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‘Copier-coller la Cisjordanie sur Gaza’ : des centaines de personnes participent à un événement en faveur de la colonisation de Gaza

Dans une zone militaire fermée près de Gaza, des colons israéliens, des ministres et des députés ont appelé au nettoyage ethnique et à l'annexion de la bande de Gaza : une idée qui tend à se banaliser.
Tiré d'Agence médias Palestine.
» Nous sommes ici avec un objectif clair : coloniser toute la bande de Gaza ». C'est ce que déclarait Daniella Weiss, cheffe de file des colons israélien-nes, lors d'un rassemblement de centaines d'Israéliens de droite près de Gaza lundi, où était célébrée la fête juive de Souccot en appelant à l'édification de colonies à l'intérieur de l'enclave assiégée.
En janvier, des milliers d'Israélien-nes ont participé à une grande conférence à Jérusalem, dont plusieurs ministres et membres de la Knesset ; en mai, des milliers de personnes ont défilé dans la ville de Sderot et ont tenu un rassemblement sur une colline surplombant la bande de Gaza. Ce n'était pas non plus la plus énergique : en mars dernier, des militant-es de droite avaient franchi le passage d'Erez et établi un « avant-poste » symbolique avant d'être expulsé-es par l'armée.
Mais ce rassemblement bien organisé, calme et joyeux – qui a été autorisé et tenu contre toute logique dans une zone militaire fermée près de la frontière, et auquel ont participé plusieurs personnalités du parti du Premier ministre Benjamin Netanyahou, le Likoud – a marqué une nouvelle étape dans les efforts visant à intégrer l'idée de colonisation de la bande de Gaza par des juif-ves israélien-nes.
Alors que le gouvernement israélien a nié à plusieurs reprises aux responsables américain-es que l'armée mettait en œuvre le « plan des généraux » visant à assiéger, affamer et expulser les habitant-es du nord de Gaza avant d'annexer le territoire à Israël, il est manifeste que les participant-es à la manifestation de lundi comptaient sur un tel plan pour nettoyer la région en vue de l'implantation de colonies juives. Selon l'ONU, des centaines de milliers de Palestinien-nes vivent encore dans le nord de Gaza, mais plusieurs participant-es en parlaient comme si la zone était presque vide.
» La solution est que nous nous y installions à la place de nos ennemi-es, le Hamas et leurs partisan-es “, déclarait à +972 Noam Toeg, 35 ans, originaire de Givatayim, qui s'est présenté comme un porte-parole du mouvement ‘New Gaza'. « Tout ce qui a été tenté au cours des 80 dernières années a échoué. Le processus est déjà en cours : aujourd'hui, presque tous-tes les habitant-es du nord de la bande de Gaza sont parti-es. »
« Nous sommes la prochaine étape du plan des généraux », a-t-il poursuivi. « Les colonies apporteront la sécurité à long terme. »
Shlomo Ahronson, 54 ans, originaire de la colonie cisjordanienne notoirement violente d'Yitzhar, a déclaré qu'il vivait dans la colonie juive de Netzarim à Gaza jusqu'au « désengagement » de 2005, lorsqu'Israël a évacué ses colonies de la bande de Gaza. « Lorsque [les autorités israéliennes] nous ont expulsés de là, il était clair pour nous qu'un jour nous reviendrions, parce que c'est la volonté de Dieu », a-t-il déclaré. « En fin de compte, [Gaza] fait partie de l'héritage de la tribu de Juda [la terre que la Torah dit avoir été attribuée par Dieu à l'une des anciennes tribus israélites] ».
Ahronson estime que la réinstallation de Gaza n'est pas seulement ordonnée par Dieu, mais qu'elle est également réalisable sur le plan pratique. « Ce n'est certainement pas moins réaliste que de s'installer à Hébron, ou dans n'importe quel endroit de [la Cisjordanie] où il y a des colonies au milieu de zones arabes. J'appartiens au groupe qui, si Dieu le veut, est censé établir une colonie appelée Oz Chaim sur la côte. Il y a des gens [ici] qui veulent s'installer dans la ville de Gaza, ce qui est également faisable mais prendra plus de temps.
« À terme, les Arabes, dont le seul but est de détruire l'État d'Israël, ne sont pas censés se trouver à l'intérieur de l'État d'Israël », poursuit Ahronson. « Nous ne déplaçons aucun-e résident-e, nous nous installons là où il y a de la place et nous attendons le développement – tout comme ils ont établi des kibboutzim en Galilée ou dans le Néguev lorsqu'il y avait des Arabes autour d'eux. Ashkelon était une ville arabe, Ashdod était une ville arabe. Dieu arrange les choses, la réalité s'installe, il y a des guerres, ce n'est pas de notre ressort ».
Ahronson ne voit pas non plus la pression internationale comme un obstacle. » Si une grande partie de la société souhaite s'installer à Gaza, Netanyahou devra déclarer à Biden : “Écoutez, c'est ce que veut le peuple d'Israël, et je n'ai pas d'autre moyen de m'assurer que Gaza n'est [plus] arabe”. Il dira bien sûr qu'il s'agit de la ‘situation sécuritaire', mais petit à petit [Gaza sera repeuplée] ».
« Les Arabes de Gaza ont perdu le droit d'être ici »
Après les prières du matin, les participant-es ont pris part à divers ateliers et ont installé des souccahs (petites huttes pour la fête de Souccot) pour chaque « noyau » de colons prévoyant d'établir une nouvelle communauté juive à Gaza. Il y avait des stands représentant le parti Likoud de Netanyahou et le parti Otzma Yehudit du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir, ainsi qu'un stand tenu par Bentzi Gopstein, le chef du groupe extrémiste Lehava.
Dans un atelier, un guide portant un fusil militaire en bandoulière a distribué des cartes de Gaza et expliqué que l'annexion de Gaza ajouterait 40 kilomètres à la côte israélienne. « Ce n'est pas une petite partie de l'État d'Israël, et elle est entre nos mains – nous n'avons qu'à la prendre », a-t-il déclaré.
Rina Kushland, une participante de 76 ans à cet atelier, originaire de la ville de Modi'in, dans le centre d'Israël, a déclaré qu'en ce qui la concerne, la colonisation de Gaza est « la solution pour la sécurité d'Israël. Et c'est aussi la nôtre : « Je vous ai donné cette terre, de l'Euphrate au fleuve d'Égypte », est-il écrit [dans la Torah]. Il peut y avoir des mort-es. J'ai des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants ; si le sang doit couler, je suis prête à ce que ce soit moi ».
Lors de la table ronde principale, comme il est d'usage dans ce genre d'événement, la vedette était Daniella Weiss, résidente de la colonie de Kedumim en Cisjordanie et présidente de la principale organisation de colons, Nahala. « Nous avons foi en Dieu et en l'expérience que nous avons acquise au cours de nombreuses années de colonisation – plus de 850 000 Juifs au-delà de la ligne verte [en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est] », a-t-elle déclaré à l'auditoire. » Ce que nous faisons ici est un copier-coller sur Gaza. Ce n'est pas pour rien que nous avons fait 50 ans d'efforts et que nous avons réussi. »
En anglais, à l'intention de la presse étrangère venue couvrir l'événement, elle a ajouté : « L'objectif est d'établir des colonies dans toute la bande de Gaza, du nord au sud. Des milliers de personnes sont prêtes à s'installer à Gaza dès maintenant. En même temps, je le dis clairement, les guerres apportent cette chose terrible que sont les réfugié-es. Sans le 7 octobre, nous ne serions pas ici. Mais le 7 octobre a changé l'histoire. À la suite de ce massacre brutal, les Arabes de Gaza ont perdu le droit d'être ici pour toujours. Elles et ils iront dans différents pays du monde. Elles et ils ne resteront pas ici.
« L'armée israélienne mettra fin aux agissements du Hamas et du Hezbollah et, dans le même temps, nous poursuivrons notre projet d'implantation dans la région », a poursuivi Weiss. » Nous parlons également du Liban, mais il faut du temps pour préparer physiquement les gens au déplacement. Nous remplirons les zones qui seront libérées avec des communautés juives. Peut-être qu'au début, nous serons dans des camps militaires – civil-es et soldat-es [ensemble], comme cela s'est produit dans de nombreux endroits en Judée et en Samarie ».
L'arrivée de plusieurs membres du Likoud à la Knesset a suscité beaucoup d'intérêt quant à la question de savoir si le parti du Premier ministre adopterait l'appel à la colonisation de Gaza comme politique officielle. La députée Tali Gottlieb a réprimandé en hébreu un journaliste étranger qui l'interrogeait sur les civil-es de Gaza : » En ce qui me concerne, quiconque reste dans le nord de la bande de Gaza après les avis d'évacuation est non seulement sciemment un bouclier humain, mais interfère avec les efforts de nos combattant-es pour rétablir la sécurité des citoyen-nes de l'État d'Israël ».
Un autre député du Likoud, Osher Shekalim, a déclaré aux médias étrangers que « le peuple palestinien n'existe pas, il n'y a que des gens qui se sont rassemblés dans une certaine zone et qui réclament un État palestinien uniquement parce que l'État d'Israël existe. Avant cela, il n'y avait aucune revendication sur cette terre émanant d'une autre partie ». Il a ensuite ajouté : « Ce n'est pas un peuple, c'est un groupe d'assassins ».
« Un moment historique »
Ce n'est que vers 15 heures, alors que certain-es participant-es s'étaient déjà dirigés vers le parking pour partir, que les invité-es les plus en vue ont commencé à arriver : La ministre de l'égalité sociale et de l'émancipation des femmes, May Golan, du Likoud, suivie du ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, d'Otzma Yehudit, et enfin du ministre des finances, Bezalel Smotrich, du Parti sioniste religieux. M. Ben Gvir a dansé avec certain-es participant-es avant de monter sur scène. Il a souhaité un joyeux anniversaire à Netanyahou, qui n'était pas présent, puis a déclaré à la foule que le « changement de conception » opéré par Israël depuis le 7 octobre portait ses fruits.
» Quand le peuple d'Israël le voudra, Nasrallah, Sinwar et Haniyeh disparaissent », a-t-il déclaré. « Quand le peuple d'Israël le veut, nous entrons dans le nord [du Liban] et nous y faisons ce que nous voulons. Il est vrai qu'il y a des pertes, mais lorsqu'un peuple se comporte en seigneur de la terre, on voit les résultats. »
« Nous pouvons encore faire une chose : encourager la migration [des habitants de Gaza] », a-t-il poursuivi. « En vérité, c'est la solution la plus morale, la plus correcte et la moins coercitive : leur déclarer que nous vous donnons la possibilité d'aller dans d'autres pays ; la Terre d'Israël est la nôtre. »
Plus tard, M. Ben Gvir a félicité les autorités d'avoir permis à l'événement de se dérouler dans une zone militaire fermée. « L'armée et la police nous ont aidés – c'est un moment historique », a-t-il déclaré, avant de se tourner vers Daniella Weiss. « Vous ne savez pas, Daniella, combien d'admirateur-ices vous avez parmi les officier-es de police. »
À proximité, plusieurs dizaines de manifestant-es s'étaient également rassemblé-es, dont des membres de familles d'otages, scandant « la colonisation de Gaza assassine les otages ». Leur présence n'a fait que souligner le fait que les otages ont été à peine mentionné-es lors de l'événement organisé par les colons. Weiss, par exemple, interrogé par un journaliste étranger sur les otages, a rétorqué : « Qu'avez-vous fait, vous et votre pays, pour elles et eux ? »
» Les colons déclarent des implantations sur la tombe où mon fils est enterré vivant », a déclaré à +972 Yehuda Cohen, dont le fils Nimrod a été kidnappé le 7 octobre. » Au lieu de décréter un cessez-le-feu, au lieu de mettre fin à cette guerre odieuse, elles et ils l'attisent afin de pouvoir s'installer à Gaza. Nous ne les laisserons pas faire.
***
Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine
Source : +972
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Projet de bulles humanitaires : un sommet de cruauté sans précédent

Le Conseil criminel restreint (Cabinet) a décidé d'adopter le plan expérimental suivant : passer un contrat avec une société de sécurité américaine privée, dont le propriétaire est israélien, pour gérer la distribution de l'aide humanitaire à Gaza. Cette entreprise est appelée à créer ce qu'elle appelle des « bulles humanitaires », c'est-à-dire des zones géographiquement délimitées, fermées par des murs et des portes, fortement gardées par des milliers de mercenaires étrangers, et qui seraient les seules à recevoir l'aide humanitaire. L'accès à ces zones serait exclusivement réservé aux Palestiniens ayant subi un contrôle de sécurité attestant qu'ils n'ont aucun lien avec les formations de fédayins et de résistants qu'Israël considère comme ennemis.
Tiré d'Agence médias Palestine.
L'entrée et la sortie dans ces zones se feraient uniquement par des outils biométriques (comme l'empreinte digitale ou la cornée). Ainsi, selon eux, l'entreprise veillera à ce qu'aucun individu ayant des liens avec la résistance ne puisse s'infiltrer dans une telle zone.
Vous trouverez ci-après les informations publiées, ainsi qu'une présentation de quelques scénarios et dangers menaçants. Mais avant cela, ce qu'il importe de signaler, que ce plan soit mis en œuvre ou pas, est que dans sa conception et sa logique, ce projet représente un summum, jamais atteint historiquement, dans l'évolution du mal humain et de la malfaisance du cerveau technologique. La raison a besoin d'un énorme effort pour saisir l'ampleur et le mode d'agencement d'un tel crime.
Si l'on considère le fait de réduire une population à la faim comme une arme criminelle au sens général du terme, qui englobe mise sous blocus, soumission, etc…, nous pouvons dire que nous sommes ici face à autre chose, à savoir une occupation qui affame systématiquement les gens jusqu'à l'épuisement, puis utilise la nourriture et la boisson comme arme, en les leur offrant à condition qu'ils se soumettent à un système de contrôle biométrique totalitaire qui identifie chaque personne et fait directement le lien entre sa pitance quotidienne et sa position politique. C'est le système qui décide si vous méritez d'avoir à manger en fonction de vos relations dans la résistance (si vous êtes juste ami ou cousin d'un fédayin, ou influenceur soutenant les fédayins, ou encore si vous avez été un jour membre d'un conseil étudiant et apparaissiez dans les dossiers des renseignements). Autrement dit, tout acte humain que vous effectuez peut vous inclure immédiatement dans une base de données et vous menacer, vous et votre famille, d'être privés de nourriture si Israël y voit une hostilité envers lui. Plus encore, la nourriture devient un outil de chantage au quotidien dans l'interrogatoire les gens et leur enrôlement à des fins de renseignement. Ce procédé était couramment utilisé pendant les sièges, que ce soit pour obtenir un permis de voyager, ou la possibilité de se faire soigner même à l'intérieur, etc. Mais imaginez si chaque repas devenait l'occasion de vous soumettre à un chantage !
Ajoutons à cela que ces « bulles » sont des zones géographiques créées par la force de l'arme alimentaire, mais elles existent par ailleurs en tant que bases sécuritaires avec leurs murs et gardes militaires. Elles vont par conséquent démembrer la géographie et permettre la spoliation de ce qui les entoure, puis contrôler la démographie dans toute la région, de par la liberté qu'elles auraient à bombarder tout ce qui se trouve en dehors de la bulle et à sélectionner qui pourrait y entrer ou pas.
Nous sommes confrontés à l'une des idées les plus perverses de l'histoire de l'humanité, qui recourt au crime d'affamer pour réaliser un autre crime, celui du déplacement forcé, puis celui de la spoliation des terres occupées et le crime de la torture (c'est-à-dire le chantage, l'interrogatoire, et la privation de nourriture juste parce que vous avez appartenu à une faction politique à l'université. Il s'agit là de tortures qui avaient rarement cours, même dans les prisons israéliennes) …Il s'agit là de quelque chose que les mots ne peuvent décrire.
Faisons à présent une remarque sur les détails du projet. Toutes les informations actuellement disponibles nécessitent l'extrême prudence quant à leur présentation et leur analyse, car tout ce qui a été publié fait partie d'une campagne de relations publiques menée par la société de sécurité américaine et son propriétaire israélien. Les premières fuites ont commencé via des comptes suspects sur Telegram et Twitter, puis une interview marketing dans Yediot Aharonot. Il semble que la campagne vise à faire pression et à convaincre les gouvernements israélien et américain de se décider.
La situation est grosso modo la suivante : Cette société (GDC) recevra 200 millions de dollars et travaillera en coopération avec le fournisseur de mercenaires « Constellis », propriétaire de la sinistre « Blackwater ». Le propriétaire de l'entreprise de sécurité déclare que les mercenaires potentiels sont américains, britanniques et français , choisis parmi ceux qui ont combattu en Irak et en Afghanistan. Tandis que d'autres sources affirment que ceux qui participeront à l'opération sont « uniquement des diplômés de la CIA ».
Il n'est pas clair si le contrat a été définitivement établi. Mais l'entreprise a présenté son plan depuis au moins mai 2024. Certaines sources rapportent que le Conseil criminel restreint l'a approuvé, mais qu'il attend l'accord formel des États-Unis, puisque chaque société de sécurité enregistrée aux États-Unis a besoin de l'approbation du Département d'État pour pouvoir fournir ses services à travers le monde. D'autres sources affirment que Biden est concerné par le plan et que celui-ci est aux dernières étapes de coordination entre Jack Sullivan et le propriétaire israélien de l'entreprise américaine, qui soutient, lui, que s'il réussit, ce plan sera une « alternative à la gouvernance » et « le lendemain » à Gaza.
D'après le plan expérimental, la première « bulle humanitaire » sera implantée dans la région d'al-Atatra à Beit Hanoun. La zone est censée être sécurisée par 1 000 mercenaires américains, chargés également de sécuriser l'accès des camions. L'entreprise affirme que la « bulle » sera pourvue de tout le nécessaire humanitaire et que les installations et les logements seront reconstruits grâce à un investissement de 90 millions de dollars. Le plan prévoit aussi la nomination d'un « cheikh local » qui sera chargé de la communication et de la coordination avec et l'entreprise américaine et l'armée israélienne. Il va de soi que les mercenaires ont le feu vert pour tirer sur toute personne qu'ils considèrent comme une « menace ». Si l'expérience d'al-Atatra aboutit, elle serait reproduite dans deux zones supplémentaires à Jabalia.
Quant aux dangers et différents scénarios, ils sont terrifiants, que les informations soient exactes ou non, qu'Israël soit sérieux dans sa mise en œuvre du projet ou pas, et même que le plan réussisse ou échoue…
1/ A supposer que le plan ne sera pas effectivement mis en œuvre, le fait de promouvoir un tel projet, et de prétendre vouloir le réaliser constitue – comme la jetée dans la mer – une couverture pour poursuivre ces massacres et destructions inédits dans l'histoire, et pour perpétuer l'indescriptible tragédie humaine. Continuer à user du feu sous couvert de projets technologiques complexes ajoutera sur le long terme à l'actuel enfer, des méandres administratifs faits de contrats, de litiges, d'obstacles et d'amendements, et nous vivrons encore des années de carnage, de famine et de destruction, pendant que l'Occident s'amuse à expérimenter ces « solutions créatives »…En outre, qu'il soit mis en œuvre ou non, ce projet sera une couverture pour durcir les restrictions déjà imposées aux équipes des organisations internationales d'aide humanitaire (qui sont déjà ciblées), ce qui conduira à les empêcher complètement de travailler dans la bande Gaza sous le prétexte de ce projet, s'en suivra alors l'aggravation de la famine et les privations pour tous ceux qui restent en dehors des « bulles humanitaires ». En plus de cela tout type de contrôle et de relais d'informations seront interdit, or c'est le rôle de ces organisations pratiquent et il offre au monde un point de vue objectif de ce qui se passe à Gaza.
2/ Etant donné la dévastation hystérique dans le nord de la bande de Gaza –aujourd'hui, ils ont incendié des centres d'hébergement pour empêcher les gens d'y retourner – ces « bulles » pourraient devenir les seules zones vers lesquelles le retour est autorisé dans le nord, du moins à un horizon prévisible. Le sud de la bande de Gaza se trouvant actuellement dans un état indescriptible, le désastre va s'y amplifier et le déluge de feu va s'intensifier. Les gens vont donc forcément essayer de trouver refuges dans ces « bulles », qui se transformeront à leur tour en filtres sociaux et politiques, accessibles aux seules personnes qui bénéficient de la clémence d'Israël ou celles soumises à son chantage. Et quiconque restera à l'extérieur de la bulle sera susceptible d'être tué impunément. N'oublions pas qu'il s'agit essentiellement de bulles séparées et cernées de murs. En fait elles sont destinées à former de petites prisons de contrôle social. Peut-être, qu'à long terme, ces bulles se transformeront en « colonies » habitées par « le bon Palestinien » bien séparé du « mauvais Palestinien ».
3/Ce plan ouvre donc la voie à l'implication directe des sociétés de sécurité internationales en Palestine. Jusqu'à présent elles y ont toujours été mêlées de manière limitée, comme pour sécuriser les check points ou les colonies en Cisjordanie par exemple. Le recours à ces sociétés va probablement s'accroître, notamment avec l'épuisement des capacités humaines de l'armée d'occupation et le manque de combattants. Une telle perspective changera complètement la forme de la guerre, ouvrira la porte à divers services de renseignement étrangers pour opérer directement en Palestine et prolongera ainsi la durée de la guerre bien au-delà de ce que nous avions supposé. Si cette guerre est incitée par des entreprises de vente d'armes et des systèmes de contrôle et de surveillance, l'entrée dans la dance de sociétés de sécurité privées et de mercenaires imposera, elle, sa poursuite à jamais. Cependant, c'est une porte dangereuse pour Israël aussi, qui représentera une grave perturbation dans la structure des relations entre l'armée, le secteur privé (qui comprend d'énormes entreprises de sécurité) et la société israélienne. Tout cela doit être compris en considérant l'orientation de l'économie israélienne vers la privatisation depuis quarante ans, mais plus précisément en observant le statut des élites de l'armée de l'air et le Mossad ashkénaze (qui a retrouvé son prestige durant cette guerre) qui exigeront le règlement de la facture en termes d'hégémonie sociale face à d'autres courants sociaux représentés par Netanyahu. Il s'agit là d'un compte ouvert entre eux bien avant la guerre.
4/Enfin le pire et le plus dangereux des cauchemars, le scénario qui devrait vraiment nous terrifier même s'il est imaginaire et presque impossible, est le suivant : l'utilisation des forces de renseignement les plus secrètes et les plus sombres, israéliennes et non israéliennes, afin de créer dans la situation de chaos total qui règne dans la bande de Gaza, de groupes qui mèneraient des opérations ciblant les civils au sein des « bulles humanitaires », pour attribuer ensuite ces opérations à des mouvements de résistance et affirmer qu'ils (les Palestiniens) ciblent leur propre communauté pour contrecarrer le projet. Cette possibilité est à craindre si on lit entre les lignes de l'interview que le propriétaire de la société de sécurité a donnée à Yediot Ahronot, et dans laquelle il a répété à souhait l'expérience de leur intervention en Irak, en Afghanistan et en Syrie. Bien qu'il semble pour l'instant imaginaire, ce scénario, pourrait mettre Gaza dans une situation de conflit civil terrifiant, à travers des opérations inconnues et faussement attribuées aux mouvements de la résistance. Des formations de combattants pourraient émerger du chaos de la guerre, surtout si ces « bulles » se transforment en « bases » de sécurité pour les Israéliens… Mais pour rester réaliste : ce scénario est très lointain ; (a) d'abord en raison de la structure sociale et culturelle de Gaza unifiée par l'exiguïté géographique, le long blocus et la tragédie commune ; – (b) ensuite parce qu'à plus long terme, la petite superficie de la Palestine historique ferait d'un tel chaos un danger direct pour Israël aussi, car il n'y aurait aucune garantie de pouvoir le contrôler.
Encore une fois, ce qui a été publié jusqu'à présent à ce sujet n'est pas innocent et ces informations doivent être lues avec une extrême prudence. Cependant, la plupart des dangers sont plausibles même si le plan échoue sur le terrain. Quoi qu'il en soit, et dans une perspective plus large, le plus grand danger reste le même : l'expansion des labyrinthes administratifs et techniques internationaux privatisés et l'élaboration d'une branche d'ingénierie sociale pour la dévastation humaine en Palestine. Cette arme est un élément essentiel sur lequel repose le régime d'extermination instauré à Gaza.
***
Traduit de l'arabe par Saïda Charfeddine pour l'Agence Média Palestine
Source : Facebook de Majd Kayyal
Majd Kayyal est chercheur et écrivain de Haïfa, Palestine
A lire aussi, cette analyse publiée le 21 octobre dernier : The Israeli-American Businessman Pitching a $200 Million Plan to Deploy Mercenaries to Gaza
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Israël : le commerce des armes n’est pas une question d’affaires

Au moment où la proportion de population mondiale qui vit en paix diminue, on observe une dissonance frappante entre les discours officiels et les choix stratégiques des dirigeants canadiens et américains. Tandis qu'ils prônent la stabilité, leurs décisions en matière de vente d'armes révèlent des priorités parfois contraires, soulignant les ambiguïtés et les tensions dans leurs politiques de défense.
Tiré d'alter.quebec
Le 18 mars 2024, la Chambre des communes a voté l'adoption d'une motion non contraignante du NPD demandant au Canada de « cesser d'autoriser et de transférer des exportations d'armes vers Israël afin de garantir la conformité avec le régime canadien d'exportation d'armes ». En parallèle, le 15 octobre 2024 a été marqué par l'avertissement de l'administration Biden à l'égard du gouvernement israélien. Le président américain a émis un ultimatum sérieux concernant l'accès à l'aide humanitaire à Gaza, menaçant d'arrêter l'envoi d'armes à leur précieux allié.
Ambiguïté entre paroles et actes
Depuis la situation canadienne ne semble pas avoir évoluée. La ministre aux affaires étrangères, Mélanie Joly a maintenu une certaine ambiguïté quant à l'application de la motion. Ce que nous savons, c'est que les permis d'exportation approuvés avant le 8 janvier 2024 restent en vigueur et que les entreprises peuvent toujours demander des permis d'exportation de biens militaires vers Israël. L'embargo théorique est ainsi totalement contourné… Plus que ça, le Canada est clairement entrain de violer le droit international, en vertu du traité du commerce des armes, de la législation nationale et de la convention sur le Génocide.
Le cas américain est plus complexe. En 2023, 69% des importations d'armes en Israël provenaient des États-Unis. Ce récent avertissement de Biden représente la plus grande avancée depuis le 7 octobre 2023. Toutefois, pouvons-nous nous attendre à des actions immédiates de la part de la Maison blanche ? Actuellement, la période de 30 jours accordée à Israël pour réhabiliter l'aide humanitaire est toujours en cours. Ce qui reste inquiétant, c'est qu'aucun plan n'a encore été élaboré pour l'après. Dans la lettre rédigée par Bliken et Austin à l'instar des officiels israéliens, on parle de conséquences en terme d'« implications politiques non spécifiées ».
Réduire ses exportations, c'est possible
Face aux latences canadienne et américaine, un faux narratif a émergé autour des embargos. On prétend désormais que réduire les exportations vers Israël pourrait nuire au développement et à la réputation du pays. Or, le Royaume-Uni a su discréditer cette idée en https://www.bbc.com/news/articles/cd05pk95j2xo
vers Israël. Ces contrats incluaient des composants pour avions de chasse (F-16), des pièces pour véhicules aériens sans pilote (UAV ou drones), de systèmes navals et d'équipements de ciblage. La décision du gouvernement travailliste est survenue après une enquête légale prouvant que ces armes constituaient un risque clair au respect du droit international humanitaire .
Bien que modeste, ce positionnement symbolique britannique dénote de l'inertie du reste des dirigeants occidentaux. Il prouve qu'il est possible de prendre des mesures concrètes en matière de contrôle des exportations d'armes malgré l'enchevêtrement du jeu politique international et des transactions de l'armement. Le gouvernement britannique a ainsi envoyé un signal fort : il est prêt à aligner ses actions sur ses engagements en matière de droits humains et de droit international.
Les profiteurs de guerre
Le chiffre d'affaires généré par la guerre est en effet un phénomène bien documenté. Regrettable soit-il, les profiteurs de la guerre sont réels et se matérialisent à travers des compagnies privées d'armement. Au lendemain du 7 octobre, les cinq plus grands producteurs d'armes ont vu leur cour en Bourse augmenter de 7 %. 1. Cette hausse reflète non seulement l'attente d'une augmentation des commandes de la part des États en réponse à la montée des tensions, mais également la spéculation des investisseurs qui anticipent de futurs profits. Le PDG du géant américain de l'armement, RTX, déclarait déjà le 24 octobre 2023 « Je pense réellement que nous constaterons un bénéfice causé par la hausse des commandes sur l'ensemble de notre portefeuille. ».
Cette corrélation entre guerre et profit désole et révolte. D'autant plus que l'industrie des armements est devenue un catalyseur de conflit. Les États sont alors prisonniers d'un cercle vicieux dans lequel la guerre et la militarisation deviennent à la fois les moteurs et les conséquences d'intérêts économiques et stratégiques. Le discours de sécurisation sont omniprésents, les politiques des militarisations sont normalisés. En plein cœur de cette tornade, une question s'impose : qui vient en premier, la guerre ou l'arme ?
1- LVSL[↩]
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Normaliser le génocide

Les administrations universitaires ne peuvent faire taire les voix discordantes sur les campus en s'appuyant sur des injonctions ou en demandant l'intervention de la police. Qu'à cela ne tienne, ils peuvent faire de la sous-traitance et embaucher une firme de fiers à bras pour faire la job de bras.
Michel Seymour
Professeur honoraire
Université de Montréal
Auteur de Nation et autodétermination au XXIe siècle, PUM, 2024.
Il y a bien sûr les manifestations de rue de citoyens qui sont tolérées parce que nous sommes après tout dans une société « démocratique ». Elles le sont d'autant plus facilement qu'après plusieurs mois, ils ne sont plus que quelques centaines à défiler chaque semaine.
Ensuite, que ce soit par opportunisme, par indifférence, par prudence calculée ou par désintérêt pour ce qui n'est pas immédiatement dans son propre intérêt, le milieu intellectuel dans son ensemble, y compris dans ces centres de recherche ayant pour « expertise » la politique internationale, a plutôt tendance à se cantonner sur son quant-à-soi.
Les médias mainstream adoptent ensuite des politiques éditoriales qui cherchent à minimiser les propos jugés trop vitrioliques, ce qui a pour effet d'aseptiser le contenu des pages Idées ou Opinions.
C'est que voyez-vous, on ne peut plus désormais négliger totalement l'appui gouvernemental au bon fonctionnement des médias, de même que l'appui des commanditaires. Un média mainstream digne de ce nom a donc le bon réflexe de checker ses claques. Il exige « à bon droit » que soient expurgés les textes véhiculant de la « désinformation », qu'elle soit russe ou chinoise. Ils réservent un même sort à ceux qui véhiculent des propos « haineux » ou « incitant à la violence », comme ceux qui, prétendant se porter à la défense du peuple palestinien, ont l'audace d'appuyer le « groupe terroriste » du Hamas. Peu importe si du point de vue du droit international, un peuple faisant l'objet d'une occupation illégale a le droit de se défendre par les armes et peu importe si, en dehors de l'Occident, le reste de la communauté internationale reconnait aussi ce droit.
C'est ainsi que les voix discordantes qui s'élèvent à gauche ou à droite au sein des médias de l'anglosphère font l'objet d'une répression croissante. La Grande-Bretagne s'est occupée de Julian Assange, Sarah Wilkerson, Tony Greenstein, Richard Medhurst, Craig Murray et Asa Winstanley. Aux États-Unis, Mark Lamont Hill a été licencié de CNN. Mehdi Hasan a été licencié de MSNBC. Tucker Carlson a été licencié de Fox TV. Candace Owens a été licenciée du Daily Wire. Katie Halper et Briahna Joy Gray ont été licenciées de The Hill. Scott Ritter a fait l'objet de perquisitions à son domicile. Chris Hedges a été invité à quitter The Real News Network.
Ceux qui ne vivent que du pain et des jeux, quand ce n'est pas d'amour et d'eau fraîche, et qui regardent dans leur caverne défiler les images sur leur petit écran, peuvent bien se demander où je pige tous ces noms et tous ces faits. Il s'agit bien souvent d'un monde qu'ils ignorent car il est composé, tenez-vous bien, de personnes qui osent refiler en contrebande de la camelote d'informations véritables.
C'est dans ce contexte qu'il faut se placer pour apprécier ensuite le comportement des partis politiques à la chambre des communes ou au congrès. Même si certains députés du NPD ont osé élever la voix, ne comptez pas sur la mise aux voix d'une résolution dénonçant le génocide présentement en cours à Gaza. Et pourtant, c'est pour la première fois dans l'histoire mondiale un génocide auquel on assiste en direct !
Justin Trudeau et Mélanie Joly ont donc la voix libre pour se réfugier dans un mutisme complet, ainsi que dans de la complaisance étasunienne et dans le maintien de livraisons d'armes à l'entité sioniste génocidaire.
Les citoyens médusés qui voient cette horreur et qui ont de la rage au fond du coeur se sentent impuissants. Ils se disent qu'il n'y a probablement rien qui puisse être fait pour renverser la vapeur et changer l'ordre des choses. Même s'ils sont très majoritaires aux États-Unis à vouloir un cessez-le-feu et à proposer l'interruption de l'aide militaire, les autorités politiques américaines savent elles aussi qu'elles peuvent aller de l'avant.
Elles n'ont qu'à faire croire qu'elles travaillent jour et nuit à un cessez-le-feu. La population n'y verra que du feu.
Bernie Sanders et le Squad ont capitulé. Les « uncommitted » n'ont pas voulu se commettre en faveur d'une tierce candidature comme celle de Jill Stein. Il est maintenant trop tard pour espérer une percée. Son colistier est un illustre inconnu. Le débat sempiternel, typique au sein de l'anglosphère, entre des rouges et des bleus reprend de plus belle ses droits et occupe, encore une fois, l'essentiel des débats au sein des médias.
On peut ainsi comprendre pourquoi les citoyens sont frustrés et amers avec de la tristesse restée coincée en travers de la gorge. Que ce soit sur les campus ou dans la rue, dans les journaux ou sur les réseaux sociaux, jusqu'à la chambre des communes ou au Congrès, les citoyens n'ont pas de porte-parole. Ils ont le droit de vote, mais ils n'ont pas de voix.
C'est ainsi que l'on parvient enfin à normaliser le génocide.
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Gaza : Vers une privatisation de l’occupation israélienne ? “La recette infaillible d’un désastre”

La guerre de Gaza est loin d'être finie mais plusieurs instances israéliennes préparent déjà “le jour d'après”. Selon les informations de divers titres israéliens, la recolonisation du territoire est envisagée de même que la sous-traitance de la sécurité à des sociétés privées.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Des palestiniens déplacés s'abritent dans un camp de tentes, dans la région d'Al Mawasi, à Kahn Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 27 octobre 2024. Photo Ramadan Abed/Reuters.
Alors que le devant de la scène médiatique est occupé par l'opération israélienne contre le Hezbollah libanais, les événements en cours dans la bande de Gaza se retrouvent quelque peu éclipsés. Pourtant, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et surtout ses membres d'extrême droite fourmillent d'idées quant à l'avenir de l'enclave palestinienne. Ainsi, dans Zman Yisrael, l'analyste Shalom Yerushalmi rend compte d'un événement ayant rassemblé le 21 octobre “plusieurs milliers de militants israéliens de droite et d'extrême droite et près de 15 ministres et députés, soit près de la moitié des parlementaires du Likoud”, le parti de droite nationaliste du Premier ministre Benyamin Nétanyahou. Leur objectif ? “Trouver une ‘solution' pour le ‘jour d'après'”.
Leurs revendications risquent pourtant de mettre de l'huile sur le feu. “Ces élus israéliens n'envisageant rien d'autre que la création de nouvelles implantations”, c'est-à-dire des colonies juives de peuplement dans la bande de Gaza.
“Remplacer progressivement Tsahal”
Dans la foulée, plusieurs médias locaux se sont fait l'écho de plans israéliens improbables mais pas forcément fantasmagoriques. Ainsi, la société de mercenaires israélo-américaine GDC (Global Delivery Company), par la voix de son directeur Mordechai “Moti” Kahana, s'est exprimée auprès du journaliste Itamar Eichner du quotidien Yediot Aharonot. “Le gouvernement est sur le point de nous [donner le feu vert]. Notre objectif est de suppléer et de remplacer progressivement Tsahal [l'armée israélienne] dans sa gestion de la bande de Gaza.”
- “Nous nous occuperons des fonctions de police et de distribution de l'aide alimentaire. Et nous créerons des ‘bulles humanitaires' qu'aucun belligérant n'est capable de sécuriser.”
Cette possible privatisation de la guerre contre le Hamas inquiète Yediot Aharonot. “Outre qu'elles n'ont pas pour but de peser sur un hypothétique processus politique, ces sociétés privées de mercenaires risquent, comme dans l'Afghanistan d'après 2001 et l'Irak d'après 2003, de commettre des crimes de guerre et de couper l'herbe sous le pied des armées régulières, tout en engrangeant de juteux profits.”
Commentant cette interview, la journaliste Noa Landau du quotidien Ha'Aretz laisse transparaître son inquiétude. “Quand Moti Kahana déclare que les Gazaouis ‘n'auront pas intérêt à l'emmerder', il tient un langage de mafioso.” Elle espère qu'il ne s'agit là que d'“esbroufe”. Plus grave, Global Delivery Company ne serait selon elle qu'un des innombrables maillons de l'occupation militaire pensée par un pouvoir israélien qui ne jure plus que par l'embauche de mercenaires sans foi ni loi et la construction de nouvelles colonies juives. “C'est la recette infaillible d'un prochain désastre.”
Courrier international
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Le PTB confronte l’ambassadrice d’Israël à ses crimes de guerre
23 octobre 2024
Le député PTB à la Chambre Nabil Boukili confronte l'ambassadrice d'Israël à ses crimes de guerre. #FreePalestine #StopGenocide
À propos du PTB :
« Les gens d'abord, pas le profit. » Rien ne définit mieux le PTB que cette idée fondamentale. Les gens ne sont pas des numéros. La société n'est pas une loterie. Nous valons beaucoup mieux que ça.
Manifestation contre le projet de mine de pouzzolane : inquiétudes croissantes en Gaspésie
Northvolt possédé par une filière active dans les paradis fiscaux

Les allumettières de la E. B. Eddy et l’Union des faiseuses d’allumettes (1918-1928)
L’historienne Katlheen Durocher nous a fait parvenir un texte sur la tradition syndicale des allumétières de Hull. Durocher cherche à faire « sortir les allumettières de l’ombre », comme l’indique le titre de son dernier ouvrage sur le sujet. En tant qu’elles incarnaient la double condition de femmes et d’ouvrières, les allumettières ont subi une exploitation accrue du patronat anglophone, fait l’expérience d’une représentation syndicale masculine incompétente et paternaliste, en plus d’avoir été marginalisées par l’histoire du mouvement ouvrier québécois. Ce texte entend contribuer à renverser cet ordre des choses, à replacer l’histoire des allumettières comme un épisode central de la mémoire ouvrière québécoise.

Les allumettières de la E. B. Eddy et l’Union des faiseuses d’allumettes (1918-1928)
Kathleen Durocher
Pendant plus d’un siècle et demi, entre le début des années 1800 et 1960, le travail en Outaouais est rythmé par les hauts et les bas de l’exploitation forestière, une industrie qui fait la fortune des barons du bois et des industriels qui s’installent dans la région. La coupe du bois, son transport et sa transformation offrent un grand nombre d’emplois physiquement exigeants et dangereux. Alors que les camps de bûcherons et la drave attirent les hommes, les petits centres industriels qui se développent sont progressivement habités par des familles. Vers le tournant du siècle, plusieurs jeunes femmes célibataires arrivant des campagnes s’y établissent, particulièrement à Hull. Souvent oubliées, les femmes sont nombreuses à être employées dans l’industrie forestière, même si elles sont limitées à quelques départements considérés comme moins dangereux et propres à une main-d’œuvre féminine. Notamment, l’une des plus anciennes fabriques du cœur industriel de la région, l’île de Hull (faisant aujourd’hui partie de la ville de Gatineau), prospère grâce à une main-d’œuvre principalement féminine. La E. B. Eddy Match Company fait la renommée de la petite ville industrielle entre les années 1860 et 1920 puisqu’environ 90 % des allumettes canadiennes y sont produites. Exténuant, réplétif et sous-payé, le travail d’allumettière offre une rare opportunité de travail en industrie pour les femmes de la région jusqu’au début du XXe siècle[1].
Pendant longtemps, l’histoire du travail en Outaouais fut écrite au masculin[2], l’expérience des femmes et des filles de la fabrique d’allumettes restant longtemps invisibilisée. Effacée des mémoires collectives, leur histoire refait progressivement surface. Dès les années 1980, leurs grèves de 1919 et 1924 s’inscrivent peu à peu dans l’histoire du syndicalisme national au Québec puis, depuis la fin des années 1990, dans l’histoire de Hull/Gatineau et de l’Outaouais[3].

Ce texte s’intéresse à leur expérience militante et tente d’expliquer ce qui a mené les allumettières de la E.B. Eddy de Hull à fonder une association féminine affiliée au mouvement syndical national confessionnel (1918-1928). Pour ce faire, nous présentons un survol de la présence syndicale à Hull au XIXe siècle pour ensuite aborder plus en détail le cas des travailleuses de la fabrique d’allumettes. Après avoir spécifié en quoi consiste leur travail et quelles personnes sont employées, nous proposons une description de leur syndicalisation. De même, une réflexion sera faite sur les possibilités qu’offre cette organisation et les barrières auxquelles ses membres sont confrontés, particulièrement lors de leurs grèves menées en 1919 et en 1924.
La syndicalisation au pied des Chaudières
De prime abord, rappelons que l’industrialisation de la petite colonie agraire de Wright’s Town (1800), devenue Hull, s’entame réellement dans les années 1860 et 1870 grâce à l’exploitation forestière. Alors que différents moulins et fabriques sont implantés à proximité de la rivière des Outaouais, les terrains entourant la chute des Chaudières, située sur la frontière entre l’Ontario et le Québec, s’avèrent un lieu de choix pour l’activité industrielle grâce à son potentiel hydraulique. Le village de Hull, voisine de la capitale canadienne, connaît une croissance économique et démographique rapide jusqu’à la fin du siècle[4]. Comme dans le reste du Canada, l’industrie forestière est le fer de lance du développement du capitalisme industriel à Hull et dans l’Outaouais. Alors que le recensement canadien de 1871 indique que seulement 3 800 personnes y résident, la population double en dix ans (6 890 en 1881). La croissance se poursuit dans les décennies qui suivent. La population franchit les 10 000 avant 1890 et atteindra 20 000 dans les années 1910[5].
Le marchand d’allumettes américain, Ezra Butler Eddy, s’installe à Hull en 1851. Tirant rapidement profit du potentiel des Chaudières, le fondateur et propriétaire de la E.B. Eddy Co règne sur la ville de Hull jusqu’à sa mort en 1906[6]. Bien que d’autres entreprises s’y implantent, la E. B. Eddy Company demeure la plus puissante non seulement dans la ville, mais aussi dans l’Outaouais. Son fondateur conserve à la fois une main mise sur l’économie et sur la vie politique locale[7]. Notamment, il devient échevin (1878 à 1888) et maire de Hull (1881 à 1884, 1887 et 1891), période de croissance industrielle importante pour sa compagnie et la cité.

Vers la fin du XIXe siècle, les ouvriers employés dans ses moulins et fabriques essaient de s’organiser et militer pour obtenir de meilleurs salaires, en plus de conditions de travail moins pénibles et dangereuses. Or, Ezra Butler Eddy est un industriel bien connu pour son antisyndicalisme. Les luttes entreprises par les ouvriers syndiqués par les Chevaliers du travail à la fin des années 1880 et dans la décennie suivante sont déjouées à tout coup par la compagnie[8]. La grande grève entreprise en 1891 est violemment supprimée grâce à la police et l’armée. Quelques années plus tard, en 1904, une grève majeure est déclenchée par les ouvrier·ère·s des papetières affilié·e·s à l’International Brotherhood of Papermakers[9]. Comme ce fut le cas dans les quelques rares conflits ouvriers du passé, la Eddy n’hésite pas à briser la grève. Cela dit, la compagnie laisse entendre aux suites de cette grève qu’elle serait prête à tolérer les syndicats nationaux, moins revendicateurs et beaucoup plus conciliants avec le patronat[10]. Ceux-ci n’étant pas encore réellement implantés dans la cité industrielle, seules quelques petites associations professionnelles subsistent réellement à Hull[11]. Durant ces brèves expériences militantes, les travailleuses employées aux Chaudières sont largement exclues des organisations ouvrières et des luttes. Ignorées par les Chevaliers du travail, seules quelques ouvrières irlandaises œuvrant dans les papetières ont activement participé au conflit de 1904[12].
Le cas des allumettières
Entre 1854 et 1928, la fabrique d’allumettes E. B. Eddy, située au coin de l’actuelle rue Laurier et Eddy, offre entre 100 et 300 emplois rémunérés. Alors que la coupe de bois en bâtonnets, la préparation de la mixture chimique inflammable, le trempage et le séchage sont la prérogative d’hommes et de garçons, les femmes et les filles s’affairent plutôt à empaqueter les allumettes. Quotidiennement, des milliers d’allumettes sont apportées à leurs postes de travail, dans les premières années sur des chariots poussés par des travailleurs et, dès les années 1870, par un système mécanisé plus rapide[13]. L’employée, à sa table de travail, doit alors prendre une poignée d’allumettes, l’insérer dans la boîte, refermer celle-ci, puis la déposer pour qu’elle soit transportée vers l’entrepôt[14]. La même opération est répétée toute la journée, entre 10 et 12 heures quotidiennement. Dans ces départements où le bruit de la machinerie est incessant, le tout doit se faire dans le silence, sous peine d’amande.
La mise en boîte est exclusivement faite par des femmes et des filles. Elles sont gardées hors des autres étapes de la production, ces dernières étant considérées comme physiquement trop difficiles ou trop dangereuses pour elles. De plus, l’empaquetage demande de la dextérité. L’ouvrière doit être rapide, minutieuse, prudente et attentive, des qualités que l’on disait « naturelles » pour les femmes. Pour l’employeur, ce travail d’empaqueteuse n’exige ainsi aucune qualification particulière, seulement un peu de pratique. Un article publié en 1919 par la E.B. Eddy dans le Canadian Grocer affirme à ce sujet : « Feminine fingers are very quick and sure, and constant practice makes their nimbleness almost unbelievable. »[15] Dans les faits, la compagnie s’assure d’embaucher des femmes et des enfants puisqu’elle peut leur offrir un salaire considérablement plus bas que celui des hommes. Par exemple, selon le recensement canadien de 1911, les allumettières gagnent en moyenne environ 225 $ par année. Le salaire annuel des allumettiers pour la même année est d’environ 550 $[16].
Le travail est supervisé par des contremaîtresses, souvent une ouvrière un peu plus âgée, ayant œuvré pendant plusieurs années à la fabrique. De ce fait, les départements d’empaquetage s’avèrent des espaces exclusivement féminins. Il faut préciser que la vaste majorité des allumettières sont des adolescentes, la plupart âgées de 14 à 17 ans[17]. Le devoir moral des contremaîtresses est généralement approuvé par les familles des travailleuses, ces femmes plus âgées assumant le rôle d’une sœur aînée ou même d’une mère. Elles s’assurent ainsi d’éviter les contacts entre les jeunes ouvrières et les hommes[18]. Cette supervision est également faite par les membres de la famille présents à l’usine. Souvent, les plus jeunes sont accompagnées d’une parente à la fabrique, la plupart du temps une sœur[19]. C’est ce lien de parenté qui assure non seulement la formation des nouvelles employées, mais qui permet aussi leur embauche à l’usine[20]. Habituellement, les travailleuses suggèrent un membre de leur famille aux contremaîtresses, les patrons leur octroyant cette responsabilité. Sans surprise, on observe de nombreux liens familiaux qui unissent la main-d’œuvre, rendant celle-ci relativement homogène. À l’exception de quelques rares femmes irlandaises, les allumettières sont originaires du Canada, francophones et catholiques. Cette forte présence canadienne-française n’est pas surprenante, ce groupe formant la vaste majorité de la population hulloise de l’époque. Les allumettières sont pour la plupart voisines, résidant dans les quartiers populaires de l’île de Hull, à proximité de l’usine. Entassées dans les « maisons allumettes » surpeuplées, elles fréquentent aussi les mêmes lieux publics et commerces lorsqu’elles ne sont pas à la fabrique[21].

L’Union des faiseuses d’allumettes
Considéré comme non qualifié par l’employeur, leur travail d’empaqueteuse est mal rémunéré. De surcroît, puisqu’elles sont payées à la pièce, elles doivent s’assurer d’emboîter assez d’allumettes pour obtenir un gage suffisant pour contribuer à la survie familiale[22]. Généralement perçu comme un salaire d’appoint par le patronat, le salaire des femmes et des enfants employés à la Eddy est, dans les faits, souvent essentiel aux familles[23]. À l’exception de quelques veuves, la majorité des allumettières sont célibataires et résident chez leurs parents. Pour ces familles, envoyer les enfants au travail, particulièrement les filles et les plus jeunes, est une nécessité. Malgré l’idéal du père pourvoyeur, présent autant chez les classes populaires que bourgeoises, la paie des hommes employés par la E.B. Eddy suffit rarement pour subvenir aux besoins de leurs familles nombreuses, surtout dans les périodes de ralentissement industriel[24]. Lorsque le père est sans emploi ou, plus encore, lorsqu’il est absent ou décédé, le travail des ouvrières devient central à la survie familiale. Mais les salaires d’allumettières sont maigres et la compagnie n’hésite pas à diminuer le montant octroyé par paquet de boîtes d’allumettes. Les employées doivent donc s’assurer de maintenir un rythme constant pour éviter de voir la production s’accélérer et leur gage réduit, nécessitant à la fois une bonne coopération et l’appui des contremaîtresses.
En plus d’être mal payées et de s’affairer à une occupation aliénante, les allumettières sont confrontées à plusieurs dangers. Les brûlures et les incendies sont fréquents, la fumée et la poussière envahissent quotidiennement l’espace de travail. De plus, le phosphore blanc (ou jaune) est en usage à la Eddy des années 1850 jusqu’en 1915[25]. Ce poison violent peut causer de nombreux problèmes de santé aux ouvrières, allant de l’intoxication à la nécrose maxillaire. Pour plusieurs d’entre elles, leur santé en est considérablement affectée et, dans quelques rares cas, certaines en décèdent. Les conditions difficiles sont largement maintenues alors que les ouvrières sont exclues du mouvement syndical hullois. Seul un arrêt de travail spontané en 1883 apparaît dans les journaux. Le Montreal Daily Witness affirme au sujet de l’évènement : « The proposed reduction of wages raised a miniature rebellion Tuesday among the girls working in Eddy’s match factory. A number of them struck work and might be seen on the streets in groups engaged in an animated discussion of the situation. »[26] Malheureusement pour les allumettières, elles doivent retourner au travail le lendemain, menacées d’être mises à pied si elles en faisaient autrement. Il faut dire que le peu d’emplois industriels offert aux femmes à Hull crée un bassin important de main-d’œuvre pour la Eddy[27]. Les ouvrières s’en trouvent facilement remplaçables et, donc, dépourvues d’une réelle capacité de négociation sans organisation syndicale.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Canada connaît une effervescence du militantisme ouvrier face à leurs conditions matérielles précaires[29]. L’activisme syndical s’intensifie rapidement et se radicalise. Certains syndicats nationaux se confessionnalisent, suivant les principes de la doctrine sociale de l’Église. Les organisations catholiques prennent timidement racine au Québec, appuyées par certaines franges moins conservatrices (à cet égard) du clergé catholique. À Hull, l’Association ouvrière de Hull (A.O.H.) apparaît en 1915, chapeautée par les Oblats de Marie-Immaculée (O.M.I.). Selon ces derniers, les adhésions demeurent limitées, la main-d’œuvre préférant les « unions internationales » américaines implantées à Ottawa[30].
En 1918, à la demande d’ouvrières de Hull, une branche féminine de l’A.O.H est constituée avec l’approbation des O.M.I. Ainsi naît l’Association ouvrière catholique féminine de Hull (A.O.C.F.) qui regroupe rapidement plus de 300 femmes et jeunes filles, principalement des allumettières de la E.B. Eddy. Une d’entre elles, Georgiana Cabana, devient la première présidente de l’association et le demeure tout au long des années 1920[31]. Alors que l’exécutif de A.O.C.F. est composé de femmes, celui-ci reste néanmoins sous une supervision masculine. La présidence de l’A.O.H. et les O.M.I. s’assurent que les décisions prises par ces femmes conviennent aux visées de l’association hulloise et à la doctrine sociale de l’Église catholique. Il faut dire que selon cette dernière, le but des « œuvres sociales féminines » doit avant tout être la protection des femmes et des filles[32]. Cette protection ne peut qu’être assurée par des hommes, laïques et religieux. Plus encore, l’association est encadrée par certaines femmes issues de la bourgeoisie canadienne-française de Hull impliquées dans les œuvres sociales catholiques, s’octroyant le titre de « marraine du syndicat ».
Malgré les limites imposées par l’idéologie de l’organisation et de ceux et celles qui la chapeautent, l’association féminine croît de manière importante dans les mois qui suivent sa fondation. Entre 300 et 400 ouvrières en seraient membres, dont bon nombre d’allumettières[33]. Face à cet engouement, l’association doit se scinder en syndicats de métier. L’union des faiseuses d’allumettes, comme elle était appelée à l’époque, voit le jour. Nous pouvons penser que les ouvrières canadiennes-françaises de Hull sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à adhérer au syndicalisme catholique puisqu’il s’agit réellement de la seule option d’organisation pour elles, les syndicats internationaux anglophones établis à Ottawa ne semblant pas avoir tenté de les recruter. Il faut dire que le clergé de Hull joue un rôle non négligeable par son influence, dissuadant la main-d’œuvre de se joindre à ces syndicats neutres et mixtes, perçus comme révolutionnaires. Les allumettières ont peut-être également craint ne pas avoir de capacité décisionnelle dans ces vastes organisations. La barrière linguistique peut également être mise en cause[34]. À l’inverse, elles peuvent voir en l’A.O.C.F. l’opportunité d’exprimer leurs insatisfactions face à leurs conditions de travail sans être invisibilisées par les hommes. Plus encore, dans le cas du syndicat des allumettières, l’exécutif est entièrement formé de contremaîtresses. Les ouvrières ayant déjà l’habitude de s’adresser à elles à la fabrique, nous pouvons ainsi penser qu’un certain rapport de confiance existe déjà entre les membres et l’exécutif. Dès 1919, l’A.O.C.F. et l’union des faiseuses d’allumettes organisent de nombreuses activités et tiennent fréquemment des rencontres. En plus d’assurer une représentation syndicale, l’association propose des cours du soir qui deviennent rapidement populaires. Leur visée n’est toutefois pas d’offrir une instruction technique, mais plutôt de préparer les syndiquées à leur futur rôle de mère et de femme au foyer grâce à des cours d’art ménager, de français et d’anglais[35]. Pour l’organisation, la pertinence de ces cours va de soi, puisque l’objectif est de former les travailleuses pour leur réelle vocation. Dans les faits, il est vrai que la vaste majorité des allumettières ne passent que quelques mois ou quelques années à l’emploi avant de quitter la fabrique pour fonder une famille. Pour les filles et les femmes, ces cours offrent également un nouvel espace pour socialiser entre elles à l’extérieur de la fabrique et de la maison familiale.

1919
Durant sa première année d’existence, le syndicat des allumettières de Hull, comme le reste de l’A.O.C.F., est toléré par la E. B. Eddy. L’organisation demeure assez peu revendicatrice et assure plutôt des services aux travailleuses. Or, la situation change en décembre 1919 quand la compagnie décide d’apporter des modifications aux horaires de travail des femmes et à la structure des équipes de travail, les obligeant à travailler davantage et quitter la fabrique plus tard dans la soirée[36]. L’exécutif syndical, appuyé par les ouvrières, s’oppose à la décision. Des négociations sont entamées avec le patronat. Toutefois, la délégation représentant les allumettières — composées uniquement d’hommes de l’AOH et l’aumônier responsable — ne s’entend pas sur la raison et la nécessité de poursuivre de telles négociations[37]. Profitant de cette division interne, la E. B. Eddy se retire et, par le fait même, remet en question la légitimité de l’organisation. Plus encore, elle décide de fermer les portes de la fabrique, déclenchant un lock-out. En réponse au lock-out décrété par leur patron, les travailleuses décident d’entamer une première grève. Or, le syndicat insiste pour la qualifier de « contre-grève », affirmant qu’il ne fait que répondre au geste de la compagnie[38]. L’organisation s’assure ainsi de présenter les allumettières comme des victimes de la mauvaise foi du patronat. Malgré tout, ces évènements offrent une première occasion pour les allumettières de militer activement, participant à un piquet de grève devant la fabrique. Possiblement prise au dépourvu et confrontée à une opinion publique en faveur des ouvrières, la compagnie accepte de retourner à la table de négociation[39].
Le conflit se conclut au bout de trois jours avec une entente signée par le patronat et l’A.O.H. Bien que les horaires de travail soient changés, les travailleuses obtiennent une compensation salariale substantielle[40]. Ce qui est vu comme une victoire fait écho. Pour la première fois, une organisation syndicale fait (partiellement) plier le plus grand employeur de Hull. Plus encore, la grève des allumettières devient le premier exemple de réussite d’une organisation ouvrière catholique féminine au Québec[41]. Dans les trois années qui suivent le conflit, l’Union des faiseuses d’allumettes enregistre certains gains importants, dont l’amélioration des salaires, la réduction des heures de travail et la reconnaissance de certains jours fériés. Ses activités se multiplient et la participation des membres est décrite comme exemplaire[42]. Notons toutefois que nous en connaissons peu à ce sujet, les archives des associations féminines n’ayant pas été préservées. En l’absence de documents produits par des ouvrières ou leur organisation, il faut garder à l’esprit que la présentation des faits et la représentation des syndiquées sont toujours le produit de regards masculins, aussi bien laïques que religieux[43]. L’activisme des femmes intéressant peu les hommes de l’A.O.H. et les O.M.I., nous trouvons peu de références à leur militantisme ou aux activités quotidiennes de l’A.O.C.F. et de ses syndicats.
Malgré le silence des allumettières dans les sources, nous pouvons croire qu’elles se font plus militantes après leur victoire de 1919. Par exemple, lors du congrès de fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada de 1921, à Hull, certaines d’entre elles, ainsi que d’autres femmes de l’A.O.C.F. participent activement aux délibérations bien que seulement des hommes aient été invités[44]. Il faut dire que l’évènement a lieu à l’endroit même où elles tiennent leurs rencontres : la Bourse du travail.
Bien que le tout se passe sous le regard de l’A.O.H., des O.M.I. et des marraines de l’organisation, c’est à la Bourse du travail qu’elles détiennent un droit de s’exprimer qu’elles n’ont probablement pas ailleurs. Les discussions ne sont pas permises sur le lieu de travail et les allumettières n’ont pas la chance d’échanger longuement à la fin de la journée lorsqu’elles doivent retourner chez elles et aider aux corvées domestiques. À la Bourse, elles peuvent commenter leurs conditions de travail, leurs salaires et, plus largement, leurs conditions matérielles. Ainsi, les allumettières y trouvent une certaine agentivité, malgré les nombreuses restrictions de l’idéologie catholique.

1924
Au printemps 1924, des tensions considérables se font sentir entre la E. B. Eddy, le conseil de ville et la population de Hull. La compagnie refuse de payer les taxes municipales, proteste en mettant à pied 300 employés et menaçant de quitter la ville. Un sentiment de frustration et de colère à l’égard de la compagnie est exprimé dans les journaux[45]. En bref, cette compagnie qui accaparait les ressources naturelles de la ville, les meilleurs terrains et qui exploitait plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants depuis des décennies s’abstient toujours de contribuer à l’amélioration de leurs conditions autrement qu’en offrant des salaires insuffisants. Les infrastructures municipales, les services et les œuvres sous contrôle de l’Église catholique étaient boudés alors que le patronat préférait financer les organisations protestantes d’Ottawa.
À la E. B. Eddy, et particulièrement à la fabrique d’allumettes, l’année 1924 apporte un déclin dans les ventes et une augmentation des coûts de production[46]. Craignant une baisse de ses revenus, la compagnie choisit de diminuer drastiquement les salaires de ses employé·e·s : une coupure de 40 % est annoncée[47]. Confrontées à la possibilité de voir presque la moitié de leur gage disparaître, les allumettières se mobilisent à l’aide de leur syndicat. Des négociations sont entamées avec les patrons. Un changement important est à noter par rapport à décembre 1919 : cette fois-ci, ce ne sont pas que des hommes qui y participent. En plus de l’aumônier Bonhomme, des représentants de la compagnie, l’ancienne allumettière Georgiana Cabana, toujours en présidence de l’A.O.C.F., Ernestine Pitre, présidente de l’Union des faiseuses d’allumettes, et Donalda Charron, porte-parole des employées, s’y trouvent[48].

D’emblée, les négociations sont difficiles et la compagnie fait preuve de mauvaise foi. Le 6 septembre, cette dernière ferme les portes de la fabrique pour une période indéterminée, sous prétexte que des réparations nécessaires doivent être entreprises. Or, l’arrêt de travail perdure. Rapidement, comme elle l’avait fait en 1919, la E. B. Eddy décide de remettre en question la légitimité de l’organisation ouvrière. En catimini, elle propose aux employées de retrouver leur travail à condition qu’elle signe une entente promettant de ne pas « parler en faveur de l’union »[49]. Dans les faits, elle leur demande plus ou moins directement de rejeter leur syndicat. Refusant cette demande et confrontées à ce qui s’avère un nouveau lock-out, les quelque 200 allumettières se lancent dans une « contre-grève » et entreprennent un piquetage quotidien devant la fabrique.
Dans les journaux, particulièrement dans Le Droit, journal francophone de la région, l’enjeu du conflit n’est plus la question salariale, mais bien la reconnaissance syndicale, traçant un parallèle clair avec 1919. Il faut dire qu’à cette occasion, les travailleuses avaient obtenu une entente avec la compagnie affirmant que celle-ci ne renierait plus l’organisation ouvrière catholique. À l’automne 1924, la Eddy renvoie les membres de l’exécutif féminin afin de s’assurer que sa légitimité peut être remise en question. La compagnie annonce du même coup que toutes les contremaîtresses tentant de joindre l’organisation syndicale seraient renvoyées sans être remplacées. Les ouvrières devraient traiter directement avec les surintendants[50]. Dès ce moment, en plus d’une lutte pour la reconnaissance syndicale, la grève des allumettières devient une cause morale pour les observateurs qui leur sont favorables. Le Droit couvre cette « noble cause » quotidiennement, soutenant que « toute la population est derrière les contre-grévistes »[51]. En effet, il est fort possible que de nombreuses personnes les appuient, notamment en raison de l’animosité envers l’employeur qui plane depuis le printemps. Plusieurs familles dépendent directement du salaire des travailleuses. La baisse des gages annoncée au début septembre ainsi que sa suspension complète avec le lock-out rendent difficile la survie familiale, surtout durant les mois froids d’automne et d’hiver qui approche. Plus encore, la question du renvoi des contremaîtresses peut également être source de colère et d’inquiétudes face à la sécurité des jeunes travailleuses à la fabrique.
Ainsi, un conflit parfait semble se dessiner, mettant en scène un riche patronat anglophone, protestant, refusant d’investir pour améliorer le bien-être des jeunes travailleuses canadiennes-françaises, de leurs familles et de leur communauté, mettant en danger la moralité des jeunes allumettières. Contre lui se dresse une population à grande majorité canadienne-française, appartenant aux classes populaires, qui peut s’identifier aux allumettières en lutte. Chez leurs collègues masculins syndiqués, le mot d’ordre est de ne pas franchir le piquet de grève. Solidaires à la cause du syndicat féminin, certains hommes leur prêtent main-forte pour s’assurer que personne n’entre dans la fabrique[52]. Nous pouvons penser que ce sentiment, ainsi que le fort taux de participation à l’effort syndical chez les travailleuses, peut s’expliquer par les nombreux liens de parenté et de voisinage qui unissent déjà la main-d’œuvre. Un esprit de coopération est ainsi déjà bien présent et accentué par la crise.
Selon Le Droit, la conduite sur la ligne de piquetage est exemplaire. Les jeunes grévistes sont assidues, disciplinées et pacifistes comme le souhaitent les défenseurs du syndicalisme catholique. Dans la presse anglophone d’Ottawa, les actions des ouvrières et de leur organisation sont vivement critiquées et on n’hésite pas à faire ressortir les quelques actes de violence commis à l’égard des surintendants et des briseur·euse·s de grève. Par exemple, le titre « Superintendent and male employes molested at work » fait la une du Ottawa Citizen le 20 octobre[53]. Sans surprise, ces évènements sont largement ignorés par le Droit qui s’assure de véhiculer l’image de victime attribuée aux grévistes[54]. Soulignons qu’aussi bien dans les journaux qui leur sont favorables que défavorables, les principales intéressées sont complètement muettes. Aucune parole d’allumettière n’est transcrite. Seules Georgina Cabana et Donalda Charron voient quelques rares propos, souvent paraphrasés, apparaître dans la couverture médiatique. La présidente, Ernestine Pitre, n’est que mentionnée à l’occasion. À l’inverse, les affirmations de l’aumônier responsable Joseph Bonhomme, des représentants syndicaux masculins, des échevins, de commerçants hullois et du patronat sont toutes bien présentes. Les travailleuses sont alors réduites à un ensemble silencieux et anonyme auquel les journaux et les différents acteurs peuvent imposer leurs idéaux.

Le conflit s’éternise, perdurant jusqu’en novembre. Des difficultés économiques se font sentir chez l’organisation syndicale et dans les familles d’allumettières. Le support des commerçants et de la presse s’essouffle. Néanmoins, grâce à l’intervention du maire de Hull, Louis Cousineau, les négociations entre le syndicat et le patronat reprennent[55]. Le lock-out prend fin et les allumettières peuvent finalement retourner au travail. Une entente est signée le 20 novembre. La compagnie assure qu’elle reconnaît le syndicat et accepte de garder les contremaîtresses en poste. Aucune mention n’est faite de la compression salariale qui était à la source du conflit initial. Cependant, la victoire ne dure que quelques jours. La situation s’envenime rapidement au début du mois de décembre. La compagnie annonce que les contremaîtresses impliquées dans le syndicat sont immédiatement mises à pied. De plus, les travailleuses doivent individuellement signer un document promettant de ne plus s’affilier à l’A.O.C.F. La lutte reprend aussitôt. Or, cette fois-ci, l’intérêt de la presse et l’appui populaire sont largement diminués. Plusieurs travailleuses refusent de retourner à l’emploi, certaines continuant de militer jusqu’à la fin du mois. Mais confrontées au renvoi permanent, la plupart d’entre elles se résolvent à reprendre le travail. Le conflit prend fin avec l’arrivée de la nouvelle année, après plus de trois mois de grève.
Les conditions économiques précaires des ouvrières, de leurs familles et des classes populaires de Hull auront donné la victoire à la E. B. Eddy qui aura su faire perdurer le conflit. Le syndicat, considérablement affaibli, subit durement la défaite. Les contremaîtresses impliquées dans le conflit, notamment la porte-parole Donalda Charron, sont définitivement renvoyées. L’exécutif féminin perd sa légitimité, ses membres n’étant plus à l’emploi de la compagnie. Possiblement par désintérêt ou par peur de représailles de la part du patronat, les travailleuses délaissent e
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Le Cabaret féministe

Quand ? Le 3 novembre de 14 h à 16 h 30
Lien facebook de l'évènement :
https://facebook.com/events/s/cabaret-feministe-edition-sorc/338566705980785/
Venez célébrer avec nous
Au plaisir de vous voir en grand nombre !
Activité du comité femmes de Québec solidaire
Le 3 novembre ; Cabaret des Sorcières
Le Comité des femmes de Québec solidaire de la Capitale-Nationale vous invite à une toute nouvelle édition du Cabaret féministe : édition sorcières qui aura lieu le dimanche le 3 novembre 2024 de 14 h à 16 h 30 à La Korrigane – Brasserie artisanale.
Sur place, nous aurons des prestations de deux artistes invité.e.s : Geneviève Dufour et Lauriane Charbonneau. Nous aurons également des capsules historiques sur les sorcières d'ici, quelques prises de paroles, un micro-ouvert, des présentations de livres sur le thème des sorcières, une activité surprise et nous ferons un tirage de livres.
Venez partager vos textes, chansons, slams, poèmes, danses ou autres.
Préinscription recommandée pour celles qui souhaitent contribuer au micro-ouvert. Le micro ouvert sera ouvert seulement aux personnes qui s'identifient comme femmes et aux personnes non-binaires (la priorité sera accordée aux pré-inscriptions pour la prise de parole lors de l'évènement) : https://forms.gle/FTH9N2ufn5yV4ZMs5

Inscription à un atelier sur l’écoféminisme

Un atelier sur l'écoféminisme proposé par Elisabeth Germain vendredi prochain, le 1er novembre, de 17h à 19h.
Ensemble, développons une perspective féministe qui apporte une compréhension encourageante sur la crise écologique actuelle : elle nous inspire des orientations d'action et renforce nos solidarités.
Pour vous inscrire, c'est ici :
https://docs.google.com/.../1FAIpQLSeTmM2pHqAp4d.../viewform
In Spain | Ariane Miéville and José Luis García González (October 2024)
Legault prétend que les coupures en santé n’affecteront pas les services
Littératie en santé : un enjeu majeur

L’auto, frein à la mobilité

Pour vous procurer une copie papier de ce numéro, rendez-vous sur le site des Libraires ou consultez la liste de nos points de vente.
Le collectif d'À bâbord ! dénonce le recul qu'accuse le Québec en matière de transport collectif, au détriment de l'accès à la mobilité, de la défense des territoires et de la lutte contre les changements climatiques.
Alors qu'il faudrait développer de toute urgence notre réseau de transport en commun, la situation va plutôt en se détériorant. Pour commencer l'année en beauté, on apprenait que la Société de transport de Montréal (STM) mettait fin à ses lignes d'autobus « dix minutes max », qui assuraient une fréquence rapide durant les heures de pointe. Cela s'ajoute au recul accusé depuis la pandémie par les systèmes de transport des banlieues, loin d'avoir tous rétabli les services à leur niveau pré-confinement.
Ailleurs au Québec, le système de transport collectif interurbain est à des milles de répondre aux besoins des gens. Orléans Express continue aussi d'offrir des services réduits, et ceux qui restent ne sont pas toujours glorieux : par exemple, le trajet Montréal–Baie-Saint-Paul prend treize heures en autocar, pour seulement 350 kilomètres. Voilà la légendaire efficacité de l'entreprise privée ! Chez VIA Rail, les trajets sont aussi chers que peu fréquents et doivent céder le passage aux trains de marchandises. Sans parler de la stagnation du projet de trains à grande fréquence dans le corridor Windsor-Québec, où habite pratiquement la moitié de la population canadienne.
Si, durant la dernière campagne électorale, Québec Solidaire proposait de nationaliser les autobus interurbains et de revitaliser le réseau ferroviaire public, la CAQ, elle, veut « rationaliser » les « dépenses » du transport collectif, tout en faisant obstruction au progrès du tramway dans la capitale et en misant à coup de milliards sur son délire de troisième lien, au service de l'autosolo – mais électrique, rassurez-vous !
Réduire la transition énergétique à l'électrification de millions d'autosolos, c'est se condamner à éventrer les territoires – autochtones – en exploitant les « minéraux critiques » nécessaires à la production des batteries et en bâtissant de nouveaux barrages afin de répondre à une explosion de la consommation d'énergie « verte ». Pendant ce temps, le super-ministre Fitzgibbon envisage de nous forcer à baisser le chauffage pour réagir à la pénurie d'électricité qui pointe à l'horizon : il nous montre quelles sont ses priorités.
Et pour ajouter au désastre environnemental, le règne tous azimuts des automobiles et l'espace monstrueux qu'on leur accorde dans nos villes et nos villages encouragent aussi l'étalement urbain, cette attaque frontale contre la biodiversité et la préservation des terres agricoles.
On parle beaucoup d'à quel point l'empire de l'automobile est une aberration écologique, mais on oublie souvent – il faut croire qu'on s'est habitué à ce monde infernal – combien il rend nos villes et nos villages hostiles, invivables. Chaque année, il tue des piéton·nes et des cyclistes par dizaines et en blesse encore plus. Il défigure aussi nos grands espaces à coups de viaducs, de voies d'embranchement et de stationnements-îlots de chaleur.
Et, comble de l'ironie, l'omniprésence de l'automobile constitue un obstacle à… la mobilité. Au moins pour tou·tes celleux qui, par choix ou par obligation, ne conduisent pas. Ce sont évidemment les personnes déjà marginalisées et précarisées qui souffrent le plus de ce tout-à-l'auto. Pensons aux habitant·es de villages éloignés qui, malades, doivent se rendre dans les grands centres pour leurs soins essentiels. Même en ville, l'effritement des services de transport public prive toujours un peu plus les personnes sans voiture de d'options, de temps et de spontanéité, les obligeant à organiser leur vie autour d'horaires d'autobus improbables et tenant leur quotidien à la merci des annulations et des retards.
Enfin, écoutons les groupes de défenses des droits qui nous rappellent depuis des années que peu importe l'efficacité de nos tramways et trains, le transport public demeurera injuste tant que l'accès y sera limité par des tarifs parfois outranciers, laissant en plan les personnes à plus faible revenu.
Nous appelons les élu·es – qui de toute évidence ne fréquentent pas beaucoup les autobus – à se rappeler que les questions de mobilité sont des questions de justice sociale, que la mobilité a des effets sur la qualité de vie et sur l'accès aux services essentiels comme les soins de santé et l'éducation.
Projet Montréal augmente la part du budget consacrée à la police alors que la STM en arrache financièrement ; la CAQ milite pour engouffrer des milliards dans un troisième lien qu'aucune étude n'appuie. Plus que de simples erreurs de parcours à rectifier, la situation actuelle est le fruit d'une funeste vision politique : nous pouvons encore – nous devons – emprunter une autre voie.
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Intelligence artificielle. Des oeuvres d’art sans artiste

Fin 2022, tout le monde semblait avoir mobilisé des dizaines, voire des centaines d'artistes à la fois, pour se faire tirer le portrait. Le bât blesse lorsqu'on réalise qu'aucun·e artiste n'avait été compensé·e, crédité·e.
Si vous avez passé quelque temps en ligne avant les fêtes, vous avez probablement été bombardé·es de photos de vos proches transformé·es en différents styles artistiques, des plus classiques à la Van Gogh au plus moderne des dernières tendances de l'art numérique. Amusante et colorée, certes, cette mode a cependant relancé le débat sur l'éthique de l'intelligence artificielle (IA), mais aussi sur la propriété intellectuelle, sur l'usage de données personnelles en ligne, voire sur ce qui constitue l'art en soi.
S'approprier des signatures artistiques
Pour comprendre l'amplitude du débat, revenons au cas d'école : Lensa. Lensa est une application de retouche photographique lancée en 2018 par Prisma Lab et qui a connu un élan de popularité en novembre 2022. En effet, son nombre de téléchargements a explosé à plus de 5 millions et elle s'est classée en tête des applications les plus populaires à la fin de 2022. Pourtant, des applications de retouche photo ou même de génération d'avatar à partir de selfies, il en existe par paquets. Ce qui va créer l'engouement pour Lensa est une option bien spécifique appelée « magic avatar ». Le principe est simple : en tant qu'usager·ère, vous téléversez des photos de vous et, en fonction du tarif choisi, le logiciel transforme des dizaines, jusqu'à des centaines de vos selfies en œuvres d'art.
Si certaines sont clairement modelées selon des figures classiques considérées comme du domaine public, d'autres, au contraire, reproduisent des styles d'artistes modernes qui n'ont jamais consenti à ce que leur art soit utilisé de la sorte. Plusieurs artistes vont donc dénoncer Lensa et parler de vol, d'appropriation et de non-respect de la propriété intellectuelle. Pour autant, leurs recours légaux sont limités et le débat va même s'enliser dans la dimension éthique de l'affaire. Tout cela dû, notamment, au mode de fonctionnement même de l'application.
Lensa s'appuie sur le travail d'un organisme à but non lucratif nommé Laion. Laion a créé d'énormes masses de données récupérées à travers tout le Web (une méthode appelée scraping), stockées puis rendues accessibles publiquement et gratuitement pour le développement de programmes d'IA, entre autres. Leur dernier projet est la base de données Laion5B, qui amasse plus de 6 milliards d'images et descriptions d'images récupérées sur le Web. C'est ce qu'utilise Lensa, dont le logiciel d'IA examine cette masse de données afin de les restituer en transformant les selfies que les usager·ères téléversent. Ce faisant, Lensa utilise une zone grise de non-droits, prévalente sur le Net, qui lui permet de générer énormément de profits tout en soulevant une masse d'enjeux légaux et éthiques.
Quel consentement ?
Laion est très claire quant à ses conditions d'utilisation. Elle rassemble toutes ces données, mais n'en tire aucun profit direct. Pour autant, un premier enjeu de consentement est soulevé : les usager·ères du Web n'ont pas massivement consenti à ce que leurs images et informations soient stockées par un projet de recherche de développement d'IA, et ce même si aucun profit n'est réalisé sur le coup. Qu'à cela ne tienne, le fonctionnement d'Internet étant ce qu'il est, la base de données existe.
Maintenant, le fait que Lensa se serve de la base de données de Laion pour réaliser un profit devient un autre enjeu. Bon nombre d'artistes, qui ont pu reconnaître leur style dans la création d'images générées par Lensa, ont tiré la sonnette d'alarme. Problème : sur quel droit peut-on se baser pour faire reconnaître le vol, dans la mesure où le logiciel utilise une base de données préexistante, gratuite et publique ? De plus, si l'artiste a déposé d'iel-même des reproductions de son art en ligne, n'a-t-iel pas consenti à renoncer à ses droits sur ce que ses œuvres deviendraient sur le Web ? Certain·es sont même allé·es plus loin dans les contre-arguments : doit-on compenser l'artiste pour l'image finale, ou faudrait-il plutôt compenser les personnes ayant codé le logiciel, ou encore les créateur·rices de la base de données qui « nourrit » l'IA ? D'ailleurs, qui possède les droits de ce qu'une IA crée ? Doit-on reconnaître le droit de propriété à cette intelligence ? D'autres ont argumenté que si on ne reconnaît pas qu'une IA est capable de faire de l'art, qui resterait l'apanage de l'être humain, alors les artistes ne devraient pas se sentir inquiété·es, mais au contraire devraient la considérer comme un outil de plus dans la palette des possibilités créatives. Cela a mené jusqu'aux grandes questions philosophiques : qu'est-ce que l'art ? Si, de nos jours, un·e artiste peut créer une œuvre entièrement en ligne, à partir de logiciels, dont certaines commandes sont préexistantes à l'usage, à quel point l'œuvre finale est-elle encore le résultat du génie humain ?
Les débats autour de ces questions sont féroces. Même au sein de la communauté des artistes concerné·es par l'affaire Lensa se trouvent absolument tous les points de vue. Néanmoins, une majorité s'accorde sur le fait que Lensa a franchi une certaine limite éthique. La preuve étant que des œuvres générées par l'IA possèdent même la copie de signatures des artistes en bas à droite des images. En effet, le logiciel n'avait pas automatiquement compris que les signatures artistiques ne font pas partie de l'art, mais sont censées être des preuves d'authenticité. D'où l'erreur quelque peu accablante.
Des dérives inquiétantes
De mon point de vue, qui n'est pas celui d'une artiste et ni d'une philosophe, mais celui d'une sociologue issue de communautés minoritaires, ce no man's land de droits entourant l'IA est terrifiant. Si on se base sur l'histoire de l'humanité, nous avons clairement un très mauvais historique en termes de marchandisation à outrance, de dévalorisation de la créativité, de pratiques de rémunération et d'attribution de crédit. Déjà, le fait qu'un logiciel soit en mesure de produire en quelques secondes des centaines de styles artistiques esquisse la menace de la production de masse. Et qui dit production de masse dit perte de valeur. Pourquoi une entreprise paierait plusieurs artistes pour des styles qu'iels ont mis des années à développer, si une application peut le faire pour moins de 10 $ ? Dans un domaine où il est déjà difficile de faire carrière, cela pose une nouvelle barrière supplémentaire. À long terme, cela signifie que moins de personnes seront en mesure de se consacrer à une carrière artistique. Ce qui va avoir des conséquences importantes, inévitablement, sur les communautés les plus marginalisées.
Les inégalités vont donc être renforcées, ce qui est malheureusement un trait commun du déploiement de plusieurs logiciels d'IA. Ces derniers ont en effet tendance à amplifier des schémas prédéfinis. Il n'est pas étonnant, par exemple, qu'il n'ait suffi que de quelques heures sur Twitter pour qu'un logiciel de conversation basé sur l'IA (un chatbot) émette des propos racistes. De plus, l'homogénéité des programmeurs de ce type de logiciel – massivement hommes, blancs, cis et hétéros – a mené à d'énormes biais dans la mise en place de programmes. On a l'exemple de voitures automatiques qui ne s'arrêtent pas en détectant qu'une enfant traverse la route lorsque l'enfant n'est pas blanc. Les développeur·euses du programme n'avaient tout simplement pas pris en compte les nuances de couleurs de la peau. Ce type de biais, aux conséquences potentiellement tragiques, est également largement dénoncé.
En somme, l'IA a la capacité de se nourrir du pire de l'humanité, et ce, en quelques clics et microsecondes. Si l'être humain est loin d'être prêt·e pour ce qu'elle va en produire, d'autres ont déjà commencé à en tirer d'immenses profits. L'argent avant l'éthique, comme toujours. Et finalement, j'ai peut-être mis le doigt sur une nouvelle différence fondamentale entre l'IA et l'être humain : l'IA apprend de ses erreurs constamment, mais pas nous.
L'image a été conçue à partir des mots clés « Une oeuvre d'art sans artiste » par le générateur d'images de Midjourney, un laboratoire de recherche indépendant consacré à l'intelligence artificielle (ID : MidJourney_oeuvre_dart_sans_artiste_e1b53753-9170-47ab-9b55-a14922e8c87d).

Wounded Knee : 50 ans de lutte

Le 27 février marquait le 50e anniversaire du début de l'occupation de Wounded Knee, une action menée par l'American Indian Movement (AIM) et des militant·es Oglala-Lakota de la réserve de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. L'occupation, qui a duré 71 jours, marque un tournant dans les luttes pour les droits des peuples autochtones aux États-Unis.
Février 1973. Le site de Wounded Knee, situé au cœur de la réserve de Pine Ridge, est pris d'assaut par 250 militant·es de l'American Indian Movement et d'autres habitant·es de la région. L'American Indian Movement (AIM) est un groupe militant autochtone, créé à Minneapolis en 1968 afin de protéger les personnes autochtones des brutalités policières. À partir des années 1970, il se transforme en une organisation nationale et devient le fer de lance du mouvement Red Power, lui-même inspiré de la lutte pour les droits civils menée par des militant·es afrodescendant·es. Le AIM prend en charge de nombreuses luttes à travers le pays : indépendance économique, revitalisation des cultures traditionnelles, protection des droits reconnus par la loi et, plus particulièrement, autonomie sur les zones tribales ainsi que restitution des terres illégalement saisies par le gouvernement ou des compagnies privées.
Un siège connecté au passé
L'occupation de Wounded Knee, initiée par les habitant·es de Pine Ridge, vise d'abord à dénoncer la corruption du chef du conseil tribal Dicky Wilson ainsi que la violence exercée par ses hommes envers les Oglala-Lakota et plus particulièrement envers les traditionalistes. Avec la complaisance du gouvernement fédéral, Pine Ridge était devenue, sous la poigne de Wilson, une véritable prison pour ceux et celles qui tenaient à revaloriser leur culture et leurs traditions. L'occupation vise aussi à dénoncer les injustices historiques subies par les peuples autochtones aux États-Unis. Les occupant·es exigent notamment que le gouvernement fédéral respecte les traités historiques qu'il a signé avec les différentes nations – traités qu'il a plus souvent qu'autrement bafoués.
D'ailleurs, le lieu choisi pour l'occupation n'est pas anodin. Situé au cœur du Dakota, Wounded Knee entre dans l'histoire en 1890 alors que l'armée américaine y commet un massacre. Dans un contexte de guerre et de famine, alors que les territoires sioux sont confisqués par le gouvernement américain et les communautés autochtones disséminées, le 7e régiment de cavalerie, appelé pour « pacifier » la population de Wounded Knee, fusille entre 300 et 350 personnes. C'est pour se rappeler de ce massacre, mais aussi des luttes des peuples autochtones pour leur souveraineté, qu'un des slogans les plus populaires du AIM est “Remember Wounded Knee” (rappelons-nous de Wounded Knee).
Ras-le-bol et revendications
Lors de l'occupation de 1973, les militant·es prennent possession de plusieurs bâtiments dans la localité de Wounded Knee, dont le musée, une station-service et quelques églises. Les occupant·es proclament alors l'indépendance de la nation oglala (Oglala Independant Nation), un geste qui exprime le refus des habitant·es de Pine Ridge de se soumettre plus longtemps à l'oppression coloniale et aux structures gouvernementales corrompues (les conseils tribaux) imposées par le gouvernement américain.
Cette déclaration d'indépendance n'est pas que symbolique : elle s'appuie sur un traité de 1868 signé entre les Sioux et le gouvernement des États-Unis. Les occupant·es exigent de négocier de nation à nation, mais le gouvernement fédéral décide plutôt de déloger les occupant·es par la force. Très vite, l'occupation tourne à l'affrontement armé. Pendant 71 jours, plus de 300 personnes résistent à une importante force militaire et paramilitaire composée de soldats, d'agents du FBI et de policiers locaux. Au terme de l'occupation, on dénombre deux morts, assassinés par les forces répressives.
Legs et échos
L'occupation, bien que spectaculaire, n'a pas d'effet immédiat sur la réserve de Pine Ridge ; les relations entre les militant·es traditionalistes et le conseil tribal s'enveniment et la violence y perdure. Par contre, l'occupation de Wounded Knee fait apparaître au grand jour les revendications des nations autochtones aux États-Unis. L'action mobilise l'opinion publique qui se montre généralement favorable aux revendications des occupant·es. De plus, Wounded Knee contribue à former une nouvelle génération de militant·es pour les droits des peuples autochtones. Entre autres, certaines des militantes présentes à Wounded Knee forment l'année suivante l'association Women of All Red Nations. C'est aussi à ce moment que le AIM commence ses actions au Canada, notamment avec le blocage de Cache Creek en 1973.

L'écho du AIM dépasse les frontières coloniales – frontières que l'AIM ne reconnaît pas, d'ailleurs. Des membres de nations autochtones s'inspirent de leurs actions depuis 50 ans, partout à travers le monde. Lors de l'occupation de Wounded Knee, des militant·es kanien'kehá:ka sont allé·es soutenir leurs camarades aux États-Unis. À partir de 1973, de nombreuses organisations de défense des droits autochtones se rallient à l'AIM et à sa vision, et, dans les années qui suivent, quelques sections de l'AIM sont créées du côté canadien de la frontière. Les expériences d'occupations et de blocages, de réclamations territoriales et d'actions directes se poursuivent depuis, au Canada comme aux États-Unis.
Pendant les années qui suivent Wounded Knee, l'AIM continue d'offrir son appui aux luttes que mènent les communautés autochtones du côté canadien de la frontière – en autant que celles-ci le demandent, peut-on lire dans des entrevues avec des membres de l'AIM publiées dans Akwesasne Notes. C'est ainsi que les luttes de Ganienkeh (1974), de Fort Kanasaraken (1979), d'Oka (1990) et d'Ipperwash (1995), parmi d'autres, s'inscrivent clairement dans la continuité de Wounded Knee. C'est aussi le cas du blocage du chantier de l'oléoduc Dakota Access, de 2016 à 2017, par des militant·es autochtones à Standing Rock dans le Dakota du Nord. Ainsi, depuis 50 ans, les luttes pour les souverainetés autochtones se poursuivent, par tous les moyens nécessaires.
Sources
Blouin, Philippe (coord.), Matt Peterson, Malek Rasamny et Kahentinetha Rotiskarewake. La Mohawk Warrior Society, Éditions de la rue Dorion, 2022, 462 pages.
« On the Road to Wounded Knee », Indian Nation, Vol. 3, No. 1, Avril 1976
« The Struggle Continues – Wounded Knee », Akwesasne Notes, Vol. 5, No. 3, Juin 1973 « Voices from Wounded Knee », publié par les Akwesasne Notes (éditeur lié au journal du même nom).
Mélissa Miller est membre du collectif d'Archives Révolutionnaires.
Illustration : « Show your Solidarity with the Indian Nations », affiche de l'occupation de Wounded Knee, 1973, Library of Congress.
Photo : Image tirée de l'épisode 5 de la série documentaire We Shall Remain, « Wounded Knee ».

Les leçons de la pandémie pour le monde du travail

Les masques ont eu beau disparaître de la plupart des espaces publics au Québec, la COVID-19 et ses conséquences ont encore un impact important, notamment sur le monde du travail.
Sans chercher à faire un bilan exhaustif des transformations induites par la pandémie et les confinements, penchons-nous sur deux enjeux encore bien d'actualité : d'une part, la notion d'« anges gardiens », en particulier dans le secteur de la santé, et, d'autre part, la forte augmentation du télétravail.
Les « anges gardiens »
C'est désormais un lieu commun, la pandémie a révélé, pour celles et ceux qui n'en avaient pas encore conscience, l'importance cruciale de certains corps de métier dans la survie même de nos sociétés en temps de crise. Outre le personnel de la santé, les employé.e.s des épiceries et de la livraison à domicile se sont vus octroyer le titre de « travailleurs et travailleuses essentiels » dans un sens plutôt positif, alors que nous avions pris l'habitude d'utiliser cette expression principalement pour limiter la capacité d'action collective de groupes de personnes salariées (par exemple, en empêchant des grèves par le recours à la Loi sur les services essentiels).
Toutefois, une autre expression est venue teinter le discours public, une expression que même le premier ministre a utilisée. Ces travailleuses et travailleurs, en particulier dans le secteur de la santé, ont rapidement été qualifié·es d'« anges gardiens ». Derrière une intention de valorisation se cache pourtant une conception très problématique du travail dans ce domaine. Il n'est, en effet, pas anodin de recourir à un vocabulaire de l'ordre du religieux lorsque l'on traite des travailleuses et travailleurs de la santé.
D'abord, les anges, par définition, sont des êtres surnaturels n'ayant pas les mêmes besoins physiologiques ni matériels que les êtres humains. Inutile donc de réfléchir à leurs conditions de travail, leur rémunération, leur santé mentale, etc… En outre, ce registre du religieux renvoie à une autre expression commune, soit celle de la « vocation ». Il était ainsi courant d'affirmer que l'on devenait infirmière, enseignante ou… religieuse, par « vocation » et non par besoin de générer un revenu digne. La vaste majorité des services dans le domaine des soins, comme de l'éducation, ont d'ailleurs longtemps été, au Québec, à la charge des communautés religieuses. Or, la « rémunération » des sœurs relevait moins de la logique salariale appliquée à l'économie capitaliste qu'à celle des vœux qu'elles avaient formulés, notamment de pauvreté.
Ceci nous amène à un dernier constat, évident : les anges n'ont pas de sexe (ou de genre). Comme l'ont à maintes reprises démontré les autrices féministes, ces carrières « vocationnelles » étaient dans leur vaste majorité destinées à des femmes, et cette caractérisation a ainsi contribué à dévaloriser durablement leur travail. Un quart de siècle après l'adoption de la Loi sur l'équité salariale au Québec, nous voici à
souligner à nouveau les glissements potentiels (et dangereux) d'un vocabulaire qui, sous couvert de bienveillance, jette un voile opaque sur la réalité du travail de nombreuses femmes et la nécessité de le compenser de façon digne et équitable.
Les leçons de la pandémie ont-elles été retenues ? Si on regarde du côté de l'Ontario, rien ne le laisse penser. On blâmait encore récemment le gel de salaire imposé par le gouvernement Ford dans la fonction publique pour la pénurie importante de personnel infirmier dans le réseau de la santé de la province. Au Québec, les négociations du secteur public sont le nouveau théâtre au sein duquel se joue ce débat. Les « anges gardiens » viennent réclamer leur dû et rappellent au gouvernement Legault que leur travail « essentiel » doit se payer en salaires permettant de confronter l'inflation galopante et non à coup de remerciements ou de primes ponctuelles accordées sans même consulter les organisations syndicales. Souhaitons qu'à terme, au moins dans ce domaine, l'expérience de la pandémie porte fruit et contribue à la juste valorisation de ces emplois.
Le télétravail
Autre réalité imposée par les confinements : le télétravail. En mars 2020, quasiment du jour au lendemain, des millions de travailleuses et travailleurs se retrouvent à devoir improviser un nouveau bureau à domicile, dans une multitude d'emplois liés aux services. Solution temporaire, d'urgence, encadrée de façons très variables par les employeurs, elle disparaît totalement dans certains domaines une fois les confinements terminés, mais devient au contraire une nouvelle norme pour d'autres. La pandémie et ses impératifs ont créé des attentes, et parfois ouvert des chemins que l'on n'imaginait pas pouvoir explorer auparavant. Les pressions poussant vers le télétravail sont multiples : parfois, ce sont les employeurs qui le considèrent comme une source d'économie potentielle ou une façon d'élargir leur bassin de recrutement, parfois ce sont les personnes salariées elles-mêmes qui le réclament, y voyant un moyen de mieux concilier travail et vie personnelle.
Trois ans après les premiers confinements, deux constats s'imposent : d'une part, le télétravail est en forte augmentation par rapport à l'avant-pandémie et est sans doute là pour rester ; d'autre part, les modalités de son application sont encore en pleine définition dans de nombreux milieux de travail. On en veut pour preuve la négociation actuelle dans la fonction publique fédérale. Alors que la pratique du télétravail y était tout au plus marginale avant la pandémie, elle s'y est généralisée. Sondé·e·s par leurs syndicats, les fonctionnaires fédéraux·ales ont indiqué massivement ne pas vouloir revenir dans leurs bureaux, tout en soulignant que le télétravail n'avait en rien nui à leur productivité puisque des programmes publics sans précédent avaient pu être instaurés par le gouvernement fédéral pendant la COVID-19. De son côté, le Conseil du Trésor, qui dirige les négociations du côté patronal, a envoyé de nombreux messages contradictoires. Promettant dans un premier temps flexibilité et autonomie des différents ministères, il a récemment décidé d'imposer un modèle unique de deux à trois jours de travail au bureau par semaine à tou·tes sesemployé·es, soulevant l'ire de celles et ceux-ci ainsi que de leurs organisations syndicales.
Le télétravail charrie toutefois encore de nombreux enjeux. Si, dans le cas des fonctionnaires fédéraux, il semble être un choix vastement majoritaire, est-il vraiment toujours choisi dans les milieux qui le pratiquent, ou plutôt imposé plus ou moins directement par les employeurs ? Quand il est instauré, quelles obligations s'imposent à l'employeur tant en matière d'équipements que de santé et sécurité du travail ? Jusqu'où peut aller son contrôle sur le travail effectué à domicile ? Comment ces nouvelles pratiques s'articulent-elles avec le droit à la déconnexion, de plus en plus réclamé par les travailleuses et travailleurs ?
Finalement, que nous dit cette envie de télétravail chez plusieurs personnes salariées ? Dans une économie capitaliste, les milieux de travail ont toujours été des espaces de tension. Ils incarnent le rapport d'aliénation et de subordination imposé par le contrat de travail, mais ils constituent également des lieux de socialisation, d'échanges, et parfois même d'émancipation lorsqu'ils permettent la création de solidarités, y compris et surtout face aux employeurs eux-mêmes. C'est ici que le télétravail vient questionner la pratique syndicale elle-même : les syndicats sont-ils prêts pour la « télémilitance » ? Les avantages des assemblées en Zoom, qui rejoignent sans doute plus de membres, compenseront-ils l'absence des liens directs, des conversations de corridors, des délibérations en personne où les échanges sont souvent plus riches ? Sans parler des effets pervers du télétravail sur les conflits eux-mêmes. Dernièrement, tant le Nouveau-Brunswick que l'Ontario ont suggéré à leur personnel enseignant de passer en téléenseignement, non pas en raison d'une pandémie ou d'une tempête de neige, mais bien pour contourner d'éventuels piquets de grève… Les balises restent donc à adopter et qu'il s'agisse de reconnaissance salariale ou de télétravail, la pandémie et ses conséquences n'ont pas fini de nous interpeler.
Sans en changer les fondements, elles jettent un éclairage nouveau sur les rapports de pouvoir du travail, sur l'arbitraire patronal, mais aussi sur les capacités d'émancipation par l'organisation collective qui s'offrent aux travailleuses et travailleurs.
Photo : Heiner Engbrocks (CC BY-NC)

Transformations dans l’écriture

Comment décrire l'état actuel de l'écriture inclusive dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans la sphère publique et dans l'univers académique ? À bâbord ! s'est entretenu sur ce sujet avec Alexandra Dupuy, doctorante en linguistique à l'Université de Montréal. Propos recueillis par Isabelle Bouchard.
À bâbord ! : S'interroger sur les liens entre la langue et le genre, est-ce si nouveau ?
Alexandra Dupuy : Non ! Pensons simplement à la question de la féminisation qui a beaucoup fait parler et ce, sur une période très étendue. D'ailleurs, ce n'est que très récemment que la France a finalement accepté la féminisation des noms de métiers et c'est le résultat d'un long travail. Le Québec a influencé ce mouvement. Dans les années 1970, en réaction au travail militant de femmes, l'Office québécois de la langue française (OQLF) avait déjà recommandé l'usage des formes des noms de métiers au féminin. Ces militantes avaient dénoncé, dans une publication du Conseil du statut de la femme, que les femmes n'étaient pas nommées dans des documents destinés à des personnes qui allaient sur le marché du travail. Les pratiques étaient très variées en la matière et les femmes ne se sentaient pas incluses. Elles ne sentaient pas que les documents s'adressaient à elles.
Même au Moyen-Âge, il y a des histoires de nonnes qui ont écrit des poèmes religieux avec des noms féminins qui étaient refusés comme « autrix ».
ÀB ! : En septembre dernier, vous étiez invitée à une table ronde portant sur la façon d'aborder la diversité en sociolinguistique. Quelles ont été vos observations et vos contributions ?
A. D. : J'ai insisté sur l'inclusion, mais pas uniquement en termes de genre, puisque ma définition de l'inclusion est beaucoup plus large. J'ai parlé de « qui parle de qui ? ». Est-ce qu'on réalise des efforts et est-ce qu'on prend des actions concrètes pour s'assurer d'avoir une diversité de personnes qui se retrouvent dans le milieu de la recherche ?
Quand on fait de la sociolinguistique, c'est particulier de constater qu'une partie limitée de la société se prononce pour la société au grand complet. Il faut aussi se questionner sur comment on parle de cette société. S'assure-t-on, lors de collectes de données, d'avoir une diversité de profils ? Il me semble que c'est problématique particulièrement d'une perspective scientifique, d'établir un portrait de la langue parlée sur la base exclusive de personnes universitaires blanches. Il faut, entre autres, prendre en compte les personnes dyslexiques, malentendantes et aveugles et leur moyen d'entrer en relation avec la langue. Notre travail de linguiste est de faire état de toutes ces situations.
ÀB ! : Que penser de l'entrée du pronom « iel » dans le dictionnaire Le Robert ?
A. D. : À savoir si c'était un coup de marketing, peut-être, mais c'est un très bon coup. On n'a jamais autant parlé de ce pronom qui, initialement, était surtout connu dans les milieux militants. Maintenant, de plus en plus de personnes utilisent ce nouveau signe linguistique pour nommer une réalité. En revanche, il y a aussi des poches de résistance, même dans la communauté des linguistes. Fait intéressant, cette résistance à l'égard de ces néo pronoms ne semble pas être corrélée à l'âge.
ÀB ! : Comment qualifier l'état de l'écriture inclusive dans les médias québécois ?
A. D. : Je me souviens avoir lu une entrevue dans Le Devoir avec une personne non-binaire. La personne journaliste a écrit « iel » entre guillemets. Je me suis dit « tiens, c'est intéressant, parce que jamais on aurait placé les pronoms « elle » ou « il » entre guillemets. Puis, plus tard, dans le même journal et pour une autre entrevue, les guillemets ont disparu ! Je constate qu'il y a encore des réticences, mais qu'il y a aussi de l'ouverture. Dans notre société, il y a des personnes non-binaires. Iels donnent et donneront des entrevues dans les journaux et les médias et iels devront être nommé·es.
Une occurrence s'est observée à Radio-Canada. Xavier Gould, une personne artiste, queer et non-binaire originaire du Nouveau-Brunswick a contribué à un reportage sur la non-binarité. Or, dans l'article, on faisait référence à Xavier en utilisant le mauvais pronom. Avec raison, l'artiste s'est indigné·e publiquement et Radio-Canada a dû se doter d'une politique pour ne pas mégenrer les personnes.
ÀB ! : Quelles sont vos observations sur la langue en ligne et les rapports aux genres ?
A. D. : C'est comme si la langue en ligne se situait entre la langue orale et la langue écrite. Certains patrons de la langue parlée vont possiblement se refléter dans la langue écrite. Si, dans la langue orale, les personnes ont tendance à utiliser des formes comme « toustes » ou « celleux », c'est probable que dans la langue écrite en ligne, ces formes vont être aussi employées, étant donné le contexte moins formel. Il y a une liberté sur les réseaux sociaux qui favorisent l'invention de nouveaux codes. Par exemple, il y a des communautés linguistiques et des codes linguistiques sur les réseaux sociaux qui sont différents de ceux utilisés dans la vie professionnelle. Une personne peut se créer une communauté propre aux intérêts des personnes queer non-binaires et alors adopter des codes linguistiques propres à cette communauté. Ces codes seront en premier utilisés dans la communauté, puis leur emploi pourrait être élargi. Notre rapport à la langue a été transformé par notre utilisation des ordinateurs et de nos échanges rapides avec une diversité de personnes sur Internet. Il faut le souligner.
ÀB ! : Quelles sont les normes rédactionnelles les plus supportées en recherche ? En d'autres mots, quelles sont les bonnes pratiques à privilégier en recherche ? Quels sont les prochains défis pour rendre visibles et lisibles toutes les identités dans notre langage ?
A. D. : Les normes rédactionnelles en recherche sont très variables. On observe toutefois que des personnes vont rédiger leur mémoire et leur thèse avec des formes inclusives. J'ai moi-même utilisé des formes inclusives lors de la rédaction de mon mémoire. En effet, j'ai utilisé le néologisme « locutaire » (une personne qui parle une langue) plutôt que « locuteur » ou « locutrice ». Pour l'instant, l'emploi des formes inclusives dans les écrits universitaires n'est pas généralisé, même si on observe des personnes qui désirent qu'il le soit.
En 2022, le réseau de l'Université du Québec a publié un guide dans lequel on retrouve les grandes lignes rédactionnelles de l'écriture inclusive. Cela est manifestement une ouverture, mais ce ne sont pas tous les plans de cours qui sont rédigés de manière inclusive. Notons aussi que certaines chaires de recherches s'intéressent de près à ces questions et que les étudiant·es qui s'identifient au mouvement queer sont davantage visibles et souhaitent être aussi nommé·es et exister dans la langue.
De mon point de vue de sociolinguiste, l'une des bonnes pratiques que je souhaite mettre en lumière, c'est l'écoute. C'est important d'écouter quand on étudie la société, parce qu'elle évolue au même titre que la science et que la langue. Faire preuve de réticence, ce n'est pas utile, car la langue va tout de même évoluer et notre discours ne sera plus cohérent.
ÀB ! : Quels sont vos souhaits pour l'avenir du langage inclusif ?
A. D. : Un de mes souhaits, ce serait que l'OQLF s'intéresse à l'établissement de normes nationales en réalisant une étude auprès des personnes et groupes concerné·es pour éventuellement créer un guide. Je suis consciente que s'il y avait une norme nationale, elle ne serait pas nécessairement respectée, mais elle serait une référence et j'espère que cela pourrait en quelque sorte démocratiser les démarches.
J'ai aussi le souhait que l'on cesse la condescendance et l'âgisme liés à l'écriture inclusive. Les jeunes sont une part importante de notre société et on doit reconnaître toute la légitimité qu'a cette population de se préoccuper de leur langue, de notre langue. Si on souhaite que les jeunes s'approprient la langue, il faut au moins qu'illes puissent y être nommé·es sans être mégenré·es.
Un autre de mes souhaits, c'est qu'on s'intéresse davantage aux personnes de notre société qui éprouvent de la difficulté avec la langue écrite et la lecture – et elles sont nombreuses – dans la recherche de formes inclusives plus universelles. Rendre plus accessibles la lecture et l'écriture en prenant en considération le plus grand nombre de personnes est un défi de taille. Cela exigera du temps, et c'est normal !
Illustration : Elisabeth Doyon

Lumière sur les allumetières

L'ouvrage de l'historienne Kathleen Durocher est d'une importance capitale pour mieux comprendre le sort qui a été réservé aux ouvrières de la manufacture d'allumettes.
Kathleen Durocher est candidate au doctorat en histoire et en études féministes à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Titulaire d'une maîtrise en histoire de l'Université d'Ottawa, elle a récemment publié aux Presses de l'Université d'Ottawa, Pour sortir les allumetières de l'ombre – Les ouvrières de la manufacture d'allumettes E. B. Eddy de Hull (1854-1928), un essai pionnier qui émane de ses travaux de recherche. Elle y explique le destin de celles qu'on appelle les « allumetières », les femmes ayant œuvré au sein de l'allumière de la E.B. Eddy à Hull, la principale productrice d'allumettes au pays entre les années 1870 et 1928. C'est d'ailleurs en leur honneur que l'ancien boulevard de l'Outaouais, à Gatineau, a pris le nom du boulevard des Allumetières. À cette époque, l'électricité n'était pas ce qu'elle était aujourd'hui, d'où l'importance de l'industrie de production des allumettes, essentiellement dominé par des hommes.
Dans un article publié dans la revue Ouvrage en octobre 2020, Durocher relate que « [d]urant des décennies, des centaines d'employé·e·s, principalement des adolescentes et des jeunes femmes, s'affair[aient] à l'emballage des bouts de bois inflammables. Travaillant dans des conditions difficiles, entre 50 et 60 heures par semaine, et ce, toute l'année, elle ne gagn[aient] qu'un maigre salaire octroyé à la pièce. » En outre, leur exposition à la nécrose maxillaire causée par le phosphore blanc provoque la perte des dents en plus de la décomposition des os et de la mâchoire. Cette terrible maladie n'a que pour seul « remède » l'ablation de la mâchoire.
Faute de moyens financiers, nombreuses sont celles qui furent obligées de subir cette opération à domicile plutôt qu'en milieu hospitalier. Le phosphore blanc fut d'ailleurs interdit en Europe à la fin du ١٩e siècle et est aujourd'hui considérée comme une arme incendiaire par les Nations Unies. On comprend donc que le dur labeur de ces allumetières met leur santé et sécurité en péril, notamment en raison de la toxicité des matériaux qu'elles manipulent et du risque incessant d'incendie qui accompagne leur travail, telle une épée de Damoclès.
De fil en aiguille, et devant ce système d'exploitation, les travailleuses décident, à partir de 1928, de se mobiliser, et ce, sous la bannière d'un syndicat catholique et exclusivement féminin. Celles qui avaient longtemps été éclipsées des tentatives de syndicalisation de leurs collègues masculins connaissent une réussite qui rayonnera à travers le Canada, en plus de marquer la région de Hull. Ce syndicat aura eu à sa tête une dénommée Donalda Charron, la première femme présidente d'un syndicat au Québec.

Le syndicat des allumetières a aussi connu de nombreuses peines. Au cours de leur courte histoire, les allumetières syndiquées subirent deux conflits de travail dont le second tuera leur mouvement contrairement au premier, où elles purent obtenir plusieurs gains au niveau de leurs conditions de travail et de leur capacité de négociation. Le litige au cœur du premier conflit concerne « la question des doubles équipes de travail requises par l'employeur pour faire face à la demande accrue du marché. Malgré le lock-out imposé par la compagnie, les allumettières obtiennent gain de cause et se voient accorder des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail ».
Les réjouissances pour les Allumetières seront toutefois brèves, car en 1924, la compagnie Eddy menace à nouveau de réduire les salaires qu'elles avaient obtenus lors du premier conflit de travail : « les ouvrières abandonneront alors leur travail sans consulter le syndicat, réaction à laquelle la compagnie rispostera par une contre-grève de neuf semaines. Le syndicat obtiendra gain de cause mais, cette fois-ci, la conjoncture économique remettra en cause la fabrication d'allumettes chez E.B. Eddy. Elle fermera définitivement cette section en 1928 pour ne conserver que la seule production du papier. » [1]
Malgré ce qui apparaît, en surface, être un échec, l'expérience des Allumetières a permis de mettre en lumière le problème social du harcèlement sexuel en contexte de travail et a également marqué l'imaginaire collectif.
L'Histoire a la fâcheuse tendance de faire silence sur les réalisations et les accomplissements des femmes, et ce, au profit des hommes. C'est notamment pour lutter contre cet effacement et cette invisibilisation que l'ouvrage de Durocher fait sens. Première étude historique portant sur ces syndicalistes, il y a fort à parier que grâce au travail intellectuel de Kathleen Durocher qui pave la voie à d'autres études du même genre, les allumetières ne figureront plus jamais dans l'ombre.
[1] Citations tirées de Bilan du siècle, site encyclopédique de l'histoire du Québec depuis 1900 de l'Université de Sherbrooke. En ligne : https://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/20909.htm
Illustration : Elisabeth Doyon
Photo : Les allumettières. Archives de la confédération des syndicats nationaux

Le rôle du gouvernement canadien an Ayiti

Ayiti s'embourbe dans un cycle de crises à répétition. Les services publics sont détruits, l'économie criminelle s'impose et bloque tout développement de l'économie nationale, la pauvreté extrême s'approfondit, les élites sont incapables de résoudre les problèmes globaux par leurs propres moyens. Le Canada, sous le couvert de l'aide internationale, joue un rôle dans le maintien de l'occupation d'Ayiti.
Ces crises s'inscrivent aussi dans un contexte mondial caractérisé par l'internationalisation accentuée du capital et l'aggravation alarmante de la crise environnementale. La communauté internationale a une volonté plus ou moins affichée de renforcer l'occupation d'Ayiti pour consolider ses positions géopolitiques. Ces crises s'inscrivent aussi dans un contexte mondial caractérisé par l'internationalisation accentuée du capital et l'aggravation alarmante de la crise environnementale.
Le Canada, pour des raisons historiques, se voit lui-même et est vu par les membres du Core Groupe – un groupe consultatif regroupant les ambassadeurs de l'Allemagne, le Brésil, le Canada, l'Espagne, les États-Unis, la France et de l'Union européenne – comme l'entité idéale pour asseoir le dispositif adéquat.
Engagés à fond dans leur effort de guerre au Moyen-Orient et en Afrique, les États-Unis d'Amérique du Nord et l'Union européenne se sont relativement désengagés dans les Caraïbes, modifiant ainsi le rôle géostratégique de cette région. C'est précisément le vide laissé aujourd'hui dans la région par ces deux grands acteurs mondiaux que le Canada, membre à la fois du Commonwealth et de la Francophonie, essaie de combler, en jouant la carte de la coopération avec Ayiti, dont les liens sont particulièrement étroits du fait notamment de la présence massive d'Ayitien·nes au Québec.
L'aide canadienne est principalement orientée vers les ONG et parallèlement remet en question les capacités de l'État ayitien à en assurer la gestion. Pour bien comprendre cette dynamique, il importe de brosser un portrait historique des relations entre Ayiti et le Canada et faire un survol rapide de la situation actuelle.
Survol historique des relations canado-ayitiennes
Les premières relations diplomatiques entre Ayiti et le Canada datent de 1937 et vont s'officialiser en 1954. Elles se renforcent au fil des ans, notamment avec la présence significative de la diaspora ayitienne au Canada, en particulier au Québec.

Dès les années 30, le Canada devient une destination d'étude pour de nombreux étudiant·es ayitien·nes. L'immigration ayitienne au Canada se poursuit par vagues successives à partir des années 1960. Les premières cohortes sont constituées de militant·es politiques, d'intellectuel·les, d'artistes et professionnel·les poussé·es à l'exil par la dictature féroce de Duvalier. Dans les années 1970, ce sont des travailleur·euses et des ouvrier·ères qui fuient Ayiti pour venir s'installer au Canada à cause des politiques intenses d'ajustement structurel qui déstructurent l'économie ayitienne. Depuis, l'afflux de migrant·es ayitien·nes (avec ou sans papier) et de réfugié·es n'a cessé de croître ce, en dépit des difficultés auxquelles ils et elles sont confronté·es et des épreuves qu'ils et elles subissent.
Les relations entre Ayiti et le Canada se développent également à travers les organisations canadiennes qui œuvrent directement en Ayiti. La pénétration économique du Canada en Haïti s'accentue avec la présence d'hommes d'affaires et de compagnies canadiennes (Icart, 2007). Les intérêts d'entreprises canadiennes pour l'exploitation de gisements d'or et de cuivre sont connus. D'ailleurs, en 1997, deux conventions minières ont été signées (sanctionnées en 2005, un moratoire a été imposé en 2013 par le Sénat Ayitien) entre le gouvernement ayitien et deux sociétés minières, filiales de sociétés canadiennes basées à Montréal. Mais, les relations commerciales bilatérales entre Ayiti et le Canada sont peu significatives.
Rôle du Canada en Ayiti
Depuis 2004, le Canada joue un rôle actif et significatif dans la mise sous tutelle d'Ayiti et sa perte de souveraineté. Différentes missions dites de stabilisation et de maintien de la paix sont déployées en Ayiti depuis plus de 20 ans. Les Forces armées canadiennes et des forces policières civiles ont fait partie des Casques bleus des différentes missions de l'ONU en Ayiti. Le Canada préside le Groupe consultatif ad hoc du Conseil économique et social des Nations Unies sur Ayiti (ECOSOC-AHAG), sans oublier le rôle qu'il joue aussi auprès des instances internationales comme OEA et OIF. Créé en 1999, l'ECOSOC-AHAG a pour mission de faire des recommandations en vue d'une meilleure adéquation, cohérence, coordination et efficacité de l'assistance (aide) internationale à Ayiti. Cette structure est réactivée en novembre 2004 et depuis, le Canada en assure la présidence.
Ce groupe consultatif ad hoc sur Ayiti demande en juillet 2022 au Conseil de sécurité des Nations Unies l'extension du mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) [1] , qui a pour mandat « appui à bonne gouvernance, stabilité, professionnalisation de la police, réduction de la violence communautaire et de la violence des gangs ». Ce mandat a été actualisé et sera en vigueur jusqu'en juillet 2023.
En outre, les fonds de développement canadiens sont principalement orientés vers la sécurité, ce qui se traduit par le renforcement de la police et d'autres organismes de justice pénale, faisant ainsi de la réforme de la police un objectif majeur de la politique étrangère du Canada. Pourtant, la réforme de la police a un côté sombre qui peut étendre la violence, la corruption et l'impact néfaste que les pratiques surannées de justice pénale peuvent avoir sur la cohésion communautaire.
À ce propos, Davis [2] explique comment le côté obscur qui accompagne l'imposition de transitions démocratiques préemballées se traduit souvent par la violence et la détérioration de l'État de droit. Il est notable que l'aide fournie par le Canada et les Nations Unies en Ayiti était basée sur la formation et la distribution de technologies aux membres de groupes paramilitaires qui ont comblé un vide de pouvoir après la destitution d'Aristide et qui sont devenus membres de la Police nationale d'Ayiti.
Ce nouveau rôle hégémonique du Canada se manifeste à travers sa participation et sa contribution à la constitution du Core Groupe. Le Canada, aujourd'hui, prend la direction des opérations sous la houlette de l'Oncle Sam.
Interventions directes dans les affaires internes
Aujourd'hui, Ayiti fait face à une « guerre de basse intensité », une guerre larvée liée à la manière dont les richesses vont être distribuées. Il ne s'agit pas d'une guerre conventionnelle, même si on est exposé à des formes d'agressions qui s'approchent et s'apparentent à une situation de guerre.
Le gouvernement canadien est de plus en plus à l'avant-scène et prend des initiatives claires de contrôle et de domination d'Ayiti. Il a soutenu différents gouvernements fantoches, décriés, illégitimes, illégaux ou inconstitutionnels, qui depuis 2010 renforcent la formation ou le renforcement de gangs criminalisés. Très peu a été dit sur les massacres, des centaines de kidnappings sur la population ruinant la classe moyenne, paupérisant davantage les classes populaires, semant le deuil et le désespoir dans les familles ; rien n'a été dit sur les répressions systématiques et sauvages de la police nationale formée aux bons soins des forces canadiennes sur les manifestant·es.
En résumé, les interventions canadiennes à ce jour ne visent qu'à encourager un ordre social d'apartheid dans lequel les classes populaires sont mises hors de la sphère de la prise des décisions politiques, économiques et sociales du pays en ignorant les solutions alternatives endogènes et en priorisant le statu quo.
[1] Le mandat a été établi par la résolution 2476 du Conseil de sécurité du 25 juin 2019 et déployé sous le Chapitre VI de la Charte des Nations Unies.
[2] D. Davis, « Undermining the Rule of Law : Democratization and the Dark Side of Police Reform in Mexico » Latin American Politics and Society, 48, no 1 (2006)
Chantal Ismé militante féministe et politique, membre de la Coalition Haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti (CHCDDH).
Illustration : Elisabeth Doyon

Droit à l’assurance-chômage : le combat de tous et toutes

En septembre 2022 paraissait aux éditions Écosociété le livre Trouve-toi une job ! Petite histoire des luttes pour le droit à l'assurance-chômage. À bâbord ! s'est entretenu avec Jérémie Dhavernas, avocat du Mouvement Action-Chômage (MAC) et auteur de l'ouvrage. Propos recueillis par Viviana Melisa Isaza Lescano.
À bâbord ! : Qu'est-ce que le Mouvement Action-Chômage ?
Jérémie Dhavernas : Le MAC est un organisme communautaire issu de groupes populaires créés dans les années 70 qui défend les droits des sans-emploi. Le MAC offre des services de formation, d'accompagnement et de représentation juridique afin d'aider les sans-emploi à avoir accès à leur droit de prestations.
ÀB ! : Quelles sont les raisons qui ont convaincu le MAC de Montréal de faire la lumière sur l'histoire récente du chômage et sur la fragilité de cette maille du filet social ?
J. D. : Le MAC revendique l'amélioration et la sauvegarde du programme d'assurance-chômage qui est constamment menacé par les stéréotypes et les préjugés véhiculés par les gouvernements. Pour son 50e anniversaire, nous avons décidé de souligner son histoire et ses luttes contre les réformes du programme d'assurance-chômage et la propagande des gouvernements fédéraux dénigrant les chômeur·euses. En bref, ce discours dit : « un chômeur est un mauvais pauvre, un paresseux et un fraudeur ».
Depuis les années 70, le MAC défend des travailleur·euses qu'on tente d'exclure du régime à l'aide de la loi et de l'application de directives restreignantes, voire agressives, par les fonctionnaires. Il ne faut pas oublier que ces chômeur·euses ont déjà été à l'emploi et ont contribué à la caisse d'assurance-chômage destinée à les aider en cas de perte d'emploi. Ils n'ont pas à avoir honte.
ÀB ! : Comment ces préjugés et ces stéréotypes subsistent encore aujourd'hui ?
J. D. : La source première de cette dynamique est le programme d'assurance-chômage en lui-même. D'abord, le programme exclut dans une très grande majorité les travailleur·euses qui ont dû quitter leur emploi pour diverses raisons et ceux et celles qui ont été congédié·es pour une inconduite, sans égard au nombre d'années durant lesquelles ils et elles ont contribué à l'assurance-chômage.
La deuxième problématique est le traitement inquisitoire et culpabilisant réservé aux sans-emploi. Bien que les chômeur·euses remplissent les critères d'admissibilité, soit avoir un emploi assurable, avoir un arrêt de rémunération et avoir travaillé les heures demandées par le programme, on présumera de leur mauvaise foi, on remettra en doute leur volonté de se trouver un nouvel emploi et on croira davantage la version du patron lorsque la fin d'emploi est litigieuse. Tout ceci s'exprime par une pression sur les sans-emploi qui se traduit par : TROUVE-TOI UNE JOB !
ÀB ! : Le MAC réclame un programme social pour l'assurance-chômage avec « un minimum syndical ». Quel est ce minimum syndical ?
J. D. : Nous avons cinq revendications qui visent à améliorer la couverture des travailleur·euses par le programme d'assurance-chômage.
La première revendication concerne le nombre d'heures de travail nécessaires pour se qualifier au programme d'assurance-chômage. Ce nombre varie d'une région à l'autre, allant de 420 à 700 heures en fonction du taux de chômage de la région de résidence des travailleur·euses sans emploi. Par exemple, si deux travailleur·euses sont mises à pied du même poste, mais demeurent dans deux régions différentes, l'une pourrait toucher l'assurance-chômage alors que l'autre, non, simplement en raison de taux de chômage différents dans leur région respective. Le MAC réclame donc l'uniformisation du nombre d'heures de travail nécessaire pour avoir droit aux prestations et de le fixer à 350 heures dans la période de référence (la dernière année).
La deuxième revendication vise à bonifier la durée des prestations. Présentement, la durée des prestations est de 14 à 45 semaines, dépendamment du taux de chômage régional et des heures travaillées. Le MAC demande pour que les prestations universelles soient versées pendant 50 semaines.
La troisième revendication vise à assurer un taux de prestation à 70 % du salaire avec un plancher de 500 $ par semaine. Nous avons vu avec la pandémie que cette bonification est non seulement faisable, mais nécessaire. Selon Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada de 2013 à 2020, la Prestation canadienne d'urgence (PCU) à 500 $ par semaine a sauvé le Canada de la faillite, puisque notre programme d'assurance-chômage était extrêmement précaire.
La quatrième revendication est la fin des exclusions totales pour départ volontaire ou inconduite, afin de rétablir l'accès au programme pour les travailleur·euses dans ces situations.
La dernière revendication est de permettre l'accès aux prestations régulières en cas de situation de chômage sans égard aux prestations parentales reçues. La majorité du temps, ce problème survient lorsque les femmes perdent leur emploi durant ou immédiatement après leur congé de maternité. Au Québec, cette situation survient lorsque le parent touche près d'un an de prestations du Régime québécois d'assurance parentale (RQAP). Encore aujourd'hui, ce parent est presque toujours la mère. Ce sont donc les femmes qui se retrouvent sans protection contre le chômage lorsqu'elles ont le malheur de perdre leur emploi après être devenues parents. Le MAC a représenté six travailleuses dans cette situation devant le Tribunal de la sécurité sociale et a eu gain de cause en janvier 2022. La Commission de l'assurance-emploi du Canada a décidé de porter en appel cette décision, ratant une belle occasion de rendre le programme équitable et juste…
ÀB ! : Comment le programme d'assurance-chômage a-t-il désavantagé les femmes ?
J. D. : Le programme d'assurance-chômage a toujours été et demeure paternaliste. Par exemple, jusqu'en 1957, les épouses devaient respecter des critères supplémentaires pour toucher des prestations dans les deux ans suivant leur mariage, car on jugeait leur demande suspecte. Entre 1940 et 1957, des milliers de femmes ont ainsi perdu leur droit à une protection en cas de chômage.
En 1971, Pierre Elliott Trudeau modifie la Loi sur l'assurance-chômage et crée les prestations de maternité, améliorant la protection des travailleuses. Il imposera toutefois aux femmes enceintes désirant avoir accès au chômage-maternité de cumuler ٢٠ semaines de travail dans la dernière année, dont dix durant leur grossesse, alors que pour les travailleur·euses qui ne sont pas enceintes, on exige huit semaines pour se qualifier. En 1984, la Loi sur l'assurance-chômage est corrigée pour mettre fin à cette discrimination. Cependant, la Loi demeure discriminatoire pour les femmes qui perdent leur emploi pendant ou suite à leur congé de maternité.
Le programme désavantage également les femmes sur d'autres plans. Selon les statistiques de 2016, 53 % des hommes ont accès à l'assurance-chômage contre seulement 35 % des femmes. Pourquoi ? Notamment parce que les règles sévères d'admissibilité laissent de côté les salariées précaires et à temps partiel, qui sont encore en grande majorité des femmes. C'est sans compter les femmes qui seront exclues du programme car elles quittent leur emploi pour s'occuper de leur famille ou de leur entourage, sans que ce départ volontaire soit considéré comme justifié…
ÀB ! : À travers l'histoire du MAC, on en apprend plus sur les crises internes qu'a connues le mouvement, notamment sur la confrontation de deux visions concernant son organisation. La première vision favorise la centralisation et l'action collective, tandis que la seconde est plus favorable à la décentralisation et vise à mieux répondre aux besoins des travailleur·euses sans emploi. Quelle est la vision que priorise le MAC pour revendiquer une meilleure accessibilité au droit à l'assurance-chômage ?
J. D. : Depuis 1990, nous avons une position beaucoup plus équilibrée entre les deux visions, puisque le service individuel nourrit l'action collective. À travers l'éducation populaire, le MAC s'attèle à défaire le stéréotype du mauvais pauvre et à permettre aux chômeur·euses de mieux connaître leurs droits. Nos séances d'information outillent les travailleur·euses, les syndicats et les organismes pour qu'ils puissent mieux naviguer ce programme complexe et parfois déroutant.
Tout ce travail d'éducation et de service individuel permet de mobiliser les gens dans la défense des droits des chômeur·euses, qui font partie des droits des travailleur·euses. Dès sa création, le MAC a d'ailleurs forgé des alliances avec les centrales syndicales pour dénoncer les réformes du programme d'assurance-chômage brimant les droits des sans-emploi. Un exemple récent est celui de la réforme de Harper en 2012, qui modifiait la notion de l'emploi convenable et créait ainsi un système punitif qui sanctionnait les chômeur·euses dit·es « fréquent·es », en les obligeant à chercher un emploi sous-payé. Dans cette même réforme, le gouvernement Harper mettait sur pied le Tribunal de la sécurité sociale, complexifiant indûment le processus d'appel afin de décourager les chômeur·euses de défendre leurs droits. Grâce à la mobilisation, cette réforme a depuis été abolie, ce qui démontre la force de l'action collective.
Il faut également souligner que le MAC fait partie du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE) qui lutte depuis plus de vingt ans pour la mise en place d'un régime d'assurance-chômage juste et universel. Le MASSE rassemble 17 groupes membres dans dix régions du Québec et du Nouveau-Brunswick. Le MASSE et ses groupes membres font de l'action politique en se mobilisant avec des syndicats et organisations alliés contre des politiques affectant l'accessibilité au programme d'assurance-chômage. À titre d'exemple, on peut penser aux groupes de l'Est-du-Québec qui revendiquent une meilleure couverture pour les travailleur·euses de l'industrie saisonnière et qui se sont rendus cet automne à Ottawa pour rencontrer les différents partis fédéraux.
ÀB ! : Qu'est-ce que la pandémie et le déploiement de la prestation canadienne d'urgence (PCU) ont démontré quant au programme d'assurance-chômage ?
J. D. : La pandémie a démontré que le programme d'assurance-emploi est extrêmement fragile, à un point tel que le premier ministre Trudeau a dû créer la PCU afin de ne pas accentuer la crise économique. Ce constat d'échec a pavé la voie à une promesse de réforme de l'assurance-chômage.
Plus concrètement, la PCU et les mesures temporaires à l'assurance-chômage qui ont suivi jusqu'en 2022 ont été un laboratoire permettant de tester certaines revendications portées par le MAC. Par exemple, le montant de la PCU était de 500 $, ce qui correspond à la revendication du MAC sur un taux plancher de prestations. Lors du déploiement des mesures transitoires qui ont suivi à l'assurance-chômage, on a pu constater que l'abolition du délai de carence, le prolongement de la durée des prestations à 50 semaines et la diminution du nombre d'heures travaillées requis pour se qualifier étaient des mesures tout à fait applicables et bénéfiques.
ÀB ! : Quelles sont d'autres contributions importantes du MAC ?
J. D. : Il y a eu la victoire juridique pour les chômeur·euses âgé·es de 65 ans qui étaient exclu·es du programme d'assurance-chômage en raison de leur âge. En 1989, la Cour d'appel fédérale déclarait que la disposition qui prévoyait leur exclusion était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et constituait de la discrimination basée sur l'âge. Suite à cette décision, le MAC, avec l'appui des centrales syndicales, a publiquement demandé au gouvernement Mulroney de ne pas porter la cause en appel, ce qu'il refusa. Finalement, la Cour suprême confirmera en 1991 que la disposition est discriminatoire, une grande victoire pour les travailleur·euses de plus de 65 ans !
Comme mentionné précédemment, le MAC représente en ce moment six travailleuses qui ont été privées de leur droit à l'assurance-chômage en raison de leur congé de maternité. Le Tribunal de la sécurité sociale du Canada a donné raison au MAC en jugeant que la Loi sur l'assurance-emploi était discriminatoire. Cette décision a été portée en appel et l'audience aura lieu à la fin mars. Un dossier à suivre avec beaucoup d'intérêt !
Illustration : Elisabeth Doyon

Lancement du numéro 32 des Nouveaux Cahiers du socialisme


Rassemblement de solidarité avec les activistes

Attac Québec est solidaire des activistes qui ont bloqué le pont Jacques-Cartier à Montréal. Leur cause est juste et très importante, ce sera bien plus qu'un pont qui sera bloqué sur une planète morte et face à des dérèglements climatiques qui nous dépasseront de plus en plus. Soyons présent·es le 31 octobre à 9h devant le Palais de justice de Montréal en solidarité avec eux ! Partagez l'événement Facebook svp.
La décision de criminaliser et de détenir les activistes du collectif Antigone et de Last Generation Canada est inadmissible et doit être remise en question. Comme le disait si bien dans La Presse hier Anaïs Barbeau-Lavalette : Qui, ici, désobéit ? C'est l'irresponsabilité et la désobéissance de nos gouvernements en matière environnementale qui devraient nous indigner collectivement.
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Les revendications des activistes sont la fermeture graduelle de la ligne 9B, la mise en place d'une agence de réponse aux désastres climatiques et la signature du Traité de non-prolifération des combustibles fossiles. Cette action sur le pont faisait suite à des mobilisations et des actions directes contre l'industrie pétrolière.
Lieu
Palais de justice de Montréal
10, rue Saint-Antoine Est
Montréal, QC CA

L’électricité pour se chauffer, pas pour le privé !

Au Québec, 1 ménage sur 7 n'arrive pas à payer sa facture d'électricité. Si le projet de loi est adopté tel quel, cette situation inacceptable va s'aggraver parce que les tarifs d'électricité vont beaucoup augmenter !
Attac Québec invite ses membres et sympathisant-es à participer à un rassemblement contre le projet de loi sur l'avenir énergétique du Québec (PL69), organisé par la Trovep Montréal et l'ACEF du Nord de Montréal. Rendez-vous le mercredi 30 octobre, de 11h à midi, devant les bureaux du premier ministre François Legault à Montréal.
Message des organisateurs :
Le 6 juin, le gouvernement a déposé un projet de loi sur l'avenir énergétique du Québec(PL 69). Avec ce projet de loi, le gouvernement se sert de la transition écologique comme prétexte pour faire des cadeaux aux industries et aux multinationales sur le dos des plus précarisé·e·s d'entre nous.
Le 30 octobre soyez des nôtres pour dénoncer les dérives du projet de loi et exiger un vrai débat public sur l'avenir énergétique du Québec !
Quoi : Rassemblement et conférence de presse
Quand : Mercredi le 30 octobre de 11h à 12h
Où : Bureaux de François Legault, 770 Sherbrooke Ouest (métro McGill)
Évènement Facebook : https://www.facebook.com/events/2060056437784504/
Cette mobilisation de l'ACEF du Nord avec la TROVEP de Montréal s'inscrit dans le cadre d'un l'appel à l'action plus large contre le projet de loi 69. Pour en savoir plus sur cet appel à l'action et télécharger le matériel, rendez-vous sur le site web de l'ACEF du Nord !
La GRC enquête sur Doug Ford et l’accaparement de terres protégées
Moins vite, moins haut, moins fort – ensemble
Le cas de l’école Bedford et les limites de la loi 21
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