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La « triple inégalité » qui est au cœur de cette crise climatique

Les conférences internationales telles que la prochaine COP28 [qui se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023] peuvent apparaître comme des événements routiniers et conventionnels. Mais elles sont importantes.
25 novembre 2023 | trié du site alencontre.org | Photo : São Paulo : des enfants d'une favela jettent de l'eau pendant la vague de chaleur extrême (58,5°C), antérieure à l'été.
http://alencontre.org/ecologie/la-triple-inegalite-qui-est-au-coeur-de-cette-crise-climatique.html
Si l'on examine la carte climatique du monde que nous devrions habiter dans 50 ans, on voit une ceinture de chaleur extrême encerclant le milieu de la planète. La modélisation du climat à partir de 2020 suggère que d'ici à un demi-siècle, environ 30% de la population mondiale projetée – à moins d'être contrainte de se déplacer – vivra dans des endroits où la température moyenne sera supérieure à 29 °C. C'est une chaleur insupportable. A l'heure actuelle, pas plus de 1% de la surface terrestre est aussi chaude, et il s'agit principalement de zones inhabitées du Sahara.
Si le scénario est aussi dramatique, c'est parce que les régions du monde les plus gravement touchées par le réchauffement climatique – surtout l'Afrique subsaharienne – sont celles qui devraient connaître la croissance démographique la plus rapide au cours des prochaines décennies.
Mais malgré cette croissance démographique, ce sont aussi les régions qui, selon les données actuelles, contribueront le moins aux émissions à l'origine de la catastrophe climatique. L'inégalité est si grande que les 50% de la population mondiale qui ont les revenus les plus faibles – 4 milliards de personnes – ne contribuent qu'à 12% des émissions totales. Et ceux et celles qui se trouvent tout en bas de l'échelle ne sont pratiquement pas des contributeurs. Les émissions de CO2 par habitant au Mali représentent environ un soixante-dixième de celles des Etats-Unis. Même si le tiers de la population mondiale qui dispose du revenu le moins élevé – plus de 2,6 milliards de personnes – parvenait à dépasser le seuil de pauvreté fixé à 3,20 dollars par jour, les émissions totales n'augmenteraient que de 5%, soit un tiers des émissions des 1% les plus riches.
La moitié de la population mondiale, sous la conduite des 10% les plus élevés de la pyramide des revenus – et, surtout, l'élite mondiale – alimente et gère un système de production à l'échelle planétaire qui perturbe l'environnement pour tout le monde. Les répercussions les plus graves sont subies par les plus pauvres et, dans les décennies à venir, elles deviendront progressivement plus extrêmes. Pourtant, étant donné leur pauvreté, ils sont pratiquement dans l'incapacité de se protéger.
C'est la triple inégalité qui définit l'équation climatique mondiale : la disparité des responsabilités dans la survenue du problème, la disparité des impacts de la crise climatique et la disparité des ressources disponibles pour l'atténuation et l'adaptation.
Dans la zone dangereuse de la dégradation climatique, tout le monde n'est pas pauvre et désarmé. Le sud-ouest des Etats-Unis dispose des ressources nécessaires pour faire face lui-même. L'Inde est un Etat doté. Mais le réchauffement planétaire posera d'énormes problèmes de répartition. Comment les réfugiés climatiques seront-ils réinstallés ? Comment l'économie s'adaptera-t-elle ? Pour des Etats fragiles comme l'Irak, cela pourrait s'avérer trop difficile. Le risque est qu'ils passent d'une situation de survie à un effondrement pur et simple, faute de pouvoir fournir de l'eau et de l'électricité pour la climatisation – éléments essentiels à la survie dans des conditions de chaleur extrême. En Irak, cet été, des milliers de personnes se sont entassées dans leurs voitures climatisées, faisant tourner leur moteur pendant des heures pour survivre à des pics de chaleur dépassant les 50 degrés.
On pourrait dire, plus ça change, plus les pauvres souffrent et les riches prospèrent. Mais les conséquences de la triple inégalité climatique sont radicales et nouvelles. Les pays riches ont longtemps commercé sur la base d'un change inégal avec les pays pauvres. A l'époque du colonialisme, ils ont pillé les matières premières et réduit en esclavage des dizaines de millions de personnes. Pendant les deux générations qui ont suivi la décolonisation, la croissance économique a largement délaissé ce que l'on appelait alors le tiers-monde.
Depuis les années 1980, avec l'accélération de la croissance économique de la Chine, le rayon du développement s'est considérablement élargi. Les 40% du milieu de la pyramide des revenus dans le monde contribuent aujourd'hui à 41% des émissions mondiales, ce qui signifie qu'ils ont atteint un niveau considérable de consommation d'énergie. Mais cette « classe moyenne mondiale », concentrée surtout en Asie de l'Est, réduit à néant le budget carbone restant pour les personnes aux revenus les plus faibles, et sa croissance entraîne des dommages irréversibles à certaines des populations les plus pauvres et les plus démunies du monde.
Telle est la nouveauté historique de la situation actuelle. Alors que nous nous rapprochons de plus en plus de la limite de la tolérance environnementale – soit les conditions dans lesquelles notre espèce peut prospérer – le développement du monde riche compromet systématiquement les conditions de survie de milliards de personnes dans la zone de danger climatique. Ces personnes ne sont pas seulement exploitées ou évincées mais aussi victimes des effets climatiques de la croissance économique qui a lieu ailleurs. Cet enchevêtrement violent et indirect est inédit par sa qualité et son ampleur.
Les relations violentes et inégales entre les collectivités impliquent généralement un certain degré d'interaction et peuvent, par conséquent, faire l'objet d'une résistance. Les travailleurs et travailleuses peuvent faire grève. Ceux qui sont pris dans des relations commerciales déloyales peuvent boycotter et imposer des sanctions. En revanche, la « victimisation » écologique sans lien de subordination n'implique aucune relation de ce type et offre donc moins de possibilités de résistance à l'intérieur du système. Il est possible que l'explosion des pipelines qui transportent l'énergie des pays pauvres vers les consommateurs riches devienne une forme de protestation (voir l'ouvrage d'Andreas Malm, Comment saboter un pipeline, Ed. La Fabrique, 2020). Ce serait certainement un signal. Mais ne pouvons-nous pas espérer des ripostes plus constructives à la triple inégalité ?
C'est encore cette question qui donne toute son importance aux conférences mondiales sur le climat, comme la COP28, qui débute le 30 novembre. Elles peuvent sembler être des événements routiniers et conventionnels, mais c'est dans ces espaces que peut être exposé, sous une forme politique, le lien mortifère entre la production de pétrole, de gaz et de charbon, le type de consommation [et de production] des pays riches et les risques mortels auxquels s'affrontent ceux qui se trouvent dans la zone de danger climatique.
C'est sur cette tribune que les activistes et les gouvernements peuvent clouer au pilori le refus honteux des pays riches de coopérer à la mise en place d'un fonds de compensation pour dédommager les pays les plus menacés de leurs préjudices et dommages. La nécessité d'un tel fonds a été reconnue en principe lors de la COP27 en Egypte [du 8 au 18 novembre 2022]. Mais depuis, la résistance des négociateurs états-uniens et européens s'est durcie. A l'approche de la COP28, l'organisation et le financement du fonds restent toujours à définir.
Un tel fonds n'est pas une solution au problème de la triple inégalité. Pour cela, nous avons besoin d'une transition énergétique globale et de nouveaux modèles de développement véritablement inclusifs et durables. Mais un fonds pour les préjudices et les dommages ferait ressortir une chose essentielle : la reconnaissance que la crise climatique mondiale n'est plus un problème de développement à venir. Nous sommes entrés dans une phase où le fait de ne pas s'attaquer d'urgence à la crise croissante devient un processus actif de pénalisation. Une pénalisation qui réclame, au moins, une reconnaissance de responsabilité et une compensation adéquate. (Article publié dans The Guardian le 23 novembre 2023 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Adam Tooze est professeur d'histoire à l'université de Columbia.
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La lutte contre le colonialisme israélien est aussi un combat syndical

On oublie parfois que l'une des dimensions de l'occupation et de la colonisation israélienne, c'est la surexploitation des travailleurs·ses palestinien·nes et leur extrême marginalisation économique (marquée notamment par un sous-emploi massif), en particulier à Gaza soumis à un blocus inhumain depuis plus de quinze ans. Le combat anticolonialiste a donc nécessairement une dimension syndicale, à la fois en Palestine-Israël mais aussi dans le mouvement international de solidarité avec la lutte des Palestinien·nes.
Cet article de Verveine Angeli est un point de vue qui ne saurait être exhaustif sur la question syndicale et la Palestine. Il est le produit des réflexions et des actions de militant·es de l'Union syndicale Solidaires actif·ves dans le groupe Palestine du syndicat.
28 novembre 2023 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/syndicalisme-palestine-anticolonialisme-israel-guerre-gaza/
Il est encore plus difficile dans ces temps de guerre de faire un point précis sur la situation des syndicats palestiniens et leur place dans le contexte. Néanmoins il est remarquable que ceux-ci aient produit un appel international commun « Stop arming Israël, End all complicity » appelant à des prises de position et à l'action pour arrêter d'armer Israël, ce qui n'est pas arrivé depuis longtemps. Cette déclaration est significative à deux titre : elle regroupe des syndicats de Cisjordanie et de la bande de Gaza ; et d'autre part elle regroupe des syndicats officiels et des syndicats indépendants.
Elle est le signe d'une volonté commune d'agir dans une situation dramatique pour le peuple palestinien que ce soit à Gaza sous les bombardements et en Cisjordanie avec les violences des colons et des forces de répression israéliennes qui tuent et emprisonnent, violences qui redoublent depuis le 7 octobre. Elle est un appel aux syndicats du monde…
Un syndicalisme ancré dans la réalité de la colonisation
Travailler en Palestine, être syndicaliste en Palestine, c'est être en permanence confronté à une double contrainte, celle de la lutte quotidienne pour un salaire, pour un emploi, c'est aussi le faire dans des conditions très spécifiques, celles de l'occupation et de la colonisation.
Les conditions inhumaines relayées par la presse dans lesquelles les travailleurs de Gaza employés en Israël ont été renvoyés à Gaza bombardée ou expulsés vers la Cisjordanie sont l'expression de la violence de l'Etat d'Israël dans le contexte actuel. Mais ces événements ne font que refléter ce que ceux et celles, Palestinien·nes qui travaillent avec (ou sans permis) dans les territoires de 48 vivent de façon quotidienne : passages de check-points en pleine nuit, massé·es dans des couloirs grillagés comme des cages, menaces permanentes de suppression des permis de travail si on a des traces de produit chimique (un engrais par exemple) ou un membre de la famille ou du village qui a été arrêté, fermeture des check-points au moindre incident… ce qui veut dire l'absence de travail et l'absence de ressource.
Pour ceux et celles qui travaillent de façon illégale dans les colonies de Cisjordanie c'est une précarité encore plus grande sans salaire minimum, sans convention, sans garanties pour des travaux dangereux comme sont ceux du bâtiment. En Cisjordanie, ce sont des taux de chômage élevés, des emplois très précaires tant l'économie est bridée par la situation coloniale : développement des télécommunication entravé (ce qu'avait dénoncé le rapport demandant le désinvestissement d'Orange), interdictions d'installer des panneaux solaires, services postaux non reconnus internationalement, courrier et colis bloqués parfois pendant des mois voire des années…
En Cisjordanie le taux de chômage est était de 18% en 2018 et de 52% à Gaza et globalement de 44% chez les jeunes, l'emploi de fonctionnaires est soumis aux subsides que l'Autorité palestinienne reçoit et transmet ou non à Gaza. Et dans la situation actuelle, les salaires ne sont pas versés, les ressources étant bloquées par Israël. La lutte pour le droit à un salaire, à un emploi, pour l'égalité des droits prend un sens évidemment particulier.
Il faut citer la situation des travailleur·euses palestinien·nes d'Israël soumis·es aux discriminations, aux interdits professionnels qui s'ajoutent à des conditions d'existence contrôlées, de logement limitées parce que toute parcelle de territoire supplémentaire est impossible à obtenir pour les Palestinien·nes d'Israël1.
Un syndicalisme marqué par le virage néolibéral et répressif lié aux accords d'Oslo
Les accords d'Oslo sont connus pour avoir porté la perspective de la construction de deux Etats, perspective qui s'éloigne entre autres à cause de l'installation de colons sans cesse plus nombreux·euses en Cisjordanie. La mise en place de toute une série de mesures économiques et financières néo-libérales a accompagné ces accords. Elles pèsent sur le monde du travail d'autant plus qu'elles s'appliquent dans le contexte colonial : c'est le cas des prêts immobiliers alors que l'espace est grignoté par les colonies illégales et de la mise en place de réformes inspirées par le Fond monétaire international.
Une des grandes mobilisations syndicales des années 2018-2020 a été la lutte contre la mise en place d'une sécurité sociale sur un mode néo-libéral dans lesquels les travailleur·euses ne pouvaient avoir aucune confiance : Un des enjeux était la récupération des cotisations sociales des travailleur·euses employé·es en Israël, projet perçu comme l'objet d'un véritable chantage. Bref, un espace sans Etat et sans démocratie, soumis aux diktats d'Israël et au bon vouloir des pays occidentaux et des organismes internationaux qui versent l'argent sous condition.
Oslo, c'est aussi la mise en place des permis pour travailler dans les territoires de 48 quand les travailleur·euses viennent de Cisjordanie et plus récemment de Gaza (ce qui a été présenté comme une des ouvertures de Netanyahou), alors qu'ils n'étaient pas nécessaires avant Oslo. Ces permis constituent un chantage permanent et ont tous été supprimés s'agissant de Gaza aujourd'hui et aucun·e travailleur·euse de Cisjordanie ne peut venir travailler. L'appel d'Israël à l'émigration en provenance des pays asiatiques vise à remplacer la main d'œuvre palestinienne toujours suspectée.
C'est aussi une situation où les fonctionnaires payés par l'Autorité palestinienne (avec l'argent donné par l'occident…) se serrent la ceinture, y compris après des grèves ayant conduit à des accords (cela a été le cas amenant les enseignants à une grève générale en 2016). Et où la répression des mouvements syndicaux est sévère conduisant à des emprisonnements, des licenciements…
Un mouvement syndical émietté et corseté
Autre conséquence d'Oslo, les cotisations syndicales que paient les travailleur·euses palestinien·nes en Israël (elles sont obligatoires) sont normalement reversées au syndicat palestinien officiel, la PGFTU. La Histadrout, est le syndicat israélien qui reçoit de façon automatique les cotisations. Elle a été créée en 1920 comme Fédération des Travailleurs hébreux en Terre d'Israël et a été un élément essentiel de la colonisation.
Ce reversement est vécu par de très nombreux·ses travailleur·euses et les syndicats indépendants comme le signe d'une collaboration de fait avec l'Etat d'Israël et l'occupation. C'est un moyen, quand ces cotisations sont effectivement versées, ce qui n'est pas toujours le cas, de financement du syndicalisme officiel. L'Autorité palestinienne défend cette pratique et en fait un moyen de pression sur l'ensemble du mouvement syndical, en réprimant et supprimant tout moyen d'existence aux syndicats indépendants. Cela ne l'empêche pas de tenter de contrôler, notamment en nommant les dirigeants syndicaux, certains secteurs de la PGFTU qui deviennent trop remuant (comme cela a été le cas pendant la grande grève des enseignant·es de 2016).
Dans les faits les syndicats indépendants sont organisés en une multitude de secteurs professionnels. Ce fonctionnement éclaté est lié tant à la volonté de contrôle des travailleur·euses de l'action sur leur champ professionnel, qu'aux difficultés d'un fonctionnement démocratique d'une organisation syndicale dans un contexte répressif et de faibles moyens, sans oublier les positionnements et liens avec des courants politiques qui peuvent exister2.Un syndicalisme interprofessionnel a de fait des difficultés à exister hormis dans sa forme officielle. Il faut noter aussi l'existence d'organisations de base de chômeurs, de femmes, liées à la santé qui ont une action sur les enjeux du travail sans être formellement des syndicats, ou la constitution lors de mobilisations comme celle des enseignant·es de structures d'auto-organisation en lieu et place de la fédération de la PGFTU sous contrôle de l'AP.
On peut dire que les syndicats indépendants en Cisjordanie participent d'un mouvement social multiforme qui prend sa place dans des mobilisations récurrentes contre l'occupation et la colonisation et de contestation de la politique de l'Autorité palestinienne. Mais il n'est pas en situation d'être de premier plan y compris lors de l'évènement décisif qu'a été la grève générale de 2018 qui concernait la totalité des territoires et populations palestiniennes. A Gaza il semble que le Hamas ait tenté d'avoir lui aussi la mainmise sur le mouvement syndical à travers la PGFTU locale.
Dans les territoire de 48, le petit syndicat des travailleurs arabes « Arab workers union » installé dans la ville palestinienne de Nazareth est actif à défendre les travailleur·euses palestinien·nes et à relayer des informations. Nombreux sont les syndicats qui ont appelé à la solidarité et dénoncé les conditions de la guerre actuelle contre le peuple palestinien3.
Les syndicats en Occident et le soutien à la Palestine
Les organisations syndicales internationales Confédération syndicale internationale (CSI), la Confédération européenne des syndicats (CES), les branches syndicales internationales pratiquent un équilibrisme qui exprime l'absence de volonté de prendre position sur la situation en Palestine en assumant des relations avec la PGFTU palestinienne et la Histadrout. Une des demandes traditionnelle des syndicats palestiniens indépendants est la rupture des liens avec la Histadrout. Cette exigence a porté ses fruits dans certaines occasions par exemple lors du congrès de l'European public services union (EPSU) en Irlande en 2019 où la décision de rompre les liens a été prise.
Un réseau syndical européen de solidarité avec la Palestine (ETUN) porte entre autres ces batailles. Ce réseau est constitué pour l'essentiel de syndicats norvégiens, irlandais, anglais, belges et de l'Etat espagnol, ainsi que de Solidaires, tous très engagés dans la solidarité avec la Palestine par l'organisation de campagnes, de délégations, de soutien direct aux syndicats sur place. Des syndicats ont ainsi décidé de répondre à l'appel intersyndical à l'action venu de Palestine contre le commerce des armes4.
Il faut citer en France l'initiative à laquelle ont participé pour plusieurs campagnes la CGT et Solidaires, rejointes par la CFDT, au côté d'associations de solidarité (en particulier l'AFPS), de l'organisation palestinienne Al Haq (devenue organisation terroriste selon Israël) et d'ONG (notamment le CCFD, la FIDH, la LDH…) pour exiger le désinvestissement de certains projets dans lesquels sont présentes des entreprises françaises en complicité avec la colonisation : cela a été le cas avec une victoire pour Orange, une victoire partielle pour le tramway de Jérusalem dans lequel étaient présentes deux filiales de la SNCF et de la RATP, une campagne sur les banques qui ont des participations dans les banques israéliennes et/ou projets d'investissement dans les colonies.
Il faut citer encore la campagne Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) à laquelle de nombreux syndicats palestiniens nous invitent à participer étant eux-mêmes partie prenante de la Boycott national campaign en Palestine (notamment contre AXA, Puma, HP, Carrefour…). Il faut souligner pour toutes ces actions le rôle décisif de ceux et celles qui documentent la complicité des entreprises avec l'occupation et la colonisation. C'est le cas de Who profits, centre de recherche basé en Israël.
Evidemment, les liens directs sont entre syndicats sont décisifs, et encore mieux entre syndicats des mêmes secteurs professionnels parce qu'ils concrétisent la solidarité. Cette nécessité étant renforcée par l'éclatement des organisations en Palestine.
L'ensemble de ce travail effectué depuis des années a permis que s'expriment des prises de positions syndicales dans la guerre actuelle notamment sur l'arrêt des livraisons d'armes à Israël et que le positionnement de Solidaires dans ce contexte de forte pression sur les forces militantes puisse s'appuyer sur une activité et des engagements existants. Il nous faut néanmoins constater qu'au regard de l'aggravation de la situation sur place pour la population palestinienne, quel que soit l'endroit où elle se trouve, il serait nécessaire de renforcer encore l'action syndicale dans notre pays aujourd'hui pour un cessez-le-feu immédiat et demain pour l'arrêt de l'occupation et de la colonisation.
Références
⇧1 Voir le film Contrefeux qui présente cette situation lors d'une délégation syndicale en 2019 https://vimeo.com/345343417
⇧2 Voir la revue internationale Palestine de l'Union syndicale Solidaires : https://solidaires.org/sinformer-et-agir/brochures/international/revue-internationale-n14-palestine-fragments-luttes-et-analyses/
⇧3 Syndicat des professeur.e.s et des employé.e.s de l'Université de Birzeit : https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/10/13/nous-sommes-tous-tes-des-palestinien-ne-s-le-communique-du-syndicat-des-professeur-e-s-et-des-employe-e-s-de-luniversite-de-birzeit/ et https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/11/10/nous-sommes-toutes-et-tous-le-sud/.
Syndicat des journalistes palestiniens, 16 octobre 2023 : https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/10/16/syndicat-des-journalistes-palestiniens-a-gaza-des-crimes-contre-les-journalistes/ et https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/11/03/le-journalisme-nest-pas-un-crime-lettre-du-syndicat-des-journalistes-palestinien-ne-s/
Syndicat des Travailleurs Palestiniens des Services postaux sur l'occupation sioniste et la guerre contre les Palestiniens : https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/10/15/communique-du-syndicat-des-travailleurs-palestiniens-des-services-postaux-sur-loccupation-sioniste-et-la-guerre-contre-les-palestiniens/
Appel des étudiants palestiniens aux étudiants du monde entier : Stop au génocide et fin de la complicité avec l'apartheid israélien, 23 octobre 2023 : https://www.bdsfrance.org/appel-des-etudiants-palestiniens-aux-etudiants-du-monde-entier-stop-au-genocide-et-fin-de-la-complicite-avec-lapartheid-israelien/
⇧4 En Belgique : http://www.etun-palestine.org/site/2023/10/31/belgian-transport-unions-refuse-to-load-and-unload-weapons-going-to-israel-and-call-for-an-immediate-ceasefire/
En France : https://sudindustrie.org/wp-content/uploads/2023/11/Communique-secteur-armement-SUD-Industrie.pdf

Tout achat d’acte sexuel est une violence sexuelle et sexiste

Nous sommes dans une période, novembre, de rappel de la nécessité d'une lutte sans faille contre les violences masculines envers les femmes et les enfants. Elles sont toujours là, partout, variées, nombreuses, accrues par les conflits armés et les migrations, terribles par ce qu'elles disent des agresseurs, par les conséquences destructrices sur les victimes et par ce qu'elles montrent des structures profondes de nos sociétés.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Parmi les viols, incestes, harcèlements, coups, enfermements, violences psychologiques, féminicides il y a la prostitution et le système prostitutionnel qui concerne ceux qui le créent, les prostitueurs (clients et proxénètes-trafiquants), leurs victimes : les personnes prostituées, les institutions qui laissent faire ou promeuvent ce pur produit de la domination masculine et les médias qui entretiennent l'idée de pulsions sexuelles masculines incontrôlables (une essentialisation de la virilité) à satisfaire sous peine de désordres… Il y a celles et ceux aussi qui restent dans l'impensé d'une violence – et donc l'autorisent -, la prostitution, qui fait des millions de victimes chaque année dans le monde, femmes, enfants, personnes trans et hommes et une massive mise en esclavage.
Pour maintenir en place cet élément important du rapport social de sexe, la mise à disposition des corps des femmes, leur exploitation sexuelle au profit des hommes, tout est bon, même l'appel aux bons sentiments comme le font ceux (et quelques celles) qui réclament ou mettent en place une « assistance sexuelle » pour les personnes en situation de handicap.
Cette « idée », devenue réalité, de créer une « assistance sexuelle », n'est pas une assistance à la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap mais l'offre à des hommes puisque c'est eux qui le demandent en grand nombre, d'un « service sexuel » apporté par une personne qui est ou serait rémunérée pour cela.
En fait il s'agit de prostitution habillée de compassion pour ceux qui disent ne pouvoir accéder à la jouissance sexuelle seuls ou en relation avec une autre personne. Il s'agit de contourner la loi abolitionniste de la France, celle du 13 avril 2016, qui sanctionne le proxénétisme et les clients de la prostitution. Toute une énergie et un lobbying sont mis en œuvre pour obtenir cela. Nous l'avons constaté lors d'une table ronde organisée lors de l'université d'été du CNCPH, Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, les 18-20 septembre 2023, intitulée « assistance sexuelle qu'est-ce qui bloque ? ». C'est avec stupéfaction que nous avons appris que le Département de Meurthe et Moselle, par un projet-expérience soutenu par la première vice-présidente du conseil départemental, s'engageait sur la voie de la mise à disposition de personnes payées aux personnes handicapées qui demanderaient des actes sexuels.
La loi abolitionniste de 2016 ne peut en aucun cas subir des exceptions. Pensez à une loi abolitionniste de l'esclavage qui permettrait des exceptions… La loi de 2016 doit être totalement appliquée et renforcée quant aux sanctions contre les clients. Au lieu de cela, la volonté politique manquant sur ce sujet comme sur le sujet général de l'égalité entre les femmes et les hommes, le développement de l'assistance sexuelle s'est fait en France à bas bruit et ses tenants ont diffusé leurs plaidoyers dans les instituts de formation de travailleur·ses sociaux·ales, avec certainement le projet d'ouvrir une option « service sexuel » dans les formations proposées… Tout pour conforter les représentations attentatoires à la loi abolitionniste et réglementaristes de la prostitution comme travail, « travail du sexe ». Toute brèche dans la loi de 2016 serait une remise en cause de la loi et ce serait, comme le dit le CCNE (Conseil Consultatif National d'Ethique), s'affranchir des principes éthiques qui s'y réfèrent.
La plupart de ces demandeur·ses de « prostitution spécifiqu » ont une très, trop, faible conscience que la violence et toutes sortes de violences rodent autour et dans la sexualité. Iels ne veulent pas voir la violence que constitue l'utilisation d'autrui comme objet sexuel et demandent donc la formation et le suivi des personnels affectés à ces tâches. Qui va former ces intervenant·es (certainement plutôt des femmes), comment vont être organisés les travaux pratiques ? Parents, si votre fille choisit de faire des études de travail social, méfiez-vous !
Hélas, une association créée par Marcel Nuss connu pour son opposition violente à la loi de 2016, a mis en place depuis quelques années une formation d'assistanat sexuel. L'Etat a laissé faire et des instituts de travail social ont osé faire la publicité de ces formations. Mais pour contourner la rareté des candidates, n'est-il pas fait appel à des femmes vulnérables, exactement les mêmes qui sont recrutées par les proxénètes, voire à des femmes qui seraient déjà en situation de prostitution ? Dans la table ronde évoquée était invitée une personne qui se disait escort et qui faisait de « l'assistance sexuelle », une prostitution qu'on ne va pas tarder à voir appelée « prostitution éthique ».
Pour emporter le consensus, les promoteurs·rices d'une mise en place officielle de l'assistance sexuelle, affichent une prudence équivoque et ne craignent pas le ridicule. Ainsi le projet du Département de Moselle qui enfreint la loi, est de ne pas aller jusqu'à la pénétration dans cette prestation sexuelle, comme si seule la pénétration était un acte sexuel, certes potentiellement le plus agressif, mais l'agression sexuelle est faite aussi d'attouchements, de paroles, de modes divers de coercition du corps de l'autre. Et qui assistera à la séance pour contenir les actes, interdire la pénétration ?
Vraiment celleux qui promeuvent l'assistance sexuelle jouent avec le feu et surtout avec les vulnérabilités des personnes. Rappelons que dans cet arrangement pour service sexuel il y a deux acteurs·trices :
D'une part le client, personne en situation à des degrés divers de handicap, qui paie ou pour lequel la collectivité paie et qui comme les autres clients de la prostitution est violent dans sa demande et sa pratique de chosification de l'autre et peut exiger et exercer diverses formes de violences pendant la séance. Pourquoi un homme en situation de handicap ne ferait pas partie du système de domination masculine ? Une façon bizarre de mettre à part des hommes que l'on juge tellement vulnérables qu'ils ne peuvent faire violence à d'autres. Pourtant nous avons des exemples du contraire.
D'autre part le ou la « prestataire de service » : dès que l'on a approché la situation et la vie des personnes prostituées, on connait les vulnérabilités et les emprises qui les ont amenées à la prostitution et les conséquences, souffrances et atteintes graves à leur santé. Toute effraction de l'intimité est traumatisante, un titre « d'assistant·e sexuelle » ne l'évitera pas mais par contre banalisera la prostitution et la transformera en bienfaisance, comme souvent encore dans les représentations : porter secours à des hommes en « besoins irrépressibles ». Il faut aussi penser aux prestataires hommes qui verraient dans cette « activité » une façon de violer sans risque pour eux des personnes vulnérables, femmes, hommes, trans.
Pendant la table ronde évoquée, un député socialiste qui avait mis un certain temps à comprendre la nécessité de la loi abolitionniste de 2016, et qui avait eu le projet de l'assistance sexuelle dans son Département, a proposé de faire appel à des bénévoles pour cette « assistance sexuelle ». Naïveté ou duplicité ?
Si deux personnes ont un attrait réciproque, l'une pour l'autre, alors elles peuvent avoir une relation sexuelle et cela ne s'appelle pas du bénévolat. Mais si par bénévolat, on entend que des femmes qui savent et aiment se sacrifier, aider les autres, prendre soin etc. – c'est leur vocation n'est-ce pas ? – peuvent décider de prendre en charge bénévolement les actes sexuels désirés par des hommes en situation de handicaps – et c'est de cela qu'il s'agit -, le propos relève de la discrimination et d'une atteinte profonde et violente aux droits des femmes et à l'égalité.
Et pour couronner le tout, le CNCPH organisateur du colloque avait mis en avant une femme cette fois-ci pour défendre « l'assistanat sexuel ». Malin·es !
Rémi Gendarme-Cerquetti, handicapé, cinéaste et auteur de « Je n'accepterai aucune assistante sexuelle si lui faire l'amour ne la fait pas elle-même trembler de plaisir (FLBLB Éditions) » n'a pu être vraiment entendu à cause d'une défaillance technique. Dommage !
Il faut lutter contre cette fausse solution, cette nouvelle violence que l'on mettrait en place légalement. Nous sommes en total accord et soutien avec la FDFA, Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, association féministe et abolitionniste, qui présente un argumentaire complet et précis contre l'assistance sexuelle sur son site.
Encore une fois, nous refusons toute atteinte à la loi abolitionniste de 2016 et exhortons les responsables politiques à la faire appliquer dans son entièreté.
Cette position n'est pas contraire à une réflexion et à des actions à propos de la sexualité et de l'inclusion dans la société des personnes en situation de handicaps physiques et mentaux.
Mais commençons par rappeler que la pulsion sexuelle n'est pas irrépressible à partir du moment où le cerveau fonctionne ; par contre les hommes en particulier, inscrits dans le système de domination masculine qui les avantage, usent et abusent de cette fable de l'irrépressibilité et de la légitimité de leurs besoins pour violer, incestuer, prostituer, pornographier. La question du handicap mental se pose, certes, puisque là, il peut y avoir défaillance du cerveau pour contrôler les pulsions. Mais la solution ne peut être la prostitution d'autres à leur service. C'est aux chercheur·ses, soignant·es, et accompagnateur·rices (travail social), en relation avec les personnes concernées, de proposer des solutions respectueuses de la dignité de tous et toutes.
Pourquoi par ailleurs mettre cette lumière sur les personnes en situation de handicap ? Pour tranquilliser nos consciences ?
Il y a plein de personnes, de toutes sortes, qui sont isolées ou qui ne trouvent pas de partenaires et qui n'ont pas d'activité sexuelle. Faut-il organiser pour autant un service sexuel national, en clair développer bordels et salons de massage déjà très nombreux dans un pays abolitionniste comme la France et qui devraient être fermés par l'Etat dont la Constitution met en avant l'égalité entre les femmes et les hommes.
Mais attribuer ou proposer un service particulier aux personnes handicapées c'est les mettre à part, voire les criminaliser en tant que client-prostitueur. C'est ne pas les considérer comme des partenaires comme les autres.
Bien sûr la liberté d'avoir une vie sexuelle, chercher et avoir du plaisir et avoir le droit de vivre sa sexualité en paix, sont très importants. Le Comité consultatif national reconnait pour les personnes handicapées le droit à une vie intime et sexuelle, certes ! Mais le droit à la sexualité avec un·e partenaire ne peut réellement exister, il n'est pas opposable puisqu'il ne dépend pas directement d'une subvention, d'un accompagnement mais de l'existence du désir d'un·e autre. La compensation que l'on doit aux personnes handicapées dans une société de solidarité ne peut être organisée sur la violence faite à d'autres (acte sexuel tarifé ou pas). La dignité des un·es ne s'obtient pas par l'indignité des autres. Par contre faire tout pour que les personnes en difficulté, isolées, en situation de handicap… se rapprochent des conditions de la vie dite normale (y-en-a-t-il une ?), exercent leur liberté, leur citoyenneté, fassent des rencontres à partir desquelles elles peuvent avoir une vie affective et sexuelle, c'est le sens dans lequel il faut agir et former les travailleur·ses sociales et les divers aidant·es-soignant·es. Il faut organiser les aides et les établissements de façon à rendre inclusive la vie des personnes handicapées, c'est évident ! C'est plus difficile, il est vrai, que d'accompagner un homme chez une personne prostituée…
Difficile est, oui, ce qui touche au sexuel, à la vie intime : mettre dans un lit deux personnes qui veulent avoir un rapport sexuel et qui ne peuvent pas s'organiser seules, mettre à disposition un sextoy pour la masturbation, par exemples, demande une intervention humaine qui n'est pas de la prostitution, mais qui met en jeu l'intimité et le rapport au sexe et des demandeur·ses et des aidant·es. Ces dernier·es peuvent être bousculé·es par ce rôle, même s'iels acceptent de le faire au départ. De la même façon les personnes handicapées qui ont besoin d'une intervention pour réaliser une vie sexuelle peuvent être gênées d'être aidées par la personne qui est présente à leurs côtés pour la vie courante. Tout cela mérite une profonde réflexion et une grande prudence qui ne doit pas être déviée par le désir de bienfaisance et le sentiment de compassion mais qui doit se baser sur les conditions de dignité, de non chosification du corps de l'autre, d'égalité entre les femmes et les hommes.
La règle de base pour traiter cette question est que personne ne peut exiger de l'autre un soulagement sexuel. Quelqu'un·e a-t-iel dit à cette femme qui a déclaré avoir fait jouir son fils qui devenait intenable, qu'elle avait commis un inceste ? Les jeunes handicapé·es doivent comme les autres, être protégé·es et recevoir une prévention sur les violences sexuelles et sexistes ; comme les autres, les garçons en situation de handicap doivent être éduqués à la remise en question de la domination masculine.
En tant qu'association féministe et abolitionniste, l'Amicale du Nid combat les violences sexuelles et sexistes dont sont victimes la plupart de femmes et en particulier les femmes en situation de handicap comme le souligne souvent la FDFA. Elle refuse toute forme de violences et de marchandisation du corps humain et particulièrement du corps des femmes.
Amicale du Nid, association laïque, féministe et abolitionnist
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Reza Shahabi : Il est nécessaire de s’organiser et de descendre dans la rue

Depuis la prison iranienne d'Evin, le syndicaliste des autobus de Téhéran et sa banlieue (VAHED) a fait parvenir le message suivant :
Tiré de Entre les lignes et les mots
Ces jours-ci, de nombreux articles parus dans les médias officiels traitent des problèmes de subsistance des travailleurs. Parfois, des salarié-es et des retraité.es sont également interviewés.
Ce reflet de la situation intolérable des travailleurs/euses dans les médias officiels, qui avaient l'habitude de nier ou de minimiser les problèmes des travailleurs, montre les progrès réalisés par les travailleurs/euses, ainsi que leur capacité à faire entendre leurs revendications.
Par ailleurs, des militant.es ouvriers ont contribué à faire avancer ces revendications en participant activement aux médias sociaux et aux journaux de diverses manières.
Dans ces articles, il est question de l'écart important et croissant entre revenus et dépenses, de la réduction de l'accès des travailleurs/euses à la nourriture, ainsi que de la baisse du pouvoir d'achat.
Il est ensuite mentionné qu'en dépit de ses slogans sur le contrôle de l'inflation et la croissance économique, le pouvoir est concrètement incapable de répondre aux problèmes de manière appropriée. Il ne prête aucune attention aux organisations syndicales et au tripartisme figurant dans les Conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT). Les salaires ne sont pas augmentés en fonction de l'inflation actuelle.
Ces discussions sont absolument inutiles si on ne s'attaque pas à l'une des racines les plus importantes des problèmes, à savoir la répression sévère de toutes les organisations indépendantes.
Existe t-il une seule organisation syndicale – formée uniquement par les travailleurs/euses sans l'interférence du gouvernement-employeur et dans une atmosphère démocratique – qui ait jamais participé au processus du soi-disant « tripartisme », actuellement « ignoré » ?
Ces dernières années, une poignée d'organisations indépendantes, ont été créées : le Syndicat des travailleurs de la compagnie d'autobus de Téhéran et de sa banlieue (Vahed), le Syndicat des travailleurs de la sucrerie de Haft Tappeh, les syndicats d'enseignants, des organisations indépendantes de retraité.es, le syndicat des écrivain.es, etc.
Et cela malgré des milliers d'obstacles systématiques et une répression multiforme : beaucoup de leurs membres ont été soit licenciés et arrêtés, soit toujours en prison, sous la surveillance et le contrôle permanents des forces sécuritaires.
Ce n'est que si de telles organisations se développent et jouent leur rôle, avec le soutien et l'implication maximum des travailleurs, que le gouvernement et les autres petits et grands employeurs seront forcés de prendre en compte nos droits en respectant les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) dont ceux des enfants et des femmes, ainsi que les conditions de vie des travailleurs.
Il est évident que les soi-disant organisations syndicales artificielles telles que le Conseil islamique du travail, la Maison du travail, l'Assemblée des représentants, etc. ne mettent pas la pression sur le gouvernement parce que les personnes à la tête de ces organisations sont des personnes agissent à leur guise et n'ont jamais été démocratiquement élues. Mais les travailleurs et les militants syndicaux indépendants savent que ces faux représentants n'ont pas le soutien des travailleurs et qu'ils sont dans l'incapacité de gagner leur confiance.
Nous voulons :
– nous débarrasser des millions de cas de chômage et de malnutrition,
– améliorer les conditions de l'ensemble du monde du travail.
– en finir avec des anomalies sociales comme la criminalité, le vol, les fugues, les meurtres familiaux, la toxicomanie, le fait de se retrouver sans-abri.
Les causes fondamentales de toutes ces anomalies sociales sont l'exploitation, le chômage, la pauvreté, l'instabilité et l'insécurité de l'emploi et de l'accès aux moyens de subsistance, toutes sortes de discriminations et de doubles oppressions.
Pour y parvenir, nous ne devons pas avoir peur de déclarer que les travailleurs n'obtiendrons rien avec les promesses vides du gouvernement, des autorités en place et des organisations syndicales-bidons mises en place par le pouvoir.
Nous ne faisons confiance à aucune entité ou organisation liée au pouvoir en place, et nous savons que le temps des tentatives d'apaisement est arrivé à son terme.
Nos jeunes sont assassinés tous les jours, et tout ce que nous avons obtenu jusqu'à présent ne l'a été que par la démonstration du véritable pouvoir des travailleurs, de la solidarité et de l'unité de tous les travailleurs et des opprimés, ainsi qu'en s'organisant et en occupant les rues.
Par conséquent, parler de revalorisation des salaires et d'amélioration des conditions de travail sans insister sur la nécessité d'une organisation indépendante et nationale des travailleurs, et sans essayer de mettre en œuvre nos droits fondamentaux tels que ceux de se réunir, de protester, de faire grève, de manifester dans la rue afin de faire avancer les revendications des travailleurs, serait futile et même trompeur.
Reza Shahabi
Prison d'Evin
03/11/2023
Publié par Alternative Workers News Iran, réseau international auquel participe Solidarité socialiste avec les travailleurs d'Iran, organisation membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes
https://laboursolidarity.org/fr/n/2965/reza-shahabi–il-est-necessaire-de-s039organiser-et-de-descendre-dans-la-rue
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Javier Milei, un président argentin antiféministe et anti IVG

Les féministes et progressistes se sont aujourd'hui réveillés.es avec la gueule de bois en Argentine : Javier Milei, candidat ultra-libéral, climatosceptique et antiféministe, vient d'être élu Président du pays.
tiré de Entre les lignes et les mots
Alors que 3000 femmes sont mortes entre 1983 et 2020 d'avortements clandestins, Javier Milei veut soumettre à référendum la légalisation de l'avortement, obtenu de haute lutte par les mobilisations féministes en 2020. Suppression du ministère des Femmes, négation de l'existence d'inégalités salariales entre femmes et hommes quand celles-ci s'élèvent à 27,7% selon l'Institut national des statistiques… Les dangers qui pèsent sur les femmes argentines mais aussi toutes celles des pays alentours, tant l'Argentine représente un modèle dans la région dépassant la seule remise en cause de l'IVG. L'ultralibéralisme de Milei, qui veut s'attaquer aux aides sociales, à la santé et à l'éducation publique, pèsera en premier lieu sur les femmes, en moyenne plus précaires et à qui les services publics bénéficieront particulièrement en ce qu'ils contribuent à réduire les inégalités femmes-hommes. De même, la marchandisation prônée par Milei s'étend au-delà des services publics, jusqu'au corps humain et en particulier celui des femmes (pro-GPA, pro-prostitution, libéralisation de la vente d'organes…). Enfin la libéralisation du port d'armes aura essentiellement pour conséquence une hausse des féminicides. Candidat masculiniste assumé, Milei s'est notamment appuyé sur le vote de jeunes hommes, déterminant dans l'élection, quand les femmes ont majoritairement voté pour son opposant Sergio Massa.
Osez le Féminisme ! apporte son soutien aux féministes et à toutes et tous les Argentin.es qui souffriront de la politique de Javier Milei et rappelle la priorité qui constitue partout la lutte contre l'extrême-droite qui s'attaque toujours, systématiquement, aux droits des femmes. Toutes et tous les progressistes doivent se mobiliser contre la montée des extrêmes qui nous menacent chaque jour un peu plus, à l'étranger comme en France.
Les féministes se battront toujours contre l'extrême droite,en France comme ailleurs dans le Monde
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La marée féministe engloutit l’Italie le 25 novembre

Le 25 novembre, une vague massive de plus d'un demi-million de personnes a envahi les rues de Rome, avec de nombreux rassemblements spontanés sur les places de tout le pays - en premier lieu à Messine, en Sicile, pour crier toute leur colère et leur détermination contre la violence patriarcale, contre ceux qui la commettent et ceux qui la reproduisent.
Tiré de International Viewpoint
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article8335
DIMANCHE 3 DÉCEMBRE 2023, PAR MARTA AUTORE
S'il est vrai que depuis des années, les manifestations convoquées par Non Una Di Meno à l'occasion de la journée internationale contre la violence masculine à l'égard des femmes et les violences de genre ont connu une participation vive et significative, le nombre et la détermination observés dans les rues cette année semblent marquer un changement de rythme, une possible nouvelle explosion de mouvements. une irruption puissante et envahissante sur la scène publique des questions du féminisme.
Les raisons de cette irruption sont à chercher dans un contexte de violence structurelle à l'égard des femmes, à laquelle le gouvernement Meloni ne s'oppose que formellement et démagogiquement, instrumentalisant les viols et les féminicides pour durcir les peines et militariser le pays.
Déjà l'été dernier, deux cas de viols collectifs de jeunes filles avaient secoué l'opinion publique, à Caivano et à Palerme. Puis, le 11 novembre, une jeune fille de 22 ans, Giulia Cecchettin, a disparu avec son ex-petit ami de son village du nord-est de l'Italie. Pendant une semaine, les deux hommes sont restés introuvables. Et, tandis que certains journalistes spéculaient dans la presse sur des escapades romantiques irréelles, la conscience amère grandissait que l'histoire se terminerait par un autre féminicide. Numéro 107 en 2023. La jeune fille a été retrouvée morte sept jours plus tard, près d'un lac, après avoir saigné à mort après avoir été poignardée 26 fois. Son meurtrier, son ex-petit ami Filippo Turetta, 22 ans, a été arrêté en Allemagne quelques jours plus tard. [1] (en anglais)
Le chagrin, la frustration et la colère se répandent, surtout chez les très jeunes. Une histoire dont la fin était déjà écrite, dans une société profondément marquée par la violence patriarcale. Cela a été très clair comme de l'eau de roche par Elena Cecchettin, la sœur de Giulia, dans une interview explosive, dans laquelle elle a déclaré :
Turetta est souvent décrit comme un monstre, mais ce n'est pas un monstre. Un monstre est une exception, une personne qui est en dehors de la société, une personne pour laquelle la société n'a pas besoin de prendre ses responsabilités. Au lieu de cela, il y a la responsabilité. Les « monstres » ne sont pas malades, ce sont des fils sains du patriarcat et de la culture du viol. La culture du viol est ce qui légitime tous les comportements qui nuisent aux femmes, à commencer par les choses qui ne sont parfois même pas considérées comme importantes, mais qui sont très importantes, comme le contrôle, la possessivité, les injures. Chaque homme est privilégié par cette culture.
On dit souvent « pas tous les hommes ». Tous les hommes ne le sont pas, mais ils restent des hommes. Aucun homme n'est bon s'il ne fait rien pour démanteler la société qui lui donne tant de privilèges. Il est de la responsabilité des hommes dans cette société patriarcale, compte tenu de leur privilège et de leur pouvoir, d'éduquer et d'interpeller leurs amis et collègues dès qu'ils entendent le moindre soupçon de violence sexiste. Dites-le à cet ami qui prend des nouvelles de sa petite amie, dites à ce collègue qui interpelle les passants, rendez-vous hostile à de tels comportements acceptés par la société, qui ne sont que le prélude au féminicide.
Le féminicide est un meurtre d'État parce que l'État ne nous protège pas. Le féminicide n'est pas un crime passionnel, c'est un crime de pouvoir. Nous avons besoin d'une éducation sexuelle et émotionnelle généralisée, nous devons enseigner que l'amour n'est pas une possession. Nous devons financer des centres de lutte contre la violence et donner à ceux qui en ont besoin la possibilité de demander de l'aide. Pour Giulia, ne gardez pas un moment de silence, car Giulia brûlez tout.
(Lettre au Corriere della Sera, 20 novembre 2023)
« Ne garde pas une minute de silence, brûle tout », « C'était ton bon garçon ». Les phrases résonnent sur les réseaux sociaux des très jeunes et pas seulement, sur les murs des villes, soulignant une rébellion contre le récit de l'homme violent comme un monstre malade. Au lieu de cela, il y a trop de connexions que chaque femme ressent avec cette histoire de possession, de jalousie, de chantage psychologique.
Ainsi, lorsque le ministre de l'Éducation, Valditara, a proposé une minute de silence dans chaque école pour se souvenir de Giulia et des autres victimes, dans de nombreuses écoles, il y a eu une minute de bruit : cris, coups aux portes, secousses de clés pour symboliser d'une part que le féminicide a trop souvent les clés de la maison, et d'autre part que nous ne voulons plus avoir à faire de bruit pour nous rendre courageux en rentrant chez nous seul. (https://www.youtube.com/watch?v=D9quZBf1jfI)
Assemblées bondées, marches nocturnes spontanées, occupations d'écoles, initiatives en dehors des bureaux des journaux... La semaine qui a suivi a été une succession de mobilisations dans tout le pays.
Le 25 novembre, des centaines de bus se sont mis en route dès le matin pour se rendre aux rassemblements de Rome et de Messine, et les demandes de participation ont été si nombreuses que dans de nombreuses villes, d'autres cortèges ont été appelés pour donner à chacun la possibilité de manifester.
À Rome, tous ceux qui quittaient leur domicile pour se rendre au Circo Massimo se retrouvaient dans les transports en commun remplis de personnes se dirigeant vers le même but, il y avait des marches pratiquement parallèles qui se dirigeaient vers la marche principale, et la vue pour ceux qui arrivaient sur la place était impressionnante.
La plus grande manifestation de ces dernières années a inondé les rues de la ville de manière désordonnée et déterminée, encerclant spontanément le Colisée, laissant sa marque sur les volets du siège de Pro Vita, apportant sa solidarité au peuple palestinien, criant haut et fort la nécessité de financer des centres de lutte contre la violence, d'établir des programmes d'éducation sexuelle et relationnelle dans les écoles de tous les niveaux. faire entendre la voix de tant de femmes et de minorités de genre qui luttent quotidiennement contre la violence masculine.
Un jour historique pour le mouvement féministe, qui effraie le gouvernement Meloni, jusqu'ici peu contesté par les mouvements sociaux. Une journée qui donne au mouvement une grande responsabilité : nourrir cette colère, continuer à insister sur la dimension structurelle de la violence patriarcale, identifier des objectifs concrets, construire une véritable grève féministe le 8 mars.
3 décembre 2023
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Notre système institutionnel permet de violer ou de battre une femme en toute impunité dès lors qu’elle est en situation irrégulière

Nos institutions refusent de tenir compte des violences sexistes et sexuelles subies par les femmes étrangères en France estime, dans une tribune au « Monde », un collectif rassemblant plusieurs associations qui s'opposent au choix délibéré de l'inaction.
Tiré de Entre les lignes et les mots
En France, 213 000 femmes ont déclaré en 2019 être victimes de violences physiques ou sexuelles, selon l'Observatoire national des violences faites aux femmes. Certaines subissent aussi des violences psychologiques ou administratives de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Chaque année, 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentatives de viol.
Ces violences concernent toutes les femmes, quelles que soient leur catégorie sociale, leur nationalité, leur âge. Elles peuvent prendre différentes formes et être subies au sein de la sphère familiale, mais aussi dans des relations sociales, dans la rue, au travail, n'importe où, tout le temps. La violence de genre est omniprésente, étouffante. Ces violences se déroulent dans l'intimité mais ne sont pas d'ordre privé : c'est l'affaire de tout le monde, à commencer par celle de la puissance publique.
Les femmes étrangères, comme toutes les femmes, peuvent être confrontées à des violences, dont certaines bien spécifiques. Majoritaires, elles représentent 52% de la population migrante, d'après l'Institut national d'études démographiques, et leur condition de femme les expose à des violences systémiques et répétitives, du départ à l'arrivée dans le pays de destination.
Certaines, torturées, emprisonnées, exploitées, violées dans leur pays, d'autres victimes de sévices de toutes sortes pendant leur parcours migratoire ou bien en France. Et une fois en Europe, les violences ne s'arrêtent pas. De récents articles ont mis en lumière tous ces phénomènes. La réponse aux constats, aux alertes, aux dénonciations de l'innommable ? Le silence affligeant des pouvoirs publics.
Excision, mariage forcé, esclavage
Nos organisations reçoivent des femmes qui ont vécu des violences sexuelles et sexistes, des violences conjugales ou familiales, ou encore l'excision, un mariage forcé, l'esclavage en France. Comment améliorer leur protection ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit : protéger ces personnes et ne pas s'arrêter au seul fait « qu'elles n'ont pas vocation à rester sur le territoire français », comme on a pu l'entendre en préfecture ou en commissariat. Ne rien « pouvoir faire étant donné leur situation administrative » n'est pas une fatalité, mais le choix délibéré de l'inaction.
En refusant de tenir compte de ces violences, en refusant de les croire, de les accueillir, une autre violence est exercée, et cette fois-ci, émanant de nos institutions.
Un certain nombre de dispositions législatives garantissant des droits à des personnes étrangères victimes de violences ont été obtenues au cours des dernières années : certaines peuvent demander l'asile, d'autres, victimes de traite des êtres humains, doivent bénéficier d'une carte de séjour si elles déposent plainte et prouvent leur distanciation avec l'exploitant.
Les femmes mariées victimes de violences conjugales se voient délivrer et renouveler leur titre de séjour lorsqu'elles rompent la vie commune et apportent la preuve des violences subies.
Interprétation restrictive
Ces textes ont le mérite d'exister. Certes. Reste qu'ils sont lacunaires, ne protègent pas toutes les femmes : leur interprétation s'avère majoritairement restrictive et soumise au pouvoir discrétionnaire de l'autorité préfectorale. En pratique, les femmes concernées n'accèdent pas à la préfecture : les démarches sont kafkaïennes et les auteurs de violences très créatifs pour empêcher les victimes d'entreprendre leurs demandes.
Des documents sont illégalement requis par l'administration, les violences qui ne se voient pas sont ignorées, celles qui se voient sont examinées de façon suspicieuse, sur un ton inquisiteur. Certaines femmes, parce qu'elles sont étrangères, se voient dénier leurs droits fondamentaux.
Souvent, elles ne peuvent pas porter plainte contre les violences subies, des policiers et policières arguant de leur situation administrative ou qu'elles n'ont pas le droit de le faire. Trop fréquemment, il leur est demandé d'apporter un certificat médical en amont du dépôt de plainte. En réalité, est exigé de la personne qu'elle rapporte des traces visibles, des preuves indéniables de la violence subie. C'est de cette preuve que découle la reconnaissance de la qualité de victime et des droits y afférents.
Le fait d'être étrangères ne permet pas à ces femmes d'assurer pleinement la défense de leurs droits devant les tribunaux, d'accéder à certains types d'hébergement. Elles craignent sans cesse de perdre la garde de leurs enfants, leur accès aux soins est détérioré et leur santé mentale oubliée… Des femmes ont osé demander l'aide de la police à la suite de violences et ont été placées dans des centres de rétention où La Cimade intervient.
Appliquer les textes
Quel est ce système institutionnel qui permet aujourd'hui de violer ou de battre un être humain en toute impunité dès lors que la victime est en situation irrégulière ? Cela signifie-t-il que la qualité de victime est fonction de la situation administrative et que la protection dépend d'une autorisation de séjour tamponnée par la bonne autorité ?
Parler de l'intime n'est pas anodin et on ne peut pas attendre de ces femmes qu'elles racontent systématiquement et précisément ces traumatismes, ni avec le vocabulaire ni les codes socioculturels dits occidentaux. C'est pourtant ce qui leur est demandé ! Parler de viols, d'excision, des violences subies dans le cadre d'un mariage forcé ou à la suite de la découverte de son orientation sexuelle. Et toujours devoir convaincre de leur véracité pour ne pas se voir dire « vous vous prétendez victime pour obtenir des papiers et des droits ».
La sanction pour ne pas avoir réussi à convaincre ? Un refus de protection, accompagné bien trop souvent d'une obligation de quitter le territoire. Il est urgent de cesser la suspicion généralisée entourant la parole des victimes, d'en finir avec l'invisibilisation des victimes de nationalité étrangère.
Assez ! Il est temps de décider d'une politique publique forte, de faire appliquer les textes, de créer des places d'hébergement, de soutenir l'accès aux droits et à la santé des femmes victimes de violences, de former les acteurs et d'octroyer les moyens nécessaires à une véritable politique de lutte contre toutes les violences.
Il est essentiel de protéger enfin toutes les victimes, y compris les femmes étrangères sans titre de séjour en France. Pour toutes, sans distinction, réclamons, exigeons plus d'égalité, de justice, de protection !
Liste complète des organisations signataires :
Irène Ansari, coordinatrice, La ligue des femmes iraniennes pour la démocratie
Ana Azaria, présidente, Organisation de Femmes Egalité
Danielle Bousquet, présidente, Fédération nationale des CIDFF (Centres d'information sur les droits des femmes et des familles).
Françoise Brié, directrice générale, Fédération nationales Solidarité Femmes (FNSF)
Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale, La Cimade
Cécile Chaussignand, vice-présidente, Le Comede
Sarah Durocher, présidente, Planning familial
Isabelle Gillette-Faye, présidente, Genre & Cultures
Camille Gourdeau, co-présidente, FASTI (Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s)
Evelyne-Aurore Houngbossa Ongong Boulou, présidente, RIFEN NDPC/GAMS Hauts-de-France
Geneviève Jacques, présidente, Femmes de la Terre
Sarah McGrath, directrice Générale, Women for Women France
Priscillia Mutatayi, présidente, GAMS Sciences-Po
Alissata Ndiaye, présidente, Fédération Nationale GAMS
Maëlle Noir, membre de la coordination nationale #NousToutes
Dr Florence Rigal, présidente, Médecins du monde
Vanina Rochiccioli et Christophe Daadouch, co-président⋅es, Gisti
Suzy Rojtman, porte-parole, Collectif national pour les droits des femmes
Jean-Claude Samouiller, président, Amnesty international France
Alice Vaude, secrétaire nationale de l'Organisation de Solidarité Trans (OST)
Marie-Christine Vergiat, vice-présidente, LDH (Ligue des droits de l'Homme)
Tribune publiée initialement dans Le Monde
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/25/notre-systeme-institutionnel-permet-de-violer-ou-de-battre-une-femme-en-toute-impunite-des-lors-qu-elle-est-en-situation-irreguliere_6202280_3232.html
https://www.ldh-france.org/25-novembre-2023-notre-systeme-institutionnel-permet-de-violer-ou-de-battre-une-femme-en-toute-impunite-des-lors-quelle-est-en-situation-irreguliere-publiee-dans-le-monde/
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COP28 : à Dubaï, en plus du sultan, il y aura la cohorte des lobbyistes

Dans un billet sur France Culture le 27 novembre, l'économiste et couronnée par la banque de Suède en 2019 (« Prix Nobel d'économie »), rappelle que : « Entre 1995, date de la première COP, et aujourd'hui, les émissions annuelles de gaz à effets de serre sont passées de 23 milliards à 37 milliards de tonnes par an, et le stock de carbone dans l'atmosphère a doublé. » Elle poursuit : « Avec un leader pareil [Ahmed Al-Jaber, ministre émirati de l'Industrie et PDG de l'Abu Dhabi National Oil Company], il n'y a probablement pas grand-chose à attendre de cette COP, mais ce ne sera pas un immense changement par rapport aux COP précédentes.
Tiré de A l'Encontre
27 novembre 2023
Par Corporate Europe Observatory
Les décisions prises lors des COP doivent être approuvées à l'unanimité. Beaucoup de temps est passé à négocier les termes exacts des traités. » Parmi les participants à ces négociations, les représentants du secteur des hydrocarbures jouent à plein leur rôle. La présentation de l'étude de l'ONG Kick Big Polluters Out publiée ci-dessous le confirme.
Un des thèmes qui est censé devoir être traité à cette COP28 est celui du fonds des « pertes et dommages » (voir à ce propos l'article d'Adam Tooze publié sur ce site le 25 novembre). Esther Duflo fait remarquer qu'« il y aura aussi une discussion plus lourde de conséquences immédiates sur la question du fonds “pertes et dommages”, qui est censé compenser les pays les plus pauvres qui sont les premières victimes du changement climatique, alors qu'ils y contribuent le moins. Le principe de ce fonds avait été approuvé l'an dernier, mais sans aucun détail : il était prévu que ces détails soient élaborés cette année, en vue d'un vote à Dubaï. Ces négociations ont failli dérailler. Parmi les sujets qui créent la discorde, les Etats-Unis refusaient le principe de contributions obligatoires. Il semble qu'ils aient eu gain de cause. Sans obligation, ces engagements sont vains. L'engagement de 100 milliards de dollars annuels pour les pays pauvres, pris à Copenhague, n'a jamais été atteint. Pour compenser réellement les pays pauvres pour les dommages liés à nos émissions, il faudrait plutôt 500 milliards par an. Jamais cela ne pourra être atteint volontairement. Si nous voulons avoir une chance de financer ce fonds, il faut créer de nouveaux flux de revenus qui peuvent y être consacrés exclusivement. C'est faisable. Le rapport de l'Observatoire européen de la fiscalité note qu'une taxe de 2% sur la fortune des 3000 milliardaires les plus riches du monde lèverait plus de 200 milliards de dollars. Faire passer l'impôt minimum sur les corporations de 15% à 20% pourrait lever au moins 300 milliards. » A Dubaï ce genre de propositions relèvent d'un mirage.
En outre, les milliards pour « pertes et dommages » sont en partie, bien que ce ne soit pas clairement défini, des prêts, ce qui pose le problème de la dette et de sa relation avec les politiques extractivistes.
L'acronyme COP renvoie à la formule « conférence des parties ». Or, qui sont les plus grands pollueurs ? Ce sont les grandes transnationales qui contrôlent le complexe du secteur des hydrocarbures. Elles ne sont pas officiellement dans les COP. Dès lors, leur présence active est médiée par leurs réseaux diversifiés de lobbyisme. Ce qui n'est pas sans rapport avec le caractère déclaratif – et strictement non contraignant – des dites résolutions issues de ces conférences, entre autres celles concernant le fonds « pertes et dommages ». (Réd. A l'Encontre)
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Le 21 novembre, Corporate Europe Observatory a produit un résumé de l'étude de la coalition Kick Big Polluters Out (KBPO) – Virer les gros pollueurs –, portant sur les délégués-participants liés aux plus grandes entreprises pétrolières et gazières polluantes du monde [dioxyde de carbone-CO2, méthane…] et à leurs distributeurs ont participé au moins 7200 fois aux diverses négociations sur le climat organisées par les Nations unies au cours des 20 dernières années.
A quelques jours de la COP28 [qui se tiendra à Dubai, aux Emirats arabes unis] – un événement déjà marqué par des polémiques en partie à cause du grand patron des hydrocarbures qui la préside [Ahmed Al-Jaber] – cette analyse met en lumière la présence concertée et obstructionniste du lobby des combustibles fossiles au cœur des efforts déployés pour éviter un bouleversement total du climat.
Depuis la COP9 en 2003 [réunie à Milan, l'acronyme renvoie à cette 9e Conférence des parties organisée par l'ONU pour le Climat], les collaborateurs confirmés des entreprises de combustibles fossiles ont participé au moins 945 fois aux multiples sessions de négociations. Les collaborateurs des cinq géants pétroliers – ExxonMobil, Chevron, Shell, BP et TotalEnergies – ont obtenu au moins 267 laissez-passer.
Les membres des associations professionnelles représentant les plus grands pollueurs de combustibles fossiles ont quant à eux assisté au moins 6581 fois aux sessions de négociation des COP. Ces groupes ont profité de leur présence lors des COP pour faire pression afin de promouvoir les intérêts des combustibles fossiles.
Tous les délégué·e·s à la COP doivent être accueillis par une délégation officielle d'un gouvernement ou d'une organisation reconnue, dont beaucoup sont des organismes du secteur des combustibles fossiles. Toutefois, de nombreux délégués ne déclarent pas leur « affiliation », c'est-à-dire les organisations pour lesquelles ils travaillent ou les intérêts qu'ils représentent. Cela permet à la présence des firmes de combustibles fossiles de passer inaperçue. Par conséquent, il est probable que ces données soient largement sous-estimées.
Selon l'analyse de Kick Big Polluters Out, une organisation professionnelle, l'International Emissions Trading Association (IETA), fondée par de grands pollueurs et comptant parmi ses membres des géants pollueurs tels qu'Exxon, Chevron et BP, a reçu au moins 2769 laissez-passer pour assister aux négociations sur le climat depuis 2003.
Parmi les conclusions de cette enquête sans précédent, qui a compilé et analysé des informations sur les participants aux COP depuis la COP9 de 2003 :
. Parmi les collaborateurs du secteur pétrolier et gazier que nous avons pu identifier, c'est Shell qui a envoyé le plus de « délégués » aux négociations au fil des ans, avec au moins 115 laissez-passer accordés par la CCNUCC [Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques]. Shell s'est déjà vanté d'avoir influencé l'issue de la COP21, qui a vu naître l'Accord de Paris de 2015 sur le changement climatique. L'entreprise dépenserait chaque année des millions de dollars en lobbying pour affaiblir les dispositifs ayant trait au climat.
. Des représentants confirmés de la major italienne Eni (Ente Nazionale Idrocarburi), qui est poursuivie pour lobbying et écoblanchiment afin de favoriser l'augmentation de la production/consommation des combustibles fossiles malgré la connaissance des risques, ont assisté au moins 104 fois à des COP ; la société brésilienne Petrobras au moins 68 fois ; BP [ex-British Petroleum, puis BPAmoco, aujourd'hui BP] au moins 56 fois et Chevron au moins 45 fois.
. Outre l'IETA, le World Business Council for Sustainable Development-Conseil mondial des entreprises pour le développement durable [structure initiée en 1992 par l'homme d'affaires helvétique Stephan Schmidheiny], avec au moins 979 participations, et le Business Council for Sustainable Energy (Conseil des entreprises pour l'énergie durable), avec au moins 558 participations, figurent parmi les organisations du secteur des combustibles fossiles les plus représentées aux « conférences des parties ». La fédération japonaise des entreprises Keidanren, qui compte parmi ses membres certains des plus grands pollueurs du pays, a envoyé au moins 473 délégués, et BusinessEurope [association patronale qui défend les intérêts des employeurs auprès de l'UE] au moins 210.
. Sur les 20 premiers groupes économiques en termes de participation identifiés dans l'étude, tous ont leur siège dans le « Nord global ». Cela montre que les organisations des pays les plus responsables des émissions mondiales dominent les négociations sur le climat et tentent d'influencer les progrès du dispositif concernant le climat qui a le plus d'impact direct sur les pays du Sud qui ont le moins contribué historiquement à la crise climatique.
. Certains lobbyistes ont assisté aux « conférences des parties », représentant à la fois des entreprises de combustibles fossiles et des organismes économiques. Au total, la CCNUCC a accordé au moins 7200 laissez-passer à des représentants des combustibles fossiles depuis 2003.
Cette analyse du KBPO se concentre sur les principales compagnies pétrolières et gazières et les pollueurs historiques, ainsi que sur les organismes économiques qui participent régulièrement aux négociations sur le climat. La diversité de l'élaboration/présentation des listes de présence de la CCNUCC d'une année sur l'autre rend difficile le décompte et le classement des noms, sans compter que la CCNUCC n'exigeait pas, jusqu'à récemment, que les participants divulguent leurs affiliations. Cela signifie que ces résultats n'illustrent que la partie émergée de l'iceberg de l'influence des producteurs/distributeurs de combustibles fossiles, car de nombreux représentants n'auront pas été détectés dans le cadre de cette enquête.
Les lobbyistes des combustibles fossiles ont également l'habitude de participer aux COP au sein de délégations qui ne trahissent pas leur affiliation. Par exemple, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, a assisté à la COP27 l'année dernière au sein de la délégation d'une ONG allemande, International Climate Dialogue e. V. [1]. Bernard Looney, ancien PDG de BP, a également assisté à la COP27 en tant que membre de la délégation mauritanienne.
« L'ONU n'a pas de règles en matière de conflits d'intérêts pour les COP », a déclaré George Carew-Jones, du groupe de jeunes YOUNGO (official youth constituency) de la CCNUCC. « Ce fait incroyable a permis aux lobbyistes des combustibles fossiles de saper les négociations pendant des années, affaiblissant ainsi le processus sur lequel nous comptons tous pour assurer notre avenir. »
« Les jeunes du monde entier perdent confiance dans le processus des COP – nous avons désespérément besoin de garanties solides sur le rôle que jouent les entreprises pétrolières et gazières dans ces négociations », ont-ils déclaré.
« L'étude montre clairement que l'organisme chargé de mettre en œuvre les politiques mondiales de réduction des émissions de gaz à effet de serre est totalement pris en main par les entreprises transnationales qui détruisent le plus la planète », a déclaré Pablo Fajardo, de l'Union of Affected Communities by Texaco/Chevron, en Equateur. « La COP doit être libérée des entreprises polluantes, sinon elle devient en partie responsable de l'effondrement général. »
Brenna TwoBears, coordinatrice principale de Keep It In The Ground au sein de l'Indigenous Environmental Network, a déclaré que les lobbyistes des combustibles fossiles étaient 200% plus nombreux que les peuples autochtones qui ont participé à la COP26 à Glasgow en 2021. « Alors que les émissions de combustibles fossiles représentent environ 90% des émissions mondiales de carbone, comment peut-on les laisser entrer dans le seul endroit censé traiter de la crise climatique ? »
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La présence de lobbyistes à la COP ne se limite pas à l'industrie des combustibles fossiles. D'autres branches polluantes profondément impliquées directement ou indirectement dans la crise climatique, telles que la finance, l'agro-industrie et les transports, sont également présentes, bien qu'elles ne soient pas incluses dans cette analyse.
Ces nouvelles conclusions s'inscrivent dans le prolongement des appels lancés ces dernières années pour protéger la transparence et probité des négociations des Nations unies sur le climat en établissant des politiques claires en matière de conflits d'intérêts et des mécanismes amples favorisant l'obligation de rendre des comptes. Après de nombreuses années de campagne de la société civile, la CCNUCC a fait un premier pas dans ce sens en juin dernier en rendant obligatoire la divulgation de l'identité des représentants des participants à la COP.
Ces dernières années, des délégués gouvernementaux représentant collectivement près de 70% de la population mondiale ont demandé que ces conflits d'intérêts soient abordés. Plus de 130 élus des Etats-Unis et de l'Union européenne se sont joints à cet appel à l'approche de la COP28, demandant à leurs propres gouvernements pollueurs de cesser d'entraver les progrès dans ce domaine (voir le texte de Manon Aubry et Sheldon Whitehouse publié le 23 mai 2023 adressé à Biden, von der Leyen et Guterres). Même l'ancienne responsable de la CCNUCC, Christiana Figueres [diplomate du Costa Rico, secrétaire exécutive de la CCNUCC entre 2010 et 2016 ; elle a été liée à la plus grande compagnie du secteur de l'énergie en Amérique latine : ENDESA Latinoamerica], partisane de longue date de l'inclusion des intérêts des pollueurs dans les négociations sur le climat, a récemment fait remarquer que si l'industrie des combustibles fossiles « n'est là que pour faire de l'obstruction et pour mettre des bâtons dans les roues du système, elle ne devrait pas être là ». (Article publié par le Corporate Europe Observatory le 21 novembre 2023 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Selon Le Monde du 12 juin 2023 : « Pour augmenter son contingent à Charm El-Cheikh, TotalEnergies a trouvé une solution aussi discrète qu'inattendue : faire accréditer quatre employés supplémentaires par une pseudo-ONG environnementale allemande, International Climate Dialogue e. V. (ICD). Cette délégation comprenait les deux gardes du corps de Patrick Pouyanné, Jérôme B. et Patrick C., ainsi que le lobbyiste international de TotalEnergies, Majdi Abed, et le vice-président de l'entreprise chargé des marchés carbone, Pascal Siegwart. Au sein de la délégation hétéroclite de l'ICD à la COP27, leurs noms côtoyaient ceux de quatre chercheurs taïwanais. »
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Écologie : à Dubaï, la COP28 reste aux mains des géants du pétrole

Surnommée COP des fossiles, la COP28 qui va se tenir du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï mérite bien son nom. Dans une situation de plus en plus dramatique, les pousse-au-crime climatiques sont aux commandes.
Hebdo L'Anticapitaliste - 685 (30/11/2023)
Par Commission nationale écologie
La conférence sera présidée par le Sultan Al Jaber, PDG de la compagnie nationale pétrolière Adnoc et ministre de l'Industrie des Émirats arabes unis (EAU), avec les conseils du cabinet McKinsey qui œuvre aussi pour Chevron, Exxon, BP, Saudi Aramco, Rio Tinto… et préconise d'investir encore 2 700 milliards de dollars par an dans le pétrole et le gaz d'ici 2050.
D'année en année, les émissions de CO2 continuent d'augmenter. Les subventions publiques aux combustibles fossiles dans les pays du G20 ont plus que doublé entre 2021 et 2022.
Les alertes se multiplient
Sur la trajectoire : António Guterres, secrétaire général des Nations unies, qualifie l'écart entre les réductions des émissions nécessaires et les maigres engagements des États de « véritables canyons souillés de promesses brisées ». Effectivement, les engagements actuels — dont rien n'assure qu'ils seront tenus — conduisent à une hausse des températures de 2,5 à 2,9 °C.
Sur la santé : selon le rapport 2023 du Lancet sur la santé et les changements climatiques, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans décédées à cause de la chaleur a augmenté de 85 % entre les décennies 1991-2000 et 2013-2022. À l'horizon 2100 et une augmentation moyenne de 2 °C, les chaleurs extrêmes tueraient près de cinq fois plus.
Les émissions ne viennent pas de nulle part
Des chercheurs ont répertorié 422 « bombes carbone », des sites géants d'extraction de pétrole, de gaz et pour moitié de charbon. L'exploitation de l'ensemble de ces sites émettrait 1 182 gigatonnes (1) eq CO2 (2), soit plus du double des 500Gt du budget carbone, le maximum des émissions compatible avec un réchauffement climatique de 1,5 °C. TotalEnergies est le deuxième groupe mondial le plus impliqué dans ces bombes — 23 sites d'extraction, dont le plus important au Qatar, avec un potentiel d'émissions d'environ 12 gigatonnes de CO2. Côté financeurs, les banques françaises sont aussi en bonne place : BNP Paribas et le Crédit agricole sont dans le top 10 ; la Société générale et BPCE/Natixis, dans le top 50.
Le tour de passe-passe des combustibles fossiles « propres »
Alors que la production de combustibles fossiles devrait dépasser d'ici 2030 le double du volume compatible avec une limitation du réchauffement à 1,5 °C (3), les promesses mensongères de « gestion du carbone » (captage/stockage du carbone et élimination du dioxyde de carbone) reviennent en force.
Pour compenser l'excédent d'émissions, il faudrait éliminer une gigatonne de CO2 en moins de dix ans. Or, selon différents rapports, l'ensemble de ces projets prévus, en construction et opérationnels en 2030 ne serait, au mieux, capable de capter que 35-40 % de ce qui serait nécessaire.
Les faits sont têtus. Il n'y a pas d'autre issue que de réduire drastiquement la production des énergies fossiles. Et ce ne sera encore pas cette COP qui en prendra le chemin.
Urgence sociale et urgence climatique
Le dernier rapport d'Oxfam a le grand mérite de lier indissociablement dérèglement climatique et inégalités extrêmes comme les deux défis de notre époque. Il montre combien les super-riches brûlent notre monde par leur hyperconsommation de luxe, leurs intérêts financiers, leur influence politique : ce 1 % de la population a été responsable en 2019 d'autant d'émissions de carbone que les 2/3 les plus pauvres.
Dénonçant le racisme, le sexisme, le colonialisme, l'ONG affirme à raison que l'égalité à l'échelle mondiale est « l'une des stratégies d'atténuation les plus performantes ». Elle rompt avec le dogme de la croissance économique et en appelle à une nouvelle ère.
Une ère qui, pour nous, doit être celle d'une décroissance juste et écosocialiste qui exige la rupture avec le capitalisme. Et pas seulement de faire payer les riches !
Notes
1. 1 Gigatonne = 109 tonnes (Gt)
2. Tonne eq CO2 : dont l'effet de serre est équivalent à celui d'une tonne de CO2.
3. 3 – https://www.sei.org/publ…
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« Dubaï est une farce » : les Scientifiques en rébellion organisent une alter COP à Bordeaux

Le collectif Scientifiques en rébellion organise une COP alternative à Bordeaux afin de dénoncer l'échec de la gouvernance climatique mondiale et d'inventer de nouveaux imaginaires.
Tiré de NPA 29
« Le message est terrible. La COP28 est témoin d'une faillite : celle de la gouvernance climatique internationale. » Un micro à la main, le biochimiste Jérôme Santolini s'adresse à l'assemblée avec la pédagogie du professeur et la fièvre de l'activiste. Dans ce hall austère de la Base sous-marine de Bordeaux, tout de béton vêtue, la température est un brin plus fraîche qu'à Dubaï. Bienvenue à l'alter-COP des Scientifiques en rébellion. Ces femmes et ces hommes en blouse blanche ont quitté leur laboratoire pour investir ce bâtiment du 30 novembre au 3 décembre, et dénoncer « la farce qui se joue sous nos yeux ».
« La COP28 n'est pas une solution, elle est le problème, assure Jérôme Santolini. Elle sature l'espace politique et empêche l'émergence d'alternatives. »
Pour lui, les institutions restent enfermées dans un modèle datant des Trente glorieuses et sont incapables de s'adapter à l'ère de l'anthropocène. Preuve à l'appui, le procès survenu le 30 novembre à Paris : huit scientifiques et militants comparaissaient pour avoir occupé le Muséum national d'histoire naturelle en 2022. « Et pendant ce temps, les vrais criminels climatiques, connus depuis belle lurette, se promènent dans les couloirs d'une COP aux mains plongées dans le pétrole », s'insurge le chercheur.
« Les COP sont des machines à fabriquer une fiction collective »
Historienne des politiques du changement climatique, Amy Dahan tient à rassurer son auditoire : elle non plus ne croit pas en ces COP. « Néanmoins, ce cadre multilatéral a accompagné une certaine prise de conscience de l'urgence. » Avec une vingtaine de participations à son compteur, elle atteste qu'avant le début des années 2000, aucun officiel ou presque ne croyait au changement climatique : « Il y avait un fort climatoscepticisme et, sur ce point précis, ça a évolué. »
Si tout n'est pas à jeter, le constat reste noir à l'heure du vingt-huitième rendez-vous pour le climat : « Il y a eu le protocole de Kyoto, l'accord de Copenhague, celui de Paris… Et qu'en reste-t-il ? » s'interroge Romain Grard, du collectif Scientifiques en rébellion.
La Convention-cadre sur les changements climatiques, signée en 1992 à New York, témoignait du désir des parties prenantes de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre à un niveau viable. Trente-et-un plus tard, elles ont grimpé de 60 % : « Les COP sont des machines à fabriquer une fiction collective, dit la collapsologue Agnès Sinaï. Des milliers d'officiels construisent une rhétorique insaisissable pour le commun des mortels et tout cela ne sert qu'à occulter le tabou des énergies fossiles. »
« Aujourd'hui, on n'a plus le luxe d'être simplement contre, estime Romain Grard. On ne peut rester les bras croisés, alors il faut inventer autre chose. » Des alternatives, Agnès Sinaï en a plusieurs à suggérer. À commencer par la création d'une Cour internationale de justice climatique, sur le modèle de la Cour pénale internationale de La Haye : « L'accord de Paris est un traité politique totalement dénué de sanctions. Les États sont à la fois juges et parties, ça n'a aucun sens. » Elle propose en outre d'initier une Convention citoyenne internationale pour le climat, ou encore une COP de la décroissance. Aussi utopistes soient-elles, ces pistes ont le mérite d'inventer de nouveaux imaginaires.
Là est aussi le pari de cette alter-COP : s'approprier le narratif trop longtemps accaparé par les puissants. « On a toujours attendu des scientifiques qu'ils pondent de grands rapports à déposer sur le bureau de tel ou tel ministre », constate Stéphanie Mariette, généticienne des populations. Seulement, à quoi bon si c'est pour les entendre parler de croissance verte ensuite ? « Aujourd'hui, ce cadre institutionnel, créé par l'État, ne suffit plus. On doit s'en libérer et aller directement au contact des citoyens, au plus près des luttes locales. »
Un fossé entre le grand public et les scientifiques
Géographe et contributeur du Giec (Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat), Wolfgang Cramer partage cette observation : « Je suis fasciné par la figure que l'on a construite du scientifique volontairement naïf. On se contentait de constater. On observait monter et descendre ces courbes, pour les décrire ensuite dans un langage froid et neutre. » Il met au défi quiconque de trouver un seul point d'exclamation dans les travaux du Giec. « Et de retour à la maison, on passait à autre chose, déplore-t-il. On considérait que plus nous étions désengagés, plus nous étions crédibles. C'était un contrat imaginaire avec la société. »
Cette posture a creusé un fossé entre le grand public et les scientifiques. « J'ai le sentiment que nous restons souvent entre nous, confirme l'océanographe François Sarano. Et cet entre-soi confortable rebute les citoyens que l'on devrait convaincre. Nous faisons peur, nos discours effraient. Pourtant, il faut séduire. » Comment ? En cherchant d'autres interlocuteurs que ceux des revues spécialisées où sont publiés les travaux et ceux des colloques internationaux où les chercheurs ne rencontrent que leurs pairs. « Il devient crucial de construire des ponts avec le grand public », abonde Julian Carrey, enseignant physicien à la blouse blanche et aux cheveux ébouriffés.
Plus facile à dire qu'à faire : une petite centaine de personnes à peine, scientifiques et journalistes compris, ont participé aux débats. Et au moins autant de chaises vides. Alors, à la tombée de la nuit, flottait dans l'air le sentiment amer d'un rendez-vous manqué.
Emmanuel Clévenot 2 décembre 2023
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Pourquoi l’aviation ?

La plateforme d'actions de désobéissance civile Code Rouge annonce une troisième action de masse, du 15 au 17 décembre. Cette fois, c'est le secteur de l'aviation qui est visé. Une industrie délétère pour le climat, la nature et la justice sociale mais qui bénéficie pourtant de millions de subventions et de cadeaux fiscaux. Code Rouge demande la fin des subventions au secteur, l'interdiction des jets privés et une diminution drastique du secteur de l'aviation.
!7 novembre 2023 | tiré du site de la Gauche anticapitaliste
CODE ROUGE VERSUS LE SECTEUR AÉRIEN : DON'T CRASH THE PLANET !
Cette fois, Code Rouge s'attaque à l'aviation ! Bien que ce ne soit de secret pour personne que l'aviation est un désastre pour le climat, impose des conditions de travail incertaines et exerce un impact calamiteux sur la nature, l'agriculture et la santé, cette industrie bénéficie toujours de nombreux avantages fiscaux et de subventions se comptant en millions d'euros, lui permettant de croître au-delà des limites planétaires, et ce au bénéfice des 1 %, responsables de plus de la moitié des émissions des vols de passagers. Pourtant, c'est la majorité globale des communautés marginalisées, précarisées et racisées qui en paie le prix. Il est grand temps de freiner l'industrie de l'aviation et de lui faire prendre un virage radical, en donnant la priorité aux personnes et à la planète.
L'INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE PERTURBE LE CLIMAT
L'aviation est l'un des modes de transport dont l'impact climatique est le plus important. Les avions émettent non seulement du CO2 – qui représente environ 2,5 % des émissions mondiales – mais aussi des oxydes d'azote (NOx), du carbone noir, de la suie et des traînées de condensation, qui contribuent deux fois plus au réchauffement climatique que les émissions de CO2. Au final, l'impact climatique d'un vol peut être jusqu'à 80 fois supérieur à celui d'un trajet en train pour le même itinéraire. Et cet impact climatique augmente d'année en année. Les émissions du secteur aérien augmentent plus rapidement que celles de n'importe quel autre mode de transport, et les prévisions indiquent que les émissions tripleront d'ici 2050 si aucune mesure n'est prise rapidement, ce qui équivaudrait à un quart du budget carbone mondial pour un scénario à 1,5° C. Alors que les données scientifiques indiquent clairement que la réduction des vols est la seule solution efficace à court terme, l'industrie continue de croître et de nous vendre leurs mensonges verts à base de carburants aéronautiques durables et d'avions électriques qui n'offrent aucune possible réduction des émissions à court terme.
EST INJUSTE ET LARGEMENT INUTILE
Le problème vient des jets privés, des vols de fret superflus et de la surabondance de vols touristiques. 80 % de la population mondiale n'a jamais pris l'avion, et 1% de la population mondiale est responsable de plus de la moitié des émissions des passagers aériens au niveau mondial. Cela comprend les vols d'agrément et les vols privés. En ce qui concerne les vols de fret, ils servent à acheminer ultra-rapidement des produits de qualité médiocre achetés sur internet, comme la « fast fashion » – une pratique polluante liée au capitalisme mondial qui encourage la surproduction et la surconsommation et a un impact climatique 100 fois plus important par tonne de marchandises transportées que le transport maritime.
Les vols commerciaux de passagers sont également en hausse, en partie du fait des compagnies aériennes à bas prix qui font main basse sur les avantages fiscaux et fragilisent les conditions de travail pour continuer à se développer, renforçant ce faisant les disparités de prix qui écrasent la concurrence des trains pour les trajets courts. Pendant ce temps, les jets privés sont plus nombreux que jamais, entraînant un doublement de leurs émissions entre 2021 et 2022. Alors qu'ils sont réservés aux super-riches, c'est à la majorité de la population mondiale d'en subir les conséquences, que ce soit en termes de conditions météorologiques extrêmes, de maladies liées aux émissions ou de pollution sonore, faisant de ces jets une atteinte scandaleuse au principe de justice climatique et sociale. Ainsi, si l'aviation présente certains avantages dans des secteurs spécifiques, et est indispensable pour permettre diasporas et aux personnes déplacées de rester en contact avec leurs communautés, la majorité des activités de cette industrie est inutile et intrinsèquement injuste.
ET CELA AVEC NOS SUBVENTIONS ET NOS ALLÈGEMENTS FISCAUX
Malgré son impact désastreux sur le climat, le secteur de l'aviation bénéficie d'un traitement préférentiel par rapport aux autres moyens de transport dans le monde. Les compagnies aériennes ne paient pas de taxes sur le kérosène ni de TVA sur les billets d'avion, contrairement à tous les autres moyens de transport, tels que les voitures et les trains. Ainsi, la Belgique perd 700 millions d'euros par an en contributions fiscales provenant du secteur de l'aviation. L'industrie aéronautique n'échappe pas seulement à la taxation : elle est aussi abondamment financée grâce à de l'argent public et donc, en fin de compte, par les citoyen.ne.s. Par exemple, les aéroports régionaux bénéficient de millions de subventions, ce qui permet aux compagnies aériennes low-cost d'engranger d'énormes bénéfices, sans parler des aides d'État reçues par ces mêmes compagnies pour les sauver de la faillite au moment de la pandémie. Enfin, les autorités investissent des millions dans les infrastructures autour des aéroports, de l'argent public qui pourrait être bien mieux employé pour financer des moyens de transport alternatifs (ex : le train), l'éducation, les soins de santé, le financement des pertes et dommages, les réparations ou la révolution énergétique, alors que tant de citoyen.ne.s peinent à se nourrir et se chauffer.
AU DÉTRIMENT DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE LA SANTÉ
L'aviation, ce n'est pas que les avions : cette industrie requiert des infrastructures envahissantes telles que les aéroports qui non seulement prennent beaucoup de place, mais nous ancrent aussi dans ce système de transport pour des décennies. Dans un petit pays comme la Belgique, il n'y a tout simplement pas de place – ni de besoin – pour six aéroports internationaux. Sur les 2500 hectares actuellement occupés par les différents aéroports, l'agriculture agro-écologique pourrait nourrir plus d'un millier de personnes chaque année ou absorber plus de 20 000 tonnes de CO2 par an. Au lieu de ça, les aéroports sont dotés d'extensions au détriment de terres agricoles, qui sont pourtant essentielles à notre souveraineté alimentaire. La bétonisation de nos espaces naturels et agraires nous rend d'autant plus vulnérables aux phénomènes météorologiques extrêmes, comme l'ont clairement montré les inondations de 2021.
Ce n'est pas tout : ces nombreux aéroports au milieu d'un pays densément peuplé sont aussi néfastes pour la santé publique. Il y a actuellement en Belgique plus d'un demi-million de personnes qui vivent autour des aéroports, et qui sont exposées à des concentrations accrues de particules fines et à une perturbation de leur sommeil (en raison des vols de nuit), ce qui a un impact considérable sur les systèmes respiratoire et cardiovasculaire, entraînant de l'asthme, des maladies cardiaques et de l'hypertension artérielle. Les femmes subissent particulièrement les effets néfastes de cette pollution de l'air. Les riverain.e.s des aéroports incluent des communautés précarisées, marginalisées et racisées qui n'ont souvent pas d'autre choix que d'y vivre en raison du coût élevé du logement ailleurs, et qui voient le nombre de vols et la pollution qui en découle augmenter d'année en année. De plus, il suffit d'un seul incident pour qu'une terrible catastrophe comme celle de Bijlmermeer (près d'Amsterdam) se produise.
ET DANS DES CONDITIONS DE TRAVAIL DIFFICILES
Le transport aérien est un important pourvoyeur d'emplois, mais beaucoup de ces emplois s'exercent dans des conditions de travail de plus en plus précaires et difficiles. Les bagagistes, les magasiniers et magasinières et le personnel de pistes doivent souvent effectuer des tâches dangereuses et éreintantes, aggravées par des pratiques douteuses de la part des employeurs, telles que les contrats à court terme et le travail en freelance, en sous-effectifs ou de nuit. Même des professions relativement valorisées comme le personnel de cabine ou les pilotes sont aujourd'hui soumises au dumping social, favorisé notamment par l'essor du low-cost.
Ces emplois sont également à l'origine de coûts importants pour la collectivité en termes de subventions, d'investissements et d'impact sur le climat et les nombreux emplois peu qualifiés sont très sensibles à l'externalisation et à l'automatisation. Dans un future proche, l'aviation devra décroître de façon radicale pour assurer un avenir vivable à la planète, et bon nombre de ces emplois disparaîtront également, ce qui les rend particulièrement précaires. À l'inverse, une relocalisation des chaînes de production associée à une réduction collective du temps de travail pourrait créer de nouvelles opportunités d'emploi à domicile dans de meilleures conditions de travail. Il est donc grand temps d'investir toutes ces ressources publiques dans le développement d'emplois de qualité, porteurs de sens et d'utilité sociale.
IL EST TEMPS D'AGIR
Alors que les scientifiques s'accordent à dire que l'aviation doit décroître à court terme pour assurer un avenir vivable à la Terre, cette industrie continue de croître, sans soucis des limites planétaires. Pendant ce temps, les nuisances et les problèmes de santé pour les résident.e.s locaux croissent également, et les populations du monde entier font face à des événements météorologiques extrêmes toujours plus dévastateurs. Cette situation affecte de manière disproportionnée les personnes qui contribuent le moins au problème, à savoir les communautés précarisées, marginalisées et racisées, ici en Belgique et dans le monde entier. Cette croissance est alimentée par la consommation de masse et de luxe, ainsi que par les nombreux allègements fiscaux et subventions dont le secteur continue de bénéficier, utilisant à mauvais escient les ressources publiques et l'espace dont nous avons désespérément besoin pour la révolution écologique et économique. C'est pourquoi Code Rouge demande : la fin immédiate des subventions à l'aviation, l'interdiction des jets privés et la décroissance radicale du secteur aérien.
Du 15 au 17 décembre, nous nous embarquons dans une action de masse pour la justice sociale et climatique, contre l'industrie aéronautique. Rejoignez-nous !
Texte initialement publié sur le site de Code Rouge.
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Bruxelles - Organisons la lutte pour produire moins et partager plus

La Gauche anticapitaliste participe à la marche climat de ce dimanche 3 décembre à Bruxelles. Voici le texte du tract que nous y distribuerons.
Tiré de Gauche anticapitaliste
3 décembre 2023
Par Gauche anticapitaliste
La COP28 a lieu à Dubaï alors que tous les signaux passent au rouge. Le soi-disant Green Deal européen est torpillé. Les émissions de CO2 continuent d'augmenter, les compagnies pétrolières et leurs gouvernements continuent à investir massivement dans les fossiles, alors qu'il faudrait les éliminer et quadrupler les investissements dans les renouvelables. Le système capitaliste conçu pour le profit et l'accumulation infinie met en danger l'humanité, avec en première ligne les classes populaires, les femmes, les peuples indigènes et la jeunesse. Nous sommes à +1,3° et les catastrophes s'accumulent. Nous devons tirer le frein d'urgence.
L'impasse libérale et la menace fasciste
Les partis de la Vivaldi nous disent qu'en votant pour eux et en soutenant les « bons » capitalistes, on va y arriver : « aux travailleur·euses de payer l'addition ». Leur politique c'est l'empoisonnement aux PFAS, les déchets nucléaires, les centrales à gaz, une SNCB en rade et l'explosion des inégalités. Ce sont des pyromanes. Face à cette politique antisociale et inefficace des libéraux « verts », l'extrême droite des Trump, Wilders, Meloni monte et s'organise pour nous mener vers le gouffre en attaquant les femmes, les LGBT et les migrant·e·s.
Les solutions existent
Elles passent par l'affrontement avec le capital et l'extrême-droite et un programme d'urgence écologique et sociale pour :
. Reprendre aux riches ce qu'ils ont volé : impôt drastique sur la fortune, suppression des consommations de luxe hyper polluantes ;
. Réduire le temps de travail, sans perte de salaire : produire moins, travailler moins, partager plus ;
. Une planification publique, démocratique de la fin des secteurs nuisibles : énergies fossiles, pub, plastiques, tout-à-la-voiture et à l'avion…
. Nationaliser les secteurs essentiels sous contrôle des travailleur·euses et usager·es : finance, énergie, transports, alimentation, rénovation, etc.
Construisons le front uni de lutte climatique et sociale
Les solutions partiront d'un mouvement social puissant : dans celui-ci, les travailleur·euses et les syndicalistes jouent un rôle-clé… À condition de rompre avec les illusions de la « croissance verte » et d'agir avec les activistes climatiques et la communauté scientifique, pour lutter en front uni pour un gouvernement éco-social de rupture ! Inspirons-nous des grèves des jeunes pour le climat en 2019 !
Les écosocialistes doivent s'organiser pour favoriser cette issue : rejoins la Gauche anticapitaliste pour y contribuer !
Photo : Le bloc de la Gauche anticapitaliste à la Marche pour le climat, octobre 2022 (Dominique Botte / Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0)
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En Afrique du Sud, les tiraillements de la communauté juive

Depuis l'attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, et le début du nettoyage ethnique mené par l'armée israélienne à Gaza, le débat autour du maintien des relations diplomatiques avec Israël déchire les juifs d'Afrique du Sud. Historiquement engagée contre l'apartheid mais aussi en partie sioniste, cette communauté est aujourd'hui plus divisée que jamais.
Tiré d'Afrique XXI.
C'est une crise identitaire larvée qui divise chaque jour un peu plus les juifs d'Afrique du Sud, une communauté en ébullition depuis le début de la guerre que livre Israël à Gaza après l'attaque du 7 octobre. Lundi 20 novembre 2023, alors que Pretoria appelait la Cour pénale internationale (CPI) à arrêter le Premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, l'État hébreu rappelait à Tel-Aviv son ambassadeur en poste en Afrique du Sud, Eli Belotserkovsky. Le lendemain, le Parlement sud-africain votait à une écrasante majorité en faveur de la fermeture de l'ambassade israélienne à Pretoria. Des positions dénoncées par la South African Zionist Federation (SAZF), la plus ancienne et importante organisation juive du pays. Mais cette réaction n'a pas plu à tout le monde : des juifs s'en sont publiquement désolidarisés et ont lancé un appel historique à cesser de les associer à la défense inconditionnelle d'Israël.
Si l'Afrique du Sud est en première ligne des pays qui critiquent les bombardements israéliens sur Gaza – et plus globalement la politique de l'État hébreu –, c'est parce que l'African National Congress (ANC), parti majoritaire au Parlement depuis 1994 et l'élection de Nelson Mandela, a toujours lié sa lutte contre l'apartheid à la cause palestinienne. Une analogie qui ne doit pas occulter le rôle majeur joué par des militants juifs au sein de l'ANC. Et ce jusque dans les rangs de sa branche militaire, Umkhonto we Sizwe (« le fer de lance de la nation », en zoulou), que dirigeait Joe Slovo, un descendant d'immigrés juifs lituaniens.
Arrêté en 1962, Slovo quitte alors l'Afrique du Sud et supervise les activités militaires de l'ANC pendant ses vingt-sept années d'exil. En 1985, il est le premier Blanc à faire partie de la direction nationale du parti, poste qu'il cumule avec celui de chef d'état-major d'Umkhonto we Sizwe, puis celui de secrétaire général du Parti communiste sud-africain. Selon Adam Mendelsohn, professeur à l'Université de Cape Town, spécialiste des minorités religieuses en Afrique du Sud et directeur du Kaplan Centre for Jewish Studies, « l'implication des juifs dans les mouvements anti-apartheid est en grande partie un héritage de la politique radicale que les juifs ont apportée avec eux d'Europe de l'Est ».
Les juifs contre l'apartheid
« Les juifs avaient l'esprit plus ouvert que le reste des Blancs sur les questions raciales et politiques, peut-être parce que, dans l'histoire, ils avaient eux-mêmes été victimes de préjugés », écrivait Nelson Mandela dans son autobiographie Le Long chemin vers la liberté (publiée en 1994 sous le titre : Long Walk to Freedom). Et pour cause, entre 1956 et 1961, ils représentent plus de la moitié des Blancs jugés au cours du « Procès de la trahison », une machination du Parti national pour démanteler l'Alliance du Congrès, une coalition politique anti-apartheid. En 1963, le fameux procès de Rivonia, à la suite duquel Nelson Mandela sera condamné et emprisonné, implique aussi une dizaine de membres d'Umkhonto we Sizwe. Parmi eux, deux juifs : Denis Goldberg, qui purgera une peine de vingt-deux ans de prison, et Lionel Bernstein, acquitté mais contraint à l'exil.

La lutte des juifs contre l'apartheid s'est menée au-delà des cadres de l'ANC, à l'image d'Helen Suzman, figure majeure de l'opposition progressiste de 1953 à 1989. Fille d'émigrés juifs lituaniens ayant fui l'antisémitisme, Suzman a combattu avec fermeté l'engrenage raciste des lois ségrégationnistes et est demeurée la seule députée d'opposition pendant treize ans au sein du Parlement sud-africain (de 1961 à 1974).
Dès 1948, l'engrenage législatif du régime d'apartheid (qualifié de « développement séparé ») est lancé par le Parti national. Les lois racistes et ségrégationnistes se succèdent : habitat séparé, classification raciale au profit de la suprématie blanche, interdiction des mariages mixtes, loi sur l'obligation pour les Noirs de détenir un « pass » afin de pouvoir se rendre dans certains quartiers blancs… L'apartheid s'incarne surtout dans la création des bantoustans, ces régions réservées aux populations noires loin des centres urbains, auxquelles sont aujourd'hui comparées les zones sous autorité palestinienne des territoires occupés de Cisjordanie. Entre 1960 et 1983, 3,5 millions de Noirs sont déplacés de force de leur domicile, situé dans des zones réservées aux Blancs, vers d'autres zones, principalement des bantoustans.
Durant cette période, c'est paradoxalement l'apartheid qui favorise l'ancrage du sionisme chez les juifs sud-africains. Cet engagement n'entre alors pas forcément en contradiction avec la lutte contre le régime raciste de Pretoria.
Un point d'encrage identitaire
Sous la chape de plomb de l'apartheid mais aussi en raison de l'antisémitisme historique des nationalistes afrikaners, l'unité communautaire des juifs en Afrique du Sud devient une nécessité. Si ces derniers n'ont pas à subir les préjudices arbitraires de la classification raciale (Blancs, Noirs, Coloureds, Indiens) puisqu'ils sont considérés comme des Blancs, l'accent mis par le gouvernement sur le « développement séparé » des groupes nationaux permet et encourage même l'épanouissement d'une spécificité ethnique juive. En grande majorité originaires d'Europe de l'Est, les juifs sud-africains restent marqués par le génocide nazi et la dévastation de leur centre spirituel en Lituanie, où près de 95 % des juifs ont péri (1).
Durant cette période, le sionisme devient un point d'ancrage identitaire dans un contexte politique incertain. « Les juifs n'ayant jamais pu être considérés comme des citoyens à part entière comme les Anglais ou les Afrikaners, la Palestine, puis Israël, ont servi d'exutoire à leurs aspirations et à leur identité », explique Adam Mendelsohn à Afrique XXI.
« Les chercheurs ont longtemps suggéré que le sionisme était la religion civile des juifs sud-africains, plus importante à certains égards que le judaïsme en tant que ciment de la communauté », ajoute l'universitaire. La dernière enquête nationale menée 2019 sur la population juive d'Afrique du Sud par le Kaplan Centre le confirme : 90 % des juifs ont déclaré se sentir au moins modérément attachés à Israël, les deux tiers qualifiant cet attachement de fort. Ils sont jusqu'à 69 % à se définir comme sionistes, contre 18 % seulement qui rejettent cette étiquette.
Ouvrir « un autre canal »
Jusqu'à aujourd'hui, la plupart des activités juives, religieuses ou laïques, sont organisées par le South African Jewish Board of Deputies et la South African Zionist Federation. Des institutions régulièrement invitées dans les médias traditionnels, qui revendiquent la représentation des quelque 65 000 juifs vivant en Afrique du Sud, et qui attirent souvent les critiques de la gauche sud-africaine à cause de leurs liens entretenus avec Israël. Le 15 juin 2023, Aishah Cassiem, membre des Economic Freedom Fighters (le parti de gauche panafricain et marxiste dirigé par Julius Malema), demandait la fermeture du lycée privé juif Herzlia au Cap. En cause, les déclarations du directeur de cette école dans une interview accordée à la chaîne d'information ILTV Israel News en mai, dans laquelle il se félicitait que 20 % des anciens élèves passent leur année post-universitaire en Israël, et que certains d'entre eux partent servir dans l'armée israélienne. Le directeur de l'établissement soulignait l'identité « fièrement sioniste » de l'école, « très attachée à l'éthique du judaïsme et d'Israël ».
Le 30 août 2023, la Palestine Solidarity Campaign Cape Town soumettait une lettre au ministre sud-africain de l'Éducation appelant à une enquête sur son programme éducatif, et soutenant que le service des anciens élèves de Herzlia dans l'armée israélienne pourrait les rendre complices de la violation du droit international dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie. Déjà, en 2018, deux élèves avaient été sanctionnés par la direction alors qu'ils s'étaient agenouillés pendant l'hymne israélien Hatikva, régulièrement chanté au sein de l'établissement avec l'hymne sud-africain. Une décision qui avait poussé plusieurs alumni de Herzlia à prendre publiquement position contre les arguments de l'école.
Mais si une contestation libérale juive de la politique d'Israël s'ancre peu à peu sur la scène sud-africaine, elle se défend d'être antisioniste. En 2018, l'Initiative démocratique juive (JDI) a été fondée dans l'optique de favoriser le dialogue intracommunautaire. Dans une interview accordée au quotidien israélien Haaretz, son porte-parole, Raymond Schkolne, posait son constat : « Israël est au cœur de notre identité, mais nous sommes très troublés par les actions menées par Israël. Nous sommes très troublés par la façon dont la communauté sud-africaine réagit, et nous aimerions créer un autre canal, une autre occasion ou un autre cadre pour nous engager d'une manière différente. »
Si la JDI rejette par exemple les campagnes du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël (2), elle se présente comme une alternative aux discours de la SAZF visant à « créer un foyer [...] pour les gens qui se sentent aliénés et ostracisés, d'une part, par la South African Zionist Federation – qui fonctionne aujourd'hui comme un bras de la hasbara (3) pour le gouvernement israélien –, et, d'autre part, par la gauche radicale qui soutient le BDS et ne soutient pas vraiment le droit d'Israël à exister ».
Une fronde au sein de la communauté
Déjà, en 2017, Matan Rosenstrauch, un militant israélien de gauche vivant en Afrique du Sud, avait lancé une pétition de juifs sud-africains exprimant leur opposition à l'occupation de la Cisjordanie, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la guerre des Six-Jours de 1967. Un prélude à la séquence qui fracture aujourd'hui la communauté juive. Le 15 novembre 2023, dans une lettre ouverte publiée dans le journal sud-africain The Daily Maverick, plus de 700 juifs sud-africains, dont des personnalités publiques comme l'artiste William Kentridge ou Jonathan Berger, avocat au barreau de Johannesburg, se sont dressés contre les discours visant à essentialiser les opinions de la communauté :
- Nous rejetons les tentatives d'amalgame entre les parties à ce conflit et des groupes religieux ou ethniques entiers, tout comme nous rejetons l'idée que la critique de l'État d'Israël constitue nécessairement de l'antisémitisme. En tant que juifs aux opinions diverses, nous ne nous sentons pas représentés par les institutions qui prétendent parler au nom de la communauté juive sud-africaine au sujet d'Israël et de Gaza.
Parmi les juifs critiques d'Israël figure notamment Ronnie Kasrils, l'ancien ministre des Services de renseignements (2004-2008). Kasrils a rejoint l'ANC en 1960 après le massacre de Sharpeville, épisode sordide de la répression policière du régime d'apartheid : à l'appel de Robert Sobukwe, président du Congrès panafricain d'Azanie (PAC), des milliers de manifestants protestaient pacifiquement contre les « pass » (passeports intérieurs) devant les postes de police ; dans le township de Sharpeville, la répression avait fait 69 morts et près de 200 blessés. Figure de la lutte anti-apartheid, Ronnie Kasrils dénonce régulièrement l'occupation israélienne dans les médias.
Le 17 octobre, la ministre des Relations internationales, Naledi Pandor, s'est entretenue par téléphone avec le chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh. S'il a été officiellement question de la livraison d'aide humanitaire à Gaza, comme le soutient le ministère, l'affaire fait craindre une rupture définitive des juifs sud-africains avec le pouvoir, accusé par certains d'antisémitisme. Alors que le gouvernement fait valoir son non-alignement et sa qualité de médiateur, il entend se servir des leçons de son histoire pour porter la voix des Palestiniens sur la scène internationale. Le 21 novembre, à l'occasion d'une réunion extraordinaire des BRICS consacrée à l'invasion israélienne de Gaza, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a demandé le déploiement d'une force rapide de l'ONU pour « surveiller la cessation des hostilités » et « protéger les civils », tout en accusant Israël de mener un « génocide ».
Notes
1- Entre 1880 et 1914, l'immigration juive en Afrique du Sud est multipliée par dix, la communauté juive passant de 4 000 à plus de 40 000 Sud-Africains. 90 % d'entre eux sont des « Litvaks » : des immigrants juifs lituaniens, victimes de pogroms et de vagues antisémites. Lire Carmel Schrire, Gwynne Schrire, The Reb and the Rebel : Jewish Narratives in South Africa, 1892-1913, University of Cape Town Press, 2016.
2- Cette campagne internationale promeut les boycotts économiques, académiques, culturels et politiques contre Israël et ses intérêts, afin de lutter contre l'apartheid de l'État hébreu.
3- Le terme « hasbara » signifie littéralement « explication ». Il renvoie aux stratégies de communication et de propagande de l'État d'Israël à destination de l'étranger.
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La fabrique des migrations : Perdre espoir... et prendre la route de l’exil (1/4)

Qu'est-ce qui pousse des milliers d'Africain·es à s'exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays « d'accueil » ? Dans cette série du magazine ZAM déclinée en quatre épisodes, cinq journalistes décryptent les mécanismes de la migration. Ce premier volet est consacré aux raisons du départ.
Cet article a été publié en anglais dans le cadre d'une enquête transnationale menée par une équipe de journalistes dans cinq pays africains en partenariat avec le magazine ZAM, et intitulée « Migration is not the West's problem, it is Africa's » (« La migration n'est pas le problème de l'Occident, c'est celui de l'Afrique »). Cette enquête s'intéresse aux raisons qui poussent de nombreux Africains à prendre la route de l'exil pour l'Europe, le Golfe ou l'Amérique.
Tiré d'Afrique XXI.
À Douala, au Cameroun, lors de la cérémonie d'enterrement de Bryan Achou* (1), dont le corps noyé a été retrouvé en Méditerranée et rendu à sa famille en novembre 2022, des amis et des parents évoquent son destin avec émotion. « C'est un gamin de mon quartier ! En moins de deux semaines, nous avons perdu deux enfants. L'un en mer entre la Turquie et la Grèce, l'autre en Tunisie », raconte une femme, le visage grave. « Vraiment, avant 2035, ce pays sera vidé de ses citoyens », ajoute une autre personne en deuil.
L'année 2035 fait référence au nouveau document de développement du gouvernement intitulé « Cameroun vision 2025-2035 » – le plan de l'autocrate Paul Biya, âgé de 90 ans, pour redresser la nation exsangue et déchirée par les conflits. À en juger par les réactions désabusées qu'a suscitées cette remarque, personne ici ne croit aux chances de succès de ce projet. Il y en a eu tant depuis l'arrivée au pouvoir de Paul Biya, en 1982...
Les personnes ici présentes – hommes d'affaires, enseignants, employés de bureau – ne meurent pas de faim. Elles ne sont pas non plus directement touchées par l'insurrection armée qui fait rage dans la partie occidentale du Cameroun. Mais elles comprennent pourquoi les jeunes veulent partir, même s'ils risquent la mort.
Peu après avoir assisté aux funérailles de Bryan Achou, la journaliste camerounaise de ZAM, Elizabeth BanyiTabi, apprend qu'une de ses amies, Eva*, envisage de quitter le pays et de prendre la route de l'Amérique : elle prendra l'avion pour le Brésil, puis des bus vers le nord, jusqu'à la jungle de la frontière avec le Panama, connue sous le nom de « Darién Gap » (« trouée du Darién ») ; de là, elle devra traverser à pied une forêt dense et chaude, infestée de serpents venimeux, d'araignées et de gangs criminels. Les personnes ayant parcouru les 80 kilomètres de marche à travers cette brèche l'ont décrite comme « jonchée de cadavres ». Eva sait tout cela, car un de ses amis est mort dans la « trouée de Darién » il n'y a pas longtemps. « Mais je vais essayer », dit-elle.
Récits d'horreur
À peu près au même moment, à l'aéroport d'Entebbe, à Kampala, en Ouganda, un défenseur des droits de l'homme observe une file de jeunes femmes voilées assises dans la zone de départ de l'aérogare. Elles semblent être ougandaises. Un agent d'immigration explique qu'elles sont en route pour l'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe pour y travailler comme employées de maison. L'activiste est troublé. De nombreux rapports indiquent que ce trafic de travailleurs domestiques au Moyen-Orient place souvent les recrues dans des conditions proches de l'esclavage : horaires de travail démesurés, coups, viols et même meurtres. Ces jeunes filles ont-elles manqué les nombreux reportages radiophoniques et télévisés des médias ougandais sur ces récits d'horreur ?
En enquêtant plus avant, le journaliste de ZAM Emmanuel Mutaizbwa – un ami du militant des droits de l'homme – découvre que de nombreux Ougandais ont entendu ces récits, mais qu'ils choisissent quand même de partir. Il interroge Joyce Kyambadde, âgée de 27 ans, battue, violée et maltraitée, qui est néanmoins retournée dans le Golfe pour une deuxième période de travail domestique au cours des dernières années. « Vous vous dites toujours que cette fois-ci, vous aurez un salaire. Il n'y a pratiquement aucun espoir ici [en Ouganda] », dit-elle.
Selon le Bureau des statistiques ougandais, au moins 41 % des jeunes Ougandais âgés de 18 à 30 ans – soit un total d'environ 5 millions de personnes – n'exercent aucune activité rémunératrice. Parmi ceux qui travaillent, en contraste frappant avec une élite richissime proche du président Yoweri Museveni, âgé de 79 ans, une bonne partie ne gagne pas assez pour payer ne serait-ce qu'un modeste loyer.
« Pas d'espoir ici »
Au Kenya, voisin de l'Ouganda, nombreuses sont les histoires similaires. « C'est comme de dire à un enfant de ne pas mettre sa main au feu, il le fera quand même », déclare Patricia Wanja Kimani, qui a elle-même subi des mois d'abus sexuels et de coups en tant qu'employée de maison dans le Golfe, en a fait un livre, et travaille aujourd'hui pour une ONG dont l'objectif est de dissuader les jeunes femmes kényanes de s'expatrier. Sa collègue Faith Murunga, qui travaille pour une autre ONG, admet que la jeunesse kényane – dont 67 % est au chômage, selon la Fédération kényane des employeurs – a peu d'alternatives. Comme en Ouganda, une élite politique extrêmement riche ne fait pas grand-chose pour améliorer concrètement le sort de la population. « Nous essayons de dialoguer avec le gouvernement [sur la question des perspectives pour les Kényans]. Nous faisons ce que nous pouvons », déclare Faith Murunga.
Les campagnes de sensibilisation menées par l'ONG semblent avoir un effet limité. La journaliste Ngina Kirori demande à dix hommes et femmes pris au hasard dans les rues de Nairobi s'ils envisagent de partir dans le Golfe malgré les histoires atroces qui y sont racontées. Quatre d'entre eux répondent : « Je partirai quand même parce qu'il n'y a pas d'espoir ici. » Deux hésitent, déclarant à Kirori qu'ils ont très peur, mais qu'ils envisagent quand même de partir. Seuls quatre se montrent véritablement dissuadés. Quelques mois après, Patricia Kimani a elle aussi quitté le Kenya à la recherche d'un avenir ailleurs...
Les personnes interrogées par le journaliste de ZAM, Theophilus Abbah, dans la capitale nigériane, Abuja, sont des constructeurs, des plombiers, des médecins. Neuf sur dix déclarent vouloir faire « japa » [« s'éjecter », en pidgin, NDLR], le terme nigérian pour évoquer l'émigration, et ce « à la première occasion ». Ici aussi, les témoins citent la mauvaise gouvernance, l'état déplorable des services de santé, d'éducation et d'autres services publics, les disparités extrêmes en matière de richesse, la corruption et la répression des médias et des organisations de la société civile dans le pays. « La souffrance est insupportable, déclare un entrepreneur en bâtiment. J'aurais aimé rester au Nigeria si le pays fonctionnait. »
La plupart des Nigérians essaient de partir avec des visas, mais beaucoup d'entre eux se contentent de « japa » illégal, en marchant vers le nord à travers le Sahel et le Sahara, dans l'espoir d'atteindre la mer Méditerranée. Selon les ONG qui travaillent avec les migrants nigérians, l'écrasante majorité d'entre eux n'atteignent jamais les côtes, restant bloqués au Sahel, où ils finissent souvent exploités sur des chantiers, dans des réseaux de traite ou de mendicité, dans des maisons closes, ou en détention.
Un fossé profond
Comme au Cameroun, en Ouganda et au Kenya, les risques sont bien connus au Nigeria. Pourtant, les gens continuent de partir, explique Grace Osakue, de l'ONG Girls' Power Initiative, qui vise à créer de petites entreprises pour les anciens migrants et les candidats à l'émigration au Nigeria. Elle admet que les choses ne se passent pas toujours très bien et explique à Abbah que « même ceux qui ont déjà connu des difficultés repartent ». Ce constat est corroboré par un rapport de 2021 commandé par l'Union européenne, qui estime que plus de 60 % des migrants nigérians qui ont été « secourus » sont « susceptibles d'essayer de repartir ».
Pas moins de 95 % des enseignants interrogés en novembre 2022 par le syndicat des enseignants ruraux du Zimbabwe (Amalgamated Rural Teachers' Union of Zimbabwe) déclarent que s'ils en avaient la possibilité ils iraient travailler ailleurs. Selon le président du syndicat, Obert Masaraure, la raison en est que les enseignants gagnent si peu qu'ils ne peuvent pas subvenir aux besoins de leur famille, « pas même pour la nourriture ou les frais de scolarité ». Il considère comme « très chanceux » un collègue qui a réussi à partir en Arabie saoudite, explique-t-il au journaliste Brezh Malaba.
Ce n'est pas comme si le Zimbabwe était pauvre : le pays possède des réserves d'or et de diamants parmi les plus abondantes au monde, sans parler du lithium et d'autres minerais rares. De nombreux reportages et documentaires, tels que « Gold Mafia », d'Al Jazeera, ont montré comment les revenus sont régulièrement accaparés par des personnalités du parti au pouvoir, la Zanu-PF. « Les élites au pouvoir dépouillent la nation de toutes ses richesses, enrage Obert Masaraure. Elles facilitent même le pillage de nos ressources naturelles par les multinationales étrangères. Les enseignants et autres professionnels que nous sommes sont lourdement taxés, mais les ministres perçoivent des salaires énormes. Nous finançons leurs jets privés et […] leurs dépenses de luxe. »
« La vie est trop courte »
Lorsque, lors des récentes élections considérées comme frauduleuses, la Zanu-PF a remporté à nouveau la victoire, le réseau X (ex-Twitter) du Zimbabwe a été inondé de messages qui s'adressaient au voisin méridional, l'Afrique du Sud, dont le président, Cyril Ramaphosa, avait félicité son homologue Emmerson Mnangagwa pour sa victoire. « Je vous félicite aussi pour le nombre de Zimbabwéens qui entreront bientôt illégalement dans votre pays », dit l'un d'eux.
On estime que 1 à 2 millions d'immigrants zimbabwéens, faisant partie des 3 à 5 millions de Zimbabwéens qui vivent en dehors de leur pays (sur un total de 16 millions de citoyens zimbabwéens), sont venus en Afrique du Sud au cours des dernières décennies. Leur présence a été la cible de pressions politiques de la part des politiciens sud-africains, qui ont orchestré des campagnes de haine contre les Zimbabwéens, les accusant notamment d'être des criminels. Les twittos zimbabwéens en sont bien conscients. « Mais nous continuons à venir », disent-ils. « Si vous avez l'occasion de partir, faites-le », a lancé le journal The News Hawks sur son compte X (ex-Twitter) après que les résultats des élections ont été rendus publics. « La vie est trop courte. »
Dans les cinq pays étudiés, l'équipe n'a trouvé personne affirmant qu'il était possible d'arrêter les migrations en provenance des pays africains. Comme l'a dit Kah Walla, militant camerounais de l'opposition, « personne ne quitte sa maison si elle est confortable. Si je pense que pour ma survie je dois quitter mon pays, j'utiliserai tous les moyens pour le faire. » Elizabeth BanyiTabi, journaliste à ZAM, a elle-même été encouragée par un homme à côté d'elle dans un avion reliant le Cameroun à Amsterdam « à ne pas revenir ».
La plupart des personnes interrogées, comme les reporters de ZAM, sont attristées par l'état des pays où elles sont nées. Mais si les reporters restent attachés à leur profession, espérant que le journalisme finira par avoir un certain impact, de nombreux interlocuteurs se sentent impuissants à changer quoi que ce soit, ou à « construire leur propre pays », comme ont tendance à le dire les Occidentaux qui s'opposent à l'immigration. « Oui, notre pays doit se développer, il a besoin d'excellence, estime le Dr Ejike Oji, expert du secteur de la santé au Nigeria. Il est donc triste de voir nos meilleurs cerveaux partir. Mais [dans le système nigérian] vous serez négligé, même si vous êtes le plus brillant. L'excellence n'est pas récompensée ici. »
Notes
1- Les noms marqués d'un astérisque ont été modifiés.
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L’activisme diplomatique du Qatar en Afrique

C'est certainement en Afrique, que le Qatar déploie actuellement la plus grande activité diplomatique, avec pas moins de trois ministres chargés de ce continent.. Doha est devenu la capitale où tout le monde africain se rend. À l'instar du dialogue qui s'est tenu à Doha entre le pouvoir tchadien et les différents groupes rebelles de Ndjamena.. Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani s'est montré également très actif en Afrique de l'Est, Ethiopie, Mozambique, Somalie. C'est en Afrique Centrale qu'il a essayé de jouer les bons offices, pour réconcilier la République Démocratique du Congo et le Rwanda.
Tiré de MondAfrique.
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Yémen, L’alliance stratégique des Houthis et de l’Iran (1ère partie)

La guerre de Gaza a remis, sur le devant de la scène, un groupe armé yéménite, les Houthis, qui s'attaque actuellement à l'État hébreu et aux intérêts stratégiques d'Israël et des États-Unis dans la mer Rouge. Qui sont donc ces Houthis ? Quels liens ont-ils avec l'Iran ?
Tiré de MondAfrique.
Apparus en 1992 et connus sous le nom de Houthis en référence à leur guide spirituel Hussein Badreddine el-Houthi, ils ont mené plusieurs guerres contre le régime du président Ali Abdallah Saleh de 2004 à 2010 depuis leur fief de Saada au nord du Yémen. M. Saleh, obligé de quitter le pouvoir en 2012, devient leur allié principal en 2014 quand ils prennent la capitale Sanaa et dissolvent le Parlement.

À la différence du réseau iranien dans la région (le Hezbollah ou le Hachd el-Chaabi irakien), le leadership houthi présente une connotation familiale unique (la famille El-Houthi). Les Houthis ont un statut socioreligieux et une légitimité découlant de leur filiation à la famille du Prophète (Ahl el-Beit). Ce statut leur a permis d'obtenir le soutien des principales tribus du nord. De ce fait, ils ont pu limiter l'association des tribus avec l'ancien président Ali Abdallah Saleh et de gouverner en tant qu'autorité alternative pendant des années.
À partir de 2015, l'Arabie saoudite, à la tête d'une coalition de plusieurs pays arabes, intervient au Yémen, l'objectif étant le rétablissement de la souveraineté du gouvernement et le démantèlement des Houthis. Par ailleurs, les Saoudiens mettent un blocus autour du Yémen afin d'empêcher l'Iran de ravitailler les Houthis en armes.

L'affinité idéologique entre l'Iran et les Houthis
Les Houthis sont un clan originaire du nord-ouest du Yémen. Ils pratiquent le chiisme zaydite. D'après le think tank Wilson Center, le Yémen a été gouverné par un imam zaydite pendant 1.000 ans avant d'être renversé en 1962. Depuis lors, les Zaydites luttent pour restaurer leur autorité et influence au Yémen. Selon l'Institut néerlandais des relations internationales (Clingedael), le clan houthi, dans les années 1980, se sentant menacé par les prédicateurs salafistes financés par l'État et établis dans ses régions, lance un mouvement faisant revivre ses traditions. Toutefois, tous les Zaydistes ne s'alignent pas sur le mouvement houthi. Leur slogan est une claire itération de la propagande de la République islamique s'opposant farouchement aux États-Unis et à Israël. D'ailleurs, Badreddine el-Houthi a étudié en Iran dans les années 1980.
Ils sont en conflit avec le gouvernement du Yémen depuis plus de 10 ans. Depuis 2011, leur mouvement devient plus large et s'oppose au gouvernement central. Ils commencent à s'autodésigner « Ansarullah » (littéralement partisans de Dieu).
L'affinité idéologique entre l'Iran et les Houthis, en ce qui concerne les aspects religieux de l'idéologie, est relativement faible puisque les chiites iraniens suivent le chiisme duodécimain alors que les Houthis suivent le courant zaydite, deux courants du chiisme fondés sur des conceptions différentes.
Après l'unification du Yémen en 1990, le pays est devenu majoritairement sunnite. De là où ils étaient majoritaires, les Zaydites ne représentent plus que 35% de la population, les poussant à s'engager sur la voie de l'indépendance. Selon Clingendael, c'est là que les convictions idéologiques renvoient à un sentiment d'appartenance à un chiisme transnational qui promeut une action militante contre l'oppression – réelle ou perçue comme telle. Les Houthis déclarent partager un récit idéologique avec les autres populations chiites du Moyen-Orient, nourri par l'Iran, indépendamment des différences de doctrine. Et c'est de là que naît l'affiliation avec « l'axe de la résistance ».
Le parrainage du Hezbollah
Selon Eleonora Ardemagni de l'Institut italien des études politiques internationales, l'Iran, à travers le Hezbollah, a apporté un parrainage certain au groupe yéménite en matière de formation militaire et en améliorant les opérations de missiles guidés.
Les Houthis profèrent une grande ressemblance au Hezbollah parce qu'ils sont tous les deux « nés » en tant que mouvements de résistance et qu'ils ont des chefs perçus comme charismatiques. De même, la guerre leur a permis de renforcer leur présence politique et militaire dans la région (guerre de 2006 pour le Hezbollah et intervention arabe de 2015 pour les Houthis).
Le support matériel de l'Iran
Différents sites Web des Nations unies affirment que les Houthis ont commencé à recevoir des armes de l'Iran à partir de 2009. Téhéran leur a fourni un soutien matériel : des armes, du financement et des conseils stratégiques.
En termes guerriers, les Houthis sont passés d'un groupe de guérilla à une force armée plus sophistiquée. Ceci est dû en grande partie au renforcement des relations avec l'Iran. Au cours des années 2000, leur stratégie se base sur le modèle iranien créant des centres d'apprentissage et des camps d'été servant de centres de recrutement.
Selon l'Institut italien pour les études politiques internationales, l'assistance sécuritaire fournie par le Corps des gardiens de la révolution islamique – Force Qods (contrebande d'armes et de munitions, formation militaire) a permis aux Houthis d'améliorer leurs capacités de défense et de développer leurs compétences asymétriques. Ceci leur a permis de créer de nouvelles institutions militaires au Yémen comme le Conseil du jihad. Celui-ci permet aux Houthis de centraliser la prise de décision stratégique tout en intégrant les conseils du Qods et du Hezbollah sur la stratégie militaire et l'armement. L'assistance du réseau iranien a permis aux Houthis de construire leurs propres usines d'armements, notamment des drones.
Au début des années 2000, les Houthis se sont mis à collecter des contributions volontaires de Yéménites fortunés ou des impôts de citoyens ordinaires pour la libération de la Palestine. Une fois emparés de Sanaa en 2011, ils ont également commencé à collecter les revenus des gisements de gaz et de pétrole, à prélever des ressources économiques (taxes, impôts, zakat, khums) et à s'approprier les recettes douanières du port de Hodeïda. On peut donc supposer que les Houthis disposent d'une solide base financière indépendante. Mais ils sont le maillon le plus faible de la chaîne iranienne sur le plan de l'aide sociale. Par exemple, pendant la pandémie de Covid-19, ils n'ont pas été en mesure de contenir la maladie ni de fournir médicaments ou vaccins aux populations sous leur contrôle.
L'affiliation iranienne a aussi contribué à la structuration du réseau des médias houthis. Al-Masirah, leur média officiel, émet à partir de Beyrouth depuis 2012 avec l'assistance technique d'Al-Manar, média du Hezbollah.
L'Iran a joué un rôle plus important après l'intervention de l'Arabie saoudite en 2015 en fournissant de l'armement. Mais l'objectif des Houthis a toujours été de restaurer leur autorité dans le nord du Yémen.
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Quel rôle va jouer la COP de Dubaï ?

Les COP, souvent décriées, contribuent pourtant à décarboner la planète. Retour sur trois décennies de négociations onusiennes avant l'ouverture de la 28e conférence internationale sur le climat à Dubaï, le 30 novembre.
Photo et article tirés de NPA 29
photo :Des manifestants lors de la COP27, organisée à Charm el-Cheikh (Égypte). – MOHAMED ABDEL HAMID ANADOLU AGENCYAnadolu via AFP
Vu de loin, les COP ressemblent à une vaste foire d'empoigne réunissant des myriades de lobbyistes, diplomates, observateurs, journalistes et organisations non gouvernementales. Grandissant d'année en année, ces sommets onusiens du climat ne semblent plus produire le moindre résultat. D'où la question légitime : « À quoi servent les COP » ? Y répondre suppose de jeter un coup d'œil dans le rétroviseur avant l'ouverture du 28e sommet, jeudi 30 novembre à Dubaï (Émirats arabes unis).
Retour en juin 1992, au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro.
Durant cette conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement, les dirigeants de 179 pays adoptent la Déclaration de Rio, la Déclaration sur la gestion des forêts, la Convention sur la diversité biologique et, pour le sujet qui nous intéresse, la Convention-cadre sur les changements climatiques (CCNUCC). Puis, quelques mois plus tard, la convention sur la lutte contre la désertification, intimement liée à la précédente.
L'objectif du consensus unanime
Longue de vingt-cinq pages et toujours en vigueur, la CCNUCC fixe à ses signataires un objectif : stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre (GES) « à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».
Il s'agit de réduire nos émissions de dioxyde de carbone, de méthane, de protoxyde d'azote et d'hexafluorure de soufre. Restait à définir cette « perturbation anthropique dangereuse ». En 1992, la concentration de CO2 dans l'atmosphère était de 356 parties par million (PPM), en progression de 0,4 % par an. Quelle teneur en carbone dans l'air ne devons-nous pas franchir ? Personne ne pouvait répondre à cette question, pas même les rédacteurs du premier rapport du Giec, paru en 1990.
Comme il est de coutume pour les conventions internationales, un secrétariat de la CCNUCC fut établi. Son premier rôle ? Organiser chaque année une conférence des parties (conference of the parties, COP). Durant la quinzaine de jours que dure une COP, les parties — c'est-à-dire les États signataires de la conférence — négocient dans le but de parvenir au consensus unanime. Les négociations portent sur les règles encadrant la mise en œuvre d'objectifs fixés par la Convention, les obligations des uns et des autres et la fixation de nouveaux objectifs.
La première COP à produire des effets visibles fut la troisième du nom, organisée en décembre 1997 à Kyoto (Japon). À l'issue d'âpres négociations, elle adopte le protocole de Kyoto, obligeant les quarante-et-un États les plus développés à réduire de 5 % en moyenne leurs émissions de GES entre 1990 et 2012.
Malgré le fait que les États-Unis, le Canada, puis le Japon, se soient retirés de l'accord, le pari a été tenu. En 2012, la quarantaine de pionniers a atteint le but fixé à Kyoto, en partie grâce à la chute du bloc soviétique — qui a arrêté nombre d'industries lourdes en Russie — et à la crise économique mondiale de 2008. Cette décarbonation forcée a suscité des vocations : en 2008, l'Union européenne publie le « paquet énergie-climat », visant à réduire de 20 % les émissions de ses vingt-huit États membres entre 1990 et 2020.
En 2012, la COP est organisée par un pays producteur de pétrole, le Qatar, où il est décidé de prolonger de sept ans le protocole de Kyoto. Au terme de la phase 2, en 2020, les États assujettis au dit protocole devraient avoir réduit de 18 % leurs émissions de GES par rapport à 1990. Là encore, mission accomplie, non sans l'aide du Covid-19. En confinant le tiers de l'humanité, la pandémie a fait chuté de 6 % les rejets carboniques anthropiques entre 2019 et 2020.
Deux camps qui s'opposent
Le monde du climat est divisé en deux catégories :
les pays qui sont soumis à des obligations (en gros, les membres de l'OCDE) et les pays émergents et en développement, qui n'ont aucune contrainte.
Entérinée dès 1992, cette division a rapidement posé problème.
Le 25 juillet 1997, le Sénat étasunien adoptait ainsi à l'unanimité une résolution indiquant qu'il ne ratifierait jamais un accord international obligeant les États-Unis à réduire leurs émissions si les grands pays émergents (Chine et Inde, notamment) en étaient exonérés.
Seconde puissance économique et premier émetteur mondial depuis 2004, la Chine a jusqu'à présent refusé d'être intégrée aux pays les plus développés. Soutenue par l'Inde (troisième émetteur planétaire), le Brésil et l'Indonésie, Pékin bataille depuis des années pour être exemptée de toute contrainte carbone.
Depuis qu'elle a entrepris de rattraper son retard économique sur les pays occidentaux, la Chine assoit son développement à grande vitesse sur une consommation effrénée d'énergies fossiles. Résultat : entre 1990 et 2020, l'empire du Milieu a pratiquement quadruplé ses émissions de GES. Dans le même temps, l'Inde a plus que doublé les siennes, comme le Brésil, l'Indonésie ou la Turquie.
Ces pays s'appuient sur le principe des « responsabilités communes mais différenciées » posé dans la CCNUCC. Tous les pays doivent participer à la lutte contre le changement climatique, mais ceux qui sont responsables du dérèglement actuel doivent y contribuer plus que les autres.
Paris 2015, avancée majeure
Par leur interprétation stricte de ce principe, Pékin et ses alliés ont bloqué bien des COP. À Bali, en 2007, les parties devaient imaginer de nouveaux objectifs d'abattement des émissions. La décision finale n'en mentionnait aucun. Mais une note de bas de page pointait vers un extrait du quatrième rapport du Giec esquissant un projet d'accord : les grands émetteurs devraient réduire leurs émissions et les objectifs d'abattement seraient définis en fonction du niveau de réchauffement visé.
Il a fallu attendre la COP de Paris, en 2015, pour que soit enfin conclu un « accord universel » sur le climat. S'il n'impose pas d'objectifs chiffrés de réduction d'émissions, il fixe un but : stabiliser le réchauffement entre +1,5 °C et +2 °C par rapport à l'ère préindustrielle. Ce qui revient à faire chuter de moitié les émissions mondiales de GES d'ici à 2030. L'Accord de Paris commande aussi d'atteindre la neutralité carbone à la moitié du siècle. Pour ce faire, tous les pays devront publier une esquisse de politique climatique qui sera régulièrement remise à jour, les contributions nationales déterminées (NDC).
Ce texte a contribué à faire bouger des lignes que l'on pensait intangibles. En 2019, l'Union européenne annonce un ambitieux plan de décarbonation. Ce Pacte vert ambitionne de réduire de 55 % les émissions communautaires en 2030 par rapport à 1990. Abondé par plusieurs sources, comme des emprunts contractés par l'UE et les contributions des États, le budget consacré à la lutte contre le changement climatique est fixé à 1 000 milliards d'euros entre 2021 et 2030.
La Chine prévoit la neutralité carbone pour 2060
Aux États-Unis, la victoire de Joe Biden, en 2020, a aussi changé la donne. En quelques mois, le président démocrate a fait adopter par le Congrès deux lois, sur les infrastructures et sur la réduction de l'inflation, permettant au gouvernement fédéral d'investir plus de 1 500 milliards de dollars en dix ans dans la modernisation des infrastructures (le réseau ferré) et la décarbonation de l'économie (énergies renouvelables et stockage souterrain du CO2).
Washington espère que cet effort financier inédit permettra au pays de réduire de moitié ses émissions entre 2005 et 2030. Le mouvement est suivi par la Chine. En mars 2021, Pékin a publié son quatorzième plan quinquennal. Entre 2021 et 2025, l'économie chinoise devra faire baisser de 18 % son intensité carbone, une étape essentielle avant le plafonnement des émissions, prévu pour 2030, et la neutralité carbone fixée à 2060. Ce sont désormais 140 pays qui visent la neutralité carbone pour les décennies qui viennent. Une situation inimaginable il y a encore cinq ans.
57 % d'émissions supplémentaires en trente ans
En trois décennies, les COP ont donc accéléré le mouvement. À l'aube des années 1990, les pays du Nord émettaient 44 % des émissions anthropiques, contre 31 % pour les principaux pays émergents.
En 2022, le Nord est responsable du quart des rejets carbonés mondiaux : deux fois moins que ceux des plus émetteurs des pays du Sud, dont les émissions ont explosé — Chine, Inde, Russie, Afrique du Sud, Brésil, Indonésie, Mexique, Turquie, Arabie saoudite.
L'évolution n'est pourtant pas assez rapide. En 2022, l'humanité a expédié dans la biosphère 55 milliards de tonnes de GES (en équivalent CO2), soit 57 % de plus par rapport à la moyenne annuelle des années 1980.
Alors, inutiles, les COP ? Pas totalement.
Leur mission est quasi impossible : convaincre près de 200 pays de changer de modèle de développement en quelques décennies, inciter la finance privée à financer toujours plus de projets de transition énergétique et d'adaptation, inviter des pays à deux doigts de la guerre à travailler de concert, favoriser la coopération entre des nations qui ont tout et d'autres qui n'ont rien.
En 2022, la COP de Charm el-Cheikh (Égypte) s'est achevée sur la promesse de créer un fonds « pertes et dommages » grâce auquel le Nord financerait l'adaptation des pays les plus vulnérables. Ce sujet sera au cœur de la COP de Dubaï.
Bien sûr, la réussite n'est pas présente à chaque opus. Mais quelle autre instance pourrait jouer plus efficacement ce rôle de parlement démocratique du climat mondial ? Voilà pourquoi, malgré des années d'attentisme et de frustration, les COP sont jugées importantes par les lobbyistes, les journalistes, les ONG et les gouvernements.
Valéry Laramée de Tannenberg 30 novembre 2023
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Rivalité entre les États-Unis et la Chine, « coopération antagoniste » et anti-impérialisme au XXIe siècle

Entretien de Federico Fuentes avec Promise Li*
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/11/25/rivalite-entre-les-etats-unis-et-la-chine-cooperation-antagoniste-et-anti-imperialisme-au-xxie-siecle/#
Avec l'aimable autorisation de la revue Inprecor
Federico Fuentes : Au cours du siècle précédent, nous avons vu le terme d'impérialisme utilisé pour définir différentes situations et, à d'autres moments, être remplacé par des concepts tels que la mondialisation et l'hégémonie. Dans ces conditions, quelle valeur conserve le concept d'impérialisme et comment le définir ? Et en définissant l'impérialisme, dans quelle mesure les écrits de Lénine sur le sujet restent-ils pertinents ? Le cas échéant, quels sont les éléments qui ont été remplacés par des développements ultérieurs ?
Promise Li : Le concept d'impérialisme, en particulier tel qu'il a été théorisé par les marxistes classiques, est certainement toujours utile pour nous aujourd'hui, mais nous devons actualiser et calibrer leurs analyses en fonction des conditions contemporaines. L'observation de Lénine selon laquelle « l'un des traits caractéristiques de l'impérialisme est le capital financier » [1] sonne juste, peut-être encore plus aujourd'hui qu'à son époque avec l'expansion massive du capital financier. Plus important encore, l'impérialisme mondial reste une formation volatile – il ne s'agit pas d'une « coopération pacifique » entre capitalistes, comme Karl Kautsky s'est risqué de dire, mais d'une « rivalité entre plusieurs grandes puissances en quête d'hégémonie », comme l'a décrit Lénine.
Lénine a déclaré que « la définition la plus brève possible de l'impérialisme » est « le stade monopoliste du capitalisme ». Si cela représente un stade avancé du capitalisme qui a commencé à son époque, alors nous vivons actuellement les stades avancés de ce stade avancé. Les monopoles n'ont fait que s'étendre et devenir de plus en plus dévorants. Les capitalistes trouvent des moyens encore plus complexes de fusionner et de s'associer, qu'il s'agisse d'institutions multilatérales telles que le Fonds monétaire international (FMI) ou de « propriétaires universels » tels que BlackRock et Vanguard, qui détiennent des parts majoritaires dans des partenariats dirigés par l'État ou des partenariats public-privé associés à des pays appartenant à des blocs géopolitiques prétendument rivaux. Lénine décrit également comment « les monopoles, issus de la libre concurrence, n'éliminent pas cette dernière, mais existent au-dessus et à côté d'elle, et donnent ainsi naissance à un certain nombre d'antagonismes, de frictions et de conflits très aigus et très intenses ». Cette contradiction entre monopoles et concurrence n'a fait que s'accentuer avec la montée de la multipolarité.
Ainsi, l'avènement d'une nouvelle ère de rivalité inter-impérialiste est loin d'être linéaire et ne perturbe pas clairement l'hégémonie impériale du capital occidental. À cet égard, je pense que nous n'accordons pas suffisamment d'attention aux autres théories marxistes classiques de l'impérialisme, au-delà de Lénine. Bien que rudimentaire, la formulation de l'impérialisme de Rosa Luxemburg comprend correctement l'impérialisme comme « l'expression politique du processus de l'accumulation capitaliste se manifestant par la concurrence entre les capitalismes nationaux autour des derniers territoires non capitalistes encore libres du monde » [2]. Elle considère l'impérialisme comme un moyen de décrire non seulement les caractéristiques de puissances impérialistes distinctes, mais aussi la logique même du développement de l'économie mondiale capitaliste – en visant le développement de nouveaux acteurs pour faciliter le processus mondial d'accumulation du capital. Nicolas Boukharine a développé cette idée en identifiant une caractéristique dialectique dans le système capitaliste mondial : « parallèlement à l'internationalisation de l'économie et du capital, il s'opère un processus d'agglomération nationale, de nationalisation du capital » [3].
L'accent mis par Luxemburg et Boukharine sur l'impérialisme en tant que processus mondial unifié (bien qu'empreint de tensions internes) nous permet de comprendre la nouvelle montée des blocs économiques nationaux, des tensions géopolitiques et des formes de nationalisme industriel qui ont émergé au sein d'une économie mondiale plus interdépendante que jamais. Les déclarations sur le déclin du néolibéralisme sont prématurées : ce que nous voyons aujourd'hui n'est en réalité qu'une reconfiguration des capitaux issus de différents États et intégralement liés par la financiarisation. Les nouvelles politiques industrielles et les nouveaux nationalismes ne font que dicter les nouveaux termes dans lesquels la mondialisation persiste. Ainsi, les économistes exagèrent le déclin des importations chinoises aux États-Unis : en réalité, la plupart de ces marchandises ne font que transiter par des pays tels que le Mexique et le Vietnam. Les classes populaires, en particulier dans les pays du Sud, continuent d'être exploitées. De nouvelles alliances et rivalités peuvent modifier les relations entre les différentes bourgeoisies du Sud et les impérialistes traditionnels, mais la structure de base de l'impérialisme mondial reste très stable.
Bien entendu, la conception de la rivalité inter-impérialiste de Lénine et Boukharine reste d'actualité. Mais contrairement à la Première Guerre mondiale, l'interdépendance économique, même entre les blocs géopolitiques, renforcée par les nouveaux organismes financiers multilatéraux, établit de nouveaux termes à travers lesquels la rivalité inter-impérialiste prend forme. Par exemple, comme le soulignent des économistes tels que Minqi Li [4] et Michael Roberts [5], des pays comme la Chine reçoivent moins de valeur qu'ils n'en exportent. Mais comme l'a fait remarquer John Smith [6], ce n'est pas seulement cette dynamique qui détermine si un pays est impérialiste. Il cite l'impérialisme des ressources comme une forme d'impérialisme – qui va au-delà des considérations de transfert de valeur – dans laquelle ces pays s'engagent au côté des puissances impérialistes occidentales traditionnelles. Les politiques revanchardes renforcent également l'horizon impérialiste des impérialismes émergents tels que la Russie. Comme l'admet ouvertement le président russe Vladimir Poutine [7], l'intérêt de la Russie à sécuriser sa sphère d'influence en Ukraine par des moyens violemment expansionnistes va au-delà de la pression exercée par l'OTAN (qui joue sans aucun doute un rôle clé, mais non exhaustif, dans l'élaboration de l'invasion russe).
La persistance des revendications impériales traditionnelles de l'Occident (comme en témoigne la réponse de la France aux récents développements au Niger) et les nouvelles revendications revanchardes des puissances impérialistes montantes confirment une autre caractéristique clé de l'impérialisme que Lénine (s'appuyant sur Rudolf Hilferding) a identifiée : parmi la myriade d'antagonismes sociaux intensifiés par l'impérialisme, l'un des principaux est « l'intensification de l'oppression nationale » [9]. Rohini Hensman souligne la persistance du « chauvinisme ethnique » aujourd'hui [9] que Lénine a mis en évidence comme une caractéristique fondamentale non seulement du bloc dirigeant, mais aussi des travailleurs, et même des socialistes, de la nation dominante. Tout aussi important, comme Lénine l'a souligné dans ses écrits sur l'autodétermination nationale : le fait que certaines nations oppressives soient subordonnées à des puissances impérialistes plus fortes dans le système mondial n'efface pas la légitimité des mouvements de libération nationale à l'encontre de ces nations. Lénine a écrit que « non seulement les petits États, mais aussi la Russie par exemple, dépendent entièrement, du point de vue économique, de la puissance du capital financier impérialiste des “riches” pays bourgeois », ainsi que « l'Amérique du XIXe siècle était économiquement une colonie de l'Europe (…) mais cela est décidément hors de propos dans la question des mouvements nationaux et de l'État national. » [10] En d'autres termes, les puissances impérialistes occidentales n'ont pas le monopole de l'impérialisme et du chauvinisme national – les attaques constantes de Lénine contre le chauvinisme de la Grande Russie l'ont mis en évidence. Avec la montée de nouveaux pays impérialistes et capitalistes avancés en dehors du bloc occidental, nous devons nous rappeler que Lénine a souligné le droit des nations à l'autodétermination, même celles qui sont prises entre des puissances impérialistes.
Bien entendu, aucun principe ne devrait être absolu au point de justifier « tout examen isolé, c'est-à-dire unilatéral et déformé, de l'objet étudié » [11], comme Lénine l'a reproché à Kautsky, qui a utilisé la libération nationale serbe contre l'Autriche pour justifier le soutien socialiste à la guerre impérialiste. Dans le même temps, il a également refusé de délégitimer dogmatiquement tous les mouvements de libération nationale simplement parce qu'ils sont instrumentalisés par d'autres acteurs impérialistes : « Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre “grande” puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d'elles-mêmes, que les nombreux exemples d'utilisation par la bourgeoisie des mots d'ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les social-démocrates à renier leur républicanisme » [12]. L'essentiel n'est pas de colporter des généralités, mais « Lorsqu'on analyse une question sociale (…) on la pose dans un cadre historique déterminé ; et puis, s'il s'agit d'un seul pays (par exemple, du programme national pour un pays donné), qu'il soit tenu compte des particularités concrètes qui distinguent ce pays des autres dans les limites d'une seule et même époque historique. » [13]
La montée du fascisme et l'intensification des liens entre la guerre inter-impérialiste et les différents mouvements de libération nationale au cours de la Seconde Guerre mondiale ont nécessité une nouvelle approche des questions de libération nationale et d'anti-impérialisme – nécessité à laquelle Ernest Mandel [14] s'est risqué à répondre. De même, nous devons actualiser nos analyses pour tenir compte des anciens impérialismes et des impérialismes émergents afin de renforcer le plus efficacement possible les mouvements révolutionnaires, non seulement dans un seul endroit, mais aussi pour de nombreuses personnes vivant des héritages politiques très différents – du capitalisme bureaucratique des anciens « États du socialisme réellement existant » aux horreurs de la thérapie de choc néolibérale dans les « démocraties libérales ».
Federico Fuentes : Après la chute de l'Union soviétique et la fin de la guerre froide, la politique mondiale semblait largement dominée par des guerres visant à renforcer le rôle de l'impérialisme étatsunien en tant qu'unique hégémonie mondiale. Toutefois, ces dernières années, un changement semble s'opérer. Alors que les États-Unis ont été contraints de se retirer d'Afghanistan, nous avons vu l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'expansion du rôle économique de la Chine à l'étranger, et même des nations relativement plus petites telles que la Turquie et l'Arabie saoudite étendre leur puissance militaire au-delà de leurs frontières. D'une manière générale, comment analysez-vous la dynamique actuelle du système impérialiste mondial ?
Promise Li : Je voudrais faire revivre un terme inventé pour la première fois par le marxiste allemand August Thalheimer, et développé par le marxiste autrichien-brésilien Érico Sachs et d'autres membres du collectif marxiste brésilien Política Operária (POLOP), qui décrit de manière adéquate le système impérialiste mondial d'aujourd'hui : « coopération antagoniste ». Ce terme a été utilisé par Thalheimer, à la suite de l'analyse de Boukharine sur le système capitaliste mondial en tant qu'unité contradictoire dans Économique de la période de transition [15], pour expliquer comment des tensions vives et même violentes peuvent exister entre les États capitalistes, alors que tous continuent à maintenir le même processus mondial d'accumulation du capital. Comme le décrit le programme de POLOP en 1967 [16], la coopération antagoniste illustre « une coopération qui vise à la conservation du système et qui trouve son fondement dans le processus même de centralisation du capital, et qui n'élimine pas les antagonismes inhérents au monde impérialiste ». Les théoriciens de POLOP sont allés plus loin que Thalheimer en précisant qu'une telle impulsion visant à préserver les relations sociales capitalistes peut caractériser les classes dirigeantes qui expriment une politique étrangère « anti-impérialiste ». Les sentiments anti-impérialistes de la population peuvent contraindre ces bourgeoisies à adopter cette position, mais, en retour, « ce nationalisme, souvent mis à profit par les bourgeoisies indigènes, fait pression sur les puissances impérialistes pour qu'elles améliorent les termes de leurs relations économiques [ce qui garantit] la continuité de l'exploitation impérialiste après le retrait des armées coloniales ».
Cela décrit parfaitement les actions des pays BRICS+ aujourd'hui. Patrick Bond, Ana Garcia, Miguel Borba [17], parmi d'autres économistes politiques, soulignent depuis longtemps que ces régimes « parlent à gauche, marchent à droite ». Les rivalités croissantes entre les différents États n'annulent pas l'interdépendance. Les BRICS ont manqué d'innombrables occasions de se libérer de l'hégémonie économique occidentale dans la pratique, malgré leur rhétorique anti-impérialiste. La Nouvelle Banque de Développement, présentée par certains comme une alternative aux institutions bancaires occidentales pour le Sud, a récemment officialisé son partenariat avec la Banque Mondiale [18]. Bond observe que la Chine a augmenté et consolidé sa troisième position en termes de droits de vote au sein du FMI, et qu'elle en a même gagné aux dépens de pays du Sud tels que le Nigeria et le Venezuela [19]. Les partenariats public-privé et les investisseurs institutionnels représentent des moyens pour l'Arabie saoudite, la Chine, le Brésil, etc. de développer de nouveaux nœuds d'accumulation – et de perpétuer les nœuds existants en collaboration avec l'Occident [20]. La rivalité entre les États-Unis et la Chine a entraîné un certain découplage stratégique des industries, alors que de nombreux produits de base sont simplement réacheminés par l'intermédiaire de tierces parties. L'horrible invasion russe de l'Ukraine aurait introduit une nouvelle ère d'isolement occidental des capitaux russes par le biais de sanctions, mais le Caspian Pipeline Consortium – qui voit des cadres de Chevron travailler aux côtés d'entreprises russes sanctionnées – ne connaît pas d'interruption [21]. Les tensions croissantes entre la Chine et l'Inde sont un exemple des contradictions potentiellement irréconciliables qui existent également au sein du bloc BRICS+. Comme l'écrivent Tithi Bhattacharya et Gareth Dale, « les allégeances de la nouvelle guerre froide sont faites d'un maillage plus diffus. Elles tendent à être moins absolues ; elles sont partielles et sujettes à des pressions et à des tiraillements continuels. » [22]
Les États-Unis restent la puissance impérialiste dominante dans le monde, bien que la gauche néglige souvent la manière dont les prétendus rivaux des USA contribuent en fait à maintenir son pouvoir, tout comme ils en contestent certains aspects pour obtenir une part du gâteau pour eux-mêmes. Les intérêts des différents capitalistes nationaux ne sont pas non plus toujours parfaitement alignés : de grands PDG américains et allemands ont accepté avec empressement l'invitation du ministre chinois des affaires étrangères, Qin Gang, à des réunions et à une collaboration plus approfondie, tandis que la commission d'enquête de la Chambre des représentants des États-Unis sur le Parti communiste chinois (PCC) attisait les politiques antichinoises. Toute analyse correcte du système impérialiste mondial actuel doit tenir compte de ces contradictions et de la fluidité entre les puissances impérialistes. L'écrivain syrien Yassin al-Haj Saleh a récemment appelé cela « l'impérialisme liquide » [23], dans le contexte de l'intérêt commun des États-Unis et de la Russie à maintenir le pouvoir de Bachar al-Assad en Syrie. Ces nouveaux concepts nous permettent de mieux comprendre le système mondial actuel, plus que l'unipolarité américaine pure et simple ou la rivalité inter-impérialiste traditionnelle, mais d'autres analyses sont encore nécessaires.
Federico Fuentes : À la lumière des débats actuels, comment voyez-vous la place de la Chine et de la Russie dans le système impérialiste mondial d'aujourd'hui ? Et comment voyez-vous la question de la multipolarité ?
Promise Li : La multipolarité, sans l'influence des mouvements de masse anticapitalistes militants, peut n'être qu'une autre expression de l'impérialisme mondial. En effet, le néolibéralisme a persisté avec l'aide de ces nouveaux pôles. Vijay Prashad a admis en 2013 que les BRICS n'étaient rien d'autre qu'un « néolibéralisme avec des caractéristiques du Sud ». Depuis, Prashad est devenu beaucoup plus optimiste au sujet des BRICS, ce qui est très étonnant compte tenu de l'entrée récente de monarchies néolibérales autoritaires telles que l'Arabie saoudite dans les BRICS et de l'invasion ouvertement impérialiste de l'Ukraine par la Russie. Les bases d'une cohésion idéologique anti-impérialiste et anticapitaliste sont de plus en plus minces – bien moins que celles qui ont uni les élites dirigeantes lors de la conférence de Bandung [24] dans le passé – et la marge de manœuvre pour la poursuite de l'accumulation du capital est de plus en plus grande.
Les deux principaux leaders des BRICS+, la Chine et la Russie, peuvent être le fer de lance de l'indépendance économique vis-à-vis de l'Occident à certains égards. Mais ces mesures ne parviennent pas à rompre avec l'accumulation du capital. Pire encore, les BRICS+ renforcent parfois le rôle central des institutions impérialistes occidentales. La déclaration de Johannesburg II, en août, confirme l'autorité de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et du G20, et « encourage les institutions financières multilatérales et les organisations internationales à jouer un rôle constructif dans la construction d'un consensus mondial sur les politiques économiques et dans la prévention des risques systémiques de perturbation économique et de fragmentation financière ». Comme l'ont décrit les théoriciens brésiliens de la coopération antagoniste, la bourgeoisie nationale des pays dits non alignés ou « anti-impérialistes » peut lutter pour une plus grande part des bénéfices sans modifier fondamentalement le système impérialiste mondial. En ce sens, la Chine (comme la Russie) développe de plus en plus ce que Minqi Li appelle « des comportements de type impérialiste dans les pays en développement » [25], tout comme elle a certainement joué un rôle sous-impérialiste. La multipolarité, loin d'être une alternative à l'impérialisme, indique un nouveau terrain dans lequel les grandes et moyennes puissances préservent et remettent en question différents aspects de l'impérialisme occidental, chacune pour s'assurer une plus grande sphère d'influence dans le système capitaliste. Indépendamment de la question de savoir si la Chine ou la Russie sont des pays impérialistes, quelle que soit la mesure utilisée, il ne fait aucun doute que ces pays renforcent l'impérialisme mondial d'une manière ou d'une autre, plutôt qu'ils ne le contestent.
L'anti-impérialisme d'aujourd'hui doit commencer par cette reconnaissance, et non par l'espoir naïf que l'existence même de différents pôles va ouvrir un espace pour la pratique révolutionnaire. Samir Amin a lancé un avertissement à ce sujet en 2006, en déclarant que « les options économiques et les instruments politiques nécessaires devront être développés conformément à un plan cohérent ; ils ne surgiront pas spontanément dans le cadre des modèles actuels influencés par le dogme capitaliste et néolibéral » [26]. Avec la montée en puissance des BRICS+, les espaces de mobilisation permettant aux mouvements de se rassembler pour formuler des plans cohérents se sont considérablement réduits, au lieu de s'étendre, dans des pays comme la Chine, la Russie et l'Iran. Les victoires électorales de la gauche en Amérique latine soutenues par les mouvements ces dernières années – qui subissent également de nouvelles attaques de la part de la droite – ne se traduisent pas automatiquement par de meilleures conditions pour les mouvements à l'autre bout du monde. En fonction de la force des mouvements sur le terrain, la multipolarité peut conduire à des conditions de lutte meilleures que l'impérialisme américain – ou tout aussi mauvaises, voire pires. Le fait est que la multipolarité elle-même ne garantit aucune de ces réalités, c'est la relation entre les conditions objectives et l'activité réelle des mouvements qui détermine son devenir.
Federico Fuentes : Comment les tensions entre les États-Unis et la Chine ont-elles influencé la politique et les luttes à Hong Kong et au sein de la diaspora hongkongaise/chinoise aux États-Unis ?
Promise Li : La rivalité inter-impérialiste entre les États-Unis et la Chine a rendu beaucoup plus difficile le maintien de mouvements indépendants à Hong Kong et dans la diaspora. Le penchant pro-occidental de nombreux dissidents de ces communautés est indéniable, et la raison de ce penchant est une question complexe. Dans mes écrits, j'explore les raisons pour lesquelles de nombreux dissidents de Hong Kong sont prédisposés à l'Occident [27]. L'une d'entre elles est l'influence de générations de dissidents libéraux sinophones qui sont réfractaires à la critique de classe et soutiennent le libéralisme occidental. Une autre raison essentielle est que les tensions entre les États-Unis et la Chine ont exacerbé ce que Yao Lin appelle une politique de « guide alternatif » au sein des communautés dissidentes. Comme l'explique Lin,« l'expérience traumatisante du totalitarisme du Parti-État propulse les libéraux chinois dans un pèlerinage anti-PCC à la recherche d'images aseptisées et glorifiées des réalités politiques occidentales (en particulier américaines), ce qui nourrit à la fois leur affinité néolibérale et leur propension à une métamorphose trumpienne » [28]. La polarisation des tensions et le soutien hypocrite d'une partie de l'establishment américain aux manifestations de Hong Kong n'ont fait qu'accélérer cette attitude.
L'objectif commun des élites dirigeantes américaines et chinoises, soutenu par certains membres du camp dissident pro-démocratique, est de dissuader la croissance d'une alternative politique fondée sur la construction d'organisations de masse indépendantes vers un horizon anticapitaliste. Le principal problème n'est pas seulement que la gauche était faible et fragmentée à Hong Kong et dans la diaspora avant même que la répression ne commence en 2020, mais que pendant des décennies, les gens ont été incapables de concevoir ce que signifie une politique ou un modèle d'organisation de gauche – et encore moins socialiste (de nombreux Hongkongais associent malheureusement la « gauche » au PCC ou au Parti démocrate américain !). Cette confusion est due à l'héritage du colonialisme britannique, à l'horizon libéral de l'opposition pro-démocratique et à la trahison des principes socialistes par le PCC, mais ne peut être réduite à ces seuls facteurs. Les tensions entre les États-Unis et la Chine n'ont fait qu'exacerber ce problème, en limitant les horizons politiques des gens et en les forçant à considérer l'une ou l'autre hégémonie comme la solution politique à leurs maux.
En outre, le chauvinisme, que les deux pays alimentent en raison de cette rivalité géopolitique, renforce dangereusement la capacité des deux États à utiliser les soupçons « d'ingérence étrangère » pour réprimer les mouvements nationaux. La rhétorique et les politiques antichinoises de l'establishment américain donnent à l'État davantage de pouvoir pour limiter les libertés civiles et discriminer les Chinois et les autres communautés d'origine asiatique des États-Unis [29]. Ce n'est qu'un reflet de la façon dont la Chine a fortement étendu ses attaques contre les droits démocratiques des habitants de Hong Kong [30]. Elle utilise les lois sur la sécurité nationale pour accuser et détenir beaucoup plus de militant∙es et de gens ordinaires que ceux qui ont des liens réels avec l'État américain – sans preuves appropriées ni procédure régulière. Ainsi, les deux régimes poursuivent des objectifs impérialistes sous couvert de causes plus nobles, l'un utilisant le discours de la liberté et de la démocratie, l'autre celui de l'anti-impérialisme et de la paix.
Les tensions militaires entre les États-Unis et la Chine menacent indubitablement les moyens de subsistance des populations du monde entier. Les socialistes doivent s'efforcer de combattre les tensions géopolitiques croissantes, mais la solution ultime n'est pas non plus le fantasme selon lequel les deux régimes peuvent être amenés à coopérer pour résoudre les problèmes urgents de notre époque : le changement climatique, la montée des autoritarismes, la précarité économique, etc. La dernière fois que les régimes américain et chinois ont coopéré pacifiquement, on a assisté à la prolétarisation et à l'exploitation massives de centaines de millions de travailleurs chinois pour les marchés de consommation du Nord. Nous devons renforcer – et, dans le cas de la Chine, reconstruire – les mouvements indépendants partout dans le monde afin de poser un défi politique à ces États-nations, au lieu d'espérer « l'utopie d'un compromis historique entre le prolétariat et la bourgeoisie qui “atténuerait” les antagonismes impérialistes entre les États capitalistes », comme l'a dit Rosa Luxemburg [31]. Ce faisant, la gauche doit se concentrer sur la construction de liens entre ceux qui résistent aux impérialismes américain et chinois, en contrant le récit fratricide de la rivalité civilisationnelle que les libéraux et les élites dirigeantes nous ont imposé.
Federico Fuentes : Vous avez critiqué les limites de la campagne « Pas de nouvelle guerre froide » promue par des sections du mouvement pacifiste et de la gauche. Pourquoi ? Quel type d'initiatives de paix la gauche devrait-elle promouvoir ? Envisagez-vous la possibilité de promouvoir une politique ou une architecture de sécurité commune qui favorise un ordre plus pacifique et coopératif tout en donnant la priorité aux besoins des petites nations par rapport à ceux des grandes puissances ?
Promise Li : L'année dernière, dans Socialist Forum, le journal des Démocrates socialistes d'Amérique, j'ai souligné les limites du cadre « Pas de nouvelle guerre froide » parce que le slogan n'offre pas de solutions concrètes pour celles et ceux qui sont confrontés à la menace de la surveillance et de la répression de la Chine, mais aussi parce que ce cadre ne nous permet pas de comprendre que l'interdépendance économique continue de structurer les relations entre les États-Unis et la Chine, en dépit des tensions géopolitiques [32]. Je ne dis pas que le discours de la guerre froide occulte complètement la dynamique actuelle : la définition que donne Gilbert Achcar de la nouvelle guerre froide [33], à savoir la volonté de guerre entre les différentes grandes puissances, est utile pour comprendre les décisions politiques et économiques des principales sections des classes dirigeantes, en particulier du complexe militaro-industriel. Mais la dynamique de l'impérialisme mondial va au-delà. Les intérêts d'autres secteurs clés du capital vont également au-delà. Comme le dit Thomas Fazi, « la plus grande résistance à la nouvelle guerre froide ne vient pas d'un mouvement pacifiste mondial, mais des conseils d'administration des entreprises occidentales » [34].
La vraie question est donc de savoir à quoi peut ressembler un mouvement pacifiste et anti-guerre capable de poser une perspective clairement anticapitaliste, sans pour autant se couper d'autres mouvements. Taras Bilous [35] et Trent Trepanier [36], entre autres, ont fait des tentatives utiles pour parler de réformes des cadres actuels de la sécurité mondiale, tels que les Nations unies (ONU). Mais une véritable politique de sécurité qui favorise la paix et protège le droit à l'autodétermination ne peut émerger qu'après une rupture révolutionnaire avec le capitalisme dans le monde entier. Pour une tâche aussi énorme, l'ingrédient le plus urgent à l'heure actuelle n'est pas de calculer un programme ou un plan exact pour cette architecture de sécurité, mais de développer au maximum les espaces pour que les mouvements indépendants se développent, se mobilisent et élaborent des solutions politiques collectivement. En ce sens, je m'inspire de l'impulsion de la féministe argentine Verónica Gago pour fonder sa conception d'une « Internationale féministe » sur la « grève féministe ». Au lieu de donner la priorité à un nouveau cadre institutionnel pour la sécurité et la responsabilité dans le système actuel, en particulier en ce qui concerne les féminicides en Amérique latine, Gago comprend qu'une « stratégie d'organisation et d'autodéfense » émerge de la capacité des masses à développer « une pratique collective qui cherche à comprendre les relations de subordination et d'exploitation » selon leurs propres termes. Une telle perspective « rejette les réponses institutionnelles qui renforcent l'isolement du problème et qui cherchent à le résoudre par le biais d'une nouvelle agence gouvernementale » [37].
Les mouvements de l'année dernière nous ont montré que la meilleure « sécurité » pour les travailleurs ne commence pas par un nouveau cadre institutionnel qui s'adapte au système capitaliste dans des conditions différentes, mais par la remise en question de la légitimité même des institutions existantes qui prétendent faussement garantir notre sécurité. C'est en se révoltant que les travailleur·es de l'usine Foxconn de Zhengzhou se sont protégés contre l'infection par le Covid-19 et les mauvaises conditions du logement, qui leur étaient imposées par des entreprises travaillant avec l'approbation du gouvernement local pour les enfermer dans leurs lieux de travail sous couvert de contrôle de la pandémie. En 2018, c'est en marchant sur Quito que des militants indigènes ont résisté à la tentative du gouvernement équatorien, menée en collaboration avec des sociétés minières chinoises et des entreprises étatsuniennes, de violer la souveraineté de leurs terres en Amazonie.
L'initiative de paix la plus efficace ne peut être menée qu'en renforçant les mouvements nationaux contre leur bourgeoisie dirigeante, des États-Unis à la Chine, et non en considérant le travail contre la guerre et pour la paix comme une simple question d'amélioration des institutions de sécurité mondiale ou en s'opposant à un belliciste aux dépens des autres. À un moment donné, la gauche a besoin d'un programme politique unifié et cohérent derrière lequel les mouvements peuvent se rallier et identifier un cadre de sécurité mondiale au-delà de la domination du capital. En attendant, nous devons restaurer la conscience politique des peuples du monde entier avant de pouvoir parler d'unité programmatique sur ces bases.
Federico Fuentes : Voyez-vous des possibilités de construire des ponts entre les luttes anti-impérialistes au niveau international, en tenant compte du fait que les mouvements locaux ont différentes grandes puissances comme ennemi principal et peuvent donc chercher un soutien (même une aide militaire) auprès de différents pays impérialistes ? La gauche peut-elle adopter une position de non-alignement avec les blocs (neutralité) sans renoncer à la solidarité ? En résumé, à quoi devrait ressembler l'anti-impérialisme socialiste du XXIe siècle ?
Promise Li : Absolument – la raison pour laquelle je tiens à souligner la persistance de l'interdépendance inter-impériale ou inter-capitaliste dans le système impérialiste mondial, malgré la montée des rivalités géopolitiques, est que cette analyse nous fournit directement des pistes concrètes pour une solidarité internationale de gauche. Comprendre l'économie mondiale comme une unité antagoniste permet aux mouvements de découvrir les lieux où les différentes puissances ou institutions impérialistes restent inextricablement liées. En concevant des campagnes ciblant ces lieux, les mouvements peuvent proposer une alternative aux solutions militaristes promues par les élites dirigeantes américaines, chinoises, russes et autres. Par exemple, un vaste mouvement antimondialisation contre les institutions néolibérales multilatérales serait la clé d'un anti-impérialisme socialiste du XXIe siècle. Le FMI compte les États-Unis et la Chine parmi deux des trois membres disposant du plus grand nombre de voix, qui collaborent régulièrement. Ainsi, la Chine a discrètement approuvé les décisions prises par les États-Unis en matière de climat, de commerce et d'autres politiques au sein d'organismes internationaux [38]. Une véritable campagne contre ces institutions irait à l'encontre du campisme, qui pose une fausse alternative entre le bloc occidental et les champions de la multipolarité – tous étant de connivence.
Les campagnes conjointes contre le FMI, BlackRock et Vanguard peuvent fournir de nouvelles bases pour sortir de l'impasse entre les différents mouvements anti-impérialistes souvent opposés les uns aux autres, tout en offrant une alternative claire aux formes libérales de mobilisation. Les appels à l'abolition par le FMI de la dette ukrainienne ou à au rejet des accords néolibéraux conclus par le président ukrainien Volodymyr Zelensky avec BlackRock pour la reconstruction de l'Ukraine après la guerre sont compatibles avec des campagnes similaires menées dans d'autres régions du Sud, telles que le Sri Lanka. Pour prendre un autre exemple, nous devrions également reconnaître que la stabilité économique de la Chine repose en partie sur son vaste marché d'importation en Israël et que Israël, en retour, dépend fortement des importations chinoises pour le développement de ses infrastructures. La campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) en solidarité avec la résistance palestinienne bénéficierait en fait du soutien de ceux qui résistent à l'État chinois à l'étranger. D'autre part, l'approfondissement des relations entre les deux mouvements, qui se chevauchent peu actuellement, peut offrir aux Chinois, aux Hongkongais et aux autres communautés dissidentes de la diaspora des moyens concrets de résister à l'État chinois, mais au-delà des solutions proposées par la droite extrémiste. En cultivant la solidarité entre des campagnes souvent considérées comme distinctes, on se renforce mutuellement dans la pratique. Elle peut offrir de réelles alternatives au militarisme occidental sans minimiser les menaces d'autres impérialistes tels que la Chine et la Russie. L'idée maîtresse qui sous-tend ces suggestions est que la gauche doit articuler des revendications et des campagnes pratiques susceptibles d'orienter les masses vers un horizon révolutionnaire distinct de celui des libéraux. Les slogans abstraits de « solidarité internationale de la classe ouvrière par en bas » ne suffiront pas. Nous ne devons pas rejeter la possibilité de coalitions larges sur certaines questions avec d'autres groupes au-delà de la gauche, mais nous devons nous concentrer sur la construction de campagnes qui peuvent renforcer l'indépendance politique de la gauche.
Celles et ceux qui luttent pour le socialisme devraient défendre le droit des mouvements de libération nationale contre les forces étrangères à demander des armes partout où ils le peuvent, tout comme les socialistes l'ont fait lorsque les républicains espagnols ont demandé des armes aux États capitalistes contre le régime fasciste pendant la guerre civile espagnole. Dans le même temps, nous devons reconnaître que les pays occidentaux militarisent l'Ukraine et Taïwan, par exemple, pour augmenter massivement leurs budgets militaires impérialistes. Quelle que soit la position de chacun sur le fait que les Ukrainiens reçoivent des armes de l'Occident, il devrait être clair que la question des armes ne devrait pas être l'horizon ultime de la solidarité internationale de la gauche. Les libéraux bellicistes appellent à une augmentation des livraisons d'armes à l'Ukraine, et la gauche doit réfléchir à la manière dont nos organisations peuvent se distinguer d'eux, et ne pas se contenter de suivre les libéraux et de faire pression sans esprit critique pour plus d'armement. Nous pouvons soutenir le droit des Ukrainiens à réclamer des armes, de même que nous nous opposons à toute tentative des impérialistes occidentaux d'utiliser l'assistance défensive et humanitaire à l'Ukraine comme excuse pour augmenter les budgets et les infrastructures militaires. En revanche, ceux qui concentrent tous leurs efforts sur l'opposition aux livraisons d'armes, sans travailler concrètement à soutenir la lutte d'autodéfense de l'Ukraine et à la relier à d'autres luttes de libération, ne font pas de l'anti-impérialisme. Le slogan de Karl Liebknecht « l'ennemi principal est à l'intérieur » ne signifie pas qu'il faille renier la responsabilité socialiste fondamentale de la solidarité internationale avec les peuples opprimés qui luttent contre d'autres ennemis à l'étranger. Il est de la responsabilité de la gauche de s'opposer à la fois aux budgets militaires impérialistes dans son propre pays et de découvrir d'autres moyens d'étendre la solidarité à l'étranger.
Promise Li, militant socialiste de Hong Kong, actuellement à Los Angeles, est membre des organisations socialistes américaines Tempest et Solidarity. Il est actif dans la solidarité internationale avec les mouvements de Hong Kong et de Chine, dans l'organisation des locataires et de la lutte contre la gentrification dans le quartier chinois de Los Angeles, et dans l'organisation des travailleurs diplômés de base.
Federico Fuentes écrit régulièrement pour les journaux australiens Green Left Weekly et LINKS International Journal of Socialist Renewal. Il est co-auteur (avec Roger Burbach et Michael Fox) de Latin America's Turbulent Transitions : The Future of Twenty-First-Century Socialism, Zed Books, London-New York 2013. Cet entretien a été d'abord publié le 14 septembre 2023 par LINKS International Journal of Socialist Renewal : https://links.org.au/us-china-rivalry-antagonistic-cooperation-and-anti-imperialism-21st-century (Traduit d'anglais par JM)
Publié dans Inprecor n°713, Octobre 2023
[1] V.I. Lénine (1916), L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, « IX. La critique de l'impérialisme » :https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp9.htm
[2] Rosa Luxemburg, L'accumulation du capital, ch. 31 : https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1913/rl_accu_k_31.htm
[3] N.I. Boukharine (1915), L'économie mondiale et l'impérialisme, Anthropos, Paris 1967, p. 52 :https://www.marxists.org/francais/boukharine/works/1915/00/Economie%20Mondiale%20et%20Imperialisme.pdf
[4] Minqi Li, « China : Imperialism or Semi-Periphery ? », Monthly Review, 1er juillet 2021 :https://monthlyreview.org/2021/07/01/china-imperialism-or-semi-periphery/
[5] Michael Roberts, « IIPPE 2021 : imperialism, China and finance » : https://thenextrecession.wordpress.com/2021/09/30/iippe-2021-imperialism-china-and-finance/
[6] John Smith & Federico Fuentes, « Twenty-first century imperialism, multipolarity and capitalism's “final crisis” », LINKS International Journal of Socialist Renewal, 1er août 2023 : https://links.org.au/twenty-first-century-imperialism-multipolarity-and-capitalisms-final-crisis
[7] https://en.kremlin.ru/events/president/news/66181
[8] Op. cit. Note 1.
[9] Rohini Hensman, « Socialist Internationalism and the Ukraine War », https://www.historicalmaterialism.org/blog/socialist-internationalism-and-ukraine-war
[10]. V.I. Lénine (1914), Du droit des nations à disposer d'elles mêmes : https://www.bibliomarxiste.net/auteurs/lenine/du-droit-des-nations-a-disposer-delles-memes/2-position-historique-concrete-de-la-question/
[11] V.I. Lénine (1915), La faillite de la IIe Internationale : https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1915/05/19150500g.htm
12. V.I. Lénine (1916), La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes :https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm
[13] Op. cit. Note 10.
[14] Ernest Mandel, Sur la Seconde Guerre mondiale, La Brèche, Paris 2018.
[15] N. Boukharine (1920), Économique de la période de transition : https://www.marxists.org/francais/boukharine/works/1920/boukh_trans_prs.htm
[16] https://www.marxists.org/portugues/tematica/livros/diversos/polop.htm
[17] Patrick Bond, Ana Garcia, Miguel Borba, « Western Imperialism and the Role of Sub-imperialism in the Global South », CADTM, 13 janvier 2021 : https://www.cadtm.org/Western-Imperialism-and-the-Role-of-Sub-imperialism-in-the-Global-South
[18] https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2016/09/09/world-bank-group-new-development-bank-lay-groundwork-for-cooperation
[19] Patrick Bond, « Brics joins the reigning worl order », Mail&Guardian 31 mars 2017 : https://mg.co.za/article/2017-03-31-00-brics-joins-the-reigning-world-order/
[20] Voir : https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/18681026231188140 ainsi que :https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/anti.12725
[21] https://crudeaccountability.org/the-caspian-pipeline-consortium-russian-and-western-accountability-in-the-oil-and-gas-sector-during-wartime/
[22] Tithi Bhattacharya & Gareth Dale, « Is BRICS+ an Anti-Colonial Formation Worth Cheering From the Left ? Far From It »,Truthout 13 septembre 2023, https://truthout.org/articles/is-brics-an-anti-colonial-formation-worth-cheering-from-the-left-far-from-it/
[23] Yassin al-Haj Saleh, « The Liquid Imperialism That Engulfed Syria », New Lines Magazine, 7 septembre 2023 :https://newlinesmag.com/argument/the-liquid-imperialism-that-engulfed-syria/
[24] Première conférence des pays non alignés, en avril 1955.
[25] Op. cit. Note 4.
[26] Samir Amin, Beyond US Hegemony : Assessing the Prospects for a Multipolar World, Zed Books, London-New York 2006.
[27] Promise Li, « From the “Chinese National Character” Debates of Yesterday to the Anti-China Foreign Policy of Today », Made in China, 8 mars 2022 : https://madeinchinajournal.com/2022/03/08/from-the-chinese-national-character-debates-of-yesterday-to-the-anti-china-foreign-policy-of-today/
[28] Lin Yao, « Beaconism and the Trumpian Metamorphosis of Chinese Liberal Intellectuals », Journal of Contemporary China, vol. 30, n°127, pp. 85–101.
[29] Promise Li, « The US Government Is Ramping Up an Anti-China Witch Hunt », Jacobin, 26 juillet 2023 :https://jacobin.com/2023/07/us-government-anti-china-mccarthyism-biden-administration-house-select-committee
[30] « Explainer : Hong Kong's national security crackdown – month 38 », Hong Kong Free Press du 2 septembre 2023 :https://hongkongfp.com/2023/09/02/explainer-hong-kongs-national-security-crackdown-month-38/
[31] Rosa Luxemburg (1913), Critique des critiques :https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1913/00/rl_19130000a_f.htm
[32] Promise Li, « China, the Chinese Diaspora, and Internationalism from Below », Socialist Forum, spring 2022 :https://socialistforum.dsausa.org/issues/spring-2022/china-the-chinese-diaspora-and-internationalism-from-below/
[33] Gilbert Achcar, The New Cold War – The United States, Russia, and China from Kosovo to Ukraine, Haymarket Books, Chicago 2023.
[34] Thomas Fazi, « The capitalist are revolting over China », UnHerd, 6 juin 2023 : https://unherd.com/2023/06/the-capitalists-are-revolting-over-china/
[35] Taras Bilous, « Une lettre de Kiev à une gauche occidentale », À l'encontre, 26 février 2022 :https://alencontre.org/laune/ukraine-une-lettre-de-kiev-a-la-gauche-occidentale.html
[36] Trent Trepanier, « Taiwan and Self-Determination as a Core Principle », Socialist Forum, winter/spring 2023 :https://socialistforum.dsausa.org/issues/winter-spring-2023/taiwan-and-self-determination-as-a-core-principle/
[37] Verónica Gago, « Theses on the Feminist Revolution », Verso blog, 7 décembre 2020 : https://www.versobooks.com/en-gb/blogs/news/4935-theses-on-the-feminist-revolution
[38] Michael Hudson, Patrick Bond, « China – a sub-Imperial ally of the West ? », Brave New Europe, 5 avril 2022 :https://braveneweurope.com/michael-hudson-patrick-bond-china-a-sub-imperial-ally-of-the-west
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« La guerre économique prépare la guerre militaire » – Entretien avec Peter Mertens (PTB)

Érosion de l'hégémonie du dollar, « mutinerie » des pays du Sud contre la politique étrangère occidentale, montée en puissance des BRICS, guerre économique des États-Unis envers la Chine… Le système international né de la fin de la Guerre Froide, dominé par l'hyperpuissance américaine, est en train de s'effondrer et de laisser place à un nouvel ordre mondial multipolaire. Plutôt que de prendre acte de cette nouvelle donne et de diversifier ses liens avec le reste du monde, l'Europe s'aligne toujours plus sur Washington. Mais est-il encore possible de mettre en place une politique altermondialiste, alors que les BRICS se comportent parfois eux-mêmes de manière impérialiste ? Peter Mertens, secrétaire général du Parti du Travail de Belgique, l'affirme, à condition de prendre un tournant radical dans notre politique étrangère. Entretien réalisé par William Bouchardon et Amaury Delvaux, avec l'aide de Laëtitia Riss.
26 novembre 2023 | tiré de la lettre Le Vent Se Lève (LVSL) | Photo : Peter Mertens, secrétaire général du Parti du Travail de Belgique © Salim
https://lvsl.fr/la-guerre-economique-prepare-la-guerre-militaire-entretien-avec-peter-mertens-ptb/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Newsletter_Derniers_Articles&utm_medium=email
Le Vent Se Lève – Vous êtes secrétaire général du Parti de Travail de Belgique (PTB), aux côtés de Raoul Hedebouw, et vous venez de publier Mutinerie. Comment notre monde bascule (à paraître en français aux éditions Agone début mars 2024, ndlr) afin d'analyser les recompositions du système international. Dans quelle mesure votre parcours au sein du PTB a-t-il nourri l'élaboration de ce livre ?
Peter Mertens – J'ai été président du Parti du Travail de Belgique (PTB) entre 2008 et 2021, date à laquelle Raoul Hedebouw a pris ma succession. Avec d'autres membres, j'ai participé au nécessaire renouveau du parti (tout en conservant un socle idéologique marxiste, ndlr) à partir du milieu des années 2000, où nous étions alors un petit parti avec des tendances sectaires. Ce renouveau nous a pris plus de 10 ans. Notre analyse était la suivante : nous devions construire un rapport de force et un parti de la classe travailleuse, capable de peser en Belgique.
Avec la croissance du parti, il y a beaucoup plus de travail, c'est pourquoi nous avons dédoublé le leadership du parti : Raoul Hedebouw est le président et le porte-parole principal et j'en suis le secrétaire général. Comme nous étions concentrés sur la construction du rapport de force en Belgique, nous étions moins occupés avec ce qui se passait à l'étranger. Désormais, nous sommes en train de remettre nos tâches internationalistes à la hauteur des défis d'aujourd'hui. Et sur ce terrain, nous sommes en contact avec de nombreux mouvements et partis à la gauche de la social-démocratie, en Europe et ailleurs dans le monde.
« Les pays du Sud Global savent très bien que les sanctions économiques sont des actes de guerre économique. »
C'est grâce à ce leadership collectif et à ces rencontres que j'ai pu écrire ce livre, qui n'est pas juste un projet individuel. Je m'appuie aussi sur le service d'étude de notre parti, dirigé par notre directeur politique David Pestieau. Lui et son équipe m'ont aidé à rechercher des documents exhumés dans mon livre, notamment les textes de l'OTAN et de l'Organisation Mondiale du Commerce.
LVSL – Ces organisations occidentales sont au cœur du système international qui a été hégémonique jusqu'à récemment. Le titre de votre livre fait cependant référence à une contestation grandissante du règne de l'hyperpuissance américaine. Comment expliquez-vous que les pays du Sud soient de plus en plus réticents à s'aligner sur la position américaine ?
P. M. – Le titre du livre vient d'une déclaration de Fiona Hill, une ex-membre du National Security Council américain (organe qui conseille directement le Président américain en matière de défense et d'affaires étrangères, ndlr). Selon elle, l'abstention de la plupart des pays du Sud Global sur les sanctions contre la Russie était une « mutinerie ». Soyons clairs : la majorité de ces États ont condamné l'invasion illégale de la Russie sur le territoire ukrainien, ce qui est logique vu que nombre d'entre eux ont été envahis de multiples fois et connaissent bien l'importance de la souveraineté.
Toutefois, concernant les sanctions, ils n'ont pas suivi Washington. C'est là aussi logique : un pays sur dix sur la planète subit, sous une forme ou une autre, des sanctions de la part de Washington. Ces pays savent très bien que les sanctions économiques sont des actes de guerre économique. Or, dans la majorité des cas, les conséquences de ces sanctions sont supportées par les peuples des pays en question et ces mesures n'ont aucun effet sur le régime politique en place.
Ici, en Europe, nous ne nous en sommes pas rendus compte ; l'eurocentrisme nous aveugle. Le regard de la majorité des peuples du Sud Global sur les événements internationaux est pourtant très différent de la vision développée en Europe. J'ai récemment discuté avec beaucoup de personnes issues du Sud Global et j'ai constaté des moments de fractures profonds avec l'Occident. La première fracture est la guerre des États-Unis contre l'Irak en 2003, qui était illégale et basée sur un mensonge. Au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique Latine et en Asie, c'est un moment charnière majeur. La crise financière de 2008 constitue le deuxième moment charnière. En Europe, cette crise nous a contraint à sauver les banques avec l'argent public et a eu pour conséquence l'austérité. Pour les pays du Sud, cette crise a été plus profonde encore et a montré la fragilité de l'hégémonie du dollar américain, autour duquel est organisé tout le commerce international.
LVSL – Renaud Lambert et Dominique Plihon s'interrogent en effet sur la fin du dollar dans le dernier numéro du Monde Diplomatique. De nouveaux accords commerciaux sont, par ailleurs, conclus dans d'autres monnaies et les banques centrales commencent à diversifier le panier de devises qu'elles ont en réserve. Est-ce une des conséquences de la guerre en Ukraine ?
P. M. – Cette érosion du dollar débute avec la crise financière de 2008. C'est à ce moment-là que l'idée des BRICS est réellement née, bien qu'il existe également d'autres raisons historiques à son émergence. Le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud se sont rassemblés car ils veulent faire du commerce sur une autre base que celle du néo-colonialisme, en mettant en place un système financier proposant des alternatives de paiements au dollar. C'est pour cela qu'ils ont créé une banque d'investissement dirigée par Dilma Rousseff, l'ancienne présidente du Brésil. Certes, le dollar reste hégémonique, mais cela constitue malgré tout une nouvelle donne.
Parmi leurs sanctions contre la Russie, les autorités américaines ont débranché la Russie du système international de paiement SWIFT, dont le siège est en Belgique. L'usage de cette puissante arme de guerre économique a entraîné une panique dans beaucoup de pays du Sud, car ils ont réalisé qu'elle pouvait aussi être utilisée contre eux. Avec ce genre de sanction, les États-Unis peuvent prendre otage les pays avec leur propre argent ! Cela a sans doute incité certains pays à vouloir rejoindre les BRICS. Lors de leur dernier congrès à Johannesburg fin août, les BRICS ont accueilli 6 nouveaux membres (l'Argentine, l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Ethiopie, l'Egypte et les Emirats Arabes Unis, ndlr), sur un total de 40 pays candidats. C'est un vrai saut qualitatif.
« Entre 2003 et 2023, il y a eu plusieurs moments de fractures majeurs entre l'Occident et le reste du monde ! Pourtant, la grande majorité de l'establishment et des médias vivent encore dans la période d'avant 2003. »
De ce point de vue, la guerre en Ukraine est en effet un autre moment charnière, en raison des sanctions. J'en citerai encore deux autres. D'abord, la COP de Copenhague en 2009, où les pays occidentaux ont refusé de prendre des mesures fortes pour le climat et pour aider les pays pauvres face au changement climatique. Enfin, le refus des pays occidentaux de lever les brevets sur les vaccins contre le Covid-19, qui a marqué une fracture profonde face à un problème mondial.
Depuis le 7 octobre, la guerre contre la Palestine constitue un nouveau point de rupture, dont l'impact est potentiellement le plus important. L'axe guerrier États-Unis-Israël pratique une violence extrême, pensant être au-dessus de toutes les lois internationales et pouvoir se permettre n'importe quoi. Mais cet axe est plus isolé que jamais. Partout dans le monde, le deux poids deux mesures est devenu évident. Entre 2003 et 2023, il y a donc eu plusieurs moments de fractures majeurs entre l'Occident et le reste du monde ! Et pourtant, la grande majorité de l'establishment et des médias vivent encore dans la période d'avant 2003.

Peter Mertens dans une manifestation organisée par le PTB pour un cessez-le-feu en Palestine © PTB
LVSL – Outre le dollar et leur armée, les États-Unis disposent également d'une puissance technologique redoutable, qu'ils utilisent pour faire avancer leurs intérêts. Les GAFAM espionnent ainsi le monde entier, tandis que de nouvelles rivalités autour des microprocesseurs se mettent en place avec la Chine. Est-il possible d'échapper à l'emprise des États-Unis en matière technologique ?
P. M. – Je pense qu'il faut regarder en face la puissance économique des BRICS : en termes de PIB mondial, ils pèsent désormais plus que le G7 (qui regroupe ce qui était les 7 pays les plus industrialisés au monde, ndlr). Cette puissance économique constitue une différence avec le mouvement des non-alignés des années 60-70. A l'époque, les États-Unis ont pu tuer le mouvement des non-alignés grâce à la dette. Puis l'URSS s'est effondrée et ils se sont retrouvés sans rivaux sérieux. Mais désormais, la situation est différente, notamment en raison du poids économique de la Chine. La réaction des États-Unis est claire : ils lui ont déclaré la guerre économique. J'emploie le mot guerre de manière délibérée : la guerre commerciale prépare la guerre militaire. Les bateaux de l'OTAN qui encerclent la Chine et les sanctions prises par les États-Unis contre Pékin font partie de la même stratégie.
Dans mon nouveau livre, je cite longuement Alex W. Palmer, un spécialiste américain des microprocesseurs. En 2022, deux dates sont importantes selon ce chercheur : le 24 février 2022 avec l'invasion de la Russie en Ukraine et le 7 octobre 2022, date à laquelle les USA ont pris les mesures pour interdire presque tout développement des microprocesseurs en Chine. D'après lui, ces mesures sont un acte de guerre économique inédit, dont l'objectif est de détruire tout développement économique en Chine. Les États-Unis veulent désormais entraîner l'Europe dans leur guerre économique contre la Chine. Récemment, Joe Biden a convoqué le premier ministre néerlandais Mark Rutte à Washington pour lui ordonner de cesser l'exportation vers la Chine des machines fabriquées par la firme hollandaise ASML, qui sont essentielles pour la fabrication des semi-conducteurs de dernière génération. Le premier ministre hollandais a accepté sans contrepartie.
« Les États-Unis veulent désormais entraîner l'Europe dans leur guerre économique contre la Chine. »
Les États-Unis sont inquiets de l'avance de la Chine dans les secteurs de technologies de pointe. Il y a de quoi : sur les 90 domaines les plus avancés au niveau des sciences et technologies, la Chine mène la danse dans 55 d'entre eux. Les États-Unis ne l'ont pas vu venir. C'est pour cela qu'ils réagissent désormais par le protectionnisme et la guerre économique. Jack Sullivan (influent conseiller à la sécurité nationale auprès de Joe Biden, ndlr) l'affirme de manière assez transparente : « C'est fini le globalisme d'avant ; il faut du protectionnisme ; c'est fini avec le néolibéralisme ; c'en est fini avec l'accès de la Chine au marché international. »
On constate la même dynamique sur les ressources énergétiques, qui ont toujours formé l'infrastructure du système capitaliste. Au XIXe siècle, c'était le charbon, puis au XXe le pétrole. De l'arrivée de British Petroleum en Irak en 1902 aux guerres du Golfe, d'innombrables guerres ont été menées pour le pétrole. Désormais, c'est la guerre des batteries qui est lancée : tout le monde se rue sur le lithium et les ressources essentielles pour l'électrification. Là aussi, les États-Unis se montrent très agressifs vis-à-vis de la Chine et des BRICS. Malgré tout, je pense que les États-Unis ne parviendront pas à restreindre la montée en puissance de la Chine.
LVSL – Hormis cette opposition à l'hégémonie américaine, il est tout de même difficile de voir ce qui rassemble les BRICS. Par ailleurs, il existe de réelles tensions entre des pays au sein de ce bloc, notamment entre la Chine et l'Inde. Peut-on vraiment attendre quelque chose d'un groupe aussi hétérogène ?
P. M. – Aucune valeur ne réunit les BRICS ! C'est une association de pays strictement pragmatique, car c'est comme ça que l'ordre mondial fonctionne. La gauche a souvent une lecture erronée car elle pense en termes de morale et de « valeurs ». Or, l'impérialisme et les forces anti-impérialistes ne pensent pas en ces termes mais plutôt en termes de pouvoir politique et économique. Les BRICS ne sont pas un projet de gauche, mais un projet pragmatique visant à servir les intérêts de ces pays, en créant une alternative au dollar et au Fonds Monétaire International et en cherchant à favoriser le commerce Sud-Sud.
Je ne suis évidemment pas dupe. L'Inde connaît de grandes tensions avec la Chine et Modi est un homme d'extrême-droite. Ses trois grands amis étaient Jair Bolsonaro, Donald Trump et Boris Johnson. Il est responsable de l'assassinat de plus de 750 paysans lors de la plus grand révolte de l'histoire indienne de la paysannerie et a laissé des razzias racistes contre les musulmans avoir lieu.
De même en Arabie Saoudite : c'est le despotisme total. Il n'y a aucune liberté pour la classe travailleuse et pour les femmes. Il n'empêche que l'entrée de l'Arabie Saoudite dans les BRICS marque un tournant. En 1971, avec les pétrodollars, les États-Unis ont promis à l'Arabie Saoudite d'avoir toujours des armes et une stabilité politique en échange de pétrole bon marché. Désormais, l'Arabie Saoudite vend son pétrole à la Chine non plus en dollars, mais en yuans ! Bien sûr que c'est un régime haïssable. Mais en matière de politique internationale, on ne peut pas juste réagir émotionnellement en fonction de « valeurs », il faut analyser l'échiquier mondial avec réalisme. Et la réalité est que les BRICS défient le système construit autour du dollar. Personnellement, bien que je ne soutienne pas les régimes de certains pays des BRICS, je considère leur émergence comme une bonne nouvelle parce qu'elle défie l'unilatéralisme et l'hégémonie américaine pour la première fois depuis 1991.
« La dette des pays du Tiers Monde doit être payée en dollars. C'est un mécanisme néocolonial ! »
Mais en parallèle de la mutinerie menée par les BRICS, il y a également une mutinerie au sein de ces pays. En Inde, je suis avec attention les luttes des paysans, des femmes et de la classe travailleuse contre le régime de Modi. De même, l'Afrique du Sud connaît une corruption énorme, le fossé entre riches et pauvres y est considérable et le régime politique est fortement critiqué par la population. Lula est un progressiste, mais son gouvernement n'est pas pour autant socialiste. Et contre les concessions faites aux grands propriétaires fonciers au Brésil, je soutiens ceux qui luttent pour les droits des paysans, comme le Mouvement des Paysans sans Terre.
LVSL – Dans votre livre, vous rappelez l'histoire du mouvement tiers-mondiste, à partir notamment de la conférence de Bandung en 1955. Ce mouvement était porteur d'espoir pour un rééquilibrage des relations internationales et de l'économie mondiale. Croyez-vous à la résurgence de l'altermondialisme et sur quelles bases ? Les tentatives consistant à faire revivre cet esprit de « non-alignement », notamment de la part de Lula, vous semblent-elles prometteuses ?
P. M. – Je crois que la tentative opérée par les BRICS de permettre un commerce dans d'autres monnaies que le dollar relève surtout du pragmatisme. Mais cette démarche est déjà un acte progressiste en soi. Regardons en face la situation depuis les années 50-60 : la dette des pays du Tiers Monde doit être payée en dollars. Cela signifie que ces pays doivent privilégier des monocultures tournées vers l'exportation, plutôt que des productions au service de leurs propres populations, afin d'obtenir des dollars. Et quand ils ont des difficultés à refinancer leur dette, le Fonds Monétaire International (FMI) ne leur octroie des prêts qu'à condition de couper dans les services publics, les salaires et les pensions et de privatiser davantage. Tout cela ne fait que les rendre plus dépendants des États-Unis et de l'Europe. C'est un mécanisme néocolonial ! Désormais, pour la première fois, les pays du Tiers Monde peuvent refinancer leur dette, indépendamment du FMI, grâce à la banque des BRICS. Certes, ce n'est pas un emprunt socialiste mais au moins c'est un mécanisme honnête et sans conditions. Quand bien même ce n'est un progrès en direction du socialisme, cela reste un progrès pour les pays du Sud Global, qui doit être soutenu.
Certes, cela ne suffit pas pour construire un altermondialisme de gauche. C'est pourquoi nous devons aussi soutenir les mouvements de gauche dans ces pays, afin de peser sur l'agenda politique. On peut tout à fait soutenir le MST au Brésil pour mettre la pression sur Lula, tout en reconnaissant qu'il joue un rôle important pour nos idées au niveau international. De la même manière, je soutiens le NUMSA, le syndicat des métallos sud-africains, qui lutte contre la corruption considérable au sein du gouvernement de l'ANC, tout en étant en accord avec la politique extérieure de l'Afrique du Sud. Bien sûr que la gauche a des valeurs à défendre, mais je refuse d'interpréter toute la complexité du monde actuel uniquement en termes de valeurs. L'altermondialisme passe aussi par une forme de pragmatisme sur les enjeux internationaux.
« L'altermondialisme passe aussi par une forme de pragmatisme sur les enjeux internationaux. »
LVSL – L'Union européenne tend à s'aligner sur les États-Unis, contrairement à ce qu'affirment nos dirigeants. S'ils prétendent réguler l'action des GAFAM, ou encore bâtir une « autonomie stratégique » en matière internationale ou de réindustrialisation, la réalité est que nous sommes de plus en plus dépendants des Américains, y compris dans des domaines où cela était encore peu le cas, comme les énergies fossiles. Comment peut-on retrouver une véritable autonomie ? Cela implique-t-il une rupture avec l'Union européenne ?
P. M. – Ce qui s'est passé en Europe suite à la guerre en Ukraine, surtout en Allemagne, est grave. Quelques semaines après le début du conflit, le Bundestag a renié sa politique de non-militarisation de l'économie vieille de 75 ans et a investi plus de 100 milliards d'euros dans le budget de la défense. Tout ce qui existait en termes de liens avec la Russie, notamment de la part de la social-démocratie allemande – dont les liens de Schröder avec Gazprom (l'ancien chancelier allemand a ensuite siégé au conseil d'administration de la compagnie russe, ndlr) sont le symbole le plus évident – a été détruit. Il s'agit d'un bouleversement considérable : la mémoire des comportements barbares des nazis, qui étaient presque arrivés à Moscou, a longtemps conduit à une politique de coopération entre l'Allemagne et la Russie, plutôt que d'agressivité. En quelques semaines à peine, les États-Unis ont réussi à briser cela.
Cette coupure brutale avec la Russie a suscité des remous au sein des grandes entreprises allemandes : les grands patrons de BASF, de Bosch ou Siemens ont demandé au gouvernement allemand de ne pas rompre les liens avec Gazprom, car ils souhaitaient continuer de bénéficier du gaz russe bon marché. En se rendant dépendante du gaz américain, beaucoup plus cher, l'Allemagne est rentrée en récession. En prenant des sanctions contre la Russie, l'Europe a donc pris des sanctions contre elle-même et s'est tirée une balle dans le pied. De surcroît, avec l'Inflation Reduction Act (IRA), les États-Unis tentent d'attirer sur leur territoire des firmes européennes, notamment de technologie de pointe, grâce à d'importantes subventions et remises d'impôts. La réaction de l'Union Européenne à cette offensive américaine a été très faible. Aucune politique industrielle européenne autonome n'émerge.
Les États-Unis veulent maintenant répliquer cela avec la Chine. C'est une folie : non seulement ils auront beaucoup de mal à se couper de la Chine, mais l'Europe en aura encore plus : nous échangeons avec la Chine 850 milliards d'euros de marchandises chaque année ! J'ajoute que la neutralité carbone en Europe dépend pour l'instant de la technologie chinoise. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je suis d'accord avec les patrons de Bosch, Siemens, Volkswagen et Mercedes quand ils demandent de ne pas reproduire avec la Chine ce que l'Europe a fait avec la Russie. Dans le conflit inter-impérialiste entre capitalistes, j'espère que la bourgeoisie européenne se comportera de manière sérieuse et dira non à la bourgeoisie américaine qui veut nous entraîner dans de nouveaux conflits.

Peter Mertens lors de notre interview © L. R.
Bien sûr, je n'ai aucune illusion : la bourgeoisie européenne ne veut pas une Europe progressiste, mais cherche au contraire à imposer aux peuples européens une nouvelle dose d'austérité. Elle entend également conserver des relations néo-coloniales avec une partie du monde, bien que le rejet de la France en Afrique ne cesse de grandir. Mais c'est la même dialectique que pour les BRICS : on ne peut pas raisonner uniquement en termes de « gentils » et de « méchants », il y a de nombreuses contradictions sur lesquelles il faut jouer. Donc je soutiens les capitalistes allemands dans leur opposition aux États-Unis, mais continue de défendre une Europe socialiste, contre les intérêts de ces grandes entreprises.
LVSL – Il est vrai que les sanctions prises à l'encontre de la Russie ont renforcé la dépendance de l'Europe vis-à-vis des États-Unis. Pensez-vous qu'il soit possible de réorienter l'Union européenne vers une politique socialiste ? Ou faut-il rompre avec les traités européens et construire de nouveaux cadres de coopération ?
P. M. – Ma position sur cette question est liée à l'histoire belge : nous sommes un petit pays qui a été créé pour jouer le rôle d'État-tampon entre l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Un changement de société au niveau de la seule Belgique, ça n'existe pas ! ! Je plaide donc pour une autre société, une autre industrialisation et une autre forme de commerce à l'échelle continentale. Cela passera, selon moi, par plus d'échanges entre ceux qui luttent et qui résistent dans toute l'Europe pour créer une rupture au sein de l'Union Européenne.
Mais cela suppose que nous soyons à la hauteur. J'en ai assez de la dépression collective de la gauche européenne qui passe son temps à se lamenter de la percée de l'extrême-droite ! Quand je vais en Amérique latine ou en Inde, eux aussi s'inquiètent de la montée du fascisme, mais surtout ils le vivent et ils luttent. Bien sûr que l'extrême-droite progresse et nous menace. Mais pour reconquérir une partie de la classe travailleuse tentée par le vote fasciste, on ne peut pas se contenter de se plaindre. La droite et l'extrême-droite s'appuient sur une narratif dépressif, selon lequel la classe travailleuse n'existe pas et l'immigration va nous détruire.
« Face à l'extrême-droite, il faut recréer un narratif autour de la lutte des classes et rebâtir une conscience commune chez les travailleurs. »
Face à cela, il faut recréer un narratif autour de la lutte des classes et rebâtir une conscience commune chez les travailleurs. Les mobilisations sociales massives que nous avons connu récemment en Angleterre, en Allemagne et en France sont des points d'appui. Comme la grève des ouvriers de l'automobile aux États-Unis, avec une belle victoire à la clé ! Et puis nous devons être là où sont les gens, c'est-à-dire avant tout dans les quartiers populaires et sur les lieux de travail, pas seulement avec les intellectuels. Ce n'est que comme cela que nous pourrons arrêter la tentation fasciste au sein de la classe travailleuse.
Par exemple, avec notre programme Médecine pour le peuple (initiative de médecine gratuite dans les quartiers populaires, ndlr), on touche des personnes qui votent pour le Vlaams Belang (extrême-droite indépendantiste flamande, ndlr). Plutôt que de les exclure, nous discutons avec eux et tentons de les convaincre. Les gens sentent si vous êtes honnêtes et convaincus du discours que vous portez. Donc il faut un langage clair et franc, comme celui de Raoul Hedebouw, qui permet d'attirer vers nous des gens en colère en raison de leur situation précaire et de politiser cette colère. Si l'on se contente des livres, on ne changera rien. Il faut aussi des gens sur le terrain.
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Argentine : l’instant du danger

Avec l'élection de Javier Milei, difficilement imaginable il y a quelques mois seulement, l'Argentine se retrouve en terre inconnue. Cela contraint la gauche – en Argentine et au-delà – à construire une nouvelle carte politique et de nouveaux outils pour la prochaine période. Il est important en outre de souligner qu'une victoire électorale de l'extrême droite libertarienne ne signifie pas que les mouvements populaires sont vaincues une fois pour toutes. Une grande bataille sociale et politique nous attend.
La percée inattendue de Milei lors des primaires d'août dernier avait fait l'objet d'analyses approfondies dans nos colonnes par Mariano Schuster et Pablo Stefanoni, Claudio Katz, et Martin Mosquera. Nous avons également publié une analyse, par Mariano Schuster et Pablo Stefanoni, de sa victoire récente.
27 novembre 2023 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/argentine-milei-instant-danger/
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Nous nous sommes réveillés et le dinosaure était toujours là, menaçant. Le seul point positif de ce scénario cauchemardesque est que l'incertitude est levée. Nous savons maintenant que nous entrons dans l'ère – que nous espérons très brève – de La Libertad Avanza (LLA : La liberté avance, formation de Javier Milei). La victoire éclatante de Milei, avec 12 points d'écart sur le ministre de l'économie du gouvernement sortant Sergio Massa, a été non seulement une surprise (car la plupart des sondages prévoyaient un résultat beaucoup plus serré) mais aussi la confirmation que le tremblement de terre des élections primaires du 13 août n'était pas un accident mais l'expression de mouvements tectoniques d'ampleur, qui sont en train de transformer radicalement le territoire politique de l'Argentine.
L'affaissement des bastions péronistes
Avec un taux de participation de 76,3 % (légèrement supérieur à celui du premier tour), Milei et sa candidate à la vice-présidence, Victoria Villarruel, défenseure de la dictature militaire, ont obtenu 55,69 % (14 476 462 voix), tandis que Massa et son candidat à la vice-présidence, Agustín Rossi, chef de cabinet de plusieurs ministres, ont à peine atteint 44,31% (11 516 142 voix). La LLA n'a perdu que dans trois des 24 circonscriptions nationales : Santiago del Estero, Formosa et la province de Buenos Aires. Mais même là, dans le territoire où le gouverneur Axel Kicillof [ancien ministre de l'économie et figure de l'aile gauche du péronisme] avait remporté en octobre sa réélection dès le premier tour, avec 45% des voix, la modestie du transfert de voix des autres forces politiques vers Massa s'est confirmée. Celui-ci a dépassé les 50% seulement de quelques dixièmes de point dans ce bastion péroniste historique.
Au-delà de la conurbation métropolitaine, où le ticket du parti au pouvoir a réussi à s'imposer (bien que sans une participation massive pour compenser la faible performance dans le reste des districts), la majorité des 135 municipalités de Buenos Aires a été remportée par Milei. Même dans les quelques municipalités remportées par le péronisme (Baradero, San Fernando, General Rodríguez, Marcos Paz, Presidente Perón, San Vicente, Berisso, Ensenada et General Guido), ce fut toujours avec une faible marge, n'atteignant 60 % que dans un seul cas.
La candidature de Milei a réussi à capter non seulement les 6 millions de voix qui, au premier tour, étaient allées à Patricia Bullrich (laquelle, après sa défaite, a soutenu, avec l'ancien président Mauricio Macri, le candidat libertarien), mais aussi une bonne partie de celles obtenues en octobre par Juan Schiaretti [gouverneur de Cordoba]. Les cartes électorales au niveau national et de la province de Buenos Aires confirment non seulement la débâcle du péronisme mais aussi le basculement quasi incontesté des voix de la droite traditionnelle vers la LLA. Même les partisans du radicalisme (Unión Cívica Radical, UCR, formation de centre-droit) n'ont pas hésité à parier sur « le changement ».
Malgré l'appel au vote blanc lancé par la majeure partie de l'UCR, un secteur du PRO [droite], la Coalition Civique et la grande majorité de l'aile gauche du FIT-U [coalition d'extrême-gauche trotskiste], cette option a atteint à peine 1,6 %, ce qui témoigne d'un très faible niveau de discipline électorale. Les spéculations sur la « limite » politique du soutien que pouvait espérer un candidat aussi peu présentable que Milei, qui ne s'est jamais lassé de remettre explicitement en question toutes les prémisses démocratiques et même des références historiques telles que Raúl Alfonsín [premier président après la chute de la dictature 1983-1989], se sont révélées absolument erronées en ce qui concerne un conservateur prétendument démocratique, surtout au sein de l'UCR. L'anti-péronisme atavique des classes moyennes, qui ont voulu se présenter, à un moment donné, comme plus étroitement liées à certaines conquêtes libérales et démocratiques, a une fois de plus démontré qu'il ne connaissait pas de limites, comme il l'avait fait pendant la dictature.
Les élections de dimanche ont également confirmé la règle selon laquelle un gouvernement ne peut être réélu dans une situation de crise économique aussi profonde que celle que connaît actuellement l'Argentine. Le mirage d'un ministre de l'économie responsable d'une inflation de 140%, qui a pu apparaître comme un candidat compétitif au premier tour des élections, s'est évanoui dès les premiers décomptes de voix de dimanche. La stratégie de Massa, qui consistait à renforcer le seul candidat contre lequel il voyait une chance de victoire (en garantissant la structure, le financement et même des candidats pour les listes de LLA), et à parier sur un vote de rejet dans lequel les préoccupations démocratiques l'emporteraient sur la dégradation de la situation économique, n'a finalement pas été le grand « coup de maître » que certains attendaient, mais une aide décisive à l'ascension du monstre qui détient maintenant les rênes de l'État.
Une profonde recomposition sociopolitique
Les appels des organisations politiques historiques comme le péronisme, le radicalisme ou la gauche n'ont toutefois pas été les seuls à échouer. La crise profonde de la représentation est également confirmée par le fait que, davantage sans doute que dans tout autre campagne électorale, on a assisté ces derniers mois à une vague de prises de position contre Milei de la part de toutes sortes de groupes (fans de Star Trek, fans de Taylor Swift, otakus (personnes qui restent constamment chez elles pour pratiquer leur loisir préféré), Sandro's Babes, géographes, caricaturistes, intellectuels et presque tout le mouvement syndical, pour n'en citer que quelques-uns) sans que cela ait un impact significatif sur le vote. L'élect.eur.rice de Milei apparaît comme un sujet beaucoup plus autonome, disposant sans doute d'interactions à travers les réseaux sociaux, mais sans autres appartenances organiques auxquelles il ou elle puisse réagir. L'historien Ezequiel Adamovsky analyse en partie ce phénomène lorsqu'il identifie la fragmentation sociale croissante et le renforcement de l'individualisme comme les prémisses de l'émergence de la nouvelle droite dans le monde.
La droitisation d'un secteur de la société argentine est incontestable. Même s'il est évident qu'on ne peut affirmer que les quelque 15 millions d'électeurs de Milei partagent entièrement son idéologie antidémocratique, il est indéniable qu'il existe un important militantisme de droite (en particulier parmi les jeunes) que nous n'avons jamais vu au cours des 40 dernières années de démocratie. Bien que depuis 1983, nous ayons eu des candidats d'extrême droite qui, à différents moments, ont réussi à triompher aux élections locales (Antonio Bussi, Luis Patti, Aldo Rico, etc.), ils sont apparus comme des vestiges rassis et réactionnaires de la dictature plutôt que comme des forces de renouveau, susceptibles d'enthousiasmer les jeunes et de former des militants et des cadres pour diffuser leur idéologie dans toutes les couches de la société. Aujourd'hui, le discours réactionnaire de l'ultra-droite n'est plus l'apanage de vieux nostalgiques, il s'est enraciné jusque dans les quartiers les plus populaires du pays, dans les secteurs des travailleurs informels, des travailleur.ses indépendant.es et des élèves des écoles publiques.
Les libertariens ont réussi ce miracle en partie en profitant du scénario très particulier de la pandémie, dont nous n'avons pas encore réussi à analyser rigoureusement les conséquences subjectives. Il va sans dire qu'il s'agit d'une droite réfractaire au dialogue et très encline à basculer dans la violence. Depuis les années 1970, la politique nationale n'a jamais été marquée par le niveau d'insultes, de menaces et de violence qui a caractérisé cette campagne. Une nouvelle droite s'est installée et les niveaux de confrontation discursive et même physique augmenteront certainement au cours de la prochaine étape. L'exceptionnalité de l'Argentine en tant que « pays sans droite » est révolue, ce qui est un signe supplémentaire de la fin du cycle que nous vivons.
Sans entrer dans l'analyse détaillée des transformations sociales qui sous-tendent la victoire de Milei (la détérioration économique soutenue, la fragmentation sociale, la division sectorielle de la classe ouvrière et le clivage entre salariés formels et informels, la grave crise de la représentation, la crise historique de l' » identité péroniste « , etc.), il semble clair que ce résultat électoral exprime aussi un phénomène structurel de perte de capacité d'action collective des travailleurs. Les urnes ont montré des changements fondamentaux dans les rapports de force, qui approfondissent la démobilisation sur laquelle les principales coalitions politiques et leurs homologues syndicaux ont parié depuis 2018, en dépolitisant le conflit, en décourageant la mobilisation de rue et en misant sur la négociation syndicale sectorielle. Comme le souligne Adrián Piva, cette stratégie a « désarmé les travailleurs face à la mobilisation politique de droite » et limité « les possibilités d'articuler le mécontentement et la protestation », laissant un champ d'action fertile aux forces de droite.
Naviguer en eaux inconnues
A partir de maintenant, nous sommes en terra incognita, avec l'obligation de construire une nouvelle carte politique et de nouveaux outils pour la prochaine période. Nous sommes face à un scénario dans lequel le péronisme est à nouveau confronté au défi de se réinventer pour continuer à être un acteur central de la politique argentine. Il semble évident qu'au cours de la prochaine étape, l'hégémonie transitoire des Kirchneristes risque d'être diluée et de céder la place à de nouveaux leaderships, avec, très probablement, Axel Kicillof dans une position clé.
D'autre part, il faut s'attendre à une migration massive du personnel politique vers LLA, même de la part des secteurs de Juntos por el Cambio [coalition de la droite traditionnelle] qui ont résisté au premier appel de Milei. Il est plus difficile de prédire ce que le radicalisme et les secteurs plus centristes de la politique nationale feront dans la prochaine étape, et s'ils chercheront à construire un nouvel espace à partir duquel l'UCR tentera de se reconstruire en tant qu'acteur indépendant – une perspective qui doit affronter la difficulté que pose le relâchement du lien avec les bases historiques de ce courant.
Quoi qu'il en soit, et au-delà des spéculations sur le futur, il ne fait aucun doute que nous sommes confrontés au danger réel d'une offensive qui, après plus de deux décennies de tentatives infructueuses, pourrait enfin résoudre l' « impasse hégémonique » qui caractérise la société argentine. Son succès signifierait la rupture avec cette configuration dans laquelle la classe ouvrière et ses alliés ont réussi à stopper les réformes les plus régressives impulsées par la bourgeoisie, mais sans progresser avec un programme propre, face à un capitalisme qui ne parvient pas non plus à imposer les transformations fondamentales dont il a besoin pour relancer un nouveau cycle d'accumulation. Il est certain que nous assisterons à une nouvelle tentative, semblable à celle de Macri [président de droite de 2015 à 2919], d'infliger une défaite prolongée à la classe ouvrière, comme l'a fait dans les années 1980 une Margaret Thatcher tant admirée par Javier Milei. Cette fois-ci, l'offensive se déclenchera sur une société meurtrie et fatiguée par des années de débâcle économique et de reflux politique. Mais la capacité de réaction et de résistance de ce peuple nous a surpris plus d'une fois.
Les prochains jours nous donneront probablement quelques indices sur l'avenir, qui dépendent du succès du pari des vainqueurs de profiter des 20 prochains jours – jusqu'à l'entrée en fonction de Milei – pour déclencher une course brutale du taux de change qui facilitera l'application des mesures de choc qu'ils ont déjà anticipées. Faisant siennes les promesses de Macri pour un second mandat qui n'a jamais eu lieu (« faire la même chose mais plus vite »), Milei a déjà anticipé dans son premier discours d'après le second tour qu'il n'y aurait pas le moindre gradualisme. Il ne reste plus qu'à voir quelle part de son programme brutal de transformation du pays il est prêt à essayer de mettre en œuvre d'emblée et s'il sera capable de transformer son énorme base électorale en un soutien actif à ces transformations. En outre, il sera nécessaire d'analyser attentivement les nouvelles configurations parlementaires qui peuvent ou non lui garantir une présidence capable d'aller de l'avant sans s'appuyer seulement sur des décrets d'urgence. Il en sera de même concernant les secteurs du péronisme (gouverneurs et maires) susceptibles de lui permettre un cadre de « gouvernabilité » au cours de la première phase de son mandat.
Dans ce pays, la résistance de multiples secteurs sociaux peut presque être considérée comme acquise, mais il est clair que des dizaines de batailles nous attendent sur différents fronts. Et la perspective improbable d'une remontée plus ou moins rapide des salaires renforcera probablement cette résistance.
Un résultat électoral ne suffit pas à vaincre les secteurs populaires. Le coup a été dur, mais il n'implique pas une défaite fondamentale. Au cours de la prochaine étape, il s'agira donc de travailler avec la plus grande ampleur, la plus grande créativité et la plus grande unité d'action pour l'empêcher et pour préparer la contre-offensive. Compte tenu du risque de perdre pour longtemps nos meilleures traditions de lutte intransigeante et de défense des droits humains, nous sommes confrontés à la nécessité de les saisir lorsqu'elles clignotent « dans un instant de danger », comme le disait Walter Benjamin. Et nous avons vécu peu de moments aussi dangereux que celui-ci.
*
Pedro Perucca est sociologue, journaliste, rédacteur en chef de la revue Sonámbula et membre du « Proyecto Synco », un observatoire de science-fiction, de technologie et de prospective. Cet article est initialement paru le 21 novembre 2023 dans Jacobin America Latina.
Traduction Contretemps.
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Au Chiapas, l’autre frontière de notre présent (1)

Depuis ce printemps se joue au Mexique, dans l'état méridional du Chiapas, une guerre sourde qui n'a que très peu capté notre attention.
Simon Latendresse,
Anthropologue, chercheur postdoctoral au Centre de Recherches en Géographie Environnementale à la UNAM, au Mexique.
Dans le cycle habituel des nouvelles, on dira même que ce train-là est passé. Au-delà des caprices de l'actualité, au-delà des évènements saillants, la transformation de la « Frontière Sud » offre pourtant une profondeur de vue nécessaire sur les forces et les flux qui traversent le continent.
Trente ans après l'optimisme utopique du soulèvement zapatiste, c'est au contraire la barbarie cynique, sinistre, des entrepreneurs de la mort qui consume aujourd'hui le Chiapas. Des décennies de promesses rompues, de dépossession et de répression sourde, et nous voilà dans le plus sombre des présents possibles.
La guerre pour le contrôle de la Frontière
Depuis l'hiver dernier, il y avait des signes avant-coureurs. Des avertissements, quelques règlements de compte. Mes amis sur place me prévenaient que l'orage couvait. Soudain fin mai, ça éclate. La ville de Frontera Comalapa est prise d'assaut. Chargeant à bord de véhicules blindés, armés de calibres 50 et autre artillerie de grade militaire, les puissants cartels de Sinaloa et de Jalisco, dit « Nouvelle Génération » (CJNG) s'y affrontent, terrorisent pendant près de quatre jours la ville et les villages avoisinants. Sur les messages vocaux partagés sur WhatsApp, on pouvait entendre les chuchotements terrifiés des habitants qui tentent d'alerter les leurs :
« On a eu de la chance, on a réussi à sortir à temps. On plusieurs familles ici dans la montagne. »
« Ils entrent dans les maisons et enlèvent les jeunes pour les envoyer au combat. Allez vite vous cacher dans la forêt ! »
La Garde Nationale ne se présentera sur les lieux qu'une semaine plus tard, une fois les canons tus.
Septembre. Après quelques mois d'une apparente accalmie, une enseignante d'Amatenango est enlevée en pleine classe puis retrouvée assassinée la semaine suivante. De Comalapa jusqu'à Tapachula, les « narco-barricades » bloquent l'autoroute panaméricaine qui longe la frontière, paralysant toute circulation, toute activité, menaçant jusqu'à l'approvisionnement alimentaire. Dans les municipios (comtés ou communes) de la région, même les chemins de terre vers les villages avoisinants sont bloqués. Un siège total qui dure près d'un mois. Pendant plus d'un mois, les écoles restent fermées. Même la poste locale demeure à l'arrêt.
De la capture de nouveaux marchés à la gouvernance nécrocapitaliste
Les affrontements entre cartels pour le contrôle de la « Frontière Sud » ne sont pas en soi nouveaux. Mais cette plus récente escalade — sa durée, son intensité, son caractère absolument décomplexé — dévoile le caractère stratégique que couvre cette frontière.
Comme toute entreprise capitaliste, les entrepreneurs de la mort visent l'expansion, cherchent à diversifier leur « portfolio ». Elles étendent désormais leur contrôle sur des pans entiers de l'économie : la culture d'agave, d'avocat… Même de citrons ! À Frontera Comalapa, Amatenango de la Frontera, Mazapa de Madero et Chicomuselo, ils taxent le commerce informel, les débits d'alcool, les compagnies de transports. Ils organisent ceux-ci en « syndicats » ou en unités paramilitaires contraintes à travailler comme informateurs, messagers ou intimidateurs, à monter des barricades ou à mater les journalistes contestataires, les activistes sociaux et autres opposants politiques.
Exodes, terreur et marchandise
Longtemps un point névralgique pour le passage de cocaïne, le contrôle de la Frontière Sud, c'est aussi, et peut-être surtout aujourd'hui, le contrôle d'une autre ressource, particulièrement profitable, simultanément main d'œuvre et marchandise : les migrants (ils sont six millions à être entrés au Mexique cette année seulement !). Extorqués, conscrits comme mules ou comme coursiers, les femmes souvent violées, brutalisées et forcées à la prostitution.
Interviewée dans un refuge de Mexico, une jeune hondurienne venait tout juste d'échapper à son calvaire. La voix brisée, elle me raconte comment son « contact » au Chiapas l'avait séquestrée et forcée ensuite à travailler comme livreuse :
« Tous les jours, c'était les coups, les insultes, les menaces, dit-elle. Ils disaient qu'ils allaient me tuer si je n'obéissais pas. Mes amies avec qui j'avais traversé, elles sont disparues. Je ne les ai plus jamais revues. »
Les corps découverts par dizaines, par centaines dans bien autant de fosses clandestines au nord du pays ces dernières années, témoignent sans doute de ce qui est fait de ces migrants sitôt qu'ils ne rapportent plus. À moins que la terreur elle-même soit plus profitable.
Et plus la frontière est ardue à traverser, plus les cartels en profitent. La production de l'illégitimité, par la fermeture des voies légales, oblige les migrants à emprunter des chemins de traverse de plus en plus dangereux. Ce qui les rend de plus en plus vulnérables à la capture et à l'exploitation par les groupes criminels, de connivence avec la police.
Du droit de ne pas migrer
Le Chiapas lui-même est d'ailleurs un microcosme emblématique pour saisir avec clarté les forces qui poussent des millions de gens du Sud à l'exil.
Les autochtones du Chiapas ont une longue et tragique histoire de migrations ouvrières entre hautes-terres et basses-terres de l'état. Aujourd'hui c'est désormais vers le nord du pays, les États-Unis (et dans une moindre mesure vers le Canada) qu'ils quittent en masse. Une analyse récente de la banque espagnole BBVA place San Cristobal de las Casas, la capitale culturelle du Chiapas au premier rang des villes du Mexique qui reçoivent le plus de transferts de fonds de l'étranger, avec 420 millions USD au total, seulement pour le premier trimestre de 2023. À l'échelle de l'état, ces transferts (ou remesas) atteignent un peu plus de 3 milliards en 2022, dépassant largement l'investissement direct de l'étranger qui, bon an mal an, oscille entre les 50 et 250 millions à peine1.
Avec la réforme constitutionnelle de 1992, prélude obligé à la signature de l'ALÉNA (aujourd'hui l'ACEUM), la fin des subventions agricoles aux paysans mexicains, le dumping massif des États-Unis et la chute précipitée des prix du maïs et du café qui s'en suivit ont durement appauvri les paysans chiapanèques, provocant la révolte dans les campagnes qui menèrent au soulèvement zapatiste de 1994. Pour seule solution, l'État mexicain, avec l'appui matériel militaire des É.-U. et la caution du Canada n'ont su miser que sur la répression.
Dans les ejidos (terres agricoles collectives), des aînés qui se sont autrefois battus pour la redistribution de la terre déplorent aujourd'hui combien celle-ci manque de bras pour la travailler. Mais confrontés à la rudesse d'un travail de plus en plus ingrat et à des sols aussi dégradés que les marchés, leurs fils et petits-fils, se demandent, eux, pourquoi diable ils restent.
L'agriculture de subsistance occupe pourtant encore près du tiers de la population active (soit un peu plus d'1,2 millions de personnes), dans cet état où le salaire moyen ne dépasse pas les 400$ par mois, et où le taux d'emploi informel est de 76% (d'après les plus récentes données de l'INEGI). Privés d'option de rechange, l'exode massif des jeunes chiapanèques devient une formidable source de recrutement pour les cartels. Argent facile, consommation, glamour : les sirènes mortifères de la vie de gangster peuvent sembler irrésistibles face à la misère d'une économie sclérosée.
Ce cercle infernal pauvreté-migration-criminalité-insécurité nous oblige à sortir de nos lieux communs : au-delà du droit à migrer, n'est-il pas possible, voire urgent, de penser aussi un droit à ne pas devoir migrer ? Un droit à une vie décente dans son lieu d'origine ? Cette dernière formulation, beaucoup plus exigeante, demande de revoir la façon dont sont pensés et structurés nos liens avec le Mexique (et ceux du Nord avec le Sud en général).
Mais pour l'instant, le modèle dominant du sous-développement capitaliste n'a rien à proposer qu'une interminable fuite vers l'avant. Et comme si le libre-échange et la capitalisation agricole n'était pas suffisants pour appauvrir et déposséder la paysannerie mexicaine et centre-américaine de ses moyens de production et de reproduction sociale, la nouvelle ruée vers les ressources minérales et énergétiques, qui s'accélère depuis le début des années 2000, vient ajouter à la menace. Dans un prochain volet, il sera question du lien entre les groupes narcoparamilitaires et le capital minier dans la région frontalière du Chiapas.
Note
1. D'après les données publiées par le gouvernement mexicain.
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Au Chiapas, l’autre frontière de notre présent (2)

Précédemment, j'ai parlé de la guerre entre les cartels mexicains pour la mainmise sur la frontière Mexique-Guatemala.
Simon Latendresse,
Anthropologue, chercheur postdoctoral au Centre de Recherches en Géographie Environnementale de la UNAM, au Mexique.
photo
Cartographie des concessions minières dans la région de la Sierra Madre du Chiapas. Lieux des violences et narco-blocus de mai à octobre 2023 Sources cartographiques : Cartocrítica, 2023. https://mineria.cartocritica.org.mx/.org
J'ai souligné combien la capture des flux migratoires étaient désormais l'un des principaux enjeux stratégiques de cette frontière. Dans la double impasse du sous-développement et de l'exode vers le Nord, les cartels mexicains deviennent de facto la main de fer clandestine des États, un rôle aussi instrumental à l'expansion du capital extractif dans la région. C'est de cette complicité secrète entre les entrepreneurs de la mort, l'État et le Capital dont il sera question ici.
Une impression de déjà-vu
Le 30 décembre 2022, des mois avant qu'éclate la bataille de Frontera Comalapa, Isabel Recinas Trigueros (dit compa Chave) activiste écologiste du Mouvement Social pour la Terre était séquestré à Chicomuselo, puis retrouvé quelques temps plus tard, battu, blessé par balles et laissé pour mort au bord d'une route.
L'agression rappellera l'assassinat en 2009 dans la même municipalité, de Mariano Abarca Roblero, leader de la mobilisation populaire contre l'opération minière de la canadienne Blackfire Exploration Ltd. Isabel Recinas poursuivait le même combat contre cette mine, officiellement fermée et interdite d'opération depuis le meurtre d'Abarca, mais que des intérêts particuliers cherchaient depuis quelques temps à faire réouvrir.
Si les assassins d'Abarca avaient tour à tour nié toute implication, les assaillants du compa Chave, eux, laissent ouvertement leur carte de visite : El Maíz, un syndicat paramilitarisé aux ordres du Cartel Jalisco Nueva Generación. Puis un mai, au moment même où CJNG affronte le Cartel de Sinaloa à Comalapa, menaces et agressions redoublent à Chicomuselo contre des activistes opposés à la mine. À tel point que les organisations sociales et paroissiales qui menaient historiquement la résistance décident de mettre leurs activités en veilleuse.
La reconfiguration d'une frontière
On peut voir ainsi se profiler un autre enjeu autour de cette guerre pour le contrôle du territoire : l'expansion de la frontière extractive dans la Sierra Madre du Chiapas. Depuis des décennies l'industrie minière tente de s'y établir pour en exploiter les riches sous-sols.
0,4% : pourcentage d'emploi à l'échelle nationale que représente le secteur extractif au Mexique, incluant l'énergie.
(Source : Observatorio Laboral, Gobierno de México)
Dans une économie rurale dévastée par la chute du prix des denrées et par le dumping nord-américain, la filiale minière avait bien au départ de quoi séduire les habitants. Mais il deviendra vite clair que la dévastation de ce territoire fragile n'en vaut pas les rachitiques redevances. Clair que les promesses d'emploi ne sont qu'un miroir aux alouettes. Que pour l'immense majorité des paysans, une mine à ciel ouvert ne signifie autre chose qu'une grande dépossession. Se retrouver devant rien, un autre paysan sans terre ajouté à la masse croissante d'un lumpenprolétariat du Sud qui n'a nulle part où aller que vers le Nord.
Structurées autour d'organisations communautaires proches de l'EZLN et du diocèse de San Cristobal, de concert avec divers groupes écologistes militants, une farouche résistance des communautés rurales décidées à protéger leurs territoires, était parvenue jusqu'à aujourd'hui à chasser ces aventuriers du capital minier.
On dira qu'il n'y a pas de hasard ! Depuis le début de l'année, au moment même où les cartels terrorisent la population, les promoteurs miniers reviennent à la charge. Les collectivités agraires déplorent leurs visites insistantes. Les nouvelles concessions qu'ils tentent de faire approuver prennent dimensions titanesques, parfois de plus de 2000km2 (voir l'encadré), enregistrées souvent au nom d'entreprises qui n'existent dans aucun registre fiscal. Des équipes entrent dans les territoires avec leur machinerie (non-identifiée) sans consentement des communautés, avec à la clef intimidations, agressions, enlèvements d'activistes. « Cette fois, ils ont changé de stratégie, et ils s'allient aux narcos », m'informe un collègue originaire de la région.
Notes
1. S. Valencia, Capitalismo Gore, Melusina, 2010.
2.D'après l'expression de l'anthropologue Michael Taussig. Voir Shamanism, Colonialism and the Wild Man. A Study in Terror and Healing, University of Chicago Press, 1987.
3.Luxembourg, R. (1913). L'accumulation du capital. François Maspero, 1969.
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Cartographie des concessions minières dans la région de la Sierra Madre du Chiapas. Lieux des violences et narco-blocus de mai à octobre 2023 Sources cartographiques : Cartocrítica, 2023. https://mineria.cartocritica.org.mx/.org
Narco-gouvernance et contre-insurrection
Dans ce contexte, la présence des groupes criminels prend alors une tout autre dimension. Comme le décrit l'activiste mexicaine Sayak Valencia1, outre la drogue, la principale marchandise dont les groupes criminels militarisés font commerce est la violence elle-même.
Bien qu'il paraît menacer aujourd'hui la stabilité même de l'État, le crime organisé mexicain joue pourtant de longue date un rôle clandestin mais déterminant dans la répression des organisations de gauche, des partis politiques dissidents et des mouvements étudiants. Au Chiapas où leurs liens avec la classe politique et les grands propriétaires sont nombreux et profonds, ces organisations paramilitaires criminelles sont depuis longtemps instrumentales dans la répression sanglante contre les mouvements paysans et les communautés zapatistes.
L'économie minière offre justement un monde d'opportunités où convergent les intérêts entre capital formel et informel. De la généreuse rente de protection que promet la mine, jusqu'à l'emprise sur toute l'économie satellitaire qui accompagne cette industrie et l'urbanisation sauvage qu'elle entraîne : spéculation immobilière, hôtellerie, débits d'alcool et bien évidemment, le marché de la drogue et la prostitution. L'horizon coercitif imposé par les groupes criminels facilite ainsi la dépossession des communautés, désarticulant les solidarités locales et faisant taire les dissidents : journalistes, écologistes, enseignants.
Le « miroir colonial de la production »
Ce scénario ne rappelle-t-il pas celui du capitalisme de pionniers du XIXe siècle ? Celui de la vieille frontière coloniale, décrite dans les romans de Joseph Conrad, de Bruno Traven ou de Miguel Ángel Asturias. Nouvelles ressources, nouvelles frontières : le sucre, l'ivoire, le caoutchouc, le café, extraits au prix de la sueur et du sang des autochtones dans les colonies ou quasi-colonies du Sud, et les profits, gargantuesques, empochés aux bourses de New York, de Londres, d'Amsterdam.
Cette frontière des ressources est aujourd'hui celle de la baryte, à Chicomuselo, qui sert à l'extraction d'une autre matière toujours précieuse : le pétrole. C'est aussi le titane de la côte du Soconusco, utilisé dans les technologies militaires et prisé par les minières chinoises. C'est enfin celle du cuivre, du graphite, de l'or, des terres rares de la Sierra, cruciaux pour la mythique « transition énergétique ». Avec tout un réalignement logistique vers les Zones Économiques Spéciales (ZEE) et les ports de la côte ouest, c'est un immense triangle alchimique qui désormais traverse le Pacifique, dans lequel le minerai, extrait d'Amérique latine (entre autres), est transformé en marchandise en Chine, puis changé en or au TSX !
Comme un miroir colonial de la production2, la terreur qui régit la Frontière Sud nous présente un reflet de la profonde violence qui git au cœur même du capitalisme. Cette part maudite que les économistes néoclassiques bannissent vers l'ailleurs sous le vocable hygiénique d'« externalité ». La cruauté saturnale de l'entreprenariat nécrocapitaliste, non seulement obéit aux mêmes impératifs de marché qui régissent notre économie mondiale — même course effrénée aux profits et aux coûts minimaux de production — elle est, comme le démontra jadis Rosa Luxembourg, la condition même de son expansion3.
Examiner la dimension territoriale de cette expansion, c'est donc mesurer les conditions et le coût réel de l'actuelle transformation du marché-monde. En mettant en lien le Mexique et le Québec, il sera question dans le prochain volet d'explorer plus avant les ramifications continentales et mondiales de la présente frontière des ressources minières et énergétiques et de la grande expulsion de la paysannerie du Sud.

Comment l’extrême droite en France et en Allemagne instrumentalise la guerre à Gaza

Avec la guerre Israël-Hamas, l'extrême droite européenne a saisi une occasion pour se positionner en meilleure amie de la communauté juive pour mieux dénoncer le danger de l'immigration musulmane. “Ha'Aretz” observe, en analysant le phénomène en France et en Allemagne, que cette posture ne durera pas.
Tiré de Courrier international. Article paru à l'origine dans Haaretz. Légende de la photo : Marine Le Pen à la Marche contre l'antisémitisme à Paris. le 12 novembre 2023. Photo Claire Serie/Hans Lucas/AFP
Alors qu'il parcourait les couloirs de l'Union européenne (UE) lors du sommet de Bruxelles le mois dernier [en octobre], Viktor Orban s'est probablement senti conforté dans ses positions.
À l'est, les forces du “bien” et du “mal” se livraient à un “choc des civilisations” en Israël et sur la bande de Gaza. Et à l'ouest, où les Européens “éclairés” ne se privent pas de le critiquer, les violences antisémites avaient nettement augmenté en écho, semble-t-il, au soutien apporté au Hamas par des mouvements d'extrême gauche.
À la veille du sommet, le premier pourfendeur de l'immigration en Europe confiait espérer que “de plus en plus de gens voient, ici à Bruxelles, qu'il existe un lien évident entre terrorisme et immigration”. Avant d'ajouter : “Ceux qui soutiennent l'immigration soutiennent aussi le terrorisme.”
De fait, le discours de Viktor Orban “ne paraît plus aussi extrême dans les circonstances extrêmes que nous connaissons”, souligne Peter Kreko, directeur de Political Capital, un groupe de réflexion indépendant qui a son siège à Budapest. Le Premier ministre illibéral “a l'habitude d'être dans le rôle du méchant qui dit la vérité”, ajoute-t-il.
L'AfD se met sous silencieux
L'actuelle guerre entre Israël et le Hamas est une aubaine pour les populistes d'extrême droite européens qui, comme Viktor Orban, présentent leur pays comme des sanctuaires ouverts aux Juifs et aux chrétiens.

En France, le conflit permet à Marine Le Pen, probable candidate à l'élection présidentielle de 2027, de poursuivre la mue du parti extrémiste et antisémite hérité de son père, Jean-Marie Le Pen. En Allemagne, le second parti d'opposition, l'AfD, profite de ce moment pour mettre son antisémitisme en sourdine, du moins publiquement, et pour laisser libre cours à son islamophobie.
Les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre dernier sont une occasion à saisir pour les partis d'extrême droite européens, analyse Rafaela Dancygier, politologue à l'université de Princeton. “Cela leur permet de diaboliser les musulmans en Europe et de prôner de nouvelles restrictions à l'immigration, ce qui n'est pas nouveau pour eux, mais le contexte actuel donne plus de poids à leurs arguments”, explique-t-elle.
Ce qui est nouveau, en revanche, c'est que “l'extrême droite semble aujourd'hui plus respectable que l'extrême gauche”. Certains représentants de gauche ont en effet salué les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre ou les ont assimilés à une forme de résistance légitime, poursuit-elle. La gauche, “qui est plus souvent dans le rôle du protecteur des droits des minorités”, a laissé l'extrême droite se poser en protectrice des communautés juives, ce qui renforce sa légitimité, indique Rafaela Dancygier.
Sauf que cette soudaine compassion à l'égard des Juifs n'a rien de sincère, affirme Peter Kreko. Le positionnement prosioniste de l'extrême droite européenne relève plus d'une volonté “d'exploiter [le sentiment anti]musulman que d'une véritable empathie pour les Israéliens”, explique le chercheur hongrois.
Antisémites notables
À l'approche des élections européennes de juin, Orban a désormais beau jeu de dire : “Regardez les pauvres pays d'Europe de l'Ouest qui n'ont pas assez surveillé leurs flux migratoires et sont à présent dévorés par l'antisémitisme – contrairement à la Hongrie, qui est une terre d'accueil pour les Juifs et les chrétiens”, prédit le politologue.
“L'histoire montre que les partis d'extrême droite instrumentalisent la question juive et l'antisémitisme pour leur propre intérêt”, renchérit Rafaela Dancygier.
La Shoah est, selon elle, un bon indicateur. “Lorsque l'extrême droite veut paraître plus modérée dans l'opinion publique, elle prend ses distances vis-à-vis des révisionnistes et négationnistes de l'Holocauste.” Mais seulement quand elle le veut, insiste-t-elle.
Quelques jours après l'attaque du Hamas, le président d'honneur de l'AfD, Alexander Gauland – qui s'est illustré par le passé en comparant le rôle des nazis à une “fiente d'oiseau” sur le grand livre d'histoire de l'Allemagne –, a déclaré que “cette attaque ne vis[ait] pas seulement l'État hébreu, elle [était] également dirigée contre nous”. Tous ses camarades de parti ne se sont néanmoins pas précipités pour défendre Israël avec autant de vigueur.
Trois jours après les massacres du Hamas, l'actuel codirigeant du parti, Tino Chrupalla, postait sur X qu'il “condamn[ait]” l'organisation islamiste mais appelait également à la désescalade, affirmant que “l'heure est à la diplomatie” et sans faire la moindre allusion au droit d'Israël à se défendre.
Cette ambivalence de l'AfD tient au fait que plusieurs de ses responsables sont des antisémites notables. “C'est aussi une des raisons de leur popularité”, rappelle Dancygier.
Manque de mémoire politique
Actuellement en seconde position dans les sondages avec 21 % d'électeurs allemands se disant prêts à voter pour eux aux prochaines élections, les responsables de l'AfD risquent la division. À moins qu'ils n'aient même pas besoin de se positionner clairement sur la question de l'antisémitisme. Pour l'heure, le sentiment anti-immigration et l'hostilité envers l'establishment incarné par l'actuelle coalition de centre gauche semblent en effet suffire à faire leurs affaires.
Dans une étonnante vidéo de neuf minutes qui a beaucoup tourné sur les réseaux, le vice-chancelier et codirigeant des Verts allemands, Robert Habeck, a lancé un avertissement aux extrémistes des deux camps qui voudraient profiter de cette guerre pour semer le trouble en Allemagne : abstenez-vous, leur a-t-il dit en substance.
Dans cette vidéo, Habeck reconnaît que “l'antisémitisme islamiste ne doit pas nous faire oublier qu'il existe un antisémitisme profondément ancré en Allemagne”. Avant de dénoncer les personnalités d'extrême droite qui “se retiennent pour le moment, pour des raisons purement tactiques, afin d'attiser l'hostilité contre les musulmans”.

Contrairement à l'AfD, l'accession au pouvoir passe pour Marine Le Pen par le cœur et surtout le manque de mémoire politique des électeurs français. La dirigeante d'extrême droite, qui a rebaptisé son parti “Rassemblement national” en 2018, est confrontée à un problème évident qu'un simple changement de nom ne suffit pas à régler : l'ombre funeste de son antisémite et négationniste de père.
“Rempart contre l'idéologie islamiste”
Depuis que le Hamas a tué 40 ressortissants français dans des communautés israéliennes à la frontière de la bande de Gaza, Marine Le Pen se pose ouvertement en défenseur des Juifs de France. Elle a même qualifié l'attaque du 7 octobre de “pogrom”.
Cette prise de position intervient alors que le ministère de l'Intérieur a relevé près de 1 250 incidents antisémites en France depuis le 7 octobre [1 518 actes ou propos antisémites ont été recensés entre le 7 octobre et le 14 novembre 2023] – soit trois fois plus que durant toute l'année 2022.
La France abrite la plus grande communauté juive d'Europe, et [le 12 novembre] plus de 100 000 personnes ont participé à une grande marche contre l'antisémitisme dans la capitale. Interviewé à la radio, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, a affirmé que pour de nombreux Juifs de France son parti apparaissait comme un “rempart contre l'idéologie islamiste”.
Si tous les Juifs de France et les chercheurs n'adhèrent pas à cette proposition, le changement d'image entrepris par Marine Le Pen semble porter ses fruits. À en croire le politologue Jean-Yves Camus, alors qu'elle ne pouvait pas être élue il y a cinq ans, ses chances se sont nettement accrues aujourd'hui.
Un nombre croissant de Français ne la considèrent plus comme une représentante de l'extrême droite, souligne le chercheur, et la majorité d'entre eux ne la voit pas comme une menace pour la démocratie – contrairement à l'extrême gauche. Tandis que Marine Le Pen participait à la marche de dimanche contre l'antisémitisme, Jean-Luc Mélenchon s'est abstenu, déclarant que l'évènement était le rendez-vous “des amis du soutien inconditionnel au massacre” à Gaza. Le politologue rappelle toutefois que “la conversion pro-Israël [de certains membres du RN] n'est pas sincère, ce n'est qu'une manœuvre pour récupérer des voix et faire table rase du passé”.
Qui haïr le plus ? Les Juifs ou les musulmans ?
Même si Marine Le Pen n'est pas elle-même antisémite, poursuit-il, on ne saurait faire confiance à ses partisans, car leur soutien à Israël tient uniquement au fait qu'ils assimilent les combattants du Hamas à des islamistes – leur pire fléau. Le discours de Marine Le Pen consiste à “lier la guerre à l'immigration, et le Hamas à un mouvement islamiste qui serait entré en France avec le soutien de la gauche et des ONG musulmanes”.
Reste que ses électeurs “ne se soucient pas vraiment des questions de politique étrangère, seulement de l'ordre public” – qu'ils jugent menacé par les musulmans.
Selon Michael Colborne, journaliste d'investigation pour le site Bellingcat et spécialiste des mouvements d'extrême droite transfrontaliers, depuis le déclenchement de la guerre au Moyen-Orient les électeurs d'extrême droite “ne savent pas qui ils haïssent le plus : les Juifs ou les musulmans.”
Ce qui n'est pas sans poser de problème à Marine Le Pen et à ses camarades soucieux de renvoyer une image de respectabilité tout en ménageant leurs militants les plus endurcis.
Reste maintenant à savoir dans quelle mesure le gouvernement d'Israël, lui-même extrémiste, s'emploiera à amplifier cette islamophobie et la droitisation du paysage politique européen. Pour les observateurs, le gouvernement israélien doit s'interroger sur les conséquences que pourrait avoir sa légitimation de partis nationalistes dont l'antisémitisme n'est que temporairement mis au second plan.
Dans l'immédiat, il semble évident que l'essor de l'extrême droite menace les formations démocratiques et libérales de gauche sur le continent.
Cela faisait plusieurs décennies que les extrêmes politiques n'avaient pas présenté cette formation “en fer à cheval”, où l'extrême gauche et l'extrême droite se retrouvent plus près l'une de l'autre que du centre, souligne Rafaela Dancygier. Surpris par cette acceptation présumée par la gauche de la terreur et des violences, certains électeurs pourraient croire que la gauche est aussi radicale que l'extrême droite, si ce n'est plus. “Ce qui affaiblit la gauche, y compris le centre gauche, conclut-elle, et bien sûr la démocratie en général.”
David Issacharoff
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Lucidité, unité, démocratie

Dans cette période politique complexe, brouillée, défiante, Clémentine Autain, « animée par l'obsession d'éviter un scénario Le Pen-Macronie en 2027 », appelle à la responsabilité historique de rechercher inlassablement l'union, d'apparaître comme un pôle rationnel, dont le fil à plomb doit être l'approfondissement de la démocratie.
27 novembre 2023 | tiré du site regards.fr
https://regards.fr/lucidite-unite-democratie/
À la veille de l'assemblée représentative de La France Insoumise du 16 décembre, et alors que les groupes d'action se réunissent pour débattre de l'orientation de notre mouvement, je veux contribuer par ce texte à éclairer les enjeux qui sont devant nous. À celles et ceux qui auraient préféré une contribution à usage interne, qu'ils sachent que moi aussi mais il n'existe pas de moyen de le faire au sein de LFI. Je ne peux pas m'adresser aux militants insoumis autrement que sur mon blog ou dans les médias.
Dans un paysage politique toujours plus éclaté, brouillé et désormais tripolarisé, notre responsabilité historique est de rechercher inlassablement l'union des forces d'alternative sociale et écologiste. Avec un projet qui transforme en profondeur notre pays, l'objectif est de construire un rassemblement majoritaire pour en finir avec les choix néolibéraux et productivistes des dernières décennies et porter le partage des richesses, des pouvoirs, des savoirs et des temps de la vie.
Dans un moment de trumpisation de la vie médiatique, notre tâche est d'apparaître comme un pôle rationnel – conformément à notre histoire issue des Lumières –, solide sur tous ses principes1, rassurant dans son profil pour donner confiance à une part croissante de nos concitoyen.nes.
Dans une période aussi complexe et de défiance à l'égard des politiques, notre fil à plomb doit être l'approfondissement de la démocratie, entre nous – parce que c'est plus efficace – et pour donner à voir comment nous ferons quand nous gouvernerons la France.
Lucidité
À LFI, nous avons indéniablement l'optimisme de la volonté chère à Gramsci. C'est même l'une des marques de fabrique à laquelle je suis très attachée. Cet optimisme permet de voir « les chances non réalisées qui sommeillent dans les replis du présent », pour reprendre les jolis mots du père de l'écologie politique André Gorz. Heureusement que plusieurs fois dans l'histoire récente où notre gauche était en berne, nous avons gardé confiance dans nos capacités à déjouer les pronostics. Mais ne perdons pas de vue l'autre partie de l'adage gramscien : le pessimisme de l'intelligence. Car si, par optimisme forcené, nous abandonnons la lucidité sur le réel, alors nous ne réussirons pas à nous orienter correctement pour gagner. De la même manière, si nous refusons toute critique sur nous-mêmes au nom du fameux « faire bloc » face à nos nombreux adversaires, nous risquons de perdre gros en intelligence collective.
Première lucidité : la percée de l'extrême droite, qui dit la gravité de la situation et l'ampleur de la responsabilité qui est la nôtre. La victoire de Javier Milei en Argentine et celle de Geert Wilders aux Pays-Bas viennent de donner une sinistre note d'ambiance… De dimension internationale, cette ascension n'épargne malheureusement pas notre pays. Notre tâche, c'est de combattre les politiques macronistes tout en gagnant la course de vitesse engagée avec Marine le Pen.
Certains d'entre nous ont expliqué que la quête de respectabilité du RN les conduirait à la défaite. Qu'avec leurs cravates et leur institutionnalisation, ils perdraient leur électorat populaire séduit par l'expression bruyante de la colère et le côté « hors système ». Le nouveau profil du RN n'infléchit pas ses courbes de popularité, d'adhésion et d'intention de vote, globalement plutôt à la hausse depuis un an. Il faut dire que cette nouvelle posture est facilitée de manière inouïe par la Macronie, qui lui a déroulé le tapis rouge à l'Assemblée nationale et lui a offert sur un plateau une légitimité dans le combat contre l'antisémitisme. En attendant, alors que sur le fond les lepénistes conservent leurs marqueurs autoritaires, xénophobes et sexistes, ils étendent leur influence. L'extrême droite est en train de siphonner la droite. Et son plafond de verre explose.
En face, méfions-nous du refrain « RN et Renaissance, c'est bonnet blanc et blanc bonnet ». Oui, la Macronie est dans une dérive folle qui l'amène à briser bien des principes républicains et à valider, parfois concrètement comme avec la loi Immigration, les partis pris de l'extrême droite. Mais confondre l'un avec l'autre, c'est factuellement faux et politiquement dangereux. Que les uns et les autres soient acquis aux intérêts des plus riches et à la réduction de la dépense publique, c'est l'évidence. Mais, avec le RN au pouvoir, nous franchirions un cap autrement plus dangereux en matière de politique autoritaire, surtout après le travail si bien préparé par la Macronie. Les conditions de la contestation sociale et politique seraient encore plus sévèrement dégradées. Nous prendrions un immense risque pour les droits des femmes : si Renaissance ne considère pas sérieusement, notamment dans ses politiques publiques, le combat pour l'émancipation des femmes, il ne porte pas un projet réactionnaire, ouvertement sexiste et familialiste. Et que penser du sort qui serait fait aux immigrés et aux populations issues de l'immigration ? L'instrumentalisation sur le thème du « choc des civilisations » de l'insupportable mort de Thomas à Crépol donne à voir le potentiel de guerre civile de l'extrême droite. Surtout, il ne faut jamais oublier, comme le rappellent les travaux d'Ugo Palheta2, que, ripolinée ou pas, l'extrême droite porte en germe le fascisme.
Pour autant, la Macronie se droitisant à la vitesse de l'éclair, ce ne sont pas les différences entre le RN et Renaissance qui apparaissent aujourd'hui éclatantes : c'est le rapprochement qui sidère. C'est là que nous avons une responsabilité en matière d'éducation populaire, notamment à l'égard des jeunes générations. Je ne parle pas ici de consigne de vote dans un éventuel second tour entre Le Pen et un représentant de la Macronie. Mon propos n'est animé que par l'obsession d'éviter un tel scénario en 2027. Je parle de notre discours aujourd'hui. Marteler qu'il y aurait un tout homogène RN/LR/Renaissance, c'est contribuer au brouillage des repères. Et « à la fin », si ça se termine « entre eux et nous », pour reprendre la formule de Jean-Luc Mélenchon, quel intérêt avons-nous à associer le RN avec tout le reste de l'échiquier politique ?
Unité
La lucidité impose également de ne jamais perdre de vue cette réalité nouvelle : la tripolarisation de la vie politique – Macronie/extrême droite/Nupes. Deux pôles sur trois sont de droite : c'est dire l'ampleur de notre tâche. Pour atteindre le second tour de la présidentielle, il nous faut donc construire sans relâche le rassemblement de la gauche et des écologistes. Pour l'emporter au second, nous devons éviter de constituer un plafond de béton qui nous laisserait seuls avec un petit tiers de l'électorat et le reste vent debout contre nous. C'est pourquoi la logique du « socle » à conforter contre le reste du monde me paraît contre-productive dans le contexte. Nous devons conforter et élargir l'électorat des 22% de la présidentielle, et non seulement renforcer l'adhésion d'une (petite) partie de ce socle. Les abstentionnistes de la partie populaire la plus proche de nos idées se mobiliseront si nous apparaissons en capacité de gagner. C'est pourquoi fédérer le peuple impose de chercher ce qui relie ses différentes composantes, et non d'appuyer avant tout sur ce qui les clive. Fédérer le peuple passe surtout par la contagion en positif d'une espérance. Fédérer le peuple suppose enfin de travailler les différentes médiations à même de nous légitimer à ses yeux.
C'est dans cet état d'esprit qu'avec François Ruffin, Alexis Corbière, Raquel Garrido, Danièle Simonnet, Hendrik Davi et d'autres, nous plaidons pour maintenir un horizon d'union à gauche et pour affirmer un profil plus rassembleur dans notre pays, un ton, une attitude, des mots moins clivants. Il n'est pas question d'en rabattre sur la nature du projet. La radicalité ne se mesure ni à la virulence des mots, ni au nombre de décibels ou de clashs, ni aux formules chocs sur Twitter.
Pour ma part, et n'ayant contrairement à d'autres à LFI jamais milité au parti socialiste ou soutenu un quelconque gouvernement à l'eau de rose, je n'ai pas décidé de changer de gauche. Depuis vingt-cinq ans, ma constance à défendre une gauche franche et l'union du rouge et du vert est totale. Et ma boussole toujours la même : que la gauche d'alternative prenne le leadership au sein des gauches et des écologistes, condition d'un changement véritable pour les Français. C'est précisément ce que nous avons fait avec la création de la Nupes. Et je m'en félicite.
Mais j'affirme que nous avons être vigilants car ce leadership conquis de haute lutte, grâce à notre détermination depuis la création du Front de Gauche et aux scores de notre candidat Jean-Luc Mélenchon, nous pouvons le perdre. Si nous nous rabougrissons, si nous tournons le dos à l'union, si nous nous renfermons dans une logique de citadelle assiégée, nous prenons le risque de laisser le champ libre à la résurgence d'une social-démocratie relookée. Et alors nous ferions, au fond, défaut à notre cause, défaut au monde populaire que nous voulons défendre, défaut à nous-mêmes. Cette fenêtre historique qui s'est ouverte en 2022, nous avons la responsabilité de ne pas la refermer.
En disant cela, je reste parfaitement lucide sur le jeu et les offensives de certains au PS, à EELV ou au PCF qui rêvent sans doute de prendre ou reprendre la main à gauche. Je vois bien les attitudes et les mots qui divisent. Je pense en revanche que, puisque nous sommes le fer de lance de l'union, nous devons en être les plus ardents défenseurs. Si nous trouvons inacceptable (et à raison) que l'un de nos partenaires puisse dire que nous serions les « idiots utiles du Hamas », ne faut-il pas alors, de notre côté, éviter d'écrire que ceux qui manifestent contre l'antisémitisme soutiennent tous les crimes de Netanyahou ? Car ce n'est pas simplement en répétant que nous voulons l'union que nous l'aurons, c'est aussi et peut-être avant tout en respectant nos partenaires, en leur laissant la possibilité d'avoir leurs spécificités, et donc des désaccords avec nous, et en remettant sans cesse l'ouvrage sur l'établi. C'est au fond porter la responsabilité de la victoire. L'union n'est pas simplement un combat, elle est une culture3. Et la Nupes, c'est nous qui y avons le plus intérêt. C'est pourquoi je ne me résous pas à l'abandonner ou à faire mine de la faire vivre sans les partenaires.
Pensons-nous vraiment que c'est uniquement à cause de nos partenaires que la Nupes s'est délitée ? N'avons-nous, en tant que « fer de lance » de cette coalition, aucune responsabilité dans cet éclatement ? Au lieu de se renvoyer la faute à coups de polémiques, nous ferions mieux d'œuvrer concrètement pour qu'elle ne se fracasse pas définitivement. Là se joue notre responsabilité historique, et notamment en vue de la présidentielle de 2027 qui, ayons-en bien conscience, ne sera pas la reproduction du schéma de 2022 où la question était de savoir qui allait affronter Emmanuel Macron.
Oui, c'est dur. Oui, nous en avons parfois gros sur le cœur et la raison devant l'attitude de tel ou tel de nos partenaires. Mais l'union est un combat. Et la Nupes, « le plus court chemin pour gagner », comme l'ont dit Jean-Luc Mélenchon ou Manuel Bompard. Souvenons-nous que la réalisation de l'union à gauche fut toujours douloureuse, en 1936, en 1972… Aujourd'hui, nous devons nous interroger sur les actes et les mots à poser pour la faire vivre. Soyons honnêtes, un courrier ou deux ne suffiront pas. Si nous n'avons malheureusement pas réussi à convaincre d'une liste d'union aux européennes, nous devrons remettre l'ouvrage sur l'établi et non fermer le rideau. Il en va de notre capacité à gagner pour améliorer le quotidien de millions de nos concitoyen.nes.
Lucide, je le suis aussi sur le piège médiatico-politique qui nous est en permanence tendu, et qui me révolte autant que chaque insoumis. Bien sûr que le pouvoir en place a compris que nous étions une menace et qu'il fallait donc nous rendre infréquentables. D'où cette question qui nous est posée : quelle attitude devons-nous adopter devant ce déferlement contre nous ? S'en moquer, renchérir dans le bruit et la fureur, ou s'en inquiéter, modifier notre profil pour emmener toujours plus de Français avec nous ? Dans les dernières secousses que nous avons traversées, ce n'est pas seulement avec les « gens du système » que nous avons clivé. Ce sont nos amis, notre propre électorat, nos partenaires que nous avons braqués. Plusieurs enquêtes d'opinion donnent à voir que, depuis un an, nous perdons en attractivité, que la dynamique de LFI est plutôt descendante4. On peut ne pas les regarder, continuer tout droit, dire que les sondages ne nous intéressent que quand ils sont bons. Pour ma part, je pense que nous avons le devoir de regarder la réalité en face : si nous ne changeons pas de braquet, c'est la possibilité même d'une victoire sur la base de notre projet, celui qui prend à la racine les problèmes, qui s'éloigne.
Certes, comme il faut imaginer Sisyphe heureux, nous pouvons toujours faire le dos rond, en attendant les jours meilleurs. Après tout, la dégringolade, nous l'avons déjà connue sous le précédent quinquennat après les perquisitions et le parti pris populiste qui a suivi. Et nous avons su remonter la pente.Mais avons-nous songé à ce qui se serait passé si nous avions tendu la main à gauche au soir des 19% de Jean-Luc Mélenchon en 2017 et si nous avions réussi ensuite à progresser, au lieu de reculer, pour partir de plus haut au début de la campagne présidentielle de 2022 ? Le profil qui permet la remontada dans la campagne présidentielle m'allait d'autant mieux que c'est celui que j'appelais, avec d'autres, de mes vœux depuis longtemps. Quand Mélenchon passe de 10% dans les sondages au début de la campagne à 22% à la fin de la présidentielle, il le fait sur la base d'un discours très à gauche, calme, pédagogique, rassembleur. Et il apparaît donc alors le plus crédible aux yeux du grand nombre. En a-t-il rabattu sur le fond à ce moment-là ? Je pense qu'aucun insoumis ne le dirait. En revanche, nous dirions toutes et tous que c'était une réussite. Avec d'autres, je plaide donc pour poursuivre dans cette veine qui me paraît la meilleure, la plus propulsive.
Démocratie
Le débat sur notre orientation me paraît essentiel d'autant que la période est complexe, mouvante, incertaine. Comme je l'ai souvent dit, je regrette infiniment que nous n'ayons pas les cadres de discussion et de délibération ad hoc au sein de LFI. Car de tels espaces permettent de faire vivre le pluralisme des approches et des sensibilités – qui font la richesse de LFI – et de trancher nos débats par des majorités5. Je me félicite d'une petite avancée : des amendements sur le texte de la direction pourront être déposés par les Groupes d'Action et les boucles départementales.
Je ne défends pas la démocratie seulement par principe et pour donner à voir ce que nous voulons pour le pays tout entier avec la VIème république. Elle représente un atout pour bien s'orienter et pour emmener toujours plus de forces avec nous. Je suis certaine que de la discussion naît une analyse plus fine de la situation, et donc de meilleures décisions. C'est à partir de la diversité de ce que nous sommes, de nos histoires, de nos réalités quotidiennes, de nos références intellectuelles et militantes que nous serons les mieux à même de grandir et de gagner. Je crois aux vertus de la dialectique qui élève les militants et affine le positionnement collectif.
La critique du fonctionnement gazeux, je l'ai portée publiquement, et avec d'autres. On nous a beaucoup opposé qu'il faut laver son linge sale en famille. Mais « où est la buanderie ? », a rétorqué fort justement mon collègue et ami Alexis Corbière. Nous ne l'avons toujours pas trouvée. C'est même à un raidissement de l‘appareil que nous assistons. Des réponses bureaucratiques ou méprisantes, voire psychologisantes, sont apportées aux enjeux de fond et d'orientation que nous soulevons. La sanction contre Raquel Garrido en est un triste exemple.
Je formule le vœu que les militants réussissent à mieux porter cette exigence de pluralisme et de démocratie au sein de LFI. Même s'il n'y a aucun moyen de le vérifier, je crois cette aspiration majoritaire dans notre mouvement.
Pour conclure, ce qu'il nous faut combler, c'est le décalage entre la forte adhésion des Français à une grande part de nos idées et propositions, d'une part, et une adhésion plus restreinte à notre force politique, d'autre part. Pour combler cet écart, nous avons des raisons d'être optimistes : le mouvement des retraites a donné à voir la combativité sociale, les idées d'égalité et de justice arrivent en belles positions dans l'enquête Ipsos « Fractures françaises », les propositions de notre niche parlementaire cartonnent chez les Français6, les préoccupations écologistes sont de plus en plus partagées… Mais encore faut-il bien saisir que ni l'accumulation de propositions, ni même leur assemblage en programme ne peuvent se substituer au projet qui leur donne sens, ni à la majorité qui les porte. C'est pourquoi l'orientation, le récit, le profil sont essentiels, et avec eux, la démocratie pour dénouer les nœuds et l'union pour se donner les moyens de gagner… en jetant les rancœurs à la poubelle.
1. Voir ma note de blog « Tenir bon sur tous nos principes » ↩︎
2. Voir notamment Ugo Palheta, La possibilité du fascisme. La trajectoire du désastre, La Découverte, 2018. ↩︎
3. Voir ma note de blog « L'union est un combat et une culture » ↩︎
4. On ne peut pas seulement regarder les quelques sondages relativement rassurants et mettre de côté la masse de ceux qui ne le sont pas. Il ne faut pas ignorer que notre mouvement LFI et notre candidat à la présidentielle par trois fois, Jean-Luc Mélenchon, cumulent des taux de répulsion parmi les plus importants du paysage politique français. Comment construire une majorité pour gouverner avec une telle image ? Cela doit nous préoccuper et contribuer à nous orienter. Dans un grand nombre de sondages, Marine Le Pen et le RN apparaissent comme moins inquiétants, plus démocratiques et sur de nombreux sujets, plus crédibles que nous. C'est à peine croyable mais c'est une photo du réel que nous devons regarder en face et chercher à renverser. ↩︎
5. Voir ma note de blog « LFI : franchir un cap pour gagner » ↩︎
6. Article de l'Insoumission « Sondage Propositions insoumises » ↩︎
Clémentine Autain
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Pourquoi l’extrême droite l’a emporté aux Pays-Bas

La victoire de la droite aux récentes élections néerlandaises n'est pas une surprise. Ce qui est surprenant, c'est l'importance de la part de l'extrême droite dans la victoire globale de la droite. Pour Geert Wilders, le chef du Parti de la liberté (PVV), la principale organisation d'extrême droite aux Pays-Bas et alliée du FN/RN, des années de patience ont porté leurs fruits alors que le parti de droite sortant a de son côté joué et perdu.
Tiré de Contretemps
28 novembre 2023
Par Alex de Jong
***
La progression électorale de l'extrême droite s'est faite en grande partie aux dépens du centre-droit. Avec 37 sièges parlementaires sur 150, le PVV devance désormais largement la liste commune des sociaux-démocrates et des Verts, arrivée en deuxième position, qui a obtenu 25 sièges. Le nombre total de sièges pour les partis de gauche est resté constant, tandis que les formations qui faisaient partie du gouvernement de centre-droit ont toutes subi des pertes, parfois lourdes, en sièges. En d'autres termes, la droite s'est recomposée et radicalisée, tandis que la gauche n'a pas réussi à sortir de sa position de faiblesse. Comment expliquer cette situation ?
Dans l'immédiat, un choix tactique du VVD, le principal parti du précédent gouvernement, semble s'être retourné contre lui. En juillet de cette année, le premier ministre Mark Rutte, du VVD, a provoqué une crise gouvernementale en insistant sur de nouvelles restrictions aux droits des réfugiés. Rutte a délibérément franchi une ligne rouge fixée par l'un des partenaires de la coalition du VVD, provoquant ainsi l'effondrement de son propre gouvernement et l'organisation de nouvelles élections.
Le VVD a ainsi tenté de placer la question des réfugiés et de l'immigration au centre de la compétition électorale. Le VVD espérait qu'en s'orientant davantage vers la droite sur cette question, il serait en mesure d'obtenir un soutien suffisant pour redevenir le premier parti du pays. Mark Rutte a cédé sa place à une nouvelle dirigeante, Dilan Yeşilgöz. Ministre de la justice dans le dernier gouvernement, Yeşilgöz a renforcé le profil de droite du VVD, en particulier en exagérant la facilité supposée avec laquelle les migrant·es peuvent entrer aux Pays-Bas.
Le pari du VVD était que les élections se dérouleraient sous la forme d'une polarisation entre lui et le centre-gauche sur la question de l'immigration, et Yeşilgöz a été présentée comme le successeur de Rutte. Cette tactique électorale semblait logique : Rutte était premier ministre depuis 2010 et sa popularité ne s'est jamais démentie. En focalisant la compétition électorale sur l'immigration, le VVD espérait éviter les questions sur lesquelles il est vulnérable, telles que la crise du logement et l'augmentation du coût de la vie.
Le VVD a cependant perdu 10 sièges et n'en a gagné que 24.
La progression de l'extrême droite
Paradoxalement, la tactique du VVD a trop bien fonctionné. L'accent mis sur une prétendue « crise des réfugiés » et sur la restriction de l'immigration a profité au parti qui, depuis sa création en 2006, a toujours mené une politique anti-migrants : le PVV de Geert Wilders.
La victoire de Wilders n'est cependant pas entièrement à mettre au crédit du VVD. Ces dernières semaines, les journalistes ont souvent affirmé que Wilders avait « modéré » ses positions, mais le programme du PVV est resté aussi radicalement anti-migrants qu'auparavant. Le parti veut fermer complètement les frontières aux demandeurs d'asile et prône une ligne « pas d'écoles islamiques, de corans ou de mosquées » aux Pays-Bas.
Ces politiques racistes s'accompagnent d'une rhétorique répressive sur la « tolérance zéro à l'égard de la racaille », y compris par le déploiement de l'armée, la dénaturalisation et l'expulsion des criminels binationaux et les arrestations préventives de ceux qui sont considérés comme des sympathisants du « djihadisme ».
Wilders n'a pas changé. Ce qui a changé, c'est la dynamique entre la droite et l'extrême droite. Mark Rutte a choisi d'écarter Wilders, son principal concurrent à droite, en qualifiant les positions du PVV d' « irréalistes » et en présentant son VVD comme le parti capable de mettre en œuvre les politiques de droite de manière plus efficace. Cette approche a de plus en plus normalisé les positions du PVV, qui ont été rejetées uniquement parce qu'elles étaient supposées impossibles à mettre en œuvre.
Plutôt que d'essayer de se positionner comme un partenaire junior du VVD, Wilders a insisté sur sa position d'opposition de droite à Rutte et a continué à marteler ses thèmes principaux. Le 22 novembre, il a récolté les fruits de cette approche à long terme. Le fait qu'un autre parti d'extrême droite, le FvD, qui avait connu un succès important il y a quelques années, soit entré en crise, en grande partie à cause de la mégalomanie de son leader Thierry Baudet, a également profité à Wilders, qui a consolidé et élargi le vote d'extrême droite.
Wilders est un politicien chevronné, l'un des plus anciens membres du parlement néerlandais et il est capable de voir au-delà du prochain cycle électoral. Il a commencé sa carrière au sein du VVD à la fin des années 1990, qu'il a quitté pour former le PVV en 2006. Au départ, le PVV combinait le racisme et une politique anti-migrants avec un discours radicalement favorable au marché, une version radicalisée du néolibéralisme du VVD. Depuis une dizaine d'années, le PVV a toutefois modifié sa rhétorique pour adopter une sorte de « chauvinisme de l'aide sociale », se présentant comme le protecteur des gens ordinaires et des vestiges du système d'aide sociale néerlandais.
Pour le PVV, la cause ultime du recul de l'État-providence est la présence de communautés de migrants parasites, en particulier les musulmans, dans la société néerlandaise et le gaspillage de l'argent dans des « passe-temps de gauche » tels que les mesures visant à atténuer le changement climatique. Selon le PVV, cet argent aurait suffi à protéger le niveau de vie des « vrais » Néerlandais. Dans son programme électoral, le PVV a également présenté des propositions « progressistes » telles que l'abolition de la TVA sur les produits de première nécessité, la réduction des coûts des soins de santé et le recul de l'âge de la retraite de 67 à 65 ans.
Ces idées sont sans aucun doute populaires, mais elles sont secondaires par rapport au programme principal du PVV. Pour Wilders, elles ne sont que des moyens d'arriver à ses fins : fermer les frontières et attaquer les droits des minorités, en particulier ceux des musulmans.
Entre 2010 et 2012, le premier gouvernement dirigé par Rutte a été soutenu par le PVV qui, selon les termes de Wilders, « a accepté des mesures d'austérité en échange d'une limitation de l'immigration ». Au parlement, le PVV a proposé un projet de loi visant à affaiblir les conventions collectives, a voté pour restreindre davantage l'accès à la sécurité sociale et s'est opposé aux tentatives de lutte contre l'évasion fiscale. Le fait que les « politiques sociales » du PVV soient en grande partie de la rhétorique vide n'est cependant pas systématiquement souligné par les partis de gauche.
La gauche stagne
La part totale des partis de gauche au parlement national est restée à peu près la même qu'avant les élections. La liste commune du parti social-démocrate PvdA et des Verts (Groenlinks), a obtenu la deuxième place lors de ce scrutin et huit nouveaux sièges, soit une modeste progression qui a déçu.
Ce pôle de centre-gauche a placé en tête de liste Frans Timmermans, un ancien commissaire européen, et s'est efforcé de le présenter comme un futur premier ministre, une personnalité progressiste mais aussi comme quelqu'un de « sûr » pour diriger l'État néerlandais. L'approche de la coalition PvdA et GroenLinks a consisté à combiner des propositions modérément progressistes avec un air d'expertise technocratique. Son aspiration à former une coalition gouvernementale avec les partis de sa droite a eu un certain succès en attirant des votes du centre, mais cela n'a pas attiré beaucoup de nouveaux électeurs vers la gauche.
Le parti de gauche SP [parti socialiste] a quant à lui perdu quatre de ses neuf sièges. Le parti est devenu obsédé par l'idée de combiner un profil de plus en plus conservateur sur les questions « culturelles » (migration, mais aussi mesures de lutte contre le changement climatique) avec des positions socio-économiques progressistes. Les revers continus n'ont pas suffi à convaincre le SP de changer de cap.
Son leader actuel, Lilian Marijnissen, occupe ce poste depuis 2017 : ce scrutin a été pour elle le septième au cours duquel le parti a connu un déclin électoral. La dernière fois que le SP a pu progresser aux élections nationales, c'était en 2006 ; et depuis lors, il a perdu des dizaines de milliers de membres. L'accent mis par le SP sur la restriction de l'immigration de travail lors de la campagne électorale a renforcé le discours de la droite selon lequel les migrants en tant que tels constituent un problème et ne lui a pas permis de se concentrer sur ses points forts, tels que le logement et les soins de santé. Le SP a fini par perdre un grand nombre de voix au profit de la droite et de l'extrême droite.
La disparition du parti radical BIJ1 (la prononciation néerlandaise signifie « ensemble ») du parlement a été une pilule amère pour l'extrême gauche. Issu notamment du mouvement antiraciste, le BIJ1 a été en mesure de recueillir le soutien de certains secteurs militants et de l'extrême gauche, mais il a été déchiré par des luttes internes. Le parti écologiste animaliste a perdu la moitié de ses sièges et a été réduit à trois sièges. Ce parti avait progressivement attiré un soutien croissant pour ses positions écologiques de principe, mais il est resté divisé et peu clair sur la manière de se situer par rapport aux questions de gauche en général, et pas seulement par rapport à l'écologie. Ces derniers mois ont également été marqués par une lutte acharnée pour la direction du parti et par des divisions internes.
Perspectives
La formation d'une coalition de droite dirigée par Wilders est une possibilité réelle pour les Pays-Bas. Un autre grand gagnant des élections de novembre a été un nouveau parti, le NSC, issu d'une scission du parti démocrate-chrétien CDA. Le NSC est entré au Parlement avec 20 sièges. Le NSC est un parti conservateur, une version de la démocratie chrétienne sans références religieuses explicites. Le CDA, qui était autrefois l'un des principaux partis du pays, n'a obtenu que cinq sièges.
Avec le VVD, le BBB (Mouvement agriculteur citoyen, un autre parti de droite récemment créé et largement basé sur les débris de la base du CDA) et le NSC, le PVV disposerait d'une majorité. Mais le NSC a déclaré qu'il n'était pas disposé à former une coalition avec un parti comme le PVV qui veut s'attaquer aux principes fondamentaux de l'égalité devant la loi et de la liberté de religion. Quant au VVD, il a déclaré qu'après sa défaite aux élections, il devrait entrer dans l'opposition. Mais ces objections pourraient n'être que des manœuvres visant à obtenir des concessions de la part du PVV. Le prochain gouvernement sera probablement assez instable. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne restera pas grand-chose des propositions économiques « progressistes » du PVV.
La situation est sombre, mais elle reste contradictoire ; ces dernières semaines ont vu la plus grande manifestation contre le changement climatique jamais organisée dans l'histoire des Pays-Bas, mais le vainqueur des élections est un parti qui se moque du changement climatique en le qualifiant d'absurdité. De même, la solidarité avec la Palestine a fait descendre de nombreuses personnes dans la rue, mais le PVV est fier de son soutien inconditionnel à Israël et veut déplacer l'ambassade néerlandaise à Jérusalem.
Dans la période à venir, la gauche néerlandaise telle qu'elle existe sera sur la défensive. Elle devra contrer les politiques anti-migrants et le racisme, et défendre les droits civils des minorités, en particulier ceux des musulman·es.
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De quel côté sommes-nous ?

Il y a quelques jours, le site des Socialistes démocrates d'Amérique (DSA) a publié mon article sur mon voyage en Ukraine sous le titre « Notes de Kiev : de quel côté sommes-nous ? ». Désormais, DSA a répondu à cette question en retirant l'article de son site web à la suite d'une décision de son comité politique national.
Alors que je me promenais dans Kiev par une belle matinée ensoleillée du début du mois de septembre, j'ai remarqué les échafaudages sur les places de la ville. Les statues étaient recouvertes pour les pro- téger des dommages causés par les bombes. Plus tard, j'ai vu une statue sans aucune protection – un mémorial couvert de graffitis à la mémoire d'un général de l'Armée rouge dont personne ne se souvenait du nom. On m'a dit que cette statue avait été recouverte d'un échafaudage de protection avant la guerre mais que celui-ci avait été enlevé lorsque la guerre a éclaté. On espérait que les bombes russes résoudraient le problème du devenir de cette relique du régime soviétique.
On ne peut pas comprendre la guerre en Ukraine sans connaître son histoire. Cela m'est apparu très clairement lors d'une conversation avec Olesia Briazgounova, qui travaille pour l'une des deux centrales syndicales nationales d'Ukraine, la KVPU (Confédération des syndicats libres d'Ukraine). J'ai alors suggéré que je voyais des similitudes entre la situation en Ukraine aujourd'hui et la guerre civile espagnole.
Olesia m'a interrompu sur-le-champ et m'a demandé s'il y avait eu un génocide en Espagne. J'ai répondu par la négative. Elle m'a dit : « Eh bien, il y a un génocide ici : les Russes essaient d'anéantir la nation ukrainienne depuis très longtemps ». J'ai pensé à la famine terroriste organisée par Staline au début des années 1930, que les Ukrainiens appellent l'Holodomor et qu'ils considèrent à juste titre comme un acte de génocide délibéré. Elle n'avait pas tort.
À Kiev, l'histoire est omniprésente. On l'entend dans les conversations, on la voit dans les noms de rue et on la respire dans l'air. Le Centre de solidarité, qui est le projet mondial de l'AFL-CIO en matière de droits des travailleurs, est situé dans une rue qui portait autrefois le nom de l'Internationale communiste de Staline. La rue a été rebaptisée en l'honneur de Symon Petlioura, un dirigeant de la République populaire d'Ukraine et une figure très controversée de l'histoire du pays.
En plus de renommer des rues liées à l'Union soviétique, la ville semble également vouloir se débarrasser d'une grande partie de son histoire russe. À un moment donné, Google Maps m'a indiqué la rue Pouchkine. Mais cette rue n'existe plus.
Lorsque j'ai interrogé Georgiy Troukhanov, le dirigeant du syndicat des enseignants ukrainiens, qui compte 1,2 million de membres, sur leurs relations avec le syndicat des enseignants russes, il m'a dit que les enseignants russes étaient en partie coupables. « Coupables de quoi ? », ai-je demandé. « Tous les soldats russes qui se battent actuellement en Ukraine ont étudié dans des écoles russes. On leur a appris à être ce qu'ils sont devenus : des tueurs et des violeurs. »
La guerre a uni la société ukrainienne comme jamais auparavant. Les syndicats se sont engagés à fond. Le président du FPU, Grygorii Osovyi, m'a dit que 20% des membres des syndicats ukrainiens servaient désormais dans les forces armées. Georgiy Troukhanov m'a expliqué que les enseignants ne pouvaient pas être enrôlés car ils sont considérés comme des travailleurs essentiels : des milliers d'entre eux se sont donc portés volontaires.
J'ai parlé avec de nombreux dirigeants syndicaux de la situation dans ce que les Ukrainiens appellent les « territoires temporairement occupés ». Les occupants russes ont banni la langue ukrainienne des salles de classe. De nombreux travailleurs ont fui ces territoires et les syndicats font un travail remarquable pour les aider, en collectant de l'aide, en fournissant des logements et bien d'autres choses encore. Les bureaux des syndicats que j'ai visités étaient pleins de cartons d'aide, notamment de bâches en plastique pour remplacer les fenêtres détruites par l'artillerie russe. Mykhailo Volynets, ancien mineur et chef du KVPU, m'a dit qu'il y avait un besoin urgent de bandages.
Au milieu des horreurs de la guerre, il y a parfois des nouvelles très positives. Un militant LGBTQI m'a expliqué comment Poutine avait instrumentalisé l'homophobie en Russie, notamment en faisant circuler des rumeurs selon lesquelles le président ukrainien Volodymyr Zelensky et d'autres dirigeants étaient homosexuels. Pendant ce temps, en Ukraine, l'opinion publique a énormément évolué en ce qui concerne les personnes LGBTQI, dont beaucoup servent au front [1]. Il s'agit d'une région du monde où l'homophobie est endémique, voire violente, comme nous l'avons vu dans des pays comme la Géorgie. Mais en Ukraine, la guerre a contribué à faire évoluer les mentalités de manière positive.
J'ai parlé avec des socialistes ukrainiens, avec de jeunes travailleurs qui organisent des messageries, avec des travailleurs de l'aviation et des chemins de fer. J'ai été interrogé par des femmes membres du syndicat des travailleurs de l'énergie nucléaire, qui restent à leur poste dans la plus grande centrale nucléaire d'Europe, à Zaporijjiia, aujourd'hui sous occupation russe.
Le message que j'ai reçu de tous n'aurait pu être plus clair : le mouvement syndical et la gauche d'Ukraine s'opposent totalement à l'invasion russe. Ils souhaitent et attendent la solidarité du mouvement ouvrier et de la gauche d'autres pays. Ils apprécient énormément les gestes de solidarité tels que les visites de syndicalistes de premier plan, dont Randi Weingarten, présidente de la Fédération américaine des enseignants, et les dons des syndicats, qui vont de générateurs à des pansements indispensables.
Malgré les différences, je continue à considérer ce conflit comme la guerre civile espagnole de notre époque. Les nombreux jeunes hommes et femmes qui sont venus en Ukraine pour participer à la lutte sont une source d'inspiration, comme l'étaient les Brigades internationales il y a 90 ans. La République espagnole a été vaincue en grande partie parce que de nombreuses démocraties ne sont pas venues à son secours, alors que les fascistes étaient pleinement soutenus par l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste. La même chose va-t-elle se produire en Ukraine ?
Le régime de Poutine est fasciste et la guerre contre l'Ukraine est une guerre illégale et impérialiste. L'Ukraine n'est pas une société parfaite et son gouvernement n'est pas un gouvernement parfait. La République espagnole ne l'était pas non plus. Mais dans la lutte contre le fascisme, nous devons nous demander, pour paraphraser la vieille chanson « Which Side Are You On ? » [2], de quel côté es-tu ?
[1] Voir « Le syndicat des LGBTQIA+ en uniforme », Soutien à l'Ukraine résistante n°20 ; « Le syndicat des LGBTQIA+ en uniforme, vient de publier la liste des unités des forces armées ukrainiennes où il a des membres », Soutien à l'Ukraine résistante, n° 22.
[2] NdT : chanson écrite en 1931 par Florence Reece pendant la grève des mineurs de Harlan (Kentucky). Elle a notamment été interprétée par Pete Seegers.
Eric Lee
Eric Lee est le rédacteur de LabourStart, le site d'information et de campagne du mouvement syndical international. On peut lire ses articles sur l'Ukraine sur LabourStart.org. Cet article, déprogrammé par DSA, a été publié par New Politics le 29 septembre 2023. Traduction : Patrick Silberstein.
Publié dans Les Cahiers de l'antidote : Soutien à l'Ukraine résistante (Volume 25)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/11/09/garder-le-cap/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-25.pdf
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Le rôle des femmes soldats en Ukraine s’accroît et fait son chemin contre les stéréotypes

Leopolis (Ukraine), 10 octobre (EFE) – Le rôle des femmes s'accroît dans l'armée ukrainienne, les stéréotypes étant peu à peu surmontés, et quelque 10 000 d'entre elles servent actuellement sur le front en tant que volontaires, a déclaré à EFE Kateryna Pryimak, directrice adjointe de Veteranka, le mouvement des femmes vétérans ukrainiennes.
15 octobre 2023 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
« Les femmes ukrainiennes veulent faire partie de l'armée. Parce que ce n'est pas seulement la maison des hommes, c'est aussi notre maison, ce sont nos enfants et c'est notre pays », souligne Mme Pryimak, âgée de 30 ans.
Bien que l'armée ait encore un long chemin à parcourir en matière d'avancement au mérite et de protection des soldats, de « grands » changements ont eu lieu ces dernières années.
« La présence d'une femme dans l'armée devient normale », ajoute-t-elle.
Les femmes n'avaient pas accès à de nombreux postes à responsabilité lorsque Mme Pryimak, qui est une ancienne combattante, a participé à la guerre du Donbas en tant qu'infirmière volontaire en 2014, alors qu'elle avait 21 ans.
Les choses ont changé et l'invasion à grande échelle a ouvert une nouvelle fenêtre d'opportunité, dit-elle. Quelque 60 000 femmes travaillent dans la structure militaire, dont environ 40 000 en tant que soldat·es ou officier·es.
Jusqu'à 10 000 d'entre elles sont en première ligne, dont la moitié en tant qu'infirmières, ce qui reflète la perception traditionnelle du rôle des femmes dans l'armée. Certaines d'entre elles, cependant, sont des médecin·es de combat et ont souvent les mêmes rôles au combat que les hommes.
Certains rôles relativement nouveaux, tels que les opérateurs/opératrices de drones ou les tireurs et les tireuses d'élite, dont le nombre a augmenté de manière exponentielle, sont également plus ouverts aux femmes, selon Mme Pryimak.
Selon elle, la présence de femmes dans l'armée soulève la question du recours excessif à la force brute, mais elle souligne l'importance de la technologie, de la formation, de la connaissance et d'un traitement digne.
« Les progrès réalisés dans ce domaine profitent à tous les membres de l'armée, et pas seulement aux femmes », ajoute-t-elle.
En plus de soutenir les changements systémiques, Veteranka répond aux demandes spécifiques des femmes soldat·es en matière d'équipements, tels que les drones, et aux besoins spécifiques, tels que les uniformes féminins et les produits d'hygiène.
Veteranka conçoit et fabrique des uniformes féminins depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine. En août dernier, la norme officielle pour les uniformes féminins a été introduite.
Cependant, le changement d'attitude demande plus de temps et d'efforts, explique Mme Pryimak, car certains hommes de l'armée sont réticents à accepter pleinement la présence des femmes et à tirer le meilleur parti de leur participation.
Le problème est d'autant plus prononcé que l'on s'éloigne du front, explique-t-elle.
« Même s'ils ne sont pas vraiment d'accord, ils ne peuvent pas aller à l'encontre de ce que la société attend d'eux. Et la société est prête à cela, les femmes sont prêtes à cela », dit-elle.
Dans le même temps, Mme Pryimak reconnaît que la menace existentielle qui pèse sur l'Ukraine a également renforcé certains points de vue « archaïques » selon lesquels les hommes sont considérés comme les protecteurs des femmes et des enfants, ce qui, dans de nombreux cas, a été la principale raison pour laquelle beaucoup d'hommes se sont engagés dans l'armée.
Elle souligne toutefois que « pendant une guerre, il ne faut pas se demander si une femme a sa place dans l'armée ou non. Elles doivent être formées et leur potentiel militaire et professionnel doit être pleinement exploité ».
La plupart des femmes qui ont rejoint l'armée depuis le début de l'invasion russe sont des volontaires. Depuis le 1er octobre, toutes les femmes ayant une formation médicale doivent donner leurs coordonnées dans les centres de recrutement, mais le processus prendra au moins trois ans.
« C'est tout à fait compréhensible, car un pays en guerre doit savoir quelles sont ses réserves », explique Mme Pryimak.
Elle pense qu'il est peu probable que les femmes ukrainiennes puissent être forcées à faire leur service militaire et être soumises à la mobilisation.
Toutefois, elle ne serait pas surprise que des femmes sans expérience militaire commencent à être mobilisées.
« Nous ne savons pas combien de temps durera la guerre et combien de pertes il y aura », explique-t-elle.
Rostyslav Averchuk, 10 octobre 2023
https://www.infobae.com/america/agencias/2023/10/10/el-papel-de-las-mujeres-soldado-en-ucrania-crece-y-se-abre-camino-contra-los-estereotipos/
Traduit avec http://www.DeepL.com/Translator (version gratuite)
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Philippines : Mindanao ou les droits des peuples indigènes dans la région autonome musulmane

À l'échelle nationale, les droits des peuples indigènes ont été formellement reconnus, mais ce n'est toujours pas le cas dans la nouvelle région autonome musulmane de Mindanao. Ils sont menacés par les choix de développement économique adoptés par les hommes d'affaires moros. Il est toujours nécessaire d'exprimer notre solidarité à leur égard.
Tiré de Quatrième internationale
24 novembre 2023
Par Pierre Rousset
Le NPA a tissé depuis longtemps des liens de solidarité avec des mouvements très actifs et engagés dans la grande île de Mindanao, au sud de l'archipel philippin. De nombreux échanges ont eu lieu à l'occasion de rencontres internationales et des militiantEs philippinEs sont venus plus d'une fois en France. Cette solidarité s'est toujours adressée, notamment, aux peuples indigènes Tëduray et Lambangian. Ces derniers vivent en général dans des zones montagnardes, mais parfois aussi côtières. Leurs territoires sont aujourd'hui intégrés à la Région autonome Bangsamoro au Mindanao musulman (BARMM). La création de cette nouvelle entité administrative a conclu des décennies de conflits concernant la reconnaissance du droit à l'autodétermination de populations musulmanes discriminées. Un tournant majeur dans l'histoire du pays. Malheureusement, les droits d'autres minorités opprimées n'ont pas été formalisés avant la création de BARMM.
Capitalisme touristique et extractiviste
La région autonome musulmane est dirigée par le Front de libération islamique Moro (MILF). Elle a aujourd'hui adopté un modèle de développement articulé sur la promotion du tourisme marchand, l'extractivisme (mines, pétrole) et l'exploitation des forêts. Les domaines ancestraux des Lumad sont ainsi l'objet de la convoitise de puissants hommes d'affaires moros qui bénéficient de l'appui des autorités. Des drames se sont produits parce que des communautés Lumad ont été déplacées de force dans des zones dangereuses et ont été victimes de catastrophe humanitaire (glissement de terrain à la suite de pluies torrentielles et de la déforestation).
Tout un réseau d'associations (MiHands) a lutté dans le passé pour la solidarité entre les « trois peuples de Mindanao » : moros, chrétiens et Lumad (de confessions variées) et pour la reconnaissance des droits à l'autodétermination des musulmanEs, ainsi que des peuples indigènes. Les Lumad ont proposé au MILF que la délimitation des domaines ancestraux des uns et des autres soit effectuée d'un commun accord au cours de la lutte qui a précédé la création de BARMM, alors qu'ils faisaient front commun face aux exactions de l'armée philippine. Ce ne fut pas réalisé, et le prix qu'ils doivent aujourd'hui payer pour cela est bien lourd.
Solidarité des trois peuples nécessaire
Beaucoup de groupes armés, de nature très diverse, opèrent à Mindanao. Les Lumad Tëduray et Lambangian ont souvent des forces d'autodéfense. Ils ne sont pour autant pas engagés dans une « lutte armée », car il s'agit bien d'autodéfense. Ils sont menacés par de puissantes milices privées de grands possédants, des organisations criminelles, les forces armées gouvernementales auxquelles les unités du MILF sont en train d'être intégrées. Le réseau MiHands continue à les soutenir, ainsi que les communautés populaires chrétiennes ou moros, elles aussi victimes d'un capitalisme agressivement prédateur et parfaitement indifférent à la crise climatique dont les populations de l'archipel subissent toujours plus les conséquences. La solidarité entre des « trois peuples » s'avère toujours d'actualité !
L'association ESSF mène depuis une quinzaine d'année des campagnes de soutien financier à des mouvements asiatiques, dont MiHands à Mindanao. L'attention internationale est, évidemment, aujourd'hui tournée vers la Palestine. Le défi auquel nous sommes confrontés est d'assurer néanmoins la continuité de la solidarité envers nos camarades en Asie. Vous trouverez ci-dessous le lien d'un article bien plus développé sur la situation des Lumad Tëduray et Lambangian, avec toutes les indications concernant l'aide financière.
Pour en savoir plus et pour soutenir financièrement le réseau MiHands : voir Pierre Rousset, « Mindanao (Philippines) : Les minorités victimes des ambitions économiques et des luttes de pouvoir entre clans moros dans la région autonome musulmane », Europe solidaire sans frontières.
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Du même auteur :
Philippines : Mindanao ou les droits des peuples indigènes dans la région autonome musulmane
La Chine dans la crise de la (dé)mondialisation
XXe Congrès du Parti communiste chinois : le point de bascule
Etats-Unis et Eurasie : Quelques réflexions géopolitiques à l'heure d'une crise globale
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Etats-Unis-Israël. « Joe Biden propose de lever presque toutes les restrictions pour le gouvernement israélien d’accès au stock d’armes US déposé en Israël »

La Maison Blanche a demandé la levée des restrictions sur toutes les catégories d'armes et de munitions auxquelles Israël est autorisé à accéder à même les stocks d'armes états-uniens entreposés en Israël.
Tiré d'À l'encontre.
Cette levée des restrictions a été intégrée dans la demande de complément de budget de la Maison Blanche, envoyée au Sénat le 20 octobre. « Cette demande permettrait le transfert de toutes les catégories de matériel de défense », tel que l'exprime la requête de supplément budgétaire.
Elle concerne des stocks d'armes en Israël dont l'existence est peu connue. Le Pentagone les a constitués en vue d'une utilisation dans de possibles conflits régionaux. Israël a été autorisé à y accéder seulement dans des circonstances précises – le président Joe Biden cherche précisément à supprimer ces limitations.
« S'ils sont adoptés, ces amendements [au budget] permettront de contourner en deux temps les restrictions sur les transferts d'armes états-uniennes vers Israël », a déclaré John Ramming Chappell, juriste au Center for Civilians in Conflict [cette institution vise entre autres à renforcer la protection des civils dans les conflits armés].
Créé dans les années 1980 pour approvisionner les Etats-Unis en cas de guerre régionale, le War Reserve Stockpile Allies-Israel (WRSA-I) est le plus grand maillon d'un réseau qui, en fait, constitue des caches d'armes des Etats-Unis à l'étranger. Hautement réglementés pour des raisons de sécurité, les stocks sont soumis à un ensemble d'exigences strictes. Dans les circonstances définies par ces prescriptions, Israël a pu puiser dans les stocks, achetant les armes à peu de frais s'il utilise la subvention effective de l'aide militaire américaine.
Avec la WRSA-I, Biden cherche à lever pratiquement toutes les restrictions significatives sur le stock et le transfert de ses armes à Israël, avec l'intention : de supprimer les réserves ayant trait aux armes dites obsolètes ou excédentaires ; de supprimer un plafond fixé annuellement de dépenses pour la reconstitution du stock ; de supprimer les limitations ayant trait à des armes spécifiques ; et de réduire le contrôle du Congrès. Tous les changements prévus dans le projet budgétaire modifié de Biden seraient permanents, à l'exception de la levée du plafond des dépenses, qui ne concerne que l'exercice budgétaire 2024.
Ces changements interviendraient dans le cadre d'un partenariat en matière d'armement déjà entouré de secret, comme l'a récemment rapporté The Intercept (7 novembre 2023). Alors que, par exemple, l'administration Biden a fourni de longues listes détaillées d'armes fournies à l'Ukraine, les informations données sur les armes fournies à Israël pourraient tenir en une seule et courte phrase. La semaine dernière, Bloomberg (article d'Anthony Capaccio publié le 14 novembre mis à jour le 15) a obtenu une liste d'armes fournies à Israël. Obtenue grâce à une fuite, elle révèle que les livraisons comportaient des milliers de missiles Hellfire [missile à guidage radar fabrique par Lockheed Martin], du même type que ceux utilisés massivement par Israël dans la bande de Gaza.
La levée des restrictions sur les transferts à Israël – comme l'élimination de l'exigence que les armes fassent partie d'un surplus du stock – pourrait nuire aux intérêts des Etats-Unis en diminuant leur préparation à des conflits propres dans la région, a déclaré Josh Paul, un ancien fonctionnaire du State Department's Bureau of Political-Military Affairs (Bureau des affaires politico-militaires du département d'Etat).
Josh Paul, qui a démissionné en raison de l'aide des Etats-Unis en matière d'armement à Israël, a déclaré à The Intercept : « En supprimant l'exigence selon laquelle ces équipements doivent être déclarés excédentaires, cela augmenterait également la pression existante sur les préparatifs militaires des Etats-Unis afin de disposer en permanence d'un stock suffisant pour pouvoir fournir davantage d'armes à Israël. » [Voir dans la note 1 ci-dessous les autres motivations de Josh Paul ayant trait à sa démission expliquées à Radio Canada le 1er novembre].
« Miner le contrôle et l'obligation de rendre des comptes »
Le gouvernement des Etats-Unis n'est censé dépenser que 200 millions de dollars par année budgétaire pour réapprovisionner le WRSA-I, soit environ la moitié du plafond total pour l'ensemble des stocks états-uniens déposés dans le monde. La demande de la Maison-Blanche en date du 20 octobre prévoit toutefois de lever la limite imposée aux contributions au stock situé en Israël. Cela permettrait au stock d'être continuellement reconstitué.
« La demande de financement supplémentaire d'urgence du président, a déclaré Josh Paul, créerait pratiquement une filière ouverte permettant de fournir des équipements de défense à Israël par le simple fait de les placer dans le stock WRSA-I ou dans d'autres stocks destinés à Israël. » [2]
Les Etats-Unis exigent actuellement qu'Israël fasse certaines concessions en échange de certains types d'assistance en matière d'armement de la part du Pentagone, mais la demande de la Maison Blanche supprimerait également cette condition.
Enfin, la demande de la Maison Blanche réduirait également le contrôle du Congrès sur les transferts d'armes en réduisant la durée de la notification préalable au Congrès avant un transfert d'armes. Selon la loi actuelle, le préavis doit être de 30 jours, mais la demande de budget complémentaire de Biden permettrait de raccourcir ce délai dans des circonstances « extraordinaires ».
« La demande de budget supplémentaire de l'administration Biden affaiblirait encore davantage le contrôle et l'obligation de rendre des comptes, alors même que le soutien des Etats-Unis permet une campagne israélienne qui a tué des milliers d'enfants », a déclaré John Ramming Chappell, du Center for Civilians in Conflict.
La Chambre des représentants a déjà adopté une loi reflétant la demande de la Maison Blanche le mois dernier, et elle est maintenant soumise au Sénat.
William Hartung, expert en armement au Quincy Institute for Responsible Statecraft, a déclaré : « Pris dans son ensemble, le projet d'amendement budgétaire est tout simplement extraordinaire et il sera beaucoup plus difficile pour le Congrès ou le public de contrôler les transferts d'armes des Etats-Unis vers Israël, alors même que le gouvernement israélien s'est engagé dans des attaques massives contre des civils, dont certaines constituent des crimes de guerre. » (Article publié par le site The Intercept le 25 novembre 2023 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Notes
[1] Radio Canada s'entretient, le 1er novembre, avec Josh Paul sur les marches de la National Gallery, tout près du Capitole, à Washington : « Après un bref échange de courtoisie, il revient sur ces deux dernières semaines et sur les raisons qui l'ont poussé à remettre sa démission, après 11 années au bureau militaire du département d'Etat américain. “Durant toutes mes années au département d'Etat, ça n'a jamais été notre objectif de fournir des armes létales à un pays en sachant qu'elles allaient servir à tuer de façon massive des populations civiles… Ce n'est pas la première fois qu'on est confronté à des questions morales complexes. Mais dans le cas du conflit entre Israël et le Hamas, on ne suivait plus du tout les lignes directrices habituelles applicables à n'importe quel transfert d'armes à un pays. Dans le cas de l'Ukraine, par exemple, lorsqu'il a été question d'envoyer des bombes à fragmentations, il y a eu un débat, l'administration Biden était réceptive aux différentes recommandations et conditions, et a toujours tenu compte des droits de la personne. Pour Israël, il fallait juste répondre aux demandes.” » (Réd.)
[2] Dans un article daté du 1er décembre, JForum écrit : « Le président américain Joe Biden a demandé d'élargir l'accès d'Israël au stock d'armes américain, supprimant donc les restrictions qui lui sont imposées pour accéder à ce stock critique, avec moins de contrôle de la part du Congrès. La Maison-Blanche a demandé au Sénat américain de lever les restrictions dans une demande d'accord supplément budgétaire qui s'est tenu le 20 octobre Si la demande est acceptée, elle permettra à Israël de recevoir de puissantes armes américaines à un coût réduit, avec une surveillance réduite de la part du Congrès. La demande présentait des changements à la politique qui réglemente les stocks d'armes américaines situés en Israël, notamment des bombes intelligentes, des missiles, des véhicules militaires et d'autres munitions et équipements. » Le titre significatif de l'article : « Des drones suicides envoyés en Israël pour la seconde phase ». (Réd.)
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Le droit de parler en notre propre nom

Note : Cet article est une adaptation d'une conférence donnée au Mémorial Edward Saïd, à l'Université Princeton (Washington D.C.) par Mohammed El-Kurd, en février dernier. Elle sera publiée sous forme de livre plus tard. Mohamed El-Kurd est un écrivain poète de Jérusalem en Palestine occupée. Il est le premier correspondant palestinien à The Nation. Il a publié chez Haymarket ed.
Mohamed El-Kurd, The Nation, 27 novembre 2023
Traduction, Alexandra Cyr
photo Serge d'Ignazio
Depuis trop longtemps, les Palestiniens.nes se sont vus retirer le la liberté de raconter leur propre histoire
Aujourd'hui, je vais vous parler du statut de victime parfaite et de la politique de la supplication. Le peuple palestinien, à la télévision ou plus largement dans la sphère publique, existe sur la base d'une fausse dichotomie : ou bien nous sommes des victimes ou bien nous sommes des terroristes.
Ceux et celles parmi nous qui sont des terroristes ou présentés.es comme tel, n'ont jamais l'occasion de faire des commentaires à la télévision. Ce sont presque des créatures mythiques portant des histoires effrayantes : de gros mauvais loups avec des sourcils en sillons, des dents aiguisées et une mauvaise tenue politique terrifiante. Ils et elles se promènent dans les rues en marmonnant agressivement en arabe, parfois en lisant le Coran espérant piller ou tuer quiconque en vue. Ils et elles vous cherchent. Cachez votre épouse, cachez vos idées, vos défenses personnelles. Beaucoup ici ont une image mentale des personnes dont je parle.
Mais, pour ceux et celles d'entre nous qui sommes les victimes, qui sommes décrits.es dans les journaux et les documentaires comme des blessés.es, gémissant et faibles, nous pouvons parfois avoir accès au microphones, en en payant le prix. Les victimes doivent présenter des prérequis. Ce sont souvent des femmes, des enfants et des personnes âgées qui détiennent des passeports américains ou européens, qui sont des professionnels.les dans l'humanitaire ou qui sont handicapés.es. On vous répétera à leur sujet : « Ils ne feraient pas de mal à une mouche ». Et même si dans le passé ils ou elles furent des loups, maintenant leur docilité est mise de l'avant, leur sortie du règne animal si ce n'est que pour hurler à la mort devant la lune. Leur programme est individuel, centré sur leurs tragédies personnelles porté par les besoins humanitaires plutôt que par les idéologies politiques.
Je vais vous raconter une histoire. L'an dernier, le 11 mai, je me suis réveillé, comme bien des gens dans le monde, avec la nouvelle que la bien-aimée journaliste palestinienne, Shireen Abu Akleh avait été tuée par les forces israéliennes d'occupation durant un raid dans le camp de réfugiés.es de Jenin dans les territoires occupés. Dans les minutes qui ont suivi je trouve dans ma boite courriels le message suivant : « Très urgent et nécessaire, s.v.p. annonce sur Twitter et Facebook que Shireen Abu Akleh est une citoyenne américaine. C'est un fait, pas une rumeur. Les Israéliens ont tué une journaliste américaine ». Évidemment je n'ai pas fait cette annonce. J'ai écrit au sujet de sa mort mais en m'assurant de ne pas référer au fait qu'elle détenait un passeport américain. Ça n'avait rien à voir. Quelques heures plus tard, la nouvelle de sa citoyenneté américaine était connue et soudainement ça l'a rendue plus humaine.
Cela nous donne l'occasion de nous poser trois questions : dans la mentalité courante en Occident, qui mérite qu'on pleure sa perte ? Qui a le statut d'humain ? Qui peut avoir accès à la parole publique ?
Qui a le statut d'humain ?
Shireen Abu Akleh était une personne simplement parce qu'elle était une personne. Mais pour la moyenne des Américains.es elle l'était parce qu'elle était une femme, une chrétienne, une Américaine, une journaliste portant clairement l'inscription « presse » sur sa veste. Elle avait même un chien. Quand nous mourrons, pour que ça fasse les unes ou pour que notre mort compte, il faut que nous ayons une mort spectaculaire ou que nous soyons morts.es dans des violences spectaculaires. Quand j'utilise les mots « spectaculairement violent » je pense à quelqu'un comme Mohammed Abu Khdeir, un garçon de 16 ans, qui vivait de l'autre côté de la rue où se trouve mon école secondaire à Shufat dans Jérusalem occupé. Il a été enlevé en face de sa maison et brûlé à mort par des colons israéliens.
Que signifie la pratique de la politique de la supplication ? Pendant des décennies, les journalistes et les travailleurs.euses du secteur culturel ont utilisé un discours humanisant pour présenter le peuple opprimé dans l'espoir de contredire le portrait traditionnel des Palestiniens.nes comme terroristes. Non seulement cela a donné lieu à une fausse dichotomie entre terroriste et victime mais a fait émerger le concept de la victime parfaite avec l'obligation d'être ethno centrée pour bénéficier de la sympathie et de la solidarité.
Trop souvent nous mettons l'accent sur le caractère non violent, sur la noble profession et sur les handicaps des personnes opprimées. Nous les gratifions de beaucoup d'accolades. Nous ne le faisons pas que pour les Palestiniens.nes mais aussi envers les noirs.es, victimes de la brutalité policière aux États-Unis. Nous soulignons : « C'étaient des artistes » ou « Ils souffraient de maladie mentale » ou « Ils n'avaient pas d'armes ». Comme, si condamner l'État pour la mort d'une personne de couleur n'est possible qui si la personne morte correspond au modèle de la citoyenneté américaine. On peut dire la même chose des victimes d'abus sexuels : il faut toujours rappeler à l'auditeur.trice qu'elles étaient sobres et habillées correctement.
Je ne suis pas en train de dire que ceux et celles qui adoptent la politique de la supplication devraient être mis au bucher. Quand je dis que Shireen Abu Akleh était américaine ou que Alaa Abdel Fattah, le prisonnier politique égyptien est britannique, je dis que nous sommes devant une stratégie. Cela les rends acceptables pour le public américain ; ils vont pouvoir plus facilement obtenir justice. Mais, en fait, cela ne fait que rétrécir notre part d'humanité, nous, tous les autres et renforce une hiérarchie des souffrances. L'obligation d'être « humain » devient plus étroite et difficile à atteindre. Ces pratiques que je nomme « sortir du règne animal » reproduisent un ordre culturel grand public où les Palestiniens.nes sont privésées de leur propre programme du droit à l'auto détermination et à celui, ultimement de raconter (leur propre histoire) comme le disait le professeur palestinien, Edward Saïd.
Qui mérite qu'on pleure sa perte ?
Voici un autre exemple de victime parfaite. Il y avait deux jeunes hommes à Beir Rima, un village près de Ramallah dans les territoires occupés. L'un d'eux occupait un bon emploi très bien payé à la Banque islamique arabe. L'autre étudiait en ingénierie informatique à l'Université Birzeit. C'étaient les fils d'une famille à l'aise. Lors d'un raid de l'armée israélienne sur leur village occupé illégalement, les deux frères ont défendu leur communauté en lançant des pierres et toutes sortes de choses. Ils ont été tués tous les deux. Ils s'appelaient Jawad et Thafer.
Depuis cet événement, leur sœur Ru'a Rimawi, qui étudiait la médecine pédiatrique, s'est mise à une tâche où elle n'avait pour ainsi dire aucune expérience : faire campagne. Elle a partagé des éloges et des anecdotes au sujet de ses frères sur les médias sociaux. Elle m'a raconté qu'après chaque parution elle s'effondrait. Elle veut garder leur mémoire vivante en occupant les médias sociaux puisque les Palestiniens.nes qui sont tués.es chaque jour, ne bénéficient pas de l'attention médiatique. Elle me confie qu'elle trouve cela dur de convaincre le monde que la vie de ses frères compte pour quelque chose : « Il ne suffit pas qu'ils aient été tués il faut démontrer qu'ils avaient une carrière, qu'ils n'avaient pas envie de se jeter dans la mort. Ils avaient des ambitions, des rêves comme tout le monde ».
J'ai accompagné Ru'a durant les derniers mois alors qu'elle tentait d'écrire un texte à propos de ses frères. Nous l'avons envoyé à The Gardian, The Washington Post, au Los Angeles Times. Nous n'avons pas essayé le New York Times. Tous ont refusé ou ignoré l'article. Quand nous en avons parlé à un expert des médias, il nous a dit que l'article n'avait pas été publié parce que les jeunes hommes avaient lancé des pierres à l'armée. Leur statut de victime n'était pas parfait dont pas de publication dans le LA Times.
Qui détient la parole publique ?
D'habitude je préfère me concentrer sur la brutalité sioniste plutôt que sur les enjeux de représentation car ils sont fades en comparaison avec la répression et la violence contre les Palestiniens.nes sur le terrain. Mais c'est pourtant à cela que nous devrions nous intéresser car c'est l'encadrement qui piège les avocats.es de la libération palestinienne en Occident.
En 1984, en réponse à la guerre d'Israël au Liban, Edward Saïd a publié un essai intitulé : « La permission de raconter ». (Permission to Narrate ». Il y critiquait les médias occidentaux pour leurs biais dans la couverture de cette guerre en favorisant le point de vue israélien et en évacuant celui des Palestiniens.nes. Aujourd'hui, nous sommes exactement dans la même situation. Les politiciens.nes et les analystes israéliens.nes occupent les écrans pour définir les contours du soit disant conflit. Mais quand les victimes palestiniennes ont cette chance, et même dans ce cas, on les interroge plus qu'on ne les interviewe.
Je suis dans une position particulière. D'un côté je suis une victime, j'ai perdu ma maison ; elle a été volée à Sheikh Jarrah par des colons. Mais d'autre part, je suis un journaliste, un écrivain. Occasionnellement je suis invité sur CNN, en fait une seule fois. Je ne suis jamais invité deux fois sur le même réseau.
Je veux savoir pourquoi on m'offre un micro de temps en temps. Est-ce parce que je passe bien ? Est-ce parce que je parle Anglais avec l'accent américain ? Peut-être. Je plaide publiquement depuis des années et parfois je me demande si ce n'est surtout pas pour mon intelligence mais plutôt parce qu'on me transforme en alibi, en simple faire valoir. À onze ans, j'ai fait partie d'un documentaire qui m'a mené au Parlement européen et au Congrès des États-Unis. Je me souviens que je suis allé à Jérusalem pour acheter de fausses lunettes pour avoir l'air brillant. Je me suis assis sur le podium au Parlement européen et au Congrès et je me suis exprimé sans avoir la moindre idée de ce que je disais. J'ai pensé : « Ils me croient si mûr si malin ». Des années plus tard, je me suis rendu compte que ce n'était pas les cas.
À l'apogée du 2021 Unity Uprising, on m'a contacté au nom de divers sénateurs.trices américains.nes et élus.es au Congrès dont Chuck Schumer (leader de la majorité démocrate au Sénat américain). On m'a demandé, et je vous donne le texte tel quel, si je pouvais « fournir un enfant palestinien qui parlerait de ses rêves et de ce que la paix veut dire pour lui ». Je traduis la demande : Le seul Palestinien à recevoir à leur table sans danger est un enfant.
Les auditoires occidentaux, comme leurs politiciens.nes ne veulent pas entrer en relation avec des adultes palestiniens.nes parce que leurs critiques aiguisées pourraient les offenser. À cause de cela, nous épuisons nos enfants en leur donnant la responsabilité de présenter un regard humain à l'humanité. Nous envoyons des délégations d'enfants palestiniens.nes au Congrès. Nous leur faisons mémoriser des PowePoints à propos de la paix, de la coexistence, nous leur disons de montrer des images de leur sang et de leurs membres blessés dans l'espoir que cela changera la perception des Américains.nes qui subissent une lourde propagande (…).
Je connais cela de première main, parce que je le répète, je l'ai fait quand j'étais jeune. Mais je suis capable d'en prendre. Regardez autour de vous ; il y a 7,000 policiers.ères ici. De multiples articles, déclarations et dépliants ont été publiés, distribués, pour protester contre cette conférence avant même qu'elle ne commence. Apparemment, je suis dangereux.
Alors, si je ne peux pas être entendu publiquement qui le peut ? Assurément, la personne que nous honorons aujourd'hui, Edward Saïd, un des grands intellectuels de notre temps, célébré publiquement, peut se voir présenter un microphone. Mais, même E. Daïd, avec toute sa stature et sa notoriété à un moment donné n'a pu avoir accès à aucun micro. C'était en 2020. Il visitait le Liban. Il a tiré, comme il le disait, des « cailloux » sur une guérite israélienne à la frontière. Tout le monde s'est enragé. E. Saïd n'était plus un humain. Il ne pouvait plus parler leur langage. Un article du Columbia Daily Spectator disait : « Edward Saïd est accusé d'avoir lancé des roches dans le sud du Liban ». La Société Freud a annulé une de ses conférences. Le Washington Post a publié un article qui commençait en disant que Saïd était : « un peu trop en chair, un peu trop distingué pour lancer des roches en direction des soldats israéliens…Est-ce bien E. Saïd…qui a rejoint les rangs des Palestiniens.nes tireurs de roches » ? C'est un article désastreux mais certains.nes ont jugé que ce n'était pas assez. Deux auteurs ont répondu dans le Daily Spectator : « La première phrase nous a dérangés parce qu'elle laissait entendre que lancer des roches à une frontière internationale à des civils.es inconnus.es et à des soldats d'un pays voisin pourrait être acceptable ou au moins compréhensible si c'est le geste des jeunes ordinaires, par des gens moins en vue ou distingués ». Ils ont nommé cela : « un geste gratuit de violence au hasard ».
Si quelqu'un comme E. Saïd ne peut avoir accès à la parole publique quel Palestinien, quelle Palestinienne a le droit de raconter son histoire ? Les Israéliens ! Si souvent, un.e politicien.ne israélien.ne vient dire : « Nous allons vous servir une autre Nakba, un nouveau génocide. Nous allons vous expédier en Jordanie ». Ou encore un soldat israélien qui ne peut pas dormir la nuit parce qu'il pense aux enfants qu'il a tués fait le tour des États-Unis pour en parler. Ou les gens qui citent Theodor Herzl, un pionnier du sionisme, qui a écrit en 1895 : « Nous devons gentiment exproprier les propriétés privées sur le territoire qu'on nous offre. Nous devons essayer de faire sortir les dsargentés.es au-delà de la frontière. Ces deux opérations, les expropriations et les déplacements des populations pauvres doivent se faire discrètement avec circonspection. Les antisémites vont devenir nos amis les plus fiables, les pays antisémites nos alliés ».
J'aime bien donner en exemple celui de Ze'ev Jabotinsky qui a fondé l'Irgum, l'organisation paramilitaire responsable du bombardement de l'hôtel King David à Jérusalem en 1946 et du massacre de Deir Yassin en avril 1948. Il a écrit : « Aucune entreprise de colonisation ne s'est faite avec le consentement des populations en place. Elles ont toujours obstinément résisté aux colonisateurs qu'elles aient été civilisées ou sauvages ».
Cela nous obsède nous les Palestiniens.nes militants.es et journalistes. Nous salivons en rapportant cette citation à la population. Mes grands-parents nous ont raconté les massacres terriblement pénibles qui ont permis à l'État sioniste de voir le jour. Mais ça ne suffisait pas. Il a fallu les confessions d'un ex-soldat ou le réveil tardif d'une organisation de défense des droits humains pour que le monde entende. Les Palestiniens.nes parlent de l'apartheid depuis des décennies, mais il a fallu que Humain Rights Watch, Amnesty International et B'Tselem le démontre pour que ce soit confirmé. Et c'est encore pire en ce moment.
Quand j'étais enfant, des archéologues ou des géologues travaillant sur le terrain et des chercheurs.euses sur les droits humains étaient couramment chez-nous. Je leur montrais des photos de ma grand-mère battue par des colons pour présenter notre situation et ils et elles essayaient de manger le repas rituel du vendredi. Je présentais mon analyse : « C'est ce que je pense qui se passe ». Mais ça tombait à plat comme si on me disait : « Nous ne voulons que voir vos blessures, avoir un échantillon de sang. Nous allons annoncer ce qui se passe plus tard ».
Aujourd'hui comme hier, les politiciens.nes israéliens.nes amplifient l'idée de tuer les Arabes ou de promettre aux Palestinines.nes une nouvelle Nakba. Parfois, un journal sioniste affiche en une la confirmation qu' « Israël est une colonie de peuplement » et leur discours est répété sans fin. Pourquoi cela à-t-il autant de poids ? Pourquoi autorisons-nous à ceux et celles qui nous ont tué et déplacé à raconter (notre histoire) alors que l'étroitesse de leur conscience coupable signifie que leur honnêteté n'est jamais garantie ? Pourquoi attendons-nous pour que ceux et celles qui tiennent le bâton parlent quand nos corps blessés disent la vérité ?
Je suis natif de Jérusalem, pas parce que Jabotinsky l'a dit mais parce que c'est cela. Je sais que les Sionistes ont colonisé la Palestine sans avoir besoin de citer Herzl. Je le sais parce que je l'ai vécu, parce que les nombreux villages dépeuplés fournissent les preuves matérielles d'un nettoyage ethnique planifié. Quand nous les Palestiniens.nes parlons de ce nettoyage ethnique en cours, qui en passant, fait partie de l'idéologie sioniste, on nous reconnait au mieux comme passionnés.es au pire comme haineux.euses, mécontants.es et vexés.es. Alors, qu'en fait nous ne sommes que les rapporteurs.euses fiables, simplement parce que nous sommes les Palestiniens.nes. Nul besoin de nous donner cette identité pour que nous la prenions ; elle nous donne l'autorité de raconter. Mais l'histoire nous apprend que ceux et celles qui oppriment, qui ont le monopole de la violence, ne diront pas la vérité, ne reconnaîtrons pas leur responsabilité.
Ces dernières années ont été assez intéressantes pour les Palestiniens.nes. Nous avons été à la table, nous avons parfois pu quelque peu diriger la conversation. C'est une occasion offerte pour changer le discours, la rhétorique, et pour provoquer un virage radical de l'opinion publique à propos de la Palestine et de nous. À titre de travailleurs.euses culturels.les, à titre de producteurs.trices de connaissances, de journalistes, d'universitaires, et de commentateurs.trices dans la médias sociaux, nous devons être braves. C'est une époque où il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt ou derrière ceux et celles qui nous assignent.
Et pour nous les journalistes il ne s'agit pas que d'être braves. Il faut faire notre travail. Rapporter la vérité ; nous devons rapporter la vérité.
Je veux encore parler d'une autre chose. Quand je monte sur scène, habituellement je fais beaucoup de farces. Je le fais exprès d'abord parce que je veux croire que je suis amusant. Mais il y a une autre raison : on s'attend à ce que n'importe lequel Palestinien qui se présente en public, surtout s'il a subi la violence israélienne, ait un comportement prescrit. Vous êtes supposé être misérable, avoir la tête baissée, gémissant et faible et demandant grâce. Vous devez souffrir poliment. Je refuse tout cela. Je refuse la politique de supplication. Je ne veux supplier personne. Je peux supporter le travestissement et la tragédie, la perte la plus profonde et je peux même en rire. C'est la totalité de l'humanité palestinienne ou de toute l'humanité. Nous sommes des humains.es pas seulement parce que nous pleurons quand nous perdons notre maman ou parce que nous avons des animaux de compagnie. Nous sommes des humains parce que nous expérimentons la rage, le dédain, parce que nous résistons.
Et honnêtement, je rends grâce à mon dédain parce qu'il me rappelle que je suis humain. Je rends grâce à ma rage parce qu'elle me rappelle ma capacité à réagir naturellement devant l'injustice. Je suis reconnaissant de pouvoir être désinvolte et capable de ridiculiser et caricaturer mon impénétrable et ineffaçable occupant. Donc, je vous invite tous et toutes à interroger vos biais à la sortie de cette conférence, à interroger ce qui vous dispose à déterminer l'humanité palestinienne. Et je vous invite encore à être braves. Merci beaucoup.
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