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Guide pour la lutte contre la violence digitale faite aux femmes en Algérie

Un guide juridique a été lancé pour accompagner les femmes victimes de violence digitale en Algérie, ce document est disponible en français et en arabe. Ce guide vise à sensibiliser, outiller et accompagner juridiquement, techniquement et psychologiquement les femmes victimes de violence digitale en Algérie.
Tiré de Entre les lignes et les mots
تم إطلاق دليل قانوني لمرافقة النساء ضحايا العنف الرقمي في الجزائر، وهو متوفر الآن باللغتين العربية والفرنسية. يهدف هذا الدليل إلى التوعية، وتوفير الأدوات اللازمة، ومرافقة النساء ضحايا العنف الرقمي في الجزائر قانونيًا، تقنيًا، ونفسيًا.
Pour lire le guide en français :
Guide pour la lutte contre la violence digitale faite aux femmes en Algérie
لقراءة الدليل باللغة العربية : الدليل لمكافحة العنف الرقمي ضد النساء و الفتيات في الجزائر
Introduction
À l'ère numérique actuelle, où les technologies d'informations et de communications imprègnent tous les aspects de notre quotidien, les espaces virtuels jouent un rôle crucial dans les interactions sociales et professionnelles. Ils offrent aux femmes des plateformes pour s'exprimer, faire entendre leur voix et transcender les barrières géographiques et culturelles. Toutefois, malgré ces avancées, les défis persistent. Les dynamiques de pouvoir enracinées dans le patriarcat, particulièrement dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, continuent de façonner les expériences des femmes en ligne.
Le monde digital a engendré de nouvelles formes de violence, avec des actes tels que le harcèlement, la diffamation, les menaces et l'extorsion, qui ne connaissent ni frontières ni limites.
Les femmes et les filles, en particulier, sont souvent les cibles de ces violences, qui s'inscrivent dans un contexte plus large de discrimination systémique. En Algérie, cette réalité est particulièrement alarmante. Une étude récente (1) , menée auprès de 112 femmes, a révélé une augmentation significative de la violence digitale. Les résultats sont inquiétants : 83% des participantes ont subi du harcèlement sexuel en ligne, 60% ont été victimes d'insultes, et 42% ont reçu des menaces de publication de leurs images intimes.
Les statistiques de la Gendarmerie Nationale renforcent ces constats, montrant une hausse continue du nombre de femmes victimes de violences digitales. En 2021, 296 femmes ont signalé de tels actes ; en 2022, ce chiffre a grimpé à 429, puis à 556 en 2023, avec une prévalence inquiétante chez les mineurs (230 mineurs). Quant aux statistiques de l'année 2024 jusqu'au mois d'août, elles font état de 464 victimes, dont 143 mineurs (74 filles et 69 garçons). Ce phénomène soulève des questions sur l'efficacité de la législation et des mesures de protection en place, tout en mettant en lumière les lacunes dans la réponse sociale et judiciaire face à cette forme de violence.
Ce guide vise à éclairer cette problématique cruciale, en offrant des ressources et des stratégies pour faire face à la violence digitale et promouvoir un environnement en ligne plus sûr et inclusif pour tous. La violence dans l'espace numérique constitue un phénomène complexe qui transcende les définitions traditionnelles de la violence envers les femmes. Elle se manifeste sous de nombreuses formes, telles que le harcèlement en ligne, la divulgation non consensuelle d'informations personnelles et l'utilisation d'images intimes comme outils de chantage. Cette réalité est souvent minimisée par le droit et la société, qui perçoivent la violence numérique comme une conséquence inévitable de la présence des femmes en ligne, conduisant à un blâme fréquent des victimes.
Dans des sociétés conservatrices, comme en Algérie, les répercussions de la violence digitale peuvent être particulièrement graves, allant jusqu'à des crimes d'honneur. La méconnaissance des procédures juridiques et le sentiment d'impuissance empêchent de nombreuses femmes de chercher protection ou soutien, soulignant ainsi la nécessité de fournir des informations claires et accessibles. Ce guide se propose donc comme une ressource essentielle pour les femmes et les filles confrontées à ces défis dans leur vie dans l'espace virtuel.
L'objectif est de sensibiliser à la violence digitale, d'informer sur les droits et de fournir des conseils pratiques pour faire face à ces situations. En autonomisant les femmes grâce à des stratégies, préventives et des outils techniques, nous visons à créer un espace numérique plus sûr et respectueux.
[1] Sanaa Hamadouche, Feriel Kessai : Digital Violence against women in Algeria, P.7
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Des intellectuel·les de plusieurs pays diffusent une lettre ouverte contre Elon Musk, exhortant la communauté internationale à soutenir le Brésil

La lettre ouverte signée par plus de 50 universitaires du monde entier préconise de soutenir les efforts du Brésil en faveur de son indépendance numérique, mettant en garde contre le fait que, souvent, les grandes entreprises technologiques s'opposent à la réglementation et font barrage à la gouvernance démocratique.
Tiré de Entre les ligneset lesm ots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/06/des-intellectuel%c2%b7les-de-plusieurs-pays-diffusent-une-lettre-ouverte-contre-elon-musk-exhortant-la-communaute-internationale-a-soutenir-le-bresil/
Les auteur·e·s de cette lettre demandent aux Nations Unies et à tous les pays alliés d'aider le Brésil dans la réalisation d'une infrastructure numérique autonome, soulignant la nécessité d'instaurer des règles internationales pour contrecarrer la domination grandissante des grandes entreprises technologiques.
Plus de 50 universitaires et intellectuel·les, originaires d'Argentine, de France, des États-Unis, d'Australie, du Royaume-Uni, d'Espagne, de Suisse et d'Italie ont cosigné une lettre ouverte dans laquelle elle·il·s fustigent la pression exercée par le milliardaire Elon Musk sur le Brésil. Ils y incitent tous·tes les défenseur·es des valeurs démocratiques à apporter leur soutien au Brésil.
Ce document, retranscrit dans cette colonne, sera rendu public ce mardi (le 17). Ses initiateur·rice·s sont des économistes et des auteur·es de renom qui sont reconnu·es dans le monde entier pour leur œuvre et leurs recherches sur les entreprises les plus puissantes de l'économie numérique.
Les signataires expriment leur profonde inquiétude quant à la souveraineté numérique du Brésil et soulignent le fait que les grandes entreprises technologiques agissent comme des entités omnipotentes, faute d'accords internationaux régissant leurs activités. En outre, il·elle·s mettent en exergue le fait que le Brésil se trouve à l'avant-garde de la bataille opposant les grandes entreprises technologiques à celles·ceux qui cherchent à créer un espace numérique démocratique.
« Le conflit entre le Brésil et Elon Musk n'est que le dernier exemple en date des tensions provoquées par le contrôle croissant des multinationales basées aux États-Unis sur les programmes de développement numérique des États souverains », indique la lettre.
« Plus qu'un avertissement pour le Brésil, leurs actions envoient un message inquiétant au monde entier : les pays démocratiques sont menacés de déstabilisation s'ils cherchent à s'affranchir de la domination des Big Tech, dont certaines n'hésitent pas à s'allier avec des mouvements et des partis d'extrême droite », peut-on lire encore.
Parmi les signataires notables figurent les économistes français Gabriel Zucman, Julia Cagé, et Thomas Piketty, la philosophe et professeure émérite de l'école de commerce d'Harvard, Shoshana Zuboff, l'ancien ministre argentin de l'Économie, Martín Guzmán, et le professeur du MIT (Institut de technologie du Massachusetts) Daron Acemoglu.
Parmi les défenseurs de cette cause, l'on trouve aussi l'économiste italienne Francesca Bria, le spécialiste nord-américain d'économie politique et coordinateur général de l'Internationale Progressiste David Adler, l'économiste indien Jayati Ghosh, le chercheur et écrivain biélorusse Evgeny Morozov et l'anthropologue Jason Hickel.
L'argument avancé dans le texte est que les grandes entreprises technologiques ne se contentent pas de dominer le royaume numérique, mais exercent également des pressions et s'opposent aux programmes indépendants mis en place par les pouvoirs publics. « Lorsque leurs intérêts financiers sont en jeu, elles collaborent volontiers avec des gouvernements autoritaires », constatent les auteur·es du document.
Les signataires exhortent le Brésil à faire preuve de fermeté dans la mise en œuvre de son programme numérique et à dénoncer les pressions exercées à son encontre. En outre, il·elle·s demandent aux Nations Unies de soutenir ces efforts. « Il s'agit d'un moment charnière pour le monde », ont-il·elle·s souligné.
Le nom d'Elon Musk est cité dans la lettre. Ce dernier est le propriétaire du réseau social X (ex-Twitter), suspendu au Brésil depuis le 31 août à la requête d'un juge de la Cour suprême fédérale (STF, Supremo Tribunal Federal) brésilienne, Alexandre de Moraes [1].
La plateforme a été bloquée après le refus répété de se conformer aux décisions de justice, telles que la suppression de profils et de publications réputés contenir des attaques à l'encontre de représentants de la police fédérale (PF) constitutives d'infractions pénales.
Vous pouvez lire la lettre intégrale ci-dessous :
« Contre l'attaque des Big Tech sur les souverainetés numériques »
Nous, soussigné·es, souhaitons exprimer notre profonde inquiétude concernant les attaques continues des entreprises Big Tech et de leurs alliés contre la souveraineté numérique du Brésil. Le conflit entre le Brésil et Elon Musk n'est que le dernier exemple en date des tensions provoquées par le contrôle croissant des multinationales basées aux États-Unis sur les programmes de développement numérique des États souverains.
Fin août, la Cour suprême du Brésil a banni X – anciennement Twitter – du cyberespace brésilien pour n'avoir pas respecté les décisions de justice exigeant la suspension des comptes ayant incité à la participation à des émeutes d'extrême droite et à l'occupation des centres du pouvoir brésilien le 8 janvier 2023. Par la suite, le président Lula da Silva a clairement exprimé l'intention du gouvernement brésilien d'assurer l'indépendance numérique : réduire la dépendance du pays à l'égard d'entités étrangères pour les données, les capacités d'IA et l'infrastructure numérique, tout en promouvant le développement d'écosystèmes technologiques locaux. Conformément à ces objectifs, l'État brésilien a également l'intention d'obliger les entreprises Big Tech à payer leur juste contribution à l'impôt, à respecter les lois locales et à rendre compte des externalitéssociales de leurs plateformes, qui favorisent souvent la violence et les inégalités.
Ces efforts se sont heurtés aux attaques du propriétaire de X et des dirigeants d'extrême droite qui se plaignent de la démocratie et de la liberté d'expression. Mais c'est précisément parce que l'espace numérique ne dispose pas d'accords réglementaires internationaux et décidés démocratiquement que les Big Tech agissent comme des gouvernements, décidant seules de ce qui doit être modéré ou promu sur leurs plateformes.
De plus, X et d'autres entreprises ont commencé à s'organiser avec leurs alliés à l'intérieur et à l'extérieur du pays pour saper la prise d'autonomie technologique du Brésil. Plus qu'un avertissement pour le Brésil, leurs actions envoient un message inquiétant au monde entier : les pays démocratiques sont menacés de déstabilisation s'ils cherchent à s'affranchir de la domination des Big Tech, dont certaines n'hésitent pas à s'allier avec des mouvements et des partis d'extrême droite.
Le cas brésilien est devenu pivot dans le conflit mondial entre les Big Tech et ceux qui cherchent à construire un paysage numérique démocratique et centré sur les personnes, en mettant l'accent sur le développement social et économique. Les Big Tech ne se contentent pas de contrôler le monde numérique, elles exercent également des pressions et agissent contre la capacité du secteur public à créer et à maintenir un programme numérique indépendant basé sur les valeurs, les besoins et les aspirations locales. Lorsque leurs intérêts financiers sont en jeu, elles collaborent volontiers avec des gouvernements autoritaires. Ce dont nous avons besoin, c'est d'un espace numérique suffisamment ouvert pour que les États puissent orienter les technologies en faisant passer les populations et la planète avant les profits privés ou un contrôle autoritaire.
Tous ceux qui épousent les valeurs démocratiques devraient soutenir le Brésil dans sa quête de souveraineté numérique. Nous exigeons que les entreprises Big Tech cessent leurs tentatives de sabotage des initiatives brésiliennes visant à créer des capacités indépendantes en matière d'intelligence artificielle, d'infrastructure publique numérique, de gestion des données et de technologie du cloud. Ces attaques portent atteinte non seulement aux droits des citoyens brésiliens, mais aussi aux aspirations plus larges de toute nation démocratique à atteindre la souveraineté technologique.
Nous appelons également le gouvernement brésilien à faire preuve de fermeté dans la mise en œuvre de son programme numérique et à dénoncer les pressions exercées à son encontre. Les Nations Unies et les gouvernements du monde entier devraient soutenir ces efforts. Il s'agit d'un moment charnière pour le monde. Une approche indépendante pour restaurer la souveraineté numérique et le contrôle de notre écosystème numérique public ne peut pas attendre. Il est également urgent de développer dans le cadre de l'ONU les principes de base de la régulation transnationale pour l'accès et l'utilisation des services numériques tout en promouvant des écosystèmes numériques qui placent les personnes et la planète avant les profits, afin que l'expérimentation des Big Tech au Brésil ne devienne pas une pratique courante dans d'autres territoires.
[1] après quarante jours de suspension, le réseau social X est de nouveau autorisé depuis le 8 octobre 2024
Voir l'article original en ligne sur le site de Progressive International
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Que nous apprend l’affaire Pelicot ?

Ceci est une version éditée et abrégée d'un article de Silvia Reckermann, du Groupe d'action pour l'égalité en Bavière (AGGB), publié à l'origine en allemand.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/31/que-nous-apprend-laffaire-pelicot/?jetpack_skip_subscription_popup
« C'était sa maison, sa chambre, son lit, sa femme ! »
C'est apparemment avec stupeur et incompréhension que Didier Sambuchi, l'un des violeurs condamnésdans l'affaire Pelicot, a réagi lorsqu'il a appris qu'il serait poursuivi. Comme ses 50 coaccusés, il ne pensait pas que ce qu'il avait fait était suffisamment grave pour impliquer la police. Même les quelques hommes qui avaient été invités mais qui n'ont pas participé n'ont pas signalé ce qui se passait à la police ou n'ont pas pris d'autres mesures pour y mettre fin.
Les médias et le public se livrent maintenant à un concours d'indignation. Mais les accusés ont encore du mal à digérer leur condamnation et certains envisagent déjà de faire appel. Après tout, qu'ont-ils fait de si différent de ce que des centaines d'autres hommes font régulièrement ? Personne n'avait remarqué les messages qu'ils partageaient en ligne depuis des années au sujet de leur comportement sexuel violent et de leurs fantasmes, et personne ne s'en était soucié ? Cela ne signifie-t-il pas que la société dans son ensemble était impliquée ? Qu'en détournant le regard et en minimisant les violences sexuelles pendant des décennies, la société était en fait complice ?
Vous pensez peut-être que cette affaire est différente parce que Gisèle Pelicot était inconsciente et qu'il ne pouvait donc pas y avoir de consentement. Mais personne ne peut savoir si une femme qui fréquente des clubs échangistes avec son mari, par exemple, le fait de son plein gré. Personne ne connaît les relations intimes, les dépendances, les menaces et les peurs qui motivent les femmes à participer.
Fait exceptionnel, Gisèle Pelicot bénéficie du soutien total de sa famille : tous ses enfants ont rompu avec leur père, l'auteur principal des faits. Trop souvent, on assiste au contraire à une solidarité inconditionnelle des membres de la famille avec les violeurs. C'est aussi le cas de certains co-accusés, qui voient leur vie de famille « sans tache » menacée par le procès – plutôt que par leurs propres actes.
Les complices de Pelicot comme clients.
Les auteurs de fusillades de masse, commel'assassin de Hanau, s'apitoient souvent sur le fait qu'ils n'ont pas de femme convenable à leur disposition. Apparemment, le tireur de Hanau pensait qu'il avait droit à une « bonne » femme et s'est indigné que seules des prostituées soient à sa disposition. Il n'est pas le seul à avoir cette attitude. De nombreux militants des droits des êtres humains (hommes et femmes !) affirment que le fait de payer les femmes pour avoir des relations sexuelles est un « droit des êtres humains ».
Apparemment, il n'y a pas eu de paiement dans l'affaire Pelicot, mais les violeurs ont eu tous les comportements typiques des clients (acheteurs de sexe) :
Ils trouvaient normal que le mari de Gisèle Pelicot leur livre le corps de sa femme pour qu'ils en usent et en abusent sexuellement.
Ils n'avaient aucun scrupule à utiliser son corps, même si la situation était incompatible avec le consentement.
Ils ne se posaient pas de questions et considéraient que c'était tout à fait acceptable.
Aucun d'entre eux, pas même les hommes qui ont refusé de participer, n'a signalé ce qui se passait à la police.
Ils n'ont eu aucune empathie pour Gisèle Pelicot.
Tout comme les clients, ils se sont vantés de leur comportement en ligne, y compris en décrivant les violences.
Ils se sont associés à d'autres hommes sur des forums en ligne pour rivaliser de misogynie.
La seule différence est que les hommes qui ont violé Gisèle Pelicot n'ont pas eu à payer.
Pourquoi les complices de Pelicot ont-ils été si indifférents à la souffrance des femmes ?
Dans le système prostitutionnel, il est normal que des hommes louent le corps de femmes à des hommes (proxénètes) à des fins sexuelles. En France, le proxénétisme et l'achat de sexe sont interdits depuis 2016. Mais les hommes ont été socialisés par la pornographie et le système prostitutionnel, qui déshumanisent les femmes et les traitent comme des marchandises.
Le libertinage a longtemps été la marque de fabrique de nombreux intellectuels français. La violence à l'égard des femmes a été acceptée en France, depuis que le marquis de Sade l'a popularisée. Même si les temps ont changé, grâce au mouvement féministe, la « tolérance » est encore largement pratiquée, même par les femmes. J'entends par là un mélange d'indifférence et d'aveuglement face aux violences faites aux femmes et aux jeunes filles. Malheureusement, ces attitudes ne se limitent pas à la France. Le marquis de Sade a des modèles et des émules dans le monde entier.
Il n'y a pas si longtemps, un violeur, Dominique Strauss-Kahn (DSK), avait de bonnes chances d'être élu président de la République française. En tant que candidat socialiste, qui plus est ! Il est tombé parce que Nafissatou Diallo, une employée d'hôtel afro-américaine, a brisé le silence et parlé des violences sexuelles qu'il lui avait infligées. Au début, personne n'a voulu savoir. Ce n'est que bien plus tard que d'autres victimes se sont progressivement manifestées. La honte était encore du mauvais côté, mais Nafissatou Diallo a posé un jalon important dans la lutte pour les droits des femmes en France.
La violence sexuelle à l'égard des enfants comme mode de vie ou « avantage » éducatif
La violence à l'égard des femmes et des filles est profondément ancrée dans notre culture. En France, il existe une longue liste de cas d'enfants et de jeunes qui ont été abusés et exploités sexuellement par des bons vivants « intellectuels » et des célébrités. La France remplit des collections entières de films et des étagères de livres avec la banalisation de l'abus sexuel des enfants. Dans une société bohème et satisfaite d'elle-même, certains hommes s'évertuent à détruire la personnalité des enfants avant qu'elle n'ait pu se développer. Souvent avec la complicité des parents.
En général, ce n'est que des décennies plus tard que les victimes révèlent la vérité sur ce qui s'est passé. Mais même dans ce cas, elles n'ont une chance d'être entendues que si elles peuvent s'exprimer de manière intellectuelle. Et l'indignation à l'échelle nationale ne s'est pas concrétisée – jusqu'à présent dans l'affaire Pelicot.
En Allemagne, les abus sont particulièrement notoires dans l'Église, malgré les vœux de célibat, et les pédocriminels sont actifs dans de nombreux secteurs professionnels. Contrairement à la France, les abus sexuels sur les enfants ne font pas l'objet d'un romantisme littéraire, mais les dégâts sont tout aussi importants. Certains réformateurs sociaux et éducatifs ont réussi à manipuler non seulement les victimes, mais aussi les professionnels, les politiciens et l'opinion publique, comme ce fut le cas à l'Odenwaldschule, par exemple. Et l'on assiste à une inquiétante résurgence de l'influence des pédocriminels.
Tous les hommes sont-ils coupables ?
Quel que soit le groupe de victimes, le viol est toujours lié à l'exercice du pouvoir et de la domination, souvent avec une composante sadique. Il s'agit d'une guerre brutale et unilatérale contre les femmes, les filles et les enfants de sexe masculin, menée avec des moyens très inégaux.
La violence à l'encontre des femmes et des enfants dans le but d'accéder à leur corps et de briser leur volonté n'est pas moins enracinée culturellement en Allemagne qu'en France et dans de nombreuses autres régions du monde (y compris au Royaume-Uni).
Cela signifie-t-il que tous les hommes sont des coupables et qu'ils devraient faire un examen de conscience et se repentir ? Non ! Si TOUS les hommes sont coupables, PERSONNE n'est responsable en dernier ressort. Il peut y avoir une vague de consternation, une petite pose en tenue de pénitence, mais RIEN ne se passe. Rien ne change.
La violence n'est pas ancrée dans le génome et désigner un « patriarcat » abstrait comme coupable ne conduira pas à un changement social. Nous devons désigner les vrais coupables et leur demander des comptes.
Tous les hommes ne traînent pas sur des plateformes en ligne célébrant la violence à l'égard des femmes. Tous les hommes ne sont pas des clients. Et toutes les femmes ne sont pas innocentes ; de nombreuses femmes soutiennent la domination masculine parce qu'elle est avantageuse pour elles. Elles siègent au parlement et se battent, par exemple, contre toute restriction de la prostitution, contre la protection des femmes marginalisées, dans l'intérêt de ceux « qui le font volontairement » et conformément à un agenda néolibéral pur et dur. Elles sont les piliers du patriarcat.
Le fait de rejeter la responsabilité et la culpabilité sur les hommes en tant que collectivité est une construction tirée de la politique identitaire, attrayante en tant qu'explication pour les personnes qui sont paresseuses dans leur façon de penser. Des personnes qui veulent que le monde soit proprement classé en victimes et en coupables.
De l'indignation collective à la communauté de responsabilité
L'indignation peut être enivrante, mais elle ne débouche pas sur une action politique efficace. Nous refusons la culpabilité collective des hommes. Ce que nous exigeons, c'est une responsabilité collective.
Les hommes en politique aiment encore attribuer aux femmes la violence à l'égard des femmes et les domaines politiques qui y sont liés. Cela touche les femmes, disent-ils, et c'est donc aux femmes de s'en occuper. C'est une erreur.
La cohésion de la société n'est pas une tâche qui incombe aux femmes, ni même à un ministre de la condition féminine. La cohésion ne s'obtient pas par la propagande. Elle nécessite une réflexion profonde et critique. La cohésion sociale se crée et se pratique dans les relations et les familles. La sphère privée est politique. Les hommes politiques doivent créer un cadre qui garantisse que la violence, quelle qu'elle soit, dans les familles et les relations, soit reconnue et sanctionnée de manière efficace. Il ne s'agit pas d'une question mineure concernant uniquement les « groupes marginalisés », mais d'une mission visant à sauver notre démocratie.
Lorsque les relations entre les personnes dans les familles, les réseaux d'amis, les environnements de travail et les quartiers s'érodent, les gens cherchent souvent un soutien auprès de « familles de substitution » sur Internet, où ils peuvent être initiés à la violence contre les femmes et à d'autres projets antidémocratiques. Nous avons tous la responsabilité de veiller à ce que la haine, l'agitation et la polarisation soient surmontées et de renouveler la cohésion sociale.
La mission de Gisèle Pelicot
En France, une législation basée sur le modèle nordique est en place depuis 2016. Les hommes ne sont plus autorisés à payer pour utiliser le corps des femmes à des fins sexuelles. La loi est un succès et conduit à un changement d'attitude des hommes. Il semble qu'il existe désormais une génération d'enquêteurs capables et désireux de s'intéresser de plus près à la violence à l'égard des femmes.
La police et les autorités chargées de l'enquête ont poursuivi Pelicot pour avoir filmé sous leurs jupes des femmes, ce qui a permis de mettre au jour ses crimes plus graves, qui, autrement, pourraient encore se poursuivre. Nous devrions nous demander si les autorités auraient regardé de si près et enquêté de manière aussi cohérente en Allemagne (ou même au Royaume-Uni). En Allemagne, qui est considéréecomme le bordel de l'Europe, la violence et les autres crimes commis à l'encontre des femmes qui se prostituent sont si courants que les gens se sont résignés.
La Suède a compris depuis longtemps que la prostitution est une forme de violence et a mis en œuvre cette compréhension en introduisant sa législation sur le modèle nordique en 1999. La France lui a emboîté le pas près de vingt ans plus tard. LeParlement européen a confirmé que la prostitution n'est pas seulement largement basée sur la violence, mais qu'elle est une violence. L'OSCE, les Nations unies et de nombreuses organisations internationales demandent depuis longtemps que des mesures soient prises pour lutter contre la demande de prostitution des hommes, car elle « favorise toutes les formes d'exploitation des personnes, en particulier des femmes et des enfants, qui conduisent à la traite ». Le modèle nordique est le moyen le plus efficace d'y parvenir.
L'Allemagne doit maintenant décider si elle veut faire partie de l'Europe occidentale ou si elle continuera à suivre sa propre voie libertine, comme les hommes assis sur le banc des accusés à Avignon.
Gisèle Pelicot est aujourd'hui considérée à juste titre comme une icône féministe. Elle a partagé avec le monde entier la pire humiliation qu'une femme puisse connaître : sa déshumanisation par des viols en série – par son propre mari. Ce faisant, elle a posé un jalon important dans la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des jeunes filles. Beaucoup auront désormais le courage de suivre son exemple. Toutes les femmes du monde lui doivent une fière chandelle.
ENTMENSCHLICHT (« Déshumanisée ») est le titre d'un livre de Huschke Mau. L'auteure y décrit avec une franchise sans faille l'exploitation sexuelle dont elle a été victime dans le système de la prostitution, tout comme Sandra Norak et de nombreuses autres anciennes victimes de ce système. Ils marquent tous des étapes importantes dans la lutte contre la violence à l'égard des femmes.
Ce que nous devons maintenant exiger des hommes politiques, c'est du concret :
Des réformes basées sur le modèle nordique dans le domaine de la politique de la prostitution.
Une meilleure réglementation du consentement pour les actes sexuels.
Ce n'est que lorsque les gens accepteront que les actes sexuels doivent être basés sur le consentement – et que le consentement ne peut être acheté – que nous aurons compris la mission de Gisèle Pelicot.
Silvia Reckermann, 20 décembre 2024
Groupe d'action pour l'égalité en Bavière, AGGB
https://nordicmodelnow.org/2024/12/26/what-does-the-pelicot-case-teach-us/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Une femme sur trois dans l’UE a subi des violences

Un tiers des femmes de l'UE ont subi des violences chez elles, au travail ou dans l'espace public. Comparativement aux femmes plus âgées, les jeunes femmes déclarent avoir subi des niveaux plus élevés de harcèlement sexuel au travail et d'autres formes de violence. Toutefois, les violences à l'égard des femmes restent souvent invisibles car seulement une femme sur quatre en fait le signalement aux autorités (à savoir la police ou les services sociaux, de santé ou d'aide).
tiré de Entre les lignes et les mots
Telles sont quelques-unes des conclusions de l'enquête de l'UE sur la violence fondée sur le genre, menée de 2020 à 2024 par Eurostat (l'office statistique de l'UE), l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) et l'Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes (EIGE).
L'enquête de l'UE sur la violence fondée sur le genre décrit par ses résultats la situation que connaissent les femmes âgées de 18 à 74 ans vivant dans l'UE. Son champ est celui des expériences subies en matière de violence physique, sexuelle et psychologique, y compris la violence domestique et la violence à caractère non conjugal. Il comprend également le harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
Les conclusions de l'enquête portent sur les points suivants :
– Prévalence de la violence : une femme sur trois dans l'UE a subi, à l'âge adulte, des violences physiques, des violences sexuelles ou des menaces.
– Violence sexuelle et viol : une femme sur six dans l'UE a subi, à l'âge adulte, des violences sexuelles, y compris le viol.
– Violence domestique : pour de nombreuses femmes, le domicile n'est pas toujours un lieu sûr ; en effet, une femme sur cinq a été victime de violences physiques ou sexuelles de la part de son partenaire, d'un membre de sa famille ou d'un autre membre de son foyer.
– Harcèlement sexuel au travail : une femme sur trois a été victime de harcèlement sexuel au travail. Cette prévalence est plus élevée chez les jeunes femmes, dont deux sur cinq indiquent avoir été victimes de harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
– Non-signalement de la violence : même si la majorité de femmes ayant subi des violences en ont parlé à une personne proche, seule une sur cinq a contacté un prestataire de soins de santé ou de services sociaux, et seule une sur huit a signalé l'incident à la police.
L'enquête européenne sur la violence fondée sur le genre a été réalisée conjointement par Eurostat, la FRA et l'EIGE – trois organisations respectivement chargées des statistiques officielles, des droits humains et de l'égalité entre les femmes et les hommes au sein de l'UE. Les données ont été collectées entre septembre 2020 et mars 2024. Les résultats de l'enquête fournissent des informations qui permettront aux décideurs politiques de l'ensemble de l'UE de mieux lutter contre la violence à l'égard des femmes et d'apporter un soutien plus efficace aux victimes.
Les données collectées sont disponibles dans la base de données d'Eurostat sur la violence fondée sur le genre (disponible à 11h00 HEC).
L'article Statistics Explained d'Eurostat (disponible à 11h00 HEC) décrit également certaines des conclusions de l'enquête.
Déclaration de Mariana Kotzeva, directrice générale d'Eurostat :
« Eurostat, en coopération avec la FRA et l'EIGE, publie aujourd'hui les résultats de l'enquête de l'UE sur la violence fondée sur le genre, ventilés par pays de l'UE. Les statistiques ainsi obtenues sur le phénomène souvent caché de la violence fondée sur le genre reposent sur des méthodes rigoureuses de collecte de données dans l'ensemble des États membres de l'UE, d'où leur valeur pour sensibiliser public et fonder l'action politique. Eurostat remercie toutes celles qui, avec courage, en toute sécurité et anonymement, ont partagé leur expérience avec les équipes d'enquêtes ».
Déclaration de Sirpa Rautio, directrice de la FRA :
« Il n'y a pas pour les femmes de lieux sûrs, où elles seraient à l'abri des violences et du harcèlement. En 2014, lorsqu'elle a publié sa première enquête à l'échelle de l'UE sur la violence à l'égard des femmes, la FRA a révélé l'ampleur des violences dont les femmes sont victimes chaque jour et partout. Dix ans plus tard, nous continuons à observer les mêmes niveaux choquants de violence, subis par une femme sur trois. Les taux de violence à l'égard des femmes restent bien trop élevés. Les décideurs politiques, la société civile et les travailleurs de première ligne doivent de toute urgence soutenir et protéger les droits de toutes les victimes de violences et d'abus domestiques fondés sur le genre, quel que soit le lieu où ceux-ci se produisent. »
Déclaration de Carlien Scheele, directrice de l'EIGE :
« Face à une réalité alarmante où une femme sur trois dans l'UE est victime de violence, mais seulement une femme sur huit en faire le signalement, nous devons sérieusement nous pencher sur les problèmes systémiques qui empêchent de changer la donne. Les résultats que révèle aujourd'hui la publication de nos données d'enquête montrent à l'évidence l'importance des travaux de mon Agence pour mettre fin à la violence fondée sur le genre. La violence à l'égard des femmes est ancrée dans des mécanismes de contrôle, de domination et d'inégalité. En intégrant une perspective de genre dans les mesures de prévention, la fourniture des services nécessaires et l'intervention des autorités compétentes, nous pouvons escompter que davantage de femmes, désormais sûres de recevoir le soutien dont elles ont besoin, se manifesteront. Parce que chaque femme a le droit d'être, partout, en sécurité. »
Pour plus d'informations, veuillez contacter :
Eurostat : eurostat-mediasupport@ec.europa.eu
FRA : media@fra.europa.eu
EIGE : georgie.bradley@eige.europa.eu
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https://fra.europa.eu/fr/news/2024/une-femme-sur-trois-dans-lue-subi-des-violences
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#metoo, Mazan, abbé Pierre : Quelque chose semble vaciller dans la tranquillité masculine mais ne tombe pas

Interview de Francoise Mariotti par Francine Sporenda
Françoise Mariotti est ex-secrétaire et femme au foyer. Reprise des études à 35 ans en 1ère année universitaire de psychologie, doctorat dix ans plus tard. 20 ans d'enseignement de la psychologie dans des écoles de soignant·es et ouverture d'un cabinet de Psychologue libérale. Militante féministe radicale engagée dans l'abolitionnisme. Créatrice de l'association Psyc & Genre dont le but est de discuter des rapports sociaux de sexe (http://albumcafesdugenre.mariottipsy.com). Actuellement responsable et animatrice d'une émission de radio féministe mensuelle sur FM+ à Montpellier. Membre de l'association Femmes & Sciences où elle est mentore de jeunes doctorantes.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/17/metoo-mazan-abbe-pierre-quelque-chose-semble-vaciller-dans-la-tranquillite-masculine-mais-ne-tombe-pas/?jetpack_skip_subscription_popup
FS : Que penses-tu de l'affaire de Mazan et de celle de l'abbé Pierre, quels sont en particulier tes commentaires sur les excuses données par les accusés de Mazan ?
FM : Je préfère parler de l'affaire des violeurs de Gisèle P. sans nommer le mari, principal violeur, le prénom de la victime étant suffisamment évocateur et symbolique aujourd'hui pour savoir de quoi on parle. En insistant ainsi sur le type d'agression, le viol – le concept de présomption d'innocence étant à vocation juridique et pas sociologique – on ne perd pas de temps à comprendre ce dont il s'agit. Pour ma part, je ne suis pas surprise du nombre d'hommes qui ont répondu au mari, j'ai longtemps milité dans des associations abolitionnistes de la prostitution et je suis au courant de l'appétence des hommes de tous milieux sociaux en recherche de pratiques sexuelles dans lesquelles ils veulent objectiver et dominer des femmes, quel que soit leur âge. Il faut ici rappeler que le titre de l'annonce postée par le mari sur le site est dans la catégorie « à son insu ». Dans la même temporalité, en France, nous sommes au courant des agressions sexuelles de l'abbé le plus célèbre de France et là encore je ne suis en rien étonnée. Je ne me dis pas « Oh non, pourquoi lui ? » mais « pourquoi pas lui ? ». Nos #metoo sont catégorisés : médecine, média, sciences, cinéma, magistrature, théâtre etc. la religion n'y échappe pas, et au nom de quoi y échapperait-elle ? Partout où il y a des hommes, il y aura risque de pouvoir sur les femmes et plus encore s'il y a hiérarchie. Au-delà des valeurs, le contexte sociétal de permissivité sur le corps des femmes entre en contradictions avec l'idéologie religieuse de l'homme qui redevient un homme comme les autres et plus un prêtre, un homme frustré qui sait qu'il exerce un pouvoir charismatique sur les filles et femmes qu'il rencontre. Il en abuse alors. Quant aux excuses des violeurs de Gisèle P. sur lesquelles tu m'interroges, elles sont consternantes, choquantes, il devient plus évident que des hommes peuvent violer sans éprouver la pleine conscience de le faire, ce que les travaux de Liz Kelly sur le continuum des violences des hommes dans l'hétérosexualité montrent déjà.
Voici comment elle conclut une de ses recherches : « de nombreux viols prolongent tout simplement les échanges hétérosexuels, dans lesquels la demande masculine et la réticence féminine sont ordinaires et formalisées. Bien que le viol soit une forte exagération du pouvoir sexué, il contient les codes et les rituels de la rencontre, de la séduction et de la conquête hétérosexuelles… beaucoup de femmes font l'expérience de rapports sexuels non consentis que ni elles, ni la loi, et encore moins probablement l'homme, ne définissent comme viol ». Ce qui entraîne la stratégie de dénégations collectives orchestrée par les avocats de la défense, les peines prévues en cas de viol pouvant aller jusqu'à 20 ans d'emprisonnement. Mais ces excuses sont pitoyables n'est-ce pas : « ce n'est pas moi c'est mon corps, pas ma tête… Dominique P. me faisait peur ça se voit sur les vidéos que j'avais peur… le mari était consentant… il est là pour protéger sa femme… je n'y suis pas retourné… etc. ». Bref une brochette de propos d'hommes enfermés dans un total déni protecteur. Ils ne disent pas la vérité, fortifiés qu'ils sont par la licéité de leur désir, ils n'ont même pas envisagé de se poser la question du désir – du plaisir ? – de la femme inerte qu'ils pénètrent.
FS : Quelle est à ton avis la situation en France en ce qui concerne les violences masculines, 7 ans après #metoo et ces affaires révélatrices du caractère systémique et extrêmement banal des violences masculines ? Vois-tu des mesures efficaces nouvelles et des améliorations dans ce domaine ?
FM : Judith Godrèche prononce ce discours sur la scène de la cérémonie des Césars : « depuis quelques temps, la parole se délie, l'image de nos pères idéalisés s'écorche, le pouvoir semble presque tanguer, serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face ? … depuis quelques temps je parle je parle mais je ne vous entends pas ou à peine ». Elle dit tout de l'état actuel de la société française après #metoo. Quelque chose semble vaciller dans la tranquillité masculine mais ne tombe pas. Les gardiens du patriarcat sont toujours en fraternité. Quelques hommes balbutient leur soutien mais nous demandent de les guider. Ils font comme s'ils ne savaient pas mais ils ne veulent pas réellement savoir. Les deux cents qui ont rédigé une pétition disent ne plus accepter « de voir les femmes maltraitées », mais n'appellent pas à une révolution : « Il s'agit d'épargner à plus de la moitié de l'humanité des agressions graves. De construire un monde meilleur, plus intelligent, plus respectueux, plus égalitaire. Nous en serions honorés et enrichis. » Leur feuille de route en dix points est intéressante mais après ? Que font-ils pour que des groupes d'hommes s'en emparent ? Où sont les associations masculines ? Nous savons que c'est à l'initiative d'une femme, Florence Montreynaud, que des hommes contre la prostitution se sont rassemblés. Est-ce encore à nous de les prendre par la main ? La réponse, à mon avis, est tout simplement oui, et c'est une injustice de plus à encaisser.
Parmi les raisons d'espérer quelques progrès : les récents outils d'analyse apportés par les études féministes conjugués à certaines lois deviennent essentiels ; ils permettent de ne plus se focaliser sur les perceptions (cf. sentiment d'emprise) et actions des femmes mais sur les comportements des hommes. Andreea Gruev-Vintila (maîtresse de conférences à Nanterre) définit ainsi le concept de contrôle coercitif, qu'elle espère voir incriminé et inscrit dans le droit pénal et civil : « C'est une série de stratégies violentes et non-violentes, un répertoire de conduites calculées et malveillantes déployé presque exclusivement par les hommes pour dominer une femme, entremêlant des violences physiques répétées avec des tactiques de contrôle tout aussi importantes, des formes de privation qui contraignent indirectement à l'obéissance en monopolisant des ressources vitales, dictent des choix préférés, micro-régulent le comportement de la partenaire limitent ses options en la privant des soutiens nécessaires pour exercer un jugement indépendant. » Je pense également à la loi abolitionniste de la prostitution qui pénalise enfin depuis 2016 les acheteurs-prostitueurs dits « clients » ; à des réflexions sur l'utilité ou pas de la question judiciarisée du consentement des femmes, au changement en cours de représentation de ce qu'est un viol, à une volonté accrue d'éduquer les enfants et adolescents à la vie relationnelle et affective et sexuelle. Il faut absolument que des politiques publiques accompagnent de façon plus démonstrative ces nouveaux débats.
FS : La question des faux-alliés agite régulièrement les milieux féministes (d'abord par la révélation des dérives antiféministes de certains de ces alliés). Que penses-tu de la notion d'allié, des contradictions que cette situation implique ? Que peuvent-ils apporter au féminisme, quelles formes devrait prendre leur action, quels sont les problèmes qu'ils peuvent créer à l'intérieur des mouvements féministes ?
FM : Parmi les recommandations issues de la 4e conférence mondiale de l'ONU sur les femmes à Pékin en 1995, il y en avait une qui enjoignait les mouvements féministes à travailler avec les hommes pour parvenir à l'égalité.
Effectivement la question de la fiabilité de l'alliance et de sa qualité est importante. J'ai mis du temps à user de ce vocable d'allié, utilisé pour une personne qui partage nos convictions et nos combats mais qui n'est pas concerné de façon ontologique. Je parlais d'hommes féministes, ensuite pro-féministes. Aujourd'hui le terme le plus exact serait donc allié, or nous voyons qu'il y a de faux-alliés, qui semblent un temps acquis à notre cause mais adoptent un autre courant s'il leur permet d'être plus médiatisé – je fais référence aux positions sur le transactivisme. La question des privilèges qu'il y a à s'afficher allié doit se poser, pour eux, pour nous : leurs paroles, écrits, semblent plus retentir sur le moment que ceux des féministes femmes. Ils « s'offrent une notoriété à bon compte » écrit l'un d'entr'eux.
Ce qu'on demande à ces hommes-là : de ne pas se mettre en avant, d'adopter une position humble qui consiste à nous laisser parler et à ne pas occuper notre espace en mixité, de ne pas faire usage de leurs privilèges, de s'impliquer avec discrétion à nos côtés si nous le demandons, de tenir compte de nos vies de femmes.
Il existe quelques hommes de bonne volonté qui ne se contentent pas de jouer à l'homme gentil (tous les hommes se disent gentils n'est-ce pas). Ils ne semblent pas contre noues même s'ils ont été socialisés dans un contexte de domination. Ils peuvent montrer de l'empathie pour ce que noues vivons, parce que quelques-uns ont vu leur mère, leur sœur ou eux-mêmes subir la violence d'autres hommes.
A ceux-là, il vaut mieux, pour moi, ne pas tourner le dos et les traiter avec dérision, mais parvenir à identifier finement leur utilité féministe. Sans leur demander de remonter au 15ème siècle en lisant « La cité des dames » de Christine de Pizan – quoique… – ils ont à leur disposition toutes nos productions réflexives pour étayer et approfondir leurs questionnements. Je ne suis pas contre le fait de les guider à bonne distance car hélas leurs paroles touchent plus leurs pairs que la nôtre. La tribune des deux cents hommes « contre la domination masculine » qui ne propose rien d'autre que ce que nous réclamons depuis toujours le montre : il faut répéter sans cesse, le formuler autrement, les bases de l'enseignement – on le sait. Moi je le fais encore, parce que nous n'avons plus le temps de faire la fine bouche. Je sais que c'est une position marginale parmi les féministes radicales, mais j'ai constaté, lorsque j'ai créé les « Cafés du Genre » à Montpellier sur les rapports sociaux de sexe il y a 17 ans, que dans le « Café féministe » voisin tenu par une avocate il n'y avait que des femmes. A mes cafés de discussion il y avait un tiers d'hommes.
Notre vigilance doit se focaliser sur la place qu'ils se donnent et sur leur sincérité. Par exemple, je me suis laissé un temps berner par Jablonka et son livre « Des hommes justes » en 2019, avant de découvrir avec colère son petit passage sur la pornographie et la prostitution « il n'a pas été prouvé que les milliers d'utilisateurs du site youporn étaient des prédateurs sexuels, ni que les violeurs aient été influencés par l'industrie du X. Dans le domaine de la prostitution, beaucoup d'hommes paient pour être des sujets passifs, voire des souffre-douleurs : la sexualité tarifée permet justement d'échapper aux conventions du mâle hétérosexuel ». Apprécions, en regard de ce que nous apprenons de la vie des violeurs de Gisèle P.
Ces alliés qui se comptent encore ont à faire leurs preuves pour rester utilement à nos côtés en restant à notre écoute. Ils doivent prouver leur intérêt pour le combat pour l'égalité des sexes, pour la justice.
FS : La question la plus débattue en ce moment dans les sphères féministes me semble celle du mouvement transgenre, débat qui paradoxalement recentre le féminisme sur les hommes. Quelle est ta position sur la question ?
FM : Au cours des « Cafés du Genre » à Montpellier, je voulais que l'on discute ensemble femmes et hommes de nos socialisations différenciées et hiérarchisées qui entraînent des injustices. A terme, j'aimerais que l'idée de genre reposant sur la féminité et la masculinité qui ne sont que des stéréotypes sexués, soit déconstruite, sans perdre de vue ce que Françoise Héritier nomme la valence différentielle des sexes. Je voudrais que chaque personne, à partir de la naturalité objective de son corps et sans avoir à la changer en la mutilant, puisse se créer une vie qui lui corresponde quitte à défier les stéréotypes et les normes sociales.
Mais tant qu'il y a encore des injustices, des violences contre les femmes – et ce qui s'est récemment passé en Afghanistan, en Iran nous donne peu d'espoirs – alors nous devons garder les catégorisations binaires sexuées, pour classer, compter, analyser en système ces violences. Ces violences, nous les subissons du fait de la spécificité de notre corps de femme et de ce qu'il représente en termes de possession pour les hommes. Un jour nous pourrions être seulement des personnes qui se respecteraient dans l'égalité, un jour…
Le fait est qu'il y a de plus en plus de personnes souhaitant changer d'identité genrée et parmi elles plus de jeunes filles, disant souffrir d'être emprisonné·es dans un corps qui ne leur correspond pas. De nombreuses explications en sont données, dont la présence de comorbidités comme divers troubles de la personnalité, du spectre autistique, troubles anxieux, troubles de l'humeur, angoisse de sexuation pubertaire laquelle pèserait plus sur les filles qui prennent conscience que leur corps et leur statut de femmes les exposent à de multiples dangers. L'envie de transition ne serait qu'un symptôme résultant de ces comorbidités. Ces diverses souffrances, il faut bien sûr les entendre, les comprendre et je m'y suis intéressée en tant que féministe et psychologue qui a appris au cours de ses études en psychologie du développement les processus de construction du schéma de genre et de l'identité sexuée.
J'ai cherché à dialoguer dans des groupes féministes avec des personnes tentées ou passées par la transition mais le seul fait de le vouloir m'a le plus souvent valu l'insulte « transphobe » et l'éviction du groupe, qui permettait le dialogue seulement si l'idéologie transactiviste n'était pas questionnée. Je constate aussi que nous avons été sommé·es d'adopter un nouveau vocabulaire, il y aurait désormais des personnes cis, des personnes trans. Moi aussi je demande le respect sur la définition de mon identité, je suis une femme, point.
Mais ce qui est constaté est que ce sont des transitions d'hommes en femmes qui sont mises sur le devant de la scène, spectaculairement. Ces transformations reprennent les codes de la féminité en une imitation stéréotypée et caricaturale alors que noues cherchons de plus en plus à noues en émanciper. Elles peuvent servir une militance transidenditaire qui revendique d'investir les lieux où sont les femmes, dans le sport, l'industrie de la beauté, du cinéma… alors que noues peinons depuis des siècles à marquer les mémoires et qu'il noues faut encore et encore lutter pour cela. Est-ce juste ? Féministe ? Je ne le pense pas.
FS : Tu es psychologue en exercice. Te considères-tu comme une psychologue féministe ? Quelles seraient les différences entre la pratique d'une psychologue féministe et d'un.e psychologue n'ayant pas cette approche ?
FM : Certes mais je suis avant tout une psychologue humaniste pratiquant l'Approche Centrée sur la Personne initiée par Carl Rogers. Notre positionnement n'est pas la neutralité mais la considération positive inconditionnelle. Je n'ai pas en tête des concepts psychanalytiques que je juge culpabilisants pour les femmes lorsque j'en écoute une. Je suis également doctoresse en psychologie sociale, ce qui me permet d'ajouter le rôle de psychosociologue à ma pratique en replaçant dans un contexte sociétal de domination masculine les plaintes entendues.
En effet, il y a trop d'auto-explications personnalisantes amenées par une société libérale et par un culte du développement personnel au « tout dépend de moi ». Alors je pratique le féminisme psychothérapeutique au jugé. Ainsi, je ne peux entendre une femme répéter qu'elle se sent responsable des problématiques de son couple lorsque j'ai compris que son compagnon a un comportement toxique avec elle. Et j'essaie de l'amener doucement à l'entrevoir, à le comprendre en lui énonçant des hypothèses qu'elle peut saisir. Je peux aussi avoir un style de psychothérapie « cash » pendant les thérapies de couple hétérosexuel quand j'entends des propos injustes : je me souviens d'un couple dont le mari se lamentait que sa femme avait grossi et qu'elle se négligeait, alors qu'il était venu en short et baskets sales et qu'elle était magnifiquement soignée à ses côtés, et je n'ai pu m'empêcher de le lui faire remarquer. De même, je ne peux être neutre lorsque le monsieur se plaint du peu de désir de la femme à côté de lui, alors je lui demande « aimeriez-vous qu'elle se force à avoir des rapports sexuels avec vous sans envie ? », je vois aux regards de la femme qu'elle est reconnaissante de ma compréhension. Je conseille souvent le livre « La loi des pères » de Patric Jean à des femmes en cours de séparation et je sais que ça les aide. J'énonce à haute voix qu'un mari violent ne peut être un bon père, je m'engage le plus possible lorsque je sens qu'il le faut, en naviguant entre ce que je perçois que la personne est prête à conscientiser ou pas.
Par exemple, une femme me disant au premier rendez-vous qu'elle souffre de jalousie alors que son mari est notoirement infidèle, « mais qu'il n'est pas violent… envers elle seulement avec les objets », son déni absolu me fait comprendre que si j'émets un avis elle ne reviendra pas. Au deuxième rendez-vous, je constate une ecchymose très visible autour d'un de ses yeux, mais elle n'en parle pas. Mais elle est revenue se montrer. Alors, comme elle évoque sa petite fille, je lui demande ce qu'a dit l'enfant au sujet de son œil ? Et là son déni revient car elle prétend que son mari a lancé un livre vers le mur et qu'elle était malheureusement dans la trajectoire. Elle s'entend dire ça, elle sait que j'ai compris. Mais elle n'est pas revenue. J'ai essayé de m'infiltrer dans son mécanisme de défense, et j'espère qu'elle en a fait quelque chose d'utile pour elle et sa fille.
Cependant ce positionnement engagé est plus ou moins compris, je me souviens d'une femme âgée à qui à mes débuts j'avais « avoué » que j'étais féministe et qui s'était exclamée que si elle l'avait su elle ne serait pas venue. Mais sur ma table professionnelle, j'ai disposé depuis longtemps des violentomètres, des documents du Conseil départemental et du CIDFF sur les violences contre les femmes. Je reçois des femmes et quelques hommes qui sont au courant de mon féminisme et qui y font expressément appel pendant l'écoute. Bref je m'en sers avec discernement en ayant toujours à l'esprit ma devise « on ne fait pas pousser l'herbe en tirant dessus ». J'espère ainsi susciter quelques déclics.
FQ : Considères-tu que certaines approches en matière de psychologie – la psychanalyse par exemple – ne sont pas adaptées, voire contre-productives dans le traitement psychothérapeutique des victimes de violences sexuelles ?
FM : Restons sur la psychanalyse car cela appellerait sinon à un long développement sur d'autres thérapies. Tout d'abord je précise que j'ai fait au début de mes études une psychanalyse pendant cinq ans avec un lacanien. J'ai eu à suivre certains cours à l'université de psychologie clinico-psychanalytique et j'ai bien compris la théorie du manque féminin lorsqu'un enseignant goguenard du haut de son estrade nous a lancé un soir à la fin de son cours « c'est normal que les femmes se sentent coupables, puisqu'elles sont coupées » (les étudiantes l'ont sifflé). De même noues entendions que, puisque noues étions dans la procréation, noues ne pouvions créer. Ça marque ! Ces interprétations m'ont révoltée. Mes séances ne m'ont pas aidée : alors que je venais de découvrir les théories du harcèlement moral et que j'évoquais à mon psychanalyste la possibilité d'avoir un époux pervers narcissique, il a rétorqué que lui pouvait aussi penser cela de moi. J'avais pourtant souligné de nombreux passages du livre de Marie-France Hirigoyen et je n'avais aucun doute sur mes perceptions d'injustice.
Une ancienne présidente du CIDFF me disait que, jusqu'aux années 95, les formations au sujet des « femmes battues » entérinaient l'idée que, si elles restaient dans le couple, c'est qu'elles aimaient cette violence, aux relents de relations sado-masochistes.
Nous savons depuis Moscivici (« La psychanalyse, son image, son public ») que les concepts psychanalytiques sont passés dans la pensée sociale. Notamment les stades psychosexuels freudiens du développement chez l'enfant. Celui du stade oedipien est cause d'interprétations nuisibles à l'écoute des violences sexuelles, alors qu'on sait aujourd'hui – Jacques Van Rillaer et d'autres ne cessent de le rappeler – que Freud entendait de nombreuses femmes se plaindre d'abus sexuels dont l'inceste mais que, pour garder la considération de ses pairs, il a transformé ses intuitions en théorie de séduction enfantine envers les parents. J'entends encore aujourd'hui des collègues interpréter des propos à l'aune de ce concept alors qu'il n'a aucune pertinence théorique.
En outre, le temps et la captation d'une thérapie analytique ne me paraissent pas adaptés à l'écoute soignante de violences sexuelles, écoute imprégnée d'interprétations théoriques non validées scientifiquement. J'entends des personnes qui en sont revenues blessées par le manque de soutien voire une prise de position carrément non soutenante, je pense que ce style psychothérapeutique peut avoir de possibles effets de détérioration.
FS : On parle beaucoup de l'application de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées que la plupart des féministes jugent insuffisante et inégale selon les régions. Quelle est ta position là-dessus ? Si tu juges cette application insuffisante et inégale, quels sont les différents points faibles de son application selon toi ? Constates-tu des progrès ?
FM : J'ai été pendant 13 ans bénévole dont 4 comme administratrice à l'Amicale du Nid. Bien sûr qu'elle est insuffisante. Elle repose énormément sur les associations agréées pour cela afin de présenter les parcours de sortie en préfecture. Or certaines de ces associations sont communautaires (non abolitionnistes) et n'ont pas dans leur positionnement d'accueil des bénéficiaires un chemin de compréhension du système prostitutionnel et d'incitation à ne plus y être, ne focalisent pas sur l'émancipation mais sur la réduction des risques, qui souligne peu les violences des prostitueurs. Cela peut limiter le fait d'en sortir. D'autre part les associations qui établissent ces parcours manquent de moyens humains et financiers pour les réaliser, il y a alors une liste d'attente. Le montant de l'aide financière à l'insertion sociale (l'AFIS) est très insuffisant et n'a pas été réévalué. De plus, pour avoir une autorisation provisoire de séjour délivré par une commission départementale, il faut prouver la sortie de la prostitution. C'est difficile, il n'y a aucun document officiel qui en notifie l'entrée donc la sortie, l'engagement dans le parcours de sortie doit être appuyé par les associations mais jugées in fine par la commission qui peine quelques fois à l'apprécier, surtout dans les départements frontaliers. On constate également hélas que les acheteurs-prostitueurs ne sont pas assez recherchés et donc pénalisés. En conclusion, les moyens financiers manquent et la promotion de la loi et l'explication de ce qu'est un système prostitutionnel et les violences qu'il entraîne ne sont pas portées publiquement par le gouvernement.
Parmi les progrès, le nombre de personnes en situation de prostitution semble diminuer, c'est le but des positions abolitionnistes qui ne sont pas prohibitionnistes. Il y a aussi une forte mobilisation pour identifier les lieux et les raisons de la prostitution des mineur·es (très majoritairement des jeunes filles), cependant cela ne doit pas entraîner l'idée que pour les mineur·es ce n'est pas tolérable mais que pour les adultes cela peut l'être.
FS : Tu es dans le mouvement féministe depuis longtemps. Quels sont selon toi les principaux clivages qui existent dans ce mouvement en ce moment, et comment te définis-tu par rapport à ces clivages ?
FM : Je milite activement dans le féministe depuis 1995, année de la 4e conférence mondiale sur les femmes de l'ONU à Pékin. Noues étions assez d'accord sur l'importance de voter une loi sur la parité en politique et noues noues sommes alliées pour ce combat. Mais l'idéologie patriarcale imprègne aujourd'hui plus efficacement certaines prises de position, dans un renversement qui consiste à aller dans le sens de ce que veulent les hommes. Certaines décrivent ce phénomène comme de la misogynie intériorisée. Je garde en tête cet extrait de l'hymne des femmes : « Ils nous ont divisé les hommes, et de nos sœurs séparées ».
Par exemple, Elisabeth Badinter, en clamant que les féministes faisaient fausse route en adoptant trop souvent une posture de victimes, a insinué le doute parmi elles. Dans une société de plus en plus tournée vers la responsabilisation individuelle, qui néglige les explications sociales, est apparue une nouvelle façon de dépasser les violences : revendiquer de s'en sortir en clamant la force et la volonté individuelle « nous sommes femmes, nous sommes fières et féministes et radicales et en colère » chantent désormais celles que l'on appelle les « libfem ». Il y a une exhortation à transformer les maux du machisme en révolte, il ne faut plus reconnaître qu'on subit mais qu'on choisit. En occultant ce qui a amené à choisir, pour montrer un sursaut héroïque de guerrières. Ainsi, la loi abolitionniste de la prostitution de 2016 reconnaît que les personnes en situation de prostitution sont des victimes, alors au contraire certaines se regroupent pour revendiquer de se servir des violences vécues pour en profiter « nous prenons l'argent des hommes nous ne subissons plus ».
Alors est prônée la liberté de se voiler, d'être prostituée, de changer de sexe/genre sans considérer les raisons profondes qui ont conduit à de tels choix. Je suis féministe radicale dans le sens d'étudier, d'analyser, les racines de ces systèmes, et de les critiquer.
FS : Comment le féminisme se transmet-il, que fais-tu toi-même pour cela ?
FM : J'ai observé que certaines jeunes féministes sont incultes de notre histoire, il faut avoir entendu comme moi de jeunes militantes du planning familial vanter « le travail du sexe » à Laurence Rossignol qui n'en revenait pas au cours d'un repas ensemble pour le comprendre. Je les trouve souvent dans la réaction immédiate sans le recul et le savoir.
La question de la transmission se pose à noues, militantes âgées, et pas seulement en termes théoriques – il y a pour cela tant d'ouvrages sur le sujet écrits par des féministes–mais en termes d'expériences. Noues devons partager nos vécus de femmes, de militantes, nos échecs et nos succès et comment noues y sommes arrivées. J'ai trop entendu des jeunes femmes critiquer la loi sur la parité en la considérant comme une offense à leurs compétences, alors que noues savons très bien ce qui noues a amenées à la revendiquer tant de fois au cours du vingtième siècle. Encore une fois, revenir aux racines. Il y a encore trop de croyances en la naturalité du progrès social.
Quant à moi, j'ai la fibre enseignante transmise par ma grand-mère, directrice d'école, par ma mère professeur de musique puis de piano à la maison lorsqu'elle a dû arrêter le professorat pour raisons médicales. J'ai enseigné la psychologie pendant 20 ans à des étudiant·es en soins infirmiers, des orthoptistes, auprès desquel·les je me suis débrouillée pour insuffler quelque féminisme en citant plus volontiers des autrices que des auteurs, en refusant d'employer le masculin pluriel pendant mes cours et en expliquant pourquoi, en faisant travailler des sujets interrogeant la place respective des femmes et des hommes aussi souvent que je le pouvais. Par exemple dans mon cours sur les émotions j'insistais sur la dimension genrée de ces dernières.
Donc mon envie de transmettre les idées féministes à tout public vient sans doute de là, je sais pertinemment qu'expliquer, démontrer, ne suffit pas toujours mais j'ai l'envie de planter des graines d'égalité, je sais des années plus tard que quelques-unes ont poussé. J'ai ainsi fait plusieurs conférences sur le genre de la science à partir de ma thèse de doctorat sur la représentation sociale de la science selon le sexe au collège et au lycée ; j'ai récemment fait une formation à destination des militantes d'Osez Le Féminisme sur le concept de continuum des violences sexuelles à partir de l'article de Liz Kelly ; sur Facebook, j'estime que je fais preuve de patience et de pédagogie pour répondre aux incompréhensions, expliquer encore et encore en prenant en compte le point de vue de l'autre. J'ai le refus des injustices envers les femmes chevillé à mon corps de femme et cela me donnera toujours la force de dénoncer sans (trop) me lasser.
Bibliographie
Kelly, Liz (2019) Le continuum des violences sexuelles
https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2019-1-page-17.htm
Gruev-Vintila, Andreea (2023) Le contrôle coercitif : au coeur de la violence conjugale. Dunod
Héritier, Françoise (1996) Masculin/Féminin : la pensée de la différence. Ed. Odile Jacob
Jean Patric (2020) La loi des pères. Ed. du Rocher
Hirigoyen, Marie-France (1998) Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien. Ed La Découverte @ Syros
Moscovici, Serge (1961) La Psychanalyse, son image, son public. PUF
Badinter, Elisabeth (2003) Fausse route. Ed. Odile Jacob
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Témoignage de Chuck Derry, ex-conseiller pour conjoints agresseurs

En 1983, j'ai entamé un emploi auprès d'une organisation féministe du Minnesota (États-Unis) qui collaborait avec le système de justice pénale et civile pour créer des politiques et des protocoles écrits et signés afin de tenir responsables de leurs actions les conjoints agresseurs (ceux maltraitent leurs femmes et/ou leurs copines).
Tiré de Entre les lignes et les mots
Dans le cadre de ce projet, cette organisation a créé un programme d'intervention auprès des agresseurs de 24 semaines dans lequel la majorité des hommes ont été mandatés par les tribunaux pour participer à un groupe de responsabilisation à raison d'une séance par semaine, pendant 24 semaines. Lorsque nous avons créé ces groupes, nous pensions que les hommes exerçaient ces violences intimes parce qu'ils avaient des problèmes de « gestion de la colère » ou qu'ils avaient simplement « perdu le contrôle d'eux-mêmes ».
Ensuite, ce groupe, le Domestic Abuse Intervention Program de Duluth, au Minnesota, a organisé un groupe de discussion avec des femmes victimes de violence et a créé le schéma de Roue du pouvoir et du contrôle (ci-dessous), que plusieurs d'entre vous connaissez probablement. Lorsque j'ai vu ce schéma pour la première fois, j'ai réalisé que cette violence et ces comportements d'agression reflétaient en fait des choix conscients et délibérés, qui visaient des buts concrets.

Illustration : Domestic Abuse Intervention Program
Une fois que j'ai compris qu'il s'agissait d'un comportement conscient, j'ai décidé de demander aux hommes du groupe quels bénéfices ils tiraient de leur violence. Lorsque je leur ai posé cette question, ils se sont tous regardés (ce qui était déjà remarquable) et ont dit : « Il n'y a pas de tels bénéfices. » Je leur ai alors répondu : « Eh bien, vous devez en retirer quelque chose, sinon pourquoi le feriez-vous ? » Un homme a alors commencé à nommer certains de ces bénéfices, puis tous les hommes ont fait de même, et nous avons rempli un tableau noir de 1,5 mètre sur 3 en y inscrivant tous ces bénéfices de leur violence… et nous avons manqué d'espace. La première fois que j'ai fait cela, écrire tous ces bénéfices au tableau, j'ai regardé cette liste et je me suis dit : « Oh mon Dieu, pourquoi abandonneraient-ils ces avantages ? » J'ai alors décidé de leur demander : « Pourquoi les abandonneriez-vous ? » Nous avons ensuite rempli un espace beaucoup plus petit (60 cm x 60 cm) en y inscrivant les raisons pour lesquelles ils les renonceraient à ces avantages.
Le document ci-dessous énumère ces bénéfices que des agresseurs ont identifiés et suggère des raisons pour lesquelles ils pourraient y renoncer.
Elle a peur et ne va pas sortir et dépenser de l'argent ◆ J'obtiens ce que tu veux : je sors librement ◆ Elle me respecte ◆ Elle cesse de discuter ◆ Sentiment de supériorité : elle doit me rendre des comptes pour ce qui est d'être quelque part à l'heure : c'est moi qui décide ◆ Cela maintient la relation – elle a trop peur de partir ◆ Obtenir l'argent ◆ Obtenir du sexe ◆ Contrôle total dans la prise de décision ◆ Obtenir de l'argent pour de la drogue ◆ Ne pas avoir à changer pour elle ◆ Conserver le pouvoir ◆ Décider où on va (ensemble) ◆ Décider qui voir ◆ Décider quoi porter ◆ Contrôler les enfants ◆ Si elle est en retard, elle ne le sera jamais plus ◆ Intimidation ◆ Lui faire peur pour l'empêcher de me tenir tête ◆ La convaincre qu'elle se goure ◆ L'amener à se sentir moins valable et à s'en remettre à mes besoins et à mes désirs ◆ L'amener à me respecter et à accepter mes décisions sans discuter ◆ Me permettre de décider de sa vie sociale – de ce qu'elle porte pour que son allure n'affecte pas mon image sociale ◆ Faire en sorte qu'elle ne trouve pas de soutien contre moi pour les violences précédentes, parce qu'elle n'a personne pour la soutenir et qu'elle est troublée par mes mensonges ◆ La convaincre qu'elle est cinglée ◆ La convaincre qu'elle est laide ◆ La convaincre que le problème tient à elle ◆ Pouvoir me défouler sur elle ◆ Me servir des enfants pour « espionner » maman ◆ Empêcher les enfants de dire à maman ce que j'ai fait ◆ Empêcher que les enfants ne me critiquent ◆ M'éviter d'avoir à lui parler ◆ Cela fait de moi le maître de la maison ◆ Je peux me défiler quand je veux ◆ J'ai quelqu'un sur qui me vider le coeur ◆ J'ai quelqu'un contre qui râler ◆ Faire en sorte qu'elle n'appelle pas la police ◆ Pouvoir dire aux enfants qu'ils n'ont pas à écouter maman ◆ Faire en sorte qu'elle interrompe toute poursuite ◆ Faire en sorte qu'elle me soutienne auprès de sa famille, ma famille, les flics, le juge, le Programme d'intervention de crise, les procureurs, etc. ◆ Lui faire admettre que tout est de sa faute ◆ Arriver à la blâmer pour mes raclées ◆ Elle est un objet ◆ Cela me fournit un robot baby-sitter, une femme de ménage, du sexe, de la nourriture et flatte mon ego ◆ Cela me permet de me vanter ◆ Si elle travaille – j'obtiens son argent ◆ La faire quitter son emploi pour qu'elle s'occupe mieux de la maison ◆ L'isoler pour que ses ami.es ne puissent pas me tenir tête ◆ Décider comment l'argent est dépensé ◆ « Passer pour le soutien de famille » ◆ Acheter les jouets que je veux ◆ Prendre du temps pour moi ◆ Elle doit compter sur moi si je casse ses affaires ◆ Je suis au courant de tout ◆ Elle me sert d'infirmière-femme de ménage ◆ Elle me réconforte ◆ Le dîner est toujours sur la table ◆ Pouvoir inviter des amis à l'improviste = plus de travail pour elle ◆ Pas de compromis = plus de liberté ◆ Ne pas avoir à l'écouter se plaindre de ne pas être informée à l'avance ◆ Elle travaille pour moi ◆ Je n'ai pas à l'aider ◆ Je n'ai pas à traîner avec elle ou les enfants ◆ Déterminer les valeurs des enfants – avec qui ils jouent, quelle école ils fréquentent ou arriver à ignorer tout ce processus – dicter ce dont ils « ont besoin : nourriture, vêtements, loisirs, etc. ◆ Dicter la réalité ◆ Les enfants sont de mon côté contre elle ◆ Les enfants font ce que je dis ◆ Amener les enfants à m'aider en s'acquittant de mes tâches ◆ Faire taire les enfants au sujet de ma violence ◆ M'éviter d'avoir à me lever, à sortir les poubelles, à surveiller les enfants, à faire la vaisselle, à me lever la nuit m'occuper des enfants, à faire la lessive, à changer les couches, à nettoyer la maison, à amener les enfants à leurs rendez-vous ou autres activités, à passer la serpillière, à nettoyer le réfrigérateur, etc. ◆ Ne répondre à personne de mes comportements ◆ Faire ce que je veux, quand je le veux ◆ Pouvoir ignorer/nier mes antécédents de violence et autres comportements irresponsables ◆ Réécrire l'histoire ◆ Déterminer l'avenir ◆ Choisir mes batailles et ce qu'il lui en coûtera ◆ Prouver ma supériorité ◆ Gagner toutes les discussions ◆ Ne pas avoir à écouter ses souhaits, ses plaintes, sa colère, ses craintes, etc. ◆ Faire les règles puis les enfreindre quand je le souhaite
Il y a environ semaines, j'ai reçu un appel d'une station de radio en Australie au sujet de l'article que j'avais rédigé pour le magazine Voice Male en 2015 sur Les bénéfices masculins de la violence. Ils venaient de lire cet article et voulaient m'interviewer. Je suis à la retraite depuis 3 ans, et tous les 2 ou 3 mois, je reçois un appel ou un courriel de quelqu'un ou d'une organisation qui vient de lire ce texte et voudrait m'interviewer à la radio, ou en podcast, ou lors d'un webinaire. Ces contacts proviennent de plusieurs pays et sont relatifs à ce concept que les hommes sont conscients de leur comportement et le font en raison des multiples bénéfices qu'il leur procure.
Ce qui est remarquable pour moi, c'est le fait que, même à la retraite, je reçois encore des messages nationaux et internationaux basés sur cet article. Cela peut indiquer que cette compréhension des raisons pour lesquelles les hommes agressent les femmes, du fait que leur violence est délibérée et fonctionnelle, n'est peut-être pas aussi largement exprimée et comprise qu'elle devrait l'être.
Je lance donc ce message et ces documents pour nous encourager tous.tes à nous concentrer sur cette réalité de la violence masculine. C'est une réalité fonctionnelle, et c'est pour cela que ces hommes y recourent. Et nous devons partager cette information pour qu'elle soit mieux comprise et acceptée. Cette compréhension a radicalement changé la façon dont le système de justice pénale et civile américaine a porté attention à ce problème et commence à tenir les hommes responsables de leurs crimes.
Comme nous le savons tous, la violence des hommes à l'égard des femmes est l'un des principaux fondements de l'oppression sexiste. Et elle doit cesser ! Et nous pouvons y mettre fin, car nous travaillons en partenariat avec les femmes pour y parvenir.
Merci de prendre en compte cette question !
Chuck Derry
Traduction : TRADFEM
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« Trust but verify »

Les verdicts ont été rendus, les accusés vont retourner en prison, Gisèle P. et ses enfants vont rentrer chez eux et essayer de retrouver un semblant de paix. Et les femmes – je l'espère – vont tirer des leçons de ce procès.
Tiré de Entre les lignes et les mots
J'espère en particulier qu'une de ces leçons va être celle-ci : que davantage de femmes vont cesser de croire qu'il est absolument indispensable de se mettre en couple, qu'une femme qui ne se couple pas est une ratée, qu'il n'y a pas de vie réussie et de possibilité de bonheur pour les femmes en dehors du couple et de la maternité.
C'est l'idéologie dans laquelle Gisèle Pelicot, fille de militaire, a été élevée. Comme la plupart des femmes. Avec son corollaire : tout faire, tout accepter pour sauver son couple et garder sa famille unie – et c'est ce qu'elle a fait. Alors que ces deux institutions sont en réalité pour nous la source d'ennuis sans nombre, de désillusions constantes et de ruptures traumatisantes, tant sur le plan affectif que financier. Réalités désagréables face auxquelles les quelques bénéfices ou satisfactions retirées du couplage ne font pas le poids.
S'il s'avère, ce qui est très probable, que la majorité des femmes continueront à vouloir se coupler, qu'elles cessent au moins d'accorder une confiance aveugle et inconditionnelle à leur conjoint, sous prétexte qu'elles l'aiment, et que l'amour impliquerait de faire totalement confiance à l'être aimé.
Gisèle Pelicot et probablement la quasi-totalité des épouses des condamnés de Mazan ont fait confiance à leur conjoint. Presque toutes le décrivent comme un homme gentil, attentionné et un père proche de ses enfants ; certaines parlent d'un homme « fleur bleue », d'un amoureux romantique (!), dont elles refusent encore maintenant d'admettre qu'il ait pu faire de telles choses. Beaucoup ont refusé de porter plainte, et même de divorcer.
Gisèle n'a pas cru les policier quand ils lui ont parlé des agissements de son mari, et même après avoir vu les vidéos, elle a continué pendant des mois (en fait environ 2 ans, peut-être plus) à nier que son mari puisse être le grand criminel que révélaient ces images. Son monde s'est écroulé : comment aurait elle pu se douter que cet homme attentionné qui lui faisait les courses, qui la soignait quand elle était malade – mais qui était celui qui la rendait malade et aurait pu la tuer – pouvait lui faire ce qu'il lui a fait ?
Certes l'amour implique la confiance – mais cette confiance ne doit jamais être totale et inconditionnelle. Adopter une telle attitude est certes plus confortable, plus rassurant, moins fatiguant que de rester constamment vigilant/e mais elle fait immanquablement de vous une dupe, une personne vulnérable qu'il est facile d'exploiter et de manipuler. Avec toutes les conséquences traumatiques voire catastrophiques que cela implique : psychologiques mais aussi financières.
Car c'est après que la police ait fouillé l'ordinateur et les papiers personnels de Dominique Pelicot que Gisèle s'est rendu compte que son mari avait aussi contracté – au nom de sa femme ! – des emprunts énormes dont elle était légalement responsable, et que la famille était ruinée. Gisèle a donc été victime de son mari sur toute la ligne, et de multiples façons : on apprend dans le livre de sa fille Caroline Darian qu'elle a également été victime de violences conjugales physiques et psychologiques.
Gisèle Pelicot – et par suite sa fille, et ses belles filles – a payé très cher la confiance totale qu'elle avait accordée à son mari. C'est une leçon essentielle de l'affaire de Mazan pour les femmes. Et je vais citer en conclusion la règle de conduite qui devrait être la notre dans le couple, proposée par un personnage que je n'apprécie guère par ailleurs, le 40ème président des Etats-Unis Ronald Reagan : « trust but verify ».
https://sporenda.wordpress.com/2024/12/27/trust-but-verify/
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Transphobie de Trump : il ne s’agit pas d’ « outrances » mais d’un programme

Lors de l'America Fest, un évènement organisé par Turning Point USA, un groupe de pression d'extrême droite, Trump poursuit sa campagne raciste et s'en prend une nouvelle fois au « wokisme », souhaitant « arrêter le délire transgenre ». Cassandre Begous revient pour Contretemps sur les tenants et les aboutissants de ce discours, qui annonce une politique transphobe bien réelle et une régression massive des droits.
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Tiré de la revue Contretemps
3 janvier 2025
Par Cassandre Begous
La période qui s'étend entre l'élection présidentielle étasunienne (début novembre) et l'investiture officielle du candidat élu (le 20 janvier), est celle d'un rapport de force souvent peu compris en France. Techniquement, il s'agit d'une période dédiée à la certification des votes, au rassemblement du collège électoral (la présidentielle étasunienne étant un suffrage indirect), pour élire à proprement parler le futur président et en transmettre les résultats au Sénat le 25 décembre.
Outre cet aspect technique de l'élection, il s'agit avant tout d'une période intensément politique. Le candidat-élu en profite pour préparer son futur cabinet ministériel [1], dessiner les nominations de ses partisans à des postes clé [2], et réaffirmer (voire réécrire par rapport à sa campagne) les premières priorités de son futur gouvernement.
C'est dans ce contexte que Donald Trump a pris la parole lors de l'America Fest, le congrès annuel de Turning Point Action, une branche dédiée aux campagnes électorales du groupe de pression d'extrême-droite Turning Point USA. Le futur président étasunien a ainsi prononcé le discours de clôture des deux jours de conférences regroupant la fine fleur de la propagande trumpiste : les éditorialistes Ben Shapiro et Tucker Carlson, le stratège Steve Bannon [3], mais aussi l'ex-nageuse Riley Gaines.
Peu connue par chez nous, Gaines est pourtant devenue une star de l'extrême-droite étasunienne en 2022, lorsqu'elle a dénoncé la présence de Lia Thomas, une nageuse transgenre, dans une compétition où elles sont arrivées cinquièmes ex-aequo. Comme le font toutes les mauvaises perdantes de sports universitaires en ce moment, elle s'est alors trouvée une vocation politique en donnant corps à la panique morale anti-trans dans le monde du sport féminin, arguant que Lia Thomas aurait bénéficié d'un avantage démesuré et crachant son dégoût physique pour sa transition de genre. Si les discours anti-trans faisaient déjà rage dans les médias alternatifs depuis au moins 2019, l'explosion des articles et discours transphobes contre Lia Thomas a permis de cristalliser le thème des femmes trans comme sujet de société prioritaire dans les médias traditionnels.
La présence de Riley Gaines à l'événement de Turning Point Action est donc tout sauf anodine. Depuis le début des années 2020, l'extrême droite étasunienne fait des politiques anti-trans le fer de lance de ses campagnes politiques. Lors de la campagne présidentielle qui vient de s'achever, environ 215 millions de dollars, c'est-à-dire 134 dollars par personne trans vivant aux Etats-Unis, ont ainsi été dédiés à la production de clips de campagne anti-Kamala Harris dont le seul procédé pour la discréditer a consisté à l'associer à une ligne politique pro-trans. Une ironie qui en devient insultante lorsqu'on sait à quel point Harris a soigneusement évité la question pendant sa campagne, abandonnant les personnes trans aux seuls discours de haine des trumpistes. Pire, certains démocrates de l'aile droite ont même conclu de sa défaite que le parti démocrate devait abandonner définitivement la cause des personnes trans, cause perdue qui n'était plus qu'un boulet pour le parti [4].

Kamala is for they/them, president Trump is for you – Kamala est pour iel/elleux, président Trump est pour vous.
Le jeu de mot de ce clip repose sur le fait que le pronom neutre en anglais, “they them”, est également la troisième personne du pluriel. Dans la vision antagoniste des trumpistes, l'essence du “nous” est ainsi redéfinie par la transphobie. “Eux” parlent à des minorités associées au complot [5] et à la dégénérescence, défini en opposition à un “nous” qui est l'idée que les trumpistes se font du “peuple américain” ; les personnes trans sont donc exclues du tissu social, et leur éradication devient nécessaire à la régénération d'une amérique great again.
Toutefois, face à l'outrance et parfois au ridicule de ces campagnes anti-trans, on peut avoir tendance à les réduire à cela : une exagération de plus du clown Trump, une guerre culturelle symbolique cantonnée à la sphère du discours. Et il est vrai que l'outrance est la clé du discours trumpien :
“Vous imaginez, vous êtes parent et votre fils quitte la maison et vous dites “je t'aime tellement, passe une bonne journée à l'école”, et votre fils revient avec une opération brutale ? Est-ce que vous imaginez seulement ? Qu'est-ce qui tourne pas rond dans notre pays ?” [6]
Cette phrase virale prononcée à un meeting dans le Wisconsin – État pivot donc très important pour sa campagne – est devenue un meme tant la situation décrite est absurde et à l'opposé complet de la réalité pour les mineurs transgenres dont le parcours est semé d'embûches, de discriminations et de tentatives de dissuasion de la part du corps médical. Mais ses divagations sur l'économie ne sont ni plus rationnelles ni mieux articulées que ses outrances transphobes ; si la bataille culturelle est un véritable enjeu des républicains, c'est bien parce qu'elle ne se limite pas au champ du discours mais porte en elle un véritable projet politique que Trump prépare d'ici à son investiture.
C'est donc ce qu'il a répété ce 22 décembre aux convives de l'America Fest : “D'un coup de stylo dès le jour 1, nous stopperons le délire transgenre” (…) “et je vais signer des décrets pour mettre fin à la mutilation sexuelle des enfants [7], dégager les transgenres de notre armée et de nos écoles élémentaires et collèges et lycées”.
Il s'agit là bien d'un programme politique visant à “éradiquer la transidentité” comme l'appelait de ses vœux l'éditorialiste Michael Knowles [8] à la conférence annuelle du parti républicain – également présent à l'America Fest. Car si le discours insiste sur les enfants, ce n'est clairement pas pour laisser les adultes faire leur vie librement. Au contraire, c'est un vieux classique des discours homophobes que de se cacher derrière la protection de l'enfance.
Mais plus qu'un simple prétexte, le discours sur l'enfance est porteur de toute l'idéologie à l'œuvre. Après tout, la campagne de prévention contre l'homosexualité de 1955 intitulée “Boys beware” [9] montre un jeune adolescent étasunien se faisant piéger par un adulte homosexuel présenté comme porteur d'une “maladie mentale” ; l'enfant est pur et naturellement promis à une vie hétérosexuelle jusqu'à ce qu'un adulte vienne le pervertir.
Pour les réactionnaires, les personnes LGBT adultes n'existe que parce qu'elles ont été perverties dans leur enfance : “protéger” les enfants c'est donc s'assurer que la transidentité et l'homosexualité ne se répande pas. Ce n'est pas un hasard si la théorie pseudo-scientifique la plus en vogue chez les transphobes prétend expliquer la transidentité par une “contagion sociale” influencée par internet [10].
En plus de parler de protection des enfants, Trump évoque également l'armée. Lorsqu'on s'intéresse à l'histoire des luttes LGBT aux Etats-Unis, les dynamiques d'intégration et d'exclusion dans l'armée constituent un indice fort de leur acceptation dans la société tout entière. Lorsque l'armée barre la route aux homosexuels en 1982, il s'agit d'un reflet des lois anti-sodomie en vigueur dans le pays, et une façon de systématiser des critères d'expulsion déjà en vigueur depuis le début du XXe siècle et renforcées par le zèle répressif maccarthyste et la “Lavender Scare” [11].
Exclure les personnes trans de l'armée, c'est donc les traiter comme si elles étaient d'ores et déjà illégales dans le reste de la société. L'armée constitue également une promotion sociale ; les programmes militaires permettent par exemple un meilleur accès aux bourses universitaires, ce qui constitue un important facteur d'enrôlement pour les jeunes étasuniens. Lorsqu'on sait à quel point une part importante de la population trans étasunienne (et mondiale) est touchée par la précarité, on comprend vite l'importance économique d'une telle exclusion.
Par ailleurs, la couverture santé des militaires en activité permet de couvrir la plupart des soins de transition de genre, ce qui constitue parfois la seule route d'accès à de tels soins dans un pays où les assurances santé sont si chères. Enfin, l'armée occupe une place centrale dans la culture étasunienne, de ses représentations cinématographiques à la mobilisation obligatoire de la figure du vétéran dans les discours politiques, elle conditionne et représente ce que signifie le patriotisme, et donc ce que signifie être étasunien. L'exclusion promise des personnes trans de l'armée revêt donc un caractère symbolique d'exclusion du corps national, autant qu'elle compte de conséquences matérielles pour les personnes.
Ces quelques phrases du discours de Trump sont pleines de symbole et portent en elles toute la violence de la panique morale transphobe sur laquelle les conservateurs ont construit leur campagne. Mais à trop s'attacher à la vertu stratégique des discours on peut être tenté d'en oublier les réalités concrètes. Depuis 2023, c'est un véritable déluge de propositions de lois anti-trans qui sont présentées aux assemblées des différents États du pays ainsi qu'au niveau fédéral.
Si une minorité seulement est adoptée chaque année, il n'en demeure pas moins que cela représente un total de 179 lois adoptées depuis 2021 pour exclure les personnes trans de l'accès à des toilettes ou des vestiaires correspondant à leur genre, interdire les transitions – y compris le simple changement de prénom – pour les mineur·es, bref, tout un arsenal juridique visant à circonscrire l'identité, contrôler les comportements “déviants” et provoquer la mort sociale des personnes. On en oublierait presque que les émeutes de Stonewall que l'on célèbre et commémore chaque année lors des Marches des Fiertés ont été provoquées en réactions aux lois municipales interdisant le “travestissement”.
Quand est-ce que la panique morale s'arrête et que la répression commence ? À présent que la campagne est terminée et que le camp réactionnaire l'a emporté, il faut observer ce qui se passe aux États-Unis non plus seulement comme la courroie de transmission des discours d'extrême droite, mais aussi comme un laboratoire supplémentaire de la lente suppression des droits civiques et humains des personnes. Transgenres ou non.
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Illustration : Wikimedia Commons.
Notes
[1] Voir : https://www.nytimes.com/interactive/2024/us/politics/trump-administration-cabinet-appointees.html
[2] Parmi lesquels un partisan de QAnon à la tête du FBI : https://information.tv5monde.com/international/qui-est-kash-patel-le-proche-de-trump-quil-nomme-la-tete-du-fbi-2750899
[3] Bannon qui s'est par ailleurs affairé à exporter les méthodes de l'“alt-right” chez nos fascistes à nous https://www.20minutes.fr/elections/2522423-20190521-elections-europeennes-liens-entre-steve-bannon-rassemblement-national
[4] NBC News, “Some Democrats blame party's position on transgender rights in part for Harris' loss”, https://www.nbcnews.com/nbc-out/out-politics-and-policy/democrats-blame-partys-position-transgender-rights-part-harris-loss-rcna179370
[5] Revue La Déferlante, “Complotisme et transphobie : l'alliance des haines”, https://revueladeferlante.fr/complotisme-et-transphobie-lalliance-des-haines/
[6] “Can you imagine you're a parent and your son leaves the house and you say, ‘Jimmy, I love you so much, go have a good day in school,' and your son comes back with a brutal operation ? Can you even imagine this ? What the hell is wrong with our country ?”
[7] Bien évidemment il ne s'agit pas là d'une phrase promettant la fin des mutilations sexuelles imposées aux enfants intersexes, ce qu'il désigne comme “mutilation” sont bien les opérations consenties et désirées par les personnes transgenres.
[8] Rolling Stone, “CPAC Speaker Calls for Eradication of ‘Transgenderism' — and Somehow Claims He's Not Calling for Elimination of Transgender People”, https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/cpac-speaker-transgender-people-eradicated-1234690924/.
[9] PBS, This 1955 educational film warns of homosexuality, calling it « a sickness of the mind. » https://www.pbs.org/video/american-experience-boys-beware/
[10] Julia Serrano, “Everything You Need to Know About Rapid Onset Gender Dysphoria”, Medium, https://juliaserano.medium.com/everything-you-need-to-know-about-rapid-onset-gender-dysphoria-1940b8afdeba
[11] Morgan Godvin, “From Handcuffs to Rainbows : Queer in the Military”, JSTOR Daily https://daily.jstor.org/from-handcuffs-to-rainbows-queer-in-the-military/
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Soutien aux artistes du Ballet de l’Opéra de Paris et à leur délégué syndical

Le 5 décembre 2024, les danseurs et danseuses de l'Opéra de Paris ont mené une action courageuse pour défendre leurs droits. Cette action a dû se prolonger de plusieurs jours de grève pour que leurs demandes, après des mois de discussions, soient finalement entendues.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/22/soutien-aux-artistes-du-ballet-de-lopera-de-paris-et-a-leur-delegue-syndical/?jetpack_skip_subscription_popup
Soutien des artistes chorégraphiques des Ballets en régions aux artistes du Ballet de l'Opéra de Paris et à leur délégué syndical.
Dans son papier publié dans le Figaro du 11 décembre [1], la journaliste Ariane Bavelier fait état de grèves qui se ritualisent, de crises qui se succèdent et se ressemblent, d'un dialogue qui se noue… Selon la journaliste, l'explication est très simple : il y a d'un côté une direction qui multiplie les propositions, et de l'autre, un délégué syndical qui ne veut rien entendre. Ce dernier est nommément attaqué par la journaliste, qui le présente comme « un Coryphée donnant, dans sa prestation de délégué CGT, une prestation d'Étoile ». Celui-ci demanderait des choses déraisonnables dans un contexte peu favorable dont il n'ignore rien. Les artistes du ballet seraient jaloux·es de leurs voisin·es du chœur, mais, somme toute, privilégié·es vis-à-vis de leurs homologues en région ou aux États-Unis.
Avant toutes choses, nous souhaitons dénoncer cette odieuse attaque personnelle et apporter tout notre soutien à Matthieu Botto. Puisqu'il faut le rappeler : les salarié·es s'organisent collectivement et élisent des représentant·es en leur sein. C'est une tâche ingrate qui a toujours un coût. Accepter d'être représentant·e des salarié·es, c'est accepter la charge de lourdes responsabilités. On parle de « salarié·es protégé·es » mais en réalité, ils et elles sont plus souvent licencié·es que les autres. Quant à leur performance de délégué·es, ils et elles n'ont de compte à rendre à personne d'autre qu'aux salarié·es qui les ont élu·es.
Concernant la situation des danseur·euses dans les maisons d'Opéra, nous partons de loin et tant que nous ne demanderons rien, rien ne nous sera accordé. Jeunes, mettant du temps à se construire une personnalité revendicative, étant partagé·es entre l'envie de faire nos preuves et le besoin d'être respecté·es, nous, danseur·euses construisons difficilement des revendications communes et solidaires. De manière générale dans le secteur du spectacle, la question de la grève et de l'annulation d'un spectacle est très sensible. Il s'agit de l'aboutissement d'un énorme travail que l'on partage enfin avec le public, personne ne le fait de gaieté de cœur. Plutôt que d'y voir, comme la journaliste, une banalisation de la grève, il faut y voir les signaux d'une crise profonde et d'un tournant salutaire.
Privilégié·es vis-à-vis des danseur·euses dans les autres compagnies nationales voire internationales, les artistes du Ballet de l'Opéra de Paris ne devraient pas se plaindre ?
Est-ce qu'en raison de situations dégradées ailleurs, il ne faut pas chercher à améliorer la sienne ? Nous estimons que le Ballet de l'Opéra de Paris doit être un fer de lance pour les autres structures de danse. Certes, les danseur·euses des compagnies en régions ne sont pas payé·es à la hauteur de leur travail. Là aussi, tout le travail des danseur·euses pour leur métier n'est pas reconnu à sa juste valeur. Être danseur·euse ne consiste pas simplement à transpirer en scène ou en salle de répétition ; c'est aussi faire du renforcement physique ciblé, coudre des chaussons, soigner ses blessures, se maquiller, se coiffer, s'étirer, se chauffer, préparer une reconversion…
Bien souvent, ces éléments ne sont pas pris en considération dans la rémunération. Les danseur·euses commencent leurs études professionnelles très jeunes et suivent systématiquement un double parcours d'études : le cycle scolaire et la formation professionnelle qui dure entre 5 et 8 ans. La carrière au sein d'un ballet permanent dure une vingtaine d'années. L'usure de leur corps, les blessures à répétition ou définitives, l'intensité et l'exigence du travail contraint les danseur·euses à s'imaginer une seconde carrière. Le chemin vers une meilleure considération de l'ensemble de la carrière des artistes chorégraphiques est encore long et la récente lutte des artistes du Ballet de l'Opéra de Paris nous fait toutes et tous avancer.
Madame Bavelier décrit des revendications animées par « cette vieille plaie de l'envie qui lie les corps de métiers de l'opéra pour peu que, cassant leur mission d'art total, ils regardent dans l'assiette du voisin ».
Le principe de non-discrimination, et donc la comparaison de différents traitements au sein d'une même entreprise est souvent une base et un appui pour élaborer des revendications et améliorer les conditions du plus grand nombre.
Alors, oui, les danseur·euses regardent les points communs qu'ils et elles ont avec les chanteur·euses car bien qu'ayant chacun leur spécificités, ces métiers sont comparables. Mais l'un est moins bien rémunéré que l'autre. Comment l'expliquer ? Est-ce un héritage de l'histoire ? Rappelons que s'il y a un ballet au premier acte de tous les opéras français du XIXème, ce n'est pas au nom de « l'art total », mais parce que le Jokey Club, haut financeur de l'opéra, faisait du lobby pour que cette clause demeure dans le cahier des charges des commandes (l'opéra dépendant alors du ministère de l'intérieur). Cela leur permettait de rendre visite aux jeunes danseuses dans leurs loges à l'entracte. Est-ce un reste de l'époque où les ballets étaient des sous-parties des opéras ? Est ce que le métier de danseur serait plus facile que celui de chanteur ?
Ou, comme s'amuse à le préciser Mme Bavelier, la différence de salaire peut aussi s'expliquer par « une réalité du marché du travail » ?
Est-ce parce qu'une situation d'inégalité existe sur le marché du travail que cela justifie sa pérennisation ? La différence de rémunération des femmes et des hommes sur le marché du travail est une réalité… Pour autant, à lire la journaliste du Figaro, on pourrait croire qu'il ne faudrait pas l'interroger, la remettre en cause ou pire… se battre contre !
Oui, cette différence existe entre les danseur·euses et les chanteur·euses, et non, elle n'est pas justifiée. Ce n'est pas une affaire de « jalousie », mais un point d'appui pour construire une revendication.
Nous, artistes chorégraphiques des Ballets en régions, saluons le mouvement et le courage des artistes du Ballet de l'Opéra de Paris. Ensemble continuons à élever nos voix pour améliorer nos conditions de travail.
Premiers signataires :
Jonathan ARCHAMBAULT, danseur et RP2 SFA – CGT au CCN Ballet de Lorraine
Malou BENDRIMIA, danseuse et RP SFA – CGT au CCN Ballet de Lorraine
Sylvain BOUVIER, danseur et RP au Ballet de l'Opéra Grand Avignon
Charlotte COX, danseuse et RP CFDT au Ballet de l'Opéra de Metz
Guillaume DEBUT, danseur et RP SFA – CGT au Ballet de l'Opéra de Bordeaux
Ines DEPAUW CUMINE, danseuse et RP SFA – CGT au CCN Ballet de Lorraine
Kim DO DANH, danseuse et RP CFDT au Ballet de l'Opéra de Metz
Tristan IHNE, danseur et RP SFA – CGT au CCN Ballet de Lorraine
Erwan JEAMMOT, danseur et RP SFA – CGT au Ballet de l'Opéra du Rhin
Guillaume LILLO, danseur et RP au Malandain Ballet Biarritz
Claire LONCHAMPT, danseuse et RP au Malandain Ballet Biarritz
Jesse LYON, danseur et RP SFA – CGT au Ballet de l'Opéra du Rhin
Aurélien MAGNAN, danseur et RP CFDT au Ballet de l'Opéra de Metz
Charlotte MEIER, danseuse et RP SFA – CGT au Ballet de l'Opéra de Bordeaux
Lexane TURC, danseuse et RP SFA – CGT au CCN Ballet de Lorraine
Céline SCHOEFS, danseuse et RP SFA – CGT au CCN Ballet de Lorraine
Clara SPITZ, danseuse et RP SFA – CGT au Ballet de l'Opéra de Bordeaux
Valérian ANTOINE, danseur au Ballet de l'Opéra de Metz
Noé BALLOT, danseur au Malandain Ballet Biarritz
Timothée BOULOY, danseur au Ballet de l'Opéra de Metz
Matteo CASTELLARO, danseur au Ballet de l'Opéra de Metz
Mickael CONTE, danseur au Malandain Ballet Biarritz
Charles DALERCI, danseur au CCN Ballet de Lorraine
Lore JEHIN, danseuse au Ballet de l'Opéra de Metz
Laure LESCOFFY, danseuse au CCN Ballet de Lorraine
Elisa LONS, danseuse au Ballet de l'Opéra de Metz
Timothée MAHUT, danseur au Malandain Ballet Biarritz
Clément MALCZUK, danseur au Ballet de l'Opéra de Metz
Afonso MASSANO, danseur au CCN Ballet de Lorraine
Clarisse MIALET, danseuse au CCN Ballet de Lorraine
Victoria PESCE, danseuse au Ballet de l'Opéra de Metz
Lucas SCHNEIDER, danseur au Ballet de l'Opéra de Metz
Yui UWAHA, danseuse au Malandain Ballet Biarritz
Chelsey VAN BELLE, danseuse au Malandain Ballet Biarritz
Patricia VELAZQUEZ, danseuse au Malandain Ballet Biarritz
Laurine VIEL, danseuse au Malandain Ballet Biarritz
Léo WANNER, danseur au Malandain Ballet Biarritz
[1] https://www.lefigaro.fr/culture/a-l-opera-de-paris-le-ballet-suspend-sa-greve-ce-soir-avec-la-reprise-des-negociations-20241211#
[2] Nous désignons ici par RP, les représentant·es du personnel, qu'ils et elles soient délégué·es du personnel, délégué·es syndicaux, membre d'une commission ou porte parole désigné·es par les membres d'un Ballet.
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Une voix pour les droits des travailleurs domestiques migrants

Lorsque j'étais travailleuse domestique migrante, j'ai été victime d'abus de la part de mes employeurs. A présent, je veux susciter une prise de conscience pour que d'autres femmes indonésiennes puissent disposer des connaissances nécessaires pour éviter d'être exploitées. Aucune femme ne doit faire l'objet de violences venant de ses employeurs, comme cela fut mon cas.
tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/12/une-voix-pour-les-droits-des-travailleurs-domestiques-migrants/
Je m'appelle Win Faidah et je suis originaire de East Lampung, en Indonésie. J'ai 40 ans, je suis mariée et j'ai deux enfants. Depuis ma sortie de l'école, je suis travailleuse domestique.
Après mon mariage, un parent de mon époux m'a suggéré de partir à l'étranger comme travailleuse domestique. Il m'a dit que je pourrais gagner beaucoup d'argent et vivre dans de bonnes conditions. A l'époque, ma mère a refusé catégoriquement et m'a empêchée de partir.
Mais, alors que j'étais enceinte de mon premier enfant, cette personne est revenue chez nous en m'encourageant à aller travailler à l'étranger. Cette fois-ci, j'ai accepté afin de pouvoir subvenir aux besoins de ma famille.
Après une formation de trois mois à Djakarta, j'ai été envoyée dans un pays d'Asie pour y travailler. Lorsque j'ai quitté l'Indonésie, mon enfant avait neuf mois.
A notre arrivée à l'étranger, on nous a donné des consignes concernant la manière de se comporter avec les employeurs, de nettoyer la maison et d'accomplir d'autres tâches. J'avais l'impression qu'on me faisait passer un examen, comme à l'école. Une semaine plus tard, nous avons découvert qu'aucune d'entre nous n'avait réussi le test et que nous devions donc rentrer en Indonésie.
De retour au pays, nous sommes restées dans une maison isolée au milieu des bois. Nous n'étions pas autorisées à sortir et nous ne pouvions pas contacter nos familles.
J'ai supplié l'agent de recrutement de me laisser rentrer chez moi, mais il a refusé. Il m'a expliqué que nous serions envoyées travailler dans un autre pays asiatique. Il m'a dit : « Si vous voulez rentrer chez vous, vous devez régler à l'agence la somme de 20 millions de roupies indonésiennes » (1200 dollars des Etats-Unis). Je n'avais pas d'autre choix que de continuer à travailler.
Dans le nouveau pays dans lequel je suis arrivée, on m'a emmenée travailler dans une maison de trois étages. Mes tâches principales consistaient à entretenir la maison et à prendre soin de la mère âgée de mon employeur.
Pendant les deux premiers mois, les conditions de travail étaient tolérables. Mais elles se sont vite détériorées. Je ne mangeais que rarement et la mère de mon employeur a commencé à me battre.
Un jour, j'ai appris que la personne qui était travailleuse domestique chez les voisins était originaire de la même province d'Indonésie que moi. Elle m'a averti que je devais être prudente et que la personne avant moi avait été contrainte de s'enfuir.
Elle m'a dit : « Je vais t'aider à t'échapper. Je vais te trouver un bon employeur. Sinon, si tu restes ici, tu pourrais y laisser ta vie. »
Chaque jour, on me torturait. On me bandait les yeux, on me brûlait avec un fer à repasser sur le dos et sur la poitrine… J'ai cru que j'allais mourir et j'étais prête à mourir. Win Faidah, ancienne travailleuse domestique migrante
Trois mois plus tard, j'ai fui la maison. Je me souviens très bien de cette nuit-là. J'ai rassemblé mes affaires et, vers minuit, j'ai enjambé le portail arrière. C'est là que la travailleuse domestique de mes voisins m'attendait pour me conduire chez mon nouvel employeur.
Il s'agissait d'une mère au foyer de quatre enfants. Son mari était entrepreneur. Ils habitaient dans un appartement de trois pièces. Je n'avais pas ma propre chambre mais ce n'était pas un problème pour moi tant que j'étais bien traitée.
Cependant, au bout de quelques mois, le mari a commencé à vouloir flirter avec moi. Cela me gênait et j'avais peur. J'ai dit à mon employeur que ma fille me manquait et que je voulais rentrer chez moi, mais elle a refusé.
Et puis, un soir, alors que je dormais dans la cuisine, j'ai senti des mains qui touchaient mon corps. Je me suis réveillée et j'ai vu que c'était le mari de mon employeur. Le lendemain, j'ai raconté à cette dernière ce qui s'était passé. Mais son mari a nié et m'a même accusé de vouloir flirter avec lui.
A partir de ce moment, mes journées sont devenues infernales.
A partir de ce moment, il ne se passait pas un jour sans que je ne sois torturée.
On me bandait les yeux, on me brûlait avec un fer à repasser sur le dos et sur la poitrine. Je recevais des coups de marteau sur la tête et on me rasait les cheveux. Mes ongles étaient arrachés avec une pince et on m'aspergeait d'eau bouillante. On me rouait de coups.
C'est pendant cette période que le mari de mon employeur m'a agressée sexuellement à quatre reprises. J'ai cru mourir, et j'étais prête à mourir.
J'ai essayé de soigner mes blessures toute seule avec des produits comme du dentifrice. Mais lorsque mon état corporel a commencé à se détériorer et que mes blessures ont commencé à sentir, mes employeurs m'ont enveloppé dans une couverture et m'ont abandonné dans un endroit isolé près d'une plantation d'huile de palme.
J'ai été secourue par un habitant qui a appelé la police. Pendant un mois, j'ai reçu des soins à l'hôpital et, ensuite, je suis restée dans un centre d'accueil pendant le procès. Ce fut long et difficile mais j'ai été soulagée quand mes employeurs ont été condamnés à huit ans de prison. L'agent recruteur en Indonésie a aussi été condamné à trois ans d'emprisonnement.
Grâce à l'aide de l'ambassade d'Indonésie, j'ai pu finalement rentrer chez moi. Lorsque je suis arrivée, ma mère a pleuré en me disant qu'elle pouvait ressentir ma douleur. Mon mari m'a accueilli les bras ouverts, malgré les agressions dont j'avais été victime.
Contrairement à ma famille, j'ai été traitée comme une paria au sein de ma communauté. On s'est moqué de moi par rapport à ce que j'ai subi, en disant que c'était de ma faute. J'étais dévastée et j'avais honte.
C'est alors que j'ai eu la chance de rencontrer Yunita Rohani du Syndicat des travailleurs migrants d'Indonésie SBMI). Grâce à son aide, j'ai pu intégrer les séances de formation dispensées par le Centre de ressources pour les travailleurs migrants (MRC) dans le district de Lampung Est, dans le cadre du programme « Safe and Fair » de l'OIT.
J'ai acquis des connaissances en matière d'égalité de genre, de prévention de la violence fondée sur le genre pour les travailleuses migrantes, de formation des femmes aux fonctions de direction et au sujet des syndicats.
Surtout, j'ai appris à mettre des mots sur ce à quoi j'aspirais et à me faire entendre.
Avant, je me demandais pourquoi je n'étais pas morte après tout ce que j'avais enduré. A présent, j'ai compris que j'avais survécu afin de pouvoir raconter mon histoire et participer à l'émancipation d'autres travailleuses migrantes. Win Faidah, ancienne travailleuse domestique migrante
La formation m'a aidé à devenir plus forte. Désormais, je parle de ce que j'ai vécu de manière active lors de réunions syndicales et au centre de ressources pour les travailleurs migrants. Je veux inspirer les femmes indonésiennes pour qu'elles aillent travailler à l'étranger dans le cadre d'un processus légal. Elles doivent disposer de connaissances adéquates afin de pouvoir élever la voix si elles rencontrent des difficultés.
A présent, j'aide ma sœur en prenant soin de son bébé. Mes deux sœurs cadettes sont travailleuses migrantes. Je suis heureuse que cela se passe bien et qu'elles puissent ainsi aider financièrement leurs familles. J'espère qu'aucune autre femme migrante ne devra endurer ce que j'ai vécu.
Avant, je me demandais pourquoi je n'étais pas morte après tout ce que j'avais enduré. A présent, j'ai compris que j'avais survécu afin de pouvoir raconter mon histoire et participer à l'émancipation d'autres travailleuses migrantes.
J'espère que les gens n'oublieront jamais notre contribution à l'économie nationale en tant que travailleuses migrantes. Nous risquons notre vie pour aller travailler à l'étranger.
Lorsque j'étais travailleuse domestique migrante, j'ai été victime d'abus de la part de mes employeurs. A présent, je veux susciter une prise de conscience pour que d'autres femmes indonésiennes puissent disposer des connaissances nécessaires pour éviter d'être exploitées. Aucune femme ne doit faire l'objet de violences venant de ses employeurs, comme cela fut mon cas.
Win Faidah
Win Faidah est une ancienne travailleuse domestique migrante originaire de East Lampung, en Indonésie. Après avoir subi des violences et du harcèlement en tant que travailleuse domestique, elle a participé à une formation organisée par le programme de l'OIT « Safe and Fair ». Désormais, elle se bat pour le respect des droits des travailleuses migrantes indonésiennes. Le programme « Safe and Fair » faisait partie de l'initiative Spotlight UE-ONU pour mettre fin à la violence contre les femmes et les filles et a été mis en œuvre par l'OIT en partenariat avec ONU Femmes et en collaboration avec l'ONUDC de 2018 à 2023.
En bref
* Le 21 juin marque le cinquième anniversaire de l'adoption de la convention (n°190)de l'OIT sur la violence et le harcèlement, premier traité international reconnaissant le droit universel à un monde du travail sans violence ni harcèlement, notamment ceux fondés sur le genre.
* En Indonésie, 61 pour cent des travailleurs migrants sont des femmes. Les travailleuses migrantes sont principalement employées dans les secteurs des soins et du travail domestique, qui sont moins protégés par le droit du travail, tant en Indonésie que dans les pays de destination. Par conséquent, les migrants sont davantage susceptibles de faire l'objet de discrimination, de violences, de harcèlement, d'abus et d'exploitation.
* Le programme « Safe and Fair : Realising Women Migrant Workers' Rights and Opportunities in the ASEAN Region » faisait partie de l'initiative Spotlight UE-ONU pour mettre fin à la violence contre les femmes et les filles.
* Ce programme a été mis en œuvre dans le cadre d'un partenariat entre l'OIT et ONU Femmes, en collaboration avec l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), dans le but de garantir une migration de main-d'œuvre sûre et équitable à l'ensemble des femmes des pays de l'ASEAN (Association des nations de l'Asie du Sud-Est).
* En Indonésie, le projet a été le premier à mettre en place des centres de ressources pour les travailleurs migrants (MRC) proposant des services aux travailleuses migrantes et à leurs communautés. À Lampung Est, le MRC est géré conjointement par le gouvernement du district, Women Solidarity Sebay Lampung (SP) et le Syndicat des travailleurs migrants d'Indonésie (SBMI).
* Il s'agit notamment de dispenser, aux travailleuses migrantes potentielles et de retour au pays, à leurs familles et à d'autres membres de la communauté, une série de formations sur la migration sûre, l'élimination de la violence à l'encontre des travailleuses migrantes, la traite des êtres humains, le leadership des femmes et l'égalité de genre.
* Des campagnes publiques en ligne et sur le terrain ont permis de sensibiliser 69 034 travailleuses migrantes à la migration de main-d'œuvre des femmes, à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde de travail, à l'égalité de genre, à l'aide à la réintégration et aux syndicats.
https://voices.ilo.org/fr-fr/stories/une-voix-pour-les-droits-des-travailleurs-domestiques-migrants
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Soudan, vers une paix pour les seigneurs de guerre ?

Voilà plus de vingt mois que la guerre au Soudan fait rage entre les Sudanese Armed Forces (SAF) conduites par Burhan, et les Rapid Support Forces (RSF) dirigées par Hemedti avec des dizaines de milliers de morts et six millions de personnes déplacées. L'entremise turque permettrait une solution au conflit.
Tiré d'Afrique en lutte.
Une offre turque...
À la différence des efforts diplomatiques menés par les États-Unis en lien avec l'Arabie saoudite, la médiation turque s'adresse à Burhan et aux États arabes unis (EAU) qui soutiennent fortement et depuis le début, même s'ils s'en défendent, les RSF. Il s'agirait donc d'une négociation entre deux entités gouvernementales. Le principe a été accepté par Burhan qui voit ainsi sa légitimité reconnue. Quant aux EAU, ils ont déclaré : « Les Émirats arabes unis sont pleinement prêts à coopérer et à coordonner les efforts turcs et toutes les initiatives diplomatiques pour mettre fin au conflit au Soudan ». Une formule ouverte qui prend soin cependant de ne pas les faire apparaître comme une force belligérante.
...pas forcément désintéressée
La Turquie devient un acteur important sur la scène diplomatique. Elle est apparue comme une force décisive dans la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie et s'est illustrée par un accord diplomatique réglant le différend entre la Somalie et l'Éthiopie au sujet du Somaliland.
De plus, Recep Erdogan, lors de la révolution soudanaise, a accueilli les dirigeants islamistes de l'ancien régime d'Omar el-Bashir qui ont fait un retour en force aux côtés des SAF contre les RSF. Le dirigeant turc s'accommodant parfaitement avec le principe de l'islamisme politique.
Outre lui donner une stature sur la scène internationale, conduire la médiation de paix est aussi une manière pour le pouvoir ottoman de se positionner comme un acteur économique majeur pour la reconstruction future du pays.
Marginaliser des forces révolutionnaires
L'offre turque est rendue possible par le discrédit grandissant des RSF qui, lors de leurs conquêtes territoriales, procèdent à un nettoyage ethnique avec une férocité inouïe rappelant les massacres qui eurent lieu au Darfour au début des années 2000. Devant une telle violence contre les populations, les groupes armés qui avaient au début du conflit observé une stricte neutralité ont pour la plupart rejoint les SAF. Dernier élément en date, la défection de Salah Jok, haut commandant de l'Armée de libération du Soudan (SLM/A) dirigée par Abdelwahid al-Nur, rejoignant avec une partie des troupes les SAF.
Si la médiation turque est plutôt un facteur positif pour Burhan, elle aura à coup sûr des effets néfastes pour les forces révolutionnaires du Soudan qui restent les seules capables d'apporter une aide humanitaire aux populations dans les zones de conflit. Les arrangements diplomatiques entre États risquent de se faire au détriment des droits sociaux et démocratiques des populations en remettant en selle les hommes de l'ancien pouvoir honni.
Paul Martial
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L’UGTT tunisienne : plus qu’un syndicat

Décidé à éliminer toute institution qui pourrait faire office de contre-pouvoir, Kais Said souhaite que l'UGTT abandonne son rôle d'acteur politique et se limite à représenter les intérêts de ses adhérents, qui sont quelque 800 000 dans un pays de 12 millions d'habitants.
Tiré d'Afrique en lutte.
« L'UGTT est plus qu'un syndicat, mais moins qu'un parti. » C'est ainsi que Héla Yousfi, chercheuse et auteure du livre L'UGTT, une passion tunisienne, définit le premier syndicat tunisien. Interrogé sur cette description, Sami Tahri, secrétaire général adjoint chargé de la communication, précise en souriant : « C'est plus qu'un syndicat, certes, mais aussi plus qu'un parti. » Quoi qu'il en soit, il est clair que l'UGTT a joué un rôle clé dans l'histoire contemporaine de la Tunisie, et de nombreux analystes la considèrent comme le syndicat le plus influent du monde arabe. Ces dernières années, elle traverse une crise, comme le pays tout entier.
Le rôle central joué par l'UGTT dans la société tunisienne remonte à l'époque de la lutte anticoloniale. Le syndicat a été fondé en 1924, après s'être séparé de la CGT française en raison de désaccords sur la « question nationale ». « Le syndicat a joué un rôle actif dans la lutte de libération nationale, en organisant des manifestations, des grèves générales, etc. C'est pourquoi le gouvernement français l'a dissous, et a même arrêté et tué certains de ses dirigeants, dont un secrétaire général, Farhat Hached », explique Tahri depuis son bureau au siège du quotidien de l'UGTT, Al-Shaab (Le Peuple).
Une fois l'indépendance obtenue, les relations avec le gouvernement n'ont pas été sans tensions. « L'UGTT s'est toujours battue pour maintenir son autonomie, malgré le régime du parti unique du président [Habib] Bourguiba [qui a dirigé la Tunisie de 1957 à 1987]. « Et cela a réussi, dans l'ensemble », affirme Héla Yousfi, soulignant que ce n'est pas le cas dans d'autres pays de la région, comme l'Algérie ou l'Égypte. Cette différence tient peut-être au fait que les dirigeants syndicaux algériens et égyptiens professaient la même idéologie panarabiste que leurs régimes respectifs. En Tunisie, il n'y avait pas de tel alignement idéologique. Bourguiba avait une position plus pro-occidentale, alors que, selon Yousfi, toutes les grandes idéologies du pays ont toujours été représentées parmi les militants et les dirigeants de l'UGTT.
L'autonomie du syndicat a donné lieu à plusieurs collisions frontales avec le pouvoir, qui ont fait des dizaines de morts, comme lors des révoltes de 1978 et 1985, ou lors de la Révolution de 2011, qui a déclenché ce que l'on a appelé le « printemps arabe ». Pour de nombreux militants, l'UGTT a joué un rôle déterminant dans le triomphe de la Révolution. « Le jour où l'UGTT de Sfax a rejoint les manifestations de rue, j'ai su que les jours de Ben Ali étaient comptés », se souvient Lamine Bouazizi, un militant de la ville de Sidi Bouzid, berceau du soulèvement. Ben Ali a finalement fui le pays deux jours plus tard, inaugurant un processus de transition qui devait durer une décennie.
Conflit entre le président Kais Saied et l'UGTT
Même si ce n'est pas avec la même intensité que par le passé, le syndicat est de nouveau en désaccord avec le gouvernement. À l'été 2021, le président Kais Saied a organisé un coup d'État, dissous le Parlement et s'est octroyé les pleins pouvoirs. L'année suivante, il a institué une réforme constitutionnelle qui a transformé la Tunisie en une république « hyper-présidentielle ». Presque tous les partis politiques ont rejeté cette initiative de Saied, un homme politique indépendant, populiste et d'idéologie conservatrice.
L'UGTT a proposé de jouer un rôle de médiateur entre la présidence et les partis, en proposant de lancer un processus de dialogue national, comme elle l'avait déjà fait en 2013, lorsqu'une crise politique avait mis en péril la transition démocratique. À l'époque, l'UGTT avait mené la médiation entre le gouvernement et l'opposition qui avait permis d'éviter un conflit civil. C'est pour ce travail que l'UGTT, avec trois autres organisations de la société civile, a reçu le prix Nobel de la paix en 2015. Mais, à cette occasion, Saied a rejeté l'offre du syndicat.
Déterminé à éliminer toute institution qui pourrait agir comme un contre-pouvoir, le président Saied veut que l'UGTT abandonne son rôle d'acteur politique et se limite à représenter les intérêts de ses membres, qui sont environ 800 000 dans un pays de 12 millions d'habitants.
Le premier affrontement entre Saied et l'UGTT a suivi la publication, en 2022, de la circulaire 20, qui interdisait à toute institution de l'État de négocier avec les syndicats sans l'autorisation préalable de la présidence. Quelques mois plus tard, le gouvernement a retiré la circulaire. La pression sur le syndicat n'en a pas moins continué, avec des syndicalistes arrêtés et poursuivis en justice, par exemple.
« Plus d'une douzaine de syndicalistes ont été arrêtés depuis 2021. Un seul est toujours en prison, mais les autres ont des procès en cours. Et je crains que la liste ne s'allonge », a déclaré Sami Tahri, secrétaire général adjoint de l'UGTT.
Le régime a envoyé un autre message au syndicat le 2 février 2023, lorsqu'elle a expulsé Esther Lynch, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui se rendait en Tunisie pour témoigner sa solidarité avec l'UGTT au milieu de ce harcèlement, qui s'est étendu jusqu'aux représentants régionaux du syndicat.
Malgré toutes ces provocations, la centrale syndicale évite un conflit frontal avec le régime, se limitant à organiser des manifestations et à faire des déclarations critiques dans les médias. « L'UGTT est en position de faiblesse. La principale raison est qu'elle a perdu le soutien populaire. Les gens la perçoivent comme faisant partie de l'élite qui a gouverné le pays pendant la transition et qui n'a pas réussi à apporter la prospérité », explique Tarek Kahlaoui, professeur de sciences politiques à l'Université Sud Méditerranée de Tunis. « Depuis de nombreuses années, une campagne est menée contre l'UGTT, imputant à ses grèves et à ses manifestations la responsabilité de la crise économique et de la corruption. Et il y a même eu plusieurs poursuites judiciaires », ajoute Kahlaoui.
Comme le rapporte la Confédération syndicale internationale (CSI) dans son Global Rights Index 2024, il existe « des dizaines de pages sur les réseaux sociaux consacrées à l'attaque de l'organisation et à la diabolisation du travail syndical et des syndicalistes ». L'indice de la CSI classe la Tunisie parmi les « 10 pires pays au monde pour les travailleurs », en raison de la « menace constante » de sanctions sévères (peines financières et de prison) qui pèse sur « les militants syndicaux qui osent exercer leurs fonctions normales ».
Romdhane Ben Amor, chercheur au Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), pointe du doigt la crise interne au sein du syndicat comme un autre facteur expliquant sa faiblesse. « En 2021, la direction actuelle a modifié les règles internes de l'organisation concernant les élections à la direction. Une grande partie du syndicat a rejeté le changement et une force d'opposition interne a émergé. Le résultat est un blocage de la prise de décision », explique Amor. Il pointe également du doigt le conflit entre les dirigeants plus âgés et plus jeunes comme étant la raison de la crise, compte tenu de leurs valeurs et de leurs perspectives différentes sur le rôle et les stratégies du syndicat. Si les divisions internes ont été motivées par des raisons politiques, avec une faction soutenant Saied, ces tensions se sont estompées à mesure que la dérive autoritaire du président se précisait.
Tahri, de son côté, minimise le poids des divisions au sein de l'organisation. « Il y a des points de vue différents dans chaque syndicat. C'est normal. Mais l'organisation est toujours opérationnelle. Toutes les activités normales du syndicat, y compris celles des différents secteurs, se poursuivent normalement », explique le secrétaire général adjoint. Mais pour Amor, les divisions ont tenu le syndicat en échec.
« À d'autres moments de l'histoire, l'arrestation d'un syndicaliste a été vivement réprimée. Aujourd'hui, rien ne se passe » Romdhane Ben Amor, chercheur au Forum tunisien des droits économiques et sociaux
Pour preuve que l'UGTT n'a pas perdu de son mordant, Tahri prévient que sa direction a décidé d'organiser une grève générale l'année prochaine, même si la date reste à fixer en concertation avec les syndicats régionaux et sectoriels. « La situation économique et sociale est très préoccupante, et en plus le gouvernement a rompu tout dialogue social. De nombreuses manifestations ont déjà lieu, même si elles ne sont pour l'instant que locales ou régionales. De plus, nous nous enfonçons de plus en plus dans la tyrannie et nous nous éloignons de la démocratie [...]. Je pense que l'année prochaine sera une année mouvementée », estime le dirigeant syndical. Si ses prévisions se confirment, une nouvelle crise sociale pourrait offrir à l'UGTT l'occasion de retrouver son rôle pivot.
Source : COSATU Daily News
Traduction automatique de l'anglais
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Les « Maisons russes », bras armé du soft power de Poutine en Afrique

Cours de langue, bourses d'études, événements culturels... Les « Maisons russes » sont devenues le principal instrument de la diplomatie culturelle du Kremlin et contribuent à implanter durablement Moscou sur le continent.
Tiré d'Afrique XXI.
« Vous savez, je viens de Sibérie, et pouvoir participer à un festival de théâtre en Afrique ça représente beaucoup pour moi », lance avec un grand sourire Igor Lesov, sous les applaudissements du public de la Maison du Théâtre du Bardo, à Tunis. Devant une centaine de spectateurs, l'acteur vient d'interpréter en russe Le Comte Nouline, une pièce du dramaturge Alexandre Pouchkine, avec une troupe de trois autres artistes venue spécialement de l'École d'art dramatique de Moscou.
La représentation a eu lieu fin novembre dernier dans le cadre des Journées théâtrales de Carthage 2024, un festival annuel de théâtre. « La salle était bien plus remplie que pour les dernières séances », assure le guichetier à l'entrée. Après le spectacle, la caméra de la chaîne d'information Russia Today (RT) donne la parole aux spectateurs, répartis entre expatriés russes et amateurs de théâtre tunisiens. « J'ai déjà un peu appris le russe en autodidacte, et j'étais curieux de voir du Pouchkine », déclare Mohamed à la sortie de la salle. Le jeune étudiant en lettres ajoute que, selon lui, « la Russie a un énorme patrimoine littéraire, qu'on ne connaît pas très bien en Tunisie ».
« Élargir la compréhension des Tunisiens sur la culture russe » est bien l'objectif affiché par le directeur de la Maison russe de Tunis, Youri Zaïtsev, remercié par l'ensemble de la troupe pour son soutien à l'événement. Le mois suivant, l'établissement a participé à l'organisation de deux autres représentations théâtrales dans le pays, ainsi qu'à un concert de Noël, à une excursion dans la région du cap Bon, et à une session d'information sur les études en Russie, entre autres. En plus des trois cours de langue assurés chaque semaine dans les locaux de la Maison russe, à Tunis.
De l'héritage soviétique au sommet de Sotchi
En réalité, la « Maison russe à Tunis » ne porte ce nom que depuis 2021. Avant cette date, l'institution s'appelait encore « Centre russe des sciences et de la culture » (CRSC). Fondé en 1966, il s'insérait alors dans le dispositif de diplomatie culturelle de l'URSS. En 2008, le gouvernement russe crée le Rossotrudnichestvo : une agence chargée, entre autres, de la coopération humanitaire et de la gestion des CRSC dans tous les pays du monde. « Les Maisons russes sont donc des organismes décentralisés de la diplomatie culturelle, liées au Rossotrudnichestvo », résume Maxime Audinet, chercheur à l'Irsem et spécialiste de la Russie, rappelant aussi qu'il « s'agit d'un dispositif assez classique, en quelque sorte l'équivalent des Instituts français ».
Le Rossotrudnichestvo hérite de sept centres africains, fondés entre 1945 et 1989 aux quatre coins du continent : Addis-Abeba (Éthiopie), Le Caire (Égypte), Rabat (Maroc), Brazzaville (République du Congo), Dar es-Salam (Tanzanie), Lusaka (Zambie) et Tunis. « Pendant longtemps, l'Afrique a été l'angle mort de la diplomatie culturelle russe », explique Maxime Audinet. Pour lui, le « moment charnière » du réengagement du Kremlin vers la région date du sommet de Sotchi organisé en 2019 : « On parle beaucoup de Wagner, RT et Sputnik, mais il y a aussi depuis cette date la volonté de réinvestir l'Afrique par la diplomatie publique. »
Deux ans plus tard, les CRSC africains deviennent tous des Maisons russes et utilisent un logo officiel sur lequel figure un « attribut architectural d'État » renvoyant au Kremlin de Moscou, selon le Rossotrudnichestvo, ainsi qu'un QR code dirigeant vers le site de l'agence. Sur le papier, les missions des maisons russes restent inchangées : promouvoir la langue et la culture russes et gérer les bourses et les programmes d'études.
« Nous répondons aux aspirations de nos amis »
Au début des années 2020 cependant, la plupart des maisons russes africaines commencent à alimenter leurs comptes sur les réseaux sociaux en intensifiant la communication officielle et en multipliant les événements. Cette dynamisation est portée par de nouveaux directeurs : arrivé à Tunis en 2022, Youri Zaïtsev est un ancien cadre du ministère de la Culture et directeur de musée à Moscou. En Éthiopie, c'est Alexandre Evstigneev, un journaliste de la télévision d'État, qui prend la direction du centre fin 2023. Et à Brazzaville, la directrice de la Maison russe est depuis 2021 Maria Fakhrutdinova, diplômée de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou et native de Sébastopol (Crimée).
En plus de ces centres, le Rossotrudnichestvo travaille également à l'ouverture d'autres Maisons russes en Afrique, sur un modèle « non gouvernemental ». La formule, employée par le directeur du Rossotrudnichestvo, Yevgeny Primakov, dans un entretien livré à l'agence TASS en janvier 2024 (1), renvoie en réalité à des partenariats signés avec des structures déjà présentes dans les pays hôtes. Le 16 septembre 2024, cinq accords ont par exemple été conclus avec des « Maisons russes non étatiques » en Sierra Leone, en Guinée équatoriale, en Centrafrique, en Somalie et au Tchad. Lors de la cérémonie de signature, Yevgeny Primakov déclarait :
- La demande des communautés locales pour l'éducation russe, la langue russe et les liens culturels est bien plus importante, vaste et étendue que le réseau officiel de maisons actuellement en place. C'est pourquoi nous répondons aux aspirations de nos amis à travers le monde, qui sont nombreux. La Russie n'est en aucun cas isolée.
Un réseau en pleine expansion
« C'est beaucoup plus simple de mettre en place ce genre de structures avec un budget réduit », précise Maxime Audinet, tout en reconnaissant que le modèle « non gouvernemental » apporte aussi « un pilier sur lequel s'appuyer dans la société civile ». Un atout important, étant donné la diversité d'acteurs russes présents dans ces pays. À Bangui, la nouvelle Maison russe est par exemple dirigée par Dmitri Sytyi, un des piliers de l'expansion du groupe Wagner dans le pays du temps d'Evgueni Prigojine. À l'inverse, c'est un groupe d'étudiants tchadiens qui est à l'origine du projet de Maison russe à N'Djamena.
Interrogé sur le nombre total d'ouvertures de Maisons russes réalisées ou prévues en Afrique, le Rossotrudnichestvo n'a pas apporté de réponse. Au total, les différentes déclarations réalisées par l'agence dans les médias proches du Kremlin (2) permettent d'identifier huit signatures d'accords avec des partenaires « non étatiques » en 2024, et sept autres projets d'implantation de Maisons russes (gouvernementales ou non) officiellement annoncés. Ces extensions du réseau sont aussi supervisées par les représentants du Rossotrudnichestvo. À Tunis, Youri Zaïtsev confirme ainsi que la Maison russe s'est vu confier « la mission de développer la coopération culturelle » en Libye et en Algérie.

En plus de ce réseau officiel, certaines associations déjà implantées dans d'autres pays sont aussi de sérieuses candidates à de potentielles extensions, puisqu'elles proposent des activités similaires aux Maisons russes. C'est par exemple le cas du centre culturel russe de Yaoundé, qui est « en train de travailler pour être reconnu par le Rossotrudnichestvo », selon sa directrice, Olga Efa Fouda. Cette expatriée installée au Cameroun depuis les années 1980 explique que le centre est déjà parrainé par l'ambassade de Russie : "Mon ambition est de diffuser la langue et la culture russes, mais aussi vulgariser notre histoire qui est trop méconnue en Afrique. »
Histoire, art et narratif russes
Le 9 mai 2024, le centre culturel russe de Yaoundé a organisé « une rencontre dans un lycée privé pour commémorer le jour de la Victoire », explique Olga Efa Fouda. En Afrique, la plupart des Maisons russes célèbrent cette date, retenue par l'URSS comme celle de la victoire sur l'Allemagne nazie en 1945. Fin octobre 2024, la Maison russe de Tunis a aussi commémoré le centenaire de la dissolution de la « flotte de l'Armée blanche » à Bizerte, un épisode marquant la disparition de l'Empire (3), en présence d'une frégate et de marins russes. « En Russie, la place de l'Histoire est marquée par une forme de révisionnisme et une mémoire sélective », rappelle Maxime Audinet. Dans le cas de la Seconde Guerre mondiale, le chercheur explique par exemple que « la mémoire est utilisée pour glorifier le rôle de l'armée rouge, en évacuant plusieurs questions comme le pacte germano-soviétique ».
En plus de l'Histoire, les Maisons russes en Afrique organisent de nombreux événements célébrant l'art russe. Des concerts de Tchaïkovski à Rabat aux projections de drames militaires à Pretoria, en passant par des spectacles de ballets au Caire, « on met surtout l'accent sur la culture classique russe », souligne Maxime Audinet, rappelant au passage que « toute la culture contemporaine – et a fortiori dissidente – est très peu mise en avant, ce qui distingue les Maisons russes des Instituts français ou des Goethe Institute par exemple ». La figure de l'écrivain Alexandre Pouchkine notamment, dont les pièces sont désormais jouées à Tunis, est omniprésente. Les Maisons russes africaines vont jusqu'à utiliser le visage de l'artiste sur plusieurs logotypes d'événements qu'elles organisent.
« Pour la Russie, la culture est aussi un champ de bataille à investir », assure Olena Snigyr, chercheuse en relations internationales associée au Centre européen Robert Schuman. « Dans l'œuvre d'auteurs comme Pouchkine ou Dostoïevski, on trouve des éléments légitimant le colonialisme », rappelle-t-elle (4). « On pourrait dire la même chose d'écrivains français ou anglais, comme Camus, souligne la chercheuse, mais ils sont aujourd'hui relus avec une approche critique, ce à quoi la littérature russe est tout à fait immune. »
La popularité de Vladimir Poutine
« Avec les Maisons russes, l'enjeu ne se porte pas tant sur la propagande ou la désinformation que sur les interprétations, les narratifs », conclut Olena Snigyr. De ce point de vue, force est de constater que les Maisons russes sont aussi un outil de diffusion de l'idéologie du Kremlin. Par exemple, en exposant au Salon du livre de Tunis d'avril 2024 des exemplaires de 25 questions sur la Crimée, un ouvrage fournit plusieurs arguments justifiant l'intervention militaire de 2014. Ou encore en organisant à Rabat une exposition sur les témoignages d'habitants des oblasts ukrainiens officiellement annexés par la Russie en 2022.
Sur certains réseaux sociaux, les différentes pages des Maisons russes africaines cumulent des milliers ou des dizaines de milliers de followers. Dans les médias, les responsables des Maisons russes décrivent tous un engouement général du public. « Nos cours de langue attirent de plus en plus de Camerounais qui veulent étudier en Russie », assure Olga Efa Fouda. Le centre de Yaoundé, s'il reste indépendant du Rossotrudnichestvo, assure des services de traduction de documents officiels. Sa directrice explique le succès des universités russes par « le coût bien moins élevé qu'en Occident et la qualité de l'enseignement », mais aussi « la popularité du président Poutine, qui tient tête à la France, aux États-Unis, et lutte contre les LGBT ».

Près de 34 000 Africains étudient en Russie pour l'année scolaire 2024-2025, selon les autorités russes. Le pays est devenu une destination attractive, mais loin derrière les États-Unis et ses 57 000 étudiants pour l'année 2022-2023, et surtout l'UE, qui accueillait 282 000 étudiants africains sur la même période. Grâce à ces alumni, le Rossotrudnichestvo peut aussi mettre en avant les parcours des boursiers les plus inspirants. « Je garde d'incroyables souvenirs, la Russie m'a accueilli et m'a super bien formé », assure par exemple Rousson El Papacito, jeune rappeur congolais diplômé en génie pétrolier de l'Université de Perm (Oural). Rousson a bénéficié de la bourse de coopération russo-congolaise, et continue à être soutenu par les autorités russes. « Je remercie d'ailleurs infiniment la directrice de la Maison russe pour son soutien », poursuit le rappeur, qui a donné un concert au Centre culturel russe de Brazzaville le 17 août 2024.
« Promouvoir les idées positives du “monde russe” »
« Le public africain reçoit avec enthousiasme le narratif russe », souligne Olena Snigyr, qui rappelle que la diffusion de la culture, de l'histoire et de la langue russes « sert à alimenter une opinion publique favorable ». En plus des discours tournés contre l'Occident, déjà diffusés par les médias du Kremlin, les Maisons russes renforcent surtout « l'image d'une grande Russie, défendant la culture et les valeurs traditionnelles, celles du russkiy mir ». Dans l'espace post-soviétique, en effet, le concept de russkiy mir (monde russe) renvoie à l'idéologie mobilisée depuis le début des années 2000 par Vladimir Poutine pour délimiter la sphère d'influence de la Russie, sur laquelle Moscou a toute légitimité à intervenir.
Dans un entretien livré en novembre 2023 à La Vie internationale (le journal du ministère russe des Affaires étrangères), Youri Gerasimov, directeur de la section du Rossotrudnichestvo à Pretoria, explique :
- Dans le cadre de leur propagande négative acharnée, les médias occidentaux diabolisent délibérément l'image de la Russie, cherchant à nous priver de notre grande culture et de notre histoire. L'une des principales missions actuelles du Rossotrudnichestvo et de nos représentations à l'étranger est donc de créer une image objective de la Russie et de promouvoir les idées positives du « monde russe »
« Le “monde russe” est une notion volontairement floue, explique de son côté Maxime Audinet, certains en ont une vision ethnocentrée, mais d'autres acteurs promeuvent une définition globale, et y incluent par exemple les sympathisants de la Russie ». Si Olena Snigyr reconnaît qu'il est « trop tôt pour parler d'extension du russkiy mir à l'Afrique », l'action des Maisons russes permet assurément de créer des liens profonds et pérennes avec le public africain. « Cela démontre une volonté de projeter un vrai soft power, pour s'implanter durablement en Afrique », résume Maxime Audinet.
Notes
1- Agence de presse fondée en 1925 et financée par le Kremlin.
2- « Des Maisons russes vont ouvrir dans sept pays africains », African Initiative, 31 janvier 2024 ; « Moscou travaille à l'ouverture de Maisons russes partenaires au Congo et en Côte d'Ivoire », Sputnik Afrique, 14 novembre 2024...
3- En 1920, en pleine guerre civile russe, une escadre de la marine impériale évacue plusieurs milliers de personnes fuyant l'avancée des Bolcheviks en Crimée. La flotte est accueillie par la France dans son protectorat de Tunisie, où elle sera internée jusqu'à la reconnaissance de l'URSS par Paris en 1924. Les navires restants sont alors restitués à l'Union soviétique. Voir Hélène Menegaldo, « Les russes à Bizerte : de la Tunisie à la France, les étapes d'une intégration contrariée », Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental contemporain, numéro 13, 2015.
4- Olena Snigyr s'appuie en grande partie sur le travail d'Ewa Thompson, slaviste américano-polonaise et spécialiste des motifs impériaux de la littérature russe. Son ouvrage Imperial Knowledge : Russian Literature and Colonialism (Westport, CT and London : Greenwood), paru en 2000, est une référence des études post-impériales sur la Russie.
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Ne pas répéter les erreurs des années ‘30* *Prendre très au sérieux les menaces de Trump et Musk !

Tandis que Trump multiplie les déclarations belliqueuses contre le Panama,le Groenland, le Canada ou les Palestiniens, les chancelleries et les médias internationaux se limitent à parler des...manœuvres tactiques du nouveau président américain.
**
*Par Yorgos Mitralias*
* Et pire, une partie de la gauche
internationale continue à célébrer Trump le pacificateur (!), celui qui
mettra fin aux conflits en cours en Ukraine et en Palestine. Et en même
temps, tandis que son second (?) Elon Musk multiplie les initiatives de
tout genre en faveur de l'extrême droite dure, néofasciste ou pas, de par
le monde, les médias et les gouvernants occidentaux se contentent de parler
de son...populisme tout en se demandant « pour qui se prend Elon Musk »…*
Manifestement, rien de nouveau sous le ciel de nos bien pensants libéraux
et autres inconditionnels de l'économie de marché : toutes ces réactions
rappellent fortement les réactions de la plupart des médias et gouvernants
occidentaux face à Mussolini et à Hitler dans les années ‘20 et ‘30. Même
aveuglement devant la catastrophe qui se prépare et pire, mêmes conversions
miraculeuses aux solutions ultra-radicales proposées par ces « populistes »
et « souverainistes » charismatiques. Comme par exemple, quand la fine
fleur de la presse économique internationale qui se moquait de
l'inénarrable nouveau président argentin il a seulement un an, lui fait
actuellement un éloge délirant, le présentant même comme un modèle aux
dirigeants occidentaux ! Et tout ça tandis que plusieurs de nos gouvernants
bien néolibéraux, se découvrent actuellement...libertariens en un temps
record !
Alors, loin de nous l'idée que Trump ou Musk ne veulent pas dire exactement
ce qu'ils disent. Ou qu'ils vont « s'assagir » une fois aux commandes et
face à la « complexité » des problèmes de notre temps. Tous ces vœux pieux,
proposés actuellement en guise d' « analyses » de la situation par nos
experts et autres « politologues », sont les mêmes, parfois mot à mot (!),
à ceux que prononçaient nos dirigeants et nos médias dans les années ‘30.
Et ils ne font que semer la confusion, laissant désarmés et impuissants
ceux d'en bas face à la catastrophe qui se prépare contre eux…
Oui, *Musk et Trump sont pleinement conscients de ce qu'ils **promettent**
de faire, parce que leurs **projets et leurs **actes correspondent **à**
leurs désirs **et surtout **à** des **réalités** bien materielles.* C'est
ainsi que la prédilection de Musk -mais aussi de Trump dans une certaine
mesure- pour l'extrême droite dure et les néofascistes s'explique par le
fait que la précondition pour le triomphe de son *libertarianisme * (qui
abhorre même les trop timides limites que met l'Union Européenne à
l'avidité capitaliste) est d'*écraser tout mouvement syndical et d'atomiser
les travailleurs et les travailleuses.* D'ailleurs, ni Trump ni Musk ne
cachent leur désir de casser de l'ouvrier. Par exemple, en août dernier au
cours de leur « débat » retransmis en direct sur X, ils se sont amusés à
célébrer les cas des ouvriers qui avaient été licencies par Musk aussitôt
qu'ils se mettaient en greve. Et c'est exactement contre leurs prises de
position en faveur de la criminalisation du droit de grève, que le puissant
syndicat des travailleurs de l'automobile *(UAW)* a porté plainte contre
eux les accusant de "*tentative d'intimidation et de menace*" des
travailleurs. Comme a déclaré le leader de ce syndicat *Shawn Fain*, *« Trump
et Musk veulent que les gens de la classe ouvrière restent tranquilles et
se taisent, et ils en rient ouvertement. C'est dégoûtant, illégal et
totalement prévisible de la part de ces deux clowns * »...
Alors, pour briser le mouvement ouvrier, rien de plus expérimenté, de plus
déterminé et de plus organisé que cette extrême droite qui d'ailleurs est
en train de monter en flèche. Ici on ne peut pas parler seulement
d'affinités électives. En réalité on assiste déjà à la convergence qui
pourrait très bien conduire bientôt à la jonction de l'extrême droite dure
de par le monde avec les libertariens new look que représentent Musk, Milei
et peut être Trump lui-même s'il parachève son abandon du néolibéralisme.
Une telle évolution serait pourtant catastrophique pour l'humanité car elle
aboutirait à donner des ailes à une extrême droite désormais décomplexée,
encore plus agressive et ouvertement nostalgique de ses ancêtres fascistes,
au moment même où elle est en train de devenir la première force politique
presque partout en Europe et au monde.
D'ailleurs, force est de constater que cette jonction des libertariens avec
l'extrême droite dure et autres nostalgiques du fascisme est grandement
facilité par l'abandon par les libertariens nouvelle mouture Musk, Milei et
leurs amis, tant de l'anti-étatisme viscéral que de la défense des droits
individuels qui caractérisaient le libertarianisme traditionnel. C'est
ainsi qu'on voit Musk et ses acolytes libertariens de par monde, non
seulement adopter sans états d'âme mais même devenir les champions des
traditionnelles théories et préjugés racistes, réactionnaires et
obscurantistes de l'extrême droite dure et néofasciste !(1) Le résultat est
qu'une partie toujours plus grande de l'extrême droite mondiale abandonne
maintenant son étatisme traditionnel pour adhérer au libertarianisme à la
Musk, tandis que le dernier abandonne sa traditionnelle défense des droits
individuels pour adopter les théories et les comportements violemment
anti-socialistes, bellicistes, complotistes, racistes, misogynes,
anti-LGBT, anti-migrants, anti-jeunes, anti-écologiques, et
climato-negationistes de l'extreme droite dure et néofasciste.* C'est donc
sur cette base bien solide de leurs « valeurs » et intérêts convergents
sinon communs que pourrait s'opérer la fusion de l'extrême droite mondiale
avec le libertarianisme triomphant de Musk et Milei,*(2) suivis désormais
de près par Trump. Une fusion qui donnerait alors naissance à un monstre
dont la puissance destructrice pourrait bien dépasser tout ce qu'on a connu
au siècle passé...
Voici donc la réponse à une question qui semble travailler énormément
dernièrement les medias et les experts en fascisme : Oui, Musk est bel et
bien fasciste, même si son fascisme est d'un genre nouveau. Comme
d'ailleurs était fasciste pur sang son très illustre ancêtre Henry Ford,
lui aussi constructeur de voitures, grand novateur du capitalisme en son
temps, milliardaire et figure emblématique du capitalisme triomphant
américain. *Ce Henry Ford qui partage avec Elon Musk la même admiration
pour deux très sulfureux politiciens Allemands : le premier pour Adolphe
Hitler et le deuxième pour la présidente de l'AFD néofasciste Alice Weide*l.
Ce Henry Ford dont le portrait trônait toujours au-dessus du fauteuil de
Hitler dans son bureau, car Ford avait « découvert » et financé Hitler
avant tous les autres, et son antisémitisme radical (quatre volumes
d'écrits de sa propre main !) l'avait inspiré et guidé comme aucun autre.
D'ailleurs, Musk ne fait actuellement que suivre l'exemple du nazi Henry
Ford quand il brise des gréves et attaque les syndicats ouvriers. Seule
différence entre les deux : Ford avait sa propre armée de 3.000 nervis
briseurs de gréve, tandis que Musk n'en a pas (encore ?) et a recours à des
milices privées…
Notre conclusion ne peut être que provisoire car on n'est encore qu'au tout
début de cette histoire cauchemardesque. Cependant, on peut déjà affirmer
qu'il ne faut pas répéter l'erreur de nos ancêtres des années ‘30 et qu'il
faut prendre très au sérieux les dires et les menaces de Trump et de Musk,
et se préparer de toute urgence pour leur faire barrage D'ailleurs, les
besoins de défense nationale qu'invoque actuellement Trump quand il
n'exclut pas l'usage de la force pour attaquer le Panama, le Groenland ou
le Canada rappelle imperceptiblement les besoins du « *l**ebensraum* »
(espace vital) qu'invoquait à son temps Hitler quand il mettait à feu et à
sang l'Europe et le monde entier…
*Note*
*1. *La prédilection de Trump et Musk pour l'extrême droite très très dure
et carrément néofasciste est illustré aussi par le choix des invités à la
cérémonie d'investiture de Trump le 20 janvier à Washington. Par exemple,
il n'y aura qu'un invité Français, qui ne sera évidemment pas le président
Macron, ni même Marine Le Pen, considérée manifestement trop modérée.
L'unique invité est ...Eric Zemmour ! Tout un programme...
*2**.* Voir aussi *La menace fasciste se précise d'autant que Milei appelle
à la création de l'Internationale brune ! : **https://inprecor.fr/node/4480*
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L’internationale réactionnaire sur les amphétamines avec Musk

Une structure politique qui ne cesse de croitre vient, avec l'appui de Musk, de prendre une ampleur qui lui était inconnue au XXI siècle.
Les recherches pour une « internationale réactionnaire » ne sont pas récentes. Dans un texte signé par Éric Aeschimann publié dans l'édition du 9 octobre 2009 du journal Libération, il considérait comme faisant partie de cette internationale, des néoconservateurs Américains et Italiens, mais aussi des ex-maoïstes français, des penseurs nationalistes chinois et le pape Benoît XVI. Selon lui, le ressort profond de cette internationale était une haine des Lumières.
Un texte de Ludovic Lamant publié le 16 décembre 2016 dans Mediapart dénonçant la poussée des forces « préfascistes », anticipait que les élections qui allaient venir en Allemagne et en France, pouvaient consacrer cette internationale réactionnaire, qui monopolisait déjà, selon lui, le rôle d'opposition à « l'establishment ».
L'Obs du 26 septembre 2019 plantait définitivement le drapeau avec un texte de Xavier de la Porte titrant « Il y a aujourd'hui une Internationale réactionnaire » faisant référence au livre « l'Esprit de réaction » de l'historien américain Mark Lilla, qui considérait les réactionnaires non comme des conservateurs, dont les combats tournent autour de la relation entre l'individu et la société, mais étant plutôt des gens voulant contrer les révolutionnaires.
Il y aurait deux types de réaction, celle de rupture permet de revenir en arrière et de reconstruire le monde tel qu'il était, l'autre est de passer au-dessus du présent et de créer une nouvelle société inspirée du passé. Les réactionnaires voudraient essentiellement contrôler l'Histoire. Ceux-ci seraient en pleine mythologie et idolâtrie du passé sans chercher à apprendre de lui. « Il faut se méfier des réactionnaires parce qu'ils ont réponse à tout », affirmait Mark Lilla.
Selon d'autres articles de journaux de l'époque, cette internationale était présente dans le gouvernement du président du Brésil Jair Bolsonaro, en Italie, en Hongrie, en Pologne et durant le premier mandat de Donald Trump.
Le Monde diplomatique intégrait, dans son édition de septembre 2020, l'expansion de l'évangélisme dans cette internationale réactionnaire, alors que quatre décennies d'une dynamique ultraconservatrice du monde protestant influaient sur les questions sociales, économiques et diplomatiques au Mexico à Séoul, Lagos et de nombreuses autres régions du monde.
Les réactionnaires sur leur X avec Musk et Trump
L'internationale réactionnaire a atteint ces derniers jours une visibilité mondiale. Le président français, Emmanuel Macron, regrettait récemment de voir l'homme le plus riche de la planète soutenir « une internationale réactionnaire » en Europe. Il a affirmé devant des ambassadeurs français : « Voilà dix ans, si on nous avait dit que le propriétaire d'un des plus grands réseaux sociaux du monde soutiendrait une nouvelle internationale réactionnaire et interviendrait directement dans les élections, y compris en Allemagne, qui l'aurait imaginé ? » Il faisait référence au soutien d'Elon Musk au parti d'extrême droite allemand AfD dans le journal Die Welt, et ce, en pleine campagne pour les élections anticipées. Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a aussi parlé d'internationale réactionnaire pour qualifier les soutiens d'Elon Musk.
De nombreux commentateurs politiques voient dans les propos d'Elon Musk et de Donald Trump une volonté de changer les règles internationales pour faire émerger un nouvel ordre mondial. Le directeur de l'Institut français des relations internationales (Ifri), Thomas Gomart, considère que ce qu'ils disent doit être pris au sérieux, affirmant qu'il ne fallait surtout pas sous-estimer la volonté de la deuxième administration Trump de changer les règles puisqu'il aurait attiré à lui une partie de l'« establishment tec ». Les démocraties seraient menacées non seulement par les déclarations expansionnistes et l'imprévisibilité de Trump, mais aussi la puissance médiatique d'Elon Musk, l'homme le plus riche du monde.
Comment réagir ?
L'Europe est loin d'une réponse cohérente. Si la Commission européenne retient son souffle avant le retour de Donald Trump, elle met cependant en place de nouveaux règlements tels le Digital Services Act (DSA) pour encadrer les activités numériques des « Big Tech ».
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, veut que la Commission agisse avec la plus grande fermeté contre ce qui pourrait être des violations flagrantes de ce DSA par la plateforme X. Forte de 150 spécialistes du numérique, la Commission enquêterait déjà depuis plus d'un an sur X, visant entre autres un problème de tromperie sur les comptes certifiés et le manque de transparence sur les publicités. D'éventuelles manipulations de l'algorithme de X pour promouvoir certains contenus semblent aussi dans le collimateur. Avec le DSA, l'Union européenne pourrait condamner X à une amende allant jusqu'à 6 % de son chiffre d'affaires mondial. Il y aurait cependant un choix politique de ne pas faire de vague pour l'instant. La délégation des socialistes français a écrit à la Commission pour lui demander d'expliquer sa stratégie. L'eurodéputée PS Chloé Ridel affirme que « Tout le monde est pris comme des lapins dans les phares d'une voiture ».
Curieusement, cette vision antitrust des Européens contre les Big Tech se retrouve aussi dans les pages du « Projet 2025 » de la fondation Heritage, un groupe de réflexion national-conservateur, qui a aidé Trump à gagner ses élections. Certains des membres de ce groupe devraient faire partie de la nouvelle administration américaine.
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Libérez, délivrez, régularisez nos places handicapées !

Aller et venir est un plaisir, c'est aussi une liberté reconnue parmi les droits fondamentaux. L'État et les collectivités publiques ont donc l'obligation de réaliser tous les travaux et aménagements favorisant la libre circulation.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/27/liberez-delivrez-regularisez-nos-places-handicapees/?jetpack_skip_subscription_popup
En ville, des millions de personnes en fauteuil, appuyées sur des cannes, béquilles, déambulateurs… se heurtent à des difficultés majeures. Car des municipalités compliquent sciemment le quotidien de leurs administrés handicapés.
Aller et venir, se déplacer librement est un plaisir, c'est aussi une liberté reconnue parmi les droits fondamentaux. L'État et les collectivités publiques ont donc l'obligation de réaliser tous les travaux et aménagements favorisant la libre circulation. Pour des millions de personnes en situation de handicap, moteur notamment, la voiture est indispensable pour aller d'un point à un autre. On connaît les difficultés majeures auxquelles se heurtent, en ville, ces personnes en fauteuil, appuyées sur des cannes, béquilles, déambulateurs… Les politiques nous ont habitués à leurs discours contrits et leurs promesses de fumée. Mais des municipalités compliquent sciemment le quotidien de leurs administrés handicapés. Par cette tribune, Droit Pluriel veut rendre publiques ces pratiques qui nuisent à des contribuables qui ne savent plus vers qui se tourner.
Tout d'abord, il y a le handi-washing entretenu par ces villes qui affichent leur prétendue volonté de faciliter le déplacement des personnes en situation de handicap. Ainsi, Hazebrouck se vante de ses 15% de places réservées aux personnes à mobilité réduite au lieu des 2% réglementaires. De son côté, Toulon fanfaronne avec 181 nouvelles places PMR. Formidable ! les rues de ces communes sont notoirement colorées d'emplacements bleus marqués du personnage en fauteuil roulant. Voilà une ville inclusive, serait-on tenté de penser. Voilà d'ailleurs ce que veulent laisser croire des équipes municipales peu scrupuleuses car il ne s'agit là que d'un cynique jeu de trompe-l'œil. Notre enquête nous a montré que de très nombreuses municipalités usent du même procédé : elles conçoivent des places inférieures à la taille nécessaire pour le véhicule d'une personne en fauteuil. Ou encore, elles omettent volontairement de planter sur ces places bleues le panneau signalétique imposé par la loi. Résultat : n'importe qui peut s'y garer sans être verbalisé. Les habitants le savent. Il s'agit de fausses « places handicapés », pure démagogie à visée électorale. Si on peut se faire quelques voix sur le dos des handicapés…
Autre bâton dans les roues : le système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI). Ce dispositif remplace progressivement les pervenches traditionnelles qui verbalisaient manuellement. De quoi s'agit-il ? Des voitures équipées de caméras sillonnent la ville et photographient les plaques d'immatriculation des personnes mal garées, et l'amende est automatiquement envoyée au propriétaire du véhicule. Sauf que la Carte mobilité inclusion (reconnaissance administrative du handicap) permet de se garer gratuitement sur toutes les places dès lors qu'elle porte la mention « stationnement ». Il suffisait naguère de mettre en évidence la carte sur le tableau de bord pour que l'agent ne verbalise pas. Ce système que certaines villes ont conservé n'était pas sans faille puisque des amendes tombaient malgré tout, mais la démarche répondait à l'objectif : ne pas créer d'obstacle supplémentaire pour des personnes déjà bien entravées par le handicap. Dorénavant, avec le système LAPI, les titulaires de la CMI doivent s'enregistrer sur le logiciel dédié avant de venir. Il ne suffit pas de le faire une fois pour toutes : chaque mairie a son propre logiciel, parfois il y a un délai d'inscription, il faut se réinscrire régulièrement… Adieu l'impro ! Parfois, seule une voiture peut être enregistrée, tant pis pour les parents d'enfants handicapés qui ont chacun leur véhicule. Tant pis aussi pour les personnes empêchées par le handicap d'accéder au numérique. Et dans les cas où la municipalité a conservé le système du bon vieux ticket, tant pis pour celles et ceux qui n'accèdent pas aux horodateurs trop hauts, trop loin ou à l'écran illisible… La loi oblige à faciliter le déplacement : on voudrait enfermer chez elles ces milliers de personnes qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
Enfin, dernier obstacle : le forfait post-stationnement (FPS). Habituellement, les amendes sont des contraventions de droit pénal qui s'inscrivent dans un cadre strict pour ne pas punir à la légère. Mais en matière de stationnement payant, les amendes ont une nature administrative, et les conséquences sont importantes. Auparavant, il fallait obligatoirement payer la somme réclamée pour pouvoir contester devant la Commission du contentieux du stationnement payant, une juridiction… qui ne siège qu'à Limoges. En 2020, le Conseil constitutionnel a abrogé cette règle injuste. Cependant, aucune nouvelle loi n'est venue se substituer à l'ancien système, si bien que certaines municipalités comme Arles continuent d'envoyer des FPS aux personnes en situation de handicap. Et, ultime aberration, les amendes peuvent se cumuler, jusqu'à plus de mille euros… Est-ce acceptable pour une personne qui a acquis ce droit de stationner gratuitement et reçoit une Allocation aux adultes handicapés de 1016 euros par mois ? Le Conseil d'État a rendu une décision complètement lunaire arguant qu'il ne s'agissait que de « litiges portant, la plupart du temps, sur de faibles sommes ».
Il n'est pas possible de battre des mains devant les athlètes paralympiques et empêcher ces mêmes personnes, dès lors qu'elles ont laissé leur maillot au vestiaire, de se rendre au travail, chercher leurs enfants à la sortie de l'école ou aller au supermarché… Stationnement ou pas, quand accepterez-vous de nous laisser une place ? La France ne peut pas aimer que les handicapés médaillés !
Anne-Sarah Kertudo et Romain Dubos
Droit Pluriel
Association nationale de défense des droits des personnes en situation de handicap
https://blogs.mediapart.fr/droit-pluriel/blog/171224/liberez-delivrez-regularisez-nos-places-handicapees
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La bataille navale et la lutte pour l’Arctique entre les États-Unis et la Chine

L'avancée chinoise en Arctique dans la construction de la Route de la soie polaire, ainsi que le développement accéléré de son industrie navale, mettent le futur président américain sous pression. La faiblesse des Etats-Unis dans le secteur stratégique de la construction navale, couplée au rapide développement chinois, crée une situation explosive qui explique les menaces de Trump sur le Groenland.
15 janvier 2025 | tiré du site de Révolution permanente | Cet article est paru dans La Izquierda Diario le 13 janvier 2025.
https://www.revolutionpermanente.fr/La-bataille-navale-et-la-lutte-pour-l-Arctique-entre-les-Etats-Unis-et-la-Chine
À une semaine de l'investiture de Trump, un rapport demandé par l'administration Biden donne au nouveau président l'occasion de mettre en avant sa politique agressive vis-à-vis de la construction navale et de la bataille pour l'Arctique. Un sujet très sensible, comme en témoignent les déclarations de Trump sur un éventuel achat du Groenland.
Ce lundi, le Bureau de la Représentante américaine du commerce (USTR, United States Trade Representative), dirigé par la démocrate Katherine Tai, a présenté les résultats d'une enquête entamée en avril 2024. Elle concerne la section 301 du Trade Act de 1974 - qui permet aux États-Unis de pénaliser les pays étrangers qui se livreraient à des actes « injustifiables » ou « déraisonnables », ou qui porteraient atteinte au commerce des Etats-Unis.
L'étude a montré que la Chine a développé sa construction navale et son industrie maritime pour dominer le secteur au niveau mondial en « utilisant le soutien financier de l'État, les barrières pour les entreprises étrangères, le transfert forcé de technologie et le vol de propriété intellectuelle, ainsi que les politiques d'approvisionnement » pour donner un avantage à ses industries.
Cette pratique n'est pas nouvelle, car la Chine y a eu recours dans des secteurs industriels clés pour accélérer son développement au cours des dernières décennies. Cependant, l'industrie navale (tout comme les micropuces), qui comprend la construction navale commerciale et militaire, représente un secteur stratégique dans la lutte pour le pouvoir et un domaine dans lequel les États-Unis se sont particulièrement affaiblis.
L'enquête montre que la part de la Chine dans l'industrie mondiale de la construction navale, qui s'élève aujourd'hui à 150 milliards de dollars, est passée de 5 % en 2000 à plus de 50 % en 2023, tandis que les constructeurs navals américains, autrefois les plus importants, ont vu leur part chuter en dessous de 1 %.
Aux États-Unis, il ne reste plus que 20 chantiers navals publics et privés, contre plus de 300 au début des années 1980. Selon certains experts, la reconstruction de l'industrie navale et maritime des Etats-Unis prendrait des décennies et coûterait des dizaines de milliards de dollars. Trump lui-même a laissé entendre que les États-Unis pourraient devoir se tourner vers leurs alliés pour construire les navires de guerre dont l'armée américaine aurait besoin. On peut alors penser à la Corée du Sud et au Japon, qui sont les deuxième et troisième constructeurs après la Chine.
Trump a déjà utilisé les mêmes dispositions de la Section 301 pour imposer des tarifs sur des centaines de milliards de dollars d'importations chinoises lors de son premier mandat, des tarifs qui ont été maintenus et même renforcés sous l'administration Biden.
Ce nouveau rapport permettra à Trump d'avoir dans son jeu un « motif valable » pour menacer de nouveaux droits de douane, comme lorsqu'il a déclaré pendant sa campagne électorale qu'il appliquerait des taux allant jusqu'à 60 % sur les importations de certains produits, bien qu'il y ait de nombreux doutes sur la faisabilité d'une telle mesure, qui impliquerait un saut inflationniste sur les matières premières et les produits fabriqués à l'intérieur des États-Unis. Mais l'industrie de la construction navale n'est pas la même et implique une menace directe pour la sécurité américaine dans le contexte du déclin hégémonique des États-Unis.
C'est pourquoi le nouveau conseiller à la sécurité nationale de Trump, Mike Waltz, a également participé à la rédaction accélérée d'un projet de loi bipartisan avec le sénateur démocrate Mark Kelly pour revitaliser l'industrie de la construction navale américaine avant de démissionner du Congrès.
La lutte pour l'Arctique fait partie de ce combat géopolitique, que Trump a poursuivi la semaine dernière en suggérant qu'il avait l'intention d'acheter le Groenland et qu'il n'excluait pas une action militaire pour s'emparer de ce territoire stratégique.
La route de la soie polaire
La Chine a acquis un avantage inégalé sur les États-Unis dans l'Arctique et mène une stratégie propre dans la région. La Route maritime du Nord, également connue sous le nom de Route de la soie polaire, est depuis des années en cours de construction par la Chine, avec l'aide de la Russie.
En janvier 2018, le gouvernement chinois a publié la “Politique arctique de la Chine”, décrivant son plan pour « utiliser les ressources de l'Arctique » et « participer activement à la gouvernance de l'Arctique et à la coopération internationale ». Parmi les points centraux figurent : 1) la participation de la Chine au développement des routes maritimes arctiques ; 2) participer à l'exploration des sols et à l'exploitation du pétrole, du gaz, des minéraux et d'autres ressources non vivantes ; 3) participer à la conservation et à l'utilisation de la pêche et d'autres ressources vivantes ;
4) participer au développement du tourisme.
Dans la section « Participation active à la gouvernance de l'Arctique », on peut lire que « la Chine soutient le système actuel de gouvernance de l'Arctique fondé sur la Charte des Nations unies et la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, et joue un rôle constructif dans l'élaboration, l'interprétation, la mise en œuvre et le développement des normes internationales liées à l'Arctique, et sauvegarde les intérêts communs de toutes les nations et de la communauté internationale ». En d'autres termes, alors que Trump menace d'une action militaire pour s'emparer du Groenland, la Chine se positionne comme puissance hégémonique afin de « sauvegarder les intérêts communs », tout en avançant dans le développement d'une flotte maritime capable de représenter un danger pour Washington.
Comme le note Yong Jian dans Asia Times, « au cours des sept dernières années, la Chine a fait des progrès significatifs dans la mise en œuvre de ses politiques en Arctique. Par exemple, lors de la seconde moitié de 2023, NewNew Shipping Line, une société chinoise qui s'est associée à la Russie, a effectué sept voyages en porte-conteneurs entre l'Asie et l'Europe via l'océan Arctique. En juillet dernier, elle a inauguré une nouvelle route arctique reliant Shanghai à Saint-Pétersbourg ».
Cette route peut raccourcir d'un tiers l'itinéraire traditionnel entre l'Asie et l'Europe qui passe par le détroit de Malacca et le canal de Suez, et revêt une importance stratégique pour Pékin.
Le détroit de Malacca, situé entre la Malaisie et l'île indonésienne de Sumatra, est la principale voie de navigation entre l'océan Pacifique et l'océan Indien. Environ un quart du commerce mondial de marchandises, comme le pétrole et les produits manufacturés chinois, passe par ce détroit. Environ un quart de tout le pétrole transporté par voie maritime passe par ce détroit, principalement en provenance des fournisseurs du golfe Persique vers les marchés asiatiques chinois, japonais et sud-coréens.
En d'autres termes, si les États-Unis tentaient de bloquer le détroit de Malacca par des moyens militaires, l'approvisionnement en pétrole de la Chine serait immédiatement confronté à un grave problème. C'est pourquoi le développement de la route maritime du Nord permet non seulement de gagner du temps et de réduire les coûts, mais surtout d'ouvrir une autre voie pour sécuriser l'approvisionnement énergétique de la Chine.
L'acquisition du Groenland par les États-Unis, qui pour l'instant n'est envisagée que dans les discours de Trump, pourrait aider l'impérialisme américain à retarder les projets de la Chine dans la région et à rendre la navigation dans ces eaux beaucoup plus coûteuse grâce à une augmentation disproportionnée de l'assurance maritime dans une région qui serait considérée comme une zone de guerre.
Plus largement, les fanfaronnades de Trump s'inscrivent dans le contexte de déclin de l'hégémonie du principal pays impérialiste. Dans un monde, où s'accentuent de plus en plus les tendances à la guerre, où les grandes puissances augmentent leurs budgets militaires, une politique plus agressive de la part du nouveau président américain ne peut que jeter de l'huile sur le feu.
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Entre l’effroi et la folie, l’Argentine à l’heure de Milei

Nous assistons probablement à une crise organique du capital à l'échelle mondiale. Le système impérialiste d'après-guerre, vainqueur de la guerre froide, se trouve aujourd'hui fragilisé et contesté dans de nombreuses régions du monde. L'émergence de courants d'extrême droite qui soutiennent le néolibéralisme et son ethos autoritaire s'installe dans les pays du noyau impérialiste et, avec des déclinaisons différentes, dans des pays de la périphérie ou de la semi-périphérie, comme le Brésil et l'Argentine de Milei.
Tiré de Inprecor 728 - Janvier 2025
9 janvier 2025
Par Nicolas Menna
« Entre l'effroi et la tendresse, l'heure matinale,
l'homme travaille, dans la folie,
pour demain, pour demain. »
— Silvio Rodríguez
Le gouvernement de Javier Milei a mis en œuvre une série de mesures qui ont profondément transformé l'économie argentine, avec le démantèlement du secteur public, la dérégulation des marchés pour favoriser les grandes entreprises et les investisseurs étrangers, la dévaluation de la monnaie en vue d'une éventuelle dollarisation, et la promotion d'un capitalisme sans restrictions comme solution à la crise économique. Ces initiatives incluent des réductions drastiques des subventions à l'énergie et aux transports, des licenciements massifs dans le secteur public, le gel des projets d'infrastructure et le plafonnement des salaires et des retraites en dessous du niveau de l'inflation.
Les effets de ces politiques ne se sont pas fait attendre. En 2024, l'économie argentine a enregistré une contraction de 3,5 %, soit la plus forte baisse parmi les économies du G20, dépassée uniquement par Haïti et le Soudan du Sud. Bien que l'inflation mensuelle ait ralenti, les prix restent 190 % plus élevés qu'un an auparavant. Les dépenses publiques ont été réduites de 30 % en termes réels, touchant profondément des secteurs clés tels que les infrastructures (– 74 %), l'éducation (– 52 %), le développement social (– 60 %), la santé (– 28 %) et l'aide fédérale aux provinces (– 68 %).
Les conséquences sociales ont été sévères, avec une augmentation significative des taux de pauvreté et de chômage, touchant particulièrement les secteurs les plus vulnérables. L'effondrement de la production industrielle et la fermeture d'entreprises, à un rythme moyen de 40 par jour, ont provoqué plus de 600 000 suppressions d'emplois. Cette situation ne peut que s'aggraver, exacerbée par une hausse du coût de la vie alimentée par un décalage du taux de change peso/dollar, qui affaiblit la compétitivité face à une vague imminente d'importations.
Les données économiques de l'Institut national de statistiques (INDEC) sont préoccupantes. Sur une base annuelle, la contraction a atteint 3,3 %, accumulant un recul de 3,1 % depuis le début de l'année, selon l'Estimation mensuelle de l'activité économique (EMAE). Douze secteurs clés ont enregistré des baisses significatives, notamment la pêche (– 25,2 %), la construction (– 16,6 %), le commerce (– 8,3 %) et l'industrie manufacturière (– 6,2 %), reflétant un affaiblissement du marché intérieur, qui représente 80 % de l'économie. En revanche, l'exploitation des mines et des carrières (+ 7,6 %) et le secteur énergétique, avec une croissance de 23,4 % des exportations de combustibles et d'énergie, offrent un peu d'optimisme en termes de revenus en devises.
Dans le même temps, les réformes mises en place, telles que la « Loi des Bases » et les mesures fiscales, ont engendré une crise sociale de grande ampleur. Bien que certains progrès macroéconomiques soient considérés positivement d'un point de vue néolibéral, les contradictions persistent (1).
Malgré ce panorama complexe, un an après son investiture, il n'y a pas eu le débordement social que beaucoup espéraient.
Au contraire, on peut dire que le gouvernement traverse une phase de stabilisation. Dans la rue, une relative passivité prévaut, obtenue notamment grâce à la forte répression des premiers jours : application du protocole anti-blocages, persécutions et chantage envers les mouvements de chômeurs, etc. Une manifestation sur trois a été réprimée par la police. Au Parlement, l'opposition aux lois sur les super-pouvoirs ou « les bases » a été contournée par l'adoption de décrets d'urgence (DNU) ou de lois soutenues par des alliances avec le Pro (2), les radicaux et une partie du péronisme. De plus, tous les projets de loi visant à détendre la situation, comme le budget pour les universités ou l'augmentation des retraites, ont été rejetés par le veto présidentiel.
Pour tenter d'identifier les raisons de cette relative stabilité, nous nous efforçons de comprendre la situation de la classe ouvrière, d'analyser la pénétration de l'idéologie libertarienne et sa relation avec les forces sociales existantes.
Une nouvelle structure économique et sociale
Dans l'imaginaire d'une grosse partie de la population, il existe une représentation atemporelle de la société argentine, héritée des processus d'industrialisation de la première moitié du siècle dernier, où les projets péronistes et « desarrollistas » (3) ont contribué à l'émergence d'une société « capitaliste avancée » avec une capacité industrielle, et par conséquent, une classe ouvrière et des « classes moyennes » très étendues. Ces deux classes se réfèrent à deux cultures politiques bien différenciées : les masses populaires s'identifient essentiellement au péronisme comme expression de « l'être national », tandis que les couches moyennes, par opposition ou par peur du déclassement, se sont réfugiées dans un anti-péronisme qui atteint des degrés de violence très élevés.
La dictature militaire de 1976-1983 a apporté un projet nouveau : celui du néolibéralisme comme réponse à la crise du capitalisme des années 1970. Ce programme a été adopté par la bourgeoisie argentine avec une grande clarté idéologique et stratégique : briser la classe ouvrière, considérée comme un problème majeur en raison de son haut niveau de combativité et de résistance. La dictature n'ayant pas réussi à se débarrasser des mouvements ouvriers, c'est paradoxalement le péronisme lui-même, s'étant pourtant érigé en défenseur de la classe ouvrière, qui lui a infligé une défaite. Le gouvernement de Carlos Menem (1989-1998) a en effet mis en pratique ce que la dictature n'avait fait qu'esquisser : une modification radicale du pays, confirmant le retrait de l'intervention de l'État, la re-primarisation de l'économie et la réduction de fait de la capacité d'organisation de la classe. La désarticulation des masses populaires, la précarité croissante et la rupture de leurs formes d'organisation ont concrétisé un changement structurel dans leur composition.
Les mouvements populaires comme celui des piqueteros et des travailleurs sans emploi ont développé des organisations de soutien à l'échelle des quartiers et ils ont récupéré le répertoire du mouvement ouvrier avec les « soupes populaires » et les piquets de grève, tout en leur donnant un caractère permanent, À la fin des années 1990, ils ont été protagonistes des luttes ayant provoqué la chute du gouvernement de Fernando De la Rúa.
Le gouvernement péroniste qui lui a succédé (le « kirchnérisme ») a mis entre parenthèses cette stratégie, mais n'a pas réussi à inverser le processus de restructuration sociale en cours. Les gouvernements de diverses tendances qui ont suivi ont eu comme effet de confirmer la crise de ce modèle. Le fait qu'aucun des présidents suivants n'ait réussi à se faire réélire illustre le refus et la défaite de ces politiques, mais confirme également la modification structurelle de la classe.
Un chiffre rend compte à lui seul de ce changement, celui sur l'évolution du travail informel : quasiment inexistant dans les années 1970, il a connu une croissance constante pour atteindre 32,6 % dans les années 1990, grimper à 49,5 % avant la crise de 2001 et se situer aujourd'hui autour de 36 % (4). Une organisation structurelle du travail informel s'est donc installée dans le pays depuis plus de 30 ans.
Le projet de Milei bénéficie donc du soutien de la fraction de la bourgeoisie la plus étroitement liée au système impérialiste, et cela en raison de la promesse d'infliger une défaite définitive à la classe ouvrière.
En particulier, ce soutien se manifeste de manière très palpable dans les médias, qui fonctionnent presque comme des organes de propagande.
Le rôle des médias
Dans les Documents de Santa Fe I et II (5), les États-Unis ont esquissé leur stratégie de domination pour l'Amérique latine dans l'ère post-dictatoriale. Ces documents rédigés à la fin des années 1980 mettent en avant deux axes fondamentaux pour assurer leur influence : le contrôle des structures permanentes de l'État (comme le pouvoir judiciaire, l'appareil policier et l'armée) et celui des médias, devenus un outil clé pour consolider leur hégémonie culturelle et politique tout en étouffant les voix dissidentes. Ces textes préfigurent ce que l'on appelle aujourd'hui le lawfare, mais leur portée dépasse ce cadre : ils révèlent les relations intimes entre les classes dirigeantes locales, les structures étatiques et le système impérialiste.
Sous le gouvernement de Menem, un processus accéléré de concentration médiatique s'est opéré, facilité par la dérégulation de l'État et la privatisation des entreprises de télécommunications (téléphonie et services informatiques naissants à l'époque). Le principal bénéficiaire de ce processus – bien qu'il ne soit pas le seul – a été le groupe Clarín. Aujourd'hui, ce dernier domine une grande partie de la production audiovisuelle (via ses chaînes et le contrôle des grilles de ses distributeurs de câble), des télécommunications (fournisseurs d'accès à Internet), ainsi que les principales chaînes d'information (TN, Canal 13) et de retransmission sportive, notamment le football (TyC) (6).
Dans ce contexte, les réseaux sociaux ont amplifié l'idéologie de la classe dominante propagée par les médias traditionnels. L'adoption initiale de l'idéologie libertarienne par un groupe social disposant d'un fort accès aux réseaux sociaux et d'une capacité d'influence importante grâce à elles ne doit pas être ignorée. Les liens entre ces plateformes numériques et les médias « classiques » sont étroits, et ensemble ils fonctionnent selon une logique de saturation de l'opinion publique.
Ce rôle des médias ne doit pas être sous-estimé, en particulier lorsque leur monopole accompagne le processus de désarticulation de la classe ouvrière décrit précédemment. Privés de soutien social et politique, isolés par l'individualisme néolibéral, les membres de cette classe se trouvent désarmés face au bombardement constant des messages médiatiques. Ces derniers recourent à des stratégies de guerre psychologique – journalisme de guerre (7) – pour imposer non seulement leur agenda immédiat, mais également une vision du monde à long terme.
L'effondrement du péronisme et la marginalité de la gauche
Le péronisme a longtemps servi de canal pour les aspirations des majorités populaires, intégrant l'idée de Nation et la dignité des travailleurs. Cette identification a laissé peu de marge à la gauche marxiste, malgré son rôle fondateur dans l'émergence du mouvement ouvrier, initialement porté par des vagues d'immigrant·es européen·nes ayant importé leurs organisations et idéologies. Certaines de ces tendances, comme le syndicalisme et des éléments de socialisme, ont contribué à la genèse du péronisme.
Cependant, la dynamique de concurrence a engendré une hostilité mutuelle entre les deux mouvements (8). Le Parti communiste argentin (PCA), alors majoritaire dans la classe ouvrière, a pris des positions qui l'ont progressivement isolé, amorçant un déclin qui l'a relégué dans les classes moyennes. Dans ce vide, des organisations trotskistes ont émergé, gagnant en importance, notamment dans les années 1970. Leur fusion avec le guévarisme, à cette époque, a permis de porter le marxisme révolutionnaire à son apogée. Parallèlement, grâce à l'influence de la Révolution cubaine, le guévarisme a également influencé le péronisme, l'orientant brièvement vers la gauche.
Cet élan de la lutte des classes a été brisé par le coup d'État de 1976, marquant le début de la transformation néolibérale (9).
Paradoxalement, avec la fin de la dictature, le péronisme s'est consolidé comme une identité populaire. Pourtant, cette identification symbolique contrastait avec les réalités pratiques des gouvernements péronistes, à commencer par celui de Carlos Menem (1989-1998), qui a adopté le programme du Consensus de Washington (10) et concrétisé la restructuration néolibérale.
Ce modèle menemiste a implosé lors de la crise de 2001, résorbée, non sans contradictions, par le péronisme lui-même à travers les gouvernements kirchnéristes. Ces gouvernements ont tenté de mettre en œuvre un programme « néo-desarrollista », centré sur une redistribution des revenus (mais pas de la richesse ni de sa concentration) et une relative autonomie face à l'impérialisme.
Politiquement, ils ont instauré une alliance inédite entre les masses populaires et une partie de la classe moyenne « progressiste » (11). Cette période a vu l'adoption de nombreuses mesures progressistes, dont la plus emblématique est le « mariage pour tous ».
Toutefois, le « modèle kirchnériste » est devenu insoutenable dès 2008, après la défaite face à la rébellion fiscale du « campo » (les secteurs concentrés de l'agriculture). Les années suivantes ont été marquées par une stagnation économique accompagnée d'une érosion progressive, notamment alimentée par l'offensive médiatique.
Le gouvernement péroniste suivant n'a pas amélioré les conditions de vie de la classe ouvrière ni établi un rapport de forces favorable à un projet de redistribution. Cela a renforcé le désenchantement de larges segments des classes populaires, confirmant l'effondrement progressif de sa représentation traditionnelle.
Le syndicalisme absorbé par le système
Le péronisme et ses modes d'articulation avec la société ont profondément évolué sous l'effet de la transformation néolibérale. D'un côté, il s'est enraciné en renforçant une structure clientéliste et, de l'autre, il a intégré un agenda libéral, principalement sur le plan économique, mais aussi, dans certains cas, politique, lorsque l'équilibre interne s'est déplacé en faveur des secteurs les plus progressistes.
Cependant, les mutations structurelles du pouvoir ont eu des impacts très importants non seulement sur le Parti justicialiste mais également sur les organisations syndicales. La Confédération générale du travail (CGT), organisation phare du mouvement ouvrier et longtemps considérée comme « la colonne vertébrale du péronisme », a également vu son rôle décliner de façon marquée depuis le retour à la démocratie.
Plusieurs facteurs expliquent cette perte d'influence. L'expansion de l'économie informelle et la réduction du nombre total d'emplois industriels – passés de 25 % de la population économiquement active dans les années 1980 à environ 15 % aujourd'hui – ont affaibli sa capacité de pression. Par ailleurs, l'assimilation progressive de ses dirigeants à la classe bourgeoise a accentué ce déclin. D'abord par la gestion des « Obras Sociales » (des mutuelles de santé, qui constituent une source de revenus clé pour les syndicats), puis par leur transformation en entrepreneurs via la sous-traitance.
Aujourd'hui, leurs principales préoccupations sont la défense de leurs ressources financières (« la caisse ») et le maintien de leur part de pouvoir. Ce glissement des priorités de la CGT n'aurait pas été possible sans le soutien implicite d'une partie des travailleurs, qui adoptent également une attitude défensive face à la précarisation croissante.
Cette fracture de la classe ouvrière a engendré une rupture entre les secteurs les plus précarisés et les travailleurs organisés. Cette division s'accompagne d'une méfiance mutuelle : les syndicats perçoivent les travailleur·ses précaires avec crainte, redoutant de sombrer dans leur situation, tandis que ces derniers considèrent les salarié·es syndiqué·es comme des privilégié·es.
La gauche, incapable de dépasser ses limites
Tandis que le péronisme et son artère syndicale perdaient du terrain, la gauche a donné vie à différents courants (guévaristes, national-populaires, PCA et ses satellites…) avec des degrés d'implantation variables. Certaines ont su s'enraciner dans les classes populaires au cours des années 1990 et au début du siècle mais, aujourd'hui, la plupart ont été absorbées par le kirchnérisme en raison de l'attrait suscité par les politiques néo-keynésiennes et néo-desarrollistas dans les milieux de gauche.
Les courants trotskistes regroupés au sein du FIT-U conservent une certaine pertinence. Bien que leurs principales composantes, le Parti ouvrier et le PTS, aient réussi à occuper une place importante dans des fronts sociaux (12, 13) elles peinent à s'implanter durablement dans les masses populaires (14). Celles-ci rejettent majoritairement leur discours et leurs pratiques militantes souvent perçues comme maximalistes, « déconnectées de la réalité » et faisant abstraction du rapport de forces existant. Avec leur posture anti-nationaliste, jugée « anti-populaire », ces courants sont marginalisés et accusés d'ignorer la question de la dépendence à l'imperialisme.
Disponibilité hégémonique (et contre-hégémonique ?)
Les transformations structurelles de la société argentine, marquées par l'essor du précariat et de l'économie informelle, l'affaiblissement des acteurs politiques traditionnels comme le péronisme, l'érosion des réseaux de solidarité et l'omniprésence de l'idéologie de l'individualisme, ont engendré une situation de disponibilité hégémonique (15) au sein des masses populaires. Cette dynamique se manifeste particulièrement dans le sous-prolétariat (16), désormais perméable à de nouvelles influences politiques.
Toutefois, des signes de résistance commencent à émerger. Les grandes mobilisations ouvrières et la grève générale, le mouvement universitaire, les manifestations féministes, ainsi que les assemblées multisectorielles liées aux syndicats ou aux secteurs auto-organisés (autoconvocados), montrent une structuration progressive.
Ces dynamiques, bien que prometteuses, peinent encore à construire une force politique capable d'organiser la résistance et de défier réellement la continuité de ce projet néolibéral. Le péronisme, divisé et en proie à des conflits internes, n'a pas encore clarifié quelle faction prendra l'ascendant. Mais même une fois ces querelles tranchées, rien ne garantit une rupture avec le statu quo. Quant à la gauche, elle n'a pas su formuler une stratégie capable d'embrasser les aspirations des masses populaires et de leur offrir une véritable orientation révolutionnaire.
L'enjeu ne se limite pas à vaincre Milei – bien que cela soit crucial – mais à défaire un projet néolibéral-autoritaire qui aspire à l'hégémonie. Une contre-hégémonie ne se décrète pas : elle se construit dans la praxis, à travers l'élaboration d'un projet alternatif, culturel et politique, capable de transcender le cadre actuel et d'incarner les aspirations collectives d'indépendance et d'émancipation des masses populaires.
Le 14 décembre 2024
Nicolas Menna est militant argentin au sein du NPA-L'Anticapitaliste et membre de la IVe Internationale.
Notes
2. Unión - Pro est une coalition électorale argentine conservatrice et libérale, fondée en 2007, et composée du Parti fédéral, de l'Union du centre démocratique, de Recréer pour la croissance de l'ex-ministre Ricardo López Murphy, de Proposition républicaine (ex-Compromiso para el Cambio), d'Unión Celeste y Blanco de l'homme d'affaires Francisco De Narváez, du Parti populaire chrétien bonaerense et du Parti Nouveau Buenos Aires.
3. Le « desarrollismo » (développementisme) est un courant politico-économique né en Argentine afin de garantir un niveau de prospérité économique proche des pays les plus « développés » à travers une stratégie de contrôle national de l'économie de marché qui se différencie de la doctrine libérale. Il prônait le développement interne par le remplacement des importations, l'ouverture aux investissements étrangers et un rôle actif de l'État dans la planification économique. Un de ses objectifs (jamais atteint) était le progrès social par la réduction des inégalités, sans toutefois modifier la structure capitaliste impérialisée du pays.
4. Chiffres tirés d'études du Conicet et de l'UBA et de l'UCA.
6. Dans un pays comme l'Argentine, le contrôle de la diffusion du football est un outil fondamental pour contrôler le reste, car aucun Argentin ne souscrira à un service de câble qui n'inclut pas la retransmission du football. Cela permet à celui qui le contrôle d'imposer ses conditions aux autres. Cette stratégie a servi de base pour imposer, surtout en dehors de la capitale, l'entreprise de câble de ce groupe, au détriment des options coopératives qui existaient auparavant.
7. Cela a été formulé par le journaliste Julio Blanck lorsque le Parti Justicialiste (PJ) a été battu par Mauricio Macri en 2015.
8. Le péronisme au pouvoir a également fortement réprimé le communisme, en particulier sa branche syndicale.
9. Essentiellement, cela avait commencé un peu plus tôt, avec Isabel Perón et son ministre de l'Économie, Rodrigo, mais c'est à ce moment-là que le processus parvint réellement à s'imposer, grâce à la répression.
10. Le consensus de Washington est un corpus de mesures d'inspiration libérale, datant de la « période Reagan » aux États-Unis, concernant les moyens de relancer la croissance économique, notamment dans les économies en difficulté du fait de leur endettement comme en Amérique latine. Ce consensus s'est établi entre les grandes institutions financières internationales siégeant à Washington (Banque mondiale et Fonds monétaire international) et le département du Trésor américain.
11. Réalisation (temporaire également) de l'« alliance plébéienne » (mais hégémonisée par la classe moyenne et non par le prolétariat) esquissée par Spilimbergo et le Parti Socialiste de la Gauche Nationale. Voir les thèses de son IIIe congrès : « Classe ouvrière et pouvoir ».
12. Réalisation (temporaire également) de l'« alliance plébéienne » (mais hégémonisée par la classe moyenne et non par le prolétariat) esquissée par Spilimbergo et le Parti Socialiste de la Gauche Nationale. Voir les thèses de son IIIe congrès : « Classe ouvrière et pouvoir ».
13. En particulier, le Parti ouvrier, à travers le Polo Obrero, un courant de travailleurs sans emploi, et le PTS, grâce à son influence dans le mouvement étudiant et dans certains secteurs de travailleurs, comme celui qui a donné naissance au mouvement des usines récupérées en 2001 (dont les céramiques Zanon sont le principal référent).
14. Bien que des avancées non négligeables aient été réalisées, il ne faut pas confondre opportunité et conviction. Par exemple, le fameux « succès » à Jujuy, où le FIT-U a obtenu 21 % des votes, s'explique par l'interdiction faite à la principale représentante péroniste de la région, Milagro Sala, de se présenter, ainsi que par l'appel explicite de cette dernière à voter pour l'option de gauche.
15. Voir « L'œuf et le serpent. Le cauchemar officiel », Miguel Mazzeo 19 novembre 2023, Contra hegemonia.
16. La catégorie « sous-prolétariat » englobe la situation de précarité, d'instabilité économique, d'absence de droits du travail et de manque d'intégration sociale.
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Près de 100 000 Nicaraguayens ont émigré en 2024

J'ai passé un mois chaque année au Nicaragua de 1995 à 2018, la plupart du temps accompagnant un groupe d'étudiants du Collège Dawson. Nous vivions, chacun de nous, dans une famille d'accueil. En décembre 2001, je vivais dans la famille de Don Paco Mondragón, l'ex-leader dans la région de la campagne d'alphabétisation du FSLN en 1980.
Dans la photo qui sert de logo de cet article, on voit sa fille, Ena, et sa conjointe, Inesita. Plusieurs des Nicaraguayens avec lesquels j'ai développé un profond lien affectif se trouvent présentement aux Etats-Unis comme réfugiés. Le fondateur et directeur de la revue Confidencial, Carlos Chamorro, que je connais depuis 1977, a dû fuir au Costa Rica parce qu'il craignait pour sa vie. Les directeurs de deux écoles secondaires régionales – une dans la ville de Santo Tomas del Norte et l'autre dans le village Las Pozas – ainsi que le responsable du cours d'informatique de l'école secondaire régionale située dans le village Paso Hondo, trois individus que je connaissais très bien, se trouvent aux Etats-Unis, sans leur conjointe et leurs enfants. Une situation humaine extrêmement éprouvante...
Ovide Bastien
Aujourd'hui, 1,5 million de Nicaraguayens vivent à l'extérieur du pays, la plupart d'entre eux - environ 800 000 - ayant émigré aux États-Unis.
Le 27 décembre 2024, Confidencial
Traduit de l'espagnol par Ovide Bastien, auteur de Racines de la crise : Nicaragua 2018
Quelque 95 000 Nicaraguayens ont émigré en 2024 vers différents pays, la grande majorité - 58 000 - vers les États-Unis et dans le cadre du programme de migration régulière connu sous le nom de liberté conditionnelle humanitaire.
Six ans après le déclenchement de la crise sociopolitique en 2018, la migration est l'une des conséquences majeures de la répression , explique le spécialiste des migrations et chercheur au Dialogue interaméricain Manuel Orozco, qui ajoute que le nombre de personnes quittant le Nicaragua a triplé : près de sept ménages sur dix ont un membre de leur famille à l'extérieur du pays.
En 2017, il y avait 658 203 migrants nicaraguayens, dont 280 000 aux États-Unis. Aujourd'hui, ils sont 1 519 043, dont 839 620 aux États-Unis, selon les données du chercheur basées sur des sources officielles et ses propres calculs, ce qui impliquerait que quelque 850 000 Nicaraguayens ont émigré au cours des six dernières années.
Plus de 70 000 Nicaraguayens sont arrivés aux États-Unis en 2024
Les États-Unis sont la principale destination de l'immigration nicaraguayenne. En 2024, quelque 72 000 Nicaraguayens sont arrivés aux États-Unis, y compris ceux qui sont entrés grâce à la liberté conditionnelle humanitaire, selon les données du gouvernement américain.
Traditionnellement, le transport de l'eau tous les jours revenaient aux femmes. Photo prise par Ovide Bastien à Las Pozas, décembre 2001
La liberté conditionnelle humanitaire a été l'une des questions prédominantes de l'actualité cette année pour trois raisons : la suspension temporaire du programme pendant un mois en août ; la promesse de Donald Trump, alors candidat à la présidence, de l'éliminer s'il redevenait président ; et l'annonce par le gouvernement actuel qu'il ne renouvellerait pas le séjour de ceux qui sont arrivés dans le cadre du programme, qui est valable pour deux ans.
La liberté conditionnelle humanitaire ou le programme CHNV est un mécanisme de migration régulière pour les Cubains, les Haïtiens, les Nicaraguayens et les Vénézuéliens qui leur permet de demander à vivre et à travailler aux États-Unis pendant deux ans, à condition qu'ils aient un parrain pour les soutenir et que les autorités approuvent la demande.
Maintenant que Trump s'est assuré quatre années supplémentaires à la présidence des États-Unis, on s'attend à ce qu'il tienne sa promesse et que le programme CHNV soit définitivement annulé, de sorte qu'il ne sera plus une option pour ceux qui veulent migrer légalement. En outre, les personnes qui se trouvent déjà aux États-Unis en vertu de ce mécanisme devront, si elles souhaitent y rester régulièrement, demander un autre statut d'immigration avant l'expiration de leur statut actuel, comme l'ont prévenu les spécialistes de l'immigration.
La suppression de la liberté conditionnelle affecterait les pays les plus touchés politiquement par les dictatures et n'apporterait aucun soulagement à ces personnes. On ne sait pas quelles alternatives l'administration entrante prévoit pour ces quatre pays, en particulier en ce qui concerne les trois dictatures (Cuba, Venezuela et Nicaragua), souligne M. Orozco.
Trump va-t-il mettre à exécution ses menaces anti-immigration ?
Le mandat de Trump à partir du 20 janvier 2025 s'accompagne également de la menace d'expulsions massives de migrants - une autre de ses principales promesses de campagne -, y compris de Nicaraguayens.
Les migrants qui seraient les plus vulnérables à un plan agressif d'expulsion des étrangers des États-Unis seraient : ceux qui ont déjà un ordre d'expulsion en place ; ceux dont l'asile politique a été refusé et qui n'ont pas d'autre option à demander ; les migrants sous statut tels que TPS (Temporary Protected Status) et DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals) - s'ils ne sont pas renouvelés - et ceux qui bénéficient d'une liberté conditionnelle pour raisons humanitaires.
Orozco ajoute un autre facteur à prendre en compte concernant le risque d'expulsion : les personnes les plus susceptibles d'être expulsées seraient celles qui sont arrivées au cours des cinq dernières années, car ce sont celles qui peuvent être plus facilement suivies par les autorités, puisqu'il existe une sorte d'information à leur sujet dans les bases de données du gouvernement. Ces personnes viennent principalement de Cuba, du Nicaragua, du Venezuela et d'Haïti , souligne-t-il.
Le chercheur affirme qu'il y a actuellement 80 000 Nicaraguayens sous le coup d'un arrêté d'expulsion et prévoit que 10 % d'entre eux, soit environ 8 000, pourraient être expulsés dans le cadre d'une première grande tentative de l'administration Trump de tenir sa promesse électorale au cours des premiers mois de l'année 2025.
Le Costa Rica a reçu plus de 21 000 demandes d'asile de la part de Nicaraguayens en 2024
Le Costa Rica est resté la deuxième destination des migrants nicaraguayens, bien que le nombre de demandes d'asile ait chuté de plus de 28 000 en 2023 à 21 710 entre janvier et novembre 2024, selon les données de la Direction générale des migrations et des étrangers (DGME) du Costa Rica.
Un changement significatif dans les conditions pour les migrants et ceux qui ont l'intention de migrer au Costa Rica est intervenu en juin 2024, lorsque les autorités ont rétabli un certain nombre de droits pour les demandeurs d'asile. Le délai d'arrivée pour déposer une demande d'asile a été supprimé et la possibilité de recevoir un permis de travail lors de la demande du statut de réfugié a été rétablie.
En septembre, octobre et novembre, les demandes d'asile des Nicaraguayens au Costa Rica ont augmenté de manière significative, ce qui pourrait indiquer le début d'une reprise de la migration vers le voisin du sud.
L'augmentation des envois de fonds du Costa Rica vers le Nicaragua coïncide avec l'augmentation des demandes, explique M. Orozco. Les demandes sont passées de 1 000 à 3 000, et le montant moyen des envois de fonds passe de 26 à 30 millions de dollars par mois , précise-t-il.
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𝗥𝗲́𝘀𝘂𝗺𝗲́ 𝗱𝘂 𝗥𝗮𝗽𝗽𝗼𝗿𝘁 𝗱𝗲 𝗹’𝗢𝗿𝗴𝗮𝗻𝗶𝘀𝗺𝗲 𝗱𝗲 𝗗𝗲́𝗳𝗲𝗻𝘀𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝗗𝗿𝗼𝗶𝘁𝘀 𝗛𝘂𝗺𝗮𝗶𝗻𝘀 𝗘𝗖𝗖𝗥𝗘𝗗𝗛𝗛 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗮 𝘀𝗶𝘁𝘂𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝗱𝗿𝗼𝗶𝘁𝘀 𝗵𝘂𝗺𝗮𝗶𝗻𝘀 𝗲𝗻 𝗛𝗮𝗶̈𝘁𝗶 (𝗗𝗲́𝗰𝗲𝗺𝗯𝗿𝗲 𝟮𝟬𝟮𝟰)

La situation en matière de respect des droits humains est à son plus bas niveau, c'est-à-dire sans précédent. Malgré l'existence de toutes les règles de Droits, des Conventions, des traités, des accords et les lois nationales, les droits de l'homme sont violés systématiquement de manière flagrante et ceci sous les yeux passifs des autorités de l'état. Il est un fait que dans un pays où les droits de l'homme ne sont pas respectés, on ne peut pas parler de régime démocratique.
A un tel point, la famine ronge les familles, un chômage sans précédent, des assassinats récurrents, l'impunité, des massacres à répétition, des viols Collectifs, promiscuité, l'injustice, la corruption, la mauvaise gouvernance a tous les niveaux et une insécurité généralisée qui emporte des vies et des biens de manière quotidienne.
⚫ 01 août au 04 septembre 2024, indique la présence de 702 973 personnes
déplacées internes en Haïti.
⚫ Entre le 6 et le 11 décembre, au moins 207 personnes dont 134 hommes et
73 femmes ont été exécutées par les membres de Gang de Wharf Jérémie.
⚫ Des attaques dans les quartiers de Poste Marchand, Fort National et Christ Roi, entre le 7 et 8 décembre ont provoqué le déplacement de quelque 4 726 personnes.
⚫ 10 décembre dans la commune de la Petite rivière de l'Artibonite, précisément dans la section communale de Bas Coursin. Un total de 10 606 personnes (2 406 ménages) se sont déplacées dont la plupart (64%) ont fui vers la commune des Verrettes.
Il faut noter que plus de 1,379 personnes tuées et blessées, 428 autres kidnappées entre avril à juillet 2024 en Haiti, 77% des victimes sont des hommes, 20% sont des femmes et 3% les enfants durant le deuxième trimestre de l'année.
⚫ 128 personnes ont été tuées ou blessées à Delmas 24 et Solino, dans des attaques de gangs armés, au cours des mois d'avril, mai et juin 2024.
⚫ 233 personnes ont été également tuées et blessées, au cours du deuxième trimestre 2024, à Carrefour et Gressier (sud de la capitale), où ces violences armées ont forcé 14 mille personnes à se déplacer, en raison des gangs armés à Carrefour et Gressier. Entre avril et juin 2024, au moins 11 personnes ont été tuées par les gangs de Gran Ravin et Ti Bwa (sur les hauteurs de Martissant, périphérie sud de Port-au-Prince).
Les gangs armés continuent leurs offensives meurtrières dans diverses zones de la capitale et dans le département de l'Artibonite, malgré la présence dans le pays d'une force, d'une Mission multinationale d'appui à la sécurité (Mmas) pour aider la police haïtienne à les combattre.
⚫ Augmentation des actes de kidnapping, avec 428 personnes enlevées d'avril
à juin 2024. Mais ces 428 cas documentés dénotent une augmentation dans la
quantité d'enlèvements au cours du deuxième trimestre de l'année 2024, après une relative accalmie pendant les mois de février et de mars 2024, au cours desquels 129 cas ont été enregistrés.
⚫ Au moins 73% des 428 enlèvements documentés ont été signalés dans le département de l'Artibonite.
𝗖𝗿𝗶𝘀𝗲 𝗮𝗹𝗶𝗺𝗲𝗻𝘁𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗮𝗶𝗴𝘂𝗲̈ 𝗲𝗻 𝗛𝗮𝗶̈𝘁𝗶
Haiti compte environ 11 millions d'habitants, et selon la plus récente analyse de la sécurité alimentaire dans le pays, appuyée par l'ONU, environ 5.4 millions d'haïtiens qui se battent quotidiennement pour se nourrir et nourrir leur famille. Ce qui représente l'une des proportions les plus élevées de personnes en situation d'insécurité alimentaire aiguë parmi
toutes les crises que le monde ai connu. Environ 1,64 million d'entre eux sont confrontés à des niveaux d'insécurité alimentaire aiguë d'urgence. Et leS enfants sont particulièrement touchés, avec une augmentation alarmante de 19% du nombre d'enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère.
C'est une situation grave qui n'interpelle personne au plus niveau de l'état. Aucune mesure n'est prise pour adresser la problématique du droit à l'alimentation de la population ; mais tout cela s'est considérablement aggravé dans le pays en particulier par la violence sanglante des groupes armés qui contrôle particulièrement 90% de la capitale Haïtienne ; mais aussi en raison des crises politiques et économiques du pays
Mais , il faut préciser que 88% plus grand nombre de meurtres et de blessures ont été enregistrés dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, « notamment en raison d'attaques indiscriminées des gangs contre certains quartiers, mais aussi d'exécutions, par les gangs, d'individus soupçonnés de collaborer avec la police ou des groupes d'autodéfense ».
𝗡𝗼𝗺𝗯𝗿𝗲𝘀 𝗱𝗲𝘀 𝗣𝗼𝗹𝗶𝗰𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗮𝘀𝘀𝗮𝘀𝘀𝗶𝗻𝗲́𝘀 𝗲𝘁 𝗦𝗶𝘁𝘂𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝗱𝗲́𝘁𝗲𝗻𝘂𝘀
En dépit des moyens engagés, 20 policières ou policiers ont été tués entre janvier et juin 2024. Vingt-huit attaques armées contre des postes de police ou des patrouilles ont été dénombrées. L'une des plus marquantes a touché la ville de Gressier en mai 2024 dans les faubourgs de Port-au-Prince
Au cours du deuxième trimestre, 78 détenus sont décédés (29 au cours du premier trimestre), la plupart en raison d'un manque de soins, de l'insalubrité, d'une alimentation insuffisante et du manque d'accès à l'eau potable. Vingt-huit attaques armées contre des postes de police ou des patrouilles ont été dénombrées. L'une des plus marquantes a touché la ville de Gressier en mai 2024 dans les faubourgs de Port-au-Prince.
Organisme de Défense des Droits de l'Homme en Haïti ECCREDHH continue à exprimer sa préoccupation face aux violations systématiques des droits fondamentaux en Haiti. Ces droits sont violés au jour le jour sous les yeux des autorités en place. Ce qui implique qu'Haiti est devenue un État de non droit. Ces droits constituent un ensemble de droits et libertés ayant un aspect important pour l'être humain. Mais, l'état de droit et la démocratie
sont en fait les conditions indispensables pour une pleine et entière jouissance de ces droits.
En effet, L'Organisme de Défense des Droits de l'Homme en Haiti ECCREDHH constate que les droits fondamentaux en Haïti ne veulent rien dire, notamment le droit à la santé qui est gravement piétiné, galvaudé et ignoré par l'État dans ses différentes politiques publiques. C'est-à-dire, aucune priorité en termes de gouvernance politique n'est mise en place pour
aborder la question de santé publique dans le pays. Dans un contexte complexe et compliqué que le pays est plongé le nombre de personnes touchées par balle ou blessées se sont multipliées et presque pas de centre hospitalier disponible pour apprécier la situation sans compter les cas existants laisser pour contre.
En outre, pratiquement à Port-au-Prince et ses zones périphériques 80 % des hôpitaux publics et/ou centre hospitalier seraient fermés ou dysfonctionnels. Le seul Hôpital de la Paix qui essaie de répondre, mais dépassé par les affluences des personnes blessées et aussi d'autres cas. Il faut rappeler à l'hôpital la paix des accouchements qui se font à même le sol sur les céramiques froides. C'est extrêmement grave d'énoncer cela en
plein 21e siècle. Mais c'est un fait pour démontrer qu'aucune priorité n'est en aucun cas accordée au droit à la santé dans le pays ainsi que les autres droits sociaux, économique et culturels. À cause de ces actes de violences, plus de 18 institutions sanitaires ne
sont pas fonctionnelles dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince.
En fait, malgré l'existence des traités internationaux, des accords, des conventions signées et ratifiées par Haïti et les lois nationales relatives en la matière, le droit à la santé et les autres droits fondamentaux sont piétinés par les dirigeants de l'État appelés à faire appliquer les lois de la République. Donc, il est inacceptable voire inconcevable qu'Haiti
devienne une république dirigée par des nuls qui ne comprennent même pas le
sens de l'État et de la gouvernance publique.
ECCREDHH lance un appel vibrant aux organisations de la société civile haïtienne, la situation du pays est bien plus grave que vous ne l'imaginez.
Défendre des intérêts de clans à la place de l'intérêt général de la nation, engendre plus de crise et affecte le quotidien de tout un chacun.
Par conséquent, l'Ensemble des Citoyens Compétents à la Recherche de l'Egalité des Droits de l'Homme en Haïti (ECCREDHH) fait appel à votre conscience et votre responsabilité, mettez de côté tout ce qui nous divise et unissons-nous pour sauver ce pays.
Vive la Démocratie !
Vive le Respect des Droits Humains !
Vive une société juste !
Pour authentification :
Me Louimann MACEUS, av,
Secrétaire Général ECCREDHH.
Me Gesnel PIERRE, av.
Coordonnateur Général ECCREDHH
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Ce que nous sommes tous en train de perdre

Alors que la Californie brûle comme jamais, que Donald Trump, avant même son intronisation à la présidence des États-Unis, joue au RISK avec le monde en compagnie de son acolyte Elon Musk, pour le plus grand plaisir de leur classe d'oligarques, que les propriétaires des médias et plateformes d'information invoquent la « liberté d'expression »
pour ouvrir leurs portes à la « liberté de mentir » à grande échelle, Michel Jetté fait un bilan de 2024 et des actions/inactions de l'humanité. Dernier coup de gueule de 2024, en ce début de 2025…
Tiré du PressMob édition écrite de GMob
https://www.groupmobilisation.com/_files/ugd/bf4f35_d7037ff684ae40dc8ab93e71c4c69cac.pdf
PressMob édition écrite
Vol. 6, no 1, 10 janvier 2025
Dans le contexte de l'urgence face à la crise planétaire, de tragiques échecs se sont déroulés en 2024, particulièrement lors du sommet sur la pollution plastique, de la COP 16 sur la biodiversité, de la COP 29 sur les changements climatiques et de la conférence de l'ONU contre la désertification. Pour nous aider à comprendre, commençons par un flashback.
Lors de l'émission de Tout le monde en parle du 4 décembre 2022 (3 jours avant la COP 15 à Montréal), le ministre de l'Environnement et Changement climatique Canada Steven Guilbeault nous apprenait, après avoir lu une étude récente (sans mentionner sa provenance), que le réchauffement global annoncé n'était pas si alarmant. Une augmentation, par rapport à l'ère préindustrielle, de « seulement » 1,7 à 2,4 degrés, plutôt que les 5 degrés Celsius annoncés d'ici 2100, avait de quoi nous rassurer.
Ce que Guilbeault ne nous avait pas dit, c'est que ces hypothèses font partie des scénarios les plus optimistes. En fait, l'Agence internationale de l'énergie, qui avançait l'optimiste 1,8 degré, se basait sur l'hypothèse selon laquelle toutes les promesses à court terme (grosso modo, les cibles de réduction fixées pour 2030) et toutes les promesses de neutralité carbone (dans la plupart des cas, en 2050) seraient respectées. Cette étude prenait aussi en compte les promesses de réduction du méthane, cet autre gaz à effet de serre (GES) plus puissant que le CO2 dont on parle moins souvent. Pour ce qui est du 2,4 degrés, le Climate Action Tracker (CAT), un organisme allemand à but non lucratif, arrivait à ce résultat parce qu'il ne se basait que sur les cibles de 2030, considérant que celles de 2050 étaient trop lointaines. Autrement dit, Guilbeault nous exposait les scénarios les plus optimistes.
Force est de constater qu'aucune de ces prévisions n'est en train de se réaliser. Pire, nous venons de traverser une première fois le 1,5 degré de réchauffement global dont l'atteinte était prévue entre 2030-35.
Mais revenons à notre flashback : d'aucune façon, Steven Guilbeault n'a osé aborder l'autre scénario sur lequel l'humanité est alignée, celui que l'on nommait il n'y a pas si longtemps : B.A.U. (Business as Usual).
En affirmant que : « oui ça va se réchauffer, mais pas aussi vite qu'on le pensait », il occultait qu'en 2022, avec seulement une augmentation de 1,1 degré Celsius, ce sont des segments de continents qui partaient en fumée et que des sécheresses historiques tuaient des populations fragilisées autour de la planète. Le Stockholm Resilience Centre affirmait que 6 des 9 limites planétaires considérées comme critiques sont atteintes, ce qui a le potentiel de résulter en un emballement irréversible du climat dans les prochaines années. Et, bien sûr, ce réchauffement amplifie la destruction des habitats naturels que nous avons déjà massacrés. Pour citer l'astrophysicien Aurélien Barreau : nous avons perdu 65% des forêts depuis mille ans, 65% des grands mammifères depuis 30 ans, et 65% des insectes depuis 10 ans… et ça va en empirant.
Reconnaître qu'il y a une crise climatique qui accentue et accélère la destruction de la biodiversité ne suffit pas. Si on ne reconnaît pas l'ampleur et la vitesse de la crise, des mesures inadaptées seront mises en place qui contribueront aux risques d'effondrement de nos écosystèmes, de la biodiversité et des conditions essentielles au maintien de la vie. Nous ne pourrons revenir en arrière une fois que des systèmes naturels complexes auront changé d'état. Le droit à l'erreur n'existe tout simplement pas… Et ça, l'écologiste Steven Guilbeault le sait très bien.
Aussi, c'est avec le regard ébahi et la mâchoire décrochée que nous avons vu la COP 15 sur la biodiversité se terminer avec des « hourras » et la conclusion du ministre Guilbeault qu'il s'agissait d'une entente historique pour protéger la biodiversité : on va protéger 30% des terres, des océans, et on va saupoudrer des milliards aux pays les plus pauvres qui sont plus lourdement impactés par la crise de la biodiversité.
Encore une fois, c'est le modèle comptable qui gagne, les forces du marché prévalent. Que signifient 30% ? De quels habitats parle-t-on ? Et veut-on nous faire croire que continuer à exploiter 70% des terres et des océans avec le modèle business as usual n'affectera pas le 30% des espèces « chanceuses » protégées, comme si tous ces processus biologiques complexes n'étaient pas interreliés ?
Rappelons-nous que nos émissions mondiales de CO2 atteignent toujours des niveaux record pratiquement chaque année, car, entre autres, les signataires de l'accord de Paris sont loin d'avoir respecté leurs engagements de réduction des GES. Vous voyez le rafistolage débridé qu'on nous sert afin de nous rassurer ?
Voici maintenant l'un des pires résultats du déni morbide de la crise systémique globale de la part de nos leaders : étant le plus grand puits de carbone de la planète, les océans subissent un choc écosystémique qui met en danger un nombre effarant d'espèces. Sans parler du fait que certaines études mentionnent que leur capacité à capter notre CO2 s'amenuise dangereusement au point où certains endroits deviennent des émetteurs de CO2 qui s'ajoutent aux émissions que nous continuons à cracher massivement dans l'atmosphère. N'oublions jamais que si les océans meurent, nous mourons, et actuellement la vie périclite dans le grand bleu à une vitesse que les scientifiques n'ont jamais vue. Mais soyez rassurés : Steven Guilbeault nous a dit qu'avec le niveau actuel de CO2 dans l'atmosphère, nous allons nous limiter à une augmentation de 1,7 °C et sauver 30% de nos océans…
N'êtes-vous pas tannés qu'on vous prenne pour des valises vertes ?
Fin du flashback.
La COP sur la biodiversité de 2024 est tout aussi pathétique, tout comme la COP 29, le sommet sur la pollution plastique et la conférence de l'ONU contre la désertification qui sont tous annoncés comme des échecs.
Cela confirme que la réelle tragédie en marche provient des hautes sphères de notre civilisation ; de puissances économiques qui maintiennent les blocages tant économiques, informationnels, politiques et sociétaux qui entraînent non seulement nos sociétés, mais le vivant au complet dans l'abîme de la catastrophe planétaire.
Les COP
Les nations s'entêtent toujours à régler un problème d'envergure existentielle avec les mêmes outils économiques qui provoquent justement ce problème qui se nomme aussi effondrement du vivant.
Les COP nous indiquent aussi que le vivant est toujours perçu avant tout comme une externalité ou une ressource que l'économie-monde a besoin pour que son modèle business as usual puisse subsister.
Comme nous l'avons déjà rapporté, l'article 3, alinéa 5 de la convention-cadre régissant les COP nous dévoile de façon spectaculaire le processus de blocage mortifère qui empêche toute transformation urgente afin de sauver le vivant. Il mentionne que les accords ne peuvent prendre aucune mesure, même unilatérale à l'échelle d'un pays, en faveur du climat qui pourrait contrarier le développement du commerce international, donc contrarier la poursuite de l'objectif de croissance économique (les profits à tout prix). Vous avez bien lu : les ententes finales prises lors des COP n'ont pas le droit de s'attaquer aux causes du problème, car leurs règlements l'interdisent tout simplement.
Pas étonnant de voir ces dernières années les puissants de ce monde organiser ces COP, et d'entendre lors de la COP 29, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, qui est aussi un magnat du pétrole, dire que le pétrole est « un cadeau de Dieu ».
N'ayons pas peur de regarder les choses telles qu'elles sont : les acteurs les plus puissants de l'économie-monde, donc de l'histoire de l'humanité, feront tout en leur pouvoir afin de continuer à avoir un accès sans restrictions aux ressources de la planète dans le but de maintenir leur modèle d'affaires suicidaire. Et les politiciens tels que Guilbeault exposent lamentablement leur impuissance face aux menaces financières, leur impuissance ou… leur adhésion au modèle. Vous comprenez maintenant pourquoi ce pouvoir économique tyrannique doit être stoppé maintenant : ce n'est rien de moins qu'une question de vie ou de mort.
Vouloir stopper le déclin massif des espèces, la 6ᵉ grande extinction de la vie sur Terre, exige des transformations radicales de notre rapport à la vie. Ce qui signifie que l'économie va devoir être mise en phase avec le vivant, que tout projet, tant micro que macroéconomique, devra tenir compte de l'équilibre des systèmes, des habitats qui soutiennent ce vivant, incluant nous-mêmes.
Cela peut se faire, mais à une condition : abolir en premier lieu cette règle destructrice qui mentionne que l'objectif fondamental d'une entreprise est de réaliser des profits, peu importe le prix à payer, et la remplacer par une valeur cardinale sociétale universelle : la vie au-dessus de tout considérant. Donc, l'économique au service du vivant, et que l'argent retrouve sa fonction originale comme flux d'échange et non d'accumulation à l'infini.
Actuellement, les forces économiques et politiques sont des processus suicidaires. Nous devons donc reconnaître que nous avons affaire à des groupes d'individus, des groupes d'actionnaires privés ainsi que des États et leurs alliés politiques (dont beaucoup proviennent de ces sphères économiques) qui sont devenus des experts à justifier le modèle d'affaires dominant afin de continuer à faire tourner l'économie dans le but d'engranger profits et fortunes encore un certain temps, à la manière d'une roulette russe qui n'a pas encore craché sa balle fatale.
Représentant moins de 1% de la population globale, ces milliardaires, qui détiennent pratiquement tous les leviers de pouvoir en train de nous faire plonger dans l'abysse de l'effondrement, croient (tels des fanatiques) que les données les plus rassurantes justifient leurs activités morbides, bien que les faits démontrent qu'ils sont en train d'exterminer la vie à un rythme jamais vu sur la planète.
Nous devons réaliser, de toute urgence, qu'il y a dans notre espèce une masse critique de sapiens, d'humains, qui ont développé un comportement déviant à travers l'idéologie de l'accumulation à l'infini. Étant aux commandes de l'économie-monde, c'est l'espèce humaine et tout le vivant au complet qu'ils mettent en danger. Ils sont présentement hors de contrôle et entraînent le vivant dans son entier dans leur folie destructrice.
Nous sommes passés d'une guerre des classes à une guerre contre le vivant qui n'est rien de moins qu'une guerre d'extermination menée par cette petite minorité obsédée par l'accumulation de richesses et pouvoirs, des comportements dignes des pires diagnostics de trouble obsessionnel compulsif.
Le plus terrifiant, c'est que ces « banquiers-actionnaires-spéculateurs-PDG », ces économistes fous de la secte du libre marché, ces prédateurs du vivant, croient en leurs lubies rassurantes grâce à des pirouettes psychologiques que certains nomment, entre autres, « biais cognitifs ».
Comme le mentionne l'économiste Jacques Généreux, parlant de la stupidité de nos élites : « Plus on a une éducation élevée, un entraînement à la réflexion et à la
discussion qui créent des habiletés intellectuelles, plus on est capable de s'ancrer dans l'erreur et la bêtise parce qu'on est capable de développer toutes les capacités de notre cerveau pour apporter les justifications à nos erreurs et aux démentis qui nous sont adressés afin de confirmer ce que nous voulons entendre ». Autrement dit : on ne retient que ce qui va dans la direction de nos intérêts et profits.
Pensez juste aux pétrolières qui ont bâti leurs argumentaires pour nier le réchauffement planétaire, nous faisant perdre les 30 dernières années les plus cruciales pour l'humanité pour contrer la catastrophe climatique. Pensez à Guilbeault, utilisant, lui, le biais de confirmation afin d'accréditer son message d'un scénario rassurant, en ne tenant que partiellement compte des données scientifiques disponibles, malgré la possibilité de conséquences terribles. Voilà une partie de la nature humaine que nous ne pouvons plus occulter.
Le système économique prédateur a fini par justifier et croire en ses propres fantasmes qui engendrent cette extermination du vivant. Nous avons deux siècles de preuves accumulées devant nos yeux ! Impossible de nier particulièrement les 30 dernières années qui ont vu disparaître tant d'espèces animales ainsi que l'état stable de notre climat au point où les scientifiques parlent d'annihilation du vivant.
Alors, réalisons que l'économie sous sa forme actuelle nous tue. Que pour changer quoi que ce soit, nous devons nous attaquer directement aux processus de verrouillage, c'est-à-dire briser le lien qui cimente les hautes sphères de nos gouvernements avec les acteurs économiques les plus dangereux qui gangrènent toute transformation urgente.
Tant que les institutions internationales n'auront pas sonné le tocsin de l'urgence planétaire actuelle, tant que les nations de ce monde ne se mobiliseront pas définitivement face aux puissances économiques prédatrices, la Vie sur Terre va continuer à s'effondrer sous la forme d'une extinction massive qui a déjà débuté.
Face à l'horreur qui se développe à l'horizon, face au peu de temps qui reste, nous devons prendre acte qu'il faut regarder le monstre dans les yeux.
Rappelons que nous sommes face à des forces qui, à l'échelle de la planète, détruisent en ce moment même les conditions qui nous maintiennent en vie. Face au défi mondial titanesque, il ne nous reste que peu d'outils. Pourtant, un de ces leviers a le potentiel de déclencher à la vitesse requise les actions si urgentes, si cruciales : nous devons pousser, contraindre nos gouvernements à sauver non seulement le Vivant, mais aussi notre société et toutes nos institutions qui ont créé ces filets de protections sociales garantissant bien-être, sécurité et protection aux générations présentes et futures, c.-à-d. nos services publics.
Ce sont ces institutions qui peuvent être les remparts face aux chocs sociétaux inévitables qui sont en marche. Il faut les sortir de la logique du marché et de la recherche du profit. Leur renforcement doit être démocratique et se faire maintenant, et non passer sous la houlette de « top guns » ou de nominations intéressées qui ne rendent de compte à personne.
Cet acte de conscience va au-delà de nos considérations quotidiennes. Il nous ramène au concept de citoyenneté et de protection de notre communauté tant locale que globale. Il annonce que toutes les mesures, même contraignantes, mêmes douloureuses pour certains, mesures qui sauront éliminer le système économique prédateur actuel tout en protégeant les populations, seront activées par une nouvelle architecture sociale, un renforcement radical de nos institutions qui, j'insiste sur ce point, sont seules à avoir la capacité (pour l'instant) à répondre à la crise planétaire avec le peu de temps qu'il nous reste. Nous savons comment faire cette révolution et l'appliquer de toute urgence.
Si la vraie révolution est celle de nos valeurs fondamentales, alors nous savons que la nouvelle économie sera celle du vivant. En réalité, ceci n'est pas quelque chose de nouveau ni de si révolutionnaire : ce qui est révolutionnaire, c'est la vitesse à laquelle nous sommes à exterminer la vie. Nous rendons révolu ce qui nous maintient nous-mêmes en vie : une authentique révolution suicidaire engendrée par un cerveau humain dont nous n'avons pas encore pris toute la mesure de son potentiel d'illusion et de destruction. La maxime « Connais-toi toi-même » inscrite sur le temple d'Apollon à Delphes nous avertit que cette prochaine révolution, la plus cruciale, ne pourra se faire que si nous prenons conscience de ces mécanismes destructeurs qui habitent chaque être humain, peu importe la classe sociale à laquelle il appartient ; ce qui signifie que l'on doit agir maintenant pour réguler ces comportements malgré les perturbations profondes qui seront engendrées.
Cette mobilisation n'aura de sens que si elle est guidée par une autre révolution : celle de nos valeurs les plus fondamentales qui reconnaît que toute action humaine doit être assujettie à l'équilibre du vivant.
Alors, vous dites-vous, très bien, mais la population ne suivra pas. Je vous dis qu'il y aura toujours une partie de la population qui aura des comportements irrationnels, et que cela est certainement la composante la plus complexe de la crise… et que nous aurons donc à renouer, qu'on le veuille ou non, avec la beauté de la contrainte ! C'est notre lot en tant qu'humanité. Et pourtant…
Si la toute première action, le tout premier acte, était de ne rien faire…
Bien sûr, il n'est pas question d'indifférence ou de léthargie, mais bien d'action passive, c'est-à-dire de refuser, en tant qu'individu ou collectivité, de continuer sur la voie qui nous mène au précipice : le business as usual. Par un acte de conscience, devenir sobre. Réduire nos activités, notre consommation, révolutionner notre rapport au travail et à la vie afin de laisser le moins d'empreinte possible. Une forme de discipline joyeuse, un stoïcisme entendu qui mettra de l'avant une toute nouvelle relation avec le vivant et donc avec le social. S'occuper avant tout de ce qui vit, éradiquer cette souffrance que nous infligeons tant aux êtres humains que non-humains. Cela serait une première étape qui ébranlerait les colonnes du temple de l'économie-monde. Cela enverrait le signal qu'il n'est pas seulement question d'un changement cosmétique, mais bien d'une révolution, d'un changement de paradigme profond qui dicterait la suite.
Ces changements radicaux doivent s'appliquer de toute urgence. Ils nous amènent à refuser cette vie d'obscène consommation. Commencer par se sevrer de la futilité de ce monde laid et clinquant, infantilisé, débilitant avec son cortège d'objets et de travail insignifiant, de burnout et de souffrances sociales sans fin. Comprendre ce qui a fait de nous des êtres apitoyés, frustrés, qui se soulagent par une consommation morbide, une déconnexion du monde réel qui mène à des violences génocidaires. Briser à grands coups cette cage de verre de l'individualisme, cet individualisme qui est le maillon que les dominants ont tenté de souder définitivement, mais qui demeure fragile, car il se brise par un acte de volonté. Vivre avec peu, en harmonie avec le vivant. Retrouver la dignité de la sobriété du partage qui est la manifestation d'un amour pour la vie… de toute vie.
Voilà les conditions pour déclencher cette unique révolution.
Nous n'avons plus le choix, car nous sommes en train de tout perdre.
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Éradiquer la faim en 2030 : une chimère ?

Chaque vendredi pendant plusieurs mois, nous publierons un article qui se trouve dans le nouvel AVP « Dette et souveraineté alimentaire ». Au programme ce vendredi, un article d'Amaury Ghijselings. Pour commander l'AVP, c'est ici.
20 décembre 2024 | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/Eradiquer-la-faim-en-2030-une-chimere
Les Objectifs de développement durable ont été adoptés en 2015 et prévoient, entre autres, d'éradiquer la faim d'ici 2030. À plus de mi-chemin de la course à l'objectif « faim zéro » de cet agenda, force est de constater que la promesse ne sera pas tenue. Pourtant, les causes de la faim ne sont pas toujours celles que l'on croit. En creusant un peu, il apparaît que la faim est un problème politique et non pas technique.
Les chiffres de l'insécurité alimentaire sont en constante augmentation depuis 2015, année de lancement des Objectifs de développement durable (ODD). Pour être sur la trajectoire de sa deuxième cible – éradiquer la faim d'ici 2030 – le nombre de personnes sous-alimentées aurait dû baisser de 290 millions. Or, il a augmenté de 240 millions. Ainsi, l'objectif d'un monde sans faim semble plus que jamais hors d'atteinte.
La production mondiale suffit actuellement pour nourrir la population entière
Ainsi, aujourd'hui, entre 691 et 783 millions de personnes souffrent de la faim (derniers chiffres officiels de 2022) et la FAO prévoit une augmentation d'encore 600 millions d'ici 2030 [1]. Depuis 2019, les chiffres connaissent une hausse particulièrement importante à cause de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Cependant, ces deux évènements ne sont pas à l'origine de cette crise de la faim, mais plutôt des facteurs aggravants une crise alimentaire structurelle.
La malnutrition n'est pourtant pas une fatalité. La production mondiale suffit actuellement pour nourrir la population entière. La faim n'est donc pas fonction de la production ou de la disponibilité – contrairement à ce que tente de faire croire les lobbies de l'agriculture industrielle. Chaque année, et ce depuis les années 60, les chiffres de la FAO établissent qu'il y a suffisamment de calories alimentaires par personne, que ce soit via la production ou les stocks [2]. La faim résulte en réalité d'un problème d'accessibilité. Les personnes en situation d'insécurité alimentaire n'ont pas les ressources économiques pour se nourrir. Qui plus est, la majorité d'entre eux sont des paysannes et des paysans. C'est ce que nous appelons le paradoxe de la faim. Ainsi, pour vivre dignement et s'alimenter de façon adéquate, ces derniers doivent réussir à vendre leurs produits à des prix justes. Or, cela dépend de politiques qui dépassent le cadre des politiques agricoles.
Les personnes en situation d'insécurité alimentaire n'ont pas les ressources économiques pour se nourrir. Qui plus est, la majorité d'entre eux sont des paysannes et des paysans.
En effet, l'insécurité alimentaire est aussi le résultat d'un système alimentaire défaillant et de politiques publiques qui semblent incapables de gérer ses dégâts dans l'urgence et encore moins de réformes en profondeur pour faire respecter le droit à l'alimentation. Les causes structurelles de la faim sont nombreuses. Certaines, comme les conflits, les chocs économiques, la pauvreté et les chocs climatiques, sont visibles tandis que d'autres le sont moins, tels que le résultat de l'histoire coloniale et la crise de la dette, les politiques commerciales du libre-échange à tout prix, la spéculation des denrées alimentaires, les incohérences des politiques agroalimentaires dans les pays riches.
Les causes visibles de la faim
Les agences internationales, comme la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) ou le Programme alimentaire mondial, pointent les conflits, les chocs économiques, les inégalités et les chocs climatiques, comme les causes de la faim. Elles nous alertent sur le fait que ces facteurs sont de plus en plus interreliés, ce qui complique encore l'atteinte de l'ODD 2. Le continent le plus concerné est l'Afrique, dont de nombreux pays cumulent des situations de conflits, de chocs économiques et de chocs climatiques. D'un point de vue géographique, c'est l'Asie qui compte le plus de personnes en situation de sous-alimentation, mais c'est l'Afrique qui abrite le plus grand pourcentage de personnes sous-alimentées et le plus de pays nécessitant une aide alimentaire extérieure.
Colonisation et dettes
Les pays colonisateurs ont orienté les agricultures des pays du Sud pour répondre à leurs besoins en produits alimentaires de base et exotiques
Impossible de comprendre les inégalités des systèmes alimentaires sans revenir sur la période de colonisation. Les pays colonisateurs ont orienté les agricultures des pays du Sud pour répondre à leurs besoins en produits alimentaires de base et exotiques. Cette spécialisation laisse encore des traces aujourd'hui sur le modèle agricole des pays du Sud qui dédient d'immense surface de terres agricoles à l'exportation au lieu d'une production vivrière [3].
C'est sur le principe de l'avantage comparatif que les institutions financières internationales se sont basées pour justifier d'imposer aux pays du Sud de poursuivre cette spécialisation dans les monocultures intensives de produits alimentaires dédiés à l'exportation, et ce, en vue de rembourser leurs dettes extérieures. Ces dettes empêchent d'investir dans la transition des systèmes alimentaires durables, et empêchent le développement économique des pays.
Le libre-échange à tout prix
Les accords de libre-échange bilatéraux et régionaux contraignent les agriculteurs à vendre leurs denrées alimentaires à des prix si bas qu'ils se retrouvent à vivre sous le seuil de pauvreté
Bien sûr que la faim précède le capitalisme et le néolibéralisme. Depuis la fin de la guerre froide, le système néolibéral s'est imposé à une époque où, plus que jamais, il est possible techniquement de nourrir toute la population mondiale. Mais ce qui est problématique, c'est de poursuivre l'objectif de la sécurité alimentaire en se fondant, de façon dogmatique et sans limite, sur les principes du libre-échange.
En 1995, l'accord sur l'agriculture au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) instaure la libéralisation du commerce agricole, c'est-à-dire que les États doivent, d'une part, diminuer drastiquement leurs barrières douanières et, d'autre part, limiter leurs subventions publiques au secteur agricole. Malgré le traitement spécial et différencié prévu pour les pays en développement, le système demeure inéquitable : les pays industrialisés continuent de pouvoir subsidier davantage leur agriculture que les pays en développement et mettent en place des barrières autres que tarifaires [4]. En parallèle de l'OMC, les accords de libre-échange bilatéraux et régionaux détruisent les systèmes alimentaires territoriaux. Ils empêchent les secteurs agricoles locaux de se développer à l'abri d'une concurrence déloyale d'exportateurs issus d'autres régions, de niveaux de productivité tout à fait différents et parfois subsidiés. Ils contraignent les agriculteur·ices à vendre leurs denrées alimentaires à des prix si bas qu'ils et elles se retrouvent à vivre sous le seuil de pauvreté [5].
Plus récemment, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont démontré que fonder la sécurité alimentaire sur des longues chaînes de valeurs spécialisées était un pari risqué. Dès qu'une crise survient, ce système se grippe et les conséquences sont dramatiques pour des millions de personnes.
Dérégulation des marchés
Les crises alimentaires les plus fortes riment le plus souvent avec une hausse spectaculaire des prix – rendant le prix des intrants ou des denrées alimentaires hors de portée pour toute une partie de la population. Les causes de l'inflation alimentaire sont toujours multiples et la part de chacune d'elles, complexe à déterminer. Mais que ce soit dans le cas de la crise de 2008, ou la crise alimentaire actuelle exacerbée par la guerre en Ukraine, la spéculation est pointée du doigt. Cette dernière a explosé depuis les politiques de libéralisation et de dérégulation des marchés agricoles, entreprises dans les années 1990 [6]. Une étude du CNCD-11.11.11, sortie en 2013, démontrait le lien entre la spéculation alimentaire et la hausse exceptionnelle des prix en 2007-2008 [7]. À la suite de l'invasion russe en Ukraine, une enquête journalistique de LightHouse Reports a révélé que les deux fonds d'investissement les plus importants dans le secteur des denrées agricoles avaient déjà atteint un total d'investissements de 1,2 milliard de dollars en mars 2022, alors que l'année 2021 s'était clôturée avec un total de 197 millions de dollars investis sur l'année entière [8]. Spécifions que cette spéculation a été rendue d'autant plus possible depuis l'accord de l'OMC, qui balise lourdement les politiques publiques de stockage, considérées comme vecteur de distorsions commerciales. Or le stockage public de denrées alimentaires permet d'une part de réagir en cas de manque mais aussi d'éviter la spéculation en rendant transparente la disponibilité de réserves. Ce que le stockage privé ne permet pas.
Impacts des systèmes alimentaires européens
L'agroécologie, car elle est une réponse systémique à des enjeux de plus en plus interreliés : malnutrition, climat, inégalités de genre, etc
Au niveau européen, la Politique agricole commune (PAC) continue de faire des dégâts sur les systèmes alimentaires des pays du Sud. Bien que les aides à l'exportation aient disparu avec la réforme de 2014, les subventions européennes continuent de permettre aux pays européens d'exporter les surplus alimentaires à bas prix. Aussi, le budget de la PAC, qui est d'environ 55 milliards d'euros par an [9], doit assurer que le système alimentaire européen fasse sa part en matière de réduction de gaz à effet de serre, dont les impacts se font sentir en premier lieu dans les pays du Sud [10]. Enfin, la PAC doit permettre la construction d'un système alimentaire européen moins dépendant des importations de protéines végétales des pays du Sud, afin de relâcher la pression sur les terres de ces pays – qui elle-même contribue à l'insécurité alimentaire. Le projet de législation européenne « pour des systèmes alimentaires durables », qui devrait aboutir en 2025, peut être le tremplin d'une future PAC qui contribue aux objectifs du pacte vert européen [11].
Le scénario de transition pour « une Europe agroécologique en 2050 », de l'Institut du développement durable et des relations internationales, stipule que, malgré une baisse de la production alimentaire de 35 % par rapport à 2010 (en Kcal), l'Europe serait capable de nourrir sainement sa population. Par ailleurs, ce scénario permettrait de conserver une capacité d'exportation (surtout pour répondre aux enjeux d'insécurité alimentaire), de réduire l'empreinte alimentaire mondiale de l'Europe et de diminuer les émissions de GES du secteur agricole de 40 % [12]. Cette transition réduira les accaparements de terres, la déforestation et les impacts du réchauffement climatique dans les pays du Sud.
Quelles solutions ?
Des solutions existent. Elles sont portées tant par des organisations du Sud que par des agences onusiennes spécialisées, comme le Groupe d'experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE).
Des réformes doivent être mises en place pour remettre le commerce à sa juste place. Une réforme en profondeur de l'OMC est indispensable pour que le droit à l'alimentation soit respecté tant dans les pays du Sud que du Nord. Mais cette réforme de l'OMC doit aller de pair avec celles de la fiscalité et des Institutions financières internationales [13]. Les programmes de l'OMC et des institutions financières internationales sont l'antithèse du principe de souveraineté alimentaire porté par le plus grand syndicat paysan du monde, la Via Campesina. La souveraineté alimentaire est une alternative politique partant du principe que l'alimentation n'est pas une marchandise comme les autres. La meilleure façon de garantir le droit à l'alimentation est de garantir le droit des peuples à déterminer eux-mêmes leurs politiques agricoles et alimentaires.
D'autres actions peuvent être menées à court et moyen terme pour tendre vers cette souveraineté alimentaire. Les gouvernements des pays riches doivent respecter leurs engagements en matière de financement de la solidarité internationale et réorienter leurs programmes de sécurité alimentaire vers l'agroécologie, car elle est une réponse systémique à des enjeux de plus en plus interreliés : malnutrition, climat, inégalités de genre, etc. En parallèle, d'autres politiques européennes doivent être revues pour ne pas détricoter ce que la solidarité tente de construire. En premier lieu, l'UE doit assurer la transition de son système alimentaire afin qu'il soit moins dépendant des terres des pays du Sud et afin de limiter sa contribution au réchauffement de l'atmosphère.
Source : CNCD
Notes
[1] FAO, L'état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, 2023
[2] FAO, Situation alimentaire mondiale, https://www.fao.org/worldfoodsituation/csdb/fr
[3] Matern Maetz, Les causes de la faim : l'héritage de la colonisation, septembre 2012
[4] Gérard Choplin et Karin Ulmer, Agriculture et commerce international, Coalition contre la faim (2023)
[5] Ibidem
[6] Arnaud Zacharie, « Spéculation alimentaire versus droit à l'alimentation », RTBF, 4 septembre 2013
[7] CNCD-11.11.11, « La complicité des banques belges dans la spéculation sur l'alimentation », juin 2013
[8] LightHouse reports, « Pension funds : Gambling with savings and fuelling hunger », octobre 2022
[9] Esther Snippe, « Parlons argent : quel budget pour la prochaine PAC ? », Euractiv, 30 mars 2022
[10] Amaury Ghijselings, « Fumée blanche pour la nouvelle PAC. Une politique plus verte et plus équitable ? », CNCD-11.11.11, juillet 2021
[11] Amaury Ghijselings, « Rendre les systèmes alimentaires européens plus durables », CNCD-11.11.11, 19 avril 2023
[12] IDDRI, Une Europe agroécologie en 2050 (2018), p.5
[13] Cette position n'engage que l'auteur. Le CADTM est pour le remplacement de la Banque mondiale, du FMI et de l'OMC par des institutions démocratiques qui mettent la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux dans les domaines du financement du développement, du crédit et du commerce international.
Auteur.e
Amaury Ghijselings Amaury Ghijselings : Chargé de recherche et de plaidoyer sur la souveraineté alimentaire au CNCD-
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Le modèle allemand est en passe de devenir l’anti-modèle.

Depuis quelques mois, les médias français se plaisent à souligner les difficultés qui s'accumulent en Allemagne, parfois avec cette joie maligne que l'on appelle en allemand Schadenfreude (joie éprouvée au malheur d'autrui), comme si plus rien ne fonctionnait correctement dans un pays longtemps présenté comme modèle à suivre.
Tiré de :La chronique de Recherches internationales Janvier 2025
Alain Rouy
Germaniste, professeur de classe supérieure
Rappelons-nous le programme électoral du chancelier Schmidt à la fin des années 70 intitulé avec arrogance « Modell Deutschland », rappelons-nous l'« Agenda 2020 » du Chancelier Gerhard Schröder au tournant du siècle, loué comme l'exemple à suivre dans la manière de réformer l'économie et la société avec des réformes ultralibérales concernant le marché du travail et les assurances sociales. La mise en pièces du « Sozialstaat » allemand nous était présentée comme la clef des succès économiques de l'Allemagne dont la rigueur budgétaire est devenue le critère sur lequel l'UE devait s'aligner. En France, les présidents Sarkozy et Hollande n'ont eu de cesse de célébrer le modèle allemand : ainsi en janvier 2012 à la télévision, Nicolas Sarkozy se réfère à l'Allemagne pour justifier ses choix et chante les louanges de l'Allemagne qui est "le seul pays d'Europe qui, non seulement a gardé ses emplois industriels mais les a développés" ; ainsi François Hollande, invité en mai 2013 pour le 150e anniversaire du SPD, fait l'éloge du modèle allemand en présence de la chancelière Angela Merkel, et déclare : « Le progrès, c'est aussi de faire des réformes courageuses pour préserver l'emploi et anticiper les mutations sociales et culturelles, comme l'a montré Gerhard Schröder. Elles ont permis à votre pays d'être aujourd'hui en avance sur d'autres ».
Tout cela semble bien lointain aujourd'hui alors que l'Allemagne est confrontée à de multiples crises : la crise de son modèle économique, la crise sociale avec les destructions industrielles et le phénomène des salariés pauvres, la crise du modèle énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique, la crise du système politique, lui aussi présenté pendant des décennies comme exemplaire et gage de stabilité.
Crise du modèle économique, crise sociale, crise énergétique
Le retour à la compétitivité préconisé par le Chancelier Schröder avait pour but d'adapter l'économie allemande à la mondialisation et d'assurer les succès économiques de l'Allemagne. Alors qu'en 2010, l'Allemagne affichait un taux de croissance de près de 5 %, elle découvre avec stupéfaction un PIB négatif, d'abord en 2020, en raison de la crise de Covid, puis en 2023 et sans doute 2024, pour des raisons multiples et plus complexes, dont la guerre en Ukraine et l'inflation. L'Allemagne est donc en récession : incroyable pour la première économie de l'Union Européenne et le troisième plus grand exportateur de biens derrière les États-Unis et la Chine avec un excédent commercial de plus de 200 milliards d'euros en 2023. Sauf que l'inflation, les hausses du prix du logement et de l'énergie, l'augmentation du nombre de « travailleurs pauvres » en raison de la précarité de l'emploi sont autant de facteurs qui nuisent à la consommation intérieure qui ne progresse pas alors que la politique du tout à l'exportation connaît aujourd'hui ses limites, en raison de la guerre en Ukraine d'une part, des menaces agitées par Donald Trump sur l'importation de biens européens d'autre part. Le secteur industriel, et notamment la construction automobile qui fournit 40 % des exportations allemandes, est touché de plein fouet, alors qu'un salarié sur sept travaille dans le secteur automobile.
Nous assistons actuellement à l'aggravation de la crise industrielle en Allemagne avec des plans massifs de suppressions d'emplois annoncés par les plus grands groupes. Au-delà de l'industrie automobile (Volkswagen annonce trois fermetures d'usines en Allemagne même, une première historique), toutes les branches sont concernées, de la chimie à la sidérurgie, ce qui touchera plusieurs dizaines de milliers de salariés. Les syndicats, dont IG Metall, se préparent à déclencher des mouvements de grève « comme le pays n'en a pas connu depuis longtemps » pour exiger « un maintien de toutes les usines ». Le modèle tant vanté du « partenariat social » (Sozialpartnerschaft) et de la cogestion à l'allemande (Mitbestimmung) est bien mort sous les coups de boutoir de l'ultralibéralisme et l'on peut s'attendre à des conflits sociaux majeurs dans les premiers mois de 2025.
Les catastrophes économiques se doublent d'un problème d'approvisionnement énergétique : depuis la guerre en Ukraine, l'Allemagne a renoncé au gaz russe pour lequel de gros investissements (les gazoducs Nord Stream) avaient été entrepris sous Angela Merkel. Comme l'Allemagne a par ailleurs renoncé à l'énergie nucléaire, elle se retrouve être le deuxième plus gros consommateur de charbon de l'UE après la Pologne, ce qui la met en contradiction avec sa volonté proclamée de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre : ainsi, en 2019, plus de 35 % de l'électricité produite provenait de centrales à charbon, ce qui nourrit les accusations de remise en cause des objectifs fixés par la communauté internationale.
La crise politique
Le régime politique actuel de l'Allemagne est celui de l'ancienne République Fédérale, repris intégralement au moment de la réunification : il s'agit d'une démocratie parlementaire, avec un parlement (Bundestag) élu à la proportionnelle, les partis devant obtenir plus de 5 % pour y être représentés. Le gouvernement est responsable devant le Bundestag où il dispose d'une majorité ; il ne peut être renversé que par un renversement d'alliance et l'émergence d'une nouvelle majorité présentant un candidat à la chancellerie (procédure du « vote de défiance constructif ». Ces institutions consacrées dans la Loi Fondamentale (Grundgesetz) de 1949 ont de fait assuré une grande stabilité de l'exécutif pendant des décennies : depuis 1949, la RFA puis l'Allemagne réunifiée n'ont connu que neuf chanceliers en 75 ans. Le système a parfaitement fonctionné jusqu'aux années 80 tant que seuls trois courants politiques étaient représentés au Bundestag : les chrétiens-démocrates (CDU-CSU), les sociaux-démocrates (SPD) et les libéraux (FDP), avec entre 30 et 40 % pour CDU et SPD, les deux grands Volksparteien (partis populaires réunissant de larges couches de la population) totalisant toujours plus de 75 %. Deux des trois partis formaient une coalition gouvernementale, soit CDU-FDP, soit SPD-FDP ou encore les deux grands ensemble (« grandes coalitions » CDU-SPD ou SPD-CDU).
L'entrée des Verts au Bundestag en 1983, puis la réunification et l'arrivée en 1990 du PDS issu de la RDA et devenu Die Linke et enfin l'irruption tonitruante de l'AfD d'extrême droite en 2017 a fait disparaître le système à trois forces politiques, deux qui gouvernent ensemble et la troisième dans l'opposition. D'une part, de nouvelles coalitions de gouvernement sont devenues possibles, telle la coalition « rouge-verte » SPD-Verts entre 1998 et 2005, d'autre part le recul des deux forces principales les a amenées à devoir gouverner ensemble faute de trouver un partenaire suffisamment puissant pour former une majorité. Les gouvernements à deux partis ont été pendant trois mandatures sur quatre de Angela Merkel des « grandes coalitions » CDU-SPD (2005-2009 et 2013-2021), ce qui a eu pour conséquence d'étouffer l'idée d'alternative possible et de favoriser le rejet des partis « traditionnels » et du monde politique, au profit de l'extrême droite populiste. Pour sortir de cette situation, le Chancelier Scholz (SPD) a tenté une coalition à trois partis, pour la première fois de l'histoire de l'Allemagne fédérale : cette coalition tricolore « rouge-verte-orange » SPD-Verts-Libéraux n'a jamais surmonté ses contradictions intrinsèques et a battu des records d'impopularité, jusqu'à exploser avant la fin de la mandature.
Conséquence : à l'initiative du chancelier, le Bundestag a engagé le processus de sa dissolution prononcée par le Président fédéral le 27 décembre 2024, avec des élections législatives fixées au 23 février 2025.
L'absence dramatique d'alternative à gauche due à l'impossibilité de trouver suffisamment de convergences entre le SPD, les Verts et Die Linke à la fin de l'ère Merkel, puis à la scission au sein de Die Linke de BSW (Alliance Sarah Wagenknecht) sur une ligne populiste fait craindre une nouvelle avancée de l'AfD pour les élections à venir, même si la CDU est donnée gagnante par les sondages. L'Afd (Alternative pour l'Allemagne) joue à la fois sur le rejet de la classe politique, la crise sociale et le rejet des immigrés, le discours anti migrants faisant feu de tout bois, comme récemment à propos de la tuerie qui a endeuillé le marché de Noël de Magdebourg. En fait, les électeurs n'attendent rien de ces élections législatives, le système politique semble dans l'impasse, incapable de présenter des alternatives, si ce n'est la tentation de l'extrême droite.
Ce phénomène se retrouve dans d'autres pays d'Europe mais qu'il affecte aujourd'hui l'Allemagne lui donne une dimension nouvelle et inquiétante pour l'ensemble de l'Union Européenne. La Commission Européenne, présidée par une personnalité politique de la droite conservatrice allemande, Ursula von der Leyen, nous montre qu'elle n'hésite pas à verser du côté du pire, qu'il s'agisse de la militarisation forcenée de l'UE, de son soutien inconditionnel à la guerre, de la dérégulation des marchés dans un sens ultralibéral (Mercosur), et de la tolérance bienveillante de l'extrême droite au sein des institutions de l'Union. Si l'Allemagne devait s'engager encore plus nettement dans la même direction, les crises ne pourront que s'aggraver jusqu'à mettre en péril l'avenir de l'UE rejetée par les peuples.
Le modèle allemand est en passe de devenir l'anti-modèle.
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d'analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd'hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
Site : http://www.recherches-internationales.fr/
https://shs.cairn.info/revue-recherches-internationales?lang=fr
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Deal avec Bayrou : le PS renonce à la censure et accepte de négocier l’austérité

Déterminé à trouver un accord avec le gouvernement depuis 10 jours, le PS a finalement validé cet après-midi la non-censure en échange de miettes listées par Bayrou dans un courrier ce matin. Une énième trahison qui ouvre la voie au soutien à un budget austéritaire brutal.
16 janvier 2024 | tiré du site de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Deal-avec-Bayrou-le-PS-renonce-a-la-censure-et-accepte-de-negocier-l-austerite
Le 13 décembre dernier, la nomination de Bayrou avait lieu avec la bénédiction du PS. Le parti d'Olivier Faure s'était fortement engagé dans les négociations, propulsant l'idée d'un « accord de non-censure », et multipliant les appels à « une méthode renouvelée qui permette véritablement le respect du débat parlementaire. » Ce processus de rapprochement entre le PS et la macronie a connu une nouvelle étape ce jeudi.
Cet après-midi, la décision de ne pas censurer François Bayrou a en effet été validée en bureau national par 53 voix pour, 10 contre et 2 abstentions. La décision est historique ces dernières années : si Olivier Faure a réaffirmé la place de son parti dans « l'opposition » à l'Assemblée nationale cette après-midi, la deuxième force du NFP acte de fait sa volonté de s'entendre avec le gouvernement Bayrou, à l'aube de l'examen d'un budget austéritaire brutal visant 50 milliards d'économie.
En fin de matinée, François Bayrou adressait un courrier aux socialistes en forme de coup de pression pour rappeler les mesures négociées. Outre l'organisation d'une conférence avec les syndicats et le patronat sur les retraites, qui s'annonce au mieux une impasse au pire la voie vers de nouvelles attaques, on y retrouve, entre autres, un recul sur la désindexation des retraites (déjà effectif du fait de l'absence de budget…), l'abandon de la suppression de 4000 postes dans l'éducation nationale (un retour au statu quo qui sera compensé par l'austérité ailleurs), l'abandon de l'ajout de deux jours de carence pour les fonctionnaires (sans pour autant reculer sur la baisse de l'indemnisation à 90%) ou l'annulation de mesures de déremboursements des médicaments qui sera in fine compensée par une hausse des tarifs des mutuelles payées par les travailleurs.
Un recul sur certaines des mesures les plus agressives du budget précédent qui ne remet cependant en rien en cause le projet austéritaire, mais sert à faire passer la pilule, au même titre que les quelques taxes provisoires et limitées visant les « riches ». Sur ce plan, François Bayrou a d'ailleurs inclus le maintien de la contribution sur les hauts revenus et de la surtaxe provisoire sur l'imposition des grandes sociétés, déjà prévues par le gouvernement Barnier, dans « l'accord » avec les socialistes.
Dans ce cadre, si à la tribune de l'Assemblée nationale, Olivier Faure a affirmé qu'une censure restait possible, le PS fait un pas décisif dans le soutien au gouvernement. Une position d'autant plus scandaleuse que, par-delà la question du budget, ce dernier mène d'ores et déjà une politique xénophobe et répressive dure sous la houlette du duo Darmanin-Retailleau, qui pourra se poursuivre dans les mois à venir grâce au PS et au RN.
Ces derniers jours, la France Insoumise et d'autres forces du NFP ont dénoncé l'attitude des socialistes. Cependant, c'est bien l'alliance électorale entre les forces de la gauche institutionnelle qui a permis d'offrir au PS une position de force, avec 66 députés à même d'assurer le maintien au pouvoir de la macronie et de défendre la « stabilité » des institutions pourries de la Vème République. Un constat qui souligne l'impasse des politiques de conciliation de classes, qui prépare le terrain aux trahisons et renforcent nos ennemis.
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Mort de Le Pen, triomphe du lepénisme. Et maintenant ?

Jean-Marie Le Pen est mort. Dans les partis de droite et la plupart des « grands » médias, on s'indigne du fait que beaucoup trouvent matière à se réjouir de la disparition d'un chef fasciste. Et les mêmes poursuivent le travail de normalisation de l'extrême droite.
Tiré de la revue Contretemps
13 janvier 2025
Par Ugo Palheta
Ainsi prétendent-ils que, si Le Pen a commis, certes, des déclarations condamnables, s'il a été un personnage « polémique » ayant commis quelques « dérapages », il devrait à présent être respecté comme un pan de l'histoire politique du pays. D'autres dans la constellation des médias Bolloré vont plus loin, faisant de lui un « lanceur d'alerte » sinon un « prophète », qui aurait posé de « bonnes questions » ou « prévu ce qui allait se passer », s'émerveillant déjà de la constance de ses « convictions » ou de son « immense culture » [1].
De bonnes nécrologies seront certainement publiées. On diffusera assurément ses « petites phrases » les plus violemment racistes, masculinistes ou homophobes. Mais sans doute oubliera-t-on certains aspects moins solubles dans l'idéologie dominante. Cette idéologie dans laquelle la diabolisation de Jean-Marie Le Pen a rempli une fonction cruciale, assurant la dissimulation des dimensions les plus institutionnelles et structurelles du racisme, et occultant la contribution des partis et médias dominants à la progression du lepénisme.
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Le diable de la République ?
Dans la France des années 1980-90, une bonne partie de la gauche et des mouvements antiracistes et antifascistes – notamment les satellites du PS comme SOS Racisme –, présentaient le racisme et la xénophobie anti-immigrés comme des virus idéologiques inoculés du dehors du jeu politique légitime – sinon de la société française – par le Front national, et en particulier par son leader Jean-Marie Le Pen : des virus permettant de diviser la classe ouvrière en flattant les préjugés archaïques d'une partie du peuple français, et fournissant un bouc-émissaire facile dans une période marquée par l'installation du chômage de masse et de la crise sociale.
La figure de Jean-Marie Le Pen était alors commode, permettant de projeter les traits d'une société tout entière (Fanon disait qu'« une société est raciste ou elle ne l'est pas ») sur un individu seul et un parti dont les liens avec le fascisme historique apparaissaient encore évidents, et insidieusement de confiner le racisme, le masculinisme ou l'homophobie à cet individu et à son parti. On pouvait bien éventuellement dire que d'autres – en particulier Jacques Chirac à l'époque, pérorant sur le « bruit et l'odeur » des Noirs et des musulmans en 1991 – tentaient de « faire du Le Pen » pour gagner des voix, mais cela n'entraînait aucune réflexion ou interrogation sur le racisme comme production institutionnelle, et le rôle crucial joué par les partis dominants.
La diabolisation de Le Pen n'a pas permis d'enrayer la progression du lepénisme mais elle a rempli une fonction d'exutoire. Elle a ainsi permis de masquer l'ampleur et la systématicité du racisme dans la société française, et ainsi de n'avoir rien à changer de fondamental dans la structure sociale et le fonctionnement des institutions – sinon d'exorciser le spectre du fascisme, la main sur le cœur lors de soirées électorales. Le Pen et le FN ont ainsi été l'instrument d'un grand refoulement de la question de la domination blanche en France, d'une manière d'autant plus efficace qu'il y avait mille et une bonnes raisons de dénoncer Le Pen et de craindre la montée du FN : cette entreprise de dénégation ou d'esquive pouvait ainsi se draper dans les facilités notoires du « plus jamais ça ».
Or le tableau est à l'évidence très différent dès lors que l'on considère le racisme – en particulier le racisme colonial – comme une dimension majeure de la construction de l'État français (dans le contexte de la République impériale puis néocoloniale), comme un axe central de l'hégémonie bourgeoise, et comme un opérateur fondamental de division au sein de la classe des exploité-es. De même pour les déclarations incontestablement antisémites de Le Pen : on ne comprendrait pas qu'elles n'aient nullement empêché le FN de rassembler jusqu'à 17% de l'électorat en 2002 sans considérer la très durable et profonde implantation de l'antisémitisme dans la société française (et plus largement dans les sociétés européennes).
Pour reprendre et détourner la métaphore médicale, qui évidemment a des limites, Le Pen n'est plus alors le nom du virus mais l'un des symptômes les plus visibles d'une maladie dont sont atteintes depuis très longtemps les sociétés européennes, et d'une manière particulièrement virulente dans un vieil impérialisme en déclin comme la France.
Et on comprend alors mieux l'une des forces de l'extrême droite. Celle-ci peut se présenter et apparaître comme une force de contestation, « antisystème » ou « politiquement incorrecte », car ses dirigeants furent un moment les seuls à revendiquer explicitement ce qui demeurait implicite et euphémisé dans la politique dominante, et parce qu'ils ont été à ce titre l'objet d'une diabolisation de la part des partis et médias dominants (il est vrai que ce n'est plus le cas, la complaisance manifestée ces derniers jours à l'égard de Jean-Marie Le Pen le démontrant de manière éclatante).
Mais dans le même temps, cette force se trouve en pleine continuité avec l'ordre socio-racial établi : en s'installant confortablement dans le sens commun national-racial et proprement colonial de la République française comme de son élite politique, le FN/RN a pu finir par s'imposer, non plus comme un parti-paria mais comme la branche la plus déterminée du nationalisme français, l'expression politique de celles et ceux qui veulent tout faire pour « rester chez eux en France », et du point de vue de la bourgeoisie comme une roue de secours possible dans la situation actuelle d'ingouvernabilité.
Le Pen contre Le Pen ?
Les « grands » médias et les journalistes dominants n'aiment rien tant, lorsqu'ils traitent de la politique, que les conflits de personne, les « bisbilles » et les « petites phrases » : toutes choses qui peuvent être aisément retraduites dans le langage trivial des ambitions déçues ou des complicités trahies, qui est la matière première de la presse « people ». Le dégoût du public à l'égard du débat d'idées fait partie de l'idéologie professionnelle des journalistes « politiques » ; ces derniers ne cessent donc de ramener les discussions et divergences politiques à des tensions interpersonnelles, ou à une course de petits chevaux pour tel ou tel poste.
De ce point de vue, la rupture entre un père et sa fille à la tête d'un parti sulfureux ne pouvait apparaître pour ces médias que comme une sorte de bénédiction, et il faudrait faire le compte de ces interviews où l'on a interrogé ces dix dernières années Marine Le Pen ou son père sur ce qu'ils ont « ressenti » au moment de l'exclusion de ce dernier du parti qu'il avait fondé plus de 40 ans auparavant, comment ils ont « vécu » ce « drame » personnel et familial, etc. Mais à cette lecture consternante s'est accrochée une idée simple, et fausse, qui épousait parfaitement la stratégie de Marine Le Pen dite de la « dédiabolisation » : celle d'une ligne dure, intransigeante et en quelque sorte ringarde (parce qu'attachée aux vieilles lubies de l'extrême droite de l'entre-deux-guerres ou de l'immédiat après-guerre), incarnée par le père, opposée à une ligne modérée, responsable et moderne, représentée par la fille.
De même qu'en 2022 la présence de Zemmour – et son profil politique presque entièrement tourné vers la surenchère raciste, en particulier islamophobe – ont permis à Marine Le Pen d'apparaître comme une figure rassurante pour une partie de l'électorat traditionnel de la droite, la rupture avec Jean-Marie Le Pen a constitué au milieu des années 2010 le meilleur moyen de donner une consistance à l'idée d'un « nouveau FN », bientôt rebaptisé « Rassemblement national ». Et on ne peut pas dire que les commentateurs médiatiques aient été très regardants, ni très soucieux de placer Marine Le Pen face à d'éventuelles contradictions, elle qui assurait lors du congrès de Tours de 2011 (qui fit d'elle la nouvelle présidente du FN) : « j'assume toute l'histoire de mon parti. Son histoire, c'est un tout, alors je prends tout ! ».
Si on avait creusé un tant soit peu, on aurait pu mesurer à quel point le passage de relais entre le père et la fille traduisait moins un changement de « nature » du FN/RN ou de sa stratégie d'ensemble, qu'une divergence de tactique politique. Le véritable changement impulsé par Marine Le Pen fut pour l'essentiel d'abandonner tactiquement tout ce qui pouvait apparaître à présent comme un frein à ses ambitions présidentielles, en particulier les dimensions les plus explicitement antisémites et négationnistes du discours d'extrême droite – tout en ayant couvert, il faut le rappeler en chaque occasion, les déclarations de son père pendant près de trois décennies – pour mettre au premier plan le « problème de l'islam ». Elle a ainsi non seulement radicalisé par l'islamophobie la rhétorique habituellement xénophobe du FN et opéré un recodage « républicain » du discours frontiste, permettant de l'insérer harmonieusement dans l'islamophobie mainstream.
Si a pu s'imposer l'illusion d'une transformation profonde du FN, c'est du fait de la très large diffusion de l'islamophobie, qui tend à rendre acceptable la haine des musulmans ou le soupçon que ces derniers souhaiteraient « noyauter la République » pour assurer leur domination, mais aussi du discours public faisant de l'immigration et des immigrés un « problème » à résoudre, et ce depuis les années 1970. L'installation d'un double consensus xénophobe et islamophobe, couplée à l'affirmation d'une « nouvelle laïcité » permettant de stigmatiser les musulmans au nom de la défense de la « République », tend ainsi à légitimer par avance toutes les sorties les plus ouvertement racistes du FN, du moins dès lors qu'elle vise les immigré·es et descendant·es d'immigré·es – et plus largement toute personne – musulman·es ou perçu·es comme tel·les.
On doit d'ailleurs remarquer que l'antagonisme entre le père et sa fille n'a pas éclaté lorsque Jean-Marie Le Pen, évoquant le prétendu « risque de submersion » de la France par l'immigration, avait affirmé en mai 2014, faisant allusion à l'épidémie qui sévissait alors en Afrique, que « Monseigneur Ebola peut régler ça en trois mois ». Cette déclaration n'avait alors suscité aucune condamnation de la part de la direction du FN et de sa présidente ; bien au contraire, elle l'avait soutenu. De même, l'exclusion de Jean-Marie Le Pen n'a nullement conduit Marine Le Pen ou les dirigeants actuels du FN/RN à modérer leurs discours concernant cette prétendue invasion migratoire, la soi-disant occupation de la France par une population étrangère ou encore la dite « colonisation à l'envers », qui conduirait à la destruction ou la disparition de la France.
Mais comment ce prophétisme xénophobe et islamophobe aurait-il pu contredire la thèse médiatique d'un RN devenu respectable puisque la grande majorité du personnel politique et médiatique dominant communie également dans l'idée d'un « séparatisme musulman », d'une « infiltration islamo-gauchiste », et que s'exprime au plus haut sommet de l'État la rhétorique (empruntée à l'extrême droite) de la « décivilisation » et de l' « ensauvagement » ?
Un militant du colonialisme français
L'un des aspects de la trajectoire de Jean-Marie Le Pen – mais aussi de toute l'extrême droite française [2] – qui est beaucoup trop rapidement évacué dans le récit médiatique dominant, en fait presque toujours passé sous silence, c'est son ancrage dans le colonialisme français et sa participation active dans les guerres visant à maintenir la domination coloniale française dans ce qu'on appelait alors l' « Indochine » et en Algérie.
On rappelle généralement les déclarations antisémites et négationnistes de Jean-Marie Le Pen ; plus rarement d'ailleurs le fait que nombre des premiers fondateurs du FN étaient d'anciens pétainistes, collaborationnistes et membres de la Waffen SS, ce qui paraîtrait inconvenant alors que toute la droite – Macronie incluse – cherche un accord, plus ou moins tacite à ce stade, avec le FN/RN. Mais on oublie presque toujours de souligner la forte présence des anciens militants et sympathisants de l'Organisation Armée Secrète (OAS). Or, comme le rappelle l'historien Fabrice Riceputi, il s'agit là de l'organisation terroriste qui a commis, de loin, le plus d'attentats dans l'histoire de France.
En outre, dans le parcours militant et politique de Jean-Marie Le Pen, les guerres d'Indochine et d'Algérie ont certainement joué un rôle plus structurant que la collaboration avec l'occupant nazi, précisément parce que Le Pen est né trop tard pour collaborer. Il est vrai que cela ne l'a nullement empêché de nouer des amitiés très durables avec des collaborationnistes notoires, de devenir le porte-parole d'un thuriféraire de Pétain – l'avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour – lors de la campagne présidentielle de ce dernier en 1965, ou de publier des chants nazis à la gloire des SS et de Hitler dans le cadre de la société d'édition musicale qu'il créa et dirigea dans les années 1960 au cours de sa période de vaches maigres.
Mais la défense du colonialisme français a joué un rôle primordial pour Le Pen pour trois raisons : d'abord comme une expérience formatrice politiquement, où il fit ses premières armes (au sens propre comme au figuré), et qui lui donna une sorte d'aura dans les milieux d'extrême droite (puisqu'il s'engagea dans le prestigieux régiment des parachutistes) ; ensuite parce que c'est l'engagement dans la défense de l'Empire qui permit à l'extrême droite de sortir de la complète marginalité dans laquelle la collaboration avec l'occupant l'avait confinée, même si le résultat fut désastreux sur le moment avec la victoire des mouvements de libération nationale aussi bien en Indochine qu'en Algérie ; enfin parce que Jean-Marie Le Pen put et sut transférer habilement dans le cadre du champ politique français le racisme colonial, notamment anti-Arabes. Celui-ci sévissait de mille manières dans la vie quotidienne des immigrés algériens, jusqu'au meurtre de centaines d'entre eux et elles le 17 octobre 1961, mais c'est Le Pen plus que tout autre qui en fit une arme politique et électorale efficace.
Peut-être douterait-on moins d'ailleurs du caractère fasciste de Le Pen et de son courant politique si l'on cessait de découpler le fascisme de la question coloniale, si l'on prenait davantage au sérieux la violence de l'entreprise coloniale française (en particulier en Algérie) et du racisme qui lui est associé, en particulier dans la manière dont il a imprégné le corps social français. Peut-être aurait-on ainsi donné moins de crédit à la grotesque thèse « immunitaire » selon laquelle la France serait demeurée « allergique au fascisme », du fait notamment de ses valeurs républicaines, thèse à peu près équivalente à l'idée que le nuage de Tchernobyl aurait eu la décence de ne pas traverser les frontières françaises.
Peut-être aussi aurait-on compris que la rupture verbale et tactique du FN/RN de Marine Le Pen avec l'antisémitisme cohabitait avec la focalisation sur l'islamophobie, qui fonctionne en France comme un « racisme respectable », légitime car légitimé par des décennies de laïcité falsifiée et de discours faisant apparaître l'islam et les musulman·es comme une menace, pour la France et/ou pour la République.
Au-delà de l'anti-lepénisme
Celles et ceux qui ont célébré la mort de Le Pen n'ont sans doute, dans leur grande majorité, aucune illusion sur les effets de sa disparition. Cette mort était attendue et espérée, car il y avait quelque chose de rageant à voir survivre aussi longtemps, et dans l'opulence, un tortionnaire d'Algériens, un promoteur aussi assidu du racisme, du masculinisme et de l'homophobie, et celui qui parvint à redonner une audience de masse, dans la société française, au projet fasciste. Bien aidé en cela par les politiques néolibérales, qui intensifièrent toutes les concurrences dans la société française à partir des années 1980, mais aussi par la dérive de la droite, qui radicalisa son électorat, et les trahisons de la gauche, qui démobilisèrent le sien.
Le Pen sut saisir l'opportunité ouverte par la crise de la représentation politique qui s'amorça dans les années 1980, non simplement parce qu'il y avait alors un vide mais parce qu'il sut trouver les voies d'une politique de masse, à partir de la vision du monde propre à l'extrême droite. Et c'est précisément ce dernier aspect qui doit nous importer le plus : non pas les ignobles déclarations proférées au cours de sa longue carrière par Jean-Marie Le Pen, qui avaient une visée de provocation lui permettant de revenir sans cesse au centre du jeu politique, mais la manière dont il parvint à transformer l'obsession nationaliste, le ressentiment raciste et la nostalgie coloniale en force politico-électorale. C'est bien là ce qui demeure vivant dans la politique du FN/RN, peu importe au fond ce qui figure explicitement dans le programme électoral de ce parti, que ses dirigeant·es auront d'ailleurs aussitôt oublié une fois parvenu·es au pouvoir.
Cela désigne le défi principal pour la gauche, en France et au-delà : trouver (ou retrouver) le chemin d'une politique de masse. Or, de ce point de vue, l'anti-lepénisme au sens étroit est une impasse. À ce stade de son développement, l'extrême droite ne peut être affrontée uniquement sous cette forme strictement réactive et défensive, qu'il s'agisse de l'antifascisme « républicain » (qui aspire à défendre les institutions contre les fascistes et prétend que les institutions nous défendront contre les fascistes) ou d'un antifascisme plus radical qui entend principalement empêcher les fascistes d'apparaître publiquement et de se constituer en force militante.
Bien sûr, lorsque les fascistes cherchent à s'implanter localement (dans un quartier, un village, une ville, une université, une entreprise ou une association), il est crucial de leur barrer la route, par la mobilisation la plus large et la plus déterminée. Mais lorsque l'extrême droite est aux portes du pouvoir, lorsqu'elle apparaît pour une frange importante de la population comme la principale force politique capable de mettre un terme à la grande entreprise de brutalisation macroniste, on ne peut la faire reculer sans lui contester ce rôle, sans proposer une solution à la crise politique, sans être en somme candidat au pouvoir sur une orientation de rupture avec l'ordre socio-racial établi. C'est ce défi qu'il nous faut relever dans les mois et années à venir.
Notes
[1] Ce qui est faux au demeurant, Jean-Marie Le Pen ayant été toute sa vie un cuistre, pataugeant dans les quelques éléments de culture classique appris par cœur dans les établissements jésuites où il fut scolarisé précocement, et plus à l'aise dans un répertoire allant des écrivains fascistes (Brasillach surtout) aux chansons paillardes que dans la philosophie ou la littérature (classique ou contemporaine). Pour se donner une idée, voir : Michel Eltchaninoff, « Quand Jean-Marie Le Pen parlait de philosophie », Philosophie Magazine, 7 janvier 2025,https://www.philomag.com/articles/quand-jean-marie-le-pen-parlait-de-philosophie.
[2] Cela vaut sous d'autres formes pour l'essentiel du champ politique français, jusqu'à la social-démocratie qui fut en France indécrottablement coloniale (jusqu'à aujourd'hui, ce qui est en lien étroit avec l'attitude du PS actuel concernant la question palestinienne). On doit se souvenir en particulier du rôle de François Mitterrand durant la guerre d'Algérie, ministre de la justice durant la grande répression d'Alger et qui à ce titre autorisa l'exécution de 45 militants du FLN algérien, et s'opposa à 80% des recours en grâce.
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Poutine et le facteur Trump : « l’Ukraine pourrait cesser d’exister cette année »

À quelques jours de l'investiture de Donald Trump, le Kremlin prend la parole par la voix de l'un des plus influents conseillers de Vladimir Poutine.
14 janvier 2025 | Auteur Le Grand Continent • Trad. Guillaume Lancereau • Image © Dmitry Dukhanin/Kommersant
Dans un entretien particulièrement brutal avec un certain Andreï Baranov, publié aujourd'hui dans les pages de la Pravda [1], Nikolaï Patrushev, conseiller assistant du président russe Vladimir Poutine et membre du Conseil de sécurité, a exposé pour la première fois d'une manière aussi directe les perspectives du Kremlin et les attentes du régime russe envers la nouvelle administration américaine.
Après avoir mentionné la « disparition » de l'Ukraine, Nikolaï Patrushev menace directement d'annexer les pays Baltes et la Moldavie : « Je n'exclus pas que la politique agressivement antirusse de Chisinau aboutisse à l'absorption de la Moldavie par un autre État ou à sa disparition pure et simple. Dans ce contexte, l'exemple qui vient à l'esprit est naturellement celui de l'Ukraine, où le néonazisme et la russophobie ont conduit le pays à sa chute — et ce bien avant le lancement de l'opération militaire spéciale ».
En s'appuyant sur de nouveaux alliés — en Autriche, en Roumanie — pour neutraliser l'Europe de l'intérieur, il considère que Donald Trump, embourbé dans une lutte à mort avec l'État profond américain et dont il serait « essentiel de garantir la sécurité » pour le Kremlin, serait prêt à négocier d'égal à égal avec Poutine, en évacuant toute souveraineté continentale : « Nous n'avons rien à débattre avec Londres ou Bruxelles ».
Patrushev est connu pour être l'une des personnes les plus proches de Vladimir Poutine qu'il a connu en poste au KGB à Saint-Pétersbourg dès les années 1970. Son influence centrale dans la définition des grandes lignes de la stratégie internationale russe s'est vérifiée depuis le début des années 2000 jusqu'à aujourd'hui. Après avoir été directeur du FSB pendant huit ans, secrétaire du Conseil de sécurité de Russie pendant seize ans, il a été l'une des victimes indirectes de la « purge » de mai 2024 qui a conduit à « recaser » l'ancien ministre de la Défense Sergueï Choïgou à son poste. Depuis, il occupe les fonctions de « conseiller assistant » — au cœur du Kremlin, au plus proche de Poutine, mais avec moins de pouvoir visible. Considéré comme l'un des plus « faucons » de l'entourage du président, il passe pour être l'un des artisans et principaux conseils de Poutine sur l'invasion à grande échelle de l'Ukraine.
En raison de sa « psychologie guidée par une paranoïa complotiste », l'historien britannique Mark Galeotti l'a décrit comme « l'homme le plus dangereux de Russie »[Mark Galeotti, « Ep 6 : he Most Dangerous Man in Russia », In Moscow's Shadow (podcast), juin 2020..]]
Cette prise de parole qui appelle au partage de l'Europe par des nouveaux Empires sans frontières doit être lue de toute urgence.
Nikolaj Platonovič, voilà de nombreuses années que vous travaillez sur les questions géopolitiques, tout en prenant part aux processus décisionnels en matière de sécurité internationale. Avez-vous le sentiment que le monde entier retient son souffle dans l'attente des changements majeurs qui s'annoncent avec l'investiture de Donald Trump ?
Nikolai Patrushev - Une part considérable de la planète a le regard tourné vers l'Amérique. En même temps, l'élite américaine apparaît divisée, dépourvue de vision unifiée sur la façon d'envisager sa politique, tant à l'extérieur qu'en interne. Pendant ce temps, Donald Trump répète sans cesse le même slogan : il a un plan, et son plan consiste à restaurer une politique américaine pragmatique, profitable tant à l'État qu'aux citoyens. Comment cette politique s'articulera-t-elle avec les intérêts des autres pays et des autres peuples ? Cela n'est pas encore très clair.
Quoi qu'il en soit, nous assistons en ce moment même à des transformations de fond à l'échelle mondiale. Je ne parle pas seulement des enjeux géopolitiques, mais aussi de la situation économique ou technologique, ainsi que des dynamiques sociales et culturelles. La dernière fois que des mouvements tectoniques de cette ampleur ont eu lieu, c'était après la chute de l'URSS. À ce moment, l'Occident s'est avéré incapable de s'adapter aux nouvelles réalités du monde et a continué à vivre comme au temps de la Guerre froide, en se cherchant sans cesse de nouveaux ennemis.
Les déclarations quotidiennes de Trump semblent tout simplement révolutionnaires : son rejet de tout l'héritage de l'administration Biden,ses propositions d'idées radicalement nouvelles…
La présidence de Joe Biden a démontré que les priorités de la Maison-Blanche différaient fondamentalement de celles des citoyens ordinaires. Dès leur plus jeune âge, les Américains ont l'idée, acquise sur les bancs de l'école, qu'aux États-Unis, c'est le peuple qui gouverne, pour le peuple et au nom du peuple. Or cette représentation jure singulièrement avec la réalité, de sorte que les citoyens ordinaires sont prêts à accepter n'importe quelle proposition susceptible d'améliorer leur bien-être, à accueillir n'importe quelle mesure favorable aux valeurs familiales, à l'amélioration de la couverture sociale, à la lutte contre les incendies et l'immigration illégale.
Trump se montrera-t-il capable de mettre en œuvre ses projets jusqu'au bout ? Seul le temps le dira. Son premier mandat a montré à quel point l'État profond — tant critiqué aux États-Unis — était puissant : il pourrait effectivement l'empêcher de réaliser ses ambitions. L'expérience de sa campagne électorale et de la tentative d'assassinat qu'il a subie confirment en même temps qu'il faut se préparer aux scénarios les plus improbables.
Manifestement, les positions de Trump sont loin de faire l'unanimité au sein des élites états-uniennes. Sa vision du monde contredit les plans conçus par les représentants du Parti démocrate et par certains propriétaires des grands groupes industriels et des multinationales. Pour cette raison, il est essentiel de garantir la sécurité de Trump et de son entourage jusqu'à son investiture et tout au long de son mandat présidentiel.
Donald Trump a déjàfait état de ses intérêts concernant le Groenland, le canal de Panama, le Mexique, le Canada — d'autres pays répartis sur divers continents. Pourquoi, contrairement à Biden, parle-t-il si peu de l'avenir de l'Ukraine ?
Pour l'administration Biden, l'Ukraine était une priorité absolue. Or, entre Biden et Trump, les relations sont on ne peut plus hostiles. Par conséquent, l'Ukraine ne figurera pas parmi les priorités de Trump — qui est, par ailleurs, bien davantage préoccupé par la Chine, tout en manifestant, comme vous l'avez souligné, des intérêts pour le Groenland, le canal de Panama, le Mexique ou encore le Canada. L'idée de redessiner la carte du monde conformément à ses intérêts et de multiplier les ingérences dans les affaires d'autres États sur divers continents reste une tradition américaine.
Si les discussions relatives à l'envoi de troupes pour intégrer de nouveaux États au profit des États-Unis semblent peu fondées, il ne fait aucun doute que la nouvelle administration manifestera la plus grande fermeté pour la défense de ses propres intérêts, dans toutes les directions évoquées.
Pour ce qui concerne les relations des États-Unis et de la Chine, on peut raisonnablement s'attendre à une aggravation des différends entre Washington et Pékin. Il y a déjà de quoi craindre que les Américains accentuent eux-mêmes ces différends, y compris de manière purement artificielle.
Pour la Russie, la Chine reste en revanche un partenaire de premier plan, avec lequel nous entretenons des relations privilégiées de coopération stratégique, lesquelles ne dépendent en aucun cas de la conjoncture du moment et sont amenées à se poursuivre — indépendamment de l'occupant du Bureau ovale, qui n'est que pro tempore.
Notre partenariat avec la Chine ne contredit pas nos intérêts, qui doivent par ailleurs être protégés dans d'autres régions du monde. Quelle est votre analyse concernant nos relations avec les pays Baltes et la Moldavie ?
Pour nous, l'enjeu vital reste la protection et le bien-être de nos citoyens et de nos compatriotes à travers le monde. Sur le plan international, il faut absolument mettre un terme à la discrimination que subit la population russe dans une série de territoires, à commencer par les pays Baltes et la Moldavie. Les autorités de ces États continuent à s'enfoncer délibérément dans une crise dramatique, conséquence de leurs actions irréfléchies, tout en persévérant dans leur propagande russophobe.
L'exemple de la crise énergétique est d'une clarté absolue : la responsabilité en incombe entièrement aux autorités moldaves, qui se sont pliées servilement aux injonctions de Bruxelles visant à réduire leur dépendance au gaz russe. Chisinau doit cesser de se mentir et de tromper son propre peuple. Les autorités moldaves feraient mieux de reconnaître leurs erreurs et de corriger le tir, plutôt que de chercher des ennemis à l'intérieur du pays ou en Transnistrie.
Je n'exclus pas que la politique agressivement antirusse de Chisinau aboutisse à l'absorption de la Moldavie par un autre État ou à sa disparition pure et simple. Dans ce contexte, l'exemple qui vient à l'esprit est naturellement celui de l'Ukraine, où le néonazisme et la russophobie ont conduit le pays à sa chute — et ce bien avant le lancement de l'opération militaire spéciale.
Les représentants de la nouvelle administration des États-Unis, à commencer par certains conseillers nommés par Trump, ont souligné dans leurs déclarations publiques que la Russie ne renoncerait en aucun cas à ses revendications en Ukraine ou dans d'autres territoires désormais intégrés à la Fédération de Russie.
Il n'en est même pas question.
Les territoires qui se sont trouvés pendant un temps sous l'administration de Kiev ont désormais intégré la Russie à la suite d'une consultation populaire, conformément au droit international, aux lois de la Fédération de Russie et à la législation des régions concernées.
Pour ce qui concerne la position russe vis-à-vis de l'Ukraine, elle demeure ce qu'elle était jusqu'alors : il faut atteindre les objectifs qui ont été assignés à l'opération militaire spéciale. Ces objectifs sont connus et ils n'ont toujours pas changé. Ils ont été exprimés plus d'une fois par le président russe Vladimir Poutine.
Il est tout aussi crucial que la communauté internationale reconnaisse pleinement l'incorporation des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, ainsi que des régions de Zaporozhia et de Kherson. Ces territoires font désormais partie intégrante de notre pays, conformément à la Constitution de la Fédération de Russie.
Je tiens à souligner une fois de plus que le peuple ukrainien reste à nos yeux un peuple proche, un peuple frère, lié à la Russie par des relations pluriséculaires, en dépit de ce qu'affirment les propagandistes de Kiev, abreuvés à l'idéologie nationaliste. Ce qui se passe en Ukraine est loin de nous laisser indifférents. Nous sommes particulièrement inquiets de voir que l'imposition violente de l'idéologie néonazie et d'une russophobie débridée mène à l'anéantissement de villes ukrainiennes autrefois prospères telles que Kharkiv, Odessa, Nikolaev ou Dnepropetrovsk. Il n'est pas exclu qu'au cours de l'année à venir, l'Ukraine cesse purement et simplement d'exister.
Pour ce qui concerne les perspectives de développement futur avec ce facteur Trump, nous respectons absolument les déclarations de ce dernier.
J'estime que les négociations relatives à l'Ukraine doivent avoir lieu entre la Russie et les États-Unis — sans qu'y interviennent d'autres pays occidentaux. Nous n'avons rien à débattre avec Londres ou Bruxelles. Il y a bien longtemps que la direction de l'Unione européenne, par exemple, a perdu le droit de parler au nom de certains de ses membres — la Hongrie, la Slovaquie, l'Autriche, la Roumanie et d'autres pays résolus à œuvrer pour la stabilité de l'Europe et à occuper une position équilibrée vis-à-vis de la Russie.
Sources
La Komsomolskaja Pravda, publication d'origine soviétique (porte-parole du Komsomol, organisation de jeunesse du PCUS), est désormais pleinement inféodée au pouvoir poutinien.
Mark Galeotti, « Ep 6 : he Most Dangerous Man in Russia », In Moscow's Shadow (podcast), juin 2020.
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[1] La Komsomolskaja Pravda, publication d'origine soviétique (porte-parole du Komsomol, organisation de jeunesse du PCUS), est désormais pleinement inféodée au pouvoir poutinien.

Trump, l’Europe et la vertu outragée : malaise dans le suprémacisme impérial

Trump annonce la couleur avec des déclarations de politique extérieure fracassantes : annexion du canal de Panama, colonisation pure et simple du Groenland et, pour le Canada, publication sur son réseau social d'une carte de l'Amérique du Nord intégralement recouverte de la bannière étoilée.
16 janvier 2025 | Hebdo L'Anticapitaliste - 737
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/trump-leurope-et-la-vertu-outragee-malaise-dans-le-supremacisme-imperial
Comme inspiré par Netanyahou brandissant la carte d'un seul grand Israël devant l'assemblée générale de l'ONU, voici donc Trump, saison 2.
De vrais projets ?
Stratégie de l'imprévisibilité et de la menace généralisée ? Symptômes de sénescence d'un vieillard autoritaire se rêvant en maître d'empire ? On peut toujours spéculer sur les ressorts de telles provocations. Quelles que soient ses intentions ultimes en la matière, ce coup d'éclat fait entendre nombre de motifs familiers. En premier, l'agressivité viriliste, désormais marqueur privilégié de l'identité politique de la nouvelle extrême droite planétaire, de Trump à Duterte en passant par le bolsonarisme. Un autre motif est l'antiféminisme, celui déclaré de l'ex-président sud-coréen (Yoon Suk Yol, maintenant déchu) en passant par celui du mouvement Vox en Espagne et la version française de « l'anti-wokisme ». De ce point de vue, ces sorties sont pleinement en cohérence avec les signaux adressés par Musk en direction des dirigeants de l'extrême droite européenne.
On y reconnaît aussi un signe de la très nette tendance à la concentration du pouvoir présidentiel américain, en cours depuis une quarantaine d'années. La posture de Trump n'en est à présent que la manifestation la plus caricaturale.
Retour à la tradition
Un registre un peu plus ancien encore : l'argument de la « sécurité nationale », dont ne dépendraient rien moins que le bon ordre et la liberté du monde, fait écho mot pour mot à celui des dirigeants américains à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Soucieux de pérenniser le déploiement d'ampleur inédite de bases militaires à travers le monde, ceux-là faisaient déjà de la « sécurité » la clé de toutes leurs justifications : au nom de la « sécurité », le Pacifique, débarrassé de la puissance japonaise défaite, avait vocation à devenir « notre lac » ; certains, et pas des moindres, se « foutaient de l'appellation choisie, dès lors que nous avons un contrôle absolu, incontesté de nos besoins en bases militaires ».
Les indignés
Le « meilleur » de toute cette affaire est ailleurs. On le doit avant tout au spectacle offert par des « partenaires européens » en plein émoi, en pleine « incompréhension » face au mépris affiché par l'allié, l'ami, le protecteur, emblème universel de « nos valeurs occidentales ». On apprend que la France et l'Allemagne officielles se sont montrées « catégoriques » : « Les frontières ne doivent pas être déplacées par la force ». Pour Scholz (chancelier allemand), au côté du président du Conseil européen (A. Costa) : « Le principe de l'inviolabilité des frontières s'applique à tous les pays, qu'ils soient à l'est ou à l'ouest ». « Ce principe ne peut et ne doit pas être ébranlé. » « Les États-Unis doivent appliquer les principes des Nation unies, tout le monde s'y tient et cela restera certainement ainsi. », selon un porte-parole du gouvernement allemand. Enfin, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, déclare que l'UE ne tolérerait pas une intervention militaire américaine : « Il n'est pas question que l'Union européenne laisse d'autres nations du monde, quelles qu'elles soient […], s'en prendre à ses frontières souveraines ». De son côté, Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, a dénoncé « une forme d'impérialisme », carrément. Sens des valeurs, grands principes, ardente indignation : on tremble à la Maison Blanche, c'est sûr.
Sinistres menteurs
Il nous vient une petite question, en même temps qu'une nausée : s'agit-il bien là des mêmes dirigeants qui ont applaudi et activement contribué à plus d'une année de génocide israélien en Palestine, massivement armé par les États-unis de Biden-Harris, et ont laissé piétiner le droit international ? qui ont réprimé férocement toutes les solidarités en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne ? Et dénié tout principe de souveraineté au Liban abandonné à la folie meurtrière sioniste ? Et qui laissent filer la guerre à travers le Moyen-Orient, comme si plus de trente années de carnages et d'échec abyssal ne suffisaient pas ? Les mêmes se livrent à présent aux grimaces sordides de la vertu outragée sur fond du racisme colonial qu'ils gardent en partage. L'hypocrisie ne tue pas, et c'est bien là leur chance.
Thierry Labica
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La rupture de la coalition gouvernementale et le frein à l’endettement

À bien y regarder, un gouvernement de coalition qui ne visait qu'à mettre en place de très modestes réformes sociales et environnementales n'a plus aucune chance d'y parvenir si le FDP en est partie prenante. Considéré sous l'angle de la stratégie de parti, le social-libéralisme a fait son temps, pour autant qu'il reste une once de responsabilité sociale au SPD. C'est là tout le sens de la rupture de la coalition « feu tricolore ».
15 janvier 2025 | tiré du site inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4538
Du point de vue du FDP, sa participation à la coalition des « feux tricolore » n'a pas été payante si l'on en juge par ses résultats électoraux. Le nouveau gouvernement est entré en fonction en octobre 2021. Depuis les élections régionales de 2022, le parti n'a cessé de perdre du terrain, d'abord au profit de la CDU/CSU, puis de l'AfD. L'étoile des Verts n'est vraiment tombée qu'en 2023 avec la débâcle de la loi sur le chauffage et le fiasco qui a suivi sur le financement des objectifs climatiques.
Avec la loi sur le chauffage, le ministre de l'Économie Robert Habeck voulait amorcer le tournant thermique dans le domaine de l'habitat en rendant obligatoire l'installation de pompes à chaleur. Le projet de loi n'avait pas suffisamment pris en compte les nombreuses situations particulières qui existent dans ce domaine, il a suscité une tempête de protestations venues de différents côtés, où se mêlaient critiques fondées sur le plan pratique et refus de principe de toute rénovation écologique. Les corrections apportées ultérieurement au projet de loi n'ont en rien pu empêcher la chute électorale des Verts (entre 2 et 6,6 pour cent). D'autant moins que plus tard dans l'année, la Cour constitutionnelle fédérale a fait droit à une contestation de la CDU. Celle-ci voulait empêcher que des crédits non utilisés d'un montant de 60 milliards d'euros provenant de la dette non utilisée contractée lors de la crise de la Covid en 2021 à un nouveau fonds pour le climat et la transformation de l'économie. Or, le ministre Habeck comptait fermement sur cet argent pour financer ses investissements prévus dans la protection du climat. Par la suite, la coalition n'a fait que passer en trébuchant d'une polémique sur les trous budgétaires à une autre.
Avec la diminution des ressources budgétaires, le chef du FDP Christian Lindner a vu son heure arriver : Il a exigé catégoriquement que l'argent destiné à la protection climatique soit prélevé sur les budgets sociaux. Pour se justifier, il a invoqué la règle du frein à l'endettement. Le frein à l'endettement est une disposition introduite dans la Loi fondamentale (Grundgesetz) en 2009 qui interdit aux Länder de contracter de nouveaux emprunts, quelle que soit la conjoncture, et qui limite l'endettement de l'Etat fédéral à un maximum de 0,35 pour cent du produit intérieur brut (PIB) en valeur nominale. Parallèlement, il est autorisé de constituer un nouveau fonds en fonction de la conjoncture, mais celui-ci doit être réalimenté les années de reprise économique.
Lindner, en sa qualité de ministre, est censé avoir fait le serment de respecter la Loi fondamentale – c'est en tout cas ainsi qu'il a justifié ses « niet » répétés, par exemple concernant le financement d'une sécurité de base pour les enfants, la revalorisation du revenu citoyen en fonction de l'inflation et, pour finir, son « non » à un budget spécial pour le soutien à la guerre en Ukraine. Après l'éclatement de la coalition, il a toutefois été sermonné par le chef de la CDU, Friedrich Merz, qui a déclaré qu'à l'exception des droits fondamentaux, tous les autres articles de la Loi fondamentale pouvaient être modifiés. Comme s'il voulait souligner l'absurdité – ou plutôt la limpidité – des intentions politiques de Lindner, Merz, qui sera probablement le prochain chancelier et avec lequel Lindner veut absolument gouverner, a maintenant lui-même évoqué une réforme du frein à l'endettement.
Des budgets fantômes, il y en a toujours eu dans l'histoire de la République fédérale ; autrefois, ils étaient cachés, mais depuis la « reconstruction de l'Est » dans les années 90, ils sont mis en place ouvertement à chaque fois que la situation est tendue : en 2011, le fonds pour le climat et la transformation, en 2020 le fonds Covid avec 200 milliards d'euros ; au début de la guerre en Ukraine, 100 milliards d'euros de fonds spéciaux pour l'armée allemande. Avec de tels budgets parallèles, tout gouvernement fédéral se ment à lui-même, à l'opinion publique et à ses partenaires européens sur sa situation budgétaire réelle : il se présente comme un modèle en matière d'endettement, car les critères officiels sont plus ou moins respectés. Mais les dettes accumulées par le biais des budgets parallèles dépassent de loin les dettes budgétaires : 147,2 milliards d'euros de crédits ont dû être contractés dernièrement pour les fonds spéciaux, alors que 45,6 milliards d'euros de crédits prévisionnels étaient inscrits au budget ordinaire. Le volume de tous les budgets parallèles réunis s'élève à 869 milliards d'euros, dont 522 milliards sont financés par des emprunts.
Tel qu'il a été géré par Lindner, cet instrument a été un gourdin utilisé contre des mesures sociales d'urgence ainsi que contre des investissements écologiques. Le fonds pour le climat et la transformation a été amputé de 45 milliards, de nombreux projets ont été abandonnés, notamment la rénovation des chemins de fer qui doit désormais être financée sur fonds propres, c'est-à-dire par de nouvelles privatisations. Une bonne partie des objectifs climatiques a été sacrifiée, l'énergie nucléaire est réintroduite dans le jeu en tant qu'« énergie verte ».
Mais en adoptant une telle orientation, le gouvernement se met lui-même des bâtons dans les roues. Après des décennies d'austérité néolibérale, cela grince dans tous les secteurs publics. En mai de cette année, l'Institut de l'économie allemande a chiffré le retard d'investissement à 600 milliards d'euros. Le rapport Draghi à la Commission européenne réclame 800 milliards pour l'UE. Ceux-ci ne doivent pas être affectés en priorité à l'armement, mais aux transports, à l'éducation, au logement, au numérique. « Investir, investir, investir », peut-on y lire – rien de vraiment nouveau, mais jusqu'à présent, cela s'est toujours heurté au dogme néolibéral.
En ce moment, tout gouvernement qui veut promouvoir des réformes doit œuvrer sous l'épée de Damoclès du frein à l'endettement. Car pour subventionner des besoins extraordinaires en capitaux, les budgets parallèles sont bien sûr toujours à disposition, mais pas pour le social. Friedrich Merz s'est exprimé très clairement à ce sujet : le journal télévisé Tagesschau le citait le 14 novembre en ces termes : « On peut bien sûr procéder à des modifications. Mais la question est : pourquoi faire ? Le résultat sera-t-il que nous consacrerons encore plus d'argent à la consommation et à la politique sociale ? Dans ce cas, la réponse est non. […] Cela est important pour les investissements, cela est important pour le progrès, cela est important pour la base de vie de nos enfants ? Alors la réponse peut être différente ».
Le frein à l'endettement a le même effet en Allemagne que les exigences du FMI dans le Sud mondial : il est utilisé pour empêcher le progrès et imposer une discipline aux revendications sociales. Cela est contesté même dans les milieux bourgeois. Mais c'est là que la classe propriétaire du capital se trouve entre l'arbre et l'écorce, car en Allemagne, non seulement on ne forme pas assez de personnel qualifié, mais les écoles, les hôpitaux, le réseau ferroviaire, etc. se dégradent - des secteurs qui sont tout à fait nécessaires à la reproduction du capital et qui ont un impact sur l'attractivité de l'Allemagne comme lieu de production. Ce qui a du sens pour une entreprise isolée, par exemple pour économiser les coûts de formation, n'en a pas au niveau macroéconomique. Et la privatisation des services publics d'intérêt général a pour conséquence que ceux-ci ne fonctionnent plus pour la collectivité, et donc aussi pour les entreprises.
Et puis, de quel droit le gouvernement allemand exige-t-il des autres pays de l'UE qu'ils respectent la discipline budgétaire s'il ne le fait pas lui-même ?
La coalition a, malgré les obstacles, introduit une série de mesures positives : l'augmentation du salaire minimum à 12 euros ; une augmentation exceptionnelle de 12 % des plafonds de ressources pour le revenu de citoyenneté (Lindner a réussi à empêcher une nouvelle revalorisation en fonction de l'inflation), la poursuite du développement des énergies renouvelables. La mesure qui a le plus facilité la vie du plus grand nombre a été le ticket de transport à 9 euros à l'été 2022, puis le Deutschlandticket à 49 euros - pour ce prix, il était possible de prendre des trains régionaux dans toute la République ; il devrait maintenant être supprimé.
L'augmentation des allocations familiales a échoué à cause de Lindner, tout comme la fusion de différentes prestations en une garantie de base pour les enfants ; il voulait financer son projet favori, la pension de retraite en actions, en partie avec les cotisations de retraite. Des projets importants comme la garantie de la retraite, le logement abordable ou la réforme des soins sont restés lettre morte.
Toutefois, la décision gouvernementale qui a le plus contribué au glissement général vers la droite est la question des réfugiés - la décision imposée dans toute l'UE de déposer les demandes d'asile aux frontières extérieures de l'UE afin de ne pas laisser entrer les migrants. Sur cette question, comme sur celle du réarmement, il y avait un grand consensus parmi les partis de la coalition.
Lindner mise désormais tout sur une reformation de la coalition noire-jaune (CDU-FDP). C'est un rêve passéiste : le panorama des partis en Allemagne est désormais si fragmenté qu'une grande coalition ne pourrait être constituée qu'avec des difficultés énormes, tandis que trois partis seront probablement nécessaires pour former un gouvernement. Est-ce que dans ce cas Lindner en fera à nouveau partie ?
Publié par l'ISO le 25 novembre 2024, traduit de l'allemand par Pierre Vandevoorde
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Antifa en Ukraine : « C’était très clair que je devais aller me battre »

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine annonçait l'invasion de l'Ukraine. Des dizaines de milliers de victimes et un peu plus de 1 000 jours après les premiers bombardements, rencontre avec Anton, un militant antifasciste engagé dans l'armée ukrainienne.
tiré du site CQFD, mensuel critique et d'expérimentation sociales
https://cqfd-journal.org/Peche-en-mediterranee-quand-le-4312
Mi-novembre, Kyiv est las. Donald Trump vient d'être réélu à la Maison Blanche, et avec lui s'instillent d'immenses incertitudes sur l'avenir de l'Ukraine. Des dizaines de drones et missiles russes hantent les nuits de la capitale, sans cesse interrompues par le hurlement des alarmes et le toum toum toum des canons anti-aériens. Alors que la ligne de front à l'Est vacille, la pression s'accentue sur les hommes et femmes en âge de combattre. Malgré un semblant de normalité, plus de 1 000 jours après les premiers bombardements, la guerre est partout. « Je suis fatigué », soupire Anton dans un café du centre, où l'on croise plusieurs jeunes en béquilles ou avec des prothèses de jambe. Militant antifasciste rapatrié du front il y a quelques mois, il ne voit pas comment il pourrait « parler d'autre chose que de la guerre ».
« Les ennemis d'hier se sont retrouvés ensemble pour faire front avec les manifestants »
Volontaire dès février 2022 pour « défendre l'Ukraine face à la violence d'un État impérialiste », il a été emporté dans un quotidien de tranchées, d'obus et de mort. Bien loin de ses aspirations politiques, la guerre est pourtant devenue un « engagement nécessaire » à ses yeux. Ce jour-là, il livre ses craintes sur le « futur impossible » de son pays, « pris en étau dans un conflit non voulu » et menacé par une spirale « de peurs et de haine qui ne pourra pas s'arrêter avec un quelconque armistice ». Conséquence directe : des propos très militaristes qu'il n'aurait « jamais pu imaginer tenir il y a quelques années », et un avenir contraint de s'imaginer exclusivement à travers « la capacité de résistance de l'armée ukrainienne ». Entretien.
Comment tu te sens plus de 1 000 jours après le déclenchement de la guerre ?
« Je n'ai pas l'impression que ça fasse 1 000 jours, plus 2 000, ou encore plus que ça. Certains de nos gars se sont retrouvés en captivité dès 2014. Cette guerre date vraiment. Mais elle a changé de dimension en 2022 : maintenant, ça se joue avec l'armée. Je pense surtout à combien de jours cela va encore durer, et combien de temps on pourra continuer à lutter. »
Comment es-tu venu à l'antifascisme, et qu'est-ce que ça voulait dire pour toi ?
« Je viens de la scène punk hardcore. En Ukraine, au début des années 2000, c'était une petite communauté : les trucs d'extrême gauche ne sont pas très populaires par ici. Nos concerts se faisaient parfois attaquer par des néo-nazis, donc on a dû apprendre à se défendre. On s'est organisés dans les tribunes du FC Arsenal de Kyiv en créant un club d'ultras antifa. Il nous fallait des espaces, l'extrême droite était omniprésente, dans la rue comme dans les tribunes.
« À Maïdan, je crois qu'on a surtout gagné de l'expérience »
C'est là que je suis devenu hooligan à 100 %. J'ai participé à la création du Hoods hoods klan, un club de supporters ultras porté par des valeurs antifascistes. C'était violent, on se retrouvait souvent à se battre contre les ultras des autres clubs, notamment ceux du Dynamo Kyiv. Plusieurs de nos gars ont été gravement blessés, mais on en a aussi envoyé quelques-uns à l'hôpital. »
Fin 2013, tu descends sur la place Maïdan et prends part au soulèvement contre le régime pro-russe du président Ianoukovitch. Très vite, les ultras se retrouvent en première ligne sur les barricades pour faire face aux flics et aux milices. Comment ça se passe ?
« Les ultras ont l'habitude de faire corps et entre groupes, il y a beaucoup d'inimitiés politiques, c'est pourquoi il nous arrive souvent de nous battre. Mais à Maïdan, on a décidé de signer un accord de paix entre les différents mouvements ultras. Les ennemis d'hier se sont retrouvés ensemble pour faire front avec les manifestants et résister face à la police et aux milices. Bien sûr, les conflits politiques n'ont pas pour autant disparu. »
À partir de quand réalises-tu que ce qu'il se joue est révolutionnaire ?
« Je l'ai réalisé quand les combats avec la police ont commencé, devant l'ampleur de la répression, quand les gens ont commencé à disparaître, à être emmenés en forêt sans jamais revenir, à être torturés1... L'Europe a une grande expérience des émeutes, des luttes et des révolutions. Mais en Ukraine, c'est à ce moment-là que ça a commencé. C'était notre première fois, on n'avait aucune idée de ce qu'on pouvait faire. À Maïdan, je crois qu'on a surtout gagné de l'expérience. »
La guerre commence en 2014, dans l'Est, avec l'annexion de la Crimée et la prise d'armes des séparatistes soutenus directement par la Russie. Qu'est-ce que tu fais ?
« Après Maïdan, quand l'invasion a commencé, je suis allé à Louhansk, dans le Donbass, avec le bataillon Aïdar, une unité militaire constituée de volontaires pour se battre contre les Russes et les séparatistes. On n'était que quelques antifas à y aller. Il y avait pas mal de nationalistes et de combattants d'extrême droite aussi, notamment des ultras. À mes yeux, résister à cette invasion russe était directement lié à ce pour quoi on luttait à Maïdan : pour notre indépendance, pour notre liberté vis-à-vis de notre voisin impérialiste. Mais je ne suis pas resté longtemps. Il y a eu le cessez-le-feu [accords de Minsk I et II en 2014-2015 pour tenter de mettre fin à la guerre, ndlr], et l'armée a intégré le bataillon auquel j'appartenais dans l'armée régulière. Pour moi, il n'était pas question de signer un contrat long avec l'armée nationale.
« Dans le Donbass, j'ai vu des inégalités de dingue, la pauvreté et des ultras-riches jusqu'à l'absurde ! »
Dans le Donbass, j'ai vu les explosions, j'ai parlé avec les gens, j'ai vu des inégalités de dingue, la pauvreté et des ultras-riches jusqu'à l'absurde ! Tu vois ça, et tu comprends tout. On dit souvent que Donetsk et le Donbass avec toutes leurs mines et industries lourdes nourrissent les autres régions, mais en fait ça nourrit surtout les riches et les pourris du gouvernement de la région. Après, j'ai fait une tournée en Europe dans différents lieux antifas pour parler de Maïdan depuis la perspective de ceux qui l'ont vécu. À Barcelone, on a rencontré des gens pro-séparatistes, méfiants vis-à-vis de nous, pensant qu'on était brainwashés par l'Union européenne et l'OTAN. Ils nous disaient qu'ils avaient leurs infos sur des médias indépendants, mais des médias indépendants qui s'appelaient Sputnik ou Russia Today... Financés par les Russes ! Nous on était là pour lutter contre cette propagande et faire circuler nos récits. »
En 2022, la guerre change complètement d'ampleur, et tu décides de partir combattre. Est-ce que c'était un débat de participer à la guerre dans une perspective antifasciste ?
« Pour moi c'était très clair : c'était une invasion impérialiste faite par un dictateur qui voulait entrer dans l'histoire. Je devais aller me battre. Notre gouvernement n'est pas parfait, notre pays non plus, mais pour moi la question était : “Est-ce que c'est ma guerre ?” J'habite ici, les Russes envahissent, tuent, s'accaparent et détruisent tout, donc oui, il fallait que je fasse quelque chose. »
Plus de 1000 jours après, la pression se fait de plus en plus forte sur les personnes « mobilisables ». Comment vis-tu ça ? Toi, c'est dans ta tête, la possibilité de l'exil ?
« J'ai réfléchi à fuir l'Ukraine, oui. Ça reste un sujet qui plane dans un coin de ma tête. C'est tellement épuisant la guerre, que parfois je me dis “fuck that shit, je me casse”. Au début, on a eu des camarades, et des gens de tous les mouvements ultras, qui se sont exilés, légalement ou illégalement. Je n'ai pas envie de juger, c'est à eux de dire si c'était une bonne décision ou pas. Mais quand tu vois toutes ces villes et villages complètement rasés, la violence de l'occupation, moi j'ai quand même du mal à concevoir la fuite. Et puis, pour qu'un mouvement anti-autoritaire puisse continuer d'exister, même en temps de guerre, il faut bien qu'il y ait des gens qui le défendent de l'intérieur. Sinon, politiquement, vous êtes morts. »
« Pour moi c'était très clair : c'était une invasion impérialiste faite par un dictateur qui voulait entrer dans l'histoire »
Qu'en est-il de la solidarité internationale ?
« Dans notre groupe, il y a des gens d'Espagne, de Biélorussie, d'Allemagne, qui nous ont rejoints pour se battre. Des collectifs nous envoient des voitures, du matos comme des drones, des médocs, des thunes.... Mais même si beaucoup de réfugiés de guerre se décarcassent pour nous soutenir, ça diminue par rapport au début. Ce qui est important, c'est de dire la vérité de ce qu'il se passe ici, de dire ce que c'est de vivre sous l'occupation d'un État impérialiste. Il faut en parler dans les milieux de gauche et les milieux anarchistes. Poutine ne s'arrêtera pas là où il est, les gens doivent comprendre que ça va durer des décennies. On doit élargir nos regards. »
Propos recueillis par Robin Bouctot
1 Lire « Ukraine : la violence de la répression renforce les mobilisations », Mediapart (31/01/2014).
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Los Angeles brûle et le réchauffement climatique en est responsable

Un incendie catastrophique balaie Los Angeles, détruisant des quartiers entiers. Le réchauffement climatique avec des conditions météorologiques extrêmes, en l'occurrence des vents extrêmement violents, en est la principale cause.
Hebdo L'Anticapitaliste - 737 (16/01/2025)
Par Dan La Botz
Depuis le début de l'incendie le 8 janvier, le feu a parcouru plus de 15 000 hectares, détruit plus de 12 400 maisons, entreprises et écoles. 24 personnes ont été tuées et 13 sont portées disparues, tandis que 153 000 personnes ont été forcées d'évacuer. Certains quartiers ont l'air d'avoir été bombardés. La ville a déclaré l'urgence sanitaire en raison de la fumée dense et dangereuse.
Le vent, la sécheresse et les dénis de Trump
Les incendies de forêt sont fréquents dans le sud de la Californie, détruisant parfois quelques maisons, mais il s'agit du pire événement de ce type à Los Angeles et dans l'histoire des États-Unis, et il est en grande partie dû aux vents chauds de Santa Ana qui se produisent chaque année à cette saison, avec des rafales pouvant atteindre 80 km/h, ce qui assèche le chaparral (étendues couvertes de buissons et broussailles) et crée des conditions idéales pour les incendies. Cette fois, les vents ont soufflé à 160 km/h rendant impossible l'utilisation des avions qui larguent de l'eau et des produits d'extinction.
La Californie a souffert de la sécheresse durant des décennies jusqu'en 2023. Los Angeles a reçu plus de pluie que d'habitude au cours des deux dernières années, mais le chaparral s'était développé et un été et un automne chauds l'ont transformé en bois d'allumage. Cinq incendies se sont allumés dans différentes parties de la région : en plus de ceux de Lidia, Hurst et Kenneth, les plus importants sont ceux de Palisades et d'Eaton.
Los Angeles dispose de dizaines d'engins de lutte contre les incendies et de 9 000 pompiers engagés, qui sont les plus expérimentés du pays en matière d'incendies de forêt, mais ils ne suffisent pas. D'autres pompiers sont venus apporter leur aide depuis le nord de la Californie, le Mexique et le Canada.
Sans surprise, le président élu Donald Trump a rendu le gouverneur démocrate de Californie, Gavin Newsome, responsable des incendies, en le qualifiant de « Newscum » (scum signifie « rebut »). Trump a prétendu à tort que G. Newsome n'avait pas signé une « déclaration de reconstitution de l'eau » qui aurait permis d'acheminer davantage d'eau depuis le nord de la Californie, alors qu'il n'existe aucun document ou plan de ce type. Trump n'a pas répondu aux appels ou aux lettres de Newsome et, au cours de son premier mandat présidentiel, il avait coupé l'aide à l'État contre les catastrophes.
Urbanisation aléatoire
Si le réchauffement climatique, à l'origine des vents violents, est la cause fondamentale de l'incendie, d'autres facteurs entrent en ligne de compte. En 2008, la Californie a adopté un nouveau code de la construction visant à réduire les incendies, mais la plupart des bâtiments de Los Angeles ont été construits avant et n'ont pas été mis aux normes. Pendant une centaine d'années, Los Angeles a été une ville en plein essor et chaque essor a conduit la ville à s'étendre à tort et à travers. La ville n'a commencé à planifier son développement que dans les années 1940, mais tout au long du 20e siècle, la planification et la réglementation ont été faibles. Plus récemment, trop de quartiers ont été créés dans les zones où les incendies sont les plus fréquents et les plus dangereux, les braises sautant du chaparral aux arbres et aux maisons.
Los Angeles connaissait déjà une pénurie de logements et des loyers élevés, avec 100 000 sans-abris dans le comté. Ces incendies ne feront qu'aggraver la situation. Les gens voudront reconstruire, risquant ainsi de subir des catastrophes similaires à l'avenir.
Si la Californie est aux États-Unis la mieux placée pour réglementer l'utilisation des combustibles fossiles et assurer la transition vers d'autres sources d'énergie, les États-Unis n'ont pas été en mesure de réduire suffisamment l'utilisation des combustibles fossiles. Le réchauffement climatique se poursuit et nous connaissons des phénomènes météorologiques extrêmes. Le pays doit mettre fin à l'utilisation des combustibles carbonés, et nous avons besoin d'un mouvement qui puisse forcer les entreprises et les dirigeants politiques à le faire.
Dan La Botz, traduction Henri Wilno
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