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Deux mythes sur le cessez-le-feu à GazaIl

Il y a deux mythes évidents sur le cessez-le-feu entré en vigueur à Gaza dimanche dernier. Le premier mythe attribue l'accord à la pression de Donald Trump, qui avait exprimé son désir de le voir entrer en vigueur avant son investiture, et avait même menacé de créer un « enfer » (comme si ce que le peuple de Gaza avait vécu pendant 471 jours n'avait pas été un enfer) si le cessez-le-feu n'avait pas lieu à la date souhaitée. Bien sûr, l'équipe de Trump a exercé une réelle pression pour parvenir à une trêve (c'est le nom approprié de ce qui a commencé dimanche), mais le mythe est de présenter cette pression comme consistant à tordre le bras de Netanyahou, au point que Trump a été dépeint par diverses sources comme un héros qui allait obtenir une paix juste pour le peuple palestinien.
Tiré de Entre les lignes et les mots
photo Serge d'Ignazio
La vérité est que ce mythe est une aberration absolue ! Comme si le président américain qui a rendu le plus grand service à Israël avant que son successeur, Joe Biden, poursuive sur sa lancée, et qui est maintenant revenu à la présidence entouré d'une équipe de sionistes chrétiens et juifs, dont certains se tiennent presque à la droite de Netanyahou ; comme si cet homme, le leader de l'extrême droite mondiale et un politicien réactionnaire à l'extrême, s'était transformé comme par magie, ou peut-être par intervention divine, en antisioniste et défenseur du peuple palestinien.
En réalité, il était clair pour tout le monde – et pour Biden en premier lieu, qui l'a publiquement reproché à Netanyahou après l'avoir reçu à Washington en juillet dernier – que le refus du premier ministre israélien d'aller de l'avant dans la mise en place de l'accord que l'administration américaine avait élaboré avec l'aide du Caire et de Doha depuis le printemps dernier, visait principalement à priver Biden, ainsi que Kamala Harris après qu'elle eût remplacé ce dernier en tant que candidate du Parti démocrate, d'un exploit dont ils auraient pu se vanter dans la course à la présidence. Il était également clair que Netanyahou, qui a rendu visite à Trump dans son manoir de Floride après sa visite à Washington, avait promis à ce dernier qu'il lui accorderait une trêve s'il remportait les élections. Après sa rencontre avec Trump, Netanyahou avait déclaré aux journalistes qu'il était « certainement impatient » de parvenir à un accord, ajoutant : « nous y travaillons ».
Netanyahou a en fait utilisé le mythe de la pression exercée par Trump sur lui – que le représentant de ce dernier au Moyen-Orient, Steve Witkoff, un sioniste de choc, tenait visiblement à accréditer – afin de convaincre ses alliés de l'extrême droite sioniste d'accepter l'accord. Alors que les médias étaient silencieux, ou presque silencieux, sur la pression réelle exercée sur le Hamas par l'intermédiaire de l'Égypte et du Qatar, sur l'insistance du représentant de Trump, le mythe a prévalu d'une manière qui convenait à Netanyahou. Il a néanmoins promis à Smotrich et Ben-Gvir que l'accord n'irait pas au-delà de sa première étape. Smotrich a accepté la promesse, tandis que Ben-Gvir a démissionné du gouvernement, en annonçant qu'il continuerait à soutenir Netanyahou à la Knesset et qu'il reviendrait au gouvernement dès que la guerre à Gaza reprendrait.
Les commandants des forces armées sionistes faisaient pression en faveur de l'accord, en réponse à la pression du public israélien pour libérer les otages détenus dans la bande de Gaza. L'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant a même démissionné pour protester contre les atermoiements de Netanyahu dans l'acceptation de l'accord. Ils savent tous que cet accord n'est rien d'autre qu'une trêve temporaire qui permettra la libération des otages civils, et que l'armée poursuivra sa campagne par la suite. Bien sûr, le déploiement ostensible avec beaucoup de zèle d'hommes armés par le Hamas, pour essayer de montrer qu'ils contrôlent toujours la population de la bande de Gaza, est l'incitation la plus forte possible pour l'armée et la société sionistes à poursuivre la guerre et l'occupation ! Quiconque croit que la trêve actuelle se transformera en cessation définitive de la guerre, accompagnée d'un retrait complet de l'armée sioniste de la bande de Gaza, se livre à des vœux pieux ou se laisse aller à rêver.
Le deuxième mythe est lié au premier en quelque sorte, en dépeignant la trêve actuelle comme une grande victoire remportée par le Hamas. Samedi dernier, le mouvement a publié un communiqué de presse dans lequel il affirmait : « La bataille du Déluge d'Al-Aqsa nous a rapprochés de la fin de l'occupation, de la libération et du retour, s'il plaît à Dieu. » Il s'agit là d'un nouvel exemple de la pensée magique irrationnelle qui a présidé à l'opération du 7 octobre 2023, prélude au chapitre le plus laid et le plus terrible de la longue tragédie subie par le peuple palestinien. Cela a également conduit à l'effondrement des alliés du Hamas dans « l'axe de la résistance » : le Hezbollah a reçu un coup décisif au Liban, le régime d'Assad s'est effondré en Syrie et le régime iranien est effrayé, de sorte que seuls les Ansar Allah houthis yéménites sont restés sur le terrain, exploitant leurs lancements de missiles dans leur conflit confessionnel avec les autres Yéménites et le royaume saoudien. Les Houthis sont très bien représentés par leur porte-parole militaire Yahya Saree, qui est devenu un nouveau symbole de la fanfaronnade arabe après Ahmed Saïd [commentateur radio égyptien à l'époque de Gamal Abdel-Nasser] et Muhammad Saeed al-Sahhaf [porte-parole de Saddam Hussein] et les dépasse même en termes de ridicule.
Face au terrible génocide que le peuple de Gaza a subi (il ne fait guère de doute que le nombre total de morts, y compris ceux qui sont morts à cause des conditions créées par l'invasion, dépasse les deux cent mille, sans parler du nombre de personnes affectées en permanence par toutes sortes de blessures physiques et psychologiques, qui est certainement plus grand) ; à la réoccupation de la bande de Gaza par l'armée sioniste près de vingt ans après s'en être retirée, ayant ainsi permis à Gaza de s'autogouverner ; sa destruction d'une façon que l'histoire n'a connue nulle part à une telle échelle depuis la Seconde Guerre mondiale ; la destruction de son environnement et d'autres éléments nécessaires à la vie ; la libération de centaines de détenus dans les prisons israéliennes coïncidant avec l'arrestation pour la première ou la seconde fois de milliers d'autres ; et l'escalade de l'attaque fasciste menée par le gouvernement sioniste et les colons en Cisjordanie et leur annexion rampante de celle-ci – face à cette énorme catastrophe, prétendre que ce qui s'est passé est une victoire pour le peuple de Palestine qui l'a « rapproché de la fin de l'occupation, de la libération et du retour », est plus qu'une aberration ; c'est une manifestation d'indécence et de manque de scrupules.
Il est probable que Trump revienne à « l'accord du siècle » que son gendre sioniste avait formulé lors de son premier mandat présidentiel et que l'Autorité palestinienne basée à Ramallah avait elle-même rejeté en raison de sa grande injustice envers les droits des Palestiniens. Une formule similaire liée à Gaza est en cours de préparation pour être ajoutée à « l'accord » avec l'aide des Émirats arabes unis, qui s'apprêtent à envoyer des troupes dans la bande de Gaza pour y renforcer le rôle de Mohammed Dahlan en tant que superviseur. [Dahlan est un ancien chef de l'un des services de sécurité de l'OLP et le principal organisateur de la tentative ratée de réprimer le Hamas à Gaza en 2007, soutenue par l'administration américaine de George W. Bush. Il s'est retrouvé en exil aux Émirats arabes unis.] Quant à l'objectif de Trump dans tout cela, il consiste à achever la liquidation de la cause palestinienne afin d'ouvrir la voie à une normalisation complète entre l'État sioniste et les États arabes restants, au premier rang desquels le royaume saoudien, et à maximiser ses intérêts personnels et familiaux dans de véritables « contrats du siècle » immobiliers et financiers avec les pays pétroliers arabes.
Gilbert Achcar
Traduit de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 21 janvier. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/220125/deux-mythes-sur-le-cessez-le-feu-gaza
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« Pas d’innocents à Gaza » : réflexions sur la première guerre fasciste d’Israël

La guerre supposée se terminer dimanche restera dans l'histoire comme la Première Guerre kahaniste. Elle est profondément différente de toutes les guerres menées précédemment par Israël.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/23/deux-mythes-sur-le-cessez-le-feu-a-gaza-et-autres-textes/
Photo : Serge d'Ignazio
La seule guerre à lui ressembler était celle de 1948, qui a causé la Nakba, mais les motivations en étaient différentes. C'était une guerre pour la création d'un État juif ; celle-ci est une guerre pour l'établissement d'un État fasciste.
L'État de Kahane s'est développé en Israël. La mollesse criminelle de Benjamin Netanyahou l'a rendu possible. Ce n'a pas été le seul fait des partis néo-nazi d'extrême-droite : ce fut, par-dessus tout, le propre parti du premier ministre, le Likoud, qui a porté le kahanisme au pouvoir.
C'est la guerre à Gazaqui illustre le mieux le profond changement qui s'est produit en Israël. À peu près tout ce qui a eu trait à cette guerre était destiné à apaiser l'extrême droite fasciste, raciste, pro-transfert de population ; et l'esprit du kahanisme a pris le contrôle de ses objectifs et de sa conduite. Il ne s'est pas seulement agi de l'ampleur de la cruauté de l'armée ; c'était, par-dessus tout, la façon dont la cruauté a été traduite en valeur dans l'ensemble de la société israélienne, en opportunité, en atout, en miracle. Une cruauté comme une chose dont être fier, à laquelle aspirer, dont se vanter et à exhiber.
Dans ses précédentes guerres, aussi, Israël a commis des actes haineux. Il a parfois essayé de nier, de cacher et de mentir et parfois il a même admis ces actes et en a eu honte. Pas cette fois.
Cette fois-ci, leporte-parole de l'IDF présente fièrement l'échelle de la destruction et du massacre, en les brandissant comme des réussites destinées à plaire à la droite kahaniste, qui est devenue le courant majoritaire.
Israël est devenu un État aspirant au massacre et à la destruction des Arabes, uniquement pour massacrer et détruire des Arabes. Il n'était pas comme cela, et il n'en tirait certainement aucune fierté. C'est un profond changement et nous allons lutter pour l'annuler. Il annonce un avenir de ténèbres.
Lorsque Meir Kahane est apparu, il est venu avec un parti néo-nazi de facture israélienne considérant les Arabes comme des chiens, au mieux. Israël a reculé devant lui. L'ethos du Mapaï de « On tire, on pleure » prévalait encore ici, parallèlement à l'absence de sectarisme du Likoud. Menahem Begin et aussi le premier gouvernement de Netanyahou l'ont préservé. L'effondrement a commencé avec le deuxième gouvernement Netanyahou et a atteint son apogée dans l'actuel. De tous ses crimes, celui-ci est le plus énorme et le plus impardonnable. La première étape a été celle de la légitimation et du blanchiment du fascisme.
Des voix jamais auparavant considérées légitimes ont infiltré la politique et les médias. Rapidement, elles ont été non seulement légitimées, mais elles ont été la voix des masses israéliennes ainsi que du gouvernement et de l'armée. À la radio et à la télévision, des gens ont dit « Il n'y a pas d'innocents à Gaza » et ont parlé du droit (heureux) et du devoir de tuer tout le monde, avec autant de facilité que s'ils parlaient du temps qu'il fait.
Degrands reporters ont manifesté des opinions qu'ils tenaient cachées lorsqu'ils ont réalisé que ce n'était pas seulement permis mais aussi bénéfique pour eux.D'Amit Segalet de Zvi Yehezkelià Almog Boker, des fascistes sont nés. Un tel discours n'existait simplement pas en Israël auparavant et n'a aucune place en démocratie. En même temps, des voix anti-guerre ont été silenciées ; même la compassion et l'humanité ont été interdites. La prise de contrôle du débat public a été réalisée.
Pendant les longs mois qu'a duré la guerre, le kahanisme est devenu la voix dominante d'Israël et de son armée. Il n'y a plus eu de différence entre les commandants qui ont émergé du sol putride des colonies, et leurs homologues du « Bel » Israël : ils ont tous agi dans l'esprit de Kahane, sans exception et sans dissidents. Le but était de plaire à Betsalel Smotrich et àItamar Ben-Gvir . Juste leur donner la mesure infinie du sang de leur désir.
Un deal pour les otages a été remis de mois en mois,Gaza a été complètement détruite, des zones entières ont été vidées de leurs habitants et des dizaines de milliers ont été tués, tout pour satisfaire l'esprit de Kahane et de ses représentants terrestres au gouvernement.
C'est une ironie de voir que la première guerre kahaniste se termine maintenant par le retrait de la coalition au pouvoir de Otzma Yehudit, dont le leader a déjà promis de revenir quand le génocide reprendra. Mais le bouleversement a déjà eu lieu, Ben Gvir et sa clique n'en ont plus aucun besoin. Netanyahou et le Likoud sont suffisamment kahanistes pour continuer à appliquer la vision de Kahane ; il n'est même plus la peine d'écrire « Kahane avait raison » sur les murs.
Gideon Levy
https://www.haaretz.com/opinion/2025-01-19/ty-article-opinion/.premium/no-innocents-in-gaza-israels-first-fascist-war-designed-to-appease-the-far-right/00000194-7b1f-de1b-a9bd-7b5f5b450000
Traduction SF pour l'Aurdip
https://aurdip.org/pas-dinnocents-a-gaza-reflexions-sur-la-premiere-guerre-fasciste-disrael/
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Dr Ghassan Abou Sittah : « Le génocide perdurera malgré l’arrêt des combats »

Dr Ghassan Abou Sittah (1), médecin palestino-britannique, spécialiste en chirurgie plastique et réparatrice, est professeur de médecine des conflits à l'Université américaine de Beyrouth. Il a également été élu recteur de l'Université de Glasgow en mars 2024. Abou Sittah a exercé comme chirurgien de guerre au Yémen, en Irak, en Syrie, au Sud-Liban, ainsi que durant les quatre guerres qu'a subies la bande de Gaza depuis 2009.
Au lendemain du 7 octobre 2023, il se trouvait à Gaza, où il a exercé pendant 43 jours à l'hôpital Al-Shifa et l'hôpital baptiste d'Al-Ahly. Sorti de Gaza, il fonde à Beyrouth The Ghassan Abu Sittah Children's Fund (le Fonds Ghassan Abou Sittah pour les enfants) dédié à soigner les enfants de Gaza et du Liban.
Empêché à deux reprises, en 2024, d'entrer dans l'espace Schengen, Ghassan Abou Sittah a enfin pu se rendre en janvier 2025 en France, où il donne une série de conférences. Nous avons enregistré avec lui cet entretien le mercredi 15 janvier 2025, à la veille de l'annonce d'un accord de cessez-le-feu à Gaza.
Entretien avec Dr Ghassan Abou Sittah
Images et montage : David Even.
Sous-titrage : Fatma Ben Hamad
Entrevue :
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Le conflit israélo-palestinien ou les mots comme arme de disqualification massive

Dans le conflit israélo-palestinien tel qu'il est évoqué dans les médias français, les mots sont utilisés non pas pour caractériser une situation complexe mais pour disqualifier l'adversaire idéologique. Mais quels présupposés et quelle vision idéologique se cachent derrière l'usage de ces mots ?
Tiré du blogue de l'auteur.
Ainsi que je l'avais déjà évoqué dans une note de blog précédente, les mots porteurs de sémantisme (les noms, les verbes, les adjectifs et les adverbes qui en sont dérivés) peuvent être envisagés sous deux angles différents : la dénotation ou ce qu'ils veulent dire et la connotation ou le jugement moral que l'on attribue à ce qu'ils désignent. Or, on peut constater que, dans le discours médiatique dominant (celui des chaînes de télévision de la TNT et des radios nationales), l'aspect dénotatif disparaît le plus souvent au seul profit de l'aspect connotatif. La plupart du temps on n'utilise pas les mots pour ce qu'ils signifient mais pour ce qu'ils disqualifient. Le but du journaliste n'est donc plus d'aider à la compréhension du monde mais de porter des jugements moraux. Cette dérive journalistique qui n'est pas sans poser des problèmes éthiques graves trouve son illustration paroxystique dans la manière dont le conflit israélo-palestinien a été traité.
Il ne s'agissait pas tant d'expliquer le conflit et ses enjeux que de disqualifier de toutes les manières possibles ceux et celles qui prenaient fait et cause pour les palestiniens et de justifier ou de minimiser les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité perpétrés par l'armée israélienne sous l'impulsion du gouvernement de M. Netanyahou. Cette tentative de disqualification s'est traduite par une bataille sur les mots aux proportions rarement atteintes jusqu'alors. Avant d'examiner de manière plus précise les mots les plus emblématiques de cette bataille, il convient de poser quelques principes généraux qui nous guideront dans cette étude.
Les mots utilisés le sont donc non dans le but de décrire une réalité objective mais essentiellement pour justifier l'action du gouvernement israélien et pour condamner l'action du Hamas. Ces mots sont particulièrement intéressants à étudier en cela qu'ils ne se contentent pas de produire un jugement moral mais qu'ils trahissent également les présupposés idéologiques et la vision du monde de ceux qui les utilisent.
Ils se rangent en deux catégories : ceux qui ne peuvent pas être utilisés et ceux qui ne peuvent pas ne pas être utilisés, les mots interdits et les mots obligatoires. Roland Barthes, dans sa leçon inaugurale affirmait : « La langue, comme performance de tout langage, n'est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire. » Avec les journalistes de plateau, la langue réussit l'exploit d'être à la fois réactionnaire et fasciste puisqu'elle interdit de dire et oblige à dire tout à la fois.
Terroriste
C'est un des premiers points d'achoppement entre journalistes et ceux qui, sur les plateaux, cherchaient à prendre en compte le point de vue palestinien. Les massacres du 7 octobre perpétrés par des membres du Hamas devaient impérativement être qualifiés de terroristes, l'adjectif s'appliquait également au Hamas lui-même qualifié d'organisation terroriste. Symétriquement, l'usage des mots résistant ou résistance était totalement proscrit sous peine d'excommunication. On a en tête les réticences dans un premier temps des membres de LFI, pour ne pas les citer, à utiliser le mot, avant de finir par concéder qu'il s'agissait bien d'actions terroristes, c'est-à-dire d'actions destinées à semer la terreur.
Ce recentrage autour de la dénotation du mot terroriste est évidemment due à tout ce que ce mot charrie en terme d'imaginaire contemporain. Car il n'y a, dans un univers médiatique marqué par l'inculture et la perte de mémoire, de terrorisme qu'islamique. C'est oublier un peu vite que le terrorisme est d'abord un mode de gouvernement, celui de la terreur lors de la Révolution française. C'est oublier qu'il y a eu un terrorisme anarchiste, un terrorisme d'extrême-gauche, un terrorisme d'extrême-droite, un terrorisme indépendantiste (basque, catalan, corse…) De fait, l'assimilation des massacres perpétrés par le Hamas à un fait de terrorisme semble moins avoir comme but de qualifier ces massacres pour ce qu'ils sont (une action effectuée par la branche armée d'un groupe politique dans le but de semer la terreur), que de les rapprocher dans l'esprit du téléspectateur ou de l'auditeur français des attentats du 13 novembre. Dans le but évident de créer chez lui une empathie pour les Israéliens.
A contrario, les mots résistance ou résistant sont chargés d'une aura positive liée au contexte de la Seconde guerre mondiale. On notera d'ailleurs que ces résistants dont nous célébrons à juste titre la mémoire étaient qualifiés de terroristes par les autorités du régime de Vichy. Ces mots ne peuvent et ne doivent pas être utilisés peut-être également parce qu'ils rappellent la réalité concrète de la Palestine, celle d'un territoire occupé par une puissance étrangère. La notion de terrorisme islamiste avec son halo d'obscurantisme religieux repousse l'action du Hamas dans une forme d'irrationalité incompréhensible qui permet d'éviter de se poser la question de la causalité.
Le problème des mots terrorisme et terroriste, c'est qu'ils ont été tellement utilisés ces derniers temps pour qualifier tout et n'importe quoi – on songe aux écoterroristes dénoncés par Darmanin – qu'ils sonnent comme des coquilles vides. L'utilisation même de ces mots s'apparente, pour reprendre la terminologie de ceux qui les utilisent, ni plus ni moins qu'à une forme de terrorisme intellectuel.
Pogrom
On retrouve une logique similaire dans la réapparition d'un vieux mot chargé d'histoire qu'on croyait appartenir au passé. Les massacres du 7 octobre ont en effet assez vite été qualifiés, sans que jamais l'emploi du terme ne pose question, de pogrom. Autant l'usage de l'expression acte terroriste pour qualifier ces massacres pouvait se justifier par son sémantisme autant avec le terme pogrom, rien ne va. Le mot est associé à un contexte historique et géographique précis, celui de la Russie tsariste, où il désigne « un mouvement populaire antisémite encouragé ou toléré par les autorités et accompagnés de pillages et de massacres » (Robert historique de la langue française). On peut évidemment utiliser ce terme en-dehors de ce contexte à condition cependant que mutatis mutandis les éléments structurels en soient conservés.
Or, les massacres du 7 octobre ne sont pas le fait d'un « mouvement populaire » mais relève d'une attaque planifiée et préparée de manière quasi-militaire effectuée par des combattants dûment entraînés aux actes qu'ils allaient accomplir. On peut constater qu'il y a une contradiction manifeste entre les qualificatifs utilisés par les commentateurs : s'il s'agit d'un pogrom, cela ne peut pas être une attaque terroriste et si c'est une attaque terroriste, ce n'est pas un pogrom. Pose question aussi la connivence des autorités. Utiliser le mot pogrom, c'est sous-entendre une complicité au moins tacite des autorités israéliennes puisque les massacres ont eu lieu sur le sol israélien. Complicité dont il n'est jamais question dans la bouche de ceux qui emploient le mot pogrom.
Pourquoi dans ce cas, s'accrocher à ce terme alors que ce qu'il signifie ne correspond absolument pas à la réalité qualifiée ? Pour deux raisons me semble-t-il. D'une part, elle permet encore une fois de rejeter l'action du Hamas dans le domaine du fanatisme irrationnel, celui de la foule mue par ses passions telle qu'elle est décrite par Gustave Le Bon dans la psychologie des foules. D'autre part, elle permet de souligner le caractère antisémite de l'attaque pour mieux pouvoir en occulter la dimension politique.
Antisémitisme
Cette accusation d'antisémitisme ne concerne pas seulement le Hamas mais s'applique également à tous ceux qui prennent fait et cause pour le peuple palestinien. Il ne s'agit pas seulement de la confusion plus ou moins volontaire entre antisionisme et antisémitisme, mais d'une tentative de disqualification de tout soutien à la cause palestinienne. L'accusation d'antisémitisme visant à disqualifier toute une partie de la gauche n'est pas nouvelle en France. Eric Hazan et Alain Badiou en avaient fait l'objet d'un livre, L'antisémitisme partout, aujourd'hui en France, publié il y a quatorze ans déjà en 2011. Mais il semble qu'avec les événements d'octobre 2023 on ait franchi un palier significatif.
Ces accusations visent avant tout et en priorité les membres de la France insoumise et en particulier le premier d'entre eux, Jean-Luc Mélenchon. Comme on ne peut pas faire un lien direct entre la défense des populations civiles palestiniennes et l'accusation d'antisémitisme, et que par ailleurs on ne peut pas trouver de trace explicite d'antisémitisme dans les propos des représentants de la France Insoumise, on est obligé d'interpréter. Et en matière d'interprétation, tout est bon à prendre. La méthode est assez simple : il s'agit de procéder de manière déductive en partant du présupposé que dans le discours insoumis, il y a des sous-entendus antisémites qui méritent d'être décryptés. Et quand on cherche on trouve. Parce que comme dirait tout bon complotiste, il n'y a pas de hasard
On a ainsi pu assister à un véritable concours Lépine de décryptage des allusions ou symboles antisémites cachés. Mélenchon utilise-t-il le terme camper ? Il fait évidemment allusion aux camps de concentration. Rima Hassan appelle-t-elle au soulèvement ? Elle voulait parler d'intifada qui en est la traduction en arabe. Cette même Rima Hassan évoque-t-elle un état palestinien de la rivière à la mer ? Elle appelle à jeter les Israéliens à la mer. Des étudiants de Sciences po arborent-ils des mains rouges pour dénoncer la complicité de la France dans les crimes perpétrés par le gouvernement israélien ? Ils le font en référence au lynchage de deux soldats israéliens par un Palestinien lors de la deuxième Intifada. A ce niveau de ridicule, il n'y a même pas de quoi contre-argumenter. Ces interprétations proprement délirantes parlent d'elles-mêmes.
En ce qui concerne l'origine de cet antisémitisme supposé, les avis divergent. Il y a ceux qui pensent que LFI est authentiquement antisémite et ceux qui croient à un antisémitisme clientéliste. LFI tiendrait un discours teinté d'antisémitisme pour flatter un électorat antisémite issu essentiellement de l'immigration maghrébine. C'est en effet une opinion communément admise que l'antisémitisme serait dorénavant davantage l'apanage des populations arabes que du monde occidental. Même l'extrême-droite aurait fait son aggiornamento et aurait définitivement tourné le dos à ce qui constituait autrefois son fonds de commerce à savoir un antisémitisme viscéral. D'où l'incapacité de la plupart des commentateurs télévisuels à comprendre ce qu'ils voient lorsque Elon Musk effectue un salut nazi.
Il faut le dire, cet antisémitisme supposé des populations arabes permet au monde occidental en général et à la France en particulier de s'exonérer d'un passé peu glorieux. L'antisémitisme tel que nous le connaissons prend en effet naissance dans l'Espagne du Moyen-âge, après la reconquista, où il s'agissait de purger le pays de ses éléments juifs et musulmans en traquant la moindre trace de sang juif ou arabe dans les ascendants de tout un chacun. Il prend ensuite la forme d'un discours pseudo-scientifique au XIXème siècle. Discours véhiculé par Drumont en France, qui influencera les antidreyfusards avant d'irriguer la pensée nazie au cours du XXème siècle avec les conséquences catastrophiques que l'on connaît.
Or, la création de l'état d'Israël est la conséquence directe de l'holocauste perpétré par les Allemands lors de la Seconde guerre mondiale. L'antisémitisme qui apparaît au moment de la création d'Israël dans les populations arabes qui en avaient été jusqu'alors exemptées est donc la conséquence de la politique de réparation des puissances européennes à l'égard de la communauté juive. Se focaliser sur le seul antisémitisme des populations arabes ou des ressortissants des pays occidentaux issus de l'immigration maghrébine ou moyen-orientale permet donc d'occulter l'origine de cet antisémitisme et sa survivance au sein de l'extrême-droite occidentale.
Le droit de se défendre
Dans les arguments de mauvaise foi visant à justifier les crimes commis dans les territoires palestiniens par le gouvernement israélien, il y a le droit de se défendre qu'aurait Israël suite aux massacres du 7 octobre. Est invoquée avec cet argument une notion qui semble faire consensus, celle de la légitime défense. Point besoin de rappeler que dans toute guerre d'agression, il y a toujours comme justification l'idée que l'autre, celui qu'on agresse, représenterait une menace. Or, de quoi est-il question ici ? De lutter contre une organisation, le Hamas dont les membres sont insaisissables et vivent cachés au milieu de la population. C'est qu'en effet nous avons affaire avec le conflit israélo-palestinien à une guerre asymétrique. Il ne s'agit pas comme en Ukraine d'une guerre où deux armées régulières s'affrontent pour emporter la maîtrise d'un territoire.
Dès lors il ne peut y avoir de victoire définitive contre le Hamas sinon à décimer la quasi-totalité de la population palestinienne. Pourtant l'ensemble des commentateurs semblent faire comme s'il s'agissait d'un combat entre deux armées de puissance égale, reprochant aux membres du Hamas de ne pas jouer le jeu en se cachant au milieu de la population civile, utilisée comme bouclier. Le terme de bouclier transforme de fait des êtres humains en arme de guerre, arme défensive, mais arme tout de même, qui mérite par conséquent d'être détruite puisqu'on est en guerre. Il est certes regrettable que ce soit des femmes et des enfants, mais - que voulez-vous ? - on n'y peut rien, c'est la guerre.
Peu importe que la motivation des autorités israéliennes semble surtout obéir à deux impératifs dont elles se cachent à peine : celui de la vengeance qui excède dans des proportions considérables la loi talmudique du Talion, celui de l'accaparement des terres des Palestiniens au seul profit des Israéliens, semblable à celui effectué au XIXème siècle par les colons américains au détriment des Amérindiens.
Génocide
Si tous les termes précédemment évoqués ont été abondamment utilisés par tous ceux qui prenaient la défense de l'État israélien, il y en avait un qu'il ne fallait en revanche surtout pas prononcer, celui de génocide. On a vu que le droit de se défendre invoqué à propos d'Israël conduisait logiquement à l'idée de génocide puisqu'on ne peut pas faire la distinction entre le bon grain et l'ivraie et que les mauvais Palestiniens refusent de se livrer d'eux-mêmes pour qu'on les tue. La qualification de génocide a cependant été évoquée par plusieurs instances internationales, fournissant ainsi un précieux argument d'autorité à ceux qui se risquaient à utiliser le terme dans le débat public.
L'utilisation du terme semble contre intuitive : comment un peuple victime de génocide pourrait-il en commettre un à son tour ? Rappelons en effet que le terme a tout d'abord été inventé pour qualifier le génocide des Juifs durant la seconde guerre mondiale avant de s'appliquer à d'autres populations (Arméniens, Tutsis…) Mais la situation de l'État d'Israël ne peut en rien se comparer à la situation des Juifs dans les pays occidentaux avant la Seconde guerre mondiale. Les commentateurs ne se gênent pas pour le rappeler : Israël est une démocratie, elle fait partie du monde libre qui s'oppose en un manichéisme assez confondant aux pays autoritaires et aux hordes de sauvages soumis à l'obscurantisme religieux (omettant évidemment de préciser que cet obscurantisme religieux pèse également de façon conséquente sur les choix du gouvernement israélien).
C'est oublier bien vite que Hitler est arrivé au pouvoir par la voie des urnes. C'est oublier que l'Allemagne était un pays hautement civilisé n'ayant rien à voir avec la barbarie supposée des contrées asiatiques ou africaines. C'est oublier ce qui avait stupéfait les contemporains à savoir qu'un haut degré de civilisation ne protège en rien d'une forme absolue de barbarie. Paradoxalement, ceux qui réfutent ce terme de génocide au nom de la prétendue civilisation d'Israël face aux barbares que seraient les Palestiniens semblent complètement oublier le génocide initial, celui qui a permis l'émergence même du mot, celui des Juifs par le régime nazi.
L'étude précise du vocabulaire utilisé depuis le 7 octobre 2023 forme un tout cohérent. Tous ces termes évoqués obéissent à une même logique. On pourrait évidemment souligner la proximité idéologique de certains patrons de médias avec le gouvernement d'Israël, mais ce ne serait pas suffisant à expliquer un tel suivisme de la part de la quasi-totalité des médias français. Ce qui se joue aurait bien plutôt à voir avec une forme d'amnésie collective. Soutenir quasi-inconditionnellement Israël dans son entreprise de destruction du peuple palestinien, c'est d'abord occulter les responsabilités européennes dans la situation au Proche-Orient, c'est aussi nier l'antisémitisme occidental comme matrice de tout antisémitisme et de tout racisme. C'est également occulter le passé colonial des puissances européennes, passé colonial qui semble ressurgir en Palestine. Comment regarder en face ce que commet le gouvernement israélien alors qu'il ne s'agit rien d'autre que du miroir peu flatteur de ce que nous avons été et de ce que, peut-être, nous aspirons à redevenir ?
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Al Jazeera, la chaîne TV qui sauve l’honneur du journalisme de notre temps !

Il a été dit et écrit à maintes reprises que le génocide des Palestiniens à Gaza est « la première guerre retransmise en direct » de l'histoire. Et aussi, qu'en conséquence de cette première historique, nul ne peut désormais dire qu'il ignore ce qui se passe en Palestine. Cependant, rares ont été ceux qui se sont demandé grâce à qui cette guerre a été retransmise en direct. Et encore plus rares ont été ceux qui ont osé donner une réponse à cette interrogation. Ce qui suit est donc un hommage à tous ceux et celles qui l'ont fait au péril de leur vie…
La chaîne qui a monopolisé cette retransmission en direct s'appelle *Al Jazeera*. Et elle l'a monopolisé non parce qu'elle l'a voulu mais parce que la grande majorité des chaines TV du monde entier ont refusé de couvrir « les évènements de Gaza », ou bien ont arrêté de le faire face aux menaces et aux agressions, parfois meurtrières, de l'envahisseur israélien qui a tout fait pour qu'il n'ait pas des témoins oculaires de ses crimes. Seule Al Jazeera n'a pas cédé et a accompli sa mission contre vents et marais, sauvant ainsi le très malmené honneur de la presse mondiale !
Profitant donc du cessez le feu qui fait que les journalistes et autres professionnels des médias en poste à Gaza, enlèvent -enfin !- leur équipement de guerre (casques, gilets par balle, etc.) et se sentent à l'abri des drones, des obus et des snipers israéliens, rendons leur justice en faisant un premier bilan de leur professionnalisme, de leur courage et de leur héroïsme. Car c'est grâce à eux et à elles qu'on connaît ce qui s'est passé aux *killing fields *(champs de la mort) de Gaza et que les bourreaux devront un jour répondre de leurs crimes…
Alors, nous commençons par cet extraordinaire *Hani Mahmoud*, le journaliste de Al Jazeera, qui est entré dans nos vies en nous réveillant chaque matin depuis 15 mois, pour nous informer de tout ce qui s'était passé à Gaza au cours de la nuit et du lever du soleil précèdent. Ce Hani Mahmoud toujours debout dans les ruines ou devant un des hôpitaux gazaouis bombardés à répétition, relatant dans un anglais impeccable et avec une rigueur exemplaire, sans jamais trahir ses émotions, les massacres des dernières heures tandis que le bruit caractéristique des drones qui le survolaient couvrait parfois sa voix et les bombes explosaient souvent derrière son dos ! Et tout ça tandis que Hani Mahmoud et sa famille partageaient le sort des Palestiniens de Gaza obligés d'errer, affamés et assoiffés, d'un endroit à l'autre sous une pluie de bombes qui pouvaient les frapper à n'importe quel moment…
*https://www.youtube.com/watch?v=zUZYA7yQKbk
<https://www.youtube.com/watch?v=zUZ...>
*
Ces bombes qui ont frappé durement la famille de *Wael Al-Dahdouh,* chef du bureau de Al Jazeera de la ville de Gaza, tuant sa femme, ses enfants, ses petits- enfants pendant que lui continuait à nous informer, se permettant seulement quelques larmes aux yeux. Mais, ce n'est pas tout. Quelques mois plus tard, Wael Al-Dahdouh est ciblé par un missile israelien, et si lui échappe avec des blessures, il perd son cameraman Samer Abu Daqqa tué sur le coup. Et pour achever sa tragédie personnelle, son fils aîné, également journaliste, est tué par une frappe aérienne, début janvier 2025…
Hélas, le cas de ce grand Monsieur qu'est Wael Al-Dahdouh n'est pas du tout exceptionnel. Selon le* Committee to Protect Journalists *basé aux Etats-Unis, *« au moins 166 journalistes et professionnels des médias comptent parmi les dizaines de milliers de personnes tuées à Gaza, en Cisjordanie, en Israël et au Liban depuis le début de la guerre, ce qui en fait la période la plus meurtrière pour les journalistes depuis que le CPJ a commencé à recueillir des données en 1992 * » !(1) Mais, selon Al Jazeera elle-même, qui publie une enquête éloquemment titrée *« Apprenez leurs noms* » avec les images et les noms des « Journalistes Palestiniens tués par Israël à Gaza », le bilan est encore plus terrible : *« du 7 octobre 2023 au 25 décembre 2024, au moins 217 journalistes et professionnels des médias ont été tués à Gaza. Cinq autres ont été tués le 26 décembre lorsqu'une frappe aérienne israélienne a visé une camionnette de presse près de l'hôpital al-Awda. Ces meurtres de journalistes les plus récents soulignent l'environnement périlleux dans lequel les professionnels des médias opèrent à Gaza. En termes simples, il s'agit du pire conflit jamais vécu par les journalistes ».(2)*
Du jamais vu de mémoire de journaliste ! Un vrai carnage sans pareil dans l'histoire de la presse mondiale ! Car pour Israël, l'élimination des journalistes palestiniens constitue une priorité absolue que seule l'élimination systématique des médecins palestiniens pourrait concurrencer. D'autant plus que les journalistes Palestiniens de Al Jazeera sont depuis de longs mois, les seuls à couvrir sur place le génocide en cours de leur peuple par Israël. Car tous les autres médias internationaux s'en abstiennent, a trop peu d'exceptions près. (3)
C'est pourquoi il suffirait de suivre Al Jazeera pendant quelques heures pour réaliser que ce que font, ou plutôt ne font pas toutes les autres chaînes de télévision de par le monde, est tout simplement de la…désinformation, du pur lavage de cerveau. Et cela parce que Al Jazeera ne parle pas du tout exclusivement de la Palestine ou même du Moyen Orient. Elle s'occupe, avec des correspondants sur place ( !) de tout le monde, de
l'Irlande du Nord et du Botswana, à l'Indonésie et la Nouvelle Zélande. Et surtout, elle accorde une grande importance, avec des enquêtes approfondies, aux grandes questions de nos temps comme le féminisme et la condition des femmes, la catastrophe climatique et la lutte des mouvements écologiques, le racisme et l'antisémitisme, les droits et l'oppression des LGBT, la famine au monde, etc. Et toujours du côté des faibles et avec le regard et la sensibilité de ceux d'en bas, ce qui amène Al Jazeera à donner la priorité à tous ceux que nos médias méprisent et « oublient » traditionnellement, comme l'Afrique noire, les pays de l'océan Indien, ceux de l'ex-URSS ou…les nations et les peuples indigènes. A l'opposé de ce que font tous nos grands médias, pour Al Jazeera il n'y a pas des vies et des morts qui comptent plus ou moins que d'autres, ce qui la conduit p.ex. à
donner souvent la parole aux parents des otages Israéliens détenus par Hamas et même à des généraux et des officiels Israéliens qui défendent les politiques du gouvernement Netanyahou ! En somme, à faire des choses qui sont tout simplement impensables non seulement pour les médias israéliens, mais aussi pour les grands médias de nos pays occidentaux. Alors, notre conclusion est simple et va de soi : pour ceux et celles qui voudront se faire une opinion de ce qu'est cette Al Jazeera si haïe par Netanyahou et
ses amis occidentaux et autres, voici le lien sur lequel il suffirait de cliquer pour suivre ses émissions en direct : *https://www.aljazeera.com/live
<https://www.aljazeera.com/live>
*
Et n'oubliez pas en cliquant sur la vidéo ci-dessous, d'écouter la chanson pour Hani Mahmoud et son collègue Tareq Abu Azzoum que le Woodie Guthrie de nos temps qu'est (le juif américain) *David Rovics* <https://en.wikipedia.org/wiki/David...> , a composé et chanté.
*https://www.youtube.com/watch?v=fRqe5d5f7Jk
<https://www.youtube.com/watch?v=fRq...>
*
Notes
1.
https://cpj.org/2025/01/journalist-casualties-in-the-israel-gaza-conflict/
3. Voir aussi notre article de janvier 2023 *"Parce qu'il ne veut pas de
témoins de ses crimes, Israël tue méthodiquement les journalistes qu'il ne
peut faire taire !" : *
https://www.cadtm.org/Parce-qu-il-ne-veut-pas-de-temoins-de-ses-crimes-Israel-tue-methodiquement-le
<https://www.cadtm.org/Parce-qu-il-n...>
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Comment des militants et militantes ont pu devenir le sable dans l’engrenage d’Amazon
Le 13 mai 2024, le Syndicat des travailleuses et travailleurs d’Amazon Laval a été officiellement accrédité. Il s’agit du premier et du seul syndicat d’Amazon au pays. La nouvelle a fait le tour des médias, mais on a donné très peu d’attention à l’organisation du syndicat sur le terrain et aux motivations des membres à s’organiser. À Lachine, à Vancouver et à Toronto, les campagnes de syndicalisation n’ont pas mené à une accréditation, alors pourquoi les militantes et militants syndicaux ont-ils gagné à l’entrepôt DXT4 de Laval ?
Cet article a d’abord pour but d’offrir un aperçu des spécificités de l’exploitation chez Amazon, puis d’exposer les méthodes qui ont mené les syndicalistes à une première réussite. Sera ensuite abordée la question de l’organisation syndicale de nouveaux arrivants et arrivantes qui forment une majorité dans l’entrepôt nouvellement syndiqué.
Ce texte s’appuie d’abord sur deux entretiens approfondis que j’ai eu la chance d’avoir avec Jean-François, un ancien travailleur d’Amazon licencié durant la campagne de syndicalisation, et avec Jacques, un ancien militant de la Fédération autonome de l’enseignement qui s’est fait embaucher à l’entrepôt DXT4 pour des raisons pécuniaires, mais surtout politiques. L’article est aussi le fruit de nombreux échanges avec des membres de l’exécutif du nouveau syndicat, avec d’anciennes et anciens commis qui ont travaillé dans différents entrepôts de la région de Montréal, avec des militantes et militants impliqués au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (IWC-CTI) et avec des journalistes qui ont couvert le dossier.
Au Canada, Amazon compte environ 45 000 employé·e·s et a franchi le cap des 50 entrepôts en 2022. Au Québec, on en comptera bientôt une vingtaine, dont huit dans la grande région de Montréal. La plupart sont des centres d’expédition, désignés par le sigle DXT, mais les plus impressionnants sont les centres de distribution, désignés par le sigle YUL.
Le premier entrepôt qui a fait les manchettes sur le plan de la syndicalisation fut YUL2 situé à Lachine. Un travailleur, Manuel Espinar Tapial, avait fait signer environ 80 cartes de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) dans ce centre de distribution. Une offensive antisyndicale de la part d’Amazon est cependant venue à bout de cette campagne[1].
C’est dans cet entrepôt que le CTI a aussi commencé à s’impliquer dans la lutte contre Amazon. Le Centre a depuis formé un comité dédié aux aspects du travail dans les entrepôts de la multinationale, lequel organise des événements et fait pression pour qu’Amazon respecte les normes du travail. Le Comité Amazon du CTI demande entre autres que, conformément à la loi, l’employeur cesse de renvoyer les employé·e·s qui sont prosyndicat en guise de représailles et qu’il forme un comité de santé et de sécurité au travail. La force du CTI, habitué à accompagner les travailleurs et travailleuses d’entrepôt, se situe sur le plan de l’intervention dans des cas d’abus ou de blessures professionnelles.
Des conditions propices à la syndicalisation
On ne peut pas dire que les conditions de travail sont bonnes dans un entrepôt Amazon. Le travail est ardu physiquement et commande de répéter les mêmes gestes des centaines de fois chaque jour. À DXT4, les travailleurs et les travailleuses passent une partie de la journée devant un convoyeur qui leur dicte le rythme de travail et émet une alarme si les colis ne sont pas ensachés assez rapidement.
L’autre occupation principale d’une ou d’un employé de centre d’expédition impose de soulever des charges allant jusqu’à 50 lb (22 kg). Récemment, les chariots sur lesquels les lourds sacs de colis doivent s’empiler ont été munis de bras hydrauliques qui assument une partie de l’effort de soulèvement des sacs, mais, selon Jacques, ces bras ralentissent en fait le travail.
Les aides technologiques qui ont pour effet d’« allonger le travail » sont mal vues car chez Amazon, seule la cadence de travail compte. La travailleuse ou le travailleur est en effet constamment surveillé. Durant la « cueillette », c’est-à-dire le moment du quart de travail où les sacs de colis sont placés sur les chariots, le taux de complétion des commandes (« les rates » dans le jargon) est constamment calculé. Les commis sont munis de lecteurs de codes QR et doivent sans cesse numériser des codes pour que le système informatique puisse fournir en temps réel les variations en productivité des employé·e·s.
Dans un article de Radio-Canada, un travailleur d’Amazon du Québec avait exprimé ainsi cette condition : « On a littéralement un cellulaire accroché à notre main qui nous dit quoi faire, avec un scanner au bout du doigt. On est l’extension d’un robot[2] ». À la supervision numérique s’ajoute la supervision humaine de la part des cadres de l’entrepôt, qui vont, par exemple, aller avertir ceux et celles qui passent trop de temps aux toilettes.
Selon Jacques, ce n’est pas tellement qu’Amazon veut voir sa main-d’œuvre être la plus rapide possible, mais qu’elle garde une vitesse de travail constante. Même s’il demeure un employé parmi les plus rapides, quand il est relativement moins efficace qu’à l’habitude, Jacques se fait questionner par ses superviseurs. Les salarié·e·s sont, en effet, beaucoup plus facilement transformés en données managériales si le nombre de colis qu’ils traitent dans un temps donné est stable.
Il y a cependant deux exceptions à cette règle générale : lorsque l’équipe du quart précédent a pris du retard ou lorsque la quantité de colis est anormalement élevée. Durant la haute saison qui va de la mi-octobre jusqu’au début de janvier, on témoigne de rythmes beaucoup plus intenses, ce qui amène une augmentation des blessures[3]. Celles-ci sont d’ailleurs un fléau dans l’entreprise. Le travailleur interviewé par Radio-Canada affirmait qu’en « un an de travail, je pense que tout le monde a une blessure[4] ».
Les employé·e·s à qui j’ai parlé s’accordent sur le fait que le travail d’entrepôt chez Amazon n’est pas à classer parmi les pires au Québec et que nous ne sommes pas ici dans une situation des plus dramatiques, mais qu’il s’agit certainement de conditions qui usent rapidement le corps et les nerfs des travailleurs et travailleuses. Bien que Jacques trouve une certaine satisfaction à accomplir ce travail éreintant, il ne croit pas pour autant qu’il soit normal qu’il faille quotidiennement déplacer des tonnes de colis pour payer le loyer[5].
Au Québec, les pires conditions de travail chez Amazon sont réservées aux livreurs et livreuses qui sont à l’embauche de sous-traitants, ce qui dédouane Amazon de toutes les infractions aux normes du travail et d’autres abus lorsqu’ils adviennent.
Il est notable d’ailleurs qu’Amazon, suivant les préceptes du management à la mode, prenne des initiatives pour tenter que les salarié·e·s se sentent partie prenante de l’entreprise et que leur exploitation soit maquillée. On parle de nourriture offerte par les cadres, de séances collectives d’étirement, du spectacle occasionnel d’employé·e·s de bureau qui viennent maladroitement aider sur le plancher et, dans un cas spécifique, d’une séance surréelle de motivation où une gérante sautillait en encourageant les travailleurs et travailleuses. Somme toute, Jacques estime que les cadres de l’entrepôt ont du succès à créer une certaine complicité avec leurs subordonné·e·s.
Des conditions de travail dictées par le marché
Selon Jean-François, les conditions de travail dans les entrepôts sont juste assez bonnes – en comparaison des emplois les plus précaires de la province – pour qu’Amazon réussisse facilement à recruter des commis. Les offres d’emploi affichées par Amazon sont normalement comblées en quelques jours et la compagnie reçoit toujours des dizaines de candidatures quand elle ouvre des postes. Les salaires – par exemple, les commis débutent à 20 dollars de l’heure – sont corrects pour quelqu’un qui n’a pas la possibilité d’obtenir un emploi qualifié ou syndiqué.
Cet engouement pour les emplois chez Amazon est, en fait, l’un des piliers de la stratégie économique du géant. L’objectif de la compagnie est de toujours avoir le strict minimum de main-d’œuvre, et ce, au point où l’entreprise préfère licencier en grand nombre des membres du personnel dans un moment de faible demande pour engager à nouveau quelques mois plus tard. Contrairement à beaucoup d’entreprises qui favorisent le délestage ou la réduction des heures individuelles travaillées plutôt que de prendre le risque de briser des liens d’emploi en période morte, Amazon ne craint pas la pénurie de personnel.
L’instabilité de la main-d’œuvre dans les entrepôts est telle que le New York Times a rapporté en 2021 que le taux moyen de roulement de l’ensemble de la main-d’œuvre du comté de Richmond dans l’État de New York avait dépassé le cap des 100 % dans l’année qui a suivi l’ouverture d’un entrepôt d’Amazon dans la région[6]. L’entreprise se comporte, de fait, en capitaliste commercial exemplaire qui a orienté sa stratégie de gestion du personnel sur le principe que « la quantité d’ouvriers, emballeurs et transporteurs, etc., dépend de la masse des marchandises, objets de leur activité, et non l’inverse[7] ».
Encore une fois comme capitaliste exemplaire, Amazon a mis en place tout un appareil administratif et légal qui lui permet de faire des congédiements massifs sans pour autant inquiéter les autorités du travail comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et sécurité du travail (CNESST). Les commis sont ainsi classés en deux catégories : les badges bleus et les badges blancs. Les premiers sont des employé·e·s permanents alors que les seconds se savent sous la constante épée de Damoclès du congédiement sans raison autre que les pressions du marché.
Le renvoi de badges blancs sert aussi de représailles de la part des patrons. Radio-Canada rapportait en 2019 qu’un licenciement massif de 300 personnes aux États-Unis avait eu lieu pour punir les travailleurs et travailleuses qui avaient une productivité trop basse[8]. À DXT4, l’octroi de badges bleus a été suspendu peu après la syndicalisation de l’entrepôt.
Cette catégorie de commis plus précaires, constamment inquiets de se faire congédier s’ils n’en viennent pas à obtenir un badge bleu, sert d’ailleurs de tampon protecteur pour Amazon en ce qui concerne une possible syndicalisation. Les travailleurs interviewés sont unanimes : les badges blancs ont peur de s’impliquer dans le syndicat à cause de leur situation. Certaines personnes souhaitaient même attendre d’avoir le badge bleu pour signer leur carte d’adhésion.
Si les badges blancs sont les plus vulnérables au renvoi, les badges bleus peuvent eux aussi être mis à la porte par Amazon avec une relative facilité. Les statistiques constamment recueillies sur chaque employé·e servent à la ou à le discipliner par rapport à son travail, mais aussi à donner une justification pour le renvoi de certains « éléments à problème », au nombre desquels on compte les syndicalistes ou les gens qui se sont déjà blessés au travail.
Jean-François est d’avis qu’Amazon pratique un « eugénisme de la main-d’œuvre » en « purgeant » sournoisement la main-d’œuvre des commis à risque de se blesser. Selon lui, un premier accident de travail constitue une garantie soit de se faire renvoyer, soit de se blesser une deuxième fois à brève échéance. Les blessé·e·s, explique-t-il, reçoivent d’abord une assignation temporaire, comme il se doit de la part d’un capitaliste exemplaire, où ils exécutent des travaux moins difficiles. Ceux-ci sont cependant réintégrés assez rapidement au travail régulier, où ils font face à un choix difficile : ne pas atteindre la productivité d’avant leur accident de travail ou bien procéder trop vite par rapport à ce qu’exigerait leur réadaptation.
Ainsi, selon un employé de l’autre entrepôt de Laval, DXT5, un travailleur s’est forcé à maintenir sa productivité malgré qu’il ait été en rémission d’un cancer, ce qui l’a amené à faire une crise cardiaque. Cependant, la situation optimale pour Amazon est que le commis baisse la cadence et qu’il soit renvoyé pour des raisons de productivité, car s’il se blesse, il fera plutôt augmenter les cotisations à la CNESST.
L’ensemble de ces éléments constitue, sur le fond, plus l’essence de la grossière exploitation à la sauce Amazon que les bas salaires et l’ardeur du travail physique qu’on retrouve dans tant d’autres milieux de travail au Québec.
Ce qui a fait gagner le syndicat de Laval
Quand j’ai demandé à Jean-François ce qui a permis de remporter la victoire à DXT4, il semblait d’abord peu inspiré : « On a juste fait signer des cartes ». Comment a-t-on syndiqué ce qui n’avait jamais été syndiqué au Canada ? En faisant signer des cartes ?
La vérité, précise-t-il, est que du point de vue des tactiques proprement dites, rien n’était vraiment nouveau dans la campagne de syndicalisation de DXT4. Les militants ont appliqué ce qui constitue l’ABC de la mobilisation et de l’organisation. D’abord, il faut faire enquête, « parler au monde » dans les termes de Jean-François. Ensuite, il faut identifier des meneurs et des meneuses dans l’entrepôt. Finalement, il faut créer des comités pour embarquer ces contacts dans le mouvement de syndicalisation et les pousser à faire signer des cartes par leurs collègues proches.
À ces fondations solides s’ajoutent la distribution de matériel d’agitation, des barbecues et divers autres événements pour rallier les travailleurs au mouvement de syndicalisation. Les ressources de la CSN ont été utiles en cette matière, notamment pour permettre de multiplier les interventions à l’extérieur de l’entrepôt et pour ainsi épauler la part principale du travail qui se fait entre collègues dans l’entrepôt.
La syndicalisation est en effet le fruit du travail d’employé·e·s de l’entrepôt, et non celui d’une centrale syndicale ou d’un groupe politique qui intervient depuis une position externe. Législation oblige, la signature des cartes et la « sollicitation » se fait en dehors du lieu de travail, mais la mobilisation se fait néanmoins entre collègues et non pas entre un intervenant syndical et un travailleur.
La combinaison ultime entre le travail externe et le travail interne est venue de la part de militants syndicaux qui ont réussi à recruter d’autres militants et militantes syndicalistes pour que ceux-ci rejoignent également la force de travail d’Amazon et qu’ils fassent signer des cartes d’adhésion à la CSN. La tactique est vieille comme la lutte des classes ; il a été assurément bénéfique que quelques militants de gauche sans emploi aient bien voulu aller au cœur de la bête pour faire œuvre utile[9].
Là où il y a nouveauté, c’est en ce qui concerne la stratégie à plus long terme. L’envoi de militants dans un milieu de travail pour le syndiquer, ce qu’on appelle dans le jargon le salting, est quelque chose de tout à fait commun et, encore une fois, il s’agit d’une tactique éprouvée, mais les militants qui donnent actuellement du fil à retordre aux sous-fifres de Jeff Bezos ne sont pas des salts.
Ce groupe de militants n’est pas dans l’entrepôt de manière temporaire. L’objectif de ses membres est l’organisation à long terme des travailleurs et travailleuses d’Amazon au Canada et non pas seulement de syndiquer un nouveau milieu de travail. Dans un événement organisé en juin dernier par le collectif Archives Révolutionnaires, un membre du syndicat, questionné sur le futur de son implication militante dans le syndicat nouvellement formé, sur ce qu’il fera « après », a rétorqué : « C’est ma vie ».
Cette position surprend chez la gauche syndicale parce que l’« infiltration » d’un milieu de travail est généralement une chose de courte durée. Par exemple, un des grands succès du Syndicat industriel des travailleurs et travailleuses (SITT-IWW) de Montréal fut la syndicalisation du restaurant Frites Alors! sur la rue Rachel à Montréal en 2016. Trois membres du SITT avaient noyauté le personnel du restaurant et avaient pu en quelques mois organiser leurs collègues selon les lignes stratégiques de leur syndicat anarchosyndicaliste. Aucun des activistes n’est cependant resté plus de quelques mois supplémentaires au restaurant et le syndicat disparut rapidement[10].
Selon Jean-François, lui-même un militant entré chez Amazon pour la lutte syndicale, faire entrer des alliés à son travail pour faire signer plus de cartes n’est pas ce qui permet de bâtir un syndicat fort qui s’appuie sur ses membres. La stratégie du SITT était, au fond, la version anarchiste de la stratégie adoptée par les Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce pour syndiquer des hôtels : former un syndicat avec des militants et militantes qui s’engagent temporairement, puis laisser les syndiqué·e·s se débrouiller.
L’idée que les militants syndicaux puissent être des activistes venant principalement de l’extérieur des milieux de travail et qu’ils infiltrent temporairement un endroit, si nécessaire, est radicalement différente de celle qui anime les syndicalistes d’Amazon de Laval. Jacques croit que les élu·e·s syndicaux devraient par exemple pouvoir être libérés une demi-journée par semaine, mais qu’ils devraient travailler la majorité du temps « sur le plancher ».
La volonté des militants d’Amazon de s’engager pour une longue période dans la lutte pour améliorer les conditions de travail d’un endroit médiocre peut, selon certains à gauche, être rapprochée de la tradition de l’« implantation ». Apparue à la fin des années 1960, mais peut-être davantage popularisée par le Parti communiste ouvrier et En lutte ! dans les années 1970, cette pratique consistait à joindre un milieu de travail ouvrier et à y organiser les travailleurs selon des lignes révolutionnaires. Le phénomène n’a pas eu lieu seulement au Québec, mais il a aussi été observé dans le mouvement antirévisionniste international.
Bien qu’on la croyait jadis rangée dans le placard du folklore marxiste-léniniste, l’implantation est récemment réapparue dans les débats de gauche au Québec. Certaines publications comme L’Établi de Robert Linhart[11] ont ravivé des discussions entre de jeunes militants prêts à se jeter dans la lutte ouvrière et des vétérans qui ont connu l’époque où il était courant pour un révolutionnaire d’aller travailler à l’usine.
Il n’est pas tellement surprenant, en fait, de retrouver de plus en plus de militants radicalisés au sein du mouvement étudiant qui soient prêts à plonger dans l’organisation en milieu de travail ouvrier. Il se trouve que beaucoup de jeunes prolétaires destinés à une ascension de classe ont finalement été obligés de remettre leur projet et d’occuper un emploi au bas de l’échelle « en attendant », voire de simplement abandonner leur plan de carrière pour aller vers un diplôme d’études professionnelles (DEP) ou un diplôme d’études collégiales (DEC). Une statistique parlante à ce sujet, c’est que près de 10 % de la main-d’œuvre du domaine de la construction au Québec possède un diplôme universitaire[12].
Le travail d’implantation présente d’ailleurs un attrait certain pour les militants et militantes qui croient que le pouvoir vient du peuple (populistes de gauche, démocrates radicaux, maoïstes, etc.). Les mots d’ordre, les tracts, les discours visent assurément plus juste s’ils sont rédigés par des gens qui connaissent intimement une réalité que s’ils sont rédigés par des acteurs externes. De la même manière, il est beaucoup plus aisé d’établir un lien de confiance avec des travailleurs en vue d’organiser un syndicat si on travaille à leurs côtés. « On est complices, on est dans la gang », exprime Jacques.
Un ancien travailleur d’un entrepôt de Lachine donnait comme exemple qu’il a fait signer sa première carte grâce à des discussions qu’il a eues en faisant du covoiturage. L’employé d’une centrale syndicale qui distribue des tracts aux portes de l’entrepôt ne peut pas avoir ce type de discussion mi-politique mi-papotage qui permet de saisir comment convaincre quelqu’un d’adhérer au syndicat.
Le plus dur est à venir
Établir ces liens solides avec les autres travailleurs et travailleuses est d’autant plus important que tous les militants et militantes de DXT4 s’entendent sur une chose : la lutte ne fait que commencer et le plus dur est à venir.
Amazon est prêt à tout pour ne pas reconnaitre le syndicat légalement constitué. Aux États-Unis, la multinationale conteste carrément la validité du National Labour Relations Board, tandis qu’ici elle essaie de contester le principe de l’accréditation automatique quand plus de 50 % des employé·e·s ont signé une carte d’adhésion. La tactique d’Amazon devant le Tribunal administratif du travail a même été de se présenter en défenseur de la démocratie[13].
Aussi stupide que soit l’attaque légale d’Amazon, elle sert avant tout à retarder le processus de négociation et à laisser plus de temps à ses experts en démantèlement syndical pour faire leur sale besogne. À l’entrepôt de Staten Island (New York), cette approche patronale a réussi : le syndicat, pris à poireauter en attendant que l’appareil judiciaire s’occupe des diversions légales d’Amazon, a vu des conflits internes émerger[14].
La lutte dans les entrepôts d’Amazon constitue donc obligatoirement une lutte prolongée. Les bases organisationnelles qui ont permis à faire adhérer une majorité d’employé·e·s au syndicat doivent, suivant cette idée, devenir encore plus solides. Les « relais » qui avaient comme tâche de faire signer les cartes parmi les travailleurs doivent devenir des assises du syndicat. Les mots d’ordre, les objectifs, les tactiques doivent venir de tout le monde qui travaille dans l’entrepôt et pas seulement des quelques éléments qui ont une expérience militante. C’est seulement en refusant le « dirigisme » et en mettant de l’avant les membres de la base que l’unité du syndicat peut être préservée.
L’unité est déjà rudement mise à l’épreuve puisque les patrons s’évertuent à faire de la propagande antisyndicale. Jacques ou d’autres travailleurs doivent souvent prendre la parole pour contredire les gérants durant les réunions quotidiennes, car ceux-ci glissent d’habiles mensonges à l’encontre du syndicat dès qu’ils le peuvent. Ces mensonges sont d’autant plus faciles à propager qu’une grande majorité des employé·e·s de DXT4 sont immigrants et ne connaissent pas nécessairement leurs droits.
Manœuvrer en territoire multiculturel
On a vu ces dernières années un essor de l’intersectionnalité et de la décolonisation sur le plan théorique, mais bien peu de travail pratique de la gauche s’est tourné vers l’exploitation des « damnés de la terre » sur leur lieu de travail, hormis l’imposant travail du CTI. Cependant, la limite du CTI est qu’il n’est pas un syndicat ; il ne mène donc pas directement une lutte entre exploiteurs et exploités. Des ONG – on a nommé le CTI, mais il y a aussi le Front de défense des non-syndiquéEs – veillent sur les usines, les manufactures et les entrepôts où on retrouve une forte proportion de migrantes et migrants mais la gauche n’est généralement pas présente à l’intérieur des murs.
Ce n’est pas qu’on ne rencontre pas de travailleurs ou de travailleuses de gauche dans ces milieux, mais personne n’a su les intégrer au mouvement progressiste québécois. Par exemple, on retrouve chez Amazon des commis indiens qui ont participé au mouvement de révolte agricole qui a secoué leur pays en 2020 et 2021, mais ils n’ont jamais été sollicités par la gauche d’ici avant de rencontrer les militants d’Amazon.
L’isolement auquel font face beaucoup de travailleurs précaires migrants sera dur à rompre tant qu’il n’y aura pas dans leurs quartiers et leurs lieux de travail des militants québécois prêts à les mobiliser. Jean-François soulignait lors de notre discussion que depuis la désindustrialisation et la lente réindustrialisation qui s’en est suivie, les milieux ouvriers de grande ampleur n’ont généralement pas été syndiqués. Les usines et entrepôts bâtis dans les dernières décennies offrent ainsi des conditions de travail plutôt médiocres au point où un poste de commis chez Amazon apparait comme un emploi de choix pour beaucoup de travailleurs migrants.
L’abandon par la gauche des secteurs qui constituaient traditionnellement les châteaux forts des partis communistes, comme l’industrie manufacturière ou la construction, est parfois justifié par l’argument qu’il faut s’éloigner de la classe ouvrière blanche et masculine qui constitue la majorité dans plusieurs de ces secteurs. Cependant, ces secteurs sont ceux où, dans les dernières années, l’on voit la main-d’œuvre migrante augmenter et la main-d’œuvre canadienne diminuer[15]. La gauche s’est ainsi, par souci d’inclusivité, partiellement détournée des milieux où se développe l’exploitation des migrants et migrantes.
Jacques estime que plus de 90 % de ses collègues à DXT4 sont des personnes immigrantes, dont beaucoup de réfugié·e·s et d’étudiants et étudiantes. Le fait de travailler côte à côte avec eux et elles fut, selon les syndicalistes rencontrés, un facteur décisif pour gagner la confiance de certains meneurs organiques des microcommunautés migrantes présentes dans l’entrepôt.
Car, pour des raisons de langue notamment, les membres de différentes nationalités se regroupent habituellement ensemble dans les entrepôts Amazon. Pour gagner la confiance des nombreux travailleurs et travailleuses qui s’expriment peu en français ou en anglais, pour briser la barrière culturelle qui peut nuire aux échanges, les syndicalistes d’Amazon ont dû faire un effort d’inclusivité qui n’était pas sur le plan du discours, mais sur celui des actes, soit s’inclure dans les conditions de vie de ces gens. L’atomisation, les divisions culturelles ne peuvent être vaincues qu’en faisant partie du quotidien de ceux et celles qu’on souhaite voir se libérer.
Par André-Philippe Doré, boulanger et ancien délégué syndical à l’Alliance de la fonction publique du Canada
- David Savoie, « Syndicalisation : le cas d’Amazon porté devant le Tribunal administratif du travail », Radio-Canada, 10 février 2024. ↑
- David Savoie, « Amazon, c’est l’exploitation avec le sourire », Radio-Canada, 29 mars 2023. ↑
- Comité de Montréal, « La haute saison d’Amazon tue », L’Étoile du Nord, 19 janvier 2024, <https://etoiledunord.media/un-travailleur-meurt-pendant-la-frenesie-des-fetes-de-fin-dannee-la-haute-saison-damazon-tue/>. ↑
- Savoie, op. cit., 29 mars 2023. ↑
- L’Étoile du nord avance qu’au centre de distribution YUL2, les travailleurs et travailleuses soulèvent de 2 à 7 tonnes de colis par jour, suivant la période. Voir Comité de Montréal, op. cit., 19 janvier 2024. ↑
- Jodi Kantor, Karen Weise et Grace Ashford, « The Amazon that customers don’t see », New York Times, 15 juin 2021, <https://www.nytimes.com/interactive/2021/06/15/us/amazon-workers.html>. ↑
- Karl Marx, Le capital, livre 3, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 288. ↑
- Radio-Canada, « Amazon procède au licenciement d’employés à l’aide d’un système automatisé », 26 avril 2019. ↑
- Aucun parmi eux n’était un employé ou un militant de la CSN avant d’aller travailler chez Amazon. ↑
- « Solidarity and power in the face of a terrified employer : the IWW campaign at Frite Alors », Organizing Work, 2019, <https://organizing.work/2019/02/solidarity-and-power-in-the-face-of-a-terrified-employer-the-iww-campaign-at-frites-alors/>. ↑
- Robert Linhart, L’Établi, Paris, Minuit, 1981. ↑
- Guichets-Emploi (Gouvernement du Canada), Construction: Profil sectoriel (SCIAN 23) et perspectives 2023-2025 au Québec, <https://www.guichetemplois.gc.ca/analyse-tendances/rapports-marche-travail/quebec/construction>. ↑
- Comité de Montréal, « Amazon achète du temps au Tribunal administratif du travail », L’Étoile du Nord, 20 juin 2024, <https://etoiledunord.media/amazon-achete-du-temps-au-tribunal-administratif-du-travail/>. ↑
- Alex N. Press, « As Amazon refuses to bargain, divisions have emerged in the Amazon labor union », Jacobin, juillet 2023. ↑
- Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Les personnes immigrantes et le marché du travail québécois, 2020, <https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/immigration/publications/fr/recherches-statistiques/ImmigrantsMarcheTravail2020.pdf>. ↑
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Génocide du peuple palestinien : après Gaza, la Cisjordanie

Chronique d’un cycliste dépassé
Décembre, la saison cycliste s'achève. La neige et la glace n'ont pas encore séduits le cycliste que je suis. Bien que le dérèglement climatique, avec ses chaussées de plus en plus dénudées, pourrait bien m'offrir la possibilité de quelques sorties.
Et l'année cycliste 2024, quoi en penser ?
Je constate maintenant que je suis un cycliste dépassé.
Avec un corps fraîchement retraité, je dois bien l'avouer, je n'ai plus l'essence de mes trente ans. Je me fais souvent dépassé, par des jeunes et moins jeunes aux mollets bien plus tendus que les miens. Pour me consoler, je me dis : « il n'y a pas si longtemps, je traversais quotidiennement l'île de Montréal, de Hochelaga à Ahuntsic. » Cet aller-retour vélo-boulot-dodo me permettait d'apprécier un bon deux heures vingt à pédaler, quatre jours semaine. Ce n'est peut-être pas de la vitesse ça, mais un peu d'endurance. N'est-ce pas ?
CIRCUIT POUR ROUES DE TOUT GENRE
Mes nombreux allers-retours m'ont permis d'observer et de me questionner : « devrait-on changer la dénomination voie cyclable (ce qui inclus les bandes et les pistes cyclables) pour circuit pour roues de tout genre ?
Dans le temps, nous qui faisions l'effort de pousser sur des pédales pour articuler un engrenage qui faisait tourner des roues, nous étions « rois et maîtres » des voies cyclables. Maintenant, nous sommes détrônés de plus en plus par toutes sortes d'engin. Il y a maintenant des vélos électriques, des véhicules qui ressemblent à des scooters ou petites motos, des trottinettes électriques, des « uni-roues » électriques, et j'en passe. Les « vrais » cyclistes seront-ils bientôt en voie de disparition ? La propulsion par énergie humaine et sa simplicité deviennent-elle désuètes ?
Je ne sais pas ce qu'en penseraient Claire Morissette et Bob Silverman, ces deux porte-étendards du groupe Le Monde à bicyclette, avec qui j'ai milité dans les années 1980. Elle qui nous a quitté en 2007, lui en 2022. Je leur poserais la question : « y a-t-il du sable dans l'engrenage de la « vélorution » ? Ou la « vélorution » a-t-elle changé de sens ? »
CRÉER DE NOUVEAUX BESOINS
Les capitalistes n'en ont pas assez de produire plus de vélos, il faut qu'ils inventent toutes sortes de machines à propulsion pour augmenter les parts de marché et faire encore plus de profits. Il faut créer de nouveaux besoins. On parle maintenant de bicyclettes intelligentes…
Bon ! Je ne suis pas contre l'idée d'offrir à des gens, qui n'ont pas les mollets suffisants pour pédaler ou qui ont des limitations, la possibilité de prendre la route. Surtout si c'est pour délaisser la voiture. Mais, il y a des gens qui pourraient profiter de l'effort de pédaler avec ses bienfaits pour la santé. On aime mieux dénaturer le vélo, pour en faire autre chose.
Ce qui me désole en plus, c'est l'attitude autour de cette dénaturation.
VITESSE, VITESSE ET IMPATIENCE
Ce sont les mots d'ordre.
En cette époque où on peut tout obtenir d'un seul clic, obnubilé par les écrans, on ne voit plus rien et on ne peut plus attendre. On passe sur un feu rouge en se faufilant autour des autos, on roule à des vitesses folles en dépassant à droite à gauche, on fait un bout sur le trottoir, peu importe. « Free for all ». On est pressé, on est stressé. Que ce soit à bord de sa trottinette propulsé, de son scooter ou de son super vélo qui fait clic clic clic- les sporTIFS comme je les appelle - avec leurs costumes d'athlètes et leurs pieds soudés au pédalier, tous se disent : « il faut foncer ! »
Il y a des jours où je me demande si je risque plus de me faire défoncer par un vélo ou un truc à roues, que par une auto.
Je ne parlerai pas ici des automobilistes, même logique. Ce serait un sujet en soi. Maintenant, plusieurs d'entre eux sont frustrés de voir de plus en plus de vélos dans les rues et c'est tant mieux. La rue ça se partage. Mais, la communauté cycliste et autres roues dans son ensemble ne nous font pas honneur.
Et quand je vois des cyclistes qui ne s'emballent pas, respectueux de la route et des autres usagers, qui prennent le temps de regarder, d'arrêter et d'attendre sur un coin de rue et de contempler ce qu'il y a autour, tout en pédalant à un bon rythme. À ceux-là, encore majoritaires, je leur dit avec solidarité : « peace and love ». « Be cool » ! « Cyclistes de tous les pays unissons-nous pour ne pas perdre la simplicité énergétique ».
Certains diront : « tu te fais vieux bonhomme. » J'aime mieux ça que d'être avalé par la techno-performance. Je me tiendrai loin derrière, n'ayant pas peur de me faire dépasser, si cela ne mène à rien.
ALORS, ON SE TROMPE DE CHEMIN
Si cela ne mène qu'à une société où il faut courir sans cesse, produire et consommer jusqu'à en perdre le sens de la réalité, dans un espace où on laisse libre cours au marché, alors, on se trompe de chemin.
L'espace consacré aux bicyclettes dans les rues a augmenté et c'est tant mieux, mais la ville est encore étouffée par un nombre effarant de voitures, au détriment du transport actif et en commun. Tant qu'il y aura ce déséquilibre mortifère et ces valeurs productivistes qui pèsent sur nos têtes, il n'y aura pas de « vélorution ». N'est-ce pas Bob et Claire ?
Yvon Dinel, cycliste.
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La Syrie, la géopolitique et la gauche

Publié pour la première fois en espagnol sur publico.es le 12 décembre. Traduit par Art Young pour LINKS International Journal of Socialist Renewal. Les sous-titres et les notes de bas de page ont été ajoutés par le traducteur. (De l'espagnol à l'anglais)
5 janvier 2025 | Traduction en français André Frappier
Je vais être très dur : il y a quelque chose de moralement nauséabond dans l'hypocrisie occidentale, qui a toujours tué ou laissé tuer des civils partout au nom de la démocratie et des droits de l'homme. Mais il y a quelque chose de non moins répugnant dans l'hypocrisie de la gauche autoproclamée « anti-impérialiste », qui parvient effectivement à étouffer les rêves de libération de beaucoup de gens ordinaires sous une montagne d'études pontificales sur « l'équilibre des forces », « les intérêts capitalistes » et les « manipulations étrangères ». Curieusement, ces études présentent toujours les États-Unis ou l'un des « pions » qu'ils ont fabriqués dans les laboratoires de la CIA comme l'acteur central. Ces analystes de gauche savent toujours tout, peu importe où cela se produit et quoi qu'il arrive. Ils appliquent leurs schémas du 20e siècle à une réalité de plus en plus complexe et insaisissable, et méprisent tous ceux et celles qui sont trompés » en luttant et en mourant par le Mal, qui n'a jamais eu qu'un seul nom et qu'un seul but.
Samuel Johnson a dit que « le patriotisme est le dernier refuge des canailles ». On pourrait en dire autant de la « géopolitique » : c'est aussi est le refuge des paresseux, des fanatiques et, en général, des conspirationnistes. Certes, il est malheureux de constater que personne ne peut éviter la géopolitique ; il est impossible de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe dans le monde d'aujourd'hui sans analyser minutieusement la situation sur le terrain. Mais le caractère hypocrite et sectaire de l'obsession géopolitique de certains gauchistes est révélé par le fait que plus ils concentrent leur attention sur le Grand Jeu ou le Jeu d'échec mondial, plus ils ignorent de facteurs. L'un après l'autre, ils procèdent à ignorer tout ce qui ne correspond pas à leur version monothéiste de l'histoire ; au premier rang desquels se trouvent les peuples au nom desquels ils prétendent agir. Lorsqu'il se passe quelque chose quelque part dans le monde qui ne rentre pas dans leurs schémas (que ce soit le Maïdan en Ukraine ou les « révolutions arabes »), la première chose qu'ils font est d'abandonner l'acteur le plus gênant : le peuple. Ils le font avec un mépris déshumanisant dont le nihilisme rivalise avec celui de l'extrême droite européenne. Implicitement ou explicitement, ce mépris s'est traduit par un soutien à Poutine en Ukraine et à Bachar al-Assad en Syrie.
Le rôle et le parti pris de cette obsession géopolitique deviennent très clairs dès que l'on compare, par exemple, leurs attitudes différentes à l'égard de la Palestine et de la Syrie. En ce qui concerne la Palestine, les Palestiniens ont le droit de combattre l'occupation par tous les moyens nécessaires ; mais il n'en va pas de même pour les Syriens qui luttent contre la tyrannie. Lorsqu'il s'agit de la Palestine, la gauche invoque les droits de l'homme, le droit international et même les Nations Unies avec ses tribunaux internationaux ; le reste du temps, elle dénonce avec dédain ces mêmes normes et institutions. En revanche, en ce qui concerne la Syrie, la gauche a justifié les bombardements et les massacres au nom de la même « guerre contre le terrorisme » qu'elle rejette ailleurs, et ce à juste titre. En ce qui concerne la Palestine, ces personnes de gauche ne soulèvent pas la question de l'islamisme du Hamas ou de l'intervention de la théocratie iranienne, mais ils parlent des crimes d'Israël et du droit des Palestiniens à la souveraineté. En ce qui concerne la Syrie, en revanche, tous le discours a été et demeure centré sur l'islamisme de HTS, la main tendue de la Turquie ou les intérêts américains, et jamais sur les crimes du régime ou ceux de ses alliés internationaux (Russie, Iran, Hezbollah). Bien sûr, ils ignorent aussi le droit du peuple syrien à un peu de cette liberté que nous sentons menacée ici en Espagne. On n'empêche jamais les Palestiniens de se défendre contre leur bourreau en prétextant qu'une Palestine libre pourrait devenir une autre dictature arabe ou tomber aux mains des djihadistes. Pourtant, on dit aux Syriens qu'ils n'ont pas le droit de renverser leur propre bourreau sous prétexte que le remplacement d'Assad pourrait être pire (pire pour qui ?). Les Palestiniens sont des victimes et nous exigeons fermement et à juste titre qu'ils soient reconnus comme des sujets. Les Syriens ne sont que des pions des États-Unis ou des sous-pions des pions islamistes des États-Unis (tout comme les Ukrainiens qui défendent leur terre contre la Russie sont des « nazis »). En bref, en Palestine, l'accent est toujours mis sur l'humanité ; en Syrie (et en Ukraine), l'accent est toujours mis sur le contexte.
L'hypocrisie « anti-impérialiste » à l'œuvre
Comme je l'ai déjà souligné dans un article précédent : l'hypocrisie occidentale a concentré son attention sur l'Ukraine, l'hypocrisie « anti-impérialiste » s'est concentrée sur la Palestine. Personne ne s'est intéressé à la Syrie. En fin de compte, les trois peuples ont été perdants. Au cours de l'année écoulée, il a souvent été souligné, à juste titre, que le calvaire palestinien n'a pas commencé le 7 octobre avec les crimes de guerre commis par la résistance islamiste, que tout avait commencé en 1947, voire avant, et qu'au cours des dernières années, Israël avait continué à déraciner des arbres, à démolir des maisons, à torturer des enfants, à piller des territoires et à bombarder régulièrement Gaza, tandis que les médias de masse détournaient le regard. Mais on peut dire la même chose de la Syrie : tout n'a pas commencé le 1er décembre, lorsqu'une organisation islamiste dont très peu de gens connaissaient l'existence a pris le contrôle de la ville d'Alep. Si nous ne voulons pas remonter jusqu'au coup d'État de Hafez el-Assad en 1971, nous pouvons commencer par mars 2011, lorsqu'une révolution populaire pacifique a d'abord exigé des réformes, puis, en réponse à une répression brutale, le renversement de son fils et successeur, Bachar. Depuis lors, 320 000 civils ont été tués, principalement par le régime et ses alliés, et jusqu'à cette semaine, on comptait 100 000 prisonniers et personnes disparues. Eux aussi ont été victimes de ce régime atroce dont beaucoup d'entre nous célèbrent la chute aujourd'hui. De plus, depuis 2016, après que l'intervention de la Russie et de l'Iran ait inversé le rapport de forces au profit de la dictature, les bombes ont continué à tomber dans des zones que Damas ne contrôlait pas, comme Idlib. Les bombardements russes ont détruit boulangeries, hôpitaux et écoles, comme à Gaza (et en Ukraine). Mais cela n'a jamais dérangé les « anti-impérialistes » autoproclamés qui, au contraire, se méfiaient de la révolution tant qu'elle était pacifique et se réjouissaient de sa militarisation, de sa radicalisation et de son islamisation. Cela leur a permis, ainsi qu'à Assad, de traiter tous les opposants comme des « terroristes ». Ils n'ont jamais soutenu, même pas de manière rhétorique, tous ces militants syriens qui, s'ils avaient été espagnols, auraient manifesté sur les places pendant le mouvement du 15M [1], mais qui ont fini dans des fosses communes à Hama ou à Homs. Ils n'ont jamais trouvé quoi que ce soit à admirer dans les centaines de conseils démocratiques qui, pendant une certaine période, ont géré les villes libérées, y compris Alep elle-même. Aujourd'hui encore, j'entends certains amis (oui, des amis !) parler de la destruction de la Syrie… par les États-Unis, alors même que le président Obama — je ne l'oublie pas — a permis au régime d'Assad d'utiliser des armes chimiques contre des civils en 2013, et que sa seule intervention en Syrie a été contre l'EI et en soutien aux communistes kurdes (ce qui, je l'avoue ouvertement, m'a fait plaisir).
Aujourd'hui, après le renversement d'Assad, non seulement ces mêmes « anti-impérialistes » ne se réjouissent pas de voir les prisonniers libérés des prisons – les abattoirs de la dictature – mais ils ne se joignent pas non plus à la joie des familles qui se retrouvent après des années de séparation, ni au soulagement et à l'enthousiasme de la majorité des Syriens sans l'aide desquels le triomphe inattendu de cette offensive militaire ultra-rapide aurait été impossible. Au contraire : comme le montrent certains des messages que j'ai reçus, ces personnes espèrent que les méchants djihadistes, selon eux, qui ont libéré Damas commenceront immédiatement à couper des têtes et à imposer la charia. Ils n'apprécient pas le fait que les nouvelles autorités, qu'elles soient hypocrites ou non, aient évité les représailles, tiennent des discours inclusifs et négocient avec toutes les forces sur le terrain, y compris les secteurs du régime qui n'ont pas fui le pays et sans lesquels une transition serait impossible. Ce n'est pas que ces activistes de gauche attendent que les choses tournent mal (cela pourrait certainement arriver) ; c'est précisément ce qu'ils veulent qu'il se passe.
Syrie : le premier massacre de masse retransmis en temps réel
Comme en Palestine aujourd'hui, tout le monde a pu voir tout ce qui s'est passé en Syrie entre 2011 et 2016. Il n'est pas vrai que le massacre auquel nous assistons aujourd'hui en Palestine soit le premier de l'histoire à être diffusé en temps réel. La même chose s'est produite en Syrie au début de la dernière décennie. En fait, de nombreux Syriens, comme mon amie Leila Nachawati, pensaient naïvement que la visibilité des crimes d'Assad, qu'une légion d'activistes et de journalistes diffusaient en direct, aurait servi à les arrêter ou, au moins, à en réduire le nombre et l'intensité. « Aujourd'hui », pensait-elle alors, « ce qui s'est passé à Hama en 1982 ne peut pas se reproduire », en référence à l'époque où la famille Assad a pris le contrôle du pays pendant trois décennies en tuant dans l'ombre entre 10 000 et 30 000 Syriens. Hélas, elle se trompait et l'a admis dans son excellent roman Cuando La Revolución Termine. Les personnages de ce roman expriment douloureusement à quel point l'indifférence internationale a accru la souffrance et le désespoir que les Syriens éprouvaient déjà. En effet, nous avons tous été les témoins vivants des massacres perpétrés par le régime, tout comme aujourd'hui en Palestine, et nous n'avons rien fait à l'époque. En fait, certains ont fait quelque chose : ils ont soutenu Assad au nom de l'anti-impérialisme (tout comme ils soutiennent Poutine en Ukraine aujourd'hui), de la même manière que l'extrême droite mondiale soutient Israël contre les aspirations légitimes du peuple palestinien.
Une autre géopolitique est possible
Une autre géopolitique est possible. On l'a démontré il y a quelques jours, alors que personne ne pouvait imaginer l'effondrement imminent de la tyrannie syrienne. Nachawati a publié un excellent article qui expose toutes les complexités, endogènes et exogènes, qui ont émergé dans la région et qui excluent donc toute solution révolutionnaire magique pour la Syrie, tout comme il n'y en pas pour la Palestine. Mais cette complexité ne doit pas nous empêcher de nous associer aujourd'hui à l'espoir de millions de Syriens qui ont des raisons d'envisager l'avenir avec réserve, mais aussi de se réjouir du renversement d'Assad, de sa famille mafieuse et de ses alliés autocrates. Ils savent que cette démarche est une condition minimale et nécessaire, même si elle n'est peut-être pas suffisante, pour la construction d'un avenir plus juste et démocratique dans leur pays et dans le monde. N'est-ce pas ce que nous voulons pour la Palestine ? Là, les crimes du Hamas le 7 octobre ne nous ont pas empêchés d'être solidaires du peuple palestinien, ni d'être conscients de la complexité de sa juste lutte contre le sionisme israélien ; une complexité qui, dans leur cas, ne nous empêcherait pas de nous réjouir si, même dans un nouvel ordre mondial non démocratique (ou avec le soutien inimaginable des États-Unis et de l'Union européenne), ils parvenaient à obtenir leur libération. Car nous savons aussi qu'il n'y a pas d'avenir pour la Palestine et pour le monde sans la défaite du sionisme israélien génocidaire.
Dans une version antérieure de cet article, rédigée il y a cinq jours [7 décembre], alors que la chute rapide de Damas n'était pas encore prévisible, je recommandais un très beau texte d'Ayham Al Sati , réfugié syrien en Espagne, dans lequel l'auteur exposait, dans un espagnol remarquable, un mélange déchirant de peur et d'espoir que l'un des peuples les plus affligés de la planète a enduré pendant des décennies. Je conserve cette recommandation dans cette version en hommage aux Syriens qui ont souffert autant que lui et qui partagent son point de vue ; et qui, comme lui, ressentent un peu moins de peur et un peu plus d'espoir aujourd'hui. S'il vous plaît, laissez les Syriens de profiter de ce dimanche historique sans gâcher leur fête en remettant en question la légitimité de leur joie depuis notre distance olympique, agissant comme des joueurs de poker qui déplacent des pièces sur un échiquier géopolitique du siècle dernier.
Une autre géopolitique est possible : analyse complexe, principes simples, contexte et humanité. C'est le contraire de ce que les soi-disant "anti-impérialistes" ont fait au cours de ces années en ce qui concerne la Syrie et continuent à faire avec l'Ukraine, en appliquant le raisonnement d'Occam [2] au gré de leurs œillères idéologiques nihilistes, abandonnant ainsi les peuples sur le terrain qui se soulèvent contre les dictatures s'ils ne sont pas « de notre côté », ou ceux qui défendent leur terre contre les envahisseurs, à moins qu'ils ne soient palestiniens. Tout est beaucoup plus complexe que ce que prétendent ces fanatiques des échecs géopolitiques – qui jouent en fait aux dames – ; tout est aussi beaucoup plus simple. Il faut lire davantage, étudier davantage. Il faut aussi poser davantage de questions aux gens, directement ou indirectement.
Les Syriens eux-mêmes nous ont montré la voie : nous pouvons – oui, nous pouvons – soutenir à la fois les Palestiniens, les Ukrainiens et les Syriens. Nous ne savons pas ce qui se passera après-demain. Les Syriens sont très divers et de nombreux intérêts internationaux sont mêlés dans la région, mais l'effondrement extrêmement rapide d'un régime sanguinaire qui, avec la collaboration de la Russie et de l'Iran, semblait avoir consolidé son pouvoir (et qui était sur le point de normaliser ses relations avec l'Europe) montre que la chute de Damas n'était à l'ordre du jour de personne. Pour cette raison, elle devrait nous obliger à réduire l'arrogance de tous nos schémas. Comme ce fut le cas lors des révolutions arabes, de nombreux acteurs seront contraints d'ajuster leurs stratégies. Ils devront commencer par reconnaître l'autonomie relative des forces locales (islamistes, Kurdes, SNA (Armée nationale syrienne) [3] , opposition démocratique et restes du régime). Ils devront surtout tenir compte de l'existence inattendue (après tant d'années cauchemardesques) des gens du peuple, de leurs aspirations et de leurs capacités de résistance.
Tous les Syriens ont gagné et tous les Syriens ont perdu. Quiconque voudra gouverner la Syrie devra s'appuyer sur toutes les forces que l'offensive du HTS a elle-même mis en lumière, réduisant ainsi son hégémonie. Dans une situation où personne ne peut revendiquer la victoire et où chacun a le sentiment d'avoir perdu quelque chose – ou beaucoup ou tout – au cours des dernières années, un accord pourrait peut-être être plus envisageable. Soudain, il existe une possibilité (inimaginable il y a encore une semaine) que les Syriens soient ceux qui décident eux-mêmes de leur propre destin. Nous devons donc les laisser explorer. Aujourd'hui, en tout cas, laissons-les enterrer leurs morts, rendre hommage à leurs héros, accueillir leurs amis libérés des cachots, retrouver leurs mères, revenir d'exil et danser sur les places libérées, caressant dans la tête et des mains la Syrie que ces années leur avaient volée. Quoi qu'il arrive désormais, personne ne peut nier que la Syrie est aujourd'hui un pays meilleur. Nous pourrions aller plus loin et dire : en contraste aux souffrances des dernières décennies, pour quelques heures, la Syrie est et sera le pays le plus libre du monde.
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[1] Un mouvement anti-austérité qui a débuté en Espagne le 15 mai 2011.
[2] Principe de résolution de problème selon lequel l'explication la plus simple est souvent la meilleure.
[3] Malgré son nom le SNA n'est pas l'armée de l'État syrien. Elle fait partie d'un certain nombre de coalitions armées qui se sont opposées au régime d'Assad, principalement basé dans le nord de la Syrie et soutenu par la Turquie.
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COALITION DU QUÉBEC URGENCE PALESTINE
Grande manifestation à Montréal
Dimanche 26 janvier 2024 à 13 h 30
Lieu : coin Sherbrooke et McGill College (métro McGill)
Consultez la liste des signataires et signez vous aussi
En date du 13 janvier 2025
103 organisations
116 personnalités publiques
Ensemble pour Gaza et la Palestine ! ISRAËL DOIT ÊTRE ARRÊTÉ !
Depuis plus de 15 mois, Israël poursuit son assaut génocidaire contre Gaza : 2,3 millions de Palestinien·ne·s, désignés comme « animaux humains », sont bombardés, privés de nourriture et d'eau, alors que leurs infrastructures de survie sont systématiquement détruites.Au moins 46 565 morts, dont 17 492 enfants ; plus de 11 160 disparu·e·s ; plus de 109 660 blessé·e·s (13/01/2025). 90 % de la population a été déplacée de force, à répétition, survivant dans des conditions les exposant à une mort lente. Partout, la disponibilité des denrées alimentaires n'a jamais été aussi faible. Ces crimes n'ont pu être commis qu'avec les armes et la complicité de l'Occident, y compris le Canada. C'est notre responsabilité de tout faire pour y mettre fin !
Israël méprise et affaiblit le droit et les instances internationales
Loin de mettre en oeuvre les ordonnances de la Cour internationale de justice(CIJ) du 26 janvier 2024(plausibilité d'un génocide ; libre accès pour l'aide humanitaire), du 24 mai 2024(arrêter l'offensive à Rafah ; garder ouvert le passage vers l'Égypte) et du 19 juillet 2024 (fin de l'occupation et de la colonisation israéliennes dans les plus brefs délais[1]), Israël a plutôt choisi de les dénoncer comme antisémites et de poursuivre ses atrocités. Le 18 juillet, le parlement israélien a voté contre toute perspective d'un État palestinien. Le 21 novembre 2024, Israël a aussi qualifié d'antisémites les mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre Benyamin Nétanyahou et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Fin-janvier 2025, deux lois israéliennes entreront en vigueur, interdisant les activités de l'UNRWA – l'Agence des Nations Unies pour les réfugié.e.s palestiniens depuis 1949 – qui est, depuis 15 mois, la maigre bouée de sauvetage humanitaire de la population de Gaza !
Invasion du Liban et nettoyage ethnique au nord de Gaza
Du 23 septembre au 27 novembre 2024, Israël a lancé une campagne de bombardements massifs et une invasion terrestre contre le Liban qui a fait plus de 3 400 morts et 14 600 blessés et plus d'un million de déplacé·e·s. Benyamin Nétanyahou a même menacé le Liban du même sort que Gaza.
Début octobre 2024, Israël a mis en oeuvre « le plan des généraux » visant à vider le nord de Gaza – un tiers du territoire – de tous ses habitants pour le transformer en zone militaire et le recoloniser. Bombardées sans relâche, 70 000 personnes – n'ayant pas voulu ou pas pu évacuer – sont privées d'accès à la nourriture, à l'eau ou à l'électricité depuis des semaines.Le dernier grand hôpital de cette région a été bombardé, assiégé, évacué de force et saccagé par l'armée israélienne.
La menace d'un embrasement régional encore plus grand
Le 27 novembre 2024 – en annonçant un cessez-le-feu avec le Liban, qu'il a violé une centaine de fois en moins d'une semaine – Israël a proclamé sa volonté d'intensifier la guerre à l'échelle régionale. Et il s'est exécuté immédiatement, profitant de la chute du régime Assad en Syrie,en bombardant massivement les installations militaires syriennes. Fort de nouvelles livraisons d'armes, Israël pourrait non seulement relancer son agression contre le Liban mais aussi lancer une nouvelle guerre contre l'Iran.
Israël doit être arrêté !
Israël poursuit son projet de dépossession du peuple palestinien, allant du nettoyage ethnique jusqu'au génocide. Israël cherche aussi à s'imposer par la guerre comme puissance régionale hégémonique. De nouvelles ordonnances de la CIJ, de nouvelles résolutions de l'ONU, ne feront pas reculer Israël. Seul un maximum de sanctions appliquées sans délai feront reculer Israël.
Le Canada et le Québec doivent agir !
La complicité et l'inaction du Canada et du Québec sont odieuses. Mobilisons-nous pour exiger des sanctions sévères contre Israël, pour un cessez-le-feu permanent à Gaza et la réalisation du droit du peuple palestinien à l'autodétermination. Exigeons la fermeture du bureau du Québec à Tel-Aviv. Exigeons un véritable embargo sur tout matériel militaire, et la remise en question des relations diplomatiques et de l'accord de libre-échange Canada-Israël. Exigeons la fin des investissements dans les industries qui nourrissent le génocide et la colonisation en Palestine.
IL N'EST PAS ANTISÉMITE DE DÉFENDRE LES DROITS DU PEUPLE PALESTINIEN !
[1] Le 18 septembre 2024, l'Assemblée générale des Nations Unies a exigé qu'Israël mette fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé (TPO) au plus tard d'ici un an.
Version PDF de l'appel
Version PDF de la liste des signataires
Signez l'appel vous aussi !
La Coalition invite le plus grand nombre d'organisations et de personnalités publiques à ajouter leur nom pour signifier leur appui à l'appel « Ensemble pour Gaza et la Palestine ! Israël doit être arrêté ! ».
Pour signer ou pour informations : urgencepalestine.qc@gmail.com
Liste des signataires de l'appel
En date du 13 janvier 2025
103 organisations
116 personnalités publiques
Organisations
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.