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Une extrême droite du désastre ? Entretien avec Richard Seymour

17 décembre 2024, par Richard Seymour — ,
Le monde d'aujourd'hui regorge de catastrophes réelles. Mais de la préparation militaire aux fantasmes de déportation massive, l'extrême droite et la droite extrémisée (…)

Le monde d'aujourd'hui regorge de catastrophes réelles. Mais de la préparation militaire aux fantasmes de déportation massive, l'extrême droite et la droite extrémisée promettent à leurs partisans de meilleures catastrophes : celles où ils seront aux commandes. Entretien avec Richard Seymour, qui vient de publier Disaster Nationalism, aux éditions Verso.

Tiré du site de la revue Contretemps
10 décembre 2024

Par Richard Seymour

Lorsque Carlos Mazón a pris le pouvoir à la tête d'un gouvernement de droite à Valence l'année dernière, il semblait que la crise climatique n'avait rien d'inquiétant. Il avait formé une coalition entre son parti conservateur, le Partido Popular, et le parti d'extrême droite, Vox, et pour sceller l'accord, il avait accepté de supprimer l'Unité d'Intervention d'Urgence de Valence. Le mois dernier, Valence a été dévastée par des inondations qui ont fait plus de 200 morts, les alertes n'ayant pas été diffusées et les patrons ont refusé de laisser les travailleurs rentrer chez eux pour se mettre à l'abri. Alors que la crise battait son plein, Carlos Mazón profitait d'un long déjeuner.

Malgré ces responsabilités politiques, l'extrême droite a tenté de tirer profit de la catastrophe. Elle reproche au Premier ministre Pedro Sánchez et à son gouvernement de gauche d'avoir détruit des barrages datant de l'époque franquiste qui auraient permis d'arrêter les crues soudaines. En réalité, comme le rapporte El Diario, la grande majorité des barrages supprimés étaient de petits déversoirs de moins de deux mètres de haut, et tous étaient des « infrastructures inutiles ». Les barrages franquistes n'auraient pas sauvé les habitants de Valence. Mais pour les partisans de la droite, qui nient l'existence d'une véritable catastrophe et en inventent de fausses, cette hallucination est essentielle pour comprendre la destruction de l'Espagne.

Cette tendance de la pensée de droite est le sujet du nouveau livre de Richard Seymour, Disaster Nationalism. Dans cet ouvrage, Seymour utilise les outils de la psychanalyse et du marxisme pour examiner ce qui se passe avec l'extrême droite mondiale. Olly Haynes l'a interviewé pour Jacobin à propos de son nouvel ouvrage.

*

OLLY HAYNES Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est le nationalisme du désastre et pourquoi – comme vous le dites – ce n'est « pas encore le fascisme ou un pas-encore-fascisme » ?

RICHARD SEYMOUR J'ai remarqué il y a quelques années que la nouvelle extrême droite était obsédée par des scénarios fantastiques de mal imaginaire et extrême. Les camps de la mort de la FEMA, (Federal Emergency Management Agency, l'Agence fédérale de gestion des situations d'urgence étatsunienne) la « théorie du grand remplacement », la « grande réinitialisation », les villes 15 minutes, les antennes 5G qui sont des balises de contrôle de l'esprit, et les micropuces installées dans les gens par les vaccins.

En Inde, il existe une théorie appelée « Romeo jihad », selon laquelle les hommes musulmans séduisent les jeunes filles hindoues et les convertissent à l'islam, menant ainsi une sorte de guerre démographique. Ou encore les fantasmes de QAnon selon lesquels des pédophiles satanistes et communistes dirigent le monde. Ils sont réellement captivés et obsédés par des scénarios hallucinatoires de désastre extrême.

Comment cela se fait-il ? Les catastrophes réelles ne manquent pas : incendies, inondations, guerres, récessions et pandémies. Pourtant, ils entretiennent souvent des relations négationnistes avec ces catastrophes. Beaucoup disent que COVID-19 n'était qu'une excuse pour le IVe Reich, ou que le changement climatique est une excuse pour un régime libéral totalitaire, une nouvelle forme de communisme, etc. Les gens de droite sont vraiment captivés et obsédés par les scénarios hallucinatoires de catastrophes extrêmes.

Je prends souvent l'exemple des incendies de forêt en Oregon. Les incendies ont ravagé les plaines et les forêts et ont brûlé à 800 degrés Celsius. Ils constituaient une véritable menace pour la vie des gens. Mais beaucoup de gens ont refusé de partir parce qu'ils ont entendu dire que c'était en fait les Antifas qui mettaient le feu et que cela faisait partie d'une conspiration séditieuse visant à éliminer les chrétiens conservateurs blancs. Alors, plutôt que de fuir pour sauver leur vie, ils ont mis en place des points de contrôle armés et ont pointé leurs fusils sur les gens, affirmant qu'ils étaient à la recherche d'Antifas.

Pourquoi ce fantasme d'apocalypse de masse ? Parce qu'il transforme le désastre d'une manière qui est en fait assez vivifiante. La plupart du temps, lorsque les gens subissent des catastrophes, ils sont déprimés et se retirent un peu de la vie et de la sphère publique. Mais l'extrême droite offre une autre issue. Elle dit que « ces démons dans votre tête avec lesquels vous vous êtes battus, ils sont réels et vous pouvez les tuer ». Le problème n'est pas difficile, abstrait ou systémique, il s'agit simplement de mauvaises personnes, et nous allons les attraper ». Il s'agit de toutes les émotions difficiles auxquelles les gens sont confrontés face aux chocs économiques et au changement climatique, et de leur donner un exutoire qui leur semble valide et valorisant.

C'est ce que j'appelle le nationalisme du désastre. Il n'est pas encore fasciste car, bien qu'il organise les désirs et les émotions des gens dans une direction très réactionnaire, ils n'essaient pas de renverser la démocratie parlementaire, ils n'essaient pas d'écraser et d'extirper tous les droits de l'homme et les droits civils – pour l'instant. Ils manquent également de maturité organisationnelle et idéologique. Nous sommes dans une phase d'accumulation de la force fasciste.

Si l'on remonte à l'entre-deux-guerres, ce processus d'accumulation avait déjà eu lieu, il y avait déjà eu des pogroms massifs, il y avait déjà eu de grands mouvements d'extrême droite avant le fascisme. Nous nous trouvons donc à un stade précoce du fascisme inchoatif que je vois se développer ici.

OLLY HAYNES À la fin de The Anatomy of Fascism, publié en 2005, Robert Paxton nous avertit que la politique israélienne pourrait sombrer dans le fascisme. Quelle est la place d'Israël dans votre conception d'un fascisme qui n'en est pas encore un ?

RICHARD SEYMOUR Lorsque j'ai commencé à écrire ce livre, je ne m'attendais pas à parler beaucoup d'Israël. Je pensais qu'il s'intégrerait comme un élément mineur dans un patchwork mondial centré sur des États beaucoup plus importants. En fin de compte, j'ai dû écrire un tout nouveau chapitre en raison du génocide à Gaza.

Il est clair depuis un certain temps que le sionisme est toujours un génocide naissant parce que son désir ultime est que les Palestiniens n'existent pas. Et il y a toujours eu des éléments de fascisme hébreu depuis les années 1920. Je dirais que leur dynamique coloniale est tout à fait particulière. On ne voit pas cela aux États-Unis : il est évident que le colonialisme de peuplement est une réalité historique avec des répercussions permanentes, mais ce n'est pas une réalité vivante et actuelle. Le colonialisme de peuplement structure l'organisation de l'État, il structure la vie quotidienne, vous ne pouvez pas exister en Israël sans être conscient des Palestiniens et de leur désir récalcitrant et exaspérant d'exister.

Mais il y a d'autres aspects qui sont tout à fait similaires aux schémas observés aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Inde, au Brésil, etc. Il s'agit du déclin du système d'après-guerre, dans leur cas un accord corporatiste entre la main-d'œuvre juive, le capital juif et l'État, obtenu grâce à la purification ethnique de 1948. Ce système s'est effondré dans les années 1970 et, comme partout ailleurs, il est devenu néolibéral. Les syndicats israéliens ont décliné. Ils ont tenté de s'adapter par le biais de la politique de la troisième voie, et leur dernière chance a probablement été le processus d'Oslo. Aujourd'hui, ils existent à peine.

Il y a eu ces tendances à l'augmentation du pessimisme et de l'inégalité des classes, et la vieille utopie nationaliste du monde de l'après-guerre a disparu. La classe capitaliste est cosmopolite et étroitement intégrée à Washington, ce n'est pas l'utopie nationaliste juive qu'ils essayaient de construire. C'est pourquoi certains membres du mouvement sioniste tentent de reconstituer cette patrie juive, une sauvegarde juive si l'on peut dire. La droite a dit : « Non, nous avons dépassé cela maintenant. Nous sommes dans une situation où nous devons régler la question avec les Palestiniens une fois pour toutes ». Pour eux, cela signifie expulser les Palestiniens et coloniser résolument chaque parcelle de terre qui, selon eux, appartient au Grand Israël.

Cela nous amène-t-il au fascisme ? Pas tant qu'il y a des systèmes constitutionnels, libéraux-démocratiques. C'est une démocratie d'exclusion, et ce n'est pas inhabituel à cet égard ; l'Amérique jusqu'aux années 1970 était une démocratie d'exclusion, et je dirais même qu'elle l'est encore aujourd'hui, mais à un degré différent. Israël a une culture de plus en plus raciste, autoritaire et génocidaire et il est plus proche d'un coup d'État fasciste que n'importe où ailleurs. Je pense que le génocide et le processus de radicalisation de la base vont conduire à un coup d'État kahanisteou d'extrême droite.

Si vous voulez voir où le fascisme est assez avancé, je dirais que c'est là, mais aussi en Inde. Il faut entendre les alarmes : « Nous sommes au bord d'un génocide », car le BJP [Bharatiya Janata Party], un mouvement autoritaire de droite lié au fascisme historique, a colonisé l'État et supprimé les droits civils. Il s'agit d'un phénomène mondial dans lequel Israël joue un rôle unique et distinctif. Israël est très proche d'un régime fasciste millénariste. À moyen terme, c'est une possibilité réelle et dangereuse, étant donné qu'il s'agit d'un État nucléaire.

OLLY HAYNES Vous écrivez qu' « il serait stupide d'ignorer les fantasmes catastrophistes de la droite. Ils sont souvent en phase avec des réalités que l'optimisme libéral préfère ne pas reconnaître ». De quelles réalités s'agit-il ?

RICHARD SEYMOUR Ils mettent parfois le doigt sur des éléments importants de la réalité. Les théories complotistes à propos des villes de 15 minutes, par exemple, sont hallucinantes et délirantes parce qu'on croit qu'elles annoncent une sorte de dictature communiste anti-voiture. Mais au fond, il s'agit d'une véritable menace pour l'automobilité, le mode de vie suburbain et les avantages relatifs de la possession d'une voiture.

Si vous construisez des villes en fonction de la commodité et de la présence de pistes cyclables partout, en vous débarrassant autant que possible de la pollution et en supprimant les places de parking, c'est un problème si vous êtes quelqu'un qui aime se déplacer partout en voiture. C'est particulièrement problématique si l'on commence à mettre en place des barrières de circulation pour vous empêcher d'emprunter certaines routes.

Si vous êtes directement et personnellement concerné, vous pouvez avoir l'impression que la vie va changer radicalement au cours des prochaines décennies. Et ils n'ont pas tout à fait tort : le changement climatique nécessitera de vastes changements structurels. Les libéraux veulent nier la gravité de ce qui se prépare et de ce que les gens vivent déjà. Je pense que la réponse de la gauche devrait être de dire : « Oui, vous avez raison, nous allons tout transformer, mais ce sera bien mieux pour vous. Voici comment ».

L'exemple qui me vient toujours à l'esprit est celui de Barack Obama en 2016. Il s'est moqué de Donald Trump qui faisait du catastrophisme dans sa campagne, et il a dit avec son ironie : « Le lendemain, les gens ont ouvert leurs fenêtres, les oiseaux chantaient, le soleil brillait. » Le pathos qu'il essayait d'invoquer était que les gens étaient en fait plutôt heureux, que tout allait bien. Puis, lors des élections, il a eu sa réponse : Trump a gagné. Pour beaucoup de gens, les choses ne vont pas bien.

Trump a prononcé son discours d'investiture avec le discours écrit par Steve Bannon, parlant du « carnage américain », ce qui, à mon avis, est une sorte de poésie réactionnaire, car le carnage n'est pas une description inexacte de la destruction de l'Amérique industrielle. Ils ont mis le doigt sur un problème réel, mais leur réponse a été de blâmer la Chine, l'Asie de l'Est. La plupart des emplois perdus l'ont été à la suite d'une lutte des classes par le haut – réduction des effectifs, démantèlement des syndicats. Il y a eu un élément d'externalisation, mais ce sont les entreprises, les patrons, qui sont à blâmer, pas les travailleurs et les travailleuses d'Asie de l'Est.

Vous voyez donc qu'ils peuvent identifier certaines formes de désastre. Ce qu'ils ne peuvent pas faire, c'est les intégrer dans une analyse globale cohérente et solide. Tout ce qu'ils proposent, en réalité, ce sont des symptômes conçus pour ne rien résoudre, mais qui vous permettent d'aller massacrer des musulmans en Inde, des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, de tuer des partisans du Parti des Travailleurs au Brésil, de tirer, de poignarder ou d'utiliser des voitures pour écraser des manifestants de Black Lives Matter aux USA, ou d'organiser des émeutes racistes en Grande-Bretagne où ils ont essayé de brûler des demandeurs d'asile dans leurs hôtels. C'est ce que la droite propose comme alternative au désastre ; de meilleurs désastres, des désastres dans lesquels vous vous sentez en contrôle.

OLLY HAYNES Vous avez mentionné les meurtres de musulmans en Inde. Pourriez-vous expliquer ce qu'était le pogrom de Gujarat et pourquoi vous le considérez comme le point de départ de la vague actuelle de nationalisme du désastre ?

RICHARD SEYMOUR Je dirais que c'est le canari dans la mine de charbon. De toute évidence, c'est loin d'être le seul pogrom significatif en Inde. Il existe une sorte de machine à pogroms : Paul Brass en parle avec élégance. Pour l'essentiel, un incendie s'est déclaré dans un train, tuant un certain nombre de pèlerins hindous. Il s'agissait de membres du VHP, une organisation d'extrême droite, et le mouvement Hindutva [nationaliste hindou] a supposé que des musulmans avaient provoqué l'incendie à l'aide de bombes à essence.

Il y a peu de preuves de cela : des enquêtes impartiales ont conclu que l'incendie était un accident. Mais ils ont décidé qu'il y avait eu un génocide contre les hindous et, dans les jours qui ont suivi, ils ont incité la population à prendre les armes et à traquer, tuer et torturer les musulmans. C'est ce qu'ils ont fait, directement organiséspar des membres du BJP, incités par des dirigeants du BJP, avec la complicité et la participation de la police et d'hommes d'affaires qui ont payé des individus pour qu'ils participent à l'opération.

Il s'agissait d'une explosion collective de violence publique coordonnée, d'une permissivité assortie d'un certain degré de contrôle de la part des autorités. Le résultat a été que le vote du BJP a augmenté de 5 % alors qu'on s'attendait à ce qu'il perde cet État après avoir terriblement mal géré un vrai désastre : un tremblement de terre qui avait eu lieu l'année précédente.

Vous voyez donc le schéma : il y a une vraie catastrophe qui affecte les gens, le gouvernement la gère terriblement, puis il propose une fausse version de la catastrophe et il incite les gens à tuer quelqu'un et c'est très excitant. Les choses qu'ils fontsont horribles. Ils assassinent des bébés devant leur mère, ils enfoncent des pointes entre les jambes des femmes, ils coupent les gens en deux avec des épées.

Il est évident que cette situation s'est accumulée depuis un certain temps, et alors, dans les mois qui ont suivi, Narendra Modi a organisé des rassemblements de fierté hindoue et a dit aux gens que si nous pouvions restaurer la fierté de notre peuple hindou, tous les « Alis, Malis et Jamalis » ne pourraient pas nous faire de mal – il voulait évidemment parler de la population musulmane qui venait juste de subir un pogrom. Le fait que ces propos n'aient pas jeté le discrédit sur le BJP, mais qu'ils aient au contraire électrisé sa base et fait de Modi un sex-symbol pour la première fois, en dit long sur ce type de politique.

Nous l'avons vu à maintes reprises. Sans toutes les manifestations armées, rassemblements anti-confinement et sans les violences contre les manifestants de BLM, vous n'auriez pas vu l'insurrection bâclée du 6 janvier. Même chose au Brésil : Jair Bolsonaro avait 20 points de retard, il a presque gagné en 2022 et a obtenu plus de voix qu'en 2018. Comment a-t-il fait ? Un été de violence chaotique au cours duquel il a déclaré que les militants de gauche devaient être mitraillés, et ses partisans ont brandi leurs armes face aux partisans du Parti des Travailleurs, les ont agressés ou les ont assassinés. Je ne dis pas que le pogrom du Gujarat a précipité ces autres événements, mais il s'agissait d'un exemple précoce de ce qui se passait, et dès que Modi a été élu en 2014, il a montré que le capitalisme libéral tolérerait cela.

OLLY HAYNES La plupart des violences génocidaires commises depuis les années 1990 l'ont été à l'encontre de musulmans de diverses ethnies, et bien qu'il y ait beaucoup de racisme à l'encontre de différents groupes dans la politique occidentale, les attaques les plus véhémentes semblent être réservées aux musulmans.

Tommy Robinson, par exemple, se vante que les Noirs sont les bienvenus à ses rassemblements. Quel rôle joue la figure abstraite du « musulman » dans le discours nationaliste catastrophique et a-t-elle remplacé le « juif » en tant que figure de la haine d'extrême droite ?

RICHARD SEYMOUR Je ne pense pas que l'on trouve cela au Brésil ou aux Philippines. Mais c'est le cas dans toute une constellation d'États, de l'Inde à Israël, en passant par les États-Unis et la plupart des pays d'Europe occidentale, et même d'Europe de l'Est. En termes sémiotiques, ce n'est pas exactement la même chose que la figure du « Juif », parce qu'à l'heure actuelle, le discours de l'extrême droite ne donne pas l'impression que les musulmans, en plus d'être une sorte de masse misérable de la Terre, contrôlent tout.

Il y a eu des tentatives pour développer une sorte de théorie de la conspiration comme celle de Bat Ye'or sur l‘Eurabia, par exemple. Mais la plupart du temps, il ne s'agit pas de la croyance que les musulmans sont secrètement aux commandes et dirigent le système financier, mais plutôt qu'ils constituent une masse subversive, violente, anormale et inférieure qu'il faut soumettre à la violence et aux frontières pour la garder sous contrôle.

Je dirais que cela trouve son origine dans le tournant des années 1980 vers l'absolutisme ethnique, la coalition entre les partisans du Likoud en Israël et les fondamentalistes chrétiens aux USA, vers une sorte de politique identitaire absolutiste où tout le monde doit entrer dans une case particulière – il y a une sorte d'effondrement de la solidarité antiraciste unificatrice que nous avons vue à l'époque de la guerre froide, en Grande-Bretagne, prenant la forme de la noirceur politique. Tout cela s'est effondré, puis il y a eu l'affaire Rushdie et les musulmans ont été catégorisés comme un problème spécifique.

Il est important que cela soit ancré dans l'expérience quotidienne de la vie capitaliste. En Grande-Bretagne, par exemple, les personnes qui militaient dans le même syndicat dans les villes du Nord ou sur les docks, une fois que ces industries ont été fermées et que les syndicats ont été démantelés, se sont souvent dirigées vers des secteurs marginalisées de l'économie et ont découvert que leur logement était toujours ségrégué, que le système scolaire était effectivement ségrégué, que les mairies pratiquaient des politiques de ségrégation et que le maintien de l'ordre était ségrégationniste dans ce sens, c'est-à-dire très raciste.

Ajoutez à cela l'austérité et vous obtenez une misère publique, personne n'a rien, et vous blâmez toujours les gens en bas de l'échelle : « Ils ont tout, je n'ai rien ». C'est à ce moment-là que l'on commence à voir des émeutes dans les villes du Nord et que la guerre contre le terrorisme catalyse tout cela.

Il s'agit donc d'un phénomène mondial dans lequel la civilisation libérale s'est définie contre les « mauvais musulmans ». Au départ, il y avait l'idée que le problème n'était pas tous les musulmans, mais seulement ce que nous appelons le fascisme islamique : George W. Bush l'a souligné. Mais la manière dont cette idée a été comprise par la population et la manière dont elle a été politisée l'ont étendue à tous les musulmans. Le musulman est donc une figure centrale, mais je pense que nous devons le considérer comme faisant partie d'une chaîne d'équivalence avec le « prédateur transgenre des toilettes », le « marxiste culturel » et le migrant.

Aux Philippines, la principale catégorie est celle des toxicomanes : ce sont les personnes qui ont été assassinées. Cela peut prendre différents accents, mais je suis d'accord pour dire que globalement, et particulièrement pour l'Occident, « le musulman » coordonne tous ces autres problèmes.

OLLY HAYNES L'un des chapitres les plus intéressants porte sur le rôle du sexe dans le discours nationaliste sur les catastrophes. Vous avez également écrit un chapitre sur le génocide à Gaza, bien qu'il mette un peu moins l'accent sur la psychanalyse que vous utilisez dans d'autres chapitres.

Les questions d'exploitation et d'agression sexuelles sont revenues tout au long du génocide à Gaza, entre les soldats israéliens affichant des vidéos sur TikTok avec des sous-vêtements de femmes palestiniennes ou les émeutes pour la défense de soldats accusés d'avoir violé des détenus en prison. Pourriez-vous développer votre analyse du rôle du sexe dans l'imaginaire nationaliste du désastre ?

RICHARD SEYMOUR Je dirais qu'en termes d'économie libidinale de cette nouvelle extrême droite, leur prémisse sous-jacente semble être que quelqu'un est toujours violé et que le problème est que les « communistes » (parmi lesquels ils incluent Kamala Harris, etc.) veulent que les mauvaises personnes soient violées. Le mouvement incel (les « célibataires involontaires »), les défenseurs des droits des hommes, etc. tentent souvent de justifier le viol.

Il y a une sorte de contradiction dans cette économie libidinale entre des interdictions sévères renouvelées – plus de mariage gay, plus de transgenre, retour des femmes dans les cuisines, fétichisme de l'épouse traditionnelle (trad wife) – d'une part, et d'autre part, une liberté prédatrice totale pour les hommes, donc une permissivité sélective. Il n'est pas surprenant de voir cela dans les zones de guerre. Les guerres donnent généralement lieu à de nombreux viols : la victimisation de l'ennemi passe notamment par la brutalisation des femmes.

J'ai récemment effectué des recherches sur les auteurs de crimes, en particulier en ce qui concerne le génocide à Gaza, et l'une des choses qui revient est ce dont parle Klaus Theweleit, c'est-à-dire l'idée de la femme dangereuse. En termes modernes, il s'agit de la combattante de la justice sociale (social justice warrior), hurlante et rousse, etc., mais à l'époque où il écrivait, le mouvement des Corps Francs Allemagne, les Freikorps des années 1920, la femme dangereuse était une communiste qui avait un pistolet sous la jupe. C'est une personne que l'on veut approcher suffisamment pour la tuer. Cette proximité dangereuse est passionnante parce que vous vous approchez du danger, puis vous le surmontez et vous prenez ce que vous voulez, de la pire façon possible.

J'imagine qu'une grande partie de la politique masculine de droite aujourd'hui est une tentative de surmonter un sentiment d'inefficacité, d'impuissance, de paralysie, etc. Et franchement, lorsqu'ils parlent de viol, ils sous-entendent qu'ils sont vraiment excités et qu'ils désirent beaucoup. Mais les faits suggèrent que les jeunes hommes, les jeunes en général, ne sont pas aussi intéressés par le sexe que les générations précédentes. Ils ne sont pas aussi intéressés par le sexe, ils ne sont pas aussi intéressés par le romantisme, il n'y a rien de très sexy dans la vie contemporaine.

L'une des choses ici est qu'ils blâment les femmes pour le fait qu'elles n'ont pas de désir, et ils disent : « Nous sommes involontairement célibataires. » Ils disent que si les femmes les draguaient, ils seraient prêts à faire l'amour tout le temps. J'en doute. Ils sont aussi troublés, contrariés et foutus que tout le monde, voire plus. Mais je pense qu'ils essaient de regonfler leur désir en le transformant en une démonstration de pouvoir, d'efficacité, de puissance. Il y a beaucoup de cela, et je pense qu'il y aura des spécificités à Gaza, parce que toute cette affaire de soldats israéliens se filmant dans la lingerie volée de femmes palestiniennes, c'est évidemment parodique, c'est génocidaire, mais il y a quelque chose à ce sujet qui implique une identification inconsciente avec la victime.

OLLY HAYNES J'ai trouvé qu'il manquait au livre une analyse du rôle des centristes libéraux dans cette situation. Je pense notamment à Kamala Harris qui a fait campagne avec les Cheney, avant de perdre face à Donald Trump. C'est là, en arrière-plan, mais je me demandais si vous pouviez expliquer comment vous voyez les libéraux s'intégrer dans ce tableau ?

RICHARD SEYMOUR Il y a deux angles à cette question. Les centristes libéraux en tant qu'individus et en tant que groupe et leur relation symbiotique avec l'extrême droite. Le second est celui sur lequel je me concentre dans le livre, sur les échecs de la civilisation libérale. La barbarie qui lui est inhérente se manifeste dans l'impérialisme et la guerre, dans son racisme, dans son sadisme frontalier, dans le travail et l'exploitation, mais aussi dans les hiérarchies de classe et les misères qu'elles engendrent. La question est donc de savoir comment nous parvenons à des situations spécifiques dans lesquelles des personnes comme Obama, Hillary Clinton, et maintenant Kamala Harris et Joe Biden contribuent à l'accession au pouvoir de cette nouvelle formation.

Je dirais que le philosophe Tad DeLay pose une question intéressante dans son récent livre, The Future of Denial, sur la politique climatique : « Que veut le libéral ? » C'est une bonne question, car les libéraux ne cessent de proclamer leur affinité avec les valeurs égalitaires et libertariennes. Ils affirment soutenir la lutte contre le changement climatique, mais s'opposent également à tout moyen efficace d'y parvenir.

Je pense de plus en plus qu'en fin de compte, les libéraux ne veulent pas du libéralisme. Il est évident qu'il faut faire certaines distinctions parce qu'il y a des libéraux qui sont véritablement engagés philosophiquement et politiquement dans les valeurs libérales, qui se battront pour elles et qui iront à gauche s'il le faut. Mais il y a aussi les centristes purs et durs dont la politique s'organise principalement autour d'une phobie de la gauche.

Je parle ici d'un anticommunisme hallucinant, principalement connecté avec la droite, mais les libéraux ont une vision tout aussi irréaliste de la gauche et de sa menace supposée. Ce serait bien si la gauche était plus forte et si nous étions sur le point de provoquer une révolution communiste, mais ce n'est pas le cas.

Lorsque Bernie Sanders s'est présenté, je me souviens de la panique des libéraux américains. Un animateur craignait qu'une fois que les socialistes auraient pris le pouvoir, les gens seraient mis au pied du mur et abattus. Pensez aussi à la façon dont le centre dur (centre-gauche et centre-droit) a encouragé les théories du complot comme en Grande-Bretagne, l'opération « Cheval de Troie » : l'idée que les musulmans prenaient le contrôle des écoles de Birmingham. Cette théorie complotiste ne venait pas de l'extrême droite, mais du gouvernement.

Le rapport est le suivant : l'extrême droite reprend les prédicats déjà établis par le centre libéral, les radicalise et les rend plus cohérents en interne. Il y a quelques années, au début de la période où le New Labour était au pouvoir, il a commencé à mettre en place une véritable répression à l'encontre des demandeurs d'asile. Ils mettaient régulièrement en scène des images d'actualité où un ministre se trouvait à Douvres à la recherche de demandeurs d'asile dans les camionnettes des gens et d'autres choses de ce genre. Pendant ce temps, le British National Party (BNP) prenait de l'ampleur et déclarait dans des interviews : « Nous aimons ce qu'ils font, ils nous légitiment ». Ils ont pris des préoccupations qui étaient au bas de l'échelle des préoccupations des gens en 1997 et les ont poussées au sommet, ce qui a donné une légitimité au BNP.

Pour leurs propres raisons, ils ont tendance à amplifier les courants réactionnaires qui circulaient déjà. Puis, lorsque l'extrême droite se développe sur cette base, ils ont tendance à affirmer que « c'est une bonne raison pour nous d'aller plus loin dans cette direction, car cela montre que si nous ne nous attaquons pas à ce problème, l'extrême droite va se développer encore plus ». Il s'agit d'une machine à résonance, qui rebondit en quelque sorte l'une sur l'autre. L'un des problèmes que pose le choix entre un démocrate centriste et un républicain d'extrême droite est que ce choix repose sur l'exclusion de la gauche. Structurellement, les deux se nourrissent de cette exclusion, mais à long terme, c'est l'extrême droite qui en bénéficie.

OLLY HAYNES Vers la fin du livre, vous suggérez que les appels à la rationalité et à l'intérêt personnel des gens ne fonctionnent pas toujours, et que la politique du « pain et du beurre », bien que nécessaire, n'est peut-être pas suffisante : pour mobiliser les gens politiquement, il faut susciter leurs passions. Avez-vous une idée de ce à quoi doivent ressembler ces « roses » qui doivent être offertes à côté du « pain » ?

RICHARD SEYMOUR J'aurais dû utiliser cette métaphore dans le livre : « du pain et des roses » est une bonne façon de le dire. Je pense qu'il existe une aspiration légitime et innée à la transcendance qui est immanente à la vie en tant que telle. En d'autres termes, être en vie, c'est s'efforcer d'atteindre une situation toujours différente. La vie est un processus téléologique dans lequel nous nous efforçons d'atteindre un certain niveau de développement. Mais aussi, l'aspiration à la connaissance, l'aspiration à l'autre – c'est l'instinct social, l'aspiration, dans le langage de Platon, au bien, au vrai et au beau. Je pense que cet instinct est présent chez tout le monde et chez tous les êtres vivants.

Je dirais que l'on peut le voir lorsque nous avons ces ruptures de gauche, comme la campagne de Sanders. C'est très bien de parler de pain et de beurre. Il y a de bonnes choses dont les gens ont besoin, comme les soins de santé et un salaire minimum plus élevé, la lutte contre l'exploitation des employeurs, mais aussi, au-delà, la lutte contre le sadisme frontalier, en disant aux gens qu'ils veulent vivre dans une société décente.

Toute personne dotée d'un instinct décent a été attirée par cette campagne, électrisée par elle, parce qu'en fin de compte, qu'est-ce qu'il a dit ? Il n'a pas dit « votez pour moi et vous aurez plus de biens matériels », il a dit « votez pour moi et vous aurez une révolution politique ». Et ne vous contentez pas de voter pour moi, participez à un mouvement politique avec moi, prenez le pouvoir, renversez tous les éléments décrépits et sadiques de notre société et approfondissez la démocratie. Il a parlé d'un voyage improbable ensemble, pour refaire et transformer le pays.

Les gens ont vraiment envie de travailler ensemble pour atteindre quelque chose de plus élevé. L'une des pathologies de la vie moderne est que les gens se sentent frustrés, paralysés, inefficaces. Son mode d'expression caractéristique était « si nous restons unis » – et quand il disait cela, la foule entrait en éruption. Ce n'est qu'un exemple de rupture de gauche. Jean-Luc Mélenchon a son propre style, Jeremy Corbyn a un style très différent, mais l'idée de base est toujours la même : l'ethos social, l'effort commun.

Karl Marx et Friedrich Engels ont parlé de cette dialectique où l'on adhère à un syndicat au départ pour obtenir des salaires plus élevés, une journée de travail plus courte, des choses dont on a fondamentalement besoin, mais où l'on développe ensuite d'autres besoins, plus riches. Très souvent, les travailleurs se mettent en grève pour défendre leur syndicat, même s'ils perdent des journées de salaire et que leurs conditions matérielles objectives se détériorent quelque peu. Ils ont besoin les uns des autres, ils ont besoin de leur syndicat. Cela peut aller plus loin ; cela peut être politisé de manière beaucoup plus profonde. Le besoin le plus radical est le besoin d'universalité, au sens marxiste du terme.

Lorsque les gens descendent dans la rue pour lutter contre le changement climatique, ils pensent à un monde de plénitude, pas nécessairement un monde où ils ont tous les gadgets et les produits dont ils ont besoin, mais un monde où tout le monde et toutes les espèces ont une chance de prospérer et de s'épanouir. Je dirais que c'est normal. La question est de savoir comment ce communisme instinctif de base, comme le disait David Graeber (1961-2020), est contrecarré, écrasé et détourné. Comment ce besoin impeccablement respectable est-il négligé et pathologisé, de sorte que les gens n'osent même pas y penser, et encore moins l'exprimer ? De sorte que les gens adoptent une sorte de posture cynique.

Je pense que les roses dont nous avons besoin sont celles qui proviennent de notre unité : J'ai mentionné les termes platoniciens « le bon, le vrai et le beau ». Pensez à la culture et à ce travail que nous faisons ensemble, pensez à la recherche de la vérité dans les sciences et à ce travail que nous faisons ensemble. Nos efforts pour élever les normes morales en essayant de mettre fin à la violence, au viol et au racisme sont des capacités intrinsèques que nous possédons tous. Il est évident que nous ne sommes pas à la hauteur, que nous pouvons vivre des existences privatives où nous sommes égoïstes, haineux et rancuniers. Mais ce n'est pas tout. Si c'était le cas, nous pourrions tout aussi bien abandonner.

*

Entretien publié dans Jacobin. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.

Richard Seymour est journaliste, chercheur indépendant et militant révolutionnaire. Il tient le blog anglophone leninology.co.uk, est coéditeur de la revue Salvageet notamment l'auteur de Corbyn : The Strange Rebirth of Radical Politics, The Liberal Defense of Murder, American Insurgents.

Olly Haynes est un journaliste basé au Royaume-Uni, qui couvre la politique, l'environnement et la culture.

Illustration : Wikimedia Commons.

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Avis de tempête

17 décembre 2024, par Didier Epsztajn, Michel Lanson, Patrick Silberstein — , ,
Nul n'osait le prévoir, Trump est élu président des États-Unis. Les Républicains MAGA (Make America Great Again) sont majoritaires au Sénat et à la Chambre des représentants, (…)

Nul n'osait le prévoir, Trump est élu président des États-Unis. Les Républicains MAGA (Make America Great Again) sont majoritaires au Sénat et à la Chambre des représentants, sans oublier la Cour suprême.

Il ne s'agit pas d'un simple événement électoral mais d'un bouleversement qui a déjà des impacts dans le monde entier, comme pour la majorité des populations civiles.

Nous proposons quelques éclairages sur l'élection étasunienne et sur les possibilités de résistance. Les élections américaines ne sont pas, hélas, exceptionnelles dans ce monde en profondes mutations [1].

Télécharger le n° 7 d'Adresses : internationalisme et démocr@tie :
Adresses n°7

Beaucoup encore refusent de voir Vladimir Poutine et l'armée russe bombarder les équipements énergétiques et sociaux vitaux pour la population ukrainienne. Et multiplier les crimes de guerre. Un nouveau pas a été franchi avec l'utilisation de missiles balistiques, possibles vecteurs d'ogives nucléaires. La guerre contre les populations ukrainiennes est aussi une guerre contre les populations de la fédération de Russie [2].

Le temps du néolibéralisme semble passé

Une nouvelle conjoncture apparaît, où des gouvernements, sous des formes plus ou moins autoritaires, vont amplifier les politiques de privatisations, d'expropriations, d'inégalités et de contrôle social.

Comment appréhender et nommer ces nouvelles formes politiques ? Certain·es parlent de fascisme [3], d'autres de postfascisme, comme par exemple, Gaspar Miklos Tamas, à propos du régime de Viktor Orbán [4].

Si nous voulons encore espérer que ce triste conte d'hiver puisse se transformer par nos actions collectives en souriant conte de printemps, il nous faut analyser, au niveau mondial comme au niveau local, les similitudes et les particularités, les effets sociaux et les contradictions de ces régimes.

Nous devons aussi faire connaître les actions propres de groupes humains [5], les dialogues entre Palestiniens et Israéliens, les mobilisations – aussi fragmentaires soient-elles – qui rompent les inerties favorisées par l'individualisme et la guerre de toustes contre toustes.

Certains bouleversements au 20e siècle ont suscité des enthousiasmes. Bien des espérances se sont effondrées dans des dictatures et des crimes de masse, que certain·es ont cependant continué à nommer « socialisme », « communisme [6] », d'autres, souvent les mêmes, ne peuvent pas dépasser l'anti-impérialisme des imbéciles [7].

Il ne s'agit pas de refaire ou d'effacer l'histoire, mais bien de rendre visibles les fils tissés entre refus, résistance et espérance. Nous pouvons nous appuyer sur des déjà-existants, des biens communs, des solidarités locales ou plus larges.

Contre le roi marché, Samuel Farber nous propose de discuter aujourd'hui de Cuba [8] et Meron Rapoport nous propose des conversations inégales entre un Palestinien et un Israélien [9].

Il importe aussi de développer les analyses qui nous permettent de comprendre les évolutions politiques et leurs résonances de régions en régions. Voir l'article de Joy Asasira : « Les femmes africaines victimes de Trump [10] ».

Une preuve évidente de cette profonde transformation au-delà des crimes, des pogroms, des génocides c'est bien le fait que certains gouvernements ne reconnaissent pas la Cour pénale internationale (CPI) et s'affranchissent d'instances qui limitent leurs actions potentiellement criminelles. Cela en dit long sur la victoire actuelle de la logique « souverainiste » sur les droits communs des êtres humains. Aucun gouvernement ne devrait pouvoir se dérober et refuser les actions de la CPI ou de la Cour internationale de justice (CIJ). De plus, il ne sauraient y avoir d'immunité ni d'impunité pour des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.

Quelles que soient les limites actuelles du droit international et de ses instances. Monique Chemillier-Gendrau souligne que « le monde d'aujourd'hui, devenu un village par la puissance des communications et du commerce, ne dispose pourtant pas d'un droit commun à l'application effective [11] ».

Penser le droit commun, comme émancipateur, est un point d'appui nécessaire pour appréhender le chaos du monde qui voient de nombreux pays sortir de leurs « démocraties » et rompre avec leurs valeurs fondatrices. Ce mouvement de bascule ne fait hélas que s'amorcer.
Bonne lecture.

Au moment du bouclage…

Le régime criminel de Bachar al Assad est tombé

Au souffle de l'élection de Trump se mêlent les effets tragiques du 7 octobre. L'équilibre instable du Moyen Orient est bouleversé par la destruction de Gaza menée par Israël, le ciblage du Hezbollah. L'Iran, sans ses alliés (Hamas, Hezbollah) se retrouve en position de faiblesse. La Russie toujours plus acharnée dans sa guerre contre l'Ukraine voit ses opérations de déstabilisation se retourner contre elle. La Géorgie est proche d'un nouveau Maïdan et la population roumaine n'accepte pas le trucage des élections.

L'instabilité est renforcée dans la région alors que les puissances du processus d'Astana (Russie, Iran, Turquie) tentent d'éviter une perte d'influence pour les deux premiers et surtout l'irruption directe des populations suppliciées.

Les gouvernements de la Russie et de l'Iran ont subi un revers durable, celui de la Turquie semble renforcé. Cela se répercutera inévitablement sur les autres conflits, sur l'équilibre des BRICS et sur les rapports internationaux à l'investiture de Trump. Et celui au pouvoir à Pékin devra sortir de son silence.

Il est maintenant nécessaire et possible de revenir aux aspirations initiales de la révolution syrienne, à savoir la démocratie, la justice sociale et l'égalité, tout en respectant le droit à l'autodétermination des Kurdes et de toutes les minorités.

Notes

1. Bill Fletcher Jr., « Comment se défendre dans la nouvelle période Trump », p.7 ; Frieda Afary, « Donner du sens à la victoire de Trump et à la résistance », p. 11.
2. Ilya Budraitskis, « Poutine mène une guerre culturelle contre le peuple russe », p.28.
3. Taki Manolakos, « La fin du néolibéralisme préfigure la montée du fascisme », p. 15.
4. Gaspar Miklos Tamas, « Naissance du postfascisme dans la Hongrie de Orban », p. 19.
5. Oleksandr Kyselov, « Ukraine : la force vient de l'intérieur », p. 44.
6. Ilya Budraitskis, « L'impérialisme politique russe et la nécessité d'une alternative de gauche mondiale », p. 31.
7. Voir les précédents numéros d'Adresses.
8. Sam Farber, « Cuba : “libre” marché ou planification démocratique ? », p. 47.
9. Meron Rapoport, « Conversations inégales », p. 53.
10. Joy Asasira, « Les femmes africaines victimes de Trump », p. 59.
11. Monique Chemillier-Gendreau, « L'échec du droit international à devenir universel et ses raisons », p. 39.

Didier Epsztajn, Michel Lanson, Patrick Silberstein

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L’inquiétante étrangeté du monde – sur Le Double : Voyage dans le Monde miroir de Naomi Klein

17 décembre 2024, par Christian Salmon — , ,
Avec un livre en abyme, Naomi Klein entraîne le lecteur dans un voyage vertigineux à la poursuite du Double, le sien, une certaine Naomi Wolf avec laquelle on la confond (…)

Avec un livre en abyme, Naomi Klein entraîne le lecteur dans un voyage vertigineux à la poursuite du Double, le sien, une certaine Naomi Wolf avec laquelle on la confond souvent, égérie du féminisme dans les années 1990 passée au complotisme anti-vax et d'Al Gore à Steve Bannon, mais aussi le Double comme paradigme de notre temps en proie à l'inquiétante étrangeté de notre monde, avec ses miroirs, ses moi artificiels, ses réalités fabriquées.

16 décembre 2024 | tiré d'AOC media
https://aoc.media/critique/2024/12/15/linquietante-etrangete-du-monde-sur-le-double-voyage-dans-le-monde-miroir-de-naomi-klein/

J'ai lu deux fois Le Double de Naomi Klein. Normal me direz-vous avec un titre pareil, mais si je l'ai lu deux fois, ce n'est pas seulement à cause de son titre mais en raison de sa richesse et des multiples étapes de ce voyage dans ce que Klein appelle « le monde miroir ».

Je l'ai lu une première fois au pas de course, enjambant les obstacles, pour tenter de saisir l'unité de ce livre kaléidoscopique qui embrasse des sujets aussi différents que l'univers marchand des logos, la crise climatique, l'épidémie du Covid, la question du double chez Freud ou Philip Roth, l'ère politique des bouffons à la Donald Trump ou Javier Milei, le suprématisme blanc, la généalogie américaine du nazisme, le conflit israélo palestinien, mais aussi des questions plus personnelles comme le rapport à son double, une autre Naomi (Wolf) avec laquelle on la confond souvent, une ex féministe qui a viré complotiste à la faveur du Covid, devenue proche collaboratrice de Steve Bannon le maitre à penser de l'alt right, ou encore la campagne électorale au Canada de son mari candidat à la députation à laquelle elle participe tract en main dans les escaliers d'immeubles, et jusqu'au sujet plus délicat pour elle de l'autisme de son fils qualifié de « neurodivergent » par les médecins, une condition qui est selon elle un symptôme contemporain du rejet de l'Autre, du différent, du Double.

Je l'ai relu une deuxième fois, plus lentement, en étant attentif aux jointures de son texte, aux associations d'idées qui guident son raisonnement, plus narratif que déductif, parcourant une à une les surfaces réfléchissantes de ce « monde miroir », ces plans découpés qui donnent à ce livre sa profondeur de champ et son sujet véritable : la décomposition spectrale de notre folie collective. Entre les anti-vaccins, les influenceurs du bien-être et les démagogues de l'extrême droite, le livre déploie un arc narratif qui évoque davantage la fragmentation cubiste de l'objet que la polyphonie musicale à laquelle on serait tenté de le rapprocher. Sa lecture nécessite cette attention multidimensionnelle dont parlait Paul Klee, une vision mobile et disjonctive qui saisit les ruptures, les déplacements.

La pulvérisation du moi

Car il y a plus de deux livres dans Le Double, c'est un récit hydre à plusieurs têtes chercheuses comme le serpent de la mythologie, une fiction poulpe (sans aucun jeu de mots) qui plonge ses nombreux bras dans les ruines de notre monde néolibéral, fouillant ses décombres et brisant les cloisons qui nous empêchent d'en saisir l'unité.

Son véritable sujet c'est « l'évitement du monde » dont elle enregistre les modalités en trois parties. « La représentation, le cloisonnement et la projection sont les différents pas de danse de l'évitement. » Évitement du moi dont la fuite dans les artefacts numériques serait la forme archétypale. « Mes étudiants ont grandi en ayant conscience d'avoir un double extériorisé – un double numérique, une identité idéalisée, distincte de leur moi “réel” (le cloisonnement), qui leur sert à incarner le personnage qu'on attend d'eux (la représentation) s'ils veulent réussir. Dans le même temps, ils doivent projeter sur d'autres personnes (la projection) chacune des parties indésirables et dangereuses d'eux-mêmes : l'ignorant, le problématique, le déplorable, le “non-moi” qui délimitent les frontières du “moi”. Cette triade – le cloisonnement, la représentation et la projection – est en train de devenir une forme universelle de dédoublement, générant un personnage qui n'est pas exactement ce que nous sommes, mais que les autres perçoivent comme tel. »

De double en double et de miroir en miroir Naomi Klein poursuit l'image fuyante, diffractée, de nos moi en miettes. « Le moi comme marque parfaite, le moi comme avatar numérique, le moi comme mine de données, le moi comme corps idéalisé, le moi comme projection raciste et antisémite, l'enfant comme miroir du moi, le moi comme éternelle victime. Tous ces doubles ont un point commun, ils sont autant de façons de ne pas voir. Ne pas se voir clairement soi-même (parce que nous sommes trop occupés à afficher une version idéalisée de nous-mêmes), ne pas voir clairement les autres (parce que nous sommes trop occupés à projeter sur eux ce que nous ne supportons pas chez nous), et ne pas voir clairement le monde et les liens qui unissent les hommes (parce que nous nous sommes cloisonnés et volontairement aveuglés). Je pense que cela explique, plus que toute autre chose, l'inquiétante étrangeté de notre temps, avec tous ses miroirs, ses moi artificiels, ses réalités fabriquées. »

Naomi Klein ne s'exclut pas de ce processus de dissociation. Son moi fait partie du tableau, elle l'observe et l'interroge, le critique sans complaisance comme lorsqu'elle se moque de sa propre transformation en « logo » après le succès mondial de son best-seller « No Logo ». « Il y avait beaucoup d'hypocrisie dans cette mise en scène. (…) être la fille No Logo – le visage d'un mouvement anti-capitaliste émergent – et nier tout intérêt à me construire une image de marque. Être la seule, en somme, à faire proprement des affaires. N'est-ce pas finalement ce que nous sommes si nombreux à convoiter lorsque nous entrons dans cette arène, tout au moins quand nous tâchons d'y survivre ? Nous créons des personnages en ligne – des doubles de notre “vrai” moi – qui cultivent savamment la juste dose de sincérité et de dégout du monde ; nous manipulons l'ironie et le détachement qui ne sont pas trop promotionnels, mais font néanmoins le job ; nous flirtons avec les médias sociaux pour gonfler nos chiffres… »

Le carnaval est partout. Les méthodes et les concepts de la science politique ne suffisent plus à rendre compte des mutations que subissent les démocraties

Tout au long de son « voyage dans le monde miroir » elle ne se perd jamais de vue, incluant, en bonne einsteinienne, son propre reflet, celui de l'observatrice dans le champ observé. À chaque étape de son enquête dans l'univers ensorcelé des doubles, elle n'oublie jamais de mesurer l'ampleur des transformations en cours à l'aune de ses expériences personnelles, refusant de se positionner en surplomb de la dystopie numérique dans laquelle nous évoluons et qui nous transforme dans notre quête éperdue de la notoriété en nos doubles dévorants.

« La notoriété est la monnaie sans valeur de l'ère de la connexion permanente, à la fois un substitut à l'argent liquide et un moyen de s'en procurer. Elle se calcule sans tenir compte de ce que vous faites, mais en fonction de la masse de “vous” qui pénètre le monde. La notoriété s'obtient en jouant les victimes, mais aussi en victimisant les autres. C'est une chose que la gauche et la droite comprennent parfaitement. Quelle que soit l'influence qu'elle exerce, la notoriété est une donnée stable qui travaille exclusivement pour son propre compte et dans une seule optique : faire du volume. »

L'inquiétante étrangeté du bouffon

Dans ce monde envoûté, la vie politique apparaît non plus comme la scène de la délibération collective, le règne du logos et de la raison mais comme un théâtre hofmannien de l'étrange, soumis à ce que Freud appelait l'inquiétante étrangeté. Schelling le premier en avait donné une définition citée par Freud : « On qualifie de unheimlich (l'inquiétante étrangeté) tout ce qui devrait rester dans le secret, dans le dissimulé et qui est sorti au grand jour ». Les éléments de cette inquiétante étrangeté, Freud les empruntait en partie à Hoffmann le maître de l'étrange : la croyance en l'animisme, la magie et l'enchantement, la figure du double, la toute-puissance des pensées, le retour du refoulé, la relation avec les morts, les spectres, les fantômes.

Tout ceci se trouve dans ce livre dont Noemi Klein relate le surgissement dans les soubresauts de l'hypercrise actuelle, géostratégique, écologique, sanitaire, numérique… La vie politique n'est plus régie par la dissimulation mais par la simulation, non plus par le secret et le calcul raisonné, mais par l'épiphanie du fake et la parodie. Triomphe de la téléréalité sur le théâtre politique. La politique comme magie grotesque. Le mélange des genres devient la règle, confondant les registres du sérieux et du divertissement. Le carnaval est partout. Les méthodes et les concepts de la science politique ne suffisent plus à rendre compte des mutations que subissent les démocraties : simulation, dévoration, cannibalisation, parodie, carnavalisation, envoûtement. Le demos est sorti de son lit ; il déborde dans un champ bien plus large que celui de la sociologie et de la science politique, le domaine du bizarre, de l'inquiétant, celui des phénomènes paranormaux, le royaume de l'étrange.

C'est l'un des passages les plus fascinants du livre, lorsque Naomi Klein met ses pas dans ceux de Philip Roth, celui d' Opération Shylock et exhume le « pipikisme » cher à Roth pour analyser « cette force anti tragique qui dédramatise les choses – qui transforme tout en farce, qui banalise et superficialise tout ». Dans Opération Shylock publié en 1998, Roth rebaptisait son double grotesque et encombrant, Pipik, un sobriquet donné dans sa jeunesse « aux enfants un peu simplets, maladroits et inadaptés qui jouaient les intéressants ».

Depuis 2016, les pipik ont envahi le monde, ils sont sur Twitter ou Tiktok, inspirent les tweets des internautes comme les décrets des gouvernements, ils ont conquis le pouvoir et répandent depuis le Covid le pipikisme comme une « épidémie au carré ». « Quand la figure du bouffon devient centrale dans la vie publique, ce ne sont pas seulement les stupidités proférées par ses représentants qui posent un problème, c'est aussi leur capacité à rendre stupide tout ce qu'ils touchent, y compris – et surtout – les mots dont nous avons besoin pour les décrire et expliquer ce qu'ils font. Malheureusement, ces “doubl'idiots” pipikent si bien nos expressions et nos concepts qu'ils vont bientôt finir par nous laisser sans voix. Une fois pipikée, une idée peut-elle redevenir sérieuse ? »

Le pipikisme, forme actualisée du fascisme

C'est contre cette « pipikisation » des esprits que le livre de Naomi Klein déploie ses arguments les plus convaincants. Car on aurait tort de prendre à la légère le virus du grotesque qui s'est emparé des esprits. En désarmant la critique et la pensée, ce virus n'est pas seulement porteur d'insignifiance, il permet le retour du refoulé contenu dans le projet racialiste et colonialiste européen.

Dans deux chapitres clés qui apparaissent à la fin du livre : « Le nazi dans le miroir » et « L'ébranlable ethnicité », elle va au cœur politique de la thématique du double explorée tout au long du livre. Le pipikisme est la forme actualisée du fascisme. C'est « un archaïsme techniquement équipé » selon les mots de Guy Debord dans La Société du Spectacle, un fascisme augmenté par la puissance des algorithmes des Gafam et de l'intelligence artificielle qui codent et répandent son idéologie mortifère. « Si le fascisme, écrivait Debord, se porte à la défense des principaux points de l'idéologie bourgeoise devenue conservatrice (la famille, la propriété, l'ordre moral, la nation) en réunissant la petite bourgeoisie et les chômeurs affolés par la crise, il se donne pour ce qu'il est : une résurrection violente du mythe, qui exige la participation à une communauté définie par des pseudo-valeurs archaïques : la race, le sang, le chef. »

À ce devenir fasciste de l'Occident Naomi Klein apporte un éclairage historiographique et anthropologique qui permet de comprendre l'unité et la cohérence du projet racialiste et colonisateur qui resurgit sous nos yeux dans ces formes trumpistes. S'appuyant sur différentes sources (Joseph Conrad, James Q. Whitman, l'écrivain suédois Sven Lindqvist, Raoul Peck, Aimé Césaire, Frantz Fanon, W.E.B. Du Bois, ou encore Nehru, Premier ministre de l'Inde (1947-1964)) Klein retrace la généalogie de ces idéologies exclusivistes et des pratiques d'extermination qui ont inspirées le nazisme et qui se prolongent jusqu'à aujourd'hui dans les théories du Grand Remplacement.

« Tous, dans les années 1930, 1940 et 1950, affirme-t-elle dans un entretien récent, écrivaient sur le fascisme européen, qu'ils considéraient comme le double du colonialisme et de l'impérialisme européens… un retour, au cœur de l'Europe, de la science raciale, des technologies, des mécanismes d'enfermement et d'anéantissement, utilises autrefois contre les peuples noirs. C'est l'idée du boomerang conceptualisé par Hannah Arendt : le fascisme serait le retour de la colonisation en Europe… Je ne dirais pas que c'est une réplique directe du nazisme mais plutôt une nouvelle itération du colonialisme de peuplement. » Un nazisme d'inspiration donc plutôt que d'imitation.

Cette histoire sinueuse ne commence pas dans les Amériques, mais en Europe, dans les siècles qui ont précédé l'Inquisition espagnole, les bûchers et les expulsions sanglantes de juifs et des musulmans. Elle se poursuit dans le génocide des Amérindiens avant de revenir en Europe pendant l'Holocauste. Naomi Klein cite Aimé Césaire qui accusait dans son Discours sur le colonialisme les Européens de tolérer « le nazisme avant qu'il ne leur soit infligé » « Ils ont fermé les yeux, l'ont légitimé, car jusqu'alors, il n'avait été appliqué qu'aux personnes non européennes. » Le crime d'Hitler envers les Alliés, pensait Césaire, était d'avoir fait aux Juifs et aux Slaves ce qui « jusqu'alors était réservé exclusivement » aux colonisés non blancs en pays étrangers ».

L'analyse de Césaire qui n'a rien perdu de sa pertinence rejoignait les réflexions de Klein, sur le nazisme comme le Double maléfique de l'esprit européen. Selon Césaire « Hitler n'était pas seulement l'ennemi des États-Unis et du Royaume-Uni – il était leur ombre, leur jumeau, leur sosie tordu : « Oui, cela vaudrait la peine d'étudier cliniquement, en détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au bourgeois très distingué, très humaniste, très chrétien du XXe siècle que sans qu'il s'en rende compte, il a un Hitler en lui, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon. »

Le complexe de Gatsby

À l'appui de cette hypothèse, on peut citer un témoignage que ne cite pas Naomi Klein dans son livre, celui de Scott Fitzgerald, célèbre et pourtant invisibilisé par les images fastueuses avec lesquelles le cinéma a emballé son roman Gatsby le magnifique, publié en 1925. Tout fait symptôme dans ce roman qui précédait la crise de 1929. L'argent roi. Les fortunes vite faites. Les amours à « l'éclat de pur argent ». La plainte des saxophones dans la nuit. Un bolide jaune pâle. Le champagne qui coule à flots au cours des fêtes que donne Gatsby où s'étourdissent les riches New-Yorkais.

Au début du roman, le milliardaire Tom Buchanan, un des voisins de Gatsby explose au cours d'un diner où sont réunis tous les personnages du roman. « La civilisation court à sa ruine ! rugit-il avec une angoisse non feinte. Je suis d'un affreux pessimisme par rapport à ce qui se passe. As-tu lu The Rise of Colored Empires, d'un certain Goddard ? C'est un livre excellent. Tout le monde devrait l'avoir lu. L'idée, c'est que la race blanche doit être sur ses gardes, sinon elle finira par être engloutie. Une thèse scientifique, fondée sur des preuves irréfutables. […] Nous sommes la race dominante. Notre devoir est d'interdire aux autres races de prendre le pouvoir […]. Tout ce qui fait la civilisation, c'est nous qui l'avons inventé. Les sciences, disons, les arts, et le reste. Tu comprends ? »

Les arguments de Tom Buchanan , rappelle Sarah Churchwell, dans un article de The New York Review of Books, « American immigration : A century of racism », empruntaient à deux best-sellers de l'après-Première Guerre mondiale : The Passing of the Great Race, de Madison Grant (1916), et The Rising Tide of Color Against White World-Supremacy, de Lothrop Stoddard (1920).

Sarah Churchwell constate à quel point ces idées s'étaient généralisées , en grande partie grâce à la fausse légitimité fournie par les institutions culturelles, notamment les éditeurs, les magazines populaires et les professeurs d'université. Fitzgerald avait découvert ces « idées rassies » alors qu'il était étudiant à Princeton, où il lui arriva d'aller écouter une conférence sur l'eugénisme. Grant et Stoddard ne faisaient que rhabiller d'anciennes idées « eugénistes » avec les habits neufs du biologisme, mais la voix qui les animait a trouvé un écho puissant dans le monde en ruine des années 1920. Elle s'est même dramatiquement concrétisée dans l'Immigration Act de 1924, qui assignait des quotas d'immigration aux divers pays d'Europe (et du monde) et a eu pour conséquence de réduire l'immigration de plus de 90 %.

Le soutien populaire à cette loi a été énorme. Celle-ci est restée en vigueur pendant quarante ans, jusqu'à son annulation par Lyndon B. Johnson en 1965. Le sénateur Jeff Sessions, qui fut le procureur général des États Unis dans l'administration Trump de 2017 à 2018, affirmait en 2015 que la loi de 1924 avait réussi à ralentir « considérablement » l'immigration.

Le livre de Madison Grant fut traduit en allemand, et l'idée d'hygiène raciale allemande s'inspirait de ses théories. Son influence sur l'idéologie nazie ne saurait être niée. Dans The Nazi Connection (1994), Stefan Kühl a bien montré que les nazis tiraient leurs idées eugénistes des théories américaines, tout comme ils utilisaient les lois américaines sur la race pour légitimer les lois de Nuremberg de 1935. Hitler aurait même adressé une lettre à Madison Grant pour le féliciter. Il lui avouait que son livre, The Passing of the Great Race, était devenue sa « bible » ! Une bible que les avocats des Nazis citèrent au procès de Nuremberg pour prouver que les États-Unis s'étaient livrés aux mêmes crimes que ceux pour lesquels ils étaient poursuivis.

Naomi Klein, Le Double : Voyage dans le Monde miroir, Actes Sud, septembre 2024.

Christian Salmon

Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)

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« Il y a une vraie lutte des classes au sein de l’écologie »

17 décembre 2024, par Olivier Besancenot, Ritchy Thivault — , ,
12 décembre 2024 | tiré de l'Hebdo L'Anticapitaliste - 733 https://lanticapitaliste.org/opinions/politique/il-y-une-vraie-lutte-des-classes-au-sein-de-lecologie À l'occasion (…)

12 décembre 2024 | tiré de l'Hebdo L'Anticapitaliste - 733
https://lanticapitaliste.org/opinions/politique/il-y-une-vraie-lutte-des-classes-au-sein-de-lecologie

À l'occasion de la sortie de son livre « Arrachons une vie meilleure » aux éditions Massot, l'Anticapitaliste a rencontré Ritchy Thibault.

Tu es porte-parole d'un collectif politique qui s'appelle PEPS (Pour une écologie populaire et sociale). Tu as 20 ans. Comment expliques-tu ton parcours ­militant ?

Je n'étais pas du tout destiné à l'action politique. J'appartiens à ces populations que l'État, que les dominants assignent à l'apolitisme, parce que ma mère est gitane, mon père est manouche. Je me suis retrouvé sur un rond-point avec les Gilets jaunes à l'âge de 14 ans, à Pineuilh, à côté de Sainte-Foy-la-Grande, la ville d'origine d'Élisée Reclus, que j'ai découvert après m'être engagé, lui qui fut un des précurseurs de l'écologie. Dès que je sortais du collège, je marchais jusqu'au rond-point, et j'ai passé mes soirées à me politiser au bord des feux sur le rond-point de Pineuilh, en Gironde. C'est comme ça que je me suis mis à lire, à comprendre que finalement il fallait acquérir des outils pour combattre l'injustice. Puis, je me suis mis à faire 5 500 km à pied en stop une fois mon bac passé, sans thune, où j'ai été sur les routes. Je suis allé voir des expériences individuelles, collectives, et je me suis dit que finalement, il y a tout un « déjà-là », il y a une perspective révolutionnaire.

Comment tu passes de cette politisation des Gilets jaunes — très axée sur la question sociale souvent opposée aux questions écologiques à l'époque — à une conscience écologique ?

Les Gilets jaunes ne me destinaient pas à l'écologie, parce que comme je l'ai lu depuis, les dominants ont désubstantifié l'écologie chez les classes populaires. Ils ont diabolisé cette notion. La manière dont ils parlent de l'écologie fait que la perception de l'écologie chez les classes populaires, c'est une punition : quelque chose qui nous prend des sous. Le mouvement des Gilets jaunes commence avec le refus de la taxe carbone, qui est une grosse escroquerie. Sous prétexte d'écologie, vous venez nous taper à nous, qui avons une petite bagnole pour aller au boulot, qui faisons 40 km aller-retour par jour et pendant ce temps-là, vous laissez ceux qui ont des jets privés circuler partout dans le monde. C'est ce qu'ont dit les Gilets jaunes. C'est vraiment l'injustice totale.

Arrivé à Paris, je me mets à fréquenter les camarades du collectif politique, dont je suis le porte-parole, parce que j'ai pris conscience que l'écologie, c'est vraiment la notion d'avenir dans notre champ politique. Je suis convaincu que tout va se passer autour de l'écologie au vu de la situation. Il y a une vraie lutte des classes au sein de l'écologie. Il y a l'écologie bourgeoise, mais il y a aussi une écologie radicale, une écologie décoloniale. On le voit notamment avec le discours de Jill Stein, lors de la présidentielle aux États-Unis. Il y a d'un côté les écologistes européens bourgeois qui veulent lui donner des leçons et elle, qui les rappelle à l'ordre, en disant que la vraie écologie, c'est celle qui se positionne du côté des peuples opprimés, notamment du peuple palestinien. Chez PEPS, on défend la notion d'écologie de libération. On dit que l'écologie, elle libère des oppressions.

Je me suis dit que ça me concernait directement en tant que jeune racisé. Les voyageurs en France — ceux qu'on appelle les gens du voyage — ils sont parqués à côté des sites les plus polluants et les plus pollués de ce pays. C'est ce qu'on appelle le racisme environnemental. À Rouen, en 2019, il y a l'incendie de Lubrizol. Le premier lieu de vie à côté de ce site classé Seveso, c'est un terrain dit d'accueil — qui n'a rien d'accueillant — de voyageurs. Les gens, pendant qu'on évacue tout le monde autour, sont parqués là-bas. On leur dit : « Vous pouvez sortir, mais pas avec les caravanes ». Or les caravanes, ce sont le logement des gens, leur habitat. En quelque sorte, on les parque et on les séquestre en train d'inhaler des fumées profondément toxiques. L'écologie, c'est notre affaire à nous, les dominéEs et les exploitéEs de ce monde.

Dans les motifs d'indignation, tu parles beaucoup aussi, ­évidemment, du racisme ? De l'anti­tsiganisme ?

C'est une de mes batailles principales. Ma grand-mère et sa génération ont vécu un internement et un génocide toujours pas reconnu plus de 80 ans après. L'antitsiganisme, c'est le racisme subi par toutes les populations qui sont perçues comme Tsiganes. Alors, Tsigane, c'est un exonyme, un terme de la littérature scientifique que j'évite d'utiliser, mais il s'avère que le terme « antit­siganisme » désigne le racisme subi par tous ceux qui sont désignés comme tels, à savoir les Roms, les Yéniches, les Sintis, les Manouches, les Gitans et les voyageurs. Ce sont les 6 collectifs principaux.

Il y a le racisme environnemental. L'espérance de vie des voyageurs est de plusieurs années inférieure au reste de la population. Il y a la discrimination à l'école. Il y a les crimes policiers. Moi, je l'ai vécu dans ma famille, avec Daniel, qui s'est fait tuer par des gendarmes quand j'avais une dizaine d'années. Il y a eu Angelo Garand, et sa sœur qui mène un combat salutaire pour la justice, et d'autres… Les voyageurs sont les plus victimes de crimes policiers.

Il y a des convergences à faire, avec toutes celles et ceux qui subissent le racisme, en tant que phénomène systémique et structurel. Je me suis rapproché du champ de l'antiracisme politique. Avec Amal Bentounsi, on passe beaucoup de temps dans des combats communs. Il y a une nécessité impérative que les personnes qui subissent le racisme d'État en France s'unissent, ne laissent personne de côté pour déconstruire la pyramide raciale.

Tu me disais que tu travailles avec Ersilia Soudais, qui est députée, que vous préparez ensemble un projet sur cette question ?

Tout à fait. Je tiens à remercier Ersilia Soudais qui est la première parlementaire qui s'engage pleinement sur la lutte contre l'anti­tsiganisme. En janvier, Ersilia va déposer une proposition de résolution pour la reconnaissance du Samudaripen — « la mort de tout » en romanès —, donc du génocide des Roms, des Sintis, des Gitans, des Manouches et des voyageurs. Notre objectif ? Que la France, 80 ans après, reconnaisse sa culpabilité, qui est immense dans ce génocide et les persécutions entre 1939 et 1946. Elle ouvrirait la voie, notamment à des indemnisations et des réparations des spoliations très graves. L'État a volé tous les outils de travail de nos ancêtres, via la Caisse des dépôts et des consignations. Cela a assigné des gens à la misère.

Comment tu vois la situation avec l'autoritarisme qui se développe ?

Il y a des dérives autoritaires graves. Il y a des populations en France, comme les voyageurs, qui n'ont jamais connu l'État de droit. On a laissé faire une expérimentation de la coercition étatique vis-à-vis de certaines populations, vis-à-vis des quartiers populaires, vis-à-vis des populations racisées, des voyageurs, et des musulmanEs aussi. […]

On a atteint un degré de répression pendant les Gilets jaunes, que les gens sous-estiment. On a laissé passer la normalisation de l'état d'urgence après les attaques terroristes de 2015, et les mesures d'exception sont devenues la norme et la banalité. Les dominants font de la répression, car ils veulent silencier la parole de l'opposition, et notamment de la jeunesse. Et donc, il y a une fascisation qui est grave. Ils préparent, ils donnent clé en main à l'extrême droite.

Hannah Arendt disait que choisir le moindre mal, c'est toujours choisir le mal. Macron n'est pas du tout un rempart. Parce que si la formation politique de Bardella, le Rassemblement national, était arrivée en tête aux élections législatives, il aurait pris un plaisir fou à gouverner avec lui.

Qu'est-ce qu'agir dans ce monde qui se durcit, qui se radicalise de plus en plus vers l'écofascisme ?

Il faut cesser d'opposer de manière antagonique nos formes de luttes. Ce qu'il nous faut aujourd'hui, ce n'est ni le parti d'avant-garde révolutionnaire qui va sauver les masses avec un discours pseudo­-éclairant. Ce n'est pas non plus la social-démocratie. Ça ne marche pas. On pense qu'il y a une troisième voie. C'est la révolution rampante. C'est un peu le lierre et les ronces qui poussent à travers les différents socles, le socle de la pyramide sociale, et qui la font effondrer. Qui poussent dans le bitume des bourses du CAC40 et qui font s'effondrer les bâtiments. Je pense qu'il y a trois fronts de lutte : un front interne, les institutions pour faire entendre une voix dissonante ; un front externe, pour être capable de s'opposer frontalement au système avec des grèves, des blocages, des manifs sauvages, des piquets de grève ; et un front parallèle, construire dès maintenant une alternative. C'est la stratégie du pouvoir populaire. Il faut que le système s'effondre de nos alternatives, qu'on construise des pouvoirs populaires encore plus forts que le pouvoir étatique et centralisé.

Propos recueillis par Olivier Besancenot

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Tout le monde apporte son grain de sel (ou de sable !)

17 décembre 2024, par Nicolas St-Germain — , ,
Plonger dans le livre Organiser, mobiliser, gagner : guide de renouveau syndical, c'est revenir à la base de l'implication syndicale. C'est prendre un pas de recul sur son (…)

Plonger dans le livre Organiser, mobiliser, gagner : guide de renouveau syndical, c'est revenir à la base de l'implication syndicale. C'est prendre un pas de recul sur son action pour mieux comprendre son importance, qu'on milite depuis peu ou qu'on soit une personne d'expérience dans son syndicat.

Tiré du Point syndical.

Plonger dans le livre Organiser, mobiliser, gagner : guide de renou­veau syndical, c'est revenir à la base de l'implication syndicale. C'est prendre un pas de recul sur son action pour mieux comprendre son importance, qu'on milite depuis peu ou qu'on soit une personne d'expérience dans son syndicat.

L'ouvrage est une adaptation québécoise du guide Secrets of a Successful Organizer de Labor Notes par le conseiller syndical de la CSN, Alain Savard. Son but est d'offrir une démarche « pour planifier des actions collectives qui fonctionnent ».

Certaines des 8 leçons ou des 47 « secrets » relèvent du gros bon sens. Et c'est vrai. Pour attirer plus de personnes aux assemblées, il faut interpeler les membres sur les enjeux qui les concernent. Logique. Mais pour savoir quels sont ces enjeux, il faut leur poser des questions et surtout, les écouter plus que leur parler.

À cette fin, prendre le temps de tenir des rencontres avec chacune et chacun des membres pour connaître leurs préoccupations est primordial. Il faut aussi chercher à les impliquer le plus possible en leur demandant de poser des actions simples et ciblées, comme porter un chandail d'une couleur précise ou encore signer une pétition. L'objectif n'est pas d'atteindre 100 % de participation le premier jour des moyens de pression, mais d'inclure progressivement les gens selon leur niveau de militantisme.

Le guide est rempli d'exemples de syndicats américains, canadiens et québécois qui ont mobilisé leurs membres sur des enjeux de premier et de deuxième front. Ces illustrations permettent de voir comment il est possible pour un syndicat de se positionner comme acteur de changement, de réaliser des gains en dehors des périodes de négociation et d'augmenter la mobilisation.

Le guide recourt à la cible d'un jeu de fléchettes pour représenter la constellation des membres en cinq paliers : le noyau, les militantes et militants, les sympathisantes et sympathisants, les désengagé-es et les hostiles. Le but est d'amener peu à peu chaque personne vers le centre pour solidifier le noyau et la relève.

Le guide n'a pas la prétention de nous permettre à tout coup de gagner nos luttes. Au contraire, l'auteur le mentionne clairement : « Vous perdrez plus souvent que vous gagnerez », mais chaque échec vient avec un apprentissage pour la suite.

Pour consulter l'ouvrage, c'est ici !

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Atome 33 : Histoire d’une lutte collective contre une pollution industrielle

17 décembre 2024, par Éditions Marchialy — , ,
Rouyn-Noranda est une ville prospère de l'ouest du Québec construite autour de la fonderie de cuivre Horne. Lorsque ses habitants apprennent en 2019 que leurs enfants (…)

Rouyn-Noranda est une ville prospère de l'ouest du Québec construite autour de la fonderie de cuivre Horne. Lorsque ses habitants apprennent en 2019 que leurs enfants présentent un taux d'arsenic bien supérieur à la moyenne, ils se tournent vers la fonderie pour lui demander de réduire sa pollution invisible. Ce qu'ils ne mesurent pas alors, c'est l'immense influence de l'entreprise face à eux, qui n'est autre que le géant mondial des matières premières : Glencore.

Grégoire Osoha a suivi l'action collective de ces citoyens déterminés et retrace l'histoire de la fonderie et de la multinationale. Il tente ainsi de comprendre pourquoi il est si difficile d'obtenir gain de cause quand bien même la santé est impactée et pointe les dérives d'un système qui semble prêt à tout au nom du profit.

Lire un extrait.

Grégoire Osoha a travaillé plusieurs années pour Amnesty International France, il est aujourd'hui journaliste indépendant, réalisateur de documentaires et de podcasts. Atome 33 est son deuxième livre chez Marchialy après Voyage au Liberland.

À paraître le 25 février en Europe et au Canada un peu plus tard aux Éditions Marchialy.

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Macron trahit la gauche et les écolos sur la question sahraouie

17 décembre 2024, par Omar Haddadou — , ,
La reconnaissance par Macron de la marocanité du Sahara occidentale cachait des visées vite débusquées par des spécialistes. Ouvrir le territoire sahraoui aux intérêts des (…)

La reconnaissance par Macron de la marocanité du Sahara occidentale cachait des visées vite débusquées par des spécialistes. Ouvrir le territoire sahraoui aux intérêts des Groupes français afin d'y exploiter ses gisements miniers et maritimes. Une manif ce samedi 14 janvier pour dénoncer le coup du Khanjar du Président !

De Paris, Omar HADDADOU

Indignées, Alger et la Gauche française montent au créneau, contre Macron ! De la dernière colonie en Afrique, s'élèvent les voix de la Révolution pour l'Autodétermination de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Epuisées par le voyage jusqu'à Paris, les Militantes sahraouies et leurs enfants, avaient conservé ce sourire rayonnant, malgré le froid, conférant à leur beauté naturelle toute la puissance enchanteresse.
A celles et ceux qui prenaient part à la mobilisation, Place de la République, ce samedi 14 janvier, elles distribuaient des dattes et des bouteilles d'eau sous un florilège de chants patriotiques en arabe, les drapeaux nationaux en agitation continue : « Saluez Révolutionnaires, saluez ! Tous (es) les Révolutionnaires ! Ô peuple révolutionnaire, nous sommes Révolutionnaires et la terre libre, est aux Sahraouis (es) ! ».

Puis la voix d'un représentant de l'Association de la Communauté sahraouie en France de retentir : « Une seule solution, arrêtez l'occupation ! ».
Mais le coup porté par le chef de l'Etat français en s'arrogeant la latitude de fouler du pied les droits du peuple sahraoui et les résolutions de l'ONU, a mis le feu aux poudres à une vraie crise diplomatique entre Paris et Alger, sur fond de levée de boucliers de la Gauche et des Ecologistes français.
Rappelons ce fait marquant de la missive adressée le 30 Juillet au roi du Maroc. Emmanuel Macron affirmait, avec aplomb, que « le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ».

La déclaration de Fabien Roussel (PCF) en dit long sur les ambitions prédatrices et hégémonique d'Emmanuel Macron : « Il ouvre une crise diplomatique grave pour poursuivre le pillage de l'Afrique, dont les grandes richesses naturelles du Sahara Occidental ».

Une mise à nu étayée par la cheffe des Ecologistes, Marine Tondelier qui parle de « trahison de la position historique de la France ».

RECONNAISSANCE DE LA MAROCANITE DU SAHARA CONTRE INVESTISSEMENTS (ILLEGAUX) DANS LES TERRITOIRES OCCUPES !

Une résurrection néocolonialiste opéré par un Macron qui voit son statut de chef de l'Etat s'effriter lamentablement et ses gouvernements assignés à la queue leu leu pour remettre leur démission. La Gauche a de la matière observable sous les auspices de l'ingénu Bayrou, potentielle victime de la prochaine « secousse tellurique gouvernementale ». L'irréversibilité de la disgrâce du Président, est ponctuée par la supercherie et l'illusion cocasses de « France Afrique ».

Empoignant son bâton de pèlerin, Macron part à la conquête de zones d'influence et la promotion du protectionnisme des intérêts des entreprises françaises sur les territoires occupés du Sahara occidental.

Un espace dont le sous-sol suscite des convoitises par sa richesse considérable en minerais. De quoi éperonner les velléités hégémoniques d'Emmanuel Macron : On y relève d'importants gisements, tels que le fer, nickel, tungstène, titane, manganèse pierres précieuses, uranium, vanadium, et les très prisés : galène et bismuth pour leur importance stratégique dans l'industrie aéronautique et spatiale.

A noter aussi des filaments de grenats, rubis, saphir, topaze, béryl et tourmaline. Les tréfonds abriteraient également du pétrole à Al Ayoun et au sud-ouest. En reconnaissant la marocanité du Sahara occidental, Macron espère décrocher le Jackpot !

La mobilisation de ce samedi appelait avec force au respect des décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) et du Droit international. Elle exprimait son indignation face à l'attitude du gouvernement français qui encourage les entreprises à violer le Droit européen en investissant dans les territoires occupés du Sahara occidental. Le Président français s'est hasardé avec suffisance dans une ingérence délétère. Il cultive l'utopie que tout se décide à Paris !

Le réveil du Sahel lui a prouvé un changement de la donne.
En témoigne, le rejet catégorique par l'Indépendantistes sahraouis, le 17 octobre 2024, du projet de « partition » du Sahara occidental, soumis au Conseil de sécurité.

Le positionnement de la France témoigne - t-il de l'esprit vindicatif d'Emmanuel Macron envers Alger qui voit ses engagements diplomatiques et sa souveraineté bafoués en vertu d'un phantasme colonial atavique ? La crise diplomatique est plus que jamais consommée !
O.H

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L’Organisation Fief ; pose des pierres importantes...

17 décembre 2024, par Smith Prinvil, Francois Alfred Dieudonné Junior — , ,
L'organisation des femmes indépendantes, éduquées et féministes (FIEF) a organisée le samedi 14 décembre 2024, la première édition du Forum sur l'Inclusion et l'Autonomisation (…)

L'organisation des femmes indépendantes, éduquées et féministes (FIEF) a organisée le samedi 14 décembre 2024, la première édition du Forum sur l'Inclusion et l'Autonomisation des Femmes à l'Hôtel Kinam, Pétion-Ville.

Plusieurs personnalités « toutes de sexes féminins », étaient présentes pour intervenir à cette activité : Sinedie S.Dupuy, Christine Stephenson et sans oublier la présence de Melodie BenJamin.

D'après les propos de la Présidente de FIEF madame Yvenie Chouloute : ” être féministe ne signifie pas être en désaccord avec le genre masculin, ni un mouvement qui vise à dénigrer les hommes ". Les deux autres intervenantes ; Mme Christine et Mme Dupuy, se rangent à cet avis en y ajoutant que « le féminisme est plutôt un combat qui tend à accélérer l'égalité, le leadership et les possibilités pour les femmes et les filles. »

L'objectif de ce forum était ; d'encourager la participation active des femmes dans les secteurs-clés de l'économie, de les inciter à être plus présentes dans les sphères publiques et privées. Tout un programme a été mis en place pour favoriser la réussite de cette journée : (panels de discussion avec des expertes, des leaders d'opinion et des femmes inspirantes, projection, Ateliers interactifs, Séances de photos individuelles, réseautage, etc.)

En termes d'affluence, pour la première réalisation de cet événement qui prône l'inclusion et l'autonomisation des femmes, on peut sans hésiter parler de grande réussite, d'après la présidente, son attente est comblée et déjà, elle commence à penser à la prochaine édition qui devrait se tenir en 2025.

Crédit Photos : Youbens Cupidon et Caleb François
Rédaction : Francois Alfred Dieudonné Junior en collaboration avec Smith PRINVIL

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Pour conjurer l’oubli de la Kanaky

17 décembre 2024, par Ellen Salvi — , ,
Six mois après les révoltes en Nouvelle-Calédonie, Mediapart est parti à la rencontre des indépendantistes kanak, en tribu, dans les quartiers populaires de Nouméa, mais aussi (…)

Six mois après les révoltes en Nouvelle-Calédonie, Mediapart est parti à la rencontre des indépendantistes kanak, en tribu, dans les quartiers populaires de Nouméa, mais aussi dans la « brousse », au nord de la capitale. Avec pour objectif de donner la parole à celles et ceux qui en sont d'ordinaire privés.

Tiré du blogue de l'autrice.

« La colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, un crime contre l'humanité. C'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face. » La colonisation fait aussi partie de ce présent français sur lequel Emmanuel Macron refuse aujourd'hui de poser des mots aussi forts que ceux qu'il avait prononcés durant sa première campagne présidentielle au sujet de l'Algérie. Un présent que subissent au quotidien des dizaines de milliers de Kanak dans un archipel perdu au milieu de l'océan Pacifique, à 17 000 kilomètres de la métropole.

Lorsque les révoltes ont éclaté en Nouvelle-Calédonie au mois de mai, Mediapart a continué de documenter cette crise au cœur de ses engagements éditoriaux depuis sa création. Par le biais d'enquêtes, d'analyses, d'entretiens, mais aussi de reportages réalisés sur place par notre correspondant, le journaliste Gilles Caprais. Six mois plus tard, une fois le calme revenu et l'effervescence médiatique retombée, un impératif s'est imposé : il fallait retourner dans l'archipel, donner à voir et à entendre celles et ceux pour qui rien n'est réglé.

Pendant deux semaines, du 9 au 24 novembre, nous sommes donc partis à la rencontre des indépendantistes kanak, en tribu, dans les quartiers populaires de Nouméa, mais aussi dans la « brousse », au nord de la capitale. Sur notre route, nous avons aussi croisé celle de militant·es loyalistes et d'habitant·es issu·es de toutes les communautés qui composent la mosaïque calédonienne. Autant de personnes qui ont pris le temps, beaucoup de temps, pour se confier sur leurs histoires, leurs inquiétudes et leurs aspirations.

Ce reportage a aussi été l'occasion de mesurer physiquement les effets de la répression qui s'est abattue sur l'archipel au cours des derniers mois. La présence massive des gendarmes, sur les routes, dans les hôtels et dans les bars des quartiers chics de Nouméa ; le vrombissement régulier de leurs drones planant au-dessus de nos têtes ; ce sentiment diffus d'être observés dans chacun de nos mouvements. Mais aussi la dureté d'une capitale scindée en deux, où personne ne marche dans le centre-ville et où les destins se croisent rarement.

Aller en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, c'est aussi se départir de nos réflexes occidentaux pour découvrir un rapport au monde et aux mots différent du nôtre. Les mères y sont appelées « mamans » et les Européens qualifiés de « Blancs », sans que cela revête une quelconque connotation paternaliste ou raciste. La coutume, qui régit la société kanak et place l'humain au cœur de ses préoccupations, imprègne chaque échange. Il n'y a pas de petites phrases, de fausses confidences ou d'écume politique, telles qu'on peut en connaître en métropole. La parole y est aussi directe que précieuse. Et le temps n'a plus besoin de montre.

Durant notre reportage, nous avons aussi pu constater que beaucoup de peurs traversent aujourd'hui l'archipel. Et qu'il en est une qui ronge par-dessus tout les esprits : la peur de l'oubli. L'oubli de celles et ceux qui vivent loin et ne savent rien de ce qui se trame dans ce bout du bout du monde. L'oubli du passé que certain·es voudraient balayer. L'oubli de la culture kanak, de ses langues, et de son lien indéfectible à la terre. L'oubli du monde de l'invisible et de la parole des « vieux ». L'oubli du respect et de l'humilité que chacun·e leur doit.

Six mois après les révoltes qui ont embrasé la Nouvelle-Calédonie, Mediapart est donc revenu dans les lieux de la mobilisation dans l'espoir de conjurer cet oubli. Et vous propose le récit, en six épisodes, d'une indépendance déniée.

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Comment les médias indépendants peuvent exister et porter d’autres voix ?

17 décembre 2024, par Blast, Histoires Crépues, Médiapart — , ,
Face à CNews et BFMTV, comment les médias indépendants peuvent exister et porter d'autres voix ? StreetPress se pose la question dans ce podcast vidéo avec Valentine Oberti de (…)

Face à CNews et BFMTV, comment les médias indépendants peuvent exister et porter d'autres voix ? StreetPress se pose la question dans ce podcast vidéo avec Valentine Oberti de Mediapart, Paloma Moritz de Blast et Seumboy d'Histoires Crépues.

Tiré du blogue de l'auteur.

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