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Fondation du Mouvement Onésime Tremblay

Saguenay, Québec - le vendredi 22 novembre 2024 – Une quinzaine de personnes de différents milieux : groupes communautaires, association de retraités, syndicats et Climat Québec se sont réunies cette semaine pour jeter les bases d'un comité de suivi et de mobilisation dans la foulée du succès remporté par le colloque du 22 octobre dernier intitulé : 1926-2026, cent ans d'occupation par Alcan et Rio Tinto : le bilan s'impose.
Qui est Onésime Tremblay
Les membres ont choisi de donner le nom d'Onésime Tremblay au mouvement en l'honneur du cultivateur de Métabetchouan qui s'est battu pendant plus de trente ans contre les agissements illégaux des investisseurs et des gouvernements qui ont procédé au rehaussement permanent du lac St-Jean. Onésime Tremblay est cet homme qui, peu de temps avant de mourir et après avoir perdu ce qui était selon plusieurs la plus belle terre de la région, s'est fait offrir un chèque en blanc signé d'Alcan sur lequel il pouvait inscrire le montant qu'il désirait. M. Tremblay a refusé en disant que ce qui l'intéressait n'était pas l'argent mais sa terre. Même si ce sont de grandes bottes à chausser, notre mouvement s'inscrit dans la logique du combat d'Onésime Tremblay, celle d'une affirmation citoyenne pour le bien commun face à une multinationale toute puissante dont les agissements sont cautionnés par les pouvoirs publics et trop souvent relayés automatiquement par les médias.
« Je m'inscris, comme citoyen de la région, dans le MOUVEMENT inspiré par ONÉSIME TREMBLAY, pour retrouver notre droit de propriété sur nos ressources naturelles. Droits qui ont été usurpés en retour d'un pacte social qui n'est plus du tout respecté par Rio Tinto. Pire, le déséquilibre avec la région serait amplifié avec le projet de loi 69, dont la raison première est la privatisation de l'électricité. Pour nous c'est NON à la loi 69. » Martin Lavoie, membre et porte-parole du Mouvement Onésime Tremblay
« Nous voulons contribuer à la reprise en main de nos ressources électriques pour l'ensemble de la collectivité. Le Mouvement, Je suis Onésime, se fera le défenseur du bien commun face à l'appétit insatiable des grosses corporations. » Martine Ouellet, membre et cheffe de Climat Québec
Axes d'interventions
Dans cet esprit, les membres du mouvement ont adopté de multiples axes d'intervention : entre autres la question de l'érosion des berges du Lac St-Jean, celle du crassier des résidus de bauxite, du pouvoir d'achat des retraité(e)s et de la fiscalité municipale. Le mouvement entend aussi s'impliquer activement dans la commémoration du centième anniversaire de la tragédie du lac St-Jean en 2026. Pour s'assurer d'être entendu, le mouvement Onésime Tremblay utilisera une multitude de moyens dont les manifestations dans des endroits publics.
Projet de loi 69 de privatisation de l'électricité
À court terme, les membres du mouvement ont choisi de prioriser la lutte contre le projet de loi 69 en appuyant la mobilisation panquébécoise qui s'organise actuellement. Rio Tinto a un projet gigantesque de parc éolien de 700 à 1000 mégawatts. Ce projet de parc éolien privé c'est l'injure ajoutée à l'insulte. Déjà, Rio Tinto profite d'un privilège exorbitant avec ses barrages non-nationalisés. Ce parc éolien, assorti à la possibilité de vendre de l'électricité à des tiers, qui serait légalisée si le projet de loi 69 était adopté encourageraient Rio Tinto à se désinvestir de la production d'aluminium. L'électricité des barrages de Rio Tinto pourrait être vendue ailleurs plutôt que pour la production d'aluminium. C'est complètement contraire à l'intérêt commun de la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean et du Québec.
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En attendant le Black Friday

Dans une rue à sens unique avec stationnement des deux côtés, ayant un seul corridor de circulation au milieu, mais assez large au besoin pour deux voitures tout en se frôlant (comme pour se garder au chaud malgré le réchauffement climatique dû en partie aux émissions des dites voitures), un livreur typique de l'ère numérique « se met sur les flashers » le temps d'aller porter un colis requérant signature. La circulation est ainsi réduite à la vitesse rampante du concombre de mer, se profilant à l'horizon la menace d'un classique bouchon de circulation inattendu un jour de semaine à 11AM. Un Montreal Special avec rage au volant on the side.
En dépassant le goulot d'étranglement après plusieurs minutes de frustration automobile, surprise, s'étalent plusieurs espaces de stationnement disponibles, tous à quelques dizaines de pieds de l'endroit de la fatidique catastrophe routière en cours. « Sapristi de livreur à m… » se disent, peut-être, les bons usagers de la route qui obéissent aux règles et ne s'expliquent pas l'ampleur de l'égoïsme sans limites dudit livreur. En effet, ce parasite paresseux a osé causer un inconvénient aux troupeaux de VUS éléphantesques qui arpentent les rues plutôt que de se stationner un plus loin et de marcher un peu. En plus, c'est bon pour la santé marcher, ne le sait-il donc pas ?
Simultanément, Jeff Bezos et autres PDG et actionnaires majoritaires machiavéliques millionnaires et milliardaires du même acabit se baladent devant des œuvres d'art de la Renaissance1 affichées dans leurs yachts tout en comptant les nouveaux millions qui s'accumulent heure par heure2 dans leurs comptes de banque en paradis fiscaux à l'abri des lois et gouvernements3.
En établissant directement ou indirectement des contraintes et objectifs de performance inhumains sur toute la longueur des chaines d'approvisionnement4, de l'extraction des ressources jusqu'à la livraison au pas de ma porte de mon gri-gri dont je n'ai vraiment pas besoin, cette nouvelle classe ploutocratique réussit à nous convaincre d'effacer l'humanité d'autrui et par le fait même à nous monter les uns contre les autres. Cette classe de milliardaires obscènes veut détourner notre attention de l'exploitation dont ils sont coupables, exploitation sur laquelle est bâtie leur opulence ostentatoire de moins en moins inhibée, le tout en nous vendant leurs valeurs entrepreneuriales et leur succès financier comme un idéal à atteindre.
En effet, bien qu'il soit vrai que ce livreur puisse tout à fait s'en foutre d'où il stationne, il est esclave des désirs de croissance débridée imposés par ces PDG aux poches et ambitions sans fond, objectifs qui sont entérinés à leur tour par la société de consommation. Ce livreur a peut-être des cibles quotidiennes de performance fixées par un algorithme, probablement irréalistes ou impossibles à atteindre, surtout s'il se stationne plus loin des destinations, devant marcher à chaque livraison. Il est exploité par des compagnies qui priorisent les travailleurs autonomes, « l'engageant » sans s'engager envers lui, afin de se dédouaner des avantages et protections qu'un emploi en bonne et due forme lui octroierait. Ce livreur est un sous-traitant, un entrepreneur, un maître de son destin tout comme Musk ou Bezos. Du moins, c'est ce qu'on voudrait nous faire croire. Il court contre la montre en tentant d'échapper au spectre d'une plainte, à une action punitive de son non-employeur ou à une mise à pied qui le guette à tout moment. Le tout afin d'à peine réussir à ne pas se noyer sous le poids des inégalités exacerbées par les maitres de l'industrie qui l'emploie5.
L'augmentation du volume de colis et les attentes en matière de rapidité de livraison, le désir et le plaisir de recevoir sa gugusse en 24 heures et la dépendance à la dopamine rapide et bon marché que le consumérisme nous procure sont à la source même de ce bouchon de circulation à Montréal un vendredi matin de novembre à deux semaines du Black Friday. Ainsi, la prochaine fois que montera la marée de la rage au volant, voulant engloutir sous son écume un livreur Intelcom qui bloque le chemin en n'ayant pas pris conscience de la primordialité des mastodontes à quatre roues, il faudrait plutôt penser à redistribuer les milliards de Bezos et ses consorts parmi ceux qu'ils oppriment et qu'ils poussent de plus en plus vers le gouffre de la misère, ou au minimum, il faudrait penser à fermer nos comptes Amazon.
Notes
1.Par exemple, un tableau de De Vinci se trouverait au bord du Yacht de Mohammed bin SalmanLe tableau le plus cher du monde sur le yacht d'un prince saoudien ? | La Presse
2. Jeff Bezos aurait généré l'équivalent de 7.9$ millions par heure en 2023 :
How Did Jeff Bezos Make $7.9 Million Per Hour Last Year ? By Embracing an Owner's Mentality ;
Jeff Bezos Made Over $7.9 Million An Hour Every Hour In 2023 — In Under 13 Minutes, He Brought In The Equivalent Of What The Typical Person Earns In A Lifetime
3. La Société de provocation de Dahlia Namian explore, entre autres, comment les milliardaires s'affairent à se soustraire des lois et de la souveraineté des pays pour se protéger eux et leurs fortunes.La société de provocation - Lux Éditeur
‘They're more concerned about profit' : Osha, DoJ take on Amazon's grueling working conditions
Amazon a aussi un pouvoir outre mesure sur les chaines d'approvisionnement et les marchés, dictant des conditions aux entreprises en aval et en amont :
Fact Sheet : Amazon's Market Power - American Economic Liberties Project
5.Des livreurs de l'ère du numérique sont souvent payés au colis, aussi peu que 1.15$ par livraison :
La précarité à votre porte
Prime Day d'Amazon : les mauvaises conditions des employés derrière ces offres alléchantes
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Palmarès 2023 : Plus intenses que jamais

Que vous l'attendiez ou non, la voilà : nous venons de publier la quatrième édition du Palmarès des déversements d'eaux usées.
Tiré de infolettre Fondation Rivières
Cette année, l'accent est mis sur l'augmentation marquée de l'intensité des déversements dans un contexte de changements climatiques.
Pour voir le classement de votre municipalité
Moins de déversements, mais plus intenses
En 2023, il y a eu 44 765 déversements d'eaux usées dans nos lacs et rivières. Oui, vous avez bien lu, près de 45 000 déversements... Ça semble énorme, mais en réalité, c'est un peu moins qu'en 2022, où on en comptait environ 53 000. De prime abord, c'est une bonne nouvelle ... Eh bien ... pas vraiment.
En fait, même si le nombre a baissé, l'intensité des déversements a augmenté de 25 %. Concrètement, ça veut dire que les déversements sont plus longs, plus fréquents, et ils arrivent souvent l'été, quand l'impact sur la qualité de l'eau est au plus fort. On a analysé les données de la Montérégie et cet été, la pluie a été presque aussi intense qu'en 2020, mais l'intensité des déversements a bondi de 41 % !
Pour voir l'évolution des déversements depuis 2017
Le ministère doit changer son indicateur}
Aujourd'hui, le gouvernement se base sur le nombre de déversements pour évaluer l'ampleur des conséquences des déversements. Mais cet indicateur ne permet pas vraiment de savoir quel est l'impact réel sur nos rivières. À Beloeil, par exemple, la qualité de l'eau à la piscine en eaux vives a mis plusieurs jours à se rétablir après la tempête Debby à cause des débordements majeurs qui se sont produits en amont tout au long de la rivière Richelieu. Ce qu'on demande, c'est un indicateur qui tienne compte non seulement du nombre de déversements, mais aussi de leur durée et de leur taille, pour mieux évaluer leur impact sur l'environnement. L'indice d'intensité, développé par la Fondation Rivières, tient compte de la durée des déversements et de la taille de l'ouvrage qui déborde.
Les déversements d'eaux usées ne sont pas juste un problème de pollution visible, ils affectent les espèces aquatiques et la biodiversité. Ils peuvent affecter la qualité de l'eau aux prises d'eau potable et compliquer les opérations de traitement et de désinfection requises pour éliminer un maximum d'éléments nuisibles à la santé. Les déversements limitent également la disponibilité de sites de baignade et les activités nautiques.
Restez à l'affût de nos communications sur le Palmarès !
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Appuyez les travailleurs et travailleuses des postes !

Postes Canada est l'une des institutions publiques les plus prisées au pays, reliant les familles, les collectivités et les entreprises d'un océan à l'autre. Postes Canada fournit de bons emplois assortis de bons avantages sociaux à des dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses. En retour, ces emplois permettent de faire vivre des familles et de faire rouler l'économie de la région.
Nous sommes présentement en négociation avec Postes Canada. Nous luttons pour maintenir de bons emplois et un régime d'avantages sociaux solide, et pour nous assurer que les conditions de travail de nos membres demeurent sécuritaires. Nous voulons aussi la diversification des services postaux afin de préserver notre service postal public tout en répondant aux besoins modernes de la population et des collectivités.
Ensemble, donnons à Postes Canada un avenir à sa hauteur en misant sur l'innovation et la diversification des services.
Voici trois façons de nous aider :
1- Dites à Doug Ettinger, PDG de Postes Canada, que le STTP peut compter sur votre soutien, que la croissance du service postal ne se fera pas à coups de hache, et que nous devons trouver des solutions qui profitent à tous, y compris aux travailleurs et travailleuses.

2- Syndicats et alliés : vous avez besoin d'affiches ou de pancartes pour une action de solidarité ?
Voici des affiches que vous pouvez télécharger et imprimer.
Format pancarte – 22 po x 28 po
Graphiques pour réseaux sociaux
Vous avez besoin d'affiches pour votre usage personnel ?
Téléchargez cette affiche dans ses différents formats, imprimez-la et affichez-la dans une fenêtre, sur une porte ou encore sur votre boîte aux lettres. Un excellent moyen de manifester votre appui.
Graphiques pour réseaux sociaux
3- Renseignez-vous sur nos propositions de diversification des services postaux dans le cadre de notre campagne Vers des collectivités durables.
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Plusieurs milliers de personnes réunies contre le privé en santé

« C'est une véritable démonstration de force qu'on a réalisée. Que le gouvernement se le tienne pour dit : les Québécoises et les Québécois ont à cœur leur réseau public et sont prêts à se mobiliser pour le défendre », s'est exclamée la présidente de la CSN, Caroline Senneville.
Sous le thème Pas de profit sur la maladie, le rassemblement contre la privatisation du réseau de la santé et des services sociaux a réuni plusieurs milliers de militantes et militants de la CSN au Colisée de Trois-Rivières, ce samedi.
« C'est une véritable démonstration de force qu'on a réalisée. Que le gouvernement se le tienne pour dit : les Québécoises et les Québécois ont à cœur leur réseau public et sont prêts à se mobiliser pour le défendre », s'est exclamée la présidente de la CSN, Caroline Senneville.
Lors de l'événement animé par la comédienne Eve Landry, on a pu voir la rappeuse Sarahmée, le groupe Valaire et l'humoriste Christian Vanasse sur scène, en plus de la chercheuse Anne Plourde et de la Dre Élise Girouard-Chantal de Médecins Québécois pour un régime public (MQRP), qui se sont adressés à la foule.
Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de Québec solidaire et Paul St-Pierre-Plamondon, chef du parti Québécois et se sont également joint à l'événement.
Un plan d'urgence
Durant cette journée électrisante, trois revendications politiques ont également été rendues publiques afin de répondre rapidement à la crise d'accès aux soins de santé.
Tout d'abord, la CSN demande au ministre de la Santé de freiner l'exode des médecins vers le secteur privé, une fois pour toutes. Pour y arriver, le ministre pourrait tout simplement signer un arrêté ministériel, comme il l'a récemment fait pour les optométristes.
La CSN demande aussi au gouvernement de cesser d'octroyer des permis de cliniques privées à but lucratif dès maintenant. Pour la centrale, rien ne justifie la propagation d'entreprises dont le seul objectif est de profiter de la maladie des gens.
Finalement, la CSN demande au gouvernement d'instaurer un moratoire sur tous les types de privatisation du travail et des tâches présentement accomplies au public. On parle d'agences de placement, de buanderies, de l'entretien des bâtiments, du transport de patients, etc.
La centrale demande au gouvernement de mettre en place ses trois revendications d'ici le 1er mai prochain, sinon elle promet de faire monter la pression.
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Lettre ouverte | Ensemble, pour l’égalité des chances dans tous les milieux

Alors que le gouvernement du Québec, après un déficit record, cherche à rééquilibrer son budget en diminuant ses dépenses, il importe de rappeler qu'investir en petite enfance, pour que chaque tout-petit développe son plein potentiel, n'est pas une charge ou un luxe, mais plutôt un choix responsable et rentable.
L'autrice est directrice du Collectif petite enfance.
Les gains sont encore plus grands lorsque l'on s'attaque d'abord aux inégalités d'accès aux services essentiels pour les enfants et leur famille. Ces inégalités découlent principalement de disparités sociales et territoriales.
Par exemple, l'édition 2022 de l'Enquête québécoise sur le parcours préscolaire des enfants (EQPPEM) confirme une augmentation de la probabilité qu'un enfant vivant dans un ménage à faible revenu soit considéré comme vulnérable dans au moins un domaine de son développement lors de son entrée à la maternelle.
De même, les enfants vivant en milieux ruraux et ceux qui grandissent dans des quartiers défavorisés ont drastiquement plus de probabilités d'avoir un parcours de vie impliquant la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), allant jusqu'à être deux fois plus à risque de faire l'objet d'un placement (1).
Pourtant, chaque tout-petit a une valeur inestimable pour le futur de notre société ! Ils doivent tous avoir les mêmes opportunités de s'épanouir pleinement, sans égard aux milieux où ils naissent et grandissent.
Investir dans un meilleur avenir pour tous
La 9e édition de la Grande semaine des tout-petits porte sur les inégalités sociales et territoriales vécues par les tout-petits et leur famille. Cet événement est l'occasion de se pencher collectivement sur les actions à mettre en place pour prévenir et combattre les inégalités. C'est aussi une opportunité pour encourager l'ensemble de la société à se mobiliser.
Cependant, pour assurer l'égalité des chances aux quelques 514 000 tout-petits au Québec (2).
ces politiques doivent être le reflet d'une vision ambitieuse partagée par tous les décideurs, et se traduire en moyens concrets, uniformément distribués sur l'ensemble du territoire.
Il faut notamment viser l'optimisation du réseau de la santé et des services sociaux afin qu'il offre prioritairement aux tout-petits et à leurs parents les meilleurs services qui soient, sans délai.
Il faut reconnaître l'expertise des organisations de la société civile et des organismes communautaires travaillant pour le mieux-être des enfants. Les financer conséquemment, à la hauteur des besoins, est le meilleur moyen pour joindre les familles les plus vulnérables.
Enfin, il faut impérativement développer des places en services de garde éducatifs subventionnés qui répondent réellement à la demande et qui soient de qualité.
Une société aussi riche que le Québec ne peut tolérer que les disparités territoriales et sociales aient un impact négatif sur l'avenir de ses enfants, ou autrement dit, sur son propre avenir.
L'équité étant ainsi synonyme de prospérité, agissons en conséquence.
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Stop au démantèlement de la francisation dans les centres d’éducation des adultes

Le Québec traverse une période marquée par des défis socio-économiques croissants, notamment le vieillissement de la population et une pénurie de main-d'œuvre qui mettent à l'épreuve la capacité de la province à maintenir sa vitalité économique. Face à ces enjeux, l'immigration apparaît comme une solution incontournable pour soutenir le développement et la croissance des secteurs clés de l'économie québécoise.
Outre la hausse de l'immigration, plusieurs éléments sont venus changer la donne en francisation des adultes depuis un peu plus d'un an et d'autres, à venir, auront certainement une incidence dans le quotidien du personnel enseignant de ce secteur.
Nous référons principalement à l'institution de Francisation Québec, depuis le 1er juin 2023, organisme implanté à la suite de l'adoption un an auparavant du projet de loi 96 – Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français modifiant la Charte de la langue française, ainsi qu'aux travaux d'harmonisation de la francisation entre le ministère de l'Éducation (MEQ) et le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration (MIFI).
La FAE suit de près les questions relatives à l'immigration et à la francisation et effectue des suivis serrés au niveau :
– De l'évolution de l'immigration au Québec et du discours du gouvernement par rapport à l'immigration temporaire ;
– Des mesures qui seront prises pour diminuer l'immigration temporaire ;
– De l'application des recommandations du commissaire à la langue française pouvant avoir une incidence sur la fréquentation des cours de francisation ;
– De la présence suffisante de ressources financières visant à assurer le financement de la francisation en CSS ainsi que le soutien au personnel enseignant de ce secteur.
Ces nombreux changements, ont amené, en 2023-2024, la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) à élargir la composition du groupe de travail en francisation à neuf membres afin que les réalités de chacun des syndicats affiliés puissent être représentées.
Le Conseil fédératif, l'instance qui gouverne les affaires de la Fédération entre les Congrès, est tenu au courant des développements par le Comité exécutif.
Mise à jour
Le gouvernement Legault a choisi de limiter les ressources allouées à la francisation dans les centres d'éducation des adultes, entraînant la fermeture de nombreuses classes et l'abolition de plusieurs postes à travers la province. En agissant ainsi, la CAQ empêche des milliers de personnes immigrantes d'accéder à des services de francisation de qualité et gaspille l'expertise d'enseignantes et enseignants.
En date du 6 novembre, 19 des 30 centres d'éducation des adultes offrant de la francisation sur le territoire FAE sont touchés. Le nombre exact reste à déterminer, mais il s'agit de quelques centaines de personnes enseignantes qui devront se réorienter.
La FAE est en contact avec ses syndicats affiliés et multiplie les représentations auprès des décideurs pour que se règle cette situation inacceptable.
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Les 12 jours contre les violences envers les femmes

Du 25 novembre au 6 décembre se déroulent chaque année les 12 jours d'action contre les violences faites aux femmes. Cette campagne est coordonnée par la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et est organisée par le Comité 12 jours qui rassemble plusieurs groupes et organisations féministes.
Les 12 jours incluent deux dates particulièrement importantes : le 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, et le 6 décembre, déclarée Journée nationale de commémoration et d'action contre la violence faite aux femmes.
Thématique 2024
Cette année, la campagne des 12 jours aborde la violence en ligne sous le thème : Ni en ligne, ni hors ligne : luttons contre les cyberviolences genrées
Les cyberviolences genrées constituent un fléau discret, mais pernicieux. Elles touchent les femmes ainsi que les personnes issues de minorités de genre, religieuses ou en situation de handicap, et ce, dans tous les aspects de leur vie quotidienne.
Avec l'essor massif du numérique, ces violences se multiplient et prennent des formes toujours plus variées, se manifestant dans les espaces publics virtuels tels que les réseaux sociaux, les jeux en ligne et les forums, mais également au sein d'échanges privés.
Cette année, les visuels ont été réalisés par Margarita Marin. Si vous téléchargez le visuel, aucune modification n'est permise et il doit être diffusé comme tel (aucun ajout de filtre, de rognage ou de logo supplémentaire).
Matériel à télécharger
– Affiche
– Facebook et Instagram (carré)
Dans le cadre de la campagne des 12 jours, la FTQ vous invite à :
– Diffuser le matériel dans vos réseaux ;
– Aimer, commenter, partager les publications et suivre le comité 12 jours sur Facebook et Instagram ;
– Utiliser les # (#12joursdaction) pour diffuser vos activités en lien avec les 12 jours.
Aussi, pour celles qui sont à Montréal, joignez-vous à nous le 6 décembre pour commémorer l'attentat de polytechnique à la Place du 6-Décembre-1989.
Pour souligner les 35 ans de l'attentat antiféministe du 6 décembre de 1989, la FTQ participera à la vigile organisée à Montréal et mettra ses drapeaux en berne du 3 au 6 décembre.
Vous souhaitez montrer votre support ?
Participez à Vigile de la FFQ et des 12 jours d'actions en l'honneur des 14 victimes de la tuerie de Polytechnique.
Ensemble, nous pouvons mettre fin à la violence faite aux femmes, en ligne et hors ligne !
Événement commémoratif du 6 décembre
Vigile de la FFQ et des 12 jours d'actions
en l'honneur des 14 victimes de la tuerie de Polytechnique
Vendredi 6 décembre, de 12 h à 13 h 30
Place du 6 décembre 1989 (au croisement du ch. Queen-Mary et de l'av. Decelles, dans le quartier Côte-des-Neiges à Montréal).
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Violences faites aux femmes : agir encore et toujours

Au cours des dernières années, les mouvements sociaux, comme #MoiAussi et #JeTeCrois, ont transformé des cris d'indignation en changements législatifs. Malgré ces avancées, la lutte pour éliminer les violences faites aux femmes demeure essentielle. Les 12 jours d'action contre les violences faites aux femmes, qui se tiennent du 25 novembre au 6 décembre, permettent de réfléchir collectivement au chemin parcouru et à celui qu'il reste à faire.
Tiré de Ma CSQ.
Lancé en 2006 par Tarana Burke, le mouvement #MeToo a été repris, des années plus tard, en 2017, dans la foulée de l'affaire Harvey Weinstein. Rapidement, le Québec a suivi le courant et s'est mobilisé autour de #MoiAussi, un mouvement qui a mené à une série de dénonciations sur les réseaux sociaux d'agressions à caractère sexuel. À cela s'est ajouté le mouvement #JeTeCrois, qui a permis d'amplifier les voix des victimes et de combattre la culture du doute, qui remet trop souvent en question le consentement des femmes et rejette sur elles la responsabilité des violences subies.
Ces mobilisations sociales ont eu une incidence positive par la mise en place de projets de loi encadrant ce type de violence. En juin 2020, le Québec a aboli le délai de prescription pour les recours civils en matière d'agressions sexuelles et de violence conjugale. L'année suivante, un tribunal spécialisé en ces matières a vu le jour, une initiative visant à rebâtir la confiance des personnes victimes envers le système judiciaire.
Des lois en évolution
Actuellement, sur la scène fédérale, le projet de loi C-332 visant à criminaliser le contrôle coercitif est en cours d'étude, une avancée potentiellement décisive pour les victimes de violence conjugale.
Au niveau provincial, le projet de loi no 73, présentement en discussion, vise à contrer le partage sans consentement d'images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence. En plus de proposer des moyens légaux pour exiger le retrait d'images intimes qui circulent, ce projet de loi suggère des modifications importantes à diverses lois afin d'éviter de possibles situations de victimisation secondaire (réactions négatives auxquelles la victime doit faire face lorsqu'elle parle de sa situation ou demande de l'aide). Ainsi, la réputation, les comportements sexuels passés, le délai pour porter plainte deviendront des faits présumés comme non pertinents dans toute affaire comportant des allégations de violence sexuelle ou de violence conjugale.
Une lutte collective inachevée
Il reste encore beaucoup de chemin à faire pour l'élimination des violences faites aux femmes. Rien de ce qui a déjà été obtenu ne peut être considéré comme un acquis. Certaines personnes souhaiteront faire invalider des articles de loi, d'autres utiliseront un discours rétrograde en ce qui concerne les droits des femmes. La lutte collective contre les violences envers les femmes est juste et nécessaire.
Ensemble, nous la poursuivrons afin que toutes les femmes et les filles puissent vivre dans un monde exempt de violences.
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Lock-out et négation du droit de grève dans les ports

Pourquoi Pierre Poilièvre a-t-il tant de succès auprès de l'électorat ouvrier ? Après tout, le chef conservateur ne propose aucune vraie solution aux crises du logement et du pouvoir d'achat qui affligent en ce moment les gens ordinaires. La plupart du temps, il se contente de répéter – avec sa voix teigneuse de bernache canadienne – qu'il va abolir la taxe carbone des libéraux. Il se garde bien de préciser quel sera son plan lorsque cette mesure échouera à rétablir notre pouvoir d'achat. Pourquoi la classe populaire, principalement au Canada anglais, semble-t-elle prête à accorder sa confiance à ce chef au programme brouillon, qui dirige un parti pro-patronat ?
J'ai une théorie. Durant son mandat, Justin Trudeau a souvent pris pour cible les cols bleus, imposant des lois spéciales à Postes Canada en 2018, au port de Montréal en 2021 et au CN à l'été 2024. Il vient de récidiver en forçant l'arbitrage exécutoire dans les ports de Québec, Montréal et Vancouver.
Il se pourrait que ce mépris affiché du premier ministre fédéral envers les travailleurs et travailleuses manuels nourrisse le mécontentement de l'ensemble des prolétaires, les rendant plus favorables aux discours démagogues de son adversaire. Quoi qu'il en soit, je m'entretiens de la situation dans les ports avec Patrick Gloutney, président du SCFP-Québec (affilié FTQ).
22 novembre 2024 | tiré de la lettre de l'Aut'journal
https://www.lautjournal.info/20241122/lock-out-et-negation-du-droit-de-greve-dans-les-ports
Orian Dorais : Quelles étaient vos revendications dans les ports du Québec ?
Patrick Gloutney : À Québec, le principal enjeu est l'horaire de travail. En ce moment, nos membres ont le sentiment qu'ils doivent être en stand-by 24 heures par jour, sept jours semaine, parce que les détails de leur quart de travail du lendemain ne leur sont communiqués que la veille, autour de 16h.
Autrement dit, ils doivent attendre un appel ou un texto pour savoir quelle sera leur tâche du jour suivant et combien d'heures vont être nécessaires. Souvent, on leur impose de rentrer de nuit, de faire des quarts de douze heures et/ou de travailler chaque jour pendant des semaines avant d'avoir un congé. Et la plupart de ces assignations épuisantes sont communiquées assez tardivement, je le répète. Avec tout ça, pensez-vous que la conciliation travail-famille est possible ?
Pour ce qui est de Montréal, les horaires posent là aussi de gros défis. Sur la ligne de piquetage, j'ai entendu l'histoire de deux parents qui travaillent au port de Montréal, un sur le quart de soir, l'autre sur le quart de jour. Comme c'est difficile de trouver une gardienne à trois heures du matin, le parent qui travaille de jour doit réveiller son enfant aux petites heures du matin, l'emmener au port et l'amener au parent qui termine sa nuit de travail pour qu'il rentre avec l'enfant.
Je ne comprends pas qu'en 2024 on impose des horaires comme ça, qui étaient la norme dans la deuxième moitié du XXe Siècle. Aujourd'hui, Google peut savoir que je suis assis dans quel restaurant en temps réel. On a des applications qui permettent de suivre les avions, les trains… et les bateaux ! On s'attend pas à ce que nos membres fassent du 8h à 16h du lundi ou vendredi, mais, quand même, une certaine régularité serait appréciée.
L'employeur pourrait mettre en place les mécanismes pour mieux coordonner les quarts de travail avec l'arrivée prévue des bateaux. Il ne le fait pas, mais c'est faute de volonté, pas faute de moyens technologiques et financiers. Sinon, toujours à Montréal, la sécurité d'emploi est aussi un enjeu majeur.
O.D. : Le conflit au port de Québec dure depuis très longtemps, pouvez-vous nous le résumer ?
P.G. : Les débardeurs de Québec sont sans convention depuis le 1er juin 2022 et en lock-out depuis le 15 septembre de la même année. Ça fait plus que deux ans que nos membres de Québec ne peuvent pas travailler au port. Tout ce temps, ils ont survécu sur les allocations de grève et plusieurs ont dû occuper des emplois parallèles.
Comment avoir une vie sociale ou familiale quand il faut partager son temps entre un emploi de subsistance et la ligne de piquetage ? En fait, il y a quelques semaines, nous avons même lancé le site appelé « adopte un lockouté » où les gens peuvent soutenir les grévistes. Mais, malgré les conditions difficiles du lock-out, nos membres n'ont pas flanché. La dernière offre patronale dérisoire a été rejetée à 94%.
Il faut dire qu'on est face à un employeur – l'entreprise QSL, qui gère le port de Québec – qui a tout fait pour ne pas négocier de bonne foi, allant même jusqu'à engager des scabs mieux payés que nos débardeurs. On voit que l'argent n'est pas un problème pour QSL, son entêtement est purement idéologique.
O.D. : Donc l'employeur engage des briseurs de grève impunément ?
P.G. : Nous avons dénoncé ces pratiques partout où nous pouvions. À Québec, j'ai personnellement interpellé le maire Marchand, il a refusé de se prononcer sur le conflit... Nous avons aussi fait des représentations auprès de la Caisse de Dépôt, qui est actionnaire de QSL.
Enfin, le port de Québec étant de juridiction fédérale, nous avons fait beaucoup de pressions au parlement pour qu'une loi anti-scabs soit votée à Ottawa. Quand cette loi a enfin été adoptée, au printemps 2024, nous avons cru que le vent tournait dans notre direction, mais on a appris que la nouvelle législation n'entrerait en application qu'au mois de juin 2025. Encore quelques mois d'impasse, puis le ministre du Travail nous a balancé un arbitrage exécutoire en pleine face.
O.D. : Du même coup, il a mis fin au lock-out au port de Montréal, qui n'a duré que quelques jours…
P.G. : Ce qui est particulièrement frustrant à Montréal, c'est qu'il n'y a pas eu de convention négociée depuis plus de quinze ans. Les derniers contrats ont tous été imposés, c'est ce qui s'est produit en 2021. À Montréal, l'employeur n'était même pas gêné d'offrir une hausse de 20% sur 6 ans, alors qu'il a offert 20% sur 4 ans aux débardeurs d'Halifax.
Imaginez l'ambiance au travail, quand on fait face à un mépris comme ça, en plus des problèmes d'horaire et de sécurité d'emploi. Je rappelle qu'à Québec, en 2022, nos membres se sont votés des jours de grève, mais n'ont même pas eu le temps de les utiliser avant de se faire mettre en lock-out.
À Montréal, les membres ont fait une grève partielle pendant à peine quelques jours et ont aussi été mis en lock-out. Le retour forcé au travail a suivi peu après. Nos droits à la grève et à la négociation ont été bafoués, supposément pour « sauver l'économie » ! Le gouvernement a cédé à la pression du milieu des affaires et prétend maintenant que les débardeurs offrent des services essentiels. Pardon, mais débarquer les télés que les gens commandent de l'étranger c'est pas un service essentiel.
En vingt ans de militantisme dans le monde syndical, j'ai jamais été aussi découragé. Après trente ans de lutte, on a réussi à faire imposer une loi anti-scabs au niveau fédéral, pour se faire poignarder dans le dos une saison plus tard. Est-ce que les gens de Postes Canada seront les prochains ? C'est dangereux de normaliser le recours à l'arbitrage exécutoire, Pierre Poilièvre va s'en donner à cœur joie avec ce mécanisme s'il est élu. Même s'il se présente comme un ami des travailleurs pour gagner ses élections.
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XVe Biennale de La Havane : “Que l’art s’entrecroise et qu’il tende des ponts de liaison”

“Au-delà de toutes les différences, il existe un espace de connaissances, d'expectatives et d'affections que nous partageons, nous la plupart des êtres humains. Rechercher ces ponts de liaison, ces zones communes qui nous permettront d'avancer ensemble vers un avenir plus équitable et plus durable devrait être notre principale devise ̋. Telle est la plateforme conceptuelle qu'envisagent les organisateurs de la XVe Biennale de La Havane qui se déroulera du 15 novembre au 28 février 2025.
Tiré site web Association Cuba Coopération France
https://cubacoop.org/Place-aux-arts-plastiques
Article de Thalía Fuentes Puebla et Yilena Héctor Rodríguez, Cubadebate
30 septembre 2024
Nous avons échangé avec son directeur, Nelson Ramírez de Arellano, sur le plus grand rendez-vous des arts plastiques dans le pays – un événement qui prend la ville comme scène et qui la transforme.
̶ Quelles nouveautés apporte cette édition de la Biennale de La Havane ?
La Biennale célèbre cette année son 40ème anniversaire. Nous avons décidé d'articuler quelques expositions à caractère commémoratif pour montrer des œuvres qui sont dans les collections de Cuba, comme celle de la Casa de las Américas et celle de l'institution elle-même qui organise la Biennale, le Centre d'Art Contemporain Wifredo Lam.
En outre, pour la première fois il y aura une exposition commémorative d'artistes cubains et d'œuvres qui ont imprimé une trace durable dans la mémoire de la Biennale. Avec cette exposition, qui se tiendra à la Station Culturelle des rues Línea et 18, le public pourra re-connaître beaucoup des œuvres qui ont été emblématiques de quelques-unes des éditions de la Biennale et il pourra profiter du travail d'artistes cubains qui ont grandi et ont été reconnus grâce à leur participation à cet événement au fil de ces 40 années.
Nous avons également développé un singulier travail d'étroite collaboration avec des projets socio-culturels comme Quisicuaba à Los Sitios (arrondissement de Centro Habana) et Akokán à Los Pocitos (arrondissement de Marianao), coopération dont nous espérons qu'elle transcendera les relations traditionnelles entre les artistes (créateurs) et les récepteurs (collaborateurs) et qu'ils se transformeront en co-créateurs.
̶ Quels buts poursuivez-vous avec cette plateforme conceptuelle que vous envisagez pour cette XVe édition ?
L'idée pourrait être résumée par la célèbre phrase de José Martí « La Patrie est humanité ». Depuis la première édition de la Biennale la possibilité de contribuer à la construction de lendemains meilleurs a toujours été notre force motrice.
Maintenant, plus spécifiquement dans le domaine de l'art, nous souhaitons mettre en avant la possibilité de collaboration dans les processus créatifs et de recherche relatifs à la création artistique, les politiques et les processus de médiation dans les arts et la transdisciplinarité, entendue comme cette possibilité que l'art s'entrecroise et tende des ponts de liaison entre les divers champs de la connaissance.

Œuvre de la XIIIe Biennale de La Havane. Photo : Telecubanacán
̶ La Biennale maintient-elle son objectif fondateur de défendre un concept décolonisateur ?
Par quels canaux ou espaces mettrez-vous en avant cet aspect ?
La Biennale de La Havane ne peut éviter sa nature dé-coloniale et décolonisatrice. Depuis ses débuts, le fait de s'être Instaurée comme le premier espace international pour la diffusion, la visibilisation et la promotion depuis le Sud des créations visuelles issues des zones géoculturelles identifiées aujourd'hui comme Sud Global est en lui-même un pari décolonisateur et dé-colonial.
Notre peintre le plus universel, Wifredo Lam, a défendu dans une interview l'idée que sa peinture était en elle-même un acte de décolonisation. Pour la Biennale de La Havane, actuellement, le seul fait d'exister est un acte décolonisateur.
Au-delà de cela, l'intérêt primordial de notre événement continue d'être contraire aux intérêts du capital et des centres de pouvoir néocoloniaux. Le fait que l'occident reconnaisse et fasse l'éloge des valeurs culturelles de nos peuples, inclut bien souvent une attitude paternaliste des pays qu'on appelle développés par rapport aux pays en voie de développement. La Biennale continue de lutter pour que prime la reconnaissance de nos valeurs, tout d'abord entre nous et depuis nos propres critères.
̶ Combien d'artistes y participeront et de quels pays ?
Nous aurons pour cette édition près de 240 artistes de 57 pays, une liste bien fournie à laquelle il faudrait ajouter les créateurs cubains, aussi bien ceux qui sont directement invités à l'événement que ceux qui se trouveront à y participer de façon collatérale avec des projets d'exposition, des ateliers ouverts et d'autres initiatives.
Malheureusement, nous avons très peu d'Africains et d'Asiatiques, car malgré tous les efforts décolonisateurs que nous faisons actuellement – même si cela paraît absurde – souvent la distance entre deux pays relativement proches sur la carte comme, par exemple, le Brésil et la Guinée, s'avère être dans la pratique incroyablement longue. De la même façon, il est plus facile aux artistes africains d'être présents à un événement en Europe qu'en Amérique Latine.
̶ Comment un artiste peut-il faire partie de la Biennale ? En ce qui concerne Cuba, seuls les artistes qui font partie du Conseil National des Arts Plastiques peuvent-ils participer ?
A partir des intérêts idéo-esthétiques définis dans la plateforme conceptuelle de chaque édition, l'équipe de commissaires recherche quels artistes pourraient contribuer avec leurs créations à l'élaboration de la symphonie que constitue la Biennale ; chaque artiste apporte, pour ainsi dire, un instrument, un son particulier.
Les créateurs proposent également leurs œuvres qui sont analysées par l'équipe des commissaires, mais en réalité c'est un appel à candidature ouvert. Il n'y a aucun pré-requis d'affiliation, nous ne demandons pas non plus à personne s'il appartient à une chose ou une autre.
̶ Quelle place occupe l'art jeune dans la programmation de la Biennale ?
Historiquement, la Biennale de La Havane a accordé beaucoup d'attention à l'art jeune ou émergent et tout au long de ces années elle a propulsé vers la célébrité d'innombrables artistes totalement inconnus.
Contrairement à presque tous les événements internationaux similaires qui privilégient la présence de personnages célèbres à cause de leur valeur médiatique, en d'innombrables occasions beaucoup d'artistes cubains et étrangers ont eu leur première participation à un événement de cette classe à La Biennale de La Havane.
Nous travaillons également tout près de l'Université des Arts ISA et de San Alejandro, où il a toujours existé d'importants projets d'exposition à chaque Biennale, et, en outre, étant donné l'énorme quantité et qualité de nos artistes, nous organisons un programme d'expositions collatérales en collaboration avec le Centre de Développement des Arts Visuels qui prête attention aux plus jeunes.

XIIIe Biennale de La Havana. Photo : Jorge Luis Sánchez Rivera/ Cubadebate.
̶ Quelles actions mettrez-vous en œuvre pour impliquer dans la Biennale le public moins féru en la matière ? Quelles actions avez-vous prévu pour attirer les jeunes ?
Etant donné que la médiation est l'un des sujets qui nous intéresse le plus, nous avons planifié plusieurs temps d'ateliers, des expositions dans l'espace public, parmi d'autres actions qui incluent dans leurs objectifs celui d'attirer les plus jeunes.
Nous espérons aussi avoir quelques concerts avec l'interaction d'artistes visuels qui doivent attirer l'attention du secteur le plus jeune de la société.
̶ Dans quels aspects la XVe Biennale sera-t-elle supérieure ? De quelles expériences, positives et négatives, vous êtes-vous nourris au moment d'organiser cette édition ?
Je ne crois pas que l'on puisse en aucun cas établir une claire relation de supériorité par rapport à aucune autre édition de la Biennale. Dans chacune des précédentes, l'équipe organisatrice de l'événement a été confrontée à des défis divers et les a relevés conformément aux possibilités qu'elle a eu, à mon avis toujours avec beaucoup d'intelligence et de flexibilité.
La Biennale de La Havane, à la différence de la plupart des événements similaires dans le monde, a toujours été organisée depuis le même noyau, l'équipe de commissaires du Centre d'Art Contemporain Wifredo Lam. Cette particularité a permis d'évoluer de telle façon que chaque nouvelle édition maintient un lien de continuité avec la précédente.
Il peut de faire que, pour le public, en fonction de ses goûts ou de ses préférences, une édition paraisse meilleure ou pire, mais de mon point de vue, les bases de ces jugements sont généralement assez superficielles.
Cependant, je pourrais dire que pour moi les plus mémorables ont été la troisième, la cinquième, la huitième et la douzième, mais mes raisons ne sont pas non plus suffisamment objectives parce qu'il est impossible de faire une analyse de ce type sans disposer d'une énorme quantité de données sur chaque édition de l'événement.
D'une manière générale, le plus intéressant c'est de pouvoir apprécier comment il y a une ligne de développement qui transcende même les changements de direction de la Biennale, car, bien qu'au fil des années, les directeurs aient changé et que d'une certaine façon chacun ait apposé son empreinte sur l'événement, pour l'essentiel, il n'y a pas eu un processus d'évolution par à-coups.
Aucune édition ne nie ni ne concurrence la précédente. D'une certaine façon, la Biennale est comme un organisme vivant qui s'adapte aux circonstances pour survivre. De la même manière qu'une personne ne change pas radicalement à moins qu'elle ne subisse une expérience traumatique qui suppose une mutation dans son développement, un processus de culture tel que la Biennale de La Havane a maintenu une ligne d'évolution cohérente au fil des ans.
̶ Comment voyez-vous l'état actuel des arts visuels à Cuba ?
L'art est l'un des concepts les plus subjectifs et les plus fuyants développés par l'intellect humain. Sa nature varie constamment et, bizarrement, chaque nouveau stade ajoute de la valeur au précédent.
Dans les sciences, chaque nouvelle découverte peut annuler la valeur de la découverte précédente, en art cela ne se passe pas de la même façon.

XIII Bienal de La Habana. Foto : Jorge Luis Sánchez Rivera/ Cubadebate.
Les arts visuels se sont complexifiés de plus en plus en évoluant vers des formes expérimentales et des processus de plus en plus sophistiqués, cependant, cela n'a pas enlevé de valeur aux formes plus traditionnelles.
Dans notre pays la quantité d'artistes et de public intéressé par l'art dépasse statistiquement la plupart des pays du monde.
Bien que de nombreuses personnes puissent avoir une vision très critique, je crois que, tant qu'il existera un pourcentage significatif de la population qui considère la condition d'artiste comme une aspiration de dépassement personnel et que primera chez les artistes le besoin d'être bons dans ce qu'ils font sur celui de faire de l'argent, cela supposera une très bonne santé pour les arts à Cuba.
̶ Depuis votre expérience dans le comité organisateur, comment la Biennale de La Havane peut-elle, depuis l'art, contribuer à l'amélioration de la société ?
L'existence d'un événement tel que la Biennale de La Havane dans notre pays est en elle-même une aide considérable au développement de la société.
A des périodes où les sociétés sont plongées dans la dépression à cause de coactions comme les crises économiques ou sanitaires comme le Covid-19 – comme cela s'est produit à Matanzas au début de 2022 – l'inauguration d'un événement culturel comme celui-ci est une lueur d'espoir et elle peut contribuer substantiellement à l'amélioration de la société.
Vu d'une manière plus “académique”, l'art existe et se développe dans une logique de pensée multidimensionnelle et multi-temporelle, unique en son genre. Cela lui permet de trouver des voies pour le progrès de n'importe quelle autre discipline de la connaissance totalement nouvelles et, bien souvent, inattendues
Cela lui permet de choisir, peut-être en se basant sur l'intuition, de façon heuristique, la meilleure solution sans posséder toutes les variables pour calculer le meilleur chemin. Cela peut paraître une aptitude inutile mais beaucoup de progrès déterminants dans l'histoire de l'humanité ont été possibles grâce à ces formes moins aristotéliciennes de pensée et d'analyse.
- Quelles sont les expectatives pour cette XVe édition de la Biennale ?
Nous avons des expectatives, mais nous sommes également conscients que nous sommes confrontés à beaucoup de difficultés, pas autant que lors de la XIVe édition, où nous commencions tout juste à sortir du Covid-19, alors que nous avions encore des restrictions sur la quantité de public admis dans les espaces fermés, pratiquement sans budget, mais ce sera difficile de la même façon.
A cette occasion, nous avons fait appel à la passion que ressentent les artistes cubains et étrangers pour Cuba et pour la Biennale de La Havane.
Je pourrais dire que notre plus grande expectative est que cette édition soit suffisamment cohérente avec l'histoire de l'événement et importante en elle-même pour garantir sa continuité.
Cela dépendra surtout de notre capacité à harmoniser toutes les énergies qui se mobilisent autour de la Biennale et à les faire confluer de telle sorte que les artistes sentent qu'ils ont eu l'occasion de grandir conjointement à l'événement.
URL : http://www.cubadebate.cu/especiales...
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L’usine, l’art et la torture ou les trois vies d’« Izolatsiya »

« Isolation » (Izolatsiya), le dernier film du réalisateur d'origine ukrainienne Igor Minaev, est un drame en trois actes qui frappe fort et juste.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Un documentaire implacable réalisé par un cinéaste qui ne se définit pas comme documentariste car son œuvre de fiction témoigne d'autres cordes à son arc. Il donne ici à voir avec rigueur, sur la base d'archives et de témoignages, les métamorphoses d'un lieu qui fut tour à tour fleuron de l'industrie soviétique, centre d'art contemporain de l'Ukraine indépendante puis, jusqu'à aujourd'hui, immense centre de torture au service de l'invasion poutinienne. Unité de lieu, comme au théâtre, mais il s'agit de l'histoire réelle de l'Ukraine, des mensonges qui lui furent jadis imposés, de ses efforts d'émancipation, de la guerre qui lui est infligée.
1955 à Donetsk
Une usine de matériaux isolants (d'où son nom : « Isolation ») est mise en service et devient dans les années 1960, un centre industriel majeur du Donbass. La propagande soviétique ne lésine pas sur la glorification du bonheur ouvrier au pays du « socialisme réellement existant ». L'usine, comme beaucoup d'autres, ne survit pourtant pas à l'effondrement de l'URSS. Devenue propriété privée, Isolation finit par fermer en 1990, à l'aube de la « décennie maudite » qui voit, dans l'ex-Union soviétique, le capitalisme sauvage, ses oligarques et ses alliés mafieux annexer et ravager le tissu industriel.
2010, la renaissance artistique
La fille du dernier directeur soviétique de l'usine rachète les murs des ateliers depuis longtemps à l'arrêt et y crée un centre d'art contemporain qui acquiert rapidement une grande renommée, en Ukraine et à l'échelle internationale. Le site conserve son nom, Isolation, mais devient un formidable point de rencontre et de création d'artistes du monde entier. L'Ukraine désormais indépendante revendique et affiche sa modernité. Des quatre coins du globe convergent des sculpteurs, des peintres, des auteurs d'installations qui viennent célébrer sur place la créativité, l'hospitalité et le désir de liberté ukrainiens : le plasticien chinois (exilé) Cai Guo-Qiang, le français Daniel Buren, le père de l'école photographique de Kharkiv Boris Mikhaïlov, l'artiste multimédia mexico-canadien Rafaël Lozano-Hemmer et bien d'autres, ainsi que nombre de jeunes artistes ukrainien·nes aux talents des plus prometteurs.
2014, la terreur
En cette année d'annexion de la Crimée par Poutine et d'intenses opérations armées de déstabilisation du Donbass, pilotées par le régime russe, les séparatistes de la « République populaire de Donetsk » font main basse sur les locaux. Ils brisent, détruisent et dynamitent les œuvres qui y sont exposées, qualifiées de « dégénérées » et de « pornographiques ». Les archives filmées que montre Igor Minaev donnent un aperçu de la brutalité et de l'insondable bêtise de ce fascisme bas de plafond : sidérant ! Isolation devient, entre les mains des séparatistes et sous la supervision des services russes, un véritable camp de concentration et un immense centre de torture. On sait que, dans les territoires temporairement occupés par les troupes poutiniennes, exactions et tortures furent et sont encore monnaie courante. À Isolation, les tortionnaires agissent à une échelle inédite : les témoignages de quelques rescapé·es sont glaçants.
Un film sur la déshumanisation complète
Dans une interview pour Radio Svoboda, Igor Minaev rappelle que celles et ceux qui étaient torturé·es dans la prison d'Isolation n'étaient accusé·es que d'une chose : être ukrainiens. Dès que les forces armées ukrainiennes libèrent une ville, ajoute-t-il, « on retrouve ces terribles chambres de torture ». Il explique n'avoir pas sélectionné celles et ceux qui ont accepté de témoigner dans son film des souffrances qu'ils et elles ont endurées. Ce qui l'a le plus frappé chez ces témoins ?
Vous voyez des gens comme vous, ils sont propres, peignés, lavés, habillés, vous ne pouvez même pas imaginer qu'ils ont vécu une telle horreur, un tel cauchemar, qu'ils sont passés par un tel enfer. C'est ce qui m'a bouleversé […]. Ces gens disent tous la même chose : qu'ils sont assis dans une cellule et que tout près, il y a une chambre de torture et on y en- tend des cris si terribles que seul quelqu'un qui est écorché vif peut crier comme ça.
Stanislav Asseyez, écrivain, journaliste et blogueur ukrainien, a été enlevé en mai 2017 alors qu'il couvrait le conflit du Donbass et ce qu'il dit de sa détention à Isolation rejoint exactement ce que montre Igor Minaev. Libéré en décembre 2019 sous la pression de Reporters sans frontières, de Human Rights Watch et de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), il a écrit « Donbass : un journaliste raconte » (Atlande, 2021). Il y raconte ses 28 mois de détention dans ce que d'anciens détenus ont surnommé « le Dachau de Donetsk ». Victime et témoin des sévices, viols et humiliations infligés aux prisonnier·ères, il se souvient que le chef de la prison d'Isolation obligeait les détenus à entonner des chants soviétiques pour couvrir les cris des torturé·es. À force d'entendre leurs hurlements, il a appris à distinguer les différentes formes de torture : pour les coups, une succession de cris ; pour les tortures à l'électricité, un cri constant. Il a été condamné à trente ans de prison dont cinq pour avoir simplement utilisé des guillemets dans ses reportages quand il mentionnait la « République populaire de Donetsk », non reconnue internationalement.
Stanislav Asseyev, une fois libéré, est retourné sur le front. Juste avant de s'engager à nouveau, il a pu assister à Kyiv à la condamnation à quinze ans de prison du principal de ses tortionnaires, Denis Kulikovsky, chef adjoint d'Isolation et sadique ultra-violent. Pour traduire en justice les auteurs de crimes de guerre, il a créé le Justice Initiative Fund. Asseyev reconnaît n'être ni taillé pour la guerre ni « fana-mili » mais avoir choisi de combattre pour que son pays « ne se transforme pas en une vaste prison ». Écrivain, il s'appuie sur l'écriture pour reprendre sa vie en main après ce qu'il a vécu. Avant d'être récemment démobilisé eu égard à son statut d'ancien captif, il disait garder une grenade sur lui pour le cas où il risquerait d'être à nouveau fait prisonnier car la mort lui semble préférable au retour dans une prison telle qu'Isolation. Asseyev a encore récemment témoigné de cette terrible guerre dans Le Monde du 26 octobre.
Le film d'Igor Minaev ne se contente pas de documenter rigoureusement les crimes commis dans les geôles de Donetsk : il montre aussi la bestialisation de geôliers ivres de toute-puissance et d'impunité. Et, plus impressionnant que tout, le courage résilient de celles et ceux qui sont passé·es par ces cercles de l'enfer.
Un cinéaste en guerre contre le mensonge
Un fil rouge relie les œuvres de fiction et les trois documentaires d'Igor Minaev : la déconstruction du mensonge. De Loin de Sunset Boulevard (2006), qui ressuscite avec brio le monde hypocrite du cinéma stalinien, mêlant glamour hollywoodien et atmosphère pesamment soviétique, à La cacophonie du Donbass (2017), réponse caustique à la Symphonie du Donbass, film de propagande de Dziga Vertov tourné en 1930, en passant par L'inondation (1995), avec Isabelle Huppert, tiré de l'œuvre de Zamiatine (auteur en butte aux censures tsariste puis stalinienne et dont l'œuvre la plus connue, Nous autres, est une dystopie sur le totalitarisme qui aurait inspiré Huxley et Orwell), Igor Minaev n'a de cesse de dénouer l'enchevêtrement des mensonges qui travestissent et la vie et l'histoire.
En juin 2023, dans le cadre de la Quinzaine de solidarité du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine, nous avons organisé à l'Espace Saint-Michel une projection de son précédent film, La cacophonie du Donbass, suivie d'un débat avec son réalisateur et avec le compositeur de la musique du film, Vadim Sher. Nos amis lyonnais l'ont également projeté en novembre 2023. Ce fut, pour nous, une belle découverte du talent d'Igor Minaev. Nous avons beaucoup aimé ce film qui, fondé sur de délirantes archives, montre jusqu'à quel paroxysme de réalité alternative pouvait se hisser la propagande du stalinisme haute époque : blondes pulpeuses et ouvriers radieux jubilant dans une allégresse partagée de vivre le bonheur absolu du système soviétique qui, forcément, pourvoyait à tous leurs besoins et comblait tous leurs désirs…
Le clou de cette première partie rétrospective est la triste et véridique histoire du pauvre Stakhanov, mineur érigé en héros national pour une performance (l'extraction de 102 tonnes de charbon soit quinze fois plus que ses camarades) totalement inventée. Encensé, célébré, exhibé, donné en exemple aux autres mineurs pour qu'ils tentent d'égaler sa productivité surhumaine, le malheureux Stakhanov s'y croira un temps et finira alcoolique, rejeté par tous, victime d'une imposture qui l'écrasa.
La cacophonie du Donbass fait ensuite entendre les paroles fortes des mineurs qui, à la fin des années 1980, se révoltent, mettent les apparatchiks en déroute (la peur des bureaucrates claquemurés dans leurs bureaux pendant que gronde la colère ouvrière est un régal !) et obtiennent, par leurs grèves massives et déterminées, une revalorisation de leurs salaires et de leurs conditions d'existence qui n'avaient, dans la vraie vie, rien de paradisiaque.
De la vitrine idéologique que devait être le Donbass et de sa symphonie mensongère du bonheur, il reste surtout le souvenir d'une dignité bafouée, l'expérience d'une manipulation, la déception et les duretés de la vie aggravées par la désindustrialisation puis l'invasion poutinienne. Et cette mise en scène que, pour notre part, nous avons trouvée un rien obscène où un photographe (dont le cynisme se pare d'alibis culturels) fait poser des mineurs noirs de charbon dans des tutus vaporeux.
Un artiste épris de liberté
« La liberté, a déclaré un jour Igor Minaev, ce n'est pas quelque chose que l'on peut perdre ou que l'on donne. Elle est dans votre tête : per- sonne ne peut vous interdire de penser ce que vous avez envie de penser. » Toute son œuvre en témoigne, au risque de n'être pas toujours comprise.
Après des études cinématographiques à l'Institut national du théâtre et du cinéma Karpenko-Kary à Kyiv, la carrière d'Igor Minaev a commencé à Odessa, où il a réalisé son film de fin d'études, La mouette. Dès son deuxième court-métrage, ses ennuis ont commencé : L'horizon argenté est censuré dans l'Ukraine encore soviétique et interdiction est faite à Igor Minaev d'exercer son métier de réalisateur. Deux négatifs sont brûlés sous le prétexte d'un manque de place pour stocker les bobines !
Pendant la perestroïka, l'étau se desserre et Minaev rencontre le succès avec son court-métrage pour enfants, Téléphone, qui remporte un prix au Festival international du film de Moscou.
Ses deux films suivants, des longs-métrages, Mars froid (1988) et Rez-de-chaussée (1990), sont tous deux sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.
Cinéaste, metteur en scène et scénariste, Igor Minaev estime toutefois ne pas pouvoir créer à son aise dans l'Ukraine toujours soviétisée et s'installe en France à la fin des années 1980. Il y réalise des films régulièrement primés dans des festivals internationaux (voir ci-après sa filmographie). Parallèlement à sa carrière de réalisateur, il enseigne à la FEMIS (École nationale supérieure des métiers de l'image et du son), monte des spectacles et écrit avec Olga MikhaïlovaMadame Tchaïkovski. Chronique d'une enquête (Astrée, 2014).
Sophie Bouchet-Petersen et Mariana Sanchez
Sophie Bouchet-Petersen et Mariana Sanchez sont respectivement secrétaire générale d'Ukraine CombArt et membre du Comité français du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine.
Filmographie d'Igor Minaev
2023 : Isolation, documentaire
2019 : La cacophonie du Donbass, documentaire
2016 : La robe bleue, Semaine de la Critique du festival de Berlin, Sélection officielle du fes- tival d'Odessa, festival de Pessac
2010 : À l'est de l'hiver, télégrammes visuels
2006 : Loin de Sunset Boulevard
2002 : Les clairières de lune
1995 : L'inondation avec Isabelle Huppert dans le rôle principal
1991 : Le Temple souterrain du communisme, documentaire
1990 : Rez de chaussée, Quinzaine des réalisateurs à Cannes
1988 : Mars froid, Quinzaine des réalisateurs à Cannes
1985 : Le téléphone, court-métrage
1980 : L'invité, court-métrage
1978 : L'horizon argenté, court-métrage
1977 : La mouette, court-métrage (film de fin d'études)
Publié dans Soutien à l'Ukraine résistante (Volume 35)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/12/patrick-le-trehondat-lukraine-st-seule-ou-presque/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-35_compressed.pdf
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Faïrouz pour l’éternité

Paris. Mercredi, 20 novembre 2020. La chanteuse libanaise Faïrouz, de son vrai nom Nouhad Haddad, est née le 20 novembre 1934. Elle a quatre-vingt-dix ans aujourd'hui.
par Mustapha Saha
Faïrouz signifie en arabe turquoise, le vert et le bleu, la terre, la mer et le ciel, la nature dans sa splendeur qu'elle louange sur un poème de Gibran Khalil Gibran, Aâtini Al Nay Wa Ghanni. La voix de Faïrouz s'élève crescendo, s'envole, s'insuffle de lyrisme ensorceleur. « Prête-moi ta flûte et chante. La chanson de l'existence. Les larmes attachantes. Quand pointe la pénitence. Déserte les fastueux manoirs. Habite les bois sauvages. Fuis les mortels laminoirs. Pour inaccessibles rivages. Étends-toi près d'un cépage. Bois son nectar dans ta main. Déguste ton livre page par page. Sans penser au lendemain. Offre-toi vital intermède. Endors-toi sous tranquille bouleau. Oublie le mal et son remède. La destinée n'est qu'une ligne sur l'eau » (Adaptation personnelle en français).
Faïrouz chante la Palestine génocidée, le Liban homicidé, la Terre sainte fratricidée. Elle incarne l'âme arabe, au-delà des confessions, des générations, des frontières. Elle chante pour les peuples, non pour les dirigeants. En janvier 2023, elle assène une gifle magistrale aux autorités saoudiennes au nom des droits humains. Elle refuse de s'associer au concert du siècle, regroupant, moyennant des valisettes de dollars, les stars arabes de la chanson, les libanaises Nancy Ajram et Elissa, les syriens Georges Wassouf et Assala Nasri, la tunisienne Latifa Afraoui, qui remplissent les théâtres et les stades à chaque prestation. Pendant la guerre civile libanaise entre 1975 et 1990, elle reste à Beyrouth déchiré par les roquettes. Légende vivante, elle impose le respect à toutes les parties.
Au répertoire de Faïrouz, les grands poètes, Gibran Khalil Gibran (1883-1931), Ahmed Chawki (1868-1932), Saïd Akl (1912-2014). Elle passe rarement sur scène. Son dernier concert remonte à 2011. Ses compositeurs, son époux Assy Rahbani, son beau-frère Mansour, Rahbani, son fils Ziad Rahbani dépoussièrent le folklore arabe avec des comédies musicales, des opérettes politiques, des sonorités latino-américaines, jazzy. Ils brassent allègrement mélopées traditionnelles, harmonies symphoniques, rythmes africains. S'anticipe la World Music, dès 1957, dans le légendaire concert au milieu des ruines de Baalbek, réédité, par bonheur, en 2020. En 1959, s'exacerbent les sortilèges moyen-orientaux dans Ya Maleya Ala ghossoun, sur rythmique boléro. La magie vocale de la diva s'agrémente, par la suite, d'airs de flamenco, de tango, de mambo. Les imams crient au sacrilège. L'inspiration vient peut-être du film Et Dieu créa la femme de Roger Vadim avec la danse endiablée de Brigitte Bardot. Le sex-symbol ne se montre pas. Il se vocalise. 1964, La voix de Faïrouz s'élève crescendo, s'envole, s'insuffle de lyrisme ensorceleur. Après la défaite de 1967, Chanson mythique à Jérusalem, Al Qods, La Fleur des cités. Nous reviendrons un jour, hymne de la cause palestinienne. Depuis le génocide des gazaouis et le déluge de bombes sur le territoire libanais, les internautes inondent les réseaux sociaux de chansons de Faïrouz.
En juillet 1970, Faïrouz se produit à Rabat et à Casablanca. Elle crée une chanson à la gloire du peuple marocain, jamais audiovisuellement diffusée. Il serait opportun de remettre en circulation cette rareté.
Mustapha Saha
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Faïrouz. Par Mustapha Saha.
Peinture sur toile.
La gauche veut avoir raison, la droite convoite le pouvoir
Voici une formule qui me paraît bien résumer la situation dans laquelle se trouvent les deux partis "de gauche", c'est-à-dire le Parti québécois et surtout Québec solidaire. Examinons tout d'abord certaine statistiques électorales qui sont éclairantes à ce sujet.
Lors du déclenchement de la campagne électorale provinciale de septembre 2022, Québec solidaire devançait dans les intentions de vote son adversaire péquiste de six points : il obtenait 15% et le Parti québécois un pauvre 9%. Plusieurs observateurs et analystes le croyaient en voie de disparition. Le Parti conservateur allait chercher 12.9% de soutiens. La Coalition avenir Québec, au pouvoir, trônait à 42% d'appuis.
Les résultats du scrutin en ont surpris plus d'un : le Parti québécois a récolté 14.6% des voix, talonnant Québec solidaire qui lui en a recueilli 15.4%. Le parti de gauche devançait légèrement les conservateurs qui ont raflé 11% du vote, un léger recul par rapport au sondage d'août. La Coalition avenir Québec, comme prévu, a été reportée au pouvoir avec 40.9% des voix.
Depuis, les sondages confirment la remontée fulgurante du parti dirigé par Paul Saint-Pierre Plamondon. Le dernier sondage réalisé ce mois-ci le crédite de 35% des intentions de vote, loin devant la Coalition avenir Québec qui fait désormais piètre figure avec 24% seulement d'appuis dans l'électorat. Québec solidaire piétine avec 13% d'intentions de vote et le Parti conservateur le suit avec 11% des voix.
Si un scrutin se tenait maintenant, le parti dirigé par Paul Saint-Pierre Plamondon se hisserait sans doute au pouvoir, mais peut-être à la tête d'un gouvernement minoritaire. Québec solidaire donc, piétine. Depuis plusieurs années, il patauge dans les sondages entre 13% et 15% des intentions de vote. Si les choses continuent sur cette lancée, il risque même de perdre des sièges au prochain scrutin.
Alors qu'il distançait le Parti québécois en septembre 2022, il se situe à présent très loin derrière. Il s'agit là d'un retard qui peut se révéler irrattrapable, si rien ne change au sein du parti de gauche. Qu'est-ce qui cloche ?
Tout d'abord, il n'a pas vraiment de leader, un chef rassembleur mais seulement deux co porte-paroles qui ne disposent pas de véritable pouvoir. Dans un louable souci de pureté démocratique, ses membres ont refusé de se doter d'un chef élu. Depuis la récente retraite relative temporaire mais assez longue de Gabriel Nadeau-Dubois, Ruba Ghazal se retrouve comme seule co porte-parole pour des mois. Sera-t-elle à la hauteur de de la tâche écrasante qui l'attend ? Elle se retrouve propulsée en réalité comme cheffe d'un parti dont une majorité de membres se méfient des leaders. En dépit de ses qualités de députée et de ses aptitudes pour la joute politique, il n'est pas certain que madame Ghazal puisse relever ce défi.
Les militants des partis de gauche ont souvent tendance à se méfier de dirigeants quand ceux-ci (comme l'a fait récemment Gabriel Nadeau-Dubois) veulent imprimer à leur formation un virage pragmatique, ce qui heurte leur sensibilité. Ils redoutent alors une trahison des idéaux premiers du parti.
À certains égards, Québec solidaire ressemble au Parti québécois à ses débuts (1968-1974). Le PQ avait alors un chef charismatique, René Lévesque qui était aussi un pragmatique. Il devait composer avec un parti rempli de membres dont l'intransigeance indépendantiste était notoire. C'est pourquoi l'introduction de la notion de référendum sur la souveraineté si le parti arrivait au pouvoir y a déclenché de profondes divisions. De peine et de misère, Lévesque et sa garde rapprochée ont réussi à faire adopter cette proposition au congrès d'orientation de 1974. Désormais, conquête du pouvoir et souveraineté étaient dissociés. Cette stratégie, considérée comme hérétique par l'aile intransigeante du parti, lui a cependant permis d'accéder au pouvoir en novembre 1976 et de tenir un référendum en mai 1980 sur la souveraineté. Le Parti québécois l'a perdu certes, mais il a réussi à aller chercher dans les filets du OUI un gros 40%.
La stratégie proposée par Lévesque et certains de ses lieutenants s'est donc avérée "payante", si l'on peut dire. Le tempérament de Lévesque en a fait durant un certain temps un chef vénéré mais qui s'accommodait mal toutefois des limites qu'entraîne une masse de militants et de militantes très sourcilleux d'avoir le dernier mot sur les questions de stratégie et de buts.
Néanmoins, une majorité ne fait pas toujours une vérité et il arrive qu'un dirigeant ait des intuitions stratégiques plus justes que bien des membres de la base.
Il ne s'agit pas de tomber dans le culte du chef, mais de se rendre compte qu'une direction solide et éclairée est nécessaire à n'importe quelle formation politique.
Qu'en est-il sur ce plan à Québec solidaire ? Il ne ressemble pas sur tous les plans au Parti québécois des années 1970. Par exemple, il n'a pas de chef en titre susceptible de convaincre une majorité de membres de procéder à un virage "pragmatique", comme Lévesque avait réussi à le faire en 1974. Ni Gabriel Nadeau-Dubois ni Ruba Ghazal, en dépit du respect dont ils bénéficient, n'en sont l'équivalent. Paul Saint-Pierre Plamondon non plus, mais il dirige une formation qui a longtemps exercé le pouvoir et formé l'Opposition officielle (le tout pour le meilleur et pour le pire). Elle existe depuis 1968. Le PQ a connu une montée rapide entre 1968 et 1976, alors que Québec solidaire végète, en dépit de ses quelques députés.
Pour que Québec solidaire sorte de sa relative marginalité, il faudrait que la majorité de ses membres acceptent de mettre de l'eau pragmatique dans le vin capiteux de leurs beaux principes. C'est la condition sine qua non pour qu'il sorte du ghetto électoral qui est le sien et rejoindre un électorat plus vaste. Sinon, il risque la disparition à terme. Qui aura alors gagné, sinon la droite ?
Québec solidaire préfère-t-il mourir en beauté ?
Jean-François Delisle
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Travail et droits de l’homme, le grand oxymore

A l'heure où, de manière contradictoire, l'on célèbre les vertus du travail et sa fonction émancipatrice, et que l'on déplore ses conséquences délétères sur la santé de ses pratiquants plus ou moins forcés, ce petit livre remet les pointeuses à l'heure.
Il détruit de manière systématique la valeur travail, en confrontant les réalités du monde du travail et les droits de l'homme classiques, consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sa conclusion est sans appel : ces droits de l'homme sacralisés sont plus que mis entre parenthèses lorsqu'un travailleur est au service de son employeur. Le monde du travail est une zone de non-droit, gangrenée par des rapports de pouvoir. Le travail n'est pas libérateur, il est une souffrance injustement infligée.
Les marottes managériales y sont ramenées à leur stupidité intrinsèque : surveillance, open space, team buildings et autres inventions tordues.
Il s'agit de punk lit, d'une mauvaise foi éminemment assumée, d'ascendance libertaire, un tantinet technophobe.
"Ma libido pour le travail n'est que pure frigidité et ma faim de travail ne peut être qualifiée que d'anorexie, au dernier stade de sa morbide évolution. Il n'y a qu'un seul bon travail, celui qu'on n'exercera jamais. Déclarer sa flemme est le plus beau des aveux."
Sven Andersen
ISBN 978-2-336-47940-8 - 82 p. - 12 €
Éditions L'Harmattan. 5-7 rue de l'Ecole Polytechnique 75005 Paris
https://www.editions-harmattan.fr/
https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/travail-et-droits-de-l-8217-homme-le-grand-oxymore/76293
Sven Andersen est né en 1966. Diplômé de l'Université Libre de Bruxelles, en Criminologie
et en Philosophie, il est employé au sein d'une administration de la Communauté française
de Belgique. Ni Dieu ni Maître
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Gaslighting, traumatisme racial, whitesplaining... Estelle Depris explique le racisme aux Blancs

La Belgo-Congolaise propose des analyses et des conseils antiracistes dans un livre publié cet été, ainsi que sur son compte Instagram « Sans blanc de rien », qui réunit plus de 100 000 abonnés.
Tiré de l'Humanité
Publié le 17 novembre 2024
Estelle Depris vient de sortir Mécanique du privilège blanc. Sur son compte Instagram, Sans blanc de rien, elle s'adresse aux personnes blanches et leur explique le racisme.
Il n'y a pas assez de bancs et de tabourets, alors les lecteurs s'assoient sur les escaliers de la librairie Folies d'encre, à Montreuil. Ce sont surtout des jeunes qui sont venus rencontrer Estelle Depris, tout juste arrivée de la capitale belge pour une séance de dédicaces.
Sous la pluie francilienne, la Bruxelloise n'est pas dépaysée. « Ma communauté comporte plus de Français que de Belges », fait-elle remarquer. Devant son public ou sur Instagram, où son compte Sans blanc de rien réunit plus de 103 000 followers, la jeune femme est intarissable.
« J'ai toujours été intéressée par les questions sociales, mais je n'ai appris l'histoire coloniale de la Belgique qu'à environ 18 ans, de manière très violente », avec les images des massacres au Congo, raconte-t-elle. Le sombre passé du Plat Pays est effacé des manuels scolaires, un oubli volontaire qui constitue un terreau fertile pour la xénophobie : « Ce qui m'a frustrée, c'est ce manque d'accès aux connaissances. »
À la fin de son master, Estelle et deux de ses camarades imaginent alors un « mémoire médiatique » sous la forme d'un podcast dans lequel une jeune femme blanche découvre le racisme systémique.
Lutter contre les oppressions qu'on ne subit pas soi-même
« C'est l'ignorance blanche dont parle Charles W. Mills (philosophe jamaïcain – NDLR), reprend-elle. Il y a un véritable déni chez des personnes qui ne se sentent pas concernées par le problème, d'où l'expression “faire semblant de rien”. » Sur son compte, la jeune femme s'adresse donc directement aux personnes blanches.
Mais, plus qu'un travail de vulgarisation d'auteurs tels qu'Arun Kundnani, Toni Morrison ou Frantz Fanon, elle adapte leurs concepts et leurs analyses à l'actualité française et belge. Ainsi défilent les notions de gaslighting (manipulation visant à faire douter une personne d'elle-même – NDLR), de traumatisme racial ou de whitesplaining (explication sur le ton paternaliste donnée à des personnes subissant le racisme sur ce qui devrait être ou non tenu pour raciste – NDLR), pour lesquelles « il y a une vraie demande », affirme-t-elle.
Dans la librairie, nombreuses sont les personnes à l'interroger sur des situations personnelles, ces micro-agressions du quotidien. « La véritable solidarité politique, c'est de lutter contre les oppressions qu'on ne subit pas soi-même, leur répond Estelle Depris. Il ne s'agit pas de culpabiliser, puisque le racisme systémique biaise nos interactions et nous entrave tous, à différents niveaux. » Et comme les voix blanches sont plus écoutées que les autres, autant qu'elles servent : « Prendre la parole est un risque tout à fait minime comparé à ce qu'encourent les personnes racisées lorsqu'elles parlent. »
Pour cette fois, l'auditoire joue son rôle. C'est cette communauté « investie et hyperengagée » qui a permis à Estelle Depris de publier un premier ouvrage, un manuel intitulé Mécanique du privilège blanc. De quoi coucher ses nombreux posts Instagram sur papier.
« J'ai décidé de le faire après la mort de George Floyd (cet Africain-Américain assassiné par la police de Minneapolis le 25 mai 2020 – NDLR), se remémore-t-elle. C'était un moment très difficile pour nous tous. Quand la vidéo est sortie, mon téléphone n'arrêtait pas de vibrer. Environ 20 000 personnes se sont abonnées en une journée, beaucoup étaient blanches et se demandaient ce qu'elles pouvaient faire face au racisme et à leurs privilèges. »
« Personne n'est parfait sur les questions racistes »
La militante se sent obligée de répondre à l'appel. Elle travaille d'arrache-pied à l'écriture de son manuscrit et finance sa publication avec les précommandes de sa communauté. Cette dernière reçoit enfin son dû, l'été dernier. « Personne n'est parfait sur les questions racistes », affirme celle qui a eu la chance de grandir aux côtés d'une « vraie alliée », sa mère.
Jeune, celle-ci voit ses amies noires subir des agressions, elle fait donc tout pour protéger sa fille métisse. « Elle était en photo dans la presse parce que, en manif, elle levait un panneau ”Le racisme anti-Blancs n'existe pas », s'amuse Estelle, fière. Elle fait vraiment le taf ! »
Parler aux privilégiés pour que tous se saisissent du combat, tel est l'objectif d'Estelle
Depris. L'exploitation de classe n'efface pas les dominations racistes, « elles se superposent. Il faut qu'on arrive à décloisonner les luttes, à ne pas les hiérarchiser », argumente-t-elle, invoquant l'exemple du Nord-Kivu, en RDC. « Toutes et tous sont victimes du capitalisme, mais le viol des femmes est une arme de guerre, c'est un aspect féministe ; l'exploitation des mines, elle, soulève des problèmes environnementaux. Dans notre société, c'est pareil, on ne peut pas mener la lutte sociale sans en considérer tous les pans. »
Au risque de prolonger cette atmosphère « morose » en Belgique et en Europe, où les nationalismes percent dangereusement. « La frustration socio-économique d'une grande partie de la population a freiné les luttes progressistes, qu'il s'agisse de MeToo ou d'antiracisme, analyse la jeune femme. Beaucoup de privilégiés pensent que l'égalité leur fera perdre quelque chose. Mais personne ne perd rien ! On est tous au même niveau pour construire une société plus respectueuse, humaine et digne. »
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Celia Izoard, La ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition

1. La journaliste et philosophe Celia Izoard présente dans son essai La ruée minière au XXIe siècle : enquête sur les métaux à l'ère de la transition, publiée en 2024 aux Éditions du Seuil, ce qu'elle considère comme un paradoxe qui définit la société et l'économie contemporaines. Elle refuse l'idée reçue selon laquelle la simple transition des énergies fossiles aux énergies renouvelables permettrait de résoudre les maux environnementaux de notre époque. En mobilisant de nombreux exemples et statistiques, Izoard démontre l'absurdité (sur le plan environnemental) de cette « transition » écologique qui, au lieu de résoudre un problème, ne fait qu'au mieux, le déplacer, et au pire, y contribuer. Véritable monstre dans un costume d'agneau, l'industrie minière serait, selon elle, loin d'être la panacée écologique appuyée par les élites politiques et économiques partout dans le monde.
2. L'autrice commence par expliquer dans la première partie du livre ce qu'est réellement la « transition écologique ». Elle commence cette partie avec l'opposition de deux citations diamétralement opposées, mettant en exergue la tension entre, d'un côté, les élites qui cherchent à justifier une activité minière prétendument « propre » et, d'un autre côté, les spécialistes qui y voient un mensonge qui tente de justifier une activité profitable, mais fondamentalement mauvaise pour l'environnement. Izoard met dos à dos les propos des lobbys miniers et la réalité. Elle illustre d'abord l'insoutenabilité de la transition du fossile à l'électrique, celle-ci requérant des quantités colossales de métaux divers dont l'exploitation actuelle est insuffisante et devrait être décuplée au-delà de toute mesure raisonnable. Un de ses nombreux exemples, le plus évocateur à mon avis, est celui de l'électrification du parc automobile britannique. Cette transition « nécessiterait l'équivalent de deux fois la production mondiale actuelle de cobalt, les trois quarts de la production de lithium, et la moitié de la production de cuivre. » (pp. 28-30) En plus des métaux nécessaires à la production de ces voitures, il faut compter les métaux nécessaires à la production électrique par des sources dites renouvelables. La production de panneaux photovoltaïques et d'éoliennes nécessite également une grande quantité de métaux. Izoard tente de déconstruire d'un point de vue minier l'image strictement positive de la transition énergétique.
3. En plus de cette impossibilité pratique, la journaliste démontre en quoi l'industrie minière, dans ses pratiques actuelles, ne représente pas l'alternative souvent citée à l'industrie des énergies fossiles. Alors que certaines élites font la promotion de la mine dite « du XXIe siècle », Izoard démontre que la majorité des pratiques et procédé de l'industrie ont été inventés au XIXe. Elle illustre également les réalités moins connues de l'extraction minière, des montagnes de déchets qu'elle rejette à la modification du paysage en passant par les procédés énergivores et les ruptures de digues catastrophiques. Un recensement de Standard & Poor's cité par la journaliste démontre qu'il y aurait 34 820 mines dans le monde en 2024. Il est alarmant que malgré l'ubiquité de ces sites, la grande majorité des gens soient inconscients des réelles implications Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Paris, Les liens qui libèrent, 2018, 296 pages. sociétales et environnementales des mines. Selon l'Agence internationale de l'énergie, les prélèvements d'eau par les entreprises minières auraient doublé entre 2018 et 2021 dans le monde, illustrant l'ampleur des conséquences auxquelles l'on peut s'attendre avec l'expansion du secteur minier que commanderont les nouvelles technologies. Déconstruisant ainsi le mythe écologique de la transition du fossile au minier, Izoard parle de réinvention d'un récit pour maintenir un statu quo et pour le maintien des activités d'extraction minière. [1]
4. des constats les plus forts de son argumentaire concerne l'illusion de la mine européenne propre. Selon l'autrice, des élites économiques et politiques en Europe participent à entretenir l'idée qu'il faut miner sur le continent pour des raisons de souveraineté et d'éthique. Pour elle, la mine européenne est forcément mieux réglementée que les mines dans d'autres pays. Elle répond ainsi à Guillaume Pitron qui avait écrit La guerre des métaux rares1, un essai dont le propos était entre autres, selon Celia Izoard, de rapatrier la production minière en Europe pour des soucis éthiques, géopolitiques et environnementaux.
5. illaume Pitron fait comme constat central que les pays dans lesquels les pays occidentaux vont chercher les métaux dits « critiques » ont des normes environnementales beaucoup plus faibles ou flexibles que les pays européens. En entrevue à TV5, il citait à cet effet la Chine, le Congo-Kinshasa ou la Bolivie. Le coût environnemental serait donc « aggravé » par rapport à une extraction faite aux normes européennes. Pitron fait également état de l'abondance des terres rares en Chine, comparant cette situation à celle du pétrole dans la péninsule arabique. Alors que d'autres pays ont progressivement recommencé l'exploitation de terres rares, les usines de raffinement seraient encore majoritairement en Chine, ce qui maintient le pays dans une situation de quasi-monopole. Les implications géopolitiques pour Pitron seraient très importantes, et appelées à croître à l'avenir, notamment à cause de la dépendance croissante de l'économie mondiale envers les terres rares et des ambitions politiques de la Chine. Ainsi, il conclut que l'Europe devrait relancer son industrie minière sur le continent pour maintenir une souveraineté en matière de terres rares et pour des raisons d'acceptabilité sociale, puisque l'industrie minière dans les autres pays serait plus « sale ».
6. l'aide de quelques exemples, Izoard défait cette idée reçue que les mines d'Europe sont inoffensives. Elle cite notamment l'exemple de la mine de Touro en Galicie dont le réservoir à déchets est situé près d'une falaise donnant sur un village, une pratique qui ne se ferait pas, selon elle, en Chine, au Brésil ou en Équateur. Sans contredire le propos de Guillaume Pitron sur les enjeux géopolitiques et écologiques insoupçonnés des nouvelles technologies par leur dépendance aux métaux, elle signale ce qu'elle considère être une erreur dans son raisonnement. Pitron omettrait certaines variables environnementales de son équation pour ne tenir compte que de considérations géopolitiques en faisant fi de la réalité des mines européennes selon elle. C'est ce qui expliquerait la similarité entre les constats des deux auteurs, mais la différence entre la conclusion de l'un et de l'autre. Alors que Pitron plaide pour une relance des mines d'Europe dans son ouvrage La guerre des métaux rares pour cesser de dépendre des exploitations minières étrangères, Izoard veut cesser de dépendre de l'industrie minière, qu'elle soit nationale ou étrangère. Guillaume Pitron semble cependant avoir cadré son argumentaire autour d'enjeux environnementaux dans son livre de 2021 L'enfer numérique, dans lequel il critique la transition numérique comme désastre environnemental. Son raisonnement aurait ainsi changé pour dénoncer la transition numérique, pas uniquement d'un point de vue géopolitique comme avant, mais également d'un point de vue environnemental.
7. ursuivant son analyse, Izoard veut ensuite comprendre pourquoi l'on tient à accomplir cette transition malgré ses lacunes et incohérences. Elle s'attarde ainsi aux grandes tendances sociétales et aux discours dominants. Parmi ceux-ci, le plus ancré dans le monde économique serait celui de la société « immatérielle ». Il existe une théorie de l'histoire économique stipulant que la société occidentale serait passée à une économie immatérielle à partir des années 1980 avec le développement des économies de services et des nouvelles technologies. Pour Izoard, ce discours serait tout simplement faux puisque ces services et ces technologies reposeraient sur des supports bien matériels. Par exemple, le monde numérique repose sur des centres de données énormes, des infrastructures bien physiques et énergivores pour fonctionner.
8. engouement pour ce discours de dématérialisation et d'alternative à l'économie physique et polluante serait moussé, selon Izoard, par des élites motivées par des sentiments impérialistes. Cet impérialisme, l'autrice en donne plusieurs exemples forts. D'abord, le coup d'État de 1965 du général Suharto en Indonésie, épaulé par la CIA et appuyé par une commission sur laquelle siègent des administrateurs de sociétés pétrolières et minières américaines. Cette prise de pouvoir aux dépens des communistes menés par Sukarno, éminente figure du non-alignement dans le contexte de la guerre froide, a permis notamment à une entreprise minière américaine de prendre le contrôle de l'immense mine de Grasberg. L'autre exemple est celui du coup d'État de 1973 du général Pinochet contre Salvador Allende au Chili. Ce dernier avait annoncé la nationalisation des mines de cuivre du pays sans prévoir de compensation aux entreprises qui exploitaient la mine. La CIA aida le général Pinochet à faire son coup d'État et les entreprises américaines ont maintenu le contrôle du cuivre chilien. Pour Izoard, l'impérialisme occidental aurait justifié les discours encourageant l'industrie minière.
9. oard met ainsi le doigt sur un enjeu important de cette nouvelle ruée minière : les discours évoluent, mais les motifs demeurent. Entre 2008 et 2018, un changement se serait opéré dans les discours de justification de l'activité minière. Alors que l'on parlait plus tôt d'objectifs de croissance économique pour justifier la mine, on passe alors à la nécessité d'accomplir une transition depuis les énergies fossiles vers l'électrique. Selon la journaliste, un rapport de la Banque mondiale datant de 2017 serait l'apogée de ce changement de discours. Or, ce rapport a été rédigé avec l'International Council on Mining and Metals, lobby composé des plus grandes entreprises minières. Si le discours a évolué, le motif demeure toujours le même pour Izoard : une ruée vers la création de nouveaux débouchés pour l'industrie minière. Les industries de l'armement de l'aérospatiale ainsi que la course au numérique seraient donc en réalité les bénéficiaires de cette extraction, plus que la prétendue transition.
10. autrice plonge ensuite dans une troisième partie dans un argumentaire qui diffère beaucoup des précédentes pour justifier le désir de l'humain pour l'exploitation minière. Cette troisième partie se veut beaucoup plus philosophique que les précédentes, davantage journalistiques. Izoard parle ici de cosmologie extractiviste, d'homo faber, de mythes grecs, d'alchimie, citant Paracelse, et d'autres concepts qui semblent plutôt difficiles à replacer par moments. Il devient difficile dans certains passages de relier l'argumentaire de cette partie à l'ensemble de l'œuvre. Izoard a cependant mobilisé certains arguments et exemples historiques et sociologiques qui justifient son propos et qui semblent moins ésotériques que ceux cités précédemment. Par exemple, l'exemple historique de Francis Bacon, philosophe et homme d'État anglais qui, inspiré par les mines allemandes, aurait favorisé le développement des sciences minières et de l'industrie minière en Angleterre. Dans un même ordre d'idées, Izoard revient sur Jacob Fugger, un banquier du Saint-Empire romain germanique qui aurait démarré la capitalisation de l'activité minière en Bavière. Elle illustre ainsi comment le capitalisme actionnarial s'est emparé de l'industrie minière et a démis de la propriété de cette activité économique les corporations de mineurs, qui sont alors passés au salariat. Elle en fait aussi une référence plus générale à l'émergence du capitalisme et à Weber.
11. tre la difficulté de replacer certains de ses exemples dans l'argumentaire général, il y a également un rapport incertain entre des arguments qui, bien qu'ils ne soient pas incompatibles, entrent en concurrence en l'absence de précision à ce sujet. Quelles sont les motivations réelles des humains à exploiter les mines ? Au premier degré, on pourrait penser qu'il s'agirait simplement de l'appât du gain, d'une forme d'avidité qui justifierait les risques que prennent au nom de collectivités entières quelques entreprises. Izoard parle bien de cette recherche du profit à quelques moments, notamment lorsqu'elle met en relation l'entreprise minière et le mythe d'Érysichthon. Or, sa troisième partie parle à la fois d'un désir de domination de la nature, d'une aspiration à poursuivre le travail de Dieu, d'une « religion du progrès », d'une matrice extractiviste du capital, entre autres. L'humain voudrait être se montrer supérieur à la nature en la modifiant à son image, se prétendrait divin et vouerait en plus un culte à une certaine idée qu'il se serait fait du « progrès ».
12. lia Izoard est un nom connu en France pour sa critique des nouvelles technologies et des idées s'y rapportant, notamment celle de progrès. Or, si tous les concepts précédents s'imbriquent et s'articulent de manière à créer plusieurs explications possibles pour le désir de l'humain d'exploiter les sous-sols, c'est cette critique du progrès, réel fil conducteur de l'œuvre intellectuelle de Celia Izoard, qu'il faut impérativement retenir. Pour la journaliste, il faut réfléchir aux modes de vie contemporains qui réduiraient « le donné à des ressources ». Celia Izoard transporte l'« En as-tu vraiment besoin ? », l'apophtegme emblématique du comptable vulgarisateur québécois Pierre-Yves McSween, du choix comptable personnel au choix sociétal et collectif. Cette réflexion s'articule évidemment avec les théories du renoncement, de la décroissance et de la démondialisation. Or, elle conduit spécifiquement à des questions d'ordre technologique. A-t-on réellement besoin de tous les nouveaux gadgets que présente le tout dernier téléphone cellulaire ? Izoard va encore plus loin : a-t-on réellement besoin d'un téléphone cellulaire ? Elle rappelle au passage que, bien qu'elle soit consciente que le quotidien de 2024 est adapté à l'omniprésence de ces appareils et que bien des fonctions ne sont possibles d'accomplir qu'à partir d'une connexion Internet itinérante, il est bien possible de vivre sans si la société en décide ainsi puisque presque tous n'en possédaient pas il y a à peine 20 ans. Ce changement, bien que qualifié de « retour en arrière » par plusieurs, permettrait de sortir de cette dépendance insoutenable à l'exploitation minière. Un tel changement implique forcément l'appel à une philosophie du renoncement puisque le confort matériel (peut-être opulent) devrait sans doute être reconsidéré à la lumière des ressources disponibles. Bien plus qu'une prise de conscience sur la provenance réelle et physique des supports technologiques, il faut réévaluer leur importance à la lumière des enjeux éthiques et en calculer le coût et le bénéfice. Il faut apprendre à renoncer, dit-elle.
13La quatrième partie porte sur l'avenir. Celia Izoard plaide pour un retrait des mines. Les chapitres de cette quatrième partie portent sur les combats qu'elle juge nécessaire de mener, puis sur l'avenir de cette relation entre l'industrie minière et l'environnement. Elle traite également des solutions qu'elle juge les plus pertinentes. Izoard indique d'abord où le combat qu'elle mène et le plaidoyer qu'elle porte rejoignent d'autres luttes. Le régime minier serait pour la journaliste un des piliers fondamentaux du régime capitaliste dont Marx avait critiqué l'iniquité. Le régime minier serait également un catalyseur de la crise climatique, ne permettant aucunement de faire de transition écologique. En effet, pour Izoard, l'industrie minière serait doublement polluante. Outre sa propre dépendance à l'industrie pétrolière, les équipements miniers et les transports fonctionnant aux hydrocarbures, elle poserait des risques majeurs pour les écosystèmes terrestres et marins. Au fil des paragraphes de cette partie, Izoard réinterprète le propos de son œuvre à la lumière de combats autres comme la lutte des classes ou la lutte à la crise climatique. L'exploitation minière, par les catastrophes écologiques et les abus qu'elle a décrits, serait un point de convergence de plusieurs luttes. Son ouvrage, profondément militant, appelle ainsi au ralliement de causes existantes à une cause qu'elle identifie comme la source de plusieurs autres maux. Elle appelle également, par les différentes idées reçues qu'elle déconstruit, à un rejet des alternatives qui sont proposées pour atténuer les effets de la mine. Pour Izoard, ce n'est pas à travers une meilleure gestion de l'industrie minière que l'on peut régler les problèmes environnementaux et sociaux qu'elle génère, mais plutôt en s'en retirant carrément. Par exemple, elle illustre la complexité et la presque insoutenabilité associées au fait de faire vivre des « mines urbaines » axées sur le recyclage de métaux dans les objets existants. Le recyclage, pour Izoard, ne serait qu'un commerce d'indulgences ou de temps pour les entreprises qui bénéficient de l'activité minière.
14. Elle propose ensuite quelques pistes de solutions, liste qu'elle ne prétend pas être exhaustive. Elle appelle notamment à certaines formes de désobéissance civile pour rendre moins viable l'exploitation minière par une augmentation des coûts, notamment par des blocages. Elle cite ensuite des exemples de campagnes afférentes à la solidarité internationale, une autre piste pour une prise de conscience collective. C'est surtout un appel au changement des modes de vie qu'elle lance, plaidant pour une décroissance minérale. À la lumière d'une évaluation collective des objets de notre quotidien, il devient impératif pour Izoard de renoncer à un certain confort. L'exemple qu'elle fournit est le téléphone portable. Or, contrairement à plusieurs autres appels à l'action individuelle en matière d'environnement, il s'agit bel et bien pour Izoard d'un appel à l'action collective. À l'échelle dont elle souhaite voir des changements, il devient nécessaire de faire ces choix en tant que société, et non plus simplement comme un renoncement personnel. Il s'agit de changer les manières de faire et de revenir à une certaine simplicité dans certains domaines. [2]
15. Bien qu'elles diffèrent de celles de Guillaume Pitron, les solutions qu'offre Izoard ne sont pas, à mon avis, les points les plus intéressants de l'ouvrage. Les paradoxes dans les discours publics et privés en constituent la clé de voûte. Au-delà d'une liste de constats et de solutions qui y répondent, Celia Izoard a effectué un travail de recherche dans l'espace public des éléments de discours qu'elle considère comme des idées reçues, et qui font largement consensus dans certaines sphères de la société, pour en faire ressortir les incohérences, dénoncer les comportements complaisants et, in fine, enrichir le débat public en sortant des discours actuels hégémoniques en matière d'énergie et d'environnement. À mon avis, bien qu'elle écorche au passage l'industrie minière, le plus intéressant de son essai reste la critique de l'hypocrisie des élites économiques et sociales qui mentiraient pour maintenir en place une exploitation minière pourtant insoutenable. Elle procède en brossant un portrait de l'industrie minière, mais aussi des discours dominants et des idées reçues afférentes à l'exploitation minière. C'est notamment ce qui fait l'originalité de l'ouvrage d'Izoard, versus d'autres auteurs comme Guillaume Pitron. Ce dernier fournissait, selon Izoard, un argumentaire précieux aux élites pour la relance des mines en Europe, ce qu'elle dénonce. Ce seraient à la fois les relations asymétriques au sein de l'Europe, avec une périphérie composée des PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) où seraient relancées la plupart de ces mines, et l'inutilité de cette relance qui justifieraient un retrait des mines selon elle. La relance serait inutile parce que la transition est un mythe. La plupart des métaux extraits seraient de toute façon destinés aux industries de l'aérospatiale, de l'armement et des technologies de pointe. La course aux métaux serait une course à l'armement et au « progrès » technologique. Bien qu'elle s'exprime sur l'exemple du téléphone mobile et de son inutilité, Izoard semble éviter de se prononcer directement sur l'armement et l'aéronautique. Elle fait le parallèle avec la quête des nazis pour des minéraux destinés à l'armement à la fin des années 1930, puis explique les liens qu'entretient la Commission européenne avec les gisements ukrainiens et les entreprises d'exploitation. Elle illustre ainsi les motifs réels de l'intérêt de la Commission pour la défense de l'Ukraine, à ses yeux, sans poser son opinion aussi clairement que pour la fin des téléphones mobiles. Bien que son texte ne soit pas un traité en faveur ou non de la défense ukrainienne, cet aspect manque à son raisonnement puisque ce dernier prête facilement le flanc à des arguments plus réalistes sur la nécessité de défendre le peuple ukrainien de l'invasion russe. Évitant de tomber dans des arguments à la Jean-Marc Jancovici, cet ingénieur français qui défend l'idée de limiter à quatre le nombre de vols autorisés à un individu au cours de sa vie2, elle ne commente pas les usages aéronautiques des minéraux extraits. Elle offre ainsi une alternative au téléphone mobile sans offrir d'alternative à l'aviation commerciale ou à l'armement dans un contexte d'invasion de l'Ukraine, ce qui affaiblit quelque peu son argumentaire dans ce sens selon moi.
16. En n'offrant pas d'alternative crédible aux usages des métaux qui sont critiqués, il est possible de se demander à quel degré les idées d'Izoard relèvent de l'utopie. Il faut noter qu'elle parle peu ou pas de renoncement et de décroissance, ces mots-épouvantails qui sont largement contestés pour leur irréalisme. Ses suggestions sont sectorielles, visées, toutefois trop incomplètes pour que l'on puisse immédiatement croire en une sortie du minier. Si les constats qu'elle fait sont alarmants et nécessitent urgemment une réponse collective, il est difficile de voir comment l'on peut s'en sortir. Les méthodes qui s'accompagnent également de ce genre de renoncement à grande échelle peuvent également tenir du constructivisme rationaliste, une attitude qui, sans contrôle démocratique réel, peut facilement basculer vers la tyrannie. Si son argumentaire est crédible et convaincant, il manque toutefois des pistes crédibles qui dépassent le cadre du choix personnel (comme le téléphone mobile) pour envisager les changements nécessaires suggérés. Malgré ses lacunes, les constats et réévaluations sont nécessaires, et c'est ce que fait l'ouvrage : il lance le débat sur la transition. C'est la raison pour laquelle je ne puis qu'en recommander la lecture.
Édouard de Guise, « Celia Izoard, La ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l'ère de la transition, Paris, Éditions Seuil, 2024, 344 pages. », Revue Interventions économiques [En ligne], 72 | 2024, mis en ligne le 17 septembre 2024, consulté le 24 novembre 2024.
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[1] Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Paris, Les liens qui libèrent, 2018, 296 pages.
[2] 2 Jean-Marc Jancovici (30 mai 2023), "Il faut faire des compromis" : Jean-Marc Jancovici maintient son idée d'un quota de vols en avion, France Inter [Radio], https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mardi-30-mai-2023-5670062

Enfants ukrainiens :enquête sur une entreprise de russification forcée

Les auteurs :
Albert Herszkowicz est militant de la cause ukrainienne, animateur de Memorial 98. Il a publié (avec Beslan Bokhvaureli), « Les enfants ukrainiens victimes de Poutine »,Soutien à l'Ukraine résistante, n° 28, 22 mars 2024.
Bertrand Lambolez est vice-président de l'association Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! (www.pourlukraine. com/) et a coordonné le travail du groupe d'enquête sur les crimes commis à l'encontre des enfants enfants ukrainiens.
Arnaud Lévy est consultant éditorial. Ancien journaliste puis directeur de communication pour une collectivité. Les auteurs sont membres de l'association Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! (www.pourlukraine.com/).
Pour lire l'ensemble ce dossier, cliquez sur ce lien
Ce dossier se place dans la continuité d'une précédente enquête qui a servi de base à une communication envoyée en décembre 2022 au bureau du procureur de la Cour pénale interna- tionale (CPI). Celle-ci a contribué au dépôt, en mars 2023, de mandats d'arrêt contre Poutine et sa commissaire aux droits de l'enfant Maria Lvova-Belova. Ce nouveau volet de notre en- quête révèle que Russie-Unie (R-U, voir enca- dré Russie-Unie), le parti politique de Poutine, a contribué à planifier, coordonner et exécu- ter la déportation, la russification et l'adoption des enfants ukrainiens. L'enquête souligne la dimension génocidaire de cette entreprise qui vise à incorporer les enfants ukrainiens à la na- tion russe. L'intention génocidaire se traduit dans les propos des membres de Russie-Unie qui répètent que l'Ukraine n'existe pas, que les terres et le peuple ukrainiens sont russes, et qui témoignent d'une volonté fanatique de russifier les enfants ukrainiens. La nouvelle communica- tion appelle donc la CPI à étendre ses mandats à d'autres hauts responsables et à requalifier ces crimes afin d'accroître la pression judiciaire sur le pouvoir russe.
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Les Brics dans la stratégie turque : continuité ou changement de paradigme ?

La Turquie, bien que membre clé de l'OTAN et candidate de longue date à l'Union européenne, ne se limite pas à ses alliances occidentales. Son intérêt pour les BRICS, notamment manifesté lors du sommet de Kazan en octobre 2024, témoigne d'une stratégie de diversification des partenariats.
Tiré de Recherches Internationales
Ozan Doğan Avunduk, analyste politique, expert de la Turquie.
Ce rapprochement avec les BRICS soulève des questions sur l'avenir de la politique étrangère turque : L'adhésion aux BRICS marquerait-elle une rupture avec le camp occidental ou s'agit-il plutôt d'une complémentarité ? Les autorités turques inclinent pour la deuxième raison. Examinons de près les BRICS et les récentes orientations de la diplomatie turque afin d'apporter une réponse nuancée à cette question.
BRICS : une plateforme aussi puissante que nébuleuse
Le groupe BRICS a été créé en 2009 pour réussir une meilleure coopération financière et de développement entre les pays émergents. Le mot « BRIC » est l'acronyme pour Brésil, Russie, Inde et Chine. La plateforme est devenue « BRICS » avec la participation de l'Afrique du Sud en 2010 et est communément appelée « BRICS+ » depuis l'adhésion de l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Éthiopie et les Émirats arabes unis en janvier 2024. Avec cette dernière vague d'élargissement, la population totale des BRICS+ a atteint 3,5 milliards d'habitants, soit 45 % de la population mondiale. La taille totale des économies des pays membres est de 28,5 billions de dollars. Cela correspond à environ 28 % de l'économie mondiale. Il importe de noter également que les pays du BRICS produisent également 44 % du pétrole brut mondial. En 2014, les BRICS ont créé un instrument au service d'une nouvelle dynamique économique mondiale, la Nouvelle banque de développement (NBD), dotée alors de 250 milliards de dollars. En amont de leur adhésion aux BRICS, les Émirats et l'Égypte sont devenus membres de la NBD dont l'objectif principal est le financement des projets d'infrastructure dans les pays en développement.
Réunis annuellement sous une présidence tournante, les BRICS forment un bloc économique dynamique où l'Inde et la Chine, grands consommateurs d'énergie, trouvent avec la Russie un fournisseur privilégié. Cependant, l'absence d'une structure institutionnelle solide en fait un ensemble au potentiel encore incertain. Les BRICS n'ont pas de secrétariat permanent, ni de traités contraignants entre leurs membres. En outre, l'hétérogénéité du groupe ne peut être ignorée. Alors que la Russie voit dans les BRICS un soutien pour contrer les sanctions occidentales qui pèsent sur son économie depuis l'invasion de l'Ukraine, d'autres membres comme l'Afrique du Sud et le Brésil évitent une confrontation directe avec l'Occident. Bref, les BRICS sont un groupe de pays en pleine ascension, mais leur cohésion et leur capacité à agir de manière unifiée restent à prouver.
Sommet de Kazan : remise en cause de l'ordre occidental ?
Au dernier sommet des BRICS, les délégations de 35 pays et de six organisations internationales se sont réunies pour échanger sur les questions mondiales et les perspectives d'élargissement des partenariats dans trois domaines principaux : la politique et la sécurité, le commerce et l'investissement, ainsi que les échanges culturels et humanitaires. Les États ont discuté des efforts conjoints possibles pour stimuler la croissance économique dans les États des BRICS et les pays du Sud. Dans ce cadre, par l'intermédiaire de la NBD, ils visent à mettre en œuvre de nouveaux projets communs dans les domaines de l'industrie, de l'énergie, de la logistique et de la haute technologie. Ils ont réaffirmé leur détermination à approfondir les partenariats dans le domaine financier en améliorant la communication interbancaire et en créant de mécanismes de paiement dans les monnaies nationales. La volonté d'établir un tel système pourrait être un défi majeur à l'hégémonie du dollar, monnaie au cœur du système financier international conférant aux États-Unis une influence considérable sur l'économie mondiale.
La Russie, qui préside actuellement les BRICS, a également invité au sommet les dirigeants des États qu'elle qualifie de « partenaires », y compris la Turquie. La déclaration de Kazan souligne l'opposition collective des BRICS à la pratique des sanctions « illégales ».
La Turquie, déjà marginalisée au sein des cercles occidentaux notamment depuis son achat des missiles russes antiaériens S-400, semble s'éloigner de ses partenaires traditionnels. Toutefois, les apparences peuvent être trompeuses.
La Turquie d'Erdoğan en 2024 : entre marasme économique et équilibres diplomatiques fragiles
La Turquie affirme depuis des années sa volonté d'intégrer les BRICS pour équilibrer ses relations internationales. Les propos du président Afrique du Sud de la MÜSİAD, association patronale islamoconservatrice proche du gouvernement, en témoignent : « Les pays tels que la Chine et l'Inde, grâce à leurs fortes populations et leurs efforts sur le plan économique, tentent de briser le monopole des pays occidentaux. Les BRICS prévoient de mettre sur pied un nouveau système financier à l'horizon 2025, ce qui leur permettra non seulement de mieux se soutenir, mais aussi et surtout de trouver des alternatives aux structures financières mondiales, notamment le FMI et la Banque mondiale. (…) La Turquie, bien que non membre des BRICS, a été conviée au sommet avec le statut d'invité spécial. Cette invitation est une grosse opportunité en vue de développer l'économie turque. La coopération économique et la lutte contre le terrorisme seront au menu des échanges tête-à-tête entre le président Erdoğan et les leaders des BRICS (…) le pouvoir économique des BRICS sera supérieur à celui des nations occidentales d'ici 2030. »
La Turquie, sous la direction d'Erdoğan et du parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir depuis 2002, est coutumière de revirements diplomatiques. On note les efforts de réconciliation du président Erdoğan avec d'anciens adversaires : le prince saoudien Mohammed ben Salmane, le président émirati Mohammed bin Zayed Al Nahyane et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Alors qu'il avait porté des accusations très dures contre ces dirigeants depuis 2013, Erdoğan avait entrepris des visites officielles à Riyad, Dubaï et au Caire, marquant ainsi un tournant dans ses relations avec ces pays. Parallèlement, son désir d'intégrer la Turquie aux BRICS, un bloc économique réunissant ces anciens adversaires, témoigne d'un pivot stratégique turc au Moyen-Orient.
Toutefois, les déclarations gouvernementales demeurent souvent équivoques. D'une part, en participant au sommet des BRICS et en demandant à en devenir membre, le gouvernement turc montre qu'il est à la recherche de nouvelles alliances, tandis que d'autre part, il répète à plusieurs reprises que cela ne signifie pas quitter l'OTAN. La Turquie insiste sur le fait que sa collaboration avec les BRICS s'ajoute à son partenariat douanier avec l'UE, sans le substituer.
Le discours d'Erdoğan prononcé seulement quatre jours après le sommet de Kazan, illustre la direction que prend la Turquie : « Nous renforçons notre coopération avec l'Allemagne d'une manière qui sied à deux amis de longue date et alliés de l'OTAN. Notre objectif est d'atteindre 60 milliards de dollars dans les échanges bilatéraux, qui s'élèvent actuellement à 50 millions de dollars (…) Les relations croissantes de la Turquie avec les BRICS ne sont en aucun cas une alternative à ses engagements existants. La Turquie participe à toutes ces plateformes en tant que pays allié de l'OTAN et menant des négociations en vue d'une adhésion à part entière à l'UE ». Le chef de l'État turc continue donc à donner la priorité à la coopération avec l'Occident.
De toute manière, depuis septembre 2024, Moscou tempère les attentes sur l'adhésion de la Turquie aux BRICS. L'organisation a besoin de consolider l'intégration des nouveaux membres accueillis en janvier 2024. Plutôt qu'une adhésion immédiate, un « statut de partenariat » a été proposé à la Turquie et aux autres pays candidats, témoignant d'une approche plus graduelle.
Conclusion
La volonté d'adhésion de la Turquie aux BRICS répond avant tout à une volonté d'éviter l'isolement sur la scène internationale. Les liens historiques, économiques et institutionnels étroits de la Turquie avec l'Europe, notamment avec l'UE, son premier partenaire commercial, et le Conseil de l'Europe dont elle est membre fondateur, créent une interdépendance complexe difficile à rompre.
Face à une situation économique délicate marquée par l'hyperinflation, la Turquie est visiblement à la recherche de nouvelles pistes pour stimuler sa croissance et accéder à de nouvelles sources de financement. L'intégration aux BRICS et à la Nouvelle banque de développement pourrait ouvrir de nouveaux horizons à la Turquie. La matérialisation des opportunités offertes par les BRICS dépendra également de la capacité du groupe à se structurer en une organisation formelle véritablement efficace proposant une alternative crédible aux institutions financières internationales existantes.
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Grève des cheminots : ce qui se joue avec la liquidation de Fret SNCF

Les cheminots se mobilisent ce 21 novembre et annoncent une grève reconductible pour le 11 décembre. C'est leur dernière chance d'arrêter ce qu'ils estiment être la liquidation du Fret SNCF, un mode de transport de marchandises plus écologique.
Photo et article tirés de NPA 29
Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Rapports de force.
Les arbres ont poussé au milieu des carcasses de locomotives, dans la gare de triage de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime). C'est dans cette commune que Stéphane Lachèvre, cheminot, a grandi. Tout comme ses parents avant lui. « Quand j'étais à l'école primaire, il y avait des cheminots qui venaient dans nos classes pour vanter la SNCF et expliquer le métier », se souvient-il. La SNCF était le principal employeur des 30 000 habitants de cette banlieue de Rouen : « On allait visiter avec l'école les ateliers de réparation. L'identité de la ville était marquée par ce chemin de fer et son triage. » En 1996, le jeune homme qui rêvait d'être conducteur de train est embauché à la SNCF dans le fret – le transport ferroviaire de marchandises.
Mais la gare de triage a fermé en 2010. « Un choc », se rappelle le cheminot. Depuis, la gare de triage de Sotteville est devenue « un cimetière de locomotives ». Pour les trains en bout de course, ou pour ceux en bon état que la SNCF ne fait plus circuler faute d'un trafic suffisant. « À force, on s'habitue », soupire le conducteur de fret. « Mais venir tous les jours au boulot en se disant que ce lieu est devenu un dépotoir… C'est désolant. »
Bien d'autres gares de triage en France incarnent cette dégradation du fret ferroviaire, un moyen de transport de marchandises pourtant bien moins polluant que la route. Après des années d'ouverture progressive à la concurrence de ce qui était jusqu'alors un monopole public, l'État s'apprête à porter le coup fatal. Fret SNCF, qui représente 50 % de l'activité et 4500 cheminots, va être liquidé au 31 décembre.
Transférés au privé, sans garantie sur leurs droits sociaux
Après 28 ans de bons et loyaux services, Stéphane Lachèvre ne sera plus conducteur de Fret SNCF. À partir du 1er janvier 2025 en effet, lui et ses 4500 collègues seront transférés automatiquement vers deux nouvelles filiales. Hexafret, dédiée aux activités du fret, reprendra 4000 personnes. Technis en reprendra 500 pour l'entretien des locomotives. Le capital de la société Rail Logistics Europe, la branche du groupe SNCF qui englobe ces filiales Hexafret et Technis, a un capital ouvert aux actionnaires publics… comme privés. « On avait donc une branche construite avec de l'argent public, que l'on va désormais mettre au service du privé. Avec un schéma de rentabilisation à outrance », expose Julien Troccaz, secrétaire fédéral de Sud Rail.
Une plongée dans l'inconnu. Pendant quinze mois, les conditions de travail des cheminots du fret doivent être maintenues. Mais ensuite : aucune garantie. Après les 15 mois, il y aura de nouveaux accords d'entreprise, en repartant d'une feuille blanche, basée sur la convention collective nationale. « C'est une stratégie de dumping social, tout simplement », résume Sébastien Mourgues, contrôleur de train, secrétaire général de la CGT cheminots du Languedoc-Roussillon. « Quinze mois, ça passe très vite », craint Stéphane Lachèvre, aujourd'hui élu Sud Rail au comité social et économique (CSE) de Fret SNCF. « Nous ne vivons pas bien du tout cette incertitude. »
Même pendant ces quinze mois, certaines dispositions pourraient ne plus être respectées. Les deux filiales ont d'ores et déjà fait savoir qu'elles ne souhaitaient pas appliquer l'ensemble des mesures contenues dans les dizaines d'accords d'entreprise existants, pour le moment, à la SNCF. L'accord sur le temps de travail, par exemple, est en jeu. En vertu de cet accord, et des horaires de travail qui doivent être adaptées aux contraintes des trains de marchandises, qui circulent de jour comme de nuit, les agents avaient jusqu'ici droit à un repos minimum de 14 heures entre deux journées de travail , et de 9 heures lorsqu'ils sont en découché à l'extérieur (pour les conducteurs de locomotive notamment). « On sait qu'il y a une velléité de diminuer ce temps de repos. Sauf qu'en faisant cela, on affecte la sécurité ferroviaire », avertit Sébastien Mourgues. La direction de la SNCF prévoit une réunion sur ce sujet des conditions de transfert le 27 novembre. À peine un mois avant l'échéance.
L'exigence d'un moratoire
Pour espérer mettre un coup d'arrêt à la liquidation, une grève est menée ce jeudi 21 novembre par l'intersyndicale CGT, Unsa, Sud, CFDT. Si le gouvernement et la direction de la SNCF ne répondent pas à leurs revendications, les syndicats font planer la menace d'une grève reconductible à partir du 11 décembre au soir. Un ultimatum. C'est que depuis de longs mois, les syndicats et cheminots se mobilisent et se rassemblent sur le sujet.
Parmi leurs revendications principales : la tenue d'un moratoire. Il s'agit d'un enjeu écologique, donc d'un sujet d'intérêt général, défendent les cheminots interrogés. « Il faut que le grand public se saisisse de ce sujet », insiste Loïc Guigou, conducteur de trains fret à Avignon, secrétaire général de la CGT cheminots locale. « Sur les chaînes d'infos en continu, on parle très peu du fret : on ne parle des cheminots que pour dire qu'ils “prennent en otage” pour les fêtes de fin d'année », déplore-t-il. Ce moratoire était l'une des préconisations de la commission d'enquête parlementaire dont le rapport sur la libéralisation du fret a été clôturé en décembre 2023. Mais jusqu'ici, le gouvernement et le ministère des Transports opposent une fin de non-recevoir.
Le gouvernement affirme seulement répondre à des injonctions européennes.
Rembobinons : en janvier 2023, la Commission européenne annonce l'ouverture d'une enquête à l'encontre de l'État français, soupçonné d'aides illégales versées à Fret SNCF entre 2005 et 2019. Le montant de l'aide publique à rembourser s'élève à 5 milliards d'euros. Pour éviter de devoir payer cette facture salée, l'ex-ministre des Transports Clément Beaune annonce, en mai 2023, le futur découpage du Fret SNCF en deux filiales.
Les activités parmi les plus rentables cédées à la concurrence
« C'est de la lâcheté politique », estime Julien Troccaz de Sud Rail. Les conclusions de cette enquête européenne n'ont toujours pas été communiquées. Lorsqu'elles le seront, si une demande de remboursement est effectivement émise, il sera toujours temps de la contester, martèlent les syndicats. D'autant que la viabilité économique du modèle en deux filiales privatisées interroge. Le CSE de Fret SNCF a commandé des expertises au cabinet Secafi sur le sujet. Dans ces rapports 2023 et 2024, que nous avons pu consulter et que Reporterre avait révélé, il est écrit que les mesures imposées au groupe « risquent de fragiliser l'activité dans son ensemble » et qu'elles vont aboutir à un « modèle économique plus coûteux ».
En outre, une fenêtre s'est ouverte avec un changement de poste : Teresa Ribera, ministre espagnole socialiste et écologiste, devrait devenir la nouvelle vice-présidente de la Commission européenne en charge de la concurrence au 1er décembre. Les syndicats estiment que le gouvernement français pourrait négocier avec elle un changement de cap. « Nous ne lâcherons pas politiquement, au vu de l'urgence climatique. On a beaucoup d'alliés qui nous soutiennent dans la défense du fret, notamment au sein de l'Alliance écologique et sociale [qui réunit huit organisations syndicales et associatives] », martèle Julien Troccaz. « On a quatre semaines pour amplifier le rapport de forces. »
Le transfert aux deux filiales prévu en janvier 2025 a déjà impliqué la baisse de 10 % des effectifs du fret. 500 agents sont partis entre mi 2023 et aujourd'hui. Tous « se sont vus proposer une solution au sein du groupe », s'est maintes fois défendue la direction de la SNCF. « La direction a très bien joué tactiquement : elle a tellement pourri notre roulement, que les personnes ont d'elles-mêmes décidé de partir à droite à gauche et de demander des mutations », explique Loïc Guigou, le conducteur fret d'Avignon, dont le nombre de collègues a été divisé par deux en un an.
C'est qu'en mai 2023, toujours pour donner des gages à la Commission européenne, le gouvernement a annoncé l'obligation pour Fret SNCF de délaisser une part importante de ses trains à la concurrence. Le ministère des Transports a ainsi contraint le Fret SNCF de se séparer de ses flux de combinés, c'est-à-dire son trafic de containers également transportés par voie fluviale ou routière. Le Fret SNCF a dû informer ses clients de leur obligation de trouver un nouvel opérateur d'ici juin 2024 pour gérer ces flux. C'était pourtant la partie la plus rentable du fret, avec une haute fréquence de circulation : les combinés représentent 20 % du chiffre d'affaires et 30 % du trafic. Ils sont désormais aux mains d'autres opérateurs belges, français ou encore allemands.
Conséquence : « Il y a eu une vraie chute de la charge de travail », atteste Loïc Guigou. « Quand vous restez des semaines à attendre que le téléphone sonne, c'est difficile. » Sur la fiche de paie, là où un conducteur expérimenté fret gagne entre 2500 et 2800 euros net, la baisse de l'activité s'est concrétisée par « 400 à 600 euros de moins » chaque mois, du fait de l'absence de primes, précise-t-il.
Les cheminots transformés en sous-traitants des concurrents
À la place, l'État a obligé les cheminots du Fret SNCF à assurer de la sous-traitance pour conduire et maintenir les trains le temps que la concurrence forme ses propres employés. « On est allés jusqu'au bout de l'ignoble », lance Loïc Guigou. « Voir les trains que l'on faisait, nous, être remplacés par des trains roulant pour la concurrence. Et que l'on nous demande en plus d'assurer la sous-traitance le temps que cette concurrence soit prête… C'est très dur humainement. »
Dans ses rapports d'expertise, le cabinet Secafi pointe une exposition aux risques psycho-sociaux « forte » depuis mai 2023. L'incertitude pour l'année prochaine produit le sentiment général que « tout le monde est laissé à l'abandon », décrit Mikaël Meusnier, conducteur du fret depuis plus de vingt ans, par ailleurs secrétaire général du syndicat des cheminots CGT de Perpignan. Cette situation « engendre un sentiment de dégoût. Et puis après, les problèmes professionnels, tu les ramènes à la maison », confie un cheminot, qui préfère en parler anonymement.
« On a exercé nos droits d'alerte sur les risques psycho-sociaux, pour danger grave et imminent », insiste Loïc Guigou. En Languedoc-Roussillon, plusieurs cheminots du fret « sont tombés malades après l'annonce de mai 2023 », abonde Sébastien Mourgues. Partout, les syndicats ont alerté. En Normandie, pour les agents de Sotteville-lès-Rouen, une alerte pour danger grave et imminent a été adressée dès juin 2023 à la direction Fret SNCF et à la direction des ressources humaines par le CSE. Les annonces gouvernementales entraînent « beaucoup d'inquiétudes, d'anxiété et d'angoisse », pointe le document que nous avons consulté. Avec « un profond mal-être psychologique » qui « peut engendrer des ruptures de séquence dans des opérations de sécurité ».
Dégradation historique au mépris des enjeux écologiques
L'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, si elle a touché de plein fouet Fret SNCF entre 2023 et aujourd'hui, ne date pas d'hier. Dès 2006, les lignes nationales du fret ferroviaire sont ouvertes à la concurrence. Trois ans après les lignes internationales. D'où le fait que parmi les agents du Fret, « beaucoup ressentent le sentiment d'un lent déclassement collectif et individuel », pointe le rapport du cabinet Secafi.
La SNCF était en situation de monopole public sur le fret il y a 20 ans. Elle est devenue, au fur et à mesure, un groupe parmi d'autres. Cet éclatement progressif a « cassé l'ambiance cheminote, la solidarité qu'il y avait à l'époque entre nous », regrette Mikaël Meusnier. Mais la SNCF est restée un groupe fort, puisqu'aujourd'hui, elle gère encore 50 % du transport de marchandises. L'ouverture à la concurrence, elle, est loin d'avoir tenu la promesse initiale d'une relance de l'activité. La part modale du fret ferroviaire par rapport aux autres types de transport a diminué de moitié (de 16 à 8 %) entre 2000 et 2018. Dans le même temps, en 15 ans, 63 % des effectifs ont été supprimés. « Un vrai carnage social », résume Julien Troccaz.
À contre-courant de ce que prévoit aujourd'hui l'État français, les pays européens disposant d'une part modale du fret ferroviaire supérieure à 20 %, comme la Suisse, ont « tous développé des politiques publiques actives », note le cabinet d'expertise Secafi. Avec des investissements de modernisation et développement du réseau ferré, ou encore « des incitations au report modal », par exemple l'interdiction de circuler pour les poids lourds certains jours.
Le même argument gouvernemental perdure pourtant : le fret coûterait trop cher, comparativement à la route. « Mais si on commençait à faire payer l'entretien des routes aux transporteurs routiers, et si l'on ne défiscalisait pas le gasoil, et bien peut-être que la bataille ne serait pas la même », raille Loïc Guigou. « On oublie toujours de parler des coûts induits du transport routier, que la société paie : la pollution de l'air, le bruit, les accidents de la route », liste Stéphane Lachèvre.
En 2018, la réforme d'Élisabeth Borne a scellé le sort du fret, en divisant la SNCF en quatre sociétés anonymes (SA), tandis que le Fret est devenu une société par actions simplifiée (SAS). Le tout « en gardant l'endettement historique dans ses comptes et en se mettant sous dépendance de financements bancaires. Ce n'est rien d'autre que la mise à mort de Fret SNCF. Le Fret va disparaître », s'alarmait déjà le CSE de la filière dans un communiqué de 2019.
Nous y sommes aujourd'hui. « Le fret SNCF est dans une situation qui découle de vingt ans de restructurations de l'outil de production », résume Sébastien Mourgues. Pour la suite, avec le basculement du Fret SNCF aux mains de deux filiales ouvertes au privé, « on s'attend à une descente infernale de suppressions de poste », prédit Julien Troccaz. L'opération rappelle le coûteux imbroglio autour de la création de la société Réseau ferré de France (RFF) en 1997, pour dissocier l'entretien des voies ferrées (assuré par RFF) de son exploitation (par la SNCF ou l'ouverture à la concurrence), et loger la dette de la SNCF dans une nouvelle entité. Résultat : pendant la décennie qui suit, à cause de trop faibles investissements, l'état du réseau ferré s'est fortement dégradé avec les conséquences que l'on sait en matière de fermeture de lignes, de dysfonctionnements et de retards pour les usagers.
Le fret, « un laboratoire » pour les TER, Transiliens et Intercités
Les demandes de mutation des agents du Fret, désireux d'éviter le transfert de janvier, se sont multipliées ces derniers mois. Au 31 décembre, chacun sera fixé. Soit le changement de poste – donc de lieu et/ou de conditions de travail – est accepté ; soit le cheminot est automatiquement transféré sans avenant à son contrat dans la nouvelle filiale.
Loïc Guigou, lui, a fait une demande de mutation vers le TER. Mais sa région PACA est en première ligne de l'ouverture des TER à la concurrence – autre sujet de lutte des cheminots depuis de longs mois. Du fret au TER, la direction de la SNCF « emploie les mêmes méthodes sur l'ouverture à la concurrence », décrit Sébastien Mourgues. « Tout cela relève d'une stratégie globale de démantèlement de la SNCF et de baisse des droits sociaux des cheminots. » Ce 21 novembre, l'intersyndicale demande aussi l'arrêt du processus de filialisation des TER, Transilien et Intercités.
Sa mutation, Loïc ne la perçoit donc que comme « une mini bouffée d'oxygène. Je sais que dans quelques années, je vivrai au TER la même chose que ce que j'ai vécu au Fret. » Les cheminots les plus anciens « mesurent que tout ce qui a été fait avec Fret SNCF, c'est le laboratoire de ce qui va s'appliquer ailleurs, dans les autres services », soutient Sébastien Mourgues. « D'où leur forte colère aujourd'hui. »
Maïa Courtois 20 novembre 2024
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Togo. Refus de reconnaissance du Syndicat des enseignant·es du Togo et licenciement de grévistes

Depuis mai 2022, 119 enseignant·es grévistes ont été arbitrairement révoqué·es ou licencié·es à la suite de la création du Syndicat des enseignants du Togo (SET).
Tiré de Infolettre https://www.questionsdeclasses.org/enseignants-en-lutte-au-togo-et-en-iran-amnesty-international/
Le SET a été créé en 2021 en respect des législations locales et internationales, mais le gouvernement togolais a arbitrairement refusé son enregistrement et donc sa
reconnaissance.
En mars 2022, le SET dépose un préavis de grève qui sera majoritairement suivi dans le secteur dans de nombreuses régions du pays. A la suite de cette grève, le ministère de la Fonction Publique exclut alors 137 enseignant·es grévistes. Le ministère joue l'escalade répressive et 3 responsables du SET et le prestataire informatique du syndicat seront arrêtés à Lomé et mis en garde à vue en avril. Le 2 novembre 2023, le Comité de la liberté syndicale
(CLS) de l'Organisation internationale du travail (OIT) a émis de sérieuses réserves sur plusieurs aspects de l'action de l'État du Togo (cf. § 685, 694 et 697) et a demandé à ce dernier un certain nombre d'informations complémentaires (§ 698). Le 10 juillet 2024, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a condamné l'État du Togo pour violation du droit au travail des requérants.
Dans leur quasi-totalité, les enseignant·es révoqué·es ou licencié·es ne sont pas parvenu·es à se réinsérer dans le monde de l'emploi, et leurs foyers se trouvent ainsi plongés dans une grande précarité. Le SET réclame encore à ce jour la réintégration des 119 licencié·es et appelle à la solidarité internationale.
Source : Rapport OIT No. 404, Octobre 2023 – https://normlex.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:50002:0::NO::P50002_COMPLAINT_TEXT_ID:4364412
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Bernie aurait gagné. Pour vrai.

D. Trump ne cesse de gagner parce que le Parti démocrate refuse d'être le Parti de la classe ouvrière
Natalie Shure, The Intercept, 12 novembre 2024
Traduction, Alexandra Cyr
Chaque défaite du Parti démocrate soulève des débats sur une des questions les plus entendues en ces temps de politiques électorale : Est-ce que Bernie (Sanders) aurait gagné ? Au point de départ, ce débat était clair. Immédiatement après l'échec d'Hilary Clinton en 2016 face à D.Trump, la gauche du Parti démocrate est montée au front pour dire que leur candidat favori aux primaires aurait gagné haut la main cette élection présidentielle ce que ne pouvait pas faire la candidate choisie.
L'argument allait comme suit : l'orientation de D. TRump, anti-establishment, anti-néolibéralisme et anti-statu-quo l'a facilement propulsé à la tête du Parti républicain et du votre populaire dans les États pivots qui déterminent la Présidence américaine. Même si sa position d'héro de la classe ouvrière est plus que douteuse, (rappelons-nous qu'il est un multimillionnaire, un seigneur de l'immobilier dont le penthouse est doté d'un ascenseur en or), Mme Clinton était l'avatar ambulante de l'exacte élite politique que D. Trump diabolisait.
Bernie Sanders de son côté, a passé sa carrière entière à argumenter contre la classe dirigeante que représente justement D. TRump. Là où il blâme les immigrants.es et demande leur expulsion parce qu'ils et elles feraient le malheur du pays, B. Sanders pourfend les riches et les puissants.es pour les mécontentements causés à la classe ouvrière et exige des politiques sociales comme réponses.
Les arguments de B. Sanders vont ainsi : « Oui le système est tout de travers, vous êtes pris à la gorge, alors attaquons-nous à ces gras-durs qui font cela et donnons à tous et toutes ce qu'ils et elles méritent », il y a là une réponse, une alternative positive à envoyer à D. Trump. Pour Mme Clinton, c'était plutôt : « Non le système n'est pas tout de travers, vous n'êtes pas pris à la gorge alors, maintenant, votez pour les gras-durs que favorisent vos politiciens.nes ».
Impossible de défaire le trumpisme sans une lutte de classe et la promesse d'un changement pour la classe ouvrière
Huit ans plus tard, la défaite de K. Harris face à D. Trump ressuscite un autre aller-retour entre les camps qui analyse le déclin du Parti démocrate quant aux enjeux de classe ou de culture : est-ce que se sont le racisme et le fanatisme qui ont permis la victoire triomphale de D. Trump ? Ou est-ce l'anxiété face à l'économie ? C'est passer à côté des problèmes les plus évidents en présumant qu'un seul de ces facteurs puisse être en jeu ou qu'ils sont absolument distincts les uns des autres. Ce genre de discussion fait l'impasse sur ce que veut vraiment dire : « Bernie aurait gagné ». Impossible de battre le trumpisme sans une lutte de classe et une promesse de changement pour la classe ouvrière. Pour y arriver, il faut la solidarité de la classe ouvrière multiraciale et un Parti que représente cette coalition d'intérêt. D'ici à ce que cela arrive, à la fois dans la politique électorale et en dehors d'elle, préparez-vous à vire avec Trump, après Trump et encore après Trump.
Commençons par là où les sceptiques en regard des politiques basées sur la classe, ont de correct : D. Trump et ses alliés.es dans la droite ont souvent appuyé sur le racisme, la misogynie, l'homophobie, et la xénophobie dans leurs stratégies politiques. Cela rejoint l'électorat à un point tel qu'on ne peut détourner le regard sous prétexte que c'est trop dur à voir et entendre. Dans l'écosystème des médias en ligne le discours est vite devenu horrible depuis 2016 et les plus fidèles partisans.es du territoire trumpien vont sûrement fièrement mettre de l'avant que « provoquer les libéraux.ales » est l'essence de leur politique. C'est le recul face aux mouvements comme Black Lives Matter, #MeToo ou face à la lutte pour les droits de reproduction ou ceux des personnes transgenres qui s'est fusionné autour de politiques qualifiées de nostalgiques qui ne conviennent qu'aux patriarches ultratraditionnels. Si l'administration Biden a produit quelques avantages pour la classe ouvrière, les Démocrates ont encore été incapables de répondre avec intelligence à la détresse des électeurs.trices quand l'inflation a effacé ces progrès fondamentaux.
Si on prend toutes ces forces démoralisantes en compte, il est impossible de suggérer que Mme Harris aurait pu obtenir 10 points de plus de la part des travailleurs.euses dans les comtés pivots les plus importants face à D. Trump, simplement en présentant quelques livres blancs ou crédits d'impôts et de taxes de plus. Comme le souligne Julia Claire de Crooked Media, sur la plateforme X : « Certains.es pensent que nous pourrions adopter le populisme économique à notre façon…mais ce n'est pas ce qu'ont fait les Républicains.es pour gagner. Nous devons faire face au moment réactionnaire culturel dans lequel nous nous retrouvons en commençant par interpeler les hommes ». La commentatrice Jill Filipovic fait le même constant : « Cette élection n'a pas été une mise en accusation de Mme Harris. Elle a été une mise en accusation des États-Unis ».
Même si vous acceptez cette prémisse qui est terriblement proche d'un argument à l'effet que les électeurs.trices de D. Trump ne seraient que des méchantes personnes, qu'elle théorie de changement peut-elle inspirer ? Dire des électeurs.trices de D.Trump que ce ne sont que des pitoyables n'a absolument rien donné en 2016 et c'est toujours le cas. Et s'il s'agit que récupérer les pitoyables un.e par un.e vous vous frappez au fait que l'électorat républicain et démocrate est de plus en plus divisé socialement. Notre univers social détermine nos croyances et nos comportements et nous passons considérablement plus de temps dans des univers différents. Pour le dire crûment, quelle position pourrais-je prendre pour réprimander, faire la leçon ou persuader des gens qui vivent dans les villes désindustrialisées de la Ceinture de la rouille ?
Le leader de la majorité démocrate au Sénat, C. Shumer (démocrate de New York), a avancé une réponse à ce dilemme de la fuite de la classe ouvrière du Parti démocrate : « pour chaque col bleu que nous perdons en Pennsylvanie de l'ouest nous gagnons deux républicains.es dans les banlieues de Philadelphie et nous pouvons faire la même chose en Ohio, en Illinois et au Wisconsin ». C'est ce calcul qui a particulièrement guidé K. Harris qui a fait une campagne importante pour s'attacher les modérés.es anti-Trump avec Liz Cheney à ses côtés. Mais de toute évidence ça a tourné court mathématiquement et politiquement. Il y a considérablement plus de cols bleus qu'il n'y a d'électeurs.trices cols blancs entichés.es de L. Cheney. Et plus la base du parti compte sur les derniers.ères moins il peut donner aux premiers.ères et plus sa survie dépends de la préservation du statut quo qui a indisposé tant de personne depuis le début. Mais, le plus important c'est que ça n'a pas marché : D. Trump est de retour à la Maison blanche.
Donc, la solution repose sur la création d'une coalition qui adopte un discours qui soit en compétition avec celui de D. Trump, qui forge de nouveaux liens sociaux et se prépare autour d'intérêts matériels communs. Ce discours doit être porté par une personne peut le rendre de telle façon à ce qu'il résonne ; c'est quelque chose qu'une figure à la B. Sanders pourrait faire alors que la plupart des Démocrates ne peuvent, considérant leur base de financement et leurs trajectoires politiques.
Avec toute sa monstruosité, D. Trump s'est servi des idées de désillusion envers le système et a réussi à convaincre certaines de ses plus importantes victimes qu'il était de leur côté. Bien sûr, qu'il ne l'est pas. Mais presque la moitié des plus pauvres du pays ont voté pour lui. Seul, B. Sanders a la crédibilité pour en demander autant de la part de la gauche élargie. Il a passé des décennies à se battre sans fléchir, toujours plus profondément, pour la classe ouvrière. Il espère que d'autres pourront se servir de son expérience et aller un peu plus rapidement.
Pour impossible et abstrait que ça puisse paraître que de vouloir réaligner la base démocrate sur des intérêts de classe partagés, c'est quand même plus concret que de vouloir « réduire le fanatisme envers les étrangers.ères ». Le mouvement ouvrier offre tous les plans et devis pour mettre un tel objectif en pratique.
Dans toute l'histoire américaine, partout dans le monde, l'organisation basée sur la classe qui unit les populations à travers les races, les ethnies et les barrières de langues a été le mécanisme le plus puissant pour construire des sociétés plus égalitaires et plus justes. Mais il faut obliger les riches et puissants.es à adhérer. Penser que le Parti républicain peut-être ce véhicule est risible. Nous devons avoir un Parti d'opposition qui peut se tenir debout et être aux côtés de sa propre base.
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La crise du féminicide en Iran : Comprendre l’urgence du changement

La semaine dernière, deux cas de féminicide ont secoué l'Iran. Tout d'abord, un avocat a assassiné sa femme journaliste, Mansoureh Ghadiri Javi, à coups de couteau et d'haltère. D'autre part, un autre avocat a tué sa femme et son fils avant de mettre fin à ses jours.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Selon le journal iranien « Etemad », au moins 165 cas de féminicides ont été signalés en Iran. Ces cas se sont produits entre juin 2021 et juin 2023. Cela signifie qu'en moyenne, une femme est tuée tous les quatre jours.
En Iran, la violence domestique touche les femmes de toutes les classes sociales et de tous les milieux. Les structures culturelles, sociales et économiques font qu'il est difficile pour les femmes de chercher de l'aide ou d'échapper à ces situations de violence. La peur des conséquences sociales, le manque de soutien et l'ignorance des droits mettent de nombreuses femmes en danger. Les meurtres sont souvent justifiés par l'« honneur », la jalousie ou des conflits familiaux. Ils deviennent mortels en raison des structures sociétales et juridiques qui limitent les sanctions pour ces actes.
Ces cas récents mettent en lumière une tendance inquiétante. Les hommes impliqués auraient dû être des défenseurs de la loi. Au lieu de cela, ils ont été les auteurs de ces actes odieux. Dans les deux cas, il s'agit d'hommes qui, après avoir commis un meurtre, ont également tenté de mettre fin à leurs jours. Il ne s'agit pas d'événements isolés, mais de failles profondes dans la société et le système judiciaire.
Contexte historique du féminicide en Iran
L'histoire du féminicide en Iran s'étend sur plusieurs décennies et est profondément ancrée dans le tissu culturel, social et juridique de la société. Le terme « féminicide » ne désigne pas seulement l'acte de tuer des femmes, mais aussi les systèmes plus larges qui le permettent et l'excusent. En Iran, le féminicide est souvent lié à l'« honneur » ou à la « chasteté », de nombreux meurtres étant justifiés comme des actes visant à restaurer l'honneur de la famille ou à protéger les valeurs de la société. Ces croyances s'appuient sur une culture patriarcale et des lois qui renforcent l'assujettissement des femmes.
Dans les premières années de l'État moderne, les attitudes sociales et les lois faisaient des femmes des personnes à charge au sein des familles, d'abord en tant que filles, puis en tant qu'épouses. Cette dépendance n'était pas seulement le reflet de normes culturelles, elle était également inscrite dans le cadre juridique iranien. Les lois placent la vie et le corps des femmes sous le contrôle des hommes de leur famille, principalement les pères, les frères et les maris. Une fille perçue comme déshonorant sa famille pouvait être « corrigée » par la violence, y compris la mort, et dans de nombreux cas, ces actions étaient soit justifiées, soit ignorées par la loi et la société.
Au fil des ans, quelques magazines et publications consacrés aux questions féminines ont mis en lumière ces cas. Ils ont documenté d'innombrables cas de féminicides. Les rapports des années 1980 et suivantes révèlent une cohérence effrayante. Les femmes ont continué à subir des violences de la part de leur famille. Souvent, elles n'ont que peu de recours juridiques. Les codes juridiques iraniens contiennent des dispositions qui autorisent ou réduisent les peines pour les hommes qui tuent des femmes de leur famille sous prétexte de défendre l'honneur de la famille. Cette indulgence juridique renforce l'intégration du féminicide dans la structure sociale iranienne, le faisant passer du statut de crime individuel à celui de pratique acceptée aux yeux de beaucoup.
L'idée culturelle de « l'honneur » joue également un rôle central dans le féminicide. La perception selon laquelle les actions d'une femme – qu'il s'agisse de sa tenue vestimentaire, de son comportement ou même de ses fréquentations reflètent l'« honneur » de ses parents masculins a historiquement conféré aux hommes une autorité sociale et morale sur la vie des femmes. Les actions « déshonorantes » d'une femme ne sont pas considérées comme les siennes propres, mais comme celles de toute sa famille. Ce concept persiste malgré l'évolution du rôle des femmes dans la société iranienne. Les femmes ont fait des progrès en matière d'éducation, de participation au marché du travail et d'engagement social, mais ces avancées n'ont pas effacé la notion profondément ancrée selon laquelle le comportement d'une femme doit être contrôlé pour préserver l'honneur de la famille.
Ces dernières années, bien que certains amendements aient été apportés à la législation, la structure fondamentale des systèmes juridiques et culturels qui autorisent le féminicide est restée largement inchangée. Les lois iraniennes accordent toujours une grande indulgence aux hommes qui commettent ces crimes, en particulier lorsqu'ils invoquent l'« honneur » ou la « réputation de la famille ». Pour de nombreuses femmes, la menace de la violence continue de peser sur elles, car les protections sociales et juridiques restent insuffisantes. Dans certains cas, ces lois semblent presque encourager le féminicide, en confortant le message que les hommes de la famille ont le droit de décider du sort des femmes sous leur « protection ».
Récits de victimes et de survivantes
L'impact du féminicide en Iran apparaît douloureusement à travers les récits de femmes victimes dont les noms deviennent des symboles d'injustice et de tristesse. Ces histoires ne sont pas seulement des tragédies personnelles ; elles illustrent le poids écrasant des attentes culturelles et familiales sur la vie des femmes. Des femmes comme Tahereh, Romina et d'innombrables autres sont devenues célèbres parce que leur mort, bien que déchirante, souligne les pratiques brutales auxquelles les familles sont prêtes à se soumettre pour préserver l'« honneur ».
Tahereh n'avait que seize ans lorsqu'elle a été victime du sens du déshonneur de sa famille. Son histoire, publiée il y a vingt ans dans un magazine féminin, a choqué les lecteurs par sa froide cruauté. Son père, croyant qu'elle n'était pas vierge lors de sa nuit de noces, a décidé que sa vie avait moins de valeur que la réputation de la famille. Même après qu'un examen médical a prouvé son innocence, son destin a été scellé par la seule accusation. Tahereh a été assassinée par son propre père et son propre oncle, qui voyaient en elle une tache sur l'honneur de la famille. Son histoire, bien qu'écrite il y a des décennies, résonne encore aujourd'hui. La mort de Tahereh n'est pas un incident isolé ; elle est emblématique d'un modèle dans lequel le seul soupçon suffit à justifier l'assassinat d'une femme.
L'histoire de Romina est tout aussi effrayante et plus récente, montrant que le paysage juridique et culturel n'a guère changé. À l'âge de quatorze ans, Romina a tenté de s'enfuir avec un homme qu'elle aimait. Son père l'a trouvée et, malgré les appels à la protection de Romina, les autorités l'ont renvoyée chez elle, persuadées que son père ne lui ferait pas de mal. Quelques jours plus tard, il lui a ôté la vie dans un horrible acte de meurtre « d'honneur », utilisant une faucille pour la décapiter dans leur propre maison. La mort de Romina a provoqué un choc et une vague d'horreur en Iran, notamment parce qu'elle avait cherché de l'aide, craignant exactement ce qui se passerait si elle retournait auprès de son père. Le système l'a laissée tomber, la renvoyant dans un environnement où sa vie était menacée.
Ces histoires mettent en lumière la dynamique brutale du pouvoir et du contrôle au sein des familles iraniennes et l'immense pression sociale exercée pour se conformer aux valeurs traditionnelles. Dans les deux cas, la loi a été impuissante à prévenir la violence ou à rendre justice après coup. De nombreux féminicides ne sont jamais rapportés en détail, cachés derrière des portes closes ou considérés comme des affaires privées et familiales. Le silence qui entoure ces affaires découle non seulement de la peur des représailles, mais aussi de la croyance profondément ancrée que l'honneur de la famille l'emporte sur le droit d'un individu à vivre librement.
Certaines femmes qui ont survécu à des agressions violentes portent des cicatrices physiques et psychologiques à long terme, mais leur voix est souvent ignorée. De nombreuses survivantes ne peuvent pas parler ouvertement de leur expérience sans risquer leur sécurité ou de renforcer la honte de leur famille. Dans les rares cas où les survivantes se manifestent, elles révèlent une société peu encline à compatir avec les femmes qui ont « déshonoré » leur famille. Malgré le traumatisme qu'elles subissent, les survivantes se retrouvent souvent ostracisées, qualifiées de « souillées » ou de « déshonorantes » pour des actions qui peuvent être aussi simples que de choisir son propre partenaire ou de rejeter des coutumes restrictives.
À travers ces récits, il apparaît clairement que le féminicide en Iran n'est pas simplement une série d'incidents isolés ; il est le reflet d'une culture omniprésente qui considère les femmes comme des réceptacles de l'honneur familial, à protéger ou à punir selon ce que les hommes jugent bon. Pour chaque Tahereh ou Romina, il y en a d'innombrables autres dont les noms et les histoires restent inconnues, leurs voix réduites au silence au nom de la tradition. Leurs récits, qu'elles soient victimes ou survivantes, soulignent l'urgence d'une réforme juridique et d'un changement culturel visant à reconnaître les droits inhérents des femmes à vivre sans crainte.
Rôle de la famille et de la communauté dans le féminicide
En Iran, la famille et la communauté jouent un rôle crucial dans la perpétuation du cycle du féminicide. Le féminicide est rarement considéré comme un acte de violence individuel ; il s'agit souvent d'une expression collective des attentes sociales, des valeurs familiales et de la pression de la communauté. Lorsque les femmes défient ou semblent défier les normes acceptées, en particulier sur les questions de sexualité et d'autonomie, elles ne sont pas seulement considérées comme des déceptions individuelles pour leur famille. Au contraire, elles sont perçues comme une menace pour le statut social de la famille et sa réputation au sein de la communauté.
En Iran, la cellule familiale est traditionnellement considérée comme une structure sacrée, dont les membres ont des rôles stricts. Les femmes et les filles sont souvent considérées comme porteuses de « l'honneur » de la famille, les hommes étant considérés comme les gardiens de cet honneur. La notion d'honneur est profondément liée au comportement, à l'apparence et aux relations d'une femme, ce qui la rend sujette à un examen minutieux de la part non seulement de sa famille proche, mais aussi de sa famille élargie et de ses voisin·es. Les hommes, en particulier les pères, les frères et les maris, se sentent tenus de surveiller la conduite des femmes de leur famille et sont censés prendre des mesures s'ils perçoivent une menace pour la réputation de la famille. Dans ce contexte, la communauté renforce souvent ces attentes, en faisant directement ou indirectement pression sur les familles pour qu'elles contrôlent les femmes « rebelles » ou « désobéissantes ».
La pression communautaire peut amplifier l'intensité de ces attentes. Les familles peuvent se sentir obligées de prendre des mesures extrêmes, comme le féminicide, pour éviter la honte publique. Dans de nombreux cas, des ami·es, des voisin·es et même des parent·es éloigné·es peuvent suggérer ou encourager des mesures punitives à l'encontre des femmes considérées comme ayant déshonoré la famille. Cet état d'esprit collectif considère que l'« honneur » doit être préservé à tout prix et que toute menace, réelle ou imaginaire, est rapidement punie. Par exemple, dans le cas de Romina, son père aurait été confronté à des critiques incessantes de la part des voisin·es et des parent·es qui le condamnaient pour avoir permis à sa fille de fréquenter l'homme de son choix. Lorsqu'il l'a finalement tuée, nombre de ces mêmes membres de la communauté ont considéré qu'il s'agissait d'un acte de discipline nécessaire plutôt que d'un crime.
Le rôle de la communauté ne s'arrête pas à l'acte de violence lui-même. Après un féminicide, les membres de la communauté peuvent se rallier à l'auteur, le considérant comme quelqu'un qui a courageusement défendu l'honneur de la famille. Les voisin·es et les proches peuvent même soutenir ou justifier publiquement ses actes, renforçant ainsi l'idée qu'une telle violence est une réponse acceptable à la transgression perçue d'une femme. Dans les cas où le tueur risque des poursuites judiciaires, certain·es membres de la communauté peuvent prôner l'indulgence, minimisant ainsi encore la gravité du crime. Ce type d'approbation collective normalise la violence à l'égard des femmes et décourage les autres familles de remettre en question ou de rejeter l'idée de l'« honneur » comme justification de la maltraitance.
La famille et la communauté créent ensemble un environnement dans lequel les femmes sont vulnérables à la violence si elles sortent des rôles socialement acceptés. La présence de ces normes culturelles fait qu'il est presque impossible pour les femmes d'échapper aux rôles qui leur sont assignés sans risquer d'être blessées. Les attentes de la famille et de la communauté créent un système de surveillance constante autour des femmes, chaque aspect de leur vie – éducation, travail, amitiés, mariage – étant dicté par la nécessité de préserver l'honneur de la famille. Cette dynamique n'est pas propre aux zones rurales ou conservatrices ; même dans les communautés urbaines et progressistes, les concepts d'honneur et de honte jouent un rôle important dans l'organisation de la vie des femmes, bien que de manière moins visible.
Dans ce réseau complexe d'attentes familiales et communautaires, la vie et les choix des femmes sont sévèrement limités. Tout acte de défiance ou de désobéissance est considéré comme une tache sur l'honneur de la famille qui doit être « nettoyée ». La pression écrasante exercée sur les femmes pour qu'elles se conforment aux règles et les conséquences du non-respect de ces règles révèlent à quel point la famille et la communauté peuvent dicter la vie et la mort des femmes en Iran, ce qui est effrayant. Pour de nombreuses femmes, la possibilité de liberté est éclipsée par la menace constante et imminente de la violence, qui leur rappelle que leur vie ne leur appartient pas entièrement.
Implications juridiques et lacunes
Le droit iranien joue un rôle essentiel dans le maintien des conditions qui permettent au féminicide de perdurer. Alors que les lois sont théoriquement destinées à protéger les citoyen·nes, certaines lacunes et certains codes juridiques permettent en fait aux hommes qui commettent un féminicide d'être impunis ou, à tout le moins, d'être moins punis. Ces lacunes juridiques créent un environnement dans lequel les auteurs de féminicides peuvent agir dans une relative impunité, sachant que la loi est plus susceptible de les protéger que de les obliger à rendre des comptes.
L'un des aspects juridiques les plus problématiques est le concept de « défense de l'honneur » inscrit dans le droit iranien. L'article 630 du code pénal iranien autorise un mari à tuer sa femme et son amant s'il les surprend en flagrant délit d'adultère, à condition qu'il soit « certain » que la femme n'a pas été contrainte. La loi part du principe que l'infidélité d'une femme entache l'honneur d'un homme à un point tel cela justifie de lui ôter la vie. Cette clause juridique renforce l'idée que les actions d'une femme impactent directement la réputation de son mari et que la violence est une méthode acceptable pour résoudre les problèmes de déshonneur perçu.
En outre, l'article 220 du code pénal islamique accorde aux pères et aux grands-pères un niveau d'autorité important sur leurs enfants, y compris leurs filles. En vertu de cette loi, un père ou un grand-père paternel qui tue son enfant est exempté de la peine capitale et ne peut être condamné qu'à des peines légères, souvent de quelques années seulement. Cette exception légale, connue sous le nom de « ghesas » (rétribution), implique que les pères ont des droits de propriété sur leurs enfants et peuvent, dans une certaine mesure, décider de leur sort. Cette indulgence dans le cas des soi-disant « crimes d'honneur » envoie un message effrayant à la société : les hommes, en particulier les pères, ont le contrôle ultime sur les membres féminins de la famille, et la loi n'interviendra pas sévèrement, même dans les cas de meurtre.
Ces lacunes illustrent la manière dont le droit iranien ne protège pas les femmes et, dans certains cas, permet activement la poursuite de la violence fondée sur le genre. La loi permet aux hommes d'agir en tant que garants de « l'honneur », leur accordant essentiellement un pouvoir sur la vie et le corps des femmes. De nombreuses et nombreux militants affirment que ces lois sont des vestiges d'un système patriarcal qui considère les femmes comme des biens plutôt que comme des individus dotés de droits. L'absence de sanctions sévères pour le féminicide, en particulier dans les cas où l'honneur est invoqué, encourage les hommes à prendre les choses en main, sachant qu'ils ne subiront que des conséquences minimes.
Cette indulgence juridique est exacerbée par le fait que les juges iraniens disposent souvent d'un pouvoir discrétionnaire important dans l'interprétation de la loi. De nombreux juges interprètent les affaires de crimes d'honneur dans un cadre culturel qui considère la chasteté des femmes comme primordiale. Dans certains cas, les juges peuvent réduire les peines pour les hommes qui prétendent avoir défendu l'honneur de leur famille, indépendamment du fait que la victime ait été reconnue innocente ou coupable de la transgression alléguée. Ce pouvoir judiciaire discrétionnaire se traduit souvent par une réduction des peines d'emprisonnement, une libération conditionnelle, voire un acquittement dans les cas de féminicide.
En outre, l'acceptation sociale de l'honneur comme motif valable de violence affaiblit encore la probabilité d'une réforme. Les efforts visant à modifier le code pénal pour supprimer ou modifier ces dispositions se sont heurtés à une forte résistance, car ces lois sont considérées par certains comme le reflet de valeurs culturelles. Même lorsque des propositions de peines plus sévères sont adoptées, les législateurs conservateurs et les chefs de communautés affirment souvent que de tels changements porteraient atteinte aux valeurs familiales et à l'ordre social. Par conséquent, ces dispositions légales restent largement incontestées, laissant les femmes vulnérables à la violence et à la merci des attentes de la famille et de la communauté.
Le système juridique iranien, au lieu de rendre justice aux victimes, tend à renforcer le contrôle patriarcal. Pour de nombreuses femmes, la loi n'est pas une source de protection, mais un outil qui renforce le pouvoir de ceux qui cherchent à les contrôler. Tant que des réformes juridiques importantes ne seront pas mises en œuvre et que le concept d'honneur ne sera pas intégré au système judiciaire, les femmes continueront à vivre sous la menace de la violence. Ces lois, avec leurs lacunes et leurs justifications culturelles, démontrent à quel point la violence sexiste est profondément ancrée dans le cadre juridique et social de l'Iran.
Justifications culturelles et attitudes sociales
Les croyances culturelles et les attitudes sociales à l'égard de l'« honneur » et de la « chasteté » jouent un rôle immense dans la perpétuation du féminicide en Iran. Dans de nombreuses communautés, la valeur d'une femme est étroitement liée à sa pureté et à son obéissance, et tout écart par rapport à ces attentes est considéré comme une menace directe pour l'honneur de la famille. Ces croyances sont profondément ancrées dans le tissu social, transmises de génération en génération et renforcées par les normes culturelles et les interprétations religieuses. Par conséquent, de nombreuses personnes acceptent la violence à l'égard des femmes comme une réponse légitime au déshonneur perçu.
Dans la société iranienne, le concept d'« honneur » n'est pas simplement une valeur personnelle ; il s'agit d'une valeur publique qui concerne toute la famille et, dans de nombreux cas, la communauté. Les femmes sont souvent considérées comme l'incarnation physique de cet honneur, et leurs actions sont examinées à la loupe car elles reflètent la position morale de leur famille. Les comportements considérés comme « déshonorants » peuvent inclure un large éventail d'actions, allant du choix de ses propres amis ou partenaires à une tenue vestimentaire jugée inappropriée, en passant par le fait de se présenter seule dans les espaces publics. Les femmes sont censées se conformer à des rôles traditionnels qui limitent leur liberté, et toute tentative d'affirmer leur indépendance peut être accueillie avec hostilité ou violence.
Les attitudes sociales à l'égard de l'honneur sont fortement influencées par un mélange de traditions culturelles et d'interprétations religieuses. Ces croyances varient en intensité selon les régions et les communautés, mais le message sous-jacent est le même : le rôle d'une femme est de maintenir la réputation de la famille, et tout manquement à cet égard entraîne de graves conséquences. Par exemple, dans certaines communautés conservatrices, la simple rumeur d'un comportement inapproprié suffit à justifier une punition, que la femme en question ait réellement fait quelque chose de mal ou non. Cette croyance crée un environnement où la vie des femmes est étroitement surveillée et où toute transgression perçue peut avoir des répercussions immédiates et parfois mortelles.
Les interprétations religieuses jouent également un rôle dans la manière dont l'honneur est défini et appliqué. Dans certains cas, certaines interprétations des textes religieux sont utilisées pour justifier le contrôle du comportement des femmes, ainsi que le recours à la violence pour « corriger » ou « punir » les manquements moraux perçus. Bien que ces interprétations fassent l'objet d'un débat entre les spécialistes de la religion, dans la pratique, de nombreuses communautés adhèrent à des points de vue conservateurs qui renforcent le contrôle patriarcal sur les femmes. Cela ajoute une couche de validation religieuse aux croyances culturelles, ce qui rend encore plus difficile le changement de ces attitudes ou la promotion des droits des femmes.
Dans de nombreux cas, les femmes elles-mêmes peuvent intérioriser ces croyances, acceptant leur rôle de porteuses de l'honneur familial et soutenant les normes mêmes qui restreignent leurs libertés. Ce phénomène, connu sous le nom de « misogynie intériorisée », signifie que certaines femmes deviennent également les garantes de ces normes, soit en faisant pression sur les femmes plus jeunes pour qu'elles se conforment, soit en restant silencieuses face à la violence. Cette intériorisation reflète la nature profondément enracinée de ces croyances culturelles, montrant que le contrôle de la vie des femmes s'étend au-delà des actions des hommes à un état d'esprit collectif adopté par la communauté.
Les efforts visant à modifier ces attitudes culturelles se sont heurtés à une forte résistance, car ils sont considérés par certains comme des tentatives d'ébranler les valeurs traditionnelles. Les activistes féministes, les réformateurs set réformatrices sociales et les organisations de défense des droits des êtres humains travaillant en Iran ont tenté de sensibiliser aux droits des femmes et de plaider contre la violence fondée sur le sexe. Toutefois, ces efforts se heurtent souvent à la réaction des conservateurs, qui estiment que ces changements menacent le tissu moral et social de la société. En conséquence, les changements ont été lents, de nombreuses personnes restant convaincues que le comportement d'une femme doit être contrôlé afin de protéger l'honneur de la famille.
L'attachement profond à l'honneur et à la chasteté au sein de la culture sert de justification puissante au féminicide. Dans de nombreux cas, les auteurs de féminicides ne considèrent pas leurs actes comme criminels, mais comme des corrections nécessaires à des manquements moraux. Pour eux, l'acte de tuer une femme qui a « déshonoré » sa famille est perçu comme un rétablissement de l'équilibre, un moyen de récupérer le statut social de la famille. Cet état d'esprit ne déshumanise pas seulement les femmes, il légitime aussi la violence comme solution à des griefs sociaux ou personnels.
Ces justifications culturelles et ces attitudes sociales révèlent à quel point le féminicide est profondément ancré dans le tissu de la société iranienne. Tant que ces attitudes ne changeront pas, les femmes continueront à subir d'énormes pressions pour se conformer à des rôles restrictifs et resteront vulnérables à la violence si elles s'écartent de ces attentes. Pour changer ces croyances, il ne suffit pas de modifier les mentalités individuelles ; il faut transformer les valeurs et les normes qui définissent les rôles des hommes et des femmes, l'honneur et la définition même de la respectabilité dans la société.
Résistance et plaidoyer
Malgré les difficultés, des activistes, des féministes et des défenseurs des droits des êtres humains en Iran travaillent sans relâche pour lutter contre le féminicide.
Ces personnes et ces organisations s'efforcent de sensibiliser l'opinion publique, de faire pression en faveur d'une réforme juridique et d'offrir un soutien aux femmes en danger. Leur travail représente un mouvement en développement en Iran ; elles et ils cherchent à remettre en question les structures culturelles, juridiques et sociales qui favorisent la violence à l'égard des femmes. Toutefois, cette résistance est semée d'embûches, car leur travail se heurte souvent à des réactions négatives, à des restrictions juridiques et à la stigmatisation sociale lorsqu'elles et ils remettent en cause des normes bien ancrées.
L'un des principaux domaines d'action des défenseurs des droits des femmes est la sensibilisation au féminicide et à la violence fondée sur le genre. Par le biais de publications, d'ateliers et de campagnes en ligne, les activistes visent à éduquer le public sur les questions relatives au féminicide, en soulignant qu'il ne s'agit pas d'une question d'honneur familial mais d'une grave violation des droits des êtres humains. Des publications comme le magazine Zanan (Femmes) et son successeur Zanan-e Emruz (Femmes d'aujourd'hui) ont joué un rôle essentiel en documentant les cas de féminicide et en mettant en lumière les réalités auxquelles sont confrontées les femmes iraniennes. En partageant les histoires de victimes comme Tahereh et Romina, ces publications ne se contentent pas d'honorer la mémoire de celles qui ont perdu la vie, mais créent également un dialogue public sur la nécessité d'un changement.
La réforme juridique est un autre point essentiel. Les militant·es affirment que le code pénal iranien doit être révisé afin de supprimer les indulgences pour les violences fondées sur l'honneur et d'appliquer des sanctions strictes pour tous les actes de féminicide. Des propositions ont été faites pour modifier des articles du code pénal, en particulier ceux qui prévoient des peines plus légères pour les pères et les maris qui commettent des actes de féminicide. Toutefois, les efforts de réforme de ces lois se heurtent souvent à la résistance des législateurs conservateurs et des autorités religieuses qui affirment que de tels changements éroderaient les valeurs traditionnelles et saperaient l'autorité de la famille. En conséquence, les progrès en matière de réforme juridique ont été lents, laissant leurs défenseur·es frustré·es mais non découragé·es dans leur quête de justice.
Les organisations de défense des droits des êtres humains, tant nationales qu'internationales, ont contribué à documenter et à signaler les cas de féminicide en Iran. Des organisations telles qu'Amnesty International et Human Rights Watch ont sensibilisé l'opinion publique mondiale au problème du féminicide en Iran, faisant pression sur les autorités iraniennes pour qu'elles s'attaquent à la violence fondée sur le genre. Toutefois, les militant·es iraniens·ne sont souvent confrontés·e à des restrictions de leur liberté d'expression et de réunion, ce qui rend difficile l'organisation de mouvements à grande échelle. Dans certains cas, celles et ceux qui s'expriment contre le féminicide sont détenu·es ou réduit·es au silence par les autorités, en particulier s'elles et ils sont considéré·es comme s'opposant aux politiques de l'État ou aux valeurs traditionnelles.
Des réseaux de soutien communautaires ont également vu le jour dans le cadre de la résistance au féminicide. Ces réseaux offrent des espaces sûrs pour les femmes en danger, en leur proposant des conseils, des avis juridiques et des abris. Dans les régions où le soutien gouvernemental est limité ou inexistant, ces organisations communautaires servent de bouées de sauvetage aux femmes qui cherchent à échapper à des situations de violence. Bien que leurs ressources soient limitées, ces groupes ont réussi à apporter des changements modestes mais significatifs dans la vie des femmes, leur donnant une chance de retrouver leur indépendance et leur sécurité.
Les médias sociaux sont devenus un outil puissant pour les activistes et les féministes iraniennes, qui peuvent ainsi exprimer leur opposition au féminicide. Des plateformes comme Twitter, Instagram et Telegram permettent aux militant·es de partager des informations, d'organiser des campagnes et de créer des communautés virtuelles de soutien. Les hashtags, les messages viraux et les pétitions en ligne ont amplifié les voix des militant·es des droits des femmes, atteignant des publics à l'intérieur et à l'extérieur de l'Iran. Alors que les autorités surveillent et restreignent souvent l'accès à Internet, les médias sociaux restent un outil essentiel pour sensibiliser et mobiliser le soutien, permettant aux militant·es de contourner les restrictions des médias traditionnels et d'entrer directement en contact avec le public.
La lutte contre le féminicide en Iran n'est pas sans risque. De nombreuses et nombreux militants et activistes sont confrontés à des menaces personnelles, à l'ostracisme social et même à des conséquences juridiques pour leur travail. Cependant, la prise de conscience croissante et l'opposition au féminicide sont un signe encourageant que le changement est possible. Ces efforts, bien que modestes, remettent en question le statu quo et offrent la vision d'un avenir où les femmes sont libérées de la menace de la violence. Chaque campagne, protestation et publication contribue à l'élan d'un mouvement qui cherche à redéfinir l'honneur, à protéger les droits des femmes et à créer une société où chaque individu peut vivre sans crainte.
Analyse comparative avec d'autres sociétés
L'examen du féminicide en Iran par rapport à des cas d'autres pays révèle des facteurs à la fois universels et uniques qui influencent la violence fondée sur le genre. Si les cadres culturels, religieux et juridiques spécifiques peuvent différer, les modèles sous-jacents de contrôle, les valeurs patriarcales et les attentes de la société à l'égard des femmes sont des fils conducteurs qui façonnent souvent les féminicides dans le monde entier. En comparant la situation de l'Iran à celle d'autres pays, nous pouvons mieux comprendre l'ampleur du problème et reconnaître les voies potentielles de changement.
Dans de nombreuses régions du monde, le féminicide est lié à l'« honneur », avec des justifications similaires dans les pays du Moyen-Orient, d'Asie du Sud et d'Amérique latine. Par exemple, dans des pays comme le Pakistan, la Jordanie et l'Afghanistan, les femmes qui sont perçues comme déshonorant leur famille peuvent être victimes de violences, souvent avec des répercussions juridiques limitées pour les auteurs. Dans ces sociétés, comme en Iran, les croyances culturelles renforcent l'idée que les actions d'une femme reflètent la position morale de sa famille et que tout écart par rapport au comportement attendu peut avoir des conséquences fatales. Ici, le contrôle patriarcal et le sens de l'honneur collectif encouragent la violence, tout comme en Iran, et les tentatives de réforme de ces pratiques se heurtent souvent à l'opposition des secteurs traditionnels ou conservateurs.
Les pays d'Amérique latine, en particulier le Mexique, ont également connu une augmentation inquiétante du nombre de féminicides, le terme lui-même ayant été créé par des activistes de la région. Dans de nombreux cas, les féminicides en Amérique latine se produisent dans des contextes de violence domestique ou de crime organisé et, comme en Iran, les femmes de ces régions souffrent souvent d'une négligence systémique. La prévalence du « machisme », une croyance culturelle selon laquelle les hommes ont autorité sur les femmes, est à l'origine d'une grande partie de la violence en Amérique latine, à l'instar de l'influence de l'autorité patriarcale en Iran. Les cadres juridiques des pays d'Amérique latine ont toutefois commencé à évoluer, le Mexique et l'Argentine ayant institué des lois spéciales et créé des unités au sein des forces de l'ordre spécifiquement chargées de lutter contre le féminicide. Bien qu'il reste des défis à relever, ces mesures juridiques représentent des avancées significatives vers la responsabilisation des auteurs et peuvent servir de modèles potentiels pour l'Iran et d'autres pays.
Dans les pays occidentaux, si les crimes d'honneur sont moins fréquents, les féminicides sont souvent liés à la violence domestique, au harcèlement et à la misogynie. Les pays d'Europe et d'Amérique du Nord ont mis en œuvre des lois portant spécifiquement sur la violence domestique et ont progressé dans la criminalisation du féminicide en tant qu'infraction distincte. Par exemple, l'Italie et la France ont toutes deux reconnu que le féminicide était un problème social urgent et ont mis en place des sanctions plus sévères et un suivi des délinquants. Dans des pays comme le Canada et l'Australie, des campagnes populaires ont fait pression sur les gouvernements pour qu'ils améliorent les mesures de protection des femmes, ce qui a permis d'augmenter les ressources allouées aux refuges et aux services juridiques. Ces pays occidentaux proposent également des programmes éducatifs visant à modifier les attitudes sociales en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, reconnaissant que les changements législatifs doivent s'accompagner de changements dans la perception culturelle des femmes.
Le contraste entre ces pays et l'Iran met en évidence l'impact des réformes juridiques et de l'activisme social. Dans les pays où les lois ont évolué pour protéger les femmes, les campagnes de sensibilisation et l'éducation communautaire vont souvent de pair avec la législation. Bien que les attitudes sociales ne changent pas du jour au lendemain, un travail de plaidoyer soutenu a démontré qu'il est possible de transformer l'opinion publique sur les droits des femmes et de faire évoluer les normes entourant la violence à l'égard des femmes. Ce changement culturel s'est avéré crucial pour la réduction des taux de féminicide dans les endroits où la sensibilisation et les réformes ont pris racine.
Toutefois, il est essentiel de reconnaître les défis uniques auxquels les activistes iranien·nes sont confronté·es dans leur lutte contre le féminicide. Contrairement à de nombreux pays qui bénéficient d'une presse relativement libre et de moins de restrictions sur l'activisme, l'Iran impose des limitations à la fois à la liberté d'expression et à la liberté de réunion, ce qui rend difficile pour les militant·es de mobiliser un soutien ou d'appeler à des changements juridiques. Les organisations internationales de défense des droits des êtres humains ont noté que l'absence de réforme juridique en Iran est en partie due à ces restrictions, car le gouvernement considère souvent les appels à l'égalité des sexes comme des défis aux valeurs culturelles ou religieuses. Par conséquent, si les expériences d'autres sociétés sont riches d'enseignements, elles soulignent également les obstacles spécifiques auxquels l'Iran est confronté dans sa lutte contre le féminicide à l'intérieur de ses frontières.
Les comparaisons entre l'Iran et d'autres pays illustrent à la fois l'universalité du problème du féminicide et la diversité des approches pour le combattre. Si chaque société possède son propre cadre culturel et juridique, le problème sous-jacent de l'emprise patriarcale est un facteur commun auquel il faut s'attaquer. Pour l'Iran, un changement significatif nécessitera probablement non seulement une réforme juridique, mais aussi un changement des attitudes sociales – une tâche que l'expérience d'autres pays suggère comme étant difficile, mais finalement réalisable avec des efforts et un soutien persistants.
Le rôle des médias et la perception du public
En Iran, les médias jouent un rôle important dans la perception qu'a le public du féminicide et de la violence fondée sur le genre. La façon dont les cas de féminicide sont présentés – ou ignorés – par les médias affecte non seulement l'opinion publique, mais aussi la probabilité d'un changement juridique et culturel. Pendant des décennies, de nombreux cas de féminicide ont été soit minimisés, soit décrits comme des affaires privées et familiales, minimisant ainsi leur impact et occultant la nécessité d'une réforme urgente. Toutefois, certains médias progressistes et journalistes indépendant·es ont cherché à attirer l'attention sur ces cas, en soulignant les problèmes systémiques qui contribuent aux féminicides et en insistant sur la nécessité d'une réponse sociétale.
Dans les médias officiels, la couverture des cas de féminicide est souvent limitée et sélective, en particulier lorsque les cas reflètent mal les normes culturelles traditionnelles ou remettent en question le cadre juridique existant. Il est peu probable que les médias contrôlés par l'État critiquent ouvertement les valeurs patriarcales ou promeuvent des réformes qui pourraient être considérées comme une remise en cause des valeurs conservatrices. Par conséquent, de nombreux cas de féminicides ne sont pas signalés ou sont présentés de manière à renforcer les stéréotypes sur le comportement « déshonorant » des victimes, suggérant subtilement que la violence était justifiée par les actions de la femme. Cette approche façonne la perception du public, ce qui permet à la société d'ignorer l'ampleur de la crise du féminicide ou de l'accepter comme un aspect malheureux mais inévitable de la vie.
Toutefois, les médias indépendants et internationaux ont joué un rôle de plus en plus important en documentant les cas de féminicide et en exposant les réalités de la violence fondée sur le genre en Iran. Ces plateformes ont fourni des rapports détaillés sur des cas individuels, exploré les facteurs sociaux et juridiques en jeu et donné la parole aux survivantes et aux familles touchées par le féminicide. Grâce à ces efforts, les médias indépendants ont réussi à susciter des conversations publiques sur le statut des femmes en Iran, en particulier parmi les jeunes générations qui sont plus susceptibles de soutenir l'égalité des sexes.
Les médias sociaux se sont également imposés comme un outil essentiel de sensibilisation au féminicide, offrant un espace où les activistes et les citoyen·nes ordinaires peuvent partager des informations, exprimer leurs opinions et organiser des campagnes. Des plateformes telles qu'Instagram, Twitter et Telegram ont permis aux défenseurs et aux défenseures des droits des femmes iraniennes de contourner les restrictions imposées par les médias contrôlés par l'État, en utilisant des hashtags, des messages viraux et des pétitions en ligne pour attirer l'attention sur les cas de féminicide. Dans des cas très médiatisés, comme le meurtre de Romina Ashrafi, l'indignation suscitée par les médias sociaux a poussé les autorités à réagir, même si ce n'est que temporairement. Si l'activisme en ligne ne remplace pas les réformes systémiques, il joue un rôle important en façonnant la perception du public, en remettant en question les récits traditionnels et en encourageant la solidarité au sein de la communauté.
Le pouvoir des médias et de la perception du public dans la lutte contre le féminicide réside non seulement dans la sensibilisation, mais aussi dans la remise en question des normes sociétales. Lorsque les médias cessent de traiter les féminicides comme des incidents isolés pour les considérer comme un problème systémique, ils obligent le public à se confronter aux inégalités structurelles qui alimentent la violence fondée sur le genre. Ce changement de discours est essentiel pour créer un climat propice aux réformes juridiques, car un public bien informé est plus enclin à soutenir les politiques qui protègent les droits des femmes.
Néanmoins, l'impact de la couverture médiatique sur la perception du public a ses limites, notamment en raison des lois strictes de l'Iran en matière de censure. Les journalistes indépendant·es et les activistes sont souvent victimes de harcèlement, de détention ou de surveillance pour avoir parlé du féminicide ou défendu les droits des femmes. Dans ce contexte, il est difficile pour les médias de couvrir les cas de féminicide de manière exhaustive ou d'explorer leurs implications plus larges. Malgré ces difficultés, la couverture médiatique reste l'un des outils les plus efficaces pour sensibiliser le public, même si les progrès sont lents et se heurtent à des résistances.
En résumé, on ne saurait trop insister sur le rôle des médias dans l'élaboration de la perception publique du féminicide en Iran. Alors que les médias d'État minimisent souvent le problème, les médias indépendants et sociaux ont fourni des récits alternatifs qui exposent les réalités de la violence fondée sur le genre. En mettant en lumière les histoires personnelles qui se cachent derrière les statistiques et en plaidant pour le changement, les médias et les activistes en ligne contribuent à favoriser la compréhension du public, ce qui pourrait éventuellement conduire à une réforme significative. La perception du public est une force puissante, et lorsqu'elle change, elle a le potentiel de remettre en question des normes culturelles de longue date et d'exiger que la société et le système juridique rendent des comptes.
Perspectives d'avenir et recommandations
La lutte contre le féminicide et la violence sexiste en Iran est profondément liée à la violation systématique des droits des femmes, profondément enracinée dans les lois islamiques qui restreignent les libertés et l'autonomie des femmes. Ces lois renforcent l'inégalité entre les sexes et maintiennent un cadre juridique qui considère les femmes comme subordonnées aux hommes, avec des droits limités en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d'héritage. Pour de nombreuses femmes en Iran, le système juridique n'est pas une source de protection, mais plutôt un mécanisme de contrôle et d'oppression.
Les restrictions juridiques iraniennes vont au-delà des droits individuels et limitent également fortement la capacité des militantes à s'organiser et à plaider en faveur du changement. La création d'une association, d'une organisation ou d'un parti spécifiquement dédié aux droits des femmes est quasiment impossible en Iran en raison du contrôle strict de l'État et de la crainte de la répression. Les organisations indépendantes de défense des droits des femmes sont souvent considérées comme des menaces pour la sécurité nationale, et les militant·es sont surveillé·es, détenu·es, voire emprisonnés·e pour avoir tenté de lutter contre la violence sexiste ou d'autres injustices sociales. Ce climat de répression empêche les femmes de défendre leurs droits et étouffe les mouvements collectifs qui pourraient apporter des changements sociaux et législatifs.
Compte tenu de ces restrictions importantes et de l'environnement hostile aux militant·es des droits des femmes en Iran, le besoin d'un soutien féministe international est urgent. Le mouvement féministe iranien et les militantes des droits des femmes pourraient bénéficier de la solidarité et du soutien de la communauté féministe mondiale. Les organisations internationales peuvent contribuer à faire connaître les réalités de l'oppression des femmes en Iran, à amplifier la voix des militantes iraniennes et à leur offrir des tribunes où elles peuvent s'exprimer librement. Ce soutien mondial peut exercer une pression internationale sur les autorités iraniennes, les incitant à respecter les droits des êtres humains et à mettre fin à la persécution des défenseur·es des droits des femmes.
Les réseaux féministes internationaux peuvent également fournir des ressources, des formations et des financements pour aider à soutenir le mouvement féministe iranien. Ces ressources pourraient inclure des canaux de communication sûrs, une formation à la sécurité numérique pour protéger la vie privée des militant·es, et un soutien juridique pour celles et ceux qui risquent d'être poursuivis. Grâce à des partenariats, les organisations internationales peuvent renforcer la résilience des militant·es iranien·nes et leur donner les moyens de poursuivre leur travail malgré la répression gouvernementale. Dans un contexte où les efforts locaux sont constamment entravés, le soutien international offre des bouées de sauvetage essentielles et montre aux militant·es qu'elles et ils ne sont pas isolé·es dans leur lutte pour la justice.
En outre, le soutien féministe international peut jouer un rôle en faisant pression sur les dirigeants mondiaux pour qu'ils abordent les violations des droits des femmes commises par l'Iran dans des contextes diplomatiques. Les appels à inclure des conditions relatives aux droits des êtres humains dans les accords commerciaux, les résolutions des organismes internationaux et les déclarations publiques des gouvernements étrangers peuvent tous signaler au régime iranien que le traitement qu'il réserve aux femmes et aux militant·es est inacceptable sur la scène mondiale. Cette forme de pression, associée à la voix des féministes iraniennes, peut amplifier les demandes de changement et obliger l'Iran à rendre compte de ses violations systématiques des droits des femmes.
Le soutien de la communauté féministe internationale n'est pas seulement une question de solidarité ; c'est une action nécessaire pour aider les femmes iraniennes à remettre en question les structures oppressives qui régissent leur vie. En reconnaissant le courage des femmes iraniennes et en amplifiant leurs revendications, le mouvement féministe mondial peut contribuer à démanteler l'isolement imposé par la censure, à soutenir les militantes qui courent de graves risques et à promouvoir un avenir où les femmes iraniennes pourront aspirer à la justice, à l'égalité et à la liberté. La résilience du mouvement féministe iranien, en dépit d'obstacles écrasants, témoigne de l'esprit inflexible de ces militantes. Avec le soutien de la communauté internationale, on peut espérer un avenir où les droits des femmes en Iran ne seront plus systématiquement violés, mais protégés, respectés et célébrés.
Siyavash Shahabi, 18 novembre 2024
https://firenexttime.net/fighting-femicide-activism-and-advocacy-in-iran/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Faire du consentement libre et éclairé à l’acte sexuel la norme

La confrontation de la loi pénale à la pratique est toujours éclairante comme le montre la loi pénale actuelle relative au viol et aux agressions sexuelles qui restreint de façon excessive les possibilités de caractériser ces infractions et engendre une multitude d'impasses pour les personnes plaignantes leur faisant vivre un parcours judiciaire particulièrement pénible.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Au niveau européen et international, la France est régulièrement critiquée pour son haut niveau d'impunité, que révèle le très faible nombre de condamnations. Alors qu'un vaste mouvement au sein de l'Union européenne a visé à mieux lutter contre les violences à l'encontre des femmes, les négociations relatives à la directive européenne sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique [1] ont offert une fenêtre d'opportunité. La France a toutefois pesé de tout son poids pour que ce texte important soit amputé de la définition commune du viol. Cette directive rappelle pourtant que, contrairement à une idée répandue, légiférer sur le viol n'est nullement légiférer sur la sexualité mais bien sur une violence [2]. En effet, le viol est par essence un crime de pouvoir et de contrôle. C'est la raison pour laquelle les situations d'inégalités, structurelles ou interpersonnelles, en favorisent la commission. L'examen des textes relatifs au viol et aux agressions sexuelles révèle l'ampleur de leurs lacunes. Les propositions d'amélioration des textes doivent dès lors être éclairées par la pratique du traitement judiciaire de ces infractions tout en préservant le respect des droits fondamentaux.
Le constat : les lacunes du droit positif
Le viol [3], infraction de l'intime par nature, est au cœur des interrogations actuelles relatives aux contours de la notion de consentement.
Le consentement est partout sauf dans la définition pénale
L'incrimination de viol, prévue à l'article 222-23 du code pénal, fait du défaut de consentement « le pivot de l'incrimination, permettant d'appréhender tous les agissements portant atteinte à la dignité humaine » [4]. Selon ce texte, le viol est « tout acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par l'usage, par l'auteur, de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise ». Il omet de nommer et de définir le consentement.
C'est donc un curieux paradoxe que cette incrimination du viol toute entière tournée vers le défaut de consentement de la victime, l'occulte soigneusement. Cette définition a pour corollaire que, faute de rapporter la preuve de la violence, menace, contrainte ou surprise, le viol n'est pas constitué. Or, peut-on réellement penser que ces quatre éléments couvrent toute la palette des défauts de consentement à un acte sexuel par une personne ? La réponse est assurément négative.
D'ailleurs, les statistiques sont sans appel : on évalue à environ 220 000 le nombre annuel de victimes de viols, de tentatives de viol et d'attouchements sexuels parmi les personnes âgées de 18 à 75 ans, ce qui correspond à environ 80 000 viols par an [5]. Seule une victime sur douze porte plainte, soit environ 12 000 plaintes annuelles, dont les deux tiers sont classés sans suite, et il y a autour de 1 500 condamnations par an en cours d'assises [6]. Le hiatus entre le nombre de plaintes et le nombre de condamnations est vertigineux et doit nécessairement interroger sur l'impact de la définition du viol dans ce traitement judiciaire, sans prétendre que l'incrimination en soit la cause exclusive mais sans nier non plus qu'elle en est indéniablement une des causes comme le révèlent de nombreuses affaires récentes [7].
L'absence d'harmonisation par la Cour de cassation
Un des points les plus problématiques est sans doute le caractère purement prétorien de l'appréciation du consentement [8] et partant, la disparité qui en résulte. À titre d'illustration, l'examen croisé des arrêts du 6 août 2014, n°14-83.538 et du 29 mars 2017, n°17-80.237 révèle que, dans ces deux affaires dans lesquelles la chambre criminelle de la Cour de cassation examinait les arrêts de cours d'appel (chambre de l'instruction) et par là, les ordonnances de règlement, l'une est confirmée, l'autre infirmée. Pourtant ces affaires sont comparables, en ce que les parties étaient des conjoints ou concubins, que la procédure a mis au jour un contexte de violences conjugales et une vie sexuelle présentée comme « habituellement violente », que l'instruction a révélé que les rapports sexuels suivaient immédiatement des faits de violences physique et psychologique. Faute de définition légale du consentement, la Cour de cassation s'interdit d'harmoniser la jurisprudence des juridictions inférieures en faisant du défaut de consentement une simple « question de fait appréciée souverainement par les juges du fond ». Cette disparité ne saurait satisfaire les grands principes qui gouvernent le droit pénal.
Les évolutions nécessaires de la législation pénale
Pour que le consentement devienne la norme, exprimée par le législateur, il faut que l'absence de consentement soit consacrée comme un élément constitutif du viol et des agressions sexuelles. La loi ayant une fonction expressive, poser ce principe aurait une valeur symbolique forte.
Le changement de paradigme
Toutefois, ajouter les termes « non consenti » dans la section ouverte par l'article 222-22 du code pénal ne serait que de pure forme si les caractéristiques d'un consentement valable ne sont pas définies par la loi. Cela ne saurait suffire pour susciter le changement de paradigme nécessaire pour un traitement judiciaire à la hauteur de l'enjeu.
Pour être compris de toutes et tous, la loi pénale doit poser que tout acte sexuel doit être précédé et accompagné d'un consentement librement donné, et que la personne à l'initiative de l'acte ou de la demande d'acte doit vérifier que son ou sa partenaire est d'accord. Ainsi, pour donner une réelle efficacité à ce principe, il est fondamental de définir le consentement à l'acte sexuel, comme un accord volontaire, lucide et libre de toute coercition. L'article inaugural de la section devrait lui être dédié, en précisant que le consentement doit être concomitant à l'acte sexuel et peut être retiré à tout moment avant ou pendant celui-ci.
Les modalités d'expression et de vérification du consentement
Les modalités d'expression et de vérification du consentement devraient aussi être envisagées : contrairement à l'adage « qui ne dit mot consent », le consentement ne se déduit pas de la simple absence de résistance verbale ou physique de la victime. Toute personne doit prendre les mesures raisonnables pour s'assurer de l'accord volontaire et explicite de son ou sa partenaire. Ainsi, nul ne pourra plus alléguer avoir cru que son ou sa partenaire était d'accord s'il ne s'en est pas soucié et ne l'a pas vérifié.
En outre, la validité du consentement doit être appréciée au regard des circonstances et notamment des relations de domination ou d'autorité entre les partenaires. Il conviendrait de rappeler qu'il ne peut y avoir de consentement lorsque l'acte à caractère sexuel a été commis en abusant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l'influence de substances chimiques modifiant l'état de conscience (alcool, stupéfiants, médicaments…), à une situation économique ou administrative créant de la précarité. La situation de handicap doit également être prise en compte. Les associations de défense des droits des femmes porteuses de handicap avancent que près de 100% d'entre elles ont subi des violences sexuelles au cours de leur vie.
Enfin, en tout état de cause, il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel a été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ni lorsqu'il a été commis au préjudice d'une personne inconsciente ou endormie [9].
Une évolution respectueuse des droits fondamentaux
Une telle évolution législative permettrait de mettre le droit interne en conformité avec les instruments internationaux contraignants ratifiés par la France.
L'impératif de se conformer aux standards internationaux
La Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul [10], prévoit à l'article 36 qu'en matière de viol, « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ». Le GREVIO [11], comité en charge du suivi du respect de la Convention par les États parties, a pointé dans son rapport relatif à la France les lacunes de la législation française relative au crime de viol [12] du fait de l'absence d'intégration de la notion de libre consentement. En 2023, ce sont les Nations unies qui ont estimé que la définition pénale du viol « limite les possibilités de condamnation et rend difficile le parcours des plaignantes et des plaignants » et demandé à la France de « modifier le code pénal de manière que la définition du viol soit fondée sur l'absence de consentement, couvre tout acte sexuel non consenti et tienne compte de toutes les circonstances coercitives, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains » [13].
L'absence de renversement de la charge de la preuve
Contrairement à ce qui est parfois énoncé, aucun renversement de la charge de la preuve ne serait à l'œuvre. Il appartiendrait toujours au juge d'instruction et à l'accusation, au cours ou à l'issue d'une information judiciaire « à charge et à décharge », de présenter les charges [14], au sens du texte, qui font que selon elle, la personne mise en cause n'a pas mis en œuvre les mesures raisonnables pour vérifier le consentement de son ou sa partenaire, ou a obtenu un consentement dans un contexte où il ne peut être tenu pour valable, ou a fait usage de violence, menace, contrainte ou surprise.
Il y aurait en revanche un déplacement du centre de gravité de l'enquête. Au lieu de rechercher la crédibilité ou non de la plaignante, de chercher si elle s'est débattue ou quels vêtements elle portait, les enquêteurs, procureurs et juges d'instruction s'intéresseraient en premier lieu à la personne à l'initiative de l'acte sexuel : comment s'est-elle assurée du consentement de son ou sa partenaire, et si le contexte ou les circonstances étaient défavorables, quelles mesures raisonnables a-t-elle mis en œuvre pour s'assurer de la validité du consentement.
En outre, le comportement sexuel passé de la plaignante serait sans incidence, si son examen n'est pas strictement nécessaire à la solution de l'affaire en débat [15].
Le respect de la présomption d'innocence et des droits de la défense
Comme dans les autres démocraties qui ont introduit ce changement de paradigme, une telle réforme ne constitue en rien une atteinte à la présomption d'innocence. Elle ne créerait aucune « présomption irréfragable de culpabilité » et s'inscrirait dans le cadre défini par le Conseil constitutionnel [16]. Par ailleurs, si l'instruction puis l'accusation ne présentaient pas de charges suffisantes à même d'entraîner « l'intime conviction » des juges et de balayer le doute, la personne mise en cause ne pourrait être condamnée. Les droits de la défense pourraient même se trouver raffermis du fait de ces dispositions nouvelles. Elles obligeraient en effet les juridictions à davantage de motivation sur « les éléments à décharge », présentant l'avantage de transformer des éléments actuellement vus comme « du fait » en « droit » et donc, autorisant un nouvel examen par la juridiction suprême.
Une telle modification répondrait également aux préoccupations de certaines associations. Le « devoir conjugal », pas plus que les contrats relatifs à la pornographie ou à la prostitution ne saurait assoir le consentement du seul fait de la signature d'un contrat. Le consentement devrait être examiné conformément au texte nouveau, nonobstant le contrat. Cette modification ouvrirait donc des portes actuellement fermées, et permettrait l'examen de situations qui sont actuellement exclues d'une réflexion sur le consentement.
Conclusion
Dans les États engagés en faveur des droits des femmes, un mouvement d'ampleur est à l'œuvre : la notion de consentement s'inscrit au cœur de la définition du viol et des agressions sexuelles. Dans ces États qui font de l'État de droit la clé de voûte de leur système juridique et du fonctionnement de leurs institutions, la modification de leur législation n'a induit aucun recul de l'exigence de respecter les droits fondamentaux.
En revanche, elle a induit un fort recul de l'impunité des violeurs et agresseurs. En Suède, le changement de la définition légale du viol a conduit à une augmentation de 75% des condamnations. C'est sûrement à cette aune que peuvent s'entendre les résistances liées à la crainte d'un afflux de plaintes et à la difficulté d'allouer les moyens pour les traiter.
Il y a donc là un choix de société. D'autant plus que par ce changement de paradigme, c'est un changement culturel qui pourrait être rendu possible en France : celui d'une remise en cause des stéréotypes de genre et des violences sexuelles.
Notes
[1] – . Le projet de directive a été approuvé par le Parlement européen le 24 avr. 2024, puis adopté par le Conseil de l'Union européenne.
[2] – La directive indique « la violence à l'égard des femmes et la violence domestique constituent une violation des droits fondamentaux ». Elle souligne que « certaines infractions pénales en droit national relèvent de la définition de violence à l'égard des femmes. Il s'agit notamment d'infractions telles que les féminicides, le viol, le harcèlement sexuel, l'abus sexuel ».
[3] – La présente réflexion sur le consentement abordera uniquement les situations qui ne sont pas couvertes par le champ de la loi du 21 avr. 2021 à savoir, les viols entre deux personnes majeures, les viols entre deux personnes mineures et les viols entre un majeur et un mineur âgé de 15 à 18 ans, hors hypothèse d'inceste et de prostitution
[4] – D. Mayer, Le nouvel éclairage donné au viol par la réforme du 23 décembre 1980, D. 1981. 284.
[5] – Analyse viols, tentatives de viols et attouchements sexuels, Interstats, déc. 2017, n°18.
[6] – INSEE – Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, Enquête Cadre de vie et sécurité, 2010-2015 ; Chiffres des données 2022. Les condamnations, Ministère de la Justice, p.10, 1 542 condamnations pour viols en 2022.
[7] – Par ex., Versailles, 14 déc. 2016 ; Paris, 24 janv. 2023 ; Paris, 7 déc. 2023
[8] – Exclu des éléments constitutifs de l'infraction, le défaut de consentement est pourtant au cœur de tous les débats, de toutes les décisions de justice, depuis l'arrêt Dubas de 1857.
[9] – Depuis l'arrêt Dubas de 1857, la jurisprudence reconnaît qu'une personne endormie n'est pas en état de consentir.
[10] – La Convention d'Istanbul a été signée en 2011 par la France, puis ratifiée en 2014. Il s'agit d'un instrument contraignant qui a une valeur supralégislative le consentement libre et éclairé figure dans cette convention qui a force obligatoire en France depuis 2014.
[11] – Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
[12] – Rapport GREVIO relatif à la France, 2019, p.61, n°192.
[13] – Comité des Nations Unies sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Observations finales concernant le neuvième rapport périodique de la France, oct. 2023
[14] – Il convient de rappeler ici que du fait même de leur nature essentiellement occulte, mais également du fait de la tardiveté des dépôts de plainte, la preuve des agressions sexuelles et des viols n'a jamais été traitée uniquement sous son aspect purement matériel mais bien davantage selon la technique du « faisceau d'indices concordants »
[15] – CEDH 27 mai 2021, J.L. c/ Italie, n° 5671/16, AJ pénal 2022. 200, note J. Portier ; RTD civ. 2021 853, obs. J.-P. Marguénaud.
[16] – Cons. const. 21 juill. 2023, n° 2023-1058 QPC, D. 2023. 1624, note E. Dreyer ; AJ fam. 2023. 423, obs. L. Mary ; AJ pénal 2023. 459, obs. C. de Waël ; RSC 2023. 785, obs. Y. Mayaud.
Audrey Darsonville, Magali Lafourcade, François Lavallière, Catherine Le Magueresse et Élodie Tuaillon-Hibon
Publié dans le Courrier N° 437 de la Marche Mondiale des Femmes
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Les femmes victimes de violences multiples lors de guerres ou conflits armés

Les conflits et les guerres sont les principaux facteurs à l'origine de la montée de la violence à l'égard des femmes dans le monde.
Tiré de Entre les lignes et les mots
À chaque fois qu'une guerre éclate, les femmes paient le prix fort, en étant confrontées à diverses formes de discrimination, de persécution, de violences physiques et psychologiques, et à d'autres méthodes écrit l'agence kurde Hawar (ANHA) basée au Rojava / Syrie du Nord et d'Est, à la veille de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes célébré le 25 novembre.
Voici la suite de l'article d'ANHA traitant de la situation des femmes dans les guerres ou les conflits armés :
Le monde d'aujourd'hui apparaît comme une boule de rage faite de conflits sans fin, oscillant entre guerres, conflits et crises climatiques croissantes avec la montée de forces autoritaires hostiles à la démocratie, ce qui renforce les formes de violence et de discrimination à l'égard des femmes et fait d'elles les plus touchées par ces conflits.
À l'approche de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, les médias confirment que les femmes du monde entier paient le prix le plus élevé des guerres et des conflits en cours, de la violence aux agressions sexuelles en passant par les déplacements et les pertes ; avec pour résultat un impact aggravé sur leur santé mentale et physique, qui sont tous utilisés comme des outils entre les mains des parties en conflit.
Selon un rapport récent de l'Organisation mondiale de la santé, une femme sur trois dans le monde est victime de violences, notamment de persécutions et de sévices physiques, ce qui constitue une violation des droits humains fondamentaux.
Les femmes syriennes et les longues années de guerre
Depuis le déclenchement de la crise le 15 mars 2011 et jusqu'à aujourd'hui, les femmes syriennes sont confrontées aux effets de la guerre en cours, notamment les déplacements, les meurtres, les destructions et les crimes au nom de « l'honneur », en plus de leurs efforts pour se libérer d'autres formes de violence pratiquées à leur encontre, telles que l'exclusion, la marginalisation et l'exclusion des centres de décision.
Il n'existe pas de statistiques précises sur le taux de violence pratiquée contre les femmes en Syrie sous le contrôle de différentes forces sur le territoire syrien, mais le Réseau syrien des droits de l'homme a confirmé dans un rapport publié en mars 2024 qu'il avait documenté le meurtre d'environ 16 442 femmes de mars 2011 à mars 2024.
Selon le rapport, pas moins de 10 205 femmes sont toujours arrêtées ou victimes de disparition forcée par les parties au conflit. Le gouvernement de Damas est responsable d'environ 83% des cas d'arrestation et de disparition forcée.
Les femmes en Iran et au Kurdistan oriental et la violence du système patriarcal
Le soulèvement des femmes en Iran et au Kurdistan oriental n'était rien d'autre qu'une réponse à des décennies de restrictions imposées aux femmes par le système patriarcal, alors que les autorités iraniennes continuent de priver les femmes de la liberté de choisir leurs vêtements et continuent d'opprimer quiconque se met en travers de leur système patriarcal.
Les campagnes de violence contre les femmes se sont considérablement intensifiées après le soulèvement, les autorités iraniennes ayant eu recours à diverses méthodes pour exercer leur contrôle sur les femmes, que ce soit en intensifiant les campagnes d'arrestations à leur encontre ou en imposant la peine de mort à de nombreuses militantes, comme la défenseuse des droits humains Sharifeh Mohammadi et la militante de la société civile et journaliste kurde Bakhshan Azizi.
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Contre les violences faites aux femmes, mobilisation générale !

Le 23 et le 25 novembre, des manifestations ont lieu partout en France à l'occasion de la journée internationale contre les violences faites aux femmes et aux minoriséEs de genre. Soyons des centaines de milliers !
Photo et article tirés de NPA 29
Il y a viol, et viol, et viol, et viol…
La sororité et la colère qui se sont exprimées depuis le début du procès de Mazan, par des rassemblements ou sur les réseaux sociaux, nous rappellent à quel point les violences s'exercent massivement, qu'elles traversent toutes les classes mais sont toujours commises par des hommes.
Elles sont le fruit de la culture du viol, qui autorise les hommes à disposer des corps des femmes et qui renverse la culpabilité sur les victimes. Les violences ne sont pas des phénomènes isolés, elles font système dans la société capitaliste et patriarcale. La honte doit changer de camp !
Dans le monde, 1 femme sur 3 a été victime de violence et 50 000 femmes sont victimes de féminicides, tuées par leur (ex-)conjoint chaque année : nous ne voulons plus compter nos mortes ! En France, 217 000 sont victimes de viol ou de tentatives de viol tous les ans et 55% d'entre elles ont subi une forme de violence sexiste et sexuelle au travail. De plus, la domination patriarcale est souvent au croisement d'autres systèmes de domination et s'exerce donc particulièrement pour les femmes racisées, trans, lesbiennes, bi, en situation de handicap…
Les femmes et les minoriséEs de genre sont aussi en première ligne des mesures de casse sociale, accélérant l'exploitation et la précarisation, les exposant davantage aux violences. Cela ne va pas s'arranger avec le gouvernement Barnier, toujours plus raciste et austéritaire, ou les 180 plans de licenciements recensés en octobre par la CGT.
Nous revendiquons notamment cette année la loi intégrale élaborée par 53 organisations féministes, proposant plus de 130 mesures contre les violences chiffrées à 2,6 milliards d'euros par an.
Solidarité avec les femmes du monde entier
A l'internationale, la réélection de Trump fait craindre de nouvelles attaques contre les droits des femmes. Alors que les mouvements masculinistes se renforcent, les idées de Trump, son programme ultra libéral, raciste, lgbtiphobe, sexiste, ne fera que renforcer les violences.
À Gaza, après plus d'un an de massacre, 70% des victimes sont des femmes et des enfants. Les déplacements de masse ont des conséquences accrues sur la santé des femmes (plus de protections menstruelles, accouchements non sécurisés). Les hôpitaux, s'ils ne sont pas directement bombardés, sont débordés par les mortEs et les blésséEs. Ce 25 novembre sera encore une fois l'occasion de dire stop à cette guerre génocidaire menée contre le peuple palestinien, où la violence déferle particulièrement contre les femmes.
Dans toute guerre, les violences sexuelles sont utilisées comme des armes de guerre et les violences faites aux femmes sont systématiquement amplifiées. C'est aussi le cas en Ukraine où de nombreux témoignages relatent des viols organisés. Face à l'invasion par la Russie, les femmes s'organisent : construction de la solidarité par en bas (soutien aux soldatEs et aux réfugiéEs, organisation de structures d'accueil, lutte pour le droit à l'avortement), écriture d'un manifeste, implication dans la résistance.
Dans ce contexte de guerre, de montée de l'extrême droite et du racisme, nous devons continuer sans relâche de montrer notre solidarité avec toutes les femmes qui subissent les violences, d'où qu'elles viennent et où qu'elles soient.
Dans la rue le 23 et le 25 novembre !
Les violences ne sont pas une fatalité : sortons dans la rue pour stopper les violences, pour nos droits, pour exprimer notre solidarité envers Gisèle Pélicot et toutes les victimes ! Organisons-nous pour mettre fin à ce système patriarcal et capitaliste !
19 novembre 2024
https://npa-lanticapitaliste.org/
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Pouvoir d’achat, santé, égalité… ce que veulent les femmes

Une femme sur deux (contre 46% des hommes) – et surtout 63% des ouvrières, 56% des salariées du privé et 57% des familles monoparentales – mettent le pouvoir d'achat dans les trois sujets qui les préoccupent le plus (c'est même la priorité n°1 pour un quart des femmes). C'est ce qui ressort d'une étude rédigée par Amandine Clavaud de la Fondation Jean Jaurès et Laurence Rossignol de l'Assemblée des femmes sur les perceptions et attentes en matière de politique et de féminisme à partir d'une enquête réalisée par l'Ipsos auprès de 11 000 personnes, publiée le 11 octobre 2024.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ce résultat s'explique bien sûr par les effets de l'inflation, mais plus généralement par les réalités économiques et sociales des femmes « en miroir des inégalités professionnelles et salariales » qu'elles subissent. Rappelons que la dernière étude disponible de l'Insee établit à 23,5% l'écart de revenus entre les femmes et les hommes et que 59,3% des smicards sont des smicardes.
L'étude montre que des attentes vis-à-vis du gouvernement en matière d'égalité professionnelle sont plus fortes parmi les moins diplômées. Si les femmes cadres semblent plus satisfaites des mesures adoptées dans ce domaine – la sociologue Sophie Pochic parle « d'une égalité élitiste » –, ce n'est pas le cas pour celles qui perçoivent de bas salaires et qui sont dans une forte précarité. Les mères isolées sont à ce titre tout particulièrement concernées car elles sont davantage exposées à la pauvreté, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner dans une autre chronique.
A la différence des hommes qui placent la question de l'insécurité en second, la santé est la priorité n°2 des femmes (35% des femmes le placent dans les sujets les plus préoccupants, contre 29% des hommes), ce qui correspond en partie aux résultats du rapport annuel duConseil économique, social et environnemental(Cése). La préoccupation pour la santé augmente avec le fait de vivre en zone rurale (39%).
Selon les autrices de l'étude, « les femmes sont les premières à être confrontées aux manquements de notre systèmes de soins ». Outre le manque de professionnels de santé dans certains territoires, l'enquête fait référence aux nombreuses fermetures de maternités, notamment de proximité, et aux difficultés d'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans certains départements, notamment en zone rurale.
L'accès à la santé touche également davantage les femmes plus âgées (c'est une priorité pour 38% des femmes de plus de 60 ans). Le vieillissement, les questions de dépendance, de maladie et d'isolement concernent en effet tout particulièrement les femmes qui sont elles aussi plus souvent pauvres et précaires, avec des pensions de retraite bien inférieures à celles des hommes.
Parmi l'ensemble des femmes, 86% (contre 84% des hommes) sont favorables au renforcement du système de santé dans les petites villes, « même si cela peut conduire à une hausse des impôts ».
Féministe, oui mais…
Neuf personnes interrogées sur dix soutiennent l'égalité femmes-hommes. Même si seulement six sur dix se disent féministes, il y a une progression de dix points par rapport à une enquête similaire, réalisée dix ans auparavant. En lien avec l'effet du mouvement #Metoo, on assiste à une prise de conscience collective des enjeux féministes.
Bien sûr, les femmes sont toujours plus nombreuses à être favorables à l'égalité et à vouloir aller plus loin (91% d'entre elles et 85% des hommes). Mais elles sont nettement moins nombreuses à se déclarer féministes (64% pour 58% des hommes).
Ce terme ne fait toujours pas l'unanimité. Et c'est du côté des hommes que les réticences, voire l'hostilité, est la plus grande : 15% des hommes refusent d'aller plus loin sur l'égalité et ils sont tout de même 42% à rejeter le féminisme…
Les femmes se déclarant féministes sont particulièrement jeunes (75% des 18-24 ans) et diplômées (73% des bac+5). Elles votent également plus souvent à gauche (81% des femmes à gauche se déclarent féministes pour 56% de celles à droite).
On assiste à un « modern gender gap » (le fait que les jeunes femmes soient plus progressistes que les jeunes hommes) qui se repère dans la forte propension des jeunes femmes à voter à gauche et à se déclarer féministes, comparées aux jeunes hommes pour lesquels les thèses masculinistes font leur chemin : les jeunes hommes sont les moins favorables à aller plus loin vers l'égalité (moins que les hommes de 60 ans et plus). Parmi eux, on assiste à une polarisation entre ceux totalement favorables à la cause féministe (15%) mais aussi ceux qui y sont radicalement opposés (15% également).
Ces résultats confirment les données fournies par le baromètre annuel sur le sexisme du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes : 22% des jeunes hommes de 15-24 ans et 25% de 25-34 ans pensent « qu'il faut parfois être violent pour se faire respecter dans la société » ou encore pour 39% d'entre eux, « le féminisme menace la place des hommes dans la société ».
Ce « modern gender gap » parmi les jeunes générations se repère aujourd'hui même aux Etats-Unis, où le clivage – entre jeunes hommes votant pour Donald Trump et jeunes femmes pour Kamala Harris – semble se confirmer.
Priorité à la lutte contre les violences et à l'égalité professionnelle
Parmi les actions attendues du gouvernement figurent loin devant les questions de violences : la lutte contre le harcèlement scolaire (93% des femmes), le harcèlement de rue (91% des femmes) et les violences sexistes et sexuelles (89% d'entre elles, soit 5 points de plus que les hommes). Vient ensuite la lutte contre les inégalités professionnelles, les salaires notamment, mais également le sort des familles monoparentales et dans une moindre mesure la question de l'accès des femmes aux postes à responsabilité.
Certes, la lutte contre toutes les violences sexistes et sexuelles est une priorité reconnue indépendamment du genre, et quelle que soit la couleur politique du vote, mais la question des inégalités professionnelles est davantage portée par les femmes et par les courants politiques de gauche.
On le sait, les femmes votent davantage pour l'extrême droite qu'auparavant. Aux dernières élections législatives, deux blocs se sont en réalité dégagés parmi les femmes : 31,5% d'entre elles ont voté pour l'ensemble des partis de gauche et également 31,5% ont mis leur bulletin dans l'urne pour les partis d'extrême droite (c'est le cas de 36,5% des hommes).
Cette étude révèle que ce sont les électeurs et électrices votant à l'extrême droite qui sont le plus hostiles à l'égalité et au féminisme : parmi les 39% de personnes qui affichent ne pas être féministes, 57% ont voté Les Républicains, 51,4%, Reconquête ! et 48,5% pour le Rassemblement national (RN). A l'inverse, 76% des personnes votant à gauche se déclarent féministes (soit 14 points de plus que l'ensemble).
La religion joue également un rôle : si 61% de l'ensemble se déclare féministe, c'est le cas de 65% des personnes sans religion mais seulement de 55% des personnes de confession protestante, 54% catholique, 47% juive et 46% musulmane.
Mais lorsque l'on demande quels sont les partis politiques les plus engagés sur les droits les femmes, 45% des femmes et 35% des hommes pensent qu'aucun parti n'est vraiment engagé sur cette cause…Certes, 30% (28% des femmes et 32% des hommes) pensent que les partis de gauche sont les plus crédibles, mais 15% ont tout de même retenu le RN… Le travail de dédiabolisation de ce parti fonctionne, y compris sur le chapitre des droits des femmes, malgré toutes les dénonciations qui ont pu être formulées, ici même…
Rachel Silvera
Maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre
https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/pouvoir-dachat-sante-egalite-veulent-femmes/00112985
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Les femmes et les jeunes filles africaines mourront des suites d’avortements pratiqués dans des conditions dangereuses à cause de la victoire de Trump

Trump a enhardi les groupes anti-droits dans le monde entier. Les femmes africaines en pâtiront
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/11/les-femmes-et-les-jeunes-filles-africaines-mourront-des-suites-davortements-pratiques-dans-des-conditions-dangereuses-a-cause-de-la-victoire-de-trump/?jetpack_skip_subscription_popup
La présidence de Trump semble déjà devoir avoir un effet catastrophique sur la santé et les droits sexuels et reproductifs sur le continent africain. Je travaille en tant que spécialiste de la santé reproductive et du genre en Ouganda et nous ressentons encore les impacts de la dernière présidence de Trump. Il ne fait aucun doute que les femmes et les filles africaines du continent s'inquiètent de l'impact de la seconde présidence de Trump sur leur santé et leur vie.
Au cours de son dernier mandat, nous avons assisté à l'enhardissement des forces anti-droits, anti-genre et anti-démocratiques, tandis que les valeurs de la droite chrétienne étaient utilisées comme arme contre les minorités. Ce phénomène s'est propagé bien au-delà des frontières du pays. Avec la dernière victoire électorale de M. Trump, les groupes qui l'ont soutenu dans sa course au pouvoir se sentiront probablement encore plus enhardis.
L'administration Trump a tenté de créer des cadres internationaux de droits des êtres humains totalement alternatifs, comme la Déclaration du consensus de Genève – qui, contrairement à son titre, n'est pas un document obtenu par consensus et n'a rien à voir avec Genève. Elle a en fait été élaborée et lancée avec la signature de 34 pays, dont beaucoup sont des États peu respectueux des droits des êtres humains, notamment l'Ouganda et le Kenya. Le GCD cherche à remettre en question l'existence d'un droit international à l'avortement et les progrès réalisés en matière de recherche et de développement au cours de la dernière décennie pour rendre les avortements sûrs accessibles dans le monde entier.
Cette politique a depuis enhardi les États qui l'ont signée à réprimer l'accès à l'avortement avec une notoriété croissante, puisque les signataires de cette politique sont désormais au nombre de 39, le Tchad et le Burundi étant les derniers venus.
M. Trump entretient également des relations avec des personnes telles que son allié de longue date Viktor Orban, le premier ministre hongrois, ainsi que Michael Pompeo et Valerie Huber, cette dernière étant l'un des architectes de la coalition anti-femmes de la déclaration du consensus de Genève.
Ces mêmes acteurs ont joué un rôle dans l'élaboration du Projet 2025 – le plan conservateur de 900 pages pour la prochaine présidence républicaine, produit par la fondation de droite Heritage Foundation et ses partenaires de coalition. Le projet 2025 vise, entre autres, à limiter l'accès à la mifépristone, le médicament utilisé pour l'avortement. Il préconise le rétablissement de la « règle du bâillon mondial » élargie de 2017, qui interdit aux ONG étrangères recevant un financement des États-Unis de fournir des services d'avortement. Les défenseur·es des droits génésiques ont indiqué que le projet 2025 est sur le point de constituer la plus grande menace de notre époque pour la santé et les droits génésiques.
En pratique, cela signifie que les Africaines peuvent s'attendre à voir augmenter le nombre de décès et de blessures dus à des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses, ainsi que des lois et des politiques similaires mises en œuvre dans leurs pays en raison de l'agenda populiste de leurs dirigeants politiques. Nous verrons davantage de femmes et de jeunes filles mourir ou souffrir de blessures invalidantes à la suite d'avortements pratiqués dans des conditions dangereuses parce que les organisations qui fournissent ces services verront les robinets de leurs ressources fermés.
Il est important de noter que bon nombre de nos budgets de services sociaux en Ouganda et dans d'autres États subsahariens sont complétés par une aide financière étrangère. Une administration américaine indifférente aux besoins des populations africaines, associée à des réformes politiques néfastes, aura un impact catastrophique. Les Ougandais·es dépendent de ces acteurs pour des services de santé vitaux, et elles et ils risquent de souffrir, voire de mourir, si aucune mesure compensatrice n'est mise en place.
En outre, au cours de sa dernière présidence, les juges triés sur le volet par Trump, Brett Kavanaugh et Amy Coney Brett, ont renversé l'arrêt Roe v Wade. Cela a encore renforcé le mouvement anti-droit en Afrique pour lutter contre tout programme juridique, politique et de prestation de services visant à élargir l'accès à l'avortement.
Par exemple, une haute cour du Kenya a rendu un jugement progressiste en mars 2022 en s'appuyant sur la définition de Roe v Wade du droit à la vie privée en tant que partie intégrante des droits des femmes. L'abrogation de cette décision américaine historique a ouvert la voie à un appel ultérieur du jugement progressiste rendu par la Haute Cour de Malindi.
Trump, bien sûr, est également un négationniste du changement climatique, faisant des États-Unis le premier pays à se retirer de l'Accord de Paris en 2020. Mais les crises induites par le climat et la hausse des températures ont un impact disproportionné non seulement sur les Africains, mais aussi sur la santé et la vie des femmes. En tant que féministes sur le continent, nous nous attendons donc à ce que sa position politique répressive sur la santé reproductive et sur le changement climatique continue à perpétuer les décès et les blessures évitables des femmes et des filles et à les enfoncer encore plus dans la pauvreté.
Nous ne nous faisons pas d'illusions sur le fait que la victoire de Kamala aurait été une solution miracle à toutes les questions de justice en matière de genre et de procréation qui restent contestées aux États-Unis et dans le monde. Mais nous savons également que bon nombre des politiques proposées par Kamala auraient été bénéfiques pour les femmes et les filles africaines, ainsi que pour d'autres groupes structurellement marginalisés. Son parti était clair sur la nature fondamentale du droit à l'autonomie corporelle et à l'égalité devant la loi, ce qui contraste fortement avec le président entrant.
En fin de compte, la victoire de Trump rend notre travail plus difficile en tant que féministes parce que nous avons un président d'extrême droite et les ressources et structures de l'État qui, sous son contrôle incontrôlé, seront utilisées comme des armes contre les minorités aux États-Unis et au-delà. Après tout, comme nous l'avons vu, les dépenses de l'extrême droite américaine sont déjà en plein essor en Afrique.
En tant que défenseur·es des droits des êtres humains, nous devons retourner à la planche à dessin, faire le point sur les ressources, y compris nos allié·es mondiaux et nationaux existant·es, et les déployer de manière stratégique. Nous devons également maintenir les victoires durement acquises ; nous ne devons pas rester silencieuses et silencieux mais continuer à combattre la désinformation que les groupes anti-droits déploient habituellement, et surtout, nous devons puiser dans notre force collective et rester solidaires de toutes les féministes et de tous les militant·es des droits des êtres humains, que ce soit aux États-Unis, en Amérique latine ou en Afrique, et continuer à ébrécher les systèmes de destruction tels que le patriarcat, la misogynie, le fascisme, l'impérialisme avec persévérance et en prenant soin de soi et de la communauté.
Joy Asasira
https://www.opendemocracy.net/en/trump-win-us-global-africa-women-girls-abortion/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Russie : Répression des personnes qui n’ont pas d’enfant

Certaines personnes qui lisent ces lignes ont des enfants. D'autres n'en ont pas. Il y a plein de raisons qui expliquent la composition de votre famille, et franchement, ces raisons ne me regardent pas. C'est à vous de décider, pas à moi. C'est une affaire personnelle.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Et aucun gouvernement ni homme ou femme politique ne devrait nous dire, à vous ou à moi, si on devrait avoir des enfants ou non. Les autorités ne devraient pas non plus attaquer ou stigmatiser les personnes qui ont ou non des enfants.
Il s'agit là de concepts fondamentaux de liberté individuelle, de respect de la vie privée et de non-discrimination, largement compris dans le monde entier, mais apparemment pas par les autorités russes.
Un nouveau projet de loi, qui a fait l'objet d'un premier vote à la Doumad'État la semaine dernière, vise à interdire la « propagande » sur les modes de vie dits sans enfant.
Sous cette loi, une censure généralisée serait appliquée à tout ce qui suggère qu'il est acceptable de ne pas avoir d'enfant. Qu'il s'agisse d'un discours sérieux ou d'une plaisanterie, il est interdit de laisser entendre qu'il est acceptable de ne pas avoir d'enfant. L'interdiction s'appliquerait aux médias, à la publicité, à l'édition, au cinéma et à Internet. Les personnes, les organisations et les entreprises qui violeraient la nouvelle loi se verraient infliger de lourdes amendes.
Pour comprendre comment cette censure fonctionnerait dans la pratique et quels en seraient les effets, il suffit de se pencher sur l'interdiction de la « propagande gay » en Russie, qui a été formulée de la même manière. Depuis plus de dix ans, cette loi interdit toute information, représentation ou activité publique en faveur des personnes LGBT, c'est-à-dire les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transsexuels.
Pour éviter les sanctions, les éditeurs russes ont rappelé les livres dont le contenu portait sur les personnes LGBT. Les librairies et les bibliothèques ont été soumises à une pression énorme. Au début de l'année, par exemple, un tribunal de Nizhny Novgorod a condamné une chaîne de librairies à une amende de 500 000 roubles(environ 5 155 dollars) pour avoir vendu un roman décrivant des relations entre personnes de même sexe.
Les tribunaux russes infligent également de plus en plus d'amendesaux chaînes de télévision et aux services de streaming qui présentent des personnes LGBT.
Bien sûr, il ne s'agit pas seulement de la censure et des amendes en elles-mêmes. Il s'agit aussi de la stigmatisation qu'elles engendrent. En effaçant les représentations des personnes LGBT de la scène publique, la société reçoit le message que les personnes LGBT sont inacceptables. Il n'est donc pas surprenant que cette loi ait contribué à déclencher une« décennie de violence » et de crimes haineux à l'encontre des personnes LGBT en Russie.
La nouvelle proposition d'interdiction de la « propagande » sur les modes de vie dits « sans enfant » s'accompagne de problèmes et de risques similaires.
Ces deux mesures font partie de ce que les autorités russes appellent la défense des « valeurs traditionnelles » et des « valeurs familiales », mais, bien sûr, ce sont elles qui décident de ce qui est « traditionnel » et de ce qui ne l'est pas. Comme nous l'avons déjà évoqué dans le Brief du Jour, le mot « tradition » est trop souvent utilisé pour tenter de justifier les violations des droits humains.
Plutôt que d'instaurer une nouvelle vague de censure de masse et de faire d'un plus grand nombre de personnes des boucs émissaires et des cibles de la haine, les autorités russes devraient simplement laisser les gens tranquilles.
Qui vous aimez et si vous avez des enfants ou non – ces choses ne sont pas l'affaire d'un gouvernement et les autorités ne devraient pas s'en mêler.
Andrew Stroehlein
Directeur des relations médias en Europe
https://www.hrw.org/fr/news/2024/10/21/repression-des-personnes-qui-nont-pas-denfant
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L’histoire du pétrole : disséquer l’hydre à plusieurs têtes

[Compte rendu de Crude Capitalism : oil, corporate power and the making of the world market d'Adam Hanieh, Verso 2024.] Etre témoin d'un génocide peut être paralysant. L'horreur de l'offensive israélienne contre la population civile de Gaza s'infiltre dans les espaces de nos têtes, interrompant et perturbant les tentatives de réflexion.
Tiré de A l'Encontre
23 novembre 2024
Par Simon Pirani
Ma mémoire continue de faire le lien entre Gaza et la guerre du Viêt Nam, dont les nouvelles filtraient jusqu'à moi lorsque j'étais un jeune adolescent. Mon monde protégé a été ébranlé par la cruauté avec laquelle des innocents ont été massacrés et torturés, sous les ordres de gouvernements dont j'avais vaguement supposé qu'ils devaient protéger les gens. Je vois aujourd'hui des adolescents passer par des processus de réflexion analogues.
Comment se fait-il qu'un demi-siècle plus tard, la macabre « civilisation » qui frappait les villages vietnamiens ait évolué pour donner naissance au monstrueux régime de Netanyahou ? Qu'est-ce que cela nous apprend sur l'hydre à plusieurs têtes que nous combattons et sur les tentatives de l'humanité pour lui résister ?
Le livre d'Adam Hanieh, Crude Capitalism, dissèque l'une des têtes de l'hydre – le pétrole, les entreprises et les Etats qui l'utilisent pour renforcer leur richesse et leur pouvoir – et nous offre un point de vue sur le rôle qu'il joue dans l'ensemble de l'organisme, du système. Sa lecture m'a aidé à considérer l'horreur de Gaza non pas comme une aberration, mais comme l'aboutissement logique de la domination du capital au XXIe siècle.
Crude Capitalism aborde ses grands thèmes difficiles avec précision et attention aux détails. Il est magnifiquement présenté et organisé.
La première partie de l'histoire racontée par Adam Hanieh, celle de la phase initiale de croissance du pétrole, se déroule au début du XXe siècle, aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, en Iran, en Azerbaïdjan et en Amérique latine. Dans la seconde partie, à partir du milieu du XXe siècle, les ressources pétrolières du Moyen-Orient et les batailles pour leur contrôle occupent une place importante. C'est dans ce contexte que s'inscrit le déluge de crimes de guerre commis aujourd'hui contre des Palestiniens.
Les liens ne sont pas directs. Les régimes centrés sur le nettoyage ethnique brutal, comme celui de Netanyahou, sont produits par le capitalisme ; le capitalisme prospère grâce au pétrole. Mais les médiations sont multiples. L'approche de Hanieh est un antidote aux simplifications qui circulent trop souvent dans les cercles politiques radicaux.
Le contrôle physique de la production pétrolière était crucial au début du XXe siècle, mais ce n'est plus le cas depuis longtemps, affirme Hanieh.
Dans les années 1960 et 1970, dans le contexte de puissants mouvements anticolonialistes, le contrôle de la production pétrolière s'est considérablement déplacé des puissantes transnationales basées aux Etats-Unis et en Europe vers les compagnies pétrolières nationales contrôlées par l'Etat, surtout au Moyen-Orient.
Mais le capital et ses machines d'Etat se sont adaptés. Les Etats-Unis, qui, dans les années 1950 et 1960, avaient supplanté la Grande-Bretagne et la France en tant que puissance impériale dominante au Moyen-Orient, ont établi des relations stratégiques et militaires avec les Etats du Golfe et le régime du Shah en Iran (du moins, jusqu'à ce que ce dernier soit renversé en 1979). Dans les années 1970, les monarchies saoudienne et iranienne constituaient l'un des piliers de la puissance américaine dans la région, l'autre étant Israël.
La force militaire brute n'était qu'un aspect de la domination impériale. Selon Adam Hanieh, les changements intervenus dans les relations économiques et dans le système financier, qui ont permis de maintenir le contrôle sur les recettes pétrolières, ont également joué un rôle crucial.
Dans les années 1960, les gouvernements des pays producteurs de pétrole, menés par le Venezuela, avaient imposé des changements dans la fixation des prix du pétrole qui désavantageaient les puissantes compagnies états-uniennes qui avaient des intérêts dans leurs champs pétrolifères. La monarchie saoudienne exigeait elle aussi une plus grande part du gâteau. Les Etats-Unis ont réagi en modifiant leurs propres règles fiscales de sorte que, tandis que l'argent du pétrole affluait vers Riyad, les plus grandes compagnies pétrolières continuaient d'engranger des bénéfices records.
Dans les années 1970, des chocs de prix ont ébranlé le système de tarification monopolistique qui avait servi les plus grandes compagnies. L'action des pays producteurs, coordonnée par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), a retiré le contrôle des prix aux transnationales. Les prix du pétrole brut ont quadruplé en 1973-1974 et doublé à nouveau en 1979.
Dans les années 1980, un autre changement important s'est produit : le pétrole est devenu de plus en plus un produit commercialisé ; la richesse et le pouvoir ont afflué vers les sociétés intermédiaires de négoce. Les profits pétroliers, qui avaient auparavant profité principalement aux sociétés des pays riches, se sont maintenant déversés dans les Etats du Golfe en particulier.
Ces « pétrodollars », qui s'écoulaient en quantités sans précédent vers des pays extérieurs au cercle des puissances impérialistes, sont devenus un facteur important de la financiarisation (l'expansion des marchés monétaires internationaux, dopés par le commerce informatisé) et de la mondialisation (la minimisation des contrôles de capitaux et autres barrières commerciales associées à l'économie néolibérale).
Quarante ans plus tard, le flux est plus important que jamais. Les Etats du Golfe ont accumulé un excédent de compte courant estimé à deux tiers de mille milliards de dollars en 2022, lorsque, après l'invasion russe de l'Ukraine, les prix du pétrole ont grimpé en flèche.
Les « pétrodollars » sont devenus des « eurodollars », c'est-à-dire des financements libellés dans la monnaie des marchés extérieurs aux Etats-Unis. Le dollar, dont le statut de monnaie de réserve avait été menacé lors de son décrochage de l'étalon-or en 1971, a été renforcé.
Les formes de monnaie et la montée des euromarchés, la position du dollar en tant que monnaie de réserve internationale, la domination des institutions financières anglo-américaines, les chaînes de la dette et la montée de l'orthodoxie néolibérale n'étaient pas les résultats automatiques de stricts processus économiques centrés sur l'Amérique du Nord et l'Europe, mais étaient inextricablement liés à la géopolitique du pétrole et à la présence des Etats-Unis au Moyen-Orient.
En se concentrant sur ces « racines mondiales souterraines » du nouveau système financier, écrit Hanieh, « il est possible de changer la façon dont nous pensons habituellement au contrôle du pétrole ».
Celui-ci n'est pas simplement réductible au pouvoir territorial et à la propriété des champs pétrolifères étrangers – il s'agit également du contrôle de la richesse pétrolière.
Pour comprendre les champs de bataille de Gaza, nous devons réfléchir, d'une part, aux fournitures militaires américaines aux Etats du Golfe et à Israël et aux idéologies détraquées [voir les vidéos diffusées par des soldats sur les réseaux sociaux] qui poussent les soldats israéliens à commettre des tueries et, d'autre part, à ces « racines souterraines » qui traversent les banques, les centres financiers, les maisons de commerce et la City de Londres.
Nous avons affaire à une hydre à plusieurs têtes qui combine de manière complexe richesse, pouvoir et terreur.
Ces relations démentent les mythes, comme l'idée que nos ennemis mènent des guerres répétées pour le pétrole. En réalité, c'est rarement le cas.
L'invasion dévastatrice de l'Irak en 2003, menée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, nous rappelle Hanieh dans une note de bas de page, ne visait pas tant à s'emparer du pétrole irakien qu'à protéger les monarchies du Golfe.
Il cite un autre historien du Moyen-Orient, Toby Craig Jones [1], qui a souligné que la captation du pétrole et des champs pétrolifères ne faisait pas partie de la logique stratégique de guerre des Etats-Unis, « mais que la défense du pétrole, des producteurs de pétrole et du flux de pétrole en faisait partie ».
Le pétrole ne produit pas seulement des richesses monétaires. Une fois extrait du sol, il est transporté sur de longues distances, généralement par bateau (une activité qui consomme énormément de pétrole). Il est raffiné en produits : macadam et bitume ; carburants, de l'essence au kérosène, dont l'approvisionnement a façonné les pratiques militaires, industrielles et agricoles, ainsi que les marchés de consommation, pendant un siècle ; et éthylène et autres matières premières pour les usines pétrochimiques.
Contrairement à d'autres historiens du pétrole qui ont une vision très générale, Hanieh met l'accent sur cet « aval ». Il montre que, dès le départ, la stratégie des géants pétroliers américains et européens était l'intégration verticale, c'est-à-dire le contrôle de l'ensemble du processus, jusqu'aux stations-service.
Les voitures, le bien de consommation ultime qui consomme tant de pétrole, occupent une place importante dans cette histoire. Il en va de même pour la combustion du pétrole dans les centrales électriques. Hanieh choisit de traiter plus en détail l'industrie pétrochimique, où le pétrole n'est pas utilisé comme vecteur d'énergie pouvant être converti en mouvement mécanique, en chaleur ou en électricité, mais comme matière première.
Il retrace les origines de la transformation pétrochimique en Allemagne, son développement (si c'est le bon mot) pendant la Seconde Guerre mondiale en tant que bras de la machine militaire nazie, et l'acquisition par les Etats-Unis, après la guerre, des technologies allemandes par le vol et l'expropriation. La pétrochimie, dominée par les Etats-Unis et l'Europe jusqu'à la fin du XXe siècle, se développe rapidement au Moyen-Orient et en Chine au cours du XXIe siècle.
Selon Adam Hanieh, les plastiques et autres matériaux synthétiques issus des combustibles fossiles ont remplacé les matériaux naturels tels que le bois, le coton et le caoutchouc. « En découplant la production de marchandises de la nature, on a assisté à une réduction radicale du temps nécessaire à la production de marchandises et à la fin de toute limite à la quantité et à la diversité des biens produits. »
Il s'agit d'une transformation qualitative : la pétrochimie a aidé le capital à réaliser des révolutions en matière de productivité, de technologies permettant d'économiser du travail et de consommation de masse ; « née dans la guerre et le militarisme, elle a contribué à la constitution d'un ordre mondial centré sur les Etats-Unis ». Notre être social est lié à un approvisionnement apparemment illimité en produits pétrochimiques bon marché et jetables.
J'espère que les arguments de Hanieh sur les produits pétrochimiques seront mis au centre des discussions sur la transition hors du pétrole et sur ce que cela implique pour le projet socialiste d'affronter et de vaincre le capitalisme.
Tout d'abord, le flux de pétrole en tant que matière première dans l'industrie pétrochimique doit être replacé dans le contexte plus large du flux colossal de matières extraites dans l'économie capitaliste, y compris les métaux, les minéraux, le ciment, les asphaltes et les matières vivantes telles que la biomasse et les animaux d'élevage.
Une équipe dirigée par Fridolin Krausmann a récemment estimé que l'ensemble de ces flux de matières a été multiplié par 12 entre 1900 et 2015 [2]. Eric Pineault a tenté de s'appuyer sur ces travaux et sur ceux des économistes écologiques pour développer une vision marxiste de cet aspect de la formidable expansion du capital [3].
Deuxièmement, une question d'interprétation. Je ne pense pas que l'industrie pétrochimique « découple » la production de la nature : il s'agit d'une autre façon de traiter et de retraiter des matériaux issus de la nature. Cependant, Hanieh a mis le doigt sur quelque chose d'extrêmement important et dangereux dans la manière dont les matériaux synthétiques corrompent et déforment la relation de l'humanité avec la nature. Il a mis le doigt sur ce qui devrait tous nous préoccuper.
Dans le dernier chapitre de Crude Capitalism, Adam Hanieh étudie la réponse des compagnies pétrolières à la menace du changement climatique. Après avoir passé des décennies à financer le déni de la science du climat, elles ont, au cours de la dernière décennie, inversé leur position publique, accepté le réchauffement planétaire comme un fait … et sont devenues des « convertis enthousiastes » au concept de « net zéro », tel que déformé par les politiciens, qui remplace les véritables réductions d'émissions de gaz à effet de serre par des ingénieuries technologiques chimériques, en particulier le captage du carbone.
« En donnant l'impression de faire partie de la solution, les compagnies pétrolières ne cachent pas seulement leur rôle central dans l'économie fossile, mais visent à encadrer et à déterminer la réponse de la société au changement climatique », prévient Hanieh.
Les compagnies adoptent de fausses solutions techniques – la biomasse, les véhicules électriques et l'hydrogène – qui ont été placées au centre de la politique climatique de l'establishment. Elles parient sur l'expansion de la dystopie consumériste synthétique soutenue par la pétrochimie. Et leur emprise orwellienne sur la politique, main dans la main avec les dictateurs des nations productrices, est plus que jamais visible lors des négociations internationales sur le climat – l'année dernière (Abu Dhabi) et cette année (Azerbaïdjan).
Les écosocialistes, qui s'efforcent d'associer la lutte pour surmonter la rupture désastreuse de l'humanité avec la nature à la lutte pour la justice sociale, doivent d'abord se confronter au fait que la production d'énergie et les infrastructures « restent solidement entre les mains des plus grands conglomérats pétroliers », affirme Adam Hanieh.
De plus, nous devons reconnaître que si ces entreprises constituent un « obstacle majeur » à la sortie du pétrole, « elles sont une manifestation, et non une cause, du problème sous-jacent » des relations sociales capitalistes.
Ne nous contentons pas de reculer d'horreur devant le génocide : disséquons et comprenons mieux l'hydre à plusieurs têtes. Ce livre y contribue. (Compte rendu publié sur le site de Simo Pirani le 18 novembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Adam Hanieh est professeur d'études sur le développement à la SOAS, Université de Londres.
Simon Pirani a été de 2007 à 2021 chercheur auprès du Oxford Institute for Energy Studies. Il a publié en 2018 Burning Up : A Global History of Fossil Fuel Consumption, chez Pluto Press.
[1] Auteur entre autres de Running Dry : Essays on Energy, Water, and Environmental Crisis (Rutgers University Press, 2015), Desert Kingdom : How Oil and Water Forged Modern Saudi Arabia (Harvard University Press, 2010). (Réd.)
[2] « From resource extraction to outflows of wastes and emissions : The socioeconomic metabolism of the global economy, 1900–2015 », in Global Environmental Change, septembre 2018, pages 131-140.
[3] A Social Ecology of Capital, Pluto Press, 2023.
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