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Mireille Fanon, fille de l’auteur des Damnés de la Terre : « L’État chilien est raciste et colonial »

12 novembre 2024, par Andrés Figueroa Cornejo — , ,
« Le peuple mapuche doit bénéficier de la solidarité de tout le peuple chilien pour sauvegarder sa culture, sa terre ancestrale, sa spiritualité, son autonomie », a déclaré (…)

« Le peuple mapuche doit bénéficier de la solidarité de tout le peuple chilien pour sauvegarder sa culture, sa terre ancestrale, sa spiritualité, son autonomie », a déclaré Fanon, « et je le dis, à la fois pour les peuples mapuche et palestinien, et pour les colonies françaises actuelles, y compris la Martinique, la patrie de Franz Fanon, le pays de ma famille. »

6 novembre 2024 | tiré de rebellion.org
https://rebelion.org/mireille-fanon-hija-del-autor-de-los-condenados-de-la-tierra-el-estado-chileno-es-racista-y-colonial/

Le 4 novembre, et à l'issue d'une mission vigoureuse en tant qu'observatrice des droits de l'homme au Chili qui a débuté le 16 octobre, l'éminente juriste Mireille Fanon, fille du brillant militant révolutionnaire anticolonial et intellectuel Franz Fanon, a fait ses adieux devant un public jeune dans le hall d'honneur de l'Université de Santiago. Au cours de son séjour dans le pays andin, son agenda a été marqué par des visites à des prisonniers politiques mapuches et non mapuches.

A cette occasion, la combattante française a évoqué la situation actuelle en Palestine, précisant qu'"en ce moment une guerre d'extermination est en cours. Et il est nécessaire de revenir correctement au concept de « génocide » de Raphaël Lemkin, qui stipule qu'un acte de génocide est dirigé contre un groupe national et ses entités. Malheureusement, la commission de l'ONU en charge de la question n'a pas étendu l'expression du génocide au-delà du cas juif lui-même.

En fait, aujourd'hui, le génocide contre la Palestine se déroule avec le soutien de l'ONU et de la communauté internationale. Par conséquent, nous sommes également complices de ce qui se passe, et elle a demandé : « Comment est-il possible pour une organisation de commettre un génocide sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit ? Donc, nous devons revenir au moment de la création de la Palestine, quand elle était sous mandat britannique pour comprendre. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que l'ONU venait d'être fondée, les Juifs européens ont exigé d'avoir leur propre État. Pour ce faire, la résolution 194 des Nations Unies a été utilisée, avec l'argument que la Palestine était un territoire sans peuple pour un peuple sans territoire. Les deux premières fois que la résolution a été votée, la proposition a été rejetée, jusqu'à ce que la pression américaine sur la France fasse adopter la résolution. »

La fille de l'auteur des Damnés de la Terre a déclaré qu'elle avait passé les deux dernières semaines à visiter les prisons où les membres du peuple mapuche sont détenus en captivité et qu'elle s'était rendu compte qu'« il y a beaucoup de similitudes entre les cas palestinien et mapuche. Un réseau d'accords entre les États espagnol et chilien qui a trompé les représentants des peuples autochtones, plaçant la culture mapuche et les relations sociales sous la juridiction de la république chilienne. C'est ce qui permet aujourd'hui aux entreprises capitalistes d'exploiter le territoire ancestral. De même que la résolution 194 a donné à l'État d'Israël le pouvoir de « s'emparer » des territoires palestiniens, de même un faux traité promu par l'État chilien a permis au capital de « s'emparer » des territoires mapuches. De même, la communauté internationale ne reconnaît pas le droit des Palestiniens ou des Mapuches à se défendre. Lorsque vous regardez les deux cas, il est facile de voir que le droit international est dans le coma. La Convention 169 de l'OIT est inapplicable et inopérante dans la situation mapuche. Il en est de même en général du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes.

« Le peuple mapuche doit bénéficier de la solidarité de tout le peuple chilien pour sauvegarder sa culture, sa terre ancestrale, sa spiritualité, son autonomie », a déclaré Fanon, « et je le dis, à la fois pour les peuples mapuche et palestinien, et pour les colonies françaises actuelles, parmi lesquelles se trouve la Martinique, la terre d'origine de Franz Fanon, le pays de ma famille. Nous avons des exemples similaires ici, en Colombie, en Argentine, aux États-Unis, qui remontent à l'année 1492, où la commercialisation des corps a été imposée pour la première fois, et où les colons se sont appropriés des terres qui ne leur appartenaient pas par le sang et le vol. Les empires et les colons n'ont jamais payé pour ces crimes, il n'y a jamais eu de réparations politiques et collectives (et je ne parle pas de compensations individuelles qui nous laisseraient piégés dans la logique du capitalisme libéral, mais de transformer le paradigme de la domination). Dès lors, la mondialisation de l'esclavage émerge en toute impunité. Tout cela au nom de la hiérarchie raciale, une société dans laquelle nous vivons encore aujourd'hui et qui est fondée sur la modernité eurocentrique. Cependant, le suprémacisme blanc refuse de reconnaître l'énorme valeur des cultures d'Amérique, d'Afrique, d'Océanie, d'Asie, etc. Si nous voulons changer le monde, nous n'avons pas d'autre choix que de commencer les réparations de ce temps de l'humanité. Et pour cela, nous devons établir des alliances de solidarité des peuples en lutte et savoir pour quoi nous nous battons ; pas seulement pour continuer à se battre pour notre territoire. Nous n'avons pas le droit de faire des erreurs dans la lutte. Sinon, les criminels seront à nouveau récompensés et les victimes seront criminalisées, traitées de terroristes, emprisonnées, torturées, harcelées. Il ne faut pas oublier que plus de la moitié de la population palestinienne a été emprisonnée. Voici une citation de Franz Fanon : « Chaque génération, dans sa relative obscurité, doit remplir sa mission ou la trahir. »

– Comment évaluez-vous le régime chilien après votre visite ?

L'État chilien est raciste, il fait du trafic avec des entreprises capitalistes à qui il vend des terres mapuches. C'est un État fortement colonial et pas seulement avec les Mapuches. En fait, il n'est même pas mentionné qu'il y a des Afro-Chiliens dans le nord du pays, qui sont invisibles. Même les Mapuches ne le parlent pas. J'ai trouvé des jeunes en prison qui se déclarent non racistes, mais qui ne considèrent pas l'invisibilisation des Afro-descendants chiliens comme un problème. Cela m'amène à penser qu'il existe un important racisme structurel institutionnalisé. Et ce qui sous-tend, non seulement dans l'État chilien, mais dans de nombreux États du monde, c'est la croyance que la société est divisée entre les êtres humains et les êtres non humains. Par conséquent, je suis convaincu que seule la force des peuples a entre ses mains la tâche de surmonter les relations de colonialité qui prévalent.

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Le soutien en armes cadre avec la paix de gauche venant avec la justice

Pour plusieurs gens de gauche ou progressistes, le soutien en armes de l'Ukraine est incompatible avec le pacifisme. Étant donné le rapport de forces défavorable à l'Ukraine (…)

Pour plusieurs gens de gauche ou progressistes, le soutien en armes de l'Ukraine est incompatible avec le pacifisme. Étant donné le rapport de forces défavorable à l'Ukraine pris d'assaut par l'impérialisme russe, le refus de cette aide revient à prendre parti pour l'envahisseur russe. La vision géostratégique de cette guerre comme un affrontement entre l'OTAN et une Russie envahissant préventivement l'Ukraine, en plus de disqualifier le gouvernement ukrainien et son peuple comme agents de leur propre histoire, n'a rien à voir avec les faits.

C'est plutôt cette invasion qui a ressuscité l'OTAN. Celle-ci était en « mort cérébrale » (Macron) ayant à peine réagi à l'annexion de la Crimée en 2014 et ayant décampé de l'Afghanistan la queue entre les jambes. L'agression russe a justifié après coup l'adhésion à l'OTAN des États anciennement dans la sphère soviétique lesquels ne peuvent pas compter sur une autre alliance pour leur protection. Pour la présidence Poutine, l'Ukraine n'existe pas, elle fait intrinsèquement partie de la Russie, elle est une invention de Lénine. La Russie poutinienne avait auparavant instrumentalisé des tensions linguistiques semblables à celles au sein du Canada pour pénétrer clandestinement l'Est de l'Ukraine afin d'y fomenter une guerre civile.

Le pacifisme qui renvoie dos à dos les belligérants, envahisseurs et envahis, oppresseurs et opprimés, n'a rien à voir avec la gauche. La gauche lutte pour la paix qui n'est ni pacifisme ni cessez-le-feu, qui est justice. Le cessez-le-feu ne fait que consacrer un rapport de forces sur le terrain sans rien régler quant au fond ce qui annonce tôt ou tard une reprise des hostilités, À moins qu'il n'ouvre la voie à la paix avec la justice ce dont ne veut pas la Russie conquérante pas plus que, lors de la guerre du Vietnam, ne le voulaient les ÉU qui quittèrent le pays que lorsque battus militairement. Contrairement aux vérités urbaines occidentales, les ÉU et l'OTAN ne souhaitent pas la victoire de l'Ukraine ce qui serait une défaite du camp impérialiste solidaire les uns les autres dans leur volonté de subjuguer le monde en se le partageant… ce qui aboutit aux guerres mondiales.

ÉU et OTAN œuvrent pour une impasse épuisant les belligérants débouchant sur un cessez-le-feu. L'Ukraine pourrait devoir le rechercher si les souffrances de la guerre, le néolibéralisme de son gouvernement et le manque de solidarité de l'Occident, à commencer par les ÉU de Trump, accablaient trop son peuple. Mais le peuple ukrainien sait que le but de l'impérialisme russe est la conquête de l'Ukraine, au mieux sa réduction à un État client comme le Belarus. On devine que cette soumission de l'Ukraine ferait le lit de l'extrême-droite. Celle-ci, pourtant, contrairement à la propagande russe gobée naïvement par la gauche campiste et pacifiste, est moins forte en Ukraine qu'elle ne l'est en France, en Allemagne et, last but not least, aux États-Unis mais avant tout par rapport au régime poutinien sur le chemin de la dictature fascisante.

C'est dans cet esprit de l'appui à la lutte de libération nationale du peuple ukrainien et de son gouvernement contre l'impérialisme russe que le Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine vient de publier sa déclaration « Sur l'armement de l'Ukraine et la lutte contre le militarisme ». Les armes destinées à l'État sioniste associant les ÉU et les pays de l'OTAN au génocide du peuple palestinien doivent être déviées vers l'armée ukrainienne quitte à en modifier la composition. N'importe quelle personne sensée fait la distinction entre un Hamas réactionnaire et écrasé ce qui commande comme seule solution l'urgence d'un cessez-le-feu pour sauver le peuple palestinien du génocide et ainsi créer un espace pour négocier une paix durable en forçant la main d'Israël, et un gouvernement ukrainien, si néolibéral soitil, capable de défendre son peuple lequel a créé ses propres réseaux autonomes d'entraide. Autrement, on peut être assuré que la Russie aurait déjà procédé à un génocide à la mode sioniste au-delà des bombardements des civils, de la destruction des infrastructures civiles, du kidnapping des enfants en zone occupée vers la Russie et de la torture et des meurtres de soldats capturés et de civils.

Marc Bonhomme, 10 novembre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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Tempête Dana dans l’État espagnol : catastrophe naturelle ou conséquence de l’inaction climatique ?

12 novembre 2024, par Daniel Geffner — , ,
Daniel Geffner est médecin et militant de Anticapitalistas dans la communauté de Valence. Dans cet article écrit à chaud, quelques jours après le début de la tempête DANA (…)

Daniel Geffner est médecin et militant de Anticapitalistas dans la communauté de Valence. Dans cet article écrit à chaud, quelques jours après le début de la tempête DANA (dépression isolée de haute altitude), il tire les premières leçons de cette catastrophe écologique, sociale et humaine, et appelle à transformer la solidarité populaire qui a vu le jour à cette occasion en une lutte pour une société entre égaux, où la vie et les soins sont au-dessus des profits de quelques-uns.

6 novembre 2024 | tiré de contretemps.eu

Alors que le nombre de morts ne cesse d'augmenter et que les images et récits choquants du drame vécu par des dizaines de milliers de personnes nous bouleversent, il apparaît de plus en plus clairement que les autorités n'ont pas agi avec la détermination et la rapidité qu'exigeait la menace annoncée.

Si les phénomènes climatiques extrêmes ne peuvent être évités, le négationnisme climatique et les coupes dans les services publics affaiblissent, voire rendent impossible, la réponse à un capitalisme prédateur qui fait passer les profits avant la vie des gens et de la planète.

La négligence criminelle du gouvernement régional et des employeurs, qui ont privilégié le business as usual au détriment du droit des travailleurs à la sécurité au travail, contraste avec l'empathie et la solidarité dont ont fait preuve les classes populaires pour venir en aide aux personnes touchées par la tempête.

L'élan de solidarité et le désir d'aider les personnes touchées montrent que face au TINA (There Is No Alternative) du thatchérisme et du néolibéralisme, avec sa religion basée sur l'individualisme et la marchandisation de la vie et de la société, il est possible de contester non seulement le discours, mais aussi la pratique en créant un pouvoir populaire d'en bas et de gauche. C'est pourquoi le 9 novembre doit devenir une mobilisation de masse en solidarité avec les personnes touchées par ta tempête et en exigeant la démission du président de la Generalitat Valenciana, Carlos Mazón.

Une normalité anormale

La tempête a frappé la région de Valence avec une force extrême en ce tragique octobre 2024, qui dépasse déjà en nombre de morts et de destructions les inondations du siècle dernier, alors que le nombre de morts et de disparus continue d'augmenter[1] et que l'aide à la population touchée n'arrive pas 3 jours après le début de la tempête. L'électricité, l'eau courante et la couverture de téléphonie mobile n'ont toujours pas été rétablies et les routes sont toujours coupées ou inaccessibles dans de nombreux endroits. Les images choquantes et les récits des drames subis par des dizaines de milliers de personnes nous bouleversent et nous voyons grandir une vague d'empathie et de solidarité avec les personnes touchées.

Les faits montrent que les autorités n'ont pas agi avec la prudence, la détermination et la rapidité qu'exigeait la menace annoncée. En témoignent les retards dans l'activation de l'alarme par le gouvernement de Valence, le manque de coordination des services de protection[2] – qui a entraîné des retards dans l'acheminement de l'aide critique -, ou encore l'effondrement des centraux téléphoniques dû à la surprise de la majorité de la population face aux débordements. À tout cela, il faut ajouter le refus du gouvernement de Valence de recevoir l'aide des pompiers d'autres communautés qui étaient déjà prêts à venir à la rescousse[3].

La négligence criminelle du gouvernement a été soutenue par la collusion avec une classe d'affaires qui aurait fait pression sur le gouvernement pour qu'il n'active pas le feu rouge et continue ainsi à faire des affaires, en espérant que les pluies ne se terminent pas comme elles l'ont fait. Ce pari sur le marché et la boussole du profit a conduit les patrons à privilégier le business as usual sur le droit des travailleurs à la sécurité de l'emploi.

Les capitalistes n'ont pas changé de cap, et leurs profits l'ont emporté sur le droit à la vie et à la sécurité de leurs employés.

La normalité anormale face à la tempête a laissé les travailleur.ses enfermé.es sur leur lieu de travail, ou au volant de leur véhicule lorsque l'inondation a progressé par vagues rapides et meurtrières, alors que l'alarme de la protection civile a retenti sur les téléphones portables à 20h15, après la fin de la journée de travail pour une grande partie de la population, et deux heures après les débordements, ce qui a provoqué l'effondrement des routes avec des centaines de voitures qui rendent désormais difficile l'accès aux populations les plus touchées.

L'administration ne s'est pas non plus mieux comportée avec les employés publics qui n'étaient pas indispensables au travail face à la tempête (administration, enseignants, santé, fonctionnaires). L'occultation de l'alerte rouge par le gouvernement a fait que les élèves sont allés à l'école normalement, et les écoles et les établissements préscolaires n'ont pas été fermés par mesure de précaution.

Si les phénomènes météorologiques extrêmes ne peuvent être évités, leurs effets dévastateurs peuvent être atténués en prévoyant et en surveillant leur évolution, ainsi qu'en élaborant des plans et des actions d'urgence et en les dotant de ressources humaines et matérielles suffisantes[4].

Un exemple qui montre que l'impact de la tempête aurait été bien moindre si la gestion n'avait pas été déficiente est celui de l'UV (Universitat de València) qui, face aux alertes émises par l'AEMET le 28 octobre, a décidé d'annuler les activités d'enseignement et plus tard, le 29, lorsque l'alerte est devenue code rouge, a décidé d'annuler toutes les activités, évitant ainsi des milliers de déplacements[5].

Un négationnisme climatique criminel

Cette insensibilité de la classe d'affaires et du gouvernement, qui a eu des conséquences tragiques, contraste avec l'empathie et la solidarité dont ont fait preuve les classes populaires en aidant les personnes touchées par la tempête, en surmontant l'inconfort, en offrant un logement pour passer une nuit terrible dans la maison d'un étranger par solidarité, et même dans certains cas en prenant des risques avec leur propre vie pour sauver celle d'un étranger.

La crise climatique et le réchauffement de la planète, selon la science, augmentent la fréquence et l'intensité de ces événements météorologiques extrêmes, et la région méditerranéenne est la plus vulnérable.

Le négationnisme climatique du gouvernement Mazón est à l'origine des échecs de la réponse à la tempête. L'inaction et les retards sont motivés par une idéologie de négation de la crise climatique.

Dans le domaine de la santé publique, nous avons eu l'exemple des effets néfastes sur la santé du négationnisme propagé et financé par l'industrie du tabac. En semant le doute sur ses effets pervers, puisque « le cancer du poumon existait naturellement », les mesures de prévention ont été retardées, et l'industrie, en semant ces doutes, n'a pas hésité à continuer à tirer profit de son activité. Le négationnisme climatique est néfaste car il empêche d'agir sur les risques et menaces réels, ainsi que sur les causes qui les provoquent.

Le départ de Vox du gouvernement valencien n'a pas changé d'un iota la pratique négationniste du PPCV (Parti populaire de la Communauté valencienne). L'extrême droite a également marqué de son empreinte la loi de concorde et sa politique éducative contre la langue et la culture valenciennes. L'extrême droite a fixé l'agenda et ce qui a été convenu à l'époque avec le PP est toujours en vigueur, signe de la « lepénisation des esprits », c'est-à-dire de la normalisation de son discours et de sa vision réactionnaire[6].

Si le négationnisme climatique nourrit l'inaction du gouvernement régional, l'orientation néolibérale de réduction des services publics essentiels affaiblit la capacité à répondre à des événements comme cette tempête. Les attaques contre l'État social, l'externalisation et la privatisation des services publics – qui sont l'affaire de tous – sont accentuées par la réduction des impôts pour les riches. Ces œillères négationnistes et néolibérales justifieraient la fermeture de l'unité d'urgence de Valence. C'est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire en cas d'urgence climatique.

La vision selon laquelle le changement est déjà là et que cette décennie est vitale pour relever le défi de la décroissance en l'articulant avec la justice sociale et l'amélioration de la qualité de vie, appelle à une action ferme et énergique contre un capitalisme prédateur qui fait passer ses profits avant la vie des gens et la santé de la planète.

Une marée de solidarité

Horta sud-Valencia, Paiporta, Sedavi, Chiva, Utiel et tant d'autres villes ont été témoins de la marée humaine de solidarité qui a aidé de toutes les manières possibles, en offrant un abri, de la nourriture, de la compagnie, en nettoyant, en donnant de l'affection et en respectant le chagrin que tant de familles sont encore en train de vivre.

Des leçons de vie dans les moments critiques, et certainement une bonne leçon pour le retour à la routine : apprendre à transformer cette solidarité populaire en une lutte pour une société entre égaux où la vie et les soins sont au-dessus des profits de quelques-uns, ainsi qu'à mettre en place des plans de reconstruction très éloignés des modèles de spéculation urbaine qui, depuis les années 1960, s'étendent dans les zones inondables et à risque.

Faisons monter la marée face à l'adversité, afin d'organiser cette solidarité et cet élan de défense de la vie contre le profit et l'égoïsme d'une minorité puissante et dangereuse.

Il est temps de continuer à créer un pouvoir populaire d'en bas et de gauche.

Mais une fois le deuil assumé, avec tout le respect et la solidarité envers les personnes touchées, le moment est venu de demander des comptes au gouvernement de Carlos Mazón pour sa négligence criminelle dans la réduction de l'impact de la tempête, qui a laissé tant de personnes sans défense, terrifiées et avec tant de morts.

C'est pourquoi nous nous joignons à l'appel à une manifestation le 9 novembre à Valence pour exiger la démission de Mazón, pour négligence criminelle[7] Il ne peut pas être responsable s'il n'a pas été capable de défendre la vie et la sécurité de tant de Valenciens.

*

Publié le 2 novembre dans la revue Viento Sur.

Traduction, titre et intertitres : Contretemps.

Notes

[1] https://www.eldiario.es/comunitat-valenciana/acta-reunion-crisis-mazon-marlaska-1-900-desaparecidos-provisionales-riesgo-colapso-hospitales-valencia_1_11785052.html

[2] https://www.cgtvalencia.org/bombers-forestals-de-la-generalitat-denuncien-que-no-van-ser-mobilitzats-durant-la-dana-per-la-descoordinacio/ Révisé le 1er novembre 2024

[3] https://www.elplural.com/politica/mazon-rechazo-ayuda-bomberos-elite-catalanes-tragedia-valencia_340587102

[4] https://x.com/JuanBordera/status/1851424165875917310

[5] https://www.levante-emv.com/comunitat-valenciana/2024/10/30/dana-valencia-universidades-clase-lunes-110903113.html

[6] https://x.com/MiguelUrban/status/1787962687885865127

[7] https://intersindical.org/noticies_actualitat/article/les_entitats_civiques_socials_i_sindicals_exigeixen_responsabilitats_politiques_per_la_dana_al_pais_valencia

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L’extrême droite pervertit le sens des mots

12 novembre 2024, par Yves Faucoup — , , ,
Les médias et responsables politiques d'extrême droite cultivent sans cesse la confusion, accusant sans vergogne leurs adversaires d'être « racistes, antisémites, fascistes ». (…)

Les médias et responsables politiques d'extrême droite cultivent sans cesse la confusion, accusant sans vergogne leurs adversaires d'être « racistes, antisémites, fascistes ». Cette dérive, bien installée sur la bollosphère, gagne du terrain sur d'autres médias contaminés par l'inversion du sens des mots. La riposte reste mesurée.

Tiré du blogue de l'auteur.

Des supporters d'un club de foot israélien (le Maccabi Tel-Aviv) ont été agressés à Amsterdam. Selon RFI, « les réseaux sociaux regorgent d'images de supporters israéliens pris à partie par des "jeunes pro-palestiniens", certains poursuivis en voiture ou en scooter et roués de coups, un autre forcé de crier "Palestine libre". Au total cinq personnes ont été hospitalisées et on compte 30 blessés légers ».

Un Israélien brutalisé aurait crié qu'il n'était pas juif. Si ces actes sont insupportables et évidemment condamnables, sur plusieurs médias on a eu aussitôt droit à l'accusation de “pogrom” et d'”antisémitisme”. Sur CNews, Yoann Usaï, comme à l'ordinaire, vitupère contre l'extrême gauche. Sur C8 (TPMP), Hanouna éructe et décrète qu'il s'agit d'un “pogrom prémédité”. Alors que les supporters israéliens (dont les hooligans du Maccabi Tel-aviv, les Fanatics) ont brûlé au préalable un drapeau palestinien et des panneaux "Free Palestine", ont refusé, dans le stade, de rendre hommage aux Espagnols victimes des inondations (parce que le gouvernement espagnol condamne les massacres d'Israël à Gaza), alors qu'ils ont chanté des chants anti-Arabes et anti-Palestiniens (« Va te faire foutre Palestine ») et qu'un chauffeur de taxi d'origine arabe a été attaqué à coups de pied de biche. Hanouna n'en dit rien, comme il ne dit rien sur le fait que des ultras de l'Ajax, qui ne sont en rien des pro-Palestiniens (d'ordinaire même plutôt des pro-Israël, affichant des insignes favorables à l'Etat hébreu) se sont alpagués avec les supporters du Maccabi Tel-Aviv. Hanouna montre seulement une image totalement floutée (et incompréhensible) de ces supporters grimpant sur une façade d'immeuble pour arracher un drapeau palestinien. Et d'accuser LFI et Mélenchon d'être extrêmement dangereux : selon lui, « ces abrutis sont galvanisés par certains hommes politiques » !

Thomas Guénolé (ex-LFI), qui a plongé dans cette galère en participant régulièrement à l'émission TPMP, se fait copieusement insulter et engueuler pour avoir dit qu'il ne faut pas confondre ces agresseurs avec l'ensemble des pro-Palestiniens (sans avoir exprimer au préalable de la compassion pour les victimes). Toute l'équipe d'Hanouna (une douzaine de personnes) lui tombe sur le paletot, il calme le jeu en allant s'excuser à la pause auprès d'Hanouna qui voudrait bien le virer mais a besoin de lui (pour sa petite voix dissonante). Hanouna considère que ce « pogrom » est d'autant plus insupportable qu'il se déroule à Amsterdam, ville d'Anne Frank ! Il répète ce qu'il a lu ailleurs mais on ne voit pas en quoi, si c'est un pogrom, il serait plus tolérable hors d'Amsterdam. Il aurait pu aussi invoquer Etty Hillesum (juive d'Amsterdam, dévouée aux Juifs du camp de Westerbork, déportée et morte à Auschwitz, mais peu probable qu'il connaisse son existence (lire Les écrits d'Etty Hillesum : journaux et lettres, 1941-1943, Le Seuil, 1080 pages, fascinant et bouleversant).

Hanouna cherche à se mettre en avant dans le débat actuel totalement vicié : Hanouna (dont la vulgarité et l'inculture n'ont pas d'égal) et son équipe d'Europe 1 ont déblatéré sur France Inter, Hanouna excédé par la radio de service public. Hanouna semblait « au bord du gaz », a tweeté Jean-Michel Aphatie. Aussitôt, Gauthier Le Bret (chroniqueur Europe 1, CNews et Valeurs actuelles,voit dans cette expression « un sous-entendu antisémite ». Ainsi que Valérie Benaïm (Europe 1, TPMP), rapprochant ces mots avec ceux disant que Yaël Braun-Pivet allait « camper » à Tel-Aviv (qui serait, selon un bon nombre de commentateurs délirants une allusion aux… camps de concentration, la présidente de l'Assemblée Nationale se disant issue de « l'immigration slave, juive polonaise et juive allemande »). Il n'en faut pas davantage pour que Cyril Hanouna saute sur l'occasion de se dire lui aussi victime, ou plutôt pousse ses affidés à dire qu'il est l'objet d'une attaque antisémite (plusieurs, sur le plateau de C8, confirment que Aphatie a utilisé cette expression en connaissance de cause).

Sur cette même affaire d'Amsterdam, sur France Info, Georges-Marc Benamou, qu'on avait connu plus mesuré, reproche à Manuel Bompard (LFI) d'avoir dit qu'il attendait de voir les images pour condamner. Comme les images existent, Benamou accuse carrément Bompard d'être Faurisson (qui niait l'existence des chambres à gaz sous prétexte qu'il n'y avait pas d'images pour le prouver). Dérapage insupportable.

Comme est insupportable la sentence de Bruno Retailleau qui parle de « fascisme »le fait qu'une manifestation pro-palestinienne ait protesté contre la venue de Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée Nationale, à Lyon. Le ministre pouvait condamner cette manifestation sans venir parler de fascisme. Evidemment tous ces gens-là se gardent bien de rappeler qu'Israël lamine Gaza (43000 morts, des dizaines de milliers de blessés parfois très graves, des corps sous les gravats, des hôpitaux, des écoles, des églises, des mosquées bombardés, de la famine, des épidémies incontrôlables, des employés de l'ONU et des journalistes tués par Tsahal, et aussi des poètes, dont Refaat Alareer vraisemblablement ciblé par un bombardement et toute sa famille décimée, des Palestiniens abattus comme des lapins en Cisjordanie, leurs habitations détruites). Nombreux Juifs et Israéliens condamnent ces massacres mais d'autres militent ouvertement pour le Grand Israël (sans Gaza ni la Cisjordanie). Des ministres de Nétanyahou participent à cette infamie mais, pourtant, ici on ne craint pas de nous présenter comme un scandale incommensurable le fait que, sur le tifo déroulé au Parc des Princes, la petite carte d'Israël et de Palestine était un keffieh (ce qui signifierait la disparition d'Israël).

Il importe de comprendre que l'utilisation abusive de mots tels que pogrom, antisémitisme, Shoah, fascisme, ont pour effet d'amoindrir le sens qu'ils recouvrent. Parfois par maladresse, souvent intentionnellement, tant il est vrai que la perversion conduit des racistes notoires à se permettre aujourd'hui d'accuser leur contradicteurs d'être... racistes !

La gauche est confrontée à un problème d'envergure : le phénomène fake news, la dérive trumpiste, poutinienne ou orbanesque (et chez nous lepéniste ou zemmourienne), c'est-à-dire la perte du sens des mots et l'inversion des conceptions, font leur chemin. Une droite extrême et l'extrême droite se complaisent dans l'insulte, qualifiant d'antisémite, de fasciste, la gauche et l'extrême gauche. Cela prend des proportions phénoménales. J'ai comme l'impression qu'en face la riposte n'est pas à la hauteur de la dérive.

Ne pas avoir peur

Ce matin [mercredi 6 novembre], j'avais la gueule de bois : je ne sais si c'est parce que Donald Trump a été réélu ou si c'est parce que j'ai veillé jusqu'à 3h30 du matin. J'ai ensuite cherché à dormir mais j'ouvrais un œil sur ma télé toutes les demi-heures. On a entendu mille explications pour cette victoire, je ne vais pas rajouter mon grain de sel. Si on a sans doute raison de penser qu'ils sont fous ces Américains (ceux et celles qui approuvent et élisent un homme si vulgaire, si violent en paroles, si incohérent au point qu'il instille le doute sur ses facultés mentales), on a eu déjà l'occasion de ne pas croire aux valeurs morales des Etats-Unis. Sans revenir aux bombes d'Hiroshima et de Nagazaki (à ce jour seul pays à avoir utilisé le feu nucléaire, pour économiser des GI's mais surtout pour impressionner les Soviétiques), aux bombardements sur la France (certes pour viser les Allemands qui l'occupent mais ratant le plus souvent leurs cibles et tuant plus de 70 000 Français) ou le Vietnam (bombardement intensif de Hanoï pendant des pourparlers de paix), plus récemment, la guerre en Irak aurait totalement justifié que George W. Bush soit traduit devant un tribunal international. Si pour ma part j'approuve que l'Ukraine soit fortement aidée pour repousser l'agression de Poutine (elle ne l'est même pas assez, aidée), en revanche le soutien à Netanyahou qui vise ouvertement à rayer les Palestiniens de la carte est une faute politique gravissime.

Longtemps, je repoussais l'idée de voyager aux USA, ne pardonnant pas aux pouvoirs en place successifs leurs crimes, déjà cités mais aussi leurs exactions en Amérique latine, en soutien aux dictatures et y provoquant des coups d'Etat. De même, je n'ai foulé la terre ibérique qu'après la mort de Franco (idem pour le Portugal, refusant de m'y rendre au temps de Salazar). Je n'étais cependant pas à une contradiction près, car, bien que condamnant sans réserve le stalinisme (ses crimes en Pologne, Budapest, Prague), j'avais pourtant bien visité les Pays de l'Est (dont Pologne, Roumanie, URSS, Arménie soviétique, Azerbaïdjan). Et aussi la Turquie d'Erdogan et la République dite populaire de Chine. Ce n'était pas très cohérent. Craignant de ne jamais mettre le pied sur le continent américain, je m'y suis rendu en septembre 2018... alors même que le président était Donald Trump ! Finalement, si je veux encore découvrir le monde, il me reste pas mal de pays despotiques à visiter !

A quelques mètres de Wall Street, la statue en bronze d'un taureau (Charging Bull) représente la puissance et le pouvoir. Puis un autre sculpteur a installé une statue d'une fillette, mains sur les hanches, faisant face à la bête, lui signifiant qu'elle n'avait pas peur (Fearless Girl). Finalement le sculpteur de Charging Bull et la mairie de New York ont exigé que Fearless Girl soit déplacée, à quelques centaines de mètres. J'ai pris les photos un mois avant ce déplacement. Cette scène est tout un symbole.

Philadelphie et la recherche du bonheur

L'Etat de Pennsylvanie fait la une des médias, car c'est le plus important des swings states, les 7 Etats qui font l'élection présidentielle (le candidat qui l'emporte dans cet État a de forte chance de gagner l'élection). Sa capitale : Philadelphie, "amitié fraternelle et sororelle", adelphie étant un mot qui fusionne frères et sœurs. C'est dans cette ville que fut signée le 4 juillet 1776 la Déclaration d'indépendance (face à la monarchie britannique) créant les Etats-Unis d'Amérique. Les Américains sont fiers de montrer les lieux où cet acte fondateur fut consacré, ainsi que la Cloche de la liberté qui concrétisa cet événement.

Cette Déclaration décrète que tous les hommes sont créés égaux. Ils disposent de droits : la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Mais elle veille à ne rien dire sur la traite des Africains (qui allait encore durer deux siècles) ni sur l'esclavage pour ne pas mécontenter les Etats du sud. Dans ce document de trois pages, la moitié vise la « tyrannie absolue » du roi de Grande-Bretagne et ignore ostensiblement qu'il existait des peuples autochtones en Amérique. On ne sait même pas si les Américains s'entretuèrent durant la Guerre de Sécession pour vraiment accorder la liberté aux esclaves.

A noter que la Conférence générale de l'Organisation internationale du travail (OIT), réunie à Philadelphie, aux États-Unis, a adopté, le 10 mai 1944, un autre texte, la Déclaration de Philadelphie, qui a une importance considérable car elle redéfinit les buts et objectifs de l'Organisation internationale du travail dont un article dit : « tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ».

Recherche du bonheur, de la liberté, de la dignité ? Est-ce que cela était à l'ordre du jour de l'élection présidentielle américaine ?

Le consentement à l'écrasement de Gaza

Le 19 octobre, plusieurs bombardements sur Gaza par l'armée israélienne ont fait des dizaines de morts (sur des camps de réfugiés et sur une école, 87 morts aux dernières nouvelles qui ne font qu'un entrefilet dans les médias). Déjà, le dimanche 13 octobre, 15 morts dans une école et 50 blessés. Une nouvelle étonnante, un scoop, serait d'annoncer qu'au cours d'une journée il n'y a eu aucun mort à Gaza.

Pour faire prendre la mesure du drame qu'a représenté pour les Israéliens le 7-octobre, certains ont cru nécessaire de rapporter le chiffre des 1180 morts [766 civils dont 71 ressortissants étrangers et 373 policiers et militaires, sans compter les otages morts] à la population de la France, serait l'équivalent de 10.000 morts. Or, si l'on poursuit sur l'idée du comparatif, le massacre en règle à Gaza, délibéré (au moins 42.000 morts), de l'armée israélienne sur l'ordre du premier ministre Netanyahou correspondrait en France à plus d'un million de morts !

Pour tenter de minimiser cette volonté de l'Etat israélien de détruire le peuple palestinien, de bonnes âmes (donc pas seulement Meyer Habib) ont cru pouvoir s'étonner qu'on ne s'apitoie pas sur le Soudan ou le Congo meurtris, tant d'autres lieux oubliés. Or il est faux de dire que les humanitaires ne se préoccupent que de la Palestine, par ailleurs en nombre de morts comparé à la population et à la durée d'exécution, l'opération en cours est la pire que l'on connaisse.

Il y a quelques années, quand j'ai eu l'occasion de me rendre à des conférences ou rassemblements en faveur des Palestiniens, je redoutais qu'y soient tenus des propos antisémites. Cela n'a jamais été le cas (sinon je l'aurais écrit et n'y serais jamais retourné). Après le 7-octobre, j'ai entendu une responsable nationale du NPA, à Auch, qualifier cette attaque de « violence aveugle contre des centaines de civils », d'« actes monstrueux » », d'« idéologie d'obscurantisme et d'intégrisme religieux », tout en considérant qu'il s'agissait d'une réplique (d'un miroir) de ce qu'est le gouvernement d'Israël, d'extrême droite, religieux, qui n'hésite pas à parler d'"animaux" pour désigner les Palestiniens.

Les accusations d'antisémitisme portées à l'encontre de quiconque critique cette guerre d'anéantissement faite aux Palestiniens est insupportable : cette instrumentalisation est, selon moi, une forme d'antisémitisme parce qu'elle court le risque de l'alimenter. De même qualifier de Shoah les massacres du Hamas c'est aussi instrumentaliser la Shoah et alimenter le révisionnisme. Enfin, la politique cruelle de l'Etat d'Israël non seulement attise une haine exacerbée contre lui dans les territoires palestiniens mais aussi développe un discrédit grandissant dans le monde à son encontre.

Dans un livre magistral, documenté bien qu'écrit dans l'urgence, Didier Fassin, professeur au Collège de France, médecin, anthropologue, démontre l'ampleur non seulement de l'écrasement de Gaza mais aussi du silence et de l'inaction qu'il provoque. Sur l'événement du 7 octobre, il décrypte et, tout en condamnant un crime odieux s'en prenant à des civils, tués, violentés, blessés, pris en otage, il déroule les faits mais montre aussi les mensonges des autorités israéliennes, copieusement repris y compris après qu'ils aient été démentis [CNews continue à colporter la fake news selon laquelle des enfants auraient été décapités et mis dans un four]. Je recommande ce livre dans lequel Didier Fassin démontre avec brio comment les mots sont détournés et les valeurs inversées. Ce livre remarquable, au lieu d'être commenté par un auteur qui traite du Moyen-Orient et connait le sujet, a été sévèrement critiqué dans les pages littéraires du Monde (Le Monde des livres) par Florent Georgesco, adjoint de Jean Birnbaum (à la différence du Monde, son supplément littéraire a peu couvert la tragédie de Gaza).

[20 octobre]

voir Les médias de l'extrême droite se déchaînent [25 octobre] où il est question des Dupondt du PAF, Olivier Truchot et Alain Marshall (BFM-RMC)

voir aussi : Le règne du deux poids deux mesures, [23 mai] où il est question, entre autres, de France Info et d'une interview de Rima Hassan (franco-palestinienne, candidate sur la liste LFI aux Européennes) menée de façon indigne par Gilles Bornstein et Barbara Klein (ex-CNews) : ils l'ont harcelée, n'écoutant pas ses explications, Gilles Bornstein se comportant comme un véritable militant.

Billet n° 827

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et . "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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Le « pogrom » d’Amsterdam : retour sur l’interprétation des faits

Au moment où l'on commémore le 86e anniversaire de la Nuit de Cristal (9-10 novembre 1938), une mise au point nécessaire sur l'interprétation des événements survenus avant et (…)

Au moment où l'on commémore le 86e anniversaire de la Nuit de Cristal (9-10 novembre 1938), une mise au point nécessaire sur l'interprétation des événements survenus avant et après le match Ajax Amsterdam-Maccabi Tel Aviv.

Tiré du blogue de l'auteur.

Dans la nuit du 7 au 8 novembre, de nombreux supporters israéliens du Maccabi de Tel Aviv ont été agressés physiquement dans les rues d'Amsterdam. Certains des auteurs de ces actes motivés par le contexte géopolitique devront en répondre devant la justice. Comment pourrait-on cautionner le fait de s'en prendre à des personnes en raison de leur appartenance nationale ?

Mais qualifier ces agissements de "pogrom antisémite" (comme a pu le faire Isaac Herzog, le président israélien, dont les propos sur l'absence supposée de civils innocents à Gaza sont bien connus et cités dans la requête sud-africaine accusant Israël de génocide devant la Cour internationale de justice [1]), ou de "chasse aux juifs" (comme a pu le faire Laurent Wauquiez, président du groupe parlementaire de La Droite républicaine ; mais aussi Geert Wilders, le chef du Parti pour la liberté, le principal parti d'extrême-droite néerlandais), relève d'une manipulation grossière des faits.

Celle-ci a été entretenue par les dirigeants, représentants et propagandistes de l'Etat d'Israël, ainsi que par ses soutiens inconditionnels en Europe (au premier rang desquels on trouve des politiciens français de droite et d'extrême droite, ainsi que de nombreux responsables politiques en France, en Allemagne et aux Pays-Bas). C'est aussi une insulte à la mémoire des victimes des pogroms − réels − qui se sont multipliés en Europe centrale et orientale entre la fin du XIXe s. et les années 1940. Le roi des Pays-Bas est allé jusqu'à comparer la situation de la communauté juive dans son pays occupé par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale avec celle des supporters du Maccabi pourchassés et molestés par des "Arabes", un terme souvent utilisé dans les témoignages [2].

Les descendants des victimes du judéocide nazi apprécieront cette analogie pour le moins honteuse. Yad Vashem, le musée officiel de la Shoah en Israël, a fait le parallèle entre le prétendu pogrom d'Amsterdam et la Nuit de Cristal, qui a marqué le début de l'élimination physique des Allemands juifs par le régime nazi [3]. Cette institution a constamment servi, depuis sa création en 1953, à instrumentaliser la mémoire des 6 millions de Juifs européens assassinés au service du projet d'Etat colonial et d'apartheid en Palestine [4], alors même que le sionisme était un mouvement minoritaire au sein du monde juif de la première moitié du XXe siècle. On peut aussi rappeler que le Mémorial de Yad Vashem jouxte les ruines du village palestinien de Deir Yassin, où les milices sionistes ont massacré plus de 250 hommes, femmes et enfants en avril 1948, durant l'épuration ethnique qui a accompagné la création d'Israël. La même institution a rejeté la requête d'une cinquantaine de spécialistes de la Shoah et des études juives lui demandant de condamner les multiples incitations publiques à la destruction de Gaza et de ses 2 millions d'habitants [5].

On sait à quoi sert l'amalgame intentionnel entre les Israéliens et les Juifs : polir l'image internationale d'un Etat occupant et génocidaire, lequel a battu tous les records, durant le premier quart du XXIe s., en termes de meurtres d'enfants, de journalistes et de professionnels de santé. Les ressortissants israéliens attaqués après le match sont issus du même groupe de supporters surpris avant la rencontre en train d'arracher un drapeau palestinien sur la façade d'un immeuble aux cris de "Fuck you Palestine !" et d'entonner des chants en soutien à leur armée qui s'applique à raser Gaza et à massacrer et mutiler chaque jour des dizaines − au minimum − d'hommes désarmés, d'enfants et de femmes ("Que Tsahal gagne pour niquer les Arabes !" ; ou encore "Il n'y a pas d'écoles à Gaza parce qu'il n'y a plus d'enfants !") [6]. La chasse à l'homme − condamnable − dont ils ont fait l'objet par la suite suffirait donc à blanchir de telles apologies de crimes contre l'humanité (celles-ci ne font que s'ajouter à la très longue liste d'appels à commettre des actes génocidaires contre un peuple occupé et déshumanisé par Israël depuis des décennies, des appels qui se matérialisent sur le terrain depuis 13 mois) ? A la différence des auteurs des violences arrêtés par la police de leur pays, ces ultra-nationalistes israéliens ne seront jamais traduits en justice.

Notes

[1] https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20231228-app-01-00-fr.pdf : page 73 ; le président Herzog est aussi l'un des nombreux Israéliens à avoir écrit des messages sur les bombes destinées à être larguées sur Gaza.

[2] https://www.haaretz.com/israel-news/2024-11-08/ty-article/israeli-soccer-fans-attacked-in-amsterdam-by-assailants-chanting-free-palestine/00000193-0994-de12-adbb-8bf7c8ba0000

[3] https://www.yadvashem.org/press-release/08-november-2024-07-53.html

[4] D'après l'historienne israélienne Idith Zertal (Université hébraïque de Jérusalem), dans son ouvrage Israel's Holocaust and the Politics of Nationhood (Cambridge University Press, 2005, p. 100) : « Le transfert de la situation [des Juifs d'Europe] durant la Shoah dans la réalité du Moyen-Orient... n'a pas seulement créé le faux sentiment d'un danger imminent de destruction massive. Il a aussi complètement déformé l'image de la Shoah, éclipsé l'ampleur des atrocités commises par les Nazis, banalisé l'agonie incomparable des victimes et des survivants, et diabolisé totalement les Arabes et leurs dirigeants. »

[5] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/29/amos-goldberg-historien-israelien-ce-qui-se-passe-a-gaza-est-un-genocide-car-gaza-n-existe-plus_6364702_3232.html

[6] https://www.liberation.fr/sports/football/supporters-israeliens-attaques-a-amsterdam-ce-que-lon-sait-des-faits-du-contexte-et-des-reactions-20241108_6ZLLITQWIFBCNMUUWVIKV23FTE/?utm_source=pocket-newtab-fr-fr ; https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/08/amsterdam-ce-que-l-on-sait-des-violences-contre-les-supporteurs-israeliens-apres-un-match-de-ligue-europa-entre-l-ajax-amsterdam-et-le-maccabi-tel-aviv_6382760_3211.html ; https://www.nouvelobs.com/sport/20241108.OBS96076/a-amsterdam-des-violences-eclatent-apres-un-match-de-ligue-europa-israel-denonce-une-attaque-antisemite-premeditee.html

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Les racines austro-fascistes du courant incarné par Vance

12 novembre 2024, par Joëlle Stolz — , ,
Le plus dangereux pour la démocratie n'est sans doute pas Donald Trump. Mais son jeune vice-président JD Vance, représentant offensif d'un catholicisme très conservateur. L'un (…)

Le plus dangereux pour la démocratie n'est sans doute pas Donald Trump. Mais son jeune vice-président JD Vance, représentant offensif d'un catholicisme très conservateur. L'un des modèles : le régime autoritaire et clérical instauré en Autriche en 1933.

7 novembre 2024 | Billet de son blogue publié dans mediapart.fr
https://blogs.mediapart.fr/joelle-stolz/blog/071124/les-racines-austro-fascistes-du-courant-incarne-par-vance

Quatre ans à souffrir, ensuite on retournera aux choses sérieuses. Cette vision optimiste du triomphe de Donald Trump, qui nous revient en 47ème président des États-Unis, doit être confrontée à la réalité.

Même si ce grand narcissique a attiré sur lui les projecteurs, le personnage le plus inquiétant n'est pas l'ex-garçon timide et insécure biberonné au cynisme par l'avocat Roy Cohn. Mais l'homme qu'il a choisi comme vice-président, peut-être le seul "intellectuel" de son entourage immédiat avec le principal théoricien de sa victoire en 2016, son ancien conseiller Steve Bannon : JD Vance.

Lequel fut encensé durant la première présidence de Trump parce qu'il avait publié son récit d'enfant des Appalaches, Hillbilly Elegy. A Memoir of a Family and Culture in Crisis (traduit en français dès 2017 aux éditions Globe sous le titre Hillbilly Élégie). Le gars inculte descendu des montagnes, "Hillbilly", est un terme désobligeant pour les habitants de ces régions si éloignées des élites de Washington DC, Manhattan ou Los Angeles.

Encensé par la gauche progressiste

Le livre est resté très longtemps sur la liste des best-sellers du New York Times et a valu à Vance d'y publier des tribunes régulières. Selon lui, c'est le mépris qu'il a ressenti de la part des bourgeois libéraux fréquentés durant cette période, qui a déterminé son évolution ultérieure.

Chacun s'est jeté il y a huit ans sur Hillbilly Elegy pour comprendre comment un grossier animateur de télé avait pu se faire élire président de la première puissance mondiale. Sauf que l'ex-chouchou des progressistes, qui avait juré de ne jamais rejoindre ce maniaque des médias, le qualifiant même de « Hitler de l'Amérique », a accepté d'être son colistier.

Le sénateur de l'Ohio, 40 ans depuis l'été, est doté d'une épouse brillante issue de l'immigration indienne de Madras (sa mère est aux États-Unis biologiste moléculaire), Usha Chilukuri. Nettement plus instruite que Melania Trump puisque, comme son mari, elle a fait la Yale Law School, une école de juristes réputée, où l'une de ses profs a encouragé Vance à écrire.

Un ami du libertarien Peter Thiel

Élevé dans un milieu protestant évangélique, du genre qui prononce les grâces avant chaque repas et va à l'église le dimanche, il s'est converti en 2019 au catholicisme sous l'influence de son ami Peter Thiel, le milliardaire libertarien de la Silicon Valley. Estimant que cette forme de la religion de son enfance lui donnait le moyen de comprendre « de façon plus intellectuelle » la foi chrétienne, il s'est placé sous le haut patronage de Saint Augustin, l'un des Pères de l'Église.

Il porte de façon agressive les valeurs d'un nationalisme très conservateur. Il est opposé à la liberté d'avortement, au mariage homosexuel ou au contrôle des armes, comme au milieu universitaire imprégné à ses yeux de la désastreuse « pensée woke ». Bien sûr il est contre toute aide à l'Ukraine. Il a présenté en 2023 avec sa collègue Marjorie Taylor Greene un projet de loi fédérale pénalisant quiconque faciliterait le changement de sexe d'un mineur, puis cherché à démolir le « DEI Act » qui promeut la diversité, l'égalité et l'inclusion.

Il tient enfin un discours nataliste. C'est lui qui a proposé que les familles avec enfants paient moins d'impôts, ou moqué dans une interview très critiquée ces « dames avec un chat sans enfant, qui sont malheureuses dans leur vie et des choix qu'elles ont faits, et voudraient que le reste du pays soit aussi malheureux qu'elles ».

Une vision raciste inscrite dans l'histoire de la nation

L'extrême droite qu'il incarne semble décidée à imprimer durablement sa marque. À en finir avec la démocratie libérale, qui a montré à ses yeux son inanité. Vance a préfacé le désormais fameux « Projet 2025 », dont les traits principaux sont de soumettre l'administration aux volontés du président, donc de toucher au statut des fonctionnaires, de déporter en masse les immigrés illégaux et de ressusciter le rêve américain.

Certains experts de la culture états-unienne ont raison de souligner que sa vision raciste était inscrite dans l'histoire du pays, notamment dans l'interdiction totale de toute immigration venue de Chine à la fin du 19ème siècle ou dans les quotas d'immigration par pays en vigueur de 1921 à 1965 – qui ont tant nui aux Juifs persécutés par le nazisme. Et avant eux aux Italiens ou aux Irlandais, vus comme moins aptes à la liberté que les gens venus de l'Europe scandinave ou germanique. Sans parler du massacre des Indiens, ou des anciens esclaves amenés de force d'Afrique.

On peut se reporter à Illiberal Reformers de l'historien de Princeton Thomas C. Leonard, qui détaille les politiques eugénistes aux USA, lesquelles ont inspiré plus tard Adolf Hitler.

Le Parti républicain de Ronald Reagan appartient maintenant au passé, s'est réjoui un promoteur de cette « nouvelle droite » dont la Heritage Foundation, le Claremont Institute et l'AEI (American Enterprise Institute) sont les pépinières. Tandis qu'un autre pressentait qu'avec Donald Trump, Elon Musk et Georgia Meloni – la cheffe post-fasciste du gouvernement italien étant au mieux avec le multimilliardaire né en Afrique du Sud qui a « hâte de servir l'Amérique » -, les néo-conservateurs retrouveraient un trio comparable à celui qui a dominé les années 1980, grâce à la trinité Jean-Paul II-Margaret Thatcher-Ronald Reagan.

Rappel pour les plus jeunes : ces trois-là ont eu la peau de l'ours soviétique. La chute du Mur de Berlin, fin 1989, fut leur plus grande victoire, qui a rejeté dans l'ombre leur soutien obstiné aux dictatures latino-américaines et au régime d'apartheid en Afrique du Sud, ou leur aveuglement face aux dérives de nombre de religieux comme le Mexicain Marcial Maciel.

Dans la position de Rome après la défaite de Carthage

Avec la fin de l'URSS, la superpuissance américaine s'est retrouvée dans la position de Rome après la défaite de Carthage : sans rivale. Pour seulement une courte génération, certes, mais beaucoup ont cru que ce serait éternel. L'universitaire Francis Fukuyama a même évoqué en 1992 rien de moins que La fin de l'Histoire, jugeant indépassable la supériorité du libéralisme sur l'autoritarisme.

Ce fut l'époque du « moins d'État » qui a ravagé les services publics de l'Angleterre comme de la Suède, de l'euphorie du Nasdaq, du fric à gogo. En France l'équipe d'Actuel qui avait été le chantre de la contre-culture revenait avec un nouveau magazine tourné vers les années 1980, tellement excitantes.

Durant la décennie suivante, l'ère Clinton, dont la secrétaire d'État Madeleine Albright a défini les États-Unis comme « la nation indispensable » (au reste du monde), a achevé cette mue, accélérant la chute du Parti démocrate comme défenseur des plus faibles et des minorités ethniques.

Ce cycle se boucle aujourd'hui.

Jadis critique féroce de Trump, Vance est donc son vice-président. Et la décision de celui qui avait fait fortune dans l'immobilier en ne payant pas d'impôts – comme le montre le film d'Ali Abbasi The Apprentice – a ramené vers lui le libertarien Peter Thiel. Ce qui, avec l'omniprésent et tonitruant Elon Musk, complétait le tableau. Le 16 juillet 2024 le Washington Post titrait : « Avec Vance, Trump choisit un idéologue ambitieux et son premier millenial » (ceux qui sont nés au tournant du 21ème siècle).

Une trajectoire ascendante

La trajectoire de Vance est en effet un mélange de méritocratie et d'opportunisme. Né pauvre mais excellent élève, il intègre le corps très sélectif des Marines, ce qui lui a permis d'étudier ensuite les sciences politiques à l'Université d'État de l'Ohio grâce à une nouvelle mouture du G.I.-Bill, une loi édictée en 1944 par Roosevelt pour aider les vétérans de la Seconde Guerre mondiale.

De là il monte à Yale, l'une des riches universités privées de la Ivy League. Et en sort, non seulement nanti d'une fiancée d'un milieu bien supérieur au sien dont il a eu, depuis leur mariage, trois enfants, mais comme elle docteur en droit. Il est devenu un ardent conservateur. En 2022 il décroche un siège républicain au Sénat, bien que son ONG censée lutter contre les addictions (sa mère était une droguée), déplore son adversaire démocrate dans l'Ohio, soit avant tout une façade. C'est Thiel, son ancien employeur (et celui de l'ex-chancelier autrichien Sebastian Kurz, que Trump avait reçu à Washington), qui finance sa campagne.

Les racines austro-fascistes du catholicisme extrémiste

Si l'on en croit l'hebdomadaire viennois Falter dans son édition du 30 octobre, ce conservatisme sociétal mâtiné de libéralisme à tout crin et/ou de protectionnisme, suivant ses représentants, a des sources dans le régime clérical instauré en 1933 par le chancelier Engelbert Dollfuss, que l'historiographie social-démocrate désigne par un terme qui n'est plus guère contesté : l'austro-fascisme. Car inspiré par le fascisme italien – Mussolini ayant été assez habile pour conserver la monarchie et conclure une paix négociée avec un catholicisme qu'il méprisait – plutôt que par un nazisme nettement plus radical, au point de pas tolérer toute organisation qu'il ne contrôlait pas.

Autoritaire et appuyé sur l'Église catholique, Dollfuss fut victime d'une tentative de putsch par les nazis qui provoqua sa mort. Il fut un « martyr » - presque un saint laïque. Mais son successeur, Kurt Schuschnigg, était trop faible pour s'opposer à Hitler et à l'Anschluss.

Selon James Patterson, qui enseigne les sciences politiques à l'université Ave Maria de Floride, le gourou de la nouvelle droite catholique aux USA est le moine cistercien Edmund Waldstein, de père autrichien et de mère américaine, prêtre depuis 2019, qui vit et prie à Heiligenkreuz, un couvent près de Vienne.

L'extrême droite catholique

Inconnu dans son pays, ce moine est célèbre parmi toute une génération de jeunes catholiques aux États-Unis grâce à son site web The Josias. L'un des abonnés est le Parti républicain au Capitole. « Je sais que l'équipe de Vance le lit », dit Patterson.

Il existe en tout cas une photo du futur vice-président accueillant chaleureusement le philosophe Patrick Deneen, l'une des étoiles de cette constellation et l'un des admirateurs de Viktor Orban.

Outre-Atlantique « se forme un front radical avec des références catholiques », écrit Falter, qui rappelle que six catholiques d'obédience conservatrice – sur neuf juges au total - siègent à la Cour suprême, en qui Vance peut trouver des alliés. D'après un connaisseur de ces arcanes cité par l'hebdomadaire, le catholicisme fournit à ces intellectuels anti-libéraux la possibilité « d'ancrer dans une tradition leur refus du monde moderne ».

Patterson a ainsi formulé pour la Fondation Konrad-Adenauer, proche des conservateurs allemands, ce que serait la « société parfaite » du Père Waldstein : l'Église y regagnerait une influence décisive sur l'école et la vie familiale, y interdirait la pornographie, y restreindrait les droits reproductifs des femmes tout en favorisant les naissances.

Le grand ancêtre intellectuel est le philosophe d'origine allemande Leo Strauss, pourfendeur du modernisme. L'un de ses disciples, qui a joué un rôle crucial en 2016 dans la légitimation du candidat Trump auprès de républicains très réticents, est l'essayiste Michael Anton. Selon lequel les Républicains ont abandonné le terrain culturel à la gauche libérale pour ne s'occuper que des cours à Wall Street.

S'y ajoute Adrian Vermeule, qui enseigne le droit à Harvard. Catholique fervent, c'est lui qui théorise que les individus sont les « sujets » d'un ordre divin qui les dépasse. Enfin l'Institut Claremont a embauché le blogueur néo-réactionnaire Curtis Yarvin, né en 1973, qui professe que les élections sont un gaspillage inefficace et qu'il vaudrait mieux les abolir. Il préfère une sorte de monarchie technologique dont le chef agirait « en P.D.G. d'une start up ou en dictateur », l'État n'étant finalement qu'une entreprise, sauf qu'elle possède un territoire.

La Hongrie d'Orban, un laboratoire

À côté, Vance paraît plus tourné vers des valeurs traditionnelles – religion, famille, patrie -, bien qu'il voie en Yarvin un « ami ». Mais tous observent ce qui se passe dans la Hongrie d'Orban, ce laboratoire de mesures « illibérales ». Et Trump a annoncé sur Fox News avant même d'être élu qu'il comptait licencier 50.000 fonctionnaires, supprimer le ministère de l'éducation et le FBI, bref le plan élaboré par la Fondation Heritage et l'Institut Claremont de Leo Strauss. Les juristes ont beau se récrier que ce serait une atteinte à la Constitution, le « ticket » Trump-Vance a, depuis ce 5 novembre, la force de le faire.

Les sceptiques feraient mieux de regarder la série de Netflix The Diplomat. L'intrigue de la deuxième saison paraît extrêmement tirée par les cheveux, jusqu'au dernier épisode où l'on comprend que l'attentat britannique (contre leur propre navire militaire !) a été fomenté par la vice-présidente des États-Unis, soucieuse d'éviter une sécession écossaise qui priverait les Américains de leur unique base de sous-marins en Europe contre les avancées des Russes. Or cette vice-présidente, le vieux président étant soudain mort, se voit investie de la magistrature suprême.

C'est ce qui pourrait se produire dans la vraie vie. Sauf que ce n'est pas la vice-présidente démocrate Kamala Harris qui a été élue ce mardi. Faible consolation : on ne risque pas de s'ennuyer durant les prochaines années.

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Trump : premières leçons et premières batailles.

12 novembre 2024, par Vincent Présumey — , ,
La victoire de Trump est d'ampleur : à 15h ce jour (heure française) il gagne en voix – plus de 71,3 millions contre près de 66,5 à Harris – et en pourcentage – 51,1% contre (…)

La victoire de Trump est d'ampleur : à 15h ce jour (heure française) il gagne en voix – plus de 71,3 millions contre près de 66,5 à Harris – et en pourcentage – 51,1% contre 47,4%, en outre libertariens et autres font 0,8%, Jill Stein 0,4%, le reste 0,2% – et il est donc président, ayant gagné dans les « swing states » (il restait à dépouiller à cette heure le Nevada, le Michigan et l'Arizona, mais les jeux étaient faits). De plus, les Républicains semblent victorieux au Sénat et peut-être à la Chambre des représentants.

6 novembre 2024 | tiré de site : Arguments pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2024/11/06/trump-premieres-lecons-et-premieres-batailles/

C'est une défaite pour le prolétariat et la démocratie, qui appelle compréhension, résistance et contre-attaque. C'est pourquoi nous saluons le communiqué de l'United Automobile Workers de ce matin qui a le mérite de rappeler que la working class est majoritaire et qu'elle a les mêmes aspirations et revendications quel que soit son vote, avec Donald Trump et Elon Musk comme ennemis.

Harris ne pouvait gagner par ses propres forces, étant la candidate de l'un des deux grands partis de la classe capitaliste américaine. En 2020, si Biden avait gagné contre Trump, ce n'était pas par ses propres forces non plus, mais en raison de la puissante vague de manifestations des noirs et de toute la jeunesse avec eux dont l'assassinat de George Floyd à Minneapolis avait été le détonateur. Pourquoi n'avons-nous pas eu cela cette fois-ci ?

Bien entendu le bilan des démocrates au pouvoir, avec la baisse du niveau réel d'existence et du pouvoir d'achat des plus larges masses, est la donnée de base. Mais il est tout à fait insuffisant de s'en tenir là et de ressasser qu'on ne bat pas l'extrême-droite avec un programme libéral et pour le moins mou du genou sur le « social ». De telles récriminations impliquent des illusions, alors qu'Harris ne pouvait pas avoir d'autre programme que le sien. La défense de la démocratie devait (et devra) se faire sans le Parti Démocrate et en dehors de lui, et c'est sur le terrain de la défense de la démocratie que les Démocrates ont insufflé la faiblesse.

Car, ne l'oublions jamais, toutes les quatre années de Biden se sont déroulées sous le signe de la « prise du Capitole » du 6 janvier 2021 et de l'absence de répression judiciaire contre Trump à la suite de cela. Alors que tous les « gens sérieux » savent sa dépendance envers Poutine, les cercles dirigeants US ont choisi de taire ce fait si désorientant et problématique pour eux et leur crédibilité : un président « agent russe » !

Plus, ce sont des cercles clefs du capital, cette fois-ci, à la différence de 2016, qui ont fait mouvement vers Trump, pour l'encadrer certes, mais aussi pour diriger ses coups contre les syndicats et le mouvement ouvrier (le Project 2025 de la Heritage fondation, le « prestigieux » think-tank néolibéral rallié à Trump). Le rôle clef d'Elon Musk, pas pour modérer Trump en ce qui le concerne, bien au contraire, s'inscrit ici, de même que l'intervention des actionnaires pour interdire à la grande presse traditionnellement pro-démocrate de se prononcer – la rédaction du New York Times était donc en grève le jour du vote !

Et le dollar monte et les places boursières aussi : la classe capitaliste mise sur Trump, qui n'est plus un « accident » comme en 2016.

L'élément d'intimidation physique, propre au fascisme, est présent aux Etats-Unis au moins depuis le 6 janvier 2021 et a été un facteur de l'élection de Trump. Il se combine à la forte dimension masculiniste et viriliste d'une campagne dans laquelle la lutte pour ou contre la domination masculine envers les femmes a été un enjeu central – et bien que ce vote masculiniste comprenne aussi des voix féminines (de même qu'il y a, en Iran, des femmes gardiennes du voile islamique), la résistance à Trump a été majoritairement féminine.

Répétons-le : la violence a été d'ores et déjà un élément de cette victoire. Elle a eu lieu sous la menace, car tout le monde savait que Trump ne reconnaitrait pas une défaite. Les méthodes de la seule « démocratie bourgeoise » sont ici battues d'avance. Ce sont les méthodes des picket lines des grévistes de l'automobile victorieux sur leurs salaires fin 2023, et de l'autodéfense contre la police et les milices de la part des jeunes noirs aidés d'autres secteurs de la jeunesse comme en 2020, ce sont ces méthodes seules, avec l'organisation indépendante des plus larges masses, qui feront reculer la menace et la violence trumpistes.

Mais justement : une poussée spontanée, mais indépendante, comme celle qui avait battu Trump n°1 en 2020, n'a pas eu lieu, s'est sans doute amorcée mais ne s'est pas déployée, contre Trump n°2 en 2024. Là intervient un facteur politique clef : la mobilisation des universités sur le thème de la Palestine n'a majoritairement servi de rien au peuple palestinien et a fait le jeu de Trump.

Ceci n'est ni la faute ni de la responsabilité des étudiants et des millions de jeunes révoltés par le martyr de Gaza, mais de l'orientation politique imprimée à ce mouvement par ses responsables, à savoir la grande majorité de l'extrême-gauche et des secteurs se voulant d'avant-garde, qui, dès le 7 octobre 2023, le jour des pogroms provocateurs du Hamas, ont dénoncé Genocide Joe (Biden) comme LE coupable et l'agent n°1 d'un génocide. En réalité, ledit génocide menace dans les gravats de Gaza, un an après, et la campagne contre Genocide Joe n'a en rien empêché qu'on en arrive là.

Bien au contraire, en détournant l'indignation légitime vers un mouvement acritique envers le Hamas, le Hezbollah et l'Iran, et agissant sur la base de représentations fantasmées, une mobilisation démocratique et internationaliste de masse analogue, mais en plus approfondie, au mouvement spontané de masse qui en 2020 avait battu Trump, a été sapé.

C'est une mobilisation exigeant de façon combinée l'arrêt des fournitures d'armes à Tsahal, l'aide à l'Ukraine et une répression démocratique réelle de Trump et des putschistes du 6 janvier 2021 qui eût été nécessaire. Elle a été sapée par le campisme, l' « antisionisme » et le cri Genocide Joe.

Et Netanyahou peut dire ce matin : « Félicitations pour le plus grand retour de l'Histoire. Votre retour à la Maison blanche offre un nouveau commencement pour l'Amérique et un réengagement puissant dans la grande alliance entre Israël et l'Amérique. C'est une énorme victoire ! »

Ce « nouveau commencement », sur la base de l'alliance entre l'extrême-droite israélienne et les courants évangélistes les plus réactionnaires d'Amérique, c'est la destruction totale de Gaza : le génocide, il risque d'arriver maintenant ainsi que la purification ethnique de la Cisjordanie. Les zélotes du slogan Genocide Joe n'ont JAMAIS qualifié Trump de Genocide Donald. Le feront-ils (quand il sera trop tard) ? Rien n'est moins sûr. L'orientation imprimée au mouvement propalestinien a fait quasi ouvertement le jeu des deux pires ennemis des Palestiniens aux visées génocidaires : Donald Trump, Benjamin Netanyahou.

Terrible mais nécessaire, indispensable, bilan politique que celui-ci. Non, il n'y a pas eu là un renouveau internationaliste, ni de nouvelle avant-garde large se mobilisant aux cris de « Palestine » ! Cela aurait dû être, cela aurait pu être, si cette mobilisation avait aussi combattu Iran et Russie et soutenu l'Ukraine, agi pour contraindre réellement l'administration Biden à cesser les livraisons d'armes et appelé à se porter massivement aux urnes pour barrer la route à Genocide Donald …

La victoire de Trump appartient à Poutine, au régime iranien poussant le Hamas à la provocation pogromiste du 7 octobre 2023, à Netanyahou, mais ils n'auraient pas eu ce succès sans l'aide que leur a apporté la désorientation politique déchainée au moyen du thème palestinien, pour le plus grand malheur des Palestiniens.

Le 7 octobre n'était pas parvenu à produire la défaite ukrainienne. C'est cette défaite que Trump et Poutine vont maintenant, la main dans la main, tenter de réaliser. Le danger est total et immédiat pour le peuple ukrainien, menacé au même titre et au même degré que le peuple palestinien.

La lutte des classes et la guerre dans la vieille Europe deviennent donc le nœud de la situation mondiale – nul eurocentrisme dans ce constat, mais au contraire la prise en compte des besoins des exploités et opprimés du monde entier. Nous reviendrons très prochainement sur les conséquences françaises et sur les leçons et urgences ouvertes par cette situation pour le Nouveau Front Populaire et pour les organisations syndicales.

En ce jour, Aplutsoc adresse son fraternel salut et tout son soutien à nos camarades américains ayant combattu pour battre Trump sur une ligne de classe, d'Oakland Socialist et l'Ukraine Socialist Solidarity Campaign, aux camarades s'étant exprimés en ce sens dans New Politics, et au-delà d'eux aux milliers de syndicalistes, notamment de l'United Auto Workers (UAW), qui cherchent la voie de l'action indépendante pour contre-attaquer et gagner.

06/11/2024.

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« C’est l’effondement du Parti démocrate » - Les racines de la victoire de D. Trump et de la défaite de K. Harris

12 novembre 2024, par Amy Goodman, Juan Ganzalez, Ralph Nader — , ,
Mme Harris tournait le dos aux progressistes, aux électeurs.trices véritablement populistes dans ce pays. Bien sûr B. Sanders l'a soutenue mais ses prises de positions ont (…)

Mme Harris tournait le dos aux progressistes, aux électeurs.trices véritablement populistes dans ce pays. Bien sûr B. Sanders l'a soutenue mais ses prises de positions ont constamment été rejetées. Il a déclaré : « Relevez le salaire minimum. Améliorez l'accès universel aux soins de santé. Attaquez-vous aux criminels en cols blancs. Augmentez les bénéfices de la Sécurité sociale qui sont gelés depuis 50 ans. Et taxez les plus riches ». Elle a tout ignoré ; que distribué des prospectus

Ralph Nader
Democracy Now, 6 novembre 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : (…) Nous continuons à examiner la victoire de D. Trump contre K. Harris et le fait que les Républicains prennent le contrôle du Sénat. Les résultats pour la Chambre des représentants ne sont toujours pas complets. Notre invité est Ralph Nader, avocat en consommation depuis longtemps, quatre fois candidat à la Présidence, auteurs de multiples bouquins dont récemment, Let's Start the Revolution : Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People. Il est aussi le fondateur du journal mensuel, Capitol Hill Citizen.

Merci beaucoup Ralph de vous joindre à nous. Que répondez-vous à la victoire de D. Trump ? Il n'a pas gagné que le Collège électoral mais aussi le vote populaire ce qu'il n'avait pas réussi lors des deux dernières élections.

Ralph Nader : C'est une bien grande bouchée à avaler et digérer. C'est l'effondrement du Parti démocrate. Ils n'ont pas obtenu les votes qu'ils espéraient. Ils sont plusieurs millions de voix en dessous de ce qu'ils espéraient et bien sûr cela a fait la différence dans le Collège électoral déterminé par les États pivots.

Mais le problème est encore plus sérieux que cela. Fondamentalement, nous sommes maintenant dans un État corporatif dictatorial. Pour les Démocrates, D. Trump est maintenant un aimant et un piège. Ils ont dépensé des dizaines de millions de dollars en publicité pour attaquer D. Trump au lieu de s'en prendre aux quatre années de sa mandature où il a réussi à creuser et grossir tant de problèmes critiques. Donc, maintenant, le problème c'est qu'il y a tant de variables avec lesquelles interagir.

Amy, je vais commencer par le moment où les Démocrates ont abandonné les États républicains du pays. C'est dévastateur. Ils ont commencé à recevoir de l'argent des entreprises en 1979 en se réclamant des mêmes valeurs commerciales. Cela a estompé la différence entre les Démocrates de type New Deal et ceux liés aux entreprises. Ensuite ils ont confié les élections à ces firmes de consultants.es en conflit d'intérêt et profiteuses et il semble bien que les grands médias n'ont jamais voulu enquêter là-dessus durant cette campagne. Puis ils ont abandonné les médias publics. Ce qui revient à dire qu'ils ont laissé le champ libre aux animateurs de radio comme Rush Limbaugs (célèbre animateur de radio très à droite. N.d.t.) ce qui a créé les Démocrates à la Reagan. Et ils n'ont jamais appris de leurs erreurs. Ils n'ont rien appris des erreurs de Mme Clinton en 2016. Ils n'ont jamais remercié personne après les défaites dans les États les uns après les autres aux mains du plus horrible, du pire Parti républicain de l'histoire.

Ça donne quel message au peuple américain ? Que D. Trump est terrible et que vous ne pouvez imaginer à quel point le Parti républicain peut être mauvais. C'est un message trop général, trop simple. Une vaste majorité de la population pense que les entreprises ont trop de contrôle sur leur vie. Ils (les Démocrates) n'ont pas relevé la négation des bénéfices en santé. Ils n'ont pas relevé les manques en matière de salaire minimum. Ils n'ont pas relevé non plus la négligence dans les poursuites des criminels.les dans les entreprises. Rien ne l'ont pas non plus fait à propos de la taxation des riches et des grandes corporations. Ils n'ont rien changé à leur approche commerciale. Ils ne savaient pas comment confronter D. Trump sur l'immigration. Il a qualifiés.es les immigrants.tes de violeurs, de criminels.les, de trafiquants.es de drogue etc. Mais, au lieu de dire : « Ce sont des gens qui fuient des pays oppressifs qui ont été appuyées par les États-Unis comme les dictateurs, les oligarques d'Amérique centrale et du sud…. » Ils n'ont pas dit non plus que des millions d'Américains.es font confiance aux immigrants.es pour leur alimentation, pour les soins à leurs enfants, à leurs ainés.es, pour rendre les services que personne d'autre ne veut rendre dans notre pays.

Vous voyez, il y a une telle facture de tant de particularités contre ce Parti démocratique. Bien sûr il y a des millions de gens qui se disent : « Assez de temps perdu. Nous en avons assez de ne pas en avoir pour toutes les taxes et impôts que nous versons au gouvernement. Ça nous rend malades cet empire au loin, ces budgets militaires qui sont toujours augmentés par les Démocrates et les Républicains au Congrès, de voir que les généraux reçoivent plus qu'ils n'en demandent ; cela gruge les budgets des dépenses publiques qui devraient servir à donner des services au public, à s'occuper des infrastructures dans toutes les communautés du pays et créer des emplois ».

Nous avons essayé de renforcer ces Démocrates. Depuis 2022, 34 leaders civils.les ont tenté de leur dire comment communiquer, que communiquer à toute la population. Le Parti a bloqué toute espèce de réponse, que ce soit Nancy Pelosi, Chuck Schumer ou qui que ce soit d'autre, et les liens avec la communauté civique de Washington D.C. ont été coupés.

Juan Ganzalez (d.n.) : Ralph, laissez-moi vous demander ; quels sont les prochaines étapes pour le mouvement progressiste en terme de résistance et de réorganisation maintenant qu'il fait face au retour de D. Trump ?

R.N. : Il doit se concentrer sur le Congrès. Nous n'avons toujours pas tous les résultats pour la Chambre des représentants mais seul le Congrès peut arrêter Trump et sa troupe. Car ce n'est pas que D. Trump. Il n'est que l'affiche. Il n'est que le portevoix. Ce sont ses acolytes comme la Fondation Héritage et son programme 2025. C'est la prise en mains des ministères qui sont dédiés au service du peuple, la protection environnementale, le Consumer Financial Protection Bureau, le bureau de la sécurité automobile, la Commission fédérale sur le commerce, le Département de la justice. Ils vont tous être transformés en gouvernements virulents, vengeurs ou réduits à l'inactivité. Ils veulent éliminer les fonctionnaires, nous ramener dans un système qui distribue les postes à ses partisans.es. Nous entrons dans une grande tempête. On pourrait dire que l'élection d'hier a réellement élu J.D. Vance à la Présidence. D. Trump ne sera pas le dernier. Il va démolir et Vance est dans une position pour accéder à la prochaine Présidence.

Donc, que faire Juan ? Se concentrer à fond sur le Congrès qui est la principale autorité constitutionnelle qui doit rendre comptable la branche exécutive telle que préparée pour 2026, (date des prochaines élections législatives.n.d.t.) Les Démocrates auront bien moins de Sénateurs.trices que les Républicains.nes contrairement à cette année.

Ils doivent absolument cesser de tomber sur la tête de ceux et celles qui questionnent le Parti qui a dit à tout le monde qui les appuie : « Vous voyez à quel point les Républicains sont mauvais ? Vous ne pouvez aller nulle part ailleurs ». Ils ont dépensé beaucoup d'argent pour attaquer le Green Party, le tout petit Green Party au lieu d'écouter le Révérend William Barber qui leur a dit : « Attention, il y a 80 million de personnes qui n'iront pas voter. Beaucoup sont des travaileurs.euses à bas salaires. Si vous aviez convaincu 15% de ces personnes de se rendre aux bureaux de vote, vous, les Démocrates vous auriez gagné ». Ils ne l'ont pas entendu. Ils n'ont pas écouté les groupes de citoyens.nes qui savent parler à la population, pas qu'aux libéraux ou aux travailleurs.euses de tendance libérale, mais aussi aux conservateurs.trices qui travaillent, ceux et celles qui sont des patients.es. Il faut se rappeler que la vaste majorité dans ce pays veut que les entreprises sous imposées et sous taxées le soient plus. Elle veut une rupture avec les grandes banques. Et par-dessus tout, sondage après sondage, elle répète que les entreprises ont trop de contrôle sur leurs vies. Sherrod Brown, (Sénateur démocrate de l'Ohio. N.d.t.) a hurlé dans son porte-voix et a perdu. Bernie Sanders a fait campagne sur le pouvoir des entreprises et il a gagné au Vermont : un raz-de-marée. K. Harris a refusé de faire campagne avec lui elle a préféré être accompagnée dans plusieurs États par Liz Cheney de la famille criminelle Cheney, mêlée à l'invasion de l'Irak où plus d'un million d'Irakiens.nes ont été tués.es.

Donc, les gaffes n'ont pas de fin. En fait Mme Harris tournait le dos aux progressistes, aux électeurs.trices véritablement populistes dans ce pays. Bien sûr B. Sanders l'a soutenue mais ses prises de positions ont constamment été rejetées. Il a déclaré : « Relevez le salaire minimum. Améliorez l'accès universel aux soins de santé. Attaquez-vous aux criminels en cols blancs. Augmentez les bénéfices de la Sécurité sociale qui sont gelés depuis 50 ans. Et taxez les plus riches ». Elle a tout ignoré ; que distribué des prospectus.

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Le regard tourné vers l’abîme trumpien – le point de vue Jacobin

12 novembre 2024, par Jacobin — , ,
Le magasine en ligne Jacobin a publié les points de vue de plusieurs de ses contributeur·es, que nous publions ce-dessous : Nous sommes sur le point de vivre une longue (…)

Le magasine en ligne Jacobin a publié les points de vue de plusieurs de ses contributeur·es, que nous publions ce-dessous : Nous sommes sur le point de vivre une longue période de souffrance dans la politique américaine et mondiale aux mains d'un président dérangé et réactionnaire qui ne sera guère confronté à un parti d'opposition.

Tiré de Inprecor
8 novembre 2024

Par Jacobin

Donald Trump et JD Vance à la cérémonie de commémoration du 11 septembre à NYC 2024. © https://www.flickr.com/people/126057486@N04

Mercredi, le pays et le monde se sont réveillés face à une réalité terrifiante, mais à bien des égards prévisible, à laquelle peu de membres de la gauche et du Parti démocrate sont prêts à faire face. De l'avis général, les années à venir seront brutales pour beaucoup : pour le large éventail de groupes ciblés par Donald Trump en tant que cibles de mépris et de haine au cours des huit dernières années, pour la classe ouvrière dans son ensemble, et pour la planète. Nos contributeurs et rédacteurs en chef réfléchissent à la manière dont nous en sommes arrivés là et à ce qui peut être fait pour inverser le cours des choses.

Meagan Day : Les démocrates ne peuvent ignorer la tyrannie des riches

Entre Donald Trump lui-même, Elon Musk, l'un des principaux porte-parole de sa campagne, et Peter Thiel, le faiseur de rois de J. D. Vance, le bureau ovale est sur le point de devenir un salon de milliardaires. Les Américains les plus riches ont toujours exercé une pression considérable sur les hommes politiques, qui se plient volontiers à leurs diktats sous peine d'en subir les conséquences. Mais la dynamique de classe habituelle va être aggravée par l'intervention directe de cadres capitalistes individuels et hyperidéologiques, qui se sont lassés de la simple domination du marché et recherchent désormais une transformation sociale totale.

La voie est ouverte devant eux. Avec le contrôle des trois branches du gouvernement, l'administration à venir ne perdra probablement pas de temps à réduire à néant les réglementations, des dispositifs et des départements entiers. Il en résultera une austérité pour le plus grand nombre et une orgie de profits effrénés pour quelques-uns. Les conditions matérielles des gens ordinaires se détérioreront davantage, laissant l'électorat de plus en plus aliéné et agité. Les gens continueront à graviter autour de celui qui parlera de manière la plus convaincante d'un changement radical, ce qui ne sera pas les Démocrates tels que nous les connaissons.
La campagne de Kamala Harris était un amalgame d'idées contradictoires - un discours de cessez-le-feu à côté de la caution apportée par Dick Cheney, un message économique étonnamment décent et progressiste à côté des habituelles assurances données à Wall Street. Son ambiguïté était délibérée, masquant un manque d'engagement en faveur d'une vision, d'un bloc ou d'un programme particulier. Cette attitude de clôture sophistiquée n'est pas une bonne approche de la politique. Lorsque les gens ont envie de se battre, ils le font. S'il n'y a pas d'option solidaire, l'option chauvine suffira souvent.
Le seul moyen d'arrêter la construction d'un monde dystopique par la droite est de jouer les faiseurs de monde à son tour. Une opposition efficace identifierait clairement la cause profonde de la détresse économique générale comme étant la tyrannie des riches. Elle proposerait de résoudre le problème en transformant les richesses thésaurisées par les particuliers en ressources publiques, qui seraient investies pour rendre les choses plus faciles et plus agréables pour tous les autres. Ces idées ne peuvent pas être présentées en même temps que leur contraire ; elles doivent être au cœur du projet, et cela doit être évident. Plus cette approche sera rejetée d'emblée, plus les Américains seront la proie de milliardaires réactionnaires pseudo-populistes, confondant le poison avec le médicament.
Meagan Day, rédactrice en chef adjointe

Liza Featherstone : Les travailleurs ne peuvent pas continuer à se croiser les bras

Quelle horreur et quelle tristesse. En évaluant la victoire de Donald Trump mardi, les raisons immédiates de la défaite de Kamala Harris sont importantes : un génocide à Gaza, des messages médiocres et insuffisants sur les véritables réalisations de l'administration Biden, une campagne menée par et pour les nantis de la Silicon Valley, et surtout, l'inflation. À plus long terme, le déclin du taux de syndicalisation, qui dure depuis des décennies et qui a privé la classe ouvrière de pouvoir politique, mais aussi d'un foyer et d'une identité politiques, joue un rôle crucial dans la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

Pour construire un pouvoir de gauche, de la classe ouvrière, nous devons continuer à construire nos syndicats - y compris en nous organisant pour que l'appel du président de l'United Auto Workers, Shawn Fain, à une grève générale en mai 2028, soit couronné de succès. Nous devons également continuer à construire des organisations socialistes, un projet qui est porteur d'espoir non seulement à Brooklyn et dans le Queens, mais aussi dans des endroits comme la banlieue d'Atlanta, où Gabriel Sanchez a été élu à la législature de l'État mardi. Nous devons également continuer à construire des organisations capables de lutter contre l'extrême droite dans les swing states et les comtés qui ont massivement voté pour Trump, un travail qui a même montré des succès tangibles : pendant que Trump et les Républicains filaient vers la victoire, sept référendums sur le droit à l'avortementont été adoptés, y compris dans des États rouges et violets comme le Montana, le Colorado, le Nevada et l'Arizona.

Notre travail politique ne peut pas construire un pouvoir et faire évoluer les politiques sans commencer à guérir l'aliénation de notre société qui a conduit tant de personnes à voter pour Trump. L'isolement et la solitude, problèmes qui s'aggravaient déjà avant la pandémie de COVID-19, ont durement frappé de nombreux Américains. Trop d'entre eux sont morts de suicide ou de toxicomanie, tandis que beaucoup d'autres sont allés sur Internet, perdus dans des boucles sans fin d'informations folles et fausses qui alimentent la rage, seuls et de plus en plus en colère contre toutes les mauvaises personnes.
Dans ce désert social, les rassemblements de Trump ont donné à beaucoup le sentiment d'appartenir à une communauté où tous ceux qui se présentaient étaient accueillis chaleureusement. Sa deuxième victoire nous rappelle brutalement à quel point nous avons tous besoin de ce sentiment d'appartenance.

Nous savons que nous avons beaucoup en commun avec les électeurs de Trump ; la plupart d'entre nous connaissent et aiment certaines personnes qui ne partagent pas nos idées politiques. Nous partageons même des préoccupations politiques avec certaines personnes qui ont voté d'une manière que nous jugeons inexplicable ; beaucoup ont voté différemment lors d'élections antérieures - même pour Bernie Sanders en 2016 ou 2020 - et adhèrent à des idées et à des sentiments de gauche. Nous partageons avec nombre d'entre eux le désir d'un meilleur niveau de vie pour la classe ouvrière et le désir de vivre dans un monde sans guerre. Laissons la haine de nos concitoyens américains aux milliardaires ; lorsque nous sommes divisés, ils sont les seuls gagnants.

Nous, socialistes, pouvons faire mieux que Trump. Nous apportons au monde ce sentiment d'amour collectif que nous appelons la solidarité, ce que Sanders appelle cette volonté de « se battre pour quelqu'un que l'on ne connaît pas ». Sans cela, nous ne pouvons rien construire - et nous nous devons absolument construire.
Liza Featherstone, éditorialiste au Jacobin

Eric Blanc : pas de réponses faciles, seulement de l'organisation

Il est vrai que l'inflation provoquée par le COVID a gravement nui aux administrations en place dans le monde entier. Mais ce n'est pas une loi d'airain. Malgré une inflation plus élevée qu'aux États-Unis, le Mexique a réélu son gouvernement de gauche parce qu'il a fait beaucoup (et bien communiqué) pour les travailleurs. Si Joe Biden avait été capable d'enchaîner des phrases cohérentes et si les sénateurs Joe Manchin et Kyrsten Sinema n'avaient pas bloqué un ambitieux programme « Build Back Better », il n'est pas inconcevable que cela se soit produit ici aussi.

Les démocrates diront que les politiques intérieures et les nominations de Joe Biden, relativement favorables aux travailleurs, n'ont pas eu les effets escomptés sur le plan électoral. Mais après des décennies d'abandon des travailleurs par les démocrates, ces mesures étaient trop peu, trop tard.

Il serait toutefois erroné de ne blâmer que l'establishment du Parti démocrate. La vérité est que les responsables syndicaux - à quelques exceptions notables près - n'ont pas su saisir une occasion exceptionnellement favorable à la syndicalisation de millions de personnes dans un contexte de marché du travail tendu, d'un Conseil national des relations du travail favorable aux travailleurs et d'une radicalisation de la jeunesse. Au lieu de cela, ils ont continué à faire comme si de rien n'était, s'asseyant sur des milliards de dollars de financement qui auraient pu être utilisés pour lancer et soutenir des initiatives de syndicalisation à grande échelle. Pour renverser des décennies d'alignement et d'atomisation des classes, il faudra beaucoup d'organisation ambitieuse et ascendante - et de persuasion numérique - tout au long de l'année.
Eric Blanc, collaborateur de Jacobin

Chris Maisano : la gauche peut encore séduire les électeurs de Trump

De nombreux Américains ont le sentiment que les choses sont généralement « hors de contrôle », qu'il s'agisse du coût de la vie, des migrations ou de l'instabilité mondiale, et ils cherchent une main forte pour les protéger - et sont donc prêts à ignorer tout ce qui accompagne une présidence de Donald Trump. Il a su tirer parti de ces inquiétudes pour faire de Joe Biden, puis de Kamala Harris, le candidat du chaos en 2024. Trump a convaincu suffisamment d'électeurs qu'un vote pour lui, de toutes les personnes, est un vote pour la stabilité dans un monde dangereux.

Il s'agissait d'une stratégie insolente, qui n'aurait pas dû réussir. Mais notre système politique n'offre qu'un choix binaire pour le poste de président ; de nombreuses personnes sont profondément insatisfaites de l'état actuel des choses ; et ce sont Biden et Harris qui étaient à la Maison Blanche. Nous en sommes donc là.

Bien entendu, rien de ce que Trump ou le Parti républicain proposent ne permettra de répondre aux mécontentements qui grondent dans ce pays. Trump a promis aux électeurs que « l'inflation disparaîtrait complètement » s'ils l'élisaient, mais l'augmentation des droits de douane et l'expulsion des travailleurs immigrés ne feront que l'attiser. Il est possible d'inverser la tendance électorale. Mais la gauche, d'une manière générale, doit trouver - rapidement - comment s'enraciner durablement dans les communautés où elle est actuellement absente, comment parler de manière crédible et efficace des luttes quotidiennes des gens, et comment renouveler la foi dans le pouvoir de l'action collective. Même les appels au « populisme » ou à la « politique de classe » les plus raffinés de la campagne risquent de ne pas faire mouche si les gens ne font pas partie d'organisations qui génèrent et renforcent continuellement la solidarité.

Il n'y a pas de réponse facile, pas de miracle en matière de communication qui puisse nous sauver. Il suffit de faire preuve d'opiniâtreté dans le travail d'organisation face à des vents contraires puissants.
Chris Maisano, rédacteur en chef adjoint

Anton Jäger : Sans filet

En tant que personne n'ayant ni la citoyenneté américaine ni le droit de vote, il est inévitablement ridicule et vicieux d'avoir des opinions tranchées sur un cycle présidentiel qui s'est principalement mondialisé par le biais de la puissance douce des États-Unis. Apparemment, il n'en allait pas autrement à l'époque de l'empire britannique : les étrangers suivaient avec impatience les péripéties du cycle parlementaire britannique pour connaître les effets qu'il aurait sur la politique impériale. Aujourd'hui, les effets externes de la politique américaine restent mortels à l'étranger, et la faiblesse correspondante de la gauche américaine est de plus en plus un problème européen : l'américanisation de la politique européenne implique des dérives vers la droite et une incapacité croissante à articuler des positions indépendantes en matière de politique étrangère.
Les résultats donnent au moins raison à certaines lectures de gauche. Il s'agissait d'une élection matérialiste sur l'inflation. En l'absence d'un filet de sécurité sociale adéquat, le pouvoir d'achat individuel est la seule garantie de stabilité économique des Américains, et toute personne soupçonnée (même à tort) de faire surchauffer l'économie sera dûment punie pour cela.

L'ampleur de la défaite démocrate appelle à une introspection plus profonde. Pour l'élite du Parti démocrate, après tout, la défaite reste toujours relative : le financement a été assuré, les stars ont été courtisées et la base peut être effrayée et soumise pour les quatre années à venir. Pour ceux qui espéraient qu'une victoire de Harris laisserait au moins de l'oxygène à la gauche américaine naissante, les perspectives sont bien plus inquiétantes. Il peut sembler fastidieux de ressusciter aujourd'hui des discussions sur les « partis de substitution », les « dirty breaks » ou les caucus de gauche, mais après huit années de MAGA-cum-« MAGA pour les gens qui pensent » (comme Adam Tooze a qualifié les Bidenomics), il y a plus de bénéfices à en tirer avec le recul.
Anton Jäger, collaborateur de Jacobin

Nick French : Le Parti démocrate refuse de changer

Dans le sillage de la victoire décisive de Donald Trump mardi, de nombreuses personnes de gauche reprochent à juste titre à la campagne de Harris de ne pas avoir mené une campagne plus populiste et de ne pas avoir donné d'indications précises sur la manière dont elle améliorerait la vie des électeurs sur des questions de fond. C'est juste. Mais il n'est pas certain que ce type de campagne aurait suffi à faire passer Harris en tête. Compte tenu de son association avec un président extrêmement impopulaire, avec une économie inflationniste largement détestée et avec le génocide en cours soutenu par les États-Unis, se refaire une image de candidate du « changement » populiste n'aurait pas été une mince affaire.

La défaite de Harris est en partie imputable à l'administration Biden elle-même, qui, pour des raisons en partie indépendantes de sa volonté et en partie de son propre fait, a supervisé un progressisme de façade sur le plan intérieur et une politique étrangère de faucon à l'égard de la Chine et du Moyen-Orient. D'éminents dirigeants syndicaux et de gauche, craignant à juste titre les conséquences d'une présidence Trump, se sont ralliés à la campagne de Harris, la présentant même parfois comme une championne des travailleurs. Ce message sonnait creux.

Les mauvaises herbes de la politique trumpienne poussent dans le sol d'une culture de plus en plus cynique et atomisée, où les hommes et les femmes de la classe ouvrière de toutes les races regardent à juste titre avec dégoût la juxtaposition d'une terrible crise du coût de la vie, d'une obscène inégalité des richesses et d'hymnes autosatisfaits de l'élite à la « diversité » et à l'« équité ». Un environnement plus fertile pour les politiques de gauche sera créé en reconstruisant les institutions de base telles que les syndicats, qui génèrent les liens de confiance et de solidarité nécessaires au maintien de la démocratie. Il sera créé par un projet politique collectif dans lequel les membres de la classe ouvrière verront une amélioration significative de leur vie et une attaque contre les indignités de l'Amérique d'aujourd'hui, grossièrement inégale, quelque chose de l'ordre d'un New Deal ou d'une mobilisation nationale en temps de guerre.

Les Parti démocrates n'ont pas réussi à faire ces choses, et malgré cette défaite écrasante et toute la misère qui s'ensuivra, rien n'indique que le parti essaiera de les faire de sitôt.
Nick French, rédacteur en chef adjoint

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« Donald Trump a un pouvoir de nuisance colossal »

12 novembre 2024, par Marie Astier — , ,
Fin des accords sur l'environnement, loi anti-immigration, attaque des minorités sexuelles... Donald Trump, désormais plus expérimenté, risque de prendre des mesures « (…)

Fin des accords sur l'environnement, loi anti-immigration, attaque des minorités sexuelles... Donald Trump, désormais plus expérimenté, risque de prendre des mesures « radicales », dit Romain Huret, historien des États-Unis.

Tiré de Reporterre
6 novembre 2024

Par Marie Astier

Donald Trump deviendra président des États-Unis pour la deuxième fois en janvier prochain. Il a appris de son premier mandat, et risque de mener des politiques plus radicales que lors de son premier mandat et encore plus destructrices pour l'environnement et les droits des minorités, analyse Romain Huret, historien spécialiste des États-Unis à l'EHESS.

Reporterre — Cette réélection de Donald Trump est-elle une surprise ?

Romain Huret — Pour moi, non. Cela fait longtemps, depuis 2016, que je répète qu'il faut prendre le trumpisme au sérieux. Même si on a beaucoup de mal à le comprendre et à comprendre le choix des Américains. C'est un mouvement qui a des racines très anciennes dans l'histoire des États-Unis, et qui s'est consolidé et cristallisé en lien avec des évolutions plus récentes de la société étasunienne. La crise de la classe moyenne, la montée des inégalités, les conséquences de la mondialisation ont été un accélérateur plus récent. Tout cela a permis cette nouvelle victoire de Donald Trump.

Qu'est-ce que cette élection dit de la démocratie étasunienne ?

L'élection s'est plutôt bien passée. Je parle sous réserve d'évolution ultérieure, mais on craignait des scénarios apocalyptiques de fraudes, d'attaques de bureaux de vote, etc. On peut se réjouir du fait que le fonctionnement ordinaire de la démocratie se soit bien passé, quel que soit le résultat. J'ai trouvé très intéressant la manière dont les médias ont rappelé ces procédures électorales, l'importance des assesseurs, pour éviter tout discours complotiste. C'est le premier point.

Le deuxième point est que la réélection de Donald Trump montre la crise sociale et politique que traverse ce pays. Trump est la réponse, pour une partie des Américains, à cette crise sociale et politique. Beaucoup voient en lui un sauveur. Ils pensent qu'il va les sortir de ce que je vois comme une crise de la classe moyenne qui s'enracine dans le pays et qui n'a pas trouvé de réponse avec Joe Biden.

Quelles conséquences environnementales peut-on anticiper avec cette réélection ?

Elles sont très inquiétantes. Trump est climatosceptique, il aura autour de lui des climatosceptiques. La rhétorique climatosceptique va se banaliser, comme Trump le fait déjà dans son discours en estimant que le réchauffement climatique est une invention de scientifiques en mal de notoriété. On peut sans doute estimer que les États-Unis vont sortir de tous les accords sur l'environnement, que l'exploitation intensive des matières premières va s'accélérer aux États-Unis, que le fracking [fracturation hydraulique] va reprendre de plus belle, comme pendant son premier mandat. On peut craindre aussi que la part de la recherche publique et des financements publics consacrée à la question environnementale, qui est importante aux États-Unis, connaisse de vraies difficultés dans les années à venir.

Cette thématique ne sera plus prioritaire, comme aujourd'hui, dans les grandes agences de financement de la recherche, notamment la National Science Foundation, qui met beaucoup l'accent sur les programmes de recherche sur l'environnement et le climat. Il y a de fortes chances que ce financement public s'arrête. Donc, c'est vraiment une très mauvaise nouvelle pour le climat et l'environnement sur Terre.

Donald Trump a déjà été au pouvoir, qu'est-ce que cela nous laisse présager pour ce second mandat ?

Il a l'expérience du pouvoir. On observe qu'il a réfléchi davantage à la dimension concrète de l'exercice du pouvoir. À comment mettre en œuvre des politiques plus fortes et plus rapidement. On peut sentir une plus grande radicalité des mesures qui vont être prises. Si on le prend au sérieux, on observe qu'en politique intérieure, il y a des éléments récurrents. Il a clairement dit vouloir rétablir les droits de douane et en faire le pilier de la politique fiscale aux États-Unis, comme c'était le cas il y a 250 ans. C'est un choix majeur en termes de politique fiscale, en partie injuste, puisque les classes populaires paient aussi.

Il a annoncé aussi une loi majeure sur l'immigration avec des mesures beaucoup plus précises et inquiétantes que ne pouvait l'être le fameux mur de 2016 qu'il voulait construire pour empêcher les migrants d'arriver. Il a tout un projet d'expulsions massives des migrants illégaux avec la réquisition des forces de l'ordre, le placement dans des camps, puis l'expulsion.

« Il a tout un projet d'expulsions massives des migrants »

Un troisième point annoncé est une réduction massive du rôle de l'État. Une mission qu'il va confier à Elon Musk [entrepreneur milliardaire]. Ce serait une catastrophe puisqu'on sait que l'Agence pour l'environnement aux États-Unis joue un rôle important dans la gestion des parcs naturels, par exemple.

Enfin, Trump a l'ambition de s'attaquer à la jurisprudence qui remonte aux années 1960 en matière de droit des minorités. On peut tout à fait envisager qu'il a parfaitement mûri son plan de nomination de juges à la Cour suprême — mais dans d'autres tribunaux également — pour limiter, voire pour renverser, ce qui a longtemps été une tendance forte du droit aux États-Unis : la protection des minorités sexuelles et ethniques. On l'a déjà vu avec l'avortement, mais le mariage homosexuel, les droits des personnes transgenres, toutes ces mesures risquent d'être dans le viseur des juges que ne manquera pas de nommer Trump dès que l'occasion lui en sera donnée.

Il veut s'attaquer à ce qu'il appelle le deep state, cet « État profond » qui a ralenti ses réformes lors de son premier mandat, qui l'a empêché de transformer l'Amérique et de la faire revenir à cet âge d'or sans État.

Depuis le dernier mandat de Donald Trump, le contexte international a évolué. Lui est-il plus favorable ?

La capacité d'action de Donald Trump est colossale. Il va devoir très vite trancher la question de l'aide à l'Ukraine. Il a clairement fait savoir qu'il voulait qu'on arrête ces aides. Il a aussi fait très clairement savoir qu'il était favorable à Israël. Il a un pouvoir de nuisance beaucoup plus fort qu'en 2016 en raison de la multiplication des zones de conflit dans le monde.

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Etats-Unis. « C’est l’économie qui compte, espèce d’idiot »

12 novembre 2024, par Lance Selfa, Sharon Smith — , , ,
L'histoire de l'élection de 2024 s'est avérée remarquablement claire. Dans un environnement politique où la plupart des électeurs et électrices pensaient que le pays évoluait (…)

L'histoire de l'élection de 2024 s'est avérée remarquablement claire. Dans un environnement politique où la plupart des électeurs et électrices pensaient que le pays évoluait dans une mauvaise direction, où ils percevaient l'économie comme étant déficiente et où la plupart d'entre eux déclaraient que l'inflation leur avait causé de sérieuses difficultés, les électeurs et électrices ont décidé de rejeter le parti sortant que la vice-présidente Kamala Harris symbolisait.

Tiré de A l'Encontre
8 novembre 2024

Par Lance Selfa et Sharon Smith

Donald Trump a remporté le vote populaire pour la première et seule fois [contrairement à 2016 et 2020, en 2024 il a obtenu 73'407'735 voix contre 69'074'145 pour Kamala Harris]. Il a progressé non seulement dans les zones rurales, mais aussi dans les banlieues, et même dans les bastions du Parti démocrate comme New York et Chicago. Selon les sondages de sortie des urnes, Kamala Harris a fait mieux que Joe Biden en 2020 auprès des Américains les plus aisés, mais Donald Trump a progressé par rapport à 2020 auprès de toutes les autres fractions de la population.

L'un des poncifs de la politique américaine est : « C'est l'économie qui compte, espèce d'idiot » [formule utilisée par Bill Clinton en 1992, sur la suggestion de son stratège Jim Carville]. Si l'économie est en croissance et que les gens ont des emplois et des salaires plus élevés, le parti en place est généralement réélu. Si l'économie est en déclin et que les gens ont du mal à joindre les deux bouts, les électeurs ont l'habitude de « jeter les fainéants dehors » en votant pour l'opposant. Pendant la majeure partie du mandat de Joe Biden, alors que l'économie se remettait des chocs subis lors de la pandémie de Covid-19, Biden a été un président extraordinairement impopulaire. Son impopularité a déconcerté ses conseillers, qui ne parviennent pas à la concilier avec les indicateurs économiques « macro » montrant que les Etats-Unis ont connu la plus forte reprise de tous les pays comparables après la pandémie de Covid 19 (Seth Masket, directeur du Center on American Politics, Université de Denver, 17 octobre).

Pourtant, le Covid a laissé derrière lui des perturbations économiques, notamment les taux d'inflation les plus élevés que les Américains aient connus en 40 ans, ce qui équivaut, bien sûr, à une baisse des salaires. L'explosion des dépenses militaires pour soutenir les guerres en Ukraine et à Gaza alimente également l'inflation. En conséquence, le niveau de vie des travailleurs et travailleuses états-uniens a baissé sous l'administration Biden, alors que l'essor du marché boursier a permis aux plus riches de tirer leur épingle du jeu.

Presque tous les gouvernements en place en Europe, en Asie et en Amérique latine – la plupart d'entre eux étant confrontés à des situations de perturbations et à des reprises post-Covid plus difficiles qu'aux Etats-Unis – qui se sont retrouvés face aux électeurs au cours de l'année écoulée ont perdu ou ont été gravement affaiblis. Le remplacement de Joe Biden par Kamala Harris au milieu de l'été a donné aux démocrates l'espoir d'éviter ce destin, car Biden était clairement en passe de perdre face à Trump. En fin de compte, Kamala Harris n'a pas pu échapper au fait qu'en tant que vice-présidente en exercice tous les aspects négatifs visant Biden lui ont été reprochés [1].

Il s'agit de la troisième élection présidentielle consécutive [Trump-Hillary Clinton en 2016, Trump-Joe Biden en 2020, Kamala Harris-Trump en 2024] où le parti sortant a perdu et où le président sortant a passé la majeure partie de son mandat avec une cote de popularité inférieure à 50%. Cela en dit peut-être plus sur le mécontentement sous-jacent de la société états-unienne que sur un candidat en particulier.

La stratégie de campagne du Parti démocrate se retourne contre lui, une fois de plus

En 2016, Hillary Clinton a montré son mépris pour les partisans de Trump, alors majoritairement blancs, en les qualifiant de « pitoyables », plutôt que d'essayer de reconnaître la source de leur colère : l'inégalité flagrante du statut économique. Huit ans plus tard, alors que le soutien à Trump est plus important dans pratiquement tous les segments de la population, il est impossible d'ignorer le désarroi économique qui a éloigné les électeurs des démocrates, tandis que Biden continuait à se vanter que l'économie des Etats-Unis pendant son mandat était « la plus forte du monde » (déclaration du 25 juillet 2024, « Statement from President Joe Biden on Second Quarter 2024 GDP »).

Mais ceux qui ne disposent pas des capacités financières de gagner de l'argent en bourse vivent au jour le jour, incapables de joindre les deux bouts, souvent en cumulant deux emplois.

Dans un système politique où les deux grands partis capitalistes, démocrates et républicains, dominent à tour de rôle les instances du pouvoir – sans véritable parti d'opposition – le seul moyen pour les électeurs et électrices d'exprimer leur mécontentement à l'égard du parti au pouvoir est de voter pour l'autre, le moindre des deux maux.

De plus, depuis que Bill Clinton a occupé la Maison Blanche [1993-2001], les démocrates ont adopté les mêmes politiques néolibérales que les républicains, avec un enthousiasme à peine moins marqué. Depuis Ronald Reagan, les républicains se sont déchaînés contre les « fraudeurs à l'aide sociale », mais Clinton est le président qui a mis fin à la « protection sociale telle que nous la connaissons » [3] dans les années 1990, entraînant des millions de pauvres dans une spirale de pauvreté qui n'a fait que s'aggraver aujourd'hui.

Au cours des dernières décennies, les démocrates ont délibérément courtisé les votes des personnes aisées et bien éduquées, ce qui a entraîné une érosion constante du soutien au Parti démocrate parmi ses électeurs et électrices traditionnels de la classe laborieuse et des Noirs. Cette tendance s'est encore accentuée depuis la défaite d'Hillary Clinton lors de l'élection présidentielle de 2016. Pourtant, les fondés de pouvoir du parti n'ont rien fait pour modifier cette stratégie désastreuse au cours des années qui ont suivi. Ils ont couronné Joe Biden comme candidat pour 2024, alors même que ses facultés mentales déclinaient rapidement, puis, après l'avoir finalement écarté, ont refusé d'organiser en août une convention ouverte au sein du Parti démocrate, renonçant ainsi à un semblant de démocratie au sein de leur propre parti.

Aujourd'hui, « les poules sont rentrées au poulailler », autrement dit « les conséquences de nos décisions sont là ». Donald Trump, criminel condamné, sectaire et mentalement instable, retourne à la Maison-Blanche, avec une victoire écrasante du collège électoral (301 contre 226), tandis que les républicains ont repris le contrôle du Sénat et resteront peut-être maîtres de la Chambre des représentants, le décompte des voix n'étant pas encore achevé [ce 7 novembre au soir].

Un examen plus approfondi de la répartition électorale de 2024 devrait dissiper le mythe selon lequel la majorité de la population est composée d'incorrigibles racistes et misogynes qui croient à tous les mensonges de Trump – que les immigrants haïtiens mangent des chats de compagnie, ou que l'armée devrait regrouper les immigrants dans le cadre d'expulsions massives, par exemple. Il existe déjà des preuves empiriques que de nombreux électeurs de Trump ne croient pas réellement à ses affirmations les plus farfelues ou ne s'attendent pas à ce qu'il tienne ses promesses de campagne les plus radicales.

Comme l'a rapporté Shwan McCreesh dans le New York Times du 14 octobre par exemple :

« L'un des aspects les plus étranges de l'attrait politique de Donald J. Trump est le suivant : Beaucoup de gens sont heureux de voter pour lui parce qu'ils ne croient tout simplement pas qu'il fera beaucoup des choses qu'il dit qu'il fera.

»L'ancien président a parlé de mettre le ministère de la Justice en état d'alerte et d'emprisonner les opposants politiques. Il a déclaré qu'il purgerait le gouvernement de tout ce qui n'est pas loyal et qu'il aurait du mal à embaucher quelqu'un qui admettrait que l'élection de 2020 n'a pas été volée. Il a proposé « une journée vraiment violente » (citation faite par Rebecca Davis O'Brien, dans le NYT le 30 septembre) au cours de laquelle les policiers pourraient se montrer « extraordinairement brutaux » en toute impunité. Il a promis des déportations massives et prédit que ce serait « une histoire sanglante ». Et si nombre de ses partisans sont ravis de ces propos, il y en a beaucoup d'autres qui pensent que tout cela fait partie d'un grand spectacle. »

Comme l'a déclaré un sondeur républicain dans le NYT (article de Shawn McCreesh cité), « les gens pensent qu'il dit des choses pour faire de l'effet, qu'il fait de l'esbroufe, parce que cela fait partie de ce qu'il fait, de son jeu. Ils ne croient pas que cela va réellement se produire ». Seul le temps nous dira si cette hypothèse est correcte ou non [4].

Jusqu'à ce que les votes soient entièrement comptés dans tout le pays, la plupart des données analytiques actuelles reposent sur les sondages de sortie des urnes, qui doivent donc être considérés comme des estimations. Cela dit, ils ont montré que près d'un électeur de Trump sur cinq était une personne de couleur, ce qui constitue un changement majeur par rapport à 2016. Trump a remporté 26% du vote latino (Washington Post, 6 novembre, article d'Aaron Blake – un group certes différencié en termes d'origine et de localisation, réd.) y compris dans un certain nombre de comtés frontaliers à majorité latino dans le sud du Texas. Trump a progressé de manière moins spectaculaire parmi les électeurs et électrices noirs, mais a néanmoins remporté entre 13 et 16% du vote noir dans sa globalité (contre un pourcentage à seul chiffre lors des élections précédentes), et entre 21 et 24% parmi les hommes noirs, selon Politico (6 novembre).

Malgré la crise des droits reproductifs résultant des interdictions d'avortement, l'avantage de Harris parmi les électrices n'était que de 8%, le plus faible depuis 2004. Dans un certain nombre d'Etats où des référendums en faveur du droit à l'avortement ont été adoptés, Trump a tout de même remporté la victoire. C'est le cas du Missouri, où les électeurs ont annulé l'interdiction de l'avortement, mais où une majorité a toutefois voté pour Trump (NYT, 6 novembre).

Le soutien inconditionnel de Joe Biden à la guerre génocidaire d'Israël à Gaza a coûté à Kamala Harris au moins une partie des voix parmi les électeurs et électrices arabes, musulmans et pro-palestiniens, bien que, là encore, les statistiques nationales ne soient pas encore disponibles. Mais Trump a remporté la ville à majorité arabe de Dearborn, dans le Michigan, où de nombreux sondages avaient déjà montré que les électeurs et électrices se retournaient contre Biden, puis contre Harris, en raison de leur soutien aux atrocités commises par Israël en Palestine et au Liban. Kamala Harris n'a obtenu que 36% des voix à Dearborn, contre 68% pour Biden en 2020. Il apparaît aujourd'hui que si certains ont voté pour Trump, 18% des électeurs ont voté pour Jill Stein, du parti vert, contre moins de 1% pour les Verts dans l'ensemble de l'Etat du Michigan.

Toutefois, Kamala Harris a remporté la victoire parmi les électeurs gagnant 100 000 dollars ou plus par an, dans ce qui semble être un réalignement politique à long terme, bien que Trump conserve le soutien des super-riches milliardaires.

Les conseils de Bernie Sanders

Comme on pouvait s'y attendre, le sénateur du Vermont Bernie Sanders n'a attendu qu'une journée pour émettre une critique cinglante de la campagne de Kamala Harris. « Il ne faut pas s'étonner qu'un Parti démocrate qui a abandonné la classe ouvrière s'aperçoive que la classe ouvrière l'a abandonné », a déclaré Bernie Sanders dans son communiqué. « Les grands intérêts financiers et les consultants bien payés qui contrôlent le Parti démocrate tireront-ils des leçons de cette campagne désastreuse ? . . . Probablement pas. » [6]

La critique de Bernie Sanders est vraie (en particulier la formule « probablement pas »), mais il est difficile de la prendre au pied de la lettre. Après tout, Sanders et d'autres supplétifs « progressistes » du Parti démocrate, comme la représentante Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), étaient « à fond » – d'abord pour Joe Biden, puis pour Harris tout au long de sa courte campagne. Tous deux ont fait la tournée des Etats fédérés pour Harris. Harris a donné à Sanders et à AOC des places de choix pour prendre la parole à la Convention nationale du Parti démocrate (tout en refusant d'autoriser un seul orateur pro-palestinien), où leurs discours étaient destinés à établir la bonne foi de Harris au sein de la base progressiste du Parti démocrate [7]. Et maintenant, Sanders nous dit que la campagne de Harris était condamnée dès le départ ?

Sanders a certainement raison lorsqu'il critique les démocrates en tant que parti du statu quo. Mais il ne faut pas oublier que Sanders et AOC ont été parmi les derniers défenseurs de Biden avant que les leaders démocrates et les donateurs ne le poussent hors de la course. Le programme de Kamala Harris, intitulé « économie de l'opportunité », mettait l'accent sur l'esprit d'entreprise, avec quelques vagues clins d'œil à la réduction des coûts des soins de santé, du logement et des produits alimentaires. Même sa proposition apparemment « importante » d'ajouter à Medicare la couverture des soins à domicile pour les personnes âgées et handicapées n'était guère plus qu'un sujet de discussion – et encore, juste une goutte d'eau dans l'océan de ce qu'il faudrait pour réparer le système de santé basé sur le profit, ce qui le rend inabordable pour des millions de personnes.

Kamala Harris aurait-elle pu battre Donald Trump si elle s'était présentée avec le programme de Bernie Sanders ? On peut en douter. Il est difficile de se présenter en tant qu'« opposante » lorsque l'on est la vice-présidente en exercice d'une administration impopulaire. Mais elle n'a même pas essayé.

Harris et AOC ont organisé des événements sur mesure avec des dirigeants syndicaux comme le président de l'UAW, Shawn Fain. Les dirigeants syndicaux ont cité le fait que Joe Biden était présent sur un piquet de grève de l'UAW, ses nominations au National Labor Relations Board et la création de « bons emplois syndicaux » dans le cadre des investissements dans les infrastructures comme autant de preuves que Joe Biden (et vraisemblablement Kamala Harris, en tant que sa successeure) était le président le plus « pro-syndical » de toute une décennie. Mais les familles syndiquées n'offrent qu'un mince avantage aux démocrates, avec seulement 53% d'entre elles ont voté démocrate, contre 58% en 2012. Et lorsque le taux de syndicalisation de la main-d'œuvre n'est que d'environ 10% au total – et de seulement 6% dans le secteur privé –, même ces enjeux syndicaux ne trouveront pas d'écho dans la classe ouvrière au sens large.

Dans une période où la population accorde aux syndicats le plus grand soutien qu'ils aient jamais reçu (voir Union Track, article de Ken Green, 16 octobre 2024, portant sur l'enquête de l'institut de sondage Gallup), les dirigeants syndicaux devraient peut-être consacrer plus de temps et d'argent à aider les travailleurs et travailleuses à s'organiser qu'à dépenser des millions dans des campagnes électorales démocrates.

Qu'en est-il du taux de participation ?

Il faudra des semaines avant d'avoir une idée précise de la structuration de tous les votes exprimés lors de l'élection de 2024. Ce qui n'est pas remis en cause, c'est que, pour la première fois, Trump a remporté la majorité des voix. Il est le premier républicain à remporter le vote populaire présidentiel depuis George W. Bush en 2004.

Au 7 novembre, Trump avait recueilli environ 72,7 millions de voix, contre 68,1 millions pour Kamala Harris. Michael McDonald, expert en élections, estime que le taux de participation global sera d'environ 64,5% de la population en âge de voter, contre un peu moins de 66% en 2020. Cela représente une légère baisse par rapport au taux de participation de 2020, qui était le plus élevé depuis 1900. Le taux de participation de 2024 semble donc être parmi les plus élevés depuis plus d'un siècle.

Les sondages de sortie des urnes indiquent que Trump a obtenu 56% des 8% d'électeurs qui votaient pour la première fois. Environ 6% des électeurs et électrices de Biden en 2020 sont passés à Trump en 2024, contre environ 4% de Trump à Harris. Malgré tous les efforts déployés par Harris pour attirer les républicains sous la tente des démocrates, cela n'a pas fait de différence significative.

Par rapport à 2020, où Biden a obtenu 81 millions de voix et Trump environ 74 millions, les démocrates et les républicains semblent gagner moins de voix, bien que Trump puisse retrouver son score de 2020. Mais le recul du Parti démocrate sera de plus de 10 millions de voix.

Où sont donc allés les votes des démocrates de 2020 ? Un petit nombre d'entre eux sont allés à Trump, mais il semble que la plupart de ces votants soient restés chez eux. A Détroit et à Philadelphie, deux des principaux bastions du Parti démocrate dans les Etats du Michigan et de Pennsylvanie, la participation des démocrates n'a pas été au rendez-vous. Après tout le battage médiatique autour de la campagne du porte-à-porte de Kamala Harris, cette dernière a obtenu moins de voix à Détroit que l'exécrable campagne d'Hillary Clinton en 2016.

Une démarcheuse pour Kamala Harris a expliqué (Brigde Detroit, 6 novembre) pourquoi cela s'est produit à Détroit : « J'ai été choquée par le nombre de personnes qui ont déclaré avoir déjà voté, ce qui nous a permis de nous concentrer sur ceux qui ne l'avaient pas fait. Certains électeurs et électrices sont cyniques et insatisfaits de tout, (ils disent) que rien ne change jamais. On pourrait écrire 20 histoires différentes sur ce qui préoccupe les électeurs et électrices du Michigan, et elles seraient toutes vraies. »

Kamala Harris, la candidate « républicaine-allégée »

Comme on pouvait s'y attendre, les grands médias ont tiré les mauvaises leçons des résultats du scrutin de 2024. L'éditorial du 6 novembre du New York Times, par exemple, a rejeté la faute sur les progressistes, en affirmant :

« Le parti doit également se demander pourquoi il a perdu les élections… Il a mis trop de temps à reconnaître que de larges pans de son programme progressiste lui aliénaient les électeurs et électrices, y compris certains des plus fidèles partisans de son parti. Et cela fait maintenant trois élections que les démocrates s'efforcent de trouver un message convaincant qui trouve un écho auprès des Américains des deux partis qui ont perdu confiance dans le système, ce qui a poussé les électeurs et électrices sceptiques vers le personnage le plus manifestement perturbateur, même si une grande majorité d'Américains reconnaissent ses graves défauts. »

Mais comme l'a observé avec justesse Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) du 7 novembre, « Kamala Harris ne s'est pas présentée comme une progressiste, que ce soit en termes de politique économique ou de politique identitaire. Mais pour un média institutionnel [allusion au NYT et y compris au Washington Post] qui a largement complété, plutôt que contré, les récits de Trump basés sur la peur des immigrants, des personnes transgenres et de la criminalité, blâmer la gauche est infiniment plus tentant que de reconnaître sa propre culpabilité. »

Kamal Harris a choisi de courtiser les républicains, et non les progressistes, pendant la période précédant l'élection. Les rituels traditionnels de séduction électorale ont ainsi été bouleversés, la démocrate Kamala Harris rampant devant les électeurs républicains et le républicain Trump (avec un peu plus de succès) cherchant à séduire les électeurs latinos en particulier. Le soutien de Kamala Harris aux droits reproductifs et à l'élimination du plafond de verre entre hommes et femmes a été relégué en partie au second plan pour trouver un terrain d'entente avec les républicains sur les questions sociales.

Plutôt que de se concentrer sur ce qui la distinguait de Donald Trump, Kamala Harris a mené une campagne « républicaine allégée », mettant l'accent sur ce qu'elle avait en commun avec les républicains : son opposition à l'immigration et son soutien à la répression à la frontière sud ; la réaffirmation de son soutien indéfectible au génocide israélien en Palestine ; la vantardise de posséder un pistolet Glock pour séduire les défenseurs des armes à feu.

L'ancienne représentante républicaine Liz Cheney a rejoint Kamala Harris sur le chemin de la campagne. Son père, le criminel de guerre et néoconservateur Dick Cheney, a soutenu Kamala Harris en grande pompe.

Mais au milieu de toutes ces joutes électorales, il n'était pas évident de savoir ce que représentait réellement Kamala Harris. En tant que procureure puis procureure générale de Californie au début de sa carrière, elle n'était ni de droite ni de gauche, mais elle s'est transformée en une fière libérale [centre gauche] lorsqu'elle s'est présentée aux élections primaires de 2019. Cette année, après l'abandon de Biden, elle s'est présentée à l'élection présidentielle avec l'intention de paraître plus conservatrice. Elle a donc fait volte-face sur son opposition libérale de 2019 à la fracturation pétrolière et sur son soutien au « Medicare for All » – mais sans admettre qu'elle avait réellement changé d'avis sur ces questions majeures. Comme on pouvait s'y attendre, de nombreux électeurs et électrices ont rejeté cette candidate peu sincère, représentant l'administration Biden en place, et ont opté pour l'impudent milliardaire, qui a prouvé qu'il était prêt à au moins bousculer les choses, pour le meilleur et pour le pire.

Tels sont les choix malheureux que les électeurs et électrices aspirant au changement ont été contraints de faire au sein du duopole bipartite qui enferme l'électorat des Etats-Unis dans un carcan.

Un électorat en colère, sans alternative viable à gauche, se tourne vers la droite

Au cours des dernières décennies, la gauche états-unienne a été bien trop faible pour avoir un impact sur les élections – une tendance qui n'a fait que s'aggraver au cours des dernières années. La montée en puissance des Socialistes démocrates d'Amérique (DSA-Democratic Socialists of America) a été inspirée par les succès électoraux du socialiste indépendant Bernie Sanders en 2016 et 2020 [il a été réélu dans l'Etat du Vermont en 2024]. Mais dans les deux cas, Sanders s'est plié aux exigences des fondés de pouvoir du Parti démocrate et a fini par soutenir les candidats qu'ils avaient choisis, d'abord Hillary Clinton, puis Joe Biden. Et, comme indiqué plus haut, Sanders a fait campagne avec enthousiasme pour Biden, puis pour Harris.

Il n'est pas surprenant que la croissance de DSA – bien qu'il s'agisse encore d'une très petite organisation n'ayant qu'une influence marginale sur la politique américaine – ait coïncidé avec la décimation de la plus grande partie de la gauche révolutionnaire, qui était déjà en déclin depuis un certain temps. L'objectif à courte vue d'obtenir une influence politique plus large pour la gauche via le Parti démocrate a sans aucun doute joué un rôle dans la poursuite de cette évolution, mais n'a pas empêché la détérioration générale de la gauche. Le soutien de Sanders et d'AOC à Biden et Harris l'illustre parfaitement.

En fait, la DSA a accéléré le déclin de l'influence de la gauche en mettant l'accent sur les élections au lieu de donner la priorité à la construction de mouvements sociaux de base qui peuvent influencer la politique en dehors de l'arène électorale. Ce n'est pas sans raison que le Parti démocrate est traditionnellement considéré par la gauche révolutionnaire américaine comme « le cimetière des mouvements sociaux ».

Ce point peut facilement être prouvé par la négative, en utilisant comme premier exemple la dépendance des organisations de défense du droit à l'avortement à l'égard des politiciens du Parti démocrate. Les mouvements sociaux pour le droit à l'avortement et la libération des femmes ont obtenu, par l'intermédiaire d'organisations de base, le droit à l'avortement lorsque la Cour suprême des Etats-Unis a rendu son arrêt Roe v. Wade en 1973 – alors que Richard Nixon, un anti-avortement, occupait la Maison-Blanche. Mais au cours des décennies qui ont suivi, les organisations pro-choix se sont appuyées sur les démocrates pour défendre le droit à l'avortement, et aucune grande manifestation pro-choix n'a été organisée depuis deux décennies. Pourtant, les démocrates, en tant que parti du compromis, ont permis que le droit à l'avortement soit érodé, puis finalement renversé en 2022. Aucun de ces politiciens n'a cherché à reconstruire un mouvement pro-choix dynamique pour changer le statu quo depuis lors, même s'il a provoqué une crise des droits reproductifs qui tue les femmes (New York Intelligencer, 4 novembre, article de Irvin Carmon),

La seule solution proposée par le New York Times – et l'establishment libéral – est d'attendre les prochains cycles électoraux pour voter : « Ceux qui ont soutenu Trump lors de cette élection devraient observer attentivement sa façon d'exercer son pouvoir afin de voir si elle correspond à leurs espoirs et à leurs attentes, et si ce n'est pas le cas, ils devraient faire connaître leur déception et voter lors des midterms de 2026 et en 2028 pour remettre le pays sur la bonne voie. »

Or, cela est loin d'être une solution. Les élections elles-mêmes ne déterminent généralement pas les rapports des forces au plan politique et social à un moment donné. Elles reflètent normalement ces rapports de forces – bien qu'elles puissent parfois le consolider ou l'affaiblir – et peuvent donc être influencées par des mouvements extérieurs à l'arène électorale.

Aujourd'hui, aux Etats-Unis, les rapports de forces penchent résolument en faveur de la droite, entre autres en raison de la faiblesse de la gauche. « La nature a horreur du vide », dit le proverbe. Lorsque les démocrates font écho aux républicains en s'orientant vers la droite et que la gauche suit les démocrates pour gagner les élections, les électeurs et électrices n'entendent aucun point de vue alternatif de gauche. C'est donc la droite qui l'emporte.

C'est la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. Il est facile de faire des immigré·e·s les boucs émissaires des problèmes de la société alors qu'il n'y a pas d'explication de gauche à la baisse des salaires et à l'inflation élevée, qui renverrait aux politiques de division et de domination de la classe capitaliste.

La seule possibilité de modifier les rapports de forces réside dans une lutte – avec ses expressions organisées – ancrée au niveau de la base. Nous avons eu un aperçu de ce que cette lutte pourrait signifier l'année dernière, lorsque les Travailleurs unis de l'automobile (UAW) ont mené l'offensive face aux trois grands constructeurs automobiles et ont gagné. Nous en avons également eu un aperçu au printemps dernier, lorsque des manifestants pro-palestiniens ont formé des campements sur les campus universitaires à travers les Etats-Unis.

Mais une montée en puissance bien plus importante des mouvements sociaux et de la lutte de classe dans ses diverses expressions est une condition préalable nécessaire pour modifier les rapports de forces entre classe. D'ici là, les plus riches continueront à célébrer leur bonne fortune. Le statu quo prévaudra, peu importe pour qui nous avons voté ou non. Et Trump prendra ses fonctions en janvier, avec des conséquences que personne ne peut prédire aujourd'hui. (Article reçu le 8 novembre, traduction rédaction A l'Encontre)

Lance Selfa est l'auteur de The Democrats : A Critical History (Haymarket, 2012) et l'éditeur de U.S. Politics in an Age of Uncertainty : Essays on a New Reality (Haymarket, 2017).

Sharon Smith est l'auteure de Subterranean Fire : A History of Working-Class Radicalism in the United States(Haymarket, 2006) et de Women and Socialism : Class, Race, and Capital (Haymarket, 2015).


[1] Lors de sa première prise de parole le 22 juillet, suite au retrait de Joe Biden de la course à la présidentielle, Kamala Harris a salué le bilan de Biden : « En un mandat, il a déjà un meilleur bilan que la plupart des présidents qui ont effectué deux mandats. » (Réd. A l'Encontre)

[2]

[3] Alana Semuels, dans The Atlantic du 1er avril 2016, rappelait que : « Si l'on en croit les chiffres, la réforme de l'aide sociale [par Clinton] a été un succès. En 1995, avant l'adoption de la loi de réforme, plus de 13 millions de personnes recevaient une aide financière du gouvernement. Aujourd'hui, elles ne sont plus que 3 millions. “Pour dire les choses simplement, la réforme de l'aide sociale a fonctionné parce que nous avons tous travaillé ensemble”, a écrit Bill Clinton, qui a promulgué la loi sur la réforme de l'aide sociale (Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act) de 1996, dans un article d'opinion publié dans le New York Times en 2006. Bill Clinton avait fait campagne en promettant de “mettre fin à l'aide sociale telle que nous la connaissons” et il n'est que trop évident aujourd'hui qu'il y est parvenu. » (Réd. A l'Encontre)

[4] Nous reviendrons sur les réseaux hyper conservateurs, acteurs d'une orientation contre-révolutionnaire, qui constituent aujourd'hui l'encadrement du trumpisme. Sylvie Laurent en donne de nombreux éléments. Voir le débat en accès libre sur Mediapart du 7 novembre. (Réd. A l'Encontre)

[5] Business Insider du 28 octobre énumère les milliardaires qui soutiennent Trump : Elon Musk, Steve Schwarzman, Miriam Adelson, Diane Hendricks, Harold Hamm, Andrew Beal, Bernard Marcus, Tilman Fertitta, Bill Ackman, Douglas Leone, Jeffery Hildebrand, Kelcy Warren, Paul Singer, Jan Koum, Richard et Elizabeth Uihlein, Ike Perlmutter, Joe Ricketts, John Paulson, Steve Wynn, Woody Johnson, Warren Stephens, Cameron and Tyler Winklevoss, Linda McMahon, Timothy Mellon, Robert and Rebekah Mercer, Robert Bigelow, etc. (Réd. A l'Encontre)

[6] Dans le document de Bernie Sanders publié sur X le 6 novembre, il ajoute : « D'abord, c'était la classe ouvrière blanche, et maintenant ce sont aussi les travailleurs latinos et noirs [qui se sont éloignés du Parti démocrate]. Alors que les dirigeants démocrates défendent le statu quo, le peuple américain est en colère et veut du changement. Et ils ont raison.

»Aujourd'hui, alors que les très riches se portent à merveille, 60% des Américains vivent au jour le jour et l'inégalité des revenus et des richesses n'a jamais été aussi grande. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les salaires hebdomadaires réels, tenant compte de l'inflation, du travailleur/travailleuse moyen sont aujourd'hui inférieurs à ce qu'ils étaient il y a 50 ans.

»Aujourd'hui, malgré l'explosion de la technologie et de la productivité des salarié·e·s, de nombreux jeunes auront un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents. Et nombre d'entre eux craignent que l'intelligence artificielle et la robotique n'aggravent encore la situation.

»Aujourd'hui, bien que nous dépensions beaucoup plus par habitant que d'autres pays, nous restons la seule nation riche à ne pas garantir les soins de santé à tous en tant que droit de l'homme et nous payons, de loin, les prix les plus élevés au monde pour les médicaments délivrés sur ordonnance. Nous sommes les seuls, parmi les grands pays, à ne même pas pouvoir garantir des congés familiaux et médicaux rémunérés. » (Réd. A l'Encontre)

[7] Rashida Tlaib et Ilhan Omar, les deux premières femmes musulmanes à siéger au Congrès des Etats-Unis, ont été réélues à la Chambre des représentants. Rashida Tlaib, qui est également la première femme d'origine palestinienne à siéger au Congrès, a été réélue mardi pour un quatrième mandat en tant que représentante du Michigan, avec le soutien de l'importante communauté arabo-américaine de Dearborn. Ilhan Omar, ancienne réfugiée et Américaine d'origine somalienne, a retrouvé son siège pour un troisième mandat dans le Minnesota, où elle représente le 5e district, fortement démocrate, qui comprend Minneapolis et un certain nombre de banlieues. Principale critique du soutien militaire apporté par les États-Unis à Israël dans sa guerre contre Gaza, Rashida Tlaib s'est présentée sans opposition aux élections primaires démocrates et a battu le républicain James Hooper. (Réd. A l'Encontre)

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Agression contre le Liban : La politique de la terre brûlée

12 novembre 2024, par Amel Blidi — , ,
Israël a redoublé les frappes aériennes sur le Sud-Liban, touchant des localités comme Aaitat et Wadi Jilo dans le gouvernorat du Mont-Liban. Tiré d'El Watan. Les frappes (…)

Israël a redoublé les frappes aériennes sur le Sud-Liban, touchant des localités comme Aaitat et Wadi Jilo dans le gouvernorat du Mont-Liban.

Tiré d'El Watan.

Les frappes israéliennes contre le Liban ne connaissent aucune limite ni aucun répit. Pour les résidents des zones frontalières du Sud-Liban, l'escalade de l'armée d'occupation israélienne a des conséquences dramatiques. Les populations civiles sont confrontées à la peur des bombardements et à la possibilité de perdre leurs foyers et leurs moyens de subsistance. De nombreux Libanais se retrouvent dans un dilemme : suivre les ordres d'évacuation ou rester malgré le danger, sans garantie que la situation s'améliore rapidement.

Les services de la Défense civile ont retiré hier trente corps et restes humains des décombres d'un immeuble de la ville de Barja, au sud de Beyrouth, frappé la nuit d'avant par les forces israéliennes. Les recherches se poursuivent, en ignorant combien de survivants et de corps sont encore coincés sous les décombres. « Nous espérons qu'il n'y a personne d'autre, mais les voisins ont dit qu'il y avait encore des gens disparus », a déclaré un responsable de la Protection civile, cité par l'AFP.

Israël a, par ailleurs, redoublé les frappes aériennes sur le Sud-Liban, touchant des localités comme Aaitat et Wadi Jilo dans le gouvernorat du Mont-Liban. La force de l'aviation israélienne, renforcée par des drones et des appareils de reconnaissance, a également ciblé Jebchit et Kfar Sir, ainsi que des zones résidentielles autour de Deir Qanoun El Nahr. Selon l'Agence nationale de l'information libanaise (NNA), ces frappes ont causé des dégâts considérables aux propriétés privées et commerciales.

Des villages dans le district de Nabatieh, comme Yohmor El Chaqif et Arnoun, ont eux aussi été frappés, tandis que des tirs d'artillerie ont visé les abords d'Alma Chaab, village situé dans le district de Tyr. Depuis le début de la guerre, Israël a tué au moins 3013 personnes et en a blessé plus de 13 500 sur le sol libanais, tandis que le bilan des destructions matérielles s'alourdit de jour en jour. Plus d'un mois après le début de la guerre, Israël pilonne le Liban sans interruption aucune.

Le porte-parole militaire israélien, Avichay Adraee, a encore exhorté hier les résidents du district de Nabatieh à quitter les bâtiments dans un rayon de 500 mètres de ces sites, prévoyant des « opérations imminentes » contre ces cibles présumées. Du côté libanais, le mouvement armé Hezbollah a lancé plusieurs tirs de roquettes du Hezbollah vers les colonies israéliennes de KiryatShmona et de Sasa.

Durcir la position du Hezbollah

Dans un communiqué, l'organisation libanaise shiite a revendiqué des tirs contre KfarSzold, dans la haute Galilée, ainsi qu'une attaque de missiles visant une base militaire israélienne située dans le Golan occupé. Le groupe libanais a également affirmé avoir pris pour cible un char Merkava dans la colonie de Metula à l'aide d'un missile guidé, provoquant un incendie du véhicule et des blessures parmi l'équipage. Dans cette même localité, un autre tir a touché une maison où se trouvaient des soldats israéliens, causant des morts et des blessés, bien que leur nombre exact reste incertain.

Le Hezbollah doit s'exprimer notamment au sujet de l'élection américaine, par la voix de son secrétaire général Naim Qassem, dont le discours attendu pourrait durcir la position du mouvement, tout en appelant à une résistance accrue contre ce qu'il considère comme une agression israélienne soutenue par Washington. L'organisation a d'ores et déjà prévenu qu'elle ne reconnaît pas les États-Unis comme médiateurs dans le conflit, les accusant de fournir à Israël les moyens de poursuivre la guerre envers les populations libanaises et palestiniennes.

En tout et pour tout, plus d'un demi-million de personnes ont fui le Liban pour la Syrie et l'Irak depuis le 23 septembre, début de l'agression israélienne contre le pays du Cèdre. Outre les 28 000 Libanais qui se sont réfugiés en Irak, environ 473 000 personnes en provenance du Liban ont également traversé la frontière syrienne au cours des dernières semaines.

La majorité des personnes arrivées en Syrie avaient fui le sud du Liban, où les forces sionistes mènent quotidiennement des attaques intenses. Parmi ces personnes qui ont franchi les frontières syriennes, se trouvent plus de 136.000 réfugiés libanais et ressortissants de pays tiers ainsi que plus de 330.000 réfugiés syriens qui s'étaient rendus au Liban il y a plusieurs années, lorsque leur pays était en proie à un conflit armé. Selon le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), ces Syriens retournent aujourd'hui dans leur pays car la situation au Liban est devenue très instable.

Les attaques contre le Liban ont également déplacé des centaines de milliers de personnes à l'intérieur du pays. Le gouvernement libanais a déclaré que 1,2 million de personnes étaient concernées.A la frontière syrienne, le flux d'arrivées aux postes frontières de Dabbousieh et de JesrKamar à Homs s'est poursuivi régulièrement, avec environ 500 personnes par jour.

A Genève, la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a lancé un appel de fonds de 100 millions de francs suisses (106 millions d'euros) pour soutenir environ 600.000 personnes touchées par la guerre au Liban.Les besoins humanitaires au Liban « sont immenses », a déclaré le secrétaire général de la FICR, JaganChapagain. Il est à déplorer aujourd'hui qu'environ en30 villages dans le sud du Liban ont été rasés, près de 10 000 bâtiments ont été endommagés ou détruits à travers le pays, et le bilan humain ne cesse de s'alourdir. -

Lazzarini : l'Unrwa, qui vit « son heure la plus sombre »

L'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) que l'entité sioniste a décidé d'interdire vit « son heure la plus sombre », a alerté son chef devant l'Assemblée générale de l'ONU, appelant les Etats membres à la sauver. « Sans intervention des Etats membres, l'Unrwa va s'effondrer, plongeant des millions de Palestiniens dans le chaos », a déclaré Philippe Lazzarini, demandant aux Etats membres de l'Assemblée, qui a créé l'Unrwa en 1949, à « empêcher la mise en oeuvre de la loi contre l'Unrwa » votée par l'entité sioniste.

Une semaine après l'adoption de la décision d'interdiction des activités de l'Unrwa dans les territoires palestiniens occupés, l'entité sioniste a notifié lundi à l'ONU « l'annulation » de son accord avec l'agence datant de 1967, année du début de l'occupation par l'entité sioniste des territoires palestiniens de Cisjordanie et de Ghaza, ainsi qu'El Qods-Est, où l'Unrwa a fourni pendant des décennies une aide essentielle aux réfugiés palestiniens (éducation, santé, services sociaux, aide alimentaire).

« Aujourd'hui, je demande aux Etats membres d'agir pour défendre les réfugiés palestiniens et l'Unrwa », a insisté Philippe Lazzarini. Alors que l'agence a été créée par une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU en 1949, « les changements du mandat de l'Unrwa sont du ressort de l'Assemblée générale », a-t-il estimé. Depuis le début de l'agression sioniste, « les responsables (sionistes) ont décrit le démantèlement de l'Unrwa comme un but de la guerre », a-t-il rappelé.

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Entre une chenille et un F16, reportage au cœur de l’offensive d’Israël au Liban

12 novembre 2024, par Mouais, le journal dubitatif — , , , ,
Notre reporter, résidant à Beyrouth, après de nombreux reportages en Palestine, a pris de plein fouet la violence de l'attaque israélienne sur le Liban. Avec douleur, colère, (…)

Notre reporter, résidant à Beyrouth, après de nombreux reportages en Palestine, a pris de plein fouet la violence de l'attaque israélienne sur le Liban. Avec douleur, colère, poésie, et ce qu'il faut d'espoir et d'amour, il nous narre le feu et le sang. Les bombes, les massacres. Attention, des récits peuvent heurter.

Tiré du blogue de l'auteur.

« Elle sort d'une touffe d'herbes, se glisse,

Lève le nez de droite à gauche puis elle repart.

Quelle belle chenille grasse !

Guidée par l'odeur, elle s'arrête au bord

D'un jasmin »

Ces mots sont les derniers écrits par une écolière libanaise avant qu'un drone ne vienne déchiqueter l'immeuble dans lequel elle avait trouvé refuge avec sa famille. Un deuxième drone, puis une frappe aérienne d'un F16 israélien, ont achevé le travail de mort. Sans doute ses membres ensanglantés ont été projetés d'un coin à l'autre des décombre, son cadavre brûlé retiré par la Défense Civile avant mon arrivée. Maintenant, les vers de cette poésie pour enfants sont tout ce qu'il reste pour attester de son existence pulvérisée. Je tiens le cahier entre mes mains, alors que l'odeur âcre de la poussière et du feu s'infiltrent à travers mon masque chirurgical. Plus loin, un livre de Sciences de la Vie est visible entre les ruines. Quelle ironie, dans un tel massacre.

Six autres enfants ont été assassinés dans cette frappe israélienne, aux côtés de cinq de leurs proches. Ils avaient fui les bombes du Liban-Sud et pensaient certainement être en sécurité ici, dans le centre de la vallée de la Bekaa. Mais les desseins des stratèges et pilotes israéliens sont difficiles à cerner, dans cette guerre dystopique où la mort tombe du ciel aléatoirement. Tu existes, puis d'un coup il y a le bruit sourd de l'avion de chasse qui pique et le sifflement du missile et tes membres et organes sont pulvérisés partout, ton existence réduite en miettes. L'odeur de la chair brûlée est presque sucrée et écœurante. C'est étrange, non ?

Une autre famille a eu de la chance, son appartement dans un immeuble voisin a seulement été soufflé par la déflagration, tout le monde a survécu. Ils sont là, les deux parents et leurs enfants, trois jeunes adultes, certainement étudiants, en train de sortir quelques biens des décombres. Des ouds*, des guitares, une cage avec deux canaris jaunes. Une famille d'artistes. La fille fait de la photo, les autres sont musiciens. Ils me laissent entrer dans leur appartement, les lits sont au-dessus des canapés, la cuvette des toilettes dans la douche, les ustensiles de cuisine dans le salon, cela en devient absurde et presque cubiste. Guernica. Une chaussure traîne dans les escaliers : quelqu'un a fini sa course effrénée avec un pied nu ? Je dissocie.

Bribes de mort

Plus loin, une pépinière a été bombardée. Des courgettes continuent de pousser entre les décombres, pas loin d'un gant de jardinier projeté là au hasard du souffle de l'explosion. La peau d'une courge musquée est abîmée, trouée : les légumes aussi ont des cicatrices de guerre, on dirait. Comme les chevaux rescapés des bombardements dans le Sud-Liban, recueillis par un éleveur équin dans la Bekaa. Une plaie encore rouge sur la robe alezane de ce pur-sang arabe. Les yeux tristes de cette jument grise qui a fait une fausse couche à cause du traumatisme. J'aurais chialé si je n'avais pas eu un pneu crevé à réparer. Encore une ironie de la guerre.

L'autre fois que j'aurais pu pleurer, c'était quand une psy qui m'a dit en interview que l'attaque sur les bipeurs du Hezbollah, c'était comme une sorte de viol collectif, une attaque narcissique contre l'intimité des Libanais. Et quand un ami, un jeune médecin anesthésiste dans un hôpital de Beyrouth, m'a raconté ce qu'il a vécu quand il soignait les blessés de cette attaque : « On opérait dans les couloirs, il y avait du sang partout, tellement qu'on glissait dessus. J'ai failli devenir fou quand un mec s'est mis à halluciner et à dire que l'ange de la mort marchait parmi nous, ainsi que le prophète Mohammed ».

J'écris, je couvre le bourdonnement incessant du drone israélien avec du death metal. Je ne sais plus ce que j'entends. Est-ce une voiture qui passe ou bien un F16 qui va larguer une bombe ? Je compte les secondes : soit il ne se passe rien et c'était bien une voiture, soit une explosion sourde se fera entendre, il y aura des morts, des blessés, des vies pulvérisées, des live à la TV, des photos… Et ce son terrifiant, c'était un avion de chasse franchissant le mur du son pour nous terroriser, ou bien un bombardement réel ? La réalité est absurde, tout ne tient qu'à un fil. J'essaie de ne pas trop penser, ne pas trop ressentir.

Aimer en temps de guerre

Mais finalement, je le sais, il faut rester connecté à soi et aux autres. L'amour doit triompher de cette guerre qui exige chaque seconde de notre attention et chaque millimètre de notre système nerveux. L'amour des siens qui ont peur, l'amour des inconnus qui risquent de mourir, l'amour de la terre qui se fait bulldozer, l'amour du ciel ensoleillé qui sent la fumée toxique, l'amour de ces olives que l'ennemi essaie de brûler sous le phosphore blanc.

Aimer, c'est prendre le risque de perdre pied. C'est laisser une peur abyssale t'envahir, cette peur de perdre ceux que tu aimes, peur que ceux qui t'aiment vont te perdre. Mais au final, c'est cet amour qui nous fera triompher. Chaque instant que notre cœur ressent cette peur, chaque fois que nous ressentons des papillons dans notre ventre, chaque moment infini où nous regardons dans les yeux de nos proches, nous avons déjà un peu gagné.

Certains désignent le sionisme actuel de culte de la mort. Il sacrifie des enfants et s'en réjouit. Il tue des ambulanciers, ceux-là même qui sauvent la vie. Il pulvérise des femmes enceintes et leurs fœtus. Il brûle la chair des déplacés de Jabalia. Avec le feu et le sang, il créée un no-man's-land dans le nord de Gaza, dans le Sud du Liban, et même à l'ouest de la Cisjordanie occupée – tout ça pour « nettoyer » ou « sécuriser » ses frontières. Mais avec « culte de la mort », je pense qu'on ne comprend pas clairement la réalité.

L'horizon

La réalité, telle que me l'ont dépeinte les Palestiniens et les Libanais du Sud, est extrêmement politique. Un culte de la mort, cela sonne invincible, quasi-mystique. Mais l'ennemi, dans notre cas, est matériel, logistique – et donc faillible. Des États coloniaux ont déjà été vaincus à multiples reprises dans l'Histoire. Des régimes génocidaires ont été déchus. Des systèmes d'apartheid démantelés. Ils sont faits de décideurs en chair et en os, de soldats au moral changeant, de civils qui renversent leurs gouvernements corrompus. Ils sont faits d'idées que l'on peut mettre au ban de la mémoire de l'Humanité. Ils peuvent être vaincus. La libération est possible. Peut-être même est-elle proche ?

Il y a 70 ans, Israël n'existait pas. Dans 70 ans, il aura peut-être disparu. L'horizon, ce n'est pas un pays colonial, isolé, divisé, qui a besoin de 660 milliards de dollars en un an pour « se défendre » de l'agression qu'il a commise, de commettre des écocides et des nettoyages ethniques pour survivre. L'horizon, c'est une contrée faite d'hommes et de femmes et d'enfants et d'animaux et de plantes qui vivent ensemble avec leurs désaccords. C'est une polis dans laquelle il y a aura des Juifs, des musulmans chiites et sunnites et soufis, des chrétiens de toutes confessions et des athées ; des gens de toutes opinions politiques, certainement aussi des sionistes et des islamistes et des anarchistes, des nassériens et des sociaux-démocrates, qui prendront des décisions ensemble sur comment construire telle route ou comment répartir le budget municipal.

L'horizon, c'est une contrée où l'olivier n'a pas de nationalité ni de confession, et n'est entouré ni de barbelés ni d'un nuage de phosphore blanc. Où la chenille grasse s'approche du jasmin et respire sa senteur sans être déchiquetée par un F16.

Textes et photographie par Pluto

Un reportage tiré de notre numéro novembre-décembre, à paraître bientôt, soutenez-nous, abonnez-vous (par pitié on en a bien besoin) https://mouais.org/abonnements2024/

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Des soldats nord-coréens en Ukraine à la décrispation Inde-Chine : vents contraires en Indo-Pacifique

12 novembre 2024, par Olivier Guillard — ,
Si Pékin et New Delhi ont posé les armes à leur frontière, si l'Inde et le Pakistan ont cessé les invectives pour un instant diplomatique, une dynamique infiniment plus (…)

Si Pékin et New Delhi ont posé les armes à leur frontière, si l'Inde et le Pakistan ont cessé les invectives pour un instant diplomatique, une dynamique infiniment plus préoccupante, porteuse d'une infinité de craintes, est aussi à l'œuvre en Indo-Pacifique : de la mer de Chine du Sud à la péninsule coréenne, en passant par la Russie et l'Ukraine, et le détroit de Taïwan.

Tiré de Asialyst
2 novembre 2024

Par Olivier Guillard

Kim Jong-un aurait envoyé plus de 8 000 soldats nord-coréens en Russie pour participer à la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine. (Source : Guardian)

Bien sûr, comme toujours, les images fortes. Poignées de mains scénarisées à défaut d'être chaleureuses. Sourires de circonstance figés devant une batterie de drapeaux soigneusement disposés. Belles déclarations et autres communiqués conjoints joliment tournés à l'issue de réunions bilatérales ou collégiales « historiques » .Effet garanti. Encore et toujours. En Asie-Pacifique pas moins qu'ailleurs en cet automne 2024 aux tonalités exceptionnellement dissonantes, pour le meilleur, espère-t-on naïvement, ou pour le pire – quand bien même ce dernier ne serait jamais certain, dit-on.
Naturellement, il ne saurait être question de tourner le dos aux si rares bonnes nouvelles (parlons plus prudemment peut-être de développements positifs impromptus et bienvenus) émaillant le quotidien tortueux de cette région du monde davantage exposée aux tempêtes politiques, sécuritaires et diplomatiques, et autres maux encore, qu'aux plus apaisantes conditions anticycloniques.

Quand le dragon et l'éléphant desserrent quelque peu les dents

*3379 km de frontière terrestre. **Dans la région du Ladakh (indien) et de l'Aksai Chin.
Parmi les dernières surprises en date et non des moindres, les prémices d'une bien improbable détente sino-indienne. Confirmation in vivo le 23 octobre devant les flashs des photographes et autres caméras des médias : le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre indien Narendra Modi prennent la pause protocolaire face aux objectifs en marge du sommet des BRICS organisé dans la ville russe de Kazan. Deux jours plus tôt, New Delhi et Pékin le faisaient savoir : d'un commun accord – une authentique rareté plaisante à signaler -, le principe d'une désescalade des tensions aux frontières a été décidé*, par le biais d'un retour sur le terrain à la situation avant les hostilités de 2020**, avec notamment une réduction parallèle des troupes respectives postées de part et d'autre de la frontière.
Cette rare dynamique sino-indienne aux tonalités positives n'était pas même trop durement remise en cause du côté de Pékin par l'ouverture à Mumbai d'un nouveau bureau de représentation taiwanais, le 17 octobre.

Inde-Pakistan : le chef de la diplomatie indienne au « pays des purs », une première depuis 2009

*Sans surprise, les autorités militaires de ce pays fébrile où l'influence des généraux reste déterminante se sont montrés moins volubiles dans les médias sur le sujet. **Avant la désintégration du British Raj colonial et l'indépendance de l'Inde et du Pakistan à l'été 1947. ***7 victimes, des ouvriers travaillant sur un chantier près de Sonamarg (80 km au nord-est de Srinagar).

De même, l'Inde s'illustrait une semaine plus tôt là encore au niveau diplomatique sur un autre théâtre hautement sensible : le chef de la diplomatie indienne était présent au 23ème sommet annuel de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), les 15 et 16 octobre à Islamabad, la capitale du voisin pakistanais avec lequel la patrie de Gandhi et Nehru partage depuis trois générations d'homme une noria de différends, contentieux, conflits et autres désaccords en tous genres. La rencontre en marge du sommet entre le ministre indien des Affaires étrangères et le chef de gouvernement pakistanais, les propos étonnamment apaisants, encourageants de certaines personnalités politiques* de premier plan du « pays des purs » – dont l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif, frère ainé du titulaire actuel du poste, et Bilawal Bhutto Zardari – relayés dans la presse de ces deux voisins autrefois d'un seul bloc**, auront pu agréablement surprendre l'observateur, déjà légitimement étonné par cette première visite d'un émissaire indien d'importance au Pakistan depuis neuf ans. Le même observateur des tortueuses affaires d'Asie méridionale aura hélas moins été pris de court par l'attentat meurtrier*** frappant peu après, le 21 octobre, la partie indienne du Cachemire administrée par New Delhi, attribué à une structure terroriste pakistanaise. Trois jours plus tard, le fléau terroriste s'abattait encore sur la région, près de Baramulla (50 km au nord-ouest de Srinagar), faisant quatre nouvelles victimes. Cette recrudescence du chaos aveugle ne devait certainement rien au hasard : elle sanctionnait encore et encore, comme observé tant de fois, la moindre esquisse de décrispation potentielle entre New Delhi et Islamabad.

Japon–Corée du Sud : à la recherche d'une détente durable ?

*Colonisation nipponne de la péninsule coréenne entre 1910 et 1945).
En Asie orientale, du côté du « pays du matin calme » et de l'ancien « Empire du soleil levant », l'appel ou la nécessité d'une décrispation face aux incertitudes régionales – défiance sans fin de la Corée du Nord, rapprochement Pyongyang-Moscou, a également trouvé dernièrement quelque écho favorable au plus haut niveau de l'État, à Séoul comme à Tokyo. Des augures plaisants n'allant pourtant pas si aisément de soi dans les deux pays, ont été applaudis des deux mains par Washington, l'allié stratégique commun à ces deux voisins aux relations souvent ombrageuses, lestées par un douloureux chapitre colonial difficile à oublier au sud du 38ème parallèle*.

Ainsi, un mois après l'ultime réunion entre le Premier ministre japonais sortant Fumio Kishida et le président sud-coréen Yoon Seok-youl début septembre, le nouveau chef de gouvernement nippon Shigeru Ishiba rencontrait Yoon le 10 octobre en marge du sommet de l'ASEAN au Laos, confirmant la bonne autant qu'inédite dynamique de dialogue du moment entre Séoul et Tokyo.

Chine–Japon : la dynamique nippo-sud-coréenne créé-t-elle une émulation entre similaire entre Pékin et Tokyo ?

*China Daily, 24 octobre 2024.
On ne pourrait bien sûr que se féliciter d'une telle bonne inspiration, participant alors, à sa mesure, à un élan régional plus porteur d'espoir que de craintes. Alors certes, le 23 octobre, dans la capitale japonaise, lors d'une 17ème session du mécanisme de consultation de haut niveau sur les affaires maritimes, les délégations chinoise et nippone se sont accordées « à gérer correctement »* leurs différences, à maintenir une « communication étroite » sur les affaires maritimes, à « déployer des efforts positifs pour faire de la mer de Chine orientale une mer de paix, de coopération et d'amitié ». De nobles intentions naturellement à saluer, et surtout à traduire sur le terrain après l'avoir si aisément rédigé sur le papier. Le doute est cependant permis.

Il suffit de se remonter à peine une semaine plus tôt, le 16 octobre. Le ministère chinois de la Défense critiquait alors en des termes univoques l'évocation par le nouveau Premier ministre japonais Shigeru Ishiba du projet de création d'une « version asiatique de l'OTAN », une initiative selon lui « essentielle pour dissuader la Chine ». Et du reste, le lendemain, troublante coïncidence, Tokyo déplorait en mer de Chine de l'Est un nouvel accrochage avec Pékin près des îles disputées Senkaku/Diaoyu.

Voilà une dynamique infiniment plus préoccupante, porteuse d'une infinité de craintes : de la mer de Chine du Sud à la péninsule coréenne, en passant par la Russie et l'Ukraine, et le détroit de Taïwan.

Nuages sur l'Asie-Pacifique

L'Asie conserve une série de zones fébriles dont chaque soubresaut, chaque secousse, se prolonge aujourd'hui, d'une manière ou d'une autre, au reste du concert des nations.

Corée du Nord-Corée du Sud. En procédant le 15 octobre à la neutralisation symbolique, la destruction par explosions d'axes routiers et ferroviaires reliant techniquement le Nord au Sud, puis en multipliant depuis lors les messages belliqueux ces derniers jours, la dictature kimiste maintient sa posture hostile et résolue à l'endroit du voisin du Sud. Séoul s'émeut légitimement, comme une majorité de nations occidentales du reste, des informations confirmant l'envoi de troupes nord-coréennes vers la Russie pour, à terme, être déployées aux côtés des forces russes combattant en Ukraine.

Japon-Russie. Le 17 octobre, le ministre japonais de la Défense faisait part sa double inquiétude au sujet de la coopération militaire sino-russe, ces manœuvres conjointes début septembre à proximité de l'archipel, et face au renforcement des liens russo-nord-coréens. Il a également confirmé le soutien de Tokyo à Kiev dans sa guerre contre les forces de Moscou.

Chine-Taïwan. Les 13 heures de manœuvres militaires chinoises aussi massives – 153 appareils chinois, une vingtaine de navires – que suggestives menées le 14 octobre tout autour de Taïwan ont « sanctionné » selon Pékin le discours « provocateur » du président taïwanais formulé plus tôt, le 10 octobre. Elles illustrent à elles seules l'état on ne peut plus sinistré des rapports entre Pékin et Taipei.

Mer de Chine du Sud. Le 13 octobre, la visite à Hanoï du Premier ministre chinois a marqué un renforcement tous azimuts de la coopération bilatérale sino-vietnamienne décidé, en matière de défense et de sécurité notamment. Mais ce déplacement ne saurait naturellement occulter l'ensemble des tensions électrisant les multiples contentieux territoriaux en mer de Chine du Sud, tant s'en faut. Ce ne sont pas les témoignages récents qui font défaut, hélas : deux jours plus tôt, le 11 octobre, un navire de la milice maritime chinoise heurtait délibérément un navire civil philippin du Bureau de la pêche et des ressources aquatiques patrouillant à proximité de Thitu Island. Fin septembre, le Vietnam accusait les forces chinoises d'avoir battu violemment des pêcheurs vietnamiens opérant près des îles Paracels. Au même moment ou presque, le 27 septembre, près d'un autre atoll contesté, Half Moon Shoal, un navire des garde-côtes chinois et deux lance-missiles entravaient deux bâtiments civils philippins en route pour ravitailler des navires de pêche. Et on en passe. Le monde, observateur impuissant, quasi inaudible, s'inquiète. Chaque jour un peu plus, redoutant le pire. Non sans raison ?

Par Olivier Guillard

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La victoire de Donald Trump : une bonne nouvelle pour la Chine ?

12 novembre 2024, par Pierre-Antoine Donnet — , ,
La victoire de Donald Trump, réélu triomphalement à la Maison Blanche pour quatre ans, est une excellente nouvelle pour les régimes autoritaires à travers le monde. Y compris (…)

La victoire de Donald Trump, réélu triomphalement à la Maison Blanche pour quatre ans, est une excellente nouvelle pour les régimes autoritaires à travers le monde. Y compris pour le pouvoir en Chine qui, même si l'économie du pays souffrira des mesures protectionnistes qui s'annoncent, estiment nombre d'experts de l'Asie, ne manquera pas d'en tirer parti.

Tiré de Asialyst
9 novembre 2024

Par Pierre-Antoine Donnet

Donald Trump, lors de son discours de victoire après sa réélection à la présidence des États-Unis, le 5 novembre 2024. (Source : CBS)

Pour Zhang Junhua, chercheur associé à l'Institut européen pour les études asiatiques, « sur le plan politique, cette régression constitue un précieux cadeau pour le camp autoritaire à travers le globe. Xi Jinping et Vladimir Poutine vont certainement, au fond de leur cœur, se réjouir des résultats de cette élection ».

*Le Quad est un forum de dialogue quadrilatéral informel sur les sujets militaires et de sécurité regroupant les États-Unis, l'Inde, le Japon et l'Australie.

« Car, poursuit le chercheur cité par la Deusche Welle, ils savent que les quatre prochaines années ne vont pas seulement plonger la démocratie américaine dans une période paroxystique mais elles donneront plus de place à ceux qui, aux États-Unis, sont partisans de réduire au maximum le champ d'action de l'État de droit, de la démocratie et de la justice. Les alliances démocratiques en Asie pour lesquelles le président Joe Bien a travaillé si dur pour les construire, telles que celle avec le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, et le Quad* seront affectées directement et de façon désastreuse. »
« En d'autres termes, cela va donner à la Chine, en conjonction avec la Russie, une opportunité pour imposer sa volonté en Asie de l'Est, dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine du Sud
», explique Zhang Junhua pour qui le mandat de Donald Trump aura pour autre conséquence d'éloigner l'Europe de l'Asie-Pacifique du fait de la montée des périls attendus à ses frontières avec le spectre d'une victoire de la Russie en Ukraine. « En résumé, remarque Zhang Junhua, à la surface il s'agit d'une grande victoire pour le conservatisme en Amérique mais, en réalité, c'est une victoire encore plus grande pour l'autoritarisme mondial. Tout ceci est très néfaste pour la situation sécuritaire en Asie-Pacifique. »

Pour Mathieu Duchâtel, expert de la Chine à l'Institut Montaigne, si Donald Trump « a laissé un excellent souvenir à Taïwan » lorsqu'il était à la Maison Blanche « en décidant de contrer enfin le mercantilisme chinois, […] plusieurs raisons invitent à une prudence extrême quant à la continuité de sa politique taïwanaise avec les approches économiques, diplomatiques et militaires qui ont marqué son premier mandat. » Outre l'avenir de l'Ukraine plus incertain que jamais, « pour Taïwan, il semble clair que son statut de démocratie libérale aura peu de valeur stratégique aux yeux de l'exécutif américain, et qu'il sera nécessaire de verser des « frais de protection », sous une forme ou une autre ».

Mais, précise Mathieu Duchâtel, « ces dernières années, Taïwan a donné une belle leçon de lucidité aux démocraties européennes, en détectant avant tout le monde la gravité de la pandémie de Covid. […] Il est tout à fait possible que l'île parvienne, par des manœuvres tactiques qui épouseront les priorités de « l'America First » en matière d'emploi industriel, de rééquilibrage des relations économiques avec la Chine, de recherche de suprématie technologique et de crédibilité accrue de sa posture de défense, à assurer non seulement sa survie, mais aussi sa prospérité continue. »

« Nouvel épisode de montagnes russes »

On se rappelle les propos menaçants tenus en pleine campagne électorale par Donald Trump envers l'ancienne Formose : « Taïwan. Je connais très bien les Taïwanais, je les respecte beaucoup. Ils ont pris environ 100 % de notre industrie des puces. Je pense que Taïwan devrait nous payer pour sa défense. Vous savez, nous ne sommes pas différents d'une compagnie d'assurance. Taïwan ne nous donne rien en échange. » Évoquant Taïwan dans une autre déclaration, il avait en octobre déclaré qu'avec lui à la Maison Blanche, il n'aurait pas à faire usage de la force pour empêcher la Chine d'imposer un blocus autour de l'île rebelle, car Xi Jinping sait qu'il est « cinglé » et que dans une telle situation, il imposerait de tels tarifs douaniers que ceux-ci auraient pour effet de paralyser la Chine.

Le 47ème Président des États-Unis avait dans un passé récent exprimé des exigences de contributions financières comparables à l'égard de la Corée du Sud, estimant que ces deux pays, bien que des alliés précieux pour l'Amérique et son influence dans la région, devraient payer plus cher la protection militaire apportée par Washington.
Sa victoire n'est pas non plus pour réjouir les dirigeants de l'OTAN. Ces derniers n'ont pas oublié sa politique étrangère passée lorsqu'il était à la Maison Blanche : à savoir, reléguer au second plan de ses priorités les engagements des États-Unis au sein du Traité de l'Atlantique Nord qui rassemble 32 pays et les obligent à intervenir militairement pour défendre tout État membre qui serait attaqué. Peu de responsables politiques occidentaux envisagent une décision de sa part de retrait des États-Unis de l'Alliance. Mais tous se souviennent des menaces récentes de Donald Trump d'exiger de autres membres de participer davantage au financement du fonctionnement de l'OTAN, les accusant de profiter à bon compte de la protection américaine.

« La réalité est que les dirigeants de l'OTAN sont sérieusement inquiets de ce que va signifier sa victoire pour l'avenir de l'Alliance et de comment sa force de dissuasion sera perçue par les dirigeants qui lui sont hostiles », commentait la BBC au lendemain des résultats du scrutin américain. Le média britannique le rappelle : l'approche de Donald Trump à l'égard la Chine « est le domaine stratégiquement le plus important de sa politique étrangère et qui a les plus grandes implications pour la sécurité mondiale et le commerce ».

Le président-élu a plusieurs fois loué ses relations qu'il dit « étroites » avec Xi Jinping qu'il a qualifié tour à tour de « brillant » ou « dangereux », saluant néanmoins un dirigeant qui parvient à contrôler 1,4 milliard de Chinois d'une « main de fer ». Des qualificatifs qui ont fait dire à ses détracteurs qu'ils y voient là son admiration pour les dictateurs.

Aux yeux de la plupart des analystes, Donald Trump, comme durant son premier mandat, fera des enjeux et des gains commerciaux une priorité de sa politique étrangère avec la Chine. En cela, il restera fidèle à son approche transactionnelle d'homme d'affaires dans sa gestion des relations internationales, les questions d'ordre humanitaire, idéologique ou géopolitique étant à ses yeux de peu d'importance.

Mais c'est sans doute la nature imprévisible de Donald Trump qui inquiète le plus tout autant la Chine que les alliés des États-Unis, y compris en Asie de l'Est. La nature même du fonctionnement du Parti communiste chinois est fondée sur la stabilité, le régime de Pékin ayant horreur de tout imprévu non anticipé.

La victoire de Trump « marque le début d'un nouvel épisode de montagnes russes dans la politique étrangère américaine, souligne le magazine américain Foreign Policy. Le président-élu va probablement revenir aux points saillants de son premier mandat : une guerre commerciale avec la Chine, un profond scepticisme et même de l'hostilité envers le multilatéralisme, un attrait pour les hommes forts et son style iconoclaste de conduire la diplomatie basé sur son approche fondamentale qui est la paix par la force. »

« Être prévisible est quelque chose de terrible »

Pour le Financial Times, le doute n'est pas permis : « Les alliés traditionnels de l'Amérique en Europe et en Asie de l'Est – sans même mentionner ses ennemis – sont tous bien placés pour savoir que Donald Trump veut les laisser dans le brouillard sur ses plans. Pourtant, pour certains dossiers, ses assistants disent que tout est parfaitement clair. Ils insistent [et affirment] qu'il est prêt à agir avec une vitesse vertigineuse pour mettre fin aux guerres en Ukraine et au Moyen-Orient. »

« Mais en même temps, ajoute le quotidien britannique, il a l'intention de brandir la menace de taxes douanières toujours plus élevées pour pousser les alliés de l'Amérique à dépenser plus pour la défense et équilibrer leurs relations commerciales avec les États-Unis tout en maintenant la pression sur la Chine. Il est un sujet à propos duquel la plupart des alliés de l'Amérique n'ont guère de doute : ils vont entretenir une relation turbulente avec le second Trump à la Maison Blanche », en raison surtout du fait de son caractère imprévisible.

Sur ce sujet-là, ses confidents estiment que leur inquiétude est fondée. « Être prévisible est quelque chose de terrible, explique Ric Grenell, l'un des proches du nouveau président qui, selon le Financial Times, pourrait être appelé à jouer un rôle proéminent dans la future administration Trump. Bien sûr, l'autre côté [les ennemis des États-Unis] demandent de la prévisibilité. Trump n'est pas prévisible et nous les Américains nous aimons cela. »

D'après Ric Grenell, un accord global avec la Chine ne conduirait pas nécessairement Trump à devenir plus arrogant. « Ils n'attendent pas patiemment qu'on leur fasse des leçons de morale sur ce qui se passe à des milliers de kilomètres. Ils vont regarder de près l'équilibre des forces en Asie et notre engagement là-bas. Le plus important [pour les Chinois] est plutôt leur intérêt à maintenir une Russie affaiblie par une longue guerre pour qu'elle devienne ainsi plus dépendante de la Chine. » Raison pour laquelle l'Amérique doit utiliser ses forces de dissuasion pour éviter une guerre avec la Chine.

Cité par le Financial Times, Mike Waltz, l'une des voix qui compte dans les rangs conservateurs de la chambre des Représentants du Congrès américain, réaffirme que la Chine constitue « une menace existentielle pour les États-Unis du fait du renforcement de ses capacités militaires. La flotte chinoise est plus grande que la nôtre. Nous devons nous efforcer de consolider notre [niveau de] préparation. » Mais pour aussitôt souligner qu'aux yeux de Donald Trump, la Chine a plus besoin des États-Unis que l'inverse : « Il parle beaucoup plus d'accord commerciaux, de taxes douanières et de monnaies que ce que nous ferons en cas de conflit dans le détroit de Taïwan. Il croit que nous faisons usage de la force économique qui, appuyée par une présence militaire, peut éviter ces guerres. »

Un autre politicien Républicain, le sénateur William Francis Hagerty souligne que Donald Trump demeure résolu à agir en cas de guerre à Taïwan et qu'il continuera une politique de dissuasion forte pour éviter une tentative d'invasion chinoise. « Xi Jinping sait que s'il décide d'une action agressive, Donald Trump infligera des conséquences réelles », affirme-t-il.

Officiellement et pour des raisons purement diplomatiques, les autorités taïwanaises n'ont guère le choix sinon de se montrer positives et de dissimuler leur angoisse à propos d'un possible changement de camp de l'administration américaine à leur égard. « Le partenariat qui existe depuis longtemps entre Taïwan et les États-Unis, bâti sur des valeurs et des intérêts communs, continuera à servir de pierre angulaire à la stabilité régionale », a ainsi prudemment réagi le nouveau président de Taïwan Lai Ching-te dans un tweet mercredi.

Mais pour certains analystes, Donald Trump pourrait bien un jour céder aux pressions de Pékin et juger obsolète la position américaine observée par ses prédécesseurs sur la question de Taïwan en fonction des contreparties que pourrait lui offrir la Chine. « Il pourrait accepter de négocier le retour [de Taïwan] à la Chine si [les Chinois] lui donnent quelque chose qui aurait de l'importance pour lui », estime Stephen Young, un diplomate de carrière américain et ancien directeur de la représentation américaine à Taipei, cité par Politico le 7 novembre. « S'il leur fait une faveur [à propos de Taïwan], il leur demandera quelque chose de plus important en retour, juge Jason Hsu, un ancien élu du Kuomintang, le principal parti d'opposition de Taïwan, lui aussi cité par Politico. Nous avions des lignes directrices pour traiter avec [Kamala] Harris mais nous n'avons rien s'agissant de Trump. »

Certains élus républicains au Congrès américain ont déjà sonné l'alarme. Faillir dans la politique menée par les États-Unis pour dissuader la Chine de se lancer dans une opération militaire « serait une erreur catastrophique que nous ne pouvons pas répéter en ce qui concerne Taïwan », a ainsi déclaré le président de la Commission chargée de la Chine à la Chambre des Représentants, le républicain John Moolenaar.

Mauvais timing pour la Corée du Sud et le Japon

Ces inquiétudes sont aussi de mise en Corée du Sud où, sans le dire ouvertement, le gouvernement craint une réduction sinon même un départ des forces américaines stationnées sur le sol sud-coréen au moment où la Corée du Nord voisine est plus turbulente que jamais. « Il semble que la crainte d'un retrait [américain] s'amplifie », estime Chun In-bum, un ancien commandant des forces spéciales sud-coréennes cité mercredi 7 novembre par le média japonais Nikkei Asia. Un tel retrait, s'il devait se concrétiser, ne manquerait pas d'encourager la Corée du Nord à tenter d'envahir le voisin du Sud, insiste Chin In-bum : « Si les troupes américaines se retirent, nous pourrions assister à un monde complètement nouveau. » Les États-Unis stationnent quelque 28 500 soldats et entretiennent un dispositif militaire très conséquent en Corée du Sud dans le cadre d'un traité d'alliance entre les deux pays qui existe depuis la fin de la guerre de Corée en 1953.

À Séoul, personne n'a oublié les poignées de main amicales échangées entre Donald Trump et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un. Le 1er juillet 2019, il avait même franchi la ligne de démarcation et posé le pied en territoire nord-coréen pour venir à sa rencontre, donnant à son interlocuteur une accolade aussi spectaculaire qu'incongrue tant elle mettait en lumière la méconnaissance du président américain de la situation régionale. Cheong Seong-Chang, directeur du Center for Korean Peninsula Strategy de l'Institut Sejong, avait ouvertement déclaré devant la presse en octobre qu'un retour de Trump à la Maison Blanche associé aux menaces militaires croissantes posées par la Chine et la Corée du Nord, « des armes nucléaires pour la Corée du Sud seraient une nécessité, pas un choix ». Avec sa réélection, la Corée du Sud ne pourrait plus faire confiance aux États-Unis pour assurer sa défense, avait-il ajouté car Donald Trump allait « opter pour mettre sur pied une administration qui donnera la priorité aux intérêts américains plutôt qu'à ceux de ses alliances ».

Au Japon, cela fait des mois que l'administration nippone se prépare à une victoire de Donald Trump. Dans les allées du pouvoir, on utilisait le terme « moshi-tora » (« si Trump devient président ») depuis l'an dernier déjà. Ces dernières semaines, cette expression avait été remplacée par « hobo-tora » (« le probable président Trump »). L'inquiétude est, là aussi, surtout liée au caractère imprévisible du milliardaire new-yorkais et de son habitude d'user de méthodes transactionnelles de type commercial, exigeant des réponses immédiates plutôt que d'agir dans le cadre des liens bilatéraux sur la base des traités existants propres à répondre aux enjeux géostratégiques actuels.

De plus, la victoire de Donald Trump s'inscrit dans une période qui vient de s'ouvrir de grande instabilité politique au Japon, la coalition au pouvoir du nouveau Premier ministre japonais Shigeru Ishiba ayant perdu le mois dernier sa majorité lors des dernières élections législatives. Le risque est donc double : un nouveau président américain donnant la priorité à ses exigences commerciales au détriment du politique, du militaire et des alliances, et un gouvernement japonais contraint de prioriser les questions domestiques pour satisfaire les exigences de l'opinion publique et rétablir le soutien populaire qui lui fait défaut.

« Howdy Modi ? »

Pour l'Inde, un pays traditionnellement jaloux de son indépendance et hostile à toute alliance, la perspective du deuxième mandat de Donald Trump est la fois simple et complexe. Simple car le Premier ministre Narendra Modi avait entretenu des relations ouvertement amicales avec l'ancien magnat de l'immobilier, qu'il a d'ailleurs appelé « mon ami » lorsqu'il lui a envoyé ses félicitations. Récemment, celui qui va retrouver le Bureau ovale avait quant à lui déclaré que le chef du gouvernement indien était « le plus bel être vivant ».

Les deux hommes avaient multiplié les gestes réciproques de bonne volonté pour faire de leurs visites officielles de grands événements : en septembre 2019, Donald Trump avait utilisé l'expression « Howdy Modi ? » (« Comment ça va Modi ? ») à Houston devant son hôte et 50 000 Américains d'origine indienne enthousiastes. Ce qui fut un véritable événement médiatique aux États-Unis fut suivi par le « Namaste Trump » (« Bienvenue Trump ») en février 2020 lors de la visite du président américain dans l'État du Gujarat où celui-ci avait promis de renforcer les relations entre les deux pays.

Ces dernières années, l'Inde comptait sur les États-Unis pour contre-carrer l'influence croissante de la Chine en Asie. Mais lors de leur dernière rencontre le 24 octobre à Kazan en Russie, dans le cadre du sommet des BRICS, Narendra Modi et Xi Jinping ont, à la surprise générale, tous deux annoncé leur volonté de régler le contentieux frontalier en l'Inde et la Chine. Ce geste, en toute logique mûrement préparé de part et d'autre, n'est pas passé inaperçu dans les chancelleries occidentales : il pourrait traduire l'amorce d'un réel réchauffement entre les deux voisins rivaux qui, du même coup, réduirait d'autant l'importance pour New Delhi de cet aspect des relations entre l'Inde et les États-Unis.
« Trump devrait approfondir l'engagement géopolitique avec l'Inde et le Quad tout en intensifiant son opposition à la Chine », juge Ajay Bisaria, un ancien diplomate indien cité par la Deutsche Welle. Un optimisme que ne partage pas Raja Mohan, expert indien des relations internationales pour qui la doctrine de Donald Trump « America First » pourrait entraîner des hausses de droits de douane sur les exportations indiennes dont souffriraient les secteurs des hautes technologies, de la pharmacie et du textile.

« Trump avait un jour qualifié l'Inde de « roi des taxes douanières » et fait connaître son intention de mettre en œuvre un système de réciprocité s'il était réélu, ce qui pourrait compliquer la dynamique entre les deux nations », explique cet expert, aujourd'hui professeur au Institute of South Asian Studies de Singapour. « La deuxième présidence Trump met en lumière un équilibre complexe pour l'Inde marqué par des risques conséquents s'agissant du commerce et de l'immigration », ajoute Raja Mohan.
Certes, la volonté annoncée pendant sa campagne électorale par Donald Trump d'augmenter uniformément de 60 % les droits de douane pour les importations en provenance de Chine, si elles sont décidées, porteraient un nouveau coup très dur à l'économie chinoise déjà en grande difficulté. Elles pourraient même coûter à la Chine entre 1 et 2 % de PIB, selon certains analystes. Mais l'essentiel n'est pas là. Car, de fait, si Donald Trump, aujourd'hui conforté par une large majorité au Congrès, s'engage à nouveau dans une logique purement commerciale au détriment de la géopolitique comme il l'avait déjà fait lors de son premier mandat, le résultat pourrait bien être à nouveau une politique isolationniste avec un recul de l'influence globale des États-Unis dans le monde.

Or ce déclin américain, autrefois le « gendarme du monde », intervient au moment où l'équilibre mondial est fortement menacé, avec d'une part, la défiance toujours grandissante à l'égard des démocraties libérales et de l'autre, la guerre menée par la Russie en Ukraine depuis février 2022 ainsi que celle d'Israël contre le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban. Or cette glissade d'une Amérique en retrait voire en panne, déjà perceptible depuis plus d'une décennie, serait éminemment favorable à la poursuite de l'émergence politico-militaire de la Chine en Asie et sur la scène mondiale.
In fine, elle pourrait bien, à terme, donner raison à Xi Jinping pour qui, comme il l'a souvent répété à son « meilleur ami » Vladimir Poutine : « Le monde subit des changements sans précédent depuis un siècle. » Sous-entendu l'autre slogan auquel il se réfère sans jamais le dire : « L'Orient [la Chine] se lève et l'Occident [l'Amérique] est en déclin. »

Par Pierre-Antoine Donnet

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Le blackout médiatique toujours plus intense d’Israël sur Gaza

12 novembre 2024, par Agence Média Palestine — , , ,
La liberté d'informer et d'être informé·es continue d'être bafouée par Israël à Gaza, en Palestine et au sud Liban. Point sur la situation des journalistes à Gaza, à un an et (…)

La liberté d'informer et d'être informé·es continue d'être bafouée par Israël à Gaza, en Palestine et au sud Liban. Point sur la situation des journalistes à Gaza, à un an et un mois du début de l'offensive génocidaire d'Israël.

Tiré d'Agence médias Palestine.

CHIFFRES CLÉS à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :

174 journalistes assassiné·es par Israël

360 journalistes blessé·es

134 journalistes détenu·es

88 locaux de médias détruits

Le 2 novembre 2024, à l'occasion de la journée internationale pour la fin de l'impunité des crimes commis à l'encontre des journalistes, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres déclarait dans un communiqué que les journalistes à Gaza étaient tués « dans une proportion jamais observée dans aucun conflit des temps modernes », ajoutant que l'interdiction actuelle empêchant les journalistes internationaux de se rendre à Gaza « étouffe encore plus la vérité ».

La directrice générale de l'UNESCO, Audrey Azoulay, déclarait pour sa part que 900 journalistes ont été tués dans le monde depuis 2013, soit une moyenne de 82 journalistes par an : cela représente moins de la moitié du nombre de journalistes palestinien·nes tués depuis un an par Israël à Gaza.

Interrogée par l'Agence Média Palestine, la porte parole du Syndicat des journalistes palestinien·nes nous confirme que 174 journalistes ont été assassiné·es par Israël depuis le 7 octobre 2024, et que 134 autres sont actuellement emprisonné·es. Dans cette guerre génocidaire d'Israël à l'encontre des Palestinien·nes, la presse est délibérément étouffée.

Cheikh Niang, président du Comité des Nations unies sur les droits inaliénables du peuple palestinien, confirmait que « l'accès à l'information a été sévèrement entravé. Des journalistes ont été tués, des salles de rédaction détruites, la presse étrangère bloquée et les communications coupées. Les forces israéliennes, en tant que puissance occupante, ont systématiquement démantelé l'infrastructure des médias palestiniens, réduisant les voix au silence par des restrictions, des menaces, des assassinats ciblés et la censure. »

Déferlement de violence dans le siège du nord de Gaza

Depuis le début du mois d'octobre 2024 et le siège brutal imposé au nord de Gaza, la presse est entravée par tous les moyens. Quand les journalistes ne sont pas directement ciblé·es, tué·es, blessé·es ou emprisoné·es, elles et ils sont empêché·es de faire leur métier en raison des interdictions de circulation, des coupures des réseaux de communication, d'électricité, des pénuries de carburant qui les empêchent de se déplacer.

La plupart des journalistes ont quitté le nord et sont contraint·es de couvrir l'actualité depuis la ville de Gaza, au sud de la ligne de démarcation tracée par Israël. Comme l'expliquait Imen Habib, coordinatrice de l'Agence Média Palestine dans une interview avec le média en ligne Regards, l'horreur de la situation à Gaza est sous-documentée du fait des attaques répétées et délibérées d'Israël à l'encontre des médias.

“J'ai peur dès que je commence à filmer”, à confié sous anonymat un journaliste piégé au nord de la bande de Gaza, interrogé par Reporter Sans Frontières (RSF).

Dans la bande de Gaza, la présence de journalistes étrangers est interdite par Israël, sauf si ces derniers sont « embarqués » aux côtés de l'armée israélienne. Armée qui contrôle par la suite chaque image et chaque son et qui donne, ou pas, l'autorisation de diffusion. Ainsi depuis plus d'un an, seuls les journalistes palestinien·nes qui étaient présent·es lors du déclenchement du génocide, et qui sont bloqué·es sur le territoire, peuvent documenter ce qu'il s'y passe. Elles et ils sont présent·es sur la quasi-totalité de l'enclave pour témoigner du drame qui s'y déroule et qui a fait plus de 43 000 mort·es et plus de 100 000 blessé·es depuis le 7 octobre 2023.

Pour Israël, un accès aux journalistes internationaux sur le territoire « met en péril les forces en action sur le terrain et la sécurité des soldats », en dévoilant par exemple leur localisation. C'est donc un black-out médiatique international.

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Gaza, jour 399 : « Ils veulent détruire le nord »

12 novembre 2024, par Agence Média Palestine — , , , ,
Israël poursuit sa guerre génocidaire à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Point sur la situation cette semaine à Gaza, alors que l'armée israélienne a déclaré qu'elle ne (…)

Israël poursuit sa guerre génocidaire à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Point sur la situation cette semaine à Gaza, alors que l'armée israélienne a déclaré qu'elle ne permettrait pas aux Palestinien·nes déplacé·es du nord de Gaza de retourner chez elles et eux.

Tiré d'Agence médias Palestine.

CHIFFRES CLÉS à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :
43 204 morts
101 641 blessés
1,9 millions déplacés

La violente offensive israélienne sur le nord de Gaza, qui dure depuis plus d'un mois, se poursuit, malgré de nombreux appels de la communauté internationale qui ont qualifié la situation d'« apocalyptique ». Outre ce siège brutal, l'armée israélienne poursuit sa guerre génocidaire sur l'ensemble de la bande de Gaza. Al Jazeera rapporte que depuis ce matin, Israël a tué plus de 17 Palestinien·nes, dont 13 dans le nord de Gaza, 4 à Gaza et 2 dans le camp de réfugié·es de Nuseirat.

Le siège du nord de Gaza

Le 4 novembre, les Nations unies et leurs partenaires estimaient qu'environ 100 000 personnes avaient été déplacées en quatre semaines depuis le nord vers la ville de Gaza, et qu'il restait entre 75 000 et 95 000 personnes dans la zone assiégée. La défense civile palestinienne (PCD) estime qu'au moins 1 300 Palestinien·nes ont été assassiné·e au cours de cette offensive.

En outre, l'OCHA rapporte que de nombreux·ses civil·es ont été tué·es alors qu'ile et elles tentaient d'évacuer le nord d'An Nuseirat, à Deir al Balah, vers le sud, dans un contexte d'intensification des hostilités, y compris des frappes aériennes et des bombardements.

Décrivant la situation au nord de Gaza comme « apocalyptique », les directeurs de 15 organisations et consortiums humanitaires et des Nations Unies ont renouvelé leur appel à toutes les parties qui se battent à Gaza pour protéger les civils, ont demandé à l'État d'Israël de « cesser son assaut sur Gaza et sur les humanitaires qui tentent de l'aider ». Constatant que l'aide de base et les fournitures vitales ont été refusées alors que les bombardements et autres attaques se poursuivent, les chefs d'État et de gouvernement ont souligné que « le mépris flagrant de l'humanité fondamentale et des lois de la guerre doit cesser », que les attaques contre les civils et les infrastructures civiles restantes doivent cesser, que l'aide humanitaire doit être facilitée et que les biens commerciaux doivent être autorisés à entrer dans la bande de Gaza.

Les réfugié·es du nord affluent dans la ville de Gaza

Les civil·es qui se résignent à quitter le nord de Gaza arrivent dans la ville de Gaza et s'installent dans des camps de réfugiés nouvellement créés. Ces camps débordent cependant déjà, et il n'y a plus de tentes pour les nouveaux·lles arrivant·es.

« Plus de 350 familles sont arrivées du nord et il n'y a pas assez de tentes pour les accueillir. » explique Muhammad Saada, directeur adjoint du centre de déplacement. Le camp a été établi par plusieurs initiatives caritatives mais n'est pas suffisamment approvisionné, et devient rapidement invivable alors que des familles cherchant un abri continuent d'affluer.

Les réfugié·es du nord de Gaza décrivent les scènes d'horreur qu'ils et elles ont vécu, et de nombreux témoignages dénoncent des traitements inhumains de la part de l'armée israélienne sur les routes pourtant désignées par celle-ci comme « sûres » pour évacuer.

« Une femme atteinte d'un cancer se tenait sur le bord de la route, accompagnée de quatre enfants », raconte Jinan Suleiman, 18 an, qui vient d'arriver dans la ville de Gaza. « Elle en portait deux dans ses bras, et les deux autres étaient à terre, pleurant et criant de faim. Elle demandait de l'aide à tous ceux qui passaient près d'elle. Elle criait et disait : ‘J'ai un cancer, je ne peux pas porter mes enfants et mes sacs'. Elle voulait que quelqu'un·e prenne ses enfants, qui étaient couché·es sur le sol, mais moi, comme tous les autres, je suis passée à côté d'elle et je n'ai pas pu l'aider. (…) Les soldats nous guettaient, elles et ils tiraient sous nos pieds et nous empêchaient d'aider les autres ou de nous arrêter pour quelque raison que ce soit. »

« Sur le chemin, les blessé·es marchaient ensemble et saignaient ; ils tombaient au milieu de la route et personne ne les aidait », raconte une autre réfugiée. « Il y avait des enfants qui avaient perdu leur famille et d'autres qui s'étaient débarrassés de leur sac pour pouvoir continuer à marcher et survivre. L'armée nous a délibérément fait marcher sur une route accidentée afin de nous épuiser et de nous tuer en chemin ».

Les craintes de saisies de terres se concrétisent

Mardi 5 novembre, un porte-parole de l'armée israélienne, Yitzhak Cohen, a déclaré lors d'un point de presse que l'armée était sur le point de procéder à l'« évacuation » complète de la population du nord de Gaza, et a affirmé que les résidents palestiniens du nord ne seront pas autorisés à retourner chez eux. Cette déclaration marque la première admission officielle par Israël de son intention d'expulser définitivement les Palestiniens du nord de la bande de Gaza.

La semaine dernière, l'armée israélienne avait pourtant déclaré qu'elle avait mis fin à la plupart de ses « opérations » dans le nord de Gaza et qu'elle mettrait bientôt fin à son offensive dans cette région. La dernière annonce de Yitzhak Cohen vient donc renforcer les craintes qu'Israël ambitionne de se saisir des terres du nord de Gaza en appliquant le « Plan des Généraux », une proposition d'un groupe de généraux israéliens de haut rang qui vise à vider Gaza de sa population par une campagne systématique de famine, de massacres et de déplacements forcés.

« Ils veulent détruire le nord », explique Umm Omar Salman, une enseignante qui a fui sa maison pour se réfugier à Gaza. « Surtout la zone frontalière, Beit Lahia. C'est de là que nous venons. Nous avons tenu bon jusqu'au dernier moment, lorsque nous avons découvert des dizaines de chars entourant les abris de l'école. Les soldats nous ont fait sortir de force. »

Gaza invivable

Dans un rapport, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) alerte des dangers que constitue l'environnement même de Gaza suite aux bombardements continus d'Israël depuis plus d'un an. La dernière analyse du Centre satellitaire de l'ONU (UNOSAT), réalisée au début du mois de septembre, a montré que plus de 65 % de toutes les structures de Gaza avaient été soit endommagées, soit détruites.

Des milliers de civil·es continuent d'être contraint·es de se déplacer à plusieurs reprises, de survivre au milieu des décombres et de s'abriter dans des endroits peu sûrs, y compris dans des bâtiments endommagés ou détruits. Outre les risques liés aux bombardements israéliens incessants, à la famine et aux épidémies, les Palestinien·nes évoluent dans des zones dangereuses et instables, où de nombreux restes explosifs sont enfouis dans les sols et les décombres.

Le service d'action contre les mines de l'ONU (UNMAS) rappelle que la contamination par les restes explosifs de guerre est susceptible de se produire à la fois en surface et sous la surface, impliquant non seulement des munitions de service terrestres (projectiles, mortiers, roquettes, missiles, grenades et mines terrestres), mais aussi des bombes profondément enfouies. L'UNMAS alerte aussi que les difficulté d'accès ne permettent pas à leurs équipes d'évaluer pleinement l'étendue des risques et de les prévenir.

Le PNUD alerte aussi que l'amiante hautement cancérigène libérée dans l'air en raison de la destruction généralisée des infrastructures, ainsi que d'autres contaminants, continueront d'affecter les communautés de Gaza pendant longtemps.

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Palestine. Des multinationales contre le droit international

12 novembre 2024, par Daniel Brown, Emma Tatham — , , , ,
En ignorant les cadres juridiques contraignants, les entreprises impliquées à Gaza et dans les colonies israéliennes en Cisjordanie ne sont pas seulement complices de (…)

En ignorant les cadres juridiques contraignants, les entreprises impliquées à Gaza et dans les colonies israéliennes en Cisjordanie ne sont pas seulement complices de violations des droits humains. Elles soutiennent activement les mécanismes qui rendent ces exactions possibles.

Tiré d'Orient XXI.

Dans les collines bibliques du sud-ouest de Naplouse, par-delà les monts qui ondulent au travers de la Cisjordanie occupée par Israël, des hôtes Airbnb proposent d'apaisants séjours à leurs visiteurs. La ferme écologique de Dalit Ohana, située à Yakir, dispose d'un atelier de céramique situé à quelques pas d'une piscine chauffée. Mais sous le vernis tranquille, cette colonie de 2 600 personnes cache une réalité plus sombre faite de violations du droit international et des droits humains.

Selon la Cour internationale de justice (CIJ), des multinationales comme Airbnb, Caterpillar, et des institutions financières européennes telles que BNP Paribas et HSBC sont activement complices dans le soutien apporté par Israël à l'implantation illégale de colonies dans les territoires palestiniens occupés (TPO). Des entreprises comme Volvo et Hyundai jouent aussi un rôle non négligeable dans la perpétuation de ces violations en fournissant les engins utilisés pour déplacer des communautés et des familles entières. En plus de bafouer le droit international et de contribuer directement à la violation systémique des droits des Palestiniens, ces entreprises ne respectent pas non plus la législation sur les droits sociaux, économiques et du travail (voir encadré).

Airbnb, la petite maison dans la colonie

Retour à Yakir. C'est dans cette colonie située à une heure de route de Tel-Aviv que Dalit Ohana, hôtesse Airbnb, propose sa maison par l'intermédiaire de la plateforme de l'entreprise. Son annonce invite à profiter d'une escapade tranquille, d'une « unité écologique verte » au milieu de la nature et d'un « chariot à café ». Le rôle d'intermédiaire joué par Airbnb dans cette colonie vieille de 43 ans peut sembler anodin à première vue. Mais en proposant des maisons dans des colonies israéliennes illégales, l'entreprise états-unienne contribue à normaliser une occupation condamnée par la communauté internationale depuis des décennies. Car Yakir a été établie sur des terres confisquées au village palestinien voisin de Deir Istiya.

Selon l'Institut de recherche appliquée de Jérusalem (ARIJ), 659 dunams (environ 65 hectares) des terres de Deir Istiya ont été confisqués pour construire la colonie. Au fil des ans, Yakir s'est agrandie pour faire face à une population croissante. Son développement a nécessité la confiscation de nouvelles terres. Le 5 juin 2024, les colons de Yakir ont détruit au bulldozer des terres palestiniennes près de la ville de Salfit pour créer une zone tampon complètement fermée, ce que confirme le militant palestinien anti-colonisation Nazmi Al-Salman, le but étant d'isoler davantage les communautés palestiniennes de leurs terres agricoles.

L'expansion de la colonie fait en effet partie de la politique d'Israël d'occupation en Cisjordanie occupée. En mars 2024, Israël a procédé à la plus importante saisie de terres depuis les accords d'Oslo de 1993, soit 800 hectares de terres près de la frontière entre la Cisjordanie et la Jordanie, qui font partie des 1 500 hectares de terres saisies depuis le début de l'année, un record pour les 30 dernières années.

Cette réalité brutale contraste fortement avec le ton apaisé des annonces d'Airbnb à Yakir. Des offres similaires sont publiées pour des habitations situées dans d'autres colonies illégales, comme Givat Harel (« dans une belle région entre vignes et champs, notre maison est située dans un endroit calme avec une vue à couper le souffle »), Giv'at Janoah (« depuis la fenêtre de la maison [profitez] d'un contact direct avec la nature »), Ariel (« un appartement moderne et spacieux »), Shilo (« un jacuzzi écologique et une douche bienfaisante ») et Kdumim (« l'île de la tranquillité », appartement de vacances) pour n'en citer que quelques-unes. En 2018, sous la pression des groupes de défense des droits humains, Airbnb s'est engagé à supprimer les annonces dans ces colonies, avant de revenir sur sa décision en 2019.

Lors de nos échanges en ligne avec Dalit, l'hôtesse de la colonie de Yakir a défendu avec ferveur le droit d'Israël à cette terre, formulée dans une rhétorique religieuse et messianique. Elle a rejeté les accusations concernant les violences commises à l'encontre des civils palestiniens, et présenté l'occupation comme un droit divin, argument idéologique qui revient souvent pour justifier ces colonies illégales. « Vous faites partie de mon peuple, nous sommes ensemble avec Israël, et je prie chaque jour pour que le Messie vienne et que nous recevions tous la grande lumière de Dieu ! », a-t-elle écrit.

Contacté sur la signification de tels messages, Airbnb a répondu de la manière suivante :

  • Le respect des politiques et des normes qui protègent notre communauté est très important pour nous. Nous avons examiné attentivement votre cas, et nous vous remercions de nous avoir informés des actions de l'hôte. Notre examen est maintenant terminé et nous ne sommes pas en mesure de vous offrir une aide supplémentaire pour le moment. Nous comprenons que ce n'est peut-être pas ce que vous espériez.

Cet échange atteste de l'incapacité d'Airbnb de répondre à de tels griefs. Booking.com (1), un autre site de réservation d'hébergement dans l'industrie du tourisme, fait lui aussi l'objet d'une campagne judiciaire actuellement pour son rôle dans la normalisation des colonies illégales. En mai 2024, des groupes de défense des droits humains aux Pays-Bas ont engagé une procédure pénale contre la plateforme (2). Ils accusent la société néerlandaise de blanchiment d'argent provenant de ses activités commerciales en Cisjordanie. La plainte a été déposée par le Centre européen d'aide juridique (ELSC), aux côtés d'une coalition menée par l'ONG palestinienne Al Haq et les deux organisations néerlandaises Centre for Research on Multinational Corporations (Somo) et The Rights Forum. Tous allèguent que Booking.com a blanchi de l'argent lié aux crimes de guerre, et tiré profit de ses violations des droits humains. Le site a nié leurs allégations, déclarant qu'aucune loi n'interdisait d'intervenir dans les colonies israéliennes, et que plusieurs lois prohibaient même le désinvestissement dans la région.

Les banques, moteur économique des colonies de peuplement

Le commerce des armes entre Israël et l'Europe est peut-être la forme la plus visible de l'implication des multinationales dans l'occupation. Des entreprises comme Elbit Systems, Israel Aerospace Industries et Rafael Advanced Defense Systems fournissent les armes et les technologies qui permettent à Israël d'exercer son contrôle militaire sur les TPO.

Mais ces entreprises d'armement n'opèrent pas de manière isolée. Les institutions financières européennes sont largement impliquées dans le financement et la facilitation du commerce des armes, fournissant les capitaux nécessaires à Israël pour maintenir sa domination militaire. Un rapport publié en 2024 par Pax for Peace (3) révèle que les banques européennes, les fonds de pension et d'autres institutions financières continuent d'investir massivement dans l'industrie israélienne de l'armement. À eux seuls, les 20 principaux créanciers européens ont accordé plus de 36,1 milliards d'euros de prêts et de garanties à ces entreprises. Le soutien financier de banques européennes telles que BNP Paribas, HSBC et la Société Générale est devenu crucial pour que l'armée israélienne reste approvisionnée et opérationnelle. Leur soutien facilite également la protection militaire qu'Israël offre à son entreprise de colonisation. À ce jour, ils ont aidé 700 000 colons à vivre dans les 279 colonies établies en Cisjordanie et à Jérusalem.

Sans le soutien financier des banques européennes, les colonies israéliennes ne pourraient pas survivre. Un rapport publié en décembre 2023 par la coalition Don't Buy Into Occupation (DBIO) révèle que plus de 700 institutions financières européennes ont investi dans des entreprises impliquées dans des activités illégales de colonisation. Ces banques détiennent des actions et des obligations d'une valeur de 115 milliards de dollars (106 milliards d'euros) dans 50 entreprises qui sont directement complices de la construction, de la surveillance et de la viabilité économique de ces colonies. Les institutions et les entreprises financières européennes sont donc des acteurs clés dans les secteurs de la construction, de l'agriculture et de la technologie qui soutiennent les colonies. Des chiffres récents révèlent que plus de 171 milliards de dollars (158 milliards d'euros) de prêts et de garanties ont été accordés par des institutions financières européennes à des entreprises impliquées dans des activités illégales de colonisation. Sans ce soutien financier, l'infrastructure et la viabilité économique des colonies israéliennes seraient durement affaiblies, depuis les projets de logement jusqu'aux opérations de surveillance qui contrôlent les déplacements des Palestiniens.

Au-delà des violations évidentes du droit humanitaire commises par les entreprises mentionnées ci-dessus, ces sociétés violent également les droits sociaux et du travail protégés par l'Organisation internationale du travail (OIT). Les travailleurs palestiniens des colonies sont confrontés à des conditions difficiles, à des disparités salariales et à des restrictions en matière de syndicalisation, ce qui constitue une violation des conventions de l'OIT sur les pratiques de travail équitables. Les entreprises européennes qui soutiennent ces colonies pourraient subir de nouvelles pressions, car l'OIT a déposé une plainte le 27 septembre 2024 contre les autorités israéliennes pour « violations flagrantes de la convention de l'OIT sur la protection des salaires ». Les abus documentés (4) vont des salaires impayés aux prestations refusées à plus de 200 000 travailleurs palestiniens à Gaza et en Cisjordanie.

Les entreprises ignorent également le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) qui garantit le droit à un niveau de vie suffisant, y compris le logement et le droit au travail. Elles méconnaissent les lignes directrices de l'OCDE sur les principes de conduite responsable, y compris la gestion responsable de la chaîne d'approvisionnement. Enfin, elles bafouent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui garantit le droit à la liberté de circulation, assure le droit à la liberté et protège les individus contre les intrusions arbitraires dans leur foyer.

Les limites de l'impunité

Toutefois, alors que de nombreuses entreprises européennes restent profondément investies dans l'occupation israélienne, des signes de changement se font jour. En juin 2024, le fonds de pension norvégien KLP a désinvesti 728 millions de couronnes norvégiennes (64 millions d'euros) de Caterpillar. Dans un communiqué, il pointe du doigt l'implication de l'entreprise dans « la démolition des maisons et des infrastructures palestiniennes » en Cisjordanie et à Gaza.

Cette décision crée un précédent important que d'autres institutions financières pourront suivre. Elle démontre que le désinvestissement peut être un outil puissant pour responsabiliser les entreprises. Parallèlement, une initiative du groupe Starbucks Workers United, exprimant sa solidarité avec les Palestiniens, a conduit à un boycott généralisé de l'entreprise et a fait perdre à Starbucks près de 11 milliards de dollars d'actions (10 milliards d'euros) (5). De manière plus anecdotique, l'entreprise Puma a annoncé mettre un terme à son parrainage de la Fédération israélienne de football en 2024, après plusieurs appels au boycott des consommateurs concernant les colonies illégales de Cisjordanie (6).

Face à l'escalade meurtrière de la violence israélienne dans la bande de Gaza et au Liban, la recrudescence des morts, des agressions et des violations des droits humains en Cisjordanie suscite un intérêt médiatique moindre. Toutefois, le mouvement croissant dans l'Ouest global en faveur du respect du principe de responsabilité, des boycotts de consommateurs et des campagnes de désinvestissement, offre une voie à suivre.

Le récent arrêt de la CIJ sur l'illégalité de l'occupation par Israël des TPO fournit un cadre juridique clair pour faire respecter l'obligation de rendre des comptes. Les pays et les entreprises qui continuent d'investir dans la colonisation ne se contentent pas d'ignorer les résolutions de l'ONU : ils violent aussi la quatrième convention de Genève relative à la protection des droits des civils dans les zones de conflit et les territoires occupés.

Si les multinationales et les institutions financières continuent de tirer profit de l'occupation, elles doivent se préparer à faire face à des poursuites judiciaires, à la réaction des consommateurs et à de nouvelles campagnes de désinvestissement. Il est temps que l'Europe assume la responsabilité de son rôle dans le maintien de l'occupation israélienne, et que les entreprises soient tenues responsables de leur complicité dans ces violations.

Notes

1- Tjitske Lingsma, « Booking.com profite-t-il des crimes de guerre commis en Palestine ? », JusticeInfo.net, 23 mai 2024.

2- Kit Klarenberg, « How western tourism giants illegally enrich Israeli settlements on stolen land », The Cradle, 12 juin 2024.

3- « The companies arming Israel and their financiers », Pax for Peace, juin 2024.

4- « Rapport à la 112e session : La situation des travailleurs des territoires arabes occupés », Organisation internationale du travail (OIT), 21 mai 2024.

5- « USA : Starbucks loses $11 billion in market value amid ongoing boycott calls after lawsuit against union over tweet expressing solidarity with Palestine », Business and human rights resource centre, 7 décembre 2023.

6- « Palestine/Israel : PUMA announces end of sponsorship of Israel Football Association after years of boycott pressure over complicity in illegal settlements in Palestine », Business and human rights resource centre, 12 décembre 2023.

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Lettre du Commissaire général de l’UNRWA Philippe Lazzarini au Président de l’Assemblée générale des Nations Unies M. Philémon Yang

Je pense que l'UNRWA s'est acquitté de son mandat en dépassant de loin tout ce que l'on peut demander à une entité ou à un membre du personnel des Nations unies. Les habitants (…)

Je pense que l'UNRWA s'est acquitté de son mandat en dépassant de loin tout ce que l'on peut demander à une entité ou à un membre du personnel des Nations unies. Les habitants de Gaza disent que l'UNRWA est le seul pilier de leur vie encore debout. L'UNRWA a contribué à assurer la survie de Gaza jusqu'à présent, entretenant l'espoir d'une solution politique. Mon personnel a donné bien plus que ce que nous sommes en droit de lui demander.

Tiré de France Palestine Solidarité.

Son Excellence

Monsieur Philémon Yang

Président de l'Assemblée généraleNew York, le 29 octobre 2024

Monsieur le Président

Le 7 décembre 2023 et le 22 février 2024, j'ai écrit au Président de l'Assemblée générale que la capacité de l'UNRWA à mettre en œuvre son mandat était menacée. Aujourd'hui, je dois vous informer que l'Agence fait l'objet d'une telle attaque physique, politique et opérationnelle - sans précédent dans l'histoire des Nations Unies - que la mise en œuvre de son mandat pourrait devenir impossible sans une intervention décisive de l'Assemblée générale. Les conséquences pour les Palestiniens, pour Israël et pour la région seront graves.

L'adoption aujourd'hui par la Knesset de deux lois sur l'UNRWA prive en effet l'UNRWA des protections et des moyens essentiels à son fonctionnement, en interdisant aux fonctionnaires de l'État israélien tout contact avec l'UNRWA ou ses représentants, et en interdisant les opérations de l'UNRWA sur ce qui est appelé le territoire souverain de l'État d'Israël.

Cette législation intervient après une année de mépris flagrant pour la vie du personnel de l'UNRWA, ses locaux et ses opérations humanitaires à Gaza, et après d'intenses campagnes diplomatiques du gouvernement israélien visant les donateurs de l'UNRWA par la désinformation afin de saper son financement. Les autorités locales israéliennes menacent également d'expulser l'UNRWA de son siège à Jérusalem-Est occupée et de le remplacer par des colonies.

Cette évolution risque d'entraîner l'effondrement des opérations de l'UNRWA en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et à Gaza, et de compromettre gravement l'ensemble de l'opération humanitaire des Nations unies à Gaza, qui repose sur la plate-forme de l'UNRWA. En l'absence de toute alternative viable à l'Agence, ces mesures aggraveront les souffrances des Palestiniens.

Monsieur le Président,

La situation à Gaza dépasse le vocabulaire diplomatique de l'Assemblée générale. Après plus d'un an du bombardement le plus intense d'une population civile depuis la Seconde Guerre mondiale, et la restriction de l'aide humanitaire bien en deçà des besoins minimaux, la vie des Palestiniens est brisée. Plus de 43 000 personnes auraient été tuées, en majorité des femmes et des enfants. La quasi-totalité de la population est déplacée. Les écoles, les universités, les hôpitaux, les lieux de culte, les boulangeries, les réseaux d'eau, d'égouts et d'électricité, les routes et les terres agricoles ont tous été détruits. La population survivante vit dans la plus grande indignité. Dans le nord, la population est prise au piège, attendant d'être tuée par des frappes aériennes ou de mourir de faim.

Les otages pris en Israël continuent de souffrir en captivité, leurs familles étant laissées dans une terrible détresse. La violence s'intensifie en Cisjordanie, où la destruction des infrastructures publiques inflige une punition collective à la population civile. La guerre a débordé et s'est intensifiée au Liban.

Le démantèlement de l'UNRWA aura un impact catastrophique sur la réponse internationale à la crise humanitaire à Gaza. Il sabotera également toute chance de redressement. En l'absence d'une administration publique ou d'un État à part entière, aucune entité autre que l'UNRWA ne peut assurer l'éducation de 660 000 garçons et filles. Une génération entière d'enfants sera sacrifiée, avec des risques à long terme de marginalisation et d'extrémisme. En Cisjordanie, l'effondrement de l'UNRWA priverait les réfugiés palestiniens d'accès à l'éducation et aux soins de santé primaires, ce qui aggraverait considérablement une situation déjà instable.

Les ramifications politiques de l'effondrement de l'UNRWA sont désastreuses et ont des conséquences désastreuses pour la paix et la sécurité internationales. Les attaques menées contre l'Agence entraînent des modifications unilatérales des paramètres de toute solution politique future au conflit israélo-palestinien et portent atteinte au droit des Palestiniens à l'autodétermination et à leurs aspirations à une solution politique.

Ces attaques ne mettront pas fin au statut de réfugié des Palestiniens, qui existe indépendamment des services fournis par l'UNRWA, mais nuiront gravement à leur vie et à leur avenir.

Monsieur le Président,

Des allégations concernant des violations de la neutralité, telles que l'utilisation abusive de l'V par des groupes militants palestiniens, y compris le Hamas, ont été utilisées pour justifier les mesures prises à l'encontre de l'UNRWA. Le rapport indépendant d'avril 2024 sur la neutralité de l'UNRWA (le rapport Colonna) a noté l'environnement opérationnel exceptionnellement difficile de l'Office et a constaté que l'UNRWA dispose d'un cadre de neutralité plus solide que n'importe quelle organisation comparable. L'Agence continue de déployer tous les efforts possibles pour mettre en œuvre les recommandations du rapport, notamment par l'intermédiaire d'une équipe de mise en œuvre spécialisée.

Malgré ces efforts, l'UNRWA - comme les entités comparables des Nations unies - ne dispose pas de capacités policières, militaires ou de renseignement et doit compter sur les États membres pour assurer sa protection et sa neutralité, en particulier dans les zones contrôlées par des groupes militants puissants. À cette fin, depuis plus de 15 ans, l'UNRWA partage chaque année les noms de son personnel avec le gouvernement israélien. Cela inclut les noms des membres du personnel au sujet desquels le gouvernement n'avait jamais exprimé d'inquiétudes auparavant, mais qui ont été inclus dans les listes gouvernementales alléguant un militantisme armé. L'Agence prend chaque allégation très au sérieux. Elle a envoyé des demandes répétées au gouvernement - en mars, avril, mai et juillet - pour obtenir des preuves lui permettant d'agir. Aucune réponse n'a été reçue. L'UNRWA se trouve donc dans la position délicate d'être incapable de répondre à des allégations pour lesquelles il n'a pas de preuves, alors que ces allégations continuent d'être utilisées pour miner l'Agence.

À l'avenir, j'espère que le gouvernement israélien s'engagera auprès de la direction de l'UNRWA pour répondre à chaque allégation, afin qu'elle ne soit plus une préoccupation pour le gouvernement ou un obstacle pour l'UNRWA.

L'Agence fait également l'objet d'attaques physiques intenses à Gaza. Au moins 237 membres du personnel de l'UNRWA ont été tués. Plus de 200 locaux ont été endommagés ou détruits, tuant plus de 560 personnes cherchant la protection de l'ONU. Des dizaines de membres du personnel de l'UNRWA ont été arrêtés et disent avoir été torturés. L'Office a reçu des allégations concernant l'utilisation militaire de ses locaux par des groupes armés palestiniens, dont le Hamas, et par les forces israéliennes. Étant donné que toute la bande de Gaza est une zone de combat active, la plupart du temps soumise à des ordres d'évacuation, l'Office n'est pas en mesure de vérifier ces allégations. L'Agence doit rendre des comptes par le biais d'une enquête indépendante.

Monsieur le Président,

Aujourd'hui, alors même que nous regardons les visages des enfants de Gaza, dont nous savons que certains mourront demain, l'ordre international fondé sur des règles s'effondre dans une répétition des horreurs qui ont conduit à la création des Nations unies, et en violation des engagements pris pour éviter qu'elles ne se reproduisent. Les attaques contre l'UNRWA font partie intégrante de cette désintégration.

Je pense que l'UNRWA s'est acquitté de son mandat en dépassant de loin tout ce que l'on peut demander à une entité ou à un membre du personnel des Nations unies. Les habitants de Gaza disent que l'UNRWA est le seul pilier de leur vie encore debout. Mon personnel a travaillé pendant 13 mois sans relâche, en grand danger, au milieu de tragédies personnelles et de déplacements de familles. Les enseignants gèrent des abris pour des dizaines de milliers de personnes. Le personnel des soins de santé primaires effectue des opérations chirurgicales. Des chauffeurs risquent leur vie chaque jour pour sauver des gens de la famine. Les cadres prennent des décisions de vie ou de mort impossibles à prendre. L'UNRWA a contribué à assurer la survie de Gaza jusqu'à présent, entretenant l'espoir d'une solution politique. Mon personnel a donné bien plus que ce que nous sommes en droit de lui demander.

Dans ces conditions intenables, je sollicite le soutien des États membres, à la mesure de la gravité de la situation et des risques, afin de garantir la capacité de l'Agence à remplir pleinement le mandat qui lui a été confié par l'Assemblée générale (Rés. 302 (IV), 1949).Dans l'attente de votre décision urgente, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.

Sincèrement,

Philippe Lazzarini


Traduction : AFPS

Photo : L'UNRWA fournit une réponse humanitaire à 2,2 millions de personnes © UNRWA

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« Sans l’UNRWA et le droit au retour, il n’y a plus de Palestine »

Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de la ville de Gaza avec sa (…)

Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de la ville de Gaza avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, deux ans et demi, sous la pression de l'armée israélienne. Réfugié depuis à Rafah, Rami et les siens ont dû reprendre la route de leur exil interne, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Il a reçu, pour ce journal de bord, deux récompenses au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre, dans la catégorie presse écrite et prix Ouest-France. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.

Tiré d'Orient XXI.

La Knesset a adopté une loi qui interdit à L'UNRWA de travailler à Gaza en particulier, et en Palestine en général. Je peux dire que ce vote marque le passage du génocide humanitaire au génocide politique. L'objectif est d'en finir avec le Palestinien en tant qu'être humain.

Les Israéliens massacrent les Palestiniens dans le but de tous les transformer en réfugiés. La deuxième Nakba est en cours. Aujourd'hui, ils veulent nous effacer sur le plan politique et juridique. L'UNRWA, c'est le droit au retour, c'est la reconnaissance par les Nations unies de l'injustice subie par les Palestiniens en 1948, quand ils ont été massacrés et expulsés de leurs villes natales — à Haïfa, à Jaffa, dans le nord de la Palestine — vers le Liban, la Jordanie, la Syrie, la Cisjordanie et vers Gaza aussi.

L'UNRWA est la seule agence de l'ONU créée spécialement pour les Palestiniens, et pour eux seuls. Les Israéliens sont en train de faire la guerre à cette institution parce qu'ils savent très bien ce qu'elle signifie politiquement. C'est le volet politique du génocide. Ils veulent effacer toute trace du crime et de l'injustice, minimiser la question palestinienne pour en faire un problème uniquement humanitaire. Ils parlent de remplacer l'UNRWA par un autre organisme, qui serait plus complaisant.

L'UNRWA incarne la reconnaissance politique du droit au retour. Avant la guerre, elle assistait à Gaza 1,7 million de personnes, les réfugiés et leurs descendants, qui constituent 75 % de la population de Gaza. Aujourd'hui, elle porte secours à la totalité des Gazaouis. Nous sommes tous des réfugiés. L'UNRWA, c'est l'éducation, les écoles, des services de santé, des cliniques, des services d'embauche. Elle emploie environ 13 000 personnes à Gaza. L'UNRWA c'est l'eau, c'est la nourriture, les infrastructures, la propreté, le nettoyage, c'est tout. C'est la vie pour les Palestiniens, et surtout ceux qui ont un statut de réfugié.

Ils font la guerre au droit depuis longtemps

Les Israéliens ne commettent pas seulement des massacres, ils détruisent aussi l'histoire des Palestiniens de Gaza. Ils ont bombardé et rasé à l'explosif les musées, les sites archéologiques, les universités. Même l'ancien hammam, vieux de plus de mille ans. Ils ne veulent plus aucune trace historique du lien entre cette terre et les Palestiniens. Maintenant, ils veulent effacer leur existence politique. L'UNRWA, c'est le symbole de la présence politique des Palestiniens, et l'affirmation que l'occupant est en train de tout voler, non seulement la terre, mais notre patrimoine, notre histoire, notre culture, et jusqu'à notre art de la broderie et notre gastronomie, en présentant les falafels ou le houmous comme des « plats israéliens ».

Nétanyahou et son gouvernement d'extrême droite savent très bien ce que le droit veut dire, et ils lui font la guerre depuis longtemps. Plusieurs fois, ils ont essayé de mettre fin à l'UNRWA, en vain jusque-là. Cette fois, ils ont voté une loi, à la quasi-unanimité.

Mais pas seulement. Ils sont en train de préparer une autre loi pour interdire les représentations diplomatiques installées à Jérusalem. On sait bien que ces délégations, officiellement nommées « consulats » font depuis 1948 fonction d'ambassades auprès des Palestiniens, même pour les pays qui ne reconnaissent pas officiellement l'État de Palestine. Si je veux obtenir un visa pour la France, je dois passer par le consulat de Jérusalem, pas par l'ambassade de Tel-Aviv. Les ambassades en Israël se trouvent toutes à Tel-Aviv, car Jérusalem n'est pas reconnue par la communauté internationale comme capitale de l'État d'Israël. À l'exception notable des États-Unis, Trump ayant déplacé son ambassade à Jérusalem.

Mais les Israéliens ont commencé un travail de sape contre ces délégations, et contre les liens diplomatiques avec la Palestine en général. Le consulat espagnol s'est vu interdire tout service aux Palestiniens depuis la reconnaissance de l'État palestinien par Madrid. La Norvège ayant fait de même, et n'ayant pas de consulat à Jérusalem, Israël a retiré leur statut diplomatique aux huit diplomates de son ambassade de Tel-Aviv chargés des relations avec les Palestiniens. Et désormais, il ne sera plus possible de créer un nouveau consulat à Jérusalem, loi adoptée le 30 octobre 2024 par la Knesset.

Ce sentiment de ne pas être humain

Toujours l'arme de la punition collective. On punit l'UNRWA parce qu'on prétend que 12 de ses employés ont participé au 7 octobre, accusations par ailleurs non prouvées par Israël. Douze personnes sur treize mille employés. On est en train de chercher n'importe quel prétexte pour éliminer jusqu'au mot « droit ». Pour mettre en œuvre le génocide politique des Palestiniens. Le génocide humanitaire est toujours en cours. Tout le monde le voit, tout le monde voit ces massacres, ces « israéleries », ces boucheries. Et personne ne réagit. On n'ose même pas utiliser le mot « génocide ». Alors qu'en ex-Yougoslavie et en Birmanie, l'ONU a reconnu des génocides. Mais en Palestine, on ne parle pas de génocide parce que les auteurs sont les Israéliens. Pourquoi la communauté internationale bougerait-elle, alors qu'elle ne dit pas un mot devant les images d'enfants décapités, déchiquetés, ensevelis sous les ruines de leurs maisons frappées par des bombes de deux tonnes ? Ce qui se passe aujourd'hui à Jabaliya, au nord de la bande de Gaza, c'est l'équivalent du siège de Massada pour les juifs. Ce blocus imposé aux Juifs par des Romains, c'est exactement ce que les Israéliens sont en train de faire au Nord. Jabaliya, c'est le Massada des Palestiniens. Un siège hermétique. Plus de nourriture, même pas un verre d'eau. Pas de soins, pas de secouristes. Rien du tout.

C'est la non-vie. Des familles entières sont massacrées dans le bombardement de leur immeuble. Vingt personnes, trente personnes. Ceux qui ne meurent pas sous les bombes meurent de faim. Je n'arrive pas à supporter cette oppression, cette humiliation. Nous sommes exterminés par une machine de guerre sans pitié. Et ce sentiment que tout le monde nous regarde, et que personne ne bouge… Ce sentiment de ne pas être humain. Pourquoi subissons-nous tout cela sous les yeux de ce monde qui prétend représenter la démocratie, la liberté, les droits humains ? Ce monde qui n'a que ces mots à la bouche, les droits de l'homme, les droits des femmes, les droits des enfants et même les droits des animaux.

Ce sentiment qu'on ne vaut pas grand-chose, qu'on est cheap, comme disent les Anglais. Qu'on mérite seulement de mourir sous les yeux du monde. Pourtant le monde est devenu tout petit. Avec les réseaux sociaux, où avec tout ce qui se passe est partagé 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, rien ne peut être caché. Tout le monde peut voir un petit garçon dire adieu à son père. Un père porter son enfant sans tête, ou dans un sac, parce qu'il n'a trouvé que des restes éparpillés.

C'est pour cela que je crois que les Israéliens vont réussir ce génocide politique en même temps que le génocide humanitaire. Interdire la seule organisation internationale qui incarne le droit au retour, personne n'est dupe : cela veut dire l'extinction du droit au retour. Ainsi il n'y aura plus aucune relation entre les Palestiniens et leur territoire, plus de relation entre les Palestiniens et la Palestine. Il n'y aura rien qui s'appelle la Palestine.

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Comptes rendus de lecture du mardi 12 novembre 2024

11 novembre 2024, par Bruno Marquis — , ,
Rue Duplessis Jean-Philippe Pleau Ce roman a davantage l'allure d'une courte biographie ou d'un essai que d'un roman. L'auteur y décrit son passage de la classe sociale de (…)

Rue Duplessis
Jean-Philippe Pleau

Ce roman a davantage l'allure d'une courte biographie ou d'un essai que d'un roman. L'auteur y décrit son passage de la classe sociale de ses parents – son père étant pratiquement analphabète et sa mère peu scolarisée – à une classe sociale supérieure après des études en sociologie. Ces récits de transfuge de classe sont devenus récurrents en littérature depuis quelques années, mis en valeur en particulier par les romans autobiographiques d'Annie Ernaux, récipiendaire, il y a deux ans, du Prix Nobel de littérature. Je ne peux m'empêcher de trouver très durs, ici encore, les propos rendus publics d'un auteur sur l'état d'aliénation de ses parents. Les tentatives d'en transférer en partie le poids sur l'inégalité des chances dans nos sociétés n'y changent rien. Je ne peux quand même éprouver que des regrets et de l'empathie pour les parents et la famille de l'auteur dont les travers ont été ainsi mis à nu par ce bouquin vite devenu fort populaire.

Extrait :

Je me souviens que quand je demandais à mes parents d'où ils tenaient cette information sur les restos chinois, ils répondaient toujours : « C'est ce qu'ils disent ». Ce fameux « ils », instrument de légitimation de leur discours et de leurs petites aliénations.

L'économie esthétique
Alain Deneault

Ce troisième feuilleton théorique d'Alain Deneault sur l'économie, qui porte sur l'économie esthétique, traite de la réorientation du terme à des fins exclusivement mercantiles, à l'aide de nombreuses métaphores et récupérations artistiques, en vue de détourner les consciences des effets pervers et destructeurs du capitalisme. C'est une œuvre éclairante, mais plutôt théorique.

Extrait :

L'économie n'a pas tant de référent propre qu'elle se révèle elle-même le nom d'une puissance de créer et d'imager à l'œuvre dans l'expression. C'est pourquoi la rhétorique s'en remet à elle pour traiter d'« économie du discours », la littérature et le cinéma d'« économie du récit » et les arts en général d'« économie d'une œuvre ». L'économie tient ici à nouveau d'un principe d'organisation : dans tout exercice rhétorique ou littéraire, un propos s'expose avec précision et justesse, le choix des éléments ainsi que leur orchestration se faisant avec mesure et parcimonie pour ménager les efforts d'un lecteur, tout en provoquant chez lui un effet esthétique. Par une figure de style telle que l'ellipse, on réunit en un minimum de moyens l'essentiel d'une intrigue pour épargner tout développement superflu et servir une unité d'action. Mais d'autres recours, comme la métaphore dans sa puissance d'imagerie, et le récit lui-même dans sa fonction allégorique, ne font pas que fournir à l'esprit des propositions obéissant à la loi du moindre effort ; ils créent des sèmes, des figures, de la signification et du sens là où la lexis et l'entendement faillissent. Ils sont en cela productifs.

Le feu
Henri Barbusse

Mon grand-père Marquis a participé à la Première Guerre mondiale et en est revenu blessé d'un éclat d'obus dans la jambe. Il n'a jamais voulu en parler. Il suffit de lire ce roman, carnets de guerre écrits par un soldat de l'époque, pour facilement comprendre pourquoi. L'auteur nous y décrit, dans les mots des poilus, comme on les appelait, en argot bien souvent, toute l'horreur et l'absurdité de cette longue guerre dans les tranchées, avec tous ses cadavres, sa saleté et sa misère, au contact quotidien de la souffrance et de la mort des proches. Ce roman se méritera en 1916 le prix Goncourt. Un des meilleurs romans, certainement, sur cette terrible guerre trop vite oubliée.

Extrait :

Quand on apprend ou qu'on voit la mort d'un de ceux qui faisait la guerre à côté de vous et qui vivaient exactement de la même vie, on reçoit un choc direct dans la chair avant même de comprendre. C'est vraiment presque un peu son propre anéantissement qu'on apprend tout d'un coup.

La force de l'âge
Simone de Beauvoir

Comme je l'ai déjà mentionné, il émane des recueils autobiographiques de Simone de Beauvoir une telle atmosphère de liberté et d'accomplissement qu'on ne peut prendre que beaucoup de plaisir à les lire. Le second, « La force de l'âge », couvre les années décisives de Simone de Beauvoir, de sa rencontre avec Jean-Paul Sartre à l'accomplissement de sa vocation d'écrivaine. Ce sont dix ans passés à écrire, à voyager, à nouer des amitiés et à se passionner pour des idées nouvelles. Un superbe deuxième recueil qui se termine en 1939, lorsque éclate la guerre.

Extrait :

Avec Nizan, on ne discutait jamais ; les sujets sérieux, il ne les abordait pas de front ; il racontait des anecdotes choisies dont il évitait avec soin de tirer les conclusions ; il proférait en se rongeant les ongles des prophéties et des menaces sibyllines. Nos divergences étaient donc passées sous silence. D'autre part, comme beaucoup d'intellectuels communistes de cette époque, Nizan était un révolté plutôt qu'un révolutionnaire, aussi y avait-il entre lui et nous un tas de complicités : certaines reposaient d'ailleurs sur des malentendus que nous laissions dans l'ombre.

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Les causes amères d’une défaite annoncée

11 novembre 2024, par Michel Seymour — ,
Pour les Démocrates qui se réfugient dans le déni, il faudra chercher absolument les causes de la défaite dans les problèmes internes des États-Unis et non dans la folie (…)

Pour les Démocrates qui se réfugient dans le déni, il faudra chercher absolument les causes de la défaite dans les problèmes internes des États-Unis et non dans la folie furieuse de l'empire américain sans cesse belligérant, car cette histoire d'une Amérique cherchant à dominer le monde avec des plans machiavéliques ne serait rien de plus qu'une autre théorie complotiste.

Géopolitique 101

Et pourtant, Joe Biden a bel et bien dit que les États-Unis étaient les seuls à pouvoir diriger le monde. Les ambitions américaines ne sont donc pas un secret bien gardé, un projet occulte ourdi par la CIA. Le complot contre Vladimir Poutine est dessiné en toutes lettres dans « Extending Russia », un document de la Rand corporation publié en 2019 que les États-Unis ont appliqué à la lettre.

Bien entendu, les citoyens américains n'ont pas eu accès à ces informations qui leur auraient permis de constater qu'en Ukraine, les dirigeants américains ont allumé la mèche, mis le feu aux poudres et jeté ensuite de l'huile sur le feu. Il en va cependant tout autrement du génocide à Gaza. Tout le monde a pu assister en direct à ce génocide via les médias sociaux. Le parti démocrate, principal responsable de ce génocide, a alors perdu l'appui de la jeunesse démocrate et celui de plusieurs citoyens musulmans qui ne savaient dès lors plus à quel saint se vouer.

D'autres causes expliquant la défaite ?

En plus de la guerre dans laquelle les Américains ont englouti des centaines de milliards de dollars, les autres irritants que sont pour certains l'inflation et l'immigration proviennent eux aussi d'une seule et même cause : l'impérialisme américain.

Considérons tout d'abord l'inflation qui affecte le portefeuille des contribuables américains. L'objectif ultime des nombreuses provocations forçant la Russie à intervenir en Ukraine était de les affaiblir économiquement. Devant cette « agression non provoquée », l'État américain avait le feu vert pour imposer des sanctions qui allaient, espérait-on, détruire l'économie du pays. Les sanctions les plus importantes imposées à la Russie furent de mettre fin partout en Europe à l'achat de leur gaz et de leur pétrole. Privées d'un approvisionnement en gaz et en pétrole russe à bon marché, les entreprises européennes firent face à des hausses dans leurs coûts de production, ce qui entraîna la hausse des prix des marchandises exportées aux États-Unis.

S'agissant de l'immigration, la doctrine Monroe a, depuis de nombreuses années, déstabilisé les États latino-américains. Cette doctrine visait à faire de l'Amérique latine leur « précarré », c'est-à-dire une zône d'influence favorisant des régimes politiques favorables à Washington. Imposant leur volonté par des interventions militaires directes, par des coups d'État (Chili), par l'appui à des groupes rebelles (les Contras au Nicaragua), mais aussi et surtout par des sanctions (Cuba, Nicaragua et Venezuela), cela ouvra la voie à des régimes dictatoriaux, à des narco-trafiquants et à la corruption. Cela finit par rendre la vie difficile à des millions de citoyens latinos, les forçant ainsi à fuir leur pays pour trouver refuge aux États-Unis.

Deux sources de méfiance

Vu sous l'angle de la politique interne des États-Unis, il fallait bien entendu se méfier du misogyne et machiste Donald Trump. Il n'y a pas d'espoir possible d'un monde meilleur empathique et compatissant pour autrui sans le respect des femmes, des LGBTQ, des Afro-américains, des Latinos et des autochtones. Et donc pas d'espoir d'un monde meilleur sans intersectionalité et ouverture éveillée à une multitude d'enjeux identitaires vécus dans leur chair par ces personnes.

Mais vu sous l'angle de la géopolitique, il fallait aussi se méfier de Kamala Harris, car elle a entériné, appuyé et financé le génocide des Gazaouïs. Elle avait du sang sur les mains et elle est directement responsable de la mort d'au moins 15 000 enfants.

La conclusion logique aurait dû être de voter pour Jill Stein et les Verts. C'était une candidate progressiste qui ne reçoit pas d'argent en provenance de l'American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). À la racine du mal qui force les Américains à choisir, il y a cette mentalité satisfaite du bipartisme dans laquelle les partisans des deux camps sont enferrés, mais il y a aussi cette incapacité chronique de la gauche progressiste à intégrer les deux dimensions essentielles de la politique américaine : ce qu'ils sont sur le plan domestique et ce qu'ils sont sur la scène internationale. Si tous les démocrates progressistes avaient davantage intégré la dimension internationale dans leur analyse, ils auraient migré du côté d'un tiers parti au lieu de devoir rester pris avec une candidature génocidaire souriante.

Une utopie réaliste

Sans la manipulation du Democratic National Committee (DNC) en faveur de Hilary Clinton en 2016 et en faveur de Joe Biden en 2020, Bernie Sanders aurait pu faire une percée. Un tiers parti serait né sous la vieille carapace du parti démocrate. Les Américains ont une tradition progressiste présente au moins en partie depuis Frank D. Roosevelt. Sanders avait un véritable vent dans les voiles, porté par des millions d'appuis issus des classes populaires.

Une majorité d'Américains étaient favorables au Medicare for all, mais aussi au cessez-le-feu ainsi qu'à l'interruption de la vente d'équipement militaire à Israël et à l'Ukraine.
Sanders et le « Squad » (un groupe restreint de Démocrates de gauche) ont échoué, mais d'autres Sanders et d'autres Squads finiront peut-être par suivre leur pas sans capituler.

Les problèmes vont perdurer aussi longtemps que les progressistes américains refuseront de s'attaquer au monstre impérialiste belligérant que sont devenus les États-Unis.

Éditorial

11 novembre 2024, par Ella Noël et Charlotte Volet
Chères lectrices, chers lecteurs, Ce numéro de Caminando est bien particulier. Il marque la fin d’un chapitre important dans l’histoire de la solidarité internationale (…)

Chères lectrices, chers lecteurs,

Ce numéro de Caminando est bien particulier. Il marque la fin d’un chapitre important dans l’histoire de la solidarité internationale québécoise, avec la fermeture du Projet Accompagnement Québec-Guatemala (PAQG), après plus de 30 ans de lutte aux côtés des défenseurs et défenseuses des droits humains au Guatemala. Née d’une volonté partagée d’appuyer les communautés confrontées à la violence, à la répression et aux injustices, cette organisation a été bien plus qu’un simple projet : elle a incarné un engagement, une mission de solidarité et de défense des droits qui s’est ancrée dans le cœur de celles et ceux qui y ont contribué.

L’histoire du PAQG est intimement liée à celle de notre revue et du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL). Depuis les années 1970, le CDHAL s’est engagé dans la défense des droits des peuples face à la répression, en réponse aux dictatures et aux conflits armés dans la région. En 1992, le PAQG voit le jour et rejoint les rangs des comités de solidarité d’Amérique latine. Le PAQG a d’abord soutenu le retour des réfugié·e·s guatémaltèques. Depuis 1998, il répond à la demande d’accompagnement international formulée par les organisations et les défenseur·e·s des droits humains qui reçoivent menaces et intimidations du fait du travail qu’ils et elles effectuent. La collaboration entre le CDHAL et le PAQG s’est manifestée au fil des décennies à travers des projets d’éducation à la citoyenneté mondiale et à travers des actions de plaidoyer, s’adaptant aux évolutions des contextes locaux et aux enjeux contemporains tels que le néocolonialisme et les violations des droits liés à l’extractivisme. 

Ensemble, nous avons contribué à créer des espaces d’échange et de sensibilisation, renforçant les liens entre les mouvements sociaux des Amériques et plaçant la solidarité internationale au cœur de nos missions. Le CDHAL et le PAQG ont collaboré et se sont alliés fréquemment sur le suivi de dossiers au Guatemala combinant leurs réseaux et savoir-faire pour mettre en lumière le travail de défenseur·e·s guatémaltèques. Partageant une base militante forte, nombreux·ses membres du PAQG ont rédigé pour la revue Caminando notamment sur leur expérience d’accompagnement international. Pour ce numéro, le CDHAL souhaite souligner l’engagement et la trajectoire du PAQG et de ses membres pour la justice au Guatemala. Au-delà du travail du PAQG, ce numéro fait rayonner le travail des défenseur·e·s guatémaltèques, qui malgré de nombreux obstacles, dont la démobilisation de la coopération internationale, continuent à demander justice. 

En effet, alors que le Guatemala traverse une période charnière, marquée par l’élection de Bernardo Arévalo et par une mobilisation sociale sans précédent, nous devons garder à l’esprit que le chemin vers une démocratie véritable reste difficile. L’élection d’un candidat issu des mouvements populaires a réveillé les espoirs de changement, mais elle a aussi été suivie d’une répression accrue de la part des élites en place, désireuses de conserver leur pouvoir. C’est un moment critique où les acquis démocratiques sont plus vulnérables que jamais, et où la solidarité internationale reste cruciale.

Ce numéro s’ouvre avec un récit fictif qui contextualise les luttes sociales et politiques des années 1940, en montrant les tensions entre les promesses démocratiques faites par le gouvernement guatémaltèque et la domination économique exercée par des multinationales étrangères. Le texte aborde les défis rencontrés par le Guatemala dans ses efforts de modernisation et de redistribution des richesses.

Les articles suivants traitent du processus de réconciliation nationale et des obstacles à la justice transitionnelle qui persistent encore aujourd’hui. Ils s’inscrivent dans une réflexion plus générale sur les entraves structurelles qui freinent la consolidation d’un véritable État de droit.

Le dossier se poursuit avec une rétrospective sur le rôle du PAQG dans l’accompagnement international et sur les impacts de sa fermeture, dans un contexte de démobilisation de la coopération internationale. Ces contributions montrent comment cet accompagnement a constitué une stratégie essentielle pour protéger et promouvoir les droits humains.

Les derniers articles abordent les dynamiques politiques actuelles, marquées par l’élection de Bernardo Arévalo et par une mobilisation sociale sans précédent. Les analyses exposent les défis d’un gouvernement qui tente de réformer un système corrompu enraciné dans l’impunité, tout en répondant aux demandes de justice des mouvements populaires.

Le numéro se poursuit avec des articles sur les luttes actuelles pour la justice au Guatemala et les efforts pour mettre fin à l’impunité. Enfin, un texte explore les dynamiques migratoires en Amérique centrale. Le numéro se clôt avec un poème qui célèbre la résilience et la solidarité des femmes.

Ce numéro, en plus d’honorer le travail du PAQG, est aussi un appel et un engagement à poursuivre l’esprit de solidarité et de résistance. Les luttes ne s’arrêtent pas, et les liens tissés continueront d’inspirer et de renforcer les mouvements sociaux au Guatemala et au-delà. Nous savons que les militant·e·s et les organisations avec lesquelles le PAQG a travaillé poursuivront ce combat pour la dignité et la justice. De notre côté, au CDHAL, nous restons déterminé·e·s à soutenir ces luttes et à maintenir cet engagement qui nous unit depuis tant d’années.

Nous remercions toutes les personnes ayant participé à la revue pour leur précieuse collaboration : auteurs·trices, poètes, illustrateurs·trices, traducteurs·trices, réviseur·e·s, membres du comité éditorial et du comité de développement, ainsi que nos partenaires financiers et de diffusion. Nous remercions également l’artiste Mateo Pablo pour l’illustration de la couverture de ce numéro.

Bonne lecture!

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Déclaration du Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine Le Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine (RESU) a dénoncé l’invasion russe de l’Ukraine dès le début et soutient pleinement le droit ukrainien à l’autodéfense. La résistance armée du peuple ukrainien est juste. Elle ne s’inscrit (…)

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Amélie David, collaboration spéciale et correspondante basée à Beyrouth Il y a cette image : ineffaçable, inoubliable. Celle qui envahit le peu d’espace mental qui vous reste, le peu de place dans votre cœur, aussi. Elle ne vous quitte plus. Elle ne vous lâche plus. Comme tatouer sur le corps, (…)

Privatiser Hydro-Québec et en faire payer le prix aux Québécois ?

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/11/scfp_pl69-1024x683.jpg10 novembre 2024, par Comité de Montreal
Juste avant d'annoncer sa démission en septembre, le super-ministre Pierre Fitzgibbon avait déposé à l'assemblée nationale le projet de loi 69 sur l'énergie. En plus de (…)

Juste avant d'annoncer sa démission en septembre, le super-ministre Pierre Fitzgibbon avait déposé à l'assemblée nationale le projet de loi 69 sur l'énergie. En plus de s'attaquer à l'exclusivité d'Hydro-Québec sur la vente d'électricité, plusieurs experts affirment que le PL-69 aura pour effet (…)

Trump, c’est reparti – Matt Karp pour Jacobin

9 novembre 2024, par Jacobin Magazine
Matt Karp, le 6 novembre 2024, avec avec l’autorisation de Jacobin Traduit par Johan Wallengreen … et tant que les démocrates n’auront pas trouvé moyen de reconquérir une (…)

Matt Karp, le 6 novembre 2024, avec avec l’autorisation de Jacobin Traduit par Johan Wallengreen … et tant que les démocrates n’auront pas trouvé moyen de reconquérir une tranche substantielle de l’électorat de la classe ouvrière, la relève de Donald Trump sera favorisée lors de la prochaine (…)

La ville de Guelph détruit « respectueusement » les campements de sans-abri

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/11/Image-from-Cryptpad-2-1024x553.jpeg8 novembre 2024, par Southern Ontario Committee
Un an après avoir adopté puis retiré un règlement controversé limitant les campements de sans-abri, la ville de Guelph revient à la charge. Le règlement sur l'utilisation des (…)

Un an après avoir adopté puis retiré un règlement controversé limitant les campements de sans-abri, la ville de Guelph revient à la charge. Le règlement sur l'utilisation des espaces publics restreint l'installation d'abris temporaires dans les espaces publics « désignés » et « sensibles », tout (…)
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Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

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