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La Ligue des travailleuses domestiques reçoit le Prix Orfinger-Karlin de la Ligue des droits humains

Ce dimanche 8 décembre, la Ligue des droits humains a décerné le Prix Régine Orfinger-Karlin à la Ligue des travailleuses domestiques de la CSC. Cette association rassemble des (…)

Ce dimanche 8 décembre, la Ligue des droits humains a décerné le Prix Régine Orfinger-Karlin à la Ligue des travailleuses domestiques de la CSC. Cette association rassemble des femmes sans-papiers de toutes origines qui travaillent comme aide soignantes, nounous, aide-ménagères, etc., en région bruxelloise et qui bataillent pour une reconnaissance de leur travail, invisible mais essentiel. Avec ce Prix, la Ligue des droits humains veut souligner la ténacité et le courage de la Ligue des travailleuses domestiques, ainsi que la force et la créativité de leurs actions.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Depuis 2018, la Ligue des travailleuses domestiques de la CSC, accompagnée par le CIEP MOC Bruxelles, soulève des montagnes pour faire reconnaître leurs droits. Ces femmes, sans-papiers, originaires d'Amérique latine, d'Asie (Philippines), ou encore d'Afrique, travaillent comme domestiques chez des particulier·ères, souvent dans des familles aisées. Elles nettoient les maisons, gardent les enfants ou prennent soin des personnes âgées. On estime que ces femmes sont entre 70 et 80 000 en Belgique.

Visibiliser les travailleuses invisibles

Ces travailleuses de l'ombre ont décidé de revendiquer haut et fort des droits : elles demandent un accès légal au marché du travail afin de mettre fin à la précarité de leur situation et de pouvoir cotiser à la sécurité sociale, ainsi qu'un accès aux formations d'Actiris pour les métiers en pénurie. Par ailleurs, les travailleuses domestiques exigent une protection juridique qui leur permette de porter plainte en toute sécurité et dignité contre les employeurs abusifs.

Ténacité et créativité

En remettant le prix Régine Orfinger-Karlin à la Ligue des travailleuses domestiques, la LDH souhaite mettre un coup de projecteur sur une cause méconnue et saluer la détermination et la créativité de cette association. Les travailleuses domestiques portent leurs revendications partout où elles le peuvent :en juin 2022, la Ligue des travailleuses a créé son propre Parlement sur la place du Luxembourg pour dénoncer l'exploitation et les violences auxquelles elles font face au quotidien et interpeller les ministres compétents. Le 25 novembre 2022, les travailleuses ont déposé une motion devant le Parlement bruxellois. Lors de la journée internationale du travail domestique en juin 2023, elles ont monté un procès fictif devant le Palais de justice de Bruxelles qui s'est soldé par la condamnation du gouvernement bruxellois pour son manque de courage politique. Dans la foulée, elles ont déposé plainte au Parlement européen pour signaler le non-respect de plusieurs directives européennes par la Région. En juin 2024, les travailleuses en grève ont créé leur gouvernement idéal et ont défilé lors d'un “gala” pour mettre en valeur leurs efforts. La force, la ténacité et la créativité de leur combat forcent l'admiration.

Bamko et le Collectif les 100 diplômées

Deux autres associations ou collectifs étaient nommés pour cette édition 2024 du Prix Régine Orfinger-Karlin, du nom de cette résistante et avocate des droits humains qui a marqué l'Histoire de la LDH : le Collectif les 100 diplômées qui bataille sans relâche pour l'accès à l'enseignement et au monde travail pour les femmes qui portent le foulard ainsi que Bamko, centre de réflexion féministe qui enrichit le débat autour de la lutte contre le racisme ou encore la décolonisation de l'espace public.

https://www.liguedh.be/la-ligue-des-travailleuses-domestiques-recoit-le-prix-orfinger-karlin-de-la-ligue-des-droits-humains/

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Lithium en Argentine : comment penser une transition juste et féministe dans le gouvernement Milei

17 décembre 2024, par Marí Fer, Terra Nativa - Amis de la Terre Argentine [Tiera Nativa - Amigas de la Tierra] — , ,
L'article de Terra Nativa - Amis de la Terre Argentine [Tiera Nativa - Amigas de la Tierra] aborde le contexte politique du pays et ses impacts sur la nature. Tiré de (…)

L'article de Terra Nativa - Amis de la Terre Argentine [Tiera Nativa - Amigas de la Tierra] aborde le contexte politique du pays et ses impacts sur la nature.

Tiré de Capire

04/10/2024 | Tierra Nativa – Amigas de la Tierra Argentina

Marí Fer

Le scénario politique, économique, social et environnemental en Argentine est marqué par des reculs permanents lorsque l'on parle de droits. L'extrême droite progresse simultanément et rapidement sur plusieurs fronts, affaiblissant notre démocratie et notre tissu social. Dans les premiers mois du gouvernement Milei, nous avons vu comment les impacts des politiques néolibérales touchent directement la vie des gens, en particulier dans les secteurs populaires, où l'État continue d'être absent et en recul constant. Le président cherche à imposer les règles du marché à toutes les relations sociales, ayant comme principal outil la destruction des structures de l'État. La réforme institutionnelle est telle que le Ministère de la déréglementation et de la transformation de l'Étata été créé, un organisme dont l'objectif est de « réduire les dépenses publiques ».

En même temps, quelques jours après l'investiture du gouvernement, le ministère de la Sécurité a créé le soi-disant Protocole pour le maintien de l'ordre public, un mécanisme de criminalisation des manifestations et des organisations sociales. Le protocole criminalise les blocages de rues et de routes, ce qui signifie que toute personne participant à une manifestation peut être considérée comme un criminel. Il convient de noter que le protocole n'est pas clair sur l'utilisation des forces de sécurité nationales et ne leur interdit pas expressément d'utiliser des armes à feu.

Ce contexte a conduit à l'institutionnalisation d'une série de mesures que le gouvernement met en œuvre depuis son arrivée au pouvoir : des milliers de licenciements dans l'État ; la réduction des ministères nationaux (dont le Ministère de l'Environnement et du Développement Durable et le Ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité) ; une dévaluation brutale de la monnaie nationale ; le retrait des subventions pour les transports et les services de base, avec de fortes augmentations des tarifs ; suppression du financement des universités publiques et du système scientifique national ; fermeture des médias publics ; fermeture des organismes nationaux axés sur la préservation des droits humains, des droits de la communauté LGBTQI+ et des peuples autochtones ; interdiction d'utiliser des concepts tels que « changement climatique », « agroécologie », « genre » et « biodiversité » dans les espaces liés à l'État ; suspension de la livraison de nourriture aux cuisines communautaires ; fin de la distribution de médicaments gratuits pour les patients atteints de cancer et de maladies chroniques ; coupes dans le budget du système de santé publique ; entre autres.

Cette combinaison d'actions affecte directement l'économie familiale, augmentant les taux de pauvreté et d'indigence. L'une des dernières actions du gouvernement a été d'opposer son veto à une loi qui proposait d'augmenter le montant minimum de la retraite pour plus de 8 millions de retraités, qui sont actuellement en dessous du seuil de pauvreté.

Ce revers s'est produit à travers le projet de loi « Bases et points de départ pour la liberté des Argentins », qui a été approuvé par le Congrès national malgré des mobilisations populaires massives contre lui. Alors que le projet de loi était débattu au Parlement, les forces de sécurité nationales ont brutalement réprimé les manifestations. Selon le Centre d'études juridiques et sociales (CELS), la répression a laissé 665 personnes avec différents types de blessures dans la seule ville de Buenos Aires. 47 travailleurs des médias ont été blessés et 80 personnes ont été arrêtées arbitrairement lors de manifestations dans les villes de Córdoba, Rosario et Buenos Aires. Le dernier d'entre eux a été libéré après trois mois dans une prison de haute sécurité pour « terrorisme » et « tentative de coup d'État ».

Au sein de cette énorme loi de réforme de l'État se trouve le grand Programme d'incitation à l'investissement (RIGI). Avec cette nouvelle structure, il cherche à stimuler les investissements dans les mines, le pétrole, le gaz et l'agriculture pendant 30 ans grâce à des politiques fiscales et douanières qui ne profitent qu'aux capitaux étrangers. RIGI cherche à consolider un modèle de spécialisation productive dans lequel l'Argentine est un simple exportateur de matières premières, dans un processus dirigé par des entreprises transnationales et sans aucune articulation avec la structure productive nationale. En vertu de ce régime, les sociétés transnationales doivent fournir 40 % de l'investissement initial au cours des deux prochaines années. À partir de la troisième année, ils pourront utiliser totalement gratuitement les dollars générés par les exportations, ce qui réduira à l'avenir la disponibilité de devises étrangères dans le pays. De plus, ils pourront bénéficier d'avantages fiscaux pendant trente ans.

Carte de la colonisation contemporaine : le lithium en Argentine sous contrôle transnational

Le lithium est un bien naturel commun qui joue un rôle stratégique dans la transition énergétique et est crucial dans le différend géopolitique. Pour aborder cette question de manière globale, en plus du RIGI, il est essentiel d'analyser la performance internationale de Milei, qui est pleinement alignée sur les intérêts des États-Unis. Depuis son entrée en fonction en tant que président, Milei a effectué 12 voyages à l'étranger,passant 47 jours à l'extérieur du pays, les États-Unis étant la destination la plus fréquente. Ses liens avec Elon Musk, qui est également à l'origine du lithium argentin pour sa société Tesla, sont bien connus. Lors de l'un de ses nombreux voyages aux États-Unis, Milei a rencontré l'homme d'affaires, concluant des accords pour éliminer « les obstacles bureaucratiques et promouvoir le marché libre ». Une autre de ses destinations était l'Espagne, où il a présenté son livre Capitalismo, socialismo y la trampa neoclásica [Capitalisme, socialisme et piège néoclassique] et il a assisté à un événement pour le parti d'extrême droite Vox.

L'Argentine est le pays qui possède les deuxièmes plus grandes réserves de lithium au monde et forme, avec le Chili et la Bolivie, ce que l'on appelle le « triangle du lithium ». Alors que ce minéral est considéré comme une ressource stratégique dans des pays comme le Chili, la Bolivie et le Mexique, en Argentine les lois continuent de répondre aux intérêts des grandes entreprises. La perte de souveraineté nationale sur nos actifs stratégiques ouvre la voie à un pillage illimité par les sociétés transnationales. Ainsi, un modèle économique dépendant et extractif se perpétue qui génère de la pauvreté dans les régions où la richesse est extraite.

Le lithium a commencé à être exploité dans les années 1980. Cependant, son exploitation s'est intensifiée au cours des première et deuxième décennies des années 2000. Les exportations de lithium ont augmenté rapidement depuis lors. En Argentine, la production de lithium a augmenté de 72,2 % entre 2015 et 2020, selon les données du Secrétariat des mines de 2021.

Chez Tierra Nativa, nous avons fait une carte des projets de lithium en opération dans le pays. Elle montre l'extranéité qui caractérise le contrôle de cette production. Cette cartographie géoréférencée révèle la concentration de projets de lithium sous le contrôle de sociétés transnationales du Nord, ce qui en fait un outil fondamental pour comprendre les nouvelles formes de colonialisme économique et environnemental à l'œuvre dans notre région. En même temps, cela nous permet de réfléchir à des stratégies pour une transition énergétique juste.

Élaboré par : Giuliana Alderete
Pour une transition juste, féministe et populaire

Actuellement, l'ère des ressources non renouvelables telles que le pétrole et le gaz naturel touche à sa fin, et cela n'est pas seulement dû à la finitude de ces ressources, mais aussi aux vastes preuves scientifiques sur la grande pollution qu'elles génèrent, contribuant à l'accélération du changement climatique. Cette question est à l'ordre du jour du Nord, du Sud, des organisations multilatérales, des États et, surtout, des grandes entreprises.

Notre système énergétique est un système colonial dominé par les grandes transnationales, avec concentration de la propriété, privatisation des entreprises publiques, augmentation de la consommation et plus grande participation du pouvoir des entreprises à la politique énergétique des États. L'Amérique latine et les Caraïbes, ainsi que l'Afrique et une grande partie de l'Asie, se caractérisent par l'exploitation des territoires et des zones sacrifiées. Les peuples autochtones, les Noirs et les communautés paysannes sont en première ligne contre les projets extractifs à grande échelle dans notre Sud.

La précarité énergétique est une réalité dans nos pays et creuse les inégalités. La marchandisation de l'énergie et les tarifs élevés empêchent les familles pauvres d'avoir un accès garanti à ce service. L'utilisation du bois de chauffage et du charbon de bois pour cuisiner augmente encore plus en temps de crise et affecte particulièrement la vie quotidienne et la santé des femmes, qui sont responsables des tâches de soin et de reproduction de la vie.

Le secteur de l'énergie est l'un des principaux responsables des conflits environnementaux et des violations des droits des peuples et des territoires. La politique énergétique est profondément liée à la géopolitique, aux politiques de développement et aux intérêts du capital transnational dans les secteurs de l'agro-industrie, des combustibles fossiles et des mines. Le contrôle des réserves et la contestation des sociétés transnationales pour l'exploitation de ces réserves font partie des motivations des coups d'État et des interventions dans les processus politiques des pays d'Amérique latine. Cela était évident lors du coup d'État en Bolivie en 2019, avec l'arrivée de la société d'Elon Musk au Brésil sous le gouvernement Bolsonaro et sa récente arrivée en Argentine sous le gouvernement Milei.

Le différend sur cette « transition » affecte nos démocraties. Par conséquent, cela affecte également la vie juste et souveraine de nos peuples. Il est nécessaire et urgent de réfléchir à la manière dont nous allons nous organiser pour que cette transition se fasse dans une perspective féministe et populaire. C'est-à-dire un processus qui construit, en même temps, des stratégies contre les différents systèmes d'oppression de genre et de classe et contre le racisme, le colonialisme, le fascisme et l'impérialisme.

En ce sens, Tierra Nativa défend la souveraineté économique et politique des États, la nationalisation des actifs stratégiques, la construction populaire des politiques publiques et de la planification de l'État, et le renforcement des liens régionaux en tant que stratégie fondamentale. Notre intention est que ce débat serve de contribution pour continuer à réfléchir à de nouveaux horizons.

Édition par Bianca Pessoa
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : espagnol

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« Tout le tribunal a envie de te violer »

17 décembre 2024, par Syndicat-magistrature — , ,
Alors que la société française prend, année après année depuis le début de #Metoo, la mesure du caractère structurel des violences sexistes et sexuelles, les attentes fortes de (…)

Alors que la société française prend, année après année depuis le début de #Metoo, la mesure du caractère structurel des violences sexistes et sexuelles, les attentes fortes de justice suscitées par cette prise de conscience se heurtent encore à des formes d'inertie ou de résistances de l'institution judiciaire et de ses membres.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Dans ce contexte, le Syndicat de la magistrature a décidé d'évaluer l'ampleur de ces comportements au sein même de l'institution judiciaire et questionner les rapports de genre. Il s'agissait d'interroger la capacité de l'institution judiciaire à jouer son rôle dans le traitement, la sanction et la réparation de ce type de faits.

Le Syndicat de la magistrature a ainsi adressé à l'ensemble des magistrat·es un questionnaire, sous la forme d'une enquête dite de victimation. Il leur a été demandé s'ils·elles avaient déjà été victimes ou témoins de VSS au sens large au sein de l'institution judiciaire. Une série de questions leur a été posée sur la nature des faits, l'éventuel rapport hiérarchique avec l'auteur, les conséquences des faits, la manière dont a été traité leur signalement en interne, etc.

Les 525 réponses complètes obtenues (qui s'ajoutent aux 447 formulaires partiellement ou totalement remplis mais non validés, soit 972 au total) permettent d'esquisser l'ambiance sexiste, homophobe et transphobe dans la magistrature.

La note publiée ce 5 écembre 2024 (ci-dessous), intitulée « Tout le tribunal a envie de te violer – note sur les violences sexistes et sexuelles dans l'institution judiciaire », analyse les réponses au questionnaire envoyé, dresse un état des lieux de la question et propose des pistes d'amélioration.

Ce premier travail a vocation à ouvrir de nouveaux débats et à initier des changements pour les personnels de justice mais aussi – et surtout – pour les justiciables, qui attendent légitimement une réponse à la hauteur des enjeux à l'œuvre pour notre société.

Télécharger la « Note sur les violences sexistes et sexuelles au sein de l'institution judiciaire »
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Introduction

Alors que la société française prend, année après année depuis le début de #Metoo, la mesure du caractère structurel des violences sexistes et sexuelles, les attentes fortes suscitées par cette prise de conscience vis-à-vis de la Justice se heurtent encore à des formes d'inertie ou de résistances auprès de certain·es magistrat·es. C'est dans ce contexte que des débats ont émergé, au sein du Syndicat de la magistrature, sur la nécessité d'évaluer l'ampleur de ces comportements au sein même de l'institution judiciaire. Après tout, pourquoi les tribunaux, les cours d'appel, l'École nationale de la magistrature, les services de l'administration centrale, échapperaient-ils à ce phénomène ? Les hommes et les femmes de justice sont, comme leurs concitoyen·es, aux prises avec les structures patriarcales de notre société. Si certains faits très graves font l'objet de poursuites pénales ou sont sanctionnés disciplinairement, des gestes ou des propos problématiques, s'apparentant parfois à des délits, sont évoqués au détour de conversations de couloir ou de cantine, ici et là, sans pour autant susciter de réaction institutionnelle. Alors que les auditeur·rices de justice – magistrat·es en formation – ont courageusement commencé à aborder cette question et que le principe d'un projet d'étude sur le sujet au sein du ministère de la Justice a été récemment adopté, aucune enquête approfondie n'a pour l'heure été menée.

S'interroger sur les violences sexistes et sexuelles qui seraient commises entre les professionnel·les de la justice, ce n'est donc pas seulement questionner les rapports de genre en son sein, c'est aussi et d'abord interroger la capacité des membres de l'institution judiciaire à jouer leur rôle dans le traitement, la sanction et la réparation de ce type de faits. Autrement dit, comment un procureur qui tente d'embrasser une auditrice de justice dans un couloir du tribunal orientera-t-il les enquêtes qu'il supervise dans ces matières ?

Il est rapidement apparu que la seule manière d'objectiver les violences sexistes et sexuelles dans la magistrature était d'interroger les magistrates et magistrats sur ce dont ils et elles avaient été victimes et/ou témoins. Un groupe de travail interne au syndicat a été constitué, notamment afin d'établir un questionnaire qui a ensuite été adressé à l'ensemble des juges et parquetier·ères de France ; sur environ 9 000 magistrat·es et auditeur·ices de justice, 525 y ont répondu, taux de réponse qui permet d'obtenir un premier aperçu de la situation, d'autant plus qu'au sein de la justice comme ailleurs, témoigner de ces faits, y compris de manière anonyme, est loin d'être une évidence.

Notre enquête conduit à un premier constat : l'institution est bien confrontée aux violences sexistes et sexuelles, très majoritairement sous la forme de propos ou de faits de harcèlement, mais également sous la forme d'agressions sexuelles et de viols. Les réponses mettent en évidence que ces violences sont le fait d'un double rapport de domination de genre et de hiérarchie, au sein d'une institution pyramidale. Les répondant·es se sont tous·tes dit·es en attente de réaction de la part d'une institution qui, à l'évidence, ne parvient pas à prévenir et traiter correctement ces situations. Ce premier travail d'état des lieux, d'analyse et de propositions a vocation à ouvrir de nouveaux débats et changements pour les personnels de justice mais aussi (et surtout), pour les justiciables qui attendent légitimement une réponse à la hauteur des enjeux à l'œuvre pour notre société.

https://www.syndicat-magistrature.fr/toutes-nos-publications/nos-guides-et-livrets/note-vss-2024/

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Lettre ouverte aux négociateurs de l’Arizona : "Pas de traversée du désert pour les droits des femmes !"

À l'heure où l'avenir de notre État fédéral se joue entre vos mains, au gré de vos négociations, coups de force, de poker ou de théâtre, nous tenons à vous faire part de notre (…)

À l'heure où l'avenir de notre État fédéral se joue entre vos mains, au gré de vos négociations, coups de force, de poker ou de théâtre, nous tenons à vous faire part de notre sérieuse inquiétude quant au sort réservé aux droits des femmes.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Messieurs,

Nous, associations luttant quotidiennement pour une société plus égalitaire et plus juste, avons pris connaissance des déclarations de politique régionale et communautaire, en Wallonie comme en Flandre, et constatons amèrement qu'elles nous donnent plus de craintes pour l'avenir que de garanties pour nos droits. Au nord comme au sud du pays, les lunettes de genre semblent absentes sur des questions aussi cruciales que le logement ou l'emploi, et les chapitres « égalité » apparaissent bien maigres. L'accueil de la petite enfance, enjeu central pour l'accès des mères au marché du travail, se voit contaminé par des logiques marchandes et l'introduction, voire le renforcement, de priorités données aux parents qui travaillent porte atteinte au principe d'égalité entre les enfants.

« Ce qui filtre (ou ne filtre pas) des négociations est loin de nous rassurer »

À partir du moment où les mêmes partis – les vôtres – sont à la manœuvre dans les régions et au fédéral, comment ne pas redouter des politiques similaires pour votre futur gouvernement ? Ce qui filtre (ou ne filtre pas) des négociations de l'Arizona est par ailleurs loin de nous rassurer. Les réformes socioéconomiques sur la table risquent une fois de plus de toucher davantage les femmes, puisqu'elles sont statistiquement déjà plus pauvres que les hommes. La lutte contre les violences, ou pour l'égalité entre les femmes et les hommes ? Des non-sujets, semble-t-il. Sauf quand il s'agit de revenir en arrière, en proposant de supprimer les quotas de genre dans les CA des entreprises ? En Arizona, les droits des femmes pèsent peu face aux intérêts économiques…

Messieurs, l'avenir du pays, une fois encore, semble se décider « entre hommes ». Bien sûr, vous ne manquerez pas d'objecter : « Nul besoin d'être une femme pour mener des politiques d'émancipation pour tous et toutes ». Alors prouvez-nous que les enjeux d'égalité et que les droits des femmes, enjeux vitaux – car oui, il s'agit parfois de vie ou de mort ! – sont au cœur de vos préoccupations et de vos politiques. Montrez-nous que nos craintes ne se justifient pas et que la lutte contre les discriminations et les violences fondées sur le genre vous concerne au premier chef.

Laissez-nous tout d'abord vous rappeler qu'adopter des lunettes de genre pour chaque politique porte un nom : le gender mainstreaminget son corollaire, le gender budgeting. En l'occurrence, c'est une loi, donc une obligation à laquelle vous devrez vous conformer : celle d'évaluer en amont l'impact qu'aurait une mesure sur les femmes et sur les hommes et de rectifier le tir si cet impact devait se révéler différent en fonction du genre, donc discriminant. Cette application rigoureuse de la loi gender mainstreaming est un préalable et sous-tend dix mesures que nous estimons indispensables pour les droits des femmes et que nous vous conseillons fortement d'inscrire dans votre déclaration de politique générale (dix mesures qui ne sont pas listées ici par ordre de priorité) :

1.Créer un ministère des Droits des femmes et de l'Égalité de genre, de plein exercice, doté de moyens suffisants et maintenir la Conférence Interministérielle Droits des femmescomme outil de coordination des politiques d'égalité menées par les différentes entités fédérées, selon les principes de fonctionnement tels que définis sous la précédente législature.

2.Élaborer un nouveau plan d'action national de lutte contre les violences basées sur le genre (PAN) assorti d'un budget conséquent, avec pour boussole laConvention d'Istanbul, en partant de l'évaluation du PAN 2021-2025 et avec une implication directe et structurelle de la société civile. Nous veillerons aussi à la mise en œuvre effective de la loi « Stop Féminicide ».

3.Améliorer la loi sur l'avortement selon les recommandations du rapport du groupe d'expert∙es multidisciplinaires, remis au Parlement en avril 2023, dont l'allongement du délai jusqu'à 18 semaines post-conception, la fin des sanctions pénales pour les femmes et les médecins et la suppression du délai de réflexion.

4.Supprimer le statut de cohabitant·e et permettre à tous, et surtout à toutes, la constitution de droits sociaux propres, personnels et assurantiels, dans une logique de sécurité sociale forte et égalitaire sans sabrer dans d'autres mécanismes comme les allocations de chômage. Nous nous opposons fermement à toute mesure visant à limiter les allocations de chômage au-delà de deux années !

5.Garantir une pension minimum digne et égalitaire, réellement accessible aux femmes, ce qui implique de supprimer la condition de vingt années de travail effectif (et certainement pas d'augmenter le nombre d'années !), de tenir compte de toutes les périodes assimilées, qu'elles soient prises pour des raisons de soin (crédit-temps pour s'occuper des enfants, par exemple) ou liées à une inactivité involontaire (incapacité/invalidité de travail), et de revaloriser les années travaillées à temps partiel. Alors que l'écart de pension entre femmes et hommes est déjà de 26%, nous nous inquiétons fortement d'une réforme qui viendrait encore appauvrir de nombreuses pensionnées.

6.Transformer le SECAL (service des créances alimentaires) en un fonds universel et automatique des créances alimentaires tel que préconisé par l'étude de faisabilité confiée par l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes à la KU Leuven et l'Université d'Anvers etpubliée en octobre 2024.

7.Prendre en compte les spécificités genrées des parcours migratoires féminins, dont les violences que fuient les femmes, celles qu'elles rencontrent dans leur parcours etdans le pays d'accueil, dans le cadre d'une politique migratoire respectueuse de l'État de droit, de la Convention de Genève, de la Convention d'Istanbul et des droits humains fondamentaux.

8.Élaborer un plan d'action national contre le racisme, selon l'engagement pris par la Belgique à la Conférence de Durban de 2001, avec une réelle approche intersectionnelle et décoloniale qui reconnaît les formes de racisme qui affectent spécifiquement les femmes.

9.Revaloriser les métiers du soin, majoritairement féminins, dont on a vu le caractère essentiel durant la crise sanitaire, ce qui passe par une revalorisation salariale, de meilleures conditions de travail, une reconnaissance de la pénibilité de ces métiers et des maladies professionnelles qui y sont associées. Nous nous opposons fermement à toute coupe dans le secteur de la santé et du non-marchand ainsi qu'à tout ce qui mène à des emplois de plus en plus précaires qui rendent malades et ne permettent plus de vivre dignement (comme par exemple, l'élargissement des flexi-jobs à ces secteurs).

10.Garantir et renforcer les congés thématiques en les rendant plus accessibles, mieux rémunérés et mieux partagés. Pour que la conciliation entre nos vies professionnelle et familiale cesse de reposer sur les épaules des mères, et de les appauvrir !

Messieurs, il est grand temps de tenir compte de la moitié de la population belge dans vos négociations. Les droits des femmes et l'égalité de genre ne sont ni une matière résiduelle, ni une variable d'ajustement budgétaire ou un objet de marchandage politique. L'objectif de l'égalité demande de l'ambition, de la volonté politique et des moyens. Ne rien faire, c'est déjà reculer. Nous ne tolérerons aucun recul sur nos droits !

Signataires :
Carte blanche coordonnée par Vie Féminine et le Vrouwenraad
Awsa-Be (Arab women's solidarity association – Belgium)
BruZelle asbl
Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales (CPVCF)
Collectif contre les violences familiales et l'exclusion (CVFE)
Collectif des femmes
Des Mères Veilleuses
Elles pour Elles asbl
La Fédération des services maternels et infantiles (FSMI)
La Fédération Laïque de Centres de Planning Familial
Femmes CSC
Fem&Law
Furia
GACEHPA (Groupe d'action des Centres extrahospitaliers pratiquant l'avortement)
Garance
Jump, Solutions for equity at work
La Voix des Femmes
Le Monde selon les femmes
Mode d'Emploi asbl
Sofélia
Solidarité Femmes La Louvière
Soralia
Synergie Wallonie pour l'égalité entre les femmes et les hommes
Université des Femmes
Vie Féminine
Vrouwenraad (et ses membres)

Mis en ligne le 27 novembre 2024
https://www.axellemag.be/lettre-ouverte-feministes-negociateurs-arizona/

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Les Etats-Unis de Donald Trump : quels possibles contours sur le plan international ?

17 décembre 2024, par Tom Stevenson — , ,
Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ne peut rivaliser avec le choc de son accession en 2016. Toutefois, il oblige à opérer un véritable changement de (…)

Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ne peut rivaliser avec le choc de son accession en 2016. Toutefois, il oblige à opérer un véritable changement de perspective historique. En 2020, la victoire de Joe Biden a été considérée par les adversaires nationaux et internationaux de Trump comme une libération d'une crise de démence. Or, en 2024, c'est le mandat unique de Biden qui ressemble à une interruption de l'ère Trump provoquée par le Covid. En matière de politique étrangère, Trump a toujours suscité la confusion. Fut-il, lors de son premier mandat, une menace pour l'ordre mondial dirigé par les Etats-Unis ou une sorte de révélateur du véritable visage de cet ordre mondial ? Et qu'aurait fait exactement Trump si ses toquades n'avaient pas été si souvent contrecarrées par la bureaucratie de la sécurité nationale [politique de la défense nationale et des relations extérieures] et par sa propre incompétence ?

3 décembre 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/les-etats-unis-de-donald-trump-quels-possibles-contours-sur-le-plan-international.html

Ecrire sur Trump, c'est souvent sombrer dans la psychopathologie, ce qui est très bien dans la mesure où cela va de soi. Trump à Mar-a-Lago serait peut-être plus facile à supporter s'il ressemblait davantage à Tibère à Capri [allusion à l'empereur romain lors de son séjour de perverti à Capri au début de notre ère]. Mais loin d'être un libertin débauché, Trump est un abstinent forcené qui ne s'intéresse à rien d'autre qu'au pouvoir et à la célébrité. Cette prédilection pour le pouvoir conduit à évoquer le fascisme et l'Europe des années 1930, ou un despotisme oriental transposé. Il a toujours été facile d'essayer de voir Trump comme faisant partie d'un ensemble international de dirigeants autocratiques (Modi, Erdogan, Orbán, Duterte), chacun d'entre eux étant, en fait, davantage défini par des conditions nationales spécifiques que par une quelconque tendance générale.

En réalité, Trump est une figure extrême de l'Americana [ce qui a trait à l'histoire, la géographie, le folklore et la culture des Etats-Unis]. Il fait appel à une forme typiquement états-unienne de nationalisme mercantile assorti d'une certaine dose d'escroquerie. Ses contemporains analogues les plus proches – et ils ne sont pas si proches – se trouvent au Brésil et en Argentine. Mais il a toujours eu plus en commun avec ses adversaires états-uniens qu'ils ne veulent bien l'admettre.

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Que signifiera un second mandat de Trump pour le monde au-delà des Etats-Unis ? Il est difficile de faire des prévisions étant donné la nature fantasque de Trump et les récentes transformations du système politique des Etats-Unis. Ni les Républicains ni les Démocrates ne sont vraiment des partis politiques au sens du XXe siècle : ils ressemblent davantage à des regroupements mouvants d'entrepreneurs performants. La monnaie de la cour de Mar-a-Lago – avec ses comparses, ses sbires, ses acolytes, ses clans et ses lumpen milliardaires –, c'est la loyauté. La future directrice de cabinet de Trump, Susie Wiles, qui a dirigé sa campagne électorale et qui est à la tête de la faction de la « mafia de Floride » [comme la qualifie aussi The Economist du 26 octobre 2024], aura son mot à dire sur les personnes qui obtiendront l'oreille de Trump. Mais la pensée de ce dernier est une concoction instable. Trump est un guerrier passionné du deal qui se laisse parfois aller à une rhétorique anti-guerre. Son discours anti-empire peut être aussi peu sincère que la « politique étrangère pour la classe moyenne » de Jake Sullivan [telle que présentée en février 2021], le conseiller installé par Biden en matière de sécurité nationale. Tous deux font un clin d'œil à des sentiments qu'ils ne peuvent pas assumer. Après tout, une position anti-guerre impliquerait moins de pouvoir, ou moins d'utilisation du pouvoir. Or, s'il est favorable à quelque chose, Trump l'est pour le maximum de pouvoir.

Comme Biden avant lui, Trump donne le ton à la cour plus qu'il ne gère les affaires pratiques du gouvernement. Dans ces conditions, les nominations au sein du cabinet prennent une importance accrue. Certaines de ses nominations sont assez conventionnelles. Son choix pour le poste de conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz, est un soldat de Floride qui n'aurait pas été dépaysé dans l'équipe de George W. Bush [2001-2009]. Mike Waltz a passé une grande partie de ces dernières années à s'insurger contre le retrait des forces américaines d'Afghanistan [décidé par Trump en février 2020 avec un délai de 14 mois et mis en œuvre par Biden], qui, selon lui, allait conduire à un « Al-Qaida 3.0 ». En ce qui concerne la Russie et la guerre en Ukraine, il s'est insurgé non pas contre le coût financier pour les Etats-Unis, mais contre la stratégie « trop peu, trop tard » de Biden.

Pour le poste de secrétaire d'Etat, Trump a nommé Marco Rubio [sénateur de Floride depuis 2011], un autre membre de la faction néoconservatrice orthodoxe qui a un jour coécrit un article avec John McCain [sénateur de 1987 à 2018 de l'Arizona, qui a succédé à Barry Goldwater] dans le Wall Street Journal, affirmant que le renversement de Kadhafi conduirait à « une Libye démocratique et pro-américaine ». Marco Rubio [d'une famille d'immigrés cubains] est obsédé par des projets visant à déstabiliser Cuba, le Venezuela et l'Iran. En 2022 encore, il critiquait les louanges « malheureuses » de Trump à l'égard des services de renseignement de Poutine. Un dossier interne de sélection des Républicains (très certainement obtenu et divulgué par des pirates iraniens) note que « Rubio semble s'être généralement présenté comme un néoconservateur et un interventionniste ».

Si Trump a nommé à des postes importants des membres de second rang de l'establishment, c'est en partie parce que beaucoup de professionnels les plus compétents avaient migré vers les démocrates. Kamala Harris a été soutenue par la plupart des membres de l'équipe de sécurité nationale de George W. Bush, notamment Michael Hayden [militaire, directeur de la CIA de 2006 à 2009, directeur de la National Security Agency-NSA de 1999 à 2005], James Clapper [directeur du renseignement national de 2010 à 2017], Robert Blackwill [diplomate, membre du think tank important Council of Foreign Relations] et Richard Haass [assistant de George H. Bush et président du Council of Foreign Relations de 2003 à 2023] – un véritable « who's who » de l'establishment de la politique étrangère.

Cela a conduit les républicains à faire un peu de ménage dans leurs rangs. Pour le poste de directeur de la CIA, Trump a choisi John Ratcliffe [élu de l'Illinois 2015-2020], son dernier directeur du renseignement national [de mai 2020 à janvier 2021] au cours de son premier mandat. Il a été sélectionné pour sa loyauté politique plutôt que pour toute autre qualité. Pete Hegseth offre la perspective d'un secrétaire à la Défense qui croit que les guerres d'Israël sont un accomplissement de la prophétie biblique et que les soldats états-uniens ne devraient pas être punis pour avoir commis des « soi-disant crimes de guerre ». Hegseth est un représentant du contingent de Fox News qui a la bouche écumante. Il nous rappelle également que nombre de ces personnes ont peu de chances de durer, si tant est qu'elles parviennent à être confirmées dans leurs fonctions [par le Sénat]. Le choix de Tulsi Gabbard [membre de la Chambre des représentants de 2013 à 2021] comme directrice du renseignement national irrite les commentateurs centristes et les politiciens européens en raison de ses opinions trop peu critiques à l'égard de la Russie de Poutine. Elle est également un prétexte pour que des démocrates prétendent que le retour de Trump est le résultat d'une ruse russe plutôt qu'un événement pour lequel l'establishment démocrate pourrait avoir une part de responsabilité. Dans l'ensemble, les nominations de Trump ne démontrent aucune désapprobation de l'establishment de la sécurité nationale. La logique des choix semble suivre une loyauté de tribu plus qu'autre chose.

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Les républicains MAGA (Make America Great Again) aiment à se considérer comme différents des traditionnels fonctionnaires de Washington chargés de la sécurité nationale. Mais le sont-ils ? En juillet, Eliot Cohen, passionné de la guerre en Irak et cofondateur du Project for the New American Century [think tank néoconservateur créé entre autres par Dick Cheney, Robert Kagan, David Kristol, etc.], a décrit le programme politique de Trump comme étant « du réchauffé, et du réchauffé pas spécialement inquiétant d'ailleurs ». Selon Robert O'Brien, ancien conseiller de Trump en matière de sécurité nationale [de septembre 2019 à janvier 2021], il n'y a jamais eu de doctrine Trump, puisque ce dernier adhère « à ses propres instincts et aux principes états-uniens traditionnels qui sont plus profonds que les orthodoxies mondialistes de ces dernières décennies ». S'il y a eu un thème unificateur, Robert O'Brien insiste sur le fait qu'il a pris la forme d'une « réaction aux carences de l'internationalisme néolibéral ». Robert O'Brien, qui n'a pas reçu d'offre d'emploi dans la nouvelle administration, est à l'origine de la description de la philosophie de Trump comme étant « la paix par la force ». Il aime à dire que cette expression provient d'une citation un peu plus longue, qu'il attribue à tort à l'empereur Hadrien : « la paix par la force – ou, à défaut, la paix par la menace ». Cette phrase est en fait tirée d'un commentaire d'un historien moderne. Et comme beaucoup de choses chez Trump, « la paix par la force » est un héritage d'un ancien président des Etats-Unis : Ronald Reagan [janvier 1981-janvier 1989].

La politique étrangère de Trump présente des caractéristiques particulières, mais ce ne sont pas des aberrations. Les républicains MAGA sont prêts à peser de tout leur poids sur l'Amérique latine. Comme les démocrates, les alliés de Trump pensent que les Etats-Unis sont au cœur d'une deuxième guerre froide avec la Chine. La principale exception à la continuité entre Trump et Biden pourrait être l'Ukraine. Certaines personnalités proches de Trump, mais pas toutes, ont critiqué le soutien des Etats-Unis à l'Ukraine, principalement en raison de son coût élevé. La question de savoir si Trump mettra fin à ce soutien est probablement la plus importante sur le plan stratégique. Sous Joe Biden et Jake Sullivan, les Etats-Unis ont traité la guerre en Ukraine comme une possibilité d'affaiblir la Russie, et se sont peu souciés du fait que le prix pour cela soit payé en morts ukrainiens. Trump a affirmé qu'il mettrait fin à la guerre « avant même d'arriver dans le bureau ovale ». Mais la forme qu'il envisage pour cet objectif, si tant est qu'il l'ait imaginée, n'est pas claire. Il est probable qu'il aborde l'OTAN de la même manière qu'en 2018, avec de l'esbroufe et des menaces, mais sans conclusion. Les menaces risquent d'être un outil diplomatique très utilisé, quelle que soit leur efficacité.

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En ce qui concerne le Moyen-Orient, un membre de l'équipe de transition a déclaré que Trump était « déterminé à rétablir une stratégie de pression maximale pour mettre l'Iran en faillite dès que possible », même s'il convient de préciser que Biden n'a jamais tenté d'améliorer les relations avec l'Iran. Trump, comme Biden, est partisan d'Israël en tant qu'atout ou même expression de la puissance des Etats-Unis dans le monde. Les atrocités de la terre brûlée à Gaza sont le meilleur témoignage des conséquences horribles du consensus politique américain sur Israël. Pour une grande partie du monde, la destruction de Gaza sera le souvenir le plus marquant de la présidence de Joe Biden. Mais sous Trump, cela n'aurait pas été différent. Le problème, lorsqu'on présente Trump comme le signe avant-coureur de la fin d'un ordre international « éclairé », c'est qu'il pousse à se s'interroger sur ce qu'est réellement cet ordre. Au Liban, on dénombre 3500 morts [1], qui s'ajoutent aux dizaines de milliers de morts à Gaza. Les Etats-Unis ont soutenu Israël, qui avait sommé les forces de maintien de la paix de l'ONU (FINUL) de quitter le Liban et avait même attaqué leurs bases. Après l'élection présidentielle, le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer [Likoud, ex-ambassadeur aux Etats-Unis de 2013 à 2021], a rendu visite à Antony Blinken, secrétaire d'Etat de Biden, à Washington, et à Trump à Mar-a-Lago afin de discuter des opérations israéliennes au Liban. Le 15 novembre, le président du parlement libanais, Nabih Berry, a confirmé que des responsables à Beyrouth étudiaient un dit plan de cessez-le-feu proposé par les Etats-Unis. Le même jour, une frappe aérienne israélienne sur Tayouné, dans la banlieue sud de Beyrouth, a détruit un immeuble résidentiel de 11 étages. Au Liban, comme à Gaza, les Etats-Unis se sont posés en médiateurs distants tout en soutenant en pratique une agression brutale.

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Les héritiers néoconservateurs de Reagan, qui dirigent de nombreuses d'institutions, critiquent parfois la politique étrangère de Trump, non pas parce qu'il s'agit d'un désengagement du monde, mais parce qu'il s'agit d'un abandon de l'idéologie justificatrice de la puissance états-unienne. Lorsque vous renoncez à la profession trompeuse du respect des normes, des règles et de l'ordre international, vous renoncez également au jeu lui-même. La question de savoir si les Etats-Unis se sont jamais réellement soumis à des règles, quelles qu'elles soient, est abordée au mieux comme une question académique. La réalité à Gaza et au Liban est plus facilement ignorée que défendue. A cet égard, Trump est attaqué pour avoir rétabli la norme historique des Etats-Unis. Comme le dit Hal Brands – Henry Kissinger Distinguished Professor of Global Affairs à l'université Johns Hopkins [et intervenant à l'American Enterprise Institute] : sous Trump les Etats-Unis agissent « de la même manière étroitement intéressée et fréquemment exploiteuse que de nombreuses grandes puissances tout au long de l'histoire ». Trump n'est pas un isolationniste, pour autant que ce terme ait un sens utile, et ne propose pas de se retirer comme puissance mondiale. Au contraire, écrit Hal Brands, sur certaines questions, son administration « pourrait être plus agressive qu'auparavant ».

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Plus que tout autre homme politique états-unien, Trump a été associé au recentrage de l'attention impériale états-unienne en direction de la Chine. Mais dire que sa deuxième administration sera pleine de faucons visant la Chine ne rend pas compte de l'ampleur de la transformation qui s'est opérée à Washington depuis 2016. En ce qui concerne la Chine, l'administration Biden a repris tous les éléments du discours de Trump et en a ajouté quelques-uns. En juin 2024, le Council on Foreign Relations a organisé sa China Strategy Initiative pour discuter de l'avenir des relations entre les Etats-Unis et la Chine. La plupart des responsables de la politique étrangère qui s'intéressent à la Chine étaient présents. Dans son allocution d'ouverture, Kurt Campbell, haut responsable de la politique en direction de la Chine dans les administrations Obama et Biden, a souligné que « les caractéristiques essentielles de la stratégie états-unienne dans l'Indo-Pacifique font l'objet d'un accord largement bipartisan ». La preuve de l'efficacité de cette stratégie, a-t-il ajouté, est que la Chine et la Russie « considèrent nos partenariats transcontinentaux avec une inquiétude croissante ». Il est probable que Trump aborde la Chine de la même manière que Jake Sullivan, mais plus encore, de la mauvaise manière, mais plus rapidement.

S'il y a une question de politique étrangère sur laquelle Trump a été cohérent, c'est bien celle des droits de douane face aux exportations de la Chine et du protectionnisme en général. Cela fait très longtemps qu'il fait des déclarations, mal fondées, sur le déficit commercial des Etats-Unis. Son projet prévoit des droits de douane de 60% sur les importations chinoises et de 10 à 20% sur toutes les autres [y compris 25% pour le Mexique et le Canada, membres de l'Alena, au lieu de zéro sur la plupart des importations]. Les Etats-Unis sont une économie à dimension continentale et sont beaucoup moins orientés vers le commerce international que des pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne ou la Chine. Ils peuvent envisager des mesures drastiques que d'autres ne peuvent pas prendre. Mais les droits de douane imposés à un seul Etat sont souvent difficiles à appliquer, car les chaînes d'approvisionnement transnationales peuvent être modifiées pour les contourner. Des économistes compétents et agressifs tels que Robert Blackwill, qui a servi sous George W. Bush et rédigé une étude importante sur la « géoéconomie », ont pour la plupart soutenu Kamala Harris et ne sont pas actuellement disponibles pour aider Trump. Peut-être que certains reviendront du froid lorsque les courtisans loyalistes auront inévitablement tout gâché. Robert Lighthizer, le représentant américain au commerce pendant le premier mandat de Trump, pourrait bien reprendre son rôle [le Financial Times annonçait le 8 novembre qu'il avait été approché par Trump].

Le projet de tarifs douaniers à hauteur de 60% est la dernière manifestation d'une stratégie états-unienne plus générale à l'égard de la Chine que les démocrates ont qualifiée de puissance concurrente du XXIe siècle. En Chine, on considère qu'il s'agit d'un endiguement (containment). Les idéologues de l'orbite de Trump sont généralement plus combatifs sur cette question que ceux qui sont plus proches des démocrates. Pourtant, dans l'esprit du consensus bipartisan de Kurt Campbell [en charge pour l'Asie de l'Est et le Pacifique sous Obama de juin 2009 à février 2013, une fonction prolongée sous Biden], ils ne sont pas fondamentalement en désaccord. Trump n'a pas encore choisi son équipe chinoise, mais son intention d'étendre la guerre froide économique est dangereuse. Robert O'Brien estime qu'un second mandat de Trump entraînera davantage de mesures de containment, y compris « une attention présidentielle accrue aux dissidents et aux forces politiques susceptibles de défier les adversaires des Etats-Unis ». Cela n'augurerait rien de bon pour l'avenir des relations sino-américaines, qui sont déjà médiocres. Au cours des années Biden, selon le rapport annuel du renseignement national sur l'évaluation des menaces, la Chine a commencé à réorienter son dispositif nucléaire vers une compétition stratégique avec les Etats-Unis, en partie parce qu'elle s'inquiétait de l'augmentation de la « probabilité d'une première frappe états-unienne ». La Chine ne possède pas encore de forces nucléaires capables d'égaler celles des Etats-Unis, mais cette situation pourrait ne pas durer. La gestion de ce problème est rendue encore plus délicate par le caractère instable de Trump.

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En Europe, le retour de Trump a été accueilli avec le même sentiment de panique perplexe que sa victoire en 2016. Le 6 novembre, Le Monde titrait « La fin d'un monde américain ». La Frankfurter Allgemeine Zeitung a titré « Trumps Rache », soit « La revanche de Trump ». Les rumeurs d'un plan pour la guerre en Ukraine qui impliquerait de geler la ligne de front en échange de l'abandon par l'Ukraine de son adhésion à l'OTAN pour au moins vingt ans – édulcoré par une garantie compensatoire que les armes états-uniennes continueraient d'affluer – ne sont pas bien accueillies. Pourtant, personne ne croit que Trump démantèlera réellement la position militaire états-unienne en Europe. Elle a récemment été renforcée par une nouvelle base de défense antimissile en Pologne dont le personnel est composé de membres de la Marine des Etats-Unis. Il ne fait aucun doute que la Commission européenne s'efforce de trouver des moyens de protéger les économies européennes des répercussions des droits de douane voulus par Trump. Mais la réaction pavlovienne a été de profiter de l'occasion pour plaider en faveur d'une augmentation des dépenses militaires, ce qui ne contribue guère à l'investissement productif dont l'Union européenne a besoin.

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Un second mandat de Trump est clairement une catastrophe pour le peu d'efforts internationaux existants afin de coordonner la lutte contre le changement climatique. Sous Biden, les Etats-Unis ont pris la diplomatie climatique presque au sérieux. Dans la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act, août 2022), les Etats-Unis ont adopté une législation sur le climat qui allait au-delà de celle de tous les gouvernements précédents. Il est facile d'exagérer ces réalisations, qui sont tellement insuffisantes qu'elles relèvent de la négligence. Mais la position de Trump – « drill, baby, drill » – est certainement différente. Il y a fort à parier qu'il publiera une série de décrets démantelant les mesures limitées de transition énergétique actuellement en place aux Etats-Unis. En mai 2024, Wood Mackenzie, l'une des principales sociétés de recherche et de conseil du secteur de l'énergie, a publié un document indiquant que sa réélection « éloignerait encore davantage les Etats-Unis d'une trajectoire d'émissions nettes zéro ». L'équipe états-unienne à la COP29 (le deuxième sommet climatique successif organisé dans un grand Etat d'hydrocarbures – l'Azerbaïdjan) est apparue découragée.

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En Grande-Bretagne, on pourrait s'attendre à ce que le retour imminent de Trump provoque une remise en question de la portée des liens entre le pays et les Etats-Unis. Les tarifs douaniers sont évidemment préjudiciables aux intérêts commerciaux britanniques. Le 11 novembre, le président de la Commission des affaires et du commerce de la Chambre des communes, Liam Byrne (Labour), les a qualifiés de « scénario catastrophe ». La solution proposée par Liam Byrne était que la Grande-Bretagne négocie avec Trump une exemption des droits de douane en proposant de se rapprocher encore plus de la position états-unienne sur la Chine. Une réaction plus intéressante est venue de Martin Wolf dans le Financial Times. Il est d'accord avec Byrne pour dire que le gouvernement britannique devrait essayer de « persuader la nouvelle administration qu'en tant qu'allié proche et pays avec un déficit commercial structurel il devrait en être exempté ». L'offre proposée par Martin Wolf à Trump est une nouvelle augmentation des dépenses militaires. Cela pourrait ne pas fonctionner, mais « Trump apprécierait sûrement cette attitude soumise ».

Martin Wolf reconnaît que le retour de Trump implique des problèmes plus graves pour la Grande-Bretagne. Depuis la Seconde Guerre mondiale, affirme-t-il, le Royaume-Uni a cru que « les Etats-Unis resteraient le grand défenseur de la démocratie libérale et du multilatéralisme coopératif. Aujourd'hui, tout cela est plus qu'incertain. » Où était ce pilier de la démocratie au cours de la folie meurtrière internationale ininterrompue qui constitue le bilan des Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale ? Si les millions de morts au Vietnam, en Corée et en Irak n'ont pas remis en question l'alignement stratégique de la Grande-Bretagne sur les Etats-Unis, pourquoi la seconde élection de Donald Trump le ferait-elle ? Gaza est-elle la preuve du multilatéralisme coopératif que Martin Wolf a à l'esprit ? En fin de compte, cela n'a pas d'importance, car pour lui, « il n'y a pas de substitut à cette alliance de sécurité avec les Etats-Unis ». Aujourd'hui encore, même après Gaza, la réalité d'un monde façonné par la puissance états-unienne, souvent démocrate, se heurte à un tel déni. Le gouvernement britannique a refusé de mettre fin à l'utilisation des bases britanniques à Chypre pour soutenir les attaques israéliennes contre Gaza, ou de mettre fin à la vente de pièces détachées de F-35 à Israël. Selon le secrétaire à la Défense, John Healey, cela « saperait la confiance des Etats-Unis dans le Royaume-Uni ».

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Le style potentat de Trump modifiera l'ambiance des sommets du G7 et du G20, où la façade de coopération respectueuse a survécu à la destruction de l'enclave de Gaza. La réaction à sa victoire rappelle la raison pour laquelle les diables et les démons étaient nommés d'après des divinités étrangères dans l'Antiquité : votre diable est le dieu de votre voisin. Trump est un démon commode. Mais sa victoire n'amènera pas beaucoup de pays à reconsidérer leurs relations avec les Etats-Unis. Les différences tactiques mises à part, les centres traditionnels des préoccupations états-uniennes resteront l'Europe de l'Est, l'Asie de l'Est et le Moyen-Orient. Le thème sous-jacent de la politique étrangère des Etats-Unis reste le consensus des dites élites. Dans son utilisation des mécanismes de l'empire états-unien et de l'idéologie de sa primauté perpétuelle, Trump partage beaucoup avec ses prédécesseurs. Puissance maximale, pression maximale – sans illusions rassurantes. (Article publié dans la London Review of Books, vol. 46, n° 23, décembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Par Tom Stevenson est membre de la rédaction de la London Review of Books et auteur de Someone Else's Empire : British Illusions and American Hegemony, Verso Books, 2023.


[1] Un cessez-le-feu instable – déjà marqué par des bombardements israéliens – d'une durée de 60 jours est en cours depuis le 28 novembre. Déjà, selon L'Orient-Le Jour du 29 novembre, « des bombardements israéliens avaient ciblé les localités de Markaba, Taloussé et de Bani Hayan, dans le caza (district) de Marjeyoun, tandis que des bulldozers de l'armée israélienne ont pénétré dans d'autres villages frontaliers, également ciblés par des tirs d'artillerie israéliens ». Le 3 décembre, L'Orient-Le Jour titre : « Israël menace de ne plus “faire de différence entre le Hezbollah et l'Etat libanais” si la guerre reprend », ce qui traduit le projet politico-militaire israélien pour ce qui est de la « reconfiguration » du Liban. (Réd. A l'Encontre)

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Guerres, militarisation et résistances

17 décembre 2024, par Frédéric Thomas — ,
Édito en accès libre de Monde en guerre. Militarisation, brutalisation et résistances, le dernier volume de la collection Alternatives Sud. Frédéric Thomas est chargé d'étude (…)

Édito en accès libre de Monde en guerre. Militarisation, brutalisation et résistances, le dernier volume de la collection Alternatives Sud.

Frédéric Thomas est chargé d'étude au CETRI - Centre tricontinental. Le Centre tricontinental est un centre d'étude, de publication et de formation sur le développement, les rapports Nord-Sud, les enjeux de la mondialisation et les mouvements sociaux en Afrique, Asie et Amérique latine.

10 décembre 2024 |Billet de blog du CETRI | Photo : Isan (Flickr) - Militarización México. © Isan (Flickr) - Militarización México.

À l'heure où les conflits armés revêtent de plus en plus une forme hybride et les États recourent à la stratégie de la militarisation, il convient de repenser les violences et la sécurité. À rebours d'une lecture qui essentialise les conflits, il faut nommer les dynamiques, les causes et les responsables, redonner la primauté au politique sur le militaire et enrayer la normalisation de la violence.

S'il n'y a pas, pour l'instant, de guerre mondiale, nous faisons bien face à un monde en guerre. L'Ukraine et Gaza (et bientôt tout le Proche-Orient ?) en portent le plus violent et dévastateur témoignage. Mais les deux conflits sont, dans le même temps, le marqueur du regard biaisé porté sur la dynamique des affrontements armés et du double discours du Nord. L'ONU, s'appuyant sur les données et les critères de l'Uppsala Conflict Data Program – UCDP, définit la guerre comme un conflit armé étatique faisant annuellement au moins un millier de morts au cours de batailles. En fonction de ces critères, neuf guerres étaient en cours en 2023.

L'UCDP distingue par ailleurs deux autres catégories de conflits : les conflits « non étatiques » et la « violence unilatérale ». Les premiers résultent de l'affrontement entre des groupes armés organisés, tandis que la seconde renvoie à l'utilisation de la force armée par un État ou un groupe armé formalisé à l'encontre de la population civile. À l'instar des conflits interétatiques, leur nombre suit une courbe ascendante depuis une dizaine d'années – en particulier les violences non étatiques, qui explosent –, mais ils sont nettement moins meurtriers : ils représentent ensemble un peu moins d'un quart de toutes les victimes de conflits sur la dernière décennie. Entre 2019 et 2023, le Mexique a concentré à lui seul près des deux-tiers des personnes tuées au cours de conflits non étatiques, tandis que 20% des mort·es de la violence unilatérale ont succombé dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC).

Le monde n'avait plus connu autant de conflits depuis la Seconde guerre mondiale. Certes, le nombre de victimes est bien inférieur à celui de la période 1946-1999. De la fin de la Guerre froide à 2020, il est resté relativement bas ; à l'exception notable cependant du génocide au Rwanda en 1994 et de la guerre en Syrie, surtout en 2013-2014. Cette tendance générale recouvre néanmoins des moments et des foyers particulièrement meurtriers : ainsi, la RDC, en 1996, et l'affrontement entre l'Éthiopie et l'Érythrée (1998-2000), en 1999, concentrent respectivement près de 40 et de 50% des personnes tuées au cours de ces deux années. Mais, la guerre civile qui a éclaté en Éthiopie en 2021 a fait près de 300000 morts en deux ans, soit plus de la moitié de toutes les victimes de conflits armés sur cette période. C'est finalement moins la recrudescence des conflits qui doit nous préoccuper que leur transformation, imparfaitement appréhendée par les définitions « classiques » de la guerre.

Tendances actuelles

On ne s'attardera pas ici sur l'emploi dans les guerres actuelles de nouvelles technologies – armes autonomes, cyberattaques, etc. –, dont le drone est à la fois l'outil le plus connu et le plus massivement employé, notamment dans la guerre russo-ukrainienne où des spécialistes estiment qu'en 2023, l'Ukraine a perdu 10000 drones par mois (IEP, 2024). Ces quelques pages entendent plutôt se centrer sur les tendances récentes des dynamiques conflictuelles en matière de géopolitique, d'acteurs, d'enjeux et de stratégies, dans une perspective Nord-Sud.

Il convient tout d'abord de remarquer que la criminalité fait bien plus de victimes que les conflits armés. Ainsi, le nombre annuel d'homicides en 2019-2021 tournait autour de 440000, soit trois fois plus que les personnes tuées lors de conflits au cours de ces trois années. Mais la distinction entre organisation criminelle et groupe armé tend à se brouiller (voir plus loin). Par ailleurs, le principal champ de bataille, le lieu le plus violent pour les filles et les femmes continue d'être le domicile et la famille : en 2017, 58% des homicides de femmes avaient été commis par un conjoint ou un parent (ONU, 2020).

Opérations de maintien de la paix : entre frustration et transformation

Il existe une double concentration, géographique et meurtrière, des conflits violents. La plupart des guerres se concentrent en Afrique et au Moyen-Orient, tandis que la moitié des personnes tuées étaient éthiopiennes en 2021 et 2022 ; palestiniennes et ukrainiennes en 2023. Autre caractéristique, ces violences ont des racines historiques profondes, qui plongent souvent dans la période coloniale, dessinant de la sorte une conflictualité à longue portée sous la forme de conflits dormants ou de basse intensité, voire de « guerres sans fin », explosant à la faveur d'un événement particulier.

En outre, nombre de ces conflits sont internationalisés, au sens où l'une des parties ou les deux reçoivent le soutien de troupes d'un État extérieur, impliquant souvent, directement ou indirectement, l'une ou l'autre puissance régionale, voire mondiale, en fonction d'enjeux stratégiques. Ainsi en est-il de la situation en Lybie, au Soudan et dans la Corne de l'Afrique ; ces deux dernières régions faisant d'ailleurs l'objet d'articles de cet Alternatives Sud. À cet interventionnisme, il faut ajouter le trafic d'armes, dont les États-Unis sont – et de loin – le principal protagoniste, alimentant les conflits (Thomas, 2024a). Or, cette connexion nationale-internationale et la multiplication des acteurs s'affrontant sur le terrain rendent d'autant plus difficile la recherche d'une résolution pacifique.

Enfin, la majorité des conflits violents actuels ne relève pas (ou pas seulement) d'un affrontement entre États. Ils impliquent des acteurs non étatiques tels que des organisations terroristes (y compris transnationales), des sociétés ou entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP), des milices, des organisations criminelles et des groupes armés hybrides ou aux frontières poreuses avec la criminalité. D'où une fragmentation des réseaux et des acteurs, ainsi que des attaques qui ciblent le plus souvent les civils. D'où, également, au niveau de la recherche académique, une difficulté à appréhender la dynamique actuelle des conflits armés avec les outils d'analyse du vingtième siècle.

La globalisation néolibérale, la stratégie sécuritaire américaine, l'émergence d'un monde multipolaire avec la montée en puissance de la Chine et de pouvoirs régionaux, l'intensification des flux financiers et d'armes, ainsi que l'extension de la criminalité organisée comptent parmi les principaux phénomènes dont les effets travaillent la configuration des souverainetés étatiques et, corrélativement, la nature des conflits, toutes deux marquées par des formes de privatisation.

La « guerre contre la terreur » déclarée par la Maison blanche à la suite des attentats du 11 septembre 2001 constitue un jalon important de cette transformation. Par son caractère global et la plasticité de ses cibles et objectifs, elle consacre une stratégie offensive qui légitime la militarisation de la politique. De plus, elle catalyse une double érosion de la souveraineté étatique ; en amont, en qualifiant certains États de « voyou », appartenant à un « axe du mal » et, en aval, en normalisant le recours massif aux EMSP, ces entreprises qui vendent sur la scène internationale des services sécuritaires et militaires. Ainsi, l'occupation de l'Afghanistan et de l'Irak s'est accompagnée d'un usage massif d'EMSP (Bilmes, 2021), au point de constituer la première force de travail dans les deux pays.

Wagner, l'EMSP la plus connue et la plus dénoncée en Occident, participe en réalité d'une économie mondialisée où les principales entreprises sont américaines, et dont le marché en 2020 était évalué à quelque 224 milliards de dollars (Transparency International, 2022). L'action de ces entreprises pose pas mal de problèmes, notamment en termes de droit et d'éthique, car elles ne rendent de comptes à personne et jouissent d'une quasi-impunité. Se pose également, dans un contexte de grande opacité, la question de leur indépendance réelle par rapport aux politiques des États où elles sont implantées et leur potentielle utilisation dans des guerres par procuration. Dans cet ouvrage, Tek Raj Koirala questionne les dynamiques du secteur de la sécurité et sa division du travail, qui redouble largement les rapports Nord-Sud, à partir du cas d'ex-soldats népalais impliqués dans les EMSP en Afghanistan.

De façon plus générale, c'est la notion wébérienne de l'État comme détenteur du monopole de la violence légitime qui doit être interrogée. L'érosion étatique et la privatisation du pouvoir public sont souvent, partiellement au moins, des stratégies mises en place par les États eux-mêmes. Les rapports que ces derniers entretiennent avec les EMSP ne sont donc pas univoques, relevant davantage et tout à la fois de la compétition et de la collaboration que d'une subordination directe ou, au contraire, d'une indépendance totale.

Outre les États et les entreprises militaires, les guerres actuelles impliquent souvent d'autres catégories d'acteurs armés, ce qui complique le scénario conflictuel. La Colombie est un cas emblématique. L'accord de paix signé en 2016 avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) devait mettre fin au plus long conflit armé du continent latino-américain. Force est de reconnaître, huit ans plus tard, qu'on est loin du compte. Entre 2016 et 2024, 1559 leaders sociaux·ales ont été assassiné·es. Une centaine de massacres ont eu lieu au cours de ces trois dernières années, faisant près de 1000 victimes, et la Colombie est le pays le plus dangereux au monde pour les défenseurs et défenseuses de la terre et de l'environnement (Indepaz, 2024 ; Global Witness, 2024).

Si la guerre n'a pas disparu, elle s'est néanmoins transformée, rendant d'autant plus ardue la politique de « paix totale » du gouvernement de gauche de Gustavo Petro. Ainsi, le conflit armé s'est mué en « un scénario extrêmement hybride au sein duquel les frontières entre la politique et la criminalité sont toujours plus diffuses » et où les acteurs armés transitent de l'une à l'autre (Llorente, 2023). Cette hybridation varie en fonction des territoires – de leurs richesses en ressources naturelles, de la culture ou non de coca et de leur importance stratégique – et des organisations, mais elle est occultée par la rhétorique politique que ces dernières utilisent afin d'avoir accès aux négociations avec l'État colombien et d'en tirer parti. Cependant, le dénominateur commun de tous ces groupes est leur immersion dans une économie illicite et l'affrontement pour le contrôle d'un territoire afin d'accaparer tout type de rentes.

Politique et militarisation

Les dépenses militaires mondiales n'ont cessé d'augmenter au cours de la dernière décennie. Les États-Unis, qui représentent plus du tiers de ces dépenses – soit trois fois plus que la Chine, en deuxième position –, sont aussi, et de loin, le principal exportateur d'armes, concentrant, entre 2019 et 2023, 42% des exportations mondiales (Spiri, 2024). L'Inde, l'Arabie saoudite et le Qatar sont, de leur côté, les principaux importateurs, totalisant ensemble, pour la même période, plus d'un quart des importations mondiales. Loin d'être seulement la conséquence d'un contexte marqué par la (menace de) guerre, les dépenses militaires et la circulation d'armes participent d'une logique de militarisation.

« La guerre n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens », selon la formule canonique de Clausewitz. À l'heure actuelle, les interactions entre la politique et la guerre se sont intensifiées au point de constituer une forme politico-militaire. Sa manifestation peut-être la plus évidente réside dans la vague de coups d'États qui a secoué l'Afrique (Mali, Burkina Faso, Niger, Guinée et Gabon) depuis 2020. Ces irruptions violentes de militaires au sommet du pouvoir côtoient cependant, d'Alger à Bangkok, en passant par San Salvador, des modes de collaboration plus occultes ou paradoxaux entre gouvernements et forces armées.

En Amérique latine, selon Hoecker (lire son article dans cet Alternatives Sud), ce phénomène traduit « l'émergence du militarisme civil ». Ce retour des forces armées au-devant de la scène, sur un continent qui a connu la longue nuit des dictatures militaires, soulève nombre de questions et d'inquiétudes. Il ne s'agit pas pour autant d'un retour au passé, mais bien d'une reconfiguration. Ce sont en effet les partis politiques au pouvoir qui se tournent vers les forces armées, non sans opportunisme bien souvent, afin de les faire participer à la lutte contre l'insécurité. Ce faisant, ces dernières acquièrent un rôle de police particulièrement étendu, allant du contrôle des frontières à la répression de manifestations, en passant par la lutte contre la criminalité.

Les guerres aux gangs et au narcotrafic, encouragées par Washington, sont les vecteurs privilégiés de cette militarisation. En Amérique latine surtout, mais également en Asie. Marc Batac analyse ainsi dans cet Alternatives Sud la confluence d'intérêts entre acteurs internationaux et locaux, ainsi que les interactions entre le gouvernement et les forces armées, dans la mise en place d'une stratégie antiterroriste aux Philippines. À quelques encablures de là, en Indonésie, l'actuel président et ancien ministre de la défense Prabowo Subianto est accusé de crimes de guerre sous le régime de Suharto (fin des années 1990), notamment de torture et de disparition d'activistes (Muhtadi, 2022).

Cette sorte de passage de témoin du politique aux militaires renforce l'impopularité des premiers et le crédit accordé aux seconds. Il s'inscrit par ailleurs dans une dynamique spécifique. La popularité des militaires dans le Sud doit aussi se lire au revers du désenchantement démocratique, du clientélisme et de la corruption de la classe politique, des inégalités et de l'incapacité des gouvernements successifs à assurer l'accès aux services sociaux (emploi, éducation, santé, etc.) qui consacrent et concrétisent, en quelque sorte, la démocratie. Les baromètres d'opinion en Afrique et en Amérique latine montrent cette désaffection démocratique (Jeune Afrique, 2024 ; Latino Barometro repris par Hoecker dans cet ouvrage). En contrepoint, les forces armées sont investies de valeurs – probité, professionnalisme, sérieux, etc. –, d'une efficacité dans la lutte contre l'insécurité et d'une soumission à l'intérêt général, qui font justement défaut à la classe politique aux yeux d'une grande partie de la population, et particulièrement de la jeunesse.

La confiance envers l'institution militaire et les valeurs qui lui sont attribuées sont bien entendu largement idéologiques, basées sur des croyances et non sur l'épreuve des faits. Ainsi, l'emploi des forces armées dans la guerre contre le narcotrafic, dans les cas emblématiques de la Colombie et du Mexique, a été un échec. De même, la lutte contre les terroristes islamistes au Sahel, qui constitue l'une des principales justifications données par les putschistes aux coups d'État menés au Mali, au Burkina Faso et au Niger, n'engrange guère de résultat jusqu'à présent. Quant à la prétendue incorruptibilité des forces armées, l'histoire et l'actualité de nombreux pays, du Mexique au Népal en passant par le Pakistan et la RDC, montrent plutôt une institution militaire gangrénée par les affaires, le clientélisme et le népotisme.

Le succès de la lutte contre les bandes armées au Salvador constitue-t-il un contre-exemple ? L'article que nous publions dans cet ouvrage invite plutôt à questionner ce « succès » devenu « modèle », qui relèvent tous deux d'une stratégie de communication, au centre du processus de militarisation, et qui emprunte, au Salvador et ailleurs, principalement une triple voie : celle de l'information, celle du droit et celle du visuel (Thomas, 2024b). En effet, dans un contexte où l'information est plus que jamais un enjeu de pouvoir, le président salvadorien Bukele n'a de cesse de mettre en scène sur les réseaux sociaux sa réussite et de chercher à court-circuiter ou censurer tout contre-récit critique.

La dimension la plus visuelle de la militarisation est celle du « Kaki washing » : soit l'utilisation des forces armées comme stratégie de communication politique, afin de projeter sur le gouvernement l'image associée aux vertus et valeurs que les militaires inspirent et qui manquent aux politiques (Verdes-Montenegro, 2021). Enfin, la militarisation emprunte également une voie juridique, consistant à multiplier et à accroître les peines d'incarcération – et à leur donner une grande publicité – à des fins électorales et populistes. Le Salvador est ainsi devenu le pays avec le plus haut taux d'emprisonnement au monde. Cette politisation du droit pénal peut-être qualifiée de « populisme punitif » (López et Avila, 2022).

Les appels des gouvernements aux militaires afin de capter une part de leur popularité et (re)gagner une certaine légitimité ne sont cependant pas seulement des calculs opportunistes d'une classe politique en mal de crédibilité. Ils témoignent aussi du fait que les problèmes politiques sont de plus en plus identifiés et traités comme des questions sécuritaires. Ce processus, qualifié de « sécuritisation » (ENAAT, Rosa Luxembourg Stiftung, 2021), revient à donner la priorité au militaire sur la politique dans l'analyse et dans l'action, en occultant les enjeux sociaux sous le paradigme (socialement construit) de l'insécurité. Or, si cette dynamique correspond à la vague mondiale des droites illibérales et réactionnaires, elle ne s'y réduit pas, comme en témoigne notamment le cas mexicain où un président de centre gauche a fait un recours abondant aux forces armées (Coste, 2024).

Ordre, État et instrumentalisation

Le regard néocolonial tend, d'un côté, à accorder une sorte de « droit à la guerre » à certains États (du Nord) et à entériner leurs prétentions à mener des actions « chirurgicales », « morales », bref « civilisées », et, de l'autre, à décréter implicitement ou explicitement des régions et des peuples violents par nature, condamnés par-là à une violence chaotique sans issue. À l'encontre d'une telle vision, Terefe et Tesfaye montrent dans leur contribution à cet Alternatives Sud l'imbrication de facteurs sociohistoriques complexes – les mouvements sécessionnistes, les attaques terroristes, les ressources naturelles, les pouvoirs prédateurs, les interventions armées internationales – qui explique pourquoi la Corne de l'Afrique est en butte à une série de conflits violents depuis des décennies.

Ils mettent de plus en avant l'instrumentalisation des tensions et de l'instabilité de la région par les puissances mondiales et régionales (Égypte, Arabie saoudite, Iran, Turquie, États du Golfe), afin de faire prévaloir leurs propres intérêts. Engagés dans une « course aux bases militaires », ces États tendent à reproduire des rapports de domination hérités du colonialisme, en renforçant des régimes autoritaires clients, vecteurs de conflits civils armés, au détriment des aspirations populaires.

C'est à une autre sorte d'instrumentalisation que s'intéresse Naing Lin dans son article sur le conflit armé en cours dans la région de l'Arakan, au Myanmar : celle des tensions ethniques. La mobilisation par la junte militaire des groupes rohingyas vise ainsi à affaiblir et à diviser la résistance armée, tout en fomentant des exactions racistes. Alors qu'il s'agit ici d'entraîner un pourrissement du conflit et de miner l'avenir, Azadeh Moaveni analyse brillamment, à partir du conflit israélo-palestinien, un autre cas de figure : l'instrumentalisation des violences sexuelles pour justifier la poursuite de la guerre.

La militarisation est imprégnée de la rhétorique machiste et viriliste des « hommes forts », de la mano dura, inscrite dans une scénographie dont les femmes sont absentes. Celles-ci sont cependant au centre de la guerre, dont elles sont devenues à la fois le trophée, la cible et l'un des enjeux principaux. Le viol est conçu comme arme de guerre, mais aussi, plus cruellement encore, comme une manière de faire la guerre. Les travaux de Rita Segato (2021) sur les féminicides et les guerres contre les femmes éclairent l'attitude de gangs armés au Mexique et en Haïti, empreints d'une « masculinité prédatrice », luttant pour conquérir des territoires. Des conquêtes qui passent par l'appropriation violente du corps des femmes.

Stimulante est par ailleurs la thèse de Segato, selon laquelle les féminicides ne sont pas la conséquence de l'impunité, mais fonctionnent plutôt comme producteurs et reproducteurs de l'impunité. Elle met de la sorte en lumière la connivence entre l'État et les acteurs criminels, obligeant à repenser les processus de négociation et de sortie de conflit. Le risque est grand, en effet, de sacrifier la justice, et plus encore la réparation, au nom de la realpolitik, en enfermant les sociétés dans un cercle vicieux de violences et d'impunité.

Les différents articles de cet Alternatives Sud invitent dès lors à penser la militarisation au croisement d'un entrelac d'acteurs et de rapports sociaux qui traversent la sphère étatique sans s'y réduire. Les militaires viennent moins combler un vide de l'État que manifester sa présence sous une forme spécifique : celle de la coercition étatique. Entre deux modalités de l'action publique – la force armée ou les services sociaux –, le choix a été fait. La militarisation représente dès lors moins un recul du gouvernement face à l'armée qu'une révision de la division des pouvoirs et une reconfiguration de la puissance publique.

Dans une situation de crise, perçue ou présentée comme hors de contrôle, l'armée est appelée à intervenir (ou intervient directement) pour, justement, reprendre le contrôle et remettre de l'ordre. De même, une situation où la souveraineté nationale – dont les militaires seraient les garants – est mise à mal par une menace (parfois imaginaire), toujours qualifiée d'« extérieure » à la société et à la nation – attaques impérialistes, groupes terroristes, organisations subversives, gangs, narcotrafiquants –, facilite l'entrée des forces armées sur la scène politique.

Mais l'ordre est autant un fantasme qu'un dispositif de pouvoir. Il permet d'opérer un quadrillage de l'espace public, d'intensifier le contrôle social et de recourir à des mesures extraordinaires, tout en limitant les contre-pouvoirs. Le désordre justifie la militarisation qui, en retour, définit l'ordre, ce qu'il est, ce qu'il doit être. Et les moyens pour y parvenir. L'attribution de fonctions de police à l'armée se double ainsi d'une militarisation de la police (au Sud comme au Nord ?), tandis que l'état d'exception ou d'urgence tend à se poursuivre, se reproduire et s'autolégitimer, comme en témoigne le cas salvadorien.

Résistance

Évoquant l'Allemagne au cours et après la Première guerre mondiale, George Mosse a mis en avant le concept de « brutalisation » pour rendre compte de la banalisation et de l'intériorisation de la violence, ainsi que de la façon dont celle-ci a servi de catalyseur à une résurgence nationaliste et totalitaire. Le concept, qui ne fait pas consensus parmi les historien·nes, peut-il être utile à l'analyse des sociétés du Sud confrontées à de longues vagues de violences ? La militarisation serait-elle une forme renouvelée de réveil nationaliste et le recours aux forces armées le signe d'une « brutalisation » acceptée, institutionnalisée ? La mise en spectacle de la violence tend, en tous cas, à la normaliser.

La guerre n'est ni une fatalité ni un accident qui surviendrait dans un ciel serein. Elle est le plus souvent un moyen pour des acteurs de prendre ou de conserver le pouvoir, d'accaparer des ressources et de réprimer les mouvements sociaux. La dépolitisation et l'essentialisation des conflits armés occultent les causes et les responsabilités, ainsi que les résistances à ces guerres. Et elles hypothèquent ou compliquent davantage la sortie de crise.

Il est illusoire de croire qu'une solution militaire puisse être apportée à des problèmes qui ont, presque toujours, des racines socioéconomiques, historiques et politiques. Mais, tout aussi illusoire est l'idée qu'un accord entre les parties en conflit suffise à lui seul à ouvrir une voie pacifique. Par exemple, la violence qui déchire aujourd'hui le Soudan est une guerre contre la population, menée par deux groupes non représentatifs et sans projet national si ce n'est celui d'accaparer les ressources et les pouvoirs et d'exploiter les Soudanais et Soudanaises. Une lecture biaisée des conflits entraîne des mécanismes boiteux pour les prévenir et les résoudre.

Rim Mugahed décrit dans cet Alternatives Sud les attentes contradictoires et irréalistes auxquelles sont confrontées les militantes yéménites, ainsi que les dynamiques nationales et internationales croisées qui ont abouti à leur exclusion de la table de négociation, malgré la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies (votée en 2000) qui reconnaît le rôle central des femmes et impose aux différentes parties d'un conflit de soutenir leur participation aux négociations et à la reconstruction post-conflit. Malheureusement, au Yémen comme ailleurs, le modèle libéral de la paix, qui reste dominant, tend à réduire les négociations à un accord entre les élites locales qui s'affrontent, méconnaissant la violence structurelle dont elles font preuve et leur assurant l'impunité. Sans compter que, dans bien des cas, elles n'ont pas intérêt à ce que le conflit cesse (Mansour, Eaton et Khatib, 2023).

Lutter contre la guerre, c'est d'abord nommer les dynamiques, les causes et les responsables, arracher la violence à sa naturalisation et la militarisation à son récit fonctionnel. Démontrer et dénoncer les dépenses et profits considérables du complexe militaro-industriel mondial dont le Pentagone est l'un des principaux centres. Remettre la question de l'égalité et des pouvoirs au centre du questionnement et penser toute sortie de crise avec et à partir des organisations sociales en général, et des organisations de femmes en particulier, qui sont en première ligne. Sous la stratégie de la militarisation, les cibles – trafiquants de drogue, gangs, guérillas, etc. – tendent à devenir perméables et permutables, au point, très vite, d'englober les mouvements sociaux, les ONG de droits humains, les journalistes, etc., soit tous ceux et toutes celles qui, par leurs critiques et leurs actions, refusent de s'aligner sur la logique guerrière du pouvoir.

Celles et ceux, naïfs·ves ou complaisant·es, qui ne voient là que des « écarts » ou des « excès » qu'ils et elles s'empressent de justifier, se condamnent à ne rien comprendre et à céder à la discipline autoritaire et à la tolérance envers la violence de l'État que le populisme punitif prépare et entretient. Il nous faut, tout au contraire, repolitiser la question de la sécurité, du conflit et de la paix, dégager l'action d'une perspective uniquement étatique, afin de se donner les moyens politiques de ne pas continuer la guerre, mais bien de l'arrêter.

Bibliographie

Bilmes L. (2021), « Where did the tn spent on Afghanistan and Iraq go ? Here's where », The Guardian, 11 septembre, https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/sep/11/us-afghanistan-iraq-defense-spending.
Coste J. (2024), « Militarización : la herencia maldita de López Obrador », Presente, 15 avril, https://revistapresente.com/presente/militarizacion-la-herencia-maldita-de-lopez-obrador/.
ENAAT, Rosa Luxembourg Stiftung (2021), Une Union militarisée. Comprendre et affronter la militarisation de l'Union européenne, https://rosalux.eu/en/2021/import-1981/.
Global Witness (2024), Voces silenciadas, https://www.globalwitness.org/es/missing-voices-es/.
IEP (2024), Global Peace Index 2024, https://www.economicsandpeace.org/wp-content/uploads/2024/06/GPI-2024-web.pdf.
Indepaz (2024), Observatorio de Derechos Humanos y Conflictividades, https://indepaz.org.co/category/observatorio-de-conflictos-y-posacuerdos/.
Jeune Afrique (2024), « Trois jeunes Africains sur cinq veulent émigrer : le sondage qui devrait inquiéter les présidents africains », Jeune Afrique, 14 septembre 2024, https://www.jeuneafrique.com/1609053/politique/trois-jeunes-africains-sur-cinq-veulent-emigrer-le-sondage-qui-devrait-inquieter-les-presidents-africains/.
Llorente (2023), Ley de Orden Público. Intervención en audiencia ante la Corte Constitucional, 22 août, https://storage.ideaspaz.org/documents/fip_intervencionmvll_final01.pdf.
López C. et Avila R. (2022), « Populismo punitivo : manifestación política vs. Derecho penal. La cadena perpetua en Colombia », Revista de Derecho, juillet-décembre, http://www.scielo.org.co/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0121-86972022000200218.
Mansour R., Eaton T. et Khatib L. (2023), Rethinking political settlements in the Middle East and North Africa. How trading accountability for stability benefits elites and fails populations, Chatam House, https://www.chathamhouse.org/2023/09/rethinking-political-settlements-middle-east-and-north-africa/05-addressing-structural.
Muhtadi B. (2022), The indonesian military enjoys strong public trust and support. Reasons and Implications, Trends in Southeast Asia, ISEAS Publishing, https://www.iseas.edu.sg/wp-content/uploads/2022/11/TRS19_22.pdf.
ONU (2020), Conflit et violence : une ère nouvelle, https://www.un.org/fr/un75/new-era-conflict-and-violence.
Segato R. (2021), L'écriture sur le corps des femmes assassinées de Ciudad Juarez, Paris, Payot.
SPIRI (2024), Spiri fact sheet. Trends in international arms transfers, 2023, https://www.sipri.org/publications/2024/sipri-fact-sheets/trends-international-arms-transfers-2023.
Thomas F. (2024a), « Géopolitique du commerce des armes », CETRI.
Thomas F. (2024b), « Le stade Bukele du spectacle », CETRI.
Transparency International (2022), Hidden costs : US private military and security companies and the risks of corruption and conflict, https://ti-defence.org/wp-content/uploads/2022/08/Hidden_Costs_US_Private_Military_and_Security_Companies_PMSCs_v9-web_141022.pdf.
Verdes-Montenegro F. (2021), Del golpe de estado al golpe visual en América latina ? Remilitarización, khakiwashing y la vuelta de los militares a escena, https://www.fundacioncarolina.es/francisco-verdes-montenegro-investigador-de-fundacion-carolina-escribe-sobre-remilitarizacion-y-khakiwashing-en-la-region-latinoamericana/.
Wolf S. (2024), « El Salvador's State of Exception : A Piece in Nayib Bukele's Political Project », Lasa Forum, 54, 4, https://forum.lasaweb.org/files/vol54-issue4/dossier-5.pdf.

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Se préparer de toute urgence pour 2025 ?

17 décembre 2024, par Michel Gourd — ,
Alors que plusieurs dirigeants des pays les plus influents au monde adoptent la stratégie du fou, ceux du reste de la planète devraient penser à se préparer pour résister aux (…)

Alors que plusieurs dirigeants des pays les plus influents au monde adoptent la stratégie du fou, ceux du reste de la planète devraient penser à se préparer pour résister aux instabilités et pertes de pouvoir qu'ils pourraient vivre en 2025.

Il y aurait, fin 2024, plus d'une cinquantaine d'États en guerre sur la planète selon le rapport « Le retour des armes » de Caritas Italie sur les conflits oubliés. De très nombreux pays sont la croisée des chemins en 2025 et leur réponse aux défis qui les confrontent pourrait les positionner dans la géopolitique du nouvel ordre mondial.

Adeptes de la stratégie du fou

C'est le président américain, Richard Nixon, qui est renommé pour avoir privilégié la stratégie du fou pour tenter d'endiguer le bloc communiste, mais plusieurs dirigeants des pays les plus influents au monde l'utilisent actuellement. En menaçant plusieurs fois d'utiliser ses armes nucléaires ou de frapper des pays de l'OTAN qui auront soutenu Kiev, Vladimir Poutine l'a fait en 2024. Cette stratégie du fou est aussi une de celles que préfère Kim Jong un en Corée du Nord qui l'utilise pour menacer avec une poignée d'armes nucléaires un pays qui en a des milliers et les moyens les plus développés pour les lui envoyer.

En Chine, Xi utilise cette stratégie pour imposer sa domination sur la mer de Chine malgré un jugement international qui affirme qu'il n'a pas plus de droits que ses voisins sur ce plan d'eau. Lui et ses « loups guerriers » l'utilisent aussi pour affirmer irrationnellement qu'ils ont le droit d'envahir Taïwan par la force.

En Israël, Benjamin Netanyahu affirme pour sa part qu'il peut cibler les installations nucléaires iraniennes, ce qu'appuie Donald Trump qui lui a déjà demandé de se concentrer sur celles-ci avant tout autre objectif. Le président américain qui entrera en fonction dans quelques semaines est d'ailleurs considéré comme étant un grand utilisateur de la stratégie du fou, notamment avec ses menaces d'imposer des tarifs sur les produits entrant dans les États-Unis, de sortir de l'OTAN si ses membres ne dépensent pas tous 2% de leur PIB pour leur défense et de terminer la guerre en Ukraine en 24 heures, tout cela en début de mandat pendant qu'il expulsera tous les immigrants illégaux des États-Unis.

L'Europe en position de faiblesse en 2025

L'Europe entre dans une année de faiblesse avec ses deux pays moteurs, l'Allemagne en pleine débâcle économique en raison de l'effondrement de son modèle d'affaires et la France sans gouvernement stable à cause des censures potentielles et avec des problèmes de déstabilisation venus de plusieurs pays tels l'Azerbaïdjan et la Turquie. La Russie et la Chine se rajoutent à ces derniers et visent plus largement une mainmise sur tout le continent en utilisant principalement de la propagande et de la désinformation. Le ministre tchèque des Affaires étrangères, Jan Lipavsk, aurait affirmé en début décembre lors d'une réunion de l'OTAN qu'il y aurait eu cette année 500 incidents suspects qui auraient eu lieu en Europe et que jusqu'à 100 de ceux-ci pouvaient être attribués à des opérations hybrides, d'espionnage ou d'influence russes.

L'écrivain et avocat Philippe Sands, lauréat du prix du Livre européen en 2018 et qui en était président du jury cette année affirme, comme l'auteur du livre gagnant « L'avenir se joue à Kyiv », Karl Schlögel, que le futur de l'Europe dépend de la guerre en Ukraine, si celle-ci n'arrive pas a préservé le désir de démocratie et de gouvernance transparente dans ce pays. Selon lui, la réaction européenne n'a pas été à la hauteur jusqu'à maintenant. Une situation qui serait à changer de toute urgence en 2025.

Une très relative position de force pour l'Afrique

En ce qui concerne l'Afrique dont la richesse en ressources minières telle l'or, le cobalt, le fer, le phosphate, le lithium et de nombreux autres minéraux lui donne une relative position de force, elle reste en 2025 très vulnérable aux pressions géopolitiques de la Chine, nouveau grand investisseur, et celles des anciens colonisateurs occidentaux qui résistent à leur déclassement en dénonçant le piège de la dette chinoise dans lequel plusieurs pays en développement sont déjà tombés.

L'Europe tente donc de se rapprocher des pays africains avec de nombreux projets, dont celui lancé en 2022, Africa-EU Raw Materials Value Chain Partnership (AfricaMaVal), qui vise les secteurs miniers du lithium et du phosphate de pays comme le Rwanda, le Maroc et le Sénégal. Une situation que les pays africains pourraient optimiser en 2025.
La recristallisation commence ?

Dans le processus bien connu du changement qui est, décristallisation, changement et recristallisations, les guerres en Ukraine et Gaza, débutées en 2022 et 2023 pourraient correspondre à la première phase, 2024 à la deuxième et l'arrivée de Donald Trump le 20 janvier au commencement de la troisième. Dans un environnement où la stratégie du fou est si utilisée, l'arrivée d'un président américain autocrate a le potentiel de commencer la recristallisation d'un nouvel ordre mondial qui serait un peu plus basé sur la puissance militaire et le pouvoir brut et moins sur le droit et le respect des conventions internationales. Si le monde ne se ressaisit pas rapidement en 2025, il pourrait être forcé à endurer une situation qui deviendra de plus en plus difficile à changer à mesure que la paix mondiale sera basée sur cette force brute non régulée par des instances internationales.
En ce sens, la chute du régime de Bachar el-Assad, qui est une importante défaite de la Russie et de l'Iran, pourrait marquer un moment géopolitique à saisir. Elle pourrait entraîner un affaiblissement de l'axe Russie-Chine-Iran-Corée du Nord, et changer l'ordre mondial qu'il tente actuellement de cristalliser pour les décennies futures dans sa nouvelle position de force.

Michel Gourd

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On a dépassé le seuil de 1,5 °C de réchauffement : pourquoi c’est grave

17 décembre 2024, par Vincent Lucchese — ,
2024 sera la première année où le réchauffement de la Terre dépassera les 1,5 °C. Le franchissement durable de ce seuil décuplerait les dégâts du changement climatique et le (…)

2024 sera la première année où le réchauffement de la Terre dépassera les 1,5 °C. Le franchissement durable de ce seuil décuplerait les dégâts du changement climatique et le risque de franchir d'irréversibles points de bascule.

Tiré de Reporterre
11 décembre 2024

Par Vincent Lucchese

Des fragments de glace flottant entre deux icebergs près du Groenland. Les pôles terrestres et leur glace subissent particulièrement chaque dizième de degré de réchauffement climatique supplémentaire. - Adam Sébire / Climate Visuals (CC BY-NC-ND 4.0)

C'est désormais officiel : 2024 va avec certitude devenir la première année calendaire à voir la Terre dépasser le seuil des 1,5 °C de réchauffement global par rapport à l'ère préindustrielle. C'est le service changement climatiquede l'observatoire européen Copernicusqui en a fait l'annonce, lundi 9 décembre.

L'objectif de limitation du réchauffement à 1,5 °C — sur lequel se sont engagés les États en signant l'accord de Paris — n'est toutefois pas encore factuellement dépassé. Car le climat connaît des variations naturelles d'une année à l'autre. Pour être officiellement atteint, le seuil de 1,5 °C devra être mesuré en moyenne sur plusieurs décennies. Copernicus mesure par exemplele réchauffement actuel à 1,3 °C, en prenant en compte la moyenne des cinq dernières années.

Même si les chances de tenir l'objectif de 1,5 °C paraissent aujourd'hui quasi-nulles, le chiffre est loin d'être seulement symbolique. Reporterre revient sur quelques-unes des raisons qui rendaient ce seuil crucial.

Le réchauffement annuel moyen par rapport au seuil préindustriel depuis 1940. Copernicus Climate Change Service / ECMWF

Les climatologues ont coutume de rappeler que « chaque dixième de degré compte ». Il n'est en ce sens jamais trop tard pour agir car toute hausse de la température ne fait qu'augmenter les risques d'emballement climatique et la survenue de catastrophes toujours plus intenses. Le seuil de 1,5 °C demeure cependant important car il a beaucoup été étudié par la science : les recherches montrent à quel point s'aventurer au-delà pourrait être dramatique pour de nombreux êtres, humains et non-humains.

10 millions de personnes en plus touchées par la montée des eaux

En 2018, le Giec publiait ainsi un rapport spécial sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C. D'ici 2100, notaient les auteurs, un réchauffement limité à 1,5 °C, par rapport à un réchauffement de 2 °C, permettrait par exemple de réduire de 10 cm la montée du niveau des océans, exposant 10 millions de personnes en moins aux risques liés à la montée des eaux.

Pluies torrentielles, vagues de chaleur, baisses de rendements céréaliers, perte de biodiversité… Tous les dégâts sont bien plus forts à 2 °C qu'à 1,5 °C. Un cas emblématique est celui des coraux, très vulnérables aux vagues de chaleur marines et qui abritent 25 % des espèces océaniques connues : les pertes pourraient aller de 70 à 90 % à 1,5 °C de réchauffement, contre 99 % à 2 °C.

Les anomalies mois par mois de la température moyenne de l'air sur Terre depuis 1940. En orange l'année 2023, en rouge 2024. Copernicus Climate Change Service / ECMWF

Le seuil de 1,5 °C est particulièrement important pour les petits États insulaires en développement(PEID). Une étude publiée en 2023 dans la revue Nature Sustainability conclut que, même limité à 1,5 °C, le réchauffement menacera les PEID de dégâts majeurs, « conduisant probablement à des migrations forcées ». Et les choses empirent dès que l'on dépasse 1,5 °C.

C'est ce que soulignent aussi des chercheurs de l'Institut allemand Climate Analytics dans un rapport publié en avril : « À titre d'exemple, le montant des préjudices annuels dus aux cyclones tropicaux à Antigua-et- Barbuda augmenterait de près de moitié si le réchauffement climatique atteignait 1,7 °C en 2050 au lieu de 1,5 °C, et de plus de trois quarts avec un réchauffement climatique de 1,8 °C en 2050 par rapport à 1,5 °C. »

« De même, poursuivent les scientifiques, le nombre de personnes exposées chaque année à des canicules au Sénégal augmenterait de près d'un tiers avec un réchauffement de la planète de 1,7 °C en 2050 par rapport à 1,5 °C, et de moitié si le réchauffement atteignait 1,8 °C à la même date. »

D'irréversibles points de bascule dans la balance

L'autre argument majeur pour tenir l'objectif de 1,5 °C, c'est la crainte que le climat terrestre soit sur le point de franchir plusieurs points de bascule. C'est-à-dire des transformations drastiques dans les écosystèmes, déclenchés par un certain seuil de température, et irréversibles. La disparition des récifs coralliens évoquée précédemment, ou la fonte de la calotte glaciaire au Groenland, font partie de ces points de bascule à éviter.

Une étude internationale parue dans Science en 2022 estimait que plusieurs de ces points de bascule risquaient d'être franchis, même à 1,5 °C de réchauffement. Et plus la température monte, plus le nombre de points de bascule et la probabilité qu'ils soient franchis augmente.

Sur la péninsule ouest de l'Antarctique, de nombreux glaciers fondent à une vitesse alarmante : les glaciologues ne savent pas si, pour certains d'entre eux, les points de bascule ne sont pas d'ores et déjà franchis, ou sont sur le point de l'être. L'objectif de limitation du réchauffement à 2 °C est, quoi qu'il en soit, jugé là-bas largement trop haut.

Les anomalies de température dans les océans non-glacés en novembre 2024. En rouge, les chaleurs anormalement élevées ; en bleu les zones anormalement froides. Copernicus Climate Change Service / ECMWF

Pour les États insulaires et les populations côtières notamment, la montée des eaux ne s'arrêtera pas en 2100 dans tous les cas, souligne le rapport du Giec sur le réchauffement à 1,5 °C. Si les calottes glaciaires franchissent ces points de bascule, elles pourraient continuer à fondre sur une échelle allant « du siècle au millénaire » écrivent les scientifiques, provoquant une montée des eaux de plusieurs mètres (contre quelques dizaines de centimètres anticipés en 2100). Ces instabilités glaciaires pourraient être déclenchées quelque part entre 1,5 °C et 2 °C de réchauffement.

« Il n'existe pas un unique point de bascule pour notre système climatique mais, résume à Reporterre la climatologue Kristina Dahl, vice-présidente de l'ONG Climate Central, chaque dixième de degré de réchauffement au-dessus de 1,5 °C nous rapproche du déclenchement de dégâts irréversibles, comme l'extinction d'espèces ou le relâchement du méthane très réchauffant contenu dans le pergélisol en Arctique. »

Il est de retour.

Dans quelques semaines, Donald Trump se ré-installera à la Maison Blanche.

Un milliardaire, pour qui le réchauffement climatique est « un canular », sera à la tête de la plus grande puissance mondiale.

Dans une décennie cruciale pour l'écologie, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de temps.

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Au Burkina Faso, les journalistes face à leurs vieux démons

17 décembre 2024, par Malik Kassongué — , ,
Le 13 décembre 1998, le journaliste d'investigation Norbert Zongo perdait la vie dans l'incendie de sa voiture. Vingt-six ans après ce crime impuni, les journalistes burkinabè (…)

Le 13 décembre 1998, le journaliste d'investigation Norbert Zongo perdait la vie dans l'incendie de sa voiture. Vingt-six ans après ce crime impuni, les journalistes burkinabè sont à nouveau ciblés par le pouvoir politique. Les suspensions et les enlèvements se multiplient, et, petit à petit, l'autocensure s'impose.

Tiré d'Afrique XXI.

Avis de sécheresse médiatique au Burkina Faso. Vingt-six ans après l'assassinat de Norbert Zongo, dont le souvenir est toujours vivace, la presse traverse une nouvelle tempête au « pays des hommes intègres ». Ce journaliste engagé avait été assassiné le 13 décembre 1998 alors qu'il enquêtait sur l'entourage du président Blaise Compaoré, et notamment son frère et conseiller, François. Ce crime impuni avait marqué les esprits dans un pays où les journalistes cultivent leur indépendance. Mais alors qu'il semblait appartenir à une époque révolue, la peur est de retour dans les rédactions. Depuis le double coup de force des militaires, en janvier et en septembre 2022, la liberté de la presse est plus que jamais menacée.

Les incidents et les actes d'intimidation envers les journalistes et les organes de presse se sont multipliés. Déjà, sous le court règne du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, de janvier à septembre 2022, les organisations professionnelles de la presse avaient tiré la sonnette d'alarme. « L'attitude du pouvoir du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration [MPSR, le nom de la junte, NDLR] vis-à-vis de la liberté d'expression et de la presse inquiète de plus en plus l'opinion nationale et, en particulier, les acteurs des médias que nous sommes », avaient-elles indiqué.

Un évènement avait particulièrement inquiété la profession. En mars 2022, des reporters du quotidien L'Observateur Paalga, l'un des titres les plus anciens du pays, avaient connu une mésaventure à la présidence. Alors que Damiba arrivait pour assister au Conseil des ministres du 18 mars, le photographe avait voulu immortaliser ce moment. Mais un membre de la garde du lieutenant-colonel l'avait sommé d'arrêter. « D'un ton courtois, il nous invite à supprimer toutes les photos que nous venions de prendre. Nous nous exécutons sous son contrôle. En plus de la photo du convoi du président, il nous fait supprimer celle que nous avions prises plus tôt du Premier ministre », avait écrit le journal dans sa livraison du 21 mars. Des militaires avaient par la suite vérifié que les images prises avaient bien été supprimées avant de « libérer les journalistes ». Les organisation de la presse avaient dénoncé une « grave intrusion dans le travail du journaliste » et une « atteinte à la liberté de la presse ».

Quelques jours après, des responsables de médias avaient été convoqués à la présidence du Faso. Pour plusieurs participants à cette réunion, il s'agissait plus de mettre au pas les journalistes que d'instaurer un dialogue. Mais ce n'était qu'un petit aperçu de ce qui allait suivre.

Des suspensions en rafales

Le 30 septembre 2022, le lieutenant-colonel Damiba est renversé. Le capitaine Ibrahim Traoré (« IB ») prend les rênes du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration – qui devient le MPSR-2. Très vite, les choses se compliquent pour les journalistes. Malgré l'existence du Conseil supérieur de la communication (CSC), une institution chargée de veiller à l'application de la réglementation en matière de communication et de sanctionner les manquements aux règles déontologiques des journalistes, le nouveau gouvernement se positionne en véritable régulateur du contenu des médias.

Le 3 décembre 2022, la diffusion des programmes de Radio France Internationale (RFI) est suspendue pour avoir « relayé un message d'intimidation attribué à un chef terroriste ». Le lendemain, sur les réseaux sociaux, un activiste pro-IB appelle au meurtre d'Alpha Barry, ancien ministre des Affaires étrangères et patron du groupe de presse Oméga Médias, et du journaliste Newton Ahmed Barry (par ailleurs ancien président de la Commission électorale nationale indépendante). Quelques mois plus tard, en avril 2023, les quotidiens français Libération et Le Monde, et la chaîne de télévision France 24 sont à leur tour suspendus, et les correspondantes des deux journaux, Agnès Faivre (membre du comité éditorial d'Afrique XXI) et Sophie Douce, sont expulsées du pays.

Au même moment, les menaces se multiplient sur les journalistes burkinabè : appels au meurtre sur les réseaux sociaux, publication de listes de journalistes à « abattre »... Plusieurs organisations le déplorent le 13 avril :

  • Aujourd'hui, certains de nos concitoyens, y compris des autorités, pour des desseins que nous ignorons pour l'instant, accusent les médias de mettre leurs plumes, leurs caméras et leurs micros au service des terroristes. Sacrilège ! Ceux qui tiennent ce genre de discours ont un problème avec la vérité. La haine contre les médias et les journalistes s'est accentuée depuis l'arrivée du capitaine Ibrahim Traoré sur la scène politique. [...] On a assisté et on assiste encore à des appels incessants aux meurtres de journalistes et de leaders d'opinion, des cabales montées de toute pièce pour salir la réputation de certains de nos confrères.

Le 10 août 2023, un nouveau palier est franchi par le pouvoir. Le gouvernement décide « en toute responsabilité » de suspendre la diffusion des programmes de Radio Oméga, une radio privée très écoutée. Dans une déclaration du porte-parole du gouvernement, Jean-Emmanuel Ouédraogo, l'exécutif s'offusque de la diffusion d'une interview accordée par la station à Ousmane Abdoul Moumouni, dans laquelle ce Nigérien indiquait vouloir « restaurer la démocratie » dans son pays après le coup d'État militaire du 26 juillet 2023 ayant renversé Mohamed Bazoum (1). Le 7 décembre 2024, Jean-Emmanuel Ouédraogo, lui-même un ancien journaliste, a été nommé Premier ministre par Ibrahim Traoré, en remplacement d'Apollinaire Kyélem de Tambèla.

« Il n'y aura pas de sentiments »

Dans un entretien diffusé le 31 août 2023 sur les antennes de la télévision publique, Ibrahim Traoré annonce la couleur :

  • Ici, les radios qui font la propagande, qui cherchent à donner plus d'aura à l'ennemi, à amplifier le conflit, nous allons [les] fermer… Ce ne sont pas seulement les radios occidentales, même les radios locales, qui s'alignent dans le sens de l'impérialisme, nous allons [les] fermer. Il n'y aura pas de sentiments sur ce volet parce que tout ce qu'ils divulguent, la propagande qu'ils font, ça tend à chaque fois à donner une autre vision du conflit, ensuite à amplifier le conflit, à donner une autre idée du conflit, c'est-à-dire qu'ils veulent changer la mentalité de nos peuples.

Le « conflit » dont parle alors le président concerne la guerre contre l'insurrection djihadiste dans le nord, l'est et l'ouest du pays.

Les menaces sont rapidement mises à exécution. Déjà en juin 2023, les services de l'administration fiscale avaient procédé à la fermeture temporaire du bimensuel L'Événement pour « non-paiement de ses impôts ». En avril 2024, le site Internet Savane Média subit le même sort. Après la publication d'une série d'enquêtes révélant des malversations dans l'armée, le directeur de publication du journal L'Événement, Atiana Serge Oulon, est traqué par les services de l'État : convocation par la justice militaire, audition par l'Autorité supérieure de contrôle de l'État et de lutte contre la corruption, audition par le Conseil supérieur de la communication, et enfin suspension de son journal le 20 juin 2024 (une suspension levée par la justice depuis).

Pis : alors qu'Oulon et sa jeune équipe s'apprêtent à mettre sous presse l'édition du 25 juin, le directeur de publication est enlevé à son domicile à 5 heures du matin le 24 juin par des agents de l'État. Six mois plus tard, personne ne sait où il se trouve, ni même s'il est encore en vie.

« L'autocensure se généralise »

Les journalistes Adama Bayala et Alain Traoré dit « Alain Alain », et le chroniqueur Kalifara Seré sont également enlevés durant la même période. Depuis, ils n'ont plus donné signe de vie. Lors de la 81e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), tenue à Banjul, en Gambie, en octobre 2024, la délégation du Burkina Faso, interrogée à ce sujet, a indiqué que trois d'entre eux, MM. Oulon, Bayala et Seré, avaient été réquisitionnés et envoyés au front, comme d'autres activistes jugés trop critiques par le pouvoir, et comme deux autres journalistes avant eux : Issaka Lingani et Yacouba Ladji Bama en novembre 2023 (pour une durée de trois mois).

Par ailleurs, des associations acquises à la cause du régime militaro-civil ont multiplié les menaces et les actes d'intimidation contre des médias jugés trop critiques. Elles ont notamment manifesté devant les locaux de la chaîne de télévision privée BF1. Ces organisations ont appelé à sanctionner de la manière « la plus sévère » les médias et les influenceurs sur les réseaux sociaux « dont le message portera atteinte à la nation et à ses autorités ».

Dans un rapport publié le 30 septembre 2024, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) indique que « les autorités du Burkina Faso ont progressivement restreint le droit à l'information et à la liberté de la presse. Les médias locaux sont contrôlés et de grands médias internationaux interdits. Les journalistes sont contraint·es d'adopter un “traitement patriotique” de l'information, c'est-à-dire favorable au pouvoir. Ils et elles font l'objet d'attaques et de menaces permanentes. L'autocensure se généralise ».

Une mainmise totale

La mainmise du régime se manifeste désormais jusque dans les textes régissant la profession. Le 21 novembre 2023, le gouvernement a fait adopter une loi organique portant attributions, composition, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication. Le processus a été fortement contesté par les organisations des journalistes. Un des points d'achoppement portait sur le mode de désignation du président du Conseil. Jusque-là, il était élu par le collège des conseillers (2). Or la nouvelle loi donne désormais la possibilité au chef de l'État de désigner seul le président de l'institution. Il ne s'est d'ailleurs pas fait prier : le 31 janvier 2024, Ibrahim Traoré a nommé Idrissa Ouédraogo, un communiquant officiant dans le privé connu pour ses positions hostiles à la liberté de la presse et fervent défenseur du pouvoir militaire. Par ailleurs, le champ de compétence du CSC a été élargi. L'institution peut désormais diligenter des perquisitions dans des entreprises de presse et procéder à la fermeture de médias.

Dès sa prise de fonctions, Idrissa Ouédraogo et son équipe ont fait pleuvoir les sanctions contre des médias privés (dont lefaso.net, qui a écopé d'une mise en demeure), mais aussi contre la presse internationale. Les suspensions se sont multipliées : VOA Afrique (une radio étasunienne), BBC Afrique (une radio britannique), Deutsche Welle (une radio allemande), TV5 Monde et le site Internet du Monde ont vu l'accès à leur site suspendu en juin 2024. Le CSC a justifié ces sanctions par la publication « de déclarations péremptoires et tendancieuses contre l'armée burkinabè, sans précaution aucune, [ce qui] constitue une désinformation de nature à porter le discrédit sur l'armée burkinabè ». En décembre 2024, c'est L'Observateur Paalga, une institution au Burkina, qui est dans le viseur du CSC pour un article publié le 16 octobre, intitulé : « Armée malienne : des généraux comme s'il en pleuvait ».

Situé en 58e position dans le classement 2023 de la liberté de la presse de l'ONG Reporters sans frontières (RSF), le Burkina a régressé à la 86e place en 2024. « Aujourd'hui, c'est la galère. On n'arrive pas à avoir des invités pour des interviews et des émissions. C'est la mort de la presse engagée au Burkina Faso », confie un journaliste sous couvert d'anonymat. Plusieurs de ses confrères, craignant pour leur liberté, ont été contraints de s'exiler.

L'affaire Zongo de nouveau enterrée ?

Le constat est d'autant plus amer que l'affaire Norbert Zongo est encore dans tous les esprits. Alors que de fortes présomptions pèsent depuis le début sur François Compaoré, ce dossier a longtemps été ignoré par la justice burkinabè. Il a fallu attendre la chute de Blaise Compaoré, en octobre 2014, pour que l'enquête avance. En mai 2017, la justice burkinabè a émis un mandat d'arrêt contre François Compaoré, alors en exil entre la France et le Bénin. Arrêté en France, il risquait d'être extradé. Mais les recours en justice du mis en cause, les coups d'État et la rupture diplomatique qui a suivi entre Ouagadougou et Paris ont stoppé la procédure.

Le dossier Zongo ne semble pas être aujourd'hui une priorité du pouvoir. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), appelée à se prononcer sur la procédure d'extradition, a indiqué le 7 septembre 2023 que « les assurances n'[avaient] pas été confirmées par le second gouvernement de transition mis en place par le nouveau chef d'État ».

Nombre de Burkinabè caressent encore l'espoir de voir les assassins de Norbert Zongo être jugés un jour, surtout depuis la nomination d'un journaliste à la primature. Mais quel intérêt un régime qui enlève et menace des journalistes aurait-il à faire la lumière sur l'assassinat du plus illustre d'entre eux ?

Notes

1- Le pouvoir militaro-civil de Ouagadougou, tout comme le pouvoir militaro-civil de Bamako, s'est montré solidaire des putschistes nigériens dès le début.

2- Collège constitué de personnalités désignées par le président de la République, le président de l'Assemblée de transition, le président du Conseil constitutionnel et les organisations de journalistes.

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Afrique du sud : Le problème ne vient pas des "étrangers"

17 décembre 2024, par Amandla ! — , ,
Des sauveteurs bénévoles à la mine de Stillfontein. La véritable histoire des zama zamas est tragique. C'est l'histoire de personnes démunies, dont beaucoup étaient d'anciens (…)

Des sauveteurs bénévoles à la mine de Stillfontein. La véritable histoire des zama zamas est tragique. C'est l'histoire de personnes démunies, dont beaucoup étaient d'anciens mineurs, qui ont été éliminés par le capital parce qu'ils ne sont plus utiles. La seule façon pour eux de subvenir aux besoins de leur famille est de vendre leur travail dans l'économie parallèle de l'exploitation minière informelle.

Tiré d'Afrique en lutte.

Et c'est reparti. Il faut les enfumer, les affamer. Ce ne sont que des étrangers, après tout... même si, en réalité, beaucoup de mineurs informels (les « zama zamas ») sont en réalité des Sud-Africains. Mais d'où qu'ils viennent, ce sont des gens désespérés. Pour passer des mois dans une mine abandonnée pour survivre, il faut être désespéré.

Et leur désespoir a tous la même cause fondamentale, qu'ils viennent du Mozambique, du Zimbabwe, du Lesotho ou de Klerksdorp : des politiques économiques dont le but est de servir l'élite pendant que les masses souffrent.

Mais il faut bien sûr trouver un récit qui explique cette souffrance. Autrefois, c'était « l'héritage de l'apartheid » qui était censé expliquer la lenteur du changement. Aujourd'hui, ce sont les immigrants illégaux et la porosité de nos frontières qui sont en cause.

Deux sujets ont dominé l'actualité ces dernières semaines : les « zama zamas » à Stillfontein et la mort d'enfants suite à l'empoisonnement de la nourriture par les pesticides. Ces deux tragédies sont entièrement imputables au gouvernement lui-même. Pourtant, elles sont toutes deux associées au même terme : « makwerekwere »… des étrangers. Ils volent nos emplois. Ils empoisonnent nos enfants. Ils terrorisent nos communautés.

« Zama-zamas »

La véritable histoire des Zama Zamas est bien plus tragique. C'est l'histoire de personnes appauvries, dont beaucoup étaient d'anciens mineurs, qui ont été éliminés par le capital parce qu'ils n'étaient plus utiles. La seule façon pour eux de subvenir aux besoins de leur famille est de vendre leur travail dans l'économie parallèle de l'exploitation minière informelle. Ce sont des travailleurs, pas des criminels, pas plus que les mineurs massacrés à Marikana n'étaient des criminels, quoi qu'en ait dit Cyril Ramaphosa.

Les conditions de travail de ces travailleurs sont bien pires que celles d'Anglo ou de Sibanye-Stillwater. Ils n'ont aucun droit et sont exploités de manière brutale par des gangsters qui dirigent des syndicats du crime et qui, en fin de compte, sont à la recherche de ceux qui contrôlent les marchés mondiaux.

Et bien sûr, comme c'est souvent le cas, il existe une solution : légaliser et réglementer l'industrie. Cette stratégie n'a rien de révolutionnaire. Elle est déjà mise en œuvre dans de nombreux autres pays africains : l'Angola, le Tchad, l'Eswatini, Madagascar, le Malawi, le Mali, le Niger, la Sierra Leone, la Tanzanie et l'Ouganda. Mais ici, en Afrique du Sud, où se trouve l'industrie minière la plus importante et la plus développée du continent, l'exploitation minière artisanale reste illégale. Et la « stratégie » du gouvernement consiste à punir brutalement les mineurs informels, au lieu de s'attaquer à la cause. Répondre à la violence créée par l'État par la violence de l'État. Autant pour la libération nationale.

Les enfants tués

Bien sûr, Cyril Ramaphosa est plus sophistiqué que son ministre de la « dépollution », Ntshavenhi. Lorsqu'il a finalement décidé de parler à « la nation » de l'empoisonnement des enfants, il a pris soin de ne pas accuser les étrangers. Au lieu de cela, il a utilisé un autre récit, celui des fausses promesses.

Il admet donc que :

L'une des raisons pour lesquelles les gens utilisent des pesticides est la lutte contre les infestations de rats. Le problème des infestations de rats est dû en partie à une mauvaise gestion des déchets dans plusieurs municipalités.

Mais pourquoi ces municipalités sont-elles si négligentes ? Où trouve-t-il son explication ? Sont-elles paresseuses ? Dorment-elles ? Sont-elles stupides ? Parce que sans une analyse appropriée, il est peu probable que l'on trouve une véritable solution. Ce qu'il ne fait évidemment pas. Au lieu de cela, il promet que l'État fera beaucoup de choses dont il s'est montré, à maintes reprises, incapable de faire. Et il en est incapable précisément à cause des politiques de son gouvernement et des gouvernements de l'ANC depuis 1994.

Tué par l'échec de l'externalisation

Le système de gestion des déchets est presque complètement défaillant dans la plupart des régions d'Afrique du Sud. Les décharges sont fermées. Les déchets s'accumulent partout. Autrefois, il y avait des services municipaux de collecte des déchets. Pas de contrats pour les amis et la famille. Aujourd'hui, bien sûr, le « service » est externalisé.

Cette délocalisation porte une lourde responsabilité dans la mort des enfants. Elle crée des emplois pour les amis de l'élite au détriment des enfants des pauvres et de la classe ouvrière. C'est un prix élevé à payer pour créer une classe moyenne noire.

Et puis il y a le refus du gouvernement (dans ce monde libéralisé où il promet sans cesse de « libérer » l'économie) de réglementer les pesticides. Ce problème n'était pas inconnu. En 2010, Hanna-Andrea Rother, professeur à l'École de santé publique et de médecine familiale de l'UCT, a publié un article dans l'International Journal of Occupational and Environmental Health dans lequel elle était très explicite. Tout d'abord, la nature et la cause du problème :

Les pesticides hautement toxiques, comme l'aldicarbe, sont facilement disponibles sur les marchés informels de la périphérie urbaine du Cap. La demande et l'offre de pesticides de rue sont alimentées par le chômage, la pauvreté et des stratégies inadéquates de lutte contre les nuisibles.

Et puis l'ampleur du danger :

Les sachets d'aldicarbe vendus dans les rues du Cap contenaient entre 50 et 60 mg/kg, ce qui leur donne le potentiel de tuer cinq à six enfants pesant 10 kg ou moins. L'incapacité des législations nationales et internationales à protéger les enfants contre l'exposition à ce produit chimique constitue une violation flagrante des droits de l'homme.

Ces mots sont étrangement prophétiques. 14 années se sont écoulées pendant lesquelles le gouvernement a eu le temps et l'opportunité de réglementer et a échoué.

Tué par l'austérité

Et puis il y a les coupes budgétaires du gouvernement. Même le président de l'ANC du Comité de portefeuille sur la gouvernance coopérative et les affaires traditionnelles (COGTA), Zweli Mkhize, a déclaré que la réduction d'environ 1,3 milliard de rands du budget de la COGTA « compromettrait la capacité du ministère à soutenir les municipalités ».

La grande majorité du budget de la COGTA est versée aux municipalités sous forme de subventions. Ces subventions sont cruciales, en particulier pour les municipalités les plus pauvres, qui n'ont que peu ou pas d'autres sources de revenus.

Et regardons ce que le Président attend de ces municipalités sous-financées et mal gouvernées.

Nos municipalités locales devront prendre des mesures urgentes pour résoudre le problème des infestations de rats en nettoyant les villes et les villages et en éliminant les déchets.

Outre l'ironie de ce président qui dit à quiconque d'autre de « prendre des mesures urgentes », comment ces municipalités dysfonctionnelles et sous-financées prendront-elles des mesures urgentes ? Quand ont-elles pris des mesures urgentes ? Les premiers cas de choléra dans la région de Hammanskraal ont été signalés en février 2023. Et l'approvisionnement en eau n'est toujours pas réparé. Et bien sûr, le président nous a tous parlé à ce moment-là, en mai 2023 :

Le Département de l'eau et de l'assainissement a émis de nombreuses directives à la ville de Tshwane pour lutter contre la pollution causée par la station d'épuration des eaux usées de Rooiwal. Malheureusement, ces directives n'ont pas été suivies d'effet.

Alors, la solution cette fois-ci ? Pour l'empoisonnement aux pesticides ? Donner de nouvelles directives, qui ne seront pas non plus appliquées.

Quelle est la directive cette fois-ci ?

Des équipes d'inspection multidisciplinaires intégrées effectueront des contrôles de conformité auprès des installations de manipulation des aliments, des fabricants, des distributeurs, des grossistes et des détaillants. Cela comprendra les magasins Spaza et les revendeurs généraux.

Où sont les ressources ?

Des tas d'ordures jonchent les rues de Joburg. Aujourd'hui, bien sûr, le « service » est externalisé. Cette externalisation porte une lourde responsabilité dans la mort des enfants. Elle crée des emplois pour les amis de l'élite aux dépens des enfants des pauvres et de la classe ouvrière.

Considérons un seul aspect de cette « directive » : les inspecteurs de la santé, ou « praticiens de la santé environnementale », pour leur donner leur nom officiel. L'Afrique du Sud compte un quart du nombre d'inspecteurs de la santé que l'Organisation mondiale de la santé estime que nous devrions avoir.

Nous sommes dans une situation où nous avons 11,6 millions de chômeurs et 1 712 inspecteurs de santé dans tout le pays. La ville de Tshwane compte 73 inspecteurs de santé, soit un pour 60 000 habitants. Le ratio correct, selon le ministre , est de 1 pour 10 000.

Même si leur seule tâche consistait à inspecter les boutiques de luxe, ces 73 personnes auraient du mal à s'en sortir. Mais en fait, leur travail est bien plus vaste que cela. Il comprend :

Hygiène alimentaire et sécurité dans les restaurants, les points de vente de nourriture et les installations de production alimentaire.

Santé environnementale, y compris la qualité de l'eau et de l'air et la gestion des déchets.

Santé et sécurité au travail.

Prévention et contrôle des maladies.

Habitat et assainissement urbain.

Octroi de licences et réglementation des vendeurs de produits alimentaires et des entreprises impliquées dans la manipulation de matières dangereuses.

Notre honorable président s'attend à ce que ces quelques inspecteurs de la santé inspectent non seulement tous les magasins de spaza, mais aussi toutes les installations de manipulation des aliments, des fabricants aux détaillants. Et pas seulement une fois, mais régulièrement.

Les Sud-Africains en ont assez de ces récits fantaisistes qui ne peuvent être réalisés qu'avec des ressources inexistantes. C'est toujours la même histoire. Des promesses vides. Des histoires qui n'ont aucun rapport avec la réalité. Vous souvenez-vous du Plan national de développement ?

Quelques vraies solutions

Il est temps de se concentrer sur des solutions qui s'attaquent aux causes profondes de ces tragédies. Le gouvernement doit :

Réglementer l'industrie des pesticides : interdire tous les pesticides hautement dangereux et appliquer des contrôles stricts sur la production et la vente de pesticides, en tenant les fabricants responsables de leur distribution.

Renforcer le contrôle de la sécurité alimentaire : investir dans des inspecteurs de santé et fournir des ressources aux commerçants informels pour qu'ils se conforment aux normes de sécurité alimentaire au lieu de les fermer.

Internaliser tous les services essentiels : rétablir les services municipaux de collecte des déchets.

Mettre fin à l'austérité : allouer un financement adéquat aux municipalités pour améliorer la gestion des déchets, l'approvisionnement en eau et les services de lutte antiparasitaire.

Lutter contre le chômage : introduire un revenu de base universel et mettre en œuvre un impôt sur la fortune pour remédier à la crise de la pauvreté systémique.

Mettre fin à la libéralisation du commerce : élaborer des politiques qui protègent les industries locales et créent des emplois durables plutôt que d'inonder le marché de biens importés bon marché.

La mort tragique des enfants et la souffrance des mineurs informels devraient unir les Sud-Africains pour exiger un changement systémique plutôt que de faire des groupes vulnérables des boucs émissaires.

Source : https://www.amandla.org.za

Traduction automatique de l'anglais.

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