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L’usine, l’art et la torture ou les trois vies d’« Izolatsiya »

« Isolation » (Izolatsiya), le dernier film du réalisateur d'origine ukrainienne Igor Minaev, est un drame en trois actes qui frappe fort et juste.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Un documentaire implacable réalisé par un cinéaste qui ne se définit pas comme documentariste car son œuvre de fiction témoigne d'autres cordes à son arc. Il donne ici à voir avec rigueur, sur la base d'archives et de témoignages, les métamorphoses d'un lieu qui fut tour à tour fleuron de l'industrie soviétique, centre d'art contemporain de l'Ukraine indépendante puis, jusqu'à aujourd'hui, immense centre de torture au service de l'invasion poutinienne. Unité de lieu, comme au théâtre, mais il s'agit de l'histoire réelle de l'Ukraine, des mensonges qui lui furent jadis imposés, de ses efforts d'émancipation, de la guerre qui lui est infligée.
1955 à Donetsk
Une usine de matériaux isolants (d'où son nom : « Isolation ») est mise en service et devient dans les années 1960, un centre industriel majeur du Donbass. La propagande soviétique ne lésine pas sur la glorification du bonheur ouvrier au pays du « socialisme réellement existant ». L'usine, comme beaucoup d'autres, ne survit pourtant pas à l'effondrement de l'URSS. Devenue propriété privée, Isolation finit par fermer en 1990, à l'aube de la « décennie maudite » qui voit, dans l'ex-Union soviétique, le capitalisme sauvage, ses oligarques et ses alliés mafieux annexer et ravager le tissu industriel.
2010, la renaissance artistique
La fille du dernier directeur soviétique de l'usine rachète les murs des ateliers depuis longtemps à l'arrêt et y crée un centre d'art contemporain qui acquiert rapidement une grande renommée, en Ukraine et à l'échelle internationale. Le site conserve son nom, Isolation, mais devient un formidable point de rencontre et de création d'artistes du monde entier. L'Ukraine désormais indépendante revendique et affiche sa modernité. Des quatre coins du globe convergent des sculpteurs, des peintres, des auteurs d'installations qui viennent célébrer sur place la créativité, l'hospitalité et le désir de liberté ukrainiens : le plasticien chinois (exilé) Cai Guo-Qiang, le français Daniel Buren, le père de l'école photographique de Kharkiv Boris Mikhaïlov, l'artiste multimédia mexico-canadien Rafaël Lozano-Hemmer et bien d'autres, ainsi que nombre de jeunes artistes ukrainien·nes aux talents des plus prometteurs.
2014, la terreur
En cette année d'annexion de la Crimée par Poutine et d'intenses opérations armées de déstabilisation du Donbass, pilotées par le régime russe, les séparatistes de la « République populaire de Donetsk » font main basse sur les locaux. Ils brisent, détruisent et dynamitent les œuvres qui y sont exposées, qualifiées de « dégénérées » et de « pornographiques ». Les archives filmées que montre Igor Minaev donnent un aperçu de la brutalité et de l'insondable bêtise de ce fascisme bas de plafond : sidérant ! Isolation devient, entre les mains des séparatistes et sous la supervision des services russes, un véritable camp de concentration et un immense centre de torture. On sait que, dans les territoires temporairement occupés par les troupes poutiniennes, exactions et tortures furent et sont encore monnaie courante. À Isolation, les tortionnaires agissent à une échelle inédite : les témoignages de quelques rescapé·es sont glaçants.
Un film sur la déshumanisation complète
Dans une interview pour Radio Svoboda, Igor Minaev rappelle que celles et ceux qui étaient torturé·es dans la prison d'Isolation n'étaient accusé·es que d'une chose : être ukrainiens. Dès que les forces armées ukrainiennes libèrent une ville, ajoute-t-il, « on retrouve ces terribles chambres de torture ». Il explique n'avoir pas sélectionné celles et ceux qui ont accepté de témoigner dans son film des souffrances qu'ils et elles ont endurées. Ce qui l'a le plus frappé chez ces témoins ?
Vous voyez des gens comme vous, ils sont propres, peignés, lavés, habillés, vous ne pouvez même pas imaginer qu'ils ont vécu une telle horreur, un tel cauchemar, qu'ils sont passés par un tel enfer. C'est ce qui m'a bouleversé […]. Ces gens disent tous la même chose : qu'ils sont assis dans une cellule et que tout près, il y a une chambre de torture et on y en- tend des cris si terribles que seul quelqu'un qui est écorché vif peut crier comme ça.
Stanislav Asseyez, écrivain, journaliste et blogueur ukrainien, a été enlevé en mai 2017 alors qu'il couvrait le conflit du Donbass et ce qu'il dit de sa détention à Isolation rejoint exactement ce que montre Igor Minaev. Libéré en décembre 2019 sous la pression de Reporters sans frontières, de Human Rights Watch et de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), il a écrit « Donbass : un journaliste raconte » (Atlande, 2021). Il y raconte ses 28 mois de détention dans ce que d'anciens détenus ont surnommé « le Dachau de Donetsk ». Victime et témoin des sévices, viols et humiliations infligés aux prisonnier·ères, il se souvient que le chef de la prison d'Isolation obligeait les détenus à entonner des chants soviétiques pour couvrir les cris des torturé·es. À force d'entendre leurs hurlements, il a appris à distinguer les différentes formes de torture : pour les coups, une succession de cris ; pour les tortures à l'électricité, un cri constant. Il a été condamné à trente ans de prison dont cinq pour avoir simplement utilisé des guillemets dans ses reportages quand il mentionnait la « République populaire de Donetsk », non reconnue internationalement.
Stanislav Asseyev, une fois libéré, est retourné sur le front. Juste avant de s'engager à nouveau, il a pu assister à Kyiv à la condamnation à quinze ans de prison du principal de ses tortionnaires, Denis Kulikovsky, chef adjoint d'Isolation et sadique ultra-violent. Pour traduire en justice les auteurs de crimes de guerre, il a créé le Justice Initiative Fund. Asseyev reconnaît n'être ni taillé pour la guerre ni « fana-mili » mais avoir choisi de combattre pour que son pays « ne se transforme pas en une vaste prison ». Écrivain, il s'appuie sur l'écriture pour reprendre sa vie en main après ce qu'il a vécu. Avant d'être récemment démobilisé eu égard à son statut d'ancien captif, il disait garder une grenade sur lui pour le cas où il risquerait d'être à nouveau fait prisonnier car la mort lui semble préférable au retour dans une prison telle qu'Isolation. Asseyev a encore récemment témoigné de cette terrible guerre dans Le Monde du 26 octobre.
Le film d'Igor Minaev ne se contente pas de documenter rigoureusement les crimes commis dans les geôles de Donetsk : il montre aussi la bestialisation de geôliers ivres de toute-puissance et d'impunité. Et, plus impressionnant que tout, le courage résilient de celles et ceux qui sont passé·es par ces cercles de l'enfer.
Un cinéaste en guerre contre le mensonge
Un fil rouge relie les œuvres de fiction et les trois documentaires d'Igor Minaev : la déconstruction du mensonge. De Loin de Sunset Boulevard (2006), qui ressuscite avec brio le monde hypocrite du cinéma stalinien, mêlant glamour hollywoodien et atmosphère pesamment soviétique, à La cacophonie du Donbass (2017), réponse caustique à la Symphonie du Donbass, film de propagande de Dziga Vertov tourné en 1930, en passant par L'inondation (1995), avec Isabelle Huppert, tiré de l'œuvre de Zamiatine (auteur en butte aux censures tsariste puis stalinienne et dont l'œuvre la plus connue, Nous autres, est une dystopie sur le totalitarisme qui aurait inspiré Huxley et Orwell), Igor Minaev n'a de cesse de dénouer l'enchevêtrement des mensonges qui travestissent et la vie et l'histoire.
En juin 2023, dans le cadre de la Quinzaine de solidarité du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine, nous avons organisé à l'Espace Saint-Michel une projection de son précédent film, La cacophonie du Donbass, suivie d'un débat avec son réalisateur et avec le compositeur de la musique du film, Vadim Sher. Nos amis lyonnais l'ont également projeté en novembre 2023. Ce fut, pour nous, une belle découverte du talent d'Igor Minaev. Nous avons beaucoup aimé ce film qui, fondé sur de délirantes archives, montre jusqu'à quel paroxysme de réalité alternative pouvait se hisser la propagande du stalinisme haute époque : blondes pulpeuses et ouvriers radieux jubilant dans une allégresse partagée de vivre le bonheur absolu du système soviétique qui, forcément, pourvoyait à tous leurs besoins et comblait tous leurs désirs…
Le clou de cette première partie rétrospective est la triste et véridique histoire du pauvre Stakhanov, mineur érigé en héros national pour une performance (l'extraction de 102 tonnes de charbon soit quinze fois plus que ses camarades) totalement inventée. Encensé, célébré, exhibé, donné en exemple aux autres mineurs pour qu'ils tentent d'égaler sa productivité surhumaine, le malheureux Stakhanov s'y croira un temps et finira alcoolique, rejeté par tous, victime d'une imposture qui l'écrasa.
La cacophonie du Donbass fait ensuite entendre les paroles fortes des mineurs qui, à la fin des années 1980, se révoltent, mettent les apparatchiks en déroute (la peur des bureaucrates claquemurés dans leurs bureaux pendant que gronde la colère ouvrière est un régal !) et obtiennent, par leurs grèves massives et déterminées, une revalorisation de leurs salaires et de leurs conditions d'existence qui n'avaient, dans la vraie vie, rien de paradisiaque.
De la vitrine idéologique que devait être le Donbass et de sa symphonie mensongère du bonheur, il reste surtout le souvenir d'une dignité bafouée, l'expérience d'une manipulation, la déception et les duretés de la vie aggravées par la désindustrialisation puis l'invasion poutinienne. Et cette mise en scène que, pour notre part, nous avons trouvée un rien obscène où un photographe (dont le cynisme se pare d'alibis culturels) fait poser des mineurs noirs de charbon dans des tutus vaporeux.
Un artiste épris de liberté
« La liberté, a déclaré un jour Igor Minaev, ce n'est pas quelque chose que l'on peut perdre ou que l'on donne. Elle est dans votre tête : per- sonne ne peut vous interdire de penser ce que vous avez envie de penser. » Toute son œuvre en témoigne, au risque de n'être pas toujours comprise.
Après des études cinématographiques à l'Institut national du théâtre et du cinéma Karpenko-Kary à Kyiv, la carrière d'Igor Minaev a commencé à Odessa, où il a réalisé son film de fin d'études, La mouette. Dès son deuxième court-métrage, ses ennuis ont commencé : L'horizon argenté est censuré dans l'Ukraine encore soviétique et interdiction est faite à Igor Minaev d'exercer son métier de réalisateur. Deux négatifs sont brûlés sous le prétexte d'un manque de place pour stocker les bobines !
Pendant la perestroïka, l'étau se desserre et Minaev rencontre le succès avec son court-métrage pour enfants, Téléphone, qui remporte un prix au Festival international du film de Moscou.
Ses deux films suivants, des longs-métrages, Mars froid (1988) et Rez-de-chaussée (1990), sont tous deux sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.
Cinéaste, metteur en scène et scénariste, Igor Minaev estime toutefois ne pas pouvoir créer à son aise dans l'Ukraine toujours soviétisée et s'installe en France à la fin des années 1980. Il y réalise des films régulièrement primés dans des festivals internationaux (voir ci-après sa filmographie). Parallèlement à sa carrière de réalisateur, il enseigne à la FEMIS (École nationale supérieure des métiers de l'image et du son), monte des spectacles et écrit avec Olga MikhaïlovaMadame Tchaïkovski. Chronique d'une enquête (Astrée, 2014).
Sophie Bouchet-Petersen et Mariana Sanchez
Sophie Bouchet-Petersen et Mariana Sanchez sont respectivement secrétaire générale d'Ukraine CombArt et membre du Comité français du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine.
Filmographie d'Igor Minaev
2023 : Isolation, documentaire
2019 : La cacophonie du Donbass, documentaire
2016 : La robe bleue, Semaine de la Critique du festival de Berlin, Sélection officielle du fes- tival d'Odessa, festival de Pessac
2010 : À l'est de l'hiver, télégrammes visuels
2006 : Loin de Sunset Boulevard
2002 : Les clairières de lune
1995 : L'inondation avec Isabelle Huppert dans le rôle principal
1991 : Le Temple souterrain du communisme, documentaire
1990 : Rez de chaussée, Quinzaine des réalisateurs à Cannes
1988 : Mars froid, Quinzaine des réalisateurs à Cannes
1985 : Le téléphone, court-métrage
1980 : L'invité, court-métrage
1978 : L'horizon argenté, court-métrage
1977 : La mouette, court-métrage (film de fin d'études)
Publié dans Soutien à l'Ukraine résistante (Volume 35)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/12/patrick-le-trehondat-lukraine-st-seule-ou-presque/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-35_compressed.pdf
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Faïrouz pour l’éternité

Paris. Mercredi, 20 novembre 2020. La chanteuse libanaise Faïrouz, de son vrai nom Nouhad Haddad, est née le 20 novembre 1934. Elle a quatre-vingt-dix ans aujourd'hui.
par Mustapha Saha
Faïrouz signifie en arabe turquoise, le vert et le bleu, la terre, la mer et le ciel, la nature dans sa splendeur qu'elle louange sur un poème de Gibran Khalil Gibran, Aâtini Al Nay Wa Ghanni. La voix de Faïrouz s'élève crescendo, s'envole, s'insuffle de lyrisme ensorceleur. « Prête-moi ta flûte et chante. La chanson de l'existence. Les larmes attachantes. Quand pointe la pénitence. Déserte les fastueux manoirs. Habite les bois sauvages. Fuis les mortels laminoirs. Pour inaccessibles rivages. Étends-toi près d'un cépage. Bois son nectar dans ta main. Déguste ton livre page par page. Sans penser au lendemain. Offre-toi vital intermède. Endors-toi sous tranquille bouleau. Oublie le mal et son remède. La destinée n'est qu'une ligne sur l'eau » (Adaptation personnelle en français).
Faïrouz chante la Palestine génocidée, le Liban homicidé, la Terre sainte fratricidée. Elle incarne l'âme arabe, au-delà des confessions, des générations, des frontières. Elle chante pour les peuples, non pour les dirigeants. En janvier 2023, elle assène une gifle magistrale aux autorités saoudiennes au nom des droits humains. Elle refuse de s'associer au concert du siècle, regroupant, moyennant des valisettes de dollars, les stars arabes de la chanson, les libanaises Nancy Ajram et Elissa, les syriens Georges Wassouf et Assala Nasri, la tunisienne Latifa Afraoui, qui remplissent les théâtres et les stades à chaque prestation. Pendant la guerre civile libanaise entre 1975 et 1990, elle reste à Beyrouth déchiré par les roquettes. Légende vivante, elle impose le respect à toutes les parties.
Au répertoire de Faïrouz, les grands poètes, Gibran Khalil Gibran (1883-1931), Ahmed Chawki (1868-1932), Saïd Akl (1912-2014). Elle passe rarement sur scène. Son dernier concert remonte à 2011. Ses compositeurs, son époux Assy Rahbani, son beau-frère Mansour, Rahbani, son fils Ziad Rahbani dépoussièrent le folklore arabe avec des comédies musicales, des opérettes politiques, des sonorités latino-américaines, jazzy. Ils brassent allègrement mélopées traditionnelles, harmonies symphoniques, rythmes africains. S'anticipe la World Music, dès 1957, dans le légendaire concert au milieu des ruines de Baalbek, réédité, par bonheur, en 2020. En 1959, s'exacerbent les sortilèges moyen-orientaux dans Ya Maleya Ala ghossoun, sur rythmique boléro. La magie vocale de la diva s'agrémente, par la suite, d'airs de flamenco, de tango, de mambo. Les imams crient au sacrilège. L'inspiration vient peut-être du film Et Dieu créa la femme de Roger Vadim avec la danse endiablée de Brigitte Bardot. Le sex-symbol ne se montre pas. Il se vocalise. 1964, La voix de Faïrouz s'élève crescendo, s'envole, s'insuffle de lyrisme ensorceleur. Après la défaite de 1967, Chanson mythique à Jérusalem, Al Qods, La Fleur des cités. Nous reviendrons un jour, hymne de la cause palestinienne. Depuis le génocide des gazaouis et le déluge de bombes sur le territoire libanais, les internautes inondent les réseaux sociaux de chansons de Faïrouz.
En juillet 1970, Faïrouz se produit à Rabat et à Casablanca. Elle crée une chanson à la gloire du peuple marocain, jamais audiovisuellement diffusée. Il serait opportun de remettre en circulation cette rareté.
Mustapha Saha
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Faïrouz. Par Mustapha Saha.
Peinture sur toile.
La gauche veut avoir raison, la droite convoite le pouvoir
Voici une formule qui me paraît bien résumer la situation dans laquelle se trouvent les deux partis "de gauche", c'est-à-dire le Parti québécois et surtout Québec solidaire. Examinons tout d'abord certaine statistiques électorales qui sont éclairantes à ce sujet.
Lors du déclenchement de la campagne électorale provinciale de septembre 2022, Québec solidaire devançait dans les intentions de vote son adversaire péquiste de six points : il obtenait 15% et le Parti québécois un pauvre 9%. Plusieurs observateurs et analystes le croyaient en voie de disparition. Le Parti conservateur allait chercher 12.9% de soutiens. La Coalition avenir Québec, au pouvoir, trônait à 42% d'appuis.
Les résultats du scrutin en ont surpris plus d'un : le Parti québécois a récolté 14.6% des voix, talonnant Québec solidaire qui lui en a recueilli 15.4%. Le parti de gauche devançait légèrement les conservateurs qui ont raflé 11% du vote, un léger recul par rapport au sondage d'août. La Coalition avenir Québec, comme prévu, a été reportée au pouvoir avec 40.9% des voix.
Depuis, les sondages confirment la remontée fulgurante du parti dirigé par Paul Saint-Pierre Plamondon. Le dernier sondage réalisé ce mois-ci le crédite de 35% des intentions de vote, loin devant la Coalition avenir Québec qui fait désormais piètre figure avec 24% seulement d'appuis dans l'électorat. Québec solidaire piétine avec 13% d'intentions de vote et le Parti conservateur le suit avec 11% des voix.
Si un scrutin se tenait maintenant, le parti dirigé par Paul Saint-Pierre Plamondon se hisserait sans doute au pouvoir, mais peut-être à la tête d'un gouvernement minoritaire. Québec solidaire donc, piétine. Depuis plusieurs années, il patauge dans les sondages entre 13% et 15% des intentions de vote. Si les choses continuent sur cette lancée, il risque même de perdre des sièges au prochain scrutin.
Alors qu'il distançait le Parti québécois en septembre 2022, il se situe à présent très loin derrière. Il s'agit là d'un retard qui peut se révéler irrattrapable, si rien ne change au sein du parti de gauche. Qu'est-ce qui cloche ?
Tout d'abord, il n'a pas vraiment de leader, un chef rassembleur mais seulement deux co porte-paroles qui ne disposent pas de véritable pouvoir. Dans un louable souci de pureté démocratique, ses membres ont refusé de se doter d'un chef élu. Depuis la récente retraite relative temporaire mais assez longue de Gabriel Nadeau-Dubois, Ruba Ghazal se retrouve comme seule co porte-parole pour des mois. Sera-t-elle à la hauteur de de la tâche écrasante qui l'attend ? Elle se retrouve propulsée en réalité comme cheffe d'un parti dont une majorité de membres se méfient des leaders. En dépit de ses qualités de députée et de ses aptitudes pour la joute politique, il n'est pas certain que madame Ghazal puisse relever ce défi.
Les militants des partis de gauche ont souvent tendance à se méfier de dirigeants quand ceux-ci (comme l'a fait récemment Gabriel Nadeau-Dubois) veulent imprimer à leur formation un virage pragmatique, ce qui heurte leur sensibilité. Ils redoutent alors une trahison des idéaux premiers du parti.
À certains égards, Québec solidaire ressemble au Parti québécois à ses débuts (1968-1974). Le PQ avait alors un chef charismatique, René Lévesque qui était aussi un pragmatique. Il devait composer avec un parti rempli de membres dont l'intransigeance indépendantiste était notoire. C'est pourquoi l'introduction de la notion de référendum sur la souveraineté si le parti arrivait au pouvoir y a déclenché de profondes divisions. De peine et de misère, Lévesque et sa garde rapprochée ont réussi à faire adopter cette proposition au congrès d'orientation de 1974. Désormais, conquête du pouvoir et souveraineté étaient dissociés. Cette stratégie, considérée comme hérétique par l'aile intransigeante du parti, lui a cependant permis d'accéder au pouvoir en novembre 1976 et de tenir un référendum en mai 1980 sur la souveraineté. Le Parti québécois l'a perdu certes, mais il a réussi à aller chercher dans les filets du OUI un gros 40%.
La stratégie proposée par Lévesque et certains de ses lieutenants s'est donc avérée "payante", si l'on peut dire. Le tempérament de Lévesque en a fait durant un certain temps un chef vénéré mais qui s'accommodait mal toutefois des limites qu'entraîne une masse de militants et de militantes très sourcilleux d'avoir le dernier mot sur les questions de stratégie et de buts.
Néanmoins, une majorité ne fait pas toujours une vérité et il arrive qu'un dirigeant ait des intuitions stratégiques plus justes que bien des membres de la base.
Il ne s'agit pas de tomber dans le culte du chef, mais de se rendre compte qu'une direction solide et éclairée est nécessaire à n'importe quelle formation politique.
Qu'en est-il sur ce plan à Québec solidaire ? Il ne ressemble pas sur tous les plans au Parti québécois des années 1970. Par exemple, il n'a pas de chef en titre susceptible de convaincre une majorité de membres de procéder à un virage "pragmatique", comme Lévesque avait réussi à le faire en 1974. Ni Gabriel Nadeau-Dubois ni Ruba Ghazal, en dépit du respect dont ils bénéficient, n'en sont l'équivalent. Paul Saint-Pierre Plamondon non plus, mais il dirige une formation qui a longtemps exercé le pouvoir et formé l'Opposition officielle (le tout pour le meilleur et pour le pire). Elle existe depuis 1968. Le PQ a connu une montée rapide entre 1968 et 1976, alors que Québec solidaire végète, en dépit de ses quelques députés.
Pour que Québec solidaire sorte de sa relative marginalité, il faudrait que la majorité de ses membres acceptent de mettre de l'eau pragmatique dans le vin capiteux de leurs beaux principes. C'est la condition sine qua non pour qu'il sorte du ghetto électoral qui est le sien et rejoindre un électorat plus vaste. Sinon, il risque la disparition à terme. Qui aura alors gagné, sinon la droite ?
Québec solidaire préfère-t-il mourir en beauté ?
Jean-François Delisle
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Travail et droits de l’homme, le grand oxymore

A l'heure où, de manière contradictoire, l'on célèbre les vertus du travail et sa fonction émancipatrice, et que l'on déplore ses conséquences délétères sur la santé de ses pratiquants plus ou moins forcés, ce petit livre remet les pointeuses à l'heure.
Il détruit de manière systématique la valeur travail, en confrontant les réalités du monde du travail et les droits de l'homme classiques, consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sa conclusion est sans appel : ces droits de l'homme sacralisés sont plus que mis entre parenthèses lorsqu'un travailleur est au service de son employeur. Le monde du travail est une zone de non-droit, gangrenée par des rapports de pouvoir. Le travail n'est pas libérateur, il est une souffrance injustement infligée.
Les marottes managériales y sont ramenées à leur stupidité intrinsèque : surveillance, open space, team buildings et autres inventions tordues.
Il s'agit de punk lit, d'une mauvaise foi éminemment assumée, d'ascendance libertaire, un tantinet technophobe.
"Ma libido pour le travail n'est que pure frigidité et ma faim de travail ne peut être qualifiée que d'anorexie, au dernier stade de sa morbide évolution. Il n'y a qu'un seul bon travail, celui qu'on n'exercera jamais. Déclarer sa flemme est le plus beau des aveux."
Sven Andersen
ISBN 978-2-336-47940-8 - 82 p. - 12 €
Éditions L'Harmattan. 5-7 rue de l'Ecole Polytechnique 75005 Paris
https://www.editions-harmattan.fr/
https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/travail-et-droits-de-l-8217-homme-le-grand-oxymore/76293
Sven Andersen est né en 1966. Diplômé de l'Université Libre de Bruxelles, en Criminologie
et en Philosophie, il est employé au sein d'une administration de la Communauté française
de Belgique. Ni Dieu ni Maître
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Gaslighting, traumatisme racial, whitesplaining... Estelle Depris explique le racisme aux Blancs

La Belgo-Congolaise propose des analyses et des conseils antiracistes dans un livre publié cet été, ainsi que sur son compte Instagram « Sans blanc de rien », qui réunit plus de 100 000 abonnés.
Tiré de l'Humanité
Publié le 17 novembre 2024
Estelle Depris vient de sortir Mécanique du privilège blanc. Sur son compte Instagram, Sans blanc de rien, elle s'adresse aux personnes blanches et leur explique le racisme.
Il n'y a pas assez de bancs et de tabourets, alors les lecteurs s'assoient sur les escaliers de la librairie Folies d'encre, à Montreuil. Ce sont surtout des jeunes qui sont venus rencontrer Estelle Depris, tout juste arrivée de la capitale belge pour une séance de dédicaces.
Sous la pluie francilienne, la Bruxelloise n'est pas dépaysée. « Ma communauté comporte plus de Français que de Belges », fait-elle remarquer. Devant son public ou sur Instagram, où son compte Sans blanc de rien réunit plus de 103 000 followers, la jeune femme est intarissable.
« J'ai toujours été intéressée par les questions sociales, mais je n'ai appris l'histoire coloniale de la Belgique qu'à environ 18 ans, de manière très violente », avec les images des massacres au Congo, raconte-t-elle. Le sombre passé du Plat Pays est effacé des manuels scolaires, un oubli volontaire qui constitue un terreau fertile pour la xénophobie : « Ce qui m'a frustrée, c'est ce manque d'accès aux connaissances. »
À la fin de son master, Estelle et deux de ses camarades imaginent alors un « mémoire médiatique » sous la forme d'un podcast dans lequel une jeune femme blanche découvre le racisme systémique.
Lutter contre les oppressions qu'on ne subit pas soi-même
« C'est l'ignorance blanche dont parle Charles W. Mills (philosophe jamaïcain – NDLR), reprend-elle. Il y a un véritable déni chez des personnes qui ne se sentent pas concernées par le problème, d'où l'expression “faire semblant de rien”. » Sur son compte, la jeune femme s'adresse donc directement aux personnes blanches.
Mais, plus qu'un travail de vulgarisation d'auteurs tels qu'Arun Kundnani, Toni Morrison ou Frantz Fanon, elle adapte leurs concepts et leurs analyses à l'actualité française et belge. Ainsi défilent les notions de gaslighting (manipulation visant à faire douter une personne d'elle-même – NDLR), de traumatisme racial ou de whitesplaining (explication sur le ton paternaliste donnée à des personnes subissant le racisme sur ce qui devrait être ou non tenu pour raciste – NDLR), pour lesquelles « il y a une vraie demande », affirme-t-elle.
Dans la librairie, nombreuses sont les personnes à l'interroger sur des situations personnelles, ces micro-agressions du quotidien. « La véritable solidarité politique, c'est de lutter contre les oppressions qu'on ne subit pas soi-même, leur répond Estelle Depris. Il ne s'agit pas de culpabiliser, puisque le racisme systémique biaise nos interactions et nous entrave tous, à différents niveaux. » Et comme les voix blanches sont plus écoutées que les autres, autant qu'elles servent : « Prendre la parole est un risque tout à fait minime comparé à ce qu'encourent les personnes racisées lorsqu'elles parlent. »
Pour cette fois, l'auditoire joue son rôle. C'est cette communauté « investie et hyperengagée » qui a permis à Estelle Depris de publier un premier ouvrage, un manuel intitulé Mécanique du privilège blanc. De quoi coucher ses nombreux posts Instagram sur papier.
« J'ai décidé de le faire après la mort de George Floyd (cet Africain-Américain assassiné par la police de Minneapolis le 25 mai 2020 – NDLR), se remémore-t-elle. C'était un moment très difficile pour nous tous. Quand la vidéo est sortie, mon téléphone n'arrêtait pas de vibrer. Environ 20 000 personnes se sont abonnées en une journée, beaucoup étaient blanches et se demandaient ce qu'elles pouvaient faire face au racisme et à leurs privilèges. »
« Personne n'est parfait sur les questions racistes »
La militante se sent obligée de répondre à l'appel. Elle travaille d'arrache-pied à l'écriture de son manuscrit et finance sa publication avec les précommandes de sa communauté. Cette dernière reçoit enfin son dû, l'été dernier. « Personne n'est parfait sur les questions racistes », affirme celle qui a eu la chance de grandir aux côtés d'une « vraie alliée », sa mère.
Jeune, celle-ci voit ses amies noires subir des agressions, elle fait donc tout pour protéger sa fille métisse. « Elle était en photo dans la presse parce que, en manif, elle levait un panneau ”Le racisme anti-Blancs n'existe pas », s'amuse Estelle, fière. Elle fait vraiment le taf ! »
Parler aux privilégiés pour que tous se saisissent du combat, tel est l'objectif d'Estelle
Depris. L'exploitation de classe n'efface pas les dominations racistes, « elles se superposent. Il faut qu'on arrive à décloisonner les luttes, à ne pas les hiérarchiser », argumente-t-elle, invoquant l'exemple du Nord-Kivu, en RDC. « Toutes et tous sont victimes du capitalisme, mais le viol des femmes est une arme de guerre, c'est un aspect féministe ; l'exploitation des mines, elle, soulève des problèmes environnementaux. Dans notre société, c'est pareil, on ne peut pas mener la lutte sociale sans en considérer tous les pans. »
Au risque de prolonger cette atmosphère « morose » en Belgique et en Europe, où les nationalismes percent dangereusement. « La frustration socio-économique d'une grande partie de la population a freiné les luttes progressistes, qu'il s'agisse de MeToo ou d'antiracisme, analyse la jeune femme. Beaucoup de privilégiés pensent que l'égalité leur fera perdre quelque chose. Mais personne ne perd rien ! On est tous au même niveau pour construire une société plus respectueuse, humaine et digne. »
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Celia Izoard, La ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition

1. La journaliste et philosophe Celia Izoard présente dans son essai La ruée minière au XXIe siècle : enquête sur les métaux à l'ère de la transition, publiée en 2024 aux Éditions du Seuil, ce qu'elle considère comme un paradoxe qui définit la société et l'économie contemporaines. Elle refuse l'idée reçue selon laquelle la simple transition des énergies fossiles aux énergies renouvelables permettrait de résoudre les maux environnementaux de notre époque. En mobilisant de nombreux exemples et statistiques, Izoard démontre l'absurdité (sur le plan environnemental) de cette « transition » écologique qui, au lieu de résoudre un problème, ne fait qu'au mieux, le déplacer, et au pire, y contribuer. Véritable monstre dans un costume d'agneau, l'industrie minière serait, selon elle, loin d'être la panacée écologique appuyée par les élites politiques et économiques partout dans le monde.
2. L'autrice commence par expliquer dans la première partie du livre ce qu'est réellement la « transition écologique ». Elle commence cette partie avec l'opposition de deux citations diamétralement opposées, mettant en exergue la tension entre, d'un côté, les élites qui cherchent à justifier une activité minière prétendument « propre » et, d'un autre côté, les spécialistes qui y voient un mensonge qui tente de justifier une activité profitable, mais fondamentalement mauvaise pour l'environnement. Izoard met dos à dos les propos des lobbys miniers et la réalité. Elle illustre d'abord l'insoutenabilité de la transition du fossile à l'électrique, celle-ci requérant des quantités colossales de métaux divers dont l'exploitation actuelle est insuffisante et devrait être décuplée au-delà de toute mesure raisonnable. Un de ses nombreux exemples, le plus évocateur à mon avis, est celui de l'électrification du parc automobile britannique. Cette transition « nécessiterait l'équivalent de deux fois la production mondiale actuelle de cobalt, les trois quarts de la production de lithium, et la moitié de la production de cuivre. » (pp. 28-30) En plus des métaux nécessaires à la production de ces voitures, il faut compter les métaux nécessaires à la production électrique par des sources dites renouvelables. La production de panneaux photovoltaïques et d'éoliennes nécessite également une grande quantité de métaux. Izoard tente de déconstruire d'un point de vue minier l'image strictement positive de la transition énergétique.
3. En plus de cette impossibilité pratique, la journaliste démontre en quoi l'industrie minière, dans ses pratiques actuelles, ne représente pas l'alternative souvent citée à l'industrie des énergies fossiles. Alors que certaines élites font la promotion de la mine dite « du XXIe siècle », Izoard démontre que la majorité des pratiques et procédé de l'industrie ont été inventés au XIXe. Elle illustre également les réalités moins connues de l'extraction minière, des montagnes de déchets qu'elle rejette à la modification du paysage en passant par les procédés énergivores et les ruptures de digues catastrophiques. Un recensement de Standard & Poor's cité par la journaliste démontre qu'il y aurait 34 820 mines dans le monde en 2024. Il est alarmant que malgré l'ubiquité de ces sites, la grande majorité des gens soient inconscients des réelles implications Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Paris, Les liens qui libèrent, 2018, 296 pages. sociétales et environnementales des mines. Selon l'Agence internationale de l'énergie, les prélèvements d'eau par les entreprises minières auraient doublé entre 2018 et 2021 dans le monde, illustrant l'ampleur des conséquences auxquelles l'on peut s'attendre avec l'expansion du secteur minier que commanderont les nouvelles technologies. Déconstruisant ainsi le mythe écologique de la transition du fossile au minier, Izoard parle de réinvention d'un récit pour maintenir un statu quo et pour le maintien des activités d'extraction minière. [1]
4. des constats les plus forts de son argumentaire concerne l'illusion de la mine européenne propre. Selon l'autrice, des élites économiques et politiques en Europe participent à entretenir l'idée qu'il faut miner sur le continent pour des raisons de souveraineté et d'éthique. Pour elle, la mine européenne est forcément mieux réglementée que les mines dans d'autres pays. Elle répond ainsi à Guillaume Pitron qui avait écrit La guerre des métaux rares1, un essai dont le propos était entre autres, selon Celia Izoard, de rapatrier la production minière en Europe pour des soucis éthiques, géopolitiques et environnementaux.
5. illaume Pitron fait comme constat central que les pays dans lesquels les pays occidentaux vont chercher les métaux dits « critiques » ont des normes environnementales beaucoup plus faibles ou flexibles que les pays européens. En entrevue à TV5, il citait à cet effet la Chine, le Congo-Kinshasa ou la Bolivie. Le coût environnemental serait donc « aggravé » par rapport à une extraction faite aux normes européennes. Pitron fait également état de l'abondance des terres rares en Chine, comparant cette situation à celle du pétrole dans la péninsule arabique. Alors que d'autres pays ont progressivement recommencé l'exploitation de terres rares, les usines de raffinement seraient encore majoritairement en Chine, ce qui maintient le pays dans une situation de quasi-monopole. Les implications géopolitiques pour Pitron seraient très importantes, et appelées à croître à l'avenir, notamment à cause de la dépendance croissante de l'économie mondiale envers les terres rares et des ambitions politiques de la Chine. Ainsi, il conclut que l'Europe devrait relancer son industrie minière sur le continent pour maintenir une souveraineté en matière de terres rares et pour des raisons d'acceptabilité sociale, puisque l'industrie minière dans les autres pays serait plus « sale ».
6. l'aide de quelques exemples, Izoard défait cette idée reçue que les mines d'Europe sont inoffensives. Elle cite notamment l'exemple de la mine de Touro en Galicie dont le réservoir à déchets est situé près d'une falaise donnant sur un village, une pratique qui ne se ferait pas, selon elle, en Chine, au Brésil ou en Équateur. Sans contredire le propos de Guillaume Pitron sur les enjeux géopolitiques et écologiques insoupçonnés des nouvelles technologies par leur dépendance aux métaux, elle signale ce qu'elle considère être une erreur dans son raisonnement. Pitron omettrait certaines variables environnementales de son équation pour ne tenir compte que de considérations géopolitiques en faisant fi de la réalité des mines européennes selon elle. C'est ce qui expliquerait la similarité entre les constats des deux auteurs, mais la différence entre la conclusion de l'un et de l'autre. Alors que Pitron plaide pour une relance des mines d'Europe dans son ouvrage La guerre des métaux rares pour cesser de dépendre des exploitations minières étrangères, Izoard veut cesser de dépendre de l'industrie minière, qu'elle soit nationale ou étrangère. Guillaume Pitron semble cependant avoir cadré son argumentaire autour d'enjeux environnementaux dans son livre de 2021 L'enfer numérique, dans lequel il critique la transition numérique comme désastre environnemental. Son raisonnement aurait ainsi changé pour dénoncer la transition numérique, pas uniquement d'un point de vue géopolitique comme avant, mais également d'un point de vue environnemental.
7. ursuivant son analyse, Izoard veut ensuite comprendre pourquoi l'on tient à accomplir cette transition malgré ses lacunes et incohérences. Elle s'attarde ainsi aux grandes tendances sociétales et aux discours dominants. Parmi ceux-ci, le plus ancré dans le monde économique serait celui de la société « immatérielle ». Il existe une théorie de l'histoire économique stipulant que la société occidentale serait passée à une économie immatérielle à partir des années 1980 avec le développement des économies de services et des nouvelles technologies. Pour Izoard, ce discours serait tout simplement faux puisque ces services et ces technologies reposeraient sur des supports bien matériels. Par exemple, le monde numérique repose sur des centres de données énormes, des infrastructures bien physiques et énergivores pour fonctionner.
8. engouement pour ce discours de dématérialisation et d'alternative à l'économie physique et polluante serait moussé, selon Izoard, par des élites motivées par des sentiments impérialistes. Cet impérialisme, l'autrice en donne plusieurs exemples forts. D'abord, le coup d'État de 1965 du général Suharto en Indonésie, épaulé par la CIA et appuyé par une commission sur laquelle siègent des administrateurs de sociétés pétrolières et minières américaines. Cette prise de pouvoir aux dépens des communistes menés par Sukarno, éminente figure du non-alignement dans le contexte de la guerre froide, a permis notamment à une entreprise minière américaine de prendre le contrôle de l'immense mine de Grasberg. L'autre exemple est celui du coup d'État de 1973 du général Pinochet contre Salvador Allende au Chili. Ce dernier avait annoncé la nationalisation des mines de cuivre du pays sans prévoir de compensation aux entreprises qui exploitaient la mine. La CIA aida le général Pinochet à faire son coup d'État et les entreprises américaines ont maintenu le contrôle du cuivre chilien. Pour Izoard, l'impérialisme occidental aurait justifié les discours encourageant l'industrie minière.
9. oard met ainsi le doigt sur un enjeu important de cette nouvelle ruée minière : les discours évoluent, mais les motifs demeurent. Entre 2008 et 2018, un changement se serait opéré dans les discours de justification de l'activité minière. Alors que l'on parlait plus tôt d'objectifs de croissance économique pour justifier la mine, on passe alors à la nécessité d'accomplir une transition depuis les énergies fossiles vers l'électrique. Selon la journaliste, un rapport de la Banque mondiale datant de 2017 serait l'apogée de ce changement de discours. Or, ce rapport a été rédigé avec l'International Council on Mining and Metals, lobby composé des plus grandes entreprises minières. Si le discours a évolué, le motif demeure toujours le même pour Izoard : une ruée vers la création de nouveaux débouchés pour l'industrie minière. Les industries de l'armement de l'aérospatiale ainsi que la course au numérique seraient donc en réalité les bénéficiaires de cette extraction, plus que la prétendue transition.
10. autrice plonge ensuite dans une troisième partie dans un argumentaire qui diffère beaucoup des précédentes pour justifier le désir de l'humain pour l'exploitation minière. Cette troisième partie se veut beaucoup plus philosophique que les précédentes, davantage journalistiques. Izoard parle ici de cosmologie extractiviste, d'homo faber, de mythes grecs, d'alchimie, citant Paracelse, et d'autres concepts qui semblent plutôt difficiles à replacer par moments. Il devient difficile dans certains passages de relier l'argumentaire de cette partie à l'ensemble de l'œuvre. Izoard a cependant mobilisé certains arguments et exemples historiques et sociologiques qui justifient son propos et qui semblent moins ésotériques que ceux cités précédemment. Par exemple, l'exemple historique de Francis Bacon, philosophe et homme d'État anglais qui, inspiré par les mines allemandes, aurait favorisé le développement des sciences minières et de l'industrie minière en Angleterre. Dans un même ordre d'idées, Izoard revient sur Jacob Fugger, un banquier du Saint-Empire romain germanique qui aurait démarré la capitalisation de l'activité minière en Bavière. Elle illustre ainsi comment le capitalisme actionnarial s'est emparé de l'industrie minière et a démis de la propriété de cette activité économique les corporations de mineurs, qui sont alors passés au salariat. Elle en fait aussi une référence plus générale à l'émergence du capitalisme et à Weber.
11. tre la difficulté de replacer certains de ses exemples dans l'argumentaire général, il y a également un rapport incertain entre des arguments qui, bien qu'ils ne soient pas incompatibles, entrent en concurrence en l'absence de précision à ce sujet. Quelles sont les motivations réelles des humains à exploiter les mines ? Au premier degré, on pourrait penser qu'il s'agirait simplement de l'appât du gain, d'une forme d'avidité qui justifierait les risques que prennent au nom de collectivités entières quelques entreprises. Izoard parle bien de cette recherche du profit à quelques moments, notamment lorsqu'elle met en relation l'entreprise minière et le mythe d'Érysichthon. Or, sa troisième partie parle à la fois d'un désir de domination de la nature, d'une aspiration à poursuivre le travail de Dieu, d'une « religion du progrès », d'une matrice extractiviste du capital, entre autres. L'humain voudrait être se montrer supérieur à la nature en la modifiant à son image, se prétendrait divin et vouerait en plus un culte à une certaine idée qu'il se serait fait du « progrès ».
12. lia Izoard est un nom connu en France pour sa critique des nouvelles technologies et des idées s'y rapportant, notamment celle de progrès. Or, si tous les concepts précédents s'imbriquent et s'articulent de manière à créer plusieurs explications possibles pour le désir de l'humain d'exploiter les sous-sols, c'est cette critique du progrès, réel fil conducteur de l'œuvre intellectuelle de Celia Izoard, qu'il faut impérativement retenir. Pour la journaliste, il faut réfléchir aux modes de vie contemporains qui réduiraient « le donné à des ressources ». Celia Izoard transporte l'« En as-tu vraiment besoin ? », l'apophtegme emblématique du comptable vulgarisateur québécois Pierre-Yves McSween, du choix comptable personnel au choix sociétal et collectif. Cette réflexion s'articule évidemment avec les théories du renoncement, de la décroissance et de la démondialisation. Or, elle conduit spécifiquement à des questions d'ordre technologique. A-t-on réellement besoin de tous les nouveaux gadgets que présente le tout dernier téléphone cellulaire ? Izoard va encore plus loin : a-t-on réellement besoin d'un téléphone cellulaire ? Elle rappelle au passage que, bien qu'elle soit consciente que le quotidien de 2024 est adapté à l'omniprésence de ces appareils et que bien des fonctions ne sont possibles d'accomplir qu'à partir d'une connexion Internet itinérante, il est bien possible de vivre sans si la société en décide ainsi puisque presque tous n'en possédaient pas il y a à peine 20 ans. Ce changement, bien que qualifié de « retour en arrière » par plusieurs, permettrait de sortir de cette dépendance insoutenable à l'exploitation minière. Un tel changement implique forcément l'appel à une philosophie du renoncement puisque le confort matériel (peut-être opulent) devrait sans doute être reconsidéré à la lumière des ressources disponibles. Bien plus qu'une prise de conscience sur la provenance réelle et physique des supports technologiques, il faut réévaluer leur importance à la lumière des enjeux éthiques et en calculer le coût et le bénéfice. Il faut apprendre à renoncer, dit-elle.
13La quatrième partie porte sur l'avenir. Celia Izoard plaide pour un retrait des mines. Les chapitres de cette quatrième partie portent sur les combats qu'elle juge nécessaire de mener, puis sur l'avenir de cette relation entre l'industrie minière et l'environnement. Elle traite également des solutions qu'elle juge les plus pertinentes. Izoard indique d'abord où le combat qu'elle mène et le plaidoyer qu'elle porte rejoignent d'autres luttes. Le régime minier serait pour la journaliste un des piliers fondamentaux du régime capitaliste dont Marx avait critiqué l'iniquité. Le régime minier serait également un catalyseur de la crise climatique, ne permettant aucunement de faire de transition écologique. En effet, pour Izoard, l'industrie minière serait doublement polluante. Outre sa propre dépendance à l'industrie pétrolière, les équipements miniers et les transports fonctionnant aux hydrocarbures, elle poserait des risques majeurs pour les écosystèmes terrestres et marins. Au fil des paragraphes de cette partie, Izoard réinterprète le propos de son œuvre à la lumière de combats autres comme la lutte des classes ou la lutte à la crise climatique. L'exploitation minière, par les catastrophes écologiques et les abus qu'elle a décrits, serait un point de convergence de plusieurs luttes. Son ouvrage, profondément militant, appelle ainsi au ralliement de causes existantes à une cause qu'elle identifie comme la source de plusieurs autres maux. Elle appelle également, par les différentes idées reçues qu'elle déconstruit, à un rejet des alternatives qui sont proposées pour atténuer les effets de la mine. Pour Izoard, ce n'est pas à travers une meilleure gestion de l'industrie minière que l'on peut régler les problèmes environnementaux et sociaux qu'elle génère, mais plutôt en s'en retirant carrément. Par exemple, elle illustre la complexité et la presque insoutenabilité associées au fait de faire vivre des « mines urbaines » axées sur le recyclage de métaux dans les objets existants. Le recyclage, pour Izoard, ne serait qu'un commerce d'indulgences ou de temps pour les entreprises qui bénéficient de l'activité minière.
14. Elle propose ensuite quelques pistes de solutions, liste qu'elle ne prétend pas être exhaustive. Elle appelle notamment à certaines formes de désobéissance civile pour rendre moins viable l'exploitation minière par une augmentation des coûts, notamment par des blocages. Elle cite ensuite des exemples de campagnes afférentes à la solidarité internationale, une autre piste pour une prise de conscience collective. C'est surtout un appel au changement des modes de vie qu'elle lance, plaidant pour une décroissance minérale. À la lumière d'une évaluation collective des objets de notre quotidien, il devient impératif pour Izoard de renoncer à un certain confort. L'exemple qu'elle fournit est le téléphone portable. Or, contrairement à plusieurs autres appels à l'action individuelle en matière d'environnement, il s'agit bel et bien pour Izoard d'un appel à l'action collective. À l'échelle dont elle souhaite voir des changements, il devient nécessaire de faire ces choix en tant que société, et non plus simplement comme un renoncement personnel. Il s'agit de changer les manières de faire et de revenir à une certaine simplicité dans certains domaines. [2]
15. Bien qu'elles diffèrent de celles de Guillaume Pitron, les solutions qu'offre Izoard ne sont pas, à mon avis, les points les plus intéressants de l'ouvrage. Les paradoxes dans les discours publics et privés en constituent la clé de voûte. Au-delà d'une liste de constats et de solutions qui y répondent, Celia Izoard a effectué un travail de recherche dans l'espace public des éléments de discours qu'elle considère comme des idées reçues, et qui font largement consensus dans certaines sphères de la société, pour en faire ressortir les incohérences, dénoncer les comportements complaisants et, in fine, enrichir le débat public en sortant des discours actuels hégémoniques en matière d'énergie et d'environnement. À mon avis, bien qu'elle écorche au passage l'industrie minière, le plus intéressant de son essai reste la critique de l'hypocrisie des élites économiques et sociales qui mentiraient pour maintenir en place une exploitation minière pourtant insoutenable. Elle procède en brossant un portrait de l'industrie minière, mais aussi des discours dominants et des idées reçues afférentes à l'exploitation minière. C'est notamment ce qui fait l'originalité de l'ouvrage d'Izoard, versus d'autres auteurs comme Guillaume Pitron. Ce dernier fournissait, selon Izoard, un argumentaire précieux aux élites pour la relance des mines en Europe, ce qu'elle dénonce. Ce seraient à la fois les relations asymétriques au sein de l'Europe, avec une périphérie composée des PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) où seraient relancées la plupart de ces mines, et l'inutilité de cette relance qui justifieraient un retrait des mines selon elle. La relance serait inutile parce que la transition est un mythe. La plupart des métaux extraits seraient de toute façon destinés aux industries de l'aérospatiale, de l'armement et des technologies de pointe. La course aux métaux serait une course à l'armement et au « progrès » technologique. Bien qu'elle s'exprime sur l'exemple du téléphone mobile et de son inutilité, Izoard semble éviter de se prononcer directement sur l'armement et l'aéronautique. Elle fait le parallèle avec la quête des nazis pour des minéraux destinés à l'armement à la fin des années 1930, puis explique les liens qu'entretient la Commission européenne avec les gisements ukrainiens et les entreprises d'exploitation. Elle illustre ainsi les motifs réels de l'intérêt de la Commission pour la défense de l'Ukraine, à ses yeux, sans poser son opinion aussi clairement que pour la fin des téléphones mobiles. Bien que son texte ne soit pas un traité en faveur ou non de la défense ukrainienne, cet aspect manque à son raisonnement puisque ce dernier prête facilement le flanc à des arguments plus réalistes sur la nécessité de défendre le peuple ukrainien de l'invasion russe. Évitant de tomber dans des arguments à la Jean-Marc Jancovici, cet ingénieur français qui défend l'idée de limiter à quatre le nombre de vols autorisés à un individu au cours de sa vie2, elle ne commente pas les usages aéronautiques des minéraux extraits. Elle offre ainsi une alternative au téléphone mobile sans offrir d'alternative à l'aviation commerciale ou à l'armement dans un contexte d'invasion de l'Ukraine, ce qui affaiblit quelque peu son argumentaire dans ce sens selon moi.
16. En n'offrant pas d'alternative crédible aux usages des métaux qui sont critiqués, il est possible de se demander à quel degré les idées d'Izoard relèvent de l'utopie. Il faut noter qu'elle parle peu ou pas de renoncement et de décroissance, ces mots-épouvantails qui sont largement contestés pour leur irréalisme. Ses suggestions sont sectorielles, visées, toutefois trop incomplètes pour que l'on puisse immédiatement croire en une sortie du minier. Si les constats qu'elle fait sont alarmants et nécessitent urgemment une réponse collective, il est difficile de voir comment l'on peut s'en sortir. Les méthodes qui s'accompagnent également de ce genre de renoncement à grande échelle peuvent également tenir du constructivisme rationaliste, une attitude qui, sans contrôle démocratique réel, peut facilement basculer vers la tyrannie. Si son argumentaire est crédible et convaincant, il manque toutefois des pistes crédibles qui dépassent le cadre du choix personnel (comme le téléphone mobile) pour envisager les changements nécessaires suggérés. Malgré ses lacunes, les constats et réévaluations sont nécessaires, et c'est ce que fait l'ouvrage : il lance le débat sur la transition. C'est la raison pour laquelle je ne puis qu'en recommander la lecture.
Édouard de Guise, « Celia Izoard, La ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l'ère de la transition, Paris, Éditions Seuil, 2024, 344 pages. », Revue Interventions économiques [En ligne], 72 | 2024, mis en ligne le 17 septembre 2024, consulté le 24 novembre 2024.
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[1] Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Paris, Les liens qui libèrent, 2018, 296 pages.
[2] 2 Jean-Marc Jancovici (30 mai 2023), "Il faut faire des compromis" : Jean-Marc Jancovici maintient son idée d'un quota de vols en avion, France Inter [Radio], https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mardi-30-mai-2023-5670062

Enfants ukrainiens :enquête sur une entreprise de russification forcée

Les auteurs :
Albert Herszkowicz est militant de la cause ukrainienne, animateur de Memorial 98. Il a publié (avec Beslan Bokhvaureli), « Les enfants ukrainiens victimes de Poutine »,Soutien à l'Ukraine résistante, n° 28, 22 mars 2024.
Bertrand Lambolez est vice-président de l'association Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! (www.pourlukraine. com/) et a coordonné le travail du groupe d'enquête sur les crimes commis à l'encontre des enfants enfants ukrainiens.
Arnaud Lévy est consultant éditorial. Ancien journaliste puis directeur de communication pour une collectivité. Les auteurs sont membres de l'association Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! (www.pourlukraine.com/).
Pour lire l'ensemble ce dossier, cliquez sur ce lien
Ce dossier se place dans la continuité d'une précédente enquête qui a servi de base à une communication envoyée en décembre 2022 au bureau du procureur de la Cour pénale interna- tionale (CPI). Celle-ci a contribué au dépôt, en mars 2023, de mandats d'arrêt contre Poutine et sa commissaire aux droits de l'enfant Maria Lvova-Belova. Ce nouveau volet de notre en- quête révèle que Russie-Unie (R-U, voir enca- dré Russie-Unie), le parti politique de Poutine, a contribué à planifier, coordonner et exécu- ter la déportation, la russification et l'adoption des enfants ukrainiens. L'enquête souligne la dimension génocidaire de cette entreprise qui vise à incorporer les enfants ukrainiens à la na- tion russe. L'intention génocidaire se traduit dans les propos des membres de Russie-Unie qui répètent que l'Ukraine n'existe pas, que les terres et le peuple ukrainiens sont russes, et qui témoignent d'une volonté fanatique de russifier les enfants ukrainiens. La nouvelle communica- tion appelle donc la CPI à étendre ses mandats à d'autres hauts responsables et à requalifier ces crimes afin d'accroître la pression judiciaire sur le pouvoir russe.
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Les Brics dans la stratégie turque : continuité ou changement de paradigme ?

La Turquie, bien que membre clé de l'OTAN et candidate de longue date à l'Union européenne, ne se limite pas à ses alliances occidentales. Son intérêt pour les BRICS, notamment manifesté lors du sommet de Kazan en octobre 2024, témoigne d'une stratégie de diversification des partenariats.
Tiré de Recherches Internationales
Ozan Doğan Avunduk, analyste politique, expert de la Turquie.
Ce rapprochement avec les BRICS soulève des questions sur l'avenir de la politique étrangère turque : L'adhésion aux BRICS marquerait-elle une rupture avec le camp occidental ou s'agit-il plutôt d'une complémentarité ? Les autorités turques inclinent pour la deuxième raison. Examinons de près les BRICS et les récentes orientations de la diplomatie turque afin d'apporter une réponse nuancée à cette question.
BRICS : une plateforme aussi puissante que nébuleuse
Le groupe BRICS a été créé en 2009 pour réussir une meilleure coopération financière et de développement entre les pays émergents. Le mot « BRIC » est l'acronyme pour Brésil, Russie, Inde et Chine. La plateforme est devenue « BRICS » avec la participation de l'Afrique du Sud en 2010 et est communément appelée « BRICS+ » depuis l'adhésion de l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Éthiopie et les Émirats arabes unis en janvier 2024. Avec cette dernière vague d'élargissement, la population totale des BRICS+ a atteint 3,5 milliards d'habitants, soit 45 % de la population mondiale. La taille totale des économies des pays membres est de 28,5 billions de dollars. Cela correspond à environ 28 % de l'économie mondiale. Il importe de noter également que les pays du BRICS produisent également 44 % du pétrole brut mondial. En 2014, les BRICS ont créé un instrument au service d'une nouvelle dynamique économique mondiale, la Nouvelle banque de développement (NBD), dotée alors de 250 milliards de dollars. En amont de leur adhésion aux BRICS, les Émirats et l'Égypte sont devenus membres de la NBD dont l'objectif principal est le financement des projets d'infrastructure dans les pays en développement.
Réunis annuellement sous une présidence tournante, les BRICS forment un bloc économique dynamique où l'Inde et la Chine, grands consommateurs d'énergie, trouvent avec la Russie un fournisseur privilégié. Cependant, l'absence d'une structure institutionnelle solide en fait un ensemble au potentiel encore incertain. Les BRICS n'ont pas de secrétariat permanent, ni de traités contraignants entre leurs membres. En outre, l'hétérogénéité du groupe ne peut être ignorée. Alors que la Russie voit dans les BRICS un soutien pour contrer les sanctions occidentales qui pèsent sur son économie depuis l'invasion de l'Ukraine, d'autres membres comme l'Afrique du Sud et le Brésil évitent une confrontation directe avec l'Occident. Bref, les BRICS sont un groupe de pays en pleine ascension, mais leur cohésion et leur capacité à agir de manière unifiée restent à prouver.
Sommet de Kazan : remise en cause de l'ordre occidental ?
Au dernier sommet des BRICS, les délégations de 35 pays et de six organisations internationales se sont réunies pour échanger sur les questions mondiales et les perspectives d'élargissement des partenariats dans trois domaines principaux : la politique et la sécurité, le commerce et l'investissement, ainsi que les échanges culturels et humanitaires. Les États ont discuté des efforts conjoints possibles pour stimuler la croissance économique dans les États des BRICS et les pays du Sud. Dans ce cadre, par l'intermédiaire de la NBD, ils visent à mettre en œuvre de nouveaux projets communs dans les domaines de l'industrie, de l'énergie, de la logistique et de la haute technologie. Ils ont réaffirmé leur détermination à approfondir les partenariats dans le domaine financier en améliorant la communication interbancaire et en créant de mécanismes de paiement dans les monnaies nationales. La volonté d'établir un tel système pourrait être un défi majeur à l'hégémonie du dollar, monnaie au cœur du système financier international conférant aux États-Unis une influence considérable sur l'économie mondiale.
La Russie, qui préside actuellement les BRICS, a également invité au sommet les dirigeants des États qu'elle qualifie de « partenaires », y compris la Turquie. La déclaration de Kazan souligne l'opposition collective des BRICS à la pratique des sanctions « illégales ».
La Turquie, déjà marginalisée au sein des cercles occidentaux notamment depuis son achat des missiles russes antiaériens S-400, semble s'éloigner de ses partenaires traditionnels. Toutefois, les apparences peuvent être trompeuses.
La Turquie d'Erdoğan en 2024 : entre marasme économique et équilibres diplomatiques fragiles
La Turquie affirme depuis des années sa volonté d'intégrer les BRICS pour équilibrer ses relations internationales. Les propos du président Afrique du Sud de la MÜSİAD, association patronale islamoconservatrice proche du gouvernement, en témoignent : « Les pays tels que la Chine et l'Inde, grâce à leurs fortes populations et leurs efforts sur le plan économique, tentent de briser le monopole des pays occidentaux. Les BRICS prévoient de mettre sur pied un nouveau système financier à l'horizon 2025, ce qui leur permettra non seulement de mieux se soutenir, mais aussi et surtout de trouver des alternatives aux structures financières mondiales, notamment le FMI et la Banque mondiale. (…) La Turquie, bien que non membre des BRICS, a été conviée au sommet avec le statut d'invité spécial. Cette invitation est une grosse opportunité en vue de développer l'économie turque. La coopération économique et la lutte contre le terrorisme seront au menu des échanges tête-à-tête entre le président Erdoğan et les leaders des BRICS (…) le pouvoir économique des BRICS sera supérieur à celui des nations occidentales d'ici 2030. »
La Turquie, sous la direction d'Erdoğan et du parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir depuis 2002, est coutumière de revirements diplomatiques. On note les efforts de réconciliation du président Erdoğan avec d'anciens adversaires : le prince saoudien Mohammed ben Salmane, le président émirati Mohammed bin Zayed Al Nahyane et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Alors qu'il avait porté des accusations très dures contre ces dirigeants depuis 2013, Erdoğan avait entrepris des visites officielles à Riyad, Dubaï et au Caire, marquant ainsi un tournant dans ses relations avec ces pays. Parallèlement, son désir d'intégrer la Turquie aux BRICS, un bloc économique réunissant ces anciens adversaires, témoigne d'un pivot stratégique turc au Moyen-Orient.
Toutefois, les déclarations gouvernementales demeurent souvent équivoques. D'une part, en participant au sommet des BRICS et en demandant à en devenir membre, le gouvernement turc montre qu'il est à la recherche de nouvelles alliances, tandis que d'autre part, il répète à plusieurs reprises que cela ne signifie pas quitter l'OTAN. La Turquie insiste sur le fait que sa collaboration avec les BRICS s'ajoute à son partenariat douanier avec l'UE, sans le substituer.
Le discours d'Erdoğan prononcé seulement quatre jours après le sommet de Kazan, illustre la direction que prend la Turquie : « Nous renforçons notre coopération avec l'Allemagne d'une manière qui sied à deux amis de longue date et alliés de l'OTAN. Notre objectif est d'atteindre 60 milliards de dollars dans les échanges bilatéraux, qui s'élèvent actuellement à 50 millions de dollars (…) Les relations croissantes de la Turquie avec les BRICS ne sont en aucun cas une alternative à ses engagements existants. La Turquie participe à toutes ces plateformes en tant que pays allié de l'OTAN et menant des négociations en vue d'une adhésion à part entière à l'UE ». Le chef de l'État turc continue donc à donner la priorité à la coopération avec l'Occident.
De toute manière, depuis septembre 2024, Moscou tempère les attentes sur l'adhésion de la Turquie aux BRICS. L'organisation a besoin de consolider l'intégration des nouveaux membres accueillis en janvier 2024. Plutôt qu'une adhésion immédiate, un « statut de partenariat » a été proposé à la Turquie et aux autres pays candidats, témoignant d'une approche plus graduelle.
Conclusion
La volonté d'adhésion de la Turquie aux BRICS répond avant tout à une volonté d'éviter l'isolement sur la scène internationale. Les liens historiques, économiques et institutionnels étroits de la Turquie avec l'Europe, notamment avec l'UE, son premier partenaire commercial, et le Conseil de l'Europe dont elle est membre fondateur, créent une interdépendance complexe difficile à rompre.
Face à une situation économique délicate marquée par l'hyperinflation, la Turquie est visiblement à la recherche de nouvelles pistes pour stimuler sa croissance et accéder à de nouvelles sources de financement. L'intégration aux BRICS et à la Nouvelle banque de développement pourrait ouvrir de nouveaux horizons à la Turquie. La matérialisation des opportunités offertes par les BRICS dépendra également de la capacité du groupe à se structurer en une organisation formelle véritablement efficace proposant une alternative crédible aux institutions financières internationales existantes.
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Grève des cheminots : ce qui se joue avec la liquidation de Fret SNCF

Les cheminots se mobilisent ce 21 novembre et annoncent une grève reconductible pour le 11 décembre. C'est leur dernière chance d'arrêter ce qu'ils estiment être la liquidation du Fret SNCF, un mode de transport de marchandises plus écologique.
Photo et article tirés de NPA 29
Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Rapports de force.
Les arbres ont poussé au milieu des carcasses de locomotives, dans la gare de triage de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime). C'est dans cette commune que Stéphane Lachèvre, cheminot, a grandi. Tout comme ses parents avant lui. « Quand j'étais à l'école primaire, il y avait des cheminots qui venaient dans nos classes pour vanter la SNCF et expliquer le métier », se souvient-il. La SNCF était le principal employeur des 30 000 habitants de cette banlieue de Rouen : « On allait visiter avec l'école les ateliers de réparation. L'identité de la ville était marquée par ce chemin de fer et son triage. » En 1996, le jeune homme qui rêvait d'être conducteur de train est embauché à la SNCF dans le fret – le transport ferroviaire de marchandises.
Mais la gare de triage a fermé en 2010. « Un choc », se rappelle le cheminot. Depuis, la gare de triage de Sotteville est devenue « un cimetière de locomotives ». Pour les trains en bout de course, ou pour ceux en bon état que la SNCF ne fait plus circuler faute d'un trafic suffisant. « À force, on s'habitue », soupire le conducteur de fret. « Mais venir tous les jours au boulot en se disant que ce lieu est devenu un dépotoir… C'est désolant. »
Bien d'autres gares de triage en France incarnent cette dégradation du fret ferroviaire, un moyen de transport de marchandises pourtant bien moins polluant que la route. Après des années d'ouverture progressive à la concurrence de ce qui était jusqu'alors un monopole public, l'État s'apprête à porter le coup fatal. Fret SNCF, qui représente 50 % de l'activité et 4500 cheminots, va être liquidé au 31 décembre.
Transférés au privé, sans garantie sur leurs droits sociaux
Après 28 ans de bons et loyaux services, Stéphane Lachèvre ne sera plus conducteur de Fret SNCF. À partir du 1er janvier 2025 en effet, lui et ses 4500 collègues seront transférés automatiquement vers deux nouvelles filiales. Hexafret, dédiée aux activités du fret, reprendra 4000 personnes. Technis en reprendra 500 pour l'entretien des locomotives. Le capital de la société Rail Logistics Europe, la branche du groupe SNCF qui englobe ces filiales Hexafret et Technis, a un capital ouvert aux actionnaires publics… comme privés. « On avait donc une branche construite avec de l'argent public, que l'on va désormais mettre au service du privé. Avec un schéma de rentabilisation à outrance », expose Julien Troccaz, secrétaire fédéral de Sud Rail.
Une plongée dans l'inconnu. Pendant quinze mois, les conditions de travail des cheminots du fret doivent être maintenues. Mais ensuite : aucune garantie. Après les 15 mois, il y aura de nouveaux accords d'entreprise, en repartant d'une feuille blanche, basée sur la convention collective nationale. « C'est une stratégie de dumping social, tout simplement », résume Sébastien Mourgues, contrôleur de train, secrétaire général de la CGT cheminots du Languedoc-Roussillon. « Quinze mois, ça passe très vite », craint Stéphane Lachèvre, aujourd'hui élu Sud Rail au comité social et économique (CSE) de Fret SNCF. « Nous ne vivons pas bien du tout cette incertitude. »
Même pendant ces quinze mois, certaines dispositions pourraient ne plus être respectées. Les deux filiales ont d'ores et déjà fait savoir qu'elles ne souhaitaient pas appliquer l'ensemble des mesures contenues dans les dizaines d'accords d'entreprise existants, pour le moment, à la SNCF. L'accord sur le temps de travail, par exemple, est en jeu. En vertu de cet accord, et des horaires de travail qui doivent être adaptées aux contraintes des trains de marchandises, qui circulent de jour comme de nuit, les agents avaient jusqu'ici droit à un repos minimum de 14 heures entre deux journées de travail , et de 9 heures lorsqu'ils sont en découché à l'extérieur (pour les conducteurs de locomotive notamment). « On sait qu'il y a une velléité de diminuer ce temps de repos. Sauf qu'en faisant cela, on affecte la sécurité ferroviaire », avertit Sébastien Mourgues. La direction de la SNCF prévoit une réunion sur ce sujet des conditions de transfert le 27 novembre. À peine un mois avant l'échéance.
L'exigence d'un moratoire
Pour espérer mettre un coup d'arrêt à la liquidation, une grève est menée ce jeudi 21 novembre par l'intersyndicale CGT, Unsa, Sud, CFDT. Si le gouvernement et la direction de la SNCF ne répondent pas à leurs revendications, les syndicats font planer la menace d'une grève reconductible à partir du 11 décembre au soir. Un ultimatum. C'est que depuis de longs mois, les syndicats et cheminots se mobilisent et se rassemblent sur le sujet.
Parmi leurs revendications principales : la tenue d'un moratoire. Il s'agit d'un enjeu écologique, donc d'un sujet d'intérêt général, défendent les cheminots interrogés. « Il faut que le grand public se saisisse de ce sujet », insiste Loïc Guigou, conducteur de trains fret à Avignon, secrétaire général de la CGT cheminots locale. « Sur les chaînes d'infos en continu, on parle très peu du fret : on ne parle des cheminots que pour dire qu'ils “prennent en otage” pour les fêtes de fin d'année », déplore-t-il. Ce moratoire était l'une des préconisations de la commission d'enquête parlementaire dont le rapport sur la libéralisation du fret a été clôturé en décembre 2023. Mais jusqu'ici, le gouvernement et le ministère des Transports opposent une fin de non-recevoir.
Le gouvernement affirme seulement répondre à des injonctions européennes.
Rembobinons : en janvier 2023, la Commission européenne annonce l'ouverture d'une enquête à l'encontre de l'État français, soupçonné d'aides illégales versées à Fret SNCF entre 2005 et 2019. Le montant de l'aide publique à rembourser s'élève à 5 milliards d'euros. Pour éviter de devoir payer cette facture salée, l'ex-ministre des Transports Clément Beaune annonce, en mai 2023, le futur découpage du Fret SNCF en deux filiales.
Les activités parmi les plus rentables cédées à la concurrence
« C'est de la lâcheté politique », estime Julien Troccaz de Sud Rail. Les conclusions de cette enquête européenne n'ont toujours pas été communiquées. Lorsqu'elles le seront, si une demande de remboursement est effectivement émise, il sera toujours temps de la contester, martèlent les syndicats. D'autant que la viabilité économique du modèle en deux filiales privatisées interroge. Le CSE de Fret SNCF a commandé des expertises au cabinet Secafi sur le sujet. Dans ces rapports 2023 et 2024, que nous avons pu consulter et que Reporterre avait révélé, il est écrit que les mesures imposées au groupe « risquent de fragiliser l'activité dans son ensemble » et qu'elles vont aboutir à un « modèle économique plus coûteux ».
En outre, une fenêtre s'est ouverte avec un changement de poste : Teresa Ribera, ministre espagnole socialiste et écologiste, devrait devenir la nouvelle vice-présidente de la Commission européenne en charge de la concurrence au 1er décembre. Les syndicats estiment que le gouvernement français pourrait négocier avec elle un changement de cap. « Nous ne lâcherons pas politiquement, au vu de l'urgence climatique. On a beaucoup d'alliés qui nous soutiennent dans la défense du fret, notamment au sein de l'Alliance écologique et sociale [qui réunit huit organisations syndicales et associatives] », martèle Julien Troccaz. « On a quatre semaines pour amplifier le rapport de forces. »
Le transfert aux deux filiales prévu en janvier 2025 a déjà impliqué la baisse de 10 % des effectifs du fret. 500 agents sont partis entre mi 2023 et aujourd'hui. Tous « se sont vus proposer une solution au sein du groupe », s'est maintes fois défendue la direction de la SNCF. « La direction a très bien joué tactiquement : elle a tellement pourri notre roulement, que les personnes ont d'elles-mêmes décidé de partir à droite à gauche et de demander des mutations », explique Loïc Guigou, le conducteur fret d'Avignon, dont le nombre de collègues a été divisé par deux en un an.
C'est qu'en mai 2023, toujours pour donner des gages à la Commission européenne, le gouvernement a annoncé l'obligation pour Fret SNCF de délaisser une part importante de ses trains à la concurrence. Le ministère des Transports a ainsi contraint le Fret SNCF de se séparer de ses flux de combinés, c'est-à-dire son trafic de containers également transportés par voie fluviale ou routière. Le Fret SNCF a dû informer ses clients de leur obligation de trouver un nouvel opérateur d'ici juin 2024 pour gérer ces flux. C'était pourtant la partie la plus rentable du fret, avec une haute fréquence de circulation : les combinés représentent 20 % du chiffre d'affaires et 30 % du trafic. Ils sont désormais aux mains d'autres opérateurs belges, français ou encore allemands.
Conséquence : « Il y a eu une vraie chute de la charge de travail », atteste Loïc Guigou. « Quand vous restez des semaines à attendre que le téléphone sonne, c'est difficile. » Sur la fiche de paie, là où un conducteur expérimenté fret gagne entre 2500 et 2800 euros net, la baisse de l'activité s'est concrétisée par « 400 à 600 euros de moins » chaque mois, du fait de l'absence de primes, précise-t-il.
Les cheminots transformés en sous-traitants des concurrents
À la place, l'État a obligé les cheminots du Fret SNCF à assurer de la sous-traitance pour conduire et maintenir les trains le temps que la concurrence forme ses propres employés. « On est allés jusqu'au bout de l'ignoble », lance Loïc Guigou. « Voir les trains que l'on faisait, nous, être remplacés par des trains roulant pour la concurrence. Et que l'on nous demande en plus d'assurer la sous-traitance le temps que cette concurrence soit prête… C'est très dur humainement. »
Dans ses rapports d'expertise, le cabinet Secafi pointe une exposition aux risques psycho-sociaux « forte » depuis mai 2023. L'incertitude pour l'année prochaine produit le sentiment général que « tout le monde est laissé à l'abandon », décrit Mikaël Meusnier, conducteur du fret depuis plus de vingt ans, par ailleurs secrétaire général du syndicat des cheminots CGT de Perpignan. Cette situation « engendre un sentiment de dégoût. Et puis après, les problèmes professionnels, tu les ramènes à la maison », confie un cheminot, qui préfère en parler anonymement.
« On a exercé nos droits d'alerte sur les risques psycho-sociaux, pour danger grave et imminent », insiste Loïc Guigou. En Languedoc-Roussillon, plusieurs cheminots du fret « sont tombés malades après l'annonce de mai 2023 », abonde Sébastien Mourgues. Partout, les syndicats ont alerté. En Normandie, pour les agents de Sotteville-lès-Rouen, une alerte pour danger grave et imminent a été adressée dès juin 2023 à la direction Fret SNCF et à la direction des ressources humaines par le CSE. Les annonces gouvernementales entraînent « beaucoup d'inquiétudes, d'anxiété et d'angoisse », pointe le document que nous avons consulté. Avec « un profond mal-être psychologique » qui « peut engendrer des ruptures de séquence dans des opérations de sécurité ».
Dégradation historique au mépris des enjeux écologiques
L'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, si elle a touché de plein fouet Fret SNCF entre 2023 et aujourd'hui, ne date pas d'hier. Dès 2006, les lignes nationales du fret ferroviaire sont ouvertes à la concurrence. Trois ans après les lignes internationales. D'où le fait que parmi les agents du Fret, « beaucoup ressentent le sentiment d'un lent déclassement collectif et individuel », pointe le rapport du cabinet Secafi.
La SNCF était en situation de monopole public sur le fret il y a 20 ans. Elle est devenue, au fur et à mesure, un groupe parmi d'autres. Cet éclatement progressif a « cassé l'ambiance cheminote, la solidarité qu'il y avait à l'époque entre nous », regrette Mikaël Meusnier. Mais la SNCF est restée un groupe fort, puisqu'aujourd'hui, elle gère encore 50 % du transport de marchandises. L'ouverture à la concurrence, elle, est loin d'avoir tenu la promesse initiale d'une relance de l'activité. La part modale du fret ferroviaire par rapport aux autres types de transport a diminué de moitié (de 16 à 8 %) entre 2000 et 2018. Dans le même temps, en 15 ans, 63 % des effectifs ont été supprimés. « Un vrai carnage social », résume Julien Troccaz.
À contre-courant de ce que prévoit aujourd'hui l'État français, les pays européens disposant d'une part modale du fret ferroviaire supérieure à 20 %, comme la Suisse, ont « tous développé des politiques publiques actives », note le cabinet d'expertise Secafi. Avec des investissements de modernisation et développement du réseau ferré, ou encore « des incitations au report modal », par exemple l'interdiction de circuler pour les poids lourds certains jours.
Le même argument gouvernemental perdure pourtant : le fret coûterait trop cher, comparativement à la route. « Mais si on commençait à faire payer l'entretien des routes aux transporteurs routiers, et si l'on ne défiscalisait pas le gasoil, et bien peut-être que la bataille ne serait pas la même », raille Loïc Guigou. « On oublie toujours de parler des coûts induits du transport routier, que la société paie : la pollution de l'air, le bruit, les accidents de la route », liste Stéphane Lachèvre.
En 2018, la réforme d'Élisabeth Borne a scellé le sort du fret, en divisant la SNCF en quatre sociétés anonymes (SA), tandis que le Fret est devenu une société par actions simplifiée (SAS). Le tout « en gardant l'endettement historique dans ses comptes et en se mettant sous dépendance de financements bancaires. Ce n'est rien d'autre que la mise à mort de Fret SNCF. Le Fret va disparaître », s'alarmait déjà le CSE de la filière dans un communiqué de 2019.
Nous y sommes aujourd'hui. « Le fret SNCF est dans une situation qui découle de vingt ans de restructurations de l'outil de production », résume Sébastien Mourgues. Pour la suite, avec le basculement du Fret SNCF aux mains de deux filiales ouvertes au privé, « on s'attend à une descente infernale de suppressions de poste », prédit Julien Troccaz. L'opération rappelle le coûteux imbroglio autour de la création de la société Réseau ferré de France (RFF) en 1997, pour dissocier l'entretien des voies ferrées (assuré par RFF) de son exploitation (par la SNCF ou l'ouverture à la concurrence), et loger la dette de la SNCF dans une nouvelle entité. Résultat : pendant la décennie qui suit, à cause de trop faibles investissements, l'état du réseau ferré s'est fortement dégradé avec les conséquences que l'on sait en matière de fermeture de lignes, de dysfonctionnements et de retards pour les usagers.
Le fret, « un laboratoire » pour les TER, Transiliens et Intercités
Les demandes de mutation des agents du Fret, désireux d'éviter le transfert de janvier, se sont multipliées ces derniers mois. Au 31 décembre, chacun sera fixé. Soit le changement de poste – donc de lieu et/ou de conditions de travail – est accepté ; soit le cheminot est automatiquement transféré sans avenant à son contrat dans la nouvelle filiale.
Loïc Guigou, lui, a fait une demande de mutation vers le TER. Mais sa région PACA est en première ligne de l'ouverture des TER à la concurrence – autre sujet de lutte des cheminots depuis de longs mois. Du fret au TER, la direction de la SNCF « emploie les mêmes méthodes sur l'ouverture à la concurrence », décrit Sébastien Mourgues. « Tout cela relève d'une stratégie globale de démantèlement de la SNCF et de baisse des droits sociaux des cheminots. » Ce 21 novembre, l'intersyndicale demande aussi l'arrêt du processus de filialisation des TER, Transilien et Intercités.
Sa mutation, Loïc ne la perçoit donc que comme « une mini bouffée d'oxygène. Je sais que dans quelques années, je vivrai au TER la même chose que ce que j'ai vécu au Fret. » Les cheminots les plus anciens « mesurent que tout ce qui a été fait avec Fret SNCF, c'est le laboratoire de ce qui va s'appliquer ailleurs, dans les autres services », soutient Sébastien Mourgues. « D'où leur forte colère aujourd'hui. »
Maïa Courtois 20 novembre 2024
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Togo. Refus de reconnaissance du Syndicat des enseignant·es du Togo et licenciement de grévistes

Depuis mai 2022, 119 enseignant·es grévistes ont été arbitrairement révoqué·es ou licencié·es à la suite de la création du Syndicat des enseignants du Togo (SET).
Tiré de Infolettre https://www.questionsdeclasses.org/enseignants-en-lutte-au-togo-et-en-iran-amnesty-international/
Le SET a été créé en 2021 en respect des législations locales et internationales, mais le gouvernement togolais a arbitrairement refusé son enregistrement et donc sa
reconnaissance.
En mars 2022, le SET dépose un préavis de grève qui sera majoritairement suivi dans le secteur dans de nombreuses régions du pays. A la suite de cette grève, le ministère de la Fonction Publique exclut alors 137 enseignant·es grévistes. Le ministère joue l'escalade répressive et 3 responsables du SET et le prestataire informatique du syndicat seront arrêtés à Lomé et mis en garde à vue en avril. Le 2 novembre 2023, le Comité de la liberté syndicale
(CLS) de l'Organisation internationale du travail (OIT) a émis de sérieuses réserves sur plusieurs aspects de l'action de l'État du Togo (cf. § 685, 694 et 697) et a demandé à ce dernier un certain nombre d'informations complémentaires (§ 698). Le 10 juillet 2024, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a condamné l'État du Togo pour violation du droit au travail des requérants.
Dans leur quasi-totalité, les enseignant·es révoqué·es ou licencié·es ne sont pas parvenu·es à se réinsérer dans le monde de l'emploi, et leurs foyers se trouvent ainsi plongés dans une grande précarité. Le SET réclame encore à ce jour la réintégration des 119 licencié·es et appelle à la solidarité internationale.
Source : Rapport OIT No. 404, Octobre 2023 – https://normlex.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:50002:0::NO::P50002_COMPLAINT_TEXT_ID:4364412
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Bernie aurait gagné. Pour vrai.

D. Trump ne cesse de gagner parce que le Parti démocrate refuse d'être le Parti de la classe ouvrière
Natalie Shure, The Intercept, 12 novembre 2024
Traduction, Alexandra Cyr
Chaque défaite du Parti démocrate soulève des débats sur une des questions les plus entendues en ces temps de politiques électorale : Est-ce que Bernie (Sanders) aurait gagné ? Au point de départ, ce débat était clair. Immédiatement après l'échec d'Hilary Clinton en 2016 face à D.Trump, la gauche du Parti démocrate est montée au front pour dire que leur candidat favori aux primaires aurait gagné haut la main cette élection présidentielle ce que ne pouvait pas faire la candidate choisie.
L'argument allait comme suit : l'orientation de D. TRump, anti-establishment, anti-néolibéralisme et anti-statu-quo l'a facilement propulsé à la tête du Parti républicain et du votre populaire dans les États pivots qui déterminent la Présidence américaine. Même si sa position d'héro de la classe ouvrière est plus que douteuse, (rappelons-nous qu'il est un multimillionnaire, un seigneur de l'immobilier dont le penthouse est doté d'un ascenseur en or), Mme Clinton était l'avatar ambulante de l'exacte élite politique que D. Trump diabolisait.
Bernie Sanders de son côté, a passé sa carrière entière à argumenter contre la classe dirigeante que représente justement D. TRump. Là où il blâme les immigrants.es et demande leur expulsion parce qu'ils et elles feraient le malheur du pays, B. Sanders pourfend les riches et les puissants.es pour les mécontentements causés à la classe ouvrière et exige des politiques sociales comme réponses.
Les arguments de B. Sanders vont ainsi : « Oui le système est tout de travers, vous êtes pris à la gorge, alors attaquons-nous à ces gras-durs qui font cela et donnons à tous et toutes ce qu'ils et elles méritent », il y a là une réponse, une alternative positive à envoyer à D. Trump. Pour Mme Clinton, c'était plutôt : « Non le système n'est pas tout de travers, vous n'êtes pas pris à la gorge alors, maintenant, votez pour les gras-durs que favorisent vos politiciens.nes ».
Impossible de défaire le trumpisme sans une lutte de classe et la promesse d'un changement pour la classe ouvrière
Huit ans plus tard, la défaite de K. Harris face à D. Trump ressuscite un autre aller-retour entre les camps qui analyse le déclin du Parti démocrate quant aux enjeux de classe ou de culture : est-ce que se sont le racisme et le fanatisme qui ont permis la victoire triomphale de D. Trump ? Ou est-ce l'anxiété face à l'économie ? C'est passer à côté des problèmes les plus évidents en présumant qu'un seul de ces facteurs puisse être en jeu ou qu'ils sont absolument distincts les uns des autres. Ce genre de discussion fait l'impasse sur ce que veut vraiment dire : « Bernie aurait gagné ». Impossible de battre le trumpisme sans une lutte de classe et une promesse de changement pour la classe ouvrière. Pour y arriver, il faut la solidarité de la classe ouvrière multiraciale et un Parti que représente cette coalition d'intérêt. D'ici à ce que cela arrive, à la fois dans la politique électorale et en dehors d'elle, préparez-vous à vire avec Trump, après Trump et encore après Trump.
Commençons par là où les sceptiques en regard des politiques basées sur la classe, ont de correct : D. Trump et ses alliés.es dans la droite ont souvent appuyé sur le racisme, la misogynie, l'homophobie, et la xénophobie dans leurs stratégies politiques. Cela rejoint l'électorat à un point tel qu'on ne peut détourner le regard sous prétexte que c'est trop dur à voir et entendre. Dans l'écosystème des médias en ligne le discours est vite devenu horrible depuis 2016 et les plus fidèles partisans.es du territoire trumpien vont sûrement fièrement mettre de l'avant que « provoquer les libéraux.ales » est l'essence de leur politique. C'est le recul face aux mouvements comme Black Lives Matter, #MeToo ou face à la lutte pour les droits de reproduction ou ceux des personnes transgenres qui s'est fusionné autour de politiques qualifiées de nostalgiques qui ne conviennent qu'aux patriarches ultratraditionnels. Si l'administration Biden a produit quelques avantages pour la classe ouvrière, les Démocrates ont encore été incapables de répondre avec intelligence à la détresse des électeurs.trices quand l'inflation a effacé ces progrès fondamentaux.
Si on prend toutes ces forces démoralisantes en compte, il est impossible de suggérer que Mme Harris aurait pu obtenir 10 points de plus de la part des travailleurs.euses dans les comtés pivots les plus importants face à D. Trump, simplement en présentant quelques livres blancs ou crédits d'impôts et de taxes de plus. Comme le souligne Julia Claire de Crooked Media, sur la plateforme X : « Certains.es pensent que nous pourrions adopter le populisme économique à notre façon…mais ce n'est pas ce qu'ont fait les Républicains.es pour gagner. Nous devons faire face au moment réactionnaire culturel dans lequel nous nous retrouvons en commençant par interpeler les hommes ». La commentatrice Jill Filipovic fait le même constant : « Cette élection n'a pas été une mise en accusation de Mme Harris. Elle a été une mise en accusation des États-Unis ».
Même si vous acceptez cette prémisse qui est terriblement proche d'un argument à l'effet que les électeurs.trices de D. Trump ne seraient que des méchantes personnes, qu'elle théorie de changement peut-elle inspirer ? Dire des électeurs.trices de D.Trump que ce ne sont que des pitoyables n'a absolument rien donné en 2016 et c'est toujours le cas. Et s'il s'agit que récupérer les pitoyables un.e par un.e vous vous frappez au fait que l'électorat républicain et démocrate est de plus en plus divisé socialement. Notre univers social détermine nos croyances et nos comportements et nous passons considérablement plus de temps dans des univers différents. Pour le dire crûment, quelle position pourrais-je prendre pour réprimander, faire la leçon ou persuader des gens qui vivent dans les villes désindustrialisées de la Ceinture de la rouille ?
Le leader de la majorité démocrate au Sénat, C. Shumer (démocrate de New York), a avancé une réponse à ce dilemme de la fuite de la classe ouvrière du Parti démocrate : « pour chaque col bleu que nous perdons en Pennsylvanie de l'ouest nous gagnons deux républicains.es dans les banlieues de Philadelphie et nous pouvons faire la même chose en Ohio, en Illinois et au Wisconsin ». C'est ce calcul qui a particulièrement guidé K. Harris qui a fait une campagne importante pour s'attacher les modérés.es anti-Trump avec Liz Cheney à ses côtés. Mais de toute évidence ça a tourné court mathématiquement et politiquement. Il y a considérablement plus de cols bleus qu'il n'y a d'électeurs.trices cols blancs entichés.es de L. Cheney. Et plus la base du parti compte sur les derniers.ères moins il peut donner aux premiers.ères et plus sa survie dépends de la préservation du statut quo qui a indisposé tant de personne depuis le début. Mais, le plus important c'est que ça n'a pas marché : D. Trump est de retour à la Maison blanche.
Donc, la solution repose sur la création d'une coalition qui adopte un discours qui soit en compétition avec celui de D. Trump, qui forge de nouveaux liens sociaux et se prépare autour d'intérêts matériels communs. Ce discours doit être porté par une personne peut le rendre de telle façon à ce qu'il résonne ; c'est quelque chose qu'une figure à la B. Sanders pourrait faire alors que la plupart des Démocrates ne peuvent, considérant leur base de financement et leurs trajectoires politiques.
Avec toute sa monstruosité, D. Trump s'est servi des idées de désillusion envers le système et a réussi à convaincre certaines de ses plus importantes victimes qu'il était de leur côté. Bien sûr, qu'il ne l'est pas. Mais presque la moitié des plus pauvres du pays ont voté pour lui. Seul, B. Sanders a la crédibilité pour en demander autant de la part de la gauche élargie. Il a passé des décennies à se battre sans fléchir, toujours plus profondément, pour la classe ouvrière. Il espère que d'autres pourront se servir de son expérience et aller un peu plus rapidement.
Pour impossible et abstrait que ça puisse paraître que de vouloir réaligner la base démocrate sur des intérêts de classe partagés, c'est quand même plus concret que de vouloir « réduire le fanatisme envers les étrangers.ères ». Le mouvement ouvrier offre tous les plans et devis pour mettre un tel objectif en pratique.
Dans toute l'histoire américaine, partout dans le monde, l'organisation basée sur la classe qui unit les populations à travers les races, les ethnies et les barrières de langues a été le mécanisme le plus puissant pour construire des sociétés plus égalitaires et plus justes. Mais il faut obliger les riches et puissants.es à adhérer. Penser que le Parti républicain peut-être ce véhicule est risible. Nous devons avoir un Parti d'opposition qui peut se tenir debout et être aux côtés de sa propre base.
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La crise du féminicide en Iran : Comprendre l’urgence du changement

La semaine dernière, deux cas de féminicide ont secoué l'Iran. Tout d'abord, un avocat a assassiné sa femme journaliste, Mansoureh Ghadiri Javi, à coups de couteau et d'haltère. D'autre part, un autre avocat a tué sa femme et son fils avant de mettre fin à ses jours.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Selon le journal iranien « Etemad », au moins 165 cas de féminicides ont été signalés en Iran. Ces cas se sont produits entre juin 2021 et juin 2023. Cela signifie qu'en moyenne, une femme est tuée tous les quatre jours.
En Iran, la violence domestique touche les femmes de toutes les classes sociales et de tous les milieux. Les structures culturelles, sociales et économiques font qu'il est difficile pour les femmes de chercher de l'aide ou d'échapper à ces situations de violence. La peur des conséquences sociales, le manque de soutien et l'ignorance des droits mettent de nombreuses femmes en danger. Les meurtres sont souvent justifiés par l'« honneur », la jalousie ou des conflits familiaux. Ils deviennent mortels en raison des structures sociétales et juridiques qui limitent les sanctions pour ces actes.
Ces cas récents mettent en lumière une tendance inquiétante. Les hommes impliqués auraient dû être des défenseurs de la loi. Au lieu de cela, ils ont été les auteurs de ces actes odieux. Dans les deux cas, il s'agit d'hommes qui, après avoir commis un meurtre, ont également tenté de mettre fin à leurs jours. Il ne s'agit pas d'événements isolés, mais de failles profondes dans la société et le système judiciaire.
Contexte historique du féminicide en Iran
L'histoire du féminicide en Iran s'étend sur plusieurs décennies et est profondément ancrée dans le tissu culturel, social et juridique de la société. Le terme « féminicide » ne désigne pas seulement l'acte de tuer des femmes, mais aussi les systèmes plus larges qui le permettent et l'excusent. En Iran, le féminicide est souvent lié à l'« honneur » ou à la « chasteté », de nombreux meurtres étant justifiés comme des actes visant à restaurer l'honneur de la famille ou à protéger les valeurs de la société. Ces croyances s'appuient sur une culture patriarcale et des lois qui renforcent l'assujettissement des femmes.
Dans les premières années de l'État moderne, les attitudes sociales et les lois faisaient des femmes des personnes à charge au sein des familles, d'abord en tant que filles, puis en tant qu'épouses. Cette dépendance n'était pas seulement le reflet de normes culturelles, elle était également inscrite dans le cadre juridique iranien. Les lois placent la vie et le corps des femmes sous le contrôle des hommes de leur famille, principalement les pères, les frères et les maris. Une fille perçue comme déshonorant sa famille pouvait être « corrigée » par la violence, y compris la mort, et dans de nombreux cas, ces actions étaient soit justifiées, soit ignorées par la loi et la société.
Au fil des ans, quelques magazines et publications consacrés aux questions féminines ont mis en lumière ces cas. Ils ont documenté d'innombrables cas de féminicides. Les rapports des années 1980 et suivantes révèlent une cohérence effrayante. Les femmes ont continué à subir des violences de la part de leur famille. Souvent, elles n'ont que peu de recours juridiques. Les codes juridiques iraniens contiennent des dispositions qui autorisent ou réduisent les peines pour les hommes qui tuent des femmes de leur famille sous prétexte de défendre l'honneur de la famille. Cette indulgence juridique renforce l'intégration du féminicide dans la structure sociale iranienne, le faisant passer du statut de crime individuel à celui de pratique acceptée aux yeux de beaucoup.
L'idée culturelle de « l'honneur » joue également un rôle central dans le féminicide. La perception selon laquelle les actions d'une femme – qu'il s'agisse de sa tenue vestimentaire, de son comportement ou même de ses fréquentations reflètent l'« honneur » de ses parents masculins a historiquement conféré aux hommes une autorité sociale et morale sur la vie des femmes. Les actions « déshonorantes » d'une femme ne sont pas considérées comme les siennes propres, mais comme celles de toute sa famille. Ce concept persiste malgré l'évolution du rôle des femmes dans la société iranienne. Les femmes ont fait des progrès en matière d'éducation, de participation au marché du travail et d'engagement social, mais ces avancées n'ont pas effacé la notion profondément ancrée selon laquelle le comportement d'une femme doit être contrôlé pour préserver l'honneur de la famille.
Ces dernières années, bien que certains amendements aient été apportés à la législation, la structure fondamentale des systèmes juridiques et culturels qui autorisent le féminicide est restée largement inchangée. Les lois iraniennes accordent toujours une grande indulgence aux hommes qui commettent ces crimes, en particulier lorsqu'ils invoquent l'« honneur » ou la « réputation de la famille ». Pour de nombreuses femmes, la menace de la violence continue de peser sur elles, car les protections sociales et juridiques restent insuffisantes. Dans certains cas, ces lois semblent presque encourager le féminicide, en confortant le message que les hommes de la famille ont le droit de décider du sort des femmes sous leur « protection ».
Récits de victimes et de survivantes
L'impact du féminicide en Iran apparaît douloureusement à travers les récits de femmes victimes dont les noms deviennent des symboles d'injustice et de tristesse. Ces histoires ne sont pas seulement des tragédies personnelles ; elles illustrent le poids écrasant des attentes culturelles et familiales sur la vie des femmes. Des femmes comme Tahereh, Romina et d'innombrables autres sont devenues célèbres parce que leur mort, bien que déchirante, souligne les pratiques brutales auxquelles les familles sont prêtes à se soumettre pour préserver l'« honneur ».
Tahereh n'avait que seize ans lorsqu'elle a été victime du sens du déshonneur de sa famille. Son histoire, publiée il y a vingt ans dans un magazine féminin, a choqué les lecteurs par sa froide cruauté. Son père, croyant qu'elle n'était pas vierge lors de sa nuit de noces, a décidé que sa vie avait moins de valeur que la réputation de la famille. Même après qu'un examen médical a prouvé son innocence, son destin a été scellé par la seule accusation. Tahereh a été assassinée par son propre père et son propre oncle, qui voyaient en elle une tache sur l'honneur de la famille. Son histoire, bien qu'écrite il y a des décennies, résonne encore aujourd'hui. La mort de Tahereh n'est pas un incident isolé ; elle est emblématique d'un modèle dans lequel le seul soupçon suffit à justifier l'assassinat d'une femme.
L'histoire de Romina est tout aussi effrayante et plus récente, montrant que le paysage juridique et culturel n'a guère changé. À l'âge de quatorze ans, Romina a tenté de s'enfuir avec un homme qu'elle aimait. Son père l'a trouvée et, malgré les appels à la protection de Romina, les autorités l'ont renvoyée chez elle, persuadées que son père ne lui ferait pas de mal. Quelques jours plus tard, il lui a ôté la vie dans un horrible acte de meurtre « d'honneur », utilisant une faucille pour la décapiter dans leur propre maison. La mort de Romina a provoqué un choc et une vague d'horreur en Iran, notamment parce qu'elle avait cherché de l'aide, craignant exactement ce qui se passerait si elle retournait auprès de son père. Le système l'a laissée tomber, la renvoyant dans un environnement où sa vie était menacée.
Ces histoires mettent en lumière la dynamique brutale du pouvoir et du contrôle au sein des familles iraniennes et l'immense pression sociale exercée pour se conformer aux valeurs traditionnelles. Dans les deux cas, la loi a été impuissante à prévenir la violence ou à rendre justice après coup. De nombreux féminicides ne sont jamais rapportés en détail, cachés derrière des portes closes ou considérés comme des affaires privées et familiales. Le silence qui entoure ces affaires découle non seulement de la peur des représailles, mais aussi de la croyance profondément ancrée que l'honneur de la famille l'emporte sur le droit d'un individu à vivre librement.
Certaines femmes qui ont survécu à des agressions violentes portent des cicatrices physiques et psychologiques à long terme, mais leur voix est souvent ignorée. De nombreuses survivantes ne peuvent pas parler ouvertement de leur expérience sans risquer leur sécurité ou de renforcer la honte de leur famille. Dans les rares cas où les survivantes se manifestent, elles révèlent une société peu encline à compatir avec les femmes qui ont « déshonoré » leur famille. Malgré le traumatisme qu'elles subissent, les survivantes se retrouvent souvent ostracisées, qualifiées de « souillées » ou de « déshonorantes » pour des actions qui peuvent être aussi simples que de choisir son propre partenaire ou de rejeter des coutumes restrictives.
À travers ces récits, il apparaît clairement que le féminicide en Iran n'est pas simplement une série d'incidents isolés ; il est le reflet d'une culture omniprésente qui considère les femmes comme des réceptacles de l'honneur familial, à protéger ou à punir selon ce que les hommes jugent bon. Pour chaque Tahereh ou Romina, il y en a d'innombrables autres dont les noms et les histoires restent inconnues, leurs voix réduites au silence au nom de la tradition. Leurs récits, qu'elles soient victimes ou survivantes, soulignent l'urgence d'une réforme juridique et d'un changement culturel visant à reconnaître les droits inhérents des femmes à vivre sans crainte.
Rôle de la famille et de la communauté dans le féminicide
En Iran, la famille et la communauté jouent un rôle crucial dans la perpétuation du cycle du féminicide. Le féminicide est rarement considéré comme un acte de violence individuel ; il s'agit souvent d'une expression collective des attentes sociales, des valeurs familiales et de la pression de la communauté. Lorsque les femmes défient ou semblent défier les normes acceptées, en particulier sur les questions de sexualité et d'autonomie, elles ne sont pas seulement considérées comme des déceptions individuelles pour leur famille. Au contraire, elles sont perçues comme une menace pour le statut social de la famille et sa réputation au sein de la communauté.
En Iran, la cellule familiale est traditionnellement considérée comme une structure sacrée, dont les membres ont des rôles stricts. Les femmes et les filles sont souvent considérées comme porteuses de « l'honneur » de la famille, les hommes étant considérés comme les gardiens de cet honneur. La notion d'honneur est profondément liée au comportement, à l'apparence et aux relations d'une femme, ce qui la rend sujette à un examen minutieux de la part non seulement de sa famille proche, mais aussi de sa famille élargie et de ses voisin·es. Les hommes, en particulier les pères, les frères et les maris, se sentent tenus de surveiller la conduite des femmes de leur famille et sont censés prendre des mesures s'ils perçoivent une menace pour la réputation de la famille. Dans ce contexte, la communauté renforce souvent ces attentes, en faisant directement ou indirectement pression sur les familles pour qu'elles contrôlent les femmes « rebelles » ou « désobéissantes ».
La pression communautaire peut amplifier l'intensité de ces attentes. Les familles peuvent se sentir obligées de prendre des mesures extrêmes, comme le féminicide, pour éviter la honte publique. Dans de nombreux cas, des ami·es, des voisin·es et même des parent·es éloigné·es peuvent suggérer ou encourager des mesures punitives à l'encontre des femmes considérées comme ayant déshonoré la famille. Cet état d'esprit collectif considère que l'« honneur » doit être préservé à tout prix et que toute menace, réelle ou imaginaire, est rapidement punie. Par exemple, dans le cas de Romina, son père aurait été confronté à des critiques incessantes de la part des voisin·es et des parent·es qui le condamnaient pour avoir permis à sa fille de fréquenter l'homme de son choix. Lorsqu'il l'a finalement tuée, nombre de ces mêmes membres de la communauté ont considéré qu'il s'agissait d'un acte de discipline nécessaire plutôt que d'un crime.
Le rôle de la communauté ne s'arrête pas à l'acte de violence lui-même. Après un féminicide, les membres de la communauté peuvent se rallier à l'auteur, le considérant comme quelqu'un qui a courageusement défendu l'honneur de la famille. Les voisin·es et les proches peuvent même soutenir ou justifier publiquement ses actes, renforçant ainsi l'idée qu'une telle violence est une réponse acceptable à la transgression perçue d'une femme. Dans les cas où le tueur risque des poursuites judiciaires, certain·es membres de la communauté peuvent prôner l'indulgence, minimisant ainsi encore la gravité du crime. Ce type d'approbation collective normalise la violence à l'égard des femmes et décourage les autres familles de remettre en question ou de rejeter l'idée de l'« honneur » comme justification de la maltraitance.
La famille et la communauté créent ensemble un environnement dans lequel les femmes sont vulnérables à la violence si elles sortent des rôles socialement acceptés. La présence de ces normes culturelles fait qu'il est presque impossible pour les femmes d'échapper aux rôles qui leur sont assignés sans risquer d'être blessées. Les attentes de la famille et de la communauté créent un système de surveillance constante autour des femmes, chaque aspect de leur vie – éducation, travail, amitiés, mariage – étant dicté par la nécessité de préserver l'honneur de la famille. Cette dynamique n'est pas propre aux zones rurales ou conservatrices ; même dans les communautés urbaines et progressistes, les concepts d'honneur et de honte jouent un rôle important dans l'organisation de la vie des femmes, bien que de manière moins visible.
Dans ce réseau complexe d'attentes familiales et communautaires, la vie et les choix des femmes sont sévèrement limités. Tout acte de défiance ou de désobéissance est considéré comme une tache sur l'honneur de la famille qui doit être « nettoyée ». La pression écrasante exercée sur les femmes pour qu'elles se conforment aux règles et les conséquences du non-respect de ces règles révèlent à quel point la famille et la communauté peuvent dicter la vie et la mort des femmes en Iran, ce qui est effrayant. Pour de nombreuses femmes, la possibilité de liberté est éclipsée par la menace constante et imminente de la violence, qui leur rappelle que leur vie ne leur appartient pas entièrement.
Implications juridiques et lacunes
Le droit iranien joue un rôle essentiel dans le maintien des conditions qui permettent au féminicide de perdurer. Alors que les lois sont théoriquement destinées à protéger les citoyen·nes, certaines lacunes et certains codes juridiques permettent en fait aux hommes qui commettent un féminicide d'être impunis ou, à tout le moins, d'être moins punis. Ces lacunes juridiques créent un environnement dans lequel les auteurs de féminicides peuvent agir dans une relative impunité, sachant que la loi est plus susceptible de les protéger que de les obliger à rendre des comptes.
L'un des aspects juridiques les plus problématiques est le concept de « défense de l'honneur » inscrit dans le droit iranien. L'article 630 du code pénal iranien autorise un mari à tuer sa femme et son amant s'il les surprend en flagrant délit d'adultère, à condition qu'il soit « certain » que la femme n'a pas été contrainte. La loi part du principe que l'infidélité d'une femme entache l'honneur d'un homme à un point tel cela justifie de lui ôter la vie. Cette clause juridique renforce l'idée que les actions d'une femme impactent directement la réputation de son mari et que la violence est une méthode acceptable pour résoudre les problèmes de déshonneur perçu.
En outre, l'article 220 du code pénal islamique accorde aux pères et aux grands-pères un niveau d'autorité important sur leurs enfants, y compris leurs filles. En vertu de cette loi, un père ou un grand-père paternel qui tue son enfant est exempté de la peine capitale et ne peut être condamné qu'à des peines légères, souvent de quelques années seulement. Cette exception légale, connue sous le nom de « ghesas » (rétribution), implique que les pères ont des droits de propriété sur leurs enfants et peuvent, dans une certaine mesure, décider de leur sort. Cette indulgence dans le cas des soi-disant « crimes d'honneur » envoie un message effrayant à la société : les hommes, en particulier les pères, ont le contrôle ultime sur les membres féminins de la famille, et la loi n'interviendra pas sévèrement, même dans les cas de meurtre.
Ces lacunes illustrent la manière dont le droit iranien ne protège pas les femmes et, dans certains cas, permet activement la poursuite de la violence fondée sur le genre. La loi permet aux hommes d'agir en tant que garants de « l'honneur », leur accordant essentiellement un pouvoir sur la vie et le corps des femmes. De nombreuses et nombreux militants affirment que ces lois sont des vestiges d'un système patriarcal qui considère les femmes comme des biens plutôt que comme des individus dotés de droits. L'absence de sanctions sévères pour le féminicide, en particulier dans les cas où l'honneur est invoqué, encourage les hommes à prendre les choses en main, sachant qu'ils ne subiront que des conséquences minimes.
Cette indulgence juridique est exacerbée par le fait que les juges iraniens disposent souvent d'un pouvoir discrétionnaire important dans l'interprétation de la loi. De nombreux juges interprètent les affaires de crimes d'honneur dans un cadre culturel qui considère la chasteté des femmes comme primordiale. Dans certains cas, les juges peuvent réduire les peines pour les hommes qui prétendent avoir défendu l'honneur de leur famille, indépendamment du fait que la victime ait été reconnue innocente ou coupable de la transgression alléguée. Ce pouvoir judiciaire discrétionnaire se traduit souvent par une réduction des peines d'emprisonnement, une libération conditionnelle, voire un acquittement dans les cas de féminicide.
En outre, l'acceptation sociale de l'honneur comme motif valable de violence affaiblit encore la probabilité d'une réforme. Les efforts visant à modifier le code pénal pour supprimer ou modifier ces dispositions se sont heurtés à une forte résistance, car ces lois sont considérées par certains comme le reflet de valeurs culturelles. Même lorsque des propositions de peines plus sévères sont adoptées, les législateurs conservateurs et les chefs de communautés affirment souvent que de tels changements porteraient atteinte aux valeurs familiales et à l'ordre social. Par conséquent, ces dispositions légales restent largement incontestées, laissant les femmes vulnérables à la violence et à la merci des attentes de la famille et de la communauté.
Le système juridique iranien, au lieu de rendre justice aux victimes, tend à renforcer le contrôle patriarcal. Pour de nombreuses femmes, la loi n'est pas une source de protection, mais un outil qui renforce le pouvoir de ceux qui cherchent à les contrôler. Tant que des réformes juridiques importantes ne seront pas mises en œuvre et que le concept d'honneur ne sera pas intégré au système judiciaire, les femmes continueront à vivre sous la menace de la violence. Ces lois, avec leurs lacunes et leurs justifications culturelles, démontrent à quel point la violence sexiste est profondément ancrée dans le cadre juridique et social de l'Iran.
Justifications culturelles et attitudes sociales
Les croyances culturelles et les attitudes sociales à l'égard de l'« honneur » et de la « chasteté » jouent un rôle immense dans la perpétuation du féminicide en Iran. Dans de nombreuses communautés, la valeur d'une femme est étroitement liée à sa pureté et à son obéissance, et tout écart par rapport à ces attentes est considéré comme une menace directe pour l'honneur de la famille. Ces croyances sont profondément ancrées dans le tissu social, transmises de génération en génération et renforcées par les normes culturelles et les interprétations religieuses. Par conséquent, de nombreuses personnes acceptent la violence à l'égard des femmes comme une réponse légitime au déshonneur perçu.
Dans la société iranienne, le concept d'« honneur » n'est pas simplement une valeur personnelle ; il s'agit d'une valeur publique qui concerne toute la famille et, dans de nombreux cas, la communauté. Les femmes sont souvent considérées comme l'incarnation physique de cet honneur, et leurs actions sont examinées à la loupe car elles reflètent la position morale de leur famille. Les comportements considérés comme « déshonorants » peuvent inclure un large éventail d'actions, allant du choix de ses propres amis ou partenaires à une tenue vestimentaire jugée inappropriée, en passant par le fait de se présenter seule dans les espaces publics. Les femmes sont censées se conformer à des rôles traditionnels qui limitent leur liberté, et toute tentative d'affirmer leur indépendance peut être accueillie avec hostilité ou violence.
Les attitudes sociales à l'égard de l'honneur sont fortement influencées par un mélange de traditions culturelles et d'interprétations religieuses. Ces croyances varient en intensité selon les régions et les communautés, mais le message sous-jacent est le même : le rôle d'une femme est de maintenir la réputation de la famille, et tout manquement à cet égard entraîne de graves conséquences. Par exemple, dans certaines communautés conservatrices, la simple rumeur d'un comportement inapproprié suffit à justifier une punition, que la femme en question ait réellement fait quelque chose de mal ou non. Cette croyance crée un environnement où la vie des femmes est étroitement surveillée et où toute transgression perçue peut avoir des répercussions immédiates et parfois mortelles.
Les interprétations religieuses jouent également un rôle dans la manière dont l'honneur est défini et appliqué. Dans certains cas, certaines interprétations des textes religieux sont utilisées pour justifier le contrôle du comportement des femmes, ainsi que le recours à la violence pour « corriger » ou « punir » les manquements moraux perçus. Bien que ces interprétations fassent l'objet d'un débat entre les spécialistes de la religion, dans la pratique, de nombreuses communautés adhèrent à des points de vue conservateurs qui renforcent le contrôle patriarcal sur les femmes. Cela ajoute une couche de validation religieuse aux croyances culturelles, ce qui rend encore plus difficile le changement de ces attitudes ou la promotion des droits des femmes.
Dans de nombreux cas, les femmes elles-mêmes peuvent intérioriser ces croyances, acceptant leur rôle de porteuses de l'honneur familial et soutenant les normes mêmes qui restreignent leurs libertés. Ce phénomène, connu sous le nom de « misogynie intériorisée », signifie que certaines femmes deviennent également les garantes de ces normes, soit en faisant pression sur les femmes plus jeunes pour qu'elles se conforment, soit en restant silencieuses face à la violence. Cette intériorisation reflète la nature profondément enracinée de ces croyances culturelles, montrant que le contrôle de la vie des femmes s'étend au-delà des actions des hommes à un état d'esprit collectif adopté par la communauté.
Les efforts visant à modifier ces attitudes culturelles se sont heurtés à une forte résistance, car ils sont considérés par certains comme des tentatives d'ébranler les valeurs traditionnelles. Les activistes féministes, les réformateurs set réformatrices sociales et les organisations de défense des droits des êtres humains travaillant en Iran ont tenté de sensibiliser aux droits des femmes et de plaider contre la violence fondée sur le sexe. Toutefois, ces efforts se heurtent souvent à la réaction des conservateurs, qui estiment que ces changements menacent le tissu moral et social de la société. En conséquence, les changements ont été lents, de nombreuses personnes restant convaincues que le comportement d'une femme doit être contrôlé afin de protéger l'honneur de la famille.
L'attachement profond à l'honneur et à la chasteté au sein de la culture sert de justification puissante au féminicide. Dans de nombreux cas, les auteurs de féminicides ne considèrent pas leurs actes comme criminels, mais comme des corrections nécessaires à des manquements moraux. Pour eux, l'acte de tuer une femme qui a « déshonoré » sa famille est perçu comme un rétablissement de l'équilibre, un moyen de récupérer le statut social de la famille. Cet état d'esprit ne déshumanise pas seulement les femmes, il légitime aussi la violence comme solution à des griefs sociaux ou personnels.
Ces justifications culturelles et ces attitudes sociales révèlent à quel point le féminicide est profondément ancré dans le tissu de la société iranienne. Tant que ces attitudes ne changeront pas, les femmes continueront à subir d'énormes pressions pour se conformer à des rôles restrictifs et resteront vulnérables à la violence si elles s'écartent de ces attentes. Pour changer ces croyances, il ne suffit pas de modifier les mentalités individuelles ; il faut transformer les valeurs et les normes qui définissent les rôles des hommes et des femmes, l'honneur et la définition même de la respectabilité dans la société.
Résistance et plaidoyer
Malgré les difficultés, des activistes, des féministes et des défenseurs des droits des êtres humains en Iran travaillent sans relâche pour lutter contre le féminicide.
Ces personnes et ces organisations s'efforcent de sensibiliser l'opinion publique, de faire pression en faveur d'une réforme juridique et d'offrir un soutien aux femmes en danger. Leur travail représente un mouvement en développement en Iran ; elles et ils cherchent à remettre en question les structures culturelles, juridiques et sociales qui favorisent la violence à l'égard des femmes. Toutefois, cette résistance est semée d'embûches, car leur travail se heurte souvent à des réactions négatives, à des restrictions juridiques et à la stigmatisation sociale lorsqu'elles et ils remettent en cause des normes bien ancrées.
L'un des principaux domaines d'action des défenseurs des droits des femmes est la sensibilisation au féminicide et à la violence fondée sur le genre. Par le biais de publications, d'ateliers et de campagnes en ligne, les activistes visent à éduquer le public sur les questions relatives au féminicide, en soulignant qu'il ne s'agit pas d'une question d'honneur familial mais d'une grave violation des droits des êtres humains. Des publications comme le magazine Zanan (Femmes) et son successeur Zanan-e Emruz (Femmes d'aujourd'hui) ont joué un rôle essentiel en documentant les cas de féminicide et en mettant en lumière les réalités auxquelles sont confrontées les femmes iraniennes. En partageant les histoires de victimes comme Tahereh et Romina, ces publications ne se contentent pas d'honorer la mémoire de celles qui ont perdu la vie, mais créent également un dialogue public sur la nécessité d'un changement.
La réforme juridique est un autre point essentiel. Les militant·es affirment que le code pénal iranien doit être révisé afin de supprimer les indulgences pour les violences fondées sur l'honneur et d'appliquer des sanctions strictes pour tous les actes de féminicide. Des propositions ont été faites pour modifier des articles du code pénal, en particulier ceux qui prévoient des peines plus légères pour les pères et les maris qui commettent des actes de féminicide. Toutefois, les efforts de réforme de ces lois se heurtent souvent à la résistance des législateurs conservateurs et des autorités religieuses qui affirment que de tels changements éroderaient les valeurs traditionnelles et saperaient l'autorité de la famille. En conséquence, les progrès en matière de réforme juridique ont été lents, laissant leurs défenseur·es frustré·es mais non découragé·es dans leur quête de justice.
Les organisations de défense des droits des êtres humains, tant nationales qu'internationales, ont contribué à documenter et à signaler les cas de féminicide en Iran. Des organisations telles qu'Amnesty International et Human Rights Watch ont sensibilisé l'opinion publique mondiale au problème du féminicide en Iran, faisant pression sur les autorités iraniennes pour qu'elles s'attaquent à la violence fondée sur le genre. Toutefois, les militant·es iraniens·ne sont souvent confrontés·e à des restrictions de leur liberté d'expression et de réunion, ce qui rend difficile l'organisation de mouvements à grande échelle. Dans certains cas, celles et ceux qui s'expriment contre le féminicide sont détenu·es ou réduit·es au silence par les autorités, en particulier s'elles et ils sont considéré·es comme s'opposant aux politiques de l'État ou aux valeurs traditionnelles.
Des réseaux de soutien communautaires ont également vu le jour dans le cadre de la résistance au féminicide. Ces réseaux offrent des espaces sûrs pour les femmes en danger, en leur proposant des conseils, des avis juridiques et des abris. Dans les régions où le soutien gouvernemental est limité ou inexistant, ces organisations communautaires servent de bouées de sauvetage aux femmes qui cherchent à échapper à des situations de violence. Bien que leurs ressources soient limitées, ces groupes ont réussi à apporter des changements modestes mais significatifs dans la vie des femmes, leur donnant une chance de retrouver leur indépendance et leur sécurité.
Les médias sociaux sont devenus un outil puissant pour les activistes et les féministes iraniennes, qui peuvent ainsi exprimer leur opposition au féminicide. Des plateformes comme Twitter, Instagram et Telegram permettent aux militant·es de partager des informations, d'organiser des campagnes et de créer des communautés virtuelles de soutien. Les hashtags, les messages viraux et les pétitions en ligne ont amplifié les voix des militant·es des droits des femmes, atteignant des publics à l'intérieur et à l'extérieur de l'Iran. Alors que les autorités surveillent et restreignent souvent l'accès à Internet, les médias sociaux restent un outil essentiel pour sensibiliser et mobiliser le soutien, permettant aux militant·es de contourner les restrictions des médias traditionnels et d'entrer directement en contact avec le public.
La lutte contre le féminicide en Iran n'est pas sans risque. De nombreuses et nombreux militants et activistes sont confrontés à des menaces personnelles, à l'ostracisme social et même à des conséquences juridiques pour leur travail. Cependant, la prise de conscience croissante et l'opposition au féminicide sont un signe encourageant que le changement est possible. Ces efforts, bien que modestes, remettent en question le statu quo et offrent la vision d'un avenir où les femmes sont libérées de la menace de la violence. Chaque campagne, protestation et publication contribue à l'élan d'un mouvement qui cherche à redéfinir l'honneur, à protéger les droits des femmes et à créer une société où chaque individu peut vivre sans crainte.
Analyse comparative avec d'autres sociétés
L'examen du féminicide en Iran par rapport à des cas d'autres pays révèle des facteurs à la fois universels et uniques qui influencent la violence fondée sur le genre. Si les cadres culturels, religieux et juridiques spécifiques peuvent différer, les modèles sous-jacents de contrôle, les valeurs patriarcales et les attentes de la société à l'égard des femmes sont des fils conducteurs qui façonnent souvent les féminicides dans le monde entier. En comparant la situation de l'Iran à celle d'autres pays, nous pouvons mieux comprendre l'ampleur du problème et reconnaître les voies potentielles de changement.
Dans de nombreuses régions du monde, le féminicide est lié à l'« honneur », avec des justifications similaires dans les pays du Moyen-Orient, d'Asie du Sud et d'Amérique latine. Par exemple, dans des pays comme le Pakistan, la Jordanie et l'Afghanistan, les femmes qui sont perçues comme déshonorant leur famille peuvent être victimes de violences, souvent avec des répercussions juridiques limitées pour les auteurs. Dans ces sociétés, comme en Iran, les croyances culturelles renforcent l'idée que les actions d'une femme reflètent la position morale de sa famille et que tout écart par rapport au comportement attendu peut avoir des conséquences fatales. Ici, le contrôle patriarcal et le sens de l'honneur collectif encouragent la violence, tout comme en Iran, et les tentatives de réforme de ces pratiques se heurtent souvent à l'opposition des secteurs traditionnels ou conservateurs.
Les pays d'Amérique latine, en particulier le Mexique, ont également connu une augmentation inquiétante du nombre de féminicides, le terme lui-même ayant été créé par des activistes de la région. Dans de nombreux cas, les féminicides en Amérique latine se produisent dans des contextes de violence domestique ou de crime organisé et, comme en Iran, les femmes de ces régions souffrent souvent d'une négligence systémique. La prévalence du « machisme », une croyance culturelle selon laquelle les hommes ont autorité sur les femmes, est à l'origine d'une grande partie de la violence en Amérique latine, à l'instar de l'influence de l'autorité patriarcale en Iran. Les cadres juridiques des pays d'Amérique latine ont toutefois commencé à évoluer, le Mexique et l'Argentine ayant institué des lois spéciales et créé des unités au sein des forces de l'ordre spécifiquement chargées de lutter contre le féminicide. Bien qu'il reste des défis à relever, ces mesures juridiques représentent des avancées significatives vers la responsabilisation des auteurs et peuvent servir de modèles potentiels pour l'Iran et d'autres pays.
Dans les pays occidentaux, si les crimes d'honneur sont moins fréquents, les féminicides sont souvent liés à la violence domestique, au harcèlement et à la misogynie. Les pays d'Europe et d'Amérique du Nord ont mis en œuvre des lois portant spécifiquement sur la violence domestique et ont progressé dans la criminalisation du féminicide en tant qu'infraction distincte. Par exemple, l'Italie et la France ont toutes deux reconnu que le féminicide était un problème social urgent et ont mis en place des sanctions plus sévères et un suivi des délinquants. Dans des pays comme le Canada et l'Australie, des campagnes populaires ont fait pression sur les gouvernements pour qu'ils améliorent les mesures de protection des femmes, ce qui a permis d'augmenter les ressources allouées aux refuges et aux services juridiques. Ces pays occidentaux proposent également des programmes éducatifs visant à modifier les attitudes sociales en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, reconnaissant que les changements législatifs doivent s'accompagner de changements dans la perception culturelle des femmes.
Le contraste entre ces pays et l'Iran met en évidence l'impact des réformes juridiques et de l'activisme social. Dans les pays où les lois ont évolué pour protéger les femmes, les campagnes de sensibilisation et l'éducation communautaire vont souvent de pair avec la législation. Bien que les attitudes sociales ne changent pas du jour au lendemain, un travail de plaidoyer soutenu a démontré qu'il est possible de transformer l'opinion publique sur les droits des femmes et de faire évoluer les normes entourant la violence à l'égard des femmes. Ce changement culturel s'est avéré crucial pour la réduction des taux de féminicide dans les endroits où la sensibilisation et les réformes ont pris racine.
Toutefois, il est essentiel de reconnaître les défis uniques auxquels les activistes iranien·nes sont confronté·es dans leur lutte contre le féminicide. Contrairement à de nombreux pays qui bénéficient d'une presse relativement libre et de moins de restrictions sur l'activisme, l'Iran impose des limitations à la fois à la liberté d'expression et à la liberté de réunion, ce qui rend difficile pour les militant·es de mobiliser un soutien ou d'appeler à des changements juridiques. Les organisations internationales de défense des droits des êtres humains ont noté que l'absence de réforme juridique en Iran est en partie due à ces restrictions, car le gouvernement considère souvent les appels à l'égalité des sexes comme des défis aux valeurs culturelles ou religieuses. Par conséquent, si les expériences d'autres sociétés sont riches d'enseignements, elles soulignent également les obstacles spécifiques auxquels l'Iran est confronté dans sa lutte contre le féminicide à l'intérieur de ses frontières.
Les comparaisons entre l'Iran et d'autres pays illustrent à la fois l'universalité du problème du féminicide et la diversité des approches pour le combattre. Si chaque société possède son propre cadre culturel et juridique, le problème sous-jacent de l'emprise patriarcale est un facteur commun auquel il faut s'attaquer. Pour l'Iran, un changement significatif nécessitera probablement non seulement une réforme juridique, mais aussi un changement des attitudes sociales – une tâche que l'expérience d'autres pays suggère comme étant difficile, mais finalement réalisable avec des efforts et un soutien persistants.
Le rôle des médias et la perception du public
En Iran, les médias jouent un rôle important dans la perception qu'a le public du féminicide et de la violence fondée sur le genre. La façon dont les cas de féminicide sont présentés – ou ignorés – par les médias affecte non seulement l'opinion publique, mais aussi la probabilité d'un changement juridique et culturel. Pendant des décennies, de nombreux cas de féminicide ont été soit minimisés, soit décrits comme des affaires privées et familiales, minimisant ainsi leur impact et occultant la nécessité d'une réforme urgente. Toutefois, certains médias progressistes et journalistes indépendant·es ont cherché à attirer l'attention sur ces cas, en soulignant les problèmes systémiques qui contribuent aux féminicides et en insistant sur la nécessité d'une réponse sociétale.
Dans les médias officiels, la couverture des cas de féminicide est souvent limitée et sélective, en particulier lorsque les cas reflètent mal les normes culturelles traditionnelles ou remettent en question le cadre juridique existant. Il est peu probable que les médias contrôlés par l'État critiquent ouvertement les valeurs patriarcales ou promeuvent des réformes qui pourraient être considérées comme une remise en cause des valeurs conservatrices. Par conséquent, de nombreux cas de féminicides ne sont pas signalés ou sont présentés de manière à renforcer les stéréotypes sur le comportement « déshonorant » des victimes, suggérant subtilement que la violence était justifiée par les actions de la femme. Cette approche façonne la perception du public, ce qui permet à la société d'ignorer l'ampleur de la crise du féminicide ou de l'accepter comme un aspect malheureux mais inévitable de la vie.
Toutefois, les médias indépendants et internationaux ont joué un rôle de plus en plus important en documentant les cas de féminicide et en exposant les réalités de la violence fondée sur le genre en Iran. Ces plateformes ont fourni des rapports détaillés sur des cas individuels, exploré les facteurs sociaux et juridiques en jeu et donné la parole aux survivantes et aux familles touchées par le féminicide. Grâce à ces efforts, les médias indépendants ont réussi à susciter des conversations publiques sur le statut des femmes en Iran, en particulier parmi les jeunes générations qui sont plus susceptibles de soutenir l'égalité des sexes.
Les médias sociaux se sont également imposés comme un outil essentiel de sensibilisation au féminicide, offrant un espace où les activistes et les citoyen·nes ordinaires peuvent partager des informations, exprimer leurs opinions et organiser des campagnes. Des plateformes telles qu'Instagram, Twitter et Telegram ont permis aux défenseurs et aux défenseures des droits des femmes iraniennes de contourner les restrictions imposées par les médias contrôlés par l'État, en utilisant des hashtags, des messages viraux et des pétitions en ligne pour attirer l'attention sur les cas de féminicide. Dans des cas très médiatisés, comme le meurtre de Romina Ashrafi, l'indignation suscitée par les médias sociaux a poussé les autorités à réagir, même si ce n'est que temporairement. Si l'activisme en ligne ne remplace pas les réformes systémiques, il joue un rôle important en façonnant la perception du public, en remettant en question les récits traditionnels et en encourageant la solidarité au sein de la communauté.
Le pouvoir des médias et de la perception du public dans la lutte contre le féminicide réside non seulement dans la sensibilisation, mais aussi dans la remise en question des normes sociétales. Lorsque les médias cessent de traiter les féminicides comme des incidents isolés pour les considérer comme un problème systémique, ils obligent le public à se confronter aux inégalités structurelles qui alimentent la violence fondée sur le genre. Ce changement de discours est essentiel pour créer un climat propice aux réformes juridiques, car un public bien informé est plus enclin à soutenir les politiques qui protègent les droits des femmes.
Néanmoins, l'impact de la couverture médiatique sur la perception du public a ses limites, notamment en raison des lois strictes de l'Iran en matière de censure. Les journalistes indépendant·es et les activistes sont souvent victimes de harcèlement, de détention ou de surveillance pour avoir parlé du féminicide ou défendu les droits des femmes. Dans ce contexte, il est difficile pour les médias de couvrir les cas de féminicide de manière exhaustive ou d'explorer leurs implications plus larges. Malgré ces difficultés, la couverture médiatique reste l'un des outils les plus efficaces pour sensibiliser le public, même si les progrès sont lents et se heurtent à des résistances.
En résumé, on ne saurait trop insister sur le rôle des médias dans l'élaboration de la perception publique du féminicide en Iran. Alors que les médias d'État minimisent souvent le problème, les médias indépendants et sociaux ont fourni des récits alternatifs qui exposent les réalités de la violence fondée sur le genre. En mettant en lumière les histoires personnelles qui se cachent derrière les statistiques et en plaidant pour le changement, les médias et les activistes en ligne contribuent à favoriser la compréhension du public, ce qui pourrait éventuellement conduire à une réforme significative. La perception du public est une force puissante, et lorsqu'elle change, elle a le potentiel de remettre en question des normes culturelles de longue date et d'exiger que la société et le système juridique rendent des comptes.
Perspectives d'avenir et recommandations
La lutte contre le féminicide et la violence sexiste en Iran est profondément liée à la violation systématique des droits des femmes, profondément enracinée dans les lois islamiques qui restreignent les libertés et l'autonomie des femmes. Ces lois renforcent l'inégalité entre les sexes et maintiennent un cadre juridique qui considère les femmes comme subordonnées aux hommes, avec des droits limités en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d'héritage. Pour de nombreuses femmes en Iran, le système juridique n'est pas une source de protection, mais plutôt un mécanisme de contrôle et d'oppression.
Les restrictions juridiques iraniennes vont au-delà des droits individuels et limitent également fortement la capacité des militantes à s'organiser et à plaider en faveur du changement. La création d'une association, d'une organisation ou d'un parti spécifiquement dédié aux droits des femmes est quasiment impossible en Iran en raison du contrôle strict de l'État et de la crainte de la répression. Les organisations indépendantes de défense des droits des femmes sont souvent considérées comme des menaces pour la sécurité nationale, et les militant·es sont surveillé·es, détenu·es, voire emprisonnés·e pour avoir tenté de lutter contre la violence sexiste ou d'autres injustices sociales. Ce climat de répression empêche les femmes de défendre leurs droits et étouffe les mouvements collectifs qui pourraient apporter des changements sociaux et législatifs.
Compte tenu de ces restrictions importantes et de l'environnement hostile aux militant·es des droits des femmes en Iran, le besoin d'un soutien féministe international est urgent. Le mouvement féministe iranien et les militantes des droits des femmes pourraient bénéficier de la solidarité et du soutien de la communauté féministe mondiale. Les organisations internationales peuvent contribuer à faire connaître les réalités de l'oppression des femmes en Iran, à amplifier la voix des militantes iraniennes et à leur offrir des tribunes où elles peuvent s'exprimer librement. Ce soutien mondial peut exercer une pression internationale sur les autorités iraniennes, les incitant à respecter les droits des êtres humains et à mettre fin à la persécution des défenseur·es des droits des femmes.
Les réseaux féministes internationaux peuvent également fournir des ressources, des formations et des financements pour aider à soutenir le mouvement féministe iranien. Ces ressources pourraient inclure des canaux de communication sûrs, une formation à la sécurité numérique pour protéger la vie privée des militant·es, et un soutien juridique pour celles et ceux qui risquent d'être poursuivis. Grâce à des partenariats, les organisations internationales peuvent renforcer la résilience des militant·es iranien·nes et leur donner les moyens de poursuivre leur travail malgré la répression gouvernementale. Dans un contexte où les efforts locaux sont constamment entravés, le soutien international offre des bouées de sauvetage essentielles et montre aux militant·es qu'elles et ils ne sont pas isolé·es dans leur lutte pour la justice.
En outre, le soutien féministe international peut jouer un rôle en faisant pression sur les dirigeants mondiaux pour qu'ils abordent les violations des droits des femmes commises par l'Iran dans des contextes diplomatiques. Les appels à inclure des conditions relatives aux droits des êtres humains dans les accords commerciaux, les résolutions des organismes internationaux et les déclarations publiques des gouvernements étrangers peuvent tous signaler au régime iranien que le traitement qu'il réserve aux femmes et aux militant·es est inacceptable sur la scène mondiale. Cette forme de pression, associée à la voix des féministes iraniennes, peut amplifier les demandes de changement et obliger l'Iran à rendre compte de ses violations systématiques des droits des femmes.
Le soutien de la communauté féministe internationale n'est pas seulement une question de solidarité ; c'est une action nécessaire pour aider les femmes iraniennes à remettre en question les structures oppressives qui régissent leur vie. En reconnaissant le courage des femmes iraniennes et en amplifiant leurs revendications, le mouvement féministe mondial peut contribuer à démanteler l'isolement imposé par la censure, à soutenir les militantes qui courent de graves risques et à promouvoir un avenir où les femmes iraniennes pourront aspirer à la justice, à l'égalité et à la liberté. La résilience du mouvement féministe iranien, en dépit d'obstacles écrasants, témoigne de l'esprit inflexible de ces militantes. Avec le soutien de la communauté internationale, on peut espérer un avenir où les droits des femmes en Iran ne seront plus systématiquement violés, mais protégés, respectés et célébrés.
Siyavash Shahabi, 18 novembre 2024
https://firenexttime.net/fighting-femicide-activism-and-advocacy-in-iran/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Faire du consentement libre et éclairé à l’acte sexuel la norme

La confrontation de la loi pénale à la pratique est toujours éclairante comme le montre la loi pénale actuelle relative au viol et aux agressions sexuelles qui restreint de façon excessive les possibilités de caractériser ces infractions et engendre une multitude d'impasses pour les personnes plaignantes leur faisant vivre un parcours judiciaire particulièrement pénible.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Au niveau européen et international, la France est régulièrement critiquée pour son haut niveau d'impunité, que révèle le très faible nombre de condamnations. Alors qu'un vaste mouvement au sein de l'Union européenne a visé à mieux lutter contre les violences à l'encontre des femmes, les négociations relatives à la directive européenne sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique [1] ont offert une fenêtre d'opportunité. La France a toutefois pesé de tout son poids pour que ce texte important soit amputé de la définition commune du viol. Cette directive rappelle pourtant que, contrairement à une idée répandue, légiférer sur le viol n'est nullement légiférer sur la sexualité mais bien sur une violence [2]. En effet, le viol est par essence un crime de pouvoir et de contrôle. C'est la raison pour laquelle les situations d'inégalités, structurelles ou interpersonnelles, en favorisent la commission. L'examen des textes relatifs au viol et aux agressions sexuelles révèle l'ampleur de leurs lacunes. Les propositions d'amélioration des textes doivent dès lors être éclairées par la pratique du traitement judiciaire de ces infractions tout en préservant le respect des droits fondamentaux.
Le constat : les lacunes du droit positif
Le viol [3], infraction de l'intime par nature, est au cœur des interrogations actuelles relatives aux contours de la notion de consentement.
Le consentement est partout sauf dans la définition pénale
L'incrimination de viol, prévue à l'article 222-23 du code pénal, fait du défaut de consentement « le pivot de l'incrimination, permettant d'appréhender tous les agissements portant atteinte à la dignité humaine » [4]. Selon ce texte, le viol est « tout acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par l'usage, par l'auteur, de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise ». Il omet de nommer et de définir le consentement.
C'est donc un curieux paradoxe que cette incrimination du viol toute entière tournée vers le défaut de consentement de la victime, l'occulte soigneusement. Cette définition a pour corollaire que, faute de rapporter la preuve de la violence, menace, contrainte ou surprise, le viol n'est pas constitué. Or, peut-on réellement penser que ces quatre éléments couvrent toute la palette des défauts de consentement à un acte sexuel par une personne ? La réponse est assurément négative.
D'ailleurs, les statistiques sont sans appel : on évalue à environ 220 000 le nombre annuel de victimes de viols, de tentatives de viol et d'attouchements sexuels parmi les personnes âgées de 18 à 75 ans, ce qui correspond à environ 80 000 viols par an [5]. Seule une victime sur douze porte plainte, soit environ 12 000 plaintes annuelles, dont les deux tiers sont classés sans suite, et il y a autour de 1 500 condamnations par an en cours d'assises [6]. Le hiatus entre le nombre de plaintes et le nombre de condamnations est vertigineux et doit nécessairement interroger sur l'impact de la définition du viol dans ce traitement judiciaire, sans prétendre que l'incrimination en soit la cause exclusive mais sans nier non plus qu'elle en est indéniablement une des causes comme le révèlent de nombreuses affaires récentes [7].
L'absence d'harmonisation par la Cour de cassation
Un des points les plus problématiques est sans doute le caractère purement prétorien de l'appréciation du consentement [8] et partant, la disparité qui en résulte. À titre d'illustration, l'examen croisé des arrêts du 6 août 2014, n°14-83.538 et du 29 mars 2017, n°17-80.237 révèle que, dans ces deux affaires dans lesquelles la chambre criminelle de la Cour de cassation examinait les arrêts de cours d'appel (chambre de l'instruction) et par là, les ordonnances de règlement, l'une est confirmée, l'autre infirmée. Pourtant ces affaires sont comparables, en ce que les parties étaient des conjoints ou concubins, que la procédure a mis au jour un contexte de violences conjugales et une vie sexuelle présentée comme « habituellement violente », que l'instruction a révélé que les rapports sexuels suivaient immédiatement des faits de violences physique et psychologique. Faute de définition légale du consentement, la Cour de cassation s'interdit d'harmoniser la jurisprudence des juridictions inférieures en faisant du défaut de consentement une simple « question de fait appréciée souverainement par les juges du fond ». Cette disparité ne saurait satisfaire les grands principes qui gouvernent le droit pénal.
Les évolutions nécessaires de la législation pénale
Pour que le consentement devienne la norme, exprimée par le législateur, il faut que l'absence de consentement soit consacrée comme un élément constitutif du viol et des agressions sexuelles. La loi ayant une fonction expressive, poser ce principe aurait une valeur symbolique forte.
Le changement de paradigme
Toutefois, ajouter les termes « non consenti » dans la section ouverte par l'article 222-22 du code pénal ne serait que de pure forme si les caractéristiques d'un consentement valable ne sont pas définies par la loi. Cela ne saurait suffire pour susciter le changement de paradigme nécessaire pour un traitement judiciaire à la hauteur de l'enjeu.
Pour être compris de toutes et tous, la loi pénale doit poser que tout acte sexuel doit être précédé et accompagné d'un consentement librement donné, et que la personne à l'initiative de l'acte ou de la demande d'acte doit vérifier que son ou sa partenaire est d'accord. Ainsi, pour donner une réelle efficacité à ce principe, il est fondamental de définir le consentement à l'acte sexuel, comme un accord volontaire, lucide et libre de toute coercition. L'article inaugural de la section devrait lui être dédié, en précisant que le consentement doit être concomitant à l'acte sexuel et peut être retiré à tout moment avant ou pendant celui-ci.
Les modalités d'expression et de vérification du consentement
Les modalités d'expression et de vérification du consentement devraient aussi être envisagées : contrairement à l'adage « qui ne dit mot consent », le consentement ne se déduit pas de la simple absence de résistance verbale ou physique de la victime. Toute personne doit prendre les mesures raisonnables pour s'assurer de l'accord volontaire et explicite de son ou sa partenaire. Ainsi, nul ne pourra plus alléguer avoir cru que son ou sa partenaire était d'accord s'il ne s'en est pas soucié et ne l'a pas vérifié.
En outre, la validité du consentement doit être appréciée au regard des circonstances et notamment des relations de domination ou d'autorité entre les partenaires. Il conviendrait de rappeler qu'il ne peut y avoir de consentement lorsque l'acte à caractère sexuel a été commis en abusant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l'influence de substances chimiques modifiant l'état de conscience (alcool, stupéfiants, médicaments…), à une situation économique ou administrative créant de la précarité. La situation de handicap doit également être prise en compte. Les associations de défense des droits des femmes porteuses de handicap avancent que près de 100% d'entre elles ont subi des violences sexuelles au cours de leur vie.
Enfin, en tout état de cause, il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel a été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ni lorsqu'il a été commis au préjudice d'une personne inconsciente ou endormie [9].
Une évolution respectueuse des droits fondamentaux
Une telle évolution législative permettrait de mettre le droit interne en conformité avec les instruments internationaux contraignants ratifiés par la France.
L'impératif de se conformer aux standards internationaux
La Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul [10], prévoit à l'article 36 qu'en matière de viol, « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ». Le GREVIO [11], comité en charge du suivi du respect de la Convention par les États parties, a pointé dans son rapport relatif à la France les lacunes de la législation française relative au crime de viol [12] du fait de l'absence d'intégration de la notion de libre consentement. En 2023, ce sont les Nations unies qui ont estimé que la définition pénale du viol « limite les possibilités de condamnation et rend difficile le parcours des plaignantes et des plaignants » et demandé à la France de « modifier le code pénal de manière que la définition du viol soit fondée sur l'absence de consentement, couvre tout acte sexuel non consenti et tienne compte de toutes les circonstances coercitives, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains » [13].
L'absence de renversement de la charge de la preuve
Contrairement à ce qui est parfois énoncé, aucun renversement de la charge de la preuve ne serait à l'œuvre. Il appartiendrait toujours au juge d'instruction et à l'accusation, au cours ou à l'issue d'une information judiciaire « à charge et à décharge », de présenter les charges [14], au sens du texte, qui font que selon elle, la personne mise en cause n'a pas mis en œuvre les mesures raisonnables pour vérifier le consentement de son ou sa partenaire, ou a obtenu un consentement dans un contexte où il ne peut être tenu pour valable, ou a fait usage de violence, menace, contrainte ou surprise.
Il y aurait en revanche un déplacement du centre de gravité de l'enquête. Au lieu de rechercher la crédibilité ou non de la plaignante, de chercher si elle s'est débattue ou quels vêtements elle portait, les enquêteurs, procureurs et juges d'instruction s'intéresseraient en premier lieu à la personne à l'initiative de l'acte sexuel : comment s'est-elle assurée du consentement de son ou sa partenaire, et si le contexte ou les circonstances étaient défavorables, quelles mesures raisonnables a-t-elle mis en œuvre pour s'assurer de la validité du consentement.
En outre, le comportement sexuel passé de la plaignante serait sans incidence, si son examen n'est pas strictement nécessaire à la solution de l'affaire en débat [15].
Le respect de la présomption d'innocence et des droits de la défense
Comme dans les autres démocraties qui ont introduit ce changement de paradigme, une telle réforme ne constitue en rien une atteinte à la présomption d'innocence. Elle ne créerait aucune « présomption irréfragable de culpabilité » et s'inscrirait dans le cadre défini par le Conseil constitutionnel [16]. Par ailleurs, si l'instruction puis l'accusation ne présentaient pas de charges suffisantes à même d'entraîner « l'intime conviction » des juges et de balayer le doute, la personne mise en cause ne pourrait être condamnée. Les droits de la défense pourraient même se trouver raffermis du fait de ces dispositions nouvelles. Elles obligeraient en effet les juridictions à davantage de motivation sur « les éléments à décharge », présentant l'avantage de transformer des éléments actuellement vus comme « du fait » en « droit » et donc, autorisant un nouvel examen par la juridiction suprême.
Une telle modification répondrait également aux préoccupations de certaines associations. Le « devoir conjugal », pas plus que les contrats relatifs à la pornographie ou à la prostitution ne saurait assoir le consentement du seul fait de la signature d'un contrat. Le consentement devrait être examiné conformément au texte nouveau, nonobstant le contrat. Cette modification ouvrirait donc des portes actuellement fermées, et permettrait l'examen de situations qui sont actuellement exclues d'une réflexion sur le consentement.
Conclusion
Dans les États engagés en faveur des droits des femmes, un mouvement d'ampleur est à l'œuvre : la notion de consentement s'inscrit au cœur de la définition du viol et des agressions sexuelles. Dans ces États qui font de l'État de droit la clé de voûte de leur système juridique et du fonctionnement de leurs institutions, la modification de leur législation n'a induit aucun recul de l'exigence de respecter les droits fondamentaux.
En revanche, elle a induit un fort recul de l'impunité des violeurs et agresseurs. En Suède, le changement de la définition légale du viol a conduit à une augmentation de 75% des condamnations. C'est sûrement à cette aune que peuvent s'entendre les résistances liées à la crainte d'un afflux de plaintes et à la difficulté d'allouer les moyens pour les traiter.
Il y a donc là un choix de société. D'autant plus que par ce changement de paradigme, c'est un changement culturel qui pourrait être rendu possible en France : celui d'une remise en cause des stéréotypes de genre et des violences sexuelles.
Notes
[1] – . Le projet de directive a été approuvé par le Parlement européen le 24 avr. 2024, puis adopté par le Conseil de l'Union européenne.
[2] – La directive indique « la violence à l'égard des femmes et la violence domestique constituent une violation des droits fondamentaux ». Elle souligne que « certaines infractions pénales en droit national relèvent de la définition de violence à l'égard des femmes. Il s'agit notamment d'infractions telles que les féminicides, le viol, le harcèlement sexuel, l'abus sexuel ».
[3] – La présente réflexion sur le consentement abordera uniquement les situations qui ne sont pas couvertes par le champ de la loi du 21 avr. 2021 à savoir, les viols entre deux personnes majeures, les viols entre deux personnes mineures et les viols entre un majeur et un mineur âgé de 15 à 18 ans, hors hypothèse d'inceste et de prostitution
[4] – D. Mayer, Le nouvel éclairage donné au viol par la réforme du 23 décembre 1980, D. 1981. 284.
[5] – Analyse viols, tentatives de viols et attouchements sexuels, Interstats, déc. 2017, n°18.
[6] – INSEE – Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, Enquête Cadre de vie et sécurité, 2010-2015 ; Chiffres des données 2022. Les condamnations, Ministère de la Justice, p.10, 1 542 condamnations pour viols en 2022.
[7] – Par ex., Versailles, 14 déc. 2016 ; Paris, 24 janv. 2023 ; Paris, 7 déc. 2023
[8] – Exclu des éléments constitutifs de l'infraction, le défaut de consentement est pourtant au cœur de tous les débats, de toutes les décisions de justice, depuis l'arrêt Dubas de 1857.
[9] – Depuis l'arrêt Dubas de 1857, la jurisprudence reconnaît qu'une personne endormie n'est pas en état de consentir.
[10] – La Convention d'Istanbul a été signée en 2011 par la France, puis ratifiée en 2014. Il s'agit d'un instrument contraignant qui a une valeur supralégislative le consentement libre et éclairé figure dans cette convention qui a force obligatoire en France depuis 2014.
[11] – Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
[12] – Rapport GREVIO relatif à la France, 2019, p.61, n°192.
[13] – Comité des Nations Unies sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Observations finales concernant le neuvième rapport périodique de la France, oct. 2023
[14] – Il convient de rappeler ici que du fait même de leur nature essentiellement occulte, mais également du fait de la tardiveté des dépôts de plainte, la preuve des agressions sexuelles et des viols n'a jamais été traitée uniquement sous son aspect purement matériel mais bien davantage selon la technique du « faisceau d'indices concordants »
[15] – CEDH 27 mai 2021, J.L. c/ Italie, n° 5671/16, AJ pénal 2022. 200, note J. Portier ; RTD civ. 2021 853, obs. J.-P. Marguénaud.
[16] – Cons. const. 21 juill. 2023, n° 2023-1058 QPC, D. 2023. 1624, note E. Dreyer ; AJ fam. 2023. 423, obs. L. Mary ; AJ pénal 2023. 459, obs. C. de Waël ; RSC 2023. 785, obs. Y. Mayaud.
Audrey Darsonville, Magali Lafourcade, François Lavallière, Catherine Le Magueresse et Élodie Tuaillon-Hibon
Publié dans le Courrier N° 437 de la Marche Mondiale des Femmes
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Les femmes victimes de violences multiples lors de guerres ou conflits armés

Les conflits et les guerres sont les principaux facteurs à l'origine de la montée de la violence à l'égard des femmes dans le monde.
Tiré de Entre les lignes et les mots
À chaque fois qu'une guerre éclate, les femmes paient le prix fort, en étant confrontées à diverses formes de discrimination, de persécution, de violences physiques et psychologiques, et à d'autres méthodes écrit l'agence kurde Hawar (ANHA) basée au Rojava / Syrie du Nord et d'Est, à la veille de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes célébré le 25 novembre.
Voici la suite de l'article d'ANHA traitant de la situation des femmes dans les guerres ou les conflits armés :
Le monde d'aujourd'hui apparaît comme une boule de rage faite de conflits sans fin, oscillant entre guerres, conflits et crises climatiques croissantes avec la montée de forces autoritaires hostiles à la démocratie, ce qui renforce les formes de violence et de discrimination à l'égard des femmes et fait d'elles les plus touchées par ces conflits.
À l'approche de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, les médias confirment que les femmes du monde entier paient le prix le plus élevé des guerres et des conflits en cours, de la violence aux agressions sexuelles en passant par les déplacements et les pertes ; avec pour résultat un impact aggravé sur leur santé mentale et physique, qui sont tous utilisés comme des outils entre les mains des parties en conflit.
Selon un rapport récent de l'Organisation mondiale de la santé, une femme sur trois dans le monde est victime de violences, notamment de persécutions et de sévices physiques, ce qui constitue une violation des droits humains fondamentaux.
Les femmes syriennes et les longues années de guerre
Depuis le déclenchement de la crise le 15 mars 2011 et jusqu'à aujourd'hui, les femmes syriennes sont confrontées aux effets de la guerre en cours, notamment les déplacements, les meurtres, les destructions et les crimes au nom de « l'honneur », en plus de leurs efforts pour se libérer d'autres formes de violence pratiquées à leur encontre, telles que l'exclusion, la marginalisation et l'exclusion des centres de décision.
Il n'existe pas de statistiques précises sur le taux de violence pratiquée contre les femmes en Syrie sous le contrôle de différentes forces sur le territoire syrien, mais le Réseau syrien des droits de l'homme a confirmé dans un rapport publié en mars 2024 qu'il avait documenté le meurtre d'environ 16 442 femmes de mars 2011 à mars 2024.
Selon le rapport, pas moins de 10 205 femmes sont toujours arrêtées ou victimes de disparition forcée par les parties au conflit. Le gouvernement de Damas est responsable d'environ 83% des cas d'arrestation et de disparition forcée.
Les femmes en Iran et au Kurdistan oriental et la violence du système patriarcal
Le soulèvement des femmes en Iran et au Kurdistan oriental n'était rien d'autre qu'une réponse à des décennies de restrictions imposées aux femmes par le système patriarcal, alors que les autorités iraniennes continuent de priver les femmes de la liberté de choisir leurs vêtements et continuent d'opprimer quiconque se met en travers de leur système patriarcal.
Les campagnes de violence contre les femmes se sont considérablement intensifiées après le soulèvement, les autorités iraniennes ayant eu recours à diverses méthodes pour exercer leur contrôle sur les femmes, que ce soit en intensifiant les campagnes d'arrestations à leur encontre ou en imposant la peine de mort à de nombreuses militantes, comme la défenseuse des droits humains Sharifeh Mohammadi et la militante de la société civile et journaliste kurde Bakhshan Azizi.
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Contre les violences faites aux femmes, mobilisation générale !

Le 23 et le 25 novembre, des manifestations ont lieu partout en France à l'occasion de la journée internationale contre les violences faites aux femmes et aux minoriséEs de genre. Soyons des centaines de milliers !
Photo et article tirés de NPA 29
Il y a viol, et viol, et viol, et viol…
La sororité et la colère qui se sont exprimées depuis le début du procès de Mazan, par des rassemblements ou sur les réseaux sociaux, nous rappellent à quel point les violences s'exercent massivement, qu'elles traversent toutes les classes mais sont toujours commises par des hommes.
Elles sont le fruit de la culture du viol, qui autorise les hommes à disposer des corps des femmes et qui renverse la culpabilité sur les victimes. Les violences ne sont pas des phénomènes isolés, elles font système dans la société capitaliste et patriarcale. La honte doit changer de camp !
Dans le monde, 1 femme sur 3 a été victime de violence et 50 000 femmes sont victimes de féminicides, tuées par leur (ex-)conjoint chaque année : nous ne voulons plus compter nos mortes ! En France, 217 000 sont victimes de viol ou de tentatives de viol tous les ans et 55% d'entre elles ont subi une forme de violence sexiste et sexuelle au travail. De plus, la domination patriarcale est souvent au croisement d'autres systèmes de domination et s'exerce donc particulièrement pour les femmes racisées, trans, lesbiennes, bi, en situation de handicap…
Les femmes et les minoriséEs de genre sont aussi en première ligne des mesures de casse sociale, accélérant l'exploitation et la précarisation, les exposant davantage aux violences. Cela ne va pas s'arranger avec le gouvernement Barnier, toujours plus raciste et austéritaire, ou les 180 plans de licenciements recensés en octobre par la CGT.
Nous revendiquons notamment cette année la loi intégrale élaborée par 53 organisations féministes, proposant plus de 130 mesures contre les violences chiffrées à 2,6 milliards d'euros par an.
Solidarité avec les femmes du monde entier
A l'internationale, la réélection de Trump fait craindre de nouvelles attaques contre les droits des femmes. Alors que les mouvements masculinistes se renforcent, les idées de Trump, son programme ultra libéral, raciste, lgbtiphobe, sexiste, ne fera que renforcer les violences.
À Gaza, après plus d'un an de massacre, 70% des victimes sont des femmes et des enfants. Les déplacements de masse ont des conséquences accrues sur la santé des femmes (plus de protections menstruelles, accouchements non sécurisés). Les hôpitaux, s'ils ne sont pas directement bombardés, sont débordés par les mortEs et les blésséEs. Ce 25 novembre sera encore une fois l'occasion de dire stop à cette guerre génocidaire menée contre le peuple palestinien, où la violence déferle particulièrement contre les femmes.
Dans toute guerre, les violences sexuelles sont utilisées comme des armes de guerre et les violences faites aux femmes sont systématiquement amplifiées. C'est aussi le cas en Ukraine où de nombreux témoignages relatent des viols organisés. Face à l'invasion par la Russie, les femmes s'organisent : construction de la solidarité par en bas (soutien aux soldatEs et aux réfugiéEs, organisation de structures d'accueil, lutte pour le droit à l'avortement), écriture d'un manifeste, implication dans la résistance.
Dans ce contexte de guerre, de montée de l'extrême droite et du racisme, nous devons continuer sans relâche de montrer notre solidarité avec toutes les femmes qui subissent les violences, d'où qu'elles viennent et où qu'elles soient.
Dans la rue le 23 et le 25 novembre !
Les violences ne sont pas une fatalité : sortons dans la rue pour stopper les violences, pour nos droits, pour exprimer notre solidarité envers Gisèle Pélicot et toutes les victimes ! Organisons-nous pour mettre fin à ce système patriarcal et capitaliste !
19 novembre 2024
https://npa-lanticapitaliste.org/
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Pouvoir d’achat, santé, égalité… ce que veulent les femmes

Une femme sur deux (contre 46% des hommes) – et surtout 63% des ouvrières, 56% des salariées du privé et 57% des familles monoparentales – mettent le pouvoir d'achat dans les trois sujets qui les préoccupent le plus (c'est même la priorité n°1 pour un quart des femmes). C'est ce qui ressort d'une étude rédigée par Amandine Clavaud de la Fondation Jean Jaurès et Laurence Rossignol de l'Assemblée des femmes sur les perceptions et attentes en matière de politique et de féminisme à partir d'une enquête réalisée par l'Ipsos auprès de 11 000 personnes, publiée le 11 octobre 2024.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ce résultat s'explique bien sûr par les effets de l'inflation, mais plus généralement par les réalités économiques et sociales des femmes « en miroir des inégalités professionnelles et salariales » qu'elles subissent. Rappelons que la dernière étude disponible de l'Insee établit à 23,5% l'écart de revenus entre les femmes et les hommes et que 59,3% des smicards sont des smicardes.
L'étude montre que des attentes vis-à-vis du gouvernement en matière d'égalité professionnelle sont plus fortes parmi les moins diplômées. Si les femmes cadres semblent plus satisfaites des mesures adoptées dans ce domaine – la sociologue Sophie Pochic parle « d'une égalité élitiste » –, ce n'est pas le cas pour celles qui perçoivent de bas salaires et qui sont dans une forte précarité. Les mères isolées sont à ce titre tout particulièrement concernées car elles sont davantage exposées à la pauvreté, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner dans une autre chronique.
A la différence des hommes qui placent la question de l'insécurité en second, la santé est la priorité n°2 des femmes (35% des femmes le placent dans les sujets les plus préoccupants, contre 29% des hommes), ce qui correspond en partie aux résultats du rapport annuel duConseil économique, social et environnemental(Cése). La préoccupation pour la santé augmente avec le fait de vivre en zone rurale (39%).
Selon les autrices de l'étude, « les femmes sont les premières à être confrontées aux manquements de notre systèmes de soins ». Outre le manque de professionnels de santé dans certains territoires, l'enquête fait référence aux nombreuses fermetures de maternités, notamment de proximité, et aux difficultés d'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans certains départements, notamment en zone rurale.
L'accès à la santé touche également davantage les femmes plus âgées (c'est une priorité pour 38% des femmes de plus de 60 ans). Le vieillissement, les questions de dépendance, de maladie et d'isolement concernent en effet tout particulièrement les femmes qui sont elles aussi plus souvent pauvres et précaires, avec des pensions de retraite bien inférieures à celles des hommes.
Parmi l'ensemble des femmes, 86% (contre 84% des hommes) sont favorables au renforcement du système de santé dans les petites villes, « même si cela peut conduire à une hausse des impôts ».
Féministe, oui mais…
Neuf personnes interrogées sur dix soutiennent l'égalité femmes-hommes. Même si seulement six sur dix se disent féministes, il y a une progression de dix points par rapport à une enquête similaire, réalisée dix ans auparavant. En lien avec l'effet du mouvement #Metoo, on assiste à une prise de conscience collective des enjeux féministes.
Bien sûr, les femmes sont toujours plus nombreuses à être favorables à l'égalité et à vouloir aller plus loin (91% d'entre elles et 85% des hommes). Mais elles sont nettement moins nombreuses à se déclarer féministes (64% pour 58% des hommes).
Ce terme ne fait toujours pas l'unanimité. Et c'est du côté des hommes que les réticences, voire l'hostilité, est la plus grande : 15% des hommes refusent d'aller plus loin sur l'égalité et ils sont tout de même 42% à rejeter le féminisme…
Les femmes se déclarant féministes sont particulièrement jeunes (75% des 18-24 ans) et diplômées (73% des bac+5). Elles votent également plus souvent à gauche (81% des femmes à gauche se déclarent féministes pour 56% de celles à droite).
On assiste à un « modern gender gap » (le fait que les jeunes femmes soient plus progressistes que les jeunes hommes) qui se repère dans la forte propension des jeunes femmes à voter à gauche et à se déclarer féministes, comparées aux jeunes hommes pour lesquels les thèses masculinistes font leur chemin : les jeunes hommes sont les moins favorables à aller plus loin vers l'égalité (moins que les hommes de 60 ans et plus). Parmi eux, on assiste à une polarisation entre ceux totalement favorables à la cause féministe (15%) mais aussi ceux qui y sont radicalement opposés (15% également).
Ces résultats confirment les données fournies par le baromètre annuel sur le sexisme du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes : 22% des jeunes hommes de 15-24 ans et 25% de 25-34 ans pensent « qu'il faut parfois être violent pour se faire respecter dans la société » ou encore pour 39% d'entre eux, « le féminisme menace la place des hommes dans la société ».
Ce « modern gender gap » parmi les jeunes générations se repère aujourd'hui même aux Etats-Unis, où le clivage – entre jeunes hommes votant pour Donald Trump et jeunes femmes pour Kamala Harris – semble se confirmer.
Priorité à la lutte contre les violences et à l'égalité professionnelle
Parmi les actions attendues du gouvernement figurent loin devant les questions de violences : la lutte contre le harcèlement scolaire (93% des femmes), le harcèlement de rue (91% des femmes) et les violences sexistes et sexuelles (89% d'entre elles, soit 5 points de plus que les hommes). Vient ensuite la lutte contre les inégalités professionnelles, les salaires notamment, mais également le sort des familles monoparentales et dans une moindre mesure la question de l'accès des femmes aux postes à responsabilité.
Certes, la lutte contre toutes les violences sexistes et sexuelles est une priorité reconnue indépendamment du genre, et quelle que soit la couleur politique du vote, mais la question des inégalités professionnelles est davantage portée par les femmes et par les courants politiques de gauche.
On le sait, les femmes votent davantage pour l'extrême droite qu'auparavant. Aux dernières élections législatives, deux blocs se sont en réalité dégagés parmi les femmes : 31,5% d'entre elles ont voté pour l'ensemble des partis de gauche et également 31,5% ont mis leur bulletin dans l'urne pour les partis d'extrême droite (c'est le cas de 36,5% des hommes).
Cette étude révèle que ce sont les électeurs et électrices votant à l'extrême droite qui sont le plus hostiles à l'égalité et au féminisme : parmi les 39% de personnes qui affichent ne pas être féministes, 57% ont voté Les Républicains, 51,4%, Reconquête ! et 48,5% pour le Rassemblement national (RN). A l'inverse, 76% des personnes votant à gauche se déclarent féministes (soit 14 points de plus que l'ensemble).
La religion joue également un rôle : si 61% de l'ensemble se déclare féministe, c'est le cas de 65% des personnes sans religion mais seulement de 55% des personnes de confession protestante, 54% catholique, 47% juive et 46% musulmane.
Mais lorsque l'on demande quels sont les partis politiques les plus engagés sur les droits les femmes, 45% des femmes et 35% des hommes pensent qu'aucun parti n'est vraiment engagé sur cette cause…Certes, 30% (28% des femmes et 32% des hommes) pensent que les partis de gauche sont les plus crédibles, mais 15% ont tout de même retenu le RN… Le travail de dédiabolisation de ce parti fonctionne, y compris sur le chapitre des droits des femmes, malgré toutes les dénonciations qui ont pu être formulées, ici même…
Rachel Silvera
Maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre
https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/pouvoir-dachat-sante-egalite-veulent-femmes/00112985
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Les femmes et les jeunes filles africaines mourront des suites d’avortements pratiqués dans des conditions dangereuses à cause de la victoire de Trump

Trump a enhardi les groupes anti-droits dans le monde entier. Les femmes africaines en pâtiront
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/11/les-femmes-et-les-jeunes-filles-africaines-mourront-des-suites-davortements-pratiques-dans-des-conditions-dangereuses-a-cause-de-la-victoire-de-trump/?jetpack_skip_subscription_popup
La présidence de Trump semble déjà devoir avoir un effet catastrophique sur la santé et les droits sexuels et reproductifs sur le continent africain. Je travaille en tant que spécialiste de la santé reproductive et du genre en Ouganda et nous ressentons encore les impacts de la dernière présidence de Trump. Il ne fait aucun doute que les femmes et les filles africaines du continent s'inquiètent de l'impact de la seconde présidence de Trump sur leur santé et leur vie.
Au cours de son dernier mandat, nous avons assisté à l'enhardissement des forces anti-droits, anti-genre et anti-démocratiques, tandis que les valeurs de la droite chrétienne étaient utilisées comme arme contre les minorités. Ce phénomène s'est propagé bien au-delà des frontières du pays. Avec la dernière victoire électorale de M. Trump, les groupes qui l'ont soutenu dans sa course au pouvoir se sentiront probablement encore plus enhardis.
L'administration Trump a tenté de créer des cadres internationaux de droits des êtres humains totalement alternatifs, comme la Déclaration du consensus de Genève – qui, contrairement à son titre, n'est pas un document obtenu par consensus et n'a rien à voir avec Genève. Elle a en fait été élaborée et lancée avec la signature de 34 pays, dont beaucoup sont des États peu respectueux des droits des êtres humains, notamment l'Ouganda et le Kenya. Le GCD cherche à remettre en question l'existence d'un droit international à l'avortement et les progrès réalisés en matière de recherche et de développement au cours de la dernière décennie pour rendre les avortements sûrs accessibles dans le monde entier.
Cette politique a depuis enhardi les États qui l'ont signée à réprimer l'accès à l'avortement avec une notoriété croissante, puisque les signataires de cette politique sont désormais au nombre de 39, le Tchad et le Burundi étant les derniers venus.
M. Trump entretient également des relations avec des personnes telles que son allié de longue date Viktor Orban, le premier ministre hongrois, ainsi que Michael Pompeo et Valerie Huber, cette dernière étant l'un des architectes de la coalition anti-femmes de la déclaration du consensus de Genève.
Ces mêmes acteurs ont joué un rôle dans l'élaboration du Projet 2025 – le plan conservateur de 900 pages pour la prochaine présidence républicaine, produit par la fondation de droite Heritage Foundation et ses partenaires de coalition. Le projet 2025 vise, entre autres, à limiter l'accès à la mifépristone, le médicament utilisé pour l'avortement. Il préconise le rétablissement de la « règle du bâillon mondial » élargie de 2017, qui interdit aux ONG étrangères recevant un financement des États-Unis de fournir des services d'avortement. Les défenseur·es des droits génésiques ont indiqué que le projet 2025 est sur le point de constituer la plus grande menace de notre époque pour la santé et les droits génésiques.
En pratique, cela signifie que les Africaines peuvent s'attendre à voir augmenter le nombre de décès et de blessures dus à des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses, ainsi que des lois et des politiques similaires mises en œuvre dans leurs pays en raison de l'agenda populiste de leurs dirigeants politiques. Nous verrons davantage de femmes et de jeunes filles mourir ou souffrir de blessures invalidantes à la suite d'avortements pratiqués dans des conditions dangereuses parce que les organisations qui fournissent ces services verront les robinets de leurs ressources fermés.
Il est important de noter que bon nombre de nos budgets de services sociaux en Ouganda et dans d'autres États subsahariens sont complétés par une aide financière étrangère. Une administration américaine indifférente aux besoins des populations africaines, associée à des réformes politiques néfastes, aura un impact catastrophique. Les Ougandais·es dépendent de ces acteurs pour des services de santé vitaux, et elles et ils risquent de souffrir, voire de mourir, si aucune mesure compensatrice n'est mise en place.
En outre, au cours de sa dernière présidence, les juges triés sur le volet par Trump, Brett Kavanaugh et Amy Coney Brett, ont renversé l'arrêt Roe v Wade. Cela a encore renforcé le mouvement anti-droit en Afrique pour lutter contre tout programme juridique, politique et de prestation de services visant à élargir l'accès à l'avortement.
Par exemple, une haute cour du Kenya a rendu un jugement progressiste en mars 2022 en s'appuyant sur la définition de Roe v Wade du droit à la vie privée en tant que partie intégrante des droits des femmes. L'abrogation de cette décision américaine historique a ouvert la voie à un appel ultérieur du jugement progressiste rendu par la Haute Cour de Malindi.
Trump, bien sûr, est également un négationniste du changement climatique, faisant des États-Unis le premier pays à se retirer de l'Accord de Paris en 2020. Mais les crises induites par le climat et la hausse des températures ont un impact disproportionné non seulement sur les Africains, mais aussi sur la santé et la vie des femmes. En tant que féministes sur le continent, nous nous attendons donc à ce que sa position politique répressive sur la santé reproductive et sur le changement climatique continue à perpétuer les décès et les blessures évitables des femmes et des filles et à les enfoncer encore plus dans la pauvreté.
Nous ne nous faisons pas d'illusions sur le fait que la victoire de Kamala aurait été une solution miracle à toutes les questions de justice en matière de genre et de procréation qui restent contestées aux États-Unis et dans le monde. Mais nous savons également que bon nombre des politiques proposées par Kamala auraient été bénéfiques pour les femmes et les filles africaines, ainsi que pour d'autres groupes structurellement marginalisés. Son parti était clair sur la nature fondamentale du droit à l'autonomie corporelle et à l'égalité devant la loi, ce qui contraste fortement avec le président entrant.
En fin de compte, la victoire de Trump rend notre travail plus difficile en tant que féministes parce que nous avons un président d'extrême droite et les ressources et structures de l'État qui, sous son contrôle incontrôlé, seront utilisées comme des armes contre les minorités aux États-Unis et au-delà. Après tout, comme nous l'avons vu, les dépenses de l'extrême droite américaine sont déjà en plein essor en Afrique.
En tant que défenseur·es des droits des êtres humains, nous devons retourner à la planche à dessin, faire le point sur les ressources, y compris nos allié·es mondiaux et nationaux existant·es, et les déployer de manière stratégique. Nous devons également maintenir les victoires durement acquises ; nous ne devons pas rester silencieuses et silencieux mais continuer à combattre la désinformation que les groupes anti-droits déploient habituellement, et surtout, nous devons puiser dans notre force collective et rester solidaires de toutes les féministes et de tous les militant·es des droits des êtres humains, que ce soit aux États-Unis, en Amérique latine ou en Afrique, et continuer à ébrécher les systèmes de destruction tels que le patriarcat, la misogynie, le fascisme, l'impérialisme avec persévérance et en prenant soin de soi et de la communauté.
Joy Asasira
https://www.opendemocracy.net/en/trump-win-us-global-africa-women-girls-abortion/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Russie : Répression des personnes qui n’ont pas d’enfant

Certaines personnes qui lisent ces lignes ont des enfants. D'autres n'en ont pas. Il y a plein de raisons qui expliquent la composition de votre famille, et franchement, ces raisons ne me regardent pas. C'est à vous de décider, pas à moi. C'est une affaire personnelle.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Et aucun gouvernement ni homme ou femme politique ne devrait nous dire, à vous ou à moi, si on devrait avoir des enfants ou non. Les autorités ne devraient pas non plus attaquer ou stigmatiser les personnes qui ont ou non des enfants.
Il s'agit là de concepts fondamentaux de liberté individuelle, de respect de la vie privée et de non-discrimination, largement compris dans le monde entier, mais apparemment pas par les autorités russes.
Un nouveau projet de loi, qui a fait l'objet d'un premier vote à la Doumad'État la semaine dernière, vise à interdire la « propagande » sur les modes de vie dits sans enfant.
Sous cette loi, une censure généralisée serait appliquée à tout ce qui suggère qu'il est acceptable de ne pas avoir d'enfant. Qu'il s'agisse d'un discours sérieux ou d'une plaisanterie, il est interdit de laisser entendre qu'il est acceptable de ne pas avoir d'enfant. L'interdiction s'appliquerait aux médias, à la publicité, à l'édition, au cinéma et à Internet. Les personnes, les organisations et les entreprises qui violeraient la nouvelle loi se verraient infliger de lourdes amendes.
Pour comprendre comment cette censure fonctionnerait dans la pratique et quels en seraient les effets, il suffit de se pencher sur l'interdiction de la « propagande gay » en Russie, qui a été formulée de la même manière. Depuis plus de dix ans, cette loi interdit toute information, représentation ou activité publique en faveur des personnes LGBT, c'est-à-dire les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transsexuels.
Pour éviter les sanctions, les éditeurs russes ont rappelé les livres dont le contenu portait sur les personnes LGBT. Les librairies et les bibliothèques ont été soumises à une pression énorme. Au début de l'année, par exemple, un tribunal de Nizhny Novgorod a condamné une chaîne de librairies à une amende de 500 000 roubles(environ 5 155 dollars) pour avoir vendu un roman décrivant des relations entre personnes de même sexe.
Les tribunaux russes infligent également de plus en plus d'amendesaux chaînes de télévision et aux services de streaming qui présentent des personnes LGBT.
Bien sûr, il ne s'agit pas seulement de la censure et des amendes en elles-mêmes. Il s'agit aussi de la stigmatisation qu'elles engendrent. En effaçant les représentations des personnes LGBT de la scène publique, la société reçoit le message que les personnes LGBT sont inacceptables. Il n'est donc pas surprenant que cette loi ait contribué à déclencher une« décennie de violence » et de crimes haineux à l'encontre des personnes LGBT en Russie.
La nouvelle proposition d'interdiction de la « propagande » sur les modes de vie dits « sans enfant » s'accompagne de problèmes et de risques similaires.
Ces deux mesures font partie de ce que les autorités russes appellent la défense des « valeurs traditionnelles » et des « valeurs familiales », mais, bien sûr, ce sont elles qui décident de ce qui est « traditionnel » et de ce qui ne l'est pas. Comme nous l'avons déjà évoqué dans le Brief du Jour, le mot « tradition » est trop souvent utilisé pour tenter de justifier les violations des droits humains.
Plutôt que d'instaurer une nouvelle vague de censure de masse et de faire d'un plus grand nombre de personnes des boucs émissaires et des cibles de la haine, les autorités russes devraient simplement laisser les gens tranquilles.
Qui vous aimez et si vous avez des enfants ou non – ces choses ne sont pas l'affaire d'un gouvernement et les autorités ne devraient pas s'en mêler.
Andrew Stroehlein
Directeur des relations médias en Europe
https://www.hrw.org/fr/news/2024/10/21/repression-des-personnes-qui-nont-pas-denfant
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L’histoire du pétrole : disséquer l’hydre à plusieurs têtes

[Compte rendu de Crude Capitalism : oil, corporate power and the making of the world market d'Adam Hanieh, Verso 2024.] Etre témoin d'un génocide peut être paralysant. L'horreur de l'offensive israélienne contre la population civile de Gaza s'infiltre dans les espaces de nos têtes, interrompant et perturbant les tentatives de réflexion.
Tiré de A l'Encontre
23 novembre 2024
Par Simon Pirani
Ma mémoire continue de faire le lien entre Gaza et la guerre du Viêt Nam, dont les nouvelles filtraient jusqu'à moi lorsque j'étais un jeune adolescent. Mon monde protégé a été ébranlé par la cruauté avec laquelle des innocents ont été massacrés et torturés, sous les ordres de gouvernements dont j'avais vaguement supposé qu'ils devaient protéger les gens. Je vois aujourd'hui des adolescents passer par des processus de réflexion analogues.
Comment se fait-il qu'un demi-siècle plus tard, la macabre « civilisation » qui frappait les villages vietnamiens ait évolué pour donner naissance au monstrueux régime de Netanyahou ? Qu'est-ce que cela nous apprend sur l'hydre à plusieurs têtes que nous combattons et sur les tentatives de l'humanité pour lui résister ?
Le livre d'Adam Hanieh, Crude Capitalism, dissèque l'une des têtes de l'hydre – le pétrole, les entreprises et les Etats qui l'utilisent pour renforcer leur richesse et leur pouvoir – et nous offre un point de vue sur le rôle qu'il joue dans l'ensemble de l'organisme, du système. Sa lecture m'a aidé à considérer l'horreur de Gaza non pas comme une aberration, mais comme l'aboutissement logique de la domination du capital au XXIe siècle.
Crude Capitalism aborde ses grands thèmes difficiles avec précision et attention aux détails. Il est magnifiquement présenté et organisé.
La première partie de l'histoire racontée par Adam Hanieh, celle de la phase initiale de croissance du pétrole, se déroule au début du XXe siècle, aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, en Iran, en Azerbaïdjan et en Amérique latine. Dans la seconde partie, à partir du milieu du XXe siècle, les ressources pétrolières du Moyen-Orient et les batailles pour leur contrôle occupent une place importante. C'est dans ce contexte que s'inscrit le déluge de crimes de guerre commis aujourd'hui contre des Palestiniens.
Les liens ne sont pas directs. Les régimes centrés sur le nettoyage ethnique brutal, comme celui de Netanyahou, sont produits par le capitalisme ; le capitalisme prospère grâce au pétrole. Mais les médiations sont multiples. L'approche de Hanieh est un antidote aux simplifications qui circulent trop souvent dans les cercles politiques radicaux.
Le contrôle physique de la production pétrolière était crucial au début du XXe siècle, mais ce n'est plus le cas depuis longtemps, affirme Hanieh.
Dans les années 1960 et 1970, dans le contexte de puissants mouvements anticolonialistes, le contrôle de la production pétrolière s'est considérablement déplacé des puissantes transnationales basées aux Etats-Unis et en Europe vers les compagnies pétrolières nationales contrôlées par l'Etat, surtout au Moyen-Orient.
Mais le capital et ses machines d'Etat se sont adaptés. Les Etats-Unis, qui, dans les années 1950 et 1960, avaient supplanté la Grande-Bretagne et la France en tant que puissance impériale dominante au Moyen-Orient, ont établi des relations stratégiques et militaires avec les Etats du Golfe et le régime du Shah en Iran (du moins, jusqu'à ce que ce dernier soit renversé en 1979). Dans les années 1970, les monarchies saoudienne et iranienne constituaient l'un des piliers de la puissance américaine dans la région, l'autre étant Israël.
La force militaire brute n'était qu'un aspect de la domination impériale. Selon Adam Hanieh, les changements intervenus dans les relations économiques et dans le système financier, qui ont permis de maintenir le contrôle sur les recettes pétrolières, ont également joué un rôle crucial.
Dans les années 1960, les gouvernements des pays producteurs de pétrole, menés par le Venezuela, avaient imposé des changements dans la fixation des prix du pétrole qui désavantageaient les puissantes compagnies états-uniennes qui avaient des intérêts dans leurs champs pétrolifères. La monarchie saoudienne exigeait elle aussi une plus grande part du gâteau. Les Etats-Unis ont réagi en modifiant leurs propres règles fiscales de sorte que, tandis que l'argent du pétrole affluait vers Riyad, les plus grandes compagnies pétrolières continuaient d'engranger des bénéfices records.
Dans les années 1970, des chocs de prix ont ébranlé le système de tarification monopolistique qui avait servi les plus grandes compagnies. L'action des pays producteurs, coordonnée par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), a retiré le contrôle des prix aux transnationales. Les prix du pétrole brut ont quadruplé en 1973-1974 et doublé à nouveau en 1979.
Dans les années 1980, un autre changement important s'est produit : le pétrole est devenu de plus en plus un produit commercialisé ; la richesse et le pouvoir ont afflué vers les sociétés intermédiaires de négoce. Les profits pétroliers, qui avaient auparavant profité principalement aux sociétés des pays riches, se sont maintenant déversés dans les Etats du Golfe en particulier.
Ces « pétrodollars », qui s'écoulaient en quantités sans précédent vers des pays extérieurs au cercle des puissances impérialistes, sont devenus un facteur important de la financiarisation (l'expansion des marchés monétaires internationaux, dopés par le commerce informatisé) et de la mondialisation (la minimisation des contrôles de capitaux et autres barrières commerciales associées à l'économie néolibérale).
Quarante ans plus tard, le flux est plus important que jamais. Les Etats du Golfe ont accumulé un excédent de compte courant estimé à deux tiers de mille milliards de dollars en 2022, lorsque, après l'invasion russe de l'Ukraine, les prix du pétrole ont grimpé en flèche.
Les « pétrodollars » sont devenus des « eurodollars », c'est-à-dire des financements libellés dans la monnaie des marchés extérieurs aux Etats-Unis. Le dollar, dont le statut de monnaie de réserve avait été menacé lors de son décrochage de l'étalon-or en 1971, a été renforcé.
Les formes de monnaie et la montée des euromarchés, la position du dollar en tant que monnaie de réserve internationale, la domination des institutions financières anglo-américaines, les chaînes de la dette et la montée de l'orthodoxie néolibérale n'étaient pas les résultats automatiques de stricts processus économiques centrés sur l'Amérique du Nord et l'Europe, mais étaient inextricablement liés à la géopolitique du pétrole et à la présence des Etats-Unis au Moyen-Orient.
En se concentrant sur ces « racines mondiales souterraines » du nouveau système financier, écrit Hanieh, « il est possible de changer la façon dont nous pensons habituellement au contrôle du pétrole ».
Celui-ci n'est pas simplement réductible au pouvoir territorial et à la propriété des champs pétrolifères étrangers – il s'agit également du contrôle de la richesse pétrolière.
Pour comprendre les champs de bataille de Gaza, nous devons réfléchir, d'une part, aux fournitures militaires américaines aux Etats du Golfe et à Israël et aux idéologies détraquées [voir les vidéos diffusées par des soldats sur les réseaux sociaux] qui poussent les soldats israéliens à commettre des tueries et, d'autre part, à ces « racines souterraines » qui traversent les banques, les centres financiers, les maisons de commerce et la City de Londres.
Nous avons affaire à une hydre à plusieurs têtes qui combine de manière complexe richesse, pouvoir et terreur.
Ces relations démentent les mythes, comme l'idée que nos ennemis mènent des guerres répétées pour le pétrole. En réalité, c'est rarement le cas.
L'invasion dévastatrice de l'Irak en 2003, menée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, nous rappelle Hanieh dans une note de bas de page, ne visait pas tant à s'emparer du pétrole irakien qu'à protéger les monarchies du Golfe.
Il cite un autre historien du Moyen-Orient, Toby Craig Jones [1], qui a souligné que la captation du pétrole et des champs pétrolifères ne faisait pas partie de la logique stratégique de guerre des Etats-Unis, « mais que la défense du pétrole, des producteurs de pétrole et du flux de pétrole en faisait partie ».
Le pétrole ne produit pas seulement des richesses monétaires. Une fois extrait du sol, il est transporté sur de longues distances, généralement par bateau (une activité qui consomme énormément de pétrole). Il est raffiné en produits : macadam et bitume ; carburants, de l'essence au kérosène, dont l'approvisionnement a façonné les pratiques militaires, industrielles et agricoles, ainsi que les marchés de consommation, pendant un siècle ; et éthylène et autres matières premières pour les usines pétrochimiques.
Contrairement à d'autres historiens du pétrole qui ont une vision très générale, Hanieh met l'accent sur cet « aval ». Il montre que, dès le départ, la stratégie des géants pétroliers américains et européens était l'intégration verticale, c'est-à-dire le contrôle de l'ensemble du processus, jusqu'aux stations-service.
Les voitures, le bien de consommation ultime qui consomme tant de pétrole, occupent une place importante dans cette histoire. Il en va de même pour la combustion du pétrole dans les centrales électriques. Hanieh choisit de traiter plus en détail l'industrie pétrochimique, où le pétrole n'est pas utilisé comme vecteur d'énergie pouvant être converti en mouvement mécanique, en chaleur ou en électricité, mais comme matière première.
Il retrace les origines de la transformation pétrochimique en Allemagne, son développement (si c'est le bon mot) pendant la Seconde Guerre mondiale en tant que bras de la machine militaire nazie, et l'acquisition par les Etats-Unis, après la guerre, des technologies allemandes par le vol et l'expropriation. La pétrochimie, dominée par les Etats-Unis et l'Europe jusqu'à la fin du XXe siècle, se développe rapidement au Moyen-Orient et en Chine au cours du XXIe siècle.
Selon Adam Hanieh, les plastiques et autres matériaux synthétiques issus des combustibles fossiles ont remplacé les matériaux naturels tels que le bois, le coton et le caoutchouc. « En découplant la production de marchandises de la nature, on a assisté à une réduction radicale du temps nécessaire à la production de marchandises et à la fin de toute limite à la quantité et à la diversité des biens produits. »
Il s'agit d'une transformation qualitative : la pétrochimie a aidé le capital à réaliser des révolutions en matière de productivité, de technologies permettant d'économiser du travail et de consommation de masse ; « née dans la guerre et le militarisme, elle a contribué à la constitution d'un ordre mondial centré sur les Etats-Unis ». Notre être social est lié à un approvisionnement apparemment illimité en produits pétrochimiques bon marché et jetables.
J'espère que les arguments de Hanieh sur les produits pétrochimiques seront mis au centre des discussions sur la transition hors du pétrole et sur ce que cela implique pour le projet socialiste d'affronter et de vaincre le capitalisme.
Tout d'abord, le flux de pétrole en tant que matière première dans l'industrie pétrochimique doit être replacé dans le contexte plus large du flux colossal de matières extraites dans l'économie capitaliste, y compris les métaux, les minéraux, le ciment, les asphaltes et les matières vivantes telles que la biomasse et les animaux d'élevage.
Une équipe dirigée par Fridolin Krausmann a récemment estimé que l'ensemble de ces flux de matières a été multiplié par 12 entre 1900 et 2015 [2]. Eric Pineault a tenté de s'appuyer sur ces travaux et sur ceux des économistes écologiques pour développer une vision marxiste de cet aspect de la formidable expansion du capital [3].
Deuxièmement, une question d'interprétation. Je ne pense pas que l'industrie pétrochimique « découple » la production de la nature : il s'agit d'une autre façon de traiter et de retraiter des matériaux issus de la nature. Cependant, Hanieh a mis le doigt sur quelque chose d'extrêmement important et dangereux dans la manière dont les matériaux synthétiques corrompent et déforment la relation de l'humanité avec la nature. Il a mis le doigt sur ce qui devrait tous nous préoccuper.
Dans le dernier chapitre de Crude Capitalism, Adam Hanieh étudie la réponse des compagnies pétrolières à la menace du changement climatique. Après avoir passé des décennies à financer le déni de la science du climat, elles ont, au cours de la dernière décennie, inversé leur position publique, accepté le réchauffement planétaire comme un fait … et sont devenues des « convertis enthousiastes » au concept de « net zéro », tel que déformé par les politiciens, qui remplace les véritables réductions d'émissions de gaz à effet de serre par des ingénieuries technologiques chimériques, en particulier le captage du carbone.
« En donnant l'impression de faire partie de la solution, les compagnies pétrolières ne cachent pas seulement leur rôle central dans l'économie fossile, mais visent à encadrer et à déterminer la réponse de la société au changement climatique », prévient Hanieh.
Les compagnies adoptent de fausses solutions techniques – la biomasse, les véhicules électriques et l'hydrogène – qui ont été placées au centre de la politique climatique de l'establishment. Elles parient sur l'expansion de la dystopie consumériste synthétique soutenue par la pétrochimie. Et leur emprise orwellienne sur la politique, main dans la main avec les dictateurs des nations productrices, est plus que jamais visible lors des négociations internationales sur le climat – l'année dernière (Abu Dhabi) et cette année (Azerbaïdjan).
Les écosocialistes, qui s'efforcent d'associer la lutte pour surmonter la rupture désastreuse de l'humanité avec la nature à la lutte pour la justice sociale, doivent d'abord se confronter au fait que la production d'énergie et les infrastructures « restent solidement entre les mains des plus grands conglomérats pétroliers », affirme Adam Hanieh.
De plus, nous devons reconnaître que si ces entreprises constituent un « obstacle majeur » à la sortie du pétrole, « elles sont une manifestation, et non une cause, du problème sous-jacent » des relations sociales capitalistes.
Ne nous contentons pas de reculer d'horreur devant le génocide : disséquons et comprenons mieux l'hydre à plusieurs têtes. Ce livre y contribue. (Compte rendu publié sur le site de Simo Pirani le 18 novembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Adam Hanieh est professeur d'études sur le développement à la SOAS, Université de Londres.
Simon Pirani a été de 2007 à 2021 chercheur auprès du Oxford Institute for Energy Studies. Il a publié en 2018 Burning Up : A Global History of Fossil Fuel Consumption, chez Pluto Press.
[1] Auteur entre autres de Running Dry : Essays on Energy, Water, and Environmental Crisis (Rutgers University Press, 2015), Desert Kingdom : How Oil and Water Forged Modern Saudi Arabia (Harvard University Press, 2010). (Réd.)
[2] « From resource extraction to outflows of wastes and emissions : The socioeconomic metabolism of the global economy, 1900–2015 », in Global Environmental Change, septembre 2018, pages 131-140.
[3] A Social Ecology of Capital, Pluto Press, 2023.
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Les écologistes, nouveaux coupables de la crise climatique

France, États-Unis, Brésil... Face aux catastrophes climatiques, les attaques contre les écologistes redoublent d'intensité. Paradoxalement, ils sont devenus les ennemis à abattre.
24 novembre 2024 | Tiré de Reporterre
https://reporterre.net/Les-ecologistes-nouveaux-coupables-de-la-crise-climatique
C'est un phénomène qui se répand aux quatre coins de la planète. Un signe du puissant retour de bâton qui frappe nos sociétés occidentales, gangrenées par l'extrême droite et la désinformation. Partout, les écologistes sont rendus responsables des catastrophes climatiques qu'ils annonçaient depuis des décennies. Les messagers sont pris pour cible, attaqués et transformés en boucs émissaires. Le débat public est caricaturé et instrumentalisé, pris dans des polémiques stériles et absurdes.
À Valence, en Espagne, les écologistes sont accusés par les réactionnaires d'avoir aggravé les inondations qui ont provoqué la mort de plus de 200 personnes en octobre dernier. Le parti d'extrême droite, Vox, leur reproche d'avoir détruit des barrages et d'avoir refusé de nettoyer les rivières. En réalité, seules de petites retenues en fin de vie avaient été détruites dans les années 2000, sans effet sur l'importance des dégâts, assurent les experts.
Vers un climatocomplotisme
Aux États-Unis, quelques semaines auparavant, lors du passage des ouragans Helene et Milton, des météorologues ont aussi été menacés de mort. Trump et ses partisans ont mené une campagne de diffamation de grande ampleur pour dénoncer le rôle du gouvernement démocrate dans l'apparition de la tornade et décrédibiliser les climatologues.
Le camp républicain a répété de fausses allégations selon lesquelles l'administration Biden-Harris aurait réorienté les fonds d'aide destinés aux régions dévastées pour les consacrer à des programmes en faveur des migrants. Des élus conservateurs, comme la députée de Georgie, Marjorie Taylor Greene, ont même insinué que le gouvernement « contrôlait la météo » sur X.

Dans ce tweet, une élue républicaine affirme que le gouvernement manipule le climat. X (ex-Twitter)
Le climatoscepticisme vire au climatocomplotisme. À l'ouragan réel s'ajoute un autre déluge, de mensonges et de fake news. Dans le Guardianhttps://www.theguardian.com/us-news..., la météorologue Katie Nickolaou témoigne : « Plusieurs personnes m'ont dit que j'avais créé et dirigé l'ouragan, d'autres que nous contrôlions la météo. J'ai dû rappeler qu'un ouragan a l'énergie de 10 000 bombes nucléaires et que nous ne pouvons pas espérer le contrôler. Mais la rhétorique est devenue plus violente, notamment avec des gens qui disent que ceux qui ont créé Milton devraient être tués. Les gens m'ont traitée d'une pléthore de jurons, ils m'ont dit de me taire ».
« Je n'ai jamais vu ça »
« En vingt ans à gérer des catastrophes, je n'ai jamais vu ça », dit Samantha Montano, professeure en gestion de situation d'urgence, interrogée par le New York Times. Le phénomène s'est aggravé avec la reprise en main par Elon Muskdu réseau social Twitter-X.
Le milliardaire a rétabli de nombreux comptes interdits et provoqué une explosion de désinformation climatiquesur la plateforme. Lors des deux derniers ouragans, la viralité des fausses informations a battu tous les records. Il a suffi de moins d'une trentaine de messages climatosceptiques et injurieux pour inonder le réseau, et être vus plus de 160 millions de fois.
Lire aussi : Le numérique fait le lit de l'extrême droite
« On aurait pu croire que ces catastrophes soient un moment de révélation et de vérité qui aille dans le sens des écologistes, dit à Reporterre l'historienne Laure Teulière. Mais c'est tout le contraire qui s'est réalisé. À l'aune de la tempête, la confusion s'aggrave encore davantage ». Selon elle, « le technocapitalisme radicalise ses formes de domination. La cause écologiste permet de souder contre elle ceux qui ont intérêt au statu quo — les industriels qui profitent du système économique — et les responsables politiques qui prospèrent sur le ressentiment de la population. »
« Les feux de forêts sont allumés par des terroristes verts »
Avant les exemples espagnol et étasunien, d'autres situations éloquentes montrent qu'il s'agit d'un phénomène global. Au Brésil, en 2019, Jair Bolsonaro avait insinué que les associations écologistes incendiaient l'Amazonie pour ternir sa réputation. « Je n'arrive pas à tuer ce cancer que sont la plupart des ONG », regrettait l'ancien chef de l'État. Il qualifiait également l'Accord de Paris de « complot international » qui cherchait, selon lui, à saper ses efforts en faveur du développement du pays.
Au Canada, les conservateurs sont en embuscade. Alors que les mégafeux ravageaient 18 millions d'hectares de forêt en 2023, l'ancien ministre des Affaires étrangères Maxime Bernier affirmait « qu'une bonne partie des feux de forêt ont été allumés par des terroristes verts pour donner un coup de pouce à leur campagne sur le changement climatique ». Des thèses, encore une fois, sans fondement.
Au Brésil, en 2019, Jair Bolsonaro avait insinué que les associations écologistes incendiaient l'Amazonie pour ternir sa réputation. Flickr / CC BY 2.0 / Palácio do Planalto
« Il y a dix ans, on se disait, avec des amis, que quand ça irait mal, on nous accuserait, nous, les écologistes, se souvient le philosophe Dominique Bourg. On n'était pas prêt d'imaginer que ça aille aussi vite et que cela soit aussi violent ». Et de poursuivre : « Nous vivons une situation assez classique des régimes autoritaires. Avec une destruction du langage et une inversion des valeurs. On construit un monde contrefactuel en détruisant toute vérité possible. »
La stratégie du choc est en marche
En 2007, déjà, Naomi Klein décrivait l'avènement d'un « capitalisme du désastre » qui surferait sur les catastrophes naturelles qu'il aurait lui-même provoquées. En se militarisant, en criminalisant tous ceux qui voudraient le remettre en cause, en détournant la colère et en jouant sur la sidération.
Tout porte à croire que nous y sommes. Cette « stratégie du choc », du nom du livre phare de l'intellectuelle canadienne, touche aussi la France. Des dynamiques similaires se déploient avec les mêmes rhétoriques diffamatoires. Après l'ère du greenwashing, place à l'ère du « greenblaming » ou du « greenbashing » [1]. L'extrême droite et les écomodernistes sont entrés en croisade contre les écolos, aidés par les médias de Bolloré et consorts.
Ainsi, en 2022, dans les Landes, face à l'ampleur des mégafeux, on a reproché aux écologistes d'avoir refusé d'aménager la forêt(plutôt que de s'interroger sur les monocultures résineuses industrielles hautementinflammables). L'animateur de M6, Mac Lesggy, et les journalistes employés des journaux contrôlés par des milliardaires, Géraldine Woessner, du Point, et Emmanuelle Ducros, de L'Opinion, ont mené la cabale, jusqu'à noyauter le débat public pendant la catastrophe. Avant d'êtreséchement démenties.
La même scène s'est répétée avec les inondations dans le Nord. La revue de Michel Onfraya accusé les écologistes de ne pas avoir voulu curer les canaux pour protéger des grenouilles. Le président de la Région Xavier Bertrand a surenchéri quelques heures à peine après les premières inondations, en pleine urgence.
En janvier dernier, face à la colère agricole, les écologistes ont aussi été désignés comme les principaux coupables de la détresse paysanne. « L'écologie politique est le courant de pensée faisant courir le plus de risques à notre pays », fantasme Géraldine Woessner, dans son dernier livre Les Illusionnistes (Robert Laffont, 2024).
« Il s'agit de décrédibiliser les lanceurs d'alerte »
« Cette petite musique sert surtout à détourner l'attention. Elle s'inscrit dans une stratégie plus vaste d'obstruction des efforts climatiques, assure l'historienne Laure Teulière. Ces détracteurs veulent imposer, face à la crise environnementale, leurs propres solutions procroissance et protechnologie ».
« Ils dépeignent les écologistes à la fois comme un ennemi intérieur, dangereux et violent, un khmer vert catastrophique et moralisant, mais aussi comme un grand naïf, un doux rêveur, avec des idées hors-sols, inefficaces et utopistes », remarque la chercheuse. L'objectif visé est de décrédibiliser et de délégitimer les lanceurs d'alerte et de leur couper l'herbe sous le pied.
La peur de la perte de contrôle
À l'avenir, ces attaques pourraient d'ailleurs redoubler d'intensité. Dans un article de la revue en ligne The Conversation, les chercheurs Iwan Dinnick et Daniel Jolley montrent l'écho grandissant de ce type de rhétorique. La multiplication des catastrophes naturelles favorise, paradoxalement, le climatoscepticisme et les discours anti-écolo, expliquent-ils.
Des biais cognitifs l'expliqueraient. « Les gens ont un besoin fondamental de se sentir en sécurité dans leur environnement. Dès lors où le changement climatique est réel, il représente une menace existentielle, c'est pourquoi certains le rejettent au profit de théories du complot pour retrouver une impression de contrôle. »
En 2019, une étude en psychologie s'intéressait à la flambée de tornades observées dans le Midwest étasunien. Les chercheurs constataient que les personnes les plus touchées par les tempêtes étaient les plus susceptibles de croire que les tornades étaient contrôlées par le gouvernement. Dans les situations de crise, le cerveau, en état de choc, cherche des réponses rapides et faciles, il désigne des coupables contre lesquels il est déjà énervé.
Iwan Dinnick et Daniel Jolley pointent le risque d‘« un cycle qui s'autoperpétue ». « Si les gens ne croient pas au changement climatique, ils n'agiront pas, ce qui accélérera sa progression. Et si le changement climatique s'accélère, les catastrophes naturelles deviendront, elles aussi plus fréquentes. »
L'écologiste fait figure de nouveau Cassandre. Au lieu de remettre en cause notre manière d'habiter la Terre, on appelle à un surcroît de contrôle, à plus de gestion et d'aménagement. En Espagne, le parti d'extrême droite, Vox, plaide pour relancer le « Plan Sud », un projet imaginé par Franco pour construire un grand canal. En France, les industriels prônent davantage de monocultures en forêt et la FNSEA veut curer la rivière Aa. « Vu que la nature nous pète à la gueule et que les écologistes la protègent, les Modernes font de nous des traîtres », conclut Dominique Bourg.
Note
[1] De to blame (blâmer) et to bash (critiquer fortement).
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Fin de la COP29 : les pays riches imposent un accord « néocolonialiste »

Au bout de la nuit, un accord sur la finance climatique (300 milliards de dollars par an) a été conclu. La somme, près de cinq fois inférieure à celle dont ont besoin les pays du Sud, a provoqué leur colère.
Tiré de Reporterre
24 novembre 2024
Par Emmanuel Clévenot
Bakou (Azerbaïdjan), reportage
La main crispée autour du marteau, Mukhtar Babayev transpirait de nervosité. Au cœur de la nuit, face à un hémicycle dans l'atermoiement depuis des heures, le président azerbaïdjanais de la COP29 a annoncé à toute allure l'adoption du texte phare des négociations. Dans la même précipitation, le bruit sec de l'instrument scellant les décisions s'est abattu. Et avant même que les interprètes n'aient fini de traduire, l'homme s'est levé et a enlacé le chef de la branche Climat des Nations unies, sous les applaudissements nourris. Verdict : les États présents à cette 29e conférence des parties à Bakou se sont engagés à verser 300 milliards de dollars (287 milliards d'euros) par an aux pays en développement, bien en deçà de la somme nécessaire comprise entre 1 000 et 1 300 dollars.
Les mines médusées, des observateurs se sont chuchotés leur incompréhension. Certains experts, assis à même le sol, avaient à peine débuté l'analyse de l'ultime version du texte, reçue quelques instants plus tôt.
Les 197 États membres avaient-ils brusquement accordé leurs violons sur le fameux « Nouvel objectif collectif quantifié », fixant l'aide financière allouée par les pays riches aux nations vulnérables à la crise climatique ? La quinzaine de débats allait-elle s'achever ainsi ? Pas du tout.
« Empêcher les parties de s'exprimer n'honore pas la convention »
Empoignant le micro, la négociatrice en cheffe de l'Inde, Chandni Raina, a aussitôt déploré « un incident absolument regrettable » : « Nous avions informé la présidence que nous voulions faire une déclaration avant toute prise de décision. Cela est une mise en scène. » Fusillant d'un regard noir Mukhtar Babayev et son voisin onusien, elle a ajouté : « Nous avons vu ce que vous venez de faire. Utiliser votre marteau et empêcher les parties de s'exprimer n'honore pas la convention. L'Inde s'oppose à l'adoption de ce document. Prenez-en note. »
Une « violation de la justice climatique »
En guide de riposte, le président s'est contenté d'assurer que cette objection serait inscrite au rapport, bien que l'adoption du texte demeure valable. Il n'imaginait sûrement pas le flot de désaveux prêt à déferler sur lui. Diego Pacheco, l'émissaire bolivien, a scandé que « les pays développés devraient avoir honte » d'avoir bâti un tel « outil néocolonialiste », « une arme létale » : « Ce financement est un écran de fumée, une insulte et une violation flagrante de la justice climatique. La coopération internationale disparaît petit à petit. Nous nous étions promis d'avancer ensemble. Maintenant, c'est sauve qui peut. »
Les activistes dénoncent le manque d'engagement et de prise de responsabilité des pays riches depuis le début de la COP. © Emmanuel Clévenot / Reporterre
Le Malawi, porte-voix des 45 pays les moins avancés, a partagé cette indignation. Portée par de vifs applaudissements, la diplomate nigériane a ensuite qualifié l'adoption express d'affront : « Nous n'avons pas seulement à faire des déclarations. Nous avions le droit de décider si nous acceptions ou non ce texte, a-t-elle crié, furieuse. Et je vous le dis : nous ne l'acceptons pas. » Devant ce tollé contagieux, le négociateur du Chili a insisté auprès du président de la COP sur l'absence criante de « consensus », régissant pourtant les enceintes onusiennes.
Le fossé Nord / Sud se creuse
Alors comment l'adoption a-t-elle pu être prononcée ? Une chose est sûre : le multilatéralisme bat de l'aile, plus que jamais auparavant, et le fossé entre les pays du Nord et ceux du Sud semble se creuser de plus en plus. Jusqu'à 4 h 30 du matin, les allocutions se sont enchaînées.
Le commissaire européen au climat, Wopke Hoekstra n'a, lui, pas caché sa satisfaction, qualifiant de « véritablement extraordinaire » l'adoption de l'accord. « À mon avis, la COP29 restera dans les mémoires comme le début d'une nouvelle ère pour le financement climatique et nous avons travaillé dur pour garantir qu'il y ait beaucoup d'argent sur la table. »
Un « sabotage », une « insulte »... Des activistes comme de nombreux diplomates n'ont pas caché leur colère face à un montant promis dérisoire. © Emmanuel Clévenot / Reporterre
« Beaucoup » ? Les 300 milliards de dollars annuels à compter de 2035 sont une enveloppe quatre à cinq fois inférieure aux besoins, d'après un consensus d'experts.
Visiblement plus sensibles à l'émoi des pays vulnérables, les émissaires d'autres pays du Nord ont teinté de nuances leurs interventions. La Suisse a ainsi déploré une « machine arrière » et condamné « que certains aient dilué l'ambition du texte ». Un « sabotage » aussi pointé du doigt par l'Australie. Le négociateur canadien déclarant, lui : « Nous étions ici pour passer à l'action, nous avons raté le coche. »
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Le monde change de base comme à l’avènement d’Hitler en 1933

Le monde va changer de base comme lors de l'avènement du nazisme en 1933. Le président bien élu, lui et son parti qui contrôlent les trois pouvoirs fédéraux, bien qu'il reste la résistance de certains états comme la Californie et New York qui se sont époumonés de vertu à la COP29 terminée en un recul pro-hydrocarbure, sont mieux en selle qu'Hitler. Celui-ci, bien qu'ayant renoncé au coup d'État suite à l'échec de 1923, n'avait jamais conquis une majorité ni lui ni son parti. Il était en fait en perte de vitesse électorale à la veille de son accession au poste de Chancelier.
Fort de son mandat, l'aspirant fasciste étatsunien procède à nommer à des postes clefs les plus extrêmes et fidèles de son écurie quitte à déplaire aux sénateurs républicains qui ont préféré un Républicain traditionnel comme nouveau leader afin d'hypocritement pouvoir rejeter les nominations dont l'extrémisme sexiste se mêlerait à celui politique comme si l'un et l'autre ne s'harmonisaient pas.
A contrario, Hitler cependant, bien que contrairement à 2016 il se soit doté d'un programme (le projet 2025) et d'une équipe issue d'un parti Républicain à sa botte peut-être à quelques sénateurs effarouchés près, Trump n'a pas une milice à ses ordres en mesure de terroriser la population. De toute façon, il n'a pas eu besoin de créer un chaos pour accéder à la présidence de l'hégémon mondial, ce qui était loin d'être le cas de l'Allemagne de 1933.
La tentative ratée de son coup d'État de janvier 2021 a démontré qu'existent les prémices d'une telle milice qui pour surmonter la défaite de ses aspirantes composantes a besoin du pardon présidentiel afin de se reconstruire sous l'œil vigilant de ses conseillers et en proportion de la résistance de la rue. Pour l'instant, cette résistance ne fait pas le poids. On ne perd rien pour attendre. On n'en est encore qu'à l'interrègne que déjà les milices se remobilisent. noter un article du New York Times Editorial Board « [d]ans une enquête en ligne menée auprès de plus de 7 200 adultes [en octobre 2022], près d'un tiers des personnes interrogées ont répondu que la violence politique était généralement ou toujours justifiée ».
Illusoires espoirs en une revanche électorale Démocrate en 2026
Les partisans du respect institutionnel misent déjà sur les élections de 2026 renouvelant le Congrès dont l'entièreté de la Chambre des représentant-e-s. La tendance historique est la remontée de l'opposition d'autant plus prometteuse que la majorité républicaine est mince. De prédire les analystes, la combinaison de la hausse des tarifs, même si elle n'est pas celle rocambolesque annoncée étant donné le penchant transactionnel de Trump, et l'expulsion manu militari d'une masse d'immigrant-e-s réduisant la production nationale, même si elle pourra difficilement se compter annuellement par millions tant sa logistique serait complexe, annoncent un retour de cette inflation dont la dénonciation fut au cœur de la victoire de Trump. S'ensuivrait logiquement une dégelée en 2026 d'autant plus que Trump a garanti aux ultra-riches et aux grandes entreprises une drastique réduction fiscale.
C'est là le scénario des Démocrates et autres bien-pensants « Liberal » y compris de cette gauche étatsunienne qui politiquement parlant s'en remet au processus électoral. Comme n'a aucune chance de poindre d'ici 2026 la construction d'un significatif parti électoraliste de (centre-)gauche étant donné le renforcement idéologique de la tactique du « moins pire » qui n'a jamais paru aussi raisonnable et d'autre part l'incroyable course à obstacles, qui iront en se multipliant, pour le bâtir, s'imposent par défaut les Démocrates comme seul choix alternatif électoral. Mais qui est assez naïf pour croire que les fascisants Républicains vont laisser opérer des élections à peu près normales alors que déjà ils sont passés maîtres en tactiques de manipulations des listes et du processus électoraux et de contestation judiciaire dont le sommet du système est sous leur contrôle, ce qui s'ajoute aux faramineuses dépenses électorales sans limite et au traditionnel « gerrymandering ».
Si élections il y a, elles seront « illibérales » de sorte à assurer une victoire Républicaine. Souvenons-nous que le système Jim Crow qui bloquait le vote de la grande majorité des Afro-Américains du Sud a opéré jusque dans les années 1960 et que la Cour suprême a annulé en 2013 la loi fédérale, fruit du mouvement des droits civils, empêchant le retour des tactiques à la Jim Crow. Avec les trumpistes au gouvernement, la table est mise pour pire encore. Afin d'intimider les minorités visibles et les pauvres, qui déjà votent relativement peu — Trump « n'a obtenu que 28 % de soutien de la part des Américains en âge de voter » — Trump, en plus de milices en reconstruction, pourra compter sur une police militarisée dont le bilan meurtrier n'a cessé de grimper et dont la violence et le racisme systémique ne sont plus à démontrer.
Une osmose entre milices et soldatesque non contrée par l'état-major
L'armée, noyau dur de l'État capitaliste, viendrait-elle au secours de la démocratie bourgeoise ? Il existe un pont entre la troupe et les milices de commenter le New York Times Editorial Board : « L'un des faits les plus troublants concernant les adhérents aux mouvements extrémistes est que les anciens combattants, les militaires en service actif et les membres des forces de l'ordre y sont surreprésentés. Selon une estimation publiée dans le Times en 2020, au moins 25% des membres de groupes paramilitaires extrémistes ont un passé militaire. » Après la tentative avortée de coup d'État du 6 janvier 2021, l'état-major, qui dormait au gaz, a enfin pris certaines mesures de filtrage des recrues « mais ces réformes ont été plus facilement ordonnées qu'exécutées ». C'est encore plus laxiste pour les forces policières : « Pourtant, la plupart des services n'interdisent pas explicitement aux agents de rejoindre des groupes paramilitaires extrémistes, selon une étude réalisée en 2020 par le Brennan Center for Justice. »
La source de cet extrémisme se trouve dans les guerres de l'empire : « La fin des guerres et le retour des vétérans désabusés qu'elles peuvent engendrer ont souvent été suivis d'une montée de l'extrémisme. Le mouvement "white power" s'est développé après la fin de la guerre du Viêt Nam, les anciens combattants y jouant souvent un rôle de premier plan. L'activité antigouvernementale a grimpé dans les années 1990 après la première guerre d'Irak… ». On imagine les effets des guerres contre l'Irak et l'Afghanistan d'après 2000 qui à l'ordinaire barbarie militaire des guerres impériales a joint la frustration de la défaite.
On peut aussi douter de la fidélité de l'état-major à la démocratie parlementaire, conquête ouvrière et populaire habilement récupérée pour engoncer le prolétariat dans l'ornière électoraliste et commode pour arbitrer les conflits au sein de la bourgeoisie. Toutefois, cette démocratie purement représentative sans contrôle de l'électorat, n'a rien d'indispensable — elle est plutôt paralysante — pour faire face aux crises existentielles des bourgeoisies nationales, ce qui est encore plus vrai pour le capitalisme mondial en état de « polycrise » sur fond de la crise écologique précipitant la dérive vers la terre-étuve et la sixième grande extinction. Si les ÉU n'ont jamais connu de coups d'État, sa présidence au sommet d'une constitution à la démocratie biaisée (ex. le Sénat non-proportionnel, le Collège électoral) a toujours fait place à des généraux vainqueurs (Washington, Jackson, Grant, Eisenhower) dans un pays où sa présence est omniprésente tout comme sa culture des armes.
Le néolibéralisme « austoritaire » conduit le monde vers sa fascisation Le maccarthysme anticommuniste d'après la Deuxième guerre mondiale, étant donné la prospérité et l'hégémonisme mondial incontesté des ÉU, n'a jamais menacé la démocratie représentative étatsunienne alors que les économies non capitalistes se dotaient de dictatures prétendument communistes afin de pressuriser leurs populations pour les rattraper et s'en défendre. Aujourd'hui, la série de défaites militaires depuis la guerre du Viêt Nam et la montée en puissance de la Chine et du bloc des BRICS et consorts mettent en évidence un déclin de l'hégémonie américaine. La « multipolarité » en découlant se déploie dans le contexte de la polycrise et d'une onde longue dépressive depuis la crise économique de 2008.
Cette onde dépressive se signale par d'importants déficits tant fiscal que commercial des ÉU sur fond d'endettement public record alors que les ÉU connaissent pourtant une conjoncture de relatifs plein emploi et de basse inflation. Cette soi-disant bonne conjoncture, mise en évidence par les Démocrates durant la dernière campagne électorale, laisse par contre sur sa faim la masse populaire, sur laquelle les Républicains ont mis l'emphase, étant donné la polarisation des inégalités faisant en sorte que les très riches accaparent les fruits de la croissance. « Les sociétés capitalistes ont atteint leurs limites, climatiques, économiques – depuis la grande crise de 2007-2008, l'accumulation est très faible -, sociale, politique… La finance dominante privilégie la distribution de dividendes pour que les riches deviennent encore plus riches. »
Les ÉU, à la tête de ce néolibéralisme austoritaire au bout du rouleau maintiendront-ils leurs institutions démocratiques représentatives ? Les autres grandes puissances du monde (Chine, Russie, Inde) connaissent des dictatures se durcissant ou une démocratie illébérale fascisante… qui s'est cependant laissé surprendre aux dernières élections fédérales de l'Inde. Plusieurs moyennes puissances du Moyen-Orient vont dans le même sens (Iran, Turquie, Égypte, Arabie saoudite) avec, en Amérique latine, le Brésil qui branle dans le manche et une Argentine à la démocratie extrême-droitiste débridée qui pourrait inspirer Trump. Les grandes démocraties africaines (Nigeria, Afrique du Sud) et du sud-est asiatique (Indonésie qui vient d'élire un ex-général aux mains pleines de sang) s'enfoncent dans la putréfaction néolibérale. Quant aux quelques exceptions de centre-gauche, dont tout récemment le Sri Lanka, surfant sur des grandes mobilisations non abouties, elles prennent garde de ne pas remettre en question l'ordre néolibéral du monde.
L'armée étasunienne toute-puissante en constitue le « Deep State »
Contrairement à Hitler à qui il a fallu six ans pour reconstruire la puissance de l'armée allemande, tronquée par le traité de Versailles, au vu et au su de ses ennemis sans qu'ils ne bronchent, les Républicains trumpistes ont en mains de loin l'armée la plus puissante du monde sans compter l'appui de celles de ses alliés de l'OTAN. Cette armée, cependant, étirée sur tous les continents, a failli à la tâche dans les récentes guerres impériales au Moyen-Orient. Chez les Républicains, l'isolationnisme, absent chez les Démocrates, le dispute à l'affirmation de la puissance. Chez Trump, la tentation du « deal » transactionnel aux dépends de l'Ukraine et de Taïwan le dispute à la perte de crédibilité du gendarme mondial. La tentation d'appuyer l'allié stratégique sioniste pour étendre sa guerre génocidaire à l'Iran le dispute à donner la priorité à l'Asie du Pacifique.
Aux ÉU, le « Deep State » c'est l'armée même si ce n'est pas aussi évident que par exemple en Égypte et au Pakistan. La base de la conception marxiste de l'État bourgeois n'est-elle pas, en dernière analyse, un « groupe d'hommes armés » ? Aux ÉU, le financement gargantuesque de l'armée explique la déficience des services publics et du soutien au revenu tout comme, paradoxalement, la fierté populaire à son égard explique le chauvin patriotisme. On peut penser qu'en dernier ressort, en cas de l'aiguisement au paroxysme de la crise politique étatsunienne, l'état-major de l'armée, dont rien cependant ne garantit l'unité, serait l'arbitre de la situation par des tactiques et des formes respectant ou non la Constitution. On peut être assuré que, quelle que soit l'issue, la démocratie, bourgeoise ou pas, en prendra un coup.
Un soulèvement de masse animé par la décroissance matérielle solidaire
L'alternative à ce probable sombre scénario ne peut être qu'un soulèvement de masse comme le monde en a connu depuis 2011, y compris aux ÉU avec le mouvement Occupy, Black Lives Matter et aussi chez les femmes, en 2016, quand Trump a été élu une première fois. Pour être efficace, cependant, ce soulèvement doit être soutenu, ce pour quoi il lui faut un plan d'action ce qui suppose une organisation dotée d'une orientation politique enrichie d'un programme dont découle une stratégie. Sans cette alternative, une polycrise laissée à elle-même mène tout droit à une dictature fascisante. Parce qu'elle n'aura pas le choix, cette dictature imposera un capitalisme vert dans une société orwellienne. Cette société subventionnera à la planche et en vain la géo-ingénierie prétendant contrer les GES des hydrocarbures. C'est là la substantifique moelle de l'alliance de Trump avec Musk, le roi « tout-électrique » des milliardaires, l'autre côté de la médaille de ce capitalisme vert qui ne saurait renoncer à l'hégémonie du marché.
La décroissance matérielle solidaire, non seulement réconciliant l'humanité avec elle-même mais aussi avec la nature, que l'on peut qualifier d'écosocialisme, quoique l'expression commence à être un lieu commun galvaudé, souligne son côté anti-croissance intrinsèquement anticapitaliste. Cette décroissance matérielle solidaire basée sur une planification démocratique ne peut qu'être l'horizon, la lumière au bout du tunnel, de cette alternative seule capable de vaincre le fascisme assis sur un peuple-travailleur confus et apeuré nourrissant le vote de l'extrême- droite, la milice et la troupe.
Marc Bonhomme, 25 novembre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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La sécurité alimentaire : enjeux et intérêts

En 1974, la conférence mondiale de l'alimentation avait défini la sécurité alimentaire en ces termes : « Disposer à chaque instant d'un niveau adéquat de produits de base pour satisfaire la progression de la consommation et atténuer les fluctuations de la production et des prix. » (Bricas, 2015 : 2).
Par Lopkendy JACOB
L'accent était donc mis d'avantage sur la disponibilité des aliments mais encore moins sur la qualité et l'accessibilité des aliments. Cette définition allait perdre tout son sens surtout lorsque dans les années 1980, un ensemble de pays avaient des excédents alimentaires (disponibilité des aliments), alors que l'insécurité alimentaire battait son plein dans certains de ces pays. Dans un contexte tel, Armatya Sen engageait une analyse sur la famine du Bengale où il allait expliquer la famine par l'inaccessibilité des aliments aux personnes et non à l'indisponibilité des aliments. Ainsi, dans la conférence mondiale de l'alimentation tenue en 1996, la sécurité alimentaire est redéfinit comme étant l'« accès physique et économique pour tous les êtres humains, à tout moment, à une nourriture suffisante, salubre et nutritionnelle, leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (Bricas, 2015 : 2). Dès lors, la sécurité alimentaire globale contient quatre (4) piliers. Il s'agit de la disponibilité des aliments, l'accessibilité aux aliments, la stabilité des aliments et l'utilisation des aliments (Scopel et al., 2016).
En dehors de ce cadre définit dans la conférence mondiale de l'alimentation, il est question de l'insécurité alimentaire, une affaire très complexe.
La politique de l'alimentation
L'insécurité alimentaire ne cesse de se transformer à cause de la multiplication des inégalités, de la faiblesse des solidarités et de la progression de l'individualisme, les modèles technocratiques prédictifs du risque ayant des aspects trop normatifs donnée par des institutions internationales et ministères techniques ne peuvent pas anticiper certaines crises (Janin et Charles-Edouard, 2015). Selon les auteurs, pour anticiper réellement l'insécurité alimentaire, hormis des dispositions techniques, des filets sociaux de sécurité et la mise en place des politiques agricoles incitatives doivent être élaborées. D'ailleurs, l'insécurité alimentaire est en quelques sortes politique. Il est vrai que les experts et les dirigeants priorisent les données chiffrées à la place des études approfondies plus qualitatives, mais malheureusement cette technicisation n'a pas dépolitisé les champs de l'insécurité alimentaire (Janin, 2010). La dimension politique de ce phénomène peut impliquer entre autres la gouvernance des territoires, la manipulation de l'aide, la divergence de vue des institutions, etc.
En Haïti, par exemple, pendant une époque donnée les indices de sécurité ont été réduits, l'insécurité alimentaire progresse. La progression de l'insécurité alimentaire était due à plusieurs facteurs. Ces facteurs font référence à la dégradation du contexte sociopolitique, la régression économique, la baisse de l'offre des services de base, l'accélération de l'exode rural et l'accroissement de la migration extérieure (Guerrier, 2004). Selon l'auteur, l'instabilité politique est l'élément capital dans la stabilisation de l'insécurité alimentaire, parce qu'elle engendre la non continuité des actions de l'État, des revirements stratégiques, les acteurs économiques sont incertains, ainsi que les partenaires internationaux et nationaux. Il estime que les crises politiques à répétition constituent donc un obstacle aux démarches de recherches de solutions viables et durables à la problématique de l'insécurité alimentaire. À ce stade, la mauvaise gouvernance pourrait être considérer comme partie prenante de l'insécurité alimentaire qui bat son plein en Haïti.
En vue de traiter l'insécurité alimentaire, l'aide alimentaire est une pratique très courante alors qu'elle peut servir à des causes politiques. Selon Janin (2010), elle est facilement mobilisable par les gouvernements, avec un effet ambivalent suivant des pays. Cette aide peut-être servir comme arme politique pour renforcer le pouvoir, créer des allégeances et de discrimination territoriale. Dans la logique de l'instrumentalisation politique de l'aide, selon le même auteur, le PAM a été dénoncé par des observateurs indépendants au Zimbabwe dans un contexte électoral. Les votants sont incités à voter pour un candidat particulier, en cas de vote non conforme des votants sont sanctionnés en leur excluant des distributions alimentaires. Les manières d'approcher la sécurité alimentaire contribuent donc à réduire les personnes. D'ailleurs des traits qui marquent des rapports sociaux inégaux sont reproduits, c'est donc la réduction identitaire (McAll, 2015).
Même dans le système international la question alimentaire est politisée, car selon Janin (2010) la FAO est porteuse du discours développementaliste et agronomique et a déployé un discours qui est basé sur l'innovation agricole, or sa vision est contraire à celle de la Banque Mondiale (BM) et du Fond Monétaire International (FMI). Pour la Banque Mondiale (BM) et le Fond Monétaire International (FMI), le marché est un élément incontournable pour résoudre le problème de l'alimentation, or une ambivalence est remarquée dans le rôle que joue le marché dans la sécurité alimentaire. Grace au marché les aliments sont disponibles, alors qu'ils ne sont pas accessibles pour ceux qui ont un revenu monétaire insuffisants et incertains. Cela implique la question de la pauvreté alimentaire (Janin et Charles-Edouard, 2015).
De surcroît, cette affaire de marché implique la notion de la géopolitique, parce que selon Pierre (2021) le système alimentaire mondial se trouve dans la lutte pour le contrôle des bouches et des esprits. D'où l'assiette peut-être saisir comme une arme pour séduire. C'est dans une telle logique que prenait naissance la stratégie « soft power » alimentaire des Américains, au moment de la guerre froide, où ils mettent en place des programmes de soutiens aux exportations en vue de déployer leurs intérêts dans des pays considérés comme stratégiques (Blanc et Abis, 2012). Selon les auteurs, ce pouvoir peut transformer en « hard power » pour boycotter un acheteur dépendant. Dans un contexte tel, certains pays n'arrivent pas à se nourrir, c'est à cause de l'aide de subventions des États-Unis et en Europe pour exporter. Une telle forme de politique favorise donc la destruction de la production vivrière locale (Bourgeois, 2009).
Par contre, Rostov avait déjà inscrit en faux contre ces formes de pensée gauchiste qui assimilent les relations commerciales à la dépendance. Le Professeur d'histoire américaine a expliqué que « l'évolution historique est marquée par le développement inégal…. et que chaque pays connaît une relative dépendance. Au XVIIème siècle, les Anglais l'éprouvèrent vis-à-vis des Hollandais, de même qu'aujourd'hui beaucoup de pays sous-développés la ressentent des États-Unis » (Henri, 1975 : 16-17). Au contraire pour Rostow, explique Henri (1975), ce que l'on perçoit comme la dépendance offre des avantages aux prétendus dépendants, lorsqu'il enchaîne pour dire que le décollage économique des États-Unis et du Japon est un exemple du profit du capital extérieur pour se moderniser et se retirer de la dépendance, toutefois les Américains avaient bien compris que l'industrialisation est liée à la l'indépendance économique.
Les considérations de Rostow ne peuvent pas exclure la géopolitique dans la question de l'alimentation, donc rapports de force, jeu d'intérêts et jeu d'influences. Selon Blanc et Abis (2012), l'OMC est l'espace d'affrontement entre les paysanneries du monde, alors qu'il facilite des rapports commerciaux favorables à certaines puissances agroalimentaires. L'OMC semble être influencée. Grâce aux règles établies par cette organisation, les États-Unis développent des rapports bilatéraux avec des pays qu'ils estiment stratégique, ce qui les mettent en position privilégiée par rapport aux autres puissances agricoles.
Toujours dans la dynamique de la géopolitique de l'alimentation, le gain d'importantes parts du marché agroalimentaire par le Brésil depuis quelques temps est à la fois un rapprochement Sud-Sud ainsi que diplomatique (Blanc et Abis, 2012). C'est ce que Luthringer (2022) pourrait appeler la « gastrodiplomatie », toutefois pour ce dernier la cuisine et l'alimentation rassemble les trois éléments centraux du « Soft Power » à savoir la culture, les systèmes de représentation et la politique étrangère.
Ce qui est certain, l'augmentation des importations ne résulte pas seulement du fait de la géopolitique, de la politique alimentaire, mais également des causes agro-environnementales. Selon Dupont (1998), cité par Dupont (2023), au plan macroéconomique les incidences du changement climatique favorisent l'augmentation des importations alimentaires, or d'après Bourgeois (2009) importer des produits alimentaires constamment a pour conséquence de faire augmenter les prix sur le marché et mettre à l'écart les pays pauvres. Le dérèglement climatique est ainsi épinglé dans l'augmentation des importations et la volatilité des prix parce que d'après le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) cité par Dupont (2023), ce changement environnemental a fait baisser les rendements agricoles, donc une diminution de la production des denrées alimentaires dans quelques régions du monde. De même que, dans d'autres régions du monde l'urbanisation généralisée multiplie la quantité de consommateurs non producteurs, cela contribue donc à la progression des crises alimentaires. Les crises alimentaires peuvent résulter également de la différence de qualité de variétés de céréales cultivées dans les pays en développement (Courade, 1989).
Le phénomène de l'insécurité alimentaire est complexe. Sa complexité amène Janin et Charles-Edouard (2015) à expliquer que malgré les avancés en matière de lutte contre ce phénomène, le traitement de ce dernier demeure un défi. Ce défi, selon les auteurs, semble être lié aux champs que recouvre ce domaine à savoir l'agro-environnemental, l'économique, le politique, le social, etc. Tenant compte des champs disciplinaires que recouvre l'insécurité alimentaire, ce phénomène reflète de multiples dimensions. Il s'agit des dimensions d'ordres politique, sociale, environnementale, géopolitique, agronomique et économique. Ces dimensions que fait référence le phénomène peuvent être interprétées comme étant des facteurs, des facteurs qui à un niveau ou à un autre, contribuent à complexifier le phénomène dans des régions du monde et du coup constituent des fils à retordre pour la sécurité alimentaire du fait de leurs multiples enjeux.
Les enjeux de l'alimentation
L'alimentation ne se réduit plus à sa fonction biologique fondamentalement axée sur des besoins vitaux. En ce sens, elle est non seulement vecteur de lien social, de transmission, de plaisir gustatif et de créativité culinaire, marqueurs d'identités et d'inégalités, facteur de santé humaine et environnementale, produit des écosystèmes et de l'activité agricole, artisanale et industrielle, mais aussi un facteur de commerce et de consommation…(Parisse et Porte, 2022). Selon Luthringer (2022), l'alimentation humaine est caractérisée par des enjeux mondiaux. Des enjeux qui se traduisent par des scandales sanitaires, la production des gaz à effets de serre (GES), la surnutrition avec la poussée du régime occidentalisé, l'augmentation des maladies alimentaires non transmissibles, etc.
L'alimentation humaine comporte aussi des enjeux démocratiques. Car de part de la précarité de certaines personnes, des systèmes de production agricole, Euvé (2023) soutient qu'un accès digne à une alimentation de qualité à tous est un enjeu majeur pour la démocratie, et pour trouver des solutions durables à cette problématique cela a suscité l'implication de tout le monde et non que des pouvoirs publics. Ainsi au regard de ces enjeux, à l'encontre de quelques idées reçues, parmi les domaines stratégiques du futur, l'agriculture est placée au centre de l'agenda global (Abis, 2011).
Dans la méditerranée, l'agriculture paysanne faisait face à de nombreuses contraintes comme l'accès aux marchés solvables des pays étrangers, la logistique et la construction des filières et des problèmes de conditionnement des produits. Ces faits sont agencés avec deux autres éléments. En premier, la taille moyenne des exploitations agricoles a réduit à cause de la dynamique démographique et foncière inversée. En deuxième, les jeunes ont de moins en moins intérêt pour l'agriculture. De ce fait, le recours aux importations devient primordial pour satisfaire les besoins nationaux. Il en est ainsi non seulement parce que la demande agroalimentaire est en croissance, mais aussi le cadre commercial issu des plans d'ajustements structurels est favorable aux importations. C'est ainsi que le Brésil exprime sa puissance agricole eu égard des pays Arabes (Abis, 2011).
En Haïti, le modèle de développement qui lui a été imposé a fixé son rôle dans la division international du travail qu'est la sous-traitance. À la faveur des plans ajustements structurels, « en plus des avantages fiscaux et douaniers, la plupart des dépenses publiques étaient affectées au financement des infrastructures qui permettaient à l'industrie dite moderne (de préférence, l'assemblage) d'étendre tandis que d'autres secteurs de l'économie étaient traités en parents pauvres, notamment l'agriculture, les entreprises nationales, l'économie rurale en général. » (Deshommes, 1993 : 117). Concrètement, selon Thomas (2014), le pays dépend de l'exportation et est tourné vers le marché agroalimentaire mondial au détriment des paysans. Car ce modèle de développement n'est pas favorable à l'agriculture haïtienne, particulièrement la riziculture. C'est un modèle qui est basé sur l'idée selon laquelle la paysannerie arrive à son terme, du fait que la production agricole n'est pas compétitive et est fermée sur un marché local, alors qu'elle est à proximité du géant agroalimentaire mondial, les États-Unis. L'économie paysanne est reconvertie en zones franches afin qu'Haïti puisse tirer « les avantages comparatifs ». De fait, bon nombre de paysans ont dû laisser l'agriculture pour devenir des ouvriers de zones franches, alors que la nourriture qu'ils produisaient est remplacée par les importations grâce à la diminution des tarifs douaniers. Sous ce couvert, Haïti importe des produits agroalimentaires des États-Unis, surtout le riz, et exporte des produits de sous-traitance vers ce pays. Cette politique a cassé l'économie paysanne qui est axée sur l'agriculture. Autour de la politique du riz en Haïti, l'ancien Président Américain, Bill Clinton a témoigné devant la commission des relations extérieures du Sénat américain le 10 mars 2010. Il a fait savoir que les politiques pratiquées étaient seulement favorables à certains fermiers Américains et au détriment de ceux des Haïtiens et du coup il demande pardon aux peuples Haïtiens (Thomas,
Des paradigmes du système agricole global
Au gré des idées qui concourent pour pouvoir trouver une résolution au problème de la faim, le système agricole global est dominé par deux paradigmes. Ces paradigmes font référence à la sécurité alimentaire globale qui est fondée sur le productivisme et l'alimentation durable qui s'appuie sur l'agro-écologie. Les promoteurs du premier paradigme optent pour le surinvestissement et l'innovation dans l'agriculture, alors que les partisans du deuxième paradigme veulent la modification des régimes alimentaires (Luthringer, 2022). Entre ces deux paradigmes, l'un semble être boycotté et l'autre est supporté au plus haut niveau. Car selon le même auteur, le comité de sécurité alimentaire (CSA) qui est un organe de consultation et de suivi par les états des plans internationaux, les multinationales (promotrices de la sécurité alimentaire globale) arrivent à imposer leurs forces dans cet organe, de par des moyens financiers dont elles disposent aux auteurs de l'agro-industrie. En plus de cela, poursuit l'auteur, la gouvernance alimentaire mondiale est privatisée et fractionnée par la multiplication des instances qui traitent des questions alimentaires. Cela a donc affaibli la CSA. En ce sens, le mécanisme multi-partie (MMP) a permis aux multinationales de transformer leur pouvoir de marché en pouvoir politique, du fait que les asymétries de pouvoir de ces parties sont négligées, ainsi que le brouillage des différences des acteurs.
Un coup de force du paradigme de la sécurité alimentaire globale a été dénoncé par Ziegler (2007) lorsqu'il explique que dans l'hémisphère sud les peuples se sont mis sous couple réglée par des sociétés transcontinentales à travers des OGM. Afin qu'ils puissent étendre le marché des OGM (à travers des semences) dans le monde, les cosmocrates ont surtout utilisé l'aide alimentaire à cette fin, en distribuant des grains d'OGM dans certains pays Africains où la famine faisait rage. Ces cosmocrates sont supportés par certaines personnalités haut placées dans des institutions internationales de grandes envergures. Du fait que les semences OGM sont brevetées, la reproduction de ces dernières implique des taxes exorbitantes. Par conséquent, les cosmocrates ont réduit la liberté des agriculteurs tout en garantissant aux sociétés transcontinentales d'énormes profits économiques. Cette réalité a permis à Ziegler d'affirmer que la faim est utilisée comme une arme de destruction massive. D'ailleurs, Ziegler (2011) a bien montré que la faim occupe une place bien défini dans le monde, particulièrement dans les pays du Sud. Pour l'ancien cadre des Nations-Unies, l'alimentation est un instrument de domination utilisé par des pays du Nord contre ceux du Sud.
Conclusion
En somme, il est à déceler que l'alimentation est à la fois un fait économique, social et culturel dans le sens où elle implique des multiples enjeux et intérêts. Au regard de ces enjeux, la sécurité alimentaire peut trouver son effectivité que dans un processus intégré et intégral, c'est-à-dire un processus qui prend en compte différents aspects que intègre la sécurité alimentaire. La faim est donc pris pour un fait complexe parce qu'elle est imbriquée avec d'autres faits. Agir en faveur de la sécurité alimentaire peut signifier à la fois embrasser d'autres faits peut-être non perceptibles et qui eux-mêmes peuvent provoquer des incidences culturelle, géopolitique, sanitaire, économique, etc. dans les communautés.
Quelques références
Blanc, P. et Abis, S. (2012). Agriculture et alimentation, des champs géopolitiques et de confrontation au XXIème siècle : Rivalités, stratégies et pouvoirs. In Cahier Déméter. 46 p.
Comité de la Sécurité Alimentaire Mondial (CSA) (2015). Cadre stratégique mondial pour la sécurité alimentaire mondiale et la nutrition. Quatrième version. 77 p.
Bourgeois, L. (2009). L'alimentation du monde est d'abord un problème politique. In POUR. No 202-203. Edition GREP. P. 167-176.
Bricas, N. (2015). Sécurité alimentaire : un problème d'accès plus que disponibilité. In L'alimentation à Découvert. Édition CNRS. 4. P
Courade, G. (1989). « Le risque d'insécurité alimentaire : De l'imprudence écologique au démantèlement de l'Etat-providence ». In Le risque en agriculture
Euvé, F. (2023). L'alimentation , un enjeu démocratique. In Études. Édition S.E.R. P. 5-6.
Guerrier, J. (2004). Les incidences de la croissance démographique sur l niveau de pauvreté en Haïti (période 1980-2003). Mémoire de licence, CTEPEA.
Henri, T. (1975). Le développement économique. Éditions Grammont, Lausanne, Robert Laffont, Paris et Salvant, Barcelone. 142 p.
Luthringer, E. (2022). De la (sur)vie à la (géo) politique, les enjeux contemporains de l'alimentation mondiale. In Revue Internationale et Stratégique, No 127. Édition IRIS. P. 155-161.
Pierre, R. (2021). Géopolitique de l'alimentation et la gastronomie : De la fourchette à la food tech. Édition Le Cavalier Bleu. 200 p.
Ziegler, J. (2011). Destruction massive : géopolitique de la faim. Édition du Seuil, Paris. 250 p.
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La tectonique mondiale post-élection de Trump. 1° partie : aux États-Unis

Depuis la victoire de Trump, la plupart des nominations gouvernementales qu'il annonce et le tableau d'ensemble que cela compose, suscitent une sidération des commentateurs mondiaux, qui s'étend jusqu'à une partie des élus républicains aux États-Unis. Il n'est pas encore investi président qu'il en est déjà à un coup d'État, grand ou petit, par jour.
Tiré de aplutsoc
18 novembre 2024
Par VP
Pour Elon Musk, DOGE est à la fois un bitcoin de sa création et la future agence gouvernementale Department of Government Efficiency.
Pandemonium.
Nous pouvons nous accorder avec l'historien et commentateur Timothy Snyder, partisan américano-polonais du libéralisme politique, pour poser que si « chaque nomination annoncée par Trump suscite la surprise », il « est illusoire de penser qu'il n'est qu'un vieil homme vindicatif, qui s'en prend à tout le monde ainsi. C'est douteux. Lui-même, Musk et Poutine discutent depuis des années. Et le leitmotiv de sa campagne était que cette fois, il a un plan. »
L'ensemble du dispositif gouvernemental est placé d'avance sous la supervision d'une nouvelle structure confiée à Elon Musk – les ennemis autoproclamés de la bureaucratie commencent donc par fonder leur propre agence fédérale : DOGE, Department of Government Efficiency. « Doge » est le surnom d'une mascotte canine de dessin animé dont l'image a été reprise par Elon Musk pour promouvoir un bitcoin, le Dogecoin, vraie blague et vraie monnaie fictive spéculative. Comme par hasard, une action collective en justice contre Musk accusé de manipulation du Dogecoin vient de se terminer sur un non-lieu.
DOGE est censée vérifier chaque dollar dépensé et traiter la « bureaucratie » fédérale à la tronçonneuse, façon Milei en Argentine. C'est cela qui suscite l'épectase de M. Kasbarian, ministre trumpo-muskien du gouvernement Macron/Barnier parrainé par Le Pen, en France.
Un article entier serait nécessaire pour résumer et analyser le rôle politique, idéologique et financier d'Elon Musk, le plus grand prophète-escroc du capital financier à l'heure actuelle dans le monde, un grand malade que ses éclairs de « génie » ne soignent pas, tout au contraire. On y reviendra, ainsi que sur son rôle dans l'amorce, puis dans la volonté de freiner et de contrôler pour le capital, les LLM (Large Language Model : ce que l'on appelle l' « intelligence artificielle »), et le fait qu'avec son entreprise Tesla, il est en confrontation directe avec le syndicalisme de l'UAW. Soulignons seulement ici l'esthétique futuriste à la fois kitsch et fascisante qu'il développe, sous le logo « Dark MAGA ».
A ses côtés, DOGE sera codirigée par Vivek Ramasswamy, capitaliste financier de moindre envergure que Musk, qui avait été un temps candidat à l'investiture républicaine, où il affirmait un axe de politique étrangère proche de celle de Trump mais moins heurtée, reposant sur la réconciliation avec la Russie (et donc le sacrifice de l'Ukraine) et l'alliance avec l'Inde (où il a des racines) contre la Chine.
La politique étrangère est promise à Marco Rubio, sénateur de Floride qui fut mormon, baptiste puis catholique, néoconservateur acharné, ce qui fait de lui, dans le cadre de ce qu'est la camarilla en train d'être installée, le personnage le plus … rassurant de la bande ! Il est la seule figure relativement traditionnelle de l'establishment républicain à avoir été promue, et il faut signaler ici qu'il avait été à l'origine d'une loi transpartisane votée par le Congrès en décembre 2023, qui oblige un président qui voudrait quitter l'OTAN de prévenir le Congrès 180 jours à l'avance et conditionne une telle décision soit au vote d'une loi par le Congrès, soit à un vote des deux tiers du Sénat.
Alors, l'OTAN, sauvée ? Cela ne veut rien dire : même Trump n'a de son point de vue aucun intérêt à détruire ou à sortir d'un tel instrument de domination nord-américaine. Une politique concertée et cogérée avec Poutine peut très bien instrumentaliser l'OTAN, n'en déplaise aux campistes qui fabulent que l'OTAN a attaqué la Russie. Dans son programme, Trump précise bien ne pas vouloir liquider ou quitter l'OTAN, mais en « réévaluer fondamentalement l'objectif et la mission ».
Un autre républicain « classique » est annoncé comme ambassadeur en Israël, Myke Hukabee, représentant du lobby des « sionistes-évangélistes » et bien connu pour affirmer que les Palestiniens, cela n'existe pas.
Ces néocons tradis sont déjà inquiétants, mais voici venir la cour des miracles.
Matt Gaetz à la Justice : surnommé Attack Dog, cet autre élu de Floride, qui sitôt nommé a démissionné pour éviter une enquête parlementaire, accumule un nombre phénoménal de délits et de poursuites : on n'en fera pas la liste, on signalera juste qu'il fut convaincu d'achat de jeunes femmes mineures pour services sexuels, lui qui appelle à l'interdiction totale de l'IVG.
Ce petit chien de combat masculiniste a joué un rôle clef dans la suspension de l'aide à l'Ukraine pendant plus d'un semestre par le Congrès et dans la lutte pour que les élus républicains maintiennent cette ligne. La destruction de la Justice en tant qu'institution est son projet explicite. Il sera flanqué en numéros 2, 3 et 4, des 3 avocats appointés par Donald Trump, Todd Blanche, Emil Bove et John Sauer.
Robert Kennedy Jr à la Santé, est, c'est bien connu, un « antivax » fou, qui se vante d'avoir eu le cerveau à moitié mangé par un « ver » : un adepte de la médecine empirique, en quelque sorte …
Pete Hedseth à la Défense dépasse le niveau de délire des deux précédents : cet ancien simple soldat devenu animateur de Fox News arborant un chapeau de cow-boy, fut viré de la Garde nationale du Minnesota à cause de ses tatouages, qu'il exhibe volontiers, de « croix de Jérusalem », un emblème suprématiste blanc arboré par exemple par le tueur de masse d'Auckland en 2019. Ce gosse bodybuildé frétille à l'idée qu'il va restaurer l'honneur des « warriors » contre les femelettes, les « Wokes » et les pédés … et diriger l'armée ?
Peter Hedseth, le futur ministre de la Défense de Trump, exhibant ses tatouages suprematistes blancs.
Contre les immigrés, pour préparer le grand plan visant à « déporter » 20 millions de personnes, Trump a nommé « tsar des frontières » – c'est son expression – le flic Tom Homan, l'homme qui, lors de son précédent mandat, avait ordonné la séparation des enfants et des parents : il est, comme il se doit, en charge de la sécurité aux frontières. Avec lui, Kristie Noem, gouverneure du Sud Dakota, connue pour s'être vantée d'avoir abattu son chien qui n'était plus bon pour la chasse : elle est en charge de la sécurité intérieure.
Les défenseurs de l'environnement et les victimes par millions, aux États-Unis, du réchauffement, seront parmi les cibles de ce gouvernement : Lee Zeldi est chargé de la déréglementation, du démantèlement, des Agences d'environnement, Doug Burgum, gouverneur du Nord Dakota fan de la fracturation hydraulique, des terres fédérales, et Chris Wright, lui-même magnat de la fracturation, est nommé à l'Énergie. En annonçant sa promotion, il a déclaré que le scandale des mensonges parlant d'une crise climatique et accusant le carbone d'être un polluant allait cesser vite fait. Ces criminels incendiaires comptent bien tout brûler et en empocher les dividendes.
Trump a aussi voulu nommer, avec ces « vrais hommes », quelques « vraies femmes » : outre Kristie Noem déjà citée, nous avons Suzie Wiles, sa cheffe de cabinet, une cadre républicaine qui l'a rallié précisément après la tentative de putsch du 11 janvier 2021, Elise Stefanik, ambassadrice à l'ONU, réputé comme « killeuse », Caroline Leavitt, issue de l'équipe de la précédente, porte-parole, Elisabeth Pipko – attachée de presse, celle-ci, qui fut une mannequin bimbo, est en même temps une surdiplômée héritière d'une dynastie d'intellectuels et d'artistes émigrés juifs soviétiques, russophone et russophile, spécialisée dans l'organisation de campagnes pour que les juifs américains abandonnent le vote démocrate. Pour elle aussi, les Palestiniens, c'est comme les Ukrainiens : ça n'existe pas.
J'ai gardé la meilleure pour la fin.
Flanquée du nouveau directeur de la CIA John Ratcliffe, un agent du renseignement promu par Trump lors de son premier mandat précisément parce qu'il agissait pour le protéger des enquêtes le visant, nous avons donc, à la tête du Renseignement (CIA, FBI, NSA), Tulsie Gabbart, élue démocrate d'Hawaii, qui a longtemps passé pour fort « à gauche », au parfum racisé et décolonial, en fait proche des ethno-nationalistes hindous et vraie islamophobe, « anti-impérialiste » acharnée qui, après avoir tenté de noyauter la campagne Sanders en 2016, a jeté des ponts vers l'extrême-droite, est allé saluer Bachar el Assad, s'est présentée à l'investiture démocrate en 2020 avec le soutien des médias « RT » (liés aux services russes).
Tulsi Gabbard, une fausse anti-impérialiste mais une vrai islamophobe proche de l'extrême droite hindouiste de Modi.
Politiquement, ce ralliement « de gauche » a un parfum fascisant prononcé. Et puis, sacrée ruse de l'histoire que cette décomposition du capitalisme nord-américain conduisant à l'arrivée à la tête des agences d'espionnage et de renseignement les plus puissantes du monde … d'agents russes directs ou indirects, des décennies après la fin de l'URSS !
Inutile de dire que l'affolement prévaut dans bien des hautes sphères, malgré la sérénité servile affichée par Joe Biden. En fait, selon le Guardian, ce sont les sommités démocrates, surtout dans les milieux judiciaires, qui s'attendent à être les premières cibles de la répression, légale (licenciements, harcèlement judiciaire) et de type mac-carthyste, et extra-légale (menaces de morts, agressions).
Comment caractériser ce qu'il faut bien appeler une bande, une camarilla ?
Le niveau intellectuel de plusieurs d'entre eux (pas tous) et la crasse morale, la corruption, ainsi que la place des idéologies délirantes, évoquent irrésistiblement la bande nazie qui arrive au pouvoir en Allemagne en 1933 (ce qui ne veut pas dire que ce soit la même chose évidemment). Mais il y a une différence sociologique majeure : ils sont tous déjà richissimes. Grands capitalistes et non petits bourgeois, mais avec un degré de délire et de frénésie à vous faire regretter les petits bourgeois d'antan …
C'est bien le « grand capital », surtout le grand capital de l'investissement financier à risque, qui a fortement investi les équipes de Trump, ce qui n'était pas le cas en 2016 en dehors de Trump lui-même. Musk est la figure de ce qui n'est pas à proprement parler un ralliement, mais plutôt une symbiose.
Et le FSB, ou l'imprégnation russe, de même : elle traverse toute la bande, à l'exception sans doute des rares républicains néocons classiques (Rubio et Huckabee). Trump est lié à la mafia soviétique puis russe depuis l'arrivée de celle-ci sur la côte Est en 1987. Mais l'incapacité des services judiciaires et de renseignement américains à faire éclater ce qu'il savaient pourtant très bien fait que ce phénomène n'est plus celui du seul Trump : nous assistons à la formation d'une équipe néofasciste vertébrée par les intérêts privés de ses membres capitalistes financiers et high tech et par l'infiltration russe.
Attention : cette infiltration, plus forte que jamais, ne doit pas être prise pour un sujet suprême qui tire les ficelles. Le marionnettiste peut devenir marionnette et évoluer à son tour de manière autonome, comme toute mafia policière et affairiste. Au sommet de l'appareil d'État de la première puissance impérialiste mondiale aujourd'hui encore, tente de s'installer une camarilla qui cumule capitalisme financier-rentier-technologique, idéologies délirantes et infiltration policière et mafieuse russe : un composé volatil et dynamique !
Si la fragilité et l'instabilité de cette couche de stars de la vulgarité ne font aucun doute, l'idéologie ne doit pas être négligée dans son rôle de ciment. Mais laquelle, entre géopolitique « multipolaire », néoconservatisme réactionnaire, complotisme délirant, cosmo-transhumanisme, évangélisme apocalyptique ?
Le principal liant là-dedans est l'affirmation de fausses individualités revendiquant leur force et leur virilité : le masculinisme toxique, en outre cautionné par la troupe de « vraies femmes » gravitant autour du singe dominant (pardon pour les singes) Trump.
Constitution.
Le premier problème politique auquel cette bande et son chef sont confrontés, c'est la constitution américaine. Théoriquement, chacune de ces vedettes doit passer une audition devant le Congrès et être confirmé par un vote du Sénat. Selon l'article II, section 2, de la constitution, le président « proposera au Sénat et, sur l'avis et avec le consentement de ce dernier, nommera les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls, les juges à la Cour suprême, et tous les autres fonctionnaires des États-Unis dont la nomination n'est pas prévue par la présente Constitution, et dont les postes seront créés par la loi. »
Le consentement du Sénat est donc nécessaire ; or, Trump est en train de pousser les sénateurs républicains à ne pas réunir le Sénat lors de son investiture, au motif que si le Sénat n'est pas en session, il peut ne pas avoir à donner son consentement, celui-ci étant réputé alors acquis.
Deuxièmement. Selon le Wall Street Journal, Trump prépare un décret lui permettant de nommer un groupe restreint de généraux à la retraite chargés de recommander des révocations d'officiers : en clair il se dote des moyens de purger les hautes sphères militaires.
Troisièmement. Trump a déclaré qu'il pourrait briguer un troisième mandat, ce qui a été présenté ensuite par une partie de son entourage comme une boutade, mais qui revient depuis avec insistance. Ceci s'oppose explicitement au XXII° amendement de la constitution, adopté en 1947 et ratifié en 1951.
Le tout forme système : Trump n° II n'est pas Trump n° I.
L'installation de la camarilla annoncée serait le premier acte d'une modification de la pratique constitutionnelle et, sans doute par petites touches, du texte lui-même, dans le sens dénoncé par Jefferson en 1789, celui de l'arbitraire présidentiel – alors que les partisans du « droit des États », qui était le drapeau des confédérés lors de la guerre civile dite de Sécession, sont aujourd'hui majoritairement trumpistes.
En France, nous devons comprendre une chose. Chez nous, la constitution ne fait pas la nation. On en a changé 15 fois depuis 1789 et il faudrait vite en changer de nouveau. Aux États-Unis, constitution et nation sont censées ne faire qu'une seule chose. Un déchirement sur la constitution sera un déchirement de l'Amérique en tant que nation.
La « large » élection de Trump a lâchement soulagé le centre et la droite ordinaires du monde entier : la guerre civile allait être évitée, alors que Trump l'avait annoncée s'il n'avait pas été élu ! Ouf, le méchant a gagné, il sera moins méchant que s'il avait perdu !
En fait, il s'apprête à engager la Civil War par touches et retouches, afin de gagner les premières batailles. En fait, il a commencé maintenant.
Pour son investiture, prévue le 20 janvier prochain, il a très vite fuitéque les conseillers de Trump et de Homan envisagent un décret immédiat d'urgence nationale permettant le recours à l'armée sur la frontière avec le Mexique et pour l'enfermement des migrants raflés dans des camps militaires, pouvant aller jusqu'à 20 millions de personnes (!), et la révocation des mesures de protection temporaires concernant les Haïtiens et les Vénézuéliens, et peut-être bien aussi les Afghans et les Ukrainiens.
On passerait alors des nominations et des textes à la bataille directe, physique, sur le terrain. Les syndicats, les femmes, les minorités, la démocratie, étant les cibles suivantes.
VP, le 16/11/2024.
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La tectonique mondiale post-élection de Trump. 2ème partie : le monde.

Les commentateurs glosent à l'infini sur « l'imprévisibilité » de Trump. Mais, comme il a été dit plus haut, Trump, Musk et Poutine ont bien pris le temps de discuter, ne nous leurrons pas. La ligne internationale générale de Trump est parfaitement définie. Son imprévisibilité caractérielle, de gosse narcissique de riche, est en adéquation avec le caractère inévitablement erratique de l'orientation étatsunienne aujourd'hui, puissance impérialiste n°1 mais en grave crise, devant préserver et renégocier par le rapport de force son rôle mondial.
Tiré de aplutsoc
19 novembre 2024
Par VP
Cette ligne, exprimée d'ailleurs avec plus de clarté par celui qui est devenu l'un de ses hommes quand il était candidat à l'investiture républicaine, Ramaswamy, est la suivante : isoler la Chine en se réconciliant avec la Russie, en lui sacrifiant l'Ukraine ; en renforçant l'axe États-Unis/Inde ; affaiblir les puissances européennes par rapport à la Russie et aux États-Unis (ce qui implique maintien mais refonte de l'OTAN).
A quoi s'ajoute une compulsion particulière qui, elle, n'est pas coordonnée avec Poutine, mais que celui-ci laisse faire : une alliance forcenée (et non gênée et traînarde comme c'était le cas pour Biden) avec l'extrême-droite sioniste israélienne, pouvant aller jusqu'à sacrifier tout ce qui reste des gages donnés à l'Iran sous Obama pour son rôle contre-révolutionnaire régional. L'Iran étant par ailleurs un allié clef et un fournisseur d'armes de la Russie, mais Netanyahou étant lui aussi relié à Poutine, ce dernier, sans pouvoir tirer toutes les ficelles pour autant, joue sur les deux tableaux avec les contradictions que cela entraîne.
L'élection de Trump entraîne une embardée radicale des États-Unis vers cette politique internationale là, qui était déjà présente et sous-jacente comme une option fondamentale pour l'impérialisme nord-américain dans la multipolarité impérialiste présente.
Fait caractéristique et décisif, cette embardée se produit immédiatement et n'attend pas le 20 janvier 2025. Les autres puissances tiennent Trump pour le président, la marge de manœuvre de Biden étant réduite. Ce constat est également important d'un point de vue interne aux États-Unis : les démonstrations trumpistes de politique extérieure préparent les attaques intérieures dont il a été question dans la première partie de cet article.
Ukraine.
Les commentateurs divers glosent là aussi à l'infini sur les développements possibles, alors qu'en fait tout le monde sait très bien le minima que Trump a promis à Poutine : désarmer l'Ukraine de façon à la contraindre à accepter, au moins dans un « provisoire » visant à être définitif, l'annexion de la Crimée, et l'occupation du Donbass.
Les exigences immédiates de Poutine sont connues : j'avais signalé en juillet dernier la fuite du quotidien K'yiv Independant sur le plan transmis par le ministre russe Kolokovstev à New York les 26-27 juin : échange de la totalité du Donbass contre le Sud entre mer et Dnipro (on a donc là une zone de fluctuation pour négociation, ainsi que pour la petite zone occupée en Russie au Sud de Koursk) sous condition de démilitarisation et d'interdiction faite à l'Ukraine de vouloir entrer dans l'OTAN – elle pourrait par contre entrer dans l'UE, les pays de l'UE étant même sommés de fournir des forces d'interposition pour la « zone tampon » entre Ukraine et territoires occupés.
Nul doute que Trump va faire en sorte d'imposer cela à l'Ukraine. Dans cette situation, Zelenski manœuvre en combinant des offres de vente – matières premières offertes aux États-Unis, lithium, etc., et la valorisation du savoir faire et du début rapide de production militaire ukrainiens, et même menace de réactiver un programme nucléaire qui, de toute façon, demanderait des années. Les réformes néolibérales, la casse des services publics et la corruption lassent la population qui, pour autant, rejette la pérennisation à l'infini de l'occupation et de la russification d'une partie du pays.
Voila donc la paix de Trump, qu'il entend offrir à Poutine « en une journée », n'est-ce pas. Problème : ceci ne satisfait pas du tout la Russie, et c'est logique. Expliquons cela.
Le 11 novembre, Nicolai Patrushev, n°2 officieux du régime russe, expliquait ceci en démarrant une interview au journal Kommersant :
« Pour gagner les élections, Donald Trump s'est appuyé sur certaines forces envers lesquelles il a des obligations. Et comme personne responsable, il sera obligé de les tenir.
Au cours de la campagne, il a fait de nombreuses déclarations pour gagner les électeurs, qui ont voté au final contre les politiques étrangères et intérieures destructrices de l'actuelle administration présidentielle américaine. Mais la campagne est finie et, en janvier 2025, il sera temps pour le président élu de se mettre au travail. On sait qu'aux États-Unis les promesses électorales peuvent souvent s'écarter des actes qui s'ensuivent. »
Si vous n'avez pas compris, traduction : Trump est redevable aux forces qui l'ont aidé et maintenant, il va falloir qu'il renvoie la balle, et il a intérêt. Langage de parrain mafieux à peine dissimulé.
Douguine, idéologue clef du régime russe, a de son côté écrit le 11 novembre un texte largement traduit depuis par la fachosphère « eurasienne » :
« L'état actuel de l'Ukraine est incompatible avec l'existence même de la Russie. Et si cette question est gelée une fois de plus, même si nous incluons tous nos nouveaux territoires dans des frontières administratives, cela ne résoudra rien.
(…) Il est regrettable d'entamer un dialogue avec la nouvelle administration américaine, généralement opposée au mondialisme et aux valeurs anti-traditionnelles, sur une note aussi dure. Mais il s'agit là d'un autre piège tendu par les mondialistes. Peut-être que Trump ne le comprend pas. Et nous, tout en manœuvrant diplomatiquement, nous hésitons à appeler les choses par leur nom. Il vaut mieux être direct avec Trump. L'Ukraine est à nous (toute l'Ukraine), et cela ne se discute pas.
(…) Encore une fois, il n'y a pas d'extrémisme ici – juste les lois froides de la géopolitique, clairement décrites des deux côtés : par nous et par Brzezinski. Le détachement de l'Ukraine de la Russie a été et reste un impératif de toute l'école atlantiste (…). Pour l'école eurasienne, l'axiome inverse est vrai : soit l'Ukraine sera russe, soit il n'y aura ni Ukraine, ni Russie, ni personne d'autre. »
Les « lois froides de la géopolitiques » sont les calembredaines pédantes de rigueur ici. Mais ce qu'écrit Douguine est vrai : un empire russe, tsariste, stalinien ou poutinien, ne peut tolérer qu'existe une Ukraine, c'est pour lui existentiel. Inversement, l'existence d'une Ukraine libre, souveraine et indépendante, est la condition d'existence d'une nation russe démocratique. L'impérialisme capitaliste russe a pour axe l'expansion militaire en Ukraine, non pour conquérir, de son point de vue, un pays extérieur, mais pour se constituer enfin en empire russe reconstitué – et, sur cette base, envahir ou vassaliser l'« extérieur » centre-européen et centre-asiatique.
Donc, au-delà de la première étape, celle de la garantie de maintien des troupes russes dans les territoires qu'elles ont envahis, n'est du point de vue impérialiste russe que la base pour anéantir tout de suite, ou vassaliser à nouveau puis anéantir, l'Ukraine, et pousser l'avantage vers la Baltique, les Balkans et le Caucase.
Donc, la « paix en un jour » de Trump est le plus court chemin vers la poursuite des guerres. La seule voie de la paix est celle de la défaite de l'État russe et de la chute de Poutine. Certes, ceci est plus dur aujourd'hui, fin 2024, que cela avait pu le sembler à certains moments en 2022 ou 2023. Mais le peuple ukrainien étant menacé dans sa vie, collective et celle de chacune et chacun des individus qui le forment, résistera.
Europe.
L'avènement de Trump soulève immédiatement en Europe la perspective de l'abandon américain et d'une crise de l'OTAN que Trump tentera d'aligner contre les intérêts des vieux impérialismes européens.
En France, Macron a tenté d'exister un peu à nouveau en tentant de porter au niveau européen la ligne supposée de genèse d'une défense européenne, dans laquelle la dissuasion nucléaire française aurait une place centrale. Sa position intérieure est très affaiblie et la crise de régime française ne peut qu'être accrue par la crise diplomatique globale qui s'amorce. La déclaration d'amour à Elon Muskd'un Kasbarian est un signe avant-coureur de ce qui s'annonce.
Mais de façon immédiate, la plus grande combinaison entre crise intérieure et crise des relations internationales se produit en Allemagne. En même temps que l'élection américaine, la coalition entre le SPD et les Grünen, d'une part, les libéraux du FDP, d'autre part, éclatait avec la démission du ministre libéral des Finances, Christian Lindner. La crise couvait et, comme en France, tournait autour du budget : c'est une tentative de forcing de C. Lindner pour faire passer sa ligne dans le gouvernement au motif de l'annonce de la victoire de Trump qui l'a précipitée.
Le conflit budgétaire prend racine dans la contrainte faite par le Tribunal constitutionnel fédéral, gardien de l'ordolibéralisme, fin 2023, de ne pas affecter une partie de la dette « publique » de la période Covid à la lutte contre la crise climatique. Le ministre Vert de l'Économie et du Climat tentait, depuis octobre 2024, de relâcher l'endettement public pour « aider les entreprises ». Lindner voulait l'interdire, « baisser les impôts » et pour finir, amputer les dépenses dites climatiques.
Ce conflit interne au pouvoir s'est élargi en crise existentielle sur la place de l'Allemagne en Europe, les 5-7 novembre dernier. Les États-Unis s'apprêtent à retirer le tapis et le parapluie. L'Allemagne doit-elle s'engager dans un réarmement avec défense européenne en alliance conflictuelle avec la France ? Ou repartir dans un partenariat structurel avec la Russie ? Donc partager avec elle l'influence en Europe centrale et orientale.
Olaf Scholz a basculé dans ce sens à en téléphonant à Poutine. Peu importe ce qu'ils se sont dit : il a ainsi, volontairement, créé un précédent mettant fin à l'absence de discussion bilatérales officielles des grands États européens avec la Russie.
La « réponse » russe a été le bombardement massif des infrastructures ukrainiennes dans la nuit du 16 au 17 novembre, le pire depuis le début de la guerre. Les pays baltes et la Pologne frémissent sur ce qu'une entente Berlin-Moscou signifie pour eux – faut-il rappeler qu'ils en ont déjà subi une, il y a 85 ans ?
Dans cette situation, Biden a fait son premier geste fort – le dernier ? nous verrons – depuis l'élection présidentielle : il a « autorisé » l'Ukraine à utiliser des missiles américains à longue portée en territoire russe. Les dynamiques s'accélèrent …
Palestine.
La victoire de Trump permet, premièrement, à Netanyahou de s'asseoir définitivement, espère-t-il, sur Gaza. Environ 100 000 morts, deux millions trois cent mille personnes ballottées d'un champ de ruines à un autre champ de ruines depuis un an, soumis aux traumatismes et à la famine, le territoire étant encerclé et cisaillé par Tsahal, sans que la population palestinienne n'ait cessé de maudire les occupants coloniaux, que le Hamas ait disparu, et que les otages, qui meurent les uns après les autres dans la souffrance, aient été libérés. Que faire de ce territoire ? Avec Trump, le pouvoir israélien est autorisé à tenter d'en faire ce qu'il veut, en poursuivant la réduction meurtrière du nombre de ses habitants. Nous entrons, maintenant, dans la réalité du génocide. Nous devrons donc reparler, nous, de Genocide Donald .
Le programme de l'extrême-droite du sionisme est donné par le ministre Bezalel Smotrich, en charge de la « gestion civile » de la Cisjordanie, dans des termes qui sont ceux que les rashistes poutiniens utilisent contre les Ukrainiens, apparentement non fortuit :
« Les nouveaux nazis [les Palestiniens, pas seulement le Hamas auquel ils les amalgame] doivent payer un prix sur le territoire qui leur sera enlevé pour toujours, à la fois à Gaza et en Judée-Samarie. »
« L'année 2025 sera, avec l'aide de Dieu [et de Trump] l'année de la souveraineté en Judée et en Samarie. »
Il s'agit d'annexer officiellement à Israël la Cisjordanie (appelée « Judée-Samarie » par Smotrich comme par Myke Hukabee), en expulsant sa population palestinienne. La raison fondamentale n'est ni religieuse, ni de satisfaire les colons : elle est « d'éliminer le danger existentiel d'un État palestinien ».
La symétrie de l'extrême-droite sioniste avec l'impérialisme russe est parfaite. L'existence ne serait-ce que d'une caricature impuissante, corrompue et non souveraine d'État palestinien est une menace jugée existentielle pour la « nation » judéo-israélienne définie comme coloniale, impériale et raciste. Inversement, l'existence d'une Palestine souveraine, libre et indépendante est la condition d'existence d'une nation, sans guillemets, judéo-israélienne démocratique.
Trump et Hukabee, c'est la dynamique génocidaire à Gaza et en Cisjordanie débridée. Elle ne conduira à aucune stabilisation ni à aucune sécurité pour les judéo-israéliens, bien au contraire.
Asie.
Le but global des manœuvres poutiniennes de Washington avec Trump sera de détacher Russie et Chine pour isoler la Chine. C'est un but qui peut être atteint, mais l'intérêt du régime chinois est bien entendu de faire monter les enchères avec tout le monde.
Or, il y a un joker : la Corée du Nord, sortie de son légendaire isolement comme fournisseur essentiel d'armes à la Russie, puissance nucléaire ayant maintenant des moyens de lancement, et envoyant des troupes contre l'Ukraine, chargées de pousser contre la zone occupée par l'Ukraine au Sud de Koursk, avec mission de la reprendre, on l'aura compris, avant le 20 janvier – au minimum : ces troupes « fraîches » peuvent aussi être utilisée pour tenter d'enfoncer plus gravement le Donbass, mais leur efficacité pour l'instant n'a pas été prouvée.
La Corée du Nord veut sa place dans l'ordre-désordre de la multipolarité impérialiste : elle est candidate aux BRICS+.
Cette partie s'est montée entre Poutine et Kim : Xi n'y est pour rien, même s'il s'agit pour Moscou de verrouiller l'alliance militaro-stratégique eurasiatique. Aux dernières rumeurs, la Corée du Nord devrait envoyer encore de nouvelles troupes. Tout le monde se dit qu'il y a, forcément, une contrepartie : garantie russe de soutien en cas d'invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord ? Cette éventualité déplaît à Beijing et suscite, à Séoul, Tokyo et Taipei, des débats sur une aide militaire à l'Ukraine venant d'Extrême-Orient au moment où les États-Unis vont la lâcher !
Contre la Chine, Trump a su également être ambivalent. La défense du droit des taïwanais à l'autodétermination n'est absolument pas un principe pour lui : il n'a pas de principes, et encore moins de principes démocratiques. Si les États-Unis améliorent, comme ils y travaillent, leur approvisionnement en semi-conducteurs, actuellement dépendant stratégiquement des usines TSMC à Taïwan, et en terres rares, actuellement dominées par la Chine (d'où l'importance de la question de l'emprise US sur le Groenland), ils peuvent laisser Xi ou son successeur faire main basse sur Taïwan, à condition de verrouiller l'espace océanique situé au-delà, avec la collaboration des Philippines, de la Malaisie, et de l'ancien ennemi vietnamien. Mais nous n'en sommes pas là ; et la guerre mondiale demeurerait, là encore, à l'horizon.
* * *
Ce cursif tour d'horizon montre deux choses :
1°) le rapport de force dans les affrontements sociaux qui s'annoncent aux États-Unis va être impacté par les évènements internationaux d'ici maintenant au 20 janvier. Toute défaite supplémentaire des peuples ukrainien et palestinien aura des répercussions négatives sur ce rapport de force.
2°) toute victoire de Trump sur la « voie de la paix » sera un pas vers la guerre, même si le jeu des alliances dans la guerre qui vient reste ouvert.
VP, le 17/11/2024.
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Pour la presse africaine, la COP29 à Bakou était un “échec programmé”

L'un des principaux points de l'accord scellé à la COP29 impose aux pays riches de financer les pays en développements à hauteur de 300 milliards de dollars par an d'ici à 2035 pour soutenir la transition énergétique et l'adaptation au changement climatique. Un montant qui a douché les espoirs des délégués africains.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Ali Mohamed, envoyé spécial du Kenya et porte-parole du groupe africain à la COP29 apparaît sur l'écran géant lors de la session plénière, à Bakou, en Azerbaïdjan, le 21 novembre. Photo Sean Gallup/Getty images/AFP
“COP29 à Bakou : la grande déception”, titre le quotidien burkinabè Le Pays. Un “pétard mouillé”, renchérit son confrère kényan The Standard. À l'issue d'interminables et âpres négociations, la diplomatie climatique a accouché d'un accord sur le montant des financements que les pays riches, principaux pollueurs et responsables des dérèglements climatiques, devront accorder aux pays en développement pour s'adapter et favoriser la transition énergétique.
Il a été fixé à un minimum de 300 milliards de dollars annuels (275 milliards d'euros), sous forme de prêts, d'ici à 2035. Une somme aussitôt qualifiée de “dérisoire” et de “simple illusion d'optique” par la déléguée de l'Inde, Chandni Raina.
“Les pays en développement avaient demandé un chiffre plus ambitieux de 500 milliards de dollars par an, sous la forme de subventions plutôt que de prêts, afin d'éviter d'aggraver le fardeau de leur dette déjà très lourde”, résume The Standard.
“Les pays riches ont invoqué les ‘réalités économiques' pour justifier le chiffre de 300 milliards de dollars et ont rejeté tout engagement contraignant.”
“[Ce montant représente] moins d'un quart de ce que la science montre comme étant nécessaire. Cet accord est trop faible, trop tardif”, a fustigé le ministre de l'Environnement sierra-léonais, Jiwoh Abdulai, cité par le média kényan.
“Il est triste qu'après des mois de négociations ils aient attendu le dernier jour officiel de la COP pour présenter un chiffre lamentable, ne laissant pas suffisamment de temps pour les délibérations entre les parties”, a estimé son homologue gambienne, Rohey John, qualifiant cette décision d'“injustice climatique”.
“Chantage psychologique”
“Les requêtes de l'Afrique ne passent pas”, titre Le Djely. Elles passent d'autant moins que les délégués africains ont notamment été soumis à un “chantage psychologique”, selon lui. “Brandissant la menace que l'arrivée de Trump fait peser sur ce débat sur le climat, les négociateurs des pays développés ont mis en garde les représentants africains contre une absence d'accord, que le président élu américain ne manquerait pas d'exploiter comme une aubaine.”
Plus stoïque, Le Pays évoque un “échec programmé”. Retraçant l'historique des COP, il ne retient que peu de réalisations de la part des pays riches depuis la prometteuse conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement, à Rio de Janeiro, en 1992. “Même si la COP de Kyoto de 1997 avait fait exception en suscitant de grands espoirs par l'adoption d'un protocole contraignant visant à encadrer les émissions de CO2”, les autres COP ont invariablement accouché de décisions en demi-teinte, qui n'ont “pas apporté de véritables avancées”. Les températures moyennes continuent de s'élever, année après année. Alors, 300 milliards de dollars, “cela reste bon à prendre, tout en maintenant la pression afin d'obtenir de meilleurs résultats”, estime-t-il.
Le Djely appelle quant à lui les dirigeants africains à faire preuve de “responsabilité” et de “volontarisme”, voire de “souveraineté”, fameux mot d'ordre seriné par certains leaders ouest-africains.
Le site d'information guinéen espère que, “mus par une légitime déception du fait du comportement injuste des pays développés, [ils] ne cèdent pas pour autant à une attitude tout aussi irresponsable que suicidaire, qui tendrait à faire comme si le changement climatique n'existait pas”.
L'ombre de Donald Trump sur la COP29
La victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine, le 6 novembre – cinq jours avant l'ouverture de la COP29 en Azerbaïdjan –, fait souffler un vent mauvais sur le climat. Non seulement un négationniste du dérèglement climatique se retrouve de nouveau à la Maison-Blanche, mais, en plus, le Sénat lui est acquis. De quoi l'autoriser à remettre “tout en cause, des voitures électriques aux subventions des énergies renouvelables”, et à rétablir “l'industrie des combustibles fossiles”, se désole Grist. S'il ne fait aucun doute que le président élu retirera une deuxième fois son pays de l'accord de Paris, l'administration Biden, encore aux manettes, enverra bien une délégation à Bakou.
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Quelles alternatives face aux fausses solutions promues par la Banque africaine de développement ? : Critique de la stratégie globale des échanges dette-nature en Afrique (Partie 3)

Dans la partie 1, vous avez lu l'analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle quelle est développée dans un rapport d'octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». Dans la partie 2, nous avons abordé avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport. Cette partie 3 poursuit l'analyse des fausses solutions et apporte des conclusions en lien avec la déception du sommet de Paris du 22 et 23 juin 2023 pour un « Nouveau Pacte Financier Mondial » ainsi que les propositions alternatives de ATTAC et du CADTM. Cette partie 3 porte sur les alternatives éventuelles aux fausses solutions citées plus haut. Les obligations vertes sont-elles une alternative ? Quelles critiques peut-on en faire ? Quelles sont les recommandations de l'association ATTAC concernant la finance dite verte ? Quelle est la politique européenne dans ce domaine ? Enfin, quelles sont les recommandations du CADTM sur ces différentes questions ?
Tiré du site du CADTM.
1) Le plan d'action « relance verte » de la BAD (2021-2027)
Il est proposé à l'Union Africaine en Juillet 2021 pour une durée de 5 ans. Ces Cinq priorités concernent le financement climatique, les énergies renouvelables, la nature et la biodiversité par la gestion durable des terres, forêts et océans ainsi que par l'écotourisme, l'agriculture résiliente, les villes vertes. Pour réaliser ces objectifs, le plan encourage les opérations de dettes innovantes telles que les obligations dites vertes ou bleues. Il faut assurer une bonne coordination entre les États membres, assurer le soutien des partenaires internationaux. Nous apportons une critique de cette politique orientée principalement vers les obligations vertes dans la partie qui suit.
2) Les obligations vertes : mécanismes pour lier les dettes souveraines aux résultats sur le plan climatique et écologique
Sur le site du gouvernement français, voici comment on définit une obligation verte : « Une obligation verte est un emprunt émis sur le marché par une entreprise ou une entité publique auprès d'investisseurs pour lui permettre de financer ses projets contribuant à la transition écologique (énergies renouvelables, efficacité énergétique, gestion durable des déchets et de l'eau, exploitation durable des terres, transport propre et adaptation aux changements climatiques...), plus particulièrement les investissements en infrastructures. Elle se distingue d'une obligation classique par un reporting détaillé sur les investissements qu'elles financent et le caractère vert des projets financés ».
Des OBLIGATIONS VERTES sont émises en 2007 par la Banque européenne d'Investissement puis en 2008 par la Banque Mondiale. Elles se divisent en deux catégories : les obligations durables traditionnelles ou à utilisation ciblée comme les obligations vertes et bleues et les obligations liées aux Objectifs de Développement Durables (ODD) qui sont conditionnelles et en principe essentiellement réservées au secteur privé (avec l'exception des obligations ODD émises par le Chili en mars 2022. Cependant le mouvement de la « La Relance Verte » essaie de mettre au point un modèle plus adapté aux obligations ODD de type souveraines).
Les agences gouvernementales, les institutions multilatérales, les conseillers juridiques et financiers, les ONG environnementales ont essayé de mettre en place une stratégie d'accompagnement pour conseiller les structures de financement les plus adaptées (entre les échanges de dette-nature, l'obligations à utilisation ciblée et les obligations liées aux ODD) en fonctions des objectifs poursuivis, des besoins identifiés et du profil d'endettement du pays. (Voir le tableau comparatif p35 dans le rapport de la BAD)
a) Les obligations à objectifs ciblés ou obligations durables traditionnelles
Elles sont émises contre l'engagement d'affecter au moins une partie des fonds à
un projet connu d'avance lié au Développement Durable. En contrepartie les
détenteurs de obligations doivent accepter des rendements moins élevés. Cet
écart est appelé PRIME VERTE ou GREENIUM.
Par exemple, le Bénin, le 15 juillet 2021, a émis des obligations ciblant deux objectifs de développement durable : l'environnemental et le social et 15 des 17 ODD définis par les Nations Unies (l'accès à l'eau, l'énergie, l'agriculture, l'éducation, la santé, le logement, la conservation de la biodiversité...). L'atteinte de ses objectifs a été évalué grâce à des Indicateurs Spécifiques. Il a récolté 500 millions d'euros avec une rendement à 5,25% ce qui a permis la constitution d'une Prime verte de 20 points de base. 91% des obligations émises ont été souscrites par des investisseurs ESG (Environnemental, Social et de Gouvernance).
Ces obligations vertes sont des instruments prédominants aujourd'hui sur les marchés, bien plus que les traditionnels échanges dette-nature. En 2021, les banques facilitatrices de ces obligations ont remporté plus de commissions sur les transactions vertes que sur les énergies fossiles et celles-ci ont encore augmenté de 1,4 milliards de USD de 2020 à 2021 ( chiffres du rapport de la BAD).
Malgré cet engouement, on peut souligner des inconvénients : elles ne disposent pas de mécanisme de surveillance intégré à la structure permettant de vérifier si les fonds sont bien utilisés par les gouvernements pour la conservation.
Le cadre législatif national n'oblige pas à la destination des ressources. Il y a donc une crainte justifiée d'écoblanchiment, "ce qui conduirait à une dépréciation des primes vertes. On peut s'attendre aussi à ce que les gouvernements en raison d'urgences sociales ou de santé préfèrent utiliser des fonds pour d'autres dépenses publiques que celles liées à l'environnement. Les gouvernements n'ont pas intérêt à être trop contraints quant à la destination des financements vu les instabilités circonstancielles » nous explique la BAD. Ce type d'obligations ciblées est donc plus adapté aux pays ayant accès aux marchés internationaux et cherchant un financement pour un projet environnemental spécifique mais par contre il ne convient pas aux pays surendettés qui veulent améliorer la viabilité de leur dette à long terme et pour lesquels les obligations liées aux ODD sont plus pertinentes.
b) Les obligations liées au développement durables
Elles sont plus récentes et apparues avant la pandémie. Elles s'adressent principalement au secteur privé. Elles sont émises à un taux inférieur à celui du marché. Elles sont indexées à un ou plusieurs ODD (objectifs de Développement Durable) et dépendent d'Indicateurs Clés de Performance (ICP) à atteindre à une échéance précise. Des normes de bonnes pratiques sont définies. L'encadrement méthodologique est plus précis et contrôlé. Elles présentent l'avantage d'un plus grand choix d'affectation des fonds mobilisés. Elles sont utilisables pour combler des déficits budgétaires, refinancer des dettes existantes... « Elles sont plus transparentes pour les créanciers et peuvent plus difficilement cacher des écoblanchiments »
Selon le rapport de la BAD, « Des experts secondaires peuvent évaluer à mi-chemin les progrès effectués sur base des ICP et les paramètres financiers peuvent être modifiés si les conditions ne sont pas remplies dans la première partie. Le taux d'intérêt peut être relevé et un coupon progressif peut être émis dans le secteur privé, le paiement d'une prime supplémentaire à l'amortissement ou coupon dégressif en cas d'atteinte ou un système d'ajustement pondéré peut être mis en place en fonction des ICP plus ou moins respectés. Ces obligations peuvent avoir des retombées positives et ne détériorent pas la prime verte ». Une obligation ODD souveraine est attendue et le groupe POTOMAC (cabinet de conseil pour les PME, investisseurs, grands groupes et fonds d'investissement) et la Banque Mondiale y réfléchissent. En effet, les conséquences de la non atteinte d'ICP sont différentes quand il s'agit d'un acteur privé car un État souverain ne peut pas faire faillite. Ils ont besoin d'un cadre juridique pour permettre l'analyse et l'audit par un tiers.
« Un créancier reçoit le paiement d'un coupon à un taux inférieur au marché. La différence est transférée par le gouvernement dans un fonds fiduciaire extraterritorial, subventionné par des donateurs. Si les ICP ne sont pas réalisés, le créancier reçoit la part versée par le souverain dans ce fonds, un rendement cette fois au taux du marché. Si les ICP sont atteints, le souverain reçoit un paiement en espèce de la fiducie (la différence de rendement auquel s'ajoute un fonds supplémentaire). Pour qu'un Etat puisse être intéressé, il faut que l'atteinte des ICP lui apporte une plus-value plus importante, ou que l'obligation se réalise à une plus large échelle. Un simple ajustement de coupon serait insuffisant à ses yeux. »
c) Les obligations ODD de la BOAD
Dans son article « L'Afrique lance aussi ses obligations vertes » publié le 2 juin 2021 sur le site du Figaro, Anne Cheyvialle, journaliste spécialisée en économie internationale, décrit le phénomène avec enthousiasme.
Depuis 2020, la banque ouest africaine BOAD lance sa première obligation à objectif durable (pour un montant de 750 millions d'euros, sur 12 ans, sursouscrite 6 fois, avec une demande totale de 4,4 milliards d'euros) « Elle a attiré, dès le début, 260 investisseurs internationaux avec un taux attractif de 2,75%, bien inférieur au prix de marché. À titre de comparaison, le coût moyen des eurobonds sur des émissions d'une durée de dix à quinze ans, réalisées entre 2018 et 2020, a atteint 7,5 %, selon une récente étude de l'Agence française du développement sur la soutenabilité des dettes africaines ». Ainsi, en mars, le Ghana a emprunté pour 1 milliard de dollars à douze ans au taux de 8,625 % !
« Les obligations vertes et sociales de la BOAD ont beaucoup de succès pour diverses raisons. Tout d'abord, elles sont en accord avec les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations unies. Elles visent prioritairement à financer les secteurs de l'agriculture, de la sécurité alimentaire, des énergies renouvelables, des infrastructures de santé, de l'éducation et l'habitat. Des objectifs de résultats par rapport à ses ODD sont inscrits dans le plan stratégique de la BOAD à horizon 2025. Ensuite, nous avons vu que leur taux d'intérêt sont compétitifs. Enfin, elles présentent des garanties de transparence (grâce à un fléchage rigoureux des projets, un reporting précis) qui attirent les grands gestionnaires d'actifs et les fonds de pension. Ces derniers apprécient aussi le fait que ces emprunts puissent être de longue durée ce qui est nécessaire pour financer par exemple des projets d'infrastructure pour les énergies et les transports renouvelables. »
Basée à Lomé, la BOAD intervient dans huit pays – le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo - de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Un des premiers projets financés par l'émission pourrait être une centrale solaire au Bénin.
Le cas des obligations ODD du Bénin
Le Bénin a été retenu en 2018 pour participer au programme pilote conjoint du FMI et de l'ONU portant sur l'évaluation des besoins de financement pour l'atteinte des ODD, aux côtés de 4 autres pays à travers le monde. À la fin seuls deux pays africains ont été sélectionnés dans cette liste restreinte. Suite à cette sélection, le Bénin publie un document-cadre d'émission obligataire ODD en juillet 2021 fort étayé et bien présenté qui fait rêver, à la manière d'un prospectus publicitaire. Dans son introduction, Romuald WADAGNI, le Ministre d'État chargé de l'Économie et des Finances et du Plan, en précise l'intention. Ce document cadre d'émission obligataire ODD vise à intégrer l'Agenda 2030 des Nations Unies à toute l'action publique du Bénin. Sur base d'un diagnostic et d'une analyse chiffrée de la situation du Bénin au regard des ODD, après concertation avec différentes parties-prenantes pour une planification stratégique budgétisée, il présente la stratégie de financement extérieur via les marchés internationaux de capitaux. Le Bénin veut ainsi offrir aux investisseurs une transparence accrue sur l'utilisation des fonds levés. Comme garantie, il signale que l'agence Vigeo Eiris (V.E.) a attesté de sa conformité aux meilleurs standards pratiques de marché en finance durable (obtenant le score le plus élevé) et précise qu'il jouit d'un partenariat technique innovant avec le Réseau des solutions de développement durable des Nations unies (SDSN).
« Ce partenariat technique avec une organisation qui travaille sous les auspices des Nations unies et est spécialisée dans le diagnostic et la documentation des tendances ODD permettra de suivre les progrès accomplis, d'évaluer la pertinence des politiques publiques menées, ou encore d'identifier les lacunes à combler, permettant ainsi une réorientation et une adaptation des politiques ». Le Bénin souhaite élargir sa base d'investisseurs internationaux, partenaires financiers bilatéraux et multilatéraux, mais aussi et avant tout d'investisseurs privés béninois.
Pourtant, en lisant les avertissements à la fin du document, on comprend aussi les limites et la fragilité de cette présentation stratégique d'investissement.
En effet, on comprend qu'il n'a finalement aucune valeur juridique, aucune obligation d'exactitude, intégrité, caractère raisonnable et exhaustivité des informations ; aucun devoir de rectification s'il y a erreur ou de réactualisation en cas de changement données. Il ne s'agit pas de promesses ou de prévisions mais juste d'hypothèses prospectives.
Il n'y pas de vérification ou d'évaluation extérieure aux parties prenantes, indépendante et impartiale. Le document n'a aucune valeur juridique ou contractuelle contraignante. Le document n'est pas approuvé par une autorité réglementaire financière. Il n'y pas d'obligation de résultat ou même de respect des objectifs défendus, aucun recours n'est possible contre l'État dans ces cas-là.
« Un manquement de la République du Bénin au titre de ce Cadre ne constituera pas un cas de défaut ou un manquement à une quelconque obligation contractuelle des termes et conditions de tout titre émis en référence au présent Cadre, y compris si des projets éligibles ne sont pas financés ou ne sont pas réalisés, si un financement, directement ou indirectement, bénéficie à des activités exclues, si les rapports sur l'utilisation des produits et les impacts environnementaux ne peuvent être remis aux investisseurs conformément au présent Cadre en omettant (en raison d'un manque d'informations et/ou de données fiables ou autre), ou de toute autre manière ».
Pas de garantie non plus face à des catastrophes externes ou internes. Seuls les investisseurs sont rendus entièrement responsables.
« Sur la base de ce qui précède, toute responsabilité, qu'elle soit délictuelle, contractuelle ou autre que tout acheteur de titres ou toute autre personne pourrait autrement avoir en lien avec le présent cadre ou tout titre émis par la République du Bénin lié à un manquement au titre de ce cadre est par les présentes exclue dans toute la mesure permise par la loi ».
Malgré ces avertissements, les obligations ODD du Bénin remportent un grand succès comme le clame Romuald Wadagni, le Ministre d'Etat de l'Economie et des Finances béninois, dans un article intitulé « Le Bénin réussit sa première émission d'un Eurobond ODD » publié sur le site de Financial Afrik le 16 juillet 2021. Il se réjouit de cette première émission d'obligations internationales dédiées au financement de projets à fort impact sur l'atteinte des Objectifs de Développement Durable des Nations-Unies, la première émise par un Etat africain, pour un montant de 500 millions d'euros (328 milliards FCFA), avec une échéance de remboursement fixée en 2035.
« A cet effet, une délégation officielle de la République, conduite par, M. Romuald Wadagni, a tenu des entretiens bilatéraux avec un grand nombre d'investisseurs institutionnels internationaux de premier plan, organisés les 13 et 14 juillet 2021. Les investisseurs ont adhéré aux réalisations et au programme social du gouvernement du président Patrice Talon. Cet Eurobond a été conclu à un coupon de 4,95%, traduisant la confiance des investisseurs en la signature du Bénin. Une prime négative de nouvelle émission de 0,20 point de pourcentage a été obtenue, traduisant l'appétit significatif des investisseurs pour cet instrument innovant. Le niveau de sursouscription a représenté près de 3 fois le montant recherché. Une centaine d'investisseurs y ont participé, dont plusieurs pour la première fois pour une opération du Bénin. Le Bénin parvient donc à mobiliser des fonds à des taux plus bas que ceux des Eurobonds de la Côte d'Ivoire et du Sénégal, deux poids lourds de l'Union économique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ». L'auteur de l'article espère qu'à la suite du Bénin, « beaucoup de pays africains s'engouffreront dans la nouvelle voie pour le financement équitable et vert de leur économie ».
d) Critique des obligations vertes
Malgré cet espoir, de nombreux avis contraires appellent à la prudence et émettent des réticences par rapport à la relance verte, cette forme de capitalisme vert, qui peut utiliser les obligations vertes et bleues, comme des opérations de marketing tout en continuant à nuire aux équilibres naturels et humains de notre planète.
Les obligations vertes ou bleues perpétuent le mécanisme vicieux de la dette qui engendre lui-même la destruction des systèmes de régulation publics et socialisés cherchant à protéger la nature, les biens communs et les intérêts des populations contre les abus de certains acteurs institutionnels et privés plus intéressés par des gains immédiats et particuliers. Les dangers du greenwashing et de l'écoblanchiment via ces obligations sont bel et bien réels.
Faire appel à des acteurs privés, guidés par la maximalisation du profit à court terme, et leur confier la gestion des problèmes mondiaux du réchauffement climatique ou la protection la biodiversité, dont notre survie à toustes dépend, ce n'est pas la stratégie que défend ATTAC et le CADTM. Ils revendiquent des changements plus structurels et profonds indispensables à une véritable bifurcation écologique et climatique et qui semblent inconciliables à leurs yeux avec des politiques néolibérales qui se sont révélées jusqu'à présent écocides, injustes, non démocratiques et meurtrières, politiques qui ne sont toujours pas remises en causes fondamentalement par les institutions internationales telles que le FMI, la Banque Mondiale ou la BAD, malgré les crises récurrentes et dramatiques qu'elles provoquent, en dépit de la colère croissante des populations des pays surendettés africains qu'elles ont continuellement lésées. Ces institutions s'obstinent à promouvoir coûte que coûte une même logique même si elles prétendent lancer des réformes pour une transition douce et durable, en invitant aujourd'hui le secteur privé à atténuer les effets dévastateurs les plus gênants du système capitaliste.
En fait le Font Monétaire International, La Banque Mondiale, les institutions européennes, la Banque Africaine de Développement essaient de garantir ce que jean Nanga appelle « le suprématisme du secteur privé », l'extension de son emprise sur nos existences, sur le vivant. Ils cherchent à « légitimer cette domination capitaliste en voie d'absolutisme, cette mondialisation marchande, ce totalitarisme du capital ».
Celui-ci est pourtant de plus en plus contesté par des mouvements sociaux qui résistent et protestent à travers le monde malgré la violence des répressions.
Dans son rapport de 2017 « La finance verte est-elle vraiment verte ? », ATTAC doute de l'efficacité des Green Bonds ( obligations vertes) et Climate Bonds ( obligations climat) à financer la bifurcation écologique et sociale espérée, une société sans carbone, écologiquement, socialement et démocratiquement saine.
Voici quelques points critiques des obligations vertes utiles pour notre analyse, exposés dans l'étude précitée :
1) Les obligations sont autoproclamées vertes ou respectueuses du climat la plupart du temps sur une base volontaire, en se basant sur des principes édictés mais qui n'ont aucune valeur contraignante. En effet, sur les 3493 obligations émises par 1128 institutions ou entreprises, de 2005 à 2017, seulement 25% étaient certifiées ce qui représente seulement 221 milliards de US.
2) Même si elles sont en pleine expansion (avec une hausse de 92% en 2016 qui se réduit à 59% en 2017), les obligations vertes ne représentent qu'une goutte d'eau par rapport au marché obligataire international global (seulement 0,1% en 2017 c'est-à-dire 100 000 milliards de USD sur un total de 700 000 milliards de USD !). Elles ne sont pas suffisantes pour répondre à l'importance de l'enjeu climatique. Selon le rapport « Mobilising Bond Markets or a low carbone transition » de l'OCDE en 2017, « les obligations vertes pourraient atteindre 5000 Milliards de USD en 2035 et augmentent annuellement de 700 milliards de dollars annuellement mais nous avons besoin de 2260 milliards de dollars annuels en 2035 pour permettre une diminution du carbone suffisante afin de ne pas dépasser la limite des 2°c de réchauffement climatique préconisée par le GIEC ».
3) Les institutions internationales et les gouvernements réalisent un effet d'annonce important mais ne mettent rien en place pour éviter que ces obligations vertes ne soient utilisées que comme des opérations de greenwashing par les géants pollueurs publics ou privés.
4) Aucune liste précise des projets financés par cette voie n'a été publiée.
5) Le fait que certaines obligations vertes soient validées par les agences de notation comme Vigéo n'est pas une garantie suffisante car beaucoup de projets que cet organisme a certifié sont aujourd'hui controversés au point de vue social ou écologique.
6) Il est important que les obligations vertes exclues certains secteurs incompatibles avec les objectifs verts et sociaux poursuivis tels que les énergies fossiles, le nucléaire, l'armement et qu'ils soutiennent d'autres importants pour assurer la transition : le transport, le bâtiment, l'énergie renouvelables, tout ce qui protège la biodiversité et favorise l'adaptation au changement durable.
7) Les obligations vertes ne doivent pas être qu'un effet d'aubaine ou un coup de com bon marché. Elles doivent servir à financer des projets d'infrastructures vertes sur le long terme.
8) Il n'y a pas de certification verte standard communément admise et externe, impartiale même si certaines initiatives comme la Taxonomie verte de la Commission Européenne semble avancer dans ce domaine ( voir plus loin la partie sur les avancées européennes dans la finance durable)
9) Les critères ne sont pas contraignants et ne sont que des recommandations
Il existe des labels internationaux et des initiatives volontaires pour réguler la finance verte : les Green Bond Principles et la Climate Bonds Initiative qui rendent publics les critères pour encadrer les obligations vertes et l'Union Européenne a aussi rendu public en 2020 son « Standard Européen d'Obligations Vertes » ( voir la partie consacrée aux avancées européennes dans le finance durable).
Les Green Bonds Principles (GBP) sont admis par 150 membres principalement des acteurs financiers et 114 observateurs dont le WWF. 270 sur 567 obligations émises en 2016 proviennent des membres du GBP et malheureusement, l'on peut constater que la plupart ne respectent pas eux-mêmes leurs principes comme par exemple Engie, UnibailRodamco ou la BAD qui ne rendent pas publique la liste des projets verts qu'ils soutiennent alors que cela fait partie des préconisations GBP. Autre exemple, Engie, émet des obligations vertes GBP qui indirectement participent à la destruction de l'Amazonie et violent les droits des autochtones sur les terres faisant l'objet de déforestations pour construire les barrages « durables » soutenus par Engie ! On ne tient pas compte de l'effet rebond c'est-à dire du fait qu' Engie, par exemple, utilise des obligations vertes pour financer des projets d'efficacité énergétiques et d'infrastructures durables... d'usines qui vont finalement contribuer à émettre d'avantage de Gaz à Effet de Serre nocifs pour l'environnement. C'est donc très contradictoire et controversé.
Les Climate Bonds Standards (CBS) sont un peu plus strictes et détaillés. Au moins, à la différence des CBS, ils excluent les énergies fossiles, l'extraction d'uranium, les barrages, la capture et le stockage de carbone. Néanmoins, souvent, ce qui compte le plus pour les investisseurs, ce qui est vraiment évalué, c'est la cote que ces obligations ont sur les marchés or celle-ci dépend plutôt de leur rentabilité que du respect des normes vertes avancées qui ne sont pas souvent vérifiées. Il n'y a pas de contrôle à posteriori.
De toute manière, aussi bien les GBP que les CBS sont admis sur base volontaire, non assortis de sanctions ou de réduction de cote en cas de non-respect des principes convenus et les violations des droits humains ne sont pas prises en compte.
10) On n'évalue ni la qualité ni l'atteinte des objectifs et surtout, on n'évalue pas la qualité de l'institution ou de l'entreprise qui émet les obligations dans son ensemble or ce sont souvent des acteurs fort pollueurs qui utilisent les obligations vertes pour séduire l'opinion publique. Peu nous importe qu'ils financent une activité durable avec des obligations vertes si par ailleurs ils continuent à promouvoir globalement une majorité d'actions néfastes pour l'environnement. Par exemple, Repsol est la première compagnie pétrolière à émettre une obligation verte pour prolonger la durée de vie ...de ses raffineries ! Elle a émis 500 millions d'euros d'obligations vertes à échéance pour 2022 pour financer l'efficacité énergétique de raffineries énergétiques et d'usines chimiques en Espagne et au Portugal ce qui lui a permis de diminuer de 1,2 millions de tonnes de CO2 sur un total de ... 20 millions de tonnes de CO2 qu'elle continue à dégager par an ! Ces obligations vertes ont été certifiées GBP et elle a passé l'examen externe de Vigéo ! Repsol n'a rien mis en place pour contrer cet effet rebond !
11) Les agences de notations comme Moody's notent les obligations vertes en fonction de la capacité des émetteurs à rembourser leur dette obligataire. GB1 est excellent, GB5 est très mauvais. Les obligations de l'aéroport de Mexico sont notées GB1 alors qu'au bout du compte le projet promeut une activité polluante très nocive pour l'environnement et le climat - le transport aérien - même si par ailleurs il est alimenté par des panneaux solaires, économise l'eau et est neutre en carbone.
12) Quelles sont donc les garanties ? La Pologne est un des premiers pays à avoir émis des obligations vertes alors que d'un autre côté, c'est un État qui freine fortement les négociations pour plus de prise en compte des impératifs climatiques et écologiques lors des COP et qu'il a du mal à renoncer au développement de ces centrales productrices de charbon. La certification verte ne peut être accordée sans tenir compte du contexte plus global. Il faut que les acteurs émetteurs d'obligations vertes soient cohérents et prennent activement part à une stratégie globale en faveur du climat et de l'environnement, qu'ils ne se contentent pas seulement de quelques actions superficielles pour reverdir leur réputation.
13) Des taux d'intérêts des obligations vertes moins élevés pourraient encourager le changement
14) Pour l'instant, l'émission d'obligations vertes est restreinte aux opérateurs bénéficiant d'une grande assise financière (gouvernements, transnationales, banques etc.) mais ce serait intéressant que de petites et moyennes entreprises, des coopératives, des collectivités locales bien ancrées localement et conscientes des enjeux sociaux, démocratiques et écologiques puissent aussi émettre des obligations vertes pour financer des projets durables participatifs et locaux. Vaut-il mieux financer une petite entreprise développant des énergies renouvelables ou bien EDF, le champion nucléaire pour une activité qui sert à reverdir son image ou la Chine qui finance avec les obligations vertes les infrastructures durables...de sa nouvelle route de la soie (OBOR) ! Car la certification verte devient parfois un prétexte pour remporter des parts de marché dans un contexte de compétition internationale.
Après la crise financière de 2007-2008 et face aux manipulations du greenwashing, peut-on encore faire confiance au marché financier non régulé ? Quelles sont les recommandations tirées du rapport d'ATTAC sur la finance verte ?
3) Les recommandations sur la finance verte d'ATTAC
1) Assurer la régulation du marché obligataire vert par les pouvoirs publics
2) Établir un cadre clair et précis, avec un stand européen ou international garanti par un régulateur public
3) Tenir compte dans la certification de la qualité de l'émetteur, de l'ensemble de ses activités soutenables ou en cours de transition, et de l'engagement manifeste de l'émetteur dans la transition
4) Exclure fermement et définitivement tout projet climaticide et écocide relatif aux énergies fossiles, au nucléaire, aux agro carburants, à de grands barrages, au stockage ou captage de carbone, des incinérateurs à haut niveaux de déchets.
5) Garantir la transparence, la vérification des résultats sur base d'études d'impacts préalables et prévoir des sanctions par le régulateur avec une possibilité de décertification en cas de non-respect des normes
6) Créer une nouvelle agence de notation impartiale et publique pour encadrer les obligations vertes, financée par des fonds européens, internationaux ou par une taxe sur les transactions financières ne concernant pas les produits verts. Elle serait composée d'un collège tripartite (avec des représentants des investisseurs, des syndicats et d'ONG). Son évaluation des projets financés portera sur leur totalité en tenant compte des dimensions sociale, écologique, climatique et démocratique. Elle pourra dégrader la note et sanctionner financièrement les émetteurs si les engagements annoncés ne sont pas satisfaits, si l'information communiquée n'est pas correcte, manipulée ou pas disponible pour le public et les investisseurs concernés.
7) Contraindre l'ensemble du marché obligataire à respecter l'environnement et devenir compatible avec les impératifs climatiques et pas seulement une partie minime et marginale du marché consacrée aux obligations vertes. Interdire tout investissement dans les secteurs climaticides et augmenter la régulation et le contrôle par les pouvoirs publics dans ce domaine.
8) Créer de nouveaux canaux financiers à un taux d'intérêt avantageux pour les petits acteurs qui n'ont pas accès au marché obligataire et qui pourraient développer des projets locaux participatifs favorables à l'environnement, au développement durable et au climat notamment grâce à l'épargne publique et de nouveaux crédits bancaires
9) Créer une banque publique dotée de moyens suffisants pour financer des investissements à long terme nécessaire à la bifurcation écologique et sociale sans être directement prisonniers des critères de rentabilité économique à court termes qui caractérisent la majorité des investissements privés.
4) Avancées européennes en matière de finance verte
Sur le site du Conseil de l'Europe, on constate différentes propositions de directives récentes qui montrent que les institutions européennes bien que très favorables aux obligations durables, qu'elles considèrent comme l'un de leurs principaux instruments de lutte contre le réchauffement climatique et pour la transition durable, et bien qu'elles soient prêtes à en émettre elles-mêmes, sont aussi conscientes de certains problèmes évoqués précédemment et certains membres essaient de légiférer pour mieux contrôler leurs dérives potentielles.
Tout d'abord, le 25 septembre 2019, elle publie un communiqué de presse relatif à un accord sur une proposition de création d'une taxonomie unifiée à l'échelle de l'UE, c'est-à-dire sur un système de classification commun qui définisse clairement ce qu'est une activité économique durable sur le plan environnemental car elle reconnaît que jusque-là, il n'en existe aucun.
Le 8 novembre 2019, le Conseil adopte deux règlements sur la finance durable. L'un introduit des obligations de publication d'informations sur la manière dont les sociétés financières intègrent les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs décisions en matière d'investissement. Le deuxième crée de nouveaux types d'indices de référence visant à donner davantage d'informations sur l'empreinte carbone d'un portefeuille d'investissement.
Le 7 mars 2019, le conseil publie un communiqué de presse annonçant un accord provisoire entre le Conseil de l'Europe et le Parlement européen sur la proposition d'introduire des obligations de transparence concernant la manière dont les sociétés financières intègrent les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs décisions d'investissement.
Le 4 octobre 2022, le Conseil approuve des conclusions dans lesquelles il est fermement résolu à obtenir des résultats en ce qui concerne le Financement de l'action climatique, dans la perspective de la conférence des Nations unies sur le climat (COP27) qui s'est tenue à Charm el- Cheikh. Le Conseil a rappelé que l'UE et ses États membres étaient les plus grands contributeurs au financement public international de l'action climatique et que, depuis 2013, ils avaient plus que doublé leur contribution au financement de l'action climatique pour soutenir les pays en développement. Le Conseil a également invité les autres donateurs à intensifier leurs efforts et espère que l'objectif collectif de réunir 100 milliards de dollars par an pour financer l'action climatique sera atteint en 2023. Cette promesse n'a toujours pas été tenue actuellement.
Dans un graphique, le Conseil de l'Europe reprend les contributions de l'Europe au financement de l'action climatique des pays en développement qui ont plus que doublé de 2013 à 2021 dont voici les chiffres :
L'UE et ses États membres ont mobilisé pour l'action climatique des PVD :
9,60 milliards d'euros en 2013
14,5 milliards d'euros en 2014
17,6 milliards d'euros en 2015
20,2 milliards d'euros en 2016
20,4 milliards d'euros en 2017
21,7 milliards d'euros en 2018
23,2 milliards d'euros en 2019
23,4 milliards d'euros en 2020
23,0 milliards d'euros en 2021
Ces chiffres comprennent les fonds provenant des budgets publics et des institutions de financement du développement de l'UE, de ses États membres (y compris le Royaume-Uni) et de la Banque européenne d'investissement.
Le 13 avril 2022, le Conseil arrête sa position sur les obligations vertes européennes considérées comme l'un des principaux instruments de financement des investissements liés aux technologies vertes, à l'efficacité énergétique et à l'utilisation efficace des ressources, ainsi qu'aux infrastructures de transport et de recherche durables. L'UE prend de nouvelles mesures pour mettre en œuvre sa stratégie relative au financement de la croissance durable et de la transition vers une économie neutre pour le climat et efficace dans l'utilisation des ressources. Le règlement concerné définit des exigences
uniformes applicables aux émetteurs d'obligations qui souhaitent utiliser l'appellation « obligation verte européenne » ou « EuGB » pour les obligations durables sur le plan environnemental qu'ils proposent aux investisseurs dans l'Union, et établit un système d'enregistrement et un cadre de surveillance pour les examinateurs externes d'obligations vertes européennes.
Maintenant que le Conseil a arrêté sa position sur la proposition, il est prêt à entamer des négociations avec le Parlement européen afin de parvenir à un accord sur une version définitive du texte.
Le 28 février 2023, le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord provisoire sur la création sur la création d'obligations vertes européennes (EuGB). Le nouveau règlement vise à prévenir l'écoblanchiment sur le marché des obligations. Les émetteurs d'obligations seront en mesure de démontrer qu'ils financent des projets écologiques alignés sur la taxinomie de l'UE, tandis que les investisseurs pourront identifier plus facilement les obligations vertes de haute qualité.
Conclusions
Les échanges dette-nature, sous leurs formes variées, innovantes et médiatiquement séduisantes, malgré les efforts d'adaptation aux circonstances aggravantes, aux différents types de débiteurs et de créanciers concernés, ne peuvent répondre au surendettement, aux obstacles au développement durable et au réchauffement climatique qui mettent l'Afrique en danger, sans une remise en cause radicale du système capitaliste, extractiviste et écocide qui continue à engendrer et exacerber ces réalités problématiques.
a) Les résultats décevants du sommet de Paris de juin 2023
Lors du sommet de Paris de juin 2023 chapeauté par Emmanuel Macron, le président français pensait trouver, à travers un nouveau pacte financier, un consensus pour lutter à la fois contre le réchauffement climatique et le surendettement des pays africains entre autres au moyen d'une nouvelle relance verte, basée sur les obligations vertes et l'investissement croissant du secteur privé, stratégie encouragée par la Banque Africaine de Développement comme nous venons de le voir. D'ailleurs Akinnwumi Adesina, le président de la BAD, a profité de cette occasion pour résumer en 7 points sa vision très néolibérale des réformes qu'il souhaite entreprendre. L'article du Monde Afrique publié le 21 juin 2023 en reprend les grandes lignes.
« Il s'agit de s'attaquer en priorité au changement climatique (1) et aussi de faire face aux crises croissantes de la dette dans le monde (2), en particulier en Afrique. Dans cet objectif, il faut déclencher des fonds et instruments financiers urgents mondiaux via la Banque Africaine de Développement (nous en avons eu un aperçu dans les parties 1, 2 et 3 de cette étude) et le FMI (3). Il faut changer les modèles opérationnels des institutions financières multilatérales (4) et renforcer l'effet de levier du financement du développement par le secteur privé (5) de manière à augmenter le capital libéré des Banques Mondiales de Développement (6). Enfin, il faut promouvoir les efforts régionaux pour s'attaquer aux risques systémiques en Afrique par le Mécanisme Africain de Stabilité Financière (7). »
Le sommet n'a pas remporté l'adhésion des pays africains malgré quelques nouvelles restructurations ou transfusions accordées.
En effet, les états ne se sont pas accordés sur la clause de « dette résistante au climat » ou « clause des catastrophes naturelles » pour laquelle la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, a longuement bataillé, sur laquelle un certain soutien international avait semblé émerger et qui a pour objectif de permettre la suspension des remboursements de la dette en cas de désastres naturels. Il ne met pas en place des fonds d'adaptation mais aussi de réparations écologiques et climatiques qui pourraient justifier des annulations massives de dettes ou des financements directs. Que prévoit-il concrètement contre l'évasion fiscales et la fuite des capitaux afin de dégager des marges de manœuvre budgétaire ? Les suggestions ne manquaient pas : un registre mondial des sociétés-écrans, un échange automatique d'informations, un cadastre financier mondial...mais elles n'ont pas été retenues. La remise en cause du pillage des pays les plus pauvres par les traités de libre-échange et d'investissements, les conséquences de l'hégémonie du dollar ou bien l'injustice d'un taux d'intérêt inégal dans le monde n'ont pas été entendus. Un ministre raconte : « un gouvernement du pays riche emprunte sur dix ans à un taux de 1,4 % par an, tandis que le pays en développement emprunte à 11 %. Certains de ses voisins empruntent à 20 %. Les taux d'emprunt du secteur privé sont le taux du gouvernement plus une prime, donc le coût du capital d'un projet d'énergie renouvelable financé par le secteur privé dans le pays riche aurait été proche de 4 %. Dans les pays en développement, il est de 15 % ». Mais cet argument n'est pas pris en compte. « Depuis 1980, les pays du Sud ont remboursé 18 fois ce qu'ils devaient en 1980 et dans le même laps de temps, leur niveau d'endettement a été multiplié par plus de 12 : quand le système dette s'arrêtera-t-il ! » Protestent certains interlocuteurs africains alors que l'énumération des nouveaux prêts, suspensions et facilités très partielles accordées ne résout rien à la détresse des pays surendettés. Les nouvelles taxes internationales comme la taxe carbone sur le transport maritime ou la taxe sur les transactions pour alimenter les fonds à destination des pays les plus vulnérables et leur permettre de se protéger face au changement climatiques (comme le fond de pertes et dommages) ont été citées mais pas adoptées. Le principe du pollueur/payeur ou l'interdiction de financer des projets fossiles semblent communément admis mais pour l'instant pas encore opérationnalisés de manière généralisée. Comment abandonner les énergies fossiles sans compensations pour les pays les plus vulnérables qui dépendent complètement de ces ressources ? Que de demandes et de questions restées sans réponses ! Le sommet de Paris est bien décevant.
Le CADTM, ATTAC s'opposent fermement à cette stratégie exposée par le président français Emmanuel Macron ou à celle des institutions financières internationales comme la BAD qui ne rencontrent pas les besoins urgents des pays africains et ne répondent pas à leur gronde légitime.
b) Reprendre la main pour financer la bifurcations sociale et écologique (ATTAC)
Dans le rapport de l'Observatoire de la justice fiscale et de l'espace banque finance d'ATTAC « Reprendre la main pour financer la bifurcation sociale et écologique », sorti en octobre 2022, des analystes critiques appellent à une bifurcation écologique et sociale transformant complètement la société et ils recommandent pour y parvenir la mise en œuvre d'une gamme d'instruments et de politiques publiques coordonnées, par un policymix combinant des mesures budgétaires, fiscales, financières, monétaires et réglementaires orientées vers le changement durable.
Il ne s'agit plus uniquement de faire plus avec moins, d'axer tout le système de management sur la performance économique à court terme et la rigueur budgétaire, creusant les déficits publics et aggravant les dettes. Il faut de vrais investissements politiques et financiers solidaires, planifiés et contrôlés publiquement et impartialement, pour protéger l'humanité et la planète, en dehors des seuls critères de rentabilités et des recherches de profits particularistes.
Cela passe par des réformes fiscales qui instaurent la progressivité dans l'imposition du capital et du revenu, assurent une redistribution de manière à réduire les inégalités entre les pays, entre les individus, entre les hommes et les femmes et une fiscalité qui refinance les services publics essentiels à la qualité du développement.
Il faut réorienter les BCE, BM et FMI afin que ces institutions financières et monétaires annulent les dettes publiques des pays du sud et qu'elles se concentrent sur des financements à long terme, visant à transformer le système productif et à renforcer les normes, la régulation et les contrôles contre la spéculation sur l'endettement des plus démunis et l'exploitation abusive des ressources naturelles, contre la course vers le profit de transnationales les plus puissantes souvent les plus polluantes et parfois criminelles. Il faut s'opposer à la corruption des fonctionnaires qui les laissent faire ainsi qu'aux évasions fiscales et à la fuite des capitaux. Le rapport salue l'initiative proposée en 2019 de créer un réseau international des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier qui rassemble déjà une centaine de pays. Une belle avancée qui répond à un besoin de coordination de toutes ces initiatives à l'échelle mondiale.
Le rôle des banques centrales ne devrait pas seulement réduire l'inflation en augmentant les taux d'intérêt ce qui fait pression sur la masse salariale, et les pouvoirs d'achat des ménages en créant des dégâts sociaux et en rendant plus « chère » la transition durable escomptée. Lire à ce sujet l' article critique d' Éric Toussaint « La Banque centrale européenne au service des 1% les plus riches » paru le 30 juin 2023 . Il faut reconsidérer leur indépendance politique actuelle, distinguer leur autonomie opérationnelle de leurs intérêts politiques, pour qu'elles se mettent vraiment au service de l'intérêt général. Ce sont les élus et leurs gouvernements qui doivent fixer les priorités et objectifs à atteindre. Les Banques Centrales doivent alors choisir les instruments les plus appropriés pour y parvenir au moyen de leur politique monétaire. Elles doivent ensuite rendre des comptes aux instances démocratiques. Elles devraient donc plutôt exercer un contrôle démocratique et veiller à ce que les financements servent bien à la bifurcation sociale et écologique en régulant et responsabilisant tous les acteurs en ce sens, sur l'ensemble et non sur une infime partie des opérations financières (donc pas seulement via des obligations vertes par exemple).
Elles pourraient financer directement des projets verts de grande envergure et des infrastructures de long terme qui n'ont pas de rentabilité immédiate tels que les hôpitaux publics, des voies ferrées, des écoles pour toustes etc. Il faut veiller à ce que les plans de relance concernent aussi les secteurs féminisés tels que la santé, l'éducation qui sont mis à mal par la logique du marché car ils ne sont pas immédiatement « rentables ».
Traditionnellement les banques centrales financent les banques commerciales à des taux d'intérêt directeurs : elles pourraient accorder un taux directeur préférentiel aux banques qui financent des projets durables (1% en dessous du taux officiel, par exemple). Après la crise de 2007-2008, la BCE a pu adopter une politique monétaire non conventionnelle facilitant le renflouement des entreprises et des États européens par l'achat d'obligations et titres de dettes émis par les États et les entreprises. Pourquoi ne pas le faire pour assurer la bifurcation écologique et sociale via l'achat d'obligations soutenant les projets durables et l'arrêt de tout investissement favorisant la production et la consommation d'énergies fossiles ? Pour l'instant, 60% des achats financés
par la BCE concernent au contraire le secteur les plus polluants de l'économie selon Attac, Oxfam, Veblen dans un communiqué du 4 juillet 2022 ! Elle annonce cependant de prochaines réformes.
Il faudrait obliger chaque banque à mettre en œuvre un plan de décarbonisation d'ici 2050, réduire la part des actifs bruns (qui à long terme seront dévalorisés jusqu'à disparaître) et en même temps augmenter significativement celle des actifs verts dans les bilans bancaires ; les banques doivent se prémunir des risques futurs de faillite en ayant un ratio fonds propres/fonds déclarés raisonnable mais aussi un ratio actifs verts/ actifs bruns de plus en plus positif. Elles doivent contrôler le marché des obligations vertes pour éviter le greenwashing, standardiser et vérifier la véracité des labellisations.
Sinon, une proposition de loi pour l'utilisation de l'épargne populaire en matière énergétique est une piste intéressante. Les livrets d'épargnes populaires LDDS (Livrets de Développement Durable et Solidaire) sont parfois aussi classés dans la finance verte. Ces livrets au fonctionnement proche du livret A mettent en avant leur participation dans la transition écologique. Ils ne doivent plus servir à développer des activités nocives mais uniquement des projets durables. Pour cela il faut accroître la transparence et le contrôle de l'emploi de ces sommes par les Banques Centrales et augmenter le rôle des
parlements par la publication d'un rapport trimestriel détaillé sur la nature des prêts accordés avec l'épargne populaire et que ce rapport soit accessible à la société civile. La même demande est formulée pour l'utilisation de l'argent des caisses de retraites.
En gros, pour les auteurs de cette étude, il est nécessaire de renforcer un pôle bancaire public ou socialisé, et de recourir à des lois internationales, nationales et locales protectrices des biens et intérêts communs des populations. Les banques privées gouvernent selon les intérêts de leurs actionnaires. Les banques publiques d'investissement et de développement devraient répondre aux intérêts généraux. Il faut diminuer le pouvoir des actionnaires et améliorer la coordination des politiques monétaires et budgétaires publiques (policymix) orientées vers les urgences sociales et écologiques. Il est important de rendre aussi aux parlements leurs rôles de propositions,
d'amendement des lois sur la finance et de contrôle démocratique des résultats en y associant les populations (en respectant leur droit d'être informées, formées, consultées, de voter), accroître la transparence, les possibilités de débats publics. Pouvoir évaluer les politiques publiques menées, avant, pendant et après, sur base de nouveaux critères et indicateurs, clairs, orientés vers la bifurcation écologique et sociale est essentiel. Les nouveaux critères pourraient être : la diminution des inégalités entre les individus, entre les hommes et les femmes, de la pauvreté, de la maladie, des Gaz à Effet de Serre et du carbone, des énergies fossiles, de l'artificialisation des sols ; l'augmentation de l'espérance de vie, du pouvoir d'achat, des conditions de vie, des services publics à la petite enfance et au personnes âgées, de l'éducation, des transports et bâtiments et les énergies renouvelables, de l'agriculture non intensive... Il faut donc une réorganisation et une attribution différentes des aides publiques sous contrôle véritable des parlements, dans des conditions et règles précises et en fonction des résultats obtenus en lien avec les objectifs de bifurcation écologique et sociale.
On peut aussi envisager de taxer les produits ou services les plus polluants mais à condition qu'une alternative existe : « si tu prends la voiture tu paies la taxe, si tu utilises les transports en commun, tu en es exonéré ». Ceci afin que le consommateur ne se sente pas prisonnier et lésé par un prélèvement supplémentaire sur la consommation, déjà que son pouvoir d'achat est limité et que ce système de taxe risque de peser plus lourd proportionnellement sur les classes moyennes et modestes que sur les milieux aisés. Attention, les écotaxes sur la consommation souvent plébiscitées par les économistes libéraux ont des limites : elles diminuent l'assise sur laquelle se calculent les prélèvements publics et par ailleurs, comme l'objectif est de diminuer la consommation de services et produits qui polluent, à long terme comme celle-ci devrait se réduire, les recettes qui en résulteraient tendraient donc à disparaître alors que les besoins de financement des réformes continueront d'augmenter. Ce n'est donc pas efficace. Il vaut mieux, taxer les kilomètres parcourus sans frontière, supprimer les exonérations des quotas d'émissions gratuits aux entreprises climaticides, établir des taxes de justice carbone sur les plus grosses entreprises surtout des secteurs polluants. La recette serait redistribuée aux ménages selon leurs revenus par un mécanisme progressif.
D'autres mesures intéressantes sont recommandées par ATTAC : supprimer les niches fiscales injustes et inefficaces ; créer un impôt progressif indexé sur les émissions de GES, induits par les placements financiers des ménages les plus fortunés ; moderniser l'impôt sur les sociétés en tenant compte de la numérisation ; taxer les superprofits des entreprises pour augmenter les recettes et neutraliser les hausses anormales de prix...
Mais toutes ces mesures doivent se faire dans le cadre d'une planification écologique et sociale assurant une cohérence globale des politiques publiques. En conclusion, voici les 7 recommandations mises en avant par le CADTM lors de sa présentation au parlement européen en octobre 2022.
c. Les 7 recommandations du CADTM
1.Annuler les dettes et s'opposer aux conditionnalités des créanciers
Les allègements ne suffisent pas. Les conditionnalités publiques ou privées aggravent la situation avec des conséquences désastreuses. Commencer par supprimer les paiements déjà suspendus.
Utiliser tous les leviers dont la promulgation de lois et règlementations pour obliger le secteur privé à prendre sa part dans les opérations de restructuration. L'annulation des dettes dues au FMI et à la Banque mondiale par les pays éligibles à l'Initiative ISSD dans la période allant d'octobre 2020 à décembre 2021 pourrait être financée très facilement par les bénéfices provenant de la seule vente de 6,7 % de l'or détenu par le FMI. Cela rapporterait jusqu'à 8,2 milliards de dollars US aux pays éligibles à l'ISSD. Si cela était fait immédiatement, le FMI disposerait encore de 164,5 milliards de dollars US de réserves.
2. Procéder à un audit de la dette publique avec participation citoyenne
Associer la société civile d'en bas du pays créancier et des pays débiteurs à l'audit de cette dette publique pour révéler les irrégularités et l'illégitimité de certaines dettes dont les créanciers continuent à percevoir le remboursement aujourd'hui.
Pour ce faire, rendre accessibles aux populations des pays africains à travers leurs associations/organisations autonomes, l'ensemble des documents, les classés « secret défense » inclus , afin de découvrir l'origine des dettes réclamées par les différentes catégories de créanciers.
3. Poser des actes unilatéraux pour assurer une protection effective des droits humains
Suspendre immédiatement et unilatéralement le paiement de dette par les États dans les cas où c'est nécessaire à la protection de leur population et afin de pouvoir assurer la satisfaction de leurs droits humains fondamentaux sur base du droit international en conformité avec leurs engagements internationaux (sur base de la Charte de l'ONU, de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 (DUDH), de la Charte sur les droits et les devoirs économiques des États (1974), de la Déclaration sur le droit au développement (1986) ou encore du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) de 1966. Avec l'argent ainsi libéré, renforcer les systèmes publics, assurer de meilleurs services publics gratuits pour tous.
4. Lever les brevets privés pour un accès à la santé pour toutes et tous
Suspendre les brevets privés sur toutes les technologies, connaissances, traitements et vaccins liés au Covid-19. Éliminer des secrets commerciaux et publier les informations sur les coûts de production et les investissements publics utilisés, de manière claire et accessible à l'ensemble de la population. Assurer l'accès universel, libre et gratuit à la vaccination et au traitement. Exproprier sans indemnité des entreprises pharmaceutiques et des laboratoires privés de recherche et organiser leur transfert dans le secteur public sous contrôle citoyen.
5. Mettre un terme aux dispositifs fiscaux inégalitaires
Généraliser au niveau de l'Union européenne et au niveau international la loi belge qui s'attaque aux comportements des fonds vautours. S'opposer à la promotion systématique du secteur privé pour financer le développement des pays africains, et notamment s'opposer à la promotion des Partenariats Public-Privé (PPP). S'opposer aux traités d'investissement qui incluent la dette souveraine dans la couverture des traités d'investissement et le règlement des différends entre investisseurs et États. Mettre fin à l'aide publique au développement dans sa forme actuelle et la remplacer par une « Contribution de réparation et de solidarité » inconditionnelle et sous forme de dons, en excluant dans le calcul de celle-ci les annulations de dette et les montants ne servant pas les intérêts des populations africaines. Sanctionner lourdement les entreprises coupables de toute forme de corruption de fonctionnaires publics des pays africains.
Sanctionner les hauts fonctionnaires et le personnel politique qui dans les pays européens ont favorisé ou favorisent la spoliation sous différentes formes des peuples africains. Sanctionner lourdement les banques (y compris en allant jusqu'au retrait de la licence bancaire et à l'imposition de fortes amendes) qui se prêtent à du blanchiment d'argent sale, à l'évasion fiscale, à la fuite des capitaux, au financement d'activités participant au changement climatique et à la spoliation des populations africaines. Mettre fin au franc CFA.
6. Pour une politique d'endettement légitime auprès de banques socialisées
Socialiser les banques et les assurances en expropriant les grands actionnaires, afin de créer un véritable service public de l'épargne, du crédit et des assurances sous contrôle citoyen. Réaliser des emprunts légitimes en tant que pouvoirs publics pour lutter contre la crise écologique et pour booster les secteurs sociaux. Financer les pays africains, hors aide publique au développement, par des prêts à taux zéro, remboursables en tout ou partie dans la devise souhaitée par le débiteur. Introduire des taxes sur la richesse (patrimoine et revenus du 1 % le plus riche) pour financer la lutte contre la pandémie et assurer une sortie socialement juste et écologiquement pérenne des différentes crises du capitalisme mondial. Annuler le soutien au système du microcrédit abusif et à ses institutions, en favorisant leur remplacement par de véritables coopératives gérées par les populations locales et par un service public de crédit octroyant des prêts à taux zéro ou très bas.
7. Mettre en place une véritable politique de réparations
Adresser des excuses officielles publiques pour l'ensemble des crimes et des méfaits accomplis par les puissances européennes à l'égard des populations africaines, ouvrant le droit à des réparations. Affirmer le droit à des réparations et/ou compensations aux peuples victimes du pillage colonial et de la spoliation par le mécanisme de la dette. Exproprier les « biens mal acquis » par les gouvernants et les classes dominantes d'Afrique et les rétrocéder aux populations spoliées via un fonds spécial de développement humain et de restauration des équilibres écologiques sous contrôle effectif des citoyens et citoyennes des pays concernés. Reconnaître la dette écologique à l'égard des pays africains et procéder à des réparations et/ou compensations en récupérant le coût de ces dépenses par un impôt ou des amendes prélevées sur les grandes entreprises responsables de la pollution.

“Capacité à mobiliser, promesse de rupture” : la victoire écrasante du Pastef au Sénégal

Mamadou Albert Sy, analyste politique et journaliste passé par le quotidien “Walfadjri” et Info7 TV, décrypte pour “Courrier international” les raisons du succès du parti de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko lors des législatives anticipées du 17 novembre. Une razzia électorale qui suscite d'énormes attentes au sein de la population.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Le premier ministre sénégalais et chef du parti Pastef, Ousmane Sonko, lors d'un meeting de campagne dans la banlieue de Dakar, le 13 novembre 2024. Photo : Zohra Bensemra/Reuters
Courrier international : Le parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef) est arrivé en tête dans 47 des 54 circonscriptions électorales, selon les résultats officiels provisoires des élections législatives anticipées du 17 novembre. Il revendique 132 députés sur les 165 de l'Assemblée nationale. La “razzia” du parti au pouvoir, telle que l'a qualifiée la presse, est-elle une surprise ?
Mamadou Albert Sy : Au regard de la campagne électorale, ce n'est pas surprenant. Face aux trois coalitions emmenées par l'ex-président Macky Sall, l'ex-Premier ministre Amadou Ba et le maire de Dakar, Barthélémy Dias, le Pastef s'est démarqué par sa présence et sa capacité à mobiliser les foules à travers le pays.
Ce qui est un peu plus surprenant, c'est l'ampleur de la victoire. Lors des législatives de 2022, la coalition de la majorité présidentielle Benno Bokk Yakaar avait obtenu 83 sièges, et l'opposition, 80 sièges. Aujourd'hui, la coalition qui a recueilli le plus grand nombre de suffrages face au Pastef, Takku Wallu, représentée par Macky Sall, n'aurait que 16 sièges.
Une telle domination parlementaire du parti au pouvoir est inédite depuis que le cycle d'alternance politique au Sénégal a débuté, en 2000. Dans l'histoire politique sénégalaise, cela renvoie à la domination du Parti socialiste à l'Assemblée nationale, de 1978 à 2001, face au Parti démocratique sénégalais (PDS, parti de l'ancien président Abdoulaye Wade).
Quels sont les ingrédients de cette large victoire ?
Outre la réussite de sa campagne, le Pastef bénéficie du désir de changement des électeurs. Ce vent-là continue de souffler : le parti au pouvoir incarne la rupture avec un système politique qui prévaut depuis l'indépendance.
De son côté, l'opposition n'a pas réussi à concurrencer Ousmane Sonko sur le terrain. Elle était moins visible et s'est confrontée à un problème de leadership. Macky Sall était à l'étranger, Karim Wade, chef de file du Parti démocratique sénégalais rallié à la coalition Takku Wallu, également. Ils ont fait campagne sur WhatsApp. Cela peut marcher avec les états-majors des partis politiques, mais pas avec les électeurs.
Qui sont les plus grands perdants de ce scrutin ?
Il s'agit des anciens partis. L'Alliance pour la République (APR) de Macky Sall est affaiblie. Le Parti socialiste et l'Alliance des forces de progrès (AFP), les partis de gauche, ralliés à Amadou Ba pour ces législatives, n'ont guère pesé. L'ex-Premier ministre, qui avait recueilli 35 % des voix à la présidentielle de mars, se retrouverait finalement avec deux députés. C'est une grosse déception.
Tous les partis qui ont été aux affaires sont en déclin, qu'ils soient socialistes, démocrates, libéraux, ou républicains. Ces vieux partis n'ont pas intégré les mutations de la société sénégalaise et de l'électorat, de plus en plus jeunes. Ils doivent se réorganiser. Leur recomposition pourrait se dessiner autour d'un bloc regroupant la famille libérale et d'un bloc socialiste.
Parmi les mesures du projet du Pastef, et du plan Sénégal 2050 dévoilé à la mi-octobre, quelles sont les priorités pour les Sénégalais ?
En ce qui concerne la lutte contre le chômage et l'abaissement du coût de la vie, la mise en place de pôles de développements régionaux est une mesure phare [visant à répartir plus équitablement les activités et les investissements à travers le territoire, alors que la région de Dakar est le moteur de l'économie].
La reddition des comptes [d'anciens dignitaires soupçonnés d'enrichissement illicite], liée à l'installation d'une Haute Cour de justice est également scrutée. Est-ce que les tenants du pouvoir iront jusqu'au bout ? On se souvient que leurs prédécesseurs avaient plié face aux pressions de certains leaders religieux, qui voyaient d'un mauvais œil ces procédures judiciaires.
Idem pour les violences politiques entre 2021 et 2024, qui ont fait des dizaines de morts, des centaines de blessés et des milliers d'arrestations. L'exécutif aura-t-il le courage d'abroger la loi d'amnistie couvrant les manifestations politiques sur cette période, et d'engager des enquêtes ? Ces deux derniers dossiers sont très délicats pour le pouvoir. Si ces mesures ne se traduisent pas en acte, la confiance des citoyens peut s'effriter.
Les adversaires politiques du Pastef, lorsqu'ils ont reconnu sa victoire, ont pour la plupart salué la “maturité démocratique” du Sénégal. Ces termes sont également fréquents dans la presse ouest-africaine. Qu'en pensez-vous ?
Je suis plus nuancé. Certes, nous avons une démocratie électorale assez dynamique. Les Sénégalais se mobilisent, les scrutins se déroulent généralement dans le calme… Les réflexes sont là. Lors de la présidentielle de mars, les électeurs ont sanctionné dans les urnes les violences précitées.
Mais la démocratie ne devrait pas se résumer aux élections. La maturité s'acquiert notamment par des débats contradictoires si on entend se prémunir des risques de manipulation de l'opinion. Lors de cette campagne électorale, c'est le débat sur les grandes orientations politiques qui a fait défaut. Pourtant, ces jeunes électeurs qui soutiennent la rupture promise par le Pastef sont demandeurs. Ils veulent mieux comprendre les mesures proposées, la mise en œuvre des politiques publiques, et doivent être mieux informés.
Propos recueillis par Agnès Faivre
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Mozambique : Dans l’ombre de Mondlane

Après une élection historique et à la veille de célébrer les cinquante ans de l'indépendance, les Mozambicains doivent se demander si les valeurs, les symboles et les institutions créés pour donner forme à « l'unité nationale » sont toujours légitimes aujourd'hui.
Tiré d'Afrique en lutte.
Le 9 octobre 2024, le Mozambique a tenu ses septièmes élections présidentielles depuis l'ouverture politique et l'instauration du multipartisme en 1992. Jusqu'alors, le pays vivait sous un régime à parti unique, dirigé par le Frelimo (Front de libération du Mozambique), résultat d'un processus d'indépendance en 1975, obtenu dans le contexte de la guerre froide au cours duquel le pays s'était aligné sur le bloc socialiste au niveau géopolitique. Cependant, depuis les premières élections générales de 1994, le parti au pouvoir a remporté toutes les élections, en grande partie grâce au contrôle qu'il a toujours exercé historiquement sur l'appareil d'État, les institutions publiques étant invariablement en sa faveur. Cet état de fait a conduit à une méfiance généralisée à l'égard de la transparence du processus électoral mozambicain dans divers secteurs de la société, tant au pays qu'à l'étranger. Les élections actuelles semblent montrer qu'un point critique a été atteint.
Comme cela a été le cas lors de toutes les élections précédentes, le scrutin de 2024 a été caractérisé par des malversations électorales récurrentes de toutes sortes, le plus souvent dans le but de favoriser le parti Frelimo. Cette perception ne se limite pas aux plaintes de ses adversaires politiques mais fait également consensus dans l'opinion publique, parmi les observateurs nationaux et internationaux, en plus de diverses études et rapports publics qui démontrent cette tendance historique . Cependant, depuis les élections locales de 2023, la contestation populaire et sociétale des résultats des élections s'est accrue, avec des manifestations violentes auxquelles a répondu une répression policière tout aussi violente et disproportionnée. Depuis lors, le Mozambique connaît une situation de tension politique et sociale, aggravée par l'augmentation de la pauvreté et la précarité générale des conditions de vie de la population. Il existe en effet un sentiment général de mécontentement à l'égard du présent et de l'avenir du pays, souvent interprété comme une conséquence directe de la concentration excessive du pouvoir politique, économique, idéologique et institutionnel entre les mains d'une seule force politique.
Le Mozambique s'apprête à célébrer le 50e anniversaire de son indépendance politique vis-à-vis du Portugal. Un tel événement historique s'accompagne naturellement d'une série de réflexions et d'auto-analyses, afin de faire le point sur ces cinq dernières décennies, non seulement au Mozambique mais aussi dans d'autres anciennes colonies portugaises du continent dont les processus historiques récents sont directement liés. Un événement qui a eu lieu deux semaines avant le vote illustre la signification historique plus profonde des événements actuels.
Le 25 septembre 2024, la nation a célébré le 60e anniversaire du début de la lutte armée pour la libération nationale, le processus politique et militaire de lutte contre le colonialisme portugais, qui a débuté en 1964. Pour commémorer cet événement, une statue d'Eduardo Mondlane, fondateur et premier président du Frelimo, reconnu dans l'histoire officielle comme « l'architecte de l'unité nationale », a été érigée dans la ville de Maputo. Cependant, le gouvernement a dû faire face à de nombreuses critiques de la part de l'opinion publique. Pour les critiques, la statue ne correspondait pas aux caractéristiques physiques de Mondlane, avec de graves erreurs de proportions présumées. Le mécontentement du public a même conduit le ministère de la Culture à mettre en place une équipe technique pour évaluer l'œuvre et, si nécessaire, apporter les corrections nécessaires.
Au-delà des aspects techniques et esthétiques, cet épisode est symptomatique d'un problème structurel très profond de la société mozambicaine : la culture politique autoritaire, héritage d'une nation construite sous un régime monolithique. Il est frappant de constater que la statue, qui a remplacé une précédente au même endroit, a été inaugurée sans aucune forme de communication, de consultation ou d'interaction avec la population. En d'autres termes, le gouvernement a décidé d'intervenir dans un symbole national important lié à la construction même du pays sans au moins impliquer la communauté d'une certaine manière. Cette situation renforce une perception largement répandue selon laquelle le parti au pouvoir s'est « approprié » le pays. Dans ce cas, nous avons affaire à une appropriation de la mémoire collective, plus précisément de la mémoire de la lutte pour l'indépendance, qui est souvent utilisée comme source de légitimation pour maintenir le pouvoir du Frelimo.
Les allégations de fraude électorale se fondent sur cette perception, corroborée par les faits, et sur la confusion notoire entre parti, État et gouvernement au Mozambique. En effet, les innombrables rapports de délits électoraux enregistrés lors de cette élection et de toutes les autres témoignent de l'instrumentalisation de diverses institutions publiques, de la police, des fonctionnaires et des installations de l'État, des médias, ainsi que des organes électoraux et judiciaires eux-mêmes. Dans le cas spécifique de la statue, son inauguration à la veille des élections ouvre la voie à de nouvelles spéculations sur l'utilisation de l'appareil public pour promouvoir le régime.
Tout cela n'est pas nouveau, sauf que la contestation populaire actuelle des élections se déroule à un moment de reconfiguration de la politique mozambicaine, marquée par l'affaiblissement des principaux partis d'opposition historiques au Frelimo : la Renamo et le MDM. Ce vide de pouvoir a été comblé cette année par le parti Podemos, récemment créé, qui est devenu la plus grande menace réelle pour le pouvoir en place grâce au leadership charismatique de son candidat, Venâncio Mondlane. En tant que membre de la Renamo, VM7, comme on l'appelle, a perdu les élections locales de 2023 à Maputo, la capitale du pays, face au candidat du Frelimo. En réponse, il a mené une série de marches et de manifestations populaires contestant les résultats des élections prétendument truqués, qui se sont soldées par une forte répression policière dans diverses régions du pays.
Ces manifestations se sont distinguées par la mobilisation massive des jeunes, qui constituent la grande majorité de la population du pays, dont 80 % ont moins de 35 ans et la moitié moins de 16 ans, selon les données de l'UNFPA. Ce segment de la population est très insatisfait de ses conditions actuelles et de ses perspectives d'avenir, hanté par le chômage, la pauvreté et la violence. Outre la dimension matérielle, de nombreux jeunes ne s'identifient pas au discours idéologique nationaliste officiel, car il s'agit d'une génération qui a été peu exposée à la rhétorique de la lutte armée et à l'ensemble des valeurs qui lui sont associées. Le soutien des jeunes à Venâncio est également le reflet de l'époque : une grande partie de leur expression et de leur mobilisation autour du candidat s'est faite via Internet et les réseaux sociaux, « faisant éclater la bulle » des médias publics, constitués de la radio et de la télévision publiques, ainsi que des principaux journaux nationaux imprimés. A cela s'ajoute le renforcement notoire de la société civile mozambicaine, qui a également contribué à donner la parole et à mobiliser non seulement cette masse de jeunes, mais aussi divers autres secteurs de la société qui réclament plus de justice sociale et de respect des droits de l'homme.
En bref, la situation est très tendue, alimentée par la crainte de violences politiques. Les principaux partis et candidats de l'opposition se sont exprimés publiquement pour contester les résultats partiels publiés par les organes électoraux officiels, qui donnaient la victoire à Daniel Chapo, le candidat du Frelimo. De plus, Venâncio Mondlane s'est même déclaré vainqueur légitime de l'élection, sur la base de décomptes parallèles internes de son parti, et a appelé à une grève générale et à des manifestations dans tout le pays si les organes électoraux confirmaient la victoire du parti au pouvoir. Cette situation pourrait aussi constituer un tournant historique pour cette jeune nation, à la veille de son cinquantième anniversaire. Les Mozambicains doivent donc réfléchir à leur propre parcours historique : dans quelle mesure les idéaux, les valeurs, les symboles et les institutions créés pour donner forme à « l'unité nationale » sont-ils encore légitimes aujourd'hui ?
Le cas de l'inauguration de la statue de Mondlane dans le contexte des élections est une allégorie symptomatique de la façon dont divers secteurs de la société mozambicaine ont historiquement été exclus des processus de prise de décision, qui ont été concentrés entre les mains d'un groupe spécifique. Concrètement, la célébration unilatérale et arbitraire d'un héros national révèle un modèle de relations entre l'État et la société qui ne contribue certainement pas au renforcement de la citoyenneté dans le pays. Elle renforce surtout la corrosion de la crédibilité des institutions publiques en général – et des organismes électoraux en particulier –, cause fondamentale du mécontentement populaire et de la menace d'instabilité et de violence politique qui prévaut actuellement.
En transposant cela au contexte africain plus large, nous parlons de la crise de légitimité notoire que traversent de nombreux mouvements de libération africains, tels que l'ANC (Afrique du Sud), le MPLA (Angola) et la ZANU-PF (Zimbabwe), qui ne sont pas par hasard des alliés historiques du Frelimo. Compte tenu de ce qui précède, la question se pose : cette crise de légitimité pourrait-elle être un tournant pour une sorte de « seconde indépendance » capable de générer une nouvelle « architecture d'unité nationale » au Mozambique ?
Le 19 octobre dernier, le Mozambique a connu une tragédie qui a confirmé les pires craintes concernant l'instabilité politique résultant d'un processus électoral marqué par des irrégularités notoires en faveur du régime. Elvino Dias, avocat de Venâncio Mondlane, et Paulo Guambe, représentant du parti Podemos, deux éminents militants de l'opposition, ont été sauvagement assassinés. Bien que les circonstances et le mode opératoire du crime restent encore flous, ils ont suscité le rejet et l'indignation de larges secteurs de la société mozambicaine et de la communauté internationale. Entre-temps, comme prévu, le 24 octobre, les organismes électoraux officiels ont annoncé la victoire de Daniel Francisco Chapo, candidat du Frelimo, avec 70 % des voix. En conséquence, les manifestations populaires de protestation se sont intensifiées dans plusieurs régions du pays, qui ont rapidement été réprimées par la police, avec des arrestations et même des morts. Bref, il règne une atmosphère de grande tension politique après l'annonce des résultats officiels de ces élections, qui promettent de changer le cours de l'histoire, comme beaucoup le disent et le souhaitent dans les rues du pays.
Marílio Wane est titulaire d'une maîtrise en études ethniques et africaines de l'Université fédérale de Bahia (Brésil) et est chercheur dans le domaine du patrimoine culturel immatériel au Mozambique.
Traduction automatique de l'anglais
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Sauver le climat pour construire un autre Brésil

De nombreuses villes brésiliennes ont connu, le 22 septembre 2024, des manifestations importantes contre les incendies et pour la justice climatique. Parce que la construction d'un mouvement pour le climat est vitale pour l'avenir du pays et de la planète. Comment il peut s'opposer à l'agro-industrie et à son alliance avec le gouvernement.
12 novembre 2024 | tiré du site Inprecor.org | Photo : Déforestation en Amazonie brésilienne en 2016. © Ibama from Brasil – Operação Hymenaea,
https://inprecor.fr/node/4424
Les incendies, dont les fumées n'auront épargné qu'une seule capitale brésilienne, Teresina (État de Piauí), et les inondations, qui ont ravagé une grande partie de la région de Porto Alegre, montrent que le changement climatique est un problème majeur pour le peuple brésilien et qu'il est en passe de devenir le plus grand défi auquel le Brésil ait jamais été confronté. Ils établissent un lien direct entre les grandes villes du pays, où vit la grande majorité de la population brésilienne – qui est à 85 % urbaine – et la nécessité de préserver les biomes 1 que sont le Cerrado, le Pantanal et l'Amazonie.
97 % des Brésilien·nes reconnaissent l'existence du changement climatique et 78 % pensent qu'il a des causes humaines, l'un des taux les plus élevés au monde. C'est peut-être le résultat d'un apprentissage pratique : 5 233 municipalités brésiliennes (94 % des 5 565 municipalités au total) ont déclaré des situations d'urgence ou des calamités entre 2013 et 2023, principalement en raison de pluies torrentielles et d'inondations, de glissements de terrain ou de sécheresses prolongées. Mais lorsqu'on leur demande qui est responsable, la plupart des gens répondent par des termes génériques tels que « les hommes » ou « les êtres humains ». Cependant, contrairement à de nombreux autres pays, où les conséquences du réchauffement climatique semblent être le résultat de processus systémiques plus éloignés (principalement dus à l'utilisation de combustibles fossiles), au Brésil nous avons une interaction entre les biomes et le climat, et l'existence d'un réseau de surveillance par satellite des incendies nous donne le nom et l'adresse de ceux qui bénéficient et sont responsables des incendies.
Le nom et l'adresse des responsables
Ce sont les « ruralistes », le segment de la classe capitaliste lié au contrôle de la terre, un groupe numériquement insignifiant dans la population, mais qui détient le pouvoir dans le pays. Ils gèrent les territoires qu'ils conquièrent comme des essaims de sauterelles en guerre contre la terre, l'exploitant jusqu'à l'épuisement de sa capacité productive et se déplaçant ensuite vers d'autres régions où ils reproduisent le même processus. Ils constituent le bloc social aux racines agraires qui a dominé le Brésil d'une main de fer jusqu'en 1930, date à laquelle ils ont été partiellement évincés du pouvoir central, mais ils ont repris le contrôle du pouvoir après 1990, en désindustrialisant le pays et en le positionnant sur la scène mondiale, dans une large mesure, comme une grande ferme.
Les « ruralistes » sont liés au secteur financier et bénéficient de l'appui dans leur prédation des territoires et du climat par les acteurs de la production et de l'utilisation de combustibles fossiles, de l'exploitation minière et par leurs représentants politiques, leurs agents idéologiques et les gestionnaires de l'État. Propriétaires de logements souvent inoccupés, ils alimentent les booms immobiliers spéculatifs dans les grandes villes, qui défigurent le tissu urbain. Alliés à des pasteurs néo-pentecôtistes, ils alimentent la vague néo-fasciste qui déferle sur le pays.
La classe dirigeante agraire s'est établie au Brésil sur la base de l'esclavage et du contrôle de l'accès à la terre (formalisé par la loi foncière de 1850), puis de diverses formes de travail obligatoire, et enfin du travail salarié, en utilisant toujours la violence comme méthode de contrôle social. Aujourd'hui encore, les accusations de travail forcé dans des conditions analogues à l'esclavage sont courantes. Son autre fondement était et reste la prédation environnementale. On le voit bien avec la forêt tropicale atlantique, qui couvrait 1,3 million de kilomètres carrés (15 % du territoire national) en grande partie détruite au cours du 20e siècle et dont il ne reste aujourd'hui que des fragments. Aujourd'hui, la grande agriculture d'élevage répète le processus dans le Cerrado, le Pantanal et l'Amazonie.
Le ruralisme producteur de matières premières (soja, canne à sucre, viande, café) reproduit, à chaque moment de l'histoire, ce que Caio Prado 2 appelait « le sens de la colonisation », en produisant des richesses pour le marché mondial au détriment du pillage interne de la nature et du travail humain. Aux antipodes de l'agriculture vivrière, destinée au marché intérieur, dont la quasi-totalité est produite par la paysannerie et l'agriculture familiale, qui est beaucoup plus respectueuse de l'environnement. Les matières premières ne participent pas directement de l'alimentation mais sont des intrants pour la malbouffe ultra-transformée. Dans cette chaîne, l'élevage a la particularité d'être aussi le principal mécanisme d'accaparement des terres et un vecteur de déforestation dans le biome amazonien, où la frontière agricole se déplace.
L'agriculture productrice de matières premières détruit des pans entiers de territoire à son seul profit et s'est toujours opposée à la construction nationale. C'est pourquoi, contrairement au discours actuel, le Brésil n'est pas victime d'une dette climatique à l'égard du Nord. Ce discours ne prend en compte que les émissions industrielles ; au contraire, nous sommes le quatrième plus grand émetteur de carbone accumulé après 1850 en raison de la déforestation – derrière les États-Unis, la Chine et la Russie, selon l'étude Carbon Brief. Quelqu'un pense-t-il que la destruction de l'immense Forêt atlantique, du Cerrado et d'une partie de l'Amazonie par le ruralisme brésilien n'a pas rejeté et continue de rejeter des milliards de tonnes de carbone dans l'atmosphère, ou que le cheptel bovin brésilien, plus important que la population du pays, ne constitue pas un gigantesque passif pour l'environnement ? Si nous prenons au sérieux la dynamique de l'effondrement environnemental en cours, le « ruralisme » brésilien est, avec les producteurs de pétrole et de charbon, l'un des plus grands fléaux climatiques de la planète, l'un des plus grands ennemis de l'humanité.
La dynamique globale-locale de l'urgence climatique
Depuis juin 2023, le réchauffement climatique a fait un bond en avant, lourd de conséquences pour toutes les régions de la planète. Johan Rockstrom a présenté un bon résumé des conclusions des scientifiques dans ses récentes conférences, telles que « Les points d'inflexion du changement climatique – et où nous en sommes » 3. Le réchauffement de la planète s'accélère : de 0,18° par décennie à 0,26° par décennie après 2010. Nous dépasserons certainement 2° de réchauffement au-dessus des températures préindustrielles avant 2050, et atteindrons peut-être les 2,5°. Chez nous, Carlos Nobre a produit le même diagnostic 4. La grande accélération capitaliste extrapole les limites naturelles de la planète et laisse présager la rupture, dans les années à venir, de plusieurs « points de bascule » décisifs du système terrestre. La crise de la civilisation capitaliste prend des contours dramatiques : guerres, crises sociales, déplacements de population et fascisme accompagnent l'effondrement climatique, y compris la possibilité de l'effondrement de l'Amazonie. Le sort de la forêt amazonienne, dont les recherches de Luciana Gatti montrent qu'elle est en train de devenir un émetteur de carbone, est une question brûlante pour l'ensemble de l'humanité.
Le climat a perdu la relative stabilité qu'il avait au cours des dix mille dernières années, période de l'holocène 5. Il est devenu à l'ère de l'anthropocène le résultat d'un conflit entre la destructivité du capitalisme extractiviste et fossile, qui menace la biosphère de la planète, et les forces sociales qui cherchent une alternative que l'on ne peut qualifier aujourd'hui que d'écosocialiste. C'est là, de plus en plus, le vecteur résultant de la lutte civilisatrice de la vie contre la mort, menée par les peuples toujours sur le terrain local, mais qui se projette dans l'espace national et mondial. Il n'y a pas de hiérarchies rigides et, si certains territoires sont déterminants pour l'ensemble de l'humanité (comme la forêt amazonienne dans notre cas) ou pour un pays (comme le Cerrado, réservoir d'eau du Brésil, et le Pantanal, source d'une biodiversité unique), les échelles sont très variables, en fonction des conditions écologico-territoriales, socio-économiques et politiques. Un programme écosocialiste doit impliquer de multiples acteurs et situations, des alliances et des relais de transition.
Le problème ne se pose pas seulement dans les campagnes, mais aussi dans les villes, qui se transforment en îlots de chaleur infernaux. L'expansion du secteur immobilier dans les villes intensifie la chaleur, détruit les espaces verts et rejette toute idée de « ville éponge » 6. Une ville comme São Paulo est plus chaude de 5 à 10 degrés que le reste de la végétation de la forêt atlantique qui l'entoure. Les grands projets immobiliers sont le pendant urbain de l'irresponsabilité de l'agro-industrie dans les campagnes.
L'engagement et la lutte politique s'inscrivent donc dans de multiples dimensions, y compris la dimension mondiale. Les clauses environnementales dans le commerce international sont un instrument de pression essentiel contre le comportement criminel d'innombrables secteurs économiques. L'élevage brésilien est un exemple de secteur qui doit être encadré par des structures politiques beaucoup plus fortes que celles du gouvernement brésilien. Les éleveurs refusent de tracer l'origine des bovins dont la viande est exportée, car la plupart d'entre eux sont élevés illégalement dans l'Amazonie déboisée, puis emmenés dans des États d'autres régions pour y être abattus. À partir de 2025, l'Union européenne met en œuvre une loi contre la déforestation qui affectera les importations de matières premières telles que la viande et le soja – les plus destructeurs pour l'environnement brésilien. Selon Itamaraty – le ministère des Affaires étrangères – et le ministère de l'agriculture, qui protestent contre cette législation auprès des autorités européennes, elle devrait affecter 30 % des exportations du secteur vers l'Europe. D'autre part, l'Observatoire du climat a soutenu à juste titre que l'Europe devrait commencer à l'appliquer au début de l'année prochaine. Ce n'est que le début d'une pression que nous devons tous nous efforcer d'accroître de manière exponentielle.
Construire des alliances, cibler l'ennemi, saisir les opportunités
Les incendies actuels sont, en bonne partie, des incendies criminels provoqués dus à l'agro-business. Comme le dit Luciana Gatti, « la forêt Amazonienne est assassinée », et nous savons par qui. On connaît les responsables des incendies dans le Pantanal et dans les champs de canne à sucre de São Paulo. Depuis la promulgation du nouveau code forestier sous le gouvernement de Dilma en 2012, nous avons assisté à une offensive croissante du secteur contre tous les mécanismes visant à limiter ses activités et à protéger la nature. De l'utilisation de toutes sortes de produits agrochimiques interdits en Europe, à l'offensive actuelle visant à assouplir la législation que nous avons jusqu'ici réussi à maintenir, en passant par « le portail pour le bétail » de Salles7, 8 et de Bolsonaro, la majorité vénale du Congrès est une machine à entériner la destruction des biomes brésiliens.
Comme l'a déclaré Luiz Marques dans une récente interview accordée au site web O joio e o trigo, « l'agro-business est le grand problème du Brésil. S'il n'est pas éradiqué, le Brésil n'a pas la moindre chance d'être viable en tant que société et en tant que nature. Il s'agit d'une activité sociale fondamentalement criminelle et prédatrice. Il contrôle le Congrès national par l'intermédiaire du front parlementaire agricole et a pour alliés les groupes parlementaires de la Bible et de la Balle. Le Brésil se trouve donc dans une situation très claire : soit nous réagissons en rompant vigoureusement avec ce processus, soit nous n'avons aucune chance de survie en tant que société » (8).
Cela peut sembler une mission impossible. Mais qui, en regardant le Brésil en 1928, aurait pensé que cinq ans plus tard, l'oligarchie du café serait écartée du pouvoir de l'État central ? Comme nous le rappelle Chico de Oliveira dans son Ornitorrinco, la possibilité de changements structurels dans les sociétés périphériques est directement liée à des scénarios de crise générale dans le système international qui peuvent être exploités par des acteurs politiques nationaux bien positionnés. Nous avons laissé derrière nous une mondialisation vigoureuse et sommes entrés dans une phase de conflits inter-impérialistes qui fragmentent le marché mondial et produisent une certaine dé-mondialisation, qui ne fera que s'approfondir. Le monde va devenir un environnement de plus en plus hostile, dans tous les sens du terme, au cours des prochaines années.
Le projet agro-industriel brésilien est vulnérable, d'une part, parce qu'il est suicidaire sur le plan environnemental dans un monde où les conditions de durabilité deviendront les conditions de survie d'une société. Mais il est également vulnérable parce qu'il réitère l'ancienne dépendance du marché libre à l'égard des cycles des matières premières de l'économie mondiale, ce qui supprime toutes les conditions permettant au Brésil de résister aux fluctuations de l'économie mondiale dans un monde de plus en plus instable. Lula ne fait-il qu'aggraver ces vulnérabilités ? Comme le dit Liszt Vieira, « à quoi sert un ministère de l'Environnement qui ne peut pas empêcher la dégradation de l'environnement causée, par exemple, par le ministère de l'Agriculture qui soutient l'agro-industrie qui déforeste les forêts, par le ministère des Transports qui soutient l'asphaltage de l'autoroute BR-319 qui dévastera l'Amazonie et par le ministère de l'Énergie qui soutient l'exploration pétrolière dans le bassin de Foz do Amazonas ? » 9.
En devenant de plus en plus parasitaire et en détruisant ses propres conditions d'existence, l'agrobusiness se révèle également de plus en plus destructeur pour la vie de la majorité de la population brésilienne. Nous pouvons résumer cette dynamique en disant que, soit le Brésil met fin au « ruralisme », soit le « ruralisme » met fin au Brésil. Qui peut faire face à cette tâche ? Une gauche différente de celle d'aujourd'hui, qui est paralysée face à l'agrobusiness. Comme nous le rappelle E.P. Thompson, les classes se forment dans la lutte des classes.
Un mouvement climatique fort au Brésil sera un mouvement pour une transition éco-sociale dans le pays, organisé par des acteurs de base, capable d'affronter les responsables de la prédation de la nature et de lutter pour la restauration des biomes forestiers. L'alternative pour le Brésil sera créée dans la lutte politique pour une autre économie, une autre société, un autre métabolisme avec la nature.
Le 22 septembre 2024
Cet article a été publié par la revue Movimento et traduit par Luc Mineto.
Notes
1. Un « biome » est défini comme étant « une des principales communautés, animales et végétales, classées en fonction de la végétation dominante et caractérisées par les adaptations des organismes à leur environnement spécifique (Campbell-1996) ». Le terme de « zone de vie majeure » est considéré comme synonyme.
2. Caio da Silva Prado Júnior (1907 -1990) est un intellectuel marxiste, spécialiste du Brésil colonial.
3. Conférence « The tipping points of climate change - and where we are », disponible avec des sous-titres en français.
4. « Combattre l'urgence climatique », entretien de Juca Kfouri avec Carlos Nobre.
5. L'holocène est une époque géologique s'étendant sur les 12 000 dernières années, toujours en cours. C'est une période interglaciaire, tempérée, du Quaternaire.
6. Une ville éponge ou ville perméable (Sponge City ou haimian chengshi) est un type de ville résiliente capable d'absorber les eaux pluviales dans le sol et les zones humides afin de réguler les inondations urbaines et diminuer la vulnérabilité durant les périodes de sécheresse. Il s'agit d'un concept d'urbanisme et d'hydrologie urbaine.
7. Ricardo Salles, alors ministre de l'Environnement, a proposé lors d'un Conseil des ministres le 20 avril 2020 de profiter du moment où l'attention se portait presque exclusivement sur l'épidémie de Covid-19 pour revoir les réglementations relatives à l'environnement ou, selon ses termes, « ouvrir le portail pour faire passer les troupeaux ».
8. « O agronegócio é o principal inimigo do Brasil », « L'agro-industrie est le principal ennemi du Brésil », 17 septembre 2024.
9. « Explodiu a questão ambiental ! », « La question de l'environnement a explosé ! », A terra é redonda, 15 septembre 2024.
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