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« Monsieur Nétanyahou, les Iraniens n’ont pas besoin de vous pour se libérer » par Sepideh Farsi, cinéaste

22 octobre 2024, par Sepideh Farsi — , , ,
Dans une lettre ouverte au Premier ministre israélien, la cinéaste iranienne Sepideh Farsi l'exhorte de cesser la guerre au Liban et à Gaza, et de ne pas intervenir en Iran, (…)

Dans une lettre ouverte au Premier ministre israélien, la cinéaste iranienne Sepideh Farsi l'exhorte de cesser la guerre au Liban et à Gaza, et de ne pas intervenir en Iran, sous peine de faire du régime islamique une victime.

Monsieur Nétanyahou,

Vous avez cru bon d'adresser un discours au peuple iranien, le lundi 30 septembre, message vidéo dans lequel vous énumérez, face caméra dans un anglais fluide avec l'accent américain et l'air détendu, les raisons qui montrent que les dirigeants iraniens n'ont rien à faire des intérêts de leur propre peuple.

Et vous développez… sinon ils n'investiraient pas autant d'argent dans le gouffre nucléaire, ni ne financeraient des proxys terroristes aux quatre coins du monde, etc. Et sur ces points, vous avez raison.

Mais ne pensez-vous pas que les Iranien.nes savent déjà tout cela ? Que nous avons conscience que notre régime a les yeux tournés vers d'autres horizons, sourd à nos demandes et indifférent à nos besoins et revendications ?

Dans la même nuit, vous ordonnez l'invasion terrestre du Sud Liban par l'armée israélienne, forçant près de 1 million de Libanais à l'exode. Des Libanais qui ont dans leur mémoire récente les bombardements israéliens de 2006 et d'autres épisodes d'agressions israéliennes.

Folie meurtrière

En vous adressant aux Iranien·nes, vous annoncez ne pas faire l'amalgame entre les dirigeants iraniens et le peuple, et pourtant, c'est ce que vous faites au Liban et en Palestine. Pour abattre les dirigeants du Hamas, vous rasez tout Gaza, bloquant même les aides internationales, nourritures et médicaments, tuant volontaires, paramédicaux, et journalistes par paquets, et vous êtes en train de faire de même au Liban, sous prétexte d'atteindre les membres du Hezbollah. Bombardant des immeubles, anéantissant des quartiers entiers.

Depuis le 7 octobre 2023, lorsque vous avez commencé à répondre aux horribles attaques du Hamas, vous avez enfreint à peu près toutes les conventions internationales des droits humains et avez commis beaucoup de crimes aisément assimilables aux crimes de guerre. Et vous avez entraîné le peuple israélien avec vous dans cette folie meurtrière.

Je ne pleure pas l'élimination de Hassan Nasrallah, ni l'assassinat d'Ismaïl Haniyeh par vos ordres, mais je pleure les victimes civiles palestiniennes et libanaises.

Combien de victimes libanaises constituent le prix à payer pour l'affaiblissement du Hezbollah dans votre esprit, pour que vous lanciez l'explosion de milliers d'appareils électroniques utilisés par le quidam ?

Combien de Palestiniens doivent périr pour libérer un otage israélien ?

Y a-t-il un ratio dans vos sinistres calculs ?

L'armée israélienne a, en l'espace de quelques mois, violé la souveraineté territoriale de plusieurs pays sous vos ordres directs, tuant des dizaines de milliers de civils, dont une majorité de femmes et d'enfants.

Si dans un premier temps, vous avez justifié l'offensive sur Gaza comme la vengeance des horribles crimes commis par le Hamas, l'envergure des frappes et la conduite de l'armée israélienne ont largement dépassé ce cadre et ne se sont montrées efficaces que dans une chose : détruire la bande de Gaza.

Aucune dictature n'est éternelle

Si vous savez écouter les peuples amis, tels que vous prétendez le faire avec les Iranien·nes, pourquoi ne le faites-vous pas avec le vôtre ?

Pourquoi n'écoutez-vous pas les familles des otages israéliens qui crient haut et fort et depuis longtemps, que le seul moyen de les ramener vivants au pays, serait d'arrêter la guerre ?

Pourquoi n'êtes-vous pas à l'écoute de vos alliés (même les Américains), qui vous disent tous de cesser la guerre ?

Pourquoi infligez-vous tant de traumatismes aux peuples voisins d'Israël, en continuant cette guerre meurtrière et insensée (ou dois-je dire ces guerres, car vous vous battez sur de multiples fronts chacun censés effacer le précédent) et pour lesquelles les contribuables du monde entier sont en train de payer, en argent, en larmes, et en humanité bafouée ?

N'est-ce pas plutôt parce que si cette guerre s'arrêtait, son bilan catastrophique n'en serait que plus manifeste, que les Israéliens ne seraient plus derrière vous dans ce réflexe d'union en temps de péril, et que si vous n'êtes plus au pouvoir, vous, votre épouse et votre fils risquez une condamnation dans les procès qui vous sont intentés ?

Le mouvement « Femme, Vie, Liberté », dernier chapitre dans la longue histoire de lutte des Iranien·nes contre le régime islamique et son modèle d'apartheid de genre et pour une société libre et démocratique, montre bien la lucidité du peuple iranien.

Nous n'avons pas besoin de vous pour nous libérer. Les Iranien.nes viendront à bout de ce régime tôt ou tard. Aucune dictature n'est éternelle.

Votre discours à l'adresse du peuple iranien est-il une tentative d'éveiller nos consciences ou plutôt de légitimer des attaques que vous préparez ?

Mais je vous prends au mot, puisque vous vous placez en ami du peuple iranien, évitez de donner au régime iranien un prétexte de plus pour se positionner en défenseur des droits de l'homme ou en victime, tout en tapant sur son propre peuple.

Car c'est cela qui est en cours depuis un an. Vous êtes bien placé pour connaître ce phénomène : l'union nationale contre l'ennemi étranger. C'est ce qui va arriver en cas d'intervention militaire israélienne en Iran.

Ne vous souciez pas des Iranien·nes, monsieur Nétanyahou.

Cessez le feu à Gaza et au Liban.

De grâce, juste, cessez le feu !

Article paru dans Libération, le 6 octobre 2024

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Opinion. « La présence de troupes états-uniennes en Israël montre qu’une guerre plus large se rapproche »

22 octobre 2024, par Patrick Cockburn — , ,
La décision du président Joe Biden d'envoyer en Israël un système de défense antimissile avancé, géré par une centaine de soldats états-uniens, constitue une étape importante (…)

La décision du président Joe Biden d'envoyer en Israël un système de défense antimissile avancé, géré par une centaine de soldats états-uniens, constitue une étape importante vers l'engagement direct des Etats-Unis dans une guerre régionale au Moyen-Orient.

Tiré de A l'Encontre
15 octobre 2024

Par Patrick Cockburn

Le THAAD lors de son premier déploiement en Israël en 2019, sous Donald Trump. (Photo du Département US de la Défense)

C'est la première fois que les Etats-Unis envoient leurs troupes en Israël depuis le début de la guerre de Gaza, le 7 octobre 2023, bien que la Maison Blanche ait déclaré en octobre qu'il n'y existait « aucun plan ou intention » de le faire.

En outre, ces soldats seront potentiellement engagés dans des hostilités armées contre l'Iran dans le cas d'une attaque israélienne de représailles attendue sur le pays, provoquant une nouvelle contre-attaque par des missiles balistiques iraniens.

Les critiques affirment qu'en donnant au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou une police d'assurance sous la forme d'un soutien militaire américain, cette initiative encouragera Israël à poursuivre l'escalade de la guerre. Netanyahou peut considérer avec certitude que, quoi qu'il fasse à Gaza, au Liban et contre l'Iran, il ne risque pas grand-chose puisqu'il est effectivement sous la protection militaire des Etats-Unis.

Joe Biden a ordonné dimanche que le système THAAD (Terminal High Altitude Area Defence), avec son personnel opérationnel, soit déployé en Israël. Sa détermination à continuer d'apporter un soutien inconditionnel à Israël, en dépit de sa position de plus en plus agressive, susciterait des inquiétudes au Pentagone [1].

De hauts fonctionnaires affirment que l'armada navale des Etats-Unis ainsi que les avions de combat (y compris les avions ravitailleurs) encouragent Israël à élargir sa campagne au Liban et à risquer une guerre avec l'Iran. Le général Charles Q Brown, président de l'état-major interarmées, a soulevé cette question lors d'une réunion au Pentagone et à la Maison Blanche, ont indiqué des responsables au New York Times du 4 octobre 2024.

[Le chapeau de l'article mentionné d'Helene Cooper et d'Eric Schmitt est le suivant : « Des responsables militaires se demandent si l'envoi de forces supplémentaires au Moyen-Orient contribue à prévenir une guerre beaucoup plus étendue ou s'il enhardit Israël. » Ils concluent : « Le général Brown, le secrétaire à la Défense Lloyd J. Austin III et d'autres responsables ont tenté de trouver un équilibre entre l'endiguement du conflit et l'enhardissement d'Israël, a déclaré un haut responsable de l'armée des Etats-Unis. Un autre responsable a déclaré qu'il était plus facile pour Israël de passer à l'offensive lorsqu'il sait que “Big Brother” n'est pas loin. » Réd.]

L'envoi d'un système de défense antimissile géré directement par des forces états-uniennes est le dernier développement en date d'une guerre dans laquelle le soutien des Etats-Unis à Israël est de plus en plus manifeste, malgré les appels répétés de Joe Biden à Netanyahou pour qu'il fasse « preuve de retenue » et appelle à un cessez-le-feu. Bien qu'Israël ait toujours fait exactement le contraire de ce que Joe Biden demande publiquement, le président a toujours approuvé a posteriori ce qu'Israël a fait.

Cette attitude contradictoire a conduit les commentateurs à clouer au pilori la politique des Etats-Unis, la qualifiant soit d'inefficace, soit d'hypocrite. « Si les Etats-Unis veulent réellement désamorcer la violence et empêcher une guerre régionale, leur politique a été un échec humiliant », m'a dit un analyste. « Mais si la véritable politique des Etats-Unis est de chercher à vaincre le Hamas, le Hezbollah et l'Iran face à Israël, alors elle s'en porte plutôt bien. »

L'envoi du système THAAD par les Etats-Unis est probablement motivé par la crainte que l'attaque de 180 missiles balistiques iraniens le 1er octobre n'ait été plus fructueuse que ce qui avait été admis à l'époque. De nombreux missiles visant des bases aériennes israéliennes semblent être passés au travers, bien que les Forces de défense israéliennes (FDI) aient minimisé les dommages causés.

La réaction de l'Iran à l'implication accrue des Etats-Unis dans la guerre sera déterminante. D'une part, l'Iran a jusqu'à présent cherché à ne pas riposter directement contre les Etats-Unis ; le président iranien Masoud Pezeshkian a déclaré à l'Assemblée générale des Nations unies à New York, fin septembre, que l'Iran « ne tombera pas dans le piège de la guerre » en déclenchant une guerre à grande échelle entre les Etats-Unis et l'Iran. D'autre part, les dirigeants iraniens pourraient conclure que ce n'est qu'en frappant les Etats-Unis qu'ils peuvent espérer forcer Washington à freiner Israël. [2]

Le soutien de Joe Biden à Israël a nui à Kamala Harris auprès des Arabes-Américains et des jeunes électeurs. Mais si des soldats américains, comme ceux chargés des batteries antimissiles, devaient être tués ou blessés au cours des trois semaines précédant l'élection présidentielle du 5 novembre, l'entrée en guerre des troupes américaines constituerait alors un enjeu politique majeur. (Article publié par INews, le 14 octobre 2024 ; traduction par la rédaction A l'Encontre)


[1] Ynetnews du 14 octobre 2024 (version anglaise du quotidien Yediot Aharonot) écrit : « L'aide du CENTCOM (United States Central Command) pour abattre les deux précédentes attaques de l'Iran [la dernière date du 4 octobre] contre Israël a presque épuisé le stock d'intercepteurs de la Sixième Flotte, ce qui rend nécessaire un soutien supplémentaire à Israël dans le cadre de représailles potentielles contre Téhéran. L'accord conclu entre Israël et les Etats-Unis sur le déploiement du système THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) dans le pays découle autant d'une nécessité américaine que d'un besoin israélien. » Yossi Yehoshua, dans Ynetnews du 15 octobre, écrivait : « Deux semaines après que l'Iran a lancé un barrage d'environ 200 missiles sur des cibles israéliennes, l'horloge tourne vers une réponse stratégique. Comme l'a révélé Ynet, le Premier ministre Benyamin Netanyahu, le ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef d'état-major de Tsahal Herzi Halevi se sont réunis en secret dans une base du Corps de renseignement dimanche, disséquant les détails complexes d'une frappe potentielle à l'intérieur des frontières iraniennes. »
Haaretz, du 12 octobre, soulignait que « La décision des Etats-Unis de déployer le système [THAAD] en Israël fait l'objet de “discussions avancées mais pas encore finalisées”, dans le cadre des préparatifs en vue d'une éventuelle frappe israélienne sur l'Iran et d'une riposte iranienne potentielle. Une source de sécurité [israélienne] a déclaré que si cette initiative était menée à bien, ce serait la première fois que le système THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) serait déployé de manière opérationnelle en Israël. […] En 2019, le système avait été déployé en Israël dans le cadre d'un exercice de défense aérienne conjoint entre Tsahal et l'armée états-unienne. Cet exercice a eu lieu après que le président de l'époque, Donald Trump, avait annoncé son intention de retirer la plupart des forces des Etats-Unis de Syrie. » (Réd.)

[2] Les spéculations ayant trait aux options présentes des diverses fractions du régime théocratico-militaire iraniens renvoient à des débats au sein des cercles dirigeants – entre autres aux prises de position des Gardiens de la révolution exprimées sur leur site et dans leur journal, Javan – qui transpercent dans la presse. De nombreux analystes soulignent qu'une attaque israélienne, suivant sa forme et ses objectifs, attisera les sentiments nationalistes, malgré le large discrédit du régime auprès de la population. (Réd.)

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Le sionisme a tué le monde judéo-musulman

22 octobre 2024, par Ariella Aïsha Azoulay — , , , ,
Dans un entretien accordé à Jacobin, la cinéaste et universitaire Ariella Aïsha Azoulay explique comment l'exploitation du sionisme par les puissances occidentales a conduit (…)

Dans un entretien accordé à Jacobin, la cinéaste et universitaire Ariella Aïsha Azoulay explique comment l'exploitation du sionisme par les puissances occidentales a conduit non seulement au nettoyage ethnique de la Palestine, mais aussi à la disparition des communautés juives dans tout le Moyen-Orient.

tiré de NPA 29
Photo :Juifs dans la ville de Buqei'a, Palestine, vers 1930. © Keren Kayemet Leyisrael via Wikimedia Commons

Née en Israël, Ariella Aïsha Azoulay, cinéaste, conservatrice et universitaire, rejette l'identité israélienne. Avant de devenir israélienne à l'âge de dix-neuf ans, sa mère était simplement une juive palestinienne. Pendant une grande partie de l'histoire, cette combinaison de mots n'avait rien d'inhabituel. En Palestine, une minorité juive a vécu pacifiquement aux côtés de la majorité musulmane pendant des siècles.

La situation a changé avec le mouvement sioniste et la création d'Israël. Le nettoyage ethnique des juifs d'Europe allait conduire, grâce aux sionistes européens, non seulement à celui des musulmans de Palestine, mais aussi à celui des juifs du reste du Moyen-Orient, près d'un million d'entre eux ayant fui à la suite de la guerre israélo-arabe de 1948, dont un grand nombre en Israël.

Dans un entretien avec Jacobin, Azoulay replace le génocide israélien à Gaza dans le contexte de la longue histoire de l'impérialisme européen et américain. Azoulay est professeur de littérature comparée à Brown et auteur de Potential History : Unlearning Imperialism (Verso, 2019).

Vous vous identifiez comme une juive palestinienne. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Pour beaucoup de gens, ces mots s'opposent.

Que ces termes soient considérés comme s'excluant mutuellement ou en opposition, comme vous le suggérez, est le symptôme de deux siècles de violence. En l'espace de quelques générations, des juifs très différents, qui vivaient partout dans le monde, ont été privés de leurs divers attachements à la terre, aux langues, aux communautés, aux métiers et aux formes de partage du monde.

La question qui devrait nous préoccuper n'est pas de savoir comment donner un sens à l'impossibilité supposée de l'identité judéo-palestinienne, mais plutôt l'inverse : Comment se fait-il que l'identité fabriquée, connue sous le nom d'israélienne, ait été reconnue largement comme ordinaire à travers le monde après la création de l'État en 1948 ? Non seulement cette identité occulte l'histoire et la mémoire des diverses communautés et formes de vie juives, mais elle occulte également l'histoire et la mémoire de ce que l'Europe a fait aux juifs en Europe, en Afrique et en Asie dans le cadre de ses projets coloniaux.

Israël a un intérêt commun avec ces puissances impériales à occulter le fait que « l'État d'Israël n'a pas été créé pour le salut des Juifs ; il a été créé pour le salut des intérêts occidentaux », comme l'a écrit James Baldwin en 1979 dans sa « Lettre ouverte à ceux qui sont nés de nouveau ». Dans sa lettre, Baldwin compare lucidement le projet colonial euro-américain pour les juifs avec le projet américain pour les Noirs au Liberia : « Les Américains blancs responsables de l'envoi d'esclaves noirs au Liberia (où ils travaillent toujours pour la Firestone Rubber Plantation) ne l'ont pas fait pour les libérer. Ils les méprisaient et voulaient s'en débarrasser ».

Avant la proclamation de l'État d'Israël et sa reconnaissance immédiate par les puissances impériales, l'identité juive palestinienne était l'une des nombreuses identités existant en Palestine. Le terme « palestinien » n'était pas encore connoté par une signification raciale.

Mes ancêtres maternels, expulsés d'Espagne à la fin du 15e siècle, se sont retrouvés en Palestine avant que le mouvement euro-sioniste n'y commence ses actions et avant que le mouvement ne commence progressivement à faire l'amalgame entre l'assistance aux juifs en réponse aux attaques antisémites en Europe et l'imposition d'un projet de colonisation de modèle européen auquel les juifs devaient participer – un projet non seulement interprété comme un projet de libération juive, mais aussi comme une croisade européenne contre les Arabes.

La décolonisation passe par la récupération des identités plurielles qui existaient autrefois en Palestine et dans d'autres lieux de l'Empire ottoman, notamment ceux où les juifs et les musulmans coexistaient.

Dans votre dernier film, The World Like a Jewel in the Hand (Le monde comme un joyau dans la main), vous évoquez la destruction d'un monde commun aux musulmans et aux juifs. Vous mettez en avant l'appel de juifs qui, à la fin des années 1940, ont rejeté la campagne sioniste européenne et ont exhorté leurs concitoyens juifs à résister à la destruction de la Palestine. Compte tenu de la destruction récente de vies, d'infrastructures et de monuments à Gaza, pensez-vous qu'il est encore possible pour les juifs et les musulmans de se réapproprier leur monde commun ?

Tout d'abord, sur la question historique : les sionistes ont cherché à effacer à jamais de nos mémoires cet appel des juifs antisionistes. Ces juifs anciens faisaient partie d'un monde judéo-musulman et ne voulaient pas s'en éloigner. Ils ont mis en garde contre le danger que représentait le sionisme pour les juifs comme eux à travers ce monde qui existait entre l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, y compris en Palestine.

Il faut rappeler que jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le sionisme était un mouvement marginal et sans importance parmi les populations juives du monde entier. Ainsi, jusqu'à cette époque, nos aînés n'avaient même pas à s'opposer au sionisme ; ils pouvaient simplement l'ignorer.

Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les juifs survivants d'Europe – qui, pour la plupart, n'étaient pas sionistes avant la guerre – n'avaient pratiquement nulle part où aller, que les puissances impériales euro-américaines ont saisi l'occasion de soutenir le projet sioniste. Pour elles, il s'agissait d'une alternative viable au maintien des juifs en Europe ou à leur migration vers les États-Unis, et elles ont utilisé les organismes internationaux qu'elles ont créés pour accélérer sa réalisation.

Ce faisant, ils ont propagé le mensonge selon lequel leurs actions constituaient un projet de libération juive, alors qu'en réalité, ce projet perpétuait l'éradication de diverses communautés juives bien au-delà de l'Europe. Pire encore, la libération juive a été utilisée comme une autorisation et une raison de détruire la Palestine.

Ce projet n'aurait pas pu exister sans qu'un nombre croissant de juifs ne deviennent les mercenaires de l'Europe – les juifs qui avaient émigré en Palestine alors qu'ils fuyaient ou survivaient à un génocide en Europe, les juifs palestiniens qui vivaient là avant l'arrivée des sionistes et les juifs qui ont été incité·es à venir en Palestine ou qui n'ont eu d'autre choix que de quitter le monde judéo-musulman depuis qu'Israël avait été créé – avec un projet clair, celui d'un État antimusulman et anti-arabe – tous ont été encouragés par l'Europe et les sionistes européens à considérer les Arabes et les musulmans comme leurs ennemis.

Nous ne devons pas oublier que les musulmans et les Arabes n'ont jamais été les ennemis des juifs et que, de plus, nombre de ces juifs vivant dans le monde majoritairement musulman étaient eux-mêmes des Arabes. Ce n'est qu'avec la création de l'État d'Israël que ces deux catégories – juifs et Arabes – se sont mutuellement exclues.

La destruction de ce monde judéo-musulman après la Seconde Guerre mondiale a permis l'invention d'une tradition judéo-chrétienne qui allait devenir, dès lors, une réalité, puisque les juifs ne vivaient plus en dehors du monde occidental chrétien. La survie d'un régime juif en Israël exigeant davantage de colons, les juifs du monde judéo-musulman ont été contraints de le quitter pour faire partie de cet ethno-état. Détachés et privés de leurs histoires riches et diverses, ils ont pu être socialisés dans ce rôle qui leur a été assigné par l'Europe – celui de mercenaires de ce régime colonial visant à restaurer le pouvoir occidental au Moyen-Orient.

La compréhension de ce contexte historique n'atténue pas la responsabilité des sionistes pour les crimes qu'ils ont commis contre les Palestinien·nes au fil des décennies ; elle rappelle plutôt le rôle de l'Europe dans la destruction et l'extermination des communautés juives, principalement, mais pas seulement, en Europe, et son rôle dans la cession de la Palestine aux sionistes, les prétendus représentants des survivants de ce génocide qui ont formé une base occidentale pour ces mêmes acteurs européens au Proche-Orient.

Paradoxalement, le seul endroit au monde où juifs et Arabes – majoritairement musulman·es – partagent aujourd'hui la même terre est situé entre le fleuve et la mer. Mais depuis 1948, cet endroit est défini par une violence génocidaire. Les questions urgentes qui se posent aujourd'hui sont de savoir comment arrêter le génocide et comment empêcher l'introduction de nouvelles armes dans cette région.

Dans Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt décrit les sentiments contradictoires éprouvés par les survivant·es juifs de l'Holocauste pendant les années qu'ils et elles ont passées dans les camps de personnes déplacées en Europe.

D'une part, dit-elle, la dernière chose qu'ils pouvaient imaginer était de vivre à nouveau avec les bourreaux ; d'autre part, dit-elle, la chose qu'ils désiraient le plus était de retourner dans leur lieu d'origine. Il ne faut pas s'étonner qu'après ce génocide à Gaza, les Palestinien·nes ne puissent pas imaginer partager un monde avec leurs bourreaux, les Israélien·nes.

Mais est-ce une preuve que ce monde, où Arabes et juifs sionistes se sont retrouvé·es ensemble, doit aussi être détruit pour reconstruire la Palestine sur ses cendres ? Ce n'est que dans le cadre de l'imaginaire politique impérial euro-américain qu'une tragédie de l'ampleur de la Seconde Guerre mondiale et de l'Holocauste a pu se terminer par des solutions aussi brutales que les partitions, les transferts de populations, l'ethno-indépendance et la destruction des mondes.

Globalement, nous avons l'obligation de revendiquer ce que j'ai appelé le droit de ne pas être complice et de l'exercer de toutes les manières possibles. Les dockers qui refusent d'expédier des armes à Israël, les étudiants qui s'engagent dans des grèves de la faimpour faire pression sur leurs universités afin qu'elle rompent avec Israël, les juifs qui perturbent leurs communautés et leurs familles et revendiquent leurs droits ancestraux d'être et de s'exprimer en tant qu'antisionistes, les manifestant·es qui occupent des bâtiments publics et des gares au risque d'être arrêtés – tou·tes sont motivé·es par ce droit, même s'ils ne l'expriment pas en ces termes.

Ils comprennent le rôle que leurs gouvernements, et plus largement les régimes sous lesquels ils sont gouvernés en tant que citoyen·nes, jouent dans la perpétuation de ce génocide, et ils comprennent, comme le dit le slogan, que ce génocide est perpétré en leur nom.

Il y a des juifs parmi celles et ceux qui appellent à un cessez-le-feu. Mais même les voix juives sont réduites au silence. En Allemagne, par exemple, le travail d'artistes juifs bien établis a été annulé. Pensez-vous qu'il y ait un intérêt à renforcer un récit dominant mis en place depuis 1948 par l'Occident et l'État d'Israël, tout en supprimant les voix juives qui s'opposent à la violence perpétrée en leur nom ?

C'est vrai que les voix juives sont réduites au silence, mais ce n'est pas nouveau. Les voix juives ont été réduites au silence immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les survivant·es n'ont eu d'autre choix que de rester pendant des années dans des camps déracinés.

Pendant cette période, les biens pillés à leurs communautés, au lieu d'être restitués aux endroits d'Europe où ils avaient été spoliés, ont été partagés entre la Bibliothèque nationale de Jérusalem et la Bibliothèque du Congrès à Washington, comme des trophées. Et non seulement le traumatisme collectif des survivants – et de nous, leurs descendants – n'a pas été pris en compte, mais nous avons été réduits au silence par ce mensonge d'un projet de libération fondé sur un récit sioniste de libération par la colonisation de la Palestine, qui fournirait à son tour aux puissances euro-américaines une autre colonie au service de leurs intérêts impériaux.

Caractériser la souffrance des juifs comme exceptionnelle n'était pas un discours juif, mais occidental, dans le cadre de la conception de la violence génocidaire des nazis comme quelque chose d'exceptionnel. Dans le grand récit du triomphe occidental sur cette force ultime du mal, l'État d'Israël est devenu l'emblème de la force morale occidentale et a marqué la persévérance du projet impérial euro-américain. Dans le cadre de ce grand récit, les juifs ont été contraints de passer du statut de survivant·es traumatisé·es à celui de bourreaux. Des juifs du monde entier ont été envoyés pour gagner une bataille démographique, sans laquelle le régime israélien ne pourrait pas durer.

Les deuxième et troisième générations issues de ce projet sont nées sans histoire ni souvenirs de leurs ancêtres antisionistes ou non sionistes, et encore moins de souvenirs des autres mondes dont leurs ancêtres faisaient partie. De plus, ils étaient totalement dissociés de l'histoire de ce qu'était la Palestine et de sa destruction. Ils étaient donc une proie facile pour un État-nation présenté par les sionistes et les puissances euro-américaines comme l'aboutissement de la libération juive.

En ce sens, la Nakba n'était pas seulement une campagne génocidaire contre les Palestinien·nes, mais aussi, en même temps, une campagne contre les juifs, à qui l'Europe a imposé une autre « solution » après la « solution finale ». Sans le financement et l'armement massifs des puissances impériales, les massacres à Gaza auraient cessé après un court laps de temps, et les Israélien·nes auraient dû se demander ce qu'ils faisaient, comment ils en étaient arrivés là, et auraient été forcés de penser au 7 octobre en se demandant pourquoi cela s'est produit et comment parvenir à une vie supportable pour tous ceux qui vivent entre le fleuve et la mer.

Les voix juives dans des pays comme l'Allemagne ou la France continuent d'être les premières à être réduites au silence afin de maintenir à la fois la colonie sioniste et la cohésion artificielle d'un peuple juif unique, qui pourrait être représenté par des forces qui soutiennent le projet euro-américain de suprématie blanche. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La nature génocidaire du régime israélien est exposée au grand jour et ne peut plus être cachée.

Pensez-vous qu'il existe encore une possibilité d'espoir pour les Palestiniens et pour nous toutes et tous qui voulons un monde à partager avec les autres ?

S'il n'y a pas d'espoir pour les Palestiniens, il n'y a d'espoir pour personne. La bataille de la Palestine dépasse la Palestine, et les nombreux manifestant·es du monde entier le savent.

Propos recueillis par Linda Xheza

Publié par Jacobin le 11 avril 2024.

Linda Xheza écrit sur la photographie et l'immigration à l'Amsterdam School for Cultural Analysis de l'université d'Amsterdam.

https://inprecor.fr

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Nord de Gaza. L’extermination méthodique des habitants de Jabaliya

Une tragédie humaine est en cours dans le camp de Jabaliya, déclaré zone militaire et complètement assiégé depuis le 12 octobre. Un journaliste, parmi les rares journalistes (…)

Une tragédie humaine est en cours dans le camp de Jabaliya, déclaré zone militaire et complètement assiégé depuis le 12 octobre. Un journaliste, parmi les rares journalistes encore présents sur place, a été tué par l'armée israélienne. Orient XXI a recueilli des témoignages d'habitants vivant au milieu de ce cimetière à ciel ouvert.

Tiré d'Orient XXI.

Des habitants affamés, épuisés et contraints de se déplacer sous les balles : telles sont les conditions infernales décrites par les habitants de la partie nord de la bande de Gaza, joints par la rédaction d'Orient XXI au cours des dernières quarante-huit heures. Plus d'un an après le début de la guerre contre Gaza, le pire des scénarios semble se profiler dans ce territoire isolé, désormais coupé du reste du monde et privé de toute aide humanitaire. Sa population tente de survivre malgré le siège total imposé par l'armée israélienne depuis le 12 octobre 2024. Selon Giora Eiland, général de division à la retraite, ancien stratège de l'armée israélienne, et ancien chef du Conseil national de sécurité d'Israël, l'armée israélienne annonce vouloir affamer à mort « les quelque 5 000 membres du Hamas » présents dans la région.

Les quelques 100 000 habitants de Jabaliya ont déjà été particulièrement éprouvés : un carrefour très fréquenté au cœur du camp a été le théâtre de la première frappe israélienne au lendemain de l'attaque du 7 octobre 2023, faisant 50 morts et plusieurs blessés. Une dizaine d'autres massacres comme celui-ci suivront. Ces massacres à répétition, bien que de plus en plus meurtriers, ne sont pas parvenus à chasser l'ensemble des habitants de ce camp, eux-mêmes descendants de réfugiés de la Nakba et conscients des ambitions expansionnistes d'Israël. L'opération actuelle arrive alors que l'armée israélienne avait déjà annoncé, à deux reprises, en mai puis en juillet 2024, la fin de ses opérations militaires dans le nord de Gaza.

Le 7 octobre 2024, un quartier résidentiel du nord de l'enclave a été anéanti, tandis que des soldats israéliens se félicitaient de leurs actions.

Au rond-point Abou Charar, au cœur du camp, les scènes sont apocalyptiques : routes défigurées et immeubles éventrés, rendant méconnaissable l'ancien paysage urbain. Les habitants attribuent cette destruction à l'utilisation par l'armée israélienne de robots chargés d'explosifs, déployés sans discernement. Une vidéo, diffusée par Al-Jazira en mai 2024, avait confirmé le déploiement à Jabaliya de telles armes contrôlées à distance par les forces israéliennes.

« Meurs de faim ou rends-toi »

Le 6 octobre 2024, Avichay Adraee, porte-parole de l'armée israélienne en langue arabe, déclare la partie nord de l'enclave zone militaire et ordonne l'évacuation de ses habitants. Or, comme au début de la guerre il y a un an, des habitants qui tentent d'évacuer la zone, en passant pourtant par les routes indiquées, sont également ciblés par l'armée israélienne.

Contacté par Orient XXI, Issa Saadallah, un habitant piégé dans le camp de Jabaliya avec les membres de sa famille, explique n'avoir pas pu quitter la zone en l'absence de voies sûres. « Nous ne pouvons pas bouger en raison de la présence de tireurs d'élite et du survol intensif de quadricoptères israéliens », a-t-il déclaré. Son témoignage est corroboré par une vidéo vérifiée, partagée sur FaceBook le 9 octobre 2024. On y voit le ciblage délibéré des personnes déplacées tentant de fuir le nord de l'enclave, à pied, en empruntant l'une des deux artères désignées par l'armée.

Les otages israéliens ne figurant pas en tête des priorités de l'agenda militaire de Tel-Aviv, chaque endroit est une cible légitime pour les avions de chasse israéliens, toujours abondamment ravitaillés par les États-Unis. Dans leur ligne de mire se trouve aussi la dernière boulangerie du nord de l'enclave. Elle a été réduite en cendres lors d'une frappe israélienne le 8 octobre 2024. En mai 2024, plusieurs agences des Nations unies, dont le Programme alimentaire mondial (PAM), déclaraient déjà une « famine généralisée » dans le nord de Gaza. Aujourd'hui, les habitants ne reçoivent ni eau ni nourriture « depuis au moins vingt jours », témoigne un résident de Jabaliya.

Depuis leur encerclement par l'armée israélienne, les habitants se retrouvent confrontés à un dilemme : se rendre ou mourir de faim. Cette opération semble s'inspirer du plan de Giora Eiland proposé dès le 4 septembre 2024. Dans une vidéo publiée sur YouTube qui explique, cartes à l'appui, la stratégie militaire à appliquer pour reconquérir le nord de la bande de Gaza, Eiland détaille : « Non pas que nous vous suggérons de quitter le nord de la bande, mais nous vous ordonnons de quitter la zone… Aucun ravitaillement n'entrera dans cette partie du territoire. » Affamer la population après l'avoir chassée de cette zone s'inscrit dans un plan plus large qui vise à annexer le nord de Gaza, après l'avoir vidé de sa population (1).

Tuer les derniers témoins

Pour mener à bien son entreprise, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou cherche encore une fois à éloigner les témoins, notamment les journalistes, toujours interdits d'accès dans l'enclave palestinienne. En outre, avec la guerre que mène également Israël au Liban, les derniers événements à Gaza tout comme les incursions répétées de l'armée israélienne sur le territoire syrien sont d'ores et déjà moins couverts — voire invisibles — médiatiquement.

Un des derniers journalistes présents à Jabaliya, Hassan Hamad, 19 ans, a été tué le 6 octobre, ciblé chez lui par un tir de sniper. Selon la chaîne Al-Jazira, il aurait reçu des menaces de l'armée israélienne lui ordonnant de cesser de filmer. Fadi Al-Whidi, caméraman pour la chaîne panarabe, filmait lui aussi les bombardements et les opérations militaires au cœur de Jabaliya le 9 octobre, lorsqu'il a été blessé par balle, ainsi que son collègue Tamer Lobod. Le corps de Fadi Al-Whidi est resté plusieurs heures au bord de la route avant qu'on puisse le transporter à l'hôpital. Les deux journalistes se trouvent encore dans un état critique.

Aujourd'hui, Anas Al-Sharif, correspondant de la chaîne qatarie, est le seul journaliste professionnel à continuer de diffuser des images depuis cette zone. Il est également menacé par l'armée israélienne via WhatsApp. Envisageant le pire, comme la plupart des habitants, il a partagé un poignant message d'adieu sur son compte X.

Les cadavres jonchent les rues

Devant ce calvaire, les habitants sont démunis. « La terreur domine nos esprits. Les bombardements aériens et tirs d'artillerie sont continus et accompagnés d'avancées terrestres sur l'ensemble du camp. Les équipes médicales sont empêchées d'intervenir pour sauver les blessés et évacuer les victimes », nous confie Issa Saadallah.

Déjà entravées dans leur travail, les équipes médicales sont également ciblées par les frappes israéliennes. Une vidéo vérifiée par Orient XXI en date du 14 octobre 2024 montre deux ambulanciers évacuant des blessés près de l'hôpital Al-Yaman Al-Saeed. Ils échappent de justesse à une frappe aérienne à quelques mètres d'eux. Quelques jours plus tard, les personnes déplacées cherchant refuge dans ce même hôpital sont également prises pour cibles. Une photo de la cour de l'établissement témoigne d'une scène de désolation.

À l'instar des hôpitaux, les écoles qui servent de refuges aux déplacés et sans-abri sont visées. Le 9 octobre 2024, l'école Al-Rafai, où s'étaient réfugiés des dizaines d'habitants, est frappée par une attaque aérienne, entraînant trois morts et 25 blessés. Dans ce contexte tragique, honorer les morts en les enterrant demeure une mission particulièrement difficile. « Les chiens et les chats mangent les cadavres éparpillés sur les routes », a déploré Issa. Le crime de Créon (2) semble, lui aussi, faire partie de la stratégie israélienne.

Notes

1- Voir Yaniv Kubovich, « Israeli Defense Officials : Gov't Pushing Aside Hostage Deal, Eyeing Gaza Annexation », Haaretz, 13 octobre 2024.

2- Référence à la tragédie grecque Antigone de Sophocle. Après le suicide de Jocaste, femme d'Œdipe, et l'exil de ce dernier, les deux frères d'Antigone, Étéocle et Polynice s'entre-tuent pour le trône de Thèbes. Créon, frère de Jocaste et — à ce titre — nouveau roi, décide de n'offrir de sépulture qu'à Étéocle et non à Polynice, qualifié de traître. Il ordonne que le cadavre de Polynice soit laissé en pâture aux chiens afin que chacun sache bien ce qu'il en coûte à ceux qui veulent prendre la ville.

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Le déplacement forcé des Palestiniens est un « crime de guerre »

Le haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a estimé jeudi que les déplacements forcés effectués par l'armée d'occupation sioniste contre une (…)

Le haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a estimé jeudi que les déplacements forcés effectués par l'armée d'occupation sioniste contre une grande partie des Palestiniens dans le nord de la bande de Ghaza constituent un « crime de guerre ».

Tiré d'Algeria-Watch.

Dans une déclaration aux journalistes de New York, M. Türk a souligné que les droits de l'homme doivent être au cœur de toutes les consultations aux Nations unies, affirmant l'importance de cela, en particulier à la lumière des développements au Moyen-Orient. Les conclusions du dernier rapport de l'IPC de l'ONU sont « plus qu'horribles » et que le risque de famine demeure dans toute la bande de Ghaza, a-t-il ajouté en affirmant que « le monde ne peut pas permettre que cela se produise ».

« L'entité sioniste est tenue de faciliter le flux de nourriture, de fournitures médicales et d'aide humanitaire vers Ghaza conformément au droit humanitaire international, malheureusement, la réalité sur le terrain montre que l'aide à Ghaza n'arrive pas », a-t-il déploré. Le responsable onusien a estimé que « le déplacement forcé d'une grande partie de la population du nord de Ghaza constitue un crime de guerre ».

Depuis le 6 octobre, l'armée d'occupation sioniste a poursuivi son invasion terrestre dans le nord de la bande de Ghaza, coïncidant avec ses frappes aériennes et ses bombardements d'artillerie contre les maisons des citoyens et les écoles abritant des personnes déplacées.

Concernant l'agression sioniste au Liban, M. Türk a mis en garde que les attaques sionistes contre la force de maintien de la paix des Nations unies (Finul) pourraient également constituer un crime de guerre. « Ces tensions déraisonnables doivent cesser. Un cessez-le-feu est indispensable », a-t-il insisté.

Ciblage des journalistes
Le 10 octobre, la Finul a annoncé que deux soldats de la Force de maintien de la paix au Liban avaient été blessés lorsque l'armée d'occupation sioniste a pris pour cible une tour de guet de cette force au Liban. Le lendemain, l'armée d'occupation a visé l'entrée principale du centre de commandement de la Finul dans la ville de Naqoura, au sud du Liban, avec des obus d'artillerie.

Une tour d'observation de la Finul a été touchée par un obus tiré par un char sioniste, blessant deux autres soldats de l'ONU. Concernant le ciblage des journalistes par l'agresseur sioniste, M. Türk a indiqué que « les journalistes, en particulier ceux qui travaillent dans les zones de guerre, sont des défenseurs des droits de l'homme », précisant que « leur protection était extrêmement importante ».

La guerre génocidaire sioniste en cours dans la bande de Ghaza depuis le 7 octobre 2023 a fait 42 438 martyrs et 99 246 blessés, en majorité des femmes et des enfants. L'entité sioniste, puissance occupante, continue ses massacres, ignorant la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU visant à y mettre fin immédiatement, ainsi que les ordres de la Cour internationale de justice de prendre des mesures pour prévenir les actes de génocide et améliorer la situation humanitaire catastrophique à Ghaza.

Depuis le 23 septembre dernier, l'occupant sioniste a étendu la portée du génocide à la plupart des régions du Liban, y compris la capitale Beyrouth, par des raids aériens d'une violence et d'une intensité sans précédent. Il a également lancé une invasion terrestre dans le Sud, ignorant les avertissements et résolutions de l'ONU.

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Israël déploie-t-il une stratégie « se rendre ou mourir de faim » à Gaza ?

Une nouvelle phase de la guerre est peut-être en cours, alors que les espoirs d'un cessez-le-feu et d'un accord pour libérer les derniers otages du Hamas s'amenuisent. Tiré (…)

Une nouvelle phase de la guerre est peut-être en cours, alors que les espoirs d'un cessez-le-feu et d'un accord pour libérer les derniers otages du Hamas s'amenuisent.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Photo : Une femme tient un enfant dans ses bras dans la ville de Gaza samedi (Dawoud Abu Alkas/Reuters).

Pendant un bref instant, l'attention semblait s'être détournée de la dévastation à Gaza. Le conflit entre Israël et l'organisation militante libanaise Hezbollah a déclenché une escalade et une nouvelle campagne israélienne au nord de sa frontière – causant des centaines de victimes civiles libanaises en l'espace de quelques jours, des tirs, apparemment, sur des soldats de maintien de la paix de l'ONU par les forces israéliennes et des scènes de destruction semblables à celles que nous avons vues à Gaza dans les villes du sud du Liban. Parallèlement, un tir de barrage de missiles iraniens sur des cibles israéliennes a laissé entrevoir la possibilité d'une riposte israélienne sur les sites pétroliers, voire nucléaires, de l'Iran, ce qui pourrait provoquer des bouleversements plus importants au Moyen-Orient.

Mais les événements de ces derniers jours nous rappellent la calamité durable qui est le point névralgique de toute l'agitation dans la région. Le nord de Gaza, déjà éprouvé par une année de guerre ruineuse, est en proie à une nouvelle offensive israélienne punitive. Les forces israéliennes ont encerclé le camp de réfugiés de Jabalya dans le but de « démanteler systématiquement les infrastructures terroristes », selon un communiqué des forces armées israéliennes. Israël a donné des ordres d'évacuation à quelque 400 000 habitants du nord de la bande de Gaza, leur demandant de se rendre dans des zones situées plus au sud, qui regorgent déjà de personnes déplacées et qui sont toujours touchées par les bombardements israéliens. Les frappes aériennes ont fait des dizaines de morts.

Les travailleurs humanitaires ont décrit une situation catastrophique. « Pour être honnête, c'est l'enfer », a déclaré Fares Afana, responsable des services ambulanciers dans le nord de la bande de Gaza, dans un message vocal au Washington Post dimanche. Les forces israéliennes attaquaient le camp de réfugiés de Jabalya « pour la troisième fois ainsi que ses environs à Beit Lahya et Beit Hanoun », a déclaré Afana, et le camp était encerclé « de tous les côtés ».

L'organisation humanitaire Médecins sans frontières a déclaré vendredi que des milliers de personnes, dont cinq membres de son personnel, étaient piégées dans le camp de Jabalya. « Personne n'est autorisé à entrer ou à sortir – tous ceux qui essaient se font tirer dessus », a déclaré Sarah Vuylsteke, coordinatrice de projet pour l'organisation, dans un communiqué de presse.

L'intensification du siège « se poursuivra aussi longtemps que nécessaire pour atteindre ses objectifs », a déclaré l'armée israélienne dans un communiqué. Il s'accompagne apparemment d'un blocus. D'août à septembre, Israël a progressivement réduit l'aide parvenant au nord de la bande de Gaza. Aucun camion de nourriture n'est entré en octobre.

Une telle tactique pourrait alimenter les accusations selon lesquelles Israël affame délibérément les Palestiniens de Gaza. « Je ne comprends pas vraiment quel est l'objectif stratégique concernant le nord », a déclaré à mes collègues Michael Milshtein, un ancien responsable des services de renseignement israéliens, ajoutant que si les habitants du nord de la bande de Gaza choisissent de ne pas partir – et beaucoup risquent de ne pas le faire, étant donné la conviction largement répandue que nulle part dans la bande de Gaza n'est réellement sûr – « ils mourront de faim ».

Les Nations Unies ont prévenu, lors d'une réunion d'information vendredi, qu'Israël avait coupé des « lignes de vie essentielles » dans le nord de la bande de Gaza. Dans certains cas, des hôpitaux débordés ont reçu l'ordre d'évacuer des patients, y compris des bébés en soins néonatals. Un rapport des Nations Unies publié la semaine dernière a souligné une « politique concertée » d'Israël visant à « détruire le système de santé de Gaza » dans le cadre de sa guerre contre le Hamas, qui a perpétré l'attaque audacieuse du 7 octobre 2023 contre le sud d'Israël.

« Il est clair qu'il existe un nouveau plan visant à déplacer de force les habitants du nord de Gaza en évacuant l'ensemble du système de santé », a déclaré Hussam Abu Safiya, directeur de l'hôpital Kamal Adwan, à mes collègues.

Georgios Petropoulos, chef du bureau de Gaza de l'agence des Nations Unies pour les affaires humanitaires, a décrit à mes collègues les tentatives infructueuses, la semaine dernière, d'un convoi de l'ONU pour atteindre les hôpitaux du nord de la bande de Gaza et récupérer les patients qui s'y trouvaient. « Il faut que les militaires israéliens comprennent que, quelle que soit leur action à long terme, les travailleurs humanitaires doivent se rendre sur place et faire leur travail en parallèle », a déclaré M. Petropoulos.

Dans les médias israéliens, les rapports du week-end ont suggéré qu'une nouvelle phase de la guerre pourrait être en cours, alors que les espoirs d'un cessez-le-feu et d'un accord pour libérer les derniers otages du Hamas s'amenuisent. Cette évolution s'accompagne de frustrations internes chez certaines personnalités de l'establishment militaire, qui souhaitaient que le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu présente plus clairement un plan stratégique pour la résolution du conflit, qui aurait permis d'intensifier la pression sur le Hamas et de gagner la bienveillance des voisins d'Israël.

En son absence, et compte tenu de la capacité du Hamas à perdurer parmi les ruines de Gaza, certaines voix éminentes ont appelé à des mesures extrêmes. En fait, certains éléments d'une stratégie envisagée – surnommée le « plan des généraux » dans les médias israéliens après qu'un groupe d'officiers à la retraite a lancé cette proposition – pourraient être en jeu dès à présent, à en juger par les préoccupations exprimées par les groupes humanitaires dans le nord de la bande de Gaza.

Il est possible que l'opération prépare le terrain pour une décision du gouvernement de mettre en œuvre le plan « se rendre ou mourir de faim » du général de division (à la retraite) Giora Eiland, notait dimanche le journal israélien Haaretz. « Ce plan prévoit l'évacuation de tous les habitants du nord de la bande de Gaza vers les zones humanitaires du sud, ceux qui choisissent de rester étant considérés comme des agents du Hamas et des cibles militaires légitimes. Alors que les Gazaouis du sud reçoivent une aide humanitaire, ceux qui restent dans le nord seront confrontés à la faim. »

Comme l'a ajouté Haaretz, il s'agit là d'un crime de guerre évident et aucune déclaration officielle d'Israël n'approuve de telles politiques. « Un fonctionnaire au fait de la question a déclaré que certaines parties du plan étaient déjà mises en œuvre, sans préciser lesquelles », a rapporté l'Associated Press. Un second responsable, qui est israélien, a déclaré que Netanyahou « avait lu et étudié » le plan, « comme de nombreux plans qui lui sont parvenus tout au long de la guerre », mais il n'a pas précisé si une partie de ce plan avait été adoptée.

M. Eiland, qui s'est fait entendre dans les médias israéliens et a critiqué l'approche initiale de la guerre par M. Netayahu, a ouvertement discuté de ce qu'il pensait devoir se passer ensuite. Dans une récente interview, il a déclaré que les 400 000 habitants du nord de la bande de Gaza devaient se voir accorder un délai pour quitter les lieux et qu'ensuite, « toute cette zone deviendrait … une zone militaire ». Les Palestiniens qui restent, a-t-il ajouté, « qu'il s'agisse de combattants ou de civils, auront le choix entre se rendre ou mourir de faim ».

Du point de vue d'Eiland, l'objectif devrait être de rendre la pression sur le Hamas insupportable, afin que son appareil militaire s'effondre et que les otages restants soient libérés. Mais pour les alliés d'extrême droite de Netanyahou, l'anéantissement des quartiers de Gaza et l'instauration d'un régime militaire indéfini pourraient être le prélude à de nouvelles vagues d'annexion. « Nos héroïques combattants et soldats détruisent le mal du Hamas et nous occuperons la bande de Gaza », a déclaré le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, au début de l'année. « Pour dire la vérité, là où il n'y a pas de colonie, il n'y a pas de sécurité. »

Smotrich aurait réitéré ces appels à l'annexion et à la colonisation lors d'une réunion au plus haut niveau la semaine dernière.

Les détracteurs d'Israël, de plus en plus nombreux en Occident, craignent que la vision de M. Smotrich, autrefois marginale, ne devienne réalité. « Une population entière est encerclée et forcée de partir, sans aucun endroit où aller », a déclaré dimanche le ministre irlandais des affaires étrangères, Micheál Martin, dans un communiqué. « Il s'agit de l'expulsion massive de personnes de leur patrie. »

Ishaan Tharoor

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L’armée israélienne s’acharne sur le Sud-Liban : Carnages à Nabatiyeh et Cana

22 octobre 2024, par Mustapha Benfodil — , , , ,
Le Premier ministre libanais, Najib Mikati, a fermement condamné le bombardement du bâtiment municipal de Nabatiyeh, hier, qui a coûté la vie à six personnes, dont le maire, (…)

Le Premier ministre libanais, Najib Mikati, a fermement condamné le bombardement du bâtiment municipal de Nabatiyeh, hier, qui a coûté la vie à six personnes, dont le maire, Ahmad Kahil. L'armée israélienne a « délibérément visé une réunion du conseil municipal à Nabatiyeh », dénonce-t-il. Les élus et autres responsables communaux fauchés par les frappes sionistes « étaient réunis pour discuter de la situation et des secours », a-t-il précisé. Et de déplorer l'immobilisme de la communauté internationale en s'interrogeant : « Qu'est-ce qui peut dissuader l'ennemi de ses crimes, lui qui est allé jusqu'à cibler des Casques bleus dans le Sud ? »

Tiré d'El Watan.

L'armée israélienne a intensifié hier ses frappes sur la banlieue sud de Beyrouth et sur les localités du Sud-Liban, en particulier la ville de Nabatiyeh, importante agglomération de 75 000 habitants. Une série de raids meurtriers se sont, en effet, abattus hier sur cette ville, ciblant le bâtiment municipal et d'autres infrastructures publiques.

Cette attaque a fait 6 morts, selon les autorités libanaises. « Le raid de l'ennemi israélien contre les bâtiments de la municipalité de Nabatiyeh et de son Union des municipalités a entraîné la mort de six personnes et en a blessé 43 autres », a annoncé le ministère libanais de la Santé dans un communiqué. Parmi les victimes figure le maire de Nabatiyeh, Ahmad Kahil, ainsi que d'autres élus. « L'aviation israélienne a mené une quinzaine de frappes sur Nabatiyeh, au Liban-Sud, et ses environs », rapportait hier L'Orient-Le Jour. « Ces frappes ont été menées avec des missiles de gros calibre », précise le journal libanais sur son site officiel.

« Des images obtenues par des personnes sur place montrent une dizaine de colonnes de fumée au-dessus de Nabatiyeh et derrière les collines environnantes. Ces bombardements ont notamment visé Zebdine, Nabatiyeh El Tahta, Nabatiyeh El Faouqa, Kfar Tebnit et Kfar Joz. Les détonations ont été entendues jusqu'à Saïda », détaille le même média.

Un autre massacre à Cana

La gouverneure de Nabatiyeh, Howaïda Al Turk, parle d'une « ceinture de feu » autour de cette ville, dont le marché principal avait été réduit en cendres samedi par l'aviation israélienne. Outre le siège de la mairie, un centre médical adjacent a été touché par les frappes d'hier. Selon l'ANI, une bibliothèque et un centre commercial ont également été visés. Deux médecins ont été tués dans cette attaque, selon un responsable des secours du Hezbollah, cité par l'AFP.

La Défense civile libanaise a déclaré elle aussi avoir perdu un de ses membres. Howaïda Al Turk qualifie l'opération de « massacre ». Le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a fermement condamné cette tuerie dans un communiqué. L'armée israélienne a « délibérément visé une réunion du conseil municipal », dénonce-t-il. Les élus et autres responsables communaux fauchés par les bombardements sionistes « étaient réunis pour discuter de la situation et des secours », a-t-il précisé. Et de déplorer l'immobilisme de la communauté internationale en s'interrogeant : « Qu'est-ce qui peut dissuader l'ennemi de ses crimes, lui qui est allé jusqu'à cibler des Casques bleus dans le Sud ? »

La coordinatrice spéciale de l'ONU au Liban, Jeanine Hennis-Plasschaert, a condamné elle aussi cette opération. « Cette attaque fait suite à d'autres événements durant lesquels des civils et des infrastructures civiles ont été visés à travers le Liban (...). Les violations du droit humanitaire international sont absolument inacceptables », a-t-elle déclaré dans un communiqué.

L'armée israélienne a mené des frappes contre d'autres localités au Sud-Liban hier. « Des frappes israéliennes ont ciblé Houla, une maison de Marwaniyé qui avait déjà été bombardée la veille, Toul, où la frappe a visé les abords de l'hôpital Ragheb Harb, Zefta, Mhaybib, Chéhabiyé, Mjadel, Mazraat Mechref, Tiri, Qlaylé, Maaroub. La ville de Bint Jbeil a, elle, été visée à dix reprises par l'aviation israélienne. Dans la Békaa, selon notre correspondante Sarah Abdallah, une frappe a visé Yammouné », détaille L'Orient-Le Jour. Outre les villes et les villages du Sud, Israël a de nouveau bombardé hier matin la banlieue sud de Beyrouth, notamment à Harat Hreik, fief du Hezbollah.

A retenir également cette attaque effroyable commise mardi dans le village-martyr de Cana. Dans la mémoire collective libanaise, Cana est le « symbole de raids meurtriers israéliens depuis trois décennies », note l'AFP. Selon les autorités sanitaires, cette frappe a fait 3 morts et 54 blessés. « Selon Mohammed Ibrahim, secouriste du mouvement Amal, allié du Hezbollah, 15 bâtiments ont été « entièrement détruits » dans le quartier où « les dégâts sont énormes » », rapporte l'AFP.

« L'aviation israélienne a visé « la place du village » et « les morts sont des déplacés » ayant trouvé refuge à Cana pour fuir les bombardements israéliens sur leur village du sud du Liban, frontalier d'Israël », ajoute ce secouriste. Selon Euronews, le bilan est beaucoup plus lourd. Il serait de 15 morts. « Au moins 15 personnes sont mortes dans la ville de Cana, dans le sud du Liban, dans une frappe israélienne. Les recherches se poursuivent. La ville a déjà connu par le passé un nombre élevé de victimes civiles à la suite d'attaques israéliennes », révèle Euronews.

La marine de guerre pilonne les côtes libanaises

Signalons aussi cette frappe sur la plaine de la Békaa, précisément à Yammouné, près de Baalbek, faisant deux morts et 15 blessés, selon la presse libanaise. Le ministère libanais de la Santé a fait état aussi d'un raid aérien qui a visé des positions sur l'autoroute reliant Riyak à Baalbeck. Cette attaque a fait deux morts et neuf blessés.

L'armée israélienne a par ailleurs mobilisé sa force navale pour pilonner les côtes libanaises. La marine de guerre sioniste a visé des « dizaines de cibles du Hezbollah au Liban-Sud, en coordination avec les troupes sur le terrain, une première depuis le lancement de l'opération baptisée « Flèches du Nord » le 23 septembre dernier », relève L'Orient-Le Jour. « Un avis d'évacuation des côtes et des eaux libanaises avait été publié il y a une semaine par l'armée israélienne, affirmant que toute présence humaine au sud du fleuve Awali, qui se jette au nord de la ville de Saïda, serait considérée comme « hostile » », ajoute le quotidien francophone.

De son côté, le Hezbollah a indiqué avoir lancé « un grand nombre de roquettes » sur Karmiel, à l'est de Acca, hier après-midi. « Quatre personnes, trois hommes et une femme d'environ 50 ans, ont été blessés par des tirs de roquettes sur Majd El Krum, localité du nord d'Israël, voisine de Karmiel, selon le Haaretz. Le Hezbollah avait annoncé avoir visé Karmiel à 14h15. L'explosion a également causé des dégâts matériels, touchant des commerces et des voitures », écrit L'Orient-Le Jour.

Le mouvement de résistance chiite a en outre ciblé « à l'aide d'un missile guidé, un char Merkava israélien dans la périphérie de Ramiyé », près de Bint Jbeil. L'équipage de ce char a été touché de plein fouet. Il y a eu des morts et des blessés parmi les soldats israéliens suite à cette opération, selon le « Hizb ».

Dans la nuit de mardi à hier, la formation libanaise a tiré plusieurs projectiles en direction de Safed, au nord d'Israël. Des missiles ont été tirés aussi sur Haïfa. Des salves de roquettes ont également visé des positions de l'artillerie israélienne à Dalton et Dishon (nord-est). D'après l'armée israélienne, le Hezbollah a tiré plus de 50 missiles sur le nord d'Israël depuis le Liban.

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La course à l’abîme d’Israël – Entrevue avec Mayla Baklache du Mouvement social libanais

22 octobre 2024, par Golias Hebdo, Mayla Bakhache — , , , ,
Nous publions une entrevue avec Mayla Bakhache, membre du comité de direction du Mouvement social libanais. Elle livre un témoignage de première ligne sur l'agression (…)

Nous publions une entrevue avec Mayla Bakhache, membre du comité de direction du Mouvement social libanais. Elle livre un témoignage de première ligne sur l'agression israélienne en cours au Liban. Elle aborde différents asects de la conjoncture libanaise dans ce contexte, dont le place du Hezbollah. Tout droit réservé. Nous remercions Golia Hebdo de nous permettre de partager l'entrevue avec notre lectorat.

Tiré d'Alter.québec.

Golias : Comment vivez-vous ces derniers jours l'enchaînement des évènements et cette nouvelle guerre israélo-libanaise qui commence ?

Mayla Bakhache : Nous vivons au jour le jour, heure après heure, cela donne du recul, de la détermination, du courage aussi, même si l'espoir semble aux oubliettes, mais comme le disait Mouloudji « Et bien qu'aveugles sur fond de nuit, entre les gouffres infinis, des milliards d'étoiles qui rient, faut vivre ». Il faut vivre, donc. Je crois d'ailleurs qu'on apprend à vivre seulement quand on se dégage de l'espoir illusoire.

Golias : Comment le MSL réagit-il face à l'afflux de ces personnes réfugiées fuyant les bombardements israéliens ?

Mayla Bakhache : Après le 7 octobre, il y en a eu près de 70 000 fuyant la frontière sud du Liban, au démarrage des bombardements la semaine dernière, ils étaient 300 000 et avec les tous derniers bombardements sur Beyrouth et le début de l'invasion terrestre, on estime le nombre de déplacés à un million un quart. Il faut les accueillir et leur apporter le soutien matériel, social et psychologique. Nous avons dû fermer nos centres au Sud Liban (excepté dans la ville de Saïda, épargnée jusqu'aujourd'hui), rapatrier et répartir nos personnels qui sont pour certains eux-mêmes réfugiés, nous nous coordonnons avec les autres associations et sous les auspices des instances publiques dans les lieux ouverts aux déplacés, les écoles principalement. Outre la réponse à l'urgence, notre ligne est de créer des passerelles entre les centres de déplacés et le milieu d'accueil pour dépasser les logiques communautaires qui sont toujours à l'œuvre dans notre pays clivé. Les déplacés appartiennent essentiellement à la communauté chiite, le risque étant que les communautés chrétiennes et sunnites estiment que c'est le parti armé chiite, le Hezbollah, qui les a entraînés dans cette nouvelle guerre avec Israël. Dans notre travail dans les centres, nous mettons en avant les valeurs d'accueil et de bienveillance pour désarmer l'hostilité que l'afflux des déplacés suscite. Pour l'instant les citoyennes et les citoyens libanais sont au rendez-vous. Si la guerre devait durer, de nouvelles tensions pourraient monter.

Golias : En France, on lit que l'État libanais n'existe plus. Qui alors gère la situation des déplacés et coordonne l'assistance ?

Mayla Bakhache : C'est une vision galvaudée de la réalité libanaise qui arrange les voix misérabilistes et assistancialistes. Certes les institutions sont bloquées, nous n'avons plus de présidence de la République depuis deux ans, la corruption règne à tous les étages de l'administration, mais il y a encore des services publics qui fonctionnent même a minima et l'administration a une expérience de ces périodes de guerre. Si on excepte la guerre israélo-palestinienne de 1947-1948, nous subissons notre quatrième invasion israélienne : l'opération Litani de 1978 avec l'occupation permanente de la bande frontalière, Paix en Galilée, en 1982, quand l'armée d'Invasion israélienne est arrivée à Beyrouth, en 2006 et aujourd'hui en 2024. Il y a plus d'un an le MSL a participé à la préparation d'un plan pour accueillir les déplacés en cas de guerre, coordonné par le gouvernement libanais. Même si l'ampleur et la répartition géographique des déplacés dépassent le plan, les services de l'État ont su réagir : ouverture des écoles publiques et des centres sociaux, évacuation organisée, coordination des acteurs associatifs. L'objectif est d'accueillir tout le monde, certains vont dans leurs familles ou chez des amis. Il n'y a presque pas de réquisition de logements vides pour éviter les phénomènes de « squatérisation » quand la situation redeviendra normale et les écoles confessionnelles, chrétiennes pour la plupart, n'ont pas encore été ouvertes pour les déplacés. Il n'y a pas beaucoup de moyens, mais la solidarité entre les habitants complète pour l'instant. Ce n'est pas le chaos dans le pays, mais la situation est dramatique pour un million de Libanais et Libanaises et leurs familles. On craint que la situation ne s'aggrave, par exemple la nuit dernière l'armée israélienne a bombardé un quartier chiite dans le centre de Beyrouth près du siège de la Croix rouge libanaise où s'étaient réfugiés les habitants de La Banlieue Sud faisant fuir des personnes déjà déplacées. Lors de l'attaque contre le Hezbollah à travers les bipeurs piégés qui ont gravement blessé des membres du parti, les hôpitaux ont été un moment débordés.

Golias : Le coup porté contre le Hezbollah par Israël aura-t-il des répercussions sur les blocages politiques au Liban ?

Mayla Bakhache : Pas sûr. La place du Hezbollah dans la société libanaise est ambivalente. La violence disproportionnée de la riposte israélienne sur Gaza nous traumatise. Toute la population libanaise se sent solidaire de celle de Gaza, mais que pouvons-nous faire sinon témoigner de notre effroi et de notre compassion ? Le Hezbollah qui a gagné la guerre en 2006 maintenait en nous cette illusion que nous étions capables de riposter (sous le nom de l'équilibre de la terreur), que nous ne nous laissions pas faire en tant que pays. Mais le Hezbollah s'est piégé lui-même. Il a surestimé ses capacités militaires après 2006 et les combats qu'il a menés en Syrie aux côtés du régime de Bachar al Assad ont eu des conséquences ambiguës pour lui. L'affaire des bipeurs et des talkies-walkies a affaibli la ligne de commandement, les deux têtes du Hezbollah ont été tuées, mais les milliers de combattants et de combattantes aguerris sont toujours là et le parti maintient sa domination sur la communauté chiite. En 1982 c'était l'OLP de Yasser Arafat qui tenait ce rôle de structure politique armée à côté de l'État libanais. Il a été remplacé par les Syrien.nes puis par le Hezbollah avec l'appui de l'Iran après une guerre civile qui a connu des massacres inter et intracommunautaires épouvantables. Qui prendra la place du Hezbollah s'il sort durablement diminué ? Nul ne le sait. Même avec ses alliés, le Hezbollah comme parti politique n'est pas majoritaire au Liban, les dernières élections législatives de mai 2022 l'ont montré. Il est probable qu'au sein même de la communauté chiite il ne le soit pas non plus, ses méthodes violentes étouffent les voix dissidentes. La communauté chiite au Liban est ancienne, elle a construit le pays comme les autres communautés, on compte en son sein des grands intellectuel.les, des marxistes, des libertaires même. On peut aussi se mettre à espérer que les leaders politiques feront collectivement face à cette nouvelle invasion. Un cessez-le-feu a déjà été demandé par le gouvernement pour le respect strict de la résolution 1701 de l'ONU de 2006 prévoyant le désarment des milices armées au sud de la rivière Litani. C'est peut-être le vieux leader de la communauté chiite Nabih Berri, 88 ans, président du parlement depuis plus de trente ans qui détient la clé d'une évolution politique du pays dans un sens moins mortifère. Son parti Amal s'était allié avec le Hezbollah, mais les derniers évènements lui donnent possiblement de nouvelles marges de manœuvre. Les pays arabes en bute avec l'implantation iranienne dans la région au moyen de ses groupes armés alliés, peuvent contribuer à cette inflexion politique. On ne sait pas, tout est possible, le pire comme le moins pire voire le mieux, mais là on rêve.

Golias : Que pensez-vous d'Israël. Jusqu'où ira-t-il ?

Mayla Bakhache : C'est l'ennemi du Liban parce que, depuis sa création, il n'a pas pu, ne sait pas et ne peut pas vivre en paix avec les pays voisins. Le problème fondamental d'Israël est la domination de l'idéologie sioniste sur la société et l'État, un composite détonant de nationalisme juif, et de colonialisme de peuplement et de remplacement. Le sionisme laïque au départ, demandait la création d'un foyer national pour les Juifs persécutés en Europe. Il est devenu un sionisme religieux qui fait de la Palestine une terre sacrée qui doit revenir dans sa totalité aux Juifs uniquement, faisant fi des millions de Palestiniens et de Palestiniennes qui y vivent. Le projet du gouvernement Netanyahou à Gaza est d'expulser les 2,5 millions h'habitants vers l'Égypte, il n'y arrive pas. En Cisjordanie c'est l'expulsion des trois millions d'habitants palestiniens qui y vivent, vers la Jordanie. L'existence d'Israël est maintenant un fait historique. Même l'OLP l'a reconnu dans sa Chartre en 1988 et Israël a établi ou est en passe d'établir des relations diplomatiques avec plusieurs pays arabes. La question est celle de la capacité de ce pays à reconnaître l'existence de Palestiniens et de Palestiniennes et à vivre en paix avec eux. On dit qu'Einstein qui n'était pas sioniste s'était vu proposer la présidence du nouvel État, il refusa parce qu'il craignait que les sionistes ne puissent jamais vivre en paix avec les pays voisins.

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Mayla Bakhache a été secrétaire générale du Mouvement social libanais (MSL) une des plus anciennes et importantes associations libanaises intervenant dans le domaine du développement social sur l'ensemble du pays. Elle est aujourd'hui au comité de direction chargée de renforcer la représentation, le rôle et le fonctionnement de l'assemblée générale de l'association pour en renouveler la dimension citoyenne active, affirmée à l'origine de sa fondation en 1961. Construit sur une base multiconfessionnelle dans ses instances, dans ses équipes salariées (187), ses bénévoles et ses bénéficiaires, le MSL s'est donné pour mission de faciliter l'accès des plus pauvres à l'autonomie et à la citoyenneté et d'impliquer les jeunes du Liban dans le développement et l'amélioration de leur société. L'association gère une quinzaine de centres de développement sur tout le territoire et dans la périphérie de Beyrouth en proposant des services concrets à plusieurs milliers de jeunes : école maternelle, soutien scolaire, centres de formation professionnelle, sensibilisation à la citoyenneté, ateliers de théâtre, espaces de débats et d'expression. Le MSL promeut un certain nombre de valeurs comme la laïcité, le non-confessionnalisme, le développement de tous et de chacun, le non caritatif, la citoyenneté ouverte et la non-violence comme forme de changement.

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Conjoncture politique et les tâches qui en découlent

15 octobre 2024 — ,
Ce texte a été produit dans le cadre des débats sur la conjoncture en cours dans l'organisation Révolution écosocialiste. Août 2024 / Bernard Rioux, Ginette Lewis 1. Une (…)

Ce texte a été produit dans le cadre des débats sur la conjoncture en cours dans l'organisation Révolution écosocialiste.

Août 2024 / Bernard Rioux, Ginette Lewis

1. Une situation internationale chaotique

Le capitalisme mondial a engendré de multiples crises. Il y a d'abord l'effondrement de l'économie mondiale. Celle-ci est de plus en plus incapable de satisfaire aux besoins élémentaires de la population, particulièrement à celle du Sud global.

La catastrophe climatique n'est plus une perspective d'avenir, elle frappe déjà dans toutes les régions du monde, même si ce sont les pays les plus pauvres qui en subissent d'abord les effets. Les périodes de canicule, les inondations destructrices, les ouragans et les tornades, les feux de forêt deviennent de plus en plus nombreux et graves. Cela affecte directement la production alimentaire qui est de plus en plus difficile.

Une économie mondiale de moins en moins capable de répondre aux besoins élémentaires de la population et de la crise climatique provoque des migrations importantes de la population, particulièrement dans les zones frappées par la guerre. Les migrations se sont d'abord faites sur un axe SUD-SUD, mais cela est appelé à changer, car les zones tropicales du globe vont voir leur habitabilité diminuer considérablement face à l'intrication des crises économique et climatique. Les migrations vers les pays du Nord ont commencé à se développer. La classe dominante a répondu aux conséquences de ses politiques de prédation, à la fois la mobilisation d'une main-d'œuvre immigrée et sans droits, mais choisie, et le blocage de l'immigration de demandeur-euses d'asile ou de réfugié-es climatiques, en dressant des murs à leurs frontières. Les différents États impérialistes nourrissent les sentiments d'insécurité et les préjugés xénophobes pour justifier leurs politiques. Cela crée un terrain pour la remontée de l'extrême droite qui fait son beurre du rejet des personnes migrantes, qui défend la notion de préférence nationale et qui va jusqu'à proposer la « remigration », soit l'expulsion massive d'une partie de la population. Aux États-Unis et en Europe, de telles politiques sont déjà à l'ordre du jour.

Dans une situation de pénurie des ressources, on voit l'augmentation des guerres dans différentes régions, surtout celles où est contestée la prédation des ressources par différentes puissances impérialistes. C'est ainsi que nous sommes entrés dans une période d'exacerbation des rivalités impérialistes entre les États-Unis, la Chine et la Russie et la formation de blocs rivaux prêts à en découdre pour défendre leurs intérêts.

La crise climatique, la chute de la biodiversité, les pollutions diverses et la destruction de la vie animale ont détérioré les différents écosystèmes et crée les conditions pour la réapparition de maladies et de zoonoses.

Nous n'avons pas connu une telle période de crise, de conflits, de guerres, d'instabilité politique et de révoltes depuis des décennies. Nous sommes dans une période marquée par le chaos où nombre de repères ont disparu. Tout cela constitue un défi et une chance pour une gauche internationale et un mouvement ouvrier qui souffrent encore des conséquences de plusieurs décennies de défaites et de reculs. Des soulèvements populaires se sont multipliés du Moyen-Orient à l'Europe, de l'Inde à l'Amérique du Sud. Mais ces soulèvements, souvent très durement réprimés, ne sont pas parvenus à construire les instruments politiques capables de se poser comme une alternative au pouvoir de la classe dominante.

2. La politique de Trudeau, usure du gouvernement et maintien de l'avance du Parti conservateur du Canada dans les sondages

Le gouvernement Trudeau étant minoritaire, il doit compter sur le maintien de l'alliance avec le Nouveau Parti Démocratique et lui faire certaines concessions mineures (soins de santé, soins dentaires, aide au logement), ou certaines promesses de concessions pour aider ce parti à prétendre apporter des acquis à la majorité populaire. Le NPD continue de s'engoncer dans le rôle de soutien au PLC et il ne profite pas au niveau des intentions de vote de cette inféodation.

Le gouvernement Trudeau subit l'usure du pouvoir, car il en est déjà à son troisième mandat et il s'avère incapable de faire de face aux crises qui frappent le Canada, comme l'ensemble du monde. L'inflation diminue le pouvoir d'achat de la majorité ; la crise du logement s'approfondit tant au niveau de l'accès à des logements décents qu'au niveau de l'explosion des prix ; l'accès aux services de santé et à la qualité des soins médicaux continue de se détériorer. Lors du dépôt de son dernier budget, le gouvernement Trudeau a lancé une série d'initiatives sur ces terrains, ce qui l'amène à occuper les champs de compétence des provinces, sans que ces manœuvres débouchent sur des transformations réelles et visibles par la population. Il est incapable de dépasser le mécontentement populaire et il se heurte aux prérogatives des provinces.

Au niveau de la lutte à la crise climatique, les GES continuent d'augmenter et l'écart entre les prétentions de ses discours et les politiques réelles du gouvernement minent de plus en plus sa crédibilité sur ce terrain. Après avoir acheté pour des milliards de dollars l'entreprise Trans Mountain afin d'augmenter les capacités d'exportation du pétrole extrait des sables bitumineux, il maintient son soutien financier et politique à l'exploitation des énergies fossiles. L'imposition d'une taxe carbone dans les provinces qui n'ont pas de bourse du carbone a soulevé l'ire des gouvernements conservateurs provinciaux. En somme, cette politique de soutien à la définition comme État pétrolier tout en avançant une politique d'écoblanchiment, ne fait que manifester son inconséquence sur ce terrain et mécontente tant les secteurs climatosceptiques que les secteurs sensibles à la protection de l'environnement.

Au niveau de sa politique internationale, Trudeau s'aligne sur la politique de l'administration américaine. C'est ainsi, que dans un premier temps, il a soutenu l'offensive meurtrière de l'État sioniste contre la bande de Gaza. Mais, la réalité des actes génocidaires à Gaza, l'a obligé à tergiverser. S'il a ainsi refusé de reconnaître la réalité du génocide de l'État israélien contre la population de Gaza et d'accepter clairement et ouvertement la condamnation de Netanyahu comme responsable de crimes de guerre par la Cour Internationale de Justice, il a enfin demandé un cessez-le-feu et rappelé la nécessité d'une solution à deux états pour régler la question palestinienne. Ces tergiversations ont provoqué des divisions au sein du gouvernement et du PLC. Face au Parti conservateur de Polievre qui a maintenu un soutien indéfectible à l'État d'Israël, y compris dans ses actes génocidaires, le PLC est apparu comme un allié manquant de détermination face au soutien à l'État d'Israël.

Le Parti conservateur du Canada défend un conservatisme de plus en plus populiste et réactionnaire, inspiré par la politique américaine. Il refuse de reconnaître l'urgence de la crise climatique. Poilievre défend le développement de l'exploitation des hydrocarbures ; il se présente comme le défenseur des transports individuels et l'opposant au développement du transport public. De plus, il n'a strictement rien à proposer pour faire face à la crise climatique. Il soutient tous les plans et aventures de l'impérialisme américain et particulièrement le développement de sa rhétorique contre le gouvernement chinois.

Il se contente d'une politique qui surfe sur les préjugés contre l'immigration, sur un conservatisme social, tout en évitant de reprendre la lutte contre le droit à l'avortement, qui se heurterait trop frontalement au soutien au droit à l'avortement dans la population canadienne et particulièrement au Québec. Il tente de renforcer et de développer sa base par une politique démagogique et populiste (le gros bon sens) … en comptant sur l'usure du pouvoir. Il parvient ainsi à ramasser les dividendes de la montée de l'extrême droite dans le monde.

Le tassement à droite du champ politique au Canada, comme ailleurs dans la plupart des pays impérialistes, lui permet de maintenir une avance considérable (10 à 20 points) dans les différents sondages sur les intentions de vote. Tant et si bien que le leadership de Justin Trudeau commence à être discuté sur la scène publique.

Le Bloc québécois joue la carte nationaliste. Le refus de respecter les champs de compétence du Québec par Ottawa lui permet de se présenter comme le seul défenseur réel des intérêts du Québec au fédéral. Il se fait également le relais des discours anti-immigration de la CAQ comme du PQ, ce qui lui permet de consolider sa base électorale dans les secteurs influencés par le nationalisme conservateur. Il a réussi jusqu'ici à empêcher la percée du Parti conservateur, si ce n'est dans certaines régions du Québec. Il maintient donc un important soutien électoral qui le place au premier rang des partis fédéraux au Québec.

La prochaine échéance électorale (au printemps ou à l'automne 2025) risque de déboucher sur la prise du pouvoir par le Parti conservateur du Canada, même si rien n'est jamais joué et que la volatilité de l'électorat peut provoquer encore des surprises. Il reste que face à la montée du PCC, l'échéance électorale va poser des défis majeurs à la gauche et à QS en particulier. Le soutien au NPD (qui a été la cinquième roue du carrosse libéral) ou au Bloc québécois (qui n'a pris aucune distance face au gouvernement de la CAQ), n'offre pas de perspectives cohérentes pour la gauche indépendantiste.

3. La politique caquiste : une politique anti-populaire, antiécologiste, antiféministe qui commence à délégitimer ce gouvernement et à abaisser son soutien auprès de la population

La politique économique du gouvernement Legault s'articule autour d'une politique industrielle qui vise à attirer des multinationales manufacturières en leur offrant de l'électricité à faible coût, de généreuses subventions et l'accès à des ressources minières. Il refuse de réformer la loi des mines marquée par le free mining, alors que le Québec connaît une véritable prolifération de claims miniers, ce qui annonce un véritable pillage de nos ressources pour satisfaire les multinationales, ainsi que l'aggravation de la pollution des terres et des eaux du Québec. Cela est d'autant plus alarmant que le gouvernement a tendance à permettre à des entreprises polluantes de ne pas tenir compte des normes environnementales et de mettre de l'avant des projets qui leur permettent d'éviter des études du BAPE. L'exemple de Northvolt en est un éloquent. Le ministre de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs se fait davantage l'accompagnateur des entreprises pour éviter leurs obligations environnementales. Il est prompt à balayer du revers de la main les propositions écologiques des citoyens et des citoyennes des différentes régions et des institutions qui les représentent. Il s'est même fait le représentant de l'industrie forestière dans le dossier de la biodiversité en s'attaquant aux propositions visant à protéger le caribou forestier.

Ses investissements dans l'éolien, soit public avec Hydro-Québec, soit privé en ouvrant la possibilité de production énergétique à des entreprises privées, est exemplaire à cet égard. Il s'agit d'inscrire le Québec comme fournisseur de marchandises pouvant alimenter les entreprises américaines, particulièrement dans le domaine de l'automobile. Ce modèle économique refuse de reconnaître l'urgence climatique. Il s'inscrit dans la logique croissanciste, où décroissance, sobriété et économie d'énergie ne tiennent aucune place significative. Au niveau du transport, cette politique vise le maintien de l'auto solo et l'électrification du parc automobile, ce qui ne résoudra pas les dépenses importantes de ressources et d'énergie et qui nécessitera d'importants investissements dans les infrastructures routières. Les investissements dans les transports publics sont moins importants que ceux dans le transport individuel ; la surconsommation et le gaspillage demeurent très importants à ce niveau.

Si ces capitaux publics imposants sont mobilisés pour le développement de son modèle économique prédateur et écocidaire, ils ne sont pas disponibles pour des investissements massifs dans le secteur public, que ce soit au niveau du système de santé ou du système d'éducation. Au lieu de faire ces investissements, le gouvernement Legault privatise des pans entiers du système de santé. Après avoir fait la promotion des cliniques privées, il cherche maintenant à mettre en place des hôpitaux privés. Il s'affaire aussi à centraliser le système de santé dans une agence privée dont il a confié les rênes à des administrateurs et administratrices qui viennent du privé. L'éducation est également sous-financée et la part des écoles privées dans le réseau continue de se développer. À la mi-décembre 2023, Québec avait proposé des augmentations salariales de 9 % sur une période de cinq ans, tout en demandant aux travailleuses et travailleurs de la fonction publique de « faire preuve de flexibilité ». Son intransigeance face aux revendications des travailleuses et des travailleurs du secteur public (éducation et santé) s'est brisée face à l'intensité de la mobilisation et a amené son gouvernement à faire des concessions salariales aux salarié-es les moins bien rémunéré-es.

Le gouvernement de la CAQ encourage le développement des inégalités et refuse de prendre des mesures pour contrer l'inflation. La hausse du salaire minimum est si faible qu'elle ne permet nullement de répondre à la montée des prix, particulièrement dans le secteur de l'alimentation.

Il laisse la responsabilité de l'offre de logements dans les mains des entrepreneurs-euses immobiliers qui préfèrent construire des logements coûteux qui leur rapportent gros, plutôt que des logements répondant aux besoins de la majorité de la population. Le gouvernement ne prend aucune mesure contre les évictions faites par des grands propriétaires immobiliers et laisse ces derniers hausser le prix des logements sans frein ni plafond. Il refuse de reconnaître qu'un logement est un droit social et qu'il est nécessaire de démarchandiser la production de logements et de les offrir à bas coûts.

Pour masquer les conséquences sociales de ces différentes politiques et pour chercher à construire une rente électorale, le gouvernement de la CAQ, et particulièrement le premier ministre du Québec, cherche à faire peser sur les épaules de la population migrante la responsabilité de tous les maux de la société québécoise : crise du logement, accès difficile de la population aux services de santé, d'éducation et de garderie, développement de l'itinérance et détérioration de la santé mentale de la population. Cette démagogie est relayée par le Parti québécois et le Bloc québécois.

Non seulement le gouvernement de la CAQ développe une telle démagogie contre les personnes migrantes, mais il fait campagne pour la diminution par le gouvernement fédéral de l'accueil de réfugié-es. Il demande le transfert de pouvoir vers le Québec pour pouvoir bloquer les possibilités de regroupement familial. Il appelle à la diminution du nombre de migrant-es temporaires, alors que ce sont ces politiques qui ont favorisé la venue d'une main-d'œuvre corvéable et exploitable à merci.

Le gouvernement Legault n'hésite pas à nier l'existence du racisme systémique présent dans la société québécoise, vécu particulièrement par les populations autochtones.

4. Redéfinition des rapports de force entre les partis politiques québécois…

Le gouvernement de la CAQ connaît un recul profond. La population est de moins en moins dupe des politiques et des promesses du gouvernement de la CAQ. Ce dernier est d'ailleurs passé en seconde place dans les sondages d‘intentions de vote, et cela depuis des mois maintenant. Si ses promesses, que ce soient celles qui concernent le troisième lien à Québec, l'amélioration de l'accès au service de santé ou la présence de ressources enseignantes suffisantes dans le système scolaire ne se concrétisent pas, cela minera de plus en plus la crédibilité et le soutien à ce parti et à ses député-es.

Le PQ connaît une remontée : il se maintient à plus de 30% dans les sondages, en avance sur la CAQ. Comme parti d'opposition, il peut se dédouaner de toutes les difficultés vécues actuellement par la majorité populaire. La direction de Paul St-Pierre Plamondon (PSPP) a décidé de redéfinir le champ politique autour de la polarisation fédéralisme contre indépendantisme en mettant de l'avant la tenue d'un référendum sur l'indépendance du Québec dans un premier mandat et en stigmatisant l'inefficacité du positionnement de la CAQ sur un autonomisme incapable d'arracher des gains significatifs au gouvernement fédéral quant à ce qui a trait aux augmentations de transfert en santé et à la protection face à la centralisation du gouvernement fédéral qui n'hésite pas à occuper les champs de compétences du Québec.

Ce sont là d'habiles manœuvres sur un fond de nationalisme identitaire et régressif. Pour PSPP, l'indépendance s'identifie à la souveraineté-association, le gouvernement canadien y étant présenté comme un futur partenaire consentant. Plus, s'il propose la mise sur pied d'une armée québécoise, il n'hésite pas à affirmer qu'un Québec indépendant serait membre de l'OTAN et de NORAD, car « on va toujours demeurer loyal envers les intérêts géopolitiques de l'Amérique du Nord, notamment sur le plan des ressources et de la défense. »(Jérome Labbé, Radio-Canada, 18 octobre 2023)

Qu'est-ce que cela veut dire ? Dépenser 2% du budget du Québec sur l'armement pour satisfaire aux demandes de l'OTAN ? Défendre des politiques de libre-échange qui répondent d'abord aux besoins des États-Unis ? Produire plus d'électricité pour les besoins de l'industrie américaine comme s'apprête à le faire le gouvernement Legault ? Il cherchera bien sûr à conserver un vernis social et démocratique en disant appuyer le tournant écologique, mais sans aucune critique de fond cependant du modèle de développement proposé par la CAQ.

Le PQ se reconstruit dans un Québec où le nationalisme identitaire occupe une place de plus en plus importante. Pour le PQ, la défense de la nation québécoise passe par la baisse des quotas d'immigration et par la lutte pour l'homogénéité culturelle. Le refus du PQ de reconnaître la réalité de l'islamophobie et du racisme systémique, contre les Noir-es et les peuples autochtones notamment, démontre que le PQ refuse de comprendre les voies de la construction du Québec comme société multinationale et pluriculturelle.

Le Parti libéral du Québec peut profiter de cette repolarisation du champ politique autour de la question nationale pour se reconstruire. Les gouvernements Charest et Couillard, par leurs politiques néolibérales, les coupures massives qu'ils ont effectué dans les services publics, la répression et la criminalisation des mouvements sociaux et leur fédéralisme complètement à-plat-ventriste face au gouvernement fédéral, au mépris de la défense du moindre droit national du Québec, a conduit à une défaite catastrophique, qui l'a réduit pour l'essentiel à la région montréalaise et à la communauté anglophone qui lui ont permis de garder son statut d'opposition officielle à l'Assemblée nationale. Sa minorisation dans la population francophone a été telle que différents sondages ont révélé qu'il se maintenait entre 5 et 10% des intentions de vote dans les circonscriptions majoritairement francophones.

La polarisation du champ politique lui permettra sans doute de se présenter comme le seul défenseur conséquent du fédéralisme canadien, mais il devra surmonter sa crise de direction et être de capable de définir un fédéralisme coopératif dans le cadre d'une probable prise du pouvoir par le Parti conservateur du Canada en 2025. Rien ne dit qu'il sera capable de relever ces défis. Il veut déjà se présenter comme le meilleur défenseur des intérêts du patronat.

La direction de Québec solidaire propose une stratégie de recentrage inspirée par un électoralisme à courte vue. Pourquoi la direction de QS a-t-elle mis l'indépendance en marge de son discours durant la dernière campagne électorale ? Pourquoi a-t-elle refusé d'inclure la nécessité d'une nationalisation / socialisation des richesses naturelles, minières et forestières, dans sa plate-forme électorale ? Pourquoi n'a-t-elle pas cherché à préciser les conditions du développement d'une aspiration à l'élection d'une constituante dans la population du Québec ? Pourquoi a-t-elle ciblé les citoyen-nes et leur consommation avec la taxe sur les VUS au lieu de viser directement les grandes entreprises et leur volonté de continuer à utiliser les énergies fossiles et à produire des véhicules énergivores ? Pourquoi a-t-elle accepté de rentrer dans la logique des quotas d'immigration ? La réponse essentielle à l'ensemble de ces questions, c'est qu'elle a cherché non pas à poser la nécessité d'une société en rupture avec la société capitaliste actuelle, mais à se présenter comme une alternative gouvernementale qui pouvait aspirer à devenir à court terme l'opposition officielle. Cette stratégie a fait la preuve de son inefficacité. Québec solidaire est entré dans une période de stagnation. Pour imposer ses vues, la direction a rapetissé l'expression démocratique des membres du parti. Les démissions de la députée Catherine Dorion et de la porte parole féminine, Émilise Lessard-Therrien, ont été des symptômes du grippage démocratique et du recul des sensibilités féministes au sein du parti. Les débats autour de la reformulation du programme du parti et des statuts vont être l'expression d'un débat sur l'avenir de l'orientation fondamentale de Québec solidaire, soit celle d'un parti électoraliste et social-libéral soit celle d'un parti de rupture avec le capitalisme.

L'un et l'autre cherchera à reprendre les circonscriptions ravies par Québec solidaire au fil des ans, soit cinq au PLQ et sept au PQ. Ce n'est pas avec une stratégie encore plus réformiste que le parti pourra se défendre sur ces deux fronts. QS n'aura d'autre choix que d'affirmer sa singularité de parti de rupture sociale et écologique et de lier intimement l'indépendance du Québec à son projet social. Pour faire face à l'échéance électorale, QS a besoin d'un programme qui fait une critique radicale des politiques du gouvernement de la CAQ et se démarque clairement de la politique péquiste tant sur le terrain social que climatique et au niveau de sa conception de la stratégie pour l'indépendance.

5. Des mouvements sociaux sont traversés par des débats stratégiques importants

Le mouvement syndical a connu une série de mobilisations sans pareil des travailleuses et travailleurs du secteur public québécois. Les gains et les améliorations aux conditions de travail obtenus auraient été impossibles sans cette mobilisation exemplaire et sans l'appui de la population. Mais dans l'ensemble, le mouvement syndical s'est avéré incapable d'améliorer les conditions de travail et à faire reculer la précarité et la surcharge de travail vécues dans le secteur, ce qui aurait nécessité un réinvestissement massif et la planification d'une hausse significative du nombre des travailleuses et travailleurs de ces secteurs. Le mouvement syndical est miné par les politiques de privatisation dans le secteur de la santé et défendu par le renforcement de la précarité des différents personnels.

La réforme en santé et sécurité du travail a diminué le pouvoir syndical sur ce terrain. La nouvelle loi a été condamnée unanimement par le mouvement syndical ; mais elle a été imposée. Si elle étend finalement les droits en prévention à tous les secteurs de l'économie, elle réduit les pouvoirs, déjà très limités, que l'ancien régime accordait aux travailleurs et travailleuses. Elle réduit le temps de libération des représentant-es en santé-sécurité ce qui existait avant dans les quelques secteurs où la loi avait été appliquée.

Le mouvement syndical a été incapable de s'opposer à l'adoption de la Loi modifiant l'encadrement de la main-d'œuvre dans l'industrie de la construction (r-20). L'embauche des travailleurs et travailleuses des régions n'est plus protégée. La polyvalence des métiers a été imposée. Tous les amendements proposés par les organisations syndicales du secteur ont été rejetés. L'ensemble des propositions patronales ont été reprises.

Le mouvement syndical fait face à de nouveaux défis. Une partie de plus en plus importante du prolétariat est composée de travailleurs et travailleuses migrant-es sans droits, ce qui rend plus difficile leur organisation, sans parler des migrant-es sans statut qui n'ont pas de perspective de régularisation. De plus, l'extrême droite se renforce et cela préoccupe les organisations syndicales. La FTQ a d'ailleurs organisé une rencontre de réflexion sur la nécessité de passer à l'action contre l'extrême droite. (https://www.pressegauche.org/Passer-a-l-action-61843)

Pourtant, les directions des différentes centrales appellent au dialogue social. Lors de son bilan de rencontre avec le premier ministre Legault, le premier mai 2022, avant l'affrontement du Front commun, le président de la FTQ, Daniel Boyer, a affirmé avoir remarqué une ouverture du premier ministre au « dialogue social » qu'il n'avait pas autant perçue avant. (Lia Lévesque, 29 avr. 2022, Lia Lévesque La Presse Canadienne ). Même après la lutte du secteur public, l'ouverture du dialogue social est encore à l'ordre du jour.

Mais si les directions restent sur une orientation de concertation avec le gouvernement et le patronat et que le mouvement syndical est traversé par des orientations contradictoires, il existe également une orientation qui prône un syndicalisme de combat ou de transformation sociale, même si cette dernière demeure minoritaire. Différentes tentatives de regrouper la gauche syndicale ont vu le jour, même si elles sont restées minoritaires.

Plusieurs questionnements traversent les mouvements de femmes actuellement ; intersectionnalité, écoféminisme, prostitution pornographie, queer et trans. Les réponses se font difficiles. Mais ces tempêtes d'idées ne peuvent expliquer à elles seules l'état de désorganisation, de paralysie, de démission des organisations féministes. D'autres facteurs jouent, comme le manque de financement et conséquemment, de structuration, le pouvoir des femmes et entre femmes, les conflits intergénérationnels. La Fédération des femmes du Québec et l'R des Centres de femmes, les deux regroupements de femmes les plus connus, vivent cette crise actuellement et mettent en branle des moyens pour s'en sortir.

Tout cela se jouant dans un contexte de montée de l'extrême droite où les droits des femmes risquent d'être remis en question, que ce soit en Europe, en Argentine ou plus près de nous aux États-Unis, autour de l'avortement et, au Canada, sous un gouvernement conservateur. Les politiques gouvernementales doivent donc être scrutées à la loupe. Cela crée évidemment une pression additionnelle sur les organisations.

Le gouvernement Legault vient intensifier les débats avec le refus de reconnaître le racisme systémique et le Principe de Joyce ; il se refuse donc à reconnaître les revendications des femmes autochtones et la surexploitation des femmes racisées rendues pourtant visibles durant la pandémie. Les « anges gardiens » de monsieur Legault sont en fait majoritairement des femmes racisées. Ce même refus de reconnaître le racisme systémique lui permet de tout mettre sur le dos de l'immigration : crise de la santé, crise du logement, crise du travail, crise de l'itinérance. Crises dont les femmes subissent des conséquences graves.

Ce même gouvernement Legault refuse aussi de voir l'importance de la santé dans le bien-vivre d'une société en centralisant davantage la structuration du réseau et surtout en privatisant les services. Ce qui là aussi aura des conséquences graves sur la situation des femmes et surtout des femmes pauvres. Les travailleuses du secteur public, majoritaires à 75% dans la main-d'œuvre, goûtent aussi aux médecines du gouvernement caquiste. La dernière négociation du secteur public a permis aux plus bas salarié-es de faire un rattrapage salarial, mais l'indexation des salaires est loin de garantir le niveau de vie des gens. Les revendications sur l'organisation du travail n'ont pas fait l'unanimité. Les infirmières en savent quelque chose, elles dont la négociation ne réussit pas à se conclure.

Les politiques caquistes en matière d'environnement ne peuvent que faire augmenter l'écoanxiété. Elles s'axent uniquement sur la satisfaction des multinationales et des entreprises, que ce soit en fourniture d'énergie électrique à bas prix, en généreuses subventions, en outrepassant les lois environnementales actuelles et en promesses de toutes sortes. Tout cela au détriment d'une société pour le bien-vivre axée sur l'humain comme le revendique le mouvement des femmes, plutôt que sur le profit.

Les perspectives suivantes peuvent être esquissées. Tous les cinq ans, la Marche Mondiale des Femmes rappelle la nécessité d'agir mondialement, ensemble, entre le 8 mars 2025 Journée Internationale des femmes et le 17 octobre, Journée pour l'élimination de la pauvreté.

« Les Actions internationales, tous les 5 ans, sont des moments pour réaffirmer notre identité en tant que mouvement. Être « en marche » exprime l'idée de bouger et avancer librement, sans contrainte, et exprime la force des femmes organisées collectivement dans des associations, groupes et mouvements ; femmes avec diverses expériences, cultures politiques, ethnicités, mais avec un objectif commun, soit de surmonter l'ordre en place qui est injuste et qui cause violence et pauvreté. Notre solidarité internationale constitue également une partie de notre identité, ainsi que l'attention portée à ce qui arrive à nos sœurs dans d'autres parties du monde ». (Marche mondiale des femmes| Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF)

C'est autour de thématiques comme : « Nous continuerons à marcher contre les guerres et le capital, pour la souveraineté populaire et le bien-vivre » (Tiré du site Capiré La force féministe de la 13e Rencontre internationale de la MMF - Capire (capiremov.org) ) que les femmes à travers le monde, en 2025, vont marcher.

Ces perspectives d'action vont aider à unifier les militantes du mouvement des femmes en mettant tout le monde à la tâche autour d'un projet commun.

Cette action mondiale aura pour effet de remettre de l'avant la solidarité internationale, mais aussi les revendications féministes dans leur ensemble. Et, espérons-le, cela permettra le renforcement du mouvement des femmes au Québec.

Le mouvement écologiste et de lutte aux changements climatiques a connu une remontée après l'éclipse qu'il a connu sous l'effet de la COVID. Le mouvement s'est orienté vers une résistance à l'implantation du projet de croissance verte du gouvernement de la CAQ. C'est ainsi qu'a été publié le Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable autour des 14 revendications suivantes : pour une énergie publique sous contrôle démocratique ; pour un débat sur l'énergie au Québec ; pour une nouvelle politique énergétique au Québec ; pour une planification intégrée des ressources ; pour des mesures qui favorisent la réduction des demandes en énergie ; pour des plans contraignants visant une sortie graduelle et prévisible, mais rapide, des énergies fossiles ; contre le principe du pollueur payé ; contre la privatisation totale ou partielle d'Hydro-Québec ; pour la sauvegarde et le renforcement des pouvoirs de la Régie de l'énergie ; pour une transition juste pour les travailleurs et travailleuses ; contre une augmentation des tarifs d'électricité qui accentuerait la précarité et risquerait de ralentir la transition énergétique ; pour la protection du territoire ; pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones ; et pour le consentement des populations locales. Ce manifeste a été soutenu par nombre d'organisations environnementales, syndicales et populaires.

Ce sont les organisations des populations locales qui ont été au centre des mobilisations (avec les municipalités et les MRC) qui se sont opposées à l'installation du projet Northvolt et des projets de parcs éoliens sur les terres agricoles et contre le mépris du gouvernement de la CAQ de leurs revendications. Le mouvement syndical, particulièrement le SCFP-Hydro, a mené campagne contre la privatisation d'Hydro-Québec.

Mais le mouvement écologiste et de luttes aux changements climatiques est traversé par de nombreux débats stratégiques. Les travailleurs et travailleuses pour la justice climatique, qui regroupe des militant-es syndicaux en provenance particulièrement du syndicalisme enseignant cégépien a publié un manifeste qui proclame que « le syndicalisme doit devenir un écosyndicalisme : il doit défendre, bien plus que des salaires et des congés, des conditions de travail qui enrichissent et régénèrent notre milieu de vie. C'est en nous appuyant sur nos syndicats que nous pourrons contrer le ravage. Nous avons le pouvoir de sonner l'alarme et de forcer l'arrêt de la machine. Par notre intelligence démocratique, par nos actions de mobilisation, par la solidarité que nous bâtissons, par notre pouvoir de grève, nous pouvons renverser la vapeur. Les carburants fossiles sont aujourd'hui la principale menace à la préservation de l'humanité, mais aussi de l'ensemble du vivant. Il faut s'en libérer. La crise écologique ne se résoudra pas en achetant une voiture électrique. Ce sont les transports publics qu'il faut déployer partout, c'est le chauffage au gaz qu'il faut détrôner, ce sont nos manières d'habiter, de produire et de manger qu'il faut révolutionner. Le réchauffement climatique n'est plus une éventualité, c'est une réalité. Nous revendiquons la sortie des énergies fossiles d'ici 2030. » Ce regroupement travaille à créer les conditions politiques et organisationnelles de possibles grèves pour le climat. Ce travail en est à ses débuts, mais constitue une perspective essentielle pour construire le rapport de force nécessaire à bloquer les projets de croissance “verte”.

Des noyaux militants se sont intéressés à la théorie écologique, à l'analyse des luttes écologiques et à leur stratégie. Ce sont des groupes comme Polémos, de l'IRIS, de Rage climatique, de Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) et de Mob6600. Ils développent une réflexion qui leur permet d'esquisser la possibilité d'un monde « post-croissance ».

Mais tout un autre pan du mouvement écologiste reste engoncé dans la possibilité d'une croissance verte, de la nécessité de larges alliances avec des secteurs verts du patronat, de limiter leur stratégie à une politique de pression sur le gouvernement. Il y aurait même un « momentum mondial pour une relance solidaire, prospère et verte », soutient le G15+ qui serait la démonstration d'un mouvement d'ensemble dans la lutte aux changements climatiques. Fondé en mars 2020, par quinze leaders issus des domaines sociaux, syndicaux, environnementaux et d'affaires défendant des « mesures pour une relance, solidaire, prospère et verte, le G15+ regroupe le Conseil du patronat du Québec, la Fédération des chambres de commerce du Québec, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la Fondation David Suzuki, Équiterre, Vivre en ville, le Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement, le Chantier de l'économie sociale et bien d'autres. (G15+, Contribution aux initiatives de relance du gouvernement du Québec, Cahier de propositions - recommandations et fiches-projets, juillet 2020, https://www.g15plus.quebec/ )

Les postulats qui fondent leur action peuvent être résumés ainsi : la crise climatique est une occasion économique à saisir. Il faut mobiliser les capitaux pour investir dans les énergies renouvelables. L'économie québécoise doit prendre le tournant vert qui lui permettra de répondre aux besoins mondiaux de décarbonisation. Les gouvernements doivent aider les entreprises à prendre ce tournant.

Les revendications de la coalition G15+ sont complètement en phase avec le Plan pour une Économie verte de la CAQ : a) faire de la croissance verte une priorité et multiplier pour ce faire les occasions d'investissements rentables ; b) utiliser les impôts ou les taxes de la population pour aider les entreprises à passer à des technologies vertes et développer leurs capacités concurrentielles sur le marché mondial ; c) définir une énergie fossile comme le gaz naturel comme une énergie de transition et accepter la perspective du bouquet énergétique ; d) inscrire l'action gouvernementale dans une logique de croissance verte combinant réindustrialisation pour certains biens stratégiques et expansion des exportations sur le marché international ; e) viser une souveraineté alimentaire, mais sans remettre en question une industrie agro-exportatrice centrée sur la production carnée et utilisant des entrants qui, comme les pesticides, sont dévastateurs sur le plan écologique.

Les débats stratégiques dans le mouvement écologiste sont donc à l'ordre du jour.

Le mouvement antiraciste et de solidarité internationale s'est développé autour des mobilisations des peuples autochtones contre la négation par le gouvernement de la CAQ de l'existence du racisme systémique et pour dénoncer la politique de soutien au gouvernement israélien du gouvernement Trudeau dans son offensive et sa politique génocidaire contre le peuple palestinien de Gaza. La complicité du gouvernement de la CAQ à ce niveau a également été dénoncée. Les campements établis sur les campus universitaires sont à la pointe de ces mobilisations.

6. La défense d'une stratégie écosocialiste et écoféministe dans le cadre de la conjoncture actuelle.

La stratégie que nous défendons n'est pas une stratégie électoraliste alternative pour la construction d'un parti de gouvernement, mais bien celle d'une stratégie visant à construire le pouvoir dans la société par le renforcement de l'expression démocratique, de la combativité et de l'unité des différents mouvements sociaux antisystémiques.

La ligne de rupture que nous proposons pour rallier une majorité populaire, c'est celle défendant une société plurinationale et pluriculturelle qui nécessitera :

a) la remise en question de l'exploitation de nos ressources naturelles et de notre énergie par des multinationales étrangères ;

b) la planification démocratique de nos choix d'investissements pour une transition écologique véritable ;

c) la mise en place d'institutions politiques dépassant le strict cadre de la démocratie représentative. Ce qui se fera dans le cadre de l'élection d'une constituante visant l'établissement d'une république sociale ;

d) la lutte pour une société écoféministe assurant l'égalité de genre ;

e) le développement de nos services publics contrôlés par les usagers et les usagères et les personnes qui y travaillent ;

f) le refus de l'existence de secteurs de la société privés de droits, comme ceux des travailleurs et travailleuses temporaires et des sans-papiers ;

g) la liberté de circulation et d'installation de toutes les personnes migrantes ;

h) l'éradication du racisme systémique qui touche tant les peuples autochtones que les autres secteurs racisés de la population ;

i) une politique linguistique qui défend l'usage du français comme langue commune, mais qui refuse de faire des personnes immigrantes la cause du manque d'attractivité de la langue française et enfin :

k) le rejet d'une laïcité identitaire qui essentialise la réalité de la nation.

Ce ne sont là, rapidement esquissés, que certains axes, parmi d'autres, qu'il faudra préciser pour l'indépendance que nous voulons. C'est autour de ces axes programmatiques que nous voulons construire un Québec indépendant et solidaire.

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Solidarité avec la Palestine

15 octobre 2024, par Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF) — , ,
La Marche mondiale des femmes est indéfectiblement solidaire du peuple palestinien, en particulier des femmes et des enfants, qui subissent un assaut génocidaire permanent sous (…)

La Marche mondiale des femmes est indéfectiblement solidaire du peuple palestinien, en particulier des femmes et des enfants, qui subissent un assaut génocidaire permanent sous l'occupation israélienne.

octobre 7, 2024

Les opérations militaires brutales, les bombardements incessants et les déplacements forcés au cours de l'année écoulée font partie d'une campagne d'extermination calculée, visant la population civile à Gaza, à Jénine, en Cisjordanie et au Liban.

À Gaza, les forces d'occupation israéliennes ont mené un bombardement sans précédent depuis le 7 octobre 2023, tuant plus de 40 000 personnes, dont 60 % de femmes et d'enfants. Cette dévastation n'est pas un dommage collatéral, elle est intentionnelle et vise les maisons, les écoles, les hôpitaux et les lieux de refuge. La crise humanitaire à Gaza, exacerbée par un blocus qui dure depuis 17 ans, a privé les Palestiniens des produits de première nécessité comme la nourriture, l'eau, les médicaments et l'électricité. Il s'agit là de crimes de guerre qui se produisent avec l'approbation tacite de la communauté internationale.

Les femmes palestiniennes, en particulier dans des régions comme Jénine, sont confrontées aux souffrances aggravées des déplacements forcés, de la perte de leur maison et du refus systémique d'accès aux services essentiels tels que les soins de santé, l'éducation et la protection. Le siège de l'armée israélienne a détruit 80 % des infrastructures de Jénine, laissant des centaines de familles sans abri et créant des conditions de punition collective.

La situation au Liban est tout aussi désastreuse, les frappes aériennes israéliennes ayant entraîné la destruction de villages entiers, la mort de 414 personnes et le déplacement de 160 000 autres. Depuis plus de 60 ans, le Liban subit le traumatisme de l'occupation et des agressions violentes, les femmes et les enfants étant toujours en première ligne de la souffrance.

La Marche mondiale des femmes condamne ces crimes qui s'inscrivent dans le cadre du projet plus vaste d'occupation coloniale et de nettoyage ethnique mené par Israël depuis des décennies. L'incapacité de la communauté internationale à tenir Israël pour responsable a enhardi ce régime génocidaire, lui permettant d'agir en toute impunité.

Nous déclarons que la cause palestinienne n'est pas seulement une lutte de libération nationale, mais aussi une cause féministe. La violence actuelle touche de manière disproportionnée les femmes et les jeunes filles, les privant de leurs droits à la vie, à la dignité et à la liberté. Les conditions imposées par l'occupation israélienne – déplacements forcés, violences sexuelles, privation des services de base, et détention arbitraire des femmes dans les geôles israéliennes représentent une attaque directe contre leur corps et leur vie.

Nous sommes également aux côtés du peuple palestinien de Cisjordanie et de Syrie, où les colons israéliens, soutenus par leur gouvernement, continuent de mener des attaques violentes en toute impunité, déracinant des agriculteurs et tuant des civils. Cette agression s'étend au Liban et à la Syrie, perpétuant une crise régionale enracinée dans l'impérialisme, le colonialisme et le racisme.

Nous dénonçons les crimes historiques et continus de l'occupation israélienne qui, depuis 1948, ont violemment perturbé la coexistence pacifique des différents peuples de la région. L'utilisation délibérée de nourriture, d'eau et de fournitures médicales comme armes de guerre, associée à la destruction de l'environnement et à la guerre chimique, sont des indicateurs clairs d'une politique génocidaire visant à la destruction totale de la vie palestinienne.

Face à de telles atrocités, nous réaffirmons le droit du peuple palestinien à résister, à lutter pour sa libération et à réclamer sa terre. Nous appelons les mouvements féministes et anticolonialistes mondiaux, ainsi que les organisations de défense des droits de l'homme, à soutenir activement et visiblement la Palestine, en élevant la voix contre ces crimes et en demandant à leurs gouvernements de rendre compte de leur complicité.

Nous demandons aux Nations unies et à tous les organismes internationaux de mettre en œuvre les protections des droits de l'homme pour le peuple palestinien et de veiller à ce qu'Israël soit tenu pour responsable de ses crimes de guerre et de ses crimes contre l'humanité. Le chemin vers la paix et la justice commence par la fin de l'occupation et la libération de la Palestine.

Nous continuons à marcher pour les droits de nos corps, de nos terres et de nos territoires !

La Marche mondiale des femmes

octobre 2024

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