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Guatemala : mobilisation des femmes autochtones pour la vie, la terre et le territoire

Dans le cadre du 8 mars, les femmes paysannes et autochtones sont descendues dans la rue pour commémorer leur lutte et leur résistance à travers le pays. Elles ont également (…)

Dans le cadre du 8 mars, les femmes paysannes et autochtones sont descendues dans la rue pour commémorer leur lutte et leur résistance à travers le pays. Elles ont également mené des actions de formation et d'incidence dans leurs territoires.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/30/guatemala-mobilisation-des-femmes-autochtones-pour-la-vie-la-terre-et-le-territoire/?jetpack_skip_subscription_popup

La Coordinadora Nacional de Viudas de Guatemala (Conavigua), membre de la CLOC – La Via Campesina, s'est mobilisée à Tegucigalpa et, dans un communiqué, a salué toutes les femmes. Elle a rendu hommage à la mémoire et à l'histoire des aïeules qui ont tracé la voie, en exprimant sa gratitude pour leur exemple de lutte et de résistance, ainsi que pour la transmission des savoirs de génération en génération.

Elles ont également souligné et reconnu les efforts et l'engagement des femmes paysannes et autochtones pour éradiquer toutes les formes de violence, le patriarcat et la criminalisation des luttes sociales. Enfin, elles ont insisté sur l'importance de dénoncer toute forme de discrimination raciale qui affecte leur vie.

Extrait de leur communiqué :

Nous encourageons et exprimons notre solidarité avec nos sœurs de la communauté linguistique Achí, engagées dans une lutte intense pour exiger justice face aux graves violations de leurs droits humains subies durant la guerre, en particulier les violences sexuelles. Aujourd'hui, les tribunaux de justice cherchent à instaurer l'impunité, mais nous saluons le courage de ces femmes et les encourageons à poursuivre la consolidation de leurs luttes. Nous appelons à renforcer les alliances, les coordinations et les réseaux aux niveaux national et international, car ce n'est qu'ainsi que nous pourrons garantir une vie digne et épanouie pour toutes les femmes.

Nous soutenons et encourageons les femmes, en particulier les femmes mayas, qui occupent des postes publics. Elles doivent continuer à exercer leur leadership, faire valoir leur talent et leurs compétences pour soutenir et accompagner les revendications des femmes en faveur de l'autonomie économique. Celle-ci est essentielle pour nourrir leur indépendance et leur aspiration à une vie pleine et entière.

Les femmes Q'eqchí commémorent leur lutte pour la terre et le territoire dans la vallée du Polochic

Les femmes Q'eqchí, membres du Comité d'Unité Paysanne (CUC), ont commémoré leur lutte pour la terre et le territoire à travers un acte de résistance et d'unité, réaffirmant leur rôle de gardiennes de leur territoire ancestral.

Lors de l'événement, Claudia, l'une des dirigeantes de la communauté, a adressé un message de bienvenue soulignant l'importance de la persévérance et de la sororité dans la lutte pour les droits collectifs. « Embrassons nos chemins de lutte avec force. Nous sommes les gardiennes de la terre. Ne laissons rien nous arrêter et unissons nos forces, de femme à femme, de communauté à communauté, pour obtenir les changements que nous désirons », a-t-elle déclaré.

Matilde, de la communauté de San Esteban, a insisté sur la nécessité pour le système judiciaire de protéger les femmes contre toutes les formes de violence, dénonçant l'absence de justice dans les communautés rurales, où de nombreux cas de violences sexuelles restent impunis. Elle a également exprimé son rejet de l'augmentation de salaire des députés, affirmant que « ce n'est pas juste d'augmenter leur salaire alors qu'ils n'ont rien fait pour le peuple. Nous refusons aussi les spoliations causées par les grands propriétaires terriens, car elles nous causent beaucoup de souffrance ».

Cette rencontre a été une occasion de renforcer l'organisation communautaire et de rendre visible la lutte des femmes autochtones pour la défense de leurs droits fonciers. Dans un contexte marqué par des conflits territoriaux, elles ont réaffirmé leur engagement à protéger leurs ressources naturelles et leur identité culturelle, diffusant un message d'unité et de résistance.

Cette publication est également disponible en Español.
https://viacampesina.org/fr/guatemala-mobilisation-des-femmes-autochtones-pour-la-vie-la-terre-et-le-territoire/

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La résistance secrète des femmes afghanes face au patriarcat religieux

Depuis 2021, les femmes afghanes subissent une pression brutal sous les talibans. Privées d'éducation et de libertés, elles résistent en secret par des écoles clandestines et (…)

Depuis 2021, les femmes afghanes subissent une pression brutal sous les talibans. Privées d'éducation et de libertés, elles résistent en secret par des écoles clandestines et les réseaux sociaux. Malgré les menaces, leur lutte pour la justice et l'égalité persiste.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/16/etre-femme-en-afghanistan-ou-quand-chanter-en-public-devient-un-crime/?jetpack_skip_subscription_popup

Il est évident que les talibans ont systématiquement exclu les femmes afghanes de la vie sociale et politique, menant une guerre inégale contre elles.

Les dirigeants talibans, dans leur volonté de réduire le rôle des femmes dans la société, tentent de justifier cette répression par des arguments religieux et idéologiques. Dans cette analyse, nous examinerons comment ces politiques patriarcales, justifiées par des interprétations religieuses, sont utilisées pour légitimer la répression, et comment les femmes afghanes résistent à cette idéologie misogyne.

Le patriarcat religieux comme outil de domination des femmes

Les femmes afghanes ont toujours fait face à de vastes défis en matière de violations de leurs droits humains. Après la chute du régime taliban en 2001 et l'instauration d'un gouvernement démocratique, certaines tentatives ont été faites pour inclure les femmes dans les sphères sociales et politiques, mais la réalité est que ces changements étaient superficiels et instables. Au sein de la société afghane, dominée par des idéologies patriarcales et religieuses, ces changements limités n'ont pas conduit à une transformation réelle.

La catastrophe est survenue lorsque les talibans ont repris le pouvoir en 2021. À ce moment-là, tous les efforts visant à améliorer la situation des femmes ont été anéantis. Avec le retour des talibans, les femmes afghanes ont non seulement été privées de leurs acquis passés, mais elles se sont retrouvées engagées dans une guerre inégale contre leurs droits fondamentaux.

Les talibans, en abusant d'interprétations extrémistes de l'islam, ont sévèrement limité les droits des femmes, les excluant systématiquement des activités sociales et politiques. Cette tragédie humaine et ce scandale moral et politique sont généralement justifiés par des interprétations rigides et extrémistes de l'islam. Lorsqu'une société patriarcale affirme « les hommes sont les protecteurs des femmes en raison de la préférence de Dieu », un combattant taliban, formé dans des écoles religieuses, trouve une légitimation de son pouvoir sur les femmes dans ce que lui enseignent les prédicateurs : les hommes ont une position supérieure aux femmes dans tous les domaines, de la maison à la société.

C'est ainsi que la présence des femmes dans une société patriarcale est considérée comme inacceptable par les hommes détenant le pouvoir politique. Lors du retour au pouvoir des talibans, leur première mesure a été d'interdire l'éducation des filles au-delà du niveau primaire. En se basant sur leur propre interprétation de l'islam, ils ont systématiquement privé les femmes d'accès à l'éducation.

Selon Richard Bennett, rapporteur spécial de l'ONU, entre septembre 2021 et mai 2023, plus de 50 décrets ont été émis par les talibans restreignant les droits des femmes et des filles, notamment leurs droits à la circulation, à l'habillement, à la conduite, à l'accès à l'éducation, à l'emploi, à la santé et à la justice. (Richard Bennett, 2023) Tous ces décrets sont appliqués par une structure appelée « la promotion de la vertu et la prévention du vice », et toute personne désobéissant à leurs ordres s'expose à l'arrestation et à l'emprisonnement.

D'autre part, le patriarcat religieux en Afghanistan, par l'utilisation d'interprétations extrémistes de l'islam, rend la violence contre les femmes légitime. Les talibans ont non seulement privé les femmes de leurs droits fondamentaux, mais ils justifient également la violence domestique sous les enseignements déformés de la religion.

Dans les zones rurales, la violence domestique est courante et de nombreuses femmes, par peur des représailles ou en raison de problèmes sociaux, ne peuvent pas la signaler. Selon Amnesty International, 85% des femmes afghanes ont subi des violences domestiques, mais en raison du manque de soutien juridique et de la peur des conséquences sociales, elles restent majoritairement silencieuses. (Amnesty International, 2021)

La résistance secrète des femmes afghanes contre l'oppression des talibans :

Bien que les manifestations des femmes afghanes contre les politiques des talibans soient durement réprimées, et que celles-ci soient systématiquement arrêtées et torturées sous prétexte de « contravention à la charia », les femmes afghanes continuent de résister par des actions secrètes et sociales. En particulier dans le domaine de l'éducation, les femmes afghanes ont organisé des classes secrètes et utilisé les nouvelles technologies pour étudier clandestinement.

Selon le rapport de l'UNESCO (2022), les femmes afghanes ont organisé des classes secrètes dans certaines régions où des filles de différents villages se rassemblent pour recevoir une éducation. Cette résistance à la répression éducative est un exemple de résistance à l'injustice, salué non seulement en Afghanistan, mais aussi au niveau mondial. En outre, les femmes afghanes ont également résisté dans les luttes sociales et culturelles pour préserver leurs droits.

Elles utilisent les médias sociaux, notamment en dehors de l'Afghanistan, pour partager leurs récits avec le monde. Ces actions, malgré les menaces de sécurité et les pressions des talibans, continuent. Selon les Reporters sans frontières (RSF, 2021), de nombreuses femmes afghanes ont utilisé les réseaux sociaux pour diffuser des informations sur les violations des droits humains et, malgré les menaces graves des talibans, elles poursuivent leur lutte.

À cet égard, les femmes afghanes ont résisté non seulement aux répressions physiques et psychologiques, mais elles ont aussi utilisé le retrait du voile obligatoire comme moyen de protester contre l'injustice des talibans. Cette résistance n'est pas seulement une tentative de sauver les femmes individuellement, mais aussi de sauver la société dans laquelle elles vivent, et elle témoigne de la force de leur volonté face à un gouvernement patriarcal.

La résistance des femmes afghanes contre les talibans est un exemple de lutte secrète et de résistance silencieuse qui, dans de nombreux cas, est restée cachée aux yeux des médias. Malgré les menaces graves, les attaques violentes et les restrictions sévères imposées par la société sous le régime taliban, les femmes afghanes continuent de lutter pour leurs droits et pour le progrès social. Cette résistance n'est pas seulement une réaction aux oppressions, mais aussi un outil de changement et d'accès à la justice sociale et aux droits humains.

À mon avis, la solidarité mondiale avec la résistance des femmes afghanes contre l'oppression des talibans, en tant que mesure essentielle pour lutter contre le patriarcat religieux et la violence envers les femmes, pourrait avoir des effets significatifs. Malgré les menaces et les répressions sévères, les femmes afghanes restent debout pour défendre leurs droits, et leurs luttes sont non seulement admirées en Afghanistan, mais aussi au niveau mondial.

Le soutien et la solidarité internationale avec ces résistances pourraient remettre en cause la légitimité des régimes patriarcaux et extrémistes tels que les talibans et, en fin de compte, conduire à des changements culturels et sociaux qui aideraient à mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe et à la violence contre les femmes. Par conséquent, en poursuivant le soutien aux droits des femmes et en élargissant la sensibilisation mondiale à cet égard, nous pouvons faire un grand pas vers l'égalité des sexes et la justice sociale.

Amnesty International. (2021). Afghanistan : Violence Against Women.
(2022). Tamana Zaryab Priyani's Arrest and Torture.
Richard Bennett, Special Rapporteur of the United Nations, « Report on the Situation of Women in Afghanistan », September 2021 – May 2023.
UNESCO, « Education under Taliban Rule », 2022.
Reporters Without Borders (RSF), « Women Journalists in Afghanistan », 2021.
Rohullah Taheri, journaliste
https://blogs.mediapart.fr/rohullahtaheri/blog/110325/la-resistance-secrete-des-femmes-afghanistanes-face-au-patriarcat-religieux

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¡ Vivas nos queremos !

Ce que le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes, ne doit pas être pour Yolanda Becerra Vega, c'est une date instrumentalisée par et pour les grandes (…)

Ce que le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes, ne doit pas être pour Yolanda Becerra Vega, c'est une date instrumentalisée par et pour les grandes entreprises pour s'enrichir sur le dos de l'appauvrissement social et économique des femmes. Le 8 mars doit servir à la commémoration des luttes des femmes pour le respect de leurs droits, offrir un espace politique pour réfléchir aux enjeux féministes et permettre aux militant.es de se retrouver et s'organiser.

Tiré du Journal des Alternatives : Alter- Québec
Crédit photo : site de l'Organisation populaire des femmes de Colombie

Vivantes, nous voulons être !

La militante féministe colombienne et défenseuse de droits humains était l'invitée d'un webinaire initié par la section québécoise de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC-Québec) le 6 mars dernier, en collaboration avec le Centre international de solidarité ouvrière (CISO) et le Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC).

À l'origine de l'Organisation populaire des femmes

Après avoir rejoint l'Organisation populaire des femmes (Organización Feminina Popular — OFP) en 1980, soit huit ans après sa création, Yolanda Becerra Vega a fondé sa direction nationale. L'OFP est un organisme à but non lucratif qui œuvre pour la défense des droits fondamentaux des femmes et la justice sociale en Colombie. Elle se positionne activement contre le conflit armé colombien et promeut des méthodes non violentes pour favoriser l'émancipation et l'autonomisation globale des femmes.

L'ADN politique de l'OFP a été forgé par le contexte géopolitique lors de la formation de l'organisation. Barrancabermeja, capitale de la région du Magdalena Medio et ville où est née l'OFP, est le principal moteur de l'industrie pétrolière en Colombie et abrite la plus grande raffinerie du pays. Cette réalité a transformé la ville en point stratégique dans le contexte du conflit armé, engendrant ainsi de nombreuses violences affectant particulièrement les femmes.

Assurer un soutien à ces femmes a été au cœur de l'action de l'OFP depuis ses débuts. Il s'agissait notamment de leur paver un chemin vers de plus amples possibilités, et faire face aux protagonistes dans le conflit.

Parmi les nombreuses initiatives menées par l'OFP, Yolanda Becerra Vega a évoqué l'inauguration du musée Casa Museo de la Memoria y los Derechos Humanos de las Mujeres en 2019. Il s'agit du seul espace en Colombie qui traite le conflit armé dans une perspective du genre et qui met en lumière les luttes populaires menées par les femmes. La dirigeante colombienne mentionnait l'inscription de ce projet dans un effort de développement de méthodologies de résistance pour les femmes. Elle évoquait également le choix d'une esthétique muséal qui rappelle la vie, alors que la mort rôde et guette de manière disproportionnée celles qui osent lever le ton quant à leur sort.

Le triomphe du nécrocapitalisme

Le thème de la mort a été répété à maintes reprises lors du webinaire. En mars 2025, selon l'Observatorio Colombiano de Feminicidios, 79 féminicides ont déjà été commis depuis le début de l'année. Les femmes colombiennes sont de plus en plus appauvries, et ce jusqu'à être dépourvues de la vie. Ici, la mort — ou la vie dans des conditions pratiquement invivables — devient un outil qui bénéficie économiquement à ses responsables en permettant l'accumulation de moyens de production et de profits. C'est ce que le sociologue Subhabrata Bobby Banerjee définit comme le nécrocapitalisme.

Selon Yolanda Becerra Vega, les économies antérieures ont apporté la mort et la précarité en Colombie, et ont laissé les femmes pauvres, seules, et exclues. Si elles survivaient aux persécutions des grandes entreprises pétrolières et des différents groupes armés, les femmes étaient souvent sous l'emprise d'un mode de vie restreint par les rôles genrés.

Bien qu'elles soient diplômées tout autant que les hommes, les femmes demeurent sous-représentées dans le marché du travail en Colombie. C'est entre autres pour cette raison que l'OFP et sa représentante militent avec autant d'ardeur pour le droit à la vie et pour les droits ouvriers des femmes colombiennes.

Pas de Paz Total sans les femmes

L'arrivée du gouvernement de Gustavo Petro au pouvoir en Colombie, il y a de cela bientôt trois ans, s'est accompagnée de l'instauration d'une politique de paix dite Paz Total. Celle-ci vise le renforcement des accords de paix signés en 2016 par l'ancien président Iván Duque et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), et ce par l'emploi de la négociation et d'autres stratégies politiques et légales. L'objectif ultime est l'aboutissement de la transition d'un état de conflit armé vers une paix effective dans le pays.

Alors que les violences liées au conflit ont récemment augmenté de manière significative en Colombie, notamment dans le Catatumbo où la guerre entre des groupes dissidents des FARC et l'Armée de libération nationale a engendré le déplacement forcé de plus de 50 000 personnes, Yolanda Becerra Vega insiste sur le fait que la transition vers la paix ne peut se faire sans la prise en compte des revendications des femmes et l'application transversale de la perspective du genre.

Les femmes ont historiquement été exclues du processus de paix colombien. Les organisations de femmes continuent ainsi d'être d'une grande utilité, et la nécessité du travail qu'elles réalisent est d'autant plus criante en Colombie. Dans un contexte de répression et d'absence de l'État dans de nombreuses régions du pays, l'OFP et ses collègues permettent aux femmes de manger, de travailler, de penser, de lutter et de survivre, tout en offrant aux jeunes filles des espaces pour grandir et se définir au-delà de la pauvreté.

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Le travail invisible du clic : une exploitation systématique à l’échelle mondiale

1er avril, par Maîka Desjardins — ,
Plusieurs personnes ont déjà eu recours à l'intelligence artificielle (IA) pour obtenir des réponses instantanées ou pour recevoir un service rapide. Pourtant, derrière ces (…)

Plusieurs personnes ont déjà eu recours à l'intelligence artificielle (IA) pour obtenir des réponses instantanées ou pour recevoir un service rapide. Pourtant, derrière ces systèmes, présentés comme des actions technologiques autonomes, se cache un travail invisible, effectué par des humains. Ce travail, largement méconnu, soulève des enjeux majeurs liés aux droits humains, où cette main-d'œuvre est invisibilisée, mal rémunérée et exploitée.

Tiré du journal Alter Québec
https://alter.quebec/le-travail-invisible-du-clic-une-exploitation-systematique-a-lechelle-mondiale/
Par Maîka Desjardins Communications CISO -21 janvier 2025

Un travail précaire et déshumanisant

Le travail du clic consiste à diviser des tâches simples et répétitives comme du tri de données, de la reconnaissance d'image ou des évaluations de produits accomplies par plusieurs personnes, le plus souvent pour une rémunération indécente. À l'échelle mondiale, entre 45 et 90 millions de personnes réalisent ce type de travail dans des conditions précaires. Sans statut juridique clair auprès de l'État, elles sont privées de leurs droits fondamentaux : elles n'ont ni contrat de travail défini, ni protection sociale, ni recours en cas de licenciement déraisonnable. Elles sont connectées en permanence, prêtes à accomplir des tâches mécaniques et déshumanisantes, en plus d'être constamment exposées à des images violentes, pour un salaire très bas. Ces facteurs engendrent une perte de sens du travail, pouvant mener à de l'épuisement psychologique.

Ce travail, dans sa forme actuelle, est un exemple criant d'exploitation systématique dans l'ère numérique, qui pèse sur des millions de vies. L'invisibilité du travail du clic est essentielle à son efficacité. C'est l'une des raisons pour lesquelles ce travail reste largement ignoré du grand public : l'illusion d'une IA autonome masque la réalité d'une exploitation humaine et fait taire les critiques.

Le cas de MTurk

Laplateforme numérique Amazon Mechanical Turk (MTurk), qui distribue des microtâches à des travailleur.se. s à l'échelle mondial en est un exemple. En 2018, seulement 2676 « Turkers » ont réalisé 3,8 millions de tâches à un rythme effréné du travail à la demande. À tout moment, une alerte HIT (Human Intelligence Tasks) surgit pour indiquer une nouvelle « offre d'emploi ». Les travailleur.se. s ont un temps limité pour réaliser la microtâche et la soumettre pour ne gagner qu'entre 2 $ et 7,25 $ de l'heure. Toutefois, seuls les Turkers américains et indiens sont rémunérés en argent, les autres doivent se contenter de bons d'achat Amazon ! Également, la rémunération n'inclut pas tout travail lié à la recherche de tâches, celles rejetées par l'employeur et celles qui n'ont jamais été envoyées.

Un nouveau modèle économique : le « cyber prolétariat »

Ce modèle de travail abusif, le « cyber-prolétariat », permet aux géants technologiques de se déresponsabiliser en sous-traitant des microtâches, créant des conditions d'exploitation invisibles, et ce, à l'échelle mondiale. Des travailleur.se. s sont privé.es de droits et de protections, vivant dans l'incertitude permanente et soumise à des rythmes de travail épuisants et déshumanisants. Il ne s'agit pas uniquement de conditions de travail précaires, mais d'un véritable système qui structure et renforce les rapports de force dans une économie numérique qui échappe à tout contrôle social. Le danger réside dans l'illusion entretenue par les géants du numérique que ce modèle est non seulement inévitable, mais qu'il s'agit d'une forme de « liberté » pour les travailleur.ses qui peuvent choisir leurs tâches et leurs horaires. Ce discours de l'autonomie individuelle dissimule un système fondé sur l'exploitation, où chaque travailleur.ses est responsable de sa propre précarité, sans recours possible ni pouvoir de négociation. Leur isolement et leur absence de liens formels avec l'employeur rendent extrêmement difficile leur organisation collective.

Des initiatives de résistance pour l'éthique et la dignité de travail

Face à cette réalité, diverses initiatives tentent d'inverser la tendance et de proposer des solutions pour améliorer les conditions de travail des travailleur.se. s du clic.

L'Organisation internationale du Travail (OIT), dans son rapport de 2018, dresse 18 critères pour garantir un travail décent avec une reconnaissance des droits fondamentaux dans le secteur du numérique, notamment par l'instauration d'un salaire minimum en fonction du pays de résidence des travailleur.ses et un encadrement juridique du travail du clic.

Des plateformes alternatives telles que Daemo souhaitent concurrencer MTurk en offrant un espace de travail décent et respectueux des travailleur.ses. Parallèlement, des extensions ont été développées servant à trier les tâches plus efficacement, à créer des alertes lors d'apparition de tâches mieux rémunérées. Des plateformes comme Turkopticon et FairCrowdWork permettent aux travailleur.se. s de noter les plateformes de microtâches, leurs employeurs et leurs collègues pour améliorer la transparence des plateformes. Finalement, un guide de bonnes pratiques, The Dynamo Guideline, a été élaboré pour les recherches universitaires utilisant le travail du clic afin d'assurer une éthique dans l'utilisation des données.

Malgré tout, ces initiatives, bien qu'essentielles, restent marginales et ne suffisent pas à contrer l'ampleur du phénomène en s'attaquant aux racines structurelles de l'exploitation. Les géants du secteur, tels qu'Amazon, restent largement dominants et les efforts pour créer une véritable régulation des plateformes numériques se heurtent à des résistances politiques et économiques importantes.

Pour véritablement changer la donne, il est urgent de repenser le modèle économique des plateformes numériques. Cela implique notamment une régulation forte, une reconnaissance des travailleur.ses du clic comme salarié.es, avec tous les droits associés à ce statut, ainsi qu'un engagement à faire respecter des normes sociales et éthiques dans l'économie numérique.

Il faut repenser l'avenir de l'IA en termes d'impacts technologiques, humains, environnementaux et sociaux. Le fait de construire une société plus juste et plus démocratique doit demeurer une priorité et ce, peu importe les tendances technologiques actuelles.

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Exilé·es et emprisonné·es, les syndicalistes biélorusses poursuivent leur combat

Adapté d'un exposé présenté lors du webinaire « Labour Movements Under Authoritarian Regimes » organisé par Global Labour Column, Salidarnast e.V., Industrial Workers (…)

Adapté d'un exposé présenté lors du webinaire « Labour Movements Under Authoritarian Regimes » organisé par Global Labour Column, Salidarnast e.V., Industrial Workers Federation of Myanmar, et Hong Kong Labour Rights Monitor, février 2025.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le Belarus est l'un des dix pires pays pour les travailleurs et les travailleuses selon l'indice mondial des droits de la Confédération syndicale internationale. Il se classe parmi les champions du monde des violations des droits des êtres humains, y compris des droits syndicaux. Depuis 2022, il est classé parmi les pays où la liberté d'association n'existe pas. Comment un pays situé au centre géographique de l'Europe a-t-il pu devenir une dictature comptant plus de 1 500 prisonnier·es politiques ?

Tout a commencé il y a plus de 30 ans avec l'élection d'Alexandre Loukachenko, qui est resté président du Belarus depuis 1994. Il a fait campagne en promettant de maintenir les emplois, de préserver les liens économiques avec la Russie post-soviétique et de s'assurer des ressources moins chères. M. Loukachenko a habilement joué sur l'incertitude, la pauvreté et la peur des travailleurs et des travailleuses face à une économie de marché déréglementée en promettant un retour aux « meilleures pratiques » du passé soviétique.

Pendant trois décennies, Loukachenko a maintenu sa main de fer sur le pouvoir en organisant des élections frauduleuses, en kidnappant les opposant·es politiques et en transformant la Fédération des syndicats du Belarus (FTUB) en un instrument de l'appareil idéologique de l'État. Depuis les années 1990, le régime a sévèrement limité l'espace de la société civile démocratique au Belarus.

Néanmoins, cette société civile démocratique, y compris les syndicats indépendants, a réussi à se développer contre la volonté de l'État. Grâce à la protection des institutions internationales de défense des droits des êtres humains, de l'Organisation internationale du travail et de la Confédération syndicale internationale, le mouvement ouvrier a conservé une certaine marge de manœuvre.

Les médias indépendants, les organisations non gouvernementales et les syndicats démocratiques – réunis au sein du Congrès biélorusse des syndicats démocratiques –- ont offert une voie alternative aux Biélorusses. Cet écosystème fragile a été fortement perturbé en 2020.

Le réveil de 2020

La pandémie mondiale de COVID-19 a entraîné des changements spectaculaires au Belarus. Après des décennies de survie passive, les biélorusses se sont finalement réveillé·es face à une pandémie pour laquelle l'État n'assurait pratiquement aucune protection de la santé publique. Les citoyen·nes ont été contraint·es de s'organiser au niveau local pour simplement survivre.

Le mouvement de protestation, alimenté par la méfiance à l'égard des autorités, est apparu entre les échecs du gouvernement face à la pandémie et les élections présidentielles qui se sont révélées frauduleuses. Lorsque les électeurs et les électrices ont réalisé que leurs bulletins de vote contre Loukachenko avaient été volés, elles et ils sont descendu·es dans la rue en nombre sans précédent. Des centaines de milliers de personnes ont manifesté pendant des mois.

Les travailleurs et les travailleuses ont adhéré à des syndicats démocratiques et ont défié les autorités par une grève générale. Des structures démocratiques ont commencé à se mettre en place dans presque toutes les entreprises publiques. Pour la première fois, les travailleurs et les travailleuses des secteurs de l'éducation et de la santé ont commencé à former des syndicats de leur choix, au lieu d'être contraint·es de s'affilier à la FTUB, contrôlée par l'État.

Notre stratégie en tant que syndicats démocratiques était simple : organiser, organiser et organiser. Notre objectif était d'offrir aux travailleurs et des travailleuses de différentes professions l'expérience de l'action collective, qui leur avait été systématiquement refusée sous le régime de Loukachenko.

La répression

La force disproportionnée utilisée contre les manifestant·es pacifiques, l'ingérence de la Russie et le rôle de la FTUB, contrôlée par l'État, ont finalement eu raison de ce mouvement démocratique. Les travailleurs et les travailleuses ont manqué de confiance les un·es envers les autres en raison de leur manque d'expérience en matière d'action collective – un déficit provoqué à la fois par le régime de Loukachenko et par le caractère compromis de la FTUB.

Des centaines de milliers de familles biélorusses ont fui le pays. Tous les médias indépendants ont été fermés, les journalistes réduit·es au silence et presque tous les points de vue alternatifs qualifiés d'« extrémisme ». Aujourd'hui, environ 1 500 prisonnier·es politiques croupissent dans les prisons biélorusses, dont de nombreux syndicalistes et le président de la BCDTU.

C'est Alexandre Yaroshuk qui a annoncé l'opposition claire du BCDTU à la guerre en Ukraine. Suite à la déclaration anti-guerre du BCDTU, des arrestations massives de syndicalistes ont eu lieu le 19 avril 2022. Par la suite, tous les syndicats démocratiques ont été dissous sur décision de la Cour suprême du Belarus.

À ce jour, plus de 30 de nos frères et sœurs sont toujours détenu·es dans des colonies pénitentiaires et des prisons avec des libertés restreintes. Qualifiés d'extrémistes et de terroristes, elles et ils portent des étiquettes jaunes sur leurs uniformes de prison pour les distinguer des « criminels ordinaires », ce qui les désigne comme des ennemi·es du régime autoritaire.

Les arrestations se poursuivent quotidiennement sur les lieux de travail en Biélorussie pour des infractions allant de l'abonnement à des chaînes d'information indépendantes à l'apparition sur des photographies des manifestations de 2020, en passant par des dons à des initiatives de la société civile, le soutien à des défenseur·es des droits des êtres humains ou l'aide à la famille d'un·e prisonnier·e politique.

Résistance en exil

Lors des récentes élections en Biélorussie, la FSB a organisé la campagne électorale de Loukachenko et a tenu des bureaux de vote, ce qui prouve une fois de plus qu'elle est un appareil d'État plutôt qu'une organisation de travailleurs et de travailleuses.

Maintenant en exil, nous avons dû adapter notre stratégie. Nous ne pouvons plus nous organiser sur les lieux de travail au Belarus. Les syndicats démocratiques ayant été éliminés, il n'y a plus de liberté d'association dans le pays.

Celles et ceux d'entre nous qui ont fui la Biélorussie poursuivent les activités internationales du BCDTU, en documentant les violations des droits des travailleurs et des travailleuses et en les signalant à l'Organisation internationale du travail et à la Confédération syndicale internationale. L'une de nos principales tâches consiste à soutenir nos camarades restés au Belarus.

Nous nous efforçons également de présenter aux travailleurs et travailleuses biélorusses des alternatives à la dictature. Nous pensons que le principe selon lequel un syndicat fort doit être indépendant et démocratique ne doit pas être oublié par les travailleurs et les travailleuses de n'importe quel pays, en particulier le Belarus. Nous promouvons cette idée par le biais de nos canaux médiatiques et d'un cours en ligne pour les réseaux de travailleurs et de travailleuses que nous lancerons bientôt.

Construire la solidarité internationale

Il est essentiel de nouer des alliances solides avec les syndicats fraternels du monde entier. Nous tendons la main aux camarades du monde entier, en particulier à celles et ceux qui pourraient être trompé·es par la logique « l'ennemi de mon ennemi est mon ami ».

Les dictateurs collaborent et apprennent les uns des autres. Loukachenko et son syndicat d'État jaune recherchent la sympathie du Sud, obtenant souvent un soutien non critique pour s'opposer aux politiques des États-Unis, tout en restant profondément autoritaires et hostiles à nos valeurs communes.

Aujourd'hui, aucun acte de protestation n'est possible au Belarus. La conscience populaire se concentre sur la sécurité, en évitant les arrestations et l'étiquette d'extrémiste. Nous, les travailleurs et les travailleuse, n'avons pas d'armes. Les outils dont nous avons besoin pour construire une société juste basée sur les principes du travail décent et de la liberté d'association doivent être fournis par la solidarité internationale.

Notre tâche, en tant que mouvement de travailleurs et de travailleuses, est maintenant de protéger les mécanismes restants qui peuvent être utilisés contre les violations de la liberté d'association, en particulier l'article 33 de la Constitution de l'Organisation internationale du travail. J'invite les syndicalistes d'Europe, d'Amérique, d'Afrique et d'Asie à reconnaître que la Fédération des syndicats du Belarus n'est pas un véritable syndicat, mais un instrument de la dictature.

À Salidarnast e.V., nous lançons une campagne intitulée « L'activité syndicale n'est pas de l'extrémisme ! » Le 19 avril, nous marquerons le troisième anniversaire des arrestations massives de dirigeant·es syndicaux clés en Biélorussie, dont Alexandre Yarochuk. La Confédération syndicale internationale organisera une campagne et je vous demande, au nom des syndicats indépendants de Biélorussie, d'y participer.

Lizaveta Merliak
Lizaveta Merliak est présidente de Salidarnast e.V. et ancienne dirigeante du syndicat indépendant biélorusse des mineurs et des travailleurs/travailleuses de la chimie. Suite à la répression de 2020 (2022), elle vit aujourd'hui en exil en Allemagne où elle continue de plaider pour un syndicalisme indépendant au Belarus.
https://globallabourcolumn.org/2025/03/13/exiled-and-imprisoned-belarusian-trade-unionists-fight-on/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Quelque chose est en train de changer

Soudain, quelque chose a commencé à bouger. Un appel inattendu de supporters de football a déclenché une mobilisation hétérogène et massive. Ce 24M a dépassé toutes les (…)

Soudain, quelque chose a commencé à bouger. Un appel inattendu de supporters de football a déclenché une mobilisation hétérogène et massive. Ce 24M a dépassé toutes les attentes. Une nouvelle subjectivité est-elle en train de naître ?

28 mars 2025 | tiré de Viento sur | Photo : Marche pour la mémoire, Argentine, 24 mars 2025 – Página12
https://vientosur.info/algo-esta-cambiando/

Les plaques techno-sociales semblent avoir commencé à bouger. Cela ne signifie pas que nous sommes déjà face à une possible éruption sociale – comme cela se produit dans la lithosphère terrestre lorsque commencent les frictions interplaques (bien que, chez nous, on ne sache jamais) –, mais si les plaques sociales, jusqu'ici rigides, commencent à frictionner en surface, c'est bien qu'il se passe quelque chose en leur sein.

Rapide et furieux

C'est ainsi que l'on pourrait nommer la trajectoire descendante qu'ont empruntée le président et son gouvernement depuis le début de l'année. Depuis son discours à Davos, attaquant toute forme de progressisme et proférant des absurdités telles que l'idée que les couples de même sexe ont une tendance à la pédophilie. Puis est venu le cryptogate, qui a laissé le président soit comme complice nécessaire d'une escroquerie pyramidale, soit comme un économiste aspirant au prix Nobel, mais qui s'est fait avoir par plus rusé que lui. Enfin, les Décrets de Nécessité et d'Urgence (DNU), pour nommer des juges ou soutenir un nouvel accord avec le FMI, un accord dont personne ne connaît les détails et dont la concrétisation est sans cesse repoussée. Entre-temps, son principal conseiller a orchestré une interview du président, manifestement arrangée, révélant ainsi qui sont les journalistes corrompus.

La rue

Les mobilisations et les batailles parlementaires ont pris de l'ampleur, nourries par l'ensemble des « erreurs non forcées » du gouvernement, par une situation économique qui alarme aussi bien les gourous de la finance que le patronat, et par la décomposition du système des partis (principal capital politique du gouvernement face à une opposition désorientée, sans leadership ni programme).

Les marches du mercredi, initiées par une centaine de retraités et systématiquement réprimées, étaient devenues une routine. Jusqu'à ce qu'un groupe de supporters décide de soutenir l'un des leurs, gazé lors de la manifestation précédente. L'appel s'est rapidement répandu à d'autres groupes de supporters, aboutissant à un résultat plus symbolique qu'effectif, mais permettant d'amplifier la voix des retraités. Ce fut également une véritable gifle pour le péronisme, qui s'est senti interpellé et est sorti de sa léthargie. (Un militant expérimenté a récemment confié qu'un groupe de supporters de football avait su mobiliser plus de monde que la plupart des dirigeants politiques).

Des centaines de militants ont envahi les rues, rejoints par des membres d'assemblées de quartier, de centres culturels et d'innombrables formes d'organisations sociopolitiques et solidaires. Ainsi, l'un des succès politiques du gouvernement – avoir repris le contrôle de la rue en écartant les piqueteros – a été neutralisé par une foule auto-organisée, manifestant hors des structures partisanes, sans hiérarchie ni commandement.

Ce mercredi 12 mars, la concentration a été massive, et la ministre de la Sécurité n'a eu d'autre réponse qu'une répression encore plus brutale que les précédentes. Les gaz lacrymogènes ont été tirés avant même le début de la manifestation, sans nécessité, sinon pour dissuader la foule en approche. En réponse, les manifestants ont adopté une tactique de violence défensive. Tout s'est terminé avec plus d'une centaine d'arrestations, des blessés en nombre et un photographe touché à la tête par un tir, qui l'a laissé entre la vie et la mort et qui lutte encore aujourd'hui pour sa survie.

Le mercredi 19, la manifestation a été encore plus massive, cette fois avec de nombreux secteurs organisés, mais sans direction politique claire. Le ministère de la Sécurité a été pratiquement mis sous tutelle, et la ministre Patricia Bullrich (dont l'avenir politique est désormais incertain) a été écartée de la préparation d'une stratégie répressive. Cette dernière a inclus le bouclage militaire du Congrès, la diffusion de messages menaçants dans les gares et des contrôles stricts aux entrées de la ville. Certaines sources indiquent que la SIDE aurait été chargée de mener des opérations d'espionnage interne, avec un transfert préalable de 1,6 milliard de pesos. Pendant quelques heures, on a vécu une sorte d'état de guerre. Le slogan « Qu'ils s'en aillent tous ! » a retenti avec force.

Le parlement

Pendant ce temps, le parlement était le théâtre de luttes interpartisanes et de négociations de plus en plus opaques, alors que le gouvernement cherchait à faire approuver par les députés son DNU pour un nouvel accord avec le FMI. Cette approbation a eu un coût politique élevé. Le gouvernement espérait 140 votes favorables, mais n'en a obtenu que 129, et a dû manœuvrer et concéder pour que les abstentions empêchent le rejet d'atteindre les 108 votes requis. Il a cédé la présidence de la commission de contrôle des DNU à un allié peu fiable et a dû allouer des fonds considérables à plusieurs provinces en échange de votes et d'abstentions.

La réponse

La réponse sociale a été variée, marquée par une grande hétérogénéité et sans leadership politique clair. La gauche accompagne et encourage ces mobilisations, mais à chaque fois, de nouveaux secteurs populaires s'y joignent, donnant naissance à une nouvelle dynamique de confrontation avec le gouvernement, peut-être même à une nouvelle perspective politique.

Rien n'est encore consolidé, mais il est clair que l'air du temps change. La marche du 1er février, en réaction aux propos tenus à Davos, a inscrit l'antifascisme et l'antiracisme comme enjeux politiques centraux. L'autorisation du nouvel accord avec le FMI, le même jour qu'une manifestation des retraités, a mis en lumière le lien entre la précarisation des pensions et salaires, la fin du moratoire prévoyant des aides aux retraités et la politique d'austérité permanente dictée par le Fonds. Le 24M a réaffirmé avec force le « Plus jamais ça », face au négationnisme du gouvernement et à sa vision des « deux démons ».

La dynamique des mobilisations a fini par contraindre la CGT à annoncer un plan d'action incluant sa participation au 24M, le soutien aux manifestations des retraités, un possible arrêt de travail général de 36 heures le 10 avril, et une grande marche syndicale pour la Journée internationale des travailleurs et travailleuses.

Rien n'est gratuit

Le cryptogate, les accusations de monnayer des interviews avec le président, ainsi que les concessions pour faire passer le DNU, sapent la prétendue intégrité du gouvernement et le rapprochent de la « caste » qu'il prétend combattre. L'escalade de la violence institutionnelle révèle, quant à elle, ses tendances autoritaires.

La crise économique sous-jacente alimente l'incertitude, la dévaluation et la résurgence de l'inflation, pourtant principal succès politique du gouvernement.

Les élections de mi-mandat seront cruciales : soit le gouvernement consolide son projet en faveur du capital, soit il est freiné, voire renversé, par la réaction populaire dans la rue et dans les urnes.

La lutte des classes est imprévisible, mais il ne faut pas compter sur la spontanéité. Il faut s'y préparer.

Depuis le début de l'année, l'image présidentielle s'est ternie et des doutes grandissent sur sa capacité à gouverner. Oui, quelque chose est en train de changer.

Eduardo Lucita est membre d'EDI (Économistes de gauche).

26/03/2025

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Résistances syndicales dans l’Argentine de Milei

1er avril, par Julia Soul , Pierre Rouxel — , ,
Malgré l'autoritarisme et le massacre à tronçonneuse auquel se livre Javier Milei face aux classes populaires, à l'État social et aux services publics, les travailleur·ses (…)

Malgré l'autoritarisme et le massacre à tronçonneuse auquel se livre Javier Milei face aux classes populaires, à l'État social et aux services publics, les travailleur·ses argentin·es ne restent pas l'arme aux pieds. Les derniers mois ont donné lieu à nombre de conflits sociaux, et tout autant de répression, qui appellent d'autant plus un débat profond dans le syndicalisme argentin : accepter un dialogue avec le pouvoir de Milei ou être un vecteur essentiel des résistances sociales ?

31 mars 2025 Résistances syndicales dans l'Argentine de Milei2025-03-
https://www.contretemps.eu/resistances-syndicats-argentine-milei-fascisme/

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11 février 2025, autoroute panaméricaine, au niveau de la route 197 : un piquete réunissant un large nombre d'organisations syndicales et militantes perturbe l'accès nord de Buenos Aires, sous la surveillance d'un important dispositif policier. Devenue une figure ordinaire des conflits sociaux dans les années 2000 et 2010, cette scène détonne aujourd'hui davantage dans l'Argentine de Javier Milei, dont l'une des premières mesures à son arrivée au pouvoir a été l'adoption d'un « protocole anti-piquete », qui criminalise ce type d'actions collectives et prévoit notamment la possibilité de peines de prison pour les organisateurs.

Ce jour-là, le rassemblement est organisé à l'appel des salariés et des délégués syndicaux de Linde-Praxair, géant mondial de la fabrication de gaz industriels et médicinaux. Dans l'usine située à quelques encablures, un conflit dure depuis plusieurs semaines. Invoquant des difficultés économiques liées à l'atonie du marché interne, la direction de l'entreprise a annoncé le 5 décembre le licenciement de dix salariés. Dans les jours qui suivent, une grève coordonnée des cinq sites de production de Buenos Aires est organisée, soutenue par la fédération syndicale de la chimie. Le 20 décembre, à la suite de plusieurs réunions entre représentants syndicaux et patronaux, le ministère du Travail décrète une période de « conciliation obligatoire », qui suspend temporairement les licenciements et force les parties à négocier. Les concessions octroyées par Linde-Praxair se révèlent toutefois bien maigres. Mi-janvier, la direction de l'entreprise présente au ministère un projet d'accord : en échange de la réintégration de quatre salariés, elle maintient le licenciement des six autres, tout en annonçant sa volonté de supprimer une prime de production et d'accroître la polyvalence des tâches demandées aux ouvriers. En plus de rogner sur les droits salariaux, ces annonces comportent une tonalité antisyndicale à peine voilée : les six salariés restant sur le carreau ont pour caractéristique commune d'avoir été délégués syndicaux au cours des dernières années. La mobilisation reprend alors de plus belle. Outre le piquete sur l'autoroute panaméricaine, une nouvelle grève coordonnée de quatre jours a lieu et des rassemblements de soutiens réunissent des dizaines de militants syndicaux et associatifs locaux, d'habitants des quartiers voisins, de représentants de fédérations nationales et internationales ou encore de personnalités politiques. Début mars, le conflit se poursuivait toujours, après que le ministère du Travail de la province de Buenos Aires, dominé par le péronisme, ait ordonné l'ouverture d'une nouvelle période de conciliation obligatoire.

Une conflictualité du travail en augmentation

Singulière par son audience médiatique et l'ampleur de ses réseaux de soutien, la mobilisation des salariés de Linde-Praxair n'en constitue pas moins la pointe émergée d'une conflictualité du travail en augmentation dans l'Argentine de Javier Milei. Le gouvernement voudrait certes faire croire le contraire : il y a quelques semaines encore, l'entourage du ministre du Travail se félicitait d'une conflictualité au travail au plus bas depuis deux décennies, invoquant un « dialogue réel et très fructueux [mis en place] avec les syndicats »[1]. D'autres indicateurs universitaires dressent pourtant un tableau bien différent. Selon les relevés mensuels de l'Observatoire du Travail et des Droits Humains (OTDH), de l'Université de Buenos Aires, l'année 2024 a été marquée par 1637 conflits du travail à travers le pays, soit une moyenne mensuelle de 136 conflits, un chiffre plus de dix fois supérieur à celui avancé par le gouvernement.

Ces conflits touchent une large diversité d'entreprises de premier plan comme Linde-Praxair (Shell, Bridgestone, Granja Tres Arroyos, etc.), mais aussi des secteurs d'activité entiers. Le 30 octobre dernier, une grève a paralysé l'ensemble des moyens de transport du pays. Plus récemment, le syndicat de la métallurgie (UOM) a annoncé un « plan national de lutte », incluant six journées de grève dans le courant du mois de mars 2025, pour protester contre le blocage des salaires. Pour des motifs similaires, une grève de 24 heures a eu lieu dans l'ensemble des entreprises du secteur des huileries (aceiteros) le 12 mars dernier. Les administrations publiques, particulièrement ciblées par Javier Milei, ne sont pas en reste. Dans l'enseignement supérieur et la recherche, par exemple, plusieurs journées d'action nationale de grande envergure ont eu lieu en avril puis en octobre 2024 pour protester contre les coupes budgétaires et les réductions d'effectifs.

Thérapie de choc et remise en cause des droits sociaux

Principalement centrés autour des questions de salaires et de licenciements, ces conflits esquissent les contours d'une résistance diffuse du monde du travail aux politiques régressives du pouvoir en place. Sitôt son arrivée à la présidence, Javier Milei s'est en effet employé à opérer un ajustement brutal de l'économie. La dévaluation du peso de 50 %, actée dès décembre 2023, mais aussi les coupes drastiques dans les subventions publiques (énergie, transport), ont provoqué en 2024 une baisse de plus de 27 % du niveau réel global des salaires et une explosion de la pauvreté[2]. Dans le même temps, le taux de chômage a fortement progressé et les licenciements se sont multipliés. Selon un rapport publié par le Centre d'Économie Politique Argentine (CEPA) pour 2024, ce sont plus de 12 000 entreprises qui ont fermé leurs portes et plus de 240 000 emplois salariés qui ont été supprimés au cours de l'année écoulée, principalement dans les secteurs de la construction, des transports et de l'industrie, mais aussi dans celui des administrations publiques (culture, éducation, santé, recherche, politiques sociales, etc.), durement touchées par les restrictions budgétaires.

A l'origine d'une forte pression sur les niveaux de vie et sur l'emploi des salariés, cette stratégie du choc a aussi pris la forme d'attaques sur une large série de droits sociaux. Fin avril, l'adoption de la loi dite « Bases et points de départs pour la Liberté des Argentins » (« Bases y puntos de partida para la Libertad de los Argentinos ») a ouvert la voie à des privatisations d'entreprises publiques, introduit des mesures dites de « flexibilisation » du travail (allongement des périodes d'essai, réduction des indemnités de licenciement, etc.) et procédé à une réforme du système des retraites, incluant notamment un report de l'âge légal de départ et une modification des règles de calcul des annuités défavorable aux travailleurs informels (une situation très fréquente en Argentine).

Ces mesures sont allées de pair avec une criminalisation des protestations sociales, qui n'a pas épargné le monde du travail : en plus du « protocole anti-piquete » déjà mentionné, le « méga-décret » adopté par Milei dix jours après son arrivée au pouvoir comportait initialement d'importantes restrictions au droit de grève, finalement déclarées inconstitutionnelles par le pouvoir judiciaire : introduction d'un service « minimum » de 75 % de l'activité normale dans une très large diversité de secteurs définis comme « essentiels », interdiction de toutes formes d'action portant atteinte à la « liberté du travail » ou « à la propriété entrepreneuriale ».

Offensives patronales contre le monde du travail

Cette posture hostile du gouvernement vis-à-vis des mobilisations du monde du travail, et plus largement vis-à-vis de toute forme de contestation sociale, a directement contribué à légitimer et à banaliser des stratégies patronales qui remettent en cause les droits sociaux des salariés et leurs structures de représentation.

Depuis plusieurs semaines, on assiste à la multiplication de « procédures préventives de crises » (PPC), un dispositif légal qui permet aux entreprises en difficultés économiques d'acter des licenciements, de revenir sur des droits existants (indemnités de licenciement, primes), d'imposer des régressions en matière de conditions de travail ou encore d'entériner un gel ou une baisse des salaires. Alors que l'activation d'une PPC suppose d'apporter la preuve de trois exercices consécutifs négatifs et d'obtenir l'approbation du ministère du Travail, l'attitude conciliante du gouvernement offre aujourd'hui des marges de manœuvre décuplées aux directions d'entreprise. Représentant de l'Association d'avocats et avocates du travail, Guillermo Pérez Crespo tirait il y a peu la sonnette d'alarme : « les PPC ont augmenté de façon alarmante. (…) Plus que pour licencier, les directions d'entreprise les utilisent actuellement pour pousser à une modification substantielle des conditions de travail, par exemple pour intensifier les rythmes de travail, augmenter la durée du travail ou supprimer des primes ou des compléments de salaires »[3].

Le renforcement du pouvoir des employeurs passe aussi par des pratiques antisyndicales plus assumées. Le cas de Linde-Praxair incarne bien ici le retour au premier plan de telles pratiques. Dans les années 2000, l'usine mentionnée plus haut s'était en effet imposée comme une figure emblématique des combats pour les libertés syndicales. Alors que la direction de Linde-Praxair menait depuis les années 1990 une politique répressive empêchant toute présence syndicale, une longue lutte entre 2004 et 2007 avait débouché sur une décision de la Cour Suprême étendant les protections des activistes syndicaux sur les lieux de travail. Elle avait aussi abouti à l'élection de la première « commission interne » (l'organe de représentation des travailleurs au sein de l'espace de travail, émanation dans l'entreprise du syndicat de branche) de l'histoire de l'entreprise, point de départ d'une décennie marquée par une inversion du rapport de forces en faveur des salariés et de leurs représentants[4]. Vingt ans plus tard, plusieurs d'entre eux sont à nouveau menacés de licenciement.

Les fondements historiques et institutionnels des résistances syndicales

Dans ce contexte hostile, la capacité de résistance du monde du travail argentin puise sa source dans une histoire de plus long terme. En dépit de la brutalité des politiques néolibérales et de la forte progression du travail informel depuis les années 1990, les syndicats argentins ont conservé jusqu'à aujourd'hui un ancrage social relativement étendu. Celle-ci est sans commune mesure avec la situation qui prédomine dans la plupart des pays latinoaméricains. Par rapport aux standards internationaux, le pays présente en effet des niveaux de syndicalisation relativement élevés, estimés autour de 35 % pour le secteur privé et de 46 % pour le secteur public[5]. Dans les entreprises et les administrations, un dense maillage syndical persiste à travers les « commissions internes », dont l'existence est garantie par la loi et les conventions collectives. Sous les premiers gouvernements péronistes au milieu du vingtième siècle, ces organes de représentation des salariés ont pu être pensés comme des outils du contrôle corporatiste et des courroies de transmission entre l'organisation syndicale de branche et les travailleurs[6]. Directement élues par les salariés, elles ont toutefois toujours bénéficié d'une autonomie relative et ont été associées lors de différentes périodes historiques à l'émergence d'un syndicalisme contestataire, comme par exemple dans les années « d'insubordination ouvrière » qui ont précédées le coup d'État de 1976.

Sous les gouvernements des époux Kirchner (2003-2015), ces commissions internes ont notamment été le support d'une revitalisation « par le bas » du syndicalisme en Argentine[7]. Dans bon nombre d'entreprises et d'administrations de différents secteurs (transports, éducation, commerce, etc.), cette période a été marquée par un renouvellement de ces structures syndicales et par l'engagement de nouvelles générations militantes politisées au gré des luttes sociales qui ont secoué le pays au tournant des années 2000. Ces recompositions de moyen terme contribuent à expliquer la vigueur des résistances salariales qui s'expriment aujourd'hui face aux politiques brutales de Javier Milei, qu'illustre le cas de Linde-Praxair évoqué plus haut.

Les atermoiements et le dialoguismo de la CGT

Malgré tout, ces résistances ont jusqu'à présent peiné à se cristalliser et à converger autour d'une stratégie de confrontation claire avec le gouvernement. Les débuts du mandat de Javier Milei pouvaient pourtant laisser présager un scénario différent. Dès décembre 2023, la CGT, la principale confédération syndicale du pays, déposait un recours devant les tribunaux pour demander une déclaration d'inconstitutionnalité du “méga-décret” de Javier Milei. Ce recours était associé à une première manifestation d'envergure, qui a rassemblé des organisations syndicales, mais aussi les organisations piqueteras et de l'économie informelle et populaire, des organisations de droits humains et du mouvement féministe, ou encore des groupes de supporters opposés à la privatisation des clubs de football (en Argentine, les clubs sont des organisations à but non lucratif, qui appartiennent à leurs adhérents).

Quelques semaines plus tard, le 24 janvier 2024, la CGT lançait un premier appel pour une grève générale, aux côtés de la CTA-A et de la CTA-T, les deux principales confédérations implantées dans le secteur public, mais aussi d'organisations sociales, féministes et de défense des droits humains. Remarquable par sa précocité (jamais la CGT n'avait appelé à une grève générale à peine plus d'un mois après l'élection présidentielle), par son ampleur (plus d'un million de manifestants sont recensés à travers le pays) mais aussi par son caractère unitaire, ce premier épisode n'a toutefois pas constitué le point de départ d'une stratégie d'opposition coordonnée au pouvoir en place. Jusqu'à présent, la plupart des puissantes fédérations de branche autour duquel s'organise le syndicalisme argentin[8] ont privilégié un certain « dialoguisme » (dialoguismo), une stratégie historique consistant à négocier le contenu des réformes en échange d'un maintien de leurs prérogatives institutionnelles ; une posture similaire à celle déjà observée dans les années 1990, au moment du tournant néolibéral engagé par le péroniste Carlos Menem.

De son côté, Javier Milei s'est montré prudent à l'heure d'engager une révision plus frontale des fondements du système de relations professionnelles. Si les attaques sur le droit de grève ont été frontales au début de son mandat, la loi « Bases » adoptée au milieu de l'année 2024 a laissé de côté les mesures affectant plus spécifiquement le droit et les structures syndicales. Jusqu'ici, le pouvoir exécutif s'est notamment refusé à engager une réforme de la loi d'Associations syndicales, qui constitue le socle du droit syndical en Argentine et qui n'a plus été touchée depuis 1988dans le sillage du retour à la démocratie, et ce malgré les velléités et les projets formulés par des députés de la coalition gouvernementale au cours de l'année 2024[9].
Des perspectives incertaines : fuite en avant répressive et multiplication des conflits sociaux

En ce début d'année 2025, c'est donc un panorama incertain se dessine. Le discours de Javier Milei au forum de Davos – qui pointait notamment du doigt le « cancer woke » –, son implication et celle de son entourage dans une arnaque liée à une cryptomonnaie, mais aussi l'augmentation des prix des produits de première nécessité et les controverses autour de la manipulation des statistiques de l'inflation, nourrissent une défiance croissante à l'égard du pouvoir. A la suite des déclarations du président à Davos, une marche de la « fierté antiraciste et antifasciste », à l'appel d'une très large coalition d'organisations LGBTQIA+, féministes, étudiantes, syndicales et politiques, a rassemblé des dizaines de milliers de manifestants à travers le pays.

Début mars, les mobilisations hebdomadaires des retraités contre la faiblesse de leurs pensions, rejointes par des collectifs antifascistes et des groupes de supporters, ont par ailleurs été le point de départ d'une escalade répressive. Le 12 mars, la manifestation dans le centre de Buenos Aires a donné lieu à une forte répression de la part des forces de l'ordre, entraînant des centaines d'arrestations et des dizaines de blessés (le pronostic vital de l'un d'entre eux est encore engagé à ce jour). Loin de calmer le jeu, le pouvoir exécutif a vu dans cet épisode une tentative de déstabilisation, voire de « coup d'État ». C'est dans ce contexte de tension sociale croissante que la CGT a décidé d'appeler le 8 avril prochain à une nouvelle grève générale – la troisième depuis décembre 2023 – et à rejoindre les manifestations du 24 mars, qui commémorent chaque année le putsch de 1976.

La situation d'aujourd'hui est donc complexe. D'un côté, le gouvernement, qui rencontre des difficultés croissantes pour maintenir le taux de change du peso, se montre soucieux de donner des gages de la viabilité de sa politique (dans la perspective d'un nouvel accord de financement avec le FMI) et pourrait dès lors être tenté par une dérive encore plus répressive. De l'autre, la recrudescence des manifestations et la multiplication des foyers de conflits suggèrent une base de résistance croissante aux politiques néolibérales. Le rôle que jouera la CGT dans ce front d'opposition dépendra de la capacité de mobilisation et d'organisation des syndicats argentins à tous les étages, au niveau sectoriel et sur les lieux de travail.

*

Pierre Rouxel, est chercheur à l'Université Rennes 2, Julia Soul chercheuse au CONICET en Argentine, iels mènent depuis plusieurs années des recherches sur le syndicalisme argentin.

Notes

[1]“Según un relevamiento del Gobierno, la conflictividad laboral en 2024 fue la más baja de las últimas dos décadas”, Infobae, 05/02/2025, URL : https://www.infobae.com/politica/2025/02/06/segun-un-relevamiento-del-gobierno-la-conflictividad-laboral-en-2024-fue-la-mas-baja-de-las-ultimas-dos-decadas/

[2]“Le choc Milei, violent, inégalitaire et écologiquement désastreux”, Mediapart, 10/12/2024.

[3]“Aluvión de preventivos de crisis : extorsión para vulnerar los convenios”, Tiempo Argentino, 02/03/2025.

[4]P. Rouxel, “Mettre en débat la représentation syndicale. La transmission d'un sens syndical alternatif dans un Bachillerato Popular en Argentine”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°248, 2023, p. 32-45.

[5]C. Tomado, D. Schleser, M. Maito, Radiografia de la sindicalizacion en Argentina, IDAES y Universidad Nacional de San Martin, 2018.

[6]Héritage des premiers gouvernements péronistes, les relations professionnelles en Argentine s'organisent autour du principe d'un monopole de la représentation : dans chaque branche d'activité, le syndicat qui dispose du plus grand nombre d'adhérents obtient de l'État le statut d'organisation représentative (appelée personeria gremial), qui lui confère le pouvoir de représenter les travailleurs lors des conflits et des négociations.

[7]Pierre Rouxel, Le syndicalisme en restructurations. Engagements et pratiques de délégués d'entreprises multinationales en Argentine et en France, Paris, L'Harmattan, 2022.

[8]En lien avec la personeria gremial dont elles disposent (qui, dans les faits, constitue une propriété quasi inaliénable), ces fédérations disposent de pouvoirs et de ressources étendues : elles sont les seules habilitées à collecter des cotisations salariales et patronales et jouent aussi un rôle central dans la mise en œuvre de la protection sociale

[9]En août 2024, des députés PRO et UCR ont présenté un projet de loi visant à réviser des principes fondamentaux de la loi comme le prélèvement automatique de cotisations aux syndiqués ou le principe d'ultra-activité (selon lequel des droits contenus dans des accords passés ne peuvent être remis en cause sans accord mutuel des parties) et à introduire une limitation du renouvellement des mandats des dirigeants syndicaux.

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Admission de l’Indonésie aux BRICS : nouveau pas vers un « capitalisme multipolaire »

1er avril, par François Polet — , , ,
L'admission éclair de l'Indonésie au groupe BRICS a renouvelé les interrogations autour de son expansion. L'attractivité de la coalition repose sur son potentiel économique et (…)

L'admission éclair de l'Indonésie au groupe BRICS a renouvelé les interrogations autour de son expansion. L'attractivité de la coalition repose sur son potentiel économique et l'ambivalence de son horizon géopolitique, mais la cooptation de nouveaux membres dépend de critères « larges » dont l'application fait la part belle aux intérêts des premiers membres. Alors que la réélection de Donald Trump pourrait temporairement casser l'élan « pro-BRICS » de ces dernières années, l'adhésion de l'Indonésie au groupe constitue une nouvelle brique dans l'édification d'un monde capitaliste multipolaire. Par François Polet, docteur en sociologie et chargé d'étude au Centre tricontinental (CETRI).

4 février 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières

Longue marche vers un capitalisme multipolaire

Faut-il le rappeler, les BRICS ont été créés en 2009 (par la Russie, la Chine, l'Inde et le Brésil) en vue de réformer un système international dominé par les pays occidentaux et intensifier la coopération économique entre ses membres. Il s'agissait en quelque sorte du pendant non occidental du G7, ce club des pays riches s'employant à coordonner leurs vues sur les grands enjeux économiques et financiers mondiaux. Pour autant, comme le rappellent les auteurs et autrices d'une livraison récente d'Alternatives Sud, en dépit du maniement d'une rhétorique progressiste, les BRICS ne visent pas la transformation du modèle de développement dominant promu par le G7, mais oeuvrent plutôt à l'avènement d'un « capitalisme multipolaire ». [1]

Ce forum intergouvernemental n'a pas été formé en 2009 par hasard. Ses membres ont connu une croissance telle durant les années 2000 (et les années 1990 pour ce qui est de la Chine) que leur influence sur les institutions de la gouvernance mondiale était en décalage de plus en plus flagrant avec leur poids réel dans l'économie mondiale. Une situation de moins en moins supportable pour les pays concernés. Ce, d'autant plus que la récession de 2007-2008 venait de démontrer que l'architecture internationale n'était pas seulement inéquitable, mais aussi incapable de prévenir l'apparition de crises systémiques aux effets dévastateurs pour les pays en développement. Les futurs membres se sont très tôt accordés sur la nécessité « d'une nouvelle monnaie internationale de réserve, susceptible de faire contrepoids au dollar et de stabiliser le système financier global ». [2]

« L'attraction magnétique des BRICS » repose sur la force de son idée centrale – la promesse d'un monde plus équilibré – mais aussi sur son ambivalence

Les BRICS ont poursuivi une double stratégie consistant à accroître leur influence au sein des institutions existantes et à mettre en place des structures alternatives, en particulier la Nouvelle banque de développement et l'Accord de réserve contingente (un fonds de réserve de devises) créés en 2014. Les tensions croissantes entre pays occidentaux, Chine et Russie à partir de la deuxième moitié des années 2010, avec l'annexion de la Crimée, l'affirmation des ambitions de Pékin de Xi Jinping, la guerre commerciale initiée par Donald Trump, l'invasion de l'Ukraine par la Russie et enfin les sanctions occidentales contre la Russie, ont graduellement accru la dimension géopolitique des BRICS – que Pékin et Moscou s'efforcent désormais explicitement de transformer en plateforme anti-occidentale d'une « majorité globale ». Voire en embryon d'un ordre international alternatif.

Treize années séparent le premier élargissement des BRICS, avec l'admission de l'Afrique du Sud en 2010, du deuxième, en août 2023, lors du sommet de Johannesburg, où six pays ont été invités à rejoindre le groupe – Iran, Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis, Argentine, Égypte et Éthiopie. Cette même année 2023 a aussi mis en évidence l'attractivité de la coalition parmi les pays du « Sud global » : pas moins d'une quarantaine de pays ont exprimé un intérêt à rejoindre ce forum. Plus de la moitié ont officiellement formulé une demande d'adhésion. Une nouvelle catégorie de pays « partenaires » des BRICS a été créée lors du Sommet suivant, en octobre 2024 à Kazan, à laquelle treize pays aspirants ont été invités. Parmi eux l'Indonésie, cooptée deux mois plus tard, janvier 2025, pour devenir le dixième membre effectif de la coalition [3]. L'intégration du pays le plus peuplé d'Asie du Sud-Est et du monde musulman donne une nouvelle envergure à la coalition, qui représente désormais la moitié de l'humanité et plus de 40% de l'économie mondiale.

Ressorts d'une attraction magnétique

Dans un texte rédigé pour l'Africa Policy Research Initiative, Mihaela Papa revient sur les ressorts de cette expansion récente de la coalition. [4] « L'attraction magnétique des BRICS » repose sur la force de son idée centrale – la promesse de marchés émergents dans un monde plus équilibré – et la multiplicité des interprétations auxquelles cette idée se prête, notamment quant aux objectifs et moyens de la réforme du système international. Une force de gravité renforcée par la proactivité croissante de ses membres, Chine et Russie en tête, dans la perspective de constitution d'un bloc contre-hégémonique.

L'ambiguïté du projet contribue à son attractivité en ce qu'il permet la coexistence de motivations hétérogènes chez les candidats. La participation aux BRICS peut d'abord apparaître comme un moyen de renforcer les liens avec des économies et des institutions financières en pleine expansion : promesse d'investissements étrangers, de partenariats, d'accès à des marchés, à des crédits, à des ressources énergétiques, à des technologies… potentiellement sans passer par le dollar. Cet enjeu pragmatique est la principale motivation de la majorité des nouveaux membres effectifs et « partenaires ». Ensuite, la participation à la coalition peut être motivée par le renforcement de l'autonomie stratégique d'un pays, via la diversification de ses relations diplomatiques et commerciales – réduisant sa perméabilité aux pressions occidentales.

Enfin la participation aux BRICS porte en elle la promesse de contribuer à l'avènement d'un monde multipolaire. Celui-ci est tantôt entendu dans un sens « réformiste » d'une démocratisation de la gouvernance mondiale, offrant davantage d'espace au « Sud global ». Tantôt en un sens « radical » ou « révisionniste » de lutte contre les principes et pratiques associés à l'Occident, que l'on parle d'une géopolitique impérialiste ou d'une conception universelle de la démocratie et des droits humains (plus rarement du libre-échange, ardemment défendu par la coalition face aux velléités protectionnistes des États-Unis…). En d'autres termes, si la majorité des pays envisagent leur participation aux BRICS sous l'angle de la concrétisation du principe de « non-alignement actif » ou de « multi-alignement », incarnés par l'Inde et le Brésil [5], d'autres y voient d'abord l'expression de leur alignement sur le camp anti-occidental – cas de l'Iran, du Venezuela, de Cuba…

Critères partagés, intérêts contingents

Si ces considérations renseignent quant aux motivations, elles en disent peu sur le processus de sélection des nombreux candidats. La décision d'inviter un nouveau membre est théoriquement prise par consensus. Le pays candidat doit avoir démontré son adhésion aux principes des BRICS (dont la réforme de la gouvernance globale ou le rejet des sanctions non validées par l'ONU), avoir une influence régionale, entretenir de bonnes relations avec les membres et contribuer au renforcement du groupe. La formalisation des critères a fait l'objet de tensions entre les membres initiaux, de même que le rythme de l'élargissement du groupe. Si la Chine et la Russie poussent à l'expansion rapide de la coalition, l'Inde et surtout le Brésil craignent la dilution de leur influence et de leur statut. [6] En-deçà des principes, le processus de cooptation paraît surtout guidé par « un mélange de considérations pragmatiques, d'intérêts contingents et de souverainisme sourcilleux » souligne Laurent Delcourt. [7]

L'adhésion de l'Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis se sont imposées du fait du poids financier et de la puissance énergétique qu'ils apporteraient au groupe. La candidature de l'Argentine a été poussée par la diplomatie brésilienne, en vue de renforcer le pôle latino-américain de l'attelage, mais surtout pour éviter qu'il devienne « une source de risques en devenant un club de régimes autoritaires ayant des positions anti-occidentales ». [8] Des enjeux diplomatiques du même ordre ont contribué à ce que le Brésil bloque l'entrée du Venezuela lors du Sommet de Kazan. [9] La candidature du Pakistan est entravée par l'Inde pour des raisons de rivalité régionale. [10] Et la non-sélection de l'Algérie est officiellement motivée par des critères économiques, mais Alger y voit la main des Émirats, avec lesquels ses rapports sont tendus, qui auraient convaincu l'Inde de mettre son veto [11].

Equations politiques internes et coûts géopolitiques

Le retrait de l'Argentine décidé par le président Javier Milei rappelle que les logiques d'adhésion aux BRICS sont aussi tributaires d'équations politiques internes. De même, l'inclusion accélérée de l'Indonésie aux BRICS résulte également d'une alternance politique. Le président Subianto, personnalité autoritaire réputée pro-russe, a sorti son pays de la posture attentiste qui le caractérisait auparavant, dictée par l'espoir de ne pas gâcher sa demande d'adhésion à l'OCDE. Le « non-alignement » invoqué par Jakarta pour justifier ce changement d'optique devrait pencher nettement dans le sens des intérêts de Moscou [12].Un tournant qui explique vraisemblablement l'insistance de Vladimir Poutine à précipiter l'accession de l'Indonésie… ignorant le moratoire sur l'élargissement du groupe annoncé par son propre ministre des Affaires étrangères six semaines plus tôt. [13]

Les tergiversations de l'Arabie Saoudite, invitée à rejoindre le groupe à Johannesburg, mais qui n'avait toujours pas répondu formellement à l'invitation au début de l'année 2025, illustrent les craintes des coûts géopolitiques de la participation à une coalition dominée par des puissances hostiles à l'Occident. Les menaces de Donald Trump, un mois avant sa prise de fonction, d'imposer des droits de douane de 100% aux pays contribuant à la dédollarisation des échanges accentuent ces craintes [14]. Cette diplomatie coercitive pourrait casser temporairement l'élan « pro-BRICS » d'une série de pays fortement dépendants des États-Unis sur les plans sécuritaire et économique. Mais sur le plus long terme, elle a toutes les chances d'aboutir au résultat inverse – et à renforcer l'attractivité du club pour les pays en développement, en quête d'un monde plus respectueux des souverainetés et des intérêts du « Sud global ».

François Polet

LVSL

Notes :

1 CETRI, BRICS+ : une alternative pour le Sud global ?, Syllepse – CETRI, Paris – Louvain-la-Neuve, 2024.

2 Laurent Delcourt, « BRICS+ : une perspective critique », in CETRI, Ibid.

3 L'Argentine a décliné l'invitation début 2024, tandis que l'Arabie saoudite n'a ni accepté, ni rejeté la sienne en janvier 2024.

4 Mihaela Papa, « The magnetic pull of BRICS », Africa Policy Research Insitute – APRI, 3 décembre 2024.

5 Notons que les deux nouveaux membres africains – l'Égypte et l'Éthiopie – sont les premiers bénéficiaires de l'aide états-unienne du continent.

6 Ces critères ont été précisés lors du Sommet de Johannesburg d'août 2023.

7 Dès 2017, les velléités chinoises d'élargir les BRICS ont fait craindre une tentative de mettre la dynamique au service du projet des Nouvelles routes de la soie, grande priorité diplomatique de Xi Jinping. Voir Evandro Menezes de Carvalho, « Les risques liés à l'élargissement des BRICS », Hermès, La Revue, n° 79(3), 2017.

8 Editorial d'un journal économique brésilien (Valôr Econômico) cité par Oliver Stuenkel, « Brazil's BRICS Balancing Act Is Getting Harder », America's Quarterly, 21 octobre 2024.

9 Dans un contexte de dégradation des relations entre les présidents brésilien et vénézuélien liée aux conditions de la réélection de ce dernier en juillet 2024.

10 Mirza Abdul Aleem Baig, « Why Did Pakistan Fail To Secure BRICS Membership At 2024 Summit ? – OpEd », Eurasia review, 27 octobre 2024.

11 El Moudjahid, 28 septembre 2024. L'Algérie a néanmoins intégré la catégorie des pays partenaires et rejoint la Nouvelle banque de développement.

12 Notons que ce même principe de non-alignement motivait la présidence précédente à… ne pas rejoindre les BRICS, craignant que cela soit interprété en Occident comme un rapprochement avec l'axe Pékin-Moscou. Juergen Rueland, « Why Indonesia chose autonomy over BRICS membership », East Asia Forum, 25 octobre 2023.

13 Saahil Menon, « Why Was Indonesia's BRICS Membership Short-Circuited ? », Modern Diplomacy, 14 janvier 2025.

14 https://fr.euronews.com/2024/12/02/trump-menace-les-brics-avec-des-droits-de-douane-de-100-sils-affaiblissent-le-dollar

https://lvsl.fr/admission-de-lindonesie-aux-brics-nouveau-pas-vers-un-capitalisme-multipolaire/

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Enquête. L’aide internationale survivra-t-elle au bouleversement de l’ordre mondial ?

1er avril, par David Pilling — ,
Quand l'administration Trump a fermé l'USAID, la déflagration a été ressentie dans le monde entier : ses financements, alloués dans 158 pays, représentaient près du tiers de (…)

Quand l'administration Trump a fermé l'USAID, la déflagration a été ressentie dans le monde entier : ses financements, alloués dans 158 pays, représentaient près du tiers de l'aide planétaire en 2024. Le système de l'aide internationale, tel qu'il est né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pourra-t-il s'en remettre ? Le “Financial Times” semble en douter et entrevoit l'émergence de nouveaux modèles.

tiré du Courrier international
https://www.courrierinternational.com/article/enquete-l-aide-internationale-survivra-t-elle-au-bouleversement-de-l-ordre-mondial_228829

Soixante ans avant que, aux États-Unis, Elon Musk ne décide de passer à la “broyeuse” l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et que, au Royaume-Uni, le Premier ministre [travailliste], Keir Starmer, n'annonce de profondes coupes dans le budget d'aide internationale déjà exsangue, les pays riches remettaient déjà en question l'efficacité – et tout bonnement l'intérêt – de l'aide internationale.

Lire aussi : Géopolitique. L'aide américaine gelée et menacée : une carte pour comprendre la crise

En 1961, selon un rapport de l'USAID, la Corée du Sud, qui constitue aujourd'hui une des économies les plus développées au monde, était un “trou à rats”, un “puits sans fond” engloutissant les aides internationales. Quelques années plus tard, en 1968, un grand rapport commandé par la Banque mondiale, dont le premier chapitre s'intitulait “L'aide en temps de crise”, arrivait à cette conclusion : le soutien entre donateurs et bénéficiaires va s'amenuisant. Plus récemment, en 2009, l'économiste zambienne Dambisa Moyo expliquait dans son livre Dead Aid [“Aide morte”, inédit en français] que l'Afrique était “accro aux aides” et que “l'idée selon laquelle ces aides permettent de lutter contre la pauvreté systémique est un mythe”.

De nos jours, les États-Unis de Donald Trump rechignent à donner ne serait-ce qu'un petit coup de pouce à d'autres pays. Et avant même que l'administration Trump ne décide de liquider l'USAID, le vice-président américain, J. D. Vance, déclarait à Fox News :

“Nous devons d'abord aimer notre famille, puis nos voisins, puis notre communauté, puis notre pays, et seulement après prendre en compte les intérêts du reste du monde.”

Puisant dans le langage des guerres culturelles, Musk attaque l'USAID sans faire dans la dentelle : c'est à ses yeux un “nœud de vipères de marxistes de la gauche radicale”, un nœud de vipères qui œuvre contre les intérêts américains.

Désengagement occidental

Du côté de l'Europe, qui compte parmi les autres donateurs avec une poignée de pays riches de l'OCDE, l'aide internationale est également sous pression. Comprimés par le ralentissement de la croissance, les budgets d'aide européens sont alloués à des priorités locales, telles que l'hébergement des demandeurs d'asile et l'aide humanitaire à l'Ukraine.

Avant même que Keir Starmer ne ratatine le budget britannique à 0,3 % du PIB, le précédent gouvernement conservateur avait renoncé, malgré ses engagements, à maintenir le budget de l'aide internationale à 0,7 % du PIB. En 2020, il avait même fermé le renommé ministère du Développement international pour regrouper ses activités au sein du ministère des Affaires étrangères.

Ce désengagement occidental soulève plusieurs questions, en premier lieu sur ses répercussions pour les populations les plus pauvres de la planète, mais aussi sur ses conséquences pour la santé et la sécurité mondiale, notamment en cas de pandémie.

Lire aussi : Royaume-Uni. Keir Starmer promet de porter le budget de la Défense à 2,5 % du PIB

“J'espère qu'il ne s'agit pas d'un tournant définitif”, commente Abhijit Banerjee, professeur au MIT et corécipiendaire du prix Nobel d'économie [avec son épouse, Esther Duflo, et l'Américain Michael Kremer] pour ses travaux sur la pauvreté. Même si toutes les aides ne sont pas efficaces, dit-il, “de multiples exemples montrent que de petites sommes d'argent permettent d'accomplir de grandes choses. Si les pays les plus riches du monde suppriment leurs aides, cela ne fera qu'exacerber la misère dans le monde.”

Réimaginer l'aide au XXIe siècle

Qui plus est, l'influence occidentale dans le “Sud global” pourrait prendre un rude coup dans l'aile, en particulier si la Chine, la Russie et d'autres pays cherchent à combler le vide laissé par l'Occident. D'une manière générale, la question se pose également de savoir quelle forme prendra cette aide, alors que les gouvernements revoient leurs priorités et risquent de vouloir avant tout défendre leurs intérêts commerciaux et géopolitiques.

SOURCES : USAID, FOREIGNASSISTANCE.GOV, OCDE, “THE NEW YORK TIMES”.

Comme le rappelle Stefan Dercon, ancien économiste en chef du ministère du Développement international britannique, au lendemain de la chute du mur de Berlin, l'aide a cessé d'être un instrument géopolitique. Aujourd'hui, il pense au contraire qu'elle le devient de plus en plus :

“On supprime de l'aide la notion de générosité.”

D'aucuns espèrent pourtant que le démantèlement de nos vieilles structures d'aide au développement pourrait être l'occasion de réimaginer l'aide internationale au XXIe siècle. “Trump est en train de mettre en pièces quelque chose d'essentiel pour certaines des populations les plus vulnérables du monde”, déplore Ylva Lindberg, vice-présidente exécutive de Norfund, le fonds norvégien d'investissement destiné aux pays en développement. “Cela dit, l'organisation et le financement de l'aide internationale doivent impérativement être repensés. Tout le chaos que sème Trump nous poussera peut-être à revoir notre conception de l'aide internationale.”

Lire aussi : L'aide au développement est une pure arnaque

Depuis toujours, l'aide internationale est un équilibre entre trois éléments : l'aide humanitaire, le développement à long terme et l'influence. C'est d'ailleurs ce qui la rend difficile à accepter d'un côté par les contribuables, de l'autre par les pays bénéficiaires, qui contestent souvent l'idée selon laquelle ces aides sont fondamentalement altruistes. Aux États-Unis, selon un récent sondage réalisé par l'institut Public First pour le Financial Times, les Américains sont 60 % à penser que l'aide américaine n'arrive jamais aux personnes à qui elle est destinée.

Des progrès à mettre au crédit de l'aide

L'actuel désengagement occidental inquiète évidemment ceux qui sont convaincus que l'aide internationale fait beaucoup plus de bien que de mal. Selon la Banque mondiale, la part de la population mondiale vivant dans un état d'extrême pauvreté – sous le seuil de 2,15 dollars par jour – est passée de 38 % en 1990 à 8,5 % en 2024. Approximativement au cours de la même période, le nombre d'enfants mourant avant leur cinquième anniversaire a chuté de 12,5 à 4,9 millions.

Ces progrès sont notamment dus à la croissance rapide de la Chine, de l'Inde et d'autres économies émergentes. Mais aussi à l'aide internationale, soulignent les experts, en particulier en Afrique, en Asie du Sud et dans les zones les plus pauvres de l'Amérique latine.

Lire aussi : Géopolitique. Cataclysme sanitaire, “guerre idéologique” : que signifie le gel de l'USAID en Afrique ?

D'après Bright Simons, directeur de recherche au groupe de réflexion Imani, à Accra, au Ghana, rares sont en effet les pays à être sortis de la pauvreté sans l'aide d'autres pays. La Chine, souligne-t-il, a elle-même bénéficié de milliards de dollars de prêts japonais à des conditions préférentielles, prêts qui lui ont permis de construire des infrastructures, de stimuler sa croissance et de sortir de la pauvreté.

Pour Jeffrey Sachs, directeur du Centre pour le développement durable à l'université Columbia, le problème de l'aide internationale n'est pas qu'il y en a trop, mais pas assez : les pays pauvres reçoivent “des aides au compte-gouttes, si minimes qu'elles ne peuvent pas véritablement faire décoller leur économie”. “Pourquoi choisir entre la lutte contre le paludisme et l'éducation des enfants ?” s'interroge-t-il. “Il serait très facile de financer ces deux causes à la fois si les autorités américaines, britanniques, européennes et autres le voulaient vraiment. Malheureusement, elles s'en contrefichent.”

Par la force des choses, l'aide internationale évolue en même temps que les réalités géopolitiques. Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis consacraient 3 % de leur PIB à l'aide internationale, soit plus de dix fois plus qu'aujourd'hui. Une grande partie de ces fonds a alors été injectée dans le plan Marshall [1948], qui a permis de reconstruire le Japon, ainsi que l'industrie et les infrastructures d'Europe.

44 milliards de dollars par an

Dans les années 1980 et 1990, les pays occidentaux se sont servi de l'aide internationale pour inciter les pays en développement, en particulier les pays d'Afrique qui s'étaient convertis au socialisme, à adopter des réformes pour ouvrir leurs marchés. Après l'effondrement du communisme, cette politique a été élargie à l'Europe de l'Est.

Au XXIe siècle, la guerre froide étant derrière nous, les grandes priorités sont devenues la lutte contre la pauvreté et la défense des droits des populations les plus pauvres de la planète. C'est ce que reflètent notamment les objectifs du millénaire pour le développement [2000] et les objectifs de développement durable [2015] des Nations unies.

Lire aussi : Géopolitique. Le Sud global veut sa place sur le grand échiquier mondial

La fermeture de l'USAID en février, du jour au lendemain, a des retentissements dans le monde entier. Avec un budget de 44 milliards de dollars par an, l'agence gérait plus de la moitié des quelque 70 milliards de dollars que les États-Unis consacrent au développement international, notamment sous la forme d'aide militaire.

En 2023, l'aide américaine représentait près de 30 % de l'aide internationale mondiale versée par 24 pays membres de l'OCDE, laquelle s'élève à quelque 223,3 milliards de dollars. À noter que l'aide de la Chine, apportée principalement sous la forme de prêts destinés à la construction de routes, de ports et d'aéroports dans le cadre de son programme des nouvelles routes de la soie, n'est pas prise en compte dans les chiffres de l'OCDE.

Dans les rues de Cap-Haïtien, en Haïti, le 10 juillet 2024. Photo Corentin Fohlen/Divergence

Une dépendance exacerbée à l'aide

Samedi 1er février, lorsque le site Internet de l'USAID a été désactivé, les travailleurs de l'aide internationale, qu'ils distribuent de la nourriture dans le Soudan ravagé par la guerre, assurent l'éducation des filles dans l'Afghanistan des talibans ou luttent contre les ravages de la drogue en Colombie, se sont préparés au pire. Et même quand le secrétaire d'État, Marco Rubio, a émis une dérogation pour les programmes qui fournissent une assistance vitale, bon nombre d'organisations sont restées fermées.

L'USAID taillée en pièces

“Il est temps qu'elle disparaisse”, a déclaré Elon Musk. Qualifiée de “nid de vipères” par le milliardaire, l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) est devenue l'une des premières cibles de son “département de l'efficacité gouvernementale” (Doge). Début février, son siège a été abruptement fermé, l'accès à la boîte e-mail coupé pour une grande partie du personnel, tandis que le secrétaire d'État, Marco Rubio, mettait sous tutelle l'agence indépendante. En quelques jours, la plupart des contractuels et employés ont été placés en congé administratif. Et ce alors que Donald Trump avait ordonné dès janvier un gel de toute l'aide à l'étranger – même si des initiatives “sauvant des vies” ont finalement été préservées.

Le 18 mars, un tribunal fédéral a estimé que le démantèlement de l'agence par Musk et son Doge avait “probablement violé la Constitution”. Le juge Theodore Chuang a ordonné de rétablir l'accès du personnel aux courriels et aux locaux, “même si ce répit ne sera sans doute que provisoire” selon The New York Times.

Après avoir passé en revue les activités de l'USAID, le gouvernement Trump a déclaré éliminer 83 % de ses programmes. Le reste pourrait faire l'objet d'une profonde réorganisation ; c'est du moins ce que propose une note interne obtenue par Politico. Il y est question de transformer l'USAID en une “agence pour l'assistance humanitaire internationale” sous la houlette du département d'État. Celui-ci gérerait directement tous les programmes “politiquement orientés”. De quoi servir davantage les intérêts géopolitiques de Washington. Courrier International

Les coupes budgétaires actuelles mettent en évidence à quel point certains pays dépendent des aides, notamment dans le domaine de la santé. Francisca Mutapi, spécialiste de santé mondiale à l'université d'Édimbourg, rapporte qu'en 2021 un tiers du budget de la santé de la moitié des pays africains dépendait de financements externes. Chris Coons, sénateur démocrate du Delaware et ancien président du sous-comité sur l'Afrique de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, explique que certains républicains sont choqués par l'ampleur des réductions budgétaires :

“Ils voulaient en finir avec le côté woke. Remanier un peu les choses, mais certainement pas laisser mourir de faim des enfants.”

Les réactions des pays bénéficiaires de ces aides se font pour l'heure plus discrètes. “Les gens pleurent, ils se plaignent que Trump ne nous donne plus d'argent”, commentait Uhuru Kenyatta, ancien président du Kenya, lors d'un sommet régional sur la santé à Mombasa en janvier. “Mais au lieu de pleurer, nous devons nous demander : ‘Que pouvons-nous faire pour subvenir à nos besoins ?'” Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce, abonde en son sens : “En Afrique, nous devons changer de mentalité. L'aide internationale ? Nous devons y penser comme à quelque chose qui appartient au passé.”

Reste que les pays concernés ne pourront pas s'adapter en un claquement de doigts, réagit Ken Opalo, professeur associé à l'université de Georgetown, à Washington. “Jusqu'à présent, les gouvernements africains ne semblent pas avoir élaboré de plan sérieux en cas d'urgence. Ils sont purement et simplement dépendants des aides.”

Des coupes budgétaires qui vont alimenter les migrations

Pour évaluer les répercussions de la suppression des aides, il faut commencer par déterminer leur utilité réelle. Or, selon Bright Simons, du groupe de réflexion Imani, elles avaient de moins en moins d'effets. Alors qu'auparavant les pays riches cherchaient à stimuler la croissance des pays pauvres jusqu'à ce qu'elle atteigne un niveau qui leur permette de se transformer, ces derniers temps, estime-t-il, leurs objectifs ont été dilués. La bureaucratie qui se trouve derrière l'aide internationale – pensons aux 17 objectifs de développement durable des Nations unies, déclinés en 169 cibles – “s'affaisse sous son propre poids et se perd dans sa propre complexité”.

James Robinson, coauteur du livre Why Nations Fail [“Pourquoi les nations échouent”, inédit en français, 2012] et corécipiendaire du prix Nobel d'économie 2024, rejette ces critiques. “Je ne pense pas que l'aide internationale soit le problème, ni même la solution, dit-il. Si un puits est creusé dans une région rurale de Madagascar, c'est magnifique. Si un toit est installé sur une école de Sierra Leone, ce n'est pas un problème : c'est utile aux gens.” Les coupes actuelles, ajoute-t-il, ne feront qu'aggraver la pauvreté et l'insécurité, et alimenter les migrations. “Que risque-t-il de se passer si on coupe les vivres à des populations pauvres ? Elles seront encore plus désespérées et enclines à partir.”

Lire aussi : Géopolitique. Le gel de l'USAID, une occasion pour repenser le modèle de développement

L'Occident pourrait par ailleurs perdre de son influence, avertissent les experts. Lorsqu'il a créé l'USAID, en 1961, en pleine guerre froide, le président John F. Kennedy y voyait ouvertement un précieux outil diplomatique. “C'est une puissante source de pouvoir pour nous, avait-il déclaré au personnel recruté pour l'agence. Quand nous ne voulons pas envoyer de troupes américaines dans les nombreuses zones où la liberté se trouve menacée, c'est vous que nous envoyons.”

Même si ces aides ne suffisent pas toujours à conquérir les cœurs et les esprits, le fait est qu'elles y parviennent parfois. Le Pepfar, le plan d'aide d'urgence à la lutte contre le sida à l'étranger lancé par George W. Bush en 2003, a sauvé la vie de pas moins de 26 millions de personnes, ce qui lui a valu d'être couvert d'éloges.

L'image et la sécurité des États-Unis menacées

Pour le sénateur Chris Coons, supprimer de tels programmes et “ôter des milliards de dollars de la bouche de bébés du monde entier” est indubitablement immoral, mais c'est aussi une mesure qui, en fin de compte, nuit à l'image et à la sécurité des États-Unis.

Dans le domaine de la santé mondiale, explique-t-il, les programmes financés par les États-Unis aident les pays les plus pauvres du monde à gérer des épidémies de maladies infectieuses comme Ebola, Marburg ou la variole du singe [mpox], et évitent qu'elles ne se propagent dans le monde entier. Chris Coons ajoute que le travail d'ONG financées par les États-Unis contribue par ailleurs à dissuader les hommes jeunes avec peu de perspectives économiques de rejoindre des groupes terroristes ou des organisations de trafic d'êtres humains. En les supprimant, redoute-t-il, on risque de “créer un grand vide” qui laissera la voie libre “à la Chine, à la Russie, aux trafiquants et aux terroristes”.

Lire aussi : Géopolitique. Le Sud global veut sa place sur le grand échiquier mondial

Du reste, l'Occident ne peut tout simplement pas se couper des problèmes du monde, estime Ayoade Alakija, spécialiste nigériane de la santé mondiale. Qui cite un proverbe yoruba :

“Quand on lance une pierre sur un marché, il faut être prudent, car on risque de frapper un parent.”

Dorénavant, les aides ont de plus en plus de chances d'être soumises à des conditions, dans le cadre de négociations commerciales ou autres, prévoit Stefan Dercon, cet ancien membre du ministère du Développement international britannique qui enseigne à présent à l'école d'administration Blavatnik, à l'université d'Oxford. Le monde en a eu un avant-goût pendant la pandémie de Covid-19, lorsque la Chine, la Russie, les États-Unis et l'Europe ont cherché, souvent en vain, à se faire des amis dans les pays en développement avec ce que l'on a alors appelé la “diplomatie du vaccin”.

Des investissements à but lucratif

Cela fait longtemps que les réseaux sociaux sont inondés de thèses complotistes sur les supposés véritables motifs qui se cachent derrière les aides – depuis l'exploitation des ressources jusqu'à des missions d'espionnage – et que les rivaux de Washington reprennent allègrement ces thèses. “De nombreux éléments suggèrent que l'USAID a travaillé en étroite collaboration avec le département d'État américain et la CIA lors de diverses opérations secrètes visant à déstabiliser des gouvernements étrangers”, écrivait récemment le chroniqueur Chen Weihua dans le quotidien China Daily.

Mais Bright Simons trouve “naïf” d'imaginer que les pays pauvres pourront se tourner vers la Chine ou d'autres puissances pour combler le vide laissé par l'Occident. “Les puissances géopolitiques montantes, comme les Brics, ne voient pas l'intérêt de soutenir le système d'aide internationale classique, souligne-t-il. La Russie n'a que faire de renforcer la justice en Afrique ou de savoir si les écolières du Soudan disposent de protections hygiéniques.”

Lire aussi : Brésil. Des milliards pour une favela, ou l'aide au développement selon les Émirats

Ylva Lindberg, de Norfund, prédit un autre scénario : les subventions vont laisser place à des investissements à but lucratif dans des entreprises. Chaque année, Norfund investit déjà quelque 7,7 milliards de couronnes (soit 670 millions d'euros) dans des entreprises étrangères – depuis une ferme solaire en Inde jusqu'à une exploitation laitière au Malawi, en passant par une banque au Honduras. Comme ses homologues au Royaume-Uni, en France ou en Allemagne, ce fonds injecte des capitaux dans des entreprises qui peinent autrement à accéder à des financements. Si ces investissements représentent aujourd'hui moins de 2 % des aides des pays de l'OCDE, selon Ylva Lindberg, ce chiffre pourrait bien doubler, voire tripler.

“Une solution gagnant-gagnant”

Les États-Unis aussi semblent être en train de prendre cette direction. Lors de son premier mandat, Trump a créé l'US International Development Finance Corporation (DFC), dotée d'un budget de 60 milliards de dollars pour investir dans divers projets menés dans des pays avec des revenus intermédiaires à faibles. Même si le démarrage de la DFC a été lent, sous le mandat Biden, elle a financé un consortium de télécommunication en Éthiopie, une mine de graphite au Mozambique et un complexe plan de refinancement de la dette en Équateur.

Soulignons que la DFC a également approuvé un prêt de 553 millions de dollars au corridor de Lobito, une initiative majeure, menée par les Américains, pour construire une voie ferrée reliant les mines de Zambie et du Congo avec le port angolais de Lobito, sur la côte atlantique. Aux yeux des responsables américains, ce gigantesque chantier constitue un exemple de ce nouveau type d'assistance qui combine les intérêts stratégiques américains – en l'occurrence la lutte contre la mainmise chinoise sur des minéraux critiques – et le développement des pays bénéficiaires.

Lire aussi : Reportage. En Angola, un chemin de fer qui attise les convoitises : “Les Américains, on vous aime !”

“Plutôt que d'exporter des matières premières vers la Chine, qui peut profiter de sa place dans la chaîne d'approvisionnement mondiale pour faire chanter les autres pays, c'est une solution gagnant-gagnant pour les Africains et les Américains”, résume Peter Pham, un spécialiste de l'Afrique qui travaille actuellement à l'Atlantic Council, à Washington, et qui, selon certains, pourrait prochainement jouer un rôle de premier plan dans la nouvelle administration Trump.

En février, Trump a signé un décret présidentiel pour créer un fonds souverain, laissant spéculer que la DFC pourrait être intégrée à cette nouvelle organisation. “Au lieu d'être une institution de financement du développement, il s'agira sans doute davantage d'un instrument géopolitique”, présume Ylva Lindberg. Les investissements commerciaux, ajoute-t-elle, ne remplaceront jamais les projets purement humanitaires comme la gestion d'urgence des catastrophes naturelles ou des crises migratoires. Aussi les choses vont-elles se durcir dans le domaine de l'aide internationale. “Je ne dirais pas que l'altruisme est mort, conclut-elle. Mais en règle générale, les intérêts nationaux occuperont beaucoup plus de place.”

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Vers un désordre mondial militariste

1er avril, par Jaime Pastor, Juan Tortosa — ,
Le retour de Donald Trump au pouvoir s'accompagne d'une profonde réorientation de l'impérialisme étasunien, notamment par un rapprochement avec la Russie. En réaction, l'Europe (…)

Le retour de Donald Trump au pouvoir s'accompagne d'une profonde réorientation de l'impérialisme étasunien, notamment par un rapprochement avec la Russie. En réaction, l'Europe adopte une rhétorique militariste. Celle-ci n'ouvre pas de nouvelles perspectives au peuple ukrainien dans sa lutte contre l'agresseur russe. Entretien avec Jaime Pastor, membre de la rédaction de Viento Sur et militant d'Anticapitalistas.

21 mars 2025 | tiré du site Solidarités | Photo : Ursula von der Leyen et J. D. VanceLa Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le vice-président étasunien J. D. Vance lors d'un sommet sur l'IA à Paris, 11 février 2025 Dati Bendo / European Commission
https://solidarites.ch/journal/447-2/usa-russie-europe-ukraine-vers-un-desordre-mondial-militariste/

Comment définiriez-vous la situation internationale actuelle ?

En partant du tournant radical que représente le retour de Trump au gouvernement des États-Unis, on pourrait dire que nous sommes au début d'une nouvelle ère de désordre mondial qui s'inscrit dans un contexte que l'on qualifie généralement de « polycrise ». Ce terme désigne une conjonction de crises simultanées et interconnectées, dont la plus marquante est la crise écosociale mondiale, qui se produit dans le cadre d'une stagnation prolongée du capitalisme et de la fin de la « mondialisation heureuse ».

L'une des principales conséquences de cette polycrise est l'aggravation de la compétition et des tensions entre les grandes puissances. Pour y répondre, le tandem Trump-Musk – qui incarne la mainmise directe d'une fraction du grand capital étasunien sur l'État – mise sur un nationalisme oligarchique et protectionniste visant à « rendre sa grandeur » aux États-Unis (le slogan MAGA, « Make America Great Again ») et ainsi freiner leur déclin impérial.

D'un point de vue géopolitique, ce projet étasunien se traduit par une redéfinition des relations avec les autres grandes puissances, afin d'atteindre plusieurs objectifs. Le premier consiste à conclure un pacte avec Poutine en reconnaissant leurs sphères d'influence respectives, restaurant ainsi un partage colonial des pays voisins et de leurs ressources. Le second objectif réside dans la limitation du rôle des États-Unis en tant que « protecteur » militaire de l'Europe, en poussant les États membres de l'Union Européenne à accroître leurs dépenses de défense et en les traitant comme des concurrents économiques. Enfin, à moyen et long terme, un troisième objectif consiste à donner la priorité à l'interventionnisme en Asie-Pacifique et surtout à la rivalité avec la Chine, qui est la principale puissance montante à laquelle s'opposent les États-Unis.

Cette tentative de réorganisation de la hiérarchie internationale intervient alors que l'extrême droite progresse dans le monde entier. Le trumpisme, qui associe une conception libertarienne de l'économie, un autoritarisme sur le plan politique et une orientation réactionnaire sur le plan idéologique, est devenu la principale référence de ces forces cherchant à imposer un « changement de régime ». Cela a été explicitement affirmé par le vice-président J. D. Vance lors du sommet de Munich, qui a laissé entendre que l'objectif est pratiquement de mettre fin à la démocratie libérale et d'instaurer de véritables autocraties électorales, voire des régimes néofascistes.

Toutefois, ce projet rencontre déjà des résistances et contradictions, tant aux États-Unis qu'ailleurs, ce qui pourrait accentuer l'instabilité géopolitique et approfondir la polycrise, notamment dans sa dimension écosociale, avec des issues incertaines.

Que se passe-t-il en Europe dans cette reconfiguration mondiale ? Et que pensez-vous de la course effrénée à l'armement et du climat de « pré-guerre » qui se crée ?

L'Europe est aujourd'hui en plein désarroi face au virage radical imposé par Trump, notamment en ce qui concerne la guerre en Ukraine, qui a en effet entrepris de réhabiliter Poutine, au point de vouloir partager avec lui l'exploitation des ressources naturelles ukrainiennes. Par ailleurs, la nouvelle politique commerciale protectionniste des États-Unis, via l'augmentation des droits de douane, intensifie la rivalité économique avec l'Union européenne.

Depuis quelques temps, l'UE tente d'endiguer sa perte d'influence sur la scène mondiale en renforçant son « autonomie stratégique », comme l'ont recommandé les récents rapports de Draghi et Letta. Ce projet prend aujourd'hui une dimension principalement militaire, avec l'adoption d'un budget de 800 milliards d'euros destiné à un programme de réarmement qui alimentera inévitablement une nouvelle phase dans la course aux armements à l'échelle mondiale.

Pour justifier cette montée en puissance militaire, les élites européennes cherchent à imposer l'idée que la Russie de Poutine constitue une « menace existentielle » pour l'Europe. Conscientes que ce discours peine à convaincre au-delà des pays voisins de la Russie, elles l'associent à une rhétorique de défense de la « démocratie et du bien-être » contre le « totalitarisme ». Pourtant, cette posture contraste avec les politiques répressives menées en Europe contre les migrant·es, les restrictions des libertés politiques et sociales, et surtout, la complicité occidentale avec le génocide perpétré par l'État colonial israélien contre le peuple palestinien.

De plus, ce réarmement n'a aucune justification rationnelle : comme l'a souligné la députée portugaise Mariana Mortágua, « les pays de l'UE disposent de plus de personnel militaire en activité que les États-Unis ou la Russie, et leur budget de défense cumulé est supérieur à celui de la Russie et proche de celui de la Chine ». Il faut également tenir compte du fait que l'Europe pourrait disposer, s'il le fallait, de l'arsenal nucléaire français et britannique.

Il ne s'agit donc pas d'un projet défensif, mais bien d'une militarisation accrue des sociétés européennes, au service d'une stratégie offensive visant à protéger les intérêts d'une Europe qui veut relancer un plan industriel militaire au service d'un capitalisme toujours plus prédateur et autoritaire.

Certains secteurs de la gauche, y compris radicale, appellent à soutenir le réarmement militaire européen. Quelle devrait être notre position sur la guerre en Ukraine ?

Il est gravement erroné que des secteurs de la gauche soutiennent le réarmement militaire européen. Cela revient à s'aligner sur un projet agressif et offensif qui ne profitera qu'à l'industrie de l'armement étasunienne et européenne. Malgré les discours officiels, cette orientation se fera au détriment des investissements sociaux et de la lutte contre le réchauffement climatique.

Une gauche internationaliste doit s'opposer à tous les impérialismes et à la logique des sphères d'influence. Elle doit exprimer sa solidarité avec le peuple ukrainien dans sa résistance – armée ou non – contre l'occupation russe et dans sa demande d'aide militaire et matérielle à autres pays. Cela implique de dénoncer tout accord entre Trump et Poutine négocié sans le peuple ukrainien, d'exiger le respect de la souveraineté de l'Ukraine, l'annulation de sa dette de guerre et le soutien à une reconstruction écosociale juste.

Il est également essentiel de renforcer les liens avec les forces de gauche en Ukraine qui s'opposent aux politiques néolibérales et pro-atlantistes du gouvernement Zelensky, ainsi qu'avec les militant·es anti-guerre en Russie qui luttent dans des conditions répressives extrêmes.

Poutine est aujourd'hui en position de force. Est-il possible d'inverser ce rapport de forces sur le plan militaire ou est-ce inutile ?

Après trois ans de guerre, il semble évident que le rapport de forces militaire est difficilement réversible et que le coût humain et matériel de la prolongation du conflit est immense. Cependant, l'insistance de Poutine à revendiquer l'Ukraine comme partie intégrante de son imaginaire nationaliste grand-russe laisse craindre qu'il soit impossible d'obtenir une paix juste et durable pour le peuple ukrainien comme pour le peuple russe.

Il faudra rechercher une solution politique, mais il ne revient pas à nous de dire au peuple ukrainien quand il doit arrêter de résister face à l'envahisseur. Nous devons continuer à soutenir leur lutte, armée ou non armée et, en son sein, les organisations sociales et populaires qui aspirent à une Ukraine souveraine et libérée des ingérences des grandes puissances, qu'elles soient occidentales ou russes.

Certains courants pacifistes étaient par le passé contre l'exportation d'armes à l'Ukraine. Penses-tu que cette position est toujours défendable ?

Je crois que si nous partons du fait indéniable que l'invasion russe est injuste et que, par conséquent, le peuple ukrainien a le droit de résister à cette invasion par les armes, il a également le droit de demander l'aide militaire inconditionnelle d'autres pays, même si leurs gouvernements le font motivés par d'autres intérêts ou faisant preuve d'un double standard par rapport à autres peuples, comme c'est le cas de Gaza. Une fois que la majorité du peuple ukrainien a décidé de résister, s'opposer à cette aide maintiendrait une position équidistante entre agresseur et agressé, ce qui est totalement contraire à la lutte pour une paix juste.

Compte tenu de la volonté de Trump de contraindre l'Ukraine à accepter l'accord qu'il pourrait conclure avec Poutine, je considère qu'une aide militaire à la résistance ukrainienne pour sa défense est d'autant plus nécessaire aujourd'hui que dans le passé, et cela peut se faire sans avoir à augmenter les budgets militaires des pays européens.

Telle a été la position traditionnelle d'une gauche internationaliste solidaire des peuples attaqués, que ce soit par d'autres États ou par la menace nazie ou fasciste, comme cela s'est produit pendant la guerre civile espagnole, même lorsque la résistance au fascisme était dirigée par un gouvernement qui avait fait échouer le processus révolutionnaire dans la zone républicaine.

Quelles doivent être nos tâches et revendications dans la période actuelle ?

Nos tâches devraient se concentrer sur la construction de fronts unitaires pour une lutte commune contre le projet de réarmement de l'UE, en exigeant une réduction substantielle des dépenses militaires afin de les consacrer à la transition écosociale juste, qui est nécessaire et urgente, ainsi qu'au désarmement nucléaire de la France, du Royaume-Uni et de la Russie.

Ces tâches doivent être accompagnées, comme ce fut le cas dans les années 1980 face à l'installation des euromissiles à l'Ouest et à l'Est, d'une lutte pour la dissolution de l'OTAN et le démantèlement de toutes les bases militaires américaines en Europe, ainsi que d'autres blocs militaires régionaux, tels que l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dirigée par la Russie et impliquant d'autres pays de l'ex-espace soviétique.

Tout cela devrait s'accompagner d'une remise en cause du concept militariste de « sécurité » employé aussi bien par l'UE que par la Russie, pour lui opposer une culture de paix, de résistance non-violente active contre toutes les agressions et de solidarité avec tous les peuples, dans le but d'avancer vers une dénucléarisation et une démilitarisation progressive de l'Europe, de l'Atlantique jusqu'à l'Oural.

C'est cette Europe-là qu'il faudra défendre si nous voulons construire une autre Europe écosocialiste.

Propos recueillis par Juan Tortosa

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ReArm Europe et la militarisation des esprits

1er avril, par Miguel Urbán — , ,
Le rapport sur les dépenses militaires de l'OTAN pour 2024 fait état d'une augmentation de 17,9% des dépenses de défense en Europe et au Canada (ces chiffres sont toujours (…)

Le rapport sur les dépenses militaires de l'OTAN pour 2024 fait état d'une augmentation de 17,9% des dépenses de défense en Europe et au Canada (ces chiffres sont toujours agrégés) cette année-là par rapport à la précédente. Et en 2023, elle faisait déjà état d'une augmentation de 9,3% des dépenses militaires par rapport à 2022. En fait, l'augmentation des dépenses dans ce domaine est constante depuis 2015, avec de fortes hausses en 2023 et 2024.

24 mars 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/24/justice-sociale-defense-europeenne-securite-nationale-quatre-textes/

L'investissement proposé ne sera pas non plus nécessaire, comme cela a été souligné, pour combler les lacunes de l'industrie européenne de l'armement, qui est très concentrée. Les données du SIPRI entre 2020 et 2024 montrent que parmi les 9 pays qui exportent le plus d'armes dans le monde, 4 appartiennent à l'Union européenne (France, Allemagne, Italie et Espagne) et 5 à des pays européens membres de l'OTAN (le Royaume-Uni s'ajoute aux 4 précédents).

En outre, dans les principales catégories de production d'équipements militaires répertoriées, l'industrie européenne ne présente aucune lacune. En d'autres termes, il n'y a pas de grands domaines où l'industrie européenne est déficiente. La France, l'Italie et le Royaume-Uni abritent des entreprises qui produisent et exportent des avions de combat, et la France et l'Italie font de même avec les hélicoptères de combat. Pour les grands navires de guerre, il y a vraiment cinq pays européens, et tous, sauf le Royaume-Uni, exportent des véhicules blindés. L'Allemagne et l'Italie exportent des chars de combat, la France et l'Allemagne de l'artillerie. Même les missiles sol-air les plus complexes (systèmes SAM) sont exportés par l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Parallèlement à une industrie militaire robuste destinée à l'exportation, les pays européens ont considérablement augmenté leurs dépenses en équipements militaires au cours des dernières années. Il ne s'agit pas seulement d'achats, mais aussi d'investissements dans des projets de recherche et de développement. C'est ce qu'indique le rapport de l'OTAN. En 2024, les dépenses en armement des pays européens et du Canada ont augmenté de 36,9%, alors qu'en 2023, l'augmentation était déjà de 16,4%. Une fois de plus, les pays européens et le Canada ont connu des augmentations constantes des dépenses en équipement militaire depuis 2015, avec des pics en 2017, 2021, 2023 et 2024.

En Albanie, en République tchèque, en Finlande, en Hongrie, en Lettonie, au Luxembourg, en Pologne et au Royaume-Uni, la majeure partie du budget militaire est déjà consacrée à l'équipement militaire, allant de 36,9% en Lettonie à 51,1% en Pologne. Entre 2014 et 2024, 27 pays européens ont augmenté le pourcentage de leur budget de défense alloué aux équipements. Il s'agit de tous les pays européens membres de l'OTAN (y compris la Turquie), à l'exception de la Suède. De plus, dans 17 de ces pays, l'augmentation du pourcentage du budget de la défense consacré aux équipements a augmenté de manière plus ou moins régulière, et dans tous ces pays, on observe une tendance à l'accélération de l'augmentation au cours des deux dernières années.

Le complexe militaro-industriel transatlantique

L'augmentation des dépenses militaires s'est accrue et le pourcentage de ces budgets consacré à l'équipement et à l'armement a également augmenté. Pourquoi les dirigeants européens veulent-ils augmenter encore les dépenses militaires et quels en sont les enjeux ?

Dans son discours d'adieu de 1961, Dwight D. Eisenhower, ancien général et président des États-Unis d'Amérique pour le parti républicain, a lancé un avertissement à sa nation : « Dans les conseils de gouvernement, nous devons nous prémunir contre l'acquisition d'une influence injustifiée, qu'elle soit recherchée ou non, du complexe militaro-industriel ».

« La conjonction d'un immense complexe militaire et d'une vaste industrie de l'armement est une nouveauté dans l'expérience américaine. L'influence totale – économique, politique et même spirituelle – se fait sentir dans chaque ville, dans chaque État, dans chaque bureau du gouvernement fédéral », a-t-il ajouté.

Néanmoins, selon les données de la Banque mondiale, les dépenses militaires sont passées de 47,3 milliards de dollars à 876 milliards de dollars (environ 839 milliards d'euros, comme indiqué ci-dessus). Même corrigée de l'inflation, il s'agit d'une augmentation réelle d'environ 332 milliards de dollars en soixante ans.

Les entreprises d'équipement militaire des États-Unis d'Amérique ont acquis une taille considérable et une capacité d'influence sur la sphère politique et sociale, comme l'avait prédit Eisenhower. Et cette influence a atteint l'Europe.

Une enquête menée par Investigate Europe a montré que la stratégie de financement du programme européen de développement industriel de la défense est dominée par cinq entreprises : Airbus, Leonardo, Thales, Dassault Aviation et Indra Sistemas. Ces entreprises sont en partie détenues par des États européens, mais aussi par des fonds américains qui sont actionnaires de sociétés militaires américaines.

En pratique, les grandes entreprises d'armement européennes et les grandes entreprises d'armement américaines sont détenues par les mêmes fonds, ce qui signifierait un processus de concentration horizontale de la propriété sur le marché. Les fonds qui détiennent des intérêts dans ces cinq entreprises détiennent également des intérêts dans Boeing, Lockheed Martin, Raytheon Technologies, General Dynamics et Northrop Grumman. Le complexe militaro-industriel dont parlait Einsenhower a traversé l'océan Atlantique.

L'un des groupes les plus visibles est BlackRock, qui détient des participations dans Airbus, Leonardo, Thales, Indra Sistemas, Dassault en Europe, et Boeing, Lockheed Martin, Raytheon, Northrop et General Dynamics aux États-Unis.

De plus, ces entreprises ont plusieurs représentants au sein du Groupe des personnalités de la recherche en matière de défense (GoP), un groupe créé par la Commission européenne en 2015 (année où les investissements militaires ont commencé à augmenter de façon constante) pour orienter la politique de sécurité et de défense en Europe.

Preuve en est l'augmentation des dépenses consacrées au lobbying auprès des institutions européennes par les 10 plus grandes entreprises de défense des pays de l'UE au cours des dernières années. Entre 2022 et 2023, les chiffres publics montrent une augmentation de 40%.

Ceux qui profitent du génocide en Palestine et de la guerre en Ukraine préparent le terrain pour bénéficier également des réductions de l'État-providence en Europe, augmentant ainsi leur taux de profit.

Miguel Urbán
https://www.publico.es/opinion/rearm-europe-militarizacion-espiritus.html
Transmis et traduit par JB
https://www.reseau-bastille.org/2025/03/21/rearm-europe-et-la-militarisation-des-esprits/

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RDC, l’avancée inexorable de la rébellion

Les derniers évènements en RDC montrent que le M23/AFC entend contrôler durablement les territoires conquis tout en continuant son avancée, acculant le président congolais à (…)

Les derniers évènements en RDC montrent que le M23/AFC entend contrôler durablement les territoires conquis tout en continuant son avancée, acculant le président congolais à chercher désespérément des soutiens militaires.

Tiré d'Afrique en lutte.

Le mouvement du 23 Mars et l'Alliance du Fleuve Congo (M23/AFC) soutenu par le Rwanda continue sa progression vers Kindu, chef-lieu de la province de Maniema et vers Uvira située sur le bord du lac Tanganyika. Dans le même temps, le M23/AFC conforte sa position et tente d'administrer les deux grandes villes du Nord et Sud Kivu, Goma et Bukavu.

S'installer dans la durée

Il ne faut pas se fier aux foules saluant les « libérateurs » dans les villes conquises. Il s'agit avant tout d'une stratégie des habitantEs tentant de se concilier les bonnes grâces des nouveaux maîtres des lieux. Quant au grand meeting organisé par Corneille Nangaa le dirigeant du M23/AFC au stade de l'Unité à Goma, les habitantEs ont été invitéEs à y participer sous la menace des kalachnikovs relativisant fortement la spontanéité de leur ferveur.

La situation humanitaire et sociale est catastrophique. Les miliciens ont expulsé les populations des camps de réfugiéEs vers leurs villages, indépendamment des conditions sécuritaires. Les citadinEs de Goma et de Bukavu sont confrontéEs à la pénurie de liquidités car les banques ne sont plus approvisionnées par Kinshasa. Beaucoup ont perdu leur emploi ou leurs biens à cause de pillages mais tous doivent participer gratuitement aux travaux communautaires appelés « Salongo » chaque samedi.

Les autorités du M23/AFC traquent opposantEs, journalistEs et toutes voix critiques et tentent d'étouffer la société civile. C'est le cas avec « La Lucha » dont les militantEs subissent la répression. Si avant la situation était loin d'être parfaite, elle s'est maintenant considérablement détériorée. Le remplacement systématique des chefs coutumiers – certains sont même exécutés – permet ainsi de conforter les propriétés foncières des partisans des miliciens voire d'accéder à de nouvelles terres, car traditionnellement leur distribution est assurée par les chefs des villages.

Un président congolais affaibli

Félix Tshisekedi, le président de RDC, se trouve acculé. La conférence de la SADC, regroupant les pays de l'Afrique australe, a acté le retrait de leurs troupes. Il s'est tourné vers le Tchad en vain. En interne, ses oppositions haussent le ton à l'image de Joseph Kabila, l'ancien président, qui l'accuse de dictature avec ses velléités de modifier la constitution lui permettant de briguer un troisième mandat.

Le dirigeant congolais joue une nouvelle carte, celle des USA. En échange d'une protection de la RDC, les États-Unis auraient accès aux nombreux minerais du pays. Cette offre, si elle correspond bien au logiciel du « First America » de Trump fait fi de la réalité, le contrôle par la Chine de près de 70 % à 80 % des mines obligeant les USA à mener des prospections géologiques considérées comme coûteuses, chronophages et aléatoires. Cependant, Washington s'est dit intéressé par la proposition.

Négociations contraintes

Aux dires du médiateur pour la paix, le président angolais João Lourenço, Félix Tshisekedi n'exclurait plus de franchir la ligne rouge qu'il avait lui-même édicté à savoir le refus de toutes négociations directes avec le M23/AFC, considéré comme des pantins du Rwanda. Depuis plusieurs semaines, les autorités religieuses congolaises très écoutées par la population défendaient cette option.

Isolé politiquement en RDC, ne pouvant plus compter sur une aide militaire d'un quelconque pays et conscient de la déliquescence de son armée et des milices alliées – les wazalendo dont certains ont changé de camps en rejoignant le M23/AFC – Félix Tshisekedi n'a plus beaucoup de choix. Mais accepter les négociations s'avèrera un jeu périlleux. En effet, trop céder aux exigences du Rwanda, risque non seulement d'être un suicide politique mais pourrait aussi susciter une opposition d'un autre pays voisin l'Ouganda qui verrait d'un mauvais œil l'hégémonie économique voire politique du président rwandais Paul Kagamé sur la partie Est de la RDC.

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Au Mali, l’impasse de la guerre à outrance

1er avril, par Paul Martial — , ,
Dans le pays se dessine une alliance entre force djihadiste et force indépendantiste au nord du Mali, ce qui améliorerait leur rapport de forces dans le conflit en cours. (…)

Dans le pays se dessine une alliance entre force djihadiste et force indépendantiste au nord du Mali, ce qui améliorerait leur rapport de forces dans le conflit en cours.

Tiré d'Afrique en lutte.

En février a eu lieu dans la région de Sikasso une attaque contre le convoi du ministre de l'Enseignement supérieur, puis une seconde une semaine plus tard sur l'axe Kati-Soribougou. Cette fois-ci c'était le ministre de l'Assainissement qui était visé. Deux raids revendiqués par les islamistes qui ne cessent de gagner du terrain, au point que l'État ne contrôle plus que la moitié du territoire.

Une volonté de paix

Dans cette situation difficile pour la junte militaire, l'annonce de pourparlers entre le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda et le Front de libération de l'Azawad (FLA) regroupant l'ensemble des organisations indépendantistes ou autonomistes du nord du Mali, est une nouvelle source d'inquiétude.

Un premier pacte de non-agression avait été signé au printemps 2024 entre les deux organisations aux agendas très différents. Les islamistes veulent instituer un État sur la base de la charia, alors le FLA milite, au moins pour les plus radicaux en son sein, pour une sécession du pays.

Ces pourparlers sont une réponse au désir des populations souhaitant la paix. Une volonté affichée depuis des années et renouvelée lors du dialogue national organisé par les putschistes. Le FLA s'y est dit sensible d'autant que cette idée est aussi largement partagée par les membres des communautés où il est implanté. Il y a aussi l'idée que le GSIM pourrait abandonner une partie de son programme et de ses méthodes les plus radicales à l'image de l'évolution du Front al-Nosra participant à la création de Hayat Tahrir al-Cham en Syrie qui a pris les rênes du gouvernement en Syrie.

Négociations en cours

Il semble que le GSIM ait accepté la proposition du FLA sur les modalités d'exercice de la charia qui serait appliquée de manière moins brutale et sous la responsabilité des notables religieux reconnus par les communautés indépendamment de leur affiliation ou non au GSIM. Pour ce dernier, la désaffiliation d'Al-Qaïda pourrait même être envisagée si des ruptures importantes se produisaient à l'intérieur du pays comme la chute du pouvoir, ou l'indépendance de l'Azawad. Bien que le GSIM considère que la communauté internationale accepterait plus facilement un État fondé sur la charia que la partition du Mali. Enfin, si la situation se présente, le GSIM n'exclut pas la possibilité d'une administration commune de villes ou de territoires avec le FLA.

Ce rapprochement des deux organisations est aussi la conséquence de l'attitude de la junte, appuyée par les mercenaires russes de Wagner/Africa Corps, qui se refuse à envisager une solution politique à cette crise qui s'ancre pourtant dans des problèmes économiques, sociaux et communautaires.

Les populations paient le prix fort de cette fuite en avant sécuritaire des putschistes. Ainsi les forces armées maliennes et leurs supplétifs russes ont fait en 2024 trois fois plus de victimes parmi les civilEs que les islamistes. Même si ces derniers, par leur politique d'encerclement des villes, approfondissent la paupérisation des populations et mènent des actions violentes de représailles.

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Contrat du siècle ou piège du siècle ? La RDC face à la Chine

Le 17 septembre 2007, la République Démocratique du Congo (RDC) signait avec un consortium d'entreprises publiques chinoises un accord économique d'une ampleur sans précédent (…)

Le 17 septembre 2007, la République Démocratique du Congo (RDC) signait avec un consortium d'entreprises publiques chinoises un accord économique d'une ampleur sans précédent en Afrique. Surnommé le « contrat du siècle », ce partenariat, impliquant principalement l'EXIM Bank of China, Sinohydro Corporation et la China Railway Engineering Corporation (CREC), repose sur un échange « ressources contre infrastructures » [1]. En effet, en contrepartie du financement et de la construction de routes, d'hôpitaux et de voies ferrées, la Chine obtient un accès privilégié aux richesses minières congolaises, notamment le cuivre et le cobalt, ressources stratégiques indispensables pour son développement industriel [2].

Tiré du site du CADTM.

Fondé sur le principe de coopération mutuellement bénéfique, ce contrat représente-t-il une réelle opportunité pour le développement de la RDC, ou marque-t-il une nouvelle étape du néocolonialisme économique sous influence chinoise ? Derrière les promesses d'infrastructures se cache un système qui pourrait bien hypothéquer l'avenir du pays en le liant durablement aux intérêts chinois.

Un partenariat économique présenté comme gagnant-gagnant

Le contrat sino-congolais repose sur un échange de type « ressources contre infrastructures », où la Chine finance et construit des infrastructures en échange de l'exploitation de vastes ressources minières congolaises. Ce « contrat du siècle », engage des acteurs majeurs : China Railway Group Ltd. (China Railways) et Sinohydro Corporation, avec un financement assuré par la China Exim Bank. Côté congolais, la Gécamines, entreprise minière publique, joue un rôle clé via la joint-venture Sicomines, majoritairement chinoise (68%), chargée de l'exploitation des gisements stratégiques de Dikuluwe, Mashamba Ouest et Synclinal Dik Colline, entre autres [3].

L'accord initial prévoyait un investissement de 9 milliards de dollars pour la construction de 3.500 km de routes, 3.500 km de chemins de fer, 31 hôpitaux, 145 centres de santé et 5.000 logements, ainsi que pour des investissements miniers [4].

Sous la pression du FMI, préoccupé par la viabilité de la dette et par les termes de l'accord, les investissements dans les infrastructures ont été réduits de moitié, passant à 3 milliards de dollars. Ceux-ci sont financés uniquement par des prêts chinois à des taux fixes de 4,4 % et 6,1 % [5]. Par ailleurs, 3,2 milliards de dollars ont été alloués au développement minier, garantissant aux entreprises chinoises un accès privilégié aux ressources stratégiques du pays [6].

En échange de ces investissements, la Gécamine, concède plusieurs gisements contenant jusqu'à 10,6 millions de tonnes de cuivre, dont environ 6,8 millions de tonnes de réserves confirmées. En outre, l'accord stipule que la RDC s'engage à livrer 202 000 tonnes de cobalt et 372 tonnes d'or à Sicomines. La RDC a également accordé une exonération totale de taxes, impôts et droits douaniers jusqu'au remboursement des infrastructures.

Le pays renonce à plusieurs milliards de dollars de recettes fiscales et s'endette à des taux élevés, limitant ses marges de manœuvre économiques pour plusieurs décennies.

La dette comme outil de domination : vers une dépendance structurelle ?

L'engagement économique de la Chine en Afrique repose sur une approche singulière, fondée sur des prêts massifs, des investissements stratégiques et une absence de conditionnalités politiques. Ce modèle, mis en œuvre à travers des institutions comme China Exim Bank, se matérialise souvent par des contrats intégrés liant infrastructures et exploitations des ressources naturelles.

Officiellement “gagnant-gagnant”, le contrat pose en pratique plusieurs enjeux majeurs.

D'abord, la nature même des prêts accordés par la Chine soulève des interrogations sur la viabilité financière de ces accords. Les investissements chinois sont financés par des prêts à taux d'intérêt fixes et remboursés par l'exploitation des mines de cuivre et de cobalt. Le remboursement est directement assuré par 85 % des bénéfices de Sicomines, réduisant d'autant plus les ressources disponibles pour l'État congolais [7]. Cette structuration exclut tout contrôle démocratique sur la gestion des revenus miniers, rendant le pays dépendant des prévisions de production et des fluctuations du marché des matières premières.

Ensuite, cet accord, censé incarner une coopération équitable, est marqué par une opacité totale. Contrairement aux annonces officielles, l'accord a été négocié à huis clos, et les conditions de fixation des prix des minerais ne sont pas clairement établies, ouvrant la porte à une évaluation biaisée en faveur des entreprises chinoises et à de la corruption.

En effet, l'enquête menée par The Sentry a révélé des preuves manifestes de corruption, suggérant que des sociétés chinoises se sont entendues avec des acteurs puissants en RDC pour accéder à des milliards de dollars de ressources naturelles. La Congo Construction Company (CCC) est au centre de ces allégations, ayant apparemment versé des millions de dollars à des proches du président Kabila via des transactions financières douteuses transitant par des banques internationales [8]. Ces opérations présentent les caractéristiques d'un système de corruption de grande ampleur, avec des fonds mal justifiés, des sociétés à la propriété obscure et des conflits d'intérêts. Le paiement d'un « pas-de-porte » (prime à la signature) de 350 millions de dollars par les entreprises chinoises a également soulevé des questions [9]. Des enquêtes ont mis en lumière des transactions suspectes impliquant une partie de ces fonds, soulevant des doutes quant à leur destination et à leur gestion.

Enfin, la clause de stabilisation inscrite dans la convention de 2008 verrouille encore davantage la position chinoise en stipulant que toute nouvelle réglementation défavorable aux entreprises chinoises ne leur sera pas appliquée. En d'autres termes, la RDC s'engage pour plusieurs décennies sans possibilité de renégociation des termes du contrat.

Au-delà de son impact économique, cette approche favorise une dépendance structurelle.

Le contrôle chinois sur des secteurs clés, notamment l'exploitation minière et les infrastructures, empêche l'émergence d'une industrie locale indépendante en RDC.
De plus, l'accord initial prévoyait que si la RDC ne parvient pas à rembourser les prêts chinois dans les 25 ans, elle devait attribuer d'autres concessions minières à la Chine comme compensation. Bien que cette clause ait été supprimée sous la pression du FMI, la durée totale du remboursement s'étend sur 34 ans, maintenant le pays dans une relation de créancier à débiteur sur le long terme [10]. Passé ce délai, la RDC devra payer les financements chinois et leurs intérêts cumulés par toute autre voie, intégrant ainsi les prêts chinois à la dette publique externe de la RDC.

Un néocolonialisme économique sous couvert de coopération ?

L'accord sino-congolais repose sur l'exploitation des immenses richesses minières de la RDC, qui représentent un enjeu économique crucial pour la Chine.

La transition écologique et le développement des technologies numériques sont aujourd'hui au cœur des transformations économiques mondiales. En effet, en tant que puissance industrielle, la Chine est un acteur majeur dans cette course aux ressources, ayant connu des pénuries qui l'ont poussée à sécuriser son accès aux matières premières congolaises. Le cobalt, étant un élément essentiel des batteries utilisées dans les voitures électriques, les téléphones et les ordinateurs, sa demande a fortement augmenté avec la transition énergétique. Ainsi, la transition écologique, bien que essentielle pour l'avenir de la planète, s'accompagne d'un paradoxe : elle repose sur une exploitation accrue de ressources qui perpétue des dynamiques néocoloniales.

Selon les estimations, les gisements généreraient entre 40 et 120 milliards de dollars de recettes, soit bien plus que l'investissement chinois initial de 6,5 milliards de dollars [11]. En d'autres termes, la valeur réelle des minerais extraits dépasse largement le financement des infrastructures, marquant clairement un échange déséquilibré entre la RDC et la Chine.

En théorie, cet accord devrait améliorer les conditions de vie des congolais⸱es en construisant des infrastructures essentielles (routes, hôpitaux, écoles). Cependant, les réalisations concrètes ne répondent pas aux besoins prioritaires de la population. Une grande partie des infrastructures financées par la Chine se concentrent dans des zones stratégiques liées à l'exploitation minière, notamment dans le Katanga, plutôt que dans les régions où les besoins sociaux sont les plus urgents.

Par ailleurs, l'entretien de ces infrastructures n'a pas été pris en compte dans l'accord, ce qui risque de les rendre inutilisables à long terme faute de financements pour leur maintenance.

L'impact sur l'emploi local est également limité. La majorité des chantiers d'infrastructures sont réalisés par des entreprises chinoises, qui emploient principalement de la main-d'œuvre chinoise plutôt que de former et embaucher des ouvrier⸱ères congolais⸱es. Cela signifie que, malgré l'ampleur du projet, les bénéfices économiques directs pour la population congolaise restent marginaux, tandis que la Chine s'assure un accès sécurisé aux ressources minières du pays sans véritable transfert de compétences ou développement local durable.

Ce modèle de prêts garantis par des ressources naturelles n'est pas propre à la RDC : il a été déjà observé ailleurs en Afrique, notamment en Angola, où des accords similaires sur le pétrole ont permis à la Chine de prendre le contrôle de vastes secteurs économiques. Dans plusieurs pays, ces investissements massifs ont été suivis d'une prise de contrôle par des entreprises chinoises, transformant ce qui était présenté comme un partenariat en une domination économique à long terme.

Ainsi, loin d'être une simple coopération économique, l'accord sino-congolais s'inscrit dans une stratégie où la Chine sécurise l'accès aux ressources stratégiques tout en enfermant la RDC dans une dépendance durable, rendant tout redressement économique autonome extrêmement difficile.

“Gagnant-gagnant” perdu

Loin du récit officiel d'un partenariat « gagnant-gagnant », le contrat sino-congolais sert avant tout les intérêts économiques et stratégiques de la Chine, au détriment du peuple congolais. Plutôt qu'une souveraineté économique renforcée, la RDC s'enferme dans un modèle de dépendance où ses ressources financent son propre endettement, au bénéfice exclusif d'un partenaire étranger. Cet accord soulève ainsi une question fondamentale : la RDC construit-elle réellement son avenir avec ce partenariat, ou est-elle en train de céder son indépendance économique à une nouvelle puissance étrangère ?

Bibliographie

Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.

Ibanda Kabaka, P. (2018). La Chine en RD Congo : Relecture du contrat infrastructures contre minerais. HAL.

Marysse, S., Geenen S. (2008),“Les contrats chinois en RDC : L'impérialisme rouge en marche ?”, L'Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2007-2008, pp. 287-313.

Marysse, S. (2010). “Le bras de fer entre la Chine, la RDC et le FMI : La révision des contrats chinois en RDC”, L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2009-2010, pp. 131-150

The Sentry. (2021). Trafic d'influence : Mainmise sur l'État et pots-de-vin derrière le contrat du siècle au Congo. The Sentry.

Umpula Mkumba, E. (2021). Convention de la Sino-Congolaise des Mines : Qui perd, qui gagne entre l'État congolais et la Chine ? Évaluation de l'exécution des obligations des parties à la convention de collaboration de 2008. AFREWATCH.

Notes

[1] Marysse , S., Geenen S. (2008),“Les contrats chinois en RDC : L'impérialisme rouge en marche ?”, L'Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2007-2008, pp.287-313.

[2] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.

[3] Ibidem.

[4] Marysse , S., Geenen S. (2008),“Les contrats chinois en RDC : L'impérialisme rouge en marche ?”, L'Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2007-2008, pp.287-313.

[5] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.

[6] Ibidem.

[7] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.

[8] The Sentry. (2021). Trafic d'influence : Mainmise sur l'État et pots-de-vin derrière le contrat du siècle au Congo. The Sentry.

[9] Ibidem.

[10] Umpula Mkumba, E. (2021). Convention de la Sino-Congolaise des Mines : Qui perd, qui gagne entre l'État congolais et la Chine ? Évaluation de l'exécution des obligations des parties à la convention de collaboration de 2008. AFREWATCH.

[11] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.

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Soudan : l’armée affirme avoir pris le contrôle total de Khartoum

1er avril, par El Watan — , ,
La guerre, qui a éclaté le 15 avril 2023 entre l'armée du général Burhane et les FSR commandées par son ancien adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo, a fait des dizaines de (…)

La guerre, qui a éclaté le 15 avril 2023 entre l'armée du général Burhane et les FSR commandées par son ancien adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo, a fait des dizaines de milliers de morts et a déraciné plus de 12 millions d'habitants

Tiré d'El Watan.

L'armée soudanaise a annoncé avoir pris le contrôle complet de Khartoum, une semaine après avoir repris le palais présidentiel aux paramilitaires lors d'une offensive majeure. Cette déclaration intervient alors que la guerre dure depuis près de deux ans dans ce pays d'Afrique de l'Est. Selon le porte-parole de l'armée, Nabil Abdoullah, les forces armées ont réussi à éliminer les dernières poches de résistance des Forces de soutien rapide, qualifiées de milice terroriste et dirigées par le commandant Hamdane Daglo.

La veille, le général Abdel Fattah al-Burhane, commandant de l'armée, avait déjà proclamé la libération de Khartoum depuis le palais présidentiel, où il s'était rendu après l'offensive de ses troupes pour reprendre la capitale. Une source militaire a rapporté que les combattants des Forces de soutien rapide fuyaient par le pont de Jebel Aouliya, leur unique voie de repli hors de l'agglomération. En réponse, les paramilitaires ont affirmé leur détermination à poursuivre la lutte et ont exclu toute possibilité de retraite ou de reddition.

Depuis le début du conflit le 15 avril 2023, l'affrontement entre l'armée dirigée par le général Burhane et les Forces de soutien rapide menées par son ancien adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo, a causé la mort de dizaines de milliers de personnes selon les Nations unies. Plus de douze millions d'habitants ont été déplacés, aggravant une crise humanitaire de grande ampleur. Le pays, troisième plus vaste d'Afrique, est désormais scindé en deux, l'armée contrôlant le nord et l'est tandis que les paramilitaires dominent une partie du sud ainsi que la majeure partie de la région du Darfour, à l'ouest, frontalière du Tchad.

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En France, les gauches antimilitaristes changent leur fusil d’épaule

1er avril, par Mathieu Dejean — , ,
Si des partis de gauche radicale cherchent un chemin pour « stopper la marche à la guerre », les traditions antimilitaristes et pacifistes sont largement éclipsées par (…)

Si des partis de gauche radicale cherchent un chemin pour « stopper la marche à la guerre », les traditions antimilitaristes et pacifistes sont largement éclipsées par l'actualité internationale. En partie sidérées, parfois inaudibles, ces formations se recomposent à bas bruit.

23 mars 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | Photo : Un rassemblement de solidarité avec la résistance du peuple ukrainien à Lyon, en France, le 23 février 2025. © Photo Elsa Biyick / Hans Lucas via AFP
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74174

Une ambiance de mutinerie studieuse règne au 87 rue du Faubourg-Saint-Denis, dans le Xe arrondissement de Paris, mercredi 19 mars. Le local du Parti ouvrier indépendant (POI), d'obédience trotskiste lambertiste, accueille une conférence publique du Cercle d'études Pierre-Lambert sur le thème : « Marche à la guerre : comment la stopper ? »

À la tribune, face à une centaine de militant·es, Jérôme Legavre, membre du POI et député siégeant dans le groupe de La France insoumise (LFI), dénonce la « propagande guerrière » et le « climat de bourrage de crâne » en faveur de l'effort de réarmement.

Depuis le clash entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, une majorité du spectre politique est acquise à cet effort en France. Même si elles se différencient sur l'échelon de la défense à construire et préviennent contre la stratégie du choc néolibéral, les gauches se sont ralliées à un principe de réalité face aux menaces impérialistes et guerrières que Trump et Poutine font peser. À quelques exceptions près.

« On n'accumule pas de telles montagnes de munitions, de missiles, d'armement sans courir le risque que ça ne débouche sur une catastrophe », prévient Jérôme Legavre, qui fait reposer sur « les déserteurs ukrainiens et russes » une bonne part de l'issue du conflit. Cette posture antiguerre stricte n'est pas commune dans le paysage politique.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le député s'oppose aux livraisons d'armes – toutes les armes, à la différence de LFI. Jérôme Legavre avait aussi été le seul à voter contre une résolution de l'Assemblée nationale en soutien à l'Ukraine en décembre 2022. On l'a accusé de fermer les yeux devant l'impérialisme russe par « campisme ». Lui se dit internationaliste et anti-impérialiste. « Cette guerre oppose l'oligarchie mafieuse autour du régime pourri et tyrannique de Poutine et des États occidentaux qui servent les multinationales de l'armement », affirme-t-il aujourd'hui.
Des mémoires réactivées

Il rappelle que sa formation politique, jadis baptisée l'Organisation communiste internationaliste (OCI), n'est pas « pacifiste » pour autant : elle avait par exemple soutenu le Mouvement national algérien de Messali Hadj pendant la guerre d'Algérie. Sa position, singulière, évoque le « défaitisme révolutionnaire » professé par Lénine lors de la Première Guerre mondiale et l'antimilitarisme des socialistes réunis lors de la conférence de Zimmerwald, en 1915. Une vision que d'autres composantes de la gauche antiguerre rejettent pour son anachronisme.

« Cette théorie date d'avant le fascisme, elle ne correspond plus à la réalité d'une société civile devant résister à un tel pouvoir et aux crimes de guerre poutiniens », pointe Christian Varquat, membre de la commission internationale du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Entre-temps, la Seconde Guerre mondiale et la trajectoire de certains pacifistes intégraux comme Louis Lecoin ou René Dumont – restés pacifistes sous l'Occupation – ont rendu cette grille de lecture difficilement audible. En juin 1944, le journal La Vérité écrivait que « la libération de Roosevelt valait tout autant que le socialisme de Hitler ».

« Après 1945, c'est plutôt la Résistance, qui est un mouvement d'indépendance nationale armé, qui a pris le dessus dans l'imaginaire de la gauche dans de nombreux pays », analyse l'historien Gilles Candar – même si le pacifisme incarné en 1914 par Jean Jaurès a repris de la vigueur au moment des guerres coloniales, notamment celle du Vietnam.

Du point de vue antimilitariste, il y a une forme de sidération et d'attentisme.
Éric Fournier, historien

De manière générale, le retour des conflits et la rupture nette provoquée par Donald Trump sur l'Ukraine amènent des recompositions inédites, dans un champ où les positions avait été figées par l'éloignement des guerres hors du continent européen.

« L'invasion russe de l'Ukraine a reconfiguré les lignes, constate l'historien Éric Fournier, qui a codirigé le livre À bas l'armée ! L'antimilitarisme en France du XIXe siècle à nos jours (Éditions de la Sorbonne, 2023). Du point de vue antimilitariste, il y a une forme de sidération et d'attentisme, même si la mémoire de l'anarchiste Makhno a été réactivée par des libertaires européens. Ce qui était acquis – le refus de la guerre qui ne profite qu'aux grands groupes de l'armement, le mépris des officiers – change avec l'Ukraine. Il était plus facile de s'intéresser à des milices kurdes en Syrie qu'à un groupe de combattants étatique. »

Engagé dans le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine et contre la guerre, le NPA soutient Sotsialnyi rukh (le « Mouvement social », une organisation de la gauche ukrainienne qui a des militants dans l'armée) et assume son engagement auprès de la résistance ukrainienne à l'invasion russe, « en toute indépendance du gouvernement néolibéral ukrainien et des grandes puissances occidentales », précise Christian Varquat.

« L'aide armée n'est pas demandée seulement par le gouvernement Zelensky, mais par toutes les composantes de la société qui résistent à l'agression russe », rappelait l'économiste Catherine Samary, membre d'Attac et du NPA, dans un entretien à Mediapart. « Insister sur la nécessité de disposer des moyens de se défendre n'est pas du bellicisme. Sans cela, la diplomatie se résume à un appel à la pitié », affirme ainsi Oleksandr Kyselov, membre du conseil de Sotsialnyi rukh dans le journal L'Anticapitaliste. C'est sur cette ligne de crête, sans angélisme ni bellicisme, que les gauches antiguerre se recomposent.

Les nuances entre antimilitarisme et pacifisme

Historiquement, l'antimilitarisme n'est d'ailleurs pas contradictoire avec le soutien armé aux peuples qui résistent. « L'antimilitariste se distingue du pacifisme par son hostilité systématique à l'institution militaire et notamment à la chaîne de commandement, les officiers de carrière étant facilement assimilés à des aristocrates réactionnaires. Mais cette hostilité qui vise la caserne et l'uniforme, assimilé à une tenue d'esclave, ne s'accompagne pas du tout d'un refus de la prise d'armes civique ou populaire », rappelle l'historien Éric Fournier.

Avant le renversement d'alliance et le deal Trump-Poutine fait dans le dos de l'Ukraine, les Soulèvements de la Terre avaient ravivé cette mémoire de l'antimilitarisme en rejoignant la coalition « Guerre à la guerre », appelant à « désarmer le militarisme ». Cette coalition visait à s'ériger contre l'« interventionnisme militaire [de la France] au Sahel, en Kanaky, en Martinique, à Mayotte », et contre la « guerre intérieure, menée par une police aux moyens militarisés, qui cible en premier lieu les non-Blancs et les minorités ».

La cause du refus absolu du fait militaire et de la logique guerrière est condamnée à rester une protestation morale.
Gilles Candar, historien

Mais les bouleversements géopolitiques autour de l'Ukraine ont changé la donne. Désormais, la coalition cherche une ligne qui convienne à toutes ses composantes. La gauche antiguerre, en partie marquée par une vision purement anti-atlantiste des relations internationales jusqu'à récemment, est prise par surprise et doit rapidement se réarmer intellectuellement. « Le rapprochement Trump-Poutine plonge dans un hébètement idéologique tous ceux qui s'opposaient à l'alliance atlantique. Des années de discours doivent être reconsidérées », observe Éric Fournier.

Les Écologistes, qui avaient déjà fortement nuancé leur héritage pacifiste au fil des années, ont confirmé cette évolution depuis le début de l'invasion russe en Ukraine. Même si des nuances existent en leur sein, l'époque où la candidate écologiste à la présidentielle Éva Joly proposait la suppression du défilé militaire du 14-Juillet semble bien loin. « Refuser le campisme, c'est analyser le conflit tel qu'il est et non pas tel qu'il est fantasmé. Il ne faut pas se contenter de saluer l'héroïsme des Ukrainiens, il faut les soutenir »,explique Jérôme Gleizes, vice-président du groupe écologiste à la mairie de Paris, auteur d'un billet de blog à ce sujet.

Alors que les grandes puissances adversaires des démocraties libérales et aux velléités expansionnistes grandissent, de Poutine à Trump, en passant par Xi Jinping et Narendra Modi, l'espace du pacifisme se réduit d'autant. « La cause du refus absolu du fait militaire et de la logique guerrière est condamnée à rester une protestation morale de forces très minoritaires qui ont valeur de témoignage », analyse Gilles Candar. L'antimilitarisme, qui articule critique du militarisme et soutien aux peuples qui se battent pour leur autodétermination, a plus de chances de se faire entendre face à l'escalade militaire qui se dessine.

Mathieu Dejean
P.-S.

• Mediapart. 23 mars 2025 à 14h54 :
https://www.mediapart.fr/journal/politique/230325/en-france-les-gauches-antimilitaristes-changent-leur-fusil-d-epaule

Les articles de Mathieu Dejean sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/mathieu-dejean-0

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La situation en France, le NFP et les tâches des révolutionnaires

1er avril, par Antoine Larrache — , ,
La situation en France est marquée par la crise générale du capitalisme et par celle de sa place dans les rapports de forces internationaux. Elle est aujourd'hui en équilibre (…)

La situation en France est marquée par la crise générale du capitalisme et par celle de sa place dans les rapports de forces internationaux. Elle est aujourd'hui en équilibre très instable et pourrait basculer, comme bien d'autres pays, sous la domination de l'extrême droite.

Tiré de Inprecor 730 - mars 2025
24 mars 2025

Par Antoine Larrache

Manifestation contre la réforme des retraites, 7 février 2023. Photothèque Rouge, Martin Nada, Hans Lucas

Le capitalisme français est percuté par la crise économique mondiale. Le pays est en quasi-récession, son déficit budgétaire est croissant (6 % du PIB en 2024), à tel point que la note de la dette de la France a été dégradée à plusieurs reprises par les agences de notation (elle est passée de AAA à Aa2 entre 2012-2015 puis à Aa3 en 2024). L'un de ses secteurs historiques, l'automobile, est en crise, incapable notamment de prendre le tournant de l'électrique. Le secteur du commerce supprime des postes par milliers (notamment chez Auchan et Casino). Globalement, sur la période de juillet à novembre 2024, la CGT a recensé 120 plans de licenciements, représentant, depuis septembre 2023, entre 130 000 et 200 000 emplois. Il est possible que les chiffres réels soient très supérieurs, en comptant les emplois induits. Ces suppressions de postes comprennent des licenciements secs et des départs en retraite non remplacés qui conduisent à une augmentation de la charge de travail. Par ailleurs, la pauvreté est en hausse, avec 8,1 % de pauvres (moins de 1 000 euros par mois, ou 1 500 pour un couple sans enfant).

Les gouvernements Barnier et Bayrou ont mis en place des coupes budgétaires drastiques dans les dépenses publiques, de 60 milliards d'euros, et diverses fonctions publiques sont en grande difficulté. C'est le cas dans l'Éducation, même si les suppressions de postes prévues au budget 2025 ont été reportées, dans la santé (plusieurs morts ont été comptées dans les hôpitaux en raison de la lenteur des prises en charge ou du manque de personnels), dans la fonction publique territoriale où les suppressions de postes rendent la gestion des collectivités locales de plus en plus difficile, dans universités, etc. Sans parler de la privatisation rampante de la SNCF et de la RATP, qui se met en place petit à petit, avec l'ouverture à la concurrence puis la vente de lignes.

La réaction impérialiste aux difficultés

La tendance est donc à un déclin très prononcé sur le plan économique. Dans le même temps, l'impérialisme français est mis en déroute dans la plupart des pays d'Afrique qu'il dominait dans sa forme moderne d'impérialisme, la Françafrique. Au Mali (février 2022), au Burkina Faso (février 2023), au Niger (fin 2023), en Côte d'Ivoire (février 2025), au Tchad (décembre 2024) et au Sénégal (septembre 2025), la France a dû retirer ses troupes, et ses intérêts économiques et politiques sont remis en cause. Ces retraits ont eu lieu à l'initiative des régimes, soit en raison du mécontentement des populations, soit de l'émergence d'influences concurrentes, en particulier de la Russie et de la Chine.

En réponse, la France poursuit voire renforce sa domination sur ses colonies restantes. Ainsi Macron tente d'arrêter le processus de décolonisation de la Kanaky en ayant tenu en 2021, le troisième référendum malgré le Covid, essayé de dégeler le corps électoral et en déportant des militants en métropole. Il a répondu par la répression aux revendications sociales en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, tandis que Mayotte sert désormais de test grandeur nature pour les politiques racistes, avec la suppression du droit du sol qui permettait à toute personne née en France d'obtenir la nationalité française.

Plus globalement, la 7e puissance militaire mondiale cherche à construire une « défense européenne » autour d'elle. Ainsi, la prochaine loi de programmation militaire du pays devrait atteindre 413 milliards d'euros sur 5 ans, soit un doublement en 10 ans, tandis que Macron déclare souhaiter « un financement européen commun massif pour acheter et produire plus ».

L'usure des partis gestionnaires

La crise est donc généralisée et les gouvernements bourgeois classiques sont en grande difficulté pour la résoudre. Depuis une vingtaine d'années, les partis de droite issus du gaullisme et la social-démocratie ont connu une alternance au pouvoir, mais avec des difficultés croissantes à se reproduire. Le Parti socialiste a opéré un tournant particulièrement droitier sous la présidence de François Hollande (2012-2017), ajoutant au libéralisme économique déjà amorcé par Lionel Jospin, à la fin des années 1990, un développement de la répression et des politiques racistes, une poursuite de la destruction de la Sécurité sociale, notamment par les réformes des retraites et contre les chômeurs, des attaques contre le droit du travail et la représentation syndicale. Mais les scores électoraux du parti de droite, Les Républicains, et du PS se sont petit à petit réduits, avec la chute en 3e position de François Fillon en 2017 et le très faible score (4,78 %) de Valérie Pécresse en 2022 pour ce qui concerne les premiers, et les scores encore plus réduits des candidats du PS Benoît Hamon (6 %) et Anne Hidalgo (1,75 %). Pendant que Marine Le Pen atteignait 21 % en 2017 et 23 % en 2022 ; et Jean-Luc Mélenchon 20 % en 2017 et 22 % en 2022.

Le personnel bourgeois classique a donc été profondément bouleversé : Macron, ancien ministre sous Hollande, a réussi à rassembler les électeur·trices modéré·es de la droite classique et ceux les plus à droite du Parti socialiste, et à sortir gagnant des deux dernières présidentielles. Mais son assise est cependant très limitée, avec 18 et 20 % des voix des inscrit·es sur les listes électorales au premier tour en 2017 et 2022. Et elle tend à se réduire toujours plus : lors des dernières élections législatives, l'alliance construite autour de Macron n'a obtenu que 26 % des voix, 43 % des député·es en 2022, puis 22 % des voix et 29 % des député·es en 2024. De fait, son assise sociale est essentiellement constituée des couches très supérieures du salariat (cadres), et de la classe dominante. Les secteurs réactionnaires se tournent de plus en plus vers la droite, vers Éric Zemmour, Éric Ciotti et bien sûr le RN, tandis que l'union de la gauche lors des dernières élections législatives lui a fait perdre les couches intermédiaires qui votaient traditionnellement PS, retournées au bercail.

En 2017 comme en 2022, Macron a été élu au second tour de la présidentielle contre Marine Le Pen et a donc fait jouer pleinement le « front républicain », qui consiste à ce que les partis appellent à voter contre l'extrême droite. Macron est donc à chaque fois apparu aux couches intermédiaires comme le meilleur outil, dès le premier tour, pour empêcher l'arrivée au pouvoir de Le Pen. Il a d'ailleurs mené une grande partie de ses campagnes sur cette thématique, promettant de faire reculer l'extrême droite. Mais cette promesse a été de courte durée, les classes populaires abandonnant de plus en plus le vote Macron pour se concentrer, pour ce qui concerne les couches conscientes et/ou racisées, sur le vote Mélenchon, et pour les couches craignant un déclassement, vers Le Pen.

Un danger fasciste toujours plus concret

Ainsi, le « centre » se réduit, au bénéfice d'une gauche en mutation et de l'extrême droite. C'est cette dernière qui connaît une progression particulièrement spectaculaire, car le « front républicain » ne suffit plus à arrêter son développement : dans 39 circonscriptions (sur 577), aux législatives de 2024, les candidat·es du RN ont même été élu·es dès le premier tour.

De plus, on voit une augmentation effrayante du soutien au RN dans la police et dans l'armée. Le soutien dans la police est passé de 51 % en 2015 à 67 % dans les échelons inférieurs de la hiérarchie en 2022, et dans l'armée, il aurait dépassé les 50 %. Elles constituent, de fait, des bandes armées favorables à l'extrême droite. Un élément qui doit être mis en relation avec la tribune de 20 généraux publiée un 21 avril 2021 – en référence à la tentative de putsch des généraux de 1961 – dans la revue d'extrême droite Valeurs actuelles indiquant que « Oui, si une guerre civile éclate, l'armée maintiendra l'ordre sur son propre sol » (1). Et avec le fait que des franges importantes de la bourgeoisie française ont basculé vers l'extrême droite. Ainsi « Le patron de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin, s'appuie sur un sondage commandé par son organisation pour affirmer que “le Rassemblement national fait moins peur aux entrepreneurs que le Nouveau Front populaire”. Tandis que Michel Picon, président de l'Union des entreprises de proximité (U2P), considère de son côté que les petits patrons “expriment un fort besoin d'ordre, de fermeté, de remise en place de hiérarchie des valeurs” » (2). Les Bolloré et Progli se multiplient, tandis que le Financial Times a noté que « les patrons des grandes entreprises françaises se précipitent pour nouer des contacts avec l'extrême droite de Marine Le Pen  ».

Les agressions par des groupes fascistes se développent, petit à petit, contre les personnes racisé·es, les LGBTI, des piquets de grève, des réunions militantes. En février, un militant de gauche a été poignardé, heureusement sans dommage grave. Et l'extrême droite a pris une place importante dans certaines mobilisations sociales comme celle des Gilets jaunes et les mobilisations paysannes, par l'intermédiaire notamment de la Coordination rurale, qui connaît une progression importante (passant de 3 à 14 présidences de chambre d'agriculture entre 2019 et 2025, avec des scores supérieurs à 30 % dans de nombreux départements).

Une grande partie des caractéristiques du fascisme sont donc déjà en place dans le pays. Il manque un point essentiel : l'existence d'un parti fasciste de masse. Mais cet élément peut hélas être réalisé, quand on voit les files d'attente impressionnantes lors de signatures du livre de Jordan Bardella (3) ou la présence dans les meetings du RN.

Une gauche en pleine reconfiguration

En face, la gauche évolue fortement. Comme nous l'avons vu, le Parti socialiste, hégémonique à gauche pendant trente ans, est très affaibli et travaillé par de fortes contradictions. Il revendique 50 000 adhérent·es mais moins de 20 000 personnes votent lors de ses congrès. Et il est traversé par des désaccords très importants entre une frange complètement intégrée aux institutions et qui cherche à se rapprocher de Macron (autour de Carole Delga, Anne Hidalgo et Michael Delafosse…) et une autre qui reste sensible à l'histoire du mouvement ouvrier, notamment par l'intermédiaire des élu·es des quartiers populaires ou des syndicalistes de la CFDT ou l'UNSA ou de FO.

L'unité de la gauche, lors des élections législatives de 2022 et 2024, s'est imposée à ses organisations car, divisées, elles auraient eu très peu d'élu·es. Mais on ne peut pas ignorer la corrélation entre, d'une part, l'unité réalisée avec la NUPES en 2022 et le NFP en 2024, et, d'autre part, l'unité syndicale face à la casse des retraites en 2023, qui a rassemblé toutes les forces, de Solidaires à la CFDT en passant par la FSU et la principale, la CGT. On peut considérer que, sous le coup des attaques antisociales dans un cas, de la menace de la droite et de l'extrême droite dans le second, les organisations du prolétariat se sont rassemblées, dans le même temps que celui-ci tentait de s'organiser et d'agir, exerçant une pression pour ce rassemblement.

Sous cette pression, le PS, comme ça avait déjà été le cas lors de la désignation de Benoît Hamon en 2017, a adopté une orientation relativement combative, et accepté le programme du Nouveau Front populaire, qui est sur la plupart des points une reprise de celui de La France insoumise, lui-même inspiré par les revendications des grands mouvements sociaux, formulées par des militants des principales organisations dans tous les domaines (syndicats, associations pédagogiques, groupes d'économistes, etc.). De même, Les Écologistes et le Parti communiste ont participé à l'alliance. Ces deux organisations, n'ayant pas été à la direction des gouvernementaux sociaux-libéraux, ont une plus grande faculté d'adaptation programmatique que le PS, et les négociations ont été rapides.

Le cœur de l'accord politique entre les quatre grandes formations de gauche a été le mot d'ordre du retrait de la réforme des retraites de 2023 et qu'en cas de victoire, le NFP choisirait quel·le Premier·e ministre il proposerait à Macron, et voterait des motions de censure contre tout Premier ministre de droite. Cet accord fragile, que le PS a remis en cause ces derniers mois, a été imposé à la droite du parti en échange d'une part importante des circonscriptions pour les élections législatives… l'une d'elles étant même accordé à l'ancien président François Hollande.

Un front unique original

De l'autre côté de la gauche, le NPA-L'Anticapitaliste (NPA-A) a participé au Nouveau Front populaire, obtenant « sur le quota de LFI », une circonscription ingagnable pour Philippe Poutou4. L'entrée du NPA-A dans le NFP a eu pour seule condition l'engagement à voter pour le programme du NFP à l'Assemblée si Philippe était élu ; il a été clairement spécifié par le NPA-A qu'il ne participerait pas au gouvernement du NFP. En effet, la nature du NFP, cette alliance « de Philippe Poutou à François Hollande », ne permet pas une participation des révolutionnaires, laquelle ne peut relever que de circonstances exceptionnelles.

Le NFP se réclame d'un programme de rupture qui intègre des propositions assez radicales : bloquer «  les prix des biens de première nécessité dans l'alimentation, l'énergie et les carburants  », taxer «  les super profits », augmenter les salaires, « un moratoire sur les grands projets d'infrastructures autoroutières », « passer à une 6e République par la convocation d'une assemblée constituante citoyenne élue  », des mesures plus favorables à l'immigration, le refus du «  pacte de stabilité budgétaire » européen, de très nombreuses mesures qui, sans être révolutionnaires, constituent une rupture réelle avec les politiques bourgeoises menées depuis des décennies et supposent un affrontement avec la bourgeoisie.

Un tel programme est précisément totalement inacceptable et la classe dominante, par ses médias, ses représentant·es politiques ou de grands dirigeants d'entreprises, a exprimé sa totale opposition à ce programme et à La France insoumise. Une partie a même repris à son compte des formules proches de l'historique «  mieux vaut Hitler que le Front populaire ». Cependant, les objectifs d'un gouvernement issu du NFP s'inscriraient dans le cadre du système et associeraient des courants ayant participé loyalement à la gestion du capitalisme français, notamment les membres du PS, du PCF et des Écologistes. Le programme, s'il ne comprend pas vraiment de mesure erronée, n'aborde ni les licenciements ni la dette publique, et n'introduit aucune incursion dans la propriété privée des moyens de production. Il y a fort à parier qu'un gouvernement issu de ce programme serait mis sous pression et discipliné encore plus rapidement que l'a été le gouvernement Syriza en Grèce et, même si LFI répète à l'envi vouloir s'appuyer sur les mobilisations – à défaut de s'employer à les construire –, la faible auto-activité actuelle des classes populaires rendrait le débordement du gouvernement par sa gauche assez improbable.

Contenir le recul, préparer la contre-offensive

Tout cela reste assez hypothétique car, justement, le rapport de forces entre les classes ne permet pas, à ce stade, d'espérer une victoire électorale de la gauche. En effet, le mouvement ouvrier connaît une phase de recul de ses capacités à peser sur la situation. La mobilisation sur les retraites de 2023 s'est soldée par une défaite, tandis que les droits des chômeurs et des étrangers ont été dégradés sans que les grandes organisations s'y opposent réellement. La casse ou la privatisation des services publics se poursuit avec des réactions pour l'instant très limitées et locales. Les déserts syndicaux s'agrandissent, et les perspectives d'une unification – à moyen terme – entre la CGT et la FSU (voire Solidaires) serviraient plutôt à contenir le recul qu'à espérer une reconstruction.

Cependant, des points d'appui existent. Le mouvement sur les retraites a montré, avec des records de participation aux manifestations (au plus fort, un million de manifestant·es selon la police, 3,5 millions selon la CGT), qui ont eu lieu dans plusieurs centaines de villes, montrant ainsi la profondeur du mouvement. À l'instar des mouvements précédents, ou de la mobilisation des Gilets jaunes en 2018-2019, on a pu observer que le potentiel de mobilisation de la classe ouvrière reste très important même si, en termes de rapport de forces relatif à celui imposé par la classe dominante, il est insuffisant.

D'autres mobilisations ont eu lieu, montrant des capacités variées : par exemple le mouvement contre les violences policières et racistes, suite à l'assassinat d'un jeune par la police, Nahel, en juin 2023, qui a mobilisé pendant plusieurs jours les quartiers populaires, malgré les interdictions de manifester et la répression policière (3 651 personnes arrêtées et 380 peines de prison fermes, et deux morts). Ce mouvement a d'ailleurs, contrairement aux révoltes de 2005, globalement été soutenu par la gauche. La mobilisation pour la Palestine, bien que confrontée à la répression et à une offensive idéologique de grande ampleur, a réussi à tenir sur la longue durée et à mobiliser pendant un moment plusieurs dizaines de milliers de personnes, notamment des quartiers populaires et racisées. Il a représenté le plus important mouvement internationaliste de la jeunesse – notamment des quartiers populaires – depuis plusieurs décennies. Des actions ont été menées contre les licenciements et les suppressions de postes, notamment dans l'automobile et le commerce, en novembre 2024 et, si elles n'ont pas obtenu de victoire, elles ont contribué à déstabiliser le gouvernement Barnier et à ce que la tentative d'adoption du budget par l'article 49-3 de la Constitution conduise à la censure et à la démission du gouvernement. Les mobilisations féministes, régulières notamment depuis Metoo, avec notamment le développement de la grève féministe, et les mobilisations écologiques (notamment contre les Grands projet inutiles comme les autoroutes, les méga-bassines, etc.), contribuent aussi à la contestation sociale globale. Aujourd'hui, on observe des actions syndicales contre la pénurie budgétaire dans les administrations territoriales, dans les universités (avec plusieurs centaines de personnes dans quelques assemblées générales, à ce jour), les hôpitaux, les écoles…

Une unité militante

Il y a donc une crise et des mobilisations quasi permanentes en réaction aux attaques du gouvernement et, de façon similaire, une partie de la gauche – en réaction à la montée de l'extrême droite et face à Macron – s'est mobilisée pour construire la campagne du NFP, dans des comités locaux regroupant chacun plusieurs dizaines de personnes – voire des centaines à certaines occasions. Dans de nombreuses circonscriptions, tout·es les militant·es de gauche se sont retrouvé·es pour organiser des diffusions de tracts, des collages d'affiches, des tournées d'immeubles et des réunions publiques. Pas seulement les militant·es politiques, aussi les syndicalistes et membres d'associations de gauche.

Cette dynamique possède des qualités indiscutables. En effet, la seule présence dans des actions communes pendant plusieurs semaines sécrète quasi mécaniquement une capacité d'action décuplée – qui a permis non seulement que le RN ne gagne pas les élections, mais aussi que le NFP soit la force disposant du plus grand nombre de député·es à l'Assemblée nationale ! – et exerce une pression pour continuer cette unité dans les luttes. En effet, il est évident pour tout·e militant·e de base qu'il y a un lien entre les éléments de programme et les luttes à la base, entre les préoccupations des classes populaires et les actions à mener, même si une grande partie des militant·es les conçoivent dans leurs aspects les moins combatifs (rendez-vous avec les élu·es, pétitions, etc.), et il était absolument essentiel, pour des militant·es révolutionnaires, d'accompagner cette dynamique globale, malgré la combativité limitée de ces cadres.

Ce dernier point est lié à la faiblesse majeure du NFP, sa nature essentiellement institutionnelle, dans le sens où elle est liée aux institutions du capitalisme, de la base au sommet. Son combat est en effet essentiellement une lutte à l'intérieur du système, pour en modifier les équilibres et « mener une politique de gauche ». Le NFP a ainsi mené campagne pour obtenir le poste de Premier ministre et gouverner, bien qu'il n'ait obtenu qu'un gros tiers des député·es. La France insoumise, pourtant la force la plus radicale des quatre organisations principales du NFP, a engagé une procédure de destitution de Macron qui n'avait aucune chance d'aboutir et ne participait aucunement à un mouvement de masse, alors que le président est pourtant détesté par une grande partie de la population. Le PS, dans la dernière séquence de vote du budget (5), n'a pas voté la censure, contrairement aux engagements initiaux du NFP. Ce choix, répondant aux préoccupations d'une partie la population qui craignait une nouvelle déstabilisation du pays en cas de non-adoption du budget, a permis au Rassemblement national, qui ne souhaitait pas non plus censurer le gouvernement, de se positionner de façon favorable. En effet, le RN joue un jeu complexe : il tente d'un côté de se présenter comme le principal opposant à Macron et de l'autre d'apparaître comme une force crédible pour gérer le système à sa place. Cette orientation est pleine de contradictions, et la gauche pourrait, en votant systématiquement la censure et en se positionnant comme la principale force militante anti-Macron, faire la démonstration que le RN n'est pas au service des classes populaires.

Mais, pour cela, il faudrait que la gauche entreprenne des campagnes militantes combatives, à la base, ce qu'elle n'est pas disposée à faire, car elle se laisse absorber par le travail parlementaire, les divisions et en particulier celles liées à la préparation des élections municipales qui auront lieu en 2026. Pour les partis de gauche les plus intégrés au système, c'est une échéance fondamentale pour garder ses positions, qui lui permettent – comme ses positions dans les conseils régionaux et départementaux – de construire leurs appareils et de maintenir un rapport de forces vis-à-vis de LFI, qui reste bien plus faible sur ce terrain. De plus, chaque organisation de gauche garde en tête la préparation de la prochaine échéance présidentielle, en 2027, en espérant y jouer un rôle central. LFI par le biais de Jean-Luc Mélenchon, qui se présentera vraisemblablement, les autres forces voulant à tout prix éviter que l'ancien sénateur soit le candidat unique de la gauche, car cela contribuerait à diminuer leur rapport de forces vis-à-vis de LFI. Chaque force étant sous une pression énorme : la nécessité, pour gagner, et peut-être même pour empêcher Le Pen d'être élue, de présenter une candidature unique, commune. À ce puzzle il faut ajouter la possibilité, si le gouvernement Bayrou ne tient pas dans le temps, notamment s'il est censuré par la gauche et le RN, de nouvelles élections législatives dès juin 2025. Autant dire que la gauche est tétanisée par ces enjeux, qui la divisent tout en nécessitant son unité.

Articuler unité et radicalités

Il est difficile de peser dans une telle situation, car tant sur le terrain politique que social, les choses semblent bloquées. Les mobilisations sociales sont pour l'instant peu puissantes malgré l'ampleur des attaques, et les organisations politiques sont engluées dans des négociations et confrontations locales délétères. Cependant, les périodes où existe un fort décalage entre les nécessités et les actions concrètes peuvent constituer des moments où un espace politique existe pour exprimer une orientation alternative, où les nécessités doivent être, par le travail politique, transformées en possibilités.

Pour cela, il nous faut tenter d'analyser les enjeux précis et de mettre en mouvement les forces disponibles pour peser dessus. Cette tentative conduit à distinguer les nécessités politiques selon trois niveaux.

Le premier est le besoin de l'unité de toute la gauche pour répondre à la menace fasciste, pour construire le rapport de forces et pour tracer des perspectives alternatives à la domination bourgeoise. C'est pour cette raison que, malgré les limites du NFP, il était correct d'y participer et de faire le lien entre cette alliance et les luttes concrètes. Il semble aussi correct de continuer à construire ce cadre à la base, notamment en encourageant les dizaines de collectifs qui se maintiennent localement. Des alliés (Nouvelle donne, Égalités, l'Après, Copernic, Peps…) existent pour une telle orientation, qui travaillent à construire une réunion nationale des collectifs, là où les quatre organisations principales (LFI, PS, PCF, écologistes) privilégient leurs intérêts. Le moment venu, cette politique pourrait jouer un rôle important car il s'agit d'un embryon de cadres démocratiques unitaires de base, dont tout mouvement de masse a besoin pour agir, se construire et poser la question du pouvoir par en bas.

Ces collectifs de base peuvent mettre en place les campagnes unitaires nécessaires dans la période : contre les politiques racistes, contre les licenciements, pour l'augmentation des salaires, pour la défense des services publics, pour la Palestine, la Kanaky… De premières discussions ont eu lieu, à l'initiative du NPA-A, sur les licenciements pendant la vague de suppressions de postes de novembre-décembre 2023 et des initiatives pour les services publics sont discutées. Ils pourraient aussi intervenir dans les débats politiques plus généraux, par exemple celui sur le budget et la censure, et contester le gouvernement.

De plus, une nouvelle discussion va s'engager sur les retraites et il sera indispensable de construire un front intersyndical et une campagne unitaire du NFP et du mouvement social pour les défendre.

La défense de l'unité de la base au sommet pourrait aussi passer, ce n'est pas à exclure, par la défense d'une candidature unique de la gauche à la présidentielle. En effet, dans le cadre de la Ve République, qui est particulièrement antidémocratique et donne des pouvoirs immenses au président, éviter une victoire de Le Pen pourrait nécessiter une candidature unique à gauche. Mais les jeux sont loin d'être faits. La séquence des élections municipales de 2026 constitue une étape difficile à anticiper pour l'instant : on ne sait pas si la division de la gauche provoquera un nouveau progrès de l'extrême droite, ou si une unité de la gauche sera réalisée et dans quelles conditions et quels rapports de forces.

La place particulière de LFI

Le second niveau découle de l'analyse des différentes organisations de gauche. Il est apparu, ces dernières années, que LFI joue un rôle particulier parmi celles-ci : sa relativement faible intégration dans le cadre des institutions (elle n'a pas de conseiller·e régional·e, et a 6 conseiller·es départementaux, à comparer aux 40 du PCF, qui en a perdu 81 aux dernières élections, et aux 332 du PS, qui en a perdu 622…) induit une position partiellement critique par rapport à l'ordre établi. Sa stratégie électorale est également de s'appuyer sur les quartiers populaires, notamment racisé·es, et elle combat plus frontalement le racisme, l'islamophobie et le RN que les autres forces de gauche. Sur la Palestine, elle a tenu, notamment à l'Assemblée, un discours de solidarité avec le peuple palestinien qui tranchait avec les positions du reste de la gauche (deux député·es ont brandi un drapeau palestinien, d'autres ont dessiné ce drapeau en se positionnant selon la couleur de leurs vêtements). Elle est aussi la force la plus jeune et la plus dynamique du NFP.

Les critiques à formuler vis-à-vis de LFI ne manquent pas, sur son manque de démocratie interne, son sectarisme vis-à-vis des autres forces politiques comme syndicales, ses traditions chauvines, son prisme très étatique et la faiblesse de ses propositions en termes d'incursion dans la propriété privée. De plus, sa volonté de devenir hégémonique à gauche s'accompagne de tendances très sectaires vis-à-vis des autres organisations. Mais il est évident que cette force constitue un immense point d'appui à gauche, sur le plan programmatique et militant.

Construire une gauche unitaire et révolutionnaire

Le troisième niveau est la nécessité de regrouper les forces révolutionnaires unitaires. Dans la séquence qui a duré de la présidentielle 2022 à la chute du gouvernement Barnier, en passant par la grève sur les retraites, les discussions se sont multipliées à gauche. De ces discussions s'est dégagé un pôle composé de différents groupes défendant des orientations générales similaires sur de nombreux points : la nécessité de l'unité de la gauche, de la construction des collectifs NFP à la base, mais aussi d'une orientation indépendante, notamment sur les luttes sociales et l'Ukraine. Des discussions multiples ont eu lieu entre le NPA-A, Ensemble !, la Gauche écosocialiste, le collectif de quartiers « On s'en mêle », le collectif militant Égalités… Ces échanges n'ont pas conduit à la construction d'une nouvelle organisation, notamment en raison des divergences sur comment articuler unité et indépendance, même si les relations restent régulières.

Cependant, l'émergence d'une gauche révolutionnaire unitaire est une nécessité dans la prochaine période. Il est en effet très probable que de nouvelles confrontations sociales de masse aient lieu, dans les luttes sociales et dans les élections. Dans ces chocs, une orientation réellement unitaire, qui ne soit donc pas prisonnière d'intérêts d'appareils, devra être mise en avant, comme devra l'être une orientation dont le centre de gravité se situe dans les luttes sociales extra-parlementaires pour renverser le pouvoir de la bourgeoisie.

Pour y parvenir, il faudra impérativement intervenir dans les luttes, mais aussi dans les débats à gauche, même les plus difficiles. En effet, c'est sur sa capacité de répondre aux questions que l'on se pose dans les classes populaires face aux grands problèmes politiques nationaux qu'une organisation est jugée par les masses, et c'est par la possibilité d'y répondre ensemble que se testent les perspectives de rassemblement militants.

Le 25 février 2025

1. «  La tribune des généraux, l'armée et la Cinquième République », Claude Serfati, Contretemps, mai 2021.
2. « Le patronat passe-t-il à l'extrême droite ? », Maxime Combes, Basta, 5 juillet 2024.
3. À raison de deux dates par semaine, il sillonne la France. L'eurodéputé s'est déjà arrêté à Tonneins, Perpignan, Beaucaire, Marseille, Sète, Strasbourg. «  À chaque fois, il reste près de six heures et salue près de 1 000 personnes  », rapporte-t-on du côté de la maison d'édition.
4. En France, les militant·es de la IVe Internationale militent au NPA-A, au NPA-Révolutionnaires (qui s'est opposé au NFP et a présenté ses propres candidat·es), à la Gauche écosocialiste (courant de La France insoumise, dont un grand nombre de militant·es se font exclure ou l'ont quittée depuis les dernières législatives), à l'Après (organisation créée par les député·es Hendrik Davi, Clémentine Autain, Alexis Corbière après leur exclusion de La France insoumise avec François Ruffin et Raquel Garrido) et à Ensemble !.
5. Cette discussion s'est étendue entre novembre 2024 – moment où Barnier a été contraint de démissionner suite à l'utilisation de l'article 49-3 de la Constitution, qui a conduit à une censure par les députés de la gauche et du RN – et février 2025, où le nouveau Premier ministre François Bayrou a réussi à faire passer un budget par le 49-3, résistant à la censure grâce aux abstentions du PS et du RN.

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Marine Le Pen a été condamnée à l’inéligibilité et ne sera pas candidate à la présidentielle. C’est un coup de tonnerre

1er avril, par Catherine Tricot — , ,
Marine Le Pen a donc été condamnée à 4 ans de prison, dont deux ans ferme, aménageables avec un bracelet électronique, 100 000 euros d'amende et une peine d'inéligibilité de 5 (…)

Marine Le Pen a donc été condamnée à 4 ans de prison, dont deux ans ferme, aménageables avec un bracelet électronique, 100 000 euros d'amende et une peine d'inéligibilité de 5 ans assortie d'une exécution immédiate. En clair, Marine Le Pen se voit dans l'incapacité de se présenter à la prochaine élection présidentielle.

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31 mars 2025 | tiré de la Lettre de Regards.fr

C'est donc un jugement sans « laxisme » : les prévenus du procès en détournement de fonds européens ont tous été déclarés coupables, la plupart avec des peines de prison ferme. Les juges ont appliqué la loi votée par les députés en 2016, lesquels ont rendu obligatoire – et non automatique – la peine d'inéligibilité et l'exécution immédiate en cas de détournement de fonds.

Sitôt le verdict tombé, le leader Hongrois Viktor Orban tweete « Je suis Marine », le Kremlin déplore « une violation des normes démocratiques ». Dans le monde entier, l'ultra-droite marque son soutien au RN. Le jugement a un écho national et international.

Avant même le prononcé des peines, Marine Le Pen avait rejoint le siège du parti et son président Jordan Bardella. Les dirigeants du RN vont contester ce jugement, le déclarant partisan. Ils alimenteront la campagne planétaire contre la justice, son autonomie et sa fonction de garant du droit et des institutions.

Ce jugement est un tremblement de terre pour le RN, mais il l'est pour tout l'espace politique. Il est un peu l'équivalent de l'affaire Strauss-Kahn qui redistribua les cartes pour 2012.

Le RN va bien sûr mettre en selle un candidat. Il y a fort à parier que ce sera Jordan Bardella. Mais son très jeune âge (29 ans) et son positionnement à la croisée du RN, de Reconquête et des LR modifient la donne. Bardella a peu convaincu lors des législatives, pas plus qu'il ne s'impose parmi les cadres du RN. Il n'occupe pas exactement le même espace politique que Marine Le Pen. Mis en place pour rallier la bourgeoisie réactionnaire et les électeurs âgés, il devait bloquer Marion Maréchal. Le voilà en première ligne : les équilibres sont modifiés. La force de Marine Le Pen était du côté des catégories populaires, les plus nombreuses. Avec un tout autre profil, Bardella ne part pas avec les mêmes chances de victoire. Malgré une cote de popularité équivalente à celle de Marine Le Pen, son élection est loin d'être aussi crédible.

Bien des prétendants à l'Élysée vont se sentir rassérénés. Chassant sur les mêmes terres, Retailleau et Zemmour vont disputer la place au jeune homme au nom de l'expérience. Sur cette base, l'alliance du « bloc central » va en prendre un coup. La lutte entre Philippe et Retailleau prend corps.

À gauche, ceux qui ne veulent pas d'une candidature de rassemblement vont y trouver arguments. La droite divisée, la crédibilité de Bardella incertaine, le niveau à atteindre pour accéder au second tour s'abaisse et la perspective de victoire paraît moins bouchée. Jean-Luc Mélenchon en tirera argument. Raphaël Glucksmann aussi. Les forces d'entropie à gauche vont pouvoir se libérer. Audacieux et dangereux calculs : Marine Le Pen sort du jeu alors que l'extrême droite est en ascension, en Amérique comme partout en Europe. En France, ils sont nombreux à pouvoir et vouloir reprendre ces idées, au-delà du RN.

Catherine Tricot

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J. D. Vance, l’arrogant vice-président qui gêne de Washington au Groenland

1er avril, par The Observer — , , , ,
Éconduit au Groenland et pris en faute sur Signal, le vice-président de Donald Trump enchaîne les moments embarrassants, souligne “The Observer”. S'il avait plus de décence, il (…)

Éconduit au Groenland et pris en faute sur Signal, le vice-président de Donald Trump enchaîne les moments embarrassants, souligne “The Observer”. S'il avait plus de décence, il envisagerait de démissionner, juge ce titre britannique de gauche.

Tiré de Courrier international. Éditorial du médias britannique The Observer sur le site de The Guardian.

Le vice-président américain, J. D. Vance, dont on commence à connaître la brusquerie, vient de se ridiculiser publiquement, et ce n'est pas une première. Il a fallu qu'il se rende au Groenland [le 28 mars], au mépris des dirigeants du territoire arctique et du gouvernement danois, qui martelaient qu'il n'était pas invité et qu'il n'était pas le bienvenu. Vance a ainsi été cantonné à la visite d'une base militaire perdue dans l'immensité glacée, où il n'a pu s'exprimer que devant des Américains. Il entendait se rendre sur d'autres sites du territoire danois et parler aux Groenlandais, mais ses projets ont été annulés – les Groenlandais, eux, ne voulaient pas lui parler.

Une hostilité parfaitement compréhensible étant donné les déclarations provocatrices, irrespectueuses et répétées du patron de Vance, Donald Trump, sur la volonté des États-Unis d'annexer le Groenland, si nécessaire par la force et en toute illégalité. Le Groenland est un territoire semi-autonome qui fait partie du royaume du Danemark. Les élections qui s'y sont tenues mi-mars ont montré que les Groenlandais dans leur grande majorité sont favorables à un approfondissement de l'autonomie ou à l'indépendance – ils n'ont aucune envie d'être américains.

Digne de Poutine

De ce projet digne de Poutine, puisqu'il s'agit de s'emparer d'un territoire souverain, Vance a tenté une piètre justification et clamé que le Danemark avait manqué à ses obligations en ne protégeant pas le Groenland des menaces chinoise et russe – ce dont il n'a pas avancé la moindre preuve. Le vice-président américain n'a pas non plus expliqué pourquoi, si de tels dangers existent bien, les États-Unis, membres de l'Otan aux côtés du Danemark, n'honorent pas l'obligation qui leur revient d'accroître “leur capacité […] collective de résistance à une attaque armée” [article 3 du traité de l'Atlantique Nord] en vertu de l'accord américano-danois de 1951 sur la défense du Groenland.

On a beaucoup entendu Trump, aussi, pérorer sur l'importance du Groenland pour la “paix dans le monde”. Il est vrai que l'Arctique est la cible d'une compétition internationale accrue, notamment en raison du changement climatique qui rend la région plus accessible. Mais dans un autre écho à ce que vit l'Ukraine, Trump cherche surtout, manifestement, à mettre la main sur les richesses minières inexploitées du Groenland. Comme à Gaza ou au Panama, sa préoccupation principale n'est ni la sécurité ni la justice, mais des intérêts géopolitiques, financiers et commerciaux. Avec ses intentions insultantes de faire du Canada le 51e État des États-Unis, Trump affiche aussi une autre volonté : relancer son pays dans un expansionnisme territorial agressif d'un autre temps.

Au Groenland, Vance avait certes préféré le bonnet de laine au casque colonial, mais il portait ses menées impérialistes en étendard. Malgré l'accueil glacial qui lui a été réservé, sans doute était-il content de pouvoir s'échapper de Washington, où lui et son compagnon de voyage arctique, le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz, étaient sous le feu des critiques après une autre énormité : l'affaire des fuites du groupe de discussion Signal. Un journaliste de premier plan s'était retrouvé inclus par erreur dans une boucle où Vance, Waltz et d'autres hauts responsables échangeaient en temps réel sur les bombardements menés contre les rebelles houthistes au Yémen.

“Immense hypocrisie”

Cette faille de sécurité est, en soi, gravissime. Mais le contenu de ces discussions, publiées in extenso, a aussi révélé des remarques insultantes, de la part de Vance et du ministre de la Défense, Pete Hegseth, à l'égard des alliés européens. Ces propos stupides et humiliants sont une illustration spectaculaire et particulièrement néfaste de la rapide détérioration des liens transatlantiques depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche.

Comme le séjour indésirable de Vance au Groenland, les réactions officielles au scandale de la fuite Signal en disent long sur la nature profonde du gouvernement Trump. Le premier et vil élan du président a consisté à nier toute responsabilité, à minimiser la gravité des faits, à dénigrer le journaliste et même à clamer que toute l'affaire n'était qu'un canular. De leur côté, Waltz, Vance et Hegseth font preuve d'une immense hypocrisie en se refusant à ne serait-ce qu'envisager la démission, après une bourde qui aurait valu à tout responsable de moins haut rang d'être viré sans ménagement.

Les deux épisodes sont révélateurs d'un orgueil, d'une arrogance, d'une incompétence et d'une irresponsabilité proprement sidérants – et sont pour le monde autant d'avertissements qui font froid dans le dos.

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En Roumanie, malgré l’exclusion de Calin Georgescu, l’esprit de revanche n’a pas disparu

1er avril, par Vasile Ernu — , ,
Le candidat d'extrême droite a été écarté avec la double décision de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale. Mais dans le quotidien “Libertatea”, l'écrivain (…)

Le candidat d'extrême droite a été écarté avec la double décision de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale. Mais dans le quotidien “Libertatea”, l'écrivain Vasile Ernu craint que le pays ne soit proche de l'implosion : la population est déjà radicalisée et polarisée.

Tiré de Courrier international. Dessin d'Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

Mais pourquoi les Roumains sont-ils toujours mécontents ? Espérons que nous ne perdrons pas la tête d'ici à la présidentielle de mai 2025. La confiance dans les institutions de l'État est à un minimum historique, tout ce qui émane des autorités est remis en question. La plupart des décisions et le cirque des mandats d'arrêt paraissent également douteux et parfois ridicules. Or les décisions importantes à ce niveau devraient être expliquées de telle manière que même les commères du marché puissent les comprendre. Sous peine d'obtenir la réaction inverse à celle souhaitée.

La presse et les ONG suscitent tout autant la méfiance. Même les institutions européennes n'ont plus le soutien sans faille de la population. Pourquoi ? Les dernières décisions politiques ont détruit le peu de confiance qui restait. Ce n'est pas Calin Georgescu, le problème, mais les causes qui ont engendré le “phénomène Georgescu”. Est-ce que ce ne sont pas les décisions des grands partis et des institutions de l'État qui ont fait grimper ses chiffres de 10 % à 40 % lors de l'élection annulée de 2024 ?*

Pourquoi les gens votent comme ils votent ? L'électorat n'a pas le cerveau si “lavé” qu'on le croit, il a le droit de voter comme bon lui semble.

En fait, de quoi est composé l'électorat du “phénomène Georgescu” ? Et surtout, quelles sont les causes qui lui ont donné naissance ? Parce qu'il est beaucoup plus diversifié qu'il n'y paraît à première vue : il rassemble des gens abandonnés, des gens non représentés et des gens en colère à cause de toutes sortes de raisons. Certaines causes ont des racines très profondes. Et ces griefs ne peuvent pas être apaisés par des sermons intellectuels et journalistiques moralistes et abstraits.

Vaste électorat endormi mal représenté

Aux yeux de la grande majorité de la population, l'élite de la presse, les ONG, les intellectuels font partie du pouvoir, même s'ils veulent son bien. Il y a certes beaucoup de propagande nocive, mais ce n'est pas elle qui est à la base de la réaction populaire. Par conséquent, la mise à l'écart de Georgescu ne résout pas le problème : elle ne fait que le reporter tout en l'exacerbant. Nous sommes entrés dans une ère de politique revancharde – et cela n'est pas de bon augure. Or nous parlons là de près de la moitié de l'électorat de ce pays – je crains même que ce ne soit encore plus. Quelles sont les raisons fondamentales de sa colère ?

Si je devais énumérer les principales causes, elles seraient les suivantes : une trop grande partie de la population s'estime perdante. Cette impression d'abandon politique, social et économique remonte aux années 1990. Et, au fil du temps, ce sentiment s'est amplifié. D'où un désir de vengeance contre ceux que cette portion de l'électorat considère comme les responsables et les coupables : l'élite politique officielle. Il existe aussi un vaste électorat endormi qui se sent lui aussi mal représenté. Après être resté passif pendant des années, en partant du principe que personne ne se souciait de ses aspirations, il votera pour le premier candidat excentrique qui fera mine de s'intéresser à lui.

Un prix trop élevé

Plus généralement, un public assez large, affecté sur le plan social et économique, attribue la grande injustice des inégalités sociales à l'establishment politique. Les causes économiques jouent un rôle essentiel dans cette affaire. À cela s'ajoute un public instruit, qui dispose de moyens financiers relatifs, mais qui est indigné : il a le sentiment d'avoir trop longtemps payé un prix trop élevé pour ce qu'il a obtenu en retour. Et lui aussi tient à avoir sa revanche. Enfin, il y a un jeune public très insatisfait. La plupart de ces facteurs sont liés à des causes économiques : la misère, la mauvaise répartition des richesses, les inégalités, trop de gens qui ont trop peu.

Pour être dignes, les gens ont besoin d'une position sociale, économique et politique minimale : ils veulent être respectés. Un tant soit peu. Et attention, à tout cela viennent encore s'ajouter la crise pandémique et la guerre en Ukraine. Les gens n'ont pas oublié la période du Covid, au cours de laquelle le pouvoir, la presse, les ONG et les élites ont montré un visage plutôt sans merci – que les gens ont vu comme une force autoritaire, injuste et abusive.

Quant à la guerre, elle est perçue avec une grande crainte, et la tendance est d'adhérer au “parti de la paix” et non à celui de l'armement. Cela peut se vérifier par les chiffres des sondages. On retrouve la même tendance dans toute l'Europe. Et, ultime facteur, les États-Unis, avec leur nouvelle politique, laquelle est très proche de ce tournant conservateur. Tout cela ne peut que laisser des traces. Mais alors, que faire ? Je dirais qu'il faut commencer par nous attaquer aux causes.

L'extrême droite toujours favorite (Courrier international)

Le Bureau électoral central (BEC) de Bucarest a rejeté le 9 mars la candidature à la présidentielle de mai prochain du candidat souverainiste Calin Georgescu. Arrivé en tête du premier tour de l'élection de novembre, finalement annulée, Georgescu, maintenu en résidence surveillée, fait l'objet d'une enquête du parquet pour avoir créé une organisation aux “caractéristiques fascistes, racistes ou xénophobes”. Il serait également soupçonné d'une tentative d'“incitation à des actions contre l'ordre constitutionnel”. Plusieurs dizaines de personnes et associations proches de Georgescu sont aussi sous le coup d'une enquête.

Malgré l'exclusion du candidat, accusé de sympathies prorusses, l'extrême droite a toujours le vent en poupe. Selon un sondage effectué le 22 mars, cité par Romania libera, parmi les onze candidats validés, George Simion, le dirigeant de l'Alliance pour l'unité des Roumains (AUR), un autre parti d'extrême droite, est donné comme favori, devant Crin Antonescu, le candidat de la coalition centriste au pouvoir. Simion, qui soutenait la candidature de Georgescu fin 2024, a d'ailleurs qualifié la décision du BEC de “nouvel épisode du coup d'État de décembre 2024”, en référence à l'annulation de la présidentielle, relaie Romania libera.

* Selon le site d'enquête Snoop en janvier, l'Agence nationale de l'administration fiscale a découvert que les libéraux au pouvoir avaient financé une campagne de promotion massive de Georgescu sur TikTok, dans le but de contrer l'Alliance pour l'unité des Roumains (AUR), un autre parti d'extrême droite.

L'auteur Vasile Ernu

Écrivain, analyste politique et éditeur roumain, Vasile Ernu est né en 1971 dans ce qui était alors la République socialiste soviétique d'Ukraine. Il a vécu à Odessa puis à Chisinau, aujourd'hui la capitale de la Moldavie, avant de s'installer à Bucarest en 1990. Son premier livre, Nascut in URSS (“Né en URSS”), une œuvre autobiographique dans laquelle il raconte ses expériences en Union soviétique, a été traduit en plusieurs langues, mais reste inédit en français.

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Les nouvelles attaques LGBTIphobes d’Orbán

1er avril, par Hor et Manue Mallet — , ,
Le 16 mars dernier, le parlement hongrois, dominé par le parti de Viktor Orbán, a voté un amendement interdisant la tenue de la Marche des Fiertés de Budapest. Hebdo (…)

Le 16 mars dernier, le parlement hongrois, dominé par le parti de Viktor Orbán, a voté un amendement interdisant la tenue de la Marche des Fiertés de Budapest.

Hebdo L'Anticapitaliste - 747 (27/03/2025)

Par Hor et Manue Mallet

Déjà, en 2021, sous prétexte de « protection de l'enfance », toute propagande de l'homosexualité (qui peut être le fait de se tenir la main pour un couple, ou d'avoir une « allure » identifiée comme queer) a été interdite et punie de 500 euros d'amende.

LGBTI cibléEs, Orbán vacille

La Hongrie était le pays le plus libéral de la région et avait dépénalisé l'homo­sexualité en 1961. Aujourd'hui, renforcés par l'élection de Trump, les fascistes du gouvernement attaquent frontalement la communauté LGBTI pour s'en servir de « bouc émissaire » afin de voiler un système oligarchique et népotique ultra-corrompu.

Le parti Momentum, seul parti démocratique d'opposition qui défend le droit des LGBTI, a été chassé du Parlement et puni de 10 millions de florins d'amendes.

Orbán est menacé par un score secondaire aux élections de 2026, son gouvernement n'ayant ni enrayé la crise ni relancé le pouvoir d'achat, et tente par tous les moyens d'éliminer ses adversaires.

Selon des militantes, interviewées à Paris le dimanche 23 mars lors d'un rassemblement de solidarité en défense de la Pride et de la liberté de réunion en Hongrie, le seul moyen de faire tomber Orbán lors des élections est de manifester (1).

La communauté LGBTI ne désarme pas et s'organise pour résister et tenir la Belgrade Pride le 28 juin. Les diasporas LGBTI hongroises d'Europe appellent les eurodéputéEs à s'y rendre, ainsi que les organisations communautaires ou des droits humains comme Amnesty International. Le Conseil de Paris a promis un vœu pour que la ville soutienne les militantEs LGBTI hongroisEs.

Antifascistes extradéEs, Macron complice

Nous avons pu noter l'hypocrisie de Macron, qui devant le Parlement européen a dit apporter son soutien aux LGBTI menacéEs et en France fait arrêter, par sa police anti­terroriste, un militant antifasciste condamné par contumace en Hongrie (2), menacé d'extradition et qui risque plus de 15 ans de prison.

C'est également ce qui est arrivé à Maja, militante antifasciste non binaire, extradéE par les autorités allemandes (3). Lors de son audience devant le tribunal de Budapest le 21 février, iel a rejeté l'accord qui lui était proposé et a dénoncé les violations du droit européen par la Hongrie ainsi que les conditions inhumaines qu'iel vit depuis plus de huit mois en prison. Iel est réveilléE la nuit, sa chambre est infectée de cafards et de punaises de lit, sans parler du manque d'intimité dans la prison. L'État hongrois lui reproche la même chose qu'à Gino : être antifasciste. Contre le fascisme, il y a urgence à une riposte internationale.

Hor et Manue Mallet

1. Cecilia F. et Dora, étudiantes et militantes pour la Pride de Budapest.
2. https://blogs.mediapart…
3. https://blogs.mediapart…-

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Le soutien internationaliste à l’Ukraine qui résiste : une urgence antifasciste

1er avril, par Elias Vola, Gin Vola — , ,
La fin des renseignements militaires fournis par les USA à l'armée ukrainienne et le blocage temporaire des livraisons d'armes ont eu pour conséquences immédiates une poussée (…)

La fin des renseignements militaires fournis par les USA à l'armée ukrainienne et le blocage temporaire des livraisons d'armes ont eu pour conséquences immédiates une poussée décisive russe dans la région de Koursk, une multiplication de bombardements mortels sur les infrastructures civiles partout en Ukraine et un regain d'assurance côté russe, les incitant à pousser leur avantage toujours plus loin.

25 mars 2025 | tiré d'Europe solidaires sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74182

En reprenant les éléments de langage du Kremlin, Trump a par ailleurs opéré un renversement de sens majeur : c'est l'agresseur russe qui serait une victime, c'est aussi lui qui serait le plus fervent soutien de la paix. Ce cadeau offert sur un plateau à son camarade « incompris » Vladimir, doit néanmoins s'inscrire en retour dans l'agenda médiatique de Trump : une proposition de cessez-­le-feu de 30 jours, acceptée par les UkrainienNEs, comme une preuve supplémentaire du génie de Trump pour obtenir rapidement de bons deals.

La paix selon Poutine : écraser l'Ukraine libre et indépendante

La réponse tardive de Poutine a été particulièrement évasive, laissant entendre qu'il y avait besoin de plus de discussions avec son partenaire américain. Ainsi le cessez-le-feu n'est-il plus un préalable à une négociation, mais l'occasion pour Moscou de poser des prérequis maximalistes conditionnant tout cessez-le-feu. Voici, d'après le Washington Post, les conditions imposées par Poutine : la reconnaisse formelle par l'Ukraine de la souveraineté russe non seulement sur la Crimée mais aussi sur les quatre régions partiellement occupées par l'armée russe (de 20 % de territoires actuellement occupés par l'armée russe, on passerait à 30 % du territoire ukrainien…) ; l'éviction de Zelensky par de nouvelles élections, accompagnée de l'obligation pour Kiev de renoncer à son adhésion à l'Otan et l'arrêt immédiat de l'aide militaire occidentale à l'Ukraine ; l'interdiction de déployer des forces européennes de maintien de la paix en Ukraine et la réduction drastique des effectifs de l'armée ukrainienne, d'environ un million de soldats à quelques dizaines de milliers.

C'est bel et bien une façon de préparer la voie pour d'autres invasions à venir. La paix pour Poutine consiste à en finir de façon pure et simple avec une Ukraine libre et indépendante.

Soutien concret à l'Ukraine

Il y a plus que jamais urgence à soutenir politiquement — et, c'est indissociable, militairement — la résistance ukrainienne. Plutôt que les plans de réarmement nationaux promus par les gouvernements européens, passant la transition écologique et les droits sociaux à la trappe, c'est d'un soutien concret qu'a besoin l'Ukraine pour continuer de résister : investissements immédiats dans les industries ukrainiennes qui manquent cruellement de ressources, fourniture de la production militaire en lieu et place des exportations massives aux dictatures des pays du Golfe, annulation de la dette ukrainienne et saisie des 200 milliards d'avoirs russes qui reviennent légitimement aux UkrainienNEs.

Les réponses nationalistes de la gauche

S'il y a peu d'espoirs de voir cette politique internationaliste appliquée par des gouvernements libéraux et conservateurs, on devrait s'attendre à autre chose de la propagande de la gauche radicale européenne. On la trouve en pratique dans la gauche finlandaise, polonaise ou encore danoise. Mais au cœur de l'impérialisme occidental, comme en France, ce sont les réponses nationalistes, marquées par le mépris pour les UkrainienNEs et les peuples d'Europe de l'Est, qui prédominent dans la gauche dite ­radicale. La défense de « l'agriculture française », des « intérêts des Français » ou des « relations historiques avec la Russie » est un crachat aux principes cardinaux de ­l'internationalisme ouvrier.

C'est aussi une façon de préparer les défaites de demain. La dynamique du néofascisme international est inextricablement liée à celles du néofascisme français. On ne peut combattre l'un sans combattre l'autre. Les UkrainienNEs sont en première ligne face à la violence néo­fasciste ; mettre en contradiction les intérêts des UkrainienNEs et les intérêts des travailleurEs français est une erreur historique aux potentielles conséquences dramatiques.

Elias Vola et Gin Vola
P.-S.

• Hebdo L'Anticapitaliste - 746 (20/03/2025). Publié le Jeudi 20 mars 2025 à 18h00 :
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/le-soutien-internationaliste-lukraine-qui-resiste-une-urgence-antifasciste

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Lettre posthume du journaliste Palestinien Hossam Shabat

Nous republions la lettre d'Hossam Shabat, un journaliste palestinien qui a été assassiné le 24 mars dernier, ainsi que son collègue Mohammed Mansour. Hossam a été ciblé dans (…)

Nous republions la lettre d'Hossam Shabat, un journaliste palestinien qui a été assassiné le 24 mars dernier, ainsi que son collègue Mohammed Mansour. Hossam a été ciblé dans sa voiture. Selon le syndicat des journalistes palestiniens, 206 journalistes palestiniens ont été assassinés à Gaza depuis octobre 2023.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Si vous lisez ceci, cela signifie que j'ai été tué – très probablement ciblé – par les forces d'occupation israéliennes.

Quand tout cela a commencé, j'avais seulement 21 ans, j'étais un étudiant avec des rêves comme tout le monde.

Au cours des dix-huit derniers mois, j'ai consacré chaque instant de ma vie à mon peuple, documentant les horreurs dans le nord de Gaza minute par minute, déterminé à montrer au monde la vérité qu'ils ont essayé d'enterrer.

J'ai dormi sur les trottoirs, dans les écoles, dans des tentes – partout où je pouvais. Chaque jour était un combat pour la survie. J'ai enduré la faim pendant des mois, mais je n'ai jamais quitté mon peuple.

Par Dieu, j'ai fait mon devoir de journaliste. J'ai tout risqué pour dire la vérité, et maintenant je me repose enfin – quelque chose que je n'ai pas connu au cours des dix-huit derniers mois.

J'ai fait tout cela par conviction en la cause palestinienne. Je crois que cette terre est à nous et ce fut le plus grand honneur de ma vie de mourir pour la défendre, elle et son service familial.

Je vous le demande maintenant : n'arrêtez pas de parler de Gaza, ne laissez pas le monde détourner le regard d'elle, et continuez la lutte et continuez à raconter nos histoires jusqu'à ce que la Palestine soit libre.

Pour la dernière fois,
Hossam Shabat, du nord de Gaza.

Source : Twitter d' Hossam Shabat

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Turquie : la contagion néofasciste

1er avril, par Gilbert Achcar — , ,
La bataille en cours en Turquie est devenue de plus en plus importante pour le monde entier. Si le mouvement populaire turc gagne, sa victoire aura un impact important sur la (…)

La bataille en cours en Turquie est devenue de plus en plus importante pour le monde entier. Si le mouvement populaire turc gagne, sa victoire aura un impact important sur la galvanisation de la résistance à la montée du néofascisme dans le monde.

Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/260325/turquie-la-contagion-neofasciste

Les événements qui se déroulent en Turquie depuis mercredi dernier sont extrêmement graves : ils constituent une nouvelle étape très dangereuse dans le glissement du pays vers l'étranglement de la démocratie. L'arrestation d'Ekrem Imamoglu – le populaire maire d'Istanbul et candidat de son parti, le Parti républicain du peuple (CHP), à la prochaine élection présidentielle prévue en 2028 – et l'arrestation de près de 100 de ses collaborateurs dans la municipalité de la plus grande ville de Turquie, en vertu d'accusations qui combinent corruption (la justice turque aurait mieux fait d'enquêter sur la corruption dans l'entourage d'Erdogan, à commencer par son gendre) et liens avec le « terrorisme », c'est-à-dire contacts avec le Parti des travailleurs du Kurdistan-PKK (au moment où le gouvernement négocie avec ce parti en vue d'un règlement pacifique), est un comportement tout droit sorti du manuel bien connu des dictatures.

Si quelqu'un doutait que les accusations aient été fabriquées de toutes pièces et que l'intention était d'éliminer la figure la plus forte de l'opposition au régime de Recep Tayyip Erdogan, qui semble déterminé à diriger son pays à vie comme d'autres dirigeants autocratiques, la décision de l'Université d'Istanbul d'invalider le diplôme d'Imamoglu à la veille de son arrestation ne laisse aucune place au doute. Un diplôme universitaire est l'une des conditions requises pour se présenter à la présidence de la Turquie, et la décision de l'université se fonde sur un prétexte complètement fallacieux, d'autant plus qu'Imamoglu a obtenu son diplôme il y a trente ans !

Il y a près d'un an, au lendemain des dernières élections municipales en Turquie, j'ai rappelé le rôle d'Erdogan dans l'établissement de la démocratie dans son pays au cours de la première décennie de son règne. En dépit de sa dérive autocratique ultérieure, y compris par le limogeage de dirigeants de son propre parti perçus comme des rivaux, j'ai loué sa reconnaissance de la défaite de son parti aux municipales, qui le distinguait de nombre de néofascistes qui refusent d'accepter la défaite, y compris Donald Trump qui avait tenté de renverser le processus électoral de l'automne 2020, et refuse toujours de reconnaître sa défaite, affirmant que la présidence lui a été volée » (« Deux leçons précieuses des élections turques », 2 avril 2024 – en arabe uniquement).

La morale de cette histoire est que le même homme qui a commencé sa carrière politique par une lutte courageuse contre un régime dictatorial, et a subi pendant son mandat de maire d'Istanbul ce qui ressemble beaucoup à ce qu'il inflige maintenant à son adversaire, le maire actuel – cet homme, qui a joué un rôle louable dans l'établissement de la démocratie dans son pays, a été conduit par l'ivresse du pouvoir et la jouissance d'une grande popularité, à vouloir perpétuer cette condition, même en l'imposant par la force aux dépens de la démocratie.

Et pourtant, jusqu'à l'année dernière, Erdogan n'avait pas franchi la ligne rouge qualitative qui sépare la préservation d'une marge de liberté permettant à la démocratie de survivre, bien qu'avec de plus en plus de difficulté, et l'empiétement sur cette marge de manière dictatoriale.

C'était en dépit du fait qu'Erdogan présente certaines caractéristiques néofascistes, en s'appuyant sur une « mobilisation agressive et militante de [sa] base populaire » sur un terrain idéologique qui intègre certains des éléments clés de l'idéologie d'extrême droite, y compris le fanatisme nationaliste et ethnique contre les Kurdes (en particulier), le sexisme et l'hostilité, au nom de la religion ou autrement, à diverses valeurs libérales (voir « L'ère du néofascisme et ses particularités », 5 février 2025).

Sa dérive actuelle suggère qu'il rejoint désormais les rangs des régimes néofascistes quant à leur attitude à l'égard de la démocratie. Dans l'article susmentionné, j'ai décrit cette attitude comme suit : « Le néofascisme prétend respecter les règles fondamentales de la démocratie au lieu d'établir une dictature pure et simple comme l'a fait son prédécesseur, même lorsqu'il vide la démocratie de son contenu en érodant les libertés politiques réelles à des degrés divers, selon le niveau de popularité réel de chaque dirigeant néofasciste (et donc de son besoin ou non de truquer les élections) et du rapport des forces entre lui et ses adversaires. »

Il y a deux facteurs principaux derrière la dérive d'Erdogan vers le néofascisme. Le premier est que la tentation néofasciste augmente chaque fois qu'un dirigeant autoritaire fait face à une opposition croissante et craint de perdre le pouvoir par le biais de la démocratie.

Vladimir Poutine en fournit un exemple dans la mesure où sa dérive s'est intensifiée lorsqu'il a fait face à une opposition populaire croissante lors de son retour à la présidence en 2012 (après une mascarade consistant à passer au poste de Premier ministre, conformément à la constitution, qui à l'époque interdisait plus de deux mandats présidentiels consécutifs). En même temps, Poutine a eu recours à l'incitation du sentiment nationaliste à l'égard de l'Ukraine (en particulier), tout comme Erdogan l'a fait plus tard à l'égard des Kurdes.

Le deuxième facteur, crucial, est l'arrivée du néofascisme au pouvoir aux États-Unis, représenté par Donald Trump. Cela a donné une puissante impulsion au renforcement de diverses formes de néofascisme réel ou latent, comme nous le voyons clairement en Israël, Hongrie et Serbie, par exemple, et comme nous le verrons de plus en plus à l'échelle mondiale.

La force de la contagion néofasciste est proportionnelle à la force du principal pôle néofasciste : la contagion fasciste s'est considérablement renforcée, en particulier sur le continent européen, lorsque la puissance de l'Allemagne nazie s'est accrue dans les années 1930. La contagion néofasciste est devenue encore plus forte aujourd'hui, les États-Unis passant d'un rôle de dissuasion contre l'érosion de la démocratie, bien que dans des limites évidentes, à l'encouragement de cette érosion, directement ou indirectement. L'érosion est déjà en cours et s'accélère aux États-Unis mêmes.

Ce n'est donc pas une coïncidence si l'offensive d'Erdogan contre l'opposition a commencé à la suite d'un appel téléphonique entre lui et Trump, que Steve Witkoff, ami proche du président américain et son envoyé à diverses négociations, a qualifié vendredi dernier d'« excellent » et de « vraiment transformateur ». Witkoff a ajouté que « le président [Trump] a une relation avec Erdogan et cela va être important. Et il y a du bon à venir – juste beaucoup de bonnes nouvelles positives en provenance de Turquie en ce moment à la suite de cet appel. Je pense donc que vous le verrez dans les reportages dans les prochains jours. » (La déclaration de Witkoff a été faite deux jours après l'arrestation d'Imamoglu, même s'il ne faisait pas nécessairement référence à cette arrestation.)

En outre, Erdogan croyait avoir réussi à neutraliser le mouvement kurde grâce à de récents compromis, bénis par ses alliés de l'extrême droite nationaliste turque eux-mêmes (il s'est trompé : le mouvement kurde soutient l'opposition et la protestation populaire). Il croit également que les Européens ont besoin de lui, et de son potentiel militaire en particulier, en ce moment critique pour eux, de sorte qu'ils n'exerceront aucune pression réelle sur lui.

Ce qui reste une source d'espoir dans le cas turc, c'est qu'Erdogan est confronté à une réaction populaire bien au-delà de ce qu'il avait apparemment anticipé. Cette réaction de masse est bien plus importante que ce à quoi Poutine a été confronté en Russie, où le mouvement populaire avait été atrophié après des décennies de régime totalitaire. Elle est bien plus grande que ce à quoi la plupart des pionniers du néofascisme ont été confrontés, y compris Trump, qui n'a rencontré qu'une très faible opposition de la part du Parti démocrate depuis sa victoire électorale.

Erdogan tente d'écraser le mouvement populaire en intensifiant la répression (le nombre de détenus approche les 1500 dans un pays qui compte 400 000 prisonniers, dont un pourcentage élevé de prisonniers politiques et de nombreux journalistes) au détriment de la sécurité, de la stabilité et de l'économie turques (la Banque centrale a été contrainte de dépenser 14 milliards de dollars pour éviter un effondrement complet de la livre turque et le marché boursier a connu une forte baisse).

La bataille en cours en Turquie est devenue de plus en plus importante pour le monde entier. Soit Erdogan réussit à éliminer l'opposition, ce qui pourrait nécessiter une répression sanglante similaire à la répression du soulèvement populaire syrien par Bachar el-Assad en 2011, risquant ainsi de faire glisser le pays dans la guerre civile, soit le mouvement populaire l'emporte, le faisant reculer ou tomber d'une manière ou d'une autre. Si le mouvement populaire turc gagne, sa victoire aura un impact important sur la galvanisation de la résistance à la montée du néofascisme dans le monde.

Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 25 mars. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Turquie : crise politique et mouvement démocratique

1er avril, par Emre Öngün — , ,
Le mouvement démocratique de masse que connaît la Turquie suite à l'arrestation d'Ekrem Imamoğlu, maire d'Istanbul et candidat de CHP (Parti de la République et du Peuple, (…)

Le mouvement démocratique de masse que connaît la Turquie suite à l'arrestation d'Ekrem Imamoğlu, maire d'Istanbul et candidat de CHP (Parti de la République et du Peuple, centre gauche) constitue un événement social et politique majeur aux portes de l'Union Européenne. Des rassemblements et des manifestations ont lieu dans tout le pays une participation très importante notamment sur la place Saraçhane à Istanbul devant la mairie.

Tiré la revue Contretemps
27 mars 2025

Par Emre Öngün

Le durcissement du régime erdoganiste, qui franchit une ligne rouge inédite avec cette arrestation, télescope les informations de ces derniers mois sur un processus de paix entamé avec le mouvement national kurde de Turquie, en particulier l'organisation politique-militaire central au sein de ce mouvement : le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan). Il s'agit de comprendre ce contexte avec deux dynamiques en apparence contradictoire afin d'appréhender les potentialités et les écueils qu'encourt ce mouvement en cours, dont il serait bien hasardeux de prédire les suites et les conséquences au moment où cet article est écrit.

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D'une élection à l'autre

Il faut rappeler une donnée fondamentale : les élections en Turquie sont jusqu'à présent concurrentielles et font l'objet d'un investissement civique très forte de la part d'une société fortement politisée. J'ai déjà évoqué une « culture démocratique minimale mais solide » parmi la population turque de Turquie. Il est vrai que cela n'a pas empêché la majorité de la population de rester globalement passive au sujet des conditions profondément inégalitaires d'un scrutin, non seulement en termes socio-économiques, comme dans toute démocratie libérale mais, surtout, de répression directe et indirecte à l'encontre des forces d'opposition, a fortiori si elle touche une minorité kurde connaissant une oppression coloniale.

Cette population a ainsi accepté (sans forcément l'approuver mais en laissant faire) que les résultats des deux derniers scrutins locaux dans les localités kurdes aient été, pour l'essentiel annulés et que, dans une logique purement coloniale, les maires élu·es régulièrement soient mis.e.s en prison et remplacé·es par des administrateurs nommés par le gouvernement. Mais cette culture conduit aussi à accorder une importance cruciale aux scrutins concurrentiels comme « juge de paix » pour déterminer la direction de l'Etat et à investir fortement ces enjeux. Une preuve en est que le taux de participation à un scrutin n'est jamais descendue en dessous de 76% (un chiffre qui ne fait pas l'objet de fraude, la mobilisation des électeurs étant systématiquement observable) et se situe régulièrement à plus de 85% depuis 45 ans.

Après l'échec cuisant des élections générales de 2023, qui ont vu la réélection de R. T. Erdoğan et une majorité affaiblie mais reconduite, le CHP décide d'un congrès… avec à sa tête, Kemal Kiliçdaroğlu qui, fidèle à la tradition des dirigeants de son parti de n'assumer aucun échec, se prépare à être réélu président du parti. Toutefois, le choc de l'échec, la gestion calamiteuse de la période entre les élections générales et le congrès [1] lui font perdre une grande partie de sa crédibilité politique. Il en résulte un électrochoc inédit au sein du CHP avec la constitution d'une opposition de « rénovateurs » regroupés autour du maire d'Istanbul élu en 2019, Ekrem Imamoğlu, et de son allié, le président du groupe parlementaire, Özgür Özel.

En novembre 2023, pour la première fois en un siècle d'existence, un président sortant du parti fut battu lors d'un congrès et le CHP est pris par le binôme Özel, en tant que président, etImamoglu, principale figure publique. Quels sont les changements que cette nouvelle direction de « rénovateurs », venant tout de même de l'appareil, a mis en oeuvre ? Pour l'essentiel, deux choses. D'une part, un plus grand professionnalisme dans la direction du parti, et la mise en tension d'un appareil lourd comptant 1,5 millions d'adhérents. De l'autre, une ouverture plus explicite envers les Kurdes de Turquie. La nouvelle direction refuse d'ostraciser le DEM (Parti de l'égalité et de la démocratie des peuples, issu du mouvement national kurde et de démocrates), et Imamoglu considére, par exemple, au cours d'un débat publique que ce serait « une folie » de considérer un parti recevant 5 millions de voix comme « terroriste » [2].

C'est avec cette équipe renouvelée que le CHP a abordé les élections locales de 2024, que R. T. Erdoğan avait s'était engagé à remporter le soir même de sa réélection, visant en particulier la reconquête d'Istanbul. Du côté des analystes de l'opposition, ce scrutin n'était pas abordé avec beaucoup d'espoir, l'essentiel étant par les de préserver les gains de 2019. La surprise fut l'inverse de celle de 2023 : un immense camouflet pour le régime et un succès éclatant pour le CHP se hissant symboliquement en tête du scrutin.

De son côté, Ekrem Imamoğlu devançait facilement son adversaire de l'AKP et obtenait une large majorité au conseil municipal (dont il ne disposait pas jusque-là). La dynamique de l'appareil du CHP s'est combinée avec la fin des mesures contracycliques du régime au profit d'une politique d'austérité classique et, dans une certaine mesure, avec la révélation de l'hypocrisie du régime sur la question palestinienne, des milieux affairistes proches du pouvoir commerçant avec Israël (et même son armée).

La situation semble ainsi s'être clarifiée depuis un an : le CHP est la principale force politique du pays et dispose avec Imamoğlu d'un candidat populaire, capable de vaincre Erdogan. Ce qui est un danger immense pour un régime dont les dirigeants tirent de considérables bénéfices personnels de leur mainmise sur le pouvoir politique.

Un processus de paix ?

C'est dans ce contexte qu'intervient le « processus de paix ». Celui-ci a pris une forme inattendue : c'est Devlet Bahçeli, le vieux chef des ultranationalistes du MHP allié à Erdogan, qui a porté la proposition d'un processus aboutissant à un désarmement et une dissolution du PKK en échange d'une amnistie incluant le chef historique, fondateur et figure emblématique, Abdullah Öcalan, détenu dans l'île prison d'Imrali depuis 26 ans.

Un processus d'échanges et de négociations a ainsi débuté, passant notamment par des rencontres entre les responsables gouvernementaux et une délégation de députés du DEM faisant fonction d'intermédiaires avec Imrali et le mont Qandil dans le Kurdistan d'Irak où se trouve la direction du PKK. Cela aboutit à la déclaration « historique » d'Abdullah Öcalan du 27 février 2025 appelant à déposer les armes et à autodissolution du PKK.

Trois semaines plus tard, le régime d'Erdogan a décidé de franchir une ligne qui n'avait jamais été franchie jusqu'alors : empêcher un adversaire de se présenter à l'élection présidentielle. Cela s'est d'abord traduit par l'annulation du diplôme d'Imamoğlu, des décennies après son obtention, alors que, selon la constitution turque, un diplôme du supérieur est une condition indispensable pour se présenter au scrutin présidentiel.

Cette décision a été aussitôt suivie de son arrestation ainsi que de celle d'une grande partie de son état-major pour corruption et soutien au terrorisme (des accusations classiques du régime contre ses adversaires). La date de cette opération n'est pas due au hasard : échaudé par la séquence catastrophique de choix de candidat à la présidentielle lors de l'élection de 2023, le CHP tenait le dimanche 23 mars sa primaire pour désigner son candidat pour le prochain scrutin avec pour seul postulant, Ekrem Imamoğlu.

Comment comprendre la concomitance entre ce « processus de paix » et cette offensive autoritaire visant un parti de centre-gauche turc ? Il est possible de faire une hypothèse et une observation sur la réalité de ce « processus de paix ».

L'hypothèse serait que, confronté au risque plus élevé que jamais de perdre le pouvoir au profit du CHP, le régime ait décidé de criminaliser celui-ci, en comptant sur des divisions qui surviendraient en son sein à cette occasion. Or, l'opération étant d'une grande ampleur (il s'agit du parti dirigeant les plus grandes villes du pays), il pourrait s'agir de régler séparément l'autre grand dossier – la « question kurde » – en escomptant que le mouvement national kurde resterait neutre face à la criminalisation du CHP et prioriserait le « processus de paix ». Toutefois, à supposer qu'il s'agisse bien de la manœuvre de grande ampleur initiée par le régime, elle ne pouvait que se heurter à plusieurs obstacles majeurs,le premier étant la situation même du « processus de paix ».

En effet, la déclaration spectaculaire d'Öcalan a été largement commentée dans la presse internationale mais en omettant un détail qui n'en est pas un : après avoir lu le texte d'Öcalan lors d'une conférence de presse, la délégation des députés du DEM a rajouté oralement ceci : « Abdullah Öcalan nous a ensuite dit ”Sans aucun doute, le désarmement et l'autodissolution du PKK nécessitera en pratique la reconnaissance de la politique civile et d'une dimension légale” ». Cette « note de bas de page », considérée comme faisant partie de la déclaration d'Öcalan par l'ensemble du mouvement national kurde, change évidemment la donne puisqu'il ne s'agit plus d'une auto-dissolution unilatérale mais d'une option conditionnée par des contreparties, à savoir des garanties démocratiques tangibles.

Or, c'est là où le bât blesse : il n'y a eu strictement aucun geste politique positif envers les Kurdes depuis le début de ce « processus ». Pas une seule localité kurde mise sous tutelle n'a retrouvé son maire légitime, aucun maire emprisonné lors des deux derniers mandats et aucun responsable politique du DEM (et de son prédécesseur le HDP) n'ont été libérés… Lorsqu'Ekrem Imamoğlu est arrêté, il y a certes un « processus de paix » en cours, mais sans la moindre avancée concrète du côté du gouvernement turc.

Cela rend d'autant plus stupéfiante la déclaration de Devlet Bahçeli du 21 mars dans laquelle le leader ultranationaliste propose que se tienne un congrès d'autodissolution du PKK, le 5 mai, sur le territoire de l'Etat turc, à Malazgirt avec l'assistance logistique du maire DEM de la localité ! On a du mal à imaginer l'Etat-major du PKK venir depuis le mont Qandil dans un peu plus d'un mois sans la moindre garantie d'aucune sorte (ni politique, ni autre) et déposer les armes pour repartir les mains dans les poches… D'autant plus que l'autre volet de cette déclaration de Bahçeli est une charge très violente contre le CHP (dont le MHP était l'allié il y a 10 ans… avant de s'allier à l'AKP) criminalisant ce parti turc de centre-gauche avec des formulations ne laissant guère transparaître la possibilité d'une évolution démocratique.

Or, les responsables kurdes (que cela soit des politiques civils avec le DEM, de l'appareil politio-militaire du PKK ou du tissu associatif de cette galaxie) n'ignorent pas que cette absence de démocratisation rend plus que précaire tout processus de paix. Ils ne peuvent pas ne pas se souvenir qu'en 2015 le précédent processus de paix avait été jeté à la poubelle d'un coup par Erdogan qui a même nié son existence après coup. Au fond, la méfiance légitime des dirigeants du DEM a été résumée par sa co-présidente Tülay Hatimogullari : « Qui dit que demain nous ne serons pas poursuivis en raison de nos rencontres avec Öcalan dans le cadre de la délégation pour le processus de paix ? »

L'échec d'Erdogan

En conséquence, depuis le début de cette crise, le DEM a tenu une position principielle de défense du processus de paix et de défense des droits démocratiques comme formant un tout, loin des accusations stéréotypées et dépourvues de fondement émises par les milieux d'opposition nationalistes selon lesquelles il est question de laisser les mains libre à Erdogan en échange de la paix. La direction de DEM a soutenu Imamoğlu lors de l'annulation de son diplôme puis de son arrestation, elle est également allée à la rencontre de celle du CHP à la mairie d'Istanbul devenue point de ralliement de l'opposition. La section locale d'Istanbul du parti a appelé à se rendre à la place Saraçhane où se trouve la mairie d'Istanbul et où se déroulent d'immenses rassemblements depuis l'arrestation d'Imamoglu.

Plus symbolique encore ont été les festivités de Newroz, fête traditionnellement célébrée par les Kurdes et rendez-vous annuel du mouvement national kurde pour des meetings de masse. La célébration de Newroz à Amed/Diyarbakir est considérée comme un moment politique très important. Or, contrairement à ce qui était attendu, il n'y eut pas de nouveau message d'Abdullah Öcalan lu à la tribune, la délégation du DEM ayant été empêchée de le rencontrer, ce qui est un accroc certain au processus de paix.

Le discours de Tuncer Bakırhan, co-président de DEM, était très attendu et il a ciblé le régime en déclarant : « ce qui est fait à l'opposition est contraire à l'esprit de la déclaration du 27 février (d'Abdullah Öcalan, Ndla) et est inacceptable » après avoir explicitement dénoncé l'incarcération d'Imamoğlu. Tout cela est dans la continuité de la position du DEM depuis le début mais il est probable que le régime espérait une déclaration plus « neutre ».

Ainsi, la manœuvre du régime de division semble avoir d'ores et déjà échoué en grande partie du fait de la lucidité des dirigeants du DEM. Il convient toutefois de noter que les dirigeants du CHP ont également cherché à se mettre à la hauteur de la situation en ne laissant pas dans le vide la main tendue par les responsables du DEM. Özgür Özel a également envoyé une déclaration pour le Newroz (une première pour un président du CHP) :

« (…) Ces terres sont des terres anciennes où différentes cultures, langues et croyances vivent ensemble dans la fraternité, où la solidarité et l'espoir fleurissent. Aucun tyran, aucun Dehak [tyran diabolique dans la mythologie kurde] ne pourra briser notre fraternité ! » en concluant son texte par la formule traditionnelle en kurde « Newroz piroz be ! ».

Il a par la suite salué un grand nombre de prisonniers politiques, notamment les ex-dirigeants du HDP (Parti Démocratique des Peuples, prédécesseur du DEM). De même, dans une déclaration rédigée en détention et publiée sur les réseaux sociaux, Ekrem Imamoğlu a déclaré : « tant que les Kurdes disent qu'il y a un problème, alors il y'a un problème kurde ».

Jeunesse mobilisée et CHP

De même, depuis le début du mouvement, le CHP a cherché à établir un lien avec la société mobilisée, contrairement à ce qui s'était passé lors du dernier mouvement de masse démocratique que la Turquie a connu en 2013 (« le mouvement dit de Gezi »). Outre, un discours ouvert envers les Kurdes, sa direction a formellement reconnu l'importance des étudiant·es dans cette mobilisation en leur offrant une tribune sur la place Saraçhane.

En effet, la jeunesse étudiante constitue l'avant-garde du mouvement et cela est reconnu par tous les acteurs, que cela soit le CHP ou les personnalités,artistes, sportifs, célébrités médiatiques qui font tou.te.s référence à l'importance de la jeunesse du pays dans leurs déclarations de soutien indirect ou explicite au mouvement. Mais cela est également « reconnu » par le régime puisque la répression s'abat prioritairement sur eux. Par exemple, au moment où ces lignes sont écrites, Selinay Uzuntel, leader étudiante qui pris la parole sur la place Saraçhane au nom des étudiant·es en lutte (et par ailleurs membre de l'EMEP, Parti du Travail, marxiste-léniniste de tendance hoxhaiste) vient d'être arrêtée ainsi que d'autres animateurs étudiant·es.

Il y a 7 millions d'étudiant·es en Turquie soit 8,2% de la population totale (4,4% en France). Ces jeunes n'ont connu que l'AKP au pouvoir, dans sa version corrompue et népotiste. Ils et elles étudient mais ne pouvent espérer trouver un débouché dans la plupart des cas. Confrontée à l'arbitraire du pouvoir, la grande majorité souhaiterait vivre à l'étranger si elle le pouvait. Elle constate quotidiennement l'immense écart entre les vertus prônés par le régime et le cynisme ostentatoire et arrogant de ceux qui en bénéficient.

Certain·es ont la mémoire des grands frères et des grandes sœurs qui ont « fait Gezi », confronté·es à des autorités arbitraires et intrusives… Il y a 12 ans une camarade jeune me disait lors du mouvement de Gezi : « Être jeune en Turquie consiste à se faire engueuler soir et matin par Erdogan à la télévision ». La formule, saisissante, est certainement encore plus vraie aujourd'hui alors même que le régime perd chaque jour de sa légitimité.

Ce rôle d'avant-garde de la mobilisation étudiante va de pair avec une aspiration à l'autonomie. Ainsi, pour la première fois à Istanbul, lundi 24 mars, il y a eu un rassemblement distinct appelé par des étudiant.e.s en lutte à Besiktas, et non à Saraçhane. Plus tôt dans la journée des « boycotts académiques » (l'équivalent de « grèves étudiantes ») ont été lancés dans de nombreuses universités.

Pour en revenir au CHP, celui-ci, a mené à bien sa primaire mais en l'ouvrant à l'ensemble des citoyen·nes qui ont pu participer à des votes « de solidarité ». Le dimanche soir, la direction du CHP a annoncé le chiffre colossal de 15 millions de personnes qui se sont rendues dans aux urnes (le vote n'était pas électronique) pour une primaire devenue un plébiscite. Il est impossible d'avoir une confirmation de ce chiffre puisqu'il s'agissait d'un exercice et qu'aucun média disposant de moyens suffisants n'était autorisé par le régime à couvrir cet événement.

Néanmoins, la couverture de la presse locale indique que la participation a été forte. Alors que la faiblesse du mouvement ouvrier, les difficultés de niveau de vie, les obstacles à l'organisation font qu'un mouvement de grève massif semble hors d'atteinte, le CHP a appelé au boycott de certains groupes économiques et de certains médias. Depuis le début du mouvement, le régime a dépensé 11% de ses réserves en devises (20 milliards de dollars) pour prévenir un effondrement de la livre turque, tandis que la bourse d'Istanbul a repris après un effondrement initial.

Les meetings de Saraçhane sont colossaux mais pourront-ils se maintenir à ce rythme, s'il n'y a pas d'avancées ? Dès à présent, des assemblées de quartiers se sont mises en place à Istanbul, ne serait-ce que parce que Saraçhane est loin pour des millions d'habitants d'une métropole immense. Il est aujourd'hui impossible de prévoir les suites du mouvement en cours mais il est possible d'aborder certaines contradictions en son sein.

Kemalisme contre Kemalisme ?

De cette polyphonie proclamant son aspiration à l'unité du peuple au-delà de ses divisions traditionnelles et de ses rapports d'oppression, s'élève toutefois une dissonance qui ne recouvre pas les autres sons mais ne saurait non plus être ignorée : celui du suprématisme turc. S'il existe d'autres solistes ultranationalistes oppositionnels à Erdogan (les dirigeants du Iyi, le « Bon Parti », ou des néofascistes du ZP, Parti de la Victoire), le son le plus strident est produit par le maire CHP d'Ankara, Mansur Yavaş.

Ex-dirigeant ultranationaliste passé au CHP, il a gagné la mairie d'Ankara en 2019, en même temps qu'Imamoğlu l'emportait à Istanbul, puis a confirmé sa victoire en écrasant son adversaire de l'AKP en 2024. Lors de sa prise de parole à Saraçhane, il a dénoncé un « deux poids, deux mesures » contre les manifestants à Istanbul alors qu'un « parti dans l'Est du pays » organise des rassemblements (le Newroz) dans lesquels est agité un « torchon »(drapeaux kurdes et du PKK) et où on offre des barbes à papa aux jeunes (en référence à une vidéo largement diffusée d'un policier distribuant cette sucrerie à des enfants dans une localité kurde à l'occasion du Newroz) alors qu' « ici » (à Istanbul ou Ankara mais en sous-texte les « Turcs ») « on matraque les jeunes ».

Ce discours grossier met en équivalence un micro-événement avec des décennies d'oppression coloniale et inverse les rôles historiques. Insensible à toute perspective de paix, il souhaite le maintien du statu quo suprématiste, c'est-à-dire une démocratie uniquement pour les Turcs, donc in fine pas de démocratie pour qui que ce soit. Ce discours n'est pas celui à la direction du mouvement, d'autant plus que Yavaş, en tant que transfuge d'un autre parti, n'a jamais eu de relais puissants dans le CHP (qui a pu tenir ce genre de discours dans ses pires périodes droitières), mais il existe.

Derrière Yavas se tient le milieu oppositionnel nationaliste des petits partis cités auparavant mais aussi certains autres maires, tels que Tanju Özcan à Bolu, ou Burcu Köksal à Afyonkarahisar et des cadres du CHP. Ils ne représentent pas seulement un risque de déviation pour le mouvement, ils l'affaiblissent. C'est en raison du discours de Yavaş que la déclaration d'Özgür Özel a été huée lors de sa lecture au Newroz d'Istanbul. En politique rusé, Erdogan n'a pas manqué de dénoncer les propos de Yavaş pour présenter le mouvement en cours comme celui des ennemis de la paix et des tenants du statu quo [3].

Tout observateur du mouvement en cours relèvera les portraits de Mustafa Kemal accompagnés de drapeaux turcs qui foisonnent lors des rassemblements et manifestations. Il en était de même en 2013 pour le mouvement de Gezi. Même au sein de la jeunesse ; la mobilisation est justifiée par certain·es étudiant·es et par un grand nombre de celles et ceux qui les soutiennent en mobilisant la figure de Mustafa Kemal Atatürk avec moult extraits de son « Discours à la jeunesse », ou de sa formule de son « Grand Discours » confiant la République à la jeunesse ou encore par la formule plus générique « la souveraineté appartient sans condition ni restriction à la nation » (par opposition à un seul individu, Erdogan).

L'usage de la figure tutélaire du fondateur de la République de Turquie légitime un discours oppositionnel, le situe dans une continuité patriotique tout en le mobilisant pour autre chose. Ce qui est retenu du propos est ce qui peut être rattaché à une souveraineté collective, d'une part, et, de l'autre, à la mission historique de la jeunesse turque, validant ainsi le discours porté aujourd'hui concrètement par cette jeunesse. Ainsi, tout comme lors du mouvement de Gezi, mais encore plus explicitement puisqu'il s'agit de s'opposer à une opération remettant explicitement en cause un processus électoral (dont on a précédemment rappelé l'importance en Turquie), Mustafa Kemal Atatürk est mobilisé pour une aspiration démocratique [4].

Il s'agit, au fond, d'une forme de discours performatif par rapport au passé : si Mustafa Kemal confie la République à la jeunesse, c'est parce que cette République et la geste de la guerre de libération porte en elles notre aspiration démocratique. Özgür Özel ne procède pas autrement quand il proclame « Ces terres sont des terres anciennes où différentes cultures, langues et croyances vivent ensemble dans la fraternité » alors que ces terres ont connu le génocide arménien, la loi sur l'impôt sur la fortune [5], avant même l'oppression colonial des Kurdes. Mais, puisque l'objectif désormais affiché est une république inclusive, il convient de réinventer un passé qui y correspond et une fidélité au kémalisme qui valide les aspirations politiques du jour.

Face à cela, Mansur Yavaş ment sur les relations sociales d'aujourd'hui en présentant les Kurdes comme des privilégiés face aux Turcs opprimés dans leur propre pays. Mais il est fidèle au contenu pratique du kémalisme réel produit d'une guerre de libération nationale, qui fut héroïque tout en refusant de reconnaître la pluralité nationale de la Turquie, en oubliant les promesses faites en ce sens, en réprimant les révoltes kurdes et mettant rapidement fin à toute forme de pluralisme politique contrôlé…

Il ne fait cependant guère de doute que, pour les organisations de gauche radicale impliquées dans la mobilisation – et certaines y jouent un rôle catalyseur dans la jeunesse comme le TIP (Parti des Travailleurs de Turquie, qui compte 4 députés dont 1 en prison) –, la priorité n'est pas de faire un cours d'histoire mais de pousser en avant concrètement le mouvement puisque « tout pas en avant du mouvement réel vaut plus qu'une douzaine de programmes » (comme a pu le dire Marx), ou une douzaine de cours d'histoire…

La fonction du mensonge de masse démocratique du mouvement est d'ouvrir la voie pour se confronter à la vérité historique afin d'approfondir la démocratie et, dans une stratégie de lutte de classe, enlever des armes de division des mains de la bourgeoisie. Mais nous en sommes encore loin. Aujourd'hui, chaque pas d'un étudiant·e manifestant pour le respect de la démocratie dans le bastion conservateur de Konya est plus précieux que ces considérations. Notre soutien ne doit pas leur faire défaut.

*

Photo : Wikimedia Commons.
Notes

[1] Il déclara par exemple avoir conclu un accord secret avec l'ultranationaliste Ümit Özdag du ZP (Parti de la Victoire) dont le candidat avait fini 3ème au 1er tour avec 5%, qui, allant au-delà de leur accord officiel, faisait des concessions immenses à ce parti. Un accord conclu à l'insu de son propre état-major, alors même que le ZP est profondément hostile aux Kurdes qui avaient très majoritairement voté pour Kemal Kiliçdaroğlu. Celui-ci a réussit ainsi l'exploit d'avoir récolté à la fois le déshonneur et la défaite.

[2] Il y avait eu de timides avancées en ce sens par Kemal Kiliçdaroglu avant que celui-ci ne décide de trahir les Kurdes dans l'entre deux tours. Il faut rappeler que le CHP revient de loin dans ce domaine puisque, sous la sinistre direction de Deniz Baykal, entre 1995 et 2010, son discours n'avait guère plus de différence avec celui des ultranationalistes du MHP.

[3] Il a aussi accusé les manifestants d'avoir saccagé une mosquée et d'y avoir bu de l'alcool, reprenant un grand classique de la calomnie propagée par le régime depuis 2013.

[4] D'une certaine manière, il y a là une similitude avec les étudiants des années 1960 qui ont commencé leur parcours politique par le kemalisme en insistant sur l'approfondissement de l'indépendance, puis ont creusé le sillon de l'anti-impérialisme et ont vogué vers les rives du marxisme (ou plutôt de divers obédiences marxistes).

[5] Disposition discriminatoire de 1942 à l'encontre les non_musulmans établissant de facto un impôt sur la fortune à des taux exorbitants pour ces catégories afin de les ruiner et de constituer à leur place une bourgeoisie turque et musulmane.

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Le PKK et Erdoğan : à peine né, le processus de paix est gelé

1er avril, par Chris den Hond — , ,
Le 19 mars 2025, Ekrem Imamoğlu, le maire d'Istanbul du parti CHP (Parti républicain du peuple), principal candidat de l'opposition pour les prochaines élections (…)

Le 19 mars 2025, Ekrem Imamoğlu, le maire d'Istanbul du parti CHP (Parti républicain du peuple), principal candidat de l'opposition pour les prochaines élections présidentielles prévues en 2028, a été arrêté sur ordre de Recep Tayyip Erdoğan. Le but : le rendre inéligible. Les importantes mobilisations de protestation ont presque fait oublier que l'État turc est aussi à la manœuvre pour neutraliser le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan.

En octobre 2024, lors de l'ouverture de l'année parlementaire en Turquie, le dirigeant ultranationaliste Devlet Bahçeli serre la main des élu·e·s du parti de gauche pro-kurde DEM (Parti de l'égalité et de la démocratie des peuples, anciennement HDP). Son message est adressé à Abdullah Öcalan, le chef du PKK, qui est emprisonné à vie sur l'île d'Imrali depuis 1999 : « Si le chef terroriste sort de son isolement, qu'il vienne parler au parlement. Qu'il dise que le terrorisme est terminé et que son organisation est démantelée. » Le PKK mène une guerre de guérilla depuis 1984. Après le coup d'État de 1980, et le régime autoritaire instauré par les militaires, l'espace politique est réduit à néant. Le PKK ne voit d'autre issue que la lutte armée pour la libération du peuple kurde. Depuis lors, ce parti a fait plusieurs propositions de solution politique, incluant un cessez-le-feu. Elles sont toutes restées sans réponse positive de la part de l'État turc. En sera-t-il autrement cette fois-ci ?

Après un isolement total de presque dix ans, Abdullah Öcalan a reçu à plusieurs reprises la visite d'une délégation du parti DEM. Cette délégation s'est par la suite concertée avec les principaux partis politiques en Turquie, mais aussi avec les partis kurdes en Irak (PDK et PUK), l'Administration autonome (AANES) et les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) dans le nord et l'est de la Syrie. Il s'agissait de discuter de l'impact du message d'Öcalan en Turquie, en Irak et en Syrie. Le message sera finalement rendu public le 27 février 2025. Retransmis sur des écrans géants, le message d'Öcalan, lu par des membres de la délégation DEM, a été entendu au Kurdistan de Turquie, en Syrie et en Irak. « Tous les groupes doivent déposer les armes et le PKK doit être dissout ». Beaucoup fondent en larmes. « Le PKK, c'est mon parti, c'est ma vie », me dit une ancienne élue à l'assemblée turque[1]. Öcalan explique dans son message que la création du PKK en 1978 et l'insurrection armée depuis 1984 étaient justifiées par « le déni explicite de la réalité kurde et la restriction des droits et des libertés fondamentaux ». Le monde a changé, dit-il, et « la lutte armée a fait son temps. Il faut y mettre un terme. »

Suit alors une phrase pour le moins ambigüe : « La création d'un État-nation séparé, une fédération, une autonomie administrative ou des solutions culturalistes ne répondent pas à la sociologie historique de la société. » Pas un mot donc sur la revendication d'un enseignement en langue kurde, une demande des quelques 26 millions de Kurdes de Turquie pour qui l'enseignement en langue kurde est vital pour la survie de celle-ci, vieille de quelques milliers d'années. Mehmet Ekinci, enseignant à Batman, à 60 kilomètres à l'est de Diyarbakir ne décolère pas : « Ça fait 40 ans qu'on se bat, qu'on perd des gens, que des proches sont emprisonnés, on ne va pas abandonner la lutte sans contrepartie. Que la lutte soit politique, c'est une bonne chose, mais la balle est maintenant clairement dans le camp de l'État turc qui doit faire des gestes très concrets. »

La phrase qui change tout

Dans son message Öcalan n'évoque pas de contrepartie pour la dissolution du PKK. Des mauvaises langues suggèrent qu'il y aurait un « deal » avec l'État turc pour qu'Öcalan obtienne une assignation à résidence, ou que le parti DEM aide Erdoğan à changer la constitution pour qu'il puisse se présenter à un troisième mandat présidentiel. Ce serait sous-estimer le sérieux du mouvement kurde. Quand, dans la prison d'Imrali, Öcalan avait remis le message à la délégation DEM à la fin de la visite, il avait rappelé la délégation et lui avait dit : « Évidemment, il faut qu'il y ait les conditions juridiques et politiques pour appliquer ce message. » Lors de la dernière visite, tenant le message à la main, il a dit aux représentants de l'État turc en face de lui, avec la délégation du DEM à ses côtés : « Si vous (l'État turc) ne faites rien avec cette déclaration, on la jette à la poubelle ».

La contrepartie : une feuille de route

Il ne peut donc y avoir de désarmement et de dissolution du PKK sans contrepartie. Mais laquelle ? Ce n'est pas explicité dans le message d'Öcalan, ce qui peut inquiéter, mais ce n'est pas la première fois qu'Öcalan utilise un langage très modéré pour ouvrir des portes à une solution négociée de la question kurde. Il avait fait pareil en 1999-2000 quand il a été emprisonné. Loin de « capituler », il a de nouveau envoyé la balle dans le camp de l'État turc.

Selahettin Demirtas, le très populaire dirigeant du HDP, lui aussi emprisonné, a publié une lettre soutenant le message d'Öcalan, mais demandant qu'il soit accompagné d'une « feuille de route ». Tuncer Bakirhan, l'actuel co-président du parti DEM (qui échappe pour l'instant à la prison…) soutient également le processus tout en condamnant la politique d'Ankara : « Le gouvernement continue de réprimer le parti DEM. Depuis les élections municipales de mars 2024, dix maires démocratiquement élu·e·s de DEM ont été remplacé.e.s par des administrateurs de l'AKP. Rien qu'en février, plus d'une douzaine de journalistes pro-kurdes ont été arrêtés. Il faut libérer tous les prisonniers politiques. »

Pendant la fête du Newroz à Cizre et à Nusaybin, au Kurdistan de Turquie, pas loin de la frontière irakienne et syrienne, trois hommes nous livrent leurs impression du processus de paix. Mehmet, 60 ans, originaire de Cizre :

  • « Nous avons une confiance absolue en Abdullah Öcalan, et nous savons qu'il ne nous trahira jamais. Mais nous avons besoin de garanties, et nous n'en avons aucune. Comment imaginer que notre région, rongée par des décennies de guerre, pourrait trouver la paix grâce à Erdoğan qui a mis tant de nos enfants en prison ? Comment vivre en paix si Apo est toujours derrière les barreaux ? Il n'y a pas une seule famille dans notre région qui n'a pas été endeuillée par la sale guerre des Turcs, malgré toutes nos tentatives afin d'en finir avec ce conflit. Alors notre méfiance est logique, je crois. »

Abdulrahman, 78 ans :

  • « J'ai été très heureux quand j'ai entendu l'annonce d'Öcalan. Je vis à Cizre depuis que mon village a été brûlé par l'armée turque dans les années 1990. Aujourd'hui, ma famille est écartelée entre le Rojava, le Kurdistan irakien et l'Allemagne. J'espère que nous serons un jour tous réunis, mais je crois que le chemin sera long. Nous n'avons, de toute façon, pas d'autre choix. »

Ferhat, Nusaybin, 25 ans

  • : « Je ne crois absolument pas qu'une paix est possible si nous n'obtenons rien en échange. Nous ignorons tout de ce qu'il se joue en coulisses, et c'est très déstabilisant. J'espère que nous obtiendrons des droits, que la Turquie arrêtera de se déchaîner contre nous, nous avons assez souffert, mais pour être honnête je n'y crois pas vraiment ».

Les FDS en Syrie ne sont pas concernés

Ankara interprète le message d'Öcalan comme un désarmement et une dissolution du PKK sans contrepartie et qui devrait aussi inclure les YPG, les forces armées kurdes en Syrie, ainsi les FDS (Forces Démocratiques Syriennes). Celles-ci devraient, selon Erdoğan, être dissoutes et intégrées dans l'armée syrienne sur la base de l'adhésion individuelle. Mais les choses ne se passeront pas de cette façon. Dans le nord et l'est de la Syrie, l'alliance kurde, arabe, syriaque a obtenu une autonomie de facto, après avoir sacrifié 12 000 jeunes dans sa lutte contre Daesh. Le commandant des FDS, Mazloum Abdi a tout-de-suite déclaré que celles-ci ne sont pas concernés par l'appel d'Öcalan : « Cet appel ne concerne que le PKK » a-t-il précisé. Saleh Muslim, un des principaux dirigeants politiques du PYD en Syrie m'avait confié dans un interview début février : « Si la Turquie discute avec Öcalan et prend cela au sérieux, qu'elle arrête alors de nous attaquer, de lancer des bombes tous les jours sur le barrage Tishrin [dans le nord de la Syrie]. Le PKK a souvent essayé d'entamer un processus de paix avec le gouvernement turc : en 1993, en 1998, en 2007 et encore en 2013. À chaque fois le côté turc a fait défaut. Ils ont continué avec leurs destructions. Nous espérons que, cette fois-ci, c'est sérieux et qu'une solution sera trouvée, parce que nous ici, en Syrie, nous ressentirons certainement les effets positifs d'une éventuelle solution politique dans le Kurdistan du Nord. »

A Qandil, dans la haute montagne irakienne, la direction du PKK a également adhéré à l'appel, en demandant qu'Öcalan soit en mesure de diriger lui-même le congrès et de déclarer le cessez-le-feu. Mais le régime turc poursuit la répression : l'actrice Melisa Sozen est poursuivie au motif « propagande terroriste » pour son rôle dans la série « Bureau des légendes », où elle joue le rôle d'une combattante kurde syrienne du YPJ. Le 18 février 2025, plus de 300 Kurdes, écrivains, avocats, journalistes, ont été arrêtés pour « terrorisme » au Kurdistan de Turquie. La plupart d'entre eux sont des sympathisants du parti pro-kurde DEM. Le 24 février, un dixième maire kurde élu a été suspendu et remplacé par un administrateur envoyé par Ankara. Le 20 février, c'est Orhan Turan, le président du patronat turc, qui a été placé sous contrôle judiciaire. Turan avait critiqué les « atteintes à l'État de droit en Turquie ». Erdoğan s'en prend même à son propre patronat. Il est donc loin d'être certain qu'il acceptera de s'assoir à une table pour négocier avec les Kurdes.

*

Illustration : rassemblement à l'occasion du Newroz (jour nouveau en kurde) à Diyarbakir.

Note

[1] L'auteur de cet article étant banni pour 10 ans du territoire turc, la plupart des citations ont été récoltées par téléphone.

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Yémen. Oublié du monde, au cœur de la région

1er avril, par Alexandre Lauret — , ,
Victime de la rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite ou menace sécuritaire ? Au terme de dix ans de guerre, le Yémen demeure ignoré et sa société toujours méconnue. La (…)

Victime de la rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite ou menace sécuritaire ? Au terme de dix ans de guerre, le Yémen demeure ignoré et sa société toujours méconnue. La situation y est souvent réduite à une terrible catastrophe humanitaire. Depuis dix-huit mois, les actions armées des houthistes en mer Rouge et jusqu'en Israël ont encore infléchi le regard sur ce pays.

Tiré d'Orient XXI.

Diffusé en 2024, le documentaire La Fureur des houthis présente une scène saisissante, illustrant le rapport complexe qu'entretiennent bien des Yéménites avec la mondialisation. Le réalisateur, Charles Emptaz, y suit deux influenceurs yéménites, proches des autorités houthistes, des rues de la capitale, Sanaa, à la visite de l'épave du Galaxy Leader, le roulier abordé par les houthistes le 19 novembre 2023 en solidarité avec les Palestiniens et dérouté vers le port de Hodeïda qu'ils contrôlent (1).

Le navire commercial est rapidement devenu une attraction touristique. Les deux influenceurs se filment à bord. Sur le pont, l'un des hommes commente sa découverte : « Ce bateau est vraiment géant. Cela doit représenter une perte immense pour Israël. » Ces propos interpellent quant au décalage entre la perception de cet influenceur et la réalité économique du commerce mondial où le Galaxy Leader ne représente qu'un navire, parmi tant d'autres, d'une flotte commerciale affiliée à des hommes d'affaires proches des intérêts israéliens. Bien plus qu'une attraction touristique censée célébrer la victoire du régime houthiste sur le gouvernement central yéménite et le commerce mondial, cette scène donne à voir l'isolement tragique du Yémen sur la scène internationale, mais aussi l'efficacité de la propagande houthiste entourant ses opérations en solidarité avec les Gazaouis.

Dominants sur le terrain national, ignorés au-delà

Le 26 mars 2015, le déclenchement de l'opération « Tempête décisive » par les Saoudiens, qui prenaient la tête d'une coalition de pays arabes en soutien au régime yéménite en place, transformait le Yémen aux yeux des rares médias intéressés en une sorte de victime de ses voisins du Golfe, plus riches et alliés aux pouvoirs occidentaux. L'enlisement de la guerre et la capacité des houthistes à rééquilibrer la confrontation militaire ont progressivement conduit à reconsidérer une lecture simplificatrice centrée sur la dimension régionale du conflit. Une décennie d'affrontements laisse le Yémen, et les parties en conflit, dans une position ambivalente dans les relations internationales.

En effet, l'intervention des Saoudiens et de leurs alliés pour défaire les rebelles houthistes qui avaient pris Sanaa en septembre 2014 a d'abord permis de repousser les avancées de ces derniers, libérant Aden ainsi que des territoires voisins du détroit de Bab El-Mandeb, desserrant quelque peu le verrou sur la route de la mer Rouge par où transite près de 20 % du commerce maritime mondial. Mais le succès n'a été que limité.

Après 25 000 raids aériens, un blocus maritime et près de 400 000 morts (directs et indirects à la suite des famines et du déclenchement d'épidémies telles que le choléra), selon l'estimation publiée par les Nations unies, la coalition arabe demeure enlisée et, aujourd'hui, en retrait. Le gouvernement loyaliste yéménite est pris dans la tourmente de la fragmentation avec les indépendantistes du sud du pays. Les houthistes maintiennent leur contrôle sur un tiers du territoire, dont Sanaa, et la majorité de la population. Ils ont su s'imposer comme la principale force politique et militaire sur la scène nationale tout en développant un potentiel de nuisance indéniable en mer Rouge et dans la région depuis l'automne 2023.

Là est la contradiction, pour ne pas dire le paradoxe de la guerre du Yémen. Malgré sa façade maritime de plus de 2 000 kilomètres bordant la mer Rouge et le golfe d'Aden, en dépit d'une situation humanitaire catastrophique et d'un effet sensible du conflit sur le commerce international et la sécurité régionale, le Yémen reste comme ignoré. La volonté de retrait militaire des Saoudiens depuis 2022 tout comme la diminution de l'aide internationale favorisent un pourrissement du conflit, tout en laissant les houthistes en position de force. Ceux-ci engagent le pays dans le repli et développent une idéologie conservatrice qui s'aligne toujours plus avec l'Iran, à rebours des aspirations de bien des Yéménites et de l'intégration d'un pays, si bien situé, dans les échanges, flux de biens et personnes. Au cours de l'été 2024, les arrestations d'acteurs humanitaires et d'employés des agences de l'ONU ont de plus acté la volonté des houthistes de se retirer du monde – faisant mine de croire que leur pays peut vivre en autarcie, comme c'était le cas au début du XXe siècle.

La mer Rouge, un levier politique

En février 2025, la décision du président américain Donald Trump de classer les houthistes en tant qu'organisation terroriste étrangère se fait contre l'avis des acteurs humanitaires, mais aussi des observateurs et acteurs politiques yéménites qui affirment que le mouvement rebelle se nourrit de sa position de paria sur la scène internationale. Les bombardements successifs depuis dix-huit mois par Israël, les États-Unis et le Royaume-Uni, après la longue phase d'interventionnisme saoudo-émirati, n'ont que peu de chance de transformer l'équilibre militaire. Au sol, les anti-houthistes, fragmentés, demeurent sur la défensive. De plus, ces bombardements ont principalement un coût pour les civils, affectant l'économie et l'arrivée de l'aide, empêchant par exemple l'aéroport de Sanaa de fonctionner normalement.

Les discours des rebelles sur l'autarcie cachent un autre paradoxe : l'assise territoriale des houthistes – dont les dirigeants sont issus des hautes montagnes de l'intérieur, et prônent un repli identitaire – n'est en réalité possible que parce qu'elle s'articule avec la mondialisation. La façade maritime de la mer Rouge est devenue pour eux un espace stratégique de souveraineté et de légitimité à conquérir et à défendre. En 2010, six ans après le début de la guerre à Saada, les rebelles houthistes, soutenus par l'Iran, ont réussi à s'emparer de territoires dans trois gouvernorats différents : Saada, Hajjah (donnant accès à la mer Rouge) et Al-Jawf (doté de ressources pétrolières), tandis qu'Ali Abdallah Saleh, l'ancien président du Yémen, clamait à qui voulait l'entendre que les rebelles perdaient du terrain. Au cours de ces affrontements répétés, la prise du port de Midi, situé à une dizaine de kilomètres au sud de la frontière saoudienne, est devenue un objectif stratégique majeur. En effet, ce port offrait la possibilité de recevoir des armes et un soutien logistique en provenance d'Iran (2).

Après la révolution et le départ de Saleh en 2012, les houthistes participent à la phase de transition (2012-2014), mais axent leurs demandes sur le maintien de leur contrôle sur les territoires conquis, notamment l'accès à la mer. En 2014, quand un nouveau découpage porté par la Conférence du dialogue national (3) les prive de la façade maritime, ils s'emparent de la capitale.

Dès le début de la guerre, la façade maritime devient l'enjeu stratégique central pour les rebelles. Ils prennent le contrôle du port de Hodeïda ainsi que de la plaine littorale de la Tihama, bordant la mer Rouge. Toutefois, ils ne parviennent pas à maintenir leur présence à Aden. S'ils perdent quelques villes portuaires, notamment Mokha au sud de la Tihama où débarquent des forces émiraties en 2018, la perspective d'une amplification de la crise humanitaire qu'occasionnerait la perte de Hodeïda (brisant la ligne d'approvisionnement de l'aide internationale vers les territoires houthistes) encourage des pourparlers de paix. L'accord de Stockholm acte de fait le contrôle de Hodeïda par les houthistes, favorisant, malgré un blocus annoncé, l'approvisionnement en matériel iranien et leur instrumentalisation de l'aide humanitaire.

La Palestine, une « cause nationale »

En position de force, alors que le front militaire demeurait gelé, les houthistes ont entamé en 2022 d'autres négociations à Riyad. L'Arabie saoudite ayant accédé à la plupart de leurs exigences, ils semblaient sur le point de signer un accord lorsqu'ils ont développé une nouvelle stratégie en mer Rouge, capturant le Galaxy Leader en réponse aux massacres survenus dans la bande de Gaza à l'automne 2023. À partir de ce moment, la défense de la Palestine a été proclamée cause nationale par les autorités houthistes. Depuis lors, plus d'une centaine de navires liés à Israël ou à l'Occident ont été attaqués en mer Rouge. Le 12 mars, face aux blocages par Israël de l'entrée de l'aide humanitaire à Gaza, le leader Abdelmalek Al-Houthi annonçait la reprise des attaques après une pause.

Bien que le soutien des houthistes à la cause palestinienne ne doive pas être minimisé, leurs attaques en mer et vers Israël semblent avant tout servir leurs ambitions politiques, tant au niveau national qu'international. Après une décennie de guerre civile, le bilan de gouvernance des autorités houthistes se résume à l'instauration d'un régime d'exception, brutal et autoritaire, justifié par l'effort de guerre totale. La paupérisation seulement contenue grâce à l'aide humanitaire internationale s'aggrave, et la crise de financement des programmes de l'Agence des États-Unis pour le développement international (U.S. Agency for International Development, USAID) risque d'être lourde de conséquences sur les civils.

Dans ce contexte, la défense de la Palestine offre à l'administration houthiste un répit stratégique, lui permettant de renforcer sa légitimité auprès de la population yéménite sous son contrôle. Alors que les manifestations sont interdites depuis 2014, le régime organise régulièrement d'importantes marches populaires à Sanaa et dans toutes les villes sous son autorité. Ces démonstrations de soutien au peuple palestinien sont ensuite récupérées par la propagande houthiste pour affirmer l'unité nationale du Yémen derrière ceux qui se positionnent comme le bras armé d'une Palestine négligée par les pays musulmans. Dans le contexte de la trêve adoptée entre le Hamas et Israël en janvier 2025, les dirigeants houthistes ont interrompu leurs attaques, avant de reprendre les armes moins de deux mois après, quand Donald Trump a ordonné, mi-mars, des bombardements massifs au Yémen, ouvrant une nouvelle phase dans l'implication militaire américaine, promettant aux houthistes, et derrière eux à l'Iran, un « enfer jamais vu ». La séquence rappelle combien le Yémen, oublié du monde, demeure un enjeu des relations internationales.

Notes

1- Ce cargo battant pavillon bahaméen, affrété par une société japonaise pour transporter des automobiles, était la propriété d'une société britannique détenue par un homme d'affaires israélien. Son équipage a été libéré le 6 février 2024.

2- Ce soutien a pu partir de ports sur la côte somalienne (comme Berbera), voire du port de Djibouti, où des cargaisons de nitrate d'ammonium ont été détournées tout au long de la décennie écoulée.

3- L'institution chargée de la constitutionnalisation du régime issu des élections de 2012 et de la mise en place d'une justice transitionnelle.

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Perspectives d’une Syrie renaissante

1er avril, par Marie-Ève Godin — , ,
La Syrie connaît un regain d'espoir depuis la chute du régime de Bachar al-Assad en décembre dernier. La reconstruction du pays ne sera toutefois pas sans difficulté. Le pays (…)

La Syrie connaît un regain d'espoir depuis la chute du régime de Bachar al-Assad en décembre dernier. La reconstruction du pays ne sera toutefois pas sans difficulté. Le pays est en guerre civile et la population subit une répression gouvernementale violente de plus de dix ans. C'est ce qu'ont affirmé les panélistes du webinaire du 13 mars dernier, intitulé SYRIE : Quel avenir ? Quels défis ? Quelle solidarité ?

Tiré d'Alter Québec.

Le politologue Ziad Majed a d'abord rappelé les circonstances de la chute du régime assadien. À la veille de sa chute, la Syrie de Bachar al-Assad était fragmentée par de nombreuses occupations du territoire de la part d'Israël, de la Turquie, de l'Iran, de la Russie et des États-Unis. Il explique qu'en 2024, le régime s'effondrait déjà et qu'il n'aurait pu résister à quelconque pression surprenante telle que celle du renversement mené par le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC) en décembre. Le nouveau président, Ahmed al-Charaa, était à la tête de ce groupe rebelle islamiste né de la guerre civile syrienne.

Se dissocier de l'ancien régime

Le nouveau dirigeant devra « faire avec une Syrie qui a énormément de crises et énormément de défis et de difficultés », explique Majed. La fracture politique et territoriale du pays, le déplacement de la population et la crise économique ne sont qu'une poignée des embûches de la reconstruction avec lesquelles l'administration actuelle devra composer.

Ahmed al-Charaa devra livrer un combat de légitimation à la fois interne et externe. Il doit non seulement réconcilier la relation du gouvernement avec les Kurdes et les Druzes, mais également rétablir les relations du pays avec la communauté internationale. Al-Charaa souhaite se dissocier de Bachar al-Assad en adoptant une posture d'ouverture et d'inclusion envers les groupes minoritaires du pays : les Druzes, les Kurdes et le peuple alaouite, dont Al-Assad est issu.

Cependant, les tensions confessionnelles à l'intérieur du pays restent une réalité, comme l'ont démontré les évènements du 6 mars dernier. Le déchaînement de l'armée du nouveau régime en réponse aux attaques de milices fidèles à l'ancien régime aurait fait plus de 1300 morts. La majorité de ces victimes étaient des civiles alaouites qui ont été ciblé.es et exécuté.es sommairement. Certains désignent les coupables comme étant des « factions indisciplinées » du nouveau régime ayant abusé de leur pouvoir.

De nombreuses fractures sociales

Pour l'historien Farouk Mardam-bey, les deux questions sociales les plus préoccupantes sont d'ordre d'intégration nationale : la question kurde et la tension entre les communautés socioconfessionnelles.

L'administration autonome kurde au nord du pays, le Rojava, était dirigée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition militaire. Cette dernière avait des relations ambigües avec l'ancien régime, notamment en raison de son lien fort avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe rebelle kurde de Turquie.

Toutefois, la région contient près de 90 % des ressources pétrolières du pays, ajoutant à l'urgence ressentie par le nouveau régime de parvenir à une solution équitable avec les FDS. Le président al-Charaa et les FDS ont ainsi conclu en mars une entente visant à intégrer la coalition et toutes leurs activités à l'institution centrale syrienne.

Selon Mardam-Bey, l'importance territoriale et démographique du Rojava a également influencé cet accord, qui promet de garantir la satisfaction des revendications politiques et culturelles kurdes.

Mardam-Bey considère que cette décision a été accueillie avec enthousiasme autant par la population arabe de Syrie que par les Kurdes. Toutefois, la confession sunnite du nouveau chef inquiète certains membres de groupes minoritaires. Le groupe sunnite, largement majoritaire au pays, peut être perçu comme étant le « nouveau maître du pays » par les alaouites, les ismaélien.nes, les Kurdes ou les Druzes.

« Le plus préoccupant dans ce contexte […] est l'absence de toute force politique libérale ou de gauche qui soit capable de jouer le rôle d'une opposition structurée et responsable ou de prendre la relève si, par malheur, la Syrie sombrait dans l'anarchie », prévient-il.

Une économie à refaire

L'économiste Jihad Yazigi, en direct de Damas, a expliqué que l'économie syrienne souffre principalement de la destruction physique massive causée par la guerre et les coûts de reconstruction. Les dépenses de guerre, l'exode de la main d'œuvre, la fracture du territoire et, surtout, les sanctions occidentales placées sur la Syrie ont contribué à la précarité de la situation économique.

Les sanctions américaines sur le secteur bancaire syrien sont celles qui le pèsent le plus lourd dans la balance. Elles devront être levées pour faire une réelle différence sur l'économie du pays, alors qu'on observe la levée des sanctions européennes sans impact positif marqué. La faillite du secteur bancaire libanais en 2019 a également eu un rôle important à jouer, bloquant l'accès de la population syrienne à des sommes importantes en dépôt au Liban.

Malgré les évènements du 6 mars et les difficultés liées à la reconstruction, il y a « beaucoup de chances que la situation économique du pays, dans les années qui viennent, s'améliore », selon Yazigi.

Pour le moment, la priorité est le redémarrage de la production et de l'activité économique dans tous les secteurs. Les services essentiels à la population, comme l'électricité, le blé et le pétrole doivent augmenter leur production pour permettre à l'économie de se relever tranquillement.

En quête de justice après la chute de l'ancien régime

Selon le juriste Abdulhay Sayed, la justice transitionnelle est essentielle afin de se défaire des vestiges du régime de Bachar al-Assad. « Trop longtemps, la Syrie a été une terre d'impunité », souligne-t-il.

Selon le juriste, la justice transitionnelle sert à faire émerger la vérité à travers le dialogue ainsi qu'à favoriser l'art de la réconciliation. Ce processus de justice doit évaluer les crimes commis par l'institution étatique elle-même. Abdulhay Sayed soutient que « l'appareil d'État a été transformé en un instrument de répression et de violence » par le régime assadien.

Ce dernier rappelle toutefois que le crime d'institution contient une autre dimension, celle-ci concernant sa façon de bâtir du ressentiment qui mène justifier les crimes de masse. Le processus de justice servirait alors aussi à identifier et à analyser les discours qui ont permis cette socialisation de la haine.

Sayed soutient que la condition politique d'une telle justice repose sur un système constitutionnel fondé sur une légitimité électorale. Elle ne peut pas être fondée sur une rhétorique dite révolutionnaire ou sur la construction d'un pouvoir centré autour d'un chef charismatique, comme cela semble être le cas actuellement avec la nouvelle déclaration constitutionnelle.

« C'est uniquement, à mon sens, dans ce cadre qu'une justice véritablement équitable pourra émerger pour tous les Syriens et pas une justice à sens unique », a-t-il conclu.

Malgré les défis que présente la reconstruction au terme de la guerre et de décennies de règne autoritaire, les panélistes se sont montrés assez optimistes quant au futur du pays. Pour les Syrien.nes, dont les réfugiés ont déjà recommencé à regagner leur terre natale, « c'est un acquis considérable qu'il n'y aura plus de président éternel », affirme Ziad Majed. « Leur esprit de révolte et leur esprit de contestation, qu'on voit chaque jour dans les moyens actuels d'information, est plus vivant que jamais ; ils sont prêts à recommencer », maintient-il.

Pour revoir la discussion et le webinaire.

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Le Sri Lanka à la croisée des chemins : Résister à la domination géopolitique et protéger la souveraineté

1er avril, par Front Line Socialist Party — , ,
Le Sri Lanka se trouve à un carrefour critique dans l'évolution de la lutte géopolitique entre les puissances mondiales et régionales. Les récents accords avec la Chine et (…)

Le Sri Lanka se trouve à un carrefour critique dans l'évolution de la lutte géopolitique entre les puissances mondiales et régionales. Les récents accords avec la Chine et l'Inde soulignent l'influence externe croissante sur l'économie du pays, le secteur de l'énergie et la sécurité nationale. Le Front Line Socialist Party (FLSP) avertit que le Sri Lanka risque de perdre à la fois sa souveraineté économique et son autonomie politique en s'emmêlant dans la dynamique de pouvoir indo-pacifique entre la Chine, l'Inde et les États-Unis. Le parti appelle à la sensibilisation du public et à une intervention organisée, arguant que ni le gouvernement ni l'opposition parlementaire ne peuvent sauvegarder les intérêts du Sri Lanka. Cet article examine les implications des récents accords et exhorte le peuple sri-lankais à résister à la domination externe et à œuvrer pour un avenir souverain et indépendant. [AN]

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Le président Anura Kumara Dissanayake a effectué une visite d'État en République populaire de Chine du 14 au 17 janvier 2025 et une déclaration conjointe a été publiée le 16 janvier. Cette déclaration conjointe indique que « les deux parties ont convenu de suivre les huit grandes étapes annoncées par le président Xi Jinping pour soutenir la coopération Une Ceinture Une Route », et « les deux parties ont signé le plan de stratégie d'entreprise Une Ceinture Une Route ». Elle indique en outre que le gouvernement sri-lankais a accepté « d'avancer avec tous les grands projets, y compris la Port City de Colombo et le port de Hambantota, d'utiliser pleinement les programmes tels que l'atelier de la Route de la Soie, et de mettre en œuvre davantage de programmes de subsistance au Sri Lanka conformément aux principes de planification, de construction et de récolte des bénéfices ensemble. La coopération Une Ceinture - Une Route n'est pas seulement un programme de développement économique, mais aussi la stratégie géopolitique de la Chine dans la mer de Chine méridionale et l'océan Indien. Ce n'est un secret pour personne que les États-Unis sont engagés dans un programme appelé »Stratégie Indo-Pacifique" contre la Chine et cette lutte de pouvoir a créé une forte tension dans la région asiatique, y compris la région de l'océan Indien. La possibilité que cela évolue d'une guerre économique et commerciale, d'une contradiction politique et diplomatique vers un état de conflit militaire ouvert ne peut être exclue. Dans ce cas, l'Inde soutient les États-Unis, en tant que partenaire de la coopération militaire QUAD ainsi que de nombreux autres accords de coopération militaire. Le programme est asservi aux propres ambitions de l'Inde en tant que puissance régionale. La déclaration conjointe publiée avec l'Inde le 16 décembre 2024 est une démonstration de la loyauté du gouvernement actuel envers la stratégie de l'Inde dans l'océan Indien et envers le programme américain qui obtient son soutien. Ces deux déclarations montrent que le Sri Lanka est inclus dans la principale lutte géopolitique de la région de l'océan Indien.

D'autres accords importants qui ne figurent pas dans la déclaration conjointe publiée avec la Chine ont été conclus lors de la visite. La signature d'un accord approuvant la société chinoise SINOPEC pour construire une raffinerie de pétrole dans la région de Hambantota en est le principal. C'était un projet proposé par le régime de Mahinda Rajapaksa et l'administration successive de Ranil Wickramasinghe l'a également approuvé. Jusqu'à présent, le programme n'a pas pu être lancé en raison de l'opposition du peuple, et le JVP, principal parti du gouvernement actuel, était également un critique important du projet à cette époque. L'opposition à ce projet était fondée, d'une part, sur le fait que le Sri Lanka était pris dans un projet géopolitique basé sur le port de Hambantota. D'autre part, le problème causé à la souveraineté énergétique du Sri Lanka par des entreprises étrangères possédant l'importation, le raffinage et la distribution de pétrole qui est devenu un monopole complet du gouvernement du Sri Lanka selon la loi existante sur le pétrole. De plus, le manque de clarté sur la façon dont l'argent sera reçu par le Sri Lanka, même si l'on parle d'un investissement, était une autre raison. Aucune de ces raisons n'a changé cette fois-ci non plus.

Puisque le port de Hambantota est déjà propriété de la Chine depuis environ un siècle, le Sri Lanka perdra les revenus pétroliers du port de Hambantota en raison de l'ouverture d'une raffinerie de pétrole à proximité. Dans les conditions où le gouvernement actuel a accepté avec l'Inde de poursuivre les négociations relatives au projet de construction d'un oléoduc indien vers le Sri Lanka, il y a un risque que le Sri Lanka perde les revenus de l'approvisionnement en pétrole brut non seulement au port de Trincomalee mais aussi au port de Colombo. Il ne s'agit pas seulement d'un problème de perte de revenus, mais aussi d'un risque de perte de la souveraineté énergétique du Sri Lanka, et la fourniture d'installations militaires en lien avec ces ports crée un risque pour la sécurité nationale. Tous ces accords montrent que le Nord et l'Est sont sous domination indienne, tandis que la province du Sud, y compris Hambantota, est sous autorité chinoise. Le fait que ces deux puissances régionales se préparent à une forte intervention à Colombo rend le danger encore plus grave.

Nous attendons l'attention et la participation active de tout le peuple, y compris la classe ouvrière du Sri Lanka, concernant ces dynamiques politiques qui se développent de telle manière que non seulement la souveraineté économique du Sri Lanka mais aussi l'autonomie politique et la sécurité du peuple sont en danger. Nous croyons que les positions prises par le gouvernement sont extrêmement graves dans les contradictions géopolitiques qui ont été annoncées en lien avec les visites du président en Inde et en Chine. Il est clair qu'une solution à ce problème ne peut être attendue de l'opposition parlementaire, qui a maintenu les mêmes positions pendant longtemps. Par conséquent, nous appelons à une intervention organisée du peuple sri-lankais, y compris les travailleurs, qui ont le potentiel de créer des alternatives aux défis économiques, politiques, géopolitiques et militaires auxquels le Sri Lanka est confronté et de les concrétiser.

Comité central

Front Line Socialist Party

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Depuis l’élection de Trump : Augmentation sans précédent du nombre d’approbations de plans de colonies

1er avril, par Association France Palestine Solidarité — , , ,
Dans un revers remarquable, le Conseil supérieur de planification a approuvé plus de plans de construction au cours des trois derniers mois que pendant toute l'année 2024. (…)

Dans un revers remarquable, le Conseil supérieur de planification a approuvé plus de plans de construction au cours des trois derniers mois que pendant toute l'année 2024. Entre le 1er janvier et le 19 mars 2025, un total de 10 503 unités de logement ont été approuvées, dépassant les 9 971 unités approuvées pendant toute l'année 2024. Ce mercredi, 1 344 unités supplémentaires devraient être approuvées.

Tiré de Association France Palestine Solidarité
25 mars 2025, Traduction AFPS

Cette accélération spectaculaire fait suite à un changement important de politique. En juin 2023, le gouvernement Netanyahu-Smotrich a supprimé le contrôle direct de l'échelon politique sur la planification des colonies. Auparavant, chaque étape du processus d'approbation nécessitait l'accord du ministre de la défense. En novembre 2024, après l'élection du président Trump, le taux d'approbation des plans a nettement augmenté : le Conseil de planification est passé de réunions trimestrielles à des sessions hebdomadaires, approuvant des centaines d'unités de logement à la fois. Ce changement semble faire partie de la stratégie du gouvernement visant à normaliser la planification de la colonisation, à réduire la surveillance nationale et internationale et à tirer parti de l'attention mondiale portée à Gaza pour faire progresser rapidement l'expansion de la colonisation. Il semble que le gouvernement cherche à « remplir les réserves de planification » avec autant de plans approuvés que possible, garantissant ainsi le potentiel d'un développement futur important.

Peace Now : « Au lieu de s'occuper des otages et d'assurer la sécurité d'Israël, le gouvernement Netanyahu-Smotrich aggrave le conflit et sabote toute chance de résolution pacifique. Le gouvernement fait avancer des projets d'une ampleur sans précédent en Cisjordanie, qui finiront par coûter cher à tous les Israéliens sous la forme d'une violence prolongée et d'un fardeau financier énorme. »

Changements au sein du Conseil supérieur de planification et de l'administration civile

Le processus de planification a connu un développement important en octobre 2024, lorsque Yehuda Alkalai, l'ancien ingénieur du conseil régional de la colonie de Shomron, a été nommé à la tête du bureau de planification de l'administration civile. Des rapports indiquent que le ministre Bezalel Smotrich a plaidé pour la nomination d'Alkalai afin d'accélérer le processus d'expansion des colonies. La nomination d'Alkalai a été suivie d'un rythme extraordinaire d'approbation des plans, parfois quelques jours après leur présentation au Conseil de planification. Cette accélération est en partie attribuée à une approche plus souple en ce qui concerne le respect des conditions préalables avant qu'un plan ne soit soumis à discussion.

Le processus d'approbation rapide d'Alkalai s'aligne sur la stratégie plus large d'annexion poursuivie par le gouvernement actuel. Smotrich a mis en place l'Administration de la colonisation et l'a renforcée avec des conseillers juridiques qui remplacent le personnel juridique de l'Administration civile - qui, selon Smotrich, a « un ADN complètement différent » - une mesure qui semble faciliter des actions qui n'étaient pas réalisables auparavant. En outre, l'inclusion d'un représentant du ministère de la colonisation au sein du Conseil supérieur de planification politise davantage le processus de planification, permettant des décisions plus rapides en faveur de l'expansion des colonies.

Un exemple notable de ces changements est le plan n° 512/2, qui vise à légaliser des dizaines de maisons construites illégalement il y a plusieurs décennies dans la colonie d'Otniel, située au sud d'Hébron. Ce plan, qui ajouterait 156 unités d'habitation à la colonie, a été bloqué pendant des années parce que les routes qui y mènent passent sur des terres palestiniennes privées. En janvier 2025, cependant, le plan a été présenté au Conseil supérieur de planification et l'architecte qui l'a présenté a déclaré : « le plan n'a pas été avancé jusqu'à présent en raison de problèmes fonciers. Maintenant que les problèmes ont été résolus, il est avancé ».

La « solution » approuvée par le conseil juridique est que le plan stipule que des ponts seront construits sur les terrains privés, permettant ainsi de relier le quartier à la colonie. Il convient de noter que, outre le fait que la construction d'un pont viole également la propriété des propriétaires fonciers, les colons qui vivent dans des maisons déjà construites illégalement dans le quartier circulent quotidiennement depuis des années sur des routes qui ont été pavées sur des terres privées, sans aucune interférence. Il est difficile de croire que quelqu'un investirait des efforts et de l'argent dans la construction de ponts alors qu'il pourrait simplement continuer à s'emparer des terres.

Les plans approuvés - approfondir l'occupation jusqu'à l'annexion

La grande majorité des plans approuvés ces derniers mois prévoit l'implantation de colonies à l'intérieur de la Cisjordanie, ce qui a des conséquences considérables pour la continuité territoriale palestinienne et la viabilité d'un futur État palestinien. La construction de 10 000 nouveaux logements devrait permettre d'accueillir 40 000 à 50 000 colons supplémentaires.

Les principales approbations concernent de nouveaux quartiers dans des colonies telles que Itamar (284 unités), Yakir (464 unités), Kochav Yaakov (1 016 unités), Asfar (509 unités) et Ma'ale Amos (561 unités).

Le plan 516/3/1, dont le dépôt a été approuvé, prévoit la création d'un nouveau et grand quartier de 292 logements à l'est de la colonie d'Adora, ce qui doublera effectivement la taille de la colonie isolée située au nord-ouest d'Hébron. Dans la zone du plan, les colons ont récemment établi un nouvel avant-poste (Adora East Outpost), et le plan cherche à le légaliser rétrospectivement. L'avant-poste a été construit sur les ruines de la communauté palestinienne de Khirbet a-Taybah, qui a été violemment expulsée par des soldats et des colons en octobre 2023, comme le décrit le témoignage des habitants à B'Tselem :

Khirbet a-Taybah, Tarqumya : « La communauté abritait 10 familles, soit 47 personnes au total, dont six mineurs. Quatre autres familles, composées de huit adultes au total, y vivaient en fonction de la saison. Le 7 octobre 2023, des colons et des soldats sont arrivés et ont informé les habitants qu'ils devaient partir parce que le site avait été déclaré zone de tir. Les dix familles qui vivaient dans la communauté de façon permanente sont parties ce jour-là, mais les familles qui y vivaient de façon saisonnière ont continué à venir pendant la journée pour faire paître leurs troupeaux et passer la nuit à Tarqumya. Le 11 octobre 2023, plusieurs résidents ont tenté de rentrer chez eux pour vérifier leurs biens, mais les colons leur ont barré la route. Le matin du 17 octobre, les habitants ont réussi à atteindre leurs terres et ont trouvé 11 cabanes résidentielles et agricoles démolies et du matériel agricole volé. Les soldats qui les ont remarqués les ont chassés. Le 12 novembre 2023, à 12 heures, des soldats sont arrivés dans la communauté et ont informé les familles présentes sur une base saisonnière qu'elles devaient elles aussi partir, faute de quoi leurs maisons seraient démolies et elles seraient expulsées par la force, mais les familles ne sont pas parties. Le 21 novembre, des soldats sont de nouveau venus dans la communauté et ont menacé les membres de ces familles sous la menace d'une arme. En conséquence, les quatre familles sont également parties. Le 4 janvier 2024, à 16 heures, des habitants de la ville de Tarqumya ont vu de la fumée s'élever de leur communauté. Ils sont montés sur une colline surplombant la zone et ont vu que les colons avaient détruit et brûlé quatre structures agricoles et les meubles qu'ils avaient laissés derrière eux, et ont repéré un véhicule de sécurité de la colonie sur les lieux. »

L'exemple le plus frappant est peut-être celui de la colonie de Talmon, à l'ouest de Ramallah, où des plans pour 1 628 unités de logement ont été approuvés au cours des trois derniers mois, ce qui a permis d'étendre considérablement la zone et la population de colons. Avec d'autres projets récemment approuvés, Talmon pourrait bientôt devenir une colonie de dizaines de milliers d'habitants.

Traduction : AFPS

Photo : Peace Now

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