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La grève générale illimitée des enseignant·e·s de la FAE

Près de 66 500 enseignant·e·s affiliés à la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) ont déclenché une grève générale illimitée le 23 novembre dernier.
Photo : Jeudi 23 novembre, des dizaines de milliers de personnes de tous les horizons voulant soutenir l'école publique ont pris la rue à Montréal pour souligner le déclenchement de la grève générale illimitée des 66 500 enseignantes et enseignants de la FAE, une première depuis 40 ans au Québec.
Un message du comité de négo
Le comité de négociation a jusqu'à maintenant passé de nombreuses heures à convaincre la partie patronale à quel point il est primordial d'apporter des changements importants et significatifs à nos conditions d'exercice.
Une forte mobilisation est absolument nécessaire et fera la différence aux tables de négociation.
Pour connaître les priorités de négociations de la Fédération autonome de l'enseignement et lire le document présentant ces dernières, cliquez sur le l'icône ci-dessous :
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Il était une fois l’arsenic à Rouyn-Noranda…
BILAN DE LUTTES – La crise de l’arsenic est sans aucun doute l’un des dossiers qui m’a le plus sollicitée lors de mon mandat à titre de députée de Rouyn-Noranda-Témiscamingue de 2018 à 2022. Originaire du Témiscamingue, née en 1991, je suis arrivée en poste sans connaitre vraiment les enjeux reliés la Fonderie Horne de la compagnie Glencore qui pourtant mobilisaient des citoyennes et des citoyens de Rouyn-Noranda depuis des décennies déjà. Toutefois, même lorsque je n’en ai pas été moi-même la porteuse, j’ai toujours été une alliée des causes environnementales et sociales, raison pour laquelle j’ai décidé de faire le saut en politique à l’automne 2018 sous les couleurs de Québec solidaire.
Me voilà donc arrivée en poste, dans des souliers immenses, à 26 ans, sans compétence connue pour les fonctions de député, mais avec au ventre des convictions profondes pour améliorer et préserver le bien commun.
Dans les premières semaines qui ont suivi l’élection, j’ai rencontré des représentants du CISSS[1] de l’Abitibi-Témiscamingue pour échanger sur les grands dossiers du moment. L’étude de biosurveillance visant à connaitre les impacts de la pollution de l’air sur la santé de la population était à l’ordre du jour. Rouyn-Noranda était la ville qui enregistrait la plus mauvaise qualité de l’air au Québec, cela inquiétait les autorités de la Santé publique, avec raison.
C’est en mai 2019 que nous furent publiés les premiers résultats[2] : les enfants du quartier Notre-Dame au pied de la Fonderie Horne ont en moyenne quatre fois plus d’arsenic dans leurs ongles que les enfants du groupe témoin à Amos. Cet écart grimpe même jusqu’à 56 fois plus d’arsenic dans le corps d’un petit garçon du quartier. C’est une onde de choc. Mère de deux enfants, je suis atterrée, assommée.
L’arsenic est reconnu comme étant le roi des poisons. Personne n’en veut dans son corps et là, il se retrouve dans celui de nos enfants, ceux-ci en sont imprégnés jusqu’au bout des ongles. Rapidement, nous commençons à documenter la situation. Dès lors, nous constatons qu’il existe une norme québécoise pour limiter la présence d’arsenic dans l’air. Cette norme est fixée à une concentration moyenne annuelle de 3 ng/m3 d’air. Une exposition prolongée au-dessus de ce taux expose la population à des risques pour sa santé. Au même moment, on apprend que Glencore jouit d’un droit de polluer qui lui permet en 2018 d’émettre 200 ng/m3 dans l’air de Rouyn-Noranda. C’est 67 fois la norme québécoise. Un scandale !
Ce droit de polluer s’appelle une attestation d’assainissement, ou une autorisation ministérielle, dans le langage du ministère de l’Environnement. Celle-ci est renouvelable aux cinq ans. Elle a pour but de resserrer progressivement les exigences environnementales en fonction des connaissances acquises, des disponibilités technologiques et économiques ainsi que des besoins particuliers de protection des milieux récepteurs.
À Québec, je dénonce vivement la situation à la période des questions à l’Assemblée nationale. C’est le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, qui me répond : « J’ai demandé à la Santé publique si les enfants de Rouyn-Noranda vont bien et effectivement, on m’a répondu que les enfants sont en santé[3] ». Pour le reste, on devra attendre le rapport de l’étude pour se poser davantage de questions, les premiers résultats étant jugés insuffisants.
Sur le terrain à Rouyn-Noranda, ça bouge. Se forme un comité de parents d’enfants du quartier Notre-Dame et de citoyennes et citoyens inquiets et mobilisés pour protéger la santé de leurs enfants et de la population de Rouyn-Noranda : le comité ARET, pour Arrêt des rejets et émissions toxiques. Ce comité se donne la tâche de s’informer et de documenter la situation. Les travaux de recherche d’ARET ont permis d’apprendre qu’il y a eu deux attestations d’assainissement depuis l’entrée en fonction de la fonderie, la première en 2007 et la seconde en 2017. Ces attestations n’ont donc pas été émises aux cinq ans et elles l’ont été sans resserrement des exigences : une autorisation de 200 ng/m3, de 2007 à 2012, et une autre de 2017 à 2021 où on demandait d’atteindre 100 ng/m3 à la fin de l’année : quatorze ans pour resserrer une norme à un niveau 33 fois plus grand que la norme québécoise ! Autant dire que les gouvernements qui se sont succédé pendant ces années n’ont jamais pris à cœur la protection de la santé de la population de Rouyn-Noranda.
Les risques pour la santé de la population, il y en a plusieurs, et ils sont très préoccupants : risques accrus de cancer (poumon, vessie, prostate, peau), risques cardio-vasculaires, problèmes respiratoires, risques reliés à la grossesse (retard de croissance intra-utérine, petit poids à la naissance, accouchement prématuré, etc.). Les enfants sont aussi plus fragiles à la toxicité des métaux lourds, dont l’arsenic et le plomb. Plus on est exposé tôt, plus le risque est grand et celui-ci augmente avec la durée d’exposition.
Pour espérer corriger la situation, il a fallu clarifier ce que faisait la Fonderie Horne de Glencore. Cette fonderie, qui existe depuis 1926, est à l’origine de la création de la ville de Rouyn-Noranda, la « capitale nationale du cuivre », car l’usine fond du cuivre depuis ce temps : d’abord le cuivre de la mine qui se trouve sous le site, et ensuite du minerai en provenance de partout dans le monde quand la mine fut fermée en 1976.
Actuellement la fonderie traite du concentré dit « vert »[4], tiré de gisements de cuivre avec peu d’arsenic et autres métaux, auquel on ajoute un concentré complexe, riche en or, en argent et en « poisons ». Ce sont ces derniers qui émettent le plus de métaux lourds dans l’air. Ailleurs dans le monde, les teneurs d’arsenic acceptées pour ce type de résidus sont beaucoup plus sévères. Personne ne veut ce concentré complexe, pas même la Chine : il est donc plus payant pour la fonderie de le traiter que de le vendre au rabais. La fonderie fait aussi le recyclage de matériaux électroniques et de « déchets industriels ». Elle insiste sur le recyclage, cela « enverdit » son activité…
On attire beaucoup l’attention sur l’arsenic parce que ça frappe l’imaginaire, mais la fonderie rejette aussi du plomb, du cadmium, du nickel, du bismuth, du chrome, etc. Presque tout le tableau périodique des éléments y passe.
Plus tard, on apprendra que le gouvernement connaissait cette situation depuis bien longtemps. Dès 1982, des chercheurs de l’Université Laval ont levé un drapeau rouge en concluant qu’il y a plus de cancers du poumon et plus de maladies pulmonaires chroniques, de maladies du système digestif et du système endocrinien à Rouyn-Noranda qu’à Val-d’Or et au Québec, et cela, en excluant les mineurs et les fumeurs.
On apprendra aussi que, dès 2004, des recommandations avaient été formulées pour réduire drastiquement les émissions d’arsenic. Après 10 ans de concentration « record » d’arsenic dans l’air ambiant, avec un pic de plus de 1000 ng/m3 en l’an 2000, onze experts interministériels, toxicologues, métallurgistes… déclarent :
Finalement, le groupe de travail ne croit pas qu’une évaluation de risques de grande envergure soit nécessaire pour améliorer la connaissance de la situation. On dispose actuellement de renseignements suffisants pour affirmer que les émissions d’arsenic dans l’air ambiant doivent être mieux contrôlées par la Fonderie Horne[5].
Ils recommandent d’exiger que la fonderie atteigne une moyenne annuelle de 10 ng/m3 d’arsenic dans l’air en 18 mois et qu’elle se dote d’un plan pour atteindre la norme de 3 ng/m3.
Ces recommandations n’ont pas eu de suite. L’attestation qui suivit en 2007 fixait une cible à 200 ng/m3 en 2012 alors que les émissions étaient autour de 150 ng/m3. À l’Assemblée nationale, je mets le dossier à l’avant-plan à l’automne 2019, une fois publié le fameux rapport de la Santé publique régionale. On n’y apprenait rien de neuf. Tout dans ce rapport militait pour poser des gestes rapidement. J’ai eu droit à des déclarations inquiétantes : « Les risques sont minimes » ! nous a dit le premier ministre François Legault ; Benoit Charrette, ministre de l’Environnement, m’a accusée « d’exacerber les inquiétudes de la population ». Sous la pression populaire, le gouvernement pose toutefois quelques gestes : il demande un plan de réduction à la fonderie et met en place un comité interministériel pour évaluer ce plan. L’échéance est fixée au 15 décembre 2019.
À ce moment-là, peu de médias nationaux ont de l’appétit pour le sujet. Le dossier résonne entre les frontières de l’Abitibi-Témiscamingue, mais il ne franchit pas le parc de La Vérendrye.
Puis la pandémie de COVID-19 est arrivée. Le coronavirus était sur toutes les lèvres et dans tous les bulletins télé et radio. Le Québec a découvert le travail de la Santé publique et son directeur national, « héros » de l’ombre, Horacio Arruda. Mais pendant deux ans, les choses ont peu avancé sur le dossier de l’arsenic. La fonderie a finalement déposé un plan bonifié en juillet 2020, mais il a fallu attendre mars 2021 pour que le comité interministériel dépose un rapport complaisant. Aucune cible n’est exigée, aucun échéancier clair, demande d’accélération de quelques actions tout au plus, de sorte qu’en 2020, la fonderie émet une moyenne de 70 ng/m3 d’arsenic et, en 2021, le taux augmente à 87 ng/m3.
Au printemps 2022, le dossier refait surface quand la Santé publique régionale de l’Abitibi-Témiscamingue publie de nouvelles données alarmantes sur l’état de santé de la population de Rouyn-Noranda[6]. On y apprend la surreprésentation de bébés de petit poids à la naissance (30 % de plus) et avec un retard de croissance intra-utérine; une espérance de vie écourtée de six ans partout dans Rouyn-Noranda; 30 % de plus de cancers du poumon; 50 % de plus de maladies pulmonaires chroniques alors que la ville n’a pas plus de fumeurs que la moyenne du Québec.
Pour la première fois, des médecins de Rouyn-Noranda prennent la parole sur la place publique[7]. Outre ces données qui nous incitent à remettre le dossier de l’avant, l’échéance de l’attestation d’assainissement arrive. En novembre prochain, une nouvelle entente devra être signée avec Glencore et de nouvelles cibles devraient donc être exigées. En commission parlementaire, j’arrive à arracher la réponse du ministre de l’Environnement : 30 ng/m3, c’est la nouvelle cible souhaitée. C’est encore 10 fois plus que la norme québécoise.
Le 10 juin 2022, dernier jour des travaux de l’Assemblée nationale, j’ai l’honneur de poser la dernière question de Québec solidaire à la période des questions. Je tente un ultime essai pour mettre de la pression sur le gouvernement. Le ministre de l’Environnement me répond qu’exiger la norme québécoise à la fonderie, c’est exiger sa fermeture. C’est le début d’un discours de peur. Une semaine plus tard, alors que l’actualité « s’en va en vacances », ici, en Abitibi-Témiscamingue, on publie un article rapportant que le docteur Arruda aurait retiré une annexe importante du rapport de biosurveillance de 2019 et qui concernait les taux de cancers à Rouyn-Noranda[8].
C’est le début du plus gros battage médiatique qu’il m’a été donné de connaitre. Enfin ! Sur le terrain, de nouveaux groupes citoyens naissent et s’impliquent : Rouyn-Noranda, faut qu’on se parle; RN Rebelle; Mères au front; Association pour la défense des droits, IMPACTE (médecins). Des gens influents, normalement plutôt discrets sur ces enjeux, s’expriment publiquement. L’agenda du gouvernement caquiste est bousculé. Chaque fois que François Legault fait un point de presse, on le questionne sur la Fonderie Horne. En pleine période électorale, les occasions sont nombreuses. Plus de 250 personnes se présentent à une assemblée publique organisée au début de juillet. Les journalistes affluent de partout pour venir couvrir ce qui se passe à Rouyn-Noranda. Les mentions du dossier dans les médias nationaux se multiplient : à l’émission 24/60 de RDI, Midi-Info, Noovo, à la radio 98,5 à Montréal… Tout le Québec a les yeux rivés sur Rouyn-Noranda et sur sa lutte citoyenne qui prend de l’ampleur. Des médias français se déplacent à Rouyn-Noranda; des films sont produits. Le docteur Luc Boileau, qui a succédé au Dr Arruda, se rend dans la région à plusieurs reprises pendant l’été pour tenter de rassurer la population, mais chaque fois, c’est plutôt l’effet inverse qui se produit. La confiance de la population est minée à l’égard du gouvernement et de la Santé publique nationale qui mettent de plus en plus de l’avant une cible de 15 ng/m3, encore cinq fois de plus que la norme provinciale !
À la mi-août, le ministère de l’Environnement précise les exigences qui seront demandées à la fonderie : 15 ng/m3 au terme de la prochaine attestation, soit en 2027. Il reprend le discours de la Santé publique, mais avec un échéancier qui ne fait aucun sens – dans cinq ans ! – puisque la santé de la population est encore négligée. De plus, le plan est moins ambitieux que celui présenté par la fonderie en juillet 2020 !
La semaine suivante, la fonderie annonce un plan qui colle à celui du ministère, ce qui soulève l’ire de la population. Le 1er septembre, le docteur Boileau revient dans la région. Lors d’une assemblée publique, après trois heures d’intenses échanges avec la population, il admet qu’il ne souhaite pas attendre cinq ans pour l’atteinte de 15 ng/m3. Le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), déclinant sa responsabilité, nous dit que ce sera à la population de Rouyn-Noranda de décider si le plan est recevable ou pas. Il y aura une consultation publique du 6 septembre au 20 octobre alors que les élections québécoises auront lieu le 3 octobre…
La population de Rouyn-Noranda manifeste avec éclat le 21 septembre : plus de 1000 personnes de tous les âges marchent dans les rues pour réclament la norme québécoise et l’encadrement de tous les métaux lourds. Le 29 septembre, François Legault débarque à Rouyn-Noranda pour soutenir son candidat caquiste et répéter son discours menaçant : la fonderie risque de fermer si on est trop exigeant avec elle, il y a danger de perdre 600 jobs, très bien payées… Un discours qui suscite la colère, mais aussi la division.
Le 3 octobre, après un été de lutte aux côtés des groupes citoyens et de la population, je perds mes élections au profit de la CAQ. C’est la consternation partout d’un bout à l’autre du Québec. On parle de cette défaite dans l’ensemble des médias. Un média anglophone va même jusqu’à écrire : « The chickens voted for Colonel Sanders[9] ».
Quelques semaines plus tard, les résultats de la consultation publique sont dévoilés : il n’y a aucune acceptabilité pour le plan proposé par la fonderie et le ministère. Mais durant l’automne, la fatigue militante se fait sentir. Tout le monde passe en mode attente de ce qui se retrouvera finalement dans la fameuse attestation d’assainissement et les prochaines exigences à Glencore.
C’est finalement en mars 2023 que la CAQ dévoile son plan en jetant un nouveau pavé dans la marre : l’établissement d’une zone tampon aux abords de la fonderie. Si les cibles pour les émissions d’arsenic restent les mêmes que celles du plan initial, soit l’objectif de 15 ng/m3 en 2027, le gouvernement a décidé de relocaliser 200 ménages et de détruire 80 bâtiments pour « éloigner » des habitants de la fonderie. Les gens visés par cette expropriation déguisée l’ont appris à la radio en même temps que le reste du Québec.
C’est le début d’un nouveau chapitre de cette lutte qui se poursuit encore : la lutte pour la santé de la population de Rouyn-Noranda et pour son droit à un air de qualité comme dans le reste du Québec, mais aussi pour que les exproprié·e·s de la zone tampon ne soient pas doublement perdants après avoir vécu des décennies à l’ombre de ces « cheminées éternelles comme l’enfer[10] », comme le chante Richard Desjardins.
La dénonciation de cette injustice sanitaire et environnementale n’aurait pu se faire sans l’implication individuelle ou en groupe de nombreux citoyens et citoyennes. Il est difficile de se faire entendre loin des grands centres urbains. Cette lutte citoyenne rallie et trace la voie à d’autres groupes au Québec qui vivent des injustices et les encourage à faire reconnaitre leur droit à vivre dans un milieu sain.
Le 26 septembre dernier, près de 1000 personnes ont marché dans les rues de Rouyn-Noranda pour dénoncer encore une fois le plan totalement inacceptable de la fonderie. La lutte résonne encore, mais est-ce que le gouvernement saura bouger maintenant qu’il est confortablement assis sur son trône pour encore quatre ans, bien au chaud, à 900 km des volutes d’arsenic…
Par Émilise Lessard-Therrien, ex-députée de Rouyn-Noranda-Témiscamingue avec la collaboration du comité ARET de Rouyn-Noranda.
NOTES
- CISSS : Centre intégré de santé et de services sociaux. ↑
- CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue, Études de biosurveillance sur l’imprégnation à l’arsenic de la population du quartier Notre-Dame de Rouyn-Noranda, 2019, </www.cisss-at.gouv.qc.ca/biosurveillance/#:~:text=%C3%80%20l’automne%202019%2C%20la,%2DDame%20%C3%A0%20Rouyn%2DNoranda>.↑
- Véronique Morin, « Arsenic à Rouyn-Noranda : un scandale “national”, selon l’expert en environnement Louis-Gilles Francoeur », Journal de Québec, 15 mai 2019. ↑
- « Les concentrés de cuivre, catégorisés par l’exploitant en deux classes, notamment les concentrés verts et complexes, proviennent des différentes mines à travers le monde. Les concentrés verts sont constitués essentiellement de cuivre et contiennent peu d’impuretés. Les concentrés complexes contiennent un mélange de cuivre, de métaux précieux (or, argent, platine, palladium, etc.) et d’autres substances telles que le plomb, le cadmium et l’arsenic. » Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Avis technique, 17 décembre 2021, <www.environnement.gouv.qc.ca/ministere/consultation-fonderie-horne/documents/Enjeux%20environnementaux/Renouvellement%20autorisation%20minist%C3%A9rielle%202022-2027/Avis%20concernant%20la%20gestion%20des%20GMR%20et%20des%20GMDR/2021-12-17_MELCC_Avis_technique_GMR_et_GMDR.pdf>. ↑
- Ministère de l’Environnement, ministère de la Santé et des Services sociaux, Institut national de santé publique, Avis sur l’arsenic dans l’air ambiant à Rouyn-Noranda, Québec, gouvernement du Québec, novembre 2004. ↑
- Avis de la Direction de santé publique du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue sur les émissions de la Fonderie Horne et sur le plan déposé dans le cadre du renouvellement de son autorisation ministérielle, 15 octobre 2022,<www.cisss-at.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2022/10/2022-10-15_Avis-DSPu-AT_Renouvellement-autorisation-ministerielle-Glencore-Fonderie-Horne_Final-web.pdf> et <www.cisss-at.gouv.qc.ca/partage/BIOSURVEILLANCE/2022-05-11_CC-PRESENTATION-SANTE.pdf>. ↑
- Jean-Thomas Léveillé, « Cri du cœur des médecins », La Presse, 3 juillet 2022. ↑
- Jean-Marc Belzile, « Horacio Arruda a empêché la diffusion de données sur le cancer à Rouyn-Noranda », Radio-Canada, 20 juin 2022 ; « Le Dr Arruda a rencontré la fonderie Horne avant de retirer de l’information », La Presse, 21 juin 2022. ↑
- NDLR. « Les poulets ont voté pour le colonel Sanders ». Il s’agit d’une expression retrouvée aux États-Unis à diverses occasions en référence à la chaine de restauration rapide PFK de poulet frit fondée par le colonel Sanders. ↑
- Avec ces paroles, le chanteur Richard Desjardins fait référence aux deux immenses cheminées de la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda, sa ville natale. On les retrouve dans la chanson Et j’ai couché dans mon char, 1990. ↑
Transport aérien en région

Mobiliser pour un quartier chinois inclusif

L'histoire du quartier chinois de Montréal remonte à plus de cent-quarante ans. Une maison, un refuge pour plusieurs communautés, le quartier a vu les changements s'accélérer dans les dernières années. Après la pandémie de COVID-19 qui a durement malmené sa vie culturelle, ses commerces et ses institutions, un essor rapide de la spéculation immobilière a forcé la communauté du Chinatown à lutter pour la préservation de son héritage afin de pouvoir y construire un avenir. À bâbord ! est allé à la rencontre de deux militant·es afin de dresser un portrait sommaire des gains et des défis auxquels fait face la lutte pour sauver le quartier chinois.
Propos recueillis par Caroline Brodeur et Samuel Raymond.
À bâbord ! : Qu'est-ce qui a marqué le début de la mobilisation pour sauver le quartier chinois ?
Parker Mah : Le quartier tel qu'on le connaît aujourd'hui était beaucoup plus large avant. Historiquement, il a été rongé par l'agrandissement du CHUM, la création du complexe Guy-Favreau, l'autoroute Ville-Marie et l'édification du Complexe Desjardins.
Il y avait déjà plusieurs années, avec la fermeture du centre culturel chinois et la fermeture du YMCA du quartier, qu'on savait qu'on devrait faire quelque chose pour se concentrer sur le quartier et sa revitalisation. On a créé le Groupe de travail sur le quartier chinois (GTQC). Le but du groupe était de mobiliser les personnes citoyennes afin qu'elles puissent s'investir dans le projet.
May Chiu : Nous avons constaté que la ville semblait n'avoir aucun plan de développement du quartier chinois, ce qui le mettait en danger d'effacement imminent par la gentrification. En 2019, les Chinois·es progressistes du Québec (PCQ), une organisation militante antiraciste, a lancé une pétition demandant à la ville une consultation sur un plan de développement et un moratoire sur les nouveaux projets de construction en attendant les conclusions de la consultation.
Plus précisément, les grosses constructions de condos de luxe au sud du boulevard Saint-Laurent nous ont poussé·es à nous questionner : est-ce que la Ville donne des permis à tout le monde, pour n'importe quel projet ? L'administration avait-elle une vision pour le quartier ? Les élu·es savaient-ils qu'un ou deux autres projets de la sorte effaceraient le quartier pour de bon ? Je ne parle même pas du projet du Réseau express métropolitain (REM), qui à lui seul pouvait également porter atteinte à l'intégrité du quartier.
La COVID-19 elle aussi a durement frappé le quartier. Les commerçants et le quartier y ont subi du vandalisme raciste, antichinois. Les difficultés économiques généralisées ont également pesé, le quartier étant un endroit que fréquentent des personnes itinérantes et ultras marginalisées, sans ressources adéquates pour les aider.
P. M. : Le GTQC a été créé par les militant·es des Chinois progressistes du Québec parce qu'ils et elles comprenaient qu'on avait besoin de personnes possédant diverses expertises sur les enjeux urbains pour participer aux consultations de l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM).
Comme accélérant de la mobilisation, il y a eu l'achat de l'immeuble des Nouilles Wing par les promoteurs immobiliers Brandon Shiller et Jeremy Kornbluth. L'immeuble est non seulement le plus vieux du quartier chinois, mais l'un des plus vieux à Montréal. Ça a choqué tout le monde. Le GTQC est passé d'une formation de quatre personnes bénévoles qui se réunissaient chaque semaine à un noyau d'une quinzaine de personnes et plus de cinquante bénévoles.
ÀB ! : Les enjeux entourant la protection et le développement du quartier chinois ont bénéficié d'une large diffusion médiatique, menant, entre autres, au mandat de l'OCPM portant sur les modifications au plan d'urbanisme du quartier. Comment expliquer le succès de votre mobilisation ?
M. C. : Je suis une militante de longue date. Il faut avoir une vision à long terme. Il n'y a pas de baguette magique, pas de solution rapide. Il faut persévérer et on ne contrôle pas le « timing ». Par exemple, dans le cas du quartier chinois, il y a plusieurs facteurs qui ont favorisé la mobilisation.
Tout d'abord, il y avait l'urgence, causée par la gentrification, le vandalisme et les crimes haineux commis contre les Asiatiques pendant la COVID-19. Tout cela a mobilisé la communauté. Le quartier est devenu un symbole du droit à la protection de notre identité. C'est un élément qui a attiré le soutien populaire. Les crises et les menaces nous rassemblent. Ce fut d'autant plus le cas après l'achat de l'immeuble des Nouilles Wing, un symbole fort, un gros morceau du quartier.
P. M. : [De manière plus organisationnelle], on a compris qu'on avait besoin d'expertise. Il nous fallait des expert·es capables de lire les documents complexes, comprendre le processus d'achat d'immeubles, d'octroi de permis par la Ville, la réglementation en vigueur, le processus décisionnel et politique ainsi que le zonage et l'urbanisme.
M. C. : Notre approche est vraiment intéressante, parce que depuis le début, peu importe l'enjeu, nous nous assurons que les voix des personnes concernées les plus marginalisées et vulnérables soient entendues. Il y a des voix diverses, c'est complexe, mais c'est très important d'être en mode concertation.
Avant, les seuls liens entre le quartier et les pouvoirs publics étaient monopolisés par des leaders autoproclamés de la communauté. Dès le début de notre implication, nous avons voulu informer les plus vulnérables et nous assurer que leurs besoins seraient pris en compte. Par exemple, quand l'OCPM a lancé sa consultation sur le quartier, nous avons vulgarisé et traduit l'information transmise par la Ville. Nous avons pris ce travail sur nous, sur nos épaules de personnes militantes bénévoles. Nous avons ensuite pris le temps de faire du porte-à-porte pour diffuser nos bulletins d'information.
ÀB ! : Quelles sont les plus gros gains obtenus par le biais de la mobilisation citoyenne dans le quartier ?
P. M. : La Ville a reconnu le quartier comme un secteur particulier, avec besoins spéciaux. Avant, le quartier était « noyé » dans l'arrondissement de Ville-Marie, avec les standards d'urbanisme du centre-ville, dont les critères de densité et de hauteur de construction n'ont rien à voir. Sans ce genre de caractère distinctif, la Ville ne faisait aucune différence entre les secteurs. Si un développeur voulait construire une tour dans le quartier chinois, il obtenait le permis sans problème, même si le projet jurait avec l'environnement avoisinant.
M. C. : Le groupe de travail sur le quartier chinois a atteint son objectif principal, soit la reconnaissance du quartier comme bien patrimonial. Dans la même lignée, la Ville de Montréal a fait adopter en 2022 sa réglementation sur la hauteur et la densité du quartier, une autre revendication principale du groupe. Ces gains nous ont mené·es à nous questionner sur la suite. Mais dans les faits, ce n'est qu'une fois le quartier « classé », que, pour nous, le vrai travail peut commencer : la préservation du patrimoine matériel et immatériel du quartier chinois.
Le produit final de la consultation de l'OCPM a été le plan de développement du quartier chinois, adopté par la ville en 2021. Dans son rapport, l'OCPM appelait à la création d'une plateforme communautaire afin que la communauté puisse être informée et consultée sur les projets de la ville. La Table ronde sur le quartier chinois, un organisme multisectoriel, a été créée suivant cette recommandation en 2022. Son mandat principal est d'agir comme un forum pour rallier la communauté du Chinatown autour d'une même entité afin de partager de l'information et de faire de l'engagement communautaire. Les enjeux sur lesquels nous travaillons sont parallèles aux principales orientations du plan d'action pour le quartier chinois de la Ville, notamment la qualité de vie, le logement social et la protection du patrimoine. Cependant, comme l'a dit Parker, il y avait une grande lacune dans la définition globale d'une vision du développement du quartier chinois, particulièrement en matière de protection du patrimoine immatériel. La fondation Jia a donc été créée pour combler cette lacune.
ÀB ! : La classification patrimoniale du quartier ainsi que la nouvelle réglementation de la Ville sur la hauteur et la densité aident votre lutte. Est-ce que d'autres éléments organisationnels vous soutiennent maintenant que vous avez su attirer l'attention des pouvoirs institutionnels sur la question du quartier chinois ?
P. M. : Oui, certainement. Par exemple, au début de la mobilisation, nous avions peu ou pas de ressources et nous devions répondre à un nombre très important de questions et de problèmes à régler aux yeux des personnes habitant le quartier.
Après le rapport de l'OCPM, la Ville a annoncé la désignation d'une personne de liaison avec le quartier chinois. La Table ronde sur le quartier chinois a été créée, une table multisectorielle.
Puis, nous avons créé la Fondation Jia afin de combler une lacune organisationnelle dans le quartier chinois. Auparavant, lorsque des problèmes étaient soulevés par les citoyen·nes ou par la Ville, on se demandait toujours qui allait avoir la rude tâche de faire le travail. Ces enjeux retombaient souvent sur le groupe de travail qui, rappelons-le, est une organisation entièrement bénévole. La fondation Jia a donc été créée pour pérenniser la réponse organisationnelle et mobilisatrice aux enjeux du quartier.
ÀB ! : Comment les luttes actuelles servent-elles aux populations marginalisées et aux plus vulnérables ?
M. C. : Les luttes sont tellement complexes. Une des plus sensibles est celle sur les enjeux d'itinérance et de cohabitation. En ce moment, avec la crise du logement, la pauvreté, la crise des opioïdes, le manque de services en santé mentale, les tensions de classe se font plus vives dans le voisinage. Tout ça est en train de se jouer sur le terrain du quartier. C'est comme s'il y avait une concurrence entre différents types de personnes vulnérables, selon les différentes couches d'oppressions qu'ils et elles subissent.
Quand le gouvernement ne prend pas ses responsabilités pour faire face à de tels besoins de la population, celle-ci peut se désolidariser et prendre en bouc émissaire les plus démuni·es. Notre travail est de trouver des solutions à long terme, durables et solidaires pour que la vie du quartier reste inclusive.
ÀB ! : Quelles sont les prochaines étapes, les prochains projets pour défendre le quartier chinois ?
P. M. : Quand on parle de vision du quartier chinois, évidemment, plusieurs factions, intérêts et opinions divergentes se font entendre. Certains veulent se concentrer sur l'aspect économique, le transformer en attraction touristique.
Le forum Repenser le quartier chinois, qui se tiendra en septembre 2023, veut offrir une plateforme et une tribune pour les initiatives de développements plus progressistes. On souhaite s'aligner et s'affilier avec d'autres organisations qui luttent comme nous à la sauvegarde des quartiers chinois ailleurs au pays et dans le monde, s'inspirer de leurs mouvements.
En ce moment, dans le quartier chinois, il n'y a pas de parcs, pas de lieux de rassemblement, sauf dans le soussol du complexe Guy-Favreau, ce qui est déprimant (rires). Il n'y a pas d'écoles ou de terrain de jeux. Il n'y a pas beaucoup d'activités culturelles mis à part les restaurants. Or, des photos datant des années 70 montrent des familles, des enfants, des aîné·es, de la culture.
Une des grandes questions reste la suivante : comment peut-on ramener le patrimoine dans l'équation sans momifier le quartier, afin qu'il puisse continuer d'évoluer ? On ne veut pas qu'une préservation culturelle ; il nous faudra également une production culturelle. Ici, je prends le mot « culture » dans son sens large, en lien avec le quartier et ses valeurs. Un projet que je mets en exemple est celui de la Maison du quartier chinois, une initiative commune de la Fondation Jia et de la Table ronde, qui ouvrira ses portes en septembre 2023. Il s'agit d'un lieu naturel d'échange, d'incubation communautaire, de production et de diffusion culturelle. Vous pourrez visiter ses expositions éphémères tout au long de cet automne. Elles traiteront entre autres de l'histoire trop peu connue du quartier, ainsi que de son avenir.
M. C. : Un de nos défis futurs — et je crois que c'est le même pour plusieurs communautés — c'est que nous devons constamment éteindre des feux, gérer des urgences, et tenter de construire un avenir meilleur dans un même souffle. La classe politique continue de miser sur la sinophobie, notamment par le biais du registre de l'influence étrangère et de l'enquête en cours de la GRC sur les commissariats chinois.
Parce que plusieurs de nos projets nécessitent un partenariat avec la Ville de Montréal, nous tentons toujours d'établir une relation de travail qui ne repose pas sur le racisme systémique. Notre vision du quartier chinois a toujours été inclusive, et la guerre de classes sociales entre résident·es logé·es et non logé·es doit être abordée de front afin que nos avancements bénéficient à tous·tes. Sur une note positive, puisque nous reconnaissons que le quartier chinois est construit sur des terres non cédées ou volées, notre nouvelle collaboration avec Projets autochtones du Québec (PAQ), situé dans le quartier chinois, et les patrouilles de sensibilisation du Centre d'amitié autochtone nous aideront à mieux comprendre comment mener nos projets de développement communautaire dans une perspective décoloniale.
May Chiu est membre de la Table ronde sur le quartier chinois. Parker Mah est membre de la Fondation Jia.
Photo : Hubert Figuère (CC BY-SA 2.0)
Une victoire pour les travailleurs et un message pour le secteur public : « il faut rien lâcher »
Une victoire pour les travailleurs et un message pour le secteur public : « il faut rien lâcher »
Des problématiques dignes des grandes villes ?

La prison est violences
La prison est violences
Me Delphine Gauthier-Boiteau, Candidate à la maîtrise en droit et société et avocate Me Sylvie Bordelais, Avocate en droit carcéral Me Amélie Morin, Avocate en droit carcéralRetour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023
Le caractère mortifère de la prison nous a été violemment rappelé par la mort tragique de Nicous D’André Spring, survenue des suites de l’usage de la force par des agents de l’Établissement de détention de Montréal le 24 décembre 2022. Cet événement doit collectivement nous amener à appréhender les violations de droits non pas comme des incidents isolés ou des violences surprenantes, mais comme le symptôme ordinaire du caractère inhérent de la prison1. Les personnes décédées alors qu’elles étaient incarcérées dans une institution provinciale sont trop nombreuses pour les nommer toutes2, car cette violence est l’expression des qualités intrinsèques de la prison : elle en révèle les assises coloniale, raciste, capacitiste et capitaliste, qui appellent à une réaction intersectionnelle. [caption id="attachment_18432" align="alignright" width="307"]
Penser un ailleurs
Ces constats et les nombreuses déclinaisons des logiques carcérales montrent l’urgence de se positionner contre l’élargissement des outils et pouvoirs alloués aux agent-e-s de ces logiques. Il importe désormais de questionner la carcéralité et la légitimité du recours à l’emprisonnement comme réponse à des problèmes sociaux. Pour la géographe afro-américaine abolitionniste Ruth Wilson-Gilmore, il ne nous faut en somme changer qu’une chose : tout4. Si penser et bâtir un monde sans prison implique de tout changer, à commencer par la culture qui permet l’existence des prisons, cela implique le démantèlement de systèmes de domination que sont le capitalisme racial, le colonialisme, le patriarcat et le capacitisme. Décarcéraliser notre monde implique un refus d’effacement, au profit d’un rapport à l’autre qui s’articule contre cette disposability, l’idée selon laquelle des personnes sont jetables. Un agir décarcéral suppose, encore davantage que les processus de déconstruction qui nourrissent un certain sensationnalisme réactionnel, la création et la construction d’un lieu nouveau. La mise en œuvre de cet ailleurs passe concrètement par la possibilité d’exercice des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des personnes. Le crime est une construction sociale qui n’est pas neutre : les infractions inscrites dans le Code criminel sont le fruit politique de décideuses et de décideurs. Ce constat vise à rappeler que ce système fonctionne tel qu’il a été pensé, c’est-à-dire au profit de celles et ceux pour et par qui il a été pensé, et aux dépens des populations précarisées (ici et en d’autres lieux) par celui-ci. Le crime n’est pas naturel plus qu’il n’est neutre dans sa formulation, son appréhension et encore par les mécanismes de profilage et de punition qui découlent de sa répression. L’appareil pénal et carcéral agit pourtant bien peu en amont de ce qu’il décrit comme crime, et les victimes et/ou survivant-e-s d’actes criminels demeurent des actrices et des acteurs tout à fait secondaires de ce système, en particulier quant à leurs besoins et à la réparation des souffrances vécues. Pour Mariame Kaba, autrice afro-américaine et organisatrice communautaire abolitionniste, ces logiques vont à l’encontre de toute accountability - responsabilisation des personnes qui causent du tort - puisque les personnes accusées, leurs proches et leurs communautés ont trop à perdre face aux violences produites par le système5. La logique punitive et individualisante mobilisée en réponse aux torts et violences causés laisse les rapports de pouvoir intacts et s’oppose à une culture plus large de responsabilisation et de réparation. Pour ces raisons, les principes et valeurs abolitionnistes insistent à la fois sur les manières de responsabiliser les personnes qui ont causé du tort, et de répondre aux besoins des victimes et/ou survivant-e-s. L’incarcération a un coût social qui est trop peu souvent décrié. Dans ses travaux, la professeure et sociologue féministe Gwenola Ricordeau6 appelle à la solidarité vis-à-vis des personnes judiciarisées et incarcérées, mais aussi à une compréhension plus large des dommages du système carcéral, bien au-delà des portes de la prison. Il importe en ce sens de considérer les coûts matériel, financier, émotionnel et social dont nos communautés, les proches des personnes incarcérées et celles-ci font les frais. Alors que l’institution carcérale ne permet pas, non plus, de répondre aux objectifs qu’elle présente comme siens (par ex. protection du public et réinsertion sociale) nous nous trouvons périodiquement confronté-e-s à des modifications législatives et à des réformes. Le travail de surveillance et de veille implique de se positionner vis-à-vis ce qui nous est et sera présenté, de distinguer les réformes réformistes et les réformes non-réformistes. Cela demande d’un côté d’identifier les mesures qui octroient davantage de ressources et de pouvoir aux autorités carcérales, rendant le démantèlement de ce système et la mise sur pied d’alternatives plus difficiles. De l’autre côté, les réformes non-réformistes agissent vers une transformation, emportent une critique radicale, importent pour les droits des personnes incarcérées ici et maintenant et n’opèrent pas une désolidarisation avec certaines catégories de personnes incarcérées. Le caractère délicat de cette tâche convoque une vigilance à l’égard de ce qui nous est proposé, pour éviter de tomber dans le piège de discours qui reproduisent le paradigme de l’innocence7, ou de politiques de contrôle social qui élargissent le filet carcéral.Conclusion
Ce texte se veut une contribution aux réflexions sur des possibilités transformatrices, sur des agirs qui soient solidaires des personnes pour lesquelles la prison n’est pas une abstraction. Il est essentiel de construire des solidarités qui soient politiques, matérielles et émotionnelles entre militant-e-s, personnes incarcérées et leurs proches (qui font ce travail de soin et de veille depuis que les prisons existent). Comme l’écrivait la regrettée Lucie Lemonde, militante pour les droits humains et professeure de sciences juridiques, la prison est tout sauf une solution et il faut « se questionner sur le bien-fondé du recours à la judiciarisation et à l’emprisonnement pour répondre à des problèmes sociaux8 ». La décarcéralisation est une réorientation du monde. La réduction du « crime », soit de situations problématiques telles qu’appréhendées par le Code criminel, passe par l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits humains, comme autant de droits à mettre en œuvre pour améliorer les conditions matérielles d’existence de chacun-e, et multiplier les possibilités de luttes et d’actions politiques des groupes. Une part de cette transformation sociale implique l’apprentissage expérientiel d’alternatives diverses et locales; la normalisation de processus nouveaux qui passent, forcément, quelques fois par un échec; mais surtout, la confiance en un effort collectif et conscient vers cet ailleurs à construire9. Et si, comme l’écrit Mariame Kaba, l’espoir est une discipline, les pratiques militantes et de solidarité sont l’expression d’une mémoire qui désire.- La prison, ici, est comprise comme l’institution principale d’enfermement de personnes criminalisées. Pour les fins de ce texte, nous ne distinguons pas les prisons provinciales des pénitenciers fédéraux.
- Bobby Kenuajuak et Robert Langevin sont aussi décédés récemment dans le contexte de leur incarcération à Plusieurs femmes se sont suicidées à la Prison Leclerc depuis 2016. Parmi elles, Michele Messina, Francine Robert, Anne Schingh, Dora Okkuatsiak, Mireille Deveau et Autumn Sanderson Rain. D’autres sont mort-e-s en prison sans que leur nom ou leur histoire n’ait été rendus public.
- Laurence Guénette et Lynda Khelil, Une nouvelle prison pour femmes n’est pas une solution, Le Devoir, 7 marsEn ligne : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/784307/droits-humains-une-nouvelle-prison-pour-femmes-n-est-pas-une-solution
- Ruth Wilson-Gilmore, Abolition geography dire: essays towards liberation, Verso, London, 2022, 506p.
- Mariame Kaba, We do this ‘til we free us: Abolitionist organizing and transformative justice, Haymarket Books, Chicago, 2021, 206p., partie VI, pp 132 à 157.
- Gwenola Ricordeau, Pour elles toutes : femmes contre la prison, Lux Éditeur, Montréal, 2019, , à la p. 129 et suivantes.
- Sortir du paradigme de l’innocence implique donc de rompre avec une logique binaire coupable/innocent-e et d’être solidaire de chacun-e, en particulier des personnes coupables aux yeux du système.
- Lucie Lemonde, Punir la misère par la misère, Liberté, Hiver 2022, No 333, aux pp 60-61. En ligne : https://revueliberte.ca/article/1647/punir-la-misere-par-la-misere
- Kaba, supra note 4, aux p 166-167.
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Les prisons : lieux de violations de droits
Les prisons : lieux de violations de droits
Lynda Khelil, responsable de la mobilisationRetour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023
Dès les années 1960, la Ligue des droits et libertés (LDL) intervient régulièrement au sujet des conditions de détention dans les prisons provinciales et les pénitenciers fédéraux situés au Québec. Elle s’oppose à la construction de nouveaux établissements de détention, tels que le pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul en 1965 et le pénitencier Archambault en 1967, deux établissements qui seront construits malgré tout. À la fin des années 1960, la LDL témoigne lors de la Commission d’enquête sur l’administration de la justice en matière criminelle et pénale au Québec présidée par Yves Prévost. En 1970, elle exige et obtient un droit de visite permanent et inconditionnel de tous les centres de détention provinciaux et municipaux. Octroyé par le ministre de la Justice Rémi Paul en 1970, ce droit est retiré lors de la mise en place du bureau de l’Enquêteur correctionnel quatre ans plus tard. Durant la crise d’Octobre 1970, la LDL forme un comité d’aide aux personnes détenues en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. [caption id="attachment_18428" align="alignright" width="279"]
Les prisons de par ici. Montréal, Éditions Parti Pris, 1976, 234 p.[/caption]
L’Office des droits des détenu-e-s
Afin d’élargir ses interventions, la LDL crée en 1972 l’Office des droits des détenu-e-s (ODD), appelé à travailler avec le comité de la LDL sur l’administration de la justice les deux enjeux étant étroitement liés. Deux principes orientent le travail de l’ODD à ses débuts. D’abord, une personne condamnée à une peine d’incarcération se voit uniquement privée du droit de circuler librement dans la communauté, mais conserve tous ses autres droits. Ensuite, la population a un droit de regard sur ce qui se passe à l’intérieur des établissements de détention. Il faut donc en finir avec le secret et l’opacité entourant le système carcéral et rendre accessibles les informations concernant ces lieux, tant pour les personnes détenues que pour le public. L’ODD effectue des visites des établissements de détention, dénonce les conditions de détention et les violations de droits, formule des revendications politiques, documente la situation et sensibilise le public. Il publie également la revue Face à la justice de 1977 à 1984. Au cours de son existence, l’ODD répond à des centaines de requêtes individuelles de personnes incarcérées et leur offre son soutien. Il entreprend parfois des démarches devant les tribunaux, alors que le droit carcéral est relativement nouveau. Il tente également de donner une portée collective aux cas individuels qui lui sont soumis. Les résultats sont mitigés, peu d’avancées sont obtenues face à l’inertie du système. Dès ses débuts, l’ODD exige la fermeture du Centre de prévention Parthenais, situé entre les 10e et 13e étages de l’édifice de la Sûreté du Québec, à Montréal. Ce lieu devait être destiné à des détentions de courte durée pour les personnes en attente de procès, alors qu’elles y restent souvent plusieurs mois. Les prévenus y ont fait quatre grèves de la faim entre 1970 et 1973 pour attirer l’attention sur leurs conditions de détention insalubres et sur les violations de leurs droits. En 1973, six d’entre eux s’automutilent face au désespoir engendré par leur situation. En 1977, la lutte autour de Parthenais s’intensifie, avec la constitution d’un front commun1 qui en revendique la fermeture, exigeant aussi la libération des détenus de Bordeaux avec des courtes sentences (80 %) et le transfert de prévenus de Parthenais à Bordeaux. La lutte sera longue, et Parthenais ne sera fermé qu’en 1996. Dès 1975, l’ODD adopte une position abolitionniste. Celle-ci est présentée publiquement en 1976 dans le manifeste Vers l’abolition de la prison, qui énonce les constats tirés d’observations directes de la réalité de l’incarcération, et les objectifs visés par l’ODD dans la perspective de parvenir à une société sans prison. L’année 1976 marque la tenue à Montréal d’une conférence du philosophe Michel Foucault, invité par l’ODD à l’occasion de la Semaine du prisonnier. Son allocution, « Alternatives » à la prison : diffusion ou décroissance du contrôle social, est d’ailleurs disponible dans le livre Foucault à Montréal, publié aux Éditions de la rue Dorion en 2021. En 1980, le livre Police, coroners et morts suspectes est publié par des militant-e-s de l’ODD, faisant état d’enquêtes du coroner tenues lors de décès dans les institutions carcérales et dans les postes de police. Cette étude a contribué à l’adoption d’une nouvelle Loi des coroners, en 1986. La même année, l’ODD élabore un projet de Charte des droits des détenu-e-s qui aura un fort impact médiatique. Lors de son Congrès de 1982, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) adopte sa version finale qui sera présentée lors du 7e Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, en 1985. L’ODD se mobilise à la suite des événements tragiques de 1982 au pénitencier Archambault, demandant des mesures pour protéger les détenus de possibles représailles de la part des gardiens à la suite d’une émeute majeure et meurtrière. De 1983 à 1987, l’ODD participe à des conférences internationales traitant de l’abolition du système pénal pour alimenter les réflexions critiques sur l’incarcération. L’ODD se dissocie de la LDL en 1984, mais continue ses activités jusque dans les années 1990. Le dossier des droits des détenu-e-s a refait surface à la LDL récemment, notamment en raison des enjeux des prisons pour femmes, de l’incarcération des personnes migrantes et des réflexions sur les limites des logiques carcérales.La prison Leclerc
En 2016, le gouvernement du Québec annonce le transfert des femmes détenues par le provincial de la prison Tanguay vers l’Établissement Leclerc de Laval, un ancien pénitencier fédéral pour hommes à sécurité maximale, fermé pour cause de vétusté. La LDL, la Fédération des femmes du Québec, le Centre des femmes de Laval et plusieurs autres organisations se mobilisent pour dénoncer le transfert et les conditions de détention qui ne respectent ni la dignité humaine ni les droits : approche correctionnelle digne d’un établissement à sécurité maximale, configuration architecturale oppressante, insalubrité et vétusté des installations, fouilles à nu systématiques, abusives et humiliantes, accès défaillant à des soins de santé physique et psychologique, confinements fréquents, etc. En 2018, la Coalition d’action et de surveillance sur l’incarcération des femmes au Québec (CASIFQ) est créée. Deux demandes de mission d’observation indépendante au Leclerc en 2018 et 2021 sont déclinées par le gouvernement. La dénonciation persiste au fil des ans : en 2021, 100 organisations et 1 260 personnes donnent leur appui à 5 ans de trop à la prison Leclerc, texte issu d’une lettre manuscrite de Sœur Marguerite Rivard, une alliée des femmes. La lettre est transmise le 8 mars aux ministres de la Sécurité publique et de la Condition féminine et à l’ensemble de la députation, demeurant sans réponse, alors que les mobilisations se poursuivent.Pandémie et violations de droits exacerbées
Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec déclare l’état d’urgence sanitaire. Dès le 19 mars, la LDL anticipe une propagation rapide du virus dans les prisons en raison de la surpopulation, de l’exiguïté et de la configuration architecturale des lieux. La LDL demande publiquement une réduction significative de la population carcérale, par la libération de personnes détenues et la réduction de nouvelles admissions. Pendant deux ans, la LDL multiplie les lettres, communiqués, conférences de presse et entrevues médiatiques pour dénoncer le régime de confinement et d’isolement généralisé, 24h/24 en cellule pendant 14 jours consécutifs et souvent plus, sans douche et vêtements propres, ni contact avec l’extérieur. Une situation équivalente à être « en prison dans une prison », un traitement cruel, inhumain et dégradant considéré de la torture selon les critères établis par l’ONU. En 2021, la LDL met en place un nouveau comité, Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention, sous l’impulsion de feue Lucie Lemonde. L’objectif est d’élargir le travail de la LDL sur les enjeux liés au système carcéral et aux droits des personnes en détention, tant dans les prisons provinciales et les pénitenciers fédéraux que dans les « prisons pour migrant-e-s ». Deux temporalités de luttes évoluent en parallèle. Ici et maintenant, l’urgente défense des droits des personnes détenues qui subissent un déni de leurs droits par les autorités carcérales et politiques. L’état du système carcéral demeure encore aujourd’hui celui de violations de droits systémiques et d’institutions carcérales opaques. Puis, la lutte sur le temps long, questionnant le recours à l’incarcération et les logiques punitives et de contrôle qui traversent le système de justice pénal. L’incarcération, en plus d’engendrer violences, souffrances et discriminations, est dénoncée pour son inefficacité en regard des objectifs qu’elle prétend poursuivre : la réinsertion sociale, la dissuasion et la protection de la société. Ces questions ont fait l’objet de réflexions approfondies lors du colloque De l’Office des droits des détenu-e-s (1972-1990) à aujourd’hui : perspectives critiques sur l’incarcération au Québec, en 2022. En 2023, la LDL a adopté une position de principes visant à orienter le travail des prochaines années : La prison n’est pas une solution. Dans cette perspective, la LDL s’oppose en mars 2023 à la construction d’une nouvelle prison pour femmes annoncée par le gouvernement du Québec, et plaide pour l’abolition des courtes peines de détention de moins de 6 mois, incluant les courtes peines discontinues dites de fins de semaine. Alors que les conditions inhumaines de détention se perpétuent et que les logiques carcérales restent inopérantes, toute réflexion critique au sujet de la prison appelle une remise en question de l’ensemble du système pénal, et demeure un travail important pour la Ligue des droits et libertés (LDL) dans les années à venir.1) Gagnon, A. et Dumont, H. (1976). Parthenais ; début d’une lutte... Criminologie 9 (1-2), p. 163-188, https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/1976-v9-n1-2-crimino902/017056ar.pdf
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