Nouveaux Cahiers du socialisme
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Invasion russe de l’Ukraine : Vladimir Poutine dans les pas de Saddam Hussein ?

Il existe un parallèle frappant entre le comportement de Vladimir Poutine à l’égard de la Géorgie en 2008, de l’Ukraine en 2014 et maintenant, d’une part et, d’autre part, le comportement de Saddam Hussein à l’égard de l’Iran au lendemain de sa révolution de 1979 et du Koweït en 1990. Les deux hommes ont eu recours à la force, accompagnée de revendications remarquablement similaires, afin de réaliser des ambitions expansionnistes. Saddam Hussein a envahi le territoire iranien à l’automne 1980, prétendant sauver les habitants arabophones de la province du Khuzestan, après les avoir encouragés à se rebeller contre le pouvoir de Téhéran et à déclarer une république indépendante, l’Arabistan. Cette invasion a marqué le début d’une guerre de huit ans, dont le premier effet a été de permettre au nouveau régime iranien de mettre fin au chaos qui a suivi la révolution contre le pouvoir du Shah et de consolider ses rangs. Après un nombre total de morts des deux côtés estimé à un million, ainsi qu’une dévastation et une destruction généralisées, les deux pays se retrouvent à la case départ à la fin de la guerre.
Dix ans plus tard, Saddam Hussein réitère son comportement imprudent en envahissant le Koweït, arguant qu’il s’agit d’une province irakienne découpée par les Britanniques, renouvelant ainsi une vieille revendication qui avait conduit à des tensions militaires entre le gouvernement d’Abd al-Karim Qasim et les autorités du Protectorat britannique au Koweït, lorsque celles-ci avaient décidé d’accorder à ce dernier son « indépendance » en 1961. Le résultat de cette deuxième invasion décidée par Saddam Hussein a été l’occasion donnée aux États-Unis tout d’abord de déployer leurs forces dans la région du Golfe à une échelle sans précédent ; ensuite de bombarder l’Irak « jusqu’à l’âge de pierre », comme le secrétaire d’État de l’époque, James Baker III, en aurait menacé le ministre des affaires étrangères irakien de l’époque, Tariq Aziz, peu avant la guerre ; enfin, et surtout, d’affirmer de manière spectaculaire leur suprématie en tant que seule superpuissance restante dans un monde qui était entré dans un « moment unipolaire » après des décennies de « bipolarité ».
Que les Arabes du Khuzestan aient ou non le droit à l’autodétermination et à l’indépendance, et que les revendications de l’Irak sur le Koweït soient légitimes ou non, n’est pas la question ici. Le comportement imprudent de Saddam Hussein s’est manifesté par sa mauvaise évaluation de l’équilibre des forces dans les deux cas. L’Irak est sorti des deux guerres dévasté et extrêmement affaibli, tandis que le dictateur irakien n’a réussi qu’à renforcer ses adversaires iraniens et américains. Il avait cru que le chaos qui régnait en Iran en 1980 ne ferait qu’empirer à cause de l’invasion irakienne, tout comme il pensait en 1990 que l’Amérique, militairement paralysée depuis sa sortie du Vietnam, n’oserait pas l’affronter.
Quel est le rapport avec Vladimir Poutine ? Le maître du Kremlin ne cache pas sa nostalgie de l’empire des tsars russes, reprochant à plusieurs reprises aux bolcheviks d’avoir appliqué lors de la Révolution russe le principe d’autodétermination en dessinant la carte des républiques soviétiques. Il tient particulièrement, et à juste titre, à empêcher l’élargissement de l’OTAN à des républiques qui, il y a trente ans, faisaient partie de l’URSS et étaient donc soumises à la tutelle russe. En 2008, pour empêcher la Géorgie d’adhérer à l’OTAN, Poutine (qui dirigeait alors le pays depuis le bureau du premier ministre, derrière une façade présidentielle nommée Dmitri Medvedev) a justifié l’invasion de son territoire par son soutien à la sécession des provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud qu’il encourageait à revendiquer leur « indépendance », comme Saddam Hussein l’avait fait avec l’ »Arabistan ».
En 2014, Poutine a invoqué son désir de réparer ce qu’il considérait comme une erreur commise par les dirigeants de l’Union soviétique lorsqu’il a envahi la Crimée et l’a formellement annexée à la Russie, pour empêcher l’Ukraine de rejoindre l’OTAN, comme Saddam Hussein avait rêvé de le faire avec le Koweït. La même année, Poutine est également intervenu militairement dans les provinces de Donetsk et de Louhansk, dans l’est de l’Ukraine, après avoir encouragé les séparatistes locaux à déclarer à leur tour leur « indépendance », comme il l’avait fait en Géorgie et comme le dirigeant irakien avait tenté de le faire en Iran. Dans les cas géorgien et ukrainien, Poutine a estimé que les États-Unis étaient trop faibles pour l’affronter : en 2008, ils étaient de plus en plus embourbés en Irak et, en 2014, sortis d’Irak après un échec abyssal, ils connaissaient un renouvellement partiel de la paralysie militaire qui les avait frappés après le Vietnam.
Les circonstances en 2008 et 2014 et par la suite ont semblé valider le jugement de Poutine. L’OTAN a touché le fond lorsque Donald Trump a remporté la présidence américaine en 2016, faisant perdre aux alliés traditionnels de Washington leur confiance dans la fiabilité de la protection américaine. Ils ont souhaité que Joe Biden efface l’héritage de Trump, mais ont été rapidement déçus. En effet, après sa honteuse retraite d’Afghanistan face aux talibans, la crédibilité de l’Amérique a atteint son point le plus bas depuis que sa défaite au Vietnam s’est achevée avec l’arrivée des forces communistes dans la capitale, Saigon. Poutine a donc dû considérer que la situation est devenue favorable à une nouvelle étape. Il a donc intensifié sa pression sur l’Ukraine, avec en toile de fond la reprise des affrontements entre les séparatistes et les forces gouvernementales ukrainiennes et l’entrée en lice de la Turquie, membre de l’OTAN, pour livrer des drones à Kiev. Si l’on ajoute à cela la pénurie mondiale qui a entraîné une forte hausse des prix du pétrole et du gaz, principales sources de revenus de l’État russe, tous les éléments sont réunis.
Cela signifie-t-il que les calculs de Vladimir Poutine sont plus intelligents et plus rationnels que ceux de Saddam Hussein, indépendamment des ressemblances entre leurs aventures militaires ? La réponse probable est que, si les calculs de Poutine se sont avérés corrects jusqu’à présent, il a pris, avec ses récentes actions, un risque plus aventureux que jamais. Joe Biden en profitera pour redorer son image bien écornée, tout comme Boris Johnson : après leurs prophéties auto-réalisatrices, les deux hommes doivent être heureux que Poutine leur donne l’occasion de détourner l’attention de leurs échecs. L’Alliance atlantique se trouve renforcée et dynamisée après avoir été malade (rappelez-vous le commentaire d’Emmanuel Macron sur l’OTAN « en état de mort cérébrale » il y a environ deux ans et demi). Le comportement de Poutine a peut-être même motivé les voisins de la Russie, la Finlande et la Suède, à rejoindre l’OTAN, après plus de soixante-dix ans de neutralité. Ce qui est encore plus dangereux pour la Russie, c’est qu’elle va devoir faire face à une pression économique occidentale considérablement accrue, ce qui va certainement l’affaiblir beaucoup plus que Poutine et son entourage semblent le croire. En fait, la Russie s’engage dans un cas typique de « surextension impériale », pour reprendre l’expression de Paul Kennedy. Elle agit militairement bien au-delà de sa capacité économique, avec un PIB inférieur à celui du Canada, et inférieur même à celui de la Corée du Sud, soit un peu plus de 7% du PIB américain.
Gilbert Achcar est professeur à l’Ecole des études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres. Il a notamment publié Le Choc des barbaries : Terrorismes et désordre mondial (2002, 2004, 2017), La Poudrière du Moyen-Orient avec Noam Chomsky (2007), Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (2009), Le Peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe (2013), Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme (2015) et Symptômes morbides. La rechute du soulèvement arabe (2017). Il publiera bientôt The New Cold War : Chronicle of a Confrontation Foretold.

Nicaragua. Histoire d’une trahison

Dora María Téllez, la «Comandante Dos», figure historique de la Révolution nicaraguayenne qui, en 1979, a renversé la dictature de la dynastie Somoza qui a étouffé le Nicaragua pendant des décennies, a été condamnée, il y a quelques jours, à huit ans de prison. Le procès qui l’a condamnée a été une farce grotesque: elle a eu droit à quatre minutes de parole.
Dans le même procès, une autre figure de proue du Sandinisme, aujourd’hui disparu, Victor Hugo Tinoco [ancien membre de la guérilla, ambassadeur aux Nations unies, critique d’Ortega il sera expulsé du FSLN en 2005 et rejoindra le Mouvement de rénovation sandiniste qui deviendra Unamos- Unión Democrática Renovadora], a été condamné à treize ans d’emprisonnement.
Récemment a été déclaré le décès en prison du commandant Hugo Torres, qui fut général lorsque l’armée sandiniste existait [voir à ce sujet l’article publié le 16 février 2022].
Un élément révèle assez clairement le genre de personne qu’Ortega est devenu: le commandant Hugo Torres et Dora María Téllez ont mené, en 1979, une initiative militaire qui a permis la libération du désormais dictateur, Daniel Ortega, qui se trouvait dans les prisons de Somoza.
Exilés et détenus
Nombreux sont ceux qui ont été des figures particulièrement marquantes de la période d’existence du sandinisme – de la victoire de 1979 à la défaite électorale de 1990 – et qui sont aujourd’hui exilés, isolés ou détenus.
Ce qui était au départ une soif de pouvoir du couple Ortega-Murillo [président et vice-présidente] s’est transformé en une copie grossière de la dictature de la dynastie Somoza. Et si, au début, cette prise de conscience m’a ouvert une brèche dans l’âme, aujourd’hui elle me remplit d’indignation.
Souvenirs de la révolution
Je me souviens bien que le 24 janvier 1980 était un jeudi. Ce jour-là, je me suis rendu pour la première fois au Nicaragua sandiniste. La révolution qui a renversé Anastasio Somoza avait exactement six mois et cinq jours.
Jusque-là, j’avais gardé un contact à distance avec l’écrivain Sergio Ramírez, dont je suis toujours un ami proche.
Je me souviens encore de l’émotion de cette première d’une très longue série de visites pendant le régime sandiniste qui a liquidé la dynastie qui avait pillé et étouffé ce beau pays pendant des décennies.
Ce furent mes jeunes années, et avec une poignée d’étrangers qui m’ont soutenu et ont essayé de collaborer, j’ai pu avoir de nombreux contacts avec plusieurs membres du gouvernement.
Dans ces réunions informelles, souvent de longs dîners qui duraient des heures, j’étais, toujours aux côtés d’autres sandinistes, avec Daniel Ortega.
Il m’est apparu comme un homme fermé, au regard méfiant, qui n’a craqué qu’une seule fois: en 1986, lorsqu’il m’a parlé de son frère Camilo, tué au combat face aux forces de Somoza alors qu’il était très jeune. Ce jour-là, il m’a également raconté que de l’âge de 15 à 34 ans, lui, Daniel, n’avait pas de maison: il vivait caché, errant d’un endroit à l’autre. Pour la première et unique fois, j’ai ressenti quelque chose d’humain dans cette figure de pierre.
Notre dernière rencontre a eu lieu à Rio de Janeiro, à la mi-1990, lors d’une réunion avec des artistes et des intellectuels, quelques mois après sa défaite électorale face à Violeta Chamorro [qui sera présidente la république d’avril 1990 à janvier 1997].
Piñata et après
Je ne suis jamais retourné au Nicaragua. De loin, je connaissais la «piñata», c’est-à-dire le pillage [de biens, de terres, etc.] qui a conduit certaines des plus hautes personnalités sandinistes, dont Ortega, à devenir millionnaires.
J’avoue qu’avec d’autres amis étrangers qui avaient vécu de si près la Révolution, j’ai mis du temps à accepter comme vrai ce qui était vrai. Même à cet égard, les traîtres sont devenus des copies conformes des somozistes.
Celle des sandinistes a été la dernière révolution de ma génération et, selon leur modèle, peut-être la dernière de l’histoire. A plusieurs reprises, nous avons eu le sentiment que les sandinistes conduisaient les Nicaraguayens vers quelque chose de très proche de la réalisation de rêves impossibles, de la possibilité de toucher le ciel de leurs mains.
Je chérirai à jamais dans ma mémoire les moments vécus durant ces années d’espoir, qui semblaient être d’une réelle luminosité.
Après avoir perdu les élections, à la suite de l’agression armée brutale menée par Washington avec le soutien des secteurs les plus réactionnaires du Nicaragua, le sandinisme a commencé à se déchirer. Il n’a pas fallu longtemps pour que ce qui avait été une Révolution vivante et belle commence à être trahi d’une manière vile et impardonnable.
A l’espoir qui a vaincu la dynastie Somoza a succédé une autre dynastie, tout aussi perverse, abusive, meurtrière. Depuis 2006, c’est-à-dire depuis 16 ans, le couple présidentiel manipule de manière absurde les élections afin de maintenir son pouvoir absolu.
Le pire des traîtres
Daniel Ortega est maintenant à la tête de cette nouvelle dynastie qui réprime, persécute et tue même les jeunes étudiants comme l’a été son frère Camilo lorsqu’il a été assassiné par la dynastie précédente.
Un traître est et sera toujours un traître, une figure abjecte et méprisable. Mais il y a des traîtres d’une pire espèce. José Daniel Ortega Saavedra appartient, avec «mérite et brio», à cette seconde espèce. (Article publié par le quotidien argentin Pagina 12, le 20 février 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

État espagnol : quand tout sent le pourri dans le PP
La guerre totale entre Casado et Ayuso met en lumière certaines des pires pratiques de corruption et de guerre sale utilisées tout au long de son histoire par le principal parti de la droite espagnole, non seulement contre ses ennemis politiques mais aussi en son sein.
Elle survient également quelques jours après l’échec de son projet d’obtenir la majorité absolue aux élections anticipées en Castille-et-León ; C’était la première force, mais avec 31 sièges, ce qui l’oblige à trouver une formule qui lui permette de gouverner cette Communauté sans avoir à céder à toutes les exigences que Vox lui adresse déjà. Des élections au cours desquelles ce parti d’extrême droite a vu se consolider les résultats qu’il avait déjà obtenus lors des dernières élections générales de 2019, passant de 1 à 13 sièges, bien qu’avec 10% de voix en moins, tandis que le PSOE et l’UP ont connu un revers notable (ils sont passés respectivement de 35 à 28 sièges et de 2 à 1), principalement au profit d’Unión del Pueblo Leonés (avec 3 sièges) et de Soria ¡Ya! (avec 3 autres),
Nouveau circuit ?
Sans aucun doute, un nouveau cycle s’ouvre maintenant, mais pas celui que le toujours principal leader de l’opposition voulait dans son aspiration à atteindre la Moncloa, mais celui qui se déchaîne au sein de son parti et dans lequel on ne peut exclure la scénario du pire : une rupture organique, tôt ou tard, entre les deux secteurs opposés, même s’il existe aussi de nombreux intérêts communs qui peuvent pousser à une recomposition qui, de toute façon, n’empêchera pas d’importants dommages collatéraux.
Bien sûr, les précédents ne manquent pas pour ce mélange de corruption et de sale guerre qui caractérise le PP depuis ses origines et, surtout, ces dernières décennies : le tamayazo de 2003 (qui, en achetant deux députés du PSOE, a donné au gouvernement la Communauté de Madrid à la marraine politique d’Ayuso, Esperanza Aguirre) ; l’espionnage du gestapillo d’Angel Carromero désormais démissionnaire aux dirigeants de son propre parti, ou celui du sinistre Villarejo à l’ex-trésorier Bárcenas, la longue histoire de macro-scandales de corruption (avec le Gürtel comme déclencheur de la motion de censure qui a chassé Rajoy du bureau Moncloa) [1] , ou, plus récemment, sa collusion avec deux députés de l’UPN pour empêcher le décret gouvernemental de réforme du travail d’aller de l’avant.
C’est pourquoi les motifs juridiques ne manquent pas pour justifier, comme l’a soutenu Javier Pérez Royo [2] , d’exiger l’interdiction de ce parti, déjà qualifié par la justice d’« organisation criminelle ». Car, ne l’oublions pas, il s’agit d’une formation politique qui porte dans ses gènes ses origines franquistes [3] et qui consolide des réseaux de corruption et une « classe public-privé » (Pastor, 2010 : 93) qui sont ancrées dans le capitalisme immobilier et extractiviste et dans le noyau dur de l’appareil d’État. Alors, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, si ce n’est que désormais toutes les tensions au sein de cette trame d’intérêts se manifestent avec toute leur cruauté , comme les protagonistes eux-mêmes ont dû l’admettre.
Cette guerre survient également à un moment où Pablo Casado se rapproche de plus en plus du discours qu’Ayuso a développé lors de sa campagne électorale réussie en mai de l’année dernière, s’adaptant à la pression d’offrir une version néolibérale et néoconservatrice de Trump à la version espagnole qui lui permet de contrecarrer l’influence de Vox dans une partie grandissante de son électorat [4] .
Une lutte pour le pouvoir
Ainsi, cela n’a pas beaucoup de sens de rechercher des différences entre les deux dirigeants sur le plan idéologique. C’est, purement et simplement, une lutte pour le pouvoir dont l’évolution dépendra probablement de la position adoptée par les principaux barons autonomes dans les prochains jours, avec le président galicien, Feijóo, en tête, qui semble miser sur un Congrès extraordinaire. au cas où les deux prétendants ne parviendraient pas bientôt à un armistice. Un conflit dont l’issue sera sans aucun doute influencée par l’alignement que prennent les principaux pouvoirs médiatiques et, avec eux, le poids de la rue, avec des initiatives telles que la manifestation appelée ce dimanche 20 février à Madrid en faveur d’Ayuso en devant le siège du PP.
Car le rôle que peuvent jouer ces acteurs pas si secondaires est le principal atout du président madrilène face à Casado : son indéniable leadership charismatique lui permet de se présenter en victime, malgré les preuves évidentes de la corruption dans laquelle elle a été impliquée. .. au pire moment de la pandémie. Mobilisant ses partisans pour la défense de sa « liberté » d’entreprendre… au détriment de l’argent public, et « surtout, ma famille » face à l’espionnage subi, il tire une nouvelle fois des arguments pour sortir de son recours constant au népotisme. en arrière-plan et les réseaux clients.
Cette complicité gagnée parmi sa base la plus militante est ce qui corrobore comment, au cours des dernières décennies, ce que le juge Joaquim Bosch définit comme un « électorat corrompu » s’est consolidé : ces « citoyens qui applaudissent les traitements de faveur et les pratiques frauduleuses, sachant qu’ils le sont. Ce manque de valeurs éthiques favorise notamment la corruption. Une complicité qui ne signifie pas nier le poids d’autres facteurs qui peuvent expliquer le succès électoral d’Ayuso et qui ont à voir avec les racines sociales, culturelles et idéologiques de son néolibéralisme trumpiste à la madrilène . Mais pas pour ça il faut dédaigner la contamination de son fidèle électorat à tout vadans la défense commune de leurs intérêts et privilèges de pouvoir ou de statut. On pourrait faire valoir la même chose, évidemment, concernant Casado malgré le fait qu’il veut se présenter maintenant avec le désir de se distancer du passé corrompu de son parti… recourant aux pires méthodes de la gestapillo .
Comme ils l’affirment du PSOE -qui a aussi une histoire de corruption et de sale guerre qu’il ne faut pas oublier- et aussi de l’UP, il n’y a aucun espoir qu’une droite “démocratique et moderne, européenne” émerge de cette crise, surtout quand Ce que nous observons dans de nombreux pays voisins, comme la France, c’est une adaptation croissante à l’agenda et aux discours de l’extrême droite respective de la part de ces anciennes droites.
Cette guerre interne éclate également lorsque Vox peut se présenter comme la seule opposition crédible au gouvernement PSOE-UP, après la décomposition de Ciudadanos et, désormais, la division interne grandissante dans les rangs du PP quant à la tactique à adopter face à ce parti. . Certains chroniqueurs médiatiques comme El Confidencial prédisent déjà une surprise de l’extrême droite au PP au cas où Casado continuerait à diriger cette formation aux prochaines élections législatives.
En revanche, de l’autre côté, celui du peuple de gauche, dans certains secteurs la résignation se répand face à la politique du moindre mal et, dans d’autres, la déception face à un gouvernement qui n’a pas tenu les principales promesses que, bien que modéré, contenait son programme électoral, comme ceux liés à l’abrogation de la réforme du travail de 2012, la réforme fiscale ou, on le craint aussi, celui de la loi bâillon, dont le projet a déjà été critiqué comme un simple « maquillage ” par différentes organisations sociales dont Amnesty International. Dès lors, on ne peut s’étonner qu’au milieu d’une démobilisation quasi générale, le vide laissé par ces partis ait facilité l’émergence de nouvelles forces politiques provinciales .dans les institutions ni, surtout, que la désaffection des citoyens à l’égard de la politique et des partis en général augmente.
Tout cela se déroule, en somme, dans un contexte international où il est difficile de trouver des différences substantielles entre les principaux partis du régime, coïncidant à la fois dans leur obéissance aux diktats de la Commission européenne – comme le ministre du Travail a dû le faire admettre, Yolanda Díaz- et le FMI, qui demande déjà des ajustements en 2023. Ou, ce qui est encore plus scandaleux, la servilité dont ils font preuve envers l’impérialisme américain, avec lequel ils ont d’emblée serré les rangs pour favoriser l’escalade militaire de l’OTAN face à la crise ouverte autour de l’Ukraine. Un conflit qui nous oblige à retrouver la mémoire des mouvements anti-OTAN et antimilitaristes des décennies passées afin d’entreprendre des initiatives capables d’endiguer la menace réelle du déclenchement d’une guerre dont les conséquences seraient désastreuses au-delà de la région directement touchée.
Ce sera face à la montée en puissance de Vox et son contrôle grandissant de l’agenda politique, ainsi qu’au manque de volonté du PSOE et de son gouvernement (l’UP devient simple spectateur de sa dérive de plus en plus évidente vers le centre) pour rompre avec les limites marquées par la Commission européenne, la CEOE et les grandes transnationales, car il faudra reprendre force et enthousiasme pour montrer qu’il existe une autre voie possible : celle qui a marqué la confluence entre syndicale, sociale et politique les organisations dans la nécessité d’aller au-delà de la non-abrogation de la réforme du travail de 2012 ; la réaffirmation du mouvement féministe dans les rues avant le 8 mars prochain ; la lutte acharnée de différents groupes dans leur défense du droit à un logement décent, ou des campagnes comme celle que mène actuellement une Initiative populaire pour une réglementation extraordinaire des étrangers. A partir de ces espaces et d’autres en reconstruction, il faudra travailler, avec une « lente impatience », à reconstruire de nouveaux fronts communs et pôles politiques alternatifs.
Les références
Pastor, Jaime (2010) “Corruption politique vs. démocratie et socialisme par en bas », vent du sud , 110, pp. 88-96. Accessible sur https://vientosur.info/corrupcion-politica-vs-democracia-y-socialismo-desde-abajo/
Notes :
[1] Voir aussi l’article de Nuria Alabao dans CTXT, 17/02/2022 : « Après la guerre des gangs du PP… il y a le même ») https://ctxt.es/es/20220201/Firmas/38789/Nuria- Alabao -PP-Ayuso-Casado-lutte-interne-corruption.htm
[2] https://www.eldiario.es/contracorriente/ilegalizar-pp_132_8758203.html
[3] À cet égard, la publication récente du livre, La Patria en la portfolio , du juge Joaquim Bosch, est très opportune, car elle nous rappelle comment l’héritage de corruption systémique de la dictature franquiste n’a pas été éradiqué pendant la a mythifié la Transition et comment, malgré quelques succès judiciaires, elle survit dans de nombreuses institutions, avec la monarchie comme plus haute représentation, et dans la société.
[4] Je me réfère aux articles de Luisa Martín Rojo et Laura Camargo récemment publiés dans viento sur , 180, où ils analysent l’évolution discursive d’Ayuso et de Pablo Casado.

Haïti. Le Mouvement paysan de Papaye : combattre conjointement la déforestation et la crise climatique

Par Joe Parkin Daniels
Haïti, le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, a souvent été synonyme de déforestation et de calamité environnementale. On dit souvent que sa frontière avec la République dominicaine peut être vue depuis l’espace, tant la différence est marquée entre les forêts luxuriantes à l’est et les terres incultes à l’ouest.
«Dans la nature, tout est lié l’un à l’autre», explique Jean-Baptiste Chavannes qui a fondé, en 1973, le Mouvement paysan de Papaye (MPP- Mouvman Peyizan Papay), qui lutte contre la déforestation et la crise climatique dans les régions les plus pauvres d’Haïti.
A chaque mois qui passe, les malheurs d’Haïti semblent s’aggraver. Depuis deux ans, des mobilisations généralisées et des pénuries de carburant constantes rythment la vie quotidienne. En juillet [le 7 juillet 2021] de l’année dernière, le président de ce pays des Caraïbes, Jovenel Moïse, a été assassiné à son domicile. Le mois suivant, le sud appauvri de l’île a été frappé par un tremblement de terre d’une magnitude de 7,2 sur l’échelle de Richter. Il a tué au moins 2200 personnes et détruit des dizaines de milliers de maisons. Puis, en septembre 2021, une vague d’expulsions de ressortissants haïtiens des Etats-Unis – dans un contexte d’augmentation alarmante des enlèvements à Haïti [entre autres de 16 missionnaires des Etats-Unis et d’un Canadien] – a plongé l’île dans une plus grande instabilité.
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L’injustice environnementale et l’insécurité alimentaire sont à la base de la plupart des problèmes de ce pays dynamique mais en proie à d’énormes difficultés. En effet, 4,4 millions de personnes (sur une population de près de 11 millions) sont menacées par la faim. La déforestation généralisée depuis des siècles, due en grande partie au commerce colonial du bois ainsi qu’à l’abattage plus récent des arbres pour le combustible de cuisson [charbon de bois], a endommagé les terres fertiles et les a rendues vulnérables à l’érosion, aux inondations et à la sécheresse. Les ouragans saisonniers font des ravages sur les maisons et les moyens de subsistance. Ils contribuent chaque année à la dégradation de l’agriculture.
Les précédents projets internationaux de «développement», imposés de haut en bas, ont inondé les marchés haïtiens de denrées alimentaires de base non durables, entravant les efforts des agriculteurs locaux pour parvenir à la souveraineté alimentaire.
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Le MPP est une organisation de base qui cherche à lutter contre la crise climatique et l’insécurité alimentaire qui en découle. Il travaille avec les agriculteurs et agricultrices du secteur vivrier de base à travers Haïti. Fort de plus de 40 ans d’expérience dans les zones rurales du Plateau central d’Haïti, le MPP collabore avec 60’000 membres pour revitaliser les paysages déboisés afin que les personnes qui y vivent puissent se nourrir, tout en augmentant la couverture forestière dans le but d’aider à réduire les niveaux d’émission de carbone.
«La lutte pour la souveraineté alimentaire va de pair avec la lutte contre le réchauffement climatique», a déclaré Jean-Baptiste Chavannes.»Toutes les actions visant la souveraineté alimentaire auront un impact direct sur la crise climatique».
Le MPP réalise son travail directement avec les populations locales, tout en essayant de réduire la dépendance des agriculteurs et agricultrices vis-à-vis des organisations multinationales et des organisations caritatives qui ont souvent mal géré les ressources et contribué aux désastres d’Haïti, a déclaré Jusléne Tyresias, directrice du programme du MPP.
«Une approche locale est meilleure car elle crée des emplois directs, valorise les connaissances, les compétences et les ressources locales», a-t-elle déclaré, ajoutant que les grandes ONG internationales dépensaient souvent leurs ressources dans des hôtels et des transports coûteux, plutôt que d’utiliser le savoir-faire local. «Les locaux qui vivent sur le territoire seront plus impliqués parce qu’ils connaissent mieux la gravité du problème que ceux qui viennent de l’extérieur.»
Cette approche locale a été saluée par des bailleurs de fonds internationaux, dont le Fonds pour le climat (Clima Fund. Resourcing Grassroots Solutions). Le Global Greengrants Fund UK, l’un des quatre partenaires caritatifs de l’Appel 2021 pour la justice climatique lancé par le Guardian et l’Observer, est membre du Clima Fund et utilisera sa part des dons recueillis par l’appel pour financer des projets locaux tels que le PPM.
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«Le MPP est un exemple fantastique du type de mouvements populaires que le Clima Fund finance dans plus de 160 pays dans le monde; ils démontrent l’efficacité de la construction de solutions à partir de la base – pas seulement ce qui est mis en place, mais aussi comment c’est construit, et avec qui», a déclaré Lindley Mease, directrice du Clima Fund. «Ces mouvements populaires répondent aux besoins matériels d’une île ravagée par le climat grâce: à une nourriture culturellement appropriée et abondante; à des systèmes durables de récupération de l’eau; à une meilleure santé des sols, tout en maintenant en activité un effectif de 61’000 personnes, dirigées par un groupe de femmes». En tant que membres du mouvement international d’agriculteurs La Via Campesina, qui compte 200 millions de membres, ils montrent comment une organisation stratégique et collective peut refroidir la planète à grande échelle».
Grâce au travail du MPP, des secteurs entiers du plateau central, autrefois ravagés par la déforestation, regorgent aujourd’hui de vie. Le réseau de paysans et paysannes du MPP a planté des dizaines de millions d’arbres, tandis qu’ont été installées des infrastructures d’approvisionnement en eau pour les maisons et des cultures, tout en formant à l’agroécologie des femmes et des jeunes Haïtiens et Haïtiennes. Des panneaux solaires ont été installés sur les maisons, réduisant ainsi la dépendance au bois comme combustible. Une station de radio diffuse des formations et des conseils écologiques.
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«Au plan régional et international, le MPP s’inscrit dans le cadre des efforts mondiaux visant à renforcer les mouvements féministes de base, et fait partie d’un mouvement mondial de petits agriculteurs et agricultrices qui font progresser la souveraineté alimentaire avec La Via Campesina», a déclaré Sara Mersha, directrice des subventions et de la commmunication à Grassroots International, après avoir visité l’un des projets du MPP.
«C’est cette combinaison de stratégies – avec un accent mis sur une forte organisation et une connexion avec la terre – qui me fait comprendre ce que signifie le slogan du MPP et de Via Campesina: “les petits agriculteurs et agricultrices refroidissent la planète!”».
Le MPP a également utilisé des équipes d’intervention rapide lors des fréquentes catastrophes naturelles en Haïti, notamment le tremblement de terre qui a frappé le sud du pays en août 2021. Immédiatement après cette tragédie, le MPP a fourni de la nourriture, de l’eau et des abris, avant d’introduire des stratégies de résilience à long terme, comme la distribution de semences et le développement d’infrastructures locales.
En 2010, lorsqu’un tremblement de terre a rasé une grande partie de la capitale, Port-au-Prince, et ses environs, tuant plus de 220’000 personnes, le MPP a mis en place des éco-villages, dans lesquels les survivant·e·s et les victimes ont appris à vivre et à cultiver de manière durable.
Malgré la diversité de son champ d’action, le fondateur du MPP considère que le travail du mouvement repose sur un principe clé: la souveraineté. «La souveraineté est définie comme le droit de chaque personne à définir des politiques de production alimentaire respectueuses de l’environnement», a déclaré Jean-Baptiste Chavannes. «Le respect de la vie humaine; le respect des droits des familles paysannes sur les terres agricoles; les droits des peuples indigènes sur leurs territoires; le respect des droits des femmes et le respect de la culture; ainsi que les façons de nourrir les gens.»(Article publié par The Guardian, le 8 janvier 2022; traduction par la rédaction A l’Encontre)

Le gouvernement Legault et le verdissement du capitalisme

ÉDITORIAL
– Bernard Rioux,[1] pour le comité de rédaction.
François Legault s’est éveillé bien tardivement à toute préoccupation environnementale. Il avait durement critiqué le premier ministre Philippe Couillard pour avoir mis fin à l’exploration du pétrole sur l’ile d’Anticosti[2] et dans le Grand Nord québécois[3]. Il a été élu comme premier ministre du Québec en 2018, sans que son programme électoral contienne quelque élément d’importance concernant la lutte aux changements climatiques.
Les mobilisations d’envergure de 2019 qui ont rassemblé des centaines de milliers de personnes à travers le Québec ont illustré l’ampleur de la sensibilisation de la population à la problématique des changements climatiques. Le premier ministre a compris qu’il n’était plus possible de nier cette réalité. Sa réponse a été de développer une politique environnementale visant le verdissement de l’accumulation du capital et de déployer une stratégie de communication prétendant faire du Québec un phare d’un « virage vert » en Amérique du Nord.
Un virage vert aux différentes dimensions
Le gouvernement Legault présente à l’automne 2020 son Plan pour une économie verte 2030 (PEV)[4] qui comporte les transformations socioécologiques les plus « pragmatiques » possible.
Des cibles « raisonnables » sans moyens pour les atteindre
Le PEV reconduit la cible fixée par le gouvernement Couillard d’une réduction de 37,5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à 1990, une cible présentée comme ambitieuse. Il convient que son plan ne pourra atteindre que la moitié de cette cible. Il est même prévu de recourir à l’achat de permis d’émission sur le marché du carbone pour permettre au Québec de s’en approcher[5]. Dans un document stratégique interne intitulé Conditions de réussite du Plan de mise en œuvre 2021-2026 du PEV, on découvre que le gouvernement a identifié 15 millions de tonnes de réduction potentielle (plus de la moitié de la cible) sous forme d’achat à la bourse du carbone Québec-Californie. « Les réductions d’émission réalisées en Californie seraient ainsi achetées par de grands émetteurs québécois sous forme de droits de polluer et le Québec se créditerait de cette dépollution qui a, en réalité, eu lieu sur le territoire américain[6].»
La confiance accordée au marché du carbone et au capital financier
Un bilan de la bourse du carbone montre le caractère tout à fait aléatoire des mécanismes de marché pour la réduction des émissions de GES. L’expérience a démontré que les entreprises n’abandonnent pas leur objectif de produire plus pour vendre plus. En fait, le marché du carbone ne permet pas d’atteindre les cibles fixées même si ces dernières sont en deçà de ce que préconise le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ainsi, le Québec n’a réussi à réduire ses émissions de GES que de 9,1 % de 1990 à 2016, et les émissions ont continué d’augmenter, particulièrement en 2016 et 2017 dans les 100 entreprises les plus polluantes du Québec.
L’électrification des automobiles au centre du Plan vert
La proposition du PEV d’interdire la vente de voitures neuves à combustion interne à partir de 2035 relève davantage d’un plan de communication que d’un plan de lutte aux changements climatiques. Cette mesure ne s’appliquera que dans 15 ans et ne concernera même pas l’ensemble des camions et des voitures commerciales. Le programme Roulez vert prévoit une aide de 8000 dollars à l’achat d’une voiture électrique. Les subventions du programme constituent une véritable manne gouvernementale fournie aux grands de l’automobile pour faciliter leur conversion et pour gonfler leurs ventes et leurs profits. Cette priorité a l’avantage de ne rien bousculer des habitudes de la population et conduira à un nouvel élargissement du parc automobile tout en maintenant les problèmes de congestion et d’étalement urbain.
Le gouvernement Legault mentionne les différents projets de transport collectif, mais il continue de dépenser deux fois plus d’argent pour le réseau routier et pour l’électrification des automobiles que pour le transport collectif[7]. Dans ce contexte, le troisième lien, la construction d’un tunnel sous-fluvial entre Québec et la Rive-Sud, dont le coût est évalué à 10 milliards de dollars, est le projet le plus électoraliste et le plus insensé qui soit. Il est révélateur des limites du « tournant vert » du gouvernement Legault. Présenter ce projet comme un projet carboneutre, comme l’a fait le ministre des Transports, François Bonnardel, est tout simplement stupéfiant et risible[8]. Tous les experts ont répété que ce projet va permettre un nouvel étalement urbain et le maintien de l’utilisation de l’auto solo.
L’ouverture à un nouvel extractivisme
La priorité donnée à une politique de mobilité centrée sur l’automobile individuelle débouchera sur la relance de l’exploitation de ressources minières (lithium, cobalt, nickel) et énergétiques. C’est la porte ouverte à un nouvel extractivisme. Devant les profits envisagés de ce tournant, les multinationales australiennes et brésiliennes ont déjà investi ou prévoient d’investir pour prendre le contrôle de cette filière. Dans un premier temps, le gouvernement Legault prétendait vouloir contrôler l’entièreté de la chaine de valeur, de l’extraction de minerai à la production de batteries pour la conversion du système de transport. Ces ambitions du premier ministre sont déjà abandonnées et son ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, est maintenant à la recherche d’investisseurs internationaux. Le gouvernement se dit prêt à appuyer leurs investissements avec de l’argent public et à faire du sol québécois un bar ouvert aux multinationales du secteur minier[9].
Une privatisation de la transition énergétique sous l’aile d’Hydro-Québec
Faire du Québec la pile de l’Amérique du Nord
L’hydroélectricité, cette énergie abondante et à faible coût, a été utilisée pour attirer des industries énergivores comme celles du secteur de l’aluminium, de l’électrochimie ou des cimenteries. Elle a aussi permis d’attirer des entreprises polluantes et émettrices de GES qui consomment aujourd’hui près de la moitié de la production électrique[10].
La vente de l’énergie hydroélectrique aux États du nord-est des États-Unis ou à l’Ontario pourrait selon François Legault faire du Québec la batterie de l’Amérique du Nord. Au lieu d’utiliser cette énergie et l’expertise qui lui est liée pour améliorer l’efficacité énergétique et opérer une avancée à marche forcée sur la réduction des émissions de différentes industries, on cherche à l’exporter dans une démarche purement extractiviste. L’expérience nous montre que l’accès aux énergies renouvelables ne mène pas automatiquement à la baisse de la production des énergies fossiles mais plutôt à l’ajout de ces nouvelles sources d’énergie afin de répondre à une économie insatiable d’énergie et de croissance. La batterie de l’Amérique du Nord n’est qu’un slogan creux d’affairistes qui ne sert qu’à verdir la logique d’une production toujours plus considérable[11].
Le gaz naturel élevé au rang d’énergie propre
De 2018 à 2021, le gouvernement Legault a laissé ouverte la porte à l’exploitation pétrolière et gazière sur le territoire québécois. Il a apporté son soutien au projet GNL-Québec car il présentait le gaz naturel comme une énergie de transition. Le PEV va jusqu’à parler, en ce qui concerne les systèmes de chauffage des bâtiments, d’une « complémentarité optimale des réseaux électrique et gazier[12]».
Ce n’est qu’à la veille de la rencontre de la COP26, pour verdir son image, qu’il a pris la décision de retirer son soutien à GNL-Québec dont l’acceptabilité sociale était remise en question par le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et dont le financement était de plus en plus problématique. Il a également profité de cette occasion pour affirmer que son gouvernement allait interdire toute exploration et toute exploitation pétrolière et gazière sur le territoire québécois. C’était pour François Legault un coup de communication fumant alors que les réserves pétrolières et gazières au Québec sont fort marginales et sans grandes promesses de développement. Il s’est d’ailleurs empressé de promettre de compenser les entreprises des énergies fossiles détenant des permis sur une partie importante du territoire québécois[13]. Des intervenants du mouvement écologiste ont déjà lancé une pétition contre cette intention du gouvernement caquiste[14].
Les énergies renouvelables sous le contrôle de l’entreprise privée
Pour le gouvernement Legault, les énergies renouvelables (l’éolien, le solaire…) devront se développer sous le contrôle d’entreprises privées étrangères, et cela, sans plan d’ensemble et sans consultation citoyenne véritable. Hydro-Québec renonce à son rôle de maître d’oeuvre de la production d’énergies renouvelables au Québec, et le gouvernement s’avère incapable de planifier et d’opérer une transition énergétique effective vers les énergies renouvelables sur le territoire québécois.
Le soutien au développement de la filière de l’hydrogène
À son retour de la COP26, le premier ministre ne tarissait pas d’éloges pour la filière de l’hydrogène vert[15]. Le développement de cette filière était déjà dans le Plan pour une économie verte. La perspective d’utiliser le faible coût de l’électricité pour développer l’hydrogène vert et l’exporter est envisagée par le gouvernement de la CAQ. Énergir en collaboration avec Hydro-Québec cherche à verdir la distribution de gaz naturel en prétendant utiliser leur réseau pour faciliter la distribution de l’éventuelle production de l’hydrogène vert[16].
Le refus d’une rupture avec une agriculture industrielle exportatrice centrée sur la production carnée
Le PEV semble incapable de voir au-delà de la réduction du gaspillage et d’une meilleure gestion des matières résiduelles. Une agriculture d’élevage intensif centrée sur l’exportation est responsable « de 9,8 % des émissions de gaz à effet de serre du Québec en 2017 (4e secteur émetteur)[17] ». Le gouvernement Legault maintient cette politique et se tient loin d’une véritable agriculture écologique.
Conclusion : des orientations irresponsables
Le mot d’ordre de Legault est simple : plus de richesse, moins de GES; son message aux entreprises est clair : « Faites un tournant vert, c’est le moyen moderne de s’enrichir et d’accumuler, et nous vous soutiendrons financièrement en plus ». Il met en œuvre un capitalisme vert le plus grossier et le moins subtil qui soit.
La sortie des énergies fossiles attendra. La consommation de gaz naturel, produit par des procédés de fracturation et présenté comme une énergie de transition, se voit promettre un avenir radieux. Toute la politique environnementale gouvernementale est soumise aux impératifs de la profitabilité des entreprises privées et à la logique du marché. En cela, le gouvernement de la CAQ se range du côté de tous les gouvernements de l’Amérique du Nord, du côté de l’écocapitalisme.
Au lieu de répondre à la majorité de la population du Québec qui, par de nombreuses mobilisations (manifestations, pétitions, pactes citoyens…), a maintes fois manifesté son inquiétude et sa volonté d’agir vers une transition juste et véritable, le gouvernement fait du sur-place, en s’appuyant sur la classe d’affaires et sur une partie de la classe moyenne qui pense encore que l’on peut remodeler le capitalisme.
Le Québec a besoin d’une planification publique et démocratique à long terme centrée sur la satisfaction des besoins de la population. Cela nécessiterait de vastes chantiers collectifs visant à redéfinir la politique énergétique, à revoir la politique de mobilité pour sortir du règne de l’automobile, à progresser dans la rénovation d’un cadre bâti qui économise l’énergie, et à s’engager dans la migration vers une agriculture de proximité. Tout cela dans la perspective de diminuer la croissance des dépenses d’énergie et des ressources naturelles et d’en finir avec les productions inutiles et l’obsolescence planifiée.
Produire moins, partager plus, favoriser une économie de proximité. Cette orientation est écartée du revers la main par le gouvernement, car son orientation est de réduire la transition écologique à un verdissement permettant l’enrichissement de la classe entrepreneuriale du Québec. Par ses politiques irresponsables, le gouvernement Legault nous prépare un avenir plus que difficile.
- Bernard Rioux est membre du Collectif d’analyse politique, éditeur des Nouveaux Cahiers du socialisme. Il est aussi rédacteur à Presse-toi à gauche. ↑
- Geneviève Lajoie, « Anticosti : Legault ouvert à l’exploration des hydrocarbures », TVA Nouvelles, 17 octobre 2017. ↑
- Yannick Donahue, « Legault n’exclut pas l’exploitation des hydrocarbures dans le Grand Nord », Radio-Canada, 3 septembre 2018. ↑
- Gouvernement du Québec, Plan pour une économie verte 2030. Politique-cadre d’électrification et de lutte contre les changements climatiques, Québec, 2020, <www.quebec.ca/gouv/politiques-orientations/plan-economie-verte/>. ↑
- Jean-Thomas Léveillé, « Réduction des GES. Un plan vert pour atteindre 50 % de l’objectif », La Presse, 16 novembre 2020. ↑
- Thomas Gerbet, « Réduction des GES du Québec : “de la triche” ? », Radio-Canada, 16 novembre 2020. ↑
- Marc-André Gagnon, « Budget Girard : nos routes coûtent encore cher. Les investissements dans le réseau routier sont deux fois plus importants qu’en transport en commun », Journal de Québec, 25 mars 2021. ↑
- Geneviève Lajoie, « 3e lien carboneutre : Québec compensera la pollution par la plantation d’arbres », Journal de Québec, 24 novembre 2021. ↑
- Francis Halin, « L’opposition écorche la filière batterie de Fitzgibbon », Journal de Montréal, 13 janvier 2021. ↑
- Normand Mousseau, Gagner la guerre du climat. Douze mythes à déboulonner, Montréal, Boréal, 2017, p. 53. ↑
- Joyce Nelson, « Pourquoi le grand pari du Québec sur l’hydroélectricité est une mauvaise nouvelle pour le climat, Presse-toi à gauche! 9 novembre 2021. ↑
- Plan pour une économie verte 2030, op. cit., p. 53; Ulysse Bergeron, « Synergie renforcée entre Hydro-Québec et Énergir pour le chauffage », Le Devoir, 4 janvier 2021. ↑
- François Carabin, « François Legault prêt à payer pour sortir le Québec des hydrocarbures », Le Devoir, 20 octobre 2021. ↑
- Eau secours, Finis les cadeaux à l’industrie pétrolière et gazière, pétition, 24 novembre 2021. ↑
- Hugo Pilon-Larose, « La Presse à la COP26. Legault rêve d’hydrogène vert », La Presse, 5 novembre 2021. ↑
- Normand Beaudet, « Hydrogène vert….les gazières se débattent, comme des diables dans l’eau bénite », Presse-toi à gauche!, 7 décembre 2021. ↑
- Plan pour une économie verte 2030, op. cit., p. 57. ↑

L’UE s’apprête à mettre à la poubelle plus de doses de vaccins qu’elle n’en a donné à l’Afrique

Par Jake Johnson
Une nouvelle analyse publiée mercredi par l’Alliance populaire pour les vaccins [1] montre que, d’ici à la fin février, l’Union européenne (UE) devra détruire près de deux fois plus de doses de vaccin contre le coronavirus qu’elle n’en a donné à l’Afrique depuis le début de l’année.
Citant les données d’Airfinity [site d’information et d’analyse portant sur les problèmes de santé à l’échelle internationale], l’Alliance note que 55 millions de doses de vaccin contre le coronavirus de l’UE seront périmées d’ici la fin du mois. Depuis le début de l’année, l’Union européenne, premier exportateur mondial de vaccins contre le Covid-19, a fait don d’environ 30 millions de doses à l’Afrique, où seulement 11% de la population adulte est entièrement vaccinée deux ans après le début de la pandémie mondiale mortelle.
L’Alliance populaire pour les vaccins présente également des données montrant que 204 millions de personnes vivant dans les pays de l’UE ont reçu des rappels, alors que seulement 151 millions de personnes en Afrique ont été entièrement vaccinées.
«La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré au début de la pandémie que le vaccin devait être un bien public mondial», a souligné Joab Okanda, responsable pour l’Afrique de l’ONG Christian Aid, dans un communiqué mercredi 16 février. «Pourtant, au lieu de cela, elle s’est assurée qu’il s’agissait d’une opportunité en faveur du profit privé, accumulant des milliards pour les Big Pharma et l’UE, alors que près de neuf personnes sur dix en Afrique ne sont pas entièrement vaccinées… C’est une honte», a déclaré Joab Okanda.
La nouvelle analyse de l’Alliance populaire pour les vaccins a été publiée un jour avant le début du sixième sommet de l’Union européenne et de l’Union africaine à Bruxelles, jeudi 17 février, une réunion qui intervient alors que les dirigeants européens et africains restent enfermés dans un conflit tendu sur la question de savoir s’il faut suspendre les protections de la propriété intellectuelle pour les vaccins et les traitements contre le coronavirus [2].
L’Union africaine a exprimé son soutien à une dérogation temporaire aux brevets et aux efforts de transfert de technologie visant à permettre aux pays à faible revenu de produire des vaccins génériques contre le Covid-19 pour leurs populations. Mais depuis plus d’un an, l’Union européenne bloque la proposition d’exemption de brevet de l’Afrique du Sud et de l’Inde auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui rend furieux les dirigeants africains qui affirment que l’Europe met en place un système d’«apartheid vaccinal».
«Ils ont accumulé des vaccins, ils ont commandé plus de vaccins que ce dont leurs populations ont besoin», a déclaré le président sud-africain Cyril Ramaphosa à propos des nations européennes en décembre 2021. «La cupidité dont ils ont fait preuve était décevante, surtout quand ils disent être nos partenaires.»
L’AFP a rapporté mardi que l’Union africaine s’efforce d’imposer une demande d’exemption de brevet dans le document de conclusion du sommet de Bruxelles, mais cet effort se heurte à la résistance des principaux pays membres de l’UE, tels que l’Allemagne, où se trouve BioNTech, le partenaire de Pfizer pour le vaccin contre le coronavirus. «L’Union africaine… demande instamment à l’Union européenne de s’engager de manière constructive vers la conclusion d’une dérogation ciblée et limitée dans le temps», peut-on lire dans une proposition africaine consultée par l’AFP.
En l’absence d’une renonciation aux brevets et aux techniques de production, les pays africains ont été contraints de s’en remettre à la charité des pays riches en matière de vaccins – un arrangement qui a connu un certain nombre de problèmes graves, notamment l’arrivée de doses proches de leur date de péremption.
En novembre, le Nigeria a été contraint de se débarrasser de centaines de milliers de doses de vaccin inutilisées, arrivées d’Europe à quelques semaines de leur date de péremption.
Sani Baba Mohammed, secrétaire régional de l’Internationale des services publics [sise à Ferney-Voltaire à la frontière de Genève] pour l’Afrique et les pays arabes, a déclaré mercredi dans un communiqué qu’«il est encourageant que l’Union africaine tienne tête à l’UE et demande qu’une référence à la dérogation ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle) soit incluse dans le document final du sommet».
«L’UE prétend promouvoir un “partenariat prospère d’égal à égal” avec l’Union africaine – alors qu’elle jette plus de doses de vaccins à la poubelle qu’elle ne nous en donne, tout en continuant à bloquer une levée des brevets sur les vaccins qui nous permettrait de produire nos propres vaccins», a déclaré Sani Baba Mohammed. «Qu’y a-t-il d’égal à cela?»
«Cet apartheid vaccinal – perpétué par l’UE – a un coût humain brutal», poursuit Sani Baba Mohammed. «Nos moyens de subsistance continuent d’être détruits, nos économies brisées, nos travailleurs et travailleuses de la santé poussés au bord du gouffre… Nous avons besoin de la dérogation ADPIC maintenant et l’UE doit cesser de s’y opposer.» (Article publié sur le site Common Dreams, le 16 février 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
[1] The People’s Vaccine Alliance regroupe quelque 100 organisations incluant African Alliance, Christian Aid, Oxfam, Public Services International et ONUSIDA. (Réd.)
[2] Selon le site AfricaNews: Joe Biden et même Emmanuel Macron avaient montré des signes d’ouverture l’an dernier mais la porte s’est très vite refermée. Pas plus tard que lundi 14 février, Franck Riester, le ministre français délégué au Commerce extérieur, a déclaré au nom des Européens qu’il n’était pas question «de remettre en cause un système de propriété intellectuelle qui permet l’innovation, qui a permis notamment d’avoir très rapidement un vaccin pour l’humanité contre le Covid-19». (Réd.)

Le patriarcat climatique capitaliste racial
L’effondrement du climat est le souffle chaud et toxique du patriarcat capitaliste suprémaciste blanc. Des femmes, des féministes et des personnes LGBTQIA2S+ de toute la planète dénoncent depuis des décennies que la crise climatique a des racines patriarcales. Qu’elles se disent écoféministes, féministes du climat ou écoqueers , les militantes féministes du climat prônent “un changement de système féministe, pas un changement climatique”, comme le dit l’un des slogans du mouvement.
Women and Feminists for Climate Justice est devenue une force transnationale qui a son propre acronyme : WFCJ. Alors que le réchauffement climatique s’accélère, ce mouvement intensifie son activisme mondial pour la justice climatique féministe sur tous les continents. Bien que la WFCJ soit le moteur de la mobilisation mondiale, elle est née d’une résistance et d’une action localisées aux niveaux communautaire, régional et national.
Transnational
Les femmes autochtones qui ont défendu les ressources en eau à Camp Standing Rock et leur victoire sur les promoteurs du pipeline d’accès XL Dakota symbolisent les innombrables luttes localisées contre les projets d’extraction minière menés par des femmes autochtones à travers le monde. Les campagnes communautaires des paysannes de La Vía Campesina pour combattre et démanteler les structures patriarcales nationales ont cimenté leur activisme internationaliste pour le féminisme paysan contre l’agriculture industrielle mondiale.
Il y a aussi le Collectif écoféministe africain, qui milite pour la récupération des biens communs et s’oppose aux multinationales et au néolibéralisme. Le mouvement des femmes kurdes renforce les alliances écoféministes transfrontalières en construisant une société écoféministe au Rojava sur leur terre. Il y a aussi le bloc Queer Pink dans la campagne contre le charbon en Allemagne, Ende Gelände, qui conteste la structure cis-hétéronormative d’un système patriarcal transnational qui détruit le climat. Ce sont quelques exemples d’activités féministes écologiques locales qui ont construit des solidarités transnationales avec WFCJ dans le monde entier.
Solidarité
Les luttes locales sont au cœur de ce mouvement. Ils sont spécifiques, historiquement situés et intersectionnels. Les nommer est crucial pour éviter les revendications essentialistes, ethnocentriques et universalistes sur le genre et le climat au-delà des frontières. Les mouvements cités ci-dessus établissent des solidarités entre les luttes locales et intercontinentales, de la même manière que les militantes universitaires Linda E. Carty et Chandra T. Mohanty ont soutenu qu’elles sont essentielles à la construction de mouvements féministes transnationaux réussis.
En bref, WFCJ n’est pas monolithique. Carty et Mohanty soulignent également la nécessité d’aborder et de surmonter les difficultés de la fracture Nord-Sud, un terme utilisé pour décrire l’inégalité d’accès aux ressources matérielles, à la production de connaissances et au pouvoir en général entre les femmes du Nord et celles du monde. sud, à la fois historiquement et aujourd’hui. Les femmes du WFCJ se rassemblent pour mettre en œuvre ce type de solidarité sur les scènes internationales pour l’action climatique. Cela montre que, comme la résistance climatique, la justice climatique féministe n’est pas seulement nationale, mais mondiale.
Libérateur
Dans une présentation en ligne en 2020, Ruth Nyambura, écologiste politique kényane et cofondatrice du Collectif écoféministe africain, a exposé les complexités de ce qu’elle a appelé la politique de solidarité féministe transnationale. Il a souligné l’importance de “travailler collectivement, avec soin et tendresse, pour transformer les luttes locales en luttes mondiales”. Il a expliqué comment « nos luttes ne sont pas seulement similaires, mais il semble que nous combattons les mêmes pouvoirs », que « le contexte qui nous unit est réel, mais aussi celui qui nous divise… » et combien « de personnes… vivent aussi les effets et les conséquences de la colonisation ».
Il a également fait une proposition vitale pour le mouvement lorsqu’il a déclaré que « mon appel n’est pas à une solidarité romancée, mais à ce que nous nous engagions vraiment avec ses possibilités. Réfléchissons à ce que pourraient être ces nouveaux mondes libérés.” Les paroles de Nyambura étaient également accompagnées d’un message sur les possibilités anticapitalistes et décoloniales en tant que questions centrales dans la vision du mouvement.
Women’s Earth & Climate Action Network (WECAN), Women’s Environmental & Development Organization (WEDO), MADRE Global Women’s Rights and Development Alternatives Development Alternatives with Women for a New Era (DAWN) sont les principales ONG féminines pour le climat qui défendent les mondes libérateurs auxquels Nyambura nous invite. imaginer.
Sécheresses
L’Agenda féministe pour un nouveau pacte social vert (FemGND), l’École des organisations féministes autochtones, l’ École Berta Cáceres de l’Organisation féministe internationale , l’Union mondiale des femmes autochtones Cura da Terra Pre-Ella et le Women and Gender Constituency (WGC) sont quelques-unes des initiatives percutantes qui galvanisent un mouvement WFCJ transnational. Ils sont en première ligne des communautés à la pointe de solutions climatiques réelles et robustes.
La WFCJ a construit une présence dynamique et populaire à la Conférence des Nations Unies sur le climat COP26 de cette année à Glasgow. Même Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), la députée américaine, a rejoint sa plateforme climatique anti-patriarcale en portant l’un de ses masques “Feminist Climate Justice”.
L’un des rapports les plus largement diffusés sur le climat et le genre est peut-être celui qui montre que les femmes, en particulier les femmes autochtones et celles du sud, sont les plus touchées de manière disproportionnée dans le monde par le changement climatique. Ce sont eux qui subissent les impacts et supportent le plus lourd fardeau des catastrophes naturelles liées au changement climatique. Les inondations, les sécheresses, les glissements de terrain, le manque d’eau, l’augmentation des maladies infectieuses et les problèmes respiratoires frappent d’abord et plus durement les femmes.
Communautés
Selon des études des Nations Unies, les femmes représentent 80 % des personnes contraintes de fuir leur foyer lors de catastrophes climatiques. Elles sont également 14 fois plus susceptibles que les hommes de mourir d’une catastrophe liée au changement climatique. Les personnes trans et non binaires, surtout si elles sont de couleur, sont également touchées de manière disproportionnée par le changement climatique. Pendant et après une catastrophe environnementale, il y a plus d’actes de violence physique et sexuelle à leur encontre. Ils sont également confrontés à plus de danger lors d’urgences météorologiques car ils sont moins susceptibles d’être évacués car ils sont isolés en raison de la discrimination.
Phillip Brown, femme queer non binaire, militante pour la justice climatique, artiste et écrivaine, nous rappelle comment « les corps queer résistent, les corps queer appartiennent, les corps queer protègent » . Ayant immigré aux États-Unis depuis Kingston, en Jamaïque, à l’âge de 18 ans, Phillip m’a un jour expliqué pourquoi les communautés queer et trans sont cruciales pour la justice climatique. Comment ses manifestations d’authenticité et la création de communautés sont structurées autour de la coopération et de l’amour, qui font partie intégrante de l’éthique de soin nécessaire à un monde véritablement climatiquement juste.
Multiplicité
Cependant, alors que les fardeaux du changement climatique varient selon le sexe, le changement climatique affecte également différemment les différents groupes de femmes. Non seulement le sexe, mais aussi la race et la classe sociale déterminent les impacts du réchauffement climatique sur les femmes d’identités, de pays et de milieux sociopolitiques différents. Si tel est le cas, comment les femmes et les féministes de tous les continents construisent-elles la solidarité dans un mouvement transnational pour la justice climatique ?
Si vous dites « le système », ding ding ding… correct ! ( emoji haussement d’épaules ). Mais j’espère que vous serez d’accord pour aller plus loin et l’appeler par son nom : c’est le patriarcat climatique. Ou plus précisément, le patriarcat climatique capitaliste racial, un système qui dévalorise les femmes et marchandise la planète et qui a été historiquement encouragé et soutenu par le colonialisme et l’impérialisme et par l’imposition de modèles familiaux et de subjectivités cis-hétérosexuelles dominantes. Je voudrais également souligner qu’au sein de cette structure transnationale, il existe une multiplicité de patriarcats climatiques capitalistes raciaux, une pléthore de manifestations plus spécifiques à un lieu ou localisées du système mondial du patriarcat climatique capitaliste racial.
Écologique
Les patriarcats climatiques sont caractérisés par des emplacements géographiques et des histoires sociopolitiques spécifiques, et par des personnalités subjectives déterminées par le sexe, la race et la classe. Je suis une femme blanche occidentale cisgenre (elle) et une militante universitaire. J’essaie d’éclairer la théorie que j’écris avec les mouvements militants de base auxquels je participe. J’agis avec des femmes et des féministes transnationales pour la justice climatique depuis près d’une décennie. Beaucoup d’entre eux sont maintenant mes amis et collègues les plus chers.
L’action directe, l’impression de slogans féministes sur des banderoles pour la justice climatique, le retrait de l’insigne de la COP “qui d’autre” et la recherche collective d’idées et de solutions pour la résistance féministe au climat sont quelques-unes de mes expériences dans ce mouvement, avec les grandes âmes qui le composent. J’ai interviewé plus d’une centaine de femmes WFCJ de dizaines de pays lors d’événements souvent cités des deux côtés de l’Atlantique. J’ai lu la théorie et la littérature qui relient le genre et le climat dans le monde et la théorie écoféministe qui explique comment tout cela s’est produit.
Inégalités
Ce qui est clair, c’est qu’il existe à la fois une science académique et un récit commun de la WFCJ sur l’impact disproportionné du climat sur le travail écologique et foncier des femmes, leur pouvoir, leur corps et leurs épistémologies à travers ce mouvement transnational, mais de manière nettement manières différentes et intersectionnelles. Ce qui unit la WFCJ est un sentiment partagé de caractériser le système économique mondial actuel, qui a ses racines dans les héritages coloniaux racistes, comme la cause historique et actuelle de sa déresponsabilisation et de sa subordination en provoquant et en aggravant le changement climatique lui-même. .
Il existe une structure patriarcale raciale capitaliste à laquelle nous résistons collectivement. Cependant, cela nous affecte tous différemment, en fonction de nos positions localisées spécifiques et de nos histoires matérielles. Les charges disproportionnées du changement climatique sur le genre et la race dans le monde ne sont pas une coïncidence, ni une sorte de plan patriarcal mondial. Ce que les données empiriques nous montrent, c’est que le changement climatique exacerbe les inégalités structurelles préexistantes pour les femmes.
Décolonial
Les attaques internationales contre les droits reproductifs, les crises de fémicides, le machisme implacable, les emplois sous-évalués et non rémunérés, les niveaux croissants de pauvreté et de sans-abrisme, les déplacements géographiques, les niveaux croissants de maladies et les taux toujours croissants de violence sexuelle ressemblent à une liste surchargée décrivant les portes enflammées du patriarcat. l’enfer. Tragiquement, ce n’est rien de plus qu’un résumé des charges structurelles disproportionnées que les femmes ont dû supporter sous le capitalisme pendant des centaines d’années. La mondialisation et le néolibéralisme sont les instigateurs de ces attaques sans frontières.
Tetet Nera-Lauron, une militante de longue date de la WFCJ et conseillère auprès de la Rosa-Luxemburg-Stifung chez elle à Manille, aux Philippines, m’a expliqué comment les inégalités systémiques sont enracinées dans une “mauvaise logique inhérente à une architecture commerciale mondiale brisée”. ”. Il a ajouté en expliquant comment « dans un contexte où le covid-19 et l’aggravation de la récession économique ont amplifié les vulnérabilités préexistantes dans le sud et le nord du monde ; l’incapacité du paradigme dominant du développement à offrir des solutions justes et durables à de multiples crises est devenue plus évidente que jamais ». Dans son récent article Climate migration is a feminist issue ,Nera-Lauron explique également comment, en réponse aux inégalités systémiques de genre qui entraînent des impacts climatiques disproportionnés pour les femmes, un nouveau pacte social vert mondial, décolonial et féministe doit être proposé.
Renommer
Le terme patriarcat climatique capitaliste racial n’est pas seulement un slogan ou un ensemble de mots non liés réunis en une seule expression, mais vise à nommer et à expliquer les hiérarchies structurelles mondiales de pouvoir et d’oppression. Le concept a ses racines dans des décennies d’activisme féministe fondamental et de théories sur les modèles systémiques d’oppression de genre, de race et de classe remontant aux années 1970. nous la connaissons
Le patriarcat climatique capitaliste racial est une adaptation du patriarcat capitaliste , un terme inventé par Zillah R. Eisenstein en 1978. Il exprime que le capitalisme n’est pas le seul système à causer des inégalités mondiales et que l’oppression capitaliste est aussi patriarcale et raciste, en plus d’être de classe. Il essaie de trouver les racines les plus profondes de l’inégalité mondiale et de les localiser dans l’oppression raciale de genre.
En 1983, le professeur Cedric J. Robinson développe et théorise le terme de capitalisme racial . Ce terme englobe la relation d’interdépendance entre l’oppression raciale et le capitalisme mondial, soulevée des décennies plus tôt par des penseurs révolutionnaires tels que WEB Du Bois, Oliver Cromwell Cox et Frantz Fanon, entre autres. Dans les années 1990, la grande professeure féministe Bell Hooks confond les termes de patriarcat capitaliste et de capitalisme racial , rebaptisant le système mondial avec l’expression « patriarcat capitaliste impérial suprémaciste blanc ».
Oppression
Dans une interview de 2015 avec le professeur George Yancy, Hooks réaffirme l’importance du terme pour l’analyse structurelle mondiale actuelle, déclarant que « … pour moi, cette expression me renvoie toujours à un contexte mondial, au contexte de classe, d’empire, de capitalisme, de racisme. et le patriarcat. Toutes ces choses ont à voir les unes avec les autres : un système interconnecté. Cette même année, l’actrice et militante trans Laverne Cox a donné sa version du terme, en tweetant : « En fait, votre patriarcat capitaliste suprématiste blanc impérialiste hétéronormatif cisnormatif… ». Cela ajoute à la panoplie l’oppression structurelle des binaires cisgenres hégémoniques.
Le patriarcat climatique capitaliste racial repose sur les contributions de ces penseurs militants. Dans sa forme la plus médiatisée, il s’agit du patriarcat climatique capitaliste hétéronormatif cisnormatif impérialiste suprémaciste blanc. Dans la lignée de ces penseuses féministes et transnationales du système mondial, je crois qu’il est essentiel de décrire l’oppression climatique comme un système racine d’oppression, inséparablement interconnecté avec les autres.
Écoféminisme
L’oppression climatique est extractive et écocide. Il traite les femmes et les personnes marginalisées de la même manière qu’il traite la planète. Les militantes et les universitaires féministes écologistes soutiennent depuis longtemps qu’il est impossible de libérer la nature sans libérer les femmes et les personnes trans et non binaires. Ils affirment que l’idéologie fondatrice du capitalisme de croissance continue – manifestée sous la forme d’une extraction infinie de ressources naturelles finies – est rendue possible par la subordination interconnectée des femmes, des peuples racialisés et marginalisés et de la nature.
Dans son livre de 1974 Le féminisme ou la mort , la féministe française Françoise d’Eaubonne soutient qu’une oppression historique interconnectée des femmes et de la planète est à l’origine à la fois de la crise environnementale et de l’oppression systémique omniprésente des femmes et des hommes. est en fait le résultat de l’oppression des femmes. Pour D’Eaubonne, le remède à cette crise est l’ écoféminisme , Le féminisme ou la mort étant le livre dans lequel le terme a été publié pour la première fois.
Socles
Néanmoins, les féministes et les militantes indigènes ont articulé la double subordination du genre et de l’environnement sous le capitalisme depuis le début de la crise climatique. Plus récemment, Tom Goldtooth, Dine’ and Dakota directeur de l’Indigenous Environmental Network (IEN), s’est exprimé devant l’assemblée générale de la Coalition COP26 et a souligné que « le système qui objective les femmes est le même système qui objective la Terre Mère ». Ses propos font écho à ceux de la militante crie Melina Laboucan-Massimo lorsqu’elle disait que « la violence contre la Terre engendre la violence contre les femmes ». Et très récemment la membre du clan gidimt’en et défenseure du territoire wet’suwet’en, Delee Nikal, a exprimé comment « le fémicide est directement lié à l’écocide » .
Le colonialisme est le véhicule qui a exporté le patriarcat climatique capitaliste racial dans le monde entier à travers des projets de développement et d’industrialisation. « Le colonialisme a causé le changement climatique » était un message central de la base lors de la COP26 de cette année.
Promesses
Lors de la séance plénière d’ouverture, la militante climatique maorie India Logan-Riley a expliqué comment « le changement climatique est le résultat final du projet colonial, et dans notre réponse, nous devons être décoloniaux, fondés sur la justice et prendre soin des communautés comme la mienne, qui ont supporté le fardeau de la cupidité du Nord global depuis bien trop longtemps. Le patriarcat climatique capitaliste racial n’est pas une structure immuable contre laquelle nous n’avons pas d’alternative. Et les WFCJ ne sont pas des victimes, mais des cibles, comme beaucoup l’ont expliqué.
De plus, les WFCJ et les communautés de première ligne ont toujours été les pionniers de solutions climatiques réelles et innovantes. Les militants de la base continuent de faire pression pour le changement systémique nécessaire pour sauver la planète, mais ils ont été bloqués par les gardiens de ce système violent au sein de la COP, les lobbyistes des combustibles fossiles : il y en avait deux pour chaque autochtone dans cette COP ; des interventions d’opérette par des dirigeants mondiaux prenant des engagements infondés tout en reniant leurs promesses précédentes. La logique institutionnelle de la structure même de la COP est constituée des forces mêmes contre lesquelles ces militants se battent.
Intersectionnel
Le dernier jour de la conférence, lors de la Plénière des Peuples, Ta’kaiya Blaney, du peuple Tla’amin, a représenté les peuples autochtones en expliquant que « je ne viens pas chez mes colonisateurs à la recherche de solutions… nous rejetons les les fausses solutions de nos colonisateurs ! Le message faisait écho aux paroles de Riley au début de la conférence lorsqu’il s’est exclamé : « Retourne la terre, retourne les océans ! c’est ce qui revient à la justice climatique. Il a terminé par un avertissement à ceux qui freinent une véritable action climatique : “unissez-vous ou écartez-vous du chemin”.
Les femmes et les féministes pour la justice climatique ont également été explicites concernant les demandes de justice climatique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la COP. Comme me l’a dit Andrea Vega Troncoso de l’Organisation des femmes pour l’environnement et le développement (WEDO), le mouvement ne s’arrêtera pas tant qu’il n’y aura pas “un changement féministe du système centré sur un féminisme intersectionnel sans plus de patriarcat, plus de colonialisme et plus de capitalisme.”
Julie Gorecki est une enseignante écoféministe, militante et écrivaine.

L’homme qui a poussé les conservateurs canadiens plus à droite
Ted Byfield, le fondateur du groupe d’extrême droite Alberta Report , a laissé une marque indélébile sur le conservatisme canadien. Il était chargé d’enhardir les éléments les plus racistes et anti-ouvriers de la droite.
Le 23 décembre 2021, Ted Byfield, éditeur de l’ Alberta Report, est décédé. Le lectorat de l’hebdomadaire conservateur a culminé à environ 400 000 par semaine à la fin des années 90 avant de disparaître en 2003. À sa mort, Byfield a reçu des éloges de la part des députés actuels et anciens , des premiers ministres et des chroniqueurs .
Surnommé le « grand patriarche du mouvement conservateur canadien », Byfield a plaidé, dans les pages de son magazine, pour un nouveau parti de droite plus agressif. À l’époque, il n’était peut-être pas très lu, mais ceux qui lisaient son journal avaient accès à l’argent et au pouvoir.
Byfield et l’ Alberta Report ont été, pendant un certain temps, l’identité du conservatisme canadien. Les riches partisans rarement mentionnés du Parti réformiste — la plus grande composante du Parti conservateur du Canada d’aujourd’hui — n’étaient que trop heureux d’utiliser Byfield et le Rapport pour aider à mobiliser un électorat agressif, zélé et déséquilibré comme point d’appui pour des politiques d’austérité plus agressives. Puis, comme cela arrive souvent, les bailleurs de fonds ont perdu le contrôle.
Les militants réactionnaires comme Byfield ne peuvent pas être confinés dans les couloirs étroits du pouvoir et finissent souvent par être mis de côté lorsqu’ils ne sont plus d’aucune utilité pour la direction du parti. Ils laissent néanmoins leurs empreintes sur le caractère et l’apparence des partis qu’ils dynamisent.
La cabale de droite de Calgary
Au cours des années 1970, les rivalités entre les économies pétrolières des provinces de l’Ouest du Canada et les tenants du pouvoir de l’Est industriel se sont intensifiées. Cette tension s’exprime dans la formation de nouveaux groupes de pression de droite comme la Canada West Foundation et la National Citizens Coalition . Elle a aussi été marquée, en Alberta, par la montée des partis politiques fondamentalistes et « séparatistes ». Mais elle a trouvé son expression la plus pure dans l’ Alberta Report de Ted Byfield .
Pendant des années, Byfield a mis toute son énergie à défendre les idées de droite, publiant les demandes de réductions d’impôts des patrons du pétrole , ponctuées d’occasionnelles attaques réactionnaires anti-Québec. En 1984, il baissé de moitié la place accordée au conservatisme de l’Ouest canadien dans sa chronique, et a réclamé la création d’un nouveau parti de droite pour évincer les Tories, insuffisamment conservateurs à son goût.
Byfield et l’ Alberta Report ont été, pendant un certain temps, l’identité du conservatisme canadien.
L’appel a été repris par le consultant en gestion Preston Manning. Manning a joint une copie du magazine à une note de service adressée à Bob Muir de Dome Petroleum, au cofondateur de Canadian Hunter Exploration James Gray, au directeur de la Canada West Foundation David Elton et à l’ oligarque local Francis Winspear.
La note proposait un «mouvement de réforme occidental» avec «les fonds pour faire le travail». Deux ans plus tard, en 1986, une coalition, galvanisée par la note de service, ouvre la voie à la fondation du Reform Party en 1987, avec Manning à sa tête. Trevor Harrison note que l’argent seul n’était pas à la hauteur de la tâche de construire une base politique. Pendant des années après la proposition, et malgré sa caisse noire , le Parti réformiste et Manning sont restés « dépendants des magazines de Byfield pour diffuser les messages réformistes ».
On n’a besoin d’aucune personne homosexuelle, syndicaliste ou des bâtarde de l’Est.
Byfield a commencé le rapport en 1979, après sa conversion religieuse à l’anglicanisme. Tout au long des années 1980, ses magazines combinaient des chroniques religieuses, des reportages tabloïds et ses propres Lettres de l’éditeur.
Comme une grande partie de la droite à l’époque, le rapport soutenait que la criminalité juvénile était “l’héritage des années 60, qui porte maintenant ses fruits amers”, que les châtiments corporels (en particulier la fessée “avec une lanière de cuir”) résoudraient toutes sortes de problèmes sociaux et que les syndicats d’enseignants de l’Alberta devaient être détruits.
Sur les questions économiques, Byfield s’est particulièrement offensé des réglementations fédérales sur le boeuf et le pétrole . Il a vu la portée excessive de ce qu’il a appelé le Big Government comme un signe que «la démocratie échouera après tout». Byfield a également appelé à la privatisation élargie des écoles et de la plupart des services sociaux gérés par l’État.
En 1986, le rapport a appuyé les briseurs de grève (« une armée de demandeurs d’emploi ») qui ont aidé à saper les travailleurs en grève de l’emballage de viande d’Edmonton chez Gainers Inc . Le magazine a cité Peter Pocklington, qui était, à l’époque, PDG de Gainers Inc :
Les syndicats sont très égoïstes. À Taiwan, les travailleurs reçoivent 300 dollars par mois pour le même travail. Et Taïwan n’est pas si loin en avion. Ils doivent découvrir quelles sont les nouvelles réalités des affaires.
Cependant, ce n’est pas pour ce tarif standard de droite que l’on se souvient généralement du Rapport . Son héritage dans les archives publiques découle en grande partie d’une affaire judiciaire infâme. En 1999, la régie régionale de la santé de Calgary a gagné une affaire judiciaire « préservant la nature privée et confidentielle » des documents de santé des patients — contre le rapport de l’Alberta .
Selon le Journal de l’Association médicale canadienne, un groupe «d’infirmières en colère et pro-vie» a divulgué des informations sur l’interruption de grossesse au Rapport . Cette atteinte à la vie privée des patientes a servi de base à plusieurs articles du rapport accusant un médecin – décrit comme un « avorteur » – d’« homicide coupable ». Les travailleurs de la santé, note le journal, craignent pour leur sécurité.
La croisade anti-avortement du magazine n’était pas sans précédent. En 1984, une décision de justice autorisant les femmes à accéder à des services d’avortement sans la permission d’un homme a été décrite par Byfield comme “une décision judiciaire qui nous ramène à l’ère pré-barbare”. Ailleurs, le magazine a comparé les services d’avortement à l’échelle des Prairies à « un holocauste légèrement plus petit ».
Le rapport n’était pas plus gentil avec la communauté gay, qu’il qualifiait d'”homosexuels militants”. Il affirmait que les homosexuels voulaient adopter des enfants uniquement parce que « leur mode de vie les met constamment en contact avec la mort ». “S’ils veulent se reproduire”, affirmait le rapport , “ils doivent le faire politiquement, essentiellement en prenant en charge les enfants des autres”. Manning lui-même, en tant que chef du Parti réformiste, remarquera plus tard publiquement que «l’homosexualité est destructrice pour l’individu et, à long terme, pour la société».
Pour ne pas être en reste dans les jérémiades contre la tolérance, Byfield, a écrit un article appuyant le négationniste de l’holocauste.Dans ce document, il a déploré: “Nous sommes maintenant déterminés à être une province aimante, miséricordieuse et infiniment tolérante, et donc quiconque agit autrement sera battu jusqu’à ce qu’il crie pour la miséricorde.”
Tout au long de la fin des années 1980, Byfield a été un conférencier régulier lors des conférences du Parti réformiste. La « philosophie fiscale » du parti — des budgets équilibrés obligatoires — a été rédigée et signée par son fils, Link Byfield, et adoptée avec empressement par la direction du parti.
La plate-forme et l’énoncé de principes du Parti réformiste de 1988 étaient aussi idéologiques que le Rapport . Il a proposé une privatisation de masse, une taxe forfaitaire, la fin du contrôle des prix du pétrole, la suppression des protections de monopole syndical pour les syndicats et même l’ abolition des lois sur le salaire minimum. Parallèlement aux mesures de répression de la criminalité, il a averti que l’immigration ne doit pas être “conçue pour modifier radicalement ou soudainement la composition ethnique du Canada, comme cela semble de plus en plus être le cas”.
Manning, pour sa part, a promu des politiques anti-ouvrières régressives comme essentielles à la construction d’un « Nouveau Canada » – marqué par « un passage d’une société industrielle à une société post-industrielle » – mais où les profits pourraient encore être garantis. Pourtant, malgré son influence, le magazine Byfield a été mis sous séquestre au début des années 1990.
Byfield a été renfloué par le fondateur à la retraite de Westburne Oil, John Scrymgeour , et ses anciens membres du conseil d’administration. Interrogé par Byfield sur ce qu’il voulait faire du magazine, Scrymgeour lui a répondu: “Continuez simplement à faire ce que vous faites.”
Une avant-garde marginalisée
Lorsque les conservateurs se sont effondrés lors des élections de 1993 , les réformistes sont devenus le plus grand parti de droite. En montant au firmament étoilé de l’establishment politique, il a été contraint d’en poncer les aspérités. Grâce à des rencontres organisées par Conrad Black et le milliardaire Hal Jackman , les dirigeants réformistes ont tenté de courtiser l’argent de Bay Street et le soutien des courtiers en électricité de l’Est. Manning a accepté la chirurgie dentaire esthétique, une nouvelle coupe de cheveux et une chirurgie oculaire au laser, s’est engagé à former une « opposition constructive » et a promis d’éliminer les extrémistes.
Interrogé sur la présence de racistes, de théoriciens du complot et de semeurs de haine dans son parti, Manning aimait dire : « Si vous allumez une lumière, vous allez attirer des insectes». Cependant, les bugs étaient de plus en plus un handicap plutôt qu’un simple embarras.
La droite est toujours dans une alliance quelque peu inconfortable entre les extrêmement riches, ceux qui propagent la haine et les dérangés.
Pendant ce temps, d’autres éléments de l’establishment montraient un penchant croissant pour la réforme. En 1995, le stratège républicain David Frum a travaillé pour réparer les relations entre les électeurs réformistes et les conservateurs de l’establishment. Son recrutement a été décroché après avoir estimé que les conservateurs “se souciaient beaucoup trop d’apaiser les marchands d’opinion libéraux à Toronto, sur des questions allant des droits des homosexuels aux sanctions contre l’Afrique du Sud”. Frum a proposé d’écrire une préface élogieuse pour la collection de colonnes de Byfield, The Book of Ted: Epistles from an Unrepentant Redneck .
La nouvelle place du Parti réformiste dans les couloirs du pouvoir au Canada a commencé à s’accorder avec les éléments les plus populistes du Rapport . Le magazine s’est de plus en plus offert comme exutoire pour ceux qui pensaient que «M. Manning et son cercle de conseillers ont trop de contrôle dans un parti qui se targue d’une prise de décision ascendante et non descendante.
À l’approche des élections de 1997, une autre controverse a éclaté au sein du parti. Cherchant à rejoindre les communautés au-delà de son caucus entièrement blanc, plusieurs députés réformistes ont appuyé la candidature de l’ancien membre du personnel libéral Rahim Jaffer pour Edmonton-Strathcona. Les opposants de Jaffer se sont insurgés contre lui au motif qu’il avait, comme l’a dit un militant réformiste cité dans le rapport de l’Alberta , des « maladies étrangères » et une « peau décolorée ».
Après les élections de 1997, le Rapport est devenu encore plus idéologique. Un article, sur la stérilisation forcée des femmes autochtones, avait pour titre « Tirer profit de la victimisation». Dans une autre chronique, Link Byfield avertit ses lecteurs que là où nous avons des minorités qui ne sont pas encore nombreuses et concentrées, nous ne devons pas les aider à le devenir, comme nous le faisons avec nos Indiens. Il ne peut en résulter que des ennuis, tôt ou tard.
Peu de temps après, une chronique intitulée « To the Re-education C amp , Go ! a proposé une défense du leader d’extrême droite français Jean-Marie Le Pen contre des accusations d’antisémitisme au motif qu’il soutenait la campagne militaire d’Israël dans les territoires occupés.
Souhaitant que le Canada ait son propre Le Pen, l’article du Rapport affirmait en outre :
Israël agit toujours dans son propre intérêt. On peut ergoter, peut-être, sur ses méthodes mais pas sur son intention. Les gouvernements occidentaux, d’autre part, agissent sans exception pour éradiquer leurs nations. Au Canada, nous avons tellement peur des xénophiles que l’opposition à cette éradication ne s’exprime que de manière intermittente et incohérente.
Par la suite, un article intitulé “L’Occident est le meilleur “ était encore plus explicite en ouvrant la voie aux futurs théoriciens du ” Grand Remplacement “:
La vraie nature du multiculturalisme est le génocide européen. Le Canada n’existe tout simplement pas en tant qu’entité culturelle, économique, politique ou philosophique. Il disparaîtra dans 20 ans. Rien dans le cœur ne le maintien ensemble. Il est mûr pour l’invasion qui se produit.
La politique identitaire de la suprématie blanche exposée ici, bien que sans aucun doute haineuse, n’était pas sans précédent. La politique raciste a toujours été dans l’ADN du Rapport et du Reform Party. Stan Waters, un proche partenaire du magnat de la construction Fred Mannix et l’un des premiers candidats du Reform Party, a utilisé le même langage dans les années 80 pour défendre le régime de la minorité blanche en Afrique du Sud : « L’Afrique du Sud devrait réfléchir à deux fois avant d’autoriser le régime majoritaire car la plupart des pays d’Afrique noire vivre sous la tyrannie.
Byfield et William Gairdner , tous deux orateurs réguliers lors des rassemblements réformistes, étaient également d’ardents défenseurs de l’apartheid – ils étaient de fervents opposants à ce que Gairdner appelait les “dictatures à parti unique des pays d’Afrique noire”. Ailleurs , Gairdner, exigeant des restrictions sur l’immigration non blanche, a écrit que «la nation a le droit de se défendre contre la capture démographique ou, si vous préférez, contre la prise de contrôle raciale ou culturelle passive».
La fin de la fête
En mars 2000, après l’échec de son expansion lors des élections de 1997, Manning a préparé les 66 000 membres réformistes à « tuer le parti » afin qu’il puisse rechercher l’unité avec les conservateurs. Pendant ce temps, le Rapport déclinait. Son offre publique n’a pas réussi à attirer l’argent des investisseurs et, entre 1999 et 2002, elle a perdu plus de dix mille abonnés. Avec un lectorat vieillissant, son impact et sa liste d’abonnements devaient encore diminuer. Le dernier clou dans le cercueil, comme l’ a noté Alberta Views , était que les anciens «renfloueurs» du rapport ont refusé de le faire à nouveau. Le magazine a fermé ses portes au printemps 2003.
Byfield s’est tourné vers des activités plus personnelles, écrivant des histoires en plusieurs parties sur l’Alberta et les croisades – célébrant ces dernières avec des titres de chapitre tels que ” L’Occident contre-attaque enfin l’islam “. Il s’est également mis à bloguer sur les alliances homosexuelles dans les écoles (” clubs sexuels “) , le spectre du “réseau musulman de pédophilie ” et ses propres désaccords personnels avec les dirigeants du mouvement conservateur canadien.
En 2011, lorsqu’il a été invité à célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la fondation du Reform Party aux côtés de membres clés du cabinet conservateur, il a pris ses distances avec les affirmations selon lesquelles il avait contribué à fonder la droite canadienne moderne. “C’est un non-sens”, a déclaré Byfield à la foule, avec fausse modestie. « Le Parti réformiste était un produit de Preston Manning. Le reste d’entre nous a aidé un peu.
L’histoire de Byfield nous rappelle que la droite ne peut accéder au pouvoir sans une base mobilisée. Paradoxalement, cependant, cette base doit être mobilisée – en grande partie contre son propre intérêt. Cela signifie inévitablement tirer parti de problèmes sociaux difficiles pour obtenir un avantage politique.
La droite est toujours dans une alliance quelque peu inconfortable entre les extrêmement riches, les agressifs et les dérangés. Parfois, la base conservatrice est contrôlée par ses agents politiques les plus avertis, comme Manning. Lorsque cela se produit, les vrais idéologues, comme Byfield, se retrouvent à distance du pouvoir et de l’influence. Mais ils ne sont jamais entièrement poussés à la marge.
Nous le voyons avec le descendant du Parti réformiste, le Parti conservateur moderne. Le parti lutte rarement pour des fonds – quelles que soient ses perspectives électorales – mais dépend d’un effectif dont les opinions sur les questions sociales se situent bien en dehors du courant dominant. Fondamentalement, l’équilibre est instable – et la base de la droite composée de fondamentalistes et de fanatiques devient inévitablement une menace pour la classe ouvrière, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses enceintes idéologiques.
Le cas de Byfield montre à quel point les positions de la droite radicale sont utiles à l’avancement du conservatisme de l’establishment – même si elles doivent être abandonnées lors des réceptions de vin et de fromage. La droite marginale n’est pas un bug – c’est une caractéristique des partis conservateurs et de la droite plus largement.
Traduction NCS

En Allemagne, deux lignes pour un même camp

par Peter Wahl
En deçà d’un certain seuil, une défaite électorale devient une raclée. Et c’est sans doute ainsi qu’il faut qualifier le score de 4,9 % obtenu par le parti allemand Die Linke (La Gauche) lors des élections fédérales de septembre dernier. Seule l’application d’une règle spéciale sauve sa présence au Bundestag : même s’il ne franchit pas la barre des 5 %, un parti qui obtient la majorité dans au moins trois circonscriptions (sur 299) peut former un groupe parlementaire. Le décrochage n’en reste pas moins spectaculaire pour cette formation qui frôlait les 12 % en 2009 et se maintenait encore à 9,2 % en 2017. Elle ne rassemble plus cette fois que 2,3 millions de voix, presque la moitié des 4,3 millions de 2017. Et son groupe parlementaire ne compte plus que 39 députés, contre 69 auparavant, sur un total de 736.
Cette débâcle ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire déjà riche en défaites de la « gauche de gauche » allemande d’après-guerre. Le Parti communiste est interdit en Allemagne de l’Ouest en 1956, et il faut attendre 1983 pour que les Verts (Die Grünen) — avec leur direction explicitement écosocialiste — représentent à nouveau cette sensibilité au Parlement. Après l’unification de 1990, cependant, les Grünen se recentrent au point de participer au gouvernement néolibéral de M. Gerhard Schröder (1998-2005) et jouent un rôle moteur dans l’engagement militaire allemand contre la Yougoslavie en 1999.
Die Linke émerge de ces ruines en 2007, en réunissant dans un nouveau parti deux composantes distinctes. D’un côté, des syndicalistes et d’anciens sociaux-démocrates déçus par le recentrage de leur formation ; de l’autre, le Parti du socialisme démocratique (PDS), héritier du parti qui avait gouverné l’Allemagne de l’Est. Grâce à son ancrage dans les Länder orientaux, le PDS avait franchi la barre des 5 % en 2005 pour la première fois depuis l’unification (1). Die Linke s’épanouit parce qu’il comble un vide.
Ce cycle paraît révolu. Die Linke perd un à un ses bastions. Non seulement dans les régions de l’Est en général, où son score a été divisé par deux en dix ans (de 20 % à 9,8 %), mais également dans des circonscriptions symboliques, comme celle de Marzahn-Hellersdorf, dans l’est de Berlin, conquise en septembre par la droite alors qu’elle votait encore à 51 % pour le parti postcommuniste en 2001…
Pourquoi la gauche perd-elle ? D’abord, pour des raisons démographiques : le noyau dur de l’électorat postcommuniste qui a vécu l’unification comme une annexion vieillit et se réduit. Et surtout ne se renouvelle plus, à mesure que Die Linke cesse de représenter les intérêts des populations de l’Est, rôle qui lui permettait d’attirer de nouveaux sympathisants contestataires. Les motifs de mécontentement ne manquent pourtant pas : trente ans après la chute du Mur, un rideau de fer partage toujours l’Allemagne en matière de niveau de vie, de salaires, de pensions. Mais, à la différence des années 2000, Die Linke participe à l’exécutif à Berlin, dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, dirige celui de Thuringe… C’est désormais la formation d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui capte un vote protestataire à l’Est et incarne l’opposition — réactionnaire — dans les ex-bastions orientaux de la gauche.
Les élections de septembre dernier posent pour Die Linke un problème plus épineux encore. Comment expliquer sa chute au sein des groupes qui forment traditionnellement sa base sociale — ouvriers, chômeurs, précaires et groupes à bas salaires —, alors même que la sécurité sociale s’était imposée comme le thème dominant de la campagne électorale, devant l’économie, le travail, l’environnement et le climat (2) ? Et comment comprendre que la désaffection frappe également les centres métropolitains et étudiants, comme Brême et Hambourg, où de nombreux jeunes avaient voté pour le parti en 2017 ? Ceux qui tablaient sur cet électorat diplômé pour former la nouvelle base du parti ont vu leurs espoirs douchés, les jeunes urbains ayant plus souvent accordé leurs suffrages aux Verts, ou même aux libéraux.
Chez les moins jeunes, le Parti social-démocrate (SPD) a capté près d’un tiers des voix perdues par Die Linke. Après de nombreuses années de crise, les sociaux-démocrates ont fait oublier l’ère néolibérale de M. Schröder (3) et concurrencent Die Linke sur son terrain, en proposant, par exemple, une hausse du salaire minimum à 12 euros (contre 9,82 euros actuellement). La bascule s’observe dans le comportement électoral des syndicalistes : 11,8 % votaient pour La Gauche en 2017, contre 6,6 % en septembre — un score qui ramène Die Linke derrière l’AfD (12,2 %) et le Parti libéral-démocrate (FDP, 9 %)…
Tout effondrement politique implique des causes internes à l’organisation, et Die Linke ne fait pas exception. Les nouvelles coprésidentes du parti, Mmes Janine Wissler et Susanne Hennig-Wellsow, ont pris leurs fonctions quelques mois à peine avant le scrutin ; peu connues du grand public, elles n’ont guère pu faire campagne en raison des restrictions sanitaires. Fin août, un spectaculaire cafouillage parlementaire a fait jaser la presse : lors du vote sur la participation de la Bundeswehr à l’opération d’évacuation de Kaboul, une partie des députés de gauche s’est prononcée pour, une autre contre, tandis qu’une troisième s’abstenait… Enfin, l’annonce, sans débat au sein du parti et avant même le scrutin, de concessions considérables en cas de participation au gouvernement n’a sans doute pas galvanisé les sympathisants.
La convulsion qui tétanise Die Linke affecte d’autres formations de gauche, comme Attac Allemagne
Toutefois, ces incidents récents ne rendent pas raison des mauvais résultats régionaux ou européens accumulés depuis 2019. Le problème le plus fondamental tient au conflit d’orientation qui oppose différents courants du parti. C’est la crise dite « des réfugiés », en 2015, qui a mis ce clivage au grand jour. Se référant au programme de 2011, qui exige « les frontières ouvertes pour tous les humains », une grande partie des militants a accueilli avec enthousiasme la levée des obstacles à l’immigration et réclamé la pérennisation de la liberté d’installation. Mais un autre courant juge au contraire irréaliste le slogan des « frontières ouvertes pour tous ». Mme Sahra Wagenknecht incarne cette ligne. Alors coprésidente du groupe parlementaire, forte d’une popularité étendue bien au-delà des cercles militants, cette femme charismatique et ses partisans soutiennent à l’égard des réfugiés une position fondée sur le droit international, mais réclament également une régulation des migrations.
Si l’on retrouve semblable clivage au sein de la gauche française, britannique ou américaine, celui-ci se superpose en Allemagne à la fracture Est-Ouest. Le débat sur la politique migratoire a vite dégénéré : Mme Wagenknecht a été qualifiée publiquement de « nationale Sozialistin » — socialiste nationale, en référence au Parti national-socialiste d’Adolf Hitler — par des membres de sa propre formation. En 2018, elle braquait un peu plus ses camarades en lançant sans succès le mouvement Aufstehen (« Soulevez-vous »), perçu comme concurrent de Die Linke. Retirée de la direction du groupe parlementaire depuis 2019, la députée demeure très présente, notamment dans les médias.
Ainsi, le climat délétère du débat public allemand de l’après-2015 se décalque-t-il sur le parti de gauche. Polluées par les polémiques sur les politiques de l’identité et la cancel culture (« culture du bannissement »), les discussions stratégiques perdent en analyse et en dialogue ce qu’elles gagnent en condamnation morale et en hostilité personnelle. « Le message central qui semblait émaner du dernier congrès n’était pas un positionnement politique particulier ou le programme électoral de Die Linke, mais plutôt la “diversité” de sa nouvelle direction et le caractère inattaquable de ses références pro-LGBTQ [lesbiennes, gays, bisexuels, trans et queer], féministes et antiracistes. Il est certain qu’un parti socialiste devrait être tout cela », a observé Loren Balhorn, rédacteur à la Fondation Rosa-Luxembourg et directeur de l’édition allemande de la revue Jacobin. « Toutefois, ajoutait-il, on peut se demander si ce genre de message trouve de l’écho au-delà des cercles partisans immédiats de Die Linke, et s’il donne à la population une raison de voter pour lui » (4).
C’est ce type d’analyse qu’approfondit Mme Wagenknecht dans un livre publié en avril 2021, Die Selbstgerechten (« Les bien-pensants ») (5), rapidement propulsé dans la liste des meilleures ventes. Regrettant que la gauche s’apparente de plus en plus à un style de vie branché, universitaire et vertueux, la députée impute l’effritement de la base sociale de son parti à l’accent mis sur les politiques identitaires au détriment de la question sociale. Elle plaide pour la primauté de la question de classe, dans laquelle féminisme, antiracisme, lutte contre l’homophobie, etc., s’intègrent dans un rapport dialectique entre général et particulier — à rebours, estime-t-elle, des approches intersectionnelles, qui, sous le terme « classisme », renvoient la question sociale à une forme de discrimination, au même titre que le sexisme ou le racisme.
Publié quelques mois avant les élections, l’ouvrage a exacerbé la crise interne au point que certains militants ont réclamé — en vain — l’expulsion de la trouble-fête. S’ils découragent l’électorat, ces conflits affaiblissent aussi le parti en repoussant aux calendes grecques la mise au point de stratégies appropriées face à la crise climatique, à la numérisation ou aux transformations des équilibres internationaux. Fait remarquable, la convulsion qui tétanise Die Linke affecte d’autres formations de gauche, comme Attac Allemagne. L’association, qui a joué un rôle important jusqu’à la crise financière de 2008, n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même, incapable non seulement d’actualiser l’altermondialisme, mais également de surmonter de manière constructive ses déchirements.
Die Linke y parviendra-t-elle ? Trois mois après les élections, la bataille des courants internes n’a pas cessé. L’exécutif, dominé par la gauche mouvementiste (Bewegungslinke) d’orientation « sociétale », s’oppose au groupe parlementaire, où prédomine une alliance entre les « réalistes », souvent issus de l’Est, et des députés plus ou moins proches de Mme Wagenknecht.
Le plus petit groupe parlementaire du Bundestag jouira toutefois d’un avantage : Die Linke incarne désormais seule l’opposition de gauche à la coalition gouvernementale entre les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux. La configuration rappelle celle de l’ère Schröder, qui avait favorisé le parti de gauche. La présence du FDP au sein de la coalition intensifie les contradictions au sein de ce gouvernement et réduit ses possibilités de répondre à la question sociale. Comme le suggère la hausse des prix de l’énergie, la dimension sociale de la transformation écologique s’impose avec fracas. Une occasion pour Die Linke ?
Auteur de Gilets Jaunes. Anatomie einer ungewöhnlichen sozialen Bewegung, PapyRossa Verlag, Cologne, 2019.
(1) Lire Peter Linden, « Ce nouveau parti qui bouscule le paysage politique allemand », Le Monde diplomatique, mai 2008.
(2) Source : ARD – infratest dimap.
(3) Lire Rachel Knaebel, « L’aubaine des sociaux-démocrates allemands », Le Monde diplomatique, décembre 2021.
(4) www.jacobinmag.com, 14 mars 2021.
(5) Sahra Wagenknecht, Die Selbstgerechten : Mein Gegenprogramm — für Gemeinsinn und Zusammenhalt, Campus Verlag, Francfort, 2021.

Pour une désescalade de la crise autour de l’Ukraine

Pour une désescalade de la crise autour de l’Ukraine

Cela fait maintenant deux mois qu’a éclaté la crise entourant le déploiement de quelque 100 000 soldats russes à 350 km de la frontière ukrainienne et l’exigence formulée par la Russie que ses intérêts sécuritaires soient pris en considération. Un intense ballet diplomatique s’ensuit depuis, ponctué de menaces, de rumeurs, de nouveaux déploiements militaires et de nouvelles livraisons d’armes. Que se passe-t-il au juste? Quelles sont les issues possibles?
La crise
Pour une rare fois, la Russie a investi le centre de la scène mondiale en indiquant avoir des exigences incontournables et en proposant des projets de traités pour en discuter. Le projet de traité avec l’OTAN, à l’instar de l’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997, réaffirme qu’aucun pays ne doit renforcer sa sécurité aux dépens de celle des autres. Il appelle à ce que troupes étrangères et armements soient retirés des 14 pays d’Europe de l’Est qui sont devenus membres de l’OTAN après 1997 et à ce qu’aucun missile terrestre à portée courte ou intermédiaire ne soit déployé là où il permettrait d’atteindre le territoire d’autres États Parties. Il appelle aussi à la non-expansion de l’OTAN et à la cessation de toute activité militaire en Ukraine et dans d’autres États d’Europe de l’Est, du Caucase-Sud et d’Asie centrale. À l’appui de sa « posture de négociation », outre les importants déploiements d’effectifs à la frontière ukrainienne, la Russie participe aussi en ce moment à des exercices militaires d’envergure en Biélorussie, pays limitrophe de l’Ukraine au nord.
Même s’ils savent que ni la France ni l’Allemagne n’appuieraient l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, les États-Unis invoquent quand même le principe de la « porte ouverte » de l’OTAN pour rejeter en bloc les principales demandes russes. Avec les échos fidèles du Royaume-Uni et du Canada, ils alimentent un climat de guerre en claironnant l’imminence d’une invasion russe, en retirant le personnel non essentiel de leurs ambassades et en lançant de nombreuses rumeurs sans jamais en offrir de preuves. Ainsi la Russie serait responsable d’attaques informatiques de sites gouvernementaux, puis de centaines de fausses alertes à la bombe en Ukraine; elle aurait infiltré des agents pour fabriquer des prétextes à une invasion; elle chercherait à imposer un dirigeant pro-russe à Kiev; elle préparerait une vidéo de propagande d’une fausse attaque des forces ukrainiennes, etc. Notons, au passage, qu’autant les États-Unis que la Russie sont capables de tels gestes pour l’avancement de leurs intérêts…
Après avoir clarifié que leur armée ne combattrait pas pour repousser une invasion russe, c’est par la menace de sanctions draconiennes que les États-Unis tentent de rendre leur dissuasion crédible tant auprès de la Russie (si tant est qu’ils croient vraiment à l’imminence d’une invasion) qu’auprès d’autres pays pouvant se sentir menacés par elle (et par le climat de guerre alimenté par les États-Unis).
Genèse des enjeux sécuritaires actuels pour la Russie
Malgré les dénis officiels occidentaux, l’adhésion à l’OTAN de très nombreux pays d’Europe de l’Est – qui étaient auparavant membres du Pacte de Varsovie sous l’égide de l’URSS – s’est réalisée en brisant une promesse faite à Gorbatchev en 1990, alors qu’on négociait l’assentiment soviétique à une Allemagne réunifiée qui serait membre de l’OTAN. « Pas un pouce vers l’Est » avait été la formule garantissant qu’il n’y aurait pas d’expansion de l’OTAN. Cet engagement avait été rendu d’autant plus crédible qu’on promettait, de surcroît, que l’OTAN jouerait à l’avenir un rôle davantage politique et que les enjeux de sécurité européenne seraient dorénavant l’apanage d’une Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) renforcée, dont la Russie faisait partie. Tous les dirigeants d’URSS/Russie, de Gorbatchev à Poutine, ont dénoncé cette promesse rompue.
L’expansion de l’OTAN l’a amenée aux frontières mêmes de la Russie dès 2004, avec l’adhésion de l’Estonie et de la Lettonie (plus de 500 km de frontières communes avec la Russie). L’adhésion envisagée de l’Ukraine et de la Géorgie ajouterait plus de 2 200 km de frontière commune entre l’OTAN et la Russie!
Graduellement, cette expansion de l’OTAN s’est accompagnée de déploiements militaires dans les nouveaux pays membres, d’exercices militaires de plus en plus importants aux portes de la Russie. Des systèmes de missiles antibalistiques ont aussi été déployés en Pologne et en Roumanie. Une véritable mine d’or pour les complexes militaro-industriels occidentaux, États-Unis en tête.
Il n’est pas étonnant que la Russie perçoive toute cette évolution comme menaçante pour elle. On n’a qu’à imaginer un instant comment les États-Unis réagiraient si les pays d’Amérique centrale étaient déjà presque tous membres d’une alliance militaire dominée par la Russie, si cette dernière y déployait des troupes, des armements, des missiles et s’il était maintenant question d’étendre cette alliance hostile au Mexique. On se souviendra qu’en 1962 les États-Unis avaient imposé un blocus et risqué l’affrontement avec l’URSS pour forcer le retrait de ses missiles de Cuba.
Et l’Ukraine là-dedans?
Rappelons qu’en 2013-2014, nos médias et nos gouvernements nous ont offert une vision tronquée et simpliste de la « révolution » qui se produisaient alors en Ukraine, la présentant comme un soulèvement spontané et généralisé contre un gouvernement inféodé à la Russie. Il y avait pourtant des signes évidents d’ingérence étrangère, notamment la participation aux manifestations du sénateur John McCain, du directeur de la CIA, John Brennan et même de notre ministre des Affaires étrangères de l’époque John Baird. En février 2014, des manifestations tournent à la violence, des snipers d’appartenance inconnue tirent sur des manifestants et des policiers, des armes sont volées à la police et à des garnisons militaires. Le président Ianoukovitch fuit le pays, et les États-Unis, l’OTAN et le Canada reconnaissent rapidement un gouvernement intérimaire, dont sept membres du cabinet sont issus de Svoboda… une organisation ultranationaliste, néo-nazie.
Le portrait des forces en présence en Ukraine était donc nettement plus complexe qu’on nous le présentait. L’Est et l’Ouest de ce pays ayant eu des parcours historiques très différents, il s’agissait d’un pays pluriel et divisé, sur des bases linguistiques, religieuses mais aussi idéologiques. Et le débat national à savoir si le pays devait s’aligner sur la Russie ou l’Occident a dégénéré en conflit armé au cours duquel près de 14 000 personnes sont mortes et 1,5 millions ont été déplacées. Dans l’est ukrainien, deux sous-régions administratives du Donbass, Donetsk et Lugansk, ont proclamé leur indépendance et se sont alignées sur la Russie. On peut parler de guerre civile pour décrire ce qui s’est passé et qui perdure encore.
Malheureusement, rien n’est réglé dans l’Est de l’Ukraine où les violations du cessez-le-feu et les accusations mutuelles à cet égard sont quasi-journalières. Si l’on sait comment les crises commencent, il est bien difficile de prédire comment elles se terminent. En haut lieu et à l’abri des conséquences, les dirigeants politiques, alternant menaces et ouvertures à la conciliation, étirent souvent les crises pour sortir avantagés au maximum de la solution ultimement négociée. Mais ils n’ont pas nécessairement le contrôle de ce qui se passe sur le terrain sur les ‘fronts’ des conflits. Des erreurs de perception, d’évaluation sont possibles. Des gestes non autorisés par ‘en haut’ sont possibles. Et dans tout cela, c’est avant tout la population de l’Ukraine qui en paierait le prix.
Les enjeux nucléaires
Une guerre entre les États-Unis et la Russie – deux puissances qui ensemble détiennent 90 % des armes nucléaires – risquerait de ne pas rester conventionnelle longtemps. La perspective d’une défaite ou de pertes jugées trop importantes pourrait entraîner le recours aux armes nucléaires dans une escalade risquant le sort de l’humanité. L’OTAN compte aussi deux autres pays nucléaires : la France et le Royaume-Uni. De plus, le concept de « parapluie nucléaire » assurant la protection de tous les États membres de l’OTAN a fait en sorte que 100 à 150 bombes nucléaires étasuniennes B61 sont ‘stationnées’ dans 5 pays non-nucléaires de l’Europe : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie. S’étant retirés du Traité sur les missiles antibalistiques en 2002, les États-Unis ont depuis déployé plusieurs systèmes ABM, notamment en Pologne et en Roumanie. Souvent présentés comme purement défensifs, ces systèmes peuvent très bien être envisagés comme protection contre une réplique nucléaire lors d’une première frappe nucléaire. C’est la raison pour laquelle les États-Unis et l’URSS s’étaient entendus pour les interdire en 1972.
De son côté, la Russie a déployé des missiles Iskander d’une portée de 500 km – pouvant porter des ogives nucléaires ou conventionnelles – dans son enclave de Kaliningrad située sur la mer Baltique, entre la Lituanie et la Pologne. D’autre part, un référendum est prévu en Biélorussie le 27 février pour modifier la constitution de 1991 du pays qui le proclamait alors territoire sans armes nucléaires. Alexandre Loukachenko, président biélorusse depuis 1994, permettrait à la Russie de ramener des armes nucléaires sur son territoire et la Russie affirme qu’elle envisagerait un tel déploiement si l’Ukraine devenait membre de l’OTAN ou si les États-Unis déployaient des armes nucléaires en Pologne. Cette dernière perspective a été évoquée par l’OTAN face à la possibilité que le nouveau gouvernement de coalition en Allemagne – qui a décidé de participer, en tant qu’observateur, à la première rencontre (à venir) des États Parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) – demande que les armes nucléaires étasuniennes soient retirées du pays.
À cela s’ajoute maintenant le possible déploiement, par les États-Unis et la Russie, de missiles de croisière et de missiles balistiques à portée intermédiaire (entre 500 et 5 500 km) et à charge conventionnelle ou nucléaire. Le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), entré en vigueur en juin 1988, avait amené l’élimination et l’interdiction de cette catégorie d’armes, mais les deux pays s’en sont retirés en 2019 en s’accusant mutuellement de l’avoir violé.
De plus en plus, comme dans les années 1980, se profile la perspective d’un affrontement nucléaire entre les États-Unis et la Russie qui serait d’abord livré en Europe et anéantirait rapidement le continent. À l’époque, cela avait donné lieu à des mobilisations citoyennes de très grande ampleur, en Europe mais aussi en Amérique du Nord, qui avaient justement conduit à l’adoption du Traité FNI.
Le rôle néfaste du Canada
Quand le premier ministre Trudeau et la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly affirment que toutes les actions du Canada « ont pour but de diminuer la tension et de trouver une solution diplomatique », on ne saurait être plus éloignés de la réalité.
De 2013-2014 à aujourd’hui, la politique étrangère du Canada vis-à-vis la crise en Ukraine a été calquée sur celle des États-Unis, à commencer par l’ingérence du ministre des Affaires étrangères de l’époque, John Baird, en appui aux manifestations à Kiev.
Depuis 2015, dans le cadre de l’Opération UNIFIER, le Canada déploie environ 200 militaires en Ukraine, en rotations de 6 mois, dans un rôle de formation et d’entraînement « harmonisé » aux efforts d’autres pays comprenant aussi la Lituanie, la Pologne, l’Ukraine, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Danemark et la Suède. Le 26 janvier 2022, le Canada annonçait l’élargissement – jusqu’à 260 militaires et peut-être même 400 – et la prolongation de cette opération pour trois ans, en y consacrant 340 millions $ supplémentaires.
Depuis 2014, l’Opération REASSURANCE en Europe centrale et en Europe de l’Ouest est le plus important déploiement militaire du Canada à l’étranger, comptant plus de 900 militaires sur mer, au sol et dans les airs, dans le cadre de l’OTAN : 240 marins à bord d’une frégate, 540 militaires dirigeant un « groupe tactique de présence avancée renforcée » de l’OTAN en Lettonie, pays frontalier de la Russie, et 135 membres de l’Aviation royale canadienne et six avions de chasse CF-18 Hornet participant à des activités de police aérienne renforcées de l’OTAN. Il y a quelques jours, la ministre canadienne de la Défense, Anita Anand, annonçait que le Canada envisageait envoyer d’autres soldats en Pologne et dans les pays baltes.
Par la réitération de son appui à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et l’annonce – en écho à celle des États-Unis et du Royaume-Uni – du retrait du personnel non essentiel de son ambassade, le Canada jette aussi de l’huile sur le feu.
Le Canada ayant de très importants projets d’exportation de gaz naturel vers l’Allemagne, il a aussi un certain intérêt objectif à ce que les exportations russes vers ce pays soient perturbées ou réduites…
Favoriser la désescalade
L’humanité ne peut pas se permettre d’envisager un affrontement militaire entre les grandes puissances de ce monde, étant donné la puissance apocalyptique des armes nucléaires dont elles sont dotées. C’est pour cela que l’on doit s’opposer au développement d’une nouvelle guerre froide entre les États-Unis et l’OTAN, d’une part, et la Chine et la Russie, d’autre part.
Il n’y aura pas de solution diplomatique à la crise actuelle sans que ses protagonistes acceptent de faire de compromis. Dans ce cas-ci, la balle est d’abord dans le camp des États-Unis, qui doivent reconnaître que l’expansion sans limite de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie ne sera jamais acceptable pour cette dernière. Ne rien céder là-dessus ne peut mener qu’à une confrontation encore plus dangereuse.
Un statut de neutralité pour l’Ukraine ou, tout au moins, un moratoire de longue durée sur l’accession de l’Ukraine et la Géorgie à l’OTAN – sans travailler pendant ce temps à y créer une inféodation militaire de fait à l’OTAN – pourrait être une voie de sortie. En ce qui concerne le conflit qui perdure dans l’Est ukrainien, une réelle mise en œuvre des accords de Minsk II s’impose, notamment par une réforme constitutionnelle en faveur d’un système fédéral prévoyant une large autonomie pour Donetsk et Lougansk.
Les États-Unis et la Russie devraient aussi entamer de sérieuses négociations de limitation des armements, notamment en ce qui concerne les missiles à portée intermédiaires et les antimissiles balistiques. L’escalade des moyens d’intimidation doit cesser. Les budgets astronomiques qui y sont consacrés doivent être réaffectés à la lutte contre le réchauffement climatique et à la satisfaction des autres besoins fondamentaux de l’humanité.
S’il veut vraiment favoriser la voie diplomatique, le Canada doit cesser d’appuyer l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et mettre fin à tous ses déploiements militaires en Ukraine et en Europe de l’Est. Il doit aussi rompre avec la rhétorique de guerre froide dans laquelle il s’est engagé, renoncer à la politique nucléaire de l’OTAN et réellement œuvrer pour le désarmement nucléaire en signant immédiatement et s’engageant à ratifier le TIAN.
Autant aux États-Unis qu’en Europe et ici, il nous faut des mouvements citoyens puissants pour forcer nos gouvernements à s’engager dans cette voie avant qu’il ne soit trop tard.
Le Comité porte-parole du Collectif Échec à la guerre
Judith Berlyn
Martine Eloy
Raymond Legault
Suzanne Loiselle












