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– Contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de NousToutes

À l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes et minorités de genre, nous appelons à manifester dans toutes les villes de (…)

À l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes et minorités de genre, nous appelons à manifester dans toutes les villes de France hexagonale et des Outre-mer le samedi 23 novembre contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de genre.

Tiré de Entre les lignes et les mots

En France, depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron, nous décomptons déjà plus d'un millier de féminicides. UN MILLIER de femmes et filles assassinées par des hommes ! Les féminicides ont lieu partout, dans les foyers mais aussi en dehors. Dans l'espace public, ces crimes visent particulièrement les femmes trans, migrantes, travailleuses du sexes ou SDF qui sont trop souvent invisibilisées. Derrière ce chiffre, ce sont aussi des milliers d'enfants, de familles et de proches endeuilléEs.

Qui s'en indigne ? Qui se préoccupe réellement du meurtre de ces femmes, tuées parce qu'elles sont des femmes ? Quelles réactions collectives ? Quelles réponses politiques ? Depuis 7 ans, les gouvernements successifs ont multiplié les promesses mais les moyens sont dérisoires et en baisse, l'action politique est quasi-inexistante. Non seulement le gouvernement ne soutient pas le travail militant et associatif, mais il s'engage dans une répression sans précédent des mouvements sociaux et féministes.

Les violences sexistes et sexuelles sont quotidiennes et concernent tout le monde. La banalisation du sexisme favorise les violences que nous vivons au quotidien : discriminations, harcèlement, violences psychologiques, violences au sein du couple à travers le contrôle coercitif, violences économiques, cyberviolences dont les raids masculinistes, violences gynécologiques, mutilations sexuelles, mariages forcés, agressions, viols, féminicides. En France, une femme est victime de viol ou tentative de viol toutes les 2 minutes 30 et un enfant toutes les 3 minutes. Plus de cinq millions d'adultes en France déclarent avoir été victimes de pédocriminalité. Des centaines de milliers d'enfants sont victimes des violences conjugales, parentales et intrafamiliales. Un tiers des femmes subissent du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Face à Gisèle et ses enfants, le profil des 51 hommes accusés de viol sous soumission chimique confirme ce que les associations féministes et enfantistes répètent depuis des décennies : les auteurs de violences ne sont pas des monstres, ce sont des hommes de notre entourage mais aussi des personnalités publiques. Ces violences concernent tout le monde ! Et la honte doit changer de camp !

Les violences de genre interviennent aussi au croisement de plusieurs systèmes de domination et d'exclusion. Elles touchent particulièrement les personnes aux identités multiples et vulnérabilisées parce qu'elles sont racisées, précaires, lesbiennes, gays, bi, trans, queer, intersexes, exilées, sans papiers ou en situation irrégulière, incarcérées, handicapées, affectées par des maladies ou troubles psychiques, vivant avec le VIH, travailleuses du sexe, victimes d'exploitation, à la rue, usagères de produits psycho-actifs, mères isolées, mineures, âgées ou grosses. Les rapports de domination s'entretiennent et se renforcent. Ce sont les paroles des premièrEs concernéEs qui fondent nos luttes féministes et nous combattons conjointement toutes les oppressions.

Alors que les victimes parlent et appellent à l'aide, nous dénonçons l'inaction volontaire de l'État, coupable du maintien des violences et de l'abandon des victimes. Le gouvernement enterre la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciilise), abandonne les associations et les services de protection de l'enfance qui subissent des coupes budgétaires. Les institutions maintiennent leur fonctionnement patriarcal et délétère pour les victimes et celleux qui les soutiennent. Ancrées et normalisées dans nos sociétés, les violences sont tantôt invisibles, tantôt considérées comme une fatalité ou un fléau. Au contraire, elles peuvent et doivent être éradiquées. Les solutions sont connues depuis des décennies, d'autres pays les mettent en oeuvre avec des résultats probants : des politiques publiques notamment de prévention des violences, d'éducation à l'égalité et à la culture du consentement à l'école, de mise à l'abri et d'accompagnement des victimes dans leur reconstruction.

Le 23 novembre, nous serons dans la rue pour réclamer ces politiques publiques, avec un budget pérenne annuel d'au moins 2,6 milliards d'euros soit 0,5% du budget de l'État. Le 23 novembre, nous serons dans la rue pour crier notre colère face aux violences sociales qui se sont multipliées ces dernières années et impactent particulièrement la vie des femmes, des personnes LGBTQI+ et des enfants. Si la réforme des retraites représente une violence envers toutes les personnes les plus précaires, les femmes en sont les premières victimes car 60% des économies ont été réalisées sur leurs retraites. Parmi les deux millions de mères isolées avec leurs enfants, près de la moitié vivent sous le seuil de pauvreté. 70% des travailleurs pauvres sont des femmes. En plus des temps partiels imposés, des bas salaires des métiers dévalorisés occupés en grande partie par des femmes racisées, l'inflation ou encore la réforme du RSA les ont encore plus vulnérabilisées.

Le 23 novembre, dans un contexte d'explosion de l'antisémitisme, de l'islamophobie et de toutes les formes de racisme, ainsi que de la transphobie, nous serons aussi dans la rue pour dénoncer la haine entretenue par la fascisation des discours politiques et médiatiques, qui impactent directement nos vies. Nous rappellerons que l'extrême-droite en particulier représente une menace immédiate pour les femmes, les personnes minorisées et les enfants. Niant le résultat des urnes, Emmanuel Macron continue de dérouler le tapis rouge à l'extrême-droite en nommant un premier ministre et un gouvernement réactionnaires ayant voté contre les droits des femmes, des minorités de genre et des enfants. Nous manifesterons notamment contre les politiques LGBTQI+phobes dont les thérapies de conversion et la mutilation des enfants intersexes. Nous continuerons de faire front face aux partis politiques, organisations, médias, masculinistes et fémonationalistes qui attaquent nos droits et instrumentalisent nos luttes.

Le 23 novembre, nous serons aussi dans la rue en solidarité avec nos sœurs et nos adelphes du monde entier, et en soutien de tous les peuples victimes de la colonisation, des génocides, des guerres. Partout où il y a des guerres et des régimes totalitaires, les femmes, les personnes LGBTQI+ et les enfants subissent le viol, les pires violences et voient leurs droits bafoués. Nous exigerons le respect par le gouvernement français du droit international et de l'autodétermination des peuples, la fin de toute politique coloniale et l'arrêt immédiat de l'armement des régimes génocidaires.

Le 23 novembre, nous appelons à la mobilisation générale et à une déferlante féministe dans les rues de toutes les villes de France hexagonale et des Outre-mer contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de genre

Publiés dans le Courrier N° 437 de la Marche Mondiale des Femmes

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L’affaire Errejón, les agressions sexuelles et les féministes (Etat espagnol) : « {Il est urgent d’ouvrir le débat, d’en redéfinir le cadre et de le politiser »}

19 novembre 2024, par Justa Montero, Viento Sur — , ,
L'affaire Errejón a suscité un vaste débat public dans la société et, bien entendu, au sein d'un mouvement féministe très diversifié. Dans cette interview, Justa Montero, (…)

L'affaire Errejón a suscité un vaste débat public dans la société et, bien entendu, au sein d'un mouvement féministe très diversifié. Dans cette interview, Justa Montero, féministe et engagée depuis longtemps dans le mouvement social, membre du Conseil consultatif de Viento sur, nous donne son point de vue sur ce débat très nécessaire et en même temps, comme elle le dit elle-même, complexe et aux aspects multiples.

Tiré de Entre les lignes et les mots

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/15/laffaire-errejon-les-agressions-sexuelles-et-les-feministes-etat-espagnol-il-est-urgent-douvrir-le-debat-den-redefinir-le-cadre-et-de-le-politiser/?jetpack_skip_subscription_popup

Viento Sur : L'accusation d'agression sexuelle portée contre Iñigo Errejón [1] et les témoignages qui ont suivi ont donné lieu à un débat public intense. Selon toi, où se situe le cœur du débat ?

Justa Montero : Au-delà de la procédure judiciaire que l'accusation (ou les accusations) d'agression sexuelle contre Iñigo Errejón va entraîner, l'impact en a été dévastateur. À la plainte s'est ajoutée une désolante lettre, bourrée d'euphémismes, dans laquelle il reconnaît de manière vague sa conduite tout en se disculpant sans demander pardon. Les conséquences ont été dévastatrices, car il s'agit d'un responsable politique extrêmement connu du public, représentant un parti de gauche qui se réclame de la « nouvelle politique » et se déclare féministe.

L'ampleur prise par cette affaire a entraîné un important débat public qui pourrait marquer un tournant dans la compréhension du phénomène des violences sexuelles. Un débat qui n'est pas facile parce qu'il a de multiples facettes et qu'il révèle à quel point il est complexe de prendre en considération cette violence machiste dans ses dimensions personnelles et sociales.

Ainsi, au premier abord, ce qu'il révèle est quelque chose que le mouvement féministe souligne depuis de nombreuses années, depuis que la violence sexuelle est inscrite parmi ses priorités : que la violence sexuelle, dans ses différentes manifestations, est plus banalisée que ne le laisse penser la perception qu'en a la société ; qu'il n'y a pas un seul profil d'homme harceleur et agresseur, c'est-à-dire que la violence sexuelle peut être le fait de citoyens respectables, de pères de famille (Dominique Pelicot, le retraité français qui a organisé le viol de sa femme par 92 hommes, ne semblait-il pas en être un ? ), elle peut venir de prêtres, de collègues, de parents, d'enseignants…

Dans le cas d'Iñigo Errejón, le débat a également été alimenté par un traitement médiatique agressif, moralisateur et sensationnaliste, qui a réussi à faire de la douleur un spectacle (une émission de télévision a même été jusqu'à reconstituer avec des acteurs les scènes mentionnées dans la plainte) ; une stigmatisation sur le mode du lynchage s'est ensuivie, créant un monstre qui mérite la prison à vie. Ceci est typique d'un populisme punitif et étranger à une éthique féministe, quels que soient les faits et les personnes.

Mais, comme le souligne Paola Aragón dans son article « Reconstruire le monstre »·[2], cela répond à un objectif, à une intentionnalité politique claire. Il s'agit de réinstaller dans l'imaginaire collectif l'idée que l'agresseur est un monstre, un traitement qui lui confère le caractère d'exception, de chose hors du commun, ce qui permet d'empêcher que l'on puisse se reconnaître dans le problème qui l'a engendré, créant ainsi un phénomène de mise à distance. Ceci, comme nous le voyons, a un effet rassurant immédiat sur la société, sur les hommes, et un effet trompeur sur les femmes.

Parmi les articles écrits par des hommes que j'ai lus ces jours-ci (de toutes sortes sur l'échelle idéologique), et je suis sûre qu'il y en a plus et que dans les réseaux il y aura des commentaires que je n'ai pas lus non plus, il y en a très, très peu qui se sont sentis interpellés ; allez, ils se comptent sur les doigts d'une main, et il y en a trop (sur ce site, nous avons repris un article de Martí Caussa, « Errejón y nosotros » [3]). Il est surprenant de voir à quel point les hommes ont beaucoup à dire et à repenser (et dans ce cas très particulièrement les hommes hétérosexuels), à partir de la place sociale qu'ils occupent, sur leur masculinité, les relations qu'ils entretiennent, leur contribution à la construction de relations agréables pour les uns et les autres… Mais bien au contraire, dans un certain nombre de cas, ils sont tombés dans la mise en cause du féminisme et de ses dérives.

Une de ces réactions problématiques apparues dans le débat est celle qui s'accompagne d'une connotation moralisatrice. Au lieu de classer les pratiques sexuelles, quel que soit leur type, en fonction de l'existence ou non d'un consentement, et donc de leur qualification d'agression ou non, à partir de l'interprétation de témoignages sortis de leur contexte, il semble que toute pratique sexuelle insatisfaisante à un moment donné, désagréable ou directement désagréable, soit une agression. Et cela revient à dévaloriser l'expression par chaque femme de son vécu sexuel.

L'approche moralisante et moralisatrice contribue à dépolitiser le débat ouvert, il est donc urgent d'ouvrir le champ, de redéfinir le cadre du débat et de le politiser, d'élargir le cadre de l'attention aux violences sexuelles et, en plus du niveau strictement individuel, qui est important et qui exige la vérité, la justice et la réparation pour les femmes qui en ont souffert, d'affronter également la nature structurelle des violences sexuelles, au niveau des structures sociales et des relations de pouvoir patriarcales et discriminatoires qui les entretiennent.

Je voudrais ouvrir une parenthèse pour commenter le fait que, de manière surprenante, le débat s'est accompagné d'un règlement de comptes, à d'honorables exceptions près, entre personnes ayant fait partie de Podemos et de Sumar. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de rapport, il est clair que le mode de direction hyperpersonnalisé, les structures hiérarchiques, les structures peu démocratiques et l'autoritarisme sont favorables au règne du pouvoir, mais il serait bon de réserver d'autres espaces à ces discours afin d'éviter de détourner l'attention, parce que, de fait, dans ces discours, le problème de la violence sexuelle et des femmes qui la subissent disparaît.

V. S. : Pourquoi penses-tu que les dénonciations de ce cas et d'autres sont passées par les réseaux sociaux et non par les sphères collectives des partis ou des espaces dans lesquels ils se produisent ?

J. M. : Hé bien, d'une façon générale, il y a très peu de femmes qui dénoncent les violences sexuelles. Selon les données disponibles, issues de la macro-enquête de 2019 sur les violences faites aux femmes, seules 11,1% des femmes ayant subi des violences sexuelles en dehors du couple les ont dénoncées (elle ou quelqu'un d'autre en son nom) ; ce pourcentage tombe à 8% si la plainte est déposée uniquement par la femme agressée. Dans le cas d'un viol, le pourcentage de femmes qui portent plainte est un peu plus élevé, mais il n'est que de 18%.

Il n'y a pas de raison unique à cela. La majorité des agressions sexuelles ont lieu dans des environnements proches de la vie quotidienne des femmes : dans la famille, au boulot, à l'université, entre amis, à l'église, dans des lieux divers. Même dans le cas des viols, ce n'est pas dans la rue que la plupart d'entre eux ont lieu, comme ce fut le cas pour « la manada », la meute [4]. Dans de nombreux cas, des relations hiérarchiques et de pouvoir sont en jeu, et il est difficile de les dénoncer par crainte de répercussions immédiates dans l'environnement, en raison de situations précaires, par exemple sur le lieu de travail. Il y a des femmes qui, même si elles le voulaient, ne pourraient pas dénoncer ; c'est le cas des femmes migrantes en situation administrative irrégulière parce que la loi les a laissées de côté sans modification de la loi sur les étrangers et donc, si elles dénoncent, elles peuvent se retrouver exposées à des procédures d'expulsion.

Ainsi, lorsque cela a été possible, parce que les femmes se sont senties soutenues par la mobilisation féministe et qu'on leur a offert un espace de parole, on a assisté à une explosion de témoignages anonymes. Sur les réseaux, elles ont trouvé cet espace où elles peuvent raconter leur histoire et se sentir accompagnées, se reconnaissant dans les récits des autres. Cela revêt une importance politique considérable, car la première étape pour aller de l'avant est de donner la parole aux femmes. Et dans les témoignages, elles racontent des expériences qui parfois peuvent constituer un délit, dans d'autres cas elles relatent des pratiques machistes de connards et de bourrins machistes ; dans tous les cas, elles nous permettent de connaître la diversité des expériences et l'impact différencié qu'ont les différentes formes de violence sexuelle sur les femmes.

Le fait que ce soient les réseaux qui aient canalisé ce déversement, avec certaines garanties, soulève de nombreuses questions, car les réseaux, comme nous le savons tous, ne sont pas sans poser des problèmes. Mais l'alternative qui a été proposée par les institutions et certains groupes féministes, à savoir le dépôt de plainte comme procédure offrant davantage de garanties aux femmes, il faut d'abord dire qu'elle se réfère à des moments différents, parce qu'une femme peut vouloir laisser un témoignage de son expérience, mais ne pas vouloir dénoncer parce que son témoignage ne se rapporte peut-être pas à quelque chose qui est considéré comme un délit, ou parce que si c'est le cas, elle ne veut pas le faire non plus.

Comment ne pas avoir peur de la culpabilisation et de la revictimisation, de se voir jugée, d'être interrogée et de la mise à nu personnelle que cela implique ? Il suffit de se rappeler certaines questions posées dans les procès les plus célèbres, ou de l'embauche d'un détective par la défense de violeurs en bande pour passer au peigne fin la vie de la victime. Il y a un film et un documentaire qui illustrent tout cela de manière rigoureuse. Je fais référence au film récent Nevenka (la conseillère municipale de Ponferrada qui a dénoncé le maire, tous deux du PP) d'Icíar Bollaín ; et au documentaire No estás sola (Tu n'es pas seule) sur le viol collectif de Pampelune, d'Almudena Carracedo et Robert Bahart. Dans ces deux cas, les femmes ont gagné en justice, les jugements ont eu d'importantes implications sociales et juridiques en raison de leur impact, et ont permis aux femmes de reprendre le cours de leur vie, même si elles ont dû quitter leur ville. En les regardant, il est facile de comprendre pourquoi une femme ne voudrait pas subir des procédures pénales aussi longues et aussi pénibles.

Tu as demandé pourquoi les plaintes n'ont pas été déposées dans les lieux où les faits se sont produits. Tous les partis ont déclaré avoir adopté des procédures contre les abus ou la violence machiste. Mais les résolutions ne sont pas une garantie en soi ; elles doivent s'accompagner d'une culture politique et organisationnelle anti-violence, de mécanismes d'écoute préventive et protectrice permettant d'identifier les comportements machistes, de mesures d'accompagnement et de suivi. En bref, garantir qu'il s'agit bien d'espaces politiques permettant des relations sûres et amicales dans lesquels la culture machiste est combattue, qu'il existe des moyens permettant, en cas de témoignage ou de plainte, de garantir la non-répétition des faits. Je ne crois pas qu'il y ait de formule magique ; ce sont les processus mêmes de construction collective qui comptent et dans lesquels les groupes de femmes doivent avoir une légitimité et une autorité.

V. S. : Peux-tu expliquer les raisons de la polarisation entre les positions punitivistes et anti-punitivistes ?

J. M. : De mon point de vue, la question centrale pour avancer vers un horizon de transformation est de savoir comment mettre fin à l'impunité qui entoure les violences sexuelles et protège les agresseurs, et comment garantir la réparation aux victimes. L'impunité et la réparation sont les deux éléments qui donnent un sens à la demande de justice et de garanties de non-répétition, car avec l'impunité, il n'y aura jamais de réparation.

La question que se pose le féminisme est la suivante : quelles sont les stratégies qui permettent de lutter contre les violences sexuelles de façon à ce qu'il y ait la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition ? Et c'est là que le débat punitivisme/anti-punitivisme réapparaît.

Une précision préliminaire, car depuis l'affaire Errejón, des positions punitivistes ont été imputées au féminisme comme s'il s'agissait d'un groupe homogène. Bien qu'il existe un secteur du mouvement féministe qui connaît une dérive punitiviste, laquelle la rapproche des positions libérales, sociales-démocrates ou du féminisme classique, il ne s'agit en aucun cas de ce que j'appellerais la position des « grèves féministes ». Je précise cela parce qu'affirmer que le dépôt d'une plainte en justice est punitif revient à banaliser la portée du dépôt d'une plainte. Comme le souligne Laia Serra (avocate pénaliste et féministe) :

« En fait, s'il est un mouvement politique qui n'a cessé de se remettre en question, c'est bien celui des féministes de base. Nous n'avons pas besoin de leçons d'anti-punitivisme, nous connaissons, pour l'avoir vécu, la brutalité du système et les retombées de la répression, et nous savons très bien que le droit pénal non seulement ne résout pas les problèmes sociaux, mais qu'il en démultiplie la violence. Nous avons toujours eu à cœur, de par notre éthique et notre engagement pour l'émancipation, de nous opposer à tout ce qui vide les problèmes de leur charge de contestation sociale » (pikaramagazine [5]).

Le débat avec les positions punitivistes est très important, et du fait de la loi du « seulement si », du populisme punitif qui se manifeste face aux réductions de peine et aux libérations de prisonniers, le débat sur ses conséquences s'est approfondi et amplifié. Parler de punitivisme, c'est se tourner vers l'Etat qui a le monopole de la violence, vers le système carcéral et sécuritaire qu'il organise, vers l'ensemble de son maillage juridique de contrôle social. Et l'État exerce la violence contre les femmes de multiples façons, comme le montre le livre Cuando el estado es violento d'Ana Martínez et Marta Cabezas.

Mais de mon point de vue, il est également intéressant de s'attaquer à l'anti-punitivisme, car c'est ce qui peut ouvrir de nouveaux horizons à ce que nous appelons la justice féministe. Je me réclame d'un féminisme qui a été et qui est anti-punitiviste, qui s'est confronté au populisme punitif, qui critique, par conséquent, le système pénal, les prisons et leur supposé effet préventif. Jamais ce courant féministe n'a mis l'accent sur un alourdissement des peines, ce n'est pas ce qui a été demandé dans le cas de la « meute de Pampelune », où ce qui était demandé, c'était une nouvelle façon de prendre en compte la violence, allant du harcèlement au viol collectif.

Mais, et je reviens à Laia Serra, ce débat sur l'anti-punitivisme ne peut occulter le vrai problème, non résolu, de savoir que faire face à l'impunité généralisée dont bénéficie la violence et de déterminer qui doit être tenu pour responsable de ses conséquences. En d'autres termes, la façon dont on donne un fondement à ces accords théoriques sur l'anti-punitivisme revêt un caractère plus complexe dans la pratique politique féministe, lorsqu'il faut se colleter à la réalité concrète que vivent les femmes.

Et c'est là que la complexité revient. J'ai dit plus haut que les femmes peuvent appréhender la réparation de différentes manières : par le biais d'une décision judiciaire, dans laquelle la sanction est peut-être ce qui importe le moins, mais où la reconnaissance formelle de l'agression est plus importante ; il peut s'agir d'un processus de réparation s'il bénéficie d'un accompagnement professionnel et social qui soutient les femmes ; il peut s'agir d'une réparation économique, ou de se sentir réparée par la reconnaissance et la responsabilisation de l'agresseur dans l'environnement dans lequel l'agression a eu lieu. Toutes ces réponses sont pareillement légitimes et nécessaires parce qu'elles se concentrent sur les besoins des femmes et sur les moyens de mettre fin à l'impunité et de parvenir à une réparation.

D'une part, nous connaissons les problèmes auxquels les femmes sont confrontées dans les procédures judiciaires et il ne saurait être question d'embellir ou de mythifier les choses. Mais réaliser des changements, ouvrir des failles dans le système qui permettent des améliorations dans la vie réelle des femmes, comme par exemple le fait que les femmes ne soient pas obligées de porter plainte pour bénéficier de moyens de subsistance et d'un traitement psychologique, l'existence de centres de soins d'urgence spécifiques, que la prévention sociale et en milieu scolaire occupe une place centrale (même si c'est autre affaire qu'elle soit réellement développée), que l'on continue à affronter la justice patriarcale, tout cela permet de continuer à faire porter à l'État la responsabilité de ses dérives patriarcales, autoritaires et punitives, et d'avancer vers l'horizon d'un système de justice féministe.

D'autre part, dans les positions anti-punitivistes, l'alternative à la dénonciation judiciaire est formulée comme une justice réparatrice/transformatrice centrée sur des processus communautaires de réparation et de responsabilisation individuelle et collective. Il est très important et porteur d'espoir que certaines expériences positives de promotion de la non-impunité et de la réparation au niveau communautaire existent. Il est également important que des femmes et des hommes participent à leur développement afin d'enrichir et de faire progresser la réflexion sur la justice féministe que nous souhaitons. Mais il est également important de ne pas enjoliver cela, car cela a aussi ses limites et ses difficultés. Ces espaces, auxquels nous participons, sont aussi en construction et traversés par des inégalités. Lorsqu'un cas de violence sexuelle a été soulevé, il est parfois arrivé que des dynamiques de revictimisation de la femme qui avait porté plainte au sein du collectif se soient produites. Ces expériences n'ont pas toujours été positives et l'autogestion de la violence n'a pas toujours donné des résultats satisfaisants. Vouloir l'aborder non pas de manière complémentaire, mais comme une alternative, crée des problèmes dans la pratique, car la grande majorité des femmes qui subissent des violences sexuelles ne participent pas à ce type de communautés et de réseaux sociaux, n'ont pas la possibilité de le faire, et ont besoin d'autres outils.

En conclusion, l'anti-punitivisme est quelque chose qui se construit à partir de diverses pratiques en espérant réduire la distance entre la justice féministe à laquelle nous aspirons et les conquêtes ponctuelles que nous obtenons : mesures préventives, prise en charge totale des femmes ayant subi des violences sexuelles, transformation du système judiciaire, construction de collectifs et de relations plaisantes et satisfaisantes, afin d'améliorer la situation de celles qui subissent des violences sexuelles.

V. S. : Quel devrait être, selon toi le rôle du féminisme dans ce débat ?

J. M. : Tout d'abord, une précision, car vu la tournure que prend le débat public, je pense qu'il est nécessaire de revenir à parler des féminismes au pluriel. On parle trop souvent du féminisme comme s'il s'agissait d'un bloc compact ou d'un parti, alors qu'il s'agit d'un mouvement pluriel. C'est ainsi que l'on étouffe, y compris, même si c'est surprenant, de la part de voix amies, le féminisme de base qui s'est nourri des grèves féministes et qui, comme je l'ai dit, ont fui le punitivisme, qui ont toujours mis en avant la capacité d'action des femmes en tant que sujets dotés de la compétence éthique de prendre des décisions concernant leur vie, leur identité, leur sexualité, leur plaisir et leur amour, non pas en tant que victimes mais, même dans des situations dures et difficiles, en tant que sujets actifs à même de formuler leurs revendications. Ces exigences, il les formule pour toutes, pour les travailleuses du sexe, pour les personnes transgenres, en ce qui concerne la maternité, les relations sexuelles, afin de faire face à la violence. C'est un féminisme qui pratique une approche intersectionnelle pour ancrer les histoires et les propositions dans les réalités concrètes de la vie des femmes, sur la base de leurs conditions de vie matérielles et de la subjectivité de chacune d'entre elles, afin qu'elles puissent vivre dans la dignité et libérées de la violence. Je crois que c'est ce qui ouvre une voie vers une plus grande transformation.

Tout ce qui vient d'être dit n'est rien de plus que de brèves réflexions ; comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'un débat complexe, et plus il y a d'acteurs impliqués, plus il y a de facettes qui se dessinent. Je crois que nous devons continuer à y réfléchir et à nous poser de nombreuses questions, comme nous l'avons fait tout au long de notre vie. Lutter contre la violence à deux niveaux interconnectés – individuel et structurel – implique de se confronter à la subjectivité et à la réalité matérielle des femmes et des hommes, ainsi qu'aux structures de pouvoir du système qui génèrent et entretiennent la violence.

Nous nous trouvons à un moment important où nous devons consolider et faire progresser ce qui a été réalisé, afin de gagner la bataille du narratif qui a commencé à se déployer.

Face au risque d'une fermeture moralisatrice du débat, dans lequel la droite et l'extrême droite se lanceront avec force, c'est l'occasion d'exposer nos arguments en défense de notre identité sexuelle et de notre lutte contre la violence machiste. Et face au risque de voir les femmes réduites au silence, il n'y a pas d'autre choix, comme toujours, que l'organisation et la mobilisation féministes. Car la mobilisation féministe est aussi réparatrice pour de nombreuses femmes. J'aime à rappeler les paroles de remerciement contenues dans la lettre envoyée par la femme qui a subi la violence de la manada : « Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont aidée dans ce parcours. Toutes les personnes dont l'élan, sans qu'elles me connaissent, a submergé l'Espagne, et qui m'ont donné une voix quand beaucoup ont essayé de me l'enlever ».

[1] Iñigo Errejón a été l'un des principaux dirigeant de Podemos, avant de rompre avec Pablo Iglesias, et de fonder ses propres organisations, puis de rejoindre Sumar, puis de se retirer de la vie politique en 2024.
[2] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/reconstruir-al-monstruo/
[3] https://vientosur.info/errejon-y-nosotros/
[4] L'affaire de La Manada, viol collectif commis à Pampelune en 2016. La victime a porté plainte, le procès a eu un grand retentissement. Après bien des péripéties, la mobilisation féministe a permis de faire entrer la notion de consentement dans le code pénal, les cinq violeurs ont finalement été condamnés à 15 ans de prison (ndt)
[5] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/antipunitivismo-remasterizado/

Source : Viento Sur, 09/Nov/2024, “Urge abrir el foco, cambiar el marco del debate y politizarlo” :
https://vientosur.info/urge-abrir-el-foco-cambiar-el-marco-del-debate-y-politizarlo/
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72497

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« {Pas tous les hommes, mais beaucoup d’entre eux} » : le procès de Gisèle Pelicot changera-t-il enfin l’attitude des Français à propos des agressions sexuelles ?

19 novembre 2024, par Kim Willsher — , ,
Les détails horribles de l'affaire Pelicot qui a secoué le pays, et la réaction du maire local, démontrent un refus généralisé de tenir tête à ce genre d'agressions. Tiré (…)

Les détails horribles de l'affaire Pelicot qui a secoué le pays, et la réaction du maire local, démontrent un refus généralisé de tenir tête à ce genre d'agressions.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/14/pas-tous-les-hommes-mais-beaucoup-dentre-eux-le-proces-de-gisele-pelicot-changera-t-il-enfin-lattitude-des-francais-a-propos-des-agressions-sexuelles/?jetpack_skip_subscription_popup

Alors que l'horreur de la façon dont Dominique Pelicot a longuement drogué son épouse, Gisèle, et permis à au moins 83 hommes de la violer continuait à être dévoilée dans une salle d'audience française la semaine dernière, il était difficile de voir comment l'affaire « aurait pu être pire », comme l'a suggéré un élu local.

Louis Bonnet, maire de #Mazan, la ville de 6 000 habitants du sud de la France où vivaient les Pelicots et un certain nombre de violeurs présumés, a en effet soutenu que « personne n'a été tué », même s'il s'est excusé plus tard et a admis que ses mots n'étaient « pas tout à fait appropriés ».

Pour les féministes et militantes françaises cependant, les commentaires malencontreux de M. Bonnet résument la façon dont la France n'a pas réagi au mouvement #MeToo et accuse un retard « abyssal » dans la lutte contre lesagressions sexuelles sur le plan social et juridique.

Anne-Cécile Mailfert, fondatrice de l'organisation féministe Fondation des Femmes, a déclaré que le fait qu'un tel commentaire puisse être lancé à propos d'un procès « qui symbolise ce que la violence masculine peut faire de pire » montrait les défis auxquels les femmes doivent faire face. « Cela montre exactement ce à quoi nous sommes confrontées, à savoir non seulement une culture du viol, mais aussi une culture de l'impunité », a-t-elle conclu.

Anna Toumazoff, écrivaine et militante féministe, a ajouté : « C'est un exemple de la façon dont les hommes ont encore du mal à comprendre ce à quoi nous sommes confrontées en tant que femmes, et c'est là le véritable problème ».

« C'est le produit d'une société qui ne parvient pas à protéger les femmes ou à les considérer comme des êtres humains à part entière. »

Depuis que le mouvement mondial #MeToo a émergé, encourageant les victimes à aborder et à signaler les agressions sexuelles et sexistes, la France peine à changer d'attitude à l'égard de celles qui le font.

Les accusations portées contre un certain nombre de personnalités, dont l'acteurGérard Depardieu et les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon, n'ont pas réussi à ébranler le relent de ce que l'on qualifie souvent de puritanisme anglo-saxon attaché au mouvement MeToo dans les esprits français, malgré des protestations d'innocence.

En mai, dans le contexte d'une frustration croissante face à l'absence de changement après que le nombre d'affaires de viols classées sans suite a atteint le pourcentage de 94% des plaintes déposées, une pétition signée par plus de 140 personnalités, publiée dans Le Monde, a appelé à une nouvelle loi de grande ampleur contre les violences sexuelles et sexistes.

« #MeToo a révélé une réalité empreinte de déni, y a-t-on lu : les violences sexistes et sexuelles sont systémiques et non exceptionnelles. Les faits semblent se succéder les uns aux autres. Qui nous écoute ? » Mme Mailfert, l'une des instigatrices de la pétition, a soutenu que l'affaire Pelicot, entendue à un tribunal d'Avignon, montre à quel point une nouvelle « loi intégrale » est nécessaire.

« Nous l'avons régulièrement réclamée à chaque fois qu'un cas particulier se présentait », a-t-elle déclaré. « Nous ne pouvons qu'espérer que cette fois-ci, cela débouchera sur une loi de grande envergure qui couvrirait la manière dont la police traite les plaintes au départ, la manière dont elles sont instruites, puis la manière dont elles sont jugées. Cela permettrait à la société de progresser vers la résolution de ces problèmes ».

« EnFrance, il y a un débat pour savoir si #MeToo est allé trop loin. ‘Est-ce vraiment si grave si quelqu'un met la main aux fesses de quelqu'une, après tout ce n'est qu'un geste ? Est-ce si grave de prendre une photo sous la jupe de quelqu'une ? Ce n'est qu'une photo.' Mais tous ces délits apparemment mineurs doivent être pris au sérieux, car une personne capable de mettre la main aux fesses de quelqu'un sans son consentement ou de prendre une photo sous une jupe est peut-être capable de faire quelque chose de beaucoup, beaucoup plus grave. Comme nous le constatons dans cette affaire ».

Les agressions de Dominique Pelicot à l'encontre de sa femme n'ont étédécouvertesque lorsqu'il a été repéré par un agent de sécurité en train de prendre des photos sous les jupes de femmes dans un supermarché et qu'il a été arrêté.

Mme Mailfert a ajouté : « Nous ne devons pas oublier que c'est grâce à la chance que Dominique Pelicot a été arrêté. C'est une chance que l'agent de sécurité qui l'a attrapé […] l'ait retenu, ait appelé la police et ne l'ait pas laissé partir avec un simple avertissement ».

« C'est une chance que la femme dont il a filmé sous la jupe ait porté plainte. C'est une chance que la police n'ait pas choisi de s'occuper d'une centaine de choses perçues comme plus graves et qu'elle ait poursuivi l'affaire, regardé son ordinateur et découvert ce qu'il faisait ».

« Si rien de tout cela n'était arrivé, il aurait sûrement continué. Ce qui semblait être un petit incident était un indicateur de quelque chose de beaucoup plus grave. Il s'inscrivait dans un continuum de violence. »

Mme Mailfert a déclaré que toute nouvelle loi devrait également traiter de la manière dont les victimes sont traitées au tribunal. La semaine dernière, Gisèle Pelicot, 72 ans, a été contrainte de rappeler au juge que ce n'était pas elle qui était en procès, après avoir été confrontée à ce qu'elle a qualifié de « questions humiliantes » de la part des juges et des avocats de la défense concernant ses vêtements, sa consommation d'alcool et la question de savoir si elle avait consenti à des relations sexuelles avec les 50 hommes qui se trouvaient sur le banc des accusés avec son mari accusé de viol.

Kim Willsher à Paris, pour The Guardian, le 21 septembre 2024
Traduction : TRADFEM
https://tradfem.wordpress.com/2024/11/10/pas-tous-les-hommes-mais-beaucoup-dentre-eux-le-proces-de-gisele-pelicot-changera-t-il-enfin-lattitude-des-francais-a-propos-des-agressions-sexuelles/

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Vendredi 22 novembre : Rassemblons-nous pour protester contre l’OTAN ! Nos raisons de protester sont nombreuses, même vitales !

19 novembre 2024, par Échec à la guerre — , ,
Du 22 au 25 novembre 2024, l'Assemblée des parlementaires de l'OTAN (AP-OTAN) se tiendra à Montréal. Cette assemblée réunira près de 400 délégué·e·s de 57 pays, incluant les (…)

Du 22 au 25 novembre 2024, l'Assemblée des parlementaires de l'OTAN (AP-OTAN) se tiendra à
Montréal. Cette assemblée réunira près de 400 délégué·e·s de 57 pays, incluant les 32 pays membres de l'OTAN, dont le Canada, et plusieurs autres pays partenaires ou associés.

À l'occasion de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, à Montréal :

Vendredi 22 novembre 2024
Rassemblement de protestation à Montréal
Place Jean-Paul Riopelle, à 15 h

https://echecalaguerre.org/rassemblement-lotan-une-menace-pour-lhumanite-22-novembre-a-montreal/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=JdA-PA-2024-11-14

Cette Assemblée des parlementaires est un des mécanismes par lesquels les États-Unis, maître d'œuvre de l'OTAN, fabriquent, en continu, un « consensus » autour de leur propre stratégie belliciste :

« L'AP-OTAN a été fondée en 1955 pour amener les parlementaires à prendre part au débat sur les questions transatlantiques et pour contribuer à l'émergence d'un consensus autour des politiques de l'Alliance au sein des parlements et de l'opinion publique ».

L'OTAN se décrit comme « une communauté de valeurs unique en son genre, attachée aux principes de la liberté individuelle, de la démocratie, des droits de l'homme et de l'état de droit ». Mais, de ses origines

(1949) à aujourd'hui, l'OTAN a régulièrement violé les principes qu'elle proclame. Actuellement, après plus de 13 mois de génocide à Gaza, la complicité ou l'inaction des pays membres de l'OTAN nous donne la mesure réelle de leur attachement aux droits humains et au droit international.

L'OTAN est, en réalité, un bras armé des États-Unis, s'ajoutant à son armée ultrapuissante et à ses 800 bases militaires à travers le monde. Loin d'être une alliance défensive, l'OTAN s'est lancée dans de nombreuses guerres a

u cours des 30 dernières années. L'OTAN a rejeté en bloc la démarche des Nations Unies pour parvenir à l'élimination de toutes les armes nucléaires, qui menacent la survie même de l'humanité. Aucun de ses membres n'a signé le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires. Tous les membres de l'OTAN, dont le Canada, sont maintenant mobilisés par les États-Unis pour préserver leur hégémonie, dans une logique de confrontation avec la Chine et la Russie. Loin de nous protéger, l'OTAN représente une menace pour l'humanité.

Pressé par l'OTAN et les lobbies militaristes d'accroître considérablement ses dépenses militaires, le Canada obéit. À la veille de l'AP-OTAN et au lendemain de l'élection de Donald Trump, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, lance même que le budget de la Défense sera triplé ! Ces sommes colossales ne devraient-elles pas être consacrées plutôt aux fonctions sociales de l'État (logement, santé, éducation) et à affronter la crise climatique ?

L'OTAN n'est pas défensive, l'OTAN c'est la guerre
Sitôt finie la Guerre froide (1989), les États-Unis et l'OTAN sont partis en guerre : Irak, Kosovo, Afghanistan, Irak à nouveau, Libye et Syrie. Certaines de ces guerres se sont étendues sur des années, voire deux décennies. Leur guerre « contre le terrorisme » a causé plus de 4,5 millions de morts directes et indirectes et a créé au moins 38 millions de réfugié·e·s.

L'OTAN en expansion : perturbatrice de l'ordre mondial
De la fin de la Guerre froide à aujourd'hui, au lieu d'être dissoute, l'OTAN a été transformée pour répondre au nouvel objectif d'hégémonie étasunienne globale. D'une part, elle est passée de 16 à 32 États membres, englobant les pays d'Europe de l'Est, jusqu'aux frontières de la Russie. D'autre part, elle a établi des partenariats dans diverses régions du monde et son champ d'action est devenu planétaire :

« L'OTAN s'est transformée en une organisation transatlantique effectuant des missions globales, de portée globale avec des partenaires globaux (…). Tout appartient potentiellement à la zone de l'OTAN ».

– Daniel Fried, Secrétaire d'État adjoint (étasunien) aux Affaires européennes et eurasiennes, 2007

Cette posture entre clairement en contradiction avec le rôle même des Nations Unies dont le but premier est de maintenir la paix et la sécurité internationales. En effet, cette volonté des États-Unis et de l'OTAN d'agir de façon autonome partout dans le monde entre en contradiction avec l'article 53 de la Charte des Nations Unies qui stipule qu'« aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité ». Ni la guerre du Kosovo (contre la Serbie), ni la guerre en Afghanistan, ni la guerre en Irak (2003), ni la guerre en Libye n'avaient reçu de telles autorisations. Elles se sont donc menées en violation du droit international.

Dans son soutien à l'Ukraine face à l'invasion de la Russie – une véritable guerre par procuration – l'OTAN et ses pays membres prétendent se porter à la défense d'un « ordre mondial fondé sur des règles ». Mais de quelles règles s'agit-il ? Celles du droit international et des Nations Unies, ou celles des États-Unis et de l'OTAN ?

Face à l'assaut génocidaire d'Israël à Gaza, toutes les institutions des Nations Unies et la Cour internationale de justice sonnent l'alarme et appellent les pays à agir en vue d'un cessez-le-feu immédiat. Les pays de l'OTAN, eux – presque à l'unisson et y compris le Canada – font la sourde oreille, n'imposent aucune sanction et continuent même, pour plusieurs, d'armer Israël. Il faut savoir qu'Israël est un pays « partenaire » de l'OTAN et aura, en plein génocide, sa délégation à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN à Montréal.

L'OTAN : promotrice de la démocratie et des droits humains ?

L'attachement professé par l'OTAN envers la démocratie et les droits humains se révèle trompeur quand on considère notamment les faits suivants :

● Des dictatures ont été membres de l'OTAN : Portugal, Grèce ;

● De nombreuses dictatures militaires en Amérique latine ont été soutenues et même installées au pouvoir – via des coups d'État fomentés par la CIA – dans les années 1960, 1970 et 1980 ;

● Plus récemment, l'OTAN a collaboré avec des seigneurs de guerre en Afghanistan ou des organisations affiliés à Al-Qaïda en Syrie ;

● Les États-Unis, maitre d'œuvre de l'OTAN, ont systématiquement pratiqué la torture dans leur guerre « contre le terrorisme » ;

● Les pays de l'OTAN vendent massivement des armes à des pays répressifs comme l'Arabie saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes unis.

En tant qu'instance supranationale, l'OTAN échappe au contrôle démocratique. Le respect de leurs « engagements envers l'OTAN » amène souvent les pays membres à poursuivre des politiques contraires à la volonté de leurs populations, comme ce fut le cas dans la guerre en Afghanistan.

Actuellement, après plus de 13 mois de génocide à Gaza, plusieurs pays de l'OTAN continuent d'armer Israël. Sauf rares exceptions, la complicité ou l'inaction des pays membres de l'OTAN, qui se contentent d'appeler à un cessez-le-feu sans la moindre sanction contre Israël, nous donne la mesure réelle de leur attachement aux droits humains et au droit international !

L'OTAN : une menace pour l'humanité

Depuis plusieurs années, l'économie et l'influence de la Chine se sont accrues considérablement dans le monde, rivalisant avec celles des États-Unis. Une évolution similaire a marqué la Russie, mais de façon nettement moindre. Ces deux pays ont aussi beaucoup augmenté leurs dépenses militaires au cours de la dernière décennie. Mais il faut replacer ces dépenses en perspective. En 2023, les dépenses militaires mondiales se sont élevées à 2 443 milliards de dollars US, en hausse constante depuis 2015. Les dépenses militaires des membres de l'OTAN (32 pays) représentent plus de la moitié (55 %) du total mondial. À elles seules, les dépenses militaires des États-Unis ont constitué 37,5 % des dépenses mondiales, soit plus que le total combiné des neuf autres pays en tête de liste, incluant la Chine (12 %) et la Russie (4,5 %).

Depuis 2018, les États-Unis ont adopté la « compétition stratégique » avec la Chine et la Russie comme axe central de leur stratégie de défense nationale, qui a ensuite été adoptée par l'OTAN et ses pays membres. Cette orientation a lancé une nouvelle course mondiale aux armements particulièrement inquiétante quand on se rappelle…

● … que les États-Unis entretiennent une « ambiguïté stratégique » face à la Chine, affirmant à la fois qu'ils acceptent le principe d'« une seule Chine », et qu'ils défendraient Taïwan en cas d'attaque chinoise ;

● … que l'OTAN se trouve déjà objectivement dans une guerre par procuration contre la Russie en Ukraine.

Au moment de la Guerre froide, les États-Unis et l'URSS considéraient qu'un affrontement direct entre eux, risquant inévitablement une guerre nucléaire, était un tabou absolu. Mais cet élément de sagesse élémentaire n'existe plus aujourd'hui. Des stratèges étasuniens vont même jusqu'à dire que la question n'est pas de savoir s'il y aura une guerre avec la Chine, mais quand !

Face au risque de notre annihilation totale par une guerre nucléaire, les Nations Unies ont adopté un Traité sur l'interdiction des armes nucléaires, qui est entré en vigueur le 10 janvier 2021. Jusqu'à maintenant, il a été signé par 94 pays. Alors que l'OTAN affirme vouloir « créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires », aucun de ses 32 pays membres, dont trois possèdent l'arme nucléaire, ne l'a signé. Aucun des six autres pays dotés de cette arme non plus.

La politique nucléaire de l'OTAN est indéfendable et suicidaire. Indéfendable, parce qu'elle affirme que les armes nucléaires sont la « garantie suprême de la sécurité des Alliés » tout en rejetant toute possibilité que les autres pays se dotent eux aussi de cette garantie suprême. Suicidaire, parce qu'un potentiel anéantissement de l'humanité ne peut raisonnablement être le garant de notre sécurité. Il faut savoir aussi que l'OTAN a toujours refusé de s'engager à ne pas être la première à utiliser des armes nucléaires…

Le militarisme accentue la crise climatique

L'armée des États-Unis (É.-U.) est l'institution qui produit le plus de gaz à effet de serre dans le monde. Ses émissions – pour ses guerres et les opérations de ses 800 bases militaires dans le monde – sont bien supérieures aux émissions totales de pays comme la Suède, la Finlande ou le Danemark. À cela, il faut ajouter les émissions des industries militaires estimées à environ 15 % du total des émissions industrielles du pays.

Pour connaître l'empreinte carbone réelle des guerres et du militarisme, il faudrait ajouter toutes les émissions liées aux autres armées et aux autres industries militaires dans le monde (celles des autres membres de l'OTAN, de la Chine, de la Russie, etc.). Il faudrait aussi estimer les émissions résultant des autres guerres en cours. Et il faudrait aussi ajouter les émissions liées à la reconstruction des infrastructures détruites ou endommagées dans toutes ces guerres. À cet égard, les impacts climatiques de la guerre en Ukraine et de l'assaut génocidaire d'Israël à Gaza sont considérables.

Il faut savoir aussi que le Protocole de Kyoto (1997) exemptait les pays signataires de faire rapport de leurs émissions de CO2 pour la défense et la sécurité, qui n'étaient donc pas comptabilisées. L'Accord de Paris (2016) a voulu combler un peu cette brèche. Mais les pays peuvent continuer d'exempter ces secteurs quand vient le temps d'établir des cibles de réduction des émissions, ce qui est le cas du Canada.

Le militarisme détourne des ressources énormes des besoins réels de l'humanité
Il est scandaleux que 2 443 milliards de dollars US soient consacrés à intimider, à tuer, à estropier, à terroriser et à détruire, pour servir des ambitions de domination et de pouvoir contraires aux intérêts de l'humanité et qui la conduisent à sa perte ! Cet argent devrait servir à combler les besoins fondamentaux de l'humanité (nourriture, logement, santé, éducation) et à faire face à l'urgence climatique.

Ici même, au Canada, alors que l'inflation réduit notre pouvoir d'achat, que nous sommes frappés par une grave crise du logement et que nos services publics d'éducation et de santé sont de moins en moins à la hauteur des besoins, le budget 2024 du gouvernement canadien prévoit augmenter le financement du ministère de la Défense nationale, de 30 milliards de dollars en 2023-2024 à 49,5 milliards de dollars en 2029-2030. Et le 8 novembre – à la suite de l'élection de Donald Trump et alors que le Canada sera l'hôte de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN du 22 au 25 novembre –, le ministre de la Défense du Canada, Bill Blair, a indiqué qu'un plan avait été soumis à l'OTAN pour que le Canada accroisse ses dépenses militaires de 1,35 % du PIB présentement à 2 % du PIB en 2032, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, allant même jusqu'à dire que le Canada allait tripler ses dépenses militaires !

Conflits géopolitiques, anti-impérialisme et internationalisme à l’heure de « l’accélération réactionnaire »

19 novembre 2024, par Jaime Pastor — ,
Face à crise du (dés)ordre géopolitique international, « je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle, pour ensuite caractériser (…)

Face à crise du (dés)ordre géopolitique international, « je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle, pour ensuite caractériser les différentes positions qui émergent au sein de la gauche dans cette nouvelle phase et insister sur la nécessité de construire une gauche internationaliste, opposée à tous les impérialismes (principaux ou secondaires) et solidaire des luttes des peuples agressés. »

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
15 novembre 2024

Par Jaime Pastor

Dans le cadre général de la crise multidimensionnelle dans laquelle nous nous trouvons – aujourd'hui aggravée par l'impulsion donnée par la récente victoire électorale de Trump à la montée d'une extrême droite à l'échelle mondiale –, il semble encore plus évident que nous assistons à une crise profonde du (dés)ordre géopolitique international, ainsi que des règles fondamentales du droit international qui ont été établies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La manifestation la plus tragique de cette crise (qui remet en question l'avenir même de l'ONU) se trouve dans la guerre génocidaire contre Gaza (Awad, 2024), à laquelle s'ajoutent actuellement quelque 56 guerres dans le monde.

Dans ce contexte, le système hiérarchique impérialiste basé sur l'hégémonie américaine est ouvertement remis en question et contesté par des grandes puissances rivales, telles que la Chine et la Russie, ainsi que par d'autres au niveau régional, comme l'Iran. Cette compétition géopolitique mondiale se manifeste clairement dans certains conflits militaires, de l'évolution desquels dépendra une nouvelle configuration des rapports de forces au sein de ce système, ainsi que dans les blocs présents ou en formation, tels que les BRICS.

Face à ce nouveau scénario, je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle pour ensuite caractériser les différentes positions qui émergent au sein de la gauche dans cette nouvelle phase et insister sur la nécessité de construire une gauche internationaliste, opposée à tous les impérialismes (principaux ou secondaires) et solidaire des luttes des peuples agressés.

Polycrise et néolibéralisme autoritaire

Il existe un large consensus au sein de la gauche sur le diagnostic que l'on peut faire de la crise globale que le monde traverse aujourd'hui, avec en toile de fond la crise éco-sociale et climatique. Une polycrise que l'on peut définir avec Pierre Rousset comme « multiforme, résultat de la combinaison de multiples crises spécifiques. Nous ne sommes donc pas face à une simple somme de crises, mais à leur interaction, qui démultiplie leur dynamique, alimentant une spirale mortifère pour l'espèce humaine (et pour une grande partie des espèces vivantes) » (Pastor, 2024).

Une situation étroitement liée à l'épuisement du régime d'accumulation capitaliste néolibéral initié au milieu des années 1970, qui, après la chute du bloc hégémonisé par l'URSS, a fait un bond en avant vers son expansion à l'échelle mondiale. Un processus qui a conduit à la Grande Récession qui a débuté en 2008 (aggravée par les politiques d'austérité, les conséquences de la crise pandémique et la guerre en Ukraine), qui a fini par frustrer les attentes d'ascension sociale et de stabilité politique que la mondialisation heureuse promise avait générées, principalement parmi des secteurs significatifs des nouvelles classes moyennes.

Une mondialisation, rappelons-le, qui s'est développée dans le cadre du nouveau cycle néolibéral qui, tout au long de ses différentes phases – combative, normative et punitive (Davies, 2016) –, a construit un nouveau constitutionnalisme économique transnational au service de la tyrannie corporative globale et de la destruction du pouvoir structurel, associatif et social de la classe ouvrière. Plus sérieusement, il a fait de la civilisation du marché « la seule civilisation possible », un sens commun, bien que tout ce processus ait pris différentes variantes et formes de régimes politiques, généralement basés sur des États forts et immunisés contre les pressions démocratiques (Gill, 2022 ; Slobodian, 2021). Un néolibéralisme qui, cependant, montre aujourd'hui son incapacité à offrir un horizon d'amélioration à la majorité de l'humanité sur une planète de plus en plus inhospitalière.

Nous nous trouvons donc dans une période, tant au niveau étatique qu'interétatique, pleine d'incertitudes, sous un capitalisme financiarisé, numérique, extractiviste et rentier qui précarise nos vies et cherche à tout prix à jeter les bases d'une nouvelle étape de croissance avec un rôle de plus en plus actif des États à son service. Pour ce faire, il recourt à de nouvelles formes de domination politique, fonctionnelles, adaptées à ce projet, qui tendent de plus en plus à entrer en conflit non seulement avec les libertés et les droits conquis au terme de longues luttes populaires, mais aussi avec la démocratie libérale. Ainsi, un néolibéralisme de plus en plus autoritaire se répand, non seulement au Sud mais aussi de plus en plus au Nord, avec la menace d'une « accélération réactionnaire » (Castellani, 2024). Un processus désormais stimulé par un trumpisme qui devient le cadre discursif maître d'une extrême droite montante, prête à se constituer en alternative à la crise de la gouvernance mondiale et à la décomposition des anciennes élites politiques (Urbán, 2024 ; Camargo, 2024).

Le système hiérarchique impérialiste en question

Dans ce contexte, succinctement esquissé ici, nous assistons à une crise du système hiérarchique impérialiste qui prévaut depuis la chute du bloc soviétique, facilitée précisément par les effets générés par un processus de mondialisation qui a conduit à un déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale de l'Atlantique Nord (Europe/États-Unis) vers le Pacifique (États-Unis, Asie de l'Est et du Sud-Est).

En effet, suite à la Grande Récession qui a débuté en 2007-2008 et à la crise de la mondialisation néolibérale qui s'en est suivie, une nouvelle phase s'est ouverte dans laquelle une reconfiguration de l'ordre géopolitique mondial est en train de se produire, un ordre qui est tendanciellement multipolaire, mais en même temps asymétrique, dans lequel les États-Unis restent la grande puissance hégémonique (monétaire, militaire et géopolitique), mais se trouvent plus affaiblis et défiés par la Chine, la grande puissance montante, et la Russie, ainsi que par d'autres puissances sub-impériales ou secondaires dans différentes régions de la planète. Pendant ce temps, dans de nombreux pays du Sud, confrontés au pillage de leurs ressources, à l'augmentation des dettes souveraines, aux révoltes populaires et aux guerres de toutes sortes, la fin du développement comme horizon à atteindre cède la place à des populismes réactionnaires au nom de l'ordre et de la sécurité.

Ainsi, la concurrence géopolitique mondiale et régionale est accentuée par des intérêts divergents, non seulement dans le domaine économique et technologique, mais aussi dans le domaine militaire et des valeurs, avec pour conséquence la montée des ethno-nationalismes étatiques face à des ennemis présumés internes et externes.

Cependant, nous ne devons pas oublier le haut degré d'interdépendance économique, énergétique et technologique qui s'est matérialisé à travers le monde dans le contexte de la mondialisation néolibérale, comme l'ont ouvertement souligné à la fois la crise pandémique mondiale et l'absence d'un blocus efficace contre la Russie dans le domaine de l'énergie malgré les sanctions convenues. À cela s'ajoutent deux nouveaux facteurs fondamentaux : d'une part, la possession actuelle d'armes nucléaires par les grandes puissances (il existe actuellement quatre points chauds nucléaires : un au Moyen-Orient (Israël) et trois en Eurasie (Ukraine, Inde-Pakistan et péninsule coréenne) ; et, d'autre part, les crises du climat, de l'énergie et des matières premières (c'est l'heure de vérité !), qui rendent cette situation sensiblement différente de ce qu'elle était avant 1914. Ces facteurs conditionnent la transition géopolitique et économique en cours, fixant les limites d'une démondialisation qui risque d'être partielle et certainement pas heureuse pour la grande majorité de l'humanité. Dans le même temps, ces facteurs alertent sur les risques accrus d'escalade dans les conflits armés dans lesquels des puissances dotées de l'arme nucléaire sont directement ou indirectement impliquées, comme dans les cas de l'Ukraine et de la Palestine.

Cette spécificité de l'étape historique actuelle nous amène, selon Promise Li, à considérer que la relation entre les grandes puissances (notamment entre les Etats-Unis et la Chine) est un équilibre instable entre une « coopération antagoniste » et une « rivalité inter-impérialiste » croissante. Un équilibre qui pourrait être rompu en faveur de cette dernière, mais qui pourrait également être normalisé dans le cadre de la recherche commune d'une issue à la stagnation séculaire d'un capitalisme mondial dans lequel la Chine (Rousset, 2021) et la Russie (Serfati, 2022) se sont désormais insérées, bien qu'avec des évolutions très différentes. Un processus, donc, plein de contradictions, qui est extensible à d'autres puissances, comme l'Inde, qui font partie des BRICS, dans lesquels les gouvernements de ses pays membres n'ont pas réussi jusqu'à présent à remettre en question le rôle central d'organisations comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, qui sont toujours sous l'hégémonie des États-Unis (Fuentes, 2023 ; Toussaint, 2024).

Cependant, il est clair que l'affaiblissement géopolitique des États-Unis - surtout après leur fiasco total en Irak et en Afghanistan et, maintenant, la crise de légitimité qu'entraîne leur soutien inconditionnel à l'État génocidaire d'Israël - permet une plus grande marge de manœuvre potentielle de la part des différentes puissances mondiales ou régionales, en particulier celles dotées de l'arme nucléaire. Je suis donc d'accord avec la description de Pierre Rousset :

« Le déclin relatif des Etats-Unis et la montée incomplète de la Chine ont ouvert un espace dans lequel des puissances secondaires peuvent jouer un rôle significatif, au moins dans leur propre région (Russie, Turquie, Brésil, Arabie Saoudite, etc.), même si les limites des BRICS sont évidentes. Dans cette situation, la Russie n'a pas manqué de mettre la Chine devant une série de faits accomplis aux frontières orientales de l'Europe. En agissant de concert, Moscou et Pékin ont été largement maîtres du jeu sur le continent eurasiatique. En revanche, il n'y a pas eu de coordination entre l'invasion de l'Ukraine et l'attaque effective de Taïwan » (Pastor, 2024).

Ceci, sans doute facilité par le poids plus ou moins important d'autres facteurs liés à la polycrise, explique l'éclatement de conflits et de guerres dans des endroits très différents de la planète, mais en particulier dans trois épicentres très pertinents de l'actualité : l'Ukraine, la Palestine et, bien que pour l'instant en termes de guerre froide, Taïwan.

Dans ce contexte, nous avons vu comment les États-Unis ont utilisé l'invasion injuste de l'Ukraine par la Russie comme alibi pour relancer l'expansion d'une OTAN en crise vers d'autres pays d'Europe de l'Est et du Nord. Cet objectif est étroitement associé à la reformulation du « nouveau concept stratégique » de l'OTAN, comme nous l'avons vu lors du sommet que cette organisation a tenu à Madrid en juillet 2022 (Pastor, 2022) et plus récemment lors du sommet qui s'est tenu en juillet de cette année à Washington. Ce dernier a réaffirmé cette stratégie, ainsi que la prise en compte de la Chine comme principal concurrent stratégique, tout en évitant de critiquer l'État d'Israël. Ce dernier montre le double standard (Achcar, 2024) du bloc occidental concernant son implication dans la guerre en Ukraine, d'une part, et sa complicité avec le génocide commis par l'État colonial d'Israël contre le peuple palestinien, d'autre part.

Nous avons également constaté l'intérêt croissant de l'OTAN pour le flanc sud afin de poursuivre sa nécropolitique raciste contre l'immigration illégale tout en aspirant à rivaliser pour le contrôle des ressources de base dans les pays du Sud, en particulier en Afrique, où l'impérialisme français et américain perd du terrain au profit de la Chine et de la Russie.

Ainsi, une redéfinition de la stratégie du bloc occidental a eu lieu, au sein duquel l'hégémonie américaine a été renforcée militairement (grâce, surtout, à l'invasion de l'Ukraine par la Russie) et à laquelle une Union européenne plus divisée est clairement subordonnée, avec son vieux moteur allemand affaibli. Cependant, après la victoire de Trump, l'UE semble déterminée à renforcer sa puissance militaire au nom de la recherche d'une fausse autonomie stratégique, car elle restera liée au cadre de l'OTAN. Pendant ce temps, de nombreux pays du Sud prennent de plus en plus leurs distances avec le bloc, bien qu'ils aient des intérêts différents, ce qui différencie les alliances possibles qui pourraient être formées de celles qui caractérisaient le mouvement des non-alignés dans le passé.

Quoi qu'il en soit, il est probable qu'après sa victoire électorale, Donald Trump opère un changement majeur dans la politique étrangère des États-Unis afin de mettre en œuvre son projet MAGA (Make America Great Again) au-delà de la sphère géo-économique (en intensifiant sa concurrence avec la Chine et, bien qu'à un niveau différent, avec l'UE), en particulier en ce qui concerne les trois épicentres de conflit mentionnés plus haut : en ce qui concerne l'Ukraine, en réduisant substantiellement l'aide économique et militaire et en cherchant une forme d'accord avec Poutine, au moins, sur un cessez-le-feu ; en ce qui concerne Israël, en renforçant son soutien à la guerre totale de Netanyahou ; et enfin en réduisant son engagement militaire avec Taïwan.

Quel internationalisme anti-impérialiste de la gauche ?

Dans ce contexte de montée du néolibéralisme autoritaire (dans ses différentes versions : l'extrême droite réactionnaire et l'extrême centre, principalement) et de divers conflits géopolitiques, le grand défi pour la gauche consiste à reconstruire des forces sociales et politiques antagonistes ancrées dans la classe ouvrière et capables de forger un anti-impérialisme et un internationalisme solidaire qui ne soient pas subordonnés à l'une ou l'autre grande puissance ou à un bloc capitaliste régional.

Une tâche qui ne sera pas facile, car dans la phase actuelle, nous assistons à de profondes divisions au sein de la gauche quant à la position à maintenir face à certains des conflits mentionnés ci-dessus. En essayant de synthétiser, avec Ashley Smith (2024), nous pourrions distinguer quatre positions :

• La première serait celle qui s'aligne sur le bloc impérial occidental dans la défense commune de prétendues valeurs démocratiques contre la Russie, ou sur l'État d'Israël dans son droit injustifiable à l'autodéfense, comme l'a affirmé un secteur majoritaire de la gauche sociale-libérale. Une position qui cache les véritables intérêts impérialistes de ce bloc, ne dénonce pas son double langage et ignore la dérive de plus en plus antidémocratique et raciste que connaissent les régimes occidentaux, ainsi que le caractère colonial et d'occupation de l'État israélien.

• La seconde serait celle que l'on qualifie habituellement de campiste, qui s'alignerait sur des États comme la Russie et la Chine, qu'elle considère comme des alliés contre l'impérialisme américain parce qu'elle considère ce dernier comme l'ennemi principal, en ignorant les intérêts géopolitiques expansionnistes de ces deux puissances. Une position qui rappelle celle adoptée dans le passé par de nombreux partis communistes pendant la période de la guerre froide à l'égard de l'URSS, mais qui devient aujourd'hui caricaturale au vu de la nature réactionnaire du régime de Poutine et de la persistance du despotisme bureaucratique d'État en Chine.

• La troisième est celle du réductionnisme géopolitique, qui se traduit aujourd'hui dans la guerre en Ukraine, se limitant à considérer qu'il ne s'agit que d'un conflit inter-impérialiste. Cette attitude, adoptée par un secteur du pacifisme et de la gauche, implique de nier la légitimité de la dimension nationale de la lutte de la résistance ukrainienne contre la puissance occupante, tout en critiquant le caractère néolibéral et pro-whitewashing du gouvernement qui la dirige.

• Enfin, il y a celle qui s'oppose à tous les impérialismes (qu'ils soient majeurs ou mineurs) et à tous les doubles standards, se montrant prête à faire preuve de solidarité avec tous les peuples attaqués, même s'ils peuvent compter sur le soutien de l'une ou l'autre puissance impériale (comme les États-Unis et l'UE en ce qui concerne l'Ukraine) ou régionale (comme l'Iran en ce qui concerne le Hamas en Palestine). C'est une position qui n'accepte pas le respect des sphères d'influence que les différentes grandes puissances aspirent à protéger ou à étendre, et qui est solidaire des peuples qui luttent contre l'occupation étrangère et pour le droit de décider de leur avenir (en particulier, avec les forces de gauche dans ces pays qui s'engagent pour une alternative au néolibéralisme), et qui n'est alignée sur aucun bloc politico-militaire.

Cette dernière position est celle que je considère comme la plus cohérente de la part d'une gauche anticapitaliste. En réalité, en gardant la distance historique et en reconnaissant la nécessité d'analyser la spécificité de chaque cas, elle coïncide avec les critères que Lénine a essayé d'appliquer lorsqu'il a analysé la centralité que la lutte contre l'oppression nationale et coloniale était en train d'acquérir dans la phase impérialiste du début du 20e siècle. Cela s'est reflété, en ce qui concerne les conflits qui ont éclaté à cette époque, dans plusieurs de ses articles comme, par exemple, dans « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes », écrit en janvier-février 1916, dans lequel il a soutenu que :

« Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre « grande » puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d'elles-mêmes, que les nombreux exemples d'utilisation par la bourgeoisie des mots d'ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les social-démocrates à renier leur républicanisme » (Lénine, 1916).

Une position internationaliste qui doit s'accompagner d'une mobilisation contre le processus de remilitarisation en cours de l'OTAN et de l'UE, mais aussi contre celui d'autres puissances comme la Russie et la Chine. Elle doit s'engager à remettre au centre de l'agenda la lutte pour le désarmement nucléaire unilatéral et la dissolution des blocs militaires, en reprenant le flambeau du puissant mouvement pacifiste qui s'est développé en Europe dans les années 1980, avec en tête les militantes féministes de Greenham Common et des intellectuels tels qu'Edward P. Thompson. Une orientation qui devra évidemment s'insérer dans un projet global écosocialiste, féministe, antiraciste et anticolonialiste.

Jaime Pastor

Références

Achcar, Gilbert (2024) « El antifascismo y la caída del liberalismo atlántico », Viento Sur, 19/08/24.

• Awad, Nada (2024) « Derecho Internacionalismo y excepcionalismo israelí », Viento Sur, 193, pp. 19-27.

Camargo, Laura (2024) Trumpismo discursivo. Barcelone : Verso (sous presse).

Castellani, Lorenzo (2024) « Avec Trump, l'ère de l'accélération réactionnaire », Le Grand Continent, 8/11/24.

Davies, William (2016) « Neoliberalism 3.0 », New Left Review, 101, pp. 129-143.

Fuentes, Federico (2023) « Interview with Promise Li : US-China rivalry, “antagonistic cooperation” and anti-imperialism », South Wind, 191, 5-18.

Gill, Stephen (2002) « Globalization, Market Civilization and Disciplinary Neoliberalism ». Dans Hovden, E. et Keene, E. (Eds.) The Globalization of Liberalism. Londres : Millennium. Palgrave Macmillan.

Lénine, Vladimir (1976) « La révolution socialiste et le droit des nations à l'autodétermination », Œuvres choisies, Volume V, pp. 349-363. Moscou : Progress.

Pastor, Jaime (2022) « El nuevo concepto estratégico de la OTAN : Hacia una nueva guerra global permanente ? », viento sur, 2/07/22.
(2024) « Entretien avec Pierre Rousset : Crise mondiale et guerres : quel internationalisme pour le XXIe siècle ? », Viento Sur, 16/04/24.

Rousset, Pierre (2021) « China, el nuevo imperialismo emergente », Viento Sur, 16/10/21.

Serfati, Claude (2022) « La era de los imperialismos continúa : así lo demuestra Putin », Viento Sur, 21/04/22.

Slobodian, Quinn (2021) Globalistas. Madrid : Capitán Swing.

Smith, Ashley (2024) « Imperialismo y antiimperialismo hoy », Viento Sur, 4/06/24.

Toussaint, Eric (2024) « La cumbre de los BRICS en Rusia no ofreció ninguna alternativa », Viento Sur, 30/10/24.

Urbán, Miguel (2024) Trumpisms. Néolibéraux et autoritaires. Barcelone : Verso.


P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Rousset avec l'aide de DeepL.

Source - Viento Sur, 15/NOV/2024 :
https://vientosur.info/conflictos-geopoliticos-antiimperialismo-e-internacionalismo-en-tiempos-de-aceleracion-reaccionaria/

• Cet article est une version actualisée de celui publié dans la revue Nuestra Bandera, 264, pp. 55-62, 2024.

• Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de Viento Sur.

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Analyse critique des fausses solutions de la Banque Africaine de Développement : Critique de la stratégie globale des échanges dette-nature en Afrique (Partie 2)

19 novembre 2024, par Anne Theisen — , ,
Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de (…)

Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle qu'elle est développée dans un rapport d'octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». La partie 2 aborde avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport. Vous apprendrez sur différentes choses : l'Initiative de Suspension temporaire du Service de la dette du G20 (ISSD), le Cadre commun du G20, le mécanisme africain de stabilité financière (MASF), l'allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI, et enfin les échanges dette-nature qui sont longuement analysés. Qu'est ce qu'un échange dette nature ? D'où cela vient-il ? Quelles sont les différentes formes d'échange dette-nature ? Par qui sont-ils menés ? Quels exemples parlants ?

Tiré du site du CADTM.

Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle qu'elle est développée dans un rapport d'octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». La partie 2 aborde avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport.

Les deux possibilités envisagées par le rapport de la BAD sont l'annulation d'une partie des obligations liées aux dettes en cours ou bien le refinancement par des opérations axées sur la durabilité (la lutte contre le réchauffement climatique d'une part et l'atteinte des Objectifs de Développement Durable d'autre part). À noter que le rapport n'entrevoit pas la possibilité d'une annulation pure et simple des dettes illégitimes. Il rappelle qu'avant la pandémie, une Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) avait déjà été mise en œuvre pour certains pays.

Par la suite, une Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale (IADM) en 2005 est venue compléter cette mesure en permettant l'annulation de 100% des dettes des pays au bout du processus PPTE. Mais les auteurs du rapport de la BAD précisent que malgré ces efforts, la dette a continué de s'exacerber. En mars 2020, La Banque Mondiale et le FMI ont envisagé des suspensions de paiements de la dette des pays de l'IDA. Au G20 les pays africains ont demandé le déblocage urgent de 100 milliards de ISD pour des infrastructures sanitaires répondant aux besoins des plus vulnérables dont 44 milliards d'allègement de dette pour tous les pays africains et 55 milliards pour la reconstruction en 2021. Néanmoins, la BAD ne s'étend pas sur ces mesures plus radicales lorsqu'elle met en évidence sa nouvelle stratégie.

1. L'ISSD

L'initiative de Suspension temporaire du Service de la Dette accordée par le G20 en avril 2020, a dégagé des liquidités supplémentaires pour les membres de l'Association Internationale de Développement (IDA, pays éligibles aux prêts concessionnels) et pour les Pays les Moins Avancés (définis par l'ONU). 73 pays à revenus faibles ou intermédiaires y étaient éligibles dont 32 pays en Afrique. Il s'agissait de 30 opérations de prêts octroyés par la BAD, environ 318 milliards pour offrir des liquidités au PMR. Entre mai 2020 et décembre 2021, l'ISSD a permis le report de 12,9 milliards de USD de service de la dette de 50 pays. Des fonds destinés au paiement des intérêts de la dette à court terme ont été réaffectés au financement de projet verts...ou sociaux, sanitaires et de soutiens économiques pendant la pandémie.

Critique :

Cependant, pour y avoir droit, il faut avoir un accord de financement avec le FMI ou en avoir fait la demande, diminuer les emprunts non concessionnels et rendre publique les dépenses et recettes du secteur public. Remarquons aussi que les créanciers privés n'y participent pas et les créanciers multilatéraux, désireux de garder leur note AAA non plus. Pourtant, le CADTM souligne que les organisations multilatérales possèdent aussi une proportion non négligeable de la dette. La Banque mondiale par exemple détient 18,9% de la dette subsaharienne concernée par l'ISSD...

Selon la BAD elle-même, les économies projetées par l'ISSD (5,5 milliards de USD) étaient bien supérieures à celles effectivement réalisées (1,8 milliards de USD). Attention, ce ne sont pas des remises de dette : on ne fait que différer le remboursement sur une période de 4 ans. Cette mesure alourdit donc les échéanciers des paiements du service de la dette en période de récession ce qui compromet la viabilité de la dette des pays qui y ont recours à moyen ou long terme. En effet, ces économies n'étaient que temporaires et les paiements ont dû reprendre en 2023 quand le service de la dette est redevenu plus élevé car il faut payer la dette rééchelonnée en plus de la dette ordinaire pour la même période !

Le réseau du CADTM Afrique de son côté critique le fait que les suspensions ne sont que temporaires et qu'elles ne concernent qu'un nombre de pays limités. Certains pays en sont exclus comme l'Erythrée, le Soudan, la Syrie ou les Zimbabwe en raison de leurs arriérés.

Enfin l'ISSD n'est que très partielle. La somme totale représente moins de 1,66% du total des remboursements exigés aux pays des Suds. En Afrique, à part le Cameroun, l'Angola, le Kenya, le Mozambique, le Congo- Brazzaville, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Tanzanie, l'aide n'a pas dépassé les 2 millions de USD par pays. Le CADTM regrette aussi qu'il n'y ait pas de moratoire pour les dettes privées qui s'élèvent à 10,22 milliards d'USD pour 68 pays éligibles. Il souligne aussi que c'est la Chine qui a le plus contribué en suspendant 30% du service de la dette du G20 soit 5,7 milliards d'USD. Surtout, il remarque que les suspensions et nouveaux prêts accordés servent en priorité les créanciers privés car ceux-ci étant réticents aux concessions laissent les États, les créanciers bilatéraux, le FMI et la BM, négocier des suspensions ou allègements de dettes. Les pays endettés utilisent essentiellement leur argent consacré aux dettes pour continuer à rembourser les créanciers privés récalcitrants. Tout cela bien sûr se produit au détriment des besoins urgents des populations sur place, car les montants rendus au secteur privé servent rarement par la suite les secteurs non marchands ou sociaux indispensables aux populations. Bien au contraire, nous avons vu que les acteurs privés sont peu enclins à limiter leurs profits et l'évasion fiscale ou l'optimisation fiscale des grandes entreprises est un facteur important de diminution de recettes des États et d'aggravation des dettes publiques.

Le CADTM insiste sur le fait que les 750 milliards d'USD de dettes des pays surendettés ne correspondent qu'à 1% du PIB du G20 qui s'élève à 78 286 milliards ! À titre de comparaison, il montre que pour les plans d'aide post Covid, les parlements allemand et américain ont voté respectivement les montants substantiels de 1 100 milliards d'Euros et de 2000 milliards d'USD !

De plus, il existe un fonds fiduciaire, pour compenser les pertes des institutions multilatérales, alimenté par les contributions des bailleurs de fonds et la vente des réserves en or du FMI. Il suffirait de vendre 6,7% de l'or détenu par le FMI pour financer les dettes totales des pays surendettés ! C'est donc possible mais il n'y a pas de véritable volonté politique de chercher des solutions. L'ISSD fait pâle figure à côté de ce qu'on pourrait réaliser.

De manière générale, la situation d'endettement des pays africains ne s'est pas améliorée. Pour l'Afrique subsaharienne, elle est passée de 665 milliards à 702 milliards de 2019 à 2020. Les bénéficiaires de l'ISSD ont reçu des prêts du FMI 13 fois supérieurs à la moyenne annuelle en mars 2022. Or ces prêts sont toujours conditionnés à des réformes antisociales, antipopulaires et au final favorables au capital privé international. Ainsi le Kenya a vu, en janvier 2021, ces dettes croître de 34,9 milliards à 38,1 milliards en un an, malgré une suspension de 209 millions, en raison de l'augmentation des créances privées. Le Niger est passé de 3,6 milliards en 2019 à 4,5 milliards en 2020, malgré une suspension de 16 millions.

Le cas du Ghana :

Dans son article « la dette menace l'Afrique »publié en février 2023, dans Afrique magazine, son auteur Cédric Gouverneur décrit la crise de la dette extérieure qui affecte le Ghana. Celle-ci représente plus de 80% de son PIB. Pourtant, ce pays était un élève modèle du libéralisme. Grand producteur de cacao, d'hydrocarbures, de pétrole et de diamants, son taux de croissance élevé attirait les investisseurs. Son dirigeant déclarait même libérer le pays de tout besoin d'aide. Mais aujourd'hui l'inflation de plus de 50%, la hausse du prix des combustibles, les répercussions de la pandémie et de la guerre en Ukraine ont complètement renversé la tendance. Après un renflouement de 3 milliards par le FMI, le Ghana a surpris la communauté internationale en annonçant unilatéralement une suspension de paiement d'une partie de sa dette dont les eurobonds, les prêts commerciaux à terme et la plupart des dettes bilatérales. Le 13 décembre 2022, il accepte un plan de restructuration de la dette assorti de mesures d'austérité craint par la population ghanéenne déjà fortement frappée par la récession.

Dans leur livre « Le Ghana, les dessous du miracle économique » publié en janvier 1999 par le GRESEA , Bruno Carton et Isabelle Guillet montrent que la croissance « exemplaire » du Ghana - qui affichait un taux moyen de 5% de 1983 à 1993, et au début une inflation limitée à 10% - cachait déjà les effets pervers de sa politique de libéralisation à tout vent et des ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale de 1980 à 1988. Ces auteur·ices ont démontré que des chocs extérieurs n'ont pas été les causes principales du déclin économique de ce pays, après une courte envolée économique saluée par la communauté internationale. Selon eux, l'orientation néolibérale des institutions internationales, imposée via le mécanisme d'octroi de prêts a largement contribué à ronger le potentiel de développement à long terme du Ghana. En effet, contrairement aux pays du Nord-Est asiatique qui ont pu maintenir une forte croissance économique après la phase de libéralisation économique, le Ghana, lui, ne disposait pas encore d'une assise productive industrialisée suffisamment forte, diversifiée et modernisée pour résister à la concurrence des transnationales étrangères lorsqu'il s'est libéralisé. Or avec les ajustements structurels, la production industrielle ne s'est pas déployée, au contraire, on a assisté à une reprimarisation de l'économie ! La production alimentaire s'est peu modernisée. Il y a eu un très faible transfert technologique. Par contre, la dépendance aux exportations de l'or, du cacao, du pétrole, aux produits de base et la hausse des importations se sont intensifiées et ont créé un déséquilibre de la balance des paiements, une détérioration des termes de l'échange qui sont toujours d'actualité. La dette s'est aggravée. L'augmentation du taux d'intérêt a intensifié le déficit et les mesures d'austérité ont pesé lourdement sur les revenus du plus grand nombre aussi bien dans les villes que dans les campagnes. La pauvreté, le chômage ont explosé. Depuis les réformes libérales, les recettes dépendent fortement des revenus fiscaux sur les transactions internationales et celles-ci chutent chaque fois que les prix mondiaux diminuent comme actuellement sous l'effet de la pandémie ou de guerre en Ukraine. Les petites entreprises locales, l'agriculture, le secteur social ont complètement été oubliés. La santé, l'éducation, les infrastructures, tout ce qui ne rapporte pas directement des devises est considéré comme un coût à réduire par tous les moyens indépendamment des besoins. Car il faut toujours plus de devises... pour rembourser prioritairement la dette. L'économie informelle augmente face à l'incertitude, malmenant sa main d'œuvre. Dans le secteur privé, ce sont les secteurs de l'immobilier, du transport, du commerce, dits de cycles courts, et quelques niches de services ou encore les rentes des mines qui sont favorisés, au détriment des activités générant des ressources à plus long terme.

Seules les grosses sociétés étrangères ont assez de liquidités en devises « vendues aux enchères » pour faire des offres sur des marchés complètement dérégulés... Donc ces libéralisations, privatisations et dérégulations ont profité et profitent toujours principalement aux plus grands investisseurs étrangers. Pour les attirer, le Ghana va même appartenir au Free Zones Board en votant une loi dans ce sens en août 1995. La condition pour en faire partie : que 70% du chiffre d'affaires soit lié à l'exportation ! Le Free Zones Board accorde aux investisseurs des exemptions fiscales ; les importations sont plus chères à cause des taxes mais par contre les exportations ghanéennes vers les USA et l'UE en sont exemptées. Les monopoles, les concentrations de capital, l'abattement fiscal sur les profits des entreprises privées rapatriés sont autorisés, encouragés. En outre, ce livre explique comment les conditionnalités associées aux prêts ont contribué à délégitimiser l'État, en le poussant à se désengager de ses prérogatives essentielles qui sont d'une part la gestion de la masse monétaire, des prix, des marchés, du service de la dette, l'administration des dépenses publiques et la gestion des mécanismes de formation des salaires et des prix, de la propriété des moyens de production. Les intérêts financiers et économiques internationaux priment sur les besoins sociaux nationaux et locaux. « Nous avons d'un côté des institutions internationales puissantes, sans responsabilité, et de l'autre des institutions nationales, responsables devant le corps social, mais au pouvoir fortement affaibli » face aux bailleurs de fonds internationaux ou privés. La démocratie est menacée. À cela s'ajoute encore le constat que la part d'assistance technique du FMI et de la Banque Mondiale dans le PIB de l'Afrique a doublé de 1980 à 1987 et qu'elle devient parfois supérieure à la masse salariale de la fonction publique de certains pays (c'était le cas de la Tanzanie à cette époque-là). On assiste à un transfert de souveraineté dangereux accentuant la dépendance et donc la vulnérabilité des pays africains par rapport aux perturbations extérieures...

Nous replonger dans ces explications sur l'impact des politiques d'ajustements structurels nous aide à analyser la crise de la dette actuelle du Ghana et de nombreux pays africains, d'un point de vue plus structurel et pas uniquement sous l'angle de vue de la BAD, des institutions internationales qui sous le couvert d'une adaptation à l'urgence climatique et environnementale tenterait de nous faire oublier les origines, les facteurs aggravants et les conséquences désastreuses du système dette qui est leur raison d'être, qu'elles entretiennent, qui est, rappelons-le, le moteur de leur pouvoir et de leur enrichissement. L'exemple du Ghana nous permet aussi de mettre en lumière un autre problème lié aux mécanismes des dettes. Le risque de voir se multiplier les activités spéculatives criminelles de certains acteurs privés peu scrupuleux et en particulier des Fonds vautours.

Selon Arnaud Zacharie,secrétaire général de la coupole d'ONG belges CNCD « Quand un pays comme le Ghana demande un allègement de paiement, il doit avoir l'accord de tous ses créanciers, occidentaux, FMI, Banque mondiale et créanciers privés. Comme il n'y a pas de cadre multilatéral pour imposer un allégement de la dette à tous les créanciers, il se trouve toujours des créanciers privés qui jouent des rôles de passagers clandestins. Ils cherchent à tirer profit de l'allègement accordé par une partie des créanciers qui donne un peu d'oxygène financier aux pays surendettés. Et certains créanciers privés attaquent en justice ce pays pour qu'il les rembourse en intégralité ».

Les emprunts ne cessent d'augmenter entre autres pour rembourser les créanciers privés. Jubilée Debt Campaign explique comment ces derniers ont le plus indirectement bénéficié de l'ISSD bien qu'ils l'aient rejeté, qu'ils ne participent pas à ces opérations, tout comme ils sont réticents aux restructurations de dettes proposées dans le cadre du Cadre Commun.

2. Le cadre commun du G20

Le Cadre commun a été accordé par le Club de Paris et le G20 en novembre 2020 pour le traitement de la dette au-delà de l'ISSD. C'est un cadre multilatéral pour le traitement des dettes des pays éligibles à l'ISSD. Il promeut l'échange d'une grande partie de la dette dans le cadre d'une restructuration. Ce cadre permet la renégociation de l'ensemble des dettes extérieures des pays surendettés (15 pays sur 38 sont considérés comme à risque élevé de surendettement). Pour l'instant, seuls le Tchad, l'Éthiopie et la Zambie ont demandé une restructuration de ce type en octobre 2021. L'enveloppe de restructuration à allouer est fonction de l'analyse de viabilité de la dette par le FMI. Il impose des conditionnalités. Il permet un traitement global de la dette publique et privée. La Chine et l'Inde y participent largement mais c'est ouvert également au secteur privé. Les négociations sont réalisées avec une comparabilité des traitements et au cas par cas, ce qui n'attire pas beaucoup les pays débiteurs.

Ce dispositif a moins d'impact négatif sur la note de crédit des agences ce qui facilite l'accès aux marchés financiers internationaux (même si dans les faits seulement 60% des pays africains sont notés). De plus, il s'adresse aussi au secteur privé ce qui n'est pas le cas de l'ISSD. Par contre, il n'y a pas de garantie contre les pertes mais il peut y avoir renégociation des conditions de la dette en cours de route.

Critique :

Selon le FMI, on constate un problème de coordination entre les institutions et les gouvernements de la Chine et de l'Inde. Au Tchad on constate un retard des créanciers privés ce qui implique une complexification de la restructuration de la dette garantie. Il n'existe pas de clauses d'action collective il faut donc chaque fois recueillir le consentement de chaque créancier et de chaque débiteur pour toute modification contractuelle. Une réforme de ce Cadre Commun est déjà en cours.

Pour le CADTM, ce dispositif est inefficace en raison du manque d'intérêt des débiteurs et principalement du peu d'implication du secteur privé dans les restructurations alors que se sont les banques commerciales, les détenteurs d'obligations et autres créanciers privés extérieurs les détenteurs de dettes majoritaires.

D'après les propos d' Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD, en janvier 2023, « l'instauration d'un mécanisme multilatéral de restructuration de la dette, sur base des principes définis dans la résolution adoptée en septembre 2015 par l'Assemblée générale des Nations Unies, permettrait aux Etats en défaut de paiement de négocier dans un cadre équitable et transparent des accords de restructuration de leur dette qui s'imposent à tous les créanciers et qui empêchent les pratiques de passagers clandestins des « fonds vautours » qui cherchent à tirer profit de la situation. Mais un tel mécanisme multilatéral, proposé depuis le début des années 2000, n'a toujours pas vu le jour ».

Signalons qu'une carte blanche signées par de nombreuses ONG, associations et syndicats en Belgique est sortie dans le Soir le 12 juin 2023 sur « La nécessité d'une loi pour impliquer les banques dans les allègements de dettes ». Elle affirme que les Etats ont les moyens d'agir immédiatement pour limiter le fait qu'indirectement, des allègements de dettes publiques servent à rembourser des créanciers privés (dont les « fonds vautours ») qui ne veulent faire aucune concession en faveur des pays surendettés et qui mêmes parfois spéculent sur leurs retards de paiement pour maximiser les profits. En effet, les parlements peuvent adopter des lois pour empêcher les pays confrontés au surendettement d'être poursuivis par des créanciers privés pour une somme supérieure à celle que ces créanciers auraient reçue s'ils avaient participé à la restructuration de la dette. L'existence de telles lois inciterait ainsi les banques à coopérer aux opérations d'allègement de dettes...

L'article montre que la Belgique a quatre raisons de vouloir légiférer en ce sens : premièrement, les Objectifs de Développement Durable auxquels elles s'est engagée, sont compromis par cette attitude du secteur privé ; deuxièmement, les tribunaux belges ont déjà été saisis par des créanciers privés contre des États ; troisièmement, plusieurs grands créanciers privés ont leur siège social en Belgique et pratiquent des taux d'intérêt usuriers avec un taux de 24 % ; quatrièmement, les contribuables de Belgique sont également impactés car l' absence de coopération des créanciers privés a pour conséquence qu'ils sont, dans les faits, subsidiés par les États créanciers avec de l'argent public puisque les banques ne peuvent être payées par les pays en détresse financière que parce que certains États allègent une partie des dettes. Plusieurs propositions législatives contre les fonds vautours sont déposées dans des parlements ou sont en cours d'élaboration. La loi belge sur les fonds vautours adoptée le 12 juillet 2015, est un beau précédent, une loi pionnière au niveau mondial. La Cour constitutionnelle lui a donné raison en 2017 contre un Fonds vautour qui l'a attaquée en 2015. La France a adopté à son tour en 2016 un dispositif juridique « anti-fonds vautours »...Une nouvelle loi est actuellement en préparation à la Chambre pour faire participer de manière équitable les créanciers privés aux allègements de dettes.

Le cas du Tchad :

Selon Moutiou Adjibi Nourou dans son article publié en le 11 juillet 2022 sur le site d'Ecofin, au Tchad, « le FMI maintient la pression sur Glencore pour un accord de restructuration de la dette ». Le groupe anglo-suisse Glencore possède des actifs pétroliers dans le pays et détient 1 milliard sur les trois milliards de dettes dues par le Tchad. C'est lui qui fait obstacle à la négociation avec les autres créanciers d'après le FMI. Apparemment, l'acteur privé chercherait à obtenir des « échanges » avec le gouvernement tchadien mais pour des raisons inconnues ceux-ci n'ont pas encore abouti et le processus est bloqué depuis début 2021 alors que le Tchad est l'un des pays les plus pauvres du monde, que sa situation économique et financière continue de se dégrader à la suite des chocs combinés de la pandémie de Covid-19, de la baisse des prix du pétrole, du changement climatique et des attaques terroristes. « La classe dirigeante tchadienne n'a-t-elle pas une quelconque responsabilité dans la situation du Tchad ? » s'interroge Jean Nanga . « Ne serait-elle pas concernée par les “biens mal acquis ? » L'ONG suisse SWISSAID avait produit, en 2017, un rapport intitulé Tchad SA. Un clan familial corrompu, les milliards de Glencore et la responsabilité de la Suisse (qui n'est plus disponible en ligne), dans lequel il est écrit, concernant les recettes pétrolières : « il y a des investissements inefficaces dans des projets de prestige, la corruption et le népotisme fleurissent, une élite politique s'enrichit et se cramponne au pouvoir pendant qu'une grande partie de la population reste pauvre ».

3. L'allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI

650 milliards d'USD non remboursables viennent gonfler les réserves des pays et consolider les amortisseurs externes. Mais finalement, seulement 21 milliards bénéficieront aux pays à faible revenu. En effet, ce que le rapport de la BAD ne révèle pas, c'est que le système d'allocations ne fonctionne pas suivant la logique 1 pays, 1voix mais plutôt 1 dollar, 1 voix c'est-à-dire que les sommes attribuées sont évaluées proportionnellement au poids financier économique mondial de chaque État, peu importe les besoins ou la grandeur de la population ! Ainsi, sur les 118 milliards de USD alloués en août 2021, les USA, le Japon, la Chine et l'Allemagne ont reçu chacun 43 milliards d'USD alors que toute l'Afrique n'a reçu que 33 milliards pour ses 54 pays !

De surcroît, dans les cas du Congo, de la Guinée, du Tchad, de Malawi, de la Mauritanie, la totalité de leur allocation n'a servi qu'à rembourser la dette du FMI !

Face à cette situation paradoxale, quelques pays se sont engagés à verser, en prélevant des intérêts, de 45 jusqu'à 100 milliards USD des DTS qu'ils ont reçu gratuitement aux pays à faibles revenus de l'Afrique. C'est le cas de la France pour le Soudan.

En octobre 2022, comme les pays africains demandaient la rétrocession de DTS de 20 à 25% pour accéder à la vaccination, lutter contre l'extrême pauvreté et accompagner les banques régionales et multilatérales de développement par rapport à la pandémie un fonds fiduciaire pour la résilience et la viabilité a été opérationnalisé en octobre 2022 par le FMI. Il finance surtout à long terme les pays à faibles revenus, les îles, les régions vulnérables en raison du déficit de leur balance de paiement. La BAD et les banques multilatérales utilisent ces DTS octroyés par le FMI pour octroyer des financements aux banques ainsi que de nouveaux prêts concessionnels.

Dr Ange Ponou, spécialiste en économie financière, nous explique dans un article du 13 octobre 2022, sur le site de Sikafinance que ce fonds dispose actuellement d'une dotation initiale de 15,3 milliards de DTS (20 milliards de dollars) émanant de dons de certains pays membres comme l'Allemagne, l'Australie, l'Espagne, la Chine, le Canada et le Japon. À terme, il devrait être porté à 29 milliards de DTS, soit 37 milliards de dollars. Il a pour vocation d'aider les pays à renforcer leur résilience face aux changements climatiques, aux pandémies afin qu'ils préservent leur stabilité économique et financière à plus long terme tout en mobilisant d'autres financements publics ou privés. Ces prêts auront une échéance de 20 ans, assortis d'une période de grâce de 10 ans et demi et bénéficieront aux pays à faible revenu et aux pays à revenu intermédiaire admissibles.

4. Le fonds d'assistance technique (FDG et FAD)

On a bien compris que le rôle de la BAD est d'éviter les défauts de paiement en série pour surendettement. Néanmoins, malgré tous ces efforts, son efficacité est faible et les résultats décevants, comme le rapport le reconnaît lui-même. Pour eux, le problème vient bien évidemment de « la gouvernance défectueuse des États ». Des réformes structurelles sont nécessaires. La difficulté de mobiliser le secteur privé dans le cadre commun est tout de même pointée puisque ce sont le plus généralement des prêts officiels de gouvernements à gouvernements qui sont observés.

La BAD critique la solidité des institutions publiques nationales et réclame plus de transparence sur la dette et la couverture de la dette des entreprises publiques. C'est aussi l'occasion pour elle de rappeler à quel point son assistance technique est indispensable et de proposer une nouvelle stratégie de gouvernance économique pour 2021-2025 avec la création de fonds d'assistance technique pour les pays à revenus intermédiaires, afin de renforcer les capacités nationales, mieux contrôler les administrations fiscales pour lutter contre l'endettement. Un fonds d'affectation multidonateurs et un fonds de la facilité de gestion de la dette (FGD), chargé d'encadrer les allègements et restructurations de dettes des PMR ainsi que de former et conseiller les différents acteurs sont constitués.

Le Fonds Africain de Développement (FAD), est le guichet de prêt à taux concessionnels du groupe de la BAD depuis 1974. Il est administré par la BAD et est constitué d'États participants (les pays donateurs) et de ses 40 pays bénéficiaires dans le but de réduire la pauvreté dans les pays membres régionaux (PMR) en fournissant des prêts et des dons à des projets et par son assistance technique. Dans sa 14e version, il consistait en un investissement de 45 milliards de USD pour des financements concessionnels accordés à 37 pays. Le dernier FAD couvrant la période de 2020 à 2022 ne s'élève plus qu'à 7,8 milliards d'USD.

Critique :

Cette assistance technique, cet encadrement et les montants qui y sont alloués se justifient par la BAD car ils semblent apporter des solutions aux problèmes de gouvernance des États africains qui serait un élément explicatif majeur du surendettement des pays africains selon leur point de vue. Le CADTM n'ignore pas les difficultés de gestion, de manque de transparence et l'important problème de la corruption des autorités publiques et de fonctionnaires en Afrique.

Néanmoins, une des raisons de ces problèmes de gouvernance publique est justement l'affaiblissement des États, de plus en plus sous alimentés financièrement, délégitimisés et à qui les institutions internationales ôtent de plus de plus de prérogatives, à travers leurs plans d'ajustements structurels. En effet, ceux-ci s'attaquent aux États lorsqu'ils soutiennent les privatisations, les dérégulations, des coupes drastiques des dépenses publiques, lorsqu'ils imposent à leur place, en se substituant à leur souveraineté, des choix monétaires, des orientations économiques, financières, commerciales et politiques néolibérales impopulaires, indépendamment des votes des électeurs, en contradictions avec les besoins urgents exprimés par une grande partie de la population. Ils vident de leur sens les élections démocratiques ce qui ouvre la voie à des tendances plus extrêmes et radicales qui récoltent un certain succès.

En plus, le secteur privé international s'enrichit et corrompt les haut-fonctionnaires, de plus en plus sous-payés, pour qu'ils ne disent rien. Il les mêle à leurs « affaires » pour qu'ils ne les dénoncent pas, dans une politique de laisser-faire souvent complice d'agissements criminels, auxquels des membres des gouvernements participent plus ou moins activement ou qu'ils encouragent selon les cas. La corruption se généralise, à tous les échelons et dans tous les secteurs.

Remarquons tout de même que dans le rapport de la BAD, rien n'est proposé par les institutions internationales pour contraindre, mieux encadrer, améliorer la gouvernance et la transparence, mieux canaliser les pratiques peu éthiques et écologiques du secteur privé, des investisseurs, des banques et transnationales. Pourtant, certains de ces acteurs sont dangereux, bien plus responsables de détournements massifs d'argent, via les pratiques courantes d'optimisation ou d'évasions fiscales, de dumpings social, fiscal et écologique. Nous avons vu qu'ils sont capables de destruction de l'environnement et de violations de droits humains et qu'ils jouissent encore aujourd'hui d'une inacceptable impunité. Au contraire, la BAD invite largement le secteur privé, sans distinction et sans réglementation commune aboutie, à investir pleinement dans ses nouveaux instruments financiers. Elle ouvre tout grand la porte à une spéculation débridée sur les capitaux naturels mondiaux, capitaux cruciaux dont la valeur boursière risque de grimper au fur et à mesure qu'apparaîtront des carences, des conflits géostratégiques pour les maîtriser et que les crises écologiques et climatiques s'imposeront comme des urgences dans nos imaginaires collectifs.

Parfois dans un pays africain l'assistance technique extérieure est mieux rémunérée et écoutée que l'ensemble de la fonction publique ; cela crée un déséquilibre et représente une forme d'ingérence et de menace pour la souveraineté des États africains.

L'assistance technique fait plus que conseiller les plus hauts-décideurs d'Afrique. Ses orientations ne sont pas « neutres » politiquement. Or elle n'a pas été élue démocratiquement pour imposer ses choix comme des évidences techniques et scientifiques dans des pays qui ne partagent pas forcément ses crédos économiques et financiers et qui en pâtissent le plus souvent. En imposant des formes et des procédures incontournables, une logique à elle, une complexité terminologique et technique de plus en plus lourde à utiliser et qu'il faut pourtant maîtriser pour bénéficier d'évaluations positives et avoir accès aux prochains financements, elle se rend de cette manière indispensable et lance régulièrement des nouvelles modes, des méthodologies, des styles de managements, des concepts et des terminologies spécifiques à bien si l'on veut accéder aux hautes sphères du pouvoir international et espérer bénéficier de ses prétendues largesses.

5. Le mécanisme africain de stabilité financière (MASF)

Il y avait un Mécanisme Européen de Stabilité, un Fonds Monétaire Arabe et un Fonds de Réserve pour l'Amérique du Sud. L'équivalent africain, le MASF offre aux pays africains un nouveau cadre de résolution des crises de la dette « plus rapide, moins coûteux pour les débiteurs et les créanciers ». Il permettrait de mutualiser les fonds et d'éviter les débordements en cas de crise externe.

Voici quelques réactions dans la presse africaine qui acclament la création du MASF : « Le système financier international ne répond pas aux besoins du continent africain, surtout en cette période de crises. Dès lors, les gouvernements africains ont évoqué mardi à Accra, au Ghana, la mise en place d'une plateforme leur facilitant un accès d'urgence à des liquidités ». Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD) a expliqué les besoins financiers énormes dont l'Afrique a besoin pour faire face aux crises sanitaires, alimentaires et environnementales. — © NIPAH DENNIS / AFP

« Les graines d'un mécanisme africain de stabilité ont été semées mardi lors de l'assemblée annuelle de la Banque africaine de développement (BAD) qui a lieu du 23 au 27 mai à Accra, capitale du Ghana. A l'image du Mécanisme européen de stabilité mis en place lors de la crise de la dette grecque, cet instrument africain viendra en aide aux pays ayant un besoin urgent de liquidités. L'objectif n'est pas de boycotter le Fonds monétaire international (FMI) qui est le dernier recours pour les pays en difficulté. Il s'agit plutôt de se donner les moyens d'éteindre les incendies de façon rapide, sans attendre les pompiers de Washington. » Publié par Ram Etwareea, à Accra, au Ghana, le 24 mai 2022

« La plupart des pays africains pâtissent de taux d'intérêt élevés qui bloquent leur développement » expliquent Christian de Boissieu, professeur émérite à l'université de Paris-I et vice-président du Cercle des économistes, et Jean-Hervé Lorenzi, chroniqueur et président du Cercle des économistes. « La mise en place d'un Mécanisme africain de stabilité financière permettrait, parmi d'autres mesures, de les aider à augmenter leur résilience face aux crises. »

Le 18 mai 2022« Les pays africains souffrent de taux d'intérêt excessivement élevés qui entravent leur développement. Avec, à la clé, une vulnérabilité excessive face aux incertitudes et un coût du capital souvent rédhibitoire. Renforcer la stabilité financière implique d'améliorer la résilience des économies du continent, leur capacité à résister aux chocs. » « D'autre part, il est nécessaire de réduire les coûts de financement des investissements, en envoyant aux investisseurs des signaux qui correspondent mieux au contexte de l'Afrique ».

Pourtant, dans le cadre de la crise de la dette grecque, Éric Toussaint, porte-parole du CADTM a pu démontrer en quoi le Mécanisme de Stabilité Européenne a joué un rôle pervers c'est-à-dire qu'il n'a pas servi aux populations européennes menacées par les crises mais bien aux banques privées, principales responsables de l'endettement des États, qui ont pu grâce à lui être remboursées en priorité et en grande partie par l'argent tiré des plans d'austérité draconiens imposés aux populations lésées. Il écrit dans « le FESF et le MES contre les peuples » :

« En collaboration avec le FMI, la Commission européenne a plié et a octroyé via le fonds européen de stabilité financière (FESF) et le mécanisme européen de stabilité (MES) des prêts à certains Etats membres de l'Eurozone (la Grèce, l'Irlande, le Portugal et Chypre) afin qu'ils puissent en priorité rembourser les banques privées des pays les plus forts de l'UE. Elle n'a donc pas respecté à la lettre l'article 125 du Traité de Lisbonne cité plus haut. Mais elle a respecté l'esprit néolibéral du Traité : en effet le FESF et le MES empruntent sur les marchés financiers les moyens financiers qu'ils prêtent aux Etats."

Jean Nanga soutient la position d'Éric Toussaint et renchérit en rappelant que si les États africains (54 sur les 81 actionnaires) détiennent la majorité absolue des parts (52,7 %) de la BAD, parmi les dix premiers actionnaires figurent les États-Unis d'Amérique (2e, après le Nigeria), le Japon (3e), l'Allemagne (7e), le Canada (8e) et la France (9e). Parmi les 20 premiers, s'ajoutent l'Italie (13e), le Royaume-Uni (16e), la Suède (18e), la Suisse (19e)" comme le précise l' État des souscriptions et des pouvoirs de vote au 30 septembre 2021, publié par la BAD le 09 novembre 2021. Les ressources de la BAD proviennent aussi, entre autres, des marchés financiers internationaux. Et, il s'agit, comme le dit déjà le titre de l'article de De Boissieu (prêtre de la financiarisation, supposé co-inspirateur, avec le ministre sénégalais des Finances, Kane, dudit mécanisme) et Lorenzi, de financiariser davantage les économies d'Afrique. Il ne fait presque aucun doute que le MASF s'est bien inspiré du FESF et ne sera pas moins contre les peuples...

6. La facilité africaine de soutien juridique (ALSF)

Elle devrait permettre de conseiller et de mettre en œuvre des allègements et restructurations de dettes adaptés à chaque pays africain. En Guinée-Bissau, elle a négocié une importante remise de dettes privées qui est passée de 50 millions d'USD d'obligations à 5 millions d'USD. En Gambie, elle a permis une restructuration de la dette commerciale suite à une analyse de viabilité de la dette (AVD) et a mis en place une Stratégie Générale de Dette à Moyen Terme (SGDTM). En Somalie, elle a négocié avec le Club de Paris un allègement de 1,4 milliards d'USD selon une initiative proche de l'initiative PPTE.

Selon le rapport de la BAD, dans son Plan d'Action sur la Dette (PAD) de 2021 et 2023, l'ALSF veut coordonner les agences multilatérales et revenir à une trajectoire de développement vert, résilient et inclusif. Pour cela, elle veut établir un dialogue à différents échelons : national, régional, continental et international ; accroître les financements à faible coût et risque, améliorer la soutenabilité des dettes ; mieux gérer les dettes publiques, avec plus de transparence ; réduire la dépendance des pays PMR surendettés par rapport à leur dette extérieure en tenant compte de leurs fragilités spécifiques. Ainsi, elle propose des obligations de dette indexées à la sécurité pour les pays perturbés par les conflits et violences, des prêts adossés aux ressources naturelles pour les pays qui en disposent d'importantes à conserver et enfin des échanges dette-climat pour ceux qui sont déjà confrontés aux conséquences du réchauffement climatique ou qui sont menacés d'une perte importante de biodiversité. Ce genre d' échanges ne sont pas nouveaux. Dans les années 1980 et 1990, de nombreuses remises de dettes ont été conditionnées à des investissements en reforestation « pour protéger la biodiversité et les peuples autochtones ».

Enfin plusieurs pays africains ont accepté des échanges dette-nature conclus avec des créanciers commerciaux et bilatéraux. « Le Cameroun et le Mozambique en ont négocié avec le gouvernement français, Madagascar avec des banques commerciales françaises et l'Allemagne ; la Tanzanie avec des banques commerciales russes et la Zambie avec diverses institutions privées ».

7. Les échanges dette-nature

a) Succès limité dans le temps et importance peu significative des échanges dette-nature/climat (ou SWAPS) Cette invention de Thomas Lovejoy du WWF, a été appliquée pour la première fois par l'État Bolivien en 1987 qui dans une période d'importante difficulté budgétaire, a négocié avec le Conservation International (CI) une remise de dette afin d'orienter les dépenses nationales vers des actions de conservation de l'environnement.

Les Swaps bilatéraux ont connu leur plus grand succès de 1990 à 1994.

On compte 25 à 30 opérations de ce type brassant au total 600 à 700 millions d'USD par an. Rien qu'en 1994, plus de 25 échanges dette-nature ont été signés pour plus de 600 Millions d'USD. De 1990 à 1991, 15 à 20 allocations du fonds environnement sont aussi concédées ce qui représente 400 millions d'USD. Les swaps multipartites apparaissent plus tardivement et ont toujours été moins nombreux et concernant des montants plus limités (entre 5 et 10 et entre 100 et 150 millions par an).

Après 1994 toutes ces initiatives diminuent drastiquement.

En effet, après cette année, d'autres sources d'allègements comme l'initiative PPTE attirent davantage les pays surendettés. Car il faut bien comprendre qu'un pays préfère toujours une annulation définitive d'une grande partie de sa dette extérieure. En outre, lorsque la procédure de décaissement est libellée en devises étrangères dans un contexte inflationniste, cela n'arrange pas les pays débiteurs qui peuvent pâtir d'une dépréciation rapide du fonds pour l'environnement. Enfin, les premiers échanges dettes-natures n'ont pas permis d'allègements significatifs de la dette à long terme même s'ils suscitent une légère stimulation positive pour des projets bénéfiques à l'environnement.

Depuis la Cop20 en 2012 et surtout depuis la COP26 et le plan de « Relance Verte », on constate un regain d'intérêt pour ces pratiques. Néanmoins, entre 2013 et 2015 leur nombre ne dépasse pas les 5 par an pour des sommes de moins de 100 millions. C'est surtout en Amérique latine que des opérations de ce genre ont été effectuées avec la participation des États-Unis. Les intermédiaires choisis étaient souvent des ONG internationales qui rachetaient la dette avec le financement de leurs donateurs à un prix inférieur en échange de la mise en place d'un fonds de conservation de l'environnement local. C'est une forme d'annulation volontaire d'une partie de la dette par des créanciers.

En 2021, THE NATURE CONSERVANCY (TNC) réalise un swap de grande envergure avec Belize en échange d'obligations bleues en faveur de la conservation des océans. Ce qui encourage à appliquer ce système à une plus grande échelle. Selon le rapport de la BAD, cela aurait permis une diminution de dettes et une plus large marge de manœuvre pour le gouvernement de Belize dans ses futurs choix budgétaires.

Voir le tableau récapitulatif des Échange dette-nature et son commentaire p26-27 du rapport de la BAD

b) Définition générale des échanges dette-nature

Il faut tout un glossaire (voir le glossaire de la dette du SYGADE publié par la CNUCED) pour en expliquer les différentes formes et en uniformiser les définitions car différentes réalités se cachent derrière ce terme générique ce qui contribue à « brouiller les pistes », d'autant plus que les négociations sont souvent très discrètes et les dispositifs complexes et peu transparents.

Définition générale :

Un SWAP est une technique d'allègement de la dette qui altère la valeur initiale ou la nature des instruments de prêt. Elle consiste en général en une réduction de la dette souveraine par un créancier en échange d'une action en faveur de l'environnement de la part du pays débiteur. La réduction peut être réalisée directement par le créancier, comme dans les échanges bilatéraux officiels mais parfois la partie de dette est rachetée avec une décote par une organisation qui se présente comme donatrice (souvent une ONG spécialisée dans l'environnement) comme dans les échanges multilatéraux. Ils visent à lier les dettes à des résultats environnementaux. Ils consistent en une réduction, avec la création d'un fonds de conservation financé et géré localement et des engagements politiques de haut niveau. Il en existe de deux sortes : des accords bilatéraux entre débiteurs et créanciers et des accords multilatéraux dans laquelle la dette est rachetée avec une décote par un ou plusieurs entités qui se présentent comme philanthropiques mais il s'agit souvent d'opérateurs privés à but lucratif ( des banques commerciales , une série d' intermédiaires privés obscures et non régulés. ) Une partie de l'économie réalisée est réaffectée aux efforts de conservation sous le contrôle d'organisations qui n'impliquent pas forcément les gouvernements ou les collectivités territoriales concernées ( ce qui pose question quant à la perte de leur souveraineté et du caractère démocratique).

Cette structure est plus souple et peut coexister à d'autres opérations de dettes favorables au climat et à la nature. En principe, « toutes les parties doivent tirer avantages de l'opération, les débiteurs comme les créanciers et intermédiaires ». Mais il faut bien comprendre que les États au bord du défaut de paiement ne sont pas vraiment en position de force pour défendre leurs intérêts et leur biodiversité devient une valeur cotée en bourse qui attire de plus en plus d'acteurs privés qui peuvent tirer profit de la spéculation sur les ressources naturelles à l'heure de l'urgence climatique.

c) Échanges bipartites ou bilatéraux

Actuellement, ils concernent surtout les échanges officiels justifiés (de gouvernement à gouvernement ou de gouvernement à groupe organisé de gouvernements comme le Club de Paris). Ce sont principalement les USA qui en sont les instigateurs encouragés par différents instruments comme les Initiatives Entreprises par les Amériques, suivies par La loi sur la conservation de la forêt tropicale (TFCA) en 1998 puis la Conservation des forêts tropicales et des récifs coraliens en 2019.

d) Un cas d'échange bipartite de dette-nature au Botswana

« En 2006, un échange dette-nature TFCA bipartite s'est conclu au Botswana. Il aurait permis, selon la BAD, l'annulation de 8,3 millions d'USD de dette bilatérale par le gouvernement américain en échange de la facilitation de l'octroi de subventions pour la conservation des forêts tropicales, financées par les économies réalisées sur la dette. Le Botswana devait constituer un Fonds de 10 millions d'USD dont 7 millions apportés par les USA en faveur des forêts. Le reste des économies réalisées sur le flux de la dette a pu être réinvesti aux autres dépenses publiques générales ». Nous ne disposons que de très peu d'informations à ce sujet et n'en connaissons pas l'impact réel. S'agit-il d'un effet d'annonce publicitaire ou bien cette opération est-elle vraiment un succès prometteur ?

e) Échange de dette-nature multipartite

Il arrive que des tiers interviennent dans le rachat d'une partie de la dette souveraine auprès des créanciers initiaux ou actuels surtout pour des dettes commerciales cotées en bourse. C'est le cas d'ONG environnementalistes comme CI, TNC, WWF, de banques de développement, ou de groupes de plusieurs institutions présentées comme donatrices, qui se coordonnent pour une même opération. Toute institution, ONG ou banque de développement, peut octroyer des financements à un ou plusieurs créanciers pour ce type d'opération. On peut concevoir ce genre d'échange multipartite avec uniquement des créanciers officiels. Un Etat pourrait accorder une aide financière à un autre créancier pour une telle opération.

Les Seychelles, illustrent bien ces échanges dettes-nature multipartites : « les obligations bleues ont été facilitées par l'ONG TNC ce qui a permis au gouvernement des Seychelles de renégocier sa dette avec le Club de Paris en favorisant en contrepartie la conservation du milieu marin ».

Les avantages pour les créanciers sont une publicité verte (dans certains cas, c'est l'effet principal poursuivi, et il s'agit en réalité d'un greenwashing mensonger) en plus de la perspective de récupérer des fonds dans l'immédiat de la part d'un instrument devenu trop risqué. Pour les débiteurs, on leur laisse miroiter une plus grande flexibilité de la structure adaptable aux situations spécifiques, l'amélioration de la viabilité de la dette ( ce qui dépend du montant de la somme réduite – souvent très petite- ou du délais accordé, des conditionnalités et surtout du taux d'intérêt appliqué ) dont la note ( bien qu'en général le FMI et les agences de notation ne tiennent pas compte de ces accords pour améliorer la cote de solvabilité des pays surendettés bien au contraire) et permet le maintien à plus long terme d'une politique de développement durable du gouvernement ( ce qui n'est pas prouvé car il n'y a pas de planification précise avec mesure d'impact contraignante ni de contrôle possible via les élections ou via un organe publique indépendant assortis au dispositif et les négociations ne sont pas rendues publiques) . Néanmoins, la BAD admet qu' il faut qu'ils concernent des montants suffisamment importants pour permettre que les économies réalisées autorisent une plus grande marge de manœuvre pour d'autres dépenses des pays débiteurs.

Ces échanges ont eu un impact très restreint jusqu'à présent.

D'après le rapport de la BAD, depuis 1987, la valeur nominale totale de la dette traitée par des échanges dette-nature bipartites et multipartites dans le monde se limite seulement à 3,7 milliards d'USD dont à peine 318 millions pour l'Afrique. Malgré tout, cela pourrait avoir un effet de publicité et de sensibilisation médiatique stimulant pour l'écotourisme, selon la BAD.

De plus il est très difficile d'en mesurer les résultats au niveau macroéconomique à long terme mais il semble d'ores et déjà que les échanges aient peu d'effets sur les bilans réels des pays bénéficiaires. Pour Belize, cependant, toujours selon la BAD, « si l'échange n'a pas complètement rétabli la viabilité de la dette, l'unique obligation souveraine de Belize qui représentait 1/3 de son PIB a été substituée, à un instrument moins lourd et contraignant offrant une marge de manœuvre plus importante au gouvernement et une capacité à convaincre des créanciers privés à faire plus de concessions ». Cela mériterait une enquête. Ces échanges pourraient-ils être transposables en Afrique à plus large échelle, avec des sommes plus importantes ?

En Afrique, vu le risque de défaut de paiement généralisé, il est possible de convaincre des créanciers « qu'il vaut mieux recevoir moins mais à très court terme et en monnaie locale ou en espèce plutôt que de ne plus rien recevoir du tout ou d'obtenir peu à trop long terme. » En évaluer l'effet sera compromis pour plusieurs raisons : le montant alloué à la conservation n'est pas toujours égal à la valeur nominale de la dette ; la réduction varie d'une transaction à l'autre : par exemple, à Belize la réduction est de 55 cents pour 1USD alors qu'elle est de 93,5 cents pour les Seychelles ; les taux d'intérêts appliqués diffèrent également ainsi que la durée des échéances.

Même s'ils apportent plus de flexibilité budgétaire aux États, il ne s'agit pas d'annulation de dettes et les encours de la dette reste largement inchangés. Finalement l'enveloppe allouée à l'environnement reste insuffisante. La BAD espère néanmoins qu'avec les engagements politiques et la publicité, ils contribuent à faire croître les fonds de conservation, les financements pour des résultats plus importants. Cependant, cet effet moteur n'est qu'hypothétique et pour l'instant, non démontré.

La difficulté réside à trouver des créanciers disposés à payer pour ces résultats par
rapport à l'environnement ou le climat ainsi que des débiteurs intéresser à s'y engager.

Ne sont pas inclues dans ce montant les dettes envers les créanciers multilatéraux privilégiés peu susceptibles d'envisager ce genre d'opérations d'annulation. C'est plus facile évidemment pour les dettes bilatérales avec des créanciers souverains officiels, comme les prêteurs du Club de Paris et les gouvernements qui se sont engagés dans la COP 26 à mobiliser des fonds pour le climat et la nature. Les créanciers commerciaux y voient moins d'intérêt sauf si leurs créances sont en trop grande souffrance et qu'ils risquent de tout perdre.

Du côté des débiteurs, cela peut sembler utile pour ceux qui sont déjà à risque élevé d'être en défaut de paiement mais pas pour les autres qui peuvent craindre que le recours à ces opérations nuise à l'appréciation de leur solvabilité, à la dégradation de leur note avec pour conséquences désastreuses une augmentation du coût des emprunts futurs et une difficulté d'accès aux marché internationaux. Dès lors, la plupart cherchent d'autres moyens de financement.

Dans le cas de l'Échange dettes nature des Iles Galapagos, le CADTM grâce au réseau sud-américain LATINDADD, a mis en évidence les risques importants de ce système, tel qu'il a été négocié en Équateur.

Malheureusement, il n'y a pas de raisons d'exclure que les dérives et travers dénoncés dans le cas de l'échange dette-nature aux Galapagos ne puissent pas se retrouver dans les échanges dette-nature en Afrique. Il faut bien sûr vérifier minutieusement, au cas par cas, mais les dangers existent.

Quels sont les points inquiétants qui méritent une mise en garde ?

Tout d'abord, tout se passe toujours en contexte de risque de faillite où les gouvernements surendettés et leurs créanciers sont prêts à tout pour éviter que le bateau coule et où les protections des pays concernés sont particulièrement fragilisées. Les dirigeant·es ont besoin de redorer leur blason et la cause climatique est très populaire internationalement pour l'instant.

Ensuite, on parle d'annulation de dettes alors qu'il ne s'agit que de très faibles réductions de dettes voire seulement de suspensions avec des taux d'intérêt variables. Donc en prétendant alléger, on ne fait que stigmatiser, et entretenir la dépendance et le système d'endettement sur le plus long terme. Les sommes libérées sont non seulement insignifiantes par rapport au problème de l'endettement du pays mais en plus les investissements concédés pour le fonds de conservation restent insuffisants pour la protection naturelle des territoires concernés.

D'ailleurs le FMI ne tient pas compte de ces conversions dans la manière dont il comptabilise la dette publique des pays et lorsque ceux-ci ont recours à des swaps, cela nuit à leur cote de solvabilité sur les marchés internationaux, en ayant un impact négatif sur les taux d'intérêts qui leur seront appliqués pour les prochains prêts. De surcroît, le dispositif mis en place est souvent un montage complexe, opaque, dans lequel des SPV (véhicule à objectifs spécifiques, opérateurs privés à but lucratif, non régulés) se mêlent à des banques comme le Crédit Suisse (dont la conduite scandaleuse et la mauvaise gestion ont été maintes fois critiquées). Ces acteurs ne sont pas « philanthropiques » mais ils cherchent à faire du profit. Ils sont d'ailleurs accusés régulièrement d'évasion fiscale, d'écoblanchiment d'argent, d'avoir recours à des malversations criminelles et à des paradis fiscaux. On ne précise pas les coûts administratifs de ces nombreux intermédiaires, souvent surfacturés.

Les négociations ne sont pas publiques et transparentes, pas plus que la fiscalité des opérateurs, leurs acquisitions, leurs contrats, les bénéfices réels qu'ils en retirent. Leur siège est à l'étranger. Ils ont des filiales dans plusieurs pays. Le holding qui s'étend parfois sur plusieurs entités délocalisées est de forme pyramidale mais personne ne sait qui est à la tête, qui est responsable et qui contrôle le tout. Il y a peu de traçabilité des investissements, qui peuvent être mêlés à des produits toxiques et devenir des produits dérivés très risqués. La spéculation sur la nature, non contrôlée, peut-être très rentable à court terme pour certains et profondément dommageable pour l'environnement, les gouvernements et les populations dans l'ensemble à moyen et long terme.

Enfin, les fonds de conservation créés dans les accords d'échange dette-nature sont majoritairement gérés ou détenus par des acteurs privés étrangers. Aucune planification à long terme n'est publiée et donc il n'y a pas de possibilité d'évaluation des impacts recherchés par rapport au climat ou l'environnement de manière précise. Il n'y a pas de démarche de procédure d'appel d'offres publiques. Les gouvernements se voient ainsi privés d'une partie importante de leur souveraineté en ce qui concerne la gestion de leurs ressources naturelles protégées et ainsi que l'administration de leurs populations impactées. En effet, les personnes qui vivent sur ces espaces et y travaillent (pêcheurs, agriculteurs, éleveurs, artisans, agents de tourisme...) ne sont pas consultées ou intégrées à des délibérations ou aux négociations quant à la gestion des espaces naturels dont elles dépendent. Leurs intérêts ne sont parfois même pas pris en compte voire carrément bafoués et leurs votes, leurs avis ne peuvent influencer les décisions des fonds.

Le cas de l'échange de dette-nature au Gabon

L'Agence écofin, a annoncé dans un article publié sur son site le 12 mai 2023, que la Bank of America allait arranger un échange dette-nature de 500 millions de USD au profit du Gabon. C'était une information rapportée par l'agence Bloomberg, la veille, citant des sources proches du dossier. L'accord qui a eu lieu en juillet, autorise une réduction de la dette extérieure gabonaise d'environ 500 millions de dollars, en s'engageant en contrepartie à protéger 26% des eaux territoriales du Gabon avec l'appui de l'organisation à but non lucratif américaine The Nature Conservancy. Le Gabon a créé ces dernières années le plus grand réseau de réserves marines protégées d'Afrique abritant d'innombrables espèces marines menacées, parmi lesquelles les populations reproductrices les plus importantes de tortues luths et de tortues olivâtres, ainsi que 20 espèces de dauphins et de baleines. Composé de 20 parcs marins et réserves aquatiques, ce réseau s'étend sur 53 000 km2.« Devant être conduite par Bank of America, l'opération visant à échanger une partie de la dette publique contre la protection de 26% des eaux territoriales soulève des questions aux plans politique, juridico-institutionnelle et technique », critiquait l'auteur AJ.S de « Un échange de dette-nature au Gabon, une aberration ».

Pourquoi l'opération est-elle conduite dans l'opacité, à l'abri des regards indiscrets ? Sur le plan politique d'abord, ni les administrations sectorielles ni les instituts de recherche ni la société civile et, encore moins, les parlementaires ne semblaient au courant. Aucun débat public... « Le Parlement ne devrait-il pas être tenu informé de l'existence d'une stratégie de désendettement ? »

Deuxièmement, d'un point de vue juridico-institutionnel, Lee White, le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l'Environnement était impliqué mais ses collègues en charge de l'Economie ou des Finance semblaient écarté·es, tout comme le directeur général de la Dette. Le Conseil des ministres avait donné son blanc-seing sans plus d'explications. « Pour parler des identités des créanciers, des échéances de remboursement, de la réduction des dépenses, de l'augmentation des recettes, du ratio dette-croissance, des taux d'intérêt ou de l'inflation, Lee White n'est ni le plus légitime ni le mieux outillé. Pourquoi doit-il supplanter Nicole Roboty Mvou, la ministre de la relance économique, et Edith Ekiri Mounombi, la ministre du budget ? »

L'article dénonçait aussi une opération aberrante d'un point de vue technocratique. « De quel type d'échange dette-nature s'agit-il ? D'une conversion de dette bilatérale comme celle résultant de l'accord passé en 2008 avec la France sous la houlette d'Omar Bongo Ondimba et Nicolas Sarkozy ? D'une initiative d'allègement de la dette multilatérale ? Ou d'une conversion de la dette commerciale ? Mystère et boule de gomme »... Qu'en était-il de l'étude de faisabilité ? « Profil de la dette, politique de désendettement, contexte macro-économique, sources de financement, aspects juridiques et fiscaux, taux de décote, bailleurs intéressés ou concernés, mécanismes de gestion des fonds... Sur tous ces points, ni le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l'Environnement ni l'Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) ne disposent de données complètes ». Mais selon le journaliste « les autorités se laissent aveugler par l'enthousiasme international pour de la défense de la biodiversité. Ayant longtemps présenté l'écotourisme comme le segment d'avenir, ayant ensuite fondé ses espoirs sur les crédits-carbone, » le gouvernement avait déjà fait face à tant de désillusions, ne devait-il pas plus se méfier ?

L'État gabonais a annoncé officiellement le mardi 25 juillet 2023, sur le site de la Bourse de Londres ( London Stock Exchange), cet échange dette-nature. Les médias gabonais se sont mis à parler de ce swap de manière laudative.

Ainsi par exemple le 8 août 2023, Gabon Review publie sur son site un article de Loic Ntoutoume « Échange dette-nature : le Gabon offre un rendement plus juteux que prévu ». Nous voyons que différents intermédiaires privés interviennent dans cette négociation dont l'intérêt financier reste la préoccupation principale . L'opération d'échange dette-nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions de dollars de ses obligations et de tirer un prêt bleu de 500 millions de dollars auprès du véhicule à usage spécial, Gabon Blue Bond Master Trust, a été boosté à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons du Trésor fixés le 7 août 2023, à 180 points de base. L'État gabonais et son arrangeur d'obligations, Bank of America, a relévé le prix de la transaction dette nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions USD de son euro-obligation 2025 et des deux euro-obligations 2031.Initialement fixée à 180 points de base, l'obligation bleue du Gabon a grimpé de 20 points pour se situer à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons de Trésor américain du 7 août 2023. Selon de

Pour Trump, les USA d’abord… et l’Afrique (bien) après

19 novembre 2024, par Paul Martial — , ,
L'accession du milliardaire à la Maison blanche entraînera une politique africaine centrée sur les intérêts des États-Unis et la promotion des valeurs conservatrices en (…)

L'accession du milliardaire à la Maison blanche entraînera une politique africaine centrée sur les intérêts des États-Unis et la promotion des valeurs conservatrices en Afrique.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Quelle va être la politique de Trump vis-à-vis du continent africain ? La réponse est incertaine car lui — tout comme Kamala Harris, n'a jamais évoqué cette question pendant la campagne électorale — bien trop occupé à disserter sur les choix gastronomiques supposés des immigrés haïtiens de la ville de Springfield ou sur l'importation des mauvais gènes aux États-Unis par les migrantEs.

Désintérêt

On peut se baser cependant sur quelques indices, notamment son bilan lorsqu'il était au pouvoir de 2017 à 2021. On se souvient de la délicate formule qui sied à ce personnage si raffiné, traitant les pays africains de « pays de merde » et de sa relation toute particulière à la vérité en parlant de crimes de masse contre les fermiers blancs en Afrique du Sud. Deux ans après son installation au pouvoir, son éphémère conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, déroulait la stratégie des USA vis-à-vis du continent. Elle pouvait se résumer en une idée simple : cette politique devait avant tout rapporter aux USA. Trois thèmes étaient déclinés : les échanges commerciaux favorisant les entreprises américaines ; la promotion de l'aide seulement aux pays alliés et la lutte contre le terrorisme. Dans les faits, la politique de Trump a été surtout un désengagement des États-Unis du continent et la suppression des visas pour les ressortissants des pays comme la Somalie, le Soudan, la Libye, le Ghana, le Nigeria ou le Tchad, ce qui a contribué à renforcer la marginalisation des USA en Afrique.

America first

Autre indice, la communication de la fondation conservatrice Heritage Foundation. Sur les 900 pages de son rapport « Project 2025 » décrivant dans le détail les mesures à prendre pour une politique conservatrice radicale, une page et demie est consacrée à l'Afrique. Elle est écrite par Kiron K. Skinner, fan de Reagan et ancienne de l'administration George W Bush et Trump. Elle souligne l'importance de l'Afrique pour ses richesses naturelles, notamment les minerais nécessaires aux industries de haute technologie et sa proximité des voies maritimes. Pour elle, il est urgent de disputer « l'influence maligne » de la Chine et secondairement de la Russie. En termes économiques cela se traduit par le ciblage de certains pays considérés comme prioritaires plutôt que l'essaimage des aides à travers le continent. Des aides qui devront favoriser le « marché libre » et « la croissance privée » et être supprimées aux pays hostiles ou qui votent contre les USA dans les instances internationales. La crise sécuritaire au Sahel n'est pas considérée comme une menace vitale pour les États-Unis mais comme un danger potentiel sur le flanc sud de l'Otan. Enfin, les États-Unis devront porter leur effort sur les « activités diplomatiques essentielles » plutôt qu'essayer de promouvoir les droits des personnes LGBT.

Le sabre et le goupillon

Bien que ce programme présente une certaine continuité, il ne doit pas occulter que le Trump d'aujourd'hui est bien plus radical, et que lors de son mandat précédent il devait composer avec une Chambre des représentants à majorité démocrate à partir de 2018. Au vu des résultats, cela ne serait plus le cas. Ainsi il est très probable que des aides seront détournées vers les organisations évangéliques pour promouvoir des politiques homophobes et anti-avortement en Afrique. Ceci irait de pair avec la suppression du President's Emergency Plan for AIDS Relief consacré à la lutte contre le sida et décrié par les républicains. La recommandation de Heritage Foundation de reconnaître la région de Somaliland comme un État indépendant de la Somalie est révélatrice. Elle permettrait aux USA de dédoubler sur la côte somalilandaise leur base militaire de Djibouti qui se trouve à une dizaine de kilomètres de l'emprise chinoise pouvant accueillir plusieurs milliers de soldats. Même si le prix à payer serait une accentuation de la déstabilisation de la corne de l'Afrique.

Il est certain que l'élection de Trump est un encouragement à tous les autocrates africains.

Paul Martial

Angola-RDC. Le « corridor de Lobito » au cœur des rivalités entre la Chine et les Occidentaux

19 novembre 2024, par Colette Braeckman — , , ,
Les États-Unis et l'Union européenne voudraient redonner vie à une ancienne route coloniale permettant d'évacuer les minerais de la République démocratique du Congo vers (…)

Les États-Unis et l'Union européenne voudraient redonner vie à une ancienne route coloniale permettant d'évacuer les minerais de la République démocratique du Congo vers l'océan Atlantique. Objectif : contrecarrer le quasi-monopole de la Chine sur ces ressources stratégiques qu'elle transporte jusqu'aux ports de l'océan Indien. Mais la brouille diplomatique entre Kinshasa et Kigali contrarie ce projet...

Tiré d'Afrique XXI.

La guerre dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) a hanté le dernier sommet de la Francophonie qui s'est tenu en France, à Villers-Cotterêt, début octobre 2024, jusqu'à inciter Félix Tshisekedi à précipiter son départ. Le chef de l'État congolais était agacé par le fait que, dans son discours d'ouverture, le président français Emmanuel Macron ait omis de mentionner la situation dans le Nord-Kivu, et qu'il ait accueilli son homologue rwandais, Paul Kagame, avec une chaleur très remarquée alors que celui-ci est soupçonné de soutenir un groupe armé dans la région. Mais derrière ces échauffourées diplomatiques, et alors que la situation sur le terrain est toujours aussi dramatique, un travail de fond se poursuit dans la région. Les voisins de la RDC se montrent de plus en plus préoccupés par cette guerre qui menace l'équilibre de l'Afrique centrale et paralyse des développements économiques potentiels.

C'est pourquoi le président de l'Angola, João Lourenço, médiateur désigné dans ce que l'on appelle le « processus de Luanda », remet inlassablement son ouvrage sur le métier. Alors que, malgré ses déboires sur le terrain, Kinshasa opte pour la voie militaire, son voisin angolais préconise toujours une solution politique. Le 4 août 2024, il a obtenu de Kinshasa et de Kigali que soit conclu un cessez-le-feu, mais, sur le terrain, les affrontements se poursuivent. Le mouvement rebelle M23, soutenu par Kigali, vient de conquérir la localité stratégique de Kalembe face à des adversaires gouvernementaux en manque de munitions.

L'équation demeure inchangée : Kinshasa dénonce le soutien que l'armée rwandaise apporte au M23, groupe composé de Tutsis congolais qui s'estiment discriminés. Les rapports des experts de l' ONU publiés deux fois l'an confirment régulièrement – et avec force précisions – l'appui du Rwanda. Kigali, tout aussi régulièrement, dément ces informations et répète que l'armée congolaise collabore avec ses adversaires depuis trente ans, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), composées au départ de militaires et de miliciens ayant participé au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, et dont les descendants partageraient toujours la même idéologie. Plus largement, Kinshasa accuse le Rwanda de « siphonner » les gisements miniers de l'est du Congo, dont la mine de Rubaya, dans le Nord-Kivu, l'un des plus importants gisements de cobalt au monde.

De la RDC aux États-Unis

L'obstination du président angolais à poursuivre sa médiation n'est pas inspirée uniquement par la solidarité africaine ou par une quelconque politique de bon voisinage : Luanda bénéficie du soutien des États-Unis et de l'Union européenne (UE), qui souhaiteraient développer au plus tôt un grand projet de coopération économique régionale, le « corridor de Lobito ».

Ce corridor relierait, sur une distance de 1300 km, les régions du sud de la RDC et du nord-ouest de la Zambie au port angolais de Lobito, sur l'océan Atlantique. Cette liaison permettrait d'exporter par chemin de fer les gisements miniers du Katanga, souvent qualifiés de « scandale géologique », via la côte ouest de l'Afrique au lieu de se diriger exclusivement vers les ports de l'océan Indien.

Ce projet économique stratégique a été relancé en mai 2023 dans le cadre du partenariat du G7 pour les infrastructures et les investissements mondiaux, puis en octobre de la même année lors du forum « Global Gateway ». L'Union européenne et les États-Unis ont signé, avec l'Angola, la RDC, la Zambie, la Banque africaine de développement (BAD) et l'Africa Finance Corporation, un protocole d'accord pour définir les objectifs de ce corridor destiné moins à désenclaver le cœur minier du continent qu'à orienter ses flux vers l'Atlantique et les ports états-uniens.

Un vieux projet colonial

À Bruxelles, les anciens du Congo colonial soulignent que cette idée n'a rien de neuf : avant l'indépendance de 1960, les Belges vivant au Katanga avaient l'habitude de rejoindre les plages angolaises bordant l'océan Atlantique en empruntant soit la route, soit ce qui s'appelait alors le chemin de fer de Benguela. Une grande partie de la production de cuivre de l'Union minière du Haut-Katanga empruntait la même destination, ainsi que l'uranium, qui rejoignait ainsi les États-Unis.

Les guerres qui marquèrent l'accession de l'Angola à l'indépendance en 1975 et se prolongèrent jusqu'à la fin de la guerre froide paralysèrent le chemin de fer, qui cessa de fonctionner. Du côté congolais, le manque d'entretien de la ligne puis le recours au transport routier achevèrent de rendre obsolète ce mode de transport pourtant moins onéreux et moins polluant.

Depuis plusieurs années, des accords bilatéraux conclus entre Kinshasa et Luanda ont eu pour objectif de réhabiliter la ligne. Du côté angolais, le travail a été réalisé, de la côte Atlantique jusqu'à la frontière : trente gares ont été construites sur le trajet, il est question de créer des doubles voies afin que les trains puissent circuler dans les deux sens, un aéroport international a été construit à Lobito, un terminal minéralier et pétrolier ainsi qu'un port sec attendent les marchandises. La Chine n'est pas absente du développement angolais et elle envisage de construire à Lobito une raffinerie. Du côté congolais, par contre, les 427 kilomètres restants représentent un véritable goulet d'étranglement, et le chemin de fer qui fut construit entre 1902 et 1929 attend toujours d'être remis en état...

Le monopole de la Chine

Au pouvoir durant dix-huit ans et déçu par le manque d'empressement des Européens au début des années 2000, Joseph Kabila, dès 2006, avait misé sur des accords de partenariat avec la Chine. À l'époque, ils les avaient qualifiés de « win-win » (gagnant-gagnant), l'accès aux minerais étant échangé contre la réalisation de grands travaux d'infrastructure - une politique appelée des « cinq chantiers ».

Aujourd'hui encore, les entreprises chinoises dominent la ville minière de Kolwezi. D'immenses terrils jouxtent le cœur de cette vieille ville coloniale où des creuseurs se faufilent dans des tranchées jusque dans les fondations des maisons et des commerces. Des norias de camions-remorques acheminent les minerais – souvent non traités et à peine triés – vers Durban (Afrique du Sud) et les autres ports de l'océan Indien. La pollution qu'ils dégagent empoisonne les villages situés sur le parcours.

Cuivre, uranium, cobalt et autres minerais stratégiques : les ressources de la « Copper Belt » congolaise et zambienne sont désormais au cœur du quasi-monopole de la Chine dans les technologies numériques. Il ne s'agit pas ici d'une prospère « route de la soie » mais de pistes poussiéreuses qui traversent les savanes africaines et alimentent les usines chinoises produisant du matériel informatique. Dès son premier mandat (2018-2023), Félix Tshisekedi a été très courtisé par les Occidentaux, qui espéraient un basculement politique en leur faveur.

Le rendez-vous manqué de Joe Biden en Angola

Soucieux de contrer la concurrence commerciale et technologique de Pékin, les États-Unis et l'Union européenne ont alors misé sur le corridor de Lobito. D'après ses promoteurs, cette route ferroviaire et routière raccourcirait fortement les délais de transport (huit jours pourraient suffire pour rejoindre l'Atlantique, au lieu d'un mois pour gagner les rives de l'océan Indien). Cette « voie rapide » devrait libérer l'énorme potentiel économique de la région et améliorer les exportations de l'Angola, de la RDC et de la Zambie.

Les matières premières embarquées à Lobito se dirigeraient alors vers l'autre rive de l'Atlantique, où les entreprises états-uniennes entendent bien défier la concurrence chinoise. C'est pour soutenir cet ambitieux projet que le président Joe Biden, jusqu'à ce qu'il renonce à se porter candidat pour un second mandat, avait envisagé un voyage en Angola, qui aurait été son seul déplacement sur le continent africain. C'est pour cette raison aussi que Washington et Bruxelles soutiennent les efforts de médiation de João Lourenço dans la région.

Reste à savoir quelle sera la réponse chinoise à cette concurrence occidentale. Participant au Forum sur la coopération Chine-Afrique, du 4 au 6 septembre 2024, Félix Tshisekedi a été accueilli avec tous les honneurs (bien mieux qu'à Paris quelques jours plus tard…) et ses hôtes ont réaffirmé leur attachement à l'intégrité territoriale de la RD Congo. Le président congolais, qui avait mené fin 2023 une campagne électorale imprégnée de nationalisme et axée sur la promesse d'une victoire militaire dans l'est du pays, se trouve désormais tenu par ses engagements et surveillé de près par son opinion publique. En conséquence, il se montre peu réceptif à une éventuelle négociation avec des rebelles soutenus par son voisin rwandais.

En outre, la RDC voudrait – sans trop de succès jusqu'à présent – se doter d'un port en eau profonde à Banana, dans le Bas-Congo, afin de ne pas dépendre, pour ses exportations, de ports situés dans des pays voisins, fussent-ils amis. C'est dans le même esprit qu'un aéroport international vient d'être inauguré en grande pompe à Mbuji Mayi, la capitale du Kasaï, qu'il s'agit de désenclaver avec d'autant plus d'urgence que de récentes prospections menées à la demande de la Miba (Minière de Bakwanga, une société d'État) ont révélé l'existence d'un important gisement de nickel-chrome, qui pourrait relancer l'économie de l'ancienne province du diamant. Après Bruxelles et Londres, le PDG de la Miba, Jean-Charles Okoto, compte se rendre en Chine. Dans ce contexte de concurrence internationale, le « processus de Luanda » censé ramener la paix dans l'Est du pays n'avance guère, et le corridor de Lobito n'est pas près d'ouvrir.

Le Mozambique au bord du gouffre

19 novembre 2024, par Boaventura Monjane — , ,
Le Mozambique se trouve à un tournant critique, le mécontentement post-électoral révélant des failles profondément enracinées dans son système politique. Ce qui a commencé (…)

Le Mozambique se trouve à un tournant critique, le mécontentement post-électoral révélant des failles profondément enracinées dans son système politique. Ce qui a commencé comme un défi au parti au pouvoir, le Frelimo, après les récentes élections de 2024, a maintenant dégénéré en une crise nationale. Le parti au pouvoir, autrefois vénéré pour son rôle dans la libération du Mozambique, est de plus en plus considéré par beaucoup comme une organisation d'extrême droite agissant pour des intérêts privés et le capital international. Des décennies de prétendues manipulations électorales, de corruption systémique et de contrôle de tous les pouvoirs du gouvernement ont érodé la confiance et la légitimité du public .

Tiré d'Afrique en lutte.

Frelimo : des héros de la libération aux collaborateurs d'entreprises

Le parti Frelimo, au pouvoir depuis l'indépendance du Mozambique, est au cœur de la crise démocratique du pays. D'abord salué pour son rôle libérateur, le Frelimo est passé du statut de force révolutionnaire à celui de parti accusé de diriger un système quasi autoritaire. De plus en plus d'éléments suggèrent que le Frelimo a utilisé le Comité national des élections (CNE) pour bloquer la participation de l'opposition aux élections, tirant parti de son contrôle pour s'assurer des victoires électorales régulières. La composition actuelle du CNE, composée de sympathisants du Frelimo, manque de l'indépendance essentielle à la légitimité démocratique. Pour beaucoup, la gestion des résultats des élections récentes par le CNE n'a fait que confirmer qu'il fonctionne comme une extension du parti au pouvoir.

Cette monopolisation va au-delà de l'appareil politique. L'enracinement du Frelimo dans les industries extractives, notamment le gaz, le charbon, les rubis et les terres rares, a transformé le Mozambique en un centre d'extraction international. Les entreprises ont eu accès aux richesses du pays avec le soutien du Frelimo, tandis que les communautés locales souffrent de l'accaparement des terres et de la dégradation de l'environnement. Alors que les richesses quittent le Mozambique, une cabale d'élites et d'investisseurs étrangers continue d'en tirer profit aux dépens de l'autonomie économique du pays. Pendant ce temps, les inégalités de revenus se creusent et la pauvreté persiste, créant un paysage sociopolitique précaire où les griefs de la population s'intensifient.

Fraude électorale et érosion des institutions démocratiques

Les élections de 2024 ont été un véritable point de départ pour le mécontentement populaire. Malgré les arguments convaincants de l'opposition, le CNE a déclaré le candidat du Frelimo, Daniel Chapo, vainqueur avec une majorité écrasante (70 %). Cette annonce a suscité l'indignation nationale, car la population y a vu une nouvelle démonstration de la mainmise du Frelimo sur le processus électoral. Les dirigeants de l'opposition, en particulier Venâncio Mondlane de PODEMOS, ont présenté les preuves de sa victoire au Conseil constitutionnel, une démarche emblématique de la frustration croissante face à la monopolisation de l'espace politique par le Frelimo.

La controverse s'est encore aggravée lorsque la CNE a été incapable de produire les relevés de vote originaux pour examen, invoquant le vol comme motif. Le Conseil constitutionnel a ensuite mis la CNE au défi d'expliquer l'écart entre la participation électorale et le décompte des voix, ce dernier dépassant de manière suspecte le premier. De tels incidents ont alimenté l'impression publique que le système électoral mozambicain est au mieux inefficace et au pire complice de la capture de l'État par une élite dirigeante.

Le mécontentement des jeunes et le rôle de l'influence étrangère

Le rejet généralisé des résultats des élections a placé la jeunesse mozambicaine au premier plan de la résistance. De nombreux jeunes, qui constituent une part importante de la base électorale, n'ont aucune allégeance historique au Frelimo en tant que parti de libération. Pour eux, le Frelimo représente des décennies de promesses non tenues, un chômage croissant et des obstacles au progrès socio-économique. Menés par Venâncio Mondlane, les jeunes protestent activement, descendant dans la rue pour défier ce qu'ils considèrent comme un avenir volé.

Le gouvernement a réagi avec des mesures musclées. La répression policière des manifestations a fait des victimes et des personnalités proches de Mondlane, dont son avocat et un haut conseiller politique, ont été assassinées. Les responsables du Frelimo, invoquant une influence étrangère dans les manifestations, ont tenté de présenter les troubles comme faisant partie d'un complot international visant à déstabiliser le pays et à s'emparer de ses ressources. Cependant, de telles accusations sonnent creux, d'autant plus que le Frelimo lui-même a toujours collaboré avec des sociétés étrangères pour exploiter les ressources du Mozambique.

Le silence du président mozambicain, Filipe Nyusi, n'a fait qu'accroître la tension. Selon certaines informations, Nyusi se serait récemment rendu au Rwanda, pays dont le dirigeant, Paul Kagame, a apporté une aide à la sécurité du Mozambique dans la zone de conflit de Cabo Delgado. Étant donné l'étroite alliance entre Kagame et Nyusi, certains analystes soupçonnent que ce voyage n'était qu'une retraite tactique dans un contexte de craintes d'un éventuel coup d'État. Ces spéculations soulignent la fragilité des institutions mozambicaines et le rôle accru des acteurs étrangers dans le maintien du statu quo.

La nécessité d'un changement systémique

Les défis auxquels le Mozambique est confronté ne peuvent être résolus par des réformes superficielles. L'infrastructure politique du pays a besoin d'une refonte fondamentale. Le manque de transparence des processus électoraux, l'indépendance compromise de la CNE et la nature partisane du système judiciaire mozambicain sont des problèmes critiques qui exigent une action immédiate. De plus, le contrôle exercé par le parti au pouvoir sur la police et l'armée perpétue un système dans lequel le pouvoir est maintenu par la force plutôt que par le consentement.

Au carrefour de la démocratie et de l'autoritarisme

Le Mozambique se trouve à la croisée des chemins. Le Conseil constitutionnel doit maintenant prendre la difficile décision d'annuler l'élection, de déclarer Mondlane vainqueur ou de confirmer la présidence d'El Chapo. Chaque option comporte des risques, mais l'incapacité à répondre aux doléances de la population risque d'aggraver l'instabilité du pays. La résistance menée par les jeunes est le signe d'un rejet d'un système politique qui n'a pas su évoluer en fonction des aspirations de son peuple. Le choix du Mozambique de faire face à ses lacunes démocratiques ou de renforcer davantage ses structures autoritaires déterminera non seulement son avenir, mais aussi sa place au sein d'une communauté internationale qui attache de plus en plus d'importance à la transparence et à la responsabilité.

Au Mozambique, l'appel à la réforme n'est plus seulement une exigence, c'est un impératif. Un véritable renouveau démocratique pourrait permettre au Mozambique de mettre ses riches ressources au service du bien collectif, en allant au-delà de l'héritage de la libération vers un avenir de gouvernance équitable et responsable.

Boaventura Monjane est journaliste et universitaire mozambicain. Chargé de recherche à l'Institut d'études sur la pauvreté, la terre et l'agriculture de l'Université du Cap occidental. Chargé de programme de solidarité pour l'Afrique de l'Ouest et Haïti à Grassroots International .


Source

Traduction automatique de l'anglais

Kanaky-Nouvelle-Calédonie : six mois après les révoltes, le dialogue dégèle peu à peu

19 novembre 2024, par Benjamin König — , ,
Le 13 mai, l'archipel s'embrasait après un énième passage en force du gouvernement. Six mois après, les souffrances demeurent vives, les antagonismes profonds, et les doutes (…)

Le 13 mai, l'archipel s'embrasait après un énième passage en force du gouvernement. Six mois après, les souffrances demeurent vives, les antagonismes profonds, et les doutes sur l'avenir ont remplacé l'espoir né des accords de 1988 et 1998. Sur place, le dialogue reprend timidement.

Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/monde/colonialisme/kanaky-nouvelle-caledonie-six-mois-apres-les-revoltes-le-dialogue-degele-peu-a-peu
Publié le 12 novembre 2024
Benjamin König

Les pyromanes sont restés en France et les pompiers ont débarqué. Six mois après le début des violences qui ont enflammé la Kanaky-Nouvelle-Calédonie dans des proportions inédites depuis les « événements » des années 1980, les présidents des deux chambres parlementaires, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, ont atterri à la Tontouta, l'aéroport du Caillou, pour une mission du 10 au 14 novembre.

Le chantier est immense, les plaies à vif. Treize morts, près de 2 500 gendarmes et policiers déployés et presque autant d'arrestations, des centaines d'entreprises et de bâtiments publics détruits, un chômage et des inégalités béants, près de 2 milliards d'euros de dégâts. Moins visible mais tout aussi important : une société fracturée et un dialogue au point mort.

“Notre mobilisation visait précisément à négocier”

Ce mardi, les deux présidents ont poursuivi leur mission de « concertation » avec « une nouvelle méthode », selon Gérard Larcher, aux antipodes de celle employée par l'État depuis 2021. Allusion claire au passage en force du gouvernement sur le dégel du corps électoral, qui, comme en 1984, a mis le feu aux poudres.

« Notre mobilisation visait précisément à négocier, rappelle le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou. C'est le passage en force du texte qui a tout stoppé. » Quant à la mission des parlementaires, le député s'interroge : « Quel est leur mandat ? De notre côté, nous avons une proposition écrite sur la table. » Celle de la pleine souveraineté, comme le prévoit l'accord de Nouméa de 1998.

Pour les indépendantistes, les leçons à tirer sont nombreuses par rapport au peuple calédonien et à la jeunesse kanak, et vis-à-vis de l'État. Face à celui-ci, le sénateur de Lifou, Robert Xowie, résume ce « sentiment que l'histoire, les vieilles pratiques ou les réflexes colonialistes se répètent inlassablement ».

Quant à l'ampleur des violences survenues dans le Grand Nouméa, elles ont surpris par la détermination des jeunes et leur caractère à la fois identitaire et social. « Ce qui s'est passé est le résultat de l'échec des politiques publiques, de la citoyenneté qui était le cœur du projet de société », estime Emmanuel Tjibaou. Le fameux « destin commun » consacré par l'accord de Nouméa paraît avoir volé en éclats dans certains pans du territoire. Un constat amer établi par le député : « Personne ne prend en compte nos réalités océaniennes. Nous avons une identité et un héritage à partager, mais beaucoup ne le veulent pas. »

À cela s'ajoute une réelle division entre les deux composantes principales du FLNKS, le Parti de libération kanak (Palika) et l'Union calédonienne (UC). « Je suis UC mais je représente toutes les composantes du Front. Si j'ai été élu, c'est parce que tout le monde s'est mobilisé », tempère Emmanuel Tjibaou. En retrait depuis plusieurs mois, le Palika tenait son congrès le week-end dernier, avec des questions majeures : sa stratégie au sein du FLNKS, qui fête cette année ses 40 ans.

Sous la surveillance de l'ONU

La droite ressort elle aussi divisée. Sonia Backès et Nicolas Metzdorf, également député, s'enferment dans une radicalité qui rebute jusque dans leur camp. Dans un communiqué, ceux-ci accusent la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain, organisation indépendantiste créée par l'UC pour contester le dégel du corps électoral) d'avoir fomenté « un coup d'État ».

C'est ce que reproche en creux la justice française aux prisonniers kanak, comme l'indiquent les lourds chefs d'accusation que le procureur de Nouméa, Yves Dupas, a convoqués : complicité de tentative de meurtre, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime. Ce malgré les appels répétés au calme. En premier lieu, de la part de Christian Tein, dirigeant de l'UC et de la CCAT, désormais président du FLNKS depuis sa cellule d'isolement de Mulhouse. « Nous demandons leur libération », martèle Emmanuel Tjibaou, qui déplore : « Nous sommes obligés de répéter les mêmes choses car l'histoire se répète. » Allusion à la longue tradition d'exil forcé des chefs kanak, comme dans l'ensemble des colonies françaises.

Ce nouveau pan d'histoire de l'archipel ne s'écrit pas à huis clos. Le comportement de la France est scruté, notamment par l'ONU, dont quatre experts ont publié un rapport le 20 août. Leur constat est accablant. Le projet de loi constitutionnel est décrit comme une « menace de démanteler les acquis majeurs de l'accord de Nouméa ».

Après un décompte des morts, blessés et arrestations arbitraires, le document prend la forme d'un réquisitoire contre l'État français : « Le manque de retenue dans l'usage de la force contre les manifestants kanak et le traitement exclusivement répressif et judiciaire d'un conflit dont l'objet est la revendication par un peuple autochtone de son droit à l'autodétermination sont non seulement antidémocratiques, mais profondément inquiétants pour l'État de droit. »

Ce mardi, Gérard Larcher a parlé devant le Congrès d'une « souveraineté partagée ». Une première. C'est d'ailleurs le projet porté par l'ensemble du FLNKS, malgré quelques divergences. Quant au corps électoral, la réforme est remisée mais pas enterrée. Ce corps électoral peut être dégelé, mais dans le cadre d'un accord global sur la souveraineté et la citoyenneté, comme l'ont toujours demandé les indépendantistes. Une citoyenneté qui reposerait alors sur un principe universel : le droit du sol.

Problème : les anti-indépendantistes y sont toujours opposés, comme aux principes mêmes de l'accord de Nouméa. En juillet, l'ex-ministre Sonia Backès, toujours présidente de la province Sud, a proposé une partition de la Calédonie : « Au même titre que l'huile et l'eau ne se mélangent pas, je constate que le monde kanak et le monde occidental ont, malgré plus de 170 années de vie commune, des antagonismes encore indépassables. » Des Blancs repliés sur Nouméa, en autarcie et surtout « protégés » des Kanak : le modèle que proposent Backès et la droite anti-indépendantiste, c'est un apartheid.

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L’Ukraine se remet d’une lourde nuit de tirs de roquettes et de missiles

L'Ukraine se remet d'une lourde nuit de tirs de roquettes et de missiles, d'est en ouest. Chaque matinée comme celle-ci n'est pas seulement synonyme de pertes, mais aussi une (…)

L'Ukraine se remet d'une lourde nuit de tirs de roquettes et de missiles, d'est en ouest. Chaque matinée comme celle-ci n'est pas seulement synonyme de pertes, mais aussi une raison de se rendre compte de la résistance du réseau électrique, de la continuité des chemins de fer et du dévouement des sauveteurs

Tiré de Inprecor
18 novembre 2024

Par Vitaliy Dudin

Il va sans dire que notre bien-être commun dépend de ces domaines socialement essentiels, ou plus précisément de leur fourniture adéquate au niveau de l'État.

Il est aussi évident que l'ennemi veut détruire ce qu'on peut appeler des sites d'infrastructures critiques.

On sait déjà que les Russes ont frappé principalement des sites énergétiques, et ont causé la mort de deux employés de l'Ukrzaliznytsia [chemins de fer] et en ont blessé trois

Cependant, il convient de rappeler que les réformes néolibérales imposées d'en haut peuvent porter gravement atteinte au fonctionnement des industries critiques en reléguant au second plan les intérêts de la société. La logique est de commercialiser davantage ces secteurs et de les rendre plus attrayants pour les investisseurs plutôt que, disons, d'améliorer la protection de leurs employés. Le moteur de ces processus n'est pas l'exigence de l'UE, mais plutôt l'influence du lobby des entreprises ou le désir intrinsèque de « libérer » les citoyens des attitudes paternalistes.

D'un point de vue purement humain, ce qui me dérange le plus, c'est l'incapacité du Ministère ukrainien de la politique sociale à garantir le versement des prestations prévues par la loi 2980 pour les familles de personnes tuées dans des infrastructures critiques. Le caractère massif des refus de versement d'allocations par les autorités du Fonds de pension de l'Ukraine pour des raisons purement bureaucratiques a entraîné des déceptions et de nouveaux traumatismes dans la population.

J'ai pu rencontrer les survivants des familles des travailleurs de Kherson qui ont effectué la restauration des lignes électriques détruites et ont été tués en 2023. Malheureusement, l'État a refusé à toutes ces familles les paiements dus en vertu de la loi 2980, car il considère que les cibles des attaques n'étaient pas des infrastructures essentielles. Je ne veux pas que les électriciens ordinaires, les travailleurs de la défense et des chemins de fer deviennent des héros oubliés en cas de tragédie, parce qu'ils ont tout fait pour que notre vie soit la meilleure possible.

Ensemble, nous survivrons à ces défis historiques et défendrons le droit à une vie meilleure en tant que pays. Mais pour cela, l'État doit contribuer par tous les moyens au renforcement des infrastructures critiques, en accordant une attention particulière aux questions sociales : sécurité du travail, versements décents d'assurance, implication des syndicats dans la résolution des problèmes.

Le 17 novembre 2024, traduit par Catherine Samary

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Qualifier des violences entre supporters de pogrom est une insulte à la mémoire des opprimé·es

19 novembre 2024, par Ben Burgis, Djene Rhys Bajalan — , , , ,
Des hooligans israéliens d'extrême droite se sont déchaînés à Amsterdam, vociférant des slogans racistes, faisant l'apologie du génocide en cours à Gaza ou agressant des (…)

Des hooligans israéliens d'extrême droite se sont déchaînés à Amsterdam, vociférant des slogans racistes, faisant l'apologie du génocide en cours à Gaza ou agressant des personnes, suscitant une réaction de la part d'habitants locaux. La confrontation a été violente, et des supporters israéliens qui n'étaient pas impliqués dans les attaques menées par les hooligans du Maccabi Tel-Aviv auraient également été victimes de violences à leur tour.

Tiré du site de la revue Contretemps.

Néanmoins, qualifier de pogrom ce qui s'est passé banalise des horreurs authentiques et relève de l'ignorance historique, comme le montrent dans cet article Djene Rhys Bajalan et Ben Burgis. Une telle interprétation des faits – promue très vite par Netanyahou – a essentiellement pour fonction de victimiser l'État colonial d'Israël et, ce faisant, de légitimer la guerre génocidaire que celui-ci mène contre les Palestinien·nes de Gaza, ainsi que le nettoyage ethnique en Cisjordanie et les bombardements incessants sur des populations civiles au Liban (accompagnés d'une invasion terrestre), mais aussi la répression des mouvements de solidarité avec la Palestine, partout dans le monde occidental.

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La semaine dernière, le journal de Bari Weiss, Free Press, a titré : « Le pogrom de la nuit dernière à Amsterdam ». Deux jours plus tard, Fox News informait ses lecteurs en ligne que le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait « condamné » le « pogrom antisémite d'Amsterdam ».

À présent, une recherche Google avec le seul mot « pogrom » fait apparaître une interminable succession de gros titres sur ce même événement, souvent accompagnés de vidéos de supporters de l'équipe de football Maccabi Tel-Aviv attaqués dans les rues d'Amsterdam.

La logique de ce récit semble assez simple. Ce qui s'est passé après le match entre le Maccabi et l'Ajax d'Amsterdam était (a) une séquence de violences où (b) les victimes étaient juives et (c) les auteurs ne l'étaient pas. Il s'agit donc d'un « pogrom ».

Mais que s'est-il réellement passé à Amsterdam ? À y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'on ne peut strictement en aucune manière parler de « pogrom ».

Ce qu'étaient réellement les pogroms

Le terme « pogrom » évoque de profonds souvenirs de traumatismes juifs, ainsi qu'une histoire de brutalisation aux mains des communautés ethniques dominantes. Pourtant, appliquer ce terme à des événements récents est une grave erreur, qui déforme la véritable signification des pogroms tels qu'ils sont apparus historiquement, en particulier lors de la transition de la civilisation féodale à la civilisation capitaliste.

Les pogroms ne sont pas des actes de violence isolés. Il s'agissait d'agressions calculées pour maintenir les Juifs fermement enfermés dans leur périmètre social. Les pogroms étaient un outil utilisé par la majorité contre une minorité racialisée à qui l'on refusait tous les droits politiques et civils.

Si leur objectif premier était le maintien d'une hiérarchie, des spécialistes des pogroms, comme le professeur Hans Rogger, ont fait valoir qu'ils atteignaient leur paroxysme lorsque l'appareil de l'ordre existant – les systèmes juridiques et institutionnels qui perpétuent la discrimination – commençait à s'affaiblir ou à devenir inopérant. La minorité était alors la cible de la vengeance de la majorité qui estimait qu'elle « se hissait au-dessus de sa condition ». En bref, les pogroms ont servi d'instruments de terreur, renforçant les fondements du régime social existant en période de changement rapide.

Ce modèle de violence calculée ressemble étrangement à d'autres moments de l'histoire où les structures légales d'assujettissement étaient en déclin, comme la violence brutale que les musulmans ottomans ont infligée aux Arméniens – un processus qui s'est déroulé précisément au moment où la base légale de la « dhimmitude » (le statut inférieur des non-musulmans) était en train d'être démantelée. De même, aux États-Unis, le massacre de Tulsa est un pogrom de violence raciale visant les Noirs américains ayant réussi économiquement, et à ce titre, une tentative de consolider la stratification raciale à un moment où de nombreux Blancs craignaient l'érosion de la hiérarchie existante.

Ces exemples illustrent un principe fondamental : les pogroms ne peuvent se produire en dehors du cadre d'une société qui refuse systématiquement des droits à une minorité, en veillant à ce qu'elle reste vulnérable à la violence de la majorité. Ce qui s'est passé à Amsterdam ne ressemble en rien à cette structure. Il ne s'agissait pas d'attaques fondées sur l'oppression religieuse ou raciale. Il s'agissait d'incidents alimentés par la discorde politique entre différents groupes de nationalistes.

Décrire ce qui s'est passé à Amsterdam comme un pogrom ne sert qu'à brouiller les frontières entre l'antisémitisme et l'antisionisme, à obscurcir la nature spécifique (bien que se chevauchant parfois) de chacun et à déformer profondément les réalités matérielles de l'Europe moderne.

Ce qui s'est passé à Amsterdam

Les Juifs de l'Empire russe, où le terme « pogrom » a été inventé, savaient très bien qu'il ne fallait attendre aucune aide de la part des autorités tsaristes. Dans un pogrom classique, ces autorités se tenaient généralement à l'écart et laissaient libre cours à la violence, voire y participaient directement. Et les victimes étaient souvent bien trop effrayées par les conséquences pour elles-mêmes ou pour leur communauté pour essayer de se défendre.

Le plus souvent, les meilleures options étaient de barricader les portes ou de fuir. Si vous aviez beaucoup de chance, vous pouviez fuir jusqu'aux États-Unis, par exemple, où les pogroms n'existaient pas. (À titre personnel, c'est ainsi que la famille de l'un des auteurs de cet article est arrivée ici).

La dynamique de ce qui s'est passé à Amsterdam aurait difficilement pu être moins proche de cette histoire. Comme de nombreuses équipes dans le monde, certains supporters du Maccabi Tel Aviv sont ce que l'on appelle communément des « hooligans ». Comme on le voit couramment dans d'autres pays, cette brutalité comporte un élément politique nationaliste. Lors du match d'Amsterdam, les hooligans semblent s'être dépassés à cette occasion.

Avant que la situation ne s'inverse, certains supporters du Maccabi avaient arraché et brûlé des drapeaux palestiniens, attaqué violemment des chauffeurs de taxi musulmans, et applaudi et scandé pendant une minute de silence lors du match contre l'Ajax pour les victimes d'une inondation en Espagne. Selon le New York Times, la plupart des chants nationalistes de ce groupe au cours de ces événements ont dérapé vers « des slogans incendiaires et racistes, déclarant notamment qu'il n'y avait “plus d'enfants” à Gaza… ».

Par la suite, des supporters israéliens ont été agressés, notamment lors d'attaques avec délit de fuite par des auteurs circulant à bicyclette. Certaines des victimes étaient des supporters de Maccabi qui n'avaient pas participé aux actes d'hooliganisme précédents. En d'autres termes, l'événement s'est déroulé comme une violence footballistique nationaliste classique : les voyous d'un groupe de supporters se livrent à des actes violents, et l'affreuse dynamique intercommunautaire conduit à ce que non seulement les auteurs de ces actes, mais aussi l'ensemble du groupe de supporters (ou même de simples passants dont on suppose à tort qu'ils partagent leurs origines ou leur nationalité) soient attaqués.

S'il s'agissait, par exemple, de hooligans de Manchester City se livrant à des violences à Madrid et que d'innocents supporters de Manchester City (ou peut-être même de simples Anglais) étaient attaqués en retour, personne n'appellerait ça un « pogrom ». On parlerait simplement de violences footballistiques. Il est d'ailleurs frappant de constater que, loin de se comporter comme les autorités tsaristes lors d'un pogrom, la police d'Amsterdam semble avoir réprimé beaucoup plus durement ceux qui ont attaqué les supporters de Maccabi que les hooligans ouvertement racistes de Maccabi qui ont eux-mêmes déclenché la première phase des violences.

Notre propos ici n'est pas de dire que les actions incendiaires (et, dans certains cas, réellement violentes) des hooligans du Maccabi justifient ce qui s'est passé par la suite. Notre point de vue, vraiment très original, sur les événements qui se sont déroulés est que les violences dans le football sont une mauvaise chose.

Mais notre autre point de vue, plus important, est qu'essayer de faire entrer des violences assez classiques entre deux nations dans la catégorie des « pogroms » tient de l'exagération la plus grossière. En outre, l'utilisation de cette désignation pour salir de manière opportuniste le refus mondial contre les atrocités commises par Israël à Gaza en prétendant y voir une manifestation d'antisémitisme classique ne sert qu'à banaliser les horreurs véritables. Toutes celles et ceux qui se soucient réellement de l'antisémitisme devraient rejeter cet amalgame historiquement analphabète.

*

Ben Burgis est chroniqueur au Jacobin, professeur adjoint de philosophie à l'université Rutgers et animateur de l'émission YouTube et du podcast Give Them An Argument. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont le plus récent est Christopher Hitchens : What He Got Right, How He Went Wrong, and Why He Still Matters.

Djene Rhys Bajalan est professeur associé au département d'histoire de l'université de l'État du Missouri. Il est également co-animateur du podcast This Is Revolution.

Article publié initialement sur Jacobin. Traduction : Contretemps

Les émeutes d’Amsterdam et le loup qui criait à l’antisémitisme

19 novembre 2024, par Alex De Jong — , ,
Les supporters israéliens du Maccabi Tel Aviv ont déclenché des violences à Amsterdam, mais l'extrême droite les présente comme des victimes pour réprimer la solidarité avec la (…)

Les supporters israéliens du Maccabi Tel Aviv ont déclenché des violences à Amsterdam, mais l'extrême droite les présente comme des victimes pour réprimer la solidarité avec la Palestine.

Tiré de Inprecor
18 novemre 2024

Par Alex De Jong

La maire libérale d'Amsterdam, Femke Halsema, a déclaréque les affrontementsqui ont suivi le match entre le Maccabi Tel Aviv et l'AFC Ajax à la fin de la semaine dernière étaient le résultat d'un « cocktail toxique d'antisémitisme, de hooliganisme et de colère à propos de la guerre en Palestine et en Israël ». Si cette description n'est pas totalement fausse, elle est assurément trompeuse. C'est ce qui ressort clairement du rapport exécutif du conseil municipal, dans lequel Halsema a écrit la déclaration susmentionnée.

Aujourd'hui, la droite néerlandaise utilise une interprétation déformée de la violence dans la ville et arme l'antisémitisme pour faire avancer son programme raciste et justifier la répression de la solidarité avec la Palestine.

Dès avant le match de jeudi soir, il était clair que les supporters du Maccabi étaient venus à Amsterdam pour se battre. Ils ont traversé la ville en chantant des chants racistes et génocidaires et en harcelant des personnes qu'ils supposaient être musulmanes ou arabes. En outre, Amsterdam étant généralement une ville de gauche avec une importante communauté musulmane, il n'est pas rare de voir des drapeaux palestiniens accrochés aux balcons ou aux fenêtres. Des vidéos ont circulé montrant des supporters du Maccabi en train de les arracher.

La situation s'est encore aggravée lorsque des supporters de l'équipe de Tel Aviv ont agressé un chauffeur de taxi, provoquant la réaction d'un groupe très soudé et rapidement mobilisé.

La tension était telle avant le match que le conseil municipal d'Amsterdam a même envisagé de l'interdire. Ils ont toutefois décidé de ne pas le faire, craignant que les centaines de supporters de Maccabi présents dans la ville ne deviennent encore plus incontrôlables. Au lieu de cela, l'exécutif a essayé de contacter les clubs de football pour qu'ils demandent à leurs supporters de se calmer. Il a également été demandé à l'ambassadeur d'Israël de déclarer que le football et la politique ne devaient pas se mélanger, mais sa réponse n'a pas été rendue publique.

Deux poids, deux mesures

Toute cette situation est le résultat d'une hypocrisie flagrante de la part des autorités néerlandaises en ce qui concerne les souffrances des Palestiniens. À la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les équipes russesont été interdites, mais lorsque des organisations de solidarité avec la Palestine ont demandé l'interdiction des équipes israéliennes, elles ont été ignorées. L'exécutif d'Amsterdam a même prétendu que les supporters du Maccabi, qui avaient envoyé à l'hôpital un homme en Grèce parce qu'il portait un foulard palestinien, n'étaient pas connus pour être dangereux.

Lorsque le match d'Amsterdam a finalement commencé, les supporters du Maccabi ont bruyamment perturbé la minute de silence pour les victimes des inondations en Espagne. Ce n'est peut-être pas une surprise, car le gouvernement espagnol est l'un des États européens les plus critiques à l'égard de la guerre d'Israël.

Après le match, des maisons arborant des drapeaux palestiniens ont de nouveau été assiégées par des groupes de supporters du Maccabi.

La situation s'est aggravée ce soir-là, lorsque des groupes de jeunes locaux se sont battus avec les supporters du Maccabi, les recherchant dans toute la ville. 62 personnes ont été arrêtées, dont dix Israéliens. Après une journéeau cours de laquelle la police s'est abstenue d'intervenir auprès des supporters du Maccabi, les arrestations ont visé de manière disproportionnée la jeunesse locale. Le groupe juif antisioniste Erev Rav a publié une déclaration critiquant les forces de police pour avoir ciblé des jeunes locaux d'origine marocaine alors que « les supporters du Maccabi qui ont lancé des provocations n'ont subi aucune conséquence ».

Erev Rav avait initialement prévu de commémorer le pogrom de 1938 en Allemagne le week-end dernier, mais a annulé sa manifestation. Ils ont expliqué qu'ils ne faisaient pas confiance à la police d'Amsterdam pour protéger les Juifs antisionistes contre les supporters du Maccabi.

Le groupe a également dénoncé l'instrumentalisation de l'identité juive par les supporters de Maccabi.

Opportunisme politique

L'extrême droite néerlandaise a, sans surprise, vu une opportunité dans tout cela. Après le match, Geert Wilders, chef du plus grand parti du parlement néerlandais, a déclaré que ce qui s'était passé était un « pogrom de la pire espèce » et a demandé le licenciement de Halsema. Il a affirmé qu'elle avait soi-disant échoué à protéger les juifs contre la violence antisémite. Il est indéniable que certaines personnes impliquées dans les affrontements ont proféré des insultesantisémites et qu'il a été dit que des personnes « d'apparence juive » ont été sommées de montrer leur passeport, ce qu'il faut absolument condamner, mais parler de pogrom est totalement disproportionné.

En réalité, la droite instrumentalise la question de l'antisémitisme en assimilant tous les juifs à l'État d'Israël – la même tactique souvent utilisée par le gouvernement israélien qui la déploie cyniquement contre ses détracteurs. Wilders sait bien que les déclarations antisémites ne sont malheureusement pas inhabituelles dans le football néerlandais, mais il semble choisir le moment opportun pour les dénoncer. Par exemple, un chant particulièrement infâme, souvent lancé contre l'équipe d'Amsterdam, l'Ajax, appelle au gazage de tous les juifs. Mais comme cette forme d'antisémitisme est le fait de supporters de football majoritairement blancs, la droite néerlandaise, qui consacre son énergie à lier l'antisémitisme à l'islam et aux migrants, s'y est beaucoup moins intéressée.

Wilders n'est pas le seul coupable. De retour d'une visite au dirigeant hongrois d'extrême droite Viktor Orban, le Premier ministre néerlandais Dick Schoof a déclaré que l'antisémitisme résultait d'un « échec de l'intégration » dans la société néerlandaise. Pour lui, le problème, ce sont les migrants, et non la rhétorique raciste et fasciste de l'extrême droite colportée dans toute l'Europe.

Où sont les politicien·nes de gauche ?

Après le match, la situation s'est tendue. Lundi, les gens ont de nouveau affronté la police. Ces affrontements ont eu lieu alors que l'exécutif avait interdit toute manifestation et qu'une manifestation organisée dimanche avait été dispersée. Entre dimanche et mercredi, des dizaines de manifestants ont été arrêtés lors de dispersions musclées de manifestations par la police. Les militants avaient appelé à un rassemblement pour la défense des droits démocratiques et la solidarité avec la Palestine.

Malgré toute cette répression, la gauche parlementaire est restée quasiment absente. Ce n'est pas une surprise. D'importants efforts de solidarité avec la Palestine ont été déployés aux Pays-Bas, qu'il s'agisse de manifestations ou de sit-in, mais les partis de gauche – à l'exception du petit parti radical BIJ1 – n'y ont guère participé. Pire encore, une grande partie du parti travailliste néerlandais est historiquement très pro-israélien.

Le silence de la gauche parlementaire permet à la droite d'attiser le climat de haine contre les migrants, de lier l'antisémitisme à l'islam et de qualifier la solidarité avec la Palestine d'hostilité à l'égard des juifs.

La maire Halsema, membre du parti vert, n'a fait que jeter de l'huile sur le feu en s'obstinant à comparer les événements de ces derniers jours à des pogroms. L'interdiction de manifester à Amsterdam qu‘elle a imposée est aussi clairement une tentative d'éviter de nouvelles critiques de la part de la droite, mais cela n'a fait que légitimer une répression autoritaire de la solidarité avec la Palestine en particulier.

Les conséquences à long terme des récents événements restent à voir, mais la trajectoire générale est claire. Aidée par le silence et l'opportunisme du centre-gauche, l'extrême droite en a été le principal bénéficiaire.

Une panique morale s'est emparée du pays et, une fois de plus, les jeunes musulmans, en particulier ceux d'origine marocaine, ont été déclarés menace existentielle pour la société néerlandaise. Cette fois, c'est à cause de leur supposé antisémitisme inné. Alors que les partis de droite lancent l'idée de les déchoir de la nationalité néerlandaise (du moins pour ceux qui possèdent une double nationalité), à titre de mesure punitive, le hooliganisme des supporters de Maccabi et leur glorification du génocide israélien ont été relégués à l'arrière-plan.

Dans les semaines et les mois à venir, les tentatives de criminaliser la solidarité avec la Palestine vont probablement se multiplier, et soutenir la libération de la Palestine sera de plus en plus assimilé à de l'antisémitisme. Le mois dernier déjà, un porte-parole de l'organisation de solidarité avec la Palestine Samidoun a été banni du pays et le cabinet néerlandais a demandé l'interdiction totale de l'organisation.

La seule façon de résister aux politiques autoritaires et au racisme de la droite est que la gauche et les militants de la solidarité se serrent les coudes, racontent toute l'histoire de ce qui s'est passé à Amsterdam et défendent le droit de s'organiser et de s'exprimer en solidarité avec la Palestine.

Publié le 14 novembre 2024 par New Arab.

Alex de Jong est codirecteur de l'Institut international pour la recherche et l'éducation (IIRE) à Amsterdam, aux Pays-Bas, et rédacteur en chef du site web socialiste néerlandais Grenzeloos.org.

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Russie. Répression des militants de la gauche russe

19 novembre 2024, par Ivan Petrov — , ,
Le 5 juin, le collège militaire de la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté l'appel de Boris Kagarlitsky, laissant cet éminent sociologue derrière les barreaux pour (…)

Le 5 juin, le collège militaire de la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté l'appel de Boris Kagarlitsky, laissant cet éminent sociologue derrière les barreaux pour les cinq prochaines années. Une fois de plus cet événement a attiré l'attention du monde sur la persécution des prisonniers politiques en Russie.

Tiré de A l'Encontre
16 novembre 2024

Par Ivan Petrov, Membres du Cercle marxiste d'Oufa.

La campagne en faveur de la défense de Boris Kagarlitsky n'a pas faibli, mais a au contraire pris de l'ampleur. Son cas n'est cependant que la partie émergée de l'iceberg du système répressif de notre pays, qui fait encore d'autres victimes.

Si Boris Kagarlitsky est un visage connu dont le sort est fort connu, de nombreux condamnés ou mis en examen dans des affaires pénales politiques ou semi-politiques sont inconnus non seulement du grand public, mais parfois aussi des militants de la société civile.

A la fin de l'année dernière, après avoir été libéré pendant deux mois d'un centre de détention provisoire dans la ville septentrionale de Syktyvkar, Boris Kagarlitsky lui-même était déterminé à lutter pour la liberté des prisonniers politiques et à surmonter le blocus de l'information autour de leur persécution. Début avril, alors qu'il se trouvait déjà dans un centre de détention provisoire de la ville de Zelenograd, dans la région de Moscou, il a écrit une lettre ouverte aux militants de gauche :

« L'unité et la maturité politiques s'acquièrent par l'activité politique. Et dans les conditions actuelles, où l'action politique et l'auto-organisation sont extrêmement difficiles dans notre pays, aider des personnes partageant les mêmes idées qui se trouvent en prison devient non seulement une activité humaniste, mais aussi un geste politique important, une pratique de solidarité. Aujourd'hui, alors qu'une telle initiative a enfin reçu une mise en œuvre pratique, elle doit être soutenue, nous pouvons et devons nous rassembler autour d'elle. Après tout, le premier pas sera suivi d'autres pas. Pour que se dessine l'avenir, nous devons travailler dès maintenant. »

Qui est persécuté ?

Selon les milieux proches d'Amnesty International, il y a actuellement plus de 900 prisonniers politiques en Russie. Le nombre réel de peines infligées aux militants persécutés est bien plus élevé. Ces chiffres n'incluent pas les personnes réellement emprisonnées pour des raisons politiques, mais formellement pour des affaires criminelles forgées de toutes pièces.

La fabrication d'affaires criminelles est l'une des méthodes préférées pour traiter les dirigeants syndicaux. Quiconque s'oppose activement à l'ordre et au gouvernement actuels peut aller en prison, et de plus en plus de militants de gauche en font partie.

Au début du XXe siècle, selon Vladimir Lénine, les métallurgistes constituaient l'unité la plus avancée de la classe ouvrière en Russie. Aujourd'hui, de nombreux sociologues et hommes politiques considèrent les salarié·e·s du secteur de la santé comme les plus organisés et les plus aptes à défendre leurs intérêts.

En vertu de leur profession, ils protègent non seulement leurs propres intérêts économiques, mais aussi les vestiges du système de santé publique (gratuit pour la population) qui a survécu aux réformes néolibérales des dernières décennies. Objectivement, les salariés de la santé protègent donc les intérêts de tous les habitants de la Russie.

En 2012, le syndicat « Action » des travailleurs de la santé a été créé. C'est l'un des syndicats indépendants les plus militants et les plus efficaces de notre pays. Présent dans 57 régions, il fait désormais partie de la Confédération du travail de Russie (CLR), la deuxième plus grande organisation syndicale de Russie.

Le syndicat Action regroupe les travailleurs des cliniques publiques, mais aussi des cliniques privées, dont les propriétaires n'apprécient guère les syndicats. En outre, il n'y a pas de place pour une désunion au niveau des unités de soins dans le système de santé. L'activité rassemble sur un pied d'égalité les médecins, le personnel paramédical, les infirmières, les aides-soignants et les étudiants des instituts et collèges médicaux.

Elle inclut également des représentants d'autres professions travaillant dans des organisations médicales, par exemple les ambulanciers.

Alexander Kupriyanov lors de son procès.

L'affaire Alexander Kupriyanov

Parmi les militants syndicaux, on trouve traditionnellement une forte proportion de personnes ayant des opinions de gauche. C'est le cas d'Alexander Kupriyanov, psychothérapeute de la ville de Bryansk, également connu sous le nom de Docteur Pravda (Vérité) grâce à sa chaîne YouTube du même nom.

Au milieu des années 2000, il a tenté de créer un syndicat indépendant sur son lieu de travail et, après l'apparition d'Action, il l'a rejoint. Alexander Kupriyanov est ensuite passé à la lutte politique, organisant des actions de rue, participant aux activités du Parti communiste de la Fédération de Russie (CPRF), se présentant à des organes élus à différents niveaux.

Dans la région de Briansk, Alexander Kupriyanov a organisé des rassemblements et des piquets de grève, tant sur des questions de santé (torture dans la clinique psychoneurologique de Trubchevsky, décès d'enfants dans le centre périnatal de Briansk, conditions de travail du personnel de la santé) que sur d'autres sujets, comme le déplacement forcé d'un vétéran de la Seconde Guerre mondiale d'un logement soi-disant « délabré » du centre de la ville vers la périphérie.

Les autorités régionales en colère n'ont pas pu tolérer cela longtemps. En 2018, Kupriyanov a été arrêté pour « fraude ». Selon les documents de l'affaire, il aurait été impliqué dans des opérations de prêts à des patients pour des traitements dans le système interrégional de cliniques « Med-Life », où il travaillait auparavant. Au total, 22 personnes sont impliquées dans cette affaire.

Alexander Kupriyanov n'avait aucun lien avec les propriétaires, l'administration ou le service comptable de la clinique, qui sollicitaient en fait les patients pour qu'ils contractent des prêts. En tant que médecin-chef du centre, il ne s'occupait que de médecine. Les autorités ont décidé d'utiliser une véritable affaire de fraude pour se débarrasser de leur adversaire. (Il est caractéristique que de véritables enquêtes aient été menées dans les cliniques « Med-Life » d'autres villes, mais pas dans celle de Briansk où travaillait Alexander Kupriyanov.)

Alexander Kupriyanov a passé un an dans le centre de détention provisoire – la période maximale de détention provisoire en vertu d'un article du code pénal – et, faute de preuves, il a été libéré. Toutefois, l'affaire pénale n'a pas été classée. Après sa sortie de prison, Kupriyanov s'est séparé du Parti communiste opportuniste de la Fédération de Russie sur des questions fondamentales et a été exclu du parti pour avoir critiqué ses politiques de compromis.

Il a rejoint le Comité d'action pour la solidarité (SAC), où il a commencé à soutenir les militants de gauche, les travailleurs et les syndicalistes emprisonnés. Alexander Kupriyanov devient l'un des fondateurs du Conseil public des citoyens de la ville et de la région de Briansk, et commence ensuite à collaborer avec le journal d'enquête Pour la vérité et la justice.

Le 15 août 2023, le journal et le Conseil public ont organisé une table ronde des citoyens de Briansk contre la corruption. Dès le 16 août, Kupriyanov, l'un des organisateurs de la table ronde, a été convoqué au service d'enquête de la police de Cheboksary, la capitale de la République de Tchouvachie. L'affaire pénale encore en cours a été reclassée dans la catégorie plus grave d'« organisation d'une communauté criminelle ».

Alexander Kupriyanov vit désormais chez lui à Briansk, mais il fait toujours l'objet d'une enquête. Conformément à la mesure administrative (interdiction de certaines actions), il lui est interdit, en tant qu'accusé, d'envoyer et de recevoir des envois postaux et des messages, d'utiliser l'internet et d'autres moyens de communication. Il doit prendre connaissance des pièces du dossier (560 volumes), ce qui implique de longs voyages dans la ville de Cheboksary, située à plus de 1000 km de Briansk.

Le dernier épisode majeur de l'affaire Kupriyanov s'est produit dans la seconde moitié du mois de février 2024. Le 21 février, il a été arrêté en pleine rue à Briansk et emmené à Cheboksary. Le lendemain, une audience du tribunal de district s'est tenue dans cette ville pour transformer la mesure administrative en détention. La requête des enquêteurs se fondait sur le fait que, pendant qu'il était libre, Alexander Kupriyanov avait continué à utiliser Internet.

Grâce au travail consciencieux de l'avocat L. Karama, à la position de principe du juge E. Egorov et à une campagne publique de défense, les requêtes des enquêteurs ont été rejetées par le tribunal, et la mesure administrative pour Alexander Kupriyanov est restée inchangée. Mais le danger qui pèse sur Kupriyanov demeure. Il doit encore prouver son innocence lors du procès.

Anton Orlov emprisonné

Un autre exemple de répression contre des syndicalistes est le cas d'Anton Orlov, coordinateur du syndicat Action dans la République du Bashkortostan. Membre du Parti communiste de la Fédération de Russie et d'une petite organisation interrégionale, l'Union des marxistes, Orlov est actuellement emprisonné pour des accusations de fraude à grande échelle.

Anton n'est pas médecin de formation mais a rejoint les équipes médicales au début de la pandémie de Covid-19, alors que le personnel médical de la République travaillait jusqu'à la limite de ses capacités physiques, souvent sans salaire supplémentaire. Voyant cette injustice, Orlov, jeune communiste, a rejoint le syndicat « Action » et est rapidement devenu son coordinateur à l'échelle de la république sur une base volontaire et non salariée.

Au cours des deux années (2020-2022) pendant lesquelles Orlov a travaillé au sein du syndicat, le nombre de membres de l'organisation dans le Bashkortostan (Bachkirie) a été multiplié par quatre ; les salaires des ambulanciers ont été augmentés ; le double salaire le week-end a été établi, et les employées enceintes ont été libérées du travail tout en conservant en moyenne leur salaire.

La campagne syndicale la plus réussie a été la « grève italienne » (grève du zèle) de février 2022 à Ichimbaï (république de Bashkortostan), au cours de laquelle les médecins ambulanciers ont réclamé le paiement de leur travail en équipes incomplètes.

La grève a entraîné l'intervention de l'inspection du travail et du bureau du procureur, ainsi que la démission du médecin-chef de l'hôpital de district, ce qui a suscité un écho important dans la presse et à la télévision. Les revendications fondamentales des grévistes ont été satisfaites.

L'accusation contre Anton Orlov a été portée au milieu de la grève d'Ichimbaï, ce qui indique clairement le contexte politique de l'« affaire » montée de toutes pièces, dans laquelle il était considéré comme un témoin, concernant deux épisodes de fournitures de carburant qui n'ont pas été livrées par les sociétés Nefte-Service et Hermes après que les paiements eurent été effectués.

Orlov avait travaillé comme directeur commercial de Nefte-Service SARL, mais n'avait pas accès aux comptes de la société. Les relations entre deux organisations commerciales devraient être réglées par un tribunal d'arbitrage, mais le bureau du procureur de la République, sans preuve factuelle, a vu dans cette histoire le vol de 11 millions de roubles.

Les représentants des structures syndicales, dont l'un, Boris Kravchenko, président de la Confédération du travail de Russie (CLR), est membre du présidium du Conseil pour les droits de l'homme et le développement de la société civile actuellement (donc sous la présidence de Poutine), n'ont pas été autorisés à comparaître au procès en tant que témoins de la défense.

Le 23 septembre 2022, Anton Orlov a été condamné à six ans et demi de colonie à régime général et à une amende de 250 000 roubles. Il est curieux que d'autres accusés dans l'affaire ayant témoigné contre lui – alors que leur culpabilité avait été prouvée – aient été condamnés à des peines plus courtes. En février 2023, la cour d'appel a – sous forme de dérision – réduit la peine d'emprisonnement de trois mois.

Cela n'a pas suffi aux autorités, et après la faillite officielle de Nefte-Service SARL et le paiement des dettes aux personnes lésées, une autre affaire pénale a été ouverte contre Anton Orlov au titre de l'article « fraude commise par un groupe organisé à une échelle particulièrement importante ».

Grâce aux efforts de l'avocate Larisa Isaeva, la deuxième affaire a été renvoyée à plusieurs reprises pour complément d'enquête en raison de nombreuses violations de procédure. Finalement, le 26 juin, un nouveau procès s'est ouvert. Anton Orlov s'est à nouveau retrouvé sur le banc des accusés, en tant que seul membre accusé d'un supposé « groupe organisé ».

Le culte de l'« Etat fort »

Parmi les prisonniers politiques de gauche, on trouve encore plus d'hommes politiques que de militants syndicaux. Par exemple, le simple fait de participer à une action de rue non autorisée par les autorités peut facilement conduire en prison.

Dans la Russie de Poutine, qui voue un culte à un « Etat fort » et à une « main ferme », non seulement chaque branche de l'armée, mais aussi chaque service de répression s'est vu attribuer sa propre fête professionnelle, que l'ensemble du peuple russe a reçu l'ordre de célébrer. Le 20 décembre est un jour férié pour l'omniprésent Service fédéral de sécurité (FSB).

Le 20 décembre 2021, les membres de l'association de jeunesse de gauche radicale « Left Bloc » ont célébré cette journée à leur manière. Ils ont décidé de féliciter la gendarmerie sous une forme comique : ils ont déployé une banderole à l'entrée de la direction du FSB pour le district administratif du sud-ouest de Moscou et ont allumé des bombes fumigènes, ce que les forces de sécurité redoutent particulièrement dans les rues des grandes villes.

Les agents de la sécurité d'Etat n'ont pas apprécié ces remerciements, et il n'a pas été difficile d'identifier ceux qui les félicitaient, car une vidéo de l'action a été publiée sur la chaîne du Left Bloc. Quelques jours plus tard, les auteurs des félicitations ont commencé à être arrêtés et une procédure pénale a été ouverte contre deux d'entre eux, l'anarchiste Lev Skoryakin et le communiste Ruslan Abasov.

Dans le cadre de l'enquête, la plaisanterie innocente des jeunes gens a été interprétée comme suit : un groupe de personnes, par conspiration préalable, a commis un attentat contre une institution gouvernementale en utilisant des armes, et de plus motivé par la haine politique, ce qui est considéré comme une circonstance aggravante.

Sur la base du témoignage d'un mineur intimidé ayant participé à l'action et de preuves fabriquées de toutes pièces, Lev Skoryakin et Ruslan Abasov ont été envoyés dans un centre de détention provisoire, où ils ont passé neuf mois. Le tribunal a ensuite remplacé la mesure de détention par une « interdiction de certaines actions ».

Après leur sortie de prison, les accusés se sont empressés de se cacher, violant ainsi l'ordre de ne pas quitter la région d'enregistrement permanent. Ruslan Abasov s'est rendu en Bosnie, puis en Croatie, où il vit actuellement. Lev Skoryakin, dont le passeport a été confisqué lors de la perquisition, s'est rendu dans la capitale du Kirghizstan, Bishkek, où un passeport étranger n'était pas exigé, et a entrepris des démarches pour obtenir un visa pour l'Allemagne.

A Bichkek, Lev Skoryakin a été arrêté à plusieurs reprises par les forces de sécurité kirghizes. Il a passé plus de trois mois en prison, dans l'attente de son extradition vers la Russie. Le bureau du procureur général du Kirghizstan a ensuite refusé la demande d'extradition de la partie russe ; en septembre 2023, Lev Skoryakin a été libéré.

Cependant, il n'a pas eu à se réjouir longtemps : dès le mois d'octobre, il a été de nouveau arrêté et, cette fois, remis à la partie russe. Lev Skoryakin a été transporté à Moscou, menottes aux poignets. A son arrivée à l'aéroport Domodedovo de la capitale, il a été battu et torturé.

Au cours des nombreuses heures d'interrogatoire, les agents du FSB ont tenté de lui soutirer des informations sur les organisations de gauche en Russie et sur les structures de défense des droits de l'homme qui aident les militants politiques à échapper aux persécutions. Cependant, les interrogateurs n'ont jamais obtenu les informations dont ils avaient besoin et Lev Skoryakin, épuisé, a été emmené dans un centre de détention provisoire.

Pendant plusieurs semaines, le Left Bloc et des militants des droits de l'homme ont cherché Lev Skoryakin et l'ont finalement retrouvé par l'intermédiaire d'un avocat.

En décembre, un procès s'est tenu au cours duquel le procureur a requis une peine de cinq ans et demi de prison pour l'accusé. Le 13 décembre 2023, il a été reconnu coupable au titre de l'article « hooliganisme impliquant des violences contre des fonctionnaires » et condamné à une amende de 500 000 roubles, dont il a été dispensé en raison de son long séjour en prison.

Craignant que le ministère public ne fasse appel de cette sentence relativement clémente, Lev Skoryakin s'empresse de se rendre dans la capitale arménienne Erevan et, en mars 2024, il s'installe en Allemagne avec un visa humanitaire.

Infraction pénale : « étudier le marxisme »

Dans la Russie moderne, il est tout à fait possible de devenir un criminel sans participer à des manifestations de rue ou allumer des bombes fumigènes, mais simplement en lisant et en discutant des classiques du marxisme. Et là, même les mandats des autorités régionales ne nous protègent pas.

A Oufa, la capitale de la République du Bachkortostan, il y avait un cercle marxiste, auquel beaucoup ont participé au cours de la dernière décennie. Le créateur de ce cercle, Alexey Dmitriev, est un jeune intellectuel et, soit dit en passant, un médecin (pédiatre-otolaryngologiste), une personne aux intérêts incroyablement vastes, allant des mathématiques aux sciences politiques.

Dmitry Chuvilin, député de l'opposition au Kurultai (Parlement du Bashkortostan) jusqu'en mars 2022, n'est pas en reste dans le cercle. Le cercle s'est donné pour mission d'éduquer les gens. La priorité a été donnée à l'étude de la philosophie, en particulier de la logique et de la pensée critique.

Pendant la saison chaude, le cercle a organisé des réunions dans la nature, avec des membres de l'Union des marxistes, du Front de gauche et d'autres organisations de gauche de différentes régions de Russie. Outre l'éducation et les discussions scientifiques, de nombreux membres du cercle ont travaillé dans des syndicats, participé à des élections à différents niveaux, écrit des articles, tenu des blogs et essayé de coopérer avec les médias.

Le lien naissant entre la théorie et la pratique, l'éthique de l'auto-organisation des travailleurs, la popularité relativement large (pour une activité non officielle) et les tentatives de création d'une structure interrégionale distinguaient le cercle d'Oufa de beaucoup d'autres.

L'Etat a considéré ce cercle comme une menace, en particulier avec le début de la guerre contre l'Ukraine, appelée pudiquement « opération militaire spéciale ». Un mois après le début des hostilités, tôt dans la matinée du 25 mars 2022, des agents du FSB ont fait irruption au domicile de 15 membres du cercle marxiste.

Plusieurs d'entre eux ont été battus lors de leur arrestation. Les perquisitions dans les appartements ont été menées avec une ardeur particulière, tout a été mis sens dessus dessous à la recherche d'éléments matériels nécessaire pour porter des accusations au titre du stupéfiant article sur le « terrorisme ».

Les agents du FSB ont confisqué tous les médias, le matériel de camping, la littérature philosophique, politique et historique de la gauche, qui apparaît dans les documents de l'affaire comme « extrémiste ». Les agents étaient particulièrement intrigués par le matériel de camping : talkies-walkies comme moyen de communication, outils de terrassement pour creuser autour des tentes, vêtements de camouflage pour touristes, dont un pour un garçon de 10 ans, et même des jumelles pour enfants.

Par la suite, ces objets ont commencé à figurer dans les pièces du dossier parmi les preuves des activités criminelles du cercle. Au cours de la perquisition, deux grenades ont été trouvées sur l'un des marxistes – il les aurait cachées dans le poêle à bois, qui était allumé tous les jours !

Ce jour-là, 14 personnes ont été arrêtées et emmenées dans les services de police du district. Cinq membres du cercle ont été placés en garde à vue, les autres ont été entendus comme témoins et relâchés. Le docteur Alexey Dmitriev, l'ancien député Dmitry Tchouviline, l'entrepreneur Pavel Matisov, le travailleur « aux petits boulots » Rinat Burkeev et le retraité Yuri Efimov sont en détention provisoire depuis plus de deux ans.

Dmitry Tchouviline étant un parlementaire, la décision d'engager une procédure a été prise personnellement par le chef du comité d'enquête russe pour le Bashkortostan, Denis Chernyatyev. Immédiatement après l'annonce de la décision du tribunal sur l'arrestation, Tchouviline a déclaré la nature politique de leur persécution et a entamé une grève de la faim.

Bien que membre de la faction parlementaire Kurultai du Parti communiste de la Fédération de Russie, le parti n'a pas soutenu Tchouviline, émettant la formule philistine habituelle : « Nous ne connaissons pas tous les faits. Nous ne sommes pas complètement sûrs de son innocence. »

Les principaux points de l'acte d'accusation sont la préparation d'une prise de pouvoir violente, la création d'une communauté terroriste, l'appel à des activités terroristes, la justification publique du terrorisme et de sa propagande sur Internet, et la préparation du vol d'armes. Il est curieux que l'acte d'accusation reproche aux prévenus d'avoir lu les œuvres de Karl Marx, Friedrich Engels et Vladimir Lénine, qui n'ont pas encore disparu des rayons de presque toutes les bibliothèques russes !

En outre, l'étude des articles du célèbre professeur soviétique Anton Makarenko [pédagogue] et l'interprétation de chansons tirées des films soviétiques les plus populaires sur la guerre civile apparaissent également comme des preuves des activités criminelles du cercle. Il ressort de tout cela que les accusés préparaient une attaque contre des agents des forces de l'ordre et des unités militaires, la saisie d'armes, la commission d'actes terroristes et même la prise du pouvoir.

C'est drôle ? Dans une affaire aussi sacrée que la persécution des dissidents, le gouvernement russe n'a pas peur de paraître cocasse, car il est confiant dans son impunité, ainsi que dans l'indifférence passive de la population, qui aurait perdu le sens de l'humour.

La principale « preuve » de l'accusation est constituée par les deux grenades ! Dans le même temps, l'affaire contient une requête sans réponse de l'accusé Pavel Matisov pour mener une enquête sur l'origine des grenades et sur la manière dont elles se sont retrouvées dans son poêle à bois.

L'informateur, le procès, la guerre

L'acte d'accusation repose entièrement sur le témoignage d'un informateur, Sergei Sapozhnikov, qui a rejoint le cercle au printemps 2020.

En 2014-2015, Sapozhnikov a combattu dans la milice de la République populaire autoproclamée de Donetsk en tant que commandant d'escouade. Fin 2017, l'Ukraine l'a inscrit sur la liste internationale des personnes recherchées dans le cadre d'une affaire criminelle initiée en juillet 2014 à Dniepropetrovsk. Le service de sécurité de l'Ukraine a accusé Sergei Sapozhnikov de vol avec blessures ayant entraîné la mort.

Sapozhnikov a été arrêté à Oufa en novembre 2017 et envoyé dans un centre de détention provisoire, d'où il a été libéré en avril 2018. La raison pour laquelle il a été libéré reste un mystère. Après le début de l'enquête, les membres du cercle d'Oufa ont commencé à soupçonner que Sapozhnikov avait été recruté par le FSB et, en 2020, spécialement infiltré dans l'organisation en tant que provocateur.

La pression exercée par l'enquête sur les membres restants du cercle visait à neutraliser ceux qui pouvaient résister à la version officielle de l'accusation. Mais l'un des membres du cercle était en vacances en Turquie en mars 2022. Après avoir appris, selon des informations venant d'Oufa, la perquisition de son domicile et l'arrestation de ses camarades, lui et sa famille ont été contraints de prendre la difficile décision d'émigrer.

Installé aux Etats-Unis, il écrit plusieurs articles pour révéler l'affaire de l'intérieur, dans lesquels il donne une version alternative de ce qui se passe et dénonce le provocateur.

Le 30 janvier 2024, les audiences de la soi-disant « affaire du cercle marxiste d'Oufa » ont commencé au tribunal militaire du district central d'Ekaterinbourg. Dès la première audience, l'un des accusés, Yuri Efimov, a déclaré que l'accusation était fabriquée et que le témoin principal était un provocateur.

Il est évident que l'examen d'un dossier de 30 volumes prendra beaucoup de temps. Seules quelques séances ont eu lieu pendant six mois. Il semble que même le tribunal soit embarrassé par l'absurdité de la situation et ne sache pas encore comment se comporter.

Dans les premiers jours de l'agression impérialiste de la Russie en Ukraine, lorsqu'il est devenu évident qu'une « guerre éclair » ne fonctionnerait pas et qu'une guerre prolongée provoquerait tôt ou tard le mécontentement des travailleurs, la Douma d'Etat, obéissant à Vladimir Poutine, s'est empressée d'adopter des ajouts au code pénal et au code des infractions administratives de la Fédération de Russie.

L'innovation la plus célèbre a été l'article dit « sur le discrédit de l'armée russe », en vertu duquel plusieurs milliers de personnes ont été condamnées dans des affaires administratives (code administratif de la Fédération de Russie 20.3.3) et plusieurs dizaines pour des violations répétées dans des affaires pénales (code pénal de la Fédération de Russie 280.3 – jusqu'à trois ans d'emprisonnement).

En fait, toute personne qui exprime activement son refus d'une « opération militaire spéciale » peut être inculpée en vertu de cet article. Et ce n'est pas toujours nécessaire !

Daria Kozyreva.

Une jeune héroïne

Dans la nuit du 24 février 2024, à l'occasion du deuxième anniversaire du début de l'agression, la très jeune communiste Daria Kozyreva a été arrêtée à Saint-Pétersbourg pour avoir collé sur le monument au grand poète ukrainien Taras Chevtchenko un morceau de papier contenant des vers en ukrainien tirés de son poème « Testament » :

Oh, enterrez-moi, puis levez-vous
Et brisez vos lourdes chaînes
Et arrosez du sang des tyrans
La liberté que vous avez gagnée.

Daria s'est imprégnée des idées communistes dès l'adolescence ; elle a lu Le Capital à l'âge de 12 ans. Avant son arrestation, elle a participé aux activités de deux organisations de gauche et des cercles qui leur étaient associés. En grandissant, Daria passe du stalinisme-hodjaïsme [référence à Enver Hoxha ou Hodja, premier secrétaire du Parti du travail d'Albanie de 1941 à 1985] à un authentique léninisme.

Dès le début de l'« opération spéciale », Daria Kozyreva, estimant qu'il s'agissait d'une guerre impérialiste, ne s'est pas contentée de condamner systématiquement ce qui se passait, elle est passée à l'action. En janvier de cette année, elle a été exclue de l'université d'Etat de Saint-Pétersbourg pour avoir publié sur les réseaux sociaux un message contre les nouveaux articles du code pénal, dans lequel Daria ridiculisait les prétentions russes à « dénazifier l'Ukraine ».

Avant même d'atteindre l'âge adulte, à 18 ans, elle a attiré l'attention des forces de l'ordre en raison d'une inscription anti-guerre sur la place du Palais à Saint-Pétersbourg. Elle et son ami ont reçu le premier avertissement pour avoir discrédité l'armée en août 2022, pour avoir arraché une affiche dans le parc Patriot, appelant au service dans l'armée active sous un contrat.

Une infraction de ce genre implique une procédure pénale, et Daria a été incarcérée dans un centre de détention provisoire pour le tract sur le monument.

Daria Kozyreva, 18 ans, considère les répressions la visant comme la preuve d'un devoir accompli, comme la reconnaissance par ses ennemis de l'importance de son combat. Elle se caractérise par un principe de sacrifice dans les meilleures traditions du mouvement révolutionnaire russe. C'est ce qui permet à cette jeune femme résistante de supporter les épreuves de l'emprisonnement.

Les camarades qui correspondent avec elle et qui l'ont vue lors des procès notent que Daria est de bonne humeur et déterminée à se battre jusqu'au bout. Sur toutes les photos de la salle d'audience, Daria affiche un large sourire. Dans une lettre ouverte au journal d'opposition Novaïa Gazeta, qui n'a été publiée que sous forme électronique pendant plus de deux ans [depuis septembre 2022, la publication est interdite et la rédaction ne peut plus exercer en Russie, des rédactrices et des rédacteurs ont été assassinés], elle écrit :

« Le 25 au soir, j'ai appris l'existence de l'affaire criminelle – et j'étais dans une sorte de joie désespérée. J'ai souri et plaisanté pendant la fouille, et j'ai continué à sourire lorsqu'ils m'ont emmenée au centre de détention temporaire. Et là, dans la nuit du 25 au 26, j'ai réalisé : ça y est, ma conscience va se calmer. Elle m'a tourmenté pendant deux foutues années. J'avais l'impression de ne pas en faire assez ; et même si j'avais des actions anti-guerre à mon actif, ma conscience me disait : si tu restes libre, c'est que tu n'en as pas fait assez.

Parfois, je ne comprenais pas quel droit j'avais de marcher librement, alors que des Russes courageux et honnêtes étaient enfermés en prison. J'ai compris que si le « régime Poutine » durait plus longtemps, je risquais fort de me retrouver en prison. En fait, ce qui devait arriver arriva. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils décident de me faire passer pour Taras Chevtchenko – oh mon Dieu, c'est absurde ! Eh bien, tant mieux ! Chevtchenko est mon poète préféré et c'est un plaisir particulier de souffrir pour lui.

Je n'ai pas peur d'être condamnée. S'il le fallait, je donnerais ma vie pour mes convictions, mais ici ils ne m'emprisonneront que pour quelques années. J'accepte volontiers cette coupe amère et je la bois jusqu'à la lie avec fierté. »

Un régime qui a peur de la solidarité

Le sort de plusieurs militant·e·s de gauche dont nous avons parlé ici – différents par leurs opinions, leur type d'activité et leur tempérament – indique clairement que dans la Russie d'aujourd'hui, les efforts de l'Etat en tant qu'appareil répressif de la classe dirigeante visent à éliminer, à déraciner toute résistance au régime établi, à éliminer toute alternative, aussi inoffensive qu'elle puisse paraître à première vue, à régler des comptes avec ceux qui pensent et vivent « différemment des nôtres ».

Le régime voit, à juste titre, une menace dans toute manifestation de liberté et de dissidence. Par conséquent, ce n'est pas seulement la gauche radicale qui est menacée, mais toute personne qui élève la voix contre l'ordre établi, pour défendre les opprimé·e·s.

Les procédures démocratiques telles que les élections sont depuis longtemps devenues une fiction, et cela n'est caché à personne. Un citoyen actif, à la pensée contestataire, ne peut pas compter sur la possibilité d'agir dans le champ politique légal. Mais cela ne suffit pas.

Il ne suffit pas que l'Etat chasse dans le « ghetto » tous les opposants cohérents et énergiques. Il faut qu'ils ne représentent même pas une menace potentielle.

Il y a encore suffisamment de place dans les prisons et les colonies pénitentiaires. Et cet Etat trouvera toujours une loi appropriée pour y envoyer tous ceux qu'il n'aime pas – et si soudain il n'y a plus assez de lois, il en adoptera de nouvelles. Qu'est-ce que cela coûte, avec un tel parlement !

A mesure que les politiques répressives des autorités s'intensifient, l'opposition de la gauche et des forces démocratiques s'accroît. Outre les campagnes visant à protéger certains prisonniers politiques, des structures apparaissent pour unir les efforts et formaliser politiquement la lutte pour la libération de ceux et celles qui ont souffert pour la liberté, pour les idéaux d'égalité et de justice sociale.

L'une de ces structures est le Comité d'action solidaire. Cette organisation existait déjà dans la seconde moitié des années 2000, lorsqu'elle cherchait à coordonner l'activité des syndicats, des comités de grève et des organisations de gauche, en établissant un échange d'informations et une assistance mutuelle entre eux, et contribuait à l'élaboration d'une position commune.

En moins de cinq ans d'existence, le comité a mené des dizaines d'actions et de campagnes de solidarité, dont les plus importantes ont été une grève de 28 jours à l'usine Ford de Vsevolozhsk et une « grève du zèle » de deux mois dans le port de Saint-Pétersbourg. A l'époque, la lutte des classes avait pris de l'ampleur, faiblement certes, mais, selon les critères de la Russie post-soviétique, elle méritait toute l'attention qu'elle exigeait.

Aujourd'hui, malheureusement, les réalités ont changé : le mouvement ouvrier est dans l'impasse et le problème de la persécution politique est revenu sur le devant de la scène.

La commission a repris ses travaux au printemps 2022, avec l'éclatement de la guerre et l'atteinte aux droits sociaux et politiques des populations. Sans refuser par principe de travailler avec les centres d'auto-organisation des travailleurs, le nouveau CAS, dans ses activités pratiques, s'engage principalement à aider les militants de gauche, les travailleurs et les militants syndicaux réprimés.

Nous avons pris en charge les dossiers et sommes directement impliqués dans la protection et le soutien de nombreux militants susmentionnés : Boris Kagarlitsky, Alexander Kupriyanov, Anton Orlov, Lev Skoryakin, Daria Kozyreva. Les membres du SAC du Bashkortostan fournissent une assistance aux « Cinq d'Oufa », suivent l'évolution du procès, diffusent des informations sur les opinions et le sort des camarades en difficulté et les soutiennent par des lettres et des colis.

Tout en défendant des militants spécifiques, nous n'oublions pas la lutte politique et économique pour la libération du travail et de l'humanité dans son ensemble de la dictature du capital. Chacune de nos actions vise à faire prendre conscience aux travailleurs salariés de leurs intérêts de classe et à les organiser pour lutter pour ces intérêts.

Nous considérons qu'il est extrêmement important de renforcer les liens de solidarité internationale. Le moment actuel exige que toutes les forces progressistes de gauche de la planète s'unissent et s'organisent pour lutter pour un avenir sans guerre, sans exploitation, sans pauvreté et sans injustice.

Le monde devrait appartenir à ceux qui ont versé leur sang, leur sueur et leurs larmes pour ses bienfaits. Nous sommes convaincus que nos camarades étrangers nous apporteront tout le soutien possible. Nous exprimons la même disponibilité ! (Publié dans la revue Against the Current, novembre-décembre 2024, traduction rédaction A l'Encontre)

Ivan Petrov est un pseudonyme collectif du Solidarity Action Committee (SAC). Vous pouvez contribuer à soutenir les activités du SAC, y compris le soutien aux prisonniers politiques, via https://boosty.to/komitetsd.

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« Les élites politiques russes promeuvent ouvertement un projet mondial »

19 novembre 2024, par Hanna Perekhoda — , ,
[Note de l'éditeur : Ce qui suit est une transcription éditée du discours et des réponses aux questions données par Hanna Perekhoda sur le thème « Impérialisme(s) aujourd'hui » (…)

[Note de l'éditeur : Ce qui suit est une transcription éditée du discours et des réponses aux questions données par Hanna Perekhoda sur le thème « Impérialisme(s) aujourd'hui » lors de la conférence en ligne « Boris Kagarlitsky et les défis de la gauche aujourd'hui », qui a été organisée par la Campagne de solidarité internationale Boris Kagarlitsky le 8 octobre. Perekhoda est une socialiste ukrainienne, membre de solidaritéS dans le canton de Vaud, en Suisse, et candidate au doctorat en sciences politiques (Université de Lausanne). Les transcriptions et les enregistrements vidéo des autres discours prononcés lors de la conférence sont disponibles sur le site web de la campagne freeboris.info, d'où le texte ci-dessous est republié].

7 novembre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/07/les-elites-politiques-russes-promeuvent-ouvertement-un-projet-mondial/#more-87242

Je vous remercie de m'avoir invitée et de m'avoir donnée l'occasion de m'exprimer. Tout d'abord, je voudrais être claire. Je ne travaille pas sur la question de l'impérialisme en tant que telle. Mon sujet est lié aux différentes expressions de l'imaginaire politique russo-ukrainien. Je pense que je suis ici plus en tant qu'activiste qu'en tant que chercheuse. Mon analyse n'a pas la prétention d'être exhaustive ou scientifique.

C'est désormais un lieu commun de dire que les combustibles fossiles et leur commerce sont étroitement liés à la dictature, à la corruption et au militarisme. Mais paradoxalement, c'est un sujet dont on ne parle pas systématiquement lorsqu'il s'agit de comprendre l'impérialisme russe.

Commençons par un constat. L'extraction du pétrole et du gaz ne nécessitant pas beaucoup de travail, la richesse produite ne revient pas à la population. Au contraire, elle va directement dans les mains de ceux qui possèdent les gisements. En Russie, il s'agit essentiellement d'un cercle d'amis de Poutine. Le gaz et le pétrole sont pratiquement les seules choses qui rapportent des bénéfices réels en Russie.

Ces bénéfices sont ensuite redistribués dans d'autres domaines. Une grande partie de ces bénéfices va bien sûr à quelques centaines de familles de hauts fonctionnaires qui les utilisent pour acheter les plus longs yachts du monde, les plus grands palais et les produits de luxe les plus extravagants. Une partie de ces bénéfices sert à entretenir l'industrie militaire, l'armée, la police, bref, toutes les structures qui contribuent à maintenir ce petit cercle de personnes au pouvoir. Ce qui reste est généralement utilisé pour maintenir le reste de la société dans une relation de dépendance extrême vis-à-vis de l'État.

Comme l'a dit Ilya Matveev, ce système pourrait continuer ainsi. Mais il y a une idéologie partagée par le cercle de Poutine, par lui-même, et nous supposons par quelques personnes autour de lui, une idéologie qui perçoit le monde d'une certaine manière, et où l'Ukraine occupe une place centrale.

Il ne serait pas facile de résumer les raisons pour lesquelles l'Ukraine a fini par occuper cette place centrale dans l'imaginaire politique russe. Mais si nous pouvons résumer grossièrement l'imaginaire de l'élite politique russe, nous obtenons le récit suivant. L'Ukraine fait partie de la nation russe parce que celle-ci a une conception primordialiste de la nation [1]. L'identité nationale distincte des Ukrainien·nes a été délibérément créée par les ennemis occidentaux de la Russie et par leurs agents (Vladimir Lénine était l'agent numéro un, il a créé l'Ukraine et l'a fait pour diviser la nation russe). Ce faisant, tous ces ennemis de la Russie visaient à empêcher la Russie de prendre la place qui lui revient en tant que puissance impériale de premier plan dans le monde.

L'Ukraine est considérée comme un pion dans un jeu à somme nulle. Si l'Ukraine est indépendante, la Russie ne peut pas devenir une grande puissance.

Selon cette vision du monde, seules les grandes puissances jouissent d'une véritable souveraineté politique. Il s'agit là d'un point important : la manière dont la souveraineté et la capacité d'agir sont comprises dans cette idéologie. Pour les tenants de cette vision du monde, ceux qui ont la capacité d'agir ne sont pas les communautés humaines mobilisées, comme les nations ou les classes, ni même les élites qui représentent ces communautés. Seuls les dirigeants des soi-disant grandes puissances ont une véritable capacité d'action. Ils sont les seuls véritables souverains. Selon Poutine, le monde ne compte que deux souverains : lui-même et le président américain.

Voyant le monde à travers le prisme de cette idéologie, qui est un système fermé, comme toute idéologie, Poutine est sincèrement convaincu que tout mouvement d'émancipation dans le monde est en fin de compte un complot mené par les États-Unis contre la Russie. Que ce soit en Syrie ou dans d'autres pays, il est perçu comme un acte d'agression de l'hégémon mondial contre l'hégémon en devenir.

La guerre contre l'Ukraine était un choix politique. Elle a été conçue, ne l'oublions pas, comme une guerre courte et victorieuse dans laquelle il n'y aurait pas de résistance. Gardons ce fait à l'esprit. Elle a été imaginée comme un renversement rapide de l'équilibre des forces, dans le but d'imposer un nouveau statu quo durable, un statu quo qui permettrait à ces deux grandes puissances que sont la Russie et les États-Unis d'établir des zones d'influence exclusives, c'est-à-dire de créer des colonies où elles pourraient exploiter les populations et les ressources naturelles sans limites ni respect d'aucune norme ou règle, qu'il s'agisse de la protection de l'environnement ou des droits des êtres humains.

À travers cette guerre en Ukraine, qui peut sembler locale, les élites politiques russes promeuvent ouvertement un projet global, qu'elles conçoivent en ces termes. En substance, elles affirment : « Vous voyez, le droit international ne fonctionne pas. Alors que faire ? Admettons que la seule loi qui existe vraiment est la loi du plus fort. Soyons honnêtes et officialisons la ».

Le risque d'accepter cette logique est très élevé, surtout aujourd'hui, alors que nous assistons à la destruction de Gaza par Israël et à la complicité des États-Unis, ainsi qu'à la paralysie de nombreux autres pays face à ce mépris total de tous les droits et de toutes les lois. C'est la preuve la plus évidente que le droit international ne fonctionne pas. Nous sommes témoins d'une crise énorme. La nécessité de maintenir la structure internationale actuelle semble pratiquement inutile.

Le problème est que dans un monde où ces structures disparaissent brutalement, ceux qui sont déjà en position de faiblesse – des États comme la Palestine, l'Ukraine, l'Arménie, pour ne citer que quelques exemples – et les forces politiques, comme la gauche internationale, seront parmi les premiers à perdre dans cette lutte où seules comptent la force et la puissance pures. La droite autoritaire et productiviste que représente Poutine, ainsi que de nombreux autres hommes politiques dans d'autres pays, est déterminée à éroder complètement ces structures internationales et à empêcher l'émergence de tout mécanisme alternatif qui pourrait limiter ses ambitions suprémacistes et polluantes.

En fin de compte, tout acte d'agression, même lointain, s'il est normalisé, a des implications qui devraient toutes et tous nous concerner. La victoire militaire et la montée en puissance d'un État réactionnaire et militariste comme la Russie signifient inévitablement la montée en puissance de forces réactionnaires, militaristes et fascistes dans d'autres pays, et vice versa. Lorsque les victimes d'une agression ne sont pas défendues, dans quelque partie de la planète que ce soit, cela enhardit les innombrables psychopathes au pouvoir à résoudre leurs problèmes de légitimité politique par la guerre. Et à l'heure actuelle, ils sont confrontés à de nombreux problèmes de légitimité politique, compte tenu des inégalités croissantes, entre autres.

Je voudrais dire quelques mots sur la conférence elle-même.

Je tiens à remercier les organisateurs et les organisatrices pour cette initiative et pour ce qu'elles et ils font, car tout acte de solidarité est précieux par les temps qui courent. Nous devons maintenir la pratique de la solidarité.

Je tiens également à dire que je ne connais pas Boris Kagarlitsky personnellement et que je ne partage pas la plupart des analyses que j'ai pu lire de sa part. Mais je soutiens votre initiative de solidarité parce que c'est un prisonnier politique.

En tant que personne originaire de Donetsk, comme cela a été mentionné, mes ami·es et ma famille ont beaucoup perdu – certains ont tout perdu, d'autres ont perdu la vie – à cause de l'occupation russe de notre région qui a commencé en 2014. Je dois dire que j'ai été profondément bouleversé à l'époque de voir combien d'intellectuel·les et d'activistes russes de gauche, y compris Boris, sont passé·es complètement à côté de ce qui se passait dans le Donbas.

Beaucoup ont minimisé ou n'ont pas reconnu le rôle de l'État et de l'armée russes, souvent inattentifs ou inattentives au fait que sans l'implication directe de la Russie, cette guerre au Donbas n'aurait jamais eu lieu. C'est ce qu'ont ouvertement reconnu des personnes comme Igor Strelkov, qui s'est plaint que les habitant·es du Donbas ne voulaient pas se séparer de l'Ukraine ou se battre contre l'Ukraine. L'armée russe, disait-il, devait le faire pour elles et pour eux.

En 2014, j'étais très jeune, mais même à l'époque, j'ai été surprise de voir combien de progressistes projetaient d'étranges fantasmes sur la lutte des classes sur ce qui était, en réalité, une intervention russe. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que de nombreuses et nombreux progressistes ukrainien·nes soient réticent·es à exprimer leur solidarité.

Quant à moi, ma position est simple : personne ne mérite d'être soumis à la torture d'une prison russe, qui est l'un des pires endroits que l'on puisse imaginer. J'espère sincèrement que les prisonnier·es politiques et les prisonnier·es d'opinion seront libéré·es le plus rapidement possible, en particulier celles et ceux qui, comme Boris, se sont opposé·es à l'agression militaire de leur pays. Mais je tiens également à souligner qu'il existe des militant·es de gauche qui ont eu le courage de s'opposer à cette situation, non seulement en 2022, mais déjà en 2014. Pendant toutes ces longues années, elles et ils ont été emprisonné·es en Russie. Je parle de personnes comme Daria Poludova et Igor Kuznetsov.

La plupart des victimes de la répression en Russie aujourd'hui sont des personnes ordinaires qui n'ont pas été impliquées de manière significative dans l'activité politique. Nombre d'entre elles et d'entre eux risquent aujourd'hui de longues peines de prison pour avoir exprimé leur opposition à la guerre sur les médias sociaux, même si leurs messages n'ont atteint que dix personnes. Elles et ils sont emprisonné·es pour cela, et elles et ils n'ont pas de capital social ou d'ami·es internationaux. Parfois, nous n'apprenons leur existence et leur courage qu'après leur mort en prison.

Un grand nombre de prisonnier·es sont des citoyen·nes ukrainien·nes qui se sont rendu·es dans les territoires occupés pour des raisons personnelles, par exemple pour rendre visite à des parent·es mourant·es. Ils sont retenus en otage en Russie, accusés de terrorisme. Elles et ils sont torturé·es, humilié·es et utilisé·es à des fins de propagande. Un nombre encore plus important de prisonnier·es sont des Ukrainien·nes des territoires occupés, dont un nombre significatif de Tatars de Crimée. Depuis 2014, des dizaines de milliers de personnes ont été enlevées et la plupart d'entre elles ont disparu à jamais. Beaucoup sont tuées sans procès. Telle est la réalité dans les territoires occupés depuis des années, alors qu'en Russie, la plupart des gens vivaient une période dite « béate », pour reprendre l'expression qui a été mentionnée aujourd'hui et à laquelle Boris Kagarlitsky a fait référence dans sa lettre.

Enfin, nous ne devons pas oublier que la répression est sévère en Russie et dans les États clients de la Russie comme le Belarus. Au Belarus, c'est un véritable massacre, mais il passe le plus souvent inaperçu.

Pour conclure, soyons clair·es : les victimes de la répression en Russie et au Belarus ont besoin de soutien et de solidarité active et concrète. En Ukraine, nous voyons également des cas d'accusations totalement arbitraires, telles que les accusations de collaborationnisme. Consultez le projet « Graty » pour en savoir plus et soutenez leur travail, car elles et ils font connaître ces cas et aident les victimes. Des dons réguliers à des initiatives comme OVD-Info ou l'Association des parents de prisonnier·es politiques du Kremlin peuvent également faire la différence. Il est essentiel de soutenir les mouvements progressistes qui opèrent encore en Russie, comme la Résistance féministe contre la guerre.

Mais ce qui ferait une vraie différence, à mon avis, c'est de soutenir celles et ceux qui luttent contre la source du problème, et pas seulement contre ses conséquences. Je veux parler de l'armée ukrainienne et en particulier des soldat·es anti-autoritaires et de gauche qui ont choisi de risquer leur vie pour combattre l'impérialisme russe. Je vous invite donc à faire un don à Solidarity Collectives.

Je m'arrête ici. J'espère que nous aurons le temps de poser des questions.

Réponses aux questions

Je vous remercie. J'apprécie vraiment toutes vos questions et tous vos commentaires. Je suis désolée de ne pas avoir le temps de répondre en détail, car je veux aussi entendre les autres orateurs et oratrices qui vont suivre, et je pense que ce serait un manque de respect de ma part que de prendre leur temps.

Peut-être quelques points seulement. L'un d'entre eux concerne l'extrême droite en Ukraine, etc. Je me trouve dans une situation paradoxale. Lorsque nous nous adressons au public ukrainien en tant que progressistes, nous voulons souligner à quel point il est dangereux de normaliser le nationalisme dans un contexte de guerre. Ce qui se passe actuellement dans l'Ukraine en temps de guerre, c'est aussi la recherche d'ennemi·es intérieurs·e, les Ukrainien·nes russophones étant présenté·es comme l'une des sources du problème. Il y a ce récit : « Poutine nous a envahi·es parce que vous, les Ukrainien·nes russophones, existez ; vous lui avez donné un prétexte pour envahir notre pays ». Plus la guerre dure, plus il est difficile de naviguer dans cette situation qui devient de plus en plus dramatique.

En même temps, lorsque je m'adresse à un public international, je tiens à préciser qu'il ne faut pas confondre la cause et la conséquence. Avant l'invasion russe de 2014, ce problème n'existait pratiquement pas en Ukraine. Il s'agissait d'un discours russe visant à alimenter les conflits internes, en utilisant la population russophone comme un outil pour leurs propres objectifs politiques d'assujettissement de l'Ukraine. Les élites ukrainiennes à l'intérieur du pays ont également utilisé une stratégie de division et de domination pour s'assurer leur propre part du gâteau économique ukrainien, alimentant encore davantage cet antagonisme inexistant entre les russophones et les ukrainophones.

Vivant en Ukraine, je peux vous dire que ces problèmes sont en grande partie inventés, mais qu'ils sont devenus plus réels après le début de l'invasion russe. Quant aux prétendus cas de violence contre des « Russes » dans le Donbas avant 2014, je peux affirmer qu'ils n'ont jamais existé. Je ne sais pas d'où viennent ces informations.

Je tiens également à souligner qu'il n'est pas nécessaire de romancer ou de créer des illusions sur une société pour défendre son droit d'exister et de se défendre contre l'agression d'un État impérialiste. Nous ne devons pas nous faire d'illusions sur ce que représente la société ukrainienne. Elle a ses propres et importantes contradictions internes. Elle a sa propre extrême droite, comme toute société dans le monde aujourd'hui, y compris en Occident. En fait, par rapport à certains pays occidentaux, les Ukrainien·nes ne sont pas aussi rétrogrades qu'on pourrait le penser.

Malheureusement, nous n'avons pas assez de temps et je m'en excuse. Je voudrais conclure en disant que même si nous avons des analyses différentes de certains détails de la situation, nous pouvons aussi trouver un terrain d'entente où nous pouvons nous engager ensemble dans une solidarité pratique. En cette période, la solidarité concrète avec les victimes de l'agression et avec ceux qui risquent leur vie pour s'opposer à la guerre est cruciale. J'espère que notre collaboration se poursuivra et qu'ensemble, nous pourrons faire la différence dans ce qui semble être une situation désespérée.

Je vous remercie de votre attention.

Hanna Perekhoda
https://links.org.au/hanna-perekhoda-russian-political-elites-are-openly-promoting-global-project
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

Note

[1] Le Primordialisme (en anglais : Primordialism) est un concept sociologique suivant lequel il existe des liens entre les membres d'une nation qui sont fondamentaux et irrationnels et qui sont basés sur la religion, la culture, la langue. Il en découle que l'identité de la nation peut être considérée comme une donnée ancienne, un phénomène naturel – Wikipédia – NdT

Désobéissance civile planétaire

19 novembre 2024, par Mustapha Saha — , ,
Paris. Mercredi, 6 novembre 2024. Match Paris-Saint-Germain - Atletico de Madrid. Une immense toile, avec le slogan Free Palestine, couvre la tribune Auteuil au Parc des (…)

Paris. Mercredi, 6 novembre 2024. Match Paris-Saint-Germain - Atletico de Madrid. Une immense toile, avec le slogan Free Palestine, couvre la tribune Auteuil au Parc des Princes.

par Mustapha Saha.

L'Union européenne des associations de football (UEFA), malgré les pressions des autorités françaises, n'engage aucune procédure contre l'équipe parisienne. Elle estime le tifo géant ni provocateur, ni insultant. Le ministre de l'intérieur demande solennellement des comptes. « Les terrains ne doivent pas devenir des tribunes politiques » assène-t-il, comme si les politiques n'étaient pas les premiers instrumentalisateurs du sport. Son subordonné, secrétaire d'État chargé à la citoyenneté, un marocain de service, chantre du repli identitaire, convoque tambour battant les responsables sportifs. Il n'en faut pas plus pour que les sionistes crient à l'antisémitisme.

Blanchiment du génocide par le sport.

Les affrontements d'Amsterdam, entre supporters israéliens et néerlandais propalestiniens, est symptomatique d'une nouvelle forme de lutte mondiale, une désobéissance civile planétaire. L'idéologie sioniste n'a qu'un seul but, l'extermination du peuple palestinien. Sa technique, la destruction totale. Sa méthode, le génocide. Dans les pays occidentaux, la classe estudiantine est la fibre sensible, hyper-réactive aux monstruosités fascistes. Les désinformations institutionnelles sont des exemples flagrants des manipulations politiques et médiatiques. Les casseurs israéliens, formés au combat, souvent des agents de services secrets et des réservistes de l'armée, sont connus pour leurs méthodes dévastatrices. Ils agissent en groupes. Ils récupèrent, dans les rues, des barres métalliques, des objets transformables en armes blanches. Ils chargent militairement. Ils tirent des explosifs. Ces commandos ultraviolents ne sont jamais inquiétés par les polices européennes. Ils dépavent la chaussée. Ils caillassent les chauffeurs de taxi. Ils s'attaquent aux passants. Ils ciblent les maghrébins. Ils chantent des refrains appelant au meurtre des arabes.

Un reporter néerlandais de quatorze ans du média Bender, démonte, en direct, la mécanique falsificatrice. Il a crânement suivi, malgré les menaces, les hooligans du Maccabi Tel Aviv pendant leurs saccages de la ville. Il a filmé, en direct, les provocations, les charges, les altercations. « Mesdames, Messieurs, le match perdu sur le terrain par le Maccabi Tel Aviv, se prolonge dans la rue,, avec une violence inouïe. Nous nous trouvons à la gare centrale d'Amsterdam. Les supporters israéliens, coiffés de casques, courent dans tous les sens en bande compacte. Ils allument des pétards. Ils crient des slogans assassins. Ils déplantent des poteaux. Ils poursuivent les gens. La police est absente. Ça devient complètement hors contrôle. Deux fourgons de police arrivent. Ils essuient des jets de pierres. Les policiers restent passifs. Les chauffeurs de taxis réagissent. Ils klaxonnent en chœur. Ça sent l'affrontement. Les israéliens s'emparent de massues. Ils font semblant de battre en retraite. Ils se regroupent. Ils repartent à l'assaut. Ils connaissent toutes les tactiques. Ils cherchent la bagarre. Contrairement aux hooligans européens, ils restent toujours groupés. Ils évoluent par vagues homogènes. La police les repousse dans une rue adjacente. Les chauffeurs de taxi et d'autres supporters de l'Ajax les pourchassent. Il y a un leader au milieu d'eux. Il leur donne des directives. Ils s'entretiennent en hébreu. La police ne comprend pas ce qu'ils disent. Elle ne sait pas ce qu'ils projettent. Ils jettent des projectiles sur une maison abandonnée, un squat, où un drapeau palestinien flotte à une fenêtre. Depuis hier soir, ils brûlent tous les étendards palestiniens qui se trouvent sur leur chemin. Un centaine de chauffeurs de taxi sortent de leur voiture. La situation est ingérable ». Les médias dramatisent. Les opinions somatisent. Eléments de langage sionistes en sous-traitance. Les génocidaires crient au pogrom. Les dirigeants occidentaux s'alignent. Aux Pays Bas, comme dans d'autres pays européens, la police protège les israéliens, traque les propalestiniens.

Servitude politique.

Les sionistes, emportés par leur mégalomanie prédatrice, multiplient les humiliations à l'encontre de la gouvernance française. Des images circulent sur les réseaux sociaux. Deux gendarmes français, gardiens de l'église du Pater Noster, dite aussi Eléona, à Jérusalem Est, sont arrêtés, sans sommation, par la police israélienne le 7 novembre 2024. Le domaine national français en Terre Sainte comprend quatre possessions. L'église du Pater Noster au sommet du Mont des Oliviers, avec un cloître, construit en 1870, et en sous-sol, la grotte dite du Pater, où Jésus Christ aurait enseigné. Le monastère d'Abou Gosh, ancienne commanderie hospitalière du douzième siècle, avec une église et une crypte. Il abrite depuis 1976 des moniales et des moines bénédictins. Le Tombeau des Rois, accueille, parmi une trentaine de sépultures, le sarcophage de la reine Hélène d'Adiabène. L'église Sainte Anne, avec une église du douzième siècle, où se trouve, selon la tradition évangélique, la maison parentale de la Vierge Marie et la piscine Bethesda, mentionnée au chapitre cinq de l'Evangile de Jean, où s'effectue le miracle de Jésus sur un paralytique. En dehors du Tombeau des Rois, les trois autres possessions françaises sont de hauts lieux de la spiritualité chrétienne.

La précédente violation sioniste de ces sanctuaires remonte à 1996. Jacques Chirac, en déplacement à Jérusalem, avait expulsé les policiers israéliens de l'église Sainte-Anne. Il avait déclaré : « Je ne veux pas de gens armés en territoire français ». Autres temps, autres mœurs. La gouvernance française actuelle se montre, avec l'administration américaine, l'oligarchie la plus inconditionnellement pro-sioniste. Elle s'empresse de proposer une coalition militaire internationale contre les gazaouis. Elle fournit des armes aux sionistes. Elle interdit les manifestations propalestiniennes. Elle subit sans broncher les injures, les flétrissures, les ignominies israéliennes. Le 3 novembre 2023, L'Institut français de Gaza est spécialement visé par une frappe. Aucune réaction française. Le 13 décembre 2023, un agent du ministère des Affaires étrangères est tué dans un bombardement. Aucune sanction française. Les exemples sont si nombreux qu'il serait fastidieux de les énumérer. Les israéliens fonctionnent aux chantages, aux menaces. L'ambassadeur français se fait convoquer à tout propos pour se faire sermonner. Dans tous les cas, la gouvernance française fait preuve d'une déconcertante soumission.

Intellectuels juifs contre le sionisme.

Paris. Dimanche, 10 novembre 2024. Un collectif d'intellectuels juifs français, dans une tribune dans le quotidien Le Monde, lance une alerte contre le colonialisme sioniste, annexionniste, révisionniste, suprémaciste. Parmi les signataires, les historiens Dominique Vidal et Sophie Bessis, les économistes Pierre Khalfa et Alain Lipietz. Le sionisme ne laisse que trois options aux palestiniens : survivre comme des esclaves, sans droits et sans dignité, quitter leur terre ou se faire éliminer sans préavis. Les territoires occupés sont transformés en champs de ruines. Les populations sont livrées à la mort par les pilonnages incessants et la famine programmée.

Lundi, 24 octobre 2024. Le collectif Voix juives pour la paix occupe la bourse de New York pour exiger la fin des crimes sionistes et l'arrêt des fournitures d'armes américaines aux génocidaires. Se dénoncent en particulier les firmes américaines Raytheon et Lockheed Martin. Des mots d'ordre propalestiniens sont scandés. Les manifestants s'enchaînent aux clôtures. Les médias occidentaux censurent, occultent, éclipsent les luttes juives contre le colonialisme israélien. Plusieurs organisations nord-américaines, Voix juives indépendants, United Jewish People's Order, If Not Now Toronto. Une pancarte réapparaît régulièrement : Juifs pour une Palestine libre.

L'inconséquence de la gouvernance française s'illustre par l'attribution, le 5 novembre 2024, du prix du courage journalistique à l'israélien Yuval Abraham et au palestinien Basel Adra, coréalisateurs avec Hamdan Ballal et Rachel Szor, du documentaire No Other Land sur la brutalité du colonialisme sioniste. Se défend formellement, abstraitement, la liberté de la presse, la liberté d'expression, la liberté d'opinion, pierres angulaires des droits humains. La réalité est autre. Les médiats influents appartiennent à une poignée de milliardaires, dont certains affichent ouvertement leurs orientations fascistes. Les censures, les entraves au pluralisme, à l'indépendance des rédactions, sont couvertes par le sacro-saint droit de propriété. Il n'est plus besoin de pressions politiques, bien qu'elles s'exercent ici ou là. La mainmise financière permet tous les dérapages, tous les abus. Les médailles ne servent à rien. Révolues les époques où les décorations sacralisaient les sacrifices patriotiques. Deux cents journalistes sont délibérément assassinés par l'armée israélienne en un an à Gaza et en Cisjordanie. Ils passent sur les comptes pertes et profits. La gouvernance française ressasse monomaniaquement « Israël a le droit de se défendre », le droit de massacrer impunément.

Match de la honte.

Jeudi, 14 novembre 2024. Match France – Israël. La gouvernance française ne sait comment donner des gages d'allégeance au colonialisme israélien. Les journalistes guettent les incidents convertibles drames, en intox. La raison s'estompe, l'émotion s'enfièvre. Depuis plusieurs semaines, les médias tentent d'imposer l'idée que l'opération de blanchiment du génocide par le sport est une opportunité souhaitable. Le match de la honte s'avère, sur le plan politique et financier, un échec total. Le stade de France décroche le record de la plus faible affluence pour un match international. A peine une dizaine de milliers de spectateurs pour une enceinte de quatre-vingt-mille place. Un véritable boycott populaire. Se diffusent des fumigènes pour masquer les gradins vides. Se déploient quatre mille policiers et mille cinq cents agents de sécurité. Un hélicoptère. Un véhicule blindé. Des sirènes hurlantes. Des uniformes partout. La fête nulle part. Une perte sèche de trois millions cinq-cent-mille euros selon le journal L'Equipe.

Des faits particulièrement scandaleux marquent la partie. Des hooligans sionistes s'attaquent, d'entrée de jeu, aux supporters français, les tabassent à vingt contre un. Personne ne parle de lynchage. La préfecture évoque des circonstances floues, sans d'autres précisions. Les agresseurs sionistes agissent dans un lieu ultra-sécurisé, filmé sous tous les angles. Personne d'entre eux n'est inquiété. Dans la tribune officielle, trois présidents successifs de la République, les derniers survivants, des premiers ministres et des ministres, anciens et actuels, des notabilités de tous bords, affirmant leur soutien inconditionnel aux sionistes. L'un des assaillants, portant effrontément un tee-shirt de l'armée israélienne, est poliment interviewé par la chaîne française BFM. Il est fier d'avoir semé la terreur sous protection policière.

Un étudiant bordelais, Emmanuel Hoarau, brandit un drapeau palestinien avant de se faire expulser. La photo, prise à la sauvette, légendée du message « Aucune restriction de la liberté d'expression ne peut faire oublier le massacre des civils à Gaza », est vue, sur twitter, par deux millions de personnes, en quelques heures. Le député des Bouches-du-Rhône, Sébastien Delogu, commente : « Emmanuel Hoarau, tu n'as pas cédé aux interdictions, aux intimidations, aux sanctions. Ton acte de courage honore le pays ». Un internaute propose de lancer une cagnotte pour couvrir les frais éventuels d'un avocat.

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Régime Ortega-Murillo au Nicaragua - purges, corruption et isolement

19 novembre 2024, par Carlos F. Chamorro, Dora María Téllez — , ,
Dans ce qui suit, je vais reproduire et traduire en français des extraits de l'interview qu'accordait Dora María Téllez à Carlos F. Chamorro à la suite des célébrations tenues (…)

Dans ce qui suit, je vais reproduire et traduire en français des extraits de l'interview qu'accordait Dora María Téllez à Carlos F. Chamorro à la suite des célébrations tenues à Managua le 19 juillet 2024, à l'occasion du 45e anniversaire du renversement historique de la dictature d'Anastasio Somoza. L'interview se réalisait le 20 juillet et fut diffusée le lendemain dans le cadre de l'émission Esta Semana sur la chaîne YouTube de CONFIDENCIAL.

Tiré de Nicaragua Today : “Purgers, Corruption, & Servility to Putin”
11 November 2024,
traduction Ovide Bastien

Ovide Bastien

Cependant, avant de reproduire cette interview, un bref commentaire afin de permettre à lectrices et lecteurs de savoir qui sont ces deux personnages historiques.
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L'historienne Dora María Téllez est une très réputée ex militante sandiniste qui, comme Daniel Ortega, a joué un rôle important dans la lutte armée contre la longue et brutale dictature de la famille Somoza. Le 22 aout 1978, Téllez dirige, avec Edén Pastora et Hugo Torres, une opération dangereuse, quasi-suicidaire même, qui marquera un tournant dans la révolution : 25 combattants sandinistes, déguisés en membres de la Garde nationale de Somoza, pénètrent dans le Palais national où se tient une session de l'Assemblée nationale, prennent en otage quelque 2 000 fonctionnaires, et réussissent à forcer la dictature Somoza à échanger ces derniers contre 50 Sandinistes emprisonnés. Dix mois plus tard, plus précisément le 20 juin 1979, Téllez dirige en personne les opérations militaires menant à la libération de León, un événement tout à fait historique, car c'est la toute première ville à se libérer de la dictature.

Au moment du soulèvement populaire massif qui, à partir d'avril 2018, secoue le pays au complet, le plonge pendant des mois dans l'instabilité et met en péril le régime Ortega-Murillo, , Téllez se range sans hésiter du côté des manifestants. Comme l'immense majorité du peuple, elle est consciente que le FSLN, sous la direction d'Ortega, s'est graduellement transformé de parti politique progressiste et révolutionnaire à un simple outil d'une dynastie familiale.

Le 7 janvier 2019, quatre patrouilles de police font une descente dans la résidence de Téllez et la détiennent. Elle passe 605 jours dans la prison El Chipote à Managua, complètement isolée et dans une cellule sans fenêtre aucune. Sa seule communication quotidienne se limite à quelques mots échangés pendant une minute ou deux avec des gardiens de prison. On la prive de toute lecture – pas de livres, pas de revues – et de tout accès aux médias. On la prive même de tout moyen de s'exprimer par écrit – pas de papier, pas de crayon ou stylo.

Pendant ses trois premiers mois d'emprisonnement, on la prive de toute visite de l'extérieure, même pas de sa propre famille !

Le 10 février 2023, le régime Ortega-Murillo, de plus en plus critiqué sur le plan international, pose un geste qui étonne. Il libère soudainement Téllez de sa cellule et l'embarque, avec 221 autres prisonniers politiques également libérés le même jour, dans un avion en destination pour les États-Unis.

Quelques heures plus tard, le gouvernement nicaraguayen les dépouille tous de leur nationalité.

Téllez se trouve toujours présentement en exil.

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Je faisais la connaissance de Carlos Fernando Chamorro en 1976, alors que, à 34 ans, je préparais ma maîtrise en économie à l'Université McGill et qu'il préparait, à 19 ans, son baccalauréat dans cette même matière.

Un jour, alors que je rédigeais, dans la bibliothèque de l'université rue Sherbrooke, une dissertation sur la situation économique du Chili (sous le régime d'Eduardo Frei de 1964 à 1970, sous Salvador Allende de 1970 à 1973, et sous la dictature archi-néolibéral d'Augusto Pinochet de 1973 à 1976) Carlos, qui était assis juste à côté de moi, me demande soudainement s'il pourrait jeter un coup d'œil sur ce que je suis en train d'écrire.

Ce fut notre toute première rencontre, et le début d'une longue amitié.

L'intérêt particulier que Carlos portait pour le Chili provenait du fait qu'il avait longtemps rêvé d'aller poursuivre des études en sciences économiques dans ce pays. De fait, il devait s'y rendre à l'été 1973,
« Mon père, m'a-t-il expliqué, trouvait que la situation socio-politique chilienne devenait de plus en plus instable de jour en jour. Comme il craignait pour ma sécurité, il a mis la hache dans mon projet. »

Si j'avais moi-même abouti au Chili en ce même été 1973 afin d'y poursuivre des études en sciences économiques, c'était tout simplement parce que mes connaissances au sujet de ce pays, malgré toute l'admiration que j'avais pour la révolution socialiste menée par Salvador Allende, n'étaient que fort rudimentaires. J'ignorais complètement la dangerosité d'un tel projet.

À Noël 1977, Carlos décide de retourner au Nicaragua pour le congé de mi-session.
Le 10 janvier 1978, au moment même où il prépare son départ pour Montréal, son père, Pedro Joaquín Chamorro, est assassiné.

Comme tout le peuple nicaraguayen, Carlos sait parfaitement bien que c'est Somoza qui a tué son père. Ce dernier était propriétaire et rédacteur en chef de La Prensa, le plus important quotidien du pays. Il dénonçait sans relâche, et ce de plus en plus fortement, la dictature.

Au lieu d'imposer le silence et de modérer la ferveur révolutionnaire du pays, l'assassinat a exactement l'effet contraire. La foule qui assiste aux funérailles de Pedro Joaquín Chamorro est absolument immense. On sent colère, indignation, mobilisation, et détermination à en finir avec l'oppression...

Profondément ému et ébranlé, Carlos décide d'abandonner sur le champ ses études à McGill, reste dans son pays, et se joint à la lutte contre Somoza.

Tôt après la victoire de la révolution sandiniste le 19 juillet 1979, la nouvelle junte fonde un journal, Barricada, qui agira comme porte-parole de la révolution. C'est Carlos qui en assume la direction, poste qu'il occupera jusqu'au début des années quatre-vingt-dix.
Ce n'est qu'en 1994 que Carlos est congédié de son poste comme directeur de Barricada. La raison du congédiement ? Bien que le FSLN ait accepté, à la suite de sa défaite électorale en 1989, que Barricada rompe ses liens avec le FSLN, Daniel Ortega, qui dirige toujours ce parti, change d'idée lorsqu'il devient lui-même objet d'une critique dans le journal. Il convoque Carlos et exige que Barricada mette fin à toute critique à son égard. Lorsque Carlos refuse, Ortega le congédie sur le champ.

C'est lors d'une conférence à Managua que Carlos donnait en janvier 2006 à mes étudiants et étudiantes du programme, les Études Nord-Sud du Collège Dawson, que j'apprenais ces circonstances du congédiement de Carlos comme directeur de Barricada.1
Le départ de Carlos provoquait une énorme crise dans Barricada, plus de 80% des journalistes se solidarisant avec lui et démissionnant immédiatement.

Réorganisé sous la direction de Tomás Borge, Barricada faisait faillite quatre ans plus tard.
Carlos provient d'une famille dont la majorité des membres, durant la révolution sandiniste, a fini par se ranger du côté de la droite, et même de la Contra. Profondément impliqué dans le gouvernement révolutionnaire comme directeur de Barricada, Carlos était donc le mouton noir de cette famille.

Alors que La Prensa, dans laquelle sa mère, Violeta, et sa sœur, Christina, étaient profondément impliquées, appuyait la Contra, Carlos dirigeait le journal qui appuyait la révolution. Et comme cette division n'était pas seulement au niveau des idées, mais aboutissait quasi quotidiennement à de nombreux morts – la révolution armée contre Somoza faisait 40 00 morts et la guerre déclenchée par la Contra dans les années 80 en faisant autant -, il va sans dire que Carlos a vécu plusieurs années de souffrances familiales fort pénibles et déchirantes.

La surprenante et douloureuse défaite électorale du FSLN en 1989 obligeait le parti à entamer une profonde réflexion sur son orientation future. La plupart des leaders historiques du FSLN argumentaient que le parti, qui avait toujours fonctionné de manière caudillo et autoritaire, chose qui pouvait se comprendre dans le contexte d'une révolution armée et d'une guerre subséquente initiée par la Contra, devait se démocratiser. Daniel Ortega, directeur du parti, n'était pas d'accord et c'est lui qui a fini par emporter le débat.
C'est ainsi que la plupart des leaders historique du FSLN, par exemple Sergio Ramírez, Ernesto Cardenal, et Dora María Téllez, finirent par quitter le parti et décidèrent de fonder un nouveau parti, le Mouvement de rénovation sandiniste (MRS). Ce dernier fut longtemps dirigé par Téllez.

Carlos Chamorro, plus proche du MRS que du FSLN, décide de poursuivre son travail comme journaliste professionnel. En 1996, il fonde la revue en ligne Confidencial, et commence, peu après, à animer deux émissions de télévision, Esta Noche, diffusée du lundi au vendredi, et Esta Semana, diffusée le dimanche soir.
Ces émissions en feront assez rapidement un des journalistes les plus célèbres et respectés du Nicaragua.

Dans ses reportages, Carlos dénonce régulièrement, comme doit le faire tout bon journaliste, les travers du gouvernement. Lorsqu'Ortega, revenu au pouvoir en 2007, subit les critiques de Chamorro pour grossière fraude électorale et corruption, Ortega, frappé là où le bât blesse, réagit en lançant une campagne de salissage contre le messager.
Au cours du soulèvement populaire contre le régime Ortega-Murillo d'avril 2018, le régime Ortega-Murillo ne se limite pas, cependant, à une simple campagne de salissage contre Chamorro. Il tente carrément de le réduire au silence.

Comme 100% Noticias et les autres médias indépendants au Nicaragua, Carlos cherche à couvrir avec transparence et fidélité tous les évènements du soulèvement. Et les lecteurs et lectrices de Confidencial augmentent rapidement ainsi que l'audience de Esta Noche et Esta Semana. Pendant ce temps, la majorité des chaines de télévision au Nicaragua, propriété de la famille Ortega-Murillo, perdent à la fois audience et crédibilité.2
Le jour où j'ai appris que les bureaux où Carlos Chamorro produit Confidencial, Esta Noche et Esta Semana avaient été perquisitionnés, et que les ordinateurs et disques durs qui s'y trouvaient avaient été saisis, j'étais en état de choc.

Et lorsque, quelques jours plus tard, j'ai appris que Carlos recevait des menaces et craignait pour sa vie, et avait donc dû se réfugier, avec sa conjointe, au Costa Rica, j'ai éprouvé une grande tristesse.3 Similaire à celle que j'éprouvais, en janvier 1978, lorsque j'apprenais que Somoza venait de réduire au silence, par l'assassinat, le plus célèbre journaliste nicaraguayen qui le critiquait, le père de mon ami Carlos, Pedro Joaquín Chamorro.

Ovide Bastien

************
Interview de Dora María Téllez par Carlos Fernando Chamorro

Carlos : Dora María, ce vendredi représentait le point culminant des célébrations du 19 juillet, qui ont en fait commencé il y a plusieurs semaines par une vague de répression et de surveillance policière à l'encontre de centaines de personnes placées sous le régime de facto de détention à domicile. Pourquoi le régime Ortega-Murillo déclenche-t-il toujours une vague de répression à la veille des célébrations du 19 juillet ?

Dora María : Ils ont une peur énorme, ils craignent beaucoup que n'éclate une sorte d'activité qu'ils n'arriveront pas à contrôler. Et chaque jour qui passe, leur obsession de tout contrôler ne fait qu'accroitre. En témoigne la scène et la scénographie d'hier. On cherchait à contrôler l'endroit précis où chaque personne pouvait s'asseoir. La peur énorme que la situation devienne incontrôlable illustre de façon on ne peut plus clair l'immense fragilité politique qui existe au Nicaragua.

Carlos : Ces derniers jours, on assiste à une nouvelle vague de purges et d'arrestations de hauts fonctionnaires, d'anciens militaires et d'anciens policiers, prétendument pour enquêter sur des activités de corruption non autorisées par les dirigeants du régime. Qui est l'auteur de cette nouvelle purge ?

Dora María : J'y vois la main de Rosario Murillo. Et ce, avec la complaisance totale de Daniel Ortega. On assiste à une purge essentiellement politique. Accuser de corruption ces hauts fonctionnaires du régime Ortega Murillo, c'est chose facile, car ils en sont tous coupables. Il est donc assez facile de les accuser de corruption. Cependant, on assiste, fondamentalement, à une purge politique. Je pense qu'il y a un balayage visant à établir des personnes à des postes publics de haut niveau qui appuient Rosario Murillo de façon inconditionnelle, et qui, en plus, lui doivent des faveurs. Par ailleurs ces purges servent à une autre fin : elles constituent un avertissement à tous les employés publics et surtout aux fonctionnaires de haut niveau. Quiconque bouge, ne serait-ce qu'un peu, quiconque ose sortir du cadre défini par le couple Ortega-Murillo pourra fort probablement aboutir dans la prison El Chipote ou dans la prison pour femmes et sera soumis à de la maltraitance, ou, dans le meilleur des cas, licencié. C'est donc leur façon d'avertir les employés publics de la situation dans laquelle ils se trouvent.

Et cela a beaucoup à voir avec le fait que de plus en plus de personnes au sein de la fonction publique se distancent du régime. Elle se voient constamment obligées de participer à toutes sortes d'activités politiques du FSLN et en ont marre. Elles se sentent en prison, elles sentent que vivre au Nicaragua, c'est vivre en prison. Elles sont maltraitées dans leur travail et éprouvent une énorme instabilité et une énorme peur.

L'objectif du couple Ortega-Murillo est donc de maintenir un régime de terreur sur les employés publics, et ce dans toutes les institutions. Dès qu'un fonctionnaire perd les faveurs de la famille Ortega-Murillo, on l'écarte, on le met à la porte.

Carlos : Rosario Murillo, de toute évidence, est aussi en train de planifier la succession du pouvoir. C'est pourquoi elle cible présentement certaines personnes et les fait tomber. Par exemple, la vice-ministre des Affaires extérieures, Arlette Marenco, qui était pourtant très proche de Rosario Murillo. Et récemment, la police vient de détenir Jorge Guerrero, ex-policier et une personne qui faisait pourtant partie du cercle de confiance de Daniel Ortega.

Dora María : L'affaire Jorge Guerrero, selon moi, sert évidemment d'avertissement. Tous ceux et toutes celles qui ont fait partie de la guérilla du Front sandiniste, quel que soit leur âge, quel que soit le nombre d'années d'emprisonnements qu'ils ont subis sous la dictature Somoza, quel que soit leur degré d'intimité avec Danielle Ortega, tous sans exception sont avertis que, si nécessaire, ils passeront tous au bistouri.

Voilà pourquoi on emprisonne Jorge Guerrero, âgé de 81 ans. Voilà pourquoi on l'envoie directement à l'hôpital. C'est pour signifier à toute cette génération qu'elle doit éviter de hausser le ton, qu'elle ne doit pas lever le petit doigt contre le régime Ortega-Murillo. Et, en particulier, contre Rosario Murillo, qui est peu aimée de cette génération.
Murillo, de fait, se voit comme la prochaine présidente, et elle voit son fils Laureano dans la présidence après elle. C'est pourquoi elle se débarrasse de ceux et celles qui pourraient représenter un obstacle à un tel projet.

Je pense que Daniel est tout à fait d'accord avec cela, avec cette purge. Cependant, la purge obéit aussi aux processus de décomposition du régime. Le régime n'a pas réussi à vaincre l'ennemi extérieur. Lors des cérémonies d'hier, Daniel Ortega est allé jusqu'à dire qu'il voulait que les États-Unis disparaissent. Autrement dit, dans son esprit, il faut tout faire disparaître.

Comme il n'a pas été capable de mettre fin à la résistance, il s'attaque maintenant à l'ennemi intérieur. C'est maintenant leur tour de passer au bistouri. L'accusation contre la vice-ministre Arlette Marenco concerne un contrat de 6 millions de córdobas, une somme fort petite, en fin de compte, surtout si on la compare avec l'immense fortune amassée par le couple Ortega-Murillo. Autrement dit, la persécution à son égard est évidemment de nature purement politique. Quelle en est la raison politique ultime ? Je pense que c'est une affaire de succession. Murillo est en train de déplacer ses pièces pour s'assurer que la succession du pouvoir se passe selon son dessein.

Carlos : Le régime Ortega-Murillo est-il en mesure de déterminer quelles activités de corruption sont correctes, permises, et donc autorisées, et lesquelles ne le sont pas ?

Dora María : La grande entreprise de médicaments, c'est une affaire de la famille Ortega-Murillo, qui est parrainée par Gustavo Porra et le président de l'INSS, Roberto López. Il s'agit d'une vaste entreprise de corruption autorisée. L'énorme business du carburant - la distribution et la vente de carburant – est également une affaire de la famille Ortega-Murillo. Ce sont eux et eux seuls qui autorisent ce type de corruption.

Maintenant, quand ils décident qu'il y a un morceau de tout cela qu'ils veulent faire disparaitre, ils s'organisent pour trouver un petit quelque chose, une petite corruption, parce que comme je l'ai dit tantôt, il n'y a pas un seul des hauts fonctionnaires au Nicaragua qui soit propre. Pas un seul. Vous n'en trouverez pas un seul.

Tantôt le régime découvre une corruption de 60 ou 85 millions de cordobas chez un fonctionnaire, tantôt il en découvre une de 6 millions de cordobas chez un autre fonctionnaire, etc. C'est très facile pour Ortega-Murillo de trouver de la corruption en grattant un peu...

La chose la plus intéressante pour mois dans tout cela, c'est que, assez significativement, dans toutes ces affaires d'argent et d'accusations de corruption, le Bureau du contrôleur n'apparaît jamais. Le contrôleur n'apparaît jamais, pas même les auditeurs. Il s'agit donc d'une question strictement politique.

C'est le couple Ortega-Murillo qui dicte si et quand il y a corruption. Personne d'autre.
Rosario Murillo, de toute évidence, veut que tout lui soit redevable. Daniel Ortega veut que tout leur soit redevable à eux, et à personne d'autre. Si on met dans ton conte un million de córdobas, il faut que cela provienne d'eux. Si tu mets cet argent dans ton propre compte, ou si un maire le place dans ton compte, le couple Ortega-Murillo n'aime pas ça. Et c'est exactement ce que signifie la frontière qu'ils tracent. Tout, on le doit au couple Ortega-Murillo. Rien en dehors de lui. Tout ce qui provient d'ailleurs peut être puni, quand ils le veulent ou quand ils en ont besoin.

Carlos : Lors de cet événement du 19 juillet, c'était frappant de voir l'absence de dirigeants ou de représentants latino-américains. Bien sûr, Ramiro Valdés de Cuba étaient présents, ainsi que le ministre des Affaires étrangères du Venezuela. Cependant, les figures de proue étaient le premier ministre de la Biélorussie, le président de la Douma russe, le vice-président du Zimbabwe, un autre haut fonctionnaire du Burkina Faso, et aussi Leyla Khaled de la Palestine. Que signifie, selon vous, cette sélection un peu particulière d'invités de Rosario Murillo ?

Dora María : Je pense que les personnes présentes étaient tout simplement celles qu'ils ont réussi à convaincre de dire oui à leur invitation. C'est évident qu'ils espéraient avoir beaucoup de monde à cet évènement. Ils ont sans doute offert billets d'avions gratuits, hôtels, logement, etc. Cependant, l'absence du Honduras, me parait particulièrement significative. Car on sait que les Zelaya Castro ont longtemps été de grands alliés de la famille Ortega-Murillo. Pourtant, personne du Honduras. Personne du Mexique, non plus. Autrement dit, des absences très importantes. Les îles, les peuples des Caraïbes, n'étaient pas là non plus.

Le couple Ortega-Murillo est allé chercher des invités très loin. Ils sont allés chercher une partie de la sphère de Poutine, de la Russie et de ses alliés. De là, mais aussi des nouvelles relations qu'ils ont pu établir en Afrique, qui ont également à voir avec la traite des êtres humains.

Ce qu'illustre de façon éclatante les célébrations d'hier, c'est l'isolement complet dont souffre le régime Ortega-Murillo, un isolement qu'il a tenté de camoufler par des gens qui faisaient de très longs discours.

L'absence de Latino-Américains, de personnes du continent européen et de nombreux autres pays était notoire.

Notes
1.Pour plus d'information, voir Beyond the Barricades, (Ohio University Press, 2002) dans lequel Adam Jones raconte l'histoire de Barricada.
2.Voir Mildred Largaespada – « Nicaragua : La batalla por la opinión pública » (Nicaragua : la bataille pour l'opinion publique), Confidencial, le 3 août 2018, consulté le même jour.
3.Carlos Chamorro,https://confidencial.digital/desde el exilio, Confidencial, le 20 janvier 2019, consulté le même jour.
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Arrestation du « R » en Martinique : l’Etat colonial enferme ses opposants politiques

Mardi après-midi, Rodrigue Petitot dit « le R », porte-parole du RPPRAC, a été arrêté par la police et placé en garde-à-vue. Cette arrestation d'une figure du mouvement contre (…)

Mardi après-midi, Rodrigue Petitot dit « le R », porte-parole du RPPRAC, a été arrêté par la police et placé en garde-à-vue. Cette arrestation d'une figure du mouvement contre la vie chère en Martinique témoigne une fois de plus des méthodes répressives de l'Etat colonial qui enferme ses opposants politiques, des Antilles à la Kanaky.

13 novembre | tiré de Révolution permanente | Crédit photo : Capture d'écran RCI Martinique
https://www.revolutionpermanente.fr/Arrestation-du-R-en-Martinique-l-Etat-colonial-enferme-ses-opposants-politiques

Mardi après-midi, Rodrigue Petitot, porte-parole du RPPRAC, a été arrêté par la police à son domicile et placé en garde à vue à la suite d'une plainte pour violation de domicile et actes d'intimidation à l'encontre de personnes exerçant une fonction publique. Le motif officiel de son arrestation, selon les déclarations de la préfecture de Martinique, est son intrusion dans la résidence préfectorale de Fort-de-France et son altercation avec le préfet de Martinique Jean-Christophe Bouvier :

« quatre individus, emmenés par Rodrigue PETITOT, ont forcé le cordon de sécurité qui protégeait le portail d'entrée de la résidence préfectorale, domicile du préfet, alors que celui-ci recevait les élus de l'île à l'occasion de la venue en Martinique du ministre chargé des outre-mer (…) Ils ont voulu pénétrer dans le bâtiment de la résidence, en exigeant d'être immédiatement reçu par le ministre »

Regardez sur X

Le 1er septembre, au début de la mobilisation contre la vie chère, l'Etat et sa police, en tentant d'étouffer la colère par la répression,avaient déjà pris pour cible cette figure du RPPRAC en l'arrêtant au motif qu'il aurait participé à une tentative de vol d'un bus. En octobre dernier, au micro de BFMTV, Retailleau avait annoncé, sans citer explicitement son nom, qu'il comptait se débarrasser du « R » : « On a un travail avec la justice pour judiciariser un certain nombre d'individus, je pense particulièrement à un qui sort de quatre ans prison pour trafic de produits illicites]. Hier, après l'annonce de cette nouvelle arrestation, une centaine de personnes se sont rassemblées devant la Direction Territoriale de la Police Nationale pour réclamer sa libération et dénoncer la répression policière.

Regardez sur X

Dès la nuit de son incarcération, des barrages enflammés se sont dressés sur l'avenue Maurice Bishop.

Alors que le mouvement contre la vie chère en Martinique impulsé depuis le 1er septembre par le RPPRAC a mis au-devant de la scène la structure coloniale qui perdure dans les outre-mer et la misère sociale organisée par l'Etat et les grands groupes, la réponse apportée par le pouvoir est la répression :instauration de couvre-feu, envoi de la CRS8, brigade de répression coloniale… La nouvelle arrestation de Rodrigue Petitot témoigne une fois de plus des méthodes coloniales et répressives de l'Etat face au mouvement qui dénonce la vie chère mortifère.

Dans un contexte où la France, craignant le retour de la lutte des classes aux Antilles et dans ses autres colonies, ne tolère plus la moindre contestation dans son pré carré colonial, l'arrestation des dirigeants politiques à la lumière de celle du « R » apparait comme l'une des méthodes privilégiées du pouvoir pour étouffer les mobilisations. Une méthode aussi déployée en Kanaky, où l'Etat réprime le mouvement pour l'autodétermination de la colonie en enfermant des militants de la CCAT et en déportant en métropole l'un de leur principal dirigeant, Christian Tein. Face à la répression policière et judiciaire qui s'abat sur les mouvements contre la vie chère et sur ceux dénonçant la domination coloniale française, de la Kanaky à la Martinique, il est urgent de construire un véritable mouvement de défense, en France et dans les colonies, pour lutter contre un Etat autoritaire qui ne promet à ses colonies que davantage de misères.

Les médias à l’épreuve de la guerre à Gaza

19 novembre 2024, par Carta Academica, Didier Fassin — , , ,
La communication est une arme de guerre et la déontologie journalistique implique donc de soumettre à un examen rigoureux les faits allégués par chacun. Pendant la guerre à (…)

La communication est une arme de guerre et la déontologie journalistique implique donc de soumettre à un examen rigoureux les faits allégués par chacun. Pendant la guerre à Gaza, la plupart des médias occidentaux dits mainstream ont cependant privilégié la perspective israélienne, ignoré les voix palestiniennes, occulté le contexte historique et manifesté une compassion sélective. Didier Fassin

Tiré du blogue de l'auteur.

La guerre ne se gagne pas seulement par les armes, elle se gagne aussi par la communication. Les Israéliens l'ont compris depuis longtemps. Ils ont même théorisé une politique de relations publiques connue sous le nom hébreu hasbara, généralement traduit par le terme « propagande ». Cette politique a pour but à la fois d'améliorer l'image du pays et de ses gouvernants, de justifier leurs actions même contraires au droit international, de discréditer les critiques en les assimilant à de l'antisémitisme et de jeter l'opprobre sur leurs ennemis pour légitimer la répression qu'ils dirigent contre eux.

La communication comme arme de guerre

C'est ce que les autorités ont tenté de faire après l'attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre. Elles ont occulté leur responsabilité dans les graves défaillances de la protection de leur population. Elles ont affirmé que leurs représailles devaient s'abattre sur l'ensemble des civils palestiniens car leur nation tout entière était comptable. Elles ont qualifié d'antisémites les condamnations des violations du droit humanitaire par l'armée israélienne. Elles ont diffusé de fausses informations sur les exactions commises ce jour-là au risque de compromettre la reconnaissance des véritables violences perpétrées.

Se servir de la communication comme arme dans un conflit est, si l'on ose dire, « de bonne guerre ». Il revient alors aux journalistes de faire leur métier, c'est-à-dire de soumettre les discours à un examen rigoureux, de vérifier les faits allégués, de donner la parole aux différentes parties, de proposer des analyses indépendantes de la propagande des protagonistes. C'est ce que n'ont pas fait nombre de médias occidentaux, particulièrement dans le domaine audio-visuel, mais la presse écrite n'a pas été épargnée, comme l'ont montré plusieurs enquêtes. Ils ont largement repris, notamment pendant les premiers mois de la guerre, les récits des autorités israéliennes, eux-mêmes souvent adoptés par les gouvernements occidentaux qui, presque immédiatement, ont donné les éléments de langage qui devaient être employés et mis en œuvre une politique prohibant la critique des opérations menées à Gaza.

Le conflit a été systématiquement désigné par l'expression « guerre Israël-Hamas », et ce, alors même que les responsables politiques et militaires israéliens ont annoncé dès le départ qu'il s'agissait de détruire Gaza et de punir toute sa population. Cette formulation permettait de justifier les représailles israéliennes puisqu'il s'agissait d'en finir avec un groupe qualifié de terroriste. De la même manière, toute évocation du conflit par les médias devait en faire la conséquence de l'attaque du 7 octobre, souvent qualifiée de pogrom, sans jamais évoquer ce qui s'était passé avant cette date. L'incursion sanglante était bien sûr l'événement déclencheur, mais elle était elle-même la réponse à trois quarts de siècle de dépossession des terres palestiniennes, de plus de sept décennies d'occupation, d'oppression et d'humiliation, et pour la bande de Gaza, de seize années d'un blocus asphyxiant les habitants dont les protestations pacifiques avaient été réprimées en faisant des centaines de morts et des milliers de mutilés. La rhétorique de ces médias effaçait ainsi l'histoire de la Palestine.

Des différences flagrantes de traitement

Mais elle manifestait également un manque d'empathie à l'égard des Palestiniens. Un différentiel d'humanisation s'est opéré entre les victimes de part et d'autre du conflit. Les journalistes étrangers s'attardaient, par des témoignages émouvants, sur le traumatisme vécu par les Israéliens, les protestations des familles d'otages, le désarroi des habitants du nord du pays devant se réfugier dans des abris anti-aériens ou même quitter leur logement pour éviter les tirs de roquettes. À l'inverse, des deuils des familles décimées dans les bombardements, des souffrances des mères dénutries ne pouvant allaiter leurs nouveau-nés, des douleurs des blessés par des tirs amputés sans anesthésie, des tourments des enfants spectateurs de la mort de leurs proches, on ne savait presque rien, car on ne recueillait pas leurs récits. La raison donnée pour expliquer cette compassion sélective était l'impossibilité de se rendre à Gaza. Mais des médias indépendants, eux, parvenaient à entrer en contact avec des journalistes palestiniens qui risquaient leur vie pour faire leur travail, donner à entendre la voix des habitants et révéler le tragique de leur quotidien entre cadavres et décombres.

Il ne fallait donc pas exposer les épreuves extrêmes vécues par les Palestiniens, le dénuement absolu, la famine provoquée, le désespoir indescriptible face à la mort omniprésente et à la destruction massive, car le risque était de susciter une sympathie pour leur cause. Il ne fallait pas non plus montrer les tanks tirant sur les foules affamées se précipitant vers des lieux d'approvisionnement, les vidéos montrant les soldats se réjouissant des sévices qu'ils font subir aux civils et des explosions qu'ils provoquent dans les quartiers résidentiels, les reportages sur les tortures subies par les prisonniers palestiniens diffusés sur les chaînes de télévision israéliennes pour satisfaire le désir de vengeance de leur public. Il ne le fallait pas car la cruauté manifestée aurait risqué de nuire à l'image de la société israélienne.

Un fait est à cet égard révélateur. Lors de l'opération menée par l'armée israélienne pour libérer quatre otages dans un camp de réfugiés, la presse internationale a longuement commenté l'heureux événement, en oubliant souvent de mentionner que l'intervention avait causé la mort de 274 hommes, femmes et enfants et fait 700 blessés, presque tous des civils, et était connue en Palestine comme le massacre de Nuseirat.

Le travail des rédactions

En réalité, ce traitement inégal de l'information résultait de politiques éditoriales. Dans la plupart des médias qu'on appelle mainstream, le langage utilisé par les journalistes a fait l'objet d'une surveillance stricte et d'une censure rigide. Aux États-Unis, une enquête menée durant les six premières semaines de la guerre dans les trois plus importants quotidiens du pays montre que, rapporté au nombre de décès de chaque côté, il était seize fois plus souvent question des Israéliens que des Palestiniens, et que le mot « horrible » était employé neuf fois plus souvent pour évoquer la mort des premiers que celle des seconds, le mot « massacre » trente fois plus et le mot « tuerie » soixante fois plus. Des consignes étaient d'ailleurs données par les rédactions, et dans l'un de ces grands journaux, une note de service demandait aux reporters d'éviter les expressions « territoires occupés » et « camps de réfugiés », qui rappelaient une histoire qu'il s'agissait d'occulter, de ne pas évoquer un « génocide » ou un « nettoyage ethnique », termes proscrits, et même de réserver le mot « Palestine » à de très rares occurrences.

En France, des journalistes m'ont confié les pressions qu'ils subissaient de leur rédaction, les multiples relectures et réécritures qu'on leur imposait, les chartes qu'ils devaient respecter, l'ajout dans les chapeaux des articles du mot « terroriste » pour qualifier le Hamas, l'évitement des termes « génocide », « apartheid » et « colonial », l'exclusion des voix « critiques » de la politique israélienne. Par souci de ce qu'on qualifiait de « neutralité », tout entretien ou commentaire rappelant le droit international devait avoir en regard un point de vue justifiant la politique israélienne, comme si l'un et l'autre avaient la même légitimité. Des phénomènes similaires, et souvent même des biais plus marqués encore, ont été rapportés en Allemagne, en Grande-Bretagne, et dans d'autres pays européens.

Police de la pensée

Comment expliquer la police de la pensée qui a ainsi été imposée à travers la prescription d'un lexique et d'une interprétation officiels et la réduction de la critique au silence par le double jeu de la censure et de l'auto-censure ? Les raisons en sont multiples. Il y a d'abord une crainte, ouvertement exprimée en interne, de l'accusation d'antisémitisme par des institutions communautaires, voire par le gouvernement lui-même, alors que la mémoire du génocide des Juifs d'Europe continue d'être fortement mobilisée. Il y a ensuite une sympathie répandue à l'égard de l'État d'Israël, identifié au destin d'un monde longtemps qualifié de judéo-chrétien, dont il est présenté comme le bastion dans un Moyen-Orient imprédictible. Il y a enfin, à l'inverse, une méfiance héritée des temps coloniaux à l'encontre des Palestiniens dans un contexte global de racisme anti-musulman et anti-arabe qui se double dans leur cas d'une association à l'image du terrorisme. La partialité des médias en faveur d'Israël n'est, du reste, pas nouvelle.

Les journalistes ont une forte propension à porter un regard réflexif sur leur métier. Avec le recul du temps, ils ne manqueront pas d'engager un travail critique – et certains l'ont déjà fait – sur leurs partis pris après le 7 octobre. Ils comprendront alors que les médias ont activement contribué à la légitimation de la destruction de Gaza et de sa population.


Didier Fassin, Professeur au Collège de France et à l'Institute for Advanced Study de Princeton, auteur de Une étrange défaite. Sur le consentement à l'écrasement de Gaza (La Découverte), pour Carta Academica

Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n'engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d'ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu'elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d'autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.

Les maladies et la malnutrition frappent l’Afghanistan, pays en proie à la pénurie d’eau

19 novembre 2024, par Ruchi Kumar — , ,
Trois années de sécheresse, un régime paria et la perte de travailleurs qualifiés ont paralysé l'infrastructure hydraulique de l'Afghanistan, entraînant une augmentation du (…)

Trois années de sécheresse, un régime paria et la perte de travailleurs qualifiés ont paralysé l'infrastructure hydraulique de l'Afghanistan, entraînant une augmentation du prix de l'eau et une propagation des maladies.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Source.

Chaque soir, Abdullah Achakzai, directeur du Réseau des volontaires pour l'environnement (EVN), est confronté à la même triste réalité lorsqu'il rentre chez lui après son travail à Kaboul. Des files d'attente, composées essentiellement d'enfants, se succèdent pendant des heures pour aller chercher de l'eau dans des camions-citernes privés. En raison de la pénurie d'eau courante, de nombreuses et nombreux Afghans dépendent de ces camions-citernes pour satisfaire les besoins essentiels de leur foyer.

Ces dernières années, le nombre de personnes faisant la queue n'a cessé d'augmenter, explique M. Achakzai. « La situation est pire que l'année dernière », a-t-il déclaré à Dialogue Earth. « Nous prévoyons que les années à venir seront encore plus critiques, le niveau des eaux souterraines continuant à baisser ».

La plupart des ménages afghans dépendent de puits personnels pour boire, cuisiner et cultiver. Selon un rapport d'août 2024 de la Direction nationale des statistiques, le pays compte environ 310 000 puits forés. Mais M. Achakzai explique qu'une enquête menée par EVN en juillet et partagée avec Dialogue Earth a révélé que la sécheresse a rendu ces puits moins fiables. « Les puits forés les années précédentes à une profondeur de 200 mètres sont maintenant à sec, ce qui oblige de nombreuses et nombreux habitants, en particulier ceux des immeubles de grande hauteur, à forer des puits à une profondeur de 300 mètres ou plus pour accéder à l'eau », a-t-il déclaré.

Cependant, M. Achakzai a prévenu que « les niveaux des eaux souterraines diminuent rapidement » et que même ces puits profonds n'offriraient probablement pas de solution à long terme. Un rapport de l'ONU datant de 2023 confirme que « 49% des puits de forage évalués dans la province de Kaboul sont à sec, et que les puits de forage restants ne fonctionnent qu'à 60% de leur efficacité ».

Augmentation des chocs climatiques

« Le changement climatique perturbe les schémas météorologiques [de manière sans précédent] », a déclaré Mohammad Daud Hamidi, un expert afghan de l'eau qui a passé des années à étudier l'insécurité de l'eau dans le pays. L'Afghanistan, déjà éprouvé par les conflits et l'instabilité, a connu trois années consécutives de grave sécheresse depuis 2021.

L'approvisionnement en eau de l'Afghanistan dépend en grande partie de la fonte saisonnière des neiges dans les montagnes, qui alimente les principaux cours d'eau. « Toutefois, l'évolution des chutes de neige modifie la disponibilité des eaux de surface, ce qui entraîne une dépendance accrue à l'égard des eaux souterraines, tant pour l'usage domestique que pour l'irrigation », a déclaré M. Hamidi. « Ces ressources s'épuisent plus vite qu'elles ne se reconstituent ».

Dans les zones rurales de l'Afghanistan, les effets de la sécheresse sont particulièrement prononcés, entraînant une augmentation des migrations vers les villes, ce qui accroît la pression sur les réserves d'eau urbaines. Les activités industrielles exercent également une pression supplémentaire. M. Hamidi a cité en particulier l'industrie minière, où l'on a assisté à une « récente prolifération de contrats sans évaluation appropriée de l'impact sur l'environnement ».

Les sécheresses ne sont pas les seules catastrophes liées au climat auxquelles l'Afghanistan est confronté. Elles sont souvent suivies de crues soudaines. Depuis le mois de mai, plus de 250 personnes sont mortes et près de 120 000 ont été touchées par des crues soudaines dans le nord et l'est de l'Afghanistan, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies [OCHA].

« Avec une augmentation de la température [due au changement climatique], l'air peut retenir plus d'eau », a expliqué Najibullah Sadid, un expert afghan en gestion de l'eau à l'université de Stuttgart. « Même un degré d'augmentation de la température de l'air permet à l'air de retenir 7% d'eau en plus, ce qui forme des nuages plus lourds, qui peuvent à leur tour provoquer des orages, de fortes pluies localisées et des inondations », a-t-il ajouté. Selon lui, la plupart des inondations les plus graves qu'a connues l'Afghanistan ces dernières années se sont produites pendant des périodes de forte chaleur, notamment les inondations de 2022 à Khoshi, dans le Logar, et celles de 2020 à Charikar, dans le Parwan, qui ont coûté la vie à plus d'une centaine de personnes.

L'impact humain

Depuis la prise du pouvoir par les talibans en 2021, l'Afghanistan est confronté à un isolement diplomatique, les organisations internationales se retirant, ce qui rend difficile la collecte de données complètes sur l'impact de ces crises environnementales. « Il est difficile de suivre [l'étendue du problème] », a déclaré Ahmad Kassas, directeur national de l'ONG International Medical Corp (IMC). Cependant, il a déclaré que l'impact pouvait être mesuré d'autres façons, notamment par « l'augmentation du nombre de cas de maladies liées à l'eau dans nos établissements de santé ».

L'eau insalubre est également liée à l'augmentation des taux de malnutrition. « Un rapport suggère que plus de 3,2 millions d'enfants et 840 000 femmes enceintes et allaitantes souffrent de malnutrition », a déclaré M. Kassas. Il a relaté le cas de la province de Saripul, où les communautés dépendent d'une eau salée et non potable. « Les gens viennent souvent dans nos centres médicaux simplement pour boire de l'eau », a-t-il déclaré, notant que cette demande inattendue d'eau propre a incité l'IMC à inclure la distribution d'eau dans ses services.

Pour répondre à certains des défis posés par la pénurie d'eau, M. Kassas a expliqué que l'IMC avait également contribué à la construction de systèmes d'alimentation en eau fonctionnant à l'énergie solaire, de pompes manuelles et de canaux d'irrigation, afin d'atténuer les crises immédiates, mais l'ampleur des besoins est écrasante.

Les femmes parmi les plus touchées

Selon Shogofa Sultani, directrice générale de Step to Brightness of Afghanistan Organisation (SBAO), une organisation de la société civile, le fardeau de la pénurie d'eau pèse de manière disproportionnée sur les femmes. « Les hommes travaillent à l'extérieur et peuvent donc chercher d'autres sources d'eau potable. Mais la plupart des femmes afghanes, qui sont confinées à la maison, ont besoin d'un accès à l'eau pour toutes les tâches ménagères », explique-t-elle.

Si nous allons chez quelqu'un ou si nous recevons des invité·es, la première chose que nous demandons à l'autre est : « Avez-vous de l'eau ? » Shogofa Sultani, directrice générale de l'organisation Step to Brightness of Afghanistan

L'organisation de Mme Sultani, qui s'occupait autrefois de diverses questions civiques, oriente de plus en plus ses efforts vers la recherche et la sensibilisation aux défis climatiques croissants de l'Afghanistan. « Avec un accès réduit à l'eau publique, il faut dépenser plus d'argent pour acheter des récipients d'eau – qui peuvent coûter entre 20 et 50 AFN [0,30-0,70 USD] pour 20 litres », a déclaré M. Sultani à Dialogue Earth. Les familles nombreuses ont de plus en plus besoin d'acheter plus d'eau pour satisfaire leurs besoins quotidiens. « Cela met la pression sur de nombreuses familles, en particulier celles qui ont des difficultés financières », a-t-elle ajouté.

La pauvreté touche plus de 90% des Afghan·es, et au moins 23,7 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population, auront besoin d'une aide humanitaire en 2024. « Toutes les familles que je connais ont des conversations quotidiennes entre elles et avec leurs communautés au sujet de l'eau. Si nous allons chez quelqu'un ou si nous recevons des invité·es, la première chose que nous nous demandons est : « Avez-vous de l'eau ? Tout le monde s'inquiète de savoir comment il obtiendra de l'eau le lendemain », a déclaré M. Sultani.

Des ressources humaines et financières qui s'épuisent

Malgré la fréquence des inondations, Sadid voit une opportunité potentielle. « Si nous pouvons stocker [l'eau des inondations], cela pourrait contribuer à recharger nos nappes phréatiques et à améliorer l'humidité du sol et la couverture végétale », a-t-il suggéré.

Commentant le projet de canal Qosh Tepa, que le régime actuel a poursuivi et qui serait à moitié achevé, M. Sadid a expliqué qu'une fois achevé, il pourrait tripler la prise d'eau de l'Afghanistan dans le bassin de l'Amu Darya. Cela améliorerait considérablement l'accès à l'eau dans le nord de l'Afghanistan, où l'eau est particulièrement rare et où l'agriculture dépend des pluies de printemps. Le projet, a-t-il ajouté, a le potentiel de « transformer des terres agricoles fertiles alimentées par la pluie en terres arables permanentes », ce qui permettrait d'augmenter la production alimentaire et de créer des emplois dont le pays a grand besoin.

Toutefois, une telle entreprise nécessite des ressources financières et des investissements continus, qui se font rares depuis l'arrivée au pouvoir des talibans. M. Sadid a prévenu que la construction du canal devenait de plus en plus coûteuse, la majeure partie des travaux réalisés à ce jour étant axée sur l'excavation. « Je ne suis pas sûr que les talibans puissent obtenir les ressources financières nécessaires [pour continuer] », a-t-il déclaré, soulignant les défis posés par l'isolement international des talibans et les sanctions qui leur sont imposées.

M. Hamidi s'est fait l'écho de ces préoccupations, ajoutant que les infrastructures hydrauliques de l'Afghanistan ont longtemps été négligées. « En raison de la guerre prolongée et d'autres problèmes critiques, l'infrastructure de l'eau en Afghanistan n'a pas reçu l'attention qu'elle méritait ».

L'exode des cerveaux qui a suivi la prise du pouvoir, lorsque les gens ont fui les talibans, a également exacerbé la situation, a déclaré M. Hamidi, « laissant des défis importants en matière de gouvernance, d'expertise technique et de renforcement des capacités pour résoudre efficacement les problèmes ». Même les systèmes traditionnels comme le Karez, un réseau séculaire de canaux entretenus par la communauté, sont tombés en ruine. « Les systèmes traditionnels de Karez et les sources d'eau naturelles ne fournissent plus d'eau, en grande partie à cause de l'utilisation généralisée de puits forés pour l'agriculture », a déclaré M. Achakzai.

Exclus du débat sur le climat

Face à ces crises en cascade, l'Afghanistan reste largement exclu des discussions internationales sur le climat et privé des fonds qui pourraient l'aider à renforcer sa résistance aux chocs climatiques. Bien qu'il soit classé au sixième rang des pays les plus touchés par les effets du climat selon l'indice mondial des risques climatiques en 2019, l'Afghanistan n'avait aucune représentation officielle à la COP27, la conférence annuelle des Nations unies sur le climat. M. Achakzai a participé à l'événement en tant qu'unique représentant non officiel de l'Afghanistan.

En 2019, les émissions de carbone de l'Afghanistan se sont élevées à 0,3 tonne métrique, contre une moyenne mondiale de 4,6 tonnes métriques. Pourtant, le pays est affecté de manière disproportionnée par le changement climatique, et son exclusion des fonds climatiques internationaux et des programmes d'adaptation le rend dangereusement vulnérable aux chocs futurs.

M. Hamidi a prévenu que si des mesures immédiates n'étaient pas prises, la crise de l'eau en Afghanistan pourrait facilement s'étendre au-delà de ses frontières, les populations devant faire face à des catastrophes répétées. Si la gestion de l'insécurité hydrique est une tâche complexe, « il est essentiel de relever les défis immédiats liés à l'eau, tels que [la construction de] barrages et [leur] entretien », a-t-il déclaré.

« Il est essentiel de faire revivre et d'entretenir les systèmes traditionnels d'approvisionnement en eau, tels que les Karez, qui ont toujours fourni une eau fiable. Ces canaux souterrains minimisent l'évaporation et peuvent aider à soutenir les communautés, en particulier dans les zones rurales », a déclaré M. Achakzai. « Une stratégie à long terme impliquerait une collaboration avec les communautés locales ».

Et d'ajouter : « Cela permettrait non seulement de gérer l'aide limitée fournie à l'Afghanistan, mais aussi de sensibiliser la population aux problèmes de l'eau afin de la préparer aux chocs futurs. »


Ruchi Kumar est une journaliste indépendante qui travaille sur l'Asie du Sud. Elle a été publiée dans Foreign Policy, The Guardian, NPR, The National, Al Jazeera et The Washington Post, entre autres. Suivez-la sur Twitter @RuchiKumar

Trump et le Moyen-Orient : que nous réserve l’avenir ?

19 novembre 2024, par Gilbert Achcar — , , , ,
Benjamin Netanyahu espérait la victoire de Trump avec impatience et a fait tout ce qu'il pouvait pour y contribuer. Alors, qu'est-ce qui nous attend maintenant que le retour de (…)

Benjamin Netanyahu espérait la victoire de Trump avec impatience et a fait tout ce qu'il pouvait pour y contribuer. Alors, qu'est-ce qui nous attend maintenant que le retour de Trump à la Maison Blanche est confirmé ?

13 novembre 2024
Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres
tiré de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/131124/trump-et-le-moyen-orient-que-nous-reserve-l-avenir

photo Serge d'Ignazio

La victoire de Trump dans la course à la présidence des États-Unis est une catastrophe majeure pour les peuples de la région, en plus de l'énorme Nakba qui fait rage depuis le « déluge d'Al-Aqsa » dirigé par le Hamas. Benjamin Netanyahu espérait cette victoire avec impatience et a fait tout ce qu'il pouvait pour y contribuer, que ce soit en incitant ses alliés de droite aux États-Unis ou en refusant d'accorder à Joe Biden et à la campagne présidentielle démocrate la trêve à Gaza qu'ils espéraient afin de leur fournir un argument électoral dont ils avaient désespérément besoin. Alors, qu'est-ce qui nous attend maintenant que le retour de Trump à la Maison Blanche est confirmé ?

Les informations disponibles – compte tenu du comportement de Trump au cours de son premier mandat présidentiel, des positions qu'il a exprimées lors de sa récente campagne et de ce qui a fuité dans ses cercles – indiquent qu'il est désireux d'apparaître comme un leader qui réalise la « paix », contrairement à Biden décrit comme un perpétuateur de guerre, incapable de résoudre les conflits. Alors que Trump cherche à mettre fin aux guerres dans lesquelles il ne voit pas l'intérêt de l'Amérique, il reste désireux d'atteindre ses objectifs dans les cas où il voit un intérêt certain. Ainsi, alors qu'il négociait avec les talibans au cours de son précédent mandat en vue du retrait des forces américaines d'Afghanistan et qu'il souhaitait retirer la couverture militaire américaine pour les Kurdes en Syrie à la demande du président turc Erdogan, il soutenait la présence continue des forces de son pays en Irak, exprimant effrontément son intérêt pour la richesse pétrolière de ce pays.

Et bien qu'il ait exprimé son ambition de conclure « l'accord du siècle » sur la Palestine, la « paix » qu'il a proposée était si inique que Mahmoud Abbas lui-même l'a rejetée, tandis que Netanyahou l'a chaleureusement approuvée, étant convaincu qu'aucune partie palestinienne ne pourrait accepter les termes d'un tel « accord ». Netanyahou espérait ainsi que le rejet palestinien de cette offre « généreuse » légitimerait l'accaparement par l'État sioniste de la terre de Palestine à l'ouest du Jourdain. Cela s'ajoutait au fait que Trump a abandonné en faveur d'Israël les positions politiques officielles qui ont longtemps été celles des États-Unis au sujet du conflit régional, que ce soit par son approbation officielle de l'annexion par Israël du plateau du Golan syrien occupé ou par le transfert de l'ambassade des États-Unis à Jérusalem et la fermeture du consulat américain pour les territoires occupés de 1967, le tout indiquant un soutien à l'expansionnisme sioniste. Sans oublier l'adhésion de Trump à la position d'Israël envers l'Iran, son retrait de l'accord nucléaire que l'administration de son prédécesseur Barack Obama avait conclu avec Téhéran après de longues et difficiles négociations, et son escalade de la provocation militaire en assassinant le commandant de la Force Al-Qods des Gardiens de la révolution iraniens, Qassem Soleimani, etc.

Trump n'a aucun intérêt à soutenir l'Ukraine et préférerait parvenir à un accord avec Vladimir Poutine qui satisferait le président russe, qu'il admire pour sa personnalité réactionnaire tout en désirant investir dans son pays. Il ne voit pas d'intérêt à l'alliance avec les pays européens à moins qu'ils ne fassent plus de concessions économiques aux États-Unis et n'augmentent leurs efforts militaires pour s'impliquer de plus en plus dans la confrontation américaine avec la Chine, que Trump considère comme le principal concurrent de l'Amérique (alors que l'hostilité envers la Chine est un pilier fondamental de l'idéologie de la droite impérialiste américaine qu'il dirige). En même temps, ce n'est un secret pour personne que Trump considère le pétrole et l'argent du pétrole des monarchies arabes du Golfe comme un intérêt suprême des États-Unis et l'État sioniste comme un allié inestimable pour son rôle de chien de garde de cet intérêt suprême. C'est parce que l'intérêt dans son sens le plus grossier – dans lequel l'intérêt personnel et familial prévaut sur toute autre considération, et dans lequel « l'intérêt de l'Amérique » est conçu dans son sens le plus étroit et le plus immédiat, en sus du désir de flatter les instincts les plus primitifs du public (un comportement généralement qualifié de « populiste » ou de « démagogique ») – cet intérêt est ce qui régit le comportement de Donald Trump, et rien d'autre.

On peut donc s'attendre que, sur le Liban, il adopte la position de l'administration Biden cherchant à mettre fin à la guerre en cours à des conditions qui satisfassent Israël, sur la base du retrait des forces du Hezbollah au nord de la zone stipulée dans la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU de 2006, et du remplacement progressif des forces du parti dans cette zone ainsi que des forces d'occupation israéliennes par l'armée régulière libanaise, à condition que des garanties soient fournies sous supervision des États-Unis quant au non-retour du parti dans la zone susmentionnée et le non-réapprovisionnement de son arsenal de missiles par l'Iran à travers le territoire syrien. Cela s'accompagnerait d'un renforcement de l'armée libanaise tel que l'équilibre des forces au Liban puisse changer, de façon à permettre à l'État dominé par les États-Unis de l'emporter sur le parti dominé par l'Iran. Toutefois, la conclusion de cet accord est actuellement soumise à l'approbation de l'Iran, qui le refuse toujours, car Téhéran préfère que le Hezbollah reste dans la mêlée plutôt que de le laisser en sortir et être ainsi empêché de prendre part à la confrontation à venir entre l'Iran et l'alliance américano-israélienne.

Netanyahu est convaincu que Trump sera plus disposé que Biden à s'engager dans cette confrontation. Il a déjà envoyé un représentant pour négocier avec le président élu sur les prochaines mesures envers l'Iran. Trump consultera également ses amis du Golfe, qui espèrent que l'Iran recevra un coup décisif, en dépit de la bienveillance envers Téhéran et de l'empathie pour le peuple de Gaza qu'ils expriment. Par de telles positions, ils essaient de contrer la surenchère iranienne concernant la Palestine et de convaincre Téhéran d'épargner leurs installations pétrolières, que Téhéran a menacé de frapper si ses installations nucléaires étaient attaquées. La probabilité d'une attaque conjointe américano-israélienne contre l'Iran est devenue très élevée avec le retour de Trump à la Maison Blanche. Il cherchera certainement à rétablir l'hégémonie ferme des États-Unis sur la région du Golfe, affaiblie pendant les ères Obama et Biden.

En ce qui concerne la Palestine, Trump est susceptible de soutenir l'annexion officielle par Israël d'une partie importante de la Cisjordanie et de Gaza (la partie nord de la bande de Gaza en particulier, où un « nettoyage ethnique » est actuellement mené par l'armée sioniste) en vue de l'expansion de ses colonies en Cisjordanie et la reprise de leur établissement à Gaza. Israël gardera aussi les couloirs stratégiques qui lui permettent de contrôler les concentrations restantes de population palestinienne dans les deux territoires occupés. Comme dans « l'accord du siècle » élaboré par le gendre de Trump, Jared Kushner, et annoncé au début de 2020, la transaction comprendra probablement une « compensation » offerte aux Palestiniens en échange de ce qui leur est pris et officiellement annexé au territoire israélien, consistant en des zones dans le désert du Néguev. Il y a huit mois, Kushner exprimait l'opinion qu'Israël devrait s'emparer de la partie nord de la bande de Gaza et investir dans le développement de son « front de mer », tout en transférant ses résidents palestiniens dans le désert du Néguev. Une fois de plus, cet « accord » qui prend le peuple palestinien pour des imbéciles ne trouvera aucun acteur palestinien, ayant la moindre crédibilité, prêt à l'accepter. Israël se sentira ainsi autorisé à l'imposer unilatéralement par la force, tandis que l'extrême droite sioniste continuera d'accentuer sa pression pour l'achèvement de la Nakba de 1948 par l'annexion de tout le territoire palestinien entre le fleuve et la mer et le déracinement de la plupart de ses habitants.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 12 novembre en ligne et dans le numéro imprimé du 13 novembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Israël-Palestine. Accroître la colonisation par refoulement, à l’heure de Trump

Bezalel Smotrich est « invité à Paris, le 13 novembre, par l'organisation Israel Is Forever, pour un gala de mobilisation des “forces sionistes francophones au service de la (…)

Bezalel Smotrich est « invité à Paris, le 13 novembre, par l'organisation Israel Is Forever, pour un gala de mobilisation des “forces sionistes francophones au service de la puissance et de l'histoire d'Israël”. Une organisation proche des colons extrémistes israéliens, dirigée par l'avocate franco-israélienne Nili Kupfer-Naouri, laquelle affirme qu'il n'existe pas de population civile innocente à Gaza tout en prônant l'entrave de l'entrée de l'aide humanitaire dans l'enclave palestinienne bombardée et privée de tout. » C'est ainsi que les signataires d'une tribune collective publiée dans le quotidien Le Monde, le 10 novembre, présentent l'invitation faite au ministre des Finances de l'Etat hébreu.

Tiré d'À l'encontre.

La qualification fondée de Bezalel Smotrich par les signataires de la tribune – « il se veut raciste, arabophobe, suprémaciste, colonialiste, annexionniste, révisionniste » – renvoie à la phase actuelle de l'expansion coloniale du gouvernement de Netanyahou et sa guerre génocidaire.

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Le 11 novembre, OCHA (Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU) déclarait en termes mesurés :

« OCHA s'inquiète du sort des Palestiniens qui restent dans le nord de Gaza, alors que le siège se poursuit, et demande d'urgence à Israël d'ouvrir la zone aux opérations humanitaires à l'échelle nécessaire, compte tenu des besoins massifs.

»Dans un nouveau rapport publié aujourd'hui [11 novembre], les organisations humanitaires ont soumis en octobre 50 demandes d'accès au gouvernorat de Gaza Nord aux autorités israéliennes. Trente-trois de ces demandes ont été rejetées d'emblée, et huit ont été acceptées dans un premier temps, mais se sont heurtées à des obstacles en cours de route.

»Les tentatives de coordination de l'évacuation d'un membre du personnel de l'ONU blessé dans la zone de Jabalia ont également été refusées, les autorités israéliennes suggérant que cette personne pourrait tenter d'être transportée à pied par des proches agitant des drapeaux blancs pour s'identifier. »

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Le Washington Post du 12 novembre écrivait :

« Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a salué lundi 11 novembre la victoire électorale du président Donald Trump, estimant que “le temps est venu” d'étendre la pleine souveraineté israélienne sur la Cisjordanie occupée.

»“La victoire de Donald Trump offre une occasion importante à l'Etat d'Israël”, a déclaré Bezalel Smotrich à ses partisans lors d'une conférence de son parti, selon des commentaires diffusés par son porte-parole. Pendant le premier mandat de Trump, a-t-il dit, “nous étions sur le point d'appliquer la souveraineté sur les colonies” en Cisjordanie, “et maintenant le temps est venu d'en faire une réalité”.

»Bezalel Smotrich a déclaré qu'il avait demandé à la direction de l'administration des colonies du ministère de la Défense, ainsi qu'à l'administration civile de l'armée israélienne en Cisjordanie (COGAT), de préparer des plans en conséquence, selon un compte rendu transmis par son porte-parole.

»Depuis la fin de l'année 2022, le gouvernement de coalition du Premier ministre Benyamin Netanyahou a considérablement étendu la présence d'Israël en Cisjordanie occupée, où l'on estime que 3 millions de Palestiniens “vivent aux côtés” de plus de 500 000 colons.

»L'administration de Netanyahou a approuvé des saisies stratégiques de terres et d'importantes constructions de colonies. Elle a intensifié les démolitions de propriétés palestiniennes. Elle a augmenté le soutien de l'Etat aux avant-postes de colons construits illégalement. Les violences des colons juifs visant des résidents palestiniens sont devenues monnaie courante et se déroulent souvent en présence de soldats ou de policiers israéliens.

»L'annonce faite lundi semble indiquer qu'Israël s'apprête à consolider les mesures annoncées fin mai, lorsque l'armée a réattribué d'importants pouvoirs de gestion sur la Cisjordanie à un poste nouvellement créé de “chef adjoint” au sein de l'administration civile, l'organe gouvernemental d'Israël dans cette région. Le même jour, ce poste a été confié à Hillel Roth, un proche collaborateur de Smotrich, qui est lui-même un défenseur de longue date des colons.

»“Pour aller de l'avant, j'ai [Smotrich] l'intention de prendre la tête d'une initiative gouvernementale déclarant que le gouvernement israélien travaillera avec la nouvelle administration du président Trump et la communauté internationale pour appliquer la souveraineté [israélienne] et en demander la reconnaissance américaine.” […] Dans ses commentaires de lundi, Smotrich a explicitement établi un lien entre l'élection de Trump et la voie qu'il propose d'emprunter. “Après des années au cours desquelles, malheureusement, l'administration actuelle a choisi d'interférer dans la démocratie israélienne et a personnellement refusé de coopérer avec moi en tant que ministre des Finances d'Israël, la victoire de Trump apporte également une opportunité importante”, a déclaré Smotrich, ajoutant que “2025 est l'année de la souveraineté en Judée et en Samarie”, en utilisant le nom biblique de la Cisjordanie. »

Dans Haaretz du 12 novembre, Noa Shpigel en la complétant donne tout son sens à la citation de Smotrich : « 2025 est l'année de la souveraineté en Judée et en Samarie. Les nouveaux nazis [autrement dit les Palestiniens tels que qualifiés par le noyau du gouvernement Netanyahou depuis le 7 octobre 2023] doivent en payer le prix par la confiscation définitive des terres, tant à Gaza qu'en Judée et Samarie. »

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Le 10 novembre, Haaretz dans un nouvel éditorial prolongeait ainsi celui du 29 octobre : « L'armée israélienne mène une opération de nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza. Les quelques Palestiniens qui restent dans la région sont évacués de force, les maisons et les infrastructures ont été détruites, et de larges routes sont construites dans la région, achevant de séparer les communautés du nord de la bande de Gaza du centre de la ville de Gaza. “La zone semble avoir été frappée par une catastrophe naturelle”, a conclu le correspondant militaire du Haaretz, Yaniv Kubovich, après une visite organisée par les FDI des forces israéliennes sur place la semaine dernière.

»Ce que Kubovich a vu, cependant, n'était pas une catastrophe naturelle mais plutôt un acte prémédité de destruction humaine. Un officier supérieur des FDI, identifié par le journal londonien The Guardian comme étant le général de brigade Itzik Cohen, commandant de la 162e division, a expliqué aux journalistes : “Il n'est pas question de permettre aux habitants du nord de la bande de Gaza de rentrer chez eux.”

»L'officier a déclaré que la grande majorité des habitants des communautés de la zone de Beit Hanoun, Beit Lahia, Al-Attatra, Jabalia (nord de Gaza) ont déjà été évacués. “Nous avons reçu des ordres très clairs”, a déclaré l'officier. “Ma tâche consiste à créer un espace nettoyé. Nous déplaçons la population pour la protéger, afin de créer une liberté d'action pour nos forces.”

»On a demandé à l'officier si l'armée mettait en œuvre le “plan des généraux” conçu par le général de division (à la retraite) Giora Eiland et quelques-uns de ses collègues commandants à la retraite pour expulser les Palestiniens du nord de la bande de Gaza tout en refusant l'aide humanitaire et en affamant ceux qui restent, qui seraient considérés comme des militants du Hamas et donc comme des cibles militaires légitimes. “Je ne sais pas ce qu'est le plan des généraux, je n'en ai aucune idée”, a répondu le commandant. “Nous agissons selon les instructions du commandement sud et du chef d'état-major de l'armée israélienne.”

»Il a précisé que sa division acheminait l'aide humanitaire “vers le sud”, en dehors de la “zone nettoyée” du nord de la bande de Gaza, où Israël interdit l'acheminement de nourriture, d'eau et de médicaments. “L'armée israélienne est une armée morale et éthique”, a conclu l'officier. “Nous opérons dans cette zone […] pour permettre à la population de se déplacer vers le sud, tout en mettant parfois nos propres vies en danger.”

»Il est important d'appeler les choses par leur nom : Eiland a peut-être vendu ces idées au public, mais le “nettoyage de l'espace” dans le nord de Gaza est effectué par les FDI sous la direction de leurs commandants, à commencer par le chef d'état-major, le lieutenant-général Herzl Halevi, et le chef du commandement sud, le général de division Yaron Finkelman, qui sont subordonnés aux directives de la direction politique : le Premier ministre Benyamin Netanyahou, le ministre de la défense Yoav Gallant, récemment limogé, et son successeur, Israel Katz.

»Au lieu de parler du plan des généraux, nous devrions parler des “ordres de Netanyahou”. C'est lui qui dirige et qui est responsable des crimes de guerre commis par les FDI dans le nord de la bande de Gaza au nom de la “guerre de Renaissance” : l'expulsion des Palestiniens, la destruction de leurs maisons et les préparatifs sur le terrain d'une occupation et d'une colonisation juive prolongées. »

Il serait temps que ceux qui se réclament dans les milieux politiques de l'autoproclamé « cercle de la raison » fassent leur la probité de tels simples reportages, pour ne pas dire de telles analyses.

Gaza. Une Autorité palestinienne impuissante

Devant l'ampleur de la destruction humaine et matérielle de Gaza, rendue pratiquement inhabitable, la nécessité d'une solution politique brandie par de nombreux États contraste (…)

Devant l'ampleur de la destruction humaine et matérielle de Gaza, rendue pratiquement inhabitable, la nécessité d'une solution politique brandie par de nombreux États contraste avec l'enfermement israélien dans une guerre sans fin. Parmi les pistes mises en avant, outre la relance d'un processus de négociations, revient fréquemment le principe d'un retour de l'Autorité palestinienne à Gaza, un territoire qui lui échappe depuis 2007. Cette solution n'a pourtant rien d'évident.

Tiré d'Orient XXI.

L'Autorité palestinienne (AP) est créée en mai 1994 par l'accord dit « Gaza-Jéricho » ou « Oslo I ». Ses compétences y sont définies afin de concrétiser le concept de gouvernement autonome et intérimaire. La période ainsi définie est de cinq ans — jusqu'au 4 mai 1999 — et doit alors permettre aux parties d'avancer sur les négociations sur le statut final. Mais l'ensemble des questions sensibles (création d'un État, statut de Jérusalem, délimitation des frontières, droit au retour des réfugiés, colonies, partage des ressources naturelles, etc.) est volontairement repoussé. En l'absence d'accord, ce gouvernement autonome et intérimaire est devenu pérenne, sans pour autant déboucher sur l'établissement d'un État de Palestine souverain et indépendant.

Cinq ans, devenus trente pour une Autorité sans souveraineté, et quatre ans devenus bientôt vingt pour un président, Mahmoud Abbas, sans légitimité. Élu en janvier 2005 pour un quadriennat, l'ancien premier ministre de Yasser Arafat et membre du Fatah a vu son mandat prolongé indéfiniment — jusqu'à la mise en place de nouvelles élections constamment repoussées. Bien avant le 7 octobre 2023, les Palestiniens des Territoires occupés vivaient une succession de crises politiques : division interpalestinienne depuis 2007, annulation des élections, poussée autoritaire, permanence et renforcement de la colonisation et du blocus sur Gaza, et enfin marginalisation régionale. Dès lors, comment envisager que l'un des problèmes majeurs de la vie politique des Territoires — la permanence de l'Autorité palestinienne dans ses contours actuels — puisse incarner la solution adéquate quand la destruction de Gaza cessera enfin ?

De quelle autorité parle t-on ?

Ce qu'on a coutume d'appeler « Accords d'Oslo » constitue en réalité une série d'accords qui n'ont jamais envisagé la création d'un État palestinien. Loin de se substituer à l'administration militaire israélienne des Territoires, elle vient s'y ajouter. Dans les faits, l'autonomie n'est pas l'antichambre de la souveraineté, mais son pis-aller. D'un côté, l'AP a obtenu de créer des corps de fonctionnaires et d'exercer un pouvoir sur les habitants des Territoires occupés. De l'autre, Israël contribue depuis trois décennies à maintenir en place une administration palestinienne qui ne peut contrecarrer ses ambitions coloniales.

Au-delà du morcellement des Territoires, les Accords d'Oslo posent les bases de la relation entre Israël et l'Autorité qui perdure jusqu'aujourd'hui. Elle repose principalement sur deux piliers : la coopération sécuritaire et la dépendance économique. Depuis l'occupation des territoires en 1967, Israël contrôle l'activité économique palestinienne. Les territoires sont maintenus dans un rôle de sous-traitants et absorbent le surplus de la production israélienne.

La coopération sécuritaire est une expression qui a occupé une place importante dans le débat public, tant l'Autorité palestinienne menace régulièrement, sans effet, de la suspendre pour exprimer son désaveu de la politique israélienne. Les services de sécurité palestiniens, dédoublés après la division entre Gaza et Cisjordanie, sont certes nombreux, mais dépendent, en Cisjordanie, du bon vouloir israélien. Oslo interdit en effet à l'Autorité palestinienne de constituer une armée, mais rend possible la mise en place d'une police aux compétences et pouvoirs étendus.

Comptant pour un tiers du budget de l'Autorité palestinienne, les forces de sécurité palestiniennes emploient plus de 85 000 personnes à la fin des années 2010 (on compte un agent de sécurité pour 48 Palestiniens, contre un agent pour 384 Américains). Cette croissance a non seulement permis l'emploi des anciens combattants palestiniens, mais aussi la mise en œuvre d'une surveillance étroite de la population et des opposants. Israël bénéficie de la protection d'un corps supplétif palestinien à moindre coût et l'Autorité palestinienne consolide son pouvoir en s'appuyant sur les renseignements fournis par Israël.

Vers une poussée contestataire

Après la crise de 2006-2007, qui a conduit à la division institutionnelle des Territoires avec un gouvernement dominé par le Hamas dans la bande de Gaza et un gouvernement issu du Fatah à Ramallah, celle de 2021 est la plus grave qu'a connue l'Autorité depuis son existence. Début 2021, les Territoires occupés se préparaient à la tenue d'élections législatives et présidentielle. Les seules élections qui ont pu se dérouler entre-temps sont des élections municipales (2012, 2017, 2019 et 2021) qui ont été un fiasco démocratique. Faible participation, fraude électorale, manœuvres dans la présentation des résultats : tout a été fait pour rendre invisible la perte de popularité du Fatah en Cisjordanie.

La réconciliation interpalestinienne et la tenue d'élections, pour redynamiser la vie politique et disposer d'une classe dirigeante légitime, sont au cœur des demandes populaires. Lorsque Mahmoud Abbas annonce en mai 2021 le report (euphémisme pour parler de l'annulation) des élections, une vague de contestation envahit les rues de Cisjordanie et de Gaza. La répression contre les manifestants s'intensifie, de nombreux opposants sont arrêtés et certains, comme Nizar Banat, mourront dans des circonstances volontairement laissées obscures.

En parallèle, le gouvernement israélien mène une offensive d'ampleur à Jérusalem, cherchant l'éviction des habitants de plusieurs quartiers palestiniens de Jérusalem-Est (Silwan, Sheikh Jarrah) et multipliant les provocations et les agressions sur l'Esplanade des mosquées. En annulant les élections, Abbas a aggravé la contestation en Cisjordanie, qui se traduit notamment par la résurgence d'un activisme armé, d'abord dans le nord (Naplouse, Jénine) et ensuite dans presque toute la Cisjordanie. Au même moment, le Hamas lance l'opération Épée de Jérusalem (sayf al-quds) et se pose en contre-modèle de l'Autorité palestinienne de Ramallah. L'émergence d'une contestation, civile ou armée, contre ce pouvoir palestinien traduit une volonté partagée de remettre la question de la lutte contre l'occupation et la colonisation au centre du jeu politique, plutôt que de s'évertuer à construire un État sans souveraineté.

Le mythe d'une « solution politique » a minima

C'est dans ce cadre politique que doit être jaugée la faisabilité d'un déploiement de l'Autorité palestinienne comme solution politique au drame de Gaza. À la suite des attaques du Hamas contre des bases militaires et des kibboutz en Israël le 7 octobre 2023 puis le bombardement de Gaza par l'armée israélienne, le président palestinien est resté pratiquement silencieux. Sa mise en retrait souligne que Gaza, où il ne s'est pas rendu depuis 2006, lui est devenue comme un territoire étranger.

Dans un geste, à peine commenté en Cisjordanie tant il paraissait dérisoire, il a annoncé un changement de gouvernement fin mars 2024. Mahmoud Abbas prétendait ainsi apporter une réponse, quoique tardive et plutôt timide aux demandes de 2021, sans passer par les urnes et sans saisir l'ampleur du drame en cours depuis octobre 2023. Le gouvernement, technocratique, tente certes d'accorder une place privilégiée à des personnalités gazaouies, mais ne représente pas l'ensemble des courants palestiniens. Le gouvernement de Mohammed Moustafa s'est donné comme tâche d'agir pour un cessez-le-feu à Gaza sur lequel il n'a aucun poids, et de penser la reconstruction de ce territoire dont l'ampleur de la destruction reste à déterminer.

En Cisjordanie, ce nouveau gouvernement, pas plus que le précédent, n'a les moyens de lutter contre la poussée contestataire et l'augmentation drastique des violences des colons et de l'armée israélienne. Pour Gaza, il est cantonné à un rôle d'observateur des pourparlers menés sous l'égide du Qatar et de l'Égypte. Indépendamment de la bonne volonté de ses ministres, ce gouvernement impuissant fait l'objet de critiques sévères, puisque ses opposants voient dans l'établissement de plans successifs pour s'établir à Gaza un moyen pour le Fatah de prendre sa revanche sur le Hamas, qui l'en a chassé en 2007. Surtout, ses dirigeants feignent d'ignorer que la solution politique qu'ils espèrent incarner requiert un abandon de la logique d'Oslo, qui a remplacé la demande d'indépendance par une autonomie sous forte contrainte.

Les défis de la division

Le 18 juillet 2024, le parlement israélien a voté dans sa très grande majorité (68 voix contre 9) son opposition à l'établissement d'un État palestinien, même provenant d'une solution négociée. Ce vote traduit un consensus transpartisan israélien et n'augure rien de favorable pour les ambitions prêtées à l'Autorité palestinienne. Le premier obstacle à l'établissement d'une Autorité sur l'ensemble des Territoires occupés est en effet la volonté israélienne de dissiper tout espoir que l'indépendance palestinienne puisse constituer une solution viable. Ce vote israélien se double d'une campagne soutenue par certains ministres et de mouvements de colons, pour recoloniser Gaza. Leur idée est d'accentuer le déplacement forcé de la population palestinienne déjà en cours pour annexer de nouveaux territoires.

Au-delà, l'Autorité doit réussir à s'opposer à la création d'un statut d'exception pour la bande de Gaza. Après le retrait unilatéral des colonies en 2005 (et dans un contexte d'une occupation indirecte, par le contrôle total des accès au territoire), puis la division interpalestinienne en 2007, Israël a consolidé une vision exclusivement sécuritaire de ce territoire. Quand bien même le 7 octobre a souligné toutes les apories d'une telle approche, cette même doctrine demeure au centre des ambitions israéliennes : diviser la bande de Gaza en y établissant une zone militaire sur environ un tiers du territoire et maintenir une force non palestinienne pour assurer la sécurité des deux tiers restants, en collaboration avec certains alliés régionaux. C'est dans ce cadre que le nom de Mohammed Dahlan est évoqué, bien qu'il ne s'exprime pas en son nom propre sur le sujet. Ancien directeur de la Sécurité préventive à Gaza, il a mené une lutte implacable contre le Hamas. Suite à des accusations de corruption, le Fatah l'exclut et il est poussé à l'exil en 2011. Devenu conseiller de Mohammed Ben Zayed, président des Émirats arabes unis, il entretient de bonnes relations avec les autorités israéliennes, égyptiennes et américaines, ce qui justifie pour certains d'en faire le nouvel homme fort d'une bande de Gaza réduite à sa dimension sécuritaire. Un tel plan aggraverait la division palestinienne qui constitue, au côté de la coopération sécuritaire, l'autre fondement de la contestation palestinienne depuis près de deux décennies.

S'ajoute également la question du financement de la reconstruction pour laquelle certaines estimations de l'ONU évaluent les besoins à 100 milliards de dollars (94 milliards d'euros) sur deux décennies. En dépit de son intérêt pour piloter ce processus, l'Autorité palestinienne ne dispose pas des ressources nécessaires et s'appuierait sur des bailleurs extérieurs. Les plans de la reconstruction de Gaza sont systématiquement bâtis sur l'idée que les monarchies du Golfe, Arabie saoudite en tête, accepteront d'y contribuer de façon significative. Or, ces pays ne cessent de répéter que l'ère de ces financements sans contrepartie (au Liban comme en Palestine) est terminée. À moins que la reconstruction ne soit inscrite dans un processus politique qui viserait à établir un État de Palestine indépendant, ces pays déclarent déjà leur désengagement.

Gouverner, représenter, résister

Enfin, depuis des décennies, la scène politique palestinienne dans les Territoires occupés et en exil est traversée par une hétérogénéité des préoccupations, qui s'est exprimée de façon plus visible après le 7 octobre. Coexistent ici trois mots d'ordre, dont la fusion est essentielle pour tout projet palestinien : gouverner, représenter et résister. La question du gouvernement est intrinsèquement liée à celle de sa légitimité, qu'elle soit l'expression d'un accord national autour de figures politiques consensuelles ou issues des urnes. Celle de la représentation s'incarne depuis deux décennies dans la réconciliation entre les deux partis ennemis — Fatah et Hamas — et l'inclusion au sein de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) du Hamas et du Jihad islamique palestinien, qui n'en sont pas membres. L'affichage à Moscou et Pékin en 2024 de discussions interpalestiniennes sur l'avenir de l'OLP n'ont, pour l'instant, pas abouti. Sans avancée tangible sur ce sujet, des initiatives concurrentes pour incarner une voix palestinienne renouvelée pourraient prendre corps, à l'instar de l'ambition portée par l'ancien député israélien Azmi Bichara, de former une alternative à l'OLP regroupant quelques centaines de nouvelles figures palestiniennes des Territoires occupés et de la diaspora pour porter la cause palestinienne hors des frontières et sans être soumis au bon vouloir du pouvoir de Ramallah.

Ces discussions sur l'avenir de l'Autorité se déroulent par ailleurs comme si la question de la succession de Mahmoud Abbas (bientôt 89 ans, deuxième chef d'État le plus âgé derrière Paul Biya) n'était plus posée. Or, celle-ci est au cœur des enjeux des élections comme des réarticulations du pouvoir à Ramallah tant qu'Abbas cumule les casquettes de dirigeant du Fatah, de l'OLP et de la présidence de l'Autorité. Les différentes nominations des dernières années — Hussein Al-Cheikh au secrétariat général de l'OLP, Mahmoud Al-Aloul à la vice-présidence du Fatah — indiquent qu'Abbas ne souhaite pas nommer un seul candidat ayant toutes les responsabilités pour lui succéder, mais préfère les répartir entre plusieurs individus. Une succession précipitée et mal préparée, ainsi que l'engagement de secteurs du Fatah jusqu'ici écartés (autour notamment de Marwan Barghouthi et Mohammed Dahlan), pourrait faire naître une concurrence entre eux qui fragiliseraient de l'intérieur l'Autorité, au moment où le pari de sa consolidation est fait.

Reste l'épineuse question de la résistance à l'occupation israélienne et la contestation en cours de l'Autorité. La transformation du Hamas ces dernières années et les choix opérés le 7 octobre sont à l'exact opposé de la politique répressive de l'Autorité. Répondre à l'attente de la fin de l'occupation, à la protection de ses citoyens, à leurs demandes de réforme et aux respects de ses engagements internationaux est un défi insurmontable. Pour ce faire, un accord avec le Hamas et les composantes armées de la bande de Gaza s'impose. Même si le Hamas ne participe pas au futur gouvernement, il ne pourra être complètement mis à l'écart des négociations concernant sa composition et son mandat. Un an après le début de la guerre, le Hamas s'impose encore sur la scène politique palestinienne comme une force incontournable pour tout projet lié à Gaza. Son exclusion risque d'éveiller les spectres de l'affrontement interpalestinien de 2007. Au-delà de la rivalité entre les différents partis politiques, la volonté populaire palestinienne, rarement abordée, ne devrait idéalement pas être exclue. Ce projet de l'établissement de l'Autorité palestinienne à Gaza devrait être conçu non seulement comme une solution politique à la suite d'un cessez-le-feu, mais avant tout comme un projet national reformulé et capable de répondre aux aspirations des Palestiniens.

« Ce pays, ce n’est pas un pays… »

« c'est une base militaire ». C'est ainsi que Noam Chomsky finit la phrase du titre ; et il n'en est pas seul. Dans une présentationà Boston en 2003, Chomsky dépeint les (…)

« c'est une base militaire ». C'est ainsi que Noam Chomsky finit la phrase du titre ; et il n'en est pas seul. Dans une présentationà Boston en 2003, Chomsky dépeint les similarités entre le régime d'apartheid africain et l'État d'Israël. Il en souligne aussi une différence : ce dernier est, en principe, une base militaire.

À l'année de cette présentation, la caractéristique militaire de ce pays a été moins explicite que ce que nous témoignons sous nos yeux. Connu pour posséder une centaine d'armes nucléaires, selon les statistiques reconnues comme objectives, en 2024, l'Israël est le 17e puissant militaire au monde. Et sa place dans la population mondiale ? 98e !

Que l'Israël soit absolument en fonction d'aide multifacette des États-Unis est très bien connu. Ce qui est moins connu est le rôle d'autres pays. Selon un article publié par la BBC en septembre de cette année, en 2023, les pays européens ont vendu 361 $ m d'armes en Israël : 10 fois plus que l'année précédente !

Le soutien pratiquement inconditionnel d'un pays sous Biden, qui se considère explicitement comme sioniste, et ses alliés l'amène la situation à l'état actuel :

— selon un rapport des Nations unies publié par The New York Times en mai 2024, la reconstruction des maisons de Gaza dure 80 ans !

— Selon un article publié par The Guardian en juin cette année, 80 % des écoles à Gaza ont été déjà détruits au moment de la publication de cet article.

— Selon un rapport publié la semaine passée, le 8 novembre, par Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, seulement 12 hôpitaux d'ensemble de 32 hôpitaux de Gaza sont partiellement fonctionnels !

De plus, nous ne témoignons que des signes de la détermination de l'aggravation de statu quo de la part d'État d'Israël.

Si le militarisme est un ingrédient incontournable de l'ère actuel de l'impérialisme américain, l'Israël comme une base doit continuer son rôle autant que nécessaire. À cet égard, un rappel de l'existence des moments où les alliés sont mis à côtés dans le passé est clarifiant. Les talibans, munis et soutenus par l'occident avec la direction des États-Unis contre Union soviétique, pour un, Saddam contre le gouvernement iranien, pour l'autre – et la liste n'y arrête pas. D'une manière ironique, tous ces alliés sont considérés des ennemis et même détruits une fois que leur date d'échéance est arrivée. Est-ce que cela peut être également le cas pour l'État d'Israël ? Entre autres, à côté d'aide matérielle, le soutien englobant des États-Unis, le sens de culpabilité de l'Allemagne et l'incertitude de la France, continuent à nourrir cette base militaire. Mais plus que ça.

C'est maintenant vastement connu et reconnu que cet état acrééet financièrement soutenu Hamas jusqu'à deux ans à peu près avant l'octobre 2022, pour diviser les Palestiniens. À long terme, selon cette lecture, l'état génocidaire, a eu besoin de cette guerre et ce massacre pourcréer un Israël encore plus grand ! Pour cet objectif, il a besoin de nouvelles formes d'antisémitisme.

Pour nourrir son élan du militantisme et de l'expansionnisme, l'état israélien a réussi à transformer les menaces quasi symboliques en menaces véritables. Grâce au soutien inconditionnel du parrainage des États-Unis et de leurs alliés, les missiles de Hamas pratiquement toujours inefficaces sont transformés en menaces qui nuisent au peuple israélien. C'est aussi le cas pour Hezbollah. Mais la cible véritable, selon les autorités israéliennes, est l'Iran. La réaction de l'Iran à cet égard ne semble pas un facteur déterminant de plan de cette base militaire.

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« Médicide » : la destruction systématique et délibérée par Israël de la santé des Palestiniens

19 novembre 2024, par Agence Média Palestine — , , , ,
Le 1er octobre 2024, l'organisation Medical Aid for Palestinians dénoncait dans un communiqué qu'un « schéma clair d'attaques répétées, directes et apparemment illégales, ainsi (…)

Le 1er octobre 2024, l'organisation Medical Aid for Palestinians dénoncait dans un communiqué qu'un « schéma clair d'attaques répétées, directes et apparemment illégales, ainsi que les effets du siège, amènent la MAP à conclure que le système de santé de Gaza est en train d'être systématiquement démantelé ». L'agence Média Palestine revient aujourd'hui sur le crime de médicide perpétué depuis un an par Israël à Gaza.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Depuis le 28 octobre 2024 et le raid brutal israélien qui a mené à l'arrestation de la quasi totalité des soignant·es qui s'y trouvaient, il n'y a à l'hôpital Kamal Adwan plus qu'un seul médecin et une seule infirmière. L'établissement est le dernier en fonctionnement dans le nord de Gaza. Dans une déclaration vidéo, le Dr Khalil Daqran exhortait les organisations internationales à envoyer du personnel médical à l'hôpital situé dans le nord de la bande de Gaza, dénonçant que des patients s'y vidaient de leur sang faute de soins appropriés, alors que les camions d'aide humanitaire et de matériel médical sont empêchés de pénétrer la zone.

Cette situation catastrophique n'est qu'une nouvelle étape dans la destruction systématique menée Israël depuis maintenant plus d'un an de tout le système de santé de Gaza. L'agence Média Palestine propose un bref tour d'horizon de ces attaques répétées, qui soulignent l'intention génocidaire d'Israël d'éradiquer le peuple palestinien dans son ensemble : « Lorsque les hôpitaux sont attaqués, que leurs infrastructures sont détruites et que l'électricité est coupée, la vie des patient·es et du personnel médical est menacée, il s'agit purement et simplement d'une punition collective imposée aux Palestinien·nes de Gaza », explique Anna Halford, coordinatrice d'urgence de MSF à Gaza.

Le soin à Gaza détruit

Fin octobre, 20 des 36 hôpitaux de Gaza étaient hors service, tandis que 16 ne fonctionnaient que partiellement. Sur les 11 hôpitaux de campagne, la moitié n'est que partiellement fonctionnelle. Le nombre de lits d'hôpitaux dans la bande de Gaza a chuté de 75 % (d'environ 3 400 au début de la guerre à environ 1 200 fin septembre). Sur les 16 hôpitaux en activité, seuls quatre disposent d'un approvisionnement complet en eau et de services d'égouts, et deux seulement d'un approvisionnement régulier en électricité.

Dans les hôpitaux surchargés, les médecins sont contraint·es de faire des choix impossibles entre leurs patient·es en raison du manque de matériel et de personnel, comme le raconte le Dr Odeh : « Un bébé très, très malade devait être placé sous respirateur. Après le décès du bébé, que faire du respirateur ? Il n'y a aucun moyen de désinfecter le respirateur et de le débarrasser des bactéries multirésistantes. Nous n'avons pas non plus de tuyaux de rechange lorsque nous utilisons le respirateur pour un autre bébé. Il y a donc de très fortes chances de transmettre l'infection à d'autres bébés : soit le bébé meurt parce qu'il n'y a pas de respirateur, soit il meurt à cause de l'infection bactérienne. Les options sont tragiquement limitées. »

Selon les Nations unies, 1 047 membres du personnel médical palestinien ont été assassiné-es et 310 ont été arrêté-es au cours de la guerre – une réalité qui met encore plus à rude épreuve les équipes médicales locales. Les professionnel·les du soin palestiniens-nes considèrent que leur travail de soignant les désignent comme des cibles, nombre d'entre elles et eux ont été arrêté·es, maltraité·es et emmené·es dans des centres de détention en Israël, avant d'être renvoyé·es à Gaza par l'armée. Beaucoup déclarent s'attendre à mourir.

De nombreux·ses membres du personnel médical n'ont pas reçu leur salaire depuis des mois. Un grand nombre d'entre elles et eux ont perdu des membres de leur famille, mais continuent à venir travailler. Beaucoup vivent dans des tentes près des hôpitaux, ou marchent chaque jour – parfois pendant des heures – de la tente familiale à l'hôpital.

Les Gazaoui·es en danger

Avec le système de soin, c'est bien sûr la santé des Palestinien·nes qui est détruite. Outre les bombardements aériens et raids terrestres de l'armé israélienne, les conditions de vie précaires, les déplacements forcés et répétés, la famine et les épidémies développées en raison de l'insalubrité des camps sont autant de risques mortels auxquels est confrontée quotidiennement la population gazaouie.

Dans une lettre ouverte à la maison blanche publiée en octobre 2024, 99 professionnel·les de la santé états-unien·nes en mission à Gaza estiment à 62 413 le nombre de décès dus à la malnutrition et à la maladie, dont la plupart étaient des enfants. Les patient·es sous dialyse, les cancéreux·ses et les femmes enceintes n'ont nulle part où aller, et il est estimé à environ 5 000 le nombre de décès dus à des maladies chroniques qui n'ont pas pu être soignées correctement. De plus, les blessé·es sont souvent incapables d'atteindre les hôpitaux qui fonctionnent encore, car les services d'ambulance ont été pratiquement réduits à néant.

À quelques exceptions près, les soignants estiment que toute la population de Gaza est malade et/ou blessée, et presque tous les enfants de moins de 5 ans souffrent de toux ou de diarrhée. En outre, les soignant·es décrivent une détresse mentale quasi générale chez les jeunes enfants, précisant que certain·es qui étaient suicidaires ou espéraient mourir. L'une des infirmières témoigne que de nombreux enfants ne réagissent plus à la douleur.

Ces morts viennent alourdir dramatiquement le bilan des victimes palestiniennes du génocide israélien : « Avec les morts violentes connues, les quelque dix mille personnes ensevelies sous les décombres et certainement mortes, une estimation prudente de 62 413 décès dus à la malnutrition et à la maladie, et une estimation prudente de 5 000 décès chez les patient·es souffrant de maladies chroniques, nous estimons que le nombre actuel de morts est d'au moins 118 908. »

Crime contre l'humanité

La destruction du système de santé donne une image sombre du présent de Gaza, sans parler de son avenir. Une guerre qui détruit les hôpitaux et ne permet pas la mise en place d'une alternative viable est une guerre contre une population civile, aujourd'hui en proie à la maladie et à la famine.

Dans sa requête à la Cour internationale de justice demandant l'application de la Convention sur le génocide à la guerre d'Israël contre Gaza, la République d'Afrique du Sud affirmait que les « attaques incessantes d'Israël contre le système de santé palestinien à Gaza infligent délibérément aux Palestinien·nes de Gaza des conditions de vie calculées pour entraîner leur destruction ».

Une commission d'enquête indépendante des Nations unies sur les dommages causés aux infrastructures sanitaires de la bande de Gaza, publiée en septembre, a conclu que les actions d'Israël s'inscrivent dans une politique délibérée qui constitue un crime contre l'humanité, y compris sous la forme d'extermination et de torture. Les auteur·ices du rapport n'ont trouvé aucun fondement à la plupart des affirmations d'Israël concernant l'utilisation militaire des hôpitaux par le Hamas.

Ce document réfute donc les justifications d'israël et déclare que les attaques ne respectent pas le principe de distinction et de protection : « Les attaques contre les établissements de santé sont un élément intrinsèque de l'assaut plus large des forces de sécurité israéliennes contre les Palestinien·nes de Gaza et l'infrastructure physique et démographique de Gaza, ainsi que des efforts visant à étendre l'occupation. Les actions d'Israël violent le droit international humanitaire et le droit du peuple palestinien à l'autodétermination, et elles sont en contradiction flagrante avec l'avis consultatif de la Cour internationale de justice de juillet 2024. »

« La Commission constate qu'Israël a mis en œuvre une politique concertée visant à détruire le système de santé de Gaza. Les forces de sécurité israéliennes ont délibérément tué, blessé, arrêté, détenu, maltraité et torturé le personnel médical et pris pour cible des véhicules médicaux, ce qui constitue le crime de guerre d'homicide volontaire et de maltraitance et le crime contre l'humanité d'extermination. »

« La Commission estime que ces mesures ont été prises à titre de punition collective contre les Palestiniens de Gaza et qu'elles s'inscrivent dans le cadre de l'attaque israélienne contre le peuple palestinien qui a débuté le 7 octobre. »

Médicide

Vendredi 26 octobre 2023, la rapporteure spéciale des Nations unies sur la santé Tlaleng Mofokeng a utilisé dans un appel d'urgence pour Gaza à la communauté internationale le terme de « médicide », qui désigne la destruction totale ou partielle d'un système de soins dans le but de supprimer ou d'endommager les conditions nécessaires pour sauver et maintenir la vie des malades et des blessé·es.

La destruction massive par Israël des infrastructures médicales à Gaza n'est pourtant pas nouvelle et fait partie intégrante des stratégies de guerre qu'il déploie contre les Palestinien·nes. Au cours des cinq cycles d'éruption de violence entre 2008 et 2023, l'armée israélienne a porté des coups dévastateurs aux services de santé palestiniens déjà gravement affaiblis par diverses formes de violence structurelle remontant à plusieurs décennies. Au total entre décembre 2008 et mai 2021, Israël a mené 180 frappes contre des hôpitaux, des cliniques médicales et des ambulances dans la bande de Gaza. Ces attaques ont eu lieu alors que des centaines, voire des milliers de blessé·es palestiniens cherchaient un traitement médical urgent dans les hôpitaux et les cliniques ou un refuge dans leurs bâtiments.

Au cours de l'attaque de 2008-9 contre Gaza, l'armée israélienne a endommagé ou détruit 58 hôpitaux et cliniques, ainsi que 29 ambulances, tout en tuant 16 travailleurs médicaux et en en blessant 25 autres. Lors de la campagne militaire de 2012, les destructions ont été plus limitées, avec 16 hôpitaux et cliniques, ainsi que 6 ambulances, endommagés ou détruits, et trois travailleurs médicaux blessés. Deux ans plus tard, cependant, 73 hôpitaux et cliniques et 45 ambulances ont été endommagés ou détruits, 23 travailleurs médicaux ont été tués et 76 autres blessés. Lors de la campagne militaire de 2014, l'armée israélienne a eu recours à des « frappes multiples consécutives » sur un même site, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de victimes civiles mais aussi des meurtres et des blessures parmi les intervenant·es des premiers secours. En mai 2021, des frappes aériennes israéliennes ont endommagé 33 centres de soins, dont le principal laboratoire COVID-19 de Gaza, et au moins deux médecins éminents ont été tués.

Chacune de ces formes d'attaques contre les sytème de santé a été reproduite dans l'année écoulée à Gaza, dans une ampleur et une intensité sans précédent.

Chronologie de la destruction du système de santé à Gaza

L'Agence Média Palestine propose ci-dessous une chronologie des attaques sur les hôpitaux de Gaza. Celle-ci est non-exhaustive et ne concerne que des assauts directs sur les bâtiments hospitaliers, elle ne prend pas en compte les frappes indirectes, les tirs ciblants les personnels de premiers secours et d'autres attaques envers les soins des Palestinien·nes.

Octobre

Dès le 7 octobre 2023, Médecins Sans Frontières (MSF) rapporte que des tirs des forces israéliennes ont frappé l'hôpital indonésien de Beit Lahia et une ambulance devant l'hôpital Nasser de Khan Younis, tuant une infirmière et un chauffeur d'ambulance et blessant plusieurs autres personnes.

Le même jour, Israël coupe toute fourniture d'éléctricité à Gaza, et de nombreuses organisations alertent aussitôt sur l'impact dramatique que cette décision aura sur les hôpitaux et sur la survie des centaines de blessé·es qui y affluent suite aux bombardements massifs et aveugles des zones densément peuplées de l'enclave Palestinienne. Des médecins gazaoui·es alertent le 10 octobre 2023 que leurs générateurs ne disposent plus que de 3 jours de réserve d'énergie. Le blocage de l'arrivée de convois humanitaires conduit rapidement à des pénuries d'eau, de médicaments et de matériel médical qui n'ont fait que s'aggraver depuis lors. Le 16 octobre, le président de MSF alerte sur son compte X que les médecins de l'hôpital Al-Shifa opèrent désormais sans analgésiques.

Dans les semaines qui suivent, de nombreuses frappes israéliennes endommagent les bâtiments médicaux de Gaza, tuant et blessant leur personnel. Si ceux-ci ne sont à priori pas toujours la cible directe des attaques, de nombreuses voix s'élèvent pour rappeler que le droit international impose que les hôpitaux soient protégés et accusent Israël de ne pas prendre de mesures pour éviter de les impacter : le droit des conflits armés (DCA), l'article 12 du protocole additionnel I, qui stipule que « les unités médicales doivent être respectées et protégées en tout temps et ne doivent pas être l'objet d'attaques ».

Le 25 octobre, le ministère de la santé de Gaza annonce que le système de santé est « complètement hors service » et qu'au moins 7 000 patient·es malades ou blessé·es risquent de mourir. Les blackouts ou coupures de communications, récurrents à partir de la mi-octobre, empêchent les survivant·es des bombardements d'appeler les secours et d'obtenir de l'aide à temps.

Novembre

L'hôpital AL-Shifa, situé en plein centre de la ville de Gaza, est progressivement encerclé par l'armée israélienne à partir de 11 novembre. Le ministère de la santé de Gaza dénonce que les 15 000 Palestinien·nes qui s'y étaient réfugié·es sont mis en danger par cette opération, de même que les 1 500 patient·es et 1 500 membres du personnel médical. MSF rapporte que des médecins et des patient·es ont été ciblé·es par des tirs de précision, et que des familles qui tentaient de quitter l'enceinte de l'hôpital ont été tuées par l'armée israélienne.

Le 15 novembre commence le premier assaut terrestre israélien sur l'hôpital Al-Shifa, qui durera trois jours et est aussitôt qualifié d'« inacceptable » par l'Organisation Mondiale de la Santé. Le 17 novembre, des membres du personnel médical affirment que 50 patient·es sont mort·es, dont des enfants, en raison du manque d'électricité et d'oxygène. Le 18 novembre, une partie des patient·es et des réfugié·es est évacuée de force.

Le 20 novembre, un tir d'obus israélien frappe le deuxième étage de l'Hôpital Indonésien à Beit Lahia au nord de Gaza, tuant 12 personnes. L'hôpital est ensuite encerclé, et une partie des civil·es qui s'y abritaient est évacuée de force, sur le même schéma que ce qui était observé à Al-Shifa quelques jours plus tôt.

Le 21 novembre, quatre médecins sont assassinés dans le bombardement de l'hôpital Al-Awda au nord de Gaza, alors que l'OMS annonce préparer l'évacuation des 3 seuls hôpitaux fonctionnels du nord de l'enclave. Des nombreux incidents surviendront pendant ses évacuations, lors desquels des patient·es et du personnel médical sont tué·es ou arrêté·es et emprisonné·es par Israël.

Décembre

Quelques heures après la fin de la trêve mise en place du 24 au 30 novembre, MSF rapporte que l'hôpital Al-Awda a été endommagé par une explosion et dénonce les bombardements indiscriminés de l'armée israélienne sur la zone. Al-Awda est ensuite assiégé, et au moins deux médecins Palestiniens sont tués par des tireurs d'élite israéliens dans les jours qui suivent. Les patient·es et réfugié·es assiégés doivent vivent sans eau potable et avec un seul repas par jour.

L'hôpital Kamal Adwan est touché par des bombardements aériens les 3 et 5 décembre, tuant au moins 4 personnes dont des enfants. Plus de 10 000 Palestinien·nes déplacé·es y sont réfugié·es et des témoins racontent que des dizaines de corps y attendent de pouvoir être enterrés en raison des intenses bombardements.

Le 8 décembre, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres annonce que 286 travailleur·ses de la santé ont été assassiné·es par Israël depuis le 7 octobre. Le 10 décembre, le ministère de la santé indique que 50 000 personnes ont été blessé·es par Israël pendant cette même période. Les hôpitaux encore fonctionnels sont submergé·es, des médecins rapportent devoir traiter leurs patient·es à même le sol, faute de lits à leur fournir.

Après 5 jours de siège, un raid y est lancé par l'armée israélienne sur l'hôpital Kamal Adwan le 12 décembre, qui conduira à l'arrestation de 70 personnes le lendemain, sans indication du motif ni du lieu de leur détention. Le 14 décembre, le ministère de la santé de Gaza rapporte que 2 500 réfugié·es de Kamal Adwan ont été évacué·es de force et que les soldat·es israélien·nes ont empêché le personnel médical de continuer à soigner 12 bébés en soins intensifs et 10 patient·es du service des urgences, ce qui a entraîné deux décès.

Le 17 décembre, l'armée israélienne prend le contrôle de l'hôpital Al Adwan, qui est décrit comme « en ruine ». Les hommes de plus de 16 ans sont emmenés, déshabillés et interrogés avant d'être pour la plupart renvoyés vers l'hôpital avec l'ordre de ne pas le quitter. Des témoins rapportent que l'armée israélienne a profané des corps en roulant dessus avec des bulldozers. Le même jour, la maternité de l'hôpital Nasser à Khan Younis est touchée par des tirs et une enfant de 12 ans est tuée.

Le 18 décembre, l'hôpital Al-Ahli, également appelé l'hôpital baptiste, est attaqué par l'armée israélienne, qui force les réfugié·es qui s'y trouvent à sortir et arrêtent deux médecins. L'hôpital est partiellement détruit et est décrit comme « hors service » par ses médecins. Quatre blessé·es lors de cette attaque meurent de leurs blessures le lendemain.

Le 25 décembre, le ministère de la santé de Gaza déclare que 23 hôpitaux sont hors service et que le système de santé est au « stade final » de l'effondrement, avec 800 000 personnes dans le nord de Gaza qui n'ont pas accès aux soins de santé.

Janvier

Le 2 janvier, le Croissant-Rouge palestinien déclare que les forces israéliennes ont pris pour cible le huitième étage de son siège à Khan Younis, causant la mort d'au moins quatre personnes déplacées, dont un bébé.

Le 6 janvier, MSF annonce évacuer son personnel de l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa à Deir Al-Balah, redoutant un futur siège de l'hôpital en raison des intenses bombardements depuis plusieurs jours dans toutes les zones environnantes. Le 7 janvier en effet, l'armée israélienne lâche par voie aérienne des tracts désignant toute la zone environnant l'hôpital Al-Aqsa comme une « zone rouge ». Le ministère de la santé de Gaza affirme que des drones israéliens « tirent sur tout ce qui bouge », empêchant l'accès comme la fuite de l'hôpital. Le 10 janvier, au moins 40 personnes sont tuées dans un bombardement à l'entrée de l'enceinte du bâtiment. Le 12 janvier, l'hôpital est plongé dans la pénombre et ses respirateurs et couveuses sont coupées, n'ayant plus de carburant nécessaire à faire fonctionner les générateurs d'électricité. L'hôpital Al-Aqsa fonctionne avec seulement 10% de son équipe médicale.

Le 15 janvier, l'organisation mondiale de la santé (OMS) déclare que l'hôpital Nasser fait face à un afflux de blessé·es et doit accueillir plus du double de ses capacités. Des intenses bombardements se rapprochent du complexe hospitalier tout au long du mois de janvier, faisant craindre un nouveau siège et entrainant des mouvements de panique parmi les réfugié·es.

Le 23 janvier, des ordres d'évacuations concernant des zones incluant l'hôpital Nasser sont délivrés par l'armée israélienne. Une partie de l'équipe médicale et des réfugié·es sont contraint·es de fuir, l'hôpital fonctionne désormais avec moins de 20% de son personnel. Les attaques israéliennes s'étendent à Khan Younis et menacent également l'hôpital Al-Amal.

Le 24 janvier, le Croissant-Rouge palestinien (PRCS) déclare que les forces israéliennes assiègent son siège et l'hôpital Al-Amal à Khan Younis et imposent un couvre-feu dans le périmètre. Le ministère de la santé de Gaza indique que l'hôpital Nasser est isolé et qu'environ 400 patients diabétiques ne peuvent pas recevoir leur traitement. Des témoignages rapportent que personnes fuyant Nasser sont tuées par des chars et des drones israéliens.

Le 27 janvier, le ministère de la santé de Gaza affirme que les réservoirs d'eau du complexe médical Nasser ont été endommagés par des éclats d'obus et des tirs de drones israéliens. Ces dégâts entrainent des fuites d'eau dans les bâtiments et dans l'unité de soins intensifs de l'hôpital, ainsi qu'une pénurie d'eau dans le centre de dialyse. L'hôpital assiégé n'est plus en mesure d'évacuer ses déchets médicaux et non-médicaux, et est contraint d'enterrer des dizaines de corps d'enfants dans une fosse commune, faute de pouvoir atteindre les cimetières.

Le 30 janvier, des tanks israéliens pénètrent dans la cour de l'hôpital Al-Amal et forcent les palestinien·nes qui y étaient réfugié·es à partir en brûlant leur tentes. Tous les bâtiments de l'hôpital subissent des tirs et des blessé·es succombent faute de personnel et de matériel médical. Les deux hôpitaux de Khan Younis annoncent ne plus être en mesure de fournir de la nourriture à leurs patient·es comme à leurs équipe.

Février

Le 2 février, les hôpitaux de Khan Younis Al-Amal et Nasser annoncent faire face à de sérieuses pénuries en oxygène et en médicaments. Le 5 février, un corridor est mis en place pour évacuer 8 000 palestinien·nes de l'hôpital Al-Amal en direction de Rafah. Le 9 février, l'armée israélienne lance un assaut terrestre sur Al-Amal.

Le 13 février, le bombardement d'une école à proximité de l'hôpital Nasser provoque un incendie qui détruit 80% des fournitures médicale dont disposait le centre. L'hôpital est toujours assiégé et fait face à une situation sanitaire catastrophique.

Mars

Le 18 mars, l'armée israélienne entame un nouveau raid sur l'hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza, déjà attaqué et partiellement détruit en novembre. L'attaque dure deux semaines et fait de nombreuses victimes, sans qu'on puisse en déterminer le nombre exact. Plusieurs charniers communes seront découverts les mois suivants dans la cour de l'hôpital, dans lesquels certains corps sont enterrés encore attachés à un cathéter.

Avril

Le 1er avril, après une opération de 14 jours menée par les forces israéliennes à l'intérieur et autour de l'hôpital Al-Shifa, l'hôpital est laissé en ruines et hors service. Une clinique de MSF située à proximité de l'hôpital a également été gravement endommagée. Des centaines de personnes ont été tuées, y compris des membres du personnel médical, et des arrestations massives de membres du personnel médical et d'autres personnes ont eu lieu à l'intérieur et autour de l'hôpital.

Mai

Le 7 mai, au lendemain du début de l'offensive israélienne à Rafah, MSF déclare transférer son personnel à l'hôpital Nasser. L'UNOCHA indique que le plus grand hôpital de Rafah, l'hôpital Abu Youssef An Najjar, a été contraint d'évacuer. La principale maternité de Rafah annonce ne plus pouvoir accepter de nouvelles patientes. Le 10 mai, des témoignages rapportent que les hôpitaux de Rafah sont désertés par les patient·es et le personnel médical qui fuient les intenses bombardements. Celles et ceux qui ne peuvent se déplacer risquent de mourir faute de soin. La fermeture du point de passage de Rafah bloque également le transfer de nombreux·ses malades et blessé·es nécessitant des soins en Égypte. Les 25 et 28 mai, les hôpitaux de campagne de Rafah sont contraints d'être évacués lorsque les combats se rapprochent du centre-ville.

Juillet

Le 2 juillet, une zone de Khan Younis comprenant l'hôpital européen de Gaza, l'un des dernier hôpital fonctionnel de l'enclave, est contrainte à évacuer par l'armée israélienne. Malgré la parution d'une seconde déclaration israélienne affirmant que l'hôpital n'est pas concerné par l'ordre d'évacuation, la majorité des patient·es et du personnel fuient vers les hôpitaux Nasser et Al-Amal, qui sont très vite saturés.

Août

Le 19 août 2024, un premier cas de polio est détecté à Gaza. Une campagne de vaccination sera déployée par la suite, principalement prise en charge par l'UNRWA.

Octobre

Le 19 octobre, l'hôpital indonésien et l'hôpital Al-Awda sont directement visés par des tirs, alors que le siège israélien du nord de Gaza dure depuis deux semaines, que l'arrivée d'aide humanitaire et de fournitures médicales est bloquée et que de nombreux·ses blessé·es affluent. Il est estimé que plus de 350 patient·es sont assiégé·es, dont des femmes enceintes ou des patient·es en convalescence ne pouvant se déplacer.

Le 22 octobre, le directeur de l'hôpital al-Awda, Bakr Abu Safiyeh, déclare que des quadcoptères israéliens ont ouvert le feu directement sur l'hôpital. Il affirme également que les drones prennent pour cible toute personne aux alentours de l'hôpital, y compris des ambulances.

Le 23 octobre, des drones israéliens larguent des tracts et diffusent des messages vocaux à l'attention des Palestinien·nes se trouvant aux alentours de l'hôpital Kamal Adwan (le dernier hôpital fonctionnel du nord de Gaza, ou des centaines de personnes sont réfuigiées) et à l'intérieur de ses locaux, leur ordonnant de partir. Après plusieurs jours de siège ponctué de plusieurs tirs ciblés, un raid israélien est déclenché le 28 octobre sur l'hôpital Kamal Adwan, qui conduit à l'arrestation de l'entièreté de son personnel, à l'exception de son directeur et d'une infirmière.

Le rôle de l’Intelligence artificielle dans la campagne génocidaire israélienne

Israël utilise des technologies d'intelligence artificielle dans sa campagne génocidaire à Gaza pour assassiner des Palestiniens, employant pour ce faire des entreprises (…)

Israël utilise des technologies d'intelligence artificielle dans sa campagne génocidaire à Gaza pour assassiner des Palestiniens, employant pour ce faire des entreprises technologiques israéliennes et américaines. Cependant, il existe une longue histoire de pratiques de surveillance en Palestine occupée qui nous a conduits jusqu'à aujourd'hui.

Tiré de France Palestine solidarité. Source : Palestine Studies. Photo : Simulation finale de l'unité Yahalom, 2022 © Armée israélienne. Traduction : Chronique de Palestine

L'intelligence artificielle (IA) est définie de manière générale comme des machines capables d'effectuer des tâches qui requièrent généralement l'intelligence humaine. Des décisions peuvent être prises et des algorithmes peuvent analyser des données de surveillance beaucoup plus rapidement qu'il n'est humainement possible de le faire.

Antony Lowenstein, auteur de The Palestine Laboratory, a déclaré lors du forum annuel Palestine Digital Activism au début du mois de juin : « Je crains que dans les années à venir, c'est [l'intelligence artificielle] qui sera dénoncée. ‘Ce n'était pas nous, c'était la machine.' Non… ce n'est pas une machine qui a pris la décision d'appuyer sur le bouton pour bombarder une maison. C'est un humain qui a pris cette décision. Un Israélien ».

Gaza

Des rapports sur les systèmes de traitement de données basés sur l'IA « Lavender », « Gospel » et « Where's Daddy », développés et utilisés par les forces d'occupation israéliennes [IOF] dans leur campagne génocidaire contre Gaza, ont attiré l'attention du plus grand nombre, incitant les journalistes à qualifier Gaza de site du premier génocide basé sur l'IA.

La technologie de l'IA aurait été utilisée pour la première fois à Gaza lors de l'assaut israélien de 11 jours en 2021. Pendant le génocide en cours, elle est utilisée pour la première fois pour tuer des Palestiniens à un niveau sans précédent et à un rythme beaucoup plus rapide.

Ces trois systèmes connus identifient des « cibles » pour les frappes aériennes en se basant sur les enregistrements de surveillance de masse des Palestiniens de Gaza, collectés depuis des années par l'OIF dans le cadre raciste de la surveillance de ce qu'ils considèrent comme des « menaces » pour le régime israélien.

Le système « Gospel » « recommande » des bâtiments et des structures à frapper, tandis que les systèmes « Lavender » et « Where's Daddy » « recommandent » des personnes à tuer et suivent leur localisation pour déterminer le moment où une frappe doit être effectuée.

Ces « recommandations » sont approuvées par l'armée israélienne pour des frappes aériennes sur des zones urbaines civiles densément peuplées, sans pratiquement aucun examen.

Quelques agents des services de renseignement israéliens ont déclaré au magazine +972 qu'ils ne prenaient « personnellement » que 20 secondes pour examiner et approuver la recommandation de frappe aérienne, et qu'ils n'utilisaient ce temps que pour confirmer que la « cible » est un homme.

Il n'est pas certain qu'il s'agisse là d'une politique réelle. En août, cependant, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme a publié une déclaration révélant que la majorité des personnes tuées à Gaza sont des femmes et des enfants.

Israël n'essaie pas de procéder à un nettoyage ethnique d'un sexe ou d'un groupe d'âge particulier : il vise tous les Palestiniens. Les mensonges et les justifications entourant la fonctionnalité et la « précision » de ces technologies militaires basées sur l'IA sont destinés à rassurer et à « épater » le monde occidental colonialiste.

C'est ce qui est apparu clairement lorsque les attaques terroristes israéliennes par téléavertisseur ont mutilé, rendu aveugles et tué des milliers de personnes au Liban, alors que d'innombrables journalistes d'organes occidentaux ayant pignon sur rue, louaient les prétendues prouesses technologiques d'Israël.

Ces systèmes d'IA collectent, recherchent et traitent les données acquises par les outils de la surveillance israélienne des Palestiniens à grande échelle.

La reconnaissance faciale de Google Photos, l'appartenance à des groupes WhatsApp, les connexions aux médias sociaux, les contacts téléphoniques et les données cellulaires, entre autres, sont analysés par le système d'IA pour créer une liste de personnes à abattre.

Les soldats israéliens choisissent ensuite de l'approuver pour bombarder des familles et des quartiers entiers. Ils recommencent encore et encore, à un rythme beaucoup plus rapide qu'auparavant.

Grâce aux progrès de la technologie des armes, ces outils sont censés être extrêmement « précis », en ce sens que l'OIF sait exactement qui elle désigne pour le meurtre. Dans la pratique, cependant, ils ciblent délibérément le peuple palestinien dans son ensemble en vue d'un meurtre de masse.

Le système d'intelligence artificielle peut désigner des cibles beaucoup plus rapidement que les humains et l'armée israélienne dispose de tellement de munitions (fournies principalement par les États-Unis) qu'elle s'est lancée dans une folie meurtrière contre les Palestiniens de Gaza.

L'armée israélienne choisit exactement qui tuer, sachant que des quartiers entiers seront réduits en poussière.

Depuis des décennies, Israël contrôle les infrastructures de télécommunications utilisées par les Palestiniens de Gaza (et de toute la Palestine occupée), notamment les lignes téléphoniques et les réseaux de téléphonie mobile et d'Internet.

Helga Tawil-Souri, spécialiste palestinienne des médias, qualifie ce contrôle d'« occupation numérique », car les télécommunications palestiniennes sont surveillées, ralenties et coupées par Israël, à des fins coloniales et génocidaires.

En 2021, une source israélienne de l'unité de renseignement israélienne 8200 a déclaré à Middle East Eye qu'Israël pouvait écouter toutes les conversations téléphoniques ayant lieu en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Ces informations alimentent très certainement les machines à tuer dotées d'une intelligence artificielle qui sont utilisées pour le génocide à Gaza.

Selon des agents anonymes des services de renseignement israéliens qui ont parlé au magazine +972, « rien n'arrive par hasard… Nous savons exactement combien de dommages collatéraux il y a dans chaque maison ». La surveillance israélienne calcule et estime le nombre de civils qui seront tués pour assassiner un membre présumé du Hamas ou du Jihad islamique palestinien avant d'approuver les « cibles » des frappes aériennes.

Comme l'a déclaré un soldat israélien au magazine +972, « les FDI les ont bombardés dans les maisons sans hésitation, comme première option. Il est beaucoup plus facile de bombarder la maison d'une famille. Le système est conçu pour les rechercher dans ces situations. »

Sophia Goodfriend, spécialiste de l'IA et de la surveillance, souligne la responsabilité israélienne dans ces décisions dans +972 Magazine, en écrivant : « Israël ne s'appuie pas sur des armes entièrement autonomes dans la guerre actuelle contre Gaza ; les unités de renseignement utilisent plutôt des systèmes de ciblage alimentés par l'IA pour classer les civils et les infrastructures civiles en fonction de leur probabilité d'être affiliés à des organisations militantes. Cela accélère et élargit rapidement le processus par lequel l'armée choisit qui tuer, générant plus de cibles en un jour que le personnel humain ne peut en produire en une année entière ».

En décrivant le système « Where's Daddy », une source anonyme a déclaré à +972 Magazine : « Vous mettez des centaines [de personnes] dans le système et vous attendez de voir qui vous pouvez tuer ».

Il est confirmé qu'Amazon Web Services fournit des services en cloud et des serveurs qui sont utilisés pour stocker des quantités massives de données de surveillance sur les Palestiniens de Gaza. Ces données de surveillance servent à alimenter les systèmes de « recommandation » de meurtre par l'IA décrits ci-dessus.

En avril 2021, Amazon et Google ont signé avec le gouvernement israélien un contrat de 1,2 milliard de dollars portant sur la technologie de l'informatique en cloud dans le cadre du « Projet Nimbus », qui est mis à profit dans le génocide en cours à Gaza, avec une augmentation significative des achats de services de stockage de données et d'IA auprès de ces entreprises dans le cadre du contrat Nimbus.

Un commandant militaire israélien a également partagé publiquement en juillet 2024 que l'armée utilise actuellement l'infrastructure cloud civile des entreprises Amazon, Google et Microsoft pour étendre ses capacités militaires génocidaires à Gaza.

La société américaine Palantir, spécialisée dans l'exploration de données, est également utilisée pour exploiter des systèmes d'intelligence artificielle pour l'armée israélienne, comme l'a rapporté The Nation.

En janvier 2024, la société a conclu un nouveau « partenariat stratégique » pour fournir au régime israélien des systèmes d'intelligence artificielle afin de traiter les données de surveillance sur les Palestiniens et de les cibler dans les « missions liées à la guerre » actuelle, ce qui inclut sans aucun doute la campagne militaire génocidaire à Gaza.

En janvier, le conseil d'administration de Palantir a également tenu sa première réunion de l'année en Israël, où Alex Karpe, cofondateur et PDG de l'entreprise, a signé dans la foulée l'accord réactualisé avec le ministère israélien de la défense, dans son quartier général militaire.

Palantir est une entreprise américaine qui entretient des liens étroits avec le « contre-terrorisme », les services de police et les opérations militaires des États-Unis.

Son PDG se targue d'être « très bien connu en Israël. Israël apprécie notre produit… Je suis l'un des rares PDG à être publiquement pro-israélien ».

La surveillance n'est pas une nouveauté

La surveillance, un terme qui est entré dans le lexique public aujourd'hui avec ses manifestations numériques expliquées ci-dessus, n'a rien de nouveau. Il s'agit d'un système conçu pour surveiller, contrôler et déposséder les personnes, avec ou sans technologie numérique.

Sous l'occupation britannique de la Palestine avant la Nakba, puis sous l'occupation israélienne, les Palestiniens ont subi une surveillance « low-tech » par le biais de cartes d'identité obligatoires, de registres de population, de points de contrôle, de couvre-feux, de miradors, de frontières artificielles, d'emprisonnements, de murs, et bien d'autres choses encore.

La surveillance a ses racines dans les entreprises coloniales : dans le monde entier, les colonisés savent très bien qu'ils sont surveillés à des fins de contrôle et de dépossession, et de nombreuses pratiques de surveillance biométrique ont été développées et utilisées dans des contextes coloniaux.

Comme l'a écrit le chercheur palestinien Fayez Saygeh en 1965, « pour l'État colonisateur sioniste, exister, c'est préparer et s'efforcer d'étendre son territoire ».

Les technologies de surveillance contribuent à cette expansion en opprimant les Palestiniens et en élargissant la portée de ce qu'Elia Zureik, éminent spécialiste palestinien de la surveillance, a appelé le « regard israélien » sur la vie des Palestiniens.

La surveillance est rarement une simple observation : c'est un outil qui permet le contrôle des mouvements, la violence physique, les déplacements forcés et le génocide.

Zureik a souligné que la surveillance est un outil de pouvoir « intimement lié au processus d'altérisation, par lequel l'affirmation de soi et la construction de l'identité du colonisateur sont configurées sur la base de la stigmatisation et du dénigrement de l'identité de l'autre, le colonisé ».

Les Palestiniens sont censés se sentir constamment observés et surveillés en tant qu'outil du colonialisme sioniste. Il s'agit d'un phénomène de racialisation, ce qui signifie que les Palestiniens se voient attribuer des identités raciales inférieures à celles des colons israéliens, qui sont censés les opprimer et les coloniser par la pratique de la surveillance.

Aujourd'hui, le régime de surveillance high-tech basé sur l'intelligence artificielle poursuit les mêmes objectifs, mais avec encore plus de données collectées abusivement et une capacité technologique accrue à exercer la violence contre davantage de Palestiniens, plus rapidement, grâce à des outils d'intelligence artificielle.

La surveillance actuelle repose sur l'écosystème du « big data », c'est-à-dire la collecte de vastes quantités d'informations sur les Palestiniens occupés à des fins coloniales génocidaires de dépossession.

Ces énormes systèmes de traitement de données basés sur l'IA, tels que « Lavender », sont le reflet direct de l'ère actuelle du « big data ». Les gouvernements, aidés par des entreprises technologiques privées, cherchent à extraire et à exploiter autant de données que possible sur une population afin de l'opprimer.

Mira Yaseen, chercheuse palestinienne en études de surveillance, relie le paradigme du big data à son histoire coloniale. Elle explique à Palestine Square que « les études sur la surveillance négligent souvent les racines coloniales de la surveillance, et lorsqu'elles les reconnaissent, elles semblent ne pas accorder beaucoup d'attention au paradigme du big data, qui reconfigure la surveillance aujourd'hui. »

Elle note que le régime israélien « incorpore de plus en plus de technologies de big data locales dans la gestion de la population », ce qui ne pourrait être plus clair à travers l'utilisation de « Lavender », « Where's Daddy », « Gospel », et de nombreuses autres technologies basées sur l'IA utilisées à travers la Palestine occupée.

Avec un accès illimité à d'énormes quantités de données de surveillance et la capacité rapidement élargie de les analyser à des fins oppressives, Israël a une capacité sans précédent de commettre des génocides et des déplacements forcés en Palestine, ce dont nous sommes témoins en ce moment même à Gaza.

Lors d'une table ronde intitulée « AI in Times of War : Gaza, Automated Warfare, Surveillance, and the Battle of Narratives » (L'IA en temps de guerre : Gaza, la guerre automatisée, la surveillance et la bataille des récits) au Palestine Digital Activism Forum, l'universitaire Matt Mahmoudi a expliqué comment les Palestiniens étaient soumis à leur insu à la technologie de reconnaissance faciale par l'armée israélienne aux points de contrôle situés le long de la route de Salah Al-Din à Gaza.

Cette route a été désignée comme un « itinéraire sûr » par l'armée israélienne dans les premiers mois du génocide pour que les Palestiniens puissent voyager avec tout ce qu'ils pouvaient transporter, parfois pieds nus, avec des corps martyrisés le long de la route, dans un processus de déplacement forcé du nord au sud de la bande de Gaza.

Cette technologie de reconnaissance faciale – créée par la célèbre unité 8200 du cyberespionnage israélien – est exploitée en partie grâce à la technologie d'une société privée israélienne appelée Corsight et de la société américaine Alphabet via Google Photos.

Ces outils permettent d'analyser les visages à partir de photos granuleuses et dans des espaces bondés. Les hommes et les jeunes garçons palestiniens déplacés qui ont été « identifiés » et désignés comme militants du Hamas par cette technologie sont ensuite pris en otage par les Israéliens et détenus dans des lieux secrets à Gaza et dans le désert d'Al-Naqab (Néguev), où ils sont soumis à d'horribles tortures, notamment des violences sexuelles, des tortures médicales puis des meurtres.

Les essais d'armes expérimentales se font à foison dans ce contexte colonial. De nombreuses technologies de surveillance israéliennes sont d'abord utilisées à Gaza et en Cisjordanie, où le régime militaire israélien et le mépris génocidaire pour la vie des Palestiniens permettent aux entreprises privées de créer des prototypes et d'affiner leurs produits dans le cadre de contrats avec les forces armées israéliennes, avant de les exporter à l'étranger.

La juriste palestinienne Samera Esmeir a commenté l'attaque israélienne meurtrière de huit jours contre Gaza en 2012, qui a tué plus de 165 Palestiniens, dont 42 enfants, tout en rendant le siège – en vigueur depuis 2006 – encore plus contraignant.

Elle avait établi que « la transformation de Gaza en un laboratoire pour l'hégémonie coloniale et impériale dans la région est faite en Israël ».

Cet assaut avait vu la première utilisation documentée de la technologie anti-missile Iron Dome, fournie par les États-Unis.

Elias Zureik a beaucoup écrit sur la nature expérimentale de la surveillance des Palestiniens, s'appuyant sur l'idée d'Aimé Césaire de « l'effet boomerang » pour affirmer que « au-delà de la circulation des technologies et des stratégies de surveillance d'un espace colonial à l'autre, les méthodes adoptées pour surveiller les groupes marginaux et minoritaires perçus comme une menace pour l'État, sont finalement étendues à la majorité, et celles développées dans les colonies font leur retour dans la métropole. »

C'est ce que montrent les outils de surveillance coloniale tels que Pegasus, créé par le groupe israélien NSO, qui est aujourd'hui utilisé dans le monde entier pour pirater les journalistes, les défenseurs des droits de l'homme et les militants.

Cisjordanie

Dans la ville occupée d'al-Khalil (Hébron) en Cisjordanie occupée, où les colons israéliens ont pris le contrôle de certaines parties de la ville – en particulier la vieille ville et ses environs, qui sont sous le contrôle total de l'armée israélienne – la surveillance de masse des Palestiniens au moyen de l'IA est omniprésent.

Des caméras de télévision en circuit fermé – dotées d'une technologie de reconnaissance faciale – font face aux maisons des Palestiniens à Al-Khalil, tandis que d'autres sont installées de force sur les toits des maisons palestiniennes.

Ces technologies d'intelligence artificielle élargissent la portée et la violence des infrastructures de surveillance déjà existantes, telles que les postes de contrôle israéliens, les tours de surveillance, les cartes d'identité et les permis, ainsi que les routes séparées.

Selon le Washington Post, en 2020, l'armée israélienne a mis en place un nouveau programme de surveillance dans le cadre duquel les soldats israéliens ont reçu l'ordre et ont été incités à collecter de force le plus grand nombre possible d'images de Palestiniens dans la zone occupée d'Al-Khalil, afin de constituer une base de données sur les Palestiniens qu'un ancien soldat a qualifiée de « Facebook pour les Palestiniens ».

Une technologie de smartphone gérée par l'armée, appelée Blue Wolf, est utilisée pour effectuer cette surveillance, et les photos capturées sont ensuite comparées à une base de données d'images.

L'application indique si la personne doit être autorisée à passer, détenue ou arrêtée immédiatement, en utilisant les couleurs rouge, jaune ou verte, ce qui permet aux soldats israéliens de terroriser les Palestiniens en toute impunité.

Blue Wolf serait une version compatible avec les smartphones, d'une base de données militaire plus importante appelée Wolf Pack qui stocke les images, les antécédents familiaux, les indices de sécurité, les informations sur les plaques d'immatriculation, les informations sur les permis et le niveau d'éducation des Palestiniens dans l'ensemble de la Cisjordanie.

L'objectif de ces outils militaires est de collecter et de gérer des informations sur chaque Palestinien de Cisjordanie, afin de maintenir et d'étendre le contrôle colonial.

En 2023, Amnesty International a publié un rapport intitulé « Automated Apartheid » (Apartheid automatisé) qui s'appuyait sur les connaissances antérieures concernant ces technologies basées sur l'IA pour documenter une technologie de surveillance appelée Red Wolf utilisée à Al-Khalil et à Jérusalem. Elle serait liée à Blue Wolf et Wolf Pack.

Red Wolf opère aux points de contrôle de l'IOF dans la zone occupée d'al-Khalil (Hébron), où il scanne et enregistre les visages des Palestiniens à l'aide de la technologie de reconnaissance faciale, incorporant les visages dans de vastes bases de données de surveillance à leur insu ou sans leur consentement, ce qui n'est pas possible avec l'application pour smartphone Blue Wolf.

Red Wolf, qui utilise des mécanismes de reconnaissance faciale, est déployé aux points de contrôle militaires. Les visages des Palestiniens qui traversent sont enregistrés automatiquement sans qu'ils le sachent ou y consentent, alors qu'un soldat de l'OIF prend leur photo pour la faire passer dans une base de données.

Ce programme est utilisé pour déterminer si un Palestinien doit se voir refuser le passage ou être détenu au poste de contrôle.

Des chercheurs tels que Rema Hammami ont beaucoup écrit sur la façon dont les points de contrôle israéliens – qui contrôlent les mouvements des Palestiniens dans toute la Palestine occupée – fonctionnent comme des « technologies coloniales » pour faciliter la « gestion biopolitique des populations autochtones [qui] est fondamentalement motivée par les logiques nécropolitiques d'élimination ».

À Jérusalem occupée, la surveillance par l'IA est omniprésente.

Amnesty International a recueilli des informations sur des milliers de caméras de télévision en circuit fermé utilisées dans la vieille ville et faisant partie d'un système de vidéosurveillance appelé « Mabat 2000 », contrôlé par l'OIF, équipé d'une technologie de reconnaissance faciale et opérationnel dans la partie occupée de Jérusalem-Est.

Ce système a été mis en place en 2000 et a été amélioré en 2018 pour inclure des capacités de surveillance biométrique, telles que la reconnaissance d'objets et de visages.

Amnesty International a constaté qu'il y avait une à deux caméras de vidéosurveillance tous les cinq mètres dans la géographie de Jérusalem-Est occupée, et Euro-Med Monitor rapporte que les caméras de vidéosurveillance couvrent 95 % de cette zone.

Dans les quartiers de Sheikh Jarrah et de Silwan, le nombre de caméras de vidéosurveillance a augmenté rapidement au cours des trois dernières années, le gouvernement israélien cherchant à expulser de force les Palestiniens de leurs maisons pour permettre aux colons de s'emparer de leurs propriétés.

Un rapport publié en 2021 par l'organisation palestinienne de défense des droits numériques 7amleh, comprend des entretiens avec des Palestiniens de Jérusalem occupée et fait état d'un sentiment commun d'être constamment surveillés, même à l'intérieur de son domicile.

Ils ont indiqué que cette surveillance était assurée par des caméras de vidéosurveillance ainsi que par le contrôle des médias sociaux par l'armée israélienne, en particulier par la cyberunité israélienne, créée en 2015. Elle travaille avec les entreprises de médias sociaux pour supprimer les contenus palestiniens.

En 2021, un jeune Palestinien de Silwan a déclaré à 7amleh qu'en plus du siège physique et de la surveillance, « nous sommes également soumis ici à un siège électronique ». Ce siège électronique n'a fait que se renforcer pendant le génocide en cours à Gaza, qui a conduit à une escalade des arrestations de Palestiniens dans toute la Palestine occupée pour avoir publié des messages sur les médias sociaux au sujet du génocide.

Les algorithmes de « modération » de contenu automatisés et alimentés par l'IA suppriment de manière démesurée le contenu palestinien à l'échelle mondiale, des algorithmes que Jillian York a qualifiés de « boîte noire » lors de son intervention au PDAF organisé par 7amleh au début du mois de juin 2024.

L'experte palestinienne en droits numériques Mona Shtaya documente le fait que, pendant le génocide en cours à Gaza, Meta « supprime activement le contenu palestinien qui cherche à documenter les violations des droits de l'homme en Palestine, comme les preuves enregistrées relatives à l'attentat à la bombe de l'hôpital arabe al-Ahli » et interdit de manière flagrante et disproportionnée le contenu sur la Palestine.

L'IA générative – une technologie qui émerge et se développe rapidement et qui utilise des données d'apprentissage pour générer des résultats tels que des images, des textes, des conversations et autres – a également été discriminatoire à l'égard des contenus palestiniens.

Lors d'une table ronde intitulée « Generative AI : Dehumanization & Bias Against Palestinians & Marginalized Communities » (IA générative : déshumanisation et partialité à l'égard des Palestiniens et des communautés marginalisées) au PDAF, M. Shtaya a expliqué que les résultats générés par l'IA des chatbots – tels que ChatGPT ou les autocollants WhatsApp générés par l'IA – « manipulent l'opinion publique » avec des contenus négatifs sur les Palestiniens, alimentant ainsi des campagnes de désinformation qui favorisent le génocide.

Shtaya a insisté sur le fait que « les médias sociaux et les plateformes technologiques n'investissent pas suffisamment de ressources pour lutter contre la désinformation […] afin de limiter ou d'interdire les préjudices technologiques causés par le contenu généré par l'IA ».

Shahd Qannam et Jamal Abu Eisheh écrivent dans le Jerusalem Quarterly sur la façon dont la surveillance israélienne des Palestiniens à Jérusalem en particulier, est essentielle à la vision coloniale d'éliminer les Palestiniens de l'ensemble de Jérusalem et de la Palestine colonisée.

Ils écrivent : « Les domaines numériques et en ligne sont des espaces qui deviennent des sites de lutte entre la logique coloniale éliminatoire et la résistance indigène à l'effacement. Après tout, c'est le territoire qui est au cœur du colonialisme de peuplement, et dans la mesure où l'espace numérique est un territoire, il est essentiel d'examiner les pratiques de domination d'Israël sur cet espace ».

En éliminant les voix palestiniennes des espaces en ligne, Israël cherche à éliminer complètement les Palestiniens.

Des entreprises israéliennes ont même créé un algorithme utilisé par l'OIF pour surveiller et détenir des Palestiniens sur la base de leurs publications sur Facebook.

Il s'agit d'un algorithme prédictif, c'est-à-dire qu'il recherche les messages censés « inciter à la violence », ce qui inclut les photos de martyrs ou de Palestiniens emprisonnés.

Qannam et Abu Eisheh expliquent également comment Israël a mis en place le « Projet biométrique israélien » en 2009, une initiative visant à imposer des cartes d'identité numériques pour créer une base de données contenant les informations biométriques des résidents d'Israël, y compris les résidents palestiniens de Jérusalem occupée.

Ces cartes d'identité numériques doivent être renouvelées auprès du ministère israélien de l'intérieur et peuvent être révoquées pour priver les Palestiniens de leur droit de résidence à Jérusalem.

En résumé, la collecte massive de données est un moyen de surveillance et de contrôle utilisé pour intensifier l'élimination des Palestiniens par les colons.

L'échange mortel de technologies

Le système automatique ShotSpotter de détection acoustique des coups de feu par IA – une « technologie de police de précision » – de la société américaine du même nom, a bénéficié d'un contrat avec la police israélienne en 2021, révélant une volonté coloniale transnationale d'automatiser l'oppression.

Ce système permet d'étendre la portée du contrôle carcéral et colonial contre les Palestiniens, à la fois depuis la terre et le ciel. Créé à l'origine pour surveiller et contrôler les Noirs américains, cet outil a également été jugé utile pour opprimer les Palestiniens.

Le communiqué de presse de ShotSpotter du 16 décembre 2021 concernant le contrat se lit comme suit : « ShotSpotter est ravi de s'associer à Airobotics pour développer un nouveau marché et aider les forces de l'ordre israéliennes à répondre plus rapidement et plus précisément aux incidents de tirs », a déclaré Ralph A. Clark, président et directeur général de ShotSpotter.

Dans ce contexte hautement militarisé, l'ajout de drones – par le biais de son partenariat avec la société Airobotics – pour fournir des « informations visuelles critiques aux premiers intervenants qui sont en route » vers les lieux des coups de feu déterminés par les capteurs acoustiques au sol est remarquable, en raison de la façon dont il exacerbe la militarisation de l'espace par le biais de la surveillance visuelle.

Le régime israélien est le premier au monde à autoriser le vol de grands véhicules aériens sans pilote dans l'espace aérien civil. Cette décision a été approuvée en 2022 par le ministère israélien des transports lorsqu'un drone créé par le fabricant d'armes israélien Elbit Systems a été autorisé à voler dans l'espace aérien civil.

Cette décision met en évidence la nature hyper-militarisée et paranoïaque de la société coloniale israélienne. Airobotics se présente comme la première entreprise au monde à développer une « solution de drone sans pilote » qui ne nécessite pas de pilote humain ou de surveillance manuelle, ce qui est particulièrement utile en Palestine occupée.

ShotSpotter est destiné à être déployé dans les « zones urbaines israéliennes », un terme vague qui banalise la colonisation israélienne en cours et l'expansion des colonies sur les décombres des quartiers palestiniens de la Cisjordanie occupée. Il n'existe aucune information publique sur les villes dans lesquelles ShotSpotter est utilisé.

L'économie coloniale d'Israël est liée à la violence de l'IA

Ruha Benjamin, spécialiste du racisme et de la technologie, écrit que le confinement des groupes racialisés et colonisés permet l'innovation technologique.

Gaza est totalement assiégée depuis 2006, ce qui a transformé la bande de 40 kilomètres de long en un immense camp de concentration.

La Cisjordanie est sous occupation militaire depuis des décennies, et la surveillance, le contrôle et le meurtre systématique des Palestiniens occupés ont considérablement augmenté au cours de l'année écoulée.

Dans le même temps, depuis 2016, Israël détient le plus grand nombre d'entreprises de surveillance par habitant dans le monde, avec plus de 27 entreprises dédiées, dont le tristement célèbre groupe NSO qui a créé le logiciel invasif Pegasus et a exporté pour plus de 6 milliards de dollars de produits et de services depuis 2014.

Parce qu'Israël est un régime colonialiste hautement militarisé, la surveillance est un investissement clé à la fois pour l'État et pour le secteur privé. Contrairement à de nombreux autres pays, le secteur israélien de la surveillance repose à la fois sur la demande locale et sur les exportations.

Au début des années 2000, pendant le boom des télécommunications et la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis, les services de renseignement israéliens ont consulté des experts en sécurité et des PDG du secteur technologique des États-Unis afin d'étendre et de privatiser de manière significative l'appareil de renseignement israélien en Cisjordanie occupée, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza.

L'unité 8200 a mis au point le « système Lavender », le programme de reconnaissance faciale utilisé aux points de contrôle de Gaza, et probablement de nombreux autres outils et algorithmes d'intelligence artificielle.

Il existe également des exemples d'échange de pratiques carcérales entre les États-Unis et Israël, avec des policiers, des militaires et des patrouilleurs frontaliers américains qui s'entraînent en Israël. C'est ce que l'on appelle « l'échange mortel ».

À la frontière entre les États-Unis et le Mexique, les systèmes de surveillance d'Elbit sont en cours de déploiement.

Les Émirats arabes unis ont également investi des milliards de dollars dans des entreprises israéliennes de technologies de sécurité et de systèmes d'armement avancés, en particulier dans le domaine de l'intelligence artificielle.

Selon l'universitaire Sophia Goodfriend, il y a toujours eu une relation inextricable entre le secteur technologique privé et l'OIF, ce qui est très bénéfique pour les objectifs coloniaux du régime israélien.

De nombreuses technologies de surveillance israéliennes sont d'abord utilisées à Gaza et en Cisjordanie, où l'occupation militaire israélienne et le mépris de la vie des Palestiniens permettent aux entreprises privées de prototyper et d'affiner leurs produits par le biais de contrats avec l'IOF, avant de les exporter à l'étranger.

Certaines entreprises américaines sont également directement impliquées dans l'oppression des Palestiniens (comme indiqué dans cet article), ce qui les rend complices de la dépossession des Palestiniens.

Cependant, il existe très peu de rapports sur ces outils d'intelligence artificielle et sur la manière dont ils sont utilisés contre les Palestiniens, en particulier à des fins génocidaires.

Le développement et le déploiement de ces outils dans le cadre d'un génocide contre les Palestiniens, sont les résultats logiques d'un projet sioniste de colonisation. Nous devons les dénoncer comme tels.

Ne désespérez pas : Trump n’est pas invincible

19 novembre 2024, par Eric Blanc — , ,
La réélection de Donald Trump est une terrible nouvelle pour les classes populaires aux États-Unis, en particulier pour les minorités et les immigré-es. Mais, comme l'indique (…)

La réélection de Donald Trump est une terrible nouvelle pour les classes populaires aux États-Unis, en particulier pour les minorités et les immigré-es. Mais, comme l'indique Eric Blanc dans cet article, succomber au désespoir profite nécessairement à l'extrême droite et risque de gâcher les occasions pour la gauche de stopper Trump.

Tiré de la revue Contretemps
15 novembre 2024

Par Eric Blanc

Après avoir passé quelques jours en état de choc, j'ai commencé à réfléchir sérieusement à ce qui n'a pas fonctionné mardi et à la manière dont nous pouvons vaincre le trumpisme. J'écris ce texte pour insister sur le fait que les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises.

1.

Blâmerles élites du Parti Démocrate. La défaite de mardi dernier est ce qui arrive lorsque vous laissez les travailleurs de côté pendant des décennies, de l'ALENA de Bill Clinton à l'austérité de Barack Obama, en passant par le tournant de Chuck Schumer vers les professionnels des banlieues aisées et l'offensive contre le mouvement de Bernie Sanders en 2016 et 2020.

Incapables d'examiner sérieusement les défauts du Parti Démocrate, de nombreux libéraux élitistes accusent déjà les gens ordinaires, affirmant que la plupart des Américains sont irrémédiablement victimes d'un lavage de cerveau ou de préjugés. Mais si c'était vrai, il est difficile d'expliquer pourquoi les Américains ont élu Barack Hussein Obama en 2008.

Les Démocrates prétendent également qu'ils doivent revenir au « centre » parce que les politiques intérieures et les nominations relativement progressistes de Joe Biden n'ont pas porté leurs fruits sur le plan électoral. Mais après des décennies d'abandon des travailleurs par les démocrates, ces mesures étaient trop peu et trop tard.

Si les sénateurs Joe Manchin et Kyrsten Sinema n'avaient pas bloqué un ambitieux programme « Build Back Better » capable d'apporter des améliorations visibles dans la vie de la plupart des gens, et si Biden avait été capable d'enchaîner des phrases cohérentes, il n'est pas inconcevable que la trajectoire politique récente de notre pays aurait pu être différente.

Il était suicidaire de lancer la candidature de Biden malgré sa démence sénile et son impopularité. Les experts ont félicité Nancy Pelosi et ses collègues de l'avoir finalement écarté, mais il est inexcusable qu'ils ne l'aient pas fait un an plus tôt et qu'ils n'aient pas permis l'organisation d'une véritable primaire.

La seule chance que les Démocrates avaient de gagner en 2024 était de présenter une personne extérieure à l'administration Biden, probablement quelqu'un comme Gretchen Whitmer. Et même si Bernie Sanders était trop vieux cette fois-ci, il convient de se rappeler qu'il a conquis exactement les personnes dont Harris a eu le plus grand mal à obtenir le vote : les travailleurs à travers le pays, les Latinos et les adeptes de Joe Rogan.

2.

L'inflation a gravement nui auxgouvernements en place dans le monde entier. Mais leur défaite électorale n'est pas une loi d'airain. Malgré l'inflation généralisée, le Mexique a par exemple réélu son gouvernement de gauche parce que celui-ci a fait beaucoup en faveur des travailleurs (et bien communiqué en ce sens).

3.

La triste vérité est que les dirigeants syndicaux – à quelques exceptions notables près – n'ont pas su saisir l'occasion exceptionnellement favorable à la syndicalisation de masse créée par un marché du travail tendu, un Conseil national des relations professionnelles (National Labor Relations Board) favorable aux travailleurs et une revitalisation de la base menée par de jeunes travailleurs radicalisés.

Les dirigeants syndicaux, peu enclins à prendre des risques, ont pour la plupart continué à faire comme si de rien n'était, s'asseyant sur des milliards de dollars qui auraient pu être utilisés pour lancer et soutenir des initiatives de syndicalisation interprofessionnelleà grande échelle.

Si la plupart des syndicats avaient massivement investi dans la syndicalisation après 2020, la carte politique aurait pu s'en trouver considérablement modifiée. Non seulement les syndiqués continuent de voter davantage pour les Démocrates, mais les campagnes et les grèves syndicales très médiatisées polarisent l'ensemble du pays autour du conflit de classe (au lieu des guerres culturelles prisées par la droite), permettant de dévoiler le populisme fallacieux des Républicains.

Faire l'expérience directe de la solidarité et du pouvoir collectif est le meilleur antidote à la recherche de boucs émissaires. Il n'est pas possible de vaincre l'extrême droite sans travailler à élargir et transformer le mouvement ouvrier.

4.

Il sera plus difficile pour les travailleurs de s'organiser dans leurs entreprises sous Trump, mais ce sera loin d'être impossible. Nous devrions nous rappeler que l'essor actuel du mouvement ouvrier a commencé avec les grèves des enseignants des États républicainsen 2018, qui ont permis d'obtenir des gains importants contre les gouvernements républicains de ces États.

5.

Le financement du génocide par l'administration Biden-Harris n'a pas fait perdre cette élection à l'échelle nationale, mais c'est une raison essentielle pour laquelle elle a perdu une course extrêmement serrée dans le Michigan. Pour amener un grand nombre d'hommes politiques à soutenir un embargo sur les armes à destination d'Israël, nous devons organiser beaucoup plus de manifestationssur cette question, et ne pas nous contenter de mobiliser les personnes déjà convaincues.

6.

L'élection de Trump est un coup dur pour la démocratie et les travailleurs aux États-Unis et dans le monde, en particulier pour les plus marginalisés. Mais nous ne devons pas désespérer. Il y a de bonnes raisons de penser que cela pourrait ressemblerà l'élection de George W. Bush en 2004 – qui a rapidement suscité des réactions négatives menant à la victoire d'Obama – plutôt qu'à l'élection de Ronald Reagan en 1980, qui a inauguré une longue ère de politiques conservatrices.

D'un point de vue historique, Trump n'a pas gagné cette élection avec beaucoup d'avance. Il a obtenu à peu près le même nombre de voix que la dernière fois, tandis que Mme Harris a perdu parce qu'elle a obtenu environ 14 millions de voix de moins que M. Biden en 2020. En outre, les électeurs qui ont voté pour Trump espéraient pour la plupart qu'il leur apporterait la prospérité, un scénario peu probable compte tenu des politiques soutenues par les milliardaires soutenant Trump et de la volatilité d'un ordre néolibéral mondial en train de s'effondrer.

7.

En temps de crise, les gens recherchent des récits convaincants qui expliquent pourquoi ils sont en difficulté. La droite fait un excellent travail pour rassembler des personnes autour de sa vision réactionnaire du monde tout au long de l'année (et pas seulement pendant la saison électorale), en particulier grâce à une propagande concertée dans les médias et les réseaux sociaux. Parce que les élites démocrates n'ont aucun intérêt à promouvoir le seul contre-récit convaincant – blâmer les milliardaires – la gauche doit trouver des moyens de mieux (et plus largement) développer notre vision du monde en direction de millions de personnes, en ligne et au-delà.

8.

Même si les deux candidats étaient assez impopulaires, et malgré les horreurs soutenues par Biden à Gaza et au Liban, la marginalité totale des candidats du troisième parti en 2024 confirme qu'il y a peu d'espace pour construire un troisième parti de gauche dans notre régime électoral actuel. Mais la campagne sénatoriale de Dan Osborn dans le Nebraska suggère que des campagnes indépendantes, sur la ligne d'un populisme économique (1), devraient être tentées à nouveau dans les régions républicaines profondes et dans d'autres arènes, sans être accusées de prendre des voix favorisant l'élection d'un candidat réactionnaire.

9.

La plus grande erreur commise par la gauche au cours de ce cycle a été, et de loin, de ne pas présenter de candidat viable lors des primaires présidentielles. Nous avons oublié la principale leçon de Bernie 2016 et 2020. En l'absence d'une tribune de gauche dans la compétition politique la plus importante de notre pays, nous avons été condamnés à être soit des critiques marginaux extérieurs, soit des partenaires subalternes et acritiques de Biden-Harris.

Cette abstention a laissé plus d'espace aux élites démocrates pour marginaliser le populisme économique (et pour ignorer le sentiment anti-guerre largement répandu). Nous ne pouvons pas refaire cette erreur en 2028.

10.

Il est inquiétant que de nombreux libéraux hostiles à Trump semblent se résigner cette fois-ci – mais il est bon que la gauche socialiste soit toujours prête à se battre et que nous soyons mieux organisés aujourd'hui qu'en 2016. Le plus urgent, c'est que nous avons un rôle clé à jouer en aidant à lancer de grandes manifestations de masse dans le cadre d'un front uni, capables de rassembler tous ceux et toutes celles qui s'opposent aux horreurs de Trump.

L'échec du Parti Démocrate est une opportunité majeure pour recruter des centaines de milliers de personnes au sein du mouvement socialiste démocratique. Mais pour ce faire, nous devons rapidement nous détourner des débats internes et de la tendance à trop s'inquiéter de savoir si nous sommes suffisamment radicaux. En lieu et place, nous devrions davantage chercher à nous faire entendre de nos collègues, voisins et amis, de nous connecter à elles et eux, et de recruter. La campagne de Zohran Mamdani pour la mairie de NewYork est une occasion importante et, espérons-le, inspirera d'autres campagnes électorales socialistes dans tout le pays.

Nous surmonterons tout cela collectivement, et non en tant qu'individus isolés. J'avais mal au ventre et j'étais désespérée jusqu'à ce que je me rende à une réunion du Comité d'organisation d'urgence sur le lieu de travail (EWOC) mercredi, qui m'a donné une bouffée d'espoir dont j'avais bien besoin.Rejoindre les Socialistes Démocratiques d'Amérique (DSA) et organiser les gens sur votre lieu de travail avec l'aide de l'EWOC vous donnera ce même sentiment. A luta continua.

Références

1. Cette ligne consiste pour l'essentiel dans la critique des riches et l'appel à modifier la répartition des richesses en faveur de la classe travailleuse.

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Trump prend le commandement et la résistance a commencé

19 novembre 2024, par Dan La Botz — , ,
Le président élu Donald Trump a déclaré dans son discours de victoire que « l'Amérique nous a donné un mandat puissant et sans précédent ». Bien que cela ne soit pas vrai. (…)

Le président élu Donald Trump a déclaré dans son discours de victoire que « l'Amérique nous a donné un mandat puissant et sans précédent ». Bien que cela ne soit pas vrai. Obama avait remporté en 2008 une victoire bien plus importante avec 53 % du vote populaire et 365 mandats de grands électeurs.

Hebdo L'Anticapitaliste - 729 (14/11/2024)

Par Dan La Botz

Crédit Photo
Wikimedia Commons

Trump va tenter néanmoins de gouverner en autocrate, en imposant sa volonté à la nation. Il reste à voir si ses projets autoritaires déboucheront sur le fascisme, mais la gauche commence à résister.

Nous pouvons nous attendre à ce qu'il commence par tenir les promesses qu'il a faites à sa base ouvrière et de la classe moyenne, ainsi qu'à ses partenaires milliardaires, tels que le magnat de la technologie Elon Musk et le chef d'Amazon Jeff Bezos.

Fermeture des frontières annoncées

Il a promis aux travailleurEs de fermer la frontière et de procéder à une déportation massive des immigréEs sans-papiers qui, selon lui, prennent les emplois des AméricainEs et font régner la violence dans leurs communautés. Il y a aujourd'hui 22 000 agents de la USBP (US Border Patrol). Pour sceller la frontière entre les États-Unis et le Mexique, qui s'étend sur 3 145 kilomètres, il faudra davantage que les 22 000 agents actuels de la BP. Trump affirme qu'il mobilisera la Garde nationale pour compléter les effectifs de la BP, mais il aura besoin de l'autorisation des gouverneurs des États et tous ne la donneront pas.

Trump a promis d'expulser les quelque 12 millions d'immigréEs sans-papiers, mais les rassembler et les expulser serait un travail énorme qui coûterait des millions et nécessiterait bien plus que les 21 000 agents de l'U.S. Immigration and Customs Enforcement (ICE) existants. Les familles seront déracinées et brisées et il y aura de la résistance. Ces politiques auraient un impact énorme et désastreux sur l'économie américaine, car de nombreux immigrantEs travaillent dans la construction, l'hôtellerie et la restauration, les soins aux personnes âgées et aux enfants, le nettoyage, le jardinage, l'agriculture et d'autres secteurs.

Libéralisation, protectionnisme et carbo-capitalisme

Trump prévoit de prendre davantage le contrôle du gouvernement américain, en commençant par mettre fin aux protections de la fonction publique pour des centaines de milliers d'employéEs fédéraux, qui deviendraient des employéEs de contrat privé, susceptibles d'être licenciéEs à tout moment. Il affirme qu'il réorganisera le ministère de la Justice et l'utilisera pour poursuivre ses ennemis politiques.

Sur le plan économique, Trump a promis de nouvelles réductions d'impôts comme il l'a fait en 2017, et il ne fait aucun doute que ce sont les riches qui en bénéficieront le plus. S'il le fait, cela coûtera au gouvernement 4 000 milliards de dollars de recettes au cours de la prochaine décennie. Il a également déclaré qu'il réduirait les impôts sur les prestations de sécurité sociale (retraite) des travailleurEs et les taxes sur les pourboires des ­travailleurEs.

Trump propose des droits de douane de 10 % sur la plupart des marchandises, mais de 60 % sur les produits chinois et même de 200 % sur les voitures chinoises. Ces tarifs augmenteraient les prix pour les AméricainEs et perturberaient le commerce et les investissements mondiaux.

Trump annulera les politiques climatiques du président Joe Biden en réduisant les subventions aux énergies vertes et en incitant les compagnies pétrolières à forer pour trouver du pétrole. Il annulera également les politiques pro-travail de Joe Biden.

Résistance et répression possible

La résistance à Trump, qui s'est manifestée pour la première fois lors de la Marche des femmes à l'occasion de son investiture en 2016, s'est ravivée. Des manifestations de centaines de personnes dirigées par la gauche ont eu lieu après son élection à Seattle, Portland, Berkeley, Milwaukee, Chicago et Philadelphie. Le 9 novembre, plus d'un millier de personnes d'organisations syndicales, environnementales, féministes et d'immigréEs ont défilé à New York.

Une nouvelle coalition nationale de plus de 200 organisations s'est formée sous l'impulsion du Working Families Party, de Seed the Vote, du Movement for Black Lives et de Showing up for Racial Justice. Le groupe a organisé un appel de masse/livestream intitulé « Making Meaning in the Moment » (« Donner un sens au moment présent »), auquel 140 000 personnes ont participé sur internet.

Comme l'a écrit un participant, « l'opinion dominante était la résistance totale à l'administration Trump et le recentrage des progressistes dans la classe ouvrière multiraciale et inclusive du point de vue du genre ».

Si le mouvement de protestation devient massif dans les rues, Trump s'est dit prêt à invoquer la loi sur l'insurrection de 1792, qui autorise le président à utiliser l'armée américaine sur le territoire des États-Unis pour réprimer une rébellion ou des violences.

Trump est un autoritaire. Va-t-il créer un parti et un État fascistes ? Nous ferons tout pour l'en empêcher.

Dan La Botz, traduit par la rédaction

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Les démocrates ont délaissé les travailleurs.euse pauvres

19 novembre 2024, par Révérend William Barber, Amy Goodman — , ,
Le Révérend William Barber parle des soins de santé, de salaire décent et des droits de vote Democracy Now, 8 novembre 2024, Traduction, Alexandra Cyr Amy Goodman : (…)

Le Révérend William Barber parle des soins de santé, de salaire décent et des droits de vote

Democracy Now, 8 novembre 2024,
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : Donald Trump et ses alliés.es ont célébré leur victoire électorale et appelé à la mise en place de la politique d'extrême droite qui va couvrir tout le gouvernement fédéral et connue sous le nom de Project 2025. Les Républicains.nes ont aussi gagné la majorité au Sénat et probablement à la Chambre des représentants.

(…) Nous commençons à examiner les erreurs des Démocrates avec Monseigneur William Baber 11, vice-président national de la Poor People Campaign. Elle a travaillé à faire sortir le vote chez les résidents.es à bas revenus qui sont souvent ignorés.es mais constituent un bloc impressionnant. Mgr Barber est aussi un conférencier à Repairers of the Breach et le fondateur et directeur du Center for Public Theology and Public Policy à la Yale Divinity School. Il est le co-auteur d'un dernier livre : White Poverty : How Exposing Myths About Race and Class Can Reconstruct American Democracy.

Mgr Barber soyez à nouveau le bienvenu sur Democracy Now. Parlez-nous d'abord de ce que vous pensez est arrivé dans cette élection. Que répondez-vous à la Présidence de D. Trump ? Et qu'elles ont été les erreurs des Démocrates selon vous ?

Mgr William Barver 11 : Merci Amy. Je me suis levé ce matin en étant capable de dire « Democracy Now » !

Nous sommes face à de nombreuses questions sur lesquelles nous devons nous acharner en profondeur. Nous ne pouvons être désinvoltes ou ne faire que réagir spontanément en ce moment. Nous devons faire face au fait que les États-Unis ont souvent fait de mauvais choix qu'ils payent plus tard. Nous devons faire face au fait que ce sont 71 millions, 72 millions de personnes qui ont choisi de renvoyer D. Trump à la Maison blanche en dépit de son langage vitriolique, de sa haine, de son retour en arrière, de ses outrances racistes et d'une tendance vers le fascisme. Nous ne savons probablement pas ce qu'il va faire exactement mais il peut le faire à un point tel que même ses partisans.es en seront plus offensés.es et si terriblement qu'ils et elles demanderont : « Qu'avons-nous fait » ?

Nikole Hannah-Jones (journaliste américaine qui s'intéresse aux droits civiques et a gagné un prix Pullitzer. N.d.t.) a dit quelque chose l'autre jour que j'ai partagé avec ma vice-présidente, Lez Theoharis. Elle nous a rappelé que 60 ans après la première tentative des États-Unis en faveur de la reconstruction en 1920, juste après l'élection de 1918, excusez-moi, de 1865-1866 environ, la majorité des Américains.es se sont retournés.es et ont embrassé la suprématie blanche. Et si vous y réfléchissez, nous somme en ce moment, 60 ans après les années 1960, après la White Southern Strategy (stratégie républicaine pour s'attacher le vote de la population blanche du sud en instant sur le racisme contre les Noirs.es. n.d.t.).

Qu'avons-nous vu il y a deux jours ? Il faut nous poser une profonde question. Nous avons vu la plupart des Américains.es voter, mais beaucoup ne l'ont pas fait. D. Trump a gagné 2 à 3 millions de voix de moins qu'en 2020. Mme Harris a récolté 13, 14 millions de voix de moins que J. Biden ne l'avait fait en 2020. Ils ont ramassé 81 millions de votes. Beaucoup de gens n'ont pas voté.

Et pourquoi ? Nous savons qu'en 2020, J. Biden et K. Harris ont mis l'accent sur le salaire minimum et sur le droit de vote. Ils ont récolté 56% des voix de ceux et celles qui gagnent moins de 50,000$ pour une famille de quatre. Cette année, les sondages à la sortie des urnes montrent que c'était 49% contre 49%. Le score de D. Trump a augmenté, celui des Démocrates a diminué. Et voilà la question : pourquoi ? Nous sommes-nous suffisamment centrés sur les 30 millions de pauvres, ceux et celles qui vivent avec de bas salaires, ceux et celles qui ne votent pas souvent mais qui tiennent les clés du plus grand vote pivot du pays ? Ces personnes sont environ 12 millions dans le pays.

Nous devons nous confronter à de sérieuses questions. Par exemple, est-ce que les femmes blanches qui sont en faveur de l'avortement auraient aussi voté pour D. Trump, choisi D.Trump ? Elles sont avec K. Harris sur les questions d'avortement mais pas pour la Présidence. Où les hommes hispanophones sont-ils allés ? Nous avons beaucoup à faire. Pourquoi les enjeux les plus endossés par le public, ceux relatifs aux soins de santé, au salaire décent, aux droits de vote, à la démocratie, n'ont-ils pas été plus à l'avant plan ? Et pourquoi des personnes choisiraient de voter contre, contre ce pourquoi un pourcentage significatif d'autres disent être en accord ? Ce sont des enjeux sérieux.

Ce que nous ne pouvons pas faire en ce moment, c'est de baisser les bras. Je pense que les médias portent aussi une certaine responsabilité. Je n'ai vu dans aucun débat, la pauvreté et les bas salaires être au centre des discussions. Et cela même si 800 personnes décèdent tous les jours à cause de la pauvreté et que plus de 32 millions de personnes travaillent à des salaires qui ne permettent pas de vivre. Le salaire minimum n'a pas été augmenté depuis 2009. Rien dans les débats les plus importants à ce sujet au Congrès. Pourquoi les Démocrates n'ont-ils pas amené l'augmentation du salaire minimum au Sénat avant l'élection et ainsi forcer un vote qui aurait rendu visible la position des Républicains.nes à ce sujet crucial ? Mais partout où cette augmentation du salaire minimum et des congés payés pour les familles étaient mis aux voix, ils ont gagné ; au Missouri, en Alaska et d'autres endroits semblables. Nous avons de sérieuses questions à nous poser.

Aussi, finalement, je voudrais soulever quelque chose. Quelqu'un a dit que D. Trump avait un mandat. Personne n'a de mandat pour renverser la Constitution. Personne n'a de mandat pour aller de l'avant avec quelque chose comme le Project 2025, pour essayer de nous pousser vers l'arrière et de détruire le progrès. Personne n'a de mandat pour nous empêcher de nous adresser aux personnes qui meurent littéralement à cause des ravages de la pauvreté. Personne n'a de mandat pour dire que nous allons retirer à des gens les soins de santé.

Nous devons nous lever chaque matin à partir de maintenant et jusqu'à … avec chaque outil non violent à notre disposition et nous opposer à n'importe quelle régression peu importe qui est au pouvoir. J'ai réfléchi à ça. Quand l'arrêt Plessy c. Ferguson (où la Cour suprême décrétait que la ségrégation raciale n'était pas illégale. N.d.t.) a été décrété en 1896, les militants.es ont choisi le slogan : séparés mais égaux ». La bataille a duré 58 ans jusqu'à la victoire. Ils et elles se sont levés.es et ont continué la bataille. Donc, quand nous nous levons le matin nous devons aller dans ce sens, avoir la même sorte de force que celle que les gens de 1877 ont eue. Il y avait une élection qui pouvait virer les États-Unis à l'envers ; que ce soit en 1896 ou en 1914 quand un suprémaciste blanc est arrivé à la Maison blanche et qu'on a joué Birth of a Nation (référence à un film qui met en vedette des soldats confédérés des États du sud. N.d.t.) dans le bureau ovale ; en 1955 quand le réveil s'est fait avec l'annonce de l'assassinat d'Emmett Till (jeune noir capturé et lynché au Mississipi) ; en 1963, quand quatre petites filles ont été assassinées dans l'église de Birmingham ; en 1963 quand un Président a été assassiné ; en 1968 quand Martin L. King a été assassiné. Les gens ont dû ravaler leurs larmes, garder leur peine à l'intérieur comme leurs frustrations mais, se relever et déclarer que nous devons nous battre pour cette démocratie. Nous n'allons pas partir et disparaitre dans le noir.

A.G. : Je voulais revoir le message du Sénateur B. Sanders : « Nous ne devrions pas être si surpris.es, le Parti démocrate a abandonné la classe ouvrière, pas étonnant qu'elle abandonne ce Parti à son tour. Pendant que la direction démocrate défends le statut quo la population américaine est en colère et veut du changement. Et elle a raison ».

Jaime Harrison, le président du Comité central démocrate a qualifié la déclaration de B. Sander de : « pur B. Sanders » et il a ajouté : « Biden a été le Président les plus en faveur des travailleurs.euses que j'ai vu de ma vie ».

Je voulais aussi que nous nous arrêtions sur le commentaire de David Brooks, le chroniqueur bien connu du New York Times. Son article est intitulé : Les électeurs.trices aux élites. Il écrit : « Me voyez-vous maintenant ? Je suis un modéré. J'aime les candidats.es démocrates qui font campagne au centre. Mais je dois dire que même si K. Harris l'a fait plutôt efficacement, ça na pas donné le résultat voulu. Peut-être qu'il leur faudrait embrasser le style dérangeant de Bernie Sanders, quelque chose qui rende les gens comme moi, inconfortables ».

Pourriez-vous répondre à ça et nous mettre au fait du nombre de personnes dont nous parlons dans ce pays (à ce sujet) ? Bien sûr pas que les nombres. C'est au sujet de ce avec quoi les gens doivent se débattre, des millions de gens partout dans le pays et qui ont pu voter.

B.W.B.11 : D'accord. Amy, nous devons sortir de nos émotions. Nous pouvons critiquer nos politiques, dire que nous avons aidé les gens et que cela ait été cohérant ou non, que la population l'a entendu. Par exemple nous avons besoin de soins de santé, de crédits d'impôts, de crédits d'impôts pour les enfants et nous soutenons tout ça. Et oui nous avons besoin de soins de santé, d'argent pour le logement, pour de nouveaux logements. Nous sommes clairs.es à ce sujet, nous soutenons cela. Mais de dire : « Minute ! Nous devons prendre le temps de voir où nous en étions et où nous allons. Est-ce que c'est un message ? Qu'est-ce que c'est » ? Parce que nous savons que partout dans le pays, par exemple augmenter le salaire minimum, affecterait 32 millions de personnes qui vivent tous les jours sans salaire décent. Par exemple il faut faire face à des prix qui vous mettent dans le trou mais les gens ont besoin d'argent pour acheter des biens, de l'essence, et toutes autres choses. Nous n'avons pas augmenté le salaire minimum, ni les Démocrates ni les Républicains.nes (ne l'ont fait). Nous trainons cet enjeu depuis 15 ans. Nous parlons de 140 millions de pauvres et de personnes qui sont à faibles salaires. Nous parlons d'environ 43% de la population de notre pays qui est pauvre et/ou à faible revenu. Nous parlons d'adultes, de gens qui sont peu ou prou à 500$ de la ruine économique. Nous parlons de 800 personnes qui meurent tous les jours. Ce n'est pas une exagération, nous devons être capables d'en parler.

Et en parler ne veut pas dire qu'un.e candidat.e était de mauvaise foi. L'exercice vise à évaluer ce qui se passe et comment nous allons nous positionner. Par exemple, pourquoi n'avons-nous pas fait un effort déterminant chaque fois que nous avons ouvert la bouche pour dire : « Écoutez, si vous élisez les Démocrates de la Présidence jusqu'à la totalité du Congrès, au cours des 50 premiers jours, nous allons augmenter le salaire minimum à 15$ ou un peu plus ». Nous avons les données. Trois économistes détenteurs du Prix Nobel d'économie ont prouvé qu'augmenter le salaire minimum ne jouerait pas négativement sur l'emploi, ne ferait pas augmenter les taxes et les impôts et ne ferait pas augmenter les prix. Il faut que nous prenions cela au sérieux.

Je connais des gens … nous sommes tous dans nos émotions et c'est normal. Mais ce n'est pas le seul problème. Je serais d'accord avec Jaime sur ça. Ce n'est pas le seul problème. Il y a beaucoup de problèmes. Et nous devons creuser celui-ci. Quel rôle a joué la « race » (dans cette élection) ? Quel rôle y ont joué la sexualité et le genre ? Nous devons prendre au sérieux des enjeux fondamentaux. Même au Mississipi 66% des Républicains.es disent vouloir des soins de santé, et soutiennent l'Affordable Care Act appelé Obamacare. Nous devons voir sérieusement les autres États où, quand le salaire décent figurait sur les bulletins de vote, ce fut approuvé. Nous devons nous assurer que partout dans le pays, ces enjeux soient mis aux voix. Ce que nous ne pouvons pas faire, c'est nous en écarter.

Nous avons une introspection à faire. Nous devons comprendre pourquoi le taux de votes a baissé. Je me souviens, en 2020, quand Biden et Harris étaient en campagne, ils disaient toujours : « Si vous nous élisez, nous allons introduire des salaires décents, l'assurance santé et (consolider) les droits de vote ». 56% des gens gagnant moins de 50,000$ par année les ont soutenus. Et nous devons intégrer le fait qu'une partie de la situation n'est la faute de J. Biden ou de K. Harris. Cela a commencé quand les Démocrates ont mis aux voix (au Congrès), la hausse du salaire minimum à 15$ de l'heure et que 8 de leurs membres se sont joint aux Réublicains.es et ont bloqué cette proposition de loi qui avait été acceptée par la Chambre des représentants. Nous devons prendre conscience qu'il peut y avoir des Démocrates voyous avec leur pouvoir et voter contre quelque chose qui va affecter 55 millions de personnes. Et ce serait encore ce nombre si l'administration Biden-Harris n'avait relevé le salaire minimum des fonctionnaires fédéraux. Alors, vous devenez voyou quand vous êtes au pouvoir et ensuite vous vous présentez devant la population lors des élections en disant : « Nous sommes avec vous ». C'est blessant, des gens meurent ici. Tant que nous ne pourrons pas faire face à la pauvreté et aux bas salaires dans ce pays, cela affectera 66 millions de gens de race blanche. Il est question de 60% de Noirs.es, de 30% de Blancs.hes, de 68% de Latinos.as et de 68% d'Autochtones. Nous ne pouvons faire fi de cet enjeu.

Finalement, nous ne pouvons laisser dire que cet enjeu en est un d'extrême gauche. C'est un enjeu américain, moral. Le niveau de pauvreté et des bas salaires dans ce pays, est une violation de ce que nous reconnaissons dans la Constitution comme l'appel à la justice et à la promotion du bien-être général. C'est dégoutant et condamnable que nous n'en ayons pas eu de suivi dans les médias, dans les couloirs du Congrès et au cours de l'élection. Durant les débats entre les candidats.es, personne ne leur a demandé : « Quelle est votre position sur les enjeux de la pauvreté et des bas salaires ? Quel est votre plan à cet égard ? Et comment allez-vous diriger ce pays » ? Et ce sont des enjeux qui concernent presque 50% de la population. Nous devons y faire face.

Amy, je veux dire une chose : Venice Williams a dit quelque chose dans un poème, je vais vous le lire.
You are awakening to the
same country you fell asleep to.
The very same country.
Pull yourself together

And,
when you see me,
do not ask me
« What do we do now ? Or
« How do we get through the next four
Years ?

Some of my Ancestors dealt with
at least 400 years
under worse conditions ».

Elle a dit :

« Continue to do the good work.
Continue to build bridges and not walls.
Continue to lead with compassion.
Continue to demand
the liberation of all ».

J'ajouterais, continue à sérieusement te battre pour des salaires décents, des soins de santé accessibles et la fin des génocides autour du monde et à Gaza. Continue, continue la lutte pour les droits des femmes, des enfants et pour l'extension des droits de votes.

Quelle portion de cette baisse du vote peut être attribuée au retrait d'électeurs.trices des listes ? Pourquoi est-ce que dans un État comme la Caroline du nord par exemple, les Démocrates candidats.es à des postes divers ont, sans exception, gagné leurs élections mais la candidate à la Présidence a perdu ? Nous devons nous attaquer à de sérieuses questions. Nous ne pouvons nous en remettre à nos émotions. Et il nous faut nous poser ces questions parce qu'il y a de la souffrance ici, les gens sont meurtris, des millions n'ont pas voté du tout. Ils n'ont pas voté. Je veux que ça se sache. Il y a eu une baisse du vote au total. Et nous devons prendre ça très sérieusement.

A.G. : Mgr Barber, je veux vous remercier d'avoir été avec nous. (…)

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Élections US – Les chiffres.

19 novembre 2024, par Vincent Présumey — , ,
Les chiffres de Wikipedia (Page en langue anglaise) donnent une idée exacte des élections US. Ci-dessous, je les arrondis (d'autant que ceux de 2024 ne sont pas complets à 100% (…)

Les chiffres de Wikipedia (Page en langue anglaise) donnent une idée exacte des élections US. Ci-dessous, je les arrondis (d'autant que ceux de 2024 ne sont pas complets à 100% à cette heure).

11 novembre 2024 | tiré du site Arguments pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2024/11/11/elections-us-les-chiffres-par-vp/

En 2016, il y a presque 109 millions d'abstentions – comme d'habitude jusque là. Du fait du caractère confédéral du pays Trump est élu avec moins de voix que Clinton : près de 63 millions contre 66,85. Jill Stein est à 1,45 million (1,07%).

En 2020, participation historiquement élevée : Biden fait 81,2 millions, Trump 74,2 millions (Howie Hawkins du Green Party 0,4 million). Les abstentions sont tombées à 80,8 millions.

En 2024, il n'y a pas de progression numérique significative de Trump – le fait politique étant bien entendu qu'après avoir tenté un putsch, il est toujours là et que le Parti républicain s'est livré à lui : il fait 74,7 millions (on peut y ajouter les 0,5 million de Robert Kennedy Junior).

C'est le vote démocrate qui baisse : Harris ne fait que près de 71 millions, soit 10 millions de voix de moins que Biden en 2020. Les abstentions remontent à 98 millions et quelques. Stein a 0,64 million (près de 0,4%).

Trump est bien sûr à un niveau élevé mais ce n'est pas un fait nouveau : il n'y a PAS eu de « vague » supplémentaire. Je ne dis pas cela pour que l'on se rassure, mais pour que l'on ne joue pas à se faire peur : il faut partir du réel.

C'est le recul démocrate la clef, que je n'expliquerai pas par les faiblesses de leur campagne car elles sont consubstantielles à la nature, capitaliste et institutionnelle de ce parti, mais par :

1°) le recul du niveau de vie réel depuis 2020,
2°) l'absence d'une mobilisation comparable à Black Lives Matter de 2020, le « mouvement pro-palestinien des campus » y ayant fait obstacle. Numériquement, les abstentions ou votes gauchistes « pour punir Genocide Joe » sont difficiles à évaluer, mais politiquement leur impact électoral global est décisif car il a interdit une mobilisation indépendante pour barrer la route à Trump.

Les courants gauchistes ou liberals (au sens US du terme) qui ont roulé contre « Genocide Joe » ne sont pas ceux d'où peut sortir une alternative ouvrière indépendante : ils sont alliés au capital sous la forme de l'impérialisme multipolaire.

L'alternative indépendante se trouve du côté des forces qui ont appelé au vote Harris malgré tout pour barrer la route à Trump, y compris dans les syndicats où la campagne UAW n'a pas été une campagne pro-démocrate traditionnelle, mais de fait un début de campagne indépendante, se prolongeant maintenant par l'appel à former un pôle ouvrier.

VP, le 11/11/2024.

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