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Ukraine : « Notre syndicat protège les travailleurs sous la loi martiale »
Depuis l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, « Ukrzaliznytsia » (Chemins de fer ukrainiens), en tant qu'entreprise d'infrastructure essentielle, assure le transport des passagers et des marchandises 24 heures sur 24. Les employés des chemins de fer contribuent à la capacité de défense de l'État par leur travail héroïque pendant les hostilités et les bombardements.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Avant la guerre, le syndicat VPZU, ainsi que d'autres organisations syndicales opérant dans le secteur ferroviaire ukrainien, négociait constamment avec l'administration d'« Ukrzaliznytsia » pour améliorer les conditions de travail des cheminots et augmenter leurs salaires. En outre, afin de réglementer la protection juridique et sociale des droits du travail des membres du syndicat, les organes élus du VPZU ont formulé des propositions d'actes réglementaires, qui ont ensuite été soumises aux comités compétents du Conseil suprême de l'Ukraine.
La VPZU est membre de l'organe représentatif conjoint des syndicats opérant à « Ukrzaliznytsia » en vue de la signature d'une nouvelle (première) convention collective pour l'entreprise, mais actuellement, en raison de la loi martiale dans le pays, les activités de cet organe ont été suspendues.
De 2014 à 2024, pendant l'agression armée russe, les relations avec un certain nombre d'organisations syndicales de la VPZU dans les régions de Luhansk, Donetsk et Zaporizhzhia et dans la République autonome de Crimée ont été rompues.
Notre syndicat est une organisation indépendante à but non lucratif qui rassemble des citoyens ayant des intérêts communs dans le cadre de leurs activités professionnelles. La VPZU a le statut d'une organisation publique/syndicale à l'échelle de l'Ukraine, organisée sur une base territoriale.
Les unités organisationnelles du syndicat sont les suivantes :
– Les organisations syndicales de base sont des associations volontaires de membres de syndicats qui travaillent dans la même entreprise ;
– les organisations syndicales locales et régionales ;
– les organisations syndicales de base dans les entreprises ferroviaires, les institutions et les organisations avec des subdivisions structurelles distinctes des chemins de fer ;
– les syndicats des entreprises, institutions ou organisations des secteurs du transport, de la construction et du métro ;
– les syndicats de base dans les entreprises, les institutions et les autres secteurs concernés.
La VPZU a confirmé sa représentativité au niveau sectoriel conformément à l'article 5 de la loi ukrainienne sur le dialogue social en Ukraine.
En outre, la VPZU comprend les employés de la société municipale Kyivpastrans (employés du dépôt de trolleybus et du parc d'autobus) à Kyiv, de la société municipale « Zhytomyr Tram et Trolleybus » à Zhytomyr, du « City trolleybus » à Kryvyi Rih, à Kamianske (région de Dnipropetrovsk), de la société municipale « Kharkiv Metro » à Kharkiv, où les travailleurs sont représentés par les organisations syndicales de la VPZU.
La VPZU est une organisation membre de la Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU) et coopère par solidarité avec le Syndicat indépendant des mineurs d'Ukraine (IMU), le Syndicat libre de l'éducation et de la science d'Ukraine (VPONU), le Syndicat libre des travailleurs de la santé d'Ukraine (VPMU), et le Syndicat libre des entrepreneurs [petits vendeurs de rue – ndlr] d'Ukraine (VPUU) et d'autres organisations de la confédération KVPU. Cette coopération prend la forme de :
* l'échange d'informations sur l'application de méthodes innovantes
* protection des droits des membres des syndicats en matière d'emploi ;
* des activités syndicales communes pour défendre les droits des membres
* syndicats dont les droits ont été violés par leurs employeurs respectifs ;
* des appels conjoints aux autorités publiques et aux médias sur les relations de travail en Ukraine.
Depuis le 24 février 2022, les organisations syndicales de la VPZU fonctionnent sous la loi martiale, assurant la protection juridique et publique des droits fondamentaux des travailleurs conformément à la législation ukrainienne en vigueur.
La VPZU fournit une assistance humanitaire permanente aux membres du syndicat ou aux citoyens touchés par la loi martiale et la guerre. Les organisations syndicales de la VPZU fournissent également de l'aide aux militaires, notamment de la nourriture, des vêtements chauds, diverses munitions militaires, etc.
C'est actuellement la tâche principale de la VPZU.
À cet égard, la VPZU souhaiterait qu'il soit possible de recevoir toute forme d'aide du mouvement ouvrier international, en fonction de ses ressources et de son budget, pour l'établissement de relations qui pourraient être construites à l'avenir.
Volodymyr Kozelsky, président du syndicat libre des chemins de fer ukrainiens, 12 janvier 2024
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Droit d’asile : enfin la reconnaissance du groupe social des femmes !
La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) vient de reconnaître, dans un arrêt du 16 janvier 2024, que la violence à l'encontre des femmes fondée sur le genre est une forme de persécution pouvant donner lieu en tant que telle à une protection. Il s'agit d'un pas important dans la reconnaissance du caractère structurel des violences faites aux femmes et de leurs droits à être protégées.
Tiré de Entre les lignes et les mots
À l'origine de cet arrêt de la CJUE, une ressortissante turque d'origine kurde, de confession musulmane et divorcée, explique avoir été mariée de force par sa famille, battue et menacée par son époux. Craignant pour sa vie si elle devait retourner en Turquie, elle a demandé l'asile en Bulgarie. Le juge bulgare, saisi de l'affaire, a décidé de poser des questions à la Cour de justice.
La Cour opère une grande avancée pour les femmes qui demandent l'asile. Selon elle, les textes européens doivent être interprétés dans le respect des conventions internationales relatives à la lutte contre les violences faites aux femmes telles que la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (dite « CEDEF ») et la « Convention d'Istanbul ».
Or, la Convention d'Istanbul stipule que la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre doit être reconnue comme une forme de persécution permettant l'octroi du statut de réfugié. La Cour relève par ailleurs que le fait d'être de sexe féminin constitue une caractéristique innée et que « il y a lieu de relever, en particulier, que le fait pour des femmes de s'être soustraites à un mariage forcé ou, pour des femmes mariées, d'avoir quitté leurs foyers, peut être considéré comme une « histoire commune qui ne peut être modifiée ».
La Cour indique par ailleurs que les femmes, dans leur ensemble, peuvent être regardées comme appartenant à un groupe social selon la Convention de Genève et bénéficier du statut de réfugié lorsqu'elles sont persécutées en raison de leur genre. C'est le cas si, dans leur pays d'origine, elles sont exposées, en raison de leur sexe, à des violences physiques ou psychologiques, y compris des violences sexuelles et domestiques. Jusqu'à présent, les femmes devaient démontrer appartenir à des groupes sociaux créés par la jurisprudence en France (personnes victimes de la traite des êtres humains, fillettes et jeunes filles risquant l'excision, personnes persécutées du fait de leur orientation sexuelle ou identité de genre, etc.)
Avec cette nouvelle analyse de la CJUE, les femmes victimes de violences et risquant le féminicide ou d'autres formes de violences devraient pouvoir prétendre à l'octroi d'une protection du seul fait d'être une femme, même en l'absence d'autre motif de persécution.
Les instances de l'asile doivent dès maintenant se saisir de cette décision pour accorder une protection aux femmes qui subissent des actes de persécution y compris des pratiques discriminatoires systématiques. Cette décision pourrait également permettre une harmonisation des protections accordées au niveau européen aux femmes victimes de persécutions parce qu'elles sont des femmes. Nos associations resteront particulièrement vigilantes sur l'interprétation qui sera faite de cet arrêt en France et veilleront au respect des droits et l'amélioration de la protection des femmes exilées.
1er février 2024
Signataires :
Les associations du réseau ADFEM (Actions et droit des femmes exilées et migrantes [1])
ARDHIS (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l'immigration et au séjour)
Centre Primo Levi
GAS (Groupe accueil et solidarité)
[1] La Cimade, Comede (Comité pour la santé des exilés), FASTI (Fédération des associations de solidarité avec tou·te·s les immigré·e·s), Femmes de la Terre, Fédération nationale des CIDFF, FNSF (Fédération nationale solidarité femmes), GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s), LFID (Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie), RAJFIRE (Réseau pour l'autonomie des femmes immigrées et réfugiées)
http://www.gisti.org/spip.php?article7171
https://www.lacimade.org/presse/droit-dasile-enfin-la-reconnaissance-du-groupe-social-des-femmes/
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Oui à l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution mais de façon réellement protectrice !
Le 24 janvier prochain le projet de loi constitutionnelle « relatif à la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse » doit passer en première lecture à l'Assemblée nationale.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/26/oui-a-linscription-du-droit-a-livg-dans-la-constitution-mais-de-facon-reellement-protectrice/
Les féministes demandent depuis bien longtemps l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution française et, en sus, dans la Charte européenne des droits fondamentaux. Nous nous féliciterons de cette inscription. Après les attaques contre le droit à l'IVG dans de nombreux pays, elle doit établir une protection de ce droit qui peut s'avérer très fragile dans certaines circonstances politiques.
Qu'en est-il de la protection qui nous est proposée au travers du texte gouvernemental ?
Le texte qui sera soumis au vote des deux chambres et du congrès, reprenant à quatre mots près le texte voté au Sénat le 1er février 2023, stipule : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. » Nous dénonçons depuis longtemps le glissement sémantique partant de l'inscription d'un droit dans la Constitution vers l'exercice de la liberté déterminée par la loi, même si l'avis du Conseil d'Etat en date du 16 décembre dernier considère que « la consécration d'un droit à recourir à l'interruption volontaire de grossesse n'aurait pas une portée différente de la proclamation d'une liberté ».
Bien plus, ce futur alinéa 14 de l'article 34 de la Constitution (qui explicite ce qui relève de la loi) énonce qu'il y aura obligatoirement une loi sur le droit à l'avortement mais il ne garantit pas ce que sera le contenu de cette loi. Les régressions du droit à l'IVG par modification de la loi ou de textes réglementaires seront possibles, les moyens pour l'application de ce droit pourront être restreints. Un déremboursement ou une diminution des délais serait par exemple plausible par le biais d'une loi ordinaire.
La formulation de l'Assemblée nationale votée le 24 novembre 2022 édictait : « La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse. »
Elle nous semble bien plus protectrice et surtout elle aurait été placée à l'article 66 de la Constitution (qui protège les libertés individuelles contre l'arbitraire), dont elle aurait constitué l'alinéa 2, ce qui l'aurait située au même niveau que l'interdiction de la peine de mort. Le droit à l'avortement est un droit fondamental. Les droits des femmes sont fondamentaux pour toute démocratie.
Le contexte politique actuel est marqué par une très forte poussée de l'extrême droite en France et à l'international. Plusieurs événements récents concernant le droit à l'avortement nous alertent.
La loi Gaillot du 2 mars 2022, « visant à renforcer le droit à l'avortement », élargit les compétences des sages femmes à la pratique des IVG instrumentales en établissements de santé, favorisant ainsi l'accès aux soins et le choix des femmes aux différentes techniques. Mais le décret d'application, publié au JO le 17 décembre 2023 (près de deux ans après !), vient contredire la loi car les conditions faites aux sages-femmes, imposant la présence de quatre médecins, leur interdit quasiment tout pratique et pourrait remettre en question celle des médecins en centres de santé et même dans certains établissements hospitaliers.
Le 5 janvier 2024, l'ancienne éphémère ministre de la Santé par intérim, Agnès Firmin Le Bodo, visitait l'institut Jérôme Lejeune, lié à la fondation Jérôme Lejeune, fer de lance, entre autres, du combat contre le droit à l'avortement. Elle allait jusqu'à les féliciter pour leur action.
Dernier événement : lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, le président Macron annonce sa volonté que son gouvernement mène une politique nataliste.
Ces événements sont de très mauvais signaux pour la défense du droit à l'avortement et pour les droits des femmes en général.
En outre, la nomination de Catherine Vautrin, manifestante contre le mariage homosexuel avec la manif pour tous, opposante en 2017 au vote du délit d'entrave numérique à l'IVG, au ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités n'est pas pour nous rassurer.
Nous serons très vigilantes et continuerons à nous mobiliser pour toutes les solidarités. Nous refusons ces dérives anti démocratiques alignées sur l'extrême droite.
A la veille des élections européennes, l'inscription protectrice du droit à l'avortement et son effectivité dans la Constitution française et dans la Charte européenne des droits fondamentaux doit rester une priorité pour les droits des femmes.
Le collectif Avortement en Europe, les femmes décident
Paris, le 24 janvier 2024
https://www.ldh-france.org/oui-a-linscription-du-droit-a-livg-dans-la-constitution-mais-de-facon-reellement-protectrice/
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Adriana Vieira : « Les solutions à la crise climatique sont dans les territoires »
Une militante de la MMF au Brésil parle de l'exploitation capitaliste de la nature et des solutions féministes à la crise climatique
Tiré de Capiré
https://capiremov.org/fr/entrevue/adriana-vieira-les-solutions-a-la-crise-climatique-sont-dans-les-territoires/
17/01/2024 |
Interview réalisée par Bianca Pessoa
Adriana Vieira est membre de la Marche Mondiale des Femmes à Rio Grande do Norte, au Brésil. Elle a commencé son activisme dans la communauté rurale où elle vivait, dans la ville de Baraúna, en participant aux activités du Conseil communautaire : « J'ai commencé à participer à un groupe de jeunes qui organisaient la bibliothèque de l'école et, plus tard, à participer à l'union rurale. À partir du travail au syndicat, nous avons commencé à participer à la commission des femmes. C'était au moment de la mobilisation pour la première action internationale de la Marche en 2000. » Adriana a participé à toutes les actions depuis lors : « ma trajectoire de lutte est bien mélangée à celle de la Marche Mondiale des Femmes ».
Au cours de l'interview, Adriana parle de l'exploitation capitaliste de la nature, des impacts de cette exploitation sur la vie des femmes et des nombreuses stratégies des femmes pour défendre leurs territoires et leur biodiversité. Vous pouvez écouter l'interview dans son intégralité en portugais ci-dessous :
Comment voyez-vous la crise climatique au Brésil aujourd'hui, compte tenu des revers des six dernières années de coup d'État et de gouvernements d'extrême droite ? Que faut-il pour changer la relation prédatrice avec la nature ?
En fait, ce que nous voyons, ce sont des nomenclatures — « crise climatique », « crise environnementale », « urgence climatique » — pour quelque chose que nous devrions donner d'autres noms : exploitation du capitalisme, exploitation de la nature et exploitation de la vie et des biens communs. En d'autres termes, il est beaucoup plus compréhensible de comprendre ce que signifie cette crise climatique. Cela a à voir avec une crise du capitalisme, qui a besoin de profiter davantage, il a donc besoin de créer des noms et même de créer les crises elles-mêmes.
Au Brésil, au cours des six dernières années, il y a eu une très grande cession de la nature, avec une privatisation des biens communs, qu'il s'agisse de la forêt, de l'eau — y compris celles qui sont souterraines — et des services d'eau et d'énergie. L'énergie solaire et éolienne est considérée comme une énergie propre, renouvelable et écologique, mais si nous allons la considérer du point de vue de la vie des personnes qui se trouvent sur les territoires où elles sont déployées, ce n'est rien de tel. Certaines installations représentent la mort de la biodiversité locale. C'est aussi une destruction de la culture et des connaissances, car il y a une expulsion des populations de ces lieux, y compris avec beaucoup de militarisation. Les gens ne peuvent pas se déplacer librement, ils ne peuvent pas élever des poulets, ils ne peuvent pas élever des moutons. Il y a une très grande destruction dans l'environnement, en particulier dans les environs où ces énergies peintes en vert sont installées.
D'autres problèmes liés au climat sont, par exemple, la création de parcs de conservation, qui perturbent souvent aussi la vie locale. Pendant longtemps, les populations traditionnelles, autochtones, quilombola, riveraines et agricoles familiales ont pris soin de la nature. Même avec la destruction impulsée par le capitalisme, la nature n'est maintenue telle qu'elle est maintenue que parce qu'il y a un très grand soin apporté par ces populations. Elles prennent soin du sol quand elles vont chercher les graines, s'inquiétant de ne pas les prendre toutes, laissant un peu de graines car la forêt a besoin de rajeunir, elle a besoin de renaître. Lorsqu'elles vont chercher le miel des abeilles, les femmes n'emportent pas tout, car elles considèrent que les abeilles ont besoin de se nourrir, et qu'il est important pour elles de perpétuer la biodiversité locale — y compris, à certains endroits, de replanter des plantes que l'énergie éolienne a détruit. Dans certaines plantations de caatinga, les femmes replantent pour que les abeilles puissent polliniser et augmenter la production de miel. Il ne s'agit pas seulement de nourrir les femmes, d'obtenir le miel pour soi-même, mais de garder les abeilles en vie.
Qu'ont enseigné les femmes populaires des mouvements et des territoires sur la coexistence avec la nature et la nécessité d'une transition juste ?
Récemment, nous sommes allées faire une activité dans un groupe de femmes apicultrices, là-bas à Baraúna, qui est ma ville, et nous avons commencé à parler de l'histoire des femmes et des groupes, et aussi de l'histoire des abeilles. Nous avons vu qu'il y a une très grande analogie entre la lutte et la vie des femmes et la vie des abeilles. L'un des compagnes dit que nous sommes comme des abeilles : si l'on dérange une, on dérange toutes. Dans cette analogie, il y a aussi un antagonisme qui est complémentaire, car les abeilles n'aiment pas le bruit, le « vacarme » les rend désorganisées au travail, car elles ont leur propre langage. Les abeilles ont donc besoin de silence pour travailler et maintenir la biodiversité. Nous, les femmes, d'un autre côté, avons besoin de bruit et d'agitation pour que la vie continue, pour nous garder en vie. Nous, les femmes, devons toujours être alertes, toujours bruyantes, toujours faire entendre notre voix.
Nous faisons partie de cette biodiversité et, par conséquent, il est très important que nous restions en vie, protégées de la violence patriarcale et aussi de la violence du capitalisme, qui nous expulse, nous tue, nous impose une charge de travail domestique si importante qu'elle gâche notre santé et raccourcit notre vie.
La nature a la capacité de nous apprendre, que ce soit des abeilles, que ce soit d'une plante, le temps qui se ferme, le soleil qui se lève plus tôt. Il y a aussi la capacité que nous, les femmes, développons en observant la nature et en apprenant d'elle. Cet apprentissage crée une possibilité de prendre soin de la nature, car la nature et la biodiversité prennent soin de nous.
Il existe plusieurs initiatives institutionnelles internationales qui promeuvent de fausses solutions pour le climat et garantissent le protagonisme des grandes entreprises. Comment faire face à cette situation ? Si ce n'est pas de cette façon, alors de quelle manière ?
Nous, dans les mouvements, ne tomberons pas dans cette erreur de croire que les solutions sont dans les grandes entreprises. Il est de notre devoir de faire comprendre à la société que la solution à cette crise climatique ne réside pas dans les grandes entreprises, l'agro-industrie ou le capitalisme. Nous voyons des catastrophes majeures liées à la présence de ces entreprises dans divers endroits : à Brumadinho, à Alagoas, dans le nord-est avec l'énergie éolienne. Les grandes entreprises détruisent parce qu'elles n'habitent pas sur place, elles ne s'inquiètent pas si elles ne vont pas bien respirer, si le bruit de la tour éolienne va vous déranger quand vous allez dormir, ou si la lumière ne va pas vous permettre de vous concentrer.
Les solutions se trouvent en fait dans les territoires, soit avec les femmes qui y produisent du miel à Baraúna, à Mossoró, soit avec les femmes qui organisent les cuisines communautaires – ce qui implique toute la question du jardin communautaire, de la plantation de l'agriculture familiale pour se nourrir, tout en socialisant le travail de soin. Pour nous à la Marche Mondiale des Femmes, la solution est de se concentrer sur les territoires.
Avec quels agendas et stratégies féministes devrions-nous entrer dans 2024 ? Comment pouvons-nous renforcer le féminisme populaire, la justice environnementale et la souveraineté alimentaire dans notre région et dans le monde ?
Nous devons examiner ce que nous avons construit sur la Marche des Margaridas au cours des deux dernières années. Nous avons construit un excellent processus à partir des territoires. Les femmes se sont penchées sur leurs territoires, réalisant ce que signifie vivre sans violence, ce que signifie avoir la souveraineté alimentaire — qu'il ne s'agit pas seulement de sécurité alimentaire, ce n'est pas seulement le droit de manger, mais c'est même le droit de choisir quoi manger et le droit de choisir de manger sans poison. Si nous regardons quel est le programme de la Marche des Margaridas, nous avons un bon indicatif non seulement pour 2024, mais à long terme. Nous discutons de la souveraineté alimentaire, de la protection des territoires contre les énergies renouvelables, de l'exploitation minière, de l'imposition de crédits carbone qui finissent par installer des parcs de conservation qui sont des musées d'arbres pour l'appropriation du carbone. Les femmes ont les réponses qu'elles ont elles-mêmes construites et discutées dans les 27 États du Brésil.
Ce programme indique également des reproductions possibles de ces idées et inspirations dans le monde. Nous avons, par exemple, une production plus proche de chez nous, non pas parce que les femmes doivent s'occuper du travail domestique et en même temps de la production, mais parce que beaucoup n'ont pas de terre à planter sans être autour de la maison. Cette politique d'arrière-cours productives ici au Brésil est une bonne politique à mettre en œuvre dans d'autres endroits où il n'y a pas une grande étendue de terres. Il y a aussi le programme de semences créoles, dont nous nous occupons pour qu'elles s'adaptent au sol et restent vivantes tout au long des cultures.
D'un point de vue économique, certaines initiatives d'approvisionnement des gouvernements locaux qui favorisent l'agroécologie et qui privilégient l'agriculture familiale peuvent être une bonne inspiration pour d'autres endroits dans le monde. Partout, les gouvernements doivent acheter, et il y a de l'agriculture familiale et de l'agroécologie partout aussi. Relier cette demande du gouvernement à ce qui est fait depuis les territoires est un bon programme, qui construit la possibilité d'une bonne vie, de la durabilité de la vie à partir de l'alimentation et de l'agroécologie, et qui doit également être lié au débat sur la protection des femmes contre la violence du capital et du patriarcat.
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Faisons du sexisme de l’histoire ancienne
Pour la journée nationale officielle contre le sexisme, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) publie son 6ème rapport annuel sur l'état du sexisme en France et lance une nouvelle campagne de sensibilisation : « Faisons du sexisme de l'histoire ancienne ».
Tiré de Entre les lignes et les mots
70% des femmes estiment ne pas avoir reçu le même traitement que leurs frères dans la vie de famille, près de la moitié des 25-34 ans pense que c'est également le cas à l'école et 92% des vidéos pour enfants contiennent des stéréotypes genrés.
Parallèlement à la publication du rapport annuel, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes lance une nouvelle campagne de sensibilisation : « Faisons du sexisme de l'histoire ancienne ».
L'objectif est de sensibiliser l'opinion publique et les pouvoirs publics à la nécessité de lutter contre le sexisme.
Télécharger le rapport 2024 :rapport-hce
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Les démocraties à l’épreuve de l’intelligence artificielle
Chaque semaine, “Courrier international” explique ses choix éditoriaux. Près de 3,7 milliards de personnes sont appelées aux urnes cette année. Dans ce numéro, nous revenons sur les risques qui pèsent sur les élections organisées partout dans le monde en 2024. Vidéos truquées, images manipulées, faux enregistrements… Les deepfakes sont désormais accessibles à tous et pourraient déstabiliser les régimes démocratiques en influençant les votes, s'inquiète la presse étrangère.
32 janvier 2024 | tiré du Courrier international
Un faux enregistrement de Joe Biden appelant les électeurs à ne pas aller voter lors de la primaire du New Hampshire le 23 janvier aux États-Unis ; l'ex-dictateur Suharto ressuscité le temps d'une vidéo pour appeler à voter pour son parti, le Golkar, lors des élections générales du 14 février en Indonésie ; un ministre indien en exercice appelant à voter contre le gouvernement, là encore dans une vidéo contrefaite…
En 2024, la liste des tentatives de manipulation de l'opinion risque de s'allonger chaque jour un peu plus. Près de la moitié de la population mondiale est en effet appelée à voter, soit 3,7 milliards de personnes dans 70 pays, selon le décompte du magazine Foreign Policy, parmi lesquels le plus peuplé (l'Inde), le plus grand bloc commercial (l'Union européenne), le plus grand pays musulman (l'Indonésie), le plus grand pays hispanophone (le Mexique) et la plus grande puissance du monde (les États-Unis).
En 2016, année du Brexit et de l'élection de Donald Trump aux États-Unis, il avait déjà été fortement question de désinformation et d'influence des réseaux sociaux (avec les fermes de trolls russes, notamment) dans les campagnes électorales. Cette fois, les possibilités de manipulation sont démultipliées en raison du développement accéléré de l'intelligence artificielle générative, explique le Financial Times dans l'article qui ouvre notre dossier.
Lire aussi : Élections. IA et désinformation, le cocktail explosif à l'assaut de nos démocraties
“Jusqu'à cette année, les répercussions de l'IA sur les élections suscitaient des inquiétudes exagérées. Mais à présent les choses s'emballent à une vitesse que ¬personne n'aurait imaginée”, explique un expert au quotidien britannique. Pour son article, très complet, Hannah Murphy a interrogé de nombreux experts – en intelligence artificielle, en désinformation –, des responsables d'ONG…, et ses conclusions font frémir.
Pourquoi ? Parce que la manipulation est désormais à la portée de tous. “L'avènement de l'IA générative, écrit la journaliste, avec ses outils multimodaux qui mêlent texte, image, audio et vidéo, change radicalement la donne : il est aujourd'hui à la portée du premier venu, ou presque, de créer de faux contenus et de les faire passer pour vrais.”
Et cela alors que les contre-feux technologiques, éthiques et juridiques sont loin d'être au point. En décembre, l'Union européenne avait pourtant marqué les esprits dans sa volonté d'encadrer l'intelligence artificielle : le Parlement européen et le Conseil de l'UE étaient parvenus à s'accorder sur l'AI Act, un texte jugé par The Washington Post comme “le plus ambitieux du monde”.
Vendredi 2 février, les pays membres de l'UE doivent se prononcer sur la ratification du texte. Mais tout porte à croire qu'elle sera retardée, et son application pas envisagée avant 2026. Un constat d'impuissance, selon The New York Times, pour qui “les législateurs et les autorités de régulation à Bruxelles, à Washington et ailleurs sont en train de perdre la bataille pour réglementer l'IA”, car ils ne parviennent pas à suivre l'évolution rapide de la technologie.
Lire aussi : Régulation. L'Europe fait sa loi pour tenter d'exister dans le domaine de l'IA
Les plateformes sociales sont elles aussi dépassées Sous pression, et sommés par les autorités de mettre en place des garde-fous pour lutter contre les deepfakes, Facebook, YouTube, TikTok, X (anciennement Twitter) et consorts “sont souvent moins bien armés que lors des précédentes grandes élections”, explique encore le Financial Times, notamment pour des raisons économiques (avec des réductions des coûts un peu partout dans les équipes chargées de la sécurité et de la modération). Mais pas seulement. Aujourd'hui, “la vérification des contenus et la lutte contre la désinformation se politisent”. Alimentant encore la défiance des citoyens envers les institutions.
À la veille d'une année électorale particulièrement chargée, il nous paraissait important d'apporter un éclairage sur des pratiques que l'on risque de retrouver dans les mois à venir et qui pourraient largement influencer les résultats, brouillant un peu plus le jeu démocratique. “Il existe une lueur d'espoir, veut pourtant croire Hannah Murphy : cette crise pourrait pousser les électeurs à se détourner des réseaux sociaux pour, de nouveau, aller chercher leurs informations auprès des institutions traditionnelles.”
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Procédure lancée par l’Afrique du Sud contre Israël : un appel à se libérer de l’Occident impérial
L'Afrique du Sud ne conteste pas seulement la guerre génocidaire menée par Israël contre les Palestinien·nes de Gaza ; elle tente de briser l'emprise de l'hégémonie états-unienne. C'est ce que montre Tony Karon dans un article d'abord publié en anglais par The Nation.
17 janvier 2024 | tiré de contretemps.eu
Malheureusement pour les Palestinien·nes qui souffrent depuis longtemps, la « nécessité » de la violence organisée au service du massacre de civil·es par milliers est une affaire de point de vue. Et Israël fait le pari que sa guerre contre Gaza est conforme à ce qui est jugé acceptable dans les coulisses du pouvoir de l'Occident impérial, où des termes comme « dommages collatéraux » aseptisent la version actuelle des massacres de l'ère coloniale de personnes de couleur dans le cadre de campagnes de « pacification ».
La brutalité « nécessaire » est un principe séculaire dans la poursuite et le maintien du pouvoir occidental, qu'il s'agisse de colonisateurs européens, de colons américains décimant les populations autochtones, de l'armée états-unienne anéantissant les Vietnamiens, d'Afghans ou d'Irakiens contraints de se plier à la volonté de Washington, ou de la secrétaire d'État de l'époque, Condoleezza Rice, disant au Liban de se résigner à la mort et à la destruction massives provoquées par l'invasion israélienne de 2006 alors présentée comme « affres de la mise au monde d'un nouveau Moyen-Orient ».
L'idéologue patenté de la puissance occidentale, Samuel P. Huntington, théoricien du « choc des civilisations » ne dit pas autre chose, d'ailleurs :
« L'Occident ne doit pas sa conquête du monde à la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion (à laquelle peu de membres d'autres civilisations ont été convertis), mais plutôt à sa supériorité dans l'application de la violence organisée. C'est un fait que les Occidentaux oublient souvent ; les non-Occidentaux, eux, jamais. »
Vladimir Ze'ev Jabotinsky, fondateur du mouvement sioniste révisionniste, mouvement devenu hégémonique dans la politique israélienne pendant la majeure partie des cinq dernières décennies [depuis l'accession au pouvoir de Menahem Beging et du Likoud en 1977], semblait bien conscient de l'argument avancé par Huntington un demi-siècle plus tard. L'influent pamphlet de Jabotinsky de 1923, Le mur de fer, était un appel aux armes dépourvu de toute sensiblerie, adressé à ceux qui visaient l'édification et la perpétuation d'un État ethnique juif en Palestine :
« Nous cherchons à coloniser un pays contre la volonté de sa population, en d'autres termes, par la force. Voilà la racine dont proviennent toutes sortes d'incidences néfastes avec une inévitabilité axiomatique ».
La violence qu'Israël déchaîne est du même type que celle qui a fait de l'Occident la force dominante du système international. Et c'est l'ancrage d'Israël dans un ordre colonial occidental qui est utilisé pour justifier la sauvagerie qui s'abat sur Gaza. La violence, regrettable mais nécessaire pour défendre les frontières de la « civilisation » contre la « barbarie », est un vieux principe des puissances occidentales. Et c'est en vertu de ce principe qu'Israël exige un soutien à sa campagne à Gaza.
Selon le New York Times, au cours d'échanges diplomatiques et dans des déclarations publiques, les responsables israéliens « ont cité les actions militaires occidentales passées en zones urbaines, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux guerres contre le terrorisme qui ont suivi le 11 septembre… pour aider à justifier une campagne contre le Hamas qui coûte la vie à des milliers de Palestiniens ».
Mais l'accusation de génocide portée par l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ) dans l'espoir de mettre un terme à l'opération militaire d'Israël rappelle l'observation de Huntington selon laquelle les non-Occidentaux n'ont jamais oublié comment l'Occident a été créé et ne sont pas non plus disposés à accepter ses prérogatives. De nombreux pays du Sud voient dans la violence d'Israël un écho de leur propre brutalisation et humiliation historiques aux mains de la puissance occidentale.
L'Afrique du Sud ne se contente pas d'affronter Israël ; elle met en cause, de fait, les États-Unis, principal soutien d'Israël, qui bloquent agressivement toute tentative d'obliger Israël à rendre des comptes au regard du droit international. En saisissant la CIJ, l'Afrique du Sud dit au monde qu'on ne peut pas faire confiance aux États-Unis et à leurs alliés pour mettre un terme à la campagne génocidaire d'Israël.
Le régime d'apartheid de l'Afrique du Sud a été l'âme sœur idéologique et l'allié le plus proche d'Israël ; l'Afrique du Sud post-apartheid honore désormais l'obligation morale énoncée par Nelson Mandela, de ne pas trouver le repos tant que la Palestine ne sera pas libre. Son action implique également l'héritage de la responsabilité morale de conduire la société civile mondiale à agir contre l'apartheid, responsabilité qui découle de sa propre expérience de lutte soutenue par la solidarité internationale.
Les millions de personnes qui défilent dans les rues du monde entier nous disent qu'une grande partie de la société civile est aux côtés des Palestiniens. Pourtant, la plupart des gouvernements qui ne soutiennent pas directement les agissements criminels d'Israël n'ont pas agi. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi. Israël bombarde et affame les civils, détruisant délibérément leurs moyens de survie. Et il agit avec la certitude inébranlable que les munitions états-uniennes qu'il largue sur les mères et les enfants de Gaza continueront d'affluer tandis que Washington assurera une couverture politique. L'Afrique du Sud a tenté de briser la passivité imposée par les États-Unis, offrant un exemple d'action indépendante du Sud pour mettre fin aux crimes de guerre approuvés par l'Occident.
Lorsque Mandela, libéré de prison en 1990, a été mis en cause aux États-Unis pour ses relations avec Yasser Arafat, leader de l'Organisation de libération de la Palestine, il a poliment mais fermement fait comprendre à l'establishment américain que « vos ennemis ne sont pas nos ennemis », principe de non-alignement que ses héritiers poursuivent aujourd'hui.
Bien sûr, il y a toujours eu des limites à la capacité des gouvernements du Tiers monde à s'opposer aux États-Unis et à l'Europe, la principale étant le rôle central joué par les marchés financiers mondiaux contrôlés par l'Occident dans la capacité de ces gouvernements à gouverner. L'économie mondiale grotesquement inégale créée par le pillage colonial de l'Occident a été maintenue, après la décolonisation politique, sous la forme de relations codifiées de propriété privée qui ont essentiellement donné aux États-Unis et à l'Europe un droit de veto sur l'indépendance politique des anciennes colonies. Aujourd'hui encore, nous constatons que l'Égypte subit des pressions pour accueillir des dizaines de milliers de réfugiés palestiniens victimes du nettoyage ethnique de Gaza, en échange de l'annulation de 160 milliards de dollars de sa dette nationale.
Malgré sa position subordonnée dans le système financier mondial, l'Afrique du Sud a commencé à résister aux exigences géopolitiques des États-Unis, en refusant notamment, de concert avec la plupart des pays du Sud, de prendre le parti de l'OTAN dans la guerre en Ukraine. Cela peut refléter le déclin de la puissance étatsunienne par rapport aux autres et l'indépendance économique croissante des puissances moyennes. Mais l'action de l'Afrique du Sud devant la CIJ constitue un nouveau défi géopolitique pour les États-Unis. Parce qu'en accusant Israël de génocide, inévitablement, même si de manière implicite, ce sont les États-Unis que l'on accuse de complicité.
Le corollaire de la remarque de Huntington sur la mémoire non-occidentale renvoie aussi à une histoire de moments de violence organisée par des peuples non occidentaux dont les succès contre des puissances occidentales prétendument invincibles ont parfois inspiré une résistance dans l'ensemble du Sud. Pankaj Mishra a mis en lumière ce type de dynamique dans l'impact de la défaite infligée par le Japon à la Russie impériale en 1905 sur des intellectuels allant de Sun Yat-Sen à Jawaharlal Nehru, en passant par Mustafa Kemal Ataturk et W.E.B. Du Bois : « Ils ont tous tiré la même leçon de la victoire du Japon : les hommes blancs, conquérants du monde, n'étaient plus invincibles ».
Un frisson d'inspiration comparable a parcouru l'ensemble du Sud lorsque les révolutionnaires vietnamiens ont vaincu l'armée coloniale française à Dien Bien Phu en 1954. Et de nouveau lorsqu'ils ont vaincu les États-Unis qui avaient remplacé la France. Ou encore lorsque des révolutionnaires cubains ont éjecté un dictateur soutenu par les États-Unis et repoussé les tentatives de restauration de l'ancien régime.
La génération sud-africaine qui a mené le soulèvement de Soweto en 1976 contre le gouvernement de l'apartheid a été enhardie par le spectacle, quelques mois plus tôt, de l'armée prétendument invincible de Pretoria contrainte de battre en retraite de l'Angola par les forces cubaines et celles du MPLA [Mouvement pour la Libération de l'Angola]. La victoire du Hezbollah en 1999, après 15 ans de guérilla pour forcer le retrait d'Israël du Sud-Liban, de la même manière, a été source d'inspiration pour les Palestiniens et leurs voisins. Et ainsi de suite.
Beaucoup noteront que si Israël a pulvérisé une grande partie de Gaza et continue de tuer des centaines de civils chaque jour, il ne parvient pas à détruire la capacité de combat du Hamas. « Le scepticisme grandit quant à la capacité d'Israël à démanteler le Hamas », a averti le New York Times. Loin de marginaliser le Hamas, les actions d'Israël ont rendu le mouvement plus populaire que jamais parmi les Palestiniens et dans toute la région arabe, tout en affaiblissant les dirigeants alignés sur Israël et les États-Unis.
Le militant de la société civile palestinienne Fadi Quran a récemment affirmé que l'offensive d'Israël diminuait en fait son image « dissuasive » : « Nous avons constaté un changement radical dans la perception moyenne de l'armée israélienne dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Auparavant, elle était considérée comme une force sophistiquée et dissuasive avec laquelle il fallait compter, et dont la suprématie était inébranlable », écrit-il. « Aujourd'hui, elle est perçue comme extrêmement faible et fragile. Plus précisément, la perspective actuelle est qu'elle serait facilement vaincue si elle ne bénéficiait pas du soutien illimité des États-Unis.
La dépendance d'Israël à l'égard des bombardements aériens et du pilonnage des centres urbains est perçue comme la tactique la plus lâche d'une armée qui a peur du face à face avec une milice qui est dix fois moins nombreuse qu'elle, qui dispose d'un pour cent de ses ressources et qui est assiégée depuis dix-sept ans. Les incursions terrestres d'Israël se font à travers des chars fortifiés après des bombardements aériens et d'artillerie massifs, mais sans parvenir à tenir efficacement ses positions ».
Les tactiques israéliennes de punition collective ainsi que l'ampleur et la nature de la violence que les puissances occidentales sont prêtes à tolérer contre un peuple captif et colonisé à Gaza rappellent également aux anciens peuples colonisés et à leurs descendants comment l'Occident a été créé.
Israël s'attend à être compris dans les capitales occidentales en raison des traditions de « violence nécessaire » de la domination impériale occidentale, ce qui laisse entendre qu'il pourrait être antisémite de refuser à Israël le droit de se comporter, au début du 21e siècle, comme l'ont fait les puissances européennes et les États-Unis aux 19e et 20e siècles.
Il convient ici de rappeler une observation de feu l'historien britannique Tony Judt sur les conséquences de l'arrivée tardive d'Israël dans le jeu de la colonisation :
« En bref, le problème d'Israël n'est pas, comme on le laisse parfois entendre, qu'il s'agit d'une « enclave » européenne dans le monde arabe, mais plutôt qu'il est arrivé trop tard. Il a importé un projet séparatiste caractéristique de la fin du19e siècle dans un monde qui a évolué, un monde de droits individuels, de frontières ouvertes et de droit international. L'idée même d'un « État juif » – un État dans lequel les Juifs et la religion juive jouissent de privilèges exclusifs dont les citoyens non juifs sont à jamais exclus – est enracinée dans un autre temps et un autre lieu. En bref, Israël est un anachronisme ».
L'historien Adam Tooze, dans sa chronique au Financial Times, ajoute quant à lui :
« Les Israéliens sont le dernier groupe d'Européens (en majorité) à se lancer dans l'accaparement de terres non-européennes, justifiée dans leur mission par la théologie, la revendication d'une supériorité civilisationnelle et le nationalisme. Bien sûr, les accaparements de terres se poursuivent partout dans le monde, tout le temps. Mais, à l'heure actuelle, le projet israélien s'affirme comme version particulièrement cohérente et assumée d'idéologie de colonialisme de peuplement « classique » ».
Israël mène donc une guerre coloniale classique de pacification d'une population autochtone qui résiste à la colonisation, au moment même où une grande partie de la population mondiale présente la facture de siècles de violence et d'asservissement occidentaux, et demande justice et la réorganisation des rapports de force au niveau mondial. La défense de la Palestine est devenue l'emblème de cette lutte globale pour un autre gouvernement des affaires du monde.
Gaza a mis à nu l'hypocrisie fondamentale de « l'ordre international fondé sur des règles » de Biden – un système hypocrite qui légitime et permet la violence contre les Palestiniens colonisés et les violations systématiques du droit international par Israël. La campagne militaire d'Israël et son système d'apartheid peuvent être tolérés par les puissances occidentales, mais ils sont intolérables pour les citoyens du Sud.
Dans sa période de domination unipolaire de l'après-guerre froide, Washington a exigé le contrôle exclusif du dossier israélo-palestinien contre la communauté internationale. Le résultat a été un « processus de paix » dans lequel Israël a étendu et approfondi sans relâche son occupation d'apartheid, tandis que les responsables américains ont fermé toute discussion sur la limitation d'Israël en entonnant des mantras vides d'une « solution à deux États » qui pourrait être mise en péril si Israël était contraint de se conformer au droit international. Ce moment est révolu.
Par le biais de la procédure engagée devant la CIJ, l'Afrique du Sud envoie un message selon lequel accepter le leadership des États-Unis sur les affaires mondiales signifie accepter le massacre de dizaines de milliers de Palestiniens et le nettoyage ethnique de centaines de milliers d'autres.
Les États-Unis s'opposent agressivement à des initiatives telles que la plainte déposée par l'Afrique du Sud devant la CIJ, tout comme ils opposent systématiquement leur veto à tout effort du Conseil de sécurité des Nations unies visant à limiter les violations systématiques du droit international par Israël. L'action en justice de l'Afrique du Sud rompt l'emprise de l'hégémonie américaine qui paralyse une grande partie de la communauté mondiale et l'empêche de prendre des mesures pour demander des comptes aux génocidaires. C'est un appel au Sud pour qu'il défie les limites à la participation internationale fixées par Washington. Si les pays du Sud veulent que le bain de sang et le nettoyage ethnique cessent, ils ne peuvent pas compter sur le complice américain d'Israël pour y parvenir.
L'occasion pour déclencher ce défi géopolitique peut être l'urgence cataclysmique de mettre fin aux crimes d'Israël, mais qu'elle réussisse ou non, l'affaire de la CIJ peut marquer un nouveau chapitre dans la remise en cause de l'hégémonie américaine et d'un monde géré selon des règles qui légitiment les crimes de guerre commis par les États-Unis ou leurs alliés.

Argentine. Les classes populaires engagent une première mobilisation nationale face aux macro-diktats du gouvernement Milei
Lorsque les centaines de milliers de personnes – selon les estimations des organisateurs de la grève – sont arrivées en colonne sur la Plaza de los Dos Congresos (Buenos Aires) mercredi 24 janvier à midi pour protester contre la loi dite Omnibus, les député·e·s pro-gouvernement Milei avaient déjà obtenu, aux premières heures de la matinée, un feu vert pour traiter le projet de méga-décret [intégrant plus de 600 mesures dans tous les secteurs].
27 janvier 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/amelat/argentine/argentine-les-classes-populaires-engagent-une-premiere-mobilisation-nationale-face-aux-macro-diktats-du-gouvernement-milei.html
Appelée par la CGT (Confederación General del Trabajo de la República Argentina), la Central de Trabajadores de la Argentina (CTA) et l'Unión de Trabajadores de la Economía Popular, et soutenue par des organisations sociales, culturelles et de défense des droits de l'homme, des partis de gauche et le parti péroniste Unión por la Patria (UP), la grève nationale a rassemblé 400 000 personnes dans les rues de la seule ville de Buenos Aires. La mobilisation s'est développée dans toutes les capitales provinciales et a même été soutenue et répercutée par des organisations sociales et syndicales d'autres pays, qui ont manifesté devant les ambassades argentines contre le projet de loi « Omnibus ».
La décision majoritaire obtenue aux premières heures de la matinée de mercredi, lors de la session plénière, conjointe, des trois commissions de l'assemblée : Legislación General, Asuntos Constitucionales et Presupuesto (budget), obtenait 55 voix, dont 21 en désaccord partiel. Ont levé la main en faveur de l'examen de la loi « Omnibus » 18 élu·e·s de La Libertad Avanza (Milei), 17 du PRO-Propuesta Republicana (Mauricio Macri), huit de l'Union Civique Radicale-UCR, sept de Innovación Federal et Hacemos Coalición Federal – deux groupes parlementaires qui comprennent des Macristas dissidents, des péronistes dissidents et la Coalición Cívica d'Elisa Carrió [députée depuis 1995, d'abord sous la bannière de l'UCR et depuis 2009 de la Coalition civique, après avoir été liée à divers partis] –, et une voix du député Agustín Fernández, de l'UP-Union por la Patria. Après le vote, Agustín Fernández a annoncé que lui et deux autres députés UP [Gladys del Valle Medina et Elia Fernández de Mansilla] de la provice de Tucumán [située dans le nord-ouest] quittaient le banc de la majorité péroniste pour créer le bloc Independencia, à la demande du gouverneur de Tucumán, Osvaldo Jaldo. Une perte importante pour le péronisme, qui vient de perdre le gouvernement.
Il reste maintenant à débattre en séance plénière de la Chambre des députés à partir de mardi 30 janvier. A la Casa Rosada [présidence], on spécule sur le fait que deux séances marathon, jusqu'aux petites heures du matin, suffiront à transformer en loi le nouveau credo libertarien composé de 664 articles. A priori, les votes semblent favorables au parti au pouvoir, qui vient de former une sorte de coalition parlementaire sur laquelle il peut s'appuyer [Libertad Avanza dispose de 35 députés sur 257 et de 7 sénateurs sur 72, ce qui exige des accords pour coalition].
Aux 400 000 personnes mobilisées dans la capitale, la CGT estime en ajouter un million dans des villes comme Córdoba, Santa Fe, Rosario, La Rioja, Mendoza, San Juan, San Miguel de Tucumán, Paraná, Viedma, Bariloche, Río Gallegos, Neuquén, Salta, Posadas et Resistencia, entre autres. Bien que les chiffres soient difficiles à vérifier, les images de la télévision et des médias sociaux ont révélé la dimension du mécontentement à l'égard du projet de loi « Omnibus » dans ces villes du pays. [1]
Alors que le porte-parole du gouvernement, Manuel Adorni, et la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich [qui avait réuni 23,81% des suffrages à l'élection présidentielle sur la liste Juntos por el Cambio et qui a rallié Milei pour le 2etour], ont minimisé l'ampleur de la grève nationale, les principaux dirigeants syndicaux, tels que Pablo Moyano et Héctor Daer, tous deux de la CGT, ont considéré la mobilisation comme « un triomphe » et ont demandé aux élus nationaux « de ne pas se laisser influencer lors du vote à l'Assemblée » et de « respecter la volonté du peuple qui a voté pour eux ».
Depuis le retour de la démocratie [en 1983], 43 grèves nationales ont eu lieu, mais celle du mercredi 24 janvier est devenue l'épreuve de force la plus rapidement engagée pour un gouvernement élu, puisqu'elle n'a eu lieu que 44 jours après son entrée en fonction. Il est également vrai qu'aucun des présidents précédents n'a osé proposer des changements aussi radicaux aux deux Chambres, au point que des juges fédéraux [l'instance compte 28 juges] ont déjà accepté des requêtes contre la possible inconstitutionnalité d'une douzaine d'articles du projet de loi. Même les Nations unies ont demandé à participer au débat sur la loi « Omnibus » par l'intermédiaire du représentant régional du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Jan Jarab. L'organisme international est particulièrement préoccupé par les articles relatifs à la Sécurité [initialement, Bullrich a cherché à interdire tout rassemblement de plus de trois personnes, pour l'heure c'est un échec], qui, selon Jan Jarab, restreignent le droit à la dissidence et à la protestation.
La marche de mercredi 24 janvier a rassemblé des acteurs syndicaux et sociaux, qui ont déjà commencé à travailler sur de nouveaux articles de loi et des projets alternatifs à proposer au Parlement. Cependant, la balle est maintenant dans le camp des députés. Ils subissent une pression de la part des gouverneurs provinciaux, qui négocient dans l'urgence avec le ministre de l'Economie [Luis Caputo] pour obtenir de nouveaux fonds pour leurs administrations [Milei a menacé de couper tous les fonds fédéraux aux administrations des provinces]. Il y a là un test décisif pour le péronisme dans l'opposition. (Article publié par l'hebdomadaire uruguayen Brecha le 26 janvier 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Selon le compte rendu du site La Izquierda Diario, lié au PTS, le 24 janvier a été marqué par des grèves et des débrayages, d'une part, dans le secteur de la santé, préparés par de nombreux débats en assemblée, et, d'autre part, dans des aéroports, des fabriques automobiles (Toyota, Ford), dans des fabriques de pneus (Pirelli, Bridgestone), des raffineries, des complexes sidérurgiques (Campana, Villa Constitución), des compagnies de transport liées à l'exportation de la production agricole.
Le mardi 30 janvier, quand commencera le débat sur la loi « Omnibus », va se poser l'exigence d'une mobilisation pour prolonger le signal du 24. Il y a là un test pour les appareils de la CGT et de la CTA, parmi d'autres. (Réd.)
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La suspension de la Présidentielle signe la mort du modèle démocratique sénégalais
C'est un véritable séisme politique au Sénégal. Pour la première fois depuis 1963, et l'élection de Léopold Sédar Senghor, le Sénégal reporte la Présidentielle. Le scrutin devait avoir lieu le 25 février, mais le président Macky Sall a pris la parole samedi 3 février à quelques heures de l'ouverture officielle de la campagne, pour annoncer l'abrogation du décret sur la convocation du corps électoral, une décision sur laquelle les députés doivent se pencher ce lundi matin dans un climat tendu.
Tiré de MondAfrique.
Plusieurs candidats importants comme Karim Wade, le fils de l'ancien président, ont été écartés de la compétition présidentielle par le Conseil Constitutionnel. Les députés ont voté l'ouverture d'une enquête parlementaire. Un choc pour les moins de 30 ans, qui représentent 75% de la population du Sénégal. Dès dimanche, ces jeunes qui ont affronté les forces de l'orre réclament massivement un changement radical de politique et le départ du gouvernement au pouvoir.
Le spectre d'une crise politique sans précédent plane sur le Sénégal. La volonté de Macky Sall d'imposer à tout prix son dauphin Amadou Ba comme successeur, les divisions entre les clans qui se partagent le pouvoir et l'instrumentalisation de la justice pour neutraliser les principaux opposants qui prétendaient se présenter a précipité le processus électoral sénégalais dans une impasse totale dont témoignent les heurts qui ont ei lieu, dèsce dimanche 4 février, à Dakar.
Rien n'est réglé par cette décision du président sénégalais de suspendre l'élection Présidentielle du 25 février. Tout peut encore arriver, et probablement le pire. Contraint et forcé par l'État profond sécuritaire de son propre pays de ne pas briguer un troisième mandat, le président sénégalais Macky Sall avait annoncé en juillet 2023 qu'il ne serait pas candidat. Ce retrait de la compétition présidentielle, dicté par le contexte de grandes violences et de vives tensions politiques, avait été accueilli par un ouf de soulagement tant au Sénégal qu'à l'étranger.
« La vitrine de la démocratie » d'Afrique francophone avait-elle sauvé son image ? Le spectre d'une crise socio-politique qui aurait faire entrer le pays dans le désordre était-il conjuré ? On voulait le croire. Mais hélas, tout porte désormais à penser que le Sénégal privé d'élections pourrait basculer dans une zone de profondes turbulences.
Un dauphin mal aimé
Dans l'euphorie de l'annonce de sa renonciation au troisième mandat, la coalition présidentielle Beno Bokk Yakar ( BBY en wolof, « l'Espoir en partage en français) s'en était remise à Macky Sall pour le charger de choisir le candidat le plus apte à lui succéder, entretenir son héritage et poursuivre son œuvre. Le piège s'est ainsi refermé sur le camp présidentiel. Dans la plus grande opacité, Macky Sall a sorti de son chapeau son Premier ministre Amadou Ba dont personne ne conteste ni au Sénégal ni à l'étranger les qualités de grand commis de l'Etat, un homme de dossiers qui a travaillé pendant une trentaine d'années dans l'administration des impôts.
Pour admirable qu'il soit ce profil-là, il ne suffit pas pour réussir en politique au Sénégal, à fortiori gravir les dernières marches du palais présidentiel. Amadou Ba n'est pas un « tueur », il n'a pas la réputation d'un « cogneur », comme ses prédécesseurs Abdoulaye Wade et Macky Sall, mais celle d'un homme de consensus qui cherche à arrondir les angles.
Et pour ne rien arranger à son sort, il n'est pas un grand tribun qui adore les bains de foules. Résultat, les débuts trop timides de la pré-campagne du dauphin désigné de Macky font douter le camp présidentiel. Plusieurs figures emblématiques des 12 années de règne du président sortant ont déjà préféré prendre le large et seront candidats contre celui choisi par leur ancien mentor. Jusqu'ici fidèle parmi les fidèles de Macky Sall, son ancien ministre de l'Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, considéré naguère comme l'homme des basses œuvres du régime, sera candidat dissident de la coalition au pouvoir. Dans le doute sur la chance d'Amadou Ba à garantir la victoire, l'ancien Premier ministre (2014-2019) de Macky Sall et ancien Secrétaire général de la présidence de la République, Mohamed Boun Abdallah Dionne jouera lui aussi sa partition lors du scrutin du 25 février. Outre les « ennemis intérieurs », le dauphin de Macky devra affronter d'autres prétendants encore plus sérieux au fauteuil présidentiel tels que l'ancien Premier ministre Idriss Seck, arrivé deuxième en 2019, Karim Wade, fils de l'ancien président Abdoulaye, attendu à Dakar dans les prochains jours après, huit années d'exil au Qatar.
La France piégée
En pleine controverse sur la tenue de la présidentielle sénégalaise qui s'annonce très incertaine, Paris a choisi de dérouler le tapis rouge à la fin de l'année 2023 à Amadou Ba dans le cadre d'un séminaire gouvernemental franco-sénégalais. Le symbole d'un Premier ministre sénégalais-candidat posant tout sourire aux côtés de son homologue français Elisabeth Borne n'est pas inaperçu. Ce voyage, qui serait passé inaperçu hors contexte pré-électoral, a été perçu comme un adoubement d'Amadou Ba voire une ingérence française.
Les thèses de l'adoubement et de l'ingérence sont d'autant plus convaincantes que le président français Emmanuel Macron avait nommé en novembre 2023 son homologue sénégalais Macky, alors qu'il n'a pas encore quitté ses fonctions, envoyé spécial pour le Pacte de Paris sur les Peuples et la Planète (4P). L'opposant sénégalais Habib Sy du parti « Espoir et modernité » n'est pas allé du dos de la cuillère pour « fustiger une France qui n'a toujours rien compris » aux subtilités de la vie politique de ses anciennes colonies africaines. Même si on peut considérer que Paris n'a pas mesuré la confusion entre les agendas d'Amadou Ba Premier ministre et Amadou Ba candidat à la présidentielle, la réception en grandes pompes de celui-ci à Paris dans le contexte actuel au Sénégal est une démarche à tout le moins imprudente.
Cette posture est, en tout cas, la preuve que Paris n'a pas tiré les leçons des violences politiques qui ont secoué le Sénégal en mars 2021 et juin 2023. Dix des quatorze magasins du groupe français Auchan avaient, à cette époque, été pillés à Dakar par des émeutiers qui s'en étaient également pris aux stations-service Total et aux boutiques Orange.
La France d'Emmanuel Macron en recevant si chaleureusement le dauphin désigné mais peu charismatique, Amadou Ba, est une erreur supplémentaire de la diplomatie française en Afrique.
L'armée en embuscade
Si le président sortant a réussi à imposer sans grands remous son Premier ministre à sa coalition, tout indiquait qu'il pourrait en être autrement auprès des électeurs sénégalais. Comme si son bilan seul ne suffisait pas à faire élire son dauphin, Macky a cherché à lui baliser la route de la victoire en « « neutralisant » Ousmane Sonko, son opposant le plus en vue du moment. Il a ainsi fait dissoudre en juillet 2023 sa formation politique le Parti des patriotes du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF).
Contre toute attente, le président sortant a limogé en novembre 2023 les 12 membres de la Commission électorale nationale autonome (CENA) et porté à sa tête Abdoulaye Sylla, un inspecteur général d'Etat à la retraite, qu'il espère plus malléable que le président remercié Doudou Ndir.
Malgré deux décisions de justice rendues par le tribunal de Ziguinchor en octobre 2023 et celui de Dakar en décembre 2023, la direction générale des élections (DGE), qui relève du ministère de l'Intérieur, refuse toujours de réintégrer Ousmane Sonko dans les listes électorales. Cette volonté de forcer le destin présidentiel de son dauphin est un pari risqué et incertain pour Macky Sall. Les violences politiques de mars 2021 avaient éclaté lors de l'inculpation d'Ousmane Sonko pour une affaire de viol présumé. Celles de juin 2023 s'étaient produites après la condamnation de ce dernier à deux de prison pour « corruption de jeunesse », après l'abandon des charges pour viol, ont fait au moins 20 morts.
Dans le contexte d'une Afrique de l'Ouest frappée par une vague de coups d'Etat militaires et au regard du niveau inédit de tensions politiques dans le pays, les yeux étaient rivés sur l'armée sénégalaise. Appelée en renfort des forces de sécurité intérieure (police, gendarmerie) très largement débordées, l'armée a eu la prudence de n'a pas trop s'avancer dans la confrontation entre Macky et ses adversaires, acceptant seulement de déployer quelques blindés de l'armée de terre dans les rues de Dakar. Les scènes montrant des manifestants fraternisant avec des soldats aux pieds des blindés, largement diffusés sur les réseaux sociaux, ont finalement alerté le pouvoir. Méfiant, le président sénégalais avait alors remanié la hiérarchie militaire en précipitant le départ du chef d'état-major Cheikh Wade, dont le commandement n'était pas encore terminé, et son remplacement par le général Mbaye Cissé, qui n'est autre que le chef d'état-major particulier de Macky Sall.
Rien n'indique, toutefois, que cette reprise en main de la hiérarchie militaire suffise à servir d'assurance-vie à Macky Sall, si demain il devait persister dans sa volonté de contourner la volonté populaire.
A trop vouloir garantir ses arrières, Macky Sall faisait le pari hautement risqué de quitter le pouvoir sans crise post-électorale. Cette tentative est pour l'instant vouée à l'échec et entraine le pays vers l'inconnu.
Nicolas Beau
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Retrait de trois pays sahéliens de la Cédéao : « Une tension à court terme » (Expert)
L'annonce de retrait, sans délai, du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (Cédéao) a suscité de nombreuses réactions, entre appréciation, regrets et inquiétudes. Mise à part leur appartenance à cette Communauté sous-régionale, ces trois pays partagent plusieurs points communs. Ce sont d'abord des pays voisins appartenant à la bande sahélo-saharienne de l'Afrique, anciennes colonies françaises utilisant jusqu'à aujourd'hui le franc CFA, dépendant du Trésor français, pays pauvres et, enfin, ils ont tous eu des changements de dirigeants par des coups d'Etat et subissent, en conséquence, des sanctions de la Cédéao.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Article paru à l'origine sur Anadolu Agency.
Aussi, leur retrait de la Cédéao intervient suite à des tensions avec la France et des intentions explicites de chercher de nouveaux partenariats. De nombreuses questions se posent, du coup, sur la portée, les avantages et les incidences de ce retrait, questions que nous avons évoquées avec Ndongo Samba Sylla, économiste sénégalais, qui a bien voulu apporter des éclaircissements à l'occasion d'un entretien accordé à Anadolu. Interview.
- On aimerait d'abord avoir une idée sur le poids économique du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la Cédéao.
– Ces trois pays ne sont pas des géants économiques. Ce sont les pays les plus pauvres, les plus appauvris, de l'espace Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) si on met de côté la Guinée-Bissau. Mais ils ont une population importante. En 2022, ils représentaient 71,5 millions d'habitants, soit la moitié de celle des huit pays de l'Uemoa. Par rapport à la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (Cédéao) qui compte 400 millions d'habitants, ces pays représentent une bonne proportion. Ce sont aussi des géants en termes de superficie, avec 2,8 millions de kilomètres carrés.
- En termes d'incidences, par leur retrait, qu'est-ce qu'ils gagnent et qu'est-ce qu'ils perdent ?
– Je pense que c'est une tension à court terme et qui va se résoudre petit à petit. Parce que les trois pays de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) ont besoin de l'intégration africaine. Ce sont des pays enclavés. Et quand on regarde leurs balances de paiements, ces pays souffrent énormément des coûts de transports élevés. C'est-à-dire, avec le même budget, des pays côtiers, comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Bénin, achètent beaucoup plus de biens à l'extérieur que ces pays enclavés. Donc, ces pays ne peuvent pas aspirer à un développement économique véritable sans une forme d'intégration qui leur donne un accès à la mer.
Actuellement, il y a une tension, parce que ces pays ne rejettent pas l'intégration économique en tant que telle, mais ils remettent en question l'agenda impérialiste de la Cédéao. Impérialiste, parce que la Cédéao, ce n'est pas une communauté politique, c'est une communauté économique.
En décidant de sanctions, les membres de la Cédéao veulent se donner des attributs sur le plan sécuritaire et aussi des attributs d'un point de vue constitutionnel en disant : Voici les normes de gouvernement. Si vous ne les respectez pas, nous, nous nous donnons le droit de sanctionner. Et quand nous sanctionnons, c'est parce que la France le veut bien. Or les pays du Sahel disent : Nous ne sommes pas contre l'intégration économique, mais quand vous utilisez les instruments de l'intégration pour sanctionner les peuples sous la dictée des puissances impérialistes, ça, nous ne l'acceptons pas.
- Les trois pays ayant décidé de se retirer déplorent l'influence de puissances étrangères sur les décisions de la Cédéao. Qu'en pensez-vous ?
– C'est la réalité. L'ingérence de la France est flagrante. Pourquoi ? Quand il y a eu des sanctions en janvier 2022 contre le Mali et la Guinée, la Cédéao a dit : Nous allons sanctionner ces pays parce qu'il y a des putschs. Toutefois, il y a des sanctions qu'on ne peut pas mettre en place contre un pays qui a sa propre monnaie. Parce que quand un pays a sa propre monnaie, vous ne pouvez pas demander à la Banque centrale de ce pays de couper l'accès du gouvernement à ses propres comptes.
Dans le cas de la Guinée, par exemple, ce type de sanctions financières a été impossible à mettre en œuvre parce que la Guinée a sa propre monnaie et si le gouverneur de la Banque centrale voulait appliquer ces sanctions, il serait mis en prison ou licencié. Mais dans le cas des pays CFA, au Mali, en 2022, et actuellement au Niger, la banque centrale a coupé l'accès du gouvernement à ses propres comptes et les a privé de la possibilité de se refinancer sur le marché financier de l'UMOA. La France avait utilisé les mêmes procédés en 2011 contre la Côte d'Ivoire pour mettre la pression sur Laurent Gbagbo. Et tout ça est totalement illégal.
Aucun texte dans le cadre de l'U(E)MOA ne prévoit et ne permet la mise en œuvre de telles sanctions. La BCEAO [Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest, NDLR] a violé ses propres statuts en permettant leur mise en œuvre. D'ailleurs, pourquoi la BCEAO qui n'a aucun lien légal avec la Cédéao devrait accepter de lui obéir, surtout qu'elle est aussi supposée être indépendante de ses huit Etats membres ? Dans la plupart des pays du monde, les banques centrales sont supposées indépendantes des pouvoirs politiques d'une certaine manière. Là, cette banque centrale dit : Moi je vais appliquer les mesures prises par la Cédéao, une entité avec laquelle je n'ai aucun lien légal.
Ce type de sanctions financières portent indubitablement la marque du néocolonialisme français. C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'un gouvernement africain qui utilise le CFA a un problème avec la France, la France peut utiliser le CFA pour l'asphyxier financièrement, avec le consentement de ses alliés africains.
Par ailleurs, il existe une Convention des Nations Unies sur les peuples sans littoral. Cette convention dit qu'il faut généralement éviter tout ce qui est embargo commercial contre les pays qui n'ont pas accès à la mer.
Dans le cas du système CFA, la Cour de justice de l'Uemoa avait ordonné en mars 2022 la suspension des sanctions contre le Mali. Les pays de l'Uemoa ne se sont exécutés qu'en juillet 2002.
Quand certains expriment leur opposition aux coups d'État militaires, c'est un point de vue compréhensible et légitime. Pour autant, cela n'autorise pas à prendre et à mettre en œuvre des sanctions illégales et cruelles. On ne combat pas l'illégalité par une autre illégalité. C'est ce que la Cédéao et l'Uemoa ont fait et continuent de faire vis-à-vis des pays de l'AES.
- Admettons que le retrait est consommé, la Cédéao serait-elle affaiblie en conséquence ?
A mon avis, le terme retrait, c'est trop dire. Pourquoi ? Parce que le retrait ne sera effectif que dans un an, selon les textes. En plus, les négociations vont se poursuivre. Ces trois pays vont négocier une sortie qui préserve leurs intérêts économiques. Ils sont conscients de leur vulnérabilité en tant que pays enclavés qui font face à un contexte sécuritaire très difficile. Pour autant, ils ne veulent plus être sous le coup des sanctions impérialistes de la Cédéao.
Par exemple, je pense qu'aucun de ces États n'a intérêt à dire : Nous voulons avoir des systèmes de visa pour les déplacements au sein de la région. Nous voulons mettre en place des barrières commerciales, etc. Car tous les pays de l'Afrique de l'ouest ont besoin d'un cadre d'intégration économique. La question qu'il faudrait régler est la suivante : est-ce qu'il est légitime que les gouvernements qui, généralement, sont arrivés au pouvoir via des méthodes et des élections frauduleuses, peuvent se permettre de sanctionner leurs voisins, pour plaire à des pays étrangers ?
Il faut noter également que la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) annonçait déjà l'obsolescence, d'un point de vue économique et commercial, d'unions douanières régionales comme la Cédéao. Autrement dit, les pays de l'AES, dans le cadre de la Zlecaf, pourraient bel et bien se retirer de la Cédéao sans avoir à remettre en question les accords commerciaux avec leurs voisins et le reste du continent.
- Avec le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger, il est désormais question que ces pays créent leur propre monnaie. Est-ce faisable d'abord ? Est-ce judicieux ? Où est-ce que cela peut mener ?
– Je vais répondre : Oui, oui, aux deux questions. Je pense que ces pays vont en toute logique sortir du franc CFA. Pourquoi ? Parce que le franc CFA est une épée de Damoclès pour les pays qui l'utilisent et qui sont en froid avec la France. Actuellement, le Niger est asphyxié financièrement par des sanctions dont la mise en œuvre a été rendue possible par son appartenance à l'Uemoa, une zone monétaire sous la tutelle du Trésor français. Après avoir décidé de chasser les troupes françaises, il ne serait pas cohérent de la part de ces trois pays de rester longtemps dans l'Uemoa, surtout que l'appartenance à cette zone ne leur a apporté aucun bénéfice économique tangible sur le long terme. Selon les données de la Banque mondiale, le Niger en 2022 avait un revenu réel par habitant inférieur de 37 % au meilleur niveau qu'il avait obtenu en 1965.
Ces pays vont certainement se donner le temps pour préparer leur sortie, mais d'un point de vue légal c'est très simple. Il faut lire le Traité de l'Union monétaire ouest africaine – à distinguer de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa)-, créé en 1962. Ce traité indique dans son article 36 que tout Etat qui veut sortir de l'Union monétaire peut le faire dans un délai de six mois. Et si cet Etat veut sortir beaucoup plus tôt, c'est également possible. Donc du point de vue légal, rien ne s'oppose à ce que ces pays sortent. Maintenant, ils vont se donner toutes les garanties pour que le processus soit bien géré.
Créer sa propre monnaie n'est pas quelque chose de compliqué. Tous les pays peuvent le faire. En Afrique tous les pays ont leur propre monnaie, sauf les 14 qui utilisent le CFA qui est contrôlé par le Trésor français. La question est plutôt : comment faire pour que, lorsque la nouvelle monnaie est lancée, elle marche, elle inspire confiance et elle ne fasse pas l'objet de sabotage ?
En matière de sabotage, il y a eu des précédents. En 1960, quand la Guinée, devenue indépendante deux ans plus tôt, a lancé sa nouvelle monnaie, les services secrets français, ont inondé le pays de faux billets de banque pour détruire le système monétaire. C'est l'Opération « Persil ». De même, en 1962, quand le Mali, sous Modibo Keita, est sorti de la zone franc pendant cinq ans, le Sénégal et la Côte d'Ivoire, sous la dictée de la France, ont mis en place des barrières douanières en guise de représailles. Mais ces exemples de sabotage sont intervenus dans le contexte de la Guerre froide. Nous sommes de nos jours dans un monde multipolaire. Si certains pays veulent sanctionner, d'autres puissances sont là qui s'intéressent à l'Afrique et qui sont prêtes à proposer des partenariats plus équilibrés. Dans le cas d'un pays comme le Sénégal, son destin économique est lié à celui du Mali et des pays voisins. Les pays de l'AES et la Guinée achètent plus de 60 % des exportations sénégalaises à destination du continent africain. S'il en est ainsi, c'est parce que nous sommes pour le Mali son principal point d'accès à la mer. Toute sanction de notre part est une « auto-sanction ».
- Pour conclure, quelles perspectives ce retrait pourrait avoir ?
– Pour moi c'est une crise. Et toute crise est une opportunité de changement. Cette crise peut être résolue d'une manière positive. Pour cela, il faut se rendre compte qu'elle a été l'un des corollaires de l'attitude de la Cédéao et de certains de ses dirigeants (...). La légitimité populaire de la Cédéao est au plus bas (...). La Cédéao et la plupart des dirigeants ont perdu les peuples. C'est, là, une trame de fond en Afrique de l'Ouest. L'intégration régionale s'est essoufflée. Elle a besoin de fondements plus solides et plus durables. Elle doit être au service des peuples et du panafricanisme. Un aggiornamento en matière d'intégration régionale est nécessaire et urgent. C'est le message que les pays de l'AES et leurs peuples ont envoyé. Espérons qu'il sera bien entendu.
(*) Les opinions exprimées dans cet entretien n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.
Lassaad Ben Ahmed
Ndongo Samba Sylla
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Au Soudan, les comités de résistance luttent malgré la guerre
Depuis le début de la guerre au Soudan, les comités de résistance, organisations autogérées de la société civile soudanaise et fers de lance du mouvement révolutionnaire, font l'objet d'une violente répression. Pris en étau entre les deux forces armées qui s'affrontent, ils multiplient initiatives de solidarité locale et poursuivent leur combat pour construire un gouvernement civil démocratique.
Tiré du blogue de l'auteur.
Les comités de résistance, parfois aussi connus sous le nom de « comités de quartier », ont vu le jour lors des mobilisations massives de 2013 contre la dictature d'Omar El-Béchir. Rassemblant des citoyen·ne·s de tous les âges et de tous les milieux sociaux, ces groupes auto-organisés par quartier mettent en œuvre une solidarité au niveau local face aux défaillances de l'Etat soudanais, organisent une protection civile face à la répression, et mobilisent la population lors des manifestations. Lors de la révolution de 2018, qui a provoqué la chute du dictateur El-Béchir, et des mobilisations contre le coup d'Etat militaire en 2021, les comités de résistance sont devenus les fers de lance des manifestations soudanaises. Ils sont la véritable voix de la révolution, capables de mobiliser des millions de personnes, à l'inverse des partis politiques civils mis en avant par les médias internationaux (comme les Forces de La Liberté et du Changement), largement discrédités auprès des Soudanais·e·s. Les comités de résistance s'organisent par la base, au niveau local, et se coordonnent au niveau des métropoles ou des régions. Leur mode d'organisation décentralisé, sans porte-paroles et sans chefs, leur permet de représenter égalitairement l'ensemble du territoire soudanais et garantit le fonctionnement démocratique du mouvement révolutionnaire.
Manifestations contre la guerre, solidarité locale et collecte d'informations sur le terrain
L'éclatement de la guerre au Soudan, le 15 avril 2023, a provoqué un choc dans tous le pays, bouleversant l'activité des comités de résistance. Pendant les premières semaines de la guerre, la fuite massive des Soudanais·e·s vers les zones épargnées par les conflits ou à l'étranger a rendu difficile toute organisation collective. La terreur provoquée par les bombardements et les affrontements, obligeant les gens à rester confinés chez eux, ont également mis un coup d'arrêt brutal aux mobilisations, ainsi que les coupures constantes d'électricité empêchant les communications.
Cependant, dans les régions épargnées par les combats, les comités de résistance de Port Soudan, Wad Madani, et Kassala, ont rapidement organisé des rassemblements pour protester contre la guerre. Ils ont manifesté leur rejet des deux parties combattantes, autant l'armée soudanaise, qui a mis un terme à la révolution civile par un coup d'Etat et a commis des crimes de masse en réprimant les mobilisations, que de la milice RSF, coupables de génocide. Ils appellent à la paix immédiate et à un gouvernement intégralement composé de civils pour poursuivre la construction démocratique souhaitée par les Soudanais·e·s.
Dans les villes au cœur des affrontements, les comités ont participé au mouvement spontané de solidarité entre les habitant·e·s, tentant de reconstruire les villes, hôpitaux et écoles après les bombardements, de nettoyer les rues, de venir en aide aux plus démuni·es. Dans le grand Khartoum, ils ont également construit des barricades pour empêcher les RSF d'entrer dans les quartiers et de piller les maisons, tuer et violer les habitant·e·s, et d'établir des bases militaires dans les maisons vides.
Dans les zones de combat, les comités de résistance font un travail précieux de collecte d'informations sur le terrain. Ce travail permet de contrer la propagande de l'armée et des RSF, en alertant les médias internationaux des violations de droits commises par les deux forces armées qui les nient : les massacres, les viols des femmes, les arrestations massives contre des opposant·e·s présumé·e·s… Notamment, lors de la prise de la ville de Wad Madani en décembre 2023 par les RSF, qui déclaraient officiellement n'avoir pas commis de violence contre la population, ils ont lutté contre cette propagande en dénombrant les exactions commises sur les réseaux sociaux. Ils ont été les premiers à dénoncer le génocide à Al-Geneina qui a commencé en mai 2023. Ils ont également montré que dans de nombreuses villes, c'est le retrait de l'armée et son refus de protéger les citoyen·ne·s qui a permis aux RSF de massacrer la population, accusant les deux camps d'être responsables de la mort des civils.
Une violente campagne de répression et de désinformation
Dans tout le pays, les comités de résistance sont ciblés par une campagne de répression et de désinformation de la part des deux forces armées, visant à attaquer leur crédibilité auprès de la population. L'armée soudanaise les accuse de collaboration avec les forces de soutien rapide (RSF), qui les accusent de leur côté de collaborer avec l'armée soudanaise. Ces allégations fausses, constamment déniées par les comités de résistance dans leurs communiqués, les placent dans une position délicate, pris en étau entre deux forces antagonistes.
Ce discours permet également aux forces armées de justifier leur répression féroce contre les militant·e·s des comités de résistance. Chaque semaine, les comités des différentes villes publient des avis de disparition ou des appels à la libération de leurs membres détenus par l'armée ou les RSF. Par exemple, le 08 novembre 2023, le comité du quartier d'Al-Fatihab (à Omdurman) a signalé l'arrestation d'un de ses membres, Khaled Al-Zubair, qui travaillait aux urgences médicales. Il a été arrêté son domicile par les services de renseignements militaires, qui ont refusé de communiquer son lieu de détention et son état de santé. Le comité dénonce : « [une] attaque flagrante contre les travailleurs et les bénévoles du secteur humanitaire [qui] intervient à un moment où tout le monde tente de briser le siège imposé au quartier d'Al-Fatihab et de tout mettre en œuvre pour atténuer ses effets sur les citoyens ». Ils exigent sa libération immédiate ainsi que la fin du siège militaire de la ville, demandant « que les forces armées cessent de s'en prendre aux travailleurs du secteur bénévole et humanitaire ».
Les attaques se multiplient également sur les réseaux sociaux, où les forces armées répandent les « fake news » et piratent les comptes Facebook des comités de résistance. Le 22 juin 2023, par exemple, une fausse déclaration de la coordination des comités de résistance de Khartoum appelait les citoyen·ne·s à prendre les armes pour affronter les RSF. Dans un communiqué, les comités de résistance de Khartoum ont dénoncé cette « déclaration fabriquée » et ont rappelé leur position pour une paix radicale, qui passe par un refus de la prise des armes et la poursuite de la contestation civile.
« La prise des armes par les manifestant·e·s dans les cortèges pacifiques (…) constitue actuellement une menace directe pour la vie des citoyen·ne·s, compte tenu de l'effondrement de la sécurité dans l'État de Khartoum, et nous ne participerons en aucun cas à cette situation. Les comités de résistance refusent d'appeler les civils à l'armement de quelque camp que ce soit et d'inciter les citoyens à affronter des forces ayant recours à des armes lourdes. Ces forces n'hésitent pas à cibler les personnes innocentes qui se réfugient dans leurs maisons, à les violenter et à les tuer. Nous affirmons notre position claire en faveur du droit des citoyen·ne·s à la vie et à la sécurité. »
Tout récemment, le 09 janvier 2024, le gouverneur Mohamed El-Badawi, allié des putschistes militaires, a prononcé l'interdiction des comités de résistance dans tout l'état du Nil ainsi que des partis politiques civils. Les comités de résistance de Khartoum estiment que : « cette décision n'est rien d'autre qu'une tentative du groupe au pouvoir de supprimer les libertés et monopoliser l'activité politique. Nous ne voyons dans cette étape qu'une tentative des restes de l'ancien régime de revenir au pouvoir et d'exploiter le chaos sécuritaire provoqué par la guerre incendiaire qu'ils ont déclenchée pour liquider les comités de résistance et la révolution. »
Le comité de résistance d'Imtidad Chambat Al-Aradi (dans la ville de Bahri) rappelle quant à lui que : « il n'existe aucune force sur terre capable d'interdire les activités des comités de résistance et des révolutionnaires. Nous sommes le peuple qui agit pour lui-même. Au contraire, c'est à nous de décider qui nous voulons interdire, qui nous volons déraciner, et de renverser tous ceux qui se mettent en travers de notre chemin, avec les personnes formidables qui nous composent. Personne ne peut dissoudre des comités qui œuvrent pour le changement, le service public, et l'organisation locale, à l'exception d'autres comités de jeunes résistant·e·s délégués par notre puissant peuple. »
La poursuite du travail de construction démocratique
Malgré cette violente répression, les comités de résistance ont continué avec détermination leur travail de construction démocratique à l'échelle nationale, déjà commencé en 2022 avec la publication d'une proposition de constitution civile, la « Charte pour l'établissement du pouvoir du peuple ». Le 25 octobre 2023, lors d'une assemblée générale, les membres de différents comités ont validé une « vision pour mettre fin à la guerre, restaurer le chemin de la révolution et instaurer le pouvoir du peuple ».
La préparation de ce document a fait l'objet de discussions en visioconférence, toujours annoncées publiquement sur les pages Facebook des comités, et où tou·te·s les citoyen·ne·s civil·e·s étaient bienvenu·e·s. Cette « vision » propose un plan d'action pour sortir de la guerre, reposant sur un travail médiatique et public d'information, une collaboration avec les syndicats, secteurs professionnels, chefs religieux, et mouvements armés qui combattent l'armée régulière et les RSF. Le document appelle à mettre en œuvre « des solutions internationales (…) et à renforcer les solutions internes basées sur la volonté du mouvement de masse et tous les secteurs du peuple soudanais qui aspirent à la paix, la liberté, la justice et la démocratie, et désirent mettre fin à la guerre et s'attaquer aux racines de la crise nationale globale ». Suite à la publication de ce document, des réunions ont eu lieu avec les syndicats le 27 octobre pour construire un front civil démocratique contre la guerre, et instaurer un conseil législatif civil mettant en œuvre la « Charte pour l'établissement du pouvoir du peuple ».
Ainsi, en dépit du chaos de la guerre et de la propagande des forces armées, les comités de résistance n'ont pas cessé leurs activités, et leur organisation politique a repris progressivement de l'ampleur au cours des derniers mois. Alors que les partis politiques civils traditionnels ont signé un accord avec les RSF, le 3 janvier dernier, au cas où ceux-ci gagneraient la guerre, les comités de résistance ont dénoncé cette collaboration avec des « génocidaires ». Ils maintiennent toujours une position radicale de rejet de la guerre et de refus d'alliance avec l'armée comme avec les RSF.
Les comités de résistance continuent d'incarner une troisième voie, résolument pacifique, qui se situe dans la continuité de la révolution soudanaise. Ils rappellent que : « Nous, les comités de résistance, prenons nos décisions en fonction des intérêts de la nation et des intérêts de notre peuple, nous savons donc quand devenir la lumière et quand devenir le feu. Notre ennemi n'est qu'un, à savoir la milice terroriste Janjaweed (RSF) et les Kizan [partisans de l'ancien régime d'Omar El-Béchir] qui les ont créés, et ce sont les deux faces d'une même médaille. » (Déclaration du comité du quartier d'Imtidad Chambat Al-Aradi à Bahri).
Poursuivant les demandes de justice, de liberté et d'égalité, et de mise en œuvre d'un gouvernement civil, ils encouragent les citoyen·ne·s qui se mobilisent quotidiennement pour reconstruire les villes détruites par les combats et pour promouvoir une culture de la paix.
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La suppression du financement de l’UNRWA est un autre acte de génocide odieux
La pression internationale, populaire et juridique, continue de s'intensifier pour qu'Israël mette fin au génocide des Palestinien·nes. Mais les gouvernements israélien et américain cherchent à détourner l'attention de l'exigence de responsabilité et continuent de massacrer les Palestinien·nes par tous les moyens nécessaires.
Vendredi, la Cour internationale de justice a estimé que l'Afrique du Sud avait présenté des arguments plausibles pour démontrer qu'Israël commettait un génocide contre les Palestiniens.·ne Elle a exigé du gouvernement israélien qu'il fasse tout ce qui est en son pouvoir pour éviter les actes de génocide et qu'il permette l'entrée immédiate de l'aide humanitaire à Gaza.
Quelques heures plus tard, l'administration Biden a annoncé qu'elle réduisait le financement de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). L'Allemagne, le Canada, le Royaume-Uni et plus d'une douzaine d'autres pays occidentaux ont rapidement emboîté le pas.
L'UNRWA détient l'intégralité du mandat des Nations unies en matière d'aide aux réfugiés palestiniens et est actuellement le principal fournisseur d'aide humanitaire à Gaza. La position de l'agence est d'autant plus cruciale que le siège actuel de Gaza par Israël empêche de nombreuses autres agences d'aide de franchir la frontière.
Plus de 700 000 personnes à Gaza sont actuellement confrontées à des maladies mortelles, qui peuvent être traitées grâce à l'aide médicale. Les 2,3 millions d'habitant·es de Gaza, dont plus de la moitié sont des enfants, risquent de mourir de faim. Ces menaces se répercutent en cascade : par exemple, l'absence d'eau potable et d'aide médicale entraînera des niveaux critiques de décès évitables dus à la diarrhée et aux maladies d'origine hydrique.
En conséquence, l'Organisation mondiale de la santé a déclaré que davantage de Palestinien·nes pourraient mourir de faim et de maladie que celles et ceux qui ont été tué·es par la guerre jusqu'à présent, marquant ainsi une nouvelle étape du génocide israélien, mené avec le soutien des États-Unis et des nations occidentales.
Les accusations douteuses contre l'UNRWA
En procédant à ces coupes soudaines, les États-Unis et plus d'une douzaine d'autres pays occidentaux ont cité les allégations de l'armée israélienne selon lesquelles 13 employés de l'UNRWA auraient participé aux attaques du Hamas du octobre. Ces allégations ont été rendues publiques vendredi, alors que les médias devaient couvrir deux affaires judiciaires distinctes accusant Israël de génocide et les États-Unis de complicité. Les accusations portées contre l'UNRWA posent plusieurs problèmes.
Le gouvernement israélien cherche à saper l'UNRWA depuis des décennies, l'accusant récemment de « perpétuer le problème des réfugiéƒes » – en d'autres termes, de maintenir les Palestinien·nes en vie.
L'État israélien a une longue tradition d'allégations mensongères pour détourner l'attention des médias des crimes qu'il commet à l'encontre des Palestinien·nes.
Aucune des preuves retenues contre les 13 employés de l'UNRWA n'a été rendue publique. L'armée israélienne a déjà modifié son récit sur la façon dont elle a obtenu ses preuves pour les allégations les plus récentes contre les 13 employés. Et CNN a rapporté que les allégations sont jusqu'à présent sans fondement.
Les accusations portées contre 13 employés de l'UNRWA, soit 0,0004% de l'effectif total de l'organisation, ne constituent pas une mise en accusation de l'ensemble de l'organisation au point d'entraîner une réduction immédiate de son financement. En revanche, au moins 153 employé·es de l'UNRWA ont été tué·es à Gaza par l'armée israélienne au cours des derniers mois – un crime de guerre auquel le gouvernement américain n'a pas encore réagi.
L'administration Biden refuse même de poser des conditions sur les milliards de dollars d'armes et d'aide à l'État et à l'armée israéliens, malgré des montagnes de preuves devant les tribunaux internationaux qu'Israël commet un génocide.
Le châtiment collectif des Palestinien·nes est un crime de guerre
L'UNRWA ne dispose pas de réserves financières. Il souffre d'un sous-financement chronique depuis des années et est soumis à d'énormes pressions depuis que les bombardements israéliens ont déplacé la quasi-totalité de la population de Gaza. Si les États-Unis et d'autres pays refusent de rétablir leur financement, le budget de l'UNRWA pourrait être épuisé dès le mois prochain, ce qui exposerait des millions de Palestinien·nes à un grave danger de mort dû à la maladie et à la famine.
La suppression de cette aide vitale équivaut à une punition collective à l'encontre des Palestiniens·ne, ce qui constitue un crime de guerre. Elle souligne également l'hypocrisie de l'administration Biden. Depuis le mois d'octobre, elle se dit préoccupée par la situation humanitaire à Gaza, tout en continuant à financer la campagne militaire israélienne qui est à l'origine de ces conditions de dévastation.
À l'heure actuelle, l'UNRWA est le principal obstacle à la famine et aux maladies mortelles pour plus d'un million de personnes. La suppression de son financement par les États-Unis est exactement ce à quoi ressemble la complicité dans un génocide.
http://www.jewishvoiceforpeace.org/2024/01/31/defunding-unrwa-is-genocide/
Traduit et mis en ligne en français sur
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/02/arretez-la-famine-a-gaza-et-autres-textes/#more-78963
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Les perspectives de l’impérialisme russe
La guerre de l'impérialisme russe en Ukraine ne montre aucun signe d'arrêt. Cet été et cet automne, nous avons assisté à deux offensives, la première de l'Ukraine visant à libérer ses territoires occupés, et une contre-offensive de la Russie pour s'emparer de plus de territoires, qui se poursuit encore aujourd'hui.
Tiré de Inprecor 716 - janvier 2024
31 janvier 2024
Par Ilya Budraitskis
Émission Ligne directe avec Vladimir Poutine en 2021. © Kremlin.ru, CC BY 4.0
Moscou a récemment lancé une attaque massive à la roquette contre l'Ukraine, visant des civils et des infrastructures à la veille du Nouvel An. La ville frontalière russe de Belgorod est devenue la cible de missiles de représailles. La Russie dispose d'un demi-million de soldats sur la ligne de front pour défendre son occupation et en aura besoin de plus pour l'offensive complète qui pourrait commencer au printemps.
Vladimir Poutine et la classe dirigeante russe sont déterminés à poursuivre cette guerre jusqu'au bout. M. Poutine l'a clairement indiqué lors de sa séance annuelle de questions-réponses « Ligne directe avec Vladimir Poutine », le 14 décembre, au cours de laquelle il a répondu pendant plusieurs heures à des questions soigneusement sélectionnées posées par le public.
Il a déclaré que l'objectif de la soi-disant opération militaire spéciale restait la soi-disant dénazification et démilitarisation de l'Ukraine. Cela signifie qu'il a l'intention de poursuivre la guerre jusqu'à ce qu'il parvienne à un changement de régime en Ukraine et à la transformation de l'Ukraine en une semi-colonie russe.
Pour ce faire, son régime tente de stabiliser la société russe, d'attiser le conflit politique avec les États-Unis et les pays de l'OTAN, de légitimer son pouvoir par l'élection présidentielle de mars et de mobiliser les troupes russes en vue d'une nouvelle offensive au printemps.
Stabilisation de la société russe
Le régime s'est engagé dans une campagne intense pour stabiliser la société russe après la tentative de coup d'État menée par Evgeniy Prigozhin et son groupe Wagner l'été dernier. Poutine a surmonté ce grand vis-à-vis de son pouvoir en combinant la carotte et le bâton.
Il a proposé des accords pour que les mercenaires de Wagner reviennent dans le giron du régime. Quelques généraux de l'armée proches de Wagner ont été arrêtés. En ce qui concerne Prigozhin lui-même, Poutine l'a fait tuer en août lors d'une attaque à la roquette qui a fait exploser l'avion du seigneur de la guerre non loin de Moscou.
Il a ensuite démantelé le groupe Wagner lui-même, en intégrant certaines parties au ministère russe de la Défense et en permettant que d'autres soient conservées par le fils de Prigozhin ainsi que par d'autres sociétés militaires privées.
La pérennité de ces entreprises pourrait poser un problème au régime, surtout si la guerre tourne mal. Cela pourrait conduire à des dissensions entre l'État et les entreprises sur la stratégie et les tactiques militaires, ce qui pourrait à nouveau déstabiliser le régime.
Par ailleurs, le coup d'État de Prigozhin a montré l'existence d'une dissidence cachée parmi les responsables de l'armée. Mais pour l'instant, la stratégie de cooptation et de répression de Poutine a permis de surmonter la crise provoquée par Prigozhin.
Poutine a également réussi à stabiliser l'économie, du moins pour l'instant. Le régime de sanctions de l'Occident n'a pas endommagé l'économie russe autant que prévu. Le régime et les entreprises du pays ont trouvé divers moyens de contourner les sanctions.
Ils ont accru leurs échanges commerciaux et leurs investissements par l'intermédiaire d'États neutres tels que les pays d'Asie centrale, la Turquie, les Émirats arabes et bien d'autres encore, en particulier dans le Sud. Ces pays ont résisté à la pression américaine pour se conformer au régime de sanctions.
En outre, les compagnies pétrolières d'État russes ont conclu de nouveaux accords d'exportation avec de nombreux pays, notamment la Chine, ce qui a également permis de maintenir l'économie à flot. Les sanctions n'ont donc pas plongé l'économie russe dans la crise et n'ont pas empêché l'État de poursuivre la guerre en Ukraine.
Malgré la résistance de l'économie russe, celle-ci est confrontée à de nombreux problèmes. Par exemple, l'inflation augmente et pose de sérieuses difficultés économiques à la plupart des Russes ordinaires.
La Banque centrale russe a réagi en augmentant les taux d'intérêt afin de maîtriser l'inflation. Mais cela pourrait à son tour entraîner un ralentissement de l'économie, une augmentation du chômage et un nouveau coup dur pour la classe ouvrière.
Pour maintenir son hégémonie sur la population, Poutine s'est tourné vers la répression et l'idéologie néo-fasciste. Il a réprimé la quasi-totalité des dissidents de gauche, en particulier les militants anti-guerre.
Dans le même temps, il a tenté d'obtenir l'assentiment de la population en s'appuyant sur le nationalisme ethnique russe et en diabolisant tous les groupes qui le menacent. Par exemple, il a afficrmé que les migrants musulmans d'Asie centrale en Russie menaçaient l'équilibre ethnique du pays.
Le chef de l'Église orthodoxe russe, le patriarche Kirill, a surpassé Poutine en matière d'islamophobie. Dans un récent discours qui aurait pu être prononcé par Trump ou Enoch Powell, il a mis en garde contre la menace civilisationnelle posée par les musulman·es et les migrant·es en général.
Si le régime et l'Église utilisent ce nationalisme ethnique pour consolider leur base, cela pourrait se retourner contre eux. Ce sectarisme pourrait susciter des dissensions parmi les quelque 15 millions de citoyens musulmans du pays, qui représentent 10 % de la population.
Poutine a également lancé une intense campagne visant à faire respecter les valeurs familiales dites traditionnelles. Il a pris pour cible les féministes et les personnes LGBTQ, qu'il considère comme des menaces pour la société russe.
Le régime est sur le point d'imposer une interdiction totale du droit à l'avortement, après l'avoir récemment interdit dans les cliniques privées. Il a également annoncé l'interdiction totale des groupes, des événements et même des boîtes de nuit LGBTQ.
À ce stade, Poutine a réussi à stabiliser la société russe par la répression et ces campagnes idéologiques.
Conquérir l'Ukraine
Sur la base de cette stabilité, il veut intensifier la guerre en Ukraine. Son objectif immédiat est de s'emparer du reste de la région du Donbas, qui revêt une importance symbolique dans l'imaginaire impérial de Poutine et dans ses justifications de la guerre.
L'offensive qui aura probablement lieu a printemps se déroulera par étapes. L'objectif est de prendre Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine, et d'établir un nouveau front au niveau de la rivière Dnipro.
Le plan pourrait consister à diviser l'Ukraine en deux parties. D'une part, la Russie annexerait tout le territoire situé à l'est du Dniepr. Ensuite, elle tenterait de faire du reste du pays à l'ouest du fleuve un État neutre « dénazifié », c'est-à-dire dépendant de la Russie.
Mais il ne s'agirait là que d'un objectif temporaire. L'État russe reste déterminé à étendre son empire au reste de l'espace post-soviétique.
Attiser les conflits au sein des États-Unis et de l'OTAN
Poutine mise sur la montée de la droite aux États-Unis et dans l'OTAN pour saper leur opposition à son expansionnisme impérial. Lors de la séance de questions-réponses, Poutine a également souligné que l'Occident était très divisé sur l'aide à l'Ukraine.
Il a notamment cité le conflit entre les Républicains et l'administration Biden au sujet du programme d'aide proposé au pays. Il a clairement indiqué qu'il se réjouirait d'une victoire des Républicains, en particulier de Trump, à l'élection présidentielle américaine, car la nouvelle administration réduirait probablement, voire arrêterait, tout soutien à l'Ukraine et se retirerait même de l'OTAN.
Il courtise également l'extrême droite dans les autres pays de l'OTAN. Il attise les tensions avec la Finlande, nouveau membre du pacte. Suivant l'exemple du président biélorusse Loukachenko, Poutine a accueilli des migrants d'Irak, d'Afghanistan, de Libye et d'autres pays, puis les a encouragés à entrer dans l'Union européenne par la frontière finlandaise.
Il agit ainsi afin de provoquer une crise pour le courant politique dominant et d'alimenter la croissance de l'extrême droite anti-migrants en Finlande et dans l'Union européenne en général.
Il espère que leur croissance et leur succès affaibliront l'OTAN de l'intérieur. Ainsi, les médias officiels russes ont célébré la récente victoire de l'homme politique d'extrême droite Geert Wilders aux élections néerlandaises, qui s'est présenté sur un programme islamophobe et anti-migrants.
Enfin, Poutine tente d'exploiter la guerre brutale d'Israël à Gaza à son avantage contre les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN, qui ont armé et soutenu Israël. Officiellement, la Russie appelle à une solution à deux États, soutient un cessez-le-feu et l'aide humanitaire de l'ONU.
Bien sûr, tout cela est hypocrite. La Russie est engagée dans le même type de guerre d'annexion en Ukraine qu'Israël à Gaza. Et, en coulisses, Poutine entretient des relations politiques, diplomatiques et économiques avec Israël.
Mais il exploite néanmoins l'horrible guerre d'Israël pour se réhabiliter, en particulier dans le Sud, et affaiblir les États-Unis et l'OTAN. Il espère que cela lui donnera plus d'espace pour poursuivre ses propres ambitions impérialistes en Ukraine et dans le reste de l'Europe de l'Est et de l'Asie centrale.
Mobilisation et appel d'air pour l'offensive de printemps
L'engagement de Poutine dans ce projet l'obligera à imposer une plus grande mobilisation des troupes et éventuellement un appel sous les drapeaux. Il devra recruter des centaines de milliers de personnes pour renforcer l'armée et mener à bien de nouvelles conquêtes. Cela pourrait poser de gros problèmes politiques à Poutine.
Il ne fera rien de tout cela avant l'élection présidentielle russe de mars. Lui et le reste de l'État veulent maintenir un climat positif dans la société russe jusqu'à cette date.
Après les élections, il est très probable qu'ils augmenteront la mobilisation vers le front. À l'heure actuelle, seuls 40 % environ des soldats russes en Ukraine sont des professionnels, le reste étant constitué de « volontaires », c'est-à-dire de personnes ordinaires qui se sont enrôlées dans l'armée pour mieux gagner leur vie.
Les soldats gagnent beaucoup plus que les travailleurs ordinaires. Le salaire moyen officiel est d'environ 600 dollars, mais la plupart des gens gagnent environ 300 dollars par mois. Dans l'armée, en revanche, les soldats peuvent gagner entre 2 000 et 3 000 dollars par mois.
Pour des millions de Russes, en particulier dans les villes industrielles de province, l'armée est donc un moyen d'échapper à la pauvreté. C'est ce qui explique le succès de l'enrôlement de soi-disant volontaires.
En réalité, il s'agit d'un recrutement dirigé vers les pauvres. Mais le gouvernement s'en sert pour redistribuer les richesses et créer un large secteur de la population qui bénéficie de la guerre. Bien sûr, beaucoup l'ont payé cher, perdant leur santé mentale, leurs membres et leur vie.
La situation des appelés est et sera totalement différente. Ils ne sont pas très bien payés et, contrairement aux soldats professionnels, leur durée de service n'est pas limitée.
L'appel sous les drapeaux a donc déjà suscité des protestations, en particulier de la part des familles et des proches des personnes astreintes au service militaire. Ils ont organisé des pétitions et ont même envoyé des centaines de questions à l'événement « Ligne directe » de Poutine. Bien entendu, toutes ces questions ont été évacuées et ne lui ont pas été posées.
Cela montre qu'il y a un terrain pour une opposition à tout nouveau projet. Elle prendra probablement la forme d'une protestation spontanée et auto-organisée. Cela ouvrirait la voie à la création d'un mouvement anti-guerre en Russie.
Des élections truquées pour légitimer le régime
Mais tout cela ne se produira qu'après la prochaine élection présidentielle. Bien entendu, il ne s'agira pas d'une véritable élection. Il n'y aura pas de véritable campagne ni de débat et le résultat est préétabli. Poutine gagnera.
Mais l'élection est néanmoins importante pour lui afin de donner à son pouvoir un semblant de légitimité et de démontrer le soutien populaire à son égard et à l'égard de sa guerre. Les médias du Kremlin prédisent déjà les meilleurs résultats de toute sa carrière politique.
On estime qu'environ 70 % des électeurs se rendront aux urnes et que 80 % d'entre eux voteront probablement pour Poutine. Bien entendu, il ne faut pas se fier à ces chiffres ni aux résultats des élections.
L'ensemble du processus repose sur la suppression de la véritable opposition et sur l'exclusion et l'emprisonnement de dissidents tels qu'Alexey Navalny. Bien sûr, des candidats soigneusement sélectionnés seront autorisés à se présenter pour donner une apparence de démocratie.
Le vote lui-même se déroulera sur trois jours, en personne et par voie électronique. Ces deux modes de scrutin seront fortement contrôlés par l'État, sans aucune surveillance de la part d'observateurs indépendants.
Tous les réseaux de surveillance des élections ont été détruits. Par exemple, cet été, le plus grand réseau appelé The Voice a été interdit et l'un de ses principaux organisateurs a été jeté en prison.
Ces élections sont donc le contraire d'élections libres, ouvertes et équitables. En fait, elles sont un moyen pour l'État de contraindre la population à l'obéissance politique.
La plupart des personnes employées dans le secteur public et les entreprises d'État seront contraintes au vote électronique sur leur lieu de travail. Si vous votez de cette manière, toutes vos données personnelles sont accessibles à l'État.
Ainsi, les autorités de l'État et les patrons pourront surveiller les votes et « corriger » le résultat si nécessaire. Néanmoins, les électeurs auront l'illusion de pouvoir choisir.
D'autres candidats, soigneusement sélectionnés, seront autorisés à se présenter, issus de partis de la pseudo-opposition loyale, comme le Parti communiste. Tous les candidats autorisés à se présenter ont des positions agressives et favorables à la guerre.
Aucun candidat ou parti véritablement anti-guerre ne sera autorisé à se présenter. Ils ne posent donc aucun défi à Poutine et n'expriment aucun sentiment anti-guerre. Ils se présenteront les uns contre les autres, divisant ainsi les 20 % de voix qui n'iront pas à Poutine.
L'opposition russe, qui est soit clandestine, soit en exil, débat de la manière d'aborder l'élection. Les partisans de M. Navalny ont déjà appelé à voter pour n'importe quel candidat autre que Poutine.
Ce n'est pas une mauvaise stratégie. Elle offre au moins aux gens, qui sont très atomisés et effrayés, une chance d'exprimer leur opposition, même de façon déformée.
Résister à la guerre et à la fascisation
Les gens ont toutes les raisons de craindre le régime. Il a écrasé toute expression publique de désaccord sur la guerre et l'a repoussée dans la clandestinité. Il a fait de même avec tous les groupes d'activistes, quels qu'ils soient.
Cela fait partie de la fascisation du régime. Il ne s'agit pas d'une simple propagande, mais d'une tentative d'imposer une forme brutale de dictature et de changer la société de manière fondamentale. L'interdiction des LGBT et les restrictions au droit à l'avortement, l'hystérie anti-migrants et la censure stricte contre toute critique du régime visent à homogénéiser la société et à transformer la Russie en une « civilisation d'État » fermée.
Dans ces conditions, la tâche de la gauche internationale reste l'opposition à l'impérialisme de Poutine, la solidarité avec la résistance ukrainienne, l'opposition à l'impérialisme occidental et le soutien aux luttes par en bas en Russie contre le régime néo-fasciste de Poutine.
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Manifestations des agriculteurs : la FNSEA dépassée ?
« Agriculteurs en colère », « on marche sur la tête », « on veut nourrir, pas mourir », « on est sur la paille »… Cet automne, les banderoles de ce type se sont multipliées dans la France rurale, notamment aux abords des axes routiers. Depuis quelques jours, les actions des agriculteurs se sont intensifiées et le gouvernement craint un embrasement général.
Photo d'entête et article tirés de NPA 29
Photo montage de Serge D'ignazio
https://www.flickr.com/photos/119524765@N06/albums/72177720314482487/
Les racines de la colère sont en effet profondes : incapacité à vivre de leur travail, exaspération face à la bureaucratie, rejet des accords de libre-échange et parfois aussi opposition aux normes environnementales jugées trop contraignantes. Si la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, défenseurs de l'agro-industrie, tentent de canaliser le mouvement, celui-ci semble leur échapper. Une occasion de pointer enfin l'hypocrisie de ces syndicats, qui prétendent défendre les agriculteurs en les enfermant dans un modèle en échec.
Durant l'automne, les habitants des campagnes françaises ont vu les panneaux d'entrée de commune être retournés et les banderoles de détresse des agriculteurs se multiplier. Dans les préfectures et sous-préfectures rurales, le monde agricole déployait son répertoire d'action habituel : manif en tracteurs, déversement de fumier devant les bâtiments officiels, actions « caddies gratuits » ou lancers d'œufs sur les supermarchés accusés de faire de trop grosses marges…
Pourtant, les médias nationaux ont peu couvert ces manifestations. Si l'actualité nationale et internationale était alors chargée, le fait que Paris n'était touché par aucune manifestation, doublé d'un certain mépris pour les « bouseux » des campagnes, expliquent sans doute aussi en partie ce désintérêt médiatique.
De la colère à la révolte
Désormais, le mouvement fait la une des médias. L'intensification des actions, avec le blocage d'axes routiers et autoroutiers, d'abord dans le Sud-Ouest puis dans toute la France, et la multiplication des actions spectaculaires y est sans doute pour quelque chose. Ces modes d'action, qui rappellent ceux des gilets jaunes, inquiètent de plus en plus le pouvoir. Alors que certaines figures de la contestation menacent de boycotter le salon de l'Agriculture et qu'un blocage de Paris est désormais annoncé, la tension est montée d'un cran.
La crainte du gouvernement de voir les blocages de grande ampleur observés en Allemagne, aux Pays-Bas, en Roumanie et en Espagne être imités en France est en train de prendre forme. Il tente donc de contenir l'incendie en envoyant ministres et préfets à la rencontre des agriculteurs, mais ne parvient pour l'instant pas à convaincre.
L'empressement du gouvernement à négocier tranche avec l'approche habituelle des macronistes vis-à-vis des mouvements sociaux, qui consiste à les caricaturer et à les réprimer. Une démarche surprenante, alors que les actions des agriculteurs prennent parfois un tournant violent, comme lors de lancers de projectiles contre des policiers à Saint-Brieuc le 6 décembre dernier ou l'explosion d'un bâtiment – vide – de la DREAL à Carcassonne revendiquée par le Comité d'Action Viticole le 19 janvier. Le déversement massif de fumier et de déchets agricoles sur les préfectures est quant à lui généralisé.
Alors que les médias s'empressent habituellement de dénoncer le moindre feu de poubelle ou des barricades érigées avec des trottinettes, ils se montrent cette fois-ci bien plus conciliants. Le double décès dans l'Ariège, où une agricultrice et sa fille présentes sur un barrage ont été percutés par une voiture, aurait également pu servir d'argument au gouvernement pour demander la levée des blocages. Gérald Darmanin demande au contraire « une grande modération » aux forces de l'ordre, qui ne doivent être utilisées « qu'en dernier recours »
Pourquoi le mouvement n'est pas réprimé (pour l'instant)
Si ce traitement peut surprendre, il se comprend à l'aune de plusieurs facteurs : l'image des agriculteurs dans l'opinion, les spécificités de ce groupe social et la symbiose entre la FNSEA et le gouvernement.
D'abord, incarnant une France rurale travailleuse et dont l'utilité sociale est évidente, les agriculteurs bénéficient d'une forte sympathie dans l'opinion. Un sondage réalisé le 23 janvier chiffre d'ailleurs le niveau de soutien au mouvement actuel à 82%, soit 10 points de plus que les gilets jaunes au début de leur mobilisation. De même, bien que le nombre d'exploitants agricoles ait fortement diminué au cours des dernières décennies et se situe désormais autour de 400.000 personnes, le vote de cette profession reste fortement convoité par tout le spectre politique, ne serait-ce que pour ne pas apparaître comme des urbains déconnectés du reste du pays.
Les agriculteurs forment un groupe social difficile à réprimer.
Ensuite, les agriculteurs forment un groupe social difficile à réprimer. Lorsque les manifestations ont lieu à la campagne, il est fréquent que les gendarmes et les agriculteurs se connaissent, ce qui incite moins les forces de l'ordre à les affronter. Les combats seraient d'ailleurs compliqués : la taille imposante des tracteurs et le fait que leurs cabines soient difficiles à atteindre protègent les agriculteurs d'une potentielle répression. Enfin, beaucoup d'agriculteurs sont également chasseurs et donc armés.
Enfin, le pouvoir est en très bons termes avec les deux syndicats agricoles majoritaires. La Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA) et le mouvement des Jeunes Agriculteurs, alliés dans presque tous les départements, ont obtenu ensemble 55% des voix aux élections des chambres d'agriculture en 2019.
Leur vision productiviste et tournée vers l'export s'accorde en effet pleinement avec celle des macronistes, qui souhaitent une agriculture toujours plus mécanisée, robotisée et digitalisée pour augmenter la productivité. Le soutien de la présidente de la FNSEA à Emmanuel Macron lors de la première réforme des retraites en 2019 et la création de la cellule Demeter, une unité de renseignement de la gendarmerie destinée à la traque des militants écologistes opposés à l'agro-industrie, en témoignent. Ainsi, lorsque la FNSEA et les JA appellent à la mobilisation des agriculteurs, ce n'est que pour mieux renforcer leur position de négociation avec le gouvernement.
Les racines de la colère
C'est bien dans cette perspective que les deux syndicats ont initié les mobilisations de l'automne. Leur objectif principal était d'arracher des concessions à l'Etat dans la future Loi d'Orientation de l'Agriculture, de nouveau reportée suite aux mobilisations, et à l'Union européenne, sur le Green Deal et la loi de restauration de la nature. En filigrane, la FNSEA et les JA ont aussi en tête les élections de 2025 dans les chambres d'agriculture. En démontrant leur capacité à peser dans le rapport de force avec les responsables politiques, ils espéraient renforcer encore leur pouvoir sur le monde agricole. Si cette stratégie a plutôt fonctionné à la fin 2023, le mouvement actuel semble toutefois leur échapper. Il faut dire que les agriculteurs ne manquent pas de raisons pour se mobiliser.
Alors que les prix de l'alimentation ont bondi depuis deux ans, cette manne n'a pas « ruisselé » jusqu'aux agriculteurs.
Tous font le même constat : il est extrêmement difficile, même en travaillant sans relâche tous les jours, de vivre de leur travail. Alors que les prix de l'alimentation ont bondi depuis deux ans, cette manne n'a pas « ruisselé » jusqu'à eux et reste captée par les négociants qui spéculent sur les prix agricoles, les industriels et la grande distribution : entre fin 2021 et le deuxième trimestre 2023, la marge brute de l'industrie agroalimentaire est passée de 28 à 48% !
Pendant ce temps, beaucoup d'agriculteurs vendent leur production à perte. C'est notamment le cas du lait, dont la filière, dominée par quelques gros acteurs comme Lactalis, refuse de communiquer ses taux de marge. Le racket s'organise aussi en amont, avec quelques gros fournisseurs de produits phytosanitaires, d'engrais, de semences ou de matériel agricole. Ceux-ci ont fortement augmenté leurs prix dernièrement, certes pour des raisons exogènes comme la guerre en Ukraine, mais aussi par pure rapacité.
Pour survivre, les agriculteurs sont donc sous perfusion constante de subventions. Aides à l'investissement, aides aux revenus de la Politique Agricole Commune (PAC) en fonction du nombre d'hectares cultivées ou de la taille du cheptel, aide à la conversion et au maintien en bio, aide à l'entretien des bocages… Il en existe pour à peu près tout. Encore faut-il pouvoir remplir une montagne de formulaires pour en bénéficier et espérer que l'administration parvienne à les traiter dans les temps. Or, des années d'austérité et de complexification des procédures ont rendu la bureaucratie incapable d'assurer ses fonctions. En réalité, les plus gros agriculteurs sont souvent les seuls à capter les aides. On comprend alors pourquoi les bâtiments administratifs sont particulièrement visés par les contestataires.
Alors que l'équation économique est déjà intenable pour les petits agriculteurs, une nouvelle vague de libre-échange est en train de déferler sur eux. Après la concurrence espagnole sur les fruits et légumes ou celle des éleveurs allemands et polonais sur le porc, ils vont devoir faire face à celle de la Nouvelle-Zélande, avec laquelle l'Union européenne vient de signer un accord de libre-échange.
En pleine urgence écologique, l'importation de viande et de lait de moutons de l'autre bout de la planète était sans aucun doute la priorité. L'UE finalise également les démarches pour supprimer les barrières douanières avec le Mercosur, le grand marché commun sud-américain. Face aux fermes-usines du Brésil ou de l'Argentine, qui exploitent le soja ou les bœufs sur des surfaces immenses, il est pourtant clair que l'agriculture française, excepté les filières haut de gamme, ne pourra pas faire face.
Le fait que ces pays utilisent des antibiotiques, des hormones de croissance, des pesticides et toutes sortes de produits interdits en Europe est vaguement reconnu par la Commission européenne, qui met en avant des « clauses miroirs » dans l'accord, mais sans aucune précision sur le fond. Enfin, l'UE ne cesse d'accélérer le processus d'adhésion de l'Ukraine, dont les produits agricoles qui ont envahi les marchés d'Europe centrale et ont déjà conduit à la ruine d'agriculteurs polonais et hongrois.
Les agriculteurs sont-ils vraiment anti-écolos ?
Pourtant, si ces motifs de colère sont extrêmement partagés par les agriculteurs, ils ne constituent pas le cœur des revendications de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs. Les deux syndicats focalisent plutôt leur opposition sur des mesures tournées vers la transition du secteur à des modes de production plus écologiques. Ils ont notamment dénoncé la hausse d'une taxe sur les pesticides et d'une redevance sur l'eau utilisée pour l'irrigation. Visant à financer le Plan eau du gouvernement et à réduire l'épandage de pesticides afin de préserver cette ressource de plus en plus rare, ces deux taxes ont été abandonnées dès décembre.
La fin progressive de l'exonération fiscale sur le gazole non routier, carburant des engins agricoles, a elle aussi été dénoncée, bien que la FNSEA soit quelque peu en difficulté sur ce terrain : dans un deal avec le gouvernement cet été, elle a accepté cette hausse en échange d'une réforme de la taxation des plus-values agricoles qui avantage les gros agriculteurs.
Au-delà des taxes, la FNSEA et les JA attaquent particulièrement de nouvelles normes environnementales européennes, comme la stratégie européenne « de la ferme à la fourchette » et le « Green Deal ». La première vise notamment à ce que 25% des surfaces agricoles utilisées soient en bio d'ici 2030, tandis que le second a déjà été largement vidé de sa substance.
Pour Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA, cette transition – pourtant timide – vers l'agro-écologie conduirait en effet à une « agriculture décroissante » qui serait alors incapable d'assurer les besoins alimentaires de la France. En agitant cette peur du retour de la faim, il espère faire échouer les tentatives limitées de convertir le secteur à des modes de production plus durables. Pour la FNSEA, la solution aux problèmes de productivité posés par l'épuisement des sols, le changement climatique, la multiplication des épidémies ou la crise de la biodiversité se situe uniquement dans le progrès technique, à coup de drones, de digitalisation, de méga-bassines, de robotisation ou d'organismes génétiquement modifiés (OGM).
En première ligne face aux effets du réchauffement climatique, premières victimes des pesticides et témoins de l'épuisement des terres et de la raréfaction de l'eau, nombre d'entre eux adhèrent à l'idée d'un changement de modèle.
Le mépris flagrant du syndicat majoritaire pour l'environnement n'est pourtant pas représentatif de la vision de tous les agriculteurs. En première ligne face aux effets du réchauffement climatique, premières victimes des pesticides et témoins de l'épuisement des terres et de la raréfaction de l'eau, nombre d'entre eux adhèrent à l'idée d'un changement de modèle. Mais alors que le passage au bio demande des années et que les prêts à rembourser sont souvent considérables, aucune transition n'est possible sans aide conséquente des pouvoirs publics.
Or, les aides à la transition et au maintien dans l'agriculture biologique sont notoirement insuffisantes et rarement versées à temps. Sans parler de la chute du marché du bio de 4,6% en 2022, qui s'est poursuivie pour 2023. Trop chers – en raison notamment des sur-marges pratiquées par la grande distribution – ces produits sont de plus en plus boudés par des consommateurs aux moyens érodés par l'inflation.
Au-delà du bio, les injonctions à aller vers plus d'agro-écologie ne sont pas non plus accompagnées de moyens suffisants. En témoigne par exemple la mobilisation conduite par la Confédération Paysanne et les CIVAM en Bretagne l'automne dernier pour plus de financements dédiés aux mesures agro-écologiques et climatiques (MAEC), qui encouragent les éleveurs à dédier une plus grande part de leur exploitation aux prairies, afin de préserver l'environnement. Ainsi, beaucoup d'agriculteurs souhaiteraient avoir des pratiques plus respectueuses de l'environnement – mais aussi du bien-être animal – mais n'en ont tout simplement pas les moyens.
La FNSEA, fausse alliée du monde agricole
Au lieu d'allier le nécessaire tournant écologique de l'agriculture avec des mesures permettant de le réaliser – protectionnisme et hausses des rémunérations des agriculteurs – la FNSEA et dans une moindre mesure les JA, préfèrent donc rejeter cette transition. Cela n'a rien de surprenant : bien que prétendant représenter tous les agriculteurs, la FNSEA ne défend que les plus gros d'entre eux. Les salaires des dirigeants du syndicat, dévoilés en 2020 par Mediapart, témoignent de leur déconnexion avec les paysans : le directeur général de l'époque émergeait alors à 13.400€ bruts par mois, soit plus que le ministre de l'Agriculture, tandis que l'ancienne présidente, qui ne travaillait que trois jours par semaine, touchait en un mois autant qu'un agriculteur moyen en un an !
La personnalité de l'actuel président du syndicat résume à elle seule les intérêts réellement défendus par la fédération : diplômé d'une école de commerce, Arnaud Rousseau commence sa carrière dans le négoce des matières premières, c'est-à-dire la spéculation… Il reprend ensuite l'exploitation céréalière familiale de 700 hectares, une parfaite incarnation de l'agriculture productiviste gavée de subventions de la PAC. Au-delà de sa ferme, Rousseau est également le directeur général d'un groupe de méthanisation, administrateur du groupe Saipol, leader français de la transformation de graines en huiles, président de Sofiprotéol, une société qui propose des crédits aux agriculteurs et d'une douzaine d'autres entreprises.
Surtout, il est le PDG d'Avril, un énorme groupe industriel, qui possède notamment les huiles Puget et Lesieur. En 2022, le chiffre d'affaires de ce mastodonte de l'agroalimentaire et des agrocarburants atteignait 9 milliards d'euros tandis que son résultat net a explosé de 45% ! Un groupe dont était déjà issu l'ancien président de la FNSEA, Xavier Beulin, entre 2010 et 2017.
Patron d'un groupe agro-industriel qui fait son beurre sur le dos des paysans, promoteur de l'endettement des agriculteurs et ancien trader, Arnaud Rousseau a des intérêts dans presque tous les secteurs responsables de la mort de l'agriculture française.
Patron d'un groupe agro-industriel qui fait son beurre sur le dos des paysans, promoteur de l'endettement des agriculteurs et ancien trader, Arnaud Rousseau a des intérêts dans presque tous les secteurs responsables de la mort de l'agriculture française. Il ne manquait guère que les semenciers et les vendeurs de matériel agricole et le compte y était. Aucune surprise, dès lors, à ce que la FNSEA ne se contente que de maigres communiqués contre les accords de libre-échange sans appeler à se mobiliser pour les faire échouer ou à ce qu'elle défende ardemment une PAC qui ne bénéficie qu'aux plus gros. Il en va de même avec la défense des « méga-bassines » par le syndicat majoritaire : présentées comme une solution face à la généralisation des sécheresses, ces bassins bénéficient aux plus gros agriculteurs qui refusent de changer leurs méthodes et accaparent l'eau aux plus petits pour produire des denrées souvent destinées à l'exportation.
Quel débouché au mouvement ?
Habituellement, les trahisons de la FNSEA et des JA auprès de leur base ne suscitaient guère de réaction de la part de cette dernière. Cette fois-ci, il semble cependant que leurs tentatives pour contrôler le mouvement ne prennent pas. A Toulouse, un représentant du syndicat invitant les agriculteurs à rentrer chez eux et à laisser son syndicat négocier en leur nom a été copieusement hué. En Haute-Saône, le blocage d'une usine Lactalis à l'aide de fumier et de déchets, suffisamment rare dans ce type de mouvement pour être souligné, est une action que n'aurait probablement jamais soutenue la FNSEA. Plus largement, les agriculteurs en révolte préfèrent généralement ne pas afficher leur appartenance syndicale – quand ils en ont une – et se montrent très soucieux d'échapper à toute récupération politique.
Que proposent justement les différents camps politiques ? Du côté du gouvernement, la ligne n'est pas claire et le bilan des sept dernières années au pouvoir difficile à assumer. Il est cependant probable que les macronistes finissent par conclure un accord avec la FNSEA autour d'aides d'urgences et de suppression de règles environnementales dans l'espoir de calmer la colère. Si des évolutions législatives sont nécessaires pour les appliquer, cela ne devrait pas poser de problèmes : dans leurs prises de parole, Les Républicains, alliés non-officiels du gouvernement, s'alignent totalement sur les revendications de la FNSEA.
Le Rassemblement National (RN) se montre lui plus critique du syndicat majoritaire, mais reprend la plupart de ses arguments sur le fond. Seule différence notable : la question du libre-échange, fermement combattu par l'extrême-droite. Un point qui la rapproche de la Coordination Rurale, un syndicat agricole qui se positionne depuis longtemps pour une « exception agriculturelle » dans le cadre de la mondialisation. Si Marine Le Pen et ses troupes tentent évidemment de récupérer le mouvement et ciblent directement l'Union européenne dans leurs critiques, dans le but de gonfler leur score aux élections de juin prochain, ils n'ont en revanche pratiquement rien à proposer en matière de régulation des prix, de réforme de la PAC, de revenu paysan ou sur le plan environnemental.
La gauche parviendra-t-elle à convaincre ?
Quant à la gauche, elle se trouve plus ou moins dans la même situation que la Confédération Paysanne, incarnation de ce camp politique parmi les syndicats agricoles. Bien que les manifestations des agriculteurs fassent écho à nombre d'alertes émises par la « Conf' » depuis des années (traités de libre-échange, folie de la libéralisation des marchés et de la fin des quotas de production, injustice des aides, impossibilité de verdir l'agriculture sans soutien financier, adaptation des normes aux réalités des petites fermes …), cela n'entraîne pas nécessairement un soutien aux propositions de ce syndicat. Pour la gauche, l'enjeu de cette séquence est de réparer son image auprès du monde agricole en cassant le discours autour de « l'agri-bashing » ou du bobo urbain végétarien donneur de leçons.
Prix plancher, encadrement des marges, protectionnisme, révision des aides pour les simplifier et soutenir un modèle plus écologique, révision des critères de commande publique dans les cantines pour favoriser l'agriculture française… Les propositions ne manquent pas.
De récentes interventions de députés de gauche dans les médias et à l'Assemblée nationale donnent l'espoir de rompre avec cette image. Les députés insoumis François Ruffin, Mathilde Hignet (ancienne ouvrière agricole) et Christophe Bex, ainsi que la députée écologiste Marie Pochon (fille de vignerons), ont clairement ciblé les vrais adversaires du monde agricole, à savoir les distributeurs, les industriels de l'agro-alimentaire, les fermes-usines étrangères et la FNSEA. Prix plancher, encadrement des marges, protectionnisme, révision des aides pour les simplifier et soutenir un modèle plus écologique, révision des critères de commande publique dans les cantines pour favoriser l'agriculture française…
Les propositions ne manquent pas. Rappelons d'ailleurs que la France Insoumise avait justement proposé l'instauration d'un prix plancher sur les produits agricoles le 30 novembre dernier, qui a été rejeté à seulement 6 voix. A plus long terme, l'instauration d'une Sécurité sociale de l'alimentation, qui fait petit à petit son chemin à gauche et dont les expérimentations locales se multiplient, pourrait constituer un nouveau cadre pour sortir vraiment l'agriculture du marché.
Certes, cet horizon peut paraître lointain. Bien sûr, il est probable que le mouvement actuel finisse par retomber, entre fatigue des personnes mobilisées en plein hiver sur les routes, nécessité de faire tourner les fermes pour rembourser les crédits et probable accord entre la FNSEA, les JA et le gouvernement pour calmer la foule. Le fait que ce mouvement social reste pour l'instant très sectoriel ne plaide pas non plus pour sa longévité. Toutefois, il a déjà permis de rouvrir des débats fondamentaux sur notre alimentation, la mondialisation, le travail et la répartition très inégalitaire de la valeur. En cela, il a brisé le cadre libéral dans lequel la FNSEA veut enfermer toute pensée politique du monde agricole. C'est déjà une grande victoire.
William Bouchardon 25 janvier 2024
https://lvsl.fr/manifestations
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Education nationale Malaise et discrimination à l’école publique
Entrevue réalisée par Omar Haddadou
Accusant des carences frappantes, le secteur éducatif subit de plein fouet des aménagements scandaleux.
Enseignants (es) et syndicats lancent un avertissement au gouvernement, à l'heure où se déroule à Paris le deuxième acte de la mobilisation exigeant la démission de la nouvelle Ministre de l'Education nationale.
De Paris, Omar HADDADOU
Stupéfaction et colère à l'école de la République !
En vertu du fameux « Choc des Savoirs », paradigme consigné en haut lieu dans une réforme ravaudée de saupoudrage élégant, le macronisme stigmatise à souhait ! Mieux encore, on se veut procédurier fécond par l'audace incongrue d'engager un séparatisme perfide au sein d'une communauté scolaire. La mise en place de groupes de niveau au collège en est l'exemple patent. L'adaptation du rythme se fera dans la douleur. Qu'importe ! Fraîchement investie dans ses fonctions, la nouvelle ministre de l'Education nationale, Amélie Oudéa- Castéra, que d'aucuns annoncent sur la sellette, s'est empressée à en mettre pleins les yeux au chef de l'Etat, « Je poursuivrai vos actions, lance-t-elle au Premier ministre, de ce que le Président de la République a appelé le réarmement civique de notre jeunesse ». Savourez le coup d'encensoir !
Mercredi, sans sourciller, elle annonçait aux syndicats un moratoire sur la fermeture de classes préparatoires à Paris.
D'où la démission du recteur Christophe Kerrero, porteur de projet de mixité sociale. Une actualité brûlante, vous l'aurez compris, sur fond de manifestations syndicales dans la capitale.
Le tour de force, ô combien inventif, et la saillie de la Ministre, prise sous l'aile du jeune Premier ministre Gabriel Attal, attise l'indignation. Syndicats et Enseignants dénoncent, à travers les mobilisations des 1er et 6 février à Paris, sa politique de « séparer le grain de l'ivraie ». C'est-à-dire les élèves compétents de leurs camarades.
Une mesure d'une violence et aberration crasses. Des députés de la Gauche n'hésitent pas à dénoncer sa position en faveur de la caste bourgeoise parisienne.
Pour défendre l'Ecole de la République, les organisations SNES – FSU, CGT, FO Education, SGEN-CFDT) veulent inscrire leur lutte dans la durée. 130 écoles avaient fermé le 1er février. 65% des professeurs ont répondu à l'appel. Celle d'aujourd'hui marque l'ancrage de la contestation sur tout le territoire national.
Porteurs d'une mise en garde à l'attention de Matignon et rue Grenelle, Enseignants et Collectifs sont montés au créneau pour l'ouverture des négociations salariales et l'abandon dudit « Choc des Savoirs ».
Face au délitement de la mécanique de transmission du Savoir, les protestataires des places du Luxembourg et Sorbonne, lancent un appel pour un plan d'urgence portant sur l'ouverture de postes aux enseignants (es), la revalorisation des traitements, les doléances budgétaires, la satisfaction des requêtes sur les moyens matériels et humains, le soutien scolaire et psychologique ainsi que le problème des effectifs (remplacements).
L'Intersyndicale pointe, par ailleurs, du doigt la politique gouvernementale consistant à envoyer des contingents d'élèves directement en Apprentissage, quand certains députés et leaders syndicaux parlent de paupérisation de l'école.
Lycéens et collégiens espèrent une montée en puissance de la mobilisation en mars après les vacances.
Le budget de 2024 annoncé à cor et à cri par le Ministère à hauteur de 63,6 Milliards d'euros, apaisera -t-il les tensions ?
Une chose est sûre, le choix du timing de la revendication des Agriculteurs, à la veille des JO pour faire mouche auprès de l'exécutif, risque d'inspirer bien de « primo grognards ».
O.H
Photos Omar Hadadou
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La croisade de St Déni
Bonne année à tous ! J'espère que vos fêtes se sont bien passées, ici en France l'actualité a comme toujours été étouffée sous la dinde aux marrons et noyée dans le champagne. Enfin pour ceux qui peuvent encore se le permettre, de moins en moins nombreux …
Fini la guerre en Ukraine, exit le génocide des palestiniens, plus un mot sur ceux qui meurent de froid dans nos rues, il faut de la gaîté, des paillettes, des milliers d'ampoules clignotantes ! Cette année 2024 sera celle de la France car c'est l'année des Jeux Olympiques, prétexte idéal pour lancer un grand nettoyage du pays. Dehors les immigrés qui font peur, dehors les bouquinistes des quais de Seine qui font désordre, on va pouvoir augmenter tous les prix, faire exploser le marché locatif, doubler les tarifs des transports en commun ! C'est la fête !!! On pourrait même aller jusqu'à réquisitionner les logements des étudiants boursiers durant les jeux pour les louer à prix d'or aux touristes naïfs, tant qu'à faire … Où iront les étudiants ? À la soupe populaire ça ne les changera pas de leur quotidien, plusieurs milliers y vont déjà.
De nouveaux menteurs à l'Elysée
Cette rentrée a aussi été celle d'un « changement de gouvernement ». Je mets des guillemets parce que finalement peu de choses ont changé … notre ministre de l'économie ultra libéral reste le même, notre ministre de l'intérieur qui échange des logements sociaux contre des faveurs sexuelles reste le même … notre ministre de la justice jugé pour conflit d'intérêt en plein mandat reste le même... Ce qui change c'est le premier ministre, exit Elisabeth Borne, usée par ses 23 recours à l'article 49.3, et bienvenue au nouvel enfant prodige de la Macronie, Gabriel Attal.
Attal est un pur produit de l'entre soi parisien, sa vie tient sur un rayon de 6km, jamais il n'aura à mettre un pied en dehors des beaux quartiers. Père riche producteur de cinéma, mère héritière d'une longue lignée d'hommes politiques datant du 18ème siècle, il fait sa scolarité à la prestigieuse école Alsacienne puis intègre l'Institut d'études Politiques de Paris. Il entre dans la vie politique sans jamais avoir travaillé un seul jour dans sa vie, il gravit les échelons avec une rapidité déconcertante jusqu'à devenir le petit chouchou d'Emmanuel Macron, qui le nomme en 2023 ministre de l'éducation nationale alors qu'il n'a jamais été à l'école publique républicaine. À seulement 34 ans il devient le plus jeune premier ministre français.
On pourrait se dire qu'un jeune dirigeant apportera un peu de fraîcheur … ça serait mal connaître le conservatisme de nos élites parisiennes ! Attal compose un gouvernement digne de la plus coincée des droites et confirme officiellement ce que tout le monde savait déjà ; la Macronie a basculé à droite toute. Il va jusqu'à nommer Rachida Dati, Sarkosiste de la première heure et impératrice de la vulgarité, ministre de la culture !!! Rappelons que notre nouvelle ministre botoxée est mise en examen pour corruption et abus de pouvoir …
Mais le petit bijou de ce nouveau gouvernement, celle dont je veux vous parler aujourd'hui c'est Amélie Oudéa Castera. Ancienne ministre des sports, elle devient par un coup de baguette magique ministre de (accrochez vous bien...) l'Éducation Nationale, de la Jeunesse, des Sports, des Jeux Olympiques et Paralympiques (et des tondeuses à gazons et rasoirs jetables) !
Je ne sais pas vous, mais de mon point de vue l'Éducation me paraît être un sujet majeur, si ce n'est LE sujet principal qui devrait concerner les politiques publiques. Fourrer l'éducation dans un ministère du tout et du rien, sous la même responsabilité que les JO qui vont demander énormément d'investissement, cela montre bien le peu d'intérêt que nos dirigeants accordent aux générations futures.
Mais cela nous fait assez de nouvelles déprimantes, passons aux réjouissances ! Car vous allez voir qu' Amélie Oudéa Castera (AOC pour les intimes, une AOC à la française loin de son homonyme américaine) est un véritable cadeau offert aux oppositions et à la presse indépendante. Depuis sa nomination elle nous régale avec un enchaînement de gaffes que même Mister Bean n'aurait pas osé.
Le dénigrement de l'école publique
Prenons les faits chronologiquement : le 11 janvier, cette ancienne directrice du CAC 40 (elle a dirigé Axa puis Carrefour), nièce de deux de nos journalistes les plus installés, épouse de celui qui fut directeur de la Société Générale pendant la crise financière (banque à l'origine de l'affaire Kerviel et croulant sous les condamnations judiciaires) et actuel dirigeant de la très controversée entreprise pharmaceutique Sanofi … rien que ça, est nommée ministre de l'éducation (et de plein d'autres trucs …).
Une heure après sa nomination, Médiapart l'interroge sur l'école Stanislas où elle a choisi de scolariser ses trois enfants. En effet, ce qui fait tache d'huile c'est que l'école Stanislas est une prestigieuse école privée parisienne, ultra catholique, sous contrat avec l'état et recevant plus d'un millions d'euros de fonds publics. Une école privée accusée par plusieurs médias de sérieuses dérives racistes, misogynes, homophobes et dans le viseur de l'inspection. Prise de cours par ses nouvelles responsabilités, la ministre botte en touche et promets de répondre plus tard.
Le lendemain, elle fait son premier déplacement officiel, accompagnée du premier ministre, qui est aussi son prédécesseur au ministère de l'éducation, dans un collège des Yvelines. Mediapart l'attend de pied ferme, le matin même ils ont publié un article révélant les choix très réactionnaires de la ministre. Quand ils la questionnent devant les caméras, elle ne tente pas d'esquiver comme avaient l'habitude de faire ces prédécesseurs (dont la plupart mettaient eux aussi leurs rejetons dans le privé). Au contraire, elle déclare dans une prestation Actor Studio : « Vous êtes totalement dans le procès d'intention ! Je n'esquiverai pas votre question … je voudrais relever que si on commence dès le premier jour sur des attaques personnelles c'est parce que ce que j'ai pu exprimer ce matin était inattaquable sur le fond. Alors très bien ! Allons sur le champ du personnel, allons y ! »
Elle dit qu'elle va nous raconter « une histoire », celle de son aîné qui aurait commencé sa scolarisation à l'école publique, dans une école publique qu'elle cite nommément. Elle nous parle ensuite, des trémolos dans la voix, de « la frustration de ses parents qui avons vu des paquets d'heures qui n'étaient pas sérieusement remplacées. Et à un moment on en a eu marre, comme des centaines de milliers de familles qui ont fait le choix d'une solution différente. » Elle prétend que Stanislas était un choix de proximité et que « désormais nous nous assurons que nos enfants sont non seulement bien formés, avec de l'exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux et qu'ils sont heureux, épanouis, qu'ils ont des amis, qu'ils se sentent en sécurité, en confiance. » Elle ajoute, comme si ça n'était pas suffisant : « Avant de stigmatiser les choix des parents d'élèves, il est important de rappeler que l'école, c'est celle de la république, et que la république travaille avec tout le monde dès lors qu'on est au rdv ».
Bon … l'équipe de communication derrière elle est en panique, le premier ministre est livide et Médiapart se frotte les mains ! La ministre de l'éducation nationale vient de critiquer sans ménagement son propre ministère, responsabilisant par là son prédécesseur, Gabriel Attal ! Mais ça va bien au delà de ça, elle suggère avec peu de subtilité que tout bon parent soucieux de l'éducation de ses enfants devrait les mettre dans le privé car dans le public ils ne sont pas heureux, pas en sécurité et mal formés !!! La privatisation de l'éducation est en marche … C'est évidemment un scandale immédiat. Les syndicats de professeurs et de parents d'élèves sont révoltés, la ministre est raillée pour son ton factice et condescendant, et notre presse indépendante ne compte pas en rester là.
Trois jours plus tard, c'est le journal Libération qui révèle le témoignage de l'ancienne institutrice des enfants de la ministre. Outrée, elle assure n'avoir jamais été absente durant la brève scolarisation du fils aîné d'AOC dans le public, qui n'a en vérité duré que six mois. Le garçon a été scolarisé en cours d'année alors qu'il n'avait pas encore l'age d'entrer en maternelle, mais ses parents ont insisté et l'école leur a fait cette faveur. Il n'était présent en classe que le matin. Selon l'institutrice, c'est le refus de le faire passer en niveau supérieur qui a motivé son retrait de l'école. AOC voulait que son fils ait une année d'avance, l'équipe enseignante estime que ça n'est pas dans l'intérêt de l'enfant, alors la ministre le retire de l'école publique pour le mettre dans une école privée qui accepte ses exigences.
Mise face à ce témoignage corroboré par les collègues et les parents d'élèves, la ministre bafouille, parle « d'éléments à coté de la vérité », dit comprendre « le ressenti » des professeurs mais maintient le fait que ce sont les heures non remplacées qui ont motivé son choix. Seulement voilà … les registres de l'école et les très nombreux témoignages de membres de l'équipe enseignante et de parents d'élèves lui donnent tort. Alors elle s'empêtre dans ses mensonges, prétendant ne pas se souvenir des dates de scolarisation de son aîné (oui oui, cette maman exemplaire qui nous dit que ses priorités sont le bien être de ses enfants ne se souvient pas de la première rentrée scolaire de son premier enfant … normal !). Les syndicats enragent, tout comme les communicants du gouvernement qui s'arrachent les cheveux, et elle est obligée de se rendre à l'école en question pour faire ses excuses. En digne macroniste elle refuse pourtant d'assumer pleinement ses mensonges et ose se victimiser, se disant « malheureuse d'avoir blessé l'équipe enseignante », mettant en avant son « expérience de maman », se plaignant de « harcèlement » de la part des médias et demandant à ce que ce chapitre « des attaques personnelles » soit clos. Culottée !!! Elle reçoit en réponse des huées virulentes et toujours plus de reproches.
Que ce soit durant ses déplacements ou à l'assemblée nationale, la ministre ne parvient pas à prendre dignement ses fonctions, et l'opposition la renomme ironiquement « la ministre de l'éducation, de la jeunesse, des sports et du mensonge. » Elle a perdu toute crédibilité avant même de se mettre au travail.
Mais la descente aux enfers d'AOC ne s'arrête pas là … Médiapart la questionne sur son choix d'école privée : le prestigieux établissement Stanislas. En effet, huit mois plus tôt, le média indépendant avait publié des révélations faisant état de cas de racisme et d'homophobie à Stanislas. Des révélations suffisamment sérieuses pour déclencher une inspection dont les conclusions (accablantes) ont été remises au ministère de l'éducation cet été. Pourtant, Mme la ministre du mensonge prétend que ce rapport n'est pas sur son bureau, et semble vouloir nous faire croire qu'il n'existe pas. Qu'à cela ne tienne, Médiapart publie ce fameux rapport. Et là … accrochez vous !
Un enseignement sectaire
Pour commencer en beauté, Stanislas ne respecte tout simplement pas la loi en imposant des cours de catéchisme à tous ses élèves de la maternelle à la classe prépa. La France est un état laïque, il est par conséquent inconcevable qu'un établissement recevant 1,3 millions d'euros de financements publics annuels puisse obliger les étudiants à suivre un enseignement religieux. Mais cela va plus loin car, selon le rapport, le contenu de ces cours est également problématique : « Certains catéchistes expriment des convictions personnelles qui outrepassent les positions de l'Église catholique, par exemple sur l'IVG en tenant des propos remettant en cause la loi, ou susceptibles d'être qualifiés pénalement sur l'homosexualité »
Il existe de nombreux témoignages d'élèves qui rapportent des propos totalement délirants proférés par des intervenants en cours de catéchèse. L'une d'elle par exemple aurait déclaré que « l'avortement était encouragé parce que les fœtus étaient utilisés pour des médicaments, le Doliprane notamment ». Un autre que « Francois Hollande était un danger pour la République puisqu'il défendait la théorie du genre ».
Je vous laisse une seconde pour imaginer le scandale si ces propos avaient été tenus dans une école musulmane !
Le rapport révèle également un discours révoltant sur l'homosexualité, comme ce que rapporte ce témoin sur un des intervenants : « Il nous a parlé de l'homosexualité comme d'une maladie, et que si l'on se sentait homosexuel, il fallait se faire soigner dans une structure religieuse au Canada, que l'homosexualité venait du fait que quand la mère enceinte trompe son mari ou que son mari trompe sa femme, le bébé ressent tout et a le cœur brisé ; il nous a parlé de sodomie également. Il nous a parlé de viol, en disant qu'il fallait pardonner au violeur et que c'était difficile. »
Ou encore cet enregistrement de l'intervenant star de Stanislas, Philippe Ariño (célèbre auteur homosexuel catholique prônant l'abstinence), dans lequel on l'entend déclarer à une classe d'adolescents : « On peut ne pas être d'accord avec ce que vivent les homo (…) la bible condamne les actes (…) les personnes homosexuelles dans le milieu se détestent. En général l'amitié est très difficile (…) ça dit quelque chose de la nature idolâtre du désir homosexuel. » Charmant …
Mais ça ne sont pas seulement les enseignements religieux qui posent problème, les programmes de Sciences et Vie de la Terre et d'Enseignement Moral et Civique ne sont pas respectés et les cours d'éducation à la sexualité (normalement obligatoires) sont remplacés par des séances « d'éducation affective ». Dénoncées par les élèves, ces séances sont non mixtes et mettent volontairement à distance la sexualité, nous dit le rapport d'inspection. À propos de l'une des dernières intervenantes un témoin déclare aux inspecteurs avoir entendu « des choses aberrantes, par exemple que les hommes ont des pulsions que les femmes n'ont pas et qu'elles doivent subir… ».
Le rapport va jusqu'à affirmer : « Le parti pris de certains professeurs de SVT de ne pas parler des infections sexuellement transmissibles (IST), les propos tenus lors des conférences d'éducation à la sexualité sur les dangers de la contraception chimique, et enfin les dérives relevées en catéchèse sont susceptibles pour la mission de porter atteinte à la santé des élèves ».
Interrogé par la presse, le directeur affirme avoir mis de l'ordre dans tout ceci … tout comme il l'avait déjà affirmé quelques années auparavant quand d'autres articles avaient déjà soulevé ces problèmes.
Au delà de ça, le personnel encadrant, notamment les préfets, sont mis en cause pour des méthodes brutales et humiliantes, particulièrement en ce qui concerne les tenues et les coiffures des jeunes filles (moins nombreuses et clairement mises à part et négligées). Le rapport parle notamment d'une jeune fille ayant subi une agression sexuelle en dehors de l'établissement. « Elle évoque un rendez-vous fixé avec ses parents au cours duquel elle a été contrainte de les informer de cette agression, “sinon ce n'était pas vrai ou sérieux”, la menace d'exclusion, les remarques humiliantes à répétition », relèvent les inspecteurs. « La pédagogie de Stan est violente. Leur but est que les élèves donnent le meilleur d'eux-mêmes, non pas en les encourageant, mais en les rabaissant »
Et le comble, Mediapart révèle que le ministre de l'éducation nationale (à l'époque notre actuel premier ministre Gabriel Attal) avait été alerté par un parent d'élève qui dénonçait l'exclusion injuste de sa fille. Les inspecteurs confirment l'intégralité de ces accusations et montrent que la direction de Stanislas a « dissimulé la vérité » et même « monté dans la précipitation » un dossier à charge pour tenter de justifier l'exclusion de la jeune fille et travestir ses motifs. Ils accusent à tort cette élève d'avoir harcelé des camarades. « Il ressort des pièces transmises que le problème posé par cette élève se situe ailleurs, dans un conflit personnel entre le préfet et elle, relayé par le censeur – directeur du lycée, en raison en réalité de ses prises de position assimilées à du militantisme(…) cette affaire témoigne de la méthode brutale employée par l'établissement pour écarter une élève brillante qui ne correspond plus à “l'esprit Stan” et qui pourrait influencer d'autres jeunes », relèvent-ils.
L'un des préfets de l'établissement reprochait à cette jeune fille de porter « un pull LGBT » et était, selon plusieurs témoignages, « familier de propos homophobes et d'insultes envers les filles qu'il ne trouve pas assez féminines ». Cette exclusion arbitraire a été décidée sans passage en conseil de discipline, sans consulter les professeurs de l'élève en question et sans aucun accompagnement pour aider l'élève à trouver un autre lycée.
A Stanislas, le sexisme est omniprésent, par exemple l'internat de classe prépa a une capacité d'accueil de 473 places pour les garçons contre 98 pour les filles. Les classes de garçons sont situées dans le bâtiment central alors que les classes mixtes et de filles sont dans un bâtiment à part, excentré de la vie du campus.
Dans un livret remis aux élèves masculins de seconde (15 ans) intitulé « Tu seras un homme », on explique aux adolescents que les hommes sont soumis à des passions violentes, c'est pourquoi les filles ne doivent pas les exciter avec des tenues provocantes. On peut également y lire que « les héroïnes n'existent pas » ! Dans l'esprit tordu des auteurs, seuls les héros peuvent exister … au premier rang de ces héros figurent je suppose les inquisiteurs de la belle époque.
Le rapport d'inspection, qui se conclut
par une bonne dizaine de recommandations pour se conformer aux lois, est clair « La mission relève sur vingt ans une préoccupation constante de l'apparence du corps féminin, qu'il faut cacher : vêtements opaques, épaules (couvertes), ventre (hauts sur le bas des hanches), cuisses (longueur des jupes et des robes), poitrine (pas de décolletés). Ce niveau de détails relève du sexisme. Il renvoie la jeune fille à une image sexuelle de son corps qui attire et perturbe les garçons. »
Les règles ne sont pas faites pour les élites
La publication de ce rapport a mis le gouvernement très mal à l'aise et il leur a fallu redoubler de langue de bois pour esquiver les questions. Non seulement notre ministre de l'éducation a mis ce rapport scandaleux au placard, mais elle a surtout fait des choix en totale contradiction avec sa mission ministérielle pour ses propres enfants. En effet, quand elle fait le choix de placer ses enfants dans des classes non mixtes, la mission de son ministère est quand à elle de « favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes » dans tous les établissements. C'est gênant …
Promettant qu'elle va se pencher sur l'affaire, que les révélations de Médiapart concernent des habitudes passées et que Stanislas a changé, la défense de la ministre se concentre avant tout sur ce qu'elle prétend être des attaques personnelles et met en avant le libre choix de tout parent pour l'éducation de ses enfants. Même le choix de ne pas respecter nos lois ???
Quelques jours plus tard, Mediapart, qui n'en a pas fini avec AOC, sort de nouvelles révélations dont elle se serait bien passée : l'un de ses fils a bénéficié d'un contournement de Parcoursup.
Parcoursup est une des premières et des pires réformes de Macron sur l'éducation. Le principe est catastrophique : les élèves en fin de lycée doivent formuler dix choix maximum pour leur avenir et envoyer leur dossier dans ces dix établissements via une plate-forme numérique en bug permanent (évidemment il existe certaines filières d'exception dites « sélectives » menant à des métiers plus valorisés que les autres et pour lesquels les frais de dossier sont payants … histoire de faire un premier tri …). Puis les étudiants attendent le verdict dans un stress inimaginable. Le concept fonctionnant uniquement par une plate-forme web est très vivement critiqué pour son caractère anxiogène, son opacité et surtout sa lenteur. Nous connaissons tous des étudiants qui, à une semaine de la rentrée universitaire, sont toujours sur liste d'attente et ne savent pas encore quelle filière ils pourront emprunter, quel sera leur avenir … avec tous les problèmes logistiques que cela cause, notamment au niveau des logements.
Bref, Parcoursup c'est la plaie de tous les étudiants ! Sauf des privilégiés de Stanislas qui, selon l'aveu même du gouvernement, bénéficient d'un contournement du processus. Il est évident pour tout le monde que si la fraude est tolérée pour Stanislas, elle l'est aussi pour d'autres établissements « d'élites », ceux qui mettent le mérite au dessus de tout mais refusent de jouer avec les règles de la concurrence qu'ils ont eux même imposées.
Car on ne va pas se mentir, le vrai problème ça n'est pas Stanislas en particulier, ce sont tous ces établissements privilégiés qui s'affranchissent des règles communes. Et notre ministre, aussi méprisable soit-elle, n'a fait que révéler le plus révoltant des scandales. Nous lui en sommes reconnaissants ! Louée soit sa bêtise ! Loué soit St Déni !
Selon une récente enquête PISA (confirmée par de nombreuses autres études), la France est parmi les pays de l'OCDE où les résultats scolaires sont le plus liés au milieu social. Nous sommes aussi un des pays développé qui paye le moins ses professeurs (comparé au salaire moyen national), sans parler du peu de respect auquel ils ont droit. Ces 20 dernières années la situation n'a fait que s'aggraver et, depuis le couronnement de Macron, c'est une accélération vertigineuse vers une éducation de plus en plus élitiste et un démembrement méthodique de l'enseignement public. La déchéance de notre éducation nationale n'est pas due au hasard, selon la cours des comptes les trois quart du financement de l'école privée vient des caisses de l'état, plus de 10 milliards de nos impôts qui sponsorisent l'éducation de nos chères élites, sans la moindre contrepartie, sans le moindre critère de mixité sociale en échange ! Pendant ce temps, nos écoles publiques sont délabrées, on parle de classes où il fait 10 degrés en hiver et 30 en été ; on recrute des professeurs en speed dating pour les jeter dans une administration cannibale qui les broiera en quelques mois ; on dépèce les programmes afin de s'assurer que la réussite ne puisse être conditionnée qu'à des cours privés … Il faut les comprendre, le marché de l'éducation vaut des milliers de milliards, ça fait forcément fantasmer ceux qui ne savent rêver que d'argent.
Si ça a été plutôt amusant de regarder en spectateurs la descente aux enfers de notre ministre, qui se tirait une balle dans le pied à chaque pas, force est de constater qu'elle est toujours en poste. Malgré une communication désastreuse qui revient à insulter les professionnels sous sa tutelle et à dénigrer son propre ministère, malgré des mensonges flagrants, malgré qu'elle ne puisse pas exercer ses fonctions correctement tant elle est haïe, le gouvernement et notre leader suprême continuent de la soutenir. Démontrant une fois de plus que nos élites ne sont pas soumises aux règles du commun.
Malgré des manquements à la loi avérés, malgré des attitudes homophobes et sexistes révoltantes, malgré des mensonges et des fraudes, l'école Stanislas est toujours sous contrat avec l'état. À titre de comparaison, le lycée musulman d'Avéroès a lui aussi fait l'objet d'une inspection pour des suppositions de communautarisme. Le rapport, que le préfet a refusé de communiquer à la direction du lycée, ne fait état d'aucune recommandation (contrairement à celui sur Stanislas qui se voit infliger 15 rappels aux règles). Pourtant la subvention publique du lycée a immédiatement été suspendue pour cause de danger communautariste.
Évidemment, l'intégrisme catholique qui défend les violeurs, condamne les homosexuels aux flammes de l'enfer et viole les lois républicaines ne représente aucun danger … ça n'est pas comme si nos principales chaînes de télévision étaient possédées par des ultra catholiques, pas comme si nos dirigeants étaient formés dans ses écoles avant de se distribuer entre eux tous les postes de pouvoir. Ça ça n'est pas du communautarisme, c'est de l'excellence !
Malgré tous ces scandales qui s'amoncellent, l'ambition de notre gouvernement pour l'école reste inchangée : imposer à nos jeunes le service national, l'uniforme (apparemment ça devrait gommer les inégalités … petit clin d'œil à ceux qui pensaient que le but était de les supprimer), des cours de théâtre (ben oui, notre leader suprême a toujours aimé le théâtre alors il semble logique de l'imposer à tous …) et réduire les budgets, encore et toujours. Pendant ce temps nos sénateurs s'augmentent de 700 euros mensuels et nos députés de 300 euros … ceux qui ont voté contre l'indexation des salaires s'appuient sur l'inflation pour justifier ce nouveau racket. Gonflé !
En France, ces vingt dernières années, les inégalités sociales étaient grandissantes, perceptibles, elles étaient dénoncées par certains et supposées par beaucoup. Avec l'avènement du macronisme, elles sont désormais officialisées, assumées, revendiquées dans le plus grand des mépris.
Ceux qui nous parlent de perpétrer les coutumes, de respecter la grande culture française et prônent la méritocratie tout en la contournant semblent avoir oublié que chez nous, quand le faussé des inégalités se creuse, quand les élites font sécession et que la naissance l'emporte sur les compétences, des têtes finissent toujours par tomber. Le peuple français aussi semble l'avoir oublié, mais il n'a jamais été de ceux qui courbent l'échine … Puissions nous nous remémorer nos grandes traditions avant que les dégâts soient irréversibles.
L'autrice tient à remercier Médiapart pour toutes les informations mentionnées dans l'article.
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Position et appel des Soulèvements de la terre sur le mouvement agricole en cours (+ Communiqué Confédération paysanne)
Voilà une semaine que le monde agricole exprime sa colère au grand jour et en acte : celui d'un métier devenu quasiment impraticable, croulant sous la brutalité des dérèglements écologiques qui s'annoncent et sous des contraintes économiques, normatives, administratives et technologiques asphyxiantes.
Alors que les blocages se poursuivent un peu partout, nous soumettons quelques mises au point sur la situation depuis le mouvement des Soulèvements de la terre.
01 février 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/01/position-et-appel-des-soulevements-de-la-terre-sur-le-mouvement-agricole-en-cours/
Nous sommes un mouvement, d'habitant·es des villes et des campagnes, d'écologistes et de paysan·nes, installé·es ou en installation. Nous refusons la polarisation que certains essaient de susciter entre ces mondes. Nous avons fait de la défense de la terre et de l'eau notre point d'entrée et d'ancrage. Ce sont les outils de travail des paysans et des milieux nourriciers. Nous nous mobilisons depuis des années contre les grands projets d'artificialisation qui les ravagent, les complexes industriels qui les empoisonnent et les accaparent. Soyons clair·es, le mouvement actuel dans son hétérogénéité même, a été cette fois initié et largement porté par d'autres forces que les nôtres. Avec des objectifs affichés parfois différents, et d'autres dans lesquels nous nous retrouvons absolument. Quoi qu'il en soit, lorsque que les premiers blocages ont commencé, nous avons, depuis différents comités locaux, rejoint certains barrages et certaines actions. Nous sommes allé·es à la rencontre de paysan.nes et d'agriculteurs.rices mobilisé·es. Nous avons échangé avec nos camarades de différentes organisations paysannes pour comprendre leurs analyses de la situation. Nous nous sommes retrouvé·es nous-mêmes dans la digne colère de celles et ceux qui refusent de se résigner à leur extinction.
Nous ne pouvons que nous réjouir que la majorité des agriculteurs.rices bloquent le pays aujourd'hui. Qu'ils et elles soient représenté·es par la FNSEA et des patrons de l'agrobusiness dans les instances de négociation avec le gouvernement est consternant, à l'heure où les cadres du syndicat majoritaire sont copieusement sifflé·es sur certains blocages et où ce dernier ne peut plus retenir ses bases. De nombreuses personnes sur les barrages ne sont pas syndiquées et ne se sentent pas représentées par la FNSEA.
« Les deux tiers des entreprises agricoles n'ont pas, en termes économiques, de raison d'être. Nous sommes d'accord pour réduire le nombre d'agriculteurs » – Michel Debatisse, secrétaire général de la FNSEA, 1968
Fondé après guerre, ce syndicat hégémonique a accompagné le développement du système agro-industriel depuis des décennies, en co-gestion avec l'État. C'est ce système qui met la corde au cou des paysan·nes, qui les exploitent pour nourrir ses profits et qui finalement les poussent à s'endetter pour s'agrandir afin de rester compétitif·ves ou disparaître. En 1968, Michel Debatisse, alors secrétaire général de la FNSEA avant d'en devenir le président, déclarait [1] : « Les deux tiers des entreprises agricoles n'ont pas, en termes économiques, de raison d'être. Nous sommes d'accord pour réduire le nombre d'agriculteurs ». Mission plus que réussie : le nombre de paysan.nes et de salarié.es agricoles est passé de 6,3 millions en 1946, à 750 000 au dernier recensement de 2020. Tandis que le nombre de tracteurs dans nos campagnes augmentait d'environ 1000%, le nombre de fermes chutait lui de 70% et celui des actifs agricoles de 82% : autrement dit, ce sont plus de 4 actifs sur 5 qui ont quitté le travail agricole en seulement quatre décennies, entre 1954 et 1997. Et la lente hémorragie se poursuit aujourd'hui…
Alors que la taille moyenne d'une exploitation en France en 2020 est de 69 hectares, celle d'Arnaud Rousseau, actuel dirigeant de la FNSEA, ancien courtier et négociant tout droit sorti d'une business school, s'élève à 700 hectares et il est à la tête d'une quinzaine d'entreprises, de holdings et de fermes, président du conseil d'administration du groupe industriel et financier Avril (Isio4, Lesieur, Matines, Puget, etc.), directeur général de Biogaz du Multien, une entreprise de méthanisation, administrateur de Saipol, leader français de la transformation de graines en huile, président du conseil d'administration de Sofiprotéol…
Les cadres de la FNSEA tout comme les dirigeants des plus grosses coopératives agricoles – abondamment représentés par la « Fédé » et ses satellites – se gavent [1] : le revenu moyen mensuel des dix personnes les mieux payées en 2020 au sein de la coopérative Eureden est de 11 500 €.
Les revenus moyens des agriculteurs brandis sur les plateaux et le mythe de l'unité organique du monde agricole masquent une disparité de revenus effarante et de violentes inégalités socio-économiques qui ne passent plus : les marges des petits producteurs ne cessent de s'éroder tandis que les bénéfices du complexe agro-industriel explosent.
Dans le monde, le pourcentage du prix de vente qui revient aux agriculteurs est passé de 40% en 1910 à 7% en 1997, selon l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO). De 2001 à 2022, les distributeurs et les entreprises agroalimentaires de la filière lait ont vu leur marge brute s'envoler de respectivement 188% et 64%, alors même que celle des producteurs stagne quand elle n'est pas simplement négative.
Une des raisons qui poussent le monde agricole à bloquer les autoroutes, à ouvrir des bouteilles de lait à Carrefour (Epinal-Jeuxey) ou à bloquer les usines Lactalis (Domfront, Saint-Florent-le-Vieil, etc.), à labourer un parking (Clermont-l'Hérault), à bloquer le port de la Rochelle, à vider des camions venus de l'étranger, à asperger de lisier une préfecture (Agen), à retourner un Macdo (Agens), à sortir c'est que les industriels intermédiaires de l'amont (fournisseurs, vendeurs d'agroéquipements, semenciers industriels, vendeurs d'intrants et d'aliments) et de l'aval des filières (les coopératives de collecte-distribution comme Lactalis, les industriels de la grande distribution et de l'agroalimentaire comme Leclerc) qui structurent le complexe agroindustriel les dépossèdent des produits de leur travail.
C'est ce pillage de la valeur ajoutée organisé par les filières qui explique, aujourd'hui, que sans les subventions qui jouent un rôle pervers de béquilles du système (en plus de profiter essentiellement aux plus gros) 50% des exploitant·es auraient un résultat courant avant impôts négatif : en bovins lait, la marge hors subvention qui était de 396€/ha en moyenne entre 1993 et 1997 est devenue négative à la fin des années 2010 (-16€/ha en moyenne), tandis que le nombre de paysans pris en compte par le Réseau d'information comptable agricole dans cette filière passe sur cette période de 134 000 à 74 000 [2]…
Les accords de libre échange internationaux (que dénoncent et la Confédération paysanne, et la Coordination rurale) mettent en concurrence les paysanneries du monde entier et ont accéléré ces déprédations économiques. Nous savons bien que, aujourd'hui, lorsque l'on parle de « libéralisation », de « gains de compétivité », de « modernisation » des structures, c'est que des fermes vont disparaître, que la polyculture élevage va régresser (elle ne représente plus que 11% des exploitations actuellement), ne laissant plus qu'un désert vert de monocultures industrielles menées par des exploitant-es à la tête de structures toujours plus endettées de moins en moins maîtres d'un outil de travail et d'un compte en banque qui finit par n'appartenir plus qu'à ses créanciers.
Le constat est sans appel : moins il y a de paysan·nes, moins ils et elles peuvent gagner leur vie, sauf à agrandir toujours et encore leur surface d'exploitation, en dévorant au passage les voisin·es. Dans ces conditions, ‘devenir chef d'entreprise' comme le promet la FNSEA, c'est en réalité se trouver dans la même situation qu'un chauffeur Uber qui s'est endetté jusqu'au cou pour acheter son véhicule alors qu'il dépend d'un donneur d'ordres unique pour réaliser son activité… Ajoutons à cela la brutalité du changement climatique (évènements climatiques extrêmes, sécheresses, incendies, inondations…) et les dérèglements écologiques entraînant dans leur sillage la multiplication de maladies émergentes et autres épizooties, et le métier devient presque impossible, invivable, tant l'instabilité est grande.
Si nous nous soulevons, c'est en grande partie contre les ravages de ce complexe agro-industriel, avec le vif souvenir des fermes de nos familles que nous avons vu disparaître et la conscience aiguë des abîmes de difficultés que nous rencontrons dans nos propres parcours d'installation. Ce sont ces industries et les méga-sociétés cumulardes qui les accompagnent, avalant les terres et les fermes autour d'elles, accélérant le devenir firme de la production agricole, et qui ainsi tuent à bas bruit le monde paysan. Ce sont ces industries que nous ciblons dans nos actions depuis le début de notre mouvement – et non la classe paysanne.
Si nous clamons que la liquidation sociale et économique de la paysannerie et la destruction des milieux de vie sont étroitement corrélées – les fermes disparaissant au même rythme que les oiseaux des champs et le complexe agro-industriel resserrant son emprise tandis que le réchauffement climatique s'accélère – nous ne sommes pas dupes des effet délétères d'une certaine écologie industrielle, gestionnaire et technocratique. La gestion par les normes environnementales-sanitaires de l'agriculture est à ce titre absolument ambigüe. À défaut de réellement protéger la santé des populations et des milieux de vie, elle a, derrière de belles intentions, surtout constitué un nouveau vecteur d'industrialisation des exploitations. Les investissements colossaux exigés par les mises aux normes depuis des années ont accéléré, partout, la concentration des structures, leur bureaucratisation sous contrôles permanents et la perte du sens du métier.
Nous refusons de séparer la question écologique de la question sociale, ou d'en faire une affaire de consom'acteurs citoyens responsables, de changement de pratiques individuelles ou de « transitions personnelles » : il est impossible de réclamer d'un éleveur piégé dans une filière hyperintégré qu'il bifurque et sorte d'un mode de production industriel, comme il est honteux d'exiger que des millions de personnes qui dépendent structurellement de l'aide alimentaire se mettent à « consommer bio et local ». Pas plus que nous ne voulons réduire la nécessaire écologisation du travail de la terre à une question de « réglementations » ou de « jeu de normes » : le salut ne viendra pas en renforçant l'emprise des bureaucraties sur les pratiques paysannes. Aucun changement structurel n'adviendra tant que nous ne déserrerons pas l'étau des contraintes économiques et technocratiques qui pèsent sur nos vies : et nous ne pourrons nous en libérer que par la lutte.
Si nous n'avons pas de leçons à donner aux agriculteur·rices ni de fausses promesses à leur adresser, l'expérience de nos combats aux côtés des paysan·nes — que ce soit contre des grands projets inutiles et imposés, contre les méga-bassines, ou pour se réapproprier les fruits de l'accaparement des terres – nous a offert quelques certitudes, qui guident nos paris stratégiques.
L'écologie sera paysanne et populaire ou ne sera pas. La paysannerie disparaîtra en même temps que la sécurité alimentaire des populations et nos dernières marges d'autonomie face aux complexes industriels si ne se lève pas un vaste mouvement social de reprise des terres face à leur accaparement et leur destruction. Si nous ne faisons pas sauter les verrous (traités de libre-échange, dérégulation des prix, emprise monopolistique de l'agro-alimentaire et des hypermarchés sur la consommation des ménages) qui scellent l'emprise du marché sur nos vies et l'agriculture. Si n'est pas bloquée la fuite en avant techno-solutionniste (le tryptique biotechnologies génétiques – robotisation – numérisation). Si ne sont pas neutralisés les méga-projets clés de la restructuration du modèle agro-industriel. Si nous ne trouvons pas les leviers adéquats de socialisation de l'alimentation qui permettent de sécuriser les revenus des producteurs et de garantir le droit universel à l'alimentation.
Nous croyons aussi à la fécondité et à la puissance des alliances impromptues. A l'heure où la FNSEA cherche à reprendre la main sur le mouvement – notamment en chassant de certains des points de blocage qu'elle contrôle tout ce qui ne ressemble pas à un agriculteur « syndiqué fédé » – nous croyons que le basculement peut venir de la rencontre entre les agriculteur·ices mobilisé·es et les autres franges du mouvement social et écologique qui se sont élevées ces dernières années contre les politiques économiques prédatrices du gouvernement. Le « corporatisme » a toujours fait le lit de l'impuissance paysanne. Comme la séparation d'avec les moyens de subsistance agricoles a souvent scellé la défaite des travailleur-ses.
Peut-être est-il temps de faire céder quelques murs. En continuant à renforcer certains points de blocage. En allant à la rencontre du mouvement pour celles et ceux qui n'y ont pas encore mis les pieds. En poursuivant ces prochains mois les combats communs entre habitant·es des territoires et travailleur·euses de la terre.
Les Soulèvements de la Terre – le 30 janvier 2024
[1] https://basta.media/enquete-Salaires-dirigeants-cooperatives-triskalia-coop-de-France-inegalites-agriculteurs-adherents#:~:text=11%20500%20euros%20%3A%20c'est,dans%20le%20Finist%C3%A8re%2C%20en%20Bretagne ;
https://www.latribune.fr/economie/france/mediapart-revele-les-salaires-des-dirigeants-de-la-fnsea-payes-par-les-cotisations-des-agriculteurs-840217.html
[2] Voir : Atelier paysan, Observations sur les technologies agricoles, « Une production agricole ne valorisant quasiment plus le travail »
https://lessoulevementsdelaterre.org/fr-fr/blog/mouvement-agricole-communique-soulevements
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La Confédération paysanne appelle à bloquer les centrales d'achat et à cibler les prédateurs du revenu paysan
Le discours de politique générale du Premier ministre n'a offert aucune perspective de long terme alors que des milliers d'agriculteur·trices sont toujours mobilisé·es. L'agriculture a besoin d'actes concrets, et pas d'être réduite à l'image d'Épinal du travailleur acharné : « force, fierté, effort, identité ! ». L'agriculture est d'abord une activité économique ancrée sur les territoires qui doit rémunérer le travail agricole.
Nous devons avoir la garantie de pouvoir vivre de notre travail. Or il n'y a encore aucun engagement de la part du gouvernement pour ouvrir un chantier sur l'interdiction d'achat en-dessous du prix de revient de nos produits agricoles. L'agriculture est le seul secteur où il y a structurellement de la vente à perte et la loi EGALIM ne l'empêche pas. La valeur du travail de celles et ceux qui nourrissent la population ne doit plus être la variable d'ajustement des filières alimentaires.
C'est pourquoi, la Confédération paysanne appelle à orienter les mobilisations en bloquant les lieux où s'exercent cette pression sur nos prix : centrales d'achats (plateforme logistique de la grande distribution), marchés de gros, industries agroalimentaires et autres prédateurs de la valeur.
Depuis ce matin, nous bloquons déjà des points stratégiques [1] de l'économie réelle de nos filières alimentaires pour engager un rapport de forces sur le sujet de fond : notre rémunération piétinée par cette économie libérale. D'autres actions vont démarrer dans les prochaines heures.
L'État va-t-il enfin interdire l'achat de nos produits agricoles en-dessous du prix de revient ou continuer à protéger les profits des dirigeants et actionnaires de l'agro-industrie et de la grande distribution ?
C'est la réponse première attendue pour répondre à la colère paysanne. Et nous l'exigerons à nouveau demain matin lors de notre entretien avec le Premier ministre à 10h.
Pour beaucoup de fermes, l'avenir est en jeu. Nous continuerons donc à nous battre pour des paysannes et paysans nombreux et rémunérés.
[1] Blocage de la centrale d'achat de ELeclerc SCA Ouest à Saint-Etienne de Montluc (Loire-Atlantique). Blocage depuis lundi matin de l'entrepôt logistique d'ALDI à Cavaillon (Vaucluse). Blocage du péage de Saint-Quentin Fallavier, le parc international de Chesnes, 1ère plateforme logistique de France (Isère).
30.01.2024
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De la colère des agriculteurs
Nous faisons face à un mouvement européen de colère des agriculteurs, qui touche maintenant la France. De quoi cette colère est-elle le nom ? Quels sont les enjeux auxquels fait face l'agriculture française ? Quelles sont les solutions ? Je fais le point dans cette note de blog.
24 janvier 2024 | tiré du blogue d'Hendrik Davi
Nous faisons face à un mouvement européen de colère des agriculteurs, qui touche maintenant la France. De quoi cette colère est-elle le nom ? Quels sont les enjeux auxquels fait face l'agriculture française ? Quelles sont les solutions ? Je fais le point dans cette note de blog.
En France, la contestation s'est d'abord traduite par le retournement de panneaux routiers par des agriculteurs, pour protester contre la politique agricole de l'Union européenne. Depuis le 16 janvier, il y a des manifestations notamment en Occitanie pour des raisons multiples : crise sanitaire pour les éleveurs de bovins et retour de la grippe aviaire, viticulteurs confrontés à une surproduction et à une baisse de la consommation, sécheresses récurrentes et crainte face à la concurrence déloyale du fait de la multiplication des accords de libre-échange et des discussions concernant l'entrée de l'Ukraine dans l'UE. Hier, la mobilisation a tourné au drame avec la mort d'une agricultrice et de sa fille en Ariège.
La FNSEA critique surtout les mesures écologiques concernant les pesticides. Dans les autres pays c'est la hausse du gazole qui a déclenché le mouvement.
Mais derrière ce mouvement, il y a un vrai malaise et une vraie crise de notre modèle agricole, sur lequel nous devons nous pencher.
Le monde agricole est au croisement de trois types d'évolution et d'enjeux difficilement conciliables : une transformation du modèle familial de l'agriculture, des besoins alimentaires qui changent et une nécessaire préservation des écosystèmes. Il est nécessaire de bien comprendre ce tableau avant de proposer des solutions.
Une agriculture sans agriculteurs
Le premier constat est que l'agriculture a subi de profondes transformations qui ont fragilisé notre modèle agricole. Le nombre de chefs d'exploitations a drastiquement diminué. Ils sont aujourd'hui 400 000 et représentent 1.5% de l'emploi total contre 7.1% il y a 40 ans[1]. Le nombre d'exploitations est lui passé de 1.5 millions en 1970 à 389 000 en 2020. La population est faiblement féminisée avec 73% d'hommes et très vieillissante, plus de la moitié des exploitants ayant plus de 50 ans.
Enfin, nous avons souvent une vision monolithique du monde agricole qui masque d'immenses disparités. D'abord, les chefs d'exploitations ne sont pas les seuls travailleurs agricoles. Il y a près de 731 000 actifs (CDI, DD, contrats saisonniers) qui sont embauchés directement par les exploitants et 185 700 par l'intermédiaire de sociétés spécialisées. La colère des exploitants ne doit pas faire oublier l'immense silence des salariés, dont certains souvent étrangers sont exploités dans des conditions inadmissibles[2].
Ensuite, si 18% des ménages agricoles vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 13 000 euros par an, le patrimoine médian net (après déduction des emprunts) des agriculteurs n'a cessé de progresser atteignant 510 500 €. Si le revenu moyen, lissé sur 10 ans est de 29 500 euros, l'éventail des revenus est très large : 10% des exploitations ont un revenu négatif, alors que les revenus les plus élevés atteignent 70 000 € pour les 10% les plus riches[3]. Certaines filières comme l'élevage sont bien plus touchées par la baisse du nombre d'exploitations et des revenus plus faibles qui sont de 18 600 euros en moyenne pour l'élevage bovin, contre 50 700 pour les grandes cultures.
Mais surtout, c'est le modèle familial qui est en crise. La présence de parents ou d'enfants renforce le célibat des agriculteurs, qui est souvent mal vécu. Aujourd'hui 80% des conjoints ont une autre activité. De nombreuses exploitations ne trouvent ainsi pas de repreneurs. Même dans le cas des grandes exploitations, la succession n'est jamais simple en dépit d'un capital élevé. L'augmentation de la taille des exploitations ne permet plus aux nouvelles générations attirées par l'agriculture de s'installer en raison du cout exorbitant de la reprise des exploitations, devenues gigantesques. Il est donc urgent de repenser la taille et la nature des exploitations agricoles et de transformer en profondeur le modèle social agricole.
Une épidémie de pauvreté, d'obésité et de profits…
Nous ne devons jamais oublier le sens de la production agricole, c'est ce qui donne sens au travail des agriculteurs. Or la perte de sens dans leur travail et le relatif divorce entre les consommateurs des zones urbaines et les agriculteurs des milieux ruraux sont des composantes du malaise actuel. L'objectif de la production agricole est de produire une alimentation saine et abordable. Dans ce contexte, la société française fait face à deux enjeux majeurs, l'insécurité alimentaire d'une part et l'obésité d'autre part.
En mars 2023, la hausse des prix s'élevait à 5,7 % sur un an pour l'ensemble des produits, et à 16 % pour les produits alimentaires. Cette inflation a accru une insécurité alimentaire qui touche maintenant près de 16% des français, alors qu'ils n'étaient que 9% en 2016 à devoir sauter des repas, selon une étude du CREDOC[4]. Pire 45% des français ne mangent pas les aliments qu'ils souhaitent selon la même étude et 41% restreignent leurs dépenses d'alimentation.
L'autre facette de la crise est l'augmentation rapide du nombre de citoyens en situation d'obésité. Leur nombre est ainsi passé dans la population globale de 8,5 % en 1997 à 17 % en 2020. Cette augmentation est encore plus rapide chez les moins de 25 ans passant de 2.1% à 9.2%[5]. Cette épidémie d'obésité est notamment la conséquence d'une alimentation de plus en plus industrielle dopée par une publicité agressive, qui propose des aliments très caloriques riches en lipides et en sucres, notamment à nos enfants[6]. L'obésité est également la conséquence de la paupérisation des ménages, 25% des personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs à 900 euros sont obèses, contre 7% de celles dont les revenus dépassent 5 300 euros[7]. Les produits ultra-transformés et les plats préparés présentent malheureusement des alternatives moins couteuses et plus adaptées lorsque ces mêmes ménages sont mal-logés, sans espace pour cuisiner ou avec des horaires décalés. Une partie de la population ne peut pas se nourrir du fait de prix trop élevés et d'autres sont addictes à la malbouffe
Cette insécurité alimentaire et cette épidémie d'obésité permettent l'enrichissement de grands groupes. L'industrialisation de la production agricole va de pair avec la captation de la valeur ajoutée par les multinationales de la transformation comme Nestlé, Danone, Lactalis et de la consommation comme Carrefour, Auchan ou Leclerc, qui accroissent la malbouffe et organisent la faible rémunération de certains agriculteurs. Le groupe Lactalis est le 10ème groupe agro-alimentaire mondial avec 28,3 milliards de chiffre d'affaires, devant Danone avec 27,7 milliards de chiffre d'affaires[8]. Le groupe Carrefour a lui pleinement profité de l'inflation avec un bénéfice net en hausse de 26% en 2022, à 1,35 milliard d'euros contre 1,07 en 2021[9].
Cette captation de valeur s'accompagne d'enrichissement personnel. Emmanuel Besnier le PDG de Lactalis est devenu la 6ème fortune de France, passant de 3 Md€ en 2007 à 13,5 Md€ en 2023[10]. La fortune de Gérard Mulliez, fondateur du groupe Auchan atteignait 22 milliards d'euros en 2022.
Comme le rapporte le MODEF, la loi EGALIM 2 n'a pas tenu ses promesses, l'inflation se poursuit alors que dans le même temps les prix agricoles sont en baisse (-31,3 % en céréales, -8,4 % en vins, -8,5 % en volailles, - 4,3% en gros bovins, - 11,2 % en œufs), quand les coûts de production sont à des niveaux très élevés.
L'agriculture est aussi percutée par des changements de pratiques alimentaires avec une baisse de la consommation de vins et de viandes bovines[11]. Un autre facteur important est la baisse des dépenses d'alimentation des ménages qui sont passés de 38% en 1950 à 18% en 2021, au détriment des communications et du logement dont la part est passée de 16% à 20%[12]. La crise immobilière et le coût du logement ont donc par ricochet évidemment un effet sur le modèle agricole.
Nous le voyons, il est très urgent de refonder globalement notre modèle économique, pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur travail et les citoyens accéder à une nourriture saine et à un prix raisonnable.
Des agroécosystèmes mis en danger par notre modèle agricole
Notre modèle agricole héritée de la révolution verte initiée à la sortie de la seconde guerre mondiale a permis une augmentation historique de la production. Entre 1945 et 1995, le rendement moyen des blés français a connu près d'un demi-siècle de hausse continue, passant de 14-15 q/ha à 70 q/ha[13].
Mais cette augmentation historique de la production s'est faite au détriment de la résilience des cultures aux évènements climatiques et au prix d'une mécanisation et d'un usage croissant d'engrais et de pesticides, qui alimentent le changement climatique et l'extinction des espèces.
La France utilise toujours plus de pesticides. Leur vente s'est accrue de près de 10% entre 2009 et 2018, passant de 64 000 tonnes à 85 000 tonnes[14]. Cet usage massif des pesticides est la première cause de l'extinction massive des populations d'insectes et d'oiseaux[15]. Les pesticides sont aussi la cause du déclin des populations d'abeille. L'agriculture est aussi le second poste d'émissions de GES de la France (19 % du total national et 85 MtCO2 eq. émis en 2019) et il diminue très peu (il était de 90 MtCO2 eq en 1991). Dans un autre registre, la surpêche touche quant à elle encore 23% des volumes pêchés[16].
Il est donc urgent de diminuer drastiquement l'usage des pesticides et des engrais et d'adapter notre agriculture en favorisant les espèces, variétés et pratiques agricoles résilientes aux sécheresses et aux attaques d'insectes. Il faut donc des normes et il faut les faire respecter pour notre environnement, mais aussi pour la santé des paysans. L'expertise de l'INSERM de 2021 confirme la forte présomption de lien entre l'exposition aux pesticides et six pathologies graves : lymphomes non hodgkiniens (LNH), myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique. Il existe aussi une présomption forte de lien entre l'exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse ou chez l'enfant et le risque de certains cancers chez les enfants, en particulier les leucémies et les tumeurs du système nerveux central…[17]
La nécessaire bifurcation de notre modèle agricole
Comme le dit François Ruffin « les injonctions lancées aux agriculteurs sont schizophréniques.
D'un côté on leur demande de monter en gamme, de diminuer les phytosanitaires. Et de l'autre on leur demande d'être compétitifs avec les fermes-usines au Brésil et bientôt en Ukraine ! ».
Les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement de leur travail, nous devons tendre vers la souveraineté alimentaire, et en même temps nous devons respecter l'environnement !
Pour ça, ils doivent être protégés de la concurrence sauvage et des multinationales. Le groupe LFI-NUPES a fait un certain nombre de propositions en ce sens.
Il faut en finir avec l'augmentation des échanges internationaux, qui mettent en concurrence les agriculteurs du monde entier. Nous n'avons jamais autant importé et exporté de matières agricoles. Nous sommes par exemple importateurs de fruits et légumes. Nous avons déposé une proposition de résolution européenne, pour un moratoire sur les accords de libre-échange. Plus largement, nous demandons au gouvernement d'appliquer en urgence la clause de sauvegarde pour empêcher toute importation agricole ne respectant pas ces règles, qui mettent en danger notre santé et représentent une concurrence déloyale.
Il faut améliorer la situation sociale des salariés et des exploitants agricoles. Nous proposons de relever les retraites agricoles au niveau du SMIC revalorisé (1600€ net par mois) pour une carrière complète, y compris pour les retraités actuels. Nous devons aider au désendettement des agriculteurs, en créant une caisse de défaisance pour reprendre la dette agricole de celles et ceux qui s'engagent au travers d'un contrat de transition à passer au 100 % bio.
Il faut améliorer la situation des agriculteurs. Nous proposons de mettre en place un mécanisme d'entraide et de remplacement afin de reconnaître le droit à des congés.
Il faut accroitre les débouchés locaux en appliquant des critères locaux à la commande publique, par exemple en s'approvisionnant à 100% en produits bio et locaux dans les cantines scolaires. C'est la meilleure façon de lutter contre l'épidémie d'obésité. Nous proposons aussi d'augmenter le SMIC, tous les salaires, les retraites, et les minimas sociaux pour permettre à tous de se fournir en produits locaux et de qualité. De meilleurs salaires, c'est plus de débouchés pour nos paysans. C'est la meilleure façon de lutter contre l'insécurité alimentaire.
Il faut redistribuer la valeur ajoutée captée par l'industrie aux agriculteurs. Nous redéposons notre proposition de loi pour des prix planchers rémunérateurs pour les agriculteurs. Nous devons nous attaquer aux profits des multinationales qui enrichissent indument leurs actionnaires.
Enfin, pour bifurquer de modèle agricole, il faut changer de modèle européen. La concurrence libre et non faussée ne doit plus être l'alpha et l'oméga de nos politiques. Nous demandons la refonte du Plan stratégique national de la PAC avec des aides à l'actif plutôt qu'à l'hectare, le doublement des aides aux petites et moyennes exploitations, le triplement des mesures agroenvironnementales et climatiques et des aides à l'installation, et le doublement des aides à la conversion à l'agriculture biologique…
Pour bifurquer de modèle agricole, nous devrons créer au moins 300 000 nouveaux emplois agricoles, ce qui nécessite de mieux subventionner l'enseignement technique agricole et éviter que les programmes ne soient dictés par les grands groupes.
Il est urgent de mettre en œuvre ces solutions pour sauver à la fois nos agriculteurs et nos agroécosystèmes.
Notes
[1] Hervieu, Bertrand, et François Purseigle. Une agriculture sans agriculteurs : La révolution indicible. Paris : Les Presses de Sciences Po, 2022.
[3] https://www.cairn.info/revue-economie-rurale-2021-4-page-57.htm
[6] L'autre phénomène majeur est le manque d'activité physique qui est favorisé par le rôle croissant des écrans et du numérique.
[8] https://www.lsa-conso.fr/croissance-record-pour-lactalis-en-2022,435549
[10] https://www.challenges.fr/classements/fortune/emmanuel-besnier-et-sa-famille_26542
[11] https://www.franceagrimer.fr/content/download/71709/document/SYN-VIA-Conso%20viande%20Fce2022.pdf
[12] https://www.economie.gouv.fr/facileco/50-ans-consommation#
[14] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/media/5399/download?inline
[15] https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2216573120
[17] https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/
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En Grèce, malgré les menaces, le mouvement étudiant se renforce !
Le mouvement des étudiantEs mais aussi des personnels des universités contre le projet obsessionnel de la droite grecque de créer des facs privées (voir l'Anticapitaliste du 18 janvier) semble avoir pris au dépourvu le gouvernement de Mitsotakis qui s'illusionne après sa victoire électorale de juin sur sa capacité à faire passer toutes ses mesures désastreuses contre le camp des travailleurEs et des jeunes.
Tiré de Gauche anticapitaliste
4 février 2024
Par Andreas Sartzekis
Ses réactions, après trois semaines de très grosses mobilisations, prouvent avant tout sa peur des mauvaises idées que le mouvement pourrait donner à toute une série de secteurs – des mobilisations paysannes ont commencé, et les paysans de la région de Larissa, sinistrée après les inondations de l'automne, ont eu droit aux charges des Mat [l'équivalent des CRS].
Disqualification et répression du mouvement
La réaction du gouvernement est de deux ordres. D'abord, il tente de faire passer la mobilisation pour un mouvement minoritaire et violent. Quitte à faire s'embrouiller ses piliers : pour la manif du 18 janvier à Athènes, la police indiquait 5 000 manifestantEs, mais la chaîne de télé Skaï, chien de garde de la droite, osait n'en voir qu'à peine 1 000 ! Du coup, la police a pris les devants pour la manif du 25, en annonçant pour Athènes 1 000 manifestantEs pour un cortège bien plus gros que les deux semaines précédentes : au moins 8 000 dans la rue ! Ces derniers jours, les journaux de la droite titrent sur les « Assemblées générales de la terreur » ou sur les « Occupations par quelques-uns » opposées aux « Examens voulus par la majorité ».
Ensuite, le gouvernement lance le chantage aux examens qui de fait s'inscrit dans une ligne répressive croissante : le ministre de l'Éducation veut contourner le mouvement d'occupations en obligeant les directions des universités à organiser les examens semestriels, si nécessaire en distanciel (ce qui avait été catastrophique pendant la période de la pandémie !). Et comme bien sûr un certain nombre d'administrations rechignent (elles savent elles aussi le danger de la création de facs privées), les menaces sur des baisses de financement sont proférées.
Face à cela, les présidents d'université viennent d'affirmer que les examens doivent être passés « d'une manière ou d'une autre », mais la réponse sur cette passation, qui n'est pas une mince question dans une période de chômage jeune restant très fort, viendra certainement des équipes enseignantes et des AG. En dernier lieu, la répression vise avant tout les jeunes : présence policière suffocante, intervention policière ou judiciaire contre telle ou telle occupation, et même convocation à la police de collégienNEs dénoncéEs par leur directrice pour participation à l'occupation de leur collège en Crète. Sans oublier les agressions fascistes : une lycéenne membre de l'organisation des jeunes de nos camarades de NAR a été agressée au Pirée, ce qui a entraîné une manif de riposte antifasciste.
Une mobilisation qui fragilise le « gouvernement des 41% »
Début janvier, le porte-parole du gouvernement affirmait que le projet de loi « Université libre » (!!) serait déposé pour être voté fin janvier. En cette fin janvier, le gouvernement n'a toujours pas déposé ce projet, ce qui est déjà une première victoire. Cela tient sûrement à deux raisons. Tout d'abord, même si depuis deux ans, la droite a pu avancer dans son projet de privatisation/marchandisation, elle bute sur l'obstacle de l'article 16 de la Constitution, qui est formel : l'enseignement supérieur est public et gratuit. Elle tente donc de le contourner en s'appuyant sur un autre article, mais personne n'est dupe, et plus le gouvernement qui voulait passer en force tarde à déposer son projet, plus la fragilité constitutionnelle de son bricolage sera connue et risque de faire désordre. Le porte-parole parle désormais de fin février pour le vote, et la mobilisation, dont les manifs athéniennes s'achèvent de manière spectaculaire devant le parlement, vise à empêcher le dépôt du projet.
L'autre raison renvoie à une évidente difficulté de Mitsotakis dans la période. Montré du doigt y compris au sein des instances européennes pour ses atteintes aux droits (scandales des écoutes, attaques contre la liberté de la presse, comme vient de l'illustrer un procès mené par son neveu, ex-numéro 2 du gouvernement, contre le journal Efimerida ton Syntakton et d'autres médias), il a besoin, sur fond de mécontentement croissant contre la vie chère (en un an, la bouteille d'huile d'olive, base de la cuisine grecque, a plus que doublé son prix), de soigner sa prétention à se faire passer pour moderniste libéral.
L'un de ses actuels projets, annoncé lors de sa campagne électorale, est de faire voter le mariage homosexuel. Or, la droite grecque, liée très fortement à une église orthodoxe (religion d'État) très réactionnaire, se divise, avec une fronde interne très forte – le tiers de ses députéEs ne voteraient pas une telle loi – et on assiste à des coups tordus étonnants. Alors que l'un des ministres issus de l'extrême droite, Voridis, ex-dirigeant des jeunesses de la junte militaire (1967-74) a fait savoir qu'il ne voterait pas un tel droit, un autre ministre d'extrême droite, Georgiadis, connu pour avoir publié des textes bêtes et odieux contre l'homosexualité, tente quant à lui de convaincre la partie réticente de la droite de voter le projet… Mitsotakis pensait peut-être faire passer son projet de facs privées comme un élément de sa politique « moderniste », mais vu la grave tension que provoque ces jours-ci le projet de mariage homosexuel, il est peut-être plus prudent pour lui d'attendre un tout petit peu pour éviter l'extension à une grave crise politique. Même si la gauche reste non crédible dans les sondages, ce sont 58 % des sondéEs qui se déclarent aujourd'hui mécontents de la politique de ce gouvernement…
Consolidation du mouvement
Les étudiantEs en sont bien conscientEs : la situation est difficile, face à un gouvernement disposant de tous les moyens pour salir et réprimer le mouvement, et d'autant plus dangereux qu'il se sait actuellement en difficulté. Mais fort de mobilisations répétées depuis 2019, fort aussi de l'affaiblissement de la droite étudiante (qui était première aux élections étudiantes jusqu'à peu), le mouvement s'est bien préparé à s'opposer à un projet de loi qui rendrait encore plus fragiles le droit et les possibilités de poursuivre des études.
Même chose du côté des personnels enseignants et administratifs : dans la manif athénienne du 25 janvier, ils et elles étaient plusieurs centaines dans la rue, renforcés par l'arrêt de travail déposé par les deux fédérations du primaire et du secondaire, DOE et OLME. Les enseignantEs du supérieur multiplient d'ailleurs les réunions et textes d'information sur ce que signifierait pour la Grèce l'introduction des universités privées. Et dans le secondaire, ce sont non seulement les enseignantEs mais aussi les élèves qui se mobilisent, et contre le projet de loi universitaire, et contre l'état déplorable et dangereux de nombreux établissements publics. Le 25, ils et elles étaient en nombre à Athènes, dans un cortège très décidé et très animé !
Ce qui fait la force de la mobilisation actuelle, ce sont trois éléments : d'abord, la participation aux AG. Prin, le journal de NAR, donnait des chiffres : dans de nombreux endroits, on a eu des AG de 600 à 900 étudiantEs. Et ce n'est pas la « terreur » dénoncée par la presse de droite qui y règne, mais la volonté de s'informer et de décider. Même la droite vient parfois y participer, ce qui se conclut par un rejet de ses propositions. Mais l'autre atout du mouvement, dans la grande tradition des mobilisations jeunes en Grèce, ce sont les occupations : ce sont bien plus de la moitié des départements universitaires qui sont aujourd'hui occupés, et dans ce contexte, le chantage aux examens perd en efficacité face à la priorité : « Non à la dévalorisation de nos diplômes, gratuité des études ! Les étudiantEs ne sont pas des clientEs ! ». Et bien sûr, les trois journées nationales de manifestations ont été des temps forts, d'autant qu'à côté des grandes manifs à Athènes, Salonique ou Patras, les étudiantEs sont descenduEs dans la rue dans toute une série de villes moyennes dotées de départements universitaires. Enfin, même s'il y a des obstacles, la tendance est à la coordination du mouvement, gage d'efficacité.
La prochaine journée nationale de mobilisation aura lieu ce jeudi 1er février, a priori sous les mêmes formes. Étendre le mouvement, peut-être déjà à toute l'Éducation (nouvelle tentative de la droite d'imposer aux enseignantEs du primaire et du secondaire des évaluations sanctions), lier cette lutte à d'autres secteurs, font partie des discussions sur la suite de cette lutte difficile mais massive et porteuse d'espoirs sur la dynamique qu'elle contribue à créer.
Solidarité avec la mobilisation des étudiantEs contre la marchandisation de l'éducation !
*
Article initialement publié sur l'Anticapitaliste, le 1er février 2024.
Image : Manifestant·e·s contre le nouveau projet de loi du gouvernement sur l'éducation défilant jusqu'au Parlement grec à Athènes le 9 juin. (source : 902.gr)
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« Des tensions s’accumulent dans la société ukrainienne en raison des politiques néolibérales imposées par le gouvernement »
Oksana Dutchak membre de la rédaction de Commons
Après 2 ans de guerre, comment voyez-vous la situation en Ukraine ?
Après deux ans de guerre, la situation est à la fois la même et différente. La guerre continue, mais il y a des changements dus au contexte – tant interne qu'externe. Tous ces changements étaient prévisibles dès le début dans un scénario très probable d'une guerre prolongée (ce qui ne veut pas dire que beaucoup, moi y compris, n'espéraient pas des scénarios plus positifs mais moins probables).
Nous avons été témoins des diverses tensions qui s'accumulent dans la société ukrainienne – la plupart d'entre elles sont causées par les politiques néolibérales prévisibles, imposées par le gouvernement sous prétexte de temps de guerre. Utilisant la justification des difficultés économiques et l'idéologie du capitalisme de « libre marché », au lieu de soutenir les droits sociaux universels, endommagés par la crise économique, le gouvernement défend les intérêts des entreprises au détriment des droits des travailleurs, du soutien social de l'existant et des nouveaux groupes défavorisés émergents. Ces mesures vont totalement à l'encontre de la logique de toutes les politiques centralisées et (dans une certaine mesure) à orientation sociale relativement efficace, mises en œuvre ailleurs pendant des guerres.
En raison de ces politiques, qui sont la continuation idéologique des années précédentes, la mobilisation générale des efforts de la population et l'unité relative de la société ukrainienne sont en constante érosion. Après les premiers mois de mobilisation pour défendre leurs communautés, de nombreuses personnes hésitent désormais (et certaines s'y opposent) à l'idée de risquer leur vie. Il y a de nombreuses raisons à cela, par exemple la relative localisation de la menace russe, l'attente irréaliste d'une « victoire » rapide (promue par une partie de l'establishment politique et certains faiseurs d'opinion dominants) et la déception qui en résulte, et de nombreuses contradictions d'intérêts et les situations et les choix des individus dans le chaos structuré d'une guerre prolongée. Cependant, le sentiment d'injustice joue un rôle prépondérant. D'un côté, il y a le sentiment d'injustice par rapport au processus de mobilisation, où les questions de la richesse et/ou de la corruption conduisent à mobiliser majoritairement (mais pas exclusivement) des classes populaires, ce qui va à l'encontre de l'image idéale de la « guerre populaire » à laquelle participe toute la société. Et de plus quelques cas d'injustice au sein de l'armée s'ajoutent à cela. D'un autre côté, l'absence d'une réalité et de perspectives d'avenir relativement attractives et socialement justes joue un rôle important dans les choix individuels de toutes sortes.
Bien sûr, cela ne signifie pas que l'ensemble de la société a décidé de s'abstenir de lutter contre l'agression russe, bien au contraire : la plupart comprennent les sombres perspectives qu'imposeraient une occupation ou un conflit gelé, qui pourraient s'intensifier avec les efforts renouvelés [de la Russie]. Alors que la majorité s'oppose à de nombreuses actions du gouvernement et peut même le détester (une attitude traditionnelle dans la réalité politique de l'Ukraine depuis des décennies), l'opposition à l'invasion russe et la méfiance à l'égard de tout éventuel accord de « paix » avec le gouvernement russe (qui a violé et continue de violer tout, depuis les accords bilatéraux jusqu'au droit international et au droit international humanitaire) sont plus fortes et il est très peu probable que cette situation change à l'avenir. Cependant, une vision socialement juste des politiques menées pendant la guerre et de la reconstruction d'après-guerre est une condition préalable pour canaliser les luttes individuelles pour la survie vers un effort conscient de lutte communautaire et sociale – contre l'invasion, pour la justice socio-économique.
Le contexte externe a également changé régulièrement. Il y a eu de nouvelles escalades dans différentes parties du globe, qui sont, comme l'invasion russe, des symptômes supplémentaires de la périphérie « en feu » provoquée par le déclin de l'hégémonie et qui résulte d'une nouvelle course à la lutte pour les « sphères d'influence », ainsi dans des conflits régionaux et internationaux tant pour l'hégémonie régionale que mondiale. Ces escalades, ainsi que certains échecs majeurs de la diplomatie ukrainienne (par exemple, la rhétorique sur la « civilisation », qui aliène, en fait, les gens au-delà du monde occidental) et les tendances populistes de droite dans de nombreux pays, ont un impact négatif sur le soutien international à la société ukrainienne.
À la lumière de cette dynamique, il est extrêmement important de développer intérieurement et de soutenir extérieurement le mouvement ouvrier et les autres forces progressistes en Ukraine. Il est également important pour le mouvement progressiste ukrainien d'établir des liens et des solidarités mutuelles avec les luttes de libération, les mouvements ouvriers et autres luttes progressistes dans d'autres parties du monde. Je ne crois pas qu'il soit possible d'inverser la vague de la renaissance impérialiste et néocoloniale mondiale ou du populisme de droite dans un avenir proche. Mais nous devons développer une infrastructure de gauche pour les luttes à venir. Nous sommes arrivés à cette sombre étape sans y être préparés et nous devons faire de notre mieux pour éviter qu'un tel scénario ne se reproduise à l'avenir.
Quelle est la situation de Commons et quels sont vos projets ?
Nous continuons à travailler malgré toutes ces circonstances, y compris la plus douloureuse : la perte d'un éminent économiste, notre rédacteur en chef et ami Oleksandr Kravchuk, la perte d'un éminent gonzo-anthropologue, notre auteur et ami Evheny Osievsky et quelques autres amis, collègues, camarades, dont certains ont été tués au combat. De plus, certains de nos rédacteurs et auteurs se sont portés volontaires dans l'armée, d'autres sont très occupés par les collectes de fonds et de fournitures pour les besoins humanitaires et de soutien aux volontaires de gauche et antiautoritaires. D'autres encore sont dispersées à travers le pays et au-delà des frontières en tant que personnes déplacées à l'intérieur du pays ou réfugiées, gérant leur survie individuelle et étant ou devenant parfois des mères célibataires en raison des déplacements de population et de la guerre.
Au cours de la première année de l'invasion à grande échelle, nous avons considéré trois tâches importantes pour nous en tant que média de gauche : s'engager dans des débats de gauche sur l'invasion impérialiste russe, raconter les réalités de la guerre et son impact sur la population ukrainienne et les réfugiés ukrainiens à l'étranger, intervenir avec une perspective critique sur les politiques et réformes en cours et prévues par le gouvernement ukrainien. Au fil du temps, à la fin de 2022, nous avons estimé que la plupart des gens avaient fait leur choix et que peu pouvaient être convaincus de changer de position – même si nous sommes reconnaissants à ceux qui continuent d'intervenir dans ce débat de gauche en solidarité avec peuple ukrainien. De notre côté, nous avons résumé nos positions dans un numéro, disponible en ligne et en version imprimée (les revenus de la vente vont à Solidarity Collectives) : un recueil des textes de notre site Internet, que nous considérons comme les plus importants.
Nous avons repensé le déroulement de ces débats et trouvé la direction sur laquelle nous avons décidé de concentrer nos efforts. Nous avons estimé que trop peu de ponts directs étaient établis entre l'expérience ukrainienne et les expériences d'autres pays périphériques confrontés à des guerres, à des dépendances à l'égard de la dette, à des austérités et à des luttes contre celles-ci. C'est ainsi qu'est né le projet « Dialogues des périphéries » et une partie de nos rédacteurs le considèrent comme notre objectif principal dans un avenir proche. Bien sûr, d'autres sujets demeurent et nous continuons à écrire sur les problèmes et les luttes en Ukraine, sur l'histoire, la culture, l'écologie et sur différentes questions importantes. Nous continuons à parler de l'auto-organisation du peuple en Ukraine – soit sous forme d'initiatives bénévoles, soit sous forme de syndicats. En 2023, nous avons réussi à le faire dans une série de reportages vidéo « Regardez ça ! » et avons même réalisé un court documentaire sur le mouvement des infirmières en Ukraine.
Je dois souligner que tout cela serait impossible sans notre rédaction et nos auteurs, ainsi que sans le soutien de nombreuses organisations de gauche, d'initiatives et de personnes étrangères.
Qu'espérez-vous pour l'année 2024 ?
Il existe différents niveaux d'espoir. J'ai mes espoirs personnels. J'ai également un rêve que je partage avec la plupart des Ukrainiens : que la guerre se termine d'une manière qui soit favorable à un avenir démocratique et socialement juste en Ukraine, ou du moins d'une certaine manière qui n'empêche pas de fortes luttes pour un tel avenir. Mes espoirs personnels et mes rêves généraux sont bien sûr liés. À l'été 2023, je suis revenue d'Allemagne à Kyiv, que je considère comme ma ville depuis déjà quelques années et je ne veux plus aller nulle part. Je ne suis pas naïve et je comprends que notre rêve d'une fin favorable de la guerre en 2024 n'est probablement qu'un rêve. Mais il faut un rêve pour fonder ses espoirs dessus.
Quant à Commons/Spilne, nous espérons poursuivre notre travail, écrire et raconter ce qui est important pour nous et être utile aux luttes progressistes en Ukraine. Nous espérons poursuivre les Dialogues des périphéries, pour informer les lecteurs ukrainiens sur les contextes, les problèmes et les luttes dans d'autres pays ; établir des liens et une compréhension avec des personnes vivant dans d'autres réalités périphériques, dans l'espoir de contribuer à la solidarité mutuelle dans les luttes progressistes.
Oksana Dutchak membre de la rédaction de Commons
3 février 2024
Propos recueillis par Patrick Le Tréhondat
1 Voir « Commons : un intellectuel collectif de gauche ukrainien »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/05/16/commons-un-intellectuel-collectif-de-gauche-ukrainien/
Illustration : https://commons.com.ua/en/

Mouvement social (Sotsialnyi Rukh - Ukraine) : De l’Ukraine à la Palestine - L’occupation est un crime
La guerre dans la bande de Gaza dure depuis plus de deux mois.
Le Mouvement Social (Ukraine) s'engage pour une paix juste au Proche-Orient, pour laquelle il est nécessaire d'éliminer l'oppression structurelle des Palestiniens et la violence systématique à l'encontre de la population civile. Notre organisation condamne l'attaque sanglante menée le 7 octobre 2023 contre la population civile dans le cadre de l'attaque du mouvement islamiste militarisé Hamas contre Israël. Les massacres brutaux de femmes des kibboutzim, de travailleurs étrangers, de Bédouins et d'autres civils, qui ont coûté la vie à plus d'un millier de personnes, ainsi que l'enlèvement de civils en tant qu'otages, ne peuvent avoir aucune justification.
Cependant, nous condamnons l'opération "Glaive de fer" lancée par le gouvernement d'extrême droite de Netanyahou en réponse à l'attaque du 7 octobre, ainsi que les crimes de guerre commis dans le cadre de cette opération. Les actions de l'armée israélienne dans la bande de Gaza sont punitives à l'égard de l'ensemble de sa population, dont près de la moitié sont des enfants. Israël a imposé un siège total à la bande de Gaza, qui fait l'objet d'un blocus illégal israélo-égyptien depuis 2007, empêchant l'approvisionnement en eau, en électricité, en nourriture et en médicaments des plus de 2 millions d'habitants de Gaza, transformant la bande de Gaza en "la plus grande prison à ciel ouvert du monde".
Selon diverses données fournies par des organisations internationales, quelques semaines après cette opération, jusqu'à 18 000 civils, dont 7 800 enfants, ont été tués et 50 000 autres personnes ont été blessées ; 85 % des quelque 2 millions d'habitants de la bande de Gaza ont été contraints de fuir leur domicile. Plus de 200 travailleurs médicaux et plus de 100 employés de l'ONU figurent parmi les morts. Les Nations unies confirment qu'au moins la moitié de la population de Gaza est réduite à la famine. Il semble inacceptable de justifier l'imposition d'une catastrophe humanitaire et la terreur d'une puissante machine militaire contre la population civile sous le prétexte d'une "guerre contre le terrorisme", comme l'ont fait les Russes en Ichkérie/Tchétchénie ou les Américains en Irak.
La prochaine opération militaire d'Israël dans la bande de Gaza est tout le contraire d'une résolution efficace du conflit. Cette politique dure depuis des décennies, depuis que l'État d'Israël, après une confrontation avec les pays arabes voisins, renforcée par les politiques coloniales britanniques, a déplacé des centaines de milliers de Palestiniens de leur terre, après quoi des millions de leurs descendants ont été condamnés à fuir (événements connus sous le nom de Nakba - "catastrophe" en arabe). Les autorités israéliennes continuent d'ignorer les nombreuses résolutions de l'ONU, dont la dernière, adoptée le 27 octobre par 120 des 193 États membres de l'Assemblée générale, appelait à un cessez-le-feu. Les rapports des Nations unies et des organisations de défense des droits de l'homme ont à maintes reprises comparé la ségrégation des Palestiniens pratiquée par Israël au régime d'apartheid d'Afrique du Sud.
Les colons israéliens, dont beaucoup sont des fanatiques militants, poursuivent leur politique de colonisation et de violence à l'encontre de la population palestinienne de Cisjordanie avec la connivence des autorités israéliennes, qui humilient, détiennent arbitrairement et tuent quotidiennement des hommes, des femmes et des enfants palestiniens. Avant même les événements de cette année, selon les calculs de l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme Bezelem, les Israéliens ont tué plus de 10 000 Palestiniens et Palestiniennes depuis 2000.
En outre, la règle générale est la disproportion de la violence de la part d'Israël, avec laquelle il répond même à des manifestations exclusivement pacifiques. Par exemple, lors de la répression de la [Grande Marche du Retour] des Palestiniens vers le mur qui bloque Gaza, les forces de sécurité israéliennes ont tué 195 Palestiniens, dont 41 mineurs [en un an depuis mars 2018] (données du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU). Et en ce qui concerne le nombre de Palestiniens tués en Cisjordanie, 2023 est devenue une année record depuis que l'ONU tient des statistiques (et ce, depuis octobre, lorsque les forces de sécurité israéliennes ont tué plus d'une centaine de personnes dans cette partie de la Palestine, qui ne compte aucune base du Hamas). La réaction indifférente de la communauté mondiale, qui s'est contentée d'exprimer sa "profonde inquiétude", a renforcé le désespoir des habitants de la région quant à la possibilité de résoudre le conflit par des moyens pacifiques, ce que les forces fondamentalistes utilisent.
L'actuel gouvernement Netanyahou, lui aussi rempli de réactionnaires et de fanatiques religieux qui déshumanisent ouvertement les Palestiniens et appellent à leur meurtre et à leur génocide, est allé encore plus loin que ses prédécesseurs. À un moment donné, Israël lui-même a joué un rôle non négligeable en supplantant la résistance à l'occupation, principalement laïque et non violente, des Palestiniens à l'époque de la première Intifada, par une variété plus à droite, plus violente et plus fondamentaliste. Netanyahou et ses fonctionnaires ont admis avoir encouragé les réactionnaires et les fanatiques religieux du Hamas, parce que cela a affaibli l'Autorité palestinienne, introduit une discorde supplémentaire dans la condition des Palestiniens et saboté les perspectives de construction d'un État souverain pour eux.
Cette politique imprudente n'a pas changé, même après que les services de renseignement égyptiens, mais aussi israéliens, ainsi que des militaires en activité ou à la retraite, aient mis en garde contre une éventuelle escalade résultant du blocus et de la politique coloniale. Ainsi, l'ancien chef de la marine israélienne et des services secrets Shabak, Ami Ayalon, a averti que "lorsque les Palestiniens nous voient détruire leurs maisons, la peur, la frustration et la haine augmentent. Ce sont ces raisons qui poussent les gens vers les organisations terroristes".
Netanyahou, comme d'autres conservateurs, a constamment utilisé la rhétorique de la "défense contre les menaces" pour justifier ses attaques contre les libertés démocratiques et la poursuite du renforcement de l'appareil de sécurité, qui n'a toutefois pas empêché les attaques du Hamas depuis Gaza, mais qui s'est plutôt préoccupé de terroriser les Palestiniens en Cisjordanie. Après tout, la spirale sans fin de la violence n'a pas amélioré et n'améliorera pas la sécurité de quiconque, à l'exception des forces conservatrices et nationalistes extrêmes. Une telle atmosphère a déjà conduit à la Knesset et au gouvernement les plus à droite de l'histoire d'Israël. Et la guerre actuelle a fourni une indulgence au cabinet Netanyahu contre lequel des manifestations de masse se sont poursuivies pendant la majeure partie de l'année 2023 (de manière caractéristique, un sondage réalisé à la veille de l'escalade a montré que la majorité de la population de Gaza ne faisait pas confiance au mouvement Hamas, qui, il y a plus d'une décennie et demie, après un conflit civil avec le Fatah, a mis en place un gouvernement autoritaire à parti unique dans la région).
Dans le même temps, le courant dominant des deux principaux partis du principal mécène d'Israël - les États-Unis - s'est montré immédiatement prêt à apporter un soutien militaire et diplomatique inconditionnel à la quasi-totalité des actions du gouvernement israélien. Ici, tant le contraste avec les hésitations concernant les livraisons d'armes à l'Ukraine que le désir des cercles les plus réactionnaires de la classe dirigeante américaine - l'aile droite du Parti républicain - de financer le nettoyage ethnique et les aventures du gouvernement Netanyahou aux dépens de la privation de l'aide aux Ukrainiens sont notables. En cela, les Trumpistes sont semblables à beaucoup d'autres forces d'extrême droite en Occident : comptant de nombreux antisémites dans leurs rangs, ces partis protègent en même temps la capacité des forces de sécurité israéliennes et russes à tuer en toute impunité des habitants de la Palestine et de l'Ukraine.
Qui plus est, Washington a lui-même contribué à la montée actuelle des tensions, en soutenant exclusivement depuis l'administration Trump l'empiètement d'Israël sur Jérusalem en tant que capitale. Aujourd'hui, les États-Unis opposent leur veto aux initiatives du Conseil de sécurité de l'ONU, telles que la proposition brésilienne de corridors humanitaires ou la dernière résolution sur le cessez-le-feu du 8 décembre, qui a été votée par 13 des 15 membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Comme dans le cas de l'invasion russe de l'Ukraine, cela prouve une fois de plus que les membres permanents de l'ONU devraient être privés de leur droit de veto qui paralyse la capacité de la communauté internationale à mettre fin au carnage.
L'agression massive de la Russie contre l'Ukraine a accru le climat de tension internationale et d'impunité, permettant l'escalade d'une série de conflits qui mettent des communautés entières au bord de la survie, comme cela s'est déjà produit avec la population arménienne du Haut-Karabakh à la suite des actions agressives du régime d'Aliyev en septembre de cette année. Le cycle actuel de confrontation au Moyen-Orient est du même ordre et a entraîné des tendances inquiétantes dans le reste du monde, en particulier une montée en flèche de l'antisémitisme et de l'islamophobie (jusqu'à des tentatives de pogroms juifs, comme dans le Caucase du Nord contrôlé par la Russie de Poutine, des attaques armées contre des Palestiniens comme les étudiants du Vermont, ou le meurtre de personnes comme le garçon palestinien à Chicago ou la fusillade par la police de touristes juifs et d'un guide local en Égypte).
Malheureusement, la réaction des autorités ukrainiennes révèle également une approche extrêmement partiale et unilatérale : condamnant à juste titre les attaques contre les civils en Israël et honorant les morts, elle préfère en même temps ignorer les civils morts en Palestine. Bien que la diplomatie ukrainienne aux Nations unies ait toujours condamné l'occupation illégale des terres palestiniennes et les autres violations commises par Israël dans presque tous les cas, les autorités ukrainiennes adoptent une position ambivalente sur l'occupation russe et fournissent les derniers précédents à suivre. Au lieu de cela, la rhétorique honteuse de diabolisation des Palestiniens, les déclarant tous, des nourrissons aux personnes âgées, comme des "terroristes", prévaut dans les médias ukrainiens.
Oui, il faut être conscient que pour de nombreux "amis" autoproclamés de la Palestine, qu'il s'agisse de partenaires et de sponsors bien connus du Hamas, comme les autorités autoritaires du Qatar, de la Turquie, de l'Iran, de l'Arabie saoudite ou de la Russie (qui a entretenu des relations amicales avec le gouvernement Netanyahou et le Hamas), la tragédie du peuple palestinien n'est qu'une monnaie d'échange. Mais réduire les Palestiniens à des "mandataires de Téhéran et du Kremlin" dans l'espace d'information national est une caricature aussi analphabète et scandaleuse que la justification par "mandataire" de l'agression russe contre l'Ukraine.
C'est plutôt en Ukraine qu'il faut comprendre la souffrance du peuple palestinien : là aussi, l'occupation par un État qui possède des armes nucléaires et une supériorité dans les forces armées se poursuit, au mépris des résolutions de l'ONU et du droit international, en niant les droits à la subjectivité et à la résistance. La tragédie que nous vivons actuellement devrait aiguiser notre sensibilité aux expériences humaines similaires dans tous les coins du monde. La lettre ukrainienne de solidarité avec le peuple palestinien, publiée sur la plateforme du site web du magazine "Spilne", témoigne de ces voix alternatives à la voix officielle, qui affirment le droit universel à l'autodétermination et à la résistance à l'occupation.
Dans son poème, l'écrivaine arabe Hiba Kamal Abu Nada demande : "Comme vous êtes seuls, notre solitude, quand ils gagnent leurs guerres", quand "votre terre est vendue aux enchères et que le monde est un marché libre... C'est l'âge de l'ignorance, quand personne n'intercédera pour nous". La poétesse de 32 ans est devenue l'une des milliers de victimes civiles des frappes aériennes israéliennes de cette année. Le devoir du monde est de ne pas laisser les opprimés seuls, surtout lorsqu'ils sont menacés d'extermination physique. De ne pas supporter les bombes et les roquettes qui volent sur leurs têtes. Ni en Ukraine, ni en Palestine.
C'est pourquoi le "Mouvement social" appelle à un cessez-le-feu immédiat et à l'admission de l'aide humanitaire dans la région, et exprime également son soutien au peuple palestinien dans son désir légitime d'une paix juste et durable.
First published at Sotsialnyi Rukh. 31 janvier 2024
https://ukraine-solidarity.eu/manifestomembers/get-involved/news-and-analysis/news-and-analyses/social-movement-ukraine-from-ukraine-to-palestine-occupation-is-a-crime
First published at Sotsialnyi Rukh.
(Traduction : Deepl.com)
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Ukraine : 2 ans de guerre, un point de vue féministe ukrainien
Après 2 ans de guerre, comment voyez-vous la situation en Ukraine ?
Au cours des deux dernières années, la société ukrainienne a connu des changements spectaculaires dans son mode de vie et ses visions. Cette transformation est également évidente parmi les militantes féministes et les femmes* en général.
La guerre a suscité un débat sur la question de savoir si les mouvements féministes devaient être clairement antimilitaristes. À une époque où les Ukrainiens sont confrontés à la menace d'anéantissement physique, la position antimilitariste de certaines féministes occidentales apparaît comme un privilège, aveugle aux menaces et aux dangers réels auxquels les femmes ukrainiennes sont confrontées quotidiennement. Les féministes ukrainiennes ont adopté un message clé en ces temps difficiles : l'Ukraine a besoin d'armes. Elle a besoin d'armes défensives, comme des systèmes de défense aérienne pour protéger son ciel des attaques constantes de missiles russes qui dévastent les villes ukrainiennes et tuent des civils, ainsi que d'armes offensives pour reprendre les territoires occupés à l'agresseur.
La guerre a touché tout le monde en Ukraine. Alors que certaines régions semblent « normales » et exemptes d'hostilités directes, les attaques à la roquette et les menaces constantes de la Russie persistent. Presque tout le monde a un proche qui sert dans l'armée ou a perdu quelqu'un au cours de ces années. Les Ukrainiens sont contraints de surmonter les traumatismes personnels et collectifs, l'incertitude quant à l'avenir, les menaces militaires quotidiennes et les difficultés quotidiennes tout en faisant preuve de résilience et en appelant au soutien et à l'assistance internationaux.
Malheureusement, au cours des deux dernières années, l'intérêt général pour l'Ukraine a décliné, alors que les défis auxquels est confrontée la société ukrainienne n'ont pas diminué. Ces défis continuent d'exister ou évoluent vers de nouvelles formes. Les problèmes vont de la réponse aux besoins de milliers de personnes déplacées des villes de première ligne à la manière de fournir de l'électricité aux villes pendant les bombardements des infrastructures énergétiques. Les Ukrainiens doivent constamment faire preuve de flexibilité, de créativité et de résilience pour faire face aux nouveaux défis posés par la guerre.
Les féministes, comme tous les Ukrainiens, ont été contraintes de s'adapter aux nouveaux rôles et aux nouveaux défis provoqués par la guerre à grande échelle. De nombreuses féministes servent dans l'armée ou se portent volontaires pour répondre aux besoins des premières lignes. Les organisations féministes en Ukraine poursuivent leur travail, répondant désormais également aux besoins nés de la guerre, comme l'aide aux personnes déplacées à l'intérieur du pays et la résolution d'autres défis. Les besoins des femmes dans la société ukrainienne ont considérablement augmenté. L'insécurité économique et sociale augmente, parallèlement aux pertes d'emplois. De nombreuses femmes ont perdu leur maison et leur emploi et se sont retrouvées seules face à la situation lorsque leurs maris ont été mobilisés au front.
L'Ukraine n'a toujours pas de voix reconnue dans de nombreuses discussions internationales. Elle est souvent privée de moyens d'agir par la communauté internationale et elle est considérée comme une zone d'influence pour l'OTAN ou la Russie. Les Ukrainiens doivent se battre non seulement pour leur survie physique, mais aussi pour le droit de se représenter eux-mêmes et de défendre leurs intérêts, en préservant continuellement leur liberté d'action. Ces questions concernent également les féministes ukrainiennes, qui doivent non seulement penser à leur survie et apporter leur aide dans le pays, mais aussi faire face aux malentendus et aux attitudes parfois paternalistes des féministes occidentales.
Cependant, des changements positifs ont également eu lieu pour la société féministe ukrainienne. En juin 2022, le gouvernement ukrainien a ratifié la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. C'était l'une des principales revendications des féministes ukrainiennes depuis plusieurs années et une étape vers une plus grande intégration de l'Ukraine dans l'UE. De plus, les femmes soldates ukrainiennes défendent activement leurs droits dans l'armée, ce qui a entraîné des changements dans l'organisation militaire et des adaptations pour mieux répondre aux besoins des femmes. La perception du féminisme en Ukraine est en train de changer. La société commencent à ne plus le considérer à travers des stéréotypes sur les femmes militantes. Une représentation collective des femmes militaires activistes, des militantes qui ouvrent des refuges et aident à résoudre des problèmes humanitaires et de femmes bénévoles, entre autres apparaît. Ce changement contribue à créer de nouveaux liens avec les partenaires et à changer la perception globale du féminisme.
Quelle est la situation de votre association et de vos projets ?
Avec le début de l'invasion russe à grande échelle, l'Atelier féministe été contraint d'élargir son champ d'activités. La guerre à grande échelle a non seulement amplifié les problèmes sociaux existants, mais a également créé de nouveaux défis, qui nous ont poussés à mettre en œuvre de nouvelles orientations. Notre équipe a ouvert Réponse à la crise, dont la tâche principale est d'aider les femmes* et les enfants touchés par la guerre. L'un des publics cibles est celui des personnes déplacées à l'intérieur du pays. Nous avons vu que les personnes contraintes de quitter leur foyer avaient besoin de sécurité, de soutien, de communication, de loisirs, de réalisation de soi et de développement. Ces besoins sont fondamentaux et essentiels à la vie humaine. C'est pourquoi nous avons créé des refuges – des espaces sûrs qui contribuent à renforcer la confiance dans la communauté, à accroître la cohésion sociale et à impliquer les personnes déplacées dans la vie communautaire. Depuis leur création, les refuges accueillent 80 personnes, certaines avec leurs animaux de compagnie (trois chats, deux rats, deux chiens). Au départ, nous avons créé trois refuges, et aujourd'hui l'un d'eux fonctionne toujours activement. Nous avons rapidement réalisé que les femmes et les enfants touchés par la guerre avaient non seulement besoin d'un logement, mais également d'un soutien complexe pour surmonter leurs expériences traumatisantes et vivre pleinement leur vie. Nous apportons également une assistance individuelle pour résoudre les problèmes quotidiens rencontrés par les résidents du refuge. Un autre aspect important de notre soutien a été l'organisation de groupes pour les enfants de femmes déplacées à l'intérieur du pays, un programme d'aide aux femmes âgées à faible revenu, des cours d'alphabétisation numérique et un soutien psychologique à la communauté. Et cette liste n'est pas complète.
Malgré les efforts actifs de notre organisation pour faire face aux défis d'une invasion à grande échelle, de nouveaux défis entraînent des dépenses imprévues, par exemple l'achat de générateurs pour faire fonctionner le bureau pendant les attaques contre les infrastructures énergétiques du pays. La recherche de financement pour nos activités existantes et nouvelles n'est pas de plus en plus facile. L'imprévisibilité et la complexité de la planification de nos activités, la difficulté de répondre aux demandes des partenaires occidentaux lors d'une invasion à grande échelle et l'épuisement général contribuent tous à faire de la collecte de fonds un défi supplémentaire.
Qu'espérez-vous pour l'année 2024 ?
L'espoir est un privilège que nous ne pouvons nous permettre lors d'une invasion à grande échelle. Il y a des actions et un soutien concrets dont nous avons besoin et que nous réclamons. En tant qu'organisations féministes ukrainiennes œuvrant pour défendre les droits humains et aider les femmes* à surmonter les conséquences du conflit armé, nous possédons une compréhension approfondie du contexte et des besoins actuels de notre public, ainsi que des meilleurs moyens de fournir cette assistance. Sans soutien financier, informationnel et humanitaire , nous ne pourrons pas travailler systématiquement et créer du changement. Nous n'espérons pas seulement que l'Atelier Féministe poursuive ses activités et dispose de suffisamment de ressources financières et humaines : nous nous battons constamment pour cela. Nous en avons également assez d'être exclues des discussions sur les moyens possibles d'aider les femmes ukrainiennes. Cette année est cruciale pour nous afin de faire entendre la voix des féministes ukrainiennes sur les plateformes internationales, en défendant leurs besoins et en réclamant leur droit de parole dans les discussions mondiales. En général, nous voulons simplement survivre en 2024, dans tous les sens du terme. Et comme tous les Ukrainiens, nous croyons dans notre objectif principal et luttons chaque jour pour l'atteindre : la victoire de l'Ukraine et la fin de l'agression russe.
1er févier 2024
Propos recueillis par Patrick Le Tréhondat
1 Voir La parole à L'atelier féministe
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/07/13/la-parole-a-latelier-feministe-feministytchna-maisternia
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En Indonésie, l’âge d’or du nickel est terminé
L'exploitation du nickel en Indonésie, premier producteur mondial, a provoqué de nombreux dégâts : dépendance économique à la Chine, saccage de l'environnement, accidents mortels… Or depuis la chute drastique de son prix en 2023, due à une nouvelle génération de batteries à base de lithium et d'indium, l'appétit mondial pour ce minerai s'est calmé. Exposant l'archipel à de graves difficultés financières.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Un ouvrier place du minerai de nickel dans le haut-fourneau de l'usine de Vale Indonesia, dans la province de Sulawesi du sud, en Indonésie, en mars 2023. Photo Basri Marzuki / Nurphoto / AFP.
En 2020, Jakarta avait annoncé “l'âge d'or de l'Indonésie” en 2045 et interdit l'exportation de minerai de nickel brut afin de développer des industries de batteries électriques dans l'archipel. À l'époque déjà, certains économistes estimaient que “cette ‘fièvre du nickel' n'était pas durable, car elle n'entraînait pas l'effet multiplicateur attendu et rendait l'Indonésie vulnérable au choc économique chinois”, rappelle sur son site BBC News Indonesia.
La conjoncture actuelle semble leur donner raison. Les prix mondiaux du nickel se sont effondrés de plus de 40 % en 2023. Selon les données du ministère de l'Énergie et des Ressources minérales indonésien, citées par Koran Tempo, “sa valeur est passée de 27 482 dollars [environ 25 300 euros] par tonne sèche en janvier 2023 à 16 383 dollars [environ 15 090 euros] en janvier 2024”.
Surproduction mondiale
La Banque mondiale estime que cette tendance se poursuivra cette année. Une des causes de cet effondrement est la surproduction. L'Indonésie, en tant que plus grand producteur de minerai de nickel, a contribué à augmenter les stocks mondiaux. “Selon l'International Nickel Study Group, l'excédent pourrait atteindre 223 000 tonnes en 2023”, précise Koran Tempo.
Économiste et directeur exécutif du Centre d'études économiques et juridiques indonésien (Celios), Bhima Yudhistira apporte des explications à BBC News Indonesia sur ce phénomène de “ruée vers le nickel” :
- “De nombreuses entreprises chinoises se sont précipitées en Indonésie, et, en effet, la porte du secteur s'est ouverte après que le gouvernement a interdit l'exportation de minerai de nickel brut. Les investissements ont donc augmenté de manière assez brusque.”
Le groupe chinois qui domine le secteur est le producteur d'acier inoxydable Tsingshan Holding Group, qui est arrivé en Indonésie le 3 octobre 2013, lors de la visite du président Xi Jinping, pour construire la zone industrielle de Morowali, dans le centre de Sulawesi. Cela s'inscrivait dans le cadre de l'initiative de la Belt and Road Initiative (BRI), les nouvelles routes de la soie chinoises, lancée par le dirigeant chinois à peine un mois plus tôt. En dix ans, le site de Morowali s'est développé sur 4 000 hectares, attirant 20,9 milliards de dollars d'investissement.
Ralentissement économique chinois
Mais, en 2022, la croissance économique de la Chine a ralenti à 3 %, contre 8,4 % en 2021. Même si ce chiffre a atteint 5,2 % en 2023, la Banque mondiale prévoit que la croissance de la Chine ne sera que d'environ 4 % au cours des deux prochaines années.
“De plus, la Chine est confrontée à une crise immobilière. De ce fait, ses activités d'investissement à l'étranger sont entravées, et cela ébranle la dépendance de Jakarta à ces investissements”, a déclaré à BBC News Indonesia Mohammad Faisal, économiste et directeur exécutif du Centre de réforme de l'économie (Core).
Coordinateur du Mining Advocacy Network, Melky Nahar accuse le président Joko Widodo d'avoir déroulé le “tapis rouge” aux investissements chinois sans prêter attention aux nombreux problèmes sur le terrain, notamment les conflits fonciers, les problèmes de santé et les dommages environnementaux, explique-t-il à BBC News Indonesia. “La fièvre du nickel a fait perdre la tête au gouvernement.”
Selon une analyse des ONG Satya Bumi et Walhi, les opérations d'extraction de nickel en Indonésie ont entraîné une déforestation qui s'élève à 78 948 hectares depuis 2014. L'objectif officiel de Jakarta en matière de développement de l'industrie du nickel était d'encourager l'utilisation de véhicules électriques pour lutter contre le dérèglement climatique.
Dégâts environnementaux et sociaux
“En réalité, ces industries ont contribué à l'aggravation du réchauffement climatique, à l'augmentation de la pollution de l'air et à la perte de la biodiversité”, écrivent Satya Bumi et Walhi dans leur rapport “Neo-Extractivism in Indonesia's Nickel Epicenter”, publié en octobre 2023.
BBC News Indonesia rappelle aussi la violation de la protection des travailleurs, notamment après l'explosion de l'un des fours d'une fonderie de la zone industrielle de Morowali, le 24 décembre 2023. L'accident a tué au moins 21 personnes et en a blessé 38 autres.
Désormais, les industriels s'intéressent davantage aux batteries à base de lithium ou de lithium-fer-phosphate (LFP), qui ont l'avantage d'être moins chères que celles en nickel. “Et plus récemment, souligne Kompas, les ingénieurs de l'université Cornell ont créé une nouvelle batterie utilisant de l'indium, un métal mou, actuellement très utilisé pour les écrans tactiles et les panneaux solaires.” Une innovation qui permettrait de recharger une batterie de voiture en moins de cinq minutes.
Ce qui fait dire au militant écologiste Melky Nahar, dans BBC News Indonesia : “Ainsi, je pense que 2045 ne sera pas l'‘âge d'or' de l'Indonésie mais son ‘âge de mort'.”
Courrier international
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Au Pakistan, l’intelligence artificielle bouscule la campagne des législatives
À l'approche des élections générales du 8 février, les partis politiques investissent le champ des possibles ouvert par l'arrivée des dernières techniques d'intelligence artificielle. Mais la perception de ces contenus par les électeurs reste la grande inconnue de cette campagne “dématérialisée”, souligne cette analyse publiée dans “Dawn”, le quotidien pakistanais de référence.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Dessin d'Arcadio paru dans la Prensa libre, San Jose (Costa Rica). Article paru à l'origine dans Dawn.
C'est une nouvelle règle du jeu dans l'univers de la politique à l'ère numérique : un flot continu de contenus générés artificiellement caractérise désormais les campagnes électorales, avec l'essor d'outils gratuits, comme le clonage des voix ou l'édition d'images.
Au Pakistan, les dernières législatives [en 2018] témoignaient déjà d'une sophistication croissante des campagnes numériques : création de faux comptes, bombardements coordonnés de hashtags, applis mobiles personnalisées, organisation de grands événements à partir des réseaux sociaux… Et, en février 2024, le pays va vivre sa plus grande élection dématérialisée. Les partis politiques sont naturellement tentés de franchir un nouveau cap avec l'intelligence artificielle [IA].
“On s'est servis de l'IA pour créer des contenus de campagne pour le retour de [l'ex-Premier ministre] Nawaz Sharif [après ses quatre ans d'exil à Londres], en octobre dernier”, explique Muzakir Ijaz, un consultant chargé de la stratégie numérique de la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz [LMP-N, droite].
“L'IA permet de générer des contenus visuels, mais elle a encore du mal à intégrer l'ourdou [la langue officielle du Pakistan], ce qui limite l'usage qu'on peut en faire”, poursuit le spécialiste, qui, précise-t-il, a recruté trente professionnels du numérique pour la campagne de la LMP-N.
Effritement de la confiance
Pour ce genre d'équipe, l'IA revêt un intérêt financier certain, en leur évitant de faire appel à de coûteux experts pour analyser les données et lancer des campagnes personnalisées. Mais les dérives potentielles n'en sont pas moins inquiétantes.
L'année dernière, une vidéo contrefaite d'Imran Khan [Premier ministre de 2018 à 2022] le montrait les yeux fermés, faisant naître la crainte de mauvais traitements qu'il aurait subis alors qu'il était maintenu en prison. Ce clip de vingt-six secondes avait été posté sur X, où il a été partagé plus de 500 fois. Les vérifications de l'AFP ont permis d'établir que les auteurs de la vidéo avaient simplement appliqué un filtre donnant l'illusion qu'Imran Khan avait les yeux fermés.
“Les partis politiques se servent de l'IA pour influencer plus spécifiquement les électeurs qui maîtrisent mal l'outil numérique ou qui ne sont pas politisés”, indique Nighat Dad, qui dirige une ONG, la Fondation pour les droits numériques :
- “Comment feront-ils la distinction entre un contenu authentique et un contenu ‘synthétique' ? L'utilisation de l'IA peut entraîner un effritement de la confiance du public dans l'authenticité de l'information qu'il consomme.”
“Heureusement, on voit encore la différence entre la réalité et les contenus générés par l'IA, tempère Jibran Ilyas, responsable des réseaux sociaux au sein du Mouvement du Pakistan pour la justice [PTI, le parti d'Imran Khan]. On a dû tester 36 versions différentes en ourdou avant d'atteindre un niveau de précision de 65 % dans la diction. Les gens voient bien que ce n'est pas vrai.”
Considérations éthiques
Jibran Ilyas soutient que le PTI fait un usage réfléchi de l'IA et a clairement annoncé la couleur lors d'un meeting audio d'Imran Khan, prévenant les auditeurs que “sa voix [était] générée par l'intelligence artificielle, et le texte rédigé sur la base de ses notes”.
- “On expérimente en ce moment diverses manières d'utiliser l'IA tout en tenant compte des considérations éthiques. On diffusera peut-être un autre discours [contrefait] d'Imran Khan la veille de l'élection.”
Le parti, poursuit le spécialiste, se focalisera surtout sur TikTok à l'approche du jour J, au vu de la popularité du réseau social chez les jeunes et dans les zones rurales. Il faut dire que le nombre d'internautes a explosé au Pakistan depuis les dernières législatives, passant de 58 millions en 2018 à 129 millions aujourd'hui.
Or une étude récente sur la perception de la désinformation chez les étudiants de l'enseignement supérieur révèle que 63 % des jeunes interrogés estiment être exposés de façon quotidienne à la désinformation sur Internet. Et quasiment la même proportion (62 %) pense que celle-ci représente une menace pour la démocratie et les élections.
“La valeur de la vérité s'effrite clairement, regrette Amber Rahim Shamsi, la directrice du Centre d'excellence journalistique [à Karachi, dans le sud du pays]. On a organisé des ateliers d'initiation au numérique dans 13 universités regroupant 800 étudiants pakistanais. Parmi eux, beaucoup n'étaient toujours pas capables de faire la différence entre les faits et la propagande.”
Amber Shamsi et son équipe viennent de lancer un outil de fact-checking non partisan, iVerify, dont le but est de faire progresser l'information impartiale et indépendante dans le paysage journalistique du pays. “Depuis 2018, les médias ont fait des progrès sur la vérification des faits. Pour autant, aucun des étudiants avec lesquels nous nous sommes entretenus n'était conscient des efforts consentis dans ce sens. Il y a encore beaucoup à faire.”
Ramsha Jahangir
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Evergrande en liquidation : la peur d’un effet domino pour l’immobilier en Chine
Un tribunal de Hong Kong a ordonné le 29 janvier la mise en liquidation du géant de l'immobilier chinois Evergrande. L'annonce a plongé des milliers de créanciers dans l'incertitude sur la possibilité pour eux de retrouver leur argent. Elle symbolise la déroute de l'immobilier dans une Chine déjà en plein marasme économique inquiétant.
Tiré de The asialyst.
Fondé en 1996, Evergrande (恒大集团, Hengda en chinois) avait tiré parti de l'urbanisation accélérée du pays pour s'imposer. Symbole de la crise immobilière chinoise, le promoteur est endetté de quelque 328 milliards de dollars. Il avait échoué à présenter un plan de restructuration convaincant. C'en était trop pour ses créanciers internationaux qui, l'an dernier, avaient déposé une requête en liquidation contre le groupe devant ce tribunal hongkongais. La procédure a traîné en longueur car les parties tentaient de négocier un accord.
« [Considérant] l'absence évidente de progrès de la part de l'entreprise dans la présentation d'un plan de restructuration viable […], j'estime qu'il est approprié que le tribunal rende un jugement de liquidation de l'entreprise, et c'est ce que j'ordonne », a déclaré la juge Linda Chan. « La décision de justice d'aujourd'hui est contraire à notre intention première […]. C'est extrêmement regrettable », a réagi le directeur général d'Evergrande, Shawn Siu, au média économique chinois 21st Century Business Herald.
Après l'ajournement de la séance du matin, Fergus Saurin, un avocat représentant un groupe de créanciers, a déclaré aux journalistes qu'Evergrande n'avait pas « engagé le dialogue » avec eux. « Il y a eu des velléités de dialogue à la dernière minute qui n'ont abouti à rien, a-t-il affirmé. L'entreprise ne peut s'en prendre qu'à elle-même pour avoir été liquidée. »
Si les conséquences administratives restent floues, les conséquences économiques sont d'ores et déjà visibles. Après l'annonce de la mise en liquidation, l'action d'Evergrande a dévissé de plus de 20 % à la Bourse de Hong Kong, qui a suspendu la cotation du titre. Cette dernière a également suspendu la cotation de la filiale de véhicules électriques du groupe, Evergrande NEV. L'action du groupe avait connu une première suspension en septembre à la Bourse de Hong Kong, au lendemain d'une information de la presse selon laquelle son patron se trouvait en résidence surveillée après avoir été interpellé au début du mois.
Défaut de paiement et faillite américaine
La dégringolade d'Evergrande, en défaut de paiement pour la première fois en 2021 et déclaré en faillite aux États-Unis, avait été étroitement suivie par les autorités chinoises, le groupe étant un pilier de l'économie du pays. Le secteur de la construction et de l'immobilier représente en effet plus d'un quart du PIB chinois. Durant des décennies, les nouveaux logements en Chine étaient payés avant même leur construction par les propriétaires, et les groupes finançaient leurs nouveaux chantiers à crédit. Mais l'endettement massif du secteur était perçu ces dernières années par le pouvoir comme un risque majeur pour l'économie et le système financier du pays.
Pékin avait progressivement durci à partir de 2020 les conditions d'accès au crédit des promoteurs immobiliers. Conséquence : les sources de financement de groupes déjà endettés se sont taries. Le gouvernement avait plusieurs fois annoncé des mesures pour tenter de sauver son secteur immobilier, en vain. En décembre, selon les chiffres officiels, soixante grandes villes chinoises ont de nouveau enregistré une baisse des prix de l'immobilier sur un mois. Evergrande, qui emploie 200 000 personnes, était la plus grande société immobilière de Chine et régnait sur un secteur qui a explosé quand l'immobilier est devenu le fondement de la richesse croissante d'une classe moyenne en plein essor.
Mais les difficultés financières d'Evergrande ont entraîné l'arrêt de chantiers, tandis que des propriétaires lésés se sont retrouvés avec des logements inachevés sur fond de ralentissement économique et de baisse des prix. Incapable de rembourser les intérêts de ses emprunts, Evergrande a fait défaut sur des paiements en décembre 2021. En août, le groupe s'est déclaré en faillite aux États-Unis, une mesure destinée à protéger ses actifs américains.
Un créancier, Top Shine Global, avait déposé une requête en liquidation à Hong Kong contre China Evergrande Group en 2022 et l'affaire avait alors traîné pendant que les parties tentaient de négocier un accord. Lors d'une audience en octobre, le taux de recouvrement des créanciers d'Evergrande avait été estimé à moins de 3 %. La juge doit nommer un liquidateur pour les actifs d'Evergrande dont le siège est à Hong Kong. Elle a précisé que cette décision signifierait que le patron du groupe Xu Jiayin (aussi connu sous son nom cantonais Hui Ka Yan) ne contrôlait plus l'entreprise.
Pas de crise financière « à la Lehman Brothers » ?
Le groupe avait à la fin juin une ardoise colossale estimée à 328 milliards de dollars, selon les chiffres les plus récents de l'entreprise. Il affiche 236,6 milliards de dollars d'actifs en Chine continentale et ailleurs. Certains d'entre eux ont déjà été vendus ces derniers mois pour obtenir des liquidités, pour un montant d'environ 7 milliards de dollars à fin novembre, selon les médias chinois. Mais on ne sait pas encore dans quelle mesure les actifs de l'entreprise pourront être récupérés par ses créanciers à l'étranger.
Étant donné que le jugement de mise en liquidation a été pris à Hong Kong, toute saisie des actifs de l'entreprise sur le continent pourrait nécessiter une décision judiciaire distincte dans ce pays. « Les tribunaux [du continent] peuvent refuser de reconnaître ou d'assister les liquidateurs de Hong Kong, a indiqué Jonathan Leitch, du cabinet d'avocats Hogan Lovells. Comme la grande majorité des actifs se trouvent [en Chine continentale], les liquidateurs devront examiner si ces actifs auront une quelconque valeur une fois que les créanciers prioritaires auront été satisfaits. » Pour Zerlina Zeng, analyste crédit chez Creditsights Singapore, citée par l'agence Bloomberg, il est permis de « douter que les créanciers à l'étranger reçoivent des montants substantiels de recouvrement grâce au jugement de liquidation ».
La Chine avait lancé plusieurs séries de sauvetages de son secteur immobilier en péril. Pékin avait annoncé la semaine dernière que ses banques avaient accordé près de 10 000 milliards de yuans (1 400 milliards de dollars) de prêts au secteur l'année dernière. Mais les autorités n'ont pas réussi à empêcher les ventes des biens immobiliers et les prix de continuer à baisser dans de nombreuses villes.
L'État chinois devrait veiller à ce que la décision ne fasse pas boule de neige, estiment les analystes. Il « gérera probablement cette liquidation de manière à ne pas provoquer d'effet de contagion majeur à d'autres secteurs de l'économie », prévoit Shane Oliver, économiste en chef de la société de services financiers AMP. « Pour ceux qui lisent avec anxiété les gros titres d'aujourd'hui […] et s'affolent : la chute d'Evergrande en 2021 n'a pas conduit en Chine à un moment similaire à [la crise financière déclenchée par] Lehman Brothers et la désintégration de sa coquille déjà morte en 2024 ne l'y mènera pas non plus », tempère le cabinet d'analyse China Beige Book dans un message sur X, ex-Twitter.
La descente aux enfers du promoteur chinois depuis 2021 illustre la face cachée d'une spéculation effrénée partagée tant par des investisseurs publics que par des milliers de Chinois, parmi lesquels de nombreuses personnes âgées qui espéraient ainsi préparer leur retraite et qui se retrouvent aujourd'hui flouées et désespérées.
La grande question qui se pose désormais est la possible contagion aux autres promoteurs immobiliers. Certains d'entre eux sont aussi en grande difficulté financière et proches de la faillite. « La mise en liquidation d'Evergrande pourrait accélérer le processus de négociation d'autre promoteurs pour la restructuration de leur dette », souligne John Lam, chef de la China and Hong Kong Property Research dans une note à ses clients. « Les créances sont distribuées de millions de façons différentes à travers l'ensemble du marché financier chinois, rappelle quant à lui Leland Miller, directeur général de la société d'analyse financière China Beige Book, cité par Reuters. La Chine possède un système financier non commercial, ce qui veut dire qu'il n'y aura pas de crise du type de Lehman. »
Quelles conséquences sur les actifs en Chine ?
Il reste que la confiance dans le secteur immobilier chinois est désormais durablement bousculée. Les dommages subis par les investisseurs sont en effet considérables. « La grande question [que se posent] les investisseurs est qu'ils ne savent rien de ce qui se passera avec les logements invendus », avertit Thomas Rupf, chef économiste pour les investissements en Asie de la VP Bank, cité par l'agence de presse britannique.
Par ailleurs, comment et quels seront les actifs qui seront vendus ? Le tribunal de Hong Kong a nommé le 29 janvier la société de consultants Alvarez & Marsal (A&M) liquidateur officiel d'Evergrande. Sa première mission sera d'étudier avec l'administration du promoteur quelles pourraient être « les propositions de restructuration viables », explique Tiffany Wong, l'une des responsables de A&M, citée le 30 janvier par le Nikkei Asia. « Notre priorité est de voir combien d'activités pourraient être conservées, restructurées et demeurer opérationnelles. »
Le jour de l'annonce à Hong Kong, Le directeur général d'Evergrande Xiao En, aussi connu sous le nom de Shawn Siu, a déclaré au média chinois Caijing que cette mise en liquidation n'empêcherait pas la poursuite des opérations du groupe en Chine et à l'étranger, tout en assurant que les constructions de logements en cours seraient toutes menées à bien. Mais la taille et la complexité d'Evergrande sont telles que sa liquidation pourrait prendre des années. Résoudre la question de la dette du groupe sera à elle seule « un processus très long et ardu », prévient Karl Choi, chef de la China property research de la Bank of America Securities.
Une autre question sera la manière dont la liquidation prononcée à Hong Kong sera mise en œuvre par les autorités de Pékin. En effet, la grande majorité des actifs d'Evergrande se trouvent sur le continent chinois où le système judiciaire est très différent de celui de Hong Kong. Quel sera également l'impact à venir de la liquidation du géant de l'immobilier sur les autres promoteurs ? « Le fait qu'Evergrande a maintenant été mis en liquidation constitue un précédent pour les créanciers étrangers qui recherchent une décision de justice pour la liquidation de promoteurs chinois dont les dettes cumulées qui dépassent 100 milliards de dollars arrivent à échéance cette année », remarque Brock Silvers, directeur général de Kaiyuan Capital, une société de courtage privée basée à Hong Kong.
Mais la seule complexité des problèmes d'Evergrande suscite des doutes sur la suite. « Avec la liquidation d'Evergrande, nous entrons dans des eaux inconnues », craint Kher Sheng Lee, un avocat de Hong Kong, directeur général de l'Asia Pacific et responsable à l'Alternative Investment Management Association, cité par le média japonais. Un liquidateur pourrait prendre le contrôle d'une partie des actifs à l'étranger, mais les conséquences [en Chine] sont tout sauf claires. Ce sera un processus compliqué qui prendra des années et qui laisse de nombreuses questions sans réponse. »
Il reste que l'effondrement de ce géant de l'immobilier, qui assure vouloir poursuivre ses activités en Chine, pourrait avoir des répercussions sur l'économie du pays. Cette décision de justice, prise dans la région chinoise semi-autonome de Hong Kong, peut-elle se concrétiser en Chine continentale, où le groupe est basé ? Non, assure la direction du géant immobilier. Shawn Siu l'affirme : dans la mesure où la filiale hongkongaise est indépendante des activités du groupe en Chine, il fera donc « tout son possible pour sauvegarder la stabilité de ses activités et opérations nationales ». Mais rien n'est moins sûr. Pour Lance Jiang, partenaire en restructuration au sein du cabinet d'avocats Ashurst, cité par Bloomberg, « le marché va être très attentif à ce que les liquidateurs désignés pourront faire et surtout à la question de savoir s'ils seront reconnus par l'une des trois cours suprêmes de Chine ».
Et pour cause : Hong Kong et la Chine continentale ont signé un accord en 2021, permettant la réciprocité des décisions de justice prises dans le territoire, notamment concernant les affaires commerciales. « Sans cette reconnaissance, les liquidateurs n'auront que peu de pouvoirs sur les actifs détenus [par Evergrande] en Chine continentale », insiste Lance Jiang.
C'est en Chine que se trouvent 90 % de ces actifs. Pour tenter de remettre en marche les chantiers alors que des centaines de particuliers attendent toujours que l'appartement qu'ils ont acheté soit terminé, le gouvernement chinois a mis la pression sur les acteurs du BTP, explique le New York Times. « Les gens vont surveiller si oui ou non les droits des créanciers sont respectés », estime Dan Anderson, de la firme Freshfields Bruckhaus Deringer, auprès du Financial Times. « Cela aura des implications à long terme pour l'investissement en Chine », ajoute-t-il, alors que Pékin a toujours besoin des investissements étrangers, déjà mis à mal par les tensions diplomatiques avec Washington.
« Je doute que les créanciers à l'étranger reçoivent un montant de recouvrement substantiel » de cette liquidation, juge pour sa part Zerlina Zeng, analyste crédit chez Creditsights Singapore, citée par l'agence Bloomberg. Si « l'impact macroéconomique peut être contenu », les investisseurs du monde entier surveillent « un effet boule de neige » susceptible de miner durablement leur confiance en Pékin, prévient Gary Ng, économiste chez Natixis SA, interrogé aussi par Bloomberg.
Les inconnues de la justice chinoise
La liquidation prononcée d'Evergrande intervient dans un contexte déjà très tendu ces derniers mois pour le secteur de l'immobilier chinois. Un autre géant local, Country Garden, s'est retrouvé lui aussi en défaut de paiement fin octobre, tandis qu'un troisième grand promoteur, Sunac, a dû trouver un accord pour une restructuration de sa dette.
Selon Shane Oliver, analyste de la société de services financiers AMP, cité par l'AFP, la décision de la justice hongkongaise est « une nouvelle étape » dans la crise de l'immobilier en Chine. Dans un secteur qui ne parvient pas à sortir la tête de l'eau depuis 2021, « la liquidation d'Evergrande est un signe que la Chine est prête à prendre des mesures radicales pour percer la bulle immobilière », analyse un autre spécialiste, Andrew Collier, d'Orient Capital Research, cité par CNN. C'est une bonne chose pour l'économie à long terme. Mais à court terme, ce sera très difficile. »
« Personne ne croit que la situation économique va s'améliorer » après cette liquidation, avertit Garcia Herrero, chef économiste pour l'Asie-Pacifique de la banque d'investissement Natixis, cité par le Washington Post. Evergrande démontre aux investisseurs étrangers combien il est risqué d'investir dans des entités chinoises à Hong Kong. Ceci était clair déjà avant, mais avec cette liquidation qui ne permet aucun accès aux avoir, ce sera d'autant plus clair maintenant. »
En décembre, les principales villes de Chine ont de nouveau enregistré une baisse des prix de l'immobilier sur un mois, selon les chiffres officiels, et ce malgré de nombreux plans des autorités visant à soutenir le secteur. Sur les 70 villes qui composent l'indicateur officiel de référence, 62 étaient ainsi concernées, contre 33 en janvier 2023, signe de la dégradation de la situation. Au total, les banques chinoises ont accordé l'an dernier pour près de 10 000 milliards de yuans (1 186 milliards de dollars) de prêts au secteur immobilier, selon des données récentes fournies par les autorités du pays.
La faillite spectaculaire d'Evergrande a ruiné les économies de milliers de petits épargnants. Mais elle signe en même temps la fin de l'argent facile en Chine. Un signe aussi de la fin probable d'une ère de prospérité dans ce pays désormais englué dans une crise économique inédite depuis plus de quarante ans. Cette mise en liquidation a pour contexte la fin du miracle économique chinois et de l'hypercroissance que la Chine a connu pendant presque quarante ans. L'immobilier en Chine a généré une dette publique et privée colossale qui se chiffre en milliers de milliards de dollars. Une bulle qui menace depuis longtemps d'éclater.
Reste que la liquidation d'Evergrande est l'une des conséquences d'une spéculation déclenchée par la hausse considérable du prix des terrains qui avait généré une vague de constructions démesurée. Aujourd'hui, les logements vides sont tellement nombreux dans le pays qu'ils pourraient héberger des centaines de millions de personnes, avait récemment indiqué un responsable chinois du secteur.
Plus de 90 % des actifs du géant sont situés sur le continent. Or, compte tenu du système légal en Chine, la liquidation peut être entravée aussi longtemps que le voudront les autorités de Pékin. Les tribunaux chinois étant tous contrôlés par le Parti communiste, c'est lui qui décidera seul de l'agenda. Or le moment de la décision n'est pas encore venu, car la Chine commémore à partir du 10 février le Nouvel an lunaire, une fête pendant laquelle des centaines de millions de Chinois retournent dans leurs villes et villages d'origine.
L'impact de cette tragédie sera particulièrement rude pour les travailleurs migrants car le secteur de la construction employait quelque 50 millions de Chinois dont beaucoup se retrouvent aujourd'hui au chômage. « Le contrôle gouvernemental exercé sur le bâtiment peut augmenter encore les doutes et entraver la confiance des consommateurs puisque personne ne peut croire les chiffres, estime mardi James Palmer, rédacteur en chef adjoint de Foreign Policy. Quel que soit le sort d'Evergrande, les investisseurs peuvent entendre les cloches sonner la fin de partie. »
Avec le naufrage d'Evergrande, c'est l'image et le lustre de la Chine dans le monde qui s'effritent encore davantage. Une Chine dont la toute-puissance longtemps incontestée est aujourd'hui remise en cause dans les milieux économiques et financiers en Occident, à l'heure où nombreux sont les investisseurs qui font leurs valises au profit d'autres pays plus sûrs tels que le Vietnam, la Malaisie ou surtout l'Inde.
Par Pierre-Antoine Donnet
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« Du fleuve à la mer » la lutte de la Palestine pour le partage de la terre, contre la stratégie de rejet d’Israël
Le slogan « Du fleuve à la mer », brandi lors de manifestations propalestiniennes dans le monde entier, a fait l'objet d'un grand nombre de critiques ignares. Dans les commentaires des médias et les débats télévisés, le slogan est critiqué comme un appel à la « destruction d'Israël », une preuve que les Palestinien·nes ne veulent pas la paix et rejettent tout compromis avec Israël, ou même, de manière plus tranchée, un appel au « génocide », pour « repousser les juifs à la mer ».
16 janvier 2024 | tiré d'Inprecor numéro 716 - janvier 2024
16 JANVIER 2024 PAR MICHAEL KARADJIS
Michael Karadjis, militant australien, discute de la revendication « du fleuve à la mer », et en défend la légitimité, ainsi que de l'immense recul qu'a constitué, à l'inverse, la demande d'un État palestinien indépendant, objectif qui a correspondu, de fait, à la constitution de bantoustans et à la situation actuelle.
La seule Palestinienne du Congrès américain, Rashida Tlaib, a été condamnée, lors d'un vote, par la majorité des législateurs américains pour avoir utilisé ce slogan, alors qu'ils encouragent et facilitent activement un véritable génocide contre les Palestinien·nes, comme Tlaib l'avait affirmé auparavant (1). La motion de censure a qualifié la phrase d'« appel génocidaire à la violence pour détruire l'État d'Israël et son peuple afin de le remplacer par un État palestinien s'étendant du Jourdain à la mer Méditerranée ». Mme Tlaib a réagi avec éloquence à cette calomnie honteuse.
De même, l'éditorialiste australienne de droite Peta Credlin a affirmé à tort dans le Daily Telegraph du 12 novembre que « des dizaines de milliers d'Australiens ont défilé en faveur de ce qui équivaudrait à un nouvel Holocauste, à la destruction d'Israël et à l'expulsion de millions de juifs “du fleuve à la mer” ».
« Du fleuve à la mer » fait référence à l'ensemble de la région historique de la Palestine, c'est-à-dire du Jourdain à l'est jusqu'à la mer Méditerranée à l'ouest. Toute cette zone est actuellement gouvernée par Israël, en trois parties : Israël (dans les frontières d'avant 1967), la Cisjordanie palestinienne occupée, et Gaza devenue un camp de concentration pour les Palestiniens, assiégé et soumis au blocus, actuellement réduite en cendres par les bombardements.
En d'autres termes, à l'heure actuelle, l'État d'Israël, qui est un État du peuple juif (selon la « Déclaration d'indépendance », les Lois fondamentales et la loi sur l'État-nation), règne « du fleuve à la mer » en tant qu'État d'apartheid, comme le disent Amnesty International, Human Rights Watch, l'organisation israélienne de défense des droits humains B'Tselem et même d'anciens ambassadeurs israéliens dans l'Afrique du Sud de l'apartheid. En outre, l'idée qu'Israël doit régner partout, du fleuve à la mer, et n'autoriser aucun mini-État palestinien, est inscrite dans la charte du parti d'extrême droite Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahou (2) et de tous les autres partis de la droite israélienne dominante.
La première question est donc la suivante : les personnes qui critiquent le slogan lorsqu'il est brandi par des Palestinien·nes condamnent-elles également le racisme inhérent à la domination israélienne partout « du fleuve à la mer », et reconnaissent-elles que le génocide progressif à long terme contre le peuple palestinien est effectivement pratiqué dans cette région depuis 75 ans, et que ce n'est pas un simple slogan ?
La deuxième question est la suivante : étant donné que le peuple palestinien est autochtone dans toute cette région située entre le fleuve et la mer et qu'il vit toujours, malgré les efforts d'Israël, dans toutes les parties de cette région, pourquoi être offensé par un slogan qui demande que les Palestinien·nes vivant partout entre le fleuve et la mer soient « libres » ? Est-ce que ces offensés croient que les Palestiniens ne devraient être libres que dans certaines parties de la Palestine, et esclaves dans d'autres ? Où bien recommandent-ils que les Palestinien·nes ne soient pas libres ?
Est-il vraiment génocidaire ou difficile de concevoir que, dans n'importe quelle partie de la Palestine, les Palestiniens ne doivent pas continuer à être privés de liberté, occupés, dépossédés, enfermés dans des bantoustans, quotidiennement humiliés, affamés, tués en toute impunité et, tous les deux ans, massacrés en grand nombre et ensevelis sous les décombres ?
Ceux qui pensent que pour que les Palestinien·nes soient libres partout, il faut que les juifs soient « jetés à la mer » devraient à la fois lire le programme à long terme du mouvement de libération palestinien et élargir leur horizon politique et leur imagination.
En même temps, si quelqu'un pense simplement que la liberté des Palestinien·nes partout dans le monde signifie « la destruction d'Israël », il lui faut définir ce qu'il entend par « Israël » et ce qui, dans Israël, pourrait être « détruit » par la liberté des Palestinien·nes. Parce que, dans un sens, c'est vrai, la liberté pour les Palestinien·nes du fleuve à la mer, et l'égalité des droits pour tou·tes les habitants – juifs, chrétien·nes, musulman·es, athé·es, Israélien·nes et Palestinien·nes – « détruirait » effectivement un État sectaire fondé explicitement sur la suprématie juive.
Lorsque les Sud-Africains noirs se sont battus pour la liberté en Afrique du Sud, ils et elles n'ont pas spécifié qu'ils ne devaient être libres que dans certains bantoustans définis par les autorités de l'apartheid. Leur victoire pour la liberté des Noirs sur l'ensemble du territoire a effectivement conduit à la « destruction » de l'État suprématiste blanc de l'apartheid en Afrique du Sud, et à l'instauration de droits politiques égaux pour tous ; elle n'a pas nécessité le « génocide » des Sud-Africains blancs en les « poussant à la mer ».
Le contexte du débat
On me répondra que ce n'est qu'un idéal, et que la réalité, c'est que lorsque les Palestiniens brandissent ce slogan, cela signifie qu'ils veulent « vraiment » la Palestine seulement pour eux. « Où iraient les Israéliens ? » J'entends souvent cette question de la part de ceux qui ne connaissent pas bien l'histoire du dernier demi-siècle. Et même si certains admettent que les dirigeants israéliens sont « tout aussi mauvais », cela n'a pas d'importance ; qu'il soit utilisé par des Israélienes de droite ou par des combattants de la liberté palestinienne, le slogan rejette le Saint-Graal de la « solution à deux États », qui serait « la seule solution possible ».
À ce propos, voici quelques éléments qui seront développés plus loin :
• La réalité c'est que ce sont les Palestinien·nes qui ont toujours réclamé un État démocratique égal partout « du fleuve à la mer », depuis les années 1960, et que ce sont les dirigeants israéliens, toutes tendances politiques confondues, qui l'ont toujours rejeté.
• La « solution à deux États » – c'est-à-dire une division de la région « du fleuve à la mer » entre « Israël » avec 78 % du territoire et « la Palestine » avec 22 %, alors que les populations qui y vivent sont à peu près en nombre égal aujourd'hui, sans compter les millions de réfugiés de la Nakba de 1948 – constitue une solution tellement éloignée de la justice que je ne vois pas pourquoi il faudrait l'expliquer ; et pourtant, malgré cela...
• …ce sont les dirigeants palestiniens qui ont accepté depuis longtemps le scénario des deux États, sous une forme ou une autre depuis les années 1970, que ce soit comme un tremplin vers la solution optimale ou comme une « solution » en soi, tandis qu'Israël l'a toujours rejeté et s'est activement employé à en détruire toute possibilité.
• Car même s'il s'agit d'une proposition manifestement injuste pour la Palestine, si elle est combinée au droit de retour des réfugiés palestiniens sur les 78 % de terres « israéliennes » et à l'égalité totale pour les Palestiniens qui y résident (ils sont actuellement des citoyens de seconde zone), elle pourrait encore constituer une version modifiée de la liberté palestinienne « du fleuve à la mer ». Et tout État souverain de la population autochtone portant le nom de Palestine (par opposition à une série de bantoustans semi-autonomes), même sur une petite superficie, menace toujours politiquement l'idée que la terre appartient à Israël.
Nous devons également nous rappeler qu'il n'y a pas d'égalité dans toute cette discussion : les Palestiniens sont le peuple autochtone de toute la Palestine ; Israël existe en raison de la dépossession coloniale du peuple palestinien depuis 1948. Les Palestiniens ne devraient pas être continuellement contraints d'« accepter » le « droit à l'existence » d'Israël (leur colonisateur) comme condition à la liberté palestinienne ou même comme condition à la simple ouverture d'une discussion sur la possibilité d'un mini-État palestinien impuissant ; c'est plutôt la puissance colonisatrice qui devrait être amenée à reconnaître la souveraineté du peuple palestinien en Palestine.
Dans le plan de partage de la Palestine établi par les Nations unies en 1947, le tiers de la population, qui était alors constitué d'immigrants juifs (aux côtés d'une petite population juive autochtone), s'est vu attribuer 56 % des terres ; la majorité des deux tiers, palestinienne, s'est vu attribuer 43 % ; les Palestiniens ont donc naturellement rejeté cette proposition scandaleuse. Il convient de noter qu'en 1946, les gouvernements arabes avaient proposé un plan alternatif : un État démocratique unitaire « dans lequel tous les citoyens seraient représentés et se verraient garantir la jouissance des droits civils et politiques » et où les juifs auraient « une position permanente et sûre dans le pays avec une pleine participation à sa vie politique sur un pied d'égalité absolue avec les arabes » (3).
Israël a réagi en 1948 par la Nakba, la catastrophe, qui s'est traduite par un nettoyage ethnique massif, une série de massacres et d'expulsions horribles et la destruction de 400 villes. Au cours de cette période, le nouvel État d'Israël a étendu son autorité à 78 % de la Palestine, tandis que sur les 22 % restants, la Cisjordanie est passée sous contrôle jordanien et la bande de Gaza sous contrôle égyptien. Les 750 000 Palestiniens victimes du nettoyage ethnique n'ont jamais été autorisés à rentrer chez eux, malgré la résolution 194 des Nations unies de 1948 (4) qui l'exigeait ; eux et leurs descendants sont aujourd'hui près de dix fois plus nombreux.
Programme du Fatah (1969) : « Pour une Palestine démocratique et laïque », pour les chrétiens, les musulmans et les juifs
Après avoir attaqué tous ses voisins en 1967 et s'être emparé de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de Gaza (ainsi que du Sinaï égyptien et du Golan syrien), Israël a créé une nouvelle situation en réunissant toute la Palestine historique sous un seul gouvernement – un gouvernement non représentatif.
Face à cette situation, le Fatah de Yasser Arafat, devenu la faction dominante au sein de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), a présenté en janvier 1969 le programme historique palestinien « pour une Palestine progressiste, démocratique et laïque dans laquelle les chrétiens, les musulmans et les juifs pratiqueront leur culte, travailleront, vivront en paix et jouiront de droits égaux » (5). Ce programme a été adopté par le 5e Conseil national palestinien (CNP) en février 1969, qui visait « une société démocratique indépendante en Palestine pour tous les Palestiniens, musulmans, chrétiens et juifs ». Ces formulations concernaient l'ensemble de la Palestine « du fleuve à la mer ». Elles s'opposaient au programme sioniste de suprématie juive israélienne du fleuve à la mer.
Puis, en mai 1969, une autre organisation majeure de l'OLP, le Front démocratique pour la libération de la Palestine, propose une version légèrement différente : « le démantèlement de l'entité sioniste et l'établissement d'un État palestinien populaire et démocratique dans lequel arabes et juifs vivraient ensemble sans discrimination » (6), c'est-à-dire du fleuve à la mer, en mettant l'accent sur les deux groupes nationaux plutôt que sur les trois religions. Quel que soit le point de vue, il s'agit d'une solution profondément démocratique.
C'est le programme historique des Palestinien·nes, auquel ils n'ont jamais renoncé ; il n'est pas récent, il date de plus d'un demi-siècle. La calomnie selon laquelle les Palestinien·nes veulent « pousser les Juifs à la mer » n'a tout simplement aucun rapport avec quoi que ce soit. Essayez de ne pas la répéter, à moins que vous ne vouliez passer pour un ignorant.
Compte tenu de l'occupation militaire israélienne brutale, la lutte armée pour parvenir à cette Palestine démocratique et laïque était le recours naturel de la résistance palestinienne, comme cela a toujours été le cas dans les luttes anticoloniales, et c'est un droit reconnu par les Nations unies.
Toutefois, dans son discours devant l'Assemblée générale des Nations unies en 1974 (7), le chef de l'OLP, Yasser Arafat, a proposé le « rameau d'olivier » comme alternative au « fusil » pour réaliser cette vision, en proposant à la population juive israélienne de marcher ensemble sur le chemin de la paix :
Pourquoi ne pas rêver et espérer ? Car la révolution n'est-elle pas la concrétisation des rêves et des espoirs ? Travaillons donc ensemble pour que mon rêve se réalise, pour que je revienne avec mon peuple sortant de l'exil, en Palestine, pour vivre avec ce combattant juif de la liberté et ses partenaires, avec ce prêtre arabe et ses frères, dans un État démocratique où chrétiens, juifs et musulmans vivent dans la justice, l'égalité et la fraternité.
Rappelons que les juifs d'Europe et des États-Unis sont connus pour mener les luttes pour la laïcité et la séparation de l'Église et de l'État. Ils ont également lutté contre les discriminations fondées sur la religion. Comment peuvent-ils alors refuser ce paradigme humain pour la Terre sainte ? Comment peuvent-ils continuer à soutenir la politique nationale la plus fanatique, la plus discriminatoire et la plus verrouillée ?
En ma qualité officielle de président de l'OLP et de dirigeant de la révolution palestinienne, je proclame devant vous que lorsque nous parlons de nos espoirs communs pour la Palestine de demain, nous incluons dans notre perspective tous les juifs qui vivent actuellement en Palestine et qui choisissent de vivre avec nous dans la paix et sans discrimination.
En ma qualité officielle de président de l'OLP et de dirigeant de la révolution palestinienne, j'appelle les juifs à se détourner un à un des promesses illusoires que leur font l'idéologie sioniste et les dirigeants israéliens. Ils offrent aux juifs un bain de sang perpétuel, une guerre sans fin et un esclavage permanent.
Nous leur offrons la solution la plus généreuse pour que nous puissions vivre ensemble dans le cadre d'une paix juste dans notre Palestine démocratique.
Il a terminé ce discours dans le style de Martin Luther King en annonçant : « Aujourd'hui, je suis venu avec un rameau d'olivier et un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas le rameau d'olivier tomber de ma main. Je le répète : ne laissez pas le rameau d'olivier tomber de ma main ».
Les origines de la stratégie du mini-État palestinien
Mais, bien sûr, le pouvoir étant ce qu'il est dans le monde impérialiste d'aujourd'hui, les opprimés apprennent parfois qu'un certain degré de pragmatisme est nécessaire, qu'il soit juste ou non. Israël et les États-Unis ont rejeté l'idée d'un État démocratique avec des droits égaux pour tous les peuples d'Israël/Palestine ; et il était difficile de convaincre la majorité des juifs israéliens, qui étaient privilégiés avec un État ethno-suprématiste pour eux-mêmes dans 80 % de la Palestine, de le partager avec le peuple palestinien sur une base démocratique, comme le proposait l'OLP.
En conséquence, nous avons assisté à l'émergence du concept d'un mini-État palestinien établi dans toute partie de la Palestine qui pourrait être libérée en premier. Cette évolution a été annoncée par le FDLP qui, en juillet 1971, a appelé à la mise en place d'un « point d'appui fiable et libéré dans les territoires occupés qui assurerait la continuité de la révolution palestinienne ». Le « programme en 10 points » de l'OLP, accepté lors de la 12e réunion du Conseil national palestinien (CNP) en juin 1974 (8), continuait à rejeter la résolution 242 des Nations unies (signée par l'Égypte, la Jordanie et la Syrie) qui traitait la question palestinienne seulement comme un problème de réfugiés plutôt que comme une question d'autodétermination nationale. Toutefois, certaines formulations commençaient à laisser entendre qu'un mini-État pourrait être accepté dans une partie de la Palestine comme une étape dans la lutte engagée.
En particulier, le point 2 est libellé comme suit : « L'Organisation de libération de la Palestine emploiera tous les moyens, et en premier lieu la lutte armée, pour libérer le territoire palestinien et établir l'autorité nationale indépendante et combattante du peuple sur chaque partie du territoire palestinien libéré. Cela nécessitera de nouveaux changements dans le rapport de forces en faveur de notre peuple et de sa lutte. »
Le point 3 soulignait que l'OLP rejetterait tout accord qui l'obligerait à reconnaître Israël ou à renoncer au droit au retour des réfugiés palestiniens ou à leur droit à l'autodétermination ; et le point 4 soulignait que « tout pas vers la libération est un pas vers la réalisation de la stratégie de l'Organisation de libération consistant à établir l'État palestinien démocratique spécifié dans les résolutions des précédents Conseils nationaux palestiniens », c'est-à-dire une Palestine démocratique et laïque, du fleuve à la mer.
Cependant, comme le point 2 indiquait que la lutte serait menée par « tous les moyens », même si la lutte armée était alors considérée comme « première et principale », il y avait matière à faire de nombreux accords. L'idée d'établir une autorité palestinienne sur toute partie de la Palestine pouvant être libérée en premier était généralement comprise comme se référant aux 22 % de la Palestine nouvellement occupés par Israël en 1967, c'est-à-dire la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et Gaza. Il était clair que la lutte armée était nécessaire pour en finir avec l'occupation israélienne illégale de ces territoires ; tandis que l'implication selon laquelle d'autres formes de lutte pourraient être utilisées a été comprise comme signifiant que, si une autorité palestinienne était établie dans les territoires de 1967, alors la lutte en cours pour la démocratisation des 78 % d'« Israël de 1948 », et pour le droit au retour des réfugié·es palestiniens, victimes du nettoyage ethnique de 1948, dans toute la Palestine, pourrait prendre la voie de la résistance civile et politique, des négociations, de la lutte diplomatique, sur une plus longue période. Ainsi, bien qu'une « paix » totale avec Israël, une « reconnaissance » d'Israël, soit hors de question, une trêve à long terme pourrait être établie.
Bien que tout cela ne soit qu'implicite dans le programme de 1974, la formulation était nécessairement un compromis entre les différentes organisations de l'OLP. En pratique, l'organisation dominante d'Arafat, le Fatah, et les organisations de l'OLP qui lui étaient alliées (par exemple, à l'époque, le FDLP) l'interprétaient de la manière la plus large à la fin des années 1970 (tandis qu'un « front du refus » composé d'organisations de l'OLP plus radicales et opposées à tout compromis se formait également). Le FDLP a de nouveau été le pionnier du changement en 1975 en appelant à « un État-nation palestinien pleinement souverain sous la direction de l'OLP » dans les territoires occupés, associé au droit au retour des réfugiés dans toutes les parties de la Palestine. Le 13e CNP de 1977 a renforcé « l'autorité de combat » du 12e CNP, les Palestinien·nes établissant « leur propre État national indépendant sur leur sol national ». En outre, le CNP a souligné « l'importance de la connexion et de la coordination avec les forces progressistes et démocratiques juives à l'intérieur et à l'extérieur de la patrie occupée, qui luttent contre le sionisme ».
L'OLP et « la solution à deux États »
Mais si même l'aile la plus « modérée » de l'OLP avait encore ses lignes rouges très strictes (droit au retour, le mini-État n'est qu'une étape vers la libération totale et donc aucune reconnaissance d'« Israël »), peu de temps après, l'orientation du mini-État a été reprise par les États arabes, l'Union soviétique et ses alliés et, plus tard, par les pays d'Europe occidentale, et s'est durcie pour devenir « la solution » à deux États, qui impliquait une situation permanente. Dans cette optique, si Israël permettait la création d'un État palestinien dans les 22 % de la Palestine considérés légalement comme des « territoires occupés », cela devrait conduire à une reconnaissance mutuelle entre ce grand Israël et la petite Palestine, et le droit au retour des réfugié·es en Israël lui-même a été progressivement réduit – soit au retour de « certains » et à une « compensation » pour d'autres, soit à une suppression pure et simple. Cette « solution à deux États » à grande échelle peut en effet être considérée comme un abandon de la liberté palestinienne « du fleuve à la mer ».
Entre ces deux positions, la direction de l'OLP-Fatah savait qu'elle devait manœuvrer sur le plan diplomatique. Sa position était essentiellement la suivante : si la lutte armée et diplomatique palestinienne pouvait établir un mini-État laïque et démocratique tout en obtenant le droit au retour des réfugié·es dans l'État d'Israël, et si une lutte civile au sein d'Israël pour mettre fin à l'État ethnocratique et raciste et le remplacer par un État laïque et démocratique aboutissait, il ne servirait à rien d'avoir deux États démocratiques et laïques, de sorte qu'ils finiraient peut-être par n'en former qu'un seul ; le retour des réfugié·es en Israël et « l'égalité pour les arabes palestinien·nes en Israël » conduiraient « finalement à une résolution ultime de la question nationale palestinienne par l'établissement d'un seul État unifié et démocratique sur toute la terre de Palestine, où l'égalité prévaudra entre tous les citoyens indépendamment de leurs origines ethniques, religieuses ou nationales, y compris l'égalité entre les sexes ». La coexistence des deux États avec une trêve dans le cadre d'une lutte citoyenne pour la démocratie pourrait même être une étape nécessaire pour conquérir la classe ouvrière israélienne et la sortir de la paranoïa sur laquelle se fonde l'idéologie sioniste.
Rétrospectivement, de nombreux libéraux affirment que l'acceptation progressive par l'OLP d'une sorte de scénario à deux États a constitué un abandon bienvenu de l'idée « du fleuve à la mer », de sorte que si quelqu'un brandit ce slogan aujourd'hui, c'est qu'il s'agit d'un extrémiste visant à « anéantir Israël », etc. Mais de nombreux critiques de gauche, y compris au sein de l'OLP, y ont vu une capitulation et un rejet de la perspective de libération du fleuve à la mer. Toutefois, si l'on considère les choses de la manière décrite ci-dessus, l'acceptation progressive par l'OLP d'une phase de transition vers deux États n'était pas un abandon de la liberté palestinienne « du fleuve à la mer » ; l'élément essentiel est le maintien du droit au retour des réfugié·es de 1948.
En janvier 1976, une résolution (9) a été présentée au Conseil de sécurité des Nations unies (10) par un certain nombre d'États du Sud demandant la création d'un État palestinien indépendant dans les territoires occupés après le retrait israélien et la reconnaissance de « tous les États de la région ». L'OLP a exprimé son soutien à cette motion, à laquelle les États-Unis ont opposé leur veto (la France a soutenu la résolution tandis que le Royaume-Uni s'est abstenu). De même, l'OLP a accueilli favorablement la résolution 35/207 de l'Assemblée générale des Nations unies en 1980 (11), qui, outre les appels annuels au retrait total d'Israël des territoires occupés en 1967 et au retour des réfugié·es, ajoutait un soutien pour le peuple palestinien à « l'établissement de son État indépendant en Palestine ». L'OLP a également exprimé son soutien à des propositions similaires faites par le dirigeant soviétique Leonid Brejnev (12) en 1981, selon lesquelles le retrait israélien et l'établissement d'un mini-État palestinien devraient aboutir à « la sauvegarde du droit de tous les États de la région à la sécurité, à l'existence indépendante et au développement, à la fin de l'état de guerre et à l'établissement de la paix entre les États arabes et Israël ». Ces formulations ont laissé les 78 % de la Palestine à Israël (même si la lutte non militaire pour la démocratie et le retour des réfugié·es se poursuivra). Donc, cette concession majeure ressemble encore moins à l'idée de « jeter les juifs à la mer ».
Bien entendu, Israël a toujours refusé de se retirer des territoires occupés et a rejeté tout État palestinien, ne serait-ce que sur un mètre carré de la Palestine. Depuis les années 1970, il a progressivement rempli la Cisjordanie de « colons » (israélien·nes) fanatiques, armés et religieux, qui volent de grandes surfaces des terres palestiniennes et assassinent en toute impunité, ce qui témoigne de la revendication maximaliste d'Israël sur l'ensemble de la Palestine. Ainsi, l'État d'Israël désigne la Cisjordanie par le nom de « Judée-Samarie », nom donné à ces régions il y a des milliers d'années. En 1980, Israël a commis un acte de banditisme international en annexant officiellement (au lieu de simplement « occuper ») la Jérusalem-Est palestinienne, dont il s'était emparé illégalement en 1967 (il a également annexé le plateau du Golan en 1981, qui est un territoire syrien souverain).
Et depuis lors, Israël a été pleinement soutenu par les États-Unis dans cette position de refus absolu, alors même que la plupart des États de l'UE ont progressivement adopté une position de deux États. Israël et les États-Unis ont rejeté ensemble toute négociation avec l'OLP, qui avait été reconnue par tous les États arabes (et par l'Assemblée générale de l'ONU) comme le « représentant unique et légitime » du peuple palestinien. Alors qu'aucun pays au monde n'a reconnu l'annexion de Jérusalem-Est par Israël, ni comme nouvelle « capitale » d'Israël, l'administration Trump aux États-Unis a finalement fait sienne cette décision hautement illégale en 2017, et l'actuelle administration Biden n'a pas annulé cette violation flagrante du droit international.
Pour résumer : depuis la fin des années 1970, Israël et les États-Unis sont les États rejetant ce qui est devenu le consensus international, voté à une écrasante majorité par l'Assemblée générale des Nations unies chaque année, à savoir la création d'un État palestinien souverain avec Jérusalem pour capitale sur 22 % du territoire palestinien – comme si le fait de permettre au peuple autochtone d'avoir un État sur seulement un cinquième de son territoire constituait une concession généreuse aux Palestinien·nes !
Le plan de paix de Fès et la déclaration d'indépendance palestinienne
En 1982, à la suite de la guerre horriblement meurtrière menée pendant trois mois par Israël contre les Palestinien·nes au Liban, le 12e sommet de la Ligue arabe s'est tenu au Maroc, à Fès, et a proposé le plan de paix de Fès (13), pour un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza avec Jérusalem-Est comme capitale, en échange d'une reconnaissance arabe implicite d'Israël dans ses frontières légales (c'est-à-dire 78 % de la Palestine), la déclaration incluant « des garanties de paix entre tous les États de la région, y compris l'État palestinien indépendant ». Elle revendique les « droits nationaux inaliénables et imprescriptibles » des Palestinien·nes sans appeler explicitement au retour, mais ajoute un appel à « l'indemnisation de ceux qui ne désirent pas revenir », ce qui implique que celles et ceux qui le désirent doivent être autorisés à le faire. L'OLP et tous les États arabes, à l'exception de la Libye de Kadhafi, ont signé ce plan.
Bien entendu, cette proposition a été rejetée par Israël et les États-Unis, et Israël a concrétisée ce rejet en organisant et en facilitant aussitôt le massacre de 3 000 réfugié·es palestinien·nes à Sabra-Chatila, au Liban, par l'intermédiaire du groupe d'extrême droite la Phalange libanaise (le massacre a été dirigé par Elie Hobeika, qui a ensuite pris la tête de l'aile pro-Assad de la Phalange).
La déclaration d'indépendance palestinienne (rédigée par le poète palestinien Mahmoud Darwish) a été proclamée par Yasser Arafat le 15 novembre 1988 à Alger (14), à l'issue de la 19e réunion du Conseil national palestinien (CNP) qui avait adopté cette déclaration à une écrasante majorité. De manière significative, la déclaration cite la résolution 181 des Nations unies de 1947, qui avait initialement partagé la Palestine en un État juif à 56 % et un État arabe à 43 %, reconnaissant ainsi implicitement Israël. Dans les conditions actuelles, une revendication de 43 % de la Palestine (y compris le droit au retour dans le reste du territoire) serait une solution bien plus juste que les 22 %, compte tenu du nombre respectif d'Israélien·nes et de Palestinien·nes entre le fleuve et la mer ; dans la pratique, cependant, cela signifie une tentative plus énergique d'obtenir une souveraineté palestinienne reconnue sur les 22 % considérés comme « occupés ». Fait notable, dans l'esprit de 1969, la déclaration fait référence à la Palestine comme étant la « terre des trois religions monothéistes ».
À l'Assemblée générale des Nations unies, la déclaration d'indépendance palestinienne a été reconnue (15) par l'écrasante majorité des États membres, seuls deux d'entre eux ayant voté contre : les États-Unis et Israël.
C'était une époque pleine d'espoir : fin 1987, la première Intifada palestinienne avait éclaté ; des milliers de jeunes Palestinien·nes avaient affronté les forces d'occupation israéliennes en Cisjordanie et à Gaza avec des pierres, mais sans armes à feu ; Israël avait bien sûr réagi par des massacres. Le monde commençait à voir différemment Israël et la Palestine. Cependant, deux événements historiques mondiaux – l'effondrement du bloc de l'Est et de l'URSS en 1989-1991, ainsi que l'invasion du Koweït par l'Irak et la guerre menée par les États-Unis pour le vaincre en 1991 – ont eu des répercussions catastrophiques pour la Palestine, pour des raisons qui dépassent le cadre de cet essai.
Les fatidiques accords d'Oslo
Le résultat a été la poursuite de l'adaptation, malgré la déclaration audacieuse de 1988. En 1993, la direction de l'OLP/Fatah a accepté le processus d'Oslo, impliquant la reconnaissance d'Israël en échange d'une autorité palestinienne impuissante sur une fraction seulement des territoires occupés, dont Israël a retiré ses troupes (mais pas son contrôle global). Bien entendu, cela supposait qu'il ne s'agissait que de la première étape et qu'elle serait suivie de négociations avec Israël et les États-Unis sur les frontières définitives, le statut de Jérusalem, la question des réfugié·es et ainsi de suite, dans l'espoir qu'Israël se retire progressivement d'une partie de plus en plus importante de la Palestine. En d'autres termes, la position officielle de l'OLP restait celle d'un État palestinien sur la totalité des 22 %, mais, quelle que soit la manière dont on l'envisage, c'était une nouvelle concession majeure en ce qui concerne la reconnaissance d'Israël, basée entièrement sur la confiance.
Alors que tous les soutiens initiaux de l'OLP au scénario des deux États incluaient le droit au retour des réfugié·es dans l'ensemble de la Palestine/Israël – ce qui n'était donc pas nécessairement en contradiction avec l'expression « du fleuve à la mer » – Oslo peut être décrit comme la première fois où les dirigeants de l'OLP/Fatah ont effectivement renoncé à ce droit. Bien sûr, ils ont continué à insister sur le fait qu'il s'agissait de leur politique, mais en reconnaissant Israël alors que la question des réfugié·es était simplement reléguée à de futurs pourparlers sur le « statut final », ils s'en remettaient effectivement à la bonne volonté d'Israël sur une question qu'Israël avait toujours rejetée.
Par conséquent, ceux qui prétendent aujourd'hui que l'OLP a abandonné « du fleuve à la mer » avec la « solution » à deux États, et qu'il ne s'agit aujourd'hui que d'un slogan « extrémiste » ou « du Hamas », glorifient en tant que « modèle de paix » la capitulation totale d'Oslo. Il est important de noter qu'Oslo n'a pas seulement été rejeté par toutes les autres composantes de l'OLP, mais qu'il a également été rejeté au sein du Fatah, même par ses dirigeants. Il ne fait aucun doute que l'opinion ultra-majoritaire au sein du mouvement de libération palestinien dans son ensemble rejette la capitulation d'Oslo et continue de considérer que la Palestine s'étend du fleuve à la mer, quelle que soit la forme qu'elle prendra.
Bien entendu, comme beaucoup l'avaient prédit, Israël en a profité pleinement, refusant même de discuter des questions du statut final et remplissant la Cisjordanie et Jérusalem de centaines de milliers de colons israéliens illégaux (environ 700 000 aujourd'hui) qui ont volé la moitié du territoire et vivent comme des rois autour des bantoustans palestiniens séparés et enfermés, où « l'Autorité » palestinienne n'a aucune autorité réelle, tandis que la population palestinienne n'a aucun droit dans un Israël d'apartheid, et est constamment dépossédée, expulsée, humiliée aux points de contrôle et tuée en toute impunité.
C'est cette trahison israélienne totale et absolue des fausses promesses d'Oslo qui a conduit directement au déclenchement de la deuxième Intifada, beaucoup plus violente, en 2000, et à la montée en puissance du Hamas, une formation « islamiste » radicale extérieure à l'OLP dont l'idéologie et les actions (initialement ses attentats suicides) allaient éroder le message de paix et de coexistence que l'OLP avançait depuis 1969 – au profit du régime israélien qui s'en est servi comme d'une excuse ultra-hypocrite pour proclamer qu'il n'a pas de « partenaire pour la paix » en Palestine !
La mascarade de « l'offre généreuse » de 2000
Un incident important doit être abordé ici : l'affirmation souvent faite par les sionistes et leurs partisans selon laquelle l'OLP s'est vu offrir « 95 % » de ce qu'elle voulait par le président américain Clinton et le Premier ministre israélien Ehud Barak en 2000, mais qu'Arafat s'est « désisté » de cette « offre généreuse » et a, au contraire, déclenché la seconde Intifada.
La première question est de savoir si Arafat avait le droit d'accepter « 95 % » de ce qui n'était que 22 % de la Palestine, alors que la moitié de la population de la région était désormais palestinienne et – comme l'a clairement affirmé Barak – sans droit de retour pour les millions de réfugié·es de la Nakba de 1948. Il est certain que, par souci d'équité, tout compromis territorial aurait dû venir de la partie qui possède 78 % de la Palestine nettoyée ethniquement.
Deuxièmement, le chiffre de 95 % n'inclut pas Jérusalem-Est, la mer Morte, la vallée du Jourdain ou les colonies israéliennes, ce qui signifie qu'il s'agit plutôt de 70 % des territoires occupés, soit environ 15 % de la Palestine.
Troisièmement, l'omission, par le régime d'occupation illégale, de Jérusalem-Est, partie palestinienne, annexée est cruciale. Israël a proclamé que cette ville était sa capitale éternelle « indivise », rejetant toute division ou même tout partage de Jérusalem-Est (l'idée de faire de Jérusalem-Est la capitale partagée de deux États a été évoquée dans de nombreuses propositions de paix). Pour quiconque s'est renseigné sur la situation au-delà du niveau superficiel, ou s'est rendu sur place, il est clair que Jérusalem-Est n'est pas facultative pour un État palestinien, c'est le cœur géographique, économique et culturel de la Cisjordanie ; tous les chemins mènent à Jérusalem. Omettre Jérusalem signifie simplement bantoustaniser. En outre, Jérusalem-Est annexée a été étendue par Israël à quelque 70 kilomètres carrés, avec les colonies israéliennes qui enserrent la ville, elles aussi considérées comme hors de Palestine.
En fait, comme l'explique Naseer Aruri, professeur émérite de sciences politiques à l'université du Massachusetts, « le mythe de “l'offre généreuse” consistait en quatre enclaves, coupées en deux par des colonies illégalement construites et des routes de contournement réservées aux juifs, qui auraient empêché les Palestinien·nes d'établir un État viable, indépendant et d'un seul tenant dans la région située entre le Jourdain et la mer Méditerranée ». (16) Bien que les quatre cantons (nord de la Cisjordanie, centre de la Cisjordanie, sud de la Cisjordanie et Gaza) aient pu être qualifiés d'« État », les exigences d'un État-nation faisaient cruellement défaut. Il s'agirait d'un État sans souveraineté, sans continuité géographique et sans contrôle de ses frontières, de son espace aérien et de ses ressources économiques et hydriques. En fait, il aurait consisté en 64 groupes d'îles au milieu d'Israël – un « État » existant à l'intérieur d'Israël, mais pas à côté d'Israël.
Il est clair que Clinton et Barak visaient le rejet par les Palestinien·nes de cette « offre » effroyable.
Le plan de paix arabe
Le plan de paix arabe de 2002, lancé par l'Arabie saoudite et approuvé par l'ensemble de la Ligue arabe, y compris l'OLP, reprenait pour l'essentiel le plan de Fès, mais cette fois-ci en explicitant la reconnaissance d'Israël et en déclarant que le conflit israélo-arabe serait « terminé » si Israël se retirait des territoires qu'il a occupés en 1967 (y compris les hauteurs du Golan syrien) et autorisait la création d'un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale. En ce qui concerne les réfugié·es, il se contente d'appeler à « une solution juste au problème des réfugiés palestiniens, à convenir conformément à la résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations unies ». (17)
Bien entendu, cette proposition a été rejetée par Israël et les États-Unis.
Il est donc clair que, des décennies plus tard, Israël et les États-Unis sont toujours les États qui rejettent toute solution démocratique, alors que les dirigeants palestiniens visent toujours officiellement la liberté des Palestinien·nes, du fleuve à la mer, de la manière la plus conciliante possible. Dans la pratique, la situation est bien pire, car l'Autorité palestinienne dirigée par le Fatah s'est transformée, sous Oslo, en un instrument de l'occupation israélienne dans les bantoustans qu'elle est habilitée à gérer, en lançant des mesures de répression « sécuritaires » à l'encontre des militant·es palestinien·nes les plus combatifs.
Le Hamas
Mais qu'en est-il du Hamas ? Le Hamas – Mouvement de résistance islamique – vise certainement une « Palestine islamique » et est donc également une force rejetant toute solution démocratique. Une force née de la colonisation, de la dépossession et de la brutalité israélienne et de l'attitude conciliatrice de l'Autorité palestinienne, mais néanmoins une force de rejet de la solution démocratique d'une manière qui menace la population juive israélienne. Sa rhétorique et ses actions initiales, ainsi que sa charte, le suggèrent certainement.
Bien que cette question mérite un article à part entière, il est important de noter dans ce contexte que le Hamas n'est pas la première organisation de résistance sur la planète à avoir démarré « extrémiste » avant de s'adapter à la réalité. Notamment, lorsque le plan de paix arabe a été présenté au sommet suivant de la Ligue arabe à Riyad en 2007, et à nouveau approuvé par tous les États, le Hamas, qui avait été élu à la tête de l'Autorité palestinienne, s'est abstenu mais n'a pas voté contre (Israël l'a à nouveau rejeté).
Ce vote n'est pas un fait isolé. Le Hamas a renoncé aux attentats suicides en 2003, puis, de manière plus décisive en 2005, il a battu le Fatah lors des élections nationales pour l'Autorité palestinienne de 2006 et a présenté les fameuses propositions de Hudna (cessez-le-feu). Fondamentalement, la Hudna est la même chose que la proposition de deux États, mais avec un cessez-le-feu à long terme remplaçant une paix totale avec reconnaissance (18). Le Hamas a déclaré que la lutte armée était nécessaire pour libérer la Cisjordanie et Gaza, mais que si un mini-État palestinien y était établi avec Jérusalem pour capitale, le Hamas instaurerait un cessez-le-feu de dix ans avec Israël, qui pourrait être étendu à des décennies si Israël maintenait la paix, pendant lesquelles la lutte civile se poursuivrait pour la liberté des Palestinien·nes (y compris le retour) en Israël. Cela allait de pair avec les déclarations des principaux dirigeants du Hamas selon lesquelles leur lutte était dirigée contre le sionisme et l'occupation, et non contre les juifs, qu'ils ne voulaient pas « jeter à la mer », ce qui a ensuite été intégré dans leur nouveau programme politique (19). Même la question de la reconnaissance d'Israël a été déclarée « décision du peuple palestinien » dans le projet de programme gouvernemental du Hamas en 2006 (20).
Mais c'était un problème pour les dirigeants israéliens. Le Hamas n'était utile à Israël qu'en tant que pôle « extrémiste » pouvant justifier la poursuite du rejet israélien (21). Un Hamas plus pragmatique constituait un problème désastreux pour Israël. Israël était tellement terrifié par la paix qu'il a assassiné le médiateur du Hamas, Ahmed Jabari, juste après que celui-ci eut reçu le projet d'accord de trêve permanente avec Israël, qui comprenait des mécanismes de maintien du cessez-le-feu (22), qu'il avait négocié avec le médiateur israélien Gershon Baskin. La réaction à plus grande échelle d'Israël a été d'enfermer Gaza, où le Hamas dominait, dans un blocus terrestre, maritime et aérien de 16 ans, qui a réduit Gaza à des conditions que les Nations unies ont qualifiées « d'invivables » (23), tout en bombardant régulièrement ce ghetto, fermé et extrêmement dense, pour le réduire en cendres et en tuant des milliers de civils. Tout cela visait, entre autres, à faire régresser politiquement le Hamas pour en faire ce que les dirigeants israéliens extrémistes préféraient appeler un « partenaire de guerre ». Un objectif apparemment atteint. Et à maintenir la division de la Palestine de 1967 entre Gaza, gouvernée par le Hamas, et la Cisjordanie, gouvernée par la pathétique Autorité palestinienne. Cette situation cauchemardesque a également facilité la mise en place d'un régime interne plus répressif dirigé par le Hamas à Gaza.
Les conséquences de cette réduction de Gaza à un camp de concentration sous bombardements ont été mises en évidence par la violence effroyable qui a explosé dans le sud d'Israël le 7 octobre 2023, ce qui a permis à Israël de tenter de mettre en œuvre son véritable programme à long terme : le nettoyage ethnique complet de Gaza et de la Cisjordanie et la réalisation du programme du Likoud de suprématisme israélien du fleuve à la mer. Était-ce inévitable ?
Gaza, la centralité du retour des réfugié·es et le tournant de la Marche du retour
Le célèbre mouvement de la « Marche du retour » à Gaza en 2018-2019 a probablement marqué un tournant. Pour comprendre cela, il est important de revenir sur la question clé du droit au retour des réfugié·es palestinien·nes. Est-ce que peut-être les Palestinien·nes « en demandent trop » en espérant avoir le droit de retourner dans la Palestine de 1948 (Israël) ainsi qu'un État souverain dans 22 % de la Palestine ? En fait, le chiffre minuscule de 22 % ne peut se justifier que si le droit au retour est inclus. C'est surtout cela qui autorise à accepter l'accord sur les deux États dans le contexte de la liberté des Palestinien·nes du fleuve à la mer (il y a aussi la question de la citoyenneté de seconde classe des 20 % de Palestinien·nes à l'intérieur de l'Israël de 1948).
Et c'est Gaza qui met cela le plus en évidence. Même si nous devions, pour les besoins de l'argumentation, accepter l'abrogation de la résolution 194 des Nations unies ainsi que celle sur les droits humains élémentaires (selon lesquels le droit au retour des réfugié·es n'est pas négociable), même si nous devions ignorer les millions de réfugié·es palestinien·nes au Liban, en Syrie, en Jordanie et ailleurs, la question ne peut être ignorée à Gaza, où elle est essentielle pour comprendre le désastre.
Parler d'un État palestinien en Cisjordanie « et dans la bande de Gaza » représente un déséquilibre flagrant. La Cisjordanie a une superficie de 5 860 km² et la bande de Gaza de 360 km² ; Gaza ne représente donc qu'environ 6 % des territoires occupés. Pourtant, il y a quelque 3 millions de Palestinien·nes en Cisjordanie et 2,3 millions à Gaza. Si l'on inclut Jérusalem-Est, on peut dire que la Cisjordanie a une certaine viabilité en tant que partie d'un État indépendant, ce qui n'est pas le cas de la « bande » de Gaza.
Cela n'est pas dû à un quelconque accident, mais au fait que 80 % des « Gazaouis » ne sont pas des « Gazaouis » : ce sont des réfugiés et leurs descendants qui ont été expulsés de ce qui est devenu Israël en 1948 (24). Les villes et les villages d'où ils et elles ont été expulsés sont en grande partie ceux qui se trouvent de l'autre côté de la « frontière », au nord et à l'est de Gaza (en fait, la plupart d'entre eux se trouvaient à l'intérieur des frontières de « l'État arabe » proposé en 1947, avant qu'Israël ne viole ces frontières). C'est le cas de ceux qui ont été attaqués le 7 octobre. Les Palestiniens de Gaza considèrent les colonies israéliennes implantées dans ces régions comme étant des occupations illégales de leurs terres volées. Je ne fais pas cette remarque pour justifier l'horrible violence de ce jour-là, mais c'est certainement l'une des causes de cette fureur, lorsque les personnes expulsées de ces régions se sont échappées du camp de concentration.
Quoi que l'on pense de ce jour fatidique – qui, à mon avis, a été un désastre total pour le peuple palestinien, quelle que soit l'euphorie initiale de « briser le mur de la prison » – il souligne certainement le fait que le retour des réfugiés n'est pas un élément supplémentaire à la solution de la question palestinienne, mais une composante essentielle de celle-ci, à moins que l'État palestinien soit composé d'environ 50 % du territoire.
Et c'est là qu'intervient la Marche du retour. En 2018-2019, des milliers de Palestinien·nes ont marché, sans armes à la main, contre le mur qui sépare leur prison de leurs terres à l'intérieur d'Israël. Ces manifestations de masse entièrement pacifiques se sont poursuivies pendant un an, dans le but de dire au monde et au peuple israélien que « nous sommes toujours là ». La réponse du régime sioniste a été de tirer pour tuer et mutiler : 266 Palestinien·nes ont été massacrés, dont 50 enfants, et plus de 30 000 ont été blessés, dont 3 000 enfants (25). Selon l'ONU, « en 2020, on estime que 10 400 personnes souffriront de graves problèmes de santé mentale liés aux manifestations de la Grande marche du retour, et que près de 42 000 personnes auront des problèmes légers à modérés. Ces chiffres incluent plus de 22 500 enfants » (26). Il est stupéfiant que cet épisode massif de terrorisme sioniste ait été ignoré.
Il s'agissait presque certainement d'un point de non-retour.
La souveraineté indigène en Australie « d'un océan à l'autre ».
« Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre » exprime ainsi le point de vue selon lequel la « Palestine » existe dans toutes les parties de la Palestine ; la souveraineté de la population autochtone ne peut pas être simplement abolie. Quels que soient les accords « étatiques » conclus de manière temporaire ou même permanente, une « frontière » enfermant deux millions de réfugié·es palestinien·nes dans la « bande » ou « l'enclave » de Gaza (c'est-à-dire un ghetto) n'est pas une frontière pour la Palestine. La Palestine vit à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem, en Israël (Palestine de 1948) et dans la diaspora, dans le cadre du droit au retour, principalement en Israël.
Cela abolit-il le droit de la nation israélienne, qui, malgré ses origines violentes, existe également aujourd'hui (d'autant plus que la majorité de la population est née après 1948) ? Eh bien, pas selon la position de l'OLP depuis 1969, ni selon aucun des accords internationaux que la Palestine a toujours signés, comme cela a été bien démontré ci-dessus. Mais il y a aussi une autre façon de voir les choses, lorsque l'on considère les luttes des peuples indigènes dans d'autres États coloniaux.
Je prendrai l'exemple de l'Australie où je vis. Tout comme la colonisation sioniste de la Palestine était fondée sur le mythe selon lequel la Palestine était « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », la colonisation britannique de l'Australie était fondée sur le mythe de la « terra nullius », c'est-à-dire d'une terre vide, n'appartenant à personne (doctrine finalement mise à mal par l'arrêté de la Haute Cour de Mabo en 1993).
Les Premières nations aborigènes d'Australie se considèrent comme « souveraines » sur l'ensemble du territoire australien. La plupart des Australiens de gauche et progressistes – et même une grande partie de l'opinion libérale dominante – acceptent ce concept comme signifiant que « la souveraineté n'a jamais été cédée », comme nous le déclarons dans Acknowledgements to Country (Reconnaissance au pays), et que le lien des Premières nations avec leur terre concerne toutes les parties de leur terre, indépendamment de ceux qui y vivent aujourd'hui et des formations politiques qui y existent. À l'exception des réactionnaires véritablement obscurantistes, personne ne croit sérieusement que la reconnaissance de la souveraineté des Aborigènes signifie qu'ils ont l'intention de « pousser les Australiens non indigènes à la mer ».
Non pas que l'Australie blanche soit particulièrement éclairée : lors du récent référendum, 60 % des Australien·nes ont voté contre une proposition des nations aborigènes visant à établir dans la Constitution une « voix » indigène purement consultative au parlement, afin de représenter partiellement leur souveraineté. Quoi qu'il en soit, la lutte se poursuit, les Premières nations faisant pression pour obtenir mieux que la « voix », rejetée et sans envergure, à savoir un traité entre les Premières nations souveraines et la nation australienne souveraine issue de la colonisation. De nombreux Australiens aborigènes se sont également opposés à la « voix » pour la raison opposée à celle de la plupart des électeurs blancs : parce qu'il s'agissait d'une proposition extrêmement faible alors qu'ils souhaitent un traité garantissant une représentation plus sérieuse et l'autodétermination en ce qui concerne leurs propres affaires.
Le dialogue national des Premières nations qui s'est tenu à Uluru, dans le centre de l'Australie, en 2017, et qui a appelé au processus « Voix-Vérité-Traité », a posé la question de la souveraineté de cette manière dans sa fameuse « Déclaration du cœur » :
Nos tribus aborigènes et insulaires du détroit de Torrès ont été les premières nations souveraines du continent australien et de ses îles adjacentes, qu'elles possédaient selon leurs propres lois et coutumes. […] Cette souveraineté est une notion spirituelle : le lien ancestral entre la terre, ou « mère nature », et les peuples aborigènes et insulaires du détroit de Torrès qui en sont nés, y restent attachés et doivent un jour y retourner pour s'unir à leurs ancêtres. Ce lien est à la base de la propriété du sol, ou mieux, de la souveraineté. Elle n'a jamais été cédée ni éteinte et coexiste avec la souveraineté de la Couronne. (27)
Pour celles et ceux qui lisent cela de l'extérieur de l'Australie : la souveraineté de « la Couronne », c'est ainsi que l'Australie blanche coloniale désigne l'État australien actuel, qui est toujours, malgré 122 ans d'indépendance, officiellement sous le grotesque vestige féodal d'un pays situé à l'autre bout du monde. La souveraineté des Premières nations « coexiste » avec celle de « la Couronne » partout en Australie, d'un océan à l'autre ; leur souveraineté n'existe pas seulement dans certaines régions largement arides où elles ont remporté des luttes pour les droits fonciers ou dans certaines régions à forte concentration d'Aborigènes.
La Déclaration du cœur d'Uluru se termine ainsi : « Nous vous invitons à participer avec nous au mouvement du peuple australien pour un avenir meilleur. »
La déclaration de Yasser Arafat à l'ONU en 1974 comprend également ce qui suit : « Nous leur offrons [aux Juifs israéliens] la solution la plus généreuse, afin que nous puissions vivre ensemble dans le cadre d'une paix juste dans notre Palestine démocratique. »
D'un océan à l'autre ; du fleuve à la mer.
Michael Karadjis, enseignant en sciences sociales à l'Université de Sydney, est membre de Syria Solidarity Australia.
Cet article a été publié d'abord en anglais sous le titre « “From the River to the Sea” : Palestine's historic struggle to share the land versus Israeli rejectionism » par le blog Their Anti-impérialism and Ours, puis repris par la revue australienne en ligne Links.
Traduit de l'anglais par JM.
Notes
1) « Rashida Tlaib Posts Video Accusing Biden of Supporting ‘Genocide' », New York Times, 3 novembre 2023.
2) « The Hateful Likud Charter Calls for Destruction of Any Palestinian State », Jonathan Weiler, Informed comment, 8 avril 2014.
3) Palestine : The solution – The Arabs proposals and the case on which they rest, The Arab Office, Wardman Partk, Washington, D. C., April 1947. The Arab Office de Washington était alors sponsorisé par les gouvernements des États arabes (Égypte, Irak, Liban, Arabie saoudite, Syrie, Transjordanie et Yémen) et enregistré auprès du Département de Justice des États-Unis. Disponible en PDF.
4) https://www.unrwa.org/content/resolution-194
5) Address by the Al-Fateh Delegation to the Second International Conference in Support of the Arab Peoples, Le Caire, janvier 1996.
6) Présentation du FDLP, par Maher Charif, historien palestinien marxiste.
7) https://al-bab.com/documents-section/speech-yasser-arafat-1974#sthash.aThCyhr3.dpbs
8) 10 Point Program of the PLO (1974), Political Program Adopted at the 12th Session of the Palestine National Council, Cairo, 8 June 1974.
9) S/11940.
10) Palestine question core of conflict – Vetoed draft resolution.
11) Résolution 35/207.
12) « The question of Palestine », Nations unies, 1991.
13) « Déclaration finale », 9 septembre 1982.
14) « Palestinian Declaration of Independence », 18 novembre 1988.
15) Résolution 43/177, 15 décembre 1988.
16) « Palestine : The reality of Israel's “generous offer” », entretien de Naseer Aruri avec Anthony Arnove, 24 avril 2002, Socialist Worker.
17) « Plan de paix » de la Ligue arabe, 27 mars 2002.
18) « Hamas touts 10-year ceasefire to break deadlock over Israel », Ewen MacAskill et Harriet Sherwood, 1er novembre 2006, The Guardian.
19) « We will not sell our people or principles for foreign aid », Khalid Mish'al, 1er février 2006, The Guardian, « We Do Not Wish to Throw Them Into the Sea », 26 février 2006, et « Khaled Meshaal : Struggle is against Israel, not Jews », 6 mai 2017, Al Jazeera.
20) Projet de programme gouvernemental du Hamas, 12 mars 2006.
21) L'auteur utilise ici le terme « rejectionism », comme dans le titre initial de l'article.
22) « Israeli Peace Activist : Hamas Leader Jabari Killed Amid Talks on Long-term Truce », Nir Hasson, 15 novembre 2012, Haaretz.
23) « Gaza “invivable”, rapporteur spécial de l'ONU pour la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés à la troisième commission – communiqué de presse (extraits) », 24 octobre 2018.
24) « Where we work », Unrwa, août 2023, « Gaza's Untold Story : From Displacement to Death », infographie, 17 septembre 2015, Al Mezan.
25) « Gaza's Great March of Return protests explained », Huthifa Fayyad, 30 mars 2019, Al Jazeera.
26) « Two Years On : People Injured and Traumatized During the “Great March of Return” are Still Struggling », ONU, 6 avril 2020.
27) « Uluru statement from the heart ».
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Jusqu’à quand Israël pourra-t-il défier le monde ?
Suite à l'offensive de l'armée israélienne, en janvier 2024 plus de 20 000 Palestiniens de Gaza étaient déjà tués, principalement des femmes et des enfants. Trois fois plus étaient blessés. Certains experts qualifient cela de génocide, d'autres de massacre. Deux millions de personnes ont été déplacées, bien plus que durant toute l'histoire du déplacement des Palestiniens depuis le début de l'installation sioniste au tournant du XXème siècle. Comme Israël s'en prend aux hôpitaux et aux infrastructures civiles, les maladies infectieuses et la famine menacent de faire encore plus de victimes.
Tiré de Pressenza.
Plusieurs soldats israéliens eux-mêmes auraient été d'ailleurs infectés lors des opérations au sol et l'un d'eux est mort. Le général de réserve Giora Eiland suggère de tabler sur l'arme des épidémies imminentes plutôt que de mettre en danger la vie des soldats israéliens dans une affrontement réel. Les bombardements violents de Gaza ont démodernisé la zone et l'ont ramenée à l'âge de pierre : hôpitaux, écoles, centrales électriques sont réduits en ruines. Ce qui s'y déroule semble sans précédent. Tout comme le nombre des victimes.
Pourtant, la tragédie qui s'y déroule suit l'ancien scénario du projet sioniste, un projet européen à plus d'un titre, enraciné dans les nationalismes ethniques d'Europe de l'Est et d'Europe centrale. Selon celui-ci, les nations doivent vivre dans leur environnement « naturel » et ceux qui n'appartiennent pas à l'ethnie titulaire sont tout au plus tolérés. Un journaliste irakien écrivait, en 1945, que l'objectif des sionistes était « d'expulser les Britanniques et les Arabes de Palestine afin qu'elle devienne un pur État sioniste. (…) Le terrorisme [était ainsi] le seul moyen qui pouvait permettre aux aspirations sionistes d'aboutir. » De manière significative, le journaliste ne considérait pas l'État futur comme juif mais comme sioniste. Il devait savoir que les juifs de pays autres que ceux d'Europe et de colonisation européenne constituaient une part minuscule du mouvement sioniste.
Le sionisme est également européen en ce qu'il s'agit du plus récent projet d'occupation coloniale. L'Association de Colonisation Juive de la Palestine était une des agences consacrées à transformer la Palestine multiethnique et multiconfessionnelle en « foyer juif ». Le Jewish Colonial Trust, prédécesseur de la Banque Léumi, aujourd'hui la plus grande banque d'Israël, finançait le développement économique lié à l'établissement sioniste en Palestine. Selon le mode d'action colonial habituel, les premiers colons sionistes étaient désireux d'établir une colonie séparée plutôt que de s'intégrer dans la société palestinienne existante.
Le sionisme n'est pas seulement le cas le plus récent de colonialisme de peuplement. Israël est unique en ce sens que, contrairement à l'Algérie ou au Kenya, il n'est pas peuplé de migrants venant de la métropole coloniale. Mais cette distinction importe peu pour les Palestiniens autochtones qui, comme dans de nombreuses autres situations, sont déplacés, dépossédés et massacrés par les colons. Le déplacement est mis en œuvre non seulement à Gaza, où il est massif et sans discrimination, mais aussi en Cisjordanie où il est plus ciblé.
Pour parvenir à ses objectifs, le sionisme a dû compter sur les grandes puissances, l'Empire britannique, l'Union soviétique, la France et, de nos jours, les États-Unis. Les sionistes, visant la réussite de leur projet, ont été pragmatiques et idéologiquement souples. Ils ont bénéficié du soutien de l'Internationale Socialiste pendant la majeure partie du XXème siècle puis sont devenus les favoris des suprématistes blancs et de l'extrême droite.
Le sionisme est une réponse de type nationaliste à la discrimination et à la violence anti-juives en Europe. Il considère l'antisémitisme comme endémique et irréductible, rejetant explicitement la viabilité à long terme de la vie juive partout sauf au sein de « l'État juif » en Palestine. Le génocide nazi en Europe a renforcé cette conviction et a offert une légitimité au projet colonial naissant alors que de tels projets échouaient partout ailleurs. Le projet sioniste, ignorant l'opposition des Palestiniens et des Arabes, a simplement exporté la « question juive » de l'Europe en Palestine.
Les Palestiniens ont progressivement compris que le projet sioniste les priverait de leur terre et ont entamé une résistance. C'est pourquoi les premiers colons sionistes, pour la plupart originaires de l'Empire russe, ont formé des milices pour combattre la population locale. Ils ont perfectionné leur expérience terroriste acquise pendant la révolution de 1905 avec des mesures de contre-insurrection coloniales apprises de la vaste expérience des Britanniques. Établi contre la volonté du monde arabe tout entier, y compris des Palestiniens locaux, l'État d'Israël doit vivre par l'épée. L'armée et la police ont travaillé dur pour parvenir à ce que les Britanniques appelaient la « pacification des indigènes » et maintenir les Palestiniens sous contrôle. Leur tâche a consisté à conquérir autant de terres que possible et de faire en sorte que le moins de Palestiniens y demeure.
De nombreux Gazaouis avaient été expulsés de la zone même qui a subi l'attaque du Hamas en octobre. Ce sont pour la plupart des réfugiés ou des descendants de réfugiés de ce qui est maintenant l'État d'Israël. La forte densité de la population dans une zone close, que certains appellent « la plus grande prison à ciel ouvert », les rend particulièrement vulnérables. Lorsqu'Israël n'a pas apprécié l'élection du Hamas en 2006, il a assiégé Gaza limitant l'accès à la nourriture, aux médicaments, au travail, etc. Les responsables israéliens admettaient ouvertement qu'ils mettaient les Gazaouis « au régime » tout en ayant à « tondre la pelouse » de temps en temps en soumettant les Gazaouis à une « pacification » violente.
Les seize années de siège ont intensifié la colère, la frustration et le désespoir, et conduit à l'attaque du Hamas de 2023. En réponse, Israël a utilisé des drones, des missiles et des avions pour continuer ce qui avait été commencé auparavant avec des fusils et des mitrailleuses. Le taux de mortalité a augmenté, mais l'objectif de terroriser les Palestiniens pour les soumettre est resté le même. Le nom de l'assaut actuel sur Gaza, « Épées de Fer », reflète bien le choix séculaire des sionistes de vivre par l'épée plutôt que de coexister avec les Palestiniens sur un pied d'égalité. Ein berera, « nous n'avons pas le choix », l'excuse israélienne courante pour déclencher la violence, est donc trompeuse.
Impunité et impuissance
Israël a bénéficié d'un degré élevé d'impunité et des dizaines de résolutions de l'ONU ont tout simplement été ignorées. Une seule fois, dans le sillage de la guerre de Suez de 1956, Israël a été contraint de renoncer à la conquête territoriale. Cela s'est produit sous une menace venant à la fois des États-Unis et de l'Union soviétique. Depuis lors, Israël s'appuie sur un soutien diplomatique et militaire ferme des États-Unis, qui est devenu plus effronté avec l'avènement du moment unipolaire de l'Amérique après la dissolution de l'Union soviétique. Ce soutien se manifeste maintenant par la fourniture de munitions américaines pour la guerre à Gaza, la présence de navires de la marine américaine protégeant Israël d'autrui et les vetos des États-Unis au Conseil de sécurité. Israël et les États-Unis vont de pair. L'Europe, bien qu'étant plus critique envers Israël sur le plan rhétorique, n'en suit pas moins de près la ligne américaine, comme elle le fait dans le conflit en Ukraine. Dans les deux cas, les chancelleries européennes semblent avoir abdiqué leur indépendance et, éventuellement, leur capacité d'action.
L'impunité d'Israël reflète également l'impuissance du reste du monde. Alors que les gouvernements musulmans et arabes dénoncent et protestent contre l'assaut d'Israël sur Gaza, aucun n'a imposé ou même proposé de sanctions économiques et encore moins militaires. Moins d'une douzaine de pays ont suspendu les relations diplomatiques ou retiré leur personnel diplomatique d'Israël. Aucun n'a coupé les ponts. La Russie et la Chine, ainsi que la plupart de ceux du Sud global, expriment leur consternation face aux victimes civiles à Gaza, mais se limitent à des déclarations.
Les réactions occidentales manifestent deux poids, deux mesures. Des sanctions économiques drastiques imposées à la Russie contrastent avec l'approvisionnement généreux en armes et, au mieux, des appels verbaux à la modération en réponse aux actions israéliennes à Gaza. En quelques mois, Tsahal a dépassé le record de presque deux ans de la Russie en Ukraine en ce qui concerne le volume d'explosifs largués, le nombre de personnes tuées et blessées, et la proportion civils/militaires parmi les victimes. Les sermons occidentaux sur l'inclusion et la démocratie sont peu susceptibles de peser lourd dans le reste du monde. Les vies palestiniennes ne comptent pas vraiment pour les gouvernements occidentaux.
La nonchalance des réactions vis-à-vis des massacres à Gaza contraste avec l'indignation qu'ils provoquent dans la population d'une grande partie du monde. D'énormes manifestations appellent les gouvernements à mettre un terme à la violence. En réponse, la plupart des gouvernements occidentaux n'ont rien trouvé de mieux que de renforcer les mesures visant à restreindre la liberté d'expression. L'opposition au sionisme a été assimilée à de l'antisémitisme ; le Congrès américain a même entériné officiellement l'équivalence entre l'antisionisme et l'antisémitisme en décembre 2023. Des accusations d'antisémitisme sont portées à l'encontre d'étudiants, souvent juifs, qui organisent des manifestations propalestiniennes. Les débats télévisés sur ce qui constitue « l'antisémitisme génocidaire » dans les campus universitaires d'élite détournent l'attention de ce qui ressemble à un véritable génocide à Gaza. L'antisémitisme sert de Wunderwaffe à Israël, son arme de distraction massive.
Des manifestations propalestiniennes ont été interdites dans plusieurs capitales européennes où le boycott commercial ou culturel d'Israël a été rendu illégal. Cette pression de la classe dirigeante, y compris les tribunaux, la police, les entreprises médiatiques, les employeurs et les administrations universitaires, crée un puissant sentiment de frustration dans la population. Peu après avoir attaqué Gaza en 2009, et malgré de vives critiques sur son traitement des Palestiniens, Israël a été accepté à l'unanimité dans l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), composée d'environ 30 pays qui se vantent de structures de gouvernance démocratiques. L'ancien Premier ministre canadien Stephen Harper, alors encore en fonction, a placé la solidarité avec Israël au-dessus des intérêts du Canada au point de prétendre que son gouvernement soutiendrait Israël « quel qu'en soit le coût ».
Le soutien à Israël, qui tend à augmenter en fonction du revenu, s'est transformée en une question de classe. Il sert de rappel supplémentaire de l'éloignement croissant entre les dirigeants et les dirigés, le fameux un pour cent et le reste du monde. Reste à voir si la frustration populaire face à l'hypocrisie des gouvernements dans leur soutien à la guerre à Gaza pourra un jour entraîner un changement politique qui menacerait l'impunité d'Israël.
Israël est un État sans frontières. En termes géographiques, il s'est étendu par la conquête militaire ou par la colonisation. Le mouvement sioniste et les gouvernements israéliens successifs se sont donné beaucoup de mal pour ne jamais définir les limites qu'ils envisagent pour leur État. Les services secrets israéliens et l'armée ne tiennent aucun compte des frontières, frappant des cibles dans les pays voisins et ailleurs à leur guise. Ce caractère sans frontières se manifeste également dans la prétention d'Israël d'appartenir aux Juifs du monde entier plutôt qu'à ses citoyens. Cela conduit à la transformation ouverte des organisations juives en agents israéliens. C'est particulièrement évident aux États-Unis. Des agents à peine secrets israéliens, tels que l'AIPAC, assurent les intérêts d'Israël dans les élections américaines à tous les niveaux, des conseils scolaires à la Maison Blanche. Israël a même joué le pouvoir législatif contre l'exécutif à Washington. Pourtant, cette ingérence politique flagrante attire beaucoup moins de critiques dans les médias grand public que les ingérences supposées de la Chine ou de la Russie. Israël intervient également dans les affaires intérieures d'autres pays.
Conflit entre les valeurs juives et sionistes
Le sionisme a suscité la controverse au sein des juifs dès son origine. Le premier congrès sioniste en 1897 a dû être déplacé de l'Allemagne en Suisse parce que les organisations juives allemandes s'opposaient à la tenue d'un événement sioniste dans leur pays. L'argument sioniste selon lequel la patrie des juifs n'est pas le pays où ils ont vécu pendant des siècles et pour lequel beaucoup ont versé leur sang lors des guerres, mais une terre d'Asie occidentale. Pour beaucoup de juifs, ce message n'est pas sans entretenir une ressemblance déconcertante avec celui des antisémites qui sont indignés par leur intégration sociale.
Initialement irréligieux, le sionisme détourne la terminologie religieuse à des fins politiques. Ainsi, ‘am Israel, « le peuple d'Israël », défini par sa relation à la Torah, est considéré comme se référant à une ethnie ou une nationalité dans la terminologie sioniste. Ce qui a incité l'éminent rabbin européen Jechiel Weinberg (1884-1966) à souligner que « la nationalité juive est différente de celle de toutes les nations en ce sens qu'elle est uniquement spirituelle et que sa spiritualité n'est rien d'autre que la Torah. […] À cet égard, nous sommes différents de toutes les autres nations, et quiconque ne le reconnaît pas, nie le principe fondamental du judaïsme. »
Une autre raison de l'opposition juive au sionisme est morale et religieuse. Bien que les prières pour le retour en Terre Sainte fassent partie du rituel judaïque quotidien, celui-ci n'est pas un objectif politique et encore moins militaire. De plus, le Talmud énonce des interdictions spécifiques de tout mouvement de masse vers la Palestine avant les temps messianiques, même « avec l'accord des nations ». C'est pourquoi le projet sioniste avec son addiction à la violence armée continue de répugner à de nombreux juifs et leur cause même de l'embarras voire du dégoût.
Certes, le Pentateuque et plusieurs des livres des Prophètes, tels que Josué et les Juges, regorgent d'images violentes. Mais loin de glorifier la guerre, la tradition juive voit dans l'allégeance à Dieu, et non dans la prouesse militaire, la principale raison des victoires mentionnées dans la Bible. La tradition juive abhorre la violence et réinterprète les épisodes de guerre, nombreux dans la Bible hébraïque, dans une optique pacifiste. La tradition privilégie clairement le compromis et l'accommodement. Albert Einstein faisait partie des humanistes juifs qui ont dénoncé le Beitar, le mouvement de jeunesse paramilitaire sioniste, aujourd'hui affilié au Likoud au pouvoir. Il le considérait comme « aussi dangereux pour notre jeunesse que l'hitlérisme pour la jeunesse allemande ».
Le sionisme rejette vigoureusement cette tradition « exilique », qu'il considère comme « la consolation des faibles ». Des générations d'Israéliens ont été élevées dans les valeurs du courage martial, fières de servir dans l'armée. Les sionistes se réfèrent régulièrement à leur État comme à une continuation de l'histoire biblique. L'idée du Grand Israël est enracinée dans la lecture littérale du Pentateuque. Le sionisme exige un engagement total et tolère peu d'opposition ou de critique. La passion de l'engagement sioniste a conduit à l'assassinat d'opposants, a dressé des pères contre leurs fils, divisant les familles et les communautés juives. L'historien Eli Barnavi, ancien ambassadeur israélien à Paris, avertit que « le rêve d'un “Troisième Royaume d'Israël” ne pourrait conduire qu'au totalitarisme ». En effet, de nombreux dirigeants communautaires juifs, indifférents au spectre de la « double loyauté », insistent pour que l'allégeance à l'État d'Israël prévale sur toutes les autres, y compris l'allégeance envers leur propre pays.
Les sionistes, qu'ils soient en Israël ou ailleurs, ont longtemps prétendu être « l'avant-garde du peuple juif » et le sionisme remplace le judaïsme pour pas mal de juifs. Leur identité, initialement religieuse, est devenue politique : ils sont les soutiens et les patriotes d'Israël, « mon pays, à tort ou à raison », plutôt que des adhérents du judaïsme.
La jeunesse d'Israël apparaît comme une exception parmi les pays riches. À chaque génération, les Israéliens deviennent plus combatifs et anti-arabes. Alors que, dans d'autres pays, les jeunes juifs sont généralement moins conservateurs que leurs parents et embrassent des idées de justice sociale et politique, les jeunes juifs israéliens défient cette tendance. L'éducation israélienne inculque des valeurs martiales et la croyance que, si l'État d'Israël avait existé avant la Seconde Guerre mondiale, le génocide nazi n'aurait jamais eu lieu. Ce qui maintient l'unité fragile de la majorité non-arabe est la peur : une mentalité d'assiégés qui se donne le plus souvent l'image de soi d'une victime vertueuse déterminée à empêcher la répétition du génocide nazi. La mémoire de cette tragédie européenne est devenue un outil de mobilisation des juifs en faveur de la cause sioniste. Son utilité politique est encore fort loin d'être épuisée.
L'utilisation du génocide pour favoriser le patriotisme israélien n'a jamais cessé depuis le début des années 1960. Après un spectacle aérien en Pologne en 2008, trois chasseurs F-15 israéliens portant l'Étoile de David et pilotés par des descendants de survivants du génocide ont survolé l'ancien camp d'extermination nazi tandis que deux cents soldats israéliens observaient le survol depuis le camp de la mort de Birkenau adjacent à Auschwitz. Les remarques de l'un des pilotes israéliens soulignaient la confiance dans les forces armées : « C'est une victoire pour nous. Il y a soixante ans, nous n'avions rien. Pas de pays, pas d'armée, rien. »
Les écoles publiques promeuvent le modèle du combattant contre « les Arabes » (le mot « Palestinien » est généralement évité), glorifient le service militaire le transformant en une aspiration et un rite de passage à l'âge adulte. Les politologues israéliens ont souligné que la religion civique ne fournit pas de réponses aux questions de sens ultime, tout en obligeant ses pratiquants à accepter le sacrifice ultime. L'espace civique en Israël est associé avant tout à la « mort pour la patrie Il n'est donc pas surprenant que le Hamas et, par extension, tous les Gazaouis, soient souvent qualifiés de nazis.
Ailleurs dans le monde, l'attaque du Hamas a également galvanisé l'engagement sioniste sous le slogan « Solidaires avec Israël ! ». Des efforts massifs et organisés sont déployés pour combattre la guerre de l'information. Les responsables israéliens comptent sur un réseau de puissants soutiens, y compris des dirigeants de sociétés de haute technologie, qui veillent à ce qu'Internet amplifie les voix pro-israéliennes et étouffe ou annule le discours propalestinien. La censure conduit à l'autocensure, car les prises de position propalestiniennes entravent les recherches d'emploi et menacent les carrières des militants.
Cependant, contrairement aux Israéliens, les juifs de la diaspora sont de moins en moins attachés au nationalisme juif à chaque génération. Un nombre croissant de jeunes juifs refusent d'être associés à Israël et choisissent de soutenir les Palestiniens. Le massacre systématique des Palestiniens à Gaza assisté par l'IA a gonflé leurs rangs, en particulier en Amérique du Nord. Les manifestations les plus spectaculaires contre la férocité d'Israël ont été organisées par des organisations juives, telles que Not in My Name et Jewish Voice for Peace aux États-Unis, Voix juives indépendantes au Canada et Union juive française pour la paix en France. Des intellectuels juifs de premier plan dénoncent Israël et figurent parmi les opposants les plus constants au sionisme.
Bien que de manière incongrue, ces juifs sont accusés d'antisémitisme. Plus incongrument encore, la même accusation est lancée contre les ultra-orthodoxes antisionistes. Alors que la prétention d'Israël à être l'État de tous les juifs les expose à la disgrâce et au danger, de nombreux juifs qui soutiennent les Palestiniens réhabilitent le judaïsme aux yeux du monde.
L'option Samson
Depuis ses débuts, les critiques du sionisme ont insisté sur le fait que l'État sioniste deviendrait un piège mortel pour les colonisateurs comme pour les colonisés. Dans le sillage de la tragédie en cours déclenchée par l'attaque du Hamas, ces mots d'un activiste ultra-orthodoxe prononcés il y a des décennies semblent prémonitoires :
« Seul un dogmatisme aveugle pourrait présenter Israël comme quelque chose de positif pour le peuple juif. Établi comme un soi-disant refuge, il a infailliblement été l'endroit le plus dangereux sur la surface de la terre pour un juif. Il a été la cause de dizaines de milliers de morts juives … il a laissé dans son sillage une traînée de veuves en deuil, d'orphelins et d'amis… Et n'oublions pas qu'à ce bilan de la souffrance physique des juifs, doit être ajouté celui du peuple palestinien, une nation condamnée à l'indigence, à la persécution, à la vie sans abri, au désespoir accablant et trop souvent à une mort prématurée. »
Le sort des colonisés est, bien sûr, incomparablement plus tragique que celui du colonisateur. Les citoyens palestiniens d'Israël font face à une discrimination systémique tandis que leurs frères et sœurs en Cisjordanie sont soumis à la répression à la fois de l'armée israélienne et de leurs sous-traitants de l'Autorité palestinienne. La détention arbitraire sans procès, la dépossession, les barrages routiers, les routes ségréguées, les perquisitions à domicile sans mandat et des morts de plus en plus fréquentes aux mains des soldats et des colons armés sont devenus routiniers en Cisjordanie. Les Palestiniens de Gaza, même avant l'opération « Épées de Fer », vivaient isolés sur un petit territoire, avec un accès à la nourriture et aux médicaments strictement rationné par Israël. Même les manifestations pacifiques étaient accueillies par des tirs mortels de soldats israéliens de l'autre côté de la barrière. Le travail était rare et il n'y avait aucune perspective d'avenir. La cocotte-minute était prête à exploser, ce qui a fini par se produire le 7 octobre 2023.
Depuis lors, des milliers de Gazaouis ont été tués et blessés par l'une des machines de guerre les plus sophistiquées au monde. Avec pour conséquence une montée de la colère et de la haine parmi les Palestiniens, à la fois à Gaza et en Cisjordanie. Les Israéliens se trouvent dans un cercle vicieux : l'insécurité chronique inévitable dans une colonie de peuplement renforce le postulat sioniste qu'un juif doit compter sur la force pour survivre, ce qui à son tour provoque l'hostilité et crée l'insécurité.
Il y a plus de deux décennies, David Grossman, l'un des auteurs israéliens les plus connus, s'adressait au Premier ministre de l'époque, Ariel Sharon, connu pour sa bellicosité :
« Nous commençons à nous demander si, pour atteindre vos objectifs, vous avez pris la décision stratégique de déplacer le champ de bataille non pas sur le territoire ennemi, comme il est habituel, mais dans une dimension complètement différente de la réalité – dans le domaine de l'absurdité totale, dans le domaine de l'auto-anéantissement total, où nous n'obtiendrons rien, et eux non plus. Un gros zéro… »
Des voix critiques, à l'intérieur et surtout à l'extérieur de l'État d'Israël, appellent les Israéliens à reconnaître que « l'expérience sioniste a été une erreur tragique. Plus tôt elle sera mise au repos, mieux ce sera pour toute l'humanité. » En pratique, cela signifierait garantir l'égalité pour tous les habitants entre le Jourdain et la Méditerranée et transformer l'ethnocratie existante en un État de tous ses citoyens. Cependant, la société israélienne est conditionnée à voir dans de tels appels une menace existentielle et un rejet du « droit d'Israël à exister ».
La logique coloniale de peuplement radicalise la société et la conduit vers un nettoyage ethnique voire un génocide. Aucun gouvernement israélien ne serait capable d'évacuer des centaines de milliers de colons pour libérer de l'espace pour un État palestinien en Cisjordanie ; les chances d'abandonner la suprématie sioniste sur l'ensemble du territoire sont encore plus faibles. Seule une forte pression internationale pourrait amener Israël à envisager une telle réforme.
Plus probablement, cependant, l'État israélien résistera à une telle pression et menacera de recourir à l'Option Samson, c'est-à-dire une attaque nucléaire contre les pays menaçant le « droit d'Israël à exister ». Dans ce pire des scénarios, Israël serait anéanti, mais ceux qui le mettent sous pression subiraient également d'énormes pertes. De toute évidence, aucun pays au monde ne prendra le risque d'une attaque nucléaire pour libérer les Palestiniens.
La pression viendra plus probablement du public, mais ce seront les communautés juives locales, presque toutes associées dans l'esprit du public à Israël, qui en feront vraisemblablement les frais. Alors que ces juifs, même les plus sionistes, n'ont jamais influencé les politiques d'Israël envers les Arabes, ils sont devenus des boucs émissaires faciles pour les méfaits d'Israël.
Les politiciens américains semblent être d'accord. Le président Trump a fait référence à Israël comme « votre État » en s'adressant à un public juif aux États-Unis. Le président Biden a déclaré que « sans Israël, aucun juif n'est en sécurité nulle part ». Les dirigeants israéliens apprécient de telles assimilations entre judaïsme et sionisme, entre juifs et Israéliens. Ces confusions renforcent le sionisme, alimentent l'antisémitisme et poussent les juifs à émigrer en Israël. C'est une perspective bienvenue pour le pays, que ces nouveaux Israéliens renforceront avec leurs ressources intellectuelles, entrepreneuriales et financières, ainsi qu'en fournissant plus de soldats pour Tsahal.
Malgré l'opprobre et les dénonciations publiques, l'Etat sioniste semble immunisé contre la pression du reste du monde. Le mépris israélien pour le droit international, les Nations Unies et, a fortiori, les arguments moraux est proverbiale. « Ce qui compte, c'est ce que font les juifs, pas ce que disent les gentils », était la boutade préférée de Ben-Gourion. Ses successeurs, beaucoup plus radicaux que le père fondateur d'Israël, veilleront à ce que la tragédie de Gaza ne conduise à aucun compromis avec les Palestiniens. L'opiniondominante israélienne ignore, voire se moque, des plaidoyers bien intentionnés des sionistes libéraux, une espèce en voie de disparition, pour « sauver Israël de lui-même ». Aussi improbable que cela puisse paraître aujourd'hui, seuls les changements au sein de la société israélienne peuvent ébranler l'hubris habituelle. En attendant, Israël continuera de défier le monde.
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Du blocus de Leningrad au siège de Gaza : la mentalité colonialiste
Le 27 janvier il y a 80 ans, les gens dans la rue s'étreignaient et pleuraient de joie. Ils célébraient la fin d'un siège de près de 900 jours que les forces soviétiques venaient de lever après des batailles féroces. Exactement un an plus tard, l'Armée rouge libérait Auschwitz. Aujourd'hui encore, en se promenant dans la principale avenue de Saint-Pétersbourg (le nom d'origine rendu à Leningrad), la perspective Nevski, on remarque un panneau bleu peint sur un mur pendant le siège : « Citoyens ! Ce côté de la rue est plus dangereux pendant les bombardements ».
Tiré de Pressenza.
Le blocus a été mis en œuvre par les forces terrestres et navales de l'Allemagne, de la Finlande, de l'Italie, de l'Espagne et de la Norvège. La ville fut assiégée trois mois et demi après le début de la guerre déclenchée le 22 juin 1941 par une coalition encore plus grande de l'Europe réunie sous la croix gammée. Sous la direction de l'Allemagne, des soldats de douze pays ont combattu en URSS : Roumanie, Italie, Finlande, Hongrie, Slovaquie, Croatie,
Espagne, Belgique, Pays-Bas, France, Danemark et Norvège. Deux millions d'entre eux sont partis en guerre contre l'Union soviétique en tant que volontaires.
La guerre contre l'URSS est très différente de celle que l'Allemagne avait menée en Europe occidentale. Il s'agissait d'une guerre d'anéantissement (Vernichtungskrieg). Le Troisième Reich voulait un espace vital à l'Est (Lebensraum im Osten), mais il n'avait pas besoin des gens qui y vivaient. En fait, la guerre contre l'Union soviétique était une guerre coloniale.
Considérés comme des sous-hommes (Untermenschen) les Soviétiques étaient destinés à être liquidés, affamés ou réduits en esclavage. Leurs terres devaient être colonisées par des « Aryens ». Pour exprimer son point de vue en termes raciaux familiers aux Européens, Hitler qualifiait la population soviétique d' »Asiatiques ».
Des millions de civils soviétiques – Slaves, Juifs, Tsiganes (Roms) et autres – ont été systématiquement mis à mort. L'ampleur dépasse le génocide que l'Allemagne avait commis dans le sud-ouest de l'Afrique (l'actuelle Namibie) de 1904-1908 en massacrant tout aussi systématiquement des tribus locales Namas et Hereros. Bien sûr, l'Allemagne n'était pas une exception : les autres puissances coloniales européennes n'étaient pas en reste.
Les envahisseurs nazis ont résumé leurs objectifs avec clarté : Après la défaite de la Russie soviétique, il ne peut y avoir aucun intérêt à ce que ce grand centre urbain continue d'exister. […] Après l'encerclement de la ville, les demandes de négociations en vue d'une reddition seront rejetées, car nous ne pouvons et ne devons pas résoudre le problème de la réinstallation et de l'alimentation de la population. Dans cette guerre pour notre existence même, nous ne pouvons avoir aucun intérêt à conserver ne serait-ce qu'une partie de cette très importante population urbaine.
La dernière ligne de chemin de fer reliant la ville au reste de l'Union soviétique est coupée le 30 août 1941, et une semaine plus tard, la dernière route est bloquée . La ville est encerclée, les réserves de nourriture et de carburant se tarissent et un hiver rigoureux s'installe. Le peu que le gouvernement soviétique réussit à livrer à Leningrad est strictement rationné. À un moment donné, la ration quotidienne a été réduite à 125 grammes de pain fabriqué avec autant de sciure de bois que de farine. Ceux qui n'ont même pas eu cette ration ont été forcés de manger des chats, des chiens, de la colle à papier peint, et il y a eu quelques cas de cannibalisme. Les cadavres jonchaient les rues, car les gens mouraient de faim, de maladie, de froid et des bombardements.
British Movietone Video : “Siege of Leningrad – 1944" | Movietone Moment
Leningrad, une ville de 3,4 millions d'habitants, a perdu plus d'un tiers de sa population. Il s'agit de la plus grande perte de vies humaines dans une ville moderne. L'ancienne capitale impériale, célèbre pour ses magnifiques palais, ses jardins élégants et ses panoramas à couper le souffle, a été méthodiquement bombardée et pilonnée. Plus de 10 000 bâtiments ont été détruits ou endommagés. Cette opération s'inscrit dans la volonté de démoderniser l'Union soviétique, la faire sortir de la modernité. Leningrad devait être anéantie précisément parce qu'elle était un grand centre de science et d'ingénierie, qu'elle abritait des écrivains et des danseurs de ballet, qu'elle était le siège d'universités et de musées d'art célèbres. Rien ne devait survivre dans les plans nazis.
Hélas, ni les sièges ni les guerres coloniales n'ont pris fin en 1945. La Grande-Bretagne, la France et le Pays-Bas ont mené des guerres brutales dans leurs colonies tentant de « pacifier les indigènes ». Le racisme était officiel aux Etats-Unis, un autre allié de l'URSS dans la lutte contre le nazisme. Douze ans après la guerre, il a fallu la 101e division aéroportée américaine pour déségréguer une école à Little Rock, dans l'Arkansas. Les valeurs de tolérance qu'articule actuellement l'Occident sont récentes et fragiles. Le racisme explicite n'est plus acceptable, mais implicitement il reste bien présent.
Les vies humaines n'ont pas la même valeur, ni dans nos médias, ni dans nos politiques étrangères. La mort de trois soldats américains tués en Jordanie il y a quelques jours attire plus l'attention des médias que celle de centaines de Palestiniens tués tous les jours. Des sanctions sévères sont imposées à l'Iran pour son programme d'enrichissement nucléaire civil, alors qu'aucune n'est imposée à Israël pour son arsenal nucléaire militaire. Les puissances occidentales continuent de fournir des armes et un soutien politique à Israël qui impose un siège à Gaza, où la population civile est non seulement bombardée et pilonnée, mais aussi délibérément affamée et laissée mourir de maladies. Yoav Galant, ministre israélien de la défense, a été très clair lorsqu'il a déclaré : « J'ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n'y aura pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé ».
La Cour internationale de justice (CIJ) a trouvé plausible qu'Israël commet un génocide des Palestiniens de Gaza. Or, sans surprise, Washington, qui continue de fournir à Israël les munitions, trouve que les accusations de génocide à l'encontre d'Israël étaient « sans fondement ». Londres, un autre fournisseur d'armes à Israël, les considère « complètement injustifiées ». Les Pays-Bas livrent à Israël des pièces pour les avions F-35 utilisés contre Gaza. Ayant autorisé, en vue de l'exportation vers Israël, une dizaine de millions d'euros pour la fabrication de « bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosifs », Paris appelle la CIJ à bien vérifier s'il existe de la part d'Israël l'intention génocidaire.
Il s'avère que ce sont ces mêmes pays au lourd passé raciste et colonialiste qui sont complices actifs de la violence ayant causé la mort de près de 27 000 Palestiniens, dont 18 000 femmes et enfants. L'Allemagne qui a commis deux génocides racistes au vingtième siècle intervient à la CIJ en tant que tiers en faveur d'Israël. Elle rejette « avec véhémence » l'accusation contre Israël et décuple ses exportations d'armes vers ce pays.
Par surcroît, ces mêmes pays occidentaux viennent de suspendre le financement de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Cette décision a été prise à la demande d´Israël qui milite depuis longtemps pour l'abolition de cette agence essentielle à la survie même des Palestiniens. En se basant sur les allégations de ses services de renseignement, Israël a accusé quelques employés de l'agence, qui en a plus de treize mille à Gaza, de collusion avec le Hamas. Ce coup est porté alors que les Palestiniens font face à une catastrophe humanitaire frôlant le génocide.
Ayant acquiescé à la colonisation israélienne de la Palestine occupée, ces pays à l'expérience coloniale récente appuient activement cette guerre de « pacification des indigènes » à Gaza.
La commémoration du siège de Leningrad sur le fond de la tragédie de Gaza montre que l'accusation que le poète martiniquais Aimé Césaire a lancé à l'Européen en 1955 reste toujours actuelle : “Ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l´humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, c'est l'humiliation de l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d´Algérie, les coolies de l´Inde et les nègres d´Afrique.”
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Offensive contre Gaza. Premières fractures en Israël
Presque quatre mois après le début d'un assaut tous azimuts qui s'est peu à peu transformé en guerre génocidaire, l'échec militaire de l'État hébreu est flagrant, incapable d'accomplir aucun des objectifs annoncés. Une impasse qui nourrit l'impopularité croissante du premier ministre Benyamin Nétanyahou et suscite la fronde au sein de son cabinet de guerre.
Tiré d'Orient XXI.
Les premières fractures apparaissent au grand jour en Israël, non seulement sur la manière dont son offensive est menée à Gaza, mais aussi sur la nécessité de la poursuivre. Elles se manifestent jusqu'à l'intérieur du cabinet de guerre mis en place par le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. De notoriété publique, l'ambiance en son sein est glaciale. La principale dissension porte sur le sort des otages civils et des soldats détenus par le Hamas depuis le 7 octobre à Gaza. Elle oppose Nétanyahou et ses soutiens à deux ex-chefs d'Etat-major, Benny Gantz et Gadi Eisenkot. Pour les premiers, la « libération des otages » ne peut advenir qu'une fois la « victoire » assurée, c'est-à-dire l'« éradication » du Hamas. Pour les seconds, comme l'a déclaré Eisenkot sur la chaîne de télévision numéro 12, aucune victoire n'est envisageable sans une libération préalable des otages. Traduction : sans passer par une négociation avec le Hamas qui, pour les restituer, exige un cessez-le-feu durable et la libération de tous les Palestiniens détenus en Israël – ce que Nétanyahou récuse.
Le 18 janvier, en conférence de presse, le général Eisenkot a déjà « reconnu que les dirigeants israéliens ne disent pas toute la vérité sur la guerre. Il a refusé de répondre à une question quant à sa confiance en Nétanyahou et promu le sujet d'une rapide libération des otages, même si le prix est élevé. Enfin, il a proposé [la tenue] d'élections dans quelques mois » (1). En d'autres termes, une stratégie inverse à celle prônée par Nétanyahou, avec en prime son éviction de la scène politique une fois la guerre terminée. On comprend que l'ambiance soit frisquette. Le thermomètre est encore descendu de plusieurs degrés le 22 janvier, après la mort de 21 soldats israéliens (tous des réservistes entre 25 et 40 ans) dans une attaque à la roquette de miliciens du Hamas. Survenue après trois mois et demi d'une guerre où Israël dispose d'un avantage militaire démesuré, cette attaque dans le camp de réfugiés palestiniens de Maghazi, à 600 mètres seulement de la frontière israélienne, a accentué le sentiment d'échec qui domine les Juifs israéliens depuis le 7 octobre, malgré les communiqués de victoire quotidiens de l'armée. Elle a également ramené à la lumière une question récurrente en dépit des réticences : cette guerre est-elle « ingagnable » ?
Aucun objectif atteint
Brusquement, quelques données sont venues battre en brèche l'idée jusque-là largement dominante en Israël d'en finir une fois pour toutes avec le Hamas. Comment se fait-il qu'après plus de trois mois de bombardements aériens inouïs sur Gaza qui ont fait jusque-là près de 27 000 morts, le déplacement de près de 2 millions de personnes, une destruction tout aussi gigantesque des infrastructures et de l'habitat des Gazaouis, le Hamas soit encore en mesure de porter des coups aussi durs ? Des langues se délient.
On apprend que le « plan » initial de l'armée israélienne prévoyait un « contrôle opérationnel » total des trois grandes villes de la bande (Gaza city, Khan Younès et Rafah) avant la fin décembre. Le délai est dépassé d'un mois et l'objectif n'est pas atteint. On apprend aussi que le réseau de tunnels des forces armées du Hamas était beaucoup plus étendu qu'on ne le croyait, et que s'en emparer via des opérations terrestres provoquerait beaucoup plus de victimes que prévu. Surtout, le Wall Street Journal révèle que seuls 20 % des tunnels auraient été détruits en plus de trois mois.
Autre révélation : pour des motifs économiques, l'armée doit se défaire d'une partie importante de ses réservistes engagés à Gaza. Enfin, 117 jours après le carnage dans les kibboutz, le chef politique du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, et les deux chefs de sa branche armée, Mohammed Deif et Marwan Issa, sont toujours introuvables.
Dénoncer les « capitulards » et les « ennemis du peuple »
Le paradoxe est que celui qui mène la bataille pour sortir rapidement de la guerre et éviter un enlisement, en négociant une restitution des otages civils et des soldats israéliens captifs, soit précisément celui qui a « inventé » la doctrine militaire ayant conduit Israël aux crimes terribles commis à Gaza. Gadi Eisenkot est en effet l'ex-chef d'Etat-major qui a conçu la doctrine Dahiya (2) selon laquelle, dans les « guerres asymétriques » entre un État et un ennemi non-étatique, le seul moyen de vaincre consiste à imposer aux populations civiles qui abritent les « terroristes » le pire sort possible. Cette vision a été officiellement insérée en 2008 dans l'arsenal stratégique de l'armée israélienne.
Est-ce parce qu'il vient de perdre un fils de 25 ans et un neveu qui en avait 23, tous deux engagés à Gaza ? Toujours est-il que le général Eisenkot appelle aujourd'hui à négocier a minima une trêve avec le Hamas. Soudain, Chuck Freilich, un ancien numéro deux du Conseil de sécurité israélien, baisse la garde : « Il ne semble pas, déclare-t-il, que nous soyons en état d'atteindre nos objectifs » (3). Expert du King's College de Londres, Andreas Krieg estime qu'Israël est militairement « dans une impasse » (4).
Ce sentiment de l'échec, si peu familier, si insupportable pour une grande partie des Juifs israéliens, a aussi des conséquences internes. Les membres de l'extrême droite coloniale, alliés de Nétanyahou, se raidissent. Jusqu'ici, c'était les partisans d'une négociation avec le Hamas qu'ils dénonçaient comme des « capitulards ». Désormais, les familles de soldats morts à Gaza qui se joignent aux manifestants pour négocier une sortie de crise font eux aussi office d'« ennemis du peuple ». Les directives du gouvernement sont de « réprimer d'une main de fer » les voix israéliennes qui s'élèvent contre cette guerre. Celles-ci restent marginales, mais leurs manifestations vont croissant, tout comme croît la désillusion dans l'opinion publique.
« Le roi d'Israël » veut gagner du temps
Nétanyahou tente de rétablir son autorité en jouant sur le temps. Jusqu'ici, il n'y parvient pas. La presse fait état de contestation au sein de son gouvernement. Haaretz cite les confidences (anonymes) d'un de ses membres.
- Cette guerre n'a ni objectif ni avenir, ce n'est qu'un moyen pour Nétanyahou de repousser le moment de s'attaquer à la question de sa responsabilité. (…) Dans chaque réunion (gouvernementale), il répète que la guerre va durer longtemps. Je pense qu'il sait lui-même que la probabilité est faible qu'il parvienne à atteindre ses objectifs. Il cherche juste à gagner du temps. […] Quant à abattre le Hamas, les succès réalisés au nord de la bande de Gaza sont déjà en train de s'éroder.
La guerre n'est pas encore finie que, sans attendre les commissions d'enquête qui suivront et le mettront forcément en position difficile, le « roi d'Israël » du dernier quart de siècle réunirait seulement 16 % des électeurs autour de son nom, selon un récent sondage. Quant à son parti, le Likoud qui jouit d'une majorité relative au parlement avec 32 sièges sur 120, il tomberait à 16 seulement si des élections avaient lieu demain. La seule stratégie de Nétanyahou, estime Mairav Zonszein, analyste israélienne de l'International Crisis Group, c'est « la guerre sans fin » (5). Mais cette stratégie bénéficie davantage à la droite coloniale radicale, plus conséquente que lui sur ce plan. Résultat : Nétanyahou apparait prisonnier de ses alliés, et mu davantage par ses intérêts personnels que par le bien public.
Pour Nétanyahou, la menace tient d'abord dans la possibilité d'un « lâchage » par Joe Biden. Ce risque-là paraît peu crédible, si l'on se fie à l'attitude du président américain depuis le début de cette guerre. Mais la position de ce dernier s'érode de jour en jour dans son propre camp. Le 18 janvier, 60 élus démocrates – soit un tiers de leurs représentants à la Chambre - se déclaraient dans une lettre au secrétaire d'État Antony Blinken « très préoccupés par la rhétorique extrémiste de certains responsables israéliens », en particulier leurs appels à l'épuration ethnique des Gazaouis. Jamais pétition anti-israélienne n'a réuni un tel nombre d'élus au parti démocrate, historiquement favorable à Tel Aviv. De plus, la réaction du premier ministre israélien à l'appel public du président états-unien d'ouvrir la voie vers un État palestinien une fois la guerre terminée a rendu furieux les membres démocrates du Congrès. « Jamais, avait répondu le premier ministre israélien, je ne ferai de compromis sur le contrôle total de la sécurité entre le Jourdain et la mer. »
Le 19 juillet, un sondage montrait que les trois-quarts des démocrates âgés entre 18 et 29 ans étaient hostiles au soutien inconditionnel de la Maison Blanche à Israël. Bref, si l'on n'entrevoit pas encore de fossé entre Israël et les États-Unis, la faille s'approfondit au sein du parti présidentiel, et Biden a besoin d'un succès politique spectaculaire pour être réélu. Une rumeur tenace aux États-Unis veut que le président Biden ait soutenu la guerre israélienne telle qu'elle a été menée précisément dans l'idée de parvenir, après son achèvement, à un accord politique entre Israéliens et Palestiniens pouvant mener à la « solution à deux États ». Y croira qui veut. En attendant, une cour californienne a jugé recevable une plainte déposée par le Centre pour les droits constitutionnels, une importante association juridique américaine qui accuse Joe Biden, son secrétaire d'État Antony Blinken et son secrétaire à la défense Lloyd Austin de « complicité de génocide ».
Une cour « partiale » et « antisémite »
Mais le choc le plus important en Israël est celui qui a suivi, le 26 janvier, l'ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) concernant la plainte de l'Afrique du Sud qualifiant de « génocide » la guerre menée à Gaza par Israël. Quoique la Cour n'ait pas exigé l'arrêt des combats, ce que Nétanyahou a immédiatement utilisé pour clamer victoire, le verdict n'a été perçu comme un succès par personne d'autre en Israël. Ceux qui ont fait l'effort de lire la décision ont compris que la cessation des combats de facto s'y inscrivait en creux. Comme l'a dit Naledi Pandor, le ministre sud-africain des affaires étrangères : « Comment fournir de l'aide et de l'eau sans cessez-le-feu ? Si vous lisez la décision de la Cour, elle signifie qu'un cessez-le-feu doit être prononcé ». Sans surprise, l'extrême droite mais aussi nombre d'autres commentateurs ont immédiatement vilipendé une cour « partiale », décrétée « antisémite ».
Surtout, en exigeant de l'État juif de « tout faire pour prévenir un génocide », la Cour suggère soit qu'un début d'action en ce sens est déjà enclenché, soit qu'un génocide à venir est une réalité potentielle. Son argument le plus fort sur l'intentionnalité d'un génocide consiste en une longue liste de propos tenus publiquement par divers dirigeants israéliens, politiques ou militaires, qui profèrent des souhaits ou des intentions sans conteste génocidaires. Le lendemain de l'adoption de l'ordonnance, un porte-parole a déclaré que « l'armée israélienne, après l'arrêt de la CIJ, allait renforcer la surveillance des vidéos et des publications dans lesquels on entend des appels à l'établissement de colonies dans la bande de Gaza, et des propos incitant à la violence contre les Palestiniens ».
Mais le 29 janvier, la droite israélienne organisait dans une salle de 3000 places à Jérusalem une « Conférence pour la victoire d'Israël ». C'était clairement une réponse à l'ordonnance de la CIJ. Le « transfert » des Palestiniens hors Gaza en a été le thème principal. Un avocat, Aviad Visoli, a plaidé qu' « une Nakba 2 est entièrement justifiée par les lois de la guerre ». Père d'un soldat détenu par le Hamas, le colon Eliahou Libman a lancé : « Ceux qui ne sont pas tués doivent être expulsés, il n'y a pas d'innocents ». Plus modéré, le ministre de la police, Itamar Ben Gvir a prôné une « émigration volontaire » des Gazaouis. Quinze membres de l'actuel gouvernement Nétanyahou issus de l'extrême-droite, du Likoud et même – une nouveauté – au parti religieux orthodoxe Unité de la Torah étaient à la tribune.
Diable ! Si on ne peut plus maintenant montrer sa joie en chantant et en dansant sur les gravats des maisons et au milieu des corps déchiquetés et enfouis des civils palestiniens, que les officiers de cette même armée avaient présentés comme autant d'« animaux humains », c'est à ne plus rien y comprendre, s'interroge le brave petit soldat israélien jusqu'ici convaincu d'être dans son bon droit.
Notes
1- « Amos Harel : « For Netanyahou, avoiding decisions on Gaza and Lebanon is the game plan », Haaretz, 21 janvier 2024.
2- Littéralement « banlieue » en arabe, en référence à la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah.
3- Chuck Freilich, « We in Israel are far more dependent on the U. S. than we ever knew », Haaretz Podcast, 23 janvier 2024.
4- Ronen Bergman & Patrick Kingsley, « In strategic bind, Israel Weighs Freeing hostages against destroying Hamas », New York Times, 28 janvier 2024.
5- « Netanyahu under pressure over Israel troop losses, hostages », AFP, 23 janvier 2024.

Cisjordanie-témoignages. « Barbarie ordinaire et impunité »
En Cisjordanie les agressions des colons et de l'armée se suivent et se ressemblent, lorsqu'elles ne convergent pas. Elles relèvent des mêmes scénarios : intimidations, enlèvements, coups et blessures, fabrication de preuves à charge, pillages et destructions. Cet enfer de tous les jours n'est pas le fait de quelques individus, c'est le lot « ordinaire » d'une guerre coloniale menée depuis des décennies.
Tiré de A l'Encontre
25 janvier 2024
Par Ezra Nahmad
Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023. (Villages Group)
Pour ce qui touche à la terreur dans le mont Hébron, au sud de la Cisjordanie, les témoignages d'une association israélienne, The Villages Group, sont précieux. Ses membres visitent les villages du mont Hébron pour maintenir des liens d'amitié et de solidarité, et fournir une aide matérielle. Voici des extraits de leurs comptes rendus. Des témoignages d'exactions qui se sont multipliées depuis le 7 octobre.
Enlèvements. Décembre 2023
Un jeune de 17 ans a été enlevé samedi vers midi à son domicile d'Umm Al Kheir. Les soldats de la « police des frontières » l'ont chargé dans une Isuzu blanche, les yeux bandés, les mains menottées derrière le dos, et sont repartis. Pourquoi ont-ils fait ça ? Simplement parce qu'il est palestinien. Sa famille a passé de longues heures à s'inquiéter, sans nouvelles. Nous [The Villages Group] avons tout essayé pour savoir où il se trouvait et avons interpellé notre avocat, Riham – en vain.
Cette disparition ressemble à d'autres cas récents. Dimanche matin, après vingt heures d'incertitude, ce jeune a été libéré. On ne lui a rien donné à boire ni à manger pendant son enlèvement. […] Nous comprenons maintenant pourquoi nous ne pouvions pas le localiser : il ne s'agissait pas d'une arrestation officielle, mais d'un acte de sadisme délibéré à l'initiative de quelques soldats.
Nous connaissions ce garçon depuis des années, ainsi que ses frères et sœurs, car nous avons aidé la plupart d'entre eux à poursuivre leurs études. « Aujourd'hui, disent-ils, la plupart des écoles sont fermées à cause du harcèlement des colons et des soldats. Les enseignants n'ont pas été payés parce que les partis d'extrême droite qui contrôlent le gouvernement israélien n'ont pas donné à l'Autorité palestinienne les fonds [obtenus via les taxes sur les travailleurs palestiniens dans les entreprises israéliennes] qui lui reviennent. »
J'ai reçu un appel de Y. Son village a été investi le matin – comme c'est le cas quotidiennement – par deux colons avec un quad ; ils ont photographié de près les villageois et leurs enfants. Peu de temps après, cinq colons en uniforme ont débarqué dans une camionnette. De la direction opposée, des soldats réguliers sont arrivés à pied. On ne sait pas qui avait pris l'initiative du rassemblement. Les premiers étaient grossiers et violents, les soldats étaient un peu plus posés, mais ils laissaient faire.
Deux jeunes villageois ont été battus, enchaînés ; les yeux bandés, ils ont été emmenés dans la camionnette vers une destination inconnue. L'un a été descendu du véhicule et laissé quelque part, et l'autre a été conduit dans la soirée au commissariat de police, meurtri, accusé d'avoir frappé un soldat (mensonge). Aussi ridicules que soient les accusations, dès que les colons déposent une plainte, elle est enregistrée comme procédure « légale » officielle, et nous ne pouvons rien faire. Les avocats ne peuvent pas non plus être d'une grande aide dans de tels cas. Les colons savent qu'il s'agit là d'une autre forme de harcèlement et de torture.
Vandalisme et pillage à Khalet A-Dabe', 8 décembre 2023
Les habitants de Khalet A-Dabe' vivaient dans des grottes jusqu'à ce qu'ils commencent à construire des maisons afin d'améliorer leur qualité de vie. J. a également construit une maison, mais elle a été démolie par l'armée. J. a reconstruit, les autorités ont encore démoli, et ainsi cinq fois. Après la dernière démolition, J. rénove la grotte mais reçoit les invités dans une tente dressée sur les décombres. Depuis que la guerre a éclaté, le harcèlement des colons s'est accru, alors J. a commencé à dormir dans la tente tandis que sa femme et ses cinq enfants dormaient dans la grotte.
Le 8 décembre à l'aube, dit-il, « plusieurs soldats sont entrés dans la tente, ont dit qu'ils venaient chercher des armes. Ils se sont bien comportés, ont fait leurs recherches et sont partis. Mais ensuite les colons sont arrivés. Depuis le début de la guerre, ils portent des uniformes et des armes militaires, ils ressemblent à des soldats. Mais ils étaient masqués. Avec eux, c'était différent, il y a eu des injures grossières – “fils de pute [répété en hébreu et en arabe], tu es le Hamas” –, et ils ont pointé leurs armes sur nos visages. Ils ont encore fouillé, tout renversé, détruit les projecteurs, démonté une partie de la clôture […]. Ils allaient de maison en maison et saccageaient tout. Dans la partie principale du village, ils ont forcé tous les habitants à se réunir dans une seule maison. Ils ont emmené mon cousin S. aux latrines et l'ont battu là-bas.
Au bout d'un moment, un colon est arrivé avec un cartable contenant de vieilles munitions. Ils ont continué à le battre pour qu'il avoue que cela lui appartenait, mais ce n'était pas le cas. Il a été emmené par les soldats, enchaîné et les yeux bandés, pour un trajet de plusieurs heures, avant d'aboutir au commissariat de Kiryat Arba (la colonie proche de Hébron). Les soldats ont continué à faire preuve de cruauté, notamment en éteignant des cigarettes sur ses bras. » Il est probable que les colons eux-mêmes aient apporté le sac avec les munitions. Mais la libération immédiate de S. atteste que la police s'est rendu compte qu'il s'agissait là d'une tromperie des colons.
Les dégâts matériels les plus graves ont été commis dans la petite école dans laquelle étudient dix enfants du village – de la 1re à la 4e année. Les colons se sont déchaînés là-bas et ont détruit tout ce qu'ils pouvaient, ils ont cassé les armoires et les portes et vandalisé les livres et les cahiers. Les écoles sont une cible privilégiée. Au cours de leur « perquisition », les vandales ont cassé des téléviseurs et des ustensiles de cuisine, volé des outils de travail, un marteau-piqueur et un générateur, ainsi que de l'argent, de l'or et des bijoux. « Qu'est-ce que cela a à voir avec une fouille d'armes ? », demande J.
Les actes de terreur coloniale en Cisjordanie sont attestés par de nombreux articles publiés dans la plupart des organes de presse internationaux. Des centaines d'agressions ont été répertoriées ces derniers mois. Pourtant, la complicité des colons, de l'armée et du système judiciaire, établie depuis de longues années, est souvent brouillée, ignorée. L'impunité et l'omerta équivalent à une caution. Israël recourt toujours à l'inversion des accusations, en fabriquant le cas échéant de fausses preuves. Les falsifications sont facilitées par les outils technologiques. Ces pratiques criminelles, accompagnées de meurtres quelquefois, se situent dans la continuité des stratégies engagées à la création de l'État d'Israël, mais les actes de barbarie ont augmenté ces derniers mois.
Raids de l'armée
Il faut ajouter à cette barbarie quotidienne les raids de l'armée. Jénine (nord de la Cisjordanie) ou Tulkarem (nord-ouest) ont été les cibles d'incursions militaires ou de bombardements par des drones. Le 12 décembre, l'armée a tué douze Palestiniens à Jénine. Mais elle a aussi volé et pillé dans la grande tradition des armées coloniales. Après le départ des soldats, un épicier faisait, devant une journaliste du Monde, l'inventaire de ce qui avait été volé : « Regardez, ce sont les restes des graines de tournesol qu'ils ont prises. Ils ont mangé et bu des articles de ma boutique. »
À la mi-janvier, l'armée a mené à Tulkarem une opération meurtrière dite « antiterroriste » de trente-cinq heures. Les témoins ont fait état de destructions des rues et des voitures par des bulldozers militaires. Depuis le 7 octobre, 360 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par l'armée ou par les colons [1]. De l'avis de tous les observateurs, l'arbitraire colonial sous toutes ses formes ne fait que renforcer l'influence du Hamas. (Article publié sur le site de Politis le 24 janvier 2024)
[1] La tragédie quotidienne se prolonge à Gaza. Le 24 janvier un porte-parole de l'UNRWA a indiqué que des centaines de personnes réfugiées dans l'un de ses centres de formation – devenu un lieu de refuge – à Khan Younès ont essuyé des tirs israéliens nourris. Le bâtiment a pris feu, de nombreuses personnes n'ont pu s'échapper, au moins 9 personnes ont été tuées et les blessé·e·s se comptent par dizaines.
Le 25 janvier, le ministère de la Santé de Gaza déclare qu'une attaque a été menée contre des personnes affamées qui faisaient la queue pour obtenir une aide humanitaire dans le nord de la ville de Gaza, ravagée par la guerre. « L'occupation israélienne a commis un nouveau massacre contre des “bouches affamées” qui attendaient de l'aide », a déclaré Ashraf al-Qudra sur Telegram. L'attaque s'est produite au rond-point du Koweït, dans la ville de Gaza, et a fait au moins 20 morts et 150 blessés. Le nombre de morts est susceptible d'augmenter car des dizaines de personnes ont été grièvement blessées. Les victimes sont soignées à l'hôpital al-Shifa, qui est à court de fournitures médicales et ne dispose que de quelques médecins, a indiqué Ashraf al-Qudra. (Réd.)
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