelles et leurs logiques racistes et nécropolitiques. Du fait d'une économie mondialisée axée sur la surexploitation, les larges chaînes qui nous alimentent déterminent désormais le droit ou non à la mobilité. Dans ce contexte, la question des frontières devient cruciale. La nécropolitique européenne s'inscrit dans une logique marchande où l'Europe forteresse maintient la main-d'œuvre en dehors de l'UE ou bien en Europe dans des conditions déplorables.
Conclusion
Un constat s'impose : le Nouveau Pacte sur l'Asile et l'Immigration s'inscrit pleinement dans une politique préexistante, consolidant une approche centrée sur les frontières et renforçant les obstacles aux arrivées qualifiées « d'irrégulières ». Alors que l'UE prétend exercer un contrôle sur les flux migratoires pour garantir la sécurité et l'intégrité de ses membres, ce pacte révèle une orientation mortifère, où la sélection des nouveaux et nouvelles arrivant·es est dictée par des critères largement hérités d'un système colonial. Les fondements de cette politique se déploient dans un contexte économique mondialisé, où les inégalités entre les travailleurs et les travailleuses issus des grandes puissances économiques et ceux et celles de la périphérie définissent la dynamique des chaînes de valeur mondiales. L'« Europe forteresse » émerge ainsi comme un symbole de cette gestion sélective de la main d'œuvre, favorisant les ressortissant·es de pays jugés politiquement ou économiquement stables (qui sont souvent des personnes blanches), tout en excluant ou en marginalisant celles et ceux provenant des régions en conflit ou en crise (qui sont souvent des personnes racisées). Derrière cette façade de régulation se cache une réalité plus sombre. Les politiques migratoires actuelles se révèlent souvent être des réponses superficielles, focalisées sur les angoisses racistes agitées par les partis d'extrême droite d'une partie de la population plutôt que sur les causes profondes des migrations, notamment lors des élections européennes de juin 2024. Cette rhétorique axée sur la peur est largement créée et exploitée par les partis d'extrême droite, ceci à leur avantage. Dans un climat où l'extrême-droite progresse très vite, il est crucial de recentrer le débat sur le désarmement des frontières et l'accueil des personnes en exil. Cela nécessite avant tout de reconnaître l'humanité des individus qui se heurteront aux réalités du nouveau Pacte, où les angles tranchants des politiques migratoires menacent leur dignité et leur vie.
*
Emmanuelle Carton est diplômée d'un Master d'études africaines à l'Université de Copenhague. Animatrice d'éducation permanente au CADTM, elle est impliquée dans la critique sociale et tente de comprendre les racines de la crise écologique et sociale, ses liens avec les inégalités Nord-Sud ainsi que les alternatives possibles au sein de la politique des communs et des systèmes horizontaux et associatifs de solidarité.
Une première version de cet article a été publié le 4 juin 2024 sur le site du CADTM.
Illustration : Photo Merle Thiel – Calais, avril 2024.
Notes
[1] La « nécropolitique » fait référence à la notion proposée par Achille Mbembe qui y voit l'expression ultime de la souveraineté : la capacité d'un État à gouverner et de son contrôle absolu sur les affaires internes et externes se trouve dans le pouvoir de décider qui peut vivre et qui doit mourir. Souvent basée sur des catégories raciales, ethniques ou sociales, la nécropolitique désigne la façon dont l'utilisation de la violence devient un outil de gouvernance par lequel certaines populations sont soumises à des conditions qui rendent leur vie précaire, ou impossible, tandis que d'autres sont privilégiées et protégées.
[2] Le terme ‘nouveau-arrivant' est une terminologie neutre qui englobe à la fois les réfugiés, les sans-papiers et les demandeurs d'asile. Le terme « migrant » a parfois été utilisé dans des discours déshumanisants, englobant un grand nombre d'individus sans distinction et justifiant des rhétoriques qui bafouent le droit à la dignité humaine.
[3] Selon la réglementation de Dublin, adoptée par l'UE en 1990, chaque État membre est chargé d'examiner les demandes d'asile lorsque ses frontières sont franchies en premier par l'individu. Ce règlement a entraîné des déséquilibres criants entre des États en « première ligne » comme la Grèce, l'Espagne ou l'Italie, situés aux frontières extérieures de l'UE et largement tenus comme responsables du traitement des demandes d'asile, et les autres États membres.
[4] Cf. Laura Calabrese, Chloé Gaboriaux et Marie Veniard, « L'accueil en crise : pratiques discursives et actions politiques », Mots. Les langages du politique, n° 129, 2022 [En ligne].
[5] Cf. Annalisa Lendaro, Claire Rodier et Youri Lou Vertongen, La crise de l'accueil : Frontières, droits, résistances, Paris, La Découverte, 2019.
[6] Frontex est l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Créée en 2004, elle est chargée de coordonner et de mettre en œuvre les opérations de gestion des frontières dans les États membres de l'UE. Officiellement, les principaux objectifs de Frontex sont de renforcer la sécurité des frontières extérieures de l'UE, de faciliter les flux d'immigration légaux et fluides et de prévenir l'immigration irrégulière. Pourtant, l'agence est l'objet de nombreuses critiques. Travaillant en étroite collaboration avec les agences frontalières nationales, les autorités chargées du contrôle et de la gestion des frontières au sein de l'UE ont été régulièrement accusées de mauvais traitements, de mises en danger et de négligence envers les personnes en détresse.
[7] Cf. les vidéos du colloque « Pour l'asile, une autre politique de l'immigration est possible » (Université de Paris 8, 5 mars 2018).
[8] Cf. Jacques Rancière, Les trente inglorieuses : Scènes politiques, Paris La fabrique, 2022.
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Face à la droite et à l’extrême droite : Urgence antiraciste !

Macron, après deux mois de cirque pour éviter un gouvernement Nouveau Front populaire, a donc sorti de son chapeau comme Premier ministre Michel Barnier : vieux cheval de retour, choisi dans le groupe de droite extrême minoritaire de l'Assemblée nationale. Avec la bénédiction de l'extrême droite à qui Macron a délibérément laissé la maîtrise du jeu.
19 septembre 2024 | tiré de l'Hebdo L'Anticapitaliste - 721
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/face-la-droite-et-lextreme-droite-urgence-antiraciste
Et le RN, devenu indispensable, de se vanter : « Rien ne peut se faire sans le RN », dixit Bardella assurant ne pas vouloir participer au « désordre institutionnel et au chaos démocratique » mais à condition que le gouvernement se conforme à une politique acceptable pour le RN — c'est-à-dire toujours plus xénophobe et raciste.
La guerre contre les étrangerEs
Le CV du nouveau Premier ministre a en effet tout pour plaire à Marine Le Pen : outre ses positions réactionnaires en matière sociale, en 2022 il plaidait « pour une pose migratoire » de 3 à 5 ans, appelait à « cesser les régularisations inconditionnelles des sans-papiers », à remettre en cause l'Aide médicale d'État, à restreindre les regroupements familiaux et, tout comme les extrêmes droites européennes, demandait que la CEDH (Cour européenne des droits de l'Homme) n'impose pas ses décisions à la France. Sans surprise, ses premières déclarations sont dénuées d'ambiguïté : la lutte contre l'immigration sera sa priorité et, pour ce faire, pourquoi pas le retour d'un ministère de l'Immigration : une armada de fonctionnaires afin de mieux traquer une population soumise à un régime d'exception, indésirable sur le territoire national. Nul doute que la loi Darmanin, arme de guerre contre tous les étrangerEs, va continuer — et en pire — à transformer en enfer la vie de celles et ceux qui, avec ou sans papiers, n'ont pas la bonne couleur/origine ou la bonne religion.
Combattre le capitalisme, c'est aussi combattre le racisme
Le racisme est inhérent au capitalisme. Plus que jamais avec la crise économique et politique, il lui est nécessaire pour continuer à exploiter les êtres humains et la nature. La poursuite et l'aggravation des attaques racistes, relayées par les grands médias, seront au cœur de la politique gouvernementale. Elles sont indispensables pour s'assurer une certaine neutralité parlementaire — sous conditions — du RN mais aussi pour reprendre les attaques antisociales que réclame la bourgeoisie. Pour diviser les classes populaires soumises à ces attaques, les migrantEs et les populations racisées servent de boucs émissaires pour les méfaits du capitalisme. Mais, ce faisant, ce sera à nouveau le RN, héraut de la « préférence nationale » raciste (au profit des prétendus « Français de souche »), qui tirera les marrons du feu si jamais la gauche se montre incapable d'offrir une alternative sociale et démocratique progressiste, intégrant la défense des migrantEs et des personnes racisées.
Faire échec à Barnier-Macron et barrage à Le Pen implique de mener, et de façon conséquente, la lutte antiraciste. Loin d'être opposées, la lutte pour les droits démocratiques et sociaux et la lutte antiraciste sont complémentaires et imbriquées. L'unité de combat contre le capitalisme et ses méfaits en dépend.
Contre le racisme systémique de l'État et de l'État colonial
Une gauche de combat, politique et syndicale, se doit d'être à la pointe des mobilisations avec les premierEs concernéEs : contre les campagnes islamophobes ; pour l'abrogation de la loi Darmanin et de toutes les autres lois racistes, la fermeture des centres de rétention administrative (CRA), l'abrogation du Ceseda (Code d'entrée et de séjour des étrangers et demandeurs d'asile), le désarmement de la police, la régularisation de touTEs les sans-papiers, l'ouverture des frontières, la liberté de circulation et d'installation.
Contre le racisme systémique d'État qui écrase les personnes racisées de ce pays, nous exigeons l'égalité des droits, l'égalité dans l'accès à l'éducation, à la santé, au logement ou à l'emploi et les pleins droits de citoyenneté pour toutes celles et tous ceux qui vivent sur ce territoire.
Combattre le racisme, c'est aussi dénoncer les forfaits et crimes de « notre » impérialisme en Afrique et ailleurs, et mener une politique sans faille de solidarité avec les peuples eux aussi infériorisés et opprimés par le racisme, et encore sous le joug colonial de la France, et qui, comme aujourd'hui en Kanaky, luttent pour leur indépendance.
Josie Boucher
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Keir Starmer cherche son inspiration auprès de Giorgia Meloni pour « gérer les migrant·e·s »

Après avoir rencontré [le lundi 16 septembre, à la Villa Doria Pamphili, à Rome] Giorgia Meloni, Keir Starmer a exprimé son admiration pour les plans de la Cheffe du gouvernement italien visant à déporter les réfugié·e·s vers des camps en Albanie, signe de la volonté du gouvernement travailliste d'embrasser les politiques du néofascisme.
Tiré de A l'Encontre
25 septembre 2024
Par Nathan Akehurst et Kristina Millona
Capture d'écran d'Euronews.
Lorsque Keir Starmer a abandonné l'accord funeste des conservateurs sur les déportations vers le Rwanda quelques jours après son entrée en fonction, un soupir de soulagement s'est fait entendre. Beaucoup se sont félicités de ce qui semblait être un changement résolu par rapport à la stratégie du gouvernement précédent qui, lui, utilisait une cruauté implacable à l'égard des migrant·e·s pour détourner l'attention de ses échecs en matière de gestion des affaires publiques.
Certains espéraient même que la campagne du parti travailliste – qui mettait en scène une députée conservatrice [Natalie Elphicke] de la droite dure ayant fait défection et affirmant que les conservateurs n'étaient pas assez durs sur la question des frontières – n'était qu'une habile manœuvre électorale. Mais alors que le gouvernement travailliste multiplie les déportations massives et les descentes sur les lieux de travail, rouvre des centres de détention où les abus sont légion et envisage de ramener le Royaume-Uni dans le giron d'un régime européen de contrôle mortel des migrations, il semble que la campagne de Keir Starmer doive être prise au pied de la lettre.
Cette semaine, mi-septembre, le Premier ministre s'est rendu en Italie pour rencontrer Giorgia Meloni, une dirigeante qui est arrivée au pouvoir à la tête d'une formation [Fratelli d'Italia] qui s'inscrit dans la continuité du MSI [Movimento sociale italiano], parti construit au lendemain [1946] de la Seconde Guerre mondiale afin de maintenir un héritage de Benito Mussolini et du fascisme italien. Keir Starmer a déclaré qu'il souhaitait s'inspirer de l'approche de Giorgia Meloni en matière d'immigration et coopérer avec elle. [Starmer a expliqué : « Il y a eu ici une réduction assez remarquable des entrées de clandestins, donc je veux comprendre comment cela s'est produit ».]
Cette déclaration intervient dans le contexte où l'Italie et l'Albanie ont signé [le 6 novembre 2023] un accord [ratifié par la Chambre des députés italiens le 24 janvier 2024 et le Parlement albanais le 22 février 2024] prévoyant la construction de centres de détention sur le territoire albanais, où les ressortissants de pays tiers secourus en Méditerranée seraient transférés en vue du traitement extraterritorial de leur demande d'asile et, éventuellement, de leur expulsion. Giorgia Meloni a salué le protocole comme un « accord historique pour l'ensemble de l'UE » [1].
Les organisations de défense des droits de l'homme préviennent que la détention arbitraire légitimée par l'accord pourrait conduire à des violations potentielles des droits de l'homme, notamment en ce qui concerne la défense juridique et les droits d'asile. Les audiences sur les demandes d'asile se tiendront à distance et les autorités italiennes, dont le personnel est surchargé, seront chargées de traiter les demandes en provenance d'Albanie en seulement 28 jours, ce qui limitera encore davantage les procédures régulières.
Lors d'une visite des centres en Albanie cette semaine (3e de septembre), nous avons vu la construction rapide d'un mur de sept mètres de haut clôturant les camps de détention, qui, selon les gardes patrouillant sur les sites, « garantira qu'aucun migrant détenu là ne puisse s'échapper ».
L'accord avec l'Albanie est le dernier d'une série de mesures italiennes qui ont aggravé la situation déjà désastreuse en Méditerranée centrale, la route migratoire la plus meurtrière au monde. Giorgia Meloni est entrée en fonction en promettant un « blocus naval » contre les migrant·e·s. L'année dernière, l'un d'entre nous était à bord d'un navire civil de sauvetage en mer, qui a été immobilisé et qui fut condamné à une amende pour le crime supposé d'avoir sauvé trop de vies.
I'Italie a régulièrement recours à la détention arbitraire, à l'assignation de ports de sécurité éloignés [ce qui pose des problèmes de santé pour les migrants, de sécurité, de coût de transport, au harcèlement bureaucratique [le « droit » à un seul sauvetage] ou à l'arrestation pure et simple pour empêcher les gens de sauver des vies en mer. La rhétorique sur la répression des bandes de passeurs semble simple. Mais en réalité, les personnes qui recherchent la sécurité, celles qui apportent de l'aide et celles qui fournissent des services de base sont régulièrement criminalisées en tant que passeurs.
Le cas d'Ibrahima Bah, un adolescent sénégalais reconnu coupable d'entrée « illégale » au Royaume-Uni et d'homicide involontaire, nous rappelle les conséquences de la criminalisation des personnes qui émigrent en tant que passeurs. Bah a été arrêté en décembre 2022 et, plus tard, condamné à neuf ans de prison par les autorités britanniques pour avoir conduit un bateau lors d'une traversée de la Manche.
L'embarcation a tragiquement coulé ce qui a entraîné la mort de quatre personnes. En raison de la rareté des parcours praticables et légaux, Ibrahima Bah a été contraint de conduire le « bateau » en échange d'un passage gratuit pour lui et son frère. De tels cas sont monnaie courante aussi en Italie.
Et tout ne se résume pas à l'expérience italienne. Il y a pire. Keir Starmer et David Lammy [ministre des Affaires étrangère, du Commonwealth et du Développement] ont également indiqué qu'ils s'inspireraient des accords européens avec la Libye et la Syrie.
Externaliser les « contrôles frontaliers »
Pendant des années, l'Italie, la France et l'UE ont injecté de l'argent dans ce qu'on appelle les « garde-côtes libyens », une force qui maltraite régulièrement les personnes qui traversent la Méditerranée, voire leur tire dessus, et les ramène en détention en Libye.
Dans les tristement célèbres centres de détention libyens, la violence, la torture et l'esclavage sont monnaie courante. De nombreux détenus se retrouvent enfermés dans ces centres après avoir été interceptés et repoussés dans leurs tentatives désespérées de traverser vers l'Europe. Des récits poignants font état de la surpopulation dans des pièces non ventilées où la nourriture est glissée sous les portes verrouillées, de passages à tabac systématiques et d'épidémies régulières dues à l'insalubrité des lieux.
Loin de la rhétorique sur le « démantèlement des gangs », les fonds européens se sont retrouvés souvent entre les mains de milices profondément impliquées dans la contrebande, à qui Frontex, l'agence européenne des frontières, confie les positions (géolocalisation) des bateaux en détresse. Au début de l'année, il a également été établi que les fonds européens étaient complices d'opérations de maintien de l'ordre au cours desquelles des milliers de migrants, principalement des Noirs, sont rassemblés et jetés dans les déserts d' Afrique du Nord [voir l'enquête menée, entre autres, par le Washington Post, Der Spiegel, El Pais, Le Monde sur les pratiques en cours au Maroc, en Tunisie et Mauritanie] souvent laissés pour morts.
La Syrie reste un endroit profondément dangereux pour les personnes qui souhaitent y retourner, malgré les tentatives de certains Etats de l'UE de « découper » des zones sûres à l'intérieur de la Syrie où les réfugiés pourraient être renvoyés. Un récent rapport sur la Syrie publié par la commission d'enquête des Nations unies a mis en évidence l'escalade des crises humanitaires dans plusieurs régions du pays ravagées par des affrontements de plus en plus intenses. Le rapport conclut que le pays reste dangereux et que les soi-disant « zones de sécurité » sont fondamentalement inadaptées et inhumaines. [Voir la série de reportages, intitulé « Carnets de Syrie », publiés dans Le Monde, du 15 septembre 2024 au 21 septembre 2024.]
Lorsque le gouvernement travailliste a annulé le plan pour le Rwanda, il a souligné, à juste titre, qu'il était cruel et inapplicable. La sous-traitance de la gestion de la violence frontalière à d'autres pays n'empêche pas les gens d'émigrer, elle ne fait qu'engendrer la misère et la souffrance pour les personnes migrantes. Elle détourne des fonds publics indispensables vers des gouvernements sans scrupules et des firmes à but lucratif qui fournissent des armes, des murs et des moyens de surveillance pour entretenir la machinerie. [Voir l'ouvrage de Claire Rodier, Xénophobie business, Editions La Découverte, 2012]
Il y a une ironie tragique dans le fait que la visite de Starmer en Italie comprenne également l'annonce d'un investissement britannique de 485 millions de livres sterling de la part de Leonardo [firme d'origine italienne – anciennement Leonardo-Finmeccanica – installée dans de nombreux pays, entre autres au Royaume-Uni] , une entreprise d'armement impliquée à la fois dans la vente d'armes vers des zones de conflits – impliquant le déplacement contraint de personnes – et dans la construction des frontières militarisées auxquelles s'affrontent les personnes qui fuient.
Le récit des « crises migratoires » occulte la complicité de pays puissants tels que l'Italie et le Royaume-Uni, qui alimentent les déplacements par le biais de leur politique économique et étrangère. Et cela concourt à dégrader les dispositifs de protection des droits de l'homme qui nous protègent tous.
Un premier ministre, Keir Starmer, qui a fait valoir son expérience d'avocat spécialisé dans les droits de l'homme devrait le comprendre. Nous vivons un recul sans précédent de ces droits, des valeurs et des normes, et dont celles ayant trait à la « gestion de l'immigration » ne sont qu'un exemple parmi d'autres.
La promesse des sociaux-démocrates et des progressistes était de restaurer la dignité en politique, et non de prendre des conseils politiques auprès de gouvernements d'extrême droite. Plutôt que de répéter la stratégie du gouvernement conservateur précédent, qui a consisté à dénigrer les migrant·e·s et à faire preuve de brutalité – ce qui a contribué à ce que des foules tentent d'incendier des demandeurs d'asile il y a quelques semaines à peine [début août 2024] – Keir Starmer devrait utiliser sa majorité pour tracer une voie différente : une voie qui respecte nos obligations de protéger, plutôt que faire du tort aux personnes en quête de sécurité et une orientation qui n'aboutissent pas à nous diviser en fonction de l'endroit où nous sommes nés.
A son retour d'Italie, le Premier ministre devrait se concentrer plus près de chez lui, sur les besoins des personnes et des services publics qui souffrent d'années d'austérité et de mauvaise gestion, et sur la construction d'une Grande-Bretagne plus juste et plus décente, comme il l'avait promis. (Article publié dans le magazine Tribune le 18 septembre 2024 ; traduction par la rédaction de A l'Encontre)
Nathan Akehurst est chercheur et militant sur la problématique de la violence frontalière en Europe, et bénévole dans le domaine de la recherche et du sauvetage civils.
Kristina Millona est une chercheuse et journaliste d'investigation basée à Tirana, en Albanie. Elle travaille sur des sujets tels que la migration albanaise, la violence frontalière et le capitalisme racial.
[1] Le quotidien économique français Les Echos, écrivait le 7 novembre 2023 : « Giorgia Meloni a pris acte de l'échec de l'accord de partenariat entre l'UE et la Tunisie signé en juillet dernier pour endiguer les flux migratoires. Elle se tourne donc vers l'Albanie voisine pour l'accueil des migrants qui ont afflué en masse ces derniers mois sur les côtes transalpines. Alors qu'elle avait promis un soutien économique au président tunisien, elle offre cette fois au Premier ministre albanais, Edi Rama, le soutien de l'Italie pour sa candidature à l'entrée dans l'UE […] Deux centres [l'un situé dans le voisinage d'un village agricole : Gjadër, l'autre près de la ville portuaire de Shëngjin] seront donc construits en Albanie […] Ils seront placés sous la juridiction italienne et devraient être opérationnels au printemps 2024. »
La fin des travaux – qui coûteraient 800 millions d'euros payés par l'Italie – a sans cesse été décalée. Dès lors, Giorgia Meloni, lors d'un point presse récent (Les Echos, 5 août 2024), a souligné que cet accord est en train de devenir un « modèle » : « Une quinzaine d'Etats membres sur 27 ont signé un appel à la Commission lui demandant, entre autres, de suivre le modèle italien. Même l'Allemagne, par l'intermédiaire de sa ministre de l'Intérieur, a exprimé son intérêt. »
Voir de même l'article de Migreurop publié sur le site alencontre.org en date du 13 février 2024.(Réd).
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Le mouvement syndical mondial doit demander des comptes à la Russie pour les crimes de guerre commis à l’encontre des travailleurs ukrainiens.

Les crimes de guerre perpétrés par la Fédération de Russie contre le peuple ukrainien ont atteint un nouveau degré d'escalade. Les transgressions comprennent le bombardement délibéré d'hôpitaux, d'usines, de supermarchés et de bureaux de poste, et le meurtre de plus de onze mille civils. Les travailleurs ukrainiens sont attaqués, car le « syndicat » FNPR (Fédération des syndicats indépendants de Russie), fidèle au régime, a persécuté les syndicats ukrainiens dans les territoires occupés de Donbas et de Crimée, tandis que le gouvernement russe a bombardé les sièges des syndicats.
L'Organisation internationale du travail (OIT) doit s'attaquer au mépris flagrant de la Russie pour les droits fondamentaux des travailleurs et la dignité humaine. En tant qu'autorité mondiale en matière de normes du travail, l'OIT a à la fois le devoir et la capacité de faire face à ces violations de ses conventions. Il est essentiel que ces abus soient portés à la connaissance de l'OIT et que l'organisation prenne des mesures pour que la Russie réponde de ses crimes de guerre.
Une inhumanité persistante
Les attaques criminelles de la Russie contre le système de santé ukrainien doivent être comprises comme visant non seulement les infrastructures vitales, mais aussi les lieux de travail et les travailleurs. En octobre 2024, Physicians for Human Rights a recensé 1 442 attaques contre des établissements de santé, dont 742 hôpitaux et cliniques ont été détruits, entraînant la mort de 210 travailleurs de la santé. Il s'agit peut-être d'une sous-estimation puisque, en août, Human Rights Watch a indiqué que la Russie avait endommagé ou détruit 1 736 installations médicales. L'OMS a condamné à plusieurs reprises la tactique systématique de la Russie consistant à détruire les établissements de santé et à s'en prendre aux travailleurs de la santé, la qualifiant de crime de guerre.
Les travailleurs de la santé sont loin d'être les seuls à supporter le poids de l'agression russe. Les cas les plus flagrants sont ceux où les forces d'occupation russes non seulement torturent, tuent et déportent des civils ukrainiens, mais ont également instauré un système de travail forcé dans les territoires temporairement occupés de l'Ukraine, en particulier dans l'industrie de l'énergie atomique. Le phénomène du travail forcé dans les centrales nucléaires occupées par les Russes est étayé par de nombreux éléments de preuve.
En outre, la persécution et l'expropriation des syndicats ukrainiens, coorganisés par la FNPR dans les territoires temporairement occupés par la Russie, constituent une grave atteinte aux droits fondamentaux des travailleurs ukrainiens. Ils ont interdit les activités des syndicats libres ukrainiens et persécutent sauvagement toute personne qui tente de maintenir le contact avec leur syndicat.
Ce qui est particulièrement grave, c'est que la FNPR sert volontairement de bourreau et de complice au régime de Poutine dans ses efforts pour supprimer la liberté d'association. La FNPR joue un rôle central dans la persécution des travailleurs ukrainiens dans les territoires occupés par le régime russe et est activement impliquée dans l'expropriation illégale des syndicats ukrainiens, dont elle tire profit.
Le FNPR fait partie intégrante de l'appareil répressif, criminel et inhumain de la dictature de Poutine et, par extension, de ses crimes de guerre. Poutine a publiquement fait l'éloge de la FNPR lors de son congrès de 2024 pour avoir mis en œuvre le système de la « Nouvelle Russie » sur les lieux de travail de l'Ukraine occupée. La FNPR est le seul syndicat autorisé dans les territoires, et ceux qui n'y adhèrent pas et n'acceptent pas le processus de « russification » sont considérés avec suspicion par les forces d'occupation russes. Cette suspicion peut conduire à l'enlèvement ou à l'emprisonnement dans un centre de torture, comme l'ont montré de nombreux rapports de l'ONU.
L'attaque barbare de la Russie contre la Fondation suisse pour le déminage (FSD) à Kharkiv en juillet 2024 constitue une nouvelle violation grave du droit international par la Russie, qui ne sera certainement pas la dernière, et souligne l'urgence de cette question. Un mépris aussi flagrant des droits de l'homme et des normes internationales exige une action constante et décisive.
Il est impératif que ces cas soient portés devant l'OIT et que celle-ci tienne la Russie pour responsable de ses violations flagrantes des conventions de l'OIT destinées à protéger les droits les plus fondamentaux des travailleurs et la dignité humaine. Le système de l'OIT, en tant qu'autorité mondiale en matière de normes du travail, a la responsabilité et la fonction de s'attaquer à ces violations et de prendre position contre les actions de la Fédération de Russie.
Expulser le FNPR et cesser toute collaboration
Il est essentiel d'aborder le rôle de la FNPR dans ce conflit. La FNPR, agissant comme une marionnette du gouvernement russe, a soutenu la persécution des syndicats ukrainiens dans les territoires occupés. Compte tenu de cette complicité, la FNPR ne représente pas les intérêts des travailleurs en Russie ou ailleurs.
La Confédération syndicale internationale (CSI) doit donc cesser tout soutien direct ou implicite à la FNPR. La poursuite de la reconnaissance ou de la collaboration avec une telle organisation ne ferait que légitimer ses actions et saper la crédibilité du mouvement syndical mondial. Cela signifie explicitement que la CSI devrait empêcher la FNPR d'obtenir un siège au Conseil d'administration de l'OIT lors des prochaines élections.
Malheureusement, cette année, la CSI a permis (ou du moins n'a pas essayé d'empêcher) l'élection du représentant de la FNPR, Alexei Zharkov, en lui laissant une place vacante. Malgré l'amabilité malavisée de la CSI et le lobbying agressif de la FNPR et de ses alliés de l'ACFTU chinoise, Zharkov a été élu de justesse. Ce résultat est une réprimande cinglante pour la FNPR. Si la CSI s'était opposée à Zharkov, il n'aurait pas été élu.
En outre, le rôle des représentants russes à l'OIT dans la machine de guerre de Poutine devrait faire l'objet d'une enquête et ceux qui sont impliqués dans des crimes de guerre ou qui les soutiennent devraient être sanctionnés et se voir refuser l'octroi de visas. Il est incompréhensible que Mikhail Shmakov, qui agit sans vergogne en tant que complice de Poutine, ne figure encore sur aucune liste de sanctions, à notre connaissance - en particulier contrairement aux représentants de l'association des employeurs russes qui ont été sanctionnés.
Enfin, lors de la prochaine réunion statutaire compétente, la CSI - le mouvement syndical démocratique mondial - doit faire un choix décisif et expulser la FNPR de ses rangs. Le fait que cette organisation belliciste ne soit que suspendue nuit déjà à la crédibilité de la CSI.
Fermeture du bureau de l'OIT à Moscou
Dans la Russie de Poutine, la liberté d'expression et de pensée est étouffée et il n'est plus possible de travailler librement. Cette situation s'étend même au personnel diplomatique, y compris celui de l'OIT, qui est régulièrement harcelé, comme on le murmure souvent à huis clos. Des rapports d'intimidation à l'encontre du personnel non russe ont également fait surface à plusieurs reprises.
Les travailleurs de nombreux pays ne se sentent plus en sécurité lorsqu'ils se rendent à Moscou, et beaucoup, en particulier ceux d'Europe de l'Est et du Caucase - régions qui ont souffert de l'agression russe - ne veulent pas travailler à Moscou. De nombreux syndicats d'Europe de l'Est, du Caucase et d'Asie centrale refusent d'être « gérés » depuis Moscou. Compte tenu de la situation en Géorgie, en Arménie et en Asie centrale, cette position est tout à fait compréhensible.
Il est particulièrement insoutenable que le Belarus, où Lukashenko, allié de Poutine, a interdit tous les syndicats démocratiques et emprisonné plus de 40 syndicalistes, soit officiellement couvert par un bureau de l'OIT basé à Moscou.
Par conséquent, le bureau de l'OIT devrait être déplacé sans plus attendre.
Les syndicats démocratiques doivent s'opposer au poutinisme
Nous exigeons une véritable solidarité syndicale avec nos collègues syndicalistes et travailleurs d'Ukraine, qui sont actuellement confrontés à l'invasion et à la tentative de destruction de leur nation. Nous attendons de tous les mouvements syndicaux démocratiques, y compris et surtout ceux des pays appartenant à l'UE, au G7, au G20 et aux BRICS, qu'ils s'opposent au fascisme criminel de guerre incarné par le poutinisme.
Rien ne peut justifier que les syndicats collaborent avec un tel régime et ses syndicats asservis, en particulier dans des cadres tels que le G20 et d'autres groupes dont la Russie est membre. Si le G20, les BRICS, etc. ne se distancient pas de ces actions et de ces membres, ils risquent de devenir des « clubs » qui protègent, légitiment et, en fin de compte, soutiennent les dictateurs et les criminels de guerre.
Points d'action contre le régime de Poutine
En conclusion, l'ensemble de la communauté syndicale internationale doit s'exprimer clairement et bruyamment face à ces atrocités. Porter ce cas devant l'OIT n'est pas seulement une étape nécessaire pour demander des comptes à la Russie, c'est aussi une mesure essentielle pour protéger l'intégrité des normes internationales du travail. L'OIT et la CSI doivent rester unies dans leur engagement en faveur de la justice, des droits de l'homme et de la protection des travailleurs dans le monde entier.
Par conséquent, tous les mouvements syndicaux démocratiques devraient exiger
Que l'OIT, en utilisant tous les moyens légaux disponibles, prenne immédiatement toutes les mesures nécessaires pour poursuivre, nommer et punir toutes les violations des droits des travailleurs et des syndicats commises par la Russie en Ukraine. La CSI et les organisations syndicales internationales doivent prendre toutes les mesures juridiques et pratiques nécessaires à cette fin lors de la prochaine réunion de l'OIT.
Que la CSI et tous ses organes régionaux se distancient complètement de la FNPR en tant que complice du régime de Poutine - non seulement en Europe mais aussi en Asie, en Australie, en Amérique du Nord, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Nous exigeons une véritable solidarité syndicale contre le régime dictatorial imprudent et agressif de Poutine et ses mandataires au sein de la FNPR. La CSI doit enfin expulser la FNPR de ses membres.
Le déménagement immédiat du bureau de l'OIT de Moscou, car son maintien serait en contradiction avec les valeurs et la mission de l'OIT qui est de promouvoir les droits des travailleurs et la justice, étant donné les violations constantes du droit international par la Fédération de Russie.
En tant que syndicats démocratiques fiers et forts, la CUT brésilienne et le COSATU sud-africain devraient envisager de ne pas donner de légitimité et de crédibilité à la FNPR et à l'ACFTU en s'engageant dans le Forum syndical des BRICS.
Vasco Pedrina
Vasco Pedrina a été coprésident du syndicat Unia et vice-président de l'IBB (Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois) et représentant de l'Union syndicale suisse auprès de l'AELE (Association européenne de libre-échange).
Ce texte a été publié en anglais sur : https://globallabourcolumn.org/2024/09/18/the-global-labour-movement-must-hold-russia-accountable-for-war-crimes-against-ukrainian-workers/
Traduction :deepl.com

Blinken a ignoré les évaluations américaines selon lesquelles Israël a bloqué l’aide à Gaza

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a ignoré les évaluations d'agences et de fonctionnaires du gouvernement américain indiquant qu'Israël avait bloqué l'aide américaine à Gaza au début de l'année, selon un nouveau rapport, le plus haut diplomate américain ayant présenté une conclusion différente au Congrès.
Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Rencontre entre le Secrétaire d'État americain Antony Blinken et Benjamin Netanyahu en Israël pour discuter d'un cessez-le-feu à Gaza, le 20 août 2024 © Quds News
Network
Le média d'investigation ProPublica a rapporté mardi que l'Agence américaine pour le développement international (USAID) avait indiqué au département d'État, dans un rapport datant de fin avril, qu'Israël soumettait l'aide humanitaire américaine destinée à Gaza à « des refus, des restrictions et des entraves arbitraires ».
Selon ProPublica, des fonctionnaires du bureau des réfugiés du département d'État ont également constaté en avril que « les faits sur le terrain indiquent que l'aide humanitaire américaine est restreinte ».
Mais en mai, M. Blinken a remis au Congrès un rapport du département d'État contenant une conclusion différente.
« Nous n'évaluons pas actuellement que le gouvernement israélien interdit ou restreint le transport ou la livraison de l'aide humanitaire américaine », a déclaré le département d'État dans son évaluation du 10 mai.
Les mémos divulgués auraient eu des implications majeures sur la politique américaine s'ils avaient été adoptés par Blinken, y compris sur les livraisons d'armes américaines à Israël.
En effet, la loi américaine interdit toute assistance sécuritaire à un pays qui « interdit ou restreint, directement ou indirectement, le transport ou l'acheminement de l'aide humanitaire des États-Unis ».
Les États-Unis fournissent chaque année à Israël une aide militaire d'au moins 3,8 milliards de dollars et, cette année, M. Biden a approuvé une aide supplémentaire de 14 milliards de dollars pour financer les efforts du gouvernement israélien dans la guerre de Gaza.
Ce soutien a fait l'objet d'une condamnation généralisée et d'un examen minutieux à mesure que la guerre de Gaza s'éternise.
Le rapport de mai du département d'État, qui a finalement conclu qu'Israël ne bloquait pas l'aide américaine à Gaza, soulignait en même temps comment les responsables israéliens avaient encouragé les manifestations visant à empêcher l'aide d'atteindre les Palestiniens.
Le document indique également qu'Israël a mis en œuvre « d'importants retards bureaucratiques » dans l'acheminement de l'aide et a lancé des frappes militaires sur « des mouvements humanitaires coordonnés et des sites humanitaires déconflictuels ».
L'armée israélienne a tué plus de 41 000 Palestiniens à Gaza tout en imposant un siège strict sur le territoire qui a conduit la population au bord de la famine.Selon le bureau des médias du gouvernement de Gaza, au moins 34 enfants palestiniens sont morts de malnutrition cette année.
En mars, Bill Burns, directeur de la CIA, a reconnu que les Palestiniens de Gaza mouraient de faim.
« La réalité, c'est qu'il y a des enfants qui meurent de faim », a déclaré M. Burns aux sénateurs américains lors d'une réunion d'information. « Ils souffrent de malnutrition parce que l'aide humanitaire ne peut pas leur parvenir.
Au début de l'année, la Maison Blanche a également reconnu les efforts déployés par Israël pour bloquer l'aide américaine à Gaza.
Le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, avait déclaré publiquement qu'il bloquait la farine fournie par les États-Unis à Gaza, ce qui avait amené la Maison Blanche à réagir.
« J'aimerais pouvoir vous dire que de la farine a été acheminée, mais je ne peux pas le faire pour l'instant », a déclaré John Kirby, porte-parole de la Maison-Blanche, à la presse le 15 février.
ProPublica a rapporté mardi que l'ambassadeur des États-Unis en Israël, Jack Lew, avait exhorté M. Blinken à accepter les assurances israéliennes selon lesquelles Israël ne bloquait pas l'aide à Gaza.
« Aucune autre nation n'a jamais fourni autant d'aide humanitaire à ses ennemis », a déclaré M. Lew à ses subordonnés, selon le rapport.
La Cour internationale de justice a statué que Gaza était sous occupation israélienne.
En vertu de la quatrième convention de Genève, une puissance occupante a le « devoir d'assurer l'approvisionnement alimentaire et médical de la population » dans le territoire qu'elle occupe.
Le Conseil des relations américano-islamiques (CAIR), une organisation américaine de défense des droits civiques des musulmans, a demandé mardi à M. Blinken de démissionner.
« Lorsqu'un haut fonctionnaire américain ment au Congrès en plein génocide pour que le gouvernement puisse continuer à financer ce génocide, il bafoue délibérément la loi et prolonge les souffrances de millions d'innocents qui ont désespérément besoin que notre gouvernement cesse de financer leur massacre », a déclaré Nihad Awad, directeur exécutif national du CAIR, dans un communiqué.
Traduction : AFPS
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Le racisme de Trump sème le chaos dans une petite ville de l’Ohio

Nous savons que le racisme est au cœur de la politique de Donald Trump, mais une histoire absurde récente montre à quel point il est dangereux. Et elle révèle à quel point notre société est profondément malade pour qu'il ait encore le soutien de la moitié de l'électorat.
Hebdo L'Anticapitaliste - 722 (26/09/2024)
Par Dan La Botz
Crédit Photo
wikimedia commons
Lors du débat présidentiel entre Kamala Harris et Donald Trump, ce dernier a affirmé que le pays était envahi par des millions d'immigréEs clandestins, libérés de prisons et d'hôpitaux psychiatriques de pays du monde entier, qui ont provoqué une vague de criminalité dans les villes américaines. Et, a t-il dit, dans la ville de Springfield dans l'Ohio, « ils mangent les chiens, les gens qui sont venus, ils mangent les chats, ils mangent les animaux de compagnie des gens qui vivent là ».
Les HaïtienNEs viséEs
L'histoire a commencé par une publication sur Facebook d'Erika Lee, une habitante de Springfield, qui affirmait qu'un voisin avait vu le chat du petit ami de sa fille, qui avait disparu, enlevé et mangé par des HaïtienNEs. « On m'a dit qu'ils faisaient cela aux chiens, ils l'ont fait à Snyder Park avec les canards et les oies ». Il n'y avait rien de vrai dans tout cela, mais le message Facebook a été repris sur des sites de médias sociaux d'extrême droite, puis par le sénateur J.D. Vance, colistier de Trump, qui a repris le récit. Une fois que Trump en a fait état lors du débat, l'histoire est devenue une nouvelle nationale.
Le maire et le directeur de la ville de Springfield ont contesté les fausses affirmations selon lesquelles les immigréEs mangeaient les animaux domestiques, mais M. Trump et M. Vance ont continué à répéter l'histoire lors de leurs rassemblements. L'histoire bien sûr suggère que le peuple haïtien est un peuple sauvage.
Donald Trump Jr., qui parle souvent au nom de son père, a ajouté ceci. « Vous regardez Haïti, vous regardez la composition démographique, vous regardez le QI moyen – si vous importez le tiers-monde dans votre pays, vous allez devenir le tiers-monde », a-t-il déclaré sur une chaîne de télévision conservatrice. « C'est tout simplement élémentaire. Ce n'est pas raciste. C'est juste un fait. »
Trump dénoncé par le gouverneur républicain de l'Ohio
Le langage raciste de Trump a rapidement créé le chaos à Springfield, car des provocateurs ont commencé à lancer des alertes à la bombe qui ont finalement conduit les autorités à fermer les écoles localement, les hôpitaux et la mairie, ainsi que l'université Wittenberg et le Clark State College. Les autorités de Springfield ont également annulé une fête de la culture prévue avec de l'art et de la musique « à la lumière des récentes menaces et des préoccupations en matière de sécurité ». Les HaïtienNEs de Springfield ont peur et sont inquiets.
Mike DeWine, le gouverneur républicain de l'Ohio, qui est né et a grandi à Springfield, a également désavoué les fausses affirmations sur les immigrantEs haïtienNEs et a écrit dans un article d'opinion du New York Times : « En tant que partisan de l'ancien président Donald Trump et du sénateur JD Vance, je suis attristé par la façon dont eux et d'autres continuent de répéter des affirmations qui manquent de preuves et dénigrent les migrants légaux qui vivent à Springfield. Cette rhétorique nuit à la ville et à ses habitants, ainsi qu'à ceux qui y ont passé leur vie. »
Springfield est une ville de 60 000 habitants qui a accueilli ces dernières années entre 12 000 et 15 000 immigrantEs haïtienNEs. Ces immigrantEs ne sont pas des « illégaux », comme l'ont prétendu Trump et Vance, mais bénéficient d'un « statut de protection temporaire », qui leur permet de vivre et de travailler aux États-Unis parce qu'il n'est pas sûr pour eux de retourner dans leur pays d'origine. Comme l'a écrit M. DeWine, « ils sont là légalement. Ils sont là pour travailler ».
Dans ses meetings, Trump s'insurge contre ce qu'il appelle une invasion d'immigrantEs qui sont, selon lui, des « animaux », de la « vermine » et qui « empoisonnent le sang de notre pays ». Trump promet qu'en tant que président, il lancera un effort national pour rassembler des millions d'immigréEs clandestins et les expulser. Il dit maintenant qu'il commencera à Springfield. Raison de plus pour empêcher ce dangereux raciste de devenir président.
Dan La Botz, traduction par la rédaction
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Elections 2024 (Etats-Unis) : Un argument marxiste en faveur du vote pour Kamala Harris

Les personnes qui me connaissent seront probablement choquées et sidérées de lire ma signature accolée à un tel titre. Nom de dieu, je suis choqué. Il s'agit d'un revirement à 180 degrés d'une opinion – non d'un principe – que j'ai fermement défendue pendant la plus grande partie de ma vie. Cinquante-trois ans, pour être exact – de 1967 à 2020.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
5 septembre 2024
Par Cliff Conner
En réalité, ce titre sous-estime ma position. Non seulement je pense que les socialistes et les travailleurs, y compris les lecteurs de cette publication [New Politics], devraient voter pour Kamala Harris, mais je les appelle à faire campagne pour elle. Sonnez aux portes. Passez des coups de fil. Distribuez des tracts. Donnez le pognon que vous avez durement gagné si vous en avez les moyens. Faites tout ce qu'il faut pour assurer son élection.
OK. Après avoir énoncé la proposition d'une manière aussi directe que possible, pour ne pas dire provocante, je vais maintenant tenter de la justifier.
Un principe fondamental de l'organisation socialiste à laquelle j'ai adhéré en 1967 stipulait qu'aucun socialiste ne devait jamais voter pour les partis démocrate et républicain ni leur apporter un quelconque soutien politique. Ces partis étaient et sont toujours les partis jumeaux du capitalisme, de l'impérialisme, de la guerre, du racisme, du sexisme, de l'homophobie et de la destruction de l'environnement. Voter pour un démocrate ou un républicain, c'était franchir la ligne de classe, c'était devenir l'équivalent d'un jaune franchissant le piquet de grève syndical.
J'avais adopté ce principe à cause de la guerre du Vietnam. Je m'opposais à la guerre depuis 1964, l'année où j'ai eu l'âge légal de voter. Ayant suivi la campagne présidentielle de Lyndon B. Johnson et celle de Barry Goldwater, j'étais convaincu que Johnson mettrait fin à la guerre – parce qu'il avait dit qu'il le ferait – et que Goldwater pourrait mettre fin au monde – parce qu'il menaçait d'utiliser la bombe atomique au Vietnam s'il était élu. Lorsque Johnson a été élu haut la main, j'ai été très soulagé. Puis vint la grande trahison.
Johnson a presque immédiatement fait le contraire de ce qu'il avait promis pendant sa campagne. En l'espace de deux ans, non seulement il n'a pas mis fin à la guerre, mais il l'a transformée en une guerre aux proportions monstrueuses, envoyant des centaines de milliers de soldats américains au combat et bombardant l'Asie du Sud-Est plus intensément que les puissances de l'Axe ne l'avaient été pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette guerre a coûté la vie à des millions de combattants de la liberté et de civils. Bien que nous n'en ayons pas eu la preuve définitive avant la divulgation des « Pentagon Papers » en 1971, il était avéré que Johnson avait planifié cette escalade alors qu'il faisait campagne comme « candidat de la paix !
Pour faire court, je suis alors devenu un chantre du slogan « Hey, Hey, LBJ : combien d'enfants as-tu tués aujourd'hui ? ». J'ai rejoint le mouvement antiguerre et j'ai commencé à participer à son organisation. J'ai rejoint le mouvement socialiste, je suis devenu marxiste et j'ai juré de ne plus jamais me faire avoir par un démocrate. Au cours des cinquante années qui ont suivi, à chaque élection, j'ai soutenu que démocrates et républicains étaient pour l'essentiel les mêmes. Pas identiques, bien sûr, car s'ils ne faisaient pas semblant d'être différents, ils ne pourraient pas embobiner l'électorat. Mais les conséquences politiques seraient les mêmes, quel que soit le parti qui remporterait les élections : la classe capitaliste continuerait à gouverner, la classe ouvrière continuerait à être exploitée et, comme le chantait Bob Marley, « le rêve d'une paix durable ne restera qu'une illusion éphémère [1] ».
J'écris ces lignes en réponse à un défi affectueux lancé par l'une de mes filles, qui m'a rappelé que je lui avais appris à éviter comme la peste les deux partis jumeaux du capitalisme. Pourquoi, m'a-t-elle demandé, ai-je changé ?
La réponse courte est que je n'ai pas changé. C'est la situation politique américaine qui a changé si radicalement que je me suis senti obligé de revoir mon approche. Mais ne lui avais-je pas dit que voter pour un démocrate serait une violation de principe ?
Oui, je l'ai dit et je le pense toujours. Cependant, j'ai appris que les principes ne sont pas des absolus comme je le croyais autrefois. Parfois, on se retrouve coincé entre deux principes qui s'opposent et qui nous obligent à choisir celui qui est le plus important. C'est le cas ici. Le principe d'assumer la responsabilité d'agir pour éviter une catastrophe historique pour la classe ouvrière l'emporte [2] sur le principe de ne pas voter pour un démocrate.
La politique du « moindre mal » ?
Les personnes décentes et bien intentionnées que je connais et qui ne sont pas socialistes affirment que, malgré tout ce qui ne va manifestement pas dans la société américaine, les démocrates libéraux ne sont pas aussi mauvais que les républicains de droite. Les démocrates sont le « moindre mal » et c'est donc une bonne chose qu'ils gagnent les élections.
Les socialistes ont entendu cet argument ad nauseum et nous nous y sommes opposés à juste titre pendant longtemps. Je m'y suis opposé, comme je l'ai dit, jusqu'en 2020. Et puis les circonstances ont changé. Un mal beaucoup, beaucoup plus grand est soudain entré dans la danse.
La différence entre les deux maux n'était plus simplement une question de plus ou de moins ; elle était désormais qualitative. Et cette différence, j'en suis convaincu, si Donald Trump remporte un second mandat, pourrait bien se traduire par l'oppression et la mort d'une ampleur dépassant ce qui s'est passé en Europe au milieu du 20e siècle. Elle pourrait plonger non seulement les États-Unis, mais aussi une grande partie du monde, dans l'obscurité et l'horreur politiques pendant une génération ou plus. Essayer d'ignorer cela, c'est comme allumer une cigarette dans la soute à munitions. J'estime qu'il est de mon devoir, au nom des principes, de m'y opposer activement, non pas avec de la pensée magique, des fanfaronnades ou des théorisations vides de sens, mais d'une manière matériellement significative. Allez voter ! Pour Kamala Harris !
C'est la situation électorale d'aujourd'hui : on n'a pas le luxe de voter pour qui on voudrait. Les ennemis du prolétariat nous contraignent à un choix purement binaire. Il faut choisir entre Harris et Trump. On peut, bien entendu, s'abstenir, mais pour les électeurs de la classe ouvrière, ce serait une demie voix pour Trump.
Voter pour le candidat d'un tiers parti [3], c'est s'abstenir virtuellement. Tu n'es pas d'accord ? Tu penses que l'un tiers parti pourrait vraiment l'emporter ? Je serais tout à fait à l'aise et confiant en pariant littéralement ma vie que ce ne sera pas le cas. C'est aussi impossible que pour moi de gagner le cent mètres aux Jeux olympiques. Si tu perçois au plus profond de toi le danger existentiel que représente Trump, tu commenceras immédiatement à faire campagne pour Harris.
Cette position, m'a-t-on rétorqué, signifie que je soutiens Kamala Harris, que je soutiens le Parti démocrate ou encore que je soutiens le génocide à Gaza. Aucune de ces affirmations n'est vraie, quel que soit le nombre de fois où l'on m'a demandé si c'est bien ce que je « voulais dire ». Je ne soutiens pas Kamala Harris. Je ne soutiens pas le Parti démocrate. Je déteste leur politique de soutien moral et matériel inconditionnel à Israël, qui commet un génocide contre le peuple palestinien. Je suis partisan de nous débarrasser du Parti démocrate, du Parti républicain et de l'ensemble du système électoral bipartite.
Je soutiens l'idée d'un parti du travail et d'une Amérique socialiste. Non pas l'Amérique du business-as-usual et qui est dirigée par des politiciens qui se disent socialistes, mais une Amérique où l'ensemble du système de production est nationalisé et sous le contrôle des travailleurs. Malheureusement, il n'y a pas de véritable parti du travail à soutenir dans cette élection, et une Amérique socialiste est un objectif, pas une option pour aujourd'hui que l'on puisse obtenir en la souhaitant.
Je rejette la politique impuissante qui consiste à « réclamer » ce qui ne se produira pas à temps pour faire la différence, y compris un parti du travail et une résistance de masse organisée des travailleurs contre l'oppression trumpiste. Je me souviens de Jerry Gordon citant Shakespeare aux ultragauchistes qui « appelaient » à une grève générale contre la guerre au Vietnam :
« Je peux appeler les esprits des vastes profondeurs. »
« Pourquoi, ne le pourrais-je pas moi aussi, et n'importe qui d'autre ! Mais viendront-ils ? »
Mark Twain a eu ces mots restés célèbres : « La foi, c'est croire ce que l'on sait ne pas être. » La politique qui consiste à « réclamer » ce qui n'adviendra pas de sitôt sont des cousins germains des actes de foi.
Bref, mon appel à voter et à faire campagne pour la candidate du Parti démocrate en 2024 est uniquement basé sur le fait qu'elle n'est pas Trump et qu'elle ne représente pas la menace de gouverner comme un autocrate n'ayant aucun compte à rendre.
Quelle est la réalité et l'ampleur du danger que représente une réélection de Trump ?
De nombreux lecteurs de New Politics sont aussi familiers que moi des horreurs de l'époque nazie en Allemagne. En outre, la représentation du 3e Reich dans la culture populaire (livres, films et télévision) devrait permettre à des millions d'Américains de comprendre au moins ce que l'on entend par « le 3e Reich était un régime d'une cruauté presque inimaginable ». Le meurtre de millions de victimes innocentes a fourni un nouveau point de référence de la limite extrême de « l'inhumanité de l'homme envers l'homme (4) ».
« Je n'ai pas de boule de cristal », comme on dit, mais je crois qu'il est tout à fait possible qu'une deuxième administration Trump « sans garde-fou » atteigne et dépasse la cruauté nazie. Je m'attendrais à ce qu'elle commence par descendre des centaines de manifestants antigénocide ou de Black Lives Matter dans les rues. La population de Guantánamo pourrait augmenter rapidement, y compris avec manifestants américains et « immigrés ». Trump a explicitement fait savoir qu'il aimerait voir des camps de concentration « partout dans notre nation » pour lutter contre la criminalité urbaine et les sans-abris ; et bien sûr, la « criminalité urbaine » est étroitement associée dans son cerveau reptilien aux « immigrés » et aux personnes de couleur. C'est ainsi qu'il présente les choses :
« Il se peut que certains n'aimeront pas entendre cela, mais la seule façon d'évacuer les centaines de milliers de personnes, et peut-être même les millions de personnes dans toute notre nation […], c'est d'ouvrir de grandes parcelles de terrain bon marché à la périphérie des villes […], de construire des salles de bain permanentes et d'autres installations, bonnes, solides, mais rapidement construites, et de fabriquer des milliers et des milliers de tentes de bonne qualité, ce qui peut être fait en un jour. Un seul jour. Il faut déplacer les gens (5). »
Trump a explicitement promis que s'il obtenait le contrôle légal de l'exécutif, au « premier jour » de sa prise de fonction, il sera un dictateur qui ne rendra de comptes à personne d'autre qu'à lui-même.
Si tu as besoin d'une preuve supplémentaire de ses intentions, va sur You-Tube et regarde le fameux débat avec Joe Biden du 27 juin 2024. Le monde entier s'est focalisé sur la triste prestation de Biden. […] Cependant, ce qui était le plus affreux ce n'était pas la façon dont Biden s'est exprimé, mais ce que Trump a dit. Quelles que soient les questions que les journalistes lui posaient, il reprenait sans cesse sa diatribe contre les immigrés « violeurs et assassins ». C'était de la démagogie nazie classique, les « immigrés » remplaçant les « juifs » comme boucs émissaires de tous les maux de la société.
Je crois Trump lorsqu'il dit qu'il veut des camps de concentration à profusion, et tu devrais toi aussi le croire, car ses récentes attaques contre les « socialistes », les « communistes » et les « marxistes » nous visent directement, toi et moi. Lorsqu'il qualifie ses opposants politiques, y compris les démocrates, de « vermine » et qu'il accuse les immigrants d'« empoisonner le sang » des États-Unis, il démontre clairement ses intentions fascistes.
Si Trump est élu, son second mandat sera presque certainement « sans garde-fou ». Il a déjà la Cour suprême dans sa poche et, avec son soutien, il pourrait rapidement placer le ministère de la justice entièrement sous son commandement. Quiconque pense que « l'armée américaine par principe apolitique » va s'interposer et l'arrêter, se trompe malheureusement. Tout cela est-il vraiment « sans différence » avec ce que l'on peut attendre d'une administration Kamala Harris ?
Le marxisme et la révolution bourgeoise
Permettez-moi d'expliquer la différence en termes marxistes. Les démocrates disent que Trump représente une menace pour la « démocratie ». Le problème, c'est que la démocratie américaine n'est pas « la cité brillante sur une colline » qu'elle a toujours promise. Elle n'a certainement pas tenu ses promesses à l'égard des populations indigènes d'Amérique du Nord, des Afro-Américains – que ce soit pendant ou après la période de l'esclavage – ou encore des réfugiés et des immigrants qui n'ont vu qu'hypocrisie dans les mots d'accueil : « Donnez-moi vos fatigués, vos pauvres, vos masses recroquevillées qui aspirent à respirer librement. » La promesse d'une « justice égale pour tous » a été profondément corrompue par la capacité des criminels fortunés à « jouer » avec le système juridique en achetant les services d'avocats très coûteux (sans parler de l'encombrement de tous les tribunaux par des juges de droite […]).
Il n'en reste pas moins vrai que la société américaine bénéficie depuis ses origines de ce que les marxistes appellent la « démocratie bourgeoise ». C'est-à-dire la démocratie capitaliste. On l'appelle parfois « démocratie politique » pour la distinguer de la « démocratie économique » ou de la « démocratie socialiste ».
L'essence de la démocratie bourgeoise est la fidélité à l'État de droit et l'égalité devant la loi, ce qui exclut le règne d'autocrates qui n'ont pas de comptes à rendre. Quiconque pense que Marx, Lénine ou Trotsky ont crotté sur la démocratie bourgeoise en la qualifiant de « pas différente de la monarchie » se trompe tragiquement. Ils ont compris que la démocratie bourgeoise était l'aboutissement monumental de l'une des révolutions sociales les plus importantes au monde : La Révolution française de 1789-1793.
Les droits démocratiques bourgeois sont le fondement nécessaire de tous les droits humains. Ils ont été codifiés pour la première fois dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de la Révolution française et dans le Bill of Rights de la Constitution américaine. La consolidation et l'extension des acquis démocratiques des révolutions bourgeoises sont des conditions préalables à la démocratie socialiste. La démocratie bourgeoise et les droits démocratiques bourgeois aux États-Unis sont souvent considérés comme étant acquis, mais les marxistes, entre tous, devraient être parfaitement conscients de ce que signifierait leur perte. Cela rendrait les luttes dans lesquelles nous sommes actuellement engagés beaucoup, beaucoup plus difficiles et, par conséquent, encore plus difficiles à gagner. Si nous perdions la démocratie bourgeoise, les mouvements contre le génocide, pour le droit à l'avortement, pour les droits syndicaux, pour la justice pour Cuba, pour la justice climatique, seraient écrasés, réprimés et poussés dans la clandestinité – pour au moins une génération et peut-être beaucoup plus longtemps. Aucun principe politique ne peut primer sur la nécessité de résister activement à cette éventualité. Oui, la « résistance » implique bien plus que la simple tenue d'un vote alternatif à un démagogue, mais à l'heure actuelle, c'est la seule voie qui s'offre à nous. Les Palestiniens et leurs alliés poursuivront certainement la lutte contre le génocide à Gaza par tous les moyens nécessaires, et contre les politiques de Biden et Harris qui fournissent les armes qui tuent à Gaza. Peut-on concilier cela avec le fait de voter pour Harris contre Trump ? C'est possible et cela doit l'être, pour toutes les raisons que j'ai exposées ici.
En tant que marxiste, j'adhère également au matérialisme philosophique par opposition à l'idéalisme. J'ai donc compris depuis longtemps que le socialisme ne peut pas être atteint par des arguments logiques influençant les idées des gens, mais par des événements matériels qui poussent les travailleurs à résister par millions au système capitaliste qui s'effondre et à créer une alternative socialiste pour le remplacer. Pour la même raison, je ne m'attends pas à ce que mes arguments changent l'état d'esprit de ceux dont l'adhésion au principe de ne pas voter pour les démocrates est profonde et de longue date. Mais garder mon opinion pour moi reviendrait à violer le plus grand de mes principes : faire tout ce qui est en mon pouvoir limité pour empêcher la destruction désastreuse de la démocratie bourgeoise.
Ceux qui considèrent que ne pas voter pour un démocrate est un principe absolu disent que cela pourrait politiquement induire la classe ouvrière en erreur en lui faisant croire qu'un parti capitaliste peut résoudre ses problèmes. C'est vrai, mais c'est une erreur de l'idéalisme philosophique que de considérer les idées, erronées ou non, comme le facteur principal de la lutte des classes. Ce n'est pas le cas. Les conditions matérielles qu'un régime protofasciste à la Trump imposerait dépassent de loin la confusion politique à quelque échelle que ce soit. […]
Pour illustrer ce contre quoi je m'élève ici, je citerai une opinion parue le 28 août 2024 dans Socialist Organizer, le périodique d'une organisation que je respecte et admire :
« Les candidats [du Parti démocrate] n'obtiendront pas un vote garanti de la part de tout le monde simplement parce que nous ne voulons pas de Trump. Il est évident que nous ne le voulons pas. Personne ne veut quatre années supplémentaires de cette absurdité, mais il est dommage que nous n'ayons que deux options. Pour moi, Kamala n'est que Biden 2.0. Nous avons besoin d'un parti du travail. Il nous faut d'autres partis qui peuvent avoir des candidats que les gens voudront soutenir et pour lesquels ils voudront voter. ».
Cette opinion donna lieu au commentaire suivant de la rédaction : « Nous sommes d'accord ! »
Je suis catégoriquement en désaccord, camarades. La menace de Trump n'est pas simplement « quatre années supplémentaires de cette absurdité ». Il n'est pas simplement « dommage » que nos seules options électorales se limitent à Harris et Trump. Kamala n'est pas « juste Biden 2.0 ». Elle est la candidate démocratique bourgeoise qui se présente contre l'antithèse de la démocratie bourgeoise. La différence est une question de vie ou de mort à l'échelle mondiale.
Cliff Conner
1 « Guerre ». Marley citait en fait un discours d'Hailé Sélassié.
2 NdT. Ici l'auteur fait un jeu de mots intraduisible en utilisant le verbe « to trump » qui signifie éclipser » .
3 NdT. C'est ainsi qu'on désigne les candidats à la présidentielle ni démocrate ni républicain. Pour le scrutin de novembre, ils sont XXX
4 Que l'on me pardonne l'emploi du mot “homme” pour évoquer « l'inhumanité du genre humain », mais c'est ainsi que cette expression nous est parvenue.
5 Discours du 26 juillet 2022.
P.-S.
• Entre les lignes entre les mots. 24 septembre 2024 :
Source : Publié par Against The Current :
https://againstthecurrent.org/a-marxist-case-for-voting-for-kamala-harris/
Les diverses prises de position publiées sur la site d'Against The Current sont disponibles en anglais sur ESSF.
• Clifford D. Conner's latest book is The Tragedy of American Science. He previously authored A People's History of Science : Miners, Midwives, and Low Mechanicks and Jean Paul Marat : Tribune of the French Revolution.
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Comment la guerre à Gaza a fracturé la société américaine

Manifestations sur les campus, divisions au sein du Parti démocrate, conflit générationnel… L'offensive israélienne et le soutien constant apporté par Joe Biden à Benyamin Nétanyahou ont creusé un fossé parmi les Américains. De quoi entamer la “relation spéciale” entre Israël et les États-Unis, analyse “The Guardian”. Un an après les attaques du 7 octobre, “Courrier International” revient toute cette semaine sur le conflit qui a déstabilisé le Moyen-Orient.
Tiré de Courrier international. Article publié dans The Guardian à l'origine. Dessin de Cristina Sampaio, Portugal.
[Cet article est à retrouver dans notre hors-série “Israël-Palestine, une fracture mondiale”, en vente à partir du 25 septembre chez votre marchand de journaux et sur notre site.]

Rarement un chef d'État a été reçu avec un accueil aussi glacial que le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lorsqu'il est arrivé à Washington pour s'exprimer devant le Congrès, à la fin de juillet. Aucune personnalité politique américaine n'est venue l'accueillir sur le tarmac, et des milliers de personnes ont manifesté contre sa venue : 200 membres de l'organisation Jewish Voice for Peace ont même été arrêtés devant le Capitole.
Plus révélateur encore, la moitié des élus démocrates du Congrès ont décidé de boycotter son discours. “Il y a une dizaine d'années, cela aurait été impensable”, commente Peter Frey, président de J Street, un groupe de pression juif de Washington qui soutient le droit d'Israël à se défendre, mais aussi la création d'un État palestinien. L'une des parlementaires présentes, la députée Rashida Tlaib, portait un keffieh et brandissait une pancarte qualifiant Nétanyahou de “criminel de guerre, coupable de génocide”.
Pendant ce temps, un certain nombre de syndicats, dont celui des enseignants, des employés de services et des ouvriers de l'automobile, ont adressé une lettre à Joe Biden pour lui demander de mettre fin au soutien des États-Unis à l'offensive israélienne à Gaza.
Coup de semonce
Selon les sondages, 70 % des démocrates et 35 % des républicains souhaitent poser des conditions à l'aide militaire apportée à Israël. Sur ce sujet, le fossé n'a cessé de se creuser entre les électeurs et le gouvernement Biden. Première conséquence : la confiance déjà chancelante des citoyens à l'égard du gouvernement continue de s'éroder. “C'est la démocratie qui est en jeu, analyse Peter Frey. Et cette bataille se joue devant nos yeux. Ce n'est pas sain. Et ce n'est pas une bonne chose pour Israël.” Et dans la mesure où les Américains s'intéressent à la politique étrangère, ajoute-t-il, “je pense qu'à long terme cela risque de saper leur confiance dans les institutions politiques”.
Bien avant sa performance catastrophique lors du débat télévisé face à Donald Trump, Joe Biden avait subi un premier revers avec la campagne menée par les militants du mouvement uncommitted [qui préconisait de voter “non engagé”, soit l'équivalent d'un vote blanc, aux primaires démocrates pour critiquer son soutien inconditionnel à Nétanyahou]. En persuadant plus de 100 000 démocrates de voter uncommitted lors de la primaire du Michigan, plutôt que de soutenir l'homme qui, selon eux, encourageait un génocide, ils ont envoyé au Parti démocrate un message fort : l'un des États clés les plus stratégiques pour l'élection de 2024 risquait de basculer. Pour finir, plus de 700 000 électeurs dans 23 États ont choisi de voter “non engagé” lors des primaires démocrates.
Ce vote de protestation a montré que la position traditionnelle de soutien à Israël était en train de s'éroder, du moins chez les progressistes, devenant une victime collatérale supplémentaire d'un conflit brutal, apparemment sans issue et qui menace toujours de prendre une ampleur régionale. Outre la mort de plus de 40 000 Palestiniens (et probablement beaucoup plus), le déplacement de millions de personnes et la destruction de plus de la moitié du bâti dans la bande de Gaza, cette guerre semble avoir porté un coup dur, peut-être fatal, à la “relation spéciale” d'Israël avec son plus proche allié.
Un fossé générationnel
Entre-temps, l'entêtement avec lequel Joe Biden soutient l'offensive menée par Benyamin Nétanyahou, même si celle-ci n'a pas réussi à détruire le Hamas ni à faire libérer tous les otages, ne menace pas seulement l'unité au sein des démocrates mais creuse un fossé générationnel.
Les jeunes Américains sont désormais presque deux fois plus nombreux que leurs parents à soutenir la cause palestinienne, ce qui provoque des tensions, en particulier au sein des familles juives. Des tensions que l'on a retrouvées sur les campus universitaires, amenant de vénérables institutions – dont la mission est avant tout de développer le libre arbitre et l'esprit critique – à répondre par la violence policière aux manifestations majoritairement pacifiques de leurs étudiants. Plus inquiétant encore, ce positionnement pro-israélien fait douter de nombreux Américains de l'engagement de leur nation en faveur de la liberté d'expression, des droits de l'homme et de l'État de droit – et les pousse à se demander, en somme, où sont passées les valeurs de l'Amérique.
Les Américains les plus déstabilisés par cette dynamique sont les étudiants juifs de gauche, dont la plupart restent attachés à Israël même s'ils sont très critiques de sa politique actuelle. Aujourd'hui, nombre d'entre eux se retrouvent de plus en plus isolés de leurs alliés politiques d'autrefois. S'ils sont gênés par les discours virulents entendus lors de certaines manifestations – auxquelles ils participent cependant –, ils ne se retrouvent pas dans le positionnement des groupes pro-Israël, de certains hommes et femmes politiques et des présidents d'universités qui cherchent à présenter toutes les manifestations antiguerre comme antisémites.
“Je suis de gauche, déclare Lauren Haines, étudiante en dernière année à l'université du Michigan et ancienne présidente de la branche universitaire de J Street sur son campus. Je m'informe sur Gaza tous les jours et je mets un point d'honneur à ne pas regarder ailleurs et je dois dire que j'ai du mal à dormir sachant que mes impôts servent à ça. Mais je ne comprends pas certaines tactiques de la gauche, tout ce discours ‘soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous' manque singulièrement de nuances. Je soutiens le peuple palestinien, et je suis convaincue que l'on peut faire avancer sa cause sans devoir pour autant propager des discours clivants et dangereux, comme dire que tous les sionistes sont des monstres ou encore attaquer des institutions juives parce qu'elles sont liées à Israël.”
Des campus sous haute tension
Cela dit, Lauren Haines condamne fermement l'usage de la force pour réprimer les manifestations propalestiniennes. “Les violences policières sur les campus sont scandaleuses, observe-t-elle, même si je ne suis pas toujours d'accord avec les propos des manifestants.”
Le romancier [canado-égyptien] Omar El-Akkad a lui aussi été choqué par la répression violente des étudiants. “Pour moi, c'était une mobilisation qui rassemblait des gens issus d'horizons très différents, une situation inédite dans le contexte américain, note-t-il. Et la réaction des présidents d'université et de quelques politiques va, selon moi, à l'encontre de tous les principes fondateurs des États-Unis, qui font de ce pays une exception.”
Si les conservateurs restent apparemment de marbre face à ce qui se passe à Gaza (Trump a même conseillé à Israël de “finir le boulot”), de nombreux Américains demeurent profondément attachés à une vision de l'Amérique comme phare du monde libre. Ce qui gêne le plus la jeune génération, ce n'est pas seulement le soutien militaire américain à l'offensive israélienne à Gaza, mais ce qu'il dit du rôle du pays en tant que garant de la paix dans le monde, analyse Michael Barnett, professeur de relations internationales et de sciences politiques à l'université George-Washington. “L'idée que notre politique étrangère est immorale – et donc contraire aux valeurs américaines, contraire à l'éthique – fait son chemin”, analyse-t-il. Dénoncer l'invasion de l'Ukraine par la Russie tout en donnant un blanc-seing à Israël pour rayer la Palestine de la carte ne passe pas, “c'est de la pure hypocrisie, poursuit Barnett. Et les jeunes ne l'acceptent pas.”
Que va faire Kamala Harris ?
Kamala Harris va-t-elle changer la donne ? Rien n'est moins sûr. Certains observateurs ont été rassurés par la teneur, très critique, de la rencontre entre la vice-présidente américaine et Benyamin Nétanyahou et sa décision de choisir Tim Walz comme colistier plutôt que Josh Shapiro [le gouverneur de Pennsylvanie, de confession juive] dont le positionnement pro-Israël et les propos sur les manifestants antiguerre ont indigné l'aile gauche du Parti démocrate.
Mais on ignore s'il faut s'attendre à du changement en matière de politique étrangère [si Kamala Harris venait à être élue à la présidentielle du 5 novembre]. La rumeur d'une rencontre avec des délégués du mouvement uncommitted pour mettre en place un embargo sur les livraisons d'armes à Israël a vite été démentie par son conseiller à la sécurité nationale, Phil Gordon. La vice-présidente “va toujours faire en sorte qu'Israël ait les moyens de se défendre contre l'Iran et tous les groupes terroristes soutenus par l'Iran. Elle n'est pas favorable à un embargo sur les armes livrées à Israël. Elle va continuer à travailler pour protéger les civils à Gaza et faire respecter le droit humanitaire international.”
Alors qu'Israël poursuit son offensive, détruit méthodiquement Gaza et tue, sans faire de distinction, des civils et des combattants du Hamas avec des armes qui lui ont été fournies par les États-Unis, ce genre de déclarations équivoques sonnent creux pour de nombreux Américains.
La question de la complicité des États-Unis, dans ce que certains spécialistes qualifient de génocide, ne pourra être éludée longtemps. Le positionnement de Kamala Harris aura des répercussions considérables, non seulement sur sa potentielle élection à la Maison-Blanche, mais sur la paix au Moyen-Orient, sur le sort des civils qui cherchent à échapper aux bombardements, ainsi que sur le prestige des États-Unis à l'international et leur réputation de “force du bien” dans le monde.
Aaron Gell
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15 Règles-Média couvrant Israël

Aujourd'hui, Israël a massacré un demi-millier de personnes au Liban avec Tsahal lançant plus de mille attaques aériennes. Les États-Unis, encore une fois, envoient des troupes additionnelles au Moyen-Orient, sous les ordres d'un cerveau présidentiel qui a complètement arrêté de fonctionner. Israël lance un nouveau projet de violence militaire massive afin que Nétanyahou évite la prison en son pays révolté et ailleurs sous l'ordre de la Cour Pénale internationale de La Haye.
Merci à Caitlin Johnstone pour l'inspiration
24 septembre
Artistes pour la Paix P.J.
Rafraîchissons la mémoire des média des 15 règles appliquées :
Règle 1 : l'histoire israélienne a commencé le 7 octobre 2023 (personne ne se souvient de ce qui est arrivé avant).
Règle 2 : tous les meurtres causés par Israël sont justifiés par la règle 1, vérité à retenir, même si Nétanyahou commet des horreurs considérées injustifiables quand elles sont perpétrées par Poutine ou par les Ayatollahs iraniens.
Règle 3 : Israël a le droit de se défendre, mais personne d'autre.
Règle 4 : Israël ne bombarde jamais des civils, que des terroristes. Si de nombreux civils meurent, c'est qu'ils étaient des terroristes, ou que des terroristes les ont tués ou qu'ils habitaient trop près des terroristes. Sinon, il y a eu une raison mystérieuse qu'il faut laisser du temps à Tsahal d'enquêter.
Règle 5 : si vous critiquez quoi que ce soit fait par Israël, c'est par haine des Juifs. Il n'y a aucune autre raison pour laquelle vous vous opposez à ce qu'on laisse tomber des bombes explosives sur des refuges peuplés d'enfants et de secouristes humanitaires.
Règle 6 : aucune action d'Israël ne dépasse en haine les critiques évoquées en règle 5. Les critiques des actions de Tsahal sont bien pires que les actions elles-mêmes, puisqu'ils haïssent les Juifs et veulent commettre un nouvel Holocauste que 100% de notre énergie politique doit s'employer à prévenir.
Règle 7 : Israël n'est jamais le bourreau, il ne peut être que victime. Si Israël a attaqué le Liban, c'est que le Hezbollah a lancé des roquettes sur un pays occupé à son petit business génocidaire de paix. Et s'il y a des manifestants contre Tsahal réduisant des villes entières en poussières, Israël doit rester LA victime pleurée par les pays qui lui procurent ses armes.
Règle 8 : le fait qu'Israël est perpétuellement en guerre avec ses voisins et ses populations indigènes déplacées doit être interprété comme preuve que la règle 7 est vraie, au lieu de penser qu'elle n'est qu'un non-sens ridicule.
Règle 9 : les vies arabes sont beaucoup moins importantes que les vies occidentales ou israéliennes. Personne n'a le droit de réfléchir longtemps à ce fait avéré.
Règle 10 : les média disent toujours la vérité sur Israël et ses conflits. Si vous entretenez des doutes, vous êtes vraisemblablement en violation selon la règle 5.
Règle 11 : toutes allégations décrivant les ennemis d'Israël sous un jour négatif peuvent être rapportées comme des nouvelles factuelles sans aucune vérification, tandis que toutes les preuves confirmées de criminalité israélienne doivent être rapportées avec prudence et scepticisme comme « Le Liban ou le ministère de la santé contrôlé par le Hamas » affirment, précautions essentielles pour ne pas être accusé d'être propagandiste antisémite.
Règle 12 : Israël doit continuer à exister en sa forme politique actuelle, peu importent les coûts ou les vies humaines gaspillées. Aucune raison opposée ne doit être présentée (comme la formation de deux nations), sinon vous violez la règle 5.
Règle 13 : les gouvernements canadien et américain ne vous ont JAMAIS menti sur quoi que ce soit, en étant TOUJOURS du bon côté des guerres faites pour votre bien.
Règle 14 (pour les Américains seulement) : rien de ce qui arrive au Moyen-Orient n'est aussi urgent ou signifiant que de s'assurer que la bonne personne gagne les élections présidentielles. Aucun méfait ne doit vous écarter de cette mission d'importance cruciale.
Règle 15 : Israël doit être protégé parce que dernier bastion de la liberté et de la démocratie au Moyen-Orient, peu importe le nombre de journalistes que Tsahal doit assassiner, peu importe le nombre d'institutions de presse qu'il doit fermer, peu importe le nombre de manifestations que ses partisans doivent démanteler par la force brutale, peu importe la liberté d'expression qu'il doit éliminer, peu importe le nombre de droits civils qu'il doit effacer, et peu importe le nombre d'élections que ses lobbyistes doivent acheter.
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