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Le resserrement des rangs autour du leader, n’endiguera pas la droite

17 décembre 2024, par Jaime Pastor — , ,
Le récent congrès du PSOE s'est déroulé dans un contexte international et géopolitique de plus en plus instable, d'une part, et dans le contexte de centralité médiatique et (…)

Le récent congrès du PSOE s'est déroulé dans un contexte international et géopolitique de plus en plus instable, d'une part, et dans le contexte de centralité médiatique et judiciaire de corruption qui affecte le soi-disant sanchisme, en particulier le numéro 2 de ce parti, José Luis Ábalos, d'autre part.

7 décembre 2024 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/con-el-cierre-de-filas-en-torno-al-lider-no-se-para-a-la-derecha/

Dans ces conditions, le développement de ce rassemblement parlementaire à Séville était prévisible : démonstration maximale de resserrement des rangs autour du leader charismatique et de son Manuel de résistance, ainsi que réaffirmation de son engagement à continuer à jouer la carte du chantage (« la droite et l'extrême droite arrivent ») afin de discipliner ses partenaires au gouvernement et au parlement.

De cette manière, Sánchez cherche à atteindre son objectif de rester à la Moncloa jusqu'en 2027 et, malgré les mauvais présages des urnes, de remporter les prochaines élections. Comme on pouvait s'y attendre, il n'y a pas non plus eu de tentative d'autocritique par rapport à de nombreuses politiques développées au cours de ces années, pas même pour leur coresponsabilité dans l'inaction initiale face à la catastrophe tragique de la DANA [1] (Depresion Aislada en Niveles Altos), malgré le fait que les reproches soient venus de secteurs très différents, y compris de certains de ses partenaires, tels que Compromís et Podemos.

Rhétorique sociale-libérale, protectionnisme précaire et euro-atlantisme

Si nous prêtons attention au document-cadre de la Conférence, intitulé « Espagne 2030. Un socialisme qui avance, une Espagne qui dirige », il est juste de reconnaître quelques signes d'une rhétorique plus radicale contre les « méga-riches » en défense de « la classe moyenne et ouvrière », mais on voit peu de nouveautés programmatiques. En effet, le document commence par annoncer quatre défis majeurs à l'horizon 2030, ce qui semble bien loin en ces temps d'accélération réactionnaire : développer un modèle de croissance différent et faire face à l'urgence climatique (il faudrait expliquer comment le premier et le second peuvent être compatibles...) ; faire face à la transformation de l'ordre mondial et, enfin, répondre à la « montée des valeurs autoritaires à l'échelle internationale ».

Il s'en est suivi la tentative de magnifier les « choses impossibles que nous avons accomplies » dans la dernière étape (avec la réforme du travail, malgré ses limites, en premier lieu) et l'annonce des « choses impossibles que nous réaliserons » (avec le projet – difficilement viable avec ses alliés PNV et Junts – de protection constitutionnelle des conquêtes sociales), puis la définition d'un projet pour le pays avec dix objectifs : le premier d'entre eux (« Une économie plus compétitive, équitable et durable ») fixe déjà le cadre de ceux qui seront présentés plus loin : réduction du temps de travail, éducation de qualité, logement pour tous, lutte contre les inégalités sous toutes leurs formes, État autonome renforcé, démocratie pleine qui résiste à la désinformation, vocation en direction du projet européen, soutien à la (fausse) « solution de deux États en Israël et en Palestine » et le renforcement de « l'autonomie stratégique » de l'UE en matière de défense avec l'alibi de la guerre en Ukraine.

Parallèlement à la mesure la plus répandue de réduction du temps de travail, dont le contenu concret reste à apprécier, parmi les développements spécifiques qui pourraient attirer l'attention, on peut citer la création d'un « siège citoyen » au Congrès et au Sénat afin que des représentants de la société civile puissent intervenir ; le droit de vote dès l'âge de 16 ans et la convocation de conventions citoyennes délibératives ; l'interdiction de la conversion de logements résidentiels en logements touristiques et saisonniers, la création d'une société d'État pour la création de logements sociaux et l'exigence que les hypothèques et les loyers n'excèdent pas 30 % des salaires ; la réforme du système de financement régional (avec une formulation suffisamment ambiguë pour satisfaire toutes les baronnies...) ; ou enfin, l'abrogation de l'Accord de 1979 avec l'Église catholique en matière culturelle et éducative…

Certaines de ces promesses sonnent déjà comme une simple répétition de celles incluses dans les Congrès précédents, tandis que le peu d'attention accordée à la (nécro)politique migratoire (seulement la nécessité d'un « modèle d'immigration qui garantisse un flux constant ») ou l'absence d'une politique fiscale allant au-delà d'une référence générique au fait que les grandes entreprises seront obligées (comment ?) de répartir une partie des bénéfices scandaleux réalisés au cours des dernières années. Sans parler de l'abrogation toujours repoussée de la loi bâillon et de la loi sur les secrets officiels ; ou de la réforme démocratique et urgente du système judiciaire (où est cette annonce de la régénération démocratique ?) ; ou le manque de précision de ce que peut signifier « se plonger dans le processus de fédéralisation de l'État » ; ou, last but not least, le silence total sur le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui, confirmant une fois de plus sa complicité avec le régime répressif marocain.

Cependant, l'intérêt que ce document-cadre a pu avoir au Congrès n'a fait que dépasser le triomphe des féministes dites classiques avec leur amendement visant à empêcher l'inclusion de Q+ aux côtés des LGBTI. Chose qui a été réalisée grâce au lobby mené par l'ancienne vice-présidente Carmen Calvo, et qui a finalement été approuvée en séance plénière avec un très faible pourcentage de participation. Une décision qui représente un grave pas en arrière dans la reconnaissance de la diversité, contribue à promouvoir la transphobie, enhardit la droite dans sa guerre culturelle et éloigne le PSOE d'une position qui fait l'objet d'un large consensus dans la majeure partie du mouvement féministe ; surtout, parmi ses nouvelles générations.

En bref, Sánchez a profité du Congrès pour exiger la loyauté des militant-es face au harcèlement judiciaire, politique et médiatique qu'il subit, surtout depuis l'approbation de la loi d'amnistie (voulant oublier qu'il n'a pas protesté et qu'il a même été complice de celle qui, dans le passé, a affecté la souveraineté catalane et Podemos). En même temps, il propose un projet de gouvernement suffisamment ambigu sur les questions fondamentales auxquelles il est confronté avec le PP pour tenter d'attirer une partie de son électorat et même rétablir avec ce parti un système bipartite à partir d'un sens de l'État. Ce n'est guère une tâche réalisable, même comme nous le voyons face à l'urgence migratoire aux îles Canaries, puisque le PP continue d'être sous la pression non seulement de Vox (désireux de revendiquer sans complexe l'héritage de la dictature franquiste à l'approche du 50e anniversaire de la mort de son fondateur), mais aussi de la présidente de la Communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, tous deux renforcés par la victoire électorale de Trump. De plus, compte tenu de l'hétérogénéité de ses alliés au Parlement, il n'est pas non plus prévisible que certaines des lois et mesures progressistes promises, à commencer par leur inclusion dans le budget, se concrétisent.

Ainsi, nous allons nous retrouver avec un PSOE qui va continuer sur la voie du réformisme sans réformes structurelles remettant en cause les intérêts du grand capital et les bases du régime monarchique dont ce même parti a été et est un pilier fondamental. Ce n'est pas par cette voie qu'il pourra arrêter la menace réelle du bloc réactionnaire ni, malgré les bonnes données macroéconomiques, atténuer l'aggravation des inégalités. Il n'est possible, dans les meilleures hypothèses, que d'essayer de neutraliser le conflit social en répondant à certaines revendications, comme dans le cas de la lutte pour un logement décent ; mais cela n'arrivera pas si la taxe sur les locations saisonnières ne peut même pas être votée par le Parlement.

Cette impasse stratégique dans laquelle s'est engagé le PSOE n'est pas sans rapport avec l'évolution qui a longtemps caractérisé un social-libéralisme atlantiste qui tend à perdre de sa centralité dans de nombreux pays, comme on le voit maintenant en France et très probablement en Allemagne après les élections législatives de février. Dans ce contexte, dans le cas de l'Espagne, la résilience du gouvernement apparaît de plus en plus comme une anomalie grâce au fait qu'il a réussi à annuler le potentiel de rupture des partis qui ont émergé à sa gauche – Podemos puis Sumar – et, en même temps, à maintenir une politique de pactes avec les forces non étatiques, principalement au Pays basque et en Catalogne, en échange de modestes concessions pratiques.

Cependant, cette politique de la peur face au mal plus grand ne durera pas éternellement à une époque où l'agitation sociale et la désaffection politique, maintenant accrues par les conséquences de la catastrophe de la DANA, continueront à augmenter. Ce ne sont pas les politiques de ce gouvernement qui empêcheront le bloc réactionnaire de capitaliser sur la propagation de l'antipolitique parmi de nouveaux secteurs de l'électorat.

Peur de la démocratie interne

Sur le plan organisationnel, la consolidation d'un modèle de parti basé sur un césarisme de plus en plus renforcé autour du leader maxima est également évidente, comme l'a déjà critiqué l'un des rares délégués de la Gauche socialiste à avoir assisté au congrès, Manuel de la Rocha Rubí. Comme il l'a lui-même vérifié, il y a eu une démonstration claire de la « peur de la démocratie », qui s'est manifestée même dans le « refus de débattre de la gestion au Congrès, en violation d'un principe démocratique fondamental et d'un article clé de nos statuts », et une subordination totale du parti au gouvernement lui-même a été installée ; ce qui a été rendu encore plus visible avec le nombre de ministres qui font partie de la nouvelle Commission exécutive fédérale ; définitivement, conclut-il, « la position du Parti est fixée par le gouvernement et non l'inverse, sans même qu'il y ait possibilité d'une influence mutuelle ».

Le cas de Madrid, avec la démission forcée de Juan Lobato en tant que secrétaire général du PSM, quelle que soit l'opinion que l'on a sur son comportement vis-à-vis la compagne de Díaz Ayuso, est un autre exemple clair de ces pratiques, comme l'a critiqué à juste titre Izquierda Socialista de Madrid (« Les formes comptent ! ») face à l'interdiction des réunions pour monter quelque candidature que ce soit contre le parti au pouvoir, dirigé par l'actuel ministre Oscar López.

Ainsi, certainement, en vertu de la maxime de faire de la nécessité une vertu, le triomphe d'un modèle de leadership plébiscitaire qui n'aspire qu'à rester au gouvernement en faisant quelques concessions à ses alliés aux investitures dans des domaines qui n'affectent pas le noyau dur de l'économie politique qui est dicté par l'UE, principalement à partir de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.

Vide à gauche

À ces sombres perspectives s'ajoute l'absence tragique de forces politiques à gauche du PSOE capables de construire une alternative aux politiques de division des classes populaires pratiquées par la droite, mais aussi au social-libéralisme en déclin de Sánchez. Ni Sumar – de plus en plus adapté aux limites fixées par la Moncloa et l'UE – ni Podemos – malgré ses efforts pour apparaître aujourd'hui hypercritique à l'égard d'un PSOE avec lequel il continue pourtant d'aspirer à gouverner – n'ont la crédibilité d'être des références dans la tâche ardue de recomposer une gauche prête à tirer les leçons du cycle ouvert par le 15M et les processus catalans afin d'offrir une voie de refondation qui ne soit pas subordonnée à la politique institutionnelle.

Sur le plan plus social, les directions des grands syndicats, CCOO et UGT, subordonnées à leur tour à ce que dicte le gouvernement, n'apparaissent pas non plus aujourd'hui comme le cadre de référence d'une recomposition d'un mouvement ouvrier prêt à affronter un patronat et un grand capital de plus en plus enclins à favoriser l'arrivée du bloc réactionnaire au gouvernement.

Dans l'ensemble, les mobilisations pour un logement décent sur pratiquement tout le territoire de l'État espagnol – véritables expressions d'une lutte de classe qui s'attaque directement au capitalisme rentier – ainsi que l'admirable réponse solidaire du peuple valencien et d'autres parties de l'État face à la catastrophe éco-sociale de la DANA, ainsi que les différentes formes de résistance qui ont lieu dans différents secteurs – tels que la santé et l'éducation ou en solidarité avec la Palestine, montrent des symptômes d'espoir qu'un nouveau cycle de mobilisations d'en bas et de gauche puisse être rouvert dans la période à venir. C'est de ces expériences qu'il nous faudra tirer les leçons pour chercher de nouvelles formes de confluence dans les luttes et les débats d'acteurs collectifs renouvelés ; et avec eux, générer de nouvelles initiatives qui nous permettront de construire un front politique et social commun, capable de faire face à la menace réactionnaire et d'accumuler un potentiel contre-hégémonique à partir des quartiers et des lieux de travail. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons remettre au centre la nécessité d'une stratégie de transition éco-sociale et de rupture démocratique avec ce régime et avec le bloc de pouvoir qui le soutient.

Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de Viento Sur

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[1] Une DANA se produit lorsqu'une masse d'air froid en altitude reste isolée dans l'atmosphère tandis qu'en surface l'air est plus chaud et plus humide. Ce contraste entre température provoque une instabilité atmosphérique importante, ce qui peut entrainer des précipitations intenses et soudaines, souvent sous forme de violents orages ou de pluies torrentielles – Chat GPT

Grèce : un meeting pour des perspectives à gauche

17 décembre 2024, par Andreas Sartzekis — , ,
La nécessité de donner une réponse politique de gauche en prolongement aux luttes sociales commence à intégrer la dimension unitaire. L'effacement d'un Syriza « pasokisé », qui (…)

La nécessité de donner une réponse politique de gauche en prolongement aux luttes sociales commence à intégrer la dimension unitaire. L'effacement d'un Syriza « pasokisé », qui s'est traduit par son implosion, clarifie le paysage.

9 décembre 2024 | tiré du site de la Gauche anticapitaliste
https://www.gaucheanticapitaliste.org/grece-un-meeting-pour-des-perspectives-a-gauche/

Par | 09/12/2024 | International
Grèce : un meeting pour des perspectives à gauche

Et si le congrès de Nea Aristera, groupe formé à l'initiative des ancienNEs cadres autour de Syriza, appelle à un Front populaire, en assumant la politique désastreuse de Tsipras au pouvoir, c'est dans la gauche radicale et révolutionnaire que des forces veulent en finir avec l'autoproclamation du parti révolutionnaire et travaillent à un cadre unitaire, à la lumière d'autres expériences. À cette fin, cinq groupes ont invité à Athènes le 8 novembre notre camarade Olivier Besancenot à animer un meeting sur la question du Nouveau Front populaire, qu'on met un peu à toutes les sauces ici. Parmi ces organisations, DEA, Anametrissi (y militent les camarades de la Tendance programmatique IVe Internationale, un des deux groupes de la section grecque), Metavassi (groupe issu de NAR, la principale organisation de la gauche révolutionnaire)…

Un meeting réussi

Olivier a d'abord insisté sur la gravité de la situation mondiale, la bourgeoisie choisissant de laisser former des gouvernements de droite extrême ou d'extrême droite, avec toutes les menaces de guerres qui s'amoncellent dans le cadre des concurrences interimpérialistes, et bien sûr une extension générale de la répression contre les mobilisations et la gauche. Il a montré comment le NFP est avant tout le fruit d'une mobilisation exceptionnelle qui donne espoir dans les capacités de résistance du mouvement de masse. Et cette mobilisation est en même temps le fruit des mouvements de masse antérieurs, par exemple contre la retraite à 64 ans, et de la pression unitaire qui a joué un rôle important pour le front syndical l'an passé. Mais la situation actuelle est celle d'un abandon du NFP pour un repli partidaire dans le cadre électoraliste des institutions, et face à cela, la volonté du NPA est de faire vivre des comités locaux NFP.

Diverses questions de la salle ont suivi, dénotant un intérêt dépassant le cadre des 5 organisations. De manière générale, tout le monde semblait fort heureux d'une rencontre ponctuée par un appel internationaliste à se battre. Succès de la participation avec 350 à 400 personnes. Tout le monde est reparti avec du tonus pour faire face aux échéances nombreuses, et avec l'idée qu'il faut travailler à créer un front à vocation unitaire et révolutionnaire.

La colère sociale monte !

Tous ces derniers jours, des mobilisations importantes ont lieu : contre la répression de syndicalistes enseignantEs, le gouvernement a voulu interdire la grève enseignante, il s'est retrouvé avec une grève de la fonction publique ! Ça bouge bien sûr dans les facs, face au projet de réduire d'un tiers des départements de l'université publique. Mais aussi chez les collégienNE s et lycéenNEs, contre le manque de profs et la fusion de classes. Les 2 500 pompiers saisonniers se mobilisent pour que leurs contrats ne se réduisent pas aux mois d'été, vu la situation catastrophique des incendies et de leur prévention. Les habitantEs d'îles comme Ikaria, Samothrace refusent en masse l'imposition de centaines d'éoliennes. Le tout sur fond de répression, devenant orwellienne contre les pompiers, ou comme au Pirée où des collégienNEs ont été convoqués par la police car « soupçonnéEs de vouloir ­occuper leur ­établissement » !

Un résultat peut-être prometteur de l'ambiance : PAME, le très sectaire courant syndical du KKE (PC grec), a invité à une conférence des syndicats radicaux, comme celui des livreurEs…

Sans oublier bien sûr la mobilisation annuelle du 17 novembre commémorant le massacre de l'Université polytechnique par la junte des colonels, un temps fort de l'agenda social et donc politique sera la grève générale appelée le 20 novembre, à un moment où 2,5 millions de contribuables vivent sous le seuil de pauvreté.

Article initialement publié le 22 novembre sur le site de l'Anticapitaliste

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Pourquoi nous détestons le Parti Socialiste

17 décembre 2024, par Guillaume Étievant — , ,
En 2017, Olivier Faure espérait (déjà !) une grande coalition, allant du Parti socialiste à la droite, « qui tienne compte de l'électorat très composite (…) (venu) faire (…)

En 2017, Olivier Faure espérait (déjà !) une grande coalition, allant du Parti socialiste à la droite, « qui tienne compte de l'électorat très composite (…) (venu) faire obstacle à Marine Le Pen ». Il la souhaite encore et s'est ainsi dit, suite à la censure du gouvernement Barnier, prêt à discuter avec les macronistes et la droite, sur la base « de concessions réciproques ». Il s'est même dit prêt à faire « des compromis sur tous les sujets ». LFI continuant quant à elle à exiger la démission d'Emmanuel Macron, le NFP est ainsi proche de l'explosion. Et c'est tant mieux. Car cette alliance, mêlant les héritiers du hollandisme et ceux qui s'y sont opposés frontalement, constitue un obstacle majeur à l'émergence d'une véritable alternative à la politique actuelle. Hormis quelques sièges de députés, l'union avec le PS ne peut rien apporter de bénéfique. Le rejet de ce parti, parfois perçu comme une posture sectaire ou un refus obstiné de l'unité, découle pourtant directement de l'expérience : celle de ses choix politiques, de sa manière de gouverner et de l'espoir, vivace, de voir arriver sa disparition définitive.

9 décembre 2024 | tirer de Frustrations
https://www.frustrationmagazine.fr/pourquoi-nous-detestons-le-parti-socialiste/

En France, la vie politique est structurée par les partis et l'intérêt individuel des élus qui les composent. On le voit encore une fois depuis quelques mois, avec la création du NFP et les négociations pour avoir les places éligibles aux législatives, puis les négociations pour tenter d'aboutir à un choix commun de premier ministre NFP et enfin aujourd'hui avec toute la gauche “de gouvernement”, qui va boire la soupe de Macron, à part LFI. L'intérêt des partis est supérieur à celui des idées qu'ils prétendent défendre. Cette simple affirmation est une évidence pour la majorité de la population, qui affiche une juste défiance à la fois spontanée et réfléchie au personnel politique. Mais les militants politiques, et c'est bien normal, s'engagent initialement souvent avant tout pour des idées, des convictions, et sont donc sans cesse déçus par les élus et les dirigeants des partis politiques, qui visent avant tout la poursuite de leur carrière et des rémunérations qui l'accompagnent.

Pour le PS, les idées ne sont qu'un outil pour gagner les élections

Le Parti socialiste en est la plus pure illustration. Entre ses discours quand il est en campagne électorale et ce qu'il pratique une fois qu'il est au pouvoir, il y a un monde. Les idées ne sont pour lui qu'un outil parmi d'autres pour gagner des élections. Il joue le jeu classique et cynique des sociaux-démocrates qui consiste à faire des promesses antilibérales dans un cadre parfaitement libéral, comme nous avons déjà eu l'occasion de l'écrire : « cela a l'avantage de montrer une bonne volonté en faisant mine de vouloir mettre en place ce pour quoi on a été élu, puis de faire constater à tous l'échec de ces politiques alors même que celles-ci ne pouvaient qu'échouer dans ce contexte. C'est une des manœuvres de la bourgeoisie, aussi grossière qu'efficace, pour “naturaliser” une fois de plus le capitalisme ».

Quand il gouverne, le PS ne fait pas qu'accompagner le libéralisme, il accélère la destruction de notre modèle social, tout en ayant promis le contraire.

C'est pour cela que nous détestons le Parti socialiste. Ce n'est pas un préjugé, ce n'est pas un « refus d'unité », ça n'est pas un caprice qui empêcherait la gauche de gouverner. C'est que tout gouvernement où le PS aura une position déterminante mènera une politique de droite et c'est l'expérience qui le démontre. Quand il gouverne, le PS ne fait pas qu'accompagner le libéralisme, il accélère la destruction de notre modèle social, tout en ayant promis le contraire.

En particulier, Mitterrand et ses gouvernements ont libéralisé massivement l'économie. Le storytelling de gauche sur l'expérience mitterrandienne consiste souvent à considérer que les socialistes ont fait des réformes de gauche jusqu'en 1983, que cela a créé trop de problèmes économiques et qu'ils ont ensuite arrêté les réformes (le fameux “tournant” de la rigueur). En réalité, ce “tournant” était prévu dès le départ comme le montre le discours de politique générale du premier ministre Pierre Mauroy du 8 juillet 1981 où il affirme notamment : “Cette démarche, que je viens d'inscrire dans la durée, sera conduite dans la rigueur. Cela signifie la rigueur budgétaire. Cela signifie que nous défendrons le franc et le maintiendrons dans le système monétaire européen.” La soumission à l'Europe au détriment de la population française était déjà très claire. Le PS a par la suite réformé massivement tout au long des années 1980, en faveur du capital : il a mis fin au contrôle des crédits et des taux d'intérêts et a déréglementé les marchés financiers. Il a légalisé les produits dérivés à l'origine de la crise de 2008. Il a soutenu le traité de Maastricht qui nous a fait perdre notre indépendance monétaire et nous a livrés pieds et poings liés aux emprunts auprès des marchés financiers. Et dans le même temps, il a désindexé les salaires des prix.

Le PS a réformé massivement tout au long des années 1980, en faveur du capital : il a mis fin au contrôle des crédits et des taux d'intérêts et a déréglementé les marchés financiers. Il a légalisé les produits dérivés à l'origine de la crise de 2008. Il a soutenu le traité de Maastricht qui nous a fait perdre notre indépendance monétaire et nous a livré pieds et poings liés aux emprunts auprès des marchés financiers. Et dans le même temps, il a désindexé les salaires des prix

Lionel Jospin va garder cette cohérence libérale quand il devient Premier ministre en 1997 en privatisant à tout va (France Télécom, CIC, Crédit Lyonnais, les autoroutes ASF, le futur EADS, Air France, etc.) et en faisant bénéficier les entreprises privées d'exonérations massives de cotisations sociales lors de la mise en œuvre des 35 heures. Le PS va également autoriser les grandes entreprises du CAC 40 à racheter jusqu'à 10 % de leurs actions et diminuer la fiscalité sur les plus-values boursières des actions. A l'époque, il avait pourtant largement les moyens de faire autrement : la gauche était au pouvoir dans de nombreux pays européens, ce qui aurait permis de négocier des traités plus favorables aux salariés. La croissance était au beau fixe, ce qui permettait de dégager de larges marges de manœuvre financières. L'épisode le plus symptomatique fut sans doute celui de la “cagnotte”. En 1999, l'économie française connaît un taux de croissance dépassant les prévisions (3% au lieu de 2 %), ce qui crée l'équivalent d'environ quinze milliards d'euros de rentrées fiscales supplémentaires. Après avoir tenté maladroitement de cacher cette “cagnotte” pendant des mois aux Français, le gouvernement a finalement choisi, plutôt que de l'orienter vers les plus pauvres, de l'utiliser pour baisser la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu, soit celle qui est payée par les plus riches !

En 2012, après dix ans de disette, le PS revient aux plus hautes responsabilités. François Hollande a été élu sur un programme qu'il a peu à peu gauchisé pendant la campagne électorale, sous pression de la percée de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages. “Mon véritable adversaire, c'est le monde de la finance”, a-t-il clamé lors de son discours au Bourget de janvier 2012. Une fois élu, il ne fait ensuite que conforter les intérêts de la finance et du patronat. Il nomme immédiatement Emmanuel Macron secrétaire général adjoint de son cabinet, puis ministre de l'Economie en 2014. Il met en œuvre de multiples lois de déréglementation du droit du travail, facilitant les licenciements boursiers, plafonnant les indemnités de licenciement illicites, et permettant à des accords d'entreprise de déroger au droit du travail en défaveur des salariés. Les cadeaux au patronat atteignent dans le même temps des sommets, avec en particulier le CICE (Crédit d'impôt compétitivité emploi) versé aux entreprises pour un montant global de 20 milliards d'euros par an, sans contrepartie.

Lionel Jospin va garder cette cohérence libérale quand il devient Premier ministre en 1997 en privatisant à tout va (France Télécom, CIC, Crédit Lyonnais, les autoroutes ASF, le futur EADS, Air France, etc.) et en faisant bénéficier les entreprises privées d'exonérations massives de cotisations sociales lors de la mise en œuvre des 35 heures.

Le mandat de Hollande a été aussi un tournant sur le maintien de l'ordre, les manifestants étant systématiquement matraqués à partir de 2014, et sur l'immigration. Rappelons-nous de la pauvre Leonarda Dibrani, enfant de 15 ans arrêtée par la police à la sortie de son autobus scolaire en 2013 pour l'expulser au Kosovo, avant que, vu le tollé médiatique, François Hollande tente de reculer en l'autorisant elle seule, sans sa famille, à revenir en France, une aberration contraire à la Convention internationale des droits de l'enfant. Le PS a achevé également, pendant cette période, sa conversion à l'islamophobie, comme le raconte Aurélien Bellanger dans son ouvrage Les derniers jours du Parti socialiste.

Se débarrasser du PS

Pourquoi croire que le PS d'aujourd'hui fera différemment ? Par quel miracle ? Olivier Faure a voté absolument toutes les lois de régression sociale de François Hollande. Il a même hésité à soutenir Macron dès 2016. Il aurait été prêt à signer quasiment n'importe quel programme électoral pour assurer un nombre suffisant de députés à son parti. Pour le NFP, une soirée de négociations a d'ailleurs suffi : le PS, les programmes, il ne les applique pas, de toute manière. A terme, le but de Faure n'est pas de combattre Macron, mais de le remplacer. Il veut que le PS retrouve son rôle historique central : incarner une alternance politique acceptée par la bourgeoisie et défendant ses intérêts en prétendant le contraire.

Olivier Faure a voté absolument toutes les lois de régression sociale de François Hollande. Il a même hésité à soutenir Macron dès 2016. Il aurait été prêt à signer quasiment n'importe quel programme électoral pour assurer un nombre suffisant de députés à son parti.

Ce qui est peut-être encore pire pour l'avenir, c'est que la matrice du Parti socialiste est celle à laquelle toute formation de gauche qui vise le pouvoir a la tentation de s'adapter. À Frustration, notre désaccord le plus fort avec Jean-Luc Mélenchon concerne les alliances qu'il noue épisodiquement avec le Parti socialiste pour des raisons électorales. Cette stratégie fonctionne de ce point de vue : la FI a désormais 71 députés. Mais le revers de la médaille, c'est que le Parti socialiste en a quant à lui 65, alors qu'à l'issue du mandat de Hollande il était passé en cinq ans de 280 députés à seulement 30. La FI a largement contribué à faire renaître le PS, avec la Nupes puis le NFP, alors que l'occasion historique de s'en débarrasser était peut-être à portée de main.

Il est souhaitable d'isoler le PS et de peu à peu le réduire à néant. Non seulement au niveau national, mais aussi au niveau local : rappelons qu'il contrôle cinq régions. Il va y avoir du boulot pour s'en débarrasser. De nombreux militants ne sont pas convaincus de cette nécessité, pensant sincèrement que ce parti, ou au moins certains de ses dirigeants, peuvent changer, faire évoluer leurs positions vers plus de radicalité, tellement la situation sociale catastrophique d'aujourd'hui l'exige. Pourtant, depuis maintenant quarante ans, ça n'a jamais été le cas. Chaque programme présidentiel du PS est plus à droite que le précédent (je me suis infligé la lecture de celui d'Anne Hidalgo pour le vérifier), les courants de gauche au sein du PS ont constamment occupé une position marginale, et le programme porté par le NFP ne traduit pas un durcissement des positions du PS, mais bien un assouplissement des ambitions initiales de La France Insoumise.

La FI a largement contribué à faire renaître le PS, avec la Nupes puis le NFP, alors que l'occasion historique de s'en débarrasser était peut-être à portée de main.

La composition du futur gouvernement pourrait offrir une opportunité de clarification, notamment si le PS y joue un rôle. La fragilité intrinsèque d'une coalition hétérogène, minée par des dissensions internes et dépourvue de légitimité populaire, la rendra particulièrement vulnérable face à un mouvement social structuré, pérenne et offensif. C'est là que réside l'enjeu crucial : quel que soit le caractère disparate de la future équipe dirigeante ou le nombre de figures estampillées « de gauche » en son sein, il faudra agir sans délai pour la contrer. Les syndicats ont déjà amorcé cette dynamique, et il s'agit de la renforcer en multipliant les grèves et les actions collectives, notamment contre les directions d'entreprises, afin d'exercer une pression constante sur le véritable pouvoir tout en construisant une alternative collective, autonome et affranchie des partis politiques.

Guillaume Etievant

Crédit Photo : François Hollande en 2014 – Kremlin.ru, CC BY 3.0 via Wikimedia Commons

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Liberté de la presse : Le boycott d’Haaretz par Netanyahou ne nous empêchera pas de rendre compte de la sinistre vérité sur les guerres d’Israël

17 décembre 2024, par Ben Aluf — , , ,
A la différence de la plupart des organes de presse israéliens, mon journal montre la souffrance à Gaza et au Liban. C'est pourquoi le gouvernement nous a ciblés [Aluf Benn est (…)

A la différence de la plupart des organes de presse israéliens, mon journal montre la souffrance à Gaza et au Liban. C'est pourquoi le gouvernement nous a ciblés [Aluf Benn est le rédacteur en chef de Haaretz].

Tiré d'Europe Solidaire Sans Frontières
26 novembre 2024

Benn Aluf

« La vérité est la première victime de la guerre » dit le vieux cliché, mais comme tout autre adage, il contient un brin de vérité. Un reportage sur un champ de bataille est toujours un défi : vous êtes empêché par un accès limité, un danger mortel, un brouillard délibéré, et des responsables qui s'en sortent en ne disant pas la vérité. Et cela devient encore plus compliqué lorsque les journalistes font partie de la société belligérante, surtout si le combat jouit d'un large soutien populaire en tant que guerre juste.

Le 7 octobre 2023, Israël a été attaqué par le Hamas, envahissant depuis Gaza pour tuer, piller violer et kidnapper des civils et des soldats. Le lendemain, le Hezbollah a rejoint le combat depuis le Liban. Israël a riposté avec acharnement, dépeuplant et détruisant les villes et villages de la Bande de Gaza, tuant quantité de civils parallèlement aux combattants et opérateurs du Hamas. En septembre 2024, les Forces de Défense Israéliennes (FDI) ont lancé une contre-offensive sur le front nord, portant un coup fatal à son grand rival le Hezbollah et rasant les villages chiites qui lui servaient de base avancée.

Bouleversé par l'attaque surprenante de l'ennemi et par les atrocités du Hamas, le public juif israélien s'est uni dans un soutien écrasant à ce qui a paru être un combat existentiel contre des ennemis irréductibles et sans pitié. Ce jugement prévaut tout à fait en ce 14e mois de guerre, malgré le nombre croissant de victimes dans les FDI et l'échec persistant d'une arrivée à la « victoire totale » promise par le premier ministre Benjamin Netanyahou.

L'attitude des citoyens a dicté les limites de la couverture de l'actualité dans les grands médias israéliens : ne montrer aucune pitié pour l'autre côté. La plupart des médias ne diffusent pas l'assassinat, la destruction et les souffrances humaines à Gaza et au Liban. Au mieux, ils citent la critique internationale des actions d'Israël, la qualifiant d'antisémite et d'hypocrite. On ne voit Gaza et le Liban qu'à travers les lentilles des reporters embarqués dans les unités d'invasion des FDI.

L'incarnation de la couverture médiatique en temps de guerre, c'est Danny Kushmaro, présentateur du journal à Channel 12, le plus grand réseau de télévision d'Israël. Rejoignant le mois dernier une force d'infanterie au Liban, un Kushmaro coiffé d'un casque a fait exploser une maison dans un village chiite occupé, tout en fanfaronnant : « Ne vous frottez pas aux Juifs. » Quand la cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt contre Netanyahou et l'ancien ministre de la défense Yoav Gallant, Kushmaro a réagi avec émotion à la télé à une heure de grande écoute, entouré de photos d'enfants morts et kidnappés du 7 octobre, disant que ces justifications étaient contre nous tous, nos soldats, ce peuple, ce pays ». Kushmaro, et ses collègues à l'antenne, ne se sont jamais donné le mal d'expliquer le fondement factuel derrièreles accusations de la CPI de famine délibérée en tant que méthode de guerre et autres crimes contre l'humanité, apparemment ordonnée par les dirigeants israéliens.

Israël a un censeur militaire, et chaque reportage sur la sécurité nationale ou le renseignement doit obtenir son approbation. La censure est un fléau, mais en temps de guerre, la contrainte statutaire et le filtrage font pâle figure comparés à l'autocensure du public. Les Israéliens ne veulent tout simplement pas savoir.

Presque toujours seul, Haaretz rend compte depuis des décennies de la souffrance des Palestiniens sous occupation israélienne et sur ce que les FDI considèrent comme le « dommage collatéral » du combat contre le terrorisme. A maintes reprises, le journal a été fustigé pour avoir critiqué la moralité des actions des FDI. Des lecteurs ont résilié leur abonnement et des politiques se sont alliés contre nous. Mais nous n'avons jamais bougé. Lorsque vous voyez des crimes de guerre, vous devez vous exprimer tant que la guerre fait rage plutôt que d'attendre jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour faire la différence. La guerre du 7 octobre n'est pas différente : à nouveau seuls, nous rendons compte de l'autre côté du conflit, malgré les difficultés pour accéder aux sources à Gaza et au Liban, tout en embarquant nos reporters avec les FDI comme les autres médias.

Netanyahou n'a jamais aimé notre attitude critique face à lui et sa politique d'occupation et d'annexion, appelant Haaretz et le New York Times « les plus grands ennemis d'Israël en 2012 » (même s'il s'est rétracté plus tard). Comme il a construit sa carrière sur la manipulation des médias, Netanyahou ne peut supporter les voix critiques, indépendantes. Pendant la décennie précédente, son abus du pouvoir de l'État pour fausser la couverture médiatique, dévoilée par Haaretz en 2015, a conduit Netanyahou sur le banc des accusés dans un procès pour corruption criminelle toujours en attente. Mais, même après son inculpation, il n'a fait que changer de tactique, non de stratégie, s'inspirant de la règle du jeu gagnant de son ami et mentor hongrois viktor Orban : attaquer les médias grand public comme hostiles, faire lancer par vos soutiens milliardaires des canaux de soutien, fabriquer une « machine empoisonnée » pour unifier votre base dans les réseaux sociaux. Au fil du temps, le courant dominant changerait de position, ajoutant les porte-parole du leader aux heures de grande écoute, craignant de perdre des téléspectateurs au profit de Channel 14,la Fox d'Israël dopée aux stéroïdes qui ne s'interdit rien.

Netanyahou est une personnalité qui divise, et le public juif israélien, quoique uni derrière la guerre, est profondément partagé entre pro- et anti-Bibistes. Mais Netanyahou utilise les combats extérieurs pour justifier la réduction au silence de ses critiques nationaux. Peu après le 7 octobre, le ministre des Communications Shlomo Karhi, copain du premier ministre, a soumis un projet de résolution du cabinet pour boycotter toute publicité gouvernementale ou abonnement à Haaretz, invoquant la « propagande anti-Israël » du journal. Tout d'abord bloqué par le ministère de la Justice, Karhi a relancé son plan pour affaiblir Haaretz, sous prétexte de propos controverséde notre éditeur Amos Schocken.

Dimanche dernier, la résolution du boycott de Haaretz, maintenant parrainée par Netanyahou, a été votée à l'unanimité du cabinet. Et pour faire bonne mesure, Karhi a également lancé un projet de loi pour privatiser la radiodiffusion publique, qui a été une épine dans le pied du gouvernement, contrairement à sa panoplie de porte-parole médiatiques. « Nous sommes élus par le public, et nous pouvons mettre en place un changement de régime si nous le voulons », a-t-il dit de la motivation profonde de son patron. Le boycott de Haaretz est dépourvu de base juridique, mais Netanyahou s'en moque éperdument : s'il est annulé, il lancerait une tirade contre « l'état profond juridique » et son travail de sape contre son gouvernement. Et il a misé sur les leaders de l'opposition qui, adhérant à la ferveur nationaliste-militariste, se sont abstenus de soutenir le journal.

Mais nous l'emporterons sur la récente agression de Netanyahou, exactement comme nous l'avons remporté sur la colère et le rejet de ses prédécesseurs. Haaretz s'en tiendra à sa mission qui consiste à rendre compte avec un œil critique de la guerre et de ses conséquences terribles pour toutes les parties. La vérité est parfois difficile à protéger, mais elle ne devrait jamais être la victime de la guerre.

Aluf Benn, rédacteur en chef de Harretz.

P.-S.

• Posted on novembre 29, 2024 :
https://aurdip.org/le-boycott-dhaaretz-par-netanyahou-ne-nous-empechera-pas-de-rendre-compte-de-la-sinistre-verite-sur-les-guerres-disrael/

• Traduction J.Ch. pour l'AURDIP.

Source - The Guardian, 26 novembre 2024 :
https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/nov/26/benjamin-netanyahu-haaretz-israel-gaza-lebanon-war

• Aluf Benn set rédacteur en chef de Harretz.

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Israël ferme son ambassade en Irlande avec fracas

17 décembre 2024, par Courrier international — , , , ,
Excédé par les sorties propalestiniennes de Dublin, Israël va retirer sa représentation diplomatique du pays, au grand regret de la presse de l'île d'Émeraude, qui juge (…)

Excédé par les sorties propalestiniennes de Dublin, Israël va retirer sa représentation diplomatique du pays, au grand regret de la presse de l'île d'Émeraude, qui juge légitimes les prises de position du gouvernement centriste.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Un graffiti "Victoire pour la Palestine" photographié à Dublin, le 22 mai 2024. Photo Hannah McKay/Reuters.

“L'Irlande a franchi toutes les lignes rouges.” Dans une déclaration virulente à l'égard du gouvernement irlandais, le ministre des Affaires étrangères israélien a annoncé la fermeture à venir de l'ambassade de l'État hébreu à Dublin. “La rhétorique et les actes antisémites commis par l'Irlande envers Israël se fondent sur la délégitimation et la diabolisation de l'État juif”, a justifié Gideon Saar, dimanche 15 décembre, dans des propos rapportés par le quotidien Times of Israel. À la place, Israël compte renforcer sa présence diplomatique en Moldavie, pays considéré comme plus favorable au “resserrement des liens”.

Tel-Aviv avait déjà rappelé son ambassadrice au mois de mai, en réaction à la reconnaissance par Dublin de l'État palestinien. Mais cette fermeture pure et simple de la représentation diplomatique marque, comme le constate la presse irlandaise, l'apogée des tensions entre les deux pays. “Les relations se sont fortement dégradées depuis le 7 octobre 2023, jour des attaques sanglantes du Hamas contre Israël suivi d'une riposte sur Gaza dont l'ampleur est critiquée par l'Irlande”, retrace The Irish Times.

Outre la reconnaissance de la Palestine au printemps, le gouvernement centriste a proposé en octobre le vote d'une loi sur l'interdiction du commerce avec les colonies des Territoires palestiniens occupés. Puis, en novembre, le Premier ministre, Simon Harris, a indiqué que la république d'Irlande appliquerait le mandat d'arrêt international lancé par la Cour pénale internationale contre son homologue, Benyamin Nétanyahou. Enfin, la semaine dernière, dernière goutte d'eau aux yeux de Tel-Aviv : la confirmation par la voix du vice-Premier ministre sortant (les législatives du 29 novembre ont débouché sur des tractations toujours en cours), Micheál Martin, de l'intervention de l'Irlande dans la plainte pour génocide portée par l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ).

“Aucune malveillance”

Cette accumulation de prises de position constitue, pour Gideon Saar, “des mesures anti-Israël extrêmes”. “L'approche irlandaise de ce conflit n'est pas motivée par des intentions malveillantes”, rétorque l'Irish Independent dans son éditorial du lundi 16 décembre.

  • “Le gouvernement a condamné fermement les attaques du Hamas tout en étant très clair sur le droit d'Israël à se défendre, du moment que cette réponse était proportionnée. Ce qui se déroule à Gaza n'est pas proportionné, au vu des morts, des destructions et des restrictions sur l'aide humanitaire auxquels nous assistons depuis quinze mois.”

À ce stade, Micheál Martin a exclu toute mesure de réciprocité, en raison du “travail important” mené par l'ambassade irlandaise à Tel-Aviv. Une représentation diplomatique ouverte en 1996 seulement (la même année que celle d'Israël en Irlande), après une longue période de tergiversations entre les deux pays.

Considérée par l'État hébreu comme l'un des soutiens les plus farouches de la cause palestinienne en Europe, la république d'Irlande “est le seul pays à perdre son ambassade d'Israël parmi les 14 autres qui comptent intervenir auprès de la CIJ ou qui ont reconnu la Palestine en mai dernier en même temps que Dublin”, à savoir la Norvège et l'Espagne, remarque The Irish Times.

En 2018, Israël avait d'ailleurs déjà évoqué l'hypothèse d'une fermeture de sa représentation diplomatique dans le but de faire des économies (l'Irlande compte une minorité juive d'environ 2 200 membres). “Plutôt que de provoquer un électrochoc et d'inciter les deux parties à régler leurs différends, s'inquiète l'Irish Independent, la fermeture d'une ambassade mène souvent à un plus grand désengagement diplomatique, particulièrement regrettable.”

Courrier international

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Le prix de défense des droits humains accordé à Bisan Owda et « tous les journalistes de Gaza »

17 décembre 2024, par Agence Média Palestine — , , ,
Jeudi 12 décembre, la branche australienne d'Amnesty International annonçait la création du « Prix de défense des droits humains », décerné cette année à Bisan Owda, Plestia (…)

Jeudi 12 décembre, la branche australienne d'Amnesty International annonçait la création du « Prix de défense des droits humains », décerné cette année à Bisan Owda, Plestia Alaqad, Anas Al-Sahrif, Ahmed Sihab-Eldin ainsi qu'à « tous·tes les journalistes de Gaza ».

Tiré d'Agence médias Palestine.

Ce prix entend « célébrer l'excellence du journalisme en matière de droits de l'humain », récompenser le courage et visibiliser la précarité des conditions de travail des reporters travaillant en zone de guerre. Pour la première édition du prix, Amnesty rend hommage aux journalistes de Gaza et à leur précieuse documentation de l'offensive génocidaire israélienne, malgré la dangerosité du terrain.

Mohamed Duar, porte-parole d'Amnesty International Australie pour les territoires palestiniens occupés, déclare : « La liberté de la presse est essentielle à l'existence de sociétés démocratiques et libres. La liberté d'information est un droit humain fondamental. Les journalistes et les médias sont essentiels pour garantir la transparence et la responsabilité. Pourtant, la liberté des médias et la sécurité des journalistes sont menacées dans le monde entier. Chaque attaque contre les journalistes est une attaque contre la presse, la liberté et la vérité. Les journalistes ne sont pas et ne devraient jamais être une cible. »

« C'est dans ce contexte que les prix Amnesty International Australia Human Rights Defender Awards récompensent l'excellence en matière de journalisme sur les droits humains et saluent le courage et la détermination des journalistes qui risquent leur vie pour raconter des histoires importantes sur les droits humains depuis Gaza ou à l'intérieur de Gaza. Les prix rendent hommage à ceux qui ont risqué leur vie pour garantir et défendre l'intégrité du journalisme, en protégeant la liberté d'une information indépendante ».

« Rien de plus honorable sur terre »

Bisan Owda, dont la série « Still Alive » avait été récompensée d'un Emmy Award en septembre dernier, a réagit à l'annonce d'Amnesty International par une vidéo :
« Merci pour votre travail, pour la reconnaissance et pour tous les efforts que vous déployez pour faire la lumière sur ce génocide. C'est un honneur d'accepter ce prix. Je suis ici, devant vous, après avoir survécu plus de 420 jours. J'ai survécu à des bombardements, tout en aidant mon peuple en diffusant la vérité et en documentant le génocide. Je ne trouve rien de plus honorable sur terre que de défendre les droits des personnes sans défense, des personnes opprimées.

« Merci à tous les défenseurs des droits humains sur cette terre et merci pour ce prix.
« Vive la Palestine libre. »

Depuis le début de l'offensive génocidaire d'Israël à Gaza, Bisan Owda documente le quotidien des Palestinien·nes. Avec 4,8 millions d'abonnés sur Instagram (@wizard_bisan1) et plus de 1,2 million de followers TikTok, ses vidéos ont un impact significatif à l'échelle mondiale, mettant en lumière la résilience et la force d'un peuple confronté à la violence génocidaire et la catastrophe humanitaire qui l'accompagne.

Bisan a poursuivi son travail malgré le fait que la guerre contre Gaza ait été reconnue par les Nations unies dès le mois de février comme étant « le conflit le plus meurtrier et le plus dangereux pour les journalistes de l'histoire récente ». À ce jour, au moins 138 journalistes ont été assassiné·es, ce qui correspond à 10% d'entre elles et eux.

« Tous les journalistes de Gaza »

Le fait que les forces israéliennes prennent délibérément pour cible et tuent des journalistes et des membres de la presse constitue un crime de guerre au regard du droit humanitaire international. Malgré ces violations manifestes, aucun·e de leurs auteur·ices n'a eu à répondre de ses actes à ce jour et les journalistes continuent d'être pris·es pour cible en toute impunité.

Mais outre les meurtres de journalistes à Gaza, la presse est aussi entravée par l'empêchement par Israël aux journalistes internationaux de se rendre dans l'enclave Palestinienne, et les pressions politiques observées partout dans le monde pour imposer un narratif biaisé de la situation.

« Dans un contexte mondial de plus en plus marqué par la désinformation, où le journalisme s'est répandu sur de nouvelles plateformes et où les préjugés sont enracinés dans les reportages des principaux médias, la nécessité de défendre la liberté d'expression et d'opinion n'a jamais été aussi cruciale. Les prix rendent hommage à ceux qui ont risqué leur vie pour garantir et défendre l'intégrité du journalisme, en protégeant la liberté d'une information indépendante, » explique Amnesty dans sa déclaration.

Outre les quatre journalistes nommés, le prix est décerné à « tous les journalistes de Gaza », afin d'honorer tous et toutes les professionel·les de la presse, dont certain·es ont perdu la vie en exerçant leur métier. « Nous rendons hommage à l'extraordinaire résilience, à la bravoure et au courage des journalistes qui travaillent dans les conditions les plus périlleuses pour documenter les réalités de la crise de Gaza. »

Les prix récompense et célèbre le travail incroyable des journalistes de Gaza, leurs reportages intrépides sur le génocide, leur utilisation innovante des médias sociaux et du journalisme citoyen pour remettre en question les narratifs établis, et de leur capacité à inspirer l'actions en faveur de la justice.

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"Autant et aussi vite que possible" : Les colons israéliens lorgnent sur des terres en Syrie et au Liban

Quelques heures après la chute du régime Assad, les forces israéliennes pénétraient déjà en territoire syrien, conquérant le versant syrien du Mont Hermon/Jabal A-Shaykh et la (…)

Quelques heures après la chute du régime Assad, les forces israéliennes pénétraient déjà en territoire syrien, conquérant le versant syrien du Mont Hermon/Jabal A-Shaykh et la zone tampon entre la Syrie et le plateau du Golan occupé par Israël depuis plus d'un demi-siècle. Mais l'armée n'a pas été la seule à réagir rapidement ; le mouvement des colons israéliens a fait de même.

Tiré d'Agence médias Palestine.

« Nous devons conquérir et détruire. Autant que possible, et aussi vite que possible », a écrit un membre d'Uri Tsafon – un groupe fondé au début de l'année pour promouvoir la colonisation israélienne du Sud-Liban – dans le groupe WhatsApp de l'organisation. « Nous devons vérifier, conformément aux nouvelles lois syriennes, si les Israéliens sont autorisés à investir dans l'immobilier et à commencer à acheter des terres dans ce pays », a écrit un autre membre. Dans un autre groupe WhatsApp de colons, les membres ont échangé des cartes de la Syrie et tenté d'identifier des zones potentielles de colonisation.

Le mouvement Nachala – dirigé par Daniella Weiss, qui a été le fer de lance des efforts déployés ces derniers mois pour coloniser Gaza – a exprimé un sentiment similaire dans un message publié sur Facebook : « Quiconque pense encore qu'il est possible de laisser notre destin entre les mains d'un acteur étranger renonce à la sécurité d'Israël ! La colonisation juive est la seule chose qui apportera la stabilité régionale et la sécurité à l'État d'Israël, ainsi qu'une économie stable, la résilience nationale et la dissuasion ».

À Gaza, au Liban, sur l'ensemble du plateau du Golan, y compris le ‘plateau syrien', et sur l'ensemble du mont Hermon », ajoute le texte, en joignant une carte biblique intitulée “Les frontières d'Abraham”, sur laquelle le territoire d'Israël comprend l'ensemble du Liban ainsi que la majeure partie de la Syrie et de l'Irak.

Il ne s'agit pas de paroles en l'air : ces groupes sont déterminés. Nachala a déjà dressé la carte des lieux où elle prévoit de construire de nouvelles colonies juives dans la bande de Gaza et affirme que plus de 700 familles se sont engagées à déménager lorsque l'occasion se présentera (Daniella Weiss elle-même s'est déjà rendue à Gaza avec une escorte militaire pour repérer les lieux potentiels). La semaine dernière, Uri Tsafon, qui a attendu son heure au cours de l'année écoulée, a tenté pour la première fois de s'emparer de terres dans le sud du Liban, où les soldats israéliens sont toujours présents depuis l'accord de cessez-le-feu.

Le 5 décembre, le fondateur du groupe, Amos Azaria, professeur d'informatique à l'université d'Ariel en Cisjordanie occupée, a franchi la frontière libanaise avec six familles pour tenter d'établir un avant-poste. Ils ont atteint la zone de Maroun A-Ras, à environ deux kilomètres en territoire libanais, et ont planté des cèdres à la mémoire d'un soldat israélien tombé au combat au Liban il y a deux mois. Plusieurs heures se sont écoulées avant que l'armée israélienne ne les expulse et ne les force à retourner en Israël. (En réponse à la demande de commentaire de The Hottest Place in Hell sur cet incident, la police israélienne a déclaré que, selon l'armée, aucun civil israélien n'avait traversé le Liban).

Dès le mois de juin, lors de la « première conférence sur le Liban » organisée par Uri Tsafon sur Zoom, les membres parlaient déjà de coloniser la Syrie. Le Dr Hagi Ben Artzi, beau-frère de Benjamin Netanyahou et membre du groupe, a déclaré aux participants que les frontières d'Israël devraient être celles promises au peuple juif à l'époque biblique : « Nous ne voulons pas dépasser d'un mètre l'Euphrate. Nous sommes humbles. [Mais] ce qui nous a été promis, nous devons le conquérir ».

Et avec la chute du régime Assad et l'avancée des troupes israéliennes en territoire syrien, ils étaient impatients de saisir l'occasion. « Nous avons demandé au gouvernement de s'emparer de la plus grande partie possible du territoire syrien », a déclaré M. Azaria au magazine israélien The Hottest Place in Hell (L'endroit le plus chaud de l'enfer). « Les rebelles sont exactement [les mêmes que] le Hamas. Peut-être que maintenant ils font de beaux discours, mais en fin de compte ce sont des sunnites qui trouveront l'ennemi commun, c'est-à-dire nous. Nous devons faire le maximum maintenant, tant que c'est possible ».

Le 11 décembre, un petit groupe de colons israéliens a affirmé avoir pénétré dans une zone du territoire syrien désormais sous contrôle militaire israélien, où ils se sont filmés en train de prier. L'armée israélienne n'a pas encore répondu à la demande de commentaire de +972 sur cet incident.

« Le plus important est d'être de l'autre côté de la barrière »

Uri Tsafon tire son nom d'un verset biblique appelant à « Se réveiller, ô nord ». Son site Internet décrit le Liban comme « un État qui n'existe ni ne fonctionne réellement » et affirme que la véritable étendue de la Galilée septentrionale d'Israël s'étend jusqu'au fleuve Litani, au Liban, que les forces israéliennes ont atteint juste au moment où le récent accord de cessez-le-feu est entré en vigueur, après avoir déplacé de force des dizaines de milliers d'habitants de villages du Sud-Liban dans le processus.

« Nous avons commencé par des activités plus calmes », a déclaré M. Azaria à The Hottest Place in Hell. « Nous avons appelé le gouvernement et l'armée à entrer en guerre dans le nord… [et] nous nous sommes rendus au Mont Meron, sous la base aérienne, et avons effectué des reconnaissances en direction du Liban ».

Mais la tentative de la semaine dernière d'établir un avant-poste dans le sud du Liban a marqué l'entrée du groupe dans une nouvelle phase d'activité visant à forcer la main du gouvernement. « L'objectif était et est toujours d'établir une colonie au Liban », a déclaré M. Azaria. Nous n'attendons pas que l'État nous dise « Venez », nous travaillons pour que cela se produise.

Selon M. Azaria, le mouvement compte déjà des milliers de membres « qui sont très enthousiastes et intéressés » par ses activités. L'action de la semaine dernière n'a pas été annoncée à l'avance, car « [l'armée] nous aurait bloqués et ne nous aurait pas permis d'entrer ». Et ils n'ont certainement pas rencontré beaucoup de résistance : « La porte était ouverte et nous sommes simplement entrés », a-t-il déclaré.

Azaria ne s'inquiète pas qu'ils n'aient pas réussi ; en fait, il considère leur expulsion comme la première étape d'un plan d'action à long terme qui a caractérisé le mouvement des colons depuis sa création il y a plus d'un demi-siècle.

« La première fois que nous sommes expulsés, nous partons », explique-t-il. « La deuxième fois, nous restons plus longtemps. La [troisième] fois, nous restons pour la nuit. C'est ainsi que nous continuerons jusqu'à ce qu'il y ait un compromis. Au début, [l'armée] démolit, puis ils parviennent à un accord selon lequel il n'y aura qu'une seule colonie, et c'est tout. Entre-temps, nous commençons à travailler sur la prochaine colonie. Il n'est peut-être pas réaliste de penser que l'État construira une colonie [de son propre chef], mais cela ne signifie pas que l'État doive démolir une communauté que nous avons construite.

» Dans un premier temps, nous nous installerons là où nous le pourrons », poursuit-il. « Il n'y a pas d'intérêt pour un lieu spécifique ; le plus important est d'être de l'autre côté de la barrière. Nous devons lutter contre le tabou de la frontière établie par la France et l'Angleterre il y a 100 ans. Nous vivrons à la frontière libanaise, si Dieu le veut, et si nous sommes là, la frontière se déplacera vers le nord et l'armée la gardera.

« De même que l'armée se bat à la fois à Gaza et dans le nord, il en va de même pour les colonies : nous devons nous installer partout », a poursuivi M. Azaria. « À Gaza, il y a Nachala et plusieurs autres organismes [qui encouragent la colonisation]. Dans le nord, nous sommes le seul mouvement qui s'occupe vraiment de cette question à l'heure actuelle. Nachala le fait davantage avec des permis. Nous agissons plutôt comme un fer de lance ».

M. Azaria est convaincu que le soutien viendra de la sphère politique. « Lorsque j'ai fondé [Uri Tsafon], les gens ne parlaient pas du tout de la colonisation du Sud-Liban », explique-t-il. « Nous sommes en train de changer le discours. Nous sommes en contact avec des membres de la Knesset. Je suppose que, tout comme il leur a fallu du temps pour accepter de parler de la colonisation de Gaza, il leur faudra également du temps pour commencer à parler de la colonisation du Liban. [Ariel Kallner, député du Likoud, a mentionné quelque chose. [Le député d'Otzma Yehudit] Limor Son Har-Melech a également mentionné quelque chose. Peu à peu, de plus en plus de gens osent en parler ».


Illy Pe'ery est journaliste d'investigation et rédacteur en chef adjoint du magazine en ligne israélien indépendant The Hottest Place in Hell.

Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : +972

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Proche-Orient. « Ces guerres agissent comme un accélérateur de notre propre fascisme »

17 décembre 2024, par Peter Harling — ,
En plus de ses répercussions sur Gaza, le 7 octobre 2023 a été un bouleversement pour tout le Proche-Orient, dont on a vu les conséquences au Liban et en Syrie. Mais là où les (…)

En plus de ses répercussions sur Gaza, le 7 octobre 2023 a été un bouleversement pour tout le Proche-Orient, dont on a vu les conséquences au Liban et en Syrie. Mais là où les discours géopolitiques pullulent, Peter Harling, fondateur de Synaps, analyse ces événements à hauteur des vies humaines.

Tiré de orientxxi
12 décembre 2024

L'image montre une scène stylisée et colorée représentant des figures humaines de manière abstraite. On voit quelques personnages en action, portant des armes, dans un décor qui rappelle des paysages, peut-être montagneux. Les teintes utilisées sont variées, avec des bleus, des verts et des roses, donnant une ambiance dynamique et expressive. Les formes sont fluides et puissantes, soulignant un sentiment de mouvement et d'interaction entre les figures.
Anas Albraehe, sans titre, 2024, huile sur toile

Orient XXI. — Quinze jours après un cessez-le-feu fragile entre Israël et le Hezbollah, comment lisez-vous cette guerre « pas comme les autres » selon votre propre expression ? En quoi bouleverse-t-elle les règles du jeu au Liban ?

Peter Harling. — J'ai malheureusement vécu plusieurs guerres dans la région, et celle-ci m'a semblé différente, tout d'abord en raison du phénoménal déséquilibre des forces. D'un côté, le Hezbollah a monté des tirs de missile et des attaques par drones contre Israël, dont les résultats ont presque toujours été dérisoires. De l'autre, Israël a fait usage d'une puissance sans proportion aucune : à chaque frappe, un immeuble entier était réduit en ruine, parfois en ensevelissant ses habitants pris au piège. Israël a notamment utilisé une profusion de « bunker busters », des armes épouvantables, théoriquement réservées à des complexes militaires souterrains et fortifiés. Près de chez moi, trois de ces bombes d'une tonne ont été employées pour abattre un bâtiment résidentiel ordinaire, en pleine nuit et sans préavis, dans l'espoir d'assassiner un seul responsable du Hezbollah.

La maîtrise totale de l'espace aérien libanais par Israël s'est aussi matérialisée par une présence presque continue, entêtante, d'immenses drones de surveillance, dont le rôle consiste à amasser du renseignement pour préparer les prochaines frappes. Leurs vols en cercle au-dessus de nos têtes, leur vacarme constant, pénétrant nos maisons et nos esprits, étaient donc lourds de sens.

« Une guerre menée, très ostensiblement, en notre nom »

Bien sûr, vivre sa vie entre deux raids, « sous les bombes », est une expérience de la guerre assez banale depuis la seconde guerre mondiale. Mais ce conflit ultra-technologique que l'on vient de traverser évoque surtout un monde dystopique, dans lequel quelqu'un, quelque part, a le pouvoir de faire s'écrouler des immeubles d'habitation, un à un, en appuyant tout simplement sur un écran. Beaucoup de gens au Liban en ont conçu une impuissance, une vulnérabilitéallant jusqu'à un sentiment confus de nudité face à une telle force omnipotente. C'est un des aspects difficilement communicables de cette guerre.

Un autre élément essentiel, que je peine aussi à faire comprendre à mon entourage à l'étranger, c'est qu'il ne s'agit pas d'un « conflit de plus », dans une région qui en a connu tant. Il est tentant en effet, vu de France par exemple, d'imaginer que cette guerre oppose Israël et le Hezbollah autour d'enjeux qui ne nous concernent pas vraiment. Une guerre obscure et lointaine en somme… Israël combat avec nos armes. Israël bénéficie le plus souvent de notre soutien médiatique, politique et diplomatique, dans une lutte qui fait resurgir tout un vocabulaire de la guerre contre le terrorisme, de la défense d'un camp occidental face à la barbarie, de la mission civilisatrice même. En somme, cette guerre est menée, très ostensiblement, en notre nom.

Or, pour ceux qui en suivent ou en subissent les détails, c'est aussi une guerre d'atrocités, où l'on cible les journalistes et les personnels de santé, où l'on profane des mosquées et des églises, où l'on rase des cimetières, parmi mille autres violences gratuites et injustifiables. Le décalage entre ce vécu intime, d'une part, et le récit édulcoré qui domine à l'extérieur, de l'autre, s'est traduit pour nombre d'entre nous, au Liban, par un sentiment d'abandon et de solitude.

Plus encore, on ne peut que voir, d'ici, comment nos gouvernements se radicalisent par l'entremise d'Israël, au point de saborder le droit humanitaire international, pourtant l'une des plus grandes et des plus belles contributions de l'Europe à la stabilité du monde. L'on assiste à une sorte de laisser-aller, à un retour du refoulé : on encourage de fait Israël à faire ce que l'on n'ose pas encore faire soi-même. Cette guerre, comme celle de Gaza, agit comme un révélateur, un accélérateur de notre propre fascisme, qui s'ancre presque partout désormais sur le continent européen. Ce n'est pas là où on l'imagine, donc, que ce conflit rebat les cartes.

« On encourage Israël à faire ce que l'on n'ose pas encore faire soi-même »

Au Liban même, le Hezbollah est certes affaibli, mais il conserve un ancrage social quasiment inébranlable. Il lui a suffi de crier victoire pour que sa base s'en réjouisse aussi. Il continuera à défendre sa place dans un système politique, dont il fait partie intégrante, communautarisme et corruption compris. D'ailleurs, la guerre a révélé une dégénérescence du Hezbollah, antérieure au conflit : Israël a pu infiltrer et pénétrer le mouvement massivement, parce qu'il a beaucoup perdu de sa solidité interne. L'arrogance et le sectarisme ont miné ses capacités d'analyse. Les intérêts prosaïques ont aussi pris le dessus : le Hezbollah a peu fait, par exemple, pour endiguer l'effondrement économique du pays, dont il a plutôt profité. Il n'a pas réagi non plus face au trafic de drogue qui gangrène ses propres quartiers. Son avenir va se jouer sur sa capacité à dresser un bilan lucide de ses propres errements, au lieu de se contenter de hurler au complot quand il ne crie pas victoire, comme il le fait de façon réflexe depuis une quinzaine d'années.

O. XXI.— Après 52 ans d'une dictature barbare, le régime syrien vient de s'écrouler. Vous en aviez décrit la grande fragilité. En regard, votre réseau Synaps a largement documenté la capacité de la population syrienne à relever les défis de l'après Assad. Comment les accompagner au mieux ?

P. H.— Toute transition de ce type est extraordinairement complexe et risquée. En Occident, la chute d'un régime arabe, c'est pour nos médias et une partie du public l'annonce du pire. Mais c'est oublier ce que nos propres révolutions ont impliqué de souffrances, d'incertitudes et de régressions provisoires. C'est négliger à quel pointla situation en Syrie était désespérée, toujours davantage à mesure que le régime disait « gagner ». C'est se méprendre aussi sur ce que cela veut dire de pouvoir enfin rentrer chez soi, à la maison, dans sa ville, son quartier, sa communauté, après des années d'exil. C'est aussi céder à un réflexe hautain dans nos pays : ce réflexe qui voudrait qu'un changement pour le mieux ne soit qu'une illusion dans certaines contrées, dans certaines cultures.

Au lieu de s'adonner à ces poncifs, on pourrait offrir notre sympathie et notre aide. Actuellement, la Syrie est agressée par Israël, qui en profite pour grignoter son territoire et détruire ce qui lui reste de capacité militaire. La Turquie a une attitude semblable de son côté. Les États-Unis aussi bombardent comme bon leur semble. L'Europe se précipite déjà à fantasmer le retour de tous les réfugiés dans ce pays exsangue, et exprime son inquiétude au sujet des seules communautés chrétiennes, comme s'il n'y avait pas d'autres minorités en danger et populations à risque. Pour l'instant, on a beau chercher : il y a peu de contributions extérieures constructives.

Cela changera vite, on l'espère, car les besoins sont immenses. Toutes les infrastructures sont à bout. La santé mentale est un vaste chantier, à mesure que cette société émerge d'un enfer dont on découvre chaque jour de nouveaux cercles, plus profonds et plus noirs encore qu'on ne pouvait l'imaginer. Le travail de mémoire, la justice transitionnelle, la refonte des institutions invitent à démarrer des projets de coopération. La lutte contre la drogue, dont la consommation est devenue endémique à la faveur de la guerre et de l'effondrement économique, est une autre priorité. Il y en a tant ! Il n'y a qu'à choisir… La société civile locale est extrêmement compétente, et la diaspora syrienne a des moyens considérables. Mais la Syrie aura besoin de toute l'aide disponible, si l'on souhaite donner les meilleures chances à cette transition… ne serait-ce que pour mieux satisfaire nos obsessions migratoires.

S'effacer au profit des figures locales

O. XXI.— Synaps a développé un travail original d'analyse, couvrant des questions sociétales en général peu abordées par la recherche, et au centre desquelles se trouve la société civile. La guerre brutale contre Gaza qui se déroule depuis un 14 mois, à grand renfort de technologies, aboutit à un nombre effroyable de victimes civiles et de déplacements de population. La population civile est-elle condamnée à être la grande oubliée dans cette région du monde ?

P. H.— J'ai fondé Synaps pour me détacher des thèmes les plus évoqués : les relations internationales, les rapports de force entre États, les guerres, tout ce qu'on appelle « la géopolitique ». Les soulèvements populaires de 2010 et 2011 ont été pour moi un tournant à cet égard : j'ai compris à l'époque qu'on ne pouvait pas ignorer les sociétés de la région plus longtemps. Ce constat me paraissait évident, d'autant que ces sociétés ne m'étaient pas inconnues : j'ai eu la chance d'avoir une vie sociale très ordinaire en Irak, où j'ai fait une partie de mes études, ainsi qu'au Liban, en Syrie, en Égypte et en Arabie Saoudite. À la suite des soulèvements, il me semblait essentiel que des étrangers, comme moi, qui apparaissaient trop fréquemment sur les plateaux de télévision pour commenter l'actualité de la région, s'effacent au profit de figures locales qui s'exprimeraient pour elles-mêmes. Synaps m'a permis de contribuer à ce processus, en formant de jeunes chercheuses et chercheurs qui travaillent sur des questions qui les concernent au premier chef.

Cette transition vers une expertise plus ancrée est en train de se produire à grande échelle. De nombreuses voix locales érudites portent davantage, désormais, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il est devenu rare d'assister à une conférence dont les orateurs ne sont pas principalement de la région. En revanche, les sujets abordés ont malheureusement bien moins changé que les visages des interviewés et panélistes. La région est toujours et encore appréhendée à travers le répertoire principal de la violence : guerres, massacres, réfugiés, radicalisation, répression, crises, catastrophes, etc. Ce regard tend à déshumaniser les populations locales, réduites à des masses en mouvement, à des victimes collatérales ou à des menaces éventuelles, que ce soit pour cause de terrorisme ou d'émigration.

Il y a bien un versant plus positif au discours sur le Proche-Orient contemporain. Celui-ci découle généralement d'une vision économique, réductrice à sa manière : attractivité ou compétitivité marocaine, innovation israélienne ou émiratie, investissements qataris, « pharaonisme » saoudien, et ainsi de suite. Se dessinent ainsi deux sous-espaces dans la région. D'un côté, il y a celui où l'on fait du business, et qui appartient à notre mappemonde d'échanges globalisés. De l'autre, il y a celui où on largue des bombes, de l'aide humanitaire et des envoyés spéciaux — de vastes régions qui s'estompent de plus en plus dans nos cartes mentales.

Mais il y a un troisième Proche-Orient, presque totalement absent : celui du quotidien que vivent nos voisins de l'autre côté de la Méditerranée, à savoir un demi-milliard d'êtres humains. Parmi eux, il y a de nombreuses personnes qui ne correspondent en rien à nos stéréotypes et dont nous aurions tant à apprendre : des paysans qui s'adaptent au changement climatique, des femmes conservatrices entrepreneuses, des réseaux denses et néanmoins informels de solidarité, une philanthropie traditionnelle très active, une riche production culturelle notamment dans les arts plastiques, de vastes diasporas qui se mobilisent dans des projets locaux d'infrastructures, etc.

Ces sociétés naturellement aussi riches et complexes que les nôtres connaissent aussi nombre des problèmes qui nous sont familiers, à commencer par la médiocrité des élites politiques, la prédation des plus riches, et le démantèlement graduel des services publics. Notre méconnaissance les uns des autres nous prive d'un socle d'expériences partagées sur lequel construire des relations moins méfiantes, plus humaines, délestées de toutes les rancœurs et de tous les fantasmes qui en font leur teneur aujourd'hui. Orient XXI est d'ailleurs l'un des rares espaces où cette découverte réciproque peut s'approfondir.

« Une diplomatie de l'événementiel »

O. XXI.— ⁠Vous avez un regard acéré et désabusé sur la diplomatie française et plus largement. Quelle révolution opérer pour retrouver une diplomatie de principes ?

P. H.— C'est un regard franc et amical, plutôt. La diplomatie est un bel héritage à chérir, mais voilà pourquoi il faut la rénover. Pour l'instant, les ambassades se crispent sur des pratiques de plus en plus dépassées. Les diplomates passent énormément de temps au bureau, avec d'autres diplomates, ou avec des personnalités qui servent de « sources », mais dont il n'y a honnêtement plus grand-chose à tirer. Leur travail reste centré sur les capitales et des enjeux conventionnels : géopolitique dans les pays en crise, coopération économique dans les États en paix.

Au fil des ans, le dispositif diplomatique n'a développé que trop peu de compétences dans de trop nombreux domaines. Par exemple, les ambassades gèrent mal l'information en interne. Leurs employés sont obligés à réinventer constamment la roue. Elles se retranchent et se ferment dans les situations instables, ce qui réduit leurs capacités d'analyse et d'action. Elles communiquent de façon superficielle, à coup de déclarations creuses et de publications plus vides encore sur les réseaux sociaux. Elles financent toutes sortes de projets de développement dont beaucoup s'étiolent, passé le moment de l'inauguration, comme s'il s'agissait seulement d'annoncer des progrès sans jamais avoir à tirer de leçons des échecs, qui sont nombreux. Les ambassades sont à peu près absentes, aussi, sur des thématiques essentielles du monde actuel : elles ressassent des généralités sur le changement climatique, la digitalisation, la mobilité, les inégalités économiques, même le droit international humanitaire, bien plus qu'elles ne consolident leur propre expertise dans ces domaines clefs.

Au final, notre diplomatie est une diplomatie de l'événementiel, du projet sans lendemain, du contrat entre entreprises, de la prise de position déclamatoire, ou encore du coup politique. Il y a peu de suivi, de stratégie, de travail de définition des intérêts de la France à long terme. Or les diplomates sont des gens intelligents, bien formés, bien payés : c'est à elles et à eux de repenser leur propre métier. C'est à elles et à eux de commencer à reconnaître que leurs moyens demeurent impressionnants, même si les budgets décroissent depuis des années. C'est à elles et à eux de se battre pour employer ces moyens à bon escient. Moi, par exemple, je ne parle quasiment plus aux diplomates, tout simplement parce que la relation s'est appauvrie au point de ne plus avoir de sens : nos échanges, au mieux, nourriraient une politique dont je ne comprendrais pas le sens, et ce, sans aucune contrepartie. Cette situation m'attriste, comme elle devrait peiner les diplomates eux-mêmes.

Bien sûr, la plupart des secteurs que je côtoie sont en crise. La diplomatie n'a rien d'exceptionnel, si ce n'est qu'elle résiste davantage au changement, peut-être pour des raisons de statut. Les médias engagent quant à eux un effort de réinvention perpétuelle, pour le meilleur et pour le pire. Le monde scientifique commence à s'ouvrir au grand public, à envisager un rôle social, à sortir de son tête-à-tête avec l'État. L'économie de l'aide au développement n'évolue pas de façon positive, mais n'a pas de réticence à l'admettre, au moins.

Synaps, pour sa part, doit aussi constamment faire son autocritique. Je suis moi aussi formellement évalué par mes collègues, qui signalent mes erreurs et mes limites, et c'est à moi de trouver les moyens de les dépasser. Dans nos métiers à vocation intellectuelle, il est bon de se rappeler que nous avons choisi ces occupations non pas pour le statut qu'elles confèrent, mais pour la responsabilité qui nous incombe de repenser le monde, et notre rôle en son sein. Si un respect nous est dû, c'est seulement sur la base de notre volonté de nommer les problèmes, concevoir des solutions, et ce faisant nous remettre nous-mêmes en question.

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Mayotte dévastée, la faute à qui ?

17 décembre 2024, par Damien Gautreau — , ,
Alors qu'un terrible cyclone vient de frapper Mayotte et que le bilan s'annonce catastrophique, on peut déjà s'interroger sur les responsabilités des uns et des autres dans ce (…)

Alors qu'un terrible cyclone vient de frapper Mayotte et que le bilan s'annonce catastrophique, on peut déjà s'interroger sur les responsabilités des uns et des autres dans ce territoire le plus pauvre de France.

Tiré du blogue de l'auteur.

Mayotte, dans l'archipel des Comores, est administrée par la France contre l'avis de l'ONU qui demande sa restitution aux autorités comoriennes. L'État français considère Mayotte comme son 101ème département mais pourtant traite le territoire comme nul autre.

Cette spécificité est en partie responsable de l'importance du bilan du cyclone Chido. Ce phénomène tropical, classé cyclone de catégorie 4, frappe Mayotte de plein fouet le samedi 14 décembre 2024. Les dégâts sont énormes et le bilan humain s'annonce lourd. Comment expliquer cela ?

Avec un taux de pauvreté de 77% et un taux de chômage de 34%, Mayotte explose tous les records. Le PIB/habitant, comme le revenu médian, y sont les plus faibles de France. L'île est habituée des problèmes d'électricité, de distribution d'eau, d'assainissement, de santé publique... Les établissements scolaires et hospitaliers sont insuffisants, tout comme les logements sociaux et les centres d'accueil.

Mayotte manque grandement d'infrastructures mais aussi de personnels tant elle souffre de sa mauvaise image. Pourtant, les investissements de l'État sont les plus faibles de France. Seulement 125.25 euros de Dotation Globale de Fonctionnement par habitants contre 381.44 euros dans la Creuse, 396.02 euros en Martinique et 564.14 euros en Lozère par exemple.

Alors que les besoins sont énormes, les investissements sont insuffisants, l'État n'est pas au rendez-vous. Les collectivités locales non plus ; entre fonds européens non dépensés, emplois fictifs, investissements non-adaptés et détournement de fonds1, le Département, comme les communes se moquent de leur population.

Les habitants sont donc livrés à eux-mêmes, en particulier ceux qui vivent dans les bangas, cases des bidonvilles, dont on estime le nombre à au moins 100,000 personnes. Les autorités se concentrent sur les opérations de décasages, sans offrir de réelles solutions de relogement, comme c'était encore le cas du 2 au 12 décembre sur la commune de Koungou. Le préfet se félicitait alors de l'action de ses services alors même qu'ils jetaient des familles entières à la rue.

Ces populations pauvres sont celles qui se sont trouvées en première ligne lors du passage du cyclone Chido et c'est en leur rang que l'on va dénombrer le plus de morts. Les laissés pour compte, souvent de nationalité comorienne, sont ici habitués à servir de boucs émissaires et beaucoup leur imputent tous les maux de l'île.

Cette fois il est clair qu'ils ne sont ni responsables du dérèglement climatique qui accroît la fréquence et l'intensité des catastrophes naturelles, ni responsables du sous-investissement chronique de l'État français à Mayotte, ni responsables du manque d'anticipation et de préparation des autorités locales.

Aujourd'hui Mayotte est ravagée, les bidonvilles sont rasés, les bâtiments publics sont endommagés, le réseau routier est impraticable, même l'aéroport n'est pas fonctionnel. Les habitants sont littéralement livrés à eux-mêmes et ne peuvent compter sur personnes tant les responsables politiques ont montré leur inefficacité.

Espérons que ce triste événement serve de leçon et que Mayotte soit reconstruite de façon intelligente et harmonieuse, dans le vivre ensemble et le respect de chacun... on peut malheureusement en douter.

Notes

1- Andhanouni Said, maire de Chirongui en 2022 ; Mohamed Bacar, maire de Tsingoni en 2023 ; Daniel Zaidani, conseiller départemental en 2023 ; Salim Mdéré, conseiller départemental en 2024 ; Rachadi Saindou, prédisent de communauté d'agglomération en 2024 ; Mouslim Abdourahaman, maire de Bouéni en 2024 ; sont tous condamnés par la justice ; en 2024, Assani Saindou Bamcolo, maire de Koungou est poursuivi par la justice.

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La crise sud-coréenne

17 décembre 2024, par Pierre Rousset — , ,
L'imposition, le 3 décembre, de la loi martiale par le président Yoon Suk Yeol a été rapidement mise en échec. Une bonne nouvelle, mais pas seulement. Tiré d'Europe (…)

L'imposition, le 3 décembre, de la loi martiale par le président Yoon Suk Yeol a été rapidement mise en échec. Une bonne nouvelle, mais pas seulement.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Les raisons qui ont poussé le président Yoon à initier un putsch fort mal préparé restent obscures (comme la décision par Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale dans une conjoncture fort peu propice).

Mobilisation contre les actes illégaux

La mauvaise nouvelle est que l'armée (ou une fraction de l'état-major) a commencé par soutenir le président, alors même qu'il agissait dans l'illégalité (la Constitution exige l'accord des députéEs). Des forces spéciales dotées de moyens considérables (blindés, hélicoptères) devaient investir le Parlement et arrêter des dirigeants d'opposition. Le nombre de soldats impliqués dans l'opération était limité, ce qui explique que, confrontés à une situation imprévue, ils aient pu être débordés.

La bonne nouvelle est que cette tentative de putsch a été contrée en un temps record grâce à la résistance farouche des fonctionnaires et du personnel d'opposition sur place, ainsi qu'à une mobilisation citoyenne massive venue leur porter secours en pleine nuit, réunissant les générations, beaucoup de jeunes, activistes ou syndicalistes. Cela a permis à 190 éluEs de pénétrer dans le Parlement et d'abroger la loi martiale, avec le soutien d'un petit nombre de membres du parti gouvernemental.

Les ressorts de cette mobilisation montrent la vivacité de la démocratie sud-coréenne où le souvenir des temps de la dictature ne s'est pas dissipé. L'intervention de l'armée montre que sa stabilité n'est pas aussi assurée autant qu'il pouvait le paraître (la loi martiale n'avait pas été imposée depuis 1979). Les mobilisations se poursuivent aujourd'hui, pour la démission ou la destitution du président Yoon. Le premier intéressé s'y refuse, mais elles peuvent durer des jours, des semaines, voire des mois, comme ce fut le cas par le passé.

Crise économique, baisse du budget et corruption du pouvoir

Pourquoi cette crise intervient-elle aujourd'hui ? La Corée du Sud a longtemps connu un développement rapide, grâce à une politique interventionniste de l'État, favorisant la formation de conglomérats, que le Japon et les États-Unis ont à la fois tolérés et intégrés pour des raisons en particulier de géopolitique : la division de la péninsule coréenne, la proximité de la Chine et de la Russie. Elle exporte aujourd'hui massivement de l'électronique, s'impose comme le deuxième producteur de semi-conducteurs (en particulier les circuits imprimés de stock­age de mémoire). Cependant, après la crise du Covid et dans un marché mondial moins porteur, la croissance s'essouffle. La situation économique de la population se dégrade, ainsi que la qualité des services publics. Le couple présidentiel est crédité de nombreuses affaires de corruption. La crise politique a éclaté alors que le Parlement devait réduire le budget dont le président Yoon peut user à discrétion, au nom de la sécurité nationale.

Bref, la Corée du Sud fait face à une situation qui, par-delà ses spécificités, n'est pas étrangère à celle de nombreux pays occidentaux. Elle a quelque chose à nous dire, particulièrement en France où l'armée occupe une place majeure au cœur de notre régime, où la macronie (entre autres) manifeste bien peu de respect pour l'institution parlementaire ou le résultat des urnes. Il ne faut pas porter sur ce pays d'extrême orient un regard « exotique ». Ses turbulences valent avertissement.

Pierre Rousset

Palestine-Israël. Cartographier la colonisation

17 décembre 2024, par Leyane Ajaka Dib Awada — , , , ,
Mêlant cartographies inédites, archives rares et récits éloquents, Philippe Rekacewicz et Dominique Vidal réussissent à rendre simple (et non simpliste) l'histoire mouvementée (…)

Mêlant cartographies inédites, archives rares et récits éloquents, Philippe Rekacewicz et Dominique Vidal réussissent à rendre simple (et non simpliste) l'histoire mouvementée de la Palestine et de la colonisation israélienne. Un ouvrage qui permet de comprendre ce qui se joue aujourd'hui.

Tiré d'Orient XXI.

Israël désigne le génocide en cours à Gaza comme une riposte au 7 octobre et une « défense » à laquelle aurait le droit un État souverain. Une telle rhétorique, inlassablement relayée par des médias français complices, ignore, depuis plus d'un an, une évidence implacable : la guerre contre Gaza n'a pas commencé le 7 octobre 2023. L'actuel génocide est bien l'aboutissement d'un plan de nettoyage ethnique conçu de longue date, porté par des dirigeant·es israélien·nes de plus en plus extrémistes.

Cette remise en contexte nécessaire est savamment opérée dans Palestine-Israël. Une histoire visuelle. Avec cet ouvrage aussi précis que pédagogique, les deux auteurs – Dominique Vidal, ancien journaliste et historien, et Philippe Rekacewicz, cartographe – remontent au XIXe siècle ottoman et parviennent à éclairer avec finesse plus d'un siècle d'histoire du projet colonial sioniste et de son implantation en territoire palestinien.

Une cartographie de la disparition

Quiconque s'est déjà intéressé à la question palestinienne a sûrement vu ces cartes successives de 1948 aux années 2010, dont la juxtaposition montre le grignotement progressif du territoire palestinien par la colonisation israélienne. De la Nakba (« catastrophe » en arabe), fondation sanglante d'Israël, à aujourd'hui, une foule de dates marquent les étapes de l'annexion du territoire palestinien par l'armée israélienne, au mépris du droit international et des résolutions onusiennes.

Le recours à la cartographie n'est donc pas nouveau pour exposer la colonisation. Mais Rekacewicz et Vidal proposent un ouvrage compilant plus de 80 cartes et graphiques statistiques qui s'appuient sur des sources internationales variées. Étayée d'explications historiques, d'archives et de citations d'époque, cette « histoire visuelle » puise dans le travail d'historien·nes israélien·nes reconnu·es et parvient à rendre accessible une chronologie vertigineuse sans jamais la simplifier. Elle aboutit sur des cartes inédites détaillant la situation à Gaza en 2024, rendues plus riches et poignantes par l'exposé du siècle d'oppression coloniale qui la précède.

De la naissance du sionisme au nettoyage ethnique

De la naissance du sionisme dans une Europe colonialiste et antisémite au découpage du Proche-Orient par les puissances gagnantes de la Première guerre mondiale, on suit la complaisance européenne envers les premières congrégations sionistes, et en particulier celle du Royaume-Uni. Arrivent ensuite les années 1930, avec des révoltes arabes et juives en Palestine, puis la Seconde guerre mondiale et la Shoah. Assailli de toutes parts et se sentant coupables du génocide des juifs d'Europe, les Britanniques se retirent de Palestine, déjà partiellement colonisée en 1948 par ce qui devient l'État d'Israël. La souveraineté palestinienne, elle, n'a jamais été prise en compte ni dans les tractations impérialistes des puissances européennes ni dans le plan de partage, approuvé par l'Assemblée générale de l'ONU dès 1947, qui nie les réalités démographiques et politiques du territoire.

S'ensuivent des décennies violentes durant lesquelles les États arabes se détournent progressivement d'une question palestinienne qui ne les sert plus. Parallèlement, la résistance s'organise et finit par arracher, en 1993, des accords de paix — Oslo — plébiscités par le monde entier. Mais au prétexte de renforcer la souveraineté palestinienne, ces accords la conditionnent sévèrement. En outre, ils sont répétitivement ignorés par un État israélien qui fait fi du droit international et de l'ONU.

Les années 2000 voient naître un soulèvement réprimé avec violence — la deuxième intifada —, la construction d'un mur de séparation jugé illégal par les Nations unies, et, depuis 2007, un blocus de la bande de Gaza qui se retrouve totalement enclavée. L'ouvrage retrace en même temps la radicalisation de la politique israélienne, l'accélération de la colonisation sur tout le territoire et s'achève par un bref exposé sur la guerre actuelle.

À l'heure où la propagande coloniale cherche à invisibiliser l'expérience palestinienne, une telle entreprise de pédagogie est salutaire. Elle permet de dégager non seulement les contours du colonialisme en Palestine, mais aussi d'en désigner les responsables. Les réalités historiques que rappellent les auteurs n'auront rien d'une découverte pour beaucoup de lecteurs. En revanche, leur présentation en un récit précis et volontairement long permet de réitérer, preuves en main, les responsabilités multiples dans l'oppression du peuple palestinien, sans pour autant omettre la culpabilité de ses dirigeants.

Avec une chronologie aussi complète, cette histoire visuelle fait apparaître le caractère profondément impérialiste du colonialisme de peuplement sioniste en Palestine. Encouragée tour à tour par le Royaume-Uni, la France et les États-Unis selon le profit que ces puissances pensent en tirer, l'entreprise sioniste prend racine dans le colonialisme européen et n'a jamais caché ses ambitions suprémacistes envers la population arabe.

La conclusion d'une telle lecture est sans équivoque : l'évolution du projet colonial sioniste en politique d'État génocidaire a été ignorée, voire facilitée, par l'Occident. Les courants politiques racistes et extrémistes qui y fleurissent aujourd'hui sont aussi à l'origine du ravage d'un territoire palestinien réduit à peau de chagrin.

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Rapport : Abus des Palestiniens par des soldats israéliens dans le centre d’Hébron

Depuis plus d'un an, Israël mène une guerre effrénée contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et à l'intérieur de l'État d'Israël. La violence qui a (…)

Depuis plus d'un an, Israël mène une guerre effrénée contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et à l'intérieur de l'État d'Israël. La violence qui a toujours caractérisé le traitement des Palestiniens par le régime d'apartheid israélien apparaît aujourd'hui sous sa forme la plus directe et la plus exposée. Ce rapport se concentre sur une facette de cette violence : les cas récurrents de sévices graves infligés aux Palestiniens par des soldats israéliens dans le centre d'Hébron au cours de l'été 2024.

Tiré de France Palestine solidarité.

B'Tselem a recueilli 25 témoignages de Palestiniens qui ont été maltraités par des soldats israéliens dans le centre d'Hébron entre mai et août 2024. Les témoignages décrivent des actes de violence, d'humiliation et d'abus dirigés par des soldats contre des hommes, des femmes, des adolescents et des enfants. Les victimes ont fait des récits poignants d'abus physiques et psychologiques, y compris des coups, des fouets, des cigarettes éteintes sur leur corps, des coups sur leurs parties génitales, l'injection d'une substance non identifiée, des liens prolongés et un bandeau sur les yeux, des menaces, des insultes et bien plus encore.

Les soldats choisissaient les victimes de manière arbitraire alors qu'elles vaquaient à leurs occupations quotidiennes : En se rendant au travail ou en rentrant chez elles, en buvant un café dans leur jardin ou en faisant des courses. Dans la plupart des cas, elles ont été emmenées par des soldats dans des installations militaires, où se sont déroulés la plupart des abus. Aucune des victimes n'a été soupçonnée d'un quelconque délit ni poursuivie. Elles ont été libérées immédiatement après avoir été agressées, et beaucoup ont dû recevoir un traitement médical après coup. Seules deux victimes ont été arrêtées, et toutes deux ont été libérées quelques jours plus tard sans avoir été inculpées.

L'escalade de la violence, tant dans sa gravité que dans sa portée, est le résultat direct de l'intensification de la déshumanisation des Palestiniens aux yeux des Israéliens. Le collectif palestinien est dépeint comme une masse indiscernable, et chaque individu est perçu comme un ennemi, à qui il est non seulement permis mais aussi bienvenu d'infliger des blessures.

L'ampleur de la violence révélée dans ces témoignages - perpétrée ouvertement et, dans certains cas, filmée par les soldats eux-mêmes - montre qu'il ne s'agit pas simplement du résultat de vendettas personnelles ou d'incidents isolés. Il s'agit plutôt d'une manifestation particulièrement brutale d'une politique systématique et ancienne d'oppression, d'expulsion et de dépossession qui est à la base du régime d'apartheid israélien.>>

Lire le rapport complet Abus des Palestiniens par des soldats israéliens dans le centre d'Hébron (en anglais)

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La guerre éternelle, ou mettre fin à l’occupation et la paix (Debout ensemble - Israel)

17 décembre 2024, par Daniel Randall, Uri Weltmann — , , , ,
Uri Weltmann est le coordinateur national de terrain de Standing Together (نقف معًا, עומדים ביחד — Naqef Ma'an-Omdim be'Yachad), le mouvement social binational de base en (…)

Uri Weltmann est le coordinateur national de terrain de Standing Together (نقف معًا, עומדים ביחד — Naqef Ma'an-Omdim be'Yachad), le mouvement social binational de base en Israël qui organise les citoyens palestiniens et juifs contre la guerre, l'occupation et le racisme, et pour la paix et l'égalité. Il s'est entretenu avec Daniel Randall après une visite à Londres fin octobre.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

DR : Vous avez récemment visité Londres avec Sondos Saleh, une militante palestinienne et membre de la direction de Standing Together, intervenant lors de plusieurs réunions et informant des politiciens et des dirigeants syndicaux. Cette visite a-t-elle été un succès de votre point de vue, et quelle importance accordez-vous à l'établissement de liens de solidarité internationale dans vos luttes ?

UW : Nous avons visité Londres pendant quelques jours pour participer à une conférence organisée par le journal israélien Haaretz, en coopération avec des organisations juives progressistes basées au Royaume-Uni. L'événement a réuni plusieurs centaines de personnes et nous a permis d'exposer nos idées sur la manière d'avancer vers la fin de la guerre à Gaza, ainsi que nos perspectives sur la nécessité d'une transformation sociale et politique au sein de la société israélienne.

Nous sommes également intervenus lors de plusieurs événements organisés par UK Friends of Standing Together, notamment à la Chambre des communes, en présence de plusieurs députés, et nous avons travaillé à développer davantage nos liens avec des organisations des communautés juives et musulmanes qui partagent notre engagement à mettre fin à l'occupation et à promouvoir la paix et l'égalité. Nous avons appris d'eux la nature souvent polarisée des discussions autour de cette question au Royaume-Uni, et la montée de l'antisémitisme et de l'islamophobie dans le contexte de la guerre.

L'établissement de liens avec les syndicats était particulièrement important pour nous. C'est à la fois parce que, en tant que socialistes, nous partageons l'engagement du mouvement ouvrier organisé envers une vision de justice sociale, et aussi en raison de l'influence que les syndicats ont sur la politique du Parti travailliste britannique, qui est maintenant au pouvoir. Notre rencontre avec Mick Whelan, le secrétaire général du syndicat des conducteurs de train Aslef, qui avait adopté une résolution soutenant Standing Together lors de son congrès de 2024, était particulièrement importante pour nous. En échangeant analyses et expériences avec les directions syndicales, nous espérons informer les discussions au sein du Parti travailliste, afin que les points de vue des membres du parti qui défendent un cessez-le-feu immédiat et permanent, et rejettent l'idée que le Royaume-Uni devrait traiter le gouvernement Netanyahu avec impunité, soient mieux entendus et acceptés. Lorsque le mouvement pour la paix israélien et le mouvement pour la paix britannique parlent d'une voix unie, elle est entendue plus fort.

Campagnes et activités récentes

Depuis le début de la guerre, Standing Together a été la voix la plus importante au sein de la société israélienne poussant pour une voie alternative à celle de notre gouvernement, organisant les plus grandes mobilisations du mouvement pour la paix qui appelaient à mettre fin à la guerre à Gaza. Nous avons souvent fait face à la répression policière, y compris le refus de la police de délivrer des permis pour tenir légalement des manifestations et des marches. Nous les avons poursuivis en justice et avons gagné, notamment en juillet devant la Cour suprême de justice.

Récemment, à la veille de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien (29 novembre, observée chaque année depuis 1977 par l'ONU), nous avons initié une marche anti-guerre à Tel-Aviv, en coopération avec Women Wage Peace et d'autres organisations, dans laquelle nous exigions la fin de la guerre à Gaza et le retour des otages vivants par un accord diplomatique. La marche a été appelée sous le slogan « Si nous ne mettons pas fin à la guerre, la guerre nous détruira tous ».

Ce qui a distingué cette manifestation anti-guerre des précédentes que nous avions organisées depuis le début de la guerre, c'est la présence parmi les intervenants de personnalités publiques très institutionnelles, pour qui apparaître sur scène lors d'un rassemblement anti-guerre organisé par Standing Together était quelque chose d'inhabituel.

Parmi eux : le général de division à la retraite Amiram Levin, ancien commandant du Commandement nord de l'armée israélienne et ancien directeur adjoint du Mossad ; Eran Etzion, un diplomate chevronné à la retraite, ancien président adjoint du Conseil de sécurité nationale et ancien chef du Département de la planification diplomatique au ministère des Affaires étrangères ; Orna Banai, une actrice et humoriste très connue de la télévision ; Dr Tomer Persico, chroniqueur à Haaretz et conférencier en philosophie juive ; Chen Avigdori, dont l'épouse et la fille ont été prises en otage par le Hamas le 7 octobre et libérées il y a un an lors de l'accord temporaire de cessez-le-feu et d'échange d'otages. Sont également intervenus Ghadir Hani, une dirigeante palestinienne de Standing Together, et Somaya Bashir, une dirigeante de Women Wage Peace.

Comme nous considérons notre rôle non pas simplement comme la mobilisation des « pacifistes » déjà existants, mais aussi comme l'élargissement des rangs du mouvement anti-guerre, il était important pour nous de donner une tribune à des intervenants avec lesquels nous ne sommes pas nécessairement d'accord, ou qui emploient parfois un langage très différent du nôtre, mais qui, en raison de leur parcours et de leurs positions, peuvent aider à faire évoluer la conversation publique et à gagner des gens aux positions anti-guerre.

La campagne d'aide humanitaire

Un autre développement important est que notre Campagne populaire pour mettre fin à la famine à Gaza arrive à son terme, après plusieurs succès. Nous l'avons lancée en août, appelant les habitants d'Israël, en particulier dans la communauté arabo-palestinienne, à faire don de nourriture et d'autres produits de première nécessité dans des points de collecte que nous avons établis dans différentes villes et villages. Notre objectif était de faire entrer cette aide dans la bande de Gaza, avec l'aide d'organisations d'aide internationale, à la fois pour aider à soulager les conditions désastreuses qui y existent, mais aussi pour envoyer un message politique à notre gouvernement.

Des milliers de personnes se sont portées volontaires et ont fait des dons, tant des citoyens palestiniens que juifs d'Israël, et nous avons pu collecter près de 400 camions d'aide. Après que le gouvernement a resserré le siège de Gaza en septembre, l'avenir de cette campagne d'aide semblait sombre. Mais ces dernières semaines, après avoir uni nos forces avec plus d'organisations d'aide internationale, nous avons pu faire entrer des dizaines de camions à Gaza, tant dans la partie sud, près de Khan Younis, que dans la région centrale, Deir el-Balah, et les camps de réfugiés environnants. La partie nord de la bande de Gaza, malheureusement, reste étroitement bloquée par l'armée, dans le cadre du plan de nettoyage ethnique de notre gouvernement, utilisant la famine comme tactique de guerre pour chasser massivement les gens de leurs foyers, pour les remplacer par de futures colonies exclusivement juives qui doivent être construites sur les ruines de leurs maisons.

Les photos et vidéos venant de Gaza, montrant des volontaires locaux distribuant des sacs de farine, de riz, des conserves et des sacs de shampooing, de lessive et de produits d'hygiène féminine, nous font monter les larmes aux yeux. Ce sont des articles donnés et collectés dans nos communautés, emballés et triés par nos volontaires. L'un des directeurs de ces centres de distribution de Gaza nous a dit au téléphone : « J'ai insisté pour que nous distribuions votre aide en portant des gilets violets. J'ai retourné la ville, mais j'ai pu trouver du tissu violet pour cela. »

L'évaluation du budget

Netanyahu parle souvent de remporter une « victoire totale » sur le Hamas, ce qui n'est, bien sûr, qu'un slogan vide pour justifier la prolongation indéfinie de la guerre. Il ne va pas obtenir de « victoire totale », et n'envisage pas sérieusement de détruire le Hamas, qui est son partenaire politique dans la remise en cause des perspectives d'un accord diplomatique qui garantirait les droits nationaux des deux peuples qui vivent sur notre terre.

Mais il y a une « victoire totale » qu'il est très déterminé à obtenir, et c'est une victoire sur le niveau de vie et le bien-être matériel des travailleurs en Israël. Le 1er janvier, une hausse des prix devrait frapper les familles de travailleurs. Il y aura une augmentation du prix des transports publics, de l'électricité, de l'eau et des impôts municipaux. De plus, la TVA augmentera d'un point de pourcentage, aggravant la crise du coût de la vie déjà existante. Dans le même temps, les salaires seront réduits car le gouvernement supprime les subventions fiscales pour les travailleurs salariés et augmente les cotisations de santé et de sécurité sociale prélevées sur la paie des travailleurs pour compenser l'augmentation des dépenses pendant la guerre.

La proposition budgétaire initiale du gouvernement allait encore plus loin, incluant le gel de la mise à jour automatique du salaire minimum, de l'allocation vieillesse et de l'allocation d'invalidité, ainsi que l'augmentation de la taxation sur l'épargne pour les retraites. Cependant, l'Histadrut, la principale fédération syndicale d'Israël, s'est opposée à ces mesures et a négocié avec le ministère des Finances pour les retirer. Le gouvernement a accepté, mais en contrepartie, l'Histadrut a accepté d'autres mesures : la réduction des salaires dans le secteur public de 2,29 % en 2025 et de 1,2 % en 2026, et la diminution de l'indemnité de congés dont bénéficient annuellement les travailleurs.

Au total, 2025 sera une année où la classe ouvrière israélienne supportera le fardeau des guerres lancées par notre gouvernement contre le peuple de Gaza et contre les pays voisins. Maintenir une grande armée permanente, acheter des armes à l'étranger, allouer des budgets au projet de colonisation et appeler les réservistes de l'armée à quitter leur travail pour reprendre le service militaire — tout cela pèse énormément sur l'économie israélienne, et notre gouvernement résolument néolibéral s'attend à ce que les travailleurs paient la part du lion.

La couverture médiatique de la guerre

Les médias grand public israéliens jouent un rôle incroyablement négatif, car ils retiennent les informations sur les conséquences désastreuses de la guerre sur la population civile à Gaza. Lorsque la guerre faisait rage au Liban, avant l'accord de cessez-le-feu très bien accueilli qui a été conclu il y a quelques semaines, très peu de la dévastation que notre armée infligeait à Beyrouth et au reste du Liban était décrite dans la presse et la télévision israéliennes. Ironiquement, les gens à l'étranger, qui s'appuient sur des médias non israéliens, peuvent être beaucoup mieux informés sur la réalité sur le terrain dans un endroit qui n'est qu'à une heure de route d'où beaucoup d'entre nous vivons que la plupart des Israéliens.

Il y a quelques mois, un groupe d'organisations de défense des droits civils en Israël a envoyé une lettre publique aux comités de rédaction des principaux médias en Israël, avertissant que la couverture de la guerre à Gaza maintient le public israélien dans l'ignorance des faits fondamentaux. Ils mentionnent, par exemple, que lorsqu'en mai, l'aviation israélienne a attaqué le camp de personnes déplacées à Rafah, provoquant un incendie tragique qui a coûté la vie à des dizaines de personnes, aucune image de Palestiniens blessés n'a été montrée à la télévision israélienne, et seulement 12 % des informations télévisées et radiophoniques concernant l'événement se sont donné la peine de mentionner qu'il y avait eu une grande perte de vies humaines. Le reste des informations se concentrait sur la façon dont cet événement pourrait délégitimer internationalement la cause juste de la guerre.

C'est pourquoi il est si important pour nous à Standing Together d'essayer de parler directement au public israélien, sans médiation. À la fois en développant notre présence sur les réseaux sociaux (notre compte TikTok, par exemple, a plus d'abonnés que celui de toute autre organisation politique en Israël — de gauche, de droite ou du centre), ainsi qu'à travers des campagnes publiques. Par exemple, nous avons récemment affiché des centaines de publicités aux arrêts de bus à Tel-Aviv et dans les villes environnantes, avec des images de la guerre à Gaza que notre gouvernement souhaite que les gens ne voient pas.

Nous voulons souligner que notre société est à la croisée des chemins, et nous devons choisir : soit la guerre éternelle, l'effusion de sang, la perte de vies innocentes, soit la fin de la guerre et de l'occupation, un accord diplomatique et une paix israélo-palestinienne, qui est la seule façon de préserver l'avenir et la sécurité des deux peuples.


Uri Weltmann

Daniel Randall

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États-Unis : La colère à l’égard de l’assurance santé

17 décembre 2024, par Dan La Botz — , ,
Au petit matin du 4 décembre, un homme armé d'un pistolet a assassiné Brian Thompson, PDG de UnitedHealth Group, l'une des plus grandes sociétés américaines d'assurance santé, (…)

Au petit matin du 4 décembre, un homme armé d'un pistolet a assassiné Brian Thompson, PDG de UnitedHealth Group, l'une des plus grandes sociétés américaines d'assurance santé, qui devait assister à une réunion avec des investisseurs à New York.

12 décembre 2024 | tiré de l'Hebdo L'Anticapitaliste - 733
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/etats-unis-la-colere-legard-de-lassurance-sante

Par Dan La Botz

Sur les lieux du crime, les policiers ont trouvé des douilles sur lesquelles étaient inscrits les mots delay (retarder), deny (refuser), defend (contester), des termes souvent utilisés par les sociétés d'assurance maladie lorsqu'elles rejettent les demandes des patients. Le tireur a laissé dans Central Park un sac à dos retrouvé par la police, qui ne contenait que de l'argent du jeu Monopoly, autre critique implicite du secteur.

Le dégoût vis-à-vis de l'assurance santé

Alors que le meurtre a entraîné la mobilisation de centaines de policiers et d'inspecteurs, le public n'a pas manifesté de sympathie pour Thompson, mais a plutôt exprimé sa frustration, sa colère et son dégoût à l'égard de l'activité qu'il représentait. Le New York Times a titré : « Un torrent de haine à l'égard de l'industrie de l'assurance maladie suit le meurtre du PDG ». L'article commence ainsi : « Le meurtre d'un dirigeant de UnitedHealthcare, Brian Thompson, sur un trottoir de Manhattan, a déclenché un torrent de joie morbide de la part de patients et d'autres personnes qui disent avoir eu des expériences négatives avec des sociétés d'assurance maladie à certains des moments les plus difficiles de leur vie ».

UnitedHealth a publié un message de condoléances, mais il a dû être retiré parce que 84 000 personnes – sans doute beaucoup d'entre elles clients de la société – ont envoyé un emoji de rire. Une personne a écrit sur TikTok : « Je suis infirmière aux urgences et les choses que j'ai vues comme des patients mourants se voyant rejeter par l'assurance me rendent physiquement malade. Je n'arrive pas à éprouver de la sympathie pour lui à cause de tous ces patients et de leurs familles ».

Un tiers des demandes refusées

Contrairement à la plupart des pays industrialisés avancés, les États-Unis ne disposent pas d'un système de santé national offrant un accès universel aux soins de santé. Il n'existe pas de couverture nationale d'assurance maladie, ni de réseau national public d'hôpitaux ou de cliniques. Le système est en grande partie privé et à but lucratif. 57 % des AméricainEs bénéficient d'une assurance maladie par l'intermédiaire de leur employeur. À l'heure actuelle, 8,2 % des AméricainEs, soit 27,1 millions de personnes, en grande partie des personnes âgées et des pauvres, ne bénéficient d'aucune couverture d'assurance maladie.

Quelque 65,4 % des AméricainEs disposent d'une assurance maladie privée, tandis que 36,3 % bénéficient d'une couverture publique par le biais de programmes gouvernementaux, tels que Medicaid (personnes à bas revenu), Medicare (personnes âgées) et divers autres programmes destinés aux militaires et aux anciens combattants. Certaines personnes ont à la fois une assurance privée et une assurance publique. La loi sur les soins abordables (Affordable Care Act), connue sous le nom d'Obama Care, offre une possibilité d'assurance aux ménages dont les revenus sont trop élevés pour bénéficier de Medicaid ou qui ne bénéficient pas d'une couverture d'assurance auprès de leur employeur. Les bureaucraties des compagnies d'assurance s'efforcent de réduire les demandes d'indemnisation et d'augmenter les bénéfices. Selon un récent rapport d'activité, UnitedHealth a refusé 33 % des demandes d'indemnisation en 2023, soit le taux le plus élevé du secteur.

La plus grande compagnie d'assurances

UnitedHealthcare fait partie de UnitedHealth Group, la plus grande compagnie d'assurances américaine et la quatrième plus grande entreprise américaine, tous types confondus en fonction de son chiffre d'affaires dans la liste Fortune 500. UnitedHealthcare emploie environ 400 000 personnes et comptait 52,7 millions d'adhérents à l'assurance maladie à la fin de l'année 2023. L'entreprise prévoit un chiffre d'affaires de 455 milliards de dollars en 2025 et a réalisé 22,3 milliards de dollars de bénéfices l'année dernière, contre 13 milliards de dollars en 2019. La pandémie de covid a entraîné une augmentation des bénéfices, car moins de personnes se sont rendues à l'hôpital pour des visites médicales et des traitements, de sorte que les entreprises n'ont pas eu à payer de demandes de prise en charge. UnitedHealth Group et d'autres assureurs augmentent régulièrement leurs bénéfices en retardant ou en refusant le paiement des traitements. Thompson, qui faisait l'objet d'une enquête pour délit d'initié, devait devenir président de la société lorsqu'il a été assassiné.

Le meurtre de Thompson a fait de son assassin une figure admirée, un genre de Robin des Bois. « Quiconque aide à identifier le tireur est un ennemi du peuple », peut-on lire dans un message publié sur X, qui a reçu plus de 110 000 « likes » et près de 9 200 « retweets », selon le Washington Post. Mais nous n'avons pas besoin de Robin des Bois, nous avons besoin d'un mouvement pour le socialisme démocratique.

Dan La Botz, traduction par Henri Wilno

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États-Unis : « C’est l’économie qui compte, espèce d’idiot »

17 décembre 2024, par Lance Selfa, Sharon Smith — , ,
L'histoire de l'élection de 2024 s'est avérée remarquablement claire. Dans un environnement politique où la plupart des électeurs et électrices pensaient que le pays évoluait (…)

L'histoire de l'élection de 2024 s'est avérée remarquablement claire. Dans un environnement politique où la plupart des électeurs et électrices pensaient que le pays évoluait dans une mauvaise direction, où ils percevaient l'économie comme étant déficiente et où la plupart d'entre eux déclaraient que l'inflation leur avait causé de sérieuses difficultés, les électeurs et électrices ont décidé de rejeter le parti sortant que la vice-présidente Kamala Harris symbolisait.

11 décembre 2024 | tiré d'Inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4488

Donald Trump a remporté le vote populaire pour la première et seule fois [contrairement à 2016 et 2020, en 2024 il a obtenu 73.407.735 voix contre 69.074.145 pour Kamala Harris]. Il a progressé non seulement dans les zones rurales, mais aussi dans les banlieues, et même dans les bastions du Parti démocrate comme New York et Chicago. Selon les sondages de sortie des urnes, Kamala Harris a fait mieux que Joe Biden en 2020 auprès des Américains les plus aisés, mais Donald Trump a progressé par rapport à 2020 auprès de toutes les autres fractions de la population.

L'un des poncifs de la politique américaine est : « C'est l'économie qui compte, espèce d'idiot » [formule utilisée par Bill Clinton en 1992, sur la suggestion de son stratège Jim Carville]. Si l'économie est en croissance et que les gens ont des emplois et des salaires plus élevés, le parti en place est généralement réélu. Si l'économie est en déclin et que les gens ont du mal à joindre les deux bouts, les électeurs ont l'habitude de « jeter les fainéants dehors » en votant pour l'opposant. Pendant la majeure partie du mandat de Joe Biden, alors que l'économie se remettait des chocs subis lors de la pandémie de Covid-19, Biden a été un président extraordinairement impopulaire. Son impopularité a déconcerté ses conseillers, qui ne parviennent pas à la concilier avec les indicateurs économiques « macro » montrant que les États-Unis ont connu la plus forte reprise de tous les pays comparables après la pandémie de Covid 19 (Seth Masket, directeur du Center on American Politics, Université de Denver, 17 octobre).

Pourtant, le Covid a laissé derrière lui des perturbations économiques, notamment les taux d'inflation les plus élevés que les Américains aient connus en 40 ans, ce qui équivaut, bien sûr, à une baisse des salaires. L'explosion des dépenses militaires pour soutenir les guerres en Ukraine et à Gaza alimente également l'inflation. En conséquence, le niveau de vie des travailleurs et travailleuses états-uniens a baissé sous l'administration Biden, alors que l'essor du marché boursier a permis aux plus riches de tirer leur épingle du jeu.

Presque tous les gouvernements en place en Europe, en Asie et en Amérique latine – la plupart d'entre eux étant confrontés à des situations de perturbations et à des reprises post-Covid plus difficiles qu'aux Etats-Unis – qui se sont retrouvés face aux électeurs au cours de l'année écoulée ont perdu ou ont été gravement affaiblis. Le remplacement de Joe Biden par Kamala Harris au milieu de l'été a donné aux démocrates l'espoir d'éviter ce destin, car Biden était clairement en passe de perdre face à Trump. En fin de compte, Kamala Harris n'a pas pu échapper au fait qu'en tant que vice-présidente en exercice tous les aspects négatifs visant Biden lui ont été reprochés1.

Il s'agit de la troisième élection présidentielle consécutive [Trump-Hillary Clinton en 2016, Trump-Joe Biden en 2020, Kamala Harris-Trump en 2024] où le parti sortant a perdu et où le président sortant a passé la majeure partie de son mandat avec une cote de popularité inférieure à 50%. Cela en dit peut-être plus sur le mécontentement sous-jacent de la société états-unienne que sur un candidat en particulier.

La stratégie de campagne du Parti démocrate se retourne contre lui, une fois de plus

En 2016, Hillary Clinton a montré son mépris pour les partisans de Trump, alors majoritairement blancs, en les qualifiant de « pitoyables », plutôt que d'essayer de reconnaître la source de leur colère : l'inégalité flagrante du statut économique. Huit ans plus tard, alors que le soutien à Trump est plus important dans pratiquement tous les segments de la population, il est impossible d'ignorer le désarroi économique qui a éloigné les électeurs des démocrates, tandis que Biden continuait à se vanter que l'économie des Etats-Unis pendant son mandat était « la plus forte du monde » (déclaration du 25 juillet 2024, « Statement from President Joe Biden on Second Quarter 2024 GDP »).

Mais ceux qui ne disposent pas des capacités financières de gagner de l'argent en bourse vivent au jour le jour, incapables de joindre les deux bouts, souvent en cumulant deux emplois.

Dans un système politique où les deux grands partis capitalistes, démocrates et républicains, dominent à tour de rôle les instances du pouvoir – sans véritable parti d'opposition – le seul moyen pour les électeurs et électrices d'exprimer leur mécontentement à l'égard du parti au pouvoir est de voter pour l'autre, le moindre des deux maux.

De plus, depuis que Bill Clinton a occupé la Maison Blanche [1993-2001], les démocrates ont adopté les mêmes politiques néolibérales que les républicains, avec un enthousiasme à peine moins marqué. Depuis Ronald Reagan, les républicains se sont déchaînés contre les « fraudeurs à l'aide sociale », mais Clinton est le président qui a mis fin à la « protection sociale telle que nous la connaissons »2 dans les années 1990, entraînant des millions de pauvres dans une spirale de pauvreté qui n'a fait que s'aggraver aujourd'hui.

Au cours des dernières décennies, les démocrates ont délibérément courtisé les votes des personnes aisées et bien éduquées, ce qui a entraîné une érosion constante du soutien au Parti démocrate parmi ses électeurs et électrices traditionnels de la classe laborieuse et des Noirs. Cette tendance s'est encore accentuée depuis la défaite d'Hillary Clinton lors de l'élection présidentielle dd 2016. Pourtant, les fondés de pouvoir du parti n'ont rien fait pour modifier cette stratégie désastreuse au cours des années qui ont suivi. Ils ont couronné Joe Biden comme candidat pour 2024, alors même que ses facultés mentales déclinaient rapidement, puis, après l'avoir finalement écarté, ont refusé d'organiser en août une convention ouverte au sein du Parti démocrate, renonçant ainsi à un semblant de démocratie au sein de leur propre parti.

Aujourd'hui, « les poules sont rentrées au poulailler », autrement dit « les conséquences de nos décisions sont là ». Donald Trump, criminel condamné, sectaire et mentalement instable, retourne à la Maison-Blanche, avec une victoire écrasante du collège électoral (301 contre 226), tandis que les républicains ont repris le contrôle du Sénat et resteront peut-être maîtres de la Chambre des représentants, le décompte des voix n'étant pas encore achevé [ce 7 novembre au soir].

Un examen plus approfondi de la répartition électorale de 2024 devrait dissiper le mythe selon lequel la majorité de la population est composée d'incorrigibles racistes et misogynes qui croient à tous les mensonges de Trump – que les immigrants haïtiens mangent des chats de compagnie, ou que l'armée devrait regrouper les immigrants dans le cadre d'expulsions massives, par exemple. Il existe déjà des preuves empiriques que de nombreux électeurs de Trump ne croient pas réellement à ses affirmations les plus farfelues ou ne s'attendent pas à ce qu'il tienne ses promesses de campagne les plus radicales.

Comme l'a rapporté Shwan McCreesh dans le New York Times du 14 octobre par exemple :

L'un des aspects les plus étranges de l'attrait politique de Donald J. Trump est le suivant : Beaucoup de gens sont heureux de voter pour lui parce qu'ils ne croient tout simplement pas qu'il fera beaucoup des choses qu'il dit qu'il fera.
L'ancien président a parlé de mettre le ministère de la Justice en état d'alerte et d'emprisonner les opposants politiques. Il a déclaré qu'il purgerait le gouvernement de tout ce qui n'est pas loyal et qu'il aurait du mal à embaucher quelqu'un qui admettrait que l'élection de 2020 n'a pas été volée. Il a proposé « une journée vraiment violente » (citation faite par Rebecca Davis O'Brien, dans le NYT le 30 septembre) au cours de laquelle les policiers pourraient se montrer « extraordinairement brutaux » en toute impunité. Il a promis des déportations massives et prédit que ce serait « une histoire sanglante ». Et si nombre de ses partisans sont ravis de ces propos, il y en a beaucoup d'autres qui pensent que tout cela fait partie d'un grand spectacle.

Comme l'a déclaré un sondeur républicain dans le NYT (article de Shawn McCreesh cité), « les gens pensent qu'il dit des choses pour faire de l'effet, qu'il fait de l'esbroufe, parce que cela fait partie de ce qu'il fait, de son jeu. Ils ne croient pas que cela va réellement se produire ». Seul le temps nous dira si cette hypothèse est correcte ou non3.

Jusqu'à ce que les votes soient entièrement comptés dans tout le pays, la plupart des données analytiques actuelles reposent sur les sondages de sortie des urnes, qui doivent donc être considérés comme des estimations. Cela dit, ils ont montré que près d'un électeur de Trump sur cinq était une personne de couleur, ce qui constitue un changement majeur par rapport à 2016. Trump a remporté 26% du vote latino (Washington Post, 6 novembre, article d'Aaron Blake – un group certes différencié en termes d'origine et de localisation, réd.) y compris dans un certain nombre de comtés frontaliers à majorité latino dans le sud du Texas. Trump a progressé de manière moins spectaculaire parmi les électeurs et électrices noirs, mais a néanmoins remporté entre 13 et 16% du vote noir dans sa globalité (contre un pourcentage à seul chiffre lors des élections précédentes), et entre 21 et 24% parmi les hommes noirs, selon Politico (6 novembre).

Malgré la crise des droits reproductifs résultant des interdictions d'avortement, l'avantage de Harris parmi les électrices n'était que de 8%, le plus faible depuis 2004. Dans un certain nombre d'Etats où des référendums en faveur du droit à l'avortement ont été adoptés, Trump a tout de même remporté la victoire. C'est le cas du Missouri, où les électeurs ont annulé l'interdiction de l'avortement, mais où une majorité a toutefois voté pour Trump (NYT, 6 novembre).

Le soutien inconditionnel de Joe Biden à la guerre génocidaire d'Israël à Gaza a coûté à Kamala Harris au moins une partie des voix parmi les électeurs et électrices arabes, musulmans et pro-palestiniens, bien que, là encore, les statistiques nationales ne soient pas encore disponibles. Mais Trump a remporté la ville à majorité arabe de Dearborn, dans le Michigan, où de nombreux sondages avaient déjà montré que les électeurs et électrices se retournaient contre Biden, puis contre Harris, en raison de leur soutien aux atrocités commises par Israël en Palestine et au Liban. Kamala Harris n'a obtenu que 36% des voix à Dearborn, contre 68% pour Biden en 2020. Il apparaît aujourd'hui que si certains ont voté pour Trump, 18% des électeurs ont voté pour Jill Stein, du parti vert, contre moins de 1% pour les Verts dans l'ensemble de l'Etat du Michigan.

Toutefois, Kamala Harris a remporté la victoire parmi les électeurs gagnant 100 000 dollars ou plus par an, dans ce qui semble être un réalignement politique à long terme, bien que Trump conserve le soutien des super-riches milliardaires4.

Les conseils de Bernie Sanders

Comme on pouvait s'y attendre, le sénateur du Vermont Bernie Sanders n'a attendu qu'une journée pour émettre une critique cinglante de la campagne de Kamala Harris. « Il ne faut pas s'étonner qu'un Parti démocrate qui a abandonné la classe ouvrière s'aperçoive que la classe ouvrière l'a abandonné », a déclaré Bernie Sanders dans son communiqué. « Les grands intérêts financiers et les consultants bien payés qui contrôlent le Parti démocrate tireront-ils des leçons de cette campagne désastreuse ? . . . Probablement pas. »5 [6]

La critique de Bernie Sanders est vraie (en particulier la formule « probablement pas »), mais il est difficile de la prendre au pied de la lettre. Après tout, Sanders et d'autres supplétifs « progressistes » du Parti démocrate, comme la représentante Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), étaient « à fond » – d'abord pour Joe Biden, puis pour Harris tout au long de sa courte campagne. Tous deux ont fait la tournée des Etats fédérés pour Harris. Harris a donné à Sanders et à AOC des places de choix pour prendre la parole à la Convention nationale du Parti démocrate (tout en refusant d'autoriser un seul orateur pro-palestinien), où leurs discours étaient destinés à établir la bonne foi de Harris au sein de la base progressiste du Parti démocrate6. Et maintenant, Sanders nous dit que la campagne de Harris était condamnée dès le départ ?

Sanders a certainement raison lorsqu'il critique les démocrates en tant que parti du statu quo. Mais il ne faut pas oublier que Sanders et AOC ont été parmi les derniers défenseurs de Biden avant que les leaders démocrates et les donateurs ne le poussent hors de la course. Le programme de Kamala Harris, intitulé « économie de l'opportunité », mettait l'accent sur l'esprit d'entreprise, avec quelques vagues clins d'œil à la réduction des coûts des soins de santé, du logement et des produits alimentaires. Même sa proposition apparemment « importante » d'ajouter à Medicare la couverture des soins à domicile pour les personnes âgées et handicapées n'était guère plus qu'un sujet de discussion – et encore, juste une goutte d'eau dans l'océan de ce qu'il faudrait pour réparer le système de santé basé sur le profit, ce qui le rend inabordable pour des millions de personnes.

Kamala Harris aurait-elle pu battre Donald Trump si elle s'était présentée avec le programme de Bernie Sanders ? On peut en douter. Il est difficile de se présenter en tant qu'« opposante » lorsque l'on est la vice-présidente en exercice d'une administration impopulaire. Mais elle n'a même pas essayé.

Harris et AOC ont organisé des événements sur mesure avec des dirigeants syndicaux comme le président de l'UAW, Shawn Fain. Les dirigeants syndicaux ont cité le fait que Joe Biden était présent sur un piquet de grève de l'UAW, ses nominations au National Labor Relations Board et la création de « bons emplois syndicaux » dans le cadre des investissements dans les infrastructures comme autant de preuves que Joe Biden (et vraisemblablement Kamala Harris, en tant que sa successeure) était le président le plus « pro-syndical » de toute une décennie. Mais les familles syndiquées n'offrent qu'un mince avantage aux démocrates, avec seulement 53% d'entre elles ont voté démocrate, contre 58% en 2012. Et lorsque le taux de syndicalisation de la main-d'œuvre n'est que d'environ 10% au total – et de seulement 6% dans le secteur privé –, même ces enjeux syndicaux ne trouveront pas d'écho dans la classe ouvrière au sens large.

Dans une période où la population accorde aux syndicats le plus grand soutien qu'ils aient jamais reçu (voir Union Track, article de Ken Green, 16 octobre 2024, portant sur l'enquête de l'institut de sondage Gallup), les dirigeants syndicaux devraient peut-être consacrer plus de temps et d'argent à aider les travailleurs et travailleuses à s'organiser qu'à dépenser des millions dans des campagnes électorales démocrates.

Qu'en est-il du taux de participation ?

Il faudra des semaines avant d'avoir une idée précise de la structuration de tous les votes exprimés lors de l'élection de 2024. Ce qui n'est pas remis en cause, c'est que, pour la première fois, Trump a remporté la majorité des voix. Il est le premier républicain à remporter le vote populaire présidentiel depuis George W. Bush en 2004.

Au 7 novembre, Trump avait recueilli environ 72,7 millions de voix, contre 68,1 millions pour Kamala Harris. Michael McDonald, expert en élections, estime que le taux de participation global sera d'environ 64,5% de la population en âge de voter, contre un peu moins de 66% en 2020. Cela représente une légère baisse par rapport au taux de participation de 2020, qui était le plus élevé depuis 1900. Le taux de participation de 2024 semble donc être parmi les plus élevés depuis plus d'un siècle.

Les sondages de sortie des urnes indiquent que Trump a obtenu 56% des 8% d'électeurs qui votaient pour la première fois. Environ 6% des électeurs et électrices de Biden en 2020 sont passés à Trump en 2024, contre environ 4% de Trump à Harris. Malgré tous les efforts déployés par Harris pour attirer les républicains sous la tente des démocrates, cela n'a pas fait de différence significative.

Par rapport à 2020, où Biden a obtenu 81 millions de voix et Trump environ 74 millions, les démocrates et les républicains semblent gagner moins de voix, bien que Trump puisse retrouver son score de 2020. Mais le recul du Parti démocrate sera de plus de 10 millions de voix.

Où sont donc allés les votes des démocrates de 2020 ? Un petit nombre d'entre eux sont allés à Trump, mais il semble que la plupart de ces votants soient restés chez eux. A Détroit et à Philadelphie, deux des principaux bastions du Parti démocrate dans les Etats du Michigan et de Pennsylvanie, la participation des démocrates n'a pas été au rendez-vous. Après tout le battage médiatique autour de la campagne du porte-à-porte de Kamala Harris, cette dernière a obtenu moins de voix à Détroit que l'exécrable campagne d'Hillary Clinton en 2016.

Une démarcheuse pour Kamala Harris a expliqué (Brigde Detroit, 6 novembre) pourquoi cela s'est produit à Détroit : « J'ai été choquée par le nombre de personnes qui ont déclaré avoir déjà voté, ce qui nous a permis de nous concentrer sur ceux qui ne l'avaient pas fait. Certains électeurs et électrices sont cyniques et insatisfaits de tout, (ils disent) que rien ne change jamais. On pourrait écrire 20 histoires différentes sur ce qui préoccupe les électeurs et électrices du Michigan, et elles seraient toutes vraies. »

Kamala Harris, la candidate « républicaine-allégée »

Comme on pouvait s'y attendre, les grands médias ont tiré les mauvaises leçons des résultats du scrutin de 2024. L'éditorial du 6 novembre du New York Times, par exemple, a rejeté la faute sur les progressistes, en affirmant :

« Le parti doit également se demander pourquoi il a perdu les élections… Il a mis trop de temps à reconnaître que de larges pans de son programme progressiste lui aliénaient les électeurs et électrices, y compris certains des plus fidèles partisans de son parti. Et cela fait maintenant trois élections que les démocrates s'efforcent de trouver un message convaincant qui trouve un écho auprès des Américains des deux partis qui ont perdu confiance dans le système, ce qui a poussé les électeurs et électrices sceptiques vers le personnage le plus manifestement perturbateur, même si une grande majorité d'Américains reconnaissent ses graves défauts. »

Mais comme l'a observé avec justesse Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) du 7 novembre, « Kamala Harris ne s'est pas présentée comme une progressiste, que ce soit en termes de politique économique ou de politique identitaire. Mais pour un média institutionnel [allusion au NYT et y compris au Washington Post] qui a largement complété, plutôt que contré, les récits de Trump basés sur la peur des immigrants, des personnes transgenres et de la criminalité, blâmer la gauche est infiniment plus tentant que de reconnaître sa propre culpabilité. »

Kamal Harris a choisi de courtiser les républicains, et non les progressistes, pendant la période précédant l'élection. Les rituels traditionnels de séduction électorale ont ainsi été bouleversés, la démocrate Kamala Harris rampant devant les électeurs républicains et le républicain Trump (avec un peu plus de succès) cherchant à séduire les électeurs latinos en particulier. Le soutien de Kamala Harris aux droits reproductifs et à l'élimination du plafond de verre entre hommes et femmes a été relégué en partie au second plan pour trouver un terrain d'entente avec les républicains sur les questions sociales.

Plutôt que de se concentrer sur ce qui la distinguait de Donald Trump, Kamala Harris a mené une campagne « républicaine allégée », mettant l'accent sur ce qu'elle avait en commun avec les républicains : son opposition à l'immigration et son soutien à la répression à la frontière sud ; la réaffirmation de son soutien indéfectible au génocide israélien en Palestine ; la vantardise de posséder un pistolet Glock pour séduire les défenseurs des armes à feu.

L'ancienne représentante républicaine Liz Cheney a rejoint Kamala Harris sur le chemin de la campagne. Son père, le criminel de guerre et néoconservateur Dick Cheney, a soutenu Kamala Harris en grande pompe.

Mais au milieu de toutes ces joutes électorales, il n'était pas évident de savoir ce que représentait réellement Kamala Harris. En tant que procureure puis procureure générale de Californie au début de sa carrière, elle n'était ni de droite ni de gauche, mais elle s'est transformée en une fière libérale [centre gauche] lorsqu'elle s'est présentée aux élections primaires de 2019. Cette année, après l'abandon de Biden, elle s'est présentée à l'élection présidentielle avec l'intention de paraître plus conservatrice. Elle a donc fait volte-face sur son opposition libérale de 2019 à la fracturation pétrolière et sur son soutien au « Medicare for All » – mais sans admettre qu'elle avait réellement changé d'avis sur ces questions majeures. Comme on pouvait s'y attendre, de nombreux électeurs et électrices ont rejeté cette candidate peu sincère, représentant l'administration Biden en place, et ont opté pour l'impudent milliardaire, qui a prouvé qu'il était prêt à au moins bousculer les choses, pour le meilleur et pour le pire.

Tels sont les choix malheureux que les électeurs et électrices aspirant au changement ont été contraints de faire au sein du duopole bipartite qui enferme l'électorat des Etats-Unis dans un carcan.

Un électorat en colère, sans alternative viable à gauche, se tourne vers la droite

Au cours des dernières décennies, la gauche états-unienne a été bien trop faible pour avoir un impact sur les élections – une tendance qui n'a fait que s'aggraver au cours des dernières années. La montée en puissance des Socialistes démocrates d'Amérique (DSA-Democratic Socialists of America) a été inspirée par les succès électoraux du socialiste indépendant Bernie Sanders en 2016 et 2020 [il a été réélu dans l'Etat du Vermont en 2024]. Mais dans les deux cas, Sanders s'est plié aux exigences des fondés de pouvoir du Parti démocrate et a fini par soutenir les candidats qu'ils avaient choisis, d'abord Hillary Clinton, puis Joe Biden. Et, comme indiqué plus haut, Sanders a fait campagne avec enthousiasme pour Biden, puis pour Harris.

Il n'est pas surprenant que la croissance de DSA – bien qu'il s'agisse encore d'une très petite organisation n'ayant qu'une influence marginale sur la politique américaine – ait coïncidé avec la décimation de la plus grande partie de la gauche révolutionnaire, qui était déjà en déclin depuis un certain temps. L'objectif à courte vue d'obtenir une influence politique plus large pour la gauche via le Parti démocrate a sans aucun doute joué un rôle dans la poursuite de cette évolution, mais n'a pas empêché la détérioration générale de la gauche. Le soutien de Sanders et d'AOC à Biden et Harris l'illustre parfaitement.

En fait, la DSA a accéléré le déclin de l'influence de la gauche en mettant l'accent sur les élections au lieu de donner la priorité à la construction de mouvements sociaux de base qui peuvent influencer la politique en dehors de l'arène électorale. Ce n'est pas sans raison que le Parti démocrate est traditionnellement considéré par la gauche révolutionnaire américaine comme « le cimetière des mouvements sociaux ».

Ce point peut facilement être prouvé par la négative, en utilisant comme premier exemple la dépendance des organisations de défense du droit à l'avortement à l'égard des politiciens du Parti démocrate. Les mouvements sociaux pour le droit à l'avortement et la libération des femmes ont obtenu, par l'intermédiaire d'organisations de base, le droit à l'avortement lorsque la Cour suprême des Etats-Unis a rendu son arrêt Roe v. Wade en 1973 – alors que Richard Nixon, un anti-avortement, occupait la Maison-Blanche. Mais au cours des décennies qui ont suivi, les organisations pro-choix se sont appuyées sur les démocrates pour défendre le droit à l'avortement, et aucune grande manifestation pro-choix n'a été organisée depuis deux décennies. Pourtant, les démocrates, en tant que parti du compromis, ont permis que le droit à l'avortement soit érodé, puis finalement renversé en 2022. Aucun de ces politiciens n'a cherché à reconstruire un mouvement pro-choix dynamique pour changer le statu quo depuis lors, même s'il a provoqué une crise des droits reproductifs qui tue les femmes (New York Intelligencer, 4 novembre, article de Irvin Carmon),

La seule solution proposée par le New York Times – et l'establishment libéral – est d'attendre les prochains cycles électoraux pour voter : « Ceux qui ont soutenu Trump lors de cette élection devraient observer attentivement sa façon d'exercer son pouvoir afin de voir si elle correspond à leurs espoirs et à leurs attentes, et si ce n'est pas le cas, ils devraient faire connaître leur déception et voter lors des midterms de 2026 et en 2028 pour remettre le pays sur la bonne voie. »

Or, cela est loin d'être une solution. Les élections elles-mêmes ne déterminent généralement pas les rapports des forces au plan politique et social à un moment donné. Elles reflètent normalement ces rapports de forces – bien qu'elles puissent parfois le consolider ou l'affaiblir – et peuvent donc être influencées par des mouvements extérieurs à l'arène électorale.

Aujourd'hui, aux Etats-Unis, les rapports de forces penchent résolument en faveur de la droite, entre autres en raison de la faiblesse de la gauche. « La nature a horreur du vide », dit le proverbe. Lorsque les démocrates font écho aux républicains en s'orientant vers la droite et que la gauche suit les démocrates pour gagner les élections, les électeurs et électrices n'entendent aucun point de vue alternatif de gauche. C'est donc la droite qui l'emporte.

C'est la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. Il est facile de faire des immigré·e·s les boucs émissaires des problèmes de la société alors qu'il n'y a pas d'explication de gauche à la baisse des salaires et à l'inflation élevée, qui renverrait aux politiques de division et de domination de la classe capitaliste.

La seule possibilité de modifier les rapports de forces réside dans une lutte – avec ses expressions organisées – ancrée au niveau de la base. Nous avons eu un aperçu de ce que cette lutte pourrait signifier l'année dernière, lorsque les Travailleurs unis de l'automobile (UAW) ont mené l'offensive face aux trois grands constructeurs automobiles et ont gagné. Nous en avons également eu un aperçu au printemps dernier, lorsque des manifestants pro-palestiniens ont formé des campements sur les campus universitaires à travers les Etats-Unis.

Mais une montée en puissance bien plus importante des mouvements sociaux et de la lutte de classe dans ses diverses expressions est une condition préalable nécessaire pour modifier les rapports de forces entre classe. D'ici là, les plus riches continueront à célébrer leur bonne fortune. Le statu quo prévaudra, peu importe pour qui nous avons voté ou non. Et Trump prendra ses fonctions en janvier, avec des conséquences que personne ne peut prédire aujourd'hui.

Article reçu le 8 novembre, traduction rédaction A l'Encontre.

Notes

1. Lors de sa première prise de parole le 22 juillet, suite au retrait de Joe Biden de la course à la présidentielle, Kamala Harris a salué le bilan de Biden : « En un mandat, il a déjà un meilleur bilan que la plupart des présidents qui ont effectué deux mandats. » (Réd. A l'Encontre)

2. Alana Semuels, dans The Atlantic du 1er avril 2016, rappelait que : « Si l'on en croit les chiffres, la réforme de l'aide sociale [par Clinton] a été un succès. En 1995, avant l'adoption de la loi de réforme, plus de 13 millions de personnes recevaient une aide financière du gouvernement. Aujourd'hui, elles ne sont plus que 3 millions. “Pour dire les choses simplement, la réforme de l'aide sociale a fonctionné parce que nous avons tous travaillé ensemble”, a écrit Bill Clinton, qui a promulgué la loi sur la réforme de l'aide sociale (Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act) de 1996, dans un article d'opinion publié dans le New York Times en 2006. Bill Clinton avait fait campagne en promettant de “mettre fin à l'aide sociale telle que nous la connaissons” et il n'est que trop évident aujourd'hui qu'il y est parvenu. » (Réd. A l'Encontre)

3. Nous reviendrons sur les réseaux hyper conservateurs, acteurs d'une orientation contre-révolutionnaire, qui constituent aujourd'hui l'encadrement du trumpisme. Sylvie Laurent en donne de nombreux éléments. Voir le débat en accès libre sur Mediapart du 7 novembre. (Réd. A l'Encontre)

4. Business Insider du 28 octobre énumère les milliardaires qui soutiennent Trump : Elon Musk, Steve Schwarzman, Miriam Adelson, Diane Hendricks, Harold Hamm, Andrew Beal, Bernard Marcus, Tilman Fertitta, Bill Ackman, Douglas Leone, Jeffery Hildebrand, Kelcy Warren, Paul Singer, Jan Koum, Richard et Elizabeth Uihlein, Ike Perlmutter, Joe Ricketts, John Paulson, Steve Wynn, Woody Johnson, Warren Stephens, Cameron and Tyler Winklevoss, Linda McMahon, Timothy Mellon, Robert and Rebekah Mercer, Robert Bigelow, etc. (Réd. A l'Encontre)

5. Dans le document de Bernie Sanders publié sur X le 6 novembre, il ajoute : « D'abord, c'était la classe ouvrière blanche, et maintenant ce sont aussi les travailleurs latinos et noirs [qui se sont éloignés du Parti démocrate]. Alors que les dirigeants démocrates défendent le statu quo, le peuple américain est en colère et veut du changement. Et ils ont raison.
»Aujourd'hui, alors que les très riches se portent à merveille, 60% des Américains vivent au jour le jour et l'inégalité des revenus et des richesses n'a jamais été aussi grande. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les salaires hebdomadaires réels, tenant compte de l'inflation, du travailleur/travailleuse moyen sont aujourd'hui inférieurs à ce qu'ils étaient il y a 50 ans.
»Aujourd'hui, malgré l'explosion de la technologie et de la productivité des salarié·e·s, de nombreux jeunes auront un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents. Et nombre d'entre eux craignent que l'intelligence artificielle et la robotique n'aggravent encore la situation.
»Aujourd'hui, bien que nous dépensions beaucoup plus par habitant que d'autres pays, nous restons la seule nation riche à ne pas garantir les soins de santé à tous en tant que droit de l'homme et nous payons, de loin, les prix les plus élevés au monde pour les médicaments délivrés sur ordonnance. Nous sommes les seuls, parmi les grands pays, à ne même pas pouvoir garantir des congés familiaux et médicaux rémunérés. » (Réd. A l'Encontre)

6. Rashida Tlaib et Ilhan Omar, les deux premières femmes musulmanes à siéger au Congrès des Etats-Unis, ont été réélues à la Chambre des représentants. Rashida Tlaib, qui est également la première femme d'origine palestinienne à siéger au Congrès, a été réélue mardi pour un quatrième mandat en tant que représentante du Michigan, avec le soutien de l'importante communauté arabo-américaine de Dearborn. Ilhan Omar, ancienne réfugiée et Américaine d'origine somalienne, a retrouvé son siège pour un troisième mandat dans le Minnesota, où elle représente le 5e district, fortement démocrate, qui comprend Minneapolis et un certain nombre de banlieues. Principale critique du soutien militaire apporté par les États-Unis à Israël dans sa guerre contre Gaza, Rashida Tlaib s'est présentée sans opposition aux élections primaires démocrates et a battu le républicain James Hooper. (Réd. A l'Encontre)

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Un mouvement de masse peut vaincre la cupidité des PDG de la santé

17 décembre 2024, par Bernie Sanders, Chandler Dandridge — , ,
Nous avons parlé à Bernie Sanders du présumé PDG de l'assurance maladie, Luigi Mangione, de la crise des soins de santé à but lucratif en Amérique, des raisons pour lesquelles (…)

Nous avons parlé à Bernie Sanders du présumé PDG de l'assurance maladie, Luigi Mangione, de la crise des soins de santé à but lucratif en Amérique, des raisons pour lesquelles seul un mouvement de masse peut gagner Medicare for All, et de la façon de lutter contre la part croissante des votes de la classe ouvrière pour la droite.
L'assassinat du PDG de UnitedHealthcare, Brian Thompson, à Manhattan la semaine dernière, a attiré plus d'attention médiatique sur le système de santé américain que ce que nous avions vu lors de l'ensemble de l'élection présidentielle de 2024. Nombreux sont ceux qui profitent de l'occasion pour débattre de la pertinence de la réponse du public, qui a tendance ne pas être sympathique à la victime. Une question peut-être plus pressante est la suivante : si les Américains sont de cet avis à propos de l'assurance maladie privée, alors pourquoi les politiciens ont-ils laissé tomber la question ?
Il est clair, à la suite du meurtre, qui aurait été perpétré par Luigi Mangione, âgé de vingt-six ans, que les gens de tout le spectre politique sont indignés par la cupidité des compagnies d'assurance et l'incapacité du système à fournir des soins adéquats aux Américains. Mais en l'absence d'un mouvement de masse autour de l'assurance-maladie pour tous, dirigé par un leadership politique fort, il est difficile d'imaginer comment la rage et le désespoir des gens peuvent être canalisés vers un changement durable.
Le sénateur Bernie Sanders s'est entretenu avec Chandler Dandridge, collaborateur de Jacobin, sur la réaction au meurtre de Thompson, sur la cruauté du système de santé à but lucratif, sur les arguments en faveur de l'assurance-maladie pour tous, sur la manière de promouvoir l'unité parmi les électeurs de la classe ouvrière et sur la nécessité pour les dirigeants du Parti démocrate de dire de quel côté ils se trouvent.

11 décembre 2024 | tiré de Jacobin | Photo : Le sénateur Bernie Sanders s'exprime lors d'une conférence de presse à Washington, DC, le 19 novembre 2024. (Nathan Posner / Anadolu via Getty Images)
https://jacobin.com/2024/12/sanders-movement-health-care-mangione?mc_cid=129a0eb0dd&mc_eid=8dfe7fa4b4À

Chandler Dandridge : Nous approchons du quinzième anniversaire de l'Affordable Care Act (ACA) et les États-Unis sont toujours en proie à une grave crise des soins de santé. En fait, au cours des dix dernières années, les bénéfices des compagnies d'assurance n'ont fait qu'augmenter, les primes ne cessent d'augmenter et les réclamations de base continuent d'être refusées. Pourquoi la loi du président Obama n'a-t-elle pas réussi à réparer notre système de santé ?

Bernie Sanders : Parce que la fonction principale de l'ACA est d'augmenter la couverture des soins de santé en subventionnant l'industrie de l'assurance. Sa fonction n'a jamais été de s'attaquer aux causes profondes des problèmes et de se demander pourquoi nous dépensons environ deux fois plus par habitant en soins de santé que les habitants d'autres pays. Il n'a pas abordé le problème du fait que le fonctionnement du système de soins de santé actuel ne fournit pas de soins de qualité de manière rentable.

La fonction est très claire, et cela n'a pas changé : c'est de faire faire le plus d'argent possible aux compagnies d'assurance et aux compagnies pharmaceutiques. Donc, si vous avez un système conçu pour faire faire des dizaines de milliards de bénéfices par an aux compagnies d'assurance et aux sociétés pharmaceutiques, par définition, il ne répondra pas aux besoins du peuple américain.

Chandler Dandridge : Malgré la crise actuelle, les soins de santé étaient largement absents des élections générales de 2024 – une différence frappante par rapport à la campagne présidentielle de 2016 et à celle de 2020. Vous avez voyagé à travers le pays ces derniers mois : les gens ordinaires ont-ils perdu tout intérêt et se sont-ils résignés au statu quo ?

Bernie Sanders : [criant] NON ! Est-ce assez clair ? Écoutez, quand nous parlons de la crise des soins de santé, à mon avis, et je pense que c'est le point de vue d'une majorité d'Américains, le système actuel est cassé, il est dysfonctionnel, il est cruel et il est extrêmement inefficace – et beaucoup trop coûteux.

C'est ce que les gens comprennent de la situation. Quand je fais des discours publics la plupart du temps, je dis : « Écoutez, je veux que vous me disiez ce que vous pensez. Combien d'entre vous pensent que le système de santé américain actuel fonctionne bien ? S'il vous plaît, levez la main. Très peu de mains se lèvent. « Combien d'entre vous pensent qu'il est cassé ? » Presque toutes les mains dans la pièce se lèvent. C'est ce que le peuple américain comprend pour des raisons évidentes.

Quatre-vingt-cinq millions de personnes n'étaient pas assurées. Nous payons les prix le plus élevés au monde pour les médicaments sur ordonnance. Nos résultats sont pires que ceux de la plupart des autres systèmes de soins de santé. Notre espérance de vie est plus faible. Environ soixante mille personnes meurent chaque année parce qu'elles n'arrivent pas chez le médecin à temps. Il n'est pas nécessaire d'être un génie pour comprendre qu'il s'agit d'un système extrêmement dysfonctionnel. Nous dépensons deux fois plus par habitant pour les soins de santé et nous en obtenons moins en valeur que d'autres pays.

Cela m'attriste que non seulement les républicains n'aient rien à dire à ce sujet, mais que les démocrates ne puissent pas aller beaucoup plus loin que d'essayer de protéger la loi sur les soins abordables.

Mais la vraie crise n'est pas un débat sur les soins de santé. C'est un débat politique. C'est un débat sur le financement des campagnes électorales. La raison pour laquelle nous n'avons pas rejoint pratiquement tous les autres grands pays du monde pour garantir les soins de santé à tous en tant que droit de l'homme est le pouvoir politique et le pouvoir financier de l'industrie de l'assurance et des sociétés pharmaceutiques. Ils dépensent des sommes énormes pour s'assurer que nous ne remettons pas en question les prémisses de base du système actuel et que nous continuons à maintenir un système de soins de santé géré par des compagnies d'assurance et des sociétés pharmaceutiques. Il faudra une révolution politique dans ce pays pour que le Congrès dise : « Vous savez quoi, nous sommes ici pour représenter les gens ordinaires, pour fournir des soins de qualité aux gens ordinaires en tant que droit de l'homme », sans se soucier des profits des compagnies d'assurance et des sociétés pharmaceutiques.

C'est donc principalement une question politique. C'est ce que nous devons aborder. Pour répondre à votre question, je crois que les gens sont plus que conscients de la crise des soins de santé. Je pense que c'est dans leur esprit. Et cela m'attriste que non seulement les Républicains n'aient rien à dire à ce sujet – ou, je suppose, que Trump « travaille toujours sur un plan » – mais que les Démocrates ne puissent pas aller beaucoup plus loin que d'essayer de protéger la loi sur les soins abordables.

Chandler Dandridge : Après la victoire de Donald Trump en novembre, il était impossible d'ignorer son soutien croissant parmi les personnes de couleur de la classe ouvrière, s'appuyant sur une tendance des électeurs blancs de la classe ouvrière à abandonner le Parti démocrate lors des élections précédentes. Ce processus aurait-il pu être arrêté si les démocrates avaient adopté plus tôt l'assurance-maladie pour tous et d'autres programmes sociaux universels ?

Bernie Sanders : Au début de cette campagne, j'ai commandé un sondage. Nous avons posé des questions au peuple américain sur certains des problèmes les plus importants auxquels l'Amérique est confrontée, y compris les soins de santé, y compris l'assurance-maladie pour tous. Et vous ne serez pas surpris d'apprendre qu'en fait, une forte majorité du peuple américain comprend que les soins de santé sont un droit de l'homme. Il y avait un très fort soutien pour Medicare for All.

Et bien que vous ayez un soutien pour Medicare for All, vous pourriez allumer la télévision et la regarder vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l'année, et vous n'entendrez aucune discussion sur Medicare for All. Seule une poignée d'entre nous — les médecins pour un programme national de santé, moi-même et quelques autres — en parlons. Imaginez ce qui se passerait si tout un parti politique s'attaquait à l'industrie de l'assurance et aux compagnies pharmaceutiques et exigeait des changements.

Mais même sans ce mégaphone, avec un mégaphone limité, le peuple américain comprend que le système actuel est cassé. Nous devons aller dans une direction très différente. Et vous parlez de pourquoi la classe ouvrière a abandonné le Parti démocrate ? C'est l'une des réponses. Si vous vous promenez en disant : « La seule chose que je peux dire à propos des soins de santé, c'est que je m'opposerai aux coupes dans la loi sur les soins abordables » – mec ! Cela ne résout pas la crise que nous traversons dans le Vermont, où les coûts d'assurance augmentent de 10 à 15 % par an. Les petites entreprises ne peuvent pas le payer.

L'autre jour, j'ai parlé à des syndicalistes des plus grands syndicats du Vermont. Ils me disent qu'à chaque fois qu'ils s'assoient pour négocier, ils ne peuvent pas obtenir d'augmentation de salaire parce que les coûts des soins de santé ont tellement augmenté, y compris les employés du secteur public et du secteur privé. Donc non, je ne suis pas d'accord avec quiconque pense que les soins de santé ne sont pas dans l'esprit du peuple américain. Je ne suis pas d'accord avec les gens qui ne pensent pas politiquement que c'est une question gagnante. S'attaquer aux compagnies d'assurance et aux compagnies pharmaceutiques est exactement ce que veulent les Américains de la classe ouvrière, que vous soyez démocrate, républicain ou indépendant.

Comme je l'ai déjà dit, nous avons fait des sondages, et Medicare for All, les soins de santé en tant que droit de l'homme, la réduction de moitié du coût des médicaments sur ordonnance, l'élargissement des prestations de sécurité sociale en levant le plafond du revenu imposable, l'expansion immédiate de Medicare pour couvrir les soins dentaires, auditifs et visuels – toutes ces questions sont extrêmement populaires. Mais dans tous les cas, vous vous attaquez à de puissants intérêts particuliers, et malheureusement, à l'heure actuelle, étant donné le rôle de l'argent dans la politique, il y a beaucoup trop peu de politiciens qui sont prêts à se lever et à dire ce qui est évident.

Les gens comprennent que le système est cassé. Il y a eu deux campagnes : la campagne démocrate qui a dit : « Hé, le statu quo fonctionne bien, nous allons régler un peu le problème sur les bords. » Et Trump qui arrive en disant : « Le système est complètement cassé et je vais le réparer. » Eh bien, malheureusement, il va aggraver encore un système défaillant. Mais il a gagné du soutien parce que les gens savent que le système est cassé. Il est brisé. Le système de financement des campagnes électorales est cassé, le système de soins de santé est cassé, le système de logement est cassé, le système éducatif est cassé. Il est brisé. Et nous avons besoin d'un mouvement pour créer une société qui fonctionne pour nous tous, et nous pouvons le faire. Ce n'est pas facile, mais c'est de cela qu'il s'agit.

Chandler Dandridge : Il semble que nous soyons dans un processus de désalignement des classes, où la classe ouvrière ne vote plus en bloc dans ses intérêts économiques, mais se disperse plutôt à travers le spectre politique – y compris, dans de nombreux cas, en se laissant distancer par des milliardaires réactionnaires. Voyez-vous Medicare for All comme une campagne qui peut inverser ce processus ?

Bernie Sanders : Oui, c'est possible. Pas pour tous. Mais je vais vous dire, dans le Vermont, je l'ai vu. Les gens disent : « Je ne suis pas d'accord avec vous sur la question de l'avortement » ou « Je ne suis pas d'accord avec vous sur les droits des homosexuels, mais vous avez raison sur les questions économiques ». C'est pourquoi nous nous entendons bien avec les gens de la classe ouvrière. Donc, je pense que si vous voulez sauver la démocratie américaine, si vous voulez protéger la classe ouvrière de ce pays, où les salaires, dans de nombreux cas, n'ont pas augmenté depuis des décennies, l'essentiel est que vous devez indiquer clairement de quel côté vous êtes. Êtes-vous du côté de la classe ouvrière ou du côté du 1 pour cent ? Une fois que vous avez pris cette décision, les problèmes se mettent en place.

Les soins de santé sont un droit humain. Nous allons nous attaquer aux compagnies d'assurance. Nous allons avoir un système fiscal équitable. Nous allons exiger un impôt sur la fortune et un impôt sur les personnes les plus riches de ce pays. Nous allons avoir des réformes du financement des campagnes électorales pour que les milliardaires n'achètent pas les élections. Toutes ces choses se mettent naturellement en place, et elles ont du sens pour les gens, mais vous avez besoin d'un leadership prêt à le dire.

Il y a eu un sondage que je viens de voir l'autre jour dans le New York Times qui disait quelque chose comme : « Pensez-vous que le Congrès est plus intéressé à profiter à l'élite et à eux-mêmes qu'aux gens ordinaires ? » Et très fortement, les gens ont dit oui. Nous avons donc besoin d'un leadership qui dit : « Non, nous sommes de votre côté. » Et pour être de votre côté, vous devez vous attaquer à de puissants intérêts particuliers, y compris les compagnies d'assurance et les sociétés pharmaceutiques. Vous faites cela et non seulement vous faites de bonnes politiques, mais vous gagnez des élections.

Chandler Dandridge : La semaine dernière, Luigi Mangione, 26 ans, aurait assassiné le PDG de UnitedHealthcare, Brian Thompson, sur un trottoir de Manhattan. On a beaucoup parlé de la réaction du public au meurtre de Thompson, qui, du moins en ligne, avait une tendance allant de la jubilation pure et simple à un « l'industrie l'avait prévu ». Certains disent que cet événement est un tournant dans la prise de conscience du public sur l'inégalité des soins de santé et l'industrie de l'assurance avide de profits, et un signe avant-coureur d'une résistance publique revigorée. D'autres craignent que l'adoption de la violence par des groupes d'autodéfense ne soit qu'un symptôme morbide d'un mouvement de masse en déclin – un signe de désespoir politique. Qu'en penses-tu ?

Bernie Sanders : Permettez-moi de dire ceci : il va sans dire que tuer quelqu'un – ce type se trouve être père de deux enfants. On ne tue pas les gens. C'est odieux. Je le condamne de tout cœur. C'était un acte terrible. Mais ce qu'il a montré en ligne, c'est que beaucoup, beaucoup de gens sont furieux contre les compagnies d'assurance maladie qui font d'énormes profits en les privant, eux et leurs familles, des soins de santé dont ils ont désespérément besoin. Ces histoires se déroulent tout le temps : « Ma mère suivait un traitement contre le cancer et je n'arrivais pas à me faire soigner pour elle. La compagnie d'assurance l'a rejeté. Un bureaucrate l'a rejeté. Elle est morte ». Ou, « Mon enfant souffre parce que nous ne pouvons pas obtenir les médicaments dont nous avons besoin, ils ont rejeté la demande du médecin. »

Ce que vous voyez, l'effusion de colère contre les compagnies d'assurance, est le reflet de ce que les gens pensent du système de santé actuel. Il est brisé. C'est cruel. Je vous l'ai dit : soixante mille personnes meurent chaque année parce qu'elles ne consultent pas un médecin quand elles le devraient. Soixante mille personnes !

Et voici une autre statistique que je vais lancer, dont on ne parle jamais : ce n'est pas seulement que notre espérance de vie est inférieure à celle de pratiquement tous les autres pays riches, c'est que si vous êtes de la classe ouvrière, vous allez vivre cinq à dix ans de moins que les gens riches. Donc, si vous êtes une personne de la classe ouvrière dans ce pays, le stress que vous vivez, la contrainte économique que vous vivez, le manque de soins de santé que vous recevez – cela fera que votre vie sera de cinq à dix ans plus courte que celles des gens riches. Tout cela est inacceptable. C'est un scandale, et le fait que nous ne parlions même pas de ce genre de choses est encore plus un scandale.

Vous avez donc un système qui est cassé. C'est cruel. Les gens le savent, et malheureusement, nous n'avons pas eu le leadership politique nécessaire pour affronter la cupidité des compagnies d'assurance et des sociétés pharmaceutiques et dire : « Vous savez quoi, nous devons nous joindre au reste du monde et aller dans une direction très différente. »

Le meurtre est absolument odieux. Nous n'allons pas réformer le système de santé en tuant des gens. La façon dont nous allons apporter le genre de changements fondamentaux dont nous avons besoin dans les soins de santé est, en fait, le fait d'un mouvement politique qui comprend que le gouvernement doit nous représenter tous, et pas seulement le 1 %. Et tout en haut de cette liste se trouve la compréhension que les soins de santé sont un droit humain. Ce qui est fou, c'est qu'il ne s'agit même pas de dépenser plus d'argent. À l'heure actuelle, ce que les études montrent clairement, c'est qu'il y a tellement de gaspillage, de coûts administratifs et de bureaucratie dans le système actuel qu'on pourrait, en fait, fournir des soins de qualité à chaque homme, femme et enfant de ce pays sans dépenser plus que les 4,4 billions de dollars que nous dépensons actuellement — une somme astronomique.

Nous devons investir cet argent dans la prévention des maladies, dans l'embauche de plus de médecins et d'infirmières, dans une plus grande attention aux soins primaires, dans une réduction radicale des coûts administratifs. Le coût d'administration de Medicare est d'environ 2 % et pour les compagnies d'assurance privées, de 12 à 14 %. Et nous dépensons des millions et des millions de dollars par an pour les salaires de ces PDG dans le secteur privé. Ce n'est pas ainsi que nous devrions dépenser l'argent consacré aux soins de santé. Pendant ce temps, nous n'avons pas assez de médecins, d'infirmières et de dentistes.

Tuer des gens n'est pas la façon dont nous allons réformer notre système de soins de santé. C'est odieux et immoral. La façon dont nous allons réformer notre système de soins de santé est de rassembler les gens et de comprendre que c'est le droit de chaque Américain de pouvoir entrer dans le cabinet d'un médecin quand il en a besoin et de ne pas avoir à sortir son portefeuille. Ce n'est pas une idée radicale ! Ce système existe à cinquante milles de chez moi, au Canada, et il existe sous une forme ou une autre partout dans le monde.

Je me souviens d'avoir parlé à des Européens : « Savez-vous ce qu'est une franchise ? » Ils ne savent même pas de quoi vous parlez. Le système est tellement compliqué et inhumain. Ma réponse à cette question est donc oui, nous avons besoin d'un mouvement politique. Les soins de santé font partie intégrante de tout mouvement politique progressiste.

Chandler Dandridge : Un refrain courant est : « L'idée de Bernie Sanders de Medicare for All est une une utopie. Bien sûr, ce serait charmant, mais c'est de la pure fantaisie », l'idée étant que c'est ambitieux mais structurellement irréalisable, politiquement irréalisable, et ainsi de suite. Que répondez-vous à de telles critiques ?

Bernie Sanders Si c'est une utopie, pourquoi existe-t-il à cinquante milles de chez moi ?Aujourd'hui, le système de santé canadien n'est pas parfait, c'est certain. Mais si vous vous retrouvez avec une transplantation cardiaque dans un hôpital de Toronto, qui offre des soins de santé de haute qualité, savez-vous combien vous payez lorsque vous quittez l'hôpital ? Sais-tu ? Zéro. Cela dépend si vous garez votre voiture sur le parking. Ils vous font payer pour cela. Mais c'est tout. Vous allez chez le médecin de votre choix et vous ne sortez pas votre portefeuille.

Maintenant, si c'est une utopie et une utopie, un rêve, pourquoi existe-t-il dans tous les autres pays foutus à part les États-Unis ? C'est le numéro un. Ce n'est donc pas une utopie, un rêve ?. Nous sommes l'exception à la règle.

Deuxièment : en termes de « Ça ne marche pas ! » Elon Musk vient de publier quelque chose l'autre jour dans lequel il souligne les coûts administratifs du système de santé américain par rapport à d'autres pays. Dans certains cas, c'est trois fois plus. Nous gaspillons des centaines et des centaines de milliards de dollars.

Allez à votre hôpital local, d'accord ? Et votre hôpital n'a probablement pas assez de médecins ou d'infirmières. Mais vous savez ce qu'ils ont obtenu ? Descendez au sous-sol au service de facturation, et vous verrez des dizaines et des dizaines de personnes au téléphone, disant aux gens qu'ils doivent 58 000 $ et qu'ils doivent payer la facture. C'est ce que le Canada a éliminé. C'est ce que le Royaume-Uni et d'autres pays ont éliminé.

Nous devons donc travailler sur un système de soins de santé à but non lucratif, universel, couvrant tout le monde, rentable, et non pas des bureaucrates de l'assurance qui prennent des décisions, mais des médecins qui prennent des décisions. Il existe partout dans le monde – ce n'est pas une idée radicale. De nombreuses études montrent que nous gaspillons d'énormes sommes d'argent en bureaucratie, en facturation et en coûts de rémunération pour les PDG plutôt que de fournir les soins de santé dont nous avons besoin.

Cela nous ramène à ce que j'ai dit il y a un instant : vous allumez la télévision, qui parle de Medicare for All ? Moi de temps en temps, quelques autres personnes. Pourtant, malgré cela, vous avez reçu beaucoup de soutien pour cela. Imaginez si vous aviez un parti politique qui disait cela.

Contributeurs : Bernie Sanders est un sénateur américain du Vermont.
Chandler Dandridge est un psychothérapeute et éducateur américain. Ses intérêts cliniques tournent autour de la toxicomanie, de l'anxiété et de l'exploration de moyens créatifs d'améliorer la santé mentale publique.

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Extrême centrisme et nouvelle norme oligarchique. Note sur l’élection états-unienne

17 décembre 2024, par Thierry Labica — , ,
La victoire de Trump lors de l'élection présidentielle états-unienne a fait l'objet d'intenses discussions partout dans le monde, en particulier à gauche. Comment en est-on (…)

La victoire de Trump lors de l'élection présidentielle états-unienne a fait l'objet d'intenses discussions partout dans le monde, en particulier à gauche. Comment en est-on arrivé là ? Beaucoup d'éléments ont été avancés – parfois importants, quelquefois anecdotiques voire grotesques – mais il semble que soit largement sous-estimé le facteur principal : la démobilisation de l'électorat démocrate, liée au bilan de Joe Biden et à la campagne particulièrement droitière de Kamala Harris.

Tiré de la revue Contretemps
14 décembre 2024

Par Thierry Labica

Une lecture unilatéralement pessimiste de l'élection présidentielle américaine présente deux désavantages notables. Du premier, on ne conviendra pas de manière évidente. Il faut l'envisager néanmoins : on risquerait de passer à côté du pittoresque et du merveilleux qui imprègnent cet épisode politique, fatal pour ce qu'il restait encore de vernis de décence et de rationalité officielles.

Qu'on y songe. Le président qui vient d'être élu avec un soutien renforcé dans tous les secteurs de l'électorat par rapport à sa première victoire en 2016 est celui-là même qui a présidé à la gestion catastrophiquement meurtrière de la pandémie du Covid19 ; qui a fomenté l'émeute du 6 janvier 2021 contre le Capitole ; qui a été unanimement reconnu coupable de trente-quatre chefs d'accusation de falsification comptable dans une affaire de paiement dissimulé en vue d'obtenir le silence d'une actrice de X dont il avait obtenu une relation sexuelle ; qui a été condamné pour violences sexuelles (en 1996) et diffamation de sa victime à laquelle il a dû verser la somme de cinq millions de dollars (en 2023) ; qui a dû rembourser 25 millions de dollars aux étudiant.es piégé.es dans l'escroquerie de la « Trump University » ; qui s'est amusé à simuler une fellation sur un micro dans un meeting de campagne ; a diverti son auditoire avec ses commentaires explicites sur les parties génitales d'une star américaine du golf lors d'un autre meeting ; a répandu les rumeurs racistes les plus étranges sur les immigrés haïtiens qui mangeraient les animaux domestiques des braves gens de Springfield dans l'Ohio.

« Nous devons vivre honnêtement »

Ce conte de fée à l'envers s'est rapidement peuplé d'une galerie de personnages tous plus enchanteurs les uns que les autres : au ministère de l'énergie, un patron de l'industrie fossile (Chris Wright) comptant parmi les opposants les plus déterminés à la lutte contre le changement climatique ; un agresseur sexuel (Pete Hegseth) à la défense ; un autre (Matt Gaetz) visé par une enquête pour rapports sexuels avec une prostituée mineure, usage de stupéfiants et détournement de fonds de campagne [1] ; à la santé, un conspirationniste anti-vaccins déclaré (Robert F Kennedy) aux « convictions » fluctuantes sur le droit à l'avortement .

Au moins aussi remarquablement bizarre ; le choix d'Elon Musk et du milliardaire de la biotech, Vivek Ramaswamy, pour diriger ensemble un nouveau « ministère de l'efficacité gouvernementale ». Musk a d'ores et déjà annoncé son projet de réduire d'au moins un tiers les dépenses du budget fédéral américain, soit une réduction de plus de deux mille milliards de dollars d'une dépense totale de 6,75 mille milliards sur la base de l'année 2024.

Or, selon l'ex-secrétaire au trésor, Larry Summers, la masse salariale totale de l'État fédéral ne représentant qu'environ quinze pour cent de la dépense fédérale, même le licenciement de l'intégralité des employé.es de l'État fédéral ne permettrait pas ne serait-ce que d'approcher un tel objectif de décimation budgétaire. Musk, toutefois, voit peut-être déjà la réalité terrestre depuis mars.

Mais le meilleur tient incontestablement en ceci : c'est l'homme le plus riche du monde – la fortune d'Elon Musk s'élève à 334 milliards de dollars fin novembre 2024 – et généreux donateur de la campagne du milliardaire Trump, au côté du milliardaire Ramaswamy, qui vient expliquer aux américain.es qu'« il nous faut réduire nos dépenses afin de vivre selon nos moyens », et qu'il va donc falloir en passer par « des difficultés temporaires ».

Mais ceci « assurera une prospérité de long-terme […] Il y a tant de gâchis gouvernemental que l'on se croirait dans une pièce entouré de cibles que l'on ne peut pas rater -tu tires dans n'importe quelle direction et tu es sûr d'atteindre une cible ». Musk dit d'ailleurs s'attendre à des « réactions d'anticorps » de tous bords, mais qu'à cela ne tienne, « tout le monde va avoir droit à une coupe […] Nous devons vivre honnêtement ».

Ambivalence et contradictions du résultat

Un certain pessimisme nous ferait aussi sous-estimer les nuances significatives que mérite la lecture de ce scrutin. En dépit de ses tendances lourdes, celui-ci continue de nous rappeler que la politique est toujours pleine de surprises.

La poussée du vote populaire en faveur de Donald Trump n'est pas synonyme d'une adhésion forte à son message. Au 27 novembre, les résultats combinés des divers sondages indiquaient une courte majorité d'opinion défavorable à la successeure de Biden. Ils montraient en outre une préférence pour une majorité démocrate au Congrès sur l'ensemble de la période allant de fin mars à l'élection du 5 novembre [2].

Ce décalage s'illustre dans le fait, par exemple, qu'une majorité de l'opinion publique américaine (62%) se déclare en faveur d'un moindre rôle de l'argent dans la politique ; en faveur de la réduction des coûts de santé et de l'amélioration du système éducation (60%) ; et si les positions anti-immigration ont eu un écho important au cours de la campagne, il demeure que 56% des Américain.es (contre 40%) se disent favorables à une facilitation de la régularisation des immigré·es sans papiers aux États-Unis [3].

Il vaut la peine d'observer que ces élections sont intervenues dans une période de défiance croissante et transpartisane à l'égard des grandes entreprises et des banques : en 2022, selon le Pew Research Centre, 71% des enquêtés estimaient que les grandes entreprises avaient « un effet négatif » sur la vie du pays, et 56% jugeaient les banques et autres institutions financières dans les mêmes termes [4], estimant (toujours à 56%) que le gouvernement faisait « trop peu » pour en contrôler l'activité. Si les chiffres varient d'une enquête à l'autre [5], la généralisation de la défiance, voire, de l'hostilité, à l'égard des puissances du capitalisme américains paraît faire l'objet d'un constat largement partagé.

Ceci explique en partie, au moins, certaines ambivalences de ce scrutin. Dans plusieurs États, en effet, la majorité en faveur de Trump s'est accompagnée de votes progressistes, ou tout au moins, en net décalage avec l'orientation oligarchiste ultra-réactionnaire du candidat présidentiel.

Par exemple : sur les dix États où la question du droit à l'avortement (pour le rétablir ou en allonger la période d'accès) figurait sur le bulletin de vote, sept ont voté pour la protection de l'avortement tout en donnant une majorité à Trump.

Le vote du Missouri a donné une majorité pro-Trump tout en votant en faveur d'amendements visant à mettre fin – au niveau de l'État du Missouri – à l'interdiction de l'avortement, à augmenter le salaire minimum et à étendre l'accès au congé maladie [6]. Même chose en Arizona. En Floride, l'échec tient au fait que le vote en faveur de l'allongement de la période d'accès à l'avortement, bien qu'atteignant 57,2%, n'a pas franchi le seuil de 60%requis dans cet État pour adopter l'amendement.

Nombre d'États ont placé Trump en tête tout en choisissant des candidat·es démocrates (Sénat ou Congrès) au niveau local. De ce point de vue, la réélection d'Alexandria Ocasio Cortez dans le 14e district de New York est emblématique : la candidate clairement identifiée à gauche a été réélue avec 68,9 % des voix, mais ce par un électorat qui, pour une part, a nettement renforcé le vote (+ 10 %, mais encore minoritaire dans cet État) pour Trump à la présidence.

Cette situation s'est déclinée de diverses manières dans le Michigan, le Wisconsin, en Caroline du Nord, ou le Nevada. Rien d'inédit, certes, mais il y a là de quoi nuancer un peu la vision, en partie juste, d'une Amérique politiquement polarisée comme rarement auparavant. Et le simple fait que nombre de candidat·es démocrates soient impeccablement de droite ne contribue pas qu'un peu à la préservation de relatifs consensus « bipartisans ».

Défaite d'une campagne droitière

Un peu de nuances, donc, et pas de vote homogène pour le fascisme quand bien même le fascisme figure bien au menu. Comme le dit si bien le commentaire de l'excellent John Oliver dans son émission (HBO) du 14 novembre, ces « bonnes nouvelles » s'apparentent à l'heureuse surprise de trouver un billet de vingt dollars qu'on avait encore sa poche au moment même où un ours te saute dessus. Reste cependant à savoir comment on en est venu à se trouver si dangereusement exposé à un tel assaut.

La défaite démocrate semble avoir entraîné une épidémie d'examens de conscience, ou au choix, une chasse au bouc émissaire : faut-il expliquer les 2 points pourcentage de retard sur Trump par le taux de participation ? Par l'inflation ? Par le vote de minorités qui ont renoncé à leur allégeance aux démocrates ? Par l'attitude des Arabes-américains du Michigan pour qui la politique extérieure américaine et le génocide en Palestine ne pouvaient pas être négociables [7] ? Par le profil « trop à gauche », voire, « d'extrême-gauche » (« far left ») de Kamala Harris ? Trop « woke » ? « Les médias » ? Si ces différents facteurs méritent des degrés divers de – voire aucune – considération, aucun d'entre eux ne permet de rendre compte de l'échec au bout du compte.

Beaucoup d'éléments semblent indiquer en revanche que la défaite démocrate est avant tout celle d'une campagne menée à droite, qui misait sur la loyauté contrainte d'un électorat démocrate présumé captif. Remarquons d'abord la manière dont la candidate démocrate aura réduit son message programmatique à la thématique du danger pour la démocratie représenté par le fasciste Trump et à la question des droits reproductifs.

Le premier problème ici tient au fait que, d'une part, Trump a lui aussi fait campagne sur la question de la sauvegarde de la démocratie américaine (sans renoncer à l'accusation de l'« élection volée » en 2020) et que, d'autre part, nombre d'électrices et d'électeurs avaient la possibilité de rétablir ou de renforcer le droit à l'avortement à l'échelle de leur propre État lors de ce même vote du 5 novembre.

En outre, la campagne de Kamala Harris s'est appliquée à envoyer des signaux à un électorat de droite susceptible de ne pas vouloir d'un retour de Trump au pouvoir. Aussi a-t-elle choisi de tourner le dos à tout ce qui avait assuré la popularité des candidatures de Bernie Sanders lors des primaires de 2016 et 2020, et dont Biden avait su tirer parti.

Loin d'afficher une orientation ne serait-ce que modérément social-démocrate, en défendant par exemple le bilan de Biden sur le progrès de salaires réels et son affichage pro-syndical, la baisse de l'inflation, les mesures protectionnistes de l'Inflation Reduction Act (Août 2021) et la consolidation de l'emploi industriel, Harris jugea bien plus urgent de faire savoir, par exemple, qu'elle aussi était propriétaire d'un semi-automatique Glock, ce entre deux apparitions de campagne aux côtés de Liz Cheney et de son père, Dick Cheney, vice-président de George Bush Jr. de 2001 à 2009 et figure centrale du néo-conservatisme américain fanatiquement va-t-en-guerre du début du 21e siècle.

On ne peut donc être surpris du constat fait par J. Abbott et F. Deveaux dans Jacobin, de l'extrême sous-représentation des thématiques ouvrières et salariales dans la communication de la campagne démocrate, et pour ne rien dire d'une quelconque coloration ouvrière dans la composition sociale des candidatures démocrates à l'échelle du pays. Et où étaient passées les questions de la pauvreté, ou du dérèglement climatique… ?

Consensus pour un régime d'oligarchie représentative

Ce n'est malheureusement pas tout. La campagne démocrate, après s'être engagée sur la dénonciation de l'accaparement oligarchique, servi par Trump, est vite revenue à la raison : le parti démocrate devait être lui aussi le parti non-seulement des dirigeants des grandes entreprises (88 d'entre eux lui ont exprimé leur soutien en septembre), mais également des milliardaires érigés en dignes représentants de la réussite entrepreneuriale et accessoirement, donateurs d'une campagne dont le coût cumulé s'est élevé à seize milliards de dollars.

À la tribune de la convention démocrate au mois d'Août 2024 et dans l'entourage de campagne immédiat de Harris, les milliardaires JB Pritzker, Mark Cuban, Reid Hoffman et d'autres sont venus incarner tout ce qu'une majorité de l'opinion publique américaine rejette (cf. les enquêtes déjà citées) : pouvoir des grandes entreprises, concentration sans précédent de la richesse, emprise de l'argent sur la politique.

Cuban, qui s'est flatté d'avoir inondé la direction de campagne de ses messages, et d'autres, ont en outre réclamé qu'en contrepartie de leur soutien, Harris s'engage à se débarrasser de Lina Khan, la présidente de l'agence gouvernementale chargée des relations concurrentielles, de la protection des consommateurs et de la lutte contre la publicité mensongère et les pratiques commerciales déloyales (commission fédérale du commerce, FTC).

Khan a réussi, par exemple, à faire interdire les « clauses de non-concurrence » (« non-compete agreements ») qui permettent à un employeur d'interdire à un salarié, pendant une période déterminée, d'aller travailler pour une entreprise concurrente. A l'annonce de cette mesure, la présidente de la FTC a expliquéque si les employeurs voulaient éviter que leurs salarié.es aillent servir la concurrence, la concurrence entre eux est toujours possible et souhaitable pour garder ces salarié.es en améliorant leur salaire et leurs conditions de travail. Une communiste, assurément.

La gauche démocrate s'est immédiatement insurgée contre ce chantage venant du grand-patronat rhabillé en sage conseil de campagne. En septembre, A. O. Cortez a menacé :

« Que ce soit bien clair, dès lors que les milliardaires font du pied au tandem [Harris-Walz] : au premier qui approche de Lina Khan, ce sera la baston générale [there will be an out and out brawl]. Et c'est une promesse. Elle est la preuve que ce gouvernement se bat pour le monde du travail ».

Pour Bernie Sanders :

Lina Khan est la meilleure présidente de la FTC de l'histoire moderne. En s'attaquant à la rapacité des grandes entreprises et aux monopoles illégaux, Lina fait un travail exceptionnel en empêchant les géants du business d'arnaquer les consommateurs et d'exploiter les travailleurs. » [8]

Autre signal de ce tour pris par la campagne ; Harris est aussi revenue sur un projet fiscal qu'elle était pourtant censée avoir défendu aux côtés de Biden. En septembre (au moment du grand ralliement patronal collectif officiel) la candidate démocrate avait annoncé vouloir relever à 28% l'impôt sur les plus-values à long-terme (avoirs détenus pendant plus d'une année) que Trump avait plafonné à 20 pour cent. Or, parmi ses mesures fiscales pour 2025, Biden avait proposé un relèvement à 39,6% – quand Sanders avait, lui, défendu un relèvement à 54,2%. Entre l'éviction revendiquée de Lina Khan et ces 28% face à la brutalisation oligarchique de la société américaine, on comprend quelle base sociale est venue faire entendre son rappel à l'ordre.

Mépris à l'égard des aspirations et colères populaires face au pouvoir démesuré des mastodontes du capitalisme américain et de ses oligarques corrupteurs d'une scène politique noyée dans un océan de dollars ; mépris pour l'électorat populaire traditionnellement pro-démocrate présumé captif, condamné à la loyauté, et que l'on a donc cru pouvoir tranquillement ignorer ; mépris pour toute la jeunesse (et au-delà) pro-démocrate qui a passé l'année à manifester contre la complicité américaine dans le génocide perpétré par Israël – avec une aide militaire américaine massive – en Palestine et qui a eu le droit aux qualificatifs infamants désormais rituels, et pas une minute de parole pour leurs déléguées à la tribune de la convention du parti ; mise à distance des principales figures de la gauche démocrate dont l'énormité des scores fait peut-être comprendre ce qu'il aurait fallu défendre dans cette campagne – peut-être et un peu tard. Sans aller chercher les résultats de Tlaib, Omar ou Sanders, le seul fait que dans plusieurs États (Montana, Ohio, Pennsylvanie), les candidat.es démocrates locales (pour le Sénat, le Congrès, des postes de gouverneur.es..) ont recueilli plus de voix qu'Harris elle-même résume sans doute assez bien les choses.

Trump, quant à lui, n'aura, bien entendu, reculé devant aucune contorsion opportuniste : Trump anti-guerre , ou Trump pro-Tik Tok, un réseauqu'il avait pourtant lui-même menacé d'interdire. Mais une fois la mesure sur le point d'être reprise par le Congrès en mars 2024, Trump n'a pas hésité à tourner casaque, comprenant l'extrême impopularité d'une interdiction du réseau le plus populaire aux États-Unis, utilisé par 150 millions d'américains, et surtout par la jeunesse.

Trump, la pandémie, et l'ironie de l'histoire

Au-delà de ces manœuvres, reste aussi, et surtout, comme l'expliquait Ben Davis dans le Guardian au lendemain du scrutin, ce facteur probablement central : les mesures anti-Covid de la fin du mandat de Trump, en contrepoint de la gestion gouvernementale catastrophique de cette crise, aboutirent à la mise en place d'une forme d'« État providence » dont les Américain.e.s n'avaient pour la plupart jamais fait l'expérience. D'où le fait que, pour 73% de l'opinion, la priorité accordée à « l'économie » (Pew Research 2024).

Cette analyse mérite d'être citée longuement :

« L'extension massive, écrit Davis, presque du jour au lendemain, du filet de sécurité sociale et son retrait rapide, presque du jour au lendemain, représentent, en termes matériels, les plus grands changements de politique de l'histoire américaine. Pendant une courte période, et pour la première fois dans l'histoire, les Américain.e.s disposaient d'un véritable filet de sécurité : de solides protections pour les travailleurs et les locataires, des allocations chômages extrêmement généreuses, un contrôle des loyers et des transferts directs de liquide de la part du gouvernement américain ».

En dépit de toutes les souffrances induites par le Covid,

« entre la fin 2020 et le début de l'année 2021, les Américain.e.s firent brièvement l'expérience de la liberté propre à la socialdémocratie. Ils et elles avaient assez d'argent liquide pour prévoir sur le long-terme et prendre des décisions en fonction de leurs propres souhaits et non simplement pour survivre. […] À la fin du mandat de Trump, le niveau de vie américain et le niveau de sécurité économique et de liberté étaient meilleurs qu'à son début et, avec la perte de cet État social élargi, la situation était pire au terme du mandat de Biden en dépit des succès réels de ses réformes pour les travailleurs et les organisations syndicales. Voilà pourquoi les électrices et les électeurs voient dans Trump quelqu'un plus à même de veiller sur l'économie ». [9]

C'est donc le même Trump qui s'apprête à lancer une phase de violence sociale dont l'ampleur a bien des chances de s'avérer inédite, pour le plus grand bonheur de nos Gasparian, Pécresse, et al. S'il est certain que le capitalisme oligarchique encore parlementaire révèle chaque jour qui passe sa nature de canular sordide et mortifère, il demeure que la politique reste pleine de surprises ; ce que cette élection continue de révéler du potentiel d'audience de masse de la gauche n'est pas la moindre d'entre elles.

*

Illustration : Wikimedia Commons.

Notes

[1] Gaetz a finalement démissionné de son siège au Congrès, mi-novembre.

[2]ABC news propose d'utiles récapitulatifs : https://projects.fivethirtyeight.com/polls/favorability/donald-trump/

[3]Pew Research Center, https://www.pewresearch.org/short-reads/2024/03/07/state-of-the-union-2024-where-americans-stand-on-the-economy-immigration-and-other-key-issues/

[4]« Anti-corporate sentiment in U.S. is now widespread in both parties », 17 11 2022, https://www.pewresearch.org/short-reads/2022/11/17/anti-corporate-sentiment-in-u-s-is-now-widespread-in-both-parties/.

[5]Voir, « Confidence in institutions », https://news.gallup.com/poll/1597/confidence-institutions.aspx ; cf encore, par exemple, https://www.bloomberg.com/graphics/2024-opinion-how-big-business-lost-americans-trust/ (« Comment la confiance des américains dans les grandes entreprises est allée de mal en pis »).

[6]Pour le Missouri, outre les nombreux choix de candidat.es pour les échelons nationaux et de l', environ trente-cinq propositions supplémentaires concernant de l' du Missouri étaient soumises au vote. https://www.ballotready.org/elections/missouri-general-election-d45b75a3-39e0-419a-ac29-8da0dbb675e

[7] Voir : https://www.middleeasteye.net/opinion/us-elections-instead-looking-inwards-white-liberals-blaming-arabs-trumps-victory (« Au lieu de se poser des questions sur eux-mêmes, les blancs de gauche rendent les arabes responsables de la victoire de Trumps »)

[8]Cités dans : https://thehill.com/policy/technology/4924081-ocasio-cortez-defends-ftc-chair-khan-brawl/

[9] Voir : https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/nov/09/trump-victory-explanation-scrutiny. Je remercie Vasant Kaiwar d'avoir attirer mon attention sur ce texte.

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États-Unis - La fête est finie – La crise de l’électoralisme de gauche

17 décembre 2024, par Kim Moody — , ,
L'expérience d'une action électorale socialiste et progressiste de gauche depuis le Parti Démocrate fait maintenant face à une crise fondamentale. L'élan créé par la campagne (…)

L'expérience d'une action électorale socialiste et progressiste de gauche depuis le Parti Démocrate fait maintenant face à une crise fondamentale. L'élan créé par la campagne présidentielle de Sanders en 2016, qui a contribué à propulser la brigade, le « squad » ce groupe de 6 membres progressistes de la chambre des Représentants qui s'est ainsi auto-désignée, vers un poste politique, et qui a inspiré la croissance rapide de DSA (les socialistes démocrates d'Amérique), a été perdu à la suite de la course tronquée de Sanders en 2020 et de sa reddition rapide à Biden. La dérive de la brigade et d'autres vers le centre politique et opérationnel du parti démocrate et leur soutien aux dirigeants néolibéraux du parti ont soulevé des questions sérieuses sur l'utilisation du Parti démocrate pour les objectifs socialistes.

Tiré de Inprecor
13 décembre 2024

Par Kim Moody

Ceci a été souligné par l'appui d'Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) et d'autres membres de la brigade à Biden, même après son déplacement vers la droite, au début de 2023, sur des questions clés comme l'immigration et le forage pétrolier, comme l'a souligné la publication FiveThirtyEight (23 mars 2023). Plus généralement, la résistance accrue de la part des dirigeants et des institutions du parti a limité la capacité de la gauche à se développer de manière significative. Cela s'est traduit par les gains relativement minces réalisés par les socialistes et les progressistes de gauche lors des élections législatives de 2022. En plus de cela, la hausse des coûts des campagnes électorales pour le Congrès et la récente baisse des petites donations politiques ont encore entravé la capacité de la gauche électorale à pouvoir étendre son influence.

La preuve de cette crise se manifeste partout dans l'état de l'organisation de la gauche électorale. Le regroupement « Justice Democrate », sans doute l'agent le plus efficace pour les progressistes lors des primaires électorales, a licencié neuf de ses vingt membres du personnel en juillet en raison d'un manque de fonds. Comme le dit le Huffington Post, « sa mission est plus confuse et ses coffres sont épuisés ». En août, il a licencié trois autres employés sur un total de douze, soit plus de la moitié de son personnel. Même avant cela, en avril, le Mouvement du Soleil Levant, un allié de Justice Démocrate, a licencié 35 des 100 membres de son état-major, tandis que Middle Seat, un collecteur de fonds et l'un des meilleurs contributeurs d'AOC pour les campagnes 2020 et 2022, a licencié environ un tiers de son personnel. Même Emily's List a connu des mises à pied. Tout cela dans la période précédant les élections cruciales de 2024.

La cause immédiate de cette crise est le financement. Tout d'abord, le coût moyen de l'obtention d'un siège à la Chambre des représentants est passé de 1,3 million de dollars en 2016 à 2,5 millions de dollars pour un siège vacant et à 2,9 millions de dollars pour triompher en 2022 d'un candidat à sa réélection. Les petits dons ont été plus faibles dans ce cycle en raison du dégoût de la politique et des démocrates en particulier, comme cela est examiné ci-dessous. Comme l'a rapporté le New York Times (16 juillet 2023), avec de petits dons qui arrivent lentement, la campagne de Biden est encore plus dépendante des donateurs riches qu'en 2020. Dans le même temps, de nombreux donateurs politiques importants versent des contributions directement aux comités de campagne du parti et à des fonds « non déclarés » pour les campagnes 2024 du Sénat et de la Chambre des représentants. Mais la rareté des petits dons frappe plus durement les organisations de gauche qui manquent de donateurs riches, de subventions ou de soutiens de fondations.

Un résultat de cette crise et de la résistance accrue de la part de la direction du parti est le report de la date de mise à la retraite de cette vieille garde. Ceci est particulièrement critique parce que, en supposant que le but soit de changer le Parti démocrate ou de le déplacer vers la gauche, il n'y a pas d'autre moyen de faire disparaître la majorité centriste des démocrates à la Chambre et dans tout le système politique. Les départs à la retraite et la mise en place de candidatures ouvertes sont trop peu nombreux pour être une voie vers une présence importante dans le caucus du Parti démocrate à la Chambre ou au Sénat ou à peu près dans n'importe quelle instance législative d'État. Cela signifie que le JD semble avoir complètement abandonné les candidatures défiant des titulaires déjà en poste. JD se concentre actuellement sur le soutien au titulaire Jamaal Bowman, qui est attaqué par des campagnes et des fonds pro-israéliens. Alors que JD avait approuvé huit candidats à la Chambre des représentants qui défiaient des titulaires centristes en 2020 et deux en 2022, elle n'en a désigné aucun pour 2024, selon le Huffington Post (10 août 2023),

De même, alors que Notre Révolution a soutenu Barbara Lee en Californie pour le siège ouvert au Sénat par le décès de Dianne Feinstein, ainsi qu'un certain nombre de candidats principalement pour des scrutins locaux, il n'a pas encore approuvé de candidature à la Chambre des représentants pour les élections de la fin du mois d'octobre 2024. En 2022, Notre Révolution avait approuvé 18 candidats à la Chambre des représentants, dont six s'opposant à un démocrate majoritaire. Sanders, qui avait soutenu 13 candidats à la Chambre en 2022, dont quatre contestaient le siège de titulaires déjà en place, n'a approuvé qu'un seul candidat à la Chambre en 2023. C'était Aaron Regunberg, un candidat non élu pour la nomination démocrate pour un siège vacant représentant le premier district du Congrès de Rhode Island, qui avait été choisi par élection spéciale. Jusqu'à présent, Sanders n'a approuvé qui que ce soit pour la Chambre en 2024.

AOC a également approuvé Regunberg, mais son fonds de financement « Courage pour gagner » qui disposait de plus de 500 000 dollars, n'a contribué que pour 5000 dollars versés à deux candidats, seulement à la Chambre des représentants, les titulaires déjà en poste Cori Bush et Greg Casar, selon le rapport de la Commission électorale fédérale du 30 septembre 2023. Aucun autre soutien officiel d'AOC à des candidats à la Chambre des représentants pour le cycle électoral 2023-2024 n'a pu être trouvé au moment de l'écriture du présent document. La commission électorale nationale de DSA, qui a approuvé par le passé les candidats à la Chambre et aux assemblées législatives des États, n'a jusqu'ici approuvé qu'un petit nombre de candidats locaux. Il est clair que la gauche électorale est en retrait.

Cette baisse est en partie due à la performance relativement médiocre des candidatures de gauche en 2022. Malgré un grand nombre de sièges obtenu à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat de 2022, les gains nets pour les progressistes de gauche cette année-là ont été faibles. Sur les 23 candidats de gauche, définis comme ceux soutenus par Bernie Sanders, JD et/ou Notre Révolution, dix ont remporté leur primaire. Sur les huit personnes qui contestaient des candidats déjà en poste, une seule (Jamie McLoed Skinner) a gagné, mais a perdu l'élection finale. Sur les 15 candidats qui ont participé à des primaires ouvertes, neuf ont réussi. Ce chiffre est en net recul par rapport à 2020, lorsque les progressistes de gauche avaient remporté 22 des 32 sièges vacants, selon la publication FiveThirtyEight (27 septembre 2022).

En tout, en 2022, dix progressistes de gauche avaient remporté leurs primaires et treize l'avaient perdu, ce qui n'est pas si mal. Mais trois progressistes de gauche, comme défini ci-dessus, avaient perdu contre des modérés lors de primaires entre sortants dans des districts redessinés, et trois nouveaux candidats qui avaient remporté leurs primaires ont été défaits aux élections finales. Le gain net pour 2022 n'était donc que de quatre, aucun n'ayant remporté un scrutin face à un sortant candidat à sa réélection (1). C'est clairement un mauvais signe pour ceux qui espèrent transformer le Parti Démocrate. Les perspectives pour 2024 sont, à tout le moins, nettement pires pour la gauche, avec un taux de sortants candidats à leur réélection s'élevant à 94 %, la pression croissante pour soutenir les modérés dans les districts en balance incertaine pour ne pas faire chavirer le bateau Démocrate, et la crise financière de la gauche électorale s'approfondissant.

Les élections législatives de chaque État sont bien sûr beaucoup moins chères et un peu plus accessibles. La part des candidats sortants était supérieure à 95 % en 2022, et cette année-là seuls 22 % de ces élus démocrates sortants ont été confrontés lors de primaires à des candidatures concurrentes. Le renouvellement des sièges est toutefois plus élevé et les primaires ouvertes sont plus fréquentes, soit environ 24 % en 2022. Seulement environ 4 % sont des mandats en nombre limité, dont un tiers environ sont détenus par les Démocrates. Il est toutefois décourageant de constater qu'il y a plus de 7 000 sièges à pourvoir dans les assemblées législatives des États. Bien que le coût d'une campagne pour un siège législatif soit beaucoup plus faible que celui du Congrès, il a doublé en moyenne au cours des deux dernières décennies pour atteindre plus de 100 000 dollars en 2020, selon la Conférence nationale des assemblées législatives des États. Il est sans doute plus élevé maintenant et, bien sûr, encore plus élevé dans des Etats comme New York, la Californie, Washington et d'autres.

Les membres DSA, qui se présentent plus souvent à ce niveau, occupaient 56 sièges législatifs en 2023 (2). Alors qu'en 2022, DSA au plan national avait approuvé 18 candidats pour des postes au niveau des États, cette année, aucun candidat à ce niveau n'a été approuvé par la commission électorale nationale de DSA, selon son site web. Sans doute certains sont soutenus par des sections locales. « Notre Révolution », qui avait approuvé 80 candidats à des postes d'État en 2022, n'a approuvé aucun candidat cette année, selon ses sites web. Bernie Sanders non plus. Il semble que la crise de la gauche électorale frappe aussi sa participation aux scrutins électoraux.

La politique mise aux enchères : la crise du financement des élections provoquée par le capital

Que la crise politique du cycle électoral 2023-2024 de la gauche entraîne un plongeon de ses sources de financement est, en soi, significatif. Tout d'abord, cela révèle à quel point l'action électorale actuelle de gauche s'inscrivant dans le Parti Démocrate est dépendante d'équipes qui, comme JD, sont centralisées depuis le sommet, de sociétés de financement à but lucratif comme Middle Seat, et même de sociétés comme le géant numérique NGP-VAN, qui est le principal processeur de données du Parti Démocrate et est utilisé par tous les membres de la brigade d'AOP. Pour l'autre, cela montre aussi la forte dépendance des candidats de gauche à des dons provenant d'autres États et de districts plutôt que sur une organisation structurée de façon permanente au plan local.

La cause sous-jacente de cette crise de financement est toutefois sur le long terme l'escalade du coût des campagnes électorales dont la responsabilité incombe au capital. Elle a commencé avec l'entrée des fonds de financement dans les années 1970, mais elle s'est accélérée bien au-delà de cela, poussée par des donateurs riches et aisés (3). Incluant l'argent dépensé par les candidats, les comités du parti et celui hors des circuits contrôlés, le coût des élections du Congrès à mi-mandat est passé de 1,6 milliard de dollars en 1998, déjà bien au-dessus des années précédentes, à près de 9 milliards de dollars en 2022 (4). « La course aux dépenses toujours croissante entre les partis politiques signifie que le prix de l'admission au Congrès continue d'augmenter ». La politique est devenue l'objet d'enchères dans lesquelles le plus offrant gagne 90 % du temps.

Et c'est l'argent qui fait avancer le processus. Seulement 18 % de tous les fonds de la campagne électorale du cycle 2022 provenaient de dons inférieurs à 200 dollars. Les démocrates ont fait un peu mieux, mais les petits dons ne représentaient toujours que 19 % de tous les fonds qu'ils avaient collectés. La baisse des dons de petite taille et l'augmentation continue du coût des élections indiquent que la richesse et le capital joueront un rôle de plus en plus important lors des prochaines élections. Et Opensecrets.org (2 août 2023) s'attend à ce que 2024 soit « l'élection la plus chère de l'histoire ».

Les membres de la brigade, qui ne récoltent pas d'argent auprès des entreprises, collectent pour leurs campagnes électorales des millions en provenance principalement de dons individuels de l'extérieur de leurs propres états et districts. La plupart de ces fonds sont collectés par des fournisseurs numériques tels qu'ActBlue ou Middle Seat. AOC est l'un des cas les plus extrêmes. Elle a recueilli plus de 12 millions de dollars dans le cycle électoral de 2022, beaucoup plus que tous les autres membres de « la brigade ». Plus de 80 % de cette somme provenait d'un autre État. En 2020, la dernière année fournie par les chiffres de district d'OpenSecrets.com, moins de 1 % du financement d'AOC provenait de son district. Il devrait être évident que, avec des fonds pour les candidats de gauche qui s'épuisent, cette dépendance à l'égard d'un grand nombre de dons plus modestes provenant de partout dans le pays ne peut pas assurer le financement des campagnes d'autres candidats de gauche aux primaires.

Considérez ceci : JD avait levé seulement 6,5 millions de dollars, principalement auprès de plus de 1 300 personnes, dans le cycle électoral de 2022 avant de faire face à sa crise financière. Hakeem Jeffries, un militant centriste, leader dans la lutte contre les opposants de gauche aux élections de 2022, et déclaré antisocialiste, est maintenant le leader minoritaire, élu à l'unanimité, du Parti Démocrate à la Chambre des Représentants (5). Il a collecté pour lui tout seul 5,9 millions de dollars cette année-là. Dans ce montant, près de 80 % provenaient de dons importants ou de fonds électoraux et seulement 5,5 % de contributions modestes. Cette année 2024, il a déjà touché 7,8 millions de dollars. Il est assez évident que la gauche électorale du Parti démocrate ne peut pas rivaliser avec la majorité dominante du parti, qui est lourdement financée par des sociétés et des individus fortunés.

Considérez aussi que, alors que la gauche électorale se retire de primaires impliquant des sortants centristes en place, le New York Times (29 octobre 2023) rapporte que les alliés de l'establishment du parti, le Comité américain des affaires publiques d'Israël (AIPAC) et la majorité démocrate pour Israël (DMI) se préparent à défier les neuf représentants démocrates en poste qui, le 25 octobre, au milieu des bombardements intenses et aveugles de Gaza par Israël, ont voté contre l'aide militaire à Israël. Le soutien inconditionnel à Israël est depuis longtemps une politique fondamentale du Parti démocrate, et l'opposition aux candidats critiques de la politique d'apartheid d'Israël envers les Palestiniens n'est pas nouvelle.

Dans les élections de 2022, AIPAC a dépensé 13 millions de dollars et DMI 9 millions de dollars, dont une grande partie "en dehors" des fonds contrôlés, pour vaincre des adversaires de gauche qui n'étaient pas considérés comme suffisamment amicaux par Israël. Selon Opensecrets.org (17 novembre 2022), AIPAC a dépensé 2 millions de dollars en argent "extérieur" pour vaincre Summer Lee, un critique de la politique d'apartheid d'Israël, dans les primaires de mi-mandat de 2022 et 3,2 millions de dollars supplémentaires aux élections finales, soit plus du double de ce que Lee a dépensé pour ce cycle. Dans ce cas, ils n'ont pas réussi à empêcher sa victoire. (Celui qui a le plus d'argent ne gagne que 90 pour cent du temps.) Lee, qui est l'un des neuf démocrates votant contre l'aide militaire à Israël en octobre, fait déjà face à un concurrent et sera certainement une cible de dépenses de l'AIPAC en 2024. Ilhan Omar et Jamall Bowman, qui étaient également opposés au matériel militaire supplémentaire pour Israël, ont également attiré des concurrents aux primaires. L'escalade des enchères politiques continue.

Sur un plan plus fondamental, on pourrait se demander pourquoi les socialistes jouent à ces jeux politiques axés sur l'argent. Un examen de la façon dont AOC a dépensé les millions qu'elle a collectés principalement à l'extérieur de son district révèle que dans le cycle 2022, 60 % sont allés aux salaires du personnel, à la collecte de fonds et à l'administration, et 24 % pour les achats dans les médias, ce qui constitue la majeure partie de la campagne électorale. Le reste, vraisemblablement, est allé au travail de base de campagne électorale. Les organisations de base permanentes ne sont pas incluses. La pratique réelle de l'électoralisme de DSA et de la gauche n'est pas fondée sur l'organisation de masse ou la lutte des classes, comme on le prétend parfois, mais sur l'élection d'individus à des fonctions pour faire « du bien » au nom de la classe ouvrière, par des primaires qui attirent les électeurs plus aisés, tout cela dans l'espoir que la base suivra (6). Leurs méthodes électorales ne sont guère différentes de celles des Démocrates traditionnels, qui dépendent de sociétés professionnelles de financement et d'experts en campagne. C'est une approche du sommet vers la base électorale. Ils sont plus que dépendants de personnalités très en vue comme Bernie et AOC. C'est une approche du sommet vers la base et, d'un point de vue socialiste, l'inverse de ce qu'il faudrait faire.

Une politique électorale socialiste doit être organisée sur une base de masse entièrement différente, avec une stratégie totalement différente en dehors du cadre institutionnel et politique du Parti Démocrate. Des organisations politiques indépendantes de la classe ouvrière avec une organisation permanente, de masse et de base dans les quartiers et les lieux de travail pourraient facilement remplacer l'argent par des organisations et des mobilisations démocratiques des électeurs (à ne pas confondre avec les campagnes ciblées par ordinateurs d'inscription sur les listes électorales).

Une crise de confiance (bien méritée) dans la politique, les politiciens et les grands partis

Mais si le financement est le problème immédiat, cette crise est aussi le résultat d'une augmentation assez récente de la méfiance envers la politique, les politiciens et les grands partis qui ont eux-mêmes conduit à la baisse des petits dons. « Notre Révolution », par exemple, a trouvé dans un récent sondage de ses "membres" que "41 % nous ont dit qu'ils se sentaient déprimés, en colère ou démotivés par l'élection 2024". Avec Bernie, « la brigade », le caucus des membres progressistes du Congrès (CPC) et la plupart des progressistes alignés derrière Biden, il n'y a pas de place pour une opposition de gauche dans le Parti Démocrate.

Cette désillusion dépasse largement la gauche politique. Comme le révèle une récente enquête du Pew Research Center, la vision sceptique de la politique de la plupart des Américains a en fait empiré, précisément à l'époque où les socialistes électoralistes ont été en hausse par le biais du Parti Démocrate, entre 2018 et 2023 (7). Le pire de tout cela est concentré sur le Congrès. Par exemple, la proportion de Démocrates et de leurs sympathisants qui pensent que les membres du Congrès "se soucient des gens qu'ils représentent" est passée de 51 % en 2018 à 40 % cette année. Les mêmes qui pensaient que les membres du Congrès ont promu des politiques "dans l'intérêt public" sont passés de 48 % à 37 % au cours de cette période. En outre, les politiciens, y compris les Démocrates, sont jugés "hors de contact" avec leurs électeurs.

Parmi les démocrates et leurs sympathisants, 74 % pensaient que les membres du Congrès ont fait un très ou assez mauvais travail d'écoute de leurs électeurs. 81 % de ces démocrates ont dit que « la plupart des fonctionnaires élus ne se soucient pas de ce que les gens comme eux pensent ». On peut supposer que beaucoup pensaient à leurs propres représentants démocrates. 84 % de tous ceux qui "sont très engagés avec la politique" ont donné la même réponse. En termes d'influence, parmi ceux qui ont répondu, 70 % pensaient que les gens de leur district avaient trop peu d'influence, tandis que 80 % disaient "les gens qui ont donné beaucoup d'argent à leurs campagnes politiques" avaient trop d'influence. Cette vision négative ne concernait cependant pas uniquement les politiciens individuels.

L'un des résultats les plus révélateurs du sondage Pew a été la forte baisse de ceux qui ont une opinion favorable du Parti Démocrate dans son ensemble. Considérant que plus de 60 % avaient une opinion positive de ce parti à la fin des années 1990 et au début des années 2000, cela est tombé au aux environs de 40 % de 2008 à 2018, Sans doute une conséquence de la récession et de la déception vis-à-vis de l'administration Obama. Puis de 2018 à juillet 2023, l'approbation du Parti démocrate a chuté à 37 % tandis que ceux qui ont une opinion défavorable de ce parti ont augmenté à 60 %. Interrogés, près des trois quarts des démocrates et de leurs sympathisants répondent que la phrase "J'aimerais souvent qu'il y ait plus de partis politiques parmi lesquels choisir dans ce pays" décrit leur point de vue extrêmement (44 %) ou un peu (30 %). Parmi les indépendants, beaucoup de ceux qui ont une orientation démocrate expriment davantage ce point de vue que parmi les républicains. Les Démocrates ne sont pas très contents de leur parti.

Comme le souligne l'enquête de Pew, les points de vue positifs des Démocrates en particulier sont "maintenant à leur point le plus négatif des trois dernières décennies." Et cela précisément pendant la période de montée de l'électoralisme socialiste dans ce parti. Je ne dis pas que Bernie Sanders, AOC, « la brigade » ou DSA sont à blâmer pour cette image sombre de la façon dont la plupart des gens voient la politique et le parti démocrate en particulier. Mais, comme leur incapacité croissante à s'opposer à la direction du Parti Démocrate, en fait leur approbation constante des chefs du Parti Démocrate, y compris Biden, (8) leur haut niveau de votes "d'unité" sur le programme législatif de Biden, et, en conséquence leur identification publique plus forte avec le parti suggèrent qu'ils ne l'ont pas empêché ou même modéré, malgré leur popularité individuelle ou leurs opinions personnelles. Rien dans le sondage Pew ne montre que les gens voient une tendance contraire à cette détérioration des opinions concernant les politiciens et le Parti Démocrate.

Le sort de DSA lui-même est peut-être l'impact le plus immédiat de ce malaise politique croissant pour la gauche. Avec l'effondrement de la dynamique Sanders et l'augmentation des luttes internes parfois vives au sujet de l'incapacité de l'organisation à garder ses « élus » Démocrates, et après avoir été mis en cause, notamment par la guerre Israël/Palestine et par l'interdiction de Biden de la grève dans les négociations ferroviaires, le groupe a connu une perte importante et continue de ses membres. Selon son rapport sur le budget de juin, DSA a vu ses membres (en comptant les cotisants en retard) passer de leur sommet de 94 000 à la mi-2021 à 78 000 en mai 2023. Le nombre de « membres en règle », une mesure plus réaliste, est passé de 78 000 à 57 000 Cette perte d'environ un quart de ses effectifs réels est intervenue alors que les opinions favorables au Parti Démocrate chutaient à nouveau à des niveaux bas et que la controverse sur le comportement des « élus » occupaient pendant un certain temps une place centrale dans les débats. Bien qu'il soit trop tôt pour le dire, les retombées actuelles de la guerre entre Israël et Gaza menacent de fragmenter davantage DSA.

En dépit de cette crise pré existante, un consensus a semblé apparaître lors son congrès de juillet, DSA y a réaffirmé son engagement à « contester tactiquement les règles électorales actuelles conduisant au vote démocrate » ? En reconnaissance du problème de l'insertion des militants de DSA dans les organes de direction définissant la politique de l'organisation, il a été proposé d'agir comme un parti, afin d'organiser le travail des militants de DSA et de leur fournir un soutien. Une proposition visant à imposer un certain type de responsabilité ou de discipline sur les "élus", cependant, a échoué. La question de la sortie du Parti Démocrate, qui n'a jamais suscité l'intérêt des "élus" de DSA, est tombée en poussière avant même le congrès et a pratiquement disparu de la discussion. D'autre part, il y a eu un intérêt renouvelé pour la création d'une nouvelle organisation de masse avec sa propre identité qui serait parallèle au parti lui-même et, pourrait, dans le cas des élections au Congrès et dans la plupart des assemblées législatives d'État, rivaliser avec le caucus démocrate pour la désignation de ses candidats. Compte tenu du déséquilibre institutionnel et financier initial de pouvoirs entre DSA et cette nouvelle organisation, et du fait que les questions de stratégie électorale dépendent de la direction du parti et non de cette nouvelle organisation envisagée ; il n'est pas difficile de prévoir quelle organisation a l'avantage sur l'autre.

Cette idée semble avoir été introduite pour la première fois par Jared Abbott et Dustin Guastella en 2019, Bien que l'idée d'une telle organisation ait été proposée en détail sans le terme par Seth Ackerman en août 2016. (9) Les dates sont importantes. C'est juste après le défi couronné de succès de Sanders et l'élection en 2018 de quatre membres de « la brigade ». Si un projet électoral aussi ambitieux pouvait avoir une opportunité de développement, c'était certainement au cours des premières années d'élan qui ont suivi la campagne électorale de Sanders entre 2015 et 2017, l'élection de « la brigade » en 2018, et la croissance initiale de DSA. Les membres de DSA élus entre 2018 et 2020, sans le soutien desquels un tel projet ne serait pas crédible précisément parce qu'il s'agit d'un projet électoral centré sur le Parti démocrate, n'ont jamais manifesté d'intérêt pour un tel type d'organisation fondée sur une base militante. Au lieu de cela, ils se sont contentés du caucus des membres progressistes du Congrès, le CPC, d'ONG non lucratives, de campagnes pilotées par des personnels salariés, comme JD et « Our Revolution », et de collecteurs de fonds numériques telles que ActBlue qui facture ses services ou Middle Seat qui réalise son propre profit. Et maintenant, l'élan est perdu, la crise a commencé, et les partisans potentiels d'une organisation de masse, parmi les titulaires actuels de postes de gauche au Congrès, sont étroitement alliés avec la direction du parti.

Comment sortir de ce désordre

La crise de la politique électorale (et bien plus encore) ne peut être résolue ou transcendée par un électoralisme "tactique" dans un parti démocrate de plus en plus autoritaire et impopulaire. "Continuons simplement à agir plus fort" fonctionne rarement en pleine crise, surtout quand cette activité fait partie du problème. Comme cela a été le cas tout au long de l'histoire des États-Unis, notamment dans les années 1850-1860 (esclavage), 1890 (populisme agraire et ouvrier), 1930 (travail), 1950-1960 (droits civiques, libération des opprimés, et soulèvements de la base), il a fallu des bouleversements sociaux de masse pour desserrer l'étau des classes dirigeantes sur la politique et réduire les barrières à tout progrès social et politique. Le besoin criant est celui d'un mouvement de la classe ouvrière durable et complet avec les syndicats, des organisations des opprimés, Des expressions politiques indépendantes tant dans les communautés que sur les lieux de travail pour faire les premiers pas vers un nouveau parti de la classe ouvrière. Tout cela doit venir d'abord et avant tout des racines du pouvoir de classe qui se trouvent dans la production de biens et de services. Dans cette tâche apparemment écrasante, les socialistes ont maintenant un couple de choses qui vont en leur faveur.

Le premier est la montée bien documentée de l'action syndicale et ouvrière. Ce n'est pas encore la poussée nécessaire pour sortir de l'impasse, mais c'est un mouvement dans la bonne direction. De plus, contrairement à la politique électorale, la grande majorité des États-Unis l'apprécie favorablement. Le soutien aux syndicats a augmenté depuis 2017, passant de 56 % en 2016 à 61 % en 2023. Gallup a rapporté qu'il avait atteint 71 % en 2022, puis était tombé à 67 % mais je crois que cela est dû à un hasard statistique. Le bond à 71 % en 2022 était entièrement dû à un bond soudain et suspect de neuf points de pourcentage dans l'approbation républicaine des syndicats, de 47 % en 2021 à 56 % en 2022. Il est ensuite retombé à un niveau plus typique pour les Républicains de 47 % en 2023, portant la moyenne globale à 67 %. Cela donnait l'impression qu'il y avait eu une baisse importante du soutien aux syndicats en 2023, mais rien ne permet de le croire.

Tout d'abord, la baisse rapportée par Gallup en 2023 n'était certainement pas due à une réaction contre les grèves. Le même sondage Gallup a titré une section "Les Américains favorisent les travailleurs dans les conflits du travail" et montre qu'en 2023, de grandes majorités soutiennent les travailleurs de l'automobile contre les entreprises (75 %), frappant les auteurs de films et de télévision par 72 %, et les acteurs par 67 % contre leurs employeurs. Un sondage Reuters/Ipsos réalisé en septembre lors de la grève de l'UAW des travailleurs de l'automobile de Detroit a montré que 58 % des travailleurs soutenaient les grévistes. Un sondage conjoint du 21 au 25 septembre du groupe de stratégies mondiales / GBAO a révélé que 76 % des entreprises soutenaient l'UAW contre les sociétés automobiles, Un sondage de CNN du 4 au 9 octobre a révélé que 76 % des sondés étaient d'accord avec les grévistes et seulement 23 % avec les compagnies.

D'autre part un sondage AFL-CIO d'août 2023 réalisé auprès des électeurs inscrits avec un échantillonnage d'électeurs de moins de 30 ans, d'électeurs d'origine asiatique et de syndiqués, " un échantillon assez différent que le sondage aléatoire sélectionné par Gallup, 71 % des interrogés approuvent les syndicats. Ce nombre montant à 88 % parmi les moins de 30 ans et à 91 % parmi les Démocrates. En plus de cela, 75 % des travailleurs soutiennent la grève, 93 % pour les Démocrates et 90 % pour les moins de 30 ans. Même en tenant compte des biais dans l'échantillon, cela révèle un fort soutien aux syndicats et aux grèves dans les principales circonscriptions. Selon tous les indicateurs des sondages de Gallup, Reuters/Ipsos, GSG/GBAO, AFL-CIO et CNN, un nombre croissant de résidents américains pensent que les syndicats sont une bonne façon d'améliorer leur vie, même s'il faut une grève pour le faire, et généralement seulement moins d'un quart soutient le capital contre les travailleurs. Comme nous l'avons vu, cela contraste fortement avec ce que la majorité pense de la politique, des politiciens et du parti démocrate en particulier. Cela inclut Biden, dont l'approbation a atteint 37 pour cent en septembre, tandis que celle de sa gestion de l'économie est tombée à 30 pour cent, selon le sondage Washington Post-ABC.

Le contraste ainsi que le calendrier sont frappants ! Sans doute Biden ou ses conseillers l'ont remarqué, ce qui est une des raisons pour lesquelles le président s'est présenté à un piquet de grève de l'UAW dans le Michigan en septembre. Si les démocrates ont besoin des votes suburbains aisés pour gagner une majorité au Congrès, Biden a besoin des syndicats et du vote des ouvriers pour espérer l'emporter dans les États incertains du Middle West. En fait, Biden n'est pas nouveau quant à l'utilisation politique des piquets de grève au moment des élections. Lors de la grève de GM en 2019, Bloomberg (23 septembre 2019) a rapporté que lorsque les primaires présidentielles ont décollé en septembre, le candidat Biden s'est joint aux membres en grève de l'UAW dans une usine de GM à Kansas City. Le même jour, Elizabeth Warren avait également participé à un piquet de grève à l'usine GM de Detroit-Hamtramck.

Comme l'ancien conseiller de Clinton, Paul Bledsoe, l'a récemment déclaré à Politico au sujet des élections de 2024 : "D'ici le jour des élections, il doit se tromper du côté du travailleur et du consommateur. C'est la politique de notre époque." Et après ça ? Eh bien, Biden consulte régulièrement la PDG de GM Mary Barra sur l'avenir de l'industrie automobile, qui a visité la Maison Blanche huit fois depuis que Biden est entré en fonction, selon Politico (19 septembre 2023). Un jour pour les travailleurs, huit jours pour le patron. C'est aussi la politique de notre époque.

Bien sûr, l'appui de l'opinion publique ou les apparitions présidentielles ne gagnent pas à elles seules des grèves ou n'apportent pas de succès aux défilés et manifestations. . Cela nécessite une organisation et une lutte de classe directe. Bien que les socialistes ne puissent pas créer eux seuls le mouvement ils ont souvent joué un rôle de premier plan dans le développement et même la direction de la lutte des classes aux États-Unis et dans le monde entier. Même à notre époque, les socialistes ont aidé à mener des actions de masse, depuis le mouvement des enseignants en 2018 jusqu'aux organisations de base d'enseignants, de chauffeurs routiers, d'ouvriers, et d'autres, ainsi que les efforts pour organiser Amazon, et plus encore. Ce sont des mouvements dans lesquels les travailleurs participent collectivement et directement et ressentent leur pouvoir, quelque chose que l'on ne ressent plus clairement dans la politique électorale actuelle.

L'accélération du conflit de classe en mouvement, ainsi que sa popularité croissante, est une invitation et un défi pour le mouvement socialiste actuel aux États-Unis à se joindre à nous et à faire une différence. C'est ainsi que nous inspirons les gens à agir, à briser le cynisme et le fatalisme causés par la réalité de la politique électorale dominante, et à aider les gens à changer eux-mêmes afin de changer le monde "d'en bas" et peut-être même à créer un nouveau type de politique démocratique (avec un petit d) de la classe ouvrière aux États-Unis.

Hiver 2024, publié par New Politics, traduit par Jean-Claude Vessillier.

1. Moody, « Enlisé dans la boue. Plongeant à droite : 2022 Midterm Elections », Against the Current (223, mars/avril 2023), p. 25.
2. Même le taux d'élection des membres de DSA aux conseils municipaux, de loin le moins cher et le plus facile à gagner, a ralenti. Sur les 95 titulaires actuels de ces fonctions, à l'exclusion des maires, 29 ont pris leurs fonctions en 2022 et seulement neuf en 2023. Wikipedia, « Liste des socialistes démocrates d'Amérique en fonction publique », dernière édition le 23 octobre 2023.
3. Kim Moody, « The “Class Ceiling” : Political Money and the Primary Election », Spectre (numéro 6, automne 2022), p. 38-45.
4. Sauf indication contraire, tous les chiffres sur le financement des élections proviennent d'OpenSecrets.org et la plupart des données électorales proviennent de Ballotpedia ou des sites Web des candidats.
5. Moody, « Enkisé dans la boue », 26.
6. Moody, « The Class Ceiling », p. 37-38.
7. Pew Research Center, Americans' Dismal Views of the Nation's Politics (19 septembre 2023).

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Le Texas, terrain d’expérimentation pour le plan d’expulsion de migrants voulu par Trump

17 décembre 2024, par Arelis R. Hernández, Molly Hennessy-Fiske — , ,
Les élus républicains texans ont tenu à fait de leur État un “modèle” en matière de lutte contre l'immigration. Ils comptent bien jouer un rôle de premier plan dans la (…)

Les élus républicains texans ont tenu à fait de leur État un “modèle” en matière de lutte contre l'immigration. Ils comptent bien jouer un rôle de premier plan dans la politique d'expulsion massive des immigrés clandestins annoncée par le futur président, souligne le “Washington Post”.

Tiré de Courrier international. Article publié en anglais dans le Washington Post. Dessin de Ramsès, Cuba.

Alors que les opposants à Donald Trump dénoncent le plan d'“expulsions massives” annoncé par le futur président, les élus républicains du Texas font tout pour faire de leur État la rampe de lancement de cette politique.

Le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, et d'autres officiels de l'État ont passé les quatre dernières années à se positionner en principaux opposants à la politique migratoire de Joe Biden et à poursuivre la campagne de répression aux frontières lancée par Trump pendant son premier mandat. Bien qu'ils ne disposent d'aucune autorité constitutionnelle en la matière, ils ont usé de tout l'arsenal à leur disposition pour intensifier drastiquement les mesures et les lois anti-immigrés à l'échelle locale et défendre l'application de ces mesures à l'échelle nationale.

Ainsi, ils ont injecté 11 milliards de dollars dans l'opération Lone Star, menée par Greg Abbott, qui visait à renforcer les frontières, à acheminer les demandeurs d'asile en bus jusqu'à des États distants [et gouvernés par des démocrates] et à cibler les organisations qui prenaient leur défense. Autant de mesures en profonde rupture avec le “conservatisme compassionnel” des républicains texans qui, il fut un temps, accordaient des bourses aux étudiants sans papiers et facilitaient l'accueil de milliers de réfugiés.

“Les dirigeants du Texas veulent construire un modèle de politique migratoire extrêmement dure et cruelle, qui puisse être repris par le gouvernement fédéral”, analyse Daniel Hatoum, avocat de l'association Texas Civil Rights Project. “Le Texas n'attend qu'une seule chose : que le gouvernement Trump coopte ses institutions pour appliquer sa politique antimigrants.”

Le “tsar des frontières”

Ce message était d'ailleurs au cœur du discours de Greg Abbott prononcé le 26 novembre aux côtés de Thomas Homan, futur “tsar des frontières” de Trump, lors d'une visite à la base militaire frontalière d'Eagle Pass. L'année dernière, cette localité s'est retrouvée en première ligne du conflit opposant le gouverneur du Texas, qui dénonçait une “invasion” record de migrants, et l'administration fédérale.

“Le changement est en marche”, a annoncé le gouverneur aux soldats de la garde nationale du Texas et aux membres des forces de l'ordre réunis pour un repas de Thanksgiving. Les officiels texans se concertent déjà avec l'équipe de transition de Trump au sujet de la sécurité aux frontières sur “les actions, la planification, les dispositifs”, a-t-il ajouté.

Depuis l'élection du 5 novembre, les gouverneurs de certains États ont laissé entendre qu'ils pourraient réduire le financement de la sécurité frontalière, d'autant plus si le gouvernement fédéral prend le relais. C'est tout le contraire de ce que prévoient Greg Abbott et Tom Homan, qui veulent augmenter les fonds consacrés à la lutte anti-immigration.

Une fois que Trump aura pris ses fonctions, Greg Abbott l'assure :

  • “Nous allons faire davantage, et plus vite, que tout ce qui a été fait auparavant pour reprendre le contrôle de nos frontières, rétablir l'ordre dans nos communautés et identifier, localiser et expulser les criminels qui ont passé la frontière.”

Tom Homan, qui occupait déjà le poste de directeur de l'ICE, agence chargée du contrôle des frontières et de l'immigration, pendant le premier mandat de Trump, ne tarit pas d'éloges à propos de l'opération Lone Star et de son “succès sans précédent”. Il envisage d'adopter une approche similaire à l'échelle nationale :

  • “C'est un modèle que nous pouvons appliquer à l'ensemble du pays.”

Plus à l'est, dans la vallée du Rio Grande, la commissaire à l'aménagement du territoire du Texas, Dawn Buckingham, s'est rendue devant le tronçon de mur de 82 kilomètres érigé le long de la frontière avec le Mexique sans aucune aide fédérale. À cette occasion, elle a annoncé la création de l'“initiative Jocelyn”, du nom d'une jeune fille de 12 ans assassinée cette année à Houston par des immigrés vénézuéliens qui avaient franchi illégalement la frontière. Cette initiative mettra à disposition plus de 500 hectares de terres publiques pour accélérer l'expulsion des “clandestins criminels”.

“Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider le futur gouvernement”, a-t-elle déclaré, avant d'ajouter : “Si vous avez besoin d'un terrain et d'infrastructures pour assurer l'expulsion de criminels violents, nous avons déjà identifié plusieurs propriétés adéquates et pouvons rendre cela possible dès le premier jour du second mandat [de Trump].”

En effet, le Texas dispose de vastes terrains, mais aussi de lieux de détention pour y rassembler les immigrés le temps de décider de leur sort. Cela dit, l'économie texane dépend fortement de la main-d'œuvre sans papiers, en particulier les secteurs en plein essor comme la construction, l'agriculture et les services, une question sciemment ignorée par les républicains comme Tom Homan.

Un État sous contrôle total des républicains

Mark Krikorian, directeur du Center for Immigration Studies [un think tank anti-immigration], s'attend à ce que le Texas soit au cœur des expulsions de masse de Trump pour plusieurs raisons : “Cela va au-delà des immigrés qui ont franchi la frontière ces derniers temps : il faut considérer l'ensemble de ceux qui sont arrivés ces quatre dernières années et qui se trouvent en grande partie au Texas”, commente-t-il. Des aspects logistiques entrent également en jeu : pour les immigrés mexicains et sud-américains arrêtés ailleurs dans le pays, “le sud du Texas est l'endroit le plus proche de là où on veut les renvoyer”.

La question politique ne doit pas non plus être négligée : le Texas est le seul État frontalier où les républicains disposent de la majorité au parlement local et contrôlent les principales instances étatiques, dont le poste de gouverneur.

Lors des derniers tours de vis migratoires – qui s'étaient traduits par la politique de séparation des familles de migrants à la frontière pendant le mandat de Trump, et par la rétention de familles de migrants pendant celui de Barack Obama –, les autorités du Texas ont bâti des infrastructures gigantesques pour détenir temporairement toutes ces personnes.

Or, “il est beaucoup plus facile de dépoussiérer et de réutiliser des installations qui existent déjà”, résume Mark Krikorian.

Le recours à l'état d'urgence

En 2021, excédé par le président Biden, qu'il jugeait incapable de sécuriser la frontière, Greg Abbott a décrété l'état d'urgence. Cette disposition lui a permis de contourner certaines lois et normes environnementales et de délier les cordons de la bourse pour lancer l'opération Lone Star. Il a amassé à la frontière des soldats de la garde nationale du Texas et des policiers, et installé barrières flottantes et barbelés. Il a aussi affrété des bus afin d'acheminer quelque 120 000 demandeurs d'asile depuis la zone frontalière vers des villes démocrates aux quatre coins du pays.

Le Texas a aussi créé un appareil de justice pénale destiné aux immigrés qui enfreignent les lois de l'État, a construit de nouveaux centres de rétention et libéré des milliers de places dans trois prisons d'État pour y placer des migrants, puis jugé et expulsé massivement ces détenus. L'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a porté plainte l'année dernière au nom de plusieurs migrants. “L'opération Lone Star a un bilan dramatique en termes de droits humains”, dénonce Cody Wofsy, de l'ACLU.

Plus tôt cette année, Greg Abbott a adopté un décret qui oblige les hôpitaux publics à interroger les patients sur leur statut migratoire et à signaler le montant de tout soin prodigué à une personne présente illégalement sur le territoire. Une autre mesure inscrite à l'ordre du jour de la prochaine session parlementaire permettrait aux forces de l'ordre de prendre les empreintes digitales des enfants en situation irrégulière et de les stocker dans une base de données, ce qui pourrait permettre de leur restreindre l'accès à l'école publique.

“La cruauté est le but recherché”

“Cela fait des années que nous essayons en vain de tirer la sonnette d'alarme sur ce qui se passe au Texas”, déplore Victoria Neave Criado, élue démocrate à la Chambre des représentants de l'État : “Militariser la frontière, attiser la peur et semer le chaos dans nos communautés ne fera pas du Texas un endroit plus sûr.”

C'est à Eagle Pass que le durcissement est le plus palpable. La garde nationale du Texas y a pris possession du parc municipal en bordure du Rio Grande pour y établir son QG, puis a restreint l'accès au fleuve. Au Texas, l'argent du contribuable a donc servi à payer des contractants pour bâtir cette nouvelle base militaire baptisée Camp Eagle, et à financer les patrouilles de soldats le long de la frontière. Cette présence militaire n'a pas décliné malgré le durcissement du droit d'asile par le gouvernement Biden et le renforcement des actions menées par la police mexicaine aux frontières.

Amerika Garcia Grewal organise tous les mois une veillée pour les migrants morts en traversant la frontière. Selon elle, les autorités du Texas ont trouvé comment monétiser la souffrance et se servent de sa communauté comme d'un terrain d'expérimentation. “La cruauté est le but recherché, assure-t-elle, c'est un business très lucratif.”

Molly Hennessy-Fiske et Arelis R. Hernández

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« Manif » immigration le 30 octobre : Instrumentalisation ?

17 décembre 2024, par Germain Dallaire — , ,
Parler de l'immigration comme un sujet sensible est un euphémisme. Le qualificatif d'explosif conviendrait peut-être mieux surtout à un moment où la question de l'indépendance (…)

Parler de l'immigration comme un sujet sensible est un euphémisme. Le qualificatif d'explosif conviendrait peut-être mieux surtout à un moment où la question de l'indépendance revient dans l'actualité. Ce caractère explosif crée un terrain favorable aux manipulations de toute sorte. Le 30 novembre dernier, la Presse Canadienne sous la plume de Caroline Chatelard publiait un article substantiel d'une quinzaine de paragraphes sous le titre « Des immigrants dans la rue pour protester contre les gels de programmes d'immigration ».

Germain Dallaire

L'article a été repris intégralement par Le Devoir, La Presse, Radio-Canada ainsi que des journaux locaux. La lecture de cet article soulève des questions importantes compte tenu du traitement avantageux dont il a fait l'objet.

L'article relate une « manifestation » qui s'est tenue le 30 octobre dernier devant le bureau montréalais du Ministère québécois de l'immigration, de la Francisation et l'Intégration. J'écris manifestation entre guillemets parce qu'à aucun moment dans l'article il n'est fait mention du nombre de personnes présentes. Seule indication, l'article parle de « petite troupe multiculturelle ».

Cette « manif » était organisée par un organisme répondant au nom OEQNA pour On Est Québécois Nous Aussi, organisme de défense des droits des immigrants. L'article rapporte les paroles de la présidente Claire Launay ainsi que deux personnes immigrantes. Comme le titre l'indique, la « manif » visait à dénoncer le gel des programmes d'immigration. Les deux paliers de gouvernement sont mentionnés. Première question, pourquoi ne pas donner le nom de On Est Canadiens Nous Aussi ?

Dans l'entrevue, la présidente va jusqu'à dénoncer le gel récent du programme de contrat fermé à Montréal pour certaines catégories d'emploi. Curieux quand même venant d'un organisme qui se donne pour mission la défense des personnes immigrées. Rappelons simplement que par deux fois déjà, un rapporteur de l'ONU a décrit ce programme comme de l'esclavage moderne.

Le monde merveilleux de Google étant ce qu'il est, les choses se précisent en faisant une recherche concernant la présidente Claire Launay. On y apprend qu'elle a un CV très impressionnant. Après avoir travaillé pour la firme d'affaires publiques Navigator, elle a joint Force Jeunesse en 2020 pour en devenir directrice générale. Navigator est rien de moins que « la première entreprise canadienne de gestion, d'enjeux et de communication stratégique ». Une sorte de McKensie de ce monde. Force Jeunesse est un organisme qui travaille fort à l'intégration des jeunes professionnels dans les conseils d'administration et les postes de direction des entreprises.

Le moins qu'on puisse dire est qu'on est loin ici du profil classique du groupe communautaire rassemblant des gens mal pris qui tirent le diable par la queue pour s'organiser. La couverture de presse est à l'avenant. Petite comparaison : en fin de semaine se sont tenues des manifestations dans sept villes du Québec rassemblant en tout 3 à 400 personnes pour protester contre le projet de loi 69. Ni Le Devoir, ni La Presse, ni Radio-Canada (national) en ont parlé. Ni la Presse Canadienne naturellement. Il faut dire que cette dernière appartient en bonne partie à Power Corporation et que la fille de Desmarais est très impliquée dans le projet Tess Canada, un des principaux bénéficiaires potentiels de ce projet de loi.

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Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Chaos Ou un futur dystopique aux portes enflammées de l’Apocalypse

17 décembre 2024, par Gaétan Roberge — ,
 Selon la revue Science, la planète Terre s'approche dangereusement de cinq points de bascule qui provoqueront des perturbations climatiques majeures risquant ainsi de créer (…)


Selon la revue Science, la planète Terre s'approche dangereusement de cinq points de bascule qui provoqueront des perturbations climatiques majeures risquant ainsi de créer un terrible et incontrôlable effet domino.

Soit la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, celle de l'Antarctique Ouest, le dégel brusque du pergélisol boréal, la mort des récifs coralliens de basse latitude et finalement, la perte des glaciers montagneux qui représentent les sentinelles des changements climatiques. Précisons que le dégel du pergélisol entraînera la délocalisation de milliers de personnes qui perdront non seulement leur habitat et leur territoire, mais leurs identités et leurs traditions. Nous subirons également les émanations de quantités astronomiques de CO2 et de méthane – le méthane possédant un pouvoir de réchauffement plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone – augmentant les GES dans l'atmosphère et modifiant non seulement nos modèles météorologiques, mais surtout nos modes de vie.

Dès 1988, trois scientifiques, James Hansen, Makiko Sato et Reto Ruedy avaient pourtant sonné l'alarme en faisant la première déclaration publique importante ayant trait au réchauffement de la planète. Ils annonçaient au monde – preuves à l'appui – que nous nous dirigions vers une « nouvelle frontière climatique » avec des conséquences désastreuses pour le climat de la planète et que des catastrophes matérielles et surtout humanitaires sans précédent s'en suivraient. Le monde allait brûler et se noyer à la fois si nous ne faisions rien. Et depuis ? Quelle perte de temps et surtout quel impardonnable, voire criminel gâchis causé par les tergiversations de nos dirigeants, les fourberies des lobbys climatosceptiques et par une certaine incrédulité des populations ! Ne nous le cachons pas, c'est en raison de notre déni et d'une certaine turpitude si de graves et imprévisibles bouleversements climatiques et leurs effets cataclysmiques pour l'environnement et notre survie continueront de se produire et qu'ils iront en s'amplifiant.

Deux erreurs ont été commises au départ, soit de n'avoir pas su mieux informer et impliquer immédiatement les populations et d'avoir privilégié, sur le tard, des mesures dites d'adaptation aux changements climatiques – discours que nous tenons encore aujourd'hui – plutôt que de s'attaquer frontalement et collectivement aux véritables causes directes et indirectes responsables de tous ces bouleversements si dévastateurs et meurtriers. Ces perturbations climatiques qui affectent dorénavant tous les coins du globe et de manières fort inégales, mais surtout injustes pour les populations vulnérables touchées et qui s'avèrent pourtant très peu responsables des désordres davantage générés par les États riches qui s'entêtent à perpétrer leur mode de vie : « steak, blé d'inde, char ». Les pays en développement ainsi touchés se sentent floués, humiliés et désespérés de devoir sans cesse batailler, voire quémander afin de recevoir de justes et indispensables contributions financières – et non pas des miettes offensantes et irresponsables à l'image de la récente COP 29 – pour réparer les dévastations subies, mais surtout pour s'y prémunir et sauver l'habitat et la vie de millions de personnes gravement menacées.

Nous vivons actuellement sous respirateur artificiel dont le courant pourrait venir à manquer et nous ne sommes pourtant pas sans savoir qu'aucune civilisation n'est durable sans un climat stable. Toutefois, si nous nous entêtons à nier et minimiser les évidences et à sans cesse concocter des cocktails de solutions factices, provisoires et insuffisamment globales, notre monde présent s'exposera davantage à des vagues déchirantes et violentes de réfugié-e-s climatiques et économiques littéralement aux abois ainsi qu'à de tragiques et meurtriers conflits entre nations.

Nous assisterons aux pillages de biens et de ressources, à l'augmentation du surendettement éhonté des nations ainsi qu'à l'effondrement problématique de systèmes politiques et économiques. Des sociétés imploseront entraînant des épisodes dramatiques de guérillas urbaines accompagnées de tentatives de corruption, de campagnes d'extorsion et allant même jusqu'à des scènes de pillages et de tueries sanguinaires – la situation affligeante qui prévaut actuellement en Haïti en est une tragique illustration –. Il s'en suivra une détérioration angoissante des rapports humains alimentant de dramatiques éclosions de racisme et de xénophobie, une aggravation de la pauvreté, de la misère et l'apparition d'épidémies et même de pandémies. Nous assisterons à la montée en puissance de la propagation gangréneuse de trois virus. Tout d'abord, la tonitruante et désastreuse bouffonnerie diplomatique des rondes des Conférences des Parties (COP) accouchant de duperies et de lamentables échecs institutionnalisés dans l'atteinte réelle des cibles climatiques mondiales. Quant au second virus, soit le marchandage et le pelletage en avant ainsi que les ruptures d'engagement dans les mises en œuvre des accords internationaux. Puisque le prochain Gouvernement américain du vautour Trump entend éventuellement se retirer de l'Accord de Paris, de 2015, sur le climat. Quant au Canada – le quatrième plus grand producteur de pétrole brut et cinquième plus grand producteur de gaz naturel –, il s'illustre à merveille dans un double-jeu en adhérant à des accords de réduction des GES, mais en ne respectant jamais ses propres cibles et tout en continuant de subventionner à coup de milliards de dollars la tirelire déjà bien garnie des riches transnationales productrices du pétrole le plus sale et destructeur pour l'environnement, soit celui des sables bitumineux de l'Alberta et dont l'immense étendue des déchets environnementaux est même visible de l'espace. Et finalement, la montée en flèche des dictatures, des autocraties et des oligarchies ouvertement et dangereusement imprégnées d'idéologies doctrinaires et fascistes. Il s'agit d'une véritable lame de fond de régimes autoritaires, d'autant plus que près des trois-quarts de la population mondiale vivent actuellement sous l'emprise de tels régimes. Des régimes dissimulés sous des allures d'un populisme de bon aloi, abonnés aux fumisteries, à la propagande haineuse, aux discours racistes et xénophobes, allergiques à la liberté d'expression, carburant arbitrairement à la « climatosceptie » et répressifs face aux actions climatiques. Fait à noter, on observe cette répression même à l'intérieur de sociétés déclarées démocratiques. Pour exemples, la réélection récente de Trump, personnage dangereux et chaotique, et chez nous au Québec, les pénibles et inhabituelles conditions de détention et de libération des activistes du pont Jacques-Cartier qui constituent un précédent inquiétant et portant frontalement atteinte aux droits fondamentaux des citoyens et citoyennes qui luttent en l'occurrence pour le climat.

Puis, nombre de pays et leur population ne cesseront de s'enfoncer dans les sables mouvants du chaos, de se nourrir de miettes rationnées et rassises, de boire les eaux contaminées et fangeuses du désespoir et de vomir jusqu'à la bile les mystifications, les actions contestables ainsi que les inactions condamnables, voire criminelles des États vis-à-vis les générations à venir. D'interminables et effroyables conflits et guerres de pouvoir, de territoire pour la mainmise de ressources vitales telles l'eau, la terre, l'énergie et la nourriture se produiront à une échelle planétaire. Les lois du nombre et de la survie des plus forts domineront sans partage les rapports humains et ceux des États anéantissant ainsi toute forme de compassion, de dialogue et de paix. Les sociétés perdront alors leurs précieux repères et des millions de personnes en souffriront et mourront. Quant aux survivantes, elles se retrouveront écorchées dans l'âme, le cœur tailladé en lambeaux de douleur et l'esprit désespéré par la tourmente déchirante des événements et risquant ainsi d'y voir sacrifier une large part de leur dignité et de leur humanité. – Nous sommes d'ailleurs au début de ce stade. –

Jusqu'à présent, nos systèmes d'alarme n'ont pas correctement été activés puisque nous avions délibérément choisi d'en retirer les piles afin d'empêcher un réveil trop brutal … Nous avons préféré à la place jouer à l'autruche avec la biodiversité et nous amuser à la roulette russe avec le climat. Mais à terme, si nous ne parvenons pas à stopper ces stratégies désastreuses de l'extractivisme à outrance, de la surexploitation du vivant, de la croissance sans fin, de l'accumulation compulsive de richesses et de la production de biens non essentiels et surtout sciemment frappés d'obsolescence ; les continents et leurs populations en porteront les profonds stigmates. Notre civilisation poubelle débordante d'illusions dorées et couronnée de son couvercle d'argent pourrait finir par se décomposer et encombrer les vallées de la désolation et les sommets de la misère pour ensuite s'effondrer avec fracas sur elle-même. Ainsi, nous serons donc parvenus en un court siècle et demi seulement à mettre en place les conditions favorables à l'apparition d'un terrible chaos nous propulsant à vitesse grand V au tragique et peut-être irréversible dénouement d'une éventuelle disparition.

Quant à la terre elle-même, notre passage n'évoquera pour elle qu'un bref, mais ô combien pénible épisode de sa grande et formidable aventure. Cependant, avec le temps qui s'écoule inéluctablement dans les espaces interstellaires de l'Univers, elle parviendra, comme elle l'a d'ailleurs toujours fait par le passé, à rétablir un nouvel équilibre afin de demeurer vivante pour des millénaires et poursuivre son périple au sein du singulier concert des planètes. Après tout, Gaïa cette étonnante planète azurine loge dans un coin de la Voie lactée depuis 4,543 milliards d'années et elle n'a jamais vraiment eu besoin de notre secours afin de poursuivre son évolution et survivre aux dangers. Hélas, nous n'avons jamais cessé de la surexploiter et d'abuser outrageusement d'elle, tout en bénéficiant des innombrables bienfaits dont elle nous a si généreusement gratifiés jusqu'à maintenant.

Relativement à notre inconduite, nous avons déjà commencé à payer un très lourd tribut et tout ce gâchis, qui aurait pourtant pu et dû être évité ou à tout le moins limité, claironne de jour en jour le prélude de notre agonie. À moins de modifier sans plus tarder nos modes de vie mortifères couplés à nos actions empreintes de réflexions sclérosantes et de tout tenter pour nous extirper des sentiers tortueux de la torpeur et nous débarrasser de nos obsessions mercantiles illusoires. Il nous faudra également faire preuve de bonne volonté afin d'endiguer nos vagues d'écoanxiété et ouvrir pleinement les volets de notre raison pour y laisser entrer des fragments de lumière salvatrice et oxygéner nos cœurs pour saisir le jour et protéger le souffle du vivant foisonnant dans nos multiples et complexes environnements. Et qu'en plus, nous balancions aux ordures les amoncèlements nauséabonds de supercheries composées de recettes improvisées – non biodégradables –, de solutions provisoires dites durables, mais qui s'avèrent en fait des bombes à retardement pour l'environnement ou des leurres anesthésiants aux factices couleurs verdoyantes à l'image de notre aveuglante et vrombissante ambition de remplacer 1,4 milliard de véhicules à moteur en circulation dans le monde par 1,4 milliard de gros VUS électriques alimentés aux piles au lithium. – Il n'y a pas de meilleure façon de jouer à pile ou face avec notre destin … – Ultimement, que nous décrétions le passage à la caisse, et non à tabac …, des États producteurs d'énergie fossile et des grandes entreprises pétrolières dégoulinantes de profits faramineux. Mais également, les tenant-e-s de l'évitement et de l'évasion fiscales ainsi que les 2 686 milliardaires qui parasitent le palmarès de la planète Forbes manifestant une certaine gloriole teintée d'indécente arrogance et trônant sans aucune honte sur leur fortune scandaleusement démesurée estimée à 14 000 milliards de dollars, en 2024, et en osant même pousser le bouchon jusqu'à nous faire la leçon.
– Pensons aux toquades et aux stepettes d'un Elon Musk qui vaut depuis peu 440 milliards de dollars et qui vient de se payer un président avec ses 270 millions de dollars de contribution et d'hériter du rôle de « désosseur » de l'appareil gouvernemental américain …
– Ainsi, en s'inspirant de la seconde guerre mondiale, nous désignerons cette mesure de « ponction salutaire » et non consensuelle sous l'appellation OPEG : « opération effort de guerre ». Au final, pour souligner cette campagne historique dans les annales de la duperie après avoir réussi à épingler tout ce « bon monde », au jour venu de la Tanksgiving, on épinglera sur leur Macdodue poitrine de dindon patriotique une mirifique médaille gratuite et en authentique toc soulignant leurs services obligatoires rendus à l'humanité et portant l'inscription : « In rich we don't trust ».

Nous aurons le devoir suprême de protéger la biodiversité et l'environnement ainsi que de poursuivre la lutte avec courage et détermination pour la sauvegarde des territoires afin d'épargner de la destruction les réalisations millénaires et les mirifiques beautés du monde actuel symbolisant tout l'amour et le génie d'environ 7 000 générations d'humains ; à savoir notre attachement individuel et collectif à notre patrimoine tant immobilier, mobilier qu'immatériel. Nous devrons également reconquérir nos territoires intérieurs dévastés par les torrents lénifiants de l'individualisme et corrompus par l'avidité et la cupidité afin d'y redécouvrir nos valeurs universelles abandonnées sur le bas-côté de l'humanité. Ainsi, nous devrons faire preuve de plus de justice et de sagesse, d'entraide et d'empathie, de tolérance, de partage de nos savoirs et de nos richesses, de solidarité accompagnée du devoir de loyauté les uns envers les autres et surtout du respect et de la protection des droits et libertés et osons l'espérer : de fraternité et d'amour. Finalement, face aux ouragans de plus en plus dévastateurs qui érodent et minent les côtes des continents ainsi qu'aux dévastations qui s'en suivent, submergeant nos cités, incendiant nos forêts et nos terres, nous devrons impérativement former une nouvelle Alliance durable, légitime et souveraine entre les États à l'image d'un nouvel Arche – nOé-NUsien – afin de sauvegarder tout ce qui doit et peut l'être encore.

L'humanité ne doit pas se laisser mystifier et aveugler par des « shows de boucane » et s'engager à l'aveugle dans des sorties de crise à la Dunkerque. Elle doit plutôt combattre ses démons intérieurs et vaincre ses servitudes, surtout celle de l'obsession de l'argent. Elle doit éviter de sombrer dans des réalités virtuelles bichonnées et tronquées de surcroît par l'IA, d'abandonner sa conscience et de se prendre les pouces dans les mailles mercantiles et tentaculaires des médias sociaux qui font souvent office de moulins à broyer la réalité pour en extraire de l'anxiété et de la désinformation en ligne. Nous ne devons nullement craindre d'inscrire la contestation à la source de nos idéaux, faire preuve de résistance face aux répressions et ultimement semer à tout vent les germes de l'espoir et les semences de l'espérance afin d'engendrer un monde nouveau et inclusif dans lequel tous et toutes auront non seulement le droit, mais aussi la possibilité de rêver la vie et même de créer leur propre vie. Un monde dans lequel la notion de « Droit au bonheur » serait enchâssée dans toutes les Chartes et les Constitutions. Nous devons nous attaquer aux inégalités sociales qui ne cessent de s'accentuer, mieux répartir les richesses et donner de l'espoir de vie, de l'oxygène de courage et la parole salvatrice aux peuples de la terre.

Il nous faut marcher vers la libération en ancrant l'être humain et principalement les enfants et les jeunes au centre même de l'existence et de nos aspirations. Modifier nos paradigmes décisionnels à courte vue en invitant la sagesse, les sciences et l'imagination à siéger au sein des arcanes du pouvoir pour y assiéger les seigneurs et les vassaux du capital avec leurs diktats arbitraires, bannir les enfirouapeur-e-s parachuté-e-s par les think tanks de tout acabit et maintenir en enclos les hordes galopantes et tonitruantes de lobbystes brandisseur-e-s d'épouvantails. Il nous faudra débusquer, puis pousser jusqu'au bas des marches du temple de la vie ces peddlers chimériques bardés de leurs attirails économiques, financiers et technocratiques, fourbis de leurs tirailleries militaires et enferrés dans leurs tiraillements idéologiques et religieux et qui nous ont habilement piégés jusqu'à maintenant par leurs fumisteries institutionnalisées et conduits tout droit et à nos frais jusqu'aux portes enflammées de l'Apocalypse.

Nous devons prendre la mesure de l'ampleur du péril car la situation planétaire n'a jamais été aussi critique. L'humanité court à sa perte puisqu'elle est en voie d'atteindre les points de bascule du non-retour. La cible de l'Accord de Paris vient d'ailleurs de fondre sous les rayons de l'indolence puisque l'observateur Copernicus nous apprend que le mois de novembre 2024 aura été le 16e des 17 derniers mois avec une température moyenne dépassant de plus de 1,5 °C de celle de la période préindustrielle et que nous nous acheminons vers une hausse d'au moins 2,6 °C. Nous assisterons alors à l'anéantissement de notre luxuriante biodiversité pendant que de terribles perturbations climatiques frapperont de plus en plus violemment aux portes de tous les continents et aux fenêtres de nos vies en n'épargnant rien ni personne. Pour nous et les générations futures, c'est tout comme si l'humanité venait de souscrire à l'aveugle un abonnement au chaos, à la destruction et aux souffrances et que celui-ci ne comportait malheureusement aucunes balises et date de terminaison.

Le temps qui nous incombe ne nous laisse guère d'alternative ; les glaciers millénaires s'évanouissent, le ciel et les océans se gonflent de colère, le pergélisol dégèle, la terre sombre inexorablement dans les inondations, les sécheresses – selon l'ONU, les trois quarts des terres mondiales sont plus sèches qu'il y a 30 ans – et les incendies et l'humanité s'effondre en agonisant de chaleur et de froid, de faim et de soif, de maladie, de conflits et d'injustice. Ainsi, après 2,8 millions d'années d'évolution et 300,000 ans après l'apparition de l'Homo sapiens, nous sommes malheureusement parvenus à cette croisée des chemins où nous devons réaliser que la programmation de l'obsolescence planétaire et le décompte de l'extinction définitive du Genre humain sont bel et bien amorcés et il n'appartient plus qu'à nous de les dégoupiller. Pour cela, tous les États doivent impérativement mettre fin à la convoitise, à la haine et aux guerres pour véritablement s'unir dans le dialogue, le respect et la paix afin de livrer l'ultime combat pour la suite du monde et à la gloire des humains ! Nous avons une obligation ultime de résultat et devons absolument nous convaincre que tout est possible et qu'ensemble, mais ensemble seulement, nous pouvons y parvenir.

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Albert Camus

Ainsi, en plus du péril nucléaire planétaire dont faisait référence Camus lors dans son discours de réception du Prix Nobel de littérature, le 10 décembre 1957, nous sommes maintenant confrontés à un second et gravissime péril, soit celui du péril climatique. Malheureusement, je serais même tenté d'en ajouter un troisième à la liste, soit l'arrivée d'une nouvelle présidence américaine qui n'augure rien de bon, mais absolument rien de bon pour l'avancement de nos luttes vers un meilleur monde … En terminant, prenons acte que ce n'est assurément pas en laissant les ultra-riches implanter leurs petits pénates pantouflards sur le sol de la Planète rouge que nous sauverons les peuples qui veulent continuer de vivre dignement et en harmonie sur notre unique et extraordinaire véhicule céleste.

Gaétan Roberge, Père de deux filles, d'un petit-fils et citoyen du monde - Décembre 2024

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La chaîne tordue

17 décembre 2024, par Jean-François Delisle — , ,
Tout le monde en Occident a applaudi la chute du régime sanguinaire du Parti baas dirigé par le dictateur Bachar-al-Assad le 8 décembre dernier, une divine surprise pour les (…)

Tout le monde en Occident a applaudi la chute du régime sanguinaire du Parti baas dirigé par le dictateur Bachar-al-Assad le 8 décembre dernier, une divine surprise pour les responsables occidentaux. Les chancelleries occidentales ont salué sa déchéance et ont fait mine de se réjouir de la libération du peuple syrien. Elles souhaitent évidemment, pour la forme, une succession démocratique et libérale pour les Syriens et Syriennes et surtout un gouvernement pacifique. On espère que le régime qui succédera à celui du Baas apportera de la stabilité à cette région du Proche-Orient.

Cette attitude n'est pas tout à fait insincère. Mais il faut souligner que le Syrie d'al-Assad formait un maillon majeur de ce qu'on a appelé "l'axe de la résistance" à Israël. En effet, le régime en place à Damas était très lié à celui de Téhéran qui approvisionnait par son intermédiaire en armes et munitions le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza. Maintenant que ce maillon est brisé, l'axe de la résistance s'en trouve très affaibli. Pour sa part, le Hezbollah a subi de durs revers sous les coups de boutoir de l'aviation israélienne. Par conséquent, le Hamas à Gaza est devenu isolé et plus vulnérable qu'auparavant, ce qui rend plus incertaine la prolongation de sa résistance. Les dirigeants américains en sont très conscients et ils incitent donc l'organisation révolutionnaire à tenir compte du nouveau rapport de forces qui vient de s'établir au Proche-Orient. Son approvisionnement en matériel militaire devient beaucoup plus modeste depuis que le régime Assad a disparu. Cela procure à Tel-Aviv un avantage appréciable que le cabinet Netanyahou souhaite décisif. Mais l'est-il vraiment ?

Les relations conflictuelles d'Israël avec certains de ses voisins (comme actuellement l'Iran son pire ennemi) n'aboutissent jamais à une paix globale et durable, vu l'expansionnisme territorial israélien en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. À court terme, l'État hébreu est sorti vainqueur de ces conflits avec eux, mais à long terme, les choses s'avèrent plus problématiques.

Tout d'abord, on ne peut prévoir la nature du régime qui succédera à celui du Baas ; sera-t-il intégriste, autoritaire, hostile à Israël ou au contraire libéralo-électoral ? En tout état de cause, il est loin d'être sûr, peu importe sa nature que ce régime adoptera une politique conciliante à l'égard de Tel-Aviv, d'autant qu'on remarque beaucoup de groupes intégristes parmi ceux qui ont renversé le régime de Bachar-al-Assad.

Ensuite, la population syrienne a encore sur le coeur les bombardements israéliens sur son territoire commis voici encore très récemment. Le nouveau régime, qui prendra sans doute encore bien du temps à s'établir hésitera beaucoup à normaliser ses relations avec Tel-Aviv, si jamais il s'y décide. Le gouvernement Netanyahou en menaçant d'adopter la ligne dure à l'endroit de la Syrie si une ou des "organisations terroristes" conquéraient le pouvoir ne fait qu'empirer la situation. La ligne dure comporte ses limites, comme le prouve la résistance tenace du Hamas à Gaza, lequel n'est pas éliminé contrairement à ce que prétendent certains analystes occidentaux.

Mais on doit reconnaître que la chute imprévue du régime Assad constitue un revers d'importance pour l'Iran et le Hamas. Toutefois, ce n'est pas la première fois qu'on donne la cause palestinienne pour finie, mais elle rebondit sans cesse. Une révolution trouve toujours les moyens de se procurer des armes là où elle le peut. On en parle peu (vu que la guerre Gaza-Israël monopolise l'attention des médias) mais la résistance palestinienne en Cisjordanie s'intensifie, à cause de la politique répressive brutale du régime d'extrême-droite de Netanyahou.

Un gouvernement par ailleurs toujours plus contesté en Israël même et dont le premier ministre lui-même Benyamin Netanyahou fait l'objet de poursuites judiciaires dans son propre pays et en plus, avec son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, d'accusations devant la justice internationale.

Il s'agit là du dernier maillon, mais non le moindre de la chaîne politique régionale si tordue du Proche-Orient.

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Jean-François Delisle

Le STTP dénonce l’ordre de retour au travail, certains postiers veulent le défier

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/PXL_20241216_164013490-1024x576.jpg16 décembre 2024, par West Coast Committee
Alors que les postiers sont forcés de retourner au travail, le syndicat dénonce la mesure et certains travailleurs veulent la défier. L’article Le STTP dénonce l’ordre de (…)

Alors que les postiers sont forcés de retourner au travail, le syndicat dénonce la mesure et certains travailleurs veulent la défier. L’article Le STTP dénonce l’ordre de retour au travail, certains postiers veulent le défier est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

Le STTP dénonce l’ordre de retour au travail, certains postiers veulent le défier

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/12/PXL_20241216_164013490-1024x576.jpg16 décembre 2024, par West Coast Committee
Alors que les postiers sont forcés de retourner au travail, le syndicat dénonce la mesure et certains travailleurs veulent la défier. L’article Le STTP dénonce l’ordre de (…)

Alors que les postiers sont forcés de retourner au travail, le syndicat dénonce la mesure et certains travailleurs veulent la défier. L’article Le STTP dénonce l’ordre de retour au travail, certains postiers veulent le défier est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

Quelle tradition, monsieur Legault ?

16 décembre 2024, par Élisabeth Germain — , ,
« La tradition catholique il faut s'en rappeler. Ça fait partie de ce qu'on est », a déclaré le premier ministre en entrevue au Devoir. Selon François Legault, il ne « faut (…)

« La tradition catholique il faut s'en rappeler. Ça fait partie de ce qu'on est », a déclaré le premier ministre en entrevue au Devoir. Selon François Legault, il ne « faut pas être gênés » d'évoquer cette tradition dont les Québécois devraient être fiers.

Élisabeth Germain, 2024-12-07

Alors qu'il contemplait Notre-Dame des hauteurs du Centre Georges Pompidou, le premier ministre a estimé que « cette cathédrale veut dire beaucoup pour nos deux nations. Même si nos deux nations ont choisi la laïcité, il reste quand même quelque chose de cette tradition catholique. »

Eh oui, monsieur Legault, il reste quelque chose de cette tradition catholique.
Il reste vous savez quoi ? Des relents de paternalisme, des odeurs de curé contrôlant sa paroisse et les mœurs de ses ouailles, quelque chose comme un idéal de troupeau uni derrière son berger. Aujourd'hui, monsieur Legault, je trouve que vous jouez pas mal fort au berger. Pendant la Covid, votre paternalisme a pu être rassurant, et on s'est serré les coudes devant les difficultés. Mais ce temps où vous surplombiez la situation est terminé et on ne retournera pas à cette unité éphémère.

De qui, de quoi parlez-vous quand vous dites « notre Québec » ? Le Québec appartient à ceux et celles qui y vivent, qu'iels soient ici depuis un an ou cent ans. Nous ne sommes pas tous pareils, ni tous d'accord. La souche québécoise est une illusion. Si vous parlez de la tradition catholique, faites-le avec un grain de sel, car beaucoup de Québécois dits de souche en ont souffert amèrement. Comme mon grand-père, excommunié parce qu'il prônait l'école obligatoire jusqu'à 14 ans… Comme ma mère, comme les générations de femmes qui ont élevé des familles à n'en plus finir parce que le curé leur dictait de faire leur devoir conjugal et leur interdisait la contraception. Comme la honte et le rejet infligés aux « filles-mères », comme on les appelait.

Je n'en dis pas plus. Je conviens que l'église catholique a véhiculé des courants spirituels appréciables, mais dans l'ensemble, le dernier siècle du catholicisme (1850-1950) a été d'une étroitesse étouffante. Refusant les étrangers, les anglais, les juifs, les protestants, les non-catholiques, prêchant la pauvreté et l'ignorance, le clergé a façonné un ghetto québécois privé de la richesse des immigrants, des autres cultures, des autres façons de vivre. On y respirait un air de sacristie. Est-ce que c'est là que vous voulez retourner, avec votre tradition catholique ?

Nous avons créé de nouvelles traditions d'ouverture, d'accueil, de création et de dynamisme depuis les années 1960. Elles ne sont pas catholiques, et elles ne sont pas intolérantes. Ne recommencez pas à bâtir des murs d'orthodoxie, de valeurs québécoises, de protection, d'interdictions, de pouvoir mâle. En fait, vous avez déjà recommencé. Alors, stop ! Votre laïcité intolérante ressemble trop à la religion que nous avons laissée derrière. Reprenez plutôt le fil généreux et solidaire d'une (imparfaite) révolution tranquille que la droitisation néo-libérale des 40 dernières années s'acharne à tailler en pièces.

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LA CONSTRUCTION DE LA VIOLENCE, DE L’INJUSTICE PAR LES MINIÈRES AU MEXIQUE:Le film documentaire La garde blanche du cinéaste Julien Élie

16 décembre 2024, par Marc Simard
La construction de la violence, de l’injustice et la destruction des territoires par les minières canadiennes et américaines dans certaines zones rurales éloignés des grands (…)

La construction de la violence, de l’injustice et la destruction des territoires par les minières canadiennes et américaines dans certaines zones rurales éloignés des grands centres urbains au Mexique, c’est en partie ce que raconte le documentaire La garde blanche (2023) du réalisateur Julien (…)

Comptes rendus de lecture du mardi 17 décembre 2024

16 décembre 2024, par Bruno Marquis — , ,
La conquête de la Palestine Rachad Antonius Ce court essai a été publié il y a quelques mois, alors que le génocide des Palestiniens par l'État d'Israël était déjà en cours. (…)

La conquête de la Palestine
Rachad Antonius

Ce court essai a été publié il y a quelques mois, alors que le génocide des Palestiniens par l'État d'Israël était déjà en cours. Il clarifie opportunément la réalité historique en Palestine, qui en est une de conquête depuis une centaine d'années, et le rôle des pays occidentaux, à commencer par la Grande-Bretagne et les États-Unis, dans cette dépossession et l'élimination des Palestiniens. Un essai nécessaire pour rétablir les faits et contrer la propagande qui fait des victimes des bourreaux et des bourreaux des victimes, et qui permet à l'État d'Israël, avec le soutien des pays occidentaux, de violer impunément les droits humains et de poursuivre actuellement cet insoutenable génocide.

Extrait :

La fiction de la conformité au droit international a encore une fois éclaté lorsqu'elle a été confrontée à l'appui des puissances occidentales à la perpétuation du massacre, exprimé par une euphémisme : oui à un cessez-le-feu, mais sous certaines conditions. Il a fallu des mois et plus de 30 000 morts palestiniens pour que, finalement, le Canada demande timidement ce cessez-le-feu, et ce, sous les mêmes conditions que celles demandées par Israël. Ces conditions ont été exigées uniquement de la part du Hamas : libérer tous les otages israéliens. Sans exiger d'Israël le moindre engagement : ni celui d'une cessez-le-feu durable, ni celui de libérer les civils palestiniens emprisonnés sans accusation, ni celui de mettre fin au blocus de Gaza imposé depuis 2007, ni celui de laisser passer les vivres et l'aide humanitaire par voie terrestre. Telle est en effet la position du Canada, exprimée par sa ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, Mélanie Joly, lors de l'émission « Tout le monde en parle » à Radio Canada, le 7 avril 2024.

Robert Rumilly, l'homme de Duplessis
Jean-François Nadeau

Ce que m'avait rappelé la victoire de la Coalition avenir Québec (CAQ), en 2018, c'est ce vieux fond conservateur qui perdure, bien terré dans certaines régions du Québec. L'Action démocratique du Québec, la drôlement nommée, avait bien fait revivre un peu l'Union nationale de Maurice Duplessis, mais heureusement toujours en restant dans les marges. Cette fois, avec quelques carriéristes ou arrivistes bien sûr, voilà que cette vieille droite idéologique revient au pouvoir, revient nous hanter pourrait-on dire. « Robert Rumilly, l'homme de Duplessis », celle des biographies de Jean-François Nadeau que j'ai la plus appréciée, bien que j'aie bien aimé aussi « Bourgault » et « Adrien Arcand, führer canadien », nous fait revivre dans le détail cette période bien longue et bien sombre de notre histoire où cette droite exerçait le pouvoir. Pour l'historien Robert Rumilly, les idéaux de la Révolution française ont souillé la France. Il s'exile ainsi au Canada et, à compter de 1928, s'engage dans une activité intellectuelle frénétique qui a marqué son temps. On lui doit pas moins de quatre-vingt-onze livres, dont l'Histoire de la province de Québec en quarante-et-un volumes, que j'ai eu dans ma bibliothèque pendant plusieurs années, sans compter les brochures et les conférences. Écrivain donc prolifique, Rumilly se démarque aussi par son rôle de rassembleur infatigable des intellectuels de droite de son époque. Passionné par la politique, il organise des rapprochements entre des personnages comme Maurice Duplessis, Camillien Houde, Henri Bourassa, René Chaloult… et même Conrad Black. Son énergie est surtout, bien sûr, consacrée au service de l'Union nationale de Duplessis. Pétainiste impénitent, Rumilly accueille en Amérique des collaborateurs des nazis, à commencer par le célèbre Jacques Dugé comte de Bernonville. Jusqu'à la fin de sa vie, en 1983, il demeure fidèle à son maître Charles Maurras, l'idéologue de l'Action française. Somme toute, si l'on n'est guère enclin à aimer un type comme « Robert Rumilly », on aimera cependant bien sa biographie « Robert Rumilly, l'homme de Duplessis ».

Extrait :

La mort remonte à 1972. À Rio de Janeiro, au petit matin du 27 avril, on trouve le corps de Jacques Dugé, comte de Bernonville. Il gît, selon des témoignages, près d'un portrait du maréchal Pétain. De Bernonville, presque 75 ans, est mort par strangulation. On l'a garrotté, un supplice souvent utilisé dans l'Espagne de Franco, une dictature que de Bernonville a estimée presque autant que celle de Pétain.

Le mouvement masculiniste au Québec
Sous la direction de Méissa Blais et Francis Dupuis-Déri

Je vous recommande la lecture de ce bouquin fort instructif qui porte sur ce mouvement réactionnaire qu'est le masculinisme. Depuis quelques années, l'idée que les hommes vont mal gagne des adeptes. Cette prétendue crise de la masculinité aurait pour cause les femmes, et surtout les féministes, qui domineraient la société québécoise. Des partisans de la « cause des hommes » grimpent sur les ponts pour y déployer des banderoles, intentent des poursuites judiciaires contre des militantes, prennent la parole en commissions parlementaires, font du lobbyisme auprès d'institutions politiques, publient des livres et multiplient les attaques sur le Web. Certains vont même jusqu'à harceler des groupes de femmes…

Extrait :

Les remises de prix participent du processus d'héroïsation. Marc Lépine n'a pas reçu de prix, mais des saluts militaires. Durant les années 1990, des soldats du Régiment aéroporté de l'armée canadienne basé à Petawawa ont rendu cet hommage au meurtrier. Les demandes d'explication des députés de l'opposition au ministère de la Défense de l'époque n'ont pas empêché que certains de ces militaires obtiennent une promotion, ni qu'une seconde célébration en hommage à Lépine s'organise au même endroit, l'année suivante. Ces hommages rendus remplissent ici la même fonction que l'attribution d'un prix, à savoir qu'ils commémorent le tueur et confirment son statut de héros.

La grimace
Heinrich Böll
Traduit de l'allemand

Il y a peu de personnages, sauf peut-être certains personnages de Roger Martin du Gard, auxquels je me suis autant identifié qu'à celui de Hans dans « La grimace » d'Heinrich Böll. Ce roman est une virulente critique du catholicisme politique allemand des années 1960. Hans, jeune Allemand, a préféré devenir clown que de se complaire dans la société opportuniste, moralisatrice et oublieuse de l'époque. Un très beau et bon roman encore une fois. Très drôle aussi parfois.

Extrait :

Karl et Sabine se mettaient alors à discuter de ces opuscules et calendriers qui indiquent les périodes durant lesquelles une femme ne risque pas de se faire faire un enfant. Ce qui ne les empêchait pas de les mettre au monde l'un après l'autre. Il ne leur venait même pas à l'esprit que ces discussions pussent nous être pénibles, à Marie et à moi, qui n'arrivions pas à avoir d'enfant. Enfin, quand il était gris, Karl lançait force imprécations contre Rome, accumulant sur la tête du pape et des cardinaux les plus funestes malédictions ; et le plus ridicule de toute l'affaire, c'est que c'était moi qui prenait la défense du pape.

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De « Coule pas chez nous » à « Roule pas chez nous ». Une histoire de résistances

Les militant·es bas-laurentien·nes n'en sont pas à leur premier rodéo : l'industrie pétrolière canadienne reluque depuis longtemps ses berges et ses vallons pour y faire couler (…)

Les militant·es bas-laurentien·nes n'en sont pas à leur premier rodéo : l'industrie pétrolière canadienne reluque depuis longtemps ses berges et ses vallons pour y faire couler ou étaler du bitume. Comment une poignée de militant·es écologistes a-t-elle mis à genoux un géant de l'industrie ?

Au début des années 2000, le Bas-Saint-Laurent est à l'avant-plan de la lutte contre les mégaporcheries. Au Kamouraska, l'Union paysanne vient de voir le jour et mène une guerre de tranchées contre l'industrie porcine ! Elle réussira à éviter le pire en mobilisant toute une population effrayée à l'idée de voir cette industrie polluer l'air, le sol et l'eau si précieuse à la qualité de vie de celles et ceux qui habitent ce territoire.

À l'automne 2002, un peu plus à l'est sur la Rivière Trois-Pistoles, un groupe de personnes déterminées, dont je faisais partie, décide de s'opposer à la privatisation et au bétonnage de nos rivières en occupant le chantier de construction du barrage nuit et jour. À cette époque, près de 36 projets de petites centrales hydroélectriques privées devaient voir le jour et venir enrichir plusieurs des firmes d'ingénieurs qu'on a vues défiler à la Commission Charbonneau quelques années plus tard. Ce programme de petits barrages était en fait un bon moyen de venir remercier ces firmes qui enrichissaient les partis politiques par la technique des prête-noms. Ces derniers leur retournaient l'ascenseur en échange de petits cadeaux sous forme de projets énergétiques avec un prix d'achat garanti par Hydro-Québec Distribution.

Après une mobilisation citoyenne à la grandeur du Québec et la mise en place de la campagne « Adoptez une rivière », le gouvernement Landry refusait toujours de reculer. Par l'action directe, soit le blocage du chantier et son occupation pendant 40 jours par les militant·es écologistes, la médiatisation du dossier de la Rivière Trois-Pistoles prit une ampleur nationale. La pression populaire se fit sentir jusqu'à l'Assemblée nationale et le gouvernement n'eut d'autre choix que de mettre fin à ce programme de copinage déguisé en développement économique régional. Encore une fois, le Bas-Saint-Laurent était la figure de proue d'un mouvement national pour la protection du territoire. Des dizaines de rivières furent sauvées du bétonnage !

Cacouna et Trans-Canada : jamais deux sans trois

Au début des années 80, Trans-Canada a déjà dans ses cartons l'idée d'utiliser le port de mer en eau profonde de Gros-Cacouna comme port méthanier. Ce projet, complètement fou, avait même réussi à obtenir l'approbation du BAPE de l'époque, mais était finalement tombé à l'eau. Le projet qui comprenait une exploitation gazière dans le Grand Nord de l'Arctique était jugé trop risqué techniquement et financièrement pour aller de l'avant. En 2005, Trans-Canada est de retour à Cacouna avec Petro-Canada comme partenaire, et propose cette fois-ci d'importer du gaz russe liquéfié et de le transporter aux États-Unis par gazoduc.

La population locale est divisée : d'un côté, on s'inquiétait de la sécurité et de la protection du territoire ; de l'autre, on était attiré par les promesses d'un eldorado économique que faisait miroiter la compagnie. Le projet nommé à l'époque Énergie Cacouna recevra également le OK du BAPE et laissera beaucoup d'amertume chez les citoyen·nes de la municipalité qui, par un référendum serré, s'étaient positionné·es en faveur du projet. La persévérance des habitant·es de Cacouna qui s'opposaient à Trans-Canada aura toutefois permis d'éviter le pire en retardant le début de la construction du terminal méthanier. Ce délai fit en sorte qu'au début 2008, Gazprom annonce qu'il retire ses billes des projets Rabaska à Beaumont et d'Énergie-Cacouna en tant que fournisseur de gaz naturel, anéantissant les espoirs des promoteurs. La découverte du gaz de schiste aux États-Unis sera le prélude d'un gigantesque boom gazier qui rendra obsolète l'importation du gaz naturel provenant de Russie, évitant du même coup les deux éléphants blancs que seraient devenus ces ports méthaniers.

En 2013, lorsque Trans-Canada annonce son retour à Cacouna, cette fois pour construire un port pétrolier voué à l'exportation des sables bitumineux, la population locale est pour une troisième fois prise en otage. Dans la communauté, très peu de gens osent lever la main pour reprendre une autre bataille, car les cicatrices des luttes précédentes ne sont pas encore guéries. C'est alors que commence l'une des plus belles luttes environnementales de l'histoire du Québec, qui finira par faire plier bagage à ces cowboys de l'Ouest venus cavalièrement tenter de dérouler leur tuyau de bitume pour exporter leur pétrole sale à travers Cacouna.

Une large mobilisation

Depuis quelques mois déjà s'activait un groupe au Kamouraska qui militait contre le projet Énergie Est et son projet d'oléoduc à 14 milliards de dollars. Ce groupe deviendra l'initiateur du mouvement « Coule pas chez nous », qui ne tardera pas à faire des petits au Témiscouata et tout le long du tracé de l'oléoduc traversant le Québec. Le 10 mai 2014, lors du lancement de la campagne « Coule pas chez nous » à Cacouna, se met en branle simultanément la Marche des peuples pour la terre mère. Cette grande marche de sensibilisation réunit plus d'une centaine de marcheur·euses, qui, parti·es de Cacouna, termineront leur périple de 700 km 34 jours plus tard à Kanehsatake. Cette marche contribuera à renforcer le mouvement anti-oléoduc et à réseauter les activistes de partout au Québec qui sont affecté·es et qui luttent contre ce projet.

À Rivière-du-Loup, les Pétroliques Anonymes sont également à l'affût, tout comme « Prospérité sans pétrole » et « Non à une marée noire dans le Saint-Laurent », deux groupes très actifs à Rimouski. Un groupe de Trois-Pistoles financé par Greenpeace organise une vigile citoyenne qui fera de la surveillance en kayak de mer et à partir de la montagne de Gros-Cacouna pour observer les travaux de relevés sismiques dans la pouponnière des bélugas. Cette surveillance, avec l'aide juridique du Centre québécois du droit à l'environnement, permettra de détecter plusieurs infractions au certificat d'autorisation environnementale de Trans-Canada qui, par la voix de son porte-parole Philippe Canon, se targuait de respecter les plus grands standards de sécurité environnementale. Ces groupes du Bas-Saint-Laurent iront chercher l'appui de nombreuses organisations environnementales nationales et seront à la tête des deux manifestations d'avril et octobre 2014, cette dernière venant mettre un clou dans le cercueil du projet de port pétrolier de Cacouna. Quelques mois plus tard, c'est tout le projet Énergie-Est qui tombera, mettant fin une fois pour toutes à cette saga.

Toujours plus de bitume

Comme on peut le constater, la région du Bas-Saint-Laurent est foisonnante de groupes citoyens mobilisés pour la protection du territoire. On l'a vu plus haut, cette lutte n'est jamais réellement terminée, car le système capitaliste se nourrit de la destruction de l'environnement. La principale menace en 2023 pour le Bas-Saint-Laurent provient non pas de l'Alberta, mais plutôt de la Chambre de commerce de Rimouski, appuyée par une partie de sa population souhaitant dérouler une autoroute de bitume sur un peu plus de 50 km entre Notre-Dame-des-Neiges et le village du Bic. Cette semi-autoroute 20 à deux voies contiguës viendrait défigurer et saccager la majestueuse vallée de la Rivière Trois-Pistoles avec la construction d'un pont gigantesque évalué à près de 300 millions de dollars. En plus du magnifique paysage bas-laurentien, le projet détruirait des terres agricoles, de nombreuses érablières, des milieux humides et des kilomètres de forêt, tout ça pour un coût total de près de 1,7 milliard de dollars. Alors que la Ville de Rimouski a signé la déclaration d'urgence climatique, que la perte de biodiversité est devenue un enjeu critique sur la planète et que le GIEC soutient qu'il faut un moratoire sur la construction d'autoroutes, comment se fait-il que l'on puisse toujours rêver à plus de bitume pour les générations futures ?

La population active, celle qui se déplace le plus en voiture, sera en fort déclin au Bas-Saint-Laurent dans les années à venir. L'érosion côtière avec laquelle nous devrons composer par la protection des infrastructures routières et le déplacement du parc immobilier dans l'Est-du-Québec, coûtera plusieurs milliards de dollars aux contribuables québécois·es. Pourquoi ne pas utiliser les centaines de millions de dollars qu'on veut dépenser pour ce bout d'autoroute et plutôt en investir une petite partie pour sécuriser la route 132 existante ? On pourrait prendre le reste de l'argent pour protéger le mieux possible les nombreuses petites municipalités de l'Est-du-Québec. Ces municipalités doivent quémander au gouvernement des sommes d'argent astronomiques qu'elles reçoivent présentement au compte-gouttes alors que la situation est urgente. Quoi qu'il en soit, la mobilisation contre ce projet d'une autre époque s'organise et comme par le passé, les promoteurs de bitume croiseront sur leur route une résistance féroce, forte d'une expérience militante qui devrait leur faire réfléchir à deux fois avant de se lancer dans cette folie bitumineuse !

Mikael Rioux est activiste.

Photo : Des adolescent·es sur la passerelle des portes de l'enfer, au-dessus de la rivière Rimouski dans la réserve Duchénier, à Saint-Narcisse-de-Rimouski, dans Rimouski-Neigette. Années 2000 (Michel Dompierre).

Crise du logement. La mobilisation face à l’inaction

Le Bas-Saint-Laurent n'a pas été épargné par l'intensification de la crise du logement qui sévit partout au Québec. Voici un tour d'horizon de la situation du logement depuis (…)

Le Bas-Saint-Laurent n'a pas été épargné par l'intensification de la crise du logement qui sévit partout au Québec. Voici un tour d'horizon de la situation du logement depuis le début de la pandémie et de la vague de mobilisation qui en découle.

Depuis longtemps, les régions « ressources » souffrent des kilomètres qui les séparent des lieux de pouvoir. On peine à faire entendre nos besoins qui varient d'un coin à l'autre de ce vaste territoire. De plus, la région est organisée autour d'impératifs économiques plutôt qu'autour des besoins des personnes qui l'habitent. Le logement ne fait pas exception. Alors que plusieurs circonscriptions ont récemment élu des députés caquistes, il est difficile de croire que les choses changeront de sitôt. Rappelons que le gouvernement a nié la crise du logement jusqu'en avril 2022 et que ses actions se résument à mettre fin au programme AccèsLogis, redirigeant les fonds publics vers un nouveau programme en habitation « abordable » accessible au privé. Avant d'aborder la situation actuelle du logement locatif et de la mobilisation de la communauté, mettons les dernières années en contexte.

Des structures disparates face à la crise

Le portrait d'aujourd'hui n'est pas bien différent de celui de 2020. Au niveau de la répartition de la population et des services, on doit conjuguer avec quelques grandes villes et énormément de villages. Peu de municipalités encadrent formellement le logement locatif. Même lorsqu'un règlement en salubrité existe, il est méconnu et les employé·es de la municipalité peinent à faire les suivis nécessaires. Au niveau de l'organisation communautaire, les ressources d'aide sont éparses et limitées devant autant de réalités diversifiées. Elles sont surtout concentrées dans les villes comme Rimouski et Rivière-du-Loup et arrivent difficilement à desservir les municipalités en périphérie.

Un autre élément incontournable est la présence de grandes familles de propriétaires qui possèdent une grande proportion des logements et qui jouissent d'impunité lorsqu'elles brisent les lois. Chapeau aux locataires qui font valoir leurs droits, parce qu'être en mauvais termes avec ces entreprises, c'est courir le risque d'être barré·e de centaines de logements. Bref, le manque de ressources communautaires, de cadre municipal et de conséquences pour les propriétaires mettent déjà la table pour des pratiques abusives et nuisent à la défense des droits.

En mars 2020 arrive la pandémie : les inégalités sont exacerbées et les problèmes s'intensifient. Les conditions de vie se dégradent, surtout pour les locataires déjà précarisés par l'absence de contrôle sur leur milieu de vie. Alors qu'on observe des hausses des demandes d'aide alimentaire des ménages, on voit apparaître une relève immobilière avec des pratiques plus agressives et décomplexées : coupures d'eau, rénovations surprises, intimidation… On veut évincer pour monter les prix, et ça presse ! Ces aspirations financières concordent avec l'arrivée d'une vague de gens de la ville habitué·es à payer plus cher. Les logements déjà insuffisants se font plus rares, accélérant la hausse des loyers. La compétition est tellement forte que les propriétaires ne se cachent même plus pour discriminer.

Rappelons qu'en crise du logement, on manque surtout de logements salubres, réellement abordables, près des services essentiels, où l'on n'est pas menacé·e au quotidien de se faire évincer par une rénoviction ou parce qu'on refuse une hausse abusive de loyer. Les efforts pour remédier à l'exode des jeunes et la pénurie de travailleur·euses persistent malgré les listes d'attente qui s'allongent pour les logements, les soins et les services de garde. Incapables de se loger près des services, les gens s'éloignent des centres. Alors que se déplacer sans voiture est complexe, vivre en périphérie signifie débourser pour aller à l'épicerie, au bureau de poste, à l'hôpital… sans compter l'isolement vécu par les gens qui quittent leur quartier. Entre les démarches d'attractivité et les appels à l'aide de la population et des organismes locaux, on peine à voir le bout du tunnel.

Le Comité logement Bas-Saint-Laurent

Le logement ne fait pas exception en matière de sous-financement et d'essoufflement du communautaire. Jusqu'à l'an dernier, nous étions la seule association de locataires à l'est de Québec avec un seul employé permanent à Rimouski depuis notre fondation en 1999. Depuis, nous avons pris le nom de Comité logement BSL pour mieux représenter la taille du territoire desservi. Maintenant, nous sommes deux employé·es pour couvrir tout le BSL, mais en vérité, on reçoit des appels de la Côte-Nord, de la Gaspésie, des Îles-de-la-Madeleine. Il existe maintenant Solidarité logement Rivière-du-Loup et Action-Logement de l'Est à Matane, mais le financement reste incertain à court et long terme pour ces organismes.

Évidemment, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'organismes officiels qu'il n'y a pas de solidarité et de mobilisation. À Gaspé et à Sept-Îles, des groupes citoyens s'organisent pour informer les locataires. La population est plus informée sur ses droits et l'aide aux locataires prend plus de place au sein de notre organisme. Or, victimes de notre popularité, le téléphone ne dérougit pas, alors que l'accès au Tribunal administratif du logement (TAL) est difficile : il faut y trouver la bonne personne pour avoir droit à des informations sans se faire référer vers son comité logement. D'autant plus que les prises de rendez-vous sont laborieuses au TAL ; il n'y a que quelques disponibilités par mois. Lorsqu'on a de la difficulté à lire, qu'on n'a pas Internet ou de voiture, la situation s'empire ! La mobilisation collective est essentielle, alors que l'aide individuelle comporte ses limites pour défendre l'accès à du logement abordable de qualité. Toutefois, il est difficile de se mobiliser pour les locataires à l'extérieur de Rimouski puisque l'éparpillement de la population sur un vaste territoire limite les occasions de rencontres et de concertation des luttes.

Vu la difficulté à se faire entendre par le provincial et les tentatives répétées par les gouvernements de « fermer les régions », nous nous sommes tourné·es vers un palier plus accessible : le municipal. Ainsi, on met la pression sur la ville de Rimouski pour agir face à l'impossibilité de se loger et aux pratiques illégales des propriétaires. Le comité logement BSL demande à cette instance de construire des logements hors marché, de clarifier les règles et mécanismes en matière de salubrité et de lutter activement contre la discrimination.

Réponses citoyennes

Ceux et celles qui ont vécu hors des centres urbains le savent : en étant « loin de tout » et moins nombreux·ses, si on veut que quelque chose se passe, il y a de bonnes chances qu'il faille le faire soi-même ! C'est un fardeau, mais aussi une carte blanche pour développer les espaces dont on a besoin. Malgré les embûches et le manque de lieux de rassemblement, les projets qui tiennent le coup sont fantastiques, à l'image des gens qui les portent.

Les gens ont soif de rencontres et d'entraide et ça paraît. On a envie de se donner les outils pour se rencontrer, réfléchir, faire avancer les choses. Dans les derniers mois, on remarque une mobilisation citoyenne dynamique à Rimouski : la sauvegarde des Ateliers Saint-Louis, de la Maison Brune ou du boisé à Pointe-au-Père. En plus des organismes communautaires qui effectuent un travail plus qu'essentiel avec de moins en moins de ressources, on voit beaucoup de projets collectifs grandir : les Bains Publics, la Couverte, la Frip Mob'ile, l'Aranéide, l'Outillerie, Lutte à l'Est, le FestiQueer et bien d'autres.

Au Comité logement BSL aussi, on désire se mobiliser et s'organiser concrètement. Nous avons la chance d'avoir une vingtaine de bénévoles qui s'impliquent activement à Rimouski. Depuis 2020, le groupe se rencontre pour jaser d'actualité, organiser des actions, se former sur des enjeux liés au logement. Ensemble, on cherche à comprendre ce qui se passe, à trouver les leviers de pouvoir citoyen et à mobiliser notre voisinage. Nous militons pour le développement de projets de logement communautaire où les locataires auront une emprise sur leur qualité de vie.

Même s'il est difficile d'être optimiste face à la situation actuelle, la population reste impliquée et créative. Elle a de l'audace dans ses projets, et on aimerait voir la même chose du côté des administrations municipales. Mais pendant que le municipal et le provincial se passent le blâme, prenons plutôt les devants !

Cassandre Vassart-Courteau, organisatrice communautaire au Comité Logement BSL

Photo : Des pêcheurs au saumon s'activent sur la rivière Matapédia, dans les environs de Causapscal, dans la Matapédia. Années 2000 (Michel Dompierre)

Communautés LGBTQIA2S+. La similitude de nos singularités

Ielles sont de plus en plus nombreux·euses à choisir le Bas-Saint-Laurent pour s'établir : la communauté queer dans la région est en pleine croissance, tout particulièrement (…)

Ielles sont de plus en plus nombreux·euses à choisir le Bas-Saint-Laurent pour s'établir : la communauté queer dans la région est en pleine croissance, tout particulièrement dans le Kamouraska, à Trois-Pistoles et à Rimouski. Sa présence est un moteur important de dynamisme culturel et événementiel dans notre coin, et elle mène plusieurs organismes et institutions à revoir leurs pratiques et leur offre de services afin de les rendre mieux adaptées aux besoins des membres de la communauté LGBTQIA2S+ installé·es dans notre région loin des grands centres.

Même si de nombreuses luttes demeurent, des actions concrètes sont posées afin de mieux répondre aux besoins de l'ensemble de la population bas-laurentienne, que ce soit par des initiatives citoyennes ou institutionnelles. Bien que ces actions soient souvent menées par et pour des personnes issues des communautés LGBTQIA2S+, cela se fait de manière non exclusive, c'est-à-dire qu'une ouverture est conservée pour l'inclusion d'individus d'autres communautés, quel que soit leur genre, leur origine ou leur orientation sexuelle.

Une langue qui parle à tous·tes

L'un des lieux où tout le monde devrait être en mesure de se reconnaître constitue la langue. Et c'est pourquoi avec l'essor de l'écriture inclusive, qui selon moi aurait dû s'affirmer et s'implanter bien avant, de nombreux établissements révisent leur protocole de rédaction. Le journal Le Mouton Noir, originaire de Rimouski, qui œuvre pour la parole citoyenne du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, est en train de réviser ses politiques linguistiques. En tant que rédactrice adjointe, je trouve qu'il est primordial pour un journal comme Le Mouton Noir, qui devrait se démarquer de la masse, d'accorder une place pour l'expression des communautés LGBTQIA2S+. D'autant plus qu'une foule de projets initiés par et pour ces communautés dans la région méritent d'avoir une tribune et que l'ensemble du lectorat, qui comprend de nombreuses personnes qui s'identifient aux communautés de la diversité sexuelle et de la pluralité de genres, puisse s'y reconnaître.

L'université, plus qu'un lieu d'apprentissage

L'un des piliers d'une ville réside souvent dans ses établissements d'enseignement et c'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit de la région. Ici, l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) constitue un maillon primordial non seulement pour Rimouski, mais également pour l'ensemble du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Le regroupement ID-est, installé à l'université et se portant à la défense de la diversité des identités de genre et de la diversité sexuelle, organise de nombreux événements : karaoqueer, soirée de jeux de société, club de lecture queer, etc. L'un des enjeux auxquels souhaitent répondre ces initiatives est la création d'espaces sécuritaires pour le rassemblement et l'expression des personnes des communautés LGBTQIA2S+. En plus d'offrir ces activités, ce même organisme met également sur pied le Festiqueer, un festival célébrant la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Par ailleurs, l'organisation lutte activement au sein de l'UQAR pour la reconnaissance du choix du nom, du prénom et du genre sans égard à ce qui figure sur les documents légaux. Sans oublier la présence du Comité Institutionnel de l'UQAR pour l'Équité, la Diversité et l'Inclusion (CIÉDI) qui appuie ces nombreux projets et en met d'autres sur pied.

Se rejoindre sur une même page

Un autre vecteur primordial au sein d'une communauté est la possibilité d'avoir un lieu d'expression et de diffusion. Répondant à ce besoin, le magazine queer Aranéide se démarque par sa popularité autant dans le Bas-Saint-Laurent qu'en dehors de la région. Sa mission : offrir un espace de partage pour les artistes queers. Les appels d'œuvres s'adressent aux artistes hors de Montréal et de Québec qui s'identifient queers, peu importe ce que cela signifie pour elleux. Maintenant que le magazine connait un franc succès, il est autosuffisant et contribue même à encourager d'autres initiatives queers. De ce fait, sous les mêmes pages se rassemblent les désirs d'un lieu commun, sécuritaire, ouvert et inclusif.

Une culture diversifiée

Ce qui anime une région est également la vie culturelle qu'on y retrouve. Le foisonnement des diverses offres de contenus, qu'il s'agisse de spectacles, d'expositions ou de pièces de théâtre, permet à l'artiste de la relève que je suis de moins en moins ressentir le besoin d'aller à Québec ou à Montréal. Parmi ces offres, j'y retrouve les incontournables spectacles de drag. Plus besoin de faire appel à des troupes géographiquement éloignées, la Haus of Boudoir présente des spectacles mettant en vedette des artistes bas-laurentien·nes dans de nombreux endroits culturels comme l'UQAR ou les Bains publics, un cabaret culturel situé en plein cœur du centre-ville de Rimouski. Dans ces soirées, les spectateur·trices sont souvent encouragé·es à défier les codes du genre et ainsi à célébrer la singularité des personnes au sein de la communauté LGBTQIA2S+.

Vers des services inclusifs

Les services en région peuvent bénéficier de certains avantages et désavantages. Au Bas-Saint-Laurent, parmi les aspects bénéfiques, on retrouve la mise à jour du mandat de La Débrouille. Ce centre d'aide aux femmes victimes de violence conjugale s'adresse maintenant à la fois aux femmes cis et aux personnes trans. Le Centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et la violence faites aux femmes (CALACS) de l'est du Bas-Saint-Laurent a également emboîté le pas. L'organisme travaille en ce moment avec un comité consultatif de personnes non-binaires afin de réviser leur vision, leurs valeurs et leur mandat. Le fait de prendre en compte le point de vue de personnes de la communauté dans la mise à jour manifeste un profond désir de proposer des services cohérents qui correspondent réellement aux besoins des personnes visées par ces changements. Ces nouvelles inclusions témoignent d'une capacité majeure à s'adapter aux réalités de la population.

Avec tous ces changements, il est facile d'affirmer que le Bas-Saint-Laurent, une région loin des grands centres, prolifère de projets et de lieux inclusifs pour les communautés LGBTQIA2S+. Toutefois, il reste de nombreuses choses à entreprendre. Les spécialistes de soins du Bas-Saint-Laurent – qu'il s'agisse de travailleur·euses social, d'infirmier·ères, de médecins, de psychologues, de psychiatres, etc. – ne bénéficient pas d'une formation permettant de répondre et d'accompagner adéquatement les personnes trans et non-binaires. Les personnes de la communauté LGBTQIA2S+ doivent encore aujourd'hui se rendre à Québec pour consulter des expert·es ayant la formation « Standards of care » [1], une formation pourtant accessible en ligne et qui devrait, selon moi, être dorénavant incluse dans toutes les formations de soins.

Une double décentralisation

Rimouski, la plus grande ville à l'est de Québec, reste un lieu de centralisation des mouvements dans le Bas-Saint-Laurent. Toutefois, la dynamique entre les différents acteur·trices de la communauté LGBTQIA2S+ déborde des frontières de Rimouski. Malgré la distance, un lien de solidarité et de partage subsiste, comme le confiait Boud lors d'une entrevue avec Le Mouton Noir [2]. Et cette dynamique s'étend au-delà des liens d'un individu à un autre. Les organismes collaborent pour s'informer et informer la population, créer des lieux de rassemblement, des événements, etc., et cette collaboration dépasse les frontières du Bas-Saint-Laurent avec quelques autres organismes provinciaux dont Divergenres, basé à Québec, qui a pour mandat de décloisonner les réalités des personnes de la diversité de genres.

De plus, certaines personnes de la communauté ont manifesté le souhait d'avoir des bars gais en région. Ces exemples ne constituent qu'une fine part des améliorations qu'il serait possible d'apporter. Je croise les doigts pour que le Bas-Saint-Laurent et toutes les autres régions du Québec (et du monde, mais ce n'est pas réaliste, du moins, pas pour le moment) commencent ou poursuivent le mouvement d'inclusion des communautés LGBTQIA2S+ afin que les personnes qui en font partie puissent s'épanouir, peu importe leur lieu de vie.


[1] Cette formation offerte par The World Professional Association for Transgender Health (WPATH) permet de s'ajuster aux besoins de santé des personnes transsexuelles, transgenres et au genre non conforme. The World Professional Association for Transgender Health, Standards of care version 8. En ligne : www.wpath.org/publications (page consultée le 23 février 2023)

[2] Belleau-Arsenault, Catherine. 2022, La communauté queer est effervescente dans l'est du Québec (partie 1), www.moutonnoir.com/2022/10/la-communaute-queer-est-effervescente-dans-lest-du-quebec (page consultée le 23 février 2023)

Tina Laphengphratheng est citoyenne rimouskoise et rédactrice adjointe au journal Le Mouton Noir. Merci à Maxence St-Onge, consultant en équité, diversité et inclusion, pour les nombreuses références, les discussions et les réflexions engendrées lors de nos échanges. Ce texte n'aurait pas pu être aussi représentatif des initiatives LGBTQIA2S+ sans sa généreuse collaboration.

Photo : Ce cœur dans le ciel est dessiné par les Snowbirds, ces avions militaires dans le cadre de l'un des rares spectacles aériens donnés dans le ciel de Rimouski. L'étonnant cœur dessiné par ces avions militaires rassemble les spectateurs aux côtés d'un chevreuil mort (Michel Dompierre).

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