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Une Coalition canadienne de défense des libertés civiles dénonce et appelle à la fin de la liste des entités terroristes

Le mardi 15 octobre 2024, le gouvernement canadien a inscrit le Réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens Samidoun sur la liste des entités terroristes du Canada.
Tiré de : https://iclmg.ca/fr/fin-liste-entites-terroristes/
Bien qu'il s'agisse ostensiblement d'un outil destiné à protéger la sécurité des personnes au Canada et dans le monde, la liste des entités terroristes est un outil politique arbitraire qui porte atteinte à la liberté d'association, à la liberté d'expression et à l'application régulière de la loi (due process) devant les tribunaux. Son efficacité en tant qu'outil de sécurité nationale n'a jamais été démontrée d'une manière qui justifie son utilisation.
En raison des profondes lacunes de la procédure d'inscription sur la liste des entités terroristes, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) n'a cessé de demander l'abolition de ce régime depuis la création de la coalition canadienne en 2002.
L'inscription d'une organisation sur la liste est un processus secret et discrétionnaire par lequel le gouvernement peut prendre en compte n'importe quelle information, y compris des renseignements non vérifiés. L'inscription sur la liste permet au gouvernement de contourner les poursuites pénales ou les procès, plaçant le fardeau sur l'entité inscrite de contester les informations en question, dont la plupart sont tenues secrètes pour des « raisons de sécurité ». Il n'existe pas non plus de procédure cohérente pour contester une telle inscription à cette liste. Il en résulte une violation effective du principe de l'application régulière de la loi (due process) et de la présomption d'innocence.
Les conséquences de l'inscription sur la liste sont graves. Les avoirs sont gelés, toute utilisation de biens appartenant à l'organisation inscrite sur la liste ou contrôlés par elle constitue un délit, de même que la fourniture de toute forme de soutien financier ou en nature. De plus, l'inscription sur la liste stigmatise l'organisation et toute personne accusée d'y être associée en la qualifiant de « terroriste », quelles que soient ses actions personnelles, sans qu'il soit nécessaire de porter des accusations criminelles ou de prouver sa culpabilité devant un tribunal.
Dans les 24 heures qui ont suivi cette annonce, des appels ont déjà été lancés sur les médias sociaux pour qualifier de terroristes ou de partisans du terrorisme toute personne assistant à un événement ou s'associant à des personnes liées à Samidoun.
Comme il est illégal de soutenir une entité inscrite sur la liste de quelque manière que ce soit, y compris financièrement, cela signifie que l'organisation ne peut pas collecter de fonds ou payer un-e avocat-e pour organiser sa défense et contester l'inscription sur la liste des terroristes devant un tribunal. Il est donc extrêmement difficile, voire impossible, d'être retiré de la liste, ce qui constitue une fois de plus une violation du droit à un procès équitable.
La liste des entités terroristes est un instrument politique, souvent utilisé de manière discrétionnaire pour servir les intérêts géopolitiques du Canada et de ses alliés.
Historiquement, la liste sert à détourner l'attention de la violence exercée par les gouvernements sur leurs propres populations et sur les populations d'autres pays, par le biais de l'action militaire et de la répression par les forces de sécurité nationales et de la police, comme cela a été le cas pendant la longue « guerre contre le terrorisme ». Cette liste renforce la politique de deux poids deux mesures qui consiste à autoriser la violence et la répression des libertés civiles, au nom de la lutte contre le terrorisme, de la part du Canada et de ses alliés, tout en criminalisant les réactions à cette violence, ou même les critiques pacifiques de cette violence.
Si le gouvernement canadien estime que des organisations et des individus représentent une menace pour le public, ces preuves doivent être présentées en audience publique, où les accusé-es peuvent se défendre de manière appropriée contre les accusations.
La CSILC réitère son appel à l'abolition du régime de la liste des entités terroristes du Canada. L'utilisation de processus d'inscription secret doit cesser.
La CSILC est une coalition nationale de 44 organisations canadiennes de la société civile : ONG, syndicats, associations professionnelles, groupes confessionnels, organisations environnementales, de défense des droits humains et des libertés civiles, ainsi que de groupes représentant les communautés d'immigrant-es et de réfugié-es au Canada. Notre mandat est de défendre les libertés civiles et les droits humains dans le contexte de la soi-disant « guerre contre le terrorisme ».
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Gratuité des soins de santé pour les femmes enceintes sans couverture et pour un programme d’accès universel et gratuit à la contraception

Nous, signataires, demandons au gouvernement du Québec d'instaurer un programme d'accès gratuit à toutes les méthodes de contraception disponibles au Québec, et ce, sans exception.
Pétition pour la gratuité des soins de santé pour les femmes enceintes sans couverture
Le ministre Dubé refuse toujours de mettre en place un programme de gratuité des soins périnataux pour les femmes enceintes non-assurées résidant au Québec.
Cette décision est injustifiée ! Le ministère, lui, la justifie évoquant les enjeux liés au « tourisme de grossesse » et à l'équité envers la population québécoise. Ceci est basé sur des faussetés, des préjugés et du racisme.
Face à cette situation injuste, voici une pétition lancée par Médecins du monde avec la collaboration de la Clinique SPOT, parrainée par le Parti Libéral avec l'appui de Québec Solidaire : Une couverture publique des soins de santé durant la période périnatale pour toutes les femmes enceintes vivant au Québec, indépendamment de leur statut migratoire.
Signez ici : le lien vers la plateforme de l'Assemblée nationale pour signer et diffuser la pétition.https://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/petition/Petition-11035/index.html.
La date limite pour signer est le 6 novembre, en vue d'une présentation en Chambre le 7 novembre.
Nous vous invitons donc à la partager largement sur vos réseaux sociaux, dans vos infolettres et auprès de vos membres pour recueillir un maximum de signatures.
Pétition pour un programme d'accès universel et gratuit à la contraception
La Fédération québécoise pour le planning des naissances (FQPN) lance une pétition pour l'Instauration d'un programme d'ACCÈS GRATUIT à la contraception 💊🆓
📊CONSIDÉRANT QUE 40% des grossesses sont non-planifiées au Canada, ce qui représente près de 200 000 grossesses non-planifiées chaque année ;
💰CONSIDÉRANT QUE les grossesses non-planifiées entraînent des coûts importants pour les finances publiques et des conséquences pour le système de santé 🏥comme l'encombrement des services ;
🔑CONSIDÉRANT QUE l'utilisation d'un moyen de contraception de façon constante et adéquate est le meilleur moyen de prévenir les grossesses non-planifiées 🤰❌ ;
💵CONSIDÉRANT QUE chaque dollar investi en contraception peut faire économiser 90$ de dépenses publiques liées à la gestion des grossesses non-planifiées 💸 ;
🚫CONSIDÉRANT QUE le coût des moyens de contraception est la principale barrière à l'accès à la contraception au Québec ;
⚖️CONSIDÉRANT QUE les femmes et personnes pouvant tomber enceintes sont souvent les seules à assumer les coûts des moyens de contraception tout en subissant les conséquences d'une grossesse non-planifiée ;
🌸CONSIDÉRANT QUE les moyens de contraception peuvent être utilisés comme soins de santé pour plusieurs conditions (endométriose, règles abondantes, douleurs menstruelles, etc.) ;
💡CONSIDÉRANT QUE la gratuité des moyens de contraception contribue à la réduction des inégalités entre les genres ;
✍️Nous, signataires, demandons au gouvernement du Québec d'instaurer un programme d'accès gratuit à toutes les méthodes de contraception disponibles au Québec, et ce, sans exception.
SIGNEZ sur le site de l'Assemblée nationale : https://www.assnat.qc.ca/.../Petition-10999/index.html
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Mettre fin à la violence politique à l’encontre des femmes

Dans le contexte de la dernière semaine de tensions post-électorales, la Marche Mondiale des Femmes, coordinatrice nationale du Venezuela, prend position sur les regrettables actes de violence qui ont une fois de plus endeuillé la nation.
Tiré de Boletin MMF las Americas septembre 2024
Nous regrettons que malgré toutes les tentatives du gouvernement vénézuélien de créer des espaces de dialogue et de construction collective du pays souverain et pacifique souhaité par la majorité des Vénézuéliens, le fascisme ait une fois de plus opté pour la voie de la déstabilisation et de la violence.
Comme lors des 30 autres élections précédentes, l'opposition refuse de reconnaître la victoire du peuple révolutionnaire, la légitimité des institutions électorales, le cadre législatif actuel et les mécanismes de règlement des désaccords sur les résultats. Une fois de plus, elle appelle à l'intervention étrangère et l'encourage en concluant des alliances avec des intérêts corporatistes internationaux, comme avec le magnat Elon Mosk de X.
Cette fois, ils sont allés plus loin et ont payé des groupes pour attaquer et semer le chaos dans les quartiers populaires, en particulier dans les quartiers traditionnellement favorables à Chávez, affirmant ainsi que le gouvernement vénézuélien n'a pas de peuple pour soutenir sa révolution. Il entend ainsi infliger non seulement des dommages matériels, mais aussi des dommages symboliques et des dommages à la subjectivité du peuple.
En tant que militantes de la Marche mondiale des femmes, nous avons beaucoup réfléchi à la manière dont les guerres profitent aux puissances transnationales et affectent différemment les femmes. En tant que femmes vénézuéliennes, nous avons des traces dans notre corps-âme-esprit de ce qu'a été la résistance à la guerre économique, au blocus et aux sanctions. Il est profondément triste de devoir dénoncer une fois de plus la violence politique dont sont victimes nos camarades, en particulier dans les quartiers populaires. Deux militants populaires ont été enlevés de leur domicile et tués dans la rue et beaucoup sont harcelés par les réseaux, marqués par la diffusion de leurs données personnelles.
Nous soulignons que les soi-disant « comanditos » payés par l'extrême droite vénézuélienne ont mis l'accent sur le harcèlement des femmes leaders communautaires, en essayant d'intimider la base et les leaders communautaires qui maintiennent les programmes sociaux qui fournissent de la nourriture, des services et des politiques publiques visant à atténuer les effets des sanctions sur le bien-être de la population.
Nous savons que la violence politique à l'encontre des femmes ne vise pas seulement à éliminer le leadership individuel, mais surtout à intimider le reste du collectif des femmes.
Nous défendons le droit politique de manifester, mais nous attirons l'attention sur le fait que ce droit ne justifie pas le harcèlement des femmes ayant des idées différentes dans leurs foyers, l'incendie de biens publics, l'attaque d'hôpitaux ou tout dommage aux biens publics, personnels ou communautaires. De même, il n'envisage ni ne légitime le harcèlement, l'intimidation, l'incitation à la haine ou au racisme. Ces actes, loin d'être des manifestations politiques valables, sont des crimes.
Nous soulignons également que de nombreux jeunes impliqués dans les événements violents de la semaine dernière ont été incités et manipulés par le biais des médias sociaux, ainsi que rémunérés directement, et se sont engagés sans vraiment réfléchir aux conséquences de leurs actes.
Aujourd'hui, nous sommes solidaires de ces familles, de ces femmes et de ces communautés qui doivent désormais faire face aux conséquences d'une telle insouciance.
Au Venezuela, de nombreux progrès ont été réalisés dans ce que la féministe Argelia Laya a appelé « la plus grande aliénation des femmes » ; dans nos communautés, l'apolitisme qui a été imposé aux femmes pendant des années est combattu et vaincu chaque jour. Les femmes vénézuéliennes progressent dans la constitution d'un sujet politique féminin avec la conscience de leurs oppressions et aussi avec la connaissance de leur pouvoir et de leur rôle dans la transformation de ces oppressions. Dans ces changements de conscience, l'extrême droite, l'impérialisme, voit un danger évident, c'est pourquoi il fait des femmes et de leurs organisations des cibles de violence.
Dans ce contexte, nous demandons justice pour les victimes du fascisme, qui a encore montré les dents. Et une diligence particulière dans la détermination des responsabilités, la rapidité des processus d'administration de la justice et l'application des peines en fonction des crimes commis.
Nous continuons à débattre et à créer des espaces pour reconstruire le tissu social qui a été déchiré depuis un certain temps par les réseaux sociaux et les médias hégémoniques qui prétendent être impartiaux et objectifs, mais dont les contributions à la violence et à la haine entre les Vénézuéliens sont évidentes.
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La Marche Mondiale des Femmes CNP Pakistan Organise une Manifestation Contre les Politiques Imposées par le FMI

Lahore, 18 octobre 2024 — Dans le cadre de la Semaine Mondiale d'Action pour l'Annulation de la Dette et de la Journée Internationale pour l'Éradication de la Pauvreté, le Comité National de Coordination (CNP) de la Marche Mondiale des Femmes au Pakistan a organisé hier une puissante manifestation devant le Club de la Presse de Lahore.
TIré de Marche Mondiale des femmes
https://marchemondiale.org/index.php/2024/10/19/la-marche-mondiale-des-femmes-cnp-pakistan-organise-une-manifestation-contre-les-politiques-imposees-par-le-fmi/?lang=fr
Cette manifestation visait à dénoncer les effets néfastes des mesures économiques imposées par le Fonds Monétaire International (FMI) sur la souveraineté du Pakistan et les travailleurs et travailleuses du pays.
En scandant des slogans contre les politiques prédatrices des institutions financières internationales, les manifestant·e·s ont exprimé leur indignation face à l'augmentation des pressions économiques provoquées par les réformes dictées par le FMI. Ils ont affirmé que le Pakistan est contraint de compromettre son indépendance économique pour satisfaire les exigences incessantes et sévères du FMI.
« Les travailleurs et les communautés marginalisées supportent le poids de ces politiques anti-populaires », a déclaré une porte-parole de la Marche Mondiale des Femmes CNP Pakistan. Les manifestant·e·s ont souligné que la dépendance croissante du gouvernement vis-à-vis des prêts du FMI a entraîné une augmentation des prix du carburant, du gaz et de l'électricité, des réductions des dépenses sociales, ainsi que la suppression de subventions essentielles aux ménages à faible revenu.
L'une des principales revendications de cette manifestation était la création d'une Commission Parlementaire Indépendante d'Audit de la Dette. Les manifestant·e·s ont demandé au gouvernement de mener une enquête approfondie sur les prêts contractés par le Pakistan au fil des ans, en examinant leurs objectifs, leurs termes et leurs conditions. « Il est nécessaire d'examiner de manière critique la nature de ces dettes et de rendre responsables ceux qui hypothèquent l'avenir de notre pays », a ajouté la porte-parole.
Les manifestant·e·s ont également dénoncé la charge croissante des taxes indirectes qui pèse sur les groupes de revenus les plus pauvres, soulignant que ces politiques régressives aggravent les inégalités de revenus et plongent de plus en plus de personnes dans la pauvreté.
La manifestation à Lahore s'inscrit dans le cadre d'un appel mondial à l'action pour l'annulation de la dette, où des groupes de femmes et des mouvements de base à travers le monde exigent justice pour les populations souffrant sous le poids de la dette extérieure et des mesures d'austérité. Alors que la campagne se poursuit, la Marche Mondiale des Femmes au Pakistan a promis de continuer à exercer des pressions sur le gouvernement afin qu'il donne la priorité au bien-être de ses citoyen·ne·s plutôt qu'aux demandes des créanciers internationaux.
Cette manifestation reflète un mouvement croissant visant à défier les pratiques financières injustes et à réclamer la souveraineté économique pour les pays en développement comme le Pakistan.
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Les compressions budgétaires en francisation dénoncées

Le président de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ), Richard Bergevin, a pris la plume dans les journaux des Coops de l'information, le 12 octobre dernier, pour dénoncer les compressions en francisation dans les centres de services scolaires (CSS). Il y critique sévèrement les décisions gouvernementales, qui, selon lui, compromettent l'intégration des nouveaux arrivants et fragilisent les équipes-écoles.
Tiré de Ma CSQ.
Bien que le ministre de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration, Jean-François Roberge, se défend d'avoir effectué des compressions en francisation, les coupes sont bien réelles, selon Richard Bergevin. « Malgré une forte demande et des listes d'attente qui s'allongent, le nombre de groupes de francisation a été dramatiquement réduit dans plusieurs régions », écrit-il, mentionnant des compressions à Repentigny, à Sherbrooke et à Québec, notamment.
Le président de la FSE-CSQ affirme que l'inquiétude et la colère du personnel enseignant sont palpables : « Ces compressions affectent sérieusement les centres d'éducation des adultes en décimant des équipes-écoles qui ont développé des expertises incomparables au fil des ans et tissé des liens très humains en prenant soin de nos nouveaux arrivants. » Il ajoute que « travailler en francisation est un choix [pour ces enseignantes et enseignants qui] ne sont pas des pions à déplacer sans conséquence ».
Selon Richard Bergevin, la francisation n'est pas seulement un cours de langue, mais un véritable outil d'intégration sociale et culturelle : « C'est l'art d'accueillir les gens chez soi, en leur donnant les repères pour s'intégrer au Québec et participer à la vie de nos communautés. »
Enfin, il lance un appel au gouvernement pour qu'il prenne soin de ses enseignantes et enseignants à l'éducation des adultes, qui jouent un rôle central dans ce processus d'intégration. « Ils ont droit au plein respect d'un gouvernement qui souhaite mousser les carrières en enseignement, mais qui n'hésite pas à disposer cavalièrement de ceux qui y travaillent ».
Lisez l'intégrale de la lettre sur le site de La Tribune.
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Charge de travail : une nouvelle approche, de nouveaux outils

« On passe d'une démarche de dénonciation à une vision positive de prévention et d'éducation, sans pour autant négliger la surcharge de travail », explique Sandra Etienne, vice-présidente de l'APTS et responsable politique du dossier de la charge de travail.
Le premier jalon de ce changement a été posé en mars dernier avec la création du tout nouveau Groupe d'intervention sur la charge de travail (GICT), qui a succédé à la Table nationale sur la surcharge de travail. Le GICT s'est réuni à plusieurs reprises depuis et a travaillé activement à une nouvelle stratégie d'intervention, lancée officiellement au dernier conseil général.
L'idée est la suivante : pour mieux maîtriser le problème de la surcharge de travail, voire l'éliminer, il faut d'abord apprendre à mieux connaître ‒ et reconnaître ‒ tous ses tenants et aboutissants, mieux « lire » le contexte général qui l'accompagne (indices, signes), et bien identifier les ressources disponibles ainsi que les moyens d'action pour ensuite intervenir plus efficacement.
Dans cette optique, le GICT a préparé un tout nouveau Guide sur la charge de travail destiné aux équipes syndicales locales, lequel vient d'être lancé et met de l'avant cette toute nouvelle approche. S'amorce également, en parallèle, la publication d'une série de douze fiches de vulgarisation sur le même sujet, mais à l'intention des membres de l'APTS, lesquelles font écho au Guide et seront publiées dans le fil@pts.
Ces nouveaux outils proposent des pistes de réflexion et des solutions au sujet de la surcharge de travail, présentées de façon simple et accessible. On y explore une douzaine de thèmes, allant des notions de base sur la charge de travail à la santé et la sécurité du travail, en passant par l'autonomie professionnelle et les exigences déontologiques.
Cette nouvelle approche s'accompagne également d'une nouvelle signature visuelle (voir illustration ci-dessus). « L'ensemble exprime un changement d'orientation, de souligner Sandra Etienne. Les choses sont envisagées sous un nouvel angle : l'information, les solutions, la prise en main, l'action et la mobilisation ».
Les membres du GICT croient fermement que la lutte contre la surcharge de travail doit d'abord s'appuyer sur la compréhension des concepts qui la définissent, de façon à pouvoir utiliser les bons leviers, au bon moment, pour mieux se protéger. C'est le cœur même de cette nouvelle approche.
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Négociation dans le secteur public - Les membres de la FIQ acceptent la recommandation du conciliateur

À l'issue d'un vote référendaire tenu les 15, 16 et 17 octobre, les membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec—FIQ ont accepté à 66,3 % la recommandation du conciliateur. Celle-ci devient le nouveau contrat de travail des professionnelles en soins et marque la conclusion de la négociation avec le gouvernement du Québec concernant leurs conditions de travail pour la période 2023 à 2028. Le taux de participation s'est élevé à 75 %.
« Nos membres ont décidé d'accepter cette recommandation, bien qu'elle ne réponde pas à toutes leurs préoccupations. La FIQ poursuivra sa lutte pour de meilleures conditions de travail et des soins sécuritaires, tout en restant déterminée à défendre la stabilité des équipes, qui est essentielle à la qualité des soins. Car rappelons-le, les conditions de travail de nos membres demeurent les conditions de soins offertes à la population », exprime Julie Bouchard, présidente de la FIQ.
La FIQ veillera à ce que ce nouveau contrat de travail soit déployé le plus rapidement possible. Le réseau de la santé demeure fragile et le manque de professionnelles en soins pour offrir des soins de qualité à la population est toujours inquiétant. La Fédération continuera d'être aux côtés de ses 80 000 professionnelles en soins — des infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques — pour s'assurer qu'elles puissent travailler dans des conditions respectueuses et sans risque.
« La lutte des professionnelles en soins a non seulement exposé l'intransigeance du gouvernement, mais a aussi démontré qu'il fait fausse route en exigeant toujours plus de celles qui soutiennent le réseau à bout de bras. L'heure est maintenant à l'unité. « Unies, déterminées et mobilisées » n'est pas qu'un slogan pour nous, c'est l'ADN même de notre organisation. Cet esprit de solidarité et de détermination sera au cœur de la poursuite de nos luttes pour des conditions de travail dignes et le respect de l'expertise des professionnelles en soins », indique Mme Bouchard.
« Il devient primordial que le gouvernement soit à l'écoute de celles qui sont au cœur du réseau de la santé et des services sociaux. De nombreux enjeux persistent, même après l'adoption d'un contrat de travail. Nous considérons qu'un changement profond de valeurs sera nécessaire pour redresser le réseau et y attirer à nouveau des professionnelles en soins », conclut la présidente de la FIQ.
Rappelons que le conciliateur, intervenu à la suite d'une impasse persistante entre la FIQ et le gouvernement, avait déposé une proposition le 15 septembre dernier. La convention collective est échue depuis le 31 mars 2023.
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Un simulacre de consultation : La commission parlementaire du PL 69

Pierre-Guy Sylvestre, économiste et conseiller syndical au service de la recherche du syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) représente, entre autres, les employés d'Hydro-Québec. Il dénonce l'attitude méprisante du gouvernement de la CAQ envers les travailleurs et travailleuses d'Hydro-Québec qui ont refusé d'inviter le SCFP à la commission parlementaire du projet de loi 69. Malgré ce refus, la FTQ a accepté de partager son temps d'intervention ce qui a permis au SCFP de continuer à lancer l'alerte face à l'accélération de la privatisation de la production et la distribution d'électricité au Québec. Le SCFP dénonce une commission parlementaire qui est un semblant de représentation démocratique et met en lumière les processus de dépossession de la production d'électricité mené par la CAQ au profit d'intérêts privés.
Cette vidéo a été produite dans le cadre de la campagne Dépossession : Contre la privatisation de nos services publics de GMob.
15 ocotbre 2024 | tiré de la lettre de GMob-GroupMobilisation
GMob-GroupMobilisation
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Réforme de la Loi sur les mines : quels changements, quels enjeux ?

Se terminent cette semaine les consultations particulières sur le projet de loi 63 modifiant l'encadrement des activités minières. De nombreux groupes aux intérêts variés ont ainsi été entendus en commission parlementaire. Du point de vue de la protection de la nature et des communautés, de nouveaux mécanismes sont accueillis favorablement, mais certaines préoccupations importantes ont été soulevées. Voici un tour d'horizon de ce qui est en jeu dans ce chantier législatif.
Contexte
Le projet de loi 63 est annoncé comme une « modernisation » de la Loi sur les mines. Précisons que les origines de la Loi sur les mines remontent à la fin des années 1800, mais que c'est dans les années 1960 qu'on a commencé à y parler d'environnement. Elle a par la suite été modifiée à quelques reprises au cours des dernières décennies. Son objectif demeure de faciliter l'accès au territoire pour favoriser le développement minier, bien qu'il soit précisé que ce développement doit se faire « au bénéfice des générations futures ».
La Loi sur les mines encadre tant l'exploitation des minéraux comme l'or et le lithium que celle du sable, du gravier et de l'argile, qu'on appelle « substances minérales de surface ». Elle divise les activités minières en différentes étapes qui ont chacune leurs propres règles :
– l'inscription d'un claim, qui constitue un droit minier exclusif d'exploration d'un territoire ;
– l'exploration minière, soit la recherche de minéraux ;
– l'exploitation minière, soit le développement de projets pour extraire ces minéraux (mines, carrières, sablières) ;
– la fin des projets miniers, soit la fermeture et la restauration des sites.
Alors que le nombre de claims a bondi ces cinq dernières années et que de nombreuses préoccupations ont été exprimées par la société civile, le gouvernement a lancé une large consultation en 2023, puis déposé le projet de loi 63 au printemps 2024. Quels changements sont-ils proposés ?
Certaines modifications visent des aspects techniques et administratifs du régime (par exemple, le mot « claim » deviendrait « droit exclusif d'exploration ») alors que d'autres accordent de nouveaux pouvoirs à la ministre des Ressources naturelles et aux municipalités.
Voici certaines de ces modifications comportant des dimensions environnementales ou liées à l'intérêt public, ainsi qu'un résumé des préoccupations qui ont été soulevées à ce jour.
Évaluation des impacts sur l'environnement
Actuellement, seuls certains projets miniers sont automatiquement soumis à la procédure québécoise d'évaluation des impacts sur l'environnement, qui mène entre autres à un examen par le BAPE. Ce sont les projets visant à extraire de l'uranium ou des terres rares ainsi que les projets qui dépassent un certain seuil de production, exprimé en tonnes métriques. Ces seuils sont fixés dans un règlement. Les projets d'agrandissement de mines existantes sont assujettis à une évaluation dans certains cas, notamment si l'aire d'exploitation est augmentée de plus de 50%.
Le projet de loi propose que tous les nouveaux projets d'exploitation minière (sauf pour les substances minérales de surface) soient soumis à la procédure d'évaluation des impacts, indépendamment de la capacité d'extraction. On ajoute aussi plusieurs circonstances où les projets d'agrandissements seraient assujettis à la procédure, mais cela demeure limité. Certains groupes environnementaux accueillent favorablement que davantage de projets miniers soient soumis à une évaluation, mais déplorent que plusieurs travaux d'agrandissement y échappent toujours.
Carrières et sablières
L'exploitation des substances minérales de surface (carrières et sablières) nécessite la conclusion d'un bail d'exploitation avec l'État, qui peut être exclusif ou non-exclusif. Le projet de loi propose d'exempter certains projets de devoir conclure un bail. Il s'agit des carrières ou sablières servant à construire un chemin forestier en terre publique et de celles exploitées par l'État québécois (par exemple un autre ministère) à des fins de construction ou d'entretien d'un « ouvrage de l'État ».
Le projet de loi propose que tous les nouveaux projets de carrière et sablière soient précédés d'une consultation publique dans la région concernée, alors qu'actuellement il y en a dans certains cas seulement. Cette consultation n'est toutefois pas l'équivalent d'une évaluation complète des impacts.
De plus, le projet de loi propose d'élargir les circonstances où la ministre peut refuser de conclure ou renouveler un bail, notamment pour des objectifs de protection du territoire et de limitation des impacts sur les communautés locales et autochtones . Il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire.
Pouvoirs des municipalités et les propriétaires privés
L'activité minière est permise dans la majorité du territoire du Québec, incluant dans les villes, sur les terrains privés et sur les territoires revendiqués par des nations autochtones. La Loi sur les mines permet toutefois à la ministre des Ressources naturelles de « soustraire » un territoire à l'activité minière dans certaines circonstances, notamment pour tout objet jugé « d'intérêt public ». Cette soustraction fait en sorte qu'il n'est plus possible de réaliser de l'exploration minière ou de projeter l'exploitation d'une mine, d'une carrière ou d'une sablière sur ce territoire. Elle rend aussi impossible l'enregistrement de nouveaux claims, mais permet aux claims existants de perdurer et d'être renouvelés.
Pour soustraire un territoire à l'activité minière, une municipalité régionale de comté (MRC) peut délimiter, dans son schéma d'aménagement et de développement, un « territoire incompatible avec l'activité minière » (TIAM), soit une portion du territoire où la viabilité des activités serait compromise par les impacts engendrés par l'activité minière.
Le projet de loi propose de maintenir ce mécanisme, mais d'également soustraire à l'activité minière toutes les terres privées où il n'y a pas encore de claims ainsi que tous les périmètres d'urbanisation (périmètre que toute MRC doit délimiter dans son schéma d'aménagement). Selon certains groupes environnementaux, il s'agit d'un gain pour la population de milieux urbains et pour plusieurs propriétaires privés, mais il faudrait prévoir davantage de mécanismes pour les terres privées faisant déjà l'objet de claims et pour les terres publiques.
Il est maintenant proposé qu'une fois qu'une MRC a soustrait une partie de son territoire à l'activité minière avec un TIAM, elle pourrait demander au ministre de lever la soustraction, c'est-à-dire de permettre à nouveau l'activité minière après l'avoir suspendue. Cette levée pourrait être partielle (permettant seulement les carrières et sablières), sur demande d'une municipalité locale, ou totale (permettant l'activité minière régulière), sur demande d'une MRC.
Une fois la levée accordée et l'activité minière permise de nouveau, il y aurait un délai de 10 ans sans pouvoir demander à nouveau la protection de ce territoire. Certains groupes environnementaux ont des réserves quant à ce processus de levée de la soustraction puisque celle-ci aurait lieu sans évaluation des impacts et sans consultation publique obligatoire. Certains craignent notamment les pressions économiques ou politiques qui pourraient être exercées sur les municipalités pour l'utilisation de ces pouvoirs.
Mécanismes visant les droits et intérêts autochtones
Le projet de loi propose de préciser que la ministre peut utiliser son pouvoir de soustraction pour mettre en œuvre une entente avec une nation ou communauté autochtone, alors que la Loi prévoit actuellement qu'elle peut le faire pour un motif « d'intérêt public ». Il propose également de préciser que la ministre pourrait ajouter des conditions ou obligations à un titulaire de claim pour « éviter ou limiter les impacts sur les communautés locales et autochtones ».
De plus, le projet de loi introduit une obligation d'aviser la nation ou communauté autochtone concernée dans les 60 jours après l'inscription d'un claim. Il ne prévoit pas de consultation avant le claim.
Rappelons que la Cour supérieure devrait rendre d'un jour à l'autre sa décision sur la constitutionnalité de la Loi sur les mines actuelle, contestée par la Première Nation Mitchikanibikok Inik (aussi appelés les Algonquins du Lac Barrière) en raison du défaut systémique du Québec de les consulter et les accommoder avant d'accorder des claims miniers et de permettre des activités d'exploration sur leurs territoires.
Réaménagement et restauration des sites miniers
Avant toute exploitation minière, la Loi sur les mines exige qu'un bail minier soit conclu avec le ministère des Ressources naturelles. Comme condition à la conclusion de ce bail, un plan de réaménagement et de restauration doit être approuvé. Ce plan doit viser à « remettre dans un état satisfaisant le terrain affecté par ces activités ». En pratique, la restauration des sites miniers est un enjeu important puisque dans plusieurs cas, plusieurs années après la fermeture de la mine, l'état du site est loin de son état initial. Certains groupes environnementaux ont exprimé leurs préoccupations à l'égard du manque de précision quant à ce qu'est un « état satisfaisant », et estiment que le projet de loi devrait plutôt exiger une remise en état du milieu ou une restauration à l'état naturel.
Une fois que les travaux de réaménagement sont effectués et satisfont la ministre, un suivi et une surveillance des travaux sont assurés. Le projet de loi propose de limiter ce suivi à une durée de 15 ans, ce qui préoccupe certains groupes au motif que ce ne serait pas suffisant pour éviter que les conséquences à long terme des activités minières ne soient supportées par la société civile.
Le projet de loi introduit par ailleurs une obligation, dans certains cas, de réparer, via le paiement d'une somme d'argent, le « préjudice » causé à l'environnement par un projet minier, et ce, malgré l'absence de faute. L'évaluation du préjudice et le montant associé ne sont pas définis dans le projet de loi et seraient déterminés par un futur règlement.
À quand les changements ?
Après les consultations particulières sur le projet de loi, la Commission parlementaire fera un rapport à l'Assemblée nationale. Celle-ci, c'est-à-dire l'ensemble des député-es du Québec, pourra alors discuter d'amendements possibles au projet de loi. Ultimement, les député-es voteront sur l'adoption du projet de loi.
Mais une fois la loi adoptée, ces changements seront-ils immédiats ?
La plupart des modifications entreront en vigueur immédiatement, à l'exception de celles exigeant des modifications réglementaires, qui sont pour leur part retardées jusqu'à ce que les règlements concernés soient modifiés ou adoptés. Certains délais de grâce sont également prévus pour les nouvelles exigences qui peuvent demander une période d'adaptation plus importante. Par exemple, certaines nouvelles formalités nécessaires pour renouveler un claim ne s'appliqueront pas au prochain renouvellement des claims actuellement en vigueur, plutôt seulement au renouvellement subséquent. Les modifications s'appliqueraient toutefois immédiatement aux demandes de bail minier ou d'exploitation de substances minérales de surface déjà déposées mais pas encore abouties.
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Notice nécrologique de Fredric Jameson (1934-2024) par Boris Kagarlitsky -

Critique littéraire et philosophe américain, Fredric Jameson est reconnu pour avoir revitalisé le marxisme. Le sociologue marxiste Boris Kagarlitsky est actuellement incarcéré dans une prison russe pour avoir dénoncé l'invasion à vaste échelle de l'Ukraine. Dans le cadre de la campagne de solidarité internationale pour faire libérer Boris Kagarlitsky, une conférence en ligne a été tenue le 8 octobre : Boris Kagarlitsky and the challenges of the left today (Boris Kagarlitsky et les défis de la gauche aujourd'hui). Canadian Dimension est fier d'avoir co-organisé l'événement.
Vendredi 4 octobre 2024 / DE : Boris Kagarlitsky
Tiré de Canadian Dimension
Traduction Johan Wallengren
J'ai reçu durant mon emprisonnement un certain nombre de messages m'avisant du décès de collègues. J'apprends à présent le décès de Fredric Jameson, qui est l'auteur d'ouvrages fondamentaux sur la culture du capitalisme tardif et qui compte parmi les premiers à avoir discuté du postmodernisme en philosophie et en politique tout en mettant en évidence les liens à faire entre les réflexions intellectuelles, les changements dans le discours des personnalités politiques et les changements sociaux structurels. Il est clair qu'ici, dans la colonie pénitentiaire n° 4, je n'ai pas accès à ce dont j'aurais besoin pour écrire un article complet sur les idées de Jameson et sur sa contribution au développement des sciences sociales et de la théorie marxiste. Et pour être honnête, je préférerais parler d'autre chose – Jameson n'a jamais été un théoricien aride ou un universitaire ennuyeux, même s'il a travaillé dans un cadre universitaire et a eu beaucoup d'étudiants.
Je l'ai rencontré dans les années 1990, lors de mon premier voyage aux États-Unis. Fred était l'une des personnes ayant aidé à organiser le voyage, et très vite, après quelques jours passés à Madison, au Wisconsin, avec un autre sociologue Erik Olin Wright, quelqu'un de remarquable, je suis allé plus au sud, à l'université Duke, en Caroline du Nord, où Jameson enseignait. Le fait de ne pas encore avoir lu ses ouvrages à l'époque était embarrassant. Mon excuse était que c'était encore l'ère soviétique et que l'accès aux livres étrangers était assez compliqué, malgré les changements politiques qui avaient déjà eu lieu. La perestroïka suivait encore son cours dans notre pays, tandis qu'aux États-Unis, on commençait à peine à mesurer les conséquences des réformes néolibérales (il faudrait plutôt parler de contre-réformes) mises en œuvre par le président de l'époque, Ronald Reagan.
J'ai immédiatement été frappé par le fait que Jameson n'avait rien à voir avec la plupart des intellectuels occidentaux, y compris ceux de gauche, avec lesquels j'avais eu l'occasion de tisser des liens. Il m'avait l'air d'un homme empreint de bonhomie et terre-à-terre, un vrai Sudiste (c'était ma façon de le voir en tout cas), un amateur de bière qui aimait la cuisine grasse, un homme aussi corpulent que joyeux. C'était la dernière personne de qui on pouvait s'attendre à entendre de profondes réflexions sur l'esthétique et la philosophie ou de subtiles analyses politiques, mais c'était précisément le type de conversations que nous avions. Ce qui préoccupait le plus Fred, c'était l'influence de la pensée postmoderniste éclectique sur la gauche et le marxisme. Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, qui venaient de publier un livre sur l'hégémonie, étaient ses principales bêtes noires. « Quelle est cette hégémonie sans sujet social, sans classe consciente de ses intérêts ? tonnait Fred. « Ils diluent la théorie de Gramsci, ils la vident de sa substance !
Comme lui, je n'ai pas aimé le livre de Laclau et Mouffe (que j'avais réussi à lire au préalable), mais ce qui m'a particulièrement impressionné, c'est la passion avec laquelle Fred – toujours un vrai Sudiste – prenait à partie celles et ceux avec qui il n'était pas d'accord. Plus tard, j'ai appris à connaître Chantal Mouffe et nous avons eu ensemble des débats passionnants (nous nous accordions sur certaines choses, mais sur d'autres pas du tout). Le temps a encore passé et puis j'ai revu Fred à une autre conférence et je lui ai demandé s'il avait changé d'avis, surtout eu égard au fait que Mouffe elle-même, dans ses ouvrages plus récents, me semblait beaucoup plus respectueuse de la sociologie marxiste. « Pas de concessions ! a tonné Fred une fois de plus. Ce ne sont que des tactiques, rien n'a changé sur le fond. »
Il y a lieu de mentionner que Fred, tout en étant un innovateur intellectuel, défendait fermement les approches marxistes classiques (et ce faisant, il démontrait, exemple à l'appui, leur productivité et leur pertinence).
Pendant que j'y suis, je me permets d'ouvrir une petite parenthèse pour faire remarquer à la lectrice ou au lecteur qu'à la fin du XXe siècle – et encore maintenant, je suppose – l'Amérique est devenue, de manière inattendue, un pays où la pensée marxiste et, plus largement, la pensée de gauche se sont épanouies. Oui, les sociologues et les théoriciens politiques travaillant aux États-Unis étaient à l'étroit dans le ghetto universitaire où ils avaient été confinés depuis les persécutions de l'ère McCarthy dans les années 1950. Ce n'est peut-être que grâce à la campagne présidentielle de Bernie Sanders en 2016 qu'ils ont réussi à émerger. Pour quelqu'un de la stature de Jameson, avec sa verve et son bagout, la situation a dû être physiquement étouffante. Cela ne l'empêchait pas de dégager une aura de vitalité et d'optimisme, si nécessaire à notre époque.
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, c'était à Moscou. Nous avons bu de la bière, puis du vin dans un restaurant géorgien, et nous avons parlé de nos connaissances mutuelles et de politique. Cette fois je me suis davantage exprimé et j'ai essayé d'expliquer comment le système politique russe et l'idéologie d'État étaient structurés. « Le postmodernisme incarné ! », s'est exclamé Fred, mi-impressionné, mi-dégoûté. À ce moment-là, j'avais non seulement lu son livre sur le capitalisme tardif, mais je l'avais recommandé à mes étudiants.
Nous ne savions pas que ce serait notre dernière rencontre en personne. Depuis lors, il y a eu des campagnes internationales où nos noms sont souvent apparus côte à côte. Et puis Fred a aidé à organiser la campagne pour me faire libérer. Malheureusement, lorsque je sortirai de prison, je ne pourrai pas le remercier, ni réentendre sa voix, ni connaître son opinion sur la dernière question de l'heure. Plus le temps passe, plus nous nous isolons et perdons des interlocuteurs appréciés, des enseignants et des collègues respectés. À nous, alors, de persévérer. Mais nous avons toujours des étudiants, des partisans et des camarades. Fred en avait beaucoup.
Cet article a été initialement publié en russe sur le site Rabkor.
Boris Kagarlitsky est professeur à l'École supérieure des sciences sociales et économiques de Moscou. Il est le rédacteur en chef du journal en ligne et de la chaîne YouTube Rabkor. En 1982, il a été emprisonné pour activités dissidentes sous Brejnev. Il a ensuite été arrêté sous Eltsine en 1993 et sous Poutine en 2021. En 2023, les autorités l'ont déclaré « agent étranger », mais il s'est refusé à quitter le pays, contrairement à de nombreuses autres personnalités opposées au régime. Parmi ses ouvrages traduits en anglais figurent Empire of the Periphery : Russia and the World System (Pluto Press 2007), From Empires to Imperialism : the State and the Rise of Bourgeois Civilisation (Routledge 2014), et Between Class and Discourse : Left Intellectuals in Defence of Capitalism (Routledge 2020).
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Le prix de la langue française 2024 décerné à Abdellah Taïa

Remis par la ville de Brive (Corrèze), le prix de la langue française 2024 récompensera, le 8 novembre, l'écrivain Abdellah Taïa.
Tiré de l'Humanité
Par Samuel Gleyze-Esteban, L'Humanité, France, le jeudi 17 octobre 2024
Remis par la ville de Brive (Corrèze), le prix de la langue française 2024 récompensera, le 8 novembre, une plume engagée venue du Maroc. De ses premières nouvelles publiées au tournant des années 2000 jusqu'au « Bastion des larmes », paru en août chez Julliard, Abdellah Taïa, né en 1973, s'est fait le témoin des changements et des injustices de la société marocaine.
Il fut aussi l'un des premiers à déclarer publiquement son homosexualité, dans un pays où elle est condamnée par la loi, et compte comme un défenseur de la cause LGBTQ +. En 2009, il dirigeait l'ouvrage « Lettres à un jeune Marocain », un appel politique adressé à la nouvelle génération, un an avant le début du printemps arabe, dont il s'est fait l'écho. Dans son communiqué, le jury salue « des textes forts dans lesquels résonne la voix des opprimés et des marginaux ».
Le dernier d'entre eux, une enquête intime et, comme souvent, irriguée d'autobiographie, expose la culture du viol subie par les jeunes garçons marocains. Le livre est en lice pour le Goncourt.
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Le budget en examen à l’assemblée nationale

Les débats s'annoncent tendus à l'Assemblée nationale, depuis hier. Dépourvu d'une majorité absolue, le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, pourrait recourir à l'Article 49.3 pour l'adoption de la Loi de finances 2025. Le Rassemblement National en quête d'une stratégie.
De Paris, Omar HADDADOU
Dégainera ! Dégainera pas !
Au moment où les GAFA mettent les bouchées doubles, politiquement tous les regards sont braqués vers Michel Barnier, Premier ministre français qui s'échine à faire voter, dans la cacophonie et les frondes les plus déchaînées, le Budget 2025 à l'heure où le déficit de la France est revu à la hausse à 166, 6 milliards, dans la Loi de finances de l'année en cours. Quarante-huit heures après son rejet en Commission des finances, le texte revient donc en séance publique, flanqué d'un autre dossier à susciter des nuits blanches au locataire de Matignon, celui de la Sécurité sociale. Le triste tableau brossé par la Commission des Comptes, fait état d'un gouffre financier de 16, 6 milliards d'euros, loin des 10,8 milliards prévus.
Hier, les Députés planchaient sur la partie « recettes » de l'Etat qui prévoit 60 milliards d'économies dans la perspective du vote inéluctable de l'Article 49.3 de la Constitution. La motion de rejet sur le projet de Loi de finances, a été « retirée », ce lundi 21 octobre 2024, de la part de La France Insoumise (LFI). Son Président de Commission des Finances, Eric Coquerel s'en expliquait : « On voulait la déposer, mais en réalité, on ne voulait pas qu'elle soit votée. Donc, on a préféré carrément la retirer ».
La semaine des débats dans l'hémicycle s'annonce âpre. Et certains chefs (es) de file ont déjà teinté la teneur de leurs déclarations : « Le budget de Michel Barnier fait les poches de la France du travail » déclare le Président du RN, Jordan Bardella, et d'ajouter « Un projet de Loi sans cap ni cohérence ». Hostile à l'Aide médicale de l'Etat (AME), bien calée dans le viseur de l'intraitable Ministre de l'Intérieur Retailleau et son vomi « Ma ligne est claire, tolérance zéro », Bardella ne cache pas sa haine à envers les étrangers (es) et les foyers modestes : « La hausse du budget de l'AME est une ligne rouge. Si elle venait à être franchie, le gouvernement s'exposerait à une censure », fustige-t-il. Incontestablement, le Premier ministre est poussé par Macron sur du sable mouvant. Une mission qui n'est plus enviable, dans une vie politique empreinte d'aboiements effrayants et de chutes précipitées.
Si la motion de rejet est votée, le texte ira directement au Sénat dans la version du gouvernement.
Un tel scénario, permet à Michel Barnier de s'armer du 49.3 de la Constitution. « La Gauche et le NFP, dira Manuel Bompard porte-parole de la France Insoumise, ont fait la démonstration qu'un autre budget est possible puisque nous avons réussi à faire voter des amendements qui permettaient de générer 60 milliards d'euros de recettes nouvelles. C'est exactement le chiffre que cherche le Premier ministre en terme d'économie ».
Selon le Député, « les 60 milliards qui manquent chaque année au budget de l'Etat correspondent exactement aux cadeaux fiscaux offerts par Emmanuel Macron aux riches de ce pays ! »
Interrogé sur la possibilité du recours au 49.3, Laurent Saint-Martin, Ministre du Budget et des Comptes (de Gauche, introduit dans le gouvernement Barnier), a émis le souhait que le « débat ait lieu et le texte soit amendé, modifié, et qu'il ait des changements, conformément à la vie des Institutions ».
Otage d'un malaise planétaire, nourri par les guerres larvées, une déflagration des Institutions, une explosion des profits d'une minorité, la perte de la quintessence religieuse et l'infusion du Populisme, la France ne sait plus où donner de la tête !
O.H
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Familles-queers-récits-et-célébrationn

Parution
15 octobre 2024, au Québec 11 avril 2025, en Europe
« La famille n'est pas encore imaginée dans sa pluralité, à l'extérieur des codes cishétéronormatifs. Autour du manque de représentations s'érige le silence qui étouffe les possibles, qui brise l'élan, la créativité et la capacité à se projeter. » Marianne Chbat
Près de 10 ans après la parution de Familles LGBT, le guide, qui se voulait une introduction à la réalité des familles qui déjouent la norme cishétéro, les temps ont bien changé. Malgré d'importantes évolutions sociales et juridiques les discours réactionnaires sont plus que jamais décomplexés.
Ce livre mesure le chemin parcouru et, en toile de fond, dénonce le ressac, en donnant la parole à plus d'une trentaine de familles d'ici qui se confient sur leurs réussites, leurs deuils et les embûches auxquelles elles ont fait face. Elles sont uniques, différentes, mais toutes font preuve de créativité et d'agentivité. Élaboré en étroite collaboration avec le milieu associatif, cet ouvrage souhaite offrir des représentations nouvelles et diversifiées pour que les futures familles queers puissent mieux se voir, mieux s'inventer.
MARIANNE CHBAT est sociologue, chercheuse et militante. Elle est coordonnatrice principale de la recherche à la Clinique Mauve, un laboratoire social hébergé à l'Université de Montréal qui développe la recherche auprès des personnes LGBTQ+ migrantes et racisées et leur offre un accès à divers services de santé intégrés.
« Je ne savais pas encore que ce manque de modèles était d'abord et avant tout alimenté par des stéréotypes négatifs et réducteurs à l'endroit des personnes et communautés arabes. J'avais donc, à tort et à cause d'un imaginaire tronqué, associé l'origine de mes parents à une impossibilité d'être moi — pleinement et authentiquement — et j'ai, pendant de nombreuses années, cherché à cacher, fuir et repousser mon histoire et mes origines. » Marianne
« Samatar a longtemps réfléchi aux façons dont il transmet son expérience de racisation à ses filles. Bien qu'il souhaite leur transmettre des valeurs et un héritage qui sont propres à son histoire, il reconnaît que son expérience en tant que personne racisée n'a pas été simple et il aimerait, à certains égards, préserver ses enfants des oppressions qu'il a vécues. À cet effet, la transmission du nom de famille a été une décision importante pour son conjoint et lui. » Samatar
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Stora – Le Scanff, « Les Algériens en France : une histoire de générations », entre histoire et actualité

Par Djéhanne Gani, Le Café pédagogique, Paris, 17 octobre 2024
Dans un contexte de débats sur l'immigration, la bande-dessinée signée par l'historien Benjamin Stora et le dessinateur Nicolas Le Scanff « Les Algériens en France : une histoire de générations » (1) nous plonge dans la mémoire de l'immigration algérienne. Elle offre un récit historique entremêlé de récits de mémoire personnelle et familiale, depuis l'arrivée des pères dans l'entre-deux-guerres jusqu'à la Marche pour l'égalité et contre le racisme en 1983. Pour Naima Huber-Yahi, qui en a écrit la préface, cette bande-dessinée « met en récit et en images les travaux de l'historien Benjamin Stora sur l'immigration algérienne, à travers une narration sensible, chronologique et intergénérationnelle ».
*« Les Algériens en France, une histoire de générations » : un travail de mémoire pédagogique*
Aujourd'hui, 17 octobre 2024 est le 63e anniversaire de la répression sanglante des manifestations du 17 octobre 1961 à laquelle Stora et Nicolas Le Scanff consacrent des pages dans la bande-dessinée parue en septembre 2024. Ce massacre est important, la communauté algérienne est la plus importante de France, « les estimations les plus élevées sur plusieurs générations évoquent plus de 4 millions de personnes issues des différentes générations d'immigrés algériens y compris avant 1963 » écrit Naima Huber-Yahi dans la préface qui fait de nombreux ponts avec l'actualité et les débats sur la question de l'immigration.
*Des lieux de mémoire*
La BD met en scène l'exil et le dialogue entre générations et au sein de la seconde génération. Il est question des histoires intrafamiliales durant la guerre d'indépendance algérienne. On y trouve aussi les récits de l'arrivée en France des pères pour travailler dans des cafés-hôtels à Paris, dans des usines ou des mines dans le Nord. On retrouve ces lieux de mémoire dans la BD, les bidonvilles de Nanterre, les mines de Liévin, Marseille, Paris.
*« La transmission des luttes à la fois sociales et politiques comme anticoloniales et antiracistes »*
La bande-dessinée s'ouvre sur la « Marche des beurs », sur la jeunesse issue de l'immigration algérienne qui réclame la reconnaissance de sa citoyenneté française et l'égalité des droits, celui de vivre dans l'égalité, contre le racisme. Cette génération a vu ses parents souffrir des injustices. Le fil rouge de la bande-dessinée se dessine à travers l'histoire familiale de trois jeunes qui ont manifesté en 1983. Le choix de mettre en bande-dessinée des travaux de recherche de Stora est lié à une volonté de toucher les plus jeunes. Pour Naima Huber Yahi, « la multiplication des récits, à l'image de cet ouvrage, ne peut que contribuer à transmettre, y compris aux principaux concernés, la manière dont ces générations d'héritiers de l'immigration algérienne sont aujourd'hui des Français à part entière : recoudre le tissu mémoriel, raconter notre histoire commune et vulgariser la connaissance est plus que nécessaire aujourd'hui pour affronter cette fièvre identitaire qui s'empare de notre pays. »
Djéhanne Gani, Le Café pédagogique. 2024-10-17
Suggestion de lecture de André Cloutier
(1) Lire un extrait de 15 pages sur 144 : https://www.editionsladecouverte.fr/les_algeriens_en_france-9782348079665
Consultation en ligne du "Café pédagogique" du 17 octobre 2024 http://link.listes.cafepedagogique.net/m/view/200138/540576/k6VxDaWQBRkuuWrama74bRLvXqWiyoNgAT3GhVGU_Vo=
Les Algériens en France - Benjamin Stora, Nicolas Le Scanff
<https://www.editionsladecouverte.fr...>
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Les grandes entreprises dirigeraient notre monde, mais qui dirige les grandes entreprises ?

Les grandes entreprises dirigeraient notre monde, mais qui dirige les grandes entreprises ?
Éléments de réponse dans l'ouvrage de François-Xavier Dudouet et Antoine Vion : Sociologie des dirigeants de grandes entreprises
par François-Xavier Dudouet et Antoine Vion
Suggestion de lecture de André Cloutier
Comprendre comment fonctionnent les grandes entreprises et par qui elles sont dirigées constitue certainement l'un des enjeux cruciaux du XXIe siècle. Que ce soit sur le plan des défis environnementaux, sociétaux ou technologiques, il y a fort à parier que les grandes entreprises seront des interlocuteurs incontournables. Il est ainsi primordial de les envisager non pas seulement comme des acteurs économiques, producteurs de biens et de services, mais comme des créatures politiques à part entière, et d'étudier leurs dirigeants.
Longtemps associé à la propriété des entreprises, le pouvoir économique a changé de nature avec l'avènement des sociétés par actions qui ont juridiquement séparé le patrimoine des entreprises de celui des actionnaires, entraînant une transformation radicale de la sociologie des dirigeants. Rarement héritiers et encore plus rarement fondateurs, les personnes qui sont à la tête des grands groupes économiques ne sont pas celles que l'on croit. À partir d'une revue de littérature approfondie, les auteurs explorent les dirigeants de grandes entreprises sous six dimensions – juridique, sociale, professionnelle, géographique, financière et morale – proposant un regard renouvelé sur une population finalement très méconnue.
Voici l'introduction de Sociologie des dirigeants d'entreprise paru aux éditions La Découverte en 2023.
Introduction
« Il est vrai que, si la plupart des hommes sont ainsi submergés par la corporation, quelques-uns, très peu, sont exaltés par un pouvoir qu'en tant qu'individus ils n'auraient jamais pu exercer. À travers les grandes organisations dont ils sont les chefs, quelques-uns sont capables de jouer un rôle sans aucun précédent historique dans l'exercice du contrôle des opérations commerciales du pays et dans la détermination du bonheur d'un grand nombre de personnes. » Woodrow Wilson [1916, p. 6 ; notre traduction].
Quand le président des États-Unis, Woodrow Wilson (1913-1921), s'inquiétait, au début du xxe siècle, du pouvoir naissant des dirigeants de grandes entreprises sur quelques millions de personnes, il était loin de se douter que, un siècle plus tard, leur emprise toucherait des milliards d'individus sur l'ensemble de la planète. En 2021, il s'est vendu 1,4 milliard de smartphones dont plus de la moitié par les sociétés Samsung et Apple. Sur Internet, plus de 90 % des recherches sont effectuées via le moteur de recherche Google. En 2020, McDonald's a servi 9,125 milliards de clients, soit plus que la population mondiale. Le nombre de passagers transportés par les compagnies aériennes sur des vols réguliers a atteint, en 2019, 4,5 milliards de personnes. Autant de voyages impossibles sans une myriade de grandes entreprises : firmes aéronautiques, compagnies aériennes, sociétés aéroportuaires, entreprises de nettoyage, de sécurité, de maintenance, de restauration. En 2015, les grandes entreprises (au moins 5 000 salariés selon l'Insee) comptaient pour 0,5 % du nombre total des sociétés immatriculées en France, elles employaient un quart des salariés français, représentaient 45 % des immobilisations corporelles et 50 % des exportations. Le poids économique de ces dernières est sans proportion avec leur nombre.
Quel que soit l'avenir, il est raisonnable de faire l'hypothèse qu'il ne se fera pas totalement sans les grandes entreprises. Essayons donc de comprendre comment fonctionnent leurs organes de direction et par qui elles sont dirigées.
Qui dirige les grandes entreprises ?
Se tourner vers les grandes fortunes de ce monde en considérant que, tout compte fait, ce sont elles qui contrôlent la destinée des grands groupes est trompeur. D'abord, le capitalisme familial, que ce soit en termes d'actionnariat ou de direction des firmes, est, à quelques exceptions près, loin d'être majoritaire au sein des grandes entreprises [La Porta et al., 1999]. Ensuite, ce réflexe fait perdurer une vision de l'économie fondée sur la propriété humaine des moyens de production qui, dans les faits, a été abolie par l'avènement de la société par actions au xixe siècle [Ireland, 1999 ; Robé, 2011]. Celle-ci a, en effet, dissocié le patrimoine des actionnaires de celui des entreprises, devenues détentrices des moyens de production. Cette innovation juridique n'a pas seulement eu pour conséquence de désolidariser les actionnaires des pertes éventuelles de l'entreprise, tout en leur garantissant le gain des bénéfices, elle a aussi profondément transformé la nature du pouvoir économique et sa sociologie. Il existe bien des grandes fortunes gardant la mainmise sur tel ou tel groupe, mais ce n'est ni un rapport nécessaire ni la situation la plus fréquente.
Comment, dès lors, concevoir un pouvoir économique sans propriétaires des moyens de production ?
Dépasser l'opposition actionnaire-manager
La réflexion s'est heurtée à de nombreux obstacles, dont le principal a certainement été de maintenir une vision patrimoniale de l'économie qui confondait actionnaire et propriétaire. Cette confusion a justifié le recours à la grille de lecture hégélienne du maître et du serviteur [Hegel, 1807] pour analyser les rapports entre actionnaires et directeurs. Les actionnaires ont ainsi été conçus comme les maîtres légaux des firmes, dont la direction avait été confiée à des directeurs plus ou moins loyaux. Cette opposition principielle entre actionnaires et managers a été au cœur des débats qui ont animé la question du pouvoir sur et dans les entreprises tout au long du xxe siècle [Mizruchi, 2004]. Aux promoteurs de la cause managériale qui constataient la prise de pouvoir des managers [Berle et Means, 1932], voire leur émancipation dans une nouvelle classe managériale [Burnham, 1941], s'opposaient ceux qui affirmaient la primauté des actionnaires [Zeitlin, 1974] et le nécessaire assujettissement des managers à ceux-ci [Jensen et Meckling, 1976]. Bien que l'opposition systématique entre actionnaire et manager n'ait jamais été démontrée, cet antagonisme a permis d'enfermer le débat dans des termes commodes et consensuels qui empêchaient d'interroger la direction des grandes entreprises pour elle-même. Pourtant, en abolissant la propriété humaine des moyens de production, les sociétés par actions ont coupé court à la dialectique ancestrale du maître et du serviteur. L'actionnaire et le directeur ne sont pas deux niveaux hiérarchiques distincts, mais une division fonctionnelle qui renvoie à la séparation juridique et économique entre le capital-actions et le capital productif [Hilferding, 1910]. Le patrimoine financier, potentiellement considérable, que possèdent les actionnaires ne provient pas de la valeur des moyens de production qui appartiennent à l'entreprise, mais de la valeur boursière des actions. Il en résulte que les actionnaires sont des ayants droit vis-à-vis de la société par actions, non des propriétaires qui pourraient agir à leur guise avec elle. Certes, les actionnaires élisent une partie des directeurs, mais cette élection ne fait pas des seconds les subordonnés des premiers. Il peut exister des conflits entre actionnaires et directeurs, mais ils ne doivent pas dissimuler les cas, bien plus fréquents, de concorde. Cette division fonctionnelle ne donne pas à leur relation le caractère nécessairement antagoniste qui est celui d'une opposition dialectique. Dès lors, il convient de pénétrer la spécificité juridique et financière des sociétés par actions pour essayer de comprendre en quoi les dirigeants de grandes entreprises constituent un fait social sui generis.
Le choix des mots
Pour mener à bien cette ambition, il est important de prendre quelques distances avec les termes par lesquels les dirigeants de grandes entreprises sont habituellement saisis car ils charrient des représentations de l'ordre économique qui ne sont pas toujours en phase avec l'objet étudié.
La notion de patron, pour commencer, présente une série de difficultés qui empêchent de saisir correctement ce que sont les dirigeants de grandes entreprises. En premier lieu, elle ne fait pas clairement la distinction entre employeurs et dirigeants. Or, depuis le développement de la personnalité juridique des sociétés, ce sont de plus en plus les entreprises qui ont la qualité d'employeur et non les individus qui les dirigent. D'où la confusion, entretenue par les organisations patronales elles-mêmes, entre le patronat, compris comme organisation représentant les employeurs, et les patrons, entendus comme l'ensemble des chefs d'entreprises [Offerlé, 2009]. La deuxième difficulté est le risque qu'il y a à assimiler l'ensemble des chefs d'entreprises à un même groupe social, alors que c'est une population extrêmement hétérogène tant sur le plan des origines sociales que sur ceux de la fortune ou des orientations politiques [2021]. La troisième difficulté est de considérer que le travail de direction d'une petite entreprise et celui d'une grande sont de même nature et ne diffèrent que par la taille. Or, si la direction des petites entreprises est souvent une affaire très personnelle reposant essentiellement sur les épaules d'un seul dirigeant, celle des grandes entreprises est éminemment collective et s'appuie sur des instances collégiales telles que le conseil d'administration et le comité exécutif. Les fonctions du président et du directeur général, parfois cumulées dans la figure du P-DG, ne sont que la partie émergée d'une organisation plus large dont le terme « patron » rend insuffisamment compte. Enfin, le mot « patron », propre à la langue française, est d'un emploi difficile pour étudier les dirigeants des autres pays.
L'expression « élites économiques », traduite de l'anglais business elite ou corporate elite, n'est guère plus pertinente. L'idée d'élite, telle qu'elle a été reformulée par la sociologie américaine au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est avant tout un substitut opportuniste au concept de « classe dominante » ou de « classe capitaliste », dont l'usage était devenu politiquement risqué à l'ère du maccarthysme [Dudouet, 2019]. Elle porte en elle la représentation d'un monde des dirigeants de grandes entreprises fortement replié sur lui-même, où prédominent les grandes fortunes familiales et les logiques de reproduction sociale [Mills, 1945 ; 1956] alors même que l'analyse scrupuleuse des propriétés sociales des dirigeants ne le confirme pas [Keller, 1953 ; Newcomer, 1955]. Plus fondamentalement, l'élite est une notion mal définie qui sert, avant tout, à désigner un pouvoir devenu anonyme et difficile à circonscrire.
Les notions de « classe capitaliste » et de « bourgeoisie » renvoient à l'idée d'un groupe social détenteur des moyens de production, exerçant son contrôle sur l'économie du fait de la possession du capital. Or, comme Karl Marx [1867] l'avait très bien vu, les dirigeants des grandes sociétés par actions qui se multiplient à la fin du xixe siècle ne sont plus les capitalistes productifs ni même les capitalistes financiers qui détiennent les actions et captent la plus-value. Ils forment une nouvelle classe d'individus, les « managers », que Marx ne positionne pas vraiment au sein des rapports de production, si ce n'est qu'ils se situent à mi-chemin entre les capitalistes financiers et les prolétaires [Duménil et Lévy, 2015 ; Chirat, 2020].
La notion d'« entrepreneur », difficile à cerner [Chauvin et al., 2014], n'est pas plus adaptée pour désigner et décrire les dirigeants de grandes entreprises. Pour Max Weber comme pour Joseph Schumpeter, l'entrepreneur s'oppose à la structure bureaucratique des grandes firmes [Weber, 1922 ; Schumpeter, 1942]. La figure de l'entrepreneur qui prend des risques sur ses biens propres ou qui est porteur d'innovation résiste mal au fonctionnement bureaucratisé des sociétés par actions, où le risque comme l'innovation sont planifiés et détachés de la personne des dirigeants. Pour Thorstein Veblen [1923], la figure du capitaine d'industrie visionnaire et aventureux, introduisant de nouveaux procédés industriels, est avant tout un mythe populaire dont se sont emparés de nombreux hommes d'affaires américains au début du xxe siècle pour justifier leur réussite.
Aucun des termes par lesquels les dirigeants de grandes entreprises sont généralement saisis — « capitaine d'industrie », « homme d'affaires », business elite, « grand patron », « milliardaire », etc. — n'est réellement satisfaisant. Ils s'inscrivent tous dans des représentations de l'ordre économique et social qui ne sont pas attentives à la spécificité institutionnelle des sociétés par actions. Il nous faut donc une nouvelle définition préalable des dirigeants de grandes entreprises qui s'appuie sur la nature des institutions qu'ils dirigent et non sur la position et le rôle social qu'on leur attribue a priori.
Définition préalable
L'entreprise est une notion abstraite qui n'existe pas en droit. Elle recouvre une pluralité de réalités sociales qu'il est difficile de cerner. La société par actions, en revanche, possède un statut juridique précis que l'on retrouve de manière à peu près identique dans tous les pays du monde. Elle est aussi la forme juridique la plus fréquemment adoptée par les grandes entreprises. Avec la société par actions, nous pouvons circonscrire notre objet en spécifiant la nature des institutions étudiées et les modalités pratiques de répartition des pouvoirs en leur sein. Selon cette perspective, les dirigeants de grandes entreprises sont ce que le droit des sociétés par actions désigne comme tels, à savoir les mandataires sociaux, c'est-à-dire les individus désignés par l'assemblée générale des actionnaires non pour les représenter, mais pour représenter la société et la diriger. Ces individus forment un conseil d'administration ou de surveillance aux pouvoirs plus ou moins étendus suivant les pays. Ils sont limités en Allemagne, et dans les pays inspirés par le droit germanique, où le conseil de surveillance a surtout pour tâche de fixer la stratégie du groupe et de surveiller les agissements des dirigeants exécutifs. Ils sont bien plus étendus dans la plupart des autres pays où le statut d'administrateur peut être cumulé avec une fonction exécutive. Le droit distingue, encore, le président du conseil d'administration (chairman of the board of directors) et de plus en plus souvent le directeur général (chief executive officer ou CEO). Les deux fonctions peuvent être cumulées, donnant l'appellation président-directeur général ou P-DG (chairman and CEO). De plus en plus d'études s'intéressent aussi aux membres de la direction qui ne sont pas mandataires sociaux mais qui sont en charge des principales filiales ou divisions organisationnelles de la firme (production, vente, finances, ressources humaines, droit, communication, etc.). Dans le présent ouvrage, nous entendrons par dirigeants de grandes entreprises les membres des conseils d'administration ou de surveillance ainsi que les responsables des principales branches divisionnaires de la firme réunis, le plus souvent, dans un comité exécutif ou son équivalent. Les présidents et directeurs généraux pourront être distingués pour les besoins de l'analyse et recevoir, pour simplifier le propos, l'appellation de « patrons ». Il est difficile de fournir une définition exacte de la grande entreprise tant celle-ci varie suivant les époques et plus encore suivant les pays. Nous entendons par « grandes entreprises », principalement, des sociétés par actions dont les titres sont cotés en Bourse, employant directement au moins 5 000 salariés et réalisant l'équivalent d'au moins 1 milliard de dollars américains à la valeur de 2023. Afin de spécifier l'ordre économique produit par les sociétés par actions, qui ne se réduit pas à ce qu'on entend habituellement par capitalisme, libéralisme ou même managérialisme, nous avons décidé de qualifier les phénomènes à son endroit de « corporatique », en référence à la dénomination américaine des sociétés par actions (corporation).
Domaine d'étude
Il s'ensuit qu'un certain nombre d'acteurs souvent assimilés à la direction des grandes entreprises seront écartés de l'analyse. En premier lieu, cet ouvrage ne traite pas, sauf de manière incidente, des grandes fortunes et de la richesse en général [Pinçon et Pinçon-Charlot, 2000]. En effet, comme nous le verrons dès le chapitre i, la société par actions introduit une rupture entre fortune personnelle et pouvoir économique ; il n'est pas nécessaire d'être riche pour diriger une grande société par actions et, inversement, la richesse n'implique pas d'être dirigeant. Ensuite, nous ne traiterons pas non plus des acteurs de la finance, qui forment un monde relativement à part de celui des dirigeants de grandes entreprises [Montagne et Ortiz, 2013 ; Boussard, 2017]. Enfin, les organisations patronales, qu'elles soient saisies au plan national [Fraboulet, 2007 ; Offerlé, 2009] ou international [Michel, 2013 ; Louis, 2016 ; Morival, 2017], n'entrent pas non plus dans le champ de cette étude. Par manque de place, les pratiques dirigeantes, dont on sait très peu de chose et qui sont très difficilement observables [Dudouet et Lévis, 2023], ont aussi été écartées.
Conformément à l'orientation choisie, notre exposé démarre par l'analyse des sociétés par actions et les révolutions juridique, financière et sociologique qui ont accompagné leur essor (chapitre i). Les chapitres ii, iii et iv sont consacrés à la morphologie sociale des dirigeants de grandes entreprises au travers des origines sociales et éducatives, des types de carrière et de l'internationalisation des directions. Le chapitre v aborde leur rapport à la finance, tandis que le chapitre vi expose les griefs moraux qui leur sont adressés et les registres d'argumentation qu'ils mobilisent pour y répondre.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
Qui dirige les grandes entreprises ?
Dépasser l'opposition actionnaire-manager
Le choix des mots
Définition préalable
Domaine d'étude
I. L'essor des sociétés par actions
Des sociétés à capitaux aux compagnies à charte
La révolution juridique
La société anonyme
The British Limited Company
Diffusion et libéralisation de la société par actions
La révolution financière
Le boom des marchés actions
Capital financier et capital productif
Encadré 1. Définition et prix des actions
L'émancipation de la rente
La ” révolution managériale “
La séparation du patrimoine et du pouvoir économique
Encadré 2. Réflexion de Karl Marx sur les sociétés par actions
La bureaucratisation de l'économie
La civilisation de la société par actions
Le ” managérialisme “
II. Origines sociales et éducatives
Les études conduites aux États-Unis
Fermeture ou ouverture sociale
L'affirmation des classes moyennes supérieures
Encadré 3. L'idéal-type du dirigeant américain en 1950
Les études menées à travers le monde
Royaume-Uni
Allemagne
France
Asie et Égypte
Bilan des études sur les origines sociales et éducatives
Des origines sociales hétérogènes
Essor de la classe administrative
III. Les carrières de dirigeants
Fondateurs et héritiers
Les fondateurs
Les héritiers
Encadré 4. La Tech à l'avant-garde du managérialisme
Les carrières managériales
La prédominance des carrières bureaucratiques
Corporate honorum
Encadré 5. La course aux honneurs de Kazuo Hirai
Spécificités nationales et évolutions récentes
Les spécificités nationales
De l'homme organisationnel à l'agent transorganisationnel
L'internationalisation des carrières
L'essor des formations en administration des affaires
Les rapports à l'État
La mobilité bureaucratique
L'interventionnisme étatique
IV. Internationalisation des directions
L'internationalisation des états-majors
Les réseaux transnationaux de dirigeants
Logiques de place et imbrication hiérarchique des milieux d'affaires
Le double jeu des dirigeants de grandes entreprises au regard de la ” grande stratégie “
V. Les rapports à la finance
L'exercice du pouvoir financier à travers les réseaux d'affaires
La centralité bancaire dans les réseaux d'administrateurs d'entreprises
Encadré 6. Méthode d'analyse des réseaux d'administrateurs
Directions imbriquées et diffusion des pratiques financières
Les interprétations concurrentes de la baisse des interlocks
La position d'interface dans les opérations financières
L'internalisation de la finance dans la gestion des grandes entreprises
Les organes de direction
Les instruments de gestion
La financiarisation des carrières dirigeantes au sein des grandes firmes
Un travail technique d'organisation et de contrôle des architectures financières
Le code du capital : un droit sans cesse plus pro-business ?
La complexité des holdings
Le travail discret des montages offshore
La ” financiarisation ” comme cage d'acier des dirigeants
VI. Économie morale et morale économique
Les griefs adressés aux ressorts de la domination des dirigeants
Le grief de la richesse : la fortune suspecte des fondateurs
Le grief de l'impunité pénale : la criminalité en col blanc
Le grief de l'exemption fiscale : l'inégalité de contribution
Le grief de l'écocide : la nuisance écologique
Encadré 7. Catastrophes écologiques majeures d'origine industrielle
Des engagements publics questionnés
Les engagements politiques
Les engagements dans les médias
Les engagements philanthropiques et le mécénat
La neutralisation des oppositions par le management de la vertu
L'invention de la responsabilité sociale des entreprises (RSE)
Les obligations faites aux firmes
Les marchés de la vertu
Les politiques de diversité
La parité des sexes
La diversité ethnique
Conclusion
Repères bibliographiques.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
fxdudouet (26 septembre 2024). Les grandes entreprises dirigeraient notre monde, mais qui dirige les grandes entreprises ? . Sociologie politique de l'économie. Consulté le 17 octobre 2024 à l'adresse https://doi.org/10.58079/12cp0
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« Sur Lénine »

En librairie le 30 octobre
Publié aux éditions Parti pris en 1972, « Sur Lénine » se présente comme une introduction à la pensée de celui qui fut l'un des principaux artisans de la révolution d'Octobre. Cette insurrection, Lénine y contribua d'abord en tant qu'intellectuel militant, ce dont témoignent les thèmes analysés ici : la tactique, le parti, l'État et la question nationale. S'appuyant sur un vaste corpus de textes, l'auteur donne à voir une « pensée vivante », attentive aux changements de conjoncture, qui s'oppose à l'image sclérosante qu'a pu en donner le marxisme-léninisme de Staline.
« La pensée politique de Lénine est le fruit d'une réflexion sur les problèmes qu'il affronta dans sa pratique politique quotidienne. Sa réflexion surgit toujours de conjonctures concrètes : elle s'approfondit et se modifie selon les déterminations spécifiques de chacune. »
(Jean-Marc-Piotte)
L'AUTEUR
Jean-Marc Piotte (1940-2022) était syndicaliste et professeur émérite à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) où il a enseigné la science politique pendant 35 ans. Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont La pensée politique de Gramsci et Les Nouveaux Visages du nationalisme conservateur au Québec (avec Jean-Pierre Couture).
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Nature et culture dans un monde qui se réchauffe

Pour la panique
Pour ceux qui ont une situation matérielle confortable, sûre et non menacée dans l'immédiat par le changement clima¬tique, comme c'est généralement le cas des universitaires occidentaux, la seule façon de rester alerte quant à l'ex¬trême urgence du problème est de s'informer régulièrement, de façon hebdomadaire ou quotidienne, des nouvelles par¬venant des lignes de front de cc monde en réchauffement. En juillet 2016- le mois le plus chaud jamais enregistré sur terre jusqu'alors, les températures autour du golfe Persique ont côtoyé les limites de ce que le corps humain peut supporter. A Bassorah, elles ont atteint 54 ° [1], Zainab Guman, une étudiante de 26 ans, a déclaré à un journaliste du Washington Post qu'elle évitait de sortir de chez elle en journée pendant l'été, car c'était comme « entrer dans un brasier » : « C'est comme si tout votre corps - votre peau, vos yeux, votre nez - se mettait à brûler [2] En novembre 2016, la Bolivie a décrété l'état d'urgence face aux pénuries d'eau dans les villes de La Paz et d'El Alto. Les glaciers ali¬mentant ces deux villes en périodes sèches ont fondu par¬tiellement ou entièrement, laissant les réservoirs vides et forçant l'État à imposer le rationnement en eau et à forer désespérément à la recherche de réserves. Munis de seaux, les habitants ont dû faire la queue des heures durant [3] En juillet et en septembre de la même année, deux glaciers se sont soudainement décrochés au Tibet, laissant les scienti¬fiques interloqués et provoquant des avalanches de glace et de rochers sur une dizaine de kilomètres carrés [4]. Fin 2016, le Guardian a publié une série de reportages sur des villages ensevelis sous le sable au Soudan oriental. Les oscillations entre sécheresse et pluies torrentielles abîment les sols, le niveau de l'eau diminue dans les rivières, des champs autre¬fois fertiles sont transformés en sols arides et craquelés, des forêts en vastes déserts. « Le plus inquiétant, c'est quand la maison est ensevelie [sous le sable] la nuit et qu'on ne peut rien faire d'autre qu'attendre dans le noir jusqu'au matin pour se frayer un chemin vers l'extérieur », explique Hamud El-i\our, 70 ans. [5] Au Bangladesh, c'est la montée du niveau de la mer qui menace des villages : « L'océan nous torture", affirme Pushpo Rani Das, 28 ans, mère de trois enfants qui a dû changer quatre fois de lieu d'habitation pour échapper à la violence des vagues. « On ne peut pas l'arrêter. À chaque marée haute, l'eau s'infiltre dans ma maison, surtout pen¬dant la saison des pluies » [6]
Les productions au sujet de cette guerre restent cruelle¬ment insuffisantes. Il n'existe toujours pas de Planet of slums \Le pire des mondes possibles, de Mike Davis] ou de High 1ïde \Marée montante, de Mark Lynas cartographiant l'état d'urgence climatique permanent qui est en train de s'ins¬taller dans les pays du Sud. En revanche, les résultats des scientifiques s'accumulent. Les auteurs d'une étude publiée dans Nature Climate Change en septembre 2016 ont estimé, à l'aide de simulations et de données historiques, la diminu¬tion des récoltes de blé que provoquera le réchauffement. L'étude prévoit un déclin moyen de 5,7 % par degré supplé¬mentaire, avec d'importantes variations cependant. Les pays chauds - proches des tropiques et hébergeant la majorité de l'humanité pauvre - subiront de plus lourdes pertes : de 11 à 20% en Haute-Egypte, contre environ 4 % en France. [7]
Des nouvelles fraîches nous sont parvenues de scientifiques basés en Antarctique. Les plateformes de glace soutiennent les inlandsis et les empêchent de glisser dans la mer, mais quand leur surface fond suffisamment pour former des bas¬sins, l'eau peut s'infiltrer profondément dans des cavités à travers les plateformes de glace jusqu'à ce qu'elles rompent ; tandis que ces événements catastrophiques se sont produits plusieurs fois dans la péninsule Antarctique, des processus similaires ont désormais cours dans la partie orientale du continent d'après les observations des scientifiques sur le ter-rain [8]. La plateforme de glace du glacier de Totten retient un volume de glace équivalent à une augmentation de 3,5 mètres du niveau des océans. L'eau de fonte et un océan réchauffé la rongent de l'intérieur [9]
Et ainsi de suite. Certains à gauche maintiennent que les progressistes ne devraient pas attiser la panique - il faudrait être moins « catastrophiste » et « apocalyptique » - mais si l'on se fie au réalisme climatique et si l'on se tient à jour des observations scientifiques, c'est l'inverse qui est de rigueur. Donna Orange rappelle cet exemple classique de l'embarras psychanalytique de Sigmund Freud lui-même qui refusa de voir venir l'annexion nazie et ne quitta Vienne qu'au der¬nier moment, abandonnant à leur destin tragique plusieurs membres de sa famille. « L'analogie avec l'urgence clima¬tique actuelle est évidente : quand on ne panique pas de façon appropriée, on ne peut pas prendre de mesures radicales en conséquence [10] » Osons ressentir la panique. Puis choi¬sissons entre les deux options principales : s'engager dans l'opposition la plus militante et déterminée à ce système, ou rester assis à regarder le déluge.
Ce n'est pas le moment d'abandonner
Dès lors, que peut-on en corn accomplir dans le combat visant à maximiser nos chances de survie ? Si les digues des 1,5 °C e1 2C venaient à céder, nous serions encore loin des 8 °(' de réchauffement moyen promis si la totalité des réserves prouvées de combustibles fossiles était brûlée. C'est l'écart entre un climat très dangereux et un climat invivable. Il rend scientifiquement indéfendable la position selon laquelle il n'importe plus aujourd'hui que les réserves fossiles soient utilisées ou non, ou l'opinion selon laquelle des émissions nulles demain ne feraient aucune différence. Tels sont les deux objectifs que la résistance devra poursuivre dans les décennies à venir : ni extraction ni émissions [11]. Mais nous ne les atteindrons peut-être pas avant de nombreuses décen¬nies, et alors il faudra certainement ajouter à la décarbo¬nation totale de l'économie-monde le déploiement massif' de technologies à émissions négatives afin d'éviter le pire. Nous avons manifestement d'ores et déjà passé le cap à par¬tir duquel celles-ci deviennent nécessaires pour stabiliser ln climat - c'est-à-dire nous ramener autour de 350 ppm -, ce qui exige de les envisager sérieusement, quand bien même elles ne peuvent que s'ajouter au démantèlement total do l'économie fossile. Le présent ouvrage ne saurait étudier la plausibilité d'un déploiement massif de ces technologies (les données empiriques indiqueront peut-être qu'elle est faible), mais elles figurent parmi les paramètres du combat à venir :
Il faudra user de tous les moyens potentiellement disponibles pour faire de cette planète vulnérable un espace vivable. Ce ne sera pas un dîner de gala. Si certains des pires scénarios se réalisaient, on devra peut-être même en passer par une lutte pour l'abandon programmé de la gestion du rayonne¬ment solaire. Il faudrait sans doute envisager la stabilisation du climat - à l'issue de laquelle les forces autonomes de la nature pourront de nouveau régner sans mettre en péril la civilisation humaine - comme un projet révolutionnaire pour les quelques siècles à venir. Dans ce laps de temps, il faudra lutter sur plusieurs fronts afin de garantir une réelle adaptations, car l'état de réchauffement approfondira et multipliera les fractures sociales, en tout cas à moyen terme [12] Ce n'est pas le moment d'abandonner la radicalité politique. (pages 195-198)
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[1] Michael Slezak, « July 216 was world's hottest month since records began, says, Nasa », Guardian, 17 août 2017 ; Jason Samenow, « Two Middle East locations hit 129 degrees, hottest ever in Eastern Hemisphere, maybe the world », Washington Post, 22 juillet 2017 Note – 508
[2] Hugh Taylor, « A epic Middle East heat wave could be global warming's hellish curtain-raiser », Washington Post, 10 août 2016. Voir aussi Jeremy S. Pal et Elfaith A.B.Eltahir, « Future Temperature in Southwest Asia Projected to Exceed a Threshold for Human Adaptability », Nature Climate Change, 6, 2016, p.197-200 ;J. Lelieveld, Y. Proestos, P. Hadjinnicolaou et al., « Strongly Increasing Heat Extremes in the Middle East and North Africa (MENA) in the 21st Centruty » Climate Change, 137, 2016, p. 245-260. Note-509
[3] John Rocha, « Shrinking glaciers cause state-of emergency drought in Bolivia » Guardian, 28 novembre 2016. Voir aussi Nick Buxton, Marisa Escobar, David Purkey et Nilo Lima, « Water Scarcity, climate change and Bolivia : Planning for Climate uncertainties », Stockolm Environmental Insitute, Éléments de débat, 2013, sei-international.org, note-510
[4] Kate Ravillous, « Climate change likely cause of freak avalanches », Guardian, 4 décembre 2016, note-511
[5] Hannah McNeish, « We have almost been buried » : the Sudanese villages being seallowed by sand ». Guardian, 19 décembre 2016 note -512
[6] Karen McVeigh, « On the climate change frontline : the disappearing fishing village of Bangladesh, note -513. »
[7] Bing Liu, Senthold Asseng, Christoph Muller et al., « Similar Estimates of Temperature Impacts on Global Wheat Yield by Three Independant Methods », Nature Climate Change, 6, 2016, p. 1130-1136, note 514
[8] J.T.M. Lenaerts, S. Lhermitte, R.Drews et al., « Meltwater Produced by Wind-Albedo Interaction Stored in an East Antartic Ice Shelf », Nature Climate Change, 7, 2017, p. 58-62, Note -515
[9] Stephen Rich Rintour, Alessandro Silvano, Beatriz Pena-Molino et al., « Ocean Heat Drives Rapid Basal Melt of the Totten Ice Shelf » Science Advances, 16, décembre 2016. Note – 516
[10] Orange, Climate, op.cit., p.16. note-5l7
[11] Le plus convaincant des manuels indiquant comment mettre fin à l'usage des combustibles fossiles dans l'économie-monde en un laps de temps le plus court possible est Laurence I. Delina, Strategies for Rapid climate mitigation : Wartime Mobilisation as a Moder for Action ?, Londres, Routledge, 2016, -note 518
[12] Pour de plus amples réflexions à ce sujet, voir Andreas Malm, « Revolution in a Warming World : Lessons from the Russian to the Syrian Revolution »,in Leo Panitch et Gred Albo (dir.) Socialist Register 2017. Rethinking Revolution. Note - 519

Décroissance : Socialisme ou communisme ?

Le livre à grand succès de Kohei Saito « Moins ! », paru au Seuil en septembre 2024, montre de façon convaincante que le capitalisme est la cause des principaux maux qui accablent la planète. C'est entretenir notre combat pour le vaincre que de nommer l'alternative que nous lui préparons : socialisme ou communisme.
Tiré du blogue de l'auteur.
Les mots sont pour chacun chargé de mémoire et peuvent, de ce fait, perdre la simplicité de leur première signification à laquelle vient s'ajouter toute une histoire qui éloigne jusqu'à les opposer des utilisateurs en manque de réflexion.
La compréhension de l'être nous situant dans l'infini (v. dernier billet) nous sommes assurés de vivre, dans un temps qui s'éloigne tant que nous nous refusons de rendre vrai notre regard, l'époque où l'humanité aura retrouvé la voie de son accomplissement. A cette époque sera donné un nom. Mon grand âge me porte vers ces noms peut-être du passé, socialisme et communisme. Il me revient le souvenir d'une velléité de répondre à Daniel Bensaïd qui venait d'écrire un texte à la gloire du terme communisme pour défendre le mot socialisme. Je le défendrais encore aujourd'hui.
Le livre à grand succès de Kohei Saito « MOINS », Seuil, septembre 2024, cité KS, démontre que le capitalisme est la cause principale de tous les maux qui accablent la planète. Il nous invite à abandonner ce mantra qui nous paralyse : « qu'il n'y a pas d'alternative, alors que ce capitalisme commence à se fissurer » (p.125). L'auteur est marxiste et a pour horizon le communisme. Sa critique, très riche en informations sur les faits, s'appuie sur les dernières réflexions de Marx. Le discours est empirique et abandonne le recours à des principes qui en fonderaient la vérité en raison. Ainsi en était-il du matérialisme historique considéré un temps comme ayant valeur scientifique. Il nous assurait que l'état des forces productives constituait une infrastructure qui gouvernait nos institutions sociales, superstructures dépourvues de véritable autonomie. Les faits, même les plus évidents, pouvant toujours être contestés et la cécité de certains pour refuser d'y consentir étant grande, mieux vaut établir quelques principes avant d'en connaître.
Principes
Principe de vérité
La vérité est partout bafouée et le mensonge est roi. La revendiquer comme seule lieu où échanger des paroles a encore un sens est dérisoire. Les clientèles qui consolident un pouvoir sont manipulées grâce à l'usage immodéré qui est fait de la fausse information. Il est au moins une imposture, une tricherie intellectuelle à la base de l'institution qui permet aux fauves qui peuplent notre jungle de saccager le jardin que de pacifiques travailleurs tentent d'aménager pour le bonheur de vivre ensemble. Cette institution est la propriété privée et le capitalisme. Avoir fait de cette propriété un droit est le coup de force le mieux réussie de l'histoire des hommes, la force s'y étant déguisée en juste (v.billet du 1er avril 2024), au point que ce dimanche 13 octobre, sur LCP, dans un débat qui posait encore la question de savoir si l'écologie pouvait être de droite, personne n'a osé prononcer le mot capitalisme pour désigner l'institution qui, au travers de la recherche frénétique du profit, constitue le facteur le plus contraire à l'objectif que tous les interlocuteurs désignaient comme le leur : maîtriser la croissance.
Les appellations gauche/droite, purement géographiques, n'ont plus guère de sens dans notre pays sans vérité. L'écologie ne peut qu'être anticapitaliste, et l'être constitue même à mon sens la condition pour se dire de gauche. Seule la prétention nulle part justifiée du capitalisme à constituer la norme peut situer l'anticapitalisme dans une zone qualifiée « extrême », c'est-à-dire privée de légitimité par ceux qui ont établi la norme qui fonde leur domination.
Principe d'universalité
La disqualification du prétendu droit de propriété est sans appel possible. Un système juridique qui reconnaît ce droit ne peut se recommander du Droit, un Droit qui, sortie de l'emprise d'un déterminisme matérialiste de l'histoire a retrouvé son autonomie et dont Hans Kelsen a décrit ce qu'il a appelé sa pureté et dont Jacques Bouveresse a tenté de dire la vérité (v.billet précité).
Le principe d'universalité se déduit d'une option. A chacun d'adhérer à l'une ou à l'autre, à la condition, cette option tenant d'un chois de raison, de conduire sa rationalité jusqu'au bout. Je vais énoncer la première, celle que je propose. Je dirai ensuite un mot de la seconde. Ne pas choisir est, selon moi, emprunter la seconde.
La première option repose sur le refus qu'il puisse y avoir une génération spontanée. Il y a quelque chose, de l'existant, un ou des univers. Il n'y a donc pas « Rien ». Quelque chose ne pouvant sortir de rien, il y a donc toujours eu quelque chose. « Être », qui représente l'objet philosophique par excellence, exprime ce toujours. Ce qui est n'est pas précédé, ne peut disparaître, peut varier dans ses modalité, ses modes d'existence, nous situe dans un infini, lequel ne nous est pas étranger et que nous sommes invités à vivre, l'ayant pensé et disposant d'une liberté pour édifier un monde pouvant l'accueillir. Tout cela fait l'objet de la méditation qu'est ce blog, méditation jamais terminée et qui ne peut s'accomplir qu'en multitude.
Être nous invite à chaque jour croître en être et en liberté. Aucun humain ne doit être exclu de cette croissance. Là est le lieu de l'universalité.
La seconde option admet la génération spontanée. Sa définition appartient à ceux qui la prennent. Je ne pense pas trop la trahir en la résumant : dans un monde qui surgit de rien il appartient à l'entreprise des malins de fixer un cap, pour bien qu'assoiffés d'infinitude, il faille vivre la finitude inscrite dans le hasard d'un surgissement.
Malins, c'est un compliment, ils sont intelligents, entreprenants et leur mégalomanie nourrit l'admiration et la soumission. C'est aussi une crainte de démonisme, nature de celui qu'on a nommé le Malin.
Principe de liberté
De la liberté il a beaucoup été question dans ce blog. La liberté y est consubstantielle à l'être. La liberté ici diffère sans doute beaucoup de celle dont les malins parlent, la capturant chacun à leur profit, la refusant le plus possible à l'autre. J'ai condensé l'idée de liberté en adhérant pleinement au cri de Franz Fanon : « Ma liberté m'a été donnée pour édifier le monde du toi ».
Je me limite ici à me réjouir que K. Saito ait une conception de la liberté très proche. Notre auteur ne s'embarrasse pas de nuance. La liberté du capitaliste est de choisir la voie de l'autodestruction, c'est une « mauvaise liberté » (p. 239). C'est la vision de Marx à la fin de sa vie, d'un Marx revenu à cet humanisme qui était le sien avant 1845. Le regard qu'il porte sur les choses est immensément humain et bénéficie de l'autorité d'un homme de génie, qui s'est lourdement trompé mais dont l'erreur a été terriblement amplifiée par des hommes qui portaient déjà en eux de la malignité, d'un homme qui a élevé très haut sa préoccupation pour l'homme. Il convient de souligner que Marx dans le Capital a déjà amorcé un tournant écologique et perçu les perturbations de l'environnement causées par le capitalisme (p. 138/140) et qu'il est à la recherche d'une nouvelle rationalité mettant l'accent sur la durabilité et l'égalité (p. 160 et s.).
Faits
Le regard est subjectif, les faits sont réels. Les relier à des principes a paru leur donner une petite chance supplémentaire pour acquérir de l'objectivité , être entendus. Le sens de l'humain a été atrophié, anesthésié par des décennies, voire des siècles, d'une culture encensant un certain type d'homme, caricature du véritable. De même que l'on naît poète et que l'on devient orateur, le sens de l'humain tient à l'inné, la raison peut être éduquée.
En grand accusateur du capitalisme, K. Saito s'appuie essentiellement sur une lecture des faits qui me paraît avoir la vérité de l'évidence. Certaines pages cependant devraient être plus rigoureusement renseignées pour emporter l'adhésion. Si l'essor du capitalisme réalisé « sur le démantèlement des communs » peut apparaître aujourd'hui appauvrir davantage qu'il n'enrichit il a pu un temps être regardé comme une voie, nécessairement couteuse, pour libérer certaines couches de la population de modes de vie oppressives. Ce temps a malheureusement était prolongé par les malins qui font tout pour empêcher les oreilles naïves d'entendre les voix raisonnables. Si le démantèlement des communs a bien permis « l'accumulation primitive » du capital, lieu de la tricherie fondatrice, reste à chiffrer « l'augmentation artificielle de la rareté » que cela a provoquée (p.209/210).
Saito rend compte tout d'abord du lien quasi inhérent au triste génie du capitalisme qui conduit celui-ci à saccager notre environnement et à bouleverser notre climat. Il montre ensuite qu'un certain type de décroissance est nécessaire. Le phénomène migratoire étant devenu le prétexte d'une alliance mortifère entre un peuple abusé et le capitalisme, où plutôt d'une capture du premier par le second, je me limiterai à ce que l'auteur dit à son sujet.
Dès le début de son ouvrage le « pillage de l'environnement » se révèle accompagné d'un « pillage de l'humanité » (p. 51). « La dégradation des conditions de vie des populations du Sud a permis le capitalisme » (p. 24). « L'externalisation » des coûts du Nord vers le Sud sera par la suite richement informée. Le lien avec la tolérance d'inégalités astronomiques, destructrices de toute unité du genre humain est établi. « En refusant de limiter les injustices, le capitalisme réduit la probabilité de survie de l'humanité » (p. 99). Le capitalisme et le train de vie qu'il a permis à une parie de l'humanité conduit inexorablement une autre partie à l'exode. Au mouvement d'hospitalité que la reconnaissance de leur égale humanité devrait faire naître s'ajoute une dette que nous ne pourrons jamais solder. Si l'hospitalité a pour limite nos « possibilités » et la satisfaction que nous devons également aux marginaux du Nord, ces possibilités sont à apprécier à l'aune d'une justice aussi réparatrice que reconnaissante.
De façon purement anecdotique me revient le mot de l'expert qui en cette soirée du 13 octobre évoquée ci-dessus, était invité à donner une opinion informée. Pensant dire un mot qui à la fois préservait la bienveillance et la rigueur, il appelait à ne pas confondre migrants et immigrants. J'ai, malveillant, entendu que les migrants étaient des gens très biens, sauf quand ils nous demandaient un partage.
La restauration des communs
« Le communisme, c'est restaurer les communs » écrit Saito (p. 228). Le socialisme doit également restaurer les communs, à grande échelle. Mais il ne fait pas de ceux-ci l'unique univers de l'homme. Le communisme peut également préserver cette part inaliénable qui doit permettre le déploiement des subjectivités dans leurs singularités les plus amples, le mot socialisme me paraît simplement convenir mieux. Est social ce qui donne une part juste à tous, ce qui permet au regard de se détourner de la contemplation de soi-même pour envelopper le monde dans sa préoccupation.
La propriété de nos codes emporte les droits de disposer, d'user, de bénéficier des fruits, l'abusus, l'usus et le fructus. Le fructus peut être rattaché à l'abusus (exemple des loyers) et disparaître avec lui, ou à l'usus, au droit subjectif d'usage.
Tous les penseurs soucieux de vérité ont vu en l'usage le mode par excellence permettant d'avoir avec les choses que les juristes alors nomment des « biens » un rapport humain. Humain et ne fermant pas à tout avenir comme le fait le capitalisme. C'est pourquoi la référence s'impose au petit livre de Gaël Giraud et Felwine Sarr, lequel insiste sur l'usage, et a pour titre : « L'économie à venir ».
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À Mayotte, une schizophrénie collective

Le 18 octobre, Rémi Carayol publie Mayotte. Département colonie aux éditions La Fabrique. Dans cet ouvrage, le journaliste déconstruit notamment le récit (français) d'une île dont l'histoire est plus complexe qu'il n'y paraît. Afrique XXI en publie des extraits.
Tiré d'Afrique XXI.
« Dans ce livre, je prends le parti d'employer les noms comoriens des quatre îles de l'archipel des Comores et non leurs versions « francisées » issues de l'histoire coloniale : Mayotte est Maore ; la Grande Comore, Ngazidja ; Anjouan, Ndzuani ; et Mohéli, Mwali. » Rémi Carayol (membre du comité éditorial d'Afrique XXI) pose le décor dès la première page de son dernier livre, Mayotte. Département colonie, qui paraît le 18 octobre aux éditions La fabrique.

Car le propos est bien celui-ci : déconstruire un récit colonial véhiculé depuis un siècle et demi pour justifier une colonisation qui ne dit (presque) plus son nom. Maore n'a pas, comme ses « sœurs » comoriennes, accédé à l'indépendance en 1975. Pourtant, « aucune de ces îles ne va sans les autres », rappelle d'emblée le journaliste. En cinquante ans, l'ONU a plusieurs fois condamné la France en vertu du principe selon lequel une décolonisation doit s'effectuer dans le cadre des anciennes frontières pour ne pas atteindre à l'intégrité territoriale d'un pays. En vain.
Pour que la France reste sur place, la réécriture historique est permanente, qu'elle soit du fait de Paris ou de certains Mahorais. Première intox démontée : Maore serait devenue « française » bien avant Nice et la Savoie. En réalité, si les dates semblent donner raison à cette affirmation (l'une des « expression-marteau » qui ancrent durablement une idée dans la tête du public), puisque l'île est « cédée » à la France en 1841, Maore ne devient pas française. Les habitants sont demeurés des indigènes jusqu'en 1946, comme ceux des autres colonies d'Afrique.
Injonctions contradictoires
Au fil des 220 pages, Rémi Carayol s'attache à proposer une lecture le plus juste possible de l'histoire de cette île devenue un département français en 2011 après bien des manipulations. Comment un peuple colonisé en arrive-t-il à revendiquer son attachement à la « métropole » au point d'épouser les thèses racistes de l'extrême droite française, comme celle du « grand remplacement », dont il serait victime à cause des arrivées de Comoriens et, depuis peu, d'Africains du continent ?
Cette particularité mène à une « schizophrénie collective » des Mahorais qui doivent jongler entre les injonctions contradictoires de l'administration coloniale et leurs coutumes séculaires… En définitive, qu'y a-t-il de français à Maore à part les mzungu, qui vivent pour beaucoup dans des « ghettos de Blancs » et qui tentent de maintenir le statu quo ? Cette question devient obsédante quand on referme l'ouvrage.
Afrique XXI publie ci-dessous une partie du chapitre VI intitulé « Peau comorienne, masques français » avec l'autorisation de La Fabrique et de l'auteur.
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L'histoire d'un malentendu
« L'HISTOIRE DE « MAYOTTE FRANÇAISE » EST NÉE D'UN MALENTENDU, ou du moins d'un non-dit. Les drapeaux bleu-blanc-rouge qui volent au vent en permanence sur l'île n'ont pas la valeur que les nostalgiques de l'Empire veulent lui donner. Cette revendication « ne procède pas d'une émotion patriotique pro-française », comme le soulève dès 1976 le journaliste Jean-Claude Guillebaud dans un ouvrage consacré aux « confettis de l'Empire » (1), mais bien d'une volonté, pour les dirigeants du mouvement séparatiste, de rompre avec les autres îles de l'archipel avec l'appui d'une puissance présentée comme protectrice. C'est précisément ce que dit le slogan préféré des partisans de la séparation : « Nous voulons rester français pour être libres. » Ce qui revient à Maoré à vouloir rester colonisés pour être libres.
On ne peut comprendre cette contradiction que si l'on considère que l'attachement à la France, ici, n'est pas le but du projet séparatiste mais le moyen. C'est pourquoi les leaders politiques mahorais se sont battus pendant des années pour obtenir le statut de département. Il ne s'agissait pas de devenir « aussi français que les Français » (le but), mais bien de se munir d'un bouclier institutionnel face aux revendications territoriales de l'État comorien (le moyen), puis, lorsque cette menace s'est éloignée, d'en tirer les bénéfices en matière économique notamment. On ne voulait plus seulement rester français, on voulait désormais devenir département. Sauf que personne, parmi les leaders du mouvement séparatiste, n'a jamais osé dire aux Mahorais ce que signifiait concrètement la départementalisation, ni à quoi elle aboutirait. À force de ressasser le « mot-marteau », on en a fait un dogme incompris. Si bien qu'au fil des ans, le moyen est devenu le but, contribuant à plonger la société mahoraise dans une profonde schizophrénie que l'histoire des « vieilles » colonies et les écrits de Frantz Fanon et d'Albert Memmi aident à comprendre. [...]
La lecture de Fanon est utile lorsqu'on vit dans l'archipel des Comores. Le psychiatre et révolutionnaire martiniquais n'a probablement jamais mis les pieds aux Comores mais certaines lignes qu'il couche sur le papier dans Peau noire, masques blancs (1952) et Les Damnés de la terre (1961) semblent décrire ce qu'il s'y joue aujourd'hui. « Face à l'arrangement colonial le colonisé se trouve dans un état de tension permanente. Le monde du colon est un monde hostile, qui rejette, mais dans le même temps c'est un monde qui fait envie. » Mais il arrive un moment où, « après des années d'irréalisme », le colonisé « prend une conscience très aiguë de ce qu'il ne possède pas », de l'aliénation mentale, de l'inégalité matérielle, et alors il se révolte contre « les seules forces qui lui contestaient son être », les forces du colonialisme. On n'en est pas encore là à Maore, où la remise en cause du système colonial n'est jamais frontale. Mais la multiplication des mouvements sociaux et des grèves générales montre qu'on s'en approche.
Des « contradictions de toutes sortes »
Dans Peau noire, masques blancs, Fanon fait la démonstration que le destin du Noir français (en l'occurrence antillais) est de devenir blanc, que c'est le seul moyen pour lui d'être reconnu en tant qu'être humain, mais que cela relève de l'impossible car cette blancheur restera à jamais hors d'atteinte. Pour Fanon, cette impasse explique les troubles individuels et collectifs qui frappent la société antillaise. Ces troubles, une lointaine consœur de Fanon les a étudiés à Maore. Patricia Janody a exercé la psychiatrie durant plusieurs courts séjours dans l'île entre 2004 et 2011. Et elle en a tiré un très beau récit, L'Odeur de Mayotte. Une clinique des frontières (Epel, 2022).
Elle raconte avoir été confrontée durant ses missions à la difficulté d'exercer dans un tel milieu, « empêtrée dans des contradictions de toutes sortes » (2), à commencer par sa méconnaissance de la langue, un sérieux obstacle dans son travail. Elle décrit et contextualise les troubles qu'elle a rencontrés et aboutit à la conclusion que certains d'entre eux sont directement liés à la situation politique. Elle narre notamment le cas d'une patiente dépressive, dénommée « Ahmed ».
Janody est surprise qu'une femme porte le prénom d'un homme. Grâce à l'aide de l'interprète, elle découvre l'ingénierie proprement coloniale qui a abouti à cette situation. « Ahmed » et l'interprète lui expliquent que jusqu'à récemment, un nouveau-né mahorais recevait son nom d'après trois degrés de filiation : le nom du nouveau-né + le nom du père + le nom du grand-père paternel. Ainsi dans le système comorien, à chaque génération, le nom du père vient s'ajouter à celui du fils. Abdou Madi signifie « Abdou, fils de Madi ». Mais ce modèle ancestral, considéré comme fiable et cohérent par les Comoriens, ne correspond pas à celui en vigueur en France : prénom + patronyme.
Durant toute la période coloniale et même après, les autorités l'ont toléré d'autant plus aisément que la plupart des Comoriens avaient peu de rapports avec l'administration. Mais au milieu des années 1990, lorsque la « marche vers le droit commun » a été engagée à Maore [le nom comorien de Mayotte, NDLR], accentuant le contrôle étatique des populations, l'administration a entrepris de tout remettre à plat, à sa convenance, ce que Janody appelle une « opération de substitution radicale ». Un immense chantier a été lancé pour renommer les gens. Une commission spéciale « relative aux noms patronymiques » a été mise sur pied en 1996. L'année suivante, une brochure intitulée « Le Livre des noms et prénoms mahorais », diffusée par la préfecture, proposait une liste de « prénoms susceptibles de devenir des noms patronymiques » – dont très peu de noms d'origine arabe et de signification religieuse musulmane, comme l'a constaté en 1999 un trio de chercheurs (3).
« Le village et la religion restent au centre de nos vies »
Un an plus tard, une ordonnance fixe les nouvelles règles qui prévoient que « les Mahorais de statut personnel doivent choisir un nom patronymique parmi une liste établie par une commission du nom patronymique créée en 1997 ». Une commission de révision de l'état civil, la CREC, est chargée d'effacer le nom des Mahorais et de leur en attribuer un nouveau, suivant des critères qui échappent bien souvent aux principaux concernés. En dix ans, elle a rendu 85 000 décisions ayant conduit à l'édition de 240 000 actes d'état civil. Du jour au lendemain, on peut ainsi changer de nom ou de prénom. La plupart en rient mais d'autres le vivent mal. « Quand le contexte social soutient le processus, il y a moyen de s'identifier à son nom en souplesse, en laissant glisser ailleurs qu'en soi ses effets de dérobement », constate Patricia Janody.
Mais quand « le contexte social n'est pas cohérent [...] il ne reste guère qu'à en endosser la faille à titre individuel, c'est-à-dire à produire un symptôme ». C'est ce qui est arrivé à « Ahmed », qui a hérité d'un nom masculin bien malgré elle. « Les modalités sont, dans la situation qui nous occupe, littéralement stupéfiantes, poursuit la psychiatre. [...] Elles ne sont pas issues de changements de place au sein d'une société, mais bien de l'imposition d'un autre système de nomination ». Cette dépossession abrupte, « Ahmed » ne l'a pas acceptée... « Mais d'où provient donc la folie ? se demande la psychiatre. D'une faille propre au sujet qui délire, ou bien des sociétés qui désarticulent, sans préavis, les règles d'inscription, d'usage et de transmission du nom ? »
Bien sûr, « Ahmed » a continué de se faire appeler par son vrai nom dans son village, comme tous les Mahorais ou presque. La vie au village n'est pas la même qu'en ville et dans la société comorienne, elle reste cardinale. « On peut faire toutes les réformes qu'on veut, le village et la religion restent au centre de nos vies », m'a un jour expliqué l'actuel sénateur Saïd Omar Oili. De nombreux travaux de recherche l'ont documenté, comme ceux de Nicolas Roinsard : « Sous les eaux agitées de la départementalisation et de ses mesures assimilationnistes, la vie sociale demeure en partie régie selon des logiques d'intégration et d'obligations fondées sur l'appartenance villageoise et familiale, l'ethos musulman, les rapports de genre, etc. » (4).
Une société à deux facettes
C'est ainsi qu'une société à deux facettes s'est constituée : côté pile, ce que l'on veut bien montrer aux Blancs ; côté face, la vie telle qu'on l'entend. D'un côté, la société de la départementalisation et du droit commun : l'école laïque, l'économie marchande déclarée, le français comme langue officielle, etc. De l'autre, la société mahoraise et donc comorienne : les mariages religieux, le travail non déclaré, la prédominance des langues vernaculaires, etc. Un chiffre illustre cette résistance selon Roinsard : 98 % des mariages demeurent coutumiers. « Chassez le culturel, il revient au galop », ironisait Lou Bellétan en 1993 (5).
Ainsi, la polygamie est interdite, mais toujours pratiquée : selon une étude de l'Insee, un homme sur dix était polygame à Maore en 2017, soit à peu près le même taux qu'en 1991 (13 %), lorsque cette pratique était autorisée (6). En 2024, la polygamie est encore très courante, y compris chez les jeunes. Ce serait même « redevenu à la mode », estime Saïd Omar Oili, et pour cause : par l'effet des flux migratoires, il y a plus de femmes que d'hommes sur l'île (12 000 de plus, selon l'Insee), et le fossé est particulièrement important chez les 20-40 ans (7) . Or la pression familiale et au village est telle sur les femmes célibataires qui ont passé la trentaine qu'elles finissent par épouser le premier venu, ou que leurs parents le leur imposent, même s'il a déjà une (ou plusieurs) épouse(s) et même si c'est un « Comorien » venu des autres îles. [...]
Cette cohabitation entre deux mondes qui s'évitent, s'ignorent et entre lesquels les passerelles sont assez rares se reflète dans la pratique de la langue. Roinsard rappelle qu'en 2012 le français était la langue maternelle d'un habitant de Maore sur dix seulement et que plus de la moitié (58 %) de la population en âge de travailler ne maîtrisait pas le français écrit – un véritable obstacle à l'accès au travail salarié. En 2019, seuls 55 % des habitants de Maore déclaraient maîtriser le français (75 % parmi les natifs de l'île (8)). Cette dichotomie entre la langue officielle, indispensable mais peu ou mal maîtrisée, et la langue officieuse parlée par l'immense majorité de la population, y compris les « étrangers », mais incomprise de la petite minorité venue de « métropole » qui détient le pouvoir, est un des marqueurs les plus saisissants de la colonialité mahoraise.
Résistance passive
« Muni de sa seule langue, le colonisé est un étranger dans son propre pays », écrivait en 1957 Albert Memmi dans son Portrait du colonisé. « La possession de deux langues n'est pas seulement celle de deux outils, c'est la participation à deux royaumes psychiques et culturels. Or ici, deux univers symbolisés, portés par les deux langues, sont en conflit. Ce sont ceux du colonisateur et du colonisé. En outre, la langue maternelle du colonisé, celle qui est nourrie de ses sensations, ses passions et ses rêves [...], celle enfin qui recèle la plus grande charge affective, celle-là précisément est la moins valorisée [...] Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue maternelle est l'humiliée, l'écrasée » (9).
Comme Fanon, Memmi a lui aussi proposé une critique radicale du système colonial. La lecture de ses deux courts essais, Portrait du colonisé et Portrait du colonisateur, publiés en 1957 et fondés sur ses observations sous la colonisation française en Tunisie, offre parfois un miroir déconcertant : c'est comme si les portraits qu'il dresse étaient tirés de la situation à Maore. Le colonisé, écrit-il, « tente soit de devenir autre, soit de reconquérir toutes ses dimensions, dont l'a amputé la colonisation ». Sa première tentative est de changer de peau, de tenter de copier le « modèle tentateur » tout proche du colonisateur qui, lui, « a tous les droits, jouit de tous les biens et bénéficie de tous les prestiges ». Il s'arrache de lui-même et « pour se libérer, du moins le croit-il, il accepte de se détruire ». Mais lorsqu'il se rend compte que l'assimilation est une quête impossible, il se révolte et entreprend de se libérer « par la reconquête de soi ».
Cette reconquête ne prend pas forcément les contours que l'on attend. À Maore, où la revendication frontale de l'indépendance est pour l'heure inenvisageable, elle s'exprime par la résistance passive décrite plus haut, mais aussi par la multiplication des mouvements sociaux depuis le milieu des années 2000. Les Mahorais ne sont plus prêts à faire des efforts inconsidérés sans en recevoir quelques bénéfices. Les instituteurs réclament l'indexation des salaires, les chômeurs une indemnité digne de ce nom, les travailleurs du privé exigent un salaire minimum aligné sur celui en vigueur dans l'Hexagone... Il s'agit de « monnayer l'acculturation », selon le sociologue David Guyot. [...] »
Notes
1- Jean-Claude Guillebaud, Les Confettis de l'Empire. Djibouti, Martinique, Guadeloupe, Réunion, Tahiti, Nouvelle-Calédonie, Guyane, Paris, Seuil, 1976
2- Mohamed Anssoufouddine, Patricia Janody, Les maux/les mots n'appartiennent à personne. Rejouer les frontières d'aujourd'hui, KomEDIT, 2023
3- Mohamed M'Trengoueni, Soilihi Moukhtar, Noël Gueunier, « “NOM, Prénom” : une étape vers l'uniformisation culturelle ? Identité et statut juridique à Mayotte (Océan Indien Occidental) », Revue des sciences sociales, n° 26, 1999.
4- Nicolas Roinsard, Une situation postcoloniale. Mayotte ou le gouvernement des marges, CNRS éditions, 2022.
5- Lou Bellétan, La Guerre de la salive, autoédition, 1993.
6- « Migrations, natalité et solidarités familiales », Insee Analyses Mayotte, n° 12, mars 2017.
7- « Les femmes à Mayotte. Une situation souvent précaire, mais des progrès en matière de formation et d'emploi », Insee Dossier Mayotte n° 3, juillet 2022.
8- Marylise Dehon, Amandine Louguet, « Mayotte, un territoire riche de ses langues et de ses traditions. Enquête Pratiques culturelles à Mayotte en 2019 », Insee Analyses Mayotte n 33, juillet 2022.
9- Albert Memmi, Portrait du colonisateur, Portrait du colonisé, Gallimard, 1985.
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Marx, le communisme et la décroissance — A propos du nouveau livre de Kohei Saito : « Moins ! La décroissance est une philosophie »

Kohei Saito remet le couvert. Dans La nature contre le capital. L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital (Ed. Syllepse, Page2, et M, 2021), le marxologue japonais montrait comment le Marx de la maturité, conscientisé à l'impasse écologique capitaliste par les travaux de Liebig et de Frass, avait rompu avec le productivisme [1]. Son nouvel ouvrage, Moins ! La décroissance est une philosophie (Ed. Seuil, septembre 2024), prolonge la réflexion [2].
Tiré d'À l'encontre.
Ce livre est remarquable et utile en particulier sur quatre points : la nature de classe, foncièrement destructive, des forces productives capitalistes ; la supériorité sociale et écologique des sociétés (dites) « primitives », sans classes ; le débat sur nature et culture avec Bruno Latour et Jason Moore, notamment ; la grosse erreur, enfin, des « accélérationnistes » qui se réclament de Marx pour nier l'impérieuse nécessité d'une décroissance. Ces quatre points sont d'une importance politique majeure aujourd'hui, non seulement pour les marxistes soucieux d'être à la hauteur du défi écosocial lancé par la crise systémique du capitalisme, mais aussi pour les activistes écologiques. Le livre a les mêmes qualités que le précédent : il est érudit, bien construit, subtil et éclairant dans la présentation de l'évolution intellectuelle de Marx après 1868. Il a malheureusement aussi le même défaut : il présente pour acquis ce qui n'est qu'hypothèse. Une fois encore, Saito force le trait à vouloir trouver chez Marx la parfaite anticipation théorique des combats d'aujourd'hui. [3]
Au commencement était la « faille métabolique »
La première partie de « Marx in the Anthropocene » approfondit l'exploration du concept marxien de « faille métabolique » (« hiatus métabolique » dans la version française du Capital). [4] Saito se place ici dans le sillage de John B. Foster et de Paul Burkett, qui ont montré l'immense importance de cette notion. [5] Saito enrichit le propos en mettant en évidence trois manifestations du phénomène – perturbation des processus naturels, faille spatiale, hiatus entre les temporalités de la nature et du capital – auxquelles correspondent trois stratégies capitalistes d'évitement – les pseudo-solutions technologiques, la délocalisation des catastrophes dans les pays dominés, et le report de leurs conséquences sur les générations futures (p.29 et sq.).
Le chapitre 1 se penche plus particulièrement sur la contribution au débat du marxiste hongrois István Mészáros, que Saito estime décisive dans la réappropriation du concept de métabolisme à la fin du 20e siècle. Le chapitre 2 est focalisé sur la responsabilité d'Engels qui, en éditant les Livres II et III du Capital, aurait diffusé une définition du « hiatus métabolique » tronquée, sensiblement différente de celle de Marx. Pour Saito, ce glissement, loin d'être fortuit, traduirait une divergence entre la vision écologique d'Engels – limitée à la crainte des « revanches de la nature » – et celle de Marx – centrée sur la nécessaire « gestion rationnelle du métabolisme » par la réduction du temps de travail. Le chapitre 3, tout en rappelant les ambiguïtés de György Lukács, rend hommage à sa vision du développement historique du métabolisme humain-nature à la fois comme continuité et comme rupture. Pour Saito, cette dialectique, inspirée de Hegel (« identité entre l'identité et la non-identité ») est indispensable pour se différencier à la fois du dualisme cartésien – qui exagère la discontinuité entre nature et société – et du constructivisme social – qui exagère la continuité (l'identité) entre ces deux pôles et ne peut, du coup, « révéler le caractère unique de la manière capitaliste d'organiser le métabolisme humain avec l'environnement » (p. 91).
Dualisme, constructivisme et dialectique
La deuxième partie de l'ouvrage jette un regard très (trop ?) critique sur d'autres écologies d'inspiration marxiste. Saito se démarque de David Harvey dont il épingle la « réaction négative surprenante face au tournant écologique dans le marxisme ». De fait, « Marx in the Anthropocene » rapporte quelques citations « surprenantes » du géographe étasunien : Harvey semble convaincu de « la capacité du capital à transformer toute limite naturelle en barrière surmontable » ; il confesse que « l'invocation des limites et de la rareté écologique (…) (le) rend aussi nerveux politiquement que soupçonneux théoriquement » ; « les politiques socialistes basées sur l'idée qu'une catastrophe environnementale est imminente » seraient pour lui « un signe de faiblesse ». Géographe comme Harvey, Neil Smith « montrerait la même hésitation face à l'environnementalisme », qu'il qualifie de « apocalypsisme ». Smith est connu pour sa théorie de « la production sociale de nature ». Saito la récuse en estimant qu'elle incite à nier l'existence de la nature comme entité autonome, indépendante des humains : c'est ce qu'il déduit de l'affirmation de Smith que « la nature n'est rien si elle n'est pas sociale » (p. 111). D'une manière générale, Saito traque les conceptions constructivistes en posant que « la nature est une présupposition objective de la production ». Il ne fait aucun doute que cette vision était aussi celle de Marx. Le fait incontestable que l'humanité fait partie de la nature ne signifie ni que tout ce qu'elle fait serait dicté par sa « nature », ni que tout ce que la nature fait serait construit par « la société ».
Destruction écologique : les « actants » ou le profit ?
Dans le cadre de cette polémique, l'auteur consacre quelques pages très fortes à Jason Moore. Il admet que la notion de Capitalocène « marque une avancée par rapport au concept de ‘production sociale de nature' », car elle met l'accent sur les interactions humanité/environnement. Il reproche cependant à Moore d'épouser que les humains et les non-humains seraient des « actants » travaillant en réseau à produire un ensemble intriqué – « hybride » comme dit Bruno Latour. C'est un point important. En effet, Moore estime que distinguer une « faille métabolique » au sein de l'ensemble-réseau est un contresens, le produit d'une vision dualiste. Or, la notion de « métabolisme » désigne la manière dont les organes différents d'un même organisme contribuent spécifiquement au fonctionnement du tout. Elle est donc aux antipodes du dualisme (comme du monisme d'ailleurs) et on en revient à la formule de Hegel : il y a « identité de l'identité et de la non-identité ». « Marx in the Anthropocene » s'attaque aussi aux thèses de Moore par un autre biais – celui du travail. Pour Moore, en effet, le capitalisme est mû par l'obsession de la « Cheap Nature » (nature bon marché) qui englobe selon lui la force de travail, l'énergie, les biens alimentaires et les matières premières. Moore se réclame de Marx, mais il est clair que sa « Cheap nature » escamote le rôle exclusif du travail abstrait dans la création de (sur)valeur, ainsi que le rôle clé de la course à la survaleur dans la destruction écologique. Or, la valeur n'est pas un « actant hybride » parmi d'autres. Comme dit Saito, elle est « purement sociale » et c'est par son truchement que le capitalisme « domine les processus métaboliques de la nature » (pp. 121-122).
Il est clair en effet que c'est bien la course au profit qui creuse la faille métabolique, notamment en exigeant toujours plus d'énergie, de force de travail, de produits agricoles et de matières premières « bon marché ». De toutes les ressources naturelles que le capital transforme en marchandises, la force de travail « anthropique » est évidemment la seule capable de créer un indice aussi purement « anthropique » que la valeur abstraite. Comme le dit Saito : c'est « précisément parce que la nature existe indépendamment de et préalablement à toutes les catégories sociales, et continue à maintenir sa non-identité avec la logique de la valeur, (que) la maximisation du profit produit une série de disharmonies au sein du métabolisme naturel ». Par conséquent, la « faille n'est pas une métaphore, comme Moore le prétend. La faille existe bel et bien entre le métabolisme social des marchandises ainsi que de la monnaie, et le métabolisme universel de la nature » (ibid). « Ce n'est pas par dualisme cartésien que Marx a décrit d'une manière dualiste la faille entre le métabolisme social et le métabolisme naturel – de même que la faille entre le travail productif et le travail improductif. Il l'a fait consciemment, parce que les relations uniquement sociales du capitalisme exercent un pouvoir extranaturel (alien power) dans la réalité ; une analyse critique de cette puissance sociale requiert inévitablement de séparer le social et le naturel en tant que domaines d'investigation indépendants et d'analyser ensuite leur emboîtement. » (p. 123) Imparable. Il ne fait aucun doute, encore une fois, que cette vision de « l'emboîtement » du social dans l'environnemental était celle de Marx.
Accélérationnisme vs. anti-productivisme
Le chapitre 5 polémique avec une autre variété de marxistes : les « accélérationnistes de gauche ». Selon ces auteurs, les défis écologiques ne peuvent être relevés qu'en démultipliant le développement technologique, l'automation, etc. Cette stratégie, pour eux, est conforme au projet marxien : il faut abattre les entraves capitalistes à la croissance des forces productives pour possibiliser une société de l'abondance. Cette partie de l'ouvrage est particulièrement intéressante car elle éclaire la rupture avec le productivisme et le prométhéisme des années de jeunesse. La rupture n'est probablement pas aussi nette que Saito le prétend [6], mais il y a incontestablement un tournant. Dans Le Manifeste communiste, Marx et Engels expliquent que le prolétariat doit « prendre le pouvoir pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, centraliser tous les moyens de production aux mains de l'Etat et augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». [7] Il est frappant que la perspective de ce texte est résolument étatiste et que les forces productives y sont considérées comme neutres socialement ; elles forment un ensemble de choses qui doit changer de mains (être « arraché petit à petit à la bourgeoisie ») pour grandir quantitativement.
Les accélérationistes sont-ils pour autant fondés à se réclamer de Marx ? Non, car Marx a abandonné la conception exposée dans le Manifeste. Kohei Saito attire l'attention sur le fait que son œuvre majeure, Le Capital, ne traite plus des « forces productives » en général (anhistoriques), mais de forces productives historiquement déterminées – les forces productives capitalistes. Le long chapitre XV du Livre 1 (« Machinisme et grande industrie ») décortique les effets destructeurs de ces forces, à la fois sur le plan social et sur le plan environnemental. On pourrait ajouter ceci : il n'est pas fortuit que ce soit précisément ce chapitre qui s'achève sur la phrase suivante, digne d'un manifeste écosocialiste moderne : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ». [8] Il n'est plus question ici de neutralité des technologies. Le capital n'est plus saisi comme une chose mais comme un rapport social d'exploitation et de destruction, qui doit être détruit (« négation de la négation »). Notons que Marx, après la Commune de Paris, précisera que rompre avec le productivisme nécessite aussi de rompre avec l'étatisme.
Il est étonnant que Kohei Saito ne rappelle pas la phrase du Manifeste citée ci-dessus, où le prolétariat est exhorté à prendre le pouvoir pour « augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». Cela aurait donné plus de relief encore à sa mise en évidence du changement ultérieur. Mais peu importe : le fait est que le tournant est réel et débouche au Livre III du Capital sur une magnifique perspective de révolution en permanence, résolument anti-productiviste et anti-technocratique : « La seule liberté possible est que l'homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leur métabolisme avec la nature et qu'ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force, dans les conditions les plus dignes de la nature humaine. La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. » [9] L'évolution est nette. Le paradigme de l'émancipation humaine a changé : il ne consiste plus en la croissance des forces productives mais en la gestion rationnelle des échanges avec la nature et entre les humains.
Subsomption formelle et subsomption réelle du travail
Les pages les plus riches de « Marx in the Anhropocene », à mon avis, sont celles où Saito montre que le nouveau paradigme marxien de l'émancipation résulte d'un ample effort de critique des formes successives que le capital a imposées au travail. Bien qu'elle fasse partie des travaux préparatoires au Capital, cette critique ne sera publiée que plus tard (« Manuscrits économiques de 1861-1863 »). Sa clé de voûte est l'importante notion de subsomption du travail au capital. Insistons-y en passant : la subsomption est plus que de la soumission : subsumer implique intégrer ce qui est soumis à ce qui soumet. Le capital subsume le salariat puisqu'il intègre la force de travail comme capital variable. Mais, pour Marx, il y a subsomption et subsomption : le passage de la manufacture au machinisme et à la grande industrie implique le passage de la « subsomption formelle » à la « subsomption réelle ». La première signifie simplement que le capital prend le contrôle du procès de travail qui existait auparavant, sans apporter de changement ni à son organisation ni à son caractère technologique. La seconde s'installe à partir du moment où le capital révolutionne complètement et sans arrêt le procès de production – non seulement sur le plan technologique mais aussi sur le plan de la coopération – c'est-à-dire des relations productives entre travailleurs.euses et entre travailleurs.euses et capitalistes. Se crée ainsi un mode de production spécifique, sans précédent, entièrement adapté aux impératifs de l'accumulation du capital. Un mode dans lequel, contrairement au précédent, « le commandement par le capitaliste devient indispensable à la réalisation du procès de travail lui-même » (p. 148).
Saito n'est pas le premier à pointer le caractère de classe des technologies. Daniel Bensaïd soulignait la nécessité que « les forces productives elles-mêmes soient soumises à un examen critique ». [10] Michaël Löwy défend qu'il ne suffit pas de détruire l'appareil d'Etat bourgeois – l'appareil productif capitaliste aussi doit être démantelé. [11] Cependant, on saura gré à Saito de coller au plus près du texte de Marx pour résumer les implications en cascade de la subsomption réelle du travail : celle-ci « augmente considérablement la dépendance des travailleurs vis-à-vis du capital » ; « les conditions objectives pour que les travailleurs réalisent leurs capacités leur apparaissent de plus en plus comme une puissance étrangère, indépendante » ; « du fait que le capital en tant que travail objectivé – moyens de production – emploie du travail vivant, la relation du sujet et de l'objet est inversée dans le processus de travail » ; « le travail étant incarné dans le capital, le rôle du travailleur est réduit à celui de simple porteur de la chose réifiée – les moyens de préserver et de valoriser le capital à côté des machines – tandis que la chose réifiée acquiert l'apparence de la subjectivité, puissance étrangère qui contrôle le comportement et la volonté de la personne » ; « l'augmentation des forces productives étant possible seulement à l'initiative du capital et sous sa responsabilité, les nouvelles forces productives du travail social n'apparaissent pas comme les forces productives des travailleurs eux-mêmes mais comme les forces productives du capital » ; « le travail vivant devient (ainsi) un pouvoir du capital, tout développement des forces productives du travail est un développement des forces productives du capital ». Deux conclusions non productivistes et non technocratiques s'imposent alors avec force : 1°) « le développement des forces productives sous le capitalisme ne fait qu'augmenter le pouvoir extérieur du capital en dépouillant les travailleurs de leurs compétences subjectives, de leur savoir et de leur vision, il n'ouvre donc pas automatiquement la possibilité d'un avenir radieux » ; 2°) le concept marxien de forces productives est plus large que celui de forces productives capitalistes – il inclut des capacités humaines telles que les compétences, l'autonomie, la liberté et l'indépendance et est donc à la fois quantitatif et qualitatif » (p. 149-150).
Quel matérialisme historique ? Quelle abondance ?
Ces développements amènent Kohei Saito à réinterroger le matérialisme historique. On sait que la Préface à la critique de l'économie politique contient le seul résumé que Marx ait fait de sa théorie. On y lit ceci : « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale ». [12] Il semble clair que Marx ne pouvait plus adhérer littéralement à cette formulation – et encore moins à celle du Manifeste sur l'augmentation quantitative des forces productives – dès lors que son analyse l'amenait à conclure que le développement des dites forces renforce l'emprise du capital et mutile l'agentivité de celleux qu'il exploite. Comme le dit Saito : « On ne peut plus assumer qu'une révolution socialiste pourrait simplement remplacer les relations de production par d'autres une fois atteint un certain niveau de forces productives. Puisque les forces productives du capital engendrées par la subsomption réelle sont matérialisées et cristallisées dans le mode capitaliste de production, elles disparaissent en même temps que le mode de production ». Transférer la propriété du capital à l'Etat ne changerait pas le problème : les forces productives restant inchangées, 1°) les tâches de conception devraient être assurées par une « classe bureaucratique », 2°) la destruction écologique continuerait. L'auteur en conclut que « la subsumption réelle pose un problème difficile de ‘gestion socialiste libre'. La vision traditionnelle du matérialisme historique, synthétisée dans la Préface, n'indique aucune piste de solution » et « Marx n'a pas été à même d'apporter une réponse définitive à ces questions, même dans Le Capital, de sorte que nous devons aller au-delà » (pp. 157-158).
« Aller au-delà » est ce qui est proposé dans la troisième partie de son ouvrage, et c'est elle qui soulève le plus de polémiques. La question de départ est simple : si l'émancipation ne passe pas par la libre croissance des forces productives, donc par ce que Daniel Bensaid appelait le « joker de l'abondance » [13] par où pourrait-elle passer ? Par « la réduction d'échelle et le ralentissement de la production », répond Saito (p. 166). Pour l'auteur, en substance, l'abondance doit s'entendre non comme pléthore de biens matériels privés – sur le modèle à la fois consumériste et excluant de l'accumulation de marchandises accessibles uniquement à la seule demande solvable – mais comme profusion de richesses sociales et naturelles communes. Sans cela, « l'option restante devient le contrôle bureaucratique de la production sociale, qui a causé l'échec de la voie soviétique » (p. 166).
Décroissance, économie stationnaire et transition
« Marx in the Anthropocene » entend donc plaider pour un « communisme de la décroissance », profondément égalitaire, axé sur la satisfaction des besoins réels. Selon Saito, ce communisme était celui des communautés dites « archaïques », dont certains traits ont subsisté longtemps sous des formes plus ou moins dégradées dans des systèmes agraires basés sur la propriété collective de la terre, en Russie notamment. Pour le Marx de la maturité, il s'agit de beaucoup plus que des survivances d'un passé révolu : ces communautés indiquent qu'après avoir « exproprié les expropriateurs », la société, pour abolir toute domination, devra progresser vers une forme plus élevée de la communauté « archaïque ». J'adhère pleinement à cette perspective, mais avec un bémol : Saito force gravement le trait en prétendant que « 14 années d'étude sérieuse des sciences naturelles et des sociétés précapitalistes » auraient amené Marx en 1881 à avancer « son idée du communisme décroissant » (p. 242) Cette affirmation est excessive. Prise littéralement, elle ne repose sur aucun document connu. Du coup, pour qu'elle ait malgré tout une once de plausibilité (et encore : à condition de la formuler comme une hypothèse, pas comme une certitude !) Saito est obligé de recourir à une succession d'amalgames : faire comme si la critique radicale de l'accumulation capitaliste par Marx était la même chose que l'économie stationnaire, comme si les communautés « archaïques » étaient stationnaires, et comme si l'économie stationnaire était la même chose que la décroissance. Cela fait beaucoup de « si », néglige des différences essentielles… et ne nous fait pas avancer dans le débat sur les enjeux de la décroissance au sens où elle se discute aujourd'hui entre anticapitalistes, c'est-à-dire au sens littéral de la réduction de la production imposée objectivement par la contrainte climatique. Voyons cela de plus près.
Laissons le PIB de côté et considérons uniquement la production matérielle : une société post-capitaliste dans un pays très pauvre romprait avec la croissance capitaliste mais devrait accroître la production pendant une certaine période pour répondre à l'énorme masse de besoins réels insatisfaits ; une économie stationnaire utiliserait chaque année la même quantité de ressources naturelles pour produire la même quantité de valeurs d'usage avec les mêmes forces productives ; quant à une économie décroissante, elle réduirait les prélèvements et la production. En mettant un signe d'égalité entre ces formes, Kohei Saito entretient une confusion regrettable. « Il devrait maintenant être clair, écrit-il, que le socialisme promeut une transition sociale vers une économie de décroissance » (p.242). C'est fort mal formulé, car la décroissance n'est pas un projet de société, juste une contrainte qui pèse sur la transition. Une « économie de décroissance », en tant que telle, cela ne veut rien dire. Certaines productions doivent croître et d'autres décroître au sein d‘une enveloppe globale décroissante. Pour coller au diagnostic scientifique sur le basculement climatique, il faut dire à peu près ceci : planifier démocratiquement une décroissance juste est le seul moyen de transiter rationnellement vers l'écosocialisme. En effet, étant donné qu'un nouveau système énergétique 100% renouvelables doit forcément être construit avec l'énergie du système actuel (qui est fossile à 80%, donc source de CO2), il n'y a en gros que deux stratégies possibles pour supprimer les émissions : soit on réduit radicalement la consommation finale d'énergie (ce qui implique de produire et transporter globalement moins) en prenant des mesures anticapitalistes fortes (contre les 10%, et surtout le 1% le plus riche) ; soit on mise sur la compensation carbone et sur le déploiement massif à l'avenir d'hypothétiques technologies de capture-séquestration du carbone, de capture-utilisation ou de géoingénierie, c'est-à-dire sur des solutions d'apprentis-sorciers entraînant encore plus de dépossessions, d'inégalités sociales et de destructions écologiques. Nous proposons l'expression « décroissance juste » comme axe stratégique des marxistes antiproductivistes d'aujourd'hui. Faire de la décroissance un synonyme de l'économie stationnaire n'est pas une option car cela équivaut à baisser le volume de l'alarme incendie.
La commune rurale russe, la révolution et l'écologie
La perspective d'une décroissance juste doit beaucoup à l'énorme travail pionnier de Marx, mais il n'y a pas de sens à affirmer qu'il en est le concepteur, car Marx n'a jamais plaidé explicitement pour une diminution nette de la production. Pour en faire le père du « communisme décroissant », Saito se base quasi exclusivement sur un texte célèbre et d'une importance exceptionnelle : la lettre à Vera Zasoulitch. [14] En 1881, la populiste russe avait demandé à Marx, par courrier, son avis sur la possibilité, en Russie, de s'appuyer sur la commune paysanne pour construire le socialisme directement – sans passer par le capitalisme. La traduction russe du Capital avait déclenché un débat sur cette question parmi les opposants au tsarisme. Marx rédigea trois brouillons de réponse. Ils attestent sa rupture profonde avec la vision linéaire du développement historique, donc aussi avec l'idée que les pays capitalistes les plus avancés seraient les plus proches du socialisme. A ce sujet, la dernière phrase est claire comme de l'eau de roche : « Si la révolution se fait en temps opportun, si elle concentre toutes ses forces pour assurer l'essor libre de la commune rurale, celle-ci se développera bientôt comme un élément régénérateur de la société russe et comme élément de supériorité sur les pays asservis par le régime capitaliste ».
Pour Saito, ce texte signifie que la dégradation capitaliste de l'environnement avait conduit Marx, après 1868, à « abandonner son schéma de matérialisme historique antérieur. Ce ne fut pas une tâche aisée pour lui, dit-il. Sa vision du monde était en crise. En ce sens, (ses) recherches intensives au cours de ses dernières années (sur les sciences naturelles et les sociétés précapitalistes, D.T.) étaient une tentative désespérée de reconsidérer et de reformuler sa conception matérialiste de l'histoire à partir d'une perspective entièrement nouvelle, découlant d'une conception radicalement nouvelle de la société alternative » (p. 173). « Quatorze années de recherches » avaient amené Marx « à conclure que la soutenabilité et l'égalité basées sur une économie stationnaire sont la source de la capacité (power) de résistance au capitalisme ». Il aurait donc saisi « l'opportunité de formuler une nouvelle forme de régulation rationnelle du métabolisme humain avec la nature en Europe occidentale et aux Etats-Unis » : « l'économie stationnaire et circulaire sans croissance économique, qu'il avait rejetée auparavant comme stabilité régressive des sociétés primitives sans histoire » (pp. 206-207).
Que penser de cette reconstruction du cheminement de la pensée marxienne à la sauce écolo ? Le narratif a beaucoup pour plaire dans certains milieux, c'est évident. Mais pourquoi Marx a-t-il attendu 1881 pour s'exprimer sur ce point clé ? Pourquoi l'a-t-il fait seulement à la faveur d'une lettre ? Pourquoi cette lettre a-t-elle demandé trois brouillons successifs ? Si vraiment Marx avait commencé à « réviser son schéma théorique en 1860 par suite de la dégradation écologique » (p.204), et si vraiment le concept de faille métabolique avait servi de « médiation » dans ses efforts de rupture avec l'eurocentrisme et le productivisme (p. 200), comment expliquer que la supériorité écologique de la commune rurale ne soit pas évoquée une seule fois dans la réponse à Zasoulitch ? Last but not least : si on peut ne pas exclure que la dernière phrase de cette réponse projette la vision d'une économie post-capitaliste stationnaire pour l'Europe occidentale et les Etats-Unis, ce n'est pas le cas pour la Russie ; Marx insiste fortement sur le fait que c'est seulement en bénéficiant du niveau de développement des pays capitalistes développés que le socialisme en Russie pourra « assurer le libre essor de la commune rurale ». Au final, l'intervention de Marx dans le débat russe semble découler bien plus de son admiration pour la supériorité des rapports sociaux dans les sociétés « archaïques » [15] et de son engagement militant pour l'internationalisation de la révolution que de la centralité de la crise écologique et de l'idée du « communisme décroissant ».
« Offrir quelque chose de positif »
L'affirmation catégorique que Marx aurait inventé ce « communisme décroissant » pour réparer la « faille métabolique » est à ce point excessive qu'on se demande pourquoi Kohei Saito la formule en conclusion d'un ouvrage qui comporte tant d'excellentes choses. La réponse est donnée dans les premières pages du chapitre 6. Face à l'urgence écologique, l'auteur pose la nécessité d'une réponse anticapitaliste, juge que les interprétations productivistes du marxisme sont « intenables », constate que le matérialisme historique est « impopulaire aujourd'hui » parmi les environnementalistes, et estime que c'est dommage (a pity) car ceux-ci ont « un intérêt commun à critiquer l'insatiable désir d'accumulation du capital, même si c'est à partir de points de vue différents » (p. 172). Pour Saito, les travaux qui montrent que Marx s'est détourné des conceptions linéaires du progrès historique, ou s'est intéressé à l'écologie, « ne suffisent pas à démontrer pourquoi des non-marxistes, aujourd'hui, doivent encore prêter attention à l'intérêt de Marx pour l'écologie. Il faut « prendre en compte à la fois les problèmes de l'eurocentrisme et du productivisme pour qu'une interprétation complètement nouvelle du Marx de la maturité devienne convaincante » (p. 199). « Les chercheurs doivent offrir ici quelque chose de positif », « élaborer sur sa vision positive de la société post-capitaliste » (p. 173). Est-ce donc pour donner de façon convaincante cette interprétation « complètement nouvelle » que Saito décrit un Marx fondant successivement et à quelques années de distance « l'écosocialisme » puis le « communisme de la décroissance » ? Il me semble plus proche de la vérité, et par conséquent plus convaincant, de considérer que Marx n'était ni écosocialiste ni décroissant au sens contemporain de ces termes. , Cela n'enlève rien au fait que sa critique pénétrante du productivisme capitaliste et son concept de « hiatus métabolique » sont décisifs pour saisir l'urgente nécessité actuelle d'une « décroissance juste ».
Vouloir à toute force faire entrer la décroissance dans la pensée de Marx est anachronique. Ce n'est d'ailleurs pas nécessaire. Certes, on ne peut pas défendre la décroissance juste et maintenir en parallèle la version productiviste quantitativiste du matérialisme historique. Par contre, la décroissance juste s'intègre sans difficulté à un matérialisme historique qui considère les forces productives dans leurs dimensions quantitatives et qualitatives. Quoiqu'il en soit, nous n'avons pas besoin de la caution de Marx, ni pour admettre la nécessité d'une décroissance juste, ni plus généralement pour élargir et approfondir sa « critique inachevée de l'économie politique ».
Le problème de l'apologie
On peut se demander l'utilité d'une critique des exagérations de Saito. On peut dire : l'essentiel est que « (ce) livre fournit une alimentation utile aux socialistes et aux activistes environnementaux, indépendamment des avis (ou de l'intérêt même d'avoir un avis) sur la question de savoir si Marx était vraiment un communiste décroissant ou pas » [16]. C'est l'essentiel, en effet, et il faut le répéter : « Marx in the Anthropocene » est un ouvrage excellent, notamment parce que ses développements sur les quatre points mentionnés en introduction de cet article sont d'une actualité et d'une importance majeure. Pour autant, le débat sur ce que Marx a dit ou pas n'est pas à sous-estimer car il porte sur la méthodologie à pratiquer dans l'élaboration des outils intellectuels nécessaires à la lutte écosocialiste. Or, cette question-là concerne aussi les activistes non-marxistes.
La méthode de Kohei Saito présente un défaut : elle est apologétique. Ce trait était déjà perceptible dans « Marx's ecosocialism » : alors que le sous-titre de l'ouvrage pointait la « critique inachevée de l'économie politique », l'auteur consacrait paradoxalement tout un chapitre à faire comme si Marx, après Le Capital, avait développé un projet écosocialiste complet. « Marx in the Anthropocene » suit le même chemin, mais de façon encore plus nette. Pris ensemble, les deux ouvrages donnent l'impression que Marx, dans les années 70, aurait fini par considérer la perturbation du métabolisme humanité-nature comme la contradiction centrale du capitalisme, qu'il en aurait d'abord déduit un projet de croissance écosocialiste des forces productives, puis qu'il aurait abandonné celui-ci vers 1880-81 pour tracer une nouvelle voie : le « communisme décroissant ». J'ai tenté de montrer que ce narratif est fort contestable.
Un des problèmes de l'apologie est de surestimer fortement l'importance des textes. Par exemple, Saito donne une importance disproportionnée à la modification par Engels du passage du Capital, Livre III, où Marx parle de la « faille métabolique ». La domination des interprétations productivistes du matérialisme historique au cours du 20e siècle ne s'explique pas avant tout par cette modification : elle découle principalement du réformisme des grandes organisations et de la subsomption du prolétariat au capital. Lutter contre cette situation, articuler les résistances sociales pour mettre l'idéologie du progrès en crise au sein même du monde du travail est aujourd'hui la tâche stratégique majeure des écosocialistes. Les réponses sont à chercher dans les luttes et dans l'analyse des luttes beaucoup plus que dans les Notebooks de Marx.
Plus fondamentalement, l'apologie tend à flirter avec le dogmatisme. « Marx l'a dit » devient trop facilement le mantra qui empêche de voir et de penser en marxistes au sujet de ce que Marx n'a pas dit. Car il n'a évidemment pas tout dit. S'il est une leçon méthodologique à tirer de son œuvre monumentale, c'est que la critique est fertile et que le dogme est stérile. La capacité de l'écosocialisme de relever les défis formidables de la catastrophe écologiques capitaliste dépendra non seulement de sa fidélité mais aussi de sa créativité et de sa capacité à rompre, y compris avec ses propres idées antérieures comme Marx le fit quand c'était nécessaire. Il ne s'agit pas seulement de polir soigneusement l'écologie de Marx mais aussi et surtout de la développer et de la radicaliser. (Publié dans Actuel Marx, 2024 numéro 76. Reproduit avec autorisation de l'auteur)
Voir de même à propos de l'ouvrage de Kohei Saïto, La Nature contre le capital, l'article, édité en deux parties, d'Alain Bihr « L'écologie de Marx à la lumière de la MEGA 2 », publié sur le site alencontre.org en date du 23 novembre 2021.
Notes
[1] Marx's ecosocialism. An unfinished critique of the political economy. Trad. française La nature contre le capital. L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital, Syllepse, 2021.
[2] Marx in the Anthropocene. Towards the Idea of Degrowth Communism. Cambridge University Press, 2022.
[3] Voir mon article « Marx était-il écosocialiste ? Une réponse à Kohei Saito »,gaucheanticapitaliste.org
[4] Karl Marx, Le Capital, Livre III, Moscou, éditions du Progrès, 1984, Chapitre 47, p. 848
[5] Lire en particulier Paul Burkett, Marx and Nature. A Red and Green Perspective. Palgrave Macmillan, 1999. John Bellamy Foster, Marx's Ecology. Materialism and Nature, Monthly Review Press, 2000
[6] On lit déjà dans L'Idéologie allemande (1845-46) : « il arrive un stade dans le développement où naissent des forces productives et des moyens de circulation […] qui ne sont plus des forces productives mais des forces destructrices (le machinisme et l'argent) ». Karl Marx et Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, Éditions sociales, 1971, p. 68.
[7] Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, in Œuvres choisies, ed. De Moscou, tome 1, p.130.
[8] Le Capital, Livre I, Garnier-Flammarion, 1969, p. 363.
[9] Le Capital, Livre III, ed. De Moscou, chapitre 48, p. 855.
[10] Daniel Bensaïd, Introduction critique à ‘l'Introduction au marxisme' d'Ernest Mandel, 2e édition, ed. Formation Lesoil, en ligne sur contretemps.eu
[11] Michael Löwy, Ecosocialisme. L'alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Mille et une nuits, 2011, p. 39
[12] Marx-Engels, Œuvres choisies, Tome 1, p.525.
[13] D. Bensaïd, op. cit
[14] Marx et Engels, Œuvres choisies, op. cit. tome 3, p. 156.
[15] Une opinion partagée par Engels : cf. notamment son admiration pour les Zoulous face aux Anglais, dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat.
[16] Diana O'Dwyer, « Was Marx a Degrowth Communist », https://rupture.ie
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Compte rendu du 22 octobre 2024


Détruire la Palestine
Tanya Reinhart
Traduit de l'anglais
Cet essai au titre évocateur est paru il y a une vingtaine d'années. Il nous permet de nous rappeler que le génocide en cours en Palestine n'est que la poursuite de la politique à long terme de l'État d'Israël en vue de détruire la Palestine et les Palestiniens. Parmi toutes les politiques et mesures mises en place pour arriver à cette fin relevées dans ce livre, celle qui m'a le plus répugné est l'emploi de tireurs cachés pour blesser gravement par balle des citoyens palestiniens et les rendre invalides et à la charge d'une population déjà paupérisée - les statistiques sur les personnes blessées par balle ayant un impact beaucoup moins grand sur l'opinion publique mondiale que celles sur les personnes tuées. Le commencement de ce qui se poursuit de façon encore plus grave aujourd'hui avec le consentement et le soutien abjects de l'Occident. Un bouquin qui nous décrit l'état des choses lorsque l'inhumanité dépasse l'entendement...
Extrait :
Depuis l'occupation de 1967, les responsables politiques et militaires israéliens débattent de la meilleure façon de conserver le maximum de terres avec le minimum de Palestiniens.

Hiroshima mon amour
Marguerite Duras
Marguerite Duras a écrit ce scénario pour le film franco-japonais du même nom d'Alain Resnais. C'est un texte d'une grande poésie, fait de souvenirs, qui présente la rencontre d'une Française et d'un Japonais. Il porte surtout, en filigrane, non tant sur la souffrance des Japonais que sur la réconciliation des peuples et la paix. Un article de l'Agence France-Presse, paru dans les pages du Devoir en mars, nous rappelle toutefois que le très beau film tiré de ce scénario « fut présenté au Festival de Cannes en 1959, mais écarté de la compétition en raison de pressions américaines. »
Extrait :
J'ai regardé les gens. J'ai regardé moi-même pensivement, le fer. Le fer brûlé. Le fer brisé, le fer devenu vulnérable comme la chair. J'ai vu des capsules en bouquet : qui y aurait pensé ? Des peaux humaines flottantes, survivantes, encore dans la fraîcheur de leurs souffrances. Des pierres. Des pierres brûlées. Des pierres éclatées. Des chevelures anonymes que les femmes de Hiroshima retrouvaient tout entières tombées le matin, au réveil.

Le retrait
Noam Chomsky et Vijay Prashad
Traduit de l'anglais
C'est mon huit-centième compte rendu de lecture. Il porte sur un autre captivant bouquin de Noam Chomsky, cette fois avec des échanges sur la politique internationale avec le journaliste et historien indien Vijay Prashad. Les deux hommes y abordent la question de la fragilité grandissante de la puissance états-unienne avec la monté en force de l'économie de la Chine, mais également d'autres pays dans le monde ; ils y discutent aussi de tout ce que les États-Unis ont fait au cours des dernières décennies et sont prêts à faire – sans égard aux coûts humains et environnementaux – pour maintenir leur hégémonie dans le monde. Un très bon livre ! Encore une fois, je ne saurais trop vous recommander de lire Chomsky !
Extrait :
Ensuite la Chine et la Russie vont multiplier leurs relations institutionnelles et commerciales avec l'extérieur. Elles renforceront d'abord leurs liens mutuels, dans la lignée du rapprochement amorcé au cours de la dernière décennie. Mas ces deux pays s'ouvriront également à de nouvelles régions afin de répondre aux demandes croissantes de multipolarité et de non-alignement du Sud mondialisé. On l'a déjà constaté lors du premier vote de l'Assemblée générale des Nations Unies sur la guerre en Ukraine, où de nombreux pays du Sud se sont abstenus de toute condamnation.

Le nucléaire à la dérive
Marie-Hélène Labbé
Marie-Hélène Labbé est l'auteure de nombreuses publications sur la prolifération des armes et de l'énergie nucléaires. Cet intéressant bouquin nous expose l'historique, la dangerosité et la perte de contrôle progressive du nucléaire à mesure qu'augmente le nombre de pays en possession de ces armes destructrices et qu'augmente le nombre de centrales nucléaires dans le monde. Tout pour nous convaincre de mettre un terme à notre fuite en avant avec l'atome.
Extrait :
Cette demande de nucléaire, que ce soient des armes ou des centrales, rencontre une offre qui est suscitée voir nourrie par les vendeurs eux-mêmes. À une revendication nucléaire globale répond en effet une offre tous azimuts de technologies et de composants nucléaires qui se joue des contrôles à l'exportation et des cartels d'exportateurs. Trois phénomènes se conjuguent pour mettre le nucléaire à la portée de tous : des vendeurs de plus en plus dynamiques, des progrès technologiques avec la victoire de la centrifugeuse et des contrôles toujours inadéquats.
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Nétanyajou : bon pour la taule !
Plusieurs responsables gazaouis du Hamas et du Hezbollah au Liban ont été tués par des attaques israéliennes ces dernières semaines, notamment Yahya Sinouar, l'architecte de l'offensive du 7 octobre 2023 depuis Gaza.
Les responsables gouvernementaux israéliens et même occidentaux ont utilisé le terme "éliminés" pour qualifier l'assassinat de ces gens ; ils s'en réjouissent ouvertement, affectant d'y voir un pas vers la "paix". À observer le qualificatif employé par tout ce monde, on ressent l'irrésistible impression d'assister à une guerre entre bandes rivales de la pègre ; le clan dominant israélien qui supprime ses opposants, ce qui rappelle d'ailleurs les origines terroristes de l'État hébreu.
Les classes politiques dans leur ensemble, en particulier l'américaine et bien entendu celle d'Israël située à l'extrême-droite du spectre politique, se félicitent sans vergogne du meurtre en série de résistants palestiniens, un phénomène qui n'a rien de nouveau. Sans souhaiter ouvertement la suppression de responsables de la résistance palestinienne par le Mossad, les politiciens occidentaux la dénoncent rarement, sauf en ce qui concerne les "victimes collatérales" de ces opérations, c'est—à-dire les proches des gens assassinés. Mais pas question pour autant de remettre en question leur appui inconditionnel à l'État hébreu.
On ne peut donc qu'en tirer une conclusion : à leurs yeux, une vie israélienne vaut bien plus que son équivalente palestinienne.
Il n'y a rien d'original à le faire remarquer, beaucoup d'autres observateurs l'ont déjà fait. Mais dans le cas de la guerre Gaza-Israël, cette constatation devient aussi frappante que choquante vu le nombre très élevé de victimes civiles et l'ampleur des destructions matérielles.
La riposte israélienne à l'offensive du Hamas a fait au moins 41,800 décès, dont une forte majorité de civils. La délégation américaine à l'Onu a opposé à deux reprises son véto à une résolution contraignante du Conseil de sécurité qui, en cas d'adoption, aurait obligé le gouvernement Netanyahou à respecter un cessez-le-feu permanent. Les États-Unis sont donc aussi responsables de la tuerie à Gaza qu'Israël.
La situation dans ce conflit ressemble à celle de responsables policiers qui soutiennent pour divers mobiles une organisation criminelle dominante (Israël en l'occurrence) au détriment d'un groupe non criminalisé dont les membres, victimes du clan dominant se défendent comme elles peuvent. Il y a quelque chose de choquant à voir la plupart des dirigeants occidentaux se réjouir ou même ne pas condamner l'assassinat de plusieurs responsables du Hamas et du Hezbollah en même temps qu'un criminel de guerre comme Benyamin Netanyahou ne fait l'objet d'aucune accusation. Non qu'il faille approuver à priori toutes les initiatives militaires du Hamas et du Hezbollah, mais l'indulgence des dirigeants américains, canadiens, français, britanniques et allemands à l'endroit d'Israël est condamnable. Si Netanyahou était zigouillé par un commando palestinien, ces mêmes politiciens se livreraient à des dénonciations agressives vis—vis de cet "acte terroriste".
Rappelons que jusqu'à présent, les succès militaires israéliens sur le terrain n'ont procuré à l'État hébreu aucune victoire stratégique décisive. Tout sera donc à recommencer tant que les motifs qui animent la résistance palestinienne demeureront en place. En ce sens, c'est rendre un mauvais service à Israël que de le couvrir contre vents et marées.
La meilleure manière de pacifier les relations entre Israël et la Palestine consiste au contraire à intégrer dans toute la mesure du possible les organisations palestiniennes vues comme "terroristes" au sein des futures négociations de paix et non à maintenir leur boycott. On fait la paix avec des ennemis, non avec des alliés. Quant aux irréductibles, ils s'en trouveraient isolés et assez neutralisés.
Il importe donc de mettre un terme à la coupable complaisance des gouvernements occidentaux envers l'État hébreu. Pourquoi alors ne pas débuter par l'émission d'un mandat d'arrêt international contre Benyamin Netanyahou et certains membres de son cabinet ?
Jean-François Delisle
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Israël contre l’ONU, une si longue histoire

Aussi impuissante soit-elle, l'Organisation des Nations unies est la cible de Benyamin Nétanyahou car elle représente le droit international. Ses agences, ses Casques bleus au Liban sont, verbalement et physiquement, attaqués. Même Emmanuel Macron, bien timoré face aux massacres dans la bande de Gaza, s'est fait tancer pour avoir pointé son rôle dans la création d'Israël. Or, ces attaques systématiques contre l'ONU ne datent pas d'aujourd'hui.
Tiré d'Orient XXI.
Dès le début de son offensive à Gaza, le 8 octobre 2023, l'État d'Israël lance une campagne de dénigrement de l'Organisation des Nations unies (ONU). Il présente celle-ci comme un organisme dévoyé qui l'empêche d'assouvir ses objectifs en protégeant indûment ses ennemis, le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban, deux entités « terroristes » aux contours indéfinis qu'il entend « éradiquer en totalité ». Du haut de la tribune de l'Assemblée générale, le 27 septembre 2024, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, traite l'ONU de « cloaque de bile antisémite à assécher ». Si elle n'obtempère pas, dit-il, elle restera « considérée comme rien d'autre qu'une méprisable farce ». Les trois-quarts des présents quittent la salle.
Il en fallait plus pour émouvoir Nétanyahou. Son offensive n'a fait que croître contre toutes les organisations onusiennes sur le terrain, qu'elles soient militaires (les Casques bleus) ou civiles (l'office des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, UNRWA). Israël taxe d'« antisémite » toute critique de ses crimes à Gaza — les pires commis depuis le début de ce siècle, comme répètent les organisations humanitaires. Le 8 octobre 2024, alors que le premier ministre israélien menace explicitement les Libanais de leur faire subir « les mêmes destructions et les mêmes souffrances qu'à Gaza (1) », s'ils ne se soumettent pas à ses exigences, c'est-à-dire « éradiquer le Hezbollah », ses forces armées frappent délibérément trois sites de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Huit jours plus tard, on comptait au moins cinq attaques israéliennes contre cette organisation, créée en 1978, après une lourde opération militaire israélienne au Sud-Liban contre l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) pour surveiller le comportement des belligérants et protéger les populations civiles.
Comme chaque fois qu'Israël se comporte ainsi, l'ONU et de très nombreux pays émettent de vives critiques. L'armée, elle, poursuit sa campagne : le 13 octobre 2024, deux de ses chars entraient de force dans une position de la Finul, pour bien montrer que les pressions internationales l'indiffèrent. À Gaza, au 14 mars 2024, l'UNRWA dénombrait « au moins 165 membres tués dans l'exercice de leurs fonctions » depuis octobre. Quatre jours après le massacre de masse perpétré par le Hamas et d'autres milices palestiniennes, le 7 octobre 2023, le secrétaire général des Nations unies, le Portugais António Guterres rappelait que, selon le droit international, « les locaux de l'ONU et tous les hôpitaux, écoles et cliniques ne doivent jamais être pris pour cible ». Comme s'il savait d'expérience les mesures de rétorsion de l'état-major israélien. Depuis, la vindicte israélienne envers l'Organisation n'a jamais cessé.
L'UNRWA au cœur de l'offensive israélienne
Le ministre des affaires étrangères, Yisraël Katz, a déclaré Guterres « persona non grata » dans son pays, le 1er octobre 2024. À plusieurs reprises, depuis un an, Israël a exigé que l'UNRWA quitte les Territoires palestiniens occupés — l'accusant de servir de protection aux « terroristes ». Cet organisme est le seul à fournir une aide humanitaire permanente, sanitaire et éducationnelle, dans ce qui reste des camps de réfugiés palestiniens, à Gaza et en Cisjordanie, ainsi qu'au Liban, en Syrie et en Jordanie. L'armée bombarde non seulement ses écoles et ses hôpitaux dans la bande de Gaza, mais Israël bloque aussi l'entrée des fonds qui servent à le financer et mène une campagne de dénigrement à son encontre.
Le Parlement israélien a entamé, en juillet 2024, un débat sur un projet de loi pour caractériser l'UNWRA d'« organisation terroriste » ; il doit se conclure à la fin octobre et il pourrait déboucher sur la mise sous séquestre de ses bâtiments et avoirs (2). Le 9 octobre, Katz a aussi laissé entendre que le quartier général de l'organisation à Jérusalem-Est pourrait être confisqué (afin d'y implanter des logements pour les Israéliens).
Parallèlement, sans l'ombre d'une preuve, Israël a mené une propagande active visant à présenter l'UNRWA comme un « repaire de terroristes ». Le 26 janvier 2024, Nétanyahou indiquait que 12 employés avaient participé à l'attaque du Hamas du 7 octobre précédent. Comme par hasard, l'annonce tombait précisément le jour où la Cour internationale de Justice (CIJ) ouvrait une enquête pour un « risque plausible de génocide » à Gaza. Bientôt, Israël obtenait son premier succès d'envergure : le 23 mars 2024, le Congrès américain votait l'arrêt du financement de l'UNRWA par les États-Unis jusqu'en mars 2025. Une attitude finalement peu suivie dans le monde.
Les allégations du gouvernement israélien n'ont eu aucune suite juridique, car il ne présentait aucune preuve convaincante les corroborant, selon le rapport de la commission indépendante Colonna (3). Mais l'essentiel a été atteint : le doute sur l'organisme onusien s'est étendu.
Le risque d'épidémie, un cas d'école
Étonnamment, cependant, la campagne d'Israël s'est un temps interrompue. L'affaire mérite d'être contée, tant elle est édifiante. Fin août 2024, un début d'épidémie de poliomyélite menace la bande de Gaza. Au vu du risque d'extension à des soldats engagés sur le terrain et, par leur biais, à toute la population israélienne non vaccinée — les militaires revenant périodiquement en permission dans leurs foyers —, le rôle de l'UNRWA redevient primordial. Les Israéliens négocient alors avec l'organisme onusien. Un mois après, 560 000 enfants palestiniens ont été vaccinés. L'armée israélienne a dû admettre que, sans la logistique unique de l'UNRWA, « la campagne de vaccination n'aurait jamais pu être menée à bien », explique Jonathan Adler, journaliste au quotidien en ligne Local Call (+972 dans la version internationale) (4).
Le gouvernement a ainsi montré toute sa duplicité. Pendant qu'il laissait passer 1,2 million de vaccins à Gaza pour enrayer le risque d'épidémie, il continuait de restreindre l'entrée des autres médicaments de première urgence, de l'eau et de la nourriture nécessaires aux Gazaouis. Une fois le risque d'épidémie enrayé, la campagne anti-UNRWA a pu reprendre. Le vice-maire de Jérusalem, Nir Barkat (Likoud), a organisé des manifestations permanentes devant le QG de l'UNRWA, pour le pousser à se déplacer à Amman, la capitale jordanienne. À la fin de ce mois, un vote en première lecture est prévu à la Knesset (le Parlement) sur deux propositions de loi : l'une vise à rompre les liens de toute autorité publique israélienne avec l'UNRWA, l'autre à interdire d'activité cet organisme sur le territoire. En attendant, Israël continue de bloquer ses comptes dans les banques israéliennes et les visas d'entrée pour ses nouveaux personnels.
Bilan : entre le 8 octobre 2023 et le 27 septembre 2024, les bâtiments de l'UNRWA — écoles, hôpitaux, foyers, bureaux — ont subi 464 attaques israéliennes à Gaza (5). Plus d'une par jour. Elles ont fait 226 morts parmi ses équipes, et 563 parmi les civils qui s'y trouvaient. Comme l'écrit Jonathan Adler, « l'offensive législative visant à faire partir l'UNRWA des Territoires occupés palestiniens n'est qu'une inscription dans la loi de la pratique militaire existante (6) ». Toutefois, l'armée israélienne est aussi pragmatique. Certains hauts gradés, explique encore Adler, s'inquiètent de ces lois. Leur argument : « Si l'UNRWA quitte Gaza, une nouvelle pandémie potentielle pourrait empêcher l'armée israélienne d'y poursuivre sa chasse au Hamas. »
De Bernadotte à l'OCHA
Bien qu'elle atteigne aujourd'hui des sommets, l'hostilité d'Israël à l'ONU et à la légitimité de toute critique extérieure de sa politique, surtout en temps de guerre, remonte à loin, quasiment à ses origines. La liste serait longue et l'on se contentera de rappeler quelques exemples. Le 17 septembre 1948, quatre mois après la création de l'État d'Israël, et alors que la première guerre israélo-arabe éclate, le comte suédois Folke Bernadotte, médiateur de l'ONU depuis mai 1948, est assassiné à Jérusalem. Bernadotte contrarie les ambitions israéliennes avec un « plan de paix » dont Israël ne veut pas. Il est abattu par quatre hommes portant l'uniforme militaire, mais appartenant au groupe Stern, un mouvement ultranationaliste. Comme le rappelle Jean-Pierre Filiu, ce groupe armé dispose aujourd'hui d'une place éminente au Musée de l'Armée israélienne (7).
Plus près de nous, en 1996, lors d'une opération contre le Hezbollah, l'aviation israélienne bombarde un camp des Casques bleus dans la bourgade de Cana où la population s'est réfugiée : 106 morts parmi les civils. En 46 ans, de tous les organismes onusiens identiques, la Finul est celui qui a connu le plus de pertes : en avril, elle comptabilisait 334 de ses membres tués, le plus souvent lors de raids israéliens. Autre organisme subissant les contraintes permanentes de Tel-Aviv depuis de très longues années : le Bureau des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), seule agence neutre qui recense les actes illégaux (crimes, expulsions, occupation, destructions, etc.) perpétrés dans les Territoires palestiniens occupés.
Quand le président français Emmanuel Macron assure que « M. Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l'ONU », en référence à la résolution 181 partageant la Palestine en deux États, l'un « juif » et l'autre « arabe », adoptée le 29 novembre 1947, il se fait tancer par le chef du gouvernement israélien : « ce n'est pas la résolution de l'ONU qui a établi l'État d'Israël, mais la victoire obtenue dans la guerre d'indépendance [de 1948 contre les Palestiniens et les États arabes] . » Exit l'ONU.
Le retour du néoconservatisme
Ce rejet des autorités onusiennes s'accompagne d'un discours récurrent. En hébreu, l'acronyme ONU se dit « Oum ». Le fondateur de l'État d'Israël, David Ben Gourion, disait par dérision : « Oum, Schmoum », que l'on pourrait traduire par « l'ONU, on s'en fiche ». Une attitude qui s'insère dans une vision politique. Tout comme aux États-Unis, où l'Organisation des Nations unies est vilipendée par une fraction notoire de la classe politique, en particulier les nationalistes. Ces derniers estiment qu'aucun organisme international ne peut imposer à leur pays de se soumettre à une loi générale contraire à la politique choisie — loi universelle que seules les Nations unies peuvent adopter. Israël entend pareillement s'y soustraire, c'est quasiment une doctrine d'État, même si elle reste non dite.
En 2004, j'interviewais Carmi Gilon, un ex-chef du Shin Bet, les forces de sécurité intérieure. L'affaire Abou Ghraib (8) avait éclaté peu avant en Irak. Ma première question était la suivante : « Dans la lutte contre des adversaires qui usent du terrorisme, peut-on respecter le droit humanitaire international, ou y déroger est-il dans la logique des choses ? » Sa réponse fut limpide : « Je ne suis pas un spécialiste du droit international. Je ne peux que me prononcer en fonction du droit israélien (9). » En d'autres termes, le patron des services spéciaux s'assoit sur le droit international et le dit. Cette attitude ne lui est pas propre. Elle incarne une philosophie que les édiles israéliens ont, de tout temps, adoptée : justifier de mille manières possibles le refus de se soumettre au droit international.
Le contourner au nom de la souveraineté est une philosophie que de nombreux régimes entendent aujourd'hui imposer.
Dans ce domaine, Israël a fait figure de précurseur. Le cas le plus explicite est le rapport à la « guerre préventive ». Le rejet de cette notion a été inséré dans le codex onusien par les Conventions de Genève relatives « au droit de la guerre et de l'utilisation des armes pour régler les conflits ». C'est en leur nom qu'en 1967, par exemple, le général de Gaulle déclarait : dans le conflit entre Israël et l'Égypte sur le blocage de l'accès des navires israéliens à la mer Rouge, le premier qui ouvrira le feu enfreindra le droit de la guerre et, de ce fait, il ne bénéficiera pas du soutien de la France. Depuis 1949, cette interdiction à déclencher une guerre ou une opération armée « préventivement » a été de facto ignorée à de nombreuses reprises de grandes comme de petites puissances.
Mais la particularité d'Israël est d'avoir constamment récusé, quasiment depuis sa naissance, l'interdiction du droit à la guerre préventive. Dès le début des années 1950, le général israélien Yigal Alon, devenu chef de la frange la plus militante du parti travailliste alors au pouvoir, se fit le chantre de la « guerre préventive ». Auparavant, la stratégie de l'armée était basée sur une conception dite « défensive-offensive » (privilégier la défense à l'attaque). À partir de 1953, elle devient « offensive-défensive », selon la terminologie militaire israélienne. Une stratégie qui « perdure en grande partie jusqu'à ce jour », écrivait le chercheur israélien Oren Barak en 2013 (10). Pour Barak :
- [Israël a] depuis des décennies, de facto, adhéré à une politique étrangère reposant fortement sur une doctrine (qui) prévoyait le lancement de frappes et de guerres préventives contre les voisins d'Israël en cas de menaces existentielles avant qu'elles ne se matérialisent.
Cette politique, ajoutait-il, est devenue « routinière ». Tel-Aviv adoptant systématiquement l'argument de la « menace existentielle » en toute occasion.
En 1982, lorsque l'armée israélienne envahit le Liban pour en chasser les forces de l'OLP et y changer le gouvernement du pays, le premier ministre de l'époque, Menahem Begin, expliqua qu'il lançait cette guerre parce que « nous avons décidé qu'un nouveau Treblinka n'adviendra pas ». Identiquement, dès le lendemain de l'attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, Benyamin Nétanyahou invoqua « le plus grand crime contre des Juifs depuis la Shoah ». Cette référence « existentielle » permet dès lors de se soustraire à toutes les remontrances onusiennes — qualifiées, comme on l'a vu, d'« antisémites ».
Cette réhabilitation de la « guerre préventive » fut installée en majesté par la conseillère américaine à la sécurité, Condoleezza Rice, dans le document annuel de la « stratégie nationale » américaine, en septembre 2002. Aujourd'hui, cette même doxa préside au comportement israélien, de manière plus radicale encore. Dans une posture de défi, Israël affiche sa volonté de ne respecter aucune des normes du droit de la guerre, bien plus encore que ne le firent les Américains en Irak il y a vingt ans. On le sait trop peu, mais Benyamin Nétanyahou, dans les années 1980-1990, fut un des idéologues majeurs de la montée en puissance du néoconservatisme aux États-Unis.
Notes
1- Lire Vincent Lemire : « Le jusqu'au-boutisme en ligne de mire », Libération, 9 octobre 2024.
2- « Lourdes menaces d'Israël sur UNRWA et l'aide aux Palestiniens », unric.org, 10 octobre 2024.
3- Cf. « Independant review of mechanism and procedure to ensure adherence by UNRWA to humanitarian principle of neutrality », ONU, 22 avril 2024.
4- Jonathan Adler : « Israel paradoxical crusade against UNRWA », Local Call, 10 octobre 2024.
5- « UNRWA Situation Report #140 on the situation in the Gaza Strip and the West Bank, including East Jerusalem », unrwa.org, 27 septembre 2024.
6- op.cit.
7- Jean-Pierre Filiu : « L'assassinat par Israël du médiateur de l'ONU en Palestine », Le Monde, 14 octobre 2018.
8- Du nom de la prison où l'armée américaine et la CIA torturaient des prisonniers durant la guerre d'Irak en 2003-2004.
9- Sylvain Cypel, « Carmi Gilon : La notion de pression modérée est sérieuse, pas hypocrite », Le Monde, 29 juin 2004.
10- Oren Barak, avec Amiram Oren et Assaf Shapira : « “How The Mouse Got His Roar” : The Shift to an 'Offensive-Defensive' Military Strategy in Israel in 1953 and its Implications », The International History Review (35-2) : 356-376, avril 2013.
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Crimes de l’industrie pornographique : les faits doivent être jugés dans leur intégralité

Le 17 octobre, la cour d'appel de Paris rendra une décision importante dans l'affaire dite « French Bukkake ». Les dizaines de victimes des crimes de l'industrie pornographique devront-elles se contenter d'une justice au rabais ?
Tiré de Entre les lignes et les mots
Quatre ans. Cela fait plus de quatre ans que les 42 victimes qui se sont portées parties civiles dans l'affaire dite « French Bukkake » attendent le procès des hommes qui les ont exploitées sexuellement. Dans cette affaire dévoilant les rouages criminels de l'industrie pornographique française, 17 hommes ont été mis en examen pour viols en réunion, traite d'êtres humains en bande organisée et proxénétisme aggravé.
Les violences que ces femmes ont subies sont insoutenables. Manipulées et prises au piège par un rabatteur, elles ont été violées à de multiples reprises. Le dossier d'instruction contient des centaines d'heures d'images de violences sexuelles extrêmes.
L'une des victimes associe les multiples viols qu'elle a subis à de la torture : « J'ai été violée 240 fois, ce n'est pas de la torture ça ? Quatre-vingt-huit fois sur le bukkake, quarante-quatre fois en une heure. Je sais que j'ai été violée, ce n'est pas ça le sujet, le sujet c'est la torture. Aucun humain n'est capable d'absorber quarante-quatre pénétrations en une heure », témoigne l'une des victimes.
Ces femmes ont été soumises à des mises en scène et des actes sadiques, volontairement déshumanisants, à des souffrances aiguës, des étouffements prolongés, des pénétrations multiples et simultanées (vagins, anus, bouche), ces femmes ont été torturées.
Pourtant, la circonstance aggravante d'actes de tortures n'a pas été retenue par le juge d'instruction dans son ordonnance de mise en accusation en 2023. Les circonstances aggravantes de sexisme et de racisme non plus, alors même que les insultes racistes et misogynes pullulent dans les vidéos. La plupart des parties civiles ont donc fait appel de cette décision.
L'abandon de ces circonstances aggravantes est un déni de justice pour les victimes. Au passage, la justice laisse impunie la dimension la plus anti-sociale de ces crimes, leur dimension déshumanisante, raciste et sexiste, ce qui profite aux accusés qui n'auront pas à répondre de l'intégralité de leurs actes. Encourant une peine de 20 ans de réclusion criminelle tout au plus, ils peuvent alors être renvoyés devant une cour criminelle départementale, au lieu de comparaître devant une cour d'assises et de faire face à une peine de 30 ans, voire à la perpétuité.
Cette déqualification inacceptable des violences est rendue possible par la généralisation récente des cours criminelles départementales. Censées répondre à l'engorgement des cours d'assises et améliorer la réponse judiciaire – notamment en matière de viols – ces cours ont en réalité permis l'apparition d'une nouvelle forme de minimisation des viols : les juges d'instruction et les parquets peuvent être tentés d'écarter certaines circonstances aggravantes ayant accompagné les crimes, afin de pouvoir les renvoyer devant une cour criminelle plutôt qu'une cour d'assises. L'affaire French Bukkake en est un exemple flagrant.
Nous, associations féministes, syndicats et organisations de la société civile, attendons beaucoup de la décision que prendra la chambre de l'instruction le 17 octobre.
Sept ans après le début du mouvement #MeToo, en plein procès des violeurs de Mazan, nous ne pouvons accepter que les viols soient encore minimisés par l'institution judiciaire et des victimes sacrifiées pour des motifs budgétaires.
https://mouvementdunid.org/blog/actus-mdn/communiques-presse/crimes-de-lindustrie-pornographique-les-faits-doivent-etre-juges-dans-leur-integralite/
https://scenesdelavisquotidien.com/2024/10/15/communique-de-presse-crimes-de-lindustrie-pornographique-les-faits-doivent-etre-juges-dans-leur-integralite/
https://www.egalite-professionnelle.cgt.fr/crimes-de-lindustrie-pornographique-les-faits-doivent-etre-juges-dans-leur-integralite/
https://cfcv.asso.fr/relais-osez-le-feminisme-crimes-de-l-industrie-pornographique-les-faits-doivent-etre-juges-dans-leur-integralite/
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Pour vaincre l’extrême droite, il faut prendre le racisme (et l’antiracisme) au sérieux

Les éditions Amsterdam ont récemment publié le premier ouvrage collectif d'une nouvelle collection dédiée aux travaux de l'Institut La Boétie : Extrême droite, la résistible ascension. À l'occasion de cette parution, une conférence a été organisée (que l'on peut visionner ici) dans laquelle sont intervenu·es notamment plusieurs membres de la rédaction de Contretemps, sur le thème : « comment battre l'extrême droite ? ».
Le texte que nous publions ici constitue ainsi une version légèrement approfondie de l'intervention d'Ugo Palheta, coordinateur de l'ouvrage, autour d'une dimension spécifique mais centrale de cette question : la lutte contre le racisme.
15 octobre 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/vaincre-extreme-droite-rn-xenophobie-racisme-antiracisme/
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Je voudrais aborder le sujet de mon chapitre du livre que nous présentons ce soir, à savoir la question des rapports entre le racisme et l'extrême droite, qui sont évidemment très étroits. Comme l'ont montré de nombreux travaux, basés sur des enquêtes de terrain (notamment celle qui est au cœur du livre publié en 2024 par le sociologue Félicien Faury, qui a d'ailleurs contribué à notre livre) ou sur des enquêtes d'opinion (par exemple l'enquête réalisée pour le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie), la dimension raciale et raciste est centrale dans le vote pour l'extrême droite.
Elle l'est également dans les orientations programmatiques et stratégiques des organisations d'extrême droite, sous une forme particulièrement évidente et explicite chez Zemmour (qui n'a cessé de faire de la surenchère raciste ces dernières années afin d'exister), et d'une manière à peine plus feutrée chez Le Pen et Bardella. L'extrême droite continue de placer au centre de sa vision du monde et de ses discours la nécessaire « mise au pas » (comme ils le disent de manière euphémisée) de groupes considérés comme des ennemis de l'intérieur, sorte de « cinquième colonne » qui serait soutenue par la gauche (elle-même vue comme « parti de l'étranger »). Tous ceux et toutes celles qui sont perpétuellement soupçonné·es de ne pas être ou se sentir suffisamment français, sont présentés comme inévitablement extérieurs et hostiles à la nation, éternellement « allogènes » même s'ils ou elles sont né·es en France, considérés comme « refusant de s'intégrer » et de toute façon « inassimilables ».
Avant tout autre chose, la bataille de l'extrême droite actuelle est identitaire, mais ce mot mérite une rapide explication. Il importe de rappeler que, dans le langage des extrêmes droites actuelles, le terme d'identité – devenu central dans presque toutes les mouvances de cette famille politique, des néonazis aux identitaires en passant par le FN/RN ou Reconquête – a été introduit dès les années 70 par des idéologues racialistes rassemblés dans ce qu'on a appelé alors la « Nouvelle Droite ». Le concept d' « identité » visait, dans le cadre d'une stratégie élaborée alors et mise en œuvre depuis, à remplacer celui de « race », devenu en grande partie imprononçable après le judéocide, et en tout cas beaucoup trop encombrant pour ces héritiers du fascisme qui aspiraient à sortir de la marginalité politique dans laquelle la défaite politico-militaire du nazifascisme en 1945 les avait confinés.
Ils ont donc travaillé à remodeler le vieux langage de l'extrême droite afin de culturaliser le racisme. Il ne s'agissait plus d'affirmer la hiérarchie des races mais de proclamer l'incompatibilité des cultures et la nécessité de préserver ou sauver, « quoi qu'il en coûte », une identité française ou européenne : une identité dont ces mouvances ont une conception non pas politique, mais culturaliste (fondée sur une essentialisation de la culture) et pseudo-biologique. Cette conception spécifique n'a d'ailleurs généralement pas besoin d'être précisée car les extrêmes droites font le pari que, pour la plupart des gens auxquels ils destinent leurs discours, la défense de l'identité française ou européenne sera immédiatement comprise comme la défense d'une France et d'une Europe blanches, d'une France et d'une Europe où la domination blanche doit impérativement continuer à s'exercer, où les personnes identifiées comme blanches devraient continuer à compter plus que les autres et à passer avant les autres.
Cette identité française ou européenne dont parle tant l'extrême droite est donc le produit d'un bricolage idéologique dont la seule cohérence se trouve dans sa finalité : stigmatiser, marginaliser, isoler, discriminer et in fine exclure, voire déporter (« remigrer » disent les identitaires et Zemmour), en ciblant des groupes qui peuvent être variables historiquement mais qui sont principalement, aujourd'hui en France, les populations noires, musulmanes, arabes, rroms, et l'ensemble des immigrés extra-européens.
Bien sûr, les juifs ont longtemps constitué la cible par excellence des extrêmes droites, mais la plupart de ses courants – notamment le FN/RN, Reconquête et les identitaires –, sans jamais avoir rompu en réalité avec l'antisémitisme (ce qui n'est pas difficile à démontrer), ont adopté une tactique nouvelle (en continuité avec le personnel politique dominant mais aussi une partie des organisations qui prétendent parler au nom des populations juives, en particulier le CRIF) : détourner et instrumentaliser la lutte ô combien nécessaire contre l'antisémitisme pour mieux traîner dans la boue des groupes qui en auraient à présent le monopole, à savoir les musulman·es et les immigrés postcoloniaux, pour des raisons prétendument culturelles qui seraient liées à l'islam ou au soutien à la Palestine occupée et colonisée.
Toutes les enquêtes démentent cette vision[1], sans parler du fait qu'elle absout l'Europe catholique de l'antijudaïsme endémique qui s'y développa pendant des siècles et des pires formes – génocidaires – de l'antisémitisme qui y émergèrent au 19e siècle, dont la conséquence fut précisément le génocide des juifs d'Europe durant la Seconde Guerre mondiale. Ce détournement de la lutte contre l'antisémitisme permet de mettre en accusation l'ensemble de celles et ceux qui pleurent les innombrables morts en Palestine et qui protestent contre la guerre génocidaire menée par l'État colonial d'Israël contre les Palestinien·nes de Gaza, qui sont accusé·es d'antisémitisme. Double infamie ici : passer sous silence le massacre voulu et planifié des Palestinien·nes, et vilipender celles et ceux qui s'y opposent en marquant leur solidarité avec un peuple colonisé et persécuté.
*
Quand on aborde la question du racisme dans l'optique de vaincre l'extrême droite, il faut prendre la question en grand, dans toute sa profondeur historique et dans toute sa consistance sociale.
Le racisme n'est pas un venin que Jean-Marie Le Pen et l'extrême droite auraient inoculé à la société française depuis 40 ans. Bien sûr, les néofascistes ont joué leur rôle, en tant que composante la plus brutale et la plus brutalement raciste du nationalisme français. Pour autant, le racisme dans la société française a un ancrage beaucoup plus profond, une histoire beaucoup plus ancienne et un déploiement beaucoup plus transversal, si bien que – sous une forme bien évidemment déniée, occultée – il est inscrit dans le fonctionnement routinier des institutions de ce pays, y compris bien entendu dans le fonctionnement de l'État (la police, la justice ou la prison par exemple. Il s'exprime également sur le marché du travail ou du logement, dans l'institution scolaire et le système de santé, sous des formes à chaque fois spécifiques, qui soulignent la dimension institutionnelle du racisme.
En outre, en raison non pas d'on ne sait quelle « nature humaine » mais de toute une trajectoire historique qui remonte à l'histoire esclavagiste et coloniale de la France (et plus largement de l'Occident), le racisme est inscrit aussi dans les cerveaux, les représentations, les affects, les désirs sociopolitiques d'une bonne partie de la population, pour ne pas dire l'ensemble de la population. Dans une société façonnée par des siècles d'impérialisme, de suprémacisme blanc, de racisme colonial mais aussi d'antisémitisme, tout le monde est, à des degrés très divers et sous des formes variées, imprégné par le racisme. C'est bien sûr le cas quand on en subit les conséquences (discriminations, spoliations, humiliations, violences, etc.), mais aussi et surtout quand on peut en tirer divers avantages.
Ces avantages n'ont à l'évidence nullement disparu avec l'affirmation dans la loi de l'égalité de tou·tes quelle que soit l'origine, la religion, la couleur de peau, etc., et encore moins parce que le terme « race » a été ôté de la Constitution, mesure cosmétique qui a sans doute comme principal effet de renforcer l'aveuglement face au racisme.
Dans une société marquée par des concurrences de plus en plus intenses – au sein du système scolaire, sur le marché du travail, ou pour accéder aux territoires les plus prisés –, les discriminations raciales construisent des formes d'entre-soi blanc et des intérêts, pour les personnes reconnues comme blanches, à la conservation d'un système qui leur octroie de tels avantages relatifs. Dans la mesure où ces avantages se cumulent, à la fois de génération en génération mais aussi entre les différentes sphères sociales (marché du travail, logement, école, santé, etc.), ils font bien souvent de grandes différences dans les parcours sociaux.
Il y a donc bien un ancrage matériel du racisme, y compris du côté de personnes et de couches sociales qui, d'un point de vue de classe, ne sont pas à proprement parler des privilégié·es. Ilfaut signaler sur ce point que le niveau de discrimination raciale se situe en France à un niveau exceptionnellement élevé. Une recherche quantitative comparée, publiée en 2019 dans la prestigieuse revue Sociological Science par certain-es des meilleures spécialistes de ce champ de recherche, a montré que parmi 9 pays occidentaux (dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, etc.), le niveau le plus élevé de discrimination raciale à l'embauche dont sont l'objet les personnes nées dans les pays en question mais identifiées comme non-blanches, a été observée en France.
De même, dans un article publié récemment, Mathieu Ichou et moi-même avons démontré statistiquement l'ampleur des inégalités raciales de salaires en France : des différentiels de plusieurs centaines d'euros par mois, toutes choses égales par ailleurs, au détriment des descendants d'immigrés d'Afrique subsaharienne et du Maghreb mais aussi des Outre-mer.
Si on prend tout cela en compte, l'enjeu pour nous, dans la bataille contre les forces fascistes ou fascisantes, ce n'est pas simplement une échéance électorale particulière, même si cela s'avère primordial dans la mesure où on ne doit laisser aucune instance ou parcelle de pouvoir aux mains de l'extrême droite néofasciste ou de la droite fascisée. C'est toute la structure racialisée de la société française qu'il nous faut combattre durablement, en étant aux côtés des collectifs et de tou·tes celles et ceux qui, d'ores et déjà, mènent cette bataille à partir de questions spécifiques (violences policières, contrôles au faciès, discriminations de toutes sortes, islamophobie, etc.), ou dans sa globalité.
Notre objectif c'est bien sûr de défaire toutes les politiques racistes, anti-immigrés, islamophobes ou rromophobes, qui ont été menées ces dernières décennies, mais c'est plus largement et plus profondément de déracialiser la société française. Et c'est là toute l'hypocrisie des attaques qui s'abattent régulièrement sur le mouvement antiraciste et à présent sur la gauche de rupture, de la part de presque tout le spectre politique, à savoir les accusations de « communautarisme », de « racisme anti-blanc », de « racisme à l'envers » ou encore d' « obsession de la race ».
Nous sommes au contraire celles et ceux, ou nous devons être celles et ceux, qui prenons au sérieux politiquement la manière dont le racisme s'abat quotidiennement sur une partie de la population et fracture la société tout entière, qui ne font pas l'autruche par rapport à la question des inégalités raciales et de la domination blanche : celles et ceux qui ne veulent pas laisser les choses en l'état, qui veulent transformer radicalement les institutions, la culture et l'ensemble de la société de telle manière qu'on ne se pose précisément plus la question raciale, de telle manière que l' « universalisme » ne soit plus un mot creux ou, pire, une couverture pour dissimuler le refus de lutter contre les inégalités et les structures de domination.
Mais pour déracialiser, il faut commencer par affronter la question raciale, autrement dit les catégorisations et hiérarchisations raciales que le racisme produit et reproduit sans cesse, sous des formes d'ailleurs évolutives. Affronter la race pour mieux déracialiser n'est d'ailleurs un paradoxe que pour ceux qui ne veulent pas comprendre, ou qui ont trop intérêt à ne pas comprendre, précisément parce que le statu quo racial et raciste leur profite, ou du moins ne pèse en rien sur leurs existences quotidiennes, et qui font bien souvent tout pour occulter la réalité et les effets du racisme.
Déracialiser suppose bien sûr de renforcer et de populariser un récit antiraciste, de l'opposer en permanence aux discours identitaires et racistes qui ont envahi le débat public, de mener une lutte sans trêve et assumée sur ce terrain de l'antiracisme, pour briser notamment les consensus xénophobe et islamophobe qui se sont imposés au cours des quatre dernières décennies, y compris avec la complicité d'une partie de la gauche, et pour retourner la polarité dans la construction des « problèmes publics » : le problème ce n'est ni l'immigration ni l'islam, ce sont les politiques anti-migratoires (qui tuent chaque jour), l'islamophobie et plus largement le racisme sous toutes ses formes et dans toutes ses variétés.
Mais prendre au sérieux la question raciale, c'est aussi défendre et avancer un programme. Parce que si la question du pouvoir et du gouvernement nous importe, si elle est même cruciale pour nous, c'est en raison de ce que pourrait et devrait faire un gouvernement de rupture, non seulement avec le néolibéralisme et le productivisme, mais aussi avec le racisme et l'impérialisme. Difficile de ne pas en dire quelques mots ici. Un tel programme devrait comporter au minimum :
- – des politiques de régularisation des sans-papiers ;
- – des politiques de lutte réelle contre les discriminations raciales (lutte qui n'existe pas véritablement à l'heure actuelle, quoi qu'on en dise) ;
- – des politiques de déségrégation des territoires, du marché du travail ou de l'institution scolaire ;
- – des politiques de réparation à l'égard des minorités racialisées et des peuples colonisés ;
- – des politiques visant à mettre un terme au profilage racial dans l'activité de la police et engageant par ailleurs la dissolution des brigades – comme la Brigade anti-criminalité (BAC) – les plus activement et brutalement au service du maintien de l'ordre socio-racial ;
- – des politiques éducatives visant la connaissance par tou·tes des processus historiques à travers lesquels les puissances occidentales ont colonisé le monde entier, installé leur domination et imposé des classifications et des hiérarchisations raciales, qui ont eu un rôle central dans la construction d'un capitalisme mondialisé et prédateur.
– mais aussi une rupture nette avec les politiques impérialistes, ce qui passe notamment par la fin du pillage néocolonial de l'Afrique, le boycott d'Israël et l'autodétermination du peuple kanak.
C'est seulement à ce prix politique que l'on parviendrait – au terme d'une longue bataille politique, sociale et culturelle – à déracialiser véritablement les institutions et les consciences. Vaincre l'extrême droite suppose évidemment de battre électoralement des forces politiques organisées mais cela va beaucoup plus loin : il s'agit de transformer radicalement les conditions sociales, politiques, institutionnelles et culturelles, dans lesquelles ces forces naissent, se développent et prospèrent, donc notamment de bâtir une société en rupture complète avec un ordre racial qui organise des concurrences multiples, entretient la division sur le fondement de l'origine, de la religion ou de la couleur de peau, et reproduit tout un ordre inégalitaire socio-racial qui est solidaire et constitutif d'un système capitaliste fondé sur l'exploitation de la grande majorité par une petite minorité.
Cette bataille n'est évidemment pas notre seule tâche dans le combat contre l'extrême droite. Elle n'est pas exclusive d'autres luttes (syndicales, féministes ou écologistes par exemple), mais elle est une tâche absolument centrale pour quiconque prend au sérieux l'objectif de la libération et d'une humanité émancipée.
*
Illustration : Photographie de Martin Noda / Hans Lucas / Photothèque rouge.
Note
[1] Voir là encore le dernier rapport de la CNCDH ou, il y a déjà une vingtaine d'années, cet article de Nonna Mayer.
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Soudan : Au-delà de l’aide humanitaire

Le Soudan est confronté non seulement à des tirs de balles, mais aussi à l'absence étouffante d'infrastructures de communication, une ressource vitale souvent négligée mais aussi essentielle que la nourriture ou les médicaments. Alors que le pays est aux prises avec une grave crise de sécurité alimentaire, les initiatives locales, telles que les groupes d'entraide et les cuisines d'urgence, sont les seules sources fiables de survie pour des millions de personnes . Pourtant, ces réseaux de soutien fragiles dépendent d'un accès stable à Internet, un outil vital aujourd'hui étouffé par la guerre. Alors que les Forces de soutien rapide (RSF) resserrent leur emprise sur les communications dans les territoires qu'elles contrôlent et utilisent des appareils Starlink de contrebande pour surveiller et contrôler l'accès, les acteurs internationaux restent étrangement silencieux sur cette obstruction critique.
Tiré d'Afrique en lutte.
Les enjeux sont clairs : sans le rétablissement de l'accès à Internet, l'avenir humanitaire et politique du Soudan risque de s'effondrer. L'infrastructure même qui mobilisait autrefois la résistance, renversait les dictateurs et permettait une coordination vitale est désormais à la merci des seigneurs de guerre et de l'indifférence étrangère.
La crise alimentaire au Soudan est grave et ne cesse de s'aggraver . L'aide internationale devenant de plus en plus inaccessible en raison du conflit, les communautés les plus vulnérables dépendent des groupes d'entraide, du soutien de la diaspora soudanaise et des cuisines centrales gérées par des services d'urgence bénévoles. Ces initiatives locales ne se contentent pas de combler les lacunes laissées par les efforts humanitaires internationaux ; dans de nombreux cas, elles constituent la seule bouée de sauvetage des populations. « Les Soudanais s'entraident à peine, avec un soutien ou une protection internationale minime », a déclaré William Carter, directeur du Conseil norvégien pour les réfugiés au Soudan. Pour beaucoup, ce réseau local fait la différence entre un repas quotidien et des jours de famine.
Cependant, ces efforts pour sauver des vies dépendent entièrement d'une communication stable et d'un accès à Internet. Les familles qui envoient des fonds, les groupes d'entraide qui identifient les communautés dans le besoin et les cuisines d'urgence qui coordonnent les approvisionnements ont tous besoin d'Internet pour fonctionner. Sans Internet, ce système de soutien déjà fragile, poussé à bout, s'effondrera.
Dans les zones contrôlées par les RSF, les communications reposent uniquement sur des dispositifs Starlink de contrebande, qui fonctionnent de manière non officielle et à un coût élevé. L'accès est rare, dangereux et étroitement surveillé, car nombre de ces appareils sont contrôlés par les soldats des RSF. Il est scandaleux que, malgré l'obstruction continue de l'aide humanitaire par les RSF, les acteurs internationaux restent silencieux sur leur incapacité à entretenir les infrastructures de communication. Ce manque de responsabilité aggrave encore la crise humanitaire et porte atteinte aux réseaux vitaux dont dépendent les communautés soudanaises pour leur survie.
Mais les enjeux vont bien au-delà des besoins humanitaires immédiats : Internet est crucial pour l'avenir politique du Soudan. La guerre en cours remodèle le paysage politique et l'espace civique du pays. Bien avant le déclenchement du conflit le 15 avril, Internet était un élément essentiel de l'infrastructure de l'engagement civique. C'était le champ de bataille où les mouvements populaires soudanais s'organisaient, affrontaient les discours conflictuels et dirigeaient l'opposition qui a renversé une dictature de 30 ans en 2019. Les mêmes réseaux numériques ont soutenu la résistance au coup d'État de 2021 et ont suscité les remarquables réponses locales d'urgence que nous observons aujourd'hui. Leur activisme a été essentiel. Pourtant, la guerre en cours a considérablement perturbé cette dynamique, menaçant l'infrastructure même qui a autrefois donné du pouvoir à une génération de militants et transformé le paysage civique du Soudan.
Les déplacements provoqués par le conflit ont forcé d'innombrables militants, responsables politiques et dirigeants de la société civile à fuir les grandes villes ciblées par les RSF, et nombre d'entre eux n'ont pas pu revenir en raison de la dégradation de la situation sécuritaire. Dans les États relativement sûrs du nord et de l'est du Soudan, les Forces armées soudanaises (FAS) imposent de sévères restrictions, et de plus en plus de militants et de responsables politiques sont pris pour cible. En conséquence, les rassemblements politiques et de la société civile se sont largement déplacés hors du Soudan, ce qui a gravement compromis l'espace civique interne du pays. Les comités de résistance, autrefois l'épine dorsale de la résistance civile, ont été dévastés par ces déplacements. Leur capacité à se réunir et à s'organiser au Soudan a été encore plus entravée par les coupures de communication.
Malgré les promesses répétées de l'envoyé spécial des États-Unis de donner la priorité aux voix des citoyens soudanais dans le processus de négociation, la conception de ces processus reste floue. De plus, les exigences imposées aux factions belligérantes n'ont pas permis de rétablir l'action des civils. Au contraire, le cadre de médiation a encore davantage militarisé les acteurs civils, érodant l'action des citoyens, car de nombreux Soudanais attendent désormais le résultat des élections américaines. Une demande essentielle et immédiate – rétablir et maintenir l'accès à Internet – ne peut attendre un cessez-le-feu. Il s'agit d'un droit fondamental qui doit être garanti sans délai.
Pendant ce temps, RSF continue d'exploiter les plateformes humanitaires, ne répondant que de façade aux médiateurs et aux acteurs internationaux. Une exigence simple et exécutoire – qu'ils assurent un système de communication fonctionnel dans toutes les zones sous leur contrôle – serait une étape vitale, à la fois facile à surveiller et essentielle à la survie des efforts de terrain.
Tahany Maalla est analyste politique et directeur de Mubasara (un centre de recherche soudanais).
Source : https://africasacountry.com/
Traduction automatique de l'anglais
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Mali, les colonels de la junte soudain promus généraux

Ce 16 octobre, les cinq colonels auteusr du coup d'Etat d'août 2020 ont, à titre exceptionnel, obtenu le grade de général de corps d'armée. Si cette promotion n'est pas surprenante, le timing, en revanche interroge.
Tiré de MondAfrique.
Il faudra s'y faire et désormais appeler général aussi bien Assimi, Goïta, président d'une transition qui dure, Sadio Camara, ministre de la Défense, Ismaël Wagué ministre de la réconciliation, Modibo Koné puissant patron du renseignement, Malik Diaw, président du Conseil National de transition. Quatre ans et demi après leur coup d'Etat qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta, ils auront donc pris du temps pour s'octroyer cette promotion.
Le Guinéen Mamadi Doumbouya n'a pas pris autant de précautions, il est passé de lieutenant-colonel à général en moins de trois ans.
Pourquoi maintenant ?
Cette promotion aurait été plus comprise si elle avait été annoncée après un succès militaire comme la reprise de Kidal en novembre 2023. Or, elle intervient précisément dans un moment où les autorités maliennes traversent une très mauvaise passe. Après la défaite cuisante à Tinzawaten en juillet 2024 où nombre de soldats et de mercenaires de Wagner ont été tués, blessés ou fait prisonniers, les militaires sont repartis à l'assaut de cette ville située aux portes de l'Algérie. Après avoir essayé pendant près de deux semaines de rejoindre la localité, en vain, l'armée a rebroussé chemin. Ce nouveau galon est-il destiné à faire diversion pour passer cet échec sous silence ?
Pour le site de l'Alliance des Etats du Sahel, ces changements « s'inscrivent dans un contexte de réorganisation de l'appareil sécuritaire malien », peut-être mais comme les désormais cinq généraux restent tous à leur poste, difficile d'imaginer de grands bouleversements à venir. Ou bien faut-il voir la volonté pour les bénéficiaires de ces promotions de se sécuriser avant d'organiser l'élection présidentielle ? Dans ce dernier cas, ces galons supplémentaires seraient une très bonne nouvelle.
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Sénégal : Législatives 2024 : Enterrer le système !

Le moins qu'on puisse dire est que l'enfantement d'un nouveau Sénégal souverain se fait dans la douleur et des secousses singulières bien qu'artificielles. Pour neutraliser les provocations des élites déchues, les leaders du camp patriotique pourraient élever le niveau du débat, dans le respect strict des droits et libertés, en fixant le cap et en élaborant une feuille de route très claire, qui prenne en charge de manière holistique, les problématiques liées à la transformation systémique. Dans cette phase de transition cruciale, devant acter l'avènement d'une nouvelle ère de souveraineté pleine et entière, de gestion vertueuse de l'Etat, de redistribution équilibrée des ressources nationales et de justice sociale se dressent des obstacles multiples.
Tiré d'Afrique en lutte.
Le premier a trait à la nature même du cours que les tenants de la transformation systémique veulent imprimer à l'évolution politique de notre Nation, empêtrée jusque-là dans le bourbier néocolonial. De fait, la tâche d'anéantissement de la domination impérialiste qui sévit encore dans nos pays, censée faire advenir une nouvelle époque de libération nationale et sociale renvoie au clair-obscur de Gramsci, à un interrègne durant lequel surviennent les phénomènes morbides les plus variés.
Devant la détermination du camp patriotique et des panafricanistes de la sous-région à clore le sinistre chapitre de la Françafrique, (dont un des plus fidèles serviteurs, Mr Robert Bourgi, vient de dévoiler les mécanismes les plus pervers), on observe une résistance farouche du camp de la continuité néocoloniale.
On y retrouve, au premier plan, la coalition TAKKU WALLU, animée, pour l'essentiel, par des héritiers de WADE, ayant montré, le 3 février 2024, leurs vrais visages de putschistes constitutionnels, qui, projetaient de renvoyer aux calendes grecques, la présidentielle initialement prévue le 25 février dernier. Ses liens étroits avec l'ancienne métropole sautent aux yeux, car sa tête de liste, l'ancien président Macky Sall, qui a dirigé notre pays d'une main de fer, pendant douze années, est un collaborateur fidèle du président Macron, son envoyé spécial et président du comité de suivi de son pacte de Paris pour la planète et les peuples. La deuxième personnalité de cette association de « malfaiteurs politiques » est le fils biologique du président Wade, émissaire de Sarkozy, en juin 2011, à Benghazi, où il s'était rendu pour demander à Kadhafi d'abandonner la résistance à l'Occident et de partir.
Quant à l'autre coalition JAMM AK NJARIÑ, elle ne rassure pas davantage, car son président, le « fonctionnaire milliardaire » Amadou Bâ, candidat malheureux de Benno Bokk Yakaar à la dernière présidentielle, était allé en France, proposer ses services comme cheval de substitution à Macky Sall, (rattrapé par la limitation des mandats), pour perpétuer le système françafricain. Elle compte, d'ailleurs, en son sein, plusieurs anciens barons du précédent régime, dont d'anciens combattants de la gauche, qui croient pouvoir se créer une nouvelle virginité politique et effacer leurs « délits politiques » antérieurs, en changeant de parti ou coalition, sans faire le plus petit effort d'autocritique. C'est d'ailleurs cette absence de remise en cause, des anciens tenants du pouvoir, de leurs démarches antérieures, qui explique leur manière de s'opposer, leur but ultime étant de restaurer, le plus vite possible, l'ancien ordre rejeté massivement par peuple sénégalais.
S'il faut saluer la distanciation des membres des coalitions SAMM SA KADDU et SENEGAL KESE par rapport aux deux premières, qui tenaient les rênes du pouvoir et qui ont été électoralement battues, le 24 mars dernier, on ne peut qu'être perplexes devant leur excès d'agressivité par rapport au nouveau régime et leur réticence farouche à soutenir et/ou accompagner les ruptures annoncées par PASTEF.
Au-delà des vicissitudes et péripéties plus ou moins dérisoires de la vie politique, il faudra bien que les acteurs politiques de tous bords, y compris les actuels gouvernants, nous édifient sur leur positionnement par rapport aux enjeux décisifs de refondation institutionnelle, de respect des droits et libertés, de souveraineté nationale, de gestion vertueuse et de justice sociale, autour desquels de larges convergences peuvent être trouvées.
S'agit-il de démanteler le système (néocolonial), en vigueur dans notre pays, depuis son accession à l'indépendance formelle et dont la faillite est devenue manifeste avec le régime quasi-autocratique de Benno Bokk Yakaar ? Ou alors s'agit-il de réanimer ce système désastreux, en se soumettant au diktat des puissances occidentales en général et de la Françafrique, en particulier, ce qui équivaut à la poursuite de la domination économique et politique sur nos pays ?
Voilà les questions de fond auxquelles il faut apporter des réponses claires, au lieu de continuer à louvoyer et de s'adonner à une guérilla politicienne ininterrompue contre le pouvoir en place pour l'amener à abdiquer sur ses orientations progressistes.
Notre souhait le plus ardent est une option résolue vers l'enterrement du système néocolonial honni, par la confirmation du positionnement patriotique lors des prochaines législatives du 17 novembre 2024.
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États-Unis : les médias conservateurs, acteurs clés de la campagne présidentielle

Retour sur l'émergence et le rôle devenu essentiel dans la politique américaine des médias conservateurs – une étiquette d'ailleurs discutable en soi, tant leur idéologie et leur ton n'ont plus grand-chose à voir avec le conservatisme au sens traditionnel du terme…
Tiré de The conversation. Légende de la photo : Donald Trump discute avec le présentateur de Fox News Sean Hannity après un meeting à Harrisburg, Pennsylvanie, le 4 septembre 2024. Mandel Ngan/AFP
Lors du débat présidentiel du 10 septembre dernier, quand Kamala Harris le met explicitement en cause pour son rôle dans les émeutes de Charlottesville de 2017, c'est de l'autorité de Sean Hannity et Laura Ingraham, animateurs vedettes de Fox News, que Donald Trump se prévaut pour attester la véracité de sa version des événements.
Que le candidat républicain s'en remette à deux personnalités phares du prime time politique de la première chaîne conservatrice du pays (Hannity et The Ingraham Angle, leurs émissions respectives, attirent plus de 2,5 millions de téléspectateurs quotidiens) ne doit rien au hasard : depuis l'émergence de la radio conservatrice à la fin des années 1980, l'écosystème des médias conservateurs exerce une influence souvent cruciale sur les destinées du Parti républicain ; depuis 2016, il est un allié proprement indéfectible de Trump. On le constate à chaque intervention ou mention, sur ces chaînes et radios, de Trump ou de ses adversaires. Ainsi, quand Kamala Harris s'est jetée dans l'arène en acceptant l'invitation de Bret Baier, présentateur vedette du journal télévisé, ce 16 octobre, sur le plateau de Fox News pour un entretien de 60 minutes, elle y a été accueillie avec une agressivité tranchant violemment avec le ton cordial employé à l'égard du candidat républicain.
Retour sur l'histoire d'un acteur clé dans le dispositif de reconquête du pouvoir de l'ancien président.
L'essor fulgurant de la radio conservatrice au début des années 1990
Premier média conservateur accessible au grand public, le talkshow radiophonique investit les ondes en août 1988 avec le lancement sur 56 stations de radio AM du Rush Limbaugh Show, émission quotidienne de trois heures qui, jusqu'à la mort de son animateur en février 2021, occupe la première place du palmarès des émissions radio.
Ce nouveau genre est porté par les vagues d'innovation technologique et de déréglementation qui déferlent sur le secteur des médias au cours des années 1980 : généralisation de la transmission satellite, relâchement des règles de propriété, et surtout, en 1987, révocation de la Fairness Doctrine, qui depuis 1949 contraint les diffuseurs à proposer des programmes en lien avec les enjeux locaux et à favoriser le pluralisme des points de vue.
Dès lors, le talkshow conservateur s'empare des ondes pour connaître un essor retentissant à partir de 1992, lorsque Bill Clinton fait son entrée sur la scène politique nationale : en 1994, le nombre de stations diffusant le Rush Limbaugh Show dépasse les 550. Les licences de diffusion sont accordées par le biais d'accords de troc (barter deals) par lesquels les stations acquièrent gratuitement les droits de l'émission en échange de leur temps publicitaire national, vendu aux annonceurs. Par ce système, les stations réduisent leurs coûts de production de façon drastique, mais il en résulte la dénaturation et l'uniformisation de la programmation radiophonique, qui répond de moins au moins aux enjeux locaux.

Le phénomène ne fait que s'exacerber sous l'effet du Telecommunications Act de 1996, qui relâche encore davantage les règles de propriété et permet la consolidation du secteur de la radio et la création de grands réseaux de distribution, tels que Talk Radio Network ou Premiere Radio Network. À partir d'avril 2001, le premier distribue le Laura Ingraham Show ; le second, le Sean Hannity Show, dès le lendemain des attentats du 11 septembre.
Mastodontes du prime time de Fox News, Ingraham et Hannity sont donc également des figures historiques de la radio conservatrice : jusqu'à son interruption en 2018, l'émission d'Ingraham est la première émission radio conservatrice animée par une femme dans un secteur que dominent très largement les voix masculines. Depuis la mort de Limbaugh, le Sean Hannity Show est quant à lui la première émission radio toutes catégories confondues, avec quotidiennement plus de 3 millions d'auditeurs, nettement devant Special Report with Bret Baier (2,13 millions) et The Situation Room with Wolf Blitzer (859 000), les JT de fin d'après-midi de Fox News et CNN.
L'émergence de l'écosystème médiatique conservateur avec Fox News
C'est le lancement en octobre 1996 de la chaîne câblée Fox News qui permet la mise en place de l'écosystème médiatique conservateur. Pour Rupert Murdoch, propriétaire de la chaîne, et Roger Ailes, son directeur, l'objectif est de prendre le contre-pied de CNN, considérée comme étant à la solde des Démocrates, tout en positionnant Fox News comme chaîne d'information légitime.
Par le slogan « Fair & Balanced » – abandonné en 2017 –, elle s'approprie le métadiscours traditionnel sur l'objectivité journalistique pour dépeindre en creux les médias d'information dominants comme ayant failli à l'impératif d'impartialité. Il faut d'ailleurs distinguer le service de l'information, auquel est associé le service électoral (election desk), du service éditorial, dont relèvent les émissions d'analyse politique de prime time, même si ce sont elles qui assurent le succès commercial de la chaîne et définissent son identité. Parmi celles-ci, The O'Reilly Factor (1996-2017) et Hannity & Colmes (1996-2009) – qui devient Hannity à la suite du départ du progressiste Alan Colmes en 2009 – s'imposent comme émissions phares pendant la présidence de George W. Bush.
Ce sont les attentats du 11 septembre puis la Guerre d'Irak de 2003 qui mettent Fox News sur orbite : comparativement à ses concurrentes, elle est la chaîne dont le public s'élargit le plus et, à partir de 2001, ses audiences dépassent systématiquement celles de CNN.
Surtout, là où traditionnellement les présentateurs tirent leur légitimité de leur indépendance vis-à-vis du jeu politique, les animateurs de ces nouveaux formats cherchent à maintenir leur autonomie et leur influence au sein du jeu politique, dont ils deviennent des acteurs à part entière, d'autant qu'entre 2002 et 2004, les publics montrent une proximité croissante avec le Parti républicain.
Une esthétique tapageuse au service d'un conservatisme fondamentaliste
Malgré la proximité des publics avec le Grand Old Party et leur allégeance envers le conservatisme, l'étiquette « médias conservateurs » est toutefois trompeuse.
Depuis l'émergence de la radio conservatrice, les médias de droite radicale ont opéré une rupture radicale avec la tradition conservatrice (mesure dans la conduite du débat politique, attachement à une intervention raisonnée et limitée de l'État, préservation du statu quo) et surtout avec la civilité du débat public : ces médias défendent en fait un conservatisme fondamentaliste porteur d'une réaction culturelle fondée sur des principes universels abstraits et comportant une forte dimension dogmatique et révolutionnaire.
Surtout, ils appartiennent au genre de « l'indignation tapageuse » (outrage programming) : leur objectif n'est pas d'édifier l'auditorat par une analyse dépassionnée de sujets qui intéressent les publics conservateurs, mais de susciter leur indignation, créer le scandale et hystériser le débat. Ils recourent pour cela au sensationnalisme, à l'exagération déformante, à la réinterprétation hyperbolique des événements de l'actualité et à des prédictions de catastrophes imminentes. Le tout servi par une rhétorique et un style abrasifs, où l'attaque ad hominem et la prise à partie le disputent à la vitupération et l'invective.
Sont mises en avant les questions que les publics considèrent primordiales afin de créer un impact émotionnel maximal, de sorte que les petits sujets de niche sont élevés au rang de véritables scandales tandis que certains faits plus importants mais dont la résonance idéologique est jugée moindre sont souvent passés sous silence. Ainsi, en proposant un ordre du jour différent de celui des médias d'information grand public, l'écosystème médiatique conservateur reconfigure les hiérarchies de l'information et place de façon stratégique au centre du débat certaines questions dont la teneur informationnelle et la pertinence politique pourraient être jugées nulles selon les critères du journalisme professionnel.
Un écosystème médiatique au service du projet trumpiste en constante expansion
Depuis le milieu des années 2010, cet écosystème n'a cessé de se développer. À la radio, une nouvelle génération d'émissions telles que le Ben Shapiro Show, le Charlie Kirk Show et le Dan Bongino Show ont fait leur apparition à la fin de la décennie.
Bien que Shapiro fasse parfois montre d'un certain recul critique envers Trump, tout comme Bongino et Kirk, il en est un ardent soutien. En amont du débat présidentiel du 10 septembre avec Kamala Harris, il déclare à l'antenne que Trump « va écraser Harris », qui n'a aucune chance face à lui car elle est incompétente et manque de réactivité. Le 7 octobre, Shapiro accompagne Trump lors de sa visite de la tombe de Menachem Mendel Schneerson, rabbin loubavitch et leader spirituel du judaïsme mondial ; le lendemain, il lui ouvre son antenne pour un entretien par téléphone.
Dans le secteur de la câblodiffusion, Fox News a vu son monopole remis en question par le lancement de One American News Network (OANN) (2013) et de Newsmax (2014), chaînes qui offrent un espace d'expression aux voix conservatrices trop radicales pour être audibles sur les autres supports et grandes pourvoyeuses de théories du complot et de contenus fabriqués.
Toutes deux offrent à Trump un territoire de repli quand sa relation avec Fox connaît des tensions, quand le discours de Fox n'est momentanément plus aligné sur le sien et qu'il cherche à ce que ses positions soient validées. En cela, OANN et Newsmax lui apportent une loyauté indéboulonnable. D'ailleurs, lorsqu'au soir de l'élection de 2020 l'election desk et le service de l'information de Fox News reconnaissent la victoire de Joe Biden et, dans les jours qui suivent, réfutent les allégations de Trump selon lesquelles l'élection a été volée, une partie du public, qui considère ce relâchement dans le soutien à Trump comme une trahison intolérable, migre vers OANN et Newsmax.
Entre juin et octobre 2023, Fox News prend ses distances par rapport à Trump. En avril, lorsque la chaîne accepte de payer $785,5 millions en règlement à l'amiable de l'action en justice intentée contre elle par Dominion Voting Systems pour diffamation – Trump et ses avocats avaient accusé le fabricant de machines de vote d'avoir truqué ses équipements pour favoriser Biden –, elle se sépare de l'animateur de Tucker Carlson Tonight, émission qui attire le plus grand nombre de téléspectateurs, et voit ses audiences baisser fortement.

Si en amont des primaires républicaines, Trump reçoit plus de la moitié du temps d'antenne que les trois chaînes câblées conservatrices consacrent aux candidats, Fox News lui accorde moins de temps qu'à Vivek Ramaswamy et Ron DeSantis. Sur Newsmax, il bénéficie au contraire de plus d'attention que tous les autres candidats réunis, et OANN parle même huit fois plus de lui que de l'ensemble de ses concurrents.
La période de froid entre Trump et Fox News n'a été que de courte durée. La quasi-intégralité des animateurs de la chaîne soutiennent désormais activement la candidature de l'ancien président, que ce soit en jouant le rôle de caisse de résonance de sa campagne de désinformation – le 1er octobre, Hannity développe, montage trompeur à l'appui, les allégations de Trump selon lesquelles les populations touchées par l'ouragan Helene en Géorgie attendent toujours le secours de l'État fédéral – ou en fournissent aux téléspectateurs des contre-récits leur permettant de faire sens de l'hostilité dont Trump fait l'objet. De la jeune génération d'animateurs radio aux nouvelles chaînes câblées en passant par le prime time de Fox News, à quelques semaines de l'élection, Trump bénéficie de l'appui inconditionnel d'un establishment médiatique conservateur entièrement acquis à sa cause et œuvrant activement à sa victoire.
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Algérie - Une victoire salutaire : les ouvriers de Ghar Djbilat se font entendre

Mercredi 2 octobre, un vent de révolte a soufflé sur le chantier de l'usine de production de traverses en béton de la ligne ferroviaire reliant Tindouf à Béchar et la mine de Ghar Djbilat. Les ouvriers algériens, las des conditions de travail et de restauration déplorables, ont décidé de faire entendre leur voix. en refusant de se présenter au travail à 7H du matin.
13 octobre 2024, par
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72229
Le point de rupture ? Des repas servis à la cantine jugés indignes. Malgré de nombreuses réclamations, aucune amélioration n'a été observée, laissant les ouvriers dans un état de de frustration.
Le fossé entre les ouvriers algériens et chinois, ainsi qu'entre les cadres algériens et les travailleurs de base, s'est creusé davantage. L'injustice se manifestait notamment par l'écart flagrant dans la valeur des repas quotidiens. Un ouvrier algérien, contraint de se nourrir sur place, dépense 24 000 DA par mois, soit 800 DA par jour, ce qui représente 40% de son salaire net de 60 000 DA.
La grève collective a été un acte de courage et un signal fort. L'union fait la force et cette action a permis d'arracher une première victoire : l'amélioration de la qualité des repas. D'autres points restent en suspens, ce qui souligne la nécessité de bâtir une union solidaire regroupant tous les travailleurs, algériens et chinois, autour d'un comité représentatif. Il est crucial d'appeler tous les ouvriers, sans exception, à y adhérer afin de défendre collectivement leurs intérêts et leurs droits
Adlène K.
P.-S.
• Le Fil Rouge. 13 octobre 2024 :
https://filrouge19.wordpress.com/author/procrastination146/
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