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Les États-Unis envoient des soldats en Israël, au risque d’être entraîné dans la guerre ?

En déployant un système de défense antimissile et une centaine de soldats pour le faire fonctionner, Washington s'implique encore un peu plus au Moyen-Orient. Semblant redouter une escalade entre l'Iran et Israël, le pays de Joe Biden pourrait se retrouver pris dans l'engrenage, s'inquiètent des observateurs et certains responsables outre-Atlantique.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Une station de lancement du système de défense antimissiles à haute altitude (THAAD) de l'armée américaine, le 4 mars 2019. Photo Cory Payne/AFP
Les États-Unis ont annoncé, le dimanche 13 octobre, l'envoi en Israël d'une batterie THAAD, “un intercepteur terrestre conçu pour abattre des missiles balistiques”, ce qui marque “une étape importante dans leurs efforts pour protéger directement Israël contre une attaque ennemie”, notamment iranienne, rapporte The Wall Street Journal.
Washington enverra également à l'État hébreu une centaine de soldats pour faire fonctionner ce système de défense antimissile, “renforçant ainsi l'engagement des États-Unis dans la guerre qui s'intensifie au Moyen-Orient, alors que le pays s'attend à une attaque imminente d'Israël contre l'Iran”, écrit The Washington Post. Le journal évoque “le premier déploiement significatif de soldats états-uniens en Israël depuis le début de la guerre”.
Selon Aaron David Miller, un expert du Moyen-Orient passé par le département d'État, l'envoi de ce matériel montre que Washington s'attend à une riposte israélienne “d'une telle ampleur que les Iraniens devront y répondre”. L'État hébreu a reçu le 1er octobre une pluie de missiles balistiques, en représailles à l'assassinat de hauts dirigeants de l'Iran et de ses alliés, qui “a démontré que le système de pointe de défense antimissile israélien pouvait se trouver submergé”, ajoute The Washington Post.
Un risque pour les États-Unis
En venant épauler son allié, tout en appelant à ne pas frapper les sites pétroliers pour éviter de déstabiliser l'économie mondiale, le président Joe Biden montre une nouvelle fois qu'il préfère user de “la carotte” plutôt que du bâton dans sa relation difficile avec le Premier ministre israélien, estime Harrison Mann, ancien officier et analyste du renseignement aux États-Unis, qui redoute la suite.
- “Une fois que ce système antimissile sera en place, […] quel intérêt Nétanyahou aura-t-il à tenir parole et à ne pas viser les cibles sensibles qu'il a promis d'éviter ?”
Qui plus est, poursuit le quotidien de la capitale, la décision de déployer plus de soldats en Israël “accroît le risque de pertes humaines, un scénario qui pourrait entraîner les États-Unis encore plus loin dans le conflit qui est en train de s'étendre, selon Aaron David Miller”.
The New York Times observe, lui aussi, que ces soldats se retrouveront “plus près de la guerre” et note que cette décision intervient “alors que de hauts responsables du Pentagone se demandent si la présence militaire renforcée des États-Unis dans la région contribue à contenir la guerre, comme l'espère Washington, ou au contraire à l'attiser”.
Des inquiétudes se font ainsi entendre au sujet des opérations de plus en plus offensives menées par Israël, “en sachant qu'une armada de navires et une douzaine d'avions de chasse des États-Unis se tiennent prêts”. Ainsi, désormais, qu'un système de défense antimissile.
Gabriel Hassan
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Gaza et Liban : la position étatsunienne me révolte profondément !

Je suis abasourdi. Incrédule. Profondément révolté. Je viens de voir, en direct sur Al Jazzera, l'intervention de l'ambassadrice des États-Unis Linda Thomas-Greenfield lors de la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, convoquée à la suite du lancement par l'Iran, dans la nuit du 1er au 2 octobre, de plus de 180 missiles balistiques contre Israël.
Quelle présentation absolument biaisée ! Quelle hypocrisie ! Quelle façon éhontée d'ignorer complètement l'oppression historique dont souffre, depuis des décennies, le peuple palestinien !
Un bref rappel du contexte général qui a mené à ce lancement de missiles par l'Iran.
Le 7 octobre 2023, le Hamas attaque Israël faisant, dans l'espace de quelques heures, 1139 victimes israéliennes et retournant à Gaza avec 250 otages.
Traumatisée par l'assaut le plus atroce et meurtrier qu'elle n'ait subi depuis sa fondation en 1948, Israël contrattaque la bande de Gaza, la bombardant massivement et annonçant avec rage et vengeance qu'elle va priver Gaza de toute eau, alimentation, et énergie !
Le Hezbollah, se montrant solidaire du Hamas, qui, comme lui, résiste depuis longtemps à une brutale occupation israélienne qui dure depuis des décennies, se met immédiatement à tirer des roquettes depuis le sud du Liban vers le nord d'Israël.
Quelques jours plus tard, l'armée de terre israélienne envahit Gaza. Cette invasion, toujours en cours et constamment accompagnée de bombardements, a produit, à ce jour, la destruction d'environ 75% de l'infrastructure– résidences, écoles, hôpitaux, mosquées, églises, systèmes d'eau, routes, etc. – rendant la bande de Gaza inhabitable. Elle a fait 100 000 blessés et 42 000 victimes, dont 70% enfants et femmes, 226 employés des Nations Unies, 174 journalistes et employés des médias. Plus de 17 000 enfants ont perdu un de leurs parents, et souvent tous les deux. Plus de 1 000 de ces derniers ont dû subir l'amputation d'une jambe, d'un bras, etc., souvent sans anesthésie aucune. Plus de 90% de la population de Gaza s'est vu contrainte de se déplacer, plusieurs de nombreuses fois.
Alors que l'attention internationale se focalise sur Gaza, Israël en profite pour intensifier ses attaques en Cisjordanie. Depuis un an, elle y a tué plus de 720 Palestiniens et Palestiniennes, en a détenu plus de 11 000 - dont plus de 200 mineurs – et généralement sans accusation et possibilité de procès. Elle a aussi permis à des colons fanatiques juifs d'expulser violemment de plus en plus de Palestiniens et Palestiniennes de leurs terres, prenant possession de celles-ci avec une impunité totale.
Telle est l'immensité du carnage et de la destruction à Gaza – atrocités qu'on peut observer en direct au jour le jour sur nos écrans –que le vent de sympathie internationale que s'était initialement attiré Israël à la suite de l'attaque du Hamas le 7 octobre se transforme rapidement en condamnation et isolement international de plus en plus accentués (1)
Néanmoins, le gouvernement de Joe Biden continue de se solidariser avec son grand allié Israël, décrivant sans cesse, et avec moultes détails, les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre, répétant comme un perroquet qu'Israël a le droit de se défendre, mais passant complètement sous silence le fait, pourtant reconnu par le droit international, que Palestiniens et Palestiniennes ont eux aussi le droit de se défendre contre une occupation qui est carrément illégale, dure depuis des décennies, et est d'une brutalité et inhumanité inouïes !
Au lieu de reconnaître le Hamas comme le fer de lance de la résistance palestinienne, le gouvernement Biden réduit celui-ci à un mouvement terroriste et monstrueux qui doit être éliminé.
Que tuer avec de puissantes bombes étatsuniennes 17 000 enfants à Gaza, les déchiquetant littéralement en mille morceaux, puisse représenter monstruosité et terrorisme...
Que la situation à Gaza soit rendue telle que la Cour internationale de justice, le 26 janvier dernier, estime tellement plausible qu'Israël soit en train de commettre un génocide qu'elle accepte d'entamer une enquête officielle à ce sujet...
Que la Cour pénale internationale de justice, le 20 mai dernier, demande un mandat d'arrêt contre le premier ministre d'Israël Benjamin Nétanyahou et son ministre de la Défense Yoav Gallant, les accusant, entre autres, d'utiliser la faim comme arme de guerre (2)...
Que le Conseil de sécurité de l'ONU ordonne, le 10 juin 2024, un cessez-le-feu immédiat à Gaza...
Que la Cour internationale de Justice déclare, le 19 juillet dernier, que l'occupation par Israël de la bande de Gaza, la Cisjordanie, et Jérusalem Est soit carrément illégale et exige que tout ce territoire soit rendu au plus tôt à la Palestine...
Que l'Assemblée générale des Nations Unies, le 10 septembre dernier, reconnaisse officiellement, dans un vote historique (143 en faveur, 9 contre, et 25 abstentions), la Palestine comme membre...
Que tout cela se passe importe peu au gouvernement Biden.
Selon lui, tous ces jugements et décisions n'ont aucune validité. Rien ne démontre, insiste-il, que ce qui se passe à Gaza constitue un génocide ! Rien ne démontre que les actions des leaders israéliens constituent des crimes ! Les ordonnances de cessez-le-feu provenant du Conseil de sécurité de l'ONU, allègue-t-il, n'aurait pas de caractère obligatoire ! (3)
Non seulement le gouvernement Biden refuse de sévir contre le gouvernement d'Israël, notamment en coupant le flot d'armes et d'argent, mais il fait exactement le contraire ! Il augmente celui-ci de façon spectaculaire !
Sans doute dans un effort pour échapper à l'isolement international dans lequel le plonge de plus en plus son appui inébranlable à un régime qui a une montagne de plus en plus énorme de sang et d'atrocités sur les mains... et pour tenter de calmer la colère montante que suscite chez une partie substantielle de sa base électorale démocrate son appui immoral à Israël, surtout dans le segment des jeunes et les Arabes, le gouvernement Biden multiplie les déclarations où il demande à Israël de limiter le plus possible le nombre de victimes civiles.
Il y a beaucoup trop de victimes civiles, se lamente-t-il avec une hypocrisie consommée ! Nous travaillons inlassablement et de façon acharnée avec nos alliés afin qu'Israël et le Hamas arrivent à un cessez-le-feu, répète depuis des mois le gouvernement Biden. Un cessez-le-feu comportant une négociation politique aboutissant à la solution de deux états, un pour Israël, et un pour la Palestine.
Cependant, qu'Israël fasse exactement le contraire...
Qu'elle fasse augmenter de façon spectaculaire, barbare et inhumaine la destruction d'infrastructure, et que le nombre de victimes palestiniennes augmente par douzaines chaque jour...
Que le premier ministre Benjamin Nétanyahou saborde systématiquement toute proposition de cessez-le-feu, dès que le Hamas affirme avoir accepté une telle proposition...
Que Nétanyahou, le 31 juillet, ose assassiner à Téhéran Ismail Haniyeh, le chef politique du Hamas, alors que ce dernier venait tout juste d'accepter la proposition de cessez-le-feu que le président Joe Biden lui-même proposait, en affirmant que celle-ci avait été formellement acceptée par Israël...
Que le parlement israélien, le Knesset, pousse l'audace jusqu'à voter massivement, le 17 juillet dernier, contre la création d'un état palestinien souverain, rejetant formellement et publiquement la solution politique de deux états que propose depuis des mois le gouvernement Biden...
Non. Tout cela ne change absolument rien à l'appui de fer (iron-clad) qu'offre ce dernier à Israël !
Comme si le gouvernement Biden n'avait pas suffisamment démontré au monde entier toutes ses contradictions et le ridicule éhonté de ses prises de position par rapport à Israël et le conflit en cours, le porte-parole du Département d'état étatsunien Matt Miller répondait ce qui suit à un journaliste qui l'interrogeait récemment lors d'une conférence de presse :
« Nous n'avons jamais voulu arriver à une résolution diplomatique avec le Hamas. Nous voulons un cessez-le-feu, mais nous nous sommes toujours engagés à détruire le Hamas. Nous avons toujours dit clairement que nous voulions une autorité gouvernante différente à Gaza. » (4)
Difficile d'arriver à une entente avec une partie, si cela est conditionnel à ce que celle-ci accepte sa propre disparition !
Le 17 septembre, Israël, sans doute frustrée de ne pas avoir réussi à éliminer le Hamas à Gaza, se tourne vers le Liban et y fait exploser, dans l'espace de quelques secondes, environ 5000 téléavertisseurs. Et, le lendemain, de centaines de walkietalkies et radios portatives.
Ces explosions, qui ont lieu surtout à Beyrouth mais aussi partout au Liban - supermarchés, voitures ordinaires, ambulances, résidences, etc., enfreignent carrément les lois humanitaires internationales et constituent des actes on ne peut plus terroristes : 37 morts, dont deux enfants ; plus de 3 000 blessés, dont 200 grièvement, plusieurs perdant des doigts, un œil, et parfois tous les deux.
Le 27 septembre, Israël assassine à Beyrouth le chef du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, ainsi qu'un général de l'armée iranienne.
Un autre geste du premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, pour saborder, on ne peut plus clairement, une proposition de cessez-le-feu. Car au moment même où il est assassiné grâce à 80 bombes de 2 000 lb de fabrication étatsunienne - dénommées, à cause de leur capacité de pénétrer une épaisseur imposante de béton, « bunker busters »
– Nasrallah venait tout juste d'accepter la proposition de cessez-le-feu de 21 jours proposée par les États-Unis, la France, et la Grande Bretagne. Une proposition, qui, selon les dires de Washington, aurait déjà été formellement acceptée par le gouvernement israélien.
Cette attaque revêt un caractère terroriste, car les 80 bombes font aussi plus de trois douzaines de victimes civiles libanaises ainsi que 200 blessés.
Dans les jours qui suivent, Israël poursuit ses bombardements et réussit à assassiner un nombre considérable de hauts leaders du Hezbollah, suscitant cris de joie et de victoire en Israël.
Puis, les troupes israéliennes commencent à envahir le sud du Liban.
Dans la nuit du 1er au 2 octobre, l'Iran, qui n'avait toujours pas encore riposté à l'assassinat à Téhéran d'Ismail Haniyeh, le chef politique du Hamas, lance plus de 180 missiles balistiques contre Israël. Selon Israël et les États-Unis, presque tous ces missiles furent contrés, grâce, d'une part, à la robuste défense antimissile israélienne – Dôme de fer, Fronde de David et système Arrow – et, d'autre part, à l'aide des États-Unis qui ont tiré une douzaine d'intercepteurs depuis leurs destroyers déployés en mer, entre la Méditerranée et le golfe d'Oman. Cependant, l'Iran maintient qu'un bon nombre de missiles ont bel et bien atteints leurs cibles, soit des bases militaires israéliennes. La version iranienne semble valide, car des images satellite et des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent clairement des missiles frappant les uns après les autres la base aérienne de Navtim dans le désert du Néguev, et déclenchant quelques explosions secondaires. (5)
Quelques derniers commentaires pour compléter ce tableau du contexte, à la fois général et plus immédiat, dans lequel intervenait l'ambassadrice des États-Unis Linda Thomas-Greenfield lors de la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU mentionnée au début de cet article. Une intervention, comme mentionné plus haut, qui me laissait abasourdi, incrédule, et profondément révolté.
Si le Hezbollah tire des projectiles sur le nord d'Israël depuis le 8 octobre 2023, obligeant environ 60 000 Israéliens à se déplacer de cette région, ce n'est pas, comme le laisse constamment entendre Israël, parce qu'il serait enfant de la noriceurs, méchant, monstrueux, barbare et terroriste. C'est plutôt parce qu'il représente un mouvement de résistance palestinienne à l'occupation d'Israël, et se solidarise avec la bande de Gaza qui est en train de subir ce que la Cour internationale de justice qualifie de génocide plausible. Le Hezbollah affirme d'ailleurs depuis des mois que ses attaques contre Israël cesseront complètement dès qu'il y aura un cessez-le-feu à Gaza.
Si les Houthis, depuis le 3 décembre dernier, attaquent des navires commerciaux en mer Rouge à l'aide de drones et de missiles balistiques, surtout les navires qui se dirigent vers Israël, c'est fondamentalement parce qu'ils se solidarisent avec la souffrance des Palestiniens et Palestiniennes à Gaza, et reprochent à Washington et aux puissances occidentales de soutenir un pays qui est en train de commettre un génocide. Et, comme le Hezbollah, ils répètent depuis des mois que dès qu'il y aura cessez-le-feu à Gaza, ils mettront immédiatement fin à leurs attaques.
Si l'Iran a tiré quelques 180 missiles balistiques sur Israël dans la nuit du 1 au 2 octobre dernier, ce n'est pas, comme le laissent entendre le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, ainsi que le gouvernement Biden, parce que ce pays est fondamentalement terroriste et barbare, et cherche constamment à semer haine et chaos dans le Moyen-Orient. C'est fondamentalement parce qu'il appuie avec une main de fer la cause palestinienne, s'oppose carrément à l'oppression exercée par l'état juif, et accuse les pays occidentaux, principalement les États-Unis, d'appuyer financièrement, militairement, et politiquement un régime génocidaire.
Est très révélateur à cet égard la réaction de Nétanyahou lorsqu'Emmanuel Macron proposait, le 5 octobre dernier, l'arrêt des livraisons d'armes à Israël, et argumentait que c'était un non-sens, d'une part, de poursuivre le flot d'armes à ce pays, et, d'autre part, d'appeler à un cessez-le-feu :
« Quelle honte ! » s'exclame Nétanyahou avec colère. « Alors qu'Israël combat les forces de la barbarie dirigées par l'Iran, tous les pays civilisés devraient se tenir fermement aux côtés d'Israël. Pourtant, le président Macron et d'autres dirigeants occidentaux appellent maintenant à des embargos sur les armes contre Israël. Ils devraient avoir honte. »
Ayant brossé un tableau du contexte dans lequel fut convoquée d'urgence une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, j'invite maintenant lectrices et lecteurs à lire l'intervention de l'ambassadrice des États-Unis Linda Thomas-Greenfield, lors de cette réunion. Je les invite, plus précisément, à noter :
• Qu'elle qualifie les deux leaders, un du Hamas et l'autre du Hezbollah, de « chefs terroristes », comme si ces deux mouvements n'avaient rien à voir avec la lutte contre une occupation illégale que mène le peuple palestinien, comme si le terrorisme faisait tout simplement partie de l'ADN de ces deux mouvements.
• Qu'elle attribue à l'Iran la responsabilité d'une « escalade significative », qualifie son lancement de missiles balistiques contre Israël « d'attaque non provoquée », et demande aux membres du Conseil de sécurité de l'ONU de condamner cette attaque et d'imposer de nouvelles sanctions sur l'Iran. Comme si ce n'était pas le carnage et la destruction que perpétue Israël à Gaza depuis un an et au Liban depuis deux semaines qui représente la racine fondamentale de « l'escalade significative » ! Comme si les missiles balistiques tombaient du ciel par pure malice, représentaient une « attaque non provoquée », et n'avaient absolument rien à voir avec le carnage et la destruction que perpétue Israël ! Comme si la grande priorité du Conseil de sécurité de l'ONU ne devrait pas être de condamner le nettoyage ethnique, voire le génocide, qu'effectue présentement Israël ! Et surtout de condamner tous les pays, surtout les États-Unis, qui financent et appuient un tel carnage et une telle destruction !
• Qu'elle a le culot d'accuser l'Iran d'avoir réalisé une attaque « destinée à causer beaucoup de morts et de destruction », alors qu'elle non seulement s'abstient de porter une accusation similaire envers son allié israélien, qui lui, réalise bel et bien depuis un an des montagnes d'attaques qui sont non seulement destinées à être meurtrières et dévastatrices, mais qui le sont effectivement et spectaculairement !
• Qu'elle accuse formellement l'Iran « de s'être rendu complice des attaques du 7 octobre contre Israël en finançant, en entraînant, en dotant de moyens, et en soutenant l'aile militaire du Hamas », comme si c'était un péché mortel que de financer un mouvement de libération nationale, mais un acte carrément angélique de la part des États Unis que de financer Israël, un pays qui opprime, détruit, massacre, impose un système d'apartheid, et commet un génocide !
• Qu'elle accuse l'Iran d'encourager les Houthis au Yémen de perturber le transport maritime mondial et de lancer des attaques contre Israël », comme si les attaques des Houthis n'avaient absolument rien à voir avec la lutte menée par la résistance palestinienne ; comme si les Houthis n'étaient que des fauteurs de troubles, qui agissent par pure haine et ne cherchent que chaos et destruction !
• Qu'elle accuse l'Iran d'armer et d'encourager « le Hezbollah après que son ancien chef, Nasrallah, a pris la décision le 7 octobre d'ouvrir un « front nord » contre Israël », comme si c'était une action criminelle que d'armer et encourager un mouvement qui lutte spécifiquement pour la libération d'un peuple qui souffre d'une horrible et longue oppression !
• Qu'elle affirme qu'il « ne fait aucun doute que le soutien iranien à ses proxys régionaux a directement contribué aux crises à Gaza et au Liban ». Comme si ce n'était pas plutôt le soutien étatsunien indéfectible à son proxy israélien qui a « directement contribué aux crises à Gaza et au Liban », un soutien immense qui, depuis des dizaines d'années, permet à Israël de continuer à imposer au peuple palestinien une oppression brutale et carrément coloniale !
• Qu'elle accuse l'Iran et ses alliés de se donner « corps et âme à ce qui ne constitue que pure propagande », comme si le récit mis de l'avant par Nétanyahou et Biden - Israël est en train de mener la grande lutte des pays civilisés contre barbarisme et terrorisme – tenait la route ! Comme si ce n'était pas plutôt ce récit précis qui n'a aucun sens ! Comme si ce n'était pas ce récit précis « qui ne constitue que pure propagande » !
• Qu'elle note que « l'intensification des combats (au Liban) au cours de la semaine dernière a entraîné le déplacement de près d'un million de personnes, » et pleure « les nombreux civils qui ont été tués ». Comme si ce n'était pas carrément à son allié Israël qu'incombait l'entière responsabilité de cette « intensification des combats » ! Comme s'il lui suffisait de dire qu'elle pleure « les nombreux civils qui ont été tués » ! Comme s'il suffisait de verser quelque larmes pour s'excuser des montagnes de morts qu'elle-même et son pays, les États-Unis, produisent quotidiennement en fournissant fidèlement à Israël bombes, avions, munitions et caution morale et politique !
• Qu'elle affirme ne pas voir « d'exemple plus frappant de soutien étatique au terrorisme que le lancement de missiles balistiques pour venger la mort d'un chef terroriste ». Comme si ce n'était pas plutôt les actions massivement génocidaires et destructives lancées par Israël depuis un an qui constituaient, devant les yeux du monde entier, l'exemple le plus spectaculaire et le « plus frappant de soutien étatique au terrorisme » !
Chers collègues,
Hier, le Corps des gardiens de la révolution islamique d'Iran, le CGRI, a lancé près de 200 missiles balistiques en direction d'Israël. (...)
L'intention déclarée de l'Iran était de venger la mort de deux chefs terroristes soutenus par le CGRI, et d'un commandant du CGRI, en infligeant des dommages importants et en tuant des personnes en Israël.
Heureusement, grâce à une coordination étroite entre les États-Unis et Israël, l'Iran n'a pas atteint ses objectifs.
Ce résultat n'enlève rien au fait que cette attaque, destinée à causer beaucoup de morts et de destruction, a marqué une escalade significative de la part de l'Iran. Elle n'enlève rien à la nécessité d'une action immédiate du Conseil.
Le moment est venu pour le Conseil de s'exprimer - d'une seule voix - et de condamner l'Iran pour son attaque non provoquée contre un autre État membre. Et, ce qui est tout aussi important, d'imposer des conséquences sérieuses au Corps des gardiens de la révolution islamique pour ses actions.
Chers collègues, d'une manière générale, l'Iran s'est rendu complice des attaques du 7 octobre contre Israël en finançant, en entraînant, en dotant de moyens et en soutenant l'aile militaire du Hamas.
Après l'horrible attaque du Hamas, perpétrée il y a près d'un an aujourd'hui, les États-Unis ont envoyé un message clair à l'Iran : n'exploite pas la situation d'une manière qui risquerait d'entraîner la région dans une guerre plus vaste.
Le CGRI a ignoré cet avertissement de manière flagrante et répétée.
En encourageant et en permettant aux Houthis au Yémen de perturber le transport maritime mondial et de lancer des attaques contre Israël. (...) Et en armant et en encourageant le Hezbollah après que son ancien chef, Nasrallah, a pris la décision le 7 octobre d'ouvrir un « front nord » contre Israël.
Il ne fait aucun doute que le soutien iranien aux mandataires régionaux a directement contribué aux crises à Gaza et au Liban.
Au centre des efforts déployés par l'Iran depuis le 7 octobre pour semer le chaos et menacer la stabilité régionale se trouve le Corps des gardiens de la révolution islamique, qui a bafoué et violé à plusieurs reprises les résolutions de ce Conseil.
Je n'arrive pas à croire que je doive le dire, mais je le ferai : le CGRI et ses alliés se donnent corps et âme à ce qui ne constitue que pure propagande.
La décision de lancer près de 200 missiles balistiques sur Israël n'était en aucun cas défensive. Le CGRI ne protégeait pas l'Iran contre les menaces d'un autre État membre.
Au contraire, le CGRI a agi par solidarité avec le Hezbollah après l'assassinat de Nasrallah, qui dirigeait un groupe terroriste ayant sur les mains le sang de milliers d'Américains, de Libanais et d'Israéliens.
Je ne vois pas d'exemple plus frappant de soutien étatique au terrorisme que le lancement de missiles balistiques pour venger la mort d'un chef terroriste.
C'est indéfendable et inacceptable. En tant que membres du Conseil de sécurité, nous avons la responsabilité collective d'imposer des sanctions supplémentaires au Corps des gardiens de la révolution islamique pour son soutien au terrorisme et pour avoir bafoué un si grand nombre de résolutions de ce Conseil.
Si ce Conseil reste les bras croisés, quel message enverra-t-il ? Je crains que le silence et l'inaction ne fassent qu'inviter le CGRI à répéter des attaques comme celles que nous avons vues hier, et le 13 avril de cette année, encore et encore et encore.
Chers collègues, nous nous réunissons à un moment où le risque que des pays de la région soient entraînés dans un conflit plus large est accru.
Le Liban en fait partie. L'intensification des combats au cours de la semaine dernière a entraîné le déplacement de près d'un million de personnes, et nous pleurons les nombreux civils qui ont été tués.
Nous reconnaissons également que, depuis près d'un an, Israël n'a cessé de réclamer la mise en œuvre intégrale de la résolution 1701. Alors même que les attaques du Hezbollah le long de la frontière israélo-libanaise ont déplacé des Libanais et que le Hezbollah a empêché le gouvernement libanais d'exercer sa pleine souveraineté de son côté de la Ligne bleue.
Il est révélateur que, même après les événements récents, Israël continue de réclamer la mise en œuvre intégrale de la résolution 1701.
L'obtention de ce résultat par le travail acharné de la diplomatie reste la priorité urgente des États-Unis. Nous sommes fermement convaincus qu'une solution diplomatique le long de la ligne bleue, conforme à la résolution 1701, est le seul moyen de désamorcer durablement les tensions et de permettre aux citoyens israéliens et libanais de rentrer chez eux en toute sécurité.
Dans le cadre de la recherche de cette solution diplomatique, nous réitérons notre appel à toutes les parties pour qu'elles protègent les civils.
Nous soulignons également notre soutien à la FINUL et insistons sur le fait que toutes les parties doivent veiller à ce que le personnel de la FINUL reste en sécurité.
Chers collègues, nous sommes également déterminés à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin à la guerre à Gaza, où les civils palestiniens ont été pris dans le collimateur de la guerre et où une grave crise humanitaire persiste. C'est pourquoi nous nous efforçons d'obtenir un accord de cessez-le-feu et la libération des otages, conformément à la résolution 2735.
Les événements de la semaine dernière devraient envoyer un message sans ambiguïté aux dirigeants du Hamas, qui continuent de se cacher dans les tunnels sous Gaza : le Hezbollah et l'Iran ne vous sauveront pas.
La seule voie à suivre est celle d'un accord de cessez-le-feu. Nous devons redoubler d'efforts pour trouver des solutions diplomatiques qui garantiront la sécurité des populations dans toute la région.
Ce faisant, il ne doit y avoir aucun doute : les États-Unis continueront à soutenir le droit d'Israël à se défendre contre le Hezbollah, le Hamas, les Houthis et tous les autres terroristes soutenus par l'Iran.
Bien entendu, la manière dont Israël se défend est importante. Nous continuons à affirmer clairement que des mesures doivent être prises pour minimiser les dommages causés aux civils.
Chers collègues, comme l'a souligné le président Biden à la suite de l'attaque d'hier : « Les États-Unis soutiennent pleinement, pleinement, pleinement Israël ».
Nos actions ont été de nature défensive.
Soyons clairs : le régime iranien sera tenu responsable de ses actes. Et nous mettons fermement en garde contre le fait que l'Iran - ou ses proxys - entreprennent des actions contre les États-Unis, ou d'autres actions contre Israël.
Chers collègues, ce moment de grand risque est un test pour ce Conseil. Il est impératif que nous condamnions sans équivoque l'attaque de l'Iran et que nous exigions qu'il cesse de soutenir le terrorisme dans la région.
Les habitants d'Israël, de Gaza et de Cisjordanie, du Liban et de toute la région méritent une paix durable. Et il est grand temps que ce Conseil demande des comptes à l'Iran pour avoir attisé les flammes de la guerre.
Je vous remercie, Madame la Présidente.
Notes
1. Patrick Wintour, Israel was told ‘you are not alone' – but year of war has left it isolated, The Guardian, le 4 octobre 2024. Consulté le même jour
2. La cour demande aussi en même temps un mandat d'arrêt contre deux leaders du Hamas pour les atrocités commises en Israël le 7 octobre 2023.
3. US Spokesperson Contradicts Himself In Excruciating Press Conference, Michael Walker, publié sur YouTube le 3 octobre 2024.
4.Andrew Roth, Escalation with Iran could be risky : Israel is more vulnerable than it seems, The Guardian, le 5 octobre 2024. Consulté le même jour
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Biden-Harris envoient plus d’armes et de troupes américaines au Moyen-Orient

Alors qu'Israël continue d'étendre sa guerre au Moyen-Orient, l'administration du président Joe Biden et de la vice-présidente Kamala Harris continue de fournir une aide militaire et d'augmenter ses forces militaires dans la région pour soutenir Israël.
Hebdo L'Anticapitaliste - 724 (10/10/2024)
Par Dan La Botz
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a récemment déclaré que son pays se battait sur sept fronts : Gaza, la Cisjordanie, le Liban, la Syrie, l'Irak, le Yémen et l'Iran. Le Hezbollah a déclaré qu'il pourrait attaquer Chypre, en Méditerranée orientale, s'il s'apercevait que l'île est utilisée comme base israélienne pour attaquer le Liban. Une guerre entre l'Iran et Israël semble désormais probable, et les États-Unis pourraient bien y être entraînés.
Israël, le plus grand bénéficiaire de l'aide américaine
Si l'administration Biden-Harris a toujours appelé à la paix dans la région, elle l'a fait en persistant à soutenir politiquement et à armer Israël. Depuis des semaines, le sénateur Bernie Sanders appelle à la suppression de l'aide militaire à Israël, car ce pays a enfreint le droit international et le droit américain. « À mon avis, a-t-il déclaré, Israël ne devrait plus recevoir un centime d'aide militaire américaine ». Mais le gouvernement Biden-Harris l'a ignoré, ainsi que d'autres critiques.
L'aide militaire américaine à Israël est stupéfiante. Depuis sa création en 1948, selon l'organisation non gouvernementale Council on Foreign Relations « Israël a été le plus grand bénéficiaire cumulé de l'aide étrangère des États-Unis, recevant environ 310 milliards de dollars (corrigés de l'inflation) d'aide économique et militaire totale. Les États-Unis ont fourni à Israël une aide économique considérable entre 1971 et 2007, mais la quasi-totalité de l'aide américaine sert aujourd'hui à soutenir l'armée israélienne, la plus avancée de la région. Les États-Unis ont provisoirement accepté de fournir à Israël 3,8 milliards de dollars par an jusqu'en 2028 ».
Biden-Harris ignorent la loi
Depuis le début de la guerre d'Israël contre le Hamas en octobre dernier, les États-Unis ont fourni environ 30 milliards de dollars d'aide militaire à Israël. Selon la loi Leahy, les États-Unis ne peuvent pas fournir d'assistance en matière de sécurité aux gouvernements ou groupes étrangers qui commettent des violations flagrantes des droits de l'homme, mais l'administration Biden-Harris a tout simplement ignoré la loi.
Les États-Unis eux-mêmes sont également présents — environ 40 000 militaires étaient présents dans la région au mois d'août, et ce chiffre ne cesse d'augmenter. Les troupes américaines sont stationnées à Bahreïn, en Égypte, en Irak, en Israël, en Jordanie, au Koweït, au Qatar, en Arabie saoudite, en Syrie et aux Émirats arabes unis, et il existe également de grandes bases à Djibouti et en Turquie.
Depuis le début de la guerre d'Israël contre le Hamas, Biden a également envoyé plusieurs navires de guerre en Méditerranée orientale et en mer Rouge. Il s'agit de deux groupes de porte-avions, de plusieurs destroyers, d'un navire de débarquement amphibie et de milliers de marines. Les États-Unis ont également déployé des ressources considérables de l'armée de l'air, des chasseurs, des avions de transport et des avions-citernes, ainsi que quelques milliers de soldats supplémentaires. D'autres avions de guerre américains sont en route.
De nombreuses questions pour le mouvement antiguerre
Le mouvement de solidarité avec la Palestine, si actif sur certains campus au printemps, a été réprimé par les administrations universitaires, et ses campements et manifestations sont interdits. Des professeurEs pro-palestiniens ont été licenciéEs et des conférencierEs annulés. Certaines parties du mouvement de solidarité avec la Palestine sont divisées sur le soutien au Hamas. Dans plusieurs villes américaines, des milliers de personnes se sont jointes aux manifestations pro-palestiniennes du 5 octobre, scandant des slogans tels que « Gaza, Liban, vous vous lèverez, le peuple est à vos côtés ». Mais avec la guerre qui maintenant sévit non seulement à Gaza mais aussi au Liban, où 43 % des habitantEs seraient chrétienEs et 58 % musulmanEs (27 % chiites), nombreux sont ceux qui ne soutiennent pas le Hezbollah et l'accusent même d'être responsable de la guerre, ce qui complique la situation. La guerre avec l'Iran la rendra encore plus compliquée. Le mouvement antiguerre n'a pas encore pris la mesure de cette évolution.
Kamala Harris a rencontré des groupes arabes et musulmans dans l'État crucial du Michigan la semaine dernière. Elle continue de parler de paix alors que Biden fournit des armes. Cela pourrait lui coûter l'élection et conduire à la victoire du républicain Donald Trump.
Dan La Botz, traduction Henri Wilno
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Choisir la pleine démocratie, combattre sa destruction !

Notre espace démocratique est sous tension. De multiples questions surgissent, sociales, écologiques, mais nous sentons bien qu'elles butent désormais contre un mur infranchissable (pour exemples la réforme des retraites et, quoique sur un mode différent, les mégabassines (1). Ce mur porte un nom : la crise de la démocratie. D'où la question : doit-on renforcer plus encore le pouvoir présidentiel ou, au contraire, réanimer notre vie démocratique par plus de pouvoirs citoyens ?
9 octobre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/09/choisir-la-pleine-democratie-combattre-sa-destruction/#more-86384
Depuis 1958, naissance de notre constitution, mais surtout depuis 2023, nous sommes confrontés à une crise qui débouche sur deux lourdes tendances contradictoires : opter pour un pouvoir centralisé, mais fragile démocratiquement, et trop présidentiel, ou, au contraire, investir dans un enrichissement authentique de notre démocratie ? Le moment est venu d'agir pour construire un avenir où le pouvoir et la participation vont de pair !
Notre choix, à Attac France (2), est depuis longtemps, de faire progresser la démocratie, de démocratiser (3), et corrélativement de diminuer tout pouvoir autoritaire et/ou arbitraire (dans la gestion des conflits sociaux).
I – Un césarisme représentatif grandissant !
Le mode représentatif actuel montre que nombre d'élites essaient de donner à la démocratie le visage du césarisme (ou bonapartisme assimilé à un pouvoir concentré entre les mains d'un homme fort, charismatique, appuyé par le peuple) (4). Quant au peuple dont sa souveraineté est transférée à ses représentants, il cherche à conserver le peu de pouvoir dont il dispose encore, sinon en regagner un peu.
Le mode représentatif est le système dominant de notre démocratie telle qu'elle existe : une démocratie de plus en plus réduite à des traficotages constitutionnels. La « crise démocratique » actuelle montre un écart grandissant entre les élites qui cherchent à enlever le pouvoir aux citoyens et les citoyens eux-mêmes qui potentiellement veulent reprendre ce pouvoir. En d'autres termes, il y a un conflit entre le pouvoir (kratos) et le peuple (demos).
Or il est essentiel d'avoir plus de participation citoyenne. Les citoyens ne doivent pas rester passifs entre les élections. Actuellement, les moyens d'intervenir entre les élections sont très limités : les citoyens sont réduits au rapport de force par manifestations de rue de plus en plus réprimées, tandis que les parlementaires votent des lois, peuvent censurer le gouvernement par le jeu d'alliances incertaines. Ils peuvent aussi destituer le président.
À côté des outils démocratiques, il existe des mesures de l'exécutif qui sont des contraintes contre les représentants des électeurs, comme le passage en force d'une loi (article 49.3), les ordonnances (article 38), l'élimination des amendements de l'opposition, et le vote bloqué (article 44.3). Le référendum est contrôlé par le Président et le gouvernement, et si le résultat ne leur plaît pas, ils peuvent passer outre comme ce fut le cas en 2005. Désormais, nous l'avons vu, le président peut même nier le résultat des urnes et donner le pouvoir au groupe parlementaire le plus faible. Ces dispositions constitutionnelles peuvent être considérées comme des abus de pouvoir de l'exécutif.
La dissolution de l'Assemblée nationale (en juin 2024) après un scrutin européen qui n'avait aucune incidence sur la politique nationale, le refus de nommer un Premier ministre du groupe parlementaire le plus important, l'arrêt des institutions pendant deux mois, et l'envoi de lettres plafonds aux ministères sur pour contraindre la politique économique avant même la nomination d'un Premier ministre sont peuvent être considérés comme un déni démocratique, une faute constitutionnelle, voire un coup d'État. Le gouvernement démissionnaire a poussé le détail jusqu'à passer un décret, le 9 juillet, pour suspendre le repos hebdomadaire de certaines activités agricoles, alors qu'il devait se contenter de gérer les affaires courantes.
Un régime représentatif peut être démocratique ou autoritaire, selon les actions pouvoirs de l'exécutif et ce qu'il en fait. La Constitution de la Ve République est un régime présidentiel qui n'a fait que se renforcer. Macron utilise les méthodes autoritaires du néolibéralisme avec son gouvernement bis des cabinets-conseils : au lieu d'avancer vers plus de démocratie, il la fait reculer.
II – Une Ve République clivée par les inégalités
Nous devrions vivre dans une République pour tous et toutes, une République libre, égalitaire et solidaire, mais Emmanuel Macron divise profondément la société en favorisant les riches (concentration des dividendes dans le 1%), et en libérant les entreprises des contraintes de leur responsabilité sociale et environnementale. Cette politique inégalitaire a pour conséquence non seulement d'affliger les plus faibles (exonération des cotisations patronales pour les faibles salaires) mais aussi de frapper l'ensemble du monde du travail par diverses formes de précarité. En outre, cette politique encourage la concurrence entre les individus. À eux de s'adapter ou de s'éliminer ! L'égalité est oubliée ! L'égalité est même niée par l'extrême droite en passe de prendre le pouvoir…
Le régime de Macron est autoritaire, césariste et antirépublicain. Il nie le peuple, le divise et empêche le vote des parlementaires. Il s'appuie sur la forme actuelle de la Constitution de la 5e République, modifiée dans sa forme depuis son adoption initiale et qui laisse les mains libres à l'exécutif avec un président déclaré irresponsable. Aucun chef d'un État dit démocratique n'a un tel pouvoir.
III – Une autre République est possible et nécessaire !
La Ve République est parvenue à son terme. C'était inéluctable : elle contient en elle, les ferments de la démocrature (5) ; ce mal autoritaire voire dictatorial qui se diffuse partout sous couvert d'élections et de votations. Il faut que cela cesse. Nous devons franchir ce mur que cette constitution a dressé entre l'exécutif et les citoyens.
Il ne s'agit donc plus de réformer cette constitution devenue nocive. Il s'agit d'en changer pour que le peuple puisse exercer sa souveraineté, ne serait-ce que par le contrôle de ses élus qu'il doit pouvoir révoquer. Mais la démocratie peut aller au-delà en permettant aux citoyens de proposer des référendums eux-mêmes (RIC -cf 6), d'utiliser les mécanismes des assemblées citoyennes et des conventions citoyennes. Le peuple a montré en 2005 qu'il savait s'intéresser à des sujets complexes, lors du référendum sur le traité européen. Les citoyens ont aussi démontré dans les conventions citoyennes dont les experts ont dit y voir des conclusions d'experts alors même que les citoyens la composant sont tirés au sort.
Aux représentants qui ont trop souvent montré qu'ils représentaient d'autres intérêts que ceux du peuple, affirmons que, nous, peuple de France, sommes capables de prendre notre destin en main.
Jean-Luc Picard Bachélerie, Christian Delarue, Jacques Testart, Alain Mouetaux, Robert Joumard, Jean-Michel Toulouse, Martine Monier, Monique Demare, Margaret Méchin, Martine Boudet, Eliane Cesarin Mayoussier – de l'Espace de travail Démocratie d'ATTAC
Notes :
(1) Retraites et mega-bassines : crise démocratique, un diagnostic philosophique sur Radio France
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/reforme-des-retraites-mega-bassines-diagnostic-philosophique-d-une-crise-democratique-2020517
(2) ATTAC France et pas que « l'Espace de travail Démocratie » ( dite communément « Commission Démocratie » )
(3) Pour les membres d'« ATTAC Démocratie » une « démocratisation de notre démocratie césariste est nécessaire » : Lire « Pour un autre démocratie, une autre constitution » (automne 2023)
https://france.attac.org/nos-idees/etendre-et-approfondir-la-democratie/article/pour-une-autre-democratie-une-autre-constitution
ou
https://blogs.mediapart.fr/amitie-entre-les-peuples/blog/081023/pour-une-autre-democratie-une-autre-constitution
(4) Césarisme (ou bonapartisme – terme proche) lire notre dernier texte : « Contre un césarisme antidémocratique, une constituante ».
https://blogs.attac.org/commission-democratie/outils-de-la-democratie/article/contre-un-cesarisme-antidemocratique-une-constituante
ou
https://blogs.mediapart.fr/christian-delarue/blog/070924/contre-un-cesarisme-antidemocratique-une-constituante
(5) D comme Démocrature
https://blogs.mediapart.fr/edition/abecedaire-citoyen-du-club-2024/article/100924/d-comme-democrature
(6) Sur le RIC :
https://france.attac.org/nos-idees/etendre-et-approfondir-la-democratie/article/les-enjeux-democratiques-actuels-le-ric-referendum-d-initiative-citoyenne
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72140
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Belgique : Pour la liberté de circulation et d’installation, contre les centres fermés

En mémoire du 22 septembre 1988, jour où Semira Adamu, militante sans papier, a été tuée par deux policiers lors d'une tentative d'expulsion.
6 octobre 2024 | du site d'inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4335
Pour la liberté de circulation et d'installation et l'abolition des politiques migratoires fascistes.
Afin de soi-disant récupérer les voix du Vlaams Belang, l'ex-secrétaire d'État à l'Asile et la Migration, Theo Francken (ex- militant d'extrême-droite et dirigeant de la N-VA) avait fait voter en 2017 son fameux « Masterplan centres fermés » pour les personnes en séjour illégal : forte extension de la capacité de retour existante et création de trois nouveaux centres fermés afin de pouvoir dépasser les 5000 retours forcés. Ses successeurs (Mahdi et de Moor) ont continué le sale boulot, bavant leurs slogans creux et hypocrites (« …ferme mais humain » puis « humain mais ferme » !) En 2024, on parle même « d'externaliser nos frontières » : construire des prisons dans les pays de l'Est et du Sud global pour y renvoyer « nos déboutés ».
Car le gouvernement fédéral Vivaldi sortant (avec Ecolo et le PS) a docilement repris en main la construction des trois centres fermés dont un centre fermé de 200 places au total à Jumet d'ici 2028, ce qui en ferait le plus grand centre de détention de Belgique, avec l'appui des autorités de Charleroi (PS et Paul Magnette).
Les centres fermés sont de véritables prisons de transit avant de déporter par avion hors du territoire belge les personnes détenues, non pas pour des infractions pénales commises, mais uniquement pour des raisons migratoires.
Ces prisons sont indignes, en termes de respect des droits et des procédures ainsi qu'en termes de conditions de détention : manque criant de personnel e.a. de soignants, invasion de punaises de lit, harcèlement et violence récurrente, automutilation et tentatives de suicide, campagnes de désinformation et d'incitation à l'expulsion volontaire.
Ces prisons sont le résultat d'une politique migratoire violente dictée par l'extrême droite basée sur l'exploitation, la détention et l'expulsion de personnes dépossédées par un système capitaliste et néo-colonialiste de leur dignité et humanité.
La gauche anticapitaliste soutient la lutte des personnes sans-papiers pour une vraie politique migratoire qui comprend :
- L'ouverture des frontières (« Toute personne à le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat « = Déclaration universelle des droits de l'homme)
- La liberté de circulation et d'installation pour tou·te·s, également pour les non européen.ne.s, avec égalité des droits (personne n'est illégal)
- La régularisation de tou·te·s les personnes sans-papiers
- Le démantèlement des centres fermés (utilisation de l'argent récupéré pour améliorer l'accueil des demandeurs d'asile qui fuient notre désordre économique, militaire et climatique)
Le 20 septembre 2024, publié par la Gauche anticapitaliste.
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L’impérialisme politique, la Russie de Poutine et la nécessité d’une alternative de gauche mondiale

[NDLR : Ilya Matveev abordera le thème de « L'impérialisme(s) aujourd'hui » lors de la conférence en ligne, « Boris Kagarlitsky et les défis de la gauche aujourd'hui », le 8 octobre prochain. La campagne de solidarité internationale Boris Kagarlitsky organise cette conférence dans le cadre de sa campagne pour la libération de Kagarlitsky de la prison russe, après son emprisonnement pour avoir dénoncé l'invasion massive de l'Ukraine. En tant que co-organisateur de la conférence, LINKS International Journal of Socialist Renewal encourage tous ses lecteurs à s'inscrire à l'événement].
Tiré de Entre les lignes entre les mots
4 octobre 2024
Entretien avec Ilya Matveev par Ilya Matveev & Federico Fuentes
Ilya Matveev est un socialiste et économiste politique russe. Actuellement chercheur invité à l'Université de Californie à Berkeley, il est également membre du groupe de recherche Public Sociology Laboratory basé en Russie. Dans cet entretien approfondi avec Federico Fuentes pour LINKS International Journal of Socialist Renewal https://links.org.au/, Matveev discute des deux logiques de l'impérialisme, de la façon dont elles nous aident à expliquer les différents chemins empruntés par la Chine et la Russie pour devenir des puissances impérialistes et de la nécessité pour la gauche d'avoir une vision mondiale commune du changement progressif.
Au cours du siècle dernier, le terme impérialisme a été utilisé pour définir différentes situations et a parfois été remplacé par des concepts tels que la mondialisation et l'hégémonie. Quelle est la validité du concept d'impérialisme aujourd'hui et comment le définis-tu ?
Le principal débat concernant l'impérialisme est de savoir s'il faut le considérer comme une théorie permettant de comprendre le capitalisme mondial comme une politique d'agression ou de coercition menée par un pays puissant à l'égard d'un pays plus faible. Lénine a soutenu que l'impérialisme était une caractéristique globale du capitalisme à un stade avancé : la logique économique de l'impérialisme était intégrée dans sa définition. Mais c'est là le problème de la définition de Lénine, car tu ne peux pas expliquer chaque acte spécifique d'agression impérialiste par des motifs économiques uniquement. Si tu définis l'impérialisme comme une caractéristique du capitalisme mondial alors il peut être logique de le remplacer par des termes tels que mondialisation, qui est parfois considérée comme une sorte de « nouvel impérialisme ». Mais si nous considérons l'impérialisme comme une politique systématique d'agression envers un pays plus faible par des moyens militaires, politiques et/ou économiques alors il n'est pas logique d'assimiler la mondialisation à l'impérialisme.
L'économie peut être le moteur de l'impérialisme mais ce n'est pas la même chose. Il n'existe pas de loi éternelle selon laquelle l'impérialisme doit toujours coïncider avec les besoins du capital. De plus, l'impérialisme peut être motivé par d'autres facteurs. Le [géographe américano-britannique] David Harvey, s'appuyant sur les travaux de [l'économiste italien] Giovanni Arrighi, suggère deux logiques de l'impérialisme : la logique économique du capital et la logique géopolitique de l'État. L'interaction entre ces deux logiques peut être complexe ; parfois leurs besoins coïncident, parfois non. De plus, ces logiques ne sont pas universelles. La logique du capital est plus universelle dans la mesure où les contradictions capitalistes sont plus ou moins les mêmes partout. Mais il n'en va pas de même pour l'impérialisme politique. Il n'y a pas de logique universelle de l'impérialisme politique : différents pays auront des motivations et des stratégies différentes. Cela peut entraîner des contradictions entre les deux logiques. C'est pourquoi nous ne devrions pas les réduire en une seule.
Y a-t-il cependant des éléments des travaux de Lénine sur l'impérialisme qui restent pertinents aujourd'hui ?
La contribution la plus importante de Lénine dans ce domaine a été de développer les idées de l'auteur libéral anglais John Hobson jusqu'à leur conclusion logique. Hobson, qui a écrit un livre célèbre intitulé Imperialism, voulait prouver que l'impérialisme était une aberration et que le capitalisme et le commerce finiraient par apporter la paix au monde. Mais il avait des opinions économiques peu orthodoxes qui l'ont amené à développer une théorie selon laquelle lorsque vous avez d'énormes inégalités au sein d'un pays, vous vous retrouvez avec un capital excédentaire qui ne peut pas être réinvesti de façon rentable chez vous et qui doit donc être investi à l'étranger. Pour Hobson, il s'agit là de la « racine économique » de l'impérialisme, car lorsque vous réinvestissez des capitaux à l'étranger, vous devez créer les conditions pour que vos investissements soient rentables. Cela peut signifier, par exemple, contraindre d'autres pays à accepter vos investissements. Tu devais également protéger ces investissements et les routes commerciales, ce qui nécessitait une grande marine. Cette logique économique a donc créé le besoin d'utiliser la force dans les affaires internationales. Les idées de Hobson ont fait de lui un renégat au sein de la tradition libérale car il a découvert que le commerce ne menait pas toujours à la paix ; au contraire, pour Hobson, les contradictions capitalistes créaient la demande d'une politique étrangère plus agressive.
Lénine a repris l'idée de Hobson mais a dit qu'il se trompait sur la capacité à réformer le capitalisme. Selon Lénine, le capitalisme produira toujours une demande d'agression extérieure parce qu'il y aura toujours un surplus de capital. Le développement inégal et combiné signifie qu'il y aura toujours des pays capitalistes plus développés et moins développés et que les pays capitalistes développés chercheront à exporter leurs capitaux vers les pays moins développés et exerceront une pression politique pour s'assurer que ces investissements sont rentables. Il était donc impossible de réformer le capitalisme. Lénine envisageait également que les capitaux nationaux concurrents des pays capitalistes développés feraient pression sur leurs gouvernements pour les aider à obtenir une plus grande part du marché mondial. Le problème était qu'une fois le monde entier divisé entre les différents blocs capitalistes nationaux, la seule option qui restait pour poursuivre l'expansion était la guerre. La guerre mondiale était donc inévitable : elle était inscrite dans la logique du capitalisme.
Ces deux idées constituent la contribution la plus importante de Lénine. Il était le défenseur le plus cohérent de ces deux idées : le capitalisme engendre l'impérialisme, car les pays les plus développés auront toujours besoin de nouveaux débouchés pour leurs investissements et le capitalisme engendre des rivalités inter-impérialistes car les pays puissants s'affronteront inévitablement lorsqu'ils chercheront à accroître leur part du marché mondial. La grande contribution de Lénine a été d'expliquer les motifs économiques qui sous-tendent l'impérialisme et les rivalités inter-impérialistes. Le problème, comme je l'ai mentionné, c'est qu'il a dissocié cette logique économique de toute considération idéologique ou politique.
Après la chute de l'Union soviétique et la fin de la guerre froide, la politique mondiale a été complètement dominée par l'impérialisme américain. Ces dernières années, cependant, un changement semble s'opérer. Nous avons assisté à la montée en puissance de la Chine, à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et même à des nations comme la Turquie et l'Arabie saoudite, entre autres, qui déploient leur puissance militaire au-delà de leurs frontières. Comment vois-tu ces dynamiques actuelles au sein de la politique mondiale ?
Après la Seconde Guerre mondiale, le monde s'est approché de quelque chose de similaire à l'idée d'ultra-impérialisme de Karl Kautsky. Kautsky n'était pas d'accord avec le concept de rivalité inter-impérialiste de Lénine et suggérait la possibilité que les pays impérialistes créent un cartel ou une alliance afin d'exploiter conjointement le reste du monde. C'est ce qu'il a appelé l'ultra-impérialisme. Nous avons assisté à quelque chose de similaire sous l'hégémonie américaine dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement à partir des années 80 avec l'effondrement de l'Union soviétique. Pendant cette période, l'Occident a collectivement dominé et exploité le reste du monde. Cela a été possible parce que la logique économique de l'impérialisme a décliné après la Seconde Guerre mondiale, les politiques keynésiennes imposant des limites à la suraccumulation du capital. À cette époque, la logique de l'impérialisme était plutôt politique, à savoir la vision du monde des États-Unis et leur lutte contre le communisme. À partir des années 80, cependant, la suraccumulation est réapparue en raison des politiques néolibérales. C'était l'apogée de ce que l'on pourrait appeler l'ultra-impérialisme, au cours duquel un Occident uni a imposé des programmes d'ajustement structurel et des politiques néolibérales à tous les pays périphériques.
Nous assistons aujourd'hui à la désintégration de cet ultra-impérialisme dirigé par les États-Unis. Le problème, c'est que les États-Unis ont essayé de jouer sur deux tableaux. Ils voulaient une forte consommation chez eux et ont donc emprunté de l'argent à la Chine. Et ils voulaient aussi exporter des capitaux à l'étranger. Le résultat final a été la transformation de la Chine en une puissance économique qui a constitué une menace pour la domination économique des États-Unis. C'est ce conflit économique qui est à l'origine du conflit politique entre les deux pays aujourd'hui. À mon avis, les dirigeants chinois ne veulent pas activement affronter les États-Unis. Mais leurs ambitions économiques, motivées par les contradictions objectives de l'accumulation du capital en Chine, les ont forcés à s'affirmer davantage. Je ne pense pas non plus que les États-Unis souhaitent activement une confrontation avec la Chine. Mais, là encore, la logique économique de l'impérialisme est très puissante et difficile à contrecarrer. C'est ce qui motive le conflit entre les États-Unis et la Chine. Nous nous retrouvons moins avec un monde multipolaire qu'avec un monde bipolaire qui réapparaît. La confrontation entre la Chine et les États-Unis, bien qu'encore gérable pour l'instant, ne fait que croître. Tout cela crée une situation très explosive, qui ne s'apparente plus à l'ultra-impérialisme, mais plutôt à la période précédant la Première Guerre mondiale.
Mais certains, se basant sur la définition de Lénine, remettraient en question l'idée que la Chine est impérialiste.
Si nous regardons le monde aujourd'hui, que voyons-nous ? Nous voyons la montée de la Chine en tant que centre alternatif d'accumulation de capital au sein du système capitaliste mondial qui exporte du capital par le biais d'énormes projets mondiaux tels que l'initiative Belt and Road. La motivation de ces projets est économique : La Chine a un excédent de capital et une surcapacité industrielle, elle a donc besoin de nouveaux débouchés pour réinvestir le capital et exporter des marchandises. Pour y parvenir, la Chine a commencé à se démener dans le monde entier pour trouver de nouveaux marchés. Cela a déclenché un conflit avec les États-Unis, l'hégémon mondial, qui ont également besoin de débouchés pour leurs marchandises et leurs investissements. Cela signifie que la relation de coopération qui existait lorsque les États-Unis utilisaient la Chine comme plate-forme de production devient lentement antagoniste. Le capital chinois, soutenu par l'État chinois, est désormais si puissant que le capital américain ne veut plus coopérer avec lui. Au contraire, il craint la montée en puissance de la Chine et s'attend à ce que le capital chinois devienne un concurrent puissant. C'est pourquoi le capital américain a commencé à demander l'aide de l'État américain pour contrer cette menace.
Nous nous retrouvons avec une rivalité inter-impérialiste classique, telle que décrite par Lénine. Deux puissants centres de capitalisme s'affrontent pour obtenir des débouchés pour leurs investissements et leurs marchandises. Cela conduit à la création de blocs politiques autour de ces centres d'accumulation capitaliste : les États-Unis ont l'Occident derrière eux, la Chine a la Russie. En ce sens, la logique économique de l'impérialisme est toujours d'actualité pour comprendre le monde d'aujourd'hui.
Comment la Russie s'inscrit-elle dans ce scénario ? Peut-elle également être définie comme impérialiste ?
Dans le cas de la Russie, c'est une dynamique différente qui est en jeu. Le capital russe n'a jamais été assez puissant pour défier l'Occident ; il a toujours été un partenaire junior du capital occidental, qui préférait coopérer avec le capital russe afin de mieux exploiter les ressources naturelles russes et de profiter du rôle de la Russie en tant que puissance sous-impérialiste dans le monde post-soviétique. Le capital occidental a utilisé la Russie pour extraire la plus-value des pays post-soviétiques. Pour donner un exemple : [la société gazière majoritairement détenue par l'État russe] Gazprom comptait de nombreux investisseurs internationaux, dont l'énorme société américaine de gestion d'actifs BlackRock, qui pèse des milliers de milliards de dollars. Lorsque Gazprom s'est développé en Ukraine, en Moldavie, en Biélorussie… BlackRock en a également profité. Les capitaux occidentaux n'avaient rien contre le fait que la Russie soit une puissance régionale tant qu'elle leur offrait la possibilité de faire des profits dans la région. D'un point de vue économique, il n'y avait pas de réelle contradiction : Les capitaux russes et occidentaux coopéraient et profitaient tous deux de cette coopération.
Mais à partir de 2014, la logique politique de l'impérialisme russe a commencé à se découpler de la logique économique. Avant cela, l'impérialisme russe reposait sur un arrangement sous-impérialiste : il menait une politique agressive à l'égard des pays de la région post-soviétique et l'Occident profitait de ses actions. Il avait donc un intérêt direct dans l'impérialisme russe. Mais en 2014, Poutine a brisé le scénario en annexant la Crimée. À ce moment-là, la Russie a cessé d'être une puissance sous-impérialiste et a choisi la voie de la confrontation avec l'Occident. Il a brisé les règles que l'Occident avait fixées pour le gouvernement et le capital russes. Pourtant, il n'y avait aucune logique économique réelle à cette décision car elle ne faisait que rendre la vie plus difficile aux capitalistes russes. L'annexion de la Crimée ne répondait à aucune logique économique. Bien que la Crimée possède quelques gisements de ressources naturelles, pour les exploiter, la Russie devrait investir beaucoup d'argent. De plus, la Crimée est aujourd'hui un bénéficiaire net de l'énergie russe et du financement du gouvernement fédéral. Par conséquent, l'explication de son annexion ne peut être trouvée dans des motifs économiques ; l'explication se trouve dans le domaine de l'idéologie de la classe dirigeante russe.
Les cas de la Chine et de la Russie sont donc différents. Avec la Chine, tu as un impérialisme plus classique, tel que décrit par Lénine. En Russie, tu as un impérialisme différent – un impérialisme politique qui est découplé, dans une certaine mesure, des intérêts économiques.
Es-tu en train de suggérer que, contrairement aux puissances impérialistes qui ont vu le jour à l'époque de Lénine, l'impérialisme russe n'a pas de fondement économique et s'explique uniquement par des facteurs politico-idéologiques ?
Je ne dis pas que l'impérialisme russe est entièrement différent des autres impérialismes ou qu'il n'a aucune base économique. À partir de 1999, la Russie a commencé à se remettre de la crise des années 90 ; jusqu'en 2008 environ, elle a connu une période de forte croissance économique avec un taux de croissance annuel d'environ 7%. Au cours de cette période, les entreprises russes sont devenues de puissantes sociétés mondiales. Même si les capitaux russes n'étaient pas aussi puissants que les capitaux occidentaux, ils sont devenus un acteur sérieux sur le marché mondial. Dans le même temps, il y a eu une suraccumulation de capitaux en Russie en raison des prix élevés de l'énergie et des matières premières.
Ces entreprises russes émergentes avaient besoin de réinvestir leur capital excédentaire quelque part et elles ont choisi de le faire dans les pays post-soviétiques. Leur objectif était de reconstruire quelque chose de similaire aux chaînes d'approvisionnement et aux liens économiques qui existaient à l'époque soviétique. La différence, cependant, c'est que cette fois-ci, ce sont les capitaux russes qui sont aux commandes. À l'époque de l'Union soviétique, l'économie soviétique était intégrée ; aujourd'hui, il s'agit d'une économie russe qui domine les autres économies de la région. Cela a fait pression sur le gouvernement russe pour qu'il s'affirme davantage dans la région post-soviétique. En ce sens, la logique économique léniniste classique de l'impérialisme s'applique au cas de la Russie, en particulier dans les années 2000, lorsque Poutine arrive au pouvoir.
Mais il est important de souligner à nouveau que lorsque la Russie a revendiqué la région post-soviétique au cours de cette première période, elle l'a fait en coopérant avec les États-Unis et l'Occident plutôt qu'en les affrontant. Cette coopération ne s'est pas limitée à la coopération économique entre les capitaux occidentaux et russes ; il y a également eu une coopération géopolitique entre les États russes et occidentaux. Par exemple, la Russie a coopéré avec l'OTAN dans sa guerre contre l'Afghanistan. La Russie était le plus grand fournisseur de pétrole et de ressources de l'OTAN et fournissait à la coalition de l'OTAN des routes logistiques terrestres et aériennes. En 2011, la Russie a vendu des hélicoptères de transport aux États-Unis pour le gouvernement qu'elle avait installé en Afghanistan dans le cadre d'un accord d'une valeur de plus d'un milliard de dollars américains. De toute évidence, malgré les désaccords ou les tensions qui existaient, l'Occident considérait la Russie comme un partenaire junior, du moins jusqu'en 2014.
En fin de compte, il n'y avait rien d'inévitable à ce que la Russie devienne un ennemi de l'Occident si l'on se limite strictement à la logique économique. La Russie aurait pu rester une puissance sous-impérialiste qui profitait conjointement de l'espace post-soviétique avec les capitaux occidentaux. Elle aurait pu être comme la Turquie d'aujourd'hui qui semble agir de manière indépendante mais veille à ne pas gâcher les relations avec l'Occident. Ou comme le Brésil, qui a eu des dirigeants tels que Lula [da Silva] qui peuvent avoir une rhétorique très militante et être en désaccord avec les États-Unis sur de nombreux points mais qui entretiennent avec eux des relations qui sont loin d'être extrêmement conflictuelles. La Russie était comparable à ces pays, en ce sens qu'ils ont tous bénéficié économiquement du fait d'être un partenaire junior de l'Occident, même si certaines tensions ou contradictions existaient.
Alors, qu'est-ce qui a conduit à ce changement de positionnement de la Russie vis-à-vis de l'Occident ?
Pour comprendre ce changement, il faut se pencher sur la logique politique en jeu. Poutine craignait que l'Occident ne prépare un changement de régime contre lui. Poutine était aussi clairement incapable de comprendre les mouvements populaires et les révolutions sociales. Pour Poutine, le mouvement populaire était une contradiction dans les termes car les gens ne pouvaient jamais rien faire par eux-mêmes ; tout mouvement de ce type était toujours contrôlé et manipulé de l'extérieur. Ainsi, lorsque le Printemps arabe [de 2010-11] s'est produit, Poutine n'y a vu rien d'autre que la volonté de l'Occident de déstabiliser les pays du Moyen-Orient.
Puis est survenue la révolution de Maïdan [2014] en Ukraine. Poutine a refusé d'accepter qu'il puisse s'agir d'un véritable mouvement populaire motivé par la frustration sincère des gens à l'égard du gouvernement et de la répression. Au lieu de cela, il a vu dans Maïdan l'utilisation de l'Ukraine par les États-Unis comme un pion dans leur jeu d'échecs avec la Russie. Maïdan a transformé la vision de Poutine. Car si Maïdan était une manœuvre de l'Occident contre la Russie, alors, selon la logique de Poutine, la Russie devait répondre en écrasant violemment cette manœuvre et en faisant la sienne. En fin de compte, la crainte d'un changement de régime a coloré tous les calculs de Poutine. Elle l'a conduit à faire l'amalgame entre une menace politique pour son régime et une menace occidentale pour la sécurité de la Russie. D'une manière générale, l'OTAN ne menaçait pas la Russie d'un point de vue militaire conventionnel. Mais pour Poutine, l'OTAN était derrière Maïdan, qu'il considérait comme un complot contre son pouvoir.
Résultat, la Russie est devenue un pays impérialiste beaucoup plus agressif après 2014 : l'annexion de la Crimée, l'armement des séparatistes du Donbass et l'occupation de certaines parties de l'est de l'Ukraine s'expliquent, en fin de compte, par la crainte idéologique de Poutine que l'Occident ne complote pour un changement de régime. En réalité, l'Occident s'accommodait parfaitement de Poutine en tant que dirigeant capitaliste qui facilitait l'accès des entreprises occidentales aux ressources naturelles russes et à la région post-soviétique. Cela convenait également à Poutine, jusqu'à ce qu'il craigne que l'Occident ne complote contre lui. Cela explique en fin de compte pourquoi la Russie s'est engagée dans la voie de la confrontation avec l'Occident.
Et une fois que la Russie s'est engagée sur cette voie, il lui a été difficile de faire marche arrière car la confrontation a pris une logique propre. Par exemple, après l'annexion de la Crimée par la Russie, les Ukrainiens ont commencé à détester Poutine et se sont tournés vers l'Occident pour obtenir de l'aide. Pourtant, c'est exactement ce que Poutine voulait empêcher. Alors qu'a-t-il fait ? Il est devenu encore plus agressif envers l'Ukraine et a finalement lancé une invasion à grande échelle, tout cela au nom de la prévention d'une Ukraine pro-occidentale. Mais la haine de l'Ukraine à l'égard de la Russie était précisément le produit des propres actions de la Russie. Poutine ne pouvait cependant pas comprendre cela, pour lui, tout cela n'était qu'une manifestation du complot de l'Occident contre son pouvoir. Paradoxalement, alors que les convictions de Poutine n'étaient pas fondées sur la réalité, la chaîne d'événements qu'il a déclenchée n'a fait que renforcer ses convictions, le conduisant finalement sur la voie de cette guerre désastreuse. C'est pourquoi cette guerre n'était pas le résultat de motifs économiques ; elle était motivée par l'idéologie.
Quelle influence pensez-vous que la montée en puissance de la Chine ait pu avoir dans les calculs de Poutine et dans le passage de la Russie d'une puissance sous-impérialiste à une puissance impérialiste ? Il semble possible que la présence de la Chine en tant que puissance alternative vers laquelle la Russie pourrait se tourner une fois en confrontation avec l'Occident ait influencé les décisions prises par Poutine depuis 2014….
C'est une question intéressante. Je suis d'accord pour dire que Poutine avait une meilleure perception de ces changements mondiaux qui se préparaient par rapport aux responsables économiques russes et au gouvernement, qui considéraient ce type de confrontation extrême avec l'Occident comme inimaginable. Il suffit de regarder 2022 : il était évident à l'époque que même les secteurs les plus faucons du gouvernement ne s'attendaient pas à une invasion à grande échelle de l'Ukraine. Poutine, quant à lui, était totalement convaincu que les Ukrainiens attendaient que la Russie les libère du colonialisme occidental et de la soi-disant petite minorité de nazis de type Bandera au pouvoir dans le pays. Mais tout en ayant cette vision fantaisiste de l'Ukraine, Poutine était d'une certaine manière plus prévoyant que d'autres en ce qui concerne le type de changements tectoniques qui se produisaient dans les affaires mondiales et la place de la Russie dans le monde. Poutine pouvait sentir les possibilités offertes par la Chine et les pays semi-périphériques tels que la Turquie, le Brésil et l'Inde, qui devenaient plus autonomes par rapport aux États-Unis.
Il faut savoir qu'en 2000, les pays du G7 contrôlaient 65% du PIB mondial, mais qu'en 2021-22, ce chiffre était plutôt de l'ordre de 40-45%. Le bloc de pays des BRICS représentait une part légèrement plus importante du PIB mondial lorsqu'il était mesuré en termes de parité de pouvoir d'achat. Cela représentait un énorme changement en termes de pouvoir économique et politique. Poutine a perçu ce changement et, comme tu l'as dit, a vu l'opportunité. Il a compris que la rupture de la Russie avec l'Occident serait très douloureuse, mais qu'elle pourrait probablement survivre dans une alliance avec la Chine et en commerçant avec des pays semi-périphériques qui étaient devenus puissants de leur propre chef, économiquement et politiquement. Et il avait raison sur ce point alors que ses opinions sur les motivations occidentales et l'Ukraine étaient follement inexactes et biaisées, sa vision de ce qui se passait à l'échelle internationale était tout à fait exacte. C'est cette combinaison de pensée saine et de pensée erronée qui a finalement conduit à l'invasion et à tout ce qui s'est passé depuis.
Certains militants de gauche, s'appuyant sur la définition de l'impérialisme de Lénine, soutiendraient que l'absence de motifs économiques et la puissance économique beaucoup plus faible de la Russie par rapport à l'Occident signifient que la guerre de la Russie contre l'Ukraine ne peut pas être impérialiste. Certains vont même jusqu'à imputer une sorte de dynamique anti-impérialiste à la guerre de la Russie. Pourquoi, selon toi, est-il important de comprendre la guerre de la Russie comme un acte d'agression impérialiste ?
C'est le problème des définitions économistes de l'impérialisme : lorsqu'un pays ne correspond pas à un certain profil économique ou que vous ne pouvez pas expliquer immédiatement les actions d'un pays sur la base d'une certaine logique économique, alors la position par défaut est que le pays ne peut pas être impérialiste ou agressif et que ses actions doivent donc être défensives. Mais un pays peut être agressif sans que ses actions soient motivées par des raisons économiques spécifiques.
Si nous comprenons l'impérialisme comme une politique d'agression systématique envers un voisin plus faible, alors nous pouvons voir pourquoi l'impérialisme définit exactement ce que la Russie fait à l'Ukraine depuis les années 90. Il y avait déjà des points d'agression à l'époque, lorsque la Russie a manipulé l'approvisionnement en gaz de l'Ukraine afin d'influencer les politiques du gouvernement. Puis, en 2004, la Russie a essayé de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle élise un candidat présidentiel pro-russe, en envoyant des « doreurs d'image » et des agents secrets de Moscou à Kiev pour aider à vaincre [Viktor] Iouchtchenko. En cas d'échec, la Russie a cherché à contraindre l'Ukraine en interrompant son approvisionnement en gaz naturel, une première fois en 2006 et une seconde fois en 2009. La Russie a également acquis des actifs économiques en Ukraine afin de créer une plateforme économique qui lui servirait de point d'appui politique dans le pays. Après cela, tu as eu l'annexion de la Crimée, la participation de la Russie à la guerre dans l'est et, enfin, l'invasion à grande échelle en 2022.
Toute l'histoire des relations russo-ukrainiennes dans la période post-soviétique est celle de l'impérialisme russe à l'égard de l'Ukraine. Comment peut-on décrire cela autrement que par de l'impérialisme ? De plus, comment peut-on le définir comme défensif ? Les actions impérialistes de la Russie ont commencé bien avant qu'il ne soit question que l'Ukraine rejoigne l'OTAN. Par exemple, lorsque la Russie s'est ingérée dans les élections ukrainiennes de 2004 l'Ukraine n'était en aucun cas liée à l'OTAN. Et en quoi peut-on dire que l'Ukraine a attaqué la Russie ? Comment est-ce possible ? Avec quelle armée ? L'armée ukrainienne était pratiquement inexistante avant 2014. L'Ukraine n'a commencé à renforcer son armée qu'en réponse à l'impérialisme russe. Il va de soi que la Russie est l'agresseur dans cette relation. Son agression s'est intensifiée progressivement, mais la Russie a toujours été l'agresseur. En nous en tenant à une compréhension uniquement économique de l'impérialisme, nous passons à côté de l'impérialisme russe en tant que phénomène.
À la lumière de tout ce dont nous avons discuté, vois-tu des possibilités de construire des ponts entre les luttes anti-impérialistes et les luttes dans les pays impérialistes, en gardant à l'esprit que les différentes luttes seront confrontées à des puissances différentes et peuvent donc chercher à obtenir le soutien de blocs impérialistes rivaux ? À quoi devrait ressembler l'internationalisme anticapitaliste et anti-impérialiste au 21e siècle ?
Il y a bien sûr des aspects pratiques à l'internationalisme, comme l'aide aux prisonniers politiques. Les campagnes de solidarité internationale peuvent faire beaucoup et ont fait beaucoup, par exemple pour [le marxiste russe anti-guerre emprisonné] Boris Kagarlitsky. Malheureusement, il y a beaucoup de prisonniers de gauche en Russie en ce moment. Donc, concrètement, c'est quelque chose que le mouvement socialiste peut faire : se soutenir mutuellement en aidant les prisonniers politiques en Russie.
Mais pour réfléchir à cette question de manière plus générale, nous devons d'abord comprendre la nature de la rivalité inter-impérialiste actuelle par rapport à la guerre froide. Bien que l'Union soviétique ait été problématique à bien des égards, sa politique étrangère comportait une composante idéologique : elle avait la vision d'un autre monde qui représentait une sorte d'alternative. L'Union soviétique avait un projet idéologique, même s'il était déformé par le stalinisme et vidé de sa substance par le cynisme des élites. Cette vision idéologique a influencé l'attitude de l'Union soviétique à l'égard du tiers-monde, même si son approche des mouvements post-coloniaux comportait aussi un élément cynique. Mais la Russie n'est pas l'Union soviétique. Si nous regardons la Russie d'aujourd'hui, nous constatons qu'il n'y a pas de vision d'une alternative.
La seule chose que la Russie propose, c'est la confrontation avec l'Occident. La Russie dit : « Vous devez vous battre contre l'Occident ». Mais se battre pour quoi au juste ? Quelle est la vision russe d'un modèle politique, économique alternatif ? La Russie est un pays ultracapitaliste dirigé par des oligarques, avec d'énormes inégalités entre les gens et les régions, et un État-providence très faible. La guerre avec l'Ukraine a peut-être contraint ces oligarques à réorienter leurs intérêts commerciaux vers les marchés d'Asie et à quitter leur propriété londonienne pour un immense appartement à Dubaï. Mais quelle différence cela fait-il pour un travailleur russe ordinaire ? La Russie n'a rien de progressiste. Il en va de même pour la Chine : elle n'a pas de vision idéologique au-delà du capitalisme avec une grande présence de l'État ; elle n'offre pas de vision alternative de changement progressif.
Cela signifie que les mouvements progressistes du monde entier doivent se battre pour une alternative. Ils ont besoin d'une vision alternative pour guider ce mouvement internationaliste mondial des travailleurs et des socialistes. Cela signifie également qu'il ne faut pas faire de compromis avec les dictatures ou les classes capitalistes prédatrices, que ce soit en Chine, en Russie ou aux États-Unis. En fin de compte, cela se résume à une vision très classique de l'impérialisme dans laquelle l'ennemi principal se trouve à la maison. Le principal ennemi des socialistes russes est l'impérialisme russe ; ce ne sont pas les États-Unis ou l'Ukraine. Et le principal ennemi des socialistes américains est l'impérialisme américain. C'est la base du véritable internationalisme : l'unité contre nos propres gouvernements impérialistes et pour une vision commune du changement progressif aux États-Unis, en Russie et en Chine. Cela peut sembler abstrait, mais c'est tout simplement de la bonne logique. C'est la base sur laquelle nous pouvons construire des ponts entre nos luttes.
Publié le 28 septembre 2024
https://links.org.au/political-imperialism-putins-russia-and-need-global-left-alternative-interview-ilya-matveev
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France - La « {dette } » ? Une Fake News au service de l’austérité-Barnier

« La dette explose, pourquoi ? C'est comme ça, ne vous posez pas de question, consentez à rembourser, parce que cette dette est la vôtre ! D'où mon budget d'une austérité qui ne fait que commencer. » Telle est la politique de Barnier.
Tiré de aplutsoc
9 octobre 2024
Par aplutsoc
La dette est à la fois l'ardoise de Macron et la croisade libérale d'austérité menée par Barnier. Une croisade sur plusieurs années. Explications.
1) Cette Dette, c'est la nôtre ? Ah bon ?
La dette des administrations publiques ? Seulement ? Tu parles…
En vrai, c'est un mécanisme financier infernal :
. L'État, pour financer ses dépenses, emprunte aux marchés financiers, et non à la Banque de France depuis que l'Union européenne l'a décidé.
. Une méthode du capitalisme financier.
. L'État français s'endette sur les marchés à des taux variables.
. Cette fluctuation des taux d'intérêt module le coût de refinancement de l'État.
Elle fait de la dette un instrument pour justifier la destruction des services publics et des modèles sociaux. C'est ainsi que la dette est d'abord et avant tout le « marché de la dette »
2) Une Dette instrument de l'austérité
. Le ralentissement de l'activité économique provoque une réduction des rentrées d'impôts, accentuée par les exonérations Macron pour les riches.
. Les recettes des impôts diminuent, le besoin de recourir à l'emprunt augmente.
. Et on est parti dans un cercle vicieux avec un effet boule de neige, c'est-à-dire une forte augmentation de la dette et des intérêts à payer.
. L'endettement public est en permanence instrumentalisé par le gouvernement, la Commission européenne, le Fonds monétaire internationale, ou encore les agences de notation , pour l'adoption de mesures d'austérité.
3) Et vlan ! Le budget Barnier et la baisse des budgets sociaux, …
…. les privatisations, la réduction de la protection sociale qui permet au plus grand nombre de vivre mieux (Sécurité sociale, système de retraites par répartition, assurance chômage de moins en moins protectrice)…
La démocratie ? « Perte de temps », crie le capitalisme ensauvagé !
Le pouvoir ne fait même pas semblant :
« La dette, surgie soudain à la rentrée, est celle du peuple, c'est vrai parce que je le dis, répète Barnier.
–Mais alors, nos besoins élémentaires, santé, travail, logement, ne sont pas pris en compte ? Le capitalisme d'automne n'a pas de temps à perdre avec la parole d'en bas ?
– Ben non, répond Barnier qui a une austérité à faire passer, la mise en souffrance de la démocratie en est la condition. »
Barnier comme Premier ministre est né d'un déni de démocratie électorale.
« Et alors ? Mon gouvernement dépend de Le Pen, de cette extrême droite rejetée par les électrices et les électeurs… Mais en quoi ça me concerne, moi Barnier je suis commissaire européen en capitalisme sauvage, alors, hein, les bulletins de vote…
– Ben alors, mon vote n'est pas pris en compte, seuls pèsent les intérêts des financiers, des riches, des nantis ? »
-Oui, oui, répond Barnier, minoritaire je suis minoritaire, j'impose les intérêts de la minorité, les très riches, les grandes fortunes. »
Austérité + déni de démocratie = putsch ultralibéral
Nous n'avons pas voté pour cette impasse démocratique, nous n'avons pas opté pour ce choc d'austérité contre nos intérêts sociaux et la satisfaction de nos besoins élémentaires.
Voilà pourquoi on ne peut plus séparer les revendications telles que l'augmentation des salaires, l'abrogation de la loi sur la retraite à 64 ans, la protection et l'indemnisation des chômeurs, avec l'exigence de démocratie.
S'opposer au putsch ultralibéral
Les jours heureux, à la naissance du Front Populaire, ont été vécus avec bonheur quand partis, syndicats et associations reconnaissaient comme leur le programme commun à tout le mouvement ouvrier. Eh bien, ce sont ces jours heureux qui doivent revenir, pour que vive ensemble notre programme revendicatif et notre espérance immédiate de démocratie.
Déni de démocratie et choc d'austérité – Le carburant raciste veut tout incendier
Au carrefour du déni démocratique et du choc d'austérité se développe un bloc réactionnaire contre une « invasion de migrant·es ».
Une puissante presse dominée par les milliardaires de droite et d'extrême droite déverse un discours anxiogène sur la menace d'une « immigration de masse ».
Une campagne électorale permanente de ces forces coalisées, dont le RN, dénonce le « laxisme » en matière d'immigration.
Elle appelle à intensifier les expulsions, jusqu'à la « remigration ». Retailleau au gouvernement, Le Pen en soutien à Barnier, en sont les animateurs.
Chaque jour, un « lumpen-commentariat » envahit les chaînes en continu et déverse les dénonciations de l'immigration comme des « préoccupations légitimes ».
Où est le cœur vibrant de l'idéologie de la réaction anti-immigrés ?
La panique morale organisée dénonce des frontières et des barrières qui s'érodent et des gens qui se trouvent là où ils ne devraient pas être.
Les réactionnaires lancent leur croisade contre « le déclin du mode de vie traditionnel » dominé par la perspective de « l'extinction des Blanc·hes ».
Les passions persécutrices et vengeresses sécrétées par le bloc réactionnaire sont le produit direct de :
. la compétition sociale incessante,
. l'inégalité de classes croissante,
. la célébration des gagnant·es et le sadisme envers les perdant·es,
. et des conséquences psychologiques de plus en plus toxiques de l'échec.
Le racisme d'aujourd'hui ?
Il est celui de l'époque des déplacements de populations entre les anciennes colonies et les anciennes métropoles coloniales.
Il est centré sur le refus des mouvements de populations provoqués par les dégâts de l'économie capitaliste, les guerres et les dérèglements climatiques.
C'est un racisme qui affirme l'irréductibilité des différences culturelles, et qui s'obsède du « danger « de l'effacement des frontières et l'incompatibilité des styles de vie.
C'est un racisme qui dit dans de multiples langues : « Puisque l'horizon du capitalisme est indépassable, alors battons-nous pour qu'il y en ait pour nous seuls car il n'y en aura pas pour tout le monde. »
Le nouveau pacte social et politique sur lequel convergent les néolibéraux et les néofascistes est un pacte économique à connotation ethno-raciale.
C'est pourquoi notre réponse combine la lutte pour la victoire du Nouveau Front Populaire, le développement des luttes sociales et la guerre au bloc raciste anti-immigrés.
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L’extrême droite autrichienne gagne les élections, mais surtout l’hégémonie

Les prévisions se sont finalement réalisées et le Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ) a clairement remporté les élections législatives du dimanche 29 septembre 2024, devenant la première force du pays avec 28,85% des voix, soit une augmentation de plus de 12 points par rapport aux dernières élections.
9 octobre 2024 | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/divers/lextreme-droite-autrichienne-gagne-les-elections-mais-surtout-lhegemonie.html
Avec ces résultats, le FPÖ a réussi pour la première fois de son histoire à dépasser le Parti populaire autrichien (ÖVP), qui a obtenu 26,27%, soit une baisse significative de 11 points de pourcentage dans les urnes. Bien que le Parti social-démocrate d'Autriche (SPÖ) n'ait pas réussi à améliorer ses résultats – 21,14% – il n'a pas non plus enregistré de pertes significatives, mais la progression du FPÖ le relègue à une inconfortable troisième place Il est suivi par le parti libéral NEOS avec 9,14% (+1,1) et les Verts avec 8,24% (-5,6). Ni le parti communiste autrichien (KPÖ : 2,3%), ni le parti satirique de la bière (BIER :2%) n'ont réussi à franchir le seuil nécessaire pour entrer au parlement et la question reste de savoir s'ils l'auraient fait si l'autre s'était retiré, ainsi que la mesure dans laquelle le SPÖ a capitalisé sur le vote utile de la gauche [1]. [Le taux de participation fut de 77,3%, donc plus élevé qu'en 2019 : 75,6% ; voir le graphique ci-dessous ayant trait à la répartition des sièges]

Les résultats de ces élections sont sans précédent et l'avenir politique de l'Autriche est incertain. Certaines voix internationales ont déjà exprimé leur inquiétude : le ministre italien des affaires étrangères, Antonio Tajani de Forza Italia, affirme :« Je pense que l'Autriche a besoin d'un gouvernement de coalition qui exclut le FPÖ, les combats politiques se gagnent toujours au centre afin que les partis d'extrême gauche et d'extrême droite ne puissent pas causer de dommages ». Le président de la Israelitische Kultusgemeinde Wien et Ariel Muzicant et de l'European Jewish Congress, a déclaré au quotidien italien La Stampa, le 30 septembre : « Kickl se réclame des slogans de Göbbels, je vais écrire au Président [Alexander Van der Bellen, élu au suffrage universel en janvier 2017] qu'il lui fasse obstacle [pour un rôle gouvernemental] »
Le fait que les « bleus » – nom donné à l'extrême droite en Autriche – aient remporté ces élections ne signifie pas automatiquement qu'ils gouverneront. Ce lundi 30 septembre, le quotidien Der Standard a rappelé qu'en 2019, il fallait 100 jours pour former un exécutif. Si le FPÖ a déjà préparé son équipe de négociation et ne veut pas attendre trop longtemps pour s'asseoir à la table des négociations, plusieurs obstacles se dressent sur son chemin à Ballhausplatz 2, le siège de la chancellerie fédérale autrichienne. Le président du pays, Alexander van der Bellen, pourrait par exemple, dans l'exercice de ses fonctions, ne pas confier à Herbert Kickl, le candidat du FPÖ, le soin de former un gouvernement en faisant appel aux piliers démocratiques de la constitution de la IIe République, bien que cette éventualité semble peu probable.
Les conservateurs décisifs
Si le FPÖ fait la une des journaux, c'est l'ÖVP qui détient la clé du gouvernement. Malgré son net recul – le Parti populaire autrichien n'a bénéficié ni de la baisse de l'inflation en août, ni de la stabilité supposée que les électeurs recherchent après des catastrophes naturelles telles que les récentes inondations en Europe centrale, ni de ses équilibres de politique étrangère avec la Russie sur la base de la neutralité historique du pays – les 52 députés conservateurs seront déterminants pour la formation d'un exécutif.
La première option de l'ÖVP serait d'entrer dans un gouvernement de coalition avec le FPÖ comme partenaire minoritaire. Cette option a ses partisans et ses détracteurs au sein du parti. Parmi les premiers – y compris, selon des interviews données il y a quelques semaines, le chancelier Karl Nehammer lui-même (ÖVP) – il y a ceux qui optent pour quelque chose de plus machiavélique : un cordon sanitaire non pas contre le FPÖ, mais contre Herbert Kickl, dans l'espoir de précipiter une crise interne dans le parti qui lui permettrait, au moins, de gagner de l'oxygène même s'il gouverne avec eux et de regagner ainsi le terrain perdu. Dans cette constellation politique, l'ÖVP utiliserait sûrement ses 52 sièges dans les négociations pour revendiquer des portefeuilles clés tels que les Finances, l'Intérieur et la Justice qui lui permettraient de se présenter à l'électorat comme le partenaire fiable de la coalition.
La deuxième option, une grande coalition avec les sociaux-démocrates étant exclue – l'empreinte que le président de gauche du parti [depuis juin 2023], Andreas Babler, a imprimée au parti est considérée comme « instable » par une grande partie de l'opinion publique – consiste pour l'ÖVP à diriger un gouvernement tripartite avec d'autres partis, les libéraux étant le « parti charnière », selon le modèle allemand.
La perte de voix dans les circonscriptions industrielles est particulièrement inquiétante pour les sociaux-démocrates. La direction du SPÖ a exprimé sa volonté d'entamer un cycle de négociations avec les autres partis, et bien que Michael Ludwig, maire de Vienne et l'un des poids lourds du parti, ait déclaré aux médias qu'un débat sur les noms au sein du parti n'était pas envisagé, la démission de Babler pourrait bien être le prix à payer pour la signature d'une coalition avec les conservateurs s'il finit par être considéré comme le principal obstacle à la formation de cette coalition. Comme le note Barbara Tóth dans Der Falter, « la campagne électorale est terminée et les luttes de pouvoir commencent ».
En attendant les discussions entre les partis, la société civile s'est déjà mobilisée et une première manifestation a déjà été convoquée pour le jeudi 3 octobre devant le Parlement, exigeant que les partis politiques ne pactisent pas avec le FPÖ.
Le FPÖ conquiert l'hégémonie
Même si le FPÖ reste en dehors du gouvernement, il ne faut pas oublier qu'il a gagné quelque chose d'encore plus important : l'hégémonie politique. En tant que première force parlementaire, il pourrait suivre l'exemple du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et, à partir de là, s'efforcer de miner l'exécutif – inévitablement présenté comme une « coalition de perdants » – puis, à un moment plus propice, s'attaquer à la Chancellerie fédérale. Entre-temps, et surtout à travers les apparitions médiatiques de ses élus et les médias sociaux, le FPÖ normalise son discours auprès de l'opinion publique.
La confirmation dans les urnes de ce que les sondages ont montré ces derniers mois et qui révèle que, contrairement à ce qui se passait il y a quelques années, de moins en moins d'électeurs n'hésitent pas à exprimer ouvertement leur sympathie pour le FPÖ, est une indication du chemin parcouru par l'extrême droite autrichienne dans ce domaine. Interrogée par l'agence de presse APA sur les résultats des élections, la dramaturge et prix Nobel de littérature 2004 Elfriede Jelinek – ancienne critique du FPÖ et l'une des voix les plus connues contre le parti – a répondu laconiquement : « Rien, tout a été dit, sauf que les catastrophes annoncées se produisent ».
Le FPÖ a donc des raisons de se réjouir des résultats de ces élections, car même sans gouverner, il pourra influencer l'agenda du prochain gouvernement. Kickl pourrait, depuis son siège de député, devenir l'un des hommes forts de l'extrême droite en Europe centrale. La figure de proue de cette tendance, Viktor Orbán, est déjà au pouvoir en Hongrie depuis des années, et lors des récentes élections régionales en République tchèque – qui se sont déroulées en même temps que les élections sénatoriales – le parti d'Andrej Babiš, l'ANO, a été le parti le plus voté. Si ces résultats se confirment, Andrej Babiš détrônerait Petr Fiala au poste de premier ministre lors des élections législatives prévues en octobre 2025, si elles ne sont pas anticipées. Babiš est l'un des fondateurs, avec Kickl et Orbán, des « Patriotes pour l'Europe », la troisième force au Parlement européen, dont Vox [dans l'Etat espagnol] est également membre.
Aucun des scénarios n'augure de « stabilité » et tous confirment un glissement vers la droite en Europe. (Article publié sur le site de Sin Permiso, le 30 septembre 2024 ; traduction-édition rédaction A l'Encontre)
[1] A Vienne, la capitale, le SPÖ obtient 29,8% de suffrages, le FPÖ 21,2%, l'ÖVP 17,6%, Grüne(Les Verts) : 12% ; NEOS 11,1%, KPÖ, 3,8%. Le taux de participation dans cette circonscription fut de 67,4%. Le quorum se situe à 4%.
Dans la ville de Graz, la troisième du pays, le SPÖ obtient 21,7% de suffrages, l'ÖVP, 21,3%, le FPÖ 19,9%, 17,6%, Grüne 15,5%, NEOS 12,1% ; KPÖ, 6%. Le taux de participation : 73,3%.
A Innsbruck, la deuxième du pays, le SPÖ obtient 23% de suffrages, l'ÖVP, 20,81%, le FPÖ 22,29, 17,6%, Grüne 14,68%, NEOS 11,56%, KPÖ 3,84%. Le taux de participation : 69,81%. (Réd.)
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Pour une politique migratoire d’accueil et de solidarité

Nous, associations, collectifs de personnes exilées, collectivités accueillantes et syndicats, faisons part de notre vive préoccupation quant aux intentions du gouvernement Barnier en matière d'immigration. Après le feuilleton de la loi sur l'asile et l'immigration, nous nous opposerons à toute nouvelle dégradation des droits des personnes exilées en France et continuerons à défendre une politique migratoire d'accueil et de solidarité.
5 octobre 2024 | tiré d'entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/05/pour-une-politique-migratoire-daccueil-et-de-solidarite/
A peine nommé, le gouvernement fait de l'immigration son cheval de bataille et multiplie les annonces outrancières et dangereuses. Le ministre de l'Intérieur a déjà annoncé réunir les préfets « des dix départements où il y a le plus de désordre migratoire pour leur demander d'expulser plus, de régulariser moins ». Nous dénonçons cette représentation mensongère des migrations : non, il n'y a pas de désordre migratoire, ni de crise migratoire. Nous assistons à une crise de l'accueil et de la solidarité, et une mise en danger des personnes exilées par des politiques de restriction et d'exclusion dont les gouvernements successifs se font les champions. Collectivement, nous revendiquons la régularisation des personnes sans-papiers, la protection des mineur-e-s non accompagné-e-s, le respect de la dignité et des droits humains.
Le ministre de l'Intérieur a annoncé vouloir remettre en cause l'Aide médicale de l'Etat (AME). La santé des personnes exilées est à nouveau instrumentalisée pour venir alimenter des considérations de politique migratoire. Nous souhaitons rappeler que l'AME est un dispositif de santé, essentiel pour l'accès aux soins des personnes et qu'elle répond à des enjeux de santé publique. A ce titre, cette politique publique se décide au ministère de la Santé. Nous nous inquiétons de voir nos gouvernant-e-s s'approprier la rhétorique d'extrême droite basée sur l'appel d'air et les dépenses incontrôlées, pourtant largement pourfendue par nombres d'études et rapports récents. Enfin, nous alertons sur le fait qu'environ un quart des bénéficiaires de l'AME sont mineur-e-s, et qu'il est intolérable de vouloir priver des enfants de l'accès aux soins.
Rien ne sera épargné aux personnes issues de parcours d'exil. Le gouvernement envisage même une nouvelle loi sur l'asile et l'immigration pour promouvoir des mesures pourtant censurées par le Conseil constitutionnel en début d'année. Ceci, à l'heure où nous constatons déjà les premières conséquences dramatiques de la loi promulguée le 26 janvier 2024. Ce gouvernement s'est lui-même placé sous la tutelle de l'extrême droite et a choisi de faire des personnes exilées le bouc-émissaire de tous les maux. Ses propositions s'inscrivent dans l'intensification du climat de peur pesant sur les personnes étrangères, et plus généralement sur toutes les personnes victimes du racisme. Le programme est clair : restrictions des droits, criminalisation des migrations et des personnes solidaires, répression des personnes exilées, enfermement à tout-va. Dans sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale ce mardi 1er octobre, le Premier ministre a annoncé vouloir « lutter contre le racisme » et traiter le sujet de l'immigration avec dignité, mais il se contredit aussitôt en prévoyant d'augmenter la durée maximale légale de rétention, d'empêcher les personnes exilées de franchir les frontières, et en faisant peser sur elles toutes les suspicions. En revanche, Michel Barnier ne remet à aucun moment en question les déclarations inquiétantes du ministre de l'Intérieur. Nous dénonçons l'orientation du gouvernement, et rappelons notre attachement à un Etat de droit qui respecte les personnes et les considère avec humanité, pas comme des indésirables.
Nous, associations, collectifs de personnes exilées, collectivités accueillantes, et syndicats, appelons à mettre fin à cette obsession migratoire xénophobe et dangereuse, et à respecter les droits de chaque personne, indépendamment de sa nationalité, de son origine, de sa religion, de son orientation sexuelle et de genre. Nous appelons chacun-e à la vigilance et à la solidarité, à continuer à soutenir et à participer aux actions, comme les luttes des travailleur-se-s Sans Papiers pour leur régularisation. Nous resterons mobilisé-e-s contre tout nouveau coup porté au respect des droits et à la dignité des personnes étrangères.
Signataires :
Organisations nationales : Les Amoureux au ban public / Anafé / ANVITA / Ardhis / CCFD-Terre Solidaire / CGT / La Cimade / CNAJEP / CRID / Dom'Asile / Emmaüs / Femmes Egalité / FSU / Gisti / Grdr – Migrations-Citoyenneté-Développement / Humanity Diaspo / J'Accueille / LDH (Ligue des droits de l'Homme) / Ligue de l'Enseignement / Limbo / Médecins du Monde / MRAP / On Est Prêt / Oxfam / Patrons Solidaires / PLACE Network / Planning Familial / Polaris 14 / Réseau Féministe « Ruptures » / Ripostes, pour une coordination antifasciste / SAF (Solidarités Asie France) / Singa / Thot / UEE / Union syndicale Solidaires / UniR Universités & Réfugié.e.s / Utopia 56 / Visa – Vigilance et initiatives syndicales antifascistes / Watizat / Weavers
Organisations locales : Association Bretillienne des Familles / Accueil Réfugiés Bruz / L'Auberge des migrants / Bienvenue Fougères / Droit à l'Ecole / Fédération Etorkinekin Diakité / Forum Social des Quartiers – Rennes le Blosne / Groupe accueil et solidarité (GAS) / L'Hirondelle de Martigné-Ferchaud / Intercollectif : Coordination Sans-Papiers 75, CTSP Vitry, CSPM, CSP 17e, CSP 93, Gilets Noirs / L'IOSPE – InterOrga de soutien aux personnes exilées de Rennes / Ligue des Droits de l'Homme – Pays de Rennes / Migrants en Bretagne Romantique – QMS / Pantin Solidaire / Paris d'Exil / Plouër Réfugié-e-s / Réseau Territoires Accueillants 35 / Soutien Migrants Redon / Tous Migrant / Un Toit c'est Un Droit Rennes / VIAMI Val d'lle-Aubigné Accueil Migrants
Paris, le 2 octobre 2024
https://www.ldh-france.org/pour-une-politique-migratoire-daccueil-et-de-solidarite/
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En Ukraine, l’écocide est utilisé comme arme de guerre. Cela devrait faire partie des crimes traités par la Cour pénale internationale

Depuis le 24 février 2022, la Russie mène contre l'Ukraine plusieurs guerres parallèles : la conventionnelle, l'hybride ou la cyberguerre, et celle contre l'environnement — l'écocide. L'écocide en tant qu'arme de guerre est accompagné par la destruction systématique des infrastructures civiles et du réseau énergétique du pays. L'écocide n'est donc pas uniquement un simple dommage collatéral de la guerre conventionnelle, son objectif est de rendre invivables les régions de l'Ukraine pour la vie civile.
26 septembre 2024 | Tjhe conversation | Des maisons inondées dans la ville d'Oleshky, en Ukraine, le 10 juin 2023. Les inondations ont suivi l'explosion catastrophique qui a détruit le barrage de Kakhovka dans la région méridionale de Kherson. (AP Photo/Evgeniy Maloletka, File)
https://theconversation.com/en-ukraine-lecocide-est-utilise-comme-arme-de-guerre-cela-devrait-faire-partie-des-crimes-traites-par-la-cour-penale-internationale-238641
En détruisant les infrastructures, les routes, et en forçant les autorités ukrainiennes à investir temps et ressources à la reconstruction, la Russie s'assure de nuire le plus possible à la campagne militaire. Toute ressource, humaine ou matérielle investie dans le sauvetage ou la reconstruction d'une région prive le complexe militaro-industriel de la même ressource. Il s'agit donc d'une tactique de guerre à large spectre, visant à limiter les capacités ukrainiennes dans plusieurs secteurs, notamment dans le secteur militaire.
Un homme passe devant une voiture endommagée après une attaque de roquettes russes à Malokaterynivka, dans la région de Zaporizhzhia, en Ukraine, le 21 août 2024. La présence d'une importante centrale nucléaire à proximité laisse craindre un écocide depuis le début de la guerre. (AP Photo/Andriy Andriyenko)
Professeur titulaire de relations internationales au Département d'histoire de l'Université Laval, ma co-auteure, Sophie Marineau, est doctorante à l'Université catholique de Louvain en histoire. Depuis 2014, la guerre en Ukraine et la réaction internationale vis-à-vis du conflit sont au centre de nos recherches respectives.
Un geste délibéré
Le mot écocide provient du grec oïkos (maison) et du latin caedere (tuer) : l'action de tuer la Terre.
Selon l'historien David Zierler, l'écocide est une destruction délibérée de l'écologie et de l'environnement comme arme de guerre. Pour Laurent Neyret, juriste et spécialiste du droit de l'environnement, l'écocide comprend « toute action généralisée ou systématique comprise dans une liste d'infractions qui causent des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel, commises délibérément et en connaissance de cette action ».
Guerre du Vietnam
L'étude de l'écocide comme arme de guerre peut être retracée à la guerre du Vietnam lorsque les Américains ont mené de larges campagnes de bombardements visant à rendre le territoire hostile et inhabitable pour la population et le Front national de libération du Sud Vietnam, notamment par l'utilisation de l'Agent orange. Depuis, plusieurs tentatives, par différents acteurs de la communauté internationale, ont échoué à faire reconnaître l'écocide comme un crime international. Encore aujourd'hui, la lutte continue.
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À cet effet, depuis le début de l'invasion russe de février 2022, le président ukrainien déplore le manque de reconnaissance internationale de l'écocide, et l'absence de compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour ce type de crime.
Cour pénale internationale
Les quatre crimes pour lesquels la CPI a compétence sont le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. Dans une vidéo sur son canal Telegram, le président Volodymyr Zelensky déclare que la Russie est coupable de crime d'agression, l'un des crimes de guerre qu'elle a commis, et qu'on peut ajouter à la liste un écocide brutal à la suite de la destruction du barrage Khakovka en juin 2023.
En liant l'écocide aux autres crimes pour lesquels la CPI a compétence, Zelensky souhaite attirer l'attention de la communauté internationale sur la sévérité des dégâts causés par la guerre. Les coûts de reconstruction, estimés par la Banque Mondiale, sont déjà à près de 500 milliards de dollars américains pour tout le territoire ukrainien.
La destruction du barrage de Kakhovka pourrait éventuellement inciter la Cour pénale internationale à inclure l'écocide comme un cinquième crime relevant de ses compétences.
Vue aérienne d'un barrage coupé en deux
Cette image fournie par Maxar Technologies montre le barrage et la station de Kakhovka, en Ukraine, après son effondrement, le 7 juin 2023. (Satellite image 2023 Maxar Technologies via AP, File)
Rupture du barrage de Kakhovka
Selon le rapport de l'ONU, la destruction délibérée du barrage de Kakhovka, situé au sud de l'Ukraine et sous occupation de l'armée russe, le 6 juin 2023, a provoqué une inondation dévastatrice sur plus de 620 km2.
La rupture du barrage a causé la mort d'au moins 40 civils ukrainiens, quelque 4 400 foyers ont été inondés et plus de 4 000 personnes des oblasts de Kherson et de Mykolaivska ont été déplacées. Le rapport indique aussi de nombreux dommages sur l'écosystème de la région, notamment sur l'industrie de la pêche. On dénombre la perte de plus de 11 388 tonnes de poissons. Quelques 11 294 hectares de forêt ont aussi été détruits par les inondations. Parallèlement, le barrage permettait de fournir de l'eau potable à près d'un million de personnes qui s'en sont retrouvées privées à la suite de sa destruction.
Un homme accroupi devant des milliers de poissons morts gisant sur une terre asséchée
Un photographe prend des photos de poissons morts dans le réservoir asséché de Kakhovka après la destruction catastrophique du barrage de Kakhovka près de Kherson, en Ukraine, le 18 juin 2023. On dénombre la perte de plus de 11 388 tonnes de poissons. (AP Photo/Mstyslav Chernov)
Notons également que la Russie a refusé l'aide des Nations unies pour secourir la population civile ukrainienne sinistrée dans les zones sous son contrôle.
Pas un cas isolé
Malheureusement, le cas du barrage Khakovka n'est pas un cas isolé dans cette guerre. La Russie a visé d'autres barrages, notamment ceux de Oskil et de Pechenihy, en plus des attaques autour de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia — cinq fois plus grandes que la centrale de Tchernobyl, dont l'explosion de 1986 causerait potentiellement jusqu'à 25 000 cancers supplémentaires en Europe d'ici 2065.
L'armée russe a également transformé la centrale nucléaire de Zaporizhzhia en base militaire, sachant pertinemment que l'armée ukrainienne ne la prendra jamais pour cible, pour éviter tout incident, même si une contre-offensive devait être lancée dans la région.
Vue d'une caméra d'une centrale nucléaire. Une fumée s'élève d'une tour de refroidissement
Sur cette image d'une caméra de surveillance, de la fumée s'élève d'une tour de refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia dans une zone contrôlée par la Russie dans la région, en Ukraine, le 11 août 2024. (Ukrainian Presidential Press Office via AP)
De nombreux autres sites industriels endommagés ou détruits par les frappes russes ont causé des fuites de produits chimiques dangereux dans les rivières, les lacs, et dans l'écosystème ukrainien de façon générale.
Plus récemment, le 26 août 2024, la Russie a également lancé une frappe massive contre la centrale hydroélectrique de Kiev. Des coupures d'eau et d'électricité ont été signalées, mais la centrale n'aurait pas subi de dommages critiques selon les autorités ukrainiennes. En visant les infrastructures énergétiques, la Russie espérait démoraliser les Ukrainiens en les privant durablement d'eau et d'électricité.
Un droit international non contraignant
Étant donné que l'écocide n'est pas à l'heure actuelle un délit pénal au regard du droit international, l'Ukraine pourrait poursuivre les auteurs présumés de l'écocide en appliquant son propre code pénal. L'article 441 de ce code définit l'écocide comme étant la « destruction massive de la flore et de la faune, l'empoisonnement de l'air ou des ressources en eau, ainsi que toute autre action susceptible de provoquer une catastrophe environnementale ». Le code prévoit une peine d'emprisonnement allant de 8 à 15 ans.
L'Ukraine n'est cependant pas seule dans sa campagne pour faire reconnaitre l'écocide comme un crime international. Le Vanuatu a déjà soulevé la proposition en 2019, récemment appuyée par Fidji et Samoa — deux États insulaires du Pacifique — particulièrement vulnérables aux changements climatiques et à la montée des océans. Une demande formelle a été déposée à la CPI, le 9 septembre 2024.
Si l'écocide devait être reconnu comme une nouvelle compétence de la CPI, l'Ukraine serait alors en droit d'engager des procédures contre la Russie pour les ravages délibérés de la guerre actuelle sur son territoire.
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Manifestations et résistance contre la guerre en Russie

Pourquoi n'y a-t-il pas de manifestations de masse contre la guerre en Russie ? À quoi ressemblent les actions de protestation individuelles contre le régime de Poutine ? Comment les gens résistent-ils à la logistique de la guerre ? Ivan Astashin, militant de la zone de solidarité, retrace une brève histoire de la protestation anti-guerre en Russie.
Comment avons-nous réagi au début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine ?
Le 24 février 2022, les possibilités de protestation légale avaient pratiquement disparu en Russie. Au cours des dix années précédentes, les autorités avaient tout fait, par des moyens à la fois législatifs et pratiques, pour s'assurer que les gens ne descendent pas dans la rue. En fait, la vis s'est resserrée tout au long du règne de Poutine, mais c'est à la suite des manifestations de 2011-2012 que cette tendance s'est particulièrement accentuée. Ces manifestations - d'abord contre la falsification des élections législatives, puis contre le système de pouvoir existant dans son ensemble - restent à ce jour les plus grandes actions de protestation de l'histoire contemporaine de la Russie : à l'époque, jusqu'à 100 000 personnes ont réussi à descendre dans les rues de Moscou. La dernière manifestation de masse de cette période - la « Marche des millions » - s'est tenue le 6 mai 2012, à l'occasion de l'investiture de M. Poutine à la présidence de la Russie (pendant quatre ans, ce poste avait été occupé par le Premier ministre fantoche de M. Poutine, M. Dmitri Medvedev). Ce jour-là, la police et les forces de sécurité (OMON) ont empêché les manifestants d'atteindre la place Bolotnaya, où le rassemblement était censé avoir lieu. Cela a conduit à des affrontements entre les manifestants et les forces de sécurité. Par la suite, cet épisode a dégénéré en « affaire de la place Bolotnaya », une affaire criminelle qui a conduit à la poursuite et à l'emprisonnement de plus de 30 personnes. Après cet événement, la Douma d'État, sous le contrôle de l'administration présidentielle, a commencé à introduire des politiques répressives, qui ont restreint les possibilités de protestation légale et augmenté à la fois la durée des peines privatives de liberté et les amendes pour la participation à des manifestations non autorisées.
À l'époque, comme aujourd'hui, toute personne souhaitant organiser un rassemblement ou une manifestation en Russie devait obtenir l'autorisation des autorités municipales, faute de quoi elle risquait d'être dispersée par les forces de sécurité. Or, ces dernières années, il n'est pas arrivé une seule fois que les autorités locales autorisent une manifestation de l'opposition. Il est donc ridicule de penser qu'elles puissent un jour autoriser une manifestation anti-guerre. De plus, pendant toute cette période, les restrictions du COVID-19 sont restées en vigueur et ont été utilisées par les personnes au pouvoir comme une excuse pour refuser d'autoriser toute action de protestation de masse. Les autorités font de leur mieux pour limiter les appels à des manifestations non autorisées. En conséquence, les activistes publics qui incitent les gens à descendre dans la rue se font arrêter à leur domicile et, grâce à l'aide des caméras de reconnaissance faciale, à d'autres endroits également. Ils sont alors placés en détention sous l'accusation d'avoir organisé un rassemblement non autorisé. Pour une première infraction, la personne risque jusqu'à 10 jours d'arrestation. En cas de récidive, la personne risque jusqu'à 30 jours d'emprisonnement. Il est également important de noter que ces infractions administratives à la législation « anti-manifestation », ainsi que d'autres infractions similaires, peuvent donner lieu à des amendes considérables, allant jusqu'à 300 000 roubles (environ 3 000 euros aujourd'hui). Si certaines personnes ont peur d'être arrêtées, d'autres craignent ces amendes, car elles seraient alors obligées de renoncer à utiliser des cartes bancaires (les autorités pouvant prélever de l'argent sur les comptes bancaires) et il leur serait impossible de quitter le pays légalement.
En Russie, une manifestation non autorisée implique toujours un grand nombre de policiers et de gardes nationaux qui se rassemblent au point de rassemblement. En général, leur travail consiste à arrêter tous ceux qui se présentent et à les escorter jusqu'aux fourgons de police. C'est pourquoi il est évident qu'une action de protestation non autorisée ne peut réussir que si elle est réellement massive. Par exemple, en janvier 2021, après l'arrestation d'Alexei Navalny, un homme politique populaire de l'opposition, près de 20 000 personnes sont descendues dans les rues de Moscou. En raison de l'ampleur de la manifestation, les forces de sécurité n'ont pas pu arrêter l'action de protestation.
En même temps, même les manifestations non autorisées les plus réussies en Russie ne ressemblent pas à ce que nous voudrions qu'elles soient. Vous avez peut-être vu des images de manifestations russes montrant des manifestants se déplaçant exclusivement sur les trottoirs. Étant donné que le blocage des routes peut être considéré comme une infraction pénale en Russie - et nous pouvons trouver de nombreux exemples de poursuites pénales engagées par les autorités russes contre des activistes pour de tels actes - les gens évitent de le faire. Rien que dans le cadre de l'« affaire du palais » (où des manifestants ont été détenus pour avoir soutenu Navalny après son arrestation), au moins 22 personnes ont été inculpées en vertu de l'article 267 du code pénal de la Fédération de Russie pour avoir « empêché la circulation des véhicules et des piétons sur les voies publiques et les réseaux routiers ». Par exemple, l'activiste Gleb Maryasov a été condamné pour ce motif à une période de 10 mois d'emprisonnement.
Par peur de l'emprisonnement, les gens font tout pour éviter les confrontations avec les forces de sécurité. En effet, comme l'a montré l'expérience des 12 dernières années, on peut être accusé de « violence contre un représentant de l'autorité » pour les avoir bousculés ou leur avoir jeté une bouteille d'eau ou même un gobelet en plastique. Dans de tels cas, les militants ont généralement été condamnés à 2 ou 3 ans d'emprisonnement, mais il y a également eu des peines plus sévères, allant jusqu'à 5 ans. Par conséquent, lors des manifestations contre la guerre, nous voyons des manifestants fuir la police au lieu de marcher en rangs organisés avec d'autres manifestants.
La rhétorique de l'opposition libérale, qui s'articule autour du concept de protestation « pacifique » et « non violente », a joué un rôle majeur à cet égard. Cette rhétorique a gravement sapé le potentiel de protestation dans des circonstances où la protestation « pacifique » est impossible. L'opposition libérale a appelé les gens à descendre dans la rue, mais elle n'a jamais proposé de plan pour la suite. Au contraire, chaque fois que quelqu'un appelait à une escalade, elle qualifiait ces suggestions de « provocations ».
Je peux vous donner un exemple tiré de ma propre expérience. Le 23 janvier 2021, après l'arrestation de Navalny, son équipe a appelé les gens à descendre dans la rue pour protester. À ce moment-là, il n'y avait pas eu de grandes manifestations depuis plus d'un an et de nombreuses personnes étaient impatientes de répondre à l'appel à la protestation. Bien qu'il soit évident que les gens étaient prêts à descendre dans la rue non pas tant pour Navalny lui-même que contre les pouvoirs en place en général, certains anarchistes et gauchistes étaient sceptiques à ce sujet. À l'époque, cela ne faisait que quatre mois que j'avais été libéré de la colonie du régime et j'étais sous surveillance administrative. Néanmoins, j'ai décidé de me rendre à la manifestation en tant que spectateur. La manifestation a rassemblé un nombre impressionnant de personnes - d'après mes estimations, il y avait environ 20 000 personnes. Pourtant, les gens marchaient exclusivement sur les trottoirs et s'attendaient à une forme de protestation plus radicale de la part des « anarchistes, communistes et nationalistes » (ce sont les mots que j'ai entendus dans la foule). Les gens ne partageaient aucun programme ni aucune revendication, et ils manifestaient sans banderoles, drapeaux ou autres symboles.
Actions de protestation de masse après le début de l'invasion à grande échelle
La plupart des Russes ne s'attendaient pas au début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine, c'est pourquoi leurs manifestations du 24 février étaient largement spontanées. Ce jour-là, seul un groupe d'anarchistes et d'antifascistes a réussi à organiser une petite manifestation à Moscou, en s'appuyant sur leur expérience d'actions de protestation similaires. Selon des témoins oculaires, environ 700 à 800 personnes ont participé à la manifestation avant d'être rapidement dispersées par les policiers et les gardes nationaux. Dans le même temps, d'autres villes ont été le théâtre d'actions de protestation spontanées relativement importantes et assez réussies. On a pu voir des photos et des vidéos impressionnantes des manifestations à Novossibirsk, Ekaterinbourg et Saint-Pétersbourg.
Il semble que le lendemain, le 25 février, les manifestations de masse se soient poursuivies uniquement à Saint-Pétersbourg. En effet, les citoyens de cette ville ont passé de nombreux jours à protester contre la guerre.
Le mouvement démocratique de la jeunesse « Vesna » (« Printemps ») - un petit mouvement de jeunesse libéral - a annoncé une manifestation dans toute la Russie pour le 27 février. Cependant, les puissants médias d'opposition et les leaders d'opinion n'ont pas soutenu cette initiative. En conséquence, la manifestation du 27 février a été rejointe par relativement peu de personnes, qui n'ont pas pu se rassembler en un seul endroit en raison des contre-mesures de la police et de la garde nationale. À mon avis, ce fut une journée honteuse qui a marqué la fin des manifestations de masse contre la guerre en Russie. Dans tout le centre de Moscou, des centaines de personnes fuyaient devant quelques policiers. Cette journée a montré qu'il est impossible d'organiser des manifestations de masse dans les rues dans les circonstances actuelles. C'est du moins ce que j'ai constaté à Moscou, où les manifestations précédentes étaient généralement massives.
D'aucuns pourraient dire que la manifestation de Saint-Pétersbourg était mieux organisée et plus stimulante. Cependant, au début du mois de mars, les forces de sécurité ont procédé à des fouilles massives des militants qui avaient participé aux manifestations et qui auraient pu être chargés d'organiser d'autres manifestations. Certains militants ont fait l'objet de menaces d'intimidation, d'autres ont été inculpés dans des affaires pénales absurdes et détenus dans des centres d'isolement temporaires pendant quelques jours, alors que la manifestation devait avoir lieu.
En conséquence, les manifestations qui ont suivi les 6, 8 et 13 mars ont été de moindre ampleur et décevantes. Les manifestations de masse contre la guerre ont pris fin avant même d'avoir pu commencer.
Incendies criminels contre les bureaux d'enrôlement militaire
Néanmoins, dès les premiers jours de l'invasion à grande échelle, certaines personnes étaient prêtes à passer à une action plus radicale.
Le 28 février 2022, quatre jours après le début de la guerre, Kirill Butylin, 21 ans, a lancé des cocktails Molotov sur le bureau d'enrôlement militaire de Lukhovitsy, dans la banlieue de Moscou. Kirill a filmé cette action et l'a publiée en ligne, accompagnée d'un manifeste contre la guerre. Dans le texte d'accompagnement, il explique qu'il a peint les portes du bureau d'enrôlement militaire aux couleurs du drapeau ukrainien et qu'il y a écrit : « Je n'irai pas tuer mes frères ». Il a ensuite escaladé la clôture, versé de l'essence sur la façade du bâtiment, brisé quelques fenêtres et jeté des cocktails Molotov à travers celles-ci. Kirill Butylin avait pour objectif de détruire les dossiers des conscrits individuels qui, selon ses sources, étaient conservés dans ce bâtiment. Il pensait que cela entraverait la mobilisation dans le quartier. Kirill a également déclaré dans son manifeste : « J'espère que je ne verrai pas mes camarades de classe retenus en captivité ou figurant sur la liste des victimes. Je pense que cette approche doit être diffusée. Les Ukrainiens sauront qu'il y a des gens en Russie qui les défendent, que tout le monde n'a pas peur et que tout le monde n'est pas indifférent. Nos manifestants doivent prendre leur courage à deux mains et agir de manière plus décisive. Cela devrait encore plus briser le moral de l'armée et du gouvernement russes ». Malheureusement, Krill Butylin a été arrêté. Un an plus tard, il a plaidé coupable d'avoir commis un « acte de terrorisme » et a été condamné à 13 ans d'emprisonnement.
Le 3 mars, un bureau d'enrôlement militaire a été incendié à Voronezh. Les services de sécurité ont indiqué qu'un homme de 45 ans avait été arrêté, mais aujourd'hui encore, personne ne connaît les détails de cette histoire.
Le 11 mars, un bureau d'enrôlement militaire a été incendié dans la banlieue d'Ekaterinbourg. Une patrouille de police a arrêté l'incendiaire, qui s'est avéré être un anarchiste local de 24 ans, Aleksei Rozhkov. Il est maintenant accusé d'avoir commis un « acte de terrorisme », d'avoir « justifié le terrorisme » et d'avoir diffusé des « fausses informations » sur l'armée russe.
Ces exemples ne sont que les premières manifestations d'actions partisanes. Pendant toute l'année 2022, les insurgés russes ont commis pas moins de 78 incendies criminels contre la guerre. Parmi eux, 55 étaient des attaques contre des bureaux d'enrôlement militaire et des stations de recrutement. Les autres visaient le FSB, les forces de la garde nationale et les quartiers généraux de la police, ainsi que les bâtiments des administrations locales.
En général, ces incendies criminels sont perpétrés par des individus agissant sans l'aide de personne. En termes d'opinions politiques, n'importe qui, de l'anarchiste au néo-nazi, peut devenir un insurgé. Toutefois, dans la plupart des cas, ces personnes partagent des opinions relativement libérales-démocratiques et soutiennent souvent Navalny. Ils expliquent que la raison pour laquelle ils choisissent cette forme de protestation est qu'il n'y a pas d'autres alternatives.
Avant l'annonce de la mobilisation le 21 septembre 2022 - un événement qui signifiait que la guerre touchait désormais l'ensemble de la population adulte masculine en Russie - la plupart des forces politiques ont pris leurs distances par rapport au soutien à une action de protestation radicale. Les médias libéraux ont continué à insister sur l'idée d'une manifestation « pacifique ». Ce sont principalement les organisations anarchistes et nationalistes qui ont ouvertement exprimé leur soutien aux incendiaires.
Après l'annonce de la mobilisation le 21 septembre, la situation a radicalement changé. Presque tous les médias libéraux ont commencé à appeler à des incendies criminels : « Brûlez les bureaux d'enrôlement militaire ! » Néanmoins, ils n'ont offert aucun soutien réel non seulement aux insurgés qui passaient à l'action, mais aussi aux manifestants qui se sont retrouvés emprisonnés pour leurs incendies criminels contre la guerre. À ce jour, la seule initiative soutenant ces partisans arrêtés est le collectif Solidarity Zone, organisé par des activistes anti-autoritaires. Récemment, l'initiative Avtozak LIVE a également commencé à soutenir ces prisonniers politiques.
Sabotage ferroviaire anti-guerre
Outre les incendies criminels des bureaux d'enrôlement militaire, une autre forme d'action partisane a vu le jour, à savoir le sabotage des chemins de fer. Il est bien connu que le matériel militaire, les fournitures et les futurs soldats voyagent le plus souvent par train jusqu'au front. Il semble donc logique que pour résister à l'armée russe, il faille saboter cette ligne d'approvisionnement. Il se trouve que la première action de protestation de ce type a été menée par des activistes locaux au Belarus, car l'armée russe est également approvisionnée à travers son territoire.
Nous en savons moins sur le sabotage ferroviaire que sur d'autres formes de protestation. Si quelqu'un fait sauter un itinéraire ferroviaire ou démantèle simplement un tronçon de chemin de fer quelque part dans la forêt, il est peu probable que cela soit connu du grand public, à moins que les partisans eux-mêmes n'en fassent la publicité. Cependant, il arrive que l'on puisse voir des photos et des vidéos d'actions partisanes en ligne. Par exemple, l'Organisation de combat anarcho-communiste a publié une photo d'une voie ferrée démantelée et d'un chemin de fer brisé près du 51e arsenal de la Direction principale des missiles et de l'artillerie du ministère de la Défense de la Fédération de Russie, dans la région de Vladimir.
En 2023, le nombre de sabotages de voies ferrées a dépassé le nombre d'incendies volontaires de bureaux d'enrôlement militaires. Cependant, la forme de sabotage la plus répandue est également l'incendie criminel : les partisans mettent le feu à des dispositifs électromécaniques le long des voies ferrées, provoquant l'arrêt du trafic pendant quelques heures, voire quelques jours. En 2023, quelques explosions ferroviaires et déraillements de trains de marchandises à grande échelle ont également été organisés. Par exemple, l'anarchiste Ruslan Siddiqui a fait exploser la voie ferrée dans l'oblast de Riazan au passage d'un train de marchandises. Cette action a entraîné le déraillement de 19 wagons et a interrompu pendant une longue période le trafic sur cette branche du chemin de fer. Malheureusement, Ruslan a été arrêté.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
En s'appuyant sur des sources d'information accessibles au public, Solidarity Zone a découvert qu'avant septembre 2023 (c'est-à-dire au cours des 19 premiers mois de l'invasion totale), il y avait eu 310 cas d'actions de partisans anti-guerre en Russie et dans les territoires occupés. Parmi ces actions, 128 étaient des incendies criminels de bureaux d'enrôlement militaire et d'autres installations gouvernementales, 111 des sabotages de voies ferrées et 18 des sabotages de sites industriels.
En outre, selon les calculs de Solidarity Zone, sur plus de 400 partisans, 156 personnes ont été arrêtées, le sort de 176 autres est inconnu et pas moins de 37 résistants ont échappé à l'arrestation.
En janvier 2024, différentes formes d'actions partisanes continuent d'être menées dans toute la Russie par des individus et de petits groupes de personnes. Les autorités procèdent à des perquisitions et à des arrestations, torturant souvent les détenus. Elles introduisent également de nouvelles politiques répressives (par exemple, fin 2022, une série d'amendements « anti-sabotage » ont été introduits, qui prévoient une peine d'emprisonnement à vie pour le sabotage et l'aide au sabotage). Cependant, les forces de sécurité ne parviennent pas à trouver tous les partisans. Par exemple, malgré des recherches chaotiques dans différentes régions, les agents de sécurité n'ont réussi à arrêter aucun des membres de l'Organisation de combat anarcho-communiste. Il semble que les partisans qui organisent des actes de sabotage ferroviaire parviennent souvent à éviter d'être arrêtés. L'initiative de défense des droits de l'homme Solidarity Zone vise à apporter un soutien aux insurgés qui ont été arrêtés.
IVAN ASTASHIN
La version originale de ce texte a été préparée par des militants de Solidarity Zone sous la forme d'une brochure à distribuer gratuitement. Les militants peuvent être contactés ici : https://solidarityzone.net/kontakty/
Texte traduit en français avec Deepl.com.
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Ukraine : le suicide du vassal militaire européen ?

En ne créant pas suffisamment d'armement sur son territoire pour contrer la Russie, l'UE risque-t-elle de tout perdre en Ukraine si elle est abandonnée par les États-Unis ?
Dans une entrevue présentée le 12 octobre dernier dans l'édition internationale du bulletin de nouvelles de TV5 Monde, l'ancien officier de l'armée française, Guillaume Ancel, qui a publié plusieurs livres et est cité régulièrement dans de très nombreux médias, affirmait qu'il y aurait une compétition qui se serait installée entre le front en Ukraine et celui au Moyen-Orient. Selon lui, le seul vrai fournisseur d'armes en Ukraine serait les États-Unis, pays qui réserverait actuellement l'essentiel de son stock d'armes à Israël, réduisant l'approvisionnement en Ukraine, ce qui mettrait ce pays en grande difficulté.
Bien que nous soyons deux ans et demi depuis le début de la guerre en Ukraine, l'industrie militaire européenne n'aurait jamais vraiment été mobilisée et la défense de l'Europe serait fortement dépendante des États-Unis. Malgré de nombreux discours, les Européens n'auraient donc pas vraiment pris conscience des enjeux et de l'importance de cette guerre puisqu'ils ne mobiliseraient pas leurs moyens industriels et n'auraient donc jamais pris le relais dans la fourniture d'armes. D'autres auteurs font remarquer que sur le continent européen, en dehors de la Russie, l'incitation à développer une économie de guerre se heurterait aux marchés et à la résilience du commerce.
Or la perte de la guerre en Ukraine pourrait avoir de très lourdes conséquences selon Pierre Lellouche, l'auteur d'« Engrenages. La guerre d'Ukraine et le basculement du monde ». Pour lui, l'après-guerre d'Ukraine déterminerait l'avenir de l'Europe et de ses institutions. Faute d'une bonne évaluation de la situation, après avoir raté la guerre en Ukraine, qui aurait pu être évitée, les Européens seraient donc partis pour rater la paix qui suivra. Incapables de fournir l'équipement militaire nécessaire, ils risquent donc de se retrouver avec une Ukraine ayant perdu le Donbass et la Crimée. Ce serait un pays économiquement ruiné et dévasté par la guerre, possiblement instable politiquement, mais aussi la première puissance militaire d'Europe en raison de toute l'aide reçue. Une seule vraie manière de changer la donne resterait, soit d'aider l'Ukraine à gagner la guerre.
Les preuves semblent s'accumuler pour montrer une Europe vassalisée par les États-Unis au niveau de la défense et dépassée par les événements. Dans un texte publié le 12 octobre sur son site web, le Réseau Atlantico se demande si la nouvelle tournée de Zelensky en Europe était un marathon pour rien. Le président ukrainien qui a visité Londres, Paris, l'Allemagne et l'Italie n'en revient avec rien de substantiel. S'il a reçu en Croatie, lors du sommet avec les États du Sud-Est européen du 9 octobre, le soutien diplomatique de 12 chefs d'États et de gouvernement des Balkans et de la Mer Noire, le président ukrainien n'a pas ramené d'aide financière supplémentaire. Bref, si les États-Unis coupent leur soutien militaire, l'Ukraine pourrait être acculée à la capitulation et la Russie aurait une fenêtre pour récupérer par la violence, ou la peur, plusieurs morceaux perdus de l'URSS. Seule une défaite russe serait capable de l'ébranler. La guerre en Ukraine semble tracer la future frontière orientale de l'Union européenne.
La manière proposée par Guillaume Ancel pour améliorer la situation serait donc à étudier sérieusement et rapidement. L'Europe devrait faire comme dans l'aéronautique et créer quelque chose ressemblant à un Airbus de la défense capable de fédérer toutes les capacités européennes, qui serait très importante considérant les budgets de la défense de tous les pays membres. Le but serait d'augmenter l'approvisionnement militaire de l'Ukraine afin de lui permettre d'avoir suffisamment d'avantages tactiques sur le terrain pour empêcher les Russes d'avancer, les obligeant à négocier la fin de la guerre. Cela permettrait de créer un moment où une négociation pourrait ne pas être considérée comme une capitulation pour les deux côtés. La défaite de l'Ukraine serait une catastrophe assurée pour l'Europe. Les Européens devraient réaliser que ce ne serait peut-être pas la même chose pour les États-Unis et que leur condition de vassal militaire peut les mener à leur perte.
Michel Gourd
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Opinion. « Alors qu’Israël s’apprête à frapper l’Iran, une guerre de plus en plus meurtrière s’annonce au Moyen-Orient »

Alors que le cabinet de sécurité israélien autorise des frappes aériennes sur l'Iran [1], les objectifs de guerre d'Israël s'élargissent et incluent le risque d'une guerre régionale contre l'Iran afin de remodeler radicalement le paysage politique du Moyen-Orient en faveur d'Israël.
Tiré de A l'Encontre
12 octobre 2024
Par Patrick Cockburn
Cet objectif ambitieux, voire fantaisiste, est lourd de dangers pour la région et le monde. Israël ne peut l'atteindre sans le soutien total et non dissimulé des Etats-Unis. Bien que le président Joe Biden prétende avoir vainement exhorté Benyamin Netanyahou à un cessez-le-feu, il a par la suite toujours approuvé chaque escalade israélienne. Il est raisonnable pour Israël de conclure qu'il peut attaquer l'Iran en toute impunité, puisque, en cas de problème, il aura le soutien des forces armées américaines.
Les historiens parviendront peut-être un jour à conclure « à quel point la queue israélienne fait bouger le chien américain », profitant de la faiblesse de Joe Biden [sioniste catholique qui a toujours appuyé Israël] pour entraîner les Etats-Unis dans une nouvelle aventure militaire imprudente au Moyen-Orient.
Il est trop facile d'imputer l'inefficacité de la diplomatie états-unienne au déclin cognitif de Biden au cours des trois dernières années. Mais si ce n'est pas Biden, il est difficile de savoir qui sont les véritables décideurs à la Maison Blanche et dans les hautes sphères de l'administration.
Si l'on juge la Maison Blanche sur ses actes plutôt que sur ses paroles, elle voit un avantage géopolitique à vaincre l'Iran – un allié de la Russie et de la Chine, même s'il est éloigné – et ses alliés [2].
Les vœux pieux jouent probablement un rôle. Israël a réussi à tuer les dirigeants et les commandants de niveau intermédiaire du Hezbollah avec beaucoup plus de succès que prévu. Une attaque agressive contre l'Iran et son « axe de la résistance » ne pourrait-elle donc pas produire des victoires similaires ?
C'est une perspective séduisante, bien que les interventions militaires états-uniennes – de la Somalie en 1992/93 à l'Afghanistan en 2001 et à l'Irak en 2003 – aient échoué en grande partie à cause de l'hubris et de la sous-estimation de l'ennemi.
Un danger singulier
Les antécédents d'Israël sont quelque peu similaires lorsqu'il s'agit de surestimer avec arrogance sa main en Cisjordanie après avoir vaincu l'Egypte et la Syrie en 1967, et envahi le Liban en 1982. Pourtant, des décennies plus tard, les Forces de défense israéliennes (FDI) se battent toujours dans ces deux endroits.
Ces analogies historiques sont souvent citées par les commentateurs occidentaux comme des avertissements sinistres sur ce qui peut terriblement mal tourner pour les Etats-Unis et Israël lorsqu'ils ne comptent que sur la force. Pourtant, ces comparaisons sont quelque peu trompeuses, car le paysage politique, tant au niveau de la politique intérieure israélienne que de la région dans son ensemble, s'est transformé au cours des vingt dernières années. Ce sont ces changements qui rendent la crise actuelle bien plus dangereuse que les précédentes.
Le gouvernement israélien formé par Netanyahou après avoir remporté les élections générales de novembre 2022 a été immédiatement reconnu comme étant le plus fanatiquement de droite et le plus ultranationaliste de l'histoire d'Israël.
Pour ne citer qu'un exemple, Itamar Ben-Gvir, le chef du parti Puissance juive, est devenu ministre de la sécurité nationale – un poste nouvellement créé qui le place à la tête de la police nationale. Ce colon religieux de Kiryat Arba, près de la ville d'Hébron en Cisjordanie, a été condamné dans le passé pour incitation au racisme et soutien à la terreur. Il avait menacé le Premier ministre Yitzhak Rabin en direct à la télévision et avait accroché chez lui une photographie de Baruch Goldstein, qui avait assassiné 29 Palestiniens alors qu'ils priaient dans la mosquée d'Hébron en 1994 [4].
Compte tenu de la composition idéologique du cabinet israélien, il n'est guère surprenant que les objectifs d'Israël à Gaza et en Cisjordanie semblent désormais s'étendre à la fin de toute vie normale pour les cinq millions de Palestiniens qui y vivent. Jeudi, une frappe aérienne sur une école du centre de Gaza a tué 28 personnes, dont beaucoup, selon l'Unicef, étaient des femmes et des enfants qui faisaient la queue pour recevoir un traitement contre la malnutrition [5].
Les FDI (Forces de défense israéliennes) ont justifié cette frappe en affirmant que l'école abritait un poste de commandement du Hamas. Même à supposer que cela soit vrai, dans sa tentative de se justifier, les FDI avouent que le Hamas est présent partout à Gaza un an après l'invasion israélienne.
Israël prétend que le chiffre de 42 000 morts à Gaza est exagéré par le ministère palestinien de la Santé, mais c'est exactement le même schéma de frappes aériennes menées sans tenir compte des victimes civiles qui se produit au Liban. Une frappe sur Beyrouth, le même jour que celle sur Gaza, a tué 22 personnes, dont trois enfants d'une famille de huit personnes, qui avaient fui le Sud-Liban [6].
La nouvelle élite
Ce qui rend la crise actuelle doublement dangereuse, c'est que ce n'est pas seulement le fait qu'Israël ait une direction politique ethno-nationaliste. Une évolution parallèle s'est produite au sein de l'élite de l'Etat israélien – fonction publique, police, justice et, de plus en plus, les FDI – qui est issue de l'aile fondamentaliste et messianique de la société israélienne.
Cette nouvelle élite est moins sophistiquée que ses prédécesseurs (même si ces derniers étaient aussi souvent partisans d'une ligne dure), plus encline à considérer les ennemis d'Israël comme à la fois démoniaques et menaçants, mais aussi vulnérables lorsqu'ils sont confrontés à l'usage implacable de la force.
Le déroulement de la guerre jusqu'à présent au Liban tendrait à le confirmer et il y a d'autres arguments puissants de leur côté. Les Etats-Unis donnent carte blanche à Israël comme jamais auparavant et il est peu probable qu'ils s'opposent à une stratégie israélienne agressive à l'égard de l'Iran.
Menaces imminentes
Les Etats-nations arabes autrefois hostiles à Israël, notamment la Syrie, l'Irak, la Libye et le Soudan, ont tous été gravement affaiblis par des guerres civiles au cours des dernières années. Les dirigeants arabes sont muets ou inefficaces en ce qui concerne Gaza et le Liban. L'Iran est plus isolé qu'il ne l'a été depuis la fin de la guerre Iran-Irak en 1988.
Pourtant, la vulnérabilité de l'Iran et de ses alliés peut être un peu trompeuse. La bande d'Etats dominés par les musulmans chiites qui s'étend au nord du Moyen-Orient – l'Iran, l'Irak, la Syrie et le Liban – ne va pas disparaître.
Israël et les Etats-Unis pourraient tenter d'attiser les conflits religieux et ethniques dans des pays tels que le Liban, qui a connu une guerre civile sectaire meurtrière entre 1975 et 1990. On rapporte déjà que des musulmans chiites fuyant les bombardements israéliens sont considérés avec hostilité lorsqu'ils cherchent refuge dans certaines régions non chiites.
Quant à l'Iran, il pourrait conclure qu'il ne peut dissuader Israël, qui est prêt à risquer une guerre régionale, mais qu'il ferait mieux d'élargir le conflit en attaquant le trafic du pétrole [missiles des Houtis sur les navires passant le détroit de Bab el-Mandeb], les alliés des Américains ou les bases américaines [en Irak]. Son objectif serait de forcer les Etats-Unis à freiner Israël. L'affirmation de Washington selon laquelle il n'est pas en mesure de le faire est universellement rejetée au Moyen-Orient.
Il devient de plus en plus difficile de voir comment une guerre régionale peut être évitée – et encore plus difficile de voir comment elle peut être arrêtée. (Publié par INews le 11 octobre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Selon le Washington Post du 11 octobre, « le cabinet de sécurité israélien s'est réuni jeudi sans voter l'approbation d'une action militaire contre l'Iran, jetant une incertitude supplémentaire sur la date à laquelle les frappes attendues pourraient avoir lieu. Les responsables israéliens se sont engagés à riposter à l'attaque de missiles balistiques à grande échelle lancée par l'Iran contre Israël le 1er octobre. »
Le « débat » porte sur l'ampleur et les objectifs qui vont rester non explicites. Ce qui était entendu dans la déclaration de Yoav Gallant. Jean-Phillipe Rémy dans Le Monde daté du 11 octobre rappelle que Yoav Gallant « a déclaré mercredi soir (9 octobre), devant les responsables israéliens que les frappes [contre l'Iran] allaient être “meurtrières, précises et surprenantes”. Et d'ajouter : “Ils ne vont pas comprendre ce qui leur est arrivé et comment cela leur est arrivé”. La menace […] demeure floue, mais semble orienter la nature de l'action. »
Selon Zvi Bar'el dans Haaretz du 11 octobre, « les scénarios de représailles israéliennes potentielles à l'attaque de missiles balistiques de l'Iran dominent la couverture médiatique en Iran, dans les Etats arabes et en Occident. Ces scénarios vont de l'attaque de champs pétroliers et d'installations de forage et de raffinage au bombardement d'infrastructures civiles et à l'attaque de sites nucléaires. Les avertissements et les menaces des hauts responsables iraniens, qui visent non seulement Israël mais aussi tout pays susceptible de permettre à Israël ou aux Etats-Unis d'utiliser son territoire ou son espace aérien pour attaquer l'Iran, sont tout aussi fréquents. » (Réd.)
[2] Dans la conjoncture actuelle, les différentes rencontres et déclarations de dirigeants donnent lieu à des hypothèses et spéculations sur les développements d'un conflit régional qui se profile et des alliances ou collaborations qui pourraient se concrétiser. Ainsi, le Financial Times du 12 octobre écrit : « Le président russe Vladimir Poutine a rencontré son nouvel homologue iranien Masoud Pezeshkian pour la première fois vendredi [11 octobre], alors que Téhéran devrait demander l'aide de Moscou pour moderniser son armée afin de contrer la menace d'une attaque d'Israël. Il est presque certain que l'Iran devra faire face à des représailles militaires après une attaque massive de missiles contre Israël le 1er octobre, lancée en soutien à son allié le Hezbollah. Les analystes affirment que, dans le cadre de sa dissuasion, Téhéran s'intéresse à la technologie russe, notamment aux batteries de missiles sol-air S-400, aux systèmes de guerre électronique et aux avions de chasse. La rencontre, en marge d'une réunion des dirigeants d'Asie centrale au Turkménistan, précède la signature attendue d'un accord stratégique entre la Russie et l'Iran lors d'un sommet à Kazan à la fin du mois, qui pourrait porter sur la coopération en matière de défense. » (Réd.)
[3] Charles Enderlin, dans Israël, l'agonie d'une démocratie, Le Seuil/Libelle, septembre 2023, notait de même que Netanyahou, en vue des élections de novembre 2022, a coaché Itamar Ben-Gvir pour « qu'il évoque publiquement le moins possible sont mentor, le rabbin raciste Meir Kahane. Retire de son salon le portrait de Baruch Goldstein, le terroriste juif qui, le 25 février 1994, a assassiné 29 fidèles musulmans en prière dans le tombeau des Patriarches, à Hébron. Surtout il doit exiger de ses militants [de Puissance juive] qu'ils cessent de scander “Mort aux Arabes” lors des manifestations et disent plutôt “Mort aux terroristes”. » (p.30-31) Ben-Gvir sera récompensé avec ce poste ministériel des plus importants qui, entre autres, lui donne le pouvoir de « surveiller les conditions de détention des Palestiniens » ! (Réd.)
[4] Le quotidien économique italien Il Sole 24 Ore du 12 octobre publie une note indiquant : « Israël prend délibérément comme cible les structures sanitaires, tuant et torturant le personnel médical à Gaza, ont déclaré les enquêteurs de l'ONU [Commission d'enquête indépendante internationale des Nations unies], accusant Israël de crimes contre l'humanité. » (Réd.)
[5] Le quotidien L'Orient-Le Jour du 11 octobre décrit (sous la plume de Lyana Alameddine) : « Cette pièce [d'un appartement de Basta el-Faouqa, quartier résidentiel… dans le cœur de Beyrouth], dont le mur s'est effondré, donne directement sur l'immeuble de quatre étages touché par la frappe israélienne et transformé en un champ de gravats où s'attroupe une meute de journalistes. Selon des résidents, des déplacés y avaient trouvé refuge. Ici, les bâtiments sont collés les uns aux autres. Presque aucune bâtisse n'a été épargnée par le souffle du bombardement. L'une d'entre elles a été éventrée. Dans la rue, la plupart des voitures sont calcinées. Dans ce Beyrouth considéré comme “sûr” par ses habitants, la peur s'installe. » (Réd.)
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L’isolement ou l’enfer du huis-clos - Lettre des geôles turques

« L'isolement est une obscurité profonde. Il entoure l'être humain d'innombrables filets. La conscience d'un néant infini englobe progressivement l'esprit ». Zeki Bayhan est un détenu politique incarcéré depuis 27 ans, soupçonné d'avoir perpétré des attentats en défense des droits des Kurdes. Il a été transféré depuis peu de la prison fermée de type F de Buca Kırıklar d'Izmir, à celle de Kandira, dans province de Kocaeli. Il a transmis une lettre sur l'isolement.
9 octobre 2024
Tiré de https://blogs.mediapart.fr/zeki-bayhan/blog/091024/lisolement-ou-l-enfer-du-huis-clos-lettre-des-geoles-turques
Capture d'écran de la lettre manuscrite de Zeki Bayhan
Zeki Bayhan est un détenu politique, incarcéré depuis 27 ans. Il a été transféré depuis peu de la prison fermée de type F de Buca Kırıklar d'Izmir, à celle de Kandira , dans province de Kocaeli, à 2 000 kilomètres d'Hakkari où il est né en 1976. Diplômé en économie, il fut arrêté en 1998 pour appartenance au Parti des travailleurs du Kurdistan et soupçonné d'avoir à ce titre perpétré des attentats à la bombe. Le 8 juin 2000, la Cour de sûreté le condamna à la peine capitale, commuée à la réclusion criminelle à perpétuité. Dans une lettre puissante et profondément émouvante il décrit l'impact psychologique et émotionnel profond que l'isolement cellulaire produit sur tout individu condamné à de lourdes peines, sans aucune perspective de révision. Dans cette lettre, Zeki Bayhan réfléchit sur la nature de l'isolement cellulaire, qui, selon lui, va bien au-delà de la séparation physique. Il décrit l'isolement comme une volonté systématique pour emprisonner l'esprit humain dans le corps, un processus qui pousse les individus à l'autodestruction. Il parle avec éloquence des luttes auxquelles sont confrontés les prisonniers, à la fois en isolement et/ou en détention partagée, en offrant une série de « fenêtres » sur la réalité déchirante de la vie dans ces conditions.
André Métayer, d'Amitiés kurdes de Bretagne.
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Zeki Bayhan
B-63 Koğuşu, 2 nolu F Tipi Hapishanesi,
Kandıra/Kocaeli , Türkiye
« J'ai l'impression de m'adresser à vous depuis une lointaine fenêtre »
Bonjour,
Lorsqu'on m'a demandé d'écrire quelque chose sur l'isolement, la première chose qui m'est venue à l'esprit a été de m'interroger sur quoi dire. Non pas parce qu'il n'y a rien à dire, mais plutôt parce qu'il y a tellement de choses et de conséquences dévastatrices qu'on ne sait pas comment les décrire. Et, bien sûr, on est hanté par le doute quant au degré de compréhension possible sur ce que va être dit. Si l'on y réfléchit bien, l'isolement et ses pratiques sont si inhumains que cela dépasse la perception et l'expérience d'un être humain normal. Ce n'est donc pas facile à comprendre. C'est pourquoi j'ai l'impression de m'adresser à vous depuis une lointaine fenêtre.
L'isolement, c'est en effet être sans fenêtre. Dans l'isolement, toutes les fenêtres sont tournées vers l'intérieur. A l'intérieur de l'être humain... Il s'agit d'une sorte d'autodestruction forcée. C'est une terrible torture que d'être obligé de ne voir, de n'entendre et de ne sentir plus que soi-même partout où l'on regarde. Comme si vous étiez pris dans un tourbillon, tiré de plus en plus bas, en ayant l'impression de s'écrouler et de s'effondrer sur soi-même. Oui, l'isolement n'a pas de fenêtre sur l'extérieur mais les personnes qui résistent trouvent des moyens de créer de petits trous dans les murs de l'isolement lui-même. Vous savez, lorsque vous mettez votre œil sur un petit trou et que vous regardez à l'intérieur, le trou grandit et se transforme en fenêtre. Ici, je vais essayer d'ouvrir quelques fenêtres par lesquelles vous pourrez voir à l'intérieur, à l'intérieur de l'isolement. Je sais que depuis la lumière du dehors, il est difficile de voir l'obscurité à l'intérieur, mais si vous rapprochez vos yeux des fenêtres, peut-être un peu plus... Parlons des fenêtres.
La politique de l'isolement pousse à s'autodétruire
Fenêtre 1 : L'isolement est l'action d'isoler physiquement une personne en l'incarcérant. Il est généralement analysé, critiqué, etc. dans ce cadre. Cependant, il ne s'agit que de l'aspect factuel de l'isolement. Les caractéristiques spatiales et architecturales sont liées au domaine d'application de l'isolement, et non à l'isolement lui-même. En réalité, l'isolement ne se limite pas à l'incarcération de personnes entre des murs. Le but de l'isolement est d'emprisonner l'esprit humain dans le corps. C'est ce qui est destructeur. C'est le but de l'isolement physique, des technologies de contrôle et de surveillance et de toutes les pratiques du régime carcéral. Avec l'isolement, toute l'attention, la sensibilité, l'anxiété et la peur du prisonnier sont incitées à se diriger vers soi-même, vers son propre corps. Dès que le prisonnier tombe dans ce piège, il commence à se découper et à se consumer. L'isolement est la politique qui consiste à pousser quelqu'un à s'autodétruire de ses propres mains. Il s'agit d'une destruction physique, idéologique, politique, spirituelle, mais nécessairement d'une destruction.
Briser les personnes sur le plan psychologique, émotionnel et intellectuel
Fenêtre 2 : Des formes les plus sombres d'isolement aux formes relativement grises, l'objectif est le même : briser les personnes sur le plan psychologique, émotionnel et intellectuel.
Dans l'isolement, bien sûr, le fait d'être seul ou avec une ou deux autres personnes fait une différence. Il est réconfortant d'entendre une autre voix que la sienne, mais dans les conditions d'isolement qui s'étendent dans le temps, les personnes qui restent ensemble perdent peu à peu leur spécificité et leur vitalité l'une pour l'autre. L'imbrication permanente des mêmes personnes dans un espace de quelques mètres carrés conduit à la mémorisation de tous les comportements et réflexes des uns et des autres.
Et dans la mesure où ceux qui restent ensemble perdent leur caractère distinctif les uns par rapport aux autres, ils deviennent partie intégrante du système d'isolement. L'isolement d'une personne se transforme en isolement de trois personnes. Et parfois, l'isolement de trois personnes peut devenir encore plus difficile, et c'est ce qui arrive.
Quel terrible tourment de ne pas avoir un seul moment pour soi
Fenêtre 3 : L'isolement est un système de destruction dans lequel les personnes sont punies à la fois en étant avec et sans les autres. L'isolement punit les gens en les empêchant d'être avec les autres. Vous avez envie d'entendre une autre voix. En revanche, dans un isolement à trois ou cinq personnes, on est puni parce qu'on est toujours avec les mêmes personnes. Je ne sais pas si vous pouvez comprendre quel terrible tourment c'est de ne pas avoir un seul moment pour soi, de ne pas avoir un endroit où être seul pendant des années et des années.
Je parle de situations telles que l'incapacité à s'éloigner lorsqu'on est frustré, l'incapacité à se retirer dans une pièce et à fermer la porte lorsqu'on est submergé par son entourage, ou l'incapacité à trouver un coin tranquille pour se reposer lorsqu'on souffre de maux de tête.
L'isolement c'est une répétition sans fin
Fenêtre 4 : La vie en isolement est basée sur une répétition sans fin. Chaque jour est le même que tous les autres jours. Imaginez que vous viviez le même jour pendant dix ans, vingt ans, trente ans. Vous avez l'impression d'être suspendu dans le temps ; vous avez l'impression que votre sens du temps a été effacé. Une petite expérience sociale : demandez à quelqu'un qui a servi dans l'armée ou étudié à l'université de vous raconter ses souvenirs à l'armée ou à l'université. Ils vous feront de longs récits. Demandez à quelqu'un qui a été emprisonné pendant vingt ou trente ans... Il sera plus silencieux. Parce qu'il a vécu la même journée pendant 20 ou 30 ans.
Emprisonner l'esprit humain dans les habitudes
Fenêtre 5 : Une vie d'isolement basée sur une répétition sans fin finit par se substituer, par l'habitude, à l'acte de penser. En vivant le même jour, il n'est pas nécessaire de repenser ses actions. Les habitudes naissent de ce que l'on a déjà pensé. Or, l'esprit a déjà pensé une fois et codé le quoi et le comment. Après cela, il s'agit d'une répétition sans fin. En isolement, les habitudes mécanisent la vie à un tel point que l'on fait souvent les choses sans réfléchir. Parfois, une hésitation apparaît, on se demande « si j'ai fait ça ou pas ». Quand on se retourne et qu'on vérifie, on s'aperçoit qu'on l'a fait. Sans réfléchir. Une personne en prison semble beaucoup penser. Cependant, il ne s'agit souvent pas d'une véritable réflexion analytique. Il s'agit plutôt d'un plongeon ou d'un va-et-vient entre des miettes fragmentées teintées d'un peu de mélancolie. J'ai mentionné que l'isolement emprisonne l'esprit dans le corps. Et le filet dans lequel l'esprit est emprisonné, ce sont les habitudes.
L'humiliation inutile du comptage biquotidien
Fenêtre 6 : Il est trompeur de penser à l'isolement en termes de pratiques individuelles. L'isolement est un système, un ensemble de pratiques. Les pratiques individuelles trouvent également leur sens dans ce contexte. Par conséquent, la perception de ces pratiques par le détenu n'est pas forcément la même que celle des personnes qui regardent de l'extérieur. La plupart du temps, elle n'est pas du tout la même. Par exemple, chaque jour, deux fois par jour, il y a un comptage. Les prisonniers sont comptés. Si vous demandez à l'État, il vous répondra : « Je dois les compter pour des raisons de sécurité ». Si vous demandez aux gens de l'extérieur, ils disent « C'est compréhensible, il n'y a pas de mal ». Dans la perception du prisonnier, cependant, le décompte est un rappel biquotidien que le prisonnier est un actif fixe, c'est une pratique faite pour maintenir en vie la “conscience du néant”.
Réfléchissons maintenant pour savoir si la perception de la personne extérieure à cette pratique est plus proche de l'État ou de la personne en isolement. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les quatre prisonnier·ère·s sont observé·e·s et surveillé·e·s à l'aide de toutes sortes d'outils technologiques. Alors est-il vraiment nécessaire, pour des raisons de sécurité, de procéder à un comptage physique afin de déterminer si les prisonniers sont dans leur cellule ou non ?
L'isolement détruit aussi psychologiquement les gardiens
Fenêtre 7 : L'isolement nuit également à la psychologie des gardiens. Il est inconcevable que les responsables de pratiques inhumaines restent normaux. Les gens deviennent progressivement des gardiens. Le système le sait également. C'est pourquoi les gardiens qui interagissent avec les avocats et les familles de l'extérieur sont généralement différents de ceux qui s'occupent des prisonniers à l'intérieur. La prison a un visage à la fois tourné vers l'extérieur et vers l'intérieur.
Ces fenêtres ne sont pas de celles qui portent la lumière, elles portent l'obscurité jusqu'à l'extérieur. C'est la raison pour laquelle cela peut être accablant. Je viens à peine de commencer, mais je m'arrête là.
Mais malgré tout, il est possible de résister
Je voudrais terminer en disant quelques mots sur le revers de la médaille. Oui, l'isolement est une obscurité profonde. Il entoure l'être humain d'innombrables filets. La conscience d'un néant infini englobe progressivement l'esprit, l'émotion, etc. Mais malgré tout, il est possible de résister. Même s'il est difficile de résister à l'isolement, il faut attraper la lumière dans l'obscurité et la faire grandir. Les prisonniers politiques y parviennent. La résistance est multiforme. Pour un·e prisonnier·ère politique qui a été isolé·e durant 10 ou 20 ans, écrire un article publiable sur la politique actuelle, par exemple, est une grande réussite contre l'isolement. Le contenu intellectuel de l'article est bien sûr important, mais ce qui est encore plus important et précieux, c'est que, malgré des années d'isolement, il n'a pas rompu avec l'agenda de la lutte populaire et qu'il peut articuler la politique actuelle. C'est un exemple de résistance qui montre que l'isolement peut être surmonté par la volonté humaine.
Les prisonnier·ère·s politiques sont des sujets politiques qui luttent en prison ou en isolement. Le passage de la position de sujet politique en lutte à celle de victime des conditions d'emprisonnement ou d'isolement est le point où la destruction commence pour le prisonnier politique. C'est un piège. Il a été mis en place. Malheureusement, certains d'entre nous tombent dans ce piège. Lorsque les prisonnier·ère·s politiques sont isolé·e·s de leur identité et de leur combat politiques, il ne reste qu'une personne victimisée. C'est l'objectif du régime d'isolement.
Appel aux soutiens : devenez correspondant
Le changement du régime des prisons et de l'isolement n'est possible que par le changement du système politique. Cela nécessite une longue lutte et donc du temps. Cela signifie que l'isolement ne sera pas levé immédiatement. En ce cas, de petites touches et contributions à la vie et à la résistance des prisonnier·ère·s politiques en prison peuvent être envisagées. Il ne faut pas oublier qu'une personne isolée a le plus besoin des gens et que la question n'est pas celle du soutien économique. Ceux qui vivent l'isolement le plus profond en prison sont les prisonnier·ère·s politiques condamné·e·es à une peine d'emprisonnement à perpétuité aggravée. Ils sont 9 dans ma prison et environ 20 au total dans les 3 prisons de notre campus. Si chacun des avocats patriotes, révolutionnaires et démocrates prenait la procuration d'un de ces amis et même s'ils les rencontraient pour une heure de conversation tous les trois mois, ce serait une bouffée d'air frais pour ces amis.
Encore une fois, si chacune des personnes bienveillantes qui ne sont pas avocats devenait le correspondant d'un de ces amis et pouvait lui envoyer quelques livres tous les deux mois, ce serait également une bouffée d'air frais pour ces amis. De telles touches sont-elles si difficiles ? C'est à vous de voir. Je l'ai suggéré. Nous devrions prendre l'isolement dans son endroit le plus sombre et commencer la lutte à partir de là. N'oublions pas cet endroit ! L'isolement peut être froid, mais l'esprit de résistance est chaud. Avec la chaleur de celles et ceux qui résistent, je vous salue tou·te·ss avec affection et respect...
Zeki BAYHAN
À ce jour, Zeki BAYHAN a publié quatre livres : “Paradigme démocratique, écologique et de libération des genres” (Belge Publications, 2011) ; “Socialisme démocratique” (Belge Publications, 2015) ; “Nation démocratique” (Belge Publications, 2016) ; “Atteindre le point zéro” (Aram Publications, 2018).
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Déluge d’Al-Aqsa, Occident et Shoah : un entretien avec Gilbert Achcar

S'il y a une lueur d'espoir au milieu de ce brouillard tragique qui hante notre région depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, elle consiste sans aucun doute dans le mouvement populaire de solidarité qui s'est développé dans les pays occidentaux – en contraste avec le tableau morose des pays arabes à cet égard – notamment aux États-Unis, où ce mouvement est surtout important en raison de la centralité du rôle des États-Unis dans le soutien à l'État sioniste, de leur complicité de fait avec lui et de leur pleine participation à la guerre génocidaire qu'il mène.
1. L'opération Déluge d'Al-Aqsa a ramené » la question de Palestine » au centre de l'attention du monde et a exposé les préjugés inhérents à la position officielle et institutionnelle de l'« Occident », qui a non seulement soutenu Israël, mais a sacrifié également des valeurs, telles que l'objectivité journalistique, la liberté d'opinion et autres, afin de protéger le récit du gouvernement israélien, même lorsque ce dernier s'effondrait. Par position « occidentale » ici, nous n'entendons pas tous les pays occidentaux, ni qu'il y ait une position sans objection interne ou diverses versions. Nous entendons plutôt une position qui s'est elle-même définie comme « occidentale » et a justifié ses limitations sous cet angle. Comment les attitudes médiatiques et culturelles à l'égard du génocide en cours peuvent-elles être évaluées et expliquées ? Y a-t-il eu des changements dans ces attitudes entre l'année dernière et aujourd'hui ?
Permettez-moi d'abord de préciser ce que l'opération Déluge d'Al-Aqsa est censée avoir accompli. Si par retour de la Palestine au « centre de l'attention mondiale », on entend la vague montante de condamnation de la guerre génocidaire menée par Israël et de solidarité avec le peuple palestinien, il serait plus exact de dire que cela s'est produit en dépit de l'opération Déluge d'Al-Aqsa plutôt que grâce à elle. En effet, le premier impact de l'opération a été que la sympathie mondiale pour la population israélienne a atteint son paroxysme, avec une exploitation médiatique intense de ce qui s'est passé le 7 octobre – non sans exagération et même fabrication de mythes. Toutefois, c'est la brutalité de l'assaut sur Gaza qui, en dépassant ce qui avait été observé dans toutes les guerres sionistes contre le peuple de Palestine, y compris la Nakba de 1948, a provoqué l'indignation d'une partie importante de l'opinion publique dans les pays occidentaux. Quant aux pays du Sud mondial, la majorité de leurs populations soutiennent la cause palestinienne, à l'exception de l'Inde, dominée par un gouvernement néofasciste et antimusulman qui partage l'état d'esprit du gouvernement néofasciste d'Israël.
Le cœur du sujet est l'exceptionnalité de la guerre génocidaire que l'État sioniste mène à Gaza. Cela a exacerbé le fossé dans les médias occidentaux entre ceux qui ruminent le mythe de l'État d'Israël comme rédemption de l'Holocauste nazi, de sorte que qui conque s'y oppose est renvoyé à une généalogie qui le place dans la même catégorie que les nazis, et ceux qui dénoncent ce qui est en train d'être fait par un État aujourd'hui gouverné par une coalition de néofascistes et de néonazis, dont le comportement envers le peuple palestinien rappelle le comportement des nazis allemands. Le mouvement de solidarité avec la Palestine est nettement plus fort en Grande-Bretagne que dans des pays comme la France ou l'Allemagne. L'une des principales raisons en est la différence évidente entre le complexe de culpabilité des Allemands et des Français, dont les ancêtres ont été impliqués dans l'extermination des Juifs, et l'absence d'un tel complexe chez les Britanniques, qui voient leurs ancêtres, bien au contraire, comme des sauveurs des Juifs.
2. La Shoah est le levier culturel et historique de cette position, en particulier dans des pays comme l'Allemagne, ce qui les amène à retirer « la question de la Palestine » de la politique étrangère et à l'insérer dans un récit psychologique et historique de culpabilité et de responsabilité. Comment ce récit historique a-t-il été construit et transformé en un levier de soutien occidental à Israël ?
Il s'agit d'une très ancienne entreprise de propagande, qui a commencé immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le mouvement sioniste a intensifié sa campagne envers les gouvernements occidentaux, les États-Unis en particulier, ainsi que le gouvernement soviétique, afin de les amener à soutenir le projet d'un État juif – d'abord, en exerçant des pressions sur le gouvernement britannique et, ensuite, à l'Organisation des Nations Unies lorsque la question lui fut soumise. La propagande s'est d'abord concentrée sur le rôle désastreux d'Amin al-Husseini [chef religieux palestinien] qui a agi en porte-parole de la propagande nazie pendant la guerre, de sorte que les Palestiniens purent être dépeints comme des disciples des nazis – contrairement à la vérité historique, comme je l'ai montré dans mon livre Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (2009).
Cette légende a continué à être tissée au fil des décennies, Gamal Abdel Nasser et Yasser Arafat étant tour à tour décrits comme des imitateurs d'Adolf Hitler. Les derniers à être nazifiés sont le Hamas et le Hezbollah. Le Déluge d'Al-Aqsa a fourni une occasion unique de porter ce récit mythique à son paroxysme. Dès le début, Netanyahou et ses collègues, mais aussi divers gouvernements occidentaux, ont décrit l'opération comme « le pire massacre de Juifs depuis la Shoah ». Cette façon de présenter les choses vise à dépeindre l'opération Déluge d'Al-Aqsa comme une continuation de la série de crimes racistes auxquels les Juifs européens ont été soumis tout au long de l'histoire, en la détachant ainsi de la séquence historique à laquelle elle appartient vraiment, qui est l'histoire des luttes populaires contre le colonialisme en général, et l'histoire de la résistance au colonialisme sioniste en Palestine en particulier.
3. Les récits changent et s'adaptent aux transformations sociales et politiques. Cela s'applique au récit de la Shoah, dont les traits ont changé ces dernières années. Alors que ce récit portait initialement sur la relation de l'Occident avec ses composantes juives, il a commencé à se transformer, sous une pression visant à le redéfinir, en un récit sur le danger de l'Islam pour les Juifs, en particulier après les événements du 11 septembre. Comment ce récit a-t-il été réorienté pour s'aligner sur le changement politique ?
La question est plus complexe que cela, il me semble. L'accent sioniste sur l'Islam a été conforme à la montée de l'islamophobie en Occident au cours des dernières décennies, en particulier après les attentats du 11 septembre à New York et Washington. Cela s'est produit dans le cadre d'une montée mondiale de l'extrême droite, dont l'État sioniste a été pionnier avec l'arrivée du parti néofasciste Likoud au pouvoir en 1977 ; puis en 2001, l'accès d'Ariel Sharon, alors figure la plus radicale du Likoud, au poste de premier ministre, quelques mois avant le 11 septembre ; et enfin et surtout, l'installation de Netanyahou à ce même poste sur le long terme à partir de 2009. Ils ont tous contribué à la fabrication de l'idéologie de l'extrême droite contemporaine, dans laquelle les Juifs ont été remplacés par les musulmans, de sorte que l'État prétendant représenter l'héritage de la lutte antinazie est devenu un rouage central de la tradition opposée, celle de l'extrême droite islamophobe contemporaine.
Cependant, la question se complique lorsque l'on tient compte de l'objectif israélien de « normalisation » avec les États arabes réactionnaires, et plus particulièrement avec le royaume saoudien. C'est pourquoi il existe un discours parallèle qui fait la distinction entre « bons » et « mauvais » musulmans, en mettant l'accent sur la caractérisation du Hamas et du Hezbollah comme antisémites, et, bien sûr, en les qualifiant de terroristes, afin d'établir une différence entre eux, ainsi que l'Iran qui les soutient, et les États de la « normalisation », c'est-à-dire l'Égypte, la Jordanie, le Maroc et les monarchies du Golfe. La même distinction était au cœur de la rhétorique de l'administration George W. Bush après le 11 septembre.
4. Le débat sur la position arabe sur l'Holocauste était un moyen de transformer ce récit, en concevant une culpabilité arabe ou un antisémitisme arabe susceptible de remplacer l'ancien ennemi. Comment évalueriez-vous ces tentatives, à la lumière de votre livre sur le sujet ?
Ces tentatives ne résistent pas à l'épreuve de la réalité et à l'examen des faits historiques. J'ai consacré à les réfuter un épais ouvrage, salué même par certains historiens éminents de la Shoah et qu'aucun historien prosioniste n'a pu contrer autrement que par les épithètes et les insultes habituelles, en particulier l'accusation voilée d'antisémitisme. Ils ont donc préféré le conjurer par une conspiration du silence, au point qu'aucun journal ou magazine américain de premier plan n'a publié une recension du livre, à la grande déception de mon éditeur américain, l'une des plus grandes maisons d'édition américaines. Quant à la traduction hébraïque, elle n'a été ni revue, ni commentée, ni même mentionnée dans un quelconque journal israélien. Publiée en 2017 après des années de pression de la part d'Israéliens antisionistes, la publication en a été contractée par l'éditeur américain, qui détient les droits de traduction, avec le Van Leer Institute, où plusieurs intellectuels israéliens juifs et palestiniens ont travaillé, le plus célèbre parmi ces derniers étant Azmi Bishara lorsqu'il était encore dans le pays. En fait, on peut remarquer que le débat historique sur ces questions s'est estompé ces dernières années pour être remplacé par des accusations générales sans prétention scientifique.
5. Le retour de « la question de Palestine » au centre de la politique a accompagné le « génocide » en cours à Gaza, qui a fait la une des journaux cette année, le gouvernement israélien étant accusé de perpétrer des crimes. Vous attendez-vous à ce que le « génocide » transforme les approches « occidentales » d'Israël et du récit centré sur la Shoah ?
Il n'y a pas de position « occidentale » unifiée sur la question. Il y a des gouvernements d'Europe occidentale, en Irlande, en Espagne et en Belgique, qui ont adopté assez tôt des positions condamnant l'agression sioniste contre Gaza et appelant à la solidarité avec le peuple palestinien en reconnaissant l'État de Palestine, une façon pour eux d'exprimer leur condamnation des actes du gouvernement Netanyahou et leur soutien à une solution pacifique au conflit en cours dans le cadre établi par le droit international. La réponse judiciaire à la guerre génocidaire sioniste, qui est gérée par la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, est naturellement basée sur le droit international, dont la violation par l'État sioniste a atteint un niveau plus élevé que jamais auparavant.
Tout cela a affecté d'autres gouvernements occidentaux, au point que l'Allemagne elle-même, qui a été le plus ardent des partisans d'Israël pour des raisons historiques évidentes, a commencé à exprimer une réserve timide et à suggérer que ses exportations militaires vers Israël avaient été gelées. Quant à la Grande-Bretagne, même son Premier ministre actuel, prosioniste par excellence, a été contraint d'annoncer la suspension de quelques exportations militaires vers Israël. Le dernier événement en date est l'appel du président français à mettre fin aux exportations d'armes vers Israël tant que le pays est engagé dans une guerre meurtrière contre Gaza et le Liban.
Plus important encore, l'opposition à la guerre génocidaire menée par l'État sioniste est parvenue jusqu'à la Chambre des représentants des États-Unis, où quelques élus ont soumis des projets de loi visant à assortir les exportations militaires vers Israël de conditions strictes quant à leur utilisation. Même Joe Biden, que Netanyahu a décrit comme un « fier sioniste irlando-américain », a dû suspendre pendant un certain temps la fourniture à Israël des bombes les plus mortelles, pesant environ une tonne chacune, que les forces sionistes ont largement utilisées pour détruire Gaza et anéantir son peuple. Tout cela met en évidence la contradiction flagrante entre le droit international, dont la plus grande partie a été rédigée à la suite de la victoire sur le nazisme et ses alliés, et le comportement de l'État sioniste. Les gouvernements occidentaux sont confrontés à un choix difficile dans leur position sur ce droit international qu'ils ont défendu avec enthousiasme contre l'invasion russe de l'Ukraine et ignoré en ce qui concerne la guerre génocidaire à Gaza, avec des difficultés qui s'aggravent toutefois avec le temps.
6. Le deuxième développement qui a accompagné le retour de « la question de Palestine » a été la vague de solidarité avec Gaza, qui a surpris beaucoup de monde, surtout après des décennies de mise à l'écart de la question palestinienne loin du centre de l'attention publique occidentale. Voyez-vous dans cette solidarité la possibilité d'un changement politique dans les manières d'aborder « la question de Palestine » en Occident ?
S'il y a une lueur d'espoir au milieu de ce brouillard tragique qui hante notre région depuis le début de la guerre génocidaire à Gaza, elle consiste sans aucun doute dans le mouvement populaire de solidarité qui s'est développé dans les pays occidentaux – en contraste avec le tableau morose des pays arabes à cet égard – notamment aux États-Unis, où ce mouvement est surtout important en raison de la centralité du rôle des États-Unis dans le soutien à l'État sioniste, de leur complicité de fait avec lui et de leur pleine participation à la guerre génocidaire qu'il mène. Nous en sommes arrivés au point où la position sur cette guerre est devenue un facteur avec lequel il faut compter lors des élections américaines. Il s'agit d'un développement important, et il faut espérer qu'il se poursuivra et atteindra le point où il pourrait changer l'équation internationale au sujet de la Palestine.
Vous pouvez librement reproduire cet entretien en en indiquant la source avec le lien correspondant, ainsi que la source de l'original arabe.
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7 octobre 2024 : c’est le premier anniversaire de quoi ? VP

Ce n'est pas le premier anniversaire d'une offensive de destruction, d'oppression et d'agression menée par l'Etat israélien contre Gaza en particulier et contre les Palestiniens en général. L'offensive actuelle commence en effet le 8 octobre 2023. Le 7 octobre se produisaient les massacres du Hamas, qui donneront le motif de l'offensive israélienne commencée le lendemain.
Tiré d'Aplutsoc.
Ce n'est pas le premier anniversaire d'une offensive historique de la lutte de libération palestinienne : le 7 octobre 2023, les forces du Hamas perçaient la prison de Gaza uniquement pour commettre des massacres qui allaient fournir le prétexte d'un recul historique de la situation déjà sombre des Palestiniens.
Le 7 octobre est l'anniversaire d'un pogrom et du calvaire des otages pris ce jour-là. « Pogrom » implique que l'offensive n'avait rien d'une offensive de libération, ce que l'on a pu croire parfois, faute d'informations, pendant les toutes premières heures. Il s'agissait uniquement du massacre des juifs se trouvant dans des kibboutz frontaliers et dans une rave party, plus de nombreux non juifs, palestiniens ou immigrés, et parmi lesquels des militants pacifistes ou défenseurs des Palestiniens comme Vivian Silver.
« Pogrom » signifie aussi que l'opération a pris la forme d'une vague de meurtres par armes blanches et par le feu, assortis de mutilations et de viols. « Pogrom » n'est pas un terme tendancieux « sioniste », il désigne ce que les juifs, d'Israël ou non, sionistes ou non, ont ressenti, et que les humains doivent savoir ressentir avec elles et eux.
« Pogrom », enfin, est un terme qui s'incorpore à l'analyse suivante : le processus déclenché le 7 puis le 8 octobre est réactionnaire sur toute la ligne, tant du côté du Hamas que de celui de Tsahal.
Comment qualifier, ensuite, ce qui a commencé le 8 octobre, lorsque les troupes israéliennes ont été ramenées de la Cisjordanie sur Gaza ?
« Génocide » est un terme fréquemment employé, mais pour deux raisons différentes.
L'une est l'indignation, devant les massacres, leur répétition, l'horreur, sa prolongation. Ainsi parle-t-on aussi parfois de génocides s'agissant des Ukrainiens, des Syriens, des Arméniens, des Tamouls …
Mais il y a une deuxième raison. « Génocide » était déjà, avant le 8 octobre, un terme obsessionnel s'agissant de Gaza. « Israël [id est : les Juifs] commet un génocide ».
Quant une série de crimes de guerre et de crimes de masse ont été commis chaque semaine depuis le 8 octobre 2023 envers la population de Gaza, l'indignation légitime et la deuxième raison, plus trouble, à l'emploi systématique de ce mot, se sont conjuguées.
S'il n'est pas toujours possible de rectifier chaque fois que passe le mot, il est néanmoins nécessaire de distinguer. Où en est-on exactement à Gaza s'agissant de la réalité d'un génocide ?
45 000 morts et probablement plus, une population de 2 millions de personnes dans des décombres victimes du trauma, de la faim et des maladies : c'est assurément là une situation qui comporte la possibilité d'un génocide. Et cette possibilité résulte des actes choisis et assumés par l'armée et par le gouvernement d'extrême-droite israéliens.
Mais faites le test : presque toujours, les publications et les forces politiques qui répètent, indépendamment de la situation concrète, « génocide, génocide », s'agissant de Gaza, n'ont vu aucun génocide ou risque de génocide en Ukraine, alors que le discours poutinien est explicite et que, jusqu'à il y a quelques semaines, le niveau de destruction et le type de « traitement » de la population à Marioupol ressemblait beaucoup à Gaza ; ils n'ont rien vu ni rien dit non plus s'agissant de la Syrie, ou du Tigré, où du Darfour encore récemment, où le nombre de victimes est très supérieur, victimes palestiniennes aussi en Syrie.
C'est donc que nous avons affaire à un biais particulier. Le reconnaître implique de comprendre que l'antisémitisme, loin d'être « résiduel » comme le veut le dogme de la « gauche » campiste de plus en plus réactionnaire, est une réalité forte du capitalisme contemporain.
La réalité du pogrom du 7 octobre et la réalité de la situation de risque génocidaire montant instaurée à Gaza depuis le 8 octobre devrait être comprise comme la plus terrible condamnation jetée à la face de l'ordre social et politique du monde capitaliste contemporain : car cette double mais unique réalité signifie que le risque génocidaire est réel à l'encontre des Juifs et qu'il est immédiat à l'encontre des Palestiniens.
En toute rigueur, et la rigueur est indispensable, il n'y a pas eu génocide à ce jour à Gaza, mais un massacre et des crimes de masse. Si cela continue, deux millions et demi de personnes sont exposées à mourir : le risque génocidaire est là. Il faut donc l'empêcher.
Scander que le génocide a lieu ou a eu lieu n'est pas la meilleure manière de l'empêcher réellement. Il faut, de même, empêcher la purification ethnique en Cisjordanie et briser le talon de fer en train de s'appesantir sur le restant du peuple palestinien.
Donner un nom rigoureux aux faits requiert une analyse qui situe les évènements dans la réalité mondiale du moment présent. Et l'on ne peut les comprendre autrement.
Depuis les 7 et 8 octobre 2023, on entend tous les jours d'éminents analystes poser à l'intelligence en nous rappelant pesamment ce que tout le monde sait déjà et qui est indéniable, à savoir que le 7 octobre se produit dans une situation conditionnée depuis des décennies par la colonisation … ce qui n'en fait pas un acte anticolonialiste ou excusable pour autant !
Ces mêmes éminents analystes « oublient » la réalité mondiale présente.
Or, c'est du point de vue de cette réalité mondiale présente qu'il était utile à certains que se produise la provocation pogromiste du 7 octobre. Sa conséquence directe a été de mettre l'Ukraine au bord de la défaite, en achevant de tarir les livraisons d'armes et en détournant l'attention. Une telle défaite aurait scellé le caractère de la période ouverte alors, comme un « minuit dans le siècle », un minuit précoce dans un siècle qui se réchauffe …
Malgré tout, les Ukrainiens ont résisté à ce jour, la montée au pouvoir de l'extrême-droite a été temporairement stoppée, bien malgré Macron, en France, et il s'avère que Trump peut être battu. Ni Netanyahou ni le Hamas ne sont pour rien dans cette résilience des combats pour les droits sociaux et pour la démocratie !
D'où l'impasse dans laquelle s'est trouvé Netanyahou, acculé à choisir, à Gaza, le génocide ou le cessez-le-feu. Il lui faut la guerre. Fort de ce que l'Iran était capable de lancer le Hamas dans une folie mais n'avait pas l'intention de l'aider vraiment, Netanyahou a entrepris la destruction des « proxis » de l'Iran, Hezbollah en tête, créant ainsi une situation, dans laquelle la guerre régionale semble à la porte, et la porte semble entrouverte car la guerre est au Liban, situation dont tant Trump que Poutine espèrent profiter.
Netanyahou joue avec le feu au bord du gouffre pour prolonger la situation et éviter tout choix à Gaza, prolongeant le risque génocidaire, tout en menant à bas bruit l'épuration ethnique en Cisjordanie.
Ainsi, tant la provocation du 7 octobre que ce qui a suivi et ce qui se passe à présent ne peut être compris et analysé que dans le cadre de la multipolarité impérialiste actuelle et non pas dans les catégories équivoques du « sionisme » éternel qui sont celles des petites doxas de la « gauche » dominante.
Et c'est à l'échelle internationale que nous sauverons les Gazaouis du risque génocidaire proche, et imposerons un cessez-le-feu, par le combat pour battre Trump aux Etats-Unis, Poutine par les armes en Ukraine et ensuite par les peuples en Russie, et, ne nous oublions pas, en battant Macron/Barnier/Le Pen et leur régime politique, la V° République, dont il faut sortir, en France.
Précisons que l'arrêt des envois d'armes n'aurait pas pour effet de « désarmer » Israël mais de faire tomber Netanyahou et d'ouvrir la voie à la seule manière efficace de combattre les chefs ultra-réactionnaires du Hamas ou du régime iranien : par la reconnaissance du droit national à l'autodétermination palestinienne et par le respect des libertés individuelles de toutes et de tous, quelles que soient leur identité.
Ces combats peuvent gagner.
Mais soyons clairs : le type de mobilisation « pour la Palestine » ayant eu lieu jusqu'à présent ne constitue en rien une mobilisation internationaliste efficace. C'est la mobilisation de Science-Po, mise sous les projecteurs, et pas celle du 93 où l'on s'est mobilisé, dans le silence médiatique, pour l'école publique. S'identifier au Palestinien souffrant en arborant ses couleurs et en chantant « le génocide » n'empêchera pas un génocide de se produire mais l'accompagnera. Ce qui l'empêchera, ce sont l'ensemble des combats contre les pouvoirs en place et, dans ce cadre, pour l'arrêt des envois d'armes à Israël. Ce qui l'empêchera, c'est la reconstruction d'un véritable internationalisme dans le feu de ces combats.
Ces combats peuvent gagner : Macron a donc déclaré qu'il faudrait arrêter d'armer Israël à l'encontre de Gaza. C'est une déclaration platonique qui n'entraine aucune conséquence contraignante pour la France et moins encore pour les Etats-Unis. Mais c'est une déclaration qui retentit car elle dit tout haut le problème posé à Washington : l'impasse sanglante vers laquelle Netanyahou, aidé au départ par le Hamas, fonce à toute allure.
Cette impasse sanglante est aussi celle de Poutine, elle concentre en elle l'impasse sanglante d'un ordre social global, que l'on combattra, et que l'on renversera, en commençant par stopper ses effets immédiats les plus extrêmes.
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Un an de génocide, un an de protestations

Dans cet article, la juriste et universitaire palestinienne Noura Erakat revient sur les différentes séquences qui ont jalonné l'offensive génocidaire de l'État colonial israélien contre les Palestinien-nes de Gaza depuis un an, ainsi que sur les mobilisations multiformes qui ont sillonné le monde et les initiatives juridiques visant à mettre fin au génocide et à sanctionner Israël.
Tiré du site de la revue Contretemps.
Le génocide est toujours en cours et Israël menace le Liban du même niveau de destruction que Gaza. Dans le même temps, la solidarité avec la Palestine n'a jamais été aussi puissante et la réalité du projet sioniste si limpide. Comme les Palestinien-nes qui résistent inlassablement depuis près d'un siècle, tou-tes celles et ceux qui sont soucieux-ses de l'égalité et de la justice dans le monde brandissent, aujourd'hui et pour toujours, la bannière éclatante de la Palestine jusqu'à sa libération.
***
Jour après jour, depuis un an, l'armée israélienne a mené une campagne d'extermination implacable contre les palestiniens à Gaza. Jour après jour, les gens de conscience tentent d'y mettre fin.
367e jour du génocide. J'ai pris l'habitude de compter les jours de cette manière, avec l'horrible certitude qu'aujourd'hui, la destruction à échelle industrielle des Palestiniens de la bande de Gaza se poursuit, et avec la détermination infaillible de la voir prendre fin, aujourd'hui.
J'ai établi cette pratique au 6e jour, lorsque l'on a appris que la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient avaient largué 6000 bombes en moins d'une semaine sur une population assiégée, majoritairement constituée de réfugiéEs.
Avant même cette révélation, nous comprenions que cette attaque était sans précédent. Nous le comprenions, même en sachant que la colonisation de peuplement de la Palestine par Israël avait déjà créé une structure d'élimination vieille de huit décennies ; même en sachant qu'Israël avait lancé de grandes offensives durant la guerre de 1948, la guerre de 1967 et l'invasion du Liban en 1982 ; même en sachant qu'il avait encerclé Gaza d'une grille militarisée depuis 1993, imposé un siège total depuis 2007, et démarré une campagne systématique d'offensives à grande échelle depuis 2008.
Nous comprenions que cette fois les choses étaient à la fois d'une ampleur et d'une nature différentes. Mu par un désir fanatique de vengeance, doublé du calcul opportuniste, dépourvu de tout scrupule, par lequel la Nakba pourrait être menée à son terme, Israël, avec le soutien d'une superpuissance globale, déchaîna une campagne impitoyable visant à punir et détruire un peuple qui refuse de disparaître.
Nous savions tout ceci dès le 6e jour, et puis, ce même jour vers minuit, l'armée israélienne ordonna à 1,1 million de palestiniens de se déplacer vers le sud, au-delà de la rivière Wadi Gaza. Dès le 7e jour, le spécialiste des études sur l'holocauste, Raz Segal, parlait à ce propos d'un « cas d'école en matière de génocide ». Le 8e jour, 800 chercheurs en droit sonnèrent la même alarme. Au 10e jour, l'hôpital Al-Ahli fut bombardé. Au 11e jour, 400 militantEs juifs et juives occupèrent le Capitole aux États-Unis, tandis qu'au 12e jour, les experts des Nations Unies mettaient en garde contre un génocide.
Le 27e jour, des militants d'Oakland, en Californie, empêchèrent l'accostage d'un bateau qui, les avait-on averti, transportait des munitions à destination d'Israël. Le 28e jour, 300 000 manifestants à Washington DC exigèrent un cessez-le-feu immédiat. 31e jour ; des militants à Tacoma, dans l'État de Washington, empêchèrent là encore l'accostage d'un bateau chargé de munitions. 33e jour ; trois organisations palestiniennes pour la défense des droits humains adressèrent une pétition à la Cour pénale internationale accusant Israël de génocide. 35e jour ; à Londres, près d'un demi-million de manifestants exigèrent un cessez-le-feu, et le 37e jour, le Centre for Constitutional Rights attaqua en justice le Président des États-Unis ainsi que son ministre des affaires étrangères [Antony Blinken] et son ministre de la défense [Lloyd J. Austin] pour mettre fin à leur complicité de génocide.
Tout ceci est arrivé avant le premier et le seul cessez-le-feu qui facilita l'échange diplomatique de captifs entre les 48e et 54e jours.
Quatre semaines plus tard, au 83e jour, la République d'Afrique du Sud soumit sa pétition accusant Israël de non-respect de la Convention sur le génocide. Cette initiative participait du soulèvement global de toutes celles et ceux qui n'avaient pas besoin d'une cour de justice pour caractériser ce dont ils et elles étaient témoins en temps réel. Les uns et les autres n'avaient besoin d'aucun précédent juridique pour condamner la destruction de 60 pour cent des immeubles d'habitations de Gaza, l'anéantissement de toutes les principales universités, la paralysie de 36 hôpitaux, le ciblage d'une mosquée vieille de 1400 ans et la troisième église la plus ancienne au monde.
Ils et elles n'eurent besoin d'aucun comité juridictionnel pour conclure que le fait de tuer 247 palestiniens par jour en moyenne, dont deux mères de famille toutes les heures, et l'amputation d'un ou de plusieurs membres de dix enfants chaque jour, n'étaient pas le résultat d'un grotesque affrontement urbain. Cependant, un bien trop grand nombre d'États membres de l'ONU, nécessitèrent, eux, que leur principal organe judiciaire les rappelle à leurs obligations et devoirs, pour les contraindre à contenir un État génocidaire et ses soutiens.
Au 111e jours, sur les 17 juges de la Cour internationale de justice, 15 estimèrent plausible qu'Israël était en train de perpétrer un génocide. Ils étaient d'accord sur le fait que la loi interdit ce que le sel de la terre condamne, à savoir, que la destruction d'un peuple, que ce soit à des fins politiques, ou d'accroissement d'une emprise territoriale, ou d'imposition unilatérale de la souveraineté de colons, ou pour toute autre raison, n'est jamais acceptable.
Mais cette décision retentissante se heurta à la réalité désespérante de l'absence de tout mécanisme de mise en application dans le système international, excepté, il est vrai, pour ce qui concerne le Conseil de sécurité de l'ONU dont les cinq membres permanents détiennent un droit de veto qui peut s'opposer – et qui d'ailleurs s'oppose – à la volonté de la terre entière.
Malgré cela, une opinion mondiale implacable poursuivit un combat acharné pour la justice la plus élémentaire. Si les institutions internationales ne pouvaient être mobilisées efficacement pour arrêter le génocide, les institutions nationales, elles, le seraient. Au 121e jour, plusieurs fonds de pension danois se sont désinvestis d'entreprises israéliennes ; au 122e jour, le gouvernement de Wallonie décida de suspendre deux licences d'exportation d'armes ; au 129e jour, une cour d'appel néerlandaise interdit le transfert de toutes les pièces détachées d'avions F-35 ; et au 246e jour, la Colombie imposait un embargo énergétique. En Angleterre et aux États-Unis, des militantEs sont passés outre leur propre gouvernement pour aller directement bloquer les usines Elbit, le plus gros fabricant d'armes privé d'Israël, installé à Tamworth, Oldham, et Cambridge.
193e jour : les étudiantEs des universités américaines, qui avaient protesté contre la complicité de leur institution dans le génocide, éveilla l'attention du pays lorsque les étudiantEs de Columbia installèrent un campement. Au 209e jour, il y avait plus de 150 campements semblables à travers le monde. Ces étudiantEs ne furent pas dissuadéEs par les sanctions brutales que leurs propres institutions leur infligèrent pour avoir osé s'opposer aux pires atrocités que des États pouvaient commettre, et pour s'être emparé du potentiel de l'action organisée pour changer le cours de l'histoire.
De manière héroïque, des étudiantEs en journalisme vinrent combler le vide béant laissé par toute la profession du secteur, et des diplômés produisirent de nouvelles connaissances sur la Nakba que les publications de juristes les plus en vues tentèrent de censurer, en vain. Au 228e jour, partout aux États-Unis, des assemblées adoptèrent 175 résolutions municipales en faveur du cessez-le-feu, et au 235e jour, 100 000 personnes encerclèrent la Maison blanche d'une ligne rouge humaine, en réponse à celle que le gouvernement Biden avait menacé d'instaurer autour de la dernière ville encore debout à Gaza, avant de s'y refuser au bout du compte.
Tout ceci ne représente qu'une fraction du travail entrepris à échelle globale pour stopper le génocide, et pour ne rien dire du front inflexible maintenu par les Palestiniens à Gaza, sans lequel la solidarité n'aurait aucun sens. Mais rien de tout ceci n'a suffit à mettre un terme au génocide.
A ce jour, le 366e, près de 42 000 palestiniens, pour celles et ceux que l'on a pu recenser, ont été tués -parmi lesquels, plus de 20 000 enfants, ensevelis, introuvables, et détenus. Les noms de ceux âgés de moins de un an remplissent quatorze des 649 pages du document qui tente de garder la mémoire de ces victimes. A ce stade, 902 familles dans leur intégralité ont disparu du registre civil. Le nombre réel de morts résultant du programme consistant à imposer la famine, les maladies et la destruction des conditions nécessaires à la survie, selon la revue médicale The Lancet, est de 186 000 et atteindra les 335 000 d'ici la fin de l'année.
Mon souhait
Est de voyager
D'arriver jusqu'à un hôpital
Et d'avoir une prothèse des bras.
Afin de pouvoir tenir un ballon dans mes mains
Afin de pouvoir jouer.
Afin de pouvoir écrire.
Afin de pouvoir manger
Et pourtant, même encore maintenant, Israël n'en a pas terminé. Au 355e jour, il a intensifié sa campagne avec une attaque terroriste au Liban qui a transformé des humains en bombes ambulantes. Israël a continué avec le bombardement aveugle de secteurs habités en ayant recours au même cliché raciste du « bouclier humain » qui aurait pourtant dû finir sous les 26 millions de tonnes de gravats et de débris auxquels ont été réduites ce que furent autrefois les infrastructures civiles de Gaza. Suite aux tirs de missiles iraniens sur Israël, au 359e jour, le risque d'une guerre régionale et potentiellement globale plane sur un horizon qui se rapproche.
Aujourd'hui, 367e jour, il est quasiment impossible de ne pas éprouver un sentiment de désespoir. « La catastrophe n'est pas à venir, la Nakba n'est pas le passé, » nous dit l'historienne Sherene Seikaly. Nous ne sommes pas au bord du précipice de l'apocalypse ; nous avons construit la vie dans ses replis. Dans son traité sur la reconstruction du monde, Octavia Butler nous rappelle que « tout ce que nous touchons, nous le transformons. Tout ce que nous transformons nous transforme ».
Nos efforts collectifs ont laissé une marque indélébile : les États-Unis et Israël sont isolés à l'échelle internationale, leur influence réduite au seul recours à la l'usage de la force nue, dépourvu du moindre argument juridique ou éthique en sa faveur. Leurs ravages sans limite n'ont d'égal que leur propre naufrage moral, qui saute aux yeux de qui consent à les ouvrir.
Nous sommes nous-même transformés à jamais : les yeux grands ouverts, prêts à nous défier des autorités médiatiques, sociales et politiques cherchant par tous les moyens à nous réduire à l'état de zombies obnubilés par les divertissements de la culture pop ; grands ouverts sur le fait que l'impérialisme façonne chaque détail de nos vies quotidiennes ; sur le fait que le sionisme est un racisme et qu'une Palestine libre a le potentiel de nous libérer toutes et tous.
Il nous faut reconnaître notre propre désespoir, le nommer, pour empêcher son abysse de ténèbres de transformer nos espaces d'interventions en lieux toxiques de blessures. Il nous faut nous rappeler que la capitulation n'est pas une option et que l'histoire s'étend au-delà du temps même d'une époque entière.
Il nous faut nous tourner vers les Palestinien-nes pour trouver notre meilleure ligne de conduite et notre inspiration, vers eux et elles qui, pendant 76 années, ont plus d'une fois subi des pluies de coups et qui chaque fois se sont redressés tel un phénix, pour se reconstituer et continuer à se forger un avenir dans le feu du sacrifice le plus difficile et l'assurance de la victoire collective. Un génocide a menacé d'effacer la Palestine, mais il conduit à ce que la Palestine vit aujourd'hui dans chacune et chacun de nous, immortelle. Rien, ni personne parmi nous, ne sera plus jamais le même.
*
Noura Erakat est avocate, engagée dans la défense des droits humains, professeure à l'Université Rutgers, New Brunswick, et coéditrice de Jadaliyya. Elle a publié Justice for Some : Law and the Question of Palestine (Stanford University Press).
Traduction par Thierry Labica.
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Poursuit de la guerre contre Ghaza et le Liban : Les États-Unis et l’Allemagne, principaux pourvoyeurs d’armes d’Israël

En dépit de la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) et des appels de plus en plus nombreux à un embargo sur les livraisons d'armes à Israël, les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni continuent d'assurer un soutien militaire, aux forces israéliennes.
Tiré d'El Watan.
Pendant que Beyrouth brûle sous les bombes israéliennes, que Ghaza subit depuis plus d'une année une guerre dévastatrice qui a fait plus de 42 000 morts, plus de 10 000 portés disparus et près de 100 000 blessés, que la Cisjordanie occupée est assiégée et fait l'objet d'offensives militaires violentes qui ont pour conséquence près de 600 morts en une année, les livraison d'armes à Israël n'ont pas fléchi, malgré la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) et les appels à l'embargo sur l'armement que de nombreux pays ont déjà mis à exécution.
Allié important d'Israël, la France, par la voix de son président Emmanuel Macron, a fini par rejoindre ces derniers, en appelant, jeudi, à l'interdiction de la vente d'armes à Tel-Aviv. Bien plus. Il a accusé « d'incohérence », les gouvernements qui appellent à un cessez-le feu à Ghaza tout en continuant à approvisionner les forces israéliennes en armes meurtrières.
Sous le fallacieux prétexte du droit à la légitime défense d'une force occupante, les Etats-Unis et de nombreux pays européens ont, dès le 7 octobre 2023, soutenu la guerre génocidaire contre Ghaza. Dérive après dérive, le comportement de l'armée sioniste a été jugé par la Cour internationale de justice (CIJ) comme « génocidaire », et par la Cour pénale internationale (CPI) comme des actes de « crimes de guerre » et de « graves violations » du droit humanitaire, suscitant, chez de nombreux pays, la crainte de se voir complices dans l'épuration ethnique qui se déroule sous les yeux du monde et à ce jour.
Alliée principale d'Israël, l'administration américaine n'a pas fléchi un moment son appui militaire et politique à Tel-Aviv, malgré son offensive militaire qui prend une tournure extrêmement dangereuse pour la paix dans la région, en l'élargissant au Liban, à l'Iran, au Yémen, à la Syrie et à l'Irak, en attendant d'autres pays ciblés par son projet expansionniste.
Dans un nouveau rapport sur « Costs of War Project » sur les dépenses américaines, publié il y a quelques jours, l'Institut américain Watson Bronwn d'études internationales a estimé à 22,76 milliards de dollars, le montant dépensé par l'administration américaine pour les opérations israéliennes et connexes dans la région, du 7 octobre 2023 au 30 septembre 2024. Le rapport affirme en outre que le montant global « inclut les 17,9 milliards de dollars que le gouvernement américain a approuvés en matière d'aide à la sécurité pour les opérations militaires israéliennes à Ghaza et ailleurs depuis le 7 octobre, soit bien plus que toute autre année depuis que les Etats-Unis ont commencé à accorder une aide militaire à Israël en 1959 ».
Le rapport précise, néanmoins, que cette enveloppe ne « représente qu'une partie » du soutien financier américain fourni pendant cette guerre et précise que c'est la marine américaine qui a « considérablement intensifié ses opérations défensives et offensives contre les militants houthis au Yémen », en soulignant que « les opérations US dans la région, y compris au Yémen, ont déjà coûté au gouvernement 4,86 milliards de dollars, inclus dans la somme de 22,76 milliards de dollars ».
La « raison d'état » de l'Allemagne et « les intérêts » géostratégiques US
Officiellement, depuis le 7 octobre 2023, l'administration américaine a livré à Israël 57 000 obus d'artillerie, 36 000 cartouches de canon, 20 000 fusils M4A1 et 13 981 missiles antichars. Au mois d'août dernier, elle a approuvé cinq contrats (qui attendent leur validation par le Congrès), de vente d'armes majeures, dont 50 avions de combat F-15, des munitions pour chars, des véhicules tactiques, des missiles air-air et 50 000 obus de mortier, entre autres équipements, pour un montant total de plus de 20 milliards de dollars.
Depuis le début de la guerre, Washington n'a pas cessé d'intensifier son aide à Israël tout en appelant à un cessez-le-feu et à éviter de cibler les civils. Pendant que Washington s'opposait à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU exigeant la fin de la guerre, le président Biden a contourné le Congrès et utilisé une disposition d'urgence pour vendre environ 14 000 obus de char – d'une valeur de 106,5 millions de dollars à l'Etat hébreu.
En juillet 2024, alors que des centaines de Palestiniens ont été tués dans les raids aériens sionistes à Rafah, malgré l'ordre de la CIJ pour évacuer la zone, le président Biden, a autorisé les livraisons de bombes de 227 kg, et au mois d'août, il a validé cinq opérations de vente d'armes pour plus de 20 milliards de dollars, actuellement au niveau du Congrès. Un autre accord est approuvé un mois après, pour un montant de 8,7 milliards de dollars. Au mois de mars 2024, pendant qu'Israël bloquait une file interminable de camions d'aide militaire en Egypte, au point de passage de Rafah, la presse américaine a fait état de la connaissance, par l'administration, de la décision d'Israël de fermer hermétiquement la frontière à l'aide humanitaire, alors que la population était confrontée à la famine, aux maladies, à la malnutrition et bien plus.
Fin septembre, Israël a assassiné le chef du Hezbollah libanais à Beyrouth, en lançant sur l'immeuble où il se trouvait plus de 80 bombes, anti-bunker de 900 kg chacune, de fabrication américaine qui ont réduit en cendres au moins trois tours d'habitations. Rien n'a changé dans la politique américaine vis-à-vis d'Israël auquel elle fournit 70% des armes, en dépit des appels à l'embargo sur les armes à destination d'Israël qui deviennent de plus en plus nombreux.
Plusieurs Etats ont pris la décision de cesser les livraisons d'armes à Israël, dès le début de la guerre génocidaire contre Ghaza. Il s'agit, entre autres, de l'Irlande, l'Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Nicaragua, le Chili, l'Afrique du Sud, la Turquie, pour ne citer que ceux-là mais d'autres comme l'Allemagne et le Royaume- Unis continuent d'aider militairement Israël à ce jour.
L'Allemagne livre à Israël 29% de l'armement dont il a besoin pour sa guerre contre Ghaza. Voici une récente étude élaborée par EuroVerify, un site européen qui analyse la réponse des pays européens aux appels à un embargo et les raisons du soutien de chacun des Etats à Israël. Ainsi la position de l'Allemagne est analysée comme faisant partie de sa « raison d'Etat », ou Staatsräson, en raison de son rôle dans l'Holocauste. Cela signifie que Berlin est de loin le plus grand fournisseur européen d'armes à l'Etat juif.
La France, qui selon le site, qui a assuré avoir cessé de transférer des armes à Israël, « a toutefois continué à lui fournir des pièces susceptibles d'être utilisées dans sa propre production nationale d'armes » écrit EuroVerify. Considérée comme le 3e fournisseur d'armes d'Israël, avec 1% des ventes, l'Italie, malgré son annonce de cessation d'exportation d'armes vers Tel-Aviv, a reconnu par son ministre de la Défense, « que des commandes signées avant le 7 octobre 2023, avaient été expédiées pendant la guerre », alors que la loi italienne interdit l'exportation d'armes létales vers des pays en guerre.
Le Royaume-Uni a annoncé avoir suspendu 30 des 350 licences d'exportation d'armes vers Israël, après avoir constaté « un risque clair que certaines exportations militaires vers l'Etat hébreu soient utilisées dans les violations du droit humanitaire international ». Selon EuroVerify, le Royaume-Uni fournit toujours à Israël des composants des avions de combat F-35 utilisés dans la guerre contre Ghaza.
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Israël : autopsie du suicide d’une Nation

Israël est toujours perçue comme en sursis, dans une existence conquise de haute lutte mais sans cesse menacée par un environnement régional hostile. Et si le vrai danger existentiel qui pèse sur Israël venait de lui-même ?
Tiré du blogue de l'auteur.
Juges 21-25, « En ce temps-là, il n'y avait pas de roi en Israël ; chacun faisait ce qui semblait juste à ses yeux »
Proverbes 29-18 : « Quand il n'y a point de vision, le peuple est sans frein »
« Israël n'a pas de politique étrangère, seulement une politique intérieure ». Malgré son absolu cynisme en matière de relations internationales, Henry Kissinger avait une capacité certaine à ramasser le réel en une formule quasi axiomatique.
À observer Israël et ce qui en est communément dit, seule la pression géopolitique expliquerait de façon univoque la politique extérieure du pays. Tout comme son incapacité à se normaliser dans son environnement régional. Mais, à suivre l'axiome « kissingerien », il est aussi possible de considérer que la politique étrangère israélienne est tout autant un sous-produit de sa situation politique intérieure.
Selon cette dynamique centrifuge éclairée par Kissinger, l'état de guerre permanent que vit Israël depuis sa création pourrait donc aussi être le signe d'un effort continu de pacification des tensions intérieures du pays par l'externalisation et l'exportation de celles-ci. Que les minorités intérieures, les territoires occupés palestiniens ou les pays voisins figurent cet extérieur. S'opèreraient alors une purgation et un transfert vers l'extérieur de la violence sociale et politique du pays.
Toujours selon l'explication de Kissinger, c'est à la seule condition d'une alerte existentielle permanente que la société israélienne n'implose pas. Autrement dit, cet état de guerre permanent est aussi la continuation par d'autres moyens et vers d'autres buts des forces dislocatrices qui traversent la société israélienne.
Or, depuis le 7 octobre, la mise en place concomitante d'un front intérieur et d'un front extérieur s'observe. Les guerres menées par le pays coexistent avec une exacerbation croissante de la conflictualité intérieure.
Tout se passe comme si la conflictualité extérieure ne suffisait plus à résoudre et évacuer la fracturation latente de l'État d'Israël et de sa société. Plus encore, ces deux dynamiques semblent se conjuguer, se répondre, s'additionner, voire se multiplier dans un large mouvement destructeur. Et c'est peut-être là que gît le plus grave danger existentiel pour Israël.
En suivant cette hypothèse, Benjamin Netanyahou joue, à l'évidence, un rôle d'accélérateur. Si ce dirigeant a toujours habilement manié la dynamique centrifuge qui purgeait son pays, il alimente désormais les tensions internes qui menacent la société israélienne. Et plus la situation intérieure lui échappe et s'emplit de positions inconciliables, plus Benjamin Netanyahou ouvrira de nouveaux fronts dans ses guerres extérieures.
Le front libanais, appelé en Israël de façon significative la « guerre du nord » qui vient s'ajouter à celle de l'ouest (Gaza) et celle de l'est (Cisjordanie), illustre ce schéma encastré non seulement dans l'éthos du Premier ministre mais aussi dans l'instabilité chronique d'Israël. Comme si le pays ne disposait toujours pas des mécanismes intérieurs nécessaires et suffisamment forts pour se pacifier.
En sociologie, l'anomie est une situation où se trouvent les individus lorsque les règles sociales qui guident leurs conduites et leurs aspirations perdent leur pouvoir, sont incompatibles entre elles. Ou lorsque, bousculées par les changements sociaux, elles sont concurrencées et doivent s'effacer devant d'autres normes.
Un pays, organisation normé s'il en est, peut aussi se trouver en situation d'anomie. L'anomie israélienne tient à plusieurs facteurs : effilochement du tissu social, poussée de l'extrême-droite religieuse, sape du sentiment de confiance envers l'État, pression de la guerre, communautés qui vivent en parallèle ou en opposition mais non ensemble… Cette anomie intérieure est renforcée par une autre anomie, internationale celle-là. Les guerres israéliennes actuelles se placent dans un vide international, entre repli électoral ou de longue durée des États-Unis et impuissance organisée de l'ONU.
Retour à « Sde Teiman » : quand l'armée vacille
Institution centrale de l'ordre social, économique et politique israélien, l'armée n'échappe pas à ces tensions. Lorsque les historiens se pencheront sur ce qui aura été le signe le plus flagrant d'une société israélienne en voie de fracturation, un chapitre entier sera consacré non pas à la guerre à Gaza mais à la prise d'assaut de la base militaire de Sde Teiman, le 29 juillet dernier.
Tout est parti de l'arrestation par la police militaire des Forces de défense israéliennes (IDF) de neuf réservistes au sein du camp de détention de la base militaire de Sde Teiman. Ces soldats devaient être interrogés après qu'un prisonnier palestinien, détenu dans l'établissement, avait été transporté d'urgence à l'hôpital. Les réservistes étaient soupçonnés d'avoir commis sur lui des sévices graves et de l'avoir sodomisé de force.
Or, après avoir tenté d'entrer dans la prison militaire de Sde Teiman pour les libérer, des manifestants d'extrême droite ont envahi la base militaire de Beit Lid, laquelle abrite aussi la police militaire et certains tribunaux de Tsahal. Selon la presse israélienne, les assaillants, dont certains semblaient armés, ont été encouragés par des membres ultranationalistes de la coalition gouvernementale, également présents sur place. Ceux-ci entendaient contester les processus internes de l'armée pour juger ses propres soldats.
Le ministre du Patrimoine Amichay Eliyahu, les députés Zvi et Nissim Vaturi ont même été filmés parmi les personnes forçant l'entrée de la base. Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir comme celui des Finances, Bezalel Smotrich, ont de leur côté mobilisé leurs partisans ou justifié cet assaut. Les journalistes présents ont noté que la police israélienne, placée sous l'autorité du ministre Ben Gvir, était restée relativement passive et n'avait arrêté aucun des manifestants.
Du côté politique, le ministre de la Défense, Yoav Gallant a alerté contre ce « grave » incident qui portait “gravement atteinte à la démocratie israélienne ». Yaïr Lapid, chef du parti d'opposition Yesh Atid, via X, a affirmé que le message envoyé par les députés qui ont pris d'assaut les bases de Tsahal est qu'“Ils en ont fini avec la démocratie, ils en ont fini avec l'État de droit”. “Ce n'est pas une émeute, c'est une tentative de coup d'État menée par une milice armée », a-t-il poursuivi.
La presse israélienne a été vivement alarmée par ce double assaut. Le très influent éditorialiste Ben Caspit y a vu une “marche vers la guerre civile” et un abandon de l'État de droit, alors même que les institutions israéliennes, estime-t-il, y compris l'armée du pays, fonctionnent conformément à la loi depuis la déclaration de l'indépendance du pays en 1948.
Pour le journaliste Barak Ravid, d'Axios, cet incident traduit “la désintégration de la chaîne de commandement de Tsahal et de l'ordre public interne de l'armée, encouragée par des politiciens ultranationalistes qui, pendant des années, ont qualifié l'armée d'institution ‘libérale' et ont affirmé qu'elle faisait partie d'un ‘État profond' qui avait besoin d'être démantelé”.
Ha'Aretz, tout aussi alarmé, cite de son côté des sources de la Défense selon lesquelles les événements dans les deux bases reflètent « la désintégration de la société israélienne » et pour lesquelles cet incident est "plus dangereux que l'Iran et le Hezbollah réunis."
Ces alarmes ont été d'autant plus vives que les militants d'extrême-droite ont obtenu gain de cause avec la libération des 9 soldats alors que la prison a été qualifiée, dans la presse internationale et du pays, de « Guantanamo à l'israélienne ». L' arrestation des soldats avait pourtant été une façon pour l'armée d'indiquer à la communauté internationale que le système judiciaire israélien a les ressources pour juger les manquements au droit israélien et au droit international commis par ses soldats.
Sde Teiman n'est pas un épiphénomène. L'incident a ébranlé quelques socles de la société israélienne dont le prestige de l'armée et l'inviolabilité de ses bases. De la même façon, il a été interprété comme une façon de sortir ou d'exempter Israël du système international et de toute responsabilité qui en découle.
Une tentation contre laquelle avait pourtant mis en garde Aharon Barak, qui fut président de la Cour Suprême israélienne, et qui avait rappelé qu' « Israël n'est pas une île enclavée, mais fait partie d'un système international ». Un système auquel il doit théoriquement rendre des comptes.
Le face-à-face de l'Armée et de la Police
À Sde Teiman, devant l'absence de réaction de la police ou sa relative passivité, l'armée israélienne a été contrainte de se déployer face à des manifestants ultranationalistes restés impunis. Dans cet instantané figurant une mise en opposition de la Police et de l'Armée, se cristallise l'une des lignes de fracture qui menacent la société israélienne.
Ces tensions sont d'abord affaires d'hommes. Yoav Gallant a des relations notoirement exécrables avec Benjamin Netanyahou et Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale. Les prises de position du ministre de la Défense, sur la question des otages, sur l'hypothèse d'une « victoire totale » sur le Hamas avancée par Netanyahu et qu'il a qualifié d'« absurde » , comme ses réticences à ouvrir un front libanais ou son objection à l'exemption des étudiants de yeshiva du service militaire, indiquent d'une crise de confiance entre l'appareil militaire et le Premier ministre, flanqué de ses alliés d'extrême-droite.
Si le Premier ministre a exclu Itamar Ben-Gvir du cabinet de guerre, il lui a toutefois concédé la sécurité intérieure. Une façon également de contenir Yoav Gallant, aussi perçu comme l'homme des Américains, en accordant de larges pouvoirs au trublion d'extrême-droite sous la responsabilité de qui la Police a été placée.
Lorsque le gouvernement a été mis en place en novembre 2022, la presse israélienne avait craint que Ben Gvir ne forme une milice pour son usage politique. La distribution massive d'armes à des civils, après le 7 octobre, a ravivé cette crainte. Après que des objections ont été soulevées contre la création d'une garde nationale qui rendrait directement compte au ministre, celui-ci a obtenu le vote d'une loi sur mesure. Une loi analysée par Ha'Aretz comme « une autre étape cruciale vers l'éclatement final de la démocratie israélienne ».
Cette loi, adoptée en décembre 2022, accorde de larges pouvoirs en matière de police au ministre de la Sécurité nationale. Son adoption était une condition essentielle posée par Ben Gvir pour rejoindre le gouvernement de Benjamin Netanyahu.
Concrètement, cette loi sur mesure permet au ministre de la Sécurité intérieure de « définir les politiques de la police et les principes généraux de son fonctionnement ». Elle autorise également au ministre de définir la politique en matière d'enquêtes, après consultation du procureur, du commissaire de police et des officiers chargés des enquêtes. Autrement dit, l'un des premiers actes du gouvernement a été d'octroyer à un ministre d'extrême-droite religieuse et ultra-nationaliste le contrôle opérationnel de la police.
La Cour suprême comme la Procureure générale ont tenté de maintenir et garantir l'indépendance de la Police et de ses enquêtes après que des groupes de la société civile ont contesté les pouvoirs étendus de Ben Gvir, s'inquiétant que les dispositions vagues de la loi créent un risque de politisation de l'institution policière. Mais le ministre a déjà laissé son empreinte sur la police, en nommant des responsables qui lui sont inféodés.
Cet été, un incident a ainsi dernièrement conforté les craintes des médias et des citoyens israéliens. Une jeune femme, qui avait jeté une poignée de sable dans la direction de Ben Gvir, a été violemment arrêtée et placée en garde à vue durant 24H. Beaucoup y ont vu la confirmation que la Police, forte de 30.000 hommes, se conforme déjà aux ordres et au programme d'un ultranationaliste extrémiste.
La crainte est d'autant plus forte dans un contexte de manifestations régulières de la société civile du pays. En 2023, la Cour suprême a explicitement interdit à Ben Gvir de donner des instructions à la police en raison de préoccupations concernant le maintien de l'ordre lors des manifestations antigouvernementales. Cependant, Itamar Ben-Gvir a notoirement protégé des officiers accusés de violences durant ces manifestations.
Depuis que Ben-Gvir a pris la direction de la police du pays, la police a été accusée de laxisme face à la violence des colons en Cisjordanie occupée, de tactiques agressives contre les manifestants antigouvernementaux et de ne pas avoir réussi à mettre un terme aux attaques d'extrême droite contre les convois humanitaires à Gaza assiégée. Dans le même temps, Ben-Gvir a cherché à modifier unilatéralement le statu quo qui régit le lieu saint le plus inflammable de Jérusalem, l'enceinte de la mosquée al-Aqsa ou Mont du Temple. « Un jour, le tyran (Benjamin Netanyahou) jettera un coup d'œil par-dessus son épaule et constatera que l'homme qu'il a nommé pour assurer sa sécurité commence à constituer sa propre armée. », avertit de son côté l'analyste Yossi Klein dans un article alarmé.
Sous Ben Gvir, Israël connaît une recrudescence des crimes violents, un nombre record de meurtres et une forte augmentation du nombre d'accidents de voiture mortels. En particulier, les crimes violents dans les villes et villages palestiniens israéliens ont atteint des niveaux records, passant de 116 meurtres en 2022 à 244 en 2023. Près de 170 Arabes israéliens ont été assassinés en 2024. Dans son éditorial du 15 septembre, Ha'Aretz notait ainsi que sept citoyens arabes ont été tués en Israël en moins de 24 heures. Mais rien de tout cela n'est une priorité pour la police de Ben-Gvir.
La conflictualité intérieure israélienne s'est accrue, que celle-ci concerne les Palestiniens de Cisjordanie, ceux de citoyenneté israélienne, les manifestants contre la politique de Netanyahou, les familles des otages ou l'armée comme lors de l'assaut de Sde Teiman. Une violence qui se diffuse et qui vient comme pointer une anomie naissante en Israël. Une anomie entendue non pas au sens de l'absence ou d'organisation ou de loi, mais au sens de disparition des valeurs communes à un groupe.
Cette anomie intérieure semble répondre, en miroir, à une autre anomie, celle constatée dans la guerre menée à Gaza et dans les territoires occupés. Dans la chaine de commandement comme dans le comportement individuels ou en groupes de certains soldats israéliens, l'anomie prend alors la forme non pas de l'absence de toute norme ni même de toute morale mais du refus de celles-ci.
Israël a toujours affirmé être tout à la fois une démocratie et un État de droit. Un État régit par la loi et s'inscrivant dans un système international. La Police comme institution encadrée par des normes rigoureuses, et non inféodée à un parti politique ou un homme, participe en théorie de ces principes. Pourtant « [p]lus Ben Gvir et Smotrich seront en charge de la sécurité nationale et de la Cisjordanie, plus il sera impossible de croire que les décisions en matière de sécurité ne sont pas biaisées par des considérations personnelles et de partis politiques », observe dans Ha'Aretz, Mordechaï Kremnitzer de l'Israel democracy institute.
La possibilité d'un schisme intérieur sur fond de colonisation accélérée
Un autre transfert de pouvoirs significatifs a été de façon discrète, porteur également d'un possible schisme. Politique et territorial celui-là.
Le 29 mai dernier, l'armée israélienne a discrètement cédé d'importants pouvoirs en Cisjordanie occupée à l'administration de Bezalel Smotrich. Bon nombre des pouvoirs exercés auparavant par la chaîne de commandement militaire, de la réglementations en matière de construction jusqu'à l'administration de l'agriculture, de la sylviculture, des parcs et des zones de baignade, sont désormais sous la responsabilité de ce ministre d'extrême-droite. Ce transfert réduit également les contrôles juridiques sur l'expansion et le développement des colonies. Autrement dit, Smotrich, qui vit lui-même dans une colonie illégale, supervisera lois et réglementations régissant la vie des 800000 colons mais également des millions de Palestiniens de Cisjordanie.
Ce transfert de pouvoir a été compris comme venant affirmer la souveraineté israélienne en Cisjordanie. Il est largement considéré comme une étape significative vers l'annexion de jure par Israël de grandes parties de la Cisjordanie. Les Accords d'Oslo, déjà moribonds, ne sont plus. La colonisation n'est plus rampante mais ouverte. 2024 aura d'ailleurs été l'année lors de laquelle la plus grande superficie de terres de Cisjordanie a été déclarée « Domaines de l'État ».
Certes, officiellement, le pouvoir a été présenté comme essentiellement administratif. Mais sur le terrain les colons surarmés, leur impunité et leur autonomisation croissante par rapport à l'État d'Israël emportent les germes d'une autonomie plus large pour eux et de cette même anomie en germe à l'échelle du pays.
Voici Bezalel Smotrich intronisé tétrarque ou satrape de ce qu'il nomme « Judée-Samarie ». Pourtant la CIJ et l'Assemblée générale de l'ONU ont estimé que la présence israélienne dans les territoires palestiniens constitue bel et bien une occupation et un crime international, requérant dès lors le retrait israélien de ces mêmes territoires. Déjà dans les documents officiels israéliens, la région figure une division administrative à part, nommée « Gouvernorat de Judée et Samarie ».
Entre la violation continue du droit international et la possibilité d'une guerre civile si ce même droit international venait à s'appliquer, Israël a choisi et choisira toujours la première hypothèse.
Mais les pouvoirs élargis qu'a obtenus Bezalel Smotrich suffisent déjà pour créer une entité politique autonome. Une entité peuplée de 800 000 colons qui pourraient décider de ne plus appliquer les lois profanes de l'État d'Israël.
Le 7 octobre a été compris par beaucoup comme la traduction humaine d'une eschatologie cachée et en voie d'accomplissement. Les colons en Cisjordanie sont en effet toujours plus gagnés par une fièvre messianiste. En témoigne le mouvement dit des « Jeunes des Collines ». Quand l'autorité de l'État israélien contreviendra de façon frontale à un mode de vie et à des normes qui se veulent comme découlant de la seule autorité de la Loi religieuse juive, que se passera-t-il alors ? Déjà le projet de conscription des Haredim ou ultra-orthodoxes en donne un aperçu en termes de refus et de désobéissance.
L'Histoire se répétera-t-elle ? Selon la Bible, après la mort du Roi Salomon, un schisme apparut qui mena à la scission de l'Israël antique en deux entités politiques rivales : le royaume d'Israël et le Royaume de Judée. Dans la volonté d'assurer une souveraineté juive sur la Cisjordanie, Benjamin Netanyahou peut aussi être l'instrument involontaire d'une répétition de cette scission antique.
Une société en lente fracturation
Dans l'histoire d'Israël, les risques de scission ont déjà existé. Le pays a traversé, entre autres, les manifestations massives qui ont suivi la guerre du Liban en 1982, l'assassinat d'un Premier ministre en 1995 et le retrait forcé de 8 600 colons qui ont quitté le bloc de Gush Katif, à Gaza en 2005.
Une autre brèche s'est ouverte depuis le 7 octobre, qui se cristallise notamment dans la question des otages. La presse israélienne a documenté les obstacles sciemment posés par Netanyahou à tout accord. Dernièrement, c'est sur le corridor de Philadelphie, sur lequel Netanyahou entendait garder le contrôle, que les pourparlers ont achoppé. Philadelphie, ou l'amour des frères…il faut prêter sens aux mots.
La certitude qui s'installe que le gouvernement israélien a préféré abandonner ses citoyens au profit de calculs politiques pour les uns ou de prophéties fumeuses pour les autres a approfondi les tensions du corps social israélien qui court depuis quelques années. La stigmatisation des familles des otages et de leur soutien participe de ce délitement, ces familles étant de plus en plus ouvertement traitées comme des ennemis intérieurs politiques.
L'abandon effectif des otages retenus par le Hamas a aussi montré que deux sociétés israéliennes, deux visions aussi, se font face et peuvent s'affronter : celle d'un Israël qui refuse la guerre perpétuelle et aspire à un cessez-le-feu contre un Israël qui voit dans ces évènements tragiques l'occasion de concrétiser le « grand Israël » messianiste. Un Israël laïque, qui se revendique d'une tradition sioniste mais qu'il considère comme aboutie et close. Face à cet Israël, dont beaucoup des otages sont issus, se tient un Israël religieux qui inscrit les évènements dans une lecture religieuse et dans une dynamique territoriale, considérée comme non aboutie.
En un sens, cette fracture poursuit et approfondit la crise institutionnelle que le pays connaissait avant le 7 octobre, en raison du désir du gouvernement israélien et de Benjamin Netanyahu de réduire l'indépendance de la Cour suprême. Celle-ci est garante du contrôle judiciaire et de la protection des libertés civiles, notamment parce que le pays ne dispose que d'une seule chambre législative. Le pays n'a pas non plus de constitution formelle, mais un ensemble de 13 lois fondamentales que la Cour suprême utilise comme constitution de facto. Autrement dit, la Cour Suprême avait développé un contrôle juridique des actes politiques, ce qui a semblé insupportable pour Netanyahou et ses alliés.
Or, la réforme que voulait impulser le premier ministre consistait notamment à annuler les décisions rendues par la haute juridiction par une simple majorité d'une voix à la Knesset. Une Knesset pourtant contrôlée par des partis extrémistes pour lesquelles la loi de l'État n'est au mieux qu'une modalité pour généraliser l'application de la loi religieuse.
Cette possible mise au pas de la plus haute instance judiciaire du pays avait suscité de sérieuses inquiétudes et provoqué de vastes manifestations contre ce qui était alors qualifié de « coup d'État judiciaire ». Lors des manifestations qui ont suivi le projet de loi, l'armée traditionnellement socle de cohésion du pays avait montré des signes de tension avec plus de 1 000 réservistes de l'armée de l'air qui avaient alors songé à boycotter leur devoir militaire si le projet de loi progressait.
La question des responsabilités qui ont mené au 7 octobre sera forcément posée et peut approfondir ces ruptures entre l'armée et le pouvoir politique. Certes Benjamin Netanyahou a indiqué que la création d'une commission d'enquête devra attendre la fin de la guerre, tout en se dédouanant par avance de toute responsabilité et ou en laissant ses proches charger l'armée israélienne des défaillances qui ont mené à cette catastrophe humaine.
Mais la tension qui monte entre lui et l'appareil militaire et sécuritaire ne s'apaisera pas quand il faudra pointer les responsabilités. Pour les observateurs israéliens, si l'armée israélienne se retrouve comme bouc émissaire du 7 octobre et de l'échec des actions militaires qui ont suivi, elle devra choisir entre accepter sa marginalisation indéfinie ou se heurter frontalement au pouvoir politique. De ce choix découlera aussi l'avenir d'Israël.
Il est ainsi symptomatique que les références à l'affaire Altalena se multiplient dans les débats médiatiques israéliens. Le 26 mai 1948, Ben Gourion publiait un ordre portant sur la formation des Forces de défense israéliennes (IDF). Or, certaines milices sionistes, dont l'Irgoun et le Léhi avaient alors refusé cette institutionnalisation afin de préserver un certain degré d'indépendance politique. Ce fut le début de cette affaire Altalena, lorsque les IDF, dominées par la Haganah, tentèrent de bloquer une cargaison d'armes à bord du cargo Altalena et destiné à l'Irgoun. L'affrontement avait entraîné la mort de nombreux membres de l'Irgoun, des arrestations massives et le bombardement du navire lui-même. Cette mini-guerre civile dans le tout jeune État israélien a abouti à un équilibre historique que le 7 octobre a peut-être bouleversé.
Dans l'anomie qui gagne la société israélienne, la guerre devient non pas une situation perturbatrice de la coexistence sociale mais un moyen d'assurer cette dernière. Et avec l'anomie, c'est aussi le sens même de l'altérité qui s'efface.
À la Nakba continuelle, un 7 octobre continu fait miroir. Chaque jour est une répétition de ce trauma. Le risque à terme est de sortir des catégories encore normées de la paix et de la guerre pour entrer dans un nihilisme. Une étanchéité entre les faits et les valeurs qui ne peut être que destructrice pour tous.
« Il n'y aura pas de guerre civile [en Israël] » répète à l'envi Benjamin Netanyahou, lors de chaque crise intérieure. Il sera pourtant peut-être celui qui livrera le pays à ses apories, contradictions renforcées paradoxalement par des choix politiques censés les prévenir.
Tel Samson arcbouté entre ses deux piliers à Gaza…
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Actions urgentes nécessaires

L'Israël génocidaire a lancé une campagne d'extermination contre 400 000 survivant.es palestinien.es dans le nord de Gaza.
11 octobre 2024
Par le Comité national palestinien BDS (BNC)
Traduction Arthur Young
En plein génocide contre 2,3 millions de Palestinien.es dans la bande de Gaza occupée, l'armée israélienne intensifie ses massacres dans le nord de la bande de Gaza pour déplacer de force la population palestinienne restante – environ 400 000 personnes. Au cours des sept derniers jours, les forces israéliennes ont avancé dans cette zone, bloquant de fait les trois seules entrées et imposant un siège qui comprend des frappes aériennes et des bombardements massifs, ciblant en particulier ce qui reste du camp de réfugié.es de Jabalia.
Alors que le bilan des mort.es s'alourdit, les corps de nombreux.euses Palestinien.es massacré.es gisent dans les rues, inaccessibles en raison du blocus en cours. Les forces génocidaires israéliennes tirent sur les Palestinien.es qui tentent de secourir les blessé.es. Israël a ordonné aux hôpitaux du nord de Gaza d'évacuer tout le personnel et les patient.es, menaçant de bombarder s'ils ne s'exécutent pas. Parallèlement, Israël intensifie son agression sanglante en Cisjordanie occupée, ses massacres au Liban, allant jusqu'à bombarder une position de casques bleus de l'ONU, et ses campagnes de bombardements en Syrie, en Irak et au Yémen.
La criminalité sans précédent d'Israël est le résultat direct de son impunité sans précédent, rendue possible par l'armement, le financement et le partenariat total de l'Occident colonial, dirigé par les États-Unis.
« Où aller ? » se demandent plus de 400 000 Palestinien.es resté.es dans le nord de Gaza. Il n'y a pas de réponse, car il n'y a pas d'endroit sécuritaire où aller. Israël utilise la politique de la « terre brûlée », réduisant les terres palestiniennes en poussière, bombardant des maisons, des infrastructures, des installations médicales et des écoles, pendant qu'il provoque une famine énorme et la propagation de maladies infectieuses afin d'exterminer autant de Palestiniens que possible et de nettoyer ethniquement les survivants.
Ceci est un appel urgent à l'action : agissez maintenant pour mettre fin au génocide israélien contre les Palestinien.ess, diffusé en direct. Seul notre pouvoir populaire peut construire la pression nécessaire pour mettre fin au carnage israélien et contribuer au démantèlement de son régime de colonialisme de peuplement et d'apartheid, vieux de 76 ans.
IL FAUT AGIR MAINTENANT :
1. FAITES PRESSION SUR VOTRE GOUVERNEMENT POUR QU'IL IMPOSE DES SANCTIONS À ISRAËL, Y COMPRIS UN EMBARGO MILITAIRE TOTAL.
Ce n'est pas un choix, c'est un devoir : les sanctions contre Israël ont été votées par une majorité global de 124 États le 18 septembre à l'Assemblée générale des Nations Unies . Les décisions historiques de la Cour internationale de justice cette année déclenchent l'obligation juridique de tous les États de mettre fin à leur complicité avec le régime d'oppression d'Israël.
2. DESCENDEZ DANS LA RUE POUR FAIRE PRESSION SUR LES GOUVERNEMENTS POUR QU'ILS METTENT FIN À LA COMPLICITÉ.
Rejoignez les millions de personnes qui manifestent et perturbent pacifiquement le cours normal des choses pour faire pression sur leurs gouvernements afin qu'ils mettent fin à leur complicité dans les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide d'Israël.
3. SOUTENEZ LE MOUVEMENT DE BOYCOTT, DÉSINVESTISSEMENT ET SANCTIONS (BDS).
Le mouvement BDS est dirigé par la plus grande coalition de la société palestinienne. Boycottez les entreprises ciblées par le mouvement BDS. Faites pression sur votre université, votre fonds de pension, votre conseil municipal, votre syndicat, votre église, votre centre culturel et d'autres institutions pour qu'ils respectent les directives du BDS, pour qu'ils désinvestissent des entreprises complices de l'occupation militaire, de l'apartheid et du génocide israéliens.
4. EXIGER LA SUSPENSION IMMÉDIATE D'ISRAËL, UN ÉTAT D'APARTHEID, DE L'ONU.
Israël a été admis en 1949 au sein de l'ONU sous le faux prétexte qu'il s'agirait d'un État épris de paix et prêt à coopérer avec l'ONU pour mettre en œuvre la résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations Unies, qui stipule le droit des réfugié.ss palestinien.es au retour et à des réparations. Aujourd'hui, alors qu'Israël poursuit son génocide à Gaza, ses massacres au Liban, ses attaques contre les Casques bleus de l'ONU et son nettoyage ethnique des Palestinien.es en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, il est grand temps d'expulser Israël de l'ONU et de toutes les instances internationales.
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Il n’y aura pas de paix juste sans sanctions contre Israël

Le 6 octobre 2023, il n'y avait ni calme, ni paix pour les Palestiniens. La violence, nous la vivons au quotidien. Elle s'invite dans notre chair, sous les bombes, aux check-points, derrière les barreaux, dans la rue, ou simplement en allant cueillir des olives.
Tiré du blogue de l'auteur.
Nous, Palestiniennes et Palestiniens — et Arabes de manière plus générale — sommes exténués. Chercher l'empathie et la reconnaissance de notre lutte auprès de l'opinion publique semble parfois vain. Comme nos parents, nos grands-parents avant nous, nous portons chaque jour le deuil de nouveaux massacres, exodes forcés, maisons arrachées, révoltes écrasées. Inlassablement, nous devons justifier notre droit le plus élémentaire de vivre libres sur notre terre, en espérant ne pas être accusés d'antisémitisme ou d'apologie du terrorisme. Un an écoulé et se pose la question de comment avancer ? La fin de l'impunité d'Israël alimentée par notre déshumanisation reste la clé.
Le génocide en cours à Gaza est sans aucun doute l'un des pires épisodes de l'histoire contemporaine du peuple Palestinien. Israël a tué plus de 40,000 palestiniens et exterminé 902 familles entières rayées du registre de la population. Il est difficile de prendre du recul lorsque nous sommes dans le tourbillon d'un moment historique et une telle déflagration, où l'urgence est à stopper le carnage, arrêter de creuser des fosses communes.
Néanmoins, pour construire un chemin politique et social fondé sur les valeurs de liberté, équité et droits humains sur toute la terre du Jourdain à la mer Méditerranée - aujourd'hui entièrement contrôlé par Israël - il faut comprendre le moment actuel dans son contexte - même le plus immédiat - à la lumière des faits et non de la désinformation et des anathèmes, car les narratifs sont intimement liés aux décisions politiques.
La violence n'a pas commencé le 7 octobre et le “conflit” ne s'est pas amorcé ce jour-là non plus. Faire de cette date le point de départ pour expliquer la situation — et en faire le point central de la couverture médiatique sur la situation — c'est déjà s'inscrire dans le problème. Prendre pour prisme les violences subies par les Israéliens plutôt que de les reconnaître comme un symptôme, c'est effacer d'un revers de main des décennies de politiques génocidaires, d'invasions de pays voisins, de bombardements de capitales étrangères, et de spoliation des terres. Cela banalise la violence, tout en exigeant de nous soumission, silence et surtout, l'interdiction de résister pour un avenir meilleur.
Demander aux Palestiniens ce qu'ils pensent de la violence ou s'ils la condamnent — une tactique d'interview usée jusqu'à la corde — c'est faire l'impasse sur le fait que cette violence, nous la vivons au quotidien. Elle s'invite dans notre chair, sous les bombes, aux check-points, derrière les barreaux, dans la rue, ou simplement en allant cueillir des olives. Aucun parent, qu'il soit chrétien, juif, musulman ou bouddhiste, ne devrait jamais avoir à enterrer son enfant.
Il y a soixante-seize ans en 1948, 750,000 Palestiniens étaient expulsés de leurs terres et forcés à l'exil - dont toute ma famille paternelle - dans une campagne de nettoyage ethnique appelée la Nakba. Depuis octobre 2023, deux millions de Palestiniens de Gaza ont de nouveau été déplacés, nombreux d'entre eux étant déjà des réfugiés de la Nakba de 1948.
Les Palestiniens ont toujours vécu la Nakba comme un processus continu de dépossession et non pas un événement limité dans le temps. Une violence palpable, tant dans des flambées extrêmes comme à Gaza aujourd'hui que dans le système complexe de colonisation imposé par l'occupation militaire et l'apartheid, qui envahissent nos vies quotidiennes, contrôlant notre temps, notre espace, et jusqu'aux décisions les plus intimes.
La dernière décennie a été marquée par la fin de l'illusion d'un "processus de paix", par des soulèvements massifs populaires comme la Grande Marche du Retour de 2018 à 2020, réprimée dans le sang, et les soulèvements populaires en 2021 pour Jérusalem, tant d'événements qui ont culminé avec l'attaque du 7 octobre.
L'extermination en cours à Gaza s'inscrit dans un continuum d'oppression systémique qui remonte aux origines du projet sioniste. Il n'est pas le résultat d'une vengeance qui aurait mal tourné ou d'une réponse “exagérée” au 7 octobre ou encore moins d'une offensive visant à “éliminer le Hamas”. Ce n'est pas non plus une guerre pour récupérer les otages israéliens, qui auraient été libérés depuis longtemps si Netanyahu n'avait pas rejeté les accords de cessez-le-feu successifs ou fait assassiner le principal négociateur du Hamas. De toute manière, le gouvernement Israélien aurait trouvé d'autres prétextes pour l'opération de destruction totale en cours.
Le 6 octobre 2023 il n'y avait ni calme, ni paix pour les Palestiniens, seulement une illusion de tranquillité pour les Israéliens barricadés derrière leurs murs et leur arsenal militaire étouffant et invisibilisant les Palestiniens. Gaza subissait depuis seize ans un blocus inhumain et transformé en "prison à ciel ouvert". En Cisjordanie, les années 2022 et 2023 avaient été les plus meurtrières depuis des décennies. La violence quotidienne contre les Palestiniens, banalisée et ignorée des médias, était reléguée au rang de simples épisodes dans un “conflit inextricable” — un anathème effaçant toute dimension coloniale et politique, exonérant ainsi Israël de ses responsabilités.
Aujourd'hui Netanyahu et sa coalition mènent une stratégie de destruction totale en commençant par Gaza et par extension la Cisjordanie et le Liban. Il embrasse la doctrine du leader sioniste Jabotinsky qui, en 1923 reconnaissant le caractère colonial du projet sioniste, et qu'« il n'existe pas de cas unique de colonisation effectuée avec le consentement de la population autochtone” prônait la mise en place d'un “mur de fer” pour écraser toute contestation.
Comment Israël a-t-il pu façonner et fabriquer un tel consentement à son entreprise de conquête coloniale et bénéficier d'une telle impunité face au piétinement continu de toute loi internationale ?
La réponse est dans la déshumanisation des Palestiniens, et le racisme qui irrigue la perception de la situation entre Israéliens et Palestiniens.
Les Palestiniens sont présumés coupables, violents et racistes jusqu'à preuve du contraire. L'accent médiatico-politique est mis sur les victimes idéales — femmes, enfants, médecins — comme si les hommes, artisans de leur quotidien, avaient moins droit à la dignité. Le génocide, filmé en temps réel, se transforme en débat sémantique, la famine est qualifiée d'"inventée", et les mensonges d'État repris pour argent comptant. Les civils ne sont plus des civils et les limites du pire toujours dépassables. Cybersurveillance, censure, incarcération, répression des mouvements de solidarité et accusations d'antisémitisme parachève l'arsenal pour criminaliser les Palestiniens et normaliser la violence d'Etat Israélienne.
D'autre part, qualifier le Hamas de "groupe terroriste", un concept politique sans définition en droit international, ou comme un mouvement antisémite visant à anéantir les juifs, dépolitise la nature de ce groupe et légitime toute forme de punition collective et d'oppression. Pourtant, l'oppression des Palestiniens, leur résistance et leurs révoltes existaient bien avant la création du Hamas en 1987, qui lui-même est né dans ce contexte d'un demi-siècle de répression.
Au contraire, la communauté internationale, en particulier les pays occidentaux, part du principe que les choix politiques et les actions d'Israël sont par essence légitimes et menés de bonne foi. Ainsi, les dirigeants israéliens ont perfectionné la politique du fait accompli : gagner du temps pour étendre son emprise coloniale, repousser les lignes rouges et rendre toute contestation future d'autant plus difficile. La nouvelle litanie des "négociations pour un cessez-le-feu" remplace le "processus de paix". Une tactique qui ne date pas d'hier. Lorsque l'armée israélienne a occupé la Cisjordanie et Gaza en 1967, le monde a demandé qu'ils se retirent immédiatement et mettent fin à l'occupation. Puis lorsque les colonies ont été construites et se sont consolidées sans aucune conséquence internationale, les négociations se sont réduites à demander le gel de nouvelles colonies. Cinquante ans plus tard, plus de 700,000 colons règnent en maître en Cisjordanie et l'assemblée générale des Nations Unies vote de nouveau pour demander à Israël de “mettre fin à l'occupation”.
Mais voilà, après un siècle de contestation de l'entreprise coloniale sioniste, les Palestiniens sont toujours là, et demandent l'intégralité de leurs droits.
Ce que demande l'avenir immédiat est d'abord la reconstruction d'un mouvement national politique Palestinien unifié qui puisse se réapproprier notre combat historique. Un pouvoir qui devra englober toutes les parties prenantes politiques, du Hamas au Fatah en passant par les non-affiliés et les réfugiés en exil, sans que notre mobilisation politique soit écrasée avant même d'être organisée.
Nous devons entre temps résister à la tentation d'embrasser les gesticulations diplomatiques hâtives et propositions de “raviver” des “solutions” et “processus de paix” voués à normaliser les faits accomplis coloniaux, masquer les responsabilités d'Israël tout en nous imposant des dirigeants fantoches choisis par leurs mécènes.
La véritable question à poser aujourd'hui n'est pas de savoir si la “solution à deux États peut être sauvée”, mais quel contrat social nous souhaitons instaurer sur l'ensemble du territoire qui inclut aujourd'hui Israël et les territoires occupés depuis 1967. Tant que les lois constitutionnelles et les institutions en place, racistes par essence, continueront de donner plus de droits aux juifs, tant que les Palestiniens ne pourront pas revenir sur leur terre, et tant que remettre en question le sionisme en tant que projet politique restera un tabou intouchable, la violence prévaudra.
Il n'y aura pas de cessez-le-feu sans sanctions contre Israël et sans prise de conscience internationale que l'impunité et la complicités doivent cesser. Il n y aura pas de paix sans démanteler le système d'Apartheid et de Nakba continue. Il n'y aura pas de paix sans justice internationale ou droits fondamentaux pour tous.
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Enquête : Le gouvernement de Netanyahou ne se contente pas d’autoriser la terreur juive en Cisjordanie, il la finance également

Les colons parlent de révolution : Plus de 60 avant-postes agricoles illégaux ont vu le jour en Cisjordanie au cours des sept dernières années, s'emparant de vastes étendues de terres palestiniennes. Grâce à la main-d'œuvre bon marché fournie par des jeunes « à risque », cette entreprise est également devenue l'un des principaux fomentateurs de la terreur juive dans les territoires - et l'État paie généreusement la facture.
Tiré de France Palestine solidarité. Article originalement paru dans Haaretz. Photo : Les colons israéliens mènent des raids à Masafer Yatta © Mohammad Hureini
La route menant à Havat Dorot Illit - la ferme d'Upper Dorot - commence en fait par une descente abrupte. Le virage serré de la route interne de la colonie de Ma'aleh Shomron mène à un sentier vierge dans une réserve naturelle, ce qui représente un défi même pour les conducteurs expérimentés. Le sentier a été tracé uniquement pour la ferme. Pendant de longues minutes, il ressemble à une route qui ne mène nulle part.
Au sommet de la colline se trouve la maison des propriétaires de la ferme : Ben Yishai Eshed, sa femme Leah et leurs deux jeunes enfants. Une famille et un troupeau de bovins, qui sont restés comme un os dans la gorge des communautés palestiniennes de longue date vivant dans la région. À quelque distance de la maison familiale, une cabane en béton domine le terrain. C'est le quartier général improvisé des soldats de l'unité de défense régionale des Forces de défense israéliennes qui gardent l'avant-poste des colons. Cependant, le cœur de la ferme palpite à l'intérieur d'une modeste structure située sur le côté : une grande tente recouverte d'une toile noire. Les matelas entassés à l'intérieur indiquent que c'est là que vivent les garçons de Dorot Illit.
Dans une vidéo promotionnelle diffusée sur le web, Eshed se vante de la présence dans la ferme de pas moins de six jeunes « volontaires qui apprennent à travailler, à apprécier et à aimer la terre ».
Lors de notre visite, nous avons rencontré deux jeunes qui ont déclaré avoir 17 et 16 ans, bien qu'ils aient l'air plus jeunes. L'un d'eux nous a expliqué qu'il avait grandi dans une ville isolée du nord d'Israël, qu'il avait quitté l'école il y a un an et qu'il s'était retrouvé à la ferme par l'intermédiaire d'une connaissance de ses parents. Depuis qu'il s'est installé dans cet avant-poste isolé, il s'est astreint à une routine exigeante qui consiste à se lever à 5 heures du matin pour emmener les vaches au pâturage. Au fil du temps, il est également devenu habile dans la récolte des olives et les travaux d'entretien. Après nous avoir raconté son histoire, il part à toute vitesse avec son ami sur un véhicule tout-terrain.
C'est alors qu'Eshed lui-même arrive de la route principale. Il est un instant déconcerté par ces invités inattendus qui sont venus faire une randonnée dans la réserve naturelle et se sont retrouvés dans sa ferme, mais il nous adresse immédiatement un regard amical. « Les enfants vous ont offert du café ? » demande-t-il, en précisant qu'il veut dire “les gars”. Qui sont les gars ? « Des jeunes de 15 ou 16 ans qui ne se sont pas retrouvés à l'école », explique-t-il.
Eshed se sépare de nous cordialement mais fermement. Nous reprenons le chemin sinueux. En chemin, nous apercevons un conteneur de stockage portant l'inscription « Uri Eretz Ahavati » (Réveille-toi, ma terre bien-aimée) - le nom de l'association à but non lucratif pour les jeunes à risque qui est à l'origine du projet éducatif expérimental de la ferme. Selon ses rapports au Registre des associations, Uri Eretz gère « un cadre éducatif pour les jeunes qui ont des difficultés à s'intégrer dans des cadres formels, ce qui implique la création de fermes agricoles qui servent de pensionnat pour les jeunes, où on leur apprend à aimer la terre et à travailler le sol ».
Dorot Illit constitue la première partie du projet. En 2023, l'association à but non lucratif qui exploite la ferme a reçu près de 400 000 shekels (environ 110 000 dollars) du ministère du développement du Néguev et de la Galilée ; Eshed reçoit également un salaire symbolique de l'organisation. En outre, le ministère de l'agriculture a approuvé une subvention de près de 100 000 shekels sur une période de deux ans. Ce n'est pas tout. Jusqu'à la fin de l'année 2023, la ferme a également bénéficié d'un soutien dans le cadre d'un programme pour les jeunes à risque lancé par le Fonds national juif.
En juillet dernier, des colons de la ferme et de ses environs sont arrivés dans un village palestinien voisin. Selon les habitants, les intrus les ont attaqués avec des tuyaux de fer, des gourdins et des pierres, et ont incendié leurs tentes ; un garçon de 3 ans qui dormait dans l'une d'elles a été blessé. Au total, cinq habitants du village ont été hospitalisés. Eshed lui-même a été documenté sur les lieux. Une plainte déposée par l'un des villageois a été rejetée par la police, qui a affirmé qu'elle n'était pas en mesure de localiser les suspects.
Les Palestiniens affirment que cette agression est la pire d'une série d'actes abusifs perpétrés par les gens de la ferme. En effet, ils considèrent leur vie avant et après l'établissement de l'avant-poste.
En définitive, Havat Dorot Illit - l'un des endroits les plus extrêmes et les plus indisciplinés de Cisjordanie, qui est devenu un foyer de frictions et de violences presque dès sa création - bénéficie d'une part importante du financement public. Et ce n'est pas le seul.
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Les colons de Cisjordanie parlent de ce qui se passe depuis quelques années dans les avant-postes agricoles et pastoraux, presque tous illégaux, comme d'une véritable révolution. Son esprit incarne le « miracle » que la ministre des Missions nationales, Orit Strock, a décrit dans le contexte des événements déclenchés par le massacre du 7 octobre. En effet, dans l'ombre de la guerre qui dure depuis un an, le gouvernement a resserré son emprise sur la Cisjordanie. Le plat de résistance de ce repas est constitué de groupes relativement restreints de fermiers gloutons qui prennent le contrôle de vastes étendues de terre.
Les pionniers dans ce domaine existent depuis longtemps. Les premières communautés qu'ils ont créées, dans les années 1980 et 1990, étaient la ferme Har Sinai dans les collines du sud d'Hébron, le ranch d'Avri Ran à Givot Itamar et la ferme Skali à l'est de la colonie d'Elon Moreh. Au début de l'année 2017, 23 avant-postes de ce type étaient disséminés en Cisjordanie. Mais depuis lors, leur nombre a considérablement augmenté, avec quelque 65 nouveaux avant-postes créés en l'espace de sept ans seulement. En 2021, Amira Hass a publié un article dans Haaretz sur quatre fermes qui avaient été créées en l'espace de cinq ans et qui contrôlaient une superficie équivalente à celle de la ville de Holon.
Aujourd'hui, il existe environ 90 avant-postes de ce type qui, ensemble, couvrent approximativement 650 000 dunams (162 500 acres) de terres, soit environ 12 % du territoire de toute la Cisjordanie - une superficie équivalente à celle de Dimona, Jérusalem, Be'er Sheva, Arad et Eilat réunies.
L'entreprise florissante des avant-postes pastoraux et agricoles, qui diffèrent du type d'avant-postes typiquement associés aux jeunes des collines, a été lancée et fondée de manière bien planifiée. Il suffit d'écouter Zeev (« Zambish ») Hever, le leader de longue date des colons qui a librement accès au bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Hever, le cerveau de l'accaparement des terres dans les territoires et le chef d'Amana, la principale branche opérationnelle du mouvement pour la création d'avant-postes de colons, a fait la lumière sur le projet en juin. Dans une interview accordée au magazine Nadlan Yosh (Judea-Samaria Real Estate), M. Hever a indiqué que la mission principale d'Amana était de « sauvegarder les territoires ouverts » et a ajouté que « les principaux moyens que nous utilisons sont les fermes agricoles ». Il a également noté que « la zone occupée par ces fermes est 2,5 fois plus grande que la zone occupée par les centaines de colonies ».
Amana est assurément une organisation puissante, dont les actifs sont estimés à 600 millions de shekels (environ 158 millions de dollars actuellement). Néanmoins, elle n'aurait pas pu, à elle seule, donner vie à une entreprise aussi ambitieuse. Ces dernières années, l'État a fait des fermes d'avant-postes un projet phare et les a comblées de largesses extraordinaires. Des dizaines de millions de shekels de fonds publics sont injectés dans ces communautés directement par les ministères, les autorités locales des territoires et la division des colonies de l'Organisation sioniste mondiale. Parallèlement, le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a annoncé qu'il travaillait à la légalisation officielle des fermes.
Des dizaines de millions de shekels de fonds publics sont injectés dans ces communautés. Au moins six ministères sont impliqués dans le financement et le maintien de cette entreprise en plein essor, dont l'objectif sous-jacent est la dépossession systématique des résidents palestiniens.
Contrairement au passé, les propriétaires des nouvelles fermes ont tendance à jouer le jeu avec l'État, s'écartant ainsi de l'idéologie « classique » des jeunes des collines, qui rejetaient totalement la coopération avec ce qu'ils considéraient comme l'establishment. Le résultat est que les agriculteurs des avant-postes travaillent désormais main dans la main avec l'État, qui leur accorde des prêts pour l'établissement de leurs communautés, leur attribue des contrats pour des pâturages, les relie aux infrastructures, répond à leurs besoins en matière de sécurité, leur achète du matériel et leur offre également des « subventions pour le pâturage » et même des « subventions pour la création d'entreprises ».
L'enquête de Haaretz révèle qu'au moins six ministères sont impliqués dans le financement et le maintien de cette entreprise florissante, dont l'objectif sous-jacent est la prise de possession de terres par la force et la dépossession systématique des résidents palestiniens.
Le généreux panier de soutien n'est qu'un élément de cette initiative. Le Fonds national juif (Keren Kayemeth LeIsrael) est également devenu un soutien important de cette initiative, sa principale contribution tournant autour de projets pour les jeunes à risque dans les fermes et les ranchs.
D'une manière générale, le terme « jeunes à risque » est devenu ces dernières années la cheville ouvrière de toute une industrie de « blanchiment » des fermes, notamment en termes d'image. Le séjour des adolescents sous l'égide d'un cadre « éducatif » ou « réhabilitatif » confère aux avant-postes une légitimation précieuse, qui se traduit par des budgets conséquents. Certains programmes sont même inclus dans les paquets d'activités d'enrichissement que le ministère de l'éducation propose aux établissements d'enseignement.
Entre-temps, cependant, il est de plus en plus évident que, dans de nombreux cas, les avant-postes d'agriculteurs et de bergers sont devenus un terrain propice à la violence nationaliste extrême. Les exemples de ces dernières années sont nombreux : la ferme de Zohar Sabah, dans la vallée du Jourdain, d'où des colons, dont certains étaient mineurs, ont attaqué le directeur d'une école palestinienne dans l'enceinte de l'établissement ; la ferme de Hamachoch, près de Ramallah, dont les habitants ont réussi à chasser les résidents du village palestinien voisin, Wadi al-Siq ; Yinon Levy, de la ferme de Meitarim, dans le sud des collines d'Hébron, qui a mené des attaques et des harcèlements qui ont forcé les résidents d'un autre village à s'enfuir. Dans ces fermes, la force d'avant-garde est souvent composée d'adolescents à risque.
Depuis que la guerre a éclaté il y a un an, la passion ostensible de la vengeance parmi les colons des fermes s'est accrue, de même que leur audace. Le Shin Ben a récemment remis au gouvernement un document dans lequel il mettait en garde contre la prolifération rapide des fermes et l'augmentation des incidents violents qui en découlent. Appelons un chat un chat », déclare Hagit Ofran, qui dirige le projet “Settlement Watch” au sein de Peace Now. « La montée en flèche de la violence des colons en Cisjordanie est directement liée à l'émergence des avant-postes agricoles. Leurs habitants sont responsables d'une grande partie de cette violence ». Dans le même temps, le nombre de communautés palestiniennes situées à proximité des fermes et dont les habitants ont été chassés de force de leurs maisons a fortement augmenté.
Nous parlons de 35 expulsions [de villages] au cours des deux dernières années, la majorité d'entre elles étant des « expulsions d'octobre » », note Dror Etkes, fondateur de Kerem Navot, une ONG qui surveille les colonies en Cisjordanie.
L'arène internationale n'est pas restée indifférente à cette évolution. Au cours de l'année écoulée, les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres pays ont imposé des sanctions aux propriétaires de six de ces fermes. Expliquant les raisons des mesures imposées à trois fermes en mars dernier, l'administration Biden a déclaré qu'elles s'étaient « livrées à des violences répétées et à des tentatives de violence contre des Palestiniens en Cisjordanie » et, dans certains cas, contre d'autres Israéliens également.
Mais les jeunes volontaires qui vivent dans ces communautés ne sont pas affectés par la condamnation internationale. « Depuis que la guerre a commencé, nous sommes pratiquement autorisés à tout faire, du point de vue de la sécurité et aussi en ce qui concerne les autorisations », déclare avec une honnêteté inquiétante un jeune qui vit à Havat Oppenheimer, à côté de la colonie haredi (ultra-orthodoxe) d'Immanuel, dans le nord de la Cisjordanie. « L'armée est avec nous et il nous sera plus facile de prendre possession des terres. Il en va de même pour les États-Unis, car depuis le 7 octobre, ils ont les yeux rivés sur Gaza et moins sur la Judée et la Samarie [en Cisjordanie] ». En effet, depuis que la guerre a éclaté, des réservistes ont été déployés en permanence dans les avant-postes agricoles, renforçant ainsi l'emprise sur les terres de Havat Oppenheimer, alias Havat Se'orim (Ferme de l'orge), et d'autres avant-postes similaires.
La ferme de l'orge, créée à la mi-2023 par le chef du service foncier du conseil régional de Samarie, se trouve non loin de Dorot Illit. « Il y a trois fermes le long du même axe », explique le jeune homme, qui ajoute : »C'est divisé d'une manière absolument stratégique.
Le joyau de la couronne est la « salle de guerre », une partie du bâtiment principal remplie d'écrans divisés qui reçoivent les images des caméras disséminées dans la région, ce qui permet d'observer l'ensemble du secteur 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Une salle de contrôle plantée au cœur d'une réserve naturelle verdoyante. Le propriétaire de la ferme dispose même d'un drone équipé d'un mécanisme de vision nocturne, grâce à la générosité du One Israel Fund, une organisation américaine qui fournit aux avant-postes agricoles toute une série de dispositifs technologiques liés à la sécurité.
« Depuis que la guerre a commencé, nous sommes pratiquement autorisés à tout faire », explique un jeune qui vit à Havat Oppenheimer, dans le nord de la Cisjordanie. « L'armée est avec nous et il nous sera plus facile de prendre possession des terres.
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Nili, situé à quelques kilomètres à l'est de la ligne verte, est un symbole de la colonisation séculaire et bourgeoise. Ses maisons aux toits de tuiles rouges sont entourées d'une clôture hermétique. Dans la rue qui mène à la colonie, une installation composée de chaises vides appelle silencieusement à un accord pour sauver les otages de Gaza. Depuis le point d'observation situé au sommet de la colline, deux villages palestiniens sont visibles à proximité, rappelant l'objectif fondamental de la création de ces communautés. Pourtant, aujourd'hui, la contribution des colonies de vétérans comme celle-ci à l'objectif de creuser un fossé entre les communautés arabes de Cisjordanie semble presque marginale.
Il n'est pas nécessaire d'avoir des jumelles pour observer les nouveaux développements dans la région. Au pied de Nili se trouve la ferme Magnezi, nommée d'après son fondateur, Yosef Chaim Magnezi, qui y vit avec sa femme Devora et leur tout jeune fils. « Le contraste entre Nili et Magnezi constitue l'essence de toute l'histoire ici », affirme l'activiste Etkes. Magnezi couvre environ 5 000 dunams (1 250 acres) de terres agricoles - la taille de la ville de Yehud-Monosson dans le centre d'Israël, et quatre fois la taille de Nili - même si toute sa population consiste en une seule famille vivant dans un camion transformé en résidence, avec quelques invités occasionnels.
La ferme de Magnezi a étendu ses longues tentacules sur les terres palestiniennes qui l'entourent au moyen de nouveaux chemins de terre. Les documents promotionnels rédigés à propos de la ferme indiquent que son objectif est « d'empêcher une prise de contrôle par les Arabes des territoires de notre précieuse terre ». Magnezi, pour sa part, a déclaré dans une interview : « Il y aura des Juifs dans ces collines. Il y a ceux qui comprennent plus vite et ceux [qui comprennent] plus lentement ».
L'avant-poste, avec son troupeau de 200 moutons, ses pâturages à perte de vue et ses bosquets de bananiers et de manguiers, ne pourrait exister sans un réseau efficace de bénévoles. La plupart sont des adolescents, dont certains ont abandonné leurs études dans divers cadres et d'autres n'ont pas de contact avec leur famille. Selon le site Internet de Hashomer Yosh (Gardien de la Judée-Samarie), une organisation soutenue par le gouvernement qui contribue à fournir des volontaires aux fermes - qui vient tout juste de faire l'objet de sanctions américaines - « de nombreux jeunes viennent à Magnezi... parmi eux des jeunes haredi de [la colonie de] Kiryat Sefer ».
Magnezi et sa femme délèguent de nombreuses tâches aux membres de leur jeune main-d'œuvre - dont certains sont classés comme étant à risque - y compris l'entretien des infrastructures et le travail de berger. L'enveloppement thérapeutique et rééducatif ostensiblement fourni par la ferme est basé sur le travail manuel dans un endroit où les gens « vivent simplement et se débrouillent avec peu, [et qui est] connecté à la nature », a déclaré Magnezi au site web de Channel 7 News l'année dernière. « Les jeunes, et c'est tout à leur honneur, ont cette flamme dans les yeux. Ce sont eux qui doivent faire ces choses folles. Les jeunes veulent créer une ferme et être actifs. Ils doivent être autorisés à le faire ».
L'entreprise ostensiblement éducative de Magnezi est ainsi devenue un aimant pour les jeunes à problèmes. L'un d'entre eux, Einan Tanjil, originaire de Kiryat Ekron, une ville proche de Rehovot, est arrivé adolescent dans les collines de Cisjordanie. En février dernier, il est devenu l'une des premières personnes à faire l'objet de sanctions de la part de l'administration américaine. En novembre 2021, alors qu'il avait 19 ans, Tanjil et une vingtaine de colons masqués ont attaqué des Palestiniens qui récoltaient des olives dans les bosquets de Surif, un village proche de la colonie de Bat Ayin. Il a également matraqué trois militants israéliens des droits de l'homme et a été reconnu coupable d'agression aggravée à l'aide d'une arme froide (non explosive) et de tentative d'agression.
Au cours de la procédure judiciaire, Tanjil a demandé à être placé en détention dans la ferme des Magnezi. Yosef Chaim Magnezi a comparu à l'audience et a longuement décrit comment il avait aidé des jeunes comme Tanjil. « J'ai beaucoup travaillé avec ces jeunes, je crois vraiment en eux », a-t-il déclaré. « Ce sont des personnes très fortes et je pense qu'il faut leur donner une orientation dans la vie. Devora, son épouse, a également évoqué leur rôle dans la réhabilitation de jeunes comme Tanjil. « Cela fait partie de ma mission, dit-elle, d'accepter des gens qui n'ont nulle part où aller.
Pour sa part, le service de probation n'a pas été impressionné par les propos du couple, pas plus que le juge. La représentante de l'État a rappelé au tribunal que Magnezi lui-même avait fait l'objet d'une enquête pour suspicion de menaces et d'intrusion lors d'un incident survenu dans un village palestinien voisin. Elle a ajouté que sa ferme était un foyer de « troubles et de frictions ».
Lors d'une visite de la ferme par Haaretz il y a deux semaines, l'un des volontaires, un jeune homme de 18 ans issu d'une communauté haredi, a été aperçu en train d'effectuer des travaux d'entretien. Il a raconté qu'il était arrivé à Magnezi deux ans plus tôt, après avoir abandonné une yeshiva et s'être impliqué dans des activités criminelles. « J'ai été emprisonné pour des bêtises de jeunesse », a-t-il déclaré. « Je suis la personne que je suis aujourd'hui grâce à la ferme. Et il ajoute, très simplement : « C'est une ferme de colonisation. Avant cela, les Arabes venaient ici ».
Aujourd'hui, l'endroit est en plein essor, a déclaré le jeune homme, en montrant une structure orange isolée située à environ un kilomètre à pied - une « ferme-fille » où vivent désormais d'autres volontaires comme lui. « Nous avons commencé ici et nous avançons vers là. La vie sur le « nouveau site » a été compliquée par les frictions constantes avec les Palestiniens de la région.
La volonté d'expansion n'est pas anodine : Il y a peu, la ferme a fait savoir qu'elle était en difficulté économique et a lancé une campagne de crowdfunding sous le slogan « Saving Magnezi's Farm » (Sauver la ferme de Magnezi). Le public a répondu en donnant environ un demi-million de shekels. L'organisation à but non lucratif qui a servi de canal pour les dons est l'organisation Btsalmo de l'activiste de droite Shai Glick. C'est d'ailleurs cette même organisation qui a permis de collecter des fonds pour une autre personne « dans le besoin », le Premier ministre Benjamin Netanyahou, afin de financer sa défense juridique.
Outre l'organisation Hashomer Yosh, l'organisation à but non lucratif Regavim, qui contribue également à soutenir la ferme Magnezi, reçoit chaque année de généreuses subventions du gouvernement. Le ministère de l'agriculture a accordé une modeste subvention à la ferme et d'autres aides à son fonctionnement proviennent de la JNF.
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L'activité du JNF en Cisjordanie a suscité de vifs désaccords au sein de l'organisation. Certains de ses représentants locaux sont d'orientation politique de centre-gauche et d'autres sont des Juifs d'Amérique du Nord - des groupes qui n'approuvent généralement pas l'entreprise de colonisation. Lorsque les membres des communautés juives du monde entier font des dons généreux à la JNF, ils ne se rendent peut-être pas compte que leur argent sert en fait à financer des activités qui profitent à des avant-postes de colons extrémistes, dont certains sont violents, dans toute la Cisjordanie.
Néanmoins, au cours des trois dernières années, le Fonds a transféré 5,5 millions de shekels à son programme pour la jeunesse agricole, qui aide les bénévoles des avant-postes agricoles et pastoraux et est présenté comme un programme d'aide aux jeunes à risque. Dans le cadre de ce programme, les adolescents volontaires participent à des formations professionnelles, à différents types d'ateliers et à des cours de maturité - payés par le JNF. La formation professionnelle comprend des options permettant de développer des compétences particulièrement utiles pour les avant-postes des colons, telles que la soudure, l'installation de caméras de sécurité, les travaux agricoles et la maîtrise de l'arabe. Ces activités risquent non seulement de ne pas entraîner le départ des jeunes des fermes, mais aussi de contribuer à leur maintien sur place.
Un document obtenu par Haaretz révèle la liste des avant-postes, pour la plupart illégaux, soutenus dans le cadre du programme agricole du JNF, dont certains ont été sanctionnés par Washington en raison de leur caractère violent. Certains responsables du JNF craignent que la poursuite du financement du programme ne constitue une violation de ces sanctions.
Havat Hamachoch et Havat Rimonim sont deux de ces avant-postes. Ces deux fermes, ainsi que la personne qui les dirige, Neria Ben Pazi, ont fait l'objet de sanctions américaines pour leur rôle dans l'expulsion de communautés palestiniennes locales. Une autre ferme impliquée dans le même programme du JNF et qui figure également sur la liste noire des États-Unis est celle de Zvi Bar Yosef. Il y a environ un an, Haaretz a rapporté une série d'exemples d'attaques violentes provenant de la ferme de Zvi, dont certaines ont été décrites comme des pogroms.
Au total, jusqu'à la fin de l'année 2023, plus de 200 adolescents ont participé au projet du JNF dans des dizaines de fermes de Cisjordanie. Quatre-vingts de ces jeunes figuraient parmi les bénéficiaires des 1,5 million de shekels (environ 415 000 dollars) que le JNF a transférés au Conseil régional de Binyamin, en Cisjordanie. Le FMN a transféré une somme encore plus importante, 2 millions de shekels, à Artzenu, une organisation qui a financé des programmes de formation pour 150 jeunes dans 25 autres fermes. Artzenu est en effet l'une des organisations les plus étroitement liées aux nombreux volontaires qui affluent dans ces avant-postes. La coopération avec cette organisation a été gelée par le JNF à la suite d'un rapport de Haaretz l'année dernière.
Lorsque les Juifs de la diaspora font des dons généreux à la JNF, ils ne se rendent pas toujours compte que leur argent sert en fait à financer des activités qui profitent à des avant-postes de colons extrémistes, dont certains sont violents.
Pour les militants de gauche, les projets présentés comme destinés aux jeunes à risque ont toujours été un moyen efficace de s'approprier des terres en Cisjordanie. Dès 2013, un avant-poste thérapeutique appelé Haroeh Haivri (le berger hébreu) a été établi près de Kfar Adumim, à l'est de Jérusalem, pour « réhabiliter » les jeunes des collines. La ferme a été construite sans permis, mais l'État l'a ensuite légalisée. Actuellement, elle fonctionne en coopération avec les forces armées et reçoit une généreuse subvention de 2 millions de shekels par an de la part du ministère de l'éducation.
L'académie prémilitaire de Liel, nommée en l'honneur du sergent-chef Liel Gidoni, tué lors de l'opération Bordure protectrice en 2014, et destinée aux jeunes à risque, a été créée quatre ans plus tard, après que des colons eurent repris un camp militaire abandonné dans la vallée du Jourdain. Le ministère de l'éducation lui alloue environ 170 000 shekels par an, en moyenne.
La ferme de Lechatchila, créée en 2019 dans la région de Jéricho pour les jeunes Haredi en décrochage scolaire, est un autre avant-poste agricole relativement récent. Depuis sa création, les tensions n'ont cessé de croître entre la ferme et les communautés de bergers bédouins voisines. Ce projet fait également partie du projet du JNF pour les jeunes agriculteurs et a été financé à hauteur d'environ 1,25 million de shekels au cours des deux dernières années.
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En tout état de cause, les millions que le JNF consacre aux activités des bénévoles dans les avant-postes non autorisés ne sont qu'un rouage dans un mécanisme de soutien gouvernemental multi-institutionnel et lourd de ressources. Pour trouver un autre organisme public impliqué dans la garantie de telles entreprises, il faut remonter à août 2022, lorsque Naftali Bennett était premier ministre du « gouvernement du changement ».
À cette époque, Bennett, qui détenait également le portefeuille des colonies au sein du gouvernement, a approuvé le programme de travail annuel de la division des colonies de la WZO, qui comprenait « la planification des infrastructures essentielles et des éléments de sécurité dans les jeunes colonies [c'est-à-dire les avant-postes illégaux] avec un horizon de régularisation. » Sous le couvert de ce langage alambiqué, la division a transféré 15 millions de shekels aux avant-postes agricoles en 2023. Cette année, le budget a presque triplé, passant à 39 millions de shekels (plus de 10 millions de dollars).
Yisrael Gantz, chef du conseil régional de Binyamin, a décrit le plan avec une émotion palpable lors d'une réunion l'année dernière. « Nous avons ici un EB [budget exceptionnel] d'un grand intérêt et d'une grande importance, qui est à notre disposition pour la première fois dans l'histoire », a-t-il déclaré. « Le commandement central [des FDI] a défini exactement ce qu'il fallait mettre où, la division de la colonisation a transféré les fonds et nous devons exécuter [le plan]. C'est la première fois que Young Settlement reçoit un budget gouvernemental sur la table ».
Il apparaît que les avant-postes en question dépensent les 54 millions de shekels, sur deux ans, pour acquérir des véhicules utilitaires, des drones, des caméras, des générateurs, des barrières électriques, des poteaux d'éclairage, des clôtures, des panneaux solaires et bien plus encore. La division des implantations de la WZO ne divulgue pas quels types de « composants de sécurité » ont été achetés pour quels avant-postes. Cependant, Peace Now rapporte que des dispositifs utilisés à des fins de sécurité ont récemment été installés dans au moins 30 fermes, dont cinq ont fait l'objet de sanctions internationales pour des actes violents à l'encontre de Palestiniens.
Lors d'une réunion organisée par le parti du sionisme religieux en juin, le directeur général de la division des colonies, Hosha'aya Harari, a parlé de l'important soutien public offert aux fermes de colonisation. Il a indiqué que 68 communautés de ce type avaient été financées en 2023. Il a également mentionné les 7,7 millions de shekels affectés à la « construction de nouvelles routes » dans les avant-postes en général. Ces routes en terre sont des artères cruciales pour les avant-postes, permettant aux colons de s'étendre profondément dans le territoire environnant.
En plus de s'emparer des terres, les fermiers agissent souvent comme des inspecteurs autoproclamés qui s'occupent des constructions palestiniennes illégales, à l'aide de drones, de menaces et de rapports aux autorités. Ils ont été rejoints par des départements de patrouille foncière mis en place par différents conseils, auxquels le ministère des colonies a alloué des dizaines de millions de shekels depuis 2021. Au cours des deux dernières années, les organes de patrouille ont reçu en moyenne 35 millions de shekels par an, afin de « prévenir les violations en matière de planification et de construction et la saisie de terres publiques » - même si c'est l'administration civile qui a l'autorité de superviser la construction palestinienne. Les fonds ont été utilisés pour acquérir des véhicules tout-terrain et pour installer des caméras dans les zones ouvertes, pour financer en partie les salaires et pour « construire des routes et fermer des zones ».
En plus de saisir des terres, les agriculteurs agissent souvent comme des inspecteurs autoproclamés qui s'occupent des constructions palestiniennes illégales, à l'aide de drones, de menaces et de rapports aux autorités.
Il est peut-être tout à fait naturel que l'État considère les fermes des avant-postes comme des start-ups - comme une entreprise innovante conçue pour s'emparer d'un maximum de territoire avec un minimum de main-d'œuvre - et, par conséquent, qu'il accorde aux colons des subventions au titre de la « création d'entreprise ». Treize « fermiers » ont reçu un tel financement, pour un total de 1,6 million de shekels, de 2020 à 2022. Parmi les bénéficiaires figurent l'entrepreneur Zvi Laks, de la ferme Eretz Hatzvi, à l'ouest de Ramallah, qui a reçu 140 000 shekels, et Issachar Mann, qui dirige un avant-poste dans les collines du sud d'Hébron et a reçu 120 000 shekels.
Ces deux fermes sont des exemples d'avant-postes qui sont présentés au public comme des lieux de loisirs et d'activités récréatives, mais dont la véritable raison d'être est cachée. Eretz Hatzvi est décrit sur son site web comme un « complexe d'hospitalité avec une étonnante piscine écologique », qui propose des « petits déjeuners de style campagnard ». La ferme Mann promet aux vacanciers « l'hospitalité du désert », dont le fleuron est une « tente bédouine » divisée en trois chambres. Une nuit vous coûtera 800 shekels (212 dollars) ; sa principale attraction est une paire de pataugeoires qui font face aux étendues infinies du désert de Judée.
Comme les autres communautés illégales mentionnées ici, ces deux avant-postes s'appuient également sur une main-d'œuvre composée de jeunes volontaires (le site d'Eretz Hatzvi contient une galerie de photos intitulée « Our Special Youth ») ; tous deux font également partie du programme « Farm Youth » du JNF. En juillet, les États-Unis ont sanctionné la ferme Mann en raison de la violence systématique perpétrée par ses colons.
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Meirav Barkovsky, membre du groupe Jordan Valley Activists qui aide à protéger les bergers palestiniens, rencontre quotidiennement les fermiers des avant-postes. Mais une visite à la ferme Asael, alias Havat Eretz Shemesh, est une expérience qu'elle n'est pas prête d'oublier.
« Un samedi de novembre dernier, nous avons été informés que des colons avaient volé les vaches de deux Palestiniens et les avaient emmenées à la ferme Asael », raconte-t-elle à Haaretz, ajoutant qu'elle et deux autres militants ont décidé de se rendre à l'avant-poste, fondé par Asael Kornitz. « Nous pensions y aller, leur parler et peut-être les persuader de rendre les vaches. Nous étions optimistes, peut-être naïfs - avec le recul, même stupides ».
Les trois hommes ont gravi la colline menant à la ferme sur un sentier qui se terminait par une clôture métallique. Les meuglements de l'autre côté indiquent qu'ils sont au bon endroit. « Une lumière vive nous a aveuglés », se souvient Barkovsky. « Nous sommes sortis de la voiture et nous les avons appelés, nous avons dit que nous étions venus pour les vaches. Soudain, en un instant, un groupe de jeunes masqués est arrivé de la direction de l'avant-poste et nous a attaqués ».
S'ils étaient masqués, comment avez-vous su qu'il s'agissait de jeunes ?
Barkovsky : « On le voit à leur apparence, au corps révélé par les plis de leurs chemises. »
Sasha Povolotsky, qui appartient également au groupe de la vallée du Jourdain et qui était le chauffeur lors de l'incident, ajoute : « Je dirais qu'il y avait 10 adolescents d'âges différents. On pouvait voir qu'ils étaient jeunes à leur corpulence. La plupart d'entre eux n'étaient pas grands, ils étaient minces, presque imberbes sous leurs chemises. On pouvait clairement voir qu'il s'agissait d'un corps de garçon.
Un homme costaud, plus âgé que les autres, accompagnait le groupe de jeunes. Les militants racontent que les adolescents ont bousculé les deux femmes et leur ont arraché leurs téléphones portables, tandis que l'homme plus âgé a brutalement frappé Povolotsy. « Il l'a frappé à coups de poing », raconte M. Barkovsky. « Le visage de Sasha était ensanglanté lorsqu'il s'est relevé. Ils ont continué à le frapper et il est retombé.
« Je suintais du sang », dit Povolotsky. « Il s'est avéré qu'il m'a cassé le nez et l'orbite de l'œil.
Mais l'événement n'était pas encore terminé. Povolotsky : « Alors que nous nous enfuyions sur la route sinueuse, un véhicule tout-terrain transportant des enfants était juste derrière nous. Ils ont jeté des pierres en passant à côté de notre voiture. Les vitres ont volé en éclats, j'étais à peine capable de conduire. Il n'aurait pas fallu grand-chose pour que nous tombions dans la vallée. »
« Sasha conduit, il conduit vite, mais ils se rapprochent et nous emboutissent avec le véhicule par l'arrière », poursuit Barkovsky. Ils ont appelé une ambulance et la police, qui les a rejoints en descendant de l'avant-poste. « Mais l'officier n'a pas accepté de monter avec nous pour identifier les agresseurs », raconte Polovotzky. « Nous avons porté plainte et, deux semaines plus tard, nous avons été informés que l'affaire avait été classée en raison de la difficulté à localiser les suspects. Deux des suspects n'avaient que 15 ans, et deux autres 16 et 17 ans.
Pour sa part, Kornitz a déclaré qu'il « n'avait pas connaissance d'un tel événement ».
Les résidents de la ferme Asael ont systématiquement terrifié une communauté palestinienne voisine, obligeant finalement les habitants à partir. Mais Kornitz a reçu deux bourses d'entrepreneuriat de 150 000 shekels de la part de la division des implantations de la WZO, ainsi qu'un soutien de la part de l'État. Le ministère de l'agriculture a approuvé une généreuse « subvention de pâturage » de plus d'un quart de million de shekels sur deux ans. En général, ce ministère est un canal important pour le transfert des fonds gouvernementaux vers les avant-postes agricoles. Les données du ministère montrent qu'entre 2017 et 2023, il a approuvé des subventions de plus de 3 millions de shekels pour les avant-postes, dont environ la moitié a été effectivement versée. Certains des avant-postes qui ont reçu des fonds ont ensuite fait l'objet de sanctions internationales.
Outre le soutien direct, l'État finance également les fermes des colons de manière indirecte, par l'intermédiaire d'organisations à but non lucratif qui participent à leurs activités et en veillant à ce qu'elles disposent d'une main-d'œuvre. La majorité des subventions gouvernementales sont transférées sous l'égide du programme « Volontariat pour l'agriculture », par l'intermédiaire duquel les ministères injectent 20 millions de shekels par an dans ces organisations à but non lucratif. Selon un rapport de Peace Now, environ 30 % de ces subventions sont destinées à la Cisjordanie.
L'une de ces organisations, Hashomer Yosh, sert d'agence centrale de placement pour les volontaires, et en particulier pour les adolescents, au nom des fermes des colons. Les T-shirts verts portant le logo de l'organisation sont visibles dans les avant-postes ; parmi les volontaires, on trouve des jeunes filles effectuant leur service national comme alternative au service militaire. Le 1er octobre, les États-Unis ont imposé des sanctions à Hashomer Yosh. Mais l'État a, du moins jusqu'à présent, adopté l'organisation à but non lucratif, lui allouant en moyenne 1,8 million de shekels par an, prélevés sur les fonds publics.
En septembre, le personnel de Hashomer Yosh a rencontré le ministre de la protection sociale, Yaakov Margi, dans le but de « promouvoir la jeunesse pionnière dans les fermes », selon l'organisation. Son PDG, Avichai Suissa, a refusé de s'étendre sur les sujets abordés. Le bureau de Margi a noté que la réunion avait été organisée avant que les sanctions ne soient imposées et qu'un lien actif avec le groupe n'était pas à l'ordre du jour. Le porte-parole du ministère a ajouté : « La réunion n'a porté que sur le sort des jeunes ».
Une autre organisation à but non lucratif importante dans le même domaine est Shivat Zion Lerigvei Admadata, plus connue sous le nom d'organisation Artzenu (mentionnée ci-dessus). L'année dernière, le groupe a reçu quelque 4 millions de shekels des ministères de l'éducation, de l'agriculture et du développement du Néguev et de la Galilée. L'ampleur des fonds publics investis dans l'organisation a été multipliée par cinq en seulement deux ans. La mission déclarée de l'association est de « renforcer le lien entre la jeune génération et le travail de la terre afin de préserver les territoires ouverts ». En mai 2023, Shivat Zion a ajouté à ses objectifs officiels « la gestion et l'exploitation de programmes éducatifs pour les jeunes à risque ».
Son programme de soutien aux jeunes volontaires dans les avant-postes agricoles est le projet phare de l'organisation. Une déclaration sur son site Internet indique que ces dernières années, de plus en plus d'adolescents « ont trouvé un refuge sûr dans ces fermes » et que « Artzenu met l'accent sur l'autonomisation de ces adolescents et crée une atmosphère holistique pour eux ». Le directeur d'Artzenu est Yonatan Ahiya, président de la faction « Souveraineté maintenant » du Likoud et l'un des principaux recruteurs du parti.
Les groupes à but non lucratif dont les tendances politiques semblent moins évidentes jouent également un rôle important dans le projet gouvernemental de financement des fermes isolées. C'est le cas de l'association Hiburim - Beit She'an and Valley, qui gère principalement des groupes dits garin Torani - littéralement, des noyaux de Torah ou des groupes de base de personnes qui s'installent dans des communautés largement non religieuses - à Beit She'an et à Afula. Ces dernières années, cependant, l'organisation a développé un programme appelé Hiburim - Connecting Through Agriculture (hiburim signifie « connexions » en hébreu), et environ un tiers de ses activités se déroulent désormais en Cisjordanie, par exemple dans la colonie de Hamra, dans la vallée du Jourdain.
À côté de Hamra se trouve un avant-poste agricole très connu, la ferme Emek Tirza, qui a été impliquée dans certains des incidents les plus violents de la vallée. À la suite de ces incidents, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union européenne ont récemment imposé des sanctions à l'encontre d'Emek Tirza et de son responsable, Moshe Sharvit. Des activistes chevronnés de la vallée du Jourdain se souviennent d'incidents au cours desquels les résidents de l'avant-poste ont lapidé des Palestiniens et leurs troupeaux, les ont battus et ont lâché des chiens sur eux pendant de longues périodes.
Pour la communauté internationale, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase à Emek Tirza a été le fait que, quelques semaines après le début de la guerre à Gaza, Sharvit et ses acolytes ont expulsé par la force les habitants d'Ein Shibli, une communauté palestinienne voisine. Les villageois ont été attaqués, menacés par une personne qui s'est fait passer pour un agent du service de sécurité du Shin Bet, et ils affirment que Sharvit lui-même leur a donné un délai explicite : « Vous avez cinq heures pour partir : « Vous avez cinq heures pour partir ». Une famille raconte que quelques jours avant de s'enfuir, des habitants de l'avant-poste sont arrivés, ont agressé le père de famille et ont saccagé leur propriété.
Pour la communauté internationale, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase à Emek Tirza a été le fait que quelques semaines après le début de la guerre à Gaza, Sharvit et ses acolytes ont expulsé par la force les habitants d'Ein Shibli, une communauté palestinienne voisine.
Lors d'un autre incident, qui s'est produit le 15 avril non loin d'Emek Tirza, deux Palestiniens ont été tués par balle. Une source militaire a déclaré à Haaretz que, par la suite, le Shin Bet a identifié Sharvit comme étant présent sur le site et armé, mais que son arme n'a pas été confisquée pour inspection pendant plusieurs semaines.
La ferme ne prospère pas uniquement grâce à des dons privés, mais aussi parce qu'elle reçoit l'aide de l'État et de l'organisation de la colonie d'Amana, par exemple en se voyant attribuer des pâturages ou en étant raccordée au système d'approvisionnement en eau. Il y a également des primes occasionnelles provenant directement du gouvernement lui-même. En 2023, par exemple, Sharvit a bénéficié d'une subvention du ministère de l'agriculture pour le pâturage.
Au fil des ans, Emek Tirza est devenu un avant-poste prospère, dont l'une des cartes de visite est son projet éducatif pour les jeunes. Ce ne sont pas des jeunes qui ont abandonné le cadre [formel] », insiste Sharvit dans une vidéo YouTube décrivant son activité. « Ils se trouvent dans un cadre beaucoup plus rigide et exigeant. Il y a ici des exigences auxquelles il faut répondre ».
La ferme est également connue comme un « complexe d'accueil à la campagne ». Sur leur site web, Sharvit et sa femme invitent le public à séjourner dans des tentes climatisées sur le site, à barboter dans une « piscine de soins » et à organiser des événements familiaux dans « notre khan », qui dispose d'une « grande piste de danse suffisante pour une occasion excitante ».
Cependant, lors d'une visite guidée de la ferme par Sharvit, documentée par la BBC le mois dernier, il a mentionné le but ultime pour lequel l'endroit a été créé. « Nous nous emparons ici de quelques milliers de dunams, de la taille d'une ville pas si petite... 7 000 dunams [7 km²], c'est sans fin ». Il poursuit en décrivant la stratégie de l'ensemble de l'entreprise de construction d'avant-postes agricoles. « Le plus grand regret que nous ayons eu en construisant des colonies, c'est d'être restés coincés à l'intérieur des clôtures et de ne pas nous être étendus à l'extérieur. [En fin de compte, l'espace est la chose la plus importante ici. Cette ferme est très importante, mais la chose la plus importante est la zone environnante... Nous gardons des zones ouvertes dans lesquelles personne ne pénètre, dont personne ne s'approche. »
Sharvit a de nombreux partenaires dans le projet de prise de contrôle de la vallée du Jourdain par les Juifs. En parcourant la route d'Alon, qui relie la vallée à la route transsaharienne, on peut voir un ensemble extraordinaire d'avant-postes agricoles et pastoraux. Pas moins de 30 communautés de ce type ont été établies le long de cette route au cours des dernières années, et les médias des colons se vantent déjà de la création réussie d'une « formidable continuité territoriale », depuis la zone industrielle de Sha'ar Binyamin, au nord de Jérusalem, jusqu'au nord de la vallée du Jourdain.
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Sur la même route, entre les colonies de Hemdat et Maskiot, se trouve Havat Nof Gilad (Um Zuka), un avant-poste religieux établi par Uri et Efrat Cohen en 2016. Il bénéficie lui aussi des largesses de l'État, notamment d'une subvention de 530 000 shekels du ministère de l'Agriculture.
Ici aussi, les projets de construction et autres sur le site dépendent d'une main-d'œuvre composée d'adolescents volontaires qui n'ont pas trouvé leur place dans les établissements d'enseignement conventionnels. « Chacun d'entre eux est venu ici avec sa propre situation et sa propre vie », a déclaré Efrat Cohen lors d'une émission sur les médias sociaux à propos de diverses fermes en Cisjordanie. Pour sa part, Uri les perçoit comme une force de combat essentielle dans la guerre qu'il mène. « Nous sommes là et nous triompherons. La question est de savoir combien de temps cela prendra et quel prix nous paierons », déclare-t-il dans la vidéo. « Ces jeunes de 15, 16 et 17 ans sont le fer de lance de l'État d'Israël et ce sont eux qui gagnent la bataille.
Les adolescents de Nof Gilad font tout : souder, monter la garde la nuit, emmener les animaux au pâturage. La discipline est stricte à la ferme, disent-ils. « L'emploi du temps est très chargé », explique un jeune qui vit sur l'avant-poste depuis quatre ans. « Le travail toute la journée, les responsabilités, la garde du troupeau la nuit - la vie, tout. Les Cohen, a-t-il ajouté, « sont un peu comme mes parents » ; ils l'aident lorsqu'il est dans un « mauvais état mental ».
Un autre jeune, qui n'a pas encore 17 ans, a déclaré : « J'ai l'impression que c'est [la vie sur le terrain] : « J'ai l'impression qu'elle [la vie à la ferme] me fait mûrir davantage que l'école ». Et un autre jeune homme, qui est arrivé à la ferme alors qu'il était mineur, a fait son service militaire et est revenu, a expliqué : « Un jeune de 16 ans qui vient ici, qui garde la nuit, qui dort trois heures par nuit et qui travaille toute la journée, qui fait des choses qu'il n'a pas toujours envie de faire, il devient différent. En fin de compte, ce qui forge le plus le caractère d'une personne, c'est sa capacité à faire face aux difficultés ». Au moins 15 jeunes comme lui se sont intégrés à la vie à Nof Gilad au fil des ans, a-t-il ajouté.
Comment ces jeunes se retrouvent-ils dans ce centre ? Selon M. Cohen, c'est au ministère des affaires sociales de répondre à cette question. « Vous payez des impôts », a-t-il dit à un militant qui l'a interpellé. « Les impôts vont au ministère des affaires sociales, qui les subventionne [les adolescents]. Pourquoi me posez-vous la question ?
Sous les auspices des conseils régionaux de Cisjordanie, le ministère de la protection sociale participe effectivement à l'intégration des adolescents dans les avant-postes agricoles et pastoraux, mais il maintient qu'il ne les y dirige pas. Cette pratique remonte à une décision prise par le gouvernement Bennett-Yair Lapid sous le titre « Renforcer les réponses thérapeutiques et éducatives pour les jeunes de la région de Judée et Samarie ». Le principal résultat de cette décision a été un programme appelé Mit'habrim (Connexion), dont l'un des objectifs est d'institutionnaliser le lien entre le ministère de la protection sociale et les avant-postes.
Haaretz s'est entretenu avec un certain nombre d'employés du ministère de l'aide sociale qui travaillent dans les conseils de colonies et qui connaissent bien le fonctionnement de Mit'habrim. Deux d'entre eux ont accepté de parler de la manière dont Mit'habrim est mis en œuvre, et il en ressort que les conseils n'envoient pas nécessairement les jeunes directement dans les fermes, mais qu'ils contribuent plutôt à faciliter leur séjour. Le Conseil régional de Shomron, par exemple, a mis à disposition un travailleur social ainsi que trois coordinateurs qui travaillent avec les fermiers afin de les « former à identifier les signes de détresse chez les jeunes ». Un autre élément du programme consiste à encourager les adolescents à participer à des cours, des programmes de formation et des activités d'enrichissement. « L'idée est de les voir, afin qu'ils ne deviennent pas des jeunes perdus », a déclaré la source.
Au conseil régional, on insiste sur le fait que les jeunes ne sont pas retirés à la garde légale de leurs parents et qu'ils ne répondent pas nécessairement aux critères des jeunes à risque. « Pour la plupart, ce sont des jeunes très idéologiques, qui fonctionnent, et qui ne trouvent pas leur place dans les cadres standards.
« La plupart des gars dans les fermes ne sont pas des résidents de Judée et de Samarie et ne sont pas ce que l'on appelle des jeunes des collines », ajoute quelqu'un qui est impliqué dans le programme Mit'habrim dans le Conseil régional de Binyamin. « Ils viennent d'endroits comme Jérusalem, Petah Tikva et Holon. Nous voulons nous assurer que les jeunes qui nous arrivent de l'extérieur ne rencontrent pas de situations à risque. Une fois sur place, les jeunes ont besoin d'être encadrés et accompagnés. Ils doivent être orientés vers des activités productives ».
Un jeune homme qui a vécu dans des fermes lorsqu'il était mineur explique que la plupart des adolescents qui y vivent sont « des personnes qui ont abandonné l'école en raison de difficultés d'apprentissage ou d'une incompatibilité avec le système, parfois en raison d'une incompatibilité religieuse ou d'un trouble déficitaire de l'attention ». Ils entendent parler des avant-postes par le bouche à oreille. « Si vous abandonnez l'école, vous savez que cette option existe. Il a ajouté que dans un cas, un garçon qui avait eu des démêlés avec la justice et qui était censé être envoyé dans un centre de réhabilitation, a réussi à persuader le juge de l'autoriser à résider dans une ferme à la place.
La question du type de jeunes qui doivent vivre dans ces avant-postes a été soulevée lors d'une réunion, en mars dernier, de la commission spéciale de la Knesset sur les jeunes Israéliens, présidée par la députée Naama Lazimi (travailliste). Galit Geva, directrice de l'unité du ministère des affaires sociales chargée des populations à risque, a participé à cette réunion, convoquée à la suite du pogrom perpétré par des colons dans la ville palestinienne de Hawara. Elle a indiqué à la commission que 320 jeunes - 240 garçons et 80 filles - vivant dans des fermes de Cisjordanie étaient en contact avec des travailleurs sociaux. Environ deux tiers de ces jeunes sont originaires de colonies et les autres de divers endroits du pays, dont beaucoup de Jérusalem.
Apparemment, le ministère de la protection sociale a affecté un travailleur social à quatre autorités locales dans les territoires : Samarie, Binyamin, le bloc d'Etzion et les collines d'Hébron. Cependant, de nombreux jeunes dans les fermes vivaient en fait dans la vallée du Jourdain, où il n'y avait pas de supervision de l'État. Les défenseurs des droits de l'homme de la région ont signalé à plusieurs reprises que de jeunes colons, parfois des enfants, emmenaient eux-mêmes les animaux au pâturage et qu'ils étaient exposés à divers dangers. Aucune réponse officielle n'a été apportée à cette situation.
« Nous voyons des enfants, dont certains n'ont même pas l'âge de la bar-mitzvah, qui sont très négligés et qui passent des heures dans les champs avec leurs troupeaux pour s'emparer des pâturages des Palestiniens », raconte Gali Hendin, de l'association Mistaclim - Looking the Occupation in the Eye (Regarder l'occupation dans les yeux). Yifat Mehl, une autre activiste, ajoute : « Les jeunes sont le fer de lance de la violence spontanée. Auparavant, les agriculteurs eux-mêmes allaient affronter les Palestiniens et les activistes. Aujourd'hui, ces jeunes sont en première ligne. Ils sont l'avant-garde.
Dans une lettre qu'elle a envoyée en mars dernier au ministère de la protection sociale au nom des militants de la vallée du Jourdain, le professeur Michal Shamai, de l'école de travail social de l'université de Haïfa, a comparé les jeunes vivant dans les avant-postes agricoles au phénomène des « enfants soldats » qui ont été recrutés pendant les guerres dans les pays africains. « Ce n'est pas à cela que devrait ressembler un processus de réhabilitation des jeunes à risque. De tels endroits sont un terreau fertile pour le développement de la haine. Et la haine n'est pas une réhabilitation », a déclaré Shamai à Haaretz. Cette semaine, les militants ont de nouveau contacté le ministère de la protection sociale et des affaires sociales, signalant des « suspicions d'atteinte à des mineurs ». Les activistes ont mis en garde contre « la soumission d'adolescents et de jeunes à des situations de préjudice physique et émotionnel, de négligence physique présumée et d'absence des cadres scolaires ».
Dans une lettre adressée au ministère des affaires sociales, le professeur Michal Shamai, de l'école de travail social de l'université de Haïfa, compare les jeunes vivant dans les fermes à des « enfants soldats » qui ont été recrutés pendant les guerres dans les pays africains.
En outre, les jeunes des fermes constituent une main-d'œuvre bon marché. Roni (nom fictif) vivait récemment dans une ferme de la vallée du Jourdain pendant une année de service volontaire avant de partir à l'armée. Elle a toutefois décidé de partir plus tôt que prévu, car elle estimait qu'elle et les autres jeunes étaient employés dans des conditions d'exploitation.
« Au début, tout semblait rose et enchanteur », explique Roni. « Vous avez toutes les responsabilités et vous vous sentez chez vous. Mais nous travaillions de 6 heures du matin, avec une pause d'une demi-heure pour le déjeuner, jusqu'à 7 heures du soir. Nous n'étions pas payés, bien sûr, à part 400 shekels par mois (environ 110 dollars) versés par l'organisation par laquelle nous faisions notre année de service ». Il est difficile pour les jeunes volontaires de se révolter, explique-t-elle, « parce que pour eux, le propriétaire de la ferme et sa femme sont comme un père et une mère. Ce sont des enfants de 15-16 ans qui pensent qu'ils [le couple de fermiers] leur ont sauvé la vie ».
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Un matin d'avril dernier, Binyamin Achimeir, 14 ans, qui vivait à l'avant-poste de Malachei Hashalom, le long de la route d'Allon, est parti seul à 6 heures du matin pour emmener un troupeau de moutons au pâturage. Il n'est pas revenu. Le lendemain matin, son corps a été retrouvé à proximité : il avait été sauvagement assassiné par un Palestinien du village voisin.
Achimeir, dont la famille vit à Jérusalem, n'était pas le genre d'adolescent qui abandonne l'école pour se retrouver parmi les jeunes sur les collines de Cisjordanie. Il combinait les études à la yeshiva et le bénévolat à la ferme pendant les week-ends. Sa sœur, Hanna Achimeir, journaliste à i24NEWS, pense qu'il est erroné de coller l'étiquette « à risque » à ces jeunes. « Je comprends la tentation de faire le lien, dit-elle, mais à mon avis, c'est une erreur. La plupart des jeunes religieux qui se rendent dans les fermes sont en quête de sens. Pour un jeune qui a une affinité avec la nature ou un désir de calme, il est naturel de se rendre dans ces fermes.
Achimeir, qui vit à Jaffa, ajoute que « pour les adolescents de Tel-Aviv, la recherche [de sens] peut prendre la forme de toutes sortes d'expériences branchées que la ville peut offrir ». Dans une société nationale-religieuse, les restrictions sont infinies et l'on a le sentiment qu'un autre monde, parallèle, se cache au coin de la rue. Si vous avez grandi dans une communauté bourgeoise et que vous êtes un peu curieux, vous vous retrouverez soit au Cats Square [un lieu de rencontre pour les jeunes à Jérusalem], soit vous vous dirigerez vers les fermes si vous êtes un peu hippie ».
La ferme Malachei Hashalom a été fondée par Eliav Libi, qui y vit avec sa famille. Il a récemment créé une filiale appelée Havat Harashash. Selon des militants de gauche, ses résidents ont terrorisé une communauté bédouine voisine, Ein Rashrash, jusqu'à ce que ses habitants s'enfuient il y a environ un an.
La web-série sur les fermes de Cisjordanie a consacré un épisode à Harashash, mettant en scène les adolescents qui y vivent. L'un d'entre eux, âgé de 17 ans, a expliqué qu'il travaillait bénévolement dans la ferme depuis deux ans. « Vous n'êtes pas payés, n'est-ce pas ? » a demandé l'intervieweur, qui a répondu par l'affirmative.
À la suite du meurtre, la ferme a lancé une campagne de crowdfunding via l'organisation à but non lucratif Btsalmo, sous le titre « La réponse au meurtre », qui a permis de récolter environ 433 000 shekels. Cependant, la soi-disant réponse a pris la forme d'une série d'assauts menés par des colons de toute la région contre dix villages palestiniens voisins. Résultat ? Quatre Palestiniens ont été tués et des dizaines d'autres blessés au cours de ces attaques, au cours desquelles des voitures ont été incendiées et des maisons gravement endommagées.
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D'aucuns pensent qu'au moins certains des avant-postes agricoles ont un effet réellement bénéfique sur leurs jeunes volontaires. En effet, ils semblent être les piliers de l'avant-poste de Nof Avi, près de la colonie urbaine d'Ariel. La ferme a été fondée par Israël et Sara Rappaport, qui vivent de la vente de bétail et y élèvent leurs trois filles ; un groupe de volontaires est toujours sur place. Certains jeunes portent un T-shirt portant l'inscription « Rappaport's wounded » (les blessés de Rappaport). Amos, père d'un adolescent qui a vécu à la ferme, estime que le terme « blessé » est tout à fait approprié.
« Mon fils a quitté la maison à l'âge de 14 ans et demi », raconte-t-il. « Il traînait dans la rue et s'est rapidement attiré des ennuis. Il a été arrêté pour effraction, possession d'un couteau, utilisation d'un canif. Il s'est retrouvé dans l'un des lieux de rencontre de Jérusalem et a rencontré des gars de la zone de colonisation d'Eli. C'est là que s'est fait le lien avec les fermes. Un jour, il nous a simplement informés qu'il vivait avec un jeune couple dans une ferme en Samarie ». C'était l'avant-poste des Rappaport.
« C'était une sorte de salut pour nous », dit Amos. « Après avoir passé des mois à ne pas savoir ce qui lui arrivait, nous avions enfin une adresse. Il y avait aussi d'autres gars comme lui, qui se portaient volontaires et faisaient des choses productives et positives. Son séjour là-bas n'a été que bénéfique ».
Cependant, le fils d'Amos n'a pas fini par utiliser la ferme comme un tremplin vers un mode de vie normatif ; il a été attiré par des endroits plus extrêmes. « Il est passé par deux ou trois fermes de ce type avant d'arriver à un avant-poste beaucoup plus sauvage. Il y a quatre mois, il a été emprisonné. Je ne sais pas quel genre de personne il serait devenu s'il n'avait pas connu ces fermes, mais j'ai tendance à croire que son état serait pire ».
Haaretz a demandé à Sara Rappaport de parler des « blessés », mais cette demande a été rejetée. « Il m'est difficile de faire confiance à Haaretz », a-t-elle répondu.
« Les propriétaires des fermes aident à prévenir la détérioration de ces adolescents », déclare un éducateur qui travaille avec des adolescents à risque dans toute la Cisjordanie. « Lorsqu'un jeune est en crise et qu'il est en fait une sorte de nomade, la ferme est un point d'ancrage pour lui. Où qu'ils se trouvent, ces jeunes ont besoin d'être pris en charge. Si, au lieu d'être jetés sur la place des Chats ou sur les plages du Kinneret, ils faisaient des gardes dans une ferme. Peut-être que du point de vue de Haaretz, cela ressemble à de l'exploitation, mais pour lui, ce sera une sorte de cadre sécurisé ».
Le rabbin Arik Ascherman, fondateur de l'organisation de défense des droits de l'homme Torah of Justice, qui a été attaqué à plusieurs reprises au cours de ses années d'activisme, s'interposant entre les Palestiniens et les colons abusifs, connaît bien cette approche. « Les propriétaires des fermes se considèrent comme des éducateurs », explique M. Ascherman. « Je conteste bien sûr ce point de vue. Au-delà des horreurs que ces jeunes font subir aux Palestiniens, nous devons également prendre en compte ce que le séjour dans les fermes leur fait subir. »
En réponse
Le JNF a répondu à cette question : « Le programme Noar Besikuy [jeunes à risque] du JNF existe dans les communautés de la périphérie sociale et géographique du pays. Ce programme offre aux jeunes la possibilité de s'intégrer dans divers cadres de la société israélienne, en t

Israël prétend redessiner par la guerre le Proche-Orient

Israël poursuit sans relâche ses bombardements sur le Liban, assortis de tentatives d'« incursions » terrestres, selon la formule consacrée. Ses attaques contre le Hezbollah dépassent très largement l'objectif officiellement avancé : permettre le retour des habitants du nord du pays. En décapitant la direction de l'organisation et en assassinant son secrétaire général Hassan Nasrallah, le premier ministre israélien veut affaiblir l'Iran et cherche à reconfigurer toute la région.
Tiré d'Orient XXI.
La décision israélienne d'éradiquer le leadership du Hezbollah constitue évidemment une tentative de déconnecter les fronts soutenus par le régime iranien contre Israël. Il s'agit d'affaiblir Téhéran et ses mandataires en imposant un nouveau statu quo régional favorable avant qu'une nouvelle administration américaine ne prenne le relais en janvier prochain. Cependant, cette stratégie déclenche des risques de conflit régional qui pourraient finalement dompter le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.
Le 27 septembre 2024, des avions de combat israéliens ont envoyé 85 bombes anti-bunkers sur une réunion souterraine dans la banlieue sud de Beyrouth, entraînant la mort du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Le 4 octobre, ils ont également largué 73 tonnes de bombes sur l'héritier présomptif et cousin maternel de Nasrallah, Hashem Safieldine ; rien n'indique, pour l'instant, qu'il a survécu à cet assassinat.
Cette offensive de choc et d'effroi a brièvement paralysé les capacités du Hezbollah. La percée humaine et technologique dans les rangs du régime iranien puis du Hezbollah est sans précédent. Avec l'aide de l'administration américaine, Israël a pu non seulement dominer l'espace aérien, mais aussi s'appuyer sur les développements de l'intelligence artificielle pour assassiner des dirigeants de haut niveau à Téhéran et de ses mandataires au Moyen-Orient.
La politique du Hezbollah de lier le front libanais à celui de Gaza est difficile à préserver compte tenu de la pression militaire israélienne et de la pression diplomatique américaine. L'offensive israélienne, qui a débuté le 17 septembre avec l'explosion des bipeurs et des talkies-walkies, a bouleversé la structure du Hezbollah, qui n'est plus en mesure de riposter de manière proportionnée.
L'organisation avait parié sur le fait qu'Israël n'ouvrirait pas un nouveau front. Cependant, l'absence de riposte de la part du régime iranien et du Hezbollah aux assassinats perpétrés par Tel-Aviv depuis des années a encouragé le premier ministre Nétanyahou. En effet, Téhéran a donné l'impression de ne plus être en mesure de protéger ses alliés après l'assassinat du chef du Hamas Ismail Haniyeh lors d'une visite à Téhéran le 31 juillet 2024, puis celui de Nasrallah.
La centralité du rôle de ce dernier dans l'« axe de la résistance » a cependant poussé le régime iranien à réagir. Téhéran a lancé le 1er octobre plus de 180 missiles balistiques sur Israël sans causer de dommages stratégiques significatifs significatifs tandis que les Brigades Al-Qassam, aile militaire du Hamas, ont recommencé à lancer des roquettes sur Tel-Aviv ainsi que des attaques individuelles à l'intérieur d'Israël. Le Hezbollah a réussi à tuer au moins 20 soldats israéliens qui tentaient une incursion au Liban, pendant que les groupes chiites soutenus par l'Iran en Irak et les Houthis au Yémen ont intensifié leurs propres attaques. L'idée d'une unité des fronts contre Israël est devenue une réalité, alors que le régime iranien tente de rétablir un certain équilibre dans la dynamique de dissuasion avec Israël..
L'héritage mitigé de Nasrallah
L'assassinat de Nasrallah ne doit pas être sous-estimé. Il va avoir un impact à long terme sur le Hezbollah et la dynamique régionale. L'aura du dirigeant parmi ses partisans fait écho à la doctrine du martyr dans la conscience collective chiite, de sorte que son mythe survivra à sa mort. Toutefois, sa trajectoire en tant que secrétaire général du Hezbollah pendant 32 ans a été complexe. Du milieu des années 1990 au retrait israélien du Liban en mai 2000, il est apparu comme un leader national et panarabe inspirant le récit de la résistance contre Israël. L'invasion américaine de l'Irak en 2003, qui a déclenché l'émergence de l'Iran comme puissance régionale, a porté les ambitions de Nasrallah au-delà des frontières libanaises ; cela s'est reflété par la synchronisation de ses activités avec celles de l'architecte de la puissance régionale du régime iranien, le chef de la force al-Qods, Qassem Soleimani.
Cette synchronisation s'est traduite par quatre décisions problématiques prises par Nasrallah. Premièrement, la décision de capturer des soldats israéliens en juillet 2006, conduisant à la grande confrontation avec Israël, qui s'est conclue par l'établissement de règles d'engagement qui ont globalement tenu jusqu'au 17 septembre 2024.
Ensuite, alors que le régime iranien se méfiait des États-Unis, de l'Arabie saoudite et de leurs alliés au Liban, le Hezbollah a retourné ses armes en mai 2008 contre ces dirigeants libanais rivaux — lesquels faisaient partie du gouvernement ayant pris la décision de démanteler le système de télécommunication de l'organisation. Peu après, le Hezbollah a adopté cette même oligarchie libanaise corrompue pour maintenir son contrôle sur le système politique, ce qui a contribué à l'effondrement économique et financier du Liban.
Tandis que le Hezbollah combattait les islamistes syriens pénétrant par la frontière libanaise, le régime iranien l'a impliqué dans le conflit syrien en 2013 pour consolider le régime. Cela l'a poussé à accroitre ses effectifs, les rendant plus vulnérables, l'a exposé à des brèches dans ses rangs, et l'a détourné de son principal champ de bataille, Israël.
Enfin, dix ans plus tard, le Hezbollah, initialement hésitant, s'est pleinement impliqué dans le « front de soutien » à Gaza, suite de l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.
Les calculs du régime iranien ont toutefois évolué au cours des six dernières années. L'administration Trump a rétabli les sanctions économiques américaines contre le régime en novembre 2018 et assassiné en janvier 2020 Qassem Soleimani. Le régime se retrouve désormais avec des ressources limitées et une force aérienne modeste pour affronter Israël, alors que les États-Unis ont clairement fait savoir qu'ils s'impliqueraient militairement si Téhéran entrait dans le conflit régional. Nasrallah était le chef de facto de l'« axe de la résistance » depuis l'assassinat de Soleimani. Ses commandants ont formé les combattants de l'axe iranien et c'était lui qui jouait les médiateurs entre les différentes composantes en cas de besoin.
Le charisme et le leadership de Nasrallah sont irremplaçables dans la structure du Hezbollah, mais son approche traditionnelle du champ de bataille et son manque de compétences en matière d'organisation ont été dépassés par les services de sécurité israéliens, qui s'appuient sur des technologies et des services de renseignement performants. Nasrallah a déclaré en 2006 qu'il n'avait pas anticipé la réaction israélienne lorsqu'il a ordonné la capture de soldats israéliens. Visiblement, il n'avait pas non plus anticipé l'action de Tel-Aviv ayant conduit à son assassinat en 2024.
La complicité des États-Unis
L'incontrôlable Nétanyahou a plongé Israël dans la plus longue guerre de son histoire, avec des combats sur plusieurs fronts. Au-delà de l'extase immédiate que procure l'assassinat de dirigeants du Hezbollah et du Hamas, il n'a pas de stratégie que cela soit à Gaza ou au Liban. Quant aux États-Unis, qui lui fournissent les outils de destruction, ils sont désormais perçus comme complices ou incapables d'influencer leur principal allié au Proche-Orient.
Depuis un an au moins, le régime iranien pousse Washington à exercer une pression suffisante sur Nétanyahou pour qu'il accepte un cessez-le-feu à Gaza — car c'était pour lui, la voie la plus sûre pour éviter une confrontation directe avec Israël. De son côté, l'administration Biden a envoyé un message clair à Téhéran pour qu'il n'attaque pas les cibles américaines, en partant du principe qu'elle était attachée à la sécurité d'Israël sans être impliquée dans le conflit à Gaza et au-delà. Elle souhaite que l'Iran reste passif alors qu'Israël s'en prend à ses mandataires les uns après les autres et que Nétanyahou cherche à entraîner Washington dans un conflit régional.
Le discours égocentrique et les politiques belliqueuses de Netanyahou placent le Moyen-Orient dans une compétition sécuritaire perpétuelle. Cet excès de confiance n'existerait pas sans la supériorité de sa puissance aérienne fournie par les États-Unis. Cependant, l'administration Biden n'a pas encore utilisé le levier de l'aide militaire pour contraindre le premier ministre israélien et ne semble pas déterminée à exercer des pressions sur Netanyahou pour qu'il accepte un cessez-le-feu.
Quelle suite ?
Depuis des mois, Tel-Aviv fait pression sur le Hezbollah pour qu'il retire ses forces au nord du fleuve Litani pour garantir le retour des résidents israéliens à la frontière nord avec le Liban, conformément à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies qui a mis fin à la guerre de juillet 2006. Mais les médiations franco-américaines pour atteindre ces objectifs ont échoué, le Hezbollah exigeant, en préalable, un cessez-le-feu à Gaza. Depuis le début du conflit en octobre 2023, il s'en tenait à une confrontation transfrontalière limitée. Israël a bouleversé ce statu quo.
Depuis 2006, le Hezbollah a renforcé ses capacités et dispose à présent de drones, de roquettes à plus longue portée, et de capacités maritimes. Tel-Aviv a également renforcé ses capacités en matière de renseignement et de technologie, et peut infiltrer, comme jamais, l'infrastructure et les membres de l'organisation. Israël dispose de la puissance aérienne tandis que le Hezbollah peut cibler les soldats israéliens lors d'une invasion terrestre. Mais il y aura un coût humain et économique qu'on peut déjà mesurer, car Israël étend ses frappes aériennes à tout le Liban.
Israël a pu difficilement protéger ses soldats sur le terrain à Gaza ; ce sera plus difficile à gérer au Liban. Nétanyahou ne semble pas vouloir lancer une offensive à long terme. Sa volonté serait plutôt de faire pression sur le Hezbollah et de détourner l'attention des pourparlers sur le cessez-le-feu à Gaza. Objectifs atteints. Mais le premier ministre israélien n'a aucune stratégie si le Hezbollah ne cède pas.
Or, celui-ci n'a pas cessé de lancer des roquettes sur Israël et de perturber les tentatives de l'armée israélienne de franchir la frontière libanaise. Nétanyahou ne peut donc pas continuer à affirmer, devant l'opinion publique de son pays, qu'il a atteint ses objectifs. Jusqu'à présent, il n'a pu libérer les otages capturés par le Hamas, ni assurer le retour des habitants du nord. Israël n'est pas plus en sécurité aujourd'hui qu'après un an de recours excessif à la force.
Nasrallah est mort mais pas le Hezbollah. Le groupe dispose désormais d'une direction faible et collective, et de forces opérationnelles décentralisées qui mènent les batailles sur le terrain. Le Hezbollah a subi un coup dur, dont il faudra évaluer l'impact. Il lui sera difficile de maintenir la même rhétorique et les mêmes politiques.
Ce qui se passera au Liban et à Gaza dépendra en grande partie de la manière dont Washington gèrera la rivalité entre Israël et l'Iran et si les dirigeants américains prendront ou non leurs distances par rapport à Tel-Aviv. Les erreurs de calcul constituent les plus grands risques d'extension du conflit, à moins que Washington et Téhéran n'entament des pourparlers, directement ou indirectement, pour contraindre leurs alliés respectifs, Israël et le Hezbollah.
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Le Hezbollah, entre défis et résistances

Le Hezbollah est confronté à son plus grand défi depuis sa fondation, avec l'assassinat de dirigeants militaires et politiques clés, dont son secrétaire général Hassan Nasrallah, qui a dirigé le parti pendant 32 ans.
Tiré de Inprecor
11 octobre 2024
Par Joseph Daher
Un enfant tenant une image de Hassan Nasrallah lors d'un défilé pendant son discours, en novembre 2023. © Fars Media Corporation, CC BY 4.0
L'armée d'occupation israélienne a imposé, avec le soutien des États-Unis, à partir de la mi-septembre, une escalade meurtrière contre le Liban, prenant la forme d'une guerre ouverte. Cette escalade a commencé par l'explosion d'appareils de communication utilisés par des membres du Hezbollah, civils et militaires, tuant 39 personnes et en blessant près de 3 000. Elle s'est poursuivie par des campagnes de bombardements massifs visant à assassiner les hautes personnalités militaires et politiques du Hezbollah, mais tuant également plus d'un millier de civils et à provoquer le déplacement forcé de plus d'un million de personnes. Le total de personnes tuées depuis le 7 octobre dépasse maintenant les 2000.
Culte de la personnalité
Au cours des dernières décennies, un culte de la personnalité s'est développé dans la propagande du parti autour de Hassan Nasrallah. Cela s'est notamment reflété dans les suites de la guerre d'Israël contre le Liban en 2006, lorsque leur slogan initial « Al-Nasr al-îlâhi » a été changé en « Nasr(un) min Allâh » (Une victoire de Dieu), ce qui était une instrumentalisation du nom de Hassan Nasrallah. Cela faisait partie de la culture de l'image du leader dans les campagnes médiatiques du parti.
Alors que le Hezbollah jouissait d'une popularité considérable auprès des autres confessions religieuses libanaises et même au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la popularité de Nasrallah en dehors de la base du parti a considérablement diminué après la guerre de 2006. Plusieurs raisons expliquent cette évolution, notamment l'utilisation par le Hezbollah de ses capacités militaires contre d'autres acteurs nationaux. Par exemple, en 2008, le parti a envahi certains quartiers de Beyrouth-Ouest et des affrontements militaires ont eu lieu dans d'autres régions, notamment dans le Chouf, après que le gouvernement libanais a annoncé qu'il souhaitait démanteler le réseau de communication du parti.
En plus de ce conflit intérieur, il a participé plus tard à la répression meurtrière du mouvement populaire syrien aux côtés du régime despotique syrien et cela a de nouveau attisé les tensions confessionnelles au Liban.
Enfin, le Hezbollah fait partie de tous les gouvernements depuis 2005 et est donc perçu comme l'un des responsables de la crise économique et financière de 2019, comme les autres partis dominants libanais. Hassan Nasrallah a même été très virulent à l'égard du mouvement de protestation cette année-là, l'accusant d'être financé par des ambassades étrangères et envoyant des membres du parti attaquer les manifestants. Ajoutons à cela d'autres incidents confessionels, entre des membres du Hezbollah et des individus d'autres confessions, et finalement les accusations, à l'encontre du Hezbollah principalement, d'obstructions dans l'enquête sur les explosions du port de Beyrouth. Tous ses éléments ont mené à un plus grand isolement, à la fois politique et sociale au sein de la population libanaise, hors de sa base populaire chiite, du Hezbollah. Plutôt que d'être considéré comme une figure de la résistance nationale, Nasrallah était également de plus en plus perçu comme un « Zaim » confessionnel défendant les intérêts politiques de son parti et ceux de régimes autoritaires, comme la Syrie et l'Iran.
C'est cet isolement qui a contribué à la volonté du parti d'éviter une guerre totale avec Israël après le 7 octobre. En adoptant une action calculée et modérée contre les cibles militaires israéliennes, le Hezbollah a tenté d'empêcher que le conflit ne soit exploité par des ennemis politiques internes au Liban, ce qui ferait du parti le principal acteur responsable de tous les malheurs du pays. Cependant, la guerre actuelle d'Israël contre le Liban, avec le soutien des États-Unis, a gravement compromis ce plan.
Et maintenant ?
Dans ce contexte, les responsables du Hezbollah tentent de démontrer que le parti poursuit la voie tracée par l'ancien secrétaire général du parti après son assassinat et celui d'un certain nombre de hauts cadres militaires et politiques. Le leader intérimaire Naim Qassem l'a souligné devant ses partisans et ses membres dans son discours, lorsqu'il a déclaré : « Nous poursuivons les traces de Hassan Nasrallah ».
Pour le Hezbollah, les priorités sont désormais de protéger d'abord ses structures internes et sa chaîne de commandement, notamment en comblant le vide au sommet du parti concernant les différentes responsabilités politiques et militaires, et en élisant un nouveau secrétaire général.
Ces priorités expliquent en partie l'évolution rhétorique récente du parti du Hezbollah concernant l'objectif affiché depuis le 7 octobre de 2023 de ne pas séparer les fronts de Gaza et du Liban jusqu'à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. En effet, le secrétaire général adjoint Naïm Kassem, et des députés du parti Hussein Hajj Hassan et Amine Cherri, ont affirmé après l'assassinat de Hassan Nasrallah que leur priorité était de mettre fin à l'agression israélienne contre le Liban et de soutenir un cessez-le-feu, indépendamment d'un arrêt des combats à Gaza. Cependant ces déclarations restent lettre morte, car l'armée d'occupation israélienne poursuit sa guerre meurtrière contre le Liban. Cette évolution est aussi liée aux défis internes sur le plan national, et l'incapacité pour son principal soutien l'Iran de faire bien plus en faveur du Hezbollah.
Cela dit, le parti reste actuellement l'acteur politique le plus important au Liban, tout en continuant à exercer une influence dépassant ses frontières nationales, notamment en Syrie, et à représenter les intérêts politiques régionaux de Téhéran.
Les capacités militaires du Hezbollah continuent de représenter un atout majeur du parti, malgré les infiltrations israéliennes, l'affaiblissement de la communication interne et l'assassinat d'un grand nombre de ses commandants militaires expérimentés. Il dispose notamment d'effectifs militaires de plusieurs dizaines de milliers de soldats (probablement environ 50.000 avec les réservistes) et d'un vaste arsenal de roquettes et de missiles. Pour la première fois depuis le 7 Octobre, le parti a utilisé différents types de missiles Fadi, qui sont des missiles puissants et de longue portée, pour frapper des sites militaires dans la périphérie des villes de Haïfa et de Tel-Aviv. De même, lors des premières tentatives d'infiltration de l'armée d'occupation israélienne dans les territoires libanais, les soldats du Hezbollah ont leurs infligés des pertes, en détruisant plusieurs tanks et causant la mort de plusieurs soldats israéliens.
Parallèlement à son mouvement armé, le parti dispose d'un vaste réseau d'institutions fournissant à sa base populaire des services clés et essentiels, même s'ils ont été partiellement mis à mal par la guerre et sont sous pression des besoins toujours croissant de la population impactée par la guerre, dont un grand nombre sont issus de sa base populaire. Dans ce contexte, cette dernière restera très probablement dans sa grande majorité fidèle, malgré des critiques plus importantes formulées à l'encontre du parti et de ses politiques, en particulier en l'absence d'une alternative politique inclusive et dans le contexte d'une crise économique profonde et continue avec un État et ses services publics aux abonnés absents.
Au niveau régional, un affaiblissement trop important du Hezbollah est problématique pour la stratégie géopolitique et le réseau d'influence régional de l'Iran. Les objectifs stratégiques de Téhéran, en particulier depuis le 7 Octobre, ont en effet été d'améliorer sa position géopolitique régionale afin d'être dans la meilleure position pour les futures négociations avec les États-Unis, en particulier sur les questions nucléaires et les sanctions, et de garantir ses intérêts politiques et sécuritaires. La dernière attaque iranienne contre Israël doit être considérée dans ce cadre, tout en essayant de réaffirmer une forme de dissuasion, bien qu'inégale par rapport à la supériorité des capacités militaires israéliennes et au soutien apporté par Washington. De plus cette attaque ne permettra à aucun moment d'arrêter la guerre israélienne contre le Liban.
Le Hezbollah se trouve dans la situation la plus dangereuse depuis sa fondation, et il est peu probable que cela s'améliore de sitôt compte tenu des attaques continues d'Israël et de l'isolement du parti au Liban.
Si les principaux atouts du mouvement ont été de construire une organisation forte et disciplinée, et non un « one-man show » – malgré le culte de la personnalité dont bénéficie Nasrallah –, la capacité du parti à élargir sa base est très limitée par sa stratégie et son orientation politiques. Le Hezbollah ne s'est pas engagé dans la construction d'un projet contre-hégémonique qui remettrait en cause le système confessionnel et néolibéral libanais. En fait, il l'a activement soutenu en devenant l'un de ses principaux défenseurs.
De plus, le parti a agi comme le principal centre d'influence et d'intérêts iraniens dans la région, en particulier après l'éruption des soulèvements en Syrie et au Moyen-Orient et en Afrique du Nord depuis 2011, qui favorisent également un ordre autoritaire néolibéral opposé à l'émancipation et à la libération des classes populaires.
En d'autres termes, le Hezbollah, comme d'autres acteurs politiques régionaux impliqués dans la résistance contre Israël, est incapable de construire un grand mouvement liant les enjeux démocratiques et sociaux, s'opposant à toutes les forces impérialistes et sous-impérialistes, tout en promouvant la transformation sociale par en bas, à travers la construction de mouvements dans lesquels les classes populaires sont les véritables acteurs de leur émancipation.
Le 5 octobre 2024
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Guerre au Liban : pourquoi Benyamin Netanyahou tient tant à chasser les Casques bleus de la Finul

Après que l'armée israélienne a blessé cinq des soldats de la Finul, le premier ministre israélien prétend, dans une cynique adresse au secrétaire général de l'ONU, que le seul moyen d'assurer leur sécurité serait leur évacuation.
Par Bruno Odent, L'Humanité, France, le 13 octobre 2024
La Force intérimaire des Nations unies au Liban ( Finul ) a été au cœur de toutes les polémiques durant le week-end. En l'espace de 48 heures, vendredi 11 et samedi 12 octobre, ses Casques bleus ont essuyé des tirs des commandos israéliens qui interviennent sur le territoire libanais pour en découdre avec les milices du Hezbollah.
Cinq soldats de l'ONU ont été blessés et l'un de leurs porte-parole, Andrea Tenenti, a accusé l'armée israélienne d'avoir tiré de « façon répétée » et « délibérée » sur les positions de la Finul, infligeant « beaucoup de dommages » au dispositif installé sur place par l'ONU. « Le conflit entre le Hezbollah et Israël n'est pas qu'un conflit qui implique deux pays. Très bientôt, ce pourrait être un conflit régional avec un impact catastrophique pour tous », a-t-il prévenu quelques instants plus tard, comme pour relever le rôle salutaire de la mission de maintien de la Finul.
Le président des États-Unis, Joe Biden, s'est ému de la situation, demandant à Israël de ne plus tirer sur les soldats de l'ONU, quand son homologue français, Emmanuel Macron, a jugé ces attaques « inacceptables ».
*Exercice devenu classique de renversement des accusations*
La Finul, qui est composée de quelque 10 000 soldats, est déployée au Liban depuis 1978 à la suite d'une décision du Conseil de sécurité de l'ONU. Il s'agissait alors de mettre fin à une première invasion israélienne condamnée par les Nations unies qui demandaient dans une résolution à Israël de retirer ses troupes du territoire libanais.
La Finul fut chargée d'opérer sur la frontière israélo-libanaise pour orchestrer le retrait des troupes israéliennes au Liban du Sud, consolider la paix et aider le gouvernement libanais à rétablir son autorité effective dans la région.
Pas de quoi impressionner le premier ministre israélien, peu enclin il est vrai à se plier aux décisions de la communauté internationale. Benyamin Netanyahou a appelé, ce dimanche 23 (sic) octobre, le secrétaire général de l'ONU pour qu'il sorte les Casques bleus de la Finul de leur poste d'observation.
« Monsieur le secrétaire général, mettez les forces de la Finul à l'abri. Il faut le faire tout de suite, immédiatement ! » a lancé en anglais un Netanyahou courroucé et passé maître dans l'art de la provocation lors d'un discours filmé au début du Conseil des ministres.
Et d'ajouter à l'adresse d'Antonio Guterres dans un exercice devenu classique de renversement des accusations sur l'origine des responsabilités : « Nous regrettons que les soldats de la Finul aient été blessés et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter que cela ne se reproduise. Mais le moyen le plus simple et le plus évident d'y parvenir est tout simplement de les faire sortir de la zone de danger. »
Quelques instants plus tard, le Liban « condamnait » cet appel martial de Netanyahou à évacuer les Casques bleus de la frontière, le premier ministre libanais, Najib Mikati, s'indignant d'un « nouveau refus (israélien) de se plier au droit international » et dénonçant « l'agression israélienne contre la Finul ».
Lecture suggérée par André Cloutier
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Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.
Souveraineté en question : le Népal face aux géants de l’Asie

Les forces israéliennes prennent à nouveau pour cible les forces de maintien de la paix de l’ONU dans le sud du Liban

La force de maintien de la paix des Nations unies au Sud-Liban confirme que son quartier général à Naqoura a été touché par des explosions pour la deuxième fois en 48 heures, un jour après que les forces israéliennes ont frappé la même position.
Tiré de France Palestine solidarité. Photo : Des soldats de la paix de la FINUL patrouillent dans les environs de Tyr, au sud du Liban © UN Photo/Pasqual Gorriz.
Deux casques bleus de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) ont été blessés après que deux explosions se soient produites à proximité d'une tour d'observation, a déclaré la mission des Nations unies dans un communiqué vendredi.
« Il s'agit d'un événement grave et la FINUL rappelle que la sécurité du personnel et des biens de l'ONU doit être garantie et que l'inviolabilité des locaux de l'ONU doit être respectée à tout moment », a ajouté le communiqué.
« Toute attaque délibérée contre des soldats de la paix constitue une grave violation du droit humanitaire international. » L'un des soldats de la paix blessés a été transporté dans un hôpital de la ville voisine de Tyr, tandis que l'autre a été soigné sur place.
L'organisation a également déclaré que « plusieurs murs en T de notre position de l'ONU 1-31, près de la ligne bleue à Labbouneh, sont tombés lorsqu'une chenille [militaire israélienne] a frappé le périmètre et que des chars [israéliens] se sont déplacés à proximité de la position de l'ONU », en référence à la ligne de démarcation entre Israël et le Liban.
« Nos forces de maintien de la paix sont restées sur place », a indiqué le communiqué, ajoutant que des forces de maintien de la paix supplémentaires avaient été envoyées pour renforcer la position.
L'armée israélienne a déclaré dans un communiqué qu'elle procédait à un examen approfondi de l'incident au cours duquel deux soldats de la paix ont été blessés « par inadvertance » dans le sud du Liban. Elle a ensuite déclaré que deux membres de la mission de maintien de la paix des Nations unies avaient été blessés lorsque les forces israéliennes avaient répondu à une menace.
Elle a indiqué qu'elle avait demandé au personnel de la FINUL de se rendre dans des zones protégées et d'y rester quelques heures avant l'incident.
Le ministère libanais des affaires étrangères avait précédemment déclaré que les attaques visaient des tours de guet et la base principale de la FINUL à Naqoura, ainsi que la base du bataillon sri-lankais.
L'agence de presse officielle libanaise National News Agency a rapporté que les tirs d'artillerie d'un char israélien Merkava avaient blessé des membres du bataillon sri-lankais, sans préciser où ils se trouvaient exactement.
S'exprimant lors d'une conférence de presse à Beyrouth, le premier ministre intérimaire libanais, Najib Mikati, a déclaré que les actions d'Israël constituaient un « crime dénoncé ». Il a ajouté qu'il avait discuté avec le secrétaire d'État américain Antony Blinken des efforts déployés pour parvenir à un cessez-le-feu au Liban.
Le Hezbollah a également condamné les attaques israéliennes. Le chef des médias du groupe, Mohammad Afif, a déclaré que les attaques visaient les soldats de la paix de l'ONU, les civils, les zones résidentielles, les hôpitaux et le personnel médical, et a dénoncé les « excuses » et les justifications utilisées par l'armée israélienne pour continuer à les frapper, notamment en affirmant qu'elles contenaient des armes et des explosifs.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a déclaré vendredi qu'il était « très clair que cet incident est intolérable et ne peut se répéter ».
Le ministère russe des affaires étrangères s'est déclaré vendredi « scandalisé » par le fait que les soldats de la paix de la FINUL aient été pris pour cible et a exigé qu'Israël s'abstienne de toute « action hostile » à leur encontre.
Human Rights Watch a demandé une enquête de l'ONU sur ces attaques et a déclaré que le fait de prendre délibérément pour cible les missions de l'ONU constituait un « crime de guerre ».
« Les forces de maintien de la paix de l'ONU au Sud-Liban jouent depuis longtemps un rôle humanitaire et de protection des civils essentiel », a déclaré Lama Fakih, directeur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de l'organisation de défense des droits de l'homme basée à New York. « Tout ciblage des soldats de la paix de l'ONU par les forces israéliennes viole les lois de la guerre et interfère dangereusement avec la protection des civils et le travail d'aide de la FINUL.
La Chine s'est déclarée « gravement préoccupée et a fermement condamné » les attaques d'Israël contre les opérations de paix de l'ONU, tout comme l'Inde, qui a déploré la « détérioration de la situation sécuritaire le long de la Ligne bleue ».
Le ministère indien des affaires extérieures a déclaré « L'inviolabilité des locaux de l'ONU doit être respectée par tous et des mesures appropriées doivent être prises pour garantir la sécurité des soldats de la paix de l'ONU et le caractère sacré de leur mandat. »
La France a convoqué l'ambassadeur d'Israël pour lui demander des explications, a indiqué le ministère des affaires étrangères dans un communiqué.
« Ces attaques constituent des violations graves du droit international et doivent cesser immédiatement », a déclaré le ministère.
La France compte environ 700 soldats dans le cadre de la mission de la FINUL. Aucun de ses soldats n'a été blessé jusqu'à présent. Le ministère a déclaré que toutes les parties au conflit avaient l'obligation de protéger les soldats de la paix.
Assaut contre les Casques bleus
L'incident de vendredi survient un jour après que les casques bleus de l'ONU ont déclaré que l'armée israélienne avait tiré « à plusieurs reprises » sur le quartier général et les positions de la FINUL dans le sud du Liban.
Deux casques bleus indonésiens ont été blessés jeudi et sont toujours hospitalisés, a indiqué la mission.
Le personnel de la FINUL porte des casques bleus pour être clairement identifiable et sa position est connue de l'armée israélienne.Israël a reconnu que ses forces avaient ouvert le feu dans la zone, affirmant que les combattants du Hezbollah contre lesquels il fait la guerre opèrent à proximité des postes de l'ONU.
L'attaque de jeudi a suscité une condamnation mondiale.
Le ministre italien de la défense, Guido Crosetto, a dénoncé l'incident comme un possible crime de guerre, rompant ainsi avec le soutien apporté par son pays à Israël tout au long de la guerre qui l'a opposé à Gaza et au Liban.
« Il ne s'agit pas d'une erreur ni d'un accident », a déclaré M. Crosetto lors d'une conférence de presse. « Cela pourrait constituer un crime de guerre et représente une violation très grave du droit humanitaire international. »
Le porte-parole de la FINUL, Andrea Tenenti, a déclaré à Al Jazeera qu'il s'agissait d'un événement « très grave ».
Il a expliqué qu'Israël avait déjà demandé aux soldats de la paix de quitter « certaines positions » près de la frontière, mais « nous avons décidé de rester parce qu'il est important que le drapeau de l'ONU flotte dans le sud du Liban ».
« Pour l'instant, nous restons, nous essayons de faire tout ce que nous pouvons pour surveiller [et] fournir de l'aide », a ajouté M. Tenenti.
La ministre indonésienne des affaires étrangères, Retno Marsudi, a confirmé que les soldats de la paix de son pays se trouvaient à l'hôpital pour une observation plus approfondie. « L'Indonésie condamne fermement l'attaque », a-t-elle déclaré. « Attaquer le personnel et les biens de l'ONU est une violation majeure du droit humanitaire international. »
Traduction : AFPS
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Une quarantaine de sociétés de journalistes réclament de nouveau l’accès à Gaza

Un an après le 7-Octobre, de nombreuses sociétés de journalistes et rédactions, dont la SDJ de Mediapart, demandent dans une tribune collective aux instances internationales et aux dirigeants de tous les pays d'appeler à l'ouverture de ce territoire à la presse pour qu'elle y exerce son métier : informer.
Tiré du blogue de l'auteur.
Depuis un an, la bande de Gaza est soumise à d'intenses combats et aux bombardements israéliens, en représailles aux massacres et à l'enlèvement de nombreux otages par des milices terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023.
La presse, cependant, ne peut toujours pas entrer dans cette enclave. L'accès en est interdit par Israël. Il est donc impossible de voir directement ce qui s'y passe. Impossible de rendre compte par nous-mêmes des destructions massives, des dizaines de milliers de morts et de blessés palestiniens sans dépendre de la communication de chaque camp.
Les journalistes palestiniens bloqués dans Gaza ne bénéficient quant à eux d'aucune protection. Plus d'une centaine d'entre eux ont été tués, et il a été démontré que plusieurs dizaines parmi eux l'ont été dans le cadre de leur travail. Les correspondants des agences de presse, des chaînes de télévision ou de radio, les interlocuteurs des médias que nous représentons sont, comme l'immense majorité des Gazaouis et de leurs familles, déplacés, leurs vies mises en danger. Ils sont régulièrement soumis à de nombreuses coupures d'électricité et des moyens de communication, empêchant de transmettre à l'extérieur ce qu'ils voient et entendent.
Cette situation, que nous avions déjà dénoncée il y a un an, est sans précédent. Il revient aux rédactions, comme dans chaque conflit armé, de mesurer les risques d'envoyer ou non leurs journalistes sur un terrain de guerre, comme elles le font à travers le monde.
Nous le répétons, la désinformation et le mensonge sont aussi des armes de guerre des différentes parties prenantes au conflit. Empêcher les journalistes d'exercer librement leur métier ne peut que les servir. Ce droit d'informer et d'être informé est le pilier de nos démocraties. Il s'agit d'une liberté fondamentale, inscrite dans l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Nous demandons donc aux autorités israéliennes de préserver la sécurité des journalistes qui tentent actuellement de travailler à Gaza et d'ouvrir ce territoire à la presse internationale pour qu'elle y fasse son métier : informer sans entrave et témoigner de la marche de cette guerre, l'une des plus meurtrières et violentes de ce début du XXIe siècle.
Les sociétés de journalistes et de rédacteurs de : Arrêt sur images, Arte, BFM Business, BFM-TV, Blast, Challenges, France 24, France Télévisions rédaction nationale, France 3 rédaction nationale, Franceinfo TV, Franceinfo.fr, Konbini, LCI, L'Express, L'Humanité, Le Figaro, Le Monde, Le Nouvel Obs, L'Informé, La Tribune, La Vie, Le Point, Le Télégramme, Libération, Mediapart, M6, Premières Lignes TV, Radio France, RFI, RMC, RTL, « Sept à huit », Télérama, TV5 Monde, L'Usine nouvelle, ainsi que Reporters sans Frontières.
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