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Nos terres, notre avenir : Lutte contre la désertification, COP 16 décembre 2024

29 octobre 2024, par Yveline Nicolas — ,
Plus d'un milliard de personnes vivent dans des zones dégradées et menacées par la sécheresse. La seizième session de la Conférence des Parties (COP16) à la Convention des (…)

Plus d'un milliard de personnes vivent dans des zones dégradées et menacées par la sécheresse. La seizième session de la Conférence des Parties (COP16) à la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification se tiendra du 2 au 13 décembre 2024 à Riyad, en Arabie Saoudite.

Tiré de Adéquations
Samedi 19 octobre 2024, par Yveline Nicolas

Introduction : la Convention pour la lutte contre la désertification

La notion de "désertification" fait l'objet de débats et de différentes définitions. Le processus en cours de désertification dû aux activités humaines ne doit pas être confondu avec l'existence des déserts, qui sont des écosystèmes spécifiques. Selon l'ONU, entre 2015 et 2019, 100 millions d'hectares de terres saines et productives, dont la formation nécessite des centaines d'années, ont été dégradées chaque année par les activités humaines. 40% des terres de la planète sont actuellement dégradées [1], entrainant une perte de la productivité parfois irréversible.Trois personnes sur quatre dans le monde devraient être confrontées à une pénurie d'eau d'ici à 2050. Un rapport coordonné par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) indique que les cours d'eau ont atteint en 2023 un niveau de sécheresse sans précédent depuis plus de trois décennies, annonçant "des perturbations inquiétantes des ressources en eau, alors que la demande ne cesse d'augmenter". [2]

Réchauffement climatique, érosion de la biodiversité et désertification entrent en interaction. Les sécheresses en sont un exemple, elles ont augmenté de près de 30 % depuis 2000, sous l'effet à la fois du réchauffement climatique et de l'érosion des sols. Si l 'Afrique est le continent le plus touché, la désertification ne concerne pas que les pays pauvres ou "désertiques" : le Sud de l'Europe (Espagne, Italie...), l'Australie, les Etats-Unis, etc. sont également directement touchés. Au moins 170 pays dans le monde sont concernés par la dégradation des terres et/ou la sécheresse.

En 2024, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), moins connue que les deux autres conventions internationales issues du Sommet de la Terre en 1992 (climat, diversité biologique) fête son trentième anniversaire. (2024 est aussi l'année de la COP16 sur la Biodiversitéet de la COP29 sur le climat).

La Convention des Nations unies sur la Lutte contre la désertification (CNULCD) donne la définition suivante : « la dégradation désigne des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines. » [3]

Les pays parties à la CNULCD qui se déclarent affectés par la désertification élaborent des Plans d'action nationaux (des indicateurs d'évaluation et de suivi ont été définis) et des objectifs volontaires pour restaurer les terres dégradées. La France ne s'est pas déclarée "affectée par la désertification" selon les termes de la Convention, mais les impacts très forts des changements climatiques, dont l'aridification de certains sols, pourraient l'amener à reconsidérer sa position à l'avenir.

Une "Décennie des Nations unies pour les déserts et la lutte contre la désertification" (2010-2020) visait à prévenir, inverser les processus de dégradation des sols et restaurer les écosystèmes. L'Objectif de développement durable n°15 "Vie terrestre" vise à protéger et restaurer les écosystèmes terrestres, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, stopper et d'inverser la dégradation des sols et enrayer la perte de biodiversité. Une cible 15.3 est notamment de restaurer 1,5 milliard d'hectares de terres dégradées d'ici 2030.

Lancée lors de la COP27 climat, l'Alliance Internationale pour la résilience face à la sécheresse, coprésidée par l'Espagne et le Sénégal rassemble 35 Etats et 28 organisations internationales (comme la Commission du climat pourla région du Sahel (CCRS), la Commission centraméricaine pour le climat et l'environnement (CCAD), l'Institut international de gestion de l'eau (IWMI), etc.)

La Journée mondiale contre la désertificationet la sécheresse a lieu chaque année le 17 juin.

Femmes, genre et désertification

Dans les pays pauvres, la désertification aggrave la situation de précarité des paysan-nes et la surcharge de travail des femmes et les filles, d'autant qu'elles subissent des violences et des discriminations sur leurs droits fonciers (au niveau mondial, elles constituent moins de 20% des propriétaires de terres). Or une grande partie d'entre elles aux Suds et notamment en Afrique vivent d'activités agricoles, pastorales et forestières et sont particulièrement dépendantes des ressources naturelles (eau, bois énergie, plantes, etc.).

Mais les femmes sont également vectrices du changement, porteuses de connaissances spécifiques et jouent un rôle central dans l'utilisation et l'entretien des ressources en terres.

C'est pourquoi la Convention sur la désertification reconnaît l'importance des femmes dans la mise en œuvre de la CNULCD, identifiant trois domaines stratégiques de leur engagement : (i) la sensibilisation et la participation à la conception et à la mise en œuvre des programmes ; (ii) les processus de prise de décision que les hommes et les femmes adoptent au niveau local dans la gouvernance du développement, la mise en œuvre et l'examen des programmes d'action régionaux et nationaux (PAR et PAN) ; (iii) le renforcement des capacités, l'éducation et la sensibilisation du public, en particulier au niveau local grâce au soutien d'organisations locales.

Les enjeux de genre sont à l'agenda depuis 1998, à commencer par la demande d'une représentation équitable des femmes et des hommes dans les processus de la Convention. Puis à partir de 2011, les Etats parties à la Convention ont convenu d'un cadre politique pour la promotion du genre, et demandé l'intégration des questions d'égalités entre les sexes dans tous les travaux de la Convention et à tous les niveaux.

Un Plan d'action genre a été adopté en septembre 2017 pour accompagner la mise en œuvre du cadre stratégique 2018-2030 de la Convention Désertification. Télécharger en français

Un travail est en cours à la CNULCD, en partenariat avec le réseau international World Overview of Conservation Approaches and Technologies (WOCAT), sur les méthodologies et pratiques sensibles au genre de gestion soutenable des terres (Sustainable Land Management).

La COP 16 du 2 au 13 décembre 2024

Selon l'ONU, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) est "une convention axée sur les personnes, où la société civile et les peuples autochtones, les agriculteurs et les scientifiques, les femmes et les jeunes, les autorités locales et le secteur privé peuvent s'unir pour soutenir une gestion durable des terres".

Lors de la COP16 de la CNULCD), les Etats devraient décider des actions collectives pour :
Accélérer la remise en état des terres dégradées d'ici 2030,
Renforcer la préparation, la réaction et la résilience face à la sécheresse,
Veiller à ce que les terres continuent d'apporter des solutions en matière de climat et de biodiversité,
Renforcer la résilience face à la recrudescence de tempêtes de sable et de poussière,
Développer la production alimentaire en respect avec la nature,
Renforcer les droits fonciers des femmes pour faire progresser la restauration des terres,
Promouvoir l'engagement de la jeunesse, y compris en matière d'emplois jeune décents basés sur la terre.

Ressources documentaires
Document de présentation de la COP16 sur la Lutte contre la déserfication, ONU Télécharger

Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification

Rubrique CNULCD de la COP 16

[Site web de la présidence COP 16 Ryad [https://www.unccdcop16.org/]->https://www.unccdcop16.org/]

Cadre stratégique CNULCD 2018-2030. Télécharger

Suivi de l'évaluation à mi-parcours du Cadre stratégique de la Convention (2018-2030), ONU juillet 2024 Télécharger

Décennie des Nations unies pour les déserts et la lutte contre la désertification

Alliance Internationale pour la résilience face à la sécheresse. Site web

Ressources documentaires genre et désertification

Enjeux de genre à la CNULCD

[ Plan d'action genre CNULCD. Télécharger en français ; >https://www.unccd.int/sites/default/files/documents/2018-01/GAP%20FRE%20%20low%20res_0.pdf]

Actualités et bonnes pratiques genre et désertification

Processus Gender-responsive Sustainable Land Management, WOCAT et UNCCD. Questionnaire sur les Technologies GDT Sensible au Genre En différentes langues

P.-S.
16e Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, 21 octobre à 1er novembre 2024 à Cali, Colombie
29ème Conférence des Parties à la Convention sur les changements climatiques, 11 au 22 novembre 2024 à Baku, Azerbaïdjan

Notes

[1] soit 5,2 milliards d'hectares sur 13 milliards.

[2] Communiqué https://wmo.int/fr/news/media-centre/un-rapport-de-lomm-signale-une-aggravation-lechelle-planetaire-de-linsuffisance-des-ressources-en

[3] La définition de ces zones bioclimatiques est basée sur la valeur du rapport entre le total annuel des précipitations (P) et la valeur annuelle de l'évapotranspiration potentielle (ETP). Le programme des Nations unies pour l'Environnement définit les zones sèches ayant des valeurs comprises entre 0,05 < P/ETP < 0,65. Les zones hyper-arides (P/ETP < 0,05) considérées comme désertiques ne sont pas prises en compte.

titre documents joints
Plan d'action Genre Convention Désertification (PDF - 110.1 ko)
Convention désertification Rapport sur mise en oeuvre 2024 (PDF - 294.8 ko)

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COP16 : la Colombie, un pays hôte dont la biodiversité est très menacée

29 octobre 2024, par Sarah Krakovitch — , ,
Le sommet mondial pour la biodiversité débute le 21 octobre en Colombie. Le pays se place en chef de file de la biodiversité et espère bénéficier de cet événement, son (…)

Le sommet mondial pour la biodiversité débute le 21 octobre en Colombie. Le pays se place en chef de file de la biodiversité et espère bénéficier de cet événement, son territoire étant l'un des plus menacés au monde.

21 octobre 2024 | tiré de reporterre.net
https://reporterre.net/COP16-la-Colombie-un-pays-hote-dont-la-biodiversite-est-tres-menacee

Cali (Colombie), reportage

Côte à côte, les drapeaux de la Colombie et de l'Organisation des Nations unies (ONU) flottent pour la première fois dans la ville de Cali. Située dans le sud-ouest de la Colombie, elle accueille à partir de lundi 21 octobre l'événement international le plus important jamais organisé en Colombie : la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (COP16). Un symbole fort pour ce pays qui aspire à se faire connaître autrement que par le trafic de drogue et les groupes armés.

Dans une interview au quotidien colombien El Tiempo, le maire de Cali, Alejandro Eder, se réjouissait que le monde s'apprête à regarder le pays de « manière positive ». Et pour cause : durant quinze jours, la ville sera un territoire international de paix entre les États participant au sommet mondial.

La Conférence des parties sur la biodiversité réunit tous les deux ans les États signataires, en théorie les 196 membres des Nations unies. Elle vise un but : protéger, restaurer et utiliser de manière durable la biodiversité à l'échelle internationale. Cette édition, la première depuis l'adoption du Cadre mondial pour la biodiversité en 2022, aura notamment la charge d'examiner les plans d'actions de chaque État sur la protection de la nature et l'inversion de la perte de biodiversité, et leur mise en œuvre.

Seulement 31 stratégies nationales reçues

Ces stratégies nationales de préservation de la biodiversité (NBSAP) doivent être alignées sur les mesures de l'accord adopté lors de la COP15 à Montréal en 2022, baptisé Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal. Elles constituent les instruments nationaux de réponse aux menaces qui pèsent sur la diversité biologique. Parmi les 23 mesures du Cadre figure la protection d'au moins 30 % des terres et des mers d'ici à 2030.

Un objectif « trop flou » pour Swann Bommier, chargé de plaidoyer de l'association Bloom, consacrée à la protection des océans, qui déplore que l'accord de 2022 n'explique pas concrètement comment déployer cette mesure sur le terrain. « C'est facile de s'engager à protéger 30 % des aires maritimes si l'on ne précise pas ce qu'elles représentent », s'indigne-t-il. Il attend de la COP16 une « traduction des grands discours et objectifs très vagues en mesures concrètes et contraignantes pour mettre fin à la destruction de la biodiversité ».

À l'heure actuelle, seuls 31 pays, dont la France, ont remis leur stratégie actualisée. Au moins 100 pays ont en revanche transmis leurs cibles, qui correspondent à des engagements pour s'aligner avec les 23 cibles du Cadre mondial. Un document moins conséquent, qui est demandé aux pays qui n'ont pas terminé d'élaborer leur stratégie. Le WWF s'est dit inquiet du manque d'ambition des quelques stratégies nationales reçues face à l'urgence. Son dernier rapport révèle que les populations mondiales d'espèces sauvages ont diminué en moyenne de 73 % au cours des cinquante dernières années.

La Colombie aura donc la charge du passage des mots à l'action. La véritable initiatrice de la COP16, la ministre colombienne de l'Environnement Susana Muhamad, assure que Cali ne sera pas un moyen de « continuer à négocier des engagements », mais bien de « les mettre en œuvre ». En tant qu'organisatrice et partie, la Colombie aura une mission aussi politique que climatique : prouver au monde et à ses citoyens qu'elle est capable d'organiser un événement d'ampleur malgré un contexte sécuritaire encore très fragile — des groupes armés continuent de sévir dans le pays, et les négociations de paix sont à la peine. Mais aussi démontrer qu'elle peut incarner ce leadership en matière d'environnement et de biodiversité pour parvenir à récolter des fonds — une question qui fera partie des négociations.

La voix de la Colombie pèsera aussi en raison de son statut de pays « mégadivers », terme désignant les pays qui abritent l'écrasante majorité de la biodiversité de la planète. Dix-sept États, dont l'Indonésie, la Chine, l'Australie, Madagascar ou encore le Brésil, en font partie.

Mais ces pays battent aussi le triste record des plus meurtriers pour les défenseurs de l'environnement, la Colombie en tête, avec 79 meurtres enregistrés en 2023. Depuis 2012, date à laquelle Global Witness a commencé à documenter ces cas, 461 Colombiens ont perdu la vie. L'Amérique latine est de loin la région la plus meurtrière. Sur les 196 cas documentés en 2023 dans le monde, 85 % se trouvaient dans la région. Parmi les pays ayant commis le plus de meurtres cette année-là, cinq se trouvent en Amérique latine : la Colombie, le Brésil, le Honduras, le Mexique et le Nicaragua.

La Colombie veut se faire une place

Quatrième pays le plus riche en biodiversité selon le rapport 2023 du Système national de données ouvertes sur la biodiversité (SIB), et le plus diversifié en matière d'espèces d'oiseaux, d'orchidées et de papillons, la Colombie fait logiquement partie des pays les plus menacés quant à la sauvegarde de cette dernière. « Elle veut se faire entendre en tant que délégation et s'assurer que la communauté internationale perçoive clairement l'urgence d'enrayer la perte de biodiversité », dit Sandra Vilardy, biologiste marine et environnementaliste à l'université de los Andes et ancienne vice-ministre de la Politique environnementale de Colombie.

À l'échelle nationale, la politique environnementale menée depuis deux ans par le président Gustavo Petro semble aller dans le bon sens. La Colombie est devenue le premier pays d'Amérique latine à adhérer au traité de non-prolifération des combustibles fossiles, lors de la COP28 à Dubaï, en décembre 2023. Et le gouvernement a placé la transition écologique au centre de son programme, notamment à travers un plan de relance économique qui prévoit le soutien à une économie plus verte et la décarbonation de cette dernière. « L'écologie politique et la justice environnementale sont les éléments les plus sérieux de la conversation diplomatique de la Colombie au cours des deux dernières années », ajoute Sandra Vilardy.

Mais si le pays s'affiche en élève modèle de la préservation de la biodiversité, il fait aussi partie des États qui n'ont pas encore remis leur stratégie de conservation. Selon le ministère de l'Environnement, elle sera présentée lors du coup d'envoi du sommet, le 21 octobre.

Depuis un an, il mène dans ce cadre des discussions auprès de la société colombienne. Peuples autochtones, afrodescendants, communautés noires, paysans mais aussi associations de femmes et de jeunes sont consultés afin d'ériger sa stratégie nationale pour la biodiversité. Un moyen de remplir un autre de ses engagements : la mise en lumière de l'importance des savoirs des peuples autochtones, qui représentent 6 % de la population mondiale, dans la lutte contre la perte de biodiversité. Les forêts protégées par ces peuples captent deux fois plus de carbone que les autres, selon le World Resources Institute (WRI).

Le pays a un rôle « fondamental » à jouer à ce sujet, selon Javier Revelo-Rebolledo, professeur de sciences politiques et codirecteur du groupe d'étude forêt et conflit de l'université del Rosario, mais les opposants à la tenue de la COP sont nombreux, notamment parce qu'ils s'en sentent exclus. Dans ce contexte, des organisations de protection de l'environnement opposées à la « marchandisation transnationale de la diversité biologique » organisent une COP alternative à Cali les 26 et 27 octobre, en marge du sommet international.

Plus conventionnelle, la partie ouverte au public de la COP16, la zone verte, sera pour sa part accessible tout au long de l'événement. La ministre de l'Environnement répétant à l'envi que cette COP est « celle du peuple », qui doit « prendre conscience de la richesse naturelle de son pays ». La zone sera composée de stands d'ONG et du secteur privé, dont la participation atteint des niveaux « historiques » selon la présidence. 140 délégations et 18 000 personnes sont par ailleurs accréditées dans la zone bleue, l'espace officiel de négociation.

Le continent latino-américain en première ligne

Concernant les personnalités politiques attendues, la ministre de l'Environnement colombienne s'est félicitée d'une édition qui battait également tous les records de participation. À ce jour, 14 chefs d'État, dont ceux du Brésil, du Panama, du Mexique et du Ghana et plus de 100 ministres de l'Environnement ont confirmé leur participation. Une première, puisqu'aucun chef d'État ne s'est rendu à une COP biodiversité auparavant.

Une présence qui « confirme l'importance qu'accordent les pays d'Amérique latine et les pays en développement à ce sommet », autrement dit ceux qui regroupent la majorité de la biodiversité mondiale, selon Juliette Landry, chercheuse à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). « Mais sûrement un peu moins [vrai] pour les pays développés », qui sont aussi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre.

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La protection de la biodiversité capturée par des grands organismes. Une nouvelle tendance à la marchandisation de la nature

29 octobre 2024, par Fiore Longo — ,
Quelque 31 ans après l'entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique (CDB), la dernière Conférence des Parties – c'est ainsi que l'on appelle les réunions (…)

Quelque 31 ans après l'entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique (CDB), la dernière Conférence des Parties – c'est ainsi que l'on appelle les réunions régulières des gouvernements, des ONG et d'autres acteurs concernés par ces conventions – débute cette semaine [lundi 21 octobre] dans la ville colombienne animée de Cali.

26 octobre 2024 | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/ameriques/amelat/colombie/la-protection-de-la-biodiversite-capturee-par-des-grands-organismes-une-nouvelle-tendance-a-la-marchandisation-de-la-nature.html

Cette fois-ci, la COP16 est particulièrement importante car elle est censée résoudre des questions vitales mais restée en suspens concernant le nouveau « plan d'action » mondial pour la biodiversité [1], connu sous le nom de Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal [plan adopté lors de la COP15 en 2022].

Ne vous laissez pas tromper par ce titre typiquement conventionnel : ce qui est en jeu ici pourrait avoir des conséquences dramatiques pour des millions de personnes dans le monde, en particulier pour les communautés autochtones [au sens de originaires du lieu où elles vivent] et locales, car le cadre présente un certain nombre de failles fatales.

Celles-ci signifient collectivement que ce qui aurait pu, et dû, être une initiative transformatrice ne fait que répéter la même vieille approche de la « protection de la biodiversité », en promouvant un modèle colonial verticaliste, piloté par les gouvernements et les agences internationales, qui est enraciné dans le racisme et qui a été largement discrédité, mais qui persiste malgré tout.

La décision de financer sa mise en œuvre non pas par la création d'un fonds mondial innovant, comme le souhaitaient de nombreux pays du Sud, mais plutôt par la création d'un fonds placé sous les auspices du Fonds pour l'environnement mondial [FEM, créé en 1991], une collaboration de longue date entre la Banque mondiale, diverses agences des Nations unies et des gouvernements, est symptomatique de la manière dont le nouveau plan d'action a été coopté dès le départ.

Le choix du Fonds pour l'environnement mondial s'est avéré très problématique, car l'organisation n'exige pas que les peuples autochtones aient le droit de donner leur consentement préalable, libre et éclairé pour tout projet qu'elle finance et qui pourrait avoir une incidence sur leur vie, leurs terres et leurs droits. [« Selon certaines estimations, les territoires autochtones traditionnels couvriraient jusqu'à 24% de la surface du globe, et recèleraient 80% des écosystèmes préservés et des zones prioritaires pour la protection de la biodiversité mondiale. » (In « Communautés autochtones et biodiversité », FEM, avril 2008) – Réd.]

Et comme le nouveau fonds, connu sous le nom de Fonds-cadre mondial pour la biodiversité (GBFF-Global Biodiversity Framework Fund), est en quelque sorte une filiale du FEM, il en a adopté les règles. Ainsi, il n'acceptera que les propositions de financement de nouveaux projets relatifs à la biodiversité émanant de l'une des « agences du FEM » agréées. Il s'agit d'un groupe de 18 institutions qui sont toutes des banques de développement multinationales ou de grandes sociétés de conservation comme le WWF ou Conservation International qui ont un long passé de complicité dans les violations des droits de l'homme.

Suivre l'argent

Survival a analysé les documents relatifs aux 22 projets approuvés à ce jour. Ce que nous avons trouvé suggère que les pires craintes des détracteurs du GBFF étaient amplement justifiées :

  • Sur les 22 projets approuvés jusqu'à présent, un seul est susceptible de bénéficier aux populations autochtones et leur est clairement destiné.
  • Le total des rémunérations à payer aux agences proposantes – c'est-à-dire au-delà des coûts réels des activités du projet – s'élève à 24% du total des fonds disponibles. La proportion des fonds du projet restant au sein de ces agences sera probablement encore plus élevée.
  • Parmi les agences de proposition (et de mise en œuvre), la section états-unienne du WWF est celle qui a le mieux réussi à capter les fonds. Ses cinq projets ou concepts approuvés (y compris les subventions pour la préparation) représentent 36 millions de dollars, soit presque exactement un tiers du financement total. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et Conservation International (CI), qui ont respectivement neuf et deux projets, représentent chacun environ un quart du total des fonds. Avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), ces agences recevront 85% des 110 premiers millions de dollars de financement.
  • L'un des projets financera (par l'intermédiaire du WWF) des zones protégées en Afrique qui ont une longue histoire de dépossession des populations indigènes de leurs terres et de brutalité à leur égard de la part des éco-gardes [chargés de relayer sur le terrain les politiques environnementales engagées à divers niveaux].

Une grande partie des fonds est consacrée à l'objectif « 30×30 », qui consiste à porter l'étendue des zones protégées à 30% des terres et des mers de la planète d'ici à 2030. Cet objectif est particulièrement préoccupant, car les parcs nationaux, les réserves de faune et de flore et les autres zones de conservation constituent déjà l'une des plus grandes menaces pour les populations autochtones.

Ces parcs ont presque toujours été le théâtre d'expulsions et d'exclusions brutales, de violences et de la destruction des moyens de subsistance des populations autochtones. Ces problèmes perdurent aujourd'hui, comme l'atroce expulsion de milliers de Massaïs de la zone de conservation de Ngorongoro, en Tanzanie.

Survival International estime que la structure et le fonctionnement de ce modèle de financement sont fondamentalement erronés. Ce modèle penche fortement en faveur des projets de conservation « business as usual », de haut en bas, plutôt que de promouvoir une nouvelle approche de la protection de la biodiversité, basée sur les droits, qui fait cruellement défaut. De plus, il est presque entièrement inaccessible aux populations autochtones elles-mêmes.

Nous pensons que l'ensemble du mécanisme de financement doit être reconsidéré. Le GBFF doit être réorienté de manière à ce que le financement soit principalement destiné aux peuples autochtones et aux communautés locales. Le financement de projets nouveaux ou élargis de « conservation forteresse » devrait être interdit.

Plus généralement, les sommes extraordinairement élevées (telles que 700 milliards de dollars par an) prétendument nécessaires à la protection de la biodiversité sont proposées par des sociétés de conservation qui ont tout intérêt à créer de tels objectifs. La protection de la biodiversité nécessiterait beaucoup moins de fonds si l'accent était mis sur une reconnaissance plus large des terres et des droits des peuples autochtones, plutôt que sur l'approche coûteuse, coloniale, de haut en bas et militarisée, qui reste le pilier économique de l'industrie de la conservation.

Les crédits de biodiversité : une nouvelle menace

Comme si tout cela n'était pas assez inquiétant, la COP16 verra le lancement d'un certain nombre d'initiatives visant à créer des crédits de biodiversité.

Le concept des crédits de biodiversité est similaire à celui des marchés du carbone, où les entreprises ou les organisations peuvent prétendument « compenser » leur pollution à l'origine du changement climatique en achetant des crédits de carbone à des projets réalisés ailleurs, qui sont censés prévenir les émissions de carbone ou éliminer activement le carbone de l'atmosphère. En réalité, tant l'idée que la pratique sont profondément erronées : ces projets donnent un prix à la nature, traitant les terres des communautés autochtones et locales comme un stock de carbone à échanger sur le marché pour que les pollueurs puissent continuer à polluer, tandis que l'industrie de la conservation en profite à hauteur de milliards de dollars. Les peuples autochtones et les communautés locales, quant à eux, se retrouvent dépossédés et dépouillés de leurs moyens de subsistance.

Les crédits de biodiversité, tout comme les crédits de carbone, s'inscrivent dans le cadre d'une nouvelle tendance à la marchandisation de la nature. Une déclaration récente de plus de 250 organisations environnementales, de défense des droits de l'homme, de développement et communautaires du monde entier (dont Survival International) appelle à une suspension immédiate du développement des systèmes de biocrédit [Biodiversity markets are false solutions, biomarketwatch.info, version française Déclaration de la société civile sur les mesures compensatoires et les crédits en faveur de la biodiversité).

Outre les problèmes techniques, moraux, philosophiques et pratiques que pose le fait de donner un prix à la conservation d'espèces ou d'écosystèmes entiers et de les échanger contre leur destruction ailleurs, cette idée représente une grave menace pour les populations autochtones. Celles-ci seraient confrontées à une pression croissante liée à l'accaparement des terres, les projets de compensation biologique cherchant à tirer profit de la biodiversité souvent riche des lieux où vivent les peuples autochtones et qu'ils gèrent depuis des générations.

Des problèmes similaires se sont déjà produits à maintes reprises dans le cadre de projets de compensation des émissions de carbone. De nombreux dirigeants autochtones affirment simplement que la marchandisation de la nature implicite dans le biocrédit et le commerce s'opposent frontalement à leurs visions du monde et à leurs valeurs.

Quels sont donc les espoirs que l'on peut placer dans cette COP16 ? Pas grand-chose, répond-on honnêtement. L'ensemble du processus de protection de la biodiversité a été confisqué presque aussitôt qu'il a commencé par les mêmes institutions qui se sont enrichies aux dépens des peuples autochtones – les gardiens d'une grande partie de la biodiversité mondiale – pendant des décennies.

Le droit des peuples autochtones à donner – ou à refuser – leur consentement libre, préalable et éclairé à tout projet les concernant doit au moins être respecté. Les organisations autochtones, en collaboration avec leurs alliés, feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que ce soit le cas.

La réponse à la question de savoir comment protéger la biodiversité mondiale est en fait très simple : respecter les droits fonciers des peuples autochtones et s'attaquer aux causes sous-jacentes de la destruction de la biodiversité, à savoir l'exploitation des ressources de la planète à des fins lucratives. Il serait bienvenu que cela figure en tête de l'ordre du jour de la conférence des parties. (Article publié par Survival International le 21 octobre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

Fiore Longo est chercheuse et militante à Survival International, le mouvement mondial des peuples autochtones. Elle est également directrice de Survival International France et Espagne. Elle coordonne la campagne Decolonize Conservation de Survival.


[1] A propos de la COP16, deux questions : « Comment a-t-on historiquement établi un lien entre les pertes de la biodiversité et l'activité humaine ? Comment ce champ de recherche a-t-il évolué historiquement ? », on peut écouter sur France Culture du 22 octobre l'intervention de Philippe Grandcolas, écologue, directeur adjoint scientifique national pour l'Écologie et l'Environnement au CNRS. (Réd.)

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Exécutions extra-judiciaires : la vengeance contre le droit

29 octobre 2024, par Roland Schaer — ,
L'attaque israélienne au Liban a déclenché une vague « d'exécutions extra-judiciaires », justifiées par une « guerre contre le terrorisme » s'affranchissant du droit. Dans (…)

L'attaque israélienne au Liban a déclenché une vague « d'exécutions extra-judiciaires », justifiées par une « guerre contre le terrorisme » s'affranchissant du droit. Dans cette logique de vengeance où le « terroriste » est exclu du champ juridique et politique, les objectifs des deux camps se rejoignent dans une symétrie troublante : à tout prix, ne pas faire la paix, et nier l'existence de l'autre comme être politique.

17 octobre 2024 | tiré de aoc.media
https://aoc.media/opinion/2024/10/16/executions-extra-judiciaires-la-vengeance-contre-le-droit/

Le débat semble clos. Quand l'armée israélienne a déclenché sa contre-offensive contre le Hezbollah au Sud-Liban, elle a d'abord procédé massivement par « exécutions extra-judiciaires », ou, comme on dit encore, par « assassinats ciblés ». À ma connaissance, le recours à ce procédé n'a posé de problème à personne. Silence assourdissant.

Après l'assassinat de Nasrallah, le président Biden, rappelant l'attentat perpétré par le Hezbollah contre des soldats américains en octobre 1983, a salué « une mesure de justice ». De fait, il parlait de vengeance. De fait, il tenait la vengeance pour la justice. Sans doute nous sommes-nous habitués.

Depuis les années 2000, Israël a multiplié ce type d'opération, à Gaza, en territoire libanais, en territoire syrien, en territoire iranien… Dans les années 2010, l'administration Obama en a fait de même, à grande échelle, en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen. La capture et l'exécution de Ben Laden en furent l'apothéose. Le président Hollande a commandité lui aussi, comme il l'a évoqué, au moins un « assassinat ciblé ». Gages d'honorabilité ? Reste qu'à l'époque, dans la plupart des cas, ces opérations avaient suscité des débats, parfois vifs, quant à leur légitimité.

Apparemment, ce temps est révolu. C'est l'argument de la « lutte contre le terrorisme », inlassablement repris, qui a balayé les questions de droit, en un temps où, plus largement, le droit international semble en coma dépassé. Faut-il se résigner à cette défaite ? Faut-il admettre, sans s'en alarmer, que nous sommes entrés dans une ère où la force fait droit, où la vengeance pure est de retour ?

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, dès la conférence de Téhéran (novembre 1943), puis à Yalta (février 1945), les dirigeants alliés, Roosevelt, Staline et Churchill, avaient engagé des discussions sur la manière dont il faudrait « punir » les dirigeants nazis à la fin des hostilités. Dans un premier temps, Churchill et Roosevelt étaient partisans d'une exécution sans jugement. Staline voulait un procès. De Gaulle, consulté en 1945, se prononça également en faveur du procès. Finalement, c'est Truman, arrivé à la présidence des États-Unis après le décès de Roosevelt en avril 1945, qui fléchit Churchill.
Le procès de Nuremberg s'ouvrit en novembre et jugea vingt-quatre hauts responsables nazis.

Nuremberg a été un très puissant catalyseur dans le processus d'élaboration d'un droit pénal international. Il a permis une définition plus précise du « crime contre la paix », ce délit relevant du jus ad bellum que nous appelons aujourd'hui crime d'agression. Il a stimulé la formulation des « crimes de guerre » (le jus in bello), en particulier quant au traitement des populations civiles dans les conflits armés, il a introduit la notion de crime contre l'humanité et préfiguré la catégorie de génocide. Le statut de Rome, qui porte la création de la Cour Pénale Internationale, adopté en juillet 1998, et entré en vigueur en juillet 2002, est le descendant direct du procès de Nuremberg. Comme souvent, ce sont les grands procès qui font avancer le droit.

Cela étant, il y a un paradoxe dans l'idée d'un tribunal pénal international. Il juge au nom d'un droit qui limite la souveraineté des États, sans qu'il puisse pour autant s'appuyer sur une puissance supranationale, sur une force capable de faire appliquer ses décisions, comme le fait un État – justice et police – à l'échelle des nations. L'État, dépositaire du monopole de la violence légitime, est ce Léviathan qui interdit aux particuliers de se faire justice eux-mêmes. Ce faisant, il met fin à l'ère des vengeances.

Dans Les Euménides, la dernière tragédie du cycle de l'Orestie d'Eschyle, les dieux décident qu'Oreste, qui a tué sa mère, sera jugé par un tribunal composé de citoyens d'Athènes, appelé à juger en vertu des lois de la cité. Les Erinyes, ces anciennes déesses assoiffées de sang qui réclamaient vengeance, voient alors leur règne finir. Elles deviennent les « Euménides », les « bienveillantes », des divinités chargées de protéger la cité. Fin du cycle interminable des vengeances. La tragédie célèbre l'avènement de l'État comme lieu unique du droit.

La transposition d'un tel dispositif à l'échelle des rapports internationaux est évidemment un exercice fragile. Reste que c'est l'honneur de l'après-guerre, une leçon tirée des crimes perpétrés par les nazis, une tentative pour mettre l'inhumanité hors-la-loi. Il est vrai que ce tribunal fut celui des vainqueurs. Faut-il pour autant tenir Nuremberg pour le dernier éclat de l'âge des Lumières, désormais révolu ?

La « guerre contre le terrorisme » s'affranchit du droit de la guerre. Le raisonnement crée une symétrie mimétique entre l'acte terroriste et la guerre contre le terrorisme.

On l'a dit, c'est au nom de la lutte contre le terrorisme, cette guerre asymétrique qui en général oppose des États à des groupes armés non-étatiques, que sont justifiées les exécutions extrajudiciaires. En ce sens, nous serions dans une situation incomparable avec celle qui a rendu possible Nuremberg, ou la traque et la capture d'Adolf Eichmann par le Mossad en 1960, suivies de son retentissant procès à Jérusalem.

À l'occasion d'une délibération de la Cour Suprême israélienne en décembre 2006, les représentants de l'État ont avancé l'argument suivant : les terroristes doivent être considérés comme des « combattants illégaux ». Portant des armes, ils ne sont plus des civils, mais ils ne sont pas non plus des combattants, puisqu'ils ne respectent pas le droit de la guerre. Les détruire relève donc de la légitime défense.

Le raisonnement consiste, au motif que le terroriste, dans ses crimes, exclut son adversaire du champ du droit en exerçant une violence pure, à exclure en retour le « terroriste » de ce même champ du droit, à la fois du droit de la paix et du droit de la guerre ; il ne relève plus de quelque droit que ce soit. Ce faisant, il entraînerait l'État qui le combat dans le monde du non-droit. Ce qui revient à dire que cet État s'exonère lui-même du droit, c'est-à-dire légitimise pour soi les procédés auxquels recourt le terrorisme. La « guerre contre le terrorisme » s'affranchit du droit de la guerre. Le raisonnement crée une symétrie mimétique entre l'acte terroriste et la guerre contre le terrorisme.

Il faut alors revenir à cette qualification de « terroriste ». Elle a d'une part une dimension purement juridique ; l'ONU en a esquissé une définition, inaboutie, le Conseil de l'Union Européenne, dans une décision-cadre de juin 2002, en a établi une définition plus complète, qui fait autorité en Europe. Il ne fait pas de doute qu'à la lumière de ces textes, il est parfaitement légitime – et nécessaire – de qualifier le 7 octobre d'acte terroriste. Par ailleurs – même si je n'ai aucune légitimité à dire cela – je crois justifié, à propos de ces massacres, de parler de « crimes de guerre » et de « crimes contre l'humanité », tels que définis par le protocole de Rome.

Cela étant, la qualification de « terroriste », à côté de sa définition strictement juridique, porte en elle une autre charge sémantique : elle consiste en une double exclusion ; le terroriste est mis hors champ juridique, comme on vient de le voir, et, par conséquent, hors champ politique.

Chaque protagoniste nie toute existence politique à son ennemi. Le terroriste n'appartient plus au monde où l'on se parle. Comme on dit, « on ne discute pas avec les terroristes » parce qu'avec eux, aucune relation contractuelle, donc aucune paix, n'est à jamais envisageable, comme font deux États belligérants qui concluent leur guerre par un traité. C'est admettre d'une part que la violence terroriste est inextinguible, parce que d'essence. Le terroriste est à jamais réduit à ses actes, c'est-à-dire à ses crimes. Et c'est admettre du même coup que la guerre contre le terrorisme ne s'achèvera qu'avec l'extermination complète de ses partisans, qu'elle implique d'aller tout au bout de la vengeance.

C'est précisément ce tabou que Yitzhak Rabin et Yasser Arafat avaient courageusement brisé au début des années 1990. Ils avaient vu qu'au contraire le cycle formé par les actes terroristes et par la « guerre au terrorisme » est une spirale infinie, chaque terroriste mort « en martyr » faisant naître d'autres terroristes assoiffés de vengeance. Ils avaient vu qu'à laisser la vengeance commander la politique, la violence ne s'arrête jamais. Ils avaient tenté de restaurer le politique contre la guerre : de fabriquer du droit pour mettre fin aux vengeances.

Rabin en est mort assassiné par un colon juif ultranationaliste religieux. Autrement dit, pour des raisons extraordinairement profondes, l'argument selon lequel, en « ciblant » un terroriste, on sauve les vies qu'il aurait pu supprimer, est un argument qui ne tient pas.

Les objectifs réels du terrorisme et ceux de la stratégie des exécutions extrajudiciaires sont identiques de part et d'autre, et étrangement mimétiques : à tout prix, ne pas faire la paix. À tout prix, nier l'existence de l'autre comme être politique.

Roland Schaer
Philosophe

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Les BRICS et le FMI : pas de retour à Bretton Woods

29 octobre 2024, par Michael Roberts — , ,
Cette semaine, la réunion semi-annuelle du FMI et de la Banque mondiale se tient à Washington, aux États-Unis. Au même moment, le groupe BRICS+ se réunit à Kazan, en Russie. (…)

Cette semaine, la réunion semi-annuelle du FMI et de la Banque mondiale se tient à Washington, aux États-Unis. Au même moment, le groupe BRICS+ se réunit à Kazan, en Russie. Que ces deux réunions aient lieu en même temps illustre bien l'évolution de l'économie mondiale en 2024.

Tiré de Vientosur
FMI y BRICS : no volver a Bretton Woods23 octobre 2023

Michael Roberts

(Traduit de l'anglais par Ovide Bastien)

Après la Seconde Guerre mondiale, le FMI et la Banque mondiale sont devenus les principales agences de coopération internationale et d'action sur l'économie mondiale. Ces institutions sont issues des accords de Bretton Woods de 1944, qui ont défini le futur ordre économique mondial à mettre en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale. À l'époque, le président états-unien Franklin Roosevelt avait prononcé ces paroles prophétiques :

« La période actuelle de l'histoire est riche de promesses et de dangers. Soit le monde évoluera vers l'unité et une prospérité largement partagée, soit il se divisera en blocs économiques forcément concurrents ».

Roosevelt faisait référence à la division entre les États-Unis et leurs alliés et l'Union soviétique. Cette « guerre froide » a pris fin avec l'effondrement de cette dernière en 1990. Mais 35 ans plus tard, les mots de Roosevelt s'inscrivent dans un nouveau contexte : entre les États-Unis et leurs alliés et un bloc émergent de nations du « Sud ».

L'ordre économique mondial adopté à Bretton Woods a fait des États-Unis la puissance économique hégémonique du monde. En 1945, ils étaient la plus grande nation manufacturière du monde, ils avaient le secteur financier le plus important, ainsi que les forces militaires les plus puissantes. De plus ils dominaient, grâce à l'utilisation internationale du dollar, le commerce et l'investissement au niveau international.

John Maynard Keynes a été fortement impliqué dans l'accord de Bretton Woods. À la suite de cet accord, il déclarait cependant que son « idée visionnaire d'une nouvelle institution visant à équilibrer plus équitablement les intérêts de pays créanciers et débiteurs avait été rejetée ».

Le biographe de Keynes, Robert Skidelsky, a décrit les conséquences de ce rejet :

« Naturellement, les États-Unis, grâce à leur puissance économique, obtenaient ce qu'ils voulaient. La Grande-Bretagne renonçait à son droit de contrôler les monnaies de son ancien empire, dont les économies étaient désormais soumises au dollar, et non plus à la livre sterling. Cependant, elle obtenait, en contrepartie, des crédits pour survivre, mais avec des intérêts à payer. »

L'accord ne représentait pas, Keynes déclarait au parlement britannique, « une affirmation de la puissance américaine mais plutôt un compromis raisonnable entre deux grandes nations ayant le mêmes objectif, c'est-à-dire restaurer une économie mondiale libérale ».

Les autres nations, bien sûr, furent ignorées.

Depuis lors, les États-Unis et leurs alliés européens dominent le FMI et la Banque mondiale, tant au niveau du personnel que des politiques. En dépit de quelques réformes mineures concernant le vote et la prise de décision au cours des 80 dernières années, le FMI continue d'être dirigé par le G7, ne permettant pratiquement pas aux autres pays de s'exprimer. Le conseil d'administration du FMI compte 24 sièges au total, le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, l'Allemagne, l'Arabie saoudite, le Japon et la Chine disposant chacun d'un siège individuel - et les États-Unis ayant le pouvoir d'opposer leur veto à toute décision importante.

En ce qui concerne la politique économique, le FMI est peut-être surtout connu pour avoir imposé des « programmes d'ajustement structurel ». Les prêts du FMI étaient « accordés » aux pays en détresse économique à condition qu'ils acceptent d'équilibrer leurs déficits, de comprimer les dépenses publiques, d'ouvrir leurs marchés et de privatiser des secteurs clés de l'économie. La politique la plus largement recommandée par le FMI reste toujours de réduire ou de geler les salaires du secteur public. Et le FMI refuse toujours de réclamer des impôts progressifs sur les revenus et les richesses des particuliers et des entreprises les plus riches. En 2024, 54 pays seront en crise d'endettement et nombre d'entre eux consacrent plus d'argent au service de leur dette qu'au financement de l'éducation ou de la santé. Certains des cas les plus graves ont été mis en évidence sur ce blog.

Les critères de la Banque mondiale pour les prêts et l'aide aux nations les plus pauvres restent également dans le cadre de la vision économique dominante selon laquelle l'investissement public est fait simplement pour encourager le secteur privé à prendre en charge la tâche de l'investissement et du développement. Les économistes de la Banque mondiale ignorent le rôle de l'investissement et de la planification de l'État. Au lieu de cela, ils veulent créer « des marchés globalement compétitifs, réduire les réglementations concernant le marché des facteurs de productions et celui des produits, laisser disparaître les entreprises improductives, renforcer la concurrence, renforcer les marchés des capitaux... ».

Kristalina Georgieva vient d'être reconduite pour un second mandat à la tête du FMI. Elle parle désormais de politiques économiques « inclusives ». Elle affirme vouloir renforcer « la collaboration mondiale et réduire les inégalités économiques ». Le FMI prétend qu'il se préoccupe désormais des conséquences négatives de l'austérité fiscale, citant souvent la façon dont les dépenses sociales devraient être protégées des coupes par des conditions qui établissent des planchers de dépenses. Pourtant, une analyse d'Oxfam portant sur dix-sept programmes récents du FMI a révélé que pour chaque dollar que le FMI encourageait ces pays à dépenser pour la protection sociale, il leur demandait d'en réduire quatre par des mesures d'austérité. L'analyse a conclu que les planchers de dépenses sociales étaient « profondément inadéquats, incohérents, opaques et, en fin de compte, voués à l'échec ».

Jusqu'à récemment, le FMI considérait qu'une croissance plus rapide dépendait d'une productivité plus élevée, de la libre circulation des capitaux, de la mondialisation du commerce international et de la « libéralisation » des marchés, y compris des marchés du travail (ce qui signifie l'affaiblissement des droits des travailleurs et des syndicats). L'inégalité n'entrait pas en ligne de compte. Telle était la formule néolibérale de la croissance économique.

Cependant, l'expérience de la grande récession de 2008-9 et de la pandémie de 2020 semble avoir donné une leçon qui donne à réfléchir à la hiérarchie économique du FMI. Aujourd'hui, l'économie mondiale souffre d'une « croissance anémique »

Le FMI est donc inquiet. Selon Georgieva, la raison pour laquelle les principales économies connaissent un ralentissement et une faible croissance du PIB réel est la montée en flèche des inégalités de richesse et de revenu : « Nous avons l'obligation de corriger ce qui a été le plus grand problème au cours des 100 dernières années - la persistance d'une forte inégalité économique. Les recherches du FMI montrent qu'une plus faible inégalité des revenus peut être associée à une croissance plus forte et plus durable. » Le changement climatique, la montée des inégalités et la « fragmentation » géopolitique accrue menacent également l'ordre économique mondial et la stabilité du tissu social du capitalisme. Il faut donc agir, affirme-t-elle.

Au cours de la longue dépression de la décennie 2010, la mondialisation s'est fragmentée selon des lignes géopolitiques - environ 3 000 mesures de restriction des échanges ont été imposées en 2023, soit près de trois fois plus qu'en 2019. Georgieva est inquiète : « La fragmentation géoéconomique s'accentue à mesure que les pays déplacent les flux commerciaux et les flux de capitaux. Les risques climatiques augmentent et affectent déjà les performances économiques, de la productivité agricole à la fiabilité des transports, en passant par la disponibilité et le coût des assurances. Ces risques pourraient freiner les régions ayant le plus grand potentiel démographique, comme l'Afrique subsaharienne ».

Dans le même temps, la hausse des taux d'intérêt et des coûts du service de la dette pèse sur les budgets publics, ce qui réduit la marge de manœuvre des pays pour fournir des services essentiels et investir dans les personnes et les infrastructures.

Georgieva souhaite donc adopter une nouvelle approche pour son nouveau mandat de cinq ans. L'ancien modèle néolibéral de croissance et de prospérité doit être remplacé par une « croissance inclusive » qui vise à réduire les inégalités et pas seulement à augmenter le PIB réel. Les questions clés devraient désormais être « l'inclusion, la durabilité et la gouvernance mondiale, en mettant l'accent sur l'éradication de la pauvreté et de la faim ».

Mais le FMI ou la Banque mondiale peuvent-ils vraiment changer quelque chose, même si Georgieva le souhaite, alors que les États-Unis et leurs alliés contrôlent ces institutions ? Les conditions des prêts du FMI n'ont pratiquement pas changé. Il y a peut-être un allègement de la dette (c'est-à-dire une restructuration des prêts existants), mais pas d'annulation des dettes onéreuses. En ce qui concerne les taux d'intérêt sur ces prêts, le FMI impose en fait des pénalités supplémentaires cachées aux pays très pauvres qui ne sont pas en mesure d'honorer leurs obligations de remboursement ! Après une levée de boucliers contre ces pénalités, ces taux ont récemment été réduits (et non supprimés), réduisant ainsi les coûts pour les débiteurs de (seulement) 1,2 milliard de dollars par an.

Christine Lagarde, directrice de la Banque centrale européenne (BCE), était la précédente directrice du FMI. Au printemps dernier, elle a prononcé un important discours devant le Conseil américain des relations étrangères à New York. Lagarde a évoqué avec nostalgie la période qui a suivi l'effondrement de l'Union soviétique dans les années 1990, censée annoncer une nouvelle période de prospérité et de domination mondiale par les États-Unis et leur « alliance de volontaires ». « Après la guerre froide, le monde a bénéficié d'un environnement géopolitique remarquablement favorable. Sous la direction hégémonique des États-Unis, les institutions internationales fondées sur des règles ont prospéré et le commerce mondial s'est développé. Cela a conduit à un approfondissement des chaînes de valeur mondiales et, avec l'arrivée de la Chine dans l'économie mondiale, à une augmentation massive de l'offre de main-d'œuvre au niveau mondial.

C'était l'époque de la vague de mondialisation, de l'augmentation des échanges commerciaux et des flux de capitaux, de la domination des institutions de Bretton Woods, telles que le FMI et la Banque mondiale, qui dictaient les conditions de crédit, et surtout, de l'espoir que la Chine serait intégrée au bloc impérialiste après son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001.

Cependant, cela n'a pas fonctionné comme prévu. La vague de mondialisation s'est brusquement arrêtée après la grande récession et la Chine n'a pas joué le jeu en ouvrant son économie aux multinationales occidentales. Cela a contraint les États-Unis à modifier leur politique à l'égard de la Chine, passant de l'« engagement » à l'« endiguement », et ce avec une intensité croissante au cours des dernières années. Ensuite, les États-Unis et leurs satellites européens ont renouvelé leur détermination à étendre leur contrôle vers l'est et à faire en sorte que la Russie échoue dans sa tentative d'exercer un contrôle sur ses pays frontaliers et d'affaiblir de façon permanente la Russie en tant que force d'opposition au bloc impérialiste. C'est ce qui a conduit à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Cela nous amène à la montée en puissance du bloc des pays du BRICS. BRICS est l'acronyme pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, les premiers membres de ce bloc. Se tient maintenant à Kazan la première réunion des BRICS-plus avec ses nouveaux membres que sont l'Iran, l'Égypte, l'Éthiopie, les Émirats arabes unis (et peut-être l'Arabie saoudite).

La gauche est très confiante que l'émergence du groupe des BRICS modifiera l'équilibre des forces économiques et politiques à l'échelle mondiale. Car les cinq pays originaux des BRICS ont aujourd'hui un PIB combiné supérieur à celui du G7 en termes de parité de pouvoir d'achat (une mesure de ce que le PIB peut acheter au niveau national en termes de biens et de services). Et si l'on ajoute les nouveaux membres, cet écart se creuse encore davantage.

Il existe toutefois des mises en garde. Tout d'abord, au sein des BRICS, c'est la Chine qui fournit l'essentiel du PIB des BRICS (17,6 % du PIB mondial), suivie de loin par l'Inde (7 %), tandis que la Russie (3,1 %), le Brésil (2,4 %) et l'Afrique du Sud (0,6 %) ne représentent ensemble que 6,1 % du PIB mondial. Il ne s'agit donc pas d'un pouvoir économique équitablement partagé au sein des BRICS. En plus, si l'on mesure le PIB par personne, les BRICS font piètre figure, car même en utilisant des dollars internationaux ajustés à la parité des pouvoirs d'achat, le PIB par habitant des États-Unis s'élève à 80 035 dollars, soit plus de trois fois celui de la Chine, qui ne s'élève qu'à 23 382 dollars.

Le groupe BRICS+ demeure donc une force économique beaucoup plus petite et plus faible que le bloc impérialiste du G7. En outre, les BRICS sont très hétérogènes en termes de population, de PIB par habitant, de géographie et de composition commerciale. Les élites dirigeantes de ces pays sont souvent en conflit (Chine contre Inde, Brésil contre Russie, Iran contre Arabie saoudite). Contrairement au G7, qui a des objectifs économiques de plus en plus homogènes sous le contrôle hégémonique des États-Unis, le groupe des BRICS est disparate en termes de richesse et de revenu et n'a pas d'objectifs économiques unifiés - sauf peut-être celui d'essayer de s'éloigner de la domination économique des États-Unis et, en particulier, du dollar américain.

Et même ce dernier objectif sera difficile à atteindre. Comme je l'ai souligné dans des articles précédents, même si la domination économique des États-Unis dans le monde et le dollar a connu un déclin relatif, ce dernier reste de loin la monnaie la plus importante pour le commerce, l'investissement et les réserves nationales au niveau international. Environ la moitié du commerce mondial est facturée en dollars et cette part n'a guère changé. Le dollar a été impliqué dans près de 90 % des opérations de change mondiales, ce qui en fait la monnaie la plus échangée sur le marché des changes. Environ la moitié des prêts transfrontaliers, des titres de créance internationaux et des factures commerciales sont libellés en dollars américains, tandis qu'environ 40 % des messages SWIFT et 60 % des réserves de change mondiales sont libellés en dollars.

Le yuan chinois continue de gagner progressivement du terrain et la part du renminbi dans les opérations de change mondiales est passée de moins de 1 % il y a 20 ans à plus de 7 % aujourd'hui. Mais la monnaie chinoise ne représente toujours que 3 % des réserves de change mondiales, contre 1 % en 2017. Et la Chine ne semble pas avoir modifié la part du dollar dans ses réserves au cours des dix dernières années.

John Ross a soulevé des points similaires dans son excellente analyse au sujet de la « dédollarisation ». « En bref, les pays/entreprises/institutions qui s'engagent dans la dédollarisation subissent ou risquent de subir des coûts et des risques importants, » affirme Ross. « En revanche, il n'y a pas de gains immédiats équivalents à tirer de l'abandon du dollar. Par conséquent, la grande majorité des pays/entreprises/institutions ne se dédollariseront pas à moins d'y être contraints. Le dollar ne peut donc pas être remplacé comme unité monétaire internationale sans un changement complet de la situation internationale globale, pour lequel les conditions internationales objectives ne sont pas encore réunies. »

En outre, les institutions multilatérales qui pourraient constituer une alternative au FMI et à la Banque mondiale existants (contrôlés par les économies impérialistes) sont encore minuscules et faibles. Par exemple, la Nouvelle banque de développement des BRICS (NDB) a été créée en 2015 à Shanghai. Celle-ci est dirigée par l'ancienne présidente de gauche du Brésil, Dilma Rousseff. On entend fréquemment dire que la NDB peut fournir un pôle de crédit opposé aux institutions impérialistes du FMI et de la Banque mondiale. Mais il reste un long chemin à parcourir pour y parvenir. Un ancien fonctionnaire de la South African Reserve Bank (SARB) affirmait récemment que « l'idée que les initiatives des BRICS, dont la plus importante jusqu'à présent a été la NDB, supplanteront les institutions financières multilatérales dominées par l'Occident est une chimère ».

Et comme le soulignait récemment Patrick Bond : « Le groupe des BRICS trop souvent tient un discours de gauche mais agit concrètement à droite dans la finance mondiale. En témoignent non seulement son soutien financier vigoureux au Fonds monétaire international au cours des années 2010, mais aussi, plus récemment, la décision de sa Nouvelle banque de développement - censée être une alternative à la Banque mondiale - de geler son portefeuille russe au début du mois de mars, faute de quoi elle n'aurait pas conservé sa note de crédit occidentale de AA+ ». Et la Russie détient 20 % du capital de la NDB.

Les BRICS rassemblent un groupe hétéroclite de nations dont les gouvernements n'ont aucune perspective internationaliste, et certainement pas une perspective basée sur l'internationalisme de la classe ouvrière. Plusieurs d'entre eux sont dirigés par des régimes autocratiques où la voix des travailleurs compte peu ou pas du tout, ou par des gouvernements encore fortement liés aux intérêts du bloc impérialiste.

Revenons à Bretton Woods et à la prophétie de Roosevelt. De nombreux disciples modernes de Keynes considèrent les accords de Bretton Woods comme l'une des grandes réussites de la politique keynésienne dans la mise en place du type de coopération mondiale dont l'économie mondiale a besoin pour sortir de la dépression dans laquelle elle se trouve actuellement. Ce qu'il faut, en effet, c'est que toutes les grandes économies du monde se réunissent pour élaborer un nouvel accord sur le commerce et les monnaies, assorti de règles garantissant que tous les pays travaillent pour le bien de la planète. Deux Keynésiens du parti démocrate états-unien ont récemment argumenté « qu'il faut absolument adopter un autre type de vision du monde ». Pour comprendre cela, nous n'avons qu'à examiner les problèmes de notre époque, qu'il s'agisse de la crise environnementale, des inégalités de revenu et de richesse, ou de l'exclusion sociale... Concevoir un nouveau cadre économique mondial exige une concertation à l'échelle planétaire.

En effet, mais est-il vraiment possible qu'un amalgame de gouvernements qui exploitent et répriment souvent leur propre peuple, arrivent à résister à un bloc impérialiste dirigé par un régime de plus en plus protectionniste et militariste (avec Trump à l'horizon) ? Dans une telle situation, l'espoir d'un nouvel ordre mondial coordonné dans le domaine de l'argent, du commerce et de la finance est exclu. Un nouveau « Bretton Woods » équitable n'est pas sur le point de voir le jour au XXIe siècle, bien au contraire.

Revenons à Lagarde. Celle-ci affirme que ce sont « les forces économiques fondamentales » qui représentent « le facteur le plus important influençant l'utilisation des devises internationales ». En d'autres termes, d'une part, la tendance à l'affaiblissement des économies du bloc impérialiste, confrontées à une croissance très lente et à des effondrements pendant le reste de la décennie, et d'autre part, l'expansion continue de la Chine et même de l'Inde. La forte domination militaire et financière des États-Unis et de leurs alliés repose, en fin de compte, sur la très fragile base d'une productivité, d'un investissement et d'une rentabilité relativement faibles.

Voilà la recette d'une fragmentation et d'un conflit à l'échelle mondiale.

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Un sommet des BRICS en Russie qui n’offre pas d’alternative

29 octobre 2024, par CADTM — , ,
Le 16e sommet des BRICS a abouti, le 23 octobre 2024, à une déclaration finale en 134 points, qui indique clairement que ce bloc ne constitue pas une alternative favorable aux (…)

Le 16e sommet des BRICS a abouti, le 23 octobre 2024, à une déclaration finale en 134 points, qui indique clairement que ce bloc ne constitue pas une alternative favorable aux intérêts des peuples.

Tiré du site du CADTM.

Il n'y a aucun doute qu'il faut combattre la politique des grandes puissances impérialistes traditionnelles : les États-Unis et ses partenaires européens ainsi que le Japon. Il n'y a pas de doute que les pays impérialistes les plus agressifs sont de loin les États-Unis et Israël, dans le sillage desquels se placent l'Union européenne, le Royaume-Uni, le Japon, l'Australie, le Canada… qui acceptent tout ce qu'accomplit le gouvernement fasciste israélien.

Il y a un tel dégoût pour la politique de ces puissances impérialistes traditionnelles qu'une partie de la gauche considère que la politique des BRICS constitue une alternative encourageante même si beaucoup sont contre l'invasion de l'Ukraine par la Russie, tout en considérant que l'OTAN et Washington ont leur part de responsabilité.

C'est important d'analyser le contenu de la déclaration finale des BRICS adoptée à Kazan le 23 octobre 2024 afin de vérifier si ce bloc met en avant une alternative au modèle et aux politiques qui sont imposées par les puissances impérialistes traditionnelles (regroupée dans le G7 : États-Unis, Allemagne, France, Royaume-Uni, Canada, Japon, Italie et Union européenne). De toute manière, on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'émerge une alternative favorable aux peuples d'un conglomérat de pays tous dominés par une logique capitaliste (même si c'est à des degrés divers) et parmi lesquels les gouvernements qui répriment leur peuples sont majoritaires. Le résultat de la lecture de la déclaration finale dans son intégralité est sans appel : même au niveau des mots, on ne trouve pas de véritable différence avec les discours, les déclarations des principales puissances impérialistes traditionnelles et des institutions qu'elles dominent. Si, en plus, on prend la peine d'analyser la politique concrète des BRICS, on ne peut que conclure que pour promouvoir une alternative favorable à l'émancipation des peuples, pour renforcer la lutte contre les différentes formes d'oppression et pour affronter la crise écologique, il ne faut pas compter sur l'aide et l'action des BRICS.

Pour passer en revue les points les plus importants de la déclaration finale du sommet des BRICS, tenu en Russie, je suivrai, sauf à un endroit, l'ordre dans lequel les différents points se succèdent. Ceux et celles qui veulent lire l'ensemble de la déclaration, la trouveront sur le site du gouvernement russe : http://static.kremlin.ru/media/events/files/en/RosOySvLzGaJtmx2wYFv0lN4NSPZploG.pdf et sur d'autres sites officiels.

Pas de remise en cause du FMI et de la Banque mondiale :
Dans le point 11, les BRICS réaffirment le rôle central que doit jouer le Fonds monétaire international (FMI) :

11. « Nous réaffirmons notre volonté de maintenir un filet de sécurité financier mondial solide et efficace, avec en son centre un FMI »

Les BRICS se félicitent des discussions en cours au FMI sur l'évolution des droits de vote en son sein :

« Nous nous félicitons des travaux en cours du Conseil d'administration du FMI visant à élaborer, d'ici juin 2025, des approches possibles pour guider la poursuite du réalignement des quotes-parts ». « Il s'agit également de féliciter le FMI pour son intention de permettre aux pays d'Afrique subsaharienne, scandaleusement sous-représentés dans la direction du FMI, d'obtenir en son sein un siège supplémentaire. »

Les BRICS n'émettent aucune critique à l'égard des politiques néolibérales imposées par le FMI aux pays qui font appel à ses crédits.

Les BRICS n'exigent aucun changement de la part de la Banque mondiale et se contentent de dire à son propos : « Nous attendons avec intérêt l'examen de la participation de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) à l'horizon 2025. »

On ne trouve dans la déclaration aucune demande et aucun engagement pour l'annulation des dettes.

Suit, au point 12, une déclaration purement abstraite et sans intérêt sur la nécessaire amélioration du système monétaire et financier international.

Satisfecit pour les COP qui pourtant n'apportent aucune solution probante et soutien au marché du carbone

Au point 16, concernant les initiatives pour faire face à la crise écologique et au changement climatique, la déclaration ne fait aucune allusion à la profonde crise écologique et se félicite des avancées que représentent les derniers sommets COP sur le climat :

« Nous félicitons l'Égypte d'avoir accueilli la COP27 à Sharm El-Sheikh en 2022, où le Fonds de réponse aux pertes et dommages a été créé, et les Émirats arabes unis d'avoir accueilli la COP28 à Dubaï en 2023, où le Fonds a été rendu opérationnel. Nous nous félicitons du consensus obtenu par les Émirats arabes unis lors de la COP28, notamment de la décision intitulée « Résultats du premier bilan mondial », et du Cadre des Émirats arabes unis pour la résilience climatique mondiale. Nous nous engageons à ce que la COP29 en Azerbaïdjan soit couronnée de succès… Nous soutenons le leadership du Brésil qui accueillera la COP30 en 2025 et saluons la candidature de l'Inde qui accueillera la COP33 en 2028. »

Alors que les COP n'aboutissent sur aucun résultat probant et que les derniers ont été des caricatures, les BRICS se retrouvent de fait très proches des grandes puissances industrielles impérialistes traditionnelles en refusant de reconnaître que jusqu'ici les politiques adoptées ne permettent pas de fournir des réponses à la hauteur des enjeux. Malgré leurs désaccords et les tensions qui marquent leurs relations, les deux blocs s'entendent en pratique lors des COP pour ne pas adopter de mesures contraignantes suffisamment fortes pour faire face à la crise écologique. Chaque bloc défend les intérêts des industries polluantes. C'est frappant de constater que les BRICS ne dénoncent pas la politique irresponsable des anciennes puissances impérialistes et des grandes entreprises qui vivent des énergies fossiles.
De plus au point 85, les BRICS déclarent leur soutien au marché des permis d'émission de carbone

« Nous reconnaissons le rôle important que jouent les marchés du carbone en tant que l'un des moteurs de l'action en faveur du climat, et nous encourageons le renforcement de la coopération et l'échange d'expériences dans ce domaine. » (pour plus loin).

Le marché du carbone est au cœur du capitalisme vert, du greenwashing et de la poursuite de politiques prédatrices à l'égard de la nature.

Pour en savoir plus sur le marché du carbone, lire : Adam Hanieh, « Blanchissement de carbone — La « nouvelle ruée vers l'Afrique » du Golfe », publié le 14 août 2024

Condamnation d'Israël sans employer le mot génocide
Le point 30 aborde la situation en Israël-Palestine sans utiliser une seule fois le mot génocide pour désigner l'action criminelle du gouvernement israélien.

Nous réitérons notre grave préoccupation face à la détérioration de la situation et à la crise humanitaire dans le territoire palestinien occupé, en particulier l'escalade sans précédent de la violence dans la bande de Gaza et en Cisjordanie à la suite de l'offensive militaire israélienne, qui a entraîné des massacres et des blessures de civils, des déplacements forcés et la destruction généralisée d'infrastructures civiles. Nous soulignons la nécessité urgente d'un cessez-le-feu immédiat, global et permanent dans la bande de Gaza, de la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages et détenus des deux camps qui sont illégalement retenus en captivité, de l'acheminement durable et sans entrave de l'aide humanitaire à grande échelle dans la bande de Gaza et de la cessation de toutes les actions agressives. Nous dénonçons les attaques israéliennes contre les opérations humanitaires, les installations, le personnel et les points de distribution. (…) nous saluons les efforts continus de la République arabe d'Égypte, de l'État du Qatar et d'autres efforts régionaux et internationaux en vue de parvenir à un cessez-le-feu immédiat, d'accélérer l'acheminement de l'aide humanitaire et le retrait d'Israël de la bande de Gaza.

Les BRICS ne décrètent pas une rupture ou une suspension des relations commerciales et des traités de coopération avec Israël. Pire, comme Patrick Bond et d'autres auteurs l'ont montré, les BRICS continuent à fournir à Israël du pétrole, du gaz, du charbon, indispensables à ce pays pour continuer son effort de guerre. Cela est également vrai de la part du gouvernement d'Afrique du Sud qui bien qu'ayant déposé à juste titre une plainte contre Israël devant la Cour de justice internationale, continue de lui fournir du charbon.

Pour en savoir plus sur la poursuite des relations commerciales entre les BRICS et Israël pendant le génocide, lire en anglais ou en espagnol : Patrick Bond, ‘The Blessing' for genocide publié le 1 octobre 2024, - En Espagnol : La “bendición” para el genocidio

Certes ils condamnent au point 31. , « la perte de vies civiles et les immenses dégâts causés aux infrastructures civiles par les attaques menées par Israël contre des zones résidentielles au Liban et nous demandons la cessation immédiate des actes militaires » mais ils s'en tiennent à cela.

Au point 32, ils condamnent, sans désigner comme responsable le gouvernement d'Israël, « l'acte terroriste prémédité consistant à faire exploser des appareils de communication portatifs à Beyrouth, le 17 septembre 2024, qui a fait des dizaines de morts et de blessés parmi les civils » .

Condamnation sans les mentionner explicitement des actions Houthis qui tentent d'entraver les relations commerciales avec Israël
Au point 33, ils condamnent, sans les nommer, les actions des Houthis qui s'attaquent aux bateaux qui commercent avec Israël. Les BRICS affirment

« qu'il importe de garantir l'exercice des droits et libertés de navigation des navires de tous les États en mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab ».

Absence de condamnation de l'invasion de l'Ukraine par la Russie et absence de critique explicite à l'égard de l'OTAN
Au point 36, les BRICS ne condamnent pas l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Ils écrivent :

« Nous rappelons les positions nationales concernant la situation en Ukraine et dans les environs, telles qu'elles ont été exprimées dans les enceintes appropriées, y compris le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Assemblée générale des Nations unies. (…). Nous prenons note avec satisfaction des propositions pertinentes de médiation et de bons offices, visant à un règlement pacifique du conflit par le dialogue et la diplomatie. ».

Le fait qu'on ne trouve pas de critique de l'OTAN est vraisemblablement dû au fait que la Turquie était invitée au sommet.

Soutien aux partenariatx public-privé qui en réalité favorisent les grandes entreprises privées aux détriments des biens publics
À partir du point 61, les BRICS reviennent sur les questions financières. Ils se prononcent pour les partenariats public-privé en déclarant :

« Nous reconnaissons que le recours au financement mixte est un moyen efficace de mobiliser des capitaux privés pour financer des projets d'infrastructure. »

Ils ajoutent : « nous saluons les travaux du groupe de travail des BRICS sur les partenariats public-privé et les infrastructures ».

Soutien aux activités de la Nouvelle banque de développement créée par les BRICS en 2015 en parlant des crédits en monnaie locale alors que l'essentiel du financement passe toujours par le dollar des États-Unis

Au point 62, ils soulignent « le rôle clé de la Nouvelle banque de développement (NDB) (voir encadré sur la NDB) dans la promotion des infrastructures et du développement durable de ses pays membres. » Ils promettent une amélioration de sa gestion : « Nous soutenons la poursuite du développement de la NDB et l'amélioration de la gouvernance d'entreprise et de l'efficacité opérationnelle en vue de la réalisation de la stratégie générale de la NDB pour 2022-2026 ». Pour comprendre la référence à l'amélioration de la gouvernance de la NDB, il faut certainement prendre en compte l'avis du brésilien, Paulo Nogueira Batista qui a représenté de 2007 à 2015 le Brésil au FMI sous la présidence de Lula, et qui a été ensuite vice-président de la Nouvelle banque de développement (créée par les BRICS) de 2015 à 2017. Bien qu'il exprime un soutien enthousiaste aux BRICS, il n'a pas manqué de critiquer la mauvaise gestion de la direction de la NDB :

« La Banque a accompli beaucoup de choses mais n'a pas encore fait la différence. L'une des raisons est, franchement, le type de personnes que nous avons envoyées à Shanghai depuis 2015 en tant que président·es et vice-président·es de l'institution. Le Brésil, par exemple, sous l'administration Bolsonaro, a envoyé une personne faible pour devenir président de la mi-2020 au début 2023 - techniquement faible, orientée vers l'Occident, sans leadership et sans la moindre idée de la manière de mener une initiative géopolitique. La Russie ne fait malheureusement pas exception à la règle : le vice-président russe de la NDB est remarquablement inapte à ce poste. La faiblesse de la gestion a souvent conduit à un mauvais recrutement du personnel. » [1]

Ceux-ci annoncent qu'ils soutiennent la NDB dans l'expansion continue des financements en monnaie locale, ce qui est positif mais ils omettent de dire que l'essentiel du financement de la NDB se fait en dollars par l'émission de titres sur les marchés financiers.

Encadré sur la Nouvelle banque de développement (NDB)

La NDB a été créée officiellement le 15 juillet 2014 à l'occasion du 6e sommet des BRICS qui s'est tenu à Fortaleza au Brésil. La NDB a octroyé ses premiers crédits à partir de fin 2016. Les cinq pays fondateurs ont chacun une part égale du capital de la Banque et aucun n'a le droit de veto. La NDB, outre les 5 pays fondateurs, compte comme membres le Bangladesh, les Émirats Arabes Unis et l'Égypte. L'Uruguay est en train de rendre effective sa participation. La NBD est dotée d'un capital de 50 milliards de dollars qui devrait être porté dans le futur à 100 milliards de dollars. Il y a rotation pour l'exercice du poste de président·e de la NDB. A tour de rôle pour un mandat de cinq ans, chaque pays a droit à exercer la présidence. Dilma Rousseff, la présidente actuelle, est brésilienne, le prochain ou la prochaine présidente sera russe et sera désignée en 2025 par Vladimir Poutine qui vient d'être réélu à la présidence de la Fédération de Russie jusque 2030. La Nouvelle Banque de Développement annonce qu'elle se concentre principalement sur le financement de projet d'infrastructures y compris des systèmes de distribution d'eau et des systèmes de production d'énergie renouvelables. Elle insiste sur le caractère « vert » des projets qu'elle finance, bien que cela soit très discutable.

Certains passages concernant la NDB donnent à entendre qu'il y a véritablement des tensions entre les pays membres des BRICS :

« Nous demandons instamment à la Banque de s'acquitter de sa mission et de ses fonctions, conformément aux statuts de la nouvelle banque de développement, de manière équitable et non discriminatoire. »

C'est probablement lié au fait que la NDB n'a octroyé aucun crédit en Russie depuis que les puissances occidentales ont pris des sanctions contre Moscou après l'invasion de l'Ukraine en février 2022. En effet la NDB qui se finance sur les marchés financiers a craint de subir une dégradation de sa note triple AAA au cas où elle aurait poursuivi les prêts à la Russie. Elle a donc refusé de financer des projets en Russie.
Ceci peut être vérifié sur le site de la NDB : https://www.ndb.int/projects/all-projects/ où l'on constate que depuis début 2022, la NDB a approuvé le financement de plus de 50 projets différents dont aucun en Russie. Concernant les crédits vers la Russie, si on clique ici : https://www.ndb.int/projects/all-projects/?country=russia&key_area_focus=&project_status=&type_category=&pyearval=#paginated-list on peut constater que le dernier projet soutenu financièrement par la NBD en Russie remonte à septembre 2021.

Soulignons de nouveau le jugement négatif émis en mars 2024 par Paulo Nogueira, pourtant chaud partisan des BRICS, à propos de la NDB dont il a été vice-directeur en 2014-2015 :

"Pourquoi peut-on dire que la NDB a été une déception jusqu'à présent ? Voici quelques-unes des raisons. Les décaissements ont été étonnamment lents, les projets sont approuvés mais ne sont pas transformés en contrats. Lorsque les contrats sont signés, la mise en œuvre effective des projets est lente. Les résultats sur le terrain sont maigres. Les opérations - financements et prêts - se font principalement en dollars américains, monnaie qui sert également d'unité de compte à la Banque.

Comment pouvons-nous, en tant que BRICS, parler de manière crédible de dédollarisation si notre principale initiative financière reste majoritairement dollarisée ?

Ne me dites pas qu'il n'est pas possible d'effectuer des opérations en monnaie nationale dans nos pays. La Banque interaméricaine de développement, la BID, par exemple, possède depuis de nombreuses années une expérience considérable en matière d'opérations en monnaie brésilienne. Je ne comprends pas pourquoi la NDB n'a pas profité de cette expérience. »

[2]

Les BRICS ne parlent plus du lancement d'une monnaie commune
En réalité en ce qui concerne les outils financiers dont se sont dotés les BRICS les résultats sont négligeables et aucune avancée sérieuse n'est annoncée dans la déclaration finale.

Rappelons que Lula, président du Brésil, lors du sommet précédent tenu en Afrique du Sud en août 2023 avait déclaré que les BRICS avaient

« approuvé la création d'un groupe de travail chargé d'étudier l'adoption d'une monnaie de référence pour les BRICS. Cela augmentera nos options de paiement et réduira nos vulnérabilités. » [3]

Peu après, Paulo Nogueira Batista, déjà cité, avait déclaré dans une rencontre en Russie :

« Nous avons la chance que la Russie préside les BRICS en 2024 et le Brésil en 2025 - précisément les deux pays qui semblent les plus intéressés par la création d'une monnaie commune ou de référence. Si tout se passe bien, les BRICS pourraient prendre la décision de créer une monnaie lors du sommet en Russie l'année prochaine ». [4]

Rien de tel ne s'est produit. Dans la déclaration finale du 16e sommet des BRICS rendue publique le 23 octobre 2024, il n'y a aucune référence à la création d'une monnaie commune. Il s'agit donc d'un important pas en arrière. Or beaucoup de partisans des BRICS avaient annoncé en 2023 après que la rencontre des BRICS en Afrique du Sud qu'on était à la veille de la création de cette monnaie. La montagne a accouché d'une souri et le court point 67 en donne la mesure :

« 67. Nous chargeons nos ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales, selon le cas, de poursuivre l'examen de la question des monnaies locales, des instruments de paiement et des plateformes et de nous faire rapport d'ici la prochaine présidence. »

Pas un mot sur une monnaie commune.

Le Fonds monétaire des BRICS est au point mort

Sur un autre point, le bilan est carrément négatif, il s'agit du fonds de réserve en devises que les BRICS avaient décidé de créer en 2015, il y a près de 10 ans. L'acronyme de ce fonds est le CRA (Contingent Reserve Arrangement ). Il devait permettre à des pays membres des BRICS confrontés à un problème de manque de devises pour assurer leurs paiements internationaux de pouvoir puiser dans ce fonds (emprunter à ce fonds) les devises qui leur manquait. Cet instrument est important en particulier pour l'Afrique du Sud, le pays le plus faible des BRICS car celui-ci a fait face ces dernières années à un manque de devises. Ce problème concerne aussi une quantité importante de pays qui ont adhéré aux BRICS ou sont candidats pour en faire partie. On peut citer comme exemples l'Éthiopie, l'Égypte, l'Iran.

Or depuis que le Fonds a été créé sur papier en 2015 rien n'a avancé. Aucun crédit n'a été octroyé.

Ce Fonds devait remplir la fonction que joue le FMI quand un de ses membres fait face à un manque de réserves de change pour effectuer des paiements. Cela devait permettre aux pays membres des BRICS d'échapper aux conditionnalités imposées par le FMI.
Or, ce fonds bien que créé sur papier, n'est pas entré en activité et le sommet des BRICS qui vient de se conclure accouche d'une déclaration on ne peut plus timide :

68. Nous reconnaissons que l'accord sur les réserves contingentes (càd le fonds de réserve appelé CRA, note d'Éric Toussaint) des BRICS est un mécanisme important pour prévenir les pressions à court terme sur la balance des paiements et renforcer la stabilité financière. Nous exprimons notre soutien résolu à l'amélioration du mécanisme du CRA en envisageant d'autres monnaies éligibles et nous nous félicitons de la finalisation des modifications apportées aux documents relatifs au CRA. Nous saluons l'achèvement réussi du 7e test du CRA et la cinquième édition du Bulletin économique des BRICS sous le titre « BRICS Economies in a Higher-rate Environment » (Les économies des BRICS dans un environnement de taux plus élevés).

Se féliciter de l'édition d'un bulletin d'analyse et de la réalisation d'un 7e test, c'est reconnaître qu'après 9 ans le fonds de réserve (CRA) n'existe qu'à l'état de projet et n'a effectué aucune opération.

Paulo Nogueira déclarait à propos du CRA en octobre 2023 :

« Les deux mécanismes de financement existants des BRICS ont été créés à la mi-2015, il y a plus de huit ans. Permettez-moi de vous assurer que lorsque nous avons commencé avec le CRA et la Nouvelle banque de développement, il existait une inquiétude considérable quant à ce que les BRICS faisaient dans ce domaine à Washington, au FMI et à la Banque mondiale. Je peux en témoigner car j'y ai vécu à l'époque, en tant qu'administrateur pour le Brésil et d'autres pays au sein du conseil d'administration du FMI.

Au fil du temps, cependant, les gens à Washington se sont détendus, sentant peut-être que nous n'allions nulle part avec le CRA (= le Fonds monétaire commun des BRICS) et la Nouvelle Banque de Développement. » (même source que les citations précédentes)

Pour en savoir plus sur les BRICS : Éric Toussaint, Les BRICS et leur Nouvelle banque de développement offrent-ils des alternatives à la Banque mondiale, au FMI et aux politiques promues par les puissances impérialistes traditionnelles ?, publié le 18 avril 2024,

Selon les BRICS, le libre-échange est le leitmotiv de l'activité agricole. Pas un mot sur la souveraineté alimentaire, sur l'agriculture biologique

73. Nous convenons que la résilience des chaînes d'approvisionnement et le libre-échange dans l'agriculture, parallèlement à la production intérieure, sont essentiels pour garantir la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance, en particulier pour les agriculteurs à faible revenu ou disposant de ressources limitées, ainsi que pour les pays en développement importateurs nets de denrées alimentaires. »

L'expérience a montré que le libre échange est une arme des grandes puissances et des grandes entreprises privées de l'agro business contre les paysans.

Les BRICS font la promotion des Zones économiques spéciales, paradis des entreprises capitalistes et souvent un espace de non droit pour les travailleurs-ses
« 74. Nous reconnaissons l'efficacité des zones économiques spéciales (ZES) des pays du BRICS en tant que mécanisme bien établi pour la coopération commerciale et industrielle et la facilitation de la fabrication (…) Nous nous félicitons de la création d'un forum de coopération sur les zones économiques spéciales des pays du BRICS. »

Rejet des mesures protectionnistes pour protéger l'environnement

« 83. Nous rejetons les mesures protectionnistes unilatérales, punitives et discriminatoires, qui ne sont pas conformes au droit international, sous prétexte de préoccupations environnementales, telles que les mécanismes unilatéraux et discriminatoires d'ajustement carbone aux frontières, les exigences de diligence raisonnable, les taxes et autres mesures, et nous réaffirmons notre soutien total à l'appel lancé lors de la COP28 pour éviter les mesures commerciales unilatérales fondées sur le climat ou l'environnement. Nous nous opposons également aux mesures protectionnistes unilatérales qui perturbent délibérément les chaînes d'approvisionnement et de production mondiales et faussent la concurrence. »

Il est vrai que des grandes puissances traditionnelles en perte de vitesse comme l'UE et les USA prennent prétexte de motivations environnementales pour cacher leur volonté de protéger les intérêts des grands actionnaires des entreprises en perte de vitesse mais cela ne signifie pas que nous devons être contre toutes les mesures protectionnistes qui défendraient réellement l'environnement et permettrait la promotion des droits des travailleurs tant au Sud qu'au Nord de la planète.

Les BRICS ont un discours sur les femmes tout à fait compatible avec celui adopté par les puissances impérialistes traditionnelles, par la Banque mondiale, par la presse dominante et le monde des affaires

« 130. Nous reconnaissons le rôle essentiel des femmes dans le développement politique, social et économique. Nous soulignons l'importance de l'autonomisation des femmes et de leur pleine participation, sur la base de l'égalité, à toutes les sphères de la société, y compris leur participation active aux processus de prise de décision, y compris aux postes à responsabilité, qui sont fondamentales pour la réalisation de l'égalité, du développement et de la paix. Nous reconnaissons que l'entrepreneuriat inclusif et l'accès des femmes au financement faciliteraient leur participation aux entreprises, à l'innovation et à l'économie numérique. À cet égard, nous nous félicitons des résultats de la réunion ministérielle sur les affaires féminines et du forum des femmes des BRICS qui se sont tenus en septembre à Saint-Pétersbourg sur le thème « Les femmes, la gouvernance et le leadership » et nous reconnaissons la précieuse contribution de ces réunions annuelles au développement et à la consolidation de l'autonomisation des femmes dans les trois piliers de la coopération des BRICS.

131. Nous apprécions les efforts déployés par l'Alliance des femmes d'affaires des BRICS pour promouvoir l'entrepreneuriat féminin, notamment le lancement de la plateforme numérique commune de l'Alliance des femmes d'affaires des BRICS, la tenue du premier forum des femmes d'affaires des BRICS à Moscou les 3 et 4 juin 2024 et le premier concours de startups féminines des BRICS. Nous sommes favorables à la poursuite du renforcement de la coopération entre la BRICS Women's Business Alliance et les femmes entrepreneurs du Sud, y compris la mise en place de bureaux régionaux, le cas échéant.

Pour en savoir plus sur la question du genre : Camille Bruneau : La farce de la « prise en compte du genre » : une grille de lecture féministe des politiques de la Banque mondiale, publié le 25 septembre 2024,

Les BRICS ne sont pas une alternative pour les peuples face aux puissances impérialistes traditionnelles. Les positions des BRICS s'inscrivent à merveille dans le système capitaliste néolibéral global, ils ne font rien ou presque pour s'en détacher et souscrivent aux fausses solutions du capitalisme vert. Malgré leur dénonciation des crimes commis par Israël contre les peuples palestiniens et libanais, ils ne daignent pas rompre leurs liens commerciaux avec la puissance sioniste.

Notes

[1] Paulo Nogueira Batista , “BRICS Financial and Monetary Initiatives – the New Development Bank, the Contingent Reserve Arrangement, and a Possible New Currency”, 3 October 2023, https://valdaiclub.com/a/highlights/brics-financial-and-monetary-initiatives/ consulté le 25 octobre 2024.

[2] Paulo Nogueira Batista , “BRICS Financial and Monetary Initiatives – the New Development Bank, the Contingent Reserve Arrangement, and a Possible New Currency”, 3 October 2023, https://valdaiclub.com/a/highlights/brics-financial-and-monetary-initiatives/ consulté le 25 octobre 2024.

[3] Lula : “aprovado a criação de um grupo de trabalho para estudar a adoção de uma moeda de referência dos Brics. Isso aumentará nossas opções de pagamento e reduzirá nossas vulnerabilidades » Folha de Paulo, « Moeda do Brics : tema ganha tratamento tímido em cúpula » - 25/08/2023 - https://www1.folha.uol.com.br/mercado/2023/08/india-resiste-a-moeda-do-brics-e-tema-ganha-tratamento-timido-em-cupula.shtml. CNN, « Brics criam grupo de trabalho para avaliar moeda comum » https://www.youtube.com/watch?v=keUdkW-s5M4

[4] Paulo Nogueira Batista , “BRICS Financial and Monetary Initiatives – the New Development Bank, the Contingent Reserve Arrangement, and a Possible New Currency”, 3 October 2023, https://valdaiclub.com/a/highlights/brics-financial-and-monetary-initiatives/ consulté le 25 octobre 2024.

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La Banque mondiale empêtrée dans ses contradictions à propos de la pauvreté

29 octobre 2024, par Éric Toussaint — , ,
Dans ses récentes publications, la Banque mondiale constate qu'en conséquence de la crise liée au coronavirus, 23 millions d'êtres humains ont augmenté les rangs des victimes (…)

Dans ses récentes publications, la Banque mondiale constate qu'en conséquence de la crise liée au coronavirus, 23 millions d'êtres humains ont augmenté les rangs des victimes de l'extrême pauvreté en 2020-2021.Elle écrivait le 2 avril 2024 : « En 2022, 712 millions de personnes dans le monde vivaient dans l'extrême pauvreté, soit 23 millions de plus qu'en 2019. » [1]

Tiré du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM)
22 octobre 2024

Par Eric Toussaint

Le 15 octobre 2024, la Banque mondiale déclarait dans un communiqué de presse : « L'objectif mondial visant à mettre fin à l'extrême pauvreté — moins de 2,15 dollars par personne et par jour — d'ici 2030 est hors de portée : il faudrait trois décennies voire plus pour éliminer la pauvreté fixée à ce seuil, lequel est surtout pertinent dans les pays à faible revenu. » [2] Quel aveu d'impuissance pour une institution qui est censée contribuer à la réduction de la pauvreté dans le monde.

La vérité c'est qu'au lieu de contribuer à réduire la pauvreté, les politiques financées par la Banque mondiale et son jumeau le FMIla reproduisent et l'accentuent.
Jamais les dirigeant-es de la Banque mondiale et du FMI ne reconnaissent le rôle éminemment négatif des recettes et du modèle qu'ils recommandent voire qu'ils imposent aux pays qui font appel à leurs crédits.

Cet article vise à montrer que la Banque mondiale a tendance depuis des décennies à sous-estimer le nombre de personnes affectées par la pauvreté. Il est bon de revenir sur un événement survenu il y a plus de quinze ans lorsque la Banque mondiale a reconnu s'être trompée à propos du nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté. En effet, en 2008, la Banque mondiale a reconnu avoir fait des erreurs importantes dans ses calculs concernant la situation mondiale de la pauvreté. Tout en affirmant que « les estimations de la pauvreté établies par la Banque mondiale s'améliorent grâce à des données plus fiables sur le coût de la vie », l'institution a découvert que « 400 millions de personnes de plus que l'on ne pensait précédemment vivent dans la pauvreté » [3].

"En 2008, la Banque mondiale a reconnu qu'elle avait sous-estimé de 400 millions le nombre de pauvres"

C'était l'équivalent de plus de la moitié de la population de l'Afrique subsaharienne à l'époque ! Dès cette époque dans une carte blanche publiée par le quotidien Le Soir le CADTM avait souligné cette erreur et avait pointé du doigt les responsabilités de la Banque et du FMI. La carte blanche est toujours disponible sur le site du Soir et est en accès libre sur le site du CADTM.

L'erreur reconnue par la Banque mondiale reflète le manque de fiabilité des statistiques publiées par cette institution, statistiques qui servent surtout à cautionner les politiques néolibérales imposées à travers le monde par ses propres experts [4].

Selon son communiqué de 2008, « 1,4 milliard de personnes vivant dans le monde en développement (1 personne sur 4) subsistaient avec moins de 1,25 dollar par jour en 2005 », alors que les estimations précédentes tournaient autour de 1 milliard de personnes.

Pourtant, la Banque mondiale ne manquait pas de se réjouir car ce qui compte pour elle, ce n'est pas le nombre de pauvres, mais la proportion de personnes pauvres. Pourquoi ? Parce qu'avec la démographie mondiale galopante, ce chiffre permet plus facilement de faire illusion : si, par exemple, le nombre de personnes pauvres stagne, la proportion de pauvres baisse mécaniquement au fil des ans au regard de l'augmentation de la population mondiale. Voilà pourquoi l'objectif dit « du millénaire » était de réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est inférieur à 1,25 dollar par jour.

Mais avec les énormes erreurs de la Banque mondiale dans ses calculs sur la pauvreté, c'est tout l'édifice des politiques internationales contre la pauvreté qui s'écroulait. Les politiques d'ajustement structurel (réduction des budgets sociaux, recouvrement des coûts dans les secteurs de la santé et de l'éducation, agriculture tournée vers l'exportation et réduction des cultures vivrières, abandon de la souveraineté alimentaire, etc.), imposés par le FMI et la Banque mondiale depuis le début des années 1980, ont détérioré les conditions de vie de centaines de millions de personnes dans le monde. Les critiques envers la Banque mondiale n'ont pas manqué à ce propos.

Ainsi Thomas Pogge, professeur à l'université Columbia, écrivait en 2008 : « Les méthodes de calcul de la Banque mondiale sont extrêmement douteuses. Il y a des raisons de penser qu'avec une méthode plus plausible, on observerait une tendance plus négative et une pauvreté beaucoup plus étendue. (…) Tant que la méthode actuelle de la Banque mondiale et les données qui se basent sur elle conserveront leur monopole dans les organisations internationales et dans la recherche universitaire sur la pauvreté, on ne pourra pas prétendre prendre ce problème réellement au sérieux. » [5]

"Martin Ravallion : « Les estimations les plus récentes de la pauvreté ont été établies à partir des enquêtes réalisées auprès de 675 ménages dans 116 pays en développement »"

Le peu de sérieux des calculs de la Banque mondiale apparaît très clairement dans cette déclaration de Martin Ravallion en 2010, un des principaux auteurs de la Banque sur la question de la pauvreté : « Les estimations les plus récentes de la pauvreté ont été établies à partir des enquêtes réalisées auprès de 675 ménages dans 116 pays en développement, représentant 96 % du monde en développement » explique-t-il [6]. Comment peut-on oser prétendre publier des chiffres fiables concernant la situation de plusieurs milliards de personnes sur la base d'une enquête se limitant à 675 ménages ? Quel aveu de manque de sérieux ! Le même auteur reconnaît également qu'au début des années 1990, la Banque mondiale se limitait à des enquêtes menées dans seulement 22 pays.

Sur le ton de la diplomatie, le même Martin Ravallion écrivait : « De nouvelles données importantes ont révélé que le coût de la vie dans les pays en développement est plus élevé que nous ne le pensions, ce qui explique l'ampleur inégalée à ce jour des modifications apportées aux chiffres relatifs à la pauvreté dans le cadre de la dernière révision… » [7].

Au moment où ces lignes sont écrites en 2024, la Banque mondiale estime qu'une personne ne vit pas dans l'extrême pauvreté si, résidant dans un pays en développement, elle dispose pour vivre de plus de 2,15 dollar par jour. C'est évidemment tout à fait discutable. Cela fixe très bas le revenu quotidien qui permet de déterminer si une personne vit en dessous du seuil de pauvreté extrême. Ce montant de 2,15 dollar par jour ne constitue pas un indicateur fiable et les méthodes pour extrapoler à l'échelle de la planète le nombre de pauvres ne sont pas sérieuses. Comme l'écrit l'économiste britannique Michael Robertssi au lieu de prendre 2,15 dollars par jour, on fixait la barre de l'extrême pauvreté à 5 dollars par jour, 40 % de la population mondiale serait considérée comme extrêmement pauvre ; si on mettait la barre à 10 dollars par jour, cette proportion serait de 62 % et à 30 dollars, elle serait de 85 % [8].

"Si on fixait la barre de l'extrême pauvreté à 5 dollars par jour, 40 % de la population mondiale serait considérée comme extrêmement pauvre ; si on mettait la barre à 10 dollars par jour, cette proportion serait de 62 %"

Dans un rapport publié en 2020, la Banque mondiale écrit : « La lutte contre la pauvreté enregistre sa pire régression en 25 ans. En 2020, le taux mondial d'extrême pauvreté devrait augmenter pour la première fois en plus de vingt ans, du fait de la pandémie de coronavirus ». Dans le même article, les auteurs de la Banque ajoutaient : « Le changement climatique pourrait entraîner de 68 à 135 millions de personnes dans la pauvreté à l'horizon 2030 » [9].

Ces estimations qui sont à prendre avec des pincettes vu les méthodes de calcul de la Banque indiquent néanmoins une évolution dramatique qui demande des solutions radicales et urgentes en faveur des droits humains.

"La Banque mondiale estime qu' « Au rythme actuel, il faudrait plus d'un siècle pour sortir la moitié du monde de la pauvreté »"

Le communiqué de presse publié par la Banque mondiale le 15 octobre 2024 avait pour titre : « Au rythme actuel, il faudrait plus d'un siècle pour sortir la moitié du monde de la pauvreté ». [10] Dans l'article de la Banque mondiale de 2010 cité plus haut, un des sous-titres affirmait « Le monde en développement est toujours en bonne voie pour réduire de moitié la pauvreté à l'horizon 2015 par rapport au niveau atteint en 1990 »
Il est grand temps de se débarrasser du duo Banque mondiale-FMI et de le remplacer par d'autres institutions au service de l'humanité.

Voici les propositions du CADTM pour bâtir une nouvelle architecture internationale :

Il faut opter pour des propositions qui redéfinissent radicalement le fondement de l'architecture internationale (missions, fonctionnement…). Prenons le cas de l'OMC, du FMI et de la Banque mondiale.

L'organisation qui remplacera la Banque mondiale devrait être largement régionalisée (des banques du Sud pourraient y être reliées), elle aurait pour fonction de fournir des prêts à taux d'intérêttrès bas ou nuls et des dons qui ne pourraient être octroyés qu'à condition d'être utilisés dans le respect rigoureux des normes sociales et environnementales et, plus généralement, des droits humains fondamentaux. Contrairement à la Banque mondiale actuelle, la nouvelle banque dont le monde a besoin ne chercherait pas à représenter les intérêts des créanciers et à imposer aux débiteurs un comportement de soumission au marché-roi, elle aurait pour mission prioritaire de défendre les intérêts des peuples qui reçoivent les prêts et les dons.

Le nouveau FMI, quant à lui, devrait retrouver une part de son mandat originel pour garantir la stabilité des monnaies, lutter contre la spéculation, contrôler les mouvements de capitaux, agir pour interdire les paradis fiscaux et la fraude fiscale. Pour atteindre cet objectif, il pourrait contribuer, en collaboration avec les autorités nationales et des fonds monétaires régionaux (qu'il faut créer), à la collecte de différentes taxes internationales.

La nouvelle OMC devrait viser, dans le domaine du commerce, à garantir la réalisation d'une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et d'environnement. Sa fonction serait de superviser et de réglementer le commerce de manière à ce qu'il soit rigoureusement conforme aux normes sociales (conventions de l'Organisation internationale du travail) et environnementales. Cette définition s'oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l'OMC. Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question que l'OMC, comme d'ailleurs toute autre organisation, possède en son sein son propre tribunal. Il faut donc supprimer l'Organe de règlement des différends.

Toutes ces pistes requièrent l'élaboration d'une architecture mondiale cohérente, hiérarchisée et dotée d'une division des pouvoirs. La clef de voûte pourrait en être l'ONU, pour autant que son Assemblée générale en devienne la véritable instance de décision – ce qui implique de supprimer le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité (et le droit de veto qui lui est lié). L'Assemblée générale pourrait déléguer des missions spécifiques à des organismes ad hoc.

Une autre question qui n'a pas encore fait suffisamment de chemin est celle d'un dispositif international de droit, d'un pouvoir judiciaire international (indépendant des autres instances de pouvoir international), qui complète le dispositif actuel comportant principalement la Cour internationale de La Haye et la Cour pénale internationale. Avec l'offensive néolibérale qui a commencé au cours des années 1970-1980, la loi du commerce a progressivement dominé le droit public. Des institutions internationales comme l'OMC et la Banque mondiale fonctionnent avec leur propre organe de justice : l'Organe de règlement des différends au sein de l'OMC et le CIRDI au sein de la Banque mondiale, dont le rôle a démesurément augmenté. La charte de l'ONU est régulièrement violée par des membres permanents de son Conseil de Sécurité. Nous avons souligné les limites du droit international et les violations systématiques de la Charte des Nations unies, notamment l'interdiction du recours à la force contenu en son article 2. Des nouveaux espaces de non-droit sont créés (les prisonniers sans droit embastillés à Guantanamo par les États-Unis). Les États-Unis, après avoir récusé la Cour internationale de La Haye (où ils ont été condamnés en 1985 pour avoir agressé le Nicaragua), refusent la Cour pénale internationale. Il en va de même de la part du régime néo fasciste de Netanyahu coupable sous nos yeux d'un génocide à l'encontre du peuple palestinien. Tout cela est insupportable requiert d'urgence des initiatives pour compléter un dispositif international de droit.

En attendant, il faut amener des institutions comme la Banque mondiale et le FMI à rendre des comptes à la justice devant des juridictions nationales, exiger l'annulation des dettes qu'elles réclament et agir pour empêcher l'application des politiques néfastes qu'elles recommandent ou imposent.

Notes

[1] Source : https://www.banquemondiale.org/fr/topic/poverty/overview consulté le 21 octobre 2024

[2] Banque mondiale, « Au rythme actuel, il faudrait plus d'un siècle pour sortir la moitié du monde de la pauvreté », publié le 15 octobre 2024, https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2024/10/15/ending-poverty-for-half-the-world-could-take-more-than-a-century consulté le 15/10/2024

[3] Banque mondiale, « Estimations de la pauvreté dans le monde en développement (mise à jour) » https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2010/02/17/estimates-of-poverty-in-the-developing-world-updated consulté le 21 octobre 2024.

[4] Damien Millet et Éric Toussaint, « Carte blanche : La Banque mondiale découvre 400 millions de pauvres en plus », publié par le quotidien Le Soir, publiée le 13 septembre 2008, https://plus.lesoir.be/art/carte-blanche-la-banque-mondiale-decouvre-400_t-20080913-00HX62.html consulté le 21 octobre 2024.

[5] Sanjay G. Reddy and Thomas W. Pogge, ‘How not to count the poor', 29 October 2005, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=893159 Voir pour une analyse d'ensemble : Thomas Pogge, Politics as Usual : What Lies behind the Pro-Poor Rhetoric, Cambridge, Polity Press, 2010.

[6] Martin Ravallion, directeur du Groupe de recherche sur le développement économique à la Banque mondiale dans Banque mondiale, « Estimations de la pauvreté dans le monde en développement (mise à jour) » https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2010/02/17/estimates-of-poverty-in-the-developing-world-updated déjà cité.

[7] Martin Ravallion, directeur du Groupe de recherche sur le développement économique à la Banque mondiale, in https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2010/02/17/estimates-of-poverty-in-the-developing-world-updated déjà cité.

[8] Michael Roberts, « Measuring global poverty », Michael Roberts Blog, 8 octobre 2024, https://thenextrecession.wordpress.com/2024/10/08/measuring-global-poverty/ consulté le 21/10/2024. Cet article est également disponible sur le site du CADTM : https://www.cadtm.org/Measuring-global-poverty

[9] Banque mondiale, « Pauvreté », https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2020/10/07/global-action-urgently-needed-to-halt-historic-threats-to-poverty-reduction consulté le 21 octobre 2024.

[10] Source : https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2024/10/15/ending-poverty-for-half-the-world-could-take-more-than-a-century

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Kanaky-Nouvelle-Calédonie : La Cour de cassation annule le transfert en métropole du militant indépendantiste Christian Tein*

29 octobre 2024, par Benjamin König — , ,
Emprisonné depuis cinq mois à Mulhouse, à 17 000 km de chez lui, le dirigeant indépendantiste a vu la Cour de cassation annuler la décision de son transfert en métropole. Un (…)

Emprisonné depuis cinq mois à Mulhouse, à 17 000 km de chez lui, le dirigeant indépendantiste a vu la Cour de cassation annuler la décision de son transfert en métropole. Un camouflet pour la justice française, et notamment le procureur de Nouméa, Yves Dupas.

Par Benjamin König, L'Humanité, France, le mardi 22 octobre 2024
Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/monde/flnks/kanaky-nouvelle-caledonie-la-cour-de-cassation-annule-le-transfert-en-metropole-du-militant-independantiste-christian-tein

Avec six autres militants indépendantistes, Christian Tein avait été « <https:/www.humanite.fr/politique/c...>'>exilé » en métropole après leur mise en examen pour leur rôle présumé dansles révoltes qui ont touché la <https:/www.humanite.fr/monde/decol...>'>Kanaky-Nouvelle-Calédonieen mai dernier. « Une déportation », s'était insurgé le Front de libération kanak et socialiste (FLNKS), la coalition indépendantiste dont Christian Tein a été élu président fin août, après avoir été le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), une émanation du mouvement indépendantiste mise sur pied pour organiser la lutte contre le dégel du corps électoral.

Celui que ses camarades appellent « Bichou » s'était pourvu en cassation, de même que les autres mis en examen. Et ils ont remporté une première victoire juridique : la Cour de cassation a annulé l'arrêt du 5 juillet dernier qui confirmait le placement en détention de Christian Tein ainsi que d'un autre militant kanak, Steve Unë. Tous avaient été éparpillés dans différentes prisons de l'Hexagone.

*Justice d'exception*

Tout dans ce dossier relève d'une justice d'exception. Leur transfert, pour commencer : les militants avaient été menottés et sanglés durant les 30 heures de vol entre Nouméa et Paris, usage totalement disproportionné pour des prévenus politiques. Selon l'un de leurs avocats, Me François Roux, le vol et les gardes à vue se sont déroulés dans des conditions « inhumaines et dégradantes ». Lors de leur garde à vue, « nos clients sont restés enchaînés au mur, le bras en l'air ».

Surtout, les chefs d'accusation sont très lourds pour des militants, notamment « complicité de meurtre », « vol en bande organisée avec arme », « destruction en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes », « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime et d'un délit ». Malgré la violence des révoltes qui ont touché la Kanaky-Nouvelle-*Calédonie, les militants affirment avoir simplement défendu des idées politiques et n'ont jamais appelé à la violence.*

La Cour de cassation a donc décidé que leur droit à la défense avait été violé, notamment parce que personne, ni les prévenus ni leurs avocats, n'avait été informé d'un transfert en métropole. Un autre juge doit désormais examiner leurs conditions de détention. Leurs avocats ont également demandé un dépaysement du dossier, tant il est clair aujourd'hui que les actes du procureur de Nouméa témoignent d'une justice coloniale d'un autre âge.

La Cour de cassation considère que le droit à la défense avait été violé, notamment parce que personne, ni les prévenus ni leurs avocats, n'avait été informé d'un transfert en métropole de Christian Tein, et des six autres militants indépendantistes. Ici, le 14 juin 2024, à Bourail en Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, 24 octobre 2024

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Afrique : La Zlecaf, un cheval de Troie néolibéral ?

29 octobre 2024, par Aicha Fall — , ,
Lancée officiellement le 1er janvier 2021, la Zone de libre-échange continentale africaine vise à créer un marché unique pour les biens et les services et à favoriser la (…)

Lancée officiellement le 1er janvier 2021, la Zone de libre-échange continentale africaine vise à créer un marché unique pour les biens et les services et à favoriser la circulation des capitaux et des personnes. Mais derrière cet objectif, présenté comme « panafricaniste », se cache un projet néolibéral qui pose des questions cruciales.

Tiré d'Afrique XXI.

Officiellement lancée le 1er janvier 2021, la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) regroupe les 54 pays du continent, dont 48 ont déjà ratifié l'accord. Son objectif est de tripler le commerce intra-africain, actuellement limité à 15 % du commerce total, d'ici à 2030. Ce projet vise à redéfinir les relations économiques en Afrique tout en faisant de l'intégration régionale un levier essentiel pour une prospérité partagée.

Mais, bien qu'elle soit souvent présentée comme le couronnement du rêve panafricaniste promu notamment par Kwame Nkrumah au milieu du XXe siècle, la Zlecaf révèle une réalité moins idéaliste. En effet, elle s'inscrit dans une logique néolibérale prônant l'ouverture et la dérégulation des marchés - elle est d'ailleurs largement promue par des économistes orthodoxes et des institutions internationales - qui risque de renforcer les inégalités et de fragiliser les économies locales face aux pressions du capital international. Ainsi, sous son enveloppe « panafricaniste », la Zlecaf semble avant tout répondre aux injonctions du marché global.

Une lente mise en route

Le 21 mars 2018, à l'issue du sommet de l'Union africaine (UA) à Kigali, au Rwanda, 44 pays africains ont signé l'accord fondateur de la Zlecaf. Celui-ci promettait d'établir un marché unique pour les biens et services à travers le continent, en favorisant le commerce intra-africain et l'intégration économique régionale, et en réduisant les barrières tarifaires et non tarifaires. Un rapport de l'UA de 2024 table sur une augmentation de 53 % du commerce intra-africain grâce au projet (1). Cependant, les résultats concrets se font encore attendre car la mise en œuvre complète des accords prend du temps.

Selon l'économiste sénégalais Chériff Assane Sall, la Zlecaf est dans sa phase pilote :

  • Seuls quelques pays ont commencé à commercer entre eux dans le cadre du droit préférentiel de la Zlecaf grâce à l'Initiative de commerce guidé (GTI) lancée en octobre 2022 (2). Il s'agit du Cameroun, de l'Égypte, du Ghana, du Kenya, de Maurice, du Rwanda, de la Tanzanie et de la Tunisie, et cela ne concerne que 96 produits identifiés, tels que les carreaux de céramique, le thé, le café, les produits de viande transformés, le sucre, les pâtes, les fruits secs.

« Peu de pays ont réellement mené des transactions sous l'égide de la Zlecaf, ajoute le chercheur indépendant en économie et sciences sociales camerounais Martial Ze Belinga, et les estimations faites par la Banque mondiale, entre autres, montrent qu'il n'y aura d'effets notables que lorsque les baisses tarifaires seront effectives et massives (3), or cela prend beaucoup de temps. »

Selon ses promoteurs, la Zlecaf encouragera la diversification des économies africaines en réduisant leur dépendance à l'exploitation de leurs matières premières. Chériff Assane Sall estime que,

  • l'Afrique a adhéré et ratifié plusieurs accords en sa défaveur. Aujourd'hui la Zlecaf sonne comme un bouclier et une porte de sortie pour qu'enfin le continent puisse bénéficier convenablement de la mondialisation. Un impact visible est que les relations commerciales entre les pays africains et le reste du monde vont croître moins que le commerce inter-africain, ce qui permettra in fine de réduire le déficit commercial en Afrique.

Toutefois, l'accord révèle des contradictions qui mettent en lumière l'illusion d'une véritable unité économique continentale.

Le poids de l'héritage colonial

La coordination entre les 54 pays membres pose tout d'abord des défis institutionnels. La mise en œuvre uniforme des accords et des réglementations est complexe, sans parler du fait qu'ils ne disposent pas tous de la même monnaie. Le président du Comité de coordination de la Zlecaf, Wamkele Mene, souligne que « la coordination entre les pays, notamment au niveau réglementaire, nécessite des efforts considérables pour éviter des incohérences qui pourraient entraver la mise en œuvre efficace de l'accord », et générer les coûts supplémentaires de mise en conformité.

De plus, Martial Ze Belinga rappelle qu'« un accord commercial prend tous ses effets lorsque les pays ont des complémentarités économiques et industrielles, lorsque les économies ont déjà des capacités de transformation notamment. Or c'est ce qui fait défaut aux économies africaines prises globalement ». L'économiste parle d'une « colonialité économique, à quelques exceptions près ». En effet, l'héritage colonial qui se traduit par la production de matière première brute destinée à être transformée ailleurs continue de façonner les économies africaines. Les exemples ne manquent pas : le Sénégal avec la production d'arachide, la Côte d'Ivoire avec le cacao, le Nigeria avec le pétrole, le Ghana avec l'or ou encore le Kenya avec le thé et le café. En outre, certaines économies nationales sont en concurrence pour les mêmes produits de base. Par exemple, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Togo sont tous d'importants producteurs et exportateurs de coton.

À cela s'ajoute le fait que les économies les plus développées du continent, telles que l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Égypte ou encore l'Algérie, seront les principales bénéficiaires de cet accord en raison de leur puissance économique. L'Afrique du Sud, par exemple, tire parti de ses infrastructures avancées et de sa domination régionale dans des secteurs stratégiques comme l'agroalimentaire, l'énergie et l'industrie automobile (avec une production annuelle de 600 000 véhicules, ce qui le place en tête au niveau continental). Le Nigeria, avec ses quelque 218 millions d'habitants, bénéficie d'un marché intérieur robuste qui attire massivement les investissements étrangers, tandis que l'Égypte a capté 9,84 milliards de dollars d'IDE en 2023, d'après le rapport sur l'investissement dans le monde 2023 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).

Dindons de la farce

Les pays moins développés, avec des infrastructures limitées et des marchés intérieurs plus restreints, peinent à concurrencer ces puissances économiques régionales. Il n'est pas certain qu'il en soit autrement demain, même avec la levée des barrières douanières. La Zlecaf risque au contraire de renforcer les disparités existantes, menaçant de marginaliser davantage les économies les plus fragiles du continent. « La faible industrialisation de la grande partie des pays africains pourrait faire de ce projet un outil d'exploitation pour les plus industrialisés, tels que l'Afrique du Sud, le Maroc, l'Égypte, etc., estime l'économiste burkinabè Asrafil Kere. D'une part, les moins industrialisés se verront privés de recettes fiscales douanières, et leurs industries ne pouvant pas rivaliser avec les autres, cela pourrait d'autre part à conduire à leur fermeture. »

En effet, la mise en œuvre effective de l'accord implique une réduction, voire la suppression progressive des droits de douane sur les échanges intra-africains. Or ces droits représentent une part importante des recettes des États peu industrialisés. Souvent dépourvus de systèmes fiscaux robustes et de ressources humaines et techniques suffisantes, ils peinent à optimiser la collecte des impôts intérieurs, ce qui complique la compensation des pertes douanières.

Par ailleurs, les multinationales, dotées de ressources et d'un pouvoir de négociation supérieurs à ceux des petites entreprises locales, risquent d'accentuer les inégalités dans les échanges commerciaux intra-africains en favorisant des déséquilibres. Leur tendance à rapatrier les profits à l'étranger réduit également les bénéfices économiques pour les pays africains, contribuant ainsi aux fuites de capitaux. Un phénomène qui sera d'autant plus exacerbé si les politiques fiscales ne sont pas harmonisées entre les États membres, avec la mise en place de réformes pour imposer un cadre aux entreprises transnationales. En Afrique, l'évasion fiscale des multinationales représente pas moins de 52 milliards de dollars par an selon un rapport de la Cnuced publié en septembre 2020.

Aussi, en dominant certains secteurs, elles freinent la diversification économique et limitent la compétitivité des entreprises locales. La Zlecaf pourrait accentuer cette asymétrie. L'ouverture des marchés africains à ces multinationales dans un marché global expose davantage les pays membres à des risques de dumping social et à l'exploitation de failles réglementaires, ce qui pourrait aggraver les inégalités et les tensions sociales.

Un « APE bis » ?

Face à ces défis, l'Organisation mondiale des douanes (OMD), avec le soutien de l'Union européenne (UE), a élaboré un guide pratique pour aider les administrations douanières et les opérateurs économiques à appliquer les règles d'origine (4) de la Zlecaf. L'UE a en outre créé l'EU-TAF, un fonds d'assistance technique dédié aux Communautés économiques régionales, aux Agences spécialisées de l'UA, aux États membres de l'UA et aux organisations continentales et régionales du secteur privé. Ce fonds soutient des activités telles que la mobilisation d'expertise technique, le renforcement des capacités et l'organisation d'ateliers et de réunions pour accélérer la mise en œuvre de la Zlecaf.

Dès lors, se pose le problème de la dépendance externe. L'implication de ces acteurs internationaux soulève des inquiétudes quant à l'influence de leurs agendas sur les besoins spécifiques du continent africain. Par exemple, les failles de l'Accord de partenariat économique (APE) entre l'UE et certains pays africains, souvent critiqué pour ses impacts négatifs sur les économies locales, pourraient se répéter avec la Zlecaf si les gouvernements africains ne parvenaient pas à défendre leurs intérêts face aux puissances économiques mondiales. « Il ne faudrait pas que la Zlecaf devienne un Nepad bis ou un APE bis », alerte Asrafil Kere.

L'une des ambitions de l'accord est de dynamiser les investissements directs étrangers en vue de favoriser le développement économique. Chériff Assane Sall pense qu'avec la mise en œuvre de la Zlecaf,

  • une réorientation des produits échangés sera observée. Les importations des pays africains seront plus orientées vers les technologies de production, alors que les exportations porteront davantage sur des produits industrialisés avec plus de valeur ajoutée et de moins en moins sur des matières premières. Avec les règles d'origine, des entrées massives d'IDE sont potentiellement attendues.

Cependant, cette croissance pourrait paradoxalement favoriser le commerce extérieur plutôt que le commerce intra-africain. Les IDE sont souvent concentrés dans des secteurs extractifs comme les mines et l'énergie, qui représentaient environ 55 % des IDE totaux en 2023, selon la Banque africaine de développement (BAD). Une part significative des produits issus de ces investissements est exportée vers des marchés non africains ; par exemple, environ 80 % des produits miniers sont exportés hors du continent, selon un rapport de la BAD datant de 2023 (5). Il y a peu de chances que la Zlecaf ait un impact dans ce domaine.

En parallèle, le commerce intra-régional a atteint environ 15 % du total des échanges commerciaux du continent en 2023, comme indiqué dans un rapport de 2024 de la Banque africaine d'import-export (Afreximbank) (6).

Un défi environnemental

Les défenseurs de l'accord estiment que sa mise en œuvre impulsera une augmentation significative des activités industrielles, ouvrant la voie à des opportunités économiques majeures. Pour de nombreux pays africains, le développement industriel est crucial afin de sortir de la pauvreté, réduire la dépendance vis-à-vis des exportations de matières premières et renforcer l'autonomie économique.

Cette dynamique poserait cependant un défi environnemental de taille. La croissance rapide des industries, souvent énergivores et polluantes, risque d'aggraver la dégradation des écosystèmes locaux, d'augmenter les émissions de gaz à effet de serre et de compromettre la biodiversité. Face à ce dilemme, les États africains doivent concilier l'impératif de développement avec des politiques strictes de durabilité en investissant dans des technologies vertes et en favorisant des pratiques industrielles respectueuses de l'environnement, pour en limiter l'impact.

Selon Serge Éric Menye, consultant et essayiste camerounais, auteur de L'Afrique face au cynisme climatique (L'Harmattan, 2023), concilier les deux

  • passe par le développement rapide des énergies renouvelables au service des industries mais aussi des transporteurs. Les financements dans ce sens restent accessibles. Et dans le transport, une autre solution serait d'attribuer les licences ou les droits de passage (et d'effectuer les contrôles) en privilégiant les transports à bas carbone, en contrôlant l'âge des véhicules et en favorisant les transports partagés et collectifs. Il y a aussi la traçabilité, et donc des registres accessibles où l'on peut voir l'origine des produits et leur note environnementale.

Pour l'instant, ajoute le chercheur, « rien n'existe vraiment pour accompagner l'expansion industrielle du point de vue des émissions. Ça va sans doute suivre, mais, actuellement, les décideurs n'en font pas une priorité ».

Notes

1- « Zlecaf : 24 nouveaux pays rejoindront l'initiative de commerce guidé en 2024 », Union africaine, 2024.

2- Il s'agit d'un programme pilote permettant aux États africains de commencer à commercer sous les règles de la Zlecaf tout en testant les mécanismes et les procédures avant la mise en œuvre complète de l'accord.

3- Les lignes tarifaires déterminent les droits de douane sur différents produits, influençant les prix et la protection des industries locales ; dans le cadre d'accords comme la Zlecaf, leur réduction ou leur élimination facilite les échanges entre pays participants.

4- Les règles d'origine dans le cadre de la Zlecaf sont des critères qui déterminent si un produit est considéré comme originaire d'un des pays membres et peut ainsi bénéficier de tarifs préférentiels lors de son exportation au sein de la zone.

5- Perspectives économiques en Afrique, Banque africaine de développement, 2023.

6- Rapport sur le commerce africain 2024, Afreximbank, 2024.

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BRICS et Afrique : nouveau partenariat « win-win » ou « colonialisme newlook » ?

29 octobre 2024, par Laurent Delcourt — , ,
Pour de larges segments du monde politique et de la société civile en Afrique, les BRICS+ constituent une alternative salutaire à la domination occidentale, en proposant de (…)

Pour de larges segments du monde politique et de la société civile en Afrique, les BRICS+ constituent une alternative salutaire à la domination occidentale, en proposant de nouveaux partenariats plus équitables, plus respectueux des souverainetés nationales et davantage centrés sur les priorités de développement national. Reste qu'entre l'Afrique et ce club hétérogène de puissances émergentes, la relation demeure très inégale, tendant même à reproduire l'ancienne dichotomie Nord-Sud. L'essor de l'Afrique ne reposera pas sur les BRICS. Il dépendra de sa capacité à s'engager dans un projet de développement. Explication.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

« [...] Tout moyen de limiter l'influence de l'OTAN et de l'oligarchie occidentale est bénéfique pour le reste de la population mondiale. Aujourd'hui, nous sommes dirigés par une minorité qui souhaite imposer ses lois au reste du monde. Avec les BRICS, une première manifestation d'opposition à cette domination se manifeste. […] »
Kémi Seba, blogueur et activiste panafricaniste.

Dans un contexte d'aggravation des tensions géopolitiques, de recomposition des alliances internationales et de croissante perte d'influence des pays occidentaux sur leurs traditionnelles arrière-cours et plus généralement sur la marche du monde, les BRICS+ –coalition formée par le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud, rejoints, depuis le 1er janvier 2024, par l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l'Iran, l'Égypte et l'Éthiopie–exercent aujourd'hui un indéniable pouvoir d'attraction sur les pays du Sud. Ces derniers sont de plus en plus nombreux à vouloir intégrer ce club hétérogène de puissances émergentes ou, à tout le moins, à s'en rapprocher. Les BRICS soulèvent aussi l'enthousiasme d'une bonne partie du monde politique et de larges secteurs de la société civile au Sud. En particulier en Afrique, où la montée en puissance de cette coalition qui conteste l'hégémonie occidentale et entend œuvrer à la construction d'un monde multipolaire est largement célébrée : pour beaucoup en effet, les BRICS constituent une réelle opportunité pour le continent de se débarrasser des vieux restes de dépendance néocoloniale, empreinte de domination, d'assistanat et de paternalisme, de nouer des rapports de coopération plus équitables et d'amorcer un développement réellement souverain, plus en phase avec les priorités du continent.

Agnès Adélaïde Metougou, activiste camerounaise anti-dette explique : « Avant la montée en puissance de ces émergents, le monde était extrêmement asymétrique. Les pays d'Europe de l'Ouest, les États-Unis et le Japon, représentaient à peine 20% de la population, mais contrôlaient les trois quarts de la richesse du monde. Les BRICS sont venus relativiser cette hégémonie en créant de nouveaux pôles […] qui assure[nt] une représentation plus équilibrée de tous les segments de l'humanité. [Leur] cosmopolitisme […] permet de sortir du monde unipolaire dans lequel une seule civilisation imposait son refrain culturel et idéologique sans la moindre possibilité de négocier ou de choisir. Aujourd'hui les BRICS contestent précisément [cette] hégémonie […]. Et peuvent proposer un contre-modèle aux structures économiques et politiques libérales dominantes promues par les puissances occidentales. Sur le plan économique, cette situation autorise une diversification des partenariats et un élargissement des marchés, etc. Mais sur le plan politique, les Africains peuvent se saisir de cette opportunité pour rejeter, au moins en partie, les diktats imposés par les Occidentaux […] » [1]

« Il s'agit là d'un formidable atout pour tous ceux qui recherchent les voies d'un véritable développement du continent africain, abonde dans le même sens l'homme politique et diplomate ivoirien, Ahoua Don Mello, […] nous avons là des partenaires très importants puisqu'ils rassemblent […] près de la moitié de la population mondiale. Ils peuvent nous appuyer sur des projets de développement alternatifs qui nous sortent de la soumission et des pillages orchestrés sur le continent par le néocolonialisme et les multinationales occidentales […]. L'ambition est de sortir des terribles rapports de dépendance qui empêchent un développement souverain des Africains » [2].

Des perspectives alléchantes

Ayant axé leur dernier sommet sur le renforcement de leur coopération avec l'Afrique « dans le cadre d'un partenariat [avec le continent] pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif », les BRICS ne manquent en effet pas d'arguments pour convaincre. Ils mettent à disposition de l'Afrique d'énormes ressources, sous forme de prêts, d'investissements, d'aides et d'offres de services. En outre, leur rhétorique, axée sur le respect de la souveraineté des États, la dénonciation des doubles standards et leur commune volonté de mettre fin à l'hégémonie occidentale et à la domination du dollar séduit, bien au-delà des cercles gouvernementaux, des populations échaudées par des décennies d'ingérence, d'ajustements économiques et d'endettement aux conséquences sociales désastreuses.

Le discours séduit d'autant plus que les BRICS sont immunisés contre le ressentiment qui alimente en Afrique le rejet des anciennes métropoles. Les BRICS –c'est là un point essentiel– ne trainent pas de lourd passé colonial. Anciennes colonies ou protectorats eux-mêmes–du moins pour la plupart d'entre eux–, ils ont au contraire largement soutenu (financièrement, militairement ou diplomatiquement) les luttes africaines d'indépendance et contre l'apartheid, ce qui leur confère un énorme capital symbolique de sympathie sur le continent. En tant qu'ex-pays en développement, qui partagent donc avec l'Afrique une histoire commune d'assujettissement (vis-à-vis des anciennes métropoles, puis vis-à-vis des institutions financières internationales), ou en tant qu'alliés historiques (telle la Russie), leur trajectoire, leur réussite et leur modèle inspirent autant qu'ils fascinent. Ils contribuent aussi à les « dédouaner » de toute intention malsaine, ce qui fait notamment dire à Ahoua Don Mello que la Russie « ne cherche ni les matières premières de l'Afrique, ni à la dominer » [3].

Une relation inégale

Reste que la densification des relations observées ces dernières années entre les BRICS et l'Afrique donne à voir une tout autre réalité. Si le rapprochement entre les deux blocs contribue à réintégrer le continent dans les circuits commerciaux internationaux, amplifie la marge de manœuvre des États africains et offre de nouvelles possibilités de financements et d'investissements, force est également de constater que ces relations s'inscrivent dans un rapport tout aussi inégal. En témoigne la structure de leurs échanges, l'Afrique exportant quasi exclusivement vers les BRICS des biens primaires, tandis qu'elle importe de ces pays pour l'essentiel des produits transformés, et accuse par ailleurs vis-à-vis d'eux un déficit commercial de plus en plus grand. Ceci, sans parler des nouvelles dettes qu'elle contracte auprès de ces puissances.

En dépit des bonnes dispositions apparentes des BRICS à l'égard de l'Afrique, cette « coopération » tend ainsi à reproduire la traditionnelle dichotomie Nord-Sud, entre centres et périphéries. Cela risque à terme de consolider la position subalterne du continent dans la division internationale du travail et partant, d'interdire tout processus d'industrialisation autocentré ou souverain que les Africain·es appellent de leurs vœux.

Loin de l'image idéalisée qui en est donnée, les BRICS+ sont des rouages essentiels d'un système qui a marginalisé de nombreux pays pauvres, mais qui a aussi assuré – et assure toujours – leur propre essor économique.

Il ne faut pas s'y tromper. Dans le contexte global d'accumulation capitaliste, ce qui motive la présence des BRICS+ en Afrique et guide l'évolution de leurs rapports avec le continent, c'est bien la conquête de nouveaux marchés et, plus encore, l'accès aux matières premières indispensables à leur propre développement. Derrière leur rhétorique de solidarité Sud-Sud, leur modus operandi n'est guère différent de celui des anciennes puissances coloniales. Malgré leur sacro-saint principe du respect des souverainetés nationales, leur présence en Afrique indique une logique d'exploitation assez similaire. Alors qu'ils se présentent dans les forums internationaux comme un bloc cohérent, en lutte contre un Occident dominateur, chacun de leurs membres y déploie, en effet, à son niveau, des stratégies visant à faire main basse sur les ressources locales, à favoriser l'expansion de leurs géants économiques nationaux, à s'assurer de nouveaux débouchés pour leurs propres exportations, à doper leur propre croissance ou enfin à gagner en influence diplomatique [4].

Des logiques de domination et d'exploitation similaires

Sur le terrain, les projets financés par les BRICS, dans les domaines de l'agro-industrie, de l'industrie minière et énergétique ou des infrastructures, ont des impacts tout aussi destructeurs sur le plan social ou environnemental : accaparement des ressources, spoliation des communautés locales, expansion et renforcement du modèle extractiviste, courses au moins-disant social, destructions des milieux naturels, multiplication des conflits socio-environnementaux, extraction de la plus-value et même militarisation de régions entières, à l'instar de la région frontalière entre le Soudan et la République centrafricaine, sous la coupe des mercenaires du groupe Wagner, rebaptisé récemment Africa Corps. N'en déplaise à Ahoya Don Mello, les actions qu'ils y mènent pour le compte de la Russie ne sont pas spécialement philanthropiques [5]. Dans cette logique d'accumulation par dépossession, les nouveaux membres des BRICS, depuis janvier 2024, ne sont pas en reste. Ainsi, un récent rapport de SuissAid [6] révèle qu'entre 2012 et 2022, 2.596 tonnes d'or en provenance des mines artisanales africaines ont été exportées illégalement vers les Émirats arabes unis (soit près de 50% de tout l'or non déclaré produit en Afrique) pour y être raffinées, ce qui correspond à un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars pour le continent. Très actif dans le marché du carbone, la monarchie, via son entreprise Blue Carbon, est également devenue l'un des principaux accapareurs de terres forestières en Afrique. Au Libéria notamment, la société a fait main basse sur près de 10% du territoire national, privant nombre de communautés des ressources nécessaires à leur survie, une forme de colonialisme vert largement dénoncée par des activistes locaux [7].

Rappelons en outre que s'ils prétendent réformer l'architecture économique internationale, les BRICS+, Chine et Brésil en tête, sont d'ardents défenseurs du libre-échange et de la mondialisation face aux tentations protectionnistes. Ils comptent aussi parmi les principaux utilisateurs des paradis fiscaux, lesquels constituent l'un des instruments les plus efficaces de captation de la richesse en provenance du Sud. Près de 7,8 trillions de dollars, soit 8% de la richesse produite mondialement et 40% des profits des multinationales sont aujourd'hui dissimulés dans ces banques offshore [8].

Un modèle économique « néolibéral avec des caractéristiques du Sud »

De fait, loin de l'image idéalisée qui en est donnée, les BRICS+ sont des rouages essentiels d'un système qui a marginalisé de nombreux pays pauvres, mais qui a aussi assuré–et assure toujours–leur propre essor économique. C'est ce qui explique que même s'ils contestent bruyamment la hiérarchie de l'ordre international, ils ne montrent pas d'empressement à le réformer en profondeur dans le sens d'une meilleure répartition des richesses et des bénéfices du développement au profit des pays les plus pauvres, africains en particulier. Les BRICS+ ne voient, en réalité, ces pays que comme de vastes réservoirs de matières premières et de main-d'œuvre bon marché ou comme des marchés captifs pour l'écoulement de leur production industrielle. Loin de remettre en cause les injustices structurelles héritées de la colonisation puis de la mondialisation, le modèle économique qu'ils promeuvent–qualifié notamment par un économiste indien de « néolibéral avec des caractéristiques du Sud »–, risque au contraire de les amplifier.

Certes, certain·es objecteront que les BRICS participent d'un redéploiement économique de l'Afrique en investissant prioritairement dans des projets d'infrastructure qui y font cruellement défaut. Et que les financements non conditionnés accordés par les BRICS+ aux gouvernements africains leur donnent davantage de latitude dans le choix des projets à financer. Or, l'on constate que la majorité des investissements réalisés par les BRICS, y compris dans les infrastructures (routes, chemins de fer, terminaux portuaires, etc.) sont étroitement connectés à leur entreprise d'extraction des ressources. Quant à l'absence de conditionnalités, que beaucoup voient comme un moyen d'échapper aux diktats occidentaux, elle est à double tranchant. Si elle donne une marge de manœuvre bien plus large aux gouvernements, elle permet aussi à ces derniers de se soustraire à leur obligation en matière de respect des droits humains, de protection de l'environnement ou de transparence dans la gestion des fonds publics. De même qu'elle permet aux investisseurs des BRICS+ de se soustraire de toute responsabilité en la matière. Au fond, le « schéma reste le même à peu de chose près, prévient l'écrivain et sociologue sénégalais, Souleymane Gassama, […] le continent [africain] continue d'être perçu comme une opportunité, avec un mélange de prédation capitaliste brutale associé à un soft power, où il s'agit pour les nouveaux arrivants de jouer sur les affects et leur absence de passif colonial » [9].

En tout état de cause, la prospérité de l'Afrique ne dépendra pas des BRICS+. Elle dépendra de la capacité de ses gouvernements à formuler un projet de développement autonome et autocentré, répondant d'abord aux priorités, aspirations et besoins de sa population. Et non pas aux intérêts d'une petite élite. Et de son habilité à tirer parti de partenariats multiples, sans se laisser enfermer dans une logique « campiste », sous peine de voir les vieilles dominations impérialistes remplacées par d'autres. Elle dépendra enfin de la capacité des sociétés civiles africaines à se mobiliser, à faire pression sur les autorités et à faire entendre la voix des sans-voix.

***

Laurent Delcourt

Source : CETRI

Notes

[1] CETRI, « Les BRICS et l'Afrique : Une opportunité pour rejeter les diktats imposés par les Occidentaux », entretien avec Agnès Adélaïde Metougou, par Laurent Delcourt, 6 juin 2024, www.cetri.be.

[2] « Portrait : Ahoua Don Mello, le visage de l'autre Afrique », L'Humanité, 20 mars 2024.

[3] « Côte d'Ivoire : Pour Ahoua Don Mello, vice-président des BRICS : La Russie ne recherche ni les matières premières de l'Afrique, ni à la dominer », Koaci, 21 mai 2024.

[4] CETRI, BRICS+ Une alternative pour le Sud global ?, Collection Alternatives Sud, Paris, Syllepse, 2024.

[5] Le groupe Wagner ne mène pas seulement des opérations d'influence, des campagnes de désinformation ou des actions sécuritaires en Afrique. Avec l'appui de plusieurs gouvernements, il a également pris le contrôle de plusieurs mines de diamant, de cuivre et d'or, lui permettant, entre autres, de financer ses opérations militaires en Ukraine. Entre le déclenchement de l'invasion russe en décembre 2023, l'exploitation des seules mines d'or (au Mali, au Soudan et en République centrafricaine) lui aurait ainsi rapporté quelque 2,5 milliards de dollars selon un récent rapport, lequel met également en lumière les nombreux abus commis par les mercenaires et leurs supplétifs locaux sur les sites miniers ou dans leur périmètre. Voir : The Blood Gold Report, How the Kremlin is using Wagner to launder billions in African gold, décembre 2023.

[6] SwissAid , On the Trail of African Gold. Quantifying Production and Trade to Combat Illicit Flows, mai 2024.

[7] « The new scramble for Africa : how a UAE sheikh quietly made carbon deals for forest bigger than UK », The Guardian, 30 novembre 2023.

[8] CETRI, BRICS+ Une alternative pour le Sud global ?,op.cit.

[9] « Il est essentiel de désaliéner l'Afrique d'ellemême et de ce qu'elle est censée être, mais plus encore l'Occident de luimême », grand entretien avec El Hadj Souleymane Gassama (Elgas), RIS –Revue internationale et stratégique, n° 130, été 2023.

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L’héritage du colonialisme et de l’apartheid sur la terre et le travail en Afrique du Sud

29 octobre 2024, par Marthinus van Staden — , ,
La dépossession des terres de la population noire, majoritaire en Afrique du Sud, reste un problème épineux, trente ans après l'instauration de la démocratie. Les nouvelles (…)

La dépossession des terres de la population noire, majoritaire en Afrique du Sud, reste un problème épineux, trente ans après l'instauration de la démocratie. Les nouvelles recherches du spécialiste du droit du travail Marthinus van Staden examinent la relation historique entre la dépossession des terres et le contrôle du travail en Afrique du Sud. Il étudie comment la saisie systématique des terres des peuples autochtones pendant la colonisation et l'apartheid les a réduits du statut de propriétaires fonciers à celui de travailleurs, dans des conditions d'exploitation, et comment les effets perdurent encore. The Continent lui a demandé de s'expliquer.

Tiré d'Afrique en lutte.

Quelle est l'histoire de la dépossession des terres et du contrôle du travail en Afrique du Sud ?

L'histoire de la colonisation s'étend sur plusieurs siècles, commençant avec la colonisation néerlandaise au milieu du XVIIe siècle . Elle s'est intensifiée sous la domination britannique à partir de la fin du XVIIIe siècle . Les premières politiques coloniales étaient incohérentes, mais ont progressivement évolué vers des accaparements de terres et des réglementations du travail plus systématiques .

La découverte de minéraux – principalement d'or et de diamants – dans les années 1880 a accru la demande de main-d'œuvre noire bon marché.

Le XIXe siècle a été marqué par d'autres évolutions importantes, notamment l' abolition de l'esclavage et l'introduction de lois sur les laissez-passer . Ces lois imposaient aux Noirs de détenir des documents d'identité qui limitaient leurs déplacements, leur emploi et leur installation.

La loi sur les terres indigènes de 1913 limitait considérablement la propriété foncière des Noirs. Elle empêchait les Noirs de posséder ou de louer des terres dans 93 % du territoire sud-africain, qui étaient réservées aux Blancs. De nombreux agriculteurs noirs qui possédaient ou louaient auparavant des terres dans ce qui avait été désigné comme des « zones blanches » ont été contraints de devenir ouvriers agricoles dans des fermes appartenant à des Blancs. Ou bien ils ont dû déménager dans des « réserves » mises en place par l'État.

Cela a été suivi par une série de lois mettant en œuvre la ségrégation urbaine et l'expansion des « réserves indigènes ».

L' apartheid, qui a été une période de ségrégation raciale formelle de 1948 à 1994, a été marqué par les mesures les plus extrêmes de dépossession des terres et de contrôle du travail. La création du système des homelands a relégué les Sud-Africains noirs dans dix zones économiquement non viables, selon des critères ethniques. Les Noirs des homelands ont été pour la plupart contraints de travailler dans l'Afrique du Sud « blanche », où ils n'avaient aucun droit légal en tant que travailleurs.

Ce n'est qu'en 1979 que les syndicats noirs ont été autorisés à s'enregistrer. Cela leur a permis d'opérer ouvertement et de négocier avec les employeurs et le gouvernement pour obtenir de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.

Les syndicats ont joué un rôle important sur le plan politique. Ils ont renforcé la voix et l'influence politiques des travailleurs noirs. En fait, toutes les lois du travail avant 1981 avaient pour caractéristique d'exclure les travailleurs noirs de leur champ de protection.

Ce n'est qu'après la fin de l'apartheid en 1994 que des efforts ont été entrepris pour remédier aux séquelles de la dépossession des terres et aux pratiques de travail déloyales, par le biais de restitutions et de réformes. Les processus de réforme agraire ont été critiqués pour leur inefficacité.

Quel effet a eu la dépossession ?

La dépossession a créé un vaste bassin de main-d'œuvre bon marché pour les fermes et les industries appartenant aux Blancs. Sans accès à la terre pour l'agriculture de subsistance ou commerciale, les Sud-Africains noirs n'avaient d'autre choix que de travailler pour de bas salaires dans l'économie capitaliste. Le contrat de travail, transplanté du droit colonial, est devenu un outil de contrôle sur ces travailleurs. Il a renforcé leur statut de subordonnés.

Le contrat de travail de common law, avec son élément inhérent de contrôle de l'employeur, a été appliqué aux peuples autochtones autrefois indépendants, désormais contraints au travail salarié.

Les homelands assuraient un approvisionnement continu en main d'œuvre migrante noire bon marché. Ce système de privation de terres et de contrôle du travail ne servait pas seulement les intérêts économiques de la minorité blanche. Il renforçait également les hiérarchies raciales .

Les conséquences socio-économiques perdurent. Les travailleurs noirs sont toujours plus susceptibles d'être au chômage – ou d'occuper un emploi précaire – que les blancs.

Pourquoi est-ce important aujourd'hui ?

L'héritage de la dépossession des terres et du contrôle du travail continue de façonner le paysage social, économique et politique de l'Afrique du Sud. Il s'agit d'un élément essentiel à prendre en compte dans les efforts visant à construire une société plus juste et plus équitable.

Cette histoire a créé de profondes disparités économiques. La concentration de la propriété foncière et des richesses entre les mains de la minorité blanche demeure largement intacte, perpétuant ainsi les inégalités socio-économiques .

La lutte actuelle pour la restitution et la réforme des terres est directement liée à cette histoire. Il est essentiel de s'attaquer aux séquelles de la dépossession pour assurer la justice économique et la stabilité sociale.

Comprendre cette histoire est essentiel pour élaborer des politiques efficaces visant à lutter contre la pauvreté , le chômage et les inégalités de développement.

Elle est également essentielle à la réconciliation nationale et à la construction d'une société plus équitable. Elle sous-tend les débats actuels sur la justice sociale, les réparations et la transformation des structures économiques.

Quelles politiques pratiques et correctives faut-il mettre en œuvre ?

Le lien historique entre la perte de terres et l'assujettissement au moyen des contrôles inhérents au contrat de travail fait de la réforme agraire une première étape nécessaire pour inverser ce processus.

Le gouvernement a mis en place des mécanismes formels pour mettre un terme à la propriété foncière racialisée. Toutefois, les programmes de restitution et de réforme des terres doivent être renforcés et accélérés.

Ces mesures devraient inclure la restauration des droits fonciers lorsque cela est possible et l'appui à une utilisation durable des terres. Cela permettrait de répondre aux aspects économiques et émotionnels de la dépossession historique.

Des lois comme la Loi sur les relations de travail et la Loi sur l'équité en matière d'emploi ont largement contribué à renforcer la protection des droits des travailleurs, en particulier ceux qui occupent des emplois précaires. Cependant, il faut repenser la manière dont ces lois continuent de cautionner une conception du travail qui privilégie le contrôle.

Il faut réformer ces systèmes pour promouvoir l'égalité, la dignité et des pratiques de travail équitables. Les réformes doivent s'appuyer sur des modèles plus collaboratifs et s'attaquer aux impacts socio-économiques afin de réparer les injustices historiques.

Des initiatives ciblées de développement économique sont nécessaires dans les zones historiquement défavorisées, notamment les anciens territoires ancestraux. Il pourrait s'agir de développement des infrastructures, de programmes de formation professionnelle et de soutien aux petites entreprises pour créer des opportunités économiques.

Ces politiques correctives devraient faire partie d'une stratégie globale visant à remédier aux injustices historiques et à créer une société sud-africaine plus équitable.

***

Marthinus van Staden est professeur associé de droit du travail à l'Université du Witwatersrand.

Source

Traduction automatique de l'anglais

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NON à un accord de libre-échange entre le Canada et l’Équateur !

29 octobre 2024, par Sabine Bahi — , , ,
Fanny Kaekat, Hortencia Zhagüi, Zenaida Yasacama et Ivonne Ramos sont des femmes autochtones équatoriennes et militantes en provenance de différentes communautés amazoniennes. (…)

Fanny Kaekat, Hortencia Zhagüi, Zenaida Yasacama et Ivonne Ramos sont des femmes autochtones équatoriennes et militantes en provenance de différentes communautés amazoniennes. Côte à côte, elles ont parcouru le Canada pendant une semaine pour s'opposer activement à l'accord de libre-échange qui est négocié entre le Canada et l'Équateur. Après Toronto et Ottawa, elles étaient présentes à Montréal le vendredi 4 octobre pour faire appel au soutien des Canadien.nes dans leur lutte contre la présence de compagnies minières canadiennes sur leurs territoires.

22 octobre 2024 | tiré du Journal des alternatives | Photo : Quatre femmes autochtones équatoriennes à Montréal pour s'opposer au projet en négociation | Sabine Bahi, correspondante en stage
https://alter.quebec/non-a-un-accord-de-libre-echange-entre-le-canada-et-lequateur/

Les peuples autochtones représenteraient une menace au développement économique : tel est le narratif véhiculé par les parties en négociation, selon les militantes. Alors que la lutte contre l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Équateur n'a pas donné de résultats dans leur pays d'origine, les quatre femmes autochtones équatoriennes ont voyagé jusqu'au Canada dans l'espoir que leur voix ait une plus grande portée.

L'accord en question a pour objectif principal l'accroissement des activités des entreprises canadiennes sur le territoire équatorien. Entre les lignes, il s'agit d'une invitation claire aux compagnies minières du Canada pour développer plus de projets extractifs en Équateur. Or, les communautés autochtones en Amazonie déplorent déjà depuis plusieurs décennies l'existence de nombreux projets qui bafouent leurs droits en toute légalité, malgré l'absence de leur consentement et de l'écoute de leurs revendications. En Équateur, la présence des compagnies minières canadiennes remonte à environ 30 ans, comme l'a évoqué Ivonne Ramos.

Le Canada, véritable machine minière

À l'entrée de l'événement, des brochures d'information étaient prêtes à être consultées sur la table d'accueil. Plusieurs rappelaient l'intensité des activités pétrolières et minières menées par l'État canadien dans le monde. Le Canada est l'un des plus grands joueurs étatiques dans l'industrie minière à l'échelle mondiale, pour ne pas dire le plus grand. Plus de la moitié des sociétés d'exploitation minière et d'exploration minérale cotées en bourse proviennent du Canada. En 2022, les compagnies canadiennes exerçaient leurs activités dans 98 pays étrangers, et ce majoritairement en Amérique latine et dans les Caraïbes. En 2023, 34 compagnies et consortiums canadiens étaient impliqués dans 37 projets dans la région, et la grande majorité de ces projets relevaient du secteur de l'extraction.

Le Canada prétend que les projets d'extraction déployés par les entreprises canadiennes sont guidés par le respect des droits humains ainsi que le consentement préalable des communautés autochtones. Dans les faits, le portrait des activités minières du pays démontre une réalité tout autre.

D'importantes violations de droits humains en jeu

Les projets miniers perpétrés par le Canada en Équateur ont des effets destructeurs sur la vie quotidienne des communautés autochtones amazoniennes et bafouent systématiquement leurs droits humains. Zenaida Yasacama, présidente de la Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur (CONAIE), mentionnait avant tout l'atteinte au droit à la vie. Considérant le lien inextricable entre la nature et les modes de vies de leurs communautés, les impacts environnementaux des entreprises minières canadiennes affectent directement leur capacité de survie. Qui plus est, plusieurs membres des peuples autochtones ont déjà été assassinés pour le simple fait de lutter contre les projets mis en place sur leurs territoires.

Une notion clé à la compréhension de la problématique des activités d'extraction menées sur les territoires des peuples autochtones amazoniens est celle du consentement préalable, libre et éclairé. Ce droit a été consacré en droit international en 2007 dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Celle-ci stipule que le consentement des autochtones doit être octroyé préalablement à la réalisation de projets, de manière non forcée et en connaissance de cause. Malgré le fait que le Canada reconnaisse ce droit, les quatre femmes présentes à la table ronde ont insisté sur le fait qu'elles et leurs communautés n'ont jamais été informées de l'élaboration de l'accord de libre-échange avant d'en voir les conséquences.

De telles violations de droits humains par les compagnies minières canadiennes sont des composantes systémiques d'une politique de développement économique qui ne reconnaît pas les impacts engendrés sur les communautés autochtones et l'environnement, voire qui en profite. C'est en maintenant une logique d'accroissement et de protection de ses investissements que le Canada continue de signer des traités de libre-échange avec de nombreux pays du Sud global, et ce malgré les multiples avertissements émis par différentes organisations de droits humains depuis des décennies.

Un processus juridique entamé

Des actions juridiques ont déjà été mises en œuvre par des communautés autochtones de la forêt amazonienne face à l'accord de libre-échange. La Constitution équatorienne n'est pas vide de dispositions pouvant être utilisées en faveur de la lutte en cours. Ivonne Ramos a notamment mentionné l'article 422 du document constitutionnel, qui prévoit que les traités ou instruments internationaux impliquant le recours à de l'arbitrage international ne puissent avoir effet en Équateur.

Les quatre femmes autochtones équatoriennes ont affirmé à maintes reprises qu'elles ne baisseraient pas les bras avant que le Canada cesse ses activités d'extraction dans la forêt amazonienne, et que le pays renonce à son accord de libre-échange avec l'Équateur. Les deux pays entrent dans la quatrième ronde de négociations et souhaitent conclure l'accord d'ici le début de l'année prochaine. À l'aune de ce court échéancier, toutes les personnes présentes à la table ronde ont quitté l'événement avec un objectif précis : faire écho à la lutte des communautés autochtones équatoriennes pour que les dirigeant.es ne puissent plus l'ignorer.

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Gauches et droites latino-américaines dans un monde en crise

29 octobre 2024, par Eric Toussaint , Franck Gaudichaud — ,
Nous publions la préface rédigée par Franck Gaudichaud et Éric Toussaint à la demande de la revue cubaine Temaspour un livre coordonné par Julio César Guanche à paraître en (…)

Nous publions la préface rédigée par Franck Gaudichaud et Éric Toussaint à la demande de la revue cubaine Temaspour un livre coordonné par Julio César Guanche à paraître en Argentine sous le titre Izquierdas y derechas en America latina.

Tiré du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM)
19 juin 2024

Par Eric Toussaint , Franck Gaudichaud

Emergentes + Hernán Vitenberg para Emergentes (CC BY-NC 4.0)

Le monde de ces dernières années a été marqué par de multiples crises. On pourrait parler d'une « polycrise » globale, intersectionnelle et interconnectée du capitalisme néolibéral : turbulences politiques et économiques profondes, guerres et violences armées, effondrement accéléré des écosystèmes et du climat, pandémies et extractivismeprédateur, redéfinitions brutales des équilibres géopolitiques et tensions inter-impérialistes, etc. Une fois de plus, l'humanité traverse des ouragans et des défis majeurs dans un moment historique où, manifestement, sa survie même en tant qu'espèce et son (in)capacité à habiter collectivement et pacifiquement cette planète sont d'ores et déjà en jeu. La grande révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg déclarait, dans les années 1910, alors qu'il était minuit dans le siècle dernier : socialisme ou barbarie ! Ce slogan résonne très fort aujourd'hui [1], dans un contexte où les peuples et les mouvements populaires continuent de résister, de se mobiliser, de débattre, de proposer, mais sans parvenir à surmonter la fragmentation structurelle, ni - pour l'instant - à voir des forces politiques émancipatrices ayant une réelle capacité à accompagner, consolider ces résistances et construire un cap à moyen terme pour des alternatives démocratiques et éco-sociales « raizal », pour citer le sociologue colombien Orlando Fals Borda (1925-2008).

Cependant, si l'on observe les Amériques « latines » et les Caraïbes au cours des deux dernières décennies, les terres de Berta Cáceres (1971-2016), José Carlos Mariátegui (1894-1930) et Marielle Franco(1979-2018) semblent chercher de nouvelles voies sociales et politiques, réveillant les espoirs de la gauche mondiale, au-delà de la chute du mur de Berlin et d'un néolibéralisme vorace. « Tournant à gauche », « vague progressiste », « fin du néolibéralisme », « marée rose » : l'inflexion sociopolitique vécue par de nombreux pays d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale dans les années 2000 a surpris beaucoup d'observateurs et d'observatrices et même fasciné beaucoup d'autres, notamment en Europe [2]. Le défi - en particulier pour des pays comme la Bolivie, le Venezuela et l'Équateur, qui ont construit un narratif et une promesse « transformatrice » - était de trouver des voies politico-électorales et nationales-populaires avec une clé « post-néolibérale » et anti-impérialiste. Pour certains militant.e.s et mouvements, il ne s'agissait pas seulement de « démocratiser la démocratie », mais aussi de ne pas rester enfermé dans un nouveau modèle fondé sur l'extractivisme des matières premières, la soumission au marché mondial et diverses formes de colonialisme interne et externe.

Plus de 20 ans après le début de ce « cycle », nous pouvons constater à quel point cet objectif de transformation n'a pas été atteint, bien qu'à des rythmes et des réalités très différents selon les scénarios régionaux et nationaux d'Abya Yala[3]. Obstacles et difficultés, désenchantement et désillusion ont été communs à plusieurs pays gouvernés par la gauche et le « progressisme », sans qu'une dynamique homogène ne soit perceptible. Parallèlement, les forces conservatrices et les nouvelles extrêmes droites ont su capitaliser sur ce contexte de crises multiples, pour imposer de nouveaux récits politiques et culturels furieusement « antiprogressistes », soutenus par les grands groupes médiatiques et par les oligarchies économiques locales et impériales, afin, in fine, de se poser en « alternatives populaires » : Javier Milei est le dernier maillon de cette chaîne réactionnaire globale [4]. Nayib Bukele Ortez, réélu à la présidence du Salvador en février 2024, a développé un style de gouvernement qui rappelle l'expérience de la présidence de Rodrigo Duterte aux Philippines entre 2016 et 2022, durant laquelle des milliers d'exécutions extrajudiciaires contre des secteurs populaires « lumpénisés » ont été menées par les forces répressives sous son contrôle au nom de la lutte contre le trafic de drogue. Daniel Noboa, élu président de l'Équateur en 2023, pourrait tenter d'aller dans ce sens.

Comme le montre ce livre, il est essentiel d'établir un bilan critique et argumenté des dernières décennies, du point de vue des sciences sociales et de leur méthodologie, en approfondissant et en débattant les essais et les publications qui tentent de décrypter l'Amérique latine d'aujourd'hui. L'objectif est d'analyser dans sa complexité changeante la période ouverte dans les années 2000 (avec l'élection d'Hugo Chávez en 1999), produit des luttes sociales et populaires contre l'hégémonie néolibérale de la période précédente. Un premier sursaut suivi d'une multiplicité de victoires électorales permettant un relatif « âge d'or » (entre 2005 et 2011) de la gauche et des gouvernements progressistes, avec diverses formes d'État compensateur et redistributeur, une baisse notable de la pauvreté et de nouvelles formes de participation politique, période suivie d'un net reflux régional, d'une baisse du prix des matières premières et d'une embellie conservatrice (2011-2018), marquée - entre autres - par la crise profonde de la « révolution bolivarienne », débouchant sur le moment chaotique post-pandémique des dernières années (2019-2023), où l'on a assisté à la victoire de Bolsonaro au Brésil, à la confirmation des dynamiques de droite en Équateur, mais aussi à des soulèvements populaires au Chili, en Haïti, en Colombie, au Pérou et en Équateur. Dans le même temps, une troisième nouvelle « vague » de gauches institutionnelles( ou « progressisme tardif » selon Massimo Modonesi), clairement limitée (par rapport au début du siècle), a commencé à prendre forme au Chili avec l'élection de Gabriel Boric (2021), en Colombie avec la victoire de Gustavo Petro (2022), Honduras avec la présidence de Xiomara Castro (2022), Guatemala avec l'élection de Bernardo Arévalo en 2023 mais aussi - depuis 2018 - avec l'élection de Manuel López Obrador au Mexique ou en 2020 avec le retour démocratique du Mouvement pour le Socialisme (MAS) en Bolivie.

Cet ouvrage collectif, coordonné par le chercheur Julio César Guancheet publié par la revue cubaine Temas, nous invite à comprendre ces processus à partir de différents points de vue, géographies et sensibilités. L'intérêt principal de cette publication est de couvrir les réalités politiques et sociales de plusieurs pays : l'Argentine, le Brésil, le Chili, l'Équateur, le Mexique, le Pérou et Cuba, à partir d'un examen critique des continuités et des nouveaux phénomènes dans la région, en particulier les transformations sociales et culturelles souterraines qui sous-tendent les changements politiques en cours. Ainsi, ce livre pluraliste traite des processus de gauche ou « progressistes » au pouvoir, ainsi que des processus conservateurs et réactionnaires. Il décrit les dimensions plébéiennes du populisme ou de l'extrême droite (en Équateur, au Brésil et au Pérou), et décrypte les contradictions des progressistes au pouvoir. Si les auteurs envisagent ici les aspects partisans et institutionnels (par exemple, à propos de la droite équatorienne ou de la gauche chilienne et mexicaine), ce n'est pas sans laisser de côté le vaste champ des mobilisations collectives et de la société civile organisée : mouvements sociaux afro-descendants, luttes féministes et anti-féministes, mouvements religieux fondamentalistes, mouvements indigènes sont tous présents dans cet opus. Sans aucun doute, la diversité des approches et des origines des chercheurs inclus ici, qui ont tous une longue histoire de travail et de vie dans différents pays de la région, permet au lecteur d'offrir une vision intéressante, plurielle et contrastée du continent à l'heure actuelle.

Le politologue Noberto Bobbio, dans son ouvrage désormais classique, Droite et gauche, essai sur une distinction politique [5] a souligné de manière convaincante que la distinction des deux pôles de ce binôme peut être un bon point de départ pour réfléchir à une carte politique. Dans cette distinction, Bobbio part de l'axe liberté/égalité pour classer les forces politiques : les droites revendiquant de manière privilégiée le concept de « liberté » (du marché et/ou de l'individu en particulier) et les gauches celui d'« égalité » (et d'émancipation sociale et collective). En transposant cette réflexion à l'Amérique latine et aux Caraïbes, et en rompant avec les visions eurocentriques, il serait nécessaire d'introduire un ensemble d'autres concepts pour penser cette distinction, tels que la colonialité du pouvoir et les conceptions nationales/plurinationales de l'État, les notions de souveraineté populaire et d'anti-impérialisme, les droits des peuples indigènes et les rapports sociaux de race ou de genre, les modèles de développement et les modèles socio-environnementaux, etc. Au-delà de ces caractérisations, ce sont surtout les zones grises et les recoins des espaces sociopolitiques latino-américains actuels que ce livre confirme, des espaces qui ne se résument pas à une simple dichotomie gauche/droite. Cette publication propose des versions actualisées de textes parus dans un dossier de la revue Temas en 2022. Dans leur présentation, les coordinateurs notent à juste titre :

« L'arrivée de nouveaux gouvernements de gauche et de centre-gauche identifiés comme la « marée rose » en Amérique latine et dans les Caraïbes ne fait que renvoyer à un phénomène électoral, dont l'environnement politique est plus complexe. En son sein coexistent des différences stratégiques, des croisements de bases sociales entre les zones de gauche et les zones conservatrices, comme le néo-évangélisme, le rejet de l'autoritarisme de certains mouvements progressistes, des critiques sur les questions de genre, la justice raciale et environnementale, les revendications des peuples indigènes, et d'autres sujets à l'ordre du jour politique, comme la transition énergétique, la perpétuation de l'extractivisme et sa corrélation avec un système de démocratie populaire, qu'il s'appelle socialisme ou non« . Bien qu'ils aient perdu des sièges au gouvernement, les courants conservateurs ont gagné une base populaire, comme le reflète non seulement leur représentation parlementaire, mais aussi le renforcement du consensus néolibéral parmi ces autres bases, sur la »liberté« et la »démocratie« et contre le »populisme". Ces courants n'ont pas cessé d'utiliser la répression pour maintenir un régime d'inégalité caractérisé par une grande dévastation sociale ». [6]

Plus que jamais, les réalités latino-américaines montrent la turbulence des sociétés et de l'ensemble des forces politiques : une situation dans laquelle l'extrême droite « libertarienne » et « anarcho-capitaliste » est capable de faire un ratissage électoral dans des secteurs populaires précaires, alors que dans le même temps, des courants politiques émergeant du cœur de la gauche incarnent des pratiques autoritaires ou sont déconnectés des mouvements sociaux, féministes ou écologistes. C'est ce que confirment plusieurs chapitres du livre et ce que souligne Daniel Kersffeld, rappelant que le progressisme a été marqué ces dernières années par diverses formes de caudillisme, de corruption, d'acceptation d'un modèle de développement extractiviste, ou encore par la mise en œuvre de politiques de « main de fer » et de militarisation, qui semblaient jusqu'à récemment être le « patrimoine politique » de la droite. Dans un autre chapitre, la chercheuse et militante féministe antiraciste Alina Herrera Fuentes souligne que le conservatisme patriarcal ne vient pas seulement des rangs de la droite :

« Les parcours nationaux des progressistes ont été et sont profondément fragiles et discontinus. À certaines périodes et sur certaines questions, des progrès ont pu être accomplis, mais ils se sont arrêtés à d'autres moments. Par exemple, alors que le taux de pauvreté global a diminué, la féminisation de la pauvreté a augmenté au cours de cette période. En d'autres termes, la pauvreté a globalement diminué, mais les femmes ont moins bénéficié que les hommes des politiques qui ont permis d'atteindre cet objectif (ONU Femmes 2017). Mais surtout, ce sont les politiques qui remettent en cause les normes traditionnelles de la famille et de la sexualité - comme l'avortement, le mariage homosexuel, la reconnaissance de l'identité de genre et, dans certains cas, la violence fondée sur le genre - qui ont été le plus entravées par le conservatisme des dirigeants ou directement par les alliances entre les hommes politiques au pouvoir et le néoconservatisme religieux en expansion. Les preuves à cet égard infirment l'hypothèse selon laquelle, par définition, la politique de gauche remet en question les croyances et les hiérarchies conservatrices, avec une base religieuse implicite ou explicite ».

Bien entendu, ces observations n'effacent pas le bilan positif des années 2000-2010 en termes de lutte contre la pauvreté, de progrès des politiques publiques en matière d'éducation, de santé ou de construction de logements, de conquête de processus constituants originaux (Bolivie, Équateur, Venezuela), l'élan bolivarien pour une intégration régionale indépendante des Etats-Unis (UNASUR, CELAC, ALBA), le développement d'une nouvelle diplomatie Sud-Sud, notamment grâce à Hugo Chávez, qui a tenté de privilégier un axe de gauche anti-impérialiste, et dans une certaine mesure à Lula, qui a favorisé l'accroissement de l'influence de son pays dans la région et l'axe des BRICS. En ce qui concerne les politiques internationales de Lula et de Dilma Rousseff, il serait utile de prendre en compte et d'actualiser l'analyse faite par l'auteur marxiste brésilien Ruy Mauro Marini (1932-1997) dans les années 1960, lorsqu'il a qualifié le Brésil de « sous-impérialisme ». Comme le note Claudio Katz :

« Ruy Mauro Marini ne s'est pas contenté de ressasser les vieilles dénonciations du rôle oppressif des États-Unis. Il a plutôt introduit le concept controversé de »sous-impérialisme« pour décrire la nouvelle stratégie de la classe dirigeante brésilienne. Il a décrit les tendances expansionnistes des grandes entreprises affectées par l'étroitesse du marché intérieur et a perçu leur promotion de politiques étatiques agressives pour faire des incursions dans les économies voisines ». [7]

Alors qu'Hugo Chávez soutenait activement le projet ALBA avec Cuba, avec l'appui notamment de la Bolivie et de l'Équateur, et jetait les bases d'une Banque du Sud, Lula a donné la priorité au renforcement du rôle régional et international du Brésil en tant que puissance régionale, coordonnant l'intervention militaire en Haïti (ce qui convenait parfaitement à Washington) et participant activement au lancement des BRICS en 2009 avec la Russie, la Chine et l'Inde (auxquels s'est ajoutée l'Afrique du Sud en 2011). Hugo Chávez avait besoin de la protection du Brésil de Lula contre le danger posé par Washington, et espérait beaucoup de son soutien à la création de la Banque du Sud. Bien que l'acte fondateur de la Banque ait été signé à Buenos Aires - en décembre 2007 - par les présidents brésilien Lula, argentin Néstor Kirchner, bolivien Evo Morales, vénézuélien Hugo Chávez et paraguayen Nicanor Duarte Fruto, le Brésil a effectivement paralysé la mise en œuvre de la Banque [8]. La Banque du Sud n'a jamais fonctionné [9] et aucun crédit n'a été accordé au cours des quinze années qui ont suivi sa création. En fait, Lula a favorisé l'utilisation de la Banque Nationale de Développement Économique et Social (BNDES) pour la politique de crédit dans la région. Cette banque accorde des crédits à de grandes entreprises brésiliennes comme Odebrecht, Vale do Rio Doce, Petrobras, etc. afin qu'elles puissent étendre et renforcer leurs activités à l'étranger [10]. Par la suite, Lula a soutenu le lancement des activités de la Nouvelle Banque de Développement (NBD) créée par les BRICS, basée à Shanghai et présidée à partir de 2023 par Dilma Rousseff [11]. Lula a également favorisé le Mercosur, qui correspondait aux intérêts du grand capital brésilien. L'avortement de la Banque du Sud doit être inclus dans l'évaluation critique de la première vague du progressisme. De même que l'isolement relatif de l'Équateur en 2007-2009 dans sa décision d'auditer sa detteet de suspendre le paiement d'une grande partie de celle-ci, en la déclarant illégitime. L'Équateur a remporté une victoire éclatante contre ses créanciers privés, mais son exemple n'a pas été suivi par les autres pays de la région, malgré les promesses faites lors de la réunion des chefs d'État de la région qui s'est tenue au Venezuela en juillet 2008, et contre la volonté du président Fernando Lugo (Paraguay) de suivre l'exemple de l'Équateur [12].

Ainsi, à l'heure du bilan, on perçoit toutes les nuances, les revers et les limites de ce premier cycle, tributaire d'équilibres fragiles et transitoires, qui a laissé place à une recomposition de la droite et même à des figures fascisantes (Bolsonaro, Kast, Milei, Añez, Bukele, etc.). En fait, si ce livre parle de « gauches et de droites » au pluriel, il explore aussi la notion même de « progressisme ». Cette caractérisation est présente dans presque tous les chapitres, mais que signifie aujourd'hui le progressisme latino-américain : la crise du processus bolivarien au Venezuela, les timides réformes du jeune président Boric au Chili, le « populisme de gauche » d'AMLO ? Ce mot est par excellence conceptuellement vaste et ambigu, devenant un mot insaisissable et en même temps omniprésent. En fait, il est intéressant de rappeler que « cette notion de progressisme appartient au langage par lequel, historiquement, la gauche marxiste a désigné les programmes et les forces sociales et politiques sociaux-démocrates, populistes ou nationaux-populistes qui cherchaient à transformer et à réformer le capitalisme en introduisant des doses d'intervention et de régulation de l'État et de redistribution des richesses : dans le cas de l'Amérique latine, avec un net accent anti-impérialiste et développementaliste. Ce dernier aspect, aujourd'hui présenté comme le »néo-développementalisme« , est lié à la notion de progrès et contribue à définir l'horizon et le caractère du projet, ainsi que les critiques qui, à partir de perspectives environnementalistes, écosocialistes ou postcoloniales, remettent en question l'idée de progrès et de développement, tant dans leurs expressions au cours des siècles passés que dans leur prolongement au XXIe siècle ». [13]

Nous pensons que ce livre montre que des ambiguïtés et des points de fuite peuvent également être trouvés lorsqu'il s'agit de définir les droits du temps présent, le conservatisme ou même la nouvelle extrême-droite. Cependant, ce que les cas de l'Équateur analysé par Franklin Ramírez Gallegos, du Brésil présenté par Luiz Bernardo Pericás et du Pérou (article de Damian A. Gonzales Escudero) soulignent, c'est qu'une base commune pour la consolidation et la radicalisation de la droite actuelle est la confrontation frontale avec le progressisme, que ce soit dans ses aspects nationaux-populaires ou de centre-gauche. C'est ce que confirme un pays, aujourd'hui scénario capital de la réaction continentale : l'Argentine, où la construction de la candidature « outsider » de Milei s'est appuyée sur la haine d'une partie de l'électorat pour le péronisme et le kirchnerisme, dans un contexte d'effondrement économique, d'hyperinflation et de rejet de l'administration d'Alberto Fernández, qui n'a pas tenu ses promesses de dénoncer la dette illégitime et odieuse contractée par Mauricio Macri auprès du FMIen 2018. Un autre pays qu'il serait intéressant d'inclure dans les réflexions est le Nicaragua de Daniel Ortega, car il offre l'exemple dramatique d'un pays gouverné par une force politique initialement issue d'une révolution (1979-1989) et qui incarne aujourd'hui la tutelle d'un clan familial répressif, qui a voulu mettre en œuvre un programme du FMI en 2018, provoquant une rébellion massive de la jeunesse et d'autres secteurs populaires, et qui a décidé de la réprimer brutalement afin de rester au pouvoir [14].

Il faut ici reconnaître un autre aspect original de ce livre : il inclut une réflexion sur la situation à Cuba, une réflexion critique nécessaire quand Cuba et sa révolution ont été un « phare » central de l'imaginaire de la gauche latino-américaine et mondiale tout au long du vingtième siècle [15]. Manuel R. Gómez revient sur l'histoire de la droite cubaine, en tant qu'instrument « utile » - mais non décisif - de la politique étatique et impériale des Etats-Unis, tant dans les périodes de « main de fer » de Washington à l'égard de l'île caribéenne, que de rapprochement relatif et timide sous le mandat Obama. Quant à Wilder Pérez Varona, il pose à juste titre la question suivante : dans quel sens peut-on parler de gauche et de droite à Cuba aujourd'hui, compte tenu des spécificités de l'histoire cubaine depuis 1959 et de son régime sociopolitique ? Là, le terme même de « révolution » est devenu flou, car « pendant des décennies, le terme révolutionnaire a fusionné des relations très diverses. Très tôt, cette condition a expulsé toute opposition de la communauté politique nationale et l'a qualifiée de contre-révolutionnaire. L'utilisation du terme »révolution« a servi à synthétiser une épopée exceptionnelle, dont les réalisations et les acquis ont résisté à la belligérance systématique des États-Unis. Son utilisation a souvent évité à la fois l'analyse des contradictions du processus et de ses acteurs. La prémisse de l'unité face au siège a externalisé le conflit politique ».

Parler aujourd'hui, à Cuba, en termes de gauche/droite renvoie en fait à une question essentielle : celle de la représentation politique ou plutôt de son déficit, dans le contexte d'une société de plus en plus inégalitaire et différenciée, de l'élargissement de la contestation et des exigences croissantes de changements dans les domaines économique et culturel, mais aussi d'une véritable démocratisation politique.

Pour conclure cette brève présentation, revenons à notre constat initial. La « polycrise » mondiale et la prise de conscience que nous entrons dans une période de fortes turbulences qui se font sentir sur l'ensemble du continent. Ainsi, comme l'affirment Gabriel Vommaro et Gabriel Kessler, aujourd'hui « la polarisation idéologique avec des composantes affectives, le mécontentement généralisé et la polarisation autour d'un leader émergent marquent la politique latino-américaine, dont les électorats, comme sous d'autres latitudes, sont de plus en plus volatiles et insatisfaits » [16] . Peut-être avons-nous là une leçon essentielle de ce livre collectif et des urgences qu'il signifie. Au-delà des régimes politiques, de droite comme de gauche, progressistes ou conservateurs, le malaise citoyen et le mécontentement de ceux « d'en bas » s'amplifient. Mais il y a aussi du désespoir si des alternatives démocratiques locales et globales n'émergent pas, un désespoir qui pourrait ouvrir la porte à des forces de plus en plus violentes et réactionnaires, et même à la possibilité du fascisme [17].

Depuis l'œil du cyclone, les auteur.e.s de cet ouvrage contribuent à l'analyse du moment crucial que nous vivons, à une meilleure compréhension du présent et à l'esquisse de perspectives d'avenir pour l'Amérique latine et les Caraïbes.

Traduit de l'espagnol par Christian Dubucq.

Notes

[1] 1. Andreas Malm, Corona, Climate, Chronic Emergency : War Communism in the Twenty-First Century, Londres, Verso, 2020.

[2] 2. Voir par exemple : Tariq Ali, Piratas del Caribe. El eje de la esperanza, Madrid, Foca ediciones, 2008.

[3] 3. Maristella Svampa, Del cambio de época al fin de ciclo : gobiernos progresistas, extractivismo, y movimientos sociales en América Latina, Buenos Aires, Edhasa, 2017 et Massimo Modonesi, « La normalización de los progresismos latinoamericanos », Jacobín América Latina, juillet 2022, https://jacobinlat.com/2022/07/04/la-normalizacion-de-los-progresismos-latinoamericanos.

[4] 4. Pablo Stefanoni, La rébellion est-elle passée à droite ? Paris, Éditions La Découverte, 2022. Miguel Urban, Trumpismos : Neoliberales y Autoritarios. Radiografía de la derecha radical, Madrid, Verso, 2024, https://versolibros.com/products/trumpismos.

[5] 5. Norberto Bobbio, Droite et gauche : essai sur une distinction politique, Seuil, Paris, 1996

[6] Temas, N° 108-109, marzo-octubre 2022, https://temas.cult.cu/revista/revista_datos/3

[7] Claudio Katz, La teoría de la dependencia cincuenta años después, Argentine, Ed. Batalla de Ideas, 2018, p. 102.

[8] Éric Toussaint, Banque du Sud et nouvelle crise internationale, Paris, 2008, CADTM/Syllepse.

[9] Éric Toussaint, La banque du Sud est une alternative, pas celle des BRICS, CADTM, 19 août 2014. Voir également : Éric Toussaint, « L'expérience interrompue de la Banque du Sud en Amérique latine et ce qui aurait pu être mis en place comme politiques alternatives au niveau du continent », https://www.cadtm.org/L-experience-interrompue-de-la-Banque-du-Sud-en-Amerique-latine-et-ce-qui , CADTM, 10 mai 2024.

[10] Caio Bugiato, « A política de financiamento do BNDES e a burguesia brasileira », in Cadernos do Desenvolvimento, http://www.cadernosdodesenvolvimento.org.br/ojs-2.4.8/index.php/cdes/article/view/125/128

[11] Éric Toussaint, « Les BRICS et leur Nouvelle banque de développement offrent-ils des alternatives à la Banque mondiale, au FMI et aux politiques promues par les puissances impérialistes traditionnelles ? », CADTM, 22 avril 2024.

[12] Éric Toussaint et Benjamin Lemoine, « En Équateur, des espoirs déçus à la réussite. Les exemples de l'Afrique du Sud, du Brésil, du Paraguay et de l'Équateur », CADTM, 3 août 2016.

[13] Franck Gaudichaud, Massimo Modonesi, Jeffery Webber, Fin de partie. Les expériences progressistes dans l'impasse, (1998-2019), Paris, 2020, Syllepse.

[14] Nathan Legrand, Éric Toussaint, « Nicaragua, la otra revolución traicionada », CADTM, 30 janvier 2019, https://www.cadtm.org/Nicaragua-la-otra-revolucion-traicionada. Éric Toussaint, « Nicaragua : L'évolution du régime du président Daniel Ortega depuis 2007 », https://www.cadtm.org/Nicaragua-L-evolution-du-regime-du-president-Daniel-Ortega-depuis-2007 , CADTM, 25 juillet 2018. Éric Toussaint, « Nicaragua : Poursuite des réflexions sur l'expérience sandiniste des années 1980-1990 afin de comprendre le régime de Daniel Ortega et de Rosario Murillo », https://www.cadtm.org/Nicaragua-Poursuite-des-reflexions-sur-l-experience-sandiniste-des-annees-1980, CADTM, 12 août 2018.

[15] Tanya Harmer, Alberto Martín Álvarez (dir.), Toward a Global History of Latin America's Revolutionary Left, Gainesville, University of Florida Press, 2021.

[16] Dossier « Cómo se organiza el descontento en América Laina ? Polarización, malestar y liderazgos divisivos », Nueva Sociedad, Nº 310, mars-avril 2024, https://nuso.org/articulo/310-como-se-organiza-el-descontento-en-america-latina/

[17] Dossier « Ultraderechas, neofascismo o postfascismo », Cuadernos de Herramienta, avril 2024, https://herramienta.com.ar/cuadernos-de-herramienta-las-ultraderechas-neofascismo-o-postfascismo

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Le référendum en défense de la sécurité sociale au centre de la lutte de classes en Uruguay

29 octobre 2024, par Ruben Navarro — , ,
Ce dimanche 27 octobre aura lieu en Uruguay le premier tour des élections présidentielles et celle des représentants – députés et sénateurs. En même temps, les votants devront (…)

Ce dimanche 27 octobre aura lieu en Uruguay le premier tour des élections présidentielles et celle des représentants – députés et sénateurs. En même temps, les votants devront s'exprimer sur le référendum contre la réforme de la sécurité sociale.

23 octobre 2024 | rité d'Inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4385

La campagne électorale est marquée par l'absence de propositions, à tel enseigne que même le journal de droite El Observador, parle d'une campagne plate qui devient sale1 .
Les conditions actuelles pour accéder à la retraite

La réforme de la Sécurité sociale du 2 mai 2023 fixe l'âge de départ à la retraite à 65 ans, alors qu'elle était de 60 ans jusqu'en août 2023. Cette réforme a été adoptée par le gouvernement actuel, une coalition hétéroclite de droite très conservatrice qui a soutenu le candidat et actuel président Luis Lacalle Pou, du parti Nacional, fils de l'ancien président Luis Alberto Lacalle Herrera (entre 1990 et 1995). Les autres membres de la coalition sont le parti Colorado, Cabildo Abierto (extrême droite dont le chef est un militaire issu d'une famille liée historiquement à l'extrême droite et à la dictature militaire) et deux autres partis mineurs. Pour sa part, le Frente Amplio, de type front populaire composé de partis d'origine ouvrière (PCU, PS, PVP et de forces bourgeoises) a voté contre cette loi et a proposé des amendements lors du débat parlementaire.

La reforme établit une cotisation obligatoire au BPS (Banco de Previsión Social), la caisse de retraites cogérée par l'État, les patrons et les représentants des travailleurs2 , mais aussi aux AFAP (Administradoras de Fondos de Ahorro Provisional), des organismes privés ou de capital mixte, des fonds de pension. Les apports aux AFAP sont donc obligatoires au-dessus d'un certain seuil (voir ci-dessous). Ces AFAP prennent une « commission » d'entre 4% et 6% même si on ne cotise pas, y compris en cas de chômage. Les prélèvements effectués sur les cotisations obligatoires payées par les travailleurs sont gérés par le BPS, institution publique, ce qui signifie qu'elles n'ont aucun frais de gestion à ce niveau-là.

Les AFAP sont apparues en 1996, sous le deuxième mandat de Julio María Sanguinetti (parti Colorado, droite libérale) lorsque celui-ci a introduit le Système de Prévoyance Mixte, un coup de massue au système solidaire existant. Cette réforme imposait la cotisation obligatoire aux AFAP à partir d'un revenu équivalent, en euros constants, à environ 1900 euros ( 86600 pesos).

Actuellement, la cotisation au BPS et aux AFAP se distribue comme suit :

• Si le salaire brut est inférieur à $85.607 (en pesos uruguayens, environ 1900 euros) : La cotisation est de 15% du salaire. La moitié va au BPS et l'autre moitié est transférée sur le Compte d'Épargne Inidividuel de l'AFAP choisie.

• Si le salaire brut se situe entre $85.607 y $128.410 (entre 1900 et 2850 euros) : Cotisation de 15% du salaire repartie de la manière suivante : jusqu'à $85.607, une moitié reste au BPS et l'autre à une AFAP. La part de cotisation qui dépasse ce montant va au BPS.

• Si le salaire brut se situe entre $128.410 y $256.821 (entre 2850 et 5700 euros) : La cotisation est toujours de 15% du salaire brut et elle se ventile de la manière suivante : Le 15% des $85.607 reste au BPS et tout ce qui dépasse ce seuil est transféré sur le Compte d'Épargne Individuel dans une AFAP.

En dessous du premier seuil (environ 1900 euros), la cotisation aux AFAP et optionnelle. Chaque travailleur se voit prélever trois « commissions » de ses cotisations de retraite : Une « commission d'administration » qui varie entre 4,4% et 6,6 % selon le gestionnaire privé de fonds ; une autre commission qui varie entre 15,6% et 16,7%, prélevée celle-ci par la Banque des Assurances, qui appartient à l'État (Banco de Seguros del Estado) et enfin une commission de « garde », qui tourne autour de 0,0015%, à la Banque Centrale de l'Uruguay.

Ces AFAP, qui disposent d'un fonds d'environ 24 milliards de dollars, financent des projets de l'État mais aussi des investissements à risque dans l'immobilier, y compris des quartiers privés à Punta del Este, haut lieu de la spéculation immobilière, une « place to be » de la grande bourgeoisie latinoaméricaine et étasunienne. Elles financent aussi des projets de certaines mairies dont deux des plus grandes villes de l'Uruguay, Montevideo et Canelones, gouvernées par la coalition progressiste, le Frente Amplio.

Genèse du plébiscite

Deux mois après l'adoption de la réforme, l'Association des travailleurs de la sécurité sociale (ATSS, travailleurs du BPS) a présenté une motion à la direction du PIT-CNT, la centrale syndicale unique, en proposant un référendum dans le but de abroger la réforme des retraites du gouvernement et d'introduire dans la Constitution trois points : 1) suppression des AFAP, 2) établir l'âge de départ à la retraite à 60 ans avec 30 annuités et 3) le montant des retraites ne pourra pas être inférieur au Salaire Minimum National.

Le 10 août 2023, sur 44 syndicats et fédérations membres de la direction du PIT-CNT, 16 ont voté pour mais, suite aux abstentions, la proposition a été adoptée par la centrale ouvrière. Le débat a été dur. La fédération des métallos – la UNTMRA – et le courant Gerardo Cuesta (tous les deux sous très influencés par le PC) proposaient ne pas toucher aux fonds de pension, les AFAP. Mais le syndicat des travailleurs de la sécurité sociale a joué un rôle clé en réussissant à faire adopter la suppression de ces fonds privés, pour la plupart inféodés et contrôles par des multinationales de la spéculation, sauf un, géré par une banque d'État, le Banco República.

L'appel au référendum a été appuyé par la FUCVAM, la coopérative de logements (qui a un poids important dans la société uruguayenne, même si à présent elle compte peu de militants) la FEUU, Fédération des Étudiants Universitaires de l'Uruguay (une tradition très importante mais un poids devenu très relatif) et d'autres organisations.

Pour déclencher un référendum il faut recueillir 10% des inscrits, un peu moins de 250.000 signatures sur quelques 2.680.000 inscrits sur le registre électoral. Ce seuil a été atteint dès le début avril 2023. Mais les organisateurs du référendum ont réussi à recueillir un total de 430.000 signatures avec des campagnes quartier par quartier, en parcourant l'ensemble du territoire, et les ont déposées au siège du Parlement le 27 avril 2023. La procédure référendaire était ainsi enclenchée avec une marge suffisante afin d'éviter les signatures non validées par la Cour Électorale.

La campagne du plébiscite, la gauche et les élections

Le référendum est tombé comme un cheveu dans la soupe dans la valse électorale, comme « Le convive de pierre » de Tirso de Molina, cette statue de don Gonzalo qui à la fin du repas prend la main de Don Juan et le conduit en enfer. Les réactions des partis politiques n'ont pas été immédiates. Le président de la République (Partido Nacional, droite conservatrice, parti héritier de la grande bourgeoisie propriétaire terrienne), a tardé à réagir.

Les premières réactions sont venues de la gauche. Les partis communiste et socialiste, ainsi que d'autres partis moins importants, comme le PVP (Partido por la Victoria del Pueblo) ont soutenu l'initiative du mouvement ouvrier dès le début. Leurs militants syndiqués ont participé à la campagne de collecte de signatures. Ils ont mis leurs appareils à contribution de la campagne du Pit-Cnt. Mais un secteur très important du Frente Amplio, le MPP (Mouvement de Participation Populaire) de l'ancien président Mujica, s'est rapidement positionné contre l'initiative des travailleurs organisés. L'idole de milliers de militants du monde entier a dit que « l'approbation du référendum de la sécurité sociale serait le chaos et que le chemin est la loi »3 .

Les candidats de la gauche à la présidence et vice-présidence, Yamandú Orsi et Carolina Cosse ne voteront pas le « Sí » au référendum. La coalition de gauche a décidé de laisser « liberté d'action » à ses militants.

Une tribune de 112 « experts » du Frente Amplio a annoncé qu'ils feraient campagne contre le référendum de la centrale syndicale4 . Parmi les signataires de cette tribune on retrouve le potentiel futur ministre d'économie en cas de victoire électorale du Frente Amplio, Gabriel Oddone. Les arguments sont les mêmes que l'on a pu entendre dans la bouche de la droite lors de la lutte contre la réforme des retraites en France. Et en plus du « chaos » de Mujica, la peur, la menace de « devoir » doubler les impôts sur les bénéfices des entreprises, de devoir multiplier par quatre les cotisations patronales ou encore de devoir passer la TVA de 22% à 35%. Un discours connu…

Mais la dirigeante du syndicat des travailleurs de la sécurité sociale (ATSS), Nathalie Barbé, a balayé les arguments alarmistes du capital et ses gestionnaires de droite et de gauche en signalant que « sans perdre les 5 milliards de dollars qui iront aux fonds parapublics jusqu'en 2060 seulement », avec 1,5 milliard de dollars supplémentaires par an dans les caisses de l'État et « sans parler des 24 milliards de dollars actuellement accumulés dans les fonds d'épargne » qui reviendront progressivement à l'État lorsque les contrats de fonds fiduciaires prendront fin, « il y a suffisamment de ressources pour financer la réforme »5 .

Les chambres patronales se sont manifestées contre le référendum, cela va de soi. Les arguments vont de « l'impact négatif que cela aurait pour le pays » au fait que cela « nuirait à la réputation internationale de l'Uruguay »6 .

Le vote du dimanche 27 novembre

Le scrutin présidentiel s'annonce serré. La coalition progressiste devrait obtenir plus de voix que la droite, mais pas assez pour éviter un second tour, autour de 44% des voix.

L'autre option de gauche, une alliance entre la Unidad Popular et le Parti des Travailleurs (parti frère de Política Obrera en Argentine, le parti d'Altamira) n'a pas réussi à créer une alternative de gauche et n'obtiendrait qu'un pour cent des voix. Le pilier de l'Unidad Popular est le Mouvement 26M – scission historique du MLN Tupamaros. Ce mouvement a quitté le Frente Amplio en 2008. Cependant, son dirigeant de l'époque, Raúl Sendic (fils de l'ancien dirigeant du MLN) est resté dans la coalition. Cette alliance – Unidad Popular-Frente de los Trabajadores – reflète une recherche de recomposition de la gauche, une recomposition qui peine, qui a du mal à trouver des alternatives en dehors de la gauche institutionalisée. Plusieurs réunions de militants issus de divers courants de la gauche radicale ont lieu depuis un certain temps sans que cela se traduise au niveau organisationnel et encore moins électoral.

Le mouvement ouvrier s'est placé au centre des débats et de la lutte de classes. « Le conflit de classes s'exprime dans le référendum de la sécurité sociale et non pas dans les élections nationales », affirme Mario Pieri7 . Le mouvement ouvrier est affaibli. Affaibli par des conditions objectives : travail précaire ou informel, fermetures d'usines, poids des zones franches (des zones de non-droit)… mais aussi subjectives, comme la « cohabitation » pendant 15 ans, dans le cadre de trois gouvernements successifs de la gauche entre 2005 et 2020.

Le dernier sondage estime que le « Sí » au référendum obtiendrait 47% d'approbation, 43% serait contre et 10% n'ont pas pris encore de décision8 .

La bataille est rude. Les mêmes partis qui ont participé à la recherche de signatures pour déclencher le référendum et qui participent activement de la campagne différencient clairement la campagne électorale du référendum. Ainsi, par exemple, le parti Communiste ne fait presque pas référence au référendum dans ses clips de campagne, sauf dans les réseaux sociaux.

Pendant ce temps, le possible futur ministre de l'Économie du Frente Amplio, Gabriel Oddone, est parti aux États-Unis où il s'entretiendra avec la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et des représentants des entrepreneurs et des finances. Il ne sera de retour en Uruguay que le samedi 26, la veille des élections. Des entretiens qui en disent long sur une éventuelle « rupture », ou pas, si la gauche institutionnelle venait à gagner les élections.

L'autre référendum

Un deuxième référendum concerne le droit pour les « forces de l'ordre » d'effectuer des perquisitions nocturnes dans les domiciles privés sous prétexte de « lutte contre le trafic de drogues ». En réalité, ce droit de perquisition nocturne existe déjà mais seulement lorsque la justice l'autorise. Les mesures pointent les petits dealers avec une vision purement répressive. Une proposition populiste face à une augmentation de la violence, qu'elle soit réelle ou ressentie. À l'initiative de ce référendum on retrouve Cabildo Abierto, le parti de l'ancien militaire Guido Manini Ríos, dont les positions flirtent avec l'extrême droite et il est soutenu par les quatre autres membres de la coalition qui gouverne (parti nacional, parti colorado, parti de la gente et parti independiente). Les derniers sondages indiquent qu'il pourrait être adopté. En effet, malgré une baisse dans les intentions de vote, il bénéficie encore de 56% d'approbation parmi les votants. La gauche dans son ensemble s'est prononcée contre cette initiative9 .

Le 22 octobre 2024

Notes

1. quién, por qué, para qué”. El Observador, 20-10-2024

2. La direction du BPS est composée de 7 membres. L'exécutif en désigne directement 4 d'entre eux. Les 3 autres sont élus directement par la population concernée et représentent les entrepreneurs, les travailleurs et les retraités respectivement. Cette institution est le fruit de l'unification établie dans la Constitution de 1967 des principales caisses de retraites, dont certaines avaient été créées dès la fin du XIXe siècle. Certains secteurs, comme la banque, les professionnels universitaires qui exercent en libéral, les notaires ou les militaires ont encore une caisse indépendante. ladiaria.com.uy/economia/articulo/2020/12/las-cajas-paraestatales-y-sus-regimenes-jubilatorios/

3. José Mujica dijo que la aprobación del plebiscito de la seguridad social sería un "caos" y cree que "el camino es la ley". El Observador, 26-9-2024 www.elobservador.com.uy/nacional/jose-mujica-dijo-que-la-aprobacion-del-plebiscito-la-seguridad-social-seria-un-caos-y-cree-que-el-camino-es-la-ley-n5962720
4
5. Y, sin embargo, se mueve. Agustín Büchner, Brecha, 9-8-2024. brecha.com.uy/y-sin-embargo-se-mueve-4/

6. Cámaras empresariales expresaron preocupación por el plebiscito de la seguridad social. La Diaria, 21-10-2024. ladiaria.com.uy/elecciones/articulo/2024/10/camaras-empresariales-expresaron-preocupacion-por-el-plebiscito-de-la-seguridad-social

7. El conflicto de clases se expresa en el plebiscito de la seguridad social, no en las elecciones nacionales. Mario Pieri, Correspondencia de Prensa, 1-10-2024 correspondenciadeprensa.com/ ?p=43816

8. 47% del electorado se inclina a votar por el plebiscito de la seguridad social, según Factum. La Diaria, 15-10-2024. ladiaria.com.uy/elecciones/articulo/2024/10/47-del-electorado-se-inclina-a-votar-por-el-plebiscito-de-la-seguridad-social-segun-factum/

9. Allanamientos nocturnos ¿qué propone la reforma a la Constitución que se vota el domingo ? Búsqueda, 21-10-2024 www.busqueda.com.uy/informacion/allanamientos-nocturnos-que-propone-la-reforma-la-constitucion-que-se-vota-el-domingo-n5393853

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Marxisme et racisme aux Etats-Unis : une approche théorique

29 octobre 2024, par Cornel West — , ,
Quel est le rapport entre la lutte contre le racisme et la théorie et la pratique socialistes aux États-Unis ? Pourquoi les gens de couleur, actifs dans les mouvements (…)

Quel est le rapport entre la lutte contre le racisme et la théorie et la pratique socialistes aux États-Unis ? Pourquoi les gens de couleur, actifs dans les mouvements antiracistes, devraient prendre au sérieux le socialisme démocratique ? Et qu'est-ce que les socialistes américains d'aujourd'hui peuvent penser des tentatives inadéquates des socialistes d'hier de comprendre la complexité du racisme ?

Tiré de Entre les ligne et les mots

Dans cette contribution, j'essaie de répondre à ces questions cruciales pour le mouvement démocratique socialiste. D'abord, j'examine les efforts passés des marxistes pour comprendre ce qu'est le racisme et comment il opère dans des contextes différents. Ensuite, j'entreprends de développer une nouvelle conception du racisme qui par ses constructions va au-delà de la tradition marxiste. Enfin, j'examine comment ces nouvelles conceptions éclairent les rôles du racisme dans le passé et le présent. J'essaie, pour conclure, de montrer que la lutte contre le racisme est à la fois moralement et politiquement nécessaire pour les socialistes démocratiques.

Les conceptions marxistes d'hier du racisme

Le plus souvent la théorisation socialiste du racisme a été produite dans une structure marxiste et s'est concentrée sur l'expérience afro-américaine. Quoique mon analyse se concentre sur des personnes d'origine africaine, particulièrement les Afro-américains, il a aussi des implications importantes pour analyser le racisme qui a constitué un fléau pour d'autres peuples de couleur, tel que les Espagnols-parlant-américain (par exemple, les Chicanas et les Puerto-Ricains), les Asiatiques, et les Américains indigènes. Il y a quatre conceptions de base du racisme dans la tradition marxiste. La première des analyses du racisme se glisse sous la rubrique générale d'exploitation du fonctionnement de classe. Ce point de vue tend à ignorer des formes du racisme non déterminées par le lieu de travail.

Au tournant du siècle, cette conception a été avancée par les principaux dirigeants du Socialist Party, particulièrement Eugene Debs. Debs qui a cru que le racisme blanc contre le peuple de couleur était uniquement le produit d'un « diviser pour mieux régner » de la classe dominante et que porter l'attention à ses effets « à part du problème de la main-d'œuvre » en général constituerait un racisme à l'envers. Mon but n'est pas de dénoncer la conception des socialistes ou d'insinuer que Debs était un raciste. Le Socialist Party avait quelques membres distingués, et Debs avait une longue histoire de combat contre le racisme. Mais cette analyse qui l'emprisonnait lui-même dans la sphère d'oppression du lieu de travail, oubliait le racisme dans d'autres sphères de vie. Pour le Socialist Party cette stratégie en « aveugle à la couleur » pour résister au racisme parmi tous les ouvriers, a conduit à considérer simplement les ouvriers comme des ouvriers sans identité spécifique ou sans problème. Les pratiques racistes dans et à l'extérieur du lieu de travail ont été réduites uniquement à des stratégies de la classe dominante.

La deuxième conception du racisme dans la tradition marxiste reconnaît le rôle spécifique du racisme sur le lieu de travail (par exemple, la discrimination du travail et les inégalités structurelles de salaires) mais reste silencieuse sur la scène extérieure aux activités sur le lieu de travail. Ce point de vue considère que le peuple de couleur est soumis à l'exploitation du fonctionnement général de classe et à un autre mode d'oppression spécifique qualifié de « surexploitation » qui se traduit par un moindre accès au travail et des salaires inférieurs. Sur un plan pratique cette perspective a accentué une lutte plus intense contre le racisme que ne le faisait la conception de Debs, et cependant elle a limité encore cette lutte au lieu de travail.

La troisième conception du racisme dans la tradition marxiste, nommée « thèse de la Nation noire », a été la plus influente parmi les marxistes noirs. Elle considère que le racisme est bien une conséquence de l'exploitation générale et du fonctionnement général de classe spécifique et d'une oppression nationale. Ce point de vue soutient que les Afro-américains constituent, ou ont constitué, une nation opprimée dans le Sud et une minorité nationale opprimée dans le reste de la société américaine. Il y a de nombreuses versions de la thèse de la nation noire. Sa forme classique a été mise en avant par le Parti communiste américain en 1928, modifiée en 1930 dans une résolution et a été codifiée dans La libération nègre de Henri Haywood (1948). Quelques petites organisations léninistes souscrivent encore à cette thèse, et sa plus récente reformulation est parue dans L'autodétermination de James Forman et Le peuple africain-américain (1981). Toutes ces variantes adhèrent à la définition de Staline d'une nation dans son Marxisme et la question nationale (1913) pour lequel :

Une nation est une communauté historiquement constituée, stable de personnes sur la base d'une langue commune, d'un territoire, d'une vie économique et un état psychologique qui se manifeste dans une culture commune.

En dépit de sa brièveté et de sa formulation un peu frustre, cette approche prend en compte la dimension culturelle cruciale ignorée par les deux autres conceptions marxistes du racisme. En outre, elle relie le racisme à des luttes entre nations dominées et dominantes et a été considérée comme pertinente vis-à-vis de la situation critique des Américains indigènes, des Chicanas, et des Portoricains qui ont été expropriés et décimés par les colons blancs. De tels modèles du « colonialisme interne » ont des implications importantes pour la stratégie organisationnelle parce qu'elle porte une attention particulière à la critique des formes linguistiques et culturelles d'oppression. Elle nous rappelle ce que la conquête de l'Amérique de l'Ouest a consisté en accaparement de terres précédemment occupées par des Américains indigènes et celles du Mexique. Depuis le garveyisme, mouvement des années 1920, qui a été le premier mouvement de masse parmi les Afro-Américains, la gauche noire a été forcée de prendre sérieusement en compte la dimension culturelle de la lutte pour la libération noire. Le nationalisme noir de Marcus Garvey a transformé les marxistes noirs en « proto-gramsciens » dans le sens, limité, qu'ils ont pris en compte les questions culturelles plus sérieusement que beaucoup d'autres marxistes. Mais cette attention à la vie culturelle a été limitée par la thèse de la Nation noire elle-même. Bien que la théorie ait inspiré beaucoup de luttes impressionnantes contre le racisme et de façon prédominante menée par la gauche blanche, particulièrement dans les années 1930, sa définition raciale ahistorique d'une nation, sa détermination purement statistique des limites nationales (le Sud était une nation noire parce que sa population d'alors était en majorité noire), et sa conception illusoire d'une économie nationale noire distincte ont finalement rendu son analyse inadéquate.

La quatrième conception du racisme dans la tradition marxiste considère que le racisme n'est pas seulement le résultat du fonctionnement de classe spécifique mais aussi le produit d'attitudes xénophobes qui ne sont pas strictement réductibles à l'exploitation. Dans cette perspective, les attitudes racistes ont une vie et une logique qui leur sont propres, et dépendent de facteurs psychologiques et de pratiques culturelles. Ce point de vue a été motivé essentiellement par opposition au rôle prédominant de la Thèse de la Nation noire sur la gauche américaine et afro-amé- ricaine. Ses interprètes les plus influents ont été W. E.B. Du Bois et Oliver Cox.

Pour une conception plus adéquate du racisme

Ce bref examen des vues marxistes passées conduit à une conclusion. La théorie marxiste est indispensable, cependant elle est finalement inadéquate pour saisir la complexité du racisme comme phénomène historique. Le marxisme est indispensable parce qu'il met en valeur les relations du racisme au mode de production capitaliste et reconnaît son rôle crucial dans l'économie capitaliste. Cependant le marxisme est inadéquat parce qu'il manque d'approfondir d'autres sphères de la société américaine où le racisme joue un rôle, particulièrement dans les sphères de la psychologie et de la culture. En outre, les approches marxistes soulignent que le racisme a ses racines dans la montée du capitalisme moderne. Cependant, il peut être démontré facilement que le racisme a été façonné et a été approprié par le capitalisme moderne, et que donc le racisme est antérieur au capitalisme. Ses racines remontent aux rencontres entre les civilisations d'Europe, d'Afrique, d'Asie, et d'Amérique latine et il s'est manifesté longtemps avant la montée du capitalisme moderne. Il est en effet vrai que la catégorie même de « race » dénote essentiellement que la couleur de peau a été employée en premier lieu comme un moyen de classer les corps humains comme l'a fait, en 1684, François Bernier, un médecin français. La première division qui fait autorité en matière raciale de l'humanité se trouve dans Le système naturel (1735) du naturaliste du 18e siècle, Carolue Linnaeus. Ces deux exemples révèlent des conceptions racistes européennes au niveau d'une codification intellectuelle qui dégrade et dévalue les non Européens. Folklore raciste, mythologies, légendes, et histoires fonctionnent dans la vie ordinaire du sens commun aux 17e et 18e siècles. Par exemple, l'antisémitisme chrétien et l'anti-Noir de l'Euro-chrétien étaient rampants durant le Moyen Âge. Ces fausses divisions de l'humanité ont été appliquées à l'Amérique latine où le racisme anti-lndien est devenu un pilier fondamental de la société coloniale et a influencé plus récemment le tardif développement national métis. Donc le racisme est beaucoup plus qu'un produit de l'interaction de chemins culturels de la vie comme l'est celui du capitalisme moderne. Une conception plus adéquate du racisme doit renvoyer à ce contexte de double réalité, culturelles et économiques dans lesquelles s'est développé le racisme. Une nouvelle analyse du racisme doit se construire sur le meilleur des théories marxistes (particulièrement l'attention d'Antonio Gramsci sur les sphères culturelles et idéologiques), et cependant doit aller au-delà en incorporant trois propositions. […] Une telle analyse doit inclure le rôle extraordinaire et équivoque du christianisme évangélique et protestant (qui tous les deux ont promu et aidé à contenir la résistance noire) et les influences africaines et protestantes anglo-saxonnes US et catholiques françaises au milieu desquelles ont émergé les styles distinctifs afro-américains culturels, des langues, et valeurs esthétiques. L'objectif de cette approche est de montrer comment les discours suprémacistes blancs façonnent les identités non européennes, et influencent les sensibilités psychosexuelles et participe à la construction d'un contexte de cultures et de mœurs opposées (mais aussi co-optables) non-europénnes. Cette analyse révèle aussi comment l'oppression et la domination culturelle américaine d'indigènes, de Chicanos, de Portoricains, et de bien d'autres colonisés sont différentes (même s'il existe beaucoup de traits communs) de celles connues par les Afro-Américains.

L'analyse du colonialisme interne, de l'oppression nationale, et de l'impérialisme culturel conduit à expliquer le déplacement territorial et la domination que subissent les peuples. Une autre approche révèle le rôle et le fonctionnement d'exploitation de la classe et la répression politique dans la consolidation des pratiques racistes. Cette analyse ressemble aux théories traditionnelles marxistes du racisme, qui centrent leur attention essentiellement sur les institutions de production économique et secondairement sur l'État et le public et les bureaucraties privées. Mais la nature de ce pivot est modifiée dans le sens où cette production économique n'est pas envisagée comme la seule source majeure des pratiques racistes. Ce pivot est plutôt considéré comme une source parmi d'autres. Pour le dire un peu grossièrement, le mode de production capitaliste constitue juste une des contraintes structurelles qui détermine les formes que le racisme prend à une période historique particulière.

Cornel West
Cornel West est professeur d'études afro-américaines et de philosophie des religions. Il a notamment publié Restoring Hope : Conversations on the Future of Black America (Beacon Press, 1997) et Democracy Matters : Winning the Fight Against Imperialism (Penguin Books, 2005).
Publié dans L'Autre Amérique, n° 19, 4e trimestre 1998.

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Les accusations de « fascisme » déroutent les électeurs américains

29 octobre 2024, par Dan La Botz — , ,
Le fascisme est dernièrement devenu une question centrale de l'actualité relative à l'élection présidentielle américaine 23 octobre 2024 Point de vue international Dan La (…)

Le fascisme est dernièrement devenu une question centrale de l'actualité relative à l'élection présidentielle américaine

23 octobre 2024
Point de vue international Dan La Botz
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article8720
Traduction Johan Wallengren

Le fascisme est dernièrement devenu une question centrale de l'actualité relative à l'élection présidentielle américaine, ce à quoi ont largement contribué des déclarations de Donald Trump, qui a confié qu'il ferait appel à l'armée pour supprimer « l'ennemi intérieur », expression qui recouvre pour lui les « illuminé(e)s de la gauche radicale » (« radical left lunatics ») et dont il a en particulier affublé sa rivale Kamala Harris, à plus d'une occasion. Il a par ailleurs assimilé le membre démocrate du congrès Adam Schiff, qui a mené le premier procès en destitution contre lui et qui est maintenant candidat au Sénat, à « l'ennemi intérieur ».

Questionné lors d'une entrevue télévisée quant à la possibilité que le processus électoral puisse être perturbé par des agitateurs de l'extérieur, Trump a répondu : « Je pense que le plus gros problème est l'ennemi de l'intérieur. Nous avons des gens pas bien du tout. Nous avons des malades, des illuminés de la gauche radicale. Et d'ajouter : « mais les choses devraient pouvoir être prises en main sans problème, si nécessaire, par la Garde nationale, ou si c'est vraiment nécessaire, par l'armée, parce qu'ils ne peuvent pas laisser de telles choses se produire ».

Plusieurs commentateurs ont souligné que le recours à l'armée pour réprimer l'opposition politique ressemble à ce que nous appelons le fascisme. Et pour beaucoup d'observateurs, il ne fait aucun doute qu'en envisageant d'utiliser le pouvoir de l'État contre les citoyens américains, Trump va plus loin dans ses déclarations que les fois où il a dit qu'il ferait appel à la police et aux gardes nationaux pour débusquer les immigrants, les parquer dans des camps de concentration, puis les expulser.

Une remarque du général Mark A. Milley, ancien président de l'état-major interarmées sous Trump, en rajoute : selon ce que rapporte le célèbre journaliste américain Bob Woodward dans son nouveau livre, ce haut gradé aurait décrit Trump comme étant un « fasciste en puissance » (« fascist to the core »). Madame Harris elle-même a repris à son compte cette confidence de Milley et a convenu à d'autres moments que Trump pouvait être étiqueté fasciste. À noter que le président Joe Biden avait déjà qualifié le mouvement de Trump de « semi-fasciste » en 2022.

L'affirmation selon laquelle Trump est un fasciste risque toutefois de ne pas émouvoir beaucoup d'électeurs américains. La lutte des États-Unis contre les fascistes de Benito Mussolini et les nazis d'Adolf Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale est désormais de l'histoire ancienne. Seuls les 1 à 2 % d'Américains âgés de plus de 85 ans ont un souvenir direct de ces événements. En outre, le peuple américain a une connaissance notoirement vague de l'histoire et la plupart des Américains n'ont jamais réfléchi à la question du fascisme et à tout ce que peut charrier ce mot. Pendant des années, le monde politique et la presse ont considéré que traiter quelqu'un de fasciste était une faute de goût, tandis que pour la population en général, c'était juste une façon de désigner quelqu'un de peu recommandable.

On peut d'autant plus parler d'un imbroglio que Trump a régulièrement traité Kamala Harris de « marxiste, communiste, fasciste, socialiste ». Le colistier de Trump, le sénateur J.D. Vance, a quant à lui déclaré que les affirmations des démocrates selon lesquelles Trump est quelqu'un d'autoritaire ou de fasciste sont à l'origine des deux tentatives d'assassinat dont il a fait l'objet.

La gauche n'a pas toujours contribué à faire la lumière sur ce concept de fascisme. Dans les années 1960 et 1970, les gens de gauche avaient tendance à utiliser le mot sans discernement : Les racistes du Sud étaient fascistes, la guerre du Viêt Nam était fasciste, le maire de Chicago, Richard Daley, était fasciste, et pour certains, le système politique américain tout entier était fasciste. Pendant quarante ans, le parti communiste et les groupes maoïstes ont à chaque élection présidentielle avancé l'argument que le candidat républicain était fasciste et qu'il fallait donc voter démocrate.

Aujourd'hui, au sein de groupes tels que les Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), dont les membres sont nombreux à avoir fait des études supérieures, des universitaires de gauche prennent part à des discussions sur le fascisme. Le magazine Jacobin, par exemple, a publié en 2019 une entrevue d'Enver Traverso sur son livre Les nouveaux visages du fascisme et sa théorie du « post-fascisme » pouvant servir à ausculter des gens comme Trump. Au sein de petites organisations socialistes et anarchistes d'extrême gauche, on discute sérieusement et concrètement du sujet. Et des journaux en ligne populaires comme Truthout ont publié de nombreux articles parlant du fascisme. Néanmoins, pour la plupart des Américains, l'utilisation de ce mot ne permet en rien d'y voir plus clair.

Si Trump est élu – ce qui est tout à fait possible – et qu'il s'avère être le fasciste que nous croyons qu'il est, nous serons mal préparés, tant d'un point de vue théorique que pratique.

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Etats-Unis : Quel genre de dommages la Cour suprême infligera-t-elle au cours de ce mandat ?

29 octobre 2024, par Elie Mystal — , ,
Pour comprendre les ambitions de la majorité conservatrice, il suffit de regarder le Projet 2025, qui a été concocté par certaines des mêmes personnes qui ont conçu la cour (…)

Pour comprendre les ambitions de la majorité conservatrice, il suffit de regarder le Projet 2025, qui a été concocté par certaines des mêmes personnes qui ont conçu la cour actuelle.

Tiré de The Nation

Elie Mystal
Illustration par Adrià Fruitós.

La Cour suprême rentrera de ses vacances d'été le 7 octobre, quatre semaines et un jour avant les élections générales du 5 novembre. Les empreintes digitales de la Cour (ainsi que les empreintes digitales des riches donateurs républicains qui ont probablement payé certaines des vacances d'été des juges) sont déjà partout dans les prochaines élections. Plus tôt cette année, le tribunal a assuré à Donald Trump une place sur le bulletin de vote lorsqu'il s'est prononcé contre une tentative de l'empêcher de se présenter à la présidence en raison de sa participation à une insurrection contre le gouvernement. puis, en juillet, les juges républicains ont accordé à Trump une « immunité absolue » pour les crimes commis dans le cadre de ses « fonctions officielles », garantissant probablement qu'il n'aura jamais à rendre des comptes pour ses pires actions. Grâce à ces décisions, Trump peut légalement se présenter à un poste qu'il a précédemment tenté de voler.

Étant donné l'empressement démontré de la Cour à mettre son pouce sur la balance pour Trump avant les élections, nous ne pouvons qu'imaginer ce qu'elle fera pour l'aider après les élections. Trump pourrait perdre par des millions dans le vote populaire et par 40 voix au collège électoral, mais s'il peut obtenir que cinq juges de la Cour suprême se prononcent en sa faveur, aucun de ces votes n'aura d'importance. La Cour lui donnera le pouvoir d'inaugurer une ère d'autoritarisme et de régime permanent à parti unique.

Pourtant, même si Kamala Harris parvient à franchir tous les obstacles à la présidence – si elle parvient à remporter à la fois le vote populaire et le collège électoral, et que ces votes sont honorés – il est important de comprendre que le redoutable travail de la Cour suprême visant à démanteler la démocratie et à faire reculer les droits des femmes, des personnes de couleur, et la communauté LGBTQ selon les normes en vigueur de 1859 se poursuivra à un rythme soutenu. Les dés sont pipés, et les six juges conservateurs de la Cour ne vont pas laisser passer cette occasion. Ils ont un ordre du jour – un mandat, pourrait-on dire – et il ressemble beaucoup à celui qui a suscité beaucoup d'attention ces derniers mois : le mandat de leadership du Projet 2025, Le plan conservateur pour prendre le contrôle du gouvernement fédéral et remodeler le pouvoir exécutif à l'image d'un christofaciste si Trump gagne.

Le Projet 2025 est l'œuvre de la Heritage Foundation. Il en va de même, à bien des égards, de la Cour suprême actuelle. Parallèlement à laSociété fédéraliste, la Heritage Foundation a été l'un des principaux acteurs déterminant quels républicains se retrouvent à la plus haute cour du pays. Depuis plus de 50 ans, il s'efforce de remplir le système judiciaire de juges républicains extrémistes dans le but d'anéantir le progrès civil et social du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Et il a largement réussi.

Ce succès peut aider à expliquer l'une des rares lacunes du document de 900 pages du Projet 2025 : l'absence d'une section détaillée consacrée à la Cour suprême. Je crois que c'est parce que le plan fasciste suppose que le tribunal a déjà été capturé. Le Projet 2025 est en cours devant les tribunaux, et il continuera d'aller de l'avant là-bas, avec ou sans Trump au pouvoir, car ses principes fondamentaux sont soutenus par une majorité des juges de la Cour suprême.

Cela nous en dit long sur ce que nous pouvons attendre de la Cour à l'avenir. Au cours du prochain mandat et des nombreux qui suivront, nous verrons l'agenda du Projet 2025 se dérouler dans trois domaines clés : l'État administratif, les réglementations environnementales et les droits civils.

Le démantèlement de l'État administratif a été une obsession déterminante pour les conservateurs pendant des décennies, et ils se sont rapprochés de plus en plus de la réaliser ces dernières années. Au début de l'été, la Cour suprême Renversé La déférence de Chevron – la doctrine juridique selon laquelle les tribunaux devraient s'en remettre aux agences exécutives sur les questions concernant l'interprétation des lois du Congrès. La décision remet en question des milliers de réglementations qui ont été mises en avant par ces agences exécutives. Leonard Leo, le toujours impitoyable Svengali de la Federalist Society, a appelé les républicains à « inonder la zone » de contestations de ces réglementations, et les tribunaux inférieurs examinent déjà un certain nombre d'affaires qui cherchent à percer des trous dans l'autorité réglementaire d'agences telles que la Securities and Exchange Commission et le Bureau of Alcohol, Tobacco, Armes à feu et explosifs (ATF).

Beaucoup de ces affaires ne sont peut-être pas prêtes pour l'examen de la Cour suprême ce trimestre, mais en ce qui concerne l'environnement, il y a déjà deux affaires sur le rôle de la cour qui permettront aux juges conservateurs de remplir leur rôle de membres officieux des industries des combustibles fossiles et des produits chimiques. Dans l'affaire City and County of San Francisco v. Environmental Protection Agency, la Cour suprême décidera probablement que ses membres, et non les experts de l'environnement, devraient déterminer la quantité de pollution et de saleté humaine qui peut être déversée dans l'océan. Et dans l'affaire Seven County Infrastructure Coalition v. Eagle County, Colorado, les conservateurs choisiront probablement d'affaiblir le rôle des études d'impact environnemental. La loi sur la politique environnementale nationale exige que les agences mènent de telles études avant de commencer de grands projets qui modifieront l'écosystème environnant, mais les conservateurs et les pollueurs veulent libérer les développeurs pour qu'ils fassent autant de ravages qu'ils le souhaitent sur l'environnement.

La Cour ne s'arrêtera pas non plus à la déréglementation et aux abus environnementaux. L'un des principaux objectifs du Projet 2025 est de réaffirmer et de sauvegarder la suprématie blanche en renversant toute loi ou politique destinée à égaliser les chances. La décision de la Cour suprême de 2023 mettant fin à la discrimination positive n'était que le début pour ces personnes. Le plan est de prendre la mauvaise interprétation délibérée de Clarence Thomas du 14e amendement, telle qu'articulée dans son opinion concordante pour Students for Fair Admissions v. Harvard, et de l'utiliser comme une arme contre tout programme de droits civiques qu'ils n'aiment pas. Il y a déjà des affaires qui font leur chemin devant les cours d'appel inférieures qui cherchent à rendre inconstitutionnelle la conscience raciale dans l'embauche. Il y a un effort pour déclarer que la formation sur la diversité et l'inclusion en milieu de travail crée un environnement de travail « hostile ». Et un juge de Trump au Texas a déclaré la loi sur le développement des entreprises minoritaires inconstitutionnelle. La Cour suprême n'a pas encore décidé d'entendre l'une de ces affaires, mais il est probable qu'elle le fera bientôt – ce qui signifie que dans les mois et les années à venir, nous verrons presque certainement la Cour redéfinir les « droits civiques » pour signifier « pour les Blancs et personne d'autre ».

Au-delà de ce genre d'affaires alignées sur le Projet 2025, ce mandat de la Cour suprême verra, une fois de plus, les juges conservateurs rendre les écoles dangereuses pour les enfants mais sûres pour les tireurs de masse, rendre le pays peu accueillant pour les immigrants du Sud, et adopter des positions barbares sur la peine de mort et envoyer des personnes potentiellement innocentes à la mort. Et nonobstant leurs positions sur la peine de mort, les juges conservateurs se déclareront « pro-vie » et reprendront leur assaut contre les droits reproductifs. Au cours du dernier mandat, la Cour s'est penchée sur deux affaires majeures d'avortement, probablement dans le but d'éviter d'enflammer la question avant les élections. Mais vous pouvez parier que ces affaires seront de retour sur le rôle après les élections.

Dans l'affaire FDA c. Alliance pour la médecine hippocratique, la Cour suprême Gouverné qu'un groupe composé de médecins, d'un dentiste et de plusieurs personnes sans aucune formation médicale ni licence n'avait pas qualité pour poursuivre la Food and Drug Administration pour son autorisation du médicament mifépristone pour l'utilisation dans les avortements médicamenteux. Le tribunal a ensuite renvoyé l'affaire au cinquième circuit, au juge Matthew Kacsmaryk, nommé par Trump, qui est celui qui a permis à ces randos assortis d'intenter des poursuites en premier lieu. Maintenant, Kacsmaryk a donné aux responsables de l'État de l'Idaho, du Kansas et du Missouri le droit de se joindre au litige en tant que coplaignants, résolvant potentiellement le problème de la qualité pour agir. La question de savoir si la mifépristone restera légale est encore très en suspens.

La deuxième affaire est Moyle c. États-Unis. Fin juin, la Cour suprême a rejeté une affaire faisant valoir que la Loi relative aux traitements médicaux d'urgence et au travail actif (EMTALA) ne pouvait pas obliger les hôpitaux à pratiquer des avortements lorsque la vie ou la santé de la future mère est en danger. Une fois de plus, il l'a fait pour des raisons techniques, mais avec une touche d'originalité. Bien que la décision de la Cour ait éludé les questions sous-jacentes de l'affaire, l'accord important de la juge Amy Coney Barrett comprenait quelques conseils aux défenseurs des naissances forcées sur la façon de gagner à l'avenir : modifier l'affaire pour faire valoir que le Congrès ne peut pas exiger des hôpitaux qu'ils suivent EMTALA comme condition pour recevoir des fonds Medicare. Si les challengers saisissent l'allusion, cette affaire pourrait être de retour devant la Cour suprême plus tôt que tard.

La Cour n'a pas encore fini de classer toutes ses affaires pour le mandat, mais son rôle est déjà rempli d'affaires qui couvrent une gamme de domaines importants, ce qui est de mauvais augure pour des millions de personnes.

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Etats-Unis : La forme et le fond

29 octobre 2024, par Jean-François Delisle — , ,
Ce qu'on appelle la démocratie américaine serait-elle menacée par une éventuelle arrivée de Donald Trump au pouvoir le 5 novembre prochain ? C'est le sentiment général dans les (…)

Ce qu'on appelle la démocratie américaine serait-elle menacée par une éventuelle arrivée de Donald Trump au pouvoir le 5 novembre prochain ? C'est le sentiment général dans les milieux progressistes et de gauche ; même au delà de ces cercles, on s'inquiète de cette possibilité.

La démocratie formelle est moins vulnérable au retour envisageable du populiste à la Maison-Blanche qu'à son affaiblissement plus ou moins marqué au quotidien. Je ne reviendrai pas sur les arguments souvent invoqués pour soutenir cette opinion. Dans l'ensemble, ils me paraissent pertinents. Sous un éventuel nouveau mandat de Trump, les libertés formelles risquent de se trouver grugées toujours davantage, ce qui pourrait entraîner toutefois la mobilisation sous diverses formes d'une bonne partie de la population contre ce processus délétère.

Mais Trump ne constitue que le signe, l'incarnation d'un mal plus profond qui affecte la société américaine (et d'autres aussi en Occident, y compris chez nous) au moins depuis la présidence de Ronald Reagan (1981-1989) : le néo-conservatisme social et économique qui a étendu sans ménagement ses tentacules dans beaucoup de secteurs de cette société. Même les présidences démocrates de Bill Clinton (1993-2001) et de Barack Obama (2009-2017) ont suivi pour l'essentiel ce courant.

Même si Trump était battu, cette tendance dominante (en particulier dans les milieux financiers et boursiers) ne disparaîtra pas. Elle va au contraire se maintenir, soutenue par plusieurs milieux privilégiés vu leurs intérêts et par nombre d'ouvriers blancs en raison de leur frustration ; en effet, les usines où ils travaillaient ont fait faillite et disparu, ou encore elles ont déménagé dans des pays au régime politique autoritaire, lequel offre au patronat américain une main d'oeuvre soumise à bon marché.

Même une administration Kamala Harris ne pourrait pas y changer grand chose. Et si elle parvenait à freiner, voire à stopper l'érosion de la démocratie formelle, serait-elle en mesure d'éliminer les causes plus profondes de la baisse de confiance de larges secteurs de la société américaine à l'endroit des institutions nationales ? C'est loin d'être certain ; et ce d'autant plus que Trump a bourré la fonction publique et aussi le système de justice de juges conservateurs, lesquels risquent de faire obstruction aux tentatives réformistes de Harris.

Les démocraties électorales ne s'effondrent pas toujours à cause de l'arrivée au pouvoir d'un dictateur (comme en Italie la dictature de Benito Mussolini à partir de 1922 ou en Allemagne en 1933 celle de Hitler) ou encore à grand fracas comme en Espagne à cause de la guerre civile de 1936 à 1939 sous les coups des franquistes.

Un courant autoritariste montant peut s'avérer plus sournois (en dépit dans ce cas-ci des coups de gueule de Trump) et entraîner un affaiblissement grave du régime démocratique, qui pourrait à la limite aboutir à sa disparition "en douce".

On en n'est pas rendu là aux États-Unis. Certains observateurs et analystes ont soutenu que les Américains sont habiles à utiliser leurs institutions pour bloquer ou entraver les tentations autoritaristes de leaders exaltés. Il faut souhaiter qu'en cas de retour à la Maison-Blanche de Trump, ils fassent preuve de toute l'ingéniosité requise pour calmer ses ardeurs autoritaires.

Pour l'instant, la démocratie américaine formelle se maintient. Mais les tendances actuelles s'avèrent inquiétantes. On peut miner la démocratie tout en en respectant les formes.

Jean-François Delisle

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Guerre au Liban et à Gaza : la position de la France critiquée par des employés des agences publiques de développement

Suspension des projets de coopération avec Israël, reconnaissance de la Palestine, association de la France aux plaintes devant la Cour de justice internationale et la Cour (…)

Suspension des projets de coopération avec Israël, reconnaissance de la Palestine, association de la France aux plaintes devant la Cour de justice internationale et la Cour pénale internationale… Dans deux courriers internes, révélés par « Le Monde », des employés d'Expertise France et de l'Agence Française de développement appellent l'exécutif à sortir du « deux poids, deux mesures » et à « adopter une position plus ferme et claire » face aux guerres au Liban et à Gaza.

Par Julia Hamlaoui,
Tiré de L'Humanité, France, le jeudi 24 octobre 2024

« La guerre doit cesser au plus vite. Il faut un cessez-le-feu au Liban », a martelé Emmanuel Macron en ouverture de la conférence internationale de soutien au pays du cèdre organisée à Paris à l'initiative de la diplomatie française. Si le président de la République a également annoncé une enveloppe de 100 millions d'euros (1), l'action de la France, face à cette guerre et à celle menée par Israël à Gaza, n'est pas suffisante aux yeux des employés des agences publiques de développement signataires de lettres internes, révélées par Le Monde.

« Nous voyons notre pays brûler et notre population massacrée tout en travaillant pour les intérêts d'un pays justifiant le droit de se défendre seulement pour les Israéliens, même si nous savons que la France défend, pour l'instant, un cessez-le-feu », ont ainsi écrit les salariés du bureau de Beyrouth de l'Agence Française de Développement (AFD) dans un courrier, consulté par Le Monde, au directeur de l'organisme dans lequel ils dénoncent le « deux poids, deux mesures » et un « fort sentiment d'injustice ».

*« Sans quoi, nous en sommes tous complices »*

Une vision que partagent plus de 100 de leurs collègues d'Expertise France (EF) dans une lettre adressée à leur directeur général, Jérémie Pellet, également consultée par le quotidien. « Les déclarations évoquant le « droit d'Israël à se défendre » sans mentionner les souffrances du peuple palestinien ont suscité une incompréhension profonde et ont terni l'image de la France auprès de nos partenaires », expliquent-ils, appelant « la France adopter une position plus ferme et claire ».

Les signataires estiment que « condamner les attaques terroristes du 7 octobre 2023 (…) est indispensable et doit se faire sans équivoque » mais aussi que « l'ampleur des victimes civiles palestiniennes ( près de 43 000 morts, dont une majorité de civils, selon le dernier bilan, NDLR [3] ) et libanaises ( plus de 1 500 morts depuis le 23 septembre, NDLR [4] ) nous oblige à dénoncer et à agir pour mettre fin à ces guerres. Sans quoi, nous en sommes tous complices ».

Tout en saluant l'appel d'Emmanuel Macron à interrompre les livraisons d'armes à Israël (5), les agents estiment nécessaire « la suspension des projets de coopération avec les institutions israéliennes et la reconnaissance officielle de l'État palestinien (6) ». Ils souhaitent également voir la France se joindre aux plaintes en cours devant la Cour internationale de justice (7)et la Cour pénale internationale (8) « pour dénoncer les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et actes de génocide commis par le gouvernement israélien ».

(1) https://www.humanite.fr/monde/emmanuel-macron/guerre-au-liban-macron-promet-100-millions-deuros-daide-pour-beyrouth

(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/10/24/des-employes-des-agences-publiques-de-developpement-francaises-remettent-en-cause-la-position-de-la-france-sur-les-guerres-au-proche-orient_6358949_3210.html

(3) https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/pourquoi-la-mort-de-yahya-sinouar-nouvre-pas-de-perspectives-de-paix

(4) https://www.humanite.fr/monde/guerre-au-liban/guerre-au-liban-comment-benyamin-netanyahou-cherche-a-briser-lunite-du-peuple-libanais

(5) https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/fin-des-ventes-darmes-a-israel-cessez-le-feu-a-gaza-et-au-liban-emmanuel-macron-est-il-enfin-pret-a-agir

(6) https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/reconnaissance-de-la-palestine-macron-en-retard-dune-guerre

(7) https://www.humanite.fr/monde/colonies-israeliennes/comment-la-cour-internationale-de-justice-sest-portee-au-secours-du-peuple-palestinien

(8) https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/guerre-a-gaza-la-cour-penale-internationale-une-institution-sous-pression

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*Une suggestion de lecture de André Cloutier, Montréal, le 25 octobre 2024

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Budget 2025 : la supercherie macroniste va nous coûter très cher !

29 octobre 2024, par François Boulo — , ,
À peine formé, le gouvernement Barnier a eu la charge de préparer en urgence le budget du pays pour l'année 2025. Dès son arrivée à Matignon, Michel Barnier n'a pas caché sa (…)

À peine formé, le gouvernement Barnier a eu la charge de préparer en urgence le budget du pays pour l'année 2025. Dès son arrivée à Matignon, Michel Barnier n'a pas caché sa stupéfaction et son inquiétude face à la situation budgétaire du pays. Avec un déficit révisé à 6,1 % du PIB pour l'année 2024, on est bien loin des 4,4 % prévus initialement par le précédent gouvernement et son ministre de l'Économie, l'inénarrable Bruno Le Maire. Tout ce petit monde s'est tellement lamentablement planté qu'ils ont dissimulé la situation pendant des mois ! Mais il en faudra plus pour que les « élites » françaises ouvrent enfin les yeux et acceptent de changer fondamentalement d'orientation économique. Malgré une (très) légère inflexion, le gouvernement Barnier poursuit assez largement la logique de la politique de l'offre assortie d'une cure drastique d'austérité. Le désastre français est assuré !

22 octobre 2024 | tiré d'elucid.media
https://elucid.media/politique/budget-2025-supercherie-macroniste-couter-tres-cher-francois-boulo

Signe révélateur de la situation budgétaire catastrophique du pays, en septembre dernier, Matignon a refusé aux deux plus hauts responsables de la Commission des finances de l'Assemblée nationale l'accès (pourtant obligatoire) à certains documents budgétaires essentiels. On pourrait en rire si ce n'était pas aussi grave.

L'échec cuisant du macronisme et de la politique de l'offre

Après dix ans de politique économique guidée par Emmanuel Macron (3 ans en tant que ministre de l'Économie sous Hollande, puis 7 ans en tant que Président), le retour à la réalité est brutal. La dette de la France s'élève à plus de 3 000 milliards d'euros (+ 1 000 milliards depuis 2017) et ses intérêts à 52 milliards d'euros. Son déficit budgétaire devrait atteindre les 178 milliards d'euros (au lieu de 128 !) en 2024 ; son déficit du commerce extérieur s'établit à 130 milliards d'euros en 2023 ; sa croissance demeure très faible à 1,1 % en 2023 et 2024, et le chômage (réel) culmine à 10 %. Autrement dit, la France est surendettée, désindustrialisée, amorphe économiquement et toujours rongée par le chômage de masse.

Chapeau l'artiste !

On peut néanmoins reconnaître une chose à Emmanuel Macron : il n'a pas fait dans la demi-mesure. Il a appliqué sa stratégie économique jusqu'au bout des ongles. L'avantage est qu'il est, par conséquent, facile de tirer les leçons de son tragique échec. Quelle était sa philosophie ? Pour l'essentiel, inonder les entreprises (essentiellement les plus grandes) et les contribuables les plus riches d'exonérations sociales et fiscales en tous genres – Crédit impôt compétitivité emploi (CICE), baisse du taux d'impôt sur les sociétés, transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), flat tax, suppression de l'exit tax, etc. –, détruire les protections du droit du travail (Loi El Khomri de 2016, Ordonnances Macron de 2017) et durcir drastiquement les conditions d'accès au droit à l'assurance chômage pour forcer les chômeurs à accepter n'importe quel emploi.

Souvenez-vous, il fallait « libérez les énergies », en langage clair, faire une bonne fois pour toutes une vraie politique de l'offre. Ces réformes, appelées de ses vœux par le MEDEF depuis des années, étaient censées encourager l'investissement, générer une forte croissance et créer des millions d'emplois. Avec un programme pareil, vous savez d'avance que vous allez creuser les inégalités, mais c'était la seule manière – d'après les « experts » en économie défilant sur les médias officiels – de repositionner le pays dans la course face à la concurrence mondiale.

De la casse sociale certes, mais que voulez-vous, c'est le prix à payer ma bonne dame ! Tant pis pour les licenciements abusifs, les burn-out, les expulsions, les dépressions, les divorces, les suicides… Il faut tout sacrifier pour le saint Graal : la croissance. Mais après dix ans d'expérimentation, le résultat est pourtant sans appel : les subventions massives accordées aux entreprises (160 milliards d'euros en 2019) ont vidé les caisses de l'État et creusé le déficit, sans pour autant produire le moindre effet bénéfique sur l'activité. Du grand art !

Pour ce qui est des inégalités, sans surprise, elles ont explosé comme le montrent l'évolution du taux de pauvreté (près de 15 %) et l'indice de Gini (0,294 en 2022) qui atteignent des niveaux historiques, parmi les plus élevés. Dans le même temps, les grandes entreprises ont réalisé des bénéfices records (153,6 milliards d'euros pour le CAC 40 en 2023) etle patrimoine des plus grandes fortunes s'est considérablement accru. La France court à sa ruine, mais qu'importe ! Champagne pour les ultra-riches !

Le mensonge de la réduction du chômage

Ce bilan accablant pour Macron est implacable. Il n'est d'ailleurs nullement contesté… si ce n'est sur un seul point précis : le chômage. C'est l'ultime argument de la macronie pour justifier sa politique. Le taux du chômage aurait été ramené à 7,5 %, soit un niveau jamais atteint depuis 40 ans. Il suffit pourtant de creuser un peu pour s'apercevoir que la promotion à outrance de cet indicateur économique relève d'une supercherie.

En se basant sur les chiffres de France Travail et non sur la définition du Bureau international du travail (BIT), le chômage atteint 10 % de la population, soit un actif sur cinq. Surtout, derrière l'apparence d'une relative bonne dynamique du marché de l'emploi se cachent des mesures court-termistes et très coûteuses. Depuis 2018, la moitié de la baisse du chômage s'explique par la création de 800 000 emplois aidés financés par des fonds publics, et l'autre moitié est constituée d'emploi salariés et non-salariés à faible valeur ajoutée (et à faible rémunération).

La politique macroniste a certes créé des emplois, mais de « mauvais » emplois. En atteste la baisse historique du taux de productivité sur la période. Alors que la productivité d'une heure travaillée n'avait cessé d'augmenter de manière constante (période de crise économique ou non) de 1990 à fin 2018, elle s'est mise brutalement à chuter à compter de l'année 2019.

Penser l'activité du marché de l'emploi uniquement en termes de taux de chômage revient à n'appréhender l'économie que d'un point de vue quantitatif, et non qualitatif. Pour le dire de manière schématique, multiplier les petits boulots de livreurs à domicile ne compense pas la perte des emplois d'ingénieurs et d'ouvriers qualifiés dans l'industrie… La classe dirigeante française a visiblement un peu de mal à comprendre ce principe de base.

Contrairement à ce que prétendent les macronistes, ils n'ont pas réindustrialisé le pays, ils ont remplacé des emplois à haute valeur ajoutée par des emplois précaires. C'est du génie ! Si l'on prend le temps d'y réfléchir, créer des millions d'emplois avec une croissance aussi faible ne pouvait que cacher quelque chose. On sait quoi désormais. Certes on travaille plus, mais chaque nouvelle heure travaillée produit moins que les autres heures. Le pays ne s'enrichit pas, il se précarise !

Budget 2025 : pourquoi changer quand ça ne marche pas ?

C'est dans ce marasme économique, qui vaut à la France de faire l'objet d'une procédure pour déficit excessif de la part de la Commission européenne, que le budget 2025 a été préparé dans l'urgence. En substance, il est prévu de réaliser 60 milliards d'euros d'économies, dont 40 par des réductions de dépense publique (20 Md€ dans les administrations centrales, 15 Md€ dans la Sécurité sociale et 5 Md€ dans les collectivités locales) et 20 par une augmentation des recettes fiscales. L'objectif est de ramener le déficit public à 5 % du PIB, ce qui demeure supérieur de 2 points par rapport à la fameuse limite des 3 %… C'est dire l'ampleur de la dérive budgétaire de la gestion macroniste !

N'est-ce pas ces gens-là qu'on nous présentait comme sérieux contre les « irresponsables extrêmes » ? Après des années passées à dilapider l'argent public par des subventions aux entreprises qui n'auront servi qu'à enrichir les plus riches, le tout financé par de l'endettement, nos « élites » et surtout l'Union européenne ont décidé qu'il était désormais temps pour les Français de passer à la caisse. Il faut dire aussi que les marchés financiers ont depuis quelques mois significativement rehaussé leurs taux de financement pour la France.

Voici venu le temps de l'austérité, la vraie cette fois. Non seulement ça va saigner, mais ça va durer aussi, au moins jusqu'en 2029 ! Peu importe que les mesures de rigueur budgétaires aient partout fait la démonstration de leur inefficacité. Remettre en question la politique de l'offre et les aides publiques aux entreprises ? Certainement pas ! On ne va tout de même pas changer une méthode qui ne marche pas !

Au programme deséconomies budgétaires pour la seule année 2025 – qui pourrait encore réserver de mauvaises surprises dans les jours et semaines à venir –, le gouvernement a prévu notamment la suppression de 4 000 postes dans l'éducation nationale, un report pour 6 mois des revalorisations des pensions de retraite, la baisse du montant de prise en charge des consultations de médecin et sage-femme de 70 % à 60 %, la baisse du plafond d'indemnisation des arrêts maladie, un doublement de la taxe sur l'électricité, un quadruplement de la TVA sur les abonnements au gaz et à l'électricité, une remise en cause d'une partie des aides à l'apprentissage, un rabotage des aides à la rénovation thermique, un malus fortement durci sur les véhicules polluants ou lourds… Malgré la saignée, il n'est même pas dit que l'objectif de 5 % du déficit soit atteint !

Certes, le gouvernement Barnier a aussi décidé d'augmenter les impôts pour les plus riches par une augmentation de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et par un relèvement exceptionnel et temporaire de la taxation des entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse un milliard d'euros (environ 400 entreprises). C'est assez pour déclencher une levée de boucliers dans le camp de la macronie, dont la défense des ultra-riches confine à l'obsession. Mais soyons clairs, ces hausses d'impôts sont ridiculement faibles (20 Md€) comparées aux immenses cadeaux faits sur les dix dernières années.

S'agissant de la taxation des hauts revenus, il s'agit uniquement d'instaurer un taux d'imposition minimal de 20 % – ce qui devrait rapporter 2 milliards d'euros. On rappelle que ces foyers les plus fortunés sont censés être assujettis au taux de 45 % sur le gros de leurs revenus (1)… on en reste à des années-lumière ! Ces mesures présentées au nom de la « justice fiscale » relèvent bien plus du symbole que d'une vraie volonté de réduire les inégalités. En bon politicien – ce que n'est pas Macron –, Michel Barnier essaie de donner l'illusion qu'il demande des efforts « justes » et « équilibrés » à tout le monde. Mais sur le fond, il n'y a aucun changement d'orientation économique.

L'incompétence et la traitrise de la classe dirigeante française

Il est facile d'anticiper l'avenir : réduire les dépenses publiques, c'est inéluctablement réduire l'activité économique et diminuer les recettes fiscales. Ce programme de rigueur budgétaire risque surtout de pénaliser la croissance, voire de provoquer une récession avec à la clé des faillites d'entreprises, des suppressions d'emplois et des pertes de savoir-faire, poursuivant la destruction durable du tissu économique du pays.

L'économiste Anne-Laure Delatte évalue que le budget 2025 coûtera 0,6 point de croissance. La thérapie de choc risque fort d'accoucher d'économies tout à fait dérisoires, tout en approfondissant le délabrement des infrastructures et des services publics. Si vous ajoutez à cela que les intérêts de la dette vont bientôt représenter le premier poste de dépense de l'État en atteignant plus de 72 milliards d'euros en 2027, l'étau se resserre dangereusement...

À court terme, la gravité de la situation commanderait de remettre en cause une large partie des subventions accordées aux plus grandes entreprises du pays (au moins 40, voire 60 milliards d'euros) dont les bénéfices ont explosé sur les deux dernières décennies (153 milliards en 2023 pour le CAC 40contre 37 milliards en 2003) plutôt que de demander des sacrifices aux Français.

À plus long terme, l'approche uniquement budgétaire ne sauvera pas durablement l'économie française. Il est impératif de sortir de la logique purement comptable de nos dirigeants pour repartir des besoins réels de l'économie, avec pour priorité de redresser notre système éducatif et de réintroduire du protectionnisme pour soutenir la compétitivité de nos entreprises. En la matière, les mots ne suffisent pas. Il faudrait assumer l'interventionnisme de l'État pour donner de réels moyens aux services publics essentiels et protéger le marché intérieur de la concurrence étrangère déloyale. Cela nécessiterait très concrètement d'agir sur les structures économiques, et en particulier l'euro et le marché unique européen, pour enfin retrouver notre souveraineté industrielle perdue.

Cela fait deux conditions : rompre avec les règles actuelles de l'Union européenne et nourrir une vraie volonté de réindustrialiser le pays. Or, ces deux conditions font manifestement défaut à notre caste dirigeante. Dernière preuve en date ? Le gouvernement a officiellement décidé de ne pas s'opposer à la vente du Doliprane par Sanofi (gavée de subventions publiques) au fonds d'investissement américain CD&R. Mais attention ! Des garanties vont être exigées pour que les emplois soient maintenus en France, nous assurent solennellement nos dirigeants. Cela ne vous rappelle rien ? Les mêmes promesses avaient été faites lors de la vente d'Alstom énergie avec le résultat que l'on connaît.

Bienvenue dans une histoire sans fin...

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En Belgique, le PTB veut « réveiller la conscience de classe »

29 octobre 2024, par Laëtitia Riss, William Bouchardon — , ,
À quelques mètres de la mer du Nord, dans la ville flamande d'Ostende, le Parti du travail de Belgique (PTB) a fêté sa rentrée politique en septembre dernier, à l'occasion (…)

À quelques mètres de la mer du Nord, dans la ville flamande d'Ostende, le Parti du travail de Belgique (PTB) a fêté sa rentrée politique en septembre dernier, à l'occasion d'une grande Manifiesta, qui a réuni 15.000 personnes. Au programme, de nombreux invités internationaux, parmi lesquels le député britannique Jeremy Corbyn, le syndicaliste américain Shawn Fain ou encore le journaliste français Serge Halimi, ainsi que des ateliers politiques, culturels et sportifs à destination des sympathisants du parti. Et à travers tous les débats, un même fil rouge : revendiquer l'héritage du marxisme et travailler à sa reconstruction. Le PTB se veut ainsi plus offensif qu'un PCF réduit à de faibles scores. Stand après stand, le parti de gauche radicale affiche sa capacité grandissante à organiser la classe travailleuse dans différents organes, sur le modèle des partis de masse du XXe siècle. Par-delà les campagnes électorales, considérées comme des leviers de politisation parmi d'autres, le président du parti, Raoul Hedebouw a par ailleurs clairement rappelé les objectifs du PTB : « réveiller la conscience de classe » et permettre « la structuration du peuple, contre l'atomisation » afin de « matérialiser le contre-pouvoir ».

13 octobre 2024 | tiré de la lettre de Le Vent se lève | Photo : Raoul Hedebouw, président du Parti du Travail de Belgique, sur le marché populaire de La Batte. © PTB
https://lvsl.fr/en-belgique-le-ptb-veut-reveiller-la-conscience-de-classe/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Newsletter_Derniers_Articles&utm_medium=email

Un parti devenu incontournable

Si le PTB est en effet devenu un parti majeur du champ politique belge, beaucoup reste encore à faire. Lors des élections du 9 juin – où les Belges élisaient leurs parlementaires nationaux, régionaux et européens – le PTB a de nouveau progressé. Il a envoyé un second député au Parlement européen, est passé de 12 à 15 sièges à l'échelle nationale et a considérablement amélioré sa représentation dans la région de Bruxelles et en Flandre, en passant respectivement de 11 à 16 et de 4 à 9 élus. Pour la première fois, le parti a même été consulté par le roi de Belgique en vue de rentrer au gouvernement, bien que cette hypothèse ait été très vite écartée par l'ensemble des autres partis.

Le PTB avait donc de bonnes raisons de célébrer cette campagne réussie. Sa mobilisation de terrain en Flandre a sans doute contribué à détourner une partie de la classe travailleuse du vote pour l'extrême-droite, donnée gagnante dans cette partie du pays durant plusieurs mois. Alors que le Vlaams Belang (extrême-droite indépendantiste flamande) est implanté de longue date, le PTB – dénommé PVDA en Flandre ] a réussi, au prix d'un fort investissement militant, à incarner une alternative pour les électeurs en colère contre le statu quo. En arrivant deuxième à Anvers, la grande métropole portuaire du Nord, le parti a même créé la surprise dans une ville souvent décrite comme un bastion de la droite.

En arrivant deuxième à Anvers, la grande métropole portuaire du Nord, le parti a même créé la surprise dans une ville souvent décrite comme un bastion de la droite.

Seule ombre au tableau : un léger recul en Wallonie, où l'ensemble de la gauche a reculé sous l'effet d'une campagne victorieuse menée par Mouvement Réformateur (droite), et son ambitieux président Georges-Louis Bouchez. Certes, le PTB avait particulièrement focalisé son action sur la Flandre cette année afin de rééquilibrer ses forces sur l'ensemble du pays, ce qui était indispensable pour le seul parti défendant l'unité de la Belgique. D'importants efforts de mobilisation seront cependant nécessaires pour reprendre pied en Wallonie, qui, si elle ne compte pas de parti d'extrême-droite, a été séduite par les discours d'un MR de plus en plus conservateur, qui a habilement su se réapproprier la « valeur travail » en opposant travailleurs et chômeurs. D'après la droite, ces derniers seraient en effet volontairement maintenus dans l'assistanat par le Parti Socialiste, qui s'assure ainsi une clientèle électorale.

La guerre sociale « en pause » provisoire

Si les performances électorales sont donc plutôt enthousiasmantes pour le PTB, le parti refuse de se reposer sur ses lauriers et de faire de la politique en fonction des sondages, comme nous l'avait confié Raoul Hedebouw dans un entretien à LVSL. À Manifiesta, les différents leaders du parti ont fortement insisté sur la nécessité de s'attaquer aux discours cherchant à diviser le peuple, en l'opposant aux étrangers ou aux supposés « assistés ». Une nécessité d'autant plus forte que la future coalition au pouvoir, dénommée Arizona, prévoit un programme anti-social extrêmement violent : augmentation de la TVA sur les produits de première nécessité de 6 à 9%, désindexation des salaires sur l'inflation, simplification du travail le dimanche et les jours fériés, fin de la semaine de 38 heures, attaques contre les droits des délégués syndicaux, baisses des pensions de retraite…

Ce programme de guerre sociale envisagé par une grande alliance, alliant des socialistes flamands de Vooruit à la droite francophone du MR, en passant par la N-VA (droite flamande), les CD&V (conservateurs chrétiens) et Les Engagés (centre), a certes été mis en sourdine dernièrement. Pour une raison simple selon Raoul Hedebouw : « Ils ont appuyé sur le bouton « pause » jusqu'aux élections du 13 octobre. Et ils se sont dit que les gens étaient trop stupides pour comprendre leur manège. » Ce dimanche, les Belges voteront en effet pour renouveler leurs conseils communaux pour les six prochaines années. Craignant une défaite dans les urnes, les partis de l'alliance Arizona préfèrent donc attendre le scrutin avant de lancer leur offensive.

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Au-delà de la volonté de contrer ce programme anti-social, le PTB nourrit de fortes ambitions pour cette échéance. L'objectif est triple : doubler le nombre de conseillers communaux PTB (en passant de 150 à 300 élus), doubler le nombre de communes où il est représenté (de 35 à 70) et surtout entrer dans quelques « majorités de changement » municipales. Un certain nombre de communes sont particulièrement visées : Seraing, Liège, Charleroi et Herstal en Wallonie, Molenbeek et Forest en région bruxelloise, voire Anvers. Avec près de 23% des voix dans cette dernière le 9 juin et un total de 46% pour les listes progressistes, la possibilité de détrôner le leader de la droite flamande et maire sortant Bart de Wever apparaît donc possible.

Le « communisme municipal » comme source d'inspiration

Des victoires possibles donc, mais pour quoi faire ? Une des priorités du PTB est de stopper l'envolée des prix du logement, en imposant aux promoteurs une règle simple : un tiers de logements sociaux, un tiers à prix accessible et un tiers au prix du marché. En matière de transports, le parti promeut certes le développement des transports en commun, mais s'oppose fermement aux politiques anti-sociales contre la voiture lorsqu'aucune alternative n'existe. Un discours qui s'adresse en particulier aux travailleurs dépendants de la voiture en raison de leurs horaires ou de l'éloignement de leur travail suite à la spéculation immobilière. Le parti souhaite aussi rééquilibrer la fiscalité locale, en imposant davantage les grandes entreprises pour permettre de baisser les impôts sur les commerces locaux, comme cela a été mis en œuvre à Zelzate et Borgerhout, deux petites communes flamandes où le PVDA fait partie de la majorité sortante. Enfin, de manière plus classique pour la gauche, il promet des investissements importants dans les services publics comme les crèches et la police de proximité ou dans le monde associatif.

Dans toute l'Europe de l'Ouest, les partis communistes et ouvriers ont longtemps réussi à faire de leurs bastions de véritables modèles.

À Manifiesta, Raoul Hedebouw décrit ce programme comme une première avancée vers le « communisme municipal » qu'il cite comme source d'inspiration. Cette tradition de progrès sociaux à l'échelle municipale, à travers la construction de logements publics, le développement d'une offre culturelle et de colonies de vacances pour les plus pauvres et des dispositifs d'aide sociale comme les CCAS, les mutuelles, les plannings familiaux ou les coopératives d'achats alimentaires, a en effet une longue histoire. Dans toute l'Europe de l'Ouest, les partis communistes et ouvriers ont longtemps réussi à faire de leurs bastions de véritables modèles. Au-delà de l'amélioration immédiate des conditions de vie des habitants, il s'agissait aussi de montrer à quoi pourrait ressembler la future vie communiste. Un héritage qui s'est largement perdu depuis un demi-siècle, mais encore vivace en Autriche, où le parti communiste KPÖ dirige Graz (seconde ville du pays) ou au Chili, où le communiste Daniel Jadue mène des politiques d'avant-garde dans une banlieue de Santiago.

En comparaison, le programme du PTB semble plus réformiste, ce qui s'explique par la nécessité de gouverner avec des alliés plus modérés, à savoir le Parti socialiste et Écolos, voire Vooruit. Si ceux-ci ont toujours rejeté les mains tendues du PTB jusqu'à présent pour former des coalitions progressistes, comme le rappelle David Pestieau, le secrétaire politique du parti, la donne est peut-être en train de changer : ces partis sont en perte de vitesse, exclus des négociations nationales et concurrencés sur leur gauche par le PTB. À la manière du PSOE de Pedro Sanchez, ils pourraient donc renoncer à leur stratégie de d'évitement et tenter de conclure des majorités avec le PTB pour reconstruire leur crédibilité politique. Pour le parti marxiste, une telle situation serait à double tranchant : côté pile, il pourrait sortir de son isolement politique et casser l'argument selon lequel il serait toujours un parti d'opposition, incapable de gouverner. Côté face, il pourrait être comptable de mauvaises décisions et perdre une part de la crédibilité chèrement acquise depuis une quinzaine d'années.

Organiser les travailleurs : le mot d'ordre du PTB

Pour écarter ce scénario, le parti devra user habilement de ses capacités de blocage là où ses votes seront décisifs pour obtenir une majorité, mais aussi s'appuyer sur son implantation en dehors des institutions. Ce dernier point est une différence majeure avec d'autres partis de gauche radicale, comme Podemos, qui s'est montré subtil en termes de tactiques parlementaires vis-à-vis du PSOE, mais a délaissé le terrain syndical et les mouvements sociaux. À l'inverse, le PTB poursuit son investissement des sections d'entreprises, « premier bastion » de l'organisation des travailleurs, et soutient concrètement ces derniers à l'occasion des batailles décisives contre leurs directions. Dernière mobilisation en date : celle en faveur des travailleurs d'Audi à Bruxelles (VW Forest), menacés par la fermeture de leur usine, alors qu'elle constitue le premier site de production de véhicules électriques en Belgique, et qu'elle emploie près de 3000 personnes. Invitée à s'expliquer devant la Chambre belge par le président de la commission de l'Économie Roberto d'Amico, ancien syndicaliste FGTB et actuel député du PTB, la direction d'Audi n'a pas donné suite ; mais s'est néanmoins trouvée forcée d'ouvrir les portes de son usine aux parlementaires de tous les partis pour clarifier ses intentions.

Une première victoire face au huit-clos qui devait initialement solder le sort des travailleurs d'Audi et acter la non-viabilité des différents plans de reprises. Robin Tonniau, député fédéral du PTB, s'en explique : « Audi a fait des erreurs stratégiques qui impactent des milliers de travailleurs et on devrait les croire sur parole qu'aucun des 24 scénarios étudiés n'est rentable ? On exige d'Audi qu'il y ait une transparence totale, comme le demandent les syndicats. (…) Comment se peut-il qu'il n'y ait aucun intérêt financier, selon la direction, à maintenir une activité de constructeur automobile ? » La question fait d'autant plus mouche qu'elle est formulée par un ancien travailleur du site. Élu député au Parlement flamand en 2019, et député à la Chambre en 2024, Robin Tonniau a été pendant 16 ans ouvrier de l'industrie automobile. Une trajectoire fidèle à celle que le PTB s'essaie à promouvoir pour transformer les postes d'élus en postes de tribuniciens, où s'entend l'écho d'un véritable « porte-parolat populaire », susceptible de s'adresser à tous les travailleurs du pays. C'est en rappelant que les mobilisations sectorielles sont aussi des causes nationales que les députés du PTB parviennent, selon certains de ses militants rencontrés à l'occasion de Manifiesta, à « réveiller la conscience de classe ».

S'il est un mot d'ordre qui explique la progression du PTB depuis plusieurs années, c'est donc assurément celui de l'organisation, dépassant largement les ordres de bataille en période électorale.

S'il est un mot d'ordre qui explique la progression du PTB depuis plusieurs années, c'est donc assurément celui de l'organisation, dépassant largement les ordres de bataille en période électorale. Lorsqu'on normalise « les mouvements gazeux », on justifie « un retard organisationnel » défend notamment Raoul Hedebouw, à l'occasion d'un débat avec Serge Halimi, ancien directeur du Monde Diplomatique, au sujet de la montée de l'extrême-droite. Un retard dont profitent selon lui les partis nationalistes, qui reconstruisent un « nous » à la place de celui historiquement bâti par le mouvement ouvrier. Pour inverser la tendance, c'est par conséquent à une gauche des travailleurs, et non à une gauche des valeurs, qu'il s'agit de revenir pour le président du PTB. Certes l'opposition n'est pas binaire, mais elle doit présider à certaines analyses : considère-t-on les électeurs d'extrême-droite perdus pour la cause ou, au contraire, capables de s'émanciper du « chaos politique et idéologique » qu'entretient, à dessein, la classe dirigeante ? En Belgique, la réponse ne fait débat : tous les électeurs sont avant tout des travailleurs qui, à ce titre, ne sont pas irrécupérables. De quoi contraster avec les tergiversations des forces de gauche frontalières qui se demandent encore comment – et pourquoi – reconquérir les classes populaires.

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Grèce : amplifier et unir les luttes !

29 octobre 2024, par Andreas Sartzekis — , ,
C'est le paradoxe de la rentrée. Si la droite gouvernementale est en crise (les sondages la donnent à environ 20 %, loin des 41 % des élections 2023), Mitsotakis s'affiche plus (…)

C'est le paradoxe de la rentrée. Si la droite gouvernementale est en crise (les sondages la donnent à environ 20 %, loin des 41 % des élections 2023), Mitsotakis s'affiche plus fort que jamais.

20 octobre 2024 | tiré d'Inprecor par Andreas Sartzekis

Son mépris le fait se féliciter de son projet de budget où des hausses de salaires seront illico neutralisées par la hausse des prix (électricité !). Pire, il se réjouit des privatisations pour la vie quotidienne, et cela au moment où un immense concert de soutien aux familles des 57 victimes de la tragédie ferroviaire de Tèmbi rappelle que sa cause était le désengagement du secteur public…

S'il peut agir ainsi — et malgré une première défaite juridique dans le scandale des écoutes — c'est surtout en raison de la faiblesse de l'opposition politique : au « centre gauche » Syriza (devenu 5e parti dans les sondages) est au bord de disparaître, et la gauche continue, malgré quelques tentatives en cours, d'agir de manière fort sectaire (tendance au parti ­autoproclamé).

Des colères

Certes, la manif de rentrée en septembre à Salonique était cette année moins fournie que les années précédentes. Pourtant, des colères populaires sont là. Face à l'incapacité de la droite à prévenir et à circonscrire les incendies ravageurs qui sont arrivés aux portes d'Athènes (manque cruel de postes de pompiers). L'implantation forcenée de centaines d'éoliennes est refusée par les populations locales (sur les îles, dans les montagnes…). Colère aussi contre le surtourisme, qui voit croître les logements Airbnb au détriment des logements populaires, sans oublier les consignes du maire de Santorin cet été demandant aux habitantEs du bourg de ne pas sortir de chez eux pour faciliter le passage des milliers de passagers des croisières… Et une colère croissante contre la multiplication des accidents du travail (107 morts depuis le début de l'année), conséquence des attaques contre le droit du travail. Cette fuite en avant ultralibérale n'empêche pas des critiques du président du conseil d'administration de la Banque nationale, alertant sur le fait que la Grèce ne peut pas s'appuyer sur le seul secteur touristique et rappelant que personne ne s'est vraiment penché sur la raison profonde de la crise de 2008, qui a débouché sur les mémorandums de la troïka.

Et des luttes

Les principales luttes de la rentrée ont lieu dans l'éducation : mobilisations contre le manque d'enseignantEs (16 000 à la mi-septembre), effarantes fusions de sections. Des mobilisations locales ont lieu, des manifs, plusieurs occupations… Face à cette combativité, le pouvoir accentue de manière inquiétante la répression contre les enseignantEs mobiliséEs, comme au Pirée où des militantEs syndicaux risquent le renvoi — plusieurs centaines de collègues ont manifesté en soutien mi-octobre. Même tendance à l'université ! La police est envoyée contre les étudiantEs protestant contre le manque d'entretien de l'université publique, et le ministre, après la création illégale de facs privées, tente désormais d'instaurer des droits d'inscription ! Contre aussi le personnel de recherche intervenant à Polytechnique Athènes pour des conditions décentes en Grèce — un chercheur militant rapporte, dans l'hebdomadaire Prin1, que le secrétaire général du ministère leur enjoint, s'ils veulent de meilleurs salaires, de partir en Hollande !

Et, sans oublier les nombreuses manifs de soutien au peuple palestinien, il faut une nouvelle fois évoquer la lutte antiraciste constante face aux violences policières : plusieurs incursions destructrices dans des regroupements de RromEs, et de graves violences contre des immigréEs. La plus odieuse est celle du livreur pakistanais qui, conduit au sinistre poste de police d'Omonia, est resté 8 jours à passer d'un poste à l'autre. Il a été retrouvé mort avec de nombreuses traces de coups... Justice pour Mohamed Kamrad, exigent Keerfa et d'autres associations ! Et pas le seul déplacement des deux responsables du poste d'Omonia… La convergence des luttes sera vite un objectif majeur !

Publié le 13 octobre 2024 par L'Anticapitaliste.

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Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) :Le chemin de la victoire et les tâches de la gauche ukrainienne

29 octobre 2024, par Sotsialnyi Rukh — , ,
L'une des principales décisions de la conférence du Mouvement social (Sotsialnyi Rukh), qui s'est tenue à Kiev les 5 et 6 octobre 2024, a été l'adoption de la résolution « Le (…)

L'une des principales décisions de la conférence du Mouvement social (Sotsialnyi Rukh), qui s'est tenue à Kiev les 5 et 6 octobre 2024, a été l'adoption de la résolution « Le chemin de la victoire et les tâches de la gauche ukrainienne ». Le texte de la résolution est reproduit ci-dessous :

1. Une réponse honnête aux défis de la guerre, pas une politique hypocrite

Les perspectives incertaines de victoire de l'Ukraine découlent du fait que la seule stratégie fiable pour s'opposer à l'agresseur - mobiliser toutes les ressources économiques disponibles pour soutenir la ligne de front et les infrastructures critiques - est en contradiction avec les intérêts de l'oligarchie. En raison du libre marché, l'Ukraine est une caricature d'économie de guerre, et la concentration du luxe au milieu de la pauvreté devient dangereusement explosive. Le refus de nationaliser les capacités de production, de taxer les grandes entreprises et d'orienter le budget vers le réarmement permet de prolonger la guerre au prix d'importantes pertes humaines et d'une mobilisation constante.

Nous pensons que le gouvernement devrait entamer un dialogue avec la population sur les objectifs réalisables de la guerre et, surtout, introduire une économie défensive ou reconnaître qu'il n'est pas prêt à se battre pour la victoire. Nous préconisons de mettre fin à l'incertitude concernant la durée du service militaire, car il s'agit d'une question d'équité élémentaire. L'acquisition d'une supériorité technologique combinée à une approche prudente des personnes est la voie de la victoire.

2. La solidarité internationale comme moyen de surmonter la crise de l'ordre mondial

La guerre en cours en Ukraine est l'un des signes de la crise de l'ordre mondial fondé sur le modèle néolibéral. Celui-ci se caractérise par l'exploitation des pays pauvres par les riches, l'inégalité dans l'accès aux biens fondamentaux et la prospérité des élites financières au prix de l'endettement de nations entières. Toutes ces caractéristiques du système néolibéral ont sapé la confiance dans le droit international et rendu inévitable la polarisation mondiale.

Pour lutter contre l'agression russe et pour ouvrir la voie à une reconstruction d'après-guerre qui profite aux travailleurs, nous avons besoin du soutien de la communauté mondiale, y compris d'une assistance humanitaire et militaire. L'intégration européenne ne doit pas servir de justification à des réformes antisociales, mais doit se faire sur des bases équitables, en s'accompagnant d'une amélioration du bien-être du peuple ukrainien et d'un renforcement de la démocratie. Nous sommes convaincus que nos liens avec les mouvements de gauche à travers l'Europe aideront l'Ukraine à mieux se défendre. Dans le même temps, nous sommes solidaires des mouvements progressistes d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine dans leur lutte contre l'impérialisme. Nous condamnons les politiques d'agression et d'occupation d'autres États, qu'il s'agisse de l'oppression des Palestiniens par Israël, des Kurdes par la Turquie ou des Yéménites par l'Arabie saoudite. Une nouvelle architecture des relations internationales est nécessaire, où il n'y a pas de privilèges pour les « grandes puissances », le G7 ou les membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU.

Le Mouvement social prône le désarmement nucléaire, interagit avec les forces de gauche qui reconnaissent le droit à l'autodéfense de l'Ukraine et soutient la lutte des autres nations pour leur libération.

3. Construire une « Ukraine pour tous » en tant qu'espace de solidarité et de sécurité

Alors que la guerre contre un ennemi extérieur était censée unir le peuple ukrainien, en réalité, des tentatives honteuses sont faites pour diviser les Ukrainiens en « bons » et « mauvais ». Au lieu d'unir le plus grand nombre autour des idées de justice, de liberté et de solidarité, on provoque des conflits au sein de la société. On assiste à des manifestations de chauvinisme linguistique, à la justification de l'hostilité envers les minorités nationales et la communauté homosexuelle, et à la promotion de l'uniformité idéologique. Cela ne permettra pas à la lutte mondiale contre l'impérialisme russe de gagner du terrain et compliquera la réintégration des territoires occupés.

Il est impossible d'établir l'égalité sans surmonter la vulnérabilité sociale. À l'inverse, la réduction des dépenses sociales par l'État et la déréglementation irresponsable affectent déjà la résilience de la société. Il est temps de cesser de promouvoir des politiques qui exacerbent les inégalités. Les demandes d'émancipation des femmes, d'espaces inclusifs pour les personnes handicapées et de soutien aux victimes de la violence d'extrême droite peuvent renforcer la capacité de l'Ukraine à résister à la tyrannie, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du pays. Prouver notre humanité = prendre l'avantage sur l'agresseur.

Le Mouvement social s'opposera aux politiques qui divisent la société et protégera les droits sociaux comme condition préalable à l'affirmation de la dignité humaine. Nous exigerons un contrôle total de l'État sur la protection de la vie et le bien-être des travailleurs, qui sont plus exposés que jamais.

4. La transformation écosocialiste - la clé de la survie

L'écoterrorisme russe, combiné à des années d'exploitation prédatrice à grande échelle des ressources naturelles par les oligarques nationaux et à la négligence des autorités en matière de protection de l'environnement, constitue une menace pour les écosystèmes de l'Ukraine, y compris sa biodiversité, ses ressources en eau propre, la fertilité de ses sols, ainsi que la santé et la vie de sa population. La guerre et la politique anti-environnementale du capital ont un impact négatif sur les groupes pauvres et discriminés, augmentant leur vulnérabilité.

Nous insistons sur la nécessité d'harmoniser la production sociale et la reproduction écologique sur la base des principes de l'écosocialisme. La transition verte doit avant tout être équitable et prendre en compte les intérêts des travailleurs en créant de nouveaux emplois, en recyclant les travailleurs et en assurant des garanties sociales et des compensations pour ceux qui risquent de perdre leur emploi en raison de la fermeture d'entreprises. L'utilisation efficace des ressources énergétiques nécessite une réduction du temps de travail, et la nationalisation des entreprises énergétiques permettra une gestion rationnelle des capacités sans l'influence d'intérêts commerciaux. Nous soutenons les petits agriculteurs familiaux pour la sécurité alimentaire et l'écologisation de l'agriculture, l'idée de déprivatisation des ressources communes, et nous nous opposons fermement aux exploitations agricoles monopolistiques qui détruisent l'écosystème.

Le Mouvement social collaborera avec les syndicats et d'autres organisations publiques progressistes pour élaborer un programme de transformations qui réponde aux intérêts à long terme des travailleurs, des agriculteurs et d'autres segments vulnérables de la population ukrainienne dans le contexte de la production, de l'écologie et de l'énergie.

5. Les travailleurs ont porté le fardeau de la guerre, ils méritent donc d'être entendus.

Depuis le début de l'invasion à grande échelle, le cœur de la résistance à l'agression - tant au front qu'à l'arrière - a été la classe ouvrière. Malheureusement, dans des conditions où le principal fardeau de la guerre a été transféré à la classe ouvrière, il n'y a pas de force politique de gauche en Ukraine qui exprimerait les problèmes inhérents aux travailleurs et qui agirait selon les principes de la démocratie inclusive. Dans le cadre des réalités du capitalisme oligarchique, les restrictions des libertés servent souvent les intérêts des élites.

Pour construire une Ukraine écosociale, indépendante, avec des droits et des opportunités égaux, il est nécessaire d'avoir une plateforme politique démocratique qui unira les travailleurs et les autres groupes opprimés, représentant leurs intérêts dans la politique, y compris la participation aux élections. Nous sommes ouverts à l'interaction avec les partis politiques qui partagent notre vision. Plus vite un processus politique compétitif sera rétabli, plus vite la confiance dans l'État sera restaurée. La corruption, la censure et d'autres abus commis par des fonctionnaires nuisent aux efforts de défense. Le meilleur remède contre cela est le renouvellement démocratique du pouvoir. La liberté est le fondement de la sécurité pour tous les citoyens.

Le Mouvement social plaide pour le rétablissement des droits électoraux, du droit de réunion pacifique et de grève des travailleurs, ainsi que pour l'abolition de toutes les restrictions aux droits du travail et aux droits sociaux.

Sotsialnyi Rukh (Mouvement social), octobre 2024

Sotsialnyi Rukh's website, https://rev.org.ua/rezolyuciya-shlyax-do-peremogi-ta-zavdannya-ukraїnskix-livix/

Publié en anglais le 20 octobre 2024 sur https://links.org.au/sotsialnyi-rukh-social-movement-path-victory-and-tasks-ukrainian-left

Traduit avec deepl.com

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Ukraine : La force vient de l’intérieur

Le « plan de victoire » de Zelensky est un appel aux acteurs extérieurs qui montre que le gouvernement sous-estime encore nettement le potentiel d'une mobilisation interne de (…)

Le « plan de victoire » de Zelensky est un appel aux acteurs extérieurs qui montre que le gouvernement sous-estime encore nettement le potentiel d'une mobilisation interne de toutes les forces. Dans le même temps, le plan risque même de saper l'unité, par exemple en ouvrant l'accès aux ressources naturelles tandis que les oligarques continuent d'être protégés et que les charges de la guerre sont répercutées sur la population.

Oleksandr Kyselov (Mouvement social, Ukraine)

Ce n'est qu'en développant une infrastructure de défense publique, en socialisant les infrastructures critiques et en gérant les ressources de l'Ukraine dans l'intérêt des générations actuelles et futures que nous pourrons espérer protéger notre liberté. Les citoyens devraient être concernés par l'avenir du pays, et le respect de la dignité humaine doit être au cœur d'une société qui demande à ses membres de risquer leur vie pour elle.

Malheureusement, rien de tel n'apparaît dans le « plan de victoire » de Zelensky, qui a finalement été révélé à la nation. Au contraire, ce qui frappe le plus dans ce plan est sa dépendance disproportionnée à l'égard de l'Occident. Il s'agit là d'un changement notable, s'éloignant des appels émotionnels antérieurs pour chercher à attirer un soutien par l'accès à nos ressources naturelles et la promesse d'externaliser nos troupes pour assurer la sécurité de l'Union européenne. Aussi éloignée que soit cette vision de nos rêves les plus chers de réintégrer la « famille européenne », il pourrait s'agir d'une approche sobre, compte tenu de l'hypocrisie omniprésente dans la politique internationale. Mais ce qui est encore plus humiliant, c'est d'essuyer un refus presque immédiat. Alors qu'auparavant, une pression incessante - à la limite de l'intrusion – réalisait l'inimaginable, aujourd'hui l'évolution de l'environnement politique indique que les limites sont atteintes.

Cette dépendance à l'égard d'acteurs extérieurs pour résoudre nos problèmes est symptomatique de la voie politique choisie, qui a considéré nos propres citoyens comme d'accord et a entraîné une fragilité interne à peine dissimulée. « Sotsialnyi Rukh » exige un dialogue sincère avec la société sur la façon dont nous en sommes arrivés là et sur ce que l'on peut raisonnablement en attendre. La rhétorique militante du gouvernement suscite des attentes, mais l'incapacité à les concrétiser en unissant l'ensemble de la société et en mobilisant toutes les ressources pour la défense ne fait qu'aggraver la méfiance et la déception.

Après 970 jours de guerre au moment de la rédaction de ce rapport, des dizaines de milliers de morts, des centaines de milliers de blessés et des millions de personnes déplacées, l'enjeu est immense. Peu de familles sont épargnées par cette dévastation. Les espoirs nés d'une offensive réussie dans l'oblast russe de Koursk ont cédé la place à l'inquiétude et à l'incertitude face à une lente retraite dans l'Est. Les forces russes menacent de s'emparer de Pokrovsk, ce qui risquerait de couper la principale source de charbon à coke et de paralyser notre industrie métallurgique. Les soldats épuisés, qui combattent souvent dans des unités en sous-effectif sans bénéficier d'un repos et d'une récupération adéquats, sont scandalisés par les projets du gouvernement visant à autoriser l'achat légal d'une exemption, au moins temporaire, du service militaire et exigent des durées de service claires. Certains n'en peuvent plus : selon les médias, près de 30 000 cas d'exemption de service ont été enregistrés au cours des six premiers mois de l'année 2024.

La question reste ouverte : qui remplacera ceux qui sont en première ligne ? Conscients des conditions de vie dans l'armée, les civils ne font plus la queue aux postes d'appel sous les drapeaux, mais se soustraient activement à la mobilisation. Les cas signalés d'évasion ont triplé depuis 2023, et les sondages montrent régulièrement que près de la moitié des personnes interrogées jugent ce phénomène raisonnable. Les appels au devoir civique sonnent creux lorsque l'État déclare ouvertement qu'il ne doit rien à ses citoyens - la ministre de la politique sociale, Oksana Zholnovich, ayant déclaré que « nous devons briser tout ce qui est social aujourd'hui et simplement reformuler à partir de zéro le nouveau contrat social sur la politique sociale dans notre État » et le président de la politique sociale ayant déclaré « nous ne sommes pas un ministère de paiement, les Ukrainiens devraient être plus autosuffisants et moins dépendre de l'État ». La brutalité et l'impunité des officiers de police judiciaire, qui font pression sur les hommes dans les rues, ne font qu'exacerber le problème. Plus de 1 600 plaintes ont été déposées auprès du Médiateur en 2024, mais les résultats se font attendre. Entre-temps, les rapports du champ de bataille, qui décrivent comment des recrues non motivées, non entraînées, voire inaptes, mettent en danger les autres, remettent en question le résultat de l'augmentation de la coercition.

Le tableau d'ensemble suggère un choix délibéré des élites dirigeantes de transférer le fardeau de la résistance à l'agression sur les gens ordinaires. La flambée des prix, les maigres salaires et l'austérité sociale vont de pair avec la restriction des négociations collectives, l'augmentation des impôts sur les revenus faibles et moyens et la poursuite de la corruption, même dans le domaine de la défense. Ce qui aggrave encore la situation, c'est que la classe politique préfère ignorer la chance d'une unité sans précédent que nous avons tous connue après le début de l'invasion. Au lieu de cela, elle choisit de semer la division en exploitant les peurs d'une société traumatisée et en alimentant la suspicion en désignant sans cesse de nouveaux ennemis intérieurs : russophones, « victimes de la pensée coloniale », adeptes des prêtres moscovites, collaborateurs, agents du Kremlin ou pédés. Les Ukrainiens du front sont montrés du doigt comme les ingrats de l'arrière, qui devraient à leur tour blâmer ceux qui sont « confortablement » assis à l'étranger.

Cela nous ramène au « plan de victoire » du président qui, bien qu'il mette l'accent sur la force, ne fait qu'exposer nos faiblesses. Certains affirment qu'il s'agit peut-être du dernier ultimatum de Zelensky à l'Occident - destiné à être rejeté - avant un revirement complet vers un compromis forcé avec l'ennemi. Cet argument n'est pas totalement dénué de fondement, puisque les sondages suggèrent que plus de la moitié de la population serait prête à négocier ou à geler le conflit si le soutien de l'Occident lui était retiré. Mais quelles sont les chances qu'un accord avec la Russie conduise à une paix durable, sans parler d'une paix juste ? Même en supposant que Poutine soit disposé à négocier de bonne foi, ce qui n'est pas acquis, de tels pourparlers pourraient être voués à l'échec, déboucher sur un accord mort-né ou ne constituer qu'une pause temporaire avant la reprise des combats.

La reconnaissance de l'annexion des territoires occupés est évidemment hors de question. Pour les Ukrainiens, ces territoires restent occupés et il n'y a aucun moyen d'atténuer cette réalité. Laisser l'Ukraine sans garanties de sécurité, surtout lorsque la Russie continue d'investir dans sa force militaire, serait une invitation ouverte à une nouvelle agression. Dans la société ukrainienne, 45 % des Ukrainiens considèrent une paix injuste comme une trahison des compatriotes tombés au combat, et 49 % d'entre eux descendent dans la rue pour protester contre le compromis. Le seul accord ayant une chance d'être soutenu, avec une légère marge, comprend la désoccupation des régions de Zaporizhzhia et de Kherson, combinée à l'adhésion à l'OTAN et à l'UE.

D'autre part, rien de moins que la capitulation et la soumission ne semble remplir les objectifs du Kremlin dans cette guerre d'agression, qui ont été réitérés par Poutine lui-même avant le sommet des BRICS à Kazan. En outre, le plan budgétaire triennal récemment adopté par la Russie porte les dépenses militaires à un niveau record. Par conséquent, la plus grande erreur serait d'opposer les efforts diplomatiques au soutien militaire. Sans une solidarité significative, l'Ukraine et son peuple chuteront - si ce n'est pas maintenant, ce sera plus tard.

Bien qu'il n'existe pas de solutions faciles ou toutes faites, l'honnêteté est essentielle pour se préparer. Si un cessez-le-feu intervient, il ne durera peut-être pas longtemps, mais chaque jour qui passe doit être mis à profit pour renforcer la résilience de notre société. Exposer notre écosystème aux investisseurs étrangers alors qu'il est déjà affaibli par des années d'exploitation prédatrice et d'écoterrorisme russe, n'est pas la solution. L'inégalité, l'aliénation et la privation de droits ne nous apporteront pas la résilience. La main invisible du marché - qui marchandise tout, qui est en proie au court-termisme et au profit - ne nous rendra pas plus forts.

La racine de nos problèmes réside dans le fait que, trop souvent, les intérêts de ceux qui, par leur travail invisible, font fonctionner le pays, ont été ignorés. Espérons que cette fois-ci, nous avons retenu la leçon. C'est pourquoi « Sotsialnyi Rukh » déclare publiquement qu'il est prêt à coopérer avec d'autres forces pour construire un mouvement politique qui garantisse que la voix du peuple soit entendue dans les couloirs du pouvoir. Dès que les élections auront lieu, elles pourront décider de notre destin pour les années à venir.

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Iran. En attendant la tempête

Dans la nuit du 25 au 26 octobre, Israël a lancé une attaque limitée sur l'Iran, avec la bénédiction des États-Unis. Si Tel-Aviv semble pour l'instant se retenir d'ouvrir un (…)

Dans la nuit du 25 au 26 octobre, Israël a lancé une attaque limitée sur l'Iran, avec la bénédiction des États-Unis. Si Tel-Aviv semble pour l'instant se retenir d'ouvrir un nouveau front dans la région, à Téhéran, la population semble davantage préoccupée par les difficultés de la vie quotidienne que par l'éventualité d'une guerre régionale. De passage dans le pays, Shervin Ahmadi raconte l'ambiance dans la capitale.

Tiré d'Orient XXI.

En ce début d'après-midi du 1er octobre, le hall de l'aéroport international Imam Khomeini de Téhéran est plus calme que d'habitude. Seuls deux vols viennent d'atterrir. Dans le taxi qui me conduit vers mon appartement, nous parlons de la situation politique, comme toujours. C'est à ce moment-là que nous apprenons que l'Iran a attaqué Israël. Le conducteur, plus jeune que moi, est inquiet des répercussions économiques. Il a pourtant participé à la guerre contre l'Irak, souvenir amer au vu des jours meilleurs qu'il espérait par la suite. Comme beaucoup d'Iraniens, il critique tout, y compris la révolution iranienne qu'il attribue aux intellectuels « qui sont partis à l'étranger et nous ont laissés dans cet enfer ». Je me sens visé par ce reproche et lui rappelle que la vie sous le Shah n'était pas un paradis, et qu'il n'était pas possible à l'époque de critiquer le régime comme il le fait. Comme beaucoup d'autres, l'homme répète la propagande des chaînes satellitaires pro-israéliennes, comme Iran International, qui ne cessent d'embellir le régime du Shah, pourtant l'un des dictateurs les plus durs de la seconde moitié du XXe siècle.

En arrivant chez moi, je sors acheter le strict nécessaire : un peu de pain et du fromage. Dans un vieux magasin du quartier, les commerçants se sont rassemblés et discutent de la nouvelle de l'attaque. Eux aussi sont inquiets des conséquences économiques, mais sans dramatiser.

Dans les jours qui suivent, je me promène dans le centre-ville, où de nombreux cafés attirent les jeunes. Dans ces quartiers, près d'un tiers de jeunes filles ne portent pas le foulard. Je n'ai pas vu la police des mœurs, ni dans les rues ni à l'entrée des stations de métro. Il semble que la pression sociale ait diminué, comme l'avait promis le candidat Masoud Pezeshkian lors de sa campagne présidentielle. La présence policière dans les rues n'est pas aussi marquée qu'elle l'était pendant le mouvement « Femme, vie, liberté » (1). Pour un pays au bord de la guerre, la situation est curieusement très calme. On a l'impression que les Iraniens ne croient pas à une guerre ouverte avec Israël, et ne paniquent pas face à cette éventualité.

L'inflation plutôt que la guerre dans la région

Cela fait un an que je ne suis pas venu en Iran. J'ai l'impression que l'inflation n'est pas aussi galopante qu'auparavant. Le prix du pain n'a pas changé, mais celui du poulet est passé de 74 000 tomans (1,62 euro) il y a un an à 84 000 tomans (1,84 euro) aujourd'hui, soit une hausse de 14 %. L'augmentation des prix des produits laitiers est encore plus marquée. Selon le Centre des statistiques iranien, le taux d'inflation annuel des ménages du pays a atteint 34,2 % en septembre 2024, enregistrant une légère baisse de 0,6 point par rapport à l'année précédente. Mais la vie chère reste la principale préoccupation des Iraniens. Comme les années précédentes, la hausse des salaires n'a pas suivi l'inflation, et les gens ont le sentiment de s'appauvrir de plus en plus.

La guerre à Gaza est presque absente des conversations. En dehors des médias d'État et des journaux, on n'entend pas parler de ce conflit dans la rue. En revanche, une partie des intellectuels dits « de gauche » adopte une position proche de l'extrême droite française et ne condamne pas les crimes d'Israël, les trouvant « normaux » après le 7 octobre. La haine du régime semble tout justifier, y compris le génocide à Gaza. Certains royalistes vont plus loin, voyant l'image du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou dans la lune (2) et le présentant comme le sauveur des Iraniens. Cependant, ces voix restent très minoritaires, et un appel collectif « contre le nouvel ordre imposé au Proche-Orient » a recueilli la signature de plus d'un millier d'artistes et d'intellectuels iraniens. En discutant avec les gens, on voit tout de suite pointer une certaine fierté patriotique. Personne ne sait quelle serait la réaction des Iraniens si des soldats américains venaient à débarquer sur leur sol.

De son côté, le régime ne semble pas préparer la population à l'éventualité d'une guerre ouverte avec l'Occident dans un avenir proche. La diplomatie iranienne est très active, et Abbas Araghtchi, le ministre des affaires étrangères, a multiplié les voyages dans la région, se rendant notamment en Égypte, pays avec lequel l'Iran n'avait pas de relations diplomatiques pendant des années. Lors de son déplacement au Liban après l'assassinat du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, le ministre a fait état des efforts déployés par l'Iran pour parvenir à un cessez-le-feu simultané au Liban et à Gaza. Le message de Téhéran est très clair : une guerre ouverte entre Israël (ou l'Occident) et l'Iran n'épargnerait aucun pays de la région, et il est dans l'intérêt de tous d'éviter cette éventualité.

Les quotidiens, qu'ils soient réformateurs ou conservateurs, saluent cette forme de « dissuasion diplomatique » et évitent de semer la panique parmi la population en évoquant la probabilité d'une attaque totale imminente d'Israël. On a l'impression que la guerre à Gaza et au Liban a mis fin, du moins temporairement, aux querelles habituelles entre réformateurs et conservateurs, favorisant ainsi l'émergence d'une forme de « réconciliation nationale ».

Les affaires continuent

Téhéran continue de réaffirmer par ailleurs son soutien à ses alliés au sein de « l'axe de la résistance ». Lors de son voyage à Beyrouth, Mohammad Ghalibaf, président du parlement iranien, a déclaré : « Nous participerons à la reconstruction du Liban. » Il a également affirmé récemment que son pays est prêt à négocier avec Paris en vue d'un cessez-le-feu au Liban.

Lors du premier sommet de l'Union européenne avec les six monarchies du Golfe arabo-persique, le 16 octobre 2024, les responsables de l'Union européenne (UE) ont déclaré : « Les opérations militaires d'Israël à Gaza et au Liban, ainsi que le risque d'une guerre régionale plus large, seront le sujet principal de cette rencontre. »3 Cependant, juste avant ce sommet, l'UE a émis de nouvelles sanctions contre sept entreprises iraniennes, dont trois compagnies aériennes, contraignant ainsi Iran Air à suspendre tous ses vols vers l'Europe, sauf Londres. Ces nouvelles sanctions ne devraient pas avoir d'impact significatif sur le régime, mais elles compliquent légèrement la vie des Iraniens de la diaspora qui souhaitent rentrer au pays. Les voyages vers l'Europe et le reste du monde restent possibles via des pays voisins, comme la Turquie, les Émirats ou le Qatar.

Le matin du 26 octobre, en me réveillant, j'apprends que la riposte israélienne a eu lieu : des sites militaires dans les provinces de Téhéran, du Khouzestan (sud-ouest) et d'Ilam (ouest) ont été attaqués. Les médias d'État parlent de dégâts limités.

Malgré cette opération, je ne remarque aucun changement dans le comportement des gens. Tout est calme, et l'attaque semble ne susciter aucun intérêt. Dans le métro, j'essaie d'aborder le sujet avec un jeune étudiant, qui n'est même pas au courant des événements. Je descends au quartier universitaire, où se concentrent de nombreuses librairies, et je constate la même indifférence. Étonnamment, les gens semblent désintéressés.

Plus surprenant encore, le prix du dollar, qui avait grimpé ces derniers jours, a légèrement baissé au lendemain de l'attaque, et la Bourse est passée au vert après plusieurs jours dans le rouge. On dirait que les milieux d'affaires, commerçants inclus, soulagés par la portée limitée de cette attaque, se disent désormais : c'est bon, nous pouvons continuer nos activités.

Beaucoup pensaient que Nétanyahou pourrait attaquer l'Iran avant l'élection présidentielle américaine, le 5 novembre 2024, plaçant ainsi le prochain locataire de la Maison-Blanche devant le fait accompli. Les responsables iraniens avaient déjà mis en garde contre cette éventualité, promettant, si tel était le cas, une riposte encore plus violente que celle du 1er octobre. Pour l'instant, la balle semble à nouveau au centre.

Notes

1- NDLR. Mouvement de révolte qui s'est déclenché en Iran en septembre 2022 à la suite du meurtre, par la police des mœurs, de Mahsa Amini, jeune femme kurde iranienne, pour avoir mal mis son voile.

2- Pendant la révolution iranienne, une rumeur s'est répandue parmi la population selon laquelle l'image de l'Ayatollah Khomeini serait apparue dans la lune. Cet événement a été utilisé pendant des années par les royalistes pour qualifier la révolution iranienne de soulèvement d'un peuple ignorant.

3- « Un sommet UE/Pays du Golfe dominé par la crise au Moyen-Orient », L'Orient-Le Jour, 15 octobre 2024.

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Au Japon, des élections sans illusions

29 octobre 2024, par Romaric Godin — , ,
Le nouveau premier ministre, Shigeru Ishiba, nommé fin septembre, cherche une nouvelle légitimité dans des législatives prévues le 27 octobre. Pris entre les courants internes, (…)

Le nouveau premier ministre, Shigeru Ishiba, nommé fin septembre, cherche une nouvelle légitimité dans des législatives prévues le 27 octobre. Pris entre les courants internes, une opinion sans illusions et une économie stagnante, il devrait être confirmé, mais affaibli.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Pour la première fois depuis 2009, le Parti libéral-démocrate du Japon (PLD) pourrait perdre sa majorité absolue à la Chambre des représentants, la chambre basse du Parlement, lors des élections anticipées prévues le 27 octobre. Ce ne sont pas seulement les sondages qui le prédisent, mais le premier ministre nippon lui-même, Shigeru Ishiba, qui a déclaré que son objectif était d'obtenir une majorité avec son allié traditionnel, le Kōmeitō, un parti issu du mouvement bouddhiste japonais.

C'est pourtant Shigeru Ishiba qui a appelé ce scrutin anticipé après sa désignation surprise, dans un vote interne au PLD, comme premier ministre en remplacement de Fumio Kishida, en poste depuis 2021. Ce dernier avait dû démissionner mi-août après un scandale de corruption au sein du parti. Pour renforcer sa légitimité douteuse et effacer les effets de ces malversations, le nouveau chef du gouvernement a décidé de dissoudre la Chambre des représentants.

L'idée était d'incarner un « nouveau PLD » au pouvoir. Au Japon, ce parti a gouverné soixante-cinq des soixante-neuf dernières années, perdant le pouvoir deux fois seulement, très temporairement, entre 1993 et 1994 et entre 2009 et 2012. Les « alternances » se font donc aussi au sein même du PLD. Shigeru Ishiba a, sur le papier, tout pour représenter cette forme d'alternance.

Le premier ministre japonais Shigeru Ishiba, à Kagawa, le 16 octobre 2024. © Photo Makoto Kondo / The Yomiuri Shimbun via AFP

Pendant longtemps, il a été dans l'opposition interne au parti, notamment à Shinzō Abe qui, en 2012, l'avait battu pour la présidence du PLD. Fin septembre, il l'a emporté en outsider, et en défendant des positions originales, tant sur le plan économique, avec un soutien à la politique de resserrement monétaire de la Banque du Japon (BoJ), la banque centrale du pays, que sur le plan international, où il prônait une politique de réarmement agressif du Japon et la création d'un « Otan asiatique ».

Mais Shigeru Ishiba n'a remporté l'élection interne que grâce au rejet de sa principale concurrente, Sanae Takaichi, héritière autoproclamée de Shinzō Abe. Sa victoire a été courte et n'a pas été un vote d'adhésion des barons du parti à ses positions. Autrement dit, le nouveau premier ministre a une très faible base au sein même du PLD et il lui faut, en réalité, mener deux campagnes parallèles : une pour rassurer les rangs du PLD, l'autre devant les électeurs.

Équilibrisme

Le chemin est étroit. Dans son discours de politique monétaire devant la Diète, Shigeru Ishiba s'est montré extrêmement prudent, évitant de prendre des positions tranchées et d'annoncer quoi que ce soit de concret. Un signe qu'il lui faut trouver des équilibres internes délicats. Résultat : l'homme qui pouvait renouveler le PLD semble se contenter de se mettre dans les pas de son prédécesseur.

Un mode de scrutin mixte qui favorise le PLD

Le Parlement japonais s'appelle la Diète et est constitué de deux chambres : la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers. C'est la première qui est renouvelée le 27 octobre et devant laquelle le gouvernement est responsable. Elle est élue pour quatre ans, mais fait régulièrement l'objet de dissolutions. La dernière chambre a été élue en 2021.

L'élection des 465 députés se déroule en une journée selon deux modes : un majoritaire et un proportionnel. 289 députés sont élus dans des circonscriptions selon un système majoritaire uninominal à un tour, sur le modèle britannique ou états-unien. 176 sièges sont ensuite répartis à la proportionnelle dans onze grands « blocs régionaux ». Chaque électeur dispose de deux bulletins de vote, un pour chacun de ces modes de désignation.

Le mode de scrutin et le découpage des circonscriptions favorisent très largement les aires rurales, traditionnellement conservatrices, ainsi que les grands partis, à commencer bien sûr par le PLD. En 2021, ce dernier a ainsi obtenu 55,7 % des sièges, soit 259 élus, avec 34,7 % des voix.

Autre signe de cette prudence, le nouveau premier ministre n'a exclu que douze députés du parti impliqués dans le scandale de corruption. Mais il n'a satisfait personne. Beaucoup d'élus PLD n'ont guère apprécié ces exclusions réalisées sur des critères opaques, tandis qu'une grande partie de l'opinion a jugé le « nettoyage » principalement cosmétique. L'image du PLD, même menée par Shigeru Ishiba, reste donc entachée par ce scandale dans l'opinion et cela va se traduire par un recul dans les urnes.

Sur le plan international, dès son arrivée au pouvoir, Shigeru Ishiba a, là aussi, dû mettre de l'eau dans son vin. Son idée d'Otan asiatique a été très fraîchement reçue dans la région et semble déjà plus ou moins enterrée. Et alors qu'il avait appelé à une « réponse dure » envers Pékin après la violation de l'espace aérien nippon par un avion de surveillance chinois, il s'est montré plus flexible lors de sa rencontre le 10 octobre avec son homologue chinois Li Qiang, prônant une « relation mutuellement bénéficiaire ».

Au reste, si le PLD doit compter sur son alliance avec le Kōmeitō pour obtenir sa majorité, il y a fort à parier que les bouddhistes profiteront de leur position clé pour peser davantage sur la politique étrangère. Traditionnellement, ce parti est opposé à la rhétorique nationaliste et à toute politique de réarmement massif. L'apaisement prôné par le premier ministre avec Pékin entre plutôt dans ce cadre.

L'absence de politiques économiques convaincantes

Cette volte-face se voit aussi sur le plan économique. Shigeru Ishiba a longtemps défendu un durcissement monétaire afin de sortir de la politique de taux négatifs dans laquelle la BoJ s'est engagée dans les années 2010 pour accompagner la politique de Shinzō Abe.

En mars 2024, la BoJ a relevé une première fois ses taux mais a, pour l'instant, mis en suspens de nouvelles hausses. Dès le 4 octobre, Shigeru Ishiba a déclaré que « l'économie japonaise n'était pas en mesure de supporter de nouvelles hausses de taux ». Ce commentaire a provoqué un vent de panique sur les marchés qui y ont vu l'annonce d'un changement de politique monétaire. Le yen a perdu 2 % en une journée, obligeant le premier ministre à corriger ses déclarations et à jurer qu'il accepterait les choix futurs de la BoJ. L'épisode a prouvé la confusion dans laquelle le leader du PLD mène cette campagne électorale.

De fait, Shigeru Ishiba semble avoir choisi la voie de la continuité avec son prédécesseur. Comme lui, il a promis, dans son premier discours devant le Parlement, de « mettre fin à la déflation », autrement dit à la logique de stagnation alliée à de l'inflation faible qui règne dans le pays depuis le début des années 1990. Car même si le Japon a connu un épisode inflationniste comme le reste du monde entre 2022 et 2023, la logique déflationniste continue de menacer avec la faiblesse des salaires réels et une croissance plus que jamais poussive.

Certes, le PIB japonais a nettement rebondi au deuxième trimestre avec une hausse trimestrielle de 0,8 %, mais il s'agissait largement d'un rattrapage après une baisse de 0,6 % au trimestre précédent. Et les derniers chiffres disponibles ne sont guère encourageants. Les exportations ont reculé de 1,7 % en septembre sur un an, effaçant la hausse de 1,1 % du mois d'août qui constituait le seul moteur de la croissance.

En réalité, en prenant un peu de recul, on constate que, malgré la méthode Coué du gouvernement précédent et de la BoJ, le pays reste dans une stagnation profonde. Le PIB du deuxième trimestre 2024 était ainsi supérieur de 0,2 % à celui du deuxième trimestre de 2019. Autrement dit, en cinq ans, il n'a quasiment pas bougé. On constate aussi que le PIB du deuxième trimestre 2024 est presque 10 % inférieur à ce qu'il aurait été si la tendance déjà faible des années 1994-2008 s'était poursuivie.

Une opposition éclatée

Compte tenu du mode de scrutin, un des avantages structurels du PLD dans les élections japonaises réside dans la division de l'opposition. Dans les années 2000, le Parti démocrate du Japon (PDJ) avait réussi à concentrer une grande partie des courants d'opposition et avait fini par remporter les élections de 2009. Mais après le désastre de la gestion du PDJ, marqué notamment par la catastrophe de Fukushima en 2011, il a perdu beaucoup de crédibilité.

Aujourd'hui, les héritiers du PDJ sont le Parti démocrate constitutionnel (PDC), plutôt social-libéral, et le Parti démocrate du peuple (PDP), plus conservateur et plus marginal. Le PDC n'a cependant jamais plus représenté une menace directe pour l'alliance PDJ-Kōmeitō. En 2021, le PDC a obtenu 99 députés et 20 % des voix au scrutin proportionnel. De son côté, le PDP a obtenu 2,4 % des voix et 11 sièges.

La tâche du PDC est encore rendue plus compliquée par l'émergence du Parti de l'innovation, appelé Ishin no Kai ou simplement Ishin, qui a obtenu 14 % des voix en 2021 et 41 sièges. Ce parti défend une ligne libertarienne et a réussi à s'implanter solidement dans la région de Kyoto et Osaka. Il refuse toute alliance avec le PDC, mais s'est récemment dit prêt à aider le PLD à gouverner, si besoin.

Enfin, le dernier grand parti japonais d'opposition est le Parti communiste du Japon (PCJ) qui, grâce à une évolution précoce d'indépendance vis-à-vis de Moscou et de Pékin, a réussi à conserver des positions fortes. En 2021, il a obtenu 6,8 % des voix et 11 sièges.

Les salaires n'ont pas réellement rebondi. Le salaire réel a reculé pendant vingt-six mois jusqu'en juin 2024 et, après deux mois de hausse modeste, il a, à nouveau, baissé en août. Sans surprise, la demande des ménages est donc atone. La croissance dépend très largement des entreprises exportatrices, lesquelles sont sous la pression du ralentissement de leur principal marché, la Chine. Ces dernières ont donc déjà fait savoir qu'elles préféreraient freiner les hausses de salaires. Et déjà, la dernière proposition des syndicats dans les négociations salariales pour les grandes entreprises a été plus modeste qu'attendu.

Face à cette situation, la BoJ est prise au piège. Est-il temps de resserrer encore les taux alors que l'économie reste aussi fragile ? Faut-il, au contraire, maintenir un soutien monétaire et budgétaire ? Le faux pas de Shigeru Ishiba trahit les doutes qui, en réalité, sont ceux de tout le monde au Japon.

Faute de mieux, le nouveau premier ministre en est donc réduit à s'en remettre aux mêmes recettes qu'auparavant. Shigeru Ishiba, qui avait tant critiqué la politique de Shinzō Abe, a donc annoncé ce que tout nouveau premier ministre doit annoncer : un plan de relance.

L'arme de la relance semble émoussée, comme l'arme monétaire

Sa taille sera annoncée après l'élection, ce qui est, là encore, la preuve de la prudence extrême et du flou que la nouvelle administration entretient. Mais on sait déjà que son originalité sera de se concentrer sur le développement régional. Ce n'est certainement pas une mauvaise idée dans la mesure où l'essentiel de la faible croissance nipponne se concentre dans les métropoles, laissant les régions plus modestes et isolées à l'abandon.

Mais il n'empêche : l'arme de la relance semble émoussée, comme l'arme monétaire. Entre 2021 et 2023, les trois plans réalisés par Fumio Kushida se sont élevés à 188 000 milliards de yens, soit environ 116 milliards d'euros. Sans effets de reprise notable sur la productivité et la croissance. Et c'est ainsi depuis trente ans.

C'est la raison pour laquelle la dette publique est la plus importante du monde : elle atteint 255 % du PIB. Ce niveau s'explique aisément : l'action publique a certes garanti d'éviter un effondrement, mais elle n'a pas permis de redresser la croissance.

Dans ce contexte, Shigeru Ishiba marche sur des œufs. La BoJ normalisant sa politique monétaire, le taux d'intérêt de la dette japonaise va remonter. La charge de la dette pourrait donc venir alourdir la facture et affaiblir le pays à terme, sauf si, cette fois, la relance fonctionne. Mais cette hypothèse semble très hasardeuse : le Japon est une économie structurellement vieillissante, peu productive. Une économie qui dépend trop de son secteur exportateur, lequel a besoin d'un yen faible et de salaires réels comprimés, donc d'une demande intérieure anémique.

Le Japon est donc pris dans des injonctions contradictoires. Comme l'illustre l'appel du nouveau premier ministre à mettre fin à la déflation, sans réellement avoir de solutions concrètes à mettre en œuvre. On comprend donc le peu d'enthousiasme des Japonais devant la proposition de Shigeru Ishiba.

Mais l'opposition est extrêmement divisée et s'est largement discréditée par ses expériences de gestion passées. Le PLD devrait donc garder le pouvoir avec l'appui du Kōmeitō ou, dans le pire des cas, du parti libertarien Ishin. Shigeru Ishiba gardera donc son poste.

L'essentiel est ailleurs. Ni le PLD, ni l'opposition, ni même la BoJ ne semblent aujourd'hui en mesure de régler les problèmes fondamentaux de l'économie japonaise. Les autorités naviguent à vue, tentant d'éviter les écueils les plus évidents. Mais le Japon, tombé à la quatrième place économique mondiale l'an dernier, reste un paquebot à la dérive.

Romaric Godin

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« Les Israéliens pensent que la seule solution pour vivre en sécurité, c’est la guerre »

29 octobre 2024, par Nitzan Perelman, Loïc Le Clerc — , , ,
Que pensent les Israéliens ? De la guerre, à Gaza puis au Liban. Des crises politiques et économiques qui s'enchaînent. D'une société qui se radicalise. On en a causé avec (…)

Que pensent les Israéliens ? De la guerre, à Gaza puis au Liban. Des crises politiques et économiques qui s'enchaînent. D'une société qui se radicalise. On en a causé avec Nitzan Perelman.

Tiré de regards.fr

Regards. Voilà plus d'un an que la situation au Proche-Orient a basculé dans un nouveau niveau de violence. Qu'est-ce qui a changé depuis le 7 octobre 2023 au sein de la société israélienne ?

Nitzan Perelman. En soi, il n'y a rien de nouveau dans cette situation. Les Israéliens ont l'habitude de ces moments de tension – même si cette séquence est très longue. Depuis sa création, Israël est en état d'urgence, quand il n'est pas en guerre. Les Israéliens n'ont jamais rien connu d'autre, au point que même les accords de paix avec la Jordanie et l'Égypte ne sont pas pris au sérieux. Mais il est vrai que le 7-Octobre a été un très grand tournant dans la région et un point de radicalisation et de fracture. Tous les phénomènes que l'on observe aujourd'hui étaient déjà présents dans la société israélienne, ils sont simplement exacerbés. Il faut se rappeler qu'en décembre 2022, quand le gouvernement accède au pouvoir, ils avaient des objectifs très clairs concernant la colonisation de la Cisjordanie et, en mars 2023, ils ont abrogé la loi sur le désengagement de Gaza qui interdisait la construction de colonies.

Tout de suite après le 7-Octobre, il y a eu cette impression que l'armée israélienne, qui est l'institution en laquelle les Israéliens ont le plus confiance, ne fonctionnait plus. C'est un changement d'ampleur parce qu'en Israël, la sécurité est la première des priorités. Cette image d'une armée puissante, dont le renseignement se veut un des plus efficaces au monde, a été brisée. Mais depuis, notamment avec les assassinats des leaders du Hamas et du Hezbollah, cette image est restaurée.

Existe-t-il encore une opposition à Benyamin Netanyahou ou assiste-t-on à une sorte d'union sacrée, à l'extrême droite toute ?

Il y a une très forte opposition à Netanyahou, mais il faut comprendre sur quoi elle repose. Avant le 7-Octobre, cette opposition se basait sur la contestation de la réforme judiciaire, l'alliance du Likoud avec l'extrême droite. Maintenant, l'opposition est concentrée sur la libération des otages, considérée par Netanyahou et ses ministres comme moins prioritaire que l'occupation de Gaza ou la destruction du Hamas.

Pourtant, les manifestations se sont multipliées depuis – début septembre, ce sont plus de 500 000 personnes qui défilaient à Jérusalem. Est-il question de paix dans les revendications de ces Israéliens ?

S'il est question de cessez-le-feu, c'est uniquement pour la libération des otages, aucunement pour cesser la guerre. La paix, le sort des Palestiniens ne sont pas du tout évoqués. Les familles des otages ont fait une campagne dont le slogan était « On les ramène d'abord, on y retourne après ». Autre élément de compréhension de l'état d'esprit des Israéliens : un sondage, publié fin avril, montrait que seulement 4% des juifs israéliens considèrent que la guerre est allée trop loin. Concernant la guerre avec le Liban, le soutien est plus large encore. Même le centre et la gauche sioniste sont très impliqués – on a dit que la gauche s'est « réveillée » le 7-Octobre. On voit par exemple Yaïr Golan, président du parti Les Démocrates, qui a très clairement exprimé son opposition au cessez-le-feu et son soutien à la guerre au Liban.

Depuis sa création, Israël est en état d'urgence, quand il n'est pas en guerre. Les Israéliens n'ont jamais rien connu d'autre. Plus personne ne pense que la paix est possible.

La nouveauté par rapport aux précédents conflits, c'est que l'extrême droite est dans la coalition au pouvoir et ses ministres poussent pour accentuer les tensions avec tous les pays voisins. Netanyahou aussi utilise ce sentiment de peur et de guerre permanente pour rester au pouvoir. Les plus modérés n'échappent pas à cette idée et plaident pour le droit d'Israël à se protéger. Le centre et la gauche sioniste n'appellent pas faire la guerre, mais ils la soutiennent au nom de la sécurité.

Des dizaines de milliers d'entreprises ont fait faillite depuis le 7-Octobre. Le pouvoir a basculé à l'extrême droite. La guerre est à chaque frontière. Et c'est normal pour les Israéliens ?

C'était déjà très compliqué avant le 7-Octobre. En 2011, il y a eu une crise économique et des manifestations très importantes contre le coût de la vie. Entre 2019 et 2021, il y a eu une crise politique où Israël a connu quatre élections législatives sans majorité. Quand, en 2022, Netanyahou a fini par former sa coalition avec l'extrême droite, il subit une énorme contestation contre la réforme judiciaire. Puis arrive le 7-Octobre, le choc de l'attaque, la durée du conflit, le nombre de réservistes mobilisés, la situation économique qui s'enfonce, le fait qu'il y a énormément de déplacés… Non, ça n'est pas normal pour les Israéliens, le sentiment d'insécurité et de fatigue est plus important que jamais. Mais, encore une fois, ça n'est pas un changement, c'est une radicalisation. Plus personne ne pense que la paix est possible et, donc, la seule solution pour que les Israéliens soient en sécurité, c'est la guerre.

Arrivez-vous à imaginer, d'ici un an, ou peut-être plus, une issue pacifique à cette guerre ?

Je suis assez pessimiste. On voit très clairement où veut aller le gouvernement Netanyahou. Le Likoud et ses alliés d'extrême droite – Otzma Yehudit et le Parti sioniste religieux – ont organisé un événement pour la recolonisation de Gaza. Ça ne se fera peut-être pas d'ici un an, mais ils vont mettre en place le « plan des généraux », c'est-à-dire évacuer la population, détruire ce qu'il reste à détruire et occuper militairement Gaza. La construction des colonies viendra dans un second temps. Concernant le Liban, la même idée commence à germer. Parce que cette guerre ne ressemble pas aux opérations précédentes, plus ponctuelles entre deux moments de normalisation. On voit désormais des gens comme Daniella Weiss, une figure emblématique du mouvement des colons, appeler à la colonisation du Sud du Liban. Au sein du gouvernement, on évoque plutôt l'importance de contrôler militairement cette région. Je ne sais pas si c'est possible, mais ça n'est pas improbable.

Loïc Le Clerc

Nitzan Perelman est doctorante en sociologie politique à l'Université Paris-Cité, cofondatrice du site yaani.fr qui analyse les sociétés palestinienne et israélienne.

Netanyahou : un fasciste pur sang de par ses origines, sa formation et ses mentors…

Qu'est-ce qui fait que Bibi Netanyahou soit devenu la coqueluche et l'idole de la racaille d'extrême droite raciste, néofasciste et néonazie en Europe et de par le monde ? La (…)

Qu'est-ce qui fait que Bibi Netanyahou soit devenu la coqueluche et l'idole de la racaille d'extrême droite raciste, néofasciste et néonazie en Europe et de par le monde ? La réponse n'est pas difficile : cette racaille se reconnaît en lui car elle considère, à juste titre, que Bibi Netanyahou est chair de sa chair.

Tiré de : CADTM infolettre , le 2024-10-23
22 octobre par Yorgos Mitralias

Et pas seulement à cause de ses « exploits » guerriers et autres qui font que l'Israël de Netanyahou soit devenu l'État-modèle de leurs rêves (et de nos cauchemars). Si tout ce beau monde le célèbre et s'identifie à lui c'est aussi parce que Netanyahou est un fasciste pur sang de par ses origines, sa formation et ses mentors…

En somme, les poids lourds de l'Internationale Brune en gestation, l'américain Trump, le Russe Poutine et l'Indien Modi, les latino-américains Milei et Bolsonaro et les leaders d'importants partis d'extrême droite, racistes, islamophobes. homophobes, misogynes, fascistes et néonazis (et souvent...antisémites !), dont certains gouvernent ou se préparent à gouverner des pays membres de l'UE comme l'Hollande, l'Allemagne, l'Autriche, la France, l'Italie, l'Espagne, la Belgique ou la Hongrie, comprennent très bien ce que nos politiciens (neo)libéraux feignent de ne pas comprendre : que Netanyahou ne s'acoquine pas avec eux par opportunisme ou pour des raisons tactiques, mais parce que l'attraction est mutuelle. Parce qu'il se reconnaît en eux , en leur idéologie et en leur prédilection pour la violence physique !

Et voici tout de suite de quoi il s'agit, en commençant par la fin. Bibi Netanyahou a été propulsé en politique par Yitzhak Shamir surtout au temps où ce dernier était premier ministre d'Israël (1986-1992) et chef du Likoud, le parti d'extrême droite au gouvernement. Les affinités électives entre les deux hommes ont été manifestes dès le début quand Shamir a fait du jeune Netanyahou, qui était déjà ambassadeur israélien auprès des Nations Unis (1984), son ministre adjoint des Affaires Etrangères, avant de lui céder sa place à la présidence du Likoud en 1993, seulement trois ans avant que Netanyahou devienne à 47 ans le plus jeune Premier ministre de l'histoire d'Israël ! Ce n'est pas donc un hasard que Netanyahou ait toujours reconnu en Yitzhak Shamir non seulement son « protecteur » mais aussi son mentor idéologique…

Shamir et le jeune Netanyahou Shamir et le jeune NetanyahouAlors, vu que Netanyahou s'est toujours réclamé de l'idéologie de Shamir, se posant même en successeur et héritier politique de celui-ci, la question qui se pose tout naturellement est quelle a été l'idéologie que ce Yitzhak Shamir a servi durant toute sa vie, sans jamais rien renier ? On pourrait dire que tout a commence quand je jeune Shamir a pris la tête de l'organisation paramilitaire et terroriste sioniste Lehi, après l'exécution de son chef et fondateur Avraham Stern par la police britannique en 1942. Voici ce qu'on peut lire aux premières paragraphes que Wikipedia consacre à Lehi :

"Sous la direction d'Avraham Stern, le Lehi a été clairement un groupe d'extrême droite, dont les membres (mais pas tous) étaient pour une bonne partie influencés par le fascisme italien. L'influence politique originelle de Stern se situe au sein du groupe des Birionim, un groupe de sympathisants fascistes agissant en marge du parti de la droite sioniste, le parti révisionniste, au début des années 1930.

En novembre 1940, la toute jeune organisation publie ses thèses, sous la forme de 18 « principes de la renaissance (Ikarei ha'Tehiya) ». On y indique en particulier que :

Les frontières d'un État juif doivent aller du Nil à l'Euphrate (de l'Égypte à l'Irak). Cette terre sera « conquise sur les étrangers par le glaive ». La revendication d'un État sur une forte partie du Moyen-Orient se fait en référence à la Bible (Genèse 15-18). Cependant, dans la pratique, la revendication du Lehi portera ensuite essentiellement sur la Palestine et la Transjordanie (Jordanie actuelle).

Le « Troisième royaume d'Israël » y sera rétabli (cette phrase sera modifiée en fevrier 1941).

Les exilés juifs se rassembleront dans le nouvel État.

Le temple de Jérsalem sera reconstruit (le Stern regroupe essentiellement des laïcs. Le temple est ici plus un symbole national que religieux. La majorité des Haredim (ultra orthodoxes) est d'ailleurs hostile à une telle reconstruction, considérant qu'elle est l'apanage du Messie).

Les populations arabes doivent partir du nouvel État : « le problème des étrangers sera résolu par un échange de population ».

Dans un autre de ses textes, le Lehi indique que le monde est divisé « entre races combattantes et dominatrices d'une part, et races faibles et dégénérées de l'autre ». Les Hébreux doivent retrouver leurs vertus « guerrières et colonisatrices » de l'Antiquité »".

Il est vrai qu'après la mort de Stern, Lehi s'est divisé en plusieurs fractions aux programmes et idéologies assez différentes. Cependant, elles étaient toutes d'accord sur une question, celle du terrorisme en tant que moyen (privilégié) d'action. C'est pourquoi tous les leaders de Lehi, et évidemment Yitzhak Shamir, ont toujours défendu des opérations terroristes de grande ampleur (dont Shamir était d'ailleurs le chef), auxquelles leur organisation a été la protagoniste, seule ou ensemble avec l'Irgoun. Et tout ça, tant en Palestine qu'a l'étranger (Londres), provoquant au total plusieurs milliers de morts parmi les Britanniques mais aussi parmi les Arabes, et même les juifs. Il est a noter que deux parmi les actions terroristes les plus tristement célèbres, le massacre du village palestinien de Deir Yassine et l'assassinat du « médiateur pour la Palestine » de l'ONU comte Bernadotte ont été conçues et exécutées par les dirigeants et les militants de Lehi…

Ceci étant dit sur les origines idéologiques fascistes, racistes et terroristes de Benjamin Netanyahou, quid de ses fréquentations actuelles des néonazis, des fascistes et autres antisémites patentés ? Comment expliquer le paradoxe d'un premier ministre de l'État d'Israël qui non seulement fréquente de telles personnes, mais -pire- les considère et les célèbre comme des alliés privilégiés des juifs dans leur combat contre ...les antisémites ? Aucun paradoxe, répondraient les chefs de Lehi Yitzhak Shamir et Abraham Stern, mais aussi leur mentor à tous, le fondateur du sionisme « révisionniste » d'extrême droite Ze'ev Jabotinsky, et même... le père lui-même de Bibi Netanyahou. Pourquoi ? Mais, parce que ce qui unit toutes ces personnalités historiques du sionisme de droite, est qu'ils n'ont eu aucun problème de conscience de proposer et parfois de conclure des alliances avec... Hitler et Mussolini en personne !

Comme on l'écrivait déjà dans notre article quand Einstein appelait « fascistes » ceux qui gouvernent Israël depuis 44 ans...« le premier à pratiquer ces « alliances contre-nature » n'était autre que le fondateur et théoricien du Révisionnisme sioniste Ze'ev Jabotinsky qui, poussé par sa haine viscérale de la Révolution Russe, est allé jusqu'à conclure une alliance avec le chef de guerre nationaliste et anticommuniste Ukrainien Petlioura, l'armée duquel avait commis en 1917-1922...897 pogroms anti-juifs durant lesquels ont été massacrés au moins 30.000 juifs Ukrainiens ! ». Et on continuait rappelant que « le père de « Bibi », qui a servi de secrétaire de Jabotinsky, a suivi Abba Ahimeir quand celui-ci est entré en conflit avec Jabotinsky qui a rejeté sa proposition de devenir un... Mussolini juif a la tête d'un parti sioniste clairement fasciste. Étroit collaborateur de cet idéologue et théoricien fasciste, le père de Bibi a dirigé les publications de l'organisation de Ahimeir, lequel a noué des liens assez étroits avec l'Italie fasciste de Mussolini mais il n'a jamais réussi la même chose avec l'Allemagne nazie bien qu'il n'a pas hésité de faire l'éloge d' Hitler en 1933 ! ».

Mais, il y a pire avec le mentor de Netanyahou et son organisation terroriste, car le fondateur et dirigeant de Lehi Avraham Stern n'a pas hesite, en pleine guerre mondiale, d'envoyer, par l'entremise de l'ambassade du Troisième Reich à Beyrouth, une lettre a Hitler lui proposant une alliance en bonne et due forme, bien qu'étant au courant de la persécution des juifs par le régime nazi ! C'est exactement ce cynisme et ce manque total de scrupules qui caractérisent Jabotinsky, Ahimeir, Begin et Shamir, c'est a dire tous les précurseurs et maîtres à penser de Netanyahou, qu'on retrouve actuellement dans les alliances que ce dernier est en train de conclure avec la fine fleur de l'extrême droite et du fascisme mondial, s'en foutant éperdument du fait que ses alliés archi-réactionnaires et obscurantistes soient des antisémites et des épigones ou nostalgiques des pogromistes et autres génocidaires de Juifs d'antan !

Alors, que dire de ceux qui feignent de s'étonner du « manque de projet » de Netanyahou ou de ne pas comprendre pourquoi lui, un juif, s'allie aux fascistes et aux antisémites. Ils ne sont que des hypocrites impénitents car Netanyahou a bien un projet, qu'il applique d'ailleurs scrupuleusement : en Palestine où il extermine et expulse les Palestiniens, et au Moyen Orient où il est en train de construire le Grand Israël de ses rêves messianiques. Quant à ses alliances privilégiées avec la racaille d'extrême droite raciste, néofasciste et néonazie, elle n'ont rien d'incompréhensible du moment qu'on admette l'évidence qui crève les yeux : le fait que Netanyahou est un fasciste pur sang qui d'ailleurs est en train de devenir un des piliers de cette Internationale Brune en gestation, qui constitue déjà la plus grande menace qu'ait à affronter actuellement l'humanité toute entière !...

Auteur.e

Yorgos Mitralias Journaliste, Giorgos Mitralias est l'un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l'Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l'appel de soutien à cette Commission.

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Citoyens israéliens pour une pression internationale réelle sur Israël

Nous, citoyennes et citoyens israéliens, résidant en Israël et ailleurs, appelons la communauté internationale – l'Organisation des Nations unies et ses institutions, les (…)

Nous, citoyennes et citoyens israéliens, résidant en Israël et ailleurs, appelons la communauté internationale – l'Organisation des Nations unies et ses institutions, les États-Unis, l'Union européenne, la Ligue arabe, ainsi que tous les pays du monde – à intervenir immédiatement en appliquant contre Israël toute sanction possible afin d'obtenir un cessez-le-feu immédiat entre Israël et ses voisins, et cela, pour l'avenir des peuples vivant en Israël / Palestine et dans la région, et afin de garantir leur droit à la sécurité et à la vie.

Tiré de https://israelicitizensforin.live-website.com/francais/

Bon nombre d'entre nous sont des militants de longue date œuvrant contre l'occupation et pour la paix et une existence commune. Animés par l'amour de notre pays et de ses habitants, nous sommes extrêmement inquiets aujourd'hui. Nous avons été horrifiés des crimes de guerre perpétrés par le Hamas et ses complices le 7 octobre, et nous sommes épouvantés des innombrables crimes de guerre commis par Israël. Hélas, la majorité des Israéliens soutient la poursuite de la guerre. Ainsi, un changement venant de l'intérieur semble, à l'heure actuelle, impossible. L'État d'Israël se trouve engagé dans une trajectoire suicidaire et dans une entreprise de destruction d'autrui qui ne cesse de s'intensifier avec chaque jour qui passe.

Le gouvernement israélien a abandonné ses citoyens tenus en otages (et les a parfois tués) ; il a délaissé les habitants du Sud et du Nord d'Israël, et, par ses actions, il sacrifie l'avenir de ses propres citoyens. Les Palestiniens citoyens d'Israël sont persécutés et réduits au silence tant par le pouvoir que par l'opinion publique majoritaire. L'oppression, l'intimidation et la persécution politique empêchent de nombreux citoyens qui partagent notre avis à s'engager publiquement en signant cet appel.

L'horizon d'un règlement de conflit – de réconciliation, d'un avenir où des Juifs-Israéliens pourront vivre en sécurité dans cet espace – s'éloigne à mesure que la guerre continue. Cependant, la destruction et le massacre doivent s'arrêter immédiatement !

L'absence de pression internationale effective, la poursuite de l'approvisionnement d'Israël en armes, le maintien des accords de coopérations économiques, sécuritaires, scientifiques et culturelles réconfortent beaucoup d'Israéliens dans l'idée que la politique menée par leur gouvernement bénéficie d'un soutien international. De nombreux chefs d'État s'indignent et condamnent Israël, mais ces déclarations ne sont pas suivies d'effet. Nous en avons assez des mots creux.

Pour notre avenir et pour l'avenir de tous les habitants d'Israël / Palestine et des pays de la région, nous vous implorons : sauvez-nous de nous-même ! Exercez une vraie pression internationale sur Israël pour un cessez-le-feu immédiat et durable.

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Un homme d’affaires israélo-américain présente son plan à 200 millions de dollars pour déployer des mercenaires dans la bande de Gaza

Moti Kahana affirme être en discussion avec le gouvernement israélien sur la possibilité de créer un programme pilote de « communautés fermées » contrôlées par des forces de (…)

Moti Kahana affirme être en discussion avec le gouvernement israélien sur la possibilité de créer un programme pilote de « communautés fermées » contrôlées par des forces de sécurité privées américaines.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Le gouvernement israélien est en train d'étudier activement un plan visant à déployer des agent-es de sociétés américaines privées de logistique et de sécurité dans la bande de Gaza sous les auspices de l'acheminement de l'aide humanitaire, ont rapporté les médias israéliens. Le cabinet de sécurité israélien s'est réuni dimanche soir pour discuter de la proposition et devrait approuver un programme « pilote » pour commencer à effectuer des essais dans les deux prochains mois, selon ces médias. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a « accepté d'examiner » le plan la semaine dernière, indique le journal Haaretz.

Les médias décrivent ce projet comme le fruit de la réflexion de l'homme d'affaires israélo-américain Mordechai « Moti » Kahana, PDG de Global Delivery Company (GDC), qui décrit son entreprise à but lucratif comme « Uber pour les zones de guerre ». M. Kahana, partisan passionné de Joe Biden et de Kamala Harris, a passé l'année dernière à essayer de trouver un rôle pour son entreprise dans la guerre d'Israël contre Gaza.

L'un des objectifs de Kahana est de créer une « communauté fermée » à Gaza où les Palestinien-nes seraient soumi-ses à des contrôles biométriques afin de recevoir l'aide humanitaire. Depuis des mois, il est question en Israël de créer des « bulles humanitaires » dans le nord de la bande de Gaza où l'aide pourrait être distribuée après que les forces israéliennes aient décrété l'élimination des combattants du Hamas dans ces zones. Le ministre de la défense, Yoav Gallant, a défendu cette idée. Des rumeurs circulent en Israël sur la façon dont cela pourrait être réalisé et sur les acteurs qui pourraient diriger les opérations.

« GDC et son sous-traitant ont eu des discussions approfondies avec le gouvernement israélien, y compris le ministère de la défense, les forces de défense israéliennes et le bureau du premier ministre, sur les modalités de cette initiative », a déclaré GDC dans un communiqué lundi. La société a affirmé qu'une « sécurité privée bien formée est le seul moyen réaliste “ d'acheminer l'aide à Gaza ” tant que les nations ne seront pas disposées à envoyer leurs troupes sur le terrain à Gaza et que les forces de maintien de la paix de l'ONU seront perçues comme inefficaces ». Elle ajoute : « Le personnel travaillant pour notre sous-traitant en matière de sécurité est formé et équipé pour les méthodes létales et non létales de contrôle des foules. Elles et ils sont formé-es pour n'utiliser la force meurtrière qu'en dernier recours, si leur vie est en danger. Les forces de l'IDF, en revanche, sont des troupes de combat qui n'ont ni la formation, ni l'équipement, ni la discipline nécessaires pour éviter le recours à la force meurtrière, sauf en cas d'absolue nécessité. L'utilisation de soldat-es de combat pour cette mission entraînera presque à coup sûr des pertes civiles ».

La proposition pilote de la GDC comprend un plan de partenariat avec Constellis, successeur et société mère de l'ancienne Blackwater, la tristement célèbre société de mercenaires fondée par Erik Prince. Constellis affirme n'avoir aucun lien avec Prince. La société opère en Israël dans le cadre d'un contrat du Pentagone visant à assurer la sécurité du personnel américain travaillant dans une installation radar discrète située dans le désert du Néguev, à une trentaine de kilomètres de Gaza. Le site a été créé pour donner l'alerte en cas d'attaque de missiles balistiques iraniens. Parmi les filiales de Constellis figure la société de mercenaires Triple Canopy, qui travaille depuis longtemps pour le gouvernement américain et des entreprises privées dans des zones de guerre et de conflit à travers le monde. Constellis n'a pas répondu à une demande de commentaire.

Si les médias israéliens ont présenté M. Kahana comme étant à l'origine de la proposition d'une force de sécurité privée chargée d'acheminer l'aide à Gaza, il n'est pas certain que le gouvernement israélien prenne réellement en considération son offre spécifique ou qu'il étudie d'autres fournisseurs de services de sécurité privés. Une société de sécurité privée américaine aurait besoin de l'approbation du département d'État pour offrir des services armés à une entité étrangère ou au gouvernement israélien. Dans sa déclaration de lundi, GDC a indiqué qu'elle prévoyait d'assurer le suivi auprès du gouvernement israélien et qu'elle « chercherait à rencontrer le gouvernement des États-Unis, les Nations unies et les organisations humanitaires actives à Gaza ».

L'avalanche de rapports médiatiques indiquant que le gouvernement israélien est de plus en plus impliqué dans la logistique de la distribution de l'aide humanitaire survient à un moment où la politique israélienne sur le terrain manifeste sa volonté inébranlable de mener une guerre d'extermination contre les Palestiniens de Gaza. Toute la discussion sur les plans « du jour d'après » pour Gaza et les rumeurs et rapports sur les propositions de sécurité privée pourraient n'être qu'un écran de fumée. Qu'Israël envisage sérieusement de déployer des forces privées ou non, il a clairement indiqué qu'il avait l'intention de rester à Gaza indéfiniment et qu'il n'envisageait pas de mettre fin à ses opérations génocidaires.

« Uber pour les zones de guerre »

Kahana publie fréquemment des messages sur Twitter (X), développant sa vision d'une opération « humanitaire “ à Gaza dans laquelle l'éligibilité à l'aide humanitaire est conditionnée à la soumission à des tests biométriques visant à déterminer si l'on est un ” terroriste « . « Les terroristes recevront une balle », a-t-il promis dans un tweet. En réponse aux questions de Drop Site News, M. Kahana a ajouté qu'il s'agirait d'une ville « similaire à Miami sans terrain de golf ni piscine ». « Ce ne sera pas un ghetto, écrit-il, ils pourront y entrer et en sortir à tout moment, mais l'objectif sera de créer des communautés sûres et sécurisées avec des dirigeant-es et un gouvernement palestiniens locaux. Le GDC et la compagnie ne feraient qu'« assurer la sécurité ».

Le GDC compte parmi ses employé-es Stuart Seldowitz, le fonctionnaire en disgrâce de l'administration Obama qui a été accusé de crime haineux après avoir harcelé un vendeur de chariots de nourriture halal. M. Kahana a déclaré que M. Seldowitz était son « consultant principal en diplomatie humanitaire ». Le GDC aurait coupé les ponts avec M. Seldowitz peu après l'incident, mais M. Kahana s'est dit ouvert à ce que M. Seldowitz travaille avec le GDC à Gaza. » Il reste un ami », a déclaré Kahana à Drop Site. » Il a aidé le GDC à sauver plus de 5 000 musulman-es en Afghanistan, et il est le bienvenu pour faire la même chose à Gaza avec nous ». M. Kahana a lui-même fait des déclarations incendiaires, qualifiant la représentante américaine Rashida Tlaib d'« ambassadrice désignée du Hamas aux États-Unis » et le système de tunnels souterrains utilisé par les Brigades Al-Qassam à Gaza de « système du rat ».

Le GDC emploie actuellement plusieurs anciens officiers israéliens de haut rang – le général de brigade (res.) Yossi Kuperwasser, membre du Think Tank extrémiste « HaBitchonistim » qui conseille Netanyahou depuis le début du génocide, et le lieutenant-colonel Doron Avital, ainsi que l'ancien chef des services de renseignement David Tzur. L'équipe du GDC comprend également le colonel Justin Sapp, béret vert (forces spéciales de l'US Army, ndlt) récemment retraité, consultant pour Constellis et vétéran des opérations paramilitaires secrètes de la CIA en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001. Son directeur logistique est l'ancien officier de la marine américaine Michael Durnan.

Lundi, M. Kahana a tweeté que le GDC lancerait son projet à Gaza dès qu'il en recevrait l'autorisation et a ajouté que « notre chef d'équipe qui dirigera le [projet] à Gaza a conquis [Mazar-i-Sharif] en Afghanistan après le 11 septembre ». Dans un entretien ultérieur avec YNet, Kahana a déclaré qu'il parlait de Sapp, l'ancien Béret vert.

Kahana se vante que sa société a opéré pendant 14 ans dans cinq guerres : Afghanistan, Syrie, Irak, Ukraine et Gaza. » Notre slogan est “Nous livrons” », a-t-il écrit sur X en mars. GDC, une entreprise à but lucratif qui opère depuis au moins 2019, est née de l'ancienne organisation à but non lucratif de Kahana, basée à New York et appelée Amaliah. « Mon entreprise est comme un Uber/UPS en zone de guerre, pour les personnes et les marchandises », a déclaré Kahana en juillet 2023. » Je peux être ici dans ma ferme [dans le New Jersey] et diriger une opération au Moyen-Orient ».

Constellis figure comme partenaire officiel sur le site de GDC et GDC et Constellis ont travaillé ensemble en Ukraine, selon The Jewish Chronicle et confirmé par Kahana à Drop Site News. Tandis que GDC transportait de l'huile de tournesol et du diesel dans le pays, Constellis fournissait des services de sécurité. Constellis est l'une des plus grandes sociétés de sécurité privée au monde. Elle affirme avoir opéré dans plus de 50 pays et possède plusieurs divisions et filiales. En 2022, sa filiale Triple Canopy a remporté un contrat de 10 ans pour assurer la sécurité de l'ambassade américaine en Irak, d'une valeur estimée à 1,3 milliard de dollars. Elle possède également Olive Group, une société britannique de sécurité privée et de formation.

Dans un récent tweet, M. Kahana a partagé une capture d'écran d'une présentation datée du 30 mai décrivant le projet pilote proposé, qui devait à l'époque commencer en juillet et se concentrer sur Beit Hanoun. Constellis est cité comme partenaire. Le journaliste de Haaretz Amos Harel, sans nommer Constellis, a déclaré dans une récente interview en podcast que la société à laquelle Israël envisageait de confier le projet « avait apparemment travaillé avec les Américains en Irak ». Kahana a décrit la force de sécurité avec laquelle il travaillerait comme étant « composée d'anciens combattants, de vétérans d'unités d'élite des États-Unis, d'Angleterre et de France. Leur dénominateur commun est qu'ils ne sont pas juifs ».

Kahana a essayé d'attirer l'attention du gouvernement israélien dès octobre 2023, en présentant un projet qui consistait à utiliser l'aide humanitaire comme levier pour obtenir la libération d'otages israéliens. À l'époque, son plan a été rejeté par le gouvernement israélien, qui l'a qualifié de « [ressemblant] à de la propagande du Hamas résultant de la pression qu'il subit ».

En novembre 2023, Kahana a plaisanté sur le nettoyage ethnique de Gaza et le transfert de sa population en Jordanie, et a comparé les manifestant-es contre le génocide aux États-Unis aux « souris dans les tunnels de Gaza ». Se référant aux images d'un enfant palestinien arrivé à l'hôpital Al-Shifa après avoir survécu à une attaque israélienne, couvert de poussière et de sang et tremblant de façon incontrôlable, il a écrit : « Pas d'inquiétude. Nous allons le libérer du Hamas ».

En mars, NBC News a rapporté que le gouvernement israélien envisageait de confier à un prestataire privé américain l'escorte des camions d'aide, déclarant que des responsables israélien-nes avaient « déjà approché plusieurs sociétés de sécurité, mais n'ont pas voulu préciser lesquelles ». M. Kahana a publié un lien vers l'article sur son profil Facebook, accompagné d'un commentaire : « Le GDC n'est pas payé par le contribuable israélien. » Dans la récente interview accordée à Ynet, M. Kahana a affirmé que les États-Unis financeraient le projet à hauteur de 200 millions de dollars pour six mois d'activité.

Après l'assassinat de sept travailleur-euses de la World Central Kitchen lors de frappes aériennes successives de l'armée israélienne en avril, M. Kahana s'est plaint que son plan visant à établir ce qu'il décrit comme un corridor sécurisé vers Gaza n'était pas mis en œuvre. « Israël a mis ce plan sur la table depuis plus de deux mois. Nous avons eu plusieurs réunions au plus haut niveau pour présenter le plan et passer en revue les idées. L'armée était favorable à ce projet et nous attendions le feu vert, mais lorsque nous avons demandé si nous pouvions aller de l'avant, le bureau du Premier ministre a demandé : « Quelle urgence ? » M. Kahana a affirmé que sa proposition « a été présentée à de hauts responsables de la Maison Blanche, du département d'État et du département de la défense. Nous n'avons pas reçu de réponse à notre demande de réunion pour discuter et expliquer le plan ».

En mai, les médias ont indiqué que le gouvernement israélien était en pourparlers avec une société de sécurité privée américaine, qui emploierait d'ancien-nes soldat-es d'unités militaires d'élite, dans le but de lui confier la responsabilité de la gestion du point de passage de Rafah. Kahana a publié le rapport sur son compte Facebook personnel, en écrivant : « Pas de commentaires ». Quelques jours plus tard, il a fait suivre cette publication d'une annonce : » Je suis enfin en mesure de partager que je fournirai de l'aide humanitaire aux civils de #Gaza. Après 14 ans et 5 guerres, je suis maintenant dans ma patrie. Ma société a été autorisée à fournir des services logistiques à Gaza. Hamas, sachez qu'aucune de nos fournitures ne sera volée par vous ! C'est mon premier et dernier avertissement. »

En août, l'idée que l'armée israélienne confie l'occupation de Gaza à des sociétés privées américaines a de nouveau été évoquée, cette fois en relation avec le corridor de Netzarim, qui coupe la bande de Gaza en deux. La société GDC a été désignée comme l'entreprise que le gouvernement israélien envisageait de retenir pour ce travail. Sur sa page Facebook, M. Kahana a proclamé : » Nous sommes sur la voie vers le corridor de Netzarim ».

Au lendemain du 11 septembre, le gouvernement américain a considérablement élargi son recours aux sociétés de sécurité privées dans le cadre de ses guerres en Irak et en Afghanistan. Souvent présentées comme engagées dans des opérations humanitaires, les sociétés de sécurité privées offrent des services de mercenaires à la fois aux gouvernements et au secteur privé. Les États-Unis les ont utilisées dans le cadre d'opérations de la CIA et d'opérations militaires, ainsi que pour assurer la garde de diplomates et de dignitaires américain-es et étranger-es.

Blackwater est entrée en Irak en 2003 pour surveiller les convois humanitaires et assurer la sécurité des entreprises. La société a ensuite été engagée pour assurer la garde de hauts responsables de l'occupation américaine. En septembre 2007, des agent-es de Blackwater ont abattu 17 civils irakiens sur la place Nisour à Bagdad, un massacre qui a attiré l'attention de l'opinion publique mondiale sur le monde secret et en plein essor des contrats militaires privés. Les forces privées ne sont pas soumises au système judiciaire militaire et ne relèvent pas de la chaîne de commandement militaire.

L'argumentaire d'Israël en faveur de l'utilisation de prestataires privés à Gaza consisterait en partie à soutenir qu'ils ne constituent pas une force d'occupation israélienne officielle. Cela offre également à Israël la possibilité d'utiliser des soldat-es retraités des États-Unis et d'autres pays pour exécuter ses ordres à Gaza.

M. Kahana a également affirmé avoir été « impliqué “ dans un projet élaboré par Erik Prince au début de la guerre de Gaza pour aider les FDI à inonder les tunnels souterrains de Gaza avec de l'eau de mer, ce qui, selon les scientifiques, aurait rendu la bande de Gaza ” invivable pendant une période pouvant aller jusqu'à 100 ans ». Prince « m'a demandé de parler aux Israélien-nes de la situation des tunnels et de son idée », a déclaré Kahana à Drop Site, « mais les Israélien-nes n'avaient aucun intérêt à le faire. «

Kahana a qualifié à plusieurs reprises Prince de « bon ami » et a déclaré que « nous partageons certainement les mêmes points de vue en matière de sécurité et notre [amour] pour [drapeaux israélien et américain] ». En ce qui concerne la politique américaine, cependant, Prince est un proche allié de Donald Trump, tandis que Kahana a exprimé ouvertement son enthousiasme pour la candidature de Kamala Harris à la présidence. « Il est grand temps qu'une femme dirige le monde », a-t-il écrit dans un message publié sur Facebook en juillet, accompagné d'une photo de Mme Harris. « Politiquement, nous sommes à 180, je suis démocrate », a déclaré Kahana à Drop Site. Mais, a-t-il ajouté, « j'ai acheté 9 vaches à la femme [de Prince] ».

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Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Dropsitenews

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