Derniers articles

IA : L’angle mort
Le documentaire animé par la journaliste Noémie Mercier (« IA : L'angle mort »), diffusé à TQ (lundi 22 septembre), traite d'un enjeu crucial pour notre monde hyper-technologique qui se prétend encore « démocratique ».
.
Comme son titre l'indique, la réalisatrice prend pour point de départ de son exposé l'idée que les dérives occasionnées par l'IA (ainsi que par tous les outils électroniques, informatiques, numériques qui envahissent toujours un plus notre quotidien) seraient « à la marge » de son utilisation, un peu comme cet « espace » qui échappe à la vision du conducteur automobile, d'autant plus dangereux que les rétroviseurs installés à l'intérieur du véhicule ne sont pas en mesure de donner à voir ce qu'il contient. Est-ce une raison pour ne plus jamais utiliser ce moyen de transport, étant donné les risques que ce phénomène représente pour la sécurité de tous les automobilistes et celle de leurs passagers ? D'emblée, spontanément, on répondrait « non » à cette question tellement l'inconvénient apparaît dérisoire eu regard aux avantages que procure l'auto-solo.
On a ainsi tendance à opérer le même type de raisonnement lorsqu'on prend en compte les « désavantages » inhérents aux nouvelles technologies en se disant (peut-être pour se rassurer) que, tout compte fait, en pesant le pour et le contre, malgré les possibles intrusions dans notre vie « privée » (et même « intime »), la désinformation que souvent elles génèrent, la manipulation de l'opinion à des fins commerciales, politiques, idéologiques, l'immense pouvoir qu'elles donnent à nos dirigeants de moins en moins scrupuleux sur la question du contrôle de la population, l'IA est une bonne chose « en soi », elle rend de nombreux services, suffit qu'elle soit bien « gérée », contrôlée, réglementée, légiférée, et nous aurons le meilleur des deux mondes ! Est-ce si sûr ?
Ce sur quoi le documentaire de TQ ne se penche pas suffisamment, c'est sur les motivations « mercantiles » à l'origine du développement accéléré des nouvelles technologies, d'autant plus importantes, soutenues et intenses en ce qui concerne l'IA que celle-ci décuple les possibilités « productivistes » des propriétaires des moyens de production, donc des entreprises privées dont l'influence politique, l'importance économique, le pouvoir décisionnel est en train de surpasser ceux de tous les États du monde entier réunis. D'aucuns douteraient alors que les immenses ressources humaines et matérielles mobilisées, les investissements massifs consentis, la recherche de pointe effectuée en IA par les GAFAM ou autres géants asiatiques de la « tech » soient destinés à améliorer la qualité de vie des citoyens, à redresser les valeurs, les principes, les institutions démocratiques en déliquescence depuis des décennies et ce, en concomitance avec une volonté délibérée de servir le Bien Commun !
À l'ère du capitalisme décomplexé, où ses principaux inspirateurs ne cachent pas leurs intentions de réveiller à l'échelle planétaire nos instincts les plus violents, nos propensions soi-disant « naturelles » à la prédation, à l'intimidation, à l'égoïsme narcissique, voire au sadisme et au cynisme (devenus des vertus), il faut habiter Disneyland en compagnie de ses personnages fantasmagoriques pour croire qu'à l'origine des derniers progrès technologiques, de nobles intentions « humanistes » guident les concepteurs de ChatGPT, OpenAI, Copilot, Gemini, soutenus dans leur travail à coups de milliards de dollars par des libertariens convaincus de leur supériorité intellectuelle, adeptes de théories et de pratiques transhumanistes. Le monde est en train de se « diviser » (pour ne pas dire : s'« écarteler ») entre, d'un côté, un néo-fascisme trumpien, ayant ses antennes dans la Silicone Valley, allié à une Europe d'extrême-droite lui obéissant au doigt et à l'œil, et de l'autre, un totalitarisme à la chinoise, surplombant une Coalition de pays du Sud Global, désirant, plus que toute autre chose, se soustraire à l'hégémonie américaine en matière de finance, de politiques monétaires, d'échanges économiques.
Au-delà de ce constat qui pourrait nous plonger dans l'univers orwellien d'un roman d'anticipation, c'est tout de même à partir de ce contexte qu'il faut appréhender le développement de l'IA (ou de toute autre technologie, autant sinon plus performante et efficace pour remplacer l'humain), sa commercialisation, son utilisation, sa promotion et l'aura « progressiste » (dans toutes les acceptions du terme) qui l'entoure, fruit d'une campagne de marketing bien orchestrée auprès des médias, des gouvernements et de la population en général.
À tel enseigne que tout un chacun est tombé dans le panneau, en quelque sorte. N'y a-t-il pas quelque chose de « naïf », ou de l'ordre de la « mauvaise foi », de ne pas avoir soupçonné le moins du monde que le fait de poster allégrement sa (ou ses) photo(s) sur Internet à tous vents, utiliser à qui mieux mieux ses cartes de crédit pour faire des achats en ligne, ouvrir un compte sur Facebook (contenant des détails personnels), pouvoir être géolocalisé à tout moment de la journée sans que toute cette liberté accordée « gratuitement » ne finisse pas par avoir des conséquences fâcheuses pour sa vie privée, ne soit pas soumise à la règle du pendule ou celle de la gravitation universelle transposée aux domaines social, psychique, psychologique, individuel, à savoir que tout ce qui monte redescend, que rien n'a d'existence autonome, que tout existe en interrelation et que, selon une autre loi, celle de la « dialectique » que tout-e intellectuel-le devrait connaître, toute réalité a toujours deux aspects : le positif et le négatif, l'envers et l'endroit, le vide et le plein, le masculin et le féminin, etc.
Une des intervenantes du documentaire a eu le mot juste : « Nous sommes comme des adolescents ». Je dirais même plus : Nous sommes comme des enfants devant les nouvelles technologies, attirés par leur aspect “ludique” (que les commerçants mettent d'emblée de l'avant dans leur publicité), les promesses de vie facile qu'elles font miroiter, le plaisir qu'elles nous permettent de ressentir lorsque le temps et l'espace, d'ordinaire contraignants pour atteindre nos buts et nos objectifs, semblent disparaître de notre horizon, nous donnant l'impression (fausse) d'être en apesanteur, comme suspendus au-dessus de la vie de tous les jours.
Sans parler du grave problème de l'addiction devenu chronique chez les jeunes, à tel point qu'un gouvernement, pas particulièrement réputé pour avoir des humeurs psychosociales relatives aux conséquences morbides de ses politiques « managériales », a pris l'initiative d'interdire le cellulaire à l'école primaire et secondaire, pour, sinon endiguer le problème, du moins contribuer à ne pas l'envenimer.
Ceci dit, ce n'est pas du côté de l'IA qu'il faut chercher une solution aux effets secondaires d'une surutilisation des écrans, bien au contraire. Tout comme il serait absurde de demander aux cigarettiers des conseils pour vaincre le cancer du poumon, aux multinationales de la malbouffe de faire la promotion d'ouvrages sur le végétarisme (encore moins sur le « véganisme ») dans leurs succursales à travers le monde ou aux monarchies pétrolières d'accueillir en leurs « Royaumes » des COP sur la fin des hydrocarbures (ce qui pourtant se fait !)
Un des mots d'ordre du documentaire (qui semble être aussi celui de l'animatrice) est : « Évitons la diabolisation, les pronostics à l'emporte-pièce, ne tombons pas dans les scénarios catastrophes à la Stephen King, n'exagérons pas les côtés troublants et inquiétants de l'IA, restons “objectifs”, “impartiales”, “neutres”, faisons la part des choses, séparons le bon grain de l'ivraie, etc., etc., etc. » Fort bien. Précisons tout de même : Ne sous-estimons pas les ravages que peut provoquer une technologie au service de multimilliardaires qui se soucient comme d'une guigne de la santé publique, des valeurs démocratiques, des inégalités socio-économiques, de la disparition des écosystèmes, prêts à pactiser avec le premier démagogue venu tant et aussi longtemps qu'il ne leur mettra pas les bâtons dans les roues pour qu'ils puissent continuer à accumuler capital, pouvoir, mérites, adulations, culte de la personnalité et qu'il ne bronchera pas devant une manifestation ostentatoire d'une appartenance idéologique qui s'est concrétisée, dans le passé, par l'assassinat de millions de personnes du fait de leur “race” supposée.
Rajoutons aussi : Ne soyons pas naïfs. Tant que nous laisserons la loi du profit s'élever au dessus du Bien Commun, les principaux problèmes inhérents à une société technologique comme la nôtre ne se régleront pas. Mises à part quelques petites réformes par ci par là pour donner l'impression que la Caste des décideurs partage d'autres « valeurs » que l'argent et a d'autres projets que de s'approprier pour elle seule le plus possible de ressources, de richesses, de technologies, de talents, de biens, de patrimoines, de territoires, la concentration du pouvoir (politique, économique, financier) va aller en s'accentuant, laissant les miettes de leur appétit gargantuesque pour la masse qui va s'entre-déchirer pour se les procurer.
Il existe des moyens pour redonner à la population les rennes du pouvoir qui lui échappent de plus en plus. Lorsqu'une activité quelconque, la découverte d'un nouveau processus, la marchandisation d'un bien inconnu jusqu'alors soulèvent trop d'interrogations dans l'espace public, l'État, par principe de précaution et sens des responsabilités, peut décréter un moratoire jusqu'à ce que les enjeux soient suffisamment clarifiés pour apaiser les inquiétudes et rendre possible un rapport moins ambiguë avec la réalité en question. Il peut aussi recourir à la nationalisation d'un secteur entier de l'économie s'il juge qu'il en va de l'intérêt de la Nation que la richesse produite dans ledit secteur soit considérée comme un bien « essentiel » et que, conséquemment, elle ne doit pas être livrée aux lois du marché, faisant l'objet de vives concurrences entre entreprises privées pour son appropriation exclusive, mais bien plutôt devenir propriété collective.
On a coutume d'associer « Nationalisation » aux ressources naturelles (eau, hydroélectricité, mines, énergie) ou aux services essentiels (santé, éducation, environnement). Étant donné le contexte actuel de guerre commerciale pour l'appropriation de terres, minéraux, composantes diverses pour alimenter le marché des technologies de pointe (voitures électriques ou autonomes, robots industriels, ordinateurs portables, téléphones cellulaires, systèmes d'IA), l'État a un rôle important à jouer pour assurer la répartition équitable des fruits de cette nouvelle forme de croissance économique, l'encadrement juridico-politique nécessaire afin de limiter les possibilités de contrainte et l'influence démesurées de puissants monopoles sur les gouvernements au détriment de l'ensemble des citoyens, le respect des règles fondamentales du droit pour protéger la vie privée, préserver l'intimité et la dignité des personnes qui ne peuvent être réduites au statut d'une marchandise interchangeable comme n'importe quelle autre marchandise.
À moins de croire au miracle, la sécurité « numérique » ne s'obtiendra pas en dehors des prérogatives que les premiers penseurs de la démocratie libérale ont accordé aux institutions parlementaires pour en faire les représentants légitimes, légaux et autorisés d'un « État de droit » en bonne et due forme. Et si ces mots, ces concepts, ces expressions ne sont pas uniquement des formules creuses qui ne renvoient à rien de « substantiel » en matière d'imputabilité, cela signifie que le « Droit » en question s'applique aussi aux petits « génies » de la Silicone Valley, des GAFAM, des Géants du web, d'Alibaba et autres promoteurs extrême-orientaux de la reconnaissance faciale qui vont, tous autant qu'ils sont, hurler comme des chacals à qui on a dérobé leurs viandes faisandées...
Mario Charland
Shawinigan
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Réussite du lancement de la conférence internationale antifasciste qui se tiendra à Porto Alegre du 26 au 29 mars 2026
Il s'agissait de la conférence de lancement de la conférence internationale antifasciste qui se tiendra à Porto Alegre du 26 au 29 mars 2026. Gabi Toloti, l'une des principales organisatrices de la conférence antifasciste et présidente du PSOL de l'État de Rio Grande do Sul, n'était pas présente car elle participe à la flottille de plus de 40 bateaux qui se dirigent vers Gaza par la mer et se trouvent actuellement au large de l'île de Malte.
25 septembre | tiré du site du CADTM
https://www.cadtm.org/Reussite-du-lancement-de-la-conference-internationale-antifasciste-qui-se
La conférence qui s'est tenue dans l'après-midi du 23 septembre 2025 à Porto Alegre, capitale de l'État de Rio Grande Do Sul, a réuni 80 personnes. À la tribune se trouvaient Raúl Pont, ancien maire de Porto Alegre (1993-1997) et leader du PT, Roberto Robaina, conseiller municipal et président du PSOL de Porto Alegre, Edison Puchalski, président local du PCdoB, et Lara Rodrigues, dirigeante locale du MST (Mouvement des sans-terre) et membre de sa direction nationale, et Eric Toussaint, porte-parole international du CADTM.
Dans la salle se trouvaient des représentants de différents syndicats, organisations étudiantes, organisations féministes et organisations d'éducation populaire. Rodrigo Dilelio, actuel président du PT de Porto Alegre, Leonel Radde, député du PT dans l'État de Rio Grande Do Sul, Luciana Genro, députée du PSOL dans l'État de Rio Grande Do Sul, Raul Carrión, dirigeant du PCdoB, et Israel Dutra, membre de la direction nationale du PSOL, étaient également présents dans la salle.
Le comité d'organisation local, actuellement composé du MST, de plusieurs syndicats, du PSOL, du PT et du PCdoB, sera probablement élargi dans les prochains jours.
Le site web de la conférence sera également mis à jour : https://antifas2026.org/fr/appel/
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

VPN intégré aux forfaits mobile Free : Face à l’obligation de contrôle d’âge imposée aux sites pornographiques, l’empire Niel contre-attaque
D'un côté, il y a toutes celles et ceux qui se battent pour protéger les mineur·es des violences pornographiques. Celles et ceux qui ont fait en sorte que la nature criminelle des vidéos pornographiques et leurs conséquences préjudiciables sur les enfants, les adolescent·es et les adultes soient reconnues.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Celles et ceux qui ont enfin obtenu, cette année, que certaines plateformes pornographiques soient contraintes de mettre en place un contrôle d'âge effectif, sous peine d'être bloquées par décision de justice et donc inaccessibles sur le territoire français.
De l'autre côté, il y a les consommateurs de porno, qui se sont empressés d'utiliser des VPN afin de pouvoir contourner tout blocage et tout contrôle d'âge, et les entreprises qui ont immédiatement fait de la publicité pour leurs VPN. Et il y a Free, qui a rapidement flairé le filon. Le 16 septembre, l'entreprise a annoncé le lancement de « Free mVPM », « le premier VPN intégré au réseau mobile », qui sera désormais inclus dans ses forfaits téléphoniques. Autrement dit, Free donne la possibilité à ses clients d'accéder sans surcoût et sans contrôle aux sites pornographiques, y compris si ces sites sont bloqués par la justice française.
Cette nouveauté pourra aussi être exploitée par les clients de Free pour accéder à des contenus illégaux bloqués en France par Pharos, comme des sites pédopornographiques, des forums de type Coco (plateforme illicite qui abritait Dominique Pelicot et ses complices de viol) où les hommes planifient viols ou guets-apens LGBTphobes, se partagent des vidéos volées à caractère sexuel ou des vidéos pédocriminelles, ou bien pourra être exploitée pour harceler en ligne, diffuser des discours de haine sexiste, raciste, islamophobe ou antisémite sans crainte d'être retrouvés par la justice en cas de plainte.
Bien sûr, Free s'empressera de répondre qu'elle n'est pas responsable de l'usage, licite ou illicite, que ses clients feront de leur VPN. Pourtant, les posts de son grand patron Xavier Niel sur X ne laissent guère de doute sur la stratégie déployée : miser sur le VPN pour attirer la clientèle des consommateurs de pornographie voulant contourner les limites qui leur sont imposées par le droit.
Depuis le lancement de ses “messageries érotiques” sur le Minitel, en passant par ses investissements dans des établissements dont certains abritaient des “peep-shows”, jusqu'à cette dernière innovation facilitant l'accès illégal à la pornographie, Xavier Niel n'en finit plus de s'enrichir sur des activités que nous dénonçons depuis des années comme étant non pas des marchés ordinaires, mais des formes d'exploitation et de violences sexuelles.
Alors que la France, épaulée par les associations féministes, bataille depuis 4 ans pour rendre effective la loi interdisant l'exposition des mineurs à la pornographie, que la société toute entière s'alarme de la prévalence des discours de haine et des violences en ligne, n'ayons aucun doute : les promoteurs de la « liberté » de consommer du porno sans entrave sont dans le camp des opposants à ces efforts. Avec cette offre de VPN intégré, Free facilite la commission de cyberviolences sexistes et sexuelles, de pédocriminalité en ligne et d'exploitation sexuelle, et met sciemment en danger les mineurs exposés à des images violemment sexistes et racistes.
Nous, féministes, dénonçons la mise à disposition par Free d'instruments facilitant la commission d'activités criminelles, et nous envisageons toute voie de droit pour faire reconnaître la responsabilité de Free. Nous alertons les parents d'enfants mineurs disposant d'un abonnement Free sur le fait que leur enfant peut désormais accéder beaucoup plus facilement à des contenus en ligne violents et haineux, et les appelons à se désabonner au plus vite.
Télécharger le communiqué ici
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Le 28 septembre 2025, nous défendons toujours le droit à l’avortement partout dans le monde
En cette journée internationale pour le droit à l'avortement du 28 septembre 2025, nous exprimerons notre solidarité avec les femmes du monde entier qui n'ont pas accès à ce droit. Avec celles qui sont poursuivies par les anti choix, traditionalistes religieux ou masculinistes, quand elles luttent pour une société égalitaire en défendant leurs droits.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/23/le-28-septembre-2025-nous-defendons-toujours-le-droit-a-lavortement-partout-dans-le-monde/
Nous voyons ces politiques à l'œuvre aux USA, en Pologne, en Hongrie, en Italie, et cela aboutit à la mort de jeunes femmes par refus de soins. Aujourd'hui, en Pologne, aux USA, des médecins ont peur d'être poursuivi.e.s pour complicité d'avortement illégal.
Trump veut depuis cet été détruire en France un important stock de contraceptifs basé en Belgique et destiné aux pays du Sud via l'UsAid démantelée. Le gouvernement français maintient un black out total sur cette affaire et prétend ne pas pouvoir s'y opposer .
Dans ce contexte européen et international de poussées suprémacistes d'extrême droite, nous exigeons l'inscription du droit à l'avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux de l'Union européenne.
En France, la politique du pouvoir est toujours de réduire le nombre d'hôpitaux et de maternités de proximité. Des centres de santé sexuelle de proximité, sous prétexte d'« effort budgétaire », voient leurs portes se fermer par des collectivités territoriales ( Drôme par exemple). Dans le Loiret, le Planning familial subit une baisse de subvention du conseil départemental de 10 %. En même temps c'est toujours un seul et même labo, Nordic Pharma, qui possède le monopole de fabrication des médicaments nécessaires à la réalisation des IVG médicamenteuses. Ceci le rend très vulnérable à la pression des anti avortements. Les femmes ne peuvent toujours pas choisir la méthode pour avorter. La double clause de conscience est toujours un frein. La fermeture de la Maternité des Lilas, lieu emblématique autour des droits des femmes, est la preuve qu'en matière de santé publique seule la ligne budgétaire compte.
Nous savons qu'en France, si l'extrême droite arrivait au pouvoir, que les premières mesures prises seraient de restreindre les droits des femmes en général et plus particulièrement, le droit à l'avortement malgré l'inscription de la « liberté garantie » dans la Constitution.
Ce seraient des moyens réduits d'exercice professionnel (lieu, matériels, pénurie de médicaments) pour les soignants, un accès restreint à ce droit pour les femmes ayant choisi d'interrompre une grossesse. Ce serait également une vague de désinformation pour culpabiliser et déstabiliser les femmes dans leur choix, et menacer les professionnel·les.
Nous devons réagir, dénoncer la moindre atteinte, le moindre obstacle. Nous ne voulons pas subir.
Partout en France, en cette journée, nous manifesterons dans la rue, nous participerons à des événements, nous ne permettrons pas que nos droits soient bafoués, oubliés, enterrés par les discours réactionnaires.
Nous ne resterons pas invisibles
Nous manifesterons le 28 septembre 2025 pour la défense et l'application effective du droit fondamental à l'avortement partout dans le monde.
Signataires :
Africa 93, Association Nationale des Sages Femmes Orthogénistes, Association Nationale des Centres d'Interruption Volontaire de Grossesse et de Contraception, Attac France, Coordination des Associations pour le Droit à l'Avortement et la Contraception, CGT, Collectif Civg 20 Tenon, Collectif National pour les Droits des Femmes, FEMEN, Femmes Égalité, Femmes Solidaires, FSU, Genre et altermondialisme, LDH, Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie, Maison des Femmes de Paris, Maison des Femmes Thérèse Clerc, Marche mondiale des Femmes, Notre Santé en Danger, Organisation de Solidarité Trans, Planning Familial, Planning Familial 94, Réseau Féministe Ruptures, Stop Violences Obstétricales et Gynécologiques, Union Syndicale de la Psychiatrie, Union Syndicale Solidaires.
En soutien :
L'Après (Association pour une République écologique et sociale), La France Insoumise, NPA l'Anticapitaliste, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Parti Socialiste
Collectif « Avortement en Europe, les femmes décident »
https://osezlefeminisme.fr/le-28-septembre-defendons-le-droit-a-lavortement-partout-dans-le-monde/

Hommage à Jina Mahsa Amini, tuée à Téhéran à cause d’un voile « inapproprié »
IRAN / ROJHILAT – Le 16 septembre 2022, Jina Mahsa Amini, une jeune Kurde de 22 ans arrêtée et frappée à Téhéran par la police des mœurs pour un voile jugé « inapproprié », mourrait après trois jours passés dans le coma. Sa mort atroce a provoqué les protestations « Jin, jiyan, azadî » (femme, vie, liberté) qui ont été écrasées dans le sang. Dans les villes kurdes de Saqqez et Divandarreh la population a organisé une grève générale, à l'occasion du troisième anniversaire du meurtre de Jina Amini.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les gens ont vu chez Jina Mahsa Amini ce qu'ils enduraient depuis des décennies
Arrêtée violemment à Téhéran le 13 septembre 2022 pour le « port inapproprié du foulard », la jeune Kurde, Jina Amini est décédée dans le coma trois jours plus tard. Après l'inhumation de Jina Amini dans sa ville natale de Saqqez le 17 septembre, les manifestations qui ont débuté au Kurdistan iranien sous le slogan « jin, jîyan, azadî » (Femme, Vie, Liberté) se sont propagées dans tout le pays en une résistance appelant au renversement du régime. Menée par des femmes, cette résistance, qui a rassemblé des millions de personnes de confessions, d'identités et d'affiliations politiques diverses, s'est poursuivie pendant des mois.
L'agence Mezopotamya s'est entretenue avec le directeur de l'IHRNGO
Le directeur de l'ONG iranienne IHRNGO, Mahmood Amiry-Moghaddam, a déclaré que les injustices de longue date subies par chaque Iranien.ne étaient symbolisées par ce qu'ils ont vu chez Jina Amini, et a ajouté que le mouvement « femmes, vie, liberté » fut un tournant en Iran.
À l'approche de l'anniversaire des manifestations « Jin, jiyan, azadî », qui se sont propagées d'Iran au monde entier, la répression, les arrestations, la torture et les condamnations à mort contre les militant.e.s de la liberté, en particulier les femmes, s'intensifient chaque jour. Condamnées à mort, Pakshan Azizi, Warisha Muradi et Sharifa Mohammadi risquent d'être exécutées à tout moment. Les rapports publiés par l'Organisation iranienne des droits de l'homme (IHRNGO) depuis le début de la résistance révèlent clairement l'ampleur des violations des droits humains dans le pays.
L'IHRNGO a signalé que 218 défenseurs des droits humains ont été arrêtés et harcelés au cours des trois premiers mois de la résistance « Jin, jiyan, azadî », tandis que 834 personnes ont été exécutées en 2022. Dans son rapport du 15 septembre 2023, l'IHRNGO a annoncé que 551 militants, dont 68 enfants et 49 femmes, ont été tués. Selon le rapport 2024 de l'organisation, au moins 975 personnes ont été exécutées, soit une augmentation de 17% par rapport à 2023. Depuis début 2025, au moins 920 personnes ont été exécutées, dont 25 femmes. Si la majorité des exécutions, qui se poursuivent depuis des années, ont été effectuées pour des infractions liées à la drogue, au meurtre et à la sécurité, les minorités ont été touchées de manière disproportionnée par cette pratique.
Les femmes sont particulièrement ciblées
Les rapports de l'IHRNGO révèlent également la grave oppression et la violence dont sont victimes les femmes. En 2023, 49 militantes ont été tuées, dont un nombre important dans des circonstances suspectes. Les défenseurs des droits des femmes sont victimes de pratiques inhumaines telles que les exécutions, l'emprisonnement et la torture physique. Les rapports de 2023 indiquent que plus de 150 défenseurs des droits humains ont été arrêtés et condamnés à un total de 541 ans de prison. Cela démontre que le régime iranien poursuit une stratégie systématique d'intimidation contre le mouvement de libération des femmes.
Mahmood Amiry-Moghaddam, directeur de l'IHRNGO, s'est entretenu avec l'Agence de Mésopotamie (MA) à l'occasion du troisième anniversaire de la mort de Jina Aminî et des manifestations « Jin, jiyan, azadî » qui ont suivi. Amiry-Moghaddam a déclaré que l'Iran traversait ce que l'on pourrait appeler une « crise des exécutions », ajoutant : « Cinq à six personnes sont exécutées chaque jour. »
Ce qui diffère des 40 dernières années
Il a déclaré qu'après la résistance « Jin, jiyan, azadî », le régime a continué d'imposer le « foulard obligatoire » aux femmes, mais que celles-ci, notamment dans les grandes villes, ont fait preuve de désobéissance civile en refusant de porter le foulard. Amiry-Moghaddam a déclaré : « Les autorités iraniennes n'ont mis en œuvre aucune réforme pour améliorer la situation des femmes. Tout ce que les femmes ont obtenu, elles l'ont obtenu grâce à leur résistance. Je pense que le mouvement « Femmes, vie, liberté » a marqué un tournant et s'est distingué de toutes les autres manifestations que nous avons connues ces 40 dernières années. Car pour la première fois, tous les Iraniens, quels que soient leur origine ethnique, leur religion ou leur sexe, se sont unis contre l'oppression incarnée par la République islamique. »
Amiry-Moghaddam a souligné que la résistance « Jin, jiyan, azadî », comparée aux résistances passées, est inclusive. Il a déclaré : « Il existe une solidarité entre tous les genres et toutes les minorités. Tous les dictateurs, surtout les totalitaires, ne profitent généralement qu'à une petite partie de la population qui les soutient. Les minorités et les femmes sont opprimées dans la plupart des cas. Je peux donc affirmer que dans ce mouvement, nous trouvons tous la cause commune de nos souffrances, et cette cause commune est le système. Je pense que c'est la raison de cette solidarité. Jîna Mahsa Emînî, en tant que femme kurde, incarnait nombre de ces caractéristiques. Je pense que c'est pourquoi ce qui lui est arrivé est devenu insupportable pour la société. Parce qu'ils ont tous vu ce qu'ils avaient vécu pendant tant d'années chez une seule personne, et c'est pourquoi elle est devenue un symbole. »
Le système judiciaire iranien
Amiry-Moghaddam a souligné que le système judiciaire iranien manque d'indépendance et que l'objectif de tous les juges n'est pas « d'établir la justice, mais de protéger le système ». Il a ajouté que des procès fictifs sont organisés pour donner l'illusion d'un système judiciaire. « Par exemple, si de nombreuses personnes condamnées à mort par les tribunaux révolutionnaires ont accès à des avocats, dans bien des cas, les documents des accusés sont inaccessibles. En résumé, les tribunaux révolutionnaires prononcent des peines ordonnées par d'autres. C'est pourquoi chaque exécution en Iran est extrajudiciaire, car il n'y a ni procédure régulière ni procès équitable. Dans presque tous les cas que nous avons examinés, notamment ceux impliquant la peine de mort, les accusés ont été contraints de passer aux aveux. Les accusations portées devant les tribunaux reposent donc sur des aveux obtenus sous la contrainte », a-t-il déclaré.
Le système et la société sont contre les femmes
Amiry-Moghaddam a déclaré que la situation des femmes est confrontée non seulement à la loi et au système, mais aussi à la société. Il a souligné que les femmes emprisonnées ne reçoivent aucun soutien familial, sont contraintes au mariage précoce et se voient refuser le droit au divorce par le système. Il a poursuivi : « Ici, le système, la loi et certains segments de la société collaborent pour opprimer les femmes. Nous nous efforçons notamment de sensibiliser la population aux violations de leurs droits. Par exemple, comme vous le savez, le régime a une loi qui stipule qu'une femme qui ne se couvre pas les cheveux peut être fouettée 74 fois. Mais certains hommes infligent également cela à leurs sœurs ou à leurs filles à la maison. Nous essayons de sensibiliser la population à la nécessité de lutter contre les inégalités et la discrimination, dans la rue comme à la maison. »
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Effacement ou autonomisation ? Au Sahel, les femmes sont confrontées à un choix difficile
Dans la région du Sahel, en Afrique, l'aggravation de la violence et de la pauvreté – provoquée par les déplacements, la faim et le terrorisme – prive les femmes et les filles de leur droit à la sécurité, à l'éducation et à un avenir viable.
Les risques qui pèsent sur les femmes et les filles dans cette vaste région sont graves et systémiques, l'instabilité politique, la dégradation de l'environnement et le déclin de la présence internationale ayant des conséquences néfastes.
Des enlèvements et mariages d'enfants à l'exclusion des écoles et de la vie publique, leurs vies et leurs opportunités sont progressivement réduites à néant, a déclaré jeudi Sima Bahous, Directrice exécutive d'ONU Femmes, aux membres du Conseil de sécurité.
« Au Sahel, où convergent les préoccupations mondiales les plus graves, les femmes et les filles sont les plus touchées », a-t-elle dit.
Elle a ajouté que les crises dues à la montée du terrorisme, à la pauvreté, à la faim, à l'effondrement du système d'aide et au rétrécissement de l'espace civique « convergent – de manière violente et disproportionnée – sur leurs corps et leur avenir ».
En voie d'effacement
Dans des pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Tchad, la vie des femmes sous le contrôle de groupes terroristes « est une exclusion de l'espace public », a déclaré Mme Bahous.
Leurs déplacements, leur visibilité et même leurs vêtements sont fortement restreints. Des écoles ont été incendiées ou fermées, privant plus d'un million de filles d'accès à l'éducation.
« L'enlèvement n'est pas une conséquence du terrorisme au Sahel ; c'est une tactique », a-t-elle ajouté, soulignant que rien qu'au Burkina Faso, le nombre de femmes et de filles enlevées a plus que doublé au cours des 18 derniers mois.
Au Mali, 90% des femmes sont victimes de mutilations génitales féminines. Les taux de mariage d'enfants dans certaines régions sont parmi les plus élevés au monde. La mortalité maternelle, due aux grossesses précoces et à la pauvreté, est parmi les plus élevées au monde.
Diminution de la résilience
« Les distances parcourues par les femmes et les filles pour aller chercher de l'eau ou du bois de chauffage s'allongent, tandis que leur sécurité se réduit », a déclaré Mme Bahous.
Deux tiers des femmes interrogées déclarent se sentir en insécurité lors de ces voyages. Le changement climatique ne fait qu'aggraver les difficultés, la chaleur extrême et la sécheresse augmentant la mortalité et l'insécurité alimentaire dans la région.
Pourtant, malgré des besoins croissants, l'aide internationale s'affaiblit.
Seuls 8 % de l'appel humanitaire de cette année pour la région avaient été satisfaits en mai.
L'aide au développement a chuté de près de 20 % au cours des deux dernières années. En conséquence, les programmes de protection et d'autonomisation des femmes ont été suspendus, tandis que les ministères chargés de l'égalité des sexes sont privés de financement, fusionnés ou fermés.
Resserrement de l'espace politique
Parallèlement, l'espace démocratique et civique se rétrécit.
Au Niger, seulement 14% des participants aux récentes réformes institutionnelles étaient des femmes. Au Mali, seulement deux des 36 membres ayant rédigé la nouvelle charte nationale étaient des femmes.
Leonardo Santos Simão, chef du Bureau des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (UNOWAS), a également averti que la détérioration de l'environnement sécuritaire, marquée par des vagues d'attaques djihadistes et des turbulences politiques, compromettait les progrès et alimentait les déplacements.
Il a ajouté que le rétrécissement de l'espace accordé aux médias, à la société civile et aux organisations de femmes menaçait les acquis durement acquis et qu'une crise plus large compromettait la gouvernance et les efforts de consolidation de la paix.
« L'économie de la région reste très vulnérable aux chocs externes. Bien que les indicateurs macroéconomiques s'améliorent, la hausse des niveaux d'endettement continue de limiter la capacité des gouvernements à fournir des services essentiels », a-t-il déclaré.
Acquis fragiles
Pourtant, des progrès sont possibles, et parfois visibles.
Au Tchad, les femmes occupent désormais 34% des sièges parlementaires. Dans les zones frontalières exposées aux conflits au Mali et au Niger, la participation des femmes à la consolidation de la paix locale est passée de 5% à 25%, contribuant ainsi à la résolution de plus de 100 conflits liés à la rareté des ressources naturelles.
Dans toute la région, les programmes conjoints des Nations Unies ont permis d'accroître de 23% le taux de retour à l'école des adolescentes, tout en doublant la participation des femmes à la gouvernance locale dans 34 communautés touchées par les conflits.
De plus, une initiative conjointe des Nations Unies et de la Banque mondiale a permis à plus de trois millions d'adolescentes de bénéficier de soins de santé, d'espaces sûrs et d'une formation aux compétences de vie.
Soutenir les femmes au Sahel
Pourtant, ces acquis restent fragiles.
« Nous ne pouvons pas abandonner le Sahel, quelles que soient les politiques, les financements et les difficultés géopolitiques », a conclu Mme Bahous.
« Soyons solidaires des femmes du Sahel, non par charité, mais en reconnaissance de leur pouvoir de façonner un avenir meilleur ».
https://news.un.org/fr/story/2025/08/1157257
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Discours de Gustavo Petro Urrego à l’ONU
23 septembre 2025 Assemblée des Nations Unies
Gustavo Petro Urrego, Président de la République de Colombie, à l'occasion du débat général de la 80e session de l'Assemblée générale (New York, 23-27 et 29 septembre 2025).
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Des centaines de milliers de personnes manifestent contre l’amnistie accordée à Bolsonaro
Le printemps dans l'hémisphère sud a commencé en avance au Brésil. Dimanche 21 septembre, une centaine de villes à travers le pays, dont les capitales São Paulo, Rio de Janeiro, Belo Horizonte, Salvador, Porto Alegre, Recife et Brasília, ont été le théâtre d'un événement sans précédent depuis trois ans : les militant·es, la gauche et les mouvements sociaux sont descendus dans les rues et sur les places, aux côtés de secteurs populaires plus larges, tout aussi indignés par deux mesures votées par la Chambre des député·es. Les manifestations à São Paulo et Rio ont été les plus importantes depuis les mobilisations pour Fora Bolsonaro (Bolsonaro dehors), entre 2021 et 2022, et la célébration de la victoire de Lula sur l'avenue Paulista en octobre 2022.
24 septembre 2025 | tiré d'inprocor.fr | Photo : Manifestation de São Paulo. © Inprecor
https://inprecor.fr/des-centaines-de-milliers-de-personnes-manifestent-contre-lamnistie-accordee-bolsonaro
L'étincelle qui a déclenché la colère populaire a été l'approbation par la Chambre des député·es, l'organe parlementaire le plus réactionnaire de l'histoire du pays, d'un régime d'urgence visant à envisager l'amnistie pour les personnes impliquées dans la tentative de coup d'État de 2022-2023. À cela s'est ajoutée l'approbation précipitée d'un projet d'amendement constitutionnel (PEC) visant à empêcher toute enquête et toute sanction à l'encontre des parlementaires pendant leur mandat, une mesure rapidement surnommée « PEC da Bandidagem » (PEC des bandits). Le vote sur ces deux mesures a donné un résultat d'environ 350 voix (la somme de l'extrême droite et de la droite oligarchique traditionnelle réunies au sein du « Centrão ») contre un peu plus de 150 voix.
L'offensive réactionnaire de la droite au Congrès était une réponse à la condamnation par la Cour suprême fédérale, le 11 septembre, de Bolsonaro et de sept complices issus du noyau dur du complot visant à organiser le coup d'État de 2022-2023. Bolsonaro et ses complices – dans la tentative de coup d'État autoritaire qui comprenait un plan visant à assassiner Lula, son adjoint, Alckmin, et le magistrat Alexandre de Moraes – ont été condamnés à plus de dix ans de prison. Le procès et le verdict ont été salués par les gouvernements démocratiques, les mouvements sociaux et les médias non fascistes du monde entier. Mais sur le plan intérieur, les néofascistes ne sont pas restés les bras croisés.
Avantage sur les manifestations d'extrême droite
Des estimations extrêmement prudentes font état de la participation de plus de 600 000 personnes aux manifestations, un chiffre qui pourrait augmenter avec le comptage des manifestants dans les villes de l'intérieur des États densément peuplés tels que São Paulo et Minas Gerais. Par rapport aux manifestations d'extrême droite (Bolsonaro) organisées le 7 septembre – en faveur de l'amnistie –, les manifestations démocratiques de dimanche dernier ont clairement pris le dessus, tant en termes quantitatifs que qualitatif.
Organisées en moins d'une semaine par une « coalition » d'artistes progressistes et de mouvements sociaux – fédérations syndicales, syndicats indépendants, mouvements de sans-abri, mouvements noirs – après une explosion d'indignation sur les réseaux sociaux, les manifestations se sont répandues à l'échelle nationale. Les organisations qui ont appelé à manifester ont ensuite été rejointes par des partis de gauche (PSOL, PCdoB, PT, UP), des partis moins à gauche (PDT, PSB) et de nombreuses personnes des classes populaires.
La vague de manifestations a marqué un tournant dans le conflit politique central du pays, entre la gauche au sens large et le néofascisme. Disposant toujours d'une base populaire importante et menaçante, l'extrême droite brésilienne profitait depuis août d'une alliance explicite, sans aucun scrupule, avec le gouvernement américain, pour obtenir de force l'amnistie avec laquelle elle entend libérer Bolsonaro et ses amis militaires et civils de prison.
Lors du rassemblement du 7 septembre à São Paulo, l'extrême droite a même déployé un drapeau américain de 20 mètres de long sur l'avenue. Alors qu'aux États-Unis, le député Eduardo Bolsonaro, troisième fils de l'ancien président, négociait ouvertement avec la Maison Blanche pour renforcer les sanctions contre le pays et les juges dans l'affaire contre les putschistes, à la Chambre des députés la semaine dernière, les néofascistes ont concentré leurs efforts sur la négociation avec le leader de la droite à la Chambre, Hugo Motta, pour faire adopter rapidement l'amnistie. Au cours de ces négociations, les partisans de Bolsonaro ont profité d'un intérêt commun avec le « Centrão » (se protéger des procédures de la Cour suprême dans les affaires d'utilisation abusive des fonds budgétaires alloués aux députés*) pour donner naissance à la malheureuse PEC des bandites.
Ils ont mal calculé leur coup. Alors que le gouvernement et sa base, les autres partis de gauche et leur électorat étaient fortement impliqués dans le débat « condamnation des putschistes contre l'amnistie », la menace d'une impunité totale pour les « politiciens » a indigné et attisé la colère d'une grande partie de la population. Dans une analyse concise réalisée le dimanche précédant le printemps, Andrea Sadi, l'un des principaux commentateurs du puissant réseau de communication Globo, a déclaré : « Les manifestations de dimanche contre la PEC qui protège les parlementaires contre les poursuites judiciaires et l'amnistie ont mis la Chambre des députés à nu. Ces manifestations étaient une réponse à l'approbation de la PEC de protection et à l'urgence du projet de loi d'amnistie. »
Premiers résultats
En plus de montrer qu'il est possible de « briser la bulle » du camp démocratique et d'attirer les gens dans la rue, les manifestations ont également eu, selon d'autres commentateurs de la presse capitaliste, deux réalisations symboliques importantes dans l'histoire récente de ce pays polarisé. Avec « l'aide » de l'attaque impérialiste de Trump contre l'économie et la souveraineté politique du pays, la gauche a retrouvé (du moins pour l'instant) le drapeau brésilien, qui avait été détourné pendant plus de dix ans par les partisans de Bolsonaro. Dans le même temps, c'était la première fois depuis 2013 que l'indignation contre la corruption dans l'appareil d'État était menée par le mouvement progressiste de masse.
Le résultat concret du parcours de dimanche, au-delà du regain d'activisme, est déjà visible dans les excuses publiques de quatre députés de droite qui ont voté en faveur des projets de loi, dont le regret apparent d'au moins deux des 12 députés du PT qui ont voté avec la droite, et dans les promesses du président du Sénat – qui doit évaluer les propositions conformément aux lois du pays – d'entraver la procédure et, par conséquent, l'approbation des deux résolutions.
Rien de tout cela – à l'exception du regain d'énergie pour continuer à se battre – ne garantit que Bolsonaro purgera sa peine de plus de 27 ans de prison, ni que l'offensive des corrompus et des potentiellement corrompus sera effectivement vaincue. Si l'on considère la période qui s'est écoulée depuis l'élection de Lula contre Bolsonaro, le mouvement social et la gauche ont gagné une bataille importante dans la rue et sont en mesure de renverser la tendance. Mais la lutte sera difficile : l'extrême droite peut compter non seulement sur le gouvernement du pays le plus puissant du monde, qui prend de nombreuses mesures contre le Brésil, le gouvernement brésilien et le pouvoir judiciaire, mais aussi sur un atout électoral non négligeable : un « Bolsonaro apprivoisé », un néofasciste au tempérament maîtrisé, sous les traits d'un bon administrateur, qu'est le gouverneur de São Paulo, Tarcísio de Freitas.
La situation exige que la mobilisation de rue se poursuive. Et cela fait du conflit politico-idéologique et de la lutte concrète des travailleur·ses de São Paulo contre Tarcísio l'un des défis centraux des mois à venir.
Le 23 septembre 2025
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Soulèvement ou dictature en Équateur
Dans l'après-midi du jeudi 18 septembre, la nouvelle direction apparemment de droite de la CONAIE, le puissant mouvement autochtone d'Équateur, a cédé à la pression et appelé à une grève nationale illimitée – en protestation contre la suppression des subventions au diesel, une mesure qui risque de presque doubler du jour au lendemain le prix de la plupart des produits de première nécessité.
20 septembre 2025 | tiré d'International Viewpoinit
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article9181
Le vendredi matin, le président Daniel Noboa a annoncé son intention de convoquer une Assemblée constituante pour réécrire la Constitution – il poussait depuis un certain temps une série de réformes visant à supprimer ou affaiblir les droits environnementaux et du travail inscrits dans la Constitution progressiste de 2008, et à lui permettre d'inviter des troupes américaines à opérer sur le sol équatorien, soi-disant dans le cadre de sa « guerre contre la drogue ».
Tard dans la nuit de vendredi, le président Noboa a envoyé la police encercler et évacuer la Cour constitutionnelle alors qu'elle délibérait sur la constitutionnalité de ses initiatives – elle avait récemment déclaré irrecevables plusieurs de ses tentatives en ce sens.
Les mouvements sociaux équatoriens ont immédiatement appelé à une mobilisation le samedi matin pour défendre la Cour constitutionnelle.
Ce dernier bras de fer intervient au terme d'une semaine de confrontation croissante entre un gouvernement de plus en plus d'extrême droite et les mouvements sociaux d'Équateur, avec les communautés autochtones en première ligne.
Des journées de protestation contre un grand projet minier dans le sud du pays – qui menace l'équilibre écologique de toute la région, en particulier ses sources d'eau – ont culminé mardi avec une immense manifestation. Près de 100 000 personnes ont défilé dans Cuenca, la troisième ville du pays. Le gouvernement a été contraint de reculer, suspendant au moins temporairement le projet, tout en promettant d'aller de l'avant avec d'autres grands projets miniers dans des communautés comme Palo Quemado et Las Naves, où la résistance comme la répression ont été particulièrement intenses.
En parallèle, le gouvernement a annoncé une forte hausse du prix du diesel, dans le cadre de son accord avec le Fonds monétaire international. La réaction a rappelé celle d'octobre 2019, lorsqu'une augmentation du prix des carburants avait déclenché un soulèvement mené par les Autochtones. La grève des syndicats du transport a été rapidement rejointe par les communautés autochtones, qui ont bloqué les routes et affronté la police. Les étudiants ont défilé dans la capitale, Quito.
La répression s'est également intensifiée. Alors que le gouvernement continue d'utiliser sa prétendue guerre contre la drogue pour justifier ses attaques contre les mouvements sociaux, des rapports atroces font état de soldats torturant des militant·e·s détenus. Mais le mouvement autochtone a aussi exercé sa puissance sociale considérable. Le mois dernier, lorsque des agents des services secrets ont apparemment tenté d'écraser Leonidas Iza – ancien président de la CONAIE et figure de proue de la résistance radicale – ils ont été immédiatement arrêtés par la communauté locale et soumis à la justice autochtone, un autre droit protégé par la Constitution actuelle. Ils n'ont subi aucun dommage, mais ont été soumis à plusieurs jours d'interrogatoire serré, au cours desquels ils ont révélé des détails remarquables sur la surveillance des mouvements sociaux par les services de sécurité, y compris l'utilisation d'infiltrés et de faux journalistes. En conséquence de cette détention, Leonidas lui-même est désormais poursuivi pour enlèvement.
Cette même puissance sociale autochtone s'est manifestée jeudi, lorsque le nouveau président de la CONAIE, Marlon Vargas, a annoncé l'arrêt national illimité. Alors que des arrêts régionaux et des barrages routiers se multipliaient dans les jours précédents, le président Noboa avait déclaré l'état d'urgence dans plusieurs provinces. Désormais, parallèlement à la grève, Marlon Vargas a proclamé une « urgence communautaire », ce qui signifie que l'armée et la police ne seraient pas autorisées à entrer dans une quelconque communauté ou territoire autochtone.
Cela marque un tournant important dans l'équilibre des forces au sein du mouvement autochtone. Il y a seulement deux mois, Vargas avait été élu à la tête d'une coalition de forces centristes et ouvertement de droite, promettant de collaborer avec le gouvernement Noboa et de promouvoir l'unité nationale. Cela semblait constituer une défaite sérieuse pour les forces radicales du mouvement autochtone, menées par Leonidas Iza. Mais ces dernières semaines, la réalité est venue miner cette « unité ». La section amazonienne de la CONAIE, la Confeniae, que Vargas dirigeait autrefois, ainsi que plusieurs fédérations provinciales, ont annoncé qu'elles rompaient leurs relations avec le gouvernement. Des communautés locales avaient déjà commencé à mener des actions directes.
Les événements se déroulent rapidement, et il est encore trop tôt pour dire si l'arrêt national évoluera vers une rébellion à part entière – la troisième en six ans. Beaucoup dépendra de ce qui se passera au sein de la direction du mouvement autochtone. Il n'est pas encore clair non plus jusqu'où ira le président Noboa – qui conserve un soutien significatif dans certaines couches de la population, même si sa popularité a chuté – dans son entreprise de piétinement des institutions démocratiques déjà fragiles de l'Équateur. Ce n'est pas encore une dictature, comme certains à gauche l'affirment. Mais cela pourrait bien y conduire.
Quoi qu'il en soit, le peuple équatorien a besoin de solidarité internationale – maintenant !
20 septembre 2025
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Martinique : Principes clairs pour situation complexe
Lors des « Assises Populaires contre la vie chère », organisées par le RPPRAC et les députés Marcellin Nadeau et Jean-Philippe Nilor, le député guyanais Jean-Victor Castor a lancé : « Lorsque le peuple lutte pour une cause juste, il faut être dans le peuple ».
22 septembre 2025 | tiré du site inprecor.fr
https://inprecor.fr/martinique-principes-clairs-pour-situation-complexe
Nous partageons ce principe. Nous soulignons, dans cette phrase, trois mots clés : La lutte. Une cause juste. Le peuple.
L'application de ce principe n'est pas forcément aisée.
D'abord, parce que dans la configuration politique actuelle en Martinique par exemple,aucune force progressiste n'est en mesure de participer de façon crédible à toutes les luttes justes.
Encore faut-il éviter de se chercher des alibis douteux pour ne pas participer à une lutte. Un des « arguments » de certains abstentionnistes, consiste à parler d'« entrisme » pourqualifier l'attitude prônée par Jean-Victor Castor. Mais, comme ceux ou celles qui enfourchent ce cheval boiteux n'ont en général pas eu la curiosité de s'informer, même sommairement, sur ce qu'a été « l'entrisme » dans une période précise de l'histoire du mouvement ouvrier, nous passons vite.
Mais, revenons sur les difficultés à appliquer ce principe simple dans des situations complexes. Les luttes n'obéissant jamais, malgré les apparences, à la génération spontanée, car il y a dans la réalité des inspirateurs, des inspiratrices, des initiateurs, des initiatrices, des dirigeants, des dirigeantes, dont le nombre et la diversité varient à certains moments historiques. L'un des apports du grand mouvement de février 2009, est d'avoir ouvert la voie,même des années plus tard, au surgissent de collectifs, de comités, de mouvements qui s'émancipent, à leurs risques et périls, de toute direction préexistante. Et il est heureux quedes forces nouvelles s'engagent et fassent leurs propres expériences.
Mais, si participer à une lutte juste du peuple est comme un réflexe salutaire, il est essentiel de ne pas perdre tout esprit critique à l'égard, ni des directions traditionnelles, ni des nouvelles qui surgissent dans la lutte.
Les organisations anticapitalistes français se sont interrogés sur les ambiguïtés du mouvement des « Gilets jaunes », hier, ou du mouvement
« Bloquons tout » aujourd'hui, mais s'y sont finalement engagés, en se démarquant, parfois, de certains propos, de certaines pratiques. Avec raison !
Le surgissement du RPPRAC a provoqué chez nous les mêmes réflexions. Mais, resteren dehors de la relance du combat contre la vie chère au motif que le trio initial du RPPRAC a sorti des énormités sur février 2009, ou sur le syndicalisme en général, a été une erreur dans laquelle il serait diabolique de persister.
On peut en dire autant de celles et ceux qui prennent prétexte du suivisme néo- assimilationniste de certaines directions syndicales, pour rester en dehors de la lutte contre la politique scélérate de la bande à Macron. Comme si elle ne nous affectait pas, comme si nous ne pouvions rien faire d'autre que d'en attendre les conséquences. L'instabilité de la situation française est, qu'on le veuille ou non, un élément de la vie politique martiniquaise. Le rôle desanticolonialistes martiniquais ne saurait se limiter à s'adapter, à s'interroger comme de simplespolitologues sur ce que sera finalement l'ordre chronologique des élections à venir en Martinique entre municipales, législatives voire présidentielle, pour rythmer leur calendrier militant !
Notre rôle, à nous qui sommes à la fois anticolonialistes et anticapitalistes, est de peser de tout notre poids sur la situation. Avec les travailleurs et travailleuses de France, il nous revient à nous aussi, de mener la lutte contre la Macronie avec nos alliés naturels, en veillant au respect de notre réalité, de nos intérêts, de notre indépendance d'organisation, même dans la lutte commune.
Avec les anticolonialistes de Martinique et d'ailleurs, nous avons à travailler sur les revendications propres de nos peuples colonisés. Il est clair que celles-ci ne sauraient se résumer à l'inscription de la Martinique dans la liste des pays à décoloniser de l'ONU, ou à la seule défense de nos acquis sociaux.
De tout ce qui précède, découlent deux tâches essentielles : mener concrètement avec les travailleur/euse/s et les masses populaires toutes les luttes nécessaires pour la survie et le bien vivre. Mettre en chantier le programme de transition dont nous avons besoin pour passer du colonialisme à l'émancipation. Ce pont entre revendications immédiates et renversement du système colonial et capitaliste suppose une élaboration collective de celles et ceux quipartagent l'objectif de l'émancipation nationale et sociale. Nous avons soumis à la discussion des éléments concrets (voir les RS précédents).
Il y a une troisième tâche qui ne découle pas automatiquement de la citation qui ouvrecet article. Lorsque le peuple « oublie » une lutte, que l'actualité commande comme un impératif catégorique, il faut la lui montrer avec insistance. Celle-ci, c'est la lutte contre legénocide en Palestine, contre le triomphe de la barbarie fasciste internationale qui hypothéquerait gravement l'ensemble de nos combats, prolétariens, décoloniaux,écologistes, féministes, démocratiques, antiracistes et laïcs.
Alors que la menace de l'éradication d'un peuple par l'abomination sioniste est plus forte que jamais, il faut marteler que l'humanité tout entière paierait cher, tout manque de lucidité sur les enjeux de cette cause.
Publié dans Révolution socialiste n°413, 22 septembre 2025
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Somaliland. Une reconnaissance états-unienne au mépris du génocide à Gaza ?
L'ambiguïté du gouvernement somalilandais au sujet d'un « projet » américano-israélien de déportation de la population gazaouie vers son territoire a nourri des rumeurs d'un rapprochement prochain entre Israël et le Somaliland, malgré le génocide en cours. Cette attitude vise avant tout à préserver et à accélérer des années d'efforts diplomatiques menés auprès des États-Unis, dont le Somaliland espère obtenir la reconnaissance.
Tiré d'Afrique XXI.
Le 8 août, pendant la conférence de presse organisée après la signature d'un accord entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, Donald Trump est interrogé sur l'éventuelle reconnaissance du Somaliland en échange d'un accueil de « réfugié·es » gazaoui·es. « Bonne question… nous y réfléchissons en ce moment », déclare-t-il alors. La classe politique de ce pays formellement indépendant depuis 1991 – mais qu'aucun État n'a encore reconnu – a salué l'intention du président états-unien de (peut-être) reconnaître le Somaliland, sans toutefois s'exprimer sur la contrepartie évoquée : la relocalisation de Gazaoui·es déporté·es.
Depuis l'annonce, le 4 février dernier, par Trump d'un plan aux contours flous qui vise à épurer Gaza de ses habitants, le Somaliland est régulièrement cité comme territoire d'accueil potentiel. Dès le 5 février le Jerusalem Post (1), citant la chaîne de télévision israélienne N12, rapportait que l'administration Trump envisageait le Somaliland, en plus du Maroc et du Puntland (une région somalienne autonome). Quelques semaines plus tard, le Somaliland est de nouveau évoqué, cette fois-ci aux côtés de la Somalie et du Soudan (2), dont les autorités ont toutefois opposé une fin de non-recevoir. À Hargeisa (la capitale du Somaliland), le ministre des Affaires étrangères, Abdirahman Dahir Adam, a simplement dit ne pas avoir été approché sur cette question (3).
Le sujet a de nouveau été alimenté par de récentes révélations du Financial Times (4) sur un plan de « relocalisation temporaire » d'une partie de la population gazaouie – vers le Somaliland et d'autres territoires – présenté à des responsables états-uniens par des hommes d'affaires israéliens, épaulés de collaborateurs du Boston Consulting Group (BCG), un cabinet de conseil déjà impliqué dans le déploiement de la très meurtrière Gaza Humanitarian Foundation.
« Donald Trump est un bon dirigeant »
La prudence et le silence de Hargeisa sur ce sujet ont nourri l'hypothèse d'un rapprochement prochain avec Washington et Tel-Aviv. D'une part, le gouvernement somalilandais s'abstient d'endosser un pseudo-plan de déportation étatsuno-israélien alors qu'aucune offre formelle de reconnaissance n'a été formulée et qu'il ne souhaite pas s'aliéner une partie de la population et de ses partenaires politiques soucieux de la cause palestinienne. D'autre part, il se garde de le rejeter pour ne pas compromettre ses relations avec les États-Unis et la possibilité d'une reconnaissance de leur part – un précédent qui pourrait inciter d'autres pays à suivre l'exemple.
Le président somalilandais Abdirahman Mohamed Abdullahi – dit « Irro » – a lui-même initié cette stratégie. Interrogé sur le sujet dans un entretien accordé à la chaîne saoudienne Sky News Arabia le 13 février, il s'est contenté de flatter son homologue états-unien : « Donald Trump est un bon dirigeant (5). Dès que nous serons approchés officiellement, nous pourrons exprimer clairement notre position. »
Cette prudence vise à ménager l'administration états-unienne, dans l'espoir que ce projet de déportation forcée s'évanouisse de lui-même. Outre son impopularité dans un contexte de guerre génocidaire, il rendrait le Somaliland complice de crime contre l'humanité. Le gouvernement somalilandais espère donc qu'une éventuelle offre de reconnaissance formelle se limite à des éléments liés aux seuls intérêts stratégiques des États-Unis. Ayant bien compris l'approche éminemment transactionnelle de Donald Trump, il cherche actuellement à lui arracher un accord en échange de liens sécuritaires renforcés (sécurité maritime, contre-terrorisme) et de l'installation d'une base militaire dans la ville côtière de Berbera – un sujet évoqué depuis des années déjà. L'octroi de concessions minières est également considéré. Le gouvernement somalilandais pourrait concéder certains de ces éléments sans toutefois que Trump ne se résolve à lui offrir la reconnaissance, dans la mesure où la relation bilatérale s'en verrait tout de même renforcée et visibilisée.
Alignement sur les États-Unis
Miser sur les États-Unis : tel est l'un des principaux moteurs de la diplomatie somalilandaise depuis des années. L'ancien chef de l'État, Muse Bihi Abdi (au pouvoir de 2017 à 2024), en a largement été le promoteur, dans l'espoir de voir son pays enfin reconnu. Les contacts établis au sein de l'appareil politico-sécuritaire états-unien ont été nombreux au cours de son mandat. L'indépendance du Somaliland trouve un écho particulier chez les républicains, qui y voient un maillon stratégique d'un axe pro-occidental au Moyen-Orient. Dès 2022, le très conservateur cercle de réflexion Heritage Foundation, proche de l'entourage de Trump, appelait dans son « Projet 2025 » à reconnaître le Somaliland afin de contrer l'influence chinoise en Afrique. La proximité avec Pékin du gouvernement somalien (dont Washington est lassé de l'incapacité à contenir le groupe djihadiste Al-Chabab) et la présence d'une base militaire chinoise à Djibouti depuis 2017 à proximité du camp Lemonnier et de ses 3 000 soldats états-uniens accroissent l'intérêt des États-Unis pour le Somaliland. La décision de Hargeisa en 2020 d'établir des relations diplomatiques avec Taïwan a d'ailleurs conforté son image d'acteur aligné sur le « bloc » occidental.
Depuis son accession à la présidence, en décembre 2024, Irro s'inscrit dans cette logique. Pourtant, durant la campagne électorale, alors qu'il était candidat du parti d'opposition, il avait laissé entendre qu'il chercherait à élargir les horizons diplomatiques de son pays, après des années d'une stratégie occidentalo-centrée. Le tropisme pro-Somaliland qui se dessine à Washington a néanmoins conduit Irro à s'inscrire dans les pas de son prédécesseur, dont il s'est entouré de certains proches. Il a par exemple reconduit Bashir Goth au poste de représentant du Somaliland à Washington – en fonction depuis 2018 – et pris Mohamed Hagi (ex-représentant du Somaliland à Taïwan sous Bihi) pour le conseiller en matière de politiques étrangères.
Les signes d'un intérêt pour Israël
L'évocation du Somaliland comme terre d'accueil pour une partie de la population gazaouie que le gouvernement israélien souhaite déporter a alimenté des rumeurs déjà anciennes. Dès les années 1990, le profond isolement diplomatique de Hargeisa a nourri l'idée, au Somaliland, d'un rapprochement opportun avec Israël (6). Parmi les arguments souvent avancés figure la reconnaissance, le 26 juin 1960, du Somaliland – jusque-là protectorat britannique – par Israël (7) et trente-quatre autres États. Après quatre jours d'existence toutefois, le Somaliland s'est uni à la Somalie tout juste indépendante de l'Italie. En 1995, le président Mohamed Ibrahim Egal (à la tête du pays entre 1993 et 2002) aurait adressé au Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, une lettre appelant leurs deux pays à nouer des liens. Egal a cependant nié l'avoir écrit, sans pour autant dissiper les doutes d'une partie de la population (8).
Tout au long de ses deux premières décennies d'existence, le Somaliland a connu une longue période de solitude. Les présidents Ahmed Mohamed Mahamoud « Silanyo » (2010-2017) et Bihi (2017-2022) ont donc cherché à en sortir, quitte à prendre des initiatives parfois originales, comme la signature en 2018 d'un protocole d'accord de coopération avec la fantoche « République libre du Liberland » (un territoire situé entre la Serbie et la Croatie). D'autres initiatives bien plus importantes sont à noter, en particulier celles qui ont permis au Somaliland de se rapprocher des Émirats arabes unis (EAU) à partir de 2016, date à laquelle l'opérateur portuaire dubaïote DP World a obtenu la gestion et la rénovation du port de Berbera, le poumon économique du pays.
La proximité du Somaliland avec les EAU et la signature des accords d'Abraham, en 2020, ont ravivé les rumeurs d'un rapprochement entre Hargeisa et Tel-Aviv. Tandis que le Jerusalem Post a appelé Israël à s'intéresser au Somaliland (9), plusieurs parlementaires somalilandais se sont prononcés en faveur d'une telle relation. (10). En 2022, Edna Adan Ismaïl, ancienne ministre des Affaires étrangères et envoyée spéciale pour les pourparlers Somaliland-Somalie sous Bihi, a plaidé pour une reconnaissance mutuelle sur les chaînes israéliennes i24 News English et i24 News Français.
Un point d'ancrage stratégique sur le golfe d'Aden
Si ce n'est pour servir ses objectifs d'épuration ethnique à Gaza, Israël trouverait au Somaliland un point d'ancrage stratégique dans le golfe d'Aden, en plus de lui permettre de s'inscrire de nouveau dans la voie de la « normalisation », et donc de l'invisibilisation de la Palestine et des crimes qui y sont commis.
Spéculer sur l'opportunité d'un rapprochement permet déjà à des responsables et à des commentateurs états-uniens, israéliens et somalilandais de déployer une rhétorique qui ne s'attache qu'à la description d'intérêts matériels et à la promotion de supposés points de convergence entre les deux pays : leur caractère « démocratique », l'« hostilité » de leurs voisins, la « stabilité » de leurs territoires. Par exemple, en 2024, des rumeurs (infondées) au sujet d'un projet de base militaire israélienne à Berbera soutenu par les EAU ont permis de diffuser ces éléments de langage, notamment en Israël (11).
Une reconnaissance mutuelle et les relations de coopération qui en découleraient provoqueraient des réactions hostiles des pays arabes et africains aux prises avec des groupes indépendantistes, attachés à la cause palestinienne et à l'intangibilité des frontières somaliennes. Israël ne manquerait toutefois pas de se présenter comme une force de stabilité et de protection, selon une logique déjà observée dans le passé, comme lors de son appui à l'indépendance du Kurdistan irakien, en 2017.
Risque de marginalisation
Une offre états-unienne de reconnaissance qui exigerait un soutien ouvert à un plan de déportation des Gazaoui·es et/ou à un rapprochement effectif avec Israël serait l'une des pires pour le gouvernement somalilandais au regard des forces géopolitiques et domestiques opposées à de telles conditions.
Le Somaliland s'exposerait à l'hostilité de ses voisins et d'un certain nombre de pays. Sur le continent, des puissances pro-palestiniennes comme l'Algérie et l'Afrique du Sud pourraient marginaliser le Somaliland au niveau de l'Union africaine, organisation auprès de laquelle Hargeisa tente de faire valoir son cas depuis longtemps. Par ailleurs, s'écarter d'un soutien officiel à la cause palestinienne, symbole de la solidarité panarabe, l'éloignerait d'une partie du monde arabe, espace dans lequel le Somaliland souhaite pourtant s'inscrire.
Malgré un attachement encore prégnant à la Palestine, le fléchissement d'une partie de l'opinion publique somalilandaise sur le sujet est à noter, bien que difficilement mesurable. Certaines franges de la société, frustrées par trente-cinq années d'impasse diplomatique, pourraient se résoudre à une offre de reconnaissance de Washington liée aux intérêts Israël. Dans un article paru en début d'année, le journal anglophone The Horn Tribune – sous supervision directe du ministère somalilandais de l'Information et de la Culture – estimait que le soutien d'un État comme Israël pourrait avoir un « effet domino » sur le processus de reconnaissance.
Enfin, la virulence du gouvernement somalien à la suite de la signature, le 1er janvier 2024, d'un protocole d'accord entre l'Éthiopie et le Somaliland (au point mort mais qui promettait sa reconnaissance) aurait contribué à convaincre une partie de la population de l'opportunité de se rapprocher d'Israël. Un politiste somalilandais qui a souhaité rester anonyme estime que l'intransigeance du gouvernement somalien sur la question de l'indépendance du Somaliland « en conduit certains à considérer la Palestine non plus sous le prisme traditionnel de la solidarité panislamique, mais plutôt d'un point de vue stratégique et politique ». Il précise que ce sujet « autrefois tabou est désormais ouvertement discuté, bien qu'il soit encore risqué de le faire ». Malgré tout, il évoque le poids de forces politiques et religieuses proches du gouvernement opposées au plan de déportation et à tout rapprochement : « L'idée d'accepter des réfugié·es de Gaza est considérée comme politiquement dangereuse, car cela pourrait déclencher une crise interne majeure. »
Notes
1- « Trump considers Morocco, Puntland, Somaliland for relocated Gazans », The Jerusalem Post, 5 février 2025, à lire ici.
2- Le 12 août, Associated Press a affirmé que le Soudan du Sud avait été approché, une information démentie dès le lendemain par le gouvernement de Juba.
3- Voir ce message de Abdirahman Dahir Adam, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Somaliland.
4- Stephen Foley, « BCG consultants modelled relocating Gazans to Somalia », Financial Times, 7 août 2025, à lire ici.
5- Fin août, Irro a même publiquement soutenu Donald Trump pour le prix Nobel de la paix.
6- « Somaliland : débat sur la reconnaissance d'Israël », Africa Intelligence, 2 octobre 2004, disponible ici.
7- « Somaliland : Only Israel Opposed the Kill all But Crows “Isaaq Genocide”, Offers Recognition », The Horn Tribune, 28 mars 2022, à lire ici.
8- « Somaliland : presidential pen to paper », Africa Intelligence, 23 mars 1996, à retrouver ici.
9- « Why Israel should care about Somaliland », The Jerusalem Post, 17 août 2020, à lire ici.
10- « Somaliland : Recognize Israel and Establish Ties with Tel Aviv, Legislators Urge Government », Somaliland Sun, 7 novembre 2020, à lire ici.
11- Suhaib Mahmoud, « Why is everyone talking about Israel-Somaliland ties ? », Geeska, 3 décembre 2024, disponible ici.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Guerres et extractivisme : regards croisés depuis le Congo et le Soudan
Deux militants de Sudfa (média fondé par des exilé·es soudanais·es en France), et de Génération Lumière (association d'écologie décoloniale fondée par des jeunes Congolais·es à Lyon), échangent sur les guerres en cours au Congo et au Soudan, mettant en lumière les logiques globalisées du capitalisme colonial, ainsi que les voies de solidarités entre les peuples.
Tiré du blogue de l'auteur.
Le 23 mai 2025, Sudfa Media était invité par la Coordination Régionale Anti-Armements et Militarisme (région AURA) à venir discuter de la situation au Soudan et en République Démocratique du Congo avec l'association Génération Lumière, qui est une association d'écologie décoloniale et de solidarité internationale fondée par des jeunes Congolais·es à Lyon.
Nous avons particulièrement apprécié cette occasion de faire une présentation publique croisée avec Génération Lumière, qui fait un travail essentiel de mobilisation, d'éducation et de plaidoyer. C'était aussi important pour nous d'évoquer de manière conjointe les guerres au Congo et au Soudan, sont souvent délaissées des médias et des mobilisations en France. La discussion a permis de faire émerger autant les spécificités que les similitudes des deux conflits, et d'identifier ainsi la logique impérialiste transnationale commune à l'œuvre dans ces guerres. Voici par écrit des extraits des présentations. Bonne lecture !
Hamad (Sudfa) : Bonsoir tout le monde. Peut-être avez-vous entendu parler d'une guerre qui a commencé au Soudan il y a deux ans à peu près, qui témoigne de la fragilité de notre monde aujourd'hui. On est en train d'assister à une des catastrophes les plus graves au monde, dans un silence total. On parle de 80% des hôpitaux qui sont hors de service. On parle de 20 millions de Soudanais, soit la moitié de la population soudanaise, qui sont partis de leur foyer, soit à l'étranger, soit déplacées à l'intérieur du pays. On parle de 90% des Soudanais qui souffrent de la faim aujourd'hui dans les zones de guerre. On parle de 15 millions d'enfants qui n'ont pas pu être scolarisés depuis 2023. Donc voilà, on assiste à l'une des catastrophes les plus graves au monde : mais ce qui n'est pas normal dans tout ça, c'est le silence du monde entier.
Jordi (Génération Lumière) : Contrairement au Soudan, ce qui est assez particulier avec le cas du Congo, c'est que c'est un conflit très documenté. Ça fait plus de 30 ans qu'un groupe d'experts des Nations Unies, qui a 1 milliard de dollars de financement annuel, documente, chaque année, l'évolution du conflit... C'est dire un peu le caractère ubuesque de cette situation. Ça fait plus de 30 ans qu'ils le font, alors qu'au fond, la question congolaise est assez simple à comprendre. C'est purement une question de ressources, en fait. Ce qui se passe au Congo, c'est lié à ce qu'on appelle l'extractivisme. Les penseurs, les militants d'Amérique latine ont proposé ce concept pour expliquer que la fin des empires coloniaux n'a jamais mis fin à la logique impériale qui existait. Qu'est-ce que ça a été, fondamentalement, la logique impériale ? C'est d'avoir des pays-ressources, des pays greniers, qu'on va puiser jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien, pour bénéficier à un marché qui est totalement extérieur. En fait, l'extractivisme, c'est aller récupérer une ressource sur un territoire colonisé et en tirer de la valeur pour viser un marché extérieur. On va avoir des pays que l'on va enchaîner d'une certaine manière dans un marché international et à qui on va assigner des rôles, tout simplement.
Hamad (Sudfa) : Les guerres au Soudan comme au Congo témoignent de la manière dont les richesses naturelles d'un pays alimentent l'instabilité, au lieu que la population locale profite de cette richesse. Quand on parle de richesses au Soudan, on parle de l'or, on parle du pétrole, on parle des terres agricoles… C'est un pays stratégique, qui était frontalier avec 9 pays jusqu'en 2011, et qui a une ouverture vers la mer Rouge, qui est une zone très stratégique en termes militaires. Donc voilà, le conflit actuel n'est pas lié qu'aux raisons qu'on présente le plus souvent, quand on dit que c'est une guerre autour du pouvoir entre deux généraux. Cette guerre trouve ses racines dans l'époque coloniale, qui a largement participé à la division de la population soudanaise, à la stigmatisation de certaines parties de la population, et à la division raciale, ethnique et tribale du pays.
Les Anglais, qui ont colonisé le Soudan, ont adopté un système de ségrégation : ils ont divisé la population soudanaise, qui est multiculturelle, en deux catégories. La première, c'est ceux qui ont bien profité du système colonial et qui ont été considérés comme des alliés, qui ont profité de toutes les richesses du pays et des systèmes qui ont été mis en œuvre, et de l'autre côté il y a ceux qui ont été marginalisés. En accédant à l'indépendance du pays, on a constaté qu'il y avait deux sociétés qui étaient séparées l'une de l'autre. C'est pour ça que dès l'indépendance du Soudan en 1956, la guerre a éclaté dans le Sud, parce que des groupes ont pris les armes pour revendiquer la place des Soudanais du Sud au sein de l'Etat, pour dénoncer leur marginalisation et l'injustice. Et cette guerre-là, au fur et à mesure, a éclaté dans les quatre coins du pays, notamment le Darfour, la région du Nil-Bleu, des Montagnes Nouba et du Kordofan. Et ce type de guerre est toujours alimenté par d'autres raisons locales, et notamment écologiques. Dans le sens où il y a un groupe armé qui se forme quelque part au pays et qui essaie prendre le contrôle d'une terre et de ses ressources, mais toujours en lien avec un autre groupe ou un autre pays qui vient en aide de l'extérieur, cherchant à profiter de cette richesse-là.
Jordi (Génération Lumière) : Au Congo, la guerre s'est vraiment beaucoup centrée à l'est de la RDC, au moment où il y a eu ce qu'on appelle le « boom du coltan ». Le coltan, c'est l'un des minerais « clés » pour la production des matériels numériques. Sans coltan, on ne peut pas faire de cartes et de processeurs, on ne peut pas faire d'ordinateur, de téléphone, etc. Vers la fin des années 1990, c'est le boom d'Internet, le boom de toute une nouvelle génération de produits qui a besoin de cette ressource. Et le Congo possède près de 60 à 80% des réserves mondiales du coltan. Or, ce boom est arrivé au moment d'une transition politique en RDC. Pendant près de 32 ans, on avait Mobutu, celui qu'on appelait « l'ami des occidentaux », au pouvoir. A sa mort, on s'est posé la question de quel dirigeant politique allait récupérer ce marché énorme que représente le coltan et arbitrer les intérêts stratégiques du pays. Et c'est à ce moment-là que vont intervenir de nouveaux acteurs, essentiellement le Rwanda et l'Ouganda, qui sont les pays frontaliers à l'est du Congo. Dans cette région, les frontières sont poreuses, les populations ont l'habitude de circuler, et c'est assez simple de financer la possibilité pour des groupes d'entrer au Congo, et de récupérer les minerais qui y sont situés. Or le conflit permet de maintenir les prix de la ressource au plus bas, pour financer un marché qui est en train d'exploser.
C'est à ce moment-là que va éclater ce qu'on a appelé la seconde guerre du Congo. La première, c'est la « guerre de libération », comme on l'appelle, c'est-à-dire la guerre qui va chasser Mobutu au pouvoir et qui va mettre Kabila à sa place. Puis la seconde guerre, ce qu'on appelle aussi la « première guerre mondiale africaine », c'est-à-dire une guerre entre des États frontaliers sur le territoire congolais pour des ressources congolaises, avec un bloc proche du gouvernement congolais, et un bloc proche des pays frontaliers. Ce qui va plus ou moins marcher, parce que Kabila va quand même résister. Puis à son assassinat, va se poser la question du maintien de cette partie-là de la RDC dans le giron de ces États frontaliers. Il faut donc trouver des explications qui vont paraître les plus légitimes, qui vont brouiller le conflit, c'est-à-dire mettre en avant la question ethnique pour expliquer qu'il existe des ethnies au Congo, au Rwanda et en Ouganda qui sont systématiquement discriminées, systématiquement écartées de l'appareil de l'État, qui sont même tuées, voire cannibalisées... on va pousser ce discours jusqu'à très loin, pour justifier le fait que ces États-là s'intéressent à ce qui se passe chez les voisins et peuvent ainsi intervenir pour protéger les intérêts de ces ethnies. Il faut se rappeler le contexte des années 1990, c'est une décennie qui a vu un très grand génocide, le génocide des Tutsis au Rwanda, et donc forcément sur la scène internationale, l'État rwandais qui proclame défendre l'intérêt de ceux qui ont été victimes, forcément, est légitime dans son intervention dans un pays voisin.
Et entre temps, ce qui s'est passé, c'est qu'on a eu une extrême militarisation du conflit, avec des bandes armées qui massacrent partout. Jusqu'à maintenant, on a eu plus ou moins 6 millions de morts en 30 ans sur cette région. A l'époque des années 1990, il y avait 5 ou 6 bandes armées ; aujourd'hui, on en a plus de 200. Pourquoi ? Dans cette région frontalière, il y a énormément de mines d'or, de coltan, d'étain, etc. Et une partie de ces milices, de ces chefs seigneurs de guerre, vont au Congo parce que c'est plus facile de récupérer les minerais. Ça ne demande pas d'efforts industriels, il ne faut pas forer, il ne faut pas passer par des grandes entreprises, pour pouvoir s'enrichir. Le coltan est récolté de manière artisanale, à la pelle. Donc l'essentiel de l'activité du coltan n'est pas du tout dans les mains de l'État, c'est fait de manière clandestine.
En 2020, on a découvert que le Congo n'était plus le premier producteur du coltan mondial, il venait d'être dépassé de quelques milliers de tonnes de plus. Le Rwanda est devenu, du jour au lendemain, le premier producteur de coltan mondial, en produisant près de 4 000 à 5 000 tonnes par an. Et donc la question est apparue : est-ce que ce n'est pas la contrebande des minerais congolais qui explique cette exploitation-là ? On s'est alors rendu compte que parmi les États internationaux, c'était un secret de polichinelle. Tout le monde savait, en réalité, que le Rwanda était devenu une plaque tournante de minerais récupérés au Congo. Ça va même plus loin. C'est-à-dire qu'en fait, jusqu'à aujourd'hui, il n'y a aucune entreprise du numérique qui peut certifier, vraiment preuve à l'appui, que ces minerais de coltan qu'il y a dans les produits ne proviennent pas de ces zones de guerre. C'est dramatique.
Hamad (Sudfa) : Au Soudan, les divisions créées à l'époque coloniale, ça a créé un État qui est très faible depuis l'indépendance et qui a ouvert grand la porte pour que les puissances impérialistes puissent intervenir dans les affaires soudanaises. Souvent, ça se fait à travers des alliances qui ont pour objectif de soutenir le gouvernement en place afin qu'il puisse faire profiter à d'autres des richesses naturelles du pays. Ou alors, les pays extérieurs poussent des groupes locaux à prendre les armes et créer un conflit armé en leur promettant de contrôler cette région-là un jour, pour pourvoir profiter richesses de cette région-là.
Quand on parle des puissances impérialistes qui interviennent au Soudan et qui créent l'instabilité, on parle des puissances classiques, l'Allemagne, la France et tous les pays occidentaux, qui fabriquent des composants militaires retrouvés dans les armes utilisées par les miliciens des Forces de Soutien Rapides (FSR). Mais dans le cas du Soudan, il y a d'autres puissances impérialistes qui sont beaucoup plus discrètes et silencieuses, mais qui interviennent de manière très brutale. Et notamment les pays du Golfe, qui ont tout un tas d'intérêts au Soudan, que ce soit pour des raisons géopolitiques, économiques ou sécuritaires. Les Emirats Arabes Unis, qui sont le premier soutien financier et fournisseur d'armes des FSR, cherchent à s'accaparer les terres agricoles et le bétail du Soudan car ils manquent de terres arables et veulent garantir leur autonomie alimentaire dans le contexte du réchauffement climatique. Ils profitent également, avec l'Egypte et la Russie, de la contrebande de l'or en provenance des mines d'or contrôlés par les FSR au Darfour. Il y a tous ceux qui vendent des armes à l'armée soudanaise ou aux milices (du matériel russe, chinois, turc, ukrainien), ou encore des mercenaires colombiens qui ont été recrutés par les Emirats Arabes Unis pour combattre parmi les FSR. Toutes ces puissances-là cherchent depuis toujours à imposer leur agenda, contrôler le pays, profiter de ces richesses naturelles et en même temps intervenir dans les affaires soudanaises.
La guerre qui a éclaté en avril 2023 n'est pas une guerre des Soudanais entre eux. C'est une guerre par procuration entre ces différentes puissances. Par exemple, entre l'Egypte et l'Ethiopie, qui sont en conflit autour du barrage de la Renaissance sur le Nil : au lieu de s'affronter directement, chacun soutient l'une des deux armées qui s'affrontent au Soudan.
Jordi (Génération Lumière) : Un autre ressort de la logique impériale de l'extractivisme, c'est, au niveau politique, de bloquer l'appareil de l'État. L'objectif de l'économie extractiviste, c'est que l'essentiel de la richesse dépende d'un seul secteur d'activité. On va donc avoir une forme de militarisation de l'économie. Au Congo, par exemple, les zones où les ressources sont exploitées sont des zones auxquelles même les populations locales ne peuvent pas avoir accès. C'est barricadé, c'est militarisé, ou alors en proie aux conflits armés. Et malheureusement, le danger de l'extractivisme et la logique impériale, c'est qu'elle est très rarement démocratique. Elle finit par se limiter à des logiques d'alliance et de pouvoir. Donc, ce qui se passe avec le Soudan, c'est exactement ce qui se passe au Congo. Plus on a besoin d'un État pour ses ressources uniquement, moins il y aura de démocratie. On le voit notamment avec les pays pétroliers. Et même ici en France, on le voit : plus il y a des projets qui sont liés avec une industrie d'extractivisme, moins il y a de consultations publiques. Plus il y a des manigances, moins il y a de démocratie. Et ces logiques-là sont simplement plus opaques ailleurs, parce qu'il y a une question de racialisation. On explique qu'au fond, ces populations-là, si elles meurent, si elles souffrent, ce n'est pas si grave que ça. C'est cette racialisation qui va permettre de faire beaucoup plus de choses de manière beaucoup plus libérée, et presque sauvage. C'est-à-dire du travail forcé, faire travailler des mineurs, des viols de masse, financer des groupes armés, etc.
plus forte que l'armée soudanaise, si bien qu'en 2023 ils se sont retournés contre l'armée pour prendre le pouvoir à sa place. Donc voilà, ça c'est ça c'est une des raisons actuelles de la guerre, qui est une guerre autour du pouvoir, entre deux généraux, qui se battent pour leurs intérêts personnels, mais aussi les intérêts des différents pays qui les soutiennent.
Jordi (Génération Lumière) : Les Etats européens sont aussi impliqués dans le conflit à l'Est du Congo, par le soutien militaire dispensés à l'armée rwandaise. L'État français a des accords de coopération avec l'Etat rwandais, ce qui fait qu'une partie des militaires font leur formation en France.
Aujourd'hui, par rapport à ce qui se passe au Congo, la difficulté de ce conflit, c'est que même la « transition verte » a été repensée pour nous expliquer que cette transition écologique ne doit se penser qu'à travers un progrès numérique. On nous dit que l'extrême numérisation est la seule condition pour connaître une vraie sortie des énergies fossiles. C'est une justification directe d'un élargissement du conflit à l'Est du Congo. Pourquoi je dis ça ? Parce qu'au final, vu que cette demande en minerais est importante, l'argent qui est en jeu est énorme. Donc il faut faire une forme de solution finale, c'est-à-dire trouver une manière de s'installer définitivement sur le territoire qui en possède près de 60 à 80% des réserves. Ça semble logique. Et depuis février 2024, on a des groupes armés, deux essentiellement, qui sont directement financés par l'État rwandais, qui se sont mis à prendre des territoires avec pour objectif de s'installer définitivement et de chasser l'État congolais de toute la région du Kivu.
C'est un conflit qui doit nous interpeller, car en réalité, ce n'est pas possible d'imaginer, au niveau international, un monde qui prônerait la fin des énergies fossiles et une transition écologique, sans que ce qui se passe au Congo soit résolu. C'est pour ça que la situation congolaise est particulière, parce qu'elle démontre vraiment les dégâts de l'extractivisme comme modèle économique et comme modèle géostratégique, mais aussi parce qu'elle nous engage tous. C'est au profit d'un certain marché, d'un certain confort qu'on va essayer de maintenir cette situation. Mais c'est aussi en raison du maintien de cette situation qu'ici aussi, en Europe, on aura du mal à sortir d'un monde, d'un modèle que l'on dénonce de plus en plus. (…)
Ces extraits que nous avons choisi de publier de la discussion discussion croisée sur les conflits actuels au Congo et au Soudan mettent en lumière l'interdépendance de l'économie mondiale avec celle de l'extractivisme, une activité qui repose sur l'exploitation des ressources et des populations. C'est l'héritage d'un ordre colonial et racial qui justifie l'intervention étrangères dans ces zones, ainsi que l'opacité et la violence des actions perpétrées pour maintenir cette économie. Pour nous à Sudfa, il est important de penser les enjeux locaux tout en gardant un regard international qui permet de mettre en lumière les logiques globalisées du capitalisme colonial, ainsi que les voies de solidarités entre les peuples.
Par : Equipe de Sudfa
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Sud Soudan : Virer les dirigeants pour stopper la guerre
Par leur corruption et leur politique ethniciste, les élites du pays plongent le Sud Soudan dans un nouvel abîme de violence.
Depuis sa séparation avec le Soudan en juillet 2011, le pays n'a connu que des guerres civiles d'intensité plus ou moins forte. Depuis huit mois Riek Machar vice-président comparait devant un tribunal sous plusieurs chefs d'inculpation tels que crimes contre l'humanité, rébellion et trahison.
Une guerre permanente
Il est accusé notamment d'avoir incité l'armée blanche, une milice réputée proche de son organisation le Sudan People's Liberation Movement-in-Opposition (SPLM-IO) à attaquer la caserne de Nasir une ville de l'Etat du Nil Supérieur, causant ainsi la mort de plus de 250 militaires. Les opérations de représailles lancées par le président du Sud-Soudan Salva Kiir ont pris pour cible les civils et provoqué la fuite de dizaines milliers de personnes.
Les accords de paix de 2018 censés mettre fin à la guerre civile n'ont jamais été réellement appliqués. Les affrontements n'ont eu de cesse de se poursuivre des deux côtés.
Le procès contre Riek Machar ainsi que plusieurs dirigeants du SPLM-IO est considéré comme une rupture de cet accord de paix d'autant qu'il s'accompagne de violents bombardements aériens contre les centres de cantonnement des troupes de cette organisation qui devaient être intégrés. Ces combattant se sont dispersés à travers le pays et désormais n'ont d'autres choix que de reprendre la guérilla. Cette situation est préoccupante, car une alliance s'est créée entre le SPLM-IO et une autre milice la National Salvation Front (NSF) de Thomas Cirilo qui risque de faire basculer le pays à nouveau dans une guerre civile généralisée.
Ethnicisme et corruption
Pour Salva Kiir, le but est de se débarrasser de l'opposition. Il a réussi à débaucher quelques dirigeants du SPLM-IO pour maintenir la façade d'un gouvernement d'union nationale. Sa préoccupation est d'assurer sa succession et transmettre le pouvoir à Benjamin Bol Mel, homme d'affaires et intime du clan familial de Salva Kiir déjà nommé vice-président. Une telle politique ne fait qu'enferrer le pays dans une situation conflictuelle.
Depuis sa création les élites à la tête du jeune Etat n'ont eu de cesse d'instrumentaliser les divisions ethniques en utilisant leur communauté d'appartenance : Riek Machar pour les Nuer, Thomas Cirilo pour les Bari et Salva Kiir pour les Dinka. Dans le même temps la situation économique est désastreuse. Les exportations de pétrole du Sud Soudan sont bloquées à cause de la guerre au Soudan et surtout les fonds du pays sont détournés à grand échelle.
C'est ce qu'indique un rapport de la commission des droits de l'homme de l'ONU qui se départit de son langage diplomatique pour dénoncer une « prédation éhontée ». Le rapport cite Bol Mel le dauphin de Salva Kiir coupable d'un détournement de deux milliards de dollars destinés aux infrastructures routières. Autre exemple le ministère de la santé n'a touché que 19 % de son budget soit 29 millions de dollars tandis que celui des affaires présidentielles dépasse sa dotation de 584% soit 557 millions.
La seule solution pour la paix est que les populations, toutes communautés confondues, se débarrassent de ces fauteurs de guerre.
Paul Martial
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Le fascisme gagne-t-il la France ? Entretien avec Ugo Palheta
Ugo Palheta est sociologue et codirecteur de publication dans la revue Contretemps. Il a notamment coordonné l'ouvrage collectif Extrême droite : la résistible ascension (2024) aux Editions Amsterdam et anime un podcast sur le fascisme intitulé Minuit dans le siècle sur la plateforme Spectre. Il a publié en mai dernier Comment le fascisme gagne la France (2025, Editions La Découverte), une édition augmentée du livre La possibilité du fascisme, paru en 2018. À cette occasion, nous revenons avec lui sur sa définition du fascisme, sur le processus de fascisation dans lequel la France est engagée, sur la sociologie du vote pour le Rassemblement national et sur comment lutter contre ces phénomènes qui n'ont rien d'inéluctables. Un entretien réalisé par Rob Grams. Photographie par Farton Bink
24 septembre 2025 | tiré de Frustratins
https://frustrationmagazine.fr/fascisme-ugo-palheta
Qu'est-ce que le fascisme ?
Comment définis-tu le fascisme ?
C'est une question difficile qui a fait couler beaucoup d'encre entre historiens, notamment autour d'un débat assez spécifique sur lequel il est toujours intéressant de revenir : y-a t-il eu ou non un fascisme français ? Le régime de Vichy était-il fasciste ? Une thèse étrange a longtemps prévalu chez les historiens français, parfois qualifiée de thèse “immunitaire”, selon laquelle il y aurait eu une “allergie française” au fascisme, que la France aurait été protégée en quelque sorte par ses institutions et valeurs républicaines. Aujourd'hui cela est évidemment très peu convaincant en raison de beaucoup de travaux d'historiens étrangers sur Vichy, sur les ligues d'extrême droite dans les années 1930, sur les origines du fascisme avec Zeev Sternhell qui a travaillé sur le pré-fascisme et la synthèse intellectuelle fasciste dont il montre qu'elle serait née en France à la fin du XIXe siècle.
Les historiens se sont affrontés sur la question de savoir s'il y avait eu un « fascisme français ». – Imagerie de propagande du régime de Vichy (domaine public)
Une première difficulté qu'on a sur cette question c'est que le fascisme peut qualifier beaucoup de choses : des régimes, des mouvements ou des partis, des idées, des méthodes, des affects, des stratégies… Donc selon ce sur quoi on réfléchit (des partis qui ne sont pas au pouvoir, des régimes, des idées…), on va insister sur des choses différentes : la violence paramilitaire, l'alliance avec le capital, l'ancrage de ses cadres dans la petite bourgeoisie, la spécificité et le rôle de son idéologie, etc.
Une autre difficulté c'est qu'on a une image conventionnelle du fascisme qui hante à peu près tous les cerveaux : des milliers de jeunes hommes qui défilent en uniforme, le bras tendu, qui agressent des gens, détruisent des vitrines de magasins juifs ou d'autres minorités… Et si on ne retrouve pas ça le réflexe c'est de s'imaginer qu'on n'a pas affaire à quelque chose qui a à voir avec le fascisme. Il y a une focalisation sur cette dimension spectaculaire du fascisme de l'entre deux guerres et sur la forme organisationnelle spécifique qu'a prise le fascisme dans l'entre-deux-guerres, à savoir le parti militarisé de masse. Or précisément c'est, à mon sens, ce qui ne revient pas et a peu de chances de revenir dans le contexte politique, idéologique et culturel qui est le nôtre.
Aube Dorée, parti fasciste grec est un des rares partis à avoir repris l'esthétique du fascisme historique, mais n'est pas parvenu à mobiliser les masses comme ce dernier.
Crédit : Marche d'Aube Dorée à Athènes en mars 2015, By DTRocks – Own work, CC BY-SA 4.0
Ce qui ne veut pas dire que le néofascisme, le fascisme de notre temps, ne serait pas violent ou même moins violent, mais les formes de la violence néofasciste ne sont pas et ne seront pas identiques, pas plus que les stratégies ou les modes d'organisation des néofascistes. Ça ne veut pas non plus dire qu'il est exclu qu'émergent et se développent des partis qui ressembleraient aux partis nazis ou fascistes italiens : on l'a vu avec Aube Dorée en Grèce au début des années 2010. Dans certains contextes particuliers, cette forme spécifique peut renaître mais en réalité Aube Dorée est toujours restée très loin de ce qu'a pu être, en termes de masses mobilisées, le parti fasciste italien ou le parti nazi, et son succès a été non seulement moindre mais éphémère.
Donc la manière la plus productive d'appréhender le fascisme, à mon sens, parce qu'elle permet de penser les fascismes historiques et les néofascismes du XXIe siècle, c'est de partir de ce qu'est le projet de société et politique du fascisme, qui découle de sa vision du monde (plus que d'une doctrine à proprement parler), car ce coeur idéologique c'est bien ce qui reste, ce qui est permanent malgré des stratégies différentes qui constituent des formes d'adaptation à des conjonctures politiques et des contextes culturels changeants et singuliers.
Cette vision du monde on peut la résumer à travers un certain nombre d'éléments qui sont articulés les uns avec les autres :
- l'obsession du déclin, de la décadence, de la décomposition d'une communauté considérée comme organique et fixe (communauté pensée comme nationale, civilisationnelle et/ou raciale)
- une paranoïa civilisationnelle et/ou raciale qui permet de rapporter ce déclin à la présence sur “notre” sol d'immigrés, de minorités et de groupes considérés comme fondamentalement allogènes, intrinsèquement étrangers et radicalement hostiles, qui détruiraient par leur seule présence “notre” communauté (nation, civilisation et/ou race), l'empêcheraient de rester fidèle à son “identité” profonde, de retourner à ses “racines” (évidemment immémoriales), et de retrouver sa “grandeur” (“make America great again”). Tous les maux de la nation ou de la civilisation sont ainsi expliqués par cette présence sur le sol national et continental.
- la haine de l'égalité et de l'ensemble des mouvements qui portent cette exigence, soit le mouvement syndical (en tant qu'il lutte contre les inégalités de classe), le mouvement féministe, le mouvement antiraciste, le mouvement LGBTQIA+ etc., l'ensemble de la gauche sociale et politique sont haïs par l'extrême droite partout dans le monde (et évidemment en premier lieu ses franges radicales, d'où l'anti-communisme fondamental de cette famille politique)
- l'idée qu'une renaissance nationale ou civilisationnelle est possible sous la stricte condition d'épurer le corps de la nation ou de la civilisation, d'un point de vue ethno-racial et politique, de ses ennemis fondamentaux – les minorités, les immigrés post-coloniaux et plus largement du Sud Global – mais aussi des “traîtres”, c'est-à-dire les mouvements de gauche et d'émancipation qui non seulement pactiseraient avec ces “ennemis”, qui fractureraient l'unité de la nation en pratiquant la lutte des classes, féministe ou antiraciste, et qui affaibliraient celle-ci en cherchant à dissoudre des hiérarchies considérées comme “naturelles”.
- un mélange propre au fascisme d'ultra-conservatisme (l'attachement justement à ces hiérarchies de genre, raciales, de classe etc) et de subversion, de révolte, à travers un discours, une symbolique et un imaginaire de la rupture, ce qui donne au fascisme et au néofascisme ce caractère de révolte réactionnaire tout à fait singulier et explosif, qui donne une partie de son impulsion politique et éthique au fascisme, sa capacité à s'implanter dans les masses en se connectant à des idées et affects contradictoires.
Ce qui demeure entre le fascisme de l'entre-deux-guerres et le néofascisme contemporain c'est cette matrice-là qui a des dimensions politiques, idéologiques et stratégiques, notamment toute cette idée de “troisième voie” (ni gauche ni droite, ni socialiste ni capitaliste). Peut-être qu'il est utile de dire pourquoi les stratégies autour de l'exercice de la violence par des appareils paramilitaires ne perdurent pas, du moins à une échelle de masse. Il y a à mon avis deux raisons essentielles :
- Il n'y a pas le même “matériau humain” que dans le contexte post-1918, c'est-à-dire des millions de jeunes hommes qui avaient fait la guerre, enrôlés dans les armées de la Première guerre mondiale, avaient fait cette expérience de brutalisation de masse dans les tranchées, et qui, pour une partie d'entre eux (car il y eut aussi beaucoup d'anti-militaristes parmi les anciens combattants), ont nourri les rangs fascistes.
- Stratégiquement le fascisme classique avait besoin de ces milices pour déraciner physiquement le mouvement ouvrier qui était beaucoup plus implanté, ancré et puissant dans les communautés ouvrières, y compris dans les campagnes italiennes de certaines régions où il était très fort et avait conquis toute une série de droits juste après la Première Guerre Mondiale. Il y avait donc une “nécessité” de la violence de masse et des appareils paramilitaires dans le contexte particulier de l'après-Première guerre mondiale.
Notre contexte est différent mais stratégiquement il y a cette idée de la Troisième voie : “nous sommes à la fois une alternative aux partis bourgeois et à la gauche”, les deux vendant la nation, comme le dit Marine Le Pen, “au mondialisme d'en haut, du totalitarisme financier”, et au “mondialisme d'en bas” “islamiste” “nourri par l'immigration de masse”. Marine Le Pen, et tous les dirigeants de l'extrême droite au niveau mondial, s'inscrivent clairement dans cette stratégie politique de la Troisième Voie qui est de s'ériger en alternative vis-à-vis des partis bourgeois et des partis ouvriers ou de gauche.
Si je comprends bien, pour toi, extrême droite et fascisme sont synonymes ?
Pas tout à fait. On pourrait faire un exercice de typologie assez savant en distinguant des extrêmes droites traditionaliste/royaliste, bonapartiste, fasciste, etc. Aujourd'hui, il me semble que l'exercice typologique devrait davantage conduire à distinguer les extrêmes droites à partir de leur stratégies idéologiques : une branche libertarienne-autoritaire (Trump ou Milei), une branche libérale-réactionnaire (Meloni ou Orban) et une branche social-nativiste (Marine Le Pen). Mais je précise qu'on a souvent trop tendance, à partir de ces typologies, à imaginer que les frontières entre ces courants seraient infranchissables, alors que, le plus souvent, ils ont été capables de collaborer, d'agir voire de gouverner ensemble.
Javier Milei, président d'extrême droite de l'Argentine, pourrait appartenir à la branche libertarienne-autoritaire. Crédit : Por Vox España – https://www.flickr.com/photos/voxespana/52419877166/, CC0,
Au XXe siècle les deux grandes branches de l'extrême droite qui ont eu un impact historique c'est l'extrême droite fasciste et néofasciste, et l'extrême droite militaire. L'extrême droite militaire cela renvoie par exemple à Franco, à Pinochet, aux colonels grecs qui prennent le pouvoir par un coup d'Etat en 1967. Leur force, la source de leur pouvoir, c'est évidemment leur ancrage dans l'appareil militaire et ils se basent sur une stratégie qui est celle du coup de force en s'appuyant sur les forces régulières de l'armée, sans chercher véritablement à construire une assise dans la population.
Aujourd'hui, dans la France de 2025, je ne crois pas que le danger soit celui d'un coup d'Etat de la part d'une extrême droite militaire, même si on a vu les textes il y a quelques années montrant qu'il y a un ancrage d'extrême droite dans des secteurs importants de l'armée y compris au plus haut niveau de la hiérarchie militaire. Ce qui me semble le plus dangereux c'est plutôt la branche politique, donc l'extrême droite néofasciste, celle qui a travaillé depuis des décennies à remodeler l'héritage politique, stratégique et programmatique du fascisme, généralement sans s'en réclamer explicitement, tout en maintenant le socle idéologique anti-immigrés et raciste (notamment islamophobe), et en faisant des clins d'oeils en direction de ceux et celles qui sont attachés à cette tradition politique.
Le dictateur espagnol Franco appartiendrait davantage à « l'extrême droite militaire » – Défilé devant Franco à Madrid le 19 mai 1939. Source : Par Anonyme — [1], Domaine public
Par exemple, quand Marine Le Pen invite dans un tweet à relire Jean Raspail au moment de sa mort, un écrivain raciste qui avait écrit un roman d'anticipation décrivant une guerre civile raciale, elle sait très bien ce qu'elle fait : elle s'inscrit dans une histoire, dans une famille politique. Elle est militante depuis plus de quarante ans de ce courant politique, elle connaît très bien ses référents idéologiques, programmatiques et littéraires, elle s'inscrit dans cette histoire fasciste contrairement à ce qu'ont pu dire récemment des idéologues médiatiques comme Michel Onfray, Marcel Gauchet, David Pujadas ou Alain Finkielkraut, selon lesquels Marine Le Pen et le RN auraient rompu avec l'héritage de l'extrême droite.
Tu reprends l'idée de l'historien Robert Paxton que le retour du fascisme doit pas être envisagé comme un retour à l'identique du fascisme historique, mais plutôt comme l'émergence d'un “équivalent fonctionnel”. Mais alors c'est quoi la fonction du fascisme ?
Cette question est intéressante car souvent, du côté de la gauche radicale, il y a une thèse rapide et facile, sinon fausse, qui est que la fonction du fascisme c'est d'être le “dernier rempart” de la bourgeoisie face à une révolution imminente, à une offensive des classes populaires, à une insurrection de la classe ouvrière. Or ce n'est pas comme ça que se présentent les choses. Le fascisme se développe en 1921-1922 avec des fonds qui viennent effectivement des grands propriétaires terriens pour briser le mouvement ouvrier dans les campagnes. Mais clairement, quand Mussolini arrive au pouvoir, il n'y a pas de “menace” révolutionnaire imminente : bien sûr il y a la grande peur qu'ont suscité chez les possédants la Révolution russe de 1917 puis le “bienno rosso” en Italie (les deux années rouges, 1919-1920). Mais c'est plutôt parce que cette révolution a été défaite, parce que le parti socialiste italien s'est montré incapable de tirer parti de la combativité ouvrière pour prendre le pouvoir et engager une transformation radicale de la société italienne, que les fascistes ont pu arriver au pouvoir dans ce climat de démoralisation et de désorientation au sein de la classe travailleuse.
“Quand Mussolini arrive au pouvoir il n'y a pas de “menace” révolutionnaire imminente” ; Crédit : la marche sur Rome ; domaine public
De la même manière, en Allemagne, les nazis arrivent au pouvoir plutôt à froid. La période 1929-1933 n'est pas une période de montée des luttes ouvrières et populaires : il y a des mobilisations, parfois importantes et même radicales, mais elles restent défensives. Cette séquence diffère de ce point de vue de la séquence 1918-1923, marquée par une instabilité politique beaucoup plus forte et un mouvement ouvrier nettement plus à l'offensive, avec des tentatives insurrectionnelles. 1923, c'est aussi l'année où les nazis tentent pathétiquement de prendre le pouvoir avec le putsch de la Brasserie mais sont laminés militairement. Hitler se retrouve en prison, moins d'un an d'ailleurs (ce qui n'est pas beaucoup pour une tentative d'insurrection et ce qui montre la complicité de l'appareil judiciaire avec les nazis tout au long de la période), et il opte alors définitivement pour une stratégie légale d'accès au pouvoir.
Le dernier rempart de la bourgeoisie, à vrai dire, ce sont plutôt les appareils de répression de l'Etat, en particulier l'armée qui est généralement un bastion réactionnaire. Mais si le fascisme n'est pas le dernier rempart, à quoi sert-il ? Il a bien une fonction historique du point de vue de la bourgeoisie. Si une fraction importante des élites politiques, économiques et médiatiques donnent le pouvoir sur un plateau aux fascistes, c'est afin de restabiliser l'ordre politique dans un contexte où aucune majorité parlementaire ne parvient à se dégager et où la situation politique est bloquée, au bord de la crise de régime.
Le putsch de la Brasserie, tentative de coup d'Etat par les nazis en 1923, fût un échec. Crédit : Par Bundesarchiv, Bild 119-1486 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de
Dans ce genre de situations, la bourgeoisie n'est pas véritablement menacée dans ses intérêts fondamentaux (la crise n'est pas révolutionnaire ou pré-révolutionnaire), mais du fait de l'instabilité gouvernementale chronique, elle ne parvient pas – ou pas complètement – à imposer ses politiques.Les partis bourgeois traditionnels, qui assurent sa domination dans le champ politique, sont trop discrédités, leur légitimité dans la population est trop effritée. La bourgeoisie a donc besoin de trouver un relais à vocation hégémonique dans le champ politique, colmater les brèches et reprendre l'initiative face à des mouvements populaires incapables de prendre le pouvoir mais suffisamment forts pour bloquer une partie de ses politiques.
C'est intéressant de voir ça parce que le fascisme est souvent vu comme un plus gros bâton pour taper sur la tête des classes populaires. Moi je pense que c'est un peu différent en réalité : le plus gros bâton dont dispose la bourgeoisie c'est l'armée. Et d'ailleurs elle cherche toujours à l'utiliser quand il y a une menace révolutionnaire, ou même simplement lorsqu'une politique de gauche réellement ambitieuse menace ses intérêts, même sous une forme parfaitement réformiste (Espagne 1936, Chili d'Allende 1973…). Pour prendre le cas chilien, on voit alors l'ensemble des classes dominantes s'entendre avec des généraux, comploter avec les dirigeants étatsuniens et la CIA, et alors des avions viennent mitrailler le palais d'Allende qui est acculé au suicide, les militants de gauche sont entassés et massacrés dans des stades, etc.
Allende fut renversé par les classes dominantes et les généraux, en alliance avec les Etats-Unis.
Bombardement du Palais de la Moneda. Crédit : Por Biblioteca del Congreso Nacional, CC BY 3.0 cl
Ce que la bourgeoisie attend du fascisme, en l'intégrant à une grande coalition des droites, c'est d'entraîner sa base sociale et de la mettre au service d'une politique bourgeoise, supposant de détruire les mouvements ouvriers et populaires et de restabiliser le système politique, tout cela sans avoir à passer par un coup d'Etat militaire. Je rappelle en passant que, dans tous les cas historiques que l'on connaît, les fascistes sont arrivés au pouvoir dans le cadre d'une coalition des droites, et, dans les cas italiens et allemands, dans une position minoritaire en termes de nombre de portefeuilles ministériels par rapport aux ministres qui venaient de la droite traditionnelle (conservatrice ou libérale).
Les fascistes se sont toutefois toujours assurés d'avoir la position de chef de gouvernement – Hitler l'avait dit, il ne voulait pas être autre chose que chancelier – et le ministère de l'Intérieur pour disposer des forces de police. À partir de là, les fascistes font ce à quoi ils aspirent, à savoir rebâtir l'appareil d'Etat à leur profit : pour les opportunistes s'assurer des postes de pouvoir et des sources de revenus, et pour les plus idéologues et fanatiques mettre en oeuvre leur projet de société.
Le cabinet Hitler en janvier 1933. « Les fascistes se sont toutefois toujours assurés d'avoir la position de chef de gouvernement – Hitler l'avait dit, il ne voulait pas être autre chose que chancelier ». Source : Par Bundesarchiv, Bild 183-H28422 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de
La fonction historique du fascisme, du point de vue des classes dominantes, est donc davantage hégémonique que militaire (faire face à une montée révolutionnaire des classes populaires, un soulèvement en cours ou imminent, etc.). Cela étant dit, il s'agit bien de mater l'ensemble des contestations. Dans le contexte présent : non pas seulement les contestations syndicales et ouvrières, mais bien évidemment les mouvements antifascistes, antiracistes, anti-guerre, écolo-radicaux, féministes et LGBTQIA+. Faire taire toutes ces contestations pour restabiliser l'ordre politique, mais plus profondément pour rebâtir l'ordre politique autour de l'idée de “hiérarchie naturelle” et d'un projet de “renaissance nationale”.
Tu t'opposes donc à une approche marxiste un peu obtuse et très orthodoxe qui ne considère le fascisme que comme un outil de la classe capitaliste. Qu'est-ce qui pose problème avec cette approche ? Est-ce que le fascisme a une autonomie vis-à-vis de cette classe capitaliste ?
Je pense que sur la question du fascisme, comme sur celle du racisme d'ailleurs, il ne faut pas opposer mais articuler une approche par en haut et une approche par en bas.
Johann Chapoutot donne l'exemple d'Alfred Hungenberg, un magnat de l'industrie qui a acheté un empire de presse avant de devenir ministre de l'extrême droite allemande non-nazie. Crédit : Alfred Hugenberg (à gauche) et Theodor Duesterberg, en 1932 ; Bundesarchiv, Bild 102-13191 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de
L'approche par en haut c'est effectivement montrer à quel point le fascisme trouve des complicités structurelles au sein de la classe capitaliste. Dans le cas de Trump, le cas est encore plus fragrant puisque c'est un milliardaire qui entre dans le champ politique et devient lui-même un dirigeant néofasciste. Ce n'est pas l'unique cas qu'on connaît dans l'histoire où des riches et des magnats cherchent à construire une carrière politique. Johann Chapoutot donne un exemple de ce type à travers Alfred Hungenberg, un magnat de l'industrie qui achète un empire de presse et qui devient ministre de l'extrême droite allemande non-nazie.
C'est très important d'avoir en tête cette histoire par en haut du fascisme, des liens qu'il noue de manière souvent très volontariste avec les classes possédantes (les capitalistes, les grands propriétaires terriens, les généraux de l'armée…). Dans le cas du mouvement nazi, des personnes comme Goering et Ribbentrop organisaient des dîners et des meetings avec des membres éminents de la bourgeoisie, du patronat, pour les rassurer et faciliter leur accès au pouvoir. Aujourd'hui on peut se référer aux travaux de Marlène Benquet sur les grands financeurs de l'extrême droite libertarienne.
Crédit : Donald Trump en campagne en mars 2016. Par Gage Skidmore from Peoria, AZ, United States of America — Donald Trump, CC BY-SA 2.0
C'est une dimension très importante à avoir en tête, notamment pour battre en brèche tout le discours des fascistes eux-mêmes qui se présentent comme une prétendue alternative au “système”, comme des gens qui voudraient la “rupture”. “Système” est d'ailleurs un terme typiquement fasciste : les nazis l'employaient de manière systématique. Quand ils parlaient de la République de Weimar avant leur arrivée au pouvoir ils parlaient par exemple de “l'époque du système” (“Systemzeit”). Ce terme a toujours été confortable car chacun peut y mettre ce qu'il veut : le système c'est quoi ?
L'approche par en bas du fascisme suppose de considérer que la force de l'extrême droite fasciste, par exemple par rapport à l'extrême droite militaire (des généraux qui font un coup d'Etat et imposent une dictature d'extrême droite), c'est de parvenir à construire une base sociale et de trouver l'oreille de millions de personnes. Donc elle bâtit tout un discours et une rhétorique, mobilise des émotions et des affects, développe un certain style et des formes d'humour, soigne ses apparitions publiques, la scénographie de ses meetings, etc. Dans l'entre-deux-guerres, Hitler arrivait généralement en avion pour ses meetings, donnant un sentiment de puissance et lui permettant de prendre la parole plusieurs fois dans une même journée en différents points de l'Allemagne. Aujourd'hui Milei arrive avec sa tronçonneuse et se met en scène avec Elon Musk.
Tout cela participe d'une stratégie visant à séduire les “masses”, voire à les organiser et les mobiliser si nécessaire. Et, de fait, les mouvements d'extrême droite, dans certains contextes historiques, parviennent à bâtir une forme d'adhésion de masse à leur vision du monde, à leurs projets : une adhésion plus ou moins intellectuellement motivée et rationalisée, plus ou moins émotionnelle. Sur la base de cette adhésion, ils vont chercher ensuite à mobiliser activement leurs sympathisants dans la rue et à les encadrer idéologiquement, particulièrement dans l'entre-deux-guerres qui a constitué un contexte exceptionnel de politisation de masse, beaucoup plus intense qu'aujourd'hui.
Aujourd'hui, nous vivons après quarante ans de néolibéralisme. Or le néolibéralisme ne devrait pas être réduit à une politique de marchandisation, privatisation, etc. Il est aussi une politique de dépolitisation : “il n'y a pas d'alternative” comme disait Thatcher, autrement dit il faut laisser “le marché” (c'est-à-dire les capital et les impératifs d'accumulation) gouverner et discipliner les politiques publiques. Dans ce contexte historique, aussi bien la gauche et le mouvement ouvrier que l'extrême droite ont plus de mal à mobiliser leurs partisans dans la rue que dans l'entre-deux-guerres, même s'il faut souligner qu'en France la capacité de la gauche sociale et politique (partis, syndicats, collectifs, etc.) à mobiliser dans la rue demeure beaucoup plus importante que celle de l'extrême droite. Néanmoins, la France pourrait ne pas rester longtemps étrangère à ces mobilisations d'extrême droite de rue – sous la forme de tentatives de coups d'Etat ou de pogroms anti-immigrés ou anti-musulmans – qui renaissent à une échelle inconnue depuis l'après-guerre aux Etats-Unis, au Brésil, en Angleterre, en Allemagne ou en Espagne, sans même parler du cas indien où le néofascisme suprémaciste hindou bénéficie depuis longtemps d'une base de masse et de milices armées.
C'est important d'interroger les raisons pour lesquelles des segments entiers de la classe travailleuse mais aussi de la petite bourgeoisie et de la paysannerie, ont pû adhérer à cette vision du monde fasciste, sans forcément adhérer au parti lui-même mais en se retrouvant même minimalement dans ce projet-là. Toute une partie de la paysannerie allemande a par exemple voté pour les nazis. Il faut donc se méfier de l'idée qu'il suffirait que la bourgeoisie appuie sur un bouton, finance les nazis pour que ces derniers obtiennent plus de 30% aux élections. C'est plus compliqué : s'ils ont obtenu jusqu'à 37% aux élections c'est qu'ils sont parvenus à politiser une série d'attentes, d'intérêts, d'aspirations, de désirs, d'affects, qui n'ont pas été créés de toutes pièces par les financeurs bourgeois, qui étaient présents dans au moins une partie des classes populaires comme dans toutes les couches sociales, et qui pouvaient renvoyer à une histoire longue (celle de l'antisémitisme par exemple).
Je dis volontairement “classes populaires” car la classe ouvrière – en Italie comme en Allemagne – est le groupe social qui a été le moins pénétré par le mouvement fasciste. Cela ne veut pas dire que les fascistes n'y ont aucune influence, mais dans les deux cas l'adhésion au fascisme a été beaucoup plus forte dans les couches moyennes salariées et la petite bourgeoisie que dans la classe ouvrière. Aujourd'hui c'est variable d'une société à une autre.
Dans le cas du Front National en France et de Marine Le Pen, ce serait se mettre la tête dans le sable que de dire qu'ils n'ont pas de base sociale dans une partie des classes populaires, même s'ils sont aussi très forts dans une partie de ce qu'on appelle les classes moyennes (notamment les petits indépendants). Et ce n'est pas juste un sous-produit du soutien des médias Bolloré, d'une stratégie d'endoctrinement qui passerait par CNews etc. : cela s'est construit bien avant que Bolloré ne bâtisse un empire médiatique et cela s'inscrit dans des dynamiques économiques, sociales, politiques et idéologiques de long terme, dans lesquelles la gauche – en particulier le PS – a une énorme responsabilité. Toutes choses que j'essaie de montrer dans le livre.
Tu parles de rhétorique anti-système. C'était effectivement mobilisé par le RN auparavant mais est-ce que tu ne trouves pas qu'aujourd'hui il essaye plutôt d'apparaître comme une droite “légitime” et “sérieuse” ?
Oui mais tout dépend du moment dans lequel on se trouve, de l'étape dans le processus de montée du fascisme vers le pouvoir. La révolte réactionnaire, ce mélange bizarre d'ultra-conservatisme et d'appel subversif à détruire “le système”, varie selon les conjonctures et les besoins stratégiques et tactiques des fascistes.
Le FN a cherché à se développer dans les territoires anciennement marqués par la gauche et le Parti Communiste. Crédit photo : L'aciérie La Providence de Réhon, la dernière à fermer dans le bassin de Longwy, en 1984 ; Bruno Barbaresi, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
Dans les années 1980, ils ont beaucoup plus une rhétorique conservatrice car leur objectif à ce moment-là est de conquérir une partie de la base sociale de la droite traditionnelle. Et c'est ce qu'ils font : l'essentiel de la première base sociale du Front National ce sont des gens qui votaient à droite auparavant. Ils vont avoir une stratégie différente à partir des années 1990 car ils voient bien que le mouvement ouvrier et le Parti Communiste sont en déclin très prononcés et qu'il y a la possibilité de se développer dans les territoires de vieille implantation de la gauche (PCF mais aussi PS) : le bassin minier dans le Pas-de-Calais, la Lorraine antérieurement sidérurgique… C'est dans le cadre de cette stratégie qu'il vont commencer à développer une rhétorique dite “sociale” et antisystème plus prononcée, notamment contre l'Europe alors qu'auparavant, jusqu'au début des années 1990, ils étaient pro-Europe car, dans leur vision et leur imaginaire, elle permettait de se défendre face à l'Union Soviétique.
Toute cette stratégie a été accentuée dans les années 2010 par Marine Le Pen, notamment dans le contexte de remontée des luttes sociales qui a marqué le cycle 1995-2010. Je pense que Marine Le Pen a bien senti que quelque chose se passait dans la société française en termes de conflictualité sociale et de refus du néolibéralisme, et qu'il y avait nécessité pour le FN de parler davantage de la “question sociale”. Il y a aussi eu l'arrivée au pouvoir de François Hollande qui a mené une politique de fait très à droite sur le plan économique et social. Les dirigeants du FN se sont certainement dit qu'il y avait là une opportunité de se développer dans des régions où la gauche était historiquement forte mais où elle était en train de se discréditer, et où il y avait donc intérêt à mobiliser un discours “social”.
« François Hollande a mené une politique de fait très à droite sur le plan économique et social » Crédit : Par Nikeush — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
Aujourd'hui elle estime qu'elle a conquis durablement des pans entiers de l'électorat populaire. Son but est donc différent : il est à nouveau d'aller à la pêche à l'électorat de la droite traditionnelle, donc il faut donner des gages de sérieux économique, c'est-à-dire d'orthodoxie néolibérale, à la bourgeoisie mais aussi à toutes les couches sociales qui sont idéologiquement sous la coupe de la bourgeoisie. Donc la rhétorique “anti-systéme” est mise en sourdine, sans jamais disparaître complètement car elle sait que, dans le contexte français, il y a une conflictualité importante qui peut remonter à différents moments : Gilets jaunes, mouvements pour les retraites… Et on voit que certains députés ou dirigeants – Philippot il y a 10 ans ou Tanguy aujourd'hui – ont pour fonction de réactiver régulièrement le discours “social” pour montrer que le FN/RN n'oublie pas les ouvriers, les “petits”, etc.
Il faut bien voir que les courants fascistes et néofascistes sont fondamentalement opportunistes en matière économique et sociale, particulièrement lorsqu'ils ne sont pas au pouvoir. Marine Le Pen et le noyau dirigeant du FN/RN sait qu'ils peuvent appuyer sur la touche “anti-système” du piano si nécessaire, mais en ce moment ils préfèrent appuyer sur d'autres touches, celles qui séduisent le Medef, les clientèles traditionnelles de la droite qui se situent davantage dans les classes moyennes et favorisées, d'où l'exposition importante de Bardella, qui joue cette carte depuis 2 ou 3 ans.
La fascisation
Pour Frustration, j'ai développé l'idée d'un déjà-là fasciste. C'est un détournement du concept de Friot et de son déjà-là communiste, où il dit qu'on n'est pas dans une société communiste mais qu'on a dores et déjà des éléments de communisme. Donc c'est un peu la même idée inversée : on n'est pas encore dans le fascisme, même pas sur qu'on y aille stricto-sensu, mais on a dès aujourd'hui des éléments de fascisme. Tu penses quoi de cette idée ?
J'en pense du bien et ça rejoint ce que j'ai essayé de théoriser à l'aide du concept de “fascisation”. Ce concept a été employé dans l'entre-deux-guerres et les années 1970 de diverses manières, parfois de façons qui ne me plaisent pas. J'ai commencé à l'employer en 2020 dans un article pour dire à peu près cela. Dans le livre que nous avions publié avec Ludivine Bantigny en 2021 on écrit à peu de choses près : “le fascisme est à la fois là et pas là”. Il est là dans le sens où un processus de fascisation est engagé, au sens où le fonctionnement et la matérialité de l'Etat ont déjà commencé à changer en se concentrant sur des groupes considérés comme des cibles faciles, des bouc-émissaires si on veut : les exilés, les réfugiés, les immigrés du Sud-Global, les minorités, notamment la minorité musulmane, et les Rroms, qui font l'objet non pas seulement de discriminations mais de procédures illégales, d'un racisme d'Etat pour être tout à fait clair. Par exemple, bien des mesures prises par les mairies contre les Rroms – notamment sur la scolarisation des enfants – sont illégales. On a vu, depuis vingt ans, toute une série de lois, de circulaires et de législations islamophobes sous couvert de laïcité, et qui constituent les éléments d'un régime d'exception à l'encontre de la population musulmane en France.
C'est cela que je désigne par “fascisation” : il n'y a pas un régime fasciste achevé, dans la société française, c'est évident, mais il y a des éléments du processus de fascisation qui ont été enclenché, non pas par les fascistes au pouvoir, mais par des agents de fascisation, les “fascisateurs” dit Frédéric Lordon – c'est la même idée, que sont aussi bien Emmanuel Macron, François Hollande, Manuel Valls que le fascisateur premier qu'a été Nicolas Sarkozy. Dans Comment le fascisme gagne la France, de manière plus précise que dans la première édition, j'essaye de retracer, dans le chapitre sur l'autoritarisme, la manière dont les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis une vingtaine d'années et l'arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur en 2002, ont engagé la France dans ce processus de fascisation qui nous a emmené là où nous sommes : dans un Etat policier et non loin d'une arrivée au pouvoir de l'extrême droite.
Tu dis qu'il “serait erroné et dangereux de prétendre” que l'accès au pouvoir du RN ne ferait “que prolonger les politiques d'ores et déjà mené”. Pourquoi ? Je me pose la question notamment en comparaison avec d'autres pays en particulier la Hongrie, l'Italie et la Suède. Est-ce que les politiques racistes et répressives y sont radicalement plus fortes qu'en France ? Sur certains sujets précis, par exemple la répression du mouvement pour la Palestine, je sais qu'elle a été tendanciellement moins forte en Italie et en Suède qu'en France : moins de conférences interdites, moins d'interdictions de manifester et de violences policières… Un des éléments de polémiques sur mes articles sur la fascisation provenait d'un malentendu : des lectrices et lecteurs ont pensé que je disais que le RN s'était recentré alors même que je disais que le centre s'est extrême-droitisé, ce qui n'est pas la même chose. Pour le dire autrement : qu'est-ce qui différencie aujourd'hui tant que ça notre gouvernement actuel et les gouvernements d'extrême droite ? Qu'est-ce qui fait que ce serait forcément d'intensité beaucoup plus forte en cas d'arrivée du RN au pouvoir ?
D'abord j'ai essayé de montrer dans La Nouvelle Internationale fasciste que, dans le processus de fascisation, il y a deux tendances concomitantes et qui se renforcent : une normalisation du fascisme et une fascisation du normal ; une mainstreamisation de l'extrême droite et une extrémisation de la droite. Ensuite, quand je dis que l'extrême droite au pouvoir ne ferait pas que “prolonger les politiques d'ores et déjà menées”, cela signifie qu'elle ne se contenterait pas des législations en vigueur, notamment en matière d'immigration, de droit des étrangers, de liberté de la presse, de libertés publiques et de droits démocratiques.
Pour moi la comparaison n'est pas simple à manier entre pays. La meilleure comparaison c'est plutôt avant-après : est-ce que, quand l'extrême droite arrive dans un pays, quelque chose change – ou peut changer, si les luttes populaires ne l'empêchent pas – de manière substantielle. Est-ce qu'il y a des formes de continuité entre Obama et Trump ou Biden et Trump, par exemple en matière de politiques migratoires ? Oui, c'est évident, mais ce n'est qu'une partie de l'histoire, et s'en tenir là c'est à mon avis aussi naïf que ceux qui s'imaginent que les centristes n'ont rien à voir avec la fascisation. C'est rater le fait que l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite ouvre toujours la possibilité d'un saut qualitatif, qui est un saut dans le vide du point de vue des groupes opprimés, du mouvement ouvrier et des droits démocratiques.
Dans le cas du trumpisme par exemple, il ne s'agit donc pas de dédouaner Barack Obama de ce qu'il a fait entre 2008 et 2016 et de dire qu'avant Trump c'était très bien et après c'est devenu l'horreur. Il y a toujours des éléments de continuité mais aussi de rupture. Cela est aussi vrai du fascisme de l'entre-deux-guerres : Hitler prolonge ce que Brüning, Von Schleicher et Von Papen ont fait quand ils étaient au pouvoir entre 1930 et 1933. Mais il ne s'en tient pas là, il veut et va aller beaucoup plus loin. Ensuite, le degré auquel les fascistes vont aller plus loin en matière de politiques migratoires, sur la presse, les libertés publiques et la démocratie, cela dépend essentiellement des rapports de force sociaux et politiques, du type de coalitions que construisent les fascistes et des appuis dont ils bénéficient dans l'Etat, du type de résistances qui leur sont opposées, des besoins qu'ils ont pour se maintenir au pouvoir de mater telle ou telle résistance ou pas, etc.
« La politisation d'une agence fédérale comme ICE (la police anti-immigration), permet à Trump d'intervenir partout dans le pays et semble ainsi en train de devenir une sorte de garde prétorienne du président Trump » – Des agents de l'ICE rencontrent le secrétaire à la Défense Pete Hegseth à la base aérienne MacDill, en Floride, le 6 mai 2025. Crédit : Par U.S. Secretary of Defense — https://www.flickr.com/photos/68842444@N03/54501379232/, Domaine public
Si on essaie de prendre tout ça en compte, il est à mon avis assez évident que la criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine a commencé avant Trump mais que celui-ci ne se contente pas de la prolonger mais l'amplifie et l'accélère, notamment à travers la politisation d'une agence fédérale comme ICE (la police anti-immigration), qui lui permet d'intervenir partout dans le pays et semble ainsi en train de devenir une sorte de garde prétorienne du président Trump (plus en réalité que les milices extra-parlementaire du type Proud Boys, etc.).
On pourrait dire la même chose pour Milei sous plein d'aspects : les politiques austéritaires et néolibérales, mais aussi de répression, menées par le centre-gauche et la droite en Argentine sont amplifiées de manière très radicale, y compris les attaques et la répression contre le mouvement ouvrier. Cela ne veut pas dire qu'il parvient à imposer toutes ses politiques ipso facto parce qu'il est au pouvoir : on le voit bien avec l'expérience de Bolsonaro au Brésil. Ce n'est pas parce que les néofascistes arrivent au pouvoir qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent. D'autant plus que, contrairement à l'entre-deux-guerres, ils n'ont généralement pas avec eux un mouvement de masse aussi structuré et implanté que les dirigeants fascistes de l'entre-deux-guerres, qui pouvaient mettre ça dans la balance, face aux résistances du mouvement ouvrier mais aussi aux résistances de certaines fractions des classes dominantes ou des élites étatiques.
Orban a marqué un changement qualitatif en matière de politiques migratoires, libertés académiques, liberté d'expression et de droits démocratiques – Viktor Orban en mars 2022. Crédit : Par Elekes Andor — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
Mais si je reviens à ta question : prenons l'exemple d'Orban, au pouvoir depuis une quinzaine d'années en Hongrie. Il est évident que sur le plan des politiques migratoires, de la liberté de la presse, des libertés académiques, de la liberté d'expression, donc de droits démocratiques élémentaires, il y a eu un changement qualitatif avec ce qu'il y avait avant, c'est-à-dire les sociaux-démocrates qui avaient trahi les espoirs de vague redistribution des richesses qui avaient été portés sur eux et qui avaient permis, ce faisant, le retour au pouvoir d'Orban. Comme dans bien d'autres cas, l'extrême droite est arrivée au pouvoir sur la base de la déception qu'a engendré le centre-gauche au pouvoir.
Les cas italiens et suédois sont différents. En Suède, le parti d'extrême droite n'est à ce stade qu'une force d'appoint au Parlement, il n'est même pas au gouvernement. Le cas italien est intéressant mais j'indiquerais quand même que nous ne sommes pas à la fin du processus : il faudra juger Meloni une fois que cette expérience de pouvoir sera plus avancée, il pourrait y avoir des sauts qualitatifs dans les mois et années à venir. Par ailleurs l'Italie est un cas où les coalitions droite-extrême droite existent depuis près de 30 ans. Ce n'est pas la première fois que l'extrême droite néofasciste arrive au pouvoir mais c'est la première fois qu'elle est en position dominante. Par rapport à la France surtout, l'Italie se caractérise par un niveau relativement faible de conflictualité sociale. Il y a des résistances en Italie, c'est indéniable, notamment le mouvement pour la Palestine qui est en vérité plus fort qu'en France, des centres sociaux qui peuvent nourrir une combativité dans pas mal de villes italiennes, des syndicats de base qui peuvent être remuants, mais il y a beaucoup moins de capacités à se projeter à l'échelle nationale, à travers des mouvements de masse qui déstabilisent le pouvoir politique, ainsi qu'à se transcrire sur le champ politique. La gauche de rupture est groupusculaire en Italie sur la scène électorale : il n'y a pas de “menaces” de ce point de vue là, pour Meloni et la coalition au pouvoir.
« L'Italie est un cas où les coalitions droite-extrême droite existent depuis près de 30 ans ». Giorgia Meloni en 2018 avec Matteo Salvini et Silvio Berlusconi. Crédit : Quirinale.it, Attribution, via Wikimedia Commons
La différence avec la France c'est que si le RN arrive au pouvoir c'est avec un arsenal juridique, réglementaire et étatique qui est déjà très avancé du fait de la fascisation impulsée depuis Sarkozy. Il a tout un répertoire d'actions immédiatement disponibles qu'il pourra utiliser contre des mouvements sociaux plus massifs et radicaux dans les dix dernières années qu'en Italie, et contre une gauche qui constitue malgré tout un concurrent pour le RN, contrairement au cas Italien où ce qu'il y a en face ce sont le Mouvement 5 étoiles et le Parti Démocrate, donc rien qui ressemble de près ou de loin à une gauche de rupture, et ces partis ne sont pas actuellement en capacité de battre la coalition des droites.
Les fascistes ne s'amusent pas à utiliser la force de manière extrêmement brutale juste par plaisir s'ils pensent que cela ne va pas leur rapporter quelque chose, s'ils escomptent qu'ils pourraient perdre du crédit. En Italie, la situation pourrait changer radicalement si le niveau de conflictualité s'élevait de manière nette et si la gauche de rupture devenait réellement une “menace” pour les partis actuellement au pouvoir. On en est loin il est vrai. Pour prendre un exemple, la CGIL, la principale confédération syndicale italienne, a invité Meloni a faire un discours à son congrès en mars 2023, quelque chose de tout à fait inimaginable pour la CGT en France. Meloni, dans ce contexte-là, n'a aucun intérêt à s'engager dans un déchaînement répressif, mais par contre elle a clairement renforcé son pouvoir (avec la réforme constitutionnelle de l'an passé, qui donne plus de pouvoir à l'exécutif) et avec le décret-loi sécurité imposé au printemps dernier, elle a accru la criminalisation de toutes les formes de contestation militante, en prévision d'une remontée de la combativité populaire.
Tu parles de rupture et de continuité, ce que je constate aussi Tu dis que l'on assiste à des sauts répressifs et racistes quand l'extrême droite arrive au pouvoir. En cela je suis d'accord. Mais ce qui me pose question c'est que je vois moi déjà un saut répressif et une rupture avec Macron. Il y avait déjà les éléments présents avec le PS et le gouvernement Hollande et la répression de la loi Travail. Les anti-racistes rappellent qu'il y avait déjà la répression et les violences policières dans les quartiers populaires, ce qui est vrai. Mais même sur ce thème, avec Nahel le niveau de violence a été extrêmement fort : un adolescent tué d'une balle dans la tête à bout portant, des morts dans la protestation qui a suivi… J'ai l'impression que le barrage s'est fait sur la promesse d'éviter ce saut répressif, mais que tous les éléments qu'on incluait dans ce saut répressif se sont finalement produits lors des deux quinquennats Macron. Je suis donc d'accord qu'avec un gouvernement labellisé d'extrême droite cela irait encore plus loin, que ce serait amplifié, mais j'ai aussi l'impression que ce serait aussi amplifié avec un président qui ne viendrait pas de l'extrême droite comme Gérald Darmanin ou Bruno Retailleau.
Comme je le disais plus haut, la fascisation peut passer par la mainstreamisation des néofascistes traditionnels ou par la fascisation des droites traditionnelles (en réalité elle passe bien souvent par les deux tendances). Trump c'est plutôt un personnage de la droite qui se fascise. Aujourd'hui beaucoup d'historiens du fascisme n'ont aucun problème à dire que Trump s'inscrit en continuité avec le fascisme. Et pourtant il n'a pas un mouvement fasciste de masse derrière lui, et lui ne vient pas des groupuscules suprémacistes ou néonazis, il vient de la droite traditionnelle.
“La trajectoire de fascisation n'est pas un processus linéaire, elle passe par une série de ruptures. L'arrivée au pouvoir de Macron s'inscrit dans une trajectoire qui a commencé antérieurement avec Sarkozy et Hollande mais constitue aussi une rupture claire même en termes quantitatifs.” Crédit : Emmanuel Macron en meeting en mars 2017 ; Nikeush, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Je n'ai donc aucun problème de principe à tenir compte de ce que tu dis. Pour préciser : ma vision c'est que le processus de fascisation n'est pas un processus linéaire, il passe toujours par une série de ruptures, liées à des défaites sociales, à des échecs politiques des gauches, ou à des refus de combattre (c'est flagrant dans le cas de l'islamophobie). L'arrivée au pouvoir de Macron s'inscrit dans une trajectoire qui a commencé antérieurement avec Sarkozy et Hollande, avec des points de rupture que j'ai essayé de documenter dans Comment le fascisme gagne la France, mais l'expérience Macron au pouvoir constitue aussi une rupture claire, qu'on peut mesurer même en termes simplement quantitatifs. Il suffit de prendre les chiffres que donne Paul Rocher sur l'usage des armes dites non-létales mais qui mutilent et qui tuent (qu'on pense à Rémi Fraisse, à Zineb Redouane ou à Mohamed Bendriss), ou encore la multiplication des interdictions de manifestations de la part de la préfecture de police de Paris. En termes statistiques il y a bien une rupture nette.
Qu'est-ce que ça peut être “plus que ça” ? Ça peut être plus de dissolutions, y compris d'organisations ayant un ancrage de masse. Une fois qu'on a dissout le CCIF (Collectif contre l'Islamophobie en France), le collectif Palestine Vaincra, la Coordination contre le racisme et l'islamophobie, la Jeune Garde, Urgence Palestine, que reste t-il ? Il reste la gauche révolutionnaire (NPA, LO, RP…), mais aussi les syndicats étudiants (l'UNEF comme cela a été mentionné par la droite il y a quelques années), et même la CGT ou la FI. Je ne sais pas si on prend suffisamment au sérieux le fait que le principal dirigeant de la droite française il y a quelques années, Eric Ciotti, maintenant passé sous la coupe du RN, a réclamé la dissolution de la France Insoumise, le principal groupe parlementaire de gauche. En termes d'éléments de langage fascisants balancés comme ça dans l'espace public, on ne fait pas mieux.
Le collectif Palestine Vaincra a été dissout par la Macronie. Militants du Collectif Palestine vaincra lors d'une manifestation pour la journée internationale des travailleurs à Berlin, le 1er mai 2022. Par Montecruz Foto — https://www.montecruzfoto.org/01-05-2022-Mayday-Revolutionary-March-Berlin, CC BY-SA 4.0
On peut toujours se dire que le pire a été atteint, mais ce n'est simplement pas vrai : on peut encore aller bien plus loin. Je ne dis certainement pas ça pour faire passer en sous-main l'idée “contentons nous du macronisme sinon ce sera pire”. Plutôt pour dire que le macronisme a mis le curseur très haut en termes de répression des manifestations et de recul des libertés publiques ; si l'extrême droite parvient au pouvoir, “plus loin” signifiera alors l'armée dans les quartiers populaires, la police tirant à balles réelles sur des manifestants, la dissolution d'organisations syndicales et politiques, etc. Il y a aussi un élément de contexte supplémentaire : le niveau de conflictualité sociale et politique tout à fait singulier qu'on retrouve en France par rapport à l'ensemble de l'Europe de l'Ouest qui contraindrait sans doute l'extrême droite en France à recourir à des moyens de répression beaucoup plus importants qu'en Italie, en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
Je pense que c'est pour cela que le livre n'a pas bénéficié d'une grande médiatisation en 2018, du moins dans les médias mainstream du genre Libération ou Le Monde. C'est à la fois un livre qui alertait sur le fascisme mais qui n'était aucunement complaisant avec le macronisme, qui cherchait à tenir les deux bouts : dénoncer le macronisme pour ce qu'il fait en termes de régression sociale mais aussi en ce qu'il favorise la montée du fascisme, tout en rappelant que le fascisme est un danger mortel pour les droits démocratiques les plus élémentaires, pour les minorités, les classes populaires dans leur ensemble, le mouvement ouvrier, etc.
Ugo Palheta, Comment le fascisme gagne la France, de Macron à Le Pen (2025), Éditions La Découverte, Coll. Cahiers libres, 392 pages
À un moment où on dénonçait la répression des Gilets Jaunes, on me demandait pourquoi je m'embêtais à analyser l'extrême droite et pointer le danger qu'elle représente, alors qu'il fallait se concentrer sur la dénonciation du macronisme. Le problème c'est que la bourgeoisie ne met jamais tous ses œufs dans le même panier, elle développe toujours des liens avec plusieurs partis capables de défendre ses intérêts dans le champ politique. La Macronie est le parti du capital, cela pourrait aussi être LR ou le RN. Le RN défendrait assurément les intérêts du capital mais en s'appuyant sur une autre coalition, une coalition sociale plus large intégrant une partie des classes populaires.
C'est ce qui m'inquiète beaucoup : contrairement à la Macronie, le RN a conquis une réelle base sociale à l'intersection des classes populaires et des couches moyennes. C'est quelque chose qu'il peut mettre dans la balance auprès du patronat en disant “nous allons pouvoir mettre en place les politiques que vous voulez, et cela va mieux passer car des gens nous suivent et sont d'accord avec nous. On leur fera miroiter la dégradation des droits d'autres groupes, une manière en quelque sorte d'augmenter le “salaire psychologique de la blanchité” (pour parler comme le sociologue africain-américain Du Bois) : en dégradant la valeur sociale et symbolique des autres, des groupes altérisés et minorisés, des musulmans et des immigrés, on rehausse automatiquement celle des natifs (même si matériellement on ne leur offre rien ou presque).
Sociologie du RN
Tu dis que contrairement à ce que disent Thomas Piketty et Julia Cagé, le vote en faveur du RN n'est pas “un vote par défaut ou par dépit”. Pourquoi ?
Ce n'est pas la chose la plus contestable qu'ils disent, mais cela reste très contestable. D'abord, s'il s'agissait uniquement d'un vote par défaut ou par dépit, on comprendrait mal pourquoi les électeurs et électrices du RN sont aussi stables dans leur vote aujourd'hui. Contrairement aux années 1990 où il y avait un vote assez volatile entre la droite, l'extrême droite et l'abstention, aujourd'hui les électeurs ou électrices du RN se reportent d'une élection à une autre vers le candidat RN, y compris quand le candidat est inconnu localement, là où ce n'était pas autant le cas dans les années 1990 et où on votait pour la marque Jean-Marie Le Pen parce que c'était un tribun charismatique et on était convaincus ou séduits par ses apparitions dans les débats télévisés, mais aux élections locales on votait pour d'autres partis, notamment les partis de droite.
Crédit : par Jérémy-Günther-Heinz Jähnick / Lille – Meeting de Marine Le Pen pour l'élection présidentielle, le 26 mars 2017 à Lille Grand Palais (114) / Wikimedia Commons, GFDL 1.2
Aujourd'hui une partie de la population considère le RN comme son parti. Je pense qu'il faut vraiment le mesurer. C'est plus fort dans certains segments sociaux, dans certains territoires. Il y a pas un portrait robot de l'électeur RN mais il y a des centres de gravité, des zones de force. Par exemple, dans le segment des franges stabilisées des classes populaires, blanches et généralement propriétaires de leurs logements dans des zones péri-urbaines, semi-rurales, ou rurales, c'est plus fort. Dans la petite bourgeoise traditionnelle : les petits indépendants, petits artisans, petits commerçants, petits agriculteurs, il y a également un très fort vote pour le RN, aussi fort que dans le premier segment si on prend les élections 2024. Ce sont là deux grosses zones de force s

France : le pays et la gauche à un carrefour
Depuis début septembre, se conjuguent en France une crise sociale, une crise politique et le début d'une nouvelle mobilisation populaire, marquée par les journées des 10 et 18 septembre et la préparation d'une nouvelle journée le 2 octobre, alors que le pays est sans gouvernement suite au renversement de celui de François Bayrou par l'Assemblée nationale, le 8 septembre.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
27 septembre 2025
Par Léon Crémieux
La crise politique chaotique a rebondi à plusieurs reprises depuis la réélection de Macron en 2022. Il n'avait alors réussi à obtenir, pour son bloc parlementaire à l'Assemblée nationale, que 250 sièges (la majorité absolue est de 289), n'ayant, à l'époque, ni vraiment voulu ni obtenu d'accord avec les Républicains (62 sièges).
Après le mouvement des Gilets jaunes en 2018/2019 et la puissante mobilisation syndicale des retraites de 2023, le mécontentement social n'a fait que croître en France, se heurtant aux gouvernements de Macron sans arriver à obtenir satisfaction. La crise politique actuelle est donc essentiellement le résultat de la crise sociale, manifeste depuis la crise financière de 2008. Le poids électoral des deux principaux partis ayant dirigé les gouvernements depuis plus de 40 ans, républicains à droite (LR) et socialiste à gauche (PS), s'est effondré entre les élections présidentielles de 2012 et de 2022. Les voix cumulées du PS et des Républicains sont passés, entre ces deux échéances, de 56,81% à 6,53% des voix lors des premiers tours. Macron pensait utiliser la fenêtre de cette déliquescence pour occuper l'espace laissé libre, créer une nouvelle force politique et accentuer les réformes libérales. Aujourd'hui, c'est le président le plus désavoué de la Ve République, et tout le monde est conscient que le macronisme ne survivra pas à la fin du quinquennat de Macron en 2027…ou éventuellement avant s'il est poussé à la démission.
L'espoir construit en 2022 avec la construction à gauche d'un front électoral antilibéral (NUPES) charpenté autour de la France insoumise ne s'est pas prolongé les deux années suivantes. La paralysie de la NUPES en 2023/2024 avait conduit à son éclatement en 4 listes lors des élections européennes du 9 juin 2024 amenant Macron à caresser l'espoir de gagner à son bloc parlementaire l'aile droite du PS pour sortir de sa paralysie. Alors que le RN était arrivé largement en tête de ces élections avec 31% des voix, Macron avait tenté un coup de poker en décidant de dissoudre l'Assemblée nationale. Il espérait, face à la menace du RN, rassembler une majorité élargie sur sa droite et sa gauche lors des élections législatives qui ont suivi...ou peut-être apparaitre comme un « rempart démocratique » à la présidence face à un Premier ministre RN et une majorité RN à l'Assemblée. Mais, loin de déboucher sur un rassemblement autour des candidats de Macron, les quinze jours de campagne précédant l'élection avaient vu surgir une mobilisation sociale et politique à gauche, avec la reconstruction d'un rassemblement sur un programme antilibéral, le Nouveau front populaire (NFP), qui s'imposa politiquement et en nombre de sièges face au RN et à Macron, empêchant l'extrême droite d'obtenir une majorité à l'Assemblée...et réduisant encore la place du bloc macroniste qui perdit 53 sièges supplémentaires.
Déniant le scrutin populaire en refusant de nommer un-e Premier ministre du NFP, Macron s'est depuis arque-bouté autour de sa minorité parlementaire en nommant des Premiers ministres de son « bloc central », ne disposant au mieux que d'une minorité de 240 sièges avec l'appui des LR. Depuis un an, trois Premiers ministres, fidèles à Macron, se sont succédés, bénéficiant des sursis consentis par le RN ou le PS pour tenir quelques mois et éviter d'être renversés trop rapidement par une motion de censure. La constante de ces gouvernements a été la persistance d'une politique réactionnaire et antisociale, tout en reprenant les thèmes sécuritaires et xénophobes du RN. Le mécontentement social avait imposé au PS, le 13 décembre 2024, de voter avec le reste de la gauche la censure de Michel Barnier, nommé trois mois avant, quand ce dernier a voulu imposer un budget comprenant 60 milliards de coupes de dépenses publiques et de hausses d'impôts, frappant évidemment les classes populaires.
François Bayrou, un fidèle de Macron, n'a pu ensuite remplacer Barnier en décembre 2024 que par la complaisance du PS et du RN qui, malgré leur vote de censure du précédent gouvernement, voulaient afficher une attitude responsable, en ne « bloquant pas l'adoption d'un budget pour la France ». Les six mois qui ont suivi ont vu le maintien d'un éclatement des forces syndicales et de la gauche politique. Le PS et la CFDT ont accepté un simulacre de dialogue social dans un « conclave » avec le patronat supposé remettre à plat la réforme des retraites, alors que Bayrou avait imposé un cadrage indiquant clairement qu'il n'était pas question de changer de politique et de revenir sur l'âge de départ à 64 ans.
Cette division des forces sociales et politiques et le refus affiché du RN de précipiter une nouvelle censure ont pu donner l'impression à Bayrou qu'il avait les marges de manœuvre lui permettant de poursuivre les objectifs d'austérité et de coupe des budgets sociaux. Mais, début juillet 2025, les annonces concernant le budget 2026 ont eu dans le pays un effet incandescent, en affichant la volonté de réduire le déficit budgétaire de 5,4% à 4,6%, pour arriver à 3% en 2029. Prenant prétexte d'un niveau « catastrophique » de la dette publique, le but était d'imposer un budget baissant de 44 milliards les dépenses publiques avec de nombreuses attaques sociales : la perte de 2 jours fériés pour imposer deux jours de travail gratuits, le gel du montant des prestations sociales et des retraites, des attaques sur les congés maladies, la volonté de réduire l'indemnisation du chômage, de nouvelles suppressions d'emplois de fonctionnaires.
Le marqueur essentiel de ce projet de budget était surtout qu'il ne comprenait aucune mesure de justice fiscale ciblant les hauts revenus, au nom de la « préservation des outils de production » qui constitueraient le patrimoine des plus riches et du maintien de la politique de l'offre.
Pendant six mois, le gouvernement et les grands médias ont essayé d'imposer les questions de l'ordre public, de la sécurité et du combat contre l'immigration comme étant les préoccupations essentielles de la population, avec un duo ministériel à la justice et à l'Intérieur (le macroniste Gerald Darmanin et le LR Bruno Retailleau) acharnés à cultiver les thèmes de l'extrême droite pour préparer leurs éventuelles candidatures présidentielles en 2027. François Bayrou, lui-même reprenait l'obsession de la submersion du pays par les migrants. Mais ces derniers mois, les questions sociales se sont à nouveau imposées dans le débat public comme étant les préoccupations essentielles de la population.
Durant l'été, une question fiscale et une question budgétaire sont devenues des exigences politiques : une autre répartition de la fiscalité frappant les plus riches, avec notamment la mise en place de la « taxe Zucman » (visant à créer un impôt plancher de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros, 1800 foyers fiscaux) et la remise en cause du premier poste budgétaire « de fait » de l'Etat, les 270 milliards d'aides diverses versées aux entreprises et essentiellement aux plus grandes qui ont largement augmenté bénéfices et versement des dividendes depuis quinze ans. Ces deux exigences sont le strict reflet de la colère sociale, de la crise de pouvoir d'achat et d'accès aux services publics vécue par les classes populaires.
En France, de 2003 à 2022, les 0.1% les plus riches ont vu leur revenu moyen augmenter de 119%, largement deux fois plus que le reste de la population. Parallèlement, le taux de pauvreté est passé entre 2004 et 2023 de 12,4% à 15,4% (INSEE, au seuil de 60% du niveau de vie médian). Même si la France est au-dessous de la moyenne de l'UE (16,2% en 2024), la tendance de son taux va elle à l'inverse de l'évolution européenne.
La crise sociale vient de loin. Les attaques libérales, comme dans beaucoup de pays ont remis en cause les salaires, les budgets sociaux, les services publics, la protection sociale, le système de santé. En France, la « politique de l'offre » a été officiellement mise en œuvre depuis 2014, sous le quinquennat socialiste de François Hollande. Son objectif majeur a été la baisse de la fiscalité sur les entreprises (impôts de production) et sur les grandes fortunes, l'allégement des cotisations sociales, tout un système d'aides et d'exonérations. Les différents rapports établis depuis le début des années 2020 permettent de chiffrer le montant dans le budget des « aides » aux entreprises à 270 milliards d'euros en 2025, le premier poste, de fait, du budget de l'Etat, jamais comptabilisé comme tel (mais établi par le rapport du CLERSE de Lille en 2019, mandaté par la CGT et celui de France Stratégie). En cela, la France va largement au-delà des systèmes en place dans les autres pays d'Europe. Dans les années 90, ce « budget » ne se montait qu'à 30 milliards. Il comprend aujourd'hui 91 milliards d'exonération des cotisations sociales sur les salaires, plus de 100 milliards de niches fiscales (crédits d'impôts recherche, taux réduits de TVA, règles d'imposition dérogatoires, etc ), 50 milliards d'aides directes (cf., la synthèse de Aron et Michel-Aguirre dans « le Grand Détournement », Allary Editions, 2025)
Toutes ces politiques ont aggravé l'injustice sociale, la détérioration des services publics, les inégalités au profit des plus riches qui se sont progressivement accentuées, créant un très profond mécontentement populaire. Celui-ci s'est fortement exprimé ces dernières années, lors du mouvement des Gilets jaunes en 2018, et, très fortement, en 2023 lors de l'immense mobilisation de 6 mois contre la réforme des retraites visant à repousser de deux ans l'âge de départ, de 62 à 64 ans. Le Rassemblement national a essayé de polariser à son profit ce mécontentement en ciblant les dépenses en faveur des immigrés ou le poids des règles européennes comme responsables des difficultés des classes populaires, mais la perception des privilèges fiscaux et de l'accaparement des richesses par les plus riches ont largement pris le dessus depuis quelques mois.
L'obsession des grands groupes capitalistes et, évidemment, des politiciens de droite et d'extrême droite est de juguler ce mécontentement populaire et d'éviter que la gauche puisse le polariser davantage. Cela amène d'ailleurs de plus en plus de grands patrons à penser qu'une issue de stabilité à la crise actuelle ne pourra venir que d'une alliance de la droite et de l'extrême droite, à l'image du gouvernement Meloni.
La situation du mouvement social et de la gauche politique est complexe en France.
L'annonce du budget 2026 a entraîné rapidement une réaction des milieux militants dans un contexte où s'affirmait quelques semaines auparavant un éclatement du front syndical et l'incapacité des principaux partis de gauche de continuer à présenter un front commun.
A partir du 15 juillet, par les réseaux sociaux, Facebook, TikTok, X, l'hashtag #bloquonstout s'est imposé pour un arrêt total et illimité du pays le 10 septembre, une boucle Telegram rassemblant rapidement 10000 personnes. Une popularité spontanée, marquant à la fois l'exaspération sociale et, à gauche, la frustration de nombreux milieux militants de voir l'incapacité de s'organiser à gauche face au déferlement réactionnaire du gouvernement et à la menace grandissante du RN. Ce mouvement pouvait rappeler les Gilets jaunes mais il a vite été marqué par une présence structurante de militants syndicaux et de la gauche radicale, contrant la tentative d'OPA faite par des réseaux d'extrême droite comme « Les Essentiels ». A la différence de 2018, le mouvement a été accueilli avec sympathie à gauche, et par la CGT et Solidaires. Ce qui a été spectaculaire a été la prolifération d'assemblées locales de préparations, plus d'une centaine, rassemblant en plein été des milliers de militantEs, une multitude d'initiatives décentralisées prévues pour le 10 septembre avec des initiatives de blocage. L'initiative a vite vu converger des organisations du mouvement social, comme ATTAC et les Soulèvements de la Terre. Malgré la date, la jeunesse s'est fortement mobilisée dans des AGs préparatoires dans une vingtaine de villes universitaires. Au total, la journée aura rassemblé plus de 200000 personnes, avec une grande participation de la jeunesse, au moins 430 blocages (rocades, lieux stratégiques), d'importantes manifestations dans de nombreuses villes. Mobilisant 80000 forces de police, le ministre de l'Intérieur avait donné comme consigne une attaque immédiate des blocages de rues ou de sites et des blocus de lycées ou de facs.
Si le mouvement ne s'est pas prolongé les jours suivants, il a servi de ferment pour la préparation du 18 septembre. Sans appeler tous au 10 septembre, l'ensemble des syndicats se sont réunis fin août appelant à une journée de grève et de mobilisation contre le budget Bayrou et pour la justice fiscale, et la suspension de la réforme des retraites. C'était la première fois qu'une telle unité se réalisait depuis 2023.
Si l'importance de la mobilisation le 18 (1 million annoncé par les syndicats) n'a pas atteint les chiffres des manifestations de 2023, la grève a été massive à la RATP et à la SNCF, dans l'Education nationale, l'Energie. Dans la foulée du 10 septembre, ont eu lieu 276 actions de blocage sur la voie publique, et 135 tentatives de blocage de sites, très vite matraquées, de très nombreuses actions dans les lycées et les facs.
Un des aspects marquant des manifestations aura été une forte présence de la jeunesse, une place marquée de la solidarité avec la Palestine, des associations féministes, des collectifs Pink Bloc, des exigences climatiques. C'est l'indice d'une convergence militante qui est une caractéristique de la situation actuelle.
Au soir du 18 septembre, l'Intersyndicale avait donné au nouveau 1er ministre, Sébastien Lecornu, macroniste venant des LR, un ultimatum de 5 jours pour répondre à ses exigences. La réunion eut lieu mardi 23 septembre avec, évidemment, aucun engagement. En conséquence, l'Intersyndicale a appelé à une nouvelle journée de grève le 2 octobre prochain, recevant le soutien de l'ensemble des partis du NFP. Cette unité intersyndicale est l'expression de la pression pesant sur les directions syndicales et il en est de même de l'appel immédiat des partis, y compris le PS qui cherche néanmoins tous les indices d'ouverture venant du nouveau premier ministre.
Mobilisation sociale et crise politique vont encore se conjuguer dans les semaines qui viennent. Mais il est clair que l'unité politique à gauche est loin de se maintenir, chacun des partis étant à la fois mobilisé sur la préparation des élections municipales et l'éventualité d'une nouvelle dissolution. La France insoumise mise ouvertement sur une démission de Macron, pensant le terrain de l'élection présidentielle le plus favorable à LFI, et le Parti socialiste essaye de se restructurer comme une force indépendante du NFP, poussée par son aile libérale. Mais le cours réactionnaire affiché des gouvernements de Macron, y compris les annonces budgétaires faites ce samedi 27 septembre par Sebastien Lecornu donne peu de marge pour une orientation de dialogue avec les macronistes.
Ces dernières semaines ont donc vu se reconstruire un rapport de force favorable à la gauche syndicale, sociale et politique, mais cela est précaire car déterminé par les provocations gouvernementales en l'absence d'une politique unitaire et d'initiatives communes des partis du NFP. L'Intersyndicale agit unitairement sous la pression et les partis du NFP ne sont pas une force d'initiative pour organiser et stimuler une orientation alternative à la politique d'austérité de Macron. Pourtant, le terreau existe pour une telle perspective et le programme du NFP avançait des pistes dans ce sens.
Clairement, ce sera la force du mouvement social qui pourra seule, pour l'instant, permettre de créer le rapport de force nécessaire et de cristalliser le mécontentement actuel sur des bases de combat contre l'austérité, muselant les orientations racistes et sécuritaires du RN. Nul ne sait le déroulement institutionnel des semaines à venir, censure, dissolution, ... Mais le mouvement de mobilisation doit se donner ses propres échéances pour créer le rapport de force imposant l'unité et permettant de bloquer les politiques d'austérité.
Plusieurs questions politiques seront au cœur des semaines à venir :
Pousser au maximum les capacités d'auto-organisation, d'initiatives unitaires par en bas s'appuyant sur les réseaux constitués autour du 10 septembre,
La mise en avant des exigences de répartition des richesses, popularisées par la taxe Zucman, mais au-delà la question des biens communs, de la nécessité de la propriété publique des secteurs essentiels de la production.
La question de la dette et de la dépendance des marchés financiers comme justification des politiques d'austérité. La dette contractée pour distribuer des cadeaux fiscaux et des subventions aux groupes capitalistes est évidemment une dette illégitime, servant de spéculations sur les marchés.
La question d'un gouvernement de rupture avec l'austérité qui satisfasse les exigences exprimées par les classes populaires. Mais cela pose aussi la question démocratique évidente : les institutions de la Ve République, le pouvoir présidentiel, le mode de scrutin sont autant d'outils visant à juguler l'expression démocratique. Cela pose une nouvelle fois, comme lors des Gilets jaunes, l'exigence de mettre à bas les institutions de la Ve République et l'élection d'une Assemblée constituante à la proportionnelle intégrale.
La menace d'une arrivée du Rassemblement national au gouvernement est plus présente que jamais face à la cacophonie actuelle de la gauche politique. Mais elle peut, comme en juin 2024 imposer avec plus de force la construction d'un front politique et social qui exprime les exigences populaires et avance une politique de rupture avec l'austérité capitaliste.
Léon Crémieux
P.-S.
• Article écrit pour la revue Viento Sur :
https://vientosur.info/francia-el-pais-y-la-izquierda-en-una-encrucijada/
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Le gouvernement n’a jamais été aussi faible !
A peine désigné premier ministre S. Lecornu subit le même niveau d'impopularité que son prédécesseur, l'affligeant F Bayrou. La raison est claire, il reprend les bases et le contenu du projet austéritaire du gouvernement précédent. Très minoritaire à l'assemblée nationale comme dans l'opinion il fait face à une mobilisation sociale intersyndicale prometteuse.
24 septembre 2025 | tiré du site aplutsoc
Le mouvement du 18 septembre, massif et unitaire, s'inscrit dans la puissance de celui des retraites. Déjà les manifestations du 10 septembre en étaient les prémisses. Ce mouvement citoyen qui se qualifiait de « indignons-nous » a enregistré un certain succès avec le soutien de secteurs syndicaux et de tous les partis de gauche.
L'Alliance Pour la République Écologique et Sociale souligne que les plus puissantes mobilisations sont celles organisées par le mouvement syndical uni. Cela force le respect. La maturité et le souci d'union du mouvement syndical devrait inspirer l'ensemble des partis des gauches sociales et écologistes. D'autant que l'aspiration à l'unité sans exclusive est plébiscitée par notre base sociale, le salariat, les travailleuses, les travailleurs et la jeunesse.
Front Commun partout !
À la suite de l'ultimatum intersyndical, une journée nationale de grèves et manifestations est fixée au jeudi 2 octobre. Les organisations (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, FSU, Solidaires) encouragent la tenue d'assemblées de salarié·es afin de délibérer des suites du mouvement. Cette méthode renforce la légitimité démocratique des mobilisations, peut consolider le mouvement et balayer rapidement le gouvernement Lecornu.
La force des travailleurs et des travailleuses de ce pays réside aussi dans la convergence des revendications du mouvement syndical avec le programme du NFP : mesures immédiates de redistribution avec augmentation du SMIC, des salaires, des minimas sociaux, exigence d'indexation des pensions, des prestations sociales, des salaires, abandon – abrogation de la loi sur la retraite à 64 ans, défense des services publics et refus des 3.000 postes de fonctionnaires, nouvelle fiscalité avec la loi Zucman, contrôle et conditionnalité des 211 milliards d'aides publiques au privé, investissements dans la transition écologique et la réindustrialisation, …
Gouvernement NFP !
Nous le réaffirmons, le débouché politique aux mouvements sociaux est bien un gouvernement du Nouveau Front Populaire. Il est urgent de le renforcer, de refuser les exclusives vis-à-vis de qui que ce soit et d'où qu'elles viennent, de mettre un terme aux invectives entre certains dirigeants de partis.
Cette unité est une exigence immédiate. Elle sera aussi un outil décisif aux municipales, à l'élection présidentielle comme aux législatives.
Jean-Yves LALANNE
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Lecornu : c’est déjà fini et les partis sont OK pour une dissolution
Le nouveau premier ministre ne passera pas Noël, il n'y aura pas de budget, peut-être pas même de gouvernement. Tous les partis comptent tirer bénéfices de législatives anticipées annoncées. Et la gauche prépare son hémiplégie : insoumise ou socialiste ? Joie et bonheur.
25 septembre 2025 | tiré du site regards.fr
https://regards.fr/la-lettre-du-25-septembre/
La journée de mercredi 24 l'a confirmé, Sébastien Lecornu n'y parviendra pas. Il ne réussira pas à trouver une majorité pour soutenir son projet de budget. Les syndicats, qui n'ont toujours pas digéré la réforme des retraites ni le « musée des horreurs » promis par François Bayrou, sont sortis groupés de Matignon. Le problème est que, à droite comme au Medef, on fait monter les enchères et on refuse toute hausse d'impôts. Au risque du ridicule total, ils s'arc-boutent pour sauver les milliards de Bernard Arnault et de ses copains de yacht. Le Medef est le fer de lance de l'intransigeance et du blocage total : ils ont leur agenda politique et il ne passe pas par la Macronie – voir la Midinale avec Laurent Mauduit et notre analyse sur le plan du patronat.
Le premier ministre tente une ultime pirouette et adresse cinq questions aux syndicats … avec rendu des copies dans une semaine. Une blague ? Les syndicats ont déjà fait connaitre leurs attentes et entendent qu'on y réponde, pas qu'on leur tende un piège au nom de la « coresponsabilité ». Ils donnent rendez-vous dans la rue le 2 octobre.
Signe tangible des impossibilités qui s'amoncellent et se durcissent, Sébastien Lecornu peine à construire son gouvernement, tant les ministres qui insupportent à gauche sont légion mais accrochés à leur rocher : Retailleau, Dati, Darmanin… Les reconduire, c'est envoyer aux oubliettes les promesses de rupture sur le fond et la forme. Mais les éconduire aurait un coût politique que le moribond socle commun ne supporterait pas.
Dans la difficulté de l'équation politique, il y a la proximité de 2027 qui surdétermine tout. Qui veut apparaître comptable ou complice du fiasco ? Pas grand monde. D'autant plus que les partis n'ont plus peur de la probable dissolution. Voire, ils l'espèrent.
Ils ont fait leurs comptes et la dissolution leur va. Sur le dos des macronistes à terre, LR espèrent engranger quelques dizaines de députés et placer un des leurs en bonne position pour 2027. Le RN y voit l'occasion de se conforter avant les municipales et surtout de faire voter à l'assemblée une loi d'amnistie qui permettrait à Marine Le Pen de se présenter, leur seule vraie carte pour l'élection présidentielle.
Le PS envisage lui aussi un scrutin législatif anticipé comme une opportunité pour « rééquilibrer » la gauche, c'est-à-dire pour défaire la puissance hégémonique de La France insoumise. Les bonnes et mauvaises raisons s'entremêlent dans leur engagement pour construire une union de l'ensemble des partis de gauche à laquelle LFI a décidé de ne pas participer.
Tous les partis de gauche (hors LFI donc) préparent un projet législatif, et, en dehors du PCF, ils envisagent une primaire pour la présidentielle. Cette union a vocation à présenter un candidat commun aux législatives. Partout ? C'est ce que laisse entendre Olivier Faure, sauf en cas de risque sérieux d'élection d'un député RN. Donc même devant la plupart des députés insoumis qui sont élus dans les grandes agglomérations de gauche.
Mais LFI n'en a cure. Il ne s'agit pas de leur part d'une attitude bravache mais d'une conviction qui s'accompagne d'actes. Les insoumis n'ont de cesse de planter des épingles dans les poupée Tondelier, Faure et Roussel. Dernière en date : les insultes de Jean-Luc Mélenchon à l'endroit du premier secrétaire traité de « nigaud » pour son appel à pavoiser les mairies du drapeau palestinien. Pourquoi les chefs de LFI réitèrent-ils ainsi, jour après jour, les gestes de rupture avec le reste de la gauche ? Ils ont récemment fait leur la théorie des deux gauches irréconciliables… comme si le PS avait changé de nature en 12 mois ! Ils sont prêts à payer le prix d'une très rude bataille en cas de législatives anticipées. Toutes les projections en sièges leur donnent entre 12 et 25 députés élus alors que le groupe actuel en compte 70. Les insoumis sont assurés d'être à eux seuls la vraie gauche et leur succès passerait par l'élimination de tous les autres. Ils sont convaincus que leurs discours seront entendus de la jeunesse, des abstentionnistes, des classes populaires, des racisés… et qu'ainsi il vont gagner l'élection présidentielle et les législatives suivantes. Le pari est gigantesque. Il se paye d'un double risque : celui que le PS redevienne hégémonique – avec ce qu'il advient toujours dans ce cas, cf. les livres d'histoire – et celui de porter au pouvoir Marine Le Pen. Et tout ça est impardonnable.
Catherine Tricot
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Le fascisme gagne-t-il la France ? Entretien avec Ugo Palheta
Ugo Palheta est sociologue et codirecteur de publication dans la revue Contretemps. Il a notamment coordonné l'ouvrage collectif Extrême droite : la résistible ascension (2024) aux Editions Amsterdam et anime un podcast sur le fascisme intitulé Minuit dans le siècle sur la plateforme Spectre. Il a publié en mai dernier Comment le fascisme gagne la France (2025, Editions La Découverte), une édition augmentée du livre La possibilité du fascisme, paru en 2018.
Tiré de Frustration magazine
24 septembre 2025
Entretien avec Ugo Palheta
À cette occasion, nous revenons avec lui sur sa définition du fascisme, sur le processus de fascisation dans lequel la France est engagée, sur la sociologie du vote pour le Rassemblement national et sur comment lutter contre ces phénomènes qui n'ont rien d'inéluctables. Un entretien réalisé par Rob Grams. Photographie par Farton Bink
QU'EST-CE QUE LE FASCISME ?
Comment définis-tu le fascisme ?
C'est une question difficile qui a fait couler beaucoup d'encre entre historiens, notamment autour d'un débat assez spécifique sur lequel il est toujours intéressant de revenir : y-a t-il eu ou non un fascisme français ? Le régime de Vichy était-il fasciste ? Une thèse étrange a longtemps prévalu chez les historiens français, parfois qualifiée de thèse “immunitaire”, selon laquelle il y aurait eu une “allergie française” au fascisme, que la France aurait été protégée en quelque sorte par ses institutions et valeurs républicaines. Aujourd'hui cela est évidemment très peu convaincant en raison de beaucoup de travaux d'historiens étrangers sur Vichy, sur les ligues d'extrême droite dans les années 1930, sur les origines du fascisme avec Zeev Sternhell qui a travaillé sur le pré-fascisme et la synthèse intellectuelle fasciste dont il montre qu'elle serait née en France à la fin du XIXe siècle.
Les historiens se sont affrontés sur la question de savoir s'il y avait eu un « fascisme français ». – Imagerie de propagande du régime de Vichy (domaine public)
Une première difficulté qu'on a sur cette question c'est que le fascisme peut qualifier beaucoup de choses : des régimes, des mouvements ou des partis, des idées, des méthodes, des affects, des stratégies… Donc selon ce sur quoi on réfléchit (des partis qui ne sont pas au pouvoir, des régimes, des idées…), on va insister sur des choses différentes : la violence paramilitaire, l'alliance avec le capital, l'ancrage de ses cadres dans la petite bourgeoisie, la spécificité et le rôle de son idéologie, etc.
Une autre difficulté c'est qu'on a une image conventionnelle du fascisme qui hante à peu près tous les cerveaux : des milliers de jeunes hommes qui défilent en uniforme, le bras tendu, qui agressent des gens, détruisent des vitrines de magasins juifs ou d'autres minorités… Et si on ne retrouve pas ça le réflexe c'est de s'imaginer qu'on n'a pas affaire à quelque chose qui a à voir avec le fascisme. Il y a une focalisation sur cette dimension spectaculaire du fascisme de l'entre deux guerres et sur la forme organisationnelle spécifique qu'a prise le fascisme dans l'entre-deux-guerres, à savoir le parti militarisé de masse. Or précisément c'est, à mon sens, ce qui ne revient pas et a peu de chances de revenir dans le contexte politique, idéologique et culturel qui est le nôtre.
Aube Dorée, parti fasciste grec est un des rares partis à avoir repris l'esthétique du fascisme historique, mais n'est pas parvenu à mobiliser les masses comme ce dernier.
Crédit : Marche d'Aube Dorée à Athènes en mars 2015, By DTRocks – Own work, CC BY-SA 4.0
Ce qui ne veut pas dire que le néofascisme, le fascisme de notre temps, ne serait pas violent ou même moins violent, mais les formes de la violence néofasciste ne sont pas et ne seront pas identiques, pas plus que les stratégies ou les modes d'organisation des néofascistes. Ça ne veut pas non plus dire qu'il est exclu qu'émergent et se développent des partis qui ressembleraient aux partis nazis ou fascistes italiens : on l'a vu avec Aube Dorée en Grèce au début des années 2010. Dans certains contextes particuliers, cette forme spécifique peut renaître mais en réalité Aube Dorée est toujours restée très loin de ce qu'a pu être, en termes de masses mobilisées, le parti fasciste italien ou le parti nazi, et son succès a été non seulement moindre mais éphémère.
Donc la manière la plus productive d'appréhender le fascisme, à mon sens, parce qu'elle permet de penser les fascismes historiques et les néofascismes du XXIe siècle, c'est de partir de ce qu'est le projet de société et politique du fascisme, qui découle de sa vision du monde (plus que d'une doctrine à proprement parler), car ce coeur idéologique c'est bien ce qui reste, ce qui est permanent malgré des stratégies différentes qui constituent des formes d'adaptation à des conjonctures politiques et des contextes culturels changeants et singuliers.
Cette vision du monde on peut la résumer à travers un certain nombre d'éléments qui sont articulés les uns avec les autres :
. l'obsession du déclin, de la décadence, de la décomposition d'une communauté considérée comme organique et fixe (communauté pensée comme nationale, civilisationnelle et/ou raciale)
. une paranoïa civilisationnelle et/ou raciale qui permet de rapporter ce déclin à la présence sur “notre” sol d'immigrés, de minorités et de groupes considérés comme fondamentalement allogènes, intrinsèquement étrangers et radicalement hostiles, qui détruiraient par leur seule présence “notre” communauté (nation, civilisation et/ou race), l'empêcheraient de rester fidèle à son “identité” profonde, de retourner à ses “racines” (évidemment immémoriales), et de retrouver sa “grandeur” (“make America great again”). Tous les maux de la nation ou de la civilisation sont ainsi expliqués par cette présence sur le sol national et continental.
. la haine de l'égalité et de l'ensemble des mouvements qui portent cette exigence, soit le mouvement syndical (en tant qu'il lutte contre les inégalités de classe), le mouvement féministe, le mouvement antiraciste, le mouvement LGBTQIA+ etc., l'ensemble de la gauche sociale et politique sont haïs par l'extrême droite partout dans le monde (et évidemment en premier lieu ses franges radicales, d'où l'anti-communisme fondamental de cette famille politique)
. l'idée qu'une renaissance nationale ou civilisationnelle est possible sous la stricte condition d'épurer le corps de la nation ou de la civilisation, d'un point de vue ethno-racial et politique, de ses ennemis fondamentaux – les minorités, les immigrés post-coloniaux et plus largement du Sud Global – mais aussi des “traîtres”, c'est-à-dire les mouvements de gauche et d'émancipation qui non seulement pactiseraient avec ces “ennemis”, qui fractureraient l'unité de la nation en pratiquant la lutte des classes, féministe ou antiraciste, et qui affaibliraient celle-ci en cherchant à dissoudre des hiérarchies considérées comme “naturelles”.
. un mélange propre au fascisme d'ultra-conservatisme (l'attachement justement à ces hiérarchies de genre, raciales, de classe etc) et de subversion, de révolte, à travers un discours, une symbolique et un imaginaire de la rupture, ce qui donne au fascisme et au néofascisme ce caractère de révolte réactionnaire tout à fait singulier et explosif, qui donne une partie de son impulsion politique et éthique au fascisme, sa capacité à s'implanter dans les masses en se connectant à des idées et affects contradictoires.
Ce qui demeure entre le fascisme de l'entre-deux-guerres et le néofascisme contemporain c'est cette matrice-là qui a des dimensions politiques, idéologiques et stratégiques, notamment toute cette idée de “troisième voie” (ni gauche ni droite, ni socialiste ni capitaliste). Peut-être qu'il est utile de dire pourquoi les stratégies autour de l'exercice de la violence par des appareils paramilitaires ne perdurent pas, du moins à une échelle de masse. Il y a à mon avis deux raisons essentielles :
. Il n'y a pas le même “matériau humain” que dans le contexte post-1918, c'est-à-dire des millions de jeunes hommes qui avaient fait la guerre, enrôlés dans les armées de la Première guerre mondiale, avaient fait cette expérience de brutalisation de masse dans les tranchées, et qui, pour une partie d'entre eux (car il y eut aussi beaucoup d'anti-militaristes parmi les anciens combattants), ont nourri les rangs fascistes.
. Stratégiquement le fascisme classique avait besoin de ces milices pour déraciner physiquement le mouvement ouvrier qui était beaucoup plus implanté, ancré et puissant dans les communautés ouvrières, y compris dans les campagnes italiennes de certaines régions où il était très fort et avait conquis toute une série de droits juste après la Première Guerre Mondiale. Il y avait donc une “nécessité” de la violence de masse et des appareils paramilitaires dans le contexte particulier de l'après-Première guerre mondiale.
Notre contexte est différent mais stratégiquement il y a cette idée de la Troisième voie : “nous sommes à la fois une alternative aux partis bourgeois et à la gauche”, les deux vendant la nation, comme le dit Marine Le Pen, “au mondialisme d'en haut, du totalitarisme financier”, et au “mondialisme d'en bas” “islamiste” “nourri par l'immigration de masse”. Marine Le Pen, et tous les dirigeants de l'extrême droite au niveau mondial, s'inscrivent clairement dans cette stratégie politique de la Troisième Voie qui est de s'ériger en alternative vis-à-vis des partis bourgeois et des partis ouvriers ou de gauche.
Si je comprends bien, pour toi, extrême droite et fascisme sont synonymes ?
Pas tout à fait. On pourrait faire un exercice de typologie assez savant en distinguant des extrêmes droites traditionaliste/royaliste, bonapartiste, fasciste, etc. Aujourd'hui, il me semble que l'exercice typologique devrait davantage conduire à distinguer les extrêmes droites à partir de leur stratégies idéologiques : une branche libertarienne-autoritaire (Trump ou Milei), une branche libérale-réactionnaire (Meloni ou Orban) et une branche social-nativiste (Marine Le Pen). Mais je précise qu'on a souvent trop tendance, à partir de ces typologies, à imaginer que les frontières entre ces courants seraient infranchissables, alors que, le plus souvent, ils ont été capables de collaborer, d'agir voire de gouverner ensemble.
Javier Milei, président d'extrême droite de l'Argentine, pourrait appartenir à la branche libertarienne-autoritaire. Crédit : Por Vox España – https://www.flickr.com/photos/voxespana/52419877166/, CC0,
Au XXe siècle les deux grandes branches de l'extrême droite qui ont eu un impact historique c'est l'extrême droite fasciste et néofasciste, et l'extrême droite militaire. L'extrême droite militaire cela renvoie par exemple à Franco, à Pinochet, aux colonels grecs qui prennent le pouvoir par un coup d'Etat en 1967. Leur force, la source de leur pouvoir, c'est évidemment leur ancrage dans l'appareil militaire et ils se basent sur une stratégie qui est celle du coup de force en s'appuyant sur les forces régulières de l'armée, sans chercher véritablement à construire une assise dans la population.
Aujourd'hui, dans la France de 2025, je ne crois pas que le danger soit celui d'un coup d'Etat de la part d'une extrême droite militaire, même si on a vu les textes il y a quelques annéesmontrant qu'il y a un ancrage d'extrême droite dans des secteurs importants de l'armée y compris au plus haut niveau de la hiérarchie militaire. Ce qui me semble le plus dangereux c'est plutôt la branche politique, donc l'extrême droite néofasciste, celle qui a travaillé depuis des décennies à remodeler l'héritage politique, stratégique et programmatique du fascisme, généralement sans s'en réclamer explicitement, tout en maintenant le socle idéologique anti-immigrés et raciste (notamment islamophobe), et en faisant des clins d'oeils en direction de ceux et celles qui sont attachés à cette tradition politique.
Le dictateur espagnol Franco appartiendrait davantage à « l'extrême droite militaire » – Défilé devant Franco à Madrid le 19 mai 1939. Source : Par Anonyme — [1], Domaine public
Par exemple, quand Marine Le Pen invite dans un tweet à relire Jean Raspail au moment de sa mort, un écrivain raciste qui avait écrit un roman d'anticipation décrivant une guerre civile raciale, elle sait très bien ce qu'elle fait : elle s'inscrit dans une histoire, dans une famille politique. Elle est militante depuis plus de quarante ans de ce courant politique, elle connaît très bien ses référents idéologiques, programmatiques et littéraires, elle s'inscrit dans cette histoire fasciste contrairement à ce qu'ont pu dire récemment des idéologues médiatiques comme Michel Onfray, Marcel Gauchet, David Pujadas ou Alain Finkielkraut, selon lesquels Marine Le Pen et le RN auraient rompu avec l'héritage de l'extrême droite.
Tu reprends l'idée de l'historien Robert Paxton que le retour du fascisme doit pas être envisagé comme un retour à l'identique du fascisme historique, mais plutôt comme l'émergence d'un “équivalent fonctionnel”. Mais alors c'est quoi la fonction du fascisme ?
Cette question est intéressante car souvent, du côté de la gauche radicale, il y a une thèse rapide et facile, sinon fausse, qui est que la fonction du fascisme c'est d'être le “dernier rempart” de la bourgeoisie face à une révolution imminente, à une offensive des classes populaires, à une insurrection de la classe ouvrière. Or ce n'est pas comme ça que se présentent les choses. Le fascisme se développe en 1921-1922 avec des fonds qui viennent effectivement des grands propriétaires terriens pour briser le mouvement ouvrier dans les campagnes. Mais clairement, quand Mussolini arrive au pouvoir, il n'y a pas de “menace” révolutionnaire imminente : bien sûr il y a la grande peur qu'ont suscité chez les possédants la Révolution russe de 1917 puis le “bienno rosso” en Italie (les deux années rouges, 1919-1920). Mais c'est plutôt parce que cette révolution a été défaite, parce que le parti socialiste italien s'est montré incapable de tirer parti de la combativité ouvrière pour prendre le pouvoir et engager une transformation radicale de la société italienne, que les fascistes ont pu arriver au pouvoir dans ce climat de démoralisation et de désorientation au sein de la classe travailleuse.
“Quand Mussolini arrive au pouvoir il n'y a pas de “menace” révolutionnaire imminente” ; Crédit : la marche sur Rome ; domaine public
De la même manière, en Allemagne, les nazis arrivent au pouvoir plutôt à froid. La période 1929-1933 n'est pas une période de montée des luttes ouvrières et populaires : il y a des mobilisations, parfois importantes et même radicales, mais elles restent défensives. Cette séquence diffère de ce point de vue de la séquence 1918-1923, marquée par une instabilité politique beaucoup plus forte et un mouvement ouvrier nettement plus à l'offensive, avec des tentatives insurrectionnelles. 1923, c'est aussi l'année où les nazis tentent pathétiquement de prendre le pouvoir avec le putsch de la Brasserie mais sont laminés militairement. Hitler se retrouve en prison, moins d'un an d'ailleurs (ce qui n'est pas beaucoup pour une tentative d'insurrection et ce qui montre la complicité de l'appareil judiciaire avec les nazis tout au long de la période), et il opte alors définitivement pour une stratégie légale d'accès au pouvoir.
Le dernier rempart de la bourgeoisie, à vrai dire, ce sont plutôt les appareils de répression de l'Etat, en particulier l'armée qui est généralement un bastion réactionnaire. Mais si le fascisme n'est pas le dernier rempart, à quoi sert-il ? Il a bien une fonction historique du point de vue de la bourgeoisie. Si une fraction importante des élites politiques, économiques et médiatiques donnent le pouvoir sur un plateau aux fascistes, c'est afin de restabiliser l'ordre politique dans un contexte où aucune majorité parlementaire ne parvient à se dégager et où la situation politique est bloquée, au bord de la crise de régime.
Le putsch de la Brasserie, tentative de coup d'Etat par les nazis en 1923, fût un échec. Crédit : Par Bundesarchiv, Bild 119-1486 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de
Dans ce genre de situations, la bourgeoisie n'est pas véritablement menacée dans ses intérêts fondamentaux (la crise n'est pas révolutionnaire ou pré-révolutionnaire), mais du fait de l'instabilité gouvernementale chronique, elle ne parvient pas – ou pas complètement – à imposer ses politiques.Les partis bourgeois traditionnels, qui assurent sa domination dans le champ politique, sont trop discrédités, leur légitimité dans la population est trop effritée. La bourgeoisie a donc besoin de trouver un relais à vocation hégémonique dans le champ politique, colmater les brèches et reprendre l'initiative face à des mouvements populaires incapables de prendre le pouvoir mais suffisamment forts pour bloquer une partie de ses politiques.
C'est intéressant de voir ça parce que le fascisme est souvent vu comme un plus gros bâton pour taper sur la tête des classes populaires. Moi je pense que c'est un peu différent en réalité : le plus gros bâton dont dispose la bourgeoisie c'est l'armée. Et d'ailleurs elle cherche toujours à l'utiliser quand il y a une menace révolutionnaire, ou même simplement lorsqu'une politique de gauche réellement ambitieuse menace ses intérêts, même sous une forme parfaitement réformiste (Espagne 1936, Chili d'Allende 1973…). Pour prendre le cas chilien, on voit alors l'ensemble des classes dominantes s'entendre avec des généraux, comploter avec les dirigeants étatsuniens et la CIA, et alors des avions viennent mitrailler le palais d'Allende qui est acculé au suicide, les militants de gauche sont entassés et massacrés dans des stades, etc.
Allende fut renversé par les classes dominantes et les généraux, en alliance avec les Etats-Unis. Bombardement du Palais de la Moneda. Crédit : Por Biblioteca del Congreso Nacional, CC BY 3.0 cl
Ce que la bourgeoisie attend du fascisme, en l'intégrant à une grande coalition des droites, c'est d'entraîner sa base sociale et de la mettre au service d'une politique bourgeoise, supposant de détruire les mouvements ouvriers et populaires et de restabiliser le système politique, tout cela sans avoir à passer par un coup d'Etat militaire. Je rappelle en passant que, dans tous les cas historiques que l'on connaît, les fascistes sont arrivés au pouvoir dans le cadre d'une coalition des droites, et, dans les cas italiens et allemands, dans une position minoritaire en termes de nombre de portefeuilles ministériels par rapport aux ministres qui venaient de la droite traditionnelle (conservatrice ou libérale).
Les fascistes se sont toutefois toujours assurés d'avoir la position de chef de gouvernement – Hitler l'avait dit, il ne voulait pas être autre chose que chancelier – et le ministère de l'Intérieur pour disposer des forces de police. À partir de là, les fascistes font ce à quoi ils aspirent, à savoir rebâtir l'appareil d'Etat à leur profit : pour les opportunistes s'assurer des postes de pouvoir et des sources de revenus, et pour les plus idéologues et fanatiques mettre en oeuvre leur projet de société.
Le cabinet Hitler en janvier 1933. « Les fascistes se sont toutefois toujours assurés d'avoir la position de chef de gouvernement – Hitler l'avait dit, il ne voulait pas être autre chose que chancelier ». Source : Par Bundesarchiv, Bild 183-H28422 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de
La fonction historique du fascisme, du point de vue des classes dominantes, est donc davantage hégémonique que militaire (faire face à une montée révolutionnaire des classes populaires, un soulèvement en cours ou imminent, etc.). Cela étant dit, il s'agit bien de mater l'ensemble des contestations. Dans le contexte présent : non pas seulement les contestations syndicales et ouvrières, mais bien évidemment les mouvements antifascistes, antiracistes, anti-guerre, écolo-radicaux, féministes et LGBTQIA+. Faire taire toutes ces contestations pour restabiliser l'ordre politique, mais plus profondément pour rebâtir l'ordre politique autour de l'idée de “hiérarchie naturelle” et d'un projet de “renaissance nationale”.
Tu t'opposes donc à une approche marxiste un peu obtuse et très orthodoxe qui ne considère le fascisme que comme un outil de la classe capitaliste. Qu'est-ce qui pose problème avec cette approche ? Est-ce que le fascisme a une autonomie vis-à-vis de cette classe capitaliste ?
Je pense que sur la question du fascisme, comme sur celle du racisme d'ailleurs, il ne faut pas opposer mais articuler une approche par en haut et une approche par en bas.
Johann Chapoutot donne l'exemple d'Alfred Hungenberg, un magnat de l'industrie qui a acheté un empire de presse avant de devenir ministre de l'extrême droite allemande non-nazie. Crédit : Alfred Hugenberg (à gauche) et Theodor Duesterberg, en 1932 ; Bundesarchiv, Bild 102-13191 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de
L'approche par en haut c'est effectivement montrer à quel point le fascisme trouve des complicités structurelles au sein de la classe capitaliste. Dans le cas de Trump, le cas est encore plus fragrant puisque c'est un milliardaire qui entre dans le champ politique et devient lui-même un dirigeant néofasciste. Ce n'est pas l'unique cas qu'on connaît dans l'histoire où des riches et des magnats cherchent à construire une carrière politique. Johann Chapoutot donne un exemple de ce type à travers Alfred Hungenberg, un magnat de l'industrie qui achète un empire de presse et qui devient ministre de l'extrême droite allemande non-nazie.
C'est très important d'avoir en tête cette histoire par en haut du fascisme, des liens qu'il noue de manière souvent très volontariste avec les classes possédantes (les capitalistes, les grands propriétaires terriens, les généraux de l'armée…). Dans le cas du mouvement nazi, des personnes comme Goering et Ribbentrop organisaient des dîners et des meetings avec des membres éminents de la bourgeoisie, du patronat, pour les rassurer et faciliter leur accès au pouvoir. Aujourd'hui on peut se référer aux travaux de Marlène Benquet sur les grands financeurs de l'extrême droite libertarienne.
Crédit : Donald Trump en campagne en mars 2016. Par Gage Skidmore from Peoria, AZ, United States of America — Donald Trump, CC BY-SA 2.0
C'est une dimension très importante à avoir en tête, notamment pour battre en brèche tout le discours des fascistes eux-mêmes qui se présentent comme une prétendue alternative au “système”, comme des gens qui voudraient la “rupture”. “Système” est d'ailleurs un terme typiquement fasciste : les nazis l'employaient de manière systématique. Quand ils parlaient de la République de Weimar avant leur arrivée au pouvoir ils parlaient par exemple de “l'époque du système” (“Systemzeit”). Ce terme a toujours été confortable car chacun peut y mettre ce qu'il veut : le système c'est quoi ?
L'approche par en bas du fascisme suppose de considérer que la force de l'extrême droite fasciste, par exemple par rapport à l'extrême droite militaire (des généraux qui font un coup d'Etat et imposent une dictature d'extrême droite), c'est de parvenir à construire une base sociale et de trouver l'oreille de millions de personnes. Donc elle bâtit tout un discours et une rhétorique, mobilise des émotions et des affects, développe un certain style et des formes d'humour, soigne ses apparitions publiques, la scénographie de ses meetings, etc. Dans l'entre-deux-guerres, Hitler arrivait généralement en avion pour ses meetings, donnant un sentiment de puissance et lui permettant de prendre la parole plusieurs fois dans une même journée en différents points de l'Allemagne. Aujourd'hui Milei arrive avec sa tronçonneuse et se met en scène avec Elon Musk.
Tout cela participe d'une stratégie visant à séduire les “masses”, voire à les organiser et les mobiliser si nécessaire. Et, de fait, les mouvements d'extrême droite, dans certains contextes historiques, parviennent à bâtir une forme d'adhésion de masse à leur vision du monde, à leurs projets : une adhésion plus ou moins intellectuellement motivée et rationalisée, plus ou moins émotionnelle. Sur la base de cette adhésion, ils vont chercher ensuite à mobiliser activement leurs sympathisants dans la rue et à les encadrer idéologiquement, particulièrement dans l'entre-deux-guerres qui a constitué un contexte exceptionnel de politisation de masse, beaucoup plus intense qu'aujourd'hui.
Aujourd'hui, nous vivons après quarante ans de néolibéralisme. Or le néolibéralisme ne devrait pas être réduit à une politique de marchandisation, privatisation, etc. Il est aussi une politique de dépolitisation : “il n'y a pas d'alternative” comme disait Thatcher, autrement dit il faut laisser “le marché” (c'est-à-dire les capital et les impératifs d'accumulation) gouverner et discipliner les politiques publiques. Dans ce contexte historique, aussi bien la gauche et le mouvement ouvrier que l'extrême droite ont plus de mal à mobiliser leurs partisans dans la rue que dans l'entre-deux-guerres, même s'il faut souligner qu'en France la capacité de la gauche sociale et politique (partis, syndicats, collectifs, etc.) à mobiliser dans la rue demeure beaucoup plus importante que celle de l'extrême droite. Néanmoins, la France pourrait ne pas rester longtemps étrangère à ces mobilisations d'extrême droite de rue – sous la forme de tentatives de coups d'Etat ou de pogroms anti-immigrés ou anti-musulmans – qui renaissent à une échelle inconnue depuis l'après-guerre aux Etats-Unis, au Brésil, en Angleterre, en Allemagne ou en Espagne, sans même parler du cas indien où le néofascisme suprémaciste hindou bénéficie depuis longtemps d'une base de masse et de milices armées.
C'est important d'interroger les raisons pour lesquelles des segments entiers de la classe travailleuse mais aussi de la petite bourgeoisie et de la paysannerie, ont pû adhérer à cette vision du monde fasciste, sans forcément adhérer au parti lui-même mais en se retrouvant même minimalement dans ce projet-là. Toute une partie de la paysannerie allemande a par exemple voté pour les nazis. Il faut donc se méfier de l'idée qu'il suffirait que la bourgeoisie appuie sur un bouton, finance les nazis pour que ces derniers obtiennent plus de 30% aux élections. C'est plus compliqué : s'ils ont obtenu jusqu'à 37% aux élections c'est qu'ils sont parvenus à politiser une série d'attentes, d'intérêts, d'aspirations, de désirs, d'affects, qui n'ont pas été créés de toutes pièces par les financeurs bourgeois, qui étaient présents dans au moins une partie des classes populaires comme dans toutes les couches sociales, et qui pouvaient renvoyer à une histoire longue (celle de l'antisémitisme par exemple).
Je dis volontairement “classes populaires” car la classe ouvrière – en Italie comme en Allemagne – est le groupe social qui a été le moins pénétré par le mouvement fasciste. Cela ne veut pas dire que les fascistes n'y ont aucune influence, mais dans les deux cas l'adhésion au fascisme a été beaucoup plus forte dans les couches moyennes salariées et la petite bourgeoisie que dans la classe ouvrière. Aujourd'hui c'est variable d'une société à une autre.
Dans le cas du Front National en France et de Marine Le Pen, ce serait se mettre la tête dans le sable que de dire qu'ils n'ont pas de base sociale dans une partie des classes populaires, même s'ils sont aussi très forts dans une partie de ce qu'on appelle les classes moyennes (notamment les petits indépendants). Et ce n'est pas juste un sous-produit du soutien des médias Bolloré, d'une stratégie d'endoctrinement qui passerait par CNews etc. : cela s'est construit bien avant que Bolloré ne bâtisse un empire médiatique et cela s'inscrit dans des dynamiques économiques, sociales, politiques et idéologiques de long terme, dans lesquelles la gauche – en particulier le PS – a une énorme responsabilité. Toutes choses que j'essaie de montrer dans le livre.
Tu parles de rhétorique anti-système. C'était effectivement mobilisé par le RN auparavant mais est-ce que tu ne trouves pas qu'aujourd'hui il essaye plutôt d'apparaître comme une droite “légitime” et “sérieuse” ?
Oui mais tout dépend du moment dans lequel on se trouve, de l'étape dans le processus de montée du fascisme vers le pouvoir. La révolte réactionnaire, ce mélange bizarre d'ultra-conservatisme et d'appel subversif à détruire “le système”, varie selon les conjonctures et les besoins stratégiques et tactiques des fascistes.
Le FN a cherché à se développer dans les territoires anciennement marqués par la gauche et le Parti Communiste. Crédit photo : L'aciérie La Providence de Réhon, la dernière à fermer dans le bassin de Longwy, en 1984 ; Bruno Barbaresi, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
Dans les années 1980, ils ont beaucoup plus une rhétorique conservatrice car leur objectif à ce moment-là est de conquérir une partie de la base sociale de la droite traditionnelle. Et c'est ce qu'ils font : l'essentiel de la première base sociale du Front National ce sont des gens qui votaient à droite auparavant. Ils vont avoir une stratégie différente à partir des années 1990 car ils voient bien que le mouvement ouvrier et le Parti Communiste sont en déclin très prononcés et qu'il y a la possibilité de se développer dans les territoires de vieille implantation de la gauche (PCF mais aussi PS) : le bassin minier dans le Pas-de-Calais, la Lorraine antérieurement sidérurgique… C'est dans le cadre de cette stratégie qu'il vont commencer à développer une rhétorique dite “sociale” et antisystème plus prononcée, notamment contre l'Europe alors qu'auparavant, jusqu'au début des années 1990, ils étaient pro-Europe car, dans leur vision et leur imaginaire, elle permettait de se défendre face à l'Union Soviétique.
Toute cette stratégie a été accentuée dans les années 2010 par Marine Le Pen, notamment dans le contexte de remontée des luttes sociales qui a marqué le cycle 1995-2010. Je pense que Marine Le Pen a bien senti que quelque chose se passait dans la société française en termes de conflictualité sociale et de refus du néolibéralisme, et qu'il y avait nécessité pour le FN de parler davantage de la “question sociale”. Il y a aussi eu l'arrivée au pouvoir de François Hollande qui a mené une politique de fait très à droite sur le plan économique et social. Les dirigeants du FN se sont certainement dit qu'il y avait là une opportunité de se développer dans des régions où la gauche était historiquement forte mais où elle était en train de se discréditer, et où il y avait donc intérêt à mobiliser un discours “social”.
« François Hollande a mené une politique de fait très à droite sur le plan économique et social » Crédit : Par Nikeush — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
Aujourd'hui elle estime qu'elle a conquis durablement des pans entiers de l'électorat populaire. Son but est donc différent : il est à nouveau d'aller à la pêche à l'électorat de la droite traditionnelle, donc il faut donner des gages de sérieux économique, c'est-à-dire d'orthodoxie néolibérale, à la bourgeoisie mais aussi à toutes les couches sociales qui sont idéologiquement sous la coupe de la bourgeoisie. Donc la rhétorique “anti-systéme” est mise en sourdine, sans jamais disparaître complètement car elle sait que, dans le contexte français, il y a une conflictualité importante qui peut remonter à différents moments : Gilets jaunes, mouvements pour les retraites… Et on voit que certains députés ou dirigeants – Philippot il y a 10 ans ou Tanguy aujourd'hui – ont pour fonction de réactiver régulièrement le discours “social” pour montrer que le FN/RN n'oublie pas les ouvriers, les “petits”, etc.
Il faut bien voir que les courants fascistes et néofascistes sont fondamentalement opportunistes en matière économique et sociale, particulièrement lorsqu'ils ne sont pas au pouvoir. Marine Le Pen et le noyau dirigeant du FN/RN sait qu'ils peuvent appuyer sur la touche “anti-système” du piano si nécessaire, mais en ce moment ils préfèrent appuyer sur d'autres touches, celles qui séduisent le Medef, les clientèles traditionnelles de la droite qui se situent davantage dans les classes moyennes et favorisées, d'où l'exposition importante de Bardella, qui joue cette carte depuis 2 ou 3 ans.
LA FASCISATION
Pour Frustration, j'ai développé l'idée d'un déjà-là fasciste . C'est un détournement du concept de Friot et de son déjà-là communiste, où il dit qu'on n'est pas dans une société communiste mais qu'on a dores et déjà des éléments de communisme. Donc c'est un peu la même idée inversée : on n'est pas encore dans le fascisme, même pas sur qu'on y aille stricto-sensu, mais on a dès aujourd'hui des éléments de fascisme. Tu penses quoi de cette idée ?
J'en pense du bien et ça rejoint ce que j'ai essayé de théoriser à l'aide du concept de “fascisation”. Ce concept a été employé dans l'entre-deux-guerres et les années 1970 de diverses manières, parfois de façons qui ne me plaisent pas. J'ai commencé à l'employer en 2020 dans un articlepour dire à peu près cela. Dans le livre que nous avions publié avec Ludivine Bantigny en 2021 on écrit à peu de choses près : “le fascisme est à la fois là et pas là”. Il est là dans le sens où un processus de fascisation est engagé, au sens où le fonctionnement et la matérialité de l'Etat ont déjà commencé à changer en se concentrant sur des groupes considérés comme des cibles faciles, des bouc-émissaires si on veut : les exilés, les réfugiés, les immigrés du Sud-Global, les minorités, notamment la minorité musulmane, et les Rroms, qui font l'objet non pas seulement de discriminations mais de procédures illégales, d'un racisme d'Etat pour être tout à fait clair. Par exemple, bien des mesures prises par les mairies contre les Rroms – notamment sur la scolarisation des enfants – sont illégales. On a vu, depuis vingt ans, toute une série de lois, de circulaires et de législations islamophobes sous couvert de laïcité, et qui constituent les éléments d'un régime d'exception à l'encontre de la population musulmane en France.
C'est cela que je désigne par “fascisation” : il n'y a pas un régime fasciste achevé, dans la société française, c'est évident, mais il y a des éléments du processus de fascisation qui ont été enclenché, non pas par les fascistes au pouvoir, mais par des agents de fascisation, les “fascisateurs” dit Frédéric Lordon – c'est la même idée, que sont aussi bien Emmanuel Macron, François Hollande, Manuel Valls que le fascisateur premier qu'a été Nicolas Sarkozy. Dans Comment le fascisme gagne la France, de manière plus précise que dans la première édition, j'essaye de retracer, dans le chapitre sur l'autoritarisme, la manière dont les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis une vingtaine d'années et l'arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur en 2002, ont engagé la France dans ce processus de fascisation qui nous a emmené là où nous sommes : dans un Etat policier et non loin d'une arrivée au pouvoir de l'extrême droite.
Tu dis qu'il “serait erroné et dangereux de prétendre” que l'accès au pouvoir du RN ne ferait “que prolonger les politiques d'ores et déjà mené”. Pourquoi ? Je me pose la question notamment en comparaison avec d'autres pays en particulier la Hongrie, l'Italie et la Suède. Est-ce que les politiques racistes et répressives y sont radicalement plus fortes qu'en France ? Sur certains sujets précis, par exemple la répression du mouvement pour la Palestine, je sais qu'elle a été tendanciellement moins forte en Italie et en Suède qu'en France : moins de conférences interdites, moins d'interdictions de manifester et de violences policières… Un des éléments de polémiques sur mes articles sur la fascisation provenait d'un malentendu : des lectrices et lecteurs ont pensé que je disais que le RN s'était recentré alors même que je disais que le centre s'est extrême-droitisé, ce qui n'est pas la même chose. Pour le dire autrement : qu'est-ce qui différencie aujourd'hui tant que ça notre gouvernement actuel et les gouvernements d'extrême droite ? Qu'est-ce qui fait que ce serait forcément d'intensité beaucoup plus forte en cas d'arrivée du RN au pouvoir ?
D'abord j'ai essayé de montrer dans La Nouvelle Internationale fasciste que, dans le processus de fascisation, il y a deux tendances concomitantes et qui se renforcent : une normalisation du fascisme et une fascisation du normal ; une mainstreamisation de l'extrême droite et une extrémisation de la droite. Ensuite, quand je dis que l'extrême droite au pouvoir ne ferait pas que “prolonger les politiques d'ores et déjà menées”, cela signifie qu'elle ne se contenterait pas des législations en vigueur, notamment en matière d'immigration, de droit des étrangers, de liberté de la presse, de libertés publiques et de droits démocratiques.
Pour moi la comparaison n'est pas simple à manier entre pays. La meilleure comparaison c'est plutôt avant-après : est-ce que, quand l'extrême droite arrive dans un pays, quelque chose change – ou peut changer, si les luttes populaires ne l'empêchent pas – de manière substantielle. Est-ce qu'il y a des formes de continuité entre Obama et Trump ou Biden et Trump, par exemple en matière de politiques migratoires ? Oui, c'est évident, mais ce n'est qu'une partie de l'histoire, et s'en tenir là c'est à mon avis aussi naïf que ceux qui s'imaginent que les centristes n'ont rien à voir avec la fascisation. C'est rater le fait que l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite ouvre toujours la possibilité d'un saut qualitatif, qui est un saut dans le vide du point de vue des groupes opprimés, du mouvement ouvrier et des droits démocratiques.
Dans le cas du trumpisme par exemple, il ne s'agit donc pas de dédouaner Barack Obama de ce qu'il a fait entre 2008 et 2016 et de dire qu'avant Trump c'était très bien et après c'est devenu l'horreur. Il y a toujours des éléments de continuité mais aussi de rupture. Cela est aussi vrai du fascisme de l'entre-deux-guerres : Hitler prolonge ce que Brüning, Von Schleicher et Von Papen ont fait quand ils étaient au pouvoir entre 1930 et 1933. Mais il ne s'en tient pas là, il veut et va aller beaucoup plus loin. Ensuite, le degré auquel les fascistes vont aller plus loin en matière de politiques migratoires, sur la presse, les libertés publiques et la démocratie, cela dépend essentiellement des rapports de force sociaux et politiques, du type de coalitions que construisent les fascistes et des appuis dont ils bénéficient dans l'Etat, du type de résistances qui leur sont opposées, des besoins qu'ils ont pour se maintenir au pouvoir de mater telle ou telle résistance ou pas, etc.
« La politisation d'une agence fédérale comme ICE (la police anti-immigration), permet à Trump d'intervenir partout dans le pays et semble ainsi en train de devenir une sorte de garde prétorienne du président Trump » – Des agents de l'ICE rencontrent le secrétaire à la Défense Pete Hegseth à la base aérienne MacDill, en Floride, le 6 mai 2025. Crédit : Par U.S. Secretary of Defense — https://www.flickr.com/photos/68842444@N03/54501379232/, Domaine public
Si on essaie de prendre tout ça en compte, il est à mon avis assez évident que la criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine a commencé avant Trump mais que celui-ci ne se contente pas de la prolonger mais l'amplifie et l'accélère, notamment à travers la politisation d'une agence fédérale comme ICE (la police anti-immigration), qui lui permet d'intervenir partout dans le pays et semble ainsi en train de devenir une sorte de garde prétorienne du président Trump (plus en réalité que les milices extra-parlementaire du type Proud Boys, etc.).
On pourrait dire la même chose pour Milei sous plein d'aspects : les politiques austéritaires et néolibérales, mais aussi de répression, menées par le centre-gauche et la droite en Argentine sont amplifiées de manière très radicale, y compris les attaques et la répression contre le mouvement ouvrier. Cela ne veut pas dire qu'il parvient à imposer toutes ses politiques ipso facto parce qu'il est au pouvoir : on le voit bien avec l'expérience de Bolsonaro au Brésil. Ce n'est pas parce que les néofascistes arrivent au pouvoir qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent. D'autant plus que, contrairement à l'entre-deux-guerres, ils n'ont généralement pas avec eux un mouvement de masse aussi structuré et implanté que les dirigeants fascistes de l'entre-deux-guerres, qui pouvaient mettre ça dans la balance, face aux résistances du mouvement ouvrier mais aussi aux résistances de certaines fractions des classes dominantes ou des élites étatiques.
Orban a marqué un changement qualitatif en matière de politiques migratoires, libertés académiques, liberté d'expression et de droits démocratiques – Viktor Orban en mars 2022. Crédit : Par Elekes Andor — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
Mais si je reviens à ta question : prenons l'exemple d'Orban, au pouvoir depuis une quinzaine d'années en Hongrie. Il est évident que sur le plan des politiques migratoires, de la liberté de la presse, des libertés académiques, de la liberté d'expression, donc de droits démocratiques élémentaires, il y a eu un changement qualitatif avec ce qu'il y avait avant, c'est-à-dire les sociaux-démocrates qui avaient trahi les espoirs de vague redistribution des richesses qui avaient été portés sur eux et qui avaient permis, ce faisant, le retour au pouvoir d'Orban. Comme dans bien d'autres cas, l'extrême droite est arrivée au pouvoir sur la base de la déception qu'a engendré le centre-gauche au pouvoir.
Les cas italiens et suédois sont différents. En Suède, le parti d'extrême droite n'est à ce stade qu'une force d'appoint au Parlement, il n'est même pas au gouvernement. Le cas italien est intéressant mais j'indiquerais quand même que nous ne sommes pas à la fin du processus : il faudra juger Meloni une fois que cette expérience de pouvoir sera plus avancée, il pourrait y avoir des sauts qualitatifs dans les mois et années à venir. Par ailleurs l'Italie est un cas où les coalitions droite-extrême droite existent depuis près de 30 ans. Ce n'est pas la première fois que l'extrême droite néofasciste arrive au pouvoir mais c'est la première fois qu'elle est en position dominante. Par rapport à la France surtout, l'Italie se caractérise par un niveau relativement faible de conflictualité sociale. Il y a des résistances en Italie, c'est indéniable, notamment le mouvement pour la Palestine qui est en vérité plus fort qu'en France, des centres sociaux qui peuvent nourrir une combativité dans pas mal de villes italiennes, des syndicats de base qui peuvent être remuants, mais il y a beaucoup moins de capacités à se projeter à l'échelle nationale, à travers des mouvements de masse qui déstabilisent le pouvoir politique, ainsi qu'à se transcrire sur le champ politique. La gauche de rupture est groupusculaire en Italie sur la scène électorale : il n'y a pas de “menaces” de ce point de vue là, pour Meloni et la coalition au pouvoir.
« L'Italie est un cas où les coalitions droite-extrême droite existent depuis près de 30 ans ». Giorgia Meloni en 2018 avec Matteo Salvini et Silvio Berlusconi. Crédit : Quirinale.it, Attribution, via Wikimedia Commons
La différence avec la France c'est que si le RN arrive au pouvoir c'est avec un arsenal juridique, réglementaire et étatique qui est déjà très avancé du fait de la fascisation impulsée depuis Sarkozy. Il a tout un répertoire d'actions immédiatement disponibles qu'il pourra utiliser contre des mouvements sociaux plus massifs et radicaux dans les dix dernières années qu'en Italie, et contre une gauche qui constitue malgré tout un concurrent pour le RN, contrairement au cas Italien où ce qu'il y a en face ce sont le Mouvement 5 étoiles et le Parti Démocrate, donc rien qui ressemble de près ou de loin à une gauche de rupture, et ces partis ne sont pas actuellement en capacité de battre la coalition des droites.
Les fascistes ne s'amusent pas à utiliser la force de manière extrêmement brutale juste par plaisir s'ils pensent que cela ne va pas leur rapporter quelque chose, s'ils escomptent qu'ils pourraient perdre du crédit. En Italie, la situation pourrait changer radicalement si le niveau de conflictualité s'élevait de manière nette et si la gauche de rupture devenait réellement une “menace” pour les partis actuellement au pouvoir. On en est loin il est vrai. Pour prendre un exemple, la CGIL, la principale confédération syndicale italienne, a invité Meloni a faire un discours à son congrès en mars 2023, quelque chose de tout à fait inimaginable pour la CGT en France. Meloni, dans ce contexte-là, n'a aucun intérêt à s'engager dans un déchaînement répressif, mais par contre elle a clairement renforcé son pouvoir (avec la réforme constitutionnelle de l'an passé, qui donne plus de pouvoir à l'exécutif) et avec le décret-loi sécurité imposé au printemps dernier, elle a accru la criminalisation de toutes les formes de contestation militante, en prévision d'une remontée de la combativité populaire.
Tu parles de rupture et de continuité, ce que je constate aussi Tu dis que l'on assiste à des sauts répressifs et racistes quand l'extrême droite arrive au pouvoir. En cela je suis d'accord. Mais ce qui me pose question c'est que je vois moi déjà un saut répressif et une rupture avec Macron. Il y avait déjà les éléments présents avec le PS et le gouvernement Hollande et la répression de la loi Travail. Les anti-racistes rappellent qu'il y avait déjà la répression et les violences policières dans les quartiers populaires, ce qui est vrai. Mais même sur ce thème, avec Nahel le niveau de violence a été extrêmement fort : un adolescent tué d'une balle dans la tête à bout portant, des morts dans la protestation qui a suivi… J'ai l'impression que le barrage s'est fait sur la promesse d'éviter ce saut répressif, mais que tous les éléments qu'on incluait dans ce saut répressif se sont finalement produits lors des deux quinquennats Macron. Je suis donc d'accord qu'avec un gouvernement labellisé d'extrême droite cela irait encore plus loin, que ce serait amplifié, mais j'ai aussi l'impression que ce serait aussi amplifié avec un président qui ne viendrait pas de l'extrême droite comme Gérald Darmanin ou Bruno Retailleau.
Comme je le disais plus haut, la fascisation peut passer par la mainstreamisation des néofascistes traditionnels ou par la fascisation des droites traditionnelles (en réalité elle passe bien souvent par les deux tendances). Trump c'est plutôt un personnage de la droite qui se fascise. Aujourd'hui beaucoup d'historiens du fascisme n'ont aucun problème à dire que Trump s'inscrit en continuité avec le fascisme. Et pourtant il n'a pas un mouvement fasciste de masse derrière lui, et lui ne vient pas des groupuscules suprémacistes ou néonazis, il vient de la droite traditionnelle.
“La trajectoire de fascisation n'est pas un processus linéaire, elle passe par une série de ruptures. L'arrivée au pouvoir de Macron s'inscrit dans une trajectoire qui a commencé antérieurement avec Sarkozy et Hollande mais constitue aussi une rupture claire même en termes quantitatifs.” Crédit : Emmanuel Macron en meeting en mars 2017 ; Nikeush, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Je n'ai donc aucun problème de principe à tenir compte de ce que tu dis. Pour préciser : ma vision c'est que le processus de fascisation n'est pas un processus linéaire, il passe toujours par une série de ruptures, liées à des défaites sociales, à des échecs politiques des gauches, ou à des refus de combattre (c'est flagrant dans le cas de l'islamophobie). L'arrivée au pouvoir de Macron s'inscrit dans une trajectoire qui a commencé antérieurement avec Sarkozy et Hollande, avec des points de rupture que j'ai essayé de documenter dans Comment le fascisme gagne la France, mais l'expérience Macron au pouvoir constitue aussi une rupture claire, qu'on peut mesurer même en termes simplement quantitatifs. Il suffit de prendre les chiffres que donne Paul Rocher sur l'usage des armes dites non-létales mais qui mutilent et qui tuent (qu'on pense à Rémi Fraisse, à Zineb Redouane ou à Mohamed Bendriss), ou encore la multiplication des interdictions de manifestations de la part de la préfecture de police de Paris. En termes statistiques il y a bien une rupture nette.
Qu'est-ce que ça peut être “plus que ça” ? Ça peut être plus de dissolutions, y compris d'organisations ayant un ancrage de masse. Une fois qu'on a dissout le CCIF (Collectif contre l'Islamophobie en France), le collectif Palestine Vaincra, la Coordination contre le racisme et l'islamophobie, la Jeune Garde, Urgence Palestine, que reste t-il ? Il reste la gauche révolutionnaire (NPA, LO, RP…), mais aussi les syndicats étudiants (l'UNEF comme cela a été mentionné par la droite il y a quelques années), et même la CGT ou la FI. Je ne sais pas si on prend suffisamment au sérieux le fait que le principal dirigeant de la droite française il y a quelques années, Eric Ciotti, maintenant passé sous la coupe du RN, a réclamé la dissolution de la France Insoumise, le principal groupe parlementaire de gauche. En termes d'éléments de langage fascisants balancés comme ça dans l'espace public, on ne fait pas mieux.
Le collectif Palestine Vaincra a été dissout par la Macronie. Militants du Collectif Palestine vaincra lors d'une manifestation pour la journée internationale des travailleurs à Berlin, le 1er mai 2022. Par Montecruz Foto — https://www.montecruzfoto.org/01-05-2022-Mayday-Revolutionary-March-Berlin, CC BY-SA 4.0
On peut toujours se dire que le pire a été atteint, mais ce n'est simplement pas vrai : on peut encore aller bien plus loin. Je ne dis certainement pas ça pour faire passer en sous-main l'idée “contentons nous du macronisme sinon ce sera pire”. Plutôt pour dire que le macronisme a mis le curseur très haut en termes de répression des manifestations et de recul des libertés publiques ; si l'extrême droite parvient au pouvoir, “plus loin” signifiera alors l'armée dans les quartiers populaires, la police tirant à balles réelles sur des manifestants, la dissolution d'organisations syndicales et politiques, etc. Il y a aussi un élément de contexte supplémentaire : le niveau de conflictualité sociale et politique tout à fait singulier qu'on retrouve en France par rapport à l'ensemble de l'Europe de l'Ouest qui contraindrait sans doute l'extrême droite en France à recourir à des moyens de répression beaucoup plus importants qu'en Italie, en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
Je pense que c'est pour cela que le livre n'a pas bénéficié d'une grande médiatisation en 2018, du moins dans les médias mainstream du genre Libération ou Le Monde. C'est à la fois un livre qui alertait sur le fascisme mais qui n'était aucunement complaisant avec le macronisme, qui cherchait à tenir les deux bouts : dénoncer le macronisme pour ce qu'il fait en termes de régression sociale mais aussi en ce qu'il favorise la montée du fascisme, tout en rappelant que le fascisme est un danger mortel pour les droits démocratiques les plus élémentaires, pour les minorités, les classes populaires dans leur ensemble, le mouvement ouvrier, etc.
Ugo Palheta, Comment le fascisme gagne la France, de Macron à Le Pen (2025), Éditions La Découverte, Coll. Cahiers libres, 392 pages
À un moment où on dénonçait la répression des Gilets Jaunes, on me demandait pourquoi je m'embêtais à analyser l'extrême droite et pointer le danger qu'elle représente, alors qu'il fallait se concentrer sur la dénonciation du macronisme. Le problème c'est que la bourgeoisie ne met jamais tous ses œufs dans le même panier, elle développe toujours des liens avec plusieurs partis capables

La France Insoumise et le NFP sont-ils des modèles pour nous ?
Au moment où Jeremy Corbyn et Zarah Sultana lancent un nouveau parti de gauche au Royaume-Uni, "Your Party" (YP), nous publions ici un premier article de l'organisation Workers'Liberty, qui s'interroge sur la question de savoir si la LFI de Jean-Luc Mélenchon et le Nouveau Front Populaire (NFP) en France, peuvent servir de modèles. Nous publions ensuite une réponse à ce texte, d'Olivier Delbeke membre de l'organisation française Aplutsoc. Si les deux textes s'entendent pour dire que la LFI de Mélenchon n'est clairement "pas un modèle" à suivre, il y a un débat sur le recours aux Fronts communs.
Olivier Delbeke appelle notamment à ne pas confondre la LFI et le Nouveau Front commun qui s'est mobilisé avec succès contre la menace fasciste lors des élections législatives françaises de juillet 2024. Sans idéaliser les Fronts populaires, il n'en demeure pas moins pour l'auteur que "la nécessité d'une unité de toute la gauche est le seul moyen de bloquer la voie" aux fascistes ou à leurs épigones, lors des prochaines élections françaises.
Premier texte de Martin Thomas de Worker's Liberty (RU)
Source : Workersliberty
Ou, Solidarity, 751 : https://workersliberty.org/files/2025-09/751_online.pdf
Traduction avec Deepl.
Jean-Luc Mélenchon, de La France Insoumise (LFI), a salué le projet Sultana-Corbyn comme son équivalent britannique. Hilary Schan, ancienne membre de Momentum et figure du projet We Deserve Better d'Owen Jones, a appelé à « un pacte électoral entre le nouveau parti, les Indépendants et les Verts... comme l'a montré le Nouveau Front populaire en France ».
En y regardant de plus près, on constate que LFI et Mélenchon ne sont pas un modèle.
Mélenchon a été membre d'un groupe quasi trotskiste (l'OCI) de 21 à 25 ans, et malgré son parcours entre-temps en tant que ministre loyal dans les gouvernements néolibéraux du Parti socialiste, il parle toujours de « révolution » (mais désormais d'une révolution « populaire », et non plus d'une révolution ouvrière). Le ton de LFI, comme celui de la politique française en général, est plus gauchiste et militant que celui de Sultana-Corbyn.
Mais sa politique est nationaliste, anti-ukrainienne et pro-gouvernement chinoise. Bien que Mélenchon lui-même soit toujours discrètement favorable à la solution « deux États » en Israël-Palestine, sa vice-présidente (et compagne) Sophia Chikirou penche plutôt du côté du Hamas. Un sondage réalisé en 2024 a révélé que 20 % des partisans de FI (contre 12 % de la population dans son ensemble) souhaitaient qu'au moins une partie des Juifs quittent la France.
Partisans
• LFI compte 500 000 partisans, mais il s'agit d'un total de listes de diffusion : légalement, LFI ne compte que trois membres, il n'y a pas de structure de parti et la démocratie ne va pas au-delà de consultations électroniques plébiscitaires (la dernière a recueilli quelque 60 000 votes). Il s'agit en grande partie d'une opération personnalisée « Mélenchon président ».
• Le Nouveau Front populaire (NFP) français, formé en 2024 pour contrer le RN d'extrême droite lors des élections législatives de l'époque, n'est pas vraiment un front populaire comme ceux des années 1930. Les marxistes ont condamné ces derniers comme des cas où un parti ouvrier a édulcoré sa politique pour s'aligner sur un parti bourgeois. Au sein du NFP, quel était le parti ouvrier qui affaiblissait sa politique pour s'effacer ? LFI a un ton plus à gauche que le Parti socialiste, le Parti communiste ou les Verts, mais la question de savoir s'il est réellement plus à gauche est une autre affaire. De plus, ce n'est pas un parti. Et le NFP ne comptait pas vraiment de parti bourgeois pur et dur en son sein. (Le « Front républicain », qui n'est pas une alliance formelle mais une habitude en France des partis du mouvement ouvrier de se retirer au second tour des élections pour soutenir les candidats de la droite traditionnelle contre l'extrême droite, ressemble davantage au précédent des années 1930).
• Cela ne signifie pas pour autant que le NFP soit un modèle à suivre. Il s'agit d'une alliance électorale alors qu'il devrait plutôt y avoir un mouvement de comités d'action locaux, avec peut-être quelques accommodements électoraux en conséquence.
Le pire
• Le nouveau livre sur LFI, La Meute, également évoqué dans Solidarity 750, est l'œuvre de journalistes grand public, mais il apporte certaines preuves que bon nombre des pires traits de caractère de LFI proviennent d'influences britanniques et américaines. Pour les gauchistes britanniques, utiliser ces traits de caractère de LFI comme confirmation ou justification de traits similaires ici serait une auto-confirmation, et non de l'internationalisme.
Mélenchon a longtemps été un laïc virulent, dans la tradition française. La Meute attribue le ton plus conciliant actuel de LFI à l'égard de l'islamisme à la brochure publiée en 1994 par Chris Harman, du SWP, intitulée The Prophet and the Proletariat (Le prophète et le prolétariat), et à l'influence de la dirigeante de LFI Danièle Obono, ancienne membre du groupe français apparenté au SWP.
LFI compte étonnamment peu d'anciennes figures du Parti socialiste ou des syndicats. Selon La Meute, son appareil central est façonné par « un afflux de jeunes, souvent issus de Sciences Po [la prestigieuse université française de sciences politiques], influencés par une gauche américaine très éloignée de la tradition universaliste française [c'est-à-dire plus attachée à la politique « identitaire » et « communautaire »] [qui ont] changé la sociologie du mouvement ».
Martin Thomas
Deuxième texte d'Olivier Delbeke d'Aplutsoc, France
https://aplutsoc.org
Lettre aux rédacteurs de Solidarity
À propos de « La France Insoumise et le NFP sont-ils des modèles pour nous ? » dans le numéro 751.
Chers camarades,
Je suis tout à fait d'accord avec les critiques que vous formulez à l'encontre de ceux qui, à travers le projet « Mon Parti », veulent mettre en place une version britannique du modèle organisationnel de la France Insoumise.
Mais le modèle populiste et bonapartiste promu par Mélenchon depuis 2017 avec la fondation de « La France Insoumise » est une chose qu'il ne faut pas confondre avec la question du NFP – Nouveau Front Populaire.
La naissance du NFP est le résultat de la pression massive exercée par la gauche contre le danger fasciste. Lorsque Macron, après le succès du RN de Le Pen/Bardella aux élections européennes de 2024, a décidé d'offrir ouvertement le poste de chef du gouvernement à Jordan Bardella en dissolvant le Parlement et en convoquant de nouvelles élections législatives, la menace d'une majorité parlementaire du RN était réelle.
Cela a provoqué une vague d'opinion publique de gauche qui a exercé une forte pression sur les dirigeants des partis de gauche pour qu'ils s'unissent sur le plan électoral. Des manifestations en faveur de l'unité ont eu lieu à Paris autour des lieux où se réunissaient les dirigeants. Compte tenu du niveau de division et de sectarisme de France Insoumise depuis 2017, la formation d'une telle unité électorale était une bonne chose. Et c'était la seule chose raisonnable à faire pour contrer le danger du RN.
Le nom de cette alliance électorale faisait référence à la tradition historique française du Front populaire créé en 1935 après la tentative fasciste de renverser la IIIe République lors des affrontements de rue du 6 février 1934. Le 12 février 1934, les cortèges massifs du PC/CGTU et de la SFIO/CGT se sont rencontrés et se sont tombés dans les bras au cri de « Unité ! Unité ! ». La veille, le PC était encore sur la ligne de combat « contre le fascisme social », c'est-à-dire sur une ligne de division des rangs ouvriers comme le KPD en 1933. Trotsky a beaucoup écrit sur la période 1934-1936 en France et vos lecteurs sont invités à le découvrir ou le redécouvrir (voir la brochure « Où va la France ? »).
Contre la vague en faveur d'un front unique ouvrier contre le danger de droite et fasciste, les dirigeants réformistes et staliniens ont promu une autre chose, différente de l'unité ouvrière, à savoir l'unité interclassiste avec le Parti radical, décrit par Trotsky comme « le parti démocratique de l'impérialisme français ».
Les radicaux ont été le parti pivot de la Troisième République et ils ont disparu avec la chute de celle-ci en juin 1940, lors de la défaite militaire de la France face à l'invasion hitlérienne.
Les trotskistes français ont toujours combattu et dénoncé la tromperie et la trahison du Front populaire, s'y opposant par l'action unifiée et indépendante de la classe ouvrière et de ses organisations. Mais, avec le poids et le succès de la grève générale de mai-juin 1936, le souvenir de la période du Front populaire est toujours resté dans la gauche française comme un point de référence magique face à tout danger fasciste ou réactionnaire. Ainsi, en juin et juillet 2024, cette référence était significative.
La pression massive des travailleurs et des jeunes a imposé l'unité de tous les partis de gauche : PS, PCF, LFI, Verts et de nombreux petits groupes. Ce fut une victoire des masses sur les directions de gauche. La référence au NFP par Owen Jones pour promouvoir un « pacte électoral entre le nouveau parti [YP], les Indépendants et les Verts » est donc erronée. D'abord, parce qu'il oublie le Parti travailliste, qui reste le parti des syndicats. Ensuite, parce que tous les éléments mentionnés sont soit douteux quant à leur nature sociale et politique, soit encore au stade d'un projet flou et incohérent (YP).
En ne combattant pas Macron plus résolument en se présentant aux élections, les partis du NFP ont saboté la dynamique populaire de juin-juillet 2024 et ont permis au gouvernement Bayrou de rester en place jusqu'au 9 septembre 2025.
Pour les prochaines élections, municipales en 2026, présidentielles en 2027, voire législatives anticipées si Macron dissout à nouveau le parlement, la nécessité d'une unité de toute la gauche est le seul moyen de bloquer la voie à des formules telles que « unir la droite » (RN + LR) ou du centre (du parti de Macron aux franges de LR qui souhaiteraient participer) avec la neutralité bienveillante du RN, qui sont tous candidats à faire payer la crise aux travailleurs.
La mobilisation sociale contre le budget d'austérité a fait tomber Bayrou, elle doit maintenant faire tomber tout le régime de la Ve République.
Olivier Delbeke, 25/09/2025.
https://aplutsoc.org
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La marginalisation de la langue russe divise la population (Ukraine)
La population russophone d'Ukraine figure parmi les principales victimes de l'invasion russe, et une grande partie d'entre elle a combattu dans les rangs de l'armée ukrainienne. L'appel à décoloniser l'Ukraine en interdisant la langue russe ignore ce fait, imposant une idée d'homogénéité culturelle étroite.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, continue d'insister sur le fait que sans une pleine reconnaissance des droits des Russes et des russophones en Ukraine, il ne peut y avoir de paix. « Notre objectif était, et reste, de protéger les Russes qui vivent sur ces terres depuis des siècles », a-t-il déclaré dans une interview le 19 août. Pendant ce temps, la Russie bombarde les villes mêmes où vivent la plupart de ces russophones, réduisant leurs maisons en ruines et décimant leurs familles. C'est ce qu'on appelle la protection par l'anéantissement.
Peu de gens doutent de la nature impérialiste de l'agression russe. Cependant, certains secteurs en Ukraine continuent de croire aux prétextes officiels de l'occupant et prônent une version inversée de son scénario : traiter la langue comme un signe de loyauté envers l'Ukraine et vouloir imposer l'identité culturelle de la population. Prenons l'exemple de l'activiste Sviátoslav Litynskyi, qui estime que la barrière linguistique « correspond à la ligne de front », prétendant qu'elle maintient les défenses ukrainiennes autant que l'armée. Ou encore Serhii Prytula, un célèbre volontaire, qui a déclaré que parler russe dans la rue est « un instrument de l'expansion russe » et que ceux qui le font deviennent également cet instrument.
La question est la suivante : transformer la langue d'un instrument de communication en une question de sécurité et lorsque le russe est une épée, l'ukrainien est un bouclier. Une fois cette voie tracée, les différences quotidiennes entre les gens ordinaires apparaissent comme une menace. Pour une société déjà épuisée par la guerre, l'austérité et des décennies de négligence institutionnelle, cette conception étroite de l'appartenance est une forme d'automutilation. Au lieu de forger la solidarité et de jeter des ponts entre les divisions, le discours politique insiste de plus en plus sur le fait que la véritable unité passe par l'homogénéité culturelle.
Une histoire d'oppression
Il est un fait que la langue ukrainienne a été opprimée pendant des siècles. Sous l'empire russe des tsars, la circulaire Valuev (1863) a nié son existence en tant que langue et interdit son utilisation dans les textes religieux et éducatifs. Le décret Emsky (1876) est allé plus loin et l'a bannie de toute publication et de tout acte public. Pendant la période soviétique, après une brève période de korenizatsia (indigénisation), destinée en principe à autonomiser les nations non russes et à restaurer leur confiance), la renaissance culturelle ukrainienne a été qualifiée de « nationalisme bourgeois » et la langue a été confinée dans une niche étroite. La langue russe, quant à elle, a été promue comme langue de communication interethnique dans toute l'Union soviétique, dominante dans la production de connaissances, la politique et la vie culturelle.
Après l'indépendance en 1991, la situation de la langue ukrainienne ne s'est guère améliorée en dehors de ses bastions dans l'ouest du pays. Les fonctionnaires avaient souvent des difficultés à l'utiliser, et une blague circulait selon laquelle le meilleur moyen d'éviter une amende était de parler ukrainien, car le policier ne saurait pas comment répondre. L'ukrainien a survécu comme symbole distinctif dans les cercles culturels et civils alternatifs, tandis que dans la vie quotidienne, il pouvait être ridiculisé comme la langue des « paysans incultes ».
Curieusement, mon premier emploi après l'obtention de mon diplôme m'a conduit à la compagnie aérienne Lufthansa en République tchèque. Après l'Euromaïdan, ils ont soudainement décidé d'embaucher des téléphonistes parlant ukrainien ; auparavant, les passagers ukrainiens ne pouvaient choisir qu'entre le russe et l'anglais. Cela en dit long sur la visibilité de l'ukrainien jusqu'à très récemment.
L'histoire explique la colère et la sensibilité. Elle explique également pourquoi la politique linguistique est un signe distinctif important de souveraineté. Mais elle ne peut justifier la reproduction de la logique d'exclusion en contrepartie.
Changements dramatiques
Il est ironique que la protection du russe brandie par le Kremlin ait eu l'effet inverse. Entre 2015 et 2024, la proportion de la population ukrainienne favorable à la suppression du russe dans la communication officielle a triplé, atteignant les deux tiers. Cette dynamique s'est accélérée après 2022 : aujourd'hui, près des deux tiers déclarent également que l'ukrainien est leur principale langue familiale ; le russe est tombé à 13 %. Le pourcentage de personnes pensant que le russe doit être banni de l'école est passé de 8 % à 58 %. Si Moscou parvenait un jour à imposer la reconnaissance officielle du russe, le recul pourrait être encore plus important. Cependant, le discours alarmiste selon lequel l'ukrainien serait en danger d'extinction reste d'actualité.
Cette considération de la langue comme une question de sécurité n'est plus une simple préoccupation culturelle. C'est désormais une loi. Alors que la Constitution garantit le libre développement du russe et d'autres langues associées aux minorités nationales et interdit toute discrimination linguistique, en 2021, la Cour constitutionnelle a déclaré que l'ukrainien était « le code de la nation », jugeant que les russophones, puisqu'ils comprennent l'ukrainien et peuvent le parler, ne constituent pas un groupe sociodémographique distinct. Au lieu de cela, ils ont défini ce groupe comme une construction politique, issue de décennies de russification, et donc dépourvu de fondement pour bénéficier de protections collectives telles que celles qui pourraient
s'appliquer à d'autres minorités, comme celles de langue hongroise.
La législation a renforcé ce cadre. La loi sur la langue officielle limite l'enseignement des langues minoritaires aux langues de l'Union européenne. La loi sur les minorités nationales exclut le droit d'utiliser une langue minoritaire si celle-ci est la langue officielle d'un État agresseur ou occupant. Le président de la Verkhovna Rada (parlement), Ruslan Stefanchuk, a expliqué que « si un peuple commet une agression, ses droits doivent être restreints ». Le ministre de l'Éducation l'a appuyé : les opportunités de développement égalitaire ne s'appliquent « catégoriquement » pas à la langue « utilisée comme une arme ».
Les hauts responsables de l'État rivalisent pour aller plus loin. Un ancien médiateur linguistique a rappelé que les soldats au front « tirent lorsqu'ils entendent parler russe » et a qualifié la langue ukrainienne d'« identifiant ami ou ennemi ». Son successeur a réclamé l'interdiction des chansons russes car, en temps de guerre, les scènes et les rues sont des « espaces de sens » réservés à « la langue et à la force spirituelle du peuple ukrainien ». Une médiatrice dans le secteur de l'éducation a directement proposé que les enseignants refusent de comprendre les élèves qui parlent russe.
Des personnalités du monde culturel amplifient le message. Un acteur célèbre a proposé de fouetter les enfants qui parlent russe. Un écrivain renommé a préconisé de surveiller les aires de jeux et de réprimander les parents d'enfants russifiés. Une blogueuse populaire s'est vantée d'avoir inculqué à ses enfants une attitude si négative envers le russe qu'ils pourraient en venir aux mains avec leurs camarades qui le parlent.
Une étude du réseau civique OPORA montre à quel point cette rhétorique envahit les écosystèmes médiatiques. Sur les principales chaînes Telegram, les Ukrainiens russophones sont souvent qualifiés de responsables de l'invasion, de porteurs d'une culture étrangère, de collaborateurs potentiels et de vestiges du passé soviétique. Le dénigrement est devenu la norme. Ce n'est plus un phénomène marginal. C'est la nouvelle orthodoxie.
Qui en paie le prix ?
Le coût est principalement supporté par ceux qui sont déjà devenus vulnérables à cause de la guerre. C'est dans le sud et l'est de l'Ukraine, c'est-à-dire dans les régions les plus dévastées par l'invasion et l'occupation, que le russe était le plus parlé. Des millions de personnes déplacées de ces régions sont confrontées à d'énormes difficultés économiques et sociales. Selon des études de l'Organisation internationale pour les migrations, ces foyers déplacés sont composés de manière disproportionnée de personnes âgées et de femmes qui s'occupent de parents atteints de maladies chroniques ou de handicaps.
Cependant, au lieu de solidarité, ces personnes russophones sont accueillies avec méfiance. Les familles déplacées à l'intérieur du pays sont accusées d'« apporter la langue de l'occupant » ; les appels à la création d'« inspections linguistiques » se multiplient. Traiter la langue comme un signe de loyauté brouille la menace réelle. Cela n'aide guère à mobiliser les citoyens autour d'un vaste projet national lorsque leurs croyances et leurs pratiques quotidiennes sont exclues du « corps de la nation ». Cela favorise la désolidarisation et le sabotage silencieux, et offre en outre à Moscou un cadeau propagandiste.
Il existe déjà des chaînes Telegram en langue russe qui diffusent des récits de harcèlement et de trahison, qualifiant les Ukrainiens russophones de groupe persécuté, contraint de sacrifier son identité, et accumulant la haine envers les activistes linguistiques « perturbés ». On peut souvent lire sur les réseaux sociaux un appel à exempter les russophones du service militaire : « Si nous ne sommes pas ukrainiens, pourquoi devrions-nous combattre ou rester ici sous les bombes ? » Cependant, le devoir semble être plus universel que le respect.
Il dresse également des obstacles à toute réconciliation future. Comme l'a souligné le groupe ukrainien de gauche Sotsialnyi Ruj en 2022, le russe reste la langue de millions d'Ukrainiens, y compris ceux qui luttent contre l'impérialisme russe, et refuser aux gens le droit à leur langue maternelle ne fait qu'aliéner une partie importante de la société. Et si n'existe aucun moyen légitime pour eux de s'exprimer, pourquoi ne voteraient-ils pas pour un politicien qui promet de le faire à leur place, aggravant ainsi la polarisation ? Toute minorité insatisfaite et exclue est un fardeau non seulement pendant la guerre, mais aussi lors de la reconstruction.
Je me souviens de cela à Sloviansk, où je travaillais avant de partir étudier à l'étranger, la ville dont la prise par les milices pro-russes a marqué le début du conflit armé en 2014. Des guerriers locaux de la « décolonisation » – souvent dotés d'un capital culturel plus important, certains fanatiques avides de drapeaux sang et terre – n'ont pas manqué l'occasion de prêcher que tout le monde devait parler ukrainien en leur présence et qu'il fallait « décommuniser » le plus rapidement possible tous les noms de rues. Dans une ville où l'industrie est en ruine, la population vieillissante et le taux de chômage élevé, ils n'ont pas réussi à obtenir de soutien, mais ont plutôt accentué le ressentiment. La majorité silencieuse a haussé les épaules et a continué à voter pour la fraction de l'ancien Parti des régions – la force dominante dans l'est russophone de l'Ukraine avant l'Euromaïdan – qui s'était présentée. Ce qui se voulait une libération a été perçu comme une imposition moralisatrice.
La logique de cette pensée ne se limite pas à la langue, mais est expansive. L'une des Églises orthodoxes est dénoncée comme étant « subordonnée à Moscou » malgré ses statuts. La politique mémorielle suit le même schéma : en juillet, les autorités de Lviv ont démantelé un mémorial soviétique de la Seconde Guerre mondiale, exhumant les restes de 355 soldats et proposant de les échanger contre des prisonniers de guerre ukrainiens. Le purisme passe facilement des mots aux tombes.
Le pire, c'est que cela ne servira probablement à rien. Si Vladimir Poutine décidait demain de se couronner tsar orthodoxe et protecteur, même une conversion massive et rapide au catholicisme ne l'arrêterait pas. Il pourrait simplement qualifier cela de nouveau complot des marionnettes occidentales visant à endoctriner ceux qu'il continue d'appeler la « nation sœur ».
Décolonisation ou essentialisme ?
Cet état de fait est justifié au nom de la décolonisation. Corriger les inégalités, garantir le développement de la langue ukrainienne et autonomiser ses locuteurs : ce sont là des objectifs légitimes, mais est-ce bien ce qui se passe ? La culture n'est pas une essence enfouie sous terre en attendant d'être déterrée. Elle est plurielle, vivante, chaotique. Au contraire, la décolonisation contemporaine la traite différemment : comme quelque chose à nettoyer, à purifier des vestiges impériaux, à compresser dans un moule unique, une excuse pour enseigner la vérité aux gens ignorants, exiger le repentir, la confession et la rééducation. Dans la pratique, cette rhétorique ne fait que reformuler les revendications ethno-nationalistes dans un langage progressiste destiné au public occidental.
Le souci des récits historiques au détriment des expériences réelles vécues par les gens fait que ces décolonisateurs ressemblent à la logique impérialiste à laquelle ils s'opposent. Le fait que les ukrainophones se soient sentis marginalisés ne les autorise pas – ni ceux qui agissent en leur nom – à harceler d'autres personnes aujourd'hui. Aucun Ukrainien n'a intérêt à remplacer une exclusion par une autre.
Survivre pour quoi faire ?
Voilà donc où nous en sommes : la population ukrainienne russophone bombardée par la Russie, victime de méfiance et de marginalisation dans son propre pays, écrasée entre le marteau et l'enclume. L'un envahit, l'autre exclut. Mais un projet qui purge son peuple pour survivre ne peut le libérer ; il ne fait que redistribuer la peur. Nous devons donc nous demander : si la survie exige cela, pourquoi voulons-nous survivre ?
L'alternative n'est ni l'assimilation impérialiste ni l'essentialisme nationaliste. C'est un projet politique fondé sur la démocratie et le pluralisme, non pas à des fins décoratives, mais comme seul moyen de rendre la solidarité réelle. Sinon, plus nous nous purifierons, moins il restera de personnes à défendre.
Oleksandr Kyselov, originaire de Donetsk, est un militant de gauche ukrainien qui travaille comme assistant de recherche à l'université d'Uppsala, en Suède.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

« Les médias de la haine », pourquoi ?
La campagne des médias Bolloré contre l'audiovisuel public est une parfaite illustration de ce que la presse indépendante appelle depuis des années « les médias de la haine ». Désinformation, campagnes ciblées contre des personnes, chasse en meute et relais politique du RN. Tout est en place pour détruire le débat public. Ce sera un des sujets de notre réunion publique du 30 septembre.
Tiré du blogue de l'auteur.
Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, s'est enfin réveillée. Alors que les médias d'extrême droite menaient depuis deux semaines une campagne déchaînée contre l'audiovisuel public, la dirigeante s'est enfin résolue à appeler un chat un chat, dans un entretien au « Monde ». « A un moment, il faut dire stop (…) Il faut admettre que CNews est un média d'opinion. Qu'ils assument d'être une chaîne d'extrême droite ! », dit la dirigeante.
Merci de le dire, mais nous le savions, le disions et le subissions depuis des années, nous, une large partie des médias indépendants et, ce, dans le silence quasi-général des médias mainstream… et de l'audiovisuel public. Cette déclaration tardive n'affaiblit en rien notre soutien aux journalistes du service public de l'information, et notre défense d'une information au service du public (et non de l'Etat), pluraliste, indépendante et de qualité.
Pourquoi cette appellation « médias de la haine » ? Parce que la haine est leur carburant et signe leur ligne éditoriale. Chaque jour, la machine à dénoncer se met en marche pour dresser le paysage apocalyptique d'un pays en voie de destruction. « Un populicide », selon l'illuminé du bocage vendéen, Philippe de Villiers, qui a table ouverte sur CNews depuis le départ d'Eric Zemmour, condamné pour incitation à la haine raciale.
La France serait donc mise à feu et à sang par le « grand remplacement », les Français de papier, les minorités, les immigrés, les universitaires, les « idiots du wokisme », les « islamo-gauchistes », la jeunesse des quartiers populaires, les musulmans, les « bobos », le crime et l'insécurité, les écologistes, les féministes, le planning familial et les pro-avortement (sans oublier « l'extrême gauche », il va de soi)...
Il ne s'agit pas d'informer, il n'y a d'ailleurs pas d'information sur CNews, sauf quelques images ou lecture de dépêches d'agence. Une interminable logorrhée appelée débats occupe l'antenne, où se succèdent des intervenants allant de la droite dure (version Retailleau) à l'extrême droite ultra (Erik Tegnér de « Frontières »). Le pluralisme à l'intérieur de cette prétendue chaîne d'info, condition impérative mise à l'attribution d'une fréquence (publique) de diffusion sur la TNT, n'existe pas.
Cette « ligne éditoriale » n'a rien à envier à Charlie Kirk, ce polémiste fondamentaliste chrétien, antisémite, homophobe et suprémaciste assassiné aux Etats-Unis, qui est célébré depuis une semaine par les médias d'extrême droite français (Louis Aliot représentera le RN à ses obsèques en Arizona).
Mais ce sont aussi les méthodes utilisées par cette galaxie qui en font des médias de la haine. Delphine Ernotte le savait sans doute en énonçant des évidences au journal « Le Monde ». Elle remettait une pièce dans la machine à propagande. Et cela n'a pas manqué. Le polémiste Pascal Praud (poids lourd de CNews, du JDD, d'Europe1) a clamé son indignation durant trois jours, accusant la présidente de France Télévisions de « coller une cible sur nos vies et celles de nos journalistes », quand elle se gardait de citer le moindre nom. « Oui, nous sommes dans une guerre culturelle », a-t-il de nouveau asséné.
En revanche, elle, ainsi que Thomas Legrand et Patrick Cohen font l'objet de campagnes personnalisées appelant à leur limogeage et disparition de l'espace public. En témoignent, parmi bien d'autres choses, les deux dernières « Une » du JDD et du JDNews, construites justement comme des cibles : « Le scandale des intouchables » ; « Radicalisation : ce que trahissent les propos de Delphine Ernotte ».
Ces campagnes « personnalisées », de nombreux journalistes ou personnalités les ont subies par le passé. Rappelons Pap Ndiaye, alors ministre de l'éducation, qui en juillet 2023, avait décrit Vincent Bolloré comme un « personnage manifestement très proche de l'extrême droite la plus radicale ». « Oui, CNews, c'est très clairement d'extrême droite. Je pense qu'ils font du mal à la démocratie, il n'y a aucun doute », ajoutait-il.
Immédiatement, une avalanche de boue se déversait sur le « ministre woke ». Offensive alors massivement relayée par LR et le RN. Deux semaines plus tard, il perdait son poste de ministre.
Rappelons également, le guet-apens tendu par Pascal Praud, en février 2024, à Christophe Deloire (décédé en juin 2024), alors dirigeant de Reporters sans Frontières et en charge des Etats généraux de l'information (voir la vidéo ici). La fureur de Praud envers celui qu'il qualifiait de « ministre de la censure » fut ensuite longuement relayée par Europe1 et le JDD.
Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, est également la cible régulière de ces attaques en meute. « Ami de Tarik Ramadan », « idiot utile des islamistes » ou seulement « islamo-gauchiste-trotskyste », il fut souvent présenté comme le chef de file d'une presse indépendante. Et cela donna même lieu à plusieurs cartographies où, là encore, il s'agissait de cibler d'abord des personnes puis des titres de presse : ici la « cartographie de l'extrême gauche » vue par « Frontières ».
« Le Point », « Valeurs actuelles », « Le Figaro magazine » se sont livrés à des exercices semblables. Car les « médias de la haine » infusent dans l'ensemble du système d'information. Leurs prétendus succès d'audience inquiètent, les concurrents s'inspirent ou copient. Leurs thèmes de prédilection comme leurs méthodes se diffusent, comme en témoignent l'inflation d'émissions de pseudo-débats ou l'arrivée sur France info de deux chroniqueurs de l'émission de Pascal Praud.
Face à cette machine puissante, qui progresse, se coordonne, et face au silence, quand ce n'est pas de la complaisance, des pouvoirs politiques, la presse indépendante doit réagir et, elle aussi monter en puissance.
C'est aussi pour cette raison que le Fonds pour une presse libre organise, le mardi 30 septembre dès 17h, « Le procès Bolloré, les médias de la haine devant le tribunal » lors d'une grande réunion publique à l'Espace Reuilly (75012). Il s'agira d'expliquer, de témoigner, de riposter.
Soyons nombreux ! l'entrée est gratuite, inscription obligatoire ici.
François Bonnet, président du FPL
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Le système Bolloré : quand l’empire médiatique protège l’empire néocolonial
Vincent Bolloré, héritier d'un empire industriel breton, est devenu en quelques décennies l'un des hommes les plus puissants de France. À la tête d'un conglomérat tentaculaire qui mêle logistique portuaire, transport ferroviaire, communication et médias, il a bâti une fortune estimée à plusieurs milliards d'euros.
Tiré du blogue de l'auteur.
Derrière ces chiffres colossaux, un fait central : l'Afrique a longtemps été, et reste en partie, le principal moteur de cette fortune. De Lomé à Douala, de Cotonou à Abidjan, l'empreinte de Bolloré sur les infrastructures stratégiques africaines est telle qu'il est régulièrement surnommé le “roi de l'Afrique” ou “l'empereur des ports” [2].
Bolloré est devenu l'exemple emblématique d'un néocolonialisme économique qui ne s'appuie plus sur les armées, mais sur la capture d'infrastructures vitales par des capitaux étrangers, en échange de concessions, licences et contrats imposés dans un contexte de privatisations massives. Les accusations sont nombreuses : corruption pour l'obtention des ports de Lomé et de Conakry, accaparement de terres, violations des droits humains, exploitation illégale de ressources comme le coltan, évasion fiscale, et proximité assumée avec des dirigeants autoritaires, souvent avec le soutien discret des ambassades françaises.
À ce pouvoir économique s'ajoute un vaste empire médiatique tout aussi déterminant. En France comme en Afrique, cette concentration sans précédent lui permet de modeler le récit public, de diffuser des idées d'extrême droite et de taire certaines enquêtes. En Afrique, Canal+ et ses filiales sont un levier majeur pour façonner l'imaginaire collectif, tout en minimisant ou occultant les controverses liées à ses activités économiques.
Le “système B” incarne la continuité de la Françafrique : un pouvoir économique bâti sur l'accaparement d'infrastructures vitales, doublé d'un pouvoir symbolique qui contrôle l'information et les imaginaires. De l'exploitation des quais africains aux plateaux télé parisiens, l'empire Bolloré illustre comment le capitalisme contemporain articule puissance économique et pouvoir symbolique pour perpétuer les logiques coloniales.
L'empire africain de Bolloré : ports, rails et monopoles logistiques
Pendant près de trois décennies, le groupe Bolloré a façonné le paysage logistique et portuaire de l'Afrique francophone et au-delà. De ses quais d'Abidjan aux terminaux de Lomé, de Dakar ou de Conakry, il a contrôlé des infrastructures vitales pour le commerce extérieur de plus d'une dizaine de pays. En 2021, il détenait encore seize concessions de terminaux à conteneurs, couvrant la quasi-totalité du golfe de Guinée, avant de céder l'essentiel de ses activités africaines au géant suisse Mediterranean Shipping Company (MSC) pour 5,7 milliards d'euros entre 2021 et 2022 [3].
Les terminaux à conteneurs constituaient le cœur de son empire, notamment à Abidjan, Conakry, Douala, Dakar, Cotonou, Lomé, Libreville et Owendo, Kribi, Meridian Port Services au Ghana, Tin Can Island au Nigeria, et jusqu'aux ports plus modestes de Bangui ou Moroni [4]. Ce maillage stratégique lui permettait de contrôler des hubs régionaux entiers, avec des concessions pouvant atteindre trente-cinq ans, parfois renouvelées bien au-delà. À ces positions maritimes s'ajoutaient des lignes ferroviaires comme Sitarail, reliant la Côte d'Ivoire au Burkina Faso, et Camrail au Cameroun, véritables artères intérieures reliant les ports à l'hinterland. Ces infrastructures assurent à Bolloré un contrôle intégré : de la sortie des matières premières sur les quais jusqu'au transport terrestre à travers plusieurs frontières.
L'expansion fulgurante du groupe en Afrique repose sur plusieurs leviers complémentaires.
Profitant des plans d'ajustement structurel imposés par la Banque mondiale et le FMI dans les années 1990, Bolloré a acquis à bas prix des actifs publics stratégiques [5]. Dans la zone franc, ces privatisations ont souvent été calibrées pour favoriser les intérêts français [6]. À cette stratégie économique s'ajoute un carnet d'adresses politiques particulièrement influent. De nombreux témoignages, dont celui de l'ex-directeur général Gilles Alix, confirment la porosité entre les réseaux d'affaires du groupe et les cercles dirigeants africains, avec l'embauche d'anciens ministres, des relais dans les chancelleries françaises et l'intervention directe de chefs d'État français, François Hollande auprès de Paul Biya pour Kribi ou le soutien amical de Nicolas Sarkozy [7]. Ces connexions ont alimenté ce que certains analystes appellent une “diplomatie économique de connivence” [8]. Parallèlement, plusieurs enquêtes judiciaires en France et en Afrique ont mis en cause le rôle de l'agence Havas dans des campagnes électorales africaines, notamment pour Alpha Condé en Guinée et Faure Gnassingbé au Togo [9]. L'attribution du port de Conakry à Bolloré en 2011, après l'éviction de Necotrans, a été jugée illégale, entraînant une condamnation à indemniser ce concurrent [10]. Pour Lomé, Vincent Bolloré a reconnu sa culpabilité en 2021 dans une affaire de corruption, acceptant une amende de douze millions d'euros, jugée dérisoire par les ONG [11]. Plus récemment, en mars 2025, un collectif de onze associations africaines a porté plainte en France pour recel et blanchiment d'actifs afin de récupérer les 5,7 milliards d'euros issus de la vente à MSC, estimant qu'ils provenaient d'un “système de corruption” systématique [12].
Cette mainmise sur les infrastructures a eu des conséquences profondes pour les pays concernés. À travers ses filiales comme SDV, Bolloré Logistics et le terminal à conteneurs d'Abidjan, le groupe contrôle une part disproportionnée des flux portuaires et ferroviaires, transformant des infrastructures vitales pour les populations en machines à profits privés. Ce contrôle ne relève pas du hasard, mais d'une stratégie systématique d'appropriation des corridors économiques africains, souvent grâce à des contrats opaques et à des relations étroites avec les gouvernements locaux.
Cette emprise sur le transport et la logistique est étroitement liée à un réseau politique de favoritisme et de corruption. Les concessions portuaires, les licences d'exploitation et les accords de transport sont négociés dans des cercles où les intérêts privés et le pouvoir politique se confondent, réduisant à néant toute transparence et toute possibilité de contrôle démocratique. Pendant que Bolloré engrange des milliards, les populations locales subissent la privatisation des infrastructures publiques, l'augmentation des coûts et la précarisation de l'emploi, tandis que les États voient s'éroder leur souveraineté économique.
Les effets sont spectaculaires et dénoncent une logique d'exploitation sans fard : les ports stratégiques deviennent des zones verrouillées, les transports terrestres essentiels au développement sont captifs de contrats déséquilibrés, et l'investissement privé remplace l'investissement public nécessaire pour le bien-être des populations. Derrière le vernis de la modernisation et du développement, c'est une mise sous tutelle économique qui se dessine, où les bénéfices sont expatriés et où les ressources africaines sont mobilisées pour enrichir quelques élites étrangères, laissant derrière elles des sociétés fragilisées et dépendantes.
Bolloré ne se contente pas de transporter des marchandises : il oriente les routes de la richesse africaine, impose ses intérêts et démontre combien les géants économiques peuvent façonner la vie des nations, bien au-delà de leur présence physique. Ce n'est plus une entreprise parmi d'autres, mais un symbole puissant de la persistance d'un néocolonialisme économique subtilement intégré aux structures politiques et économiques africaines.
Du hard power économique au soft power médiatique
À partir des années 2000, le groupe Bolloré a progressivement étendu son emprise sur le secteur des médias et de la communication, qui constitue aujourd'hui le cœur de son empire financier [13]. Cette expansion s'est réalisée par des acquisitions massives et une restructuration brutale de titres historiques. En 2005, Vincent Bolloré prend le contrôle d'Havas, crée la chaîne Direct 8, qui deviendra C8, et lance des journaux gratuits tels que Direct Soir et Direct Matin [14]. La revente de Direct 8 et Direct Star en 2012 lui permet d'entrer au capital de Canal+ et Vivendi, dont il prend le contrôle définitif en 2014 [15]. La consolidation de ses parts dans Havas en 2017 transforme Vivendi en pôle central du groupe, concentrant ses actifs dans la communication, les médias, l'édition, les jeux vidéo et l'industrie culturelle. La prise de contrôle d'i-Télé se solde par la plus longue grève de l'audiovisuel français en 2016, marquée par le départ des trois quarts de la rédaction ; la chaîne, rebaptisée CNews, devient un instrument de diffusion d'opinions d'extrême droite. En 2020, le rachat de 29,2 % de Lagardère permet au groupe de devenir propriétaire d'Europe 1, du Journal du Dimanche et de Paris Match, entraînant une réorientation idéologique brutale et le départ de la majorité des journalistes [16]. À la fin de 2023, les activités de communication représentent 95 % des effectifs et 77 % du chiffre d'affaires contributif, tandis que le bénéfice provient presque exclusivement de ce secteur, les activités industrielles étant déficitaires [17].
Les méthodes employées par Bolloré dans le contrôle de ses médias traduisent une logique de domination et d'intimidation. L'homme d'affaires ne se contente pas d'être un actionnaire ; il agit “totalement hors des clous”, imposant une ligne éditoriale marquée par ce qu'il décrit lui-même comme un besoin de “terreur” et de “crainte” au sein de la direction [18]. Ses médias sont accusés de massacre de l'information, d'instrumentalisation de la formation et de propagande, transformant le journalisme en outil au service d'un projet de société libéral et réactionnaire. CNews, en particulier, illustre cette dérive : la chaîne d'opinion diffuse des contenus où les faits sont relégués au second plan au profit d'opinions tranchées, et sert de tribune à des idées d'extrême droite. Cette concentration du pouvoir médiatique entre les mains d'un seul homme constitue un danger pour la démocratie, car elle permet d'orienter le débat public selon des intérêts privés et idéologiques.
Les pratiques de censure et de réorientation éditoriale témoignent concrètement de cette mainmise [19]. Des enquêtes sensibles ont été étouffées, comme celle de Canal+ sur le Crédit Mutuel en 2015, ou la tentative de Havas d'annuler la publicité au journal Le Monde en 2014 après une enquête sur les activités africaines de Bolloré [20]. Les journaux gratuits de Bolloré, tels que Matin Plus et Direct Soir, ont également été le théâtre de censures, qu'il s'agisse d'articles sur l'attitude de la police envers les Roms ou sur l'exploitation des données de transport public. À l'international, ses filiales n'hésitent pas à utiliser la menace judiciaire pour intimider journalistes et ONG, notamment en Afrique, comme le montre l'affaire d'un journaliste de Basta ! poursuivi au Cameroun pour un article sur l'accaparement des terres [21]. Les clauses de silence imposées aux journalistes ayant quitté ses médias traduisent un contrôle sur la parole qui dépasse largement le cadre légal et éthique.
Même après la vente de ses activités logistiques et portuaires en Afrique à MSC en 2021-2022, Bolloré conserve une influence stratégique sur le continent à travers Canal+ [22]. La filiale considère l'Afrique subsaharienne comme un “nouvel eldorado” pour la télévision payante, avec plus de huit millions d'abonnés et un chiffre d'affaires dépassant 850 millions d'euros en 2023 [23]. La stratégie de production de contenus locaux, la création de chaînes en langues africaines et l'acquisition progressive de sociétés de production visent à capter l'audience et à imposer un récit médiatique calibré. L'acquisition, en juillet 2025, de MultiChoice, géant sud-africain de la télévision payante, renforce ce quasi-monopole, transformant le groupe en acteur incontournable de la production et de la diffusion de contenus africains. Cette concentration pose de sérieuses questions sur le pluralisme et l'indépendance des médias, alors que l'expérience française de Bolloré témoigne de sa propension à instrumentaliser ses médias pour diffuser des idées d'extrême droite.
Enfin, l'appareil diplomatique français soutient activement ces expansions, entre visites officielles, communications publiques et parrainages, parfois au mépris des critiques concernant des violations des droits humains ou l'entrave à la liberté de la presse. L'alliance entre pouvoir économique et soutien étatique met en lumière la manière dont Bolloré façonne non seulement le marché des médias, mais aussi les imaginaires et le débat public, en France comme en Afrique, consolidant une domination qui dépasse largement le cadre du simple capitalisme industriel pour s'inscrire dans une logique de contrôle politique et idéologique.
Le lien stratégique : protéger l'empire économique par le contrôle narratif
La concentration médiatique de Bolloré ne se limite pas à un simple enjeu commercial : elle constitue un instrument stratégique pour protéger et légitimer son empire économique. En possédant des journaux, chaînes de télévision et plateformes en ligne, le groupe est en mesure de minimiser les enquêtes gênantes et de contrôler la manière dont ses activités sont perçues par le public.
Les journalistes s'intéressant aux affaires africaines ou aux pratiques du groupe se heurtent souvent à des pressions éditoriales, à des refus de publication ou à des départs forcés, limitant la circulation d'informations critiques.
Cette influence sur les contenus médiatiques a un impact direct sur la représentation de l'Afrique. Les médias du groupe présentent souvent le continent sous un angle limité, valorisant des réussites économiques ponctuelles tout en occultant les conséquences sociales, environnementales ou politiques des investissements de Bolloré. En effaçant ces réalités, les médias contribuent à une Afrique” invisible” ou édulcorée, où les rapports de force liés à l'exploitation des ressources ou à la mainmise sur des infrastructures stratégiques restent largement hors de vue.
Au-delà de l'économie, Bolloré exerce une forme de colonisation : le contrôle du récit public légitime l'influence du groupe et réduit la visibilité des critiques. Ce que certains analystes appellent le “système B” combine exploitation matérielle et domination médiatique pour reproduire une influence asymétrique. L'empire économique et la sphère médiatique se renforcent mutuellement, assurant que les activités du groupe demeurent perçues sous un jour favorable, tout en protégeant ses intérêts stratégiques.
Résistances, enquêtes et contre-discours
Le groupe Bolloré, longtemps perçu comme un acteur incontournable de la logistique et des médias, fait face depuis plusieurs années à une série de résistances, d'enquêtes et de contre-discours émanant de mobilisations locales, d'ONG et de journalistes indépendants. Son influence en Afrique, où il contrôle ports et infrastructures stratégiques, et en France, à travers son empire médiatique, est régulièrement dénoncée comme un exemple réussi de néocolonialisme occidental, combinant prédation économique et colonisation symbolique.
En Afrique, les activités portuaires et ferroviaires du groupe ont suscité de vives contestations. Au Cameroun, la gestion du terminal à conteneurs du port de Douala depuis 2004 et de la ligne ferroviaire Camrail depuis 1999 a été au cœur de nombreux scandales [24]. La catastrophe ferroviaire de 2016 sur la ligne Yaoundé-Douala, qui fit 82 morts et 600 blessés, révéla des pratiques dangereuses, telles que le non-respect des règles de sécurité, la surcharge des trains et l'utilisation de matériel vétuste [25]. En 2018, Camrail fut condamnée pour homicide involontaire et activités dangereuses [26]. D'autres affaires, comme le détournement de fonds de la filiale Douala International Terminal ou les soupçons de truquage autour de la concession du port de Kribi, ont nourri l'image d'un groupe naviguant dans l'opacité et la collusion avec le pouvoir politique local. Au Togo, la concession du port de Lomé en 2009, quelques mois avant la réélection de Faure Gnassingbé, a également été entachée de soupçons de corruption [27]. En 2021, Vincent Bolloré a reconnu sa responsabilité et conclu un accord avec la justice française, mais les ONG comme Sherpa et Anticor dénoncent les mécanismes de justice négociée, qui évitent un procès public et amoindrissent la transparence [28].
D'autres pays africains ont connu des situations similaires. Les activités de Socfin, où Bolloré était actionnaire minoritaire, ont été régulièrement critiquées pour accaparement de terres, déforestation, violations des droits humains et évasion fiscale, donnant lieu à des poursuites, y compris par des paysans cambodgiens [29].
Face à ces pratiques, un réseau d'ONG et de journalistes indépendants a émergé pour enquêter et dénoncer l'influence du groupe. Mediapart, cible fréquente des poursuites judiciaires de Bolloré, a publié de nombreux articles sur la face cachée de son empire, tandis que Reporters sans frontières a dénoncé le contrôle exercé sur les médias et les procédures bâillons visant à intimider les journalistes. Attac France, avec le rapport « Le Système Bolloré » et des campagnes de sensibilisation comme le « Bolloquiz », ainsi que le Collectif Restitution pour l'Afrique, ont amplifié ces mobilisations, allant jusqu'à déposer des plaintes pour recel et blanchiment d'actifs, dans l'espoir de restituer aux populations africaines les profits obtenus via des pratiques contestées. D'autres acteurs, comme l'Observatoire des multinationales ou Le Monde diplomatique, ont mis en lumière les mécanismes de prédation économique et médiatique, tandis que des ONG internationales ont documenté l'évasion fiscale et l'accaparement de richesses.
– Attac France, (2025), “Bolloquiz : le quiz pour tester vos connaissances sur le rapport « Le système B »”, Attac France, 29 Avril 2025.
– Orange, M., (2009), “Comment Vincent Bolloré s'est taillé un empire en Afrique”, Médiapart, 3 février 2009.
– RAF, (2015), “La plainte historique du Collectif Restitution Afrique (RAF) contre Bolloré : tout comprendre”, Restitution Afrique, 18 Mars 2015.
Cette contestation s'inscrit dans un mouvement plus large visant à « décoloniser » l'économie et l'information. Les médias indépendants et les collectifs éditoriaux cherchent à créer des contre-narratifs et à défendre la liberté d'expression. Des initiatives telles que la publication du livre collectif Déborder Bolloré ou l'appel au boycott des ouvrages du groupe Hachette témoignent de la volonté de limiter l'emprise idéologique et économique de Bolloré, en redonnant aux citoyens et aux journalistes un rôle central dans la défense de l'intérêt général.
Conclusion : Bolloré comme symbole d'un système plus large
L'examen des activités de Bolloré, qu'il s'agisse des ports africains, des lignes ferroviaires ou des médias français et africains, révèle une logique unique et cohérente : celle de l'appropriation stratégique et du contrôle systémique. Derrière chaque investissement se dessine la volonté de dominer des infrastructures clés, de capter des flux économiques et d'influencer l'information, créant des dépendances durables et consolidant une position hégémonique. Ports et rails, télévisions et journaux, tout converge pour structurer un pouvoir économique et symbolique, indissociable d'une vision néocoloniale.
Mais Bolloré n'est pas un cas isolé. Il incarne une facette contemporaine d'un modèle français de prédation économique en Afrique, qui perdure sous de multiples formes depuis la période de la Françafrique. Les multinationales françaises, protégées par des réseaux politiques et des dispositifs financiers sophistiqués, continuent de bénéficier d'une liberté d'action quasi totale, accumulant profits et influence au détriment des populations locales. Cette emprise illustre la nécessité de dépasser l'analyse d'un seul acteur pour comprendre un système plus vaste, où la concentration économique et médiatique devient un levier central de domination.
C'est dans cette perspective que l'approche du CADTM prend tout son sens. La lutte contre les dettes coloniales, contre les monopoles et contre la concentration médiatique n'est pas un combat sectoriel, mais un combat unique et transversal. Elle vise à exposer les mécanismes de pouvoir, à restituer aux populations la maîtrise de leurs ressources et de leurs informations, et à mettre fin à des logiques de domination qui perpétuent inégalités et dépendances. Contre les pratiques prédatrices et l'opacité des multinationales, la mobilisation citoyenne, l'action juridique et la vigilance médiatique constituent des outils indispensables pour rétablir la justice économique et sociale.
En fin de compte, le cas Bolloré illustre avec force que la question de la dette, des monopoles et de l'influence médiatique n'est pas seulement économique : elle est politique, sociale et symbolique. Elle appelle une riposte organisée, collective et transnationale, capable de remettre en cause les logiques d'appropriation et de contrôle qui façonnent encore aujourd'hui les relations entre la France et l'Afrique.
Par Jeanne Schuster
Sources
A.G., (2025), “Bolloré en Afrique : un néocolonialisme d'aujourd'hui”, L'insoumission, 27 Mars 2025.
Achille Mbog Pibasso, (2021), “Exclusif : le groupe Bolloré ne quitte pas l'Afrique”, Financial Afrik, 21 octobre 2021.
Attac France, (2025), “Bolloquiz : le quiz pour tester vos connaissances sur le rapport « Le système B »”, Attac France, 29 Avril 2025.
Biloa, M.-R., (2018), “Faut-il abandonner Vincent Bolloré ?”, Le Monde, 2 Mai 2018.
Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
Boko, H., (2018), “France-Afrique - comment Vincent Bolloré s'est construit un empire en Afrique”, Disco Digital Media, Inc., Paris.
Chaperon, I., (2021), “Bolloré prêt à vendre ses activités logistiques en Afrique”, Le Monde, 15 octobre 2021.
Collombat, B., Servenay, D., Charpier, F., Orange, M., & Seznec, E. (dir.), (2014), “Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours : Le vrai visage du capitalisme français”, La Découverte, 2014.
Complément d'enquête, (2017), “Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien ?”, YouTube, 5 juillet 2017.
Delanglade, S., (2013), “La machine Afrique de Bolloré”, Les Échos, 25 février 2013.
Deloire, C., (2021), “« Le système B » : le documentaire choc de RSF sur le système Bolloré”, Reporters sans frontières, 14 octobre 2021.
Deltombe, T., (2009), “Bolloré, l'homme qui aimait l'Afrique”, Le Monde diplomatique, avril 2009.
IBI World, (2023), “Bolloré : le véritable roi de l'Afrique”, IBI World, 22 janvier 2023.
La rédaction, (2022), “Bolloré : un empire françafricain”, Afrique XXI, 25 janvier 2022.
Noirot, T., (2012), “Les entreprises françaises en Afrique. Pillage contre transparence”, Outre-Terre, 33-34(3), 537-546.
Orange, M., (2009), “Comment Vincent Bolloré s'est taillé un empire en Afrique”, Médiapart, 3 février 2009.
Pauron, M., (2025), “La machine de guerre Bolloré décortiquée”, Afrique XXI, 24 Avril 2025.
Pigeaud, F., (2021), “Bolloré en Afrique : les profits de la dépendance”, Le Monde diplomatique, janvier 2021.
Pigeaud, F., (2021), “Vincent Bolloré, un magnat de la logistique en Afrique”, Le Monde diplomatique, Décembre 2021.
RAF, (2015), “La plainte historique du Collectif Restitution Afrique (RAF) contre Bolloré : tout comprendre”, Restitution Afrique, 18 Mars 2015.
Reporters sans frontières, (2021), “Le système B - L'information selon Vincent Bolloré”, YouTube, 14 octobre 2021.
Tilouine, J., & Piel, S., (2018), “Afrique, amis, affaires : révélations sur le système Bolloré”, Le Monde, 27 Avril 2018.
Notes
[1] IBI World, (2023), “Bolloré : le véritable roi de l'Afrique”, IBI World, 22 janvier 2023.
[2] IBI World, (2023), “Bolloré : le véritable roi de l'Afrique”, IBI World, 22 janvier 2023.
[3] IBI World, (2023), “Bolloré : le véritable roi de l'Afrique”, IBI World, 22 janvier 2023.
[4] IBI World, (2023), “Bolloré : le véritable roi de l'Afrique”, IBI World, 22 janvier 2023.
[5] Boko, H., (2018), “France-Afrique - comment Vincent Bolloré s'est construit un empire en Afrique”, Disco Digital Media, Inc., Paris.
[6] Noirot, T., (2012), “Les entreprises françaises en Afrique. Pillage contre transparence”, Outre-Terre, 33-34(3), 537-546.
[7] Boko, H., (2018), “France-Afrique - comment Vincent Bolloré s'est construit un empire en Afrique”, Disco Digital Media, Inc., Paris.
[8] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[9] Boko, H., (2018), “France-Afrique - comment Vincent Bolloré s'est construit un empire en Afrique”, Disco Digital Media, Inc., Paris.
[10] IBI World, (2023), “Bolloré : le véritable roi de l'Afrique”, IBI World, 22 janvier 2023.
[11] IBI World, (2023), “Bolloré : le véritable roi de l'Afrique”, IBI World, 22 janvier 2023.
[12] RAF, (2015), “La plainte historique du Collectif Restitution Afrique (RAF) contre Bolloré : tout comprendre”, Restitution Afrique, 18 Mars 2015.
[13] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[14] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[15] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[16] IBI World, (2023), “Bolloré : le véritable roi de l'Afrique”, IBI World, 22 janvier 2023.
[17] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[18] Reporters sans frontières, (2021), “Le système B - L'information selon Vincent Bolloré”, YouTube, 14 octobre 2021.
[19] Reporters sans frontières, (2021), “Le système B - L'information selon Vincent Bolloré”, YouTube, 14 octobre 2021.
[20] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[21] Reporters sans frontières, (2021), “Le système B - L'information selon Vincent Bolloré”, YouTube, 14 octobre 2021.
[22] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[23] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[24] Noirot, T., (2012), “Les entreprises françaises en Afrique. Pillage contre transparence”, Outre-Terre, 33-34(3), 537-546.
[25] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[26] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[27] Blamangin, O., Petitjean, O., & Simpère, A.-S., (2025), “Le système Bolloré de la prédation financière à la croisade politique”, Attac & Observatoire des multinationales, 24 avril 2025.
[28] Noirot, T., (2012), “Les entreprises françaises en Afrique. Pillage contre transparence”, Outre-Terre, 33-34(3), 537-546.
[29] IBI World, (2023), “Bolloré : le véritable roi de l'Afrique”, IBI World, 22 janvier 2023.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La liberté d’information, pilier de la démocratie
Il n'y a pas de débats publics de qualité, pas de contrôle citoyen sur l'action publique, pas de liberté d'expression ou de campagne électorale équitable sans liberté d'information et sans une presse et des médias libres et indépendants.
Tiré du blogue de l'autrice.
La liberté de la presse est un indicateur de la santé d'une démocratie et la Cour européenne des droits de l'Homme juge que la mission des journalistes consiste à en être les « chiens de garde »[1]. Là aussi, comme pour d'autres libertés, la France recule.
Il existe de nombreuses façons de s'attaquer à la liberté de la presse : baisse des subventions (comme l'a fait D. Trump s'agissant des financements par l'Agence américaine pour les médias mondiaux, dont ceux de neuf médias sur les dix d'Ukraine), refus d'accès de journalistes à certains lieux, mise au pas de journaux, désinformation, « procédures bâillon », assassinat (par exemple celui de Jamal Khashoggi par l'Arabie saoudite à Istanbul)… Si nous avons pu nous réjouir de la libération de Julian Assange, une hirondelle ne fait pas le printemps. Nous ne pouvons que nous inquiéter de voir la multiplication des attaques dans le monde, et singulièrement dans notre pays.
Ainsi, le Schéma national sur les violences urbaines (SNVU), que la LDH (Ligue des droits de l'Homme) a attaqué avec des syndicats de journalistes, visait à exclure les journalistes de certaines opérations de sécurité, au nom de leur protection. Devant cette mobilisation, le ministre de l'Intérieur a supprimé la disposition litigieuse, se souvenant certainement de la victoire des mêmes organisations devant le Conseil d'Etat s'agissant du Schéma national du maintien de l'ordre, tant pour la liberté d'informer des journalistes que celle des observateurs indépendants.
Pour le pouvoir, il s'agit bien, comme lorsque la loi Sécurité globale voulait interdire de filmer la police, de maintenir ces opérations dans un huis clos entre les forces de sécurité intérieure et la population, sans prendre le risque de devoir rendre des comptes sur l'usage de la force et les éventuelles violences policières que le « maintien de l'ordre » aurait générées. Le rêve de la police, comme de toutes les armées, est de tenir les journalistes éloignés du champ de bataille pour ne leur laisser à commenter que les images choisies accompagnées des éléments de langage auto-justificateurs de leur action, quand elle ne les embarque pas directement dans des opérations de communication.
C'est évidemment contraire au principe de redevabilité posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Il n'est pas anodin que le Beauvau de la sécurité n'ait pas intégré le thème des rapports des journalistes avec la police à ses travaux. La Commission Delarue avait alors dû être créée, pour répondre aux protestations des syndicats ou associations de journalistes. L'absence de réactivité sur les cas de violences subies par des journalistes ou sur le SNVU de la part du comité de suivi de ses recommandations interroge.
Nous réaffirmons à chaque occasion qu'il ne peut y avoir de liberté d'informer sans liberté d'aller et venir pour les journalistes, sans la prise en compte de cette liberté et de sa protection par les forces de sécurité. Les images, désormais régulières, d'actes de violence exercés par des policiers contre des journalistes clairement identifiés lors d'opérations contre les manifestants, y compris lors de la mobilisation du 10 septembre 2025, laissent penser qu'à défaut de pouvoir exclure la profession de jure de ces opérations, on tente de les exclure de facto par la peur.
L'absence de sanction pour ces faits, et l'impunité que cela crée dans le rapport police journaliste, laissent craindre que les autorités politiques ne partagent ce souhait et tentent par tous les moyens de maintenir les journalistes au sein des cellules de crise, loin de la réalité du terrain. De tels agissements sont inacceptables dans un Etat de droit. Ils nous font glisser vers un Etat policier.
Le même souhait de contrôler les images et de cadrer les commentaires irrigue la sphère politique. Au nom de la logistique des déplacements présidentiels, les présidents sélectionnent les journalistes les accompagnant, créant un effet de cour puisqu'il est préférable de ne pas déplaire pour être adoubé. La réduction de l'accès à l'information est une autre dérive : depuis les gilets jaunes, le contenu de l'agenda présidentiel est très succinct. En particulier, l'information sur ses déplacements est lacunaire, pour éviter que les citoyennes et citoyens ne puissent exprimer leurs revendications ou que les journalistes soient présents pour couvrir ces moments de contestation.
Hélas, cette pratique se diffuse également au sein des partis politiques qui pensent ainsi contrôler leur image. Alors que seule l'extrême droite excluait de ses rassemblements des journalistes qui lui déplaisaient, ce procédé s'étend désormais aux autres courants politiques, comme en 2022 lors de l'unique meeting du candidat Macron, où des médias gênants, comme Reporterre, n'ont pas été accrédités « faute de place » dans une salle pourtant à moitié vide, ou plus récemment avec l'exclusion d'un journaliste du Monde de l'université d'été de LFI[2]. Qu'un parti de gauche, dont nous pourrions attendre que la défense intransigeante des libertés publiques guide l'action, puisse s'aligner sur ces pratiques est un très mauvais signe vis-à-vis de la liberté de la presse. La liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme concerne aussi les opinions minoritaires, y compris « celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ; ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de société démocratique »[3].
Il ne peut cependant y avoir de liberté de la presse sans des journalistes libres. La concentration actuelle de 90% de notre presse dans les mains d'une dizaine de milliardaires diffusant une même doxa libérale autoritaire ne permet pas cette information libre et contradictoire à laquelle nous avons droit. En 1944, au sortir d'une guerre ayant vu le gros des médias basculer dans la collaboration, mais aussi après les années 30 où des milliardaires ont acheté des titres de presse pour servir leurs intérêts économiques et politiques au service d'une extrême-droitisation des esprits, une ordonnance a réformé le secteur de la presse : interdiction de posséder une entreprise de presse, et une autre entreprise pour ne pas mettre de journaux au service d'intérêts financiers, interdiction de concentrer les journaux pour préserver les points de vue différents qui permettent une information plus honnête.
Aujourd'hui, la situation est telle, en France comme dans nombre de pays de l'Union européenne, que la présidente de la Commission européenne a dit dans son discours annuel au Parlement, début septembre : « Nous allons utiliser nos outils pour soutenir les médias indépendants et locaux. La liberté de la presse constitue le fondement de toute démocratie. Et nous aiderons la presse européenne à préserver sa liberté ». Il est temps de revenir aux fondements de l'ordonnance de 1945 avant qu'une presse sous contrôle de milliardaires, qui diffuse une vision contraire à la République sociale affirmée par le Préambule de la Constitution de 1946, ne finisse par conduire l'extrême droite au pouvoir.
La décision de 2024 du Conseil d'Etat protégeant le pluralisme des opinons devrait guider le choix lors de la répartition des concessions de chaîne sur la TNT, de même que le respect des cahiers des charges exigeant de ne pas diffuser des contenus de haine (raciste, antisémite, anti-LGBTI, etc.). La LDH s'était prononcée contre le renouvellement de C8 ou de CNews, pour leurs contenus contrevenant à tous ces principes[4]. Elle n'a pourtant été entendue que pour C8.
La protection du secret des sources n'est pas encore bien affermie puisque des journalistes, comme Ariane Lavrilleux (ayant dévoilé pour Disclose un possible crime d'Etat), ont pu être placés en garde à vue et faire l'objet d'enquêtes pour connaître leurs sources[5]. La loi de 2010 prévoit en effet une exception dangereuse pour l'effectivité de la protection des sources : la possibilité de faire prévaloir « l'impératif prépondérant d'intérêt public ».
Enfin, et nous n'en sommes heureusement pas là en France, s'attaquer à la liberté de la presse c'est aussi s'attaquer à la vie de journalistes. C'est ce que nous voyons Israël faire à Gaza depuis plus de deux ans, dans l'indifférence d'une grande partie de nos médias[6]. Plus de 240 journalistes sont morts à Gaza[7] depuis le début des opérations israéliennes, tués pour que nous puissions entendre aussi la voix de ceux qui survivent sous les bombes depuis plus de deux ans, ou à la famine organisée par Israël.
Ces journalistes sont morts parce que leur mission d'information leur paraissait plus importante dans ces circonstances que leur vie, dans le silence assourdissant de notre Etat ou de l'Union européenne. L'Unesco a par ailleurs dénoncé l'impunité pour 85% des meurtres de journalistes dans le monde.
Il n'y a pas de liberté de la presse sans des journalistes libres. Cela nécessite du courage, de l'impertinence. Non pas celui qui consiste à couper la parole au plus faible pour lui faire dire ce que l'on souhaite entendre mais le courage de rompre avec une forme d'entre-soi afin d'avoir l'impertinence de dire ce qui est au cœur du métier de journaliste : la vérité. Seule la vérité nous sauvera du programme sectaire de l'extrême droite et pour cela il nous faut urgemment une presse libre et indépendante, respectée par les pouvoirs publics et les partis et recherchant le vrai et non pas l'acceptable.
Nathalie Tehio, présidente de la LDH
Notes
[1] Voir par exemple CEDH 7 juin 2007, Dupuis c. France, n°1914/02 ou l'arrêt Goodwin c. RU de 1996
[2] Référence au refus d'accréditation par LFI à ses universités d'été d'août 2025 du journaliste du Monde Olivier Pérou, en raison de la publication de La Meute – Enquête sur La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon.
[3] CEDH 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni
[4] https://www.ldh-france.org/renouvellement-des-frequences-tnt-dont-les-chaines-c8-et-cnews
Article de Pierre-Antoine Cazau, membre du Bureau national de la LDH
[6] La LDH et le SNJ organisent un colloque au théâtre de la Concorde à Paris le 27 septembre 2025 : « Gaza, autopsie d'une couverture médiatique ».
[7] https://www.ldh-france.org/stop-a-la-guerre-et-au-ciblage-des-journalistes-au-proche-orient/
La Fédération internationale des journalistes et l'Union internationale de la presse francophone ont lancé en 2024 le prix Shireen Abu Akleh pour récompenser le courage et l'engagement des femmes journalistes, en hommage à cette journaliste tuée dans le camp de réfugiés de Jénine, alors qu'elle effectuait un reportage en direct le 11 mai 2022.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La crise paroxysmique népalaise et son contexte régional
Il a suffi de quelques jours pour que la situation bascule brutalement au Népal, débouchant sur de violentes émeutes, avant que la démission du gouvernement Oli et la nomination en tant que Première ministre par intérim de la juriste Sushila Karki ne permettent un retour au calme, le pouvoir de fait se retrouvant entre les mains de l'armée. L'explosion de la poudrière népalaise a été précédée et suivie par des mouvements populaires d'une ampleur rare dans la région. Révoltés par l'arrogance des oligarchies, ils ont souvent pour drapeau la lutte contre la corruption.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
24 septembre 2025
Par Pierre Rousset
La crise népalaise apparaît comme une réplique lointaine du tremblement de terre social dont l'Indonésie avait été l'épicentre. La « société civile » est très vivace dans ce pays, utilisant les réseaux sociaux pour se tenir informé des actions engagées dans cet immense archipel (280 millions d'habitant.es). Fin août, les parlementaires ont dansé après s'être accordé une fort substantielle indemnité de logement. La vidéo de ce spectacle indécent est devenue virale. Ce fut l'étincelle qui déclencha le mouvement anticorruption, dans la capitale, Djakarta. La mort d'un livreur à moto, Affan Kurniawan, 21 ans, percuté par un blindé de la police, a donné un coup de fouet supplémentaire à la protestation qui s'est étendue à plus de cent centres urbains. Des bâtiments gouvernementaux et le logement de quelques personnalités politiques en pointe dans la politique répressive ont été incendiés. La révolte a embrassé un large éventail de questions, telles que les inégalités régionales, la pauvreté, les coupes budgétaires dans la santé et l'éducation, le risque de militarisation : le président Prabowo Subianto est un général au lourd passé répressif qui accorde actuellement des pouvoirs nouveaux à l'armée. La répression a été sévère : morts, disparus, nombreux blessés, incarcérations... Le régime a pris quelques mesures de temporisation, face à la colère populaire, mais il se durcit actuellement et dénonce dans les manifestant.es des « traîtres à la nation ».
Au Népal, c'est l'interdiction des réseaux sociaux, tels WhatsApp et Messenger, qui a constitué l'étincelle provoquant une explosion sociale générale, alimentée par la spirale répression-radicalisation. Chassés par la pauvreté et l'absence de perspectives pour la jeunesse, de très nombreux népalais et népalaises ont émigré (quelque 7,5% de la population). Ces réseaux sociaux sont indispensables pour que les proches puissent garder le contact et que l'argent envoyé par les expatrié.es puisse parvenir aux familles restées au pays. Par ailleurs, de nombreuses petites et moyennes entreprises en dépendent aussi. Leur usage est donc proprement vital pour la population, ce que le pouvoir ne pouvait ignorer. Pour briser dans l'œuf la contestation naissante, les forces dites de l'ordre ont tiré, faisant au moins 19 morts (dont des écoliers et écolières se rendant en classe en uniforme). En deux jours, les 8 et 9 septembre, le pays a basculé dans une violence paroxysmique. Bon nombre d'immeubles ont été incendiés, dont des hôtels, l'épouse d'un ministre trouvant la mort, brûlée vive. Le palais présidentiel, les résidences de personnalités, le Parlement, le Singha Durbar (complexe où opéraient de nombreuses administrations et la plupart des ministères), les sièges de la Haute Cour de Katmandou et de la Cour suprême sont partis en flammes (leurs archives avec, dans un pays où elles n'ont pas été numérisées). L'armée a décrété le couvre-feu, imposant sa mainmise.
Ce n'est plus la royauté ni un général qui gouvernaient alors le Népal, mais une coalition pilotée par… des partis communistes. En effet, en 2006-2008, un soulèvement avait mis fin à la monarchie constitutionnelle (la monarchie absolue avait été renversée en 1990), puis établi une République – et le palais royal a été converti en musée. Après avoir renoncé à la lutte armée, divers PC, de référence maoïste, se sont succédé au gouvernement, nouant des coalitions changeantes, avec ou sans le Parti du Congrès. K.P Oli, Premier ministre au moment des émeutes, était ainsi labellisé « communiste » (il s'était distingué en 2020 en tentant de dissoudre le Parlement). Le factionnalisme a interdit la stabilisation d'un gouvernement. Faute d'une politique de réformes radicales à même de maintenir vivante la dynamique populaire, l'appareil dirigeant des divers partis communistes népalais s'est intégré à l'oligarchie dominante. Un processus de cooptation assez classique, justifié au Népal par un programme affirmant la nécessité d'une alliance avec la « bourgeoisie nationale ». La crise politique est devenue manifeste quand les partis communistes ont perdu l'élection municipale à Katmandou (la capitale) en 2022, au profit d'un candidat indépendant, Balen Shah (un rappeur et ingénieur structural devenu homme politique).
Le Népal compte quelque 30 millions d'habitant.es. Il est connu comme un Etat himalayen (il possède huit des dix montagnes les plus hautes du monde), mais une partie de la population réside dans la vallée du Gange et a été traditionnellement délaissée par le pouvoir central. C'est un pays d'une très grande complexité, multi-ethnique, polyglotte (la langue officielle est le népali), multi-religieux, multi-culturel, comprenant de nombreuses castes. Il est adossé à la Chine et borde l'Inde. La chaîne himalayenne est le théâtre de tensions frontalières. Le réchauffement climatique et la fonte des glaciers créent des lacs temporaires qui risquent de dévaster les vallées et le contrôle de l'eau devient, ici aussi, un enjeu géopolitique majeur. Le régime a tenté de négocier un équilibre dans ses relations avec ses deux grands voisins, chinois et indien, sans grand succès. L'opposition interne, comme les monarchistes, peut chercher des alliés en Asie du Sud. Les suprémacistes hindouistes, liés au Premier ministre indien, Narendra Modi, peuvent se prévaloir de la défense des populations hindoues des basses terres, effectivement discriminées.
La nomination de la juriste Sushila Karki en tant que Première ministre par intérim a favorisé le retour au calme, même si l'armée assure un pouvoir de fait. Elle bénéficie d'une réputation d'honnêteté qui remonte au temps où elle était membre de la Cour suprême. Cependant, des crises de régime se manifestent dans bien des pays de la région (et ailleurs dans le monde !) : renversement de Rajapaksa au Sri Lanka en 2002, renversement de Sheikh Hasina au Bangladesh en 2024, révolte populaire cette année en Indonésie, vaste mobilisation anticorruption en cours aux Philippines…
La solidarité et ses difficultées
Les événements népalais sont suivis de prêt dans toute la région. Les mouvements progressistes ont très vite manifesté leur solidarité avec la jeunesse et les couches populaires népalaises. Ce fut notamment le cas des organisations sœurs du NPA en Asie qui ont initié des appels en ce sens [1]. L'organisation de cette solidarité s'est cependant heurtée à plusieurs difficultés :
• Les liens historiques tissés par le passé avec les mouvements progressistes népalais concernaient souvent les partis communistes et leurs organisations syndicales ou paysannes, qui en prenant le pouvoir ont été malheureusement pris par le pouvoir.
• Les « figures » représentant la jeunesse mobilisée contre la corruption, ladite « Génération Z », ont, de leurs propres aveux, été complètement débordées durant des deux jours d'émeutes, l'ampleur et la nature des violences les plus extrêmes ne pouvant être justifiées. On perçoit ici, malheureusement encore, les faiblesses politiques et organisationnelles de la « Gen Z » ou de la « société civile » népalaise.
• Bien des inconnues restent concernant ce qui s'est passé les 8 et 9 septembre. Les « événements » expriment avant tout le degré de crise socio-économique et démocratique qui prévalait dans le pays. Une révolte de cette ampleur n'est pas le produit d'un « complot étranger ». Cependant, des acteurs nationaux (monarchistes…) et internationaux (hindouistes, Etats…) ont pu souffler sur les braises.
• Il semble bien que ce qui est à l'ordre du jour, c'est la reconstitution générale d'une gauche politique et sociale, un processus qui ne peut-être, il me semble, que long et auquel les forces progressistes de la région sont les plus à même d'aider.
Le Népal s'impose cependant à notre propre agenda international : une question à suivre, pour le meilleur, espérons-le.
Pierre Rousset
Notes
[1] https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76246
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

L’Inde après le sommet de Tianjin et à l’heure de la crise climatique - un tour d’horizon
A l'initiative de la Chine, le Sommet de Tianjin s'est tenu les 31 août et 1er septembre 2025, dans le cadre de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS). L'Inde y était invitée. Shushovan Dhar, militant politique et syndicaliste à Calcutta, analyse dans cette interview son déroulement et ses implications géopolitiques. Il s'attache aussi à analyser la nature du régime du Premier ministre indien Narendra Modi, le lien entre les crises climatique, démocratique et sociale qui taraudent le pays, ainsi que l'état des gauches parlementaires et radicales.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Pierre Rousset - comment analyser les résultats du sommet de Tianjin ?
Sushovan Dhar - Fondée en 2001 comme forum sur la sécurité, l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), initialement dirigée par la Chine pour contrôler les frontières et lutter contre « le terrorisme, le séparatisme et l'extrémisme » en Asie centrale, a progressivement élargi son champ d'action bien au-delà. Aujourd'hui, elle comprend l'Inde, le Pakistan et l'Iran et collabore avec plusieurs autres États « observateurs ». La Chine en a fait une plateforme pour affirmer son influence en Eurasie. À travers l'OCS, Pékin promeut l'idée d'un monde multipolaire, mais dans lequel la Chine joue un rôle central. Dans la pratique, l'OCS permet à la Chine d'attirer les pays d'Asie centrale dans son orbite économique grâce à des projets commerciaux et d'infrastructure, souvent liés à l'initiative « Belt and Road » (les « nouvelles routes de la soie »). L'organisation permet également de contrebalancer la présence des États-Unis et de l'OTAN dans la région. C'est également un instrument qui permet à la Chine de se présenter comme une puissance responsable, garante de la stabilité, contrairement à l'Occident dit « interventionniste ».
Le sommet de Tianjin représente un moment crucial dans cette stratégie plus large. En accueillant l'événement à Tianjin, Pékin a fait preuve d'une confiance et d'un leadership qui transcendent le symbolisme purement formel. Le sommet a positionné la Chine comme une puissance rassembleuse, réussissant à réunir des rivaux tels que l'Inde et le Pakistan, aux côtés de partenaires comme la Russie et l'Iran. Pékin tire parti de ces réunions pour établir un programme couvrant des sujets allant des banques de développement et de la coopération numérique à l'adaptation au changement climatique et aux mesures de sécurité, le tout formulé pour favoriser la Chine. De cette manière, elle cherche à renforcer sa légitimité comme leader du « Sud global », se présentant comme une alternative fiable aux États-Unis, souvent perçus comme unilatéraux et coercitifs.
Le sommet a permis de faire progresser plusieurs objectifs qui se recoupent. Il a donné à la Chine une profondeur stratégique en Eurasie, en maintenant l'Asie centrale et ses voisins hors de l'orbite des alliances dirigées par l'OTAN ou les États-Unis. Il permet également une approche de division pour mieux régner. En réunissant l'Inde et le Pakistan au sein du même forum, Pékin empêche l'un ou l'autre de s'aligner trop fortement sur Washington. Dans le même temps, l'OCS et les BRICS contribuent à construire un discours sur le « Sud global », dépeignant un nouvel ordre international dans lequel les anciens pays colonisés ont davantage voix au chapitre. Cependant, si la multipolarité est célébrée comme un objectif progressiste par certaines franges de la gauche, elle renforce en réalité la position de la Chine comme pôle dominant en Asie. Ses projets d'infrastructure massifs, ses investissements technologiques et ses corridors commerciaux servent l'expansion du capital chinois, et non la libération des travailleurs, des paysans ou des minuscules États de la région.
Il est ardu d'interpréter les actions de la Chine comme un véritable substitut à l'impérialisme occidental. Elles reflètent la montée en puissance d'une autre puissance capitaliste, qui cherche à réorganiser les hiérarchies mondiales à son avantage. Le discours anti-impérialiste est utilisé de manière stratégique, mais la logique sous-jacente d'exploitation et de domination reste intacte — seule différence, c'est désormais la Chine plutôt que l'Occident qui fixe les règles dans certaines régions.
Les récents sommets de l'OCS, notamment celui de Tianjin, ont mis l'accent sur l'adaptation au changement climatique, la réponse aux catastrophes et le développement vert, positionnant la Chine comme un leader dans la lutte contre les défis environnementaux. Mais, la réalité est souvent très différente de ce discours. Les projets de la Belt and Road Initiative (BRI) en Asie centrale et en Asie du Sud peuvent accroître la pression écologique : les immenses barrages, les centrales à charbon et les projets d'infrastructure perturbent les rivières, les forêts et les communautés locales. La coopération climatique de l'OCS donne souvent la priorité aux intérêts des États et des entreprises (sécurisation de l'énergie, du commerce et des investissements) plutôt qu'à la satisfaction des besoins des populations locales. En effet, le discours sur le climat devient un outil pour légitimer les projets menés par la Chine, tandis que les travailleurs, les paysans et les communautés marginalisées en supportent le coût.
Enfin, Tianjin est plus qu'un endroit ordinaire de réunion. Comme port et centre industriel majeur reliant Pékin à la mer de Bohai, elle symbolise la manière dont la Chine relie sa puissance économique nationale à ses ambitions mondiales. En y réunissant ses rivaux et ses partenaires, Pékin affiche sa confiance et son contrôle sur la politique et les réseaux commerciaux eurasiatiques. La ville incarne le discours de la Chine sur le développement : infrastructures modernes, connectivité et emplacement stratégique, renforçant son image de leader compétent et responsable, contrairement à un « Occident désordonné ». Tianjin, en ce sens, est un symbole concret de l'intégration du pouvoir économique, politique et stratégique de la Chine.
Comment comprendre la politique de Trump ? En principe l'Inde était une carte majeure pour contrer la Chine, sa cible première. Résultat : le sommet de Tianjin !
L'approche commerciale de Trump reflète un nouveau style direct de la puissance américaine. Son administration a utilisé les droits de douane et les sanctions comme outils pour influencer les autres pays afin qu'ils s'alignent sur les intérêts américains. Lorsque New Delhi a envisagé des choix indépendants, comme l'achat de pétrole ou d'armes à la Russie, Washington ne s'est pas contenté de s'y opposer diplomatiquement, mais a menacé d'imposer des sanctions et des restrictions commerciales. Il a imposé des droits de douane punitifs de 50 % sur les marchandises en provenance d'Inde. Ces droits de douane, parmi les plus élevés au monde, comprennent une pénalité de 25 % pour les transactions avec la Russie.
Il est toutefois crucial de comprendre que l'Inde n'est pas simplement une victime passive. L'élite dirigeante indienne recherche activement les marchés, les investissements et les armes de haute technologie américains afin de stimuler la croissance économique et de renforcer sa position sur la scène internationale. La contradiction apparaît lorsque l'Inde tente de jouer sur les deux tableaux : profiter des marchés américains tout en maintenant ses anciennes relations avec la Russie et en évitant une confrontation ouverte avec la Chine. Les droits de douane agressifs imposés par Trump ont révélé les limites de la soi-disant « autonomie stratégique » de l'Inde.
La plupart des mesures prises par Trump (droits de douane, restrictions en matière de visas ou menaces commerciales) ne relevaient pas uniquement de la politique étrangère. Il s'agissait aussi d'instruments de politique intérieure visant à rassurer les électeurs américains sur le fait qu'il protégeait les emplois et agissait avec fermeté envers les autres pays. Derrière les titres retentissants, ces politiques ont souvent redistribué les profits et le pouvoir de négociation entre les secteurs, plutôt que de remettre en cause la logique sous-jacente du capitalisme. Le spectacle des annonces de droits de douane ou des mesures répressives en matière de visas peut donner l'impression que le drame est plus important que la réalité structurelle : les flux financiers, technologiques et les alliances militaires se sont poursuivis sans interruption.
Prenons l'exemple des restrictions sur les visas H-1B. Pour les Américains ordinaires, ces mesures étaient présentées comme une protection des emplois nationaux. Dans la pratique, elles ont permis de renforcer le contrôle sur la main-d'œuvre hautement qualifiée, de limiter la croissance des salaires dans le secteur technologique et de souligner l'autorité managériale. Elles ont, ce faisant, détourné l'attention des problèmes structurels tels que la financiarisation, la faiblesse des protections sociales et la concentration des entreprises. Le secteur informatique indien et l'industrie manufacturière chinoise sont devenus des boucs émissaires commodes dans un discours visant à apaiser les inquiétudes nationales.
La stratégie géoéconomique de Trump variait également en fonction de la cible. La Chine, considérée comme un rival systémique, a été confrontée à des droits de douane, à des contrôles à l'exportation et à des efforts visant à ralentir son essor technologique. L'Inde, en revanche, a été traitée comme un acteur stratégique dans la région indopacifique : courtisée pour une coopération en matière de défense (comme le Quad [1] elle a également été soumise à des pressions pour ouvrir des secteurs tels que l'agriculture, les produits pharmaceutiques, le commerce électronique et les dispositifs médicaux. La suppression du système de préférences généralisées (SPG) de l'Inde et le resserrement des visas étaient des moyens d'inciter les marchés à s'ouvrir au capital américain sans perturber les relations plus larges en matière de sécurité. En d'autres termes, les outils étaient adaptés : discipliner la Chine, obtenir des concessions de l'Inde.
Le sommet de Tianjin s'est déroulé dans le contexte de cet équilibre délicat. Bien que cet événement ait été présenté comme anti-américain, il a principalement servi à Modi à réaliser une série de séances photo soigneusement orchestrées avec Xi Jinping et Vladimir Poutine. Modi a été invité au défilé militaire chinois commémorant le 80ᵉ anniversaire de la défaite du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale ; il a décliné l'invitation - une décision stratégique visant à éviter toute friction avec Trump tout en maintenant le dialogue avec Pékin et Moscou.
Plus globalement, que dit le sommet de Tianjin de la géopolitique Chine-Russie-Inde ?
L'Inde exprime son scepticisme face au rôle de l'OCS comme vecteur des intérêts chinois. Delhi équilibre sa présence au sein de cette organisation par sa participation à des forums occidentaux tels que le Quad. Ce n'est qu'en 2017 que l'Inde a officiellement rejoint l'OCS, organisme largement dominé par la Chine et la Russie, aux côtés du Pakistan, en partie pour éviter l'isolement dans son propre voisinage. Cependant, pour Delhi, il existe des contradictions et des facteurs d'équilibre. L'axe Chine-Pakistan est problématique pour la politique étrangère indienne. Ainsi, ces deux pays défendent des programmes auxquels l'Inde s'oppose, notamment au Cachemire et dans le cadre de la Belt and Road Initiative. Cependant, la Russie, partenaire traditionnel de l'Inde, contrebalance la domination chinoise. L'Inde reste dans l'OCS non pas parce qu'elle adhère pleinement à ses objectifs, mais parce que son départ laisserait à la Chine une influence incontestée en Eurasie. Pour New Delhi, l'OCS offre un accès à l'Asie centrale, une région riche en ressources énergétiques où l'Inde a autrement une portée limitée (en raison de la géographie et du blocus pakistanais). L'Inde est désireuse de s'emparer de cette plateforme de lutte contre le terrorisme, utilisant la rhétorique de l'OCS sur cette question pour attirer l'attention sur les groupes basés au Pakistan. Il y a également un aspect crucial de visibilité régionale. Ainsi, en étant présente dans la salle, l'Inde s'affirme comme une puissance eurasienne, pas seulement sud-asiatique.
La Russie a cofondé l'organisation avec la Chine en 2001, initialement comme une plateforme de sécurité visant à contrebalancer la présence de l'OTAN et des États-Unis en Asie centrale. Aujourd'hui, la Russie continue d'utiliser l'OCS pour maintenir des partenariats militaires dans la région, se présenter comme un garant de la sécurité en Eurasie et empêcher les États d'Asie centrale de se rapprocher trop étroitement de l'Occident. Malgré sa faiblesse économique, la Russie s'efforce d'éviter de devenir le partenaire junior de la Chine, utilisant l'OCS pour maintenir sa position dominante en Eurasie. Bien qu'elle dispose d'une puissance militaire, ses vulnérabilités économiques conduisent la Russie à s'appuyer sur ses exportations d'énergie et son industrie de l'armement pour maintenir son importance et obtenir des concessions. L'OCS sert de bouée de sauvetage diplomatique à la Russie, lui offrant un lieu où elle n'est pas isolée. Au milieu des boycotts et des exclusions occidentaux, les sommets de l'OCS permettent au président Poutine de partager la scène avec des puissances majeures telles que la Chine, l'Inde, l'Iran et les États d'Asie centrale. Ainsi, le Kremlin peut projeter une image de légitimité et atténuer sa dépendance totale vis-à-vis de la Chine.
Pour la Russie, la présence de l'Inde au sein de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) est avantageuse, car elle empêche l'organisation de devenir une entité dominée uniquement par la Chine. Cette dynamique permet à la Russie de jouer un rôle d'équilibre entre New Delhi et Pékin. Pour l'Inde, la Russie sert de lien crucial, facilitant son engagement avec l'OCS sans donner l'impression de succomber à l'influence chinoise. L'Inde tire profit de ses liens militaires et de sa bonne volonté historique avec Moscou. Cependant, la dépendance croissante de la Russie vis-à-vis de la Chine rend cet équilibre précaire ; l'Inde ne peut pas toujours compter sur Moscou pour tempérer les ambitions de Pékin. Par conséquent, cette situation nécessite une navigation prudente, qui reflète la stratégie globale de l'Inde : éviter de placer tous ses espoirs dans une seule voie et exploiter les contradictions entre les puissances majeures pour renforcer son influence.
Les républiques d'Asie centrale, à savoir le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, considèrent la Russie comme un partenaire traditionnel, malgré la puissance économique supérieure de la Chine. Elles reconnaissent l'influence économique de la Chine, mais nourrissent des inquiétudes quant à une dépendance potentielle et à une ingérence excessive. Par conséquent, le sommet de Tianjin souligne en même temps la capacité croissante de la Chine à façonner l'agenda et les tensions sous-jacentes qui entravent une unité totale.
Le sommet de Tianjin ne devrait donc pas effacer les lourds contentieux Inde-Chine, y compris sur le Cachemire. Cependant, peuvent-ils être mis en sommeil ? Et quelles incidences pour le Pakistan ou le Bangladesh ? Les dynamiques en Asie du Sud ? L'impact de la crise climatique et les conflits sur le contrôle de l'eau à l'heure d'inondations d'une gravité historique ?
Aucun sommet, y compris celui de Tianjin, ne peut effacer comme par magie les différends profondément enracinés entre l'Inde et la Chine, en particulier la question sensible du Cachemire. Au mieux, une telle réunion peut jeter les bases d'améliorations pratiques et progressives. Elles consistent à stabiliser la ligne de contrôle effectif (LAC) grâce à des canaux militaires et diplomatiques renouvelés, à réaffirmer les accords de désengagement passés et à mettre en place des mesures concrètes de renforcement de la confiance. Pour réaliser de réels progrès, il faudrait prendre des mesures durables et vérifiables : désengagement aux points de friction restants, partage transparent des données de patrouille et normes convenues et assorties de délais pour les opérations terrestres et aériennes.
Il est peu probable que la question du Cachemire soit abordée directement. L'Inde considère le Cachemire comme une question interne, tandis que la Chine maintient un alignement étroit avec le Pakistan, motivé par des intérêts stratégiques au Gilgit-Baltistan et dans le corridor économique Chine-Pakistan (CPEC). Cet alignement est devenu particulièrement évident lors des tensions entre l'Inde et le Pakistan en mai 2025. La Chine a apporté son soutien politique au Pakistan, dénonçant publiquement les actions de l'Inde et appelant à la retenue tout en préconisant le dialogue. Des rapports ont également fait état d'une assistance et d'une coordination militaires, notamment en matière de partage de renseignements et de soutien logistique, qui ont renforcé la position de négociation du Pakistan. Ces actions ont mis en évidence le fait que l'implication de la Chine n'est pas neutre ; elle soutient activement les partenaires qui servent ses intérêts stratégiques en Asie du Sud, même au risque d'aggraver les tensions régionales.
Il subsiste un écart significatif entre la désescalade à court terme et un règlement durable des différends relatifs à la LAC, sans parler du Cachemire. En bref, le sommet de Tianjin doit être considéré non pas comme une solution à un différend frontalier centenaire, mais comme un effort pratique de stabilisation. Il réduit le risque de crises, crée un espace pour une normalisation progressive des relations commerciales et interpersonnelles, et permet aux deux pays et à la région de naviguer prudemment dans des réalités géopolitiques complexes.
L'évolution des relations entre l'Inde et la Chine, en particulier à travers des engagements multilatéraux, a des répercussions notables dans toute l'Asie du Sud. Pour le Pakistan, les enjeux sont particulièrement importants, car le soutien de la Chine est crucial. Dans le même temps, l'implication de l'Inde auprès de la Chine via des plateformes multilatérales telle que l'OCS suggère que Delhi cherche à diriger le conflit sans le laisser s'aggraver. Cette stratégie peut créer un répit temporaire, mais elle est également source d'inquiétude pour le Pakistan. De plus, une détérioration des relations entre l'Inde et la Chine risque de perpétuer un cycle de crise, entravant toute réconciliation significative entre Delhi et Islamabad.
Pour le Bangladesh, l'impact est plus subtil, mais néanmoins significatif. Dhaka entretient des relations économiques et politiques étroites avec l'Inde et la Chine. Une stabilité accrue des relations entre l'Inde et la Chine le long de leurs frontières nord et nord-est pourrait apaiser les tensions régionales. Cela serait bénéfique pour le commerce transfrontalier et les initiatives de connectivité du Bangladesh, notamment les réseaux énergétiques, les corridors de transport et les chaînes d'approvisionnement. À l'inverse, si les interactions entre l'Inde et la Chine devenaient excessivement compétitives, le Bangladesh pourrait devoir prendre parti, ou jongler entre des exigences contradictoires, en particulier au sein de forums régionaux tels que le BIMSTEC ou l'architecture de sécurité du golfe du Bengale.
La coopération multilatérale, que ce soit dans le domaine du commerce, de l'énergie ou de la gestion des catastrophes, serait plus viable si l'Inde et la Chine pilotaient efficacement leurs tensions. Cependant, le soutien massif de la Chine au Pakistan et l'expansion de son initiative « Belt and Road » à travers le Népal, le Sri Lanka et d'autres pays voisins pourraient exacerber la concurrence stratégique. Cette situation pourrait contraindre les pays de la région à continuellement équilibrer leurs relations avec l'Inde et la Chine. En conséquence, l'Asie du Sud pourrait se retrouver prise entre ces deux grandes puissances, où l'autonomie des petits États est limitée et où la diplomatie régionale devient un exercice de navigation prudent plutôt qu'une recherche ouverte de coopération.
Les implications géopolitiques et sécuritaires des tensions entre l'Inde et la Chine sont encore compliquées par le changement climatique et la raréfaction des ressources, en particulier dans les bassins fluviaux partagés à travers l'Asie du Sud. Le Brahmapoutre, le Gange et d'autres fleuves transfrontaliers sont vitaux pour l'Inde, le Bangladesh, certaines parties du Népal et le Bhoutan. Le contrôle exercé par la Chine sur le cours supérieur du Brahmapoutre lui confère un pouvoir sur les débits en aval, ce qui pourrait entraîner des frictions en cas d'événements hydrologiques extrêmes. Récemment, l'Asie du Sud a connu des inondations d'une gravité historique, qui ont déplacé des millions de personnes, perturbé l'agriculture et exacerbé l'insécurité alimentaire et hydrique.
À une époque où les crises climatiques s'intensifient, les différends non résolus entre l'Inde et la Chine accentuent la vulnérabilité. Tout affrontement le long de la LAC ou toute politisation des flux d'eau régionaux pourrait entraver la coordination transfrontalière en temps opportun pour la gestion des inondations, l'exploitation des barrages et les secours en cas de catastrophe. Certes, des relations stables pourraient faciliter une meilleure coopération régionale en matière de catastrophes, de partage des données hydrologiques, de gestion coordonnée des réservoirs et de la mise en place de systèmes d'alerte précoce communs. Néanmoins, la dynamique actuelle indique que la sécurité hydrique restera un point sensible, tant sur le plan environnemental que géopolitique, en particulier pour le Bangladesh, dont le delta densément peuplé est extrêmement sensible à la gestion en amont et aux chocs climatiques.
Il est important de noter que les conséquences des relations entre l'Inde et la Chine ne sont pas isolées. Leur évolution façonne de manière significative la géopolitique de l'Asie du Sud, influençant les calculs stratégiques du Pakistan, la résilience économique et environnementale du Bangladesh et l'équilibre régional au sens large. Cependant, les différends profondément enracinés, le soutien de la Chine au Pakistan et les tensions liées au climat indiquent que l'Asie du Sud reste dans une position précaire : la rivalité géopolitique, les inimitiés historiques et la vulnérabilité écologique convergent pour créer en même temps des risques et des opportunités limitées de résolution collaborative des problèmes.
Quel est le rapport entre les BRICS et les alliances sécuritaires internationales ? La formule de « Sud Global » me semble bien trompeuse. Elle englobe puissances impérialistes, puissances régionales, Etats pétroliers, etc. Je préfère parler de pays dominés pour évoquer ce que l'on entendait dans le temps par « Sud ».
Le BRICS, regroupement du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud, est souvent présenté comme un contrepoids aux institutions mondiales dominées par l'Occident et comme une plateforme permettant au « Sud global » de faire entendre sa voix. Comme je l'ai mentionné précédemment, le discours met l'accent sur la multipolarité, le développement collectif et la remise en cause de la domination américaine et européenne. Néanmoins, malgré ces affirmations, le BRICS opère largement dans le cadre capitaliste mondial existant, redistribuant l'influence entre les États dominants plutôt que de remettre en cause les inégalités systémiques.
Le BRICS a mis en place des initiatives telles que la Nouvelle banque de développement (NBD) et un accord de réserve contingentaire (CRA), offrant des canaux alternatifs pour financer les infrastructures et du développement. L'argument avancé est que ces mécanismes réduisent la dépendance vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale. Cependant, dans la pratique, ce sont les impératifs capitalistes qui dictent les décisions de prêt ; les projets doivent financièrement être viables et générer des rendements, ce qui favorise souvent les priorités des États et des entreprises. Le BRICS continue de souligner le rôle central du FMI dans la finance mondiale, reflétant une préférence pour la réforme et l'acquisition d'influence au sein du système existant plutôt que pour la création d'une alternative véritablement indépendante.
Le BRICS prétend promouvoir la multipolarité et la coopération Sud-Sud, tout en adhérant largement aux normes mondiales existantes en matière de commerce, de technologie et de finance. Les institutions occidentales fixent les règles en matière de propriété intellectuelle, les protocoles relatifs à la chaîne d'approvisionnement et les réglementations financières. Les projets d'infrastructure, les corridors industriels et les investissements énergétiques, en particulier ceux menés par la Chine, étendent leur influence tout en créant des modèles de dépendance qui ressemblent à ceux de la mondialisation occidentale. Ces projets profitent souvent aux États et aux élites des entreprises, souvent au détriment des masses laborieuses.
Sur le plan politique, les BRICS sont hétérogènes et asymétriques. La Chine domine sur le plan économique et définit l'agenda, tandis que la Russie tire parti de sa puissance militaire et de ses exportations d'énergie pour maintenir son influence mondiale. L'Inde cherche à s'engager auprès des deux puissances tout en équilibrant ses relations avec les États-Unis et les cadres régionaux tels que le Quad. Le Brésil et l'Afrique du Sud se concentrent sur leur influence régionale et leur engagement économique, mais ont une influence limitée sur les priorités politiques. La cohésion repose principalement sur une ambition commune : trouver une place dans l'échelle impérialiste, plutôt que sur une vision unifiée de la justice mondiale.
Les sommets du BRICS mettent souvent l'accent sur le développement durable, l'adaptation au changement climatique et la croissance verte. Cependant, ces initiatives privilégient les intérêts capitalistes au détriment de la justice écologique ou des communautés locales. Les projets de type « Belt and Road », les investissements énergétiques considérables et les corridors d'infrastructure peuvent exacerber le stress environnemental, perturber les écosystèmes et aggraver les inégalités sociales. Le discours du bloc sur le climat sert souvent d'outil de légitimation pour l'expansion stratégique et économique plutôt que d'engagement sincère en faveur de la durabilité et de l'équité.
Il serait juste de conclure que les BRICS n'offrent pas d'alternative radicale au capitalisme mondial dominé par l'Occident. L'insistance du bloc sur le rôle central du FMI, combinée à ses stratégies en matière d'infrastructures, de commerce et de finance, montre qu'il cherche à redistribuer le pouvoir mondial entre les États capitalistes émergents. Il ne cherche pas à remettre en cause l'exploitation ou les inégalités structurelles. Il symbolise le déplacement du pouvoir mondial, et non la transformation du système mondial.
Il existe des différences évidentes au sein des BRICS que toute analyse approfondie mettrait en évidence. Le bloc comprend divers modèles de capitalisme : le développement dirigé par l'État en Chine et en Russie, les réformes néolibérales en Inde et au Brésil, et la dynamique du capital extractif en Afrique du Sud.
La question cruciale est de savoir si les BRICS peuvent être mis à profit – par les mouvements ouvriers, les syndicats et les gouvernements progressistes – pour transférer le pouvoir vers les travailleurs, limiter l'exploitation et favoriser une véritable souveraineté grâce à une politique sociale démocratique, plutôt que de servir simplement de façade aux impérialismes concurrents et aux reconfigurations mondiales du capital. À l'heure actuelle, les possibilités sont extrêmement limitées.
Pourrais-tu présenter une analyse du régime Modi, des rapports entre RSS, BJP et Modi, de l'impact de la politique d'Hindutva, et de ses implications en Inde (voire dans la région).
Le régime Modi, au pouvoir depuis 2014, représente un virage décisif à droite dans la politique indienne, mettant l'accent sur le nationalisme majoritaire, l'autorité exécutive centralisée et un appareil d'État discipliné et idéologique. Son pilier idéologique et organisationnel est le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation nationaliste hindoue centenaire profondément enracinée dans la société civile indienne. Alors que le Bharatiya Janata Party sert de façade électorale, le RSS fasciste fournit une orientation stratégique à long terme, la mobilisation des cadres et la cohérence idéologique, garantissant que les politiques du régime s'alignent sur sa vision d'une Inde centrée sur l'hindouisme.
Au cœur de ce projet se trouve l'Hindutva, une philosophie politique qui définit l'identité indienne principalement en termes communautaires, en promouvant la domination culturelle et religieuse hindoue tout en marginalisant les communautés minoritaires, en particulier les musulmans et, dans une moindre mesure, les chrétiens et les dalits. L'hindutva n'est pas seulement symbolique ; elle façonne activement la législation, l'éducation, les politiques culturelles et les récits sociaux. Le gouvernement Modi a systématiquement utilisé les institutions étatiques pour mettre en œuvre cette vision du monde, notamment la loi sur la citoyenneté (amendement), le registre national des citoyens en Assam et les révisions des programmes scolaires qui mettent l'accent sur les récits historiques centrés sur l'hindouisme. Ces politiques, associées à la mobilisation de réseaux de cadres axés sur la discipline, révèlent une approche autoritaire et fasciste de la gouvernance : la dissidence est surveillée et restreinte, les libertés civiles sont limitées et l'opposition est systématiquement délégitimée.
Sur le plan économique, le régime combine des réformes néolibérales avec des projets d'infrastructure menés par l'État, souvent présentés comme un « développement pour tous », mais ces initiatives sont étroitement liées aux intérêts des entreprises, au clientélisme politique et au contrôle centralisé. Cette combinaison d'idéologie majoritaire et de politique capitaliste illustre un lien entre fascisme et capitalisme, où l'État consolide son pouvoir en fusionnant le contrôle économique et culturel.
Sur le plan politique, le régime Modi a remodelé l'État indien en centralisant l'autorité, en affaiblissant les contrôles institutionnels et en restreignant l'autonomie fédérale. La surveillance et l'application sélective des lois antiterroristes et antisédition répriment les voix dissidentes, les groupes minoritaires et les militants de gauche. Le réseau BJP-RSS soutient une infrastructure de mobilisation à l'échelle nationale par le biais d'organisations sociales, culturelles et religieuses, renforçant ainsi la consolidation majoritaire et la domination électorale. Ce modèle reflète les schémas fascistes classiques : la mobilisation du soutien de masse par le biais du nationalisme culturel et religieux, combinée à un contrôle étatique fort et à la répression de l'opposition.
Les implications régionales sont profondes. La posture nationaliste affirmée de l'Inde affecte ses relations avec le Pakistan, le Bangladesh et le Népal. Le Cachemire reste un point chaud, car les discours hindutva amplifient les tensions et influencent les politiques à l'égard des minorités et des questions transfrontalières. Les relations avec les pays voisins sont de plus en plus transactionnelles et axées sur la sécurité, ce qui suscite souvent la méfiance ou la résistance. Au Népal et au Bhoutan, la diffusion idéologique et les projets d'infrastructure visent à étendre l'influence, même si la rhétorique nationaliste peut susciter des réactions négatives. Au Bangladesh, les politiques nationales hindouistes recoupent la gestion des frontières, les migrations et les droits des minorités, façonnant les relations bilatérales et les liens entre les peuples.
Sur le plan interne, le régime a intensifié la polarisation religieuse et restreint les droits civils, la liberté académique et l'indépendance des médias. Le nationalisme culturel et religieux imprègne l'éducation, la symbolique publique et la politique sociale. Le gouvernement Modi consolide le pouvoir de l'État en fusionnant des politiques économiques néolibérales, un développement qui favorise les entreprises, et un appareil idéologique aux tendances fascistes. L'hindutva mobilise la loyauté culturelle, détourne l'attention des inégalités de classe et légitime les politiques favorisant l'élite tout en renforçant la position nationale et régionale de l'Inde et en maintenant l'intégration capitaliste mondiale grâce à l'alignement avec les États-Unis, à un engagement sélectif avec la Chine et à la participation à des forums tels que les BRICS.
En substance, le projet Modi-RSS-BJP est plus qu'un simple parti au pouvoir ; il s'agit d'un mécanisme idéologique à long terme impliquant l'État et la société civile, qui vise à remodeler le tissu social, la culture politique et le rôle régional de l'Inde. La combinaison d'un nationalisme majoritaire à tendance fasciste, d'une politique économique néolibérale et d'une politique étrangère stratégique a des implications profondes pour l'Asie du Sud. Elle modifie les alliances traditionnelles, accentue les insécurités régionales et limite l'espace pour une politique progressiste, pluraliste et fondée sur les classes.
Dans cette situation particulièrement grave, quel est l'état des gauches indiennes sociales et politiques…
La gauche indienne est aujourd'hui confrontée à une crise structurelle qui va au-delà des revers électoraux : elle reflète un échec plus général à défendre les luttes des travailleurs, des paysans et des couches marginalisées. Le BJP-RSS consolide son pouvoir majoritaire. Dans ce contexte, la gauche peine à articuler une alternative convaincante qui relie la lutte des classes à la lutte contre toutes les formes d'oppression, y compris la discrimination fondée sur la caste et le genre, à un projet politique cohérent.
La gauche traditionnelle, représentée par des partis tels que le CPI, le CPI(M) et, dans une certaine mesure, le CPI(ML) Liberation, a de plus en plus subordonné la politique radicale à la stratégie parlementaire. Les impératifs électoraux incitent ces partis à faire des compromis, à former des coalitions et à adopter des positions centristes. En conséquence, leur critique du néolibéralisme, de la domination des entreprises et des inégalités sociales devient souvent technique, réformiste ou bureaucratique, plutôt que de refléter les réalités vécues par les travailleurs et les paysans.
Par exemple, les luttes foncières, les campagnes pour les droits des travailleurs et les mouvements paysans reçoivent souvent un soutien symbolique de la gauche traditionnelle, mais ceux-ci se traduisent rarement par une mobilisation soutenue ou des contestations systémiques.
Malgré l'engagement de la gauche radicale en faveur de la mobilisation de masse, sa portée reste très limitée. Sa capacité organisationnelle est faible, ce qui conduit à la fragmentation du mouvement en plusieurs factions mineures ayant des programmes localisés. Bien qu'elle fasse preuve de courage dans l'action directe et les luttes anti-entreprises, la gauche radicale ne peut pas fournir un contrepoids national à la machine idéologique et infrastructurelle du BJP-RSS. De plus, l'isolement et la massive présence policière lors des mobilisations radicales entravent souvent leur capacité à maintenir leur visibilité et à élargir leur influence. Vu leur faiblesse numérique, leur concentration géographique en quelques lieux et la répression étatique, ces groupes ont bien du mal à relier les luttes locales aux discours nationaux, même lorsque ces luttes pourraient remettre en cause et en lumières les inégalités systémiques que l'Hindutva occulte.
Une faiblesse critique de la gauche est son incapacité à tisser ensemble les préoccupations de classe, de caste, de genre et communautaires dans un projet politique cohérent pour une transformation sociale. Historiquement, la gauche s'est développée grâce à une main-d'œuvre fortement syndiquée, à des réseaux paysans et à des mouvements étudiants. Aujourd'hui, un nombre considérable de ces structures ont décliné en raison de la restructuration industrielle, de l'informalisation du travail et de l'émigration des travailleurs qualifiés. Les factions radicales de gauche restent confinées à des régions ou à des secteurs spécifiques, tandis que la gauche parlementaire tarde à consolider son rayonnement. Cette érosion organisationnelle laisse le champ libre au BJP-RSS, qui combine idéologie, patronage de l'État et réseaux originels pour construire une base de masse disciplinée.
Il en résulte que les luttes populaires sont soit cooptées, soit marginalisées, soit fragmentées. Les mouvements pour les droits des travailleurs, les protestations agricoles, la justice environnementale et la protection des minorités manquent souvent d'un soutien national cohérent. Pendant ce temps, le BJP-RSS consolide son pouvoir en mobilisant la religion et la culture pour masquer l'exploitation économique, renforcer les inégalités et réprimer la dissidence. La faiblesse de la gauche permet à l'État, aux entreprises et aux réseaux idéologiques d'opérer sans contestation dans les contextes nationaux et régionaux.
Parallèlement à la faiblesse des partis parlementaires et de la gauche radicale, les mouvements sociaux et l'activisme identitaire – autour des castes, du genre, du communautarisme, de l'ethnicité ou de l'autonomie régionale – ont également peiné à opposer une résistance cohérente au BJP-RSS. Si ces mouvements ont joué un rôle essentiel dans la prise de conscience, ils opèrent souvent de manière isolée, fragmentés par des programmes thématiques et sans intégration dans des luttes de classe ou économiques plus larges.
De nombreux mouvements identitaires en Inde mettent l'accent sur la représentation symbolique, la reconnaissance culturelle ou les revendications fondées sur les droits, mais ils ne remettent souvent pas systématiquement en cause les fondements structurels et matériels des inégalités. Par exemple, les campagnes contre la discrimination fondée sur la caste ou pour les droits des femmes peuvent aboutir à des réformes juridiques ou à une prise de conscience sociale. Elles s'attaquent cependant rarement à l'exploitation capitaliste, aux politiques néolibérales ou à l'accaparement des ressources de l'État par les élites. Dans la pratique, ces campagnes peuvent involontairement laisser le champ libre au BJP-RSS pour s'approprier les discours identitaires, présentant la politique majoritaire comme protectrice du patrimoine culturel tout en marginalisant les dissidents.
De plus, le discours dominant de certains mouvements traite les luttes identitaires comme étant indépendantes des questions de classe et d'économie, ce qui fragmente le champ politique. Cette compartimentation théorique – qui sépare la justice sociale de la justice économique – limite la capacité des mouvements à créer de larges coalitions capables de contrer un réseau idéologique discipliné comme l'Hindutva. Sur le terrain, les mouvements identitaires restent pour la plupart locaux, épisodiques ou liés à des événements ponctuels, et manquent d'une coordination nationale durable. Les campagnes peuvent s'enflammer autour d'un incident, d'une loi ou d'une politique spécifique, mais s'estompent dès que l'attention immédiate diminue. De nombreux mouvements s'appuient également fortement sur la visibilité médiatique et l'activisme performatif qui, bien qu'efficaces pour sensibiliser l'opinion publique, ne se traduisent pas nécessairement par des changements structurels durables ou une mobilisation de masse.
En outre, les partis politiques ou les ONG cooptent certains mouvements, ce qui peut diluer leur indépendance et leur politisation. Ces cas transforment l'activisme de base en un instrument au service de la politique électorale ou des agendas dictés par les bailleurs de fonds, réduisant ainsi son potentiel de transformation. Cet écart est particulièrement évident dans des secteurs tels que les droits du travail, la justice environnementale et les luttes agraires rurales, où les mouvements sociaux ont eu du mal à aligner les revendications identitaires sur des alternatives matérielles et systémiques.
Dans sa forme actuelle, la gauche indienne est fragmentée, réactive et largement inefficace pour contester la consolidation du pouvoir hindouiste ou répondre aux besoins matériels urgents de la population. Les calculs parlementaires contraignent souvent la gauche traditionnelle, réduisant la lutte des classes et la politique antinéolibérale à des interventions technocratiques ou réformistes. La gauche radicale, bien qu'engagée dans les luttes populaires, reste petite, isolée et rigide sur le plan programmatique, une grande partie de ses membres adhérant encore à des cadres staliniens ou maoïstes qui n'offrent aucune stratégie concrète pour surmonter le capitalisme.
Parallèlement, les mouvements sociaux et identitaires, bien qu'essentiels pour sensibiliser l'opinion publique, restent souvent isolés autour de victoires symboliques ou de questions ponctuelles, sans parvenir à relier leurs luttes aux réalités matérielles et économiques plus larges qui façonnent la vie des travailleurs, des paysans et des communautés marginalisées. Cette déconnexion limite leur potentiel de transformation et permet au BJP-RSS de consolider une base de pouvoir disciplinée, idéologique et populiste, remodelant le paysage politique et social de l'Inde d'une manière qui marginalise la politique égalitaire et fondée sur les classes.
La solution réside dans la création d'une nouvelle gauche véritablement radicale, capable de relier les luttes matérielles aux luttes contre les oppressions identitaires. Elle doit être capable de construire des réseaux durables, interrégionaux et intersectionnels, et de mener des campagnes au-delà des cycles électoraux ou des manifestations sur des questions ponctuelles. Elle doit chercher à traduire les mobilisations locales en alternatives systémiques cohérentes, capables de remettre en cause à la fois l'exploitation néolibérale et le projet majoritaire et autoritaire de l'Hindutva.
Ce n'est pas une idée fantaisiste. À l'échelle mondiale, le capitalisme ne parvient pas à résoudre les crises existentielles : les inégalités extrêmes, l'effondrement environnemental et la menace persistante de conflits et de guerres. À l'échelle locale, l'Inde dispose d'une base riche, mais fragmentée, de groupes progressistes et d'activistes désabusés par les anciennes traditions de gauche, mais engagés dans un changement radical. Cela constitue un terrain fertile pour la construction d'une nouvelle gauche, capable d'unifier les luttes, de s'organiser de manière stratégique et d'émerger comme une force crédible capable de redessiner la trajectoire politique et sociale de l'Inde.
En bref, la création d'une nouvelle gauche n'est pas seulement souhaitable, elle est essentielle. Sans elle, la politique progressiste restera réactive et marginalisée. Avec elle, une force disciplinée et transformatrice pourra contester le majoritarisme autoritaire, défendre les droits démocratiques et sociaux, et offrir une alternative viable fondée sur la justice, l'égalité et une véritable démocratie.
La crise climatique frappe durement l'Inde… Quelles forces politiques la prennent en compte quand elles définissent leurs orientations (au-delà des réponses ponctuelles aux catastrophes), leurs urgences, leurs priorités et leurs politiques unitaires ?
L'Inde est confrontée à une convergence sans précédent de crises environnementales, sociales et économiques. Les vagues de chaleur extrêmes, les inondations violentes, les moussons imprévisibles et l'épuisement des rivières et des nappes phréatiques ne sont plus des événements ponctuels : ils deviennent des réalités structurelles qui menacent les moyens de subsistance de millions de personnes, en particulier ceux des paysans, des travailleurs informels et des pauvres des zones urbaines. Les inondations de 2025 et d'autres événements extrêmes d'ampleur historique mettent en évidence la manière dont le changement climatique se conjugue avec les inégalités sociales préexistantes, amplifiant la vulnérabilité des personnes disposant de moins de ressources.
Ces crises ne sont pas neutres. Elles sont profondément liées au mode de production capitaliste : l'expansion industrielle, les projets énergétiques extractifs, l'agriculture de monoculture à grande échelle, la déforestation et le développement urbain non réglementé intensifient tous le stress écologique tout en enrichissant les élites entrepreneuriales. De plus, les dynamiques mondiales – les importations énergétiques de l'Inde, les chaînes d'approvisionnement transnationales et l'exposition aux migrations induites par le climat – renforcent les contraintes structurelles qui façonnent les résultats environnementaux. La dévastation climatique en Inde est donc autant une question de classe qu'une question écologique.
Néanmoins, en l'absence d'une intervention décisive menée par la gauche, le discours environnemental reste fragmenté, symbolique et largement petit-bourgeois. L'activisme de la classe moyenne se limite souvent à des changements de mode de vie, à des campagnes de plantation d'arbres ou à des manifestations contre la pollution atmosphérique urbaine, qui sont certes importantes en soi, mais insuffisantes en termes d'ampleur et de vision. Sans une approche systémique axée sur les classes sociales, cet activisme ne parvient pas à remettre en cause les structures économiques et politiques qui sont à l'origine de la destruction écologique.
La gauche indienne traditionnelle a largement échoué à faire du changement climatique une question politique centrale. Il est urgent que la gauche intègre les luttes écologiques aux revendications de justice sociale : en liant la politique énergétique aux droits des travailleurs, la gestion de l'eau aux moyens de subsistance des paysans et l'urbanisme aux besoins des marginalisés. Ce n'est qu'à travers une politique environnementale intersectionnelle et consciente des questions de classe que l'activisme climatique pourra dépasser les gestes symboliques et devenir une force de transformation capable de répondre à la fois aux crises sociales et écologiques.
Il ne s'agit pas seulement d'une question de responsabilité morale, mais d'une nécessité politique stratégique. La gauche peut se mobiliser autour des questions climatiques pour unir divers groupes : les travailleurs touchés par la pollution industrielle, les agriculteurs confrontés à la pénurie d'eau et les pauvres des zones urbaines, affectés par les conditions météorologiques extrêmes. Ce faisant, la gauche peut présenter une alternative radicale au néolibéralisme et à l'État hindouiste, en présentant la durabilité écologique comme indissociable de l'égalité économique, de la participation démocratique et du bien-être collectif.
La crise climatique est à la fois un défi civilisationnel et une opportunité politique. Si la gauche indienne ne parvient pas à en faire une lutte systémique, l'environnementalisme restera fragmenté et dépolitisé, laissant le champ libre au « greenwashing » mené par les entreprises ou aux interventions technocratiques qui ne s'attaquent pas aux causes profondes. Une approche radicale de gauche pourrait cependant transformer l'action climatique en un pilier central d'un programme politique démocratique, socialiste et socialement juste pour l'Inde.
Notes
[1] Quad ou QSD : Dialogue quadrilatéral pour la sécurité ou Quadrilateral Security Dialogue en anglais une alliance militaire informelle regroupant l'Australie, les Etats-Unis, l'Inde et le Japon.
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La Chine, la Syrie et les Ouïghours
La chute de Bachar al-Assad a mis fin à une alliance qui, pendant plus d'une décennie, avait vu Pékin figurer parmi les plus fervents partisans de Damas, au nom de la souveraineté et de la lutte contre le terrorisme.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/21/la-chine-la-syrie-et-les-ouighours/?jetpack_skip_subscription_popup
La Chine avait déployé tous ses efforts diplomatiques pour bloquer les résolutions critiques à l'égard du régime et légitimer sa répression, se présentant comme un acteur responsable face au chaos syrien. Aujourd'hui, face au nouveau gouvernement dirigé par Ahmed al Charaa, Pékin semble hésitant et attentiste. La raison n'est pas le manque de légitimité du nouveau régime, mais la présence de milliers de combattants ouïghours dans son armée, une réalité qui met à mal l'argumentaire de Pékin sur la sécurité intérieure comme justification des mesures répressives massives au Xinjiang (le Turkestan oriental pour les Ouïghours).
Considérant depuis des années les agissements du Parti islamique du Turkestan comme l'une des justifications les plus immédiates pour les campagnes d'internement et de surveillance de masse au Xinjiang, Pékin voit désormais les militants de ce parti devenir des acteurs officiels de la nouvelle armée syrienne. Promus aux plus hauts grades de l'armée syrienne, ces combattants représentent pour la Chine un élément qui sape sa propagande. L'intégration d'environ 3 500 hommes dans la 84e division et la nomination de certains commandants ouïghours au grade de général contredisent le discours chinois selon lequel la montée de cet extrémisme aurait été contenue et neutralisée. Au contraire, les combattants ouïghours trouvent une reconnaissance dans un État, après avoir construit des bases solides en Syrie depuis 2012. Cette évolution montre comment la politique de Pékin a produit une radicalisation et une diaspora militante, sans parvenir à en empêcher l'expansion.
La réaction de Pékin se concentre sur la scène diplomatique. Au Conseil de sécurité, elle insiste pour maintenir les sanctions contre les groupes liés au djihadisme, évitant toute ouverture envers le gouvernement de Damas qui légitimerait la présence de Ouïghours dans les forces armées. Le message est clair : sans garanties quant à l'éviction de ces combattants, la Chine n'accordera aucune normalisation ni aucun soutien à la reconstruction. Cette position se trouve toutefois affaiblie par ce qui s'est passé ces dernières années, Pékin ayant cautionné durant plus d'une décennie la pratique systématique de la violence par le régime d'Assad au nom de la stabilité. La Chine se trouve aujourd'hui contrainte de dénoncer une menace qui est en partie le résultat de ses propres choix, son soutien inconditionnel à Damas ayant laissé le champ libre à de nouvelles forces armées hostiles à Pékin. Les États-Unis, quant à eux, ont suivi une ligne contradictoire. Pendant des années, ils ont maintenu le TIP sur la liste des organisations terroristes avant d'accepter son intégration dans l'armée syrienne et d'y accorder leur soutien en vue de stabiliser la situation.
Face à ce scénario, Pékin se réfugie dans une approche qu'il qualifie de prudente, mais qui trahit en réalité une certaine faiblesse. Il maintient des contacts bilatéraux avec le nouveau gouvernement, mais sans le reconnaître pleinement. Il réaffirme son respect de la souveraineté syrienne, mais freine tout engagement économique et reporte tout investissement dans les infrastructures. La Chine évite de s'exposer, se limitant à un jeu de vetos et de pressions indirectes par l'intermédiaire de ses partenaires régionaux, tout en partageant, aux côtés de Moscou, la frustration d'avoir vu un allié renversé et remplacé par un successeur qui a intégré précisément les combattants djihadistes que les deux pays redoutaient. La Chine se retrouve ainsi à payer le prix de ses politiques génocidaires au Xinjiang et de son soutien à un boucher comme Assad.
Une autre information liée au thème du Xinjiang concerne la diffusion de documents confidentiels qui prouveraient l'implication directe de Xi Jinping dans la répression des Ouïghours. Il s'agit de trois discours internes prononcés en 2014 lors d'une visite dans la région immédiatement après l'attaque de la gare de Kunming, dans lesquels Xi demandait une campagne de « frappes lourdes et rapides » et réclamait la création d'un climat de pression constante. Ces instructions laissaient déjà entrevoir les éléments qui allaient ensuite donner forme au système des camps d'internement, au travail forcé et aux programmes d'assimilation linguistique, dans le but d'éliminer les pratiques religieuses et les identités culturelles considérées comme des menaces pour la sécurité nationale.
Les documents, analysés et rendus publics par des chercheurs, montrent qu'il ne s'agissait pas d'initiatives locales, mais de directives approuvées et promues par la direction du parti communiste. Xi Jinping allait jusqu'à décrire les Ouïghours comme des « personnes sous l'emprise de l'extrémisme religieux », dépourvues de conscience et d'humanité, légitimant ainsi la logique de la rééducation forcée. D'autres dirigeants, tels que Li Keqiang et Chen Quanguo, réaffirmaient la nécessité de détruire les racines, les liens générationnels et les attaches, considérant la culture ouïghoure comme un ennemi à séparer et à anéantir. Ces documents confirment donc l'existence d'un plan systématique décidé au plus haut niveau et conçu pour durer dans le temps.
Andrea Ferrario
https://www.facebook.com/andrea.ferrario.125
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76254
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Quand les talibans coupent l’internet
Depuis quelques jours, les Talibans coupent internet à travers le pays. Pour le moment, ce sont onze provinces qui ont été atteintes, dont des grandes villes Mazar-e-Sharif et aujourd'hui Herat.
Tiré de entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/24/les-talibans-privent-les-filles-afghanes-deducation-et-davenir-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup
Depuis quelques jours, les Talibans coupent internet à travers le pays. Pour le moment, ce sont onze provinces qui ont été atteintes, dont des grandes villes Mazar-e-Sharif et aujourd'hui Herat. Il est certain que ces restrictions sauvages vont toucher Kaboul dans les jours, voire les heures qui viennent. Le motif, selon le guide spirituel à partir de son fief de Kandahar, Hibatullah Akhunzada pour prévenir des actes immoraux autrement dit empêcher toute contamination supposée par la connaissance du monde en dehors du régime islamiste particulier mis en place par les Talibans
La population est en état de choc. Pour les jeunes (l'âge moyen de la population étant de 17 ans), c'est l'idée d'être coupé du monde et condamné à vivre sans contact avec l'extérieur qui est insupportable. Les conséquences sont incommensurables et touchent le commerce, le système bancaire, l'administration, le travail. Particulièrement visée est l'éducation en ligne dont dépendent des millions de filles interdites d'études, mais aussi les garçons qui y sont autorisés, y compris les étudiants universitaires. L'exil de l'élite intellectuelle a tellement réduit le niveau de l'enseignement que ces derniers comptent sur les cours en ligne. L'Afghanistan vient de plonger dans un gouffre obscurantiste sans fond et le pays est à l'arrêt.
Il faut préciser pourtant que c'est la fibre optique en premier lieu qui a été coupée. Les cartes SIM fonctionnent toujours mais la connexion est aussi lente qu'onéreuse.La population a pris peur parce que les conséquences sociales, commerciales, administratives sont innombrables. En dépit de l'image qu'elle donne, avec ses Talibans hirsutes photogéniques, l'Afghanistan est devenu en vingt ans un pays moderne à beaucoup d'égards. Commerces en ligne, médias, communications personnelles, professionnelles ministérielles, tout passe par internet : 30% de la population l'utilise, ce qui est énorme quand on se souvient que le taux d'alphabétisation n'est que de 37%… Même les Talibans ont des groupies sur Instagram et diffusent des vidéos de propagande aussi bien que leurs décrets liberticides.
La faction ultra-religieuse de Kandahar rêve d'enfermer le peuple (et non pas ceux qui le gouvernent) dans le rigorisme absolutiste dépourvu de toute forme de progrès technique et médical, tout en profitant de l'aide humanitaire considérable qui continue à arriver – et à être systématiquement détournée. La principale faction rivale menée par Sirajuddin Haqqani, le Ministre de l'Intérieur et épaulée par ceux qui avaient négocié avec les Américains à Doha (les Mollahs Stanikzai et Baradar entre autres), est bien plus pragmatique, n'a cesse de développer le commerce et les relations extérieures, et soutenir l'expansion technologique. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui soutiennent le droit à l'éducation des filles, toutes proportions gardées, leur modèle étant vraisemblablement l'Arabie saoudite dans sa version bien moins libérale.
La question se pose de savoir si l'Afghanistan est condamnée à devenir une version islamiste de la Corée du Nord. Cela paraît improbable : Kaboul n'est pas Pyongyang et les Chinois – leurs meilleurs alliés – ont investi des sommes colossales dans le développement technologique du pays – des caméras de surveillance dans tous les coins de rue à Kaboul à internet. La présence d'un réseau de fibre optique est le résultat d'un long et très coûteux projet de coopération avec la Chine, qui avait débuté sous le régime précédent et qui se poursuit depuis avec le but affiché de s'étendre dans les 34 provinces qui composent le pays. De toute évidence les autorités afghanes sont très fières de leur Afghanistan National Ring Network qui relie les villes principales. selon un communiqué officieldatant d'il y a un an : Avec une population jeune et de plus en plus instruite, l'Afghanistan a le potentiel pour devenir une plaque tournante de l'externalisation et des services informatiques, à l'instar de pays comme l'Inde et le Pakistan. Le réseau de fibre optique permet aux entreprises afghanes d'offrir des services tels que le développement de logiciels, le traitement de données et l'assistance à des clients internationaux… Il représente un phare incarnant pour l'avenir de l'Afghanistan. Il promet de rapprocher le pays du reste du monde.
Évidemment on peut se demander quelle est cette population de plus en plus instruite, d'autant que c'est surtout sur la connaissance du Coran que se juge l'aptitude d'un futur médecin ou ingénieur à être reçu à son examen final. De plus, alors que l'Afghanistan rêve d'être reconnu et accepté par le monde entier, l'interdiction d'internet a anéanti tout espoir de rapprochement. Il a été dit que l'Afghanistan pourrait finir par ressembler à Cuba avec un accès internet libre pour les privilégiés seulement. Mais cela demanderait une organisation dont l'administration talibane est bien incapable. Dans une économie bâtie sur la corruption, la contrebande et le narcotrafic, comment déterminer qui est « privilégié » ? Ce type de système foncièrement mafieux dépend de la mise en place de hiérarchies et de réseaux très sophistiqués aujourd'hui soutenus par internet. On a du mal à imaginer les Talibans 2.0, revenir à un mode d'organisation plus rudimentaire.
En attendant, des membres alphabétisés de la police religieuse émanant du Ministre de Promotion de la vertu et la Prévention du vice (Amr-al-Marouf), arrête les passants, les autobus-même pour inspecter le contenu des téléphones : comptes Instagram, Tik-Tok, photos compromettantes (un garçon avec une fille, par exemple). Depuis quelques semaines, la répression augmente au quotidien, en particulier contre les femmes : des filles sont arrêtées dans la rue pour le moindre prétexte, des descentes ont lieu dans les commerces clandestins, comme les instituts de beauté officiellement interdits mais rapatriés dans les appartements. Idem pour les innombrables cours clandestins qui se tiennent dans toutes les villes. En général, le problème se règle avec un bakchich plus ou moins généreux collecté au nom d'une taxe fictive. Dans ces temps d'angoisse généralisée, toutes sortes de rumeurs ou de légendes urbaines courent, sans doute encouragées par les Talibans eux-mêmes pour augmenter les tensions. Les comportements ultra-patriarcaux ressurgissent avec férocité pour complaire aux autorités qui n'ont cesse de publier des édits contre les femmes, y compris l'interdiction de parler tout haut ou même regarder par la fenêtre.
Symptôme de ce qui allait arriver, à la fin de la semaine dernière une enseignante dans une de nos écoles informelles a décrit une descente policière dans sa classe. Selon la consigne, elle leur a raconté qu'elle donnait des cours de religion – ses élèves ne se déplaçant jamais sans un exemple du Coran. Cependant ce qui intéressait le Taleb, c'était des photos des classes clandestines que les autorités avaient vu circuler dans les médias en ligne. Car il est certain que c'est bien l'éducation des filles, interdite par les Talibans qui constitue la plus insupportable des transgressions, ça et le fait de communiquer cette insolente victoire sur le despotisme à travers le monde par les médias sociaux : Nous ne sommes plus à l'époque des premiers Talibans me dit Shakeba, une enseignante lors d'un cours d'anglais en ligne. Le monde entier sait ce qui se passe ici, tout se retrouve sur les médias sociaux et des reportages. Nous les enseignantes, nos élèves savons que nous sommes leurs ennemies, comme eux, ils sont les nôtres.
Depuis quatre ans, des cours informels de tout genre ont émergé à travers le pays. Des écoles clandestines jusqu'à la préparation aux examens d'entrée pour des universités situées à l'étranger, en passant par des études de maths, de commerce, des langues étrangères, de santé, des milliers de projets d'efficacité certes variables ont été mis en place pour aider cette génération de jeunes filles qui se sont montées incroyablement ambitieuses. Certes une partie de ces initiatives, financées par des groupes internationaux différents, se réalisent par internet, souvent panaché de classes dites en présentiel. Mais dans un pays où l'électricité ne fonctionne que deux à trois heures par jour et le prix de l'internet est exorbitant, c'est bien dans les salles de classes improvisées que se déroule l'enseignement scolaire. Le contact entre l'enseignante et ses élèves leur permet un minimum de sociabilité essentielle pour ne pas devenir folle de l'enfermement qui leur est imposé par les Talibans. Celles qui suivent les cours en ligne rechargent leur téléphone et leur banque de mémoire dès que revient l'électricité. Même sans internet, des mesures alternatives existent : la radio, les satellites, dont le Starlink (faudra négocier avec Elon Musk !) sans oublier les clefs USB basiques et le téléphone. L'information continuera à circuler parce que ces jeunes filles instruites, ces résistantes suprêmes contre l'obscurantisme y tiennent plus que tout. Et les associations extérieures (dont les nôtres,Femaid et Nayestane) se sont regroupées à travers le monde pour mettre en œuvre ce qu'il faut pour les aider. Et nous y arriverons.
C'est que le sort des femmes afghanes demeure emblématique du pire qui pourrait advenir : acquiescer par l'indifférence ou le silence cette répression maximale, cet apartheid genré qui est en train de tourner au gynocide, c'est laisser carte blanche à tous les gouvernements qui détruisent les droits humains actuellement, en particulier ceux, si difficilement acquis par les femmes. De la Russie de Poutine à l'Amérique de Trump, sans oublier l'Inde, l'Argentine, la Turquie, les pays islamiques et la terrifiante montée de l'extrême droite en Europe.
En Afghanistan, c'est bien un régime de terreur qui s'installe, propre aux régimes totalitaires décrits par Hannah Arendt, une idéologie religieuse organisée et mise en acte qui s'enracine quand toute possibilité d'agir autrement a été éradiquée. Le verrouillage de l'Internet ne constitue qu'une étape de plus dans un processus d'une logique implacable
Certes, l'Afghanistan ne peut pas se permettre une coupure aussi violente et étendue pour les raisons économiques décrites au-dessus. Mais au niveau des libertés individuelles, les restrictions sont possibles, voire probables.
C'est pourquoi, plus que jamais, il faut soutenir toutes les initiatives qui maintiennent cette fenêtre ouverte sur le monde qu'est l'éducation des filles. Ces projets et surtout leurs jeunes bénéficiaires ont besoin de notre aide et de la vôtre de façon urgente. Ce n'est pas le moment de les lâcher.
Carol Mann
Carol Mann est sociologue, spécialisée dans l'étude du genre et conflits armés, présidente de l'association Femaid, est en train de terminer une étude de la situation des femmes en Afghanistan après le retour des Talibans.
https://blogs.mediapart.fr/carol-mann/blog/190925/quand-les-talibans-coupent-linternet
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La Global Sumud Flotilla attaquée en pleine nuit par des drones
La flottille humanitaire partie la semaine dernière a essuyé hier plusieurs attaques attribuées à Israël il y a à peine 48 heures. La communauté internationale a exhorté les Etats à tout mettre en œuvre pour protéger leurs ressortissants membres du convoi qui se dirige vers Gaza.
Tiré de Agence Médias Palestine
25 septembre 2025
Par l'Agence Média Palestine
Les 51 bateaux qui composent cette flottille humanitaire internationale, la Global Sumud Flotilla, se sont élancés la semaine dernière avec une dizaine de jours de retard vers leur destination finale : Gaza. Alors qu'ils naviguaient en mer Méditerranée, 14 embarcations du convoi ont été visées hier par des attaques attribuées à Israël.
Grenades assourdissantes et fusées éclairantes explosives
Mardi 23 septembre à 23h, l'équipage de la flottille alerte. Une quinzaine de drones sont en train de tourner autour de l'Alma, un des bateaux du convoi, au large de la Grèce. Quelques heures plus tard, une nouvelle alerte est lancée : des explosions ont été entendues tout autour de la flottille. Sur le canal Telegram du mouvement, les participants restent déterminés : “Explosions, drones non identifiés et brouillage des communications. Nous sommes actuellement témoins directs de ces opérations psychologiques, mais nous ne nous laisserons pas intimider”.
Un communiqué de presse est publié par l'organisation du convoi dans la foulée. On y apprend notamment qu'en plus des grenades assourdissantes et des fusées éclairantes explosives, de nombreux objets non-identifiés ont été largués sur différents navires de l'expédition. Heureusement, les attaques n'ont fait aucun blessé dans les rangs du convoi.
La flottille dénonce une campagne de communication orchestrée par Israël déjà depuis plusieurs semaines pour délégitimer cette initiative et la criminaliser. L'Etat israélien fait d'ailleurs référence à ce convoi en l'affublant du nom de “flottille du Hamas”. Pour les organisateurs du convoi humanitaire, le jeu auquel s'adonne le régime génocidaire israélien ne fait aucun doute : “Cette campagne de désinformation est une tentative de justifier de manière préventive une action militaire contre une mission humanitaire non violente menée par des civils.”
Les membres de la Global Sumud Flotilla tiennent le cap et ont déclaré qu'ils ne se laisseraient pas intimider par ces tentatives d'Israël de miner la plus grande initiative humanitaire à voir le jour pour mettre un terme au blocus israélien sur la bande de Gaza. Ils ont réclamé la protection des Etats et des organisations internationales : “Nous exigeons que tous les États membres de l'ONU, et en particulier ceux dont les ressortissants se trouvent à bord des navires de la flottille mondiale Sumud, garantissent et facilitent immédiatement une protection efficace, notamment une escorte maritime, la présence d'observateurs diplomatiques accrédités et une présence protectrice manifeste de l'État, afin que la flottille puisse poursuivre sa route en toute sécurité, que la mission puisse se dérouler sans entrave et que la loi prévale sur les actes d'anéantissement.”
Le soutien international à la flottille
Peu après les attaques contre le convoi et à la suite de ces demandes de protection de l'équipage composé de plus de 500 volontaires de tous pays et tous horizons, plusieurs pays et organisations ont officiellement apporté leur soutien à la Global Sumud Flotilla.
L'Italie a annoncé hier par la voie du ministère de la Défense l'envoi d'un navire militaire dans la zone où se trouve actuellement la flottille, pour “d'éventuelles opérations de secours”. Guido Crosetto, le ministre de la Défense, a déclaré : “Pour garantir l'assistance aux citoyens italiens présents sur la flottille, j'ai autorisé l'intervention immédiate de la frégate Fasan de la marine militaire, qui naviguait au nord de la Crète, et qui se dirige vers la zone”. La cheffe du gouvernement Giorgia Meloni a par la suite tenté de réduire l'engagement italien en faveur de la flottille, en se prononçant en faveur d'un déchargement de l'aide à Chypre plutôt qu'à Gaza, une proposition rejetée par la délégation italienne membre de la flottille.
Peu après, dans la même journée, une lettre est adressée aux instances dirigeantes de l'Union européenne et aux gouvernements des pays membres, par des centaines de parlementaires de différentes nations européennes. Cette lettre “appelle urgemment” les gouvernements à assurer un passage sécurisé pour les membres de la flottille dans les eaux internationales, interpellant également l'Agence de sécurité maritime européenne.
L'Espagne s'est également jointe à l'initiative italienne en annonçant qu'un navire de la marine prendrait la mer ce matin pour porter assistance et sécurité au convoi humanitaire. Le premier ministre Pedro Sanchez a déclaré lors de l'Assemblée générale des Nations Unies à New York : “Le gouvernement espagnol exige que le droit international soit respecté et que le droit de nos citoyens de naviguer en toute sécurité en Méditerranée soit respecté”. La France, de son côté, s'est contentée d'appeler au respect du droit international maritime, sans pour autant prendre de mesures similaires à celles de ses voisins italiens et espagnols.
La coalition a salué l'envoi de ces deux navires pour assurer la sécurité de la flottille. Thiago Avila, un des membres de la flottille, a quant à lui réaffirmé la détermination de l'équipage de la Global Sumud Flotilla : “La Global Sumud Flotilla est une mission humanitaire pacifique et non-violente, qui respecte le droit international, lequel stipule dans la décision provisoire de la CIJ (Cour internationale de justice) qu'aucun pays ne peut entraver l'aide humanitaire destinée à Gaza “.
Un dernier communiqué publié par la communication de la flottille il y a quelques heures fait état d'une escalade probable des attaques israéliennes sur le convoi humanitaire dans les prochaines 48 heures, au moyen d'un arsenal qui pourrait “couler des bateaux, blesser ou tuer les membres de l'équipage”.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

De Tunis à Gaza. Nous, le monde
L'image présente une scène sombre avec une source de lumière éclatante au centre, semblant provenir d'un feu ou d'un soleil couchant. Les contours des objets et des formes sont flous, créant une ambiance mystérieuse.
Tiré de Afrique XXI
25 septembre 2025
Par Zukiswa Wanner
L'environnement pourrait évoquer un paysage naturel ou urbain, sans détails précis visibles. On ressent une intensité et une chaleur émises par cette lumière, contrastant avec l'obscurité environnante.
Pluie de drones sur la flottille, mardi 23 septembre.
© Capture d'écran
Zukiswa Wanner, Vignettes of a People in an Apartheid State, Periferias, 2023 (uniquement en anglais).
Épisode 4 · Zukiswa Wanner, écrivaine et activiste sud-africaine, publie dans Afrique XXI son journal de bord de la flottille Global Sumud, en route pour Gaza. Dans la nuit de mardi 23 à mercredi 24 septembre, les survols de drones israéliens se sont intensifiés. La flottille a essuyé des tirs et subi des opérations de brouillage.
Mardi 23 septembre.
Ça a commencé. Dimanche soir, nous l'avons vécu pour la première fois. Des drones suivaient nos bateaux dans la nuit. Ça a recommencé lundi soir. J'écris ces lignes mardi soir, nous ne sommes pas encore à mi-route de Gaza et je m'attends à ce que cela se reproduise. Nos exercices quotidiens nous rappellent que nous avons affaire à une entité véritablement maléfique. Dans les médias, le gouvernement israélien a commencé à accuser la flottille d'être liée à tel ou tel groupe militant.
Il y a quelques années, les gens auraient gobé facilement leur hasbara[Réthorique d'Israël à destination de la communauté internationale, NDLR]. Aujourd'hui, les Israéliens ne font même plus semblant de vouloir être crus. Parce que le monde ne les croit pas. Nous avons tous vu de nos propres yeux l'extermination d'un peuple et de Gaza, et, pire encore, le Financial Times a révélé les plans des Seigneurs diaboliques pour faire de Gaza une station balnéaire. On a déjà connu ce scénario à Bali. Le terrain de jeu des yuppies. Sauf que dans les années 1960 la censure de l'information était plus facile. Aujourd'hui, aucun d'entre nous ne peut faire mine de ne pas voir, et c'est pourquoi nous ne laisserons pas Gaza mourir en restant sourds et muets. Nous crierons pour sa survie jusqu'à en perdre la voix, et nous échaufferons nos cordes vocales pour pouvoir crier de nouveau. Car, parfois, même les manifestations pacifiques peuvent faire du bruit.
Zukiswa Wanner
Au cours des dernières vingt-quatre heures, j'ai vu deux personnages politiques s'empêtrer. Le premier, Barack Obama, a tenté de dire qu'il n'était pas le président tout en s'empressant de jouer les arbitres entre les deux camps. Je l'ai écouté essayer d'échapper à ce qui se passe à Gaza, et, pour la première fois, j'ai entendu cet homme bégayer. Comment a-t-il pu tromper le monde si longtemps alors qu'il n'était, en réalité, qu'un homme de paille de l'Empire ? Pourtant, il fut autrefois un militant propalestinien. La politique aux États-Unis est triste.
En Afrique du Sud, l'une des dirigeantes du principal parti d'opposition (L'Alliance démocratique) – qui fait actuellement partie du Gouvernement d'unité néolibérale aux côtés du Congrès national africain après l'échec de ce dernier à obtenir la majorité absolue aux dernières élections – vient de se retirer de la campagne. Helen Zille passe pour la future candidate à la mairie de Johannesburg. Dans une interview accordée à la télévision nationale, en réponse à une question sur le génocide à Gaza, elle a dit : « Génocide est un mot très fort. Je ne suis jamais allée à Gaza, donc je ne sais pas. »
Écraser par la violence, en paroles et en actes
Cher lecteur, les ancêtres juifs de Mme Zille, du côté maternel aussi bien que paternel, sont arrivés d'Allemagne en Afrique du Sud dans les années 1930. Elle est née à Johannesburg six ans après la Seconde Guerre mondiale. Je me demande si elle a déjà entendu parler de l'Holocauste et si elle le reconnaît puisqu'elle n'y était pas. C'est typique des sionistes, n'est-ce pas ? Ils n'essaient même pas de raconter des mensonges bien tournés. Ce qu'ils font, c'est vous écraser par la violence, en paroles et en actes. Le problème, c'est que beaucoup d'entre nous refusent de s'engager en feignant l'ignorance. Or nous savons qu'ils savent. Et nous leur demanderons des comptes lorsque viendra notre Nuremberg.
Bien que j'aie l'air en colère aujourd'hui, et j'aurais des motifs valables de l'être, je ne le suis pas. Et il y a trois raisons à cette humeur positive. La première est qu'après avoir accompli des tâches banales, comme notre lessive et notre vaisselle à l'eau de mer (car nous devons économiser l'eau), nous avons eu une conversation plutôt intéressante au sein de la famille. Nous avons échangé sur les raisons qui nous avaient poussés à embarquer sur la flottille Global Sumud. C'était magnifique de les écouter tous, originaires de pays différents, unis dans un même but. Et de comprendre que l'ennemi n'est pas seulement celui des Palestiniens, mais le nôtre à tous. Aujourd'hui, c'est Gaza, demain ce sera nos villes natales. Car les sionistes et leurs semblables semblent empressés de désensibiliser le monde au mal et aux meurtres (sauf quand c'est celui de Charlie Kirk 👀). Mais comme nous l'ont montré les Italiens par leur grande manifestation, nous, qui sommes des centaines, des millions voire des milliards de personnes, pouvons faire la différence et repousser un ennemi qui veut que nous soyons plus intéressés par le classement Forbes des personnes les plus riches que par la faim endurée par des êtres humains n'ayant pas mangé depuis des jours. Nous sommes nombreux. Nous avons une voix. Et nous en userons jusqu'à ce que le mal soit vaincu. Nous sommes les POZ (People Opposing Zionism, les opposants au sionisme).
Laundry hung on Mendi Reincarnated with banner incorporating SA and Palestinian flags reading « Free Palestine »23 septembre 2025.
© Zukiswa Wanner
Sur une note littéraire plus légère, parce que j'adore les histoires et que je cherche toujours un moyen de les partager, mercredi dernier, le jour où j'ai embarqué, j'ai lancé un club de lecture de la flottille Global Sumud. Je voulais qu'on lise (ou relise, dans mon cas) un texte en commun pendant notre voyage vers Gaza. Je voulais un livre qui nous éclaire sur Gaza tout en nous donnant un aperçu de notre destination. Le roman que j'ai choisi est The Bitterness of Olives [« L'Amertume des olives »] d'Andrew Brown (Karavan Press, 2023). Pour que ce ne soit pas trop fastidieux pour les lecteurs, j'ai demandé à Andrew de lire le prologue. Ensuite, j'ai lu la première page du premier chapitre et, à tour de rôle, quelqu'un d'autre a lu la première page du chapitre suivant, et ainsi de suite. Tout ça pour dire que les salons littéraires sud-africains sont admirablement engagés dans cette initiative ! Nous sommes mardi aujourd'hui et j'ai déjà des lecteurs inscrits jusqu'à lundi prochain. Cela témoigne, comme j'aime souvent le dire, de la manière dont la plupart des artistes nous montrent que l'aspect « humain » des sciences humaines passe par l'action et l'engagement.
Un poème de Rifka
Enfin, la troisième raison de mon humeur, même si elle est plus sombre que les autres, c'est que Rifka m'a envoyé un poème hier soir. Et pendant que je le lisais, alors que nos bateaux étaient survolés par les drones, je n'ai pas pu m'empêcher de dire à Eurozone que je suis convaincue que c'est parce qu'ils veulent anéantir Gaza avant notre arrivée qu'ils envoient leurs drones pour nous intimider si loin de la côte israélienne. Mais je pense qu'ils ne comprennent pas notre volonté et notre amour pour l'humanité.
Chaque personne à bord de ce bateau restera, sans nul doute, pour aider à reconstruire Gaza. Car, comme je l'ai déjà dit, notre humanité est plus forte que notre peur. Voici le poème de Rifka, que je partage avec son autorisation. Je m'arrête là pour ce soir.
Tal El-Hawa, sud de Rimal,
Des noms désormais gravés dans le feu et les décombres,
Pris dans les filets d'un génocide.
Je suis originaire de Zarnouqa, dans le district occupé de Ramleh.
Née dans le camp de Nusseirat,
J'ai bâti ma vie avec mon mari et mes enfants,
Dans le sud de Rimal,
Où chaque battement de cœur résonnait dans les rues de Tel al-Hawa.
Là-bas, nous ne vivions pas seulement dans des maisons,
Nous vivions dans les rires les uns des autres,
Dans la chaleur partagée des trottoirs et des devantures de magasins,
Dans le langage doux et tacite de l'appartenance.
L'hôpital El-Quds – où j'ai vu mon visage renaître,
Dans les yeux de mes filles lorsqu'elles sont venues au monde.
Leur école se trouvait non loin,
De la boulangerie qui réveillait le quartier tous les matins à l'aube,
Du magasin de falafels où les salutations précédaient les prix,
Et du vendeur de katayef qui accrochait des lampes à sa porte pour le ramadan.
L'homme qui vendait des awama en hiver.
Et le café Mazaj,
Ce breuvage sacré épicé à la cardamome,
Versé directement dans le cœur et non dans la tasse.
Roi de tous les cafés.
Quand les jours devenaient lourds de tristesse,
Je m'échappais dans la nuit de Tal El-Hawa
Seule, mais jamais solitaire.
Les rues m'accueillaient.
Leur silence était une chanson familière.
Leur obscurité, une amie.
L'air frais caressait mes joues,
Et soulageait mon cœur.
Sur le chemin du retour,
Je m'arrêtais à la boutique de falafels,
Toujours bondée, toujours animée.
Mais j'étais servie la première.
Non par charité,
Mais pour des raisons plus anciennes,
Sacrées.
Les enfants de cette terre ne vous font pas attendre,
Quand vous êtes une femme.
Je n'ai jamais considéré cela comme une atteinte à mon féminisme.
Je voyais cela comme une ancre,
Des racines,
Un lien supplémentaire qui m'attachait,
À cette terre que je n'ai jamais quittée,
À cette maison dont je n'ai jamais douté.
Et Gaza,
Belle Gaza,
Gaza chérie,
Est brûlée, détruite,
Mais jamais effacée.
Gaza est perdue, mais ne périt pas.
Gaza est détruite, mais ne meurt jamais.
Post-scriptum : j'ai écrit et envoyé ce texte mardi soir. Puis, avec la lâcheté qui caractérise les sionistes (car le mal est plus à l'aise sous le couvert de la nuit, et nous nous réveillons souvent avec la nouvelle de nouveaux Palestiniens tués), ils ont envoyé plus de dix drones au-dessus de notre flottille, et nous avons subi quelques attaques et le brouillage de nos communications. Ces sbires sont assez stupides pour ne pas comprendre qu'en tant que mission humanitaire pacifique, nous voyageons sous surveillance étroite, pour pouvoir prouver, une nouvelle fois, au monde entier, qui sont les auteurs de la violence. Ils peuvent brouiller nos signaux, mais nos signaux émettent des signaux et des images qui démasquent leurs tentatives d'intimidation. Une fois encore, je soupçonne qu'ils veulent nous retarder pour nous empêcher d'arriver à Gaza ou nous empêcher d'arriver avant qu'ils aient totalement décimé Gaza. Mais nous sommes du monde entier. Nous avons le monde avec nous. Et nous sommes et restons déterminés dans notre lutte pour que l'humanité prévale.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

La Flottille de la Liberté : quand la mer se fait chemin d’humanité
Jamais, depuis que les hommes naviguent, la mer n'avait vu une telle convergence. Plus de 70 navires, venus des quatre coins du monde, ont pris la même direction, portés par une même conviction : secourir un peuple assiégé. Leur destination : la bande de Gaza. Leur mission : briser un blocus maritime jugé illégal par le droit international. Leur mot d'ordre : Paix.
À bord, pas d'armes, pas de soldats, pas d'agenda militaire. Seulement des vivres, des médicaments, des volontaires, et une certitude partagée : qu'il est encore possible, par la solidarité, de desserrer l'étau de la violence.
Cette mobilisation internationale sans précédent est menée par la Freedom Flotilla Coalition, qui a rassemblé autour d'elle d'autres initiatives : le Mouvement Global vers Gaza, la Flottille Sumud maghrébine (Le Maroc y participe aussi) ou encore la Flottille Sumud Nusantara. Ensemble, ils portent ce projet humanitaire hors norme, lancé en 2025, avec le soutien de centaines de citoyens engagés.
À bord des navires se trouvent des médecins, des journalistes, des membres d'ONG, des militants pour la paix, mais aussi de simples citoyens animés par une même volonté : ne pas laisser le silence recouvrir Gaza.
Depuis 2007, Gaza vit sous blocus terrestre, maritime et aérien. Israël a imposé ce verrouillage après la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes de 2006, des élections jugées libres et régulières par les observateurs internationaux, mais que ni Israël, ni l'Union européenne, ni les États-Unis n'ont reconnues.
Près de deux millions d'habitants subissent depuis un isolement presque total. L'accès à la nourriture, aux soins, aux médicaments, à l'électricité et à l'eau y est contrôlé, restreint, conditionné. Des ONG parlent d'une « prison à ciel ouvert », d'autres d'un blocus parmi les plus déshumanisants de l'histoire contemporaine.
Les offensives israéliennes ont régulièrement ravagé l'enclave : 2008, 2012, 2014, 2021, 2022 et 2023. Selon l'ONU, entre 2008 et 2023, plus de 6 000 Palestiniens ont été tués et 65 000 blessés. Depuis le 7 octobre 2023, après l'attaque du Hamas et la riposte israélienne, le bilan est effroyable : plus de 65 000 morts et 162 000 blessés.
Dans ce contexte, chaque tentative pacifique visant à briser le blocus prend une dimension à la fois politique et morale.
La mémoire des flottille est marquée par un épisode tragique : celui du Mavi Marmara, en mai 2010. Parti de Turquie avec des vivres et du matériel médical, il transportait des médecins, des journalistes et des parlementaires. Attaqué en pleine mer internationale par un commando israélien, il laissa derrière lui un lourd bilan : neuf passagers tués, un dixième décédé plus tard, et une cinquantaine de blessés. Les survivants furent arrêtés, et le navire confisqué.
Ce drame avait provoqué une onde de choc mondiale, révélant au grand jour la brutalité du blocus. Depuis, chaque volontaire qui s'engage dans une telle flottille sait qu'il s'expose à la prison, parfois à la mort.
Le 10 septembre 2025, les navires de la nouvelle flottille ont quitté Tunis dans une quasi-indifférence médiatique. Peu de caméras, peu de unes, peu d'attention. Comme si l'ampleur de ce geste pacifique, inédit et courageux, n'avait pas sa place dans le récit dominant.
Et pourtant, ces volontaires désarmés rappellent au monde entier une vérité fondamentale : il est encore possible d'agir, même sans fusil ni bombe. Ils opposent la solidarité des peuples à la raison d'État, l'audace civile au mutisme diplomatique.
L'absence de relais médiatique contraste avec la portée symbolique de l'événement. Ces bateaux désarmés témoignent d'une force morale qui n'a rien à envier aux grandes pages de courage de l'histoire moderne. Certains osent comparer leur audace à celle des débarquements de la Seconde Guerre mondiale : moins d'armes, mais plus d'humanité.
La question qu'ils posent, par leur simple navigation, dépasse Gaza :
Que diront nos enfants, et les enfants de nos enfants, de nous, face au génocide en cours ?
Peut-être se souviendront-ils que, malgré les bombes et l'indifférence, malgré les vagues et les populismes, malgré les bruits de guerre et les silences complices, 500 femmes et des hommes venus de 44 pays ont choisi de naviguer pour la dignité.
Ils diront que, dans la nuit de l'Histoire, certains ont refusé le confort de l'oubli. Qu'ils ont choisi la mer comme chemin d'espérance. Et qu'ils auront écrit, avec leurs voiles fragiles et leurs coques modestes, une page de résistance pacifique qui défie le temps.
Ils sont désormais l'avant-garde de l'humanité.
Mohamed Lotfi
12 septembre 2025
******
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.
































