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MERCI Pierre Beaudet

8 mars 2022, par CAP-NCS
Notre ami Pierre Beaudet est décédé aujourd’hui. Nous sommes sous le choc. Il y a quelques jours à peine, Pierre participait à des réunions avec nous et semblait déterminé à se (…)

Notre ami Pierre Beaudet est décédé aujourd’hui. Nous sommes sous le choc. Il y a quelques jours à peine, Pierre participait à des réunions avec nous et semblait déterminé à se rétablir de sa maladie. Mais le corps n’a pas tenu le coup.

Les Nouveaux Cahiers du socialisme sont en deuil. Pierre a fondé ce collectif il y a une quinzaine d’années avec d’autres camarades désireux et désireuses de participer à la création d’une nouvelle culture politique de gauche, pluraliste et critique.

Les membres des Nouveaux Cahiers du socialisme veulent offrir leurs profondes condoléances à à ses proches. Nous prendrons plus tard le temps nécessaire pour rendre hommage à Pierre, ce militant et homme de conviction depuis sa jeunesse. Sa contribution à la gauche tant québécoise qu’internationale est immense, sa feuille de route est depuis longtemps impressionnante.

Nous perdons un frère et un ami de longue date.

Repose en paix camarade.

 

Féminisme : Ni la guerre qui nous détruit ni la paix qui nous opprime

8 mars 2022, par CAP-NCS
Image du mouvement Global Women’s Strike avec sa devise “invest in care, not kill” Le titre de cet article correspond à la devise qui accompagne l’action féministe contre les (…)

Image du mouvement Global Women’s Strike avec sa devise “invest in care, not kill”

Le titre de cet article correspond à la devise qui accompagne l’action féministe contre les guerres, qui a toujours été, inconditionnellement, solidaire des femmes palestiniennes, afghanes, syriennes, irakiennes, colombiennes, kurdes, sahraouies et tant d’autres que je pourrais continuer à énumérer. Aujourd’hui, écoutant avec douleur les témoignages de la population ukrainienne et voyant les images de la destruction que l’invasion russe produit, mon cœur va aux femmes ukrainiennes, à celles qui résistent dans les villes et aux milliers qui ont dû fuir avec leurs filles et leurs fils, devenant des réfugiés. Et elle est aussi du côté des pacifistes russes qui créent des réseaux de résistance contre la guerre face à la répression du régime Poutine.

A la veille des manifestations du 8 mars, nous assistons à des polémiques entre les partis de gouvernement sur la guerre et à des déclarations institutionnelles sur le sens des prochaines mobilisations féministes, c’est pourquoi, avant d’entrer dans le vif du sujet, je continuerai à défendre la l’autonomie du mouvement féministe pour fixer son propre agenda dans les manifestations qu’il organise et convoque, sans ingérence institutionnelle ou partisane. L’histoire a conduit ce mouvement à être particulièrement jaloux de son autonomie et à différencier l’espace institutionnel et sa responsabilité des politiques publiques du sien.

Le “non à la guerre” du féminisme a de profondes racines historiques et internationales et, malheureusement, un long cheminement. Ici, des groupes tels que “Dones per donas”, “Mujeres de negro” et diverses plateformes pour la paix ont toujours répondu aux guerres et ont montré l’importance de créer des réseaux de soutien et de relations avec et entre les femmes dans les pays en conflit. Ainsi, elles ont poussé au rejet des guerres et à la défense de la paix, pour avoir toujours été présentes dans l’idéologie et le travail féministes et pour faire partie de leur internationalisme, de ce qu’on appelle désormais « le cri global».

Les raisons qui nous poussent, nous les femmes, à nous soulever contre la guerre et à défendre la paix sont très diverses. On a parfois voulu associer une nature prétendument pacifique des femmes, argument aux nettes connotations essentialistes que je ne partage pas et qui ne rend pas compte des expériences diverses des femmes sur la maternité, sur les pratiques relationnelles dont nous sommes tenues pour responsables ou sur la défense de la nature. L’activiste féministe et antimilitariste Montse Cervera l’explique en en pointant la raison : “Ce n’est pas parce que les femmes sont pacifiques par nature, mais parce que nous avons opté pour la vie des gens et de la planète.”

Cet engagement à mettre les besoins et le bien-être des personnes au centre, à garantir des vies décentes au lieu des bénéfices des marchés comme le proclame le capitalisme, est ce qui explique le rejet féministe de la logique des armes, de cette industrie qui va grossir en des temps de paix jusqu’à devenir une puissante industrie de la mort générant de gros profits ; le rejet aussi des escalades militaristes qui se forgent sous la rhétorique de paix et les politiques de sécurité des États qui, d’autre part, donnent de si bons retours à l’extrême droite.

C’est le même regard qui accompagne la demande de moins de dépenses militaires et de plus de dépenses sociales dans le budget de l’État. Ce sont les dépenses sociales qui peuvent répondre aux besoins réels et à la sécurité des personnes, c’est ce que la pandémie a rendu visible comme emplois essentiels : ceux d’agents de nettoyage, des résidences, de la santé, des services de soins à la dépendance, des soins et des travaux d’accompagnement à domicile ; dans chacun d’eux, la majorité des travailleurs sont des femmes.

L’épopée belliciste mène inexorablement à la culture de la violence, et rien ne produit plus d’éloignement de la proposition féministe

Mais il y a une autre composante fondamentale dans la proposition féministe de paix et dans le « non à la guerre » : la violence. Les femmes sont bien conscientes de la logique destructrice de la violence, en l’occurrence la violence sexiste, et les guerres sont le plus grand vecteur de la violence généralisée qui vise l’assujettissement des peuples et la violence patriarcale qui l’accompagne. Malheureusement, mais heureusement, cela a été documenté à d’innombrables reprises, les femmes deviennent des butins de guerre. Il a fallu attendre que la tragédie des femmes dans la guerre des Balkans éclate, pour que le viol soit considéré comme un crime de guerre, et le fait est que l’épopée guerrière conduit inexorablement à une culture de la violence, et rien ne produit plus d’éloignement à la proposition féministe.

L’ampleur finale de cette guerre, déjà dévastatrice, n’est pas connue, ni s’il sera possible de désamorcer les armes et que les milliers de réfugiés ukrainiens pourront reprendre la vie dans leurs villes et villages avec leurs blessures. On sait, car c’est déjà annoncé, qu’il va changer les conditions de vie de tout le monde. Et c’est sans doute l’urgence mondiale. Mais si vous aspirez à la paix et « à une paix qui n’opprime pas », vous ne pouvez ignorer les problèmes posés par le féminisme antimilitariste, car c’est la garantie de répéter l’horreur et de transformer le discours de paix en pure rhétorique.

La brutalité de la guerre, et le drame humain qu’elle entraîne, peut conduire à l’installation d’une normalité qui parque ou ignore tout problème échappant à la logique de la guerre, qui pourtant fait partie de la lutte pour la vie des femmes dans d’autres régions de la planète. Mais ce ne sera pas facile, peut-être devrons-nous apprendre à le faire.

Le mouvement Black Lives Matter a souligné que toutes les vies comptent et leur combat et leur slogan sont devenus une référence. J’y recourt car face au risque d’une normalité qui s’appuie sur la logique du « chacun pour soi » ou du « nous d’abord », si fonctionnelle au néolibéralisme, face à la peur et à l’insécurité, elle me conduit à ce que le féminisme a suscité : le « nous ensemble ». L’idée qu’il n’y a pas de droits pour certains s’ils ne peuvent être étendus à tous. C’est pourquoi, répondre de toute urgence au drame humain qu’est la plus grande crise de réfugiés survenue en Europe ne peut ignorer la situation de milliers de femmes et d’hommes qui vivent dans la pauvreté dans des camps de réfugiés à travers le monde. La modification des lois sur l’asile et le refuge, l’immigration et les autres règles de sécurité de l’Union européenne ne peut pas non plus être retardée.

Parce que toutes les vies comptent, la régularisation des Ukrainiens qui vivent dans l’État espagnol est urgente et doit contribuer à garantir qu’il en soit ainsi pour les près d’un demi-million de migrants qui vivent dans l’État espagnol en situation administrative irrégulière. Comme le soulignent les travailleurs domestiques (d’ailleurs, toujours sans que le gouvernement reconnaisse leurs droits et ratifie la convention 189 de l’Organisation internationale du travail), les journaliers, les travailleurs du sexe, les soignants et les travailleurs essentiels, dont beaucoup sont des migrants, l’irrégularité de leur Cette situation les soumet à une plus grande exploitation par le travail, à une vulnérabilité juridique, à l’exclusion des services et des droits publics, et les rend plus vulnérables à la violence sexiste et institutionnelle.

Ce risque auquel j’évoquais tout à l’heure – que tout ce qui ne rentre pas dans la logique de la guerre et ses conséquences immédiates terribles disparaisse de l’attention médiatique, sociale et politique – est un énorme problème car la guerre ne fera qu’aggraver les effets dévastateurs de les crises que nous subissons et qui se superposent : celle dérivée de la guerre chevauche celle de la pandémie et celle-ci sur les crises écologique, sanitaire, économique et démocratique que le féminisme a également qualifiée de crise systémique.

Le danger que les inégalités produites par le système s’approfondissent et s’installent encore plus dans une normalité marquée par la violence, la fragilité des conditions de vie de la majorité et la fragilité de l’environnement, est réel.

Dans une récente conférence sur le féminisme syndicaliste, certaines compañeras ont dit que s’organiser, c’est commencer à résister. Organisez-vous pour transformer en un cri mondial “ni la guerre qui nous détruit, ni la paix qui nous opprime”, pour construire des vies dignes et durables pour tous, afin que l’engagement à créer une communauté rende la soumission des femmes et des peuples irréalisable.

Comme le dit le manifeste de la Commission 8M du mouvement féministe madrilène, « les féministes ont un plan, nous allons changer le système. On dessine une autre trajectoire possible, avec un pouvoir féministe qui franchit les frontières et fait tomber les murs. Et ce n’est pas de la rhétorique, il y a un féminisme inclusif, dans lequel nous nous inscrivons tous, avec des propositions qui pointent vers les causes structurelles de la situation que vivent les femmes et c’est peut-être pourquoi cela les met si mal à l’aise.

Féminisme ou barbarie.

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Justa Montero est une militante féministe.

Publié dans Contexte le 03/07/2022

 

La Russie de Vladimir Poutine : un régime bonapartiste

8 mars 2022, par CAP-NCS
L’effondrement du régime soviétique s’est déroulé dans un temps si court qu’il a surpris presque tout le monde de ce côté-ci du Rideau de fer. Ce trop court délai n’a pas suffi (…)

L’effondrement du régime soviétique s’est déroulé dans un temps si court qu’il a surpris presque tout le monde de ce côté-ci du Rideau de fer. Ce trop court délai n’a pas suffi à mobiliser la société russe autour d’un projet élaboré en toute indépendance de classe par rapport aux couches sociales dominantes. Ces dernières, fortement appuyées en cela par nos gouvernements et les institutions financières internationales tels le FMI, la Banque mondiale, la BERD, ont fait pression sur les libéraux russes pour une transition rapide au capitalisme, la fameuse thérapie de choc. Ces derniers ne se sont d’ailleurs pas fait prier. Méfiants des milieux populaires russes, la vitesse permettrait d’effectuer l’essentiel de la transition – à commencer par les privatisations – avant que la population se mobilise contre le type de société qu’on commençait à mettre en place. Les aspirations à la liberté, à la démocratie, s’étaient manifestées à une large échelle. Mais c’était beaucoup moins le cas en ce qui concerne le passage au capitalisme, lourd de menaces pour la sécurité économique des travailleurs et travailleuses et susceptible de heurter les valeurs égalitaristes profondes du peuple russe, antérieures au régime soviétique.

Les perturbations politiques qui ont accompagné l’application de la thérapie de choc ont soulevé des doutes sur la capacité d’un régime politique libéral doté d’un parlement fort – héritage des réformes de Gorbatchev et des revendications démocratiques qui ont suivi – de contrer tout menace à l’ordre établi. Après tout, des élections parlementaires auraient pu donner la victoire à des forces opposées à l’ordre capitaliste qu’on mettait en place. C’est la raison pour laquelle les confrontations entre le parlement et le pouvoir exécutif en 1992 et 1993 ont abouti à la violence et à l’imposition d’une constitution qui accorde l’essentiel des pouvoirs au président. Nos dirigeants, faut-il le rappeler, tout comme nos éditorialistes serviles, ont appuyé ce geste commis par Boris Eltsine et son entourage. Comme la thérapie de choc n’arrivait pas à elle seule à assurer l’irréversibilité de la transition, le recours à l’autoritarisme s’avérait donc également nécessaire.

En 1999, le règne de Boris Eltsine tire à sa fin et l’oligarchie cherche désespérément un candidat susceptible d’assurer la continuité de l’ordre établi. Le tandem Primakov-Loujkov fait peur avec son intention de réviser certaines privatisations et de procéder à la renationalisation de certains secteurs de l’économie. Primakov, premier ministre pendant une courte période, jouit d’un important soutien populaire et les sondages prévoient qu’il risque fort de remporter l’élection présidentielle de mars 2000. En août 1999, le clan Eltsine choisit finalement Vladimir Poutine comme candidat et lui donne l’occasion de se faire connaître en le nommant premier ministre. Issu de l’ancien KGB, il apparaît comme la meilleure garantie pour protéger le nouveau régime de tout ce qui pourrait le menacer. Nommé président par interim le 31 décembre, il remporte ensuite l’élection présidentielle.

Contrairement à Eltsine, Poutine bénéficie d’une économie en forte croissance avec la hausse des prix mondiaux du pétrole. Il a par ailleurs profité de son poste de président et du contexte de guerre en Tchétchénie pour placer les siloviki dans différentes instances stratégiques, y compris de grandes entreprises. On appelle siloviki ces personnes issues des institutions chargées d’assurer la sécurité du régime.

Le caractère bonapartiste du régime postsoviétique devient ainsi beaucoup plus affirmé. Dans un régime bonapartiste, l’État s’érige au-dessus des classes sociales, y compris la classe dominante. C’est ce qu’on observe en Russie, où l’oligarchie/bourgeoisie formée sur les décombres de l’URSS et enrichie par les privatisations effectuées de manière scandaleuse est trop faible pour prendre la tête de la société russe, qui la déteste cordialement. Un sondage réalisé en août dernier par le Centre Levada (maison de sondages et d’enquêtes sociologiques indépendante de l’État et considérée par lui comme « agent de l’étranger »), a posé une question sur le « système économique le plus juste ». La planification et la distribution par l’État a reçu l’appui de 62% des sondés contre 24% pour le système fondé sur la propriété privée et l’économie de marché. En somme : si la transition au capitalisme a abouti jusqu’à un certain point dans la sphère de l’économie, ce n’est pas le cas dans celle de l’idéologie. C’est ainsi qu’on peut comprendre la peur que ressent l’oligarchie face au peuple russe et la nécessité d’un État où le pouvoir qui la protège est concentré entre les mains de la branche exécutive.

Comme ce fut le cas pour Napoléon III, l’État russe jouit d’une autonomie sans commune mesure avec ce que l’on retrouve dans les pays capitalistes développés. Cette autonomie a permis à Poutine d’agir parfois contre les intérêts apparents de l’oligarchie, notamment avec cette guerre qu’il a déclenchée contre l’Ukraine. C’est un peu ce genre de rapport qu’on retrouvait dans l’Allemagne nazie entre l’État et la bourgeoisie. Cette dernière étant menacée par la montée communiste, elle a accepté d’être politiquement expropriée en échange du maintien des rapports sociaux capitalistes (ce qui a d’ailleurs amené Hitler à se débarrasser des SA, qui voulaient pousser plus loin la « révolution »). Lorsque la défaite de l’Allemagne ne faisait plus de doute, la bourgeoisie a cherché, sans succès, à se débarrasser d’Hitler dans le but de mettre fin à la guerre sur le front ouest et de s’entendre avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. Ce désaccord entre la bourgeoisie et l’État nazi a culminé avec la tentative ratée d’assassinat d’Adolf Hitler en juillet 1944. Aux États-Unis ou ici, une guerre sans l’appui du capital ne serait guère possible.

Les ennuis que Poutine a causés à certains oligarques (Berëzovski, Goussinski, Khodorkovski et d’autres) ont contribué à sa popularité auprès des Russes. Napoléon III avait lui aussi, en son temps, bénéficié d’appuis populaires à l’occasion de son plébiscite. La présidence Poutine a aussi été marquée par une nette amélioration du budget de l’État et par une hausse des salaires dans la première décennie des années 2000. Une partie significative de la population a pu commencer à voyager à l’étranger, à améliorer ses conditions de logement et à jouir de quelques autres bienfaits peu accessibles auparavant. C’est pour toutes ces raisons et quelques autres que le président russe peut encore compter sur l’appui d’une grande part de l’opinion publique.

Mais la guerre contre l’Ukraine risque fort de gruger son capital de sympathie. Si les manifestations prennent de l’ampleur, il pourrait ne plus apparaître, aux yeux des élites, comme la meilleure garantie de préservation de l’ordre établi, déjà terriblement menacé de l’extérieur par les sanctions et par l’isolement international. Et pour ces élites qui ont su profiter du régime, il ne saurait être question de risquer l’émergence d’un mouvement de masse. Il a été choisi en 1999-2000 pour en empêcher la possibilité, et non l’inverse. C’est la raison pour laquelle je suis persuadé qu’on est en train de réfléchir à tout cela en haut lieu.

 

Michel Roche est professeur de science politique à l’Université du Québec à Chicoutimi

 

 

Zelenski, d’acteur comique à personnage principal de la tragédie ukrainienne

7 mars 2022, par CAP-NCS
Photo Byron Maher   « Make Russia Great Again » est l’obsession de Poutine, reconstruire la Grande Russie d’antan, et les États-Unis, l’OTAN et l’UE, avec leur politique (…)

Photo Byron Maher

 

« Make Russia Great Again » est l’obsession de Poutine, reconstruire la Grande Russie d’antan, et les États-Unis, l’OTAN et l’UE, avec leur politique expansionniste agressive et irresponsable, l’ont aidé à justifier une invasion qui changera le scénario géopolitique mondial.

Dans la fiction, Volodimir Zelensky a fait face à des problèmes constants de toutes sortes il y a quelques années en tant que “président” de l’Ukraine, mais il a toujours réussi à s’en sortir avec brio. Il a mené une grande croisade contre la corruption politique endémique de son pays et a même fait face à une attaque contre le Parlement avec une mitrailleuse à la main.

Maintenant, en tant que vrai président, il doit faire face à une véritable invasion territoriale de son pays par des milliers de soldats, de chars, d’avions et de navires de guerre de l’une des forces armées les plus puissantes du monde, la Russie, et en tant que commandant en chef, il mène une résistance armée tenace malgré la grande inégalité militaire.

Après des années en tant que scénariste, producteur et acteur de cinéma, Zelensky russophone, né dans le sud-est de l’Ukraine, a été de 2015 à 2019 le scénariste et principal protagoniste de la série télévisée à succès  Servant of the People .

Cela a commencé précisément peu de temps après la chute et la fuite du président Viktor Ianoukovitch, également originaire de l’Est du pays, qui a fini par s’exiler en Russie.

Membre du PCUS (Parti communiste de l’Union soviétique) durant la dernière décennie de l’URSS et devenu oligarque après son atomisation et l’indépendance de l’Ukraine, Ianoukovitch est revenu en 2013 sur son accord pour entamer le processus d’association de son pays à l’Union. Européen.

Ianoukovitch a choisi d’annuler cet engagement, optant plutôt pour une relation plus étroite avec la Russie, qui a conduit à des manifestations de rue initialement spontanées de jeunes européistes, immédiatement après encouragées de manière irresponsable par l’UE et les États-Unis, et qui ont fini par être reprises par les forces politiques. des milices d’extrême droite de plus en plus violentes.

Certaines de ces milices néonazies, composées non seulement d’Ukrainiens mais aussi de Croates et d’extrême droite d’autres pays, comme Svoboda, Pravy Sector et d’autres, ont fini par s’intégrer dans les forces de sécurité régulières ukrainiennes. Aujourd’hui, ils font partie du régiment d’opérations spéciales Azov de la garde nationale ukrainienne, sous la tutelle du ministère de l’intérieur de l’Ukraine.

Poutine fait allusion à ces forces lorsqu’il dit que leur but est de dénazifier l’Ukraine, bien qu’elles n’aient pas réellement de présence réelle au sein du haut commandement des forces armées ou au sein du gouvernement.

En utilisant le fantôme du nazisme dans le pays voisin, Poutine sait qu’il parvient à provoquer la haine et la peur dans la population russe, qui a souffert plus que tout autre pays de l’horreur nazie. Vingt-cinq millions de Soviétiques sont morts sous le nazisme.

Poutine recourt de manière tordue à la mémoire historique pour présenter le gouvernement actuel de Zelensky – fils de parents juifs et petit-fils d’un membre de l’Armée rouge – comme un héritier de cette partie des Ukrainiens qui ont activement collaboré dans les années 1940 avec l’occupation hitlérienne.

Il oublie de rappeler l’autre visage de cette occupation, que de 1941 à 1944 cinq millions d’Ukrainiens sont également morts, dont près d’un tiers de Juifs. On oublie également qu’après cette période, la république d’Ukraine a continué à faire partie de l’URSS – comme elle l’avait été depuis 1922 – jusqu’à sa désintégration en 1991.

Jusqu’en 2018, Zelensky n’a agi qu’en russe à la fois dans son pays et dans plusieurs anciennes républiques soviétiques, mais les temps nouveaux, avec la russophobie qui s’est propagée dans tout l’ouest de l’Ukraine avec la guerre déclenchée contre les régions séparatistes pro-russes de l’est de Donetsk et Lougansk, ont commencé à agir en ukrainien

Avec des membres de sa société de production, Kvartal 95, il décide de transformer sa série comique  Serviteur du peuple  en parti politique et de se présenter comme candidat à la présidentielle pour les élections de 2019.

L’annonce a étonné la classe politique et suscité de grandes attentes dans une grande partie de l’opinion publique, mécontente du gouvernement de Petro Porochenko, l’oligarque pro-occidental —aussi corrompu que Ianoukovitch—, qui avait triomphé de ces élections irrégulières dans la convulsive 2014 après la fuite loin de ça

Zelensky a amené son personnage de télévision dans la vraie vie; l’essentiel de son programme électoral était aussi la lutte contre la corruption, comme sur le petit écran. Il a promis de lutter pour la paix et l’unité en Ukraine et a également fait un clin d’œil aux puissants oligarques sans le feu vert desquels il semblait impossible d’accéder au pouvoir dans ce pays.

Aux élections de 2019, Zelensky a balayé le terrain ; au second tour, il a remporté 73% des voix, dont pas mal du Donbass, la région orientale frontalière de la Russie, au sein de laquelle se trouvent les républiques populaires rebelles de Donetsk et de Lougansk, avec respectivement deux millions et un million et demi d’habitants.

L’acteur-président a tenu un discours modéré devant Moscou : “Nous sommes différents, mais ce n’est pas une raison pour être ennemis”.

Zelenski a déclaré qu’il ne voulait pas que son pays ne soit ni “le petit partenaire de la Russie” ni le “partenaire corrompu de l’Occident”, mais il a aussi exprimé publiquement sa volonté de préparer l’Ukraine pour qu’en 2024 elle remplisse toutes les conditions qui sont à n’importe quel pays afin de demander à la fois l’adhésion à l’UE et à l’OTAN. Ces jours-ci, il a demandé à la Commission européenne d’accélérer le processus d’admission de son pays dans l’UE.

Cette confirmation de leurs objectifs stratégiques a conduit les séparatistes de l’est du pays, soutenus économiquement, politiquement et militairement par Poutine, à abandonner toute attente d’une solution négociée au conflit ouvert.

Les provocations des deux côtés de la ligne de front ont été constantes, un filet de morts sans fin ajouté aux 14 000 survenus au cours des deux premières années de la guerre, entre 2014 et 2015.

Le cessez-le-feu a été rompu mille fois. Poutine ne voit que les attaques militaires que subissent les républiques populaires et les qualifie de “génocide”, justifiant ainsi son “opération spéciale” pour l’empêcher.

De part et d’autre, l’Ukraine, l’UE, l’OTAN et les USA d’un côté, les séparatistes de Donetsk et Lougansk et la Russie de l’autre, s’accusent mutuellement de ne pas avoir respecté les accords de Minsk (Biélorussie), mais chaque bloc compte rien de plus que les engagements que l’autre avait pris, pas les siens.

L’Ukraine n’a pas tenu l’engagement d’organiser des élections locales et d’accepter un statut spécial d’autonomie réelle pour les régions orientales rebelles, et de démilitariser ces régions.

De leur côté, les républiques rebelles et la Russie n’ont pas respecté l’engagement de retirer les armes lourdes et de respecter le fait que c’est le gouvernement ukrainien qui contrôle ces frontières extérieures avec la Russie et qu’elles sont surveillées par l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ). .

Ni l’un ni l’autre n’ont respecté la condition du maintien d’une bande démilitarisée de 15 kilomètres de chaque côté, ni la condition du retrait immédiat de leurs forces mercenaires respectives, avec la présence de milliers de soldats des deux côtés.

Les négociations de Minsk ont ​​été menées par le Groupe de contact trilatéral sur l’Ukraine, qui comprenait à la fois des représentants de l’Ukraine, de la Russie et de l’OSCE et une représentation de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk.

Ni l’UE, ni l’OTAN, ni les États-Unis n’ont officiellement participé à ces négociations, mais ils ont néanmoins toujours été omniprésents.

Bien que pour ces républiques rebelles l’objectif fondamental de leur lutte était et continue d’être d’obtenir l’indépendance de l’Ukraine et de parvenir à une éventuelle association ou intégration avec la Fédération de Russie, ce qui est en jeu depuis des années en Ukraine va bien au-delà de ce conflit et que certains et d’autres instrumentalisent.

Les États-Unis, l’UE et l’OTAN instrumentalisent l’Ukraine afin de fermer davantage le siège de la Fédération de Russie, un siège qui a commencé à partir du moment même où l’Union soviétique a été détruite et démembrée en de nombreux morceaux.

L’Europe avait déjà abandonné des années auparavant l’idée d’une Maison commune européenne que Mikhaïl Gorbatchev proposait depuis 1985 pour tenter de créer un espace de sécurité commun exclusivement européen, sans armes de destruction massive et avec une coordination eurasienne entre la Communauté économique européenne de l’époque ( CEE) et son homologue d’Europe de l’Est, le Conseil d’entraide (COMECON) de l’URSS et des pays de l’Est sous son orbite.

L’Europe, tout le continent européen, a ainsi perdu une occasion d’essayer une autre voie, d’avancer des années et de manière moins traumatisante la fin de la guerre froide.

Nous ne saurons jamais si relever le défi à ce moment-là aurait permis ou non le début d’un véritable nouvel ordre mondial, avec une Europe non dépendante des États-Unis, et cela nous aurait permis d’éviter les guerres dans les Balkans, la Géorgie , la Moldavie et l’actuel en Ukraine.

L’analyser maintenant relève de la science-fiction.

Le COMECON a disparu après la désintégration de l’URSS tout comme le Pacte de Varsovie, l’alliance militaire de l’URSS avec les pays d’Europe de l’Est, a été démantelé, mais l’OTAN n’a pas été dissoute malgré le fait que son principal objectif initialement déclaré était de servir de confinement pour un éventuel plan soviétique hostile et expansionniste.

C’est sous l’administration Bill Clinton qu’il a été décidé non seulement de maintenir l’OTAN, mais aussi comment et quand l’étendre, mais en même temps, le secrétaire d’État américain, Warren Christopher, a averti en 1993 : « Le gouvernement russe doit éviter la tentation de reconstituer l’URSS.

Ce moment historique de la fin de la guerre froide et de la disparition de l’une des deux superpuissances mondiales n’a pas été mis à profit pour créer un nouvel ordre mondial consensuel, bien au contraire. La faiblesse économique, politique et militaire de la Fédération de Russie après la dissolution de l’URSS a été utilisée.

Malgré les débats au sein de l’OTAN sur son avenir — qui comportaient même la possibilité de proposer l’adhésion à la Russie —, les États-Unis ont réussi à imposer leurs critères : l’OTAN doit être élargie et renforcée.

Malgré les protestations de la Russie, en quelques années et par lots différents, plusieurs pays ont été invités à adhérer, principalement ceux qui avaient précédemment adhéré au Pacte de Varsovie.

C’est ainsi qu’en 1999 la Pologne, la République tchèque et la Hongrie ont adhéré, auxquelles ont adhéré en 2004 l’Estonie, la Lituanie, l’Estonie, la Bulgarie, la Slovénie, la Slovaquie et la Roumanie ; en 2009, l’Albanie et la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie et la Macédoine du Nord étant toujours candidates.

La Serbie, la Finlande et la Suède débattent toujours en interne de leur adhésion ou non. Poutine a averti ces jours-ci la Suède et la Finlande des “conséquences dures” que leur adhésion à l’OTAN entraînerait.

L’OTAN est passée de ses 12 membres initiaux en 1949 à 30 membres aujourd’hui, plus la Colombie, le seul pays d’Amérique latine qui depuis 2017 a été accepté comme “partenaire extracontinental”.

L’expansion et l’agressivité de ces élargissements successifs de l’OTAN ont de plus en plus alarmé la Russie.

Au cours des 20 dernières années, coïncidant avec les années au pouvoir de Poutine, l’OTAN a déployé une partie de son bouclier antimissile et d’importantes armes lourdes dans des bases situées dans les pays frontaliers de la Russie et membres de l’Alliance.

La Russie, pour sa part, si elle n’est pas aujourd’hui une puissance significative sur le plan économique, elle l’est sur le plan militaire. Poutine a été occupé au cours de la dernière décennie à investir massivement dans la technologie militaire – plus de 60 000 millions d’euros rien qu’en 2021 – équipant les forces armées d’un arsenal puissant qui rivalise dans plusieurs domaines avec le matériel de l’OTAN le plus avancé.

Et Poutine a non seulement réagi immédiatement à toute tentative de révolutions de couleur pro-occidentales dans les pays qu’il considère comme son “arrière-cour”, mais a également fait preuve de force militaire en Syrie et ailleurs.

Moscou, étant un pays qui a toujours réprimé brutalement les mouvements autonomistes et indépendantistes sur son propre territoire, se présente au monde comme le défenseur de la minorité russophone en Ukraine et dans d’autres pays.

La Russie, qui réprime durement toutes les oppositions politiques et médiatiques dans son pays — elle en est venue à interdire aux médias d’utiliser le terme « guerre » ou « invasion » — et persécute les minorités comme la communauté LGTBI, se pose également en défenseur des libertés démocratiques des autres pays.

L’invasion de l’Ukraine ne peut être justifiée que par ceux qui maintiennent une vision campiste, ceux qui suivent la maxime selon laquelle “l’ennemi de mon ennemi est mon ami”.

Ce sont eux qui vantent le nationalisme autoritaire néolibéral de Poutine et de sa cohorte d’oligarques russes, les présentant comme des héroïques anti-impérialistes mondiaux héritiers de la Révolution russe et des bolcheviks d’il y a un siècle.

La politique agressive et impérialiste des États-Unis et de l’OTAN et de l’UE soumise ne peut en aucun cas légitimer une autre action de nature expansionniste et impérialiste, l’invasion avec une force militaire écrasante d’un pays voisin.

Poutine a beaucoup planifié son action.

+ Il savait que poser un ultimatum aux États-Unis et à l’OTAN pour qu’ils s’engagent par écrit à ne jamais accepter l’intégration de l’Ukraine dans l’Alliance, c’était demander l’impossible. Le traité fondateur de l’OTAN, comme celui de tout organisme international, empêche d’accepter un tel chantage.

+ Il savait également que ni l’OTAN ni aucun de ses pays membres individuellement n’oseraient envoyer des troupes ou des bombardiers en Ukraine, car cela signifierait affronter les forces russes et cela équivaudrait à une déclaration de guerre à un pays doté de l’énergie nucléaire comme la Russie. Il a même menacé de “conséquences très graves” quiconque oserait venir en aide à l’Ukraine. Il a également annoncé qu’il mettait en état d’alerte les Forces de dissuasion de ses forces armées, celles chargées de contrôler et d’exploiter les armes nucléaires, n’excluant pas de les utiliser pour sentir son pays agressé.

+ Poutine savait également que peu importe la quantité d’armes que l’OTAN tentait d’envoyer en Ukraine à la dernière minute, il serait impossible pour les forces armées ukrainiennes d’arrêter une offensive de 200 000 soldats russes, avec les meilleurs chars, avions, artillerie et navires de guerre attaquant de différents flancs, aidés en outre par la Biélorussie voisine. Malgré cela, les forces de sécurité ukrainiennes et de nombreux civils font face aux troupes russes avec plus de ténacité que prévu, ce qui freine l’avancée sur Kiev.

+ Poutine savait également que les États-Unis et l’UE ne pouvaient appliquer que des sanctions économiques sévères, qui affecteraient considérablement les transactions commerciales et financières, mais limitées. Après plusieurs jours de guerre, les sanctions n’incluent même pas l’arrêt du flux de gaz et de pétrole vers l’Europe. La Russie possède d’importantes réserves d’or et compte sur le récent engagement commercial, financier et politique de la Chine pour compenser en grande partie les pertes qu’elle subira.

Poutine a beaucoup planifié tout cela et a réussi à lier les mains des États-Unis et de l’UE.

Il est vrai que lorsque cette guerre se terminera, si elle se termine bientôt et sans franchir les frontières de l’Ukraine, ce qui est encore trop tôt pour le dire, tout le scénario géopolitique aura changé.

Désormais, les pays membres de l’Otan accepteront probablement de plus en plus l’idée d’augmenter leurs budgets de défense – l’Allemagne l’a déjà annoncé – et leur contribution à l’Alliance, comme les États-Unis le réclament depuis des années.

Il est également prévisible que les pays limitrophes de la Russie accepteront d’héberger davantage de bases militaires de l’OTAN ; des plates-formes de missiles à courte et moyenne portée et de l’artillerie lourde pour empêcher de nouvelles actions russes hostiles.

L’OTAN pourrait renforcer son unité interne face à cette nouvelle situation, et les débats au sein de l’UE sur la nécessité de se doter d’un système de défense européen propre, moins dépendant des États-Unis, pourraient être mis de côté avant la mise à jour du système russe danger et considèrent comme plus nécessaire que jamais le renforcement de l’alliance avec les États-Unis pour pouvoir arrêter une puissance nucléaire comme la Russie.

Tous ces changements qui montreraient hypothétiquement que la Russie deviendrait un paria mondial après son invasion de l’Ukraine ont cependant aussi une autre facette.

Si Poutine finit par mettre l’Ukraine à genoux et que Zelensky – ou le Parlement s’il est finalement renversé – accepte de signer une sorte de traité s’engageant à ne jamais demander à rejoindre l’OTAN, il aura remporté une victoire majeure.

Il aura trouvé le moyen de réaliser ce qui était proposé depuis le début et qu’il a exigé des États-Unis et de l’OTAN et qu’il n’a pas réussi à obtenir.

Si, en plus de cette guerre, il parvenait à consolider l’indépendance des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk et à les annexer ensuite à la Russie, ou du moins à former un corridor les reliant à la péninsule de Crimée, la victoire serait encore plus large et lui gagnerait également le soutien de la population russe, comme elle l’a obtenu en annexant la Crimée.

Poutine aurait obtenu avec cette dangereuse aventure militaire, au prix de cette tragédie, de cette horreur que vivent des millions d’Ukrainiens, la reconnaissance de la Russie comme un acteur de premier plan sur la scène mondiale, qui ne peut plus être ignoré ni acculé.

Cela satisferait son rêve de Grande Russie. Poutine, comme Trump, ne cache pas qu’il veut aussi rendre “la Russie grande à nouveau”.

 

 

 

Biden propose des dépenses militaires massives, pour le plus grand plaisir des entrepreneurs privés

4 mars 2022, par CAP-NCS
Des soldats tirent sur le char M1A2 SEPv3 de l’armée américaine à Fort Hood, au Texas, le 18 août 2020. (Sergent Calab Franklin / US Army via Flickr)   Pour la deuxième (…)

Des soldats tirent sur le char M1A2 SEPv3 de l’armée américaine à Fort Hood, au Texas, le 18 août 2020. (Sergent Calab Franklin / US Army via Flickr)

 

Pour la deuxième année consécutive, Joe Biden prévoit d’augmenter le budget militaire. La demande de budget pour l’exercice 2023 que Biden enverra au Congrès ce mois-ci proposerait plus de 800 milliards de dollars de dépenses militaires ; 773 milliards de dollars pour le ministère de la Défense (Department of Defense (DOD)) et la plupart du reste pour les programmes d’armes nucléaires du ministère de l’Énergie. À l’exception de l’étendue des budgets militaires entre 2007 et 2011 qui a parrainé des augmentations consécutives de troupes – d’abord en Irak puis en Afghanistan – le plan de Biden donnerait plus d’argent au Pentagone au cours de l’exercice 2023 que n’importe quelle année depuis la Seconde Guerre mondiale.

Un budget massif du Pentagone implique une redistribution massive des richesses, et les premiers bénéficiaires ne sont pas « nos troupes » comme aiment à le dire les politiciens américains. Au lieu de cela, la majeure partie du budget du DOD va à des entreprises à but lucratif : 55 % des 14,5 billions de dollars que le Congrès a donnés au Pentagone entre l’exercice 2002 et l’exercice 2021 ont fini par aller à des entreprises du secteur privé par le biais de contrats.

La part des dépenses annuelles du DOD liées aux contrats a peu varié au cours de cette période de vingt ans; les valeurs des contrats ont largement augmenté et diminué en même temps que les budgets globaux. Le montant du financement fédéral qu’un budget du Pentagone donné peut s’attendre à privatiser peut alors plus ou moins être déduit de son chiffre principal. Cela signifie qu’une proposition de budget du DOD de 773 milliards de dollars – comme Biden le proposerait – est essentiellement une proposition de privatisation de 425 milliards de dollars de fonds publics.

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Cela n’augure rien de bon pour les programmes sociaux du budget de l’exercice 2023. Le projet de loi de dépenses du DOD – bien qu’il ne soit qu’un des douze projets de loi de crédits qui composent le budget discrétionnaire fédéral – consomme généralement environ la moitié de tous les financements discrétionnaires. La première demande de budget de Biden ressemblait à ceci. Cependant, une différence clé est qu’il a été proposé peu de temps après l’ adoption du plan de sauvetage américain au Congrès et avant l’ effondrement du plan présidentiel de plusieurs milliards de dollars pour le climat, les infrastructures et la santé.

En d’autres termes, la proposition de Biden pour l’exercice 2023 ressemblera probablement au budget typique de la pandémie pré-COVID où les dépenses de «sécurité nationale» évincent les dépenses sociales. Ce n’était pas censé arriver. Même des personnalités emblématiques de l’establishment comme Hillary Clinton ont fait valoir que la pandémie entraînerait un « examen de la sécurité nationale » où les menaces non militaires seraient finalement prises aussi au sérieux que les menaces militaires – de nouvelles priorités qui seraient reflétées dans les futurs budgets.

Le président a semblé de plus en plus désintéressé par cela. Biden a fait tout son possible pour stigmatiser les dépenses sociales mais pas les dépenses militaires, même lorsque ces dernières auraient été une cible plus appropriée. Par exemple, Biden a blâmé les chèques de relance de 1 400 $ pour avoir provoqué l’inflation, même si le coût total de la provision ( 391 milliards de dollars ) était inférieur au montant que les premier et deuxième budgets militaires de Biden détourneront probablement vers des entrepreneurs militaires à but lucratif ( 405 milliards de dollars et 425 milliards de dollars, respectivement).

De plus, il existe de nombreuses preuves que la production des dépenses sociales – comme les chèques de relance – réduit les difficultés et renforce la sécurité, contrairement aux dépenses militaires. Le budget du Pentagone donne vie à une architecture impériale qui comprend 750 installations militaires à l’étranger et des opérations antiterroristes actives dans au moins quatre-vingt-cinq pays . Grâce à ses budgets et à sa politique déclarée, Biden a déjà établi qu’il ne prévoyait pas d’apporter de changements substantiels à l’empreinte mondiale de l’armée américaine, malgré des preuves empiriques indiquant que cette posture favorise l’ insécurité . Des études ont montré que le stationnement du personnel militaire américain à l’étranger augmentela probabilité d’attentats terroristes contre les États-Unis; que les États subissent davantage de terrorisme après avoir mené des interventions militaires ; et que les bases à l’étranger exacerbent souvent les tensions géopolitiques.

L’establishment de la politique étrangère décrit souvent les dépenses militaires en utilisant des expressions proches de « l’investissement dans notre sécurité nationale », comme si le simple fait de financer le Pentagone produisait d’une manière ou d’une autre la sécurité en tant que résultat politique. Biden s’appuiera probablement sur cette hypothèse – que plus de dépenses militaires signifie plus de sécurité – pour justifier sa demande de financement gargantuesque pour l’exercice 2023 au Pentagone.

Un récent sondage suggère que la plupart des Américains rejettent ce cadrage. Le Congrès devrait aussi.

Traduction NCS


Stephen Semler est cofondateur du Security Policy Reform Institute, un groupe de réflexion américain sur la politique étrangère financé par la base.

 

Face à la forte augmentation des dettes à payer : repenser les alternatives

4 mars 2022, par CAP-NCS
Selon le Financial Times, les pays les plus pauvres feront face à une augmentation de 11 milliards de dollars du paiement de leur dette en 2022 1 / . De son côté, la Banque (…)

Selon le Financial Times, les pays les plus pauvres feront face à une augmentation de 11 milliards de dollars du paiement de leur dette en 2022 1 / . De son côté, la Banque mondiale met en garde contre le risque de “défauts désordonnés”.

Un groupe de 73 pays à revenu faible ou intermédiaire devra rembourser quelque 35 milliards de dollars aux prêteurs officiels bilatéraux et du secteur privé en 2022, soit 45 % de plus qu’en 2020. Le Sri Lanka est considéré comme l’un des plus vulnérables . Le Ghana, El Salvador et la Tunisie risquent d’être en difficulté. La Zambie a déjà déclaré la suspension des paiements depuis 2020 pour un montant de 3 000 millions de dollars et sa situation ne s’améliore pas 2/ . Le gouvernement zambien est en train de négocier un nouveau prêt du FMI qui, s’il est accordé, obligera le pays à prendre des mesures d’austérité.

« Les pays les plus pauvres font face à une augmentation de 11 000 millions de dollars des paiements de la dette en 2022 »

Les pays les plus pauvres du monde sont confrontés à une augmentation de près de 11 milliards de dollars des paiements de leur dette cette année, après que beaucoup ont rejeté le plan 2020 du FMI et de la Banque mondiale parce qu’il était lié à de nouvelles conditions et à une perte supplémentaire de souveraineté. Ces pays se sont tournés vers les marchés financiers pour financer leur réponse à la pandémie de coronavirus.

David Malpass, président de la Banque mondiale, a averti que l’insistance des créanciers à être payés augmentera le risque de défauts de paiement de manière désordonnée. “Les pays sont confrontés à la reprise du paiement de la dette juste au moment où ils manquent de ressources pour le faire”, a-t-il déclaré. Comme l’explique le Financial Times lui-même, cette augmentation est une conséquence du fait que les économies en développement empruntent davantage pour faire face à l’impact du coronavirus sur l’économie et la santé, ainsi que de l’augmentation du coût de refinancement des prêts existants et de la reprise des remboursements de la dette. qui avait été suspendu après le déclenchement de la pandémie.

Selon la Banque mondiale, environ 60 % de tous les pays à faible revenu doivent restructurer leur dette ou risquent de le faire, et d’autres crises de la dette souveraine sont susceptibles de suivre. Les gouvernements et les entreprises des pays à revenu faible et intermédiaire ont émis pour environ 300 milliards de dollars d’obligations chaque année en 2020 et 2021, soit plus d’un tiers de plus que les niveaux d’avant la pandémie, selon les données de l’Institute of International Finance, un cartel des grandes banques et des sociétés de financement privées.

“Selon la Banque mondiale, environ 60% de tous les pays à faible revenu doivent restructurer leur dette ou risquent de le faire.”

Les émissions de titres souverains par les pays en développement ont augmenté pendant la pandémie. L’envolée imminente des remboursements intervient malgré une initiative mondiale ourdie par le G20 avec le FMI, la Banque mondiale et le Club de Paris, visant à alléger le poids de la dette des pays pauvres, qui s’est révélée être de la poudre à canon 3/ .

L’initiative de suspension du service de la dette, lancée par le groupe des grandes économies du G20 en avril 2020, visait à reporter environ 20 milliards de dollars dus par 73 pays à des prêteurs bilatéraux entre mai et décembre 2020. mesure que le CADTM a dénoncée en termes très clairs en octobre 2020 4 / . En effet, bien qu’elle ait été prolongée jusqu’à fin 2021, seuls 46 pays ont demandé à rejoindre cette initiative, reconnue par le Club de Paris lui-même 5/. Il convient de noter que, de toute façon, ces 46 pays ont continué à payer le service de la dette en 2020 et 2021 avec des créanciers privés et une série de prêteurs multilatéraux, et maintenant ils doivent payer la totalité du service de la dette d’ici 2022, c’est-à-dire , dettes contractées auprès de créanciers bilatéraux, multilatéraux et privés.

La pandémie a également creusé les déficits budgétaires. Plus de la moitié des États pauvres sont désormais surendettés ou à risque de surendettement, contre 30 % en 2015.

Le nouveau profil des créanciers rendra difficile la restructuration des dettes. En l’espace de dix ans, le secteur privé est devenu le principal bailleur de fonds des pays à revenu faible ou intermédiaire. Elle détenait ainsi 40 % de la dette extérieure totale de l’Afrique en 2019, contre seulement 17 % vingt ans plus tôt.

Les coûts d’emprunt augmentent

Pendant ce temps, les coûts d’emprunt augmentent. Au cours des deux premières années de la pandémie, le maintien de taux d’intérêt bas par les grandes banques centrales a permis aux gouvernements d’emprunter à relativement bon marché, les prêteurs recherchant de meilleurs rendements dans le Sud que ceux obtenus dans le Nord. Mais les investisseurs s’attendant à un durcissement des conditions monétaires mondiales cette année, il devient plus coûteux de refinancer la dette existante. La Réserve Fédérale des Etats-Unis a entamé un processus de relèvement des taux d’intérêt pour lutter contre la montée de l’inflation sur son territoire, cela conduira probablement à l’avenir à un important rapatriement des capitaux financiers vers le Nord et, en particulier, dans un premier temps vers les Etats-Unis États.

Le processus a déjà commencé. Dans de nombreux pays, les taux d’intérêt restent inférieurs au rythme de croissance des prix et les capitaux transfrontaliers quittent les actions et les obligations des marchés émergents. Les fonds d’investissement étrangers ont commencé à s’éloigner des marchés émergents. “L’accès au marché est une chose merveilleuse lorsque l’argent est bon marché, mais il peut y avoir une vision différente lorsque les conditions deviennent difficiles”, a déclaré Ayhan Kose, responsable de l’unité de prévision économique de la Banque mondiale.

“Nous risquons d’assister à une autre décennie perdue pour les pays en développement”, a déclaré Rebeca Grynspan, Secrétaire générale de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement.

« Les problèmes d’endettement sont en augmentation et l’espace budgétaire du monde en développement continuera de se réduire. Nous risquons vraiment d’assister à une autre décennie perdue pour les pays en développement », a déclaré Rebeca Grynspan, Secrétaire générale de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. De même, cité par le Financial Times, Gregory Smith (Emerging Markets Strategist chez M&G Investments) a déclaré : “Une autre crise de la dette, quelle que soit son évolution, aurait un impact très fort sur les pays très endettés”.

Le “cadre commun” oblige les pays participants à s’entendre d’abord avec les créanciers bilatéraux et le FMI, puis à obtenir le même allégement de la dette des créanciers privés. Seuls le Tchad 6/ , l’Éthiopie et la Zambie ont posé leur candidature et les négociations n’ont pas avancé à ce stade.

Au-delà des alertes émises par la Banque mondiale et d’autres institutions

Au-delà des facteurs conjoncturels à l’origine de cette nouvelle crise de la dette au Sud, il convient d’en souligner les causes structurelles et historiques.

La Banque mondiale, le FMI, le Club de Paris, les classes dirigeantes du Nord et du Sud affirment depuis les indépendances que tout pays du Sud qui veut connaître le progrès économique doit obligatoirement à la fois emprunter et ouvrir son marché intérieur aux produits et aux investissements étrangers. Les mêmes acteurs affirment que les pays du Sud riches en matières premières doivent les exploiter au maximum et les exporter. Cette vision dogmatique, qui repose sur le triptyque de la dette, de l’ouverture maximale des économies et de l’extractivisme, maintient les pays dépendants, subordonnés, sous-développés et endettés en permanence. La grande majorité de la population de ces pays vit, au mieux, dans la précarité et, au pire, dans l’extrême pauvreté.

La dette contractée par la plupart des gouvernements est utilisée pour financer des projets et des politiques qui augmentent en fait la dépendance du pays et se soldent par un échec. Cela ne permet pas au pays de sortir de l’endettement et entre dans une logique permanente d’endettement. Les nouveaux prêts servent à rembourser les anciens. Des circonstances extérieures périodiques rendent le remboursement très difficile voire impossible. Les causes les plus fréquentes sont la hausse des taux d’intérêt internationaux qui renchérit le coût de refinancement de la dette, la hausse des prix des produits importés qui renchérit la facture des importations en devises fortes, la réévaluation du dollar ou d’autres devises fortes par rapport à la monnaie nationale, une mauvaise récolte qui réduit les recettes d’exportation, la chute des prix des produits exportés, les effets d’une crise économique internationale, les conséquences d’une pandémie, etc. Dans le cas du Sri Lanka, c’est ce dernier facteur qui rend la situation très difficile. Parce que le pays dépend des devises étrangères des touristes étrangers qui passent leurs vacances sur l’île, la pandémie a provoqué une forte baisse des revenus et le gouvernement a beaucoup de mal à rembourser sa dette.

Mensonges théoriques

Selon la théorie économique dominante, le développement du Sud est retardé par manque de capital national (insuffisance d’épargne locale). Toujours selon cette théorie, les pays qui entendent entreprendre ou accélérer leur développement doivent recourir aux capitaux extérieurs par trois voies : premièrement, l’endettement extérieur ; deuxièmement, attirer les investisseurs étrangers ; troisièmement, augmenter les exportations pour obtenir les devises nécessaires à l’achat de biens étrangers qui lui permettent de poursuivre sa croissance. Tandis que les plus pauvres doivent aussi essayer d’attirer les dons en se comportant comme de bons élèves des pays développés.

La réalité dément cette théorie : ce sont les pays en développement qui fournissent les capitaux aux pays les plus industrialisés 7/ . Pour en savoir plus sur les théories dominantes : « The Theoretical Fallacies of the World Bank », 10887.

La collaboration entre la Banque mondiale et le FMI est essentielle pour exercer une pression maximale sur les pouvoirs publics. Et pour compléter la tutelle de la sphère publique et des pouvoirs publics, pour avancer dans la généralisation du modèle, la collaboration du binôme Banque mondiale/FMI s’étend à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis sa naissance, en 1995.

“Les gouvernements alliés aux transnationales utilisent l’action coercitive des institutions publiques multilatérales pour imposer leur modèle aux peuples”

L’agenda caché de ces institutions et des classes dirigeantes, celui qui s’applique en réalité, a plutôt pour objectif la soumission des sphères publiques et privées, de toutes les sociétés humaines, à la logique de la recherche du profit maximum sous le capitalisme. La mise en œuvre de cet agenda implique la reproduction de la pauvreté (et non sa réduction) et l’accroissement des inégalités, ainsi qu’une stagnation, voire une dégradation, des conditions de vie d’une grande majorité de la population mondiale, conjuguée à une concentration croissante des richesses. De même, elle implique une poursuite de la dégradation des équilibres écologiques, qui met en péril l’avenir de l’humanité.

L’un des nombreux paradoxes de l’agenda caché est qu’au nom de la fin de la dictature étatique et de la libération des forces du marché, les gouvernements alliés aux transnationales usent de l’action coercitive des institutions publiques multilatérales (Banque mondiale, FMI, OMC) pour imposer leur modèle au peuple.

Rompre avec un modèle et un système qui conduisent à reproduire la pauvreté et creuser les inégalités

Devant l’évidence des risques de suspension des paiements de la dette, l’augmentation flagrante des inégalités et le creusement du fossé entre les économies opulentes et les économies appauvries après l’application du modèle résumé ci-dessus, les dirigeants des institutions se multiplient les déclarations multilatérales pour exprimer leurs préoccupations. Ces institutions ne font aucune autocritique, elles ne mettent jamais en lumière les véritables causes de la situation.

C’est pour ces raisons qu’il faut rompre radicalement avec le modèle appliqué par la Banque mondiale, le FMI, l’OMC, l’OCDE, le Club de Paris, les classes dirigeantes du Nord et du Sud. Le concept de développement étroitement lié au modèle productiviste doit être profondément remis en question. Un modèle qui exclut la protection des cultures et de leur diversité ; qui épuise les ressources naturelles et dégrade irrémédiablement l’environnement ; qui considère la promotion des droits de l’homme, au mieux, comme un objectif à long terme (mais à long terme, nous serons tous morts) ; qu’en réalité, elle perçoit plutôt cette promotion comme un obstacle à la croissance, qu’elle considère l’égalité comme une entrave, voire comme un danger.

“Il faut remettre radicalement en question le concept de développement étroitement lié au modèle productiviste”

Si des mouvements populaires accédaient au gouvernement de plusieurs pays en développement (PED) et mettaient en place leur propre banque de développement et leur propre fonds monétaire international, ils pourraient éviter la Banque mondiale, le FMI et les institutions financières privées des pays les plus industrialisés.

Il n’est pas vrai que les pays en développement doivent recourir à l’emprunt extérieur pour financer leur développement. Actuellement, le recours à l’emprunt sert essentiellement à assurer la continuité du paiement de la dette. Malgré l’existence d’importantes réserves de change 8/ , les gouvernements et les classes dirigeantes locales du Sud n’augmentent pas les investissements et les dépenses sociales.

Il faut rompre avec la vision dominante qui fait de l’endettement une nécessité absolue. Aussi, n’hésitez pas à abolir ou répudier les dettes odieuses ou illégitimes. En effet, une grande partie des dettes ont été contractées contre les intérêts de la population. Cela dit, la dette publique n’est pas mauvaise en soi, si elle est conçue d’une manière radicalement différente du système actuel.

L’emprunt public est totalement légitime s’il sert des projets légitimes et si ceux qui contribuent à l’emprunt le font légitimement. La dette publique pourrait être utilisée pour financer des programmes ambitieux de transition écologique et non pour appliquer des politiques antisociales, extractivistes et productivistes qui favorisent la concurrence entre nations.

En effet, les pouvoirs publics peuvent utiliser les prêts, par exemple, pour :

  • Financer la fermeture totale des centrales thermiques et nucléaires.
  • Remplacer les combustibles fossiles par des sources d’énergie renouvelables respectueuses de l’environnement.
  • Financiar la conversión de los métodos agrícolas actuales (que contribuyen al cambio climático y utilizan muchos insumos químicos responsables de la disminución de la biodiversidad), y al mismo tiempo, favorecer la producción local de alimentos biológicos para volver a la agricultura compatible con nuestra lucha contra le changement climatique.
  • Réduire radicalement les transports aériens et routiers, et développer les transports collectifs et l’usage du train.
  • Financer un programme ambitieux de logements sociaux, peu consommateurs d’énergie.
  • Financer la recherche médicale publique et les dépenses de santé publique pour résoudre les graves problèmes de santé qui affectent l’humanité.

Un gouvernement populaire n’hésitera pas à obliger les entreprises (nationales, étrangères ou multinationales) ainsi que les familles les plus riches à contribuer au prêt sans obtenir aucun avantage, c’est-à-dire sans intérêt et sans compensation en cas d’inflation.

Dans le même temps, les familles des classes populaires disposant d’une épargne seraient invitées à confier cette épargne aux pouvoirs publics pour financer les projets légitimes déjà évoqués. Ce financement volontaire, par l’épargne des classes populaires, serait rémunéré à un intérêt réel positif, par exemple 4 %. Cela signifie que si l’inflation annuelle atteignait 3%, les pouvoirs publics paieraient un intérêt nominal de 7%, pour garantir un taux réel de 4%.

Un mécanisme de ce type serait parfaitement légitime puisqu’il permettrait de financer des projets réellement utiles à la société et qu’il contribuerait à réduire la richesse des riches, tout en augmentant les revenus des classes populaires.

Il existe aussi d’autres mesures qui doivent permettre le financement légitime du budget de l’Etat : obtenir des prêts à taux zéro de la Banque centrale, instaurer un impôt sur les grosses fortunes et les revenus les plus élevés, imposer des amendes aux entreprises responsables de fraudes fiscales majeures, réduire radicalement dépenses publiques, fin des subventions aux banques et aux grandes entreprises, augmentation des impôts sur les entreprises étrangères, notamment dans les secteurs des matières premières…

Mais tôt ou tard, les peuples se libéreront de l’esclavage pour dettes et de l’oppression des classes dirigeantes du Nord et du Sud. Par leur lutte, ils obtiendront la mise en place de politiques qui redistribuent les richesses et mettent fin au modèle productif qui détruit la nature. Les pouvoirs publics seront obligés d’accorder la priorité absolue à la satisfaction des droits humains fondamentaux.

Sortir du cycle infernal de l’endettement sans tomber dans une politique caritative

Pour cela, une gestion alternative s’impose : il faut sortir du cercle infernal de l’endettement sans tomber dans une politique caritative qui vise à perpétuer un système mondial totalement dominé par le capital et par certaines grandes puissances et sociétés transnationales. Il s’agit d’établir un système international de redistribution des revenus et des richesses afin de réparer les pillages séculaires dont les peuples de la périphérie ont été victimes et dont ils continuent de subir.

Ces réparations sous forme de dons ne donnent aucun droit aux pays les plus industrialisés de s’immiscer dans les affaires des peuples indemnisés. Au Sud, il s’agit d’inventer des mécanismes de décision sur l’allocation des fonds et le contrôle de leur utilisation entre les mains des populations et des pouvoirs publics concernés. Cela ouvre un large champ de réflexion et d’expérimentation.


Notes

1 / Financial Times, « Alerte par défaut alors que les pays les plus pauvres font face à 11 milliards de dollars de paiements de dette », 18 janvier 2022

2/ Voir pages 7 et 8 du rapport Eurodad de mai 2021,https://www.cadtm.org/Dette-et-Covid-19-en-Equateur-au-Kenya-au-Pakistan-aux-Philippines- et- en Zambie. Voir aussi Financial Times, « Le président de la Zambie promet de ne pas favoriser les créanciers chinois dans la restructuration », 31 janvier 2022

3/ Milan Rivié, « 6 mois après les annonces officielles d’annulation de la dette des pays du Sud : Où en est-on ? », 17 septembre 2020. Disponible sur :https://cadtm.org/6-mois – après-les-annonces-officielles-d-annulation-de-la-dette-des-pays-du-Sud

4/ Le CADTM condamne les mesures du G20′ sur la dette, 16 octobre 2020.https://www.cadtm.org/El-CADTM-condenas-las-medidas-del-G20-sobre-la-Deuda

5/ Voirhttps://clubdeparis.org/fr/communications/communique-presse/club-paris-met-oeuvre-succes-issd-est-engage-cadre-commun-03-11

6/ Rapport du FMI n° 21/267 sur le Tchad, disponible sur le site Internet du FMI, consulté le 3 février 2022.

7/ Milan Rivié, « Flux financiers illicites : l’Afrique comme principal créancier du monde » publié le 15 octobre 2020 surhttp://cadtm.org/Flujos-financieros-illicitos-Africa-como-principal-acreedor-del-mundo

8/ Les réserves de change sont les avoirs en devises et en or détenus par une banque centrale. Ils prennent également la forme de bons du Trésor et d’obligations d’États étrangers, notamment de bons du Trésor des États-Unis.

L’auteur remercie Claude Quémar et Milan Rivié pour la lecture de l’article.
Traduit pour le CADTM par Alberto Nadal Fernández

 

Pourquoi la décroissance est-elle entrée dans l’air du temps ?

3 mars 2022, par CAP-NCS
Voilà 20 ans, presque jour pour jour, qu’a été lancé dans l’espace public l’appel explicite à une décroissance de l’économie dans nos sociétés. L’idée n’était pas nouvelle. On (…)

Voilà 20 ans, presque jour pour jour, qu’a été lancé dans l’espace public l’appel explicite à une décroissance de l’économie dans nos sociétés. L’idée n’était pas nouvelle. On la trouve en germe dans les nombreuses critiques anti-productivistes que le capitalisme industriel a suscitées dès ses origines [1] . Le mot lui-même avait déjà été utilisé dans le sens que nous lui donnons aujourd’hui par André Gorz au début des années 1970. Toutefois, les notions de « décroissance soutenable » ou de « décroissance conviviale » sont apparues pour la première fois au début de l’année 2002. Et, depuis, l’idée que ces slogans tentaient d’exprimer ne cesse de gagner du terrain dans le débat public.

Parmi les indices de cette progression, il est plaisant d’évoquer les résultats de cette enquête commandée à la fin de l’année 2019 par le MEDEF, principale organisation patronale française, sur le thème du rapport au progrès des Européens. L’institut de sondage Odoxa y avait inséré la question suivante : « Selon certains, la croissance économique et l’augmentation des richesses apportent plus de nuisances que de bienfaits à l’humanité. Selon eux, il faudrait donc réduire la production de biens et de services pour préserver l’environnement et le bien-être de l’humanité. Vous personnellement êtes-vous plutôt favorable ou plutôt opposé à ce concept que l’on appelle « la décroissance » ?  ». Réponse positive pour 59 % des Européens, 67 % des Français et même 70 % des Britanniques [2] !

Bien entendu, les réponses que l’on peut fournir dans le cadre d’une enquête de ce genre n’engagent à rien. Il est permis de penser par conséquent qu’une bonne partie de ces personnes ayant répondu positivement à la question du MEDEF ne seraient pas disposées à assumer pleinement la révolution profonde qu’impliquerait la mise en œuvre d’une véritable politique de décroissance. Mais tout de même, force est d’admettre que cette idée a cessé de faire peur et d’être totalement marginale, y compris au Québec où, depuis la création du Mouvement québécois pour une décroissance conviviale (MQDC) en juin 2007, de nombreux signaux témoignent eux aussi de l’intérêt grandissant que suscite dans la population cet appel à rompre avec la course à la croissance économique.

La croissance ne livre plus la marchandise

Quand on a soi-même participé à défendre cette idée, il est tentant d’expliquer son relatif succès actuel en faisant valoir le travail intellectuel et militant qui a été accompli depuis vingt ans pour la sortir de sa marginalité. Sans nier l’importance de ces efforts, je crois cependant que la principale cause de cette progression de la décroissance dans le débat politique contemporain est ailleurs. Et c’est à mon avis cette fameuse phrase de Marx qui nous lance sur la piste la plus intéressante : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience [3] » Autrement dit, il convient de se demander si ce n’est pas d’abord dans l’évolution de nos conditions de vie que se trouve l’origine de la désaffection ambiante à l’égard de la quête de croissance économique illimitée.

En réalité, l’intérêt pour la décroissance semble grandir à mesure que la croissance échoue de plus en plus à tenir ses promesses. Rappelons en quoi consistent principalement ces dernières : la réduction des inégalités socioéconomiques les plus criantes entre les participants à cette course à la production de marchandises et, au minimum, une amélioration des conditions d’existence matérielle pour tout le monde. Or, au cours des récentes décennies, le taux de croissance des économies occidentales a eu beau rester positif, cela ne s’est généralement pas traduit par un progrès significatif sur aucun de ces deux plans.

Le tout récent Rapport sur les inégalités mondiales 2022, coordonné entre autres par Thomas Piketty, souligne notamment, et après bien d’autres, que « [l]es inégalités mondiales sont proches du niveau qui était le leur au XIXe siècle, à l’apogée de l’impérialisme occidental  [4] » . Certes, les inégalités entre pays semblent diminuer quelque peu, mais s’aggravent en revanche au sein des pays : « le rapport entre le revenu moyen des 10 % des individus les plus aisés et celui des 50 % les plus pauvres au sein des pays a presque doublé, passant de 8,5 à 15. Du fait de cette montée en flèche des inégalités intérieures, le monde reste aujourd’hui particulièrement inégalitaire, et ce malgré le rattrapage économique et la forte croissante des pays émergents [5]. »

La hausse du PIB, disent parfois ses promoteurs, est censée avoir un effet analogue à celui de la marée dans un port, qui soulève les petits bateaux autant que les grands ! Or, depuis les années 1980, la « marée » monte effectivement presque sans arrêt, mais sans que tout le monde en profite. Comme l’ont montré parmi d’autres les travaux de Branco Milanovic, les « classes moyennes inférieures » des pays riches ont vu généralement leurs revenus stagner au cours de cette période [6] . En ce qui concerne le Québec, on pourrait évoquer à l’appui d’un tel constat cette note de l’IRIS qui soulignait il y a déjà quelques années : «  si l’on ne tient pas compte de l’impôt et des transferts, les revenus des 99 % ont diminué de 2 % entre 1982 et 2010, tandis que ceux du centile supérieur ont augmenté de 271 % [7] . »

Bref, et pour emprunter à Andrea Levy l’une de ses bonnes formules, la croissance ne livre plus la marchandise, si l’on peut dire. L’essentiel du mécontentement ou de la désillusion suscités par ces promesses non tenues vient sans doute nourrir le populisme de droite qui s’exprime avec de plus en plus de force dans les sociétés occidentales. Cela dit, on peut faire l’hypothèse raisonnable qu’une part de ces insatisfactions est aussi en cause dans la montée en puissance du mouvement politique de la décroissance depuis 20 ans, mais dans la partie gauche du champ politique cette fois.

En finir avec l’espoir d’un retour aux Trente glorieuses

Cependant, pour une large frange de ce que l’on appelle la « gauche », la meilleure manière de mettre un terme à ces insatisfactions et de marginaliser les idéologies par lesquelles elles s’expriment reste dans le fond d’imposer une distribution plus juste des fruits de la croissance tout en soutenant cette dernière aussi énergiquement que possible. Il s’agirait en somme d’en revenir à l’époque « bénie » des Trente glorieuses, caractérisée effectivement par une forte réduction des inégalités de revenus et l’émergence en Occident d’une importante « classe moyenne » salariée, conséquences de politiques de redistribution bien plus ambitieuses qu’aujourd’hui et d’un taux de croissance annuelle très élevé, comme l’a soutenu Thomas Piketty.

Un tel projet bute toutefois sur au moins trois difficultés. La première est que nos économies semblent tout simplement incapables de générer un niveau de croissance approchant celui qu’ont connu les sociétés occidentales dans les années d’après-guerre. Il est fort tentant d’y voir la confirmation du pronostic de Marx selon lequel le « moteur » du capitalisme est conçu de telle sorte qu’il ne peut s’éteindre de lui-même, la lutte pour les chances de profit entre capitalistes leur imposant de produire des marchandises avec toujours moins de travail humain, alors même que ce travail constitue la seule source de la valeur économique. Quoi qu’il en soit, les économistes les plus favorables à la course à la croissance s’accordent depuis un moment déjà pour dire que nos sociétés sont condamnées à une « stagnation séculaire » de leurs économies.

En outre, le retour, très improbable donc, à un rythme de croissance similaire à celui qui caractérisait les économies occidentales avant les chocs pétroliers des années 1970 soulèverait un autre problème. Il aurait pour effet d’accélérer le désastre écologique en cours et risquerait de finir par provoquer un arrêt de nos économies, à la fois par manque de ressources naturelles et excès de déchets. Certes, une partie de la gauche actuelle en a conscience, lorsqu’elle fait la promotion d’un « Green New Deal », laissant paraître ainsi d’ailleurs toute la nostalgie que lui inspirent ces fameuses décennies d’après-guerre. Contre cette aspiration, il faut rappeler tout d’abord qu’il n’y a jamais eu de « croissance verte » et qu’il n’y en aura très probablement jamais [8] . Ensuite, considérées du point de vue écologique, les Trente glorieuses méritent d’être rebaptisées les « Trente piteuses », tant elles se sont traduites par une accélération de la catastrophe écologique à l’échelle planétaire [9] .

Enfin, il est crucial de rappeler à nouveau que la hausse du PIB a cessé depuis longtemps en Occident d’être corrélée positivement à l’amélioration du bien-être individuel, que celui-ci soit appréhendé à partir d’un indicateur subjectif, comme le sentiment de bonheur, ou objectif, comme l’espérance de vie. Passé un certain niveau de PIB par habitant, atteint généralement par les sociétés occidentales les plus riches dès les années 1970 ou 1980, l’évolution du bien-être ne semble plus dépendre de celle de la croissance économique [10] . Dès lors, à quoi bon vouloir à tout prix poursuivre cette course à la production de marchandises ? Comme l’ont montré de manière magistrale les épidémiologistes Wilkinson et Pickett, ce qui contribue dorénavant de la façon la plus significative à l’amélioration du bien-être individuel dans nos sociétés est la réduction des inégalités socioéconomiques. Même les plus riches d’entre nous semblent y avoir intérêt [11] !

Une course exténuante

Mais, la question des inégalités dans la distribution des fruits de la croissance ne me semble constituer que l’une des raisons pour lesquelles le désenchantement augmente à l’égard de cette course à la production de marchandises. L’autre raison essentielle est le fait que cette course finit tout simplement par exténuer ou épuiser celles et ceux qui y prennent part, et cela de différentes manières.

À force d’employer le mot « environnement » au sujet des destructions écologiques causées par notre civilisation, nous finissons par nous convaincre que ces destructions se produisent à l’extérieur de nous, et même loin de nous, lorsque nous avons le privilège d’habiter une métropole, qui plus est occidentale. Pourtant, le mode de vie qu’implique la participation à la course à la croissance contribue depuis un bon moment déjà, de façon directe et indirecte, à nous détruire, ou en tout cas à dégrader nos corps. Les symptômes les plus évidents de cette dégradation sont les « maladies de civilisation » qui affectent un nombre grandissant d’entre nous, auxquelles s’ajoutent certaines maladies infectieuses, ainsi qu’une baisse de la fertilité des membres de notre espèce. « Mal du siècle », la dépression (ou le burnout) témoigne particulièrement bien de cet épuisement induit par la quête de croissance [12] .

Par ailleurs, cette course à laquelle nous sommes en fait contraints de participer nous place en situation de concurrence quasi permanente les uns contre les autres. Cela ne vaut pas seulement pour les « capitalistes », en lutte pour les chances de profit, mais aussi pour leurs employés qui, comme le soulignaient déjà Marx et Engels dans le Manifeste, « ne vivent qu’à la condition de trouver du travail et qui n’en trouvent que si leur travail accroît le capital [13] .  » Ceci nous incite à nous comporter toujours plus en « égoïstes systématiques » et à affaiblir de la sorte tout rapport de solidarité entre nous. L’être humain étant un animal social, il y a dans cette dynamique quelque chose de proprement inhumain, et donc d’aussi anti-écologique que le fait de polluer l’eau que nous buvons. Dans ce contexte, qui n’a rien d’un « état de nature », contrairement à ce que la pensée économique dominante suggère généralement, ce qui s’épuise, c’est la possibilité même de « fairesociété ».

Enfin, le caractère exténuant de la quête de croissance pour ses participants tient aussi au fait qu’elle repose de plus en plus sur la production et la consommation de ce que l’économiste Fred Hirsch nommait des « biens positionnels » [14] . Il faut entendre par ce terme un type de marchandises dont la valeur d’usage dépend étroitement du fait qu’elles ne restent accessibles qu’à une minorité de consommateurs. Plus nous sommes nombreux à tenter de mettre la main sur ce type de biens, plus nous risquons de détruire ce qui leur confère de l’intérêt, et d’éprouver par conséquent le déplaisir d’avoir déployé des efforts pour rien. Mais, dans le même temps, dès lors que certains autour de nous commencent à disposer de tels biens, nous n’avons parfois guère le choix que de tenter de les imiter.

C’est exactement ce qui se passe, par exemple, avec une marchandise comme le VUS. Vendu comme un moyen d’augmenter le confort et la sécurité de son utilisateur, ce véhicule contribue à dégrader le confort et la sécurité des autres usagers de la route à mesure qu’il est plus fréquemment utilisé. Cela incite les conducteurs de voitures « ordinaires » à acquérir à leur tour un VUS pour tenter de retrouver des conditions d’utilisation de la route au moins équivalentes à celles dont ils bénéficiaient avant l’arrivée sur le marché de ce « bien positionnel ». Un tel choix cependant ne va pas améliorer leur sort. Il s’agit d’éviter que celui-ci ne se dégrade, au prix d’une dépense supplémentaire. Quant aux bénéfices apportés à leurs utilisateurs par les premiers VUS, ils sont détruits par la prolifération de ce type de véhicule. A ce petit jeu, tout le monde y perd finalement, d’autant que ces automobiles émettent par ailleurs bien plus de CO2 que celles dont elles ont pris la place.

Cette course non seulement vaine, mais destructrice de tant de richesses en tous genres, s’observe aussi en ce qui concerne des marchandises bien plus « nobles », telles que les diplômes universitaires par exemple. Comme le soutenait Hirsch, « l’économie positionnelle » contribue en fait de plus en plus à la croissance économique de nos sociétés. Et c’est également ce qui rend celle-ci de plus en plus épuisante. Nous n’en avons sans doute pas pleinement conscience, mais le ressentons néanmoins. Voilà certainement l’une des raisons supplémentaires de l’intérêt grandissant que suscite l’appel une « décroissance soutenable ».

par Yves-Marie Abraham
Polémos / HEC Montréal


Notes

[1] Cédric Biagini, David Murray, Pierre Thiesset (dir.), Aux origines de la décroissance. Cinquante penseurs, Montréal, Écosociété, 2017, 320 pages ; Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement anthropocène, Paris, Seuil, 2013, 304 pages.

[2https://www.medef.com/uploads/media/default/0019/96/13294-progres-synthese-actualisee-post-covid-sondage-medef.pdf

[3] Karl Marx, « Critique de l’économie politique », Œuvres. Économie – I, Paris, Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), 1963 [1859], p. 273.

[4] Lucas Chancel (dir.), Rapport sur les inégalités mondiales 2022 – Synthèse, World Inequality Lab, 2021, p. 5.

[5Ibidem.

[6] Branco Milanovic, Inégalités mondiales. Le destin des classes moyennes, les ultra-riches et l’égalité des chances, Paris, La Découverte, 2019.

[7] IRIS, « Inégalités : le 1% au Québec », octobre 2013, p. 4.

[8] Pour une tentative de synthèse de la discussion sur ce point, voir : https://www.acfas.ca/publications/magazine/2020/09/croitre-durer-il-va-falloir-choisir

[9] Sans oublier le fait que la richesse accumulée au Nord est aussi le produit d’une poursuite de l’exploitation des pays du Sud, sous couvert d’aide au développement dans bien des cas.

[10] Voir par exemple : Jean Gadrey, Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Pairs, Les Petits Matins, 2015, 224 pages.

[11] Richard Wilkinson et Kate Pickett, L’égalité c’est mieux. Pourquoi les écarts de richesses ruinent nos sociétés, Montréal, Écosociété, 2013, 378 pages.

[12] Sur cette question voir notamment : André Cicolella, Toxique planète. Le scandale invisible des maladies chroniques, Paris, Le seuil, 2013, 309 pages. Ou, pour un travail plus récent : Corinne Lalo, Le grand désordre hormonal. Ce qui nous empoisonne à notre insu, Paris, Le cherche midi, 2021, 549 pages.

[13] Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, Paris, Éditions sociales, 1976 [1848], p. 39.

[14] Fred Hirsch, Les limites sociales de la croissance, Paris, Les Petits Matins, 2016 [1976]

 

En Russie, les féministes descendent dans la rue contre la guerre de Vladimir Poutine

2 mars 2022, par CAP-NCS
Le 24 février, vers 5h30 du matin, heure de Moscou, le président russe Vladimir Poutine a annoncé une « opération spéciale » sur le territoire de l’Ukraine visant à « (…)

Le 24 février, vers 5h30 du matin, heure de Moscou, le président russe Vladimir Poutine a annoncé une « opération spéciale » sur le territoire de l’Ukraine visant à « dénazifier » et « démilitariser » cet État souverain. Cette opération était préparée depuis longtemps. Depuis plusieurs mois, les troupes russes se rapprochaient de la frontière avec l’Ukraine. Dans le même temps, les dirigeants de notre pays ont nié toute possibilité d’attaque militaire. Maintenant, nous savons qu’il s’agissait d’un mensonge.

La Russie a déclaré la guerre à son voisin. Elle n’a pas laissé à l’Ukraine le droit à l’autodétermination ni l’espoir de mener une vie en paix. Nous déclarons – et ce n’est pas la première fois – que la guerre est menée depuis huit ans à l’initiative du gouvernement russe. La guerre dans le Donbass est une conséquence de l’annexion illégale de la Crimée. Nous pensons que la Russie et son président ne sont pas et n’ont jamais été préoccupés par le sort des habitants de Louhansk et de Donetsk, et que la reconnaissance des républiques huit ans après leur proclamation n’était qu’un prétexte pour envahir l’Ukraine sous couvert de libération.

En tant que citoyennes russes et féministes, nous condamnons cette guerre. Le féminisme, en tant que force politique, ne peut être du côté d’une guerre d’agression et d’une occupation militaire. Le mouvement féministe en Russie lutte en faveur des groupes vulnérables et pour le développement d’une société juste offrant l’égalité des chances et des perspectives, et dans laquelle il ne peut y avoir de place pour la violence et les conflits militaires.

La guerre est synonyme de violence, de pauvreté, de déplacements forcés, de vies brisées, d’insécurité et d’absence d’avenir. Elle est inconciliable avec les valeurs et les objectifs essentiels du mouvement féministe. La guerre exacerbe les inégalités de genre et fait reculer de nombreuses années les acquis en matière de droits humains. La guerre apporte avec elle non seulement la violence des bombes et des balles, mais aussi la violence sexuelle : comme l’histoire le montre, pendant la guerre, le risque d’être violée est multiplié pour toutes les femmes. Pour ces raisons et bien d’autres, les féministes russes et celles qui partagent les valeurs féministes doivent prendre une position forte contre cette guerre déclenchée par les dirigeants de notre pays.

La guerre actuelle, comme le montrent les discours de V. Poutine, est également menée sous la bannière des « valeurs traditionnelles » proclamées par les idéologues du gouvernement – des valeurs que la Russie, telle un missionnaire, aurait décidé de promouvoir dans le monde entier, en utilisant la violence contre celles et ceux qui refusent de les accepter ou qui ont d’autres opinions. Toute personne dotée d’esprit critique comprend bien que ces « valeurs traditionnelles » incluent l’inégalité de genre, l’exploitation des femmes et la répression d’État contre celles et ceux dont le mode de vie, l’identité et les agissements ne sont pas conformes aux normes patriarcales étroites. L’occupation d’un État voisin est justifiée par le désir de promouvoir ces normes si faussées et de poursuivre une « libération » démagogique ; c’est une autre raison pour laquelle les féministes de toute la Russie doivent s’opposer à cette guerre de toutes leurs forces.

Aujourd’hui, les féministes sont l’une des rares forces politiques actives en Russie. Pendant longtemps, les autorités russes ne nous ont pas perçues comme un mouvement politique dangereux, et nous avons donc été temporairement moins touchées par la répression d’État que d’autres groupes politiques. Actuellement, plus de 45 organisations féministes différentes opèrent dans tout le pays, de Kaliningrad à Vladivostok, de Rostov-sur-le-Don à Oulan-Oudé et Mourmansk.

Nous appelons les féministes et les groupes féministes de Russie à rejoindre la Résistance féministe anti-guerre et à unir leurs forces pour s’opposer activement à la guerre et au gouvernement qui l’a déclenchée. Nous appelons également les féministes du monde entier à se joindre à notre résistance. Nous sommes nombreuses, et ensemble nous pouvons faire beaucoup : au cours des dix dernières années, le mouvement féministe a acquis un énorme pouvoir médiatique et culturel. Il est temps de le transformer en pouvoir politique. Nous sommes l’opposition à la guerre, au patriarcat, à l’autoritarisme et au militarisme. Nous sommes l’avenir qui prévaudra.

Nous appelons les féministes du monde entier :

– à rejoindre des manifestations pacifiques et à lancer des campagnes de terrain et en ligne contre la guerre en Ukraine et la dictature de V. Poutine, en organisant vos propres actions. N’hésitez pas à utiliser le symbole du mouvement de Résistance féministe anti-guerre dans vos documents et publications, ainsi que les hashtags #FeministAntiWarResistance et #FeministsAgainstWar.

– à propager les informations sur la guerre en Ukraine et l’agression de V. Poutine. Nous avons besoin que le monde entier soutienne l’Ukraine en ce moment et refuse d’aider le régime de Poutine de quelque manière que ce soit.

– à partager ce manifeste autour de vous. Il est nécessaire de montrer que les féministes sont contre cette guerre – et tout type de guerre. Il est également essentiel de montrer qu’il existe encore des militantes russes prêtes à s’unir pour s’opposer au régime de V. Poutine. Nous risquons toutes d’être victimes de la répression d’État désormais et nous avons besoin de votre soutien.

 

 

Le fascisme est aussi canadien que la feuille d’érable

2 mars 2022, par CAP-NCS
Des manifestants devant le consulat américain à Toronto le 3 juin 2020 dans le cadre de la réponse canadienne au soulèvement de Black Lives Matter à la suite du meurtre de (…)

Des manifestants devant le consulat américain à Toronto le 3 juin 2020 dans le cadre de la réponse canadienne au soulèvement de Black Lives Matter à la suite du meurtre de George Floyd par la police. Photo   de Michael Swan.

 

Le « Freedom Convoy » est la plus grande manifestation organisée par l’extrême droite canadienne depuis les années 1930. Il a envahi Ottawa avec une exubérance réactionnaire, agitant des drapeaux nazis, confédérés, Gadsden, Red Ensign et Maple Leaf, lançant des menaces de violence contre des opposants et rêvant de récupérer un Canada perdu mythifié. Bien que la politique de ce mouvement reste fluide, elle est reconnaissable comme la politique de l’extrême droite : un continuum qui inclut les fascistes et ceux qui occupent l’espace entre les fascistes et les conservateurs traditionnels, avec une approche plus agressivement raciste, coloniale, transphobe, anti politique syndicale et antilibérale que le courant dominant est prêt à approuver ouvertement.

La résurgence de l’extrême droite n’est pas une aberration pour le Canada, quelque chose d’inattendu, d’inexplicable ou d’incohérent avec l’histoire canadienne. Il ne peut pas non plus être réduit à la pandémie, vouée à disparaître avec les mandats de masque et de vaccin. La croissance de l’extrême droite est plutôt ce que le marxiste italien Antonio Gramsci a décrit comme un «symptôme morbide» de la crise capitaliste profonde de notre époque, qui a été aggravée par la pandémie mais a commencé avant elle. Les organisateurs d’extrême droite seront sans aucun doute enhardis par l’ampleur et l’engagement du mouvement des convois et chercheront à en tirer parti à la fois électoralement et dans les rues. Ces développements signifient également un danger croissant pour les cibles du fiel et des fantasmes autoritaires de l’extrême droite : les personnes racisées, les peuples autochtones, les personnes queer et trans, et toute personne désireuse de se battre pour un monde socialement juste. La manière dont la gauche répondra à ces développements jouera un rôle décisif dans le façonnement de cette nouvelle période. Il nous incombe donc de comprendre comment nous en sommes arrivés là.

La renaissance du fascisme dans l’État canadien

La Grande Récession de 2008 – la plus grande crise mondiale de l’accumulation capitaliste depuis les années 1930 – s’est transformée en un long ralentissement économique avec une faible rentabilité pour le capital, qui s’est traduit par une précarité accrue pour les travailleurs et la petite bourgeoisie (le terme marxiste classique désignant la « classe » entre les grands capitalistes et les travailleurs, y compris les propriétaires de petites entreprises, les cadres intermédiaires, les professionnels et les militaires). Cette crise, combinée à l’islamophobie Étatique ambiante accompagnant la guerre contre le terrorisme et la réaction de la suprématie blanche contre le mouvement Black Lives Matter, a contribué à préparer le terrain pour la résurgence de l’extrême droite en Amérique du Nord et en Europe.

On a pu voir cette résurgence s’affirmer aux États-Unis, avec les manifestations des paramilitaires fascistes, plus récemment lors des rébellions de 2020 pour la défense des Black Lives, et de l’émeute du Capitole du 6 janvier ; cette situation a été alimentée, en partie, par Donald Trump et nombre de ses partisans à l’intérieur et à l’extérieur du Parti républicain. L’extrême droite a également développé une empreinte politique significative en France, en Grèce, en Italie, en Hongrie, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède et en Finlande, entre autres pays européens, tirant les partis conservateurs traditionnels vers la droite. En Inde, l’extrême droite est devenue une force politique dominante sous le Premier ministre Narendra Modi et le parti Bharatiya Janata (BJP), qui est lié à des organisations paramilitaires fascistes. Jair Bolsonaro et ses partisans, quant à eux, témoignent d’une importante restauration d’extrême droite au Brésil.

La résurgence de l’extrême droite n’est pas une aberration pour le Canada, quelque chose d’inattendu, d’inexplicable ou d’incohérent avec l’histoire canadienne. Cela ne peut pas non plus être réduit à la pandémie, vouée à disparaître avec la vaccination et le port des masques.

Comparativement à ses équivalents dans de nombreuses autres régions du monde, l’extrême droite au Canada n’a pas trouvé grand-chose au départ dans les années qui ont suivi 2008. Comme Geoff McCormack et Thom Workman l’ont montré dans leur livre The Servant State: Overseeing Capital Accumulation in Canada , la gravité de la crise économique du début des années 1990 au Canada, plus importante que celle aux États-Unis et en Europe, a fait que la reprise capitaliste qui a suivi dans les années 1990 et au début des années 2000 a généré des niveaux de rentabilité suffisants pour servir de coussin en 2008. La volatilité qui a alimenté la croissance de l’extrême droite dans d’autres parties du monde n’a tout simplement pas été vécue à la même échelle au Canada. Alors que Donald Trump utilisait la plate-forme fournie par sa course électorale et sa présidence pour son fiel raciste, xénophobe et nationaliste, et les forces fascistes américaines ont commencé à gagner en visibilité publique, une brève fenêtre s’est ouverte au cours de laquelle des organisations d’extrême droite comme les Soldiers of Odin, les Proud Boys, ID Canada et La Meute ont pu commencer à se mobiliser plus visiblement dans les villes canadiennes. Une caractéristique clé qui façonnait l’extrême droite canadienne à ce stade, comme ses équivalents ailleurs, était son islamophobie extrême et complotiste – l’héritage de la participation du Canada à la guerre contre le terrorisme et les lois de sécurité post-11 septembre ciblant de facto les musulmans. Mais à l’extérieur du Québec, ces rassemblements n’ont jamais vraiment dépassé plusieurs dizaines de personnes.  En 2018, cette vague d’extrême droite avait largement reflué, à l’exception notable du Convoi United We Roll début 2019.

Mais même si le Canada a été épargné par les pires aspects de la crise capitaliste de 2008, des contradictions sous-jacentes étaient néanmoins présentes. Le taux de profit avait diminué et la masse du profit stagnait, depuis avant 2008. En conséquence, les taux d’accumulation – c’est-à-dire, par exemple, l’investissement dans les nouvelles technologies, les machines et autres équipements – étaient (et restent) faibles. Inévitablement, ces contradictions ont commencé à s’approfondir, particulièrement après l’effondrement des prix du pétrole en 2014. Le Canada a connu une période de morosité économique prolongée au cours des dernières années. Alors que certaines sections du capital ont absolument bénéficié d’une flambée des bénéfices induite par la pandémie, la tendance plus large à la faiblesse de la rentabilité persiste. Avant la pandémie, le taux d’emploi et la croissance des salaires réels étaient anémiques. La dette des entreprises et des ménages au Canada augmentait régulièrement. Ils se classent désormais parmi les plus élevés au monde.

Les stratégies de survie dont dispose la petite-bourgeoisie sont plus limitées que celles dont disposent ses homologues plus grands, et la précarité de la position de classe petite-bourgeoise peut nourrir une rage qui se dirige contre tout ce qui semble la rendre encore plus incertaine…

Les dépenses du gouvernement en cas de pandémie et le programme d’ assouplissement quantitatif de la Banque du Canada ont maintenu à flot de nombreuses entreprises et ménages qui, autrement, auraient coulé. Malgré la forte contraction économique induite par les fermetures d’entreprises (“confinements”) imposées par l’État en 2020, les insolvabilités sont de 30% inférieures aux niveaux d’avant la pandémie. Pourtant, le capitalisme canadien est confronté à une grave incertitude, d’autant plus que les effets de la pandémie pourraient durer plus longtemps que la période pandémique, et cette incertitude continuera d’être ressentie le plus durement par les travailleurs et la petite-bourgeoisie. Les grands capitalistes sont également mis à mal dans ces moments-là et certains ne survivront pas à l’épreuve du temps. Mais avec leurs économies d’échelle et leur position relativement avantageuse dans les chaînes d’approvisionnement transnationales, elles sont mieux à même que leurs homologues plus petites de maintenir l’accès aux stocks et aux approvisionnements ; acheter les technologies les plus avancées pour augmenter la productivité (c’est-à-dire accumuler du capital); rechercher des marchés étrangers pour aider à rétablir la rentabilité ; réajuster les conditions de leurs emprunts ; et grignoter la part de marché des concurrents plus faibles (souvent plus petits).

La petite-bourgeoisie a été durement touchée par la pandémie et a largement puisé dans le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes , qui offrait des prêts sans intérêt aux petites entreprises ; le secteur des transports, notamment, a été l’un des plus gros utilisateurs de ce fonds, empruntant à un taux double de sa contribution au PIB. Les trois quarts des petites entreprises endettées craignent de ne jamais pouvoir rembourser leurs dettes. Les stratégies de survie dont dispose la petite-bourgeoisie sont plus limitées que celles dont disposent ses homologues plus grands, et la précarité de la position de classe petite-bourgeoise peut nourrir une rage qui se dirige contre tout ce qui semble la rendre encore plus incertaine, qu’il s’agisse de travailleurs qui luttent contre les réductions de salaire ; le comportement prédateur des concurrents multinationaux des petites entreprises; le traitement spécial des grandes entreprises par le gouvernement ; réglementations et taxes lourdes; ou des restrictions pandémiques que les grandes entreprises sont mieux à même de supporter ou de bafouer.

Médiatisé par le caractère profondément colonial et raciste du Canada, qui alimente l’esprit de clocher national de la classe moyenne, cette dynamique de classe est à l’origine du combat que mène aujourd’hui l’extrême-droite renaissante contre les confinements et les vaccins obligatoires.

Une tradition canadienne de violence

Nous avons déjà vu cette dynamique au Canada. Le paysage politique canadien des années 1930 était jonché d’organisations fascistes, des Swastika Clubs de l’Ontario à l’Union canadienne des fascistes, au Parti nationaliste canadien et au Ku Klux Klan (KKK). Le grand et influent Ordre d’Orange s’est également parfois livré à la violence pour soutenir sa politique militante protestante et pro-Empire britannique. L’une des plus grandes concentrations de fascistes en Amérique du Nord se trouvait au Québec, avec une base violente en uniforme centrée sur la petite bourgeoisie et les étudiants de l’Université de Montréal. Selon une tendance qui se répète à chaque résurgence d’extrême droite au Canada, les organisations fascistes des années 1930 comptaient parmi leurs membres des militaires; Le major Joseph Maurice Scott, qui a enseigné l’entraînement physique au Collège militaire royal, a dirigé l’entraînement de l’aile paramilitaire de l’organisation d’Arcand.

Les relations fraternelles que le Parti conservateur d’aujourd’hui a noué avec l’extrême droite, dont ont été témoins le convoi United We Roll en 2019 et à nouveau lors des manifestations du « Freedom Convoy », ne sont pas non plus exceptionnelles dans l’histoire des grands partis conservateurs au Canada (sans parler de l’adulation d’Hitler par le premier ministre de l’époque, Mackenzie King, après l’avoir rencontré en 1937). Dans les années 1930, les fascistes québécois ont été financés par les conservateurs fédéraux pour renforcer activement le soutien électoral de ces derniers dans la province; Le chef fasciste et autoproclamé « Führer canadien » Adrien Arcand a même rencontré le premier ministre d’avant-guerre RB Bennett pour discuter de stratégie, tandis que l’un des ministres du cabinet de Bennett était un partisan d’Arcand. Tout au long de son existence au cours du XXe siècle, Le Parti du crédit social, qui a gouverné l’Alberta pendant trois décennies, comptait des fascistes parmi ses membres. Certains d’entre eux monteront dans la hiérarchie du parti en Ontario dans les années 1970.

Alors que le long boom de l’après-guerre débouchait sur la crise économique des années 1970, l’extrême droite du monde entier prenait de l’ampleur, y compris au Canada, puisant une fois de plus son leadership et son noyau dans la classe moyenne. À Toronto, une organisation de campus farouchement anticommuniste appelée Edmund Burke Society a été formée au milieu des années 1960. Quelques années plus tard, certains de ses membres, s’étant radicalisés plus à droite, formeront la Garde occidentale fasciste. Un certain nombre d’autres organisations ouvertement racistes et violentes, dont le KKK, se sont également développées au Canada à la fin des années 1970 et au début des années 1980. À l’époque comme aujourd’hui, l’extrême droite a utilisé les campagnes de défense de la liberté d’expression comme outil d’organisation.

Le début des années 1990 a vu la récession la plus profonde que le Canada ait connue depuis la Grande Dépression, tandis que les réformes des politiques d’immigration des deux décennies précédentes ont entraîné la croissance des communautés de couleur dans les centres urbains. C’est dans ce contexte que le mouvement skinhead s’est développé à travers le pays et que le neo-Nazi Heritage Front a recruté avec succès dans les écoles secondaires de la région du Grand Toronto et sur les campus universitaires de l’Ontario. Les dirigeants du Heritage Front avaient de bonnes relations avec les fascistes à l’étranger, en particulier aux États-Unis. Leur stratégie comprenait l’entrée dans le nouveau Parti réformiste du Canada, dont le premier chef, Preston Manning, est le fils d’un ancien chef du Parti du crédit social en Alberta. Dans sa première version, le Parti réformiste était ouvertement xénophobe, anti-autochtone et homophobe ; il a déployé un racisme codé quoique à peine dissimulé. Le Heritage Front a assuré la sécurité d’un certain nombre de réunions d’associations de circonscription du Parti réformiste à Toronto et d’un rassemblement de 1991 dirigé par Manning à Mississauga, auquel environ 6 000 personnes étaient présentes. En 1993, l’armée a été secouée par l’affaire somalienne, dans laquelle des soldats suprématistes blancs en mission de « maintien de la paix »agressé, torturé et assassiné des hommes somaliens . Une enquête ultérieure a révélé que l’armée était pleine de suprématistes blancs et de néonazis .

Une nouvelle reprise d’une vieille mauvaise chanson

La dernière résurgence d’extrême droite a commencé au début de la pandémie, avec des manifestations anti-masque et anti-confinement à travers le Canada. À l’été 2021, avec l’entrée en vigueur des mandats de vaccination, ces protestations augmentaient clairement – et devenaient de plus en plus virulentes. Les rassemblements ont attiré des milliers de personnes dans un certain nombre de villes ; dans certains cas, le personnel de la santé a été physiquement menacé. Pendant la période de la campagne électorale fédérale, les manifestants d’extrême droite ont toujours été en mesure d’organiser des manifestations lors des rassemblements de Trudeau, les perturbant dans certains cas. Notoirement, un manifestant, alors président d’une association de circonscription du Parti populaire du Canada, a bombardé Trudeau de gravier. L’élan de l’extrême droite s’est exprimé dans les résultats des élections fédérales : le Parti populaire, dont les membres sont très actifs dans les mouvements réclamant la fin des restrictions liées à la pandémie, a porté sa part du vote populaire à 5 %, contre 1,6 % en 2019.

L’extrême droite comprend bien sûr plus que la classe moyenne enragée. Il ne fait aucun doute que des personnes de la classe ouvrière sont attirées par le mouvement anti-vaccin. Mais la plupart des travailleurs au Canada sont vaccinés, et de nombreux refus de travailler et autres actions syndicales liées à la COVID-19 ont réclamé des mesures de santé et de sécurité plus fortes, et non affaiblies. Le mouvement ouvrier condamné le « Freedom Convoy ». Et la plupart des participants à ce mouvement ne sont en fait pas des camionneurs. Les camionneurs de la région de Peel en Ontario, dont beaucoup travaillent dans ce qui est essentiellement une relation employeur-employé même s’ils ne sont pas légalement classés comme travailleurs en vertu du droit du travail de l’Ontario, se sont opposés au convoi. Une main-d’œuvre considérablement racialisée, ils ont été victimes de vol de salaire et d’autres violations systématiques de leurs droits du travail. Le blocus du passage frontalier du pont Ambassador entre le Canada et les États-Unis à Windsor, en Ontario, entrepris en solidarité avec l’action du convoi à Ottawa, n’impliquait pas de façon centrale les camionneurs; ce sont des camionneurs qui ont été bloqués, empêchés de traverser la frontière et de faire leur travail. La classe ouvrière n’est pas le principal moteur de la résurgence de l’extrême droite en général ou du mouvement anti-vaccin et anti-mandat en particulier.

Les grands capitaux peuvent ne pas soutenir, voire violer, les protocoles de santé publique. Mais il ne le fait normalement pas pour les mêmes raisons que l’extrême droite ou en coordination avec elle. Notamment, de grandes organisations de l’industrie comme l’Association des manufacturiers et exportateurs du Canada, les Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada et Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada se sont empressées de s’opposer publiquement aux blocus frontaliers. (Un certain nombre d’associations de petites entreprises se sont également prononcées contre les blocages, indiquant que la politique du mouvement des convois n’est pas partagée par l’ensemble de la classe moyenne.) Alors que le grand capital n’hésite pas à mobiliser les outils dont il dispose – y compris forces fascistes – pour neutraliser violemment les menaces existentielles à son pouvoir, il a d’autres moyens de faire avancer ses intérêts dans des circonstances plus typiques. En général, le grand capital est lié aux partis libéral et conservateur et a un meilleur accès aux couloirs du pouvoir politique formel que ses homologues plus petits. Il peut également menacer ou mener une grève des capitaux (c’est-à-dire un désinvestissement) pour mettre au pas les gouvernements et les travailleurs récalcitrants.

La classe ouvrière n’est pas le principal moteur de la résurgence de l’extrême droite en général ou du mouvement anti-vaccin et anti-mandat en particulier.

Certains des critiques les plus virulents des «confinements» et des mandats de vaccination ont été des capitalistes petits-bourgeois tels que des restaurateurs, des exploitants de gymnases et des agriculteurs qui ont systématiquement violé la santé et la sécurité de leurs travailleurs migrants. Au cours de la deuxième vague de la pandémie, la tentative la plus notable ( et soutenue par les nazis ) de construire une campagne contre les restrictions commerciales dans la région de Toronto a été menée par le propriétaire du restaurant Adamson BBQ ; lors de la troisième vague, c’était un opérateur de gym . On peut y déceler un écho, tragique ou farfelu, de l’électorat du fascisme classique, observé en Allemagne et en Italie au début du XXe siècle : petits entrepreneurs, propriétaires ruraux, gestionnaires, professionnels, militaires et ex-militaires. (Comme Marxécrivait un jour : « La situation du petit-bourgeois le prédispose à la fois au socialisme et au capitalisme, c’est-à-dire qu’il est ébloui par l’expansion du pouvoir de la bourgeoisie d’un côté, mais il partage la souffrance du peuple de l’autre. Il est à la fois bourgeois et peuple. ») Compte tenu de son poids social moindre et de son accès plus limité aux hautes sphères de l’État, il y a une plus grande pression sur la petite-bourgeoisie que sur la grande bourgeoisie pour qu’elle se mobilise activement en tant que mouvement de protestation en ces temps de crise, et d’essayer d’attirer derrière elle le soutien de la classe ouvrière.

En Ontario et en Alberta, des petits-bourgeois enragés se sont engagés dans un blocus physique pour perturber les chaînes d’approvisionnement précisément parce qu’ils ont si peu de contrôle sur elles. Le caractère de classe de la résurgence de l’extrême droite est également illustré par les liens du mouvement avec le Parti populaire. Les partisans du Parti populaire sont parmi les opposants les plus véhéments aux « confinements » et aux vaccinations, et sont les plus fervents partisans des convois de protestations par affiliation politique . Alors que le Parti populaire compte des travailleurs parmi ses partisans (comme tous les partis politiques), près d’un cinquièmede ses partisans sont des gens qui travaillent « dans [leur] propre entreprise » – une proportion plus élevée que dans tout autre parti au Canada, même si le Parti populaire compte moins de partisans qui gagnent plus de 100 000 $ par année que tout autre parti, à l’exception du Nouveau Parti démocratique. Plusieurs petites entreprises figuraient sur la liste des donateurs sur la page GoFundMe du convoi avant sa fermeture, aux côtés de dizaines de dons individuels allant de 5 000 à 30 000 dollars. Il est peu probable que les partisans de la classe ouvrière contribuent à des dons de cette taille. Certains des plus grands donateurs de la page GiveSendGo du convoi, créée après la coupure de l’accès à GoFundMe, sont à nouveau de petites entreprises, notamment des fermes et un champ de tir.

Englobant les conspirationnistes, les libertaires et les fascistes, le nouveau mouvement d’extrême droite peut sembler incohérent au-delà de la rage de classe petite-bourgeoise à laquelle il donne voix. Mais sa fluidité, commune aux mouvements d’extrême droite naissants, dément la consistance idéologique cohérente qui l’unit et l’anime. Réémergeant après quatre décennies de néolibéralisme, une période définie par des coupes dans un État-providence qui avait autrefois encouragé un sens de la responsabilité sociale collective (même si c’était insuffisamment et de manière déformée), l’extrême droite d’aujourd’hui exprime une fidélité radicale aux relations de marché en tant que manière d’organiser nos vies, modifiée uniquement par l’accent mis sur l’importance de la famille nucléaire hétérosexuelle. Elle est marquée par une indifférence militante au bien-être des autres, notamment des plus vulnérables. Les droits qu’elle revendique peuvent se résumer au droit de s’engager dans des échanges marchands sans restrictions gênantes qui pourraient sauver des vies. La liberté que défendent les agriculteurs lors des manifestations du convoi est la liberté de laisser leurs travailleurs migrants tomber malades et mourir. Pour certains de ses adhérents, cette politique prend une tournure violente et autoritaire, un esprit de revanche contre ces mouvements et communautés qu’ils perçoivent comme une menace pour leurs fragiles privilèges, les valeurs « traditionnelles » et le sens de la nation qui offrent consolation face aux changements sociaux, politiques et économiques qu’ils ne peuvent rien faire pour arrêter. Cette tendance est la plus forte dans le courant fasciste d’extrême droite, dont les membres se retrouvent parmi les principaux organisateurs du mouvement des convois et au sein du Parti populaire.

Le fétichisme de l’extrême droite pour les marchés, l’indifférence à la souffrance des autres et les fantasmes autoritaires ont un caractère racial évident. Nous savons quels travailleurs et quelles communautés ont été les plus vulnérables aux épidémies mortelles de COVID-19 ; nous savons dont les meurtres sont commémorés et annoncés par des croix gammées et des drapeaux confédérés et Red Ensign. Au bien-être de ces communautés, et même à leur existence, le mouvement d’extrême droite oppose le bien-être de la nation canadienne : le drapeau canadien, lui aussi, est omniprésent dans les rassemblements du convoi très blanc. Par “peuple”, le Parti populaire entend le Canadian Volk.

¡No pasaran!

L’attraction gravitationnelle de l’extrême droite sera particulièrement forte si le capitalisme canadien s’enfonce dans une période de crise plus profonde. C’est une possibilité réelle. Le Canada a jusqu’ici échappé à une telle crise, grâce à des politiques de faibles taux d’intérêt et à des niveaux d’endettement croissants qui ont soutenu les entreprises et les ménages face à une croissance et une rentabilité faibles. Même en l’absence d’une catastrophe économique imminente, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoit que le Canada aura l’économie la moins performante du monde dit capitaliste avancé entre 2020 et 2030. La crise climatique stimulera également la croissance de l’extrême droite : les efforts pour réduire les émissions de carbone ont provoqué des mobilisations de l’extrême droite dans le monde, y compris le convoi United We Roll de 2019.

Au fur et à mesure que l’extrême droite se développera, sa politique populiste dans la rue deviendra encore plus importante pour elle, tout comme la violence en tant que disposition idéologique et tactique. Cette disposition est ce qui sépare les fascistes de la droite plus généralement : pas leur racisme, leur xénophobie, leur antisémitisme, leur nationalisme, leur soif d’empire et leur antipathie envers les travailleurs et les opprimés ; pas même un désir de pouvoir étatique autoritaire, qu’ils partagent avec la tradition libérale ; mais un engagement militant à construire un mouvement de rue de masse qui opère par la violence. Les fascistes peuvent participer aux élections, mais jamais comme une fin en soi ; pour eux, le pouvoir se décide finalement par la force dans la rue. Et ces dernières semaines nous rappellent qu’on ne peut pas – et qu’on ne doit pas – compter sur la police pour nous défendre contre ces dangers. De même, les politiques timorées, électoralistes et sans inspiration du centrisme et de la social-démocratie ne constitueront pas un rempart adéquat contre la marée montante de l’extrême-droite.

L’extrême droite est maintenant tout simplement trop importante pour être combattue par de petits groupes d’antifascistes farouchement engagés ; elle ne sera pas arrêtée sans une grande mobilisation, et le courant fasciste en son sein va certainement croître dans la nouvelle période de lutte que le mouvement des convois a inaugurée.

La tâche de développer une réponse de gauche efficace est urgente. Une extrême droite enhardie dont le pouvoir se fonde de plus en plus dans la rue devra y être défiée. Cela pose la question incontournable de la reconstruction de nos capacités, puisque nous n’entrons pas dans cette nouvelle conjoncture dangereuse en position de force, comme la gauche l’a fait dans les périodes précédentes où l’extrême droite est entrée sur la scène politique avec un pouvoir ravivé. Nos infrastructures organisationnelles et notre confiance pour opposer une vision alternative radicale et pleine d’espoir à l’état de catastrophe actuel se sont atrophiées face au barrage néolibéral des quatre dernières décennies. Rien ne peut remplacer la reconstruction de mouvements de masse enracinés dans l’auto-activité des travailleurs et des opprimés, et basés dans les lieux de travail et les communautés.

Déstructurer en confrontant physiquement l’extrême droite et les fascistes est une tactique importante. Mais ce n’est pas, en soi, une stratégie pour les vaincre. Cette tactique ne doit pas non plus être dissociée de la nécessité de reconstruire nos forces. Nous devons être clairs sur le fait que l’extrême droite ne peut être vaincue par des dénonciations parlementaires ou apaisée par des concessions de l’État, mais aussi que le moyen le plus efficace de libérer l’espace public de sa présence odieuse est de construire un large mouvement capable de reprendre la rue. La bataille du pont Billings à Ottawa, où plus d’un millier de contre-manifestants ont bloqué une section du convoi et l’ont renvoyé chez lui sans ses drapeaux et ses jerrycans, offre un modèle inspirant du type d’actions dont nous avons besoin. Mais maintenir une telle énergie à long terme, alors que l’extrême droite et les fascistes montent au pouvoir, signifie nécessairement continuer à attirer des couches de personnes plus larges que celles qui sont actuellement impliquées dans le mouvement de gauche, y compris ceux qui ne sont peut-être pas encore convaincus de la nécessité d’une confrontation directe. Cela exige que nous sensibilisions efficacement les syndicats, les organisations communautaires, les lieux de culte et les groupes d’étudiants – en établissant des relations de confiance et de solidarité et en reliant les fils de la crise capitaliste, de la réaction d’extrême droite et des luttes de libération de la classe ouvrière. Cela exige, en outre, que nous développions une politique qui non seulement affirme ce à quoi nous nous opposons, mais offre également une vision transformatrice du monde pour lequel nous nous battons. Ce n’est qu’en nourrissant une telle vision que nous survivrons à la tempête dialectique d’avancées et de reculs, d’espoir et de désespoir, que subit tout mouvement de gauche.

Traduction NCS

 

 

 

À la grand-messe des conservateurs américains, la récupération politique de l’Ukraine va bon train

1er mars 2022, par CAP-NCS
Donald Trump lors de la réunion des conservateurs américains (CPAC) à Orlando, le 26 février 2022. © Photo Joe Raedle / Getty Images via AFP   Orlando (Floride).– « Cette (…)

Donald Trump lors de la réunion des conservateurs américains (CPAC) à Orlando, le 26 février 2022. © Photo Joe Raedle / Getty Images via AFP

 

Orlando (Floride).– « Cette invasion n’aurait jamais eu lieu si l’élection présidentielle de 2020 n’avait pas été truquée. » C’était plus fort que lui. Devant le public chauffé à blanc de la CPAC (Conservative Political Action Conference), le grand rassemblement des conservateurs américains, Donald Trump n’a pas pu s’empêcher d’utiliser la crise ukrainienne pour taper sur les démocrates et réécrire l’histoire.

Très attendu par les militant·es présent·es par centaines samedi, dans un hôtel d’Orlando, pour l’écouter au troisième et avant-dernier jour de cette convention annuelle, il ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Tout en qualifiant le courageux président ukrainien Volodymyr Zelensky de « gars bien », il a rappelé que celui-ci lui avait apporté son soutien dans l’affaire du coup de fil que Trump lui avait passé en 2019 pour le presser d’ouvrir une enquête sur Joe Biden et son fils Hunter, alors membre du conseil d’administration d’une entreprise ukrainienne, Burisma. Un geste qui avait valu au milliardaire président sa première mise en accusation (« Impeachment ») par la Chambre des représentants.

Après avoir critiqué la « stupidité » des leaders occidentaux face à Poutine et la « faiblesse » de Joe Biden, il a déploré que le gouvernement démocrate ait fait passer la souveraineté de l’Ukraine avant la protection des frontières américaines face à l’immigration illégale, tenue pour responsable de la hausse de la criminalité et du trafic de drogue. « Leur obsession, depuis des mois, est de prévenir l’invasion d’un pays étranger à des milliers de kilomètres, a-t-il dit. Mais les Américains méritent un président qui va empêcher l’invasion de notre pays aussi. »

Ces déclarations du leader de fait du Parti républicain érigent l’Ukraine en nouveau thème de campagne contre Joe Biden, à l’approche des élections de mi-mandat (« midterms ») de novembre prochain. Un tiers du Sénat et l’intégralité de la Chambre des représentants sont remis en jeu lors de ce scrutin, où les démocrates pourraient bien perdre leur majorité dans les deux Chambres du Congrès.

La jeune garde défend l’indifférence

L’Ukraine s’est invitée à la CPAC à la dernière minute, l’événement ayant démarré quelques heures seulement après l’invasion russe. Sur la grande scène bleu-blanc-rouge où se sont succédé les stars du « Trumpland », comme dans les couloirs fourmillant de casquettes rouges « Make America Great Again », on a prié pour le peuple ukrainien, loué la bravoure des citoyens ordinaires sur place qui défendent leur « liberté et leur patrie », comme les Américain·es devraient le faire contre le « régime Biden »« L’Ukraine rappelle l’importance de notre Deuxième amendement », qui protège le droit à avoir une arme à feus’est même aventuré un intervenant.

Cela ne signifie pas pour autant que le public de la CPAC a l’intention de se précipiter pour venir en aide au pays. À la différence de la vieille garde du Parti républicain et de l’establishment politique et intellectuel du mouvement conservateur, favorable à la fermeté face à Poutine, une nouvelle génération d’élu·es et de militant·es biberonné·es au principe de l’« Amérique d’abord » (« America First »), martingale du trumpisme, prône l’indifférence face au sort de Kiev.

« Je suis plus préoccupé par les cartels qui essaient d’infiltrer notre pays que par un différend à des milliers de kilomètres d’ici, dans des villes dont on n’arrive pas à prononcer le nom », a déclaré jeudi Charlie Kirk, fondateur d’une association d’étudiants conservateurs et star de la droite américaine, quelques heures seulement après le début de l’invasion. Il a été copieusement applaudi par le public de la CPAC.

Rogan O’Handley, un influenceur conservateur qui se fait surnommer « DC Draino », suivi par 2,2 millions de personnes sur Instagram, a tenu le même discours : « Il y a beaucoup de républicains de l’establishment ou des gens du complexe militaro-industriel qui vous diront qu’il est dans l’intérêt national de se battre là-bas. Mais ce n’est pas vrai », lance-t-il. Suggérant un complot de la part du président démocrate, il lâche, vigoureusement applaudi, que « Biden est l’instigateur de tout ça à cause de l’affaire Burisma. Donald Trump a été mis en accusation à cause d’un coup de téléphone à l’Ukraine et maintenant il y a une invasion ».

Certains candidats et candidates aux primaires républicaines pour les élections de mi-mandat y sont aussi allés de leur commentaire. Candidat au Sénat dans l’Ohio, J. D. Vance a affirmé, samedi, que le « leadership du pays était focalisé sur des choses qui n’ont rien à voir avec la classe moyenne ». « J’en ai marre qu’on me dise que nous devons nous préoccuper davantage de personnes loin d’ici que de ma fille et ma grand-mère dans l’Ohio ! », a-t-il ajouté.

Tucker Carlson, l’animateur le plus regardé du câble (plus de 4 millions de téléspectatrices et téléspectateurs tous les soirs), est l’un des défenseurs les plus influents de cette position du « laisser-faire ». Mercredi, il s’est même demandé dans son show pourquoi Vladimir Poutine était aussi détesté. « Est-il responsable de la délocalisation de tous les emplois de la classe moyenne de nos villes ? », a-t-il lancé à son public.

Isolationnisme ou « russification » ?

Ses propos reflètent deux phénomènes à l’œuvre au sein du Parti républicain : un désir isolationniste fort causé par le fiasco des guerres en Irak et en Afghanistan, mais aussi la « russification » de la base sous Donald Trump, qui s’est montré accommodant envers le leader russe, au point de mettre dans l’embarras les cadres de son propre parti. Aujourd’hui, les sondages d’opinion laissent clairement entendre que l’électorat républicain apprécie davantage le président russe que l’électorat démocrate.

Donald Trump, dont la candidature en 2016 a bénéficié de la campagne de désinformation du Kremlin, a donné voix à ce sentiment. Dans une interview, il a qualifié mardi la reconnaissance par Vladimir Poutine des deux territoires pro-russes à l’est de l’Ukraine de stratégie « de génie ». Ronald Reagan se retourne dans sa tombe…

Chuck Gedney, un jeune producteur laitier rencontré à la CPAC, ne veut pas commenter les déclarations controversées de son champion, mais il reconnaît que « les conservateurs sont divisés sur l’Ukraine ». Lui ne se pose pas de question : « Je suis des agriculteurs ukrainiens sur Facebook et je sais que la situation est inquiétante. Les États-Unis ne peuvent pas se permettre de tourner le dos à ce pays », explique-t-il. Debbie Epling est du même avis. Cette supportrice de Donald Trump, portant des boucles d’oreilles à l’effigie du milliardaire et une robe aux couleurs du drapeau américain, accorde même un bon point à Joe Biden : « Il a eu raison de dire que nous n’enverrons pas d’hommes en Ukraine. Nous ne voulons plus de guerre sans fin. En revanche, nous devons soutenir l’armée et la population ukrainiennes en fournissant des armes, du matériel, de la nourriture… »

Certaines personnalités ont cherché à sensibiliser le public aux implications de la crise sur l’économie américaine et la stabilité mondiale. K. T. McFarland, ancienne conseillère en politique étrangère qui a travaillé dans les administrations Reagan et Trump, a parlé notamment de l’augmentation des prix à la pompe, de l’alliance sino-russe et de la menace que Poutine faisait peser sur les pays de l’Otan. Mais elle n’a pas franchement remporté l’applaudimètre…

“Notre monde est proche d’un réchauffement nucléaire, mais ils sont davantage préoccupés par le réchauffement climatique.”

Donald Trump

S’il y a bien une chose sur laquelle la droite s’accorde, c’est, sans surprise, l’incompétence de Joe Biden et des démocrates. « À chaque fois que les frontières européennes ont été redessinées, un président démocrate était au pouvoir : la Crimée en 2014 sous Barack Obama et sous Joe Biden en 2022 », a fait valoir un intervenant. « En voyant le retrait chaotique d’Afghanistan, Poutine a senti la faiblesse de Biden », a affirmé un autre.

D’autres encore ont rappelé que Joe Biden avait commis la faute de donner son feu vert à l’oléoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l’Allemagne en 2021, dans un geste d’apaisement envers Angela Merkel après quatre années de tensions avec Donald Trump. Pour Scott Walker, ancien gouverneur du Wisconsin, c’est plutôt « la faiblesse woke » qui est en cause. Manière de dire que les démocrates se sont souciés davantage du politiquement correct et de la promotion de la « cancel culture » que de la menace russe.

Pour plusieurs des intervenants et intervenantes, la solution est toute trouvée : sortir les foreuses pour extraire du pétrole et du gaz américains afin de cesser toute importation de sources d’énergie russes et contenir les prix à la pompe. Et si Biden pouvait en profiter pour vendre la production aux pays européens, cela serait encore mieux.

Certains l’ont d’ailleurs accusé – à tort – d’avoir sabordé la production énergétique américaine en prenant des mesures pour suspendre le forage des terres contrôlées par l’État fédéral et tué le projet d’oléoduc Keystone XL entre les États-Unis et le Canada. La mise à mort de ce projet d’infrastructure colossal, dénoncé de longue date par les groupes de défense de l’environnement, avait suscité le mécontentement du secteur pétrolier. Avec la crise ukrainienne, Trump voudrait le relancer. « Notre monde est proche d’un réchauffement nucléaire, mais ils sont davantage préoccupés par le réchauffement climatique », a-t-il remarqué samedi à propos des leaders démocrates.

Même s’il n’est plus au pouvoir, Trump n’a rien perdu son habileté à exploiter une crise.

 

NON à la guerre en Ukraine !

1er mars 2022, par CAP-NCS
La guerre d’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine doit cesser immédiatement. De réelles négociations doivent s’engager en vue de garantir la non-expansion de l’OTAN à (…)

La guerre d’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine doit cesser immédiatement. De réelles négociations doivent s’engager en vue de garantir la non-expansion de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie et l’application des Accords de Minsk en guise de résolution de la guerre civile qui dure depuis 2014 en Ukraine.

Une agression injustifiable

L’agression et l’invasion de l’Ukraine par la Russie sont injustifiables. Elles violent le droit international de façon évidente. Les présenter comme une opération de défense des républiques sécessionnistes de Donetsk et de Lougansk relève de la pratique typique des États agresseurs qui se drapent de motifs humanitaires, comme les États-Unis et leurs alliés l’ont fait nombre de fois depuis la fin de la Guerre froide.

Si la Russie peut légitimement prétendre que l’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est jusqu’à ses frontières représente une menace sécuritaire pour elle, cela ne l’autorise aucunement à attaquer un pays voisin et à le transformer en zone tampon pour ses propres intérêts.

La propagande dans laquelle nous baignons

Il n’y a pas que la Russie qui est présentement en guerre. Les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN mènent aussi une guerre à coups de sanctions et en armant l’Ukraine. Des consultations au sein de l’OTAN ont conduit à une déclaration de son secrétaire général, Jens Stoltenberg, le 25 février, à l’effet que l’OTAN s’engageait à défendre tous ses alliés, incluant l’Ukraine. Simultanément, pour la première fois depuis sa mise en place en 2004, la Force de réaction rapide l’OTAN, comprenant 40 000 militaires, a été activée.

Nous assistons aussi à une véritable guerre de l’opinion, sans contexte ni regard critique. La rare unanimité des dirigeants politiques occidentaux nous est présentée comme étant celle du monde entier. Leurs déclarations grandiloquentes les campent comme étant profondément préoccupés…

… par les coûts humains de cette guerre… sans qu’on leur rappelle les 929 000 morts et les 38 millions de réfugié.e.s causés par leurs propres guerres « contre le terrorisme »;

… par le droit international qui viendrait tout juste de voler en éclats… alors que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN l’ont enfreint à répétition contre la Serbie, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, et la Syrie;

… par la nécessité de ne pas laisser de tels crimes impunis, alors que les Bush, Cheney, Rumsfeld et Blair, responsables de crimes semblables, et à plus grande échelle, n’ont jamais été officiellement vilipendés, encore moins visés par quelque poursuite légale ou sanction que ce soit.

Ces jours-ci, nos médias nous informent des horribles conséquences de la guerre pour la population ukrainienne. Mais quand ceux et celles qui subissent ces conséquences font face à NOS propres agressions ou à celles de nos alliés, que ce soit en Afghanistan ou en Irak, au Yémen ou en Palestine, ce robinet de l’empathie humaine – toujours nécessaire! – ne laisse plus couler une seule goutte.

Une guerre qui pourrait bien servir les États-Unis

Les États-Unis, chef de file de l’OTAN, détiennent la clé d’une issue rapide à cette guerre : annoncer que l’OTAN renonce définitivement à solliciter l’adhésion de l’Ukraine et s’engage à respecter un statut de neutralité pour ce pays. Mais ce serait contraire à tout ce qu’ils ont concocté depuis des années. Et, pour le moment en tout cas, cette guerre les arrange bien. Elle contribue à asseoir leur nouvelle orientation de « compétition stratégique » avec la Russie et la Chine auprès de tous les alliés de l’OTAN, à justifier les pressions pour qu’ils augmentent leurs dépenses et leurs effectifs militaires, à accroitre leurs déploiements dans les pays d’Europe de l’Est, à consolider la peur et leur rôle dans la « protection » de l’Europe.

La Russie espérait peut-être accentuer en sa faveur les divisions au sein de l’OTAN. Mais son agression actuelle est en train de produire le contraire. L’Allemagne vient même de réviser sa position historique de ne pas envoyer d’armes dans les zones de conflit en décidant de fournir des armes antichars et des missiles antiaériens à l’Ukraine. Elle a aussi annoncé une très importante augmentation de son budget militaire. De plus, l’agression russe pourrait amener plusieurs pays européens à revoir leur stratégie d’approvisionnement en gaz naturel – dont 40 % provient de la Russie – en se tournant vers d’autres sources, dont les États-Unis et le Canada.

D’urgence, exigeons la fin de la guerre et de réelles négociations

La guerre, l’activité humaine la plus terrifiante et destructrice, s’abat maintenant sur l’Ukraine, avec son cortège de morts, de blessé.e.s, de réfugié.e.s. Un jour ou l’autre, tout cela devra aboutir à des négociations. Maintenant ou après combien de milliers, de dizaines de milliers, ou de centaines de milliers de victimes?

La situation est rapidement en train de dégénérer. Pour la première fois de son histoire, l’Union européenne (UE) soutient militairement un pays en guerre, en envoyant 450 millions d’euros d’armements à l’Ukraine. Elle annonce que son Centre satellitaire à Madrid soutiendra l’Ukraine dans le renseignement spatial et elle décrète la censure des médias Russia Today et Sputnik News. Liz Truss, la secrétaire aux affaires étrangères du Royaume-Uni, appuie « absolument » les citoyens britanniques qui veulent aller combattre en Ukraine. La Suisse rompt avec sa tradition de neutralité et participe aux sanctions financières contre la Russie. Alors même que le président Zelensky a accepté de négocier avec la Russie, il demande qu’elle soit exclue du Conseil de sécurité de l’ONU parce ses actions frôleraient le génocide. Et il demande l’adhésion immédiate de l’Ukraine à l’UE. Le 27 février, par référendum, la Biélorussie a notamment retiré de sa constitution la partie qui en faisait une zone libre d’armes nucléaires. Pour couronner le tout, face à l’extrêmement dangereuse mise en état d’alerte des forces nucléaires stratégiques de la Russie, la Maison blanche jette encore plus d’huile sur le feu en déclarant que « nous devons continuer à endiguer ses actions de la manière la plus ferme possible » et que « nous avons la capacité de nous défendre ». Soyons clairs : il n’y a PAS de défense contre une guerre nucléaire; c’est la survie même de l’humanité qui est en jeu!

Dans tout cela, avec ses déploiements militaires en Lettonie et en Pologne, son appel à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, ses ventes d’armes à ce pays et sa propagande primaire antirusse et antichinoise, le Canada joue un rôle particulièrement funeste.

Les enjeux globaux du réchauffement climatique et des pandémies exigent une collaboration mondiale plus urgente que jamais. Il est impératif de réagir fortement, dans tous les pays, pour éviter que nos dirigeants économiques et politiques nous plongent plutôt dans l’affrontement, la haine les uns des autres et une psychose de guerre généralisée. Les seuls bénéficiaires sont les complexes militaro-industriels, eux aussi des menaces à la survie de l’humanité.

Nous saluons le courage de nos allié.e.s en Russie qui manifestent contre la guerre dans des conditions de répression très dures et nous exigeons aussi la fin de l’agression russe. Nous exigeons également la fin des manœuvres d’encerclement de l’OTAN vis-à-vis la Russie et la fin de l’attisement des ressentiments et des peurs instrumentalisés pour des intérêts qui ne sont pas les nôtres.

 

 

La guerre de Poutine en Ukraine, des questions et quelques réponses

28 février 2022, par CAP-NCS
Le 24 février 2022, le lendemain de la célébration du « jour de la Patrie » en Russie, Vladimir Poutine a donné l’ordre à ses troupes d’attaquer l’Ukraine. Il s’agit d’un (…)

Le 24 février 2022, le lendemain de la célébration du « jour de la Patrie » en Russie, Vladimir Poutine a donné l’ordre à ses troupes d’attaquer l’Ukraine.

Il s’agit d’un crime contre l’humanité, au sens du « crime d’agression » défini par le statut de la Cour pénale internationale (article 8 bis) et d’une violation absolue de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945.

 Questions immédiates :

Pourquoi Poutine attaque-t-il maintenant ?

Depuis plusieurs mois, Poutine construit une logique d’escalade, pensant sans doute que le moment est opportun après la débâcle américaine en Afghanistan, et sûr de ne pas risquer de réaction militaire de l’OTAN aujourd’hui.

Poutine a clairement fait monter la pression, sachant que son exigence de « graver dans le marbre » pour l’éternité la non-adhésion à l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie était inacceptable sous cette forme (alors que par ailleurs Français et Allemands ont toujours exprimé clairement depuis 2008 leur rejet d’une adhésion à court terme)…

Le 21 février Poutine a délibérément « brulé ses vaisseaux », rendant toute désescalade impossible. Ses discours étaient des déclarations de guerre : le néo-tsariste appelant à la « dénazification » de l’Ukraine, puis sa reconnaissance de « l’indépendance » des républiques séparatistes « dans leurs frontières administratives » des deux « oblasts » (districts), c’est-à-dire avec les 2/3 du Donbass sous contrôle ukrainien – signifiant la mort définitive du processus de Minsk (processus international de négociation pour le règlement du conflit du Donbass).

Quels sont les scénarios possibles et les conséquences à court terme ?

Contrôler militairement le pays est « techniquement » possible (l’Occident ayant explicitement annoncé qu’il n’y aurait pas d’engagement militaire direct pour l’empêcher), mais politiquement et financièrement incroyablement coûteux. Prendre le contrôle de l’ensemble du Donbass est plus facile, mais tout de même très compliqué.

Sans doute certains généraux et Poutine lui-même pensent-t-ils que la guerre sera courte, comme en Géorgie en 2008. Ils veulent décapiter l’Ukraine (y compris par l’élimination physique de dirigeants). Veulent-ils occuper durablement Kiev (ils n’avaient, contrairement à ce que pensait Sarkozy jamais eu l’intention de prendre Tbilissi en Géorgie en 2008) ? Ou « simplement » détruire les capacités militaires de l’Ukraine et prendre le contrôle de tout le Donbass ? Espèrent-ils un mouvement en leur faveur des russophones d’Ukraine (plus qu’improbable) ? L’avenir le dira. Mais quoiqu’il arrive sur le plan militaire ces prochains jours, la guerre va durer.

Les conséquences, déjà importantes, vont être énormes, sur le plan économique (à l’échelle mondiale, notamment sur le prix de nombreuses matières premières), géopolitique (bien sûr… et la Chine, qui pense à Taiwan « observe attentivement » ce qui se passe ), évidemment pour les Ukrainiens, mais aussi pour les Russes surtout si la phase militaire du conflit dure.

Si on compare à la crise géorgienne de 2008, (comparaison souvent faite avec ses territoires sécessionistes et l’intervention militaire russe), on peut multiplier plus que considérablement les effets et conséquences…

Ce qui est quasi certain c’est que le retour « au calme » n’est pas pour demain

 Et pour mieux comprendre….

Que faut-il retenir de l’histoire de l’Ukraine ?

Rappelons tout d’abord quelques points d’histoire, au moins récente. Il existe une forte personnalité linguistique et culturelle ukrainienne, une histoire longue depuis la création de la ville de Kiev par les Vikings (Varègues) et de l’espace féodal, chrétien et slave de la première « Rus », jusqu’aux inclusions de territoires aujourd’hui ukrainiens dans les Etats tsariste, autrichien, et polonais.

A la fin du tsarisme en 1917, l’Ukraine a déclaré son indépendance et a été déchirée par une guerre civile opposant entre eux nationalistes ukrainiens de Symon Petlioura, armées allemandes et plus tard polonaises avec des alliés locaux, armées blanches nationalistes russes soutenue militairement sur le terrain par la France jusqu’en 1919, armées socialistes révolutionnaires et anarchistes ukrainiennes et armée rouge bolchéviques. Ces dernier ont triomphé et reconnu en mai 1919 une République socialiste d’Ukraine qui deviendra cofondatrice de l’URSS en 1922. Lénine a favorisé ce processus et il s’est opposé au nationalisme « grand-russien » qui pouvait empêcher la constitution de l’URSS. En 1941 certains Ukrainiens, surtout à l’Ouest du pays ont bien accueilli les envahisseurs allemands et le leader Stephan Bandera a soutenu les nazis (même si ceux-ci l’ont un temps emprisonné pour avoir parlé d’indépendance). Conscient de la force du sentiment national ukrainien, Staline (pourtant l’organisateur de la grande famine qui a frappé particulièrement l’Ukraine en 1932-33) a offert aux ukrainiens une compensation symbolique, l’obtention du statut de « membre fondateur de l’ONU » à côté de l’URSS (dont elle était par ailleurs membre).

Dans son discours néo-tsariste du 21 février 2022, Poutine a expliqué que l’Ukraine n’existait pas, que c’était une « malheureuse invention de Lénine et des bolcheviks ».

La République d’Ukraine indépendante depuis 1991, compte plus de 45 millions d’habitants, sa superficie est celle de la France. La langue ukrainienne (langue officielle) est pratiquée par une majorité de la population, le russe par une forte minorité (et accessoirement aussi par la majorité des ukrainophones). L’ouest, rural, longtemps sous domination autrichienne est plus ukrainophone que l’Est et le Sud, plus industriels sont plus russophones. Et à Kiev comme dans beaucoup d’autres villes, on parle les deux, parfois un mélange… La division linguistique n’est pas un facteur explicatif du conflit, de même que de supposés divisions « ethniques ».

 Est-il exact que les promesses de « sécurité collective » en Europe faite par l’Occident n’ont pas été honorées ?

A la fin des années 1980 les dirigeants occidentaux avaient explicitement proposé à Mikhaël Gorbatchev un deal prévoyant le non-développement de l’Alliance Atlantique et de son bras armé, l’OTAN et la construction d’une nouveau système de sécurité collective en Europe, avec pour pivot l’OSCE (L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Rien de cela ne s’est produit, et l’OTAN s’est étendue – sans qu’il y ait d’ailleurs le moindre débat sur son fonctionnement et son rôle alors que les conditions qui avaient présidé à sa création n’existaient plus. Les partis de gouvernements de gauche ou de droite en Europe n’ont d’ailleurs rien proposé à ce sujet.

Quand L’URSS s’est effondrée, les rapports de propriété ont été bouleversés, sous la houlette des organisations financières occidentales, et, dans une atmosphère de pillage, des oligarques ont pris le contrôle d’une bonne partie de l’économie soviétique, en particulier en Russie et en Ukraine. En Russie, un pouvoir politique central a cependant été restauré autour de Poutine et ceux des oligarques qui n’acceptaient pas cette tutelle ont été écartés.

 Ou en était l’Etat ukrainien avant 2014 ?

L’indépendance de l’Ukraine a été votée à 90% en décembre 1991 (80% dans l’est, 50% en Crimée) et le pays a cédé les armes nucléaires présentes sur son sol à la Russie (à des fins de désarmement) en échange de la garantie de l’intégrité de ses frontières promise par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie (à Budapest en décembre 1994).

Il n’y a pas eu en Ukraine de consolidation d’un pouvoir exécutif puissant et le poids des oligarques est resté considérable, en particulier dans les régions industrielles, dans un pays ravagé par la corruption. Dans les années 2000, émergent d’un côté un pôle « pro-occidental » incarné un temps par Viktor Ioutchenko et Ioulia Tymochenko, électoralement influent à l’Ouest et à Kiev, et qui a bénéficié en 2004 du soutien d’une partie de la jeunesse lors de la « révolution orange » et de l’autre côté un pôle plutôt « prorusse » incarné par Victor Ianoukovitch et son Parti des régions arborant la couleur bleue et électoralement influent à l’Est et au Sud. Le pays n’est cependant pas pour autant clivé « Orange contre Bleu », c’est plutôt un dégradé d’Ouest en Est… mais avec partout la corruption des oligarques plus ou moins « bleus » ou « oranges », et toutefois des élections, des libertés publiques et une société civile assez solide.

Après des élections gagnée par les « bleus » Ianoukovitch a abandonné un projet d’accord avec l’Union européenne (qui déplaisait à Moscou), provoquant en 2014 la « révolte de Maidan », un fort mouvement populaire avant tout anti-corruption, y compris dans certaines villes de l’est.

 Quelle guerre a commencé en 2014 ?

Dans la confusion qui a suivi, en février 2014, les forces spéciales russes ont pris le contrôle de la Crimée. Cette province, donnée à l’Ukraine en 1954 par le pouvoir soviétique d’alors est peuplée de personnes qui se considèrent sans doute plus comme Russes que comme Ukrainiens russophones, mais aussi de russophones qui se sentent plus Ukrainiens et de Tatars, la population autochtone musulmane d’origine, massacrée par les Russes, puis déportée par Staline et dont le retour dans sa patrie a toujours été entravé.

Dans ce même contexte, en avril 2014, des milices locales, avec le concours de forces spéciales russes, ont tenté de prendre le contrôle des territoires électoralement « bleus » à l’est de l’Ukraine. L’échec a été cuisant dans la grande ville de Kharkov, mais ils sont parvenus à s’emparer de deux régions du Donbass, autoproclamées « Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk ». Au départ l’objectif semblait être de déstabiliser l’ensemble du pays et ramener Yanoukovitch au pouvoir, mais très vite cet objectif a été abandonné, Yanoukovitch éliminé et le pouvoir des séparatistes consolidé dans les deux entités (au prix d’une répression forte). Depuis, dans cette région, la guerre n’a pas cessé, elle a fait près de 15 000 morts et provoqué le déplacement de 2 millions de personnes. De part et d’autre de la ligne de front la moitié de la population du Donbass , surtout les jeunes, est partie.

Un « processus de Minsk » a été défini en septembre 2014 pour sortir de la crise, dans la perspective d’une Ukraine fédéralisée ; il a été relancé en 2015 par les Allemands et les Français dans le « format Normandie » (discussions entre Français, Allemands, Ukrainiens et Russes – ces derniers en contact avec les séparatistes). Sans résultat.

La crise actuelle a-t-elle été déclenchée par l’OTAN ?

Bien sûr le refus occidental de construire une vraie sécurité collective au moment de la fin de l’URSS a produit des effets à long terme, tandis que les pays d’Europe centrale adhéraient à l’OTAN comme une « police d’assurance américaine ». Et bon nombre de Russes pouvaient considérer la chose comme une forme de menace.

Les pays de l’OTAN n’ont pas été avares non plus de diverses formes de provocations et gesticulations militaires ces dernières années. Cependant la crise actuelle n’a pas du tout été déclenchée par des actions des Américains mais bien par la concentration d’un nombre inédit de forces militaires russes aux frontières de l’Ukraine, à l’Est, au nord par le Bélarus et au Sud par la Mer Noire.

 Quelles était les hypothèses sur les projets de Poutine avant son offensive militaire ?

On pouvait penser que l’objectif premier de Poutine était de restaurer la place de grande puissance de la Russie – en particulier vis-à-vis des Américains, et – mais ce n’est pas nouveau – de considérer d’Union européenne comme un club d’impuissants. L’Etat Russe, jadis cœur d’Empire, a été humilié par l’Occident et « déclassé » comme puissance. La politique de la restauration poutinienne consiste à poser des jalons de reconquête politique (affirmation de puissance), idéologique (nationaliste), territoriale : la Russie a profité des crises à sa périphérie pour contrôler certains territoires (Abkhazie et Ossétie du sud en Géorgie, Transnistrie en Moldavie) ou assurer une forme de tutelle sur des Etats voisins, tout récemment avec les crises des dictatures en Bélarus et au Kazakhstan, et sur l’Arménie démocratique, dans le contexte de la défaite des Arméniens face à l’Azerbaïdjan.

Dans son entreprise de « restauration » Poutine peut compter sur quelques atouts : des ressources en hydrocarbure, mais aussi d’indéniables capacités militaires et militaro-industrielles, un certain savoir-faire idéologico-médiatique pour s’assurer la sympathie de nationaux-populistes ou de secteurs déclassés de population dans les opinions publiques occidentales, une capacité d’alliances (du moins pour le moment) avec la Chine, jusqu’à un certain point avec l’Iran, parfois avec la Turquie (mais celle-ci est foncièrement opposée à l’invasion de l’Ukraine -pays auquel elle fournit des armes.

La « restauration » du statut de grande puissance de la Russie passe par un interventionnisme au-delà des frontières de l’ancien empire, : soutien décisif au régime de Bachar El-Assad ; et la présence militaire et économique russe dans ce pays depuis 2015, l’interventionnisme ouvert de l’Etat russe ou avec les mercenaires du groupe Wagner en Afrique (Libye, Centre-Afrique, Mozambique, Mali…)

Avant même la crise actuelle Poutine avait donc déjà marqué des points. Il a réintroduit la Russie comme acteur majeur du jeu mondial…. Et forcé les Américains et généralement l’occident à le considérer comme tel. Mais à long terme il risque d’en perdre beaucoup et dépendre de plus en plus du soutien Chinois.

 Quelle était la situation avant l’agression en Russie et en Ukraine ?

Poutine cherche à créer un climat d’unité patriotique face à « la menace occidentale » et dans sa « guerre de libération de l’Ukraine ». A bien des égards cela semble mieux marcher… en dehors de la Russie qu’en Russie même, dont les habitants ne sont guère partants pour une guerre prolongée et qui ne seront pas aussi enthousiastes que lors de la « prise » de la Crimée de 2014, qui avait alors provoqué une forme d’unanimité patriotique assurant à Poutine une popularité inégalée. Toujours est-il que la régime s’est incroyablement durci ses derniers temps avec la destruction systématique des oppositions politiques (à commencer par Alexis Navalny), des médias indépendants et de la société civile (comme l’ONG Mémorial)… Aujourd’hui la répression à l’intérieur de la Russie est à un niveau inégalé depuis l’URSS des années 1970.

En Ukraine la menace poutinienne a eu plutôt pour effet de construire l’unité nationale et d’éloigner les Ukrainiens de leurs cousins Russes. Dans ce contexte l’extrême droite ukrainienne, électoralement faible, surtout après Maidan (2,5% aux législatives de 2019) mais active et organisée peut en profiter surtout sous occupation russe. Le président Volodimyr Zelinsky a été élu presque par hasard par des Ukrainiens las des dirigeants corrompus – (comédien il incarnait le rôle … d’un Président de la République dans un feuilleton télé !). Pour le moment l’ambiance est plutôt à l’unité nationale autour de lui. Après avoir tenté la dissuasion de la résistance civile et de la cohésion face au risque d’invasion, il fait face courageusement à l’agression d’une puissance militaire infiniment plus forte.

 Existe-t-il des forces de paix sur le terrain ?

Du côté russe il est bien entendu extrêmement difficile de s’exprimer, pourtant ces forces existent, ainsi une à circulé en Russie d’artistes, intellectuels, militants civiques, qui osent déclarer : Nous, citoyens russes responsables et patriotes de notre pays, faisons appel aux dirigeants politiques de la Russie et lançons un défi ouvert et public au parti de la guerre, qui s’est formé au sein du gouvernement. Nous exprimons le point de vue de cette partie de la société russe qui déteste la guerre et considère même l’utilisation d’une menace militaire et d’un style criminel dans la rhétorique de la politique étrangère comme un crime [1]. Des militants russes et ukrainiens ont cosignés un appel international Assez de guerre en Europe ! [2] Depuis l’agression des voix anti-guerre, relativement nombreuses, réussissent à se faire entendre et même à s’exprimer dans les rues dès le premier jour, malgré la répression gouvernementale (plusieurs centaines d’arrestations dans plus d’une cinquantaine de ville)…Des pétitions d’intellectuels, d’artistes, de journalistes, de membres du corps médical, se multiplient.

La propagande poutinienne sur le « génocide des Russes en Ukraine », les « nazis de Kiev » ou « l’agression en cours de l’OTAN » est omniprésente en Russie, ce qui ne signifie pas ipso facto que la majorité des Russes y adhère, mais pas non plus que cette majorité est prête à s’engager contre la guerre… Si celle-ci dure (ce qui est possible), si la situation économique se dégrade (ce qui est certain), les choses peuvent évoluer…

En Ukraine, comme le disait avant l’offensive poutinienne Nina Potarska, de la section ukrainienne de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, il est difficile de s’exprimer quand le militarisme envahit tous les esprits. Pourtant des voix se sont élevées contre la logique de guerre, au sein d’une société civile encore vigoureuse. Dans la situation d’invasion actuelle, c’est encore plus dur, et nombre de militants sont absorbés par des tâches humanitaires ou rejoignent la résistance sous les drapeaux… Mais contrairement à la Russie, leur expression est toujours possible.

 Que pouvons-nous faire ?

L’expression de notre solidarité politique avec les Russes anti-guerre, menacé d’anéantissement, notre action solidaire avec les organisations de la société civile ukrainienne qui se sentaient bien seule avant l’offensive et réclament notre aide pour faire cesser les combats aujourd’hui.

Le propagande pro-Poutine demeure extrêmement présente en France (même si la Poutinophilie de l’extrême droite a été remise en cause par l’agression actuelle). A gauche le rappel incessant de la situation des années 1980-90, des erreurs (et surtout défaites) stratégiques de l’époque, de l’absence de la construction de mécanisme de sécurité équilibrés, semble justifier une paralysie actuelle, avec des arguments pour justifier celle-ci, concernant ce qui a eu lieu il y a plus de trente ans ! Certaines forces de gauche ignorant la réalité ukrainienne et russe, ne voient en Ukraine qu’un pays soumis à l’Occident ou pire accréditent la propagande poutinienne d’un pouvoir « nazi » avec des hordes « fascistes » arpentant les boulevards. Extrême-droite est présente en Ukraine (quoiqu’électoralement infiniment plus marginale qu’en France) mais il y aussi une société civile particulièrement dynamique, active dans la défense des droits humains, des migrants, des personnes déplacées du Donbass depuis 8 ans, dans les luttes des femmes et des LGBTQI+, ainsi que sur les luttes sociales et syndicales…

Ce « campisme » est une attitude fréquente dans certains milieux supposés progressistes en Europe et Amérique du Nord, dans le Monde Arabe, en Afrique, en Amérique Latine. Il consiste à trouver des vertus aux impérialismes rivaux des Occidentaux, dont l’impérialisme néo-tsariste (par exemple à soutenir l’intervention russe quand il s’agit de sauver le régime criminel de Bachar Al Assad ou celle des mercenaires du groupe Wagner en Lybie ou en Afrique sahélienne et centrale). Toute complaisance de ce type envers l’agression actuelle doit évidemment être vigoureusement dénoncée.

L’immédiateté actuelle, c’est faire reculer la soldatesque poutinienne, avant que les blessures ne laissent des cicatrices indélébiles et que l’engrenage de l’insécurité s’étende.

Mais il est surtout avant tout nécessaire de défendre ceux qui sur place, en Russie s’opposent aux actions guerrières, et de ne pas laisser isolée la société civile ukrainienne. L’action par exemple de la coalition internationale CivilM+, qui lie des mouvements citoyens Ukrainiens et Russes, avec le soutien d’Allemands, de Français, de Néerlandais et quelques autres est un exemple de ce qui peut être fait.

Et après ?

Nous ne savons pas dans quel état nous serons quand cette crise-ci sera terminée. Pour l’heure, nous ne pouvons que constater le défaut congénital des gauches vertes et radicales, pour ne pas parler des sociaux-démocrates, à penser ces sujets qui vont de la « dissuasion » à la « responsabilité de protéger », sinon en quelques slogans « pacifistes » et/ou « anti-impérialistes » creux, dont témoigne aussi cette campagne présidentielle française. Il faut reprendre l’ensemble du sujet, pour la France, pour l’Europe, pour le Monde. Urgemment !


• Bernard Dreano, Assemblée européenne des citoyens (AEC), réseau international Helsinki Citizens’ Assembly (HCA)

Notes

[1] Cet appel est disponible en Russe sur https://echo.msk.ru/blog/echomsk/2972500-echo/

[2https://euroalter.com/no-more-war-in-europe/

 

 

Les dirigeants des grandes puissances jouent avec le feu

25 février 2022, par CAP-NCS
Il n’est pas exagéré de dire que ce qui se passe actuellement au cœur du continent européen est le moment le plus dangereux de l’histoire contemporaine et le plus proche d’une (…)

Il n’est pas exagéré de dire que ce qui se passe actuellement au cœur du continent européen est le moment le plus dangereux de l’histoire contemporaine et le plus proche d’une troisième guerre mondiale depuis la crise des missiles soviétiques à Cuba en 1962. Il est vrai que, jusqu’à présent, ni Moscou ni Washington n’ont fait allusion à l’utilisation d’armes nucléaires, même s’il ne fait aucun doute que les deux pays ont mis leurs arsenaux nucléaires en état d’alerte face aux circonstances actuelles. Il est également vrai que le degré d’alerte militaire aux Etats-Unis n’a pas encore atteint celui qu’il avait atteint en 1962. Mais le déploiement militaire russe aux frontières de l’Ukraine dépasse les niveaux de concentration de troupes à une frontière européenne observés aux moments les plus chauds de la «guerre froide», tandis que l’escalade verbale occidentale contre la Russie a atteint un stade dangereux accompagné de gesticulations et de préparatifs militaires qui créent une possibilité réelle de conflagration.

Les dirigeants des grandes puissances jouent avec le feu. Vladimir Poutine peut penser qu’il ne fait que déplacer la reine et la tour sur le grand échiquier afin de forcer l’adversaire à retirer ses pièces. Joe Biden peut croire qu’il s’agit d’une bonne occasion pour lui de redorer son image nationale et internationale, très ternie depuis son échec embarrassant dans l’organisation du retrait des forces étatsuniennes d’Afghanistan. Et Boris Johnson peut croire que les rodomontades prétentieuses de son gouvernement sont un moyen bon marché de détourner l’attention de ses problèmes politiques intérieurs. Il n’en reste pas moins que, dans de telles circonstances, les événements acquièrent rapidement leur propre dynamique au son des tambours – une dynamique qui dépasse le contrôle de tous les acteurs, pris individuellement, et risque de déclencher une explosion qu’aucun d’entre eux n’avait initialement souhaitée.

En Europe, la tension actuelle entre la Russie et les pays occidentaux a atteint un degré jamais vu sur le continent depuis la Seconde Guerre mondiale. Les premiers épisodes de guerre qui s’y sont déroulés depuis lors, les guerres des Balkans dans les années 1990, n’ont jamais atteint le niveau de tension prolongée et d’alerte entre les grandes puissances elles-mêmes auquel nous assistons aujourd’hui. Si une guerre devait éclater en raison de la tension présente – même si elle ne faisait initialement que sévir sur le sol ukrainien – la situation centrale et la taille même de l’Ukraine suffisent à faire du danger de propagation de l’incendie à d’autres pays européens limitrophes de la Russie, ainsi qu’au Caucase et à l’Asie centrale, un péril grave et imminent.

La cause principale de ce qui se passe aujourd’hui est liée à une série de développements, dont la première et principale responsabilité incombe au plus puissant qui en a eu l’initiative – c’est-à-dire, bien sûr, les Etats-Unis. Depuis que l’Union soviétique est entrée dans la phase terminale de son agonie sous Mikhaïl Gorbatchev, et plus encore sous le premier président de la Russie post-soviétique, Boris Eltsine, Washington s’est comporté envers la Russie comme un vainqueur impitoyable envers un vaincu qu’il cherche à empêcher de pouvoir jamais se redresser. Cela s’est traduit par l’expansion de l’OTAN, dominée par les Etats-Unis, en y intégrant des pays qui appartenaient auparavant au Pacte de Varsovie dominé par l’URSS, au lieu de dissoudre l’Alliance occidentale parallèlement à son homologue orientale. Cela s’est également traduit par le fait que l’Occident a dicté une politique économique de «thérapie de choc» à l’économie bureaucratique de la Russie, provoquant une crise socio-économique et un effondrement d’énormes proportions.

Ce sont ces prémisses qui ont le plus naturellement conduit au résultat contre lequel l’un des conseillers les plus éminents de Gorbatchev – un ancien membre du Soviet suprême et du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique –, Georgi Arbatov, avait mis en garde il y a trente ans, lorsqu’il avait prédit que les politiques occidentales à l’égard de la Russie conduiraient à «une nouvelle guerre froide» [1] et à l’émergence d’un régime autoritaire à Moscou, renouant avec la vieille tradition impériale de la Russie. C’est ce qui s’est produit avec l’arrivée au pouvoir de Poutine qui représente les intérêts des deux blocs les plus importants de l’économie capitaliste russe (dans laquelle se mêlent capitalisme d’Etat et intérêts privés): le complexe militaro-industriel – qui emploie un cinquième de la main-d’œuvre industrielle russe, en plus des effectifs des forces armées – et le secteur pétrolier et gazier.

Le résultat est que la Russie de Poutine pratique une politique d’expansion militaire qui va bien au-delà de ce qui prévalait à l’époque de l’Union soviétique. A l’époque, Moscou n’a déployé de forces de combat en dehors de la sphère qui était tombée sous son contrôle à la fin de la Seconde Guerre mondiale que lors de l’invasion de l’Afghanistan à la fin de 1979, invasion qui a précipité l’agonie de l’URSS. Quant à la Russie de Poutine, après avoir retrouvé une vitalité économique, depuis le début du siècle, grâce à l’augmentation du prix des combustibles, elle est intervenue militairement hors de ses frontières à une fréquence comparable à celle des interventions militaires étatsuniennes avant la défaite au Vietnam, et entre la première guerre des Etats-Unis contre l’Irak en 1991 et la sortie peu glorieuse des forces étatsuniennes de ce pays, vingt ans plus tard. Les interventions et les invasions de la Russie ne se limitent plus à son «étranger proche», c’est-à-dire les pays adjacents à la Russie, qui étaient dominés par Moscou à travers l’URSS ou le Pacte de Varsovie. La Russie post-soviétique est intervenue militairement dans le Caucase, notamment en Géorgie, en Ukraine et plus récemment au Kazakhstan. Mais elle mène également, depuis 2015, une guerre en Syrie et intervient sous un déguisement qui ne trompe personne en Libye et plus récemment en Afrique subsaharienne.

Ainsi, entre le regain de belligérance russe et la poursuite de l’arrogance des Etats-Unis, le monde se trouve au bord d’une catastrophe qui pourrait grandement accélérer l’anéantissement de l’humanité, vers lequel notre planète se dirige par le biais de la dégradation de l’environnement et du réchauffement climatique. Nous ne pouvons qu’espérer que la raison l’emportera et que les grandes puissances parviendront à un accord répondant aux préoccupations de sécurité de la Russie et recréant les conditions d’une «coexistence pacifique» renouvelée qui réduirait la chaleur de la nouvelle guerre froide et l’empêcherait de se transformer en une guerre chaude qui serait une catastrophe énorme pour toute l’humanité. (Article traduit en anglais à partir de l’original arabe publié dans Al-Quds al-Arabi, 25 janvier 2022; traduction de l’anglais par la rédaction de A l’Encontre)


[1] «Eurasia Letter : A New Cold War», Georgi Aabatov, in Foreign Policy. No.95, Summer 1994 (pp. 90-103)

 

 

L’enfant : plus qu’un adulte de demain, un citoyen d’aujourd’hui

25 février 2022, par Revue Droits et libertés
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022 L’équipe du Bureau international des droits des enfants Le droit d’être entendu (aussi appelé (…)

Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022

L’équipe du Bureau international des droits des enfants Le droit d’être entendu (aussi appelé droit à la participation) est un principe fondamental de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), traité international de référence ratifié par le Canada depuis 1991. Ce droit implique que tous les enfants, peu importe leur origine ethnique, leur genre, leur religion ou encore leur situation socio-économique, peuvent exprimer leurs opinions et être pleinement acteurs de la promotion de leurs droits au quotidien. En somme, ils ont le droit de prendre part au débat, dans les décisions qui les concernent, mais aussi sur des sujets plus vastes de société ou d’actualité. Et les adultes ainsi que les institutions qui les entourent ont le devoir de leur laisser l’opportunité et l’espace de le faire.

L’adulte de demain

L’enfant est souvent caractérisé d’adulte de demain et l’on en oublie un peu vite qu’il est avant tout le citoyen d’aujourd’hui, sujet de droit faisant partie intégrante d’une famille, d’une communauté, d’une ville, d’une nation... Il est à même de participer aux conversations, et a beaucoup à apporter par le partage de son point de vue, de ses préoccupations et de ses idées. Bien entendu, cette participation n’est pas à envisager à l’identique de celles des adultes, elle doit se faire en tenant compte de l’enfant, de son profil, de son âge, de son niveau de compréhension et adopter des outils et des espaces adaptés pour s’assurer de son bien-être en tout temps. [caption id="attachment_12508" align="alignright" width="282"] Crédit : Le pré de l'équité, Adrielle Spada, 11 ans[/caption] Pourtant doté d’une législation favorable à la participation de l’enfant au sein de ses institutions de protection, le Québec reste frileux à l’idée de leur laisser une place pour prendre part au débat. Dans la province, une grande attention est accordée aux enfants dont la sécurité OU le développement est menacé. La Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), en vigueur depuis 1977 et révisée plusieurs fois depuis1, définit les droits de ces enfants et notamment leur droit à la participation aux décisions relatives à leur protection. L’article 2.4.2 de la LPJ indique ainsi que « les informations et les explications qui doivent être données à l’enfant dans le cadre de la présente loi doivent l’être en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension ». Ce droit garanti légalement est notable, mais beaucoup reste à faire pour que la participation devienne la norme dans toutes les sphères de la vie d’un enfant, quelle que soit sa situation. Selon le rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, ou Commission Laurent, publié en avril 2021, le droit des enfants à être entendu est rarement respecté par les institutions protection de la jeunesse (p. 74). Les enfants sont souvent « exclus des rencontres où des décisions sont prises à leur sujet » et il y a « peu d’opportunités pour les enfants de participer à la vie citoyenne ou d’influencer les décisions politiques » (p. 67 ; 187). Au-delà de cette constatation, l’accès de l’enfant à de l’information adaptée, nécessaire à sa participation à la mise en œuvre de ses droits, reste encore un défi au Québec. En effet, la Commission Laurent note un besoin de simplifier la loi dans un langage accessible et compréhensible pour les enfants, et pointe le manque de traduction de plusieurs ressources et services associés à la protection de l’enfant dans les langues parlées par les enfants autochtones ou issus de communautés culturelles (p. 71 ; p. 293 ; p. 308).
La mise en œuvre de la participation de l’enfant se heurte également à une vision de l’enfant qui met l’accent sur sa vulnérabilité et qui motive ainsi sa protection.
Si cette protection est effectivement incontournable pour permettre à l’enfant de vivre et grandir dans les meilleures conditions, elle minimise sa capacité à être acteur de sa propre protection et de la promotion de ses droits. Les décisions ayant des répercussions sur la vie des enfants sont alors souvent prises par des adultes, sans donner voix aux enfants qui sont pourtant les premiers concernés.

Les enfants des groupes minoritaires face à un double standard

La participation des enfants issus de groupes minoritaires (issus de la diversité culturelle, autochtones, ou encore en situation de handicap…),   pourtant   surreprésentés dans les institutions de protection de l’enfant, se heurte à des difficultés supplémentaires. À titre d’exemple, les communautés autochtones ne possèdent pas d’entité pour porter la voix de leurs enfants au Québec, et les normes et interventions institutionnelles en vigueur   en   protection de l’enfant ne tiennent pas suffisamment compte des conceptions autochtones de protection de l’enfant (rapport de la Commission Laurent, 2021 : p. 295). Dans les interventions de protection en lien avec les enfants racisés, on constate également une faible collaboration avec des organismes et communautés proches de leurs réalités, ainsi que des pratiques non adaptées aux expériences et aux identités de ces enfants (rapport de la Commission Laurent, 2021 : p. 309- 310). Par ailleurs, les expériences de discrimination et d’in- compréhension auxquelles ces jeunes sont parfois confrontés au sein du système de protection peuvent avoir un impact négatif sur leur confiance envers les institutions et indirectement sur leur volonté de participation. Un frein qui vient s’ajouter aux difficultés rencontrées par les enfants de façon systémique pour faire valoir leur droit à la participation.
Mieux documenter les expériences et les pratiques entourant la participation des enfants issus des groupes minoritaires est nécessaire, notamment pour en saisir la singularité et favoriser l’adoption d’approches différenciées permettant une participation inclusive et efficace.
Le droit à la participation de l’enfant au sein du système de protection se doit d’être un processus continu et inclusif pour que tous les enfants puissent faire valoir leurs droits et prendre part aux décisions qui les concernent. Cette participation repose sur trois facteurs principaux : la mise en place de mécanismes et d’instances permettant aux enfants de participer ; la création d’outils adaptés à tous les enfants et la transmission des compétences nécessaires ; la motivation et la volonté d’implication des enfants. Chaque personne peut agir au quotidien pour intégrer les enfants aux sphères de discussion et aux prises de décisions, mais un changement plus global de la perception de l’enfant par le système censé le protéger doit être envisagé afin de réellement inscrire sa participation dans la norme. Les systèmes de protection de l’enfant sont encore trop souvent pensés par les adultes, selon ce qui les arrange dans leurs champs de compétences propres, il est temps que les enfants soient placés au cœur des systèmes de protection qui les concernent.
  1. La dernière révision de la LPJ date de décembre 2020 ou le projet de loi n 75 intitulé Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la COVID-19, est venu modifier le chapitre P-34.1 de la LPJ.

L’article L’enfant : plus qu’un adulte de demain, un citoyen d’aujourd’hui est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

La Colombie dépénalise l’avortement

25 février 2022, par CAP-NCS
À Bogota (Colombie), des militantes célèbrent la décision de la Cour constitutionnelle dépénalisant l’avortement, lundi 21 février 2022. © Photo : Raul Arboleda / AFP (…)

À Bogota (Colombie), des militantes célèbrent la décision de la Cour constitutionnelle dépénalisant l’avortement, lundi 21 février 2022. © Photo : Raul Arboleda / AFP

 

Bogota (Colombie).– « La maternité sera désirée ou ne sera pas ! » Après des années de bras de fer légal et institutionnel, ce slogan des féministes colombiennes devient réalité. L’avortement est désormais autorisé en Colombie, pour n’importe quel motif,  jusqu’à la 24e semaine de gestation. La décision de la Cour constitutionnelle a été votée lundi 21 février par cinq voix de magistrats contre quatre. À bien des égards, elle est historique. Depuis 2006, l’avortement n’était permis que dans trois cas de figure : à la suite d’un viol, si la grossesse mettait en danger la vie de la mère ou si le fœtus n’était pas viable.

Par cette décision de justice, « nous avons réussi à faire de la Colombie un pays à l’avant-garde en Amérique latine et dans les Caraïbes, et nous sommes à présent le pays avec l’une des législations les plus progressistes au monde », se réjouissait lundi Ana Cristina Gonzalez, médecin et docteure en bioéthique, dans une émission en direct sur le site internet du quotidien El Tiempo. Elle dirige Causa Justa, un mouvement regroupant des organisations féministes, des médecins et des avocat·es, à l’origine de la décision de la cour.

En 2020, Causa Justa avait lancé une action légale demandant à la Cour constitutionnelle d’éliminer le délit d’avortement du Code pénal. Si ce but n’a pas été atteint, il est rendu ineffectif par la décision de lundi. « Nous considérons que ce point-là reste très important, puisque la notion de délit est à la base même de la stigmatisation », selon Ana Cristina Gonzalez, arborant le foulard vert adopté par les activistes argentines et devenu le symbole de la lutte pour la légalisation sur le continent — et au-delà.

« Nous vivons dans un État laïque et les décisions de politique publique ne sauraient être prises avec des interférences de caractère religieux, et encore moins de la part d’autorités religieuses qui ont fait tant de mal aux femmes et à d’autres catégories de la population pendant des siècles », lance la directrice de Causa Justa. En Colombie, la Cour constitutionnelle est traditionnellement plus progressiste que le reste des institutions. En 2013, par exemple, elle avait officialisé le mariage pour tous.

Pourtant, jusqu’à l’annonce de cette décision lundi après-midi, le jeu semblait serré – tout dépendait de la décision d’un magistrat remplaçant. Dans le centre de Bogota, le verdict final a provoqué les explosions de joie parmi les militantes réunies devant le palais de justice. Les foulards verts brandis par des poings levés se sont agités dans une foule quasi exclusivement féminine, célébrant une victoire dans la lutte contre le patriarcat. À quelques mètres, les militant·es « provida », antiavortement, étaient en deuil.

De manière générale, sur le continent, les lois, le système pénal et les mentalités restent fortement influencés par l’Église catholique. L’avortement est encore un délit passible de prison dans la quasi-totalité des pays d’Amérique centrale et du Sud. Jusque récemment, il n’était autorisé sans condition qu’à Cuba, au Guyana, en Uruguay et au Mexique. Fin décembre, l’Argentine s’ajoutait à la liste.

La Colombie est désormais le pays latino-américain dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu’au stade le plus avancé de la grossesse – 24 semaines de gestation, dix semaines de plus qu’en Argentine, 12 semaines de plus que dans les autres pays du continent ayant dépénalisé l’avortement. Ce délai légal particulièrement long soulève de vives critiques.

« Je ne peux pas concevoir qu’un bébé de six mois, qui est déjà viable hors de l’utérus de sa mère, puisse à présent être assassiné en Colombie », lance dans une vidéo publiée sur Twitter la sénatrice Paloma Valencia, du parti de droite conservatrice Centre démocratique. Ce délai de 24 semaines laisse perplexes de nombreux citoyens et citoyennes, y compris parmi les partisan·es de l’IVG.

« Ce malaise est compréhensible », concède Elizabeth Castillo, avocate et activiste féministe. Selon elle, l’interruption volontaire de grossesse « devrait être pratiquée le plus tôt possible, mais elle devrait pouvoir l’être également aussi tard que possible quand cela est nécessaire. Cela concerne des femmes dans une situation extrême, soit les cas médicalement complexes ou les femmes les plus vulnérables ». Moins de 20 % des avortements seraient réalisés aux deuxième et troisième trimestres. Autour de la 24e semaine, la pratique serait très marginale.

« Ce qui change à présent, c’est que les prestataires des services de santé vont avoir beaucoup moins de complications pour pratiquer les avortements », ajoute l’avocate. Citant une récente enquête, elle précise : « Dans ce pays, plus de 50 % des grossesses ne sont pas désirées. »

Dans sa communication annonçant la décision, la Cour Constitutionnelle a par ailleurs exhorté le Parlement et l’exécutif à légiférer sur la question, et à établir une politique de santé publique encadrant cette décriminalisation. Au Parlement colombien, où depuis toujours la droite traditionnelle est fortement représentée, les propositions autour de la légalisation de l’IVG n’ont jamais prospéré. « Cela prendra du temps », prédit Elizabeth Castillo.

En effet, le droit des femmes à disposer de leurs corps est loin de faire l’unanimité dans le pays andin comme sur le reste du continent sud-américain. D’après une enquête sur le sujet réalisée en 2021 par l’institut de sondage Ipsos dans 28 pays, seuls 26 % des Colombien·nes approuvaient une légalisation totale, et 36 % uniquement dans certaines circonstances, pour raisons médicales ou après un viol. Ils et elles étaient 20 % à être totalement contre.

Les plus hostiles évoquent la légalisation d’un « génocide ». Certains politiques, comme Alejandro Ordoñez, actuel ambassadeur de la Colombie à l’Organisation des États américains, s’y réfèrent en ces termes. La plupart des membres du Centre démocratique, le parti de la droite conservatrice dont est issu l’actuel président Ivan Duque, sont antiavortement. Le chef de l’État a d’ailleurs critiqué sur la radio La FM une « décision prise par cinq personnes »« On ne saurait rendre si triviale la pratique de l’avortement en Colombie, et encore moins la convertir en une pratique généralisée, car elle va contre le principe même de la vie depuis la conception, reconnu par la Cour constitutionnelle », a déclaré le président colombien. 

Dans le pays andin, on estime le nombre d’avortements clandestins à 400 000 annuels. C’est l’un des principaux arguments soutenant la décision de la cour : même si l’avortement est interdit, il est tout de même largement pratiqué dans le pays de manière clandestine et inégalitaire. Il est bien sûr payant, les plus riches ayant accès aux avortements les moins dangereux pour la santé de la mère. D’après le ministère de la santé, environ 70 femmes et adolescentes meurent chaque année lors d’IVG clandestines. Et une grande partie des Colombiennes, dans les campagnes et les quartiers les plus pauvres, n’y ont pas accès.

La décision de la Cour constitutionnelle prend effet immédiatement. Mais dans ce pays aux multiples retournements et mécanismes juridiques, tout·e citoyen·ne muni·e de solides arguments pourrait demander l’annulation de cette décision. En attendant, les militantes féministes colombiennes et latino-américaines savourent cette victoire, espérant voir la vague verte gagner l’ensemble du continent.

 

 

Invasion russe de l’Ukraine : Vladimir Poutine dans les pas de Saddam Hussein ?

25 février 2022, par CAP-NCS
Il existe un parallèle frappant entre le comportement de Vladimir Poutine à l’égard de la Géorgie en 2008, de l’Ukraine en 2014 et maintenant, d’une part et, d’autre part, le (…)

Il existe un parallèle frappant entre le comportement de Vladimir Poutine à l’égard de la Géorgie en 2008, de l’Ukraine en 2014 et maintenant, d’une part et, d’autre part, le comportement de Saddam Hussein à l’égard de l’Iran au lendemain de sa révolution de 1979 et du Koweït en 1990. Les deux hommes ont eu recours à la force, accompagnée de revendications remarquablement similaires, afin de réaliser des ambitions expansionnistes. Saddam Hussein a envahi le territoire iranien à l’automne 1980, prétendant sauver les habitants arabophones de la province du Khuzestan, après les avoir encouragés à se rebeller contre le pouvoir de Téhéran et à déclarer une république indépendante, l’Arabistan. Cette invasion a marqué le début d’une guerre de huit ans, dont le premier effet a été de permettre au nouveau régime iranien de mettre fin au chaos qui a suivi la révolution contre le pouvoir du Shah et de consolider ses rangs. Après un nombre total de morts des deux côtés estimé à un million, ainsi qu’une dévastation et une destruction généralisées, les deux pays se retrouvent à la case départ à la fin de la guerre.

Dix ans plus tard, Saddam Hussein réitère son comportement imprudent en envahissant le Koweït, arguant qu’il s’agit d’une province irakienne découpée par les Britanniques, renouvelant ainsi une vieille revendication qui avait conduit à des tensions militaires entre le gouvernement d’Abd al-Karim Qasim et les autorités du Protectorat britannique au Koweït, lorsque celles-ci avaient décidé d’accorder à ce dernier son « indépendance » en 1961. Le résultat de cette deuxième invasion décidée par Saddam Hussein a été l’occasion donnée aux États-Unis tout d’abord de déployer leurs forces dans la région du Golfe à une échelle sans précédent ; ensuite de bombarder l’Irak « jusqu’à l’âge de pierre », comme le secrétaire d’État de l’époque, James Baker III, en aurait menacé le ministre des affaires étrangères irakien de l’époque, Tariq Aziz, peu avant la guerre ; enfin, et surtout, d’affirmer de manière spectaculaire leur suprématie en tant que seule superpuissance restante dans un monde qui était entré dans un « moment unipolaire » après des décennies de « bipolarité ».

Que les Arabes du Khuzestan aient ou non le droit à l’autodétermination et à l’indépendance, et que les revendications de l’Irak sur le Koweït soient légitimes ou non, n’est pas la question ici. Le comportement imprudent de Saddam Hussein s’est manifesté par sa mauvaise évaluation de l’équilibre des forces dans les deux cas. L’Irak est sorti des deux guerres dévasté et extrêmement affaibli, tandis que le dictateur irakien n’a réussi qu’à renforcer ses adversaires iraniens et américains. Il avait cru que le chaos qui régnait en Iran en 1980 ne ferait qu’empirer à cause de l’invasion irakienne, tout comme il pensait en 1990 que l’Amérique, militairement paralysée depuis sa sortie du Vietnam, n’oserait pas l’affronter.

Quel est le rapport avec Vladimir Poutine ? Le maître du Kremlin ne cache pas sa nostalgie de l’empire des tsars russes, reprochant à plusieurs reprises aux bolcheviks d’avoir appliqué lors de la Révolution russe le principe d’autodétermination en dessinant la carte des républiques soviétiques. Il tient particulièrement, et à juste titre, à empêcher l’élargissement de l’OTAN à des républiques qui, il y a trente ans, faisaient partie de l’URSS et étaient donc soumises à la tutelle russe. En 2008, pour empêcher la Géorgie d’adhérer à l’OTAN, Poutine (qui dirigeait alors le pays depuis le bureau du premier ministre, derrière une façade présidentielle nommée Dmitri Medvedev) a justifié l’invasion de son territoire par son soutien à la sécession des provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud qu’il encourageait à revendiquer leur « indépendance », comme Saddam Hussein l’avait fait avec l’ »Arabistan ».

En 2014, Poutine a invoqué son désir de réparer ce qu’il considérait comme une erreur commise par les dirigeants de l’Union soviétique lorsqu’il a envahi la Crimée et l’a formellement annexée à la Russie, pour empêcher l’Ukraine de rejoindre l’OTAN, comme Saddam Hussein avait rêvé de le faire avec le Koweït. La même année, Poutine est également intervenu militairement dans les provinces de Donetsk et de Louhansk, dans l’est de l’Ukraine, après avoir encouragé les séparatistes locaux à déclarer à leur tour leur « indépendance », comme il l’avait fait en Géorgie et comme le dirigeant irakien avait tenté de le faire en Iran. Dans les cas géorgien et ukrainien, Poutine a estimé que les États-Unis étaient trop faibles pour l’affronter : en 2008, ils étaient de plus en plus embourbés en Irak et, en 2014, sortis d’Irak après un échec abyssal, ils connaissaient un renouvellement partiel de la paralysie militaire qui les avait frappés après le Vietnam.

Les circonstances en 2008 et 2014 et par la suite ont semblé valider le jugement de Poutine. L’OTAN a touché le fond lorsque Donald Trump a remporté la présidence américaine en 2016, faisant perdre aux alliés traditionnels de Washington leur confiance dans la fiabilité de la protection américaine. Ils ont souhaité que Joe Biden efface l’héritage de Trump, mais ont été rapidement déçus. En effet, après sa honteuse retraite d’Afghanistan face aux talibans, la crédibilité de l’Amérique a atteint son point le plus bas depuis que sa défaite au Vietnam s’est achevée avec l’arrivée des forces communistes dans la capitale, Saigon. Poutine a donc dû considérer que la situation est devenue favorable à une nouvelle étape. Il a donc intensifié sa pression sur l’Ukraine, avec en toile de fond la reprise des affrontements entre les séparatistes et les forces gouvernementales ukrainiennes et l’entrée en lice de la Turquie, membre de l’OTAN, pour livrer des drones à Kiev. Si l’on ajoute à cela la pénurie mondiale qui a entraîné une forte hausse des prix du pétrole et du gaz, principales sources de revenus de l’État russe, tous les éléments sont réunis.

Cela signifie-t-il que les calculs de Vladimir Poutine sont plus intelligents et plus rationnels que ceux de Saddam Hussein, indépendamment des ressemblances entre leurs aventures militaires ? La réponse probable est que, si les calculs de Poutine se sont avérés corrects jusqu’à présent, il a pris, avec ses récentes actions, un risque plus aventureux que jamais. Joe Biden en profitera pour redorer son image bien écornée, tout comme Boris Johnson : après leurs prophéties auto-réalisatrices, les deux hommes doivent être heureux que Poutine leur donne l’occasion de détourner l’attention de leurs échecs. L’Alliance atlantique se trouve renforcée et dynamisée après avoir été malade (rappelez-vous le commentaire d’Emmanuel Macron sur l’OTAN « en état de mort cérébrale » il y a environ deux ans et demi). Le comportement de Poutine a peut-être même motivé les voisins de la Russie, la Finlande et la Suède, à rejoindre l’OTAN, après plus de soixante-dix ans de neutralité. Ce qui est encore plus dangereux pour la Russie, c’est qu’elle va devoir faire face à une pression économique occidentale considérablement accrue, ce qui va certainement l’affaiblir beaucoup plus que Poutine et son entourage semblent le croire. En fait, la Russie s’engage dans un cas typique de « surextension impériale », pour reprendre l’expression de Paul Kennedy. Elle agit militairement bien au-delà de sa capacité économique, avec un PIB inférieur à celui du Canada, et inférieur même à celui de la Corée du Sud, soit un peu plus de 7% du PIB américain.


Gilbert Achcar est professeur à l’Ecole des études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres. Il a notamment publié Le Choc des barbaries : Terrorismes et désordre mondial (2002, 2004, 2017), La Poudrière du Moyen-Orient avec Noam Chomsky (2007), Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (2009), Le Peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe (2013), Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme (2015) et Symptômes morbides. La rechute du soulèvement arabe (2017). Il publiera bientôt The New Cold War : Chronicle of a Confrontation Foretold. 

Nicaragua. Histoire d’une trahison

24 février 2022, par CAP-NCS
Dora María Téllez, la «Comandante Dos», figure historique de la Révolution nicaraguayenne qui, en 1979, a renversé la dictature de la dynastie Somoza qui a étouffé le Nicaragua (…)

Dora María Téllez, la «Comandante Dos», figure historique de la Révolution nicaraguayenne qui, en 1979, a renversé la dictature de la dynastie Somoza qui a étouffé le Nicaragua pendant des décennies, a été condamnée, il y a quelques jours, à huit ans de prison. Le procès qui l’a condamnée a été une farce grotesque: elle a eu droit à quatre minutes de parole.

Dans le même procès, une autre figure de proue du Sandinisme, aujourd’hui disparu, Victor Hugo Tinoco [ancien membre de la guérilla, ambassadeur aux Nations unies, critique d’Ortega il sera expulsé du FSLN en 2005 et rejoindra le Mouvement de rénovation sandiniste qui deviendra Unamos- Unión Democrática Renovadora], a été condamné à treize ans d’emprisonnement.

Récemment a été déclaré le décès en prison du commandant Hugo Torres, qui fut général lorsque l’armée sandiniste existait [voir à ce sujet l’article publié  le 16 février 2022].

Un élément révèle assez clairement le genre de personne qu’Ortega est devenu: le commandant Hugo Torres et Dora María Téllez ont mené, en 1979, une initiative militaire qui a permis la libération du désormais dictateur, Daniel Ortega, qui se trouvait dans les prisons de Somoza.

Exilés et détenus

Nombreux sont ceux qui ont été des figures particulièrement marquantes de la période d’existence du sandinisme – de la victoire de 1979 à la défaite électorale de 1990 – et qui sont aujourd’hui exilés, isolés ou détenus.

Ce qui était au départ une soif de pouvoir du couple Ortega-Murillo [président et vice-présidente] s’est transformé en une copie grossière de la dictature de la dynastie Somoza. Et si, au début, cette prise de conscience m’a ouvert une brèche dans l’âme, aujourd’hui elle me remplit d’indignation.

Souvenirs de la révolution

Je me souviens bien que le 24 janvier 1980 était un jeudi. Ce jour-là, je me suis rendu pour la première fois au Nicaragua sandiniste. La révolution qui a renversé Anastasio Somoza avait exactement six mois et cinq jours.

Jusque-là, j’avais gardé un contact à distance avec l’écrivain Sergio Ramírez, dont je suis toujours un ami proche.

Je me souviens encore de l’émotion de cette première d’une très longue série de visites pendant le régime sandiniste qui a liquidé la dynastie qui avait pillé et étouffé ce beau pays pendant des décennies.

Ce furent mes jeunes années, et avec une poignée d’étrangers qui m’ont soutenu et ont essayé de collaborer, j’ai pu avoir de nombreux contacts avec plusieurs membres du gouvernement.

Dans ces réunions informelles, souvent de longs dîners qui duraient des heures, j’étais, toujours aux côtés d’autres sandinistes, avec Daniel Ortega.

Il m’est apparu comme un homme fermé, au regard méfiant, qui n’a craqué qu’une seule fois: en 1986, lorsqu’il m’a parlé de son frère Camilo, tué au combat face aux forces de Somoza alors qu’il était très jeune. Ce jour-là, il m’a également raconté que de l’âge de 15 à 34 ans, lui, Daniel, n’avait pas de maison: il vivait caché, errant d’un endroit à l’autre. Pour la première et unique fois, j’ai ressenti quelque chose d’humain dans cette figure de pierre.

Notre dernière rencontre a eu lieu à Rio de Janeiro, à la mi-1990, lors d’une réunion avec des artistes et des intellectuels, quelques mois après sa défaite électorale face à Violeta Chamorro [qui sera présidente la république d’avril 1990 à janvier 1997].

Piñata et après

Je ne suis jamais retourné au Nicaragua. De loin, je connaissais la «piñata», c’est-à-dire le pillage [de biens, de terres, etc.] qui a conduit certaines des plus hautes personnalités sandinistes, dont Ortega, à devenir millionnaires.

J’avoue qu’avec d’autres amis étrangers qui avaient vécu de si près la Révolution, j’ai mis du temps à accepter comme vrai ce qui était vrai. Même à cet égard, les traîtres sont devenus des copies conformes des somozistes.

Celle des sandinistes a été la dernière révolution de ma génération et, selon leur modèle, peut-être la dernière de l’histoire. A plusieurs reprises, nous avons eu le sentiment que les sandinistes conduisaient les Nicaraguayens vers quelque chose de très proche de la réalisation de rêves impossibles, de la possibilité de toucher le ciel de leurs mains.

Je chérirai à jamais dans ma mémoire les moments vécus durant ces années d’espoir, qui semblaient être d’une réelle luminosité.

Après avoir perdu les élections, à la suite de l’agression armée brutale menée par Washington avec le soutien des secteurs les plus réactionnaires du Nicaragua, le sandinisme a commencé à se déchirer. Il n’a pas fallu longtemps pour que ce qui avait été une Révolution vivante et belle commence à être trahi d’une manière vile et impardonnable.

A l’espoir qui a vaincu la dynastie Somoza a succédé une autre dynastie, tout aussi perverse, abusive, meurtrière. Depuis 2006, c’est-à-dire depuis 16 ans, le couple présidentiel manipule de manière absurde les élections afin de maintenir son pouvoir absolu.

Le pire des traîtres

Daniel Ortega est maintenant à la tête de cette nouvelle dynastie qui réprime, persécute et tue même les jeunes étudiants comme l’a été son frère Camilo lorsqu’il a été assassiné par la dynastie précédente.

Un traître est et sera toujours un traître, une figure abjecte et méprisable. Mais il y a des traîtres d’une pire espèce. José Daniel Ortega Saavedra appartient, avec «mérite et brio», à cette seconde espèce. (Article publié par le quotidien argentin Pagina 12, le 20 février 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

 

État espagnol : quand tout sent le pourri dans le PP

23 février 2022, par CAP-NCS
Par JACQUES BERGER La guerre totale entre Casado et Ayuso met en lumière certaines des pires pratiques de corruption et de guerre sale utilisées tout au long de son histoire (…)

Par JACQUES BERGER

La guerre totale entre Casado et Ayuso met en lumière certaines des pires pratiques de corruption et de guerre sale utilisées tout au long de son histoire par le principal parti de la droite espagnole, non seulement contre ses ennemis politiques mais aussi en son sein.

Elle survient également quelques jours après l’échec de son projet d’obtenir la majorité absolue aux élections anticipées en Castille-et-León ; C’était la première force, mais avec 31 sièges, ce qui l’oblige à trouver une formule qui lui permette de gouverner cette Communauté sans avoir à céder à toutes les exigences que Vox lui adresse déjà. Des élections au cours desquelles ce parti d’extrême droite a vu se consolider les résultats qu’il avait déjà obtenus lors des dernières élections générales de 2019, passant de 1 à 13 sièges, bien qu’avec 10% de voix en moins, tandis que le PSOE et l’UP ont connu un revers notable (ils sont passés respectivement de 35 à 28 sièges et de 2 à 1), principalement au profit d’Unión del Pueblo Leonés (avec 3 sièges) et de Soria ¡Ya! (avec 3 autres),

Nouveau circuit ?

Sans aucun doute, un nouveau cycle s’ouvre maintenant, mais pas celui que le toujours principal leader de l’opposition voulait dans son aspiration à atteindre la Moncloa, mais celui qui se déchaîne au sein de son parti et dans lequel on ne peut exclure la scénario du pire : une rupture organique, tôt ou tard, entre les deux secteurs opposés, même s’il existe aussi de nombreux intérêts communs qui peuvent pousser à une recomposition qui, de toute façon, n’empêchera pas d’importants dommages collatéraux.

Bien sûr, les précédents ne manquent pas pour ce mélange de corruption et de sale guerre qui caractérise le PP depuis ses origines et, surtout, ces dernières décennies : le tamayazo de 2003 (qui, en achetant deux députés du PSOE, a donné au gouvernement la Communauté de Madrid à la marraine politique d’Ayuso, Esperanza Aguirre) ; l’espionnage du gestapillo d’Angel Carromero désormais démissionnaire aux dirigeants de son propre parti, ou celui du sinistre Villarejo à l’ex-trésorier Bárcenas, la longue histoire de macro-scandales de corruption (avec le Gürtel comme déclencheur de la motion de censure qui a chassé Rajoy du bureau Moncloa) [1] , ou, plus récemment, sa collusion avec deux députés de l’UPN pour empêcher le décret gouvernemental de réforme du travail d’aller de l’avant.

C’est pourquoi les motifs juridiques ne manquent pas pour justifier, comme l’a soutenu Javier Pérez Royo [2] , d’exiger l’interdiction de ce parti, déjà qualifié par la justice d’« organisation criminelle ». Car, ne l’oublions pas, il s’agit d’une formation politique qui porte dans ses gènes ses origines franquistes [3] et qui consolide des réseaux de corruption et une « classe public-privé » (Pastor, 2010 : 93) qui sont ancrées dans le capitalisme immobilier et extractiviste et dans le noyau dur de l’appareil d’État. Alors, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, si ce n’est que désormais toutes les tensions au sein de cette trame d’intérêts se manifestent avec toute leur cruauté , comme les protagonistes eux-mêmes ont dû l’admettre.

Cette guerre survient également à un moment où Pablo Casado se rapproche de plus en plus du discours qu’Ayuso a développé lors de sa campagne électorale réussie en mai de l’année dernière, s’adaptant à la pression d’offrir une version néolibérale et néoconservatrice de Trump à la version espagnole qui lui permet de contrecarrer l’influence de Vox dans une partie grandissante de son électorat [4] .

Une lutte pour le pouvoir

Ainsi, cela n’a pas beaucoup de sens de rechercher des différences entre les deux dirigeants sur le plan idéologique. C’est, purement et simplement, une lutte pour le pouvoir dont l’évolution dépendra probablement de la position adoptée par les principaux barons autonomes dans les prochains jours, avec le président galicien, Feijóo, en tête, qui semble miser sur un Congrès extraordinaire. au cas où les deux prétendants ne parviendraient pas bientôt à un armistice. Un conflit dont l’issue sera sans aucun doute influencée par l’alignement que prennent les principaux pouvoirs médiatiques et, avec eux, le poids de la rue, avec des initiatives telles que la manifestation appelée ce dimanche 20 février à Madrid en faveur d’Ayuso en devant le siège du PP.

Car le rôle que peuvent jouer ces acteurs pas si secondaires est le principal atout du président madrilène face à Casado : son indéniable leadership charismatique lui permet de se présenter en victime, malgré les preuves évidentes de la corruption dans laquelle elle a été impliquée. .. au pire moment de la pandémie. Mobilisant ses partisans pour la défense de sa « liberté » d’entreprendre… au détriment de l’argent public, et « surtout, ma famille » face à l’espionnage subi, il tire une nouvelle fois des arguments pour sortir de son recours constant au népotisme. en arrière-plan et les réseaux clients.

Cette complicité gagnée parmi sa base la plus militante est ce qui corrobore comment, au cours des dernières décennies, ce que le juge Joaquim Bosch définit comme un « électorat corrompu » s’est consolidé : ces « citoyens qui applaudissent les traitements de faveur et les pratiques frauduleuses, sachant qu’ils le sont. Ce manque de valeurs éthiques favorise notamment la corruption. Une complicité qui ne signifie pas nier le poids d’autres facteurs qui peuvent expliquer le succès électoral d’Ayuso et qui ont à voir avec les racines sociales, culturelles et idéologiques de son néolibéralisme trumpiste à la madrilène . Mais pas pour ça il faut dédaigner la contamination de son fidèle électorat à tout vadans la défense commune de leurs intérêts et privilèges de pouvoir ou de statut. On pourrait faire valoir la même chose, évidemment, concernant Casado malgré le fait qu’il veut se présenter maintenant avec le désir de se distancer du passé corrompu de son parti… recourant aux pires méthodes de la gestapillo .

Comme ils l’affirment du PSOE -qui a aussi une histoire de corruption et de sale guerre qu’il ne faut pas oublier- et aussi de l’UP, il n’y a aucun espoir qu’une droite “démocratique et moderne, européenne” émerge de cette crise, surtout quand Ce que nous observons dans de nombreux pays voisins, comme la France, c’est une adaptation croissante à l’agenda et aux discours de l’extrême droite respective de la part de ces anciennes droites.

Cette guerre interne éclate également lorsque Vox peut se présenter comme la seule opposition crédible au gouvernement PSOE-UP, après la décomposition de Ciudadanos et, désormais, la division interne grandissante dans les rangs du PP quant à la tactique à adopter face à ce parti. . Certains chroniqueurs médiatiques comme El Confidencial prédisent déjà une surprise de l’extrême droite au PP au cas où Casado continuerait à diriger cette formation aux prochaines élections législatives.

En revanche, de l’autre côté, celui du peuple de gauche, dans certains secteurs la résignation se répand face à la politique du moindre mal et, dans d’autres, la déception face à un gouvernement qui n’a pas tenu les principales promesses que, bien que modéré, contenait son programme électoral, comme ceux liés à l’abrogation de la réforme du travail de 2012, la réforme fiscale ou, on le craint aussi, celui de la loi bâillon, dont le projet a déjà été critiqué comme un simple « maquillage ” par différentes organisations sociales dont Amnesty International. Dès lors, on ne peut s’étonner qu’au milieu d’une démobilisation quasi générale, le vide laissé par ces partis ait facilité l’émergence de nouvelles forces politiques provinciales .dans les institutions ni, surtout, que la désaffection des citoyens à l’égard de la politique et des partis en général augmente.

Tout cela se déroule, en somme, dans un contexte international où il est difficile de trouver des différences substantielles entre les principaux partis du régime, coïncidant à la fois dans leur obéissance aux diktats de la Commission européenne – comme le ministre du Travail a dû le faire admettre, Yolanda Díaz- et le FMI, qui demande déjà des ajustements en 2023. Ou, ce qui est encore plus scandaleux, la servilité dont ils font preuve envers l’impérialisme américain, avec lequel ils ont d’emblée serré les rangs pour favoriser l’escalade militaire de l’OTAN face à la crise ouverte autour de l’Ukraine. Un conflit qui nous oblige à retrouver la mémoire des mouvements anti-OTAN et antimilitaristes des décennies passées afin d’entreprendre des initiatives capables d’endiguer la menace réelle du déclenchement d’une guerre dont les conséquences seraient désastreuses au-delà de la région directement touchée.

Ce sera face à la montée en puissance de Vox et son contrôle grandissant de l’agenda politique, ainsi qu’au manque de volonté du PSOE et de son gouvernement (l’UP devient simple spectateur de sa dérive de plus en plus évidente vers le centre) pour rompre avec les limites marquées par la Commission européenne, la CEOE et les grandes transnationales, car il faudra reprendre force et enthousiasme pour montrer qu’il existe une autre voie possible : celle qui a marqué la confluence entre syndicale, sociale et politique les organisations dans la nécessité d’aller au-delà de la non-abrogation de la réforme du travail de 2012 ; la réaffirmation du mouvement féministe dans les rues avant le 8 mars prochain ; la lutte acharnée de différents groupes dans leur défense du droit à un logement décent, ou des campagnes comme celle que mène actuellement une Initiative populaire pour une réglementation extraordinaire des étrangers. A partir de ces espaces et d’autres en reconstruction, il faudra travailler, avec une « lente impatience », à reconstruire de nouveaux fronts communs et pôles politiques alternatifs.


Les références

Pastor, Jaime (2010) “Corruption politique vs. démocratie et socialisme par en bas », vent du sud , 110, pp. 88-96. Accessible sur https://vientosur.info/corrupcion-politica-vs-democracia-y-socialismo-desde-abajo/

Notes :

 

[1] Voir aussi l’article de Nuria Alabao dans CTXT, 17/02/2022 : « Après la guerre des gangs du PP… il y a le même »)  https://ctxt.es/es/20220201/Firmas/38789/Nuria- Alabao -PP-Ayuso-Casado-lutte-interne-corruption.htm

[2] https://www.eldiario.es/contracorriente/ilegalizar-pp_132_8758203.html

[3]   À cet égard, la publication récente du livre, La Patria en la portfolio , du juge Joaquim Bosch, est très opportune, car elle nous rappelle comment l’héritage de corruption systémique de la dictature franquiste n’a pas été éradiqué pendant la a mythifié la Transition et comment, malgré quelques succès judiciaires, elle survit dans de nombreuses institutions, avec la monarchie comme plus haute représentation, et dans la société.

[4]   Je me réfère aux articles de Luisa Martín Rojo et Laura Camargo récemment publiés dans viento sur , 180, où ils analysent l’évolution discursive d’Ayuso et de Pablo Casado.

 

Haïti. Le Mouvement paysan de Papaye : combattre conjointement la déforestation et la crise climatique

23 février 2022, par CAP-NCS
Par Joe Parkin Daniels Haïti, le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, a souvent été synonyme de déforestation et de calamité environnementale. On dit souvent que (…)

Par Joe Parkin Daniels

Haïti, le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, a souvent été synonyme de déforestation et de calamité environnementale. On dit souvent que sa frontière avec la République dominicaine peut être vue depuis l’espace, tant la différence est marquée entre les forêts luxuriantes à l’est et les terres incultes à l’ouest.

«Dans la nature, tout est lié l’un à l’autre», explique Jean-Baptiste Chavannes qui a fondé, en 1973, le Mouvement paysan de Papaye (MPP- Mouvman Peyizan Papay), qui lutte contre la déforestation et la crise climatique dans les régions les plus pauvres d’Haïti.

A chaque mois qui passe, les malheurs d’Haïti semblent s’aggraver. Depuis deux ans, des mobilisations généralisées et des pénuries de carburant constantes rythment la vie quotidienne. En juillet [le 7 juillet 2021] de l’année dernière, le président de ce pays des Caraïbes, Jovenel Moïse, a été assassiné à son domicile. Le mois suivant, le sud appauvri de l’île a été frappé par un tremblement de terre d’une magnitude de 7,2 sur l’échelle de Richter. Il a tué au moins 2200 personnes et détruit des dizaines de milliers de maisons. Puis, en septembre 2021, une vague d’expulsions de ressortissants haïtiens des Etats-Unis – dans un contexte d’augmentation alarmante des enlèvements à Haïti [entre autres de 16 missionnaires des Etats-Unis et d’un Canadien] – a plongé l’île dans une plus grande instabilité.

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L’injustice environnementale et l’insécurité alimentaire sont à la base de la plupart des problèmes de ce pays dynamique mais en proie à d’énormes difficultés. En effet, 4,4 millions de personnes (sur une population de près de 11 millions) sont menacées par la faim. La déforestation généralisée depuis des siècles, due en grande partie au commerce colonial du bois ainsi qu’à l’abattage plus récent des arbres pour le combustible de cuisson [charbon de bois], a endommagé les terres fertiles et les a rendues vulnérables à l’érosion, aux inondations et à la sécheresse. Les ouragans saisonniers font des ravages sur les maisons et les moyens de subsistance. Ils contribuent chaque année à la dégradation de l’agriculture.

Les précédents projets internationaux de «développement», imposés de haut en bas, ont inondé les marchés haïtiens de denrées alimentaires de base non durables, entravant les efforts des agriculteurs locaux pour parvenir à la souveraineté alimentaire.

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Le MPP est une organisation de base qui cherche à lutter contre la crise climatique et l’insécurité alimentaire qui en découle. Il travaille avec les agriculteurs et agricultrices du secteur vivrier de base à travers Haïti. Fort de plus de 40 ans d’expérience dans les zones rurales du Plateau central d’Haïti, le MPP collabore avec 60’000 membres pour revitaliser les paysages déboisés afin que les personnes qui y vivent puissent se nourrir, tout en augmentant la couverture forestière dans le but d’aider à réduire les niveaux d’émission de carbone.

«La lutte pour la souveraineté alimentaire va de pair avec la lutte contre le réchauffement climatique», a déclaré Jean-Baptiste Chavannes.»Toutes les actions visant la souveraineté alimentaire auront un impact direct sur la crise climatique».

Le MPP réalise son travail directement avec les populations locales, tout en essayant de réduire la dépendance des agriculteurs et agricultrices vis-à-vis des organisations multinationales et des organisations caritatives qui ont souvent mal géré les ressources et contribué aux désastres d’Haïti, a déclaré Jusléne Tyresias, directrice du programme du MPP.

«Une approche locale est meilleure car elle crée des emplois directs, valorise les connaissances, les compétences et les ressources locales», a-t-elle déclaré, ajoutant que les grandes ONG internationales dépensaient souvent leurs ressources dans des hôtels et des transports coûteux, plutôt que d’utiliser le savoir-faire local. «Les locaux qui vivent sur le territoire seront plus impliqués parce qu’ils connaissent mieux la gravité du problème que ceux qui viennent de l’extérieur.»

Cette approche locale a été saluée par des bailleurs de fonds internationaux, dont le Fonds pour le climat (Clima Fund. Resourcing Grassroots Solutions). Le Global Greengrants Fund UK, l’un des quatre partenaires caritatifs de l’Appel 2021 pour la justice climatique lancé par le Guardian et l’Observer, est membre du Clima Fund et utilisera sa part des dons recueillis par l’appel pour financer des projets locaux tels que le PPM.

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«Le MPP est un exemple fantastique du type de mouvements populaires que le Clima Fund finance dans plus de 160 pays dans le monde; ils démontrent l’efficacité de la construction de solutions à partir de la base – pas seulement ce qui est mis en place, mais aussi comment c’est construit, et avec qui», a déclaré Lindley Mease, directrice du Clima Fund. «Ces mouvements populaires répondent aux besoins matériels d’une île ravagée par le climat grâce: à une nourriture culturellement appropriée et abondante; à des systèmes durables de récupération de l’eau; à une meilleure santé des sols, tout en maintenant en activité un effectif de 61’000 personnes, dirigées par un groupe de femmes». En tant que membres du mouvement international d’agriculteurs La Via Campesina, qui compte 200 millions de membres, ils montrent comment une organisation stratégique et collective peut refroidir la planète à grande échelle».

Grâce au travail du MPP, des secteurs entiers du plateau central, autrefois ravagés par la déforestation, regorgent aujourd’hui de vie. Le réseau de paysans et paysannes du MPP a planté des dizaines de millions d’arbres, tandis qu’ont été installées des infrastructures d’approvisionnement en eau pour les maisons et des cultures, tout en formant à l’agroécologie des femmes et des jeunes Haïtiens et Haïtiennes. Des panneaux solaires ont été installés sur les maisons, réduisant ainsi la dépendance au bois comme combustible. Une station de radio diffuse des formations et des conseils écologiques.

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«Au plan régional et international, le MPP s’inscrit dans le cadre des efforts mondiaux visant à renforcer les mouvements féministes de base, et fait partie d’un mouvement mondial de petits agriculteurs et agricultrices qui font progresser la souveraineté alimentaire avec La Via Campesina», a déclaré Sara Mersha, directrice des subventions et de la commmunication à Grassroots International, après avoir visité l’un des projets du MPP.

«C’est cette combinaison de stratégies – avec un accent mis sur une forte organisation et une connexion avec la terre – qui me fait comprendre ce que signifie le slogan du MPP et de Via Campesina: “les petits agriculteurs et agricultrices refroidissent la planète!”».

Le MPP a également utilisé des équipes d’intervention rapide lors des fréquentes catastrophes naturelles en Haïti, notamment le tremblement de terre qui a frappé le sud du pays en août 2021. Immédiatement après cette tragédie, le MPP a fourni de la nourriture, de l’eau et des abris, avant d’introduire des stratégies de résilience à long terme, comme la distribution de semences et le développement d’infrastructures locales.

En 2010, lorsqu’un tremblement de terre a rasé une grande partie de la capitale, Port-au-Prince, et ses environs, tuant plus de 220’000 personnes, le MPP a mis en place des éco-villages, dans lesquels les survivant·e·s et les victimes ont appris à vivre et à cultiver de manière durable.

Malgré la diversité de son champ d’action, le fondateur du MPP considère que le travail du mouvement repose sur un principe clé: la souveraineté. «La souveraineté est définie comme le droit de chaque personne à définir des politiques de production alimentaire respectueuses de l’environnement», a déclaré Jean-Baptiste Chavannes. «Le respect de la vie humaine; le respect des droits des familles paysannes sur les terres agricoles; les droits des peuples indigènes sur leurs territoires; le respect des droits des femmes et le respect de la culture; ainsi que les façons de nourrir les gens.»(Article publié par The Guardian, le 8 janvier 2022; traduction par la rédaction A l’Encontre)

 

Éditorial – Femmes, pandémie et luttes pour le territoire

22 février 2022, par CDHAL
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Le gouvernement Legault et le verdissement du capitalisme

22 février 2022, par CAP-NCS
ÉDITORIAL – Bernard Rioux,[1] pour le comité de rédaction. François Legault s’est éveillé bien tardivement à toute préoccupation environnementale. Il avait durement (…)

ÉDITORIAL

– Bernard Rioux,[1] pour le comité de rédaction.

François Legault s’est éveillé bien tardivement à toute préoccupation environnementale. Il avait durement critiqué le premier ministre Philippe Couillard pour avoir mis fin à l’exploration du pétrole sur l’ile d’Anticosti[2] et dans le Grand Nord québécois[3]. Il a été élu comme premier ministre du Québec en 2018, sans que son programme électoral contienne quelque élément d’importance concernant la lutte aux changements climatiques.

Les mobilisations d’envergure de 2019 qui ont rassemblé des centaines de milliers de personnes à travers le Québec ont illustré l’ampleur de la sensibilisation de la population à la problématique des changements climatiques. Le premier ministre a compris qu’il n’était plus possible de nier cette réalité. Sa réponse a été de développer une politique environnementale visant le verdissement de l’accumulation du capital et de déployer une stratégie de communication prétendant faire du Québec un phare d’un « virage vert » en Amérique du Nord.

Un virage vert aux différentes dimensions

Le gouvernement Legault présente à l’automne 2020 son Plan pour une économie verte 2030 (PEV)[4] qui comporte les transformations socioécologiques les plus « pragmatiques » possible.

Des cibles « raisonnables » sans moyens pour les atteindre

Le PEV reconduit la cible fixée par le gouvernement Couillard d’une réduction de 37,5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à 1990, une cible présentée comme ambitieuse. Il convient que son plan ne pourra atteindre que la moitié de cette cible. Il est même prévu de recourir à l’achat de permis d’émission sur le marché du carbone pour permettre au Québec de s’en approcher[5]. Dans un document stratégique interne intitulé Conditions de réussite du Plan de mise en œuvre 2021-2026 du PEV, on découvre que le gouvernement a identifié 15 millions de tonnes de réduction potentielle (plus de la moitié de la cible) sous forme d’achat à la bourse du carbone Québec-Californie. « Les réductions d’émission réalisées en Californie seraient ainsi achetées par de grands émetteurs québécois sous forme de droits de polluer et le Québec se créditerait de cette dépollution qui a, en réalité, eu lieu sur le territoire américain[6]

La confiance accordée au marché du carbone et au capital financier

Un bilan de la bourse du carbone montre le caractère tout à fait aléatoire des mécanismes de marché pour la réduction des émissions de GES. L’expérience a démontré que les entreprises n’abandonnent pas leur objectif de produire plus pour vendre plus. En fait, le marché du carbone ne permet pas d’atteindre les cibles fixées même si ces dernières sont en deçà de ce que préconise le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ainsi, le Québec n’a réussi à réduire ses émissions de GES que de 9,1 % de 1990 à 2016, et les émissions ont continué d’augmenter, particulièrement en 2016 et 2017 dans les 100 entreprises les plus polluantes du Québec.

L’électrification des automobiles au centre du Plan vert

La proposition du PEV d’interdire la vente de voitures neuves à combustion interne à partir de 2035 relève davantage d’un plan de communication que d’un plan de lutte aux changements climatiques. Cette mesure ne s’appliquera que dans 15 ans et ne concernera même pas l’ensemble des camions et des voitures commerciales. Le programme Roulez vert prévoit une aide de 8000 dollars à l’achat d’une voiture électrique. Les subventions du programme constituent une véritable manne gouvernementale fournie aux grands de l’automobile pour faciliter leur conversion et pour gonfler leurs ventes et leurs profits. Cette priorité a l’avantage de ne rien bousculer des habitudes de la population et conduira à un nouvel élargissement du parc automobile tout en maintenant les problèmes de congestion et d’étalement urbain.

Le gouvernement Legault mentionne les différents projets de transport collectif, mais il continue de dépenser deux fois plus d’argent pour le réseau routier et pour l’électrification des automobiles que pour le transport collectif[7]. Dans ce contexte, le troisième lien, la construction d’un tunnel sous-fluvial entre Québec et la Rive-Sud, dont le coût est évalué à 10 milliards de dollars, est le projet le plus électoraliste et le plus insensé qui soit. Il est révélateur des limites du « tournant vert » du gouvernement Legault. Présenter ce projet comme un projet carboneutre, comme l’a fait le ministre des Transports, François Bonnardel, est tout simplement stupéfiant et risible[8]. Tous les experts ont répété que ce projet va permettre un nouvel étalement urbain et le maintien de l’utilisation de l’auto solo.

L’ouverture à un nouvel extractivisme

La priorité donnée à une politique de mobilité centrée sur l’automobile individuelle débouchera sur la relance de l’exploitation de ressources minières (lithium, cobalt, nickel) et énergétiques. C’est la porte ouverte à un nouvel extractivisme. Devant les profits envisagés de ce tournant, les multinationales australiennes et brésiliennes ont déjà investi ou prévoient d’investir pour prendre le contrôle de cette filière. Dans un premier temps, le gouvernement Legault prétendait vouloir contrôler l’entièreté de la chaine de valeur, de l’extraction de minerai à la production de batteries pour la conversion du système de transport. Ces ambitions du premier ministre sont déjà abandonnées et son ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, est maintenant à la recherche d’investisseurs internationaux. Le gouvernement se dit prêt à appuyer leurs investissements avec de l’argent public et à faire du sol québécois un bar ouvert aux multinationales du secteur minier[9].

Une privatisation de la transition énergétique sous l’aile d’Hydro-Québec

Faire du Québec la pile de l’Amérique du Nord

L’hydroélectricité, cette énergie abondante et à faible coût, a été utilisée pour attirer des industries énergivores comme celles du secteur de l’aluminium, de l’électrochimie ou des cimenteries. Elle a aussi permis d’attirer des entreprises polluantes et émettrices de GES qui consomment aujourd’hui près de la moitié de la production électrique[10].

La vente de l’énergie hydroélectrique aux États du nord-est des États-Unis ou à l’Ontario pourrait selon François Legault faire du Québec la batterie de l’Amérique du Nord. Au lieu d’utiliser cette énergie et l’expertise qui lui est liée pour améliorer l’efficacité énergétique et opérer une avancée à marche forcée sur la réduction des émissions de différentes industries, on cherche à l’exporter dans une démarche purement extractiviste. L’expérience nous montre que l’accès aux énergies renouvelables ne mène pas automatiquement à la baisse de la production des énergies fossiles mais plutôt à l’ajout de ces nouvelles sources d’énergie afin de répondre à une économie insatiable d’énergie et de croissance. La batterie de l’Amérique du Nord n’est qu’un slogan creux d’affairistes qui ne sert qu’à verdir la logique d’une production toujours plus considérable[11].

Le gaz naturel élevé au rang d’énergie propre

De 2018 à 2021, le gouvernement Legault a laissé ouverte la porte à l’exploitation pétrolière et gazière sur le territoire québécois. Il a apporté son soutien au projet GNL-Québec car il présentait le gaz naturel comme une énergie de transition. Le PEV va jusqu’à parler, en ce qui concerne les systèmes de chauffage des bâtiments, d’une « complémentarité optimale des réseaux électrique et gazier[12]».

Ce n’est qu’à la veille de la rencontre de la COP26, pour verdir son image, qu’il a pris la décision de retirer son soutien à GNL-Québec dont l’acceptabilité sociale était remise en question par le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et dont le financement était de plus en plus problématique. Il a également profité de cette occasion pour affirmer que son gouvernement allait interdire toute exploration et toute exploitation pétrolière et gazière sur le territoire québécois. C’était pour François Legault un coup de communication fumant alors que les réserves pétrolières et gazières au Québec sont fort marginales et sans grandes promesses de développement. Il s’est d’ailleurs empressé de promettre de compenser les entreprises des énergies fossiles détenant des permis sur une partie importante du territoire québécois[13]. Des intervenants du mouvement écologiste ont déjà lancé une pétition contre cette intention du gouvernement caquiste[14].

Les énergies renouvelables sous le contrôle de l’entreprise privée

Pour le gouvernement Legault, les énergies renouvelables (l’éolien, le solaire…) devront se développer sous le contrôle d’entreprises privées étrangères, et cela, sans plan d’ensemble et sans consultation citoyenne véritable. Hydro-Québec renonce à son rôle de maître d’oeuvre de la production d’énergies renouvelables au Québec, et le gouvernement s’avère incapable de planifier et d’opérer une transition énergétique effective vers les énergies renouvelables sur le territoire québécois.

Le soutien au développement de la filière de l’hydrogène

À son retour de la COP26, le premier ministre ne tarissait pas d’éloges pour la filière de l’hydrogène vert[15]. Le développement de cette filière était déjà dans le Plan pour une économie verte. La perspective d’utiliser le faible coût de l’électricité pour développer l’hydrogène vert et l’exporter est envisagée par le gouvernement de la CAQ. Énergir en collaboration avec Hydro-Québec cherche à verdir la distribution de gaz naturel en prétendant utiliser leur réseau pour faciliter la distribution de l’éventuelle production de l’hydrogène vert[16].

Le refus d’une rupture avec une agriculture industrielle exportatrice centrée sur la production carnée

Le PEV semble incapable de voir au-delà de la réduction du gaspillage et d’une meilleure gestion des matières résiduelles. Une agriculture d’élevage intensif centrée sur l’exportation est responsable « de 9,8 % des émissions de gaz à effet de serre du Québec en 2017 (4e secteur émetteur)[17] ». Le gouvernement Legault maintient cette politique et se tient loin d’une véritable agriculture écologique.

Conclusion : des orientations irresponsables

Le mot d’ordre de Legault est simple : plus de richesse, moins de GES; son message aux entreprises est clair : « Faites un tournant vert, c’est le moyen moderne de s’enrichir et d’accumuler, et nous vous soutiendrons financièrement en plus ». Il met en œuvre un capitalisme vert le plus grossier et le moins subtil qui soit.

La sortie des énergies fossiles attendra. La consommation de gaz naturel, produit par des procédés de fracturation et présenté comme une énergie de transition, se voit promettre un avenir radieux. Toute la politique environnementale gouvernementale est soumise aux impératifs de la profitabilité des entreprises privées et à la logique du marché. En cela, le gouvernement de la CAQ se range du côté de tous les gouvernements de l’Amérique du Nord, du côté de l’écocapitalisme.

Au lieu de répondre à la majorité de la population du Québec qui, par de nombreuses mobilisations (manifestations, pétitions, pactes citoyens…), a maintes fois manifesté son inquiétude et sa volonté d’agir vers une transition juste et véritable, le gouvernement fait du sur-place, en s’appuyant sur la classe d’affaires et sur une partie de la classe moyenne qui pense encore que l’on peut remodeler le capitalisme.

Le Québec a besoin d’une planification publique et démocratique à long terme centrée sur la satisfaction des besoins de la population. Cela nécessiterait de vastes chantiers collectifs visant à redéfinir la politique énergétique, à revoir la politique de mobilité pour sortir du règne de l’automobile, à progresser dans la rénovation d’un cadre bâti qui économise l’énergie, et à s’engager dans la migration vers une agriculture de proximité. Tout cela dans la perspective de diminuer la croissance des dépenses d’énergie et des ressources naturelles et d’en finir avec les productions inutiles et l’obsolescence planifiée.

Produire moins, partager plus, favoriser une économie de proximité. Cette orientation est écartée du revers la main par le gouvernement, car son orientation est de réduire la transition écologique à un verdissement permettant l’enrichissement de la classe entrepreneuriale du Québec. Par ses politiques irresponsables, le gouvernement Legault nous prépare un avenir plus que difficile.


  1. Bernard Rioux est membre du Collectif d’analyse politique, éditeur des Nouveaux Cahiers du socialisme. Il est aussi rédacteur à Presse-toi à gauche.
  2. Geneviève Lajoie, « Anticosti : Legault ouvert à l’exploration des hydrocarbures », TVA Nouvelles, 17 octobre 2017.
  3. Yannick Donahue, « Legault n’exclut pas l’exploitation des hydrocarbures dans le Grand Nord », Radio-Canada, 3 septembre 2018.
  4. Gouvernement du Québec, Plan pour une économie verte 2030. Politique-cadre d’électrification et de lutte contre les changements climatiques, Québec, 2020, <www.quebec.ca/gouv/politiques-orientations/plan-economie-verte/>.
  5. Jean-Thomas Léveillé, « Réduction des GES. Un plan vert pour atteindre 50 % de l’objectif », La Presse, 16 novembre 2020.
  6. Thomas Gerbet, « Réduction des GES du Québec : “de la triche” ? », Radio-Canada, 16 novembre 2020.
  7. Marc-André Gagnon, « Budget Girard : nos routes coûtent encore cher. Les investissements dans le réseau routier sont deux fois plus importants qu’en transport en commun », Journal de Québec, 25 mars 2021.
  8. Geneviève Lajoie, « 3e lien carboneutre : Québec compensera la pollution par la plantation d’arbres », Journal de Québec, 24 novembre 2021.
  9. Francis Halin, « L’opposition écorche la filière batterie de Fitzgibbon », Journal de Montréal, 13 janvier 2021.
  10. Normand Mousseau, Gagner la guerre du climat. Douze mythes à déboulonner, Montréal, Boréal, 2017, p. 53.
  11. Joyce Nelson, « Pourquoi le grand pari du Québec sur l’hydroélectricité est une mauvaise nouvelle pour le climat, Presse-toi à gauche! 9 novembre 2021.
  12. Plan pour une économie verte 2030, op. cit., p. 53; Ulysse Bergeron, « Synergie renforcée entre Hydro-Québec et Énergir pour le chauffage », Le Devoir, 4 janvier 2021.
  13. François Carabin, « François Legault prêt à payer pour sortir le Québec des hydrocarbures », Le Devoir, 20 octobre 2021.
  14. Eau secours, Finis les cadeaux à l’industrie pétrolière et gazière, pétition, 24 novembre 2021.
  15. Hugo Pilon-Larose, « La Presse à la COP26. Legault rêve d’hydrogène vert », La Presse, 5 novembre 2021.
  16. Normand Beaudet, « Hydrogène vert….les gazières se débattent, comme des diables dans l’eau bénite », Presse-toi à gauche!, 7 décembre 2021.
  17. Plan pour une économie verte 2030, op. cit., p. 57.

Les conséquences de la pandémie de COVID-19 analysées à l’aune d’une perspective de droits humains

21 février 2022, par Revue Droits et libertés

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Hors dossier : COVID-19 Les conséquences de la pandémie de COVID-19 analysées à l’aune d’une perspective de droits humains

Stéphanie Mayer, membre du CA de la Ligue des droits et libertés et chercheure postdoctorale de l’Université d’Ottawa En dépit du populaire adage Ça va bien aller!, la pandémie de la COVID-19 a accentué les inégalités sociales qui divisent nos sociétés. Consciente de l’exceptionnalité de la  crise, la Ligue des droits et libertés (LDL) a organisé une série de webinaires[1], avec l’objectif d’analyser la gestion de la crise par les gouvernements, les mesures de santé publique instaurées ainsi que leurs effets sur la population à partir d’une perspective de droits humains. Provenant de différents milieux (fonction publique, université ou de la recherche, milieu communautaire), les seize conférenciers et conférencières – que nous remercions chaleureusement – étaient invité-e-s par l’animatrice, Martine Letarte[2], à présenter à un large public (900 participant‑e‑s) leurs réflexions sur la COVID-19 et les droits humains. Dans les prochaines lignes, je présenterai les idées centrales qui peuvent être tirées de ces brillantes présentations[3] qui ont contribué à alimenter entre février et avril 2021 une pensée critique plus que nécessaire dans le contexte où la contestation est trop souvent délégitimée et assimilée à du complotisme.

Webinaire 1 : L’État et les vulnérabilités

Le premier webinaire s’est penché sur le rapport entre l’État et les formes de vulnérabilité des populations. Le caractère problématique de la vulnérabilité est compris comme un effet des inégalités sociales, raciales et économiques de nos sociétés. Les panélistes devaient explorer les tensions qui se sont manifestées entre, d’un côté, la mobilisation par les autorités de la catégorie de personnes vulnérables pour justifier des mesures coercitives de santé publique et, de l’autre, l’exacerbation de certaines formes de vulnérabilité ou de marginalité comme résultat de l’inaction de l’État envers ces groupes. D’abord, Christine Vézina, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, a rappelé que le Canada a adhéré en 1976 au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), lequel met le gouvernement face à l’obligation de considérer les droits des plus vulnérables, notamment en ce qui concerne le droit à la santé. Cela exige d’accorder une attention prioritaire aux personnes les plus vulnérables (en documentant leurs réalités) et d’assurer que les mesures élaborées sont accessibles et acceptables du point de vue de ces personnes. Vézina faisait valoir que le respect de cette double obligation qui incombe normalement à l’État en raison du PIDESC aurait été une condition d’efficacité des mesures de lutte contre la pandémie de la COVID-19 et ce, dans le respect des droits des personnes. Par ailleurs, Gabriel Blouin-Genest, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, démontrait, en prenant appui sur une recherche en cours, que les mesures de santé publique ont eu des impacts délétères sur les plus vulnérables en suivant trois logiques. La première est la mise en concurrence (ou une hiérarchisation) des formes de vulnérabilité pour justifier l’allocation des ressources publiques (par exemple : l’attention portée aux personnes âgées a contrario d’autres groupes laissés pour compte, comme les personnes en situation d’itinérance ou détenues). La seconde est la production de nouvelles vulnérabilités en raison des décisions des autorités publiques (par exemple : l’accentuation des problèmes de santé mentale, de consommation ou de violence conjugale en raison du confinement et du couvre‑feu). La troisième est la catégorisation même des groupes dits vulnérables, qui, en fait, deviennent des objets de politique plutôt que des sujets de politique, réduisant le pouvoir d’agir des personnes sur leur propre vie. Pensons à l’interdiction de visites dans les résidences pour personnes âgées sans que leur avis quant à leur gestion du risque de la contamination leur soit demandé. En rappelant la mort tragique de Raphaël André caché dans une toilette chimique à Montréal pour éviter d’être interpellé par la police en raison du couvre-feu, Alana Klein, professeure à la Faculté de droit de l’Université McGill, a questionné la responsabilité de l’État à l’égard des conséquences sur les personnes de ses décisions. À titre d’exemple, l’absence  de considération par le gouvernement de l’incapacité des personnes en situation d’itinérance à se conformer à la mesure du couvre‑feu a été reconnue la Cour supérieure du Québec le 26 janvier 2021. Selon Klein, il pourrait être pertinent d’interroger devant les tribunaux la constitutionnalité des atteintes aux droits des plus vulnérables en exigeant que l’État soit imputable des conséquences graves de certaines mesures de santé publique. Ces trois intervenant.es rappelaient que la gestion de la crise du VIH‑Sida avait permis de conclure que la consultation des groupes les plus vulnérables et concernés est essentielle au succès des mesures de santé publique. Or, dans le cadre de la gestion très centralisée par le gouvernement québécois, ces processus démocratiques de consultation et de concertation se sont avérés largement déficitaires.

Webinaire 2 : L’état d’urgence et l’effritement de la démocratie

Cela mène à la thématique abordée par le deuxième webinaire : l’effritement de la démocratie. Lors de cette rencontre, les conférenciers et la conférencière ont traité des effets sur  la démocratie de la déclaration de l’état d’urgence par le gouvernement québécois, le 13 mars 2020. Pour débuter, Louis-Philippe Lampron, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, a expliqué la section III de la Loi sur la santé publique du Québec[4], qui traite de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et des pouvoirs discrétionnaires dont bénéficie le gouvernement afin d’agir avec diligence pour protéger la population. En vertu de la loi, le gouvernement peut renouveler aux dix jours l’état d’urgence sans l’assentiment de l’Assemblée nationale (AN), ce qu’il fait depuis sa déclaration (et qu’il a tenté en vain de prolonger pour 2 ans avec le défunt PL-61[5]). À la lumière du maintien sur une si longue période de l’état d’urgence, il semble impératif, selon Lampron, d’introduire des mécanismes de contrôle afin que des contre‑pouvoirs puissent s’exprimer sur la gestion de la crise, a fortiori par les député-e-s de l’AN ou par des groupes de la société civile. Bien sûr, la gouvernance par décret de la Coalition avenir Québec illustre bien que, dans nos démocraties, ce qui compte le plus reste le pouvoir exécutif, c’est‑à‑dire les actions concrètes et la résolution des problèmes, comme le faisait valoir Christian Nadeau, professeur au Département de philosophie de l’Université de Montréal. En fait, la pandémie de la COVID-19 a amplifié les problèmes déjà existants dans nos démocraties libérales représentatives, comme les écarts de valeur entre les formes de pouvoir (exécutif, législatif, judiciaire et l’importance de l’administration publique), ce qui pousse les gouvernements à administrer l’État au lieu de diriger à la suite de processus démocratiques, comme les débats ou les consultations. Cela est en phase avec la volonté du premier ministre, François Legault, d’accélérer les travaux de l’AN, ce qui laisse présager des effets à long terme de cette crise en accentuant une conception qu’exécutive du gouvernement. Pour sa part, Véronique Laflamme, porte‑parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain, a abordé les incidences concrètes du couvre‑feu et des consignes de santé publique (par exemple : les contraintes sur la fréquentation de lieux publics ou sur la possibilité de se rassembler) en soulignant leurs effets dommageables sur la mobilisation sociale, l’éducation populaire aux droits et la vie démocratique des groupes communautaires. À son avis, cela a des conséquences sur la vitalité de la société civile et sur la capacité des groupes à faire valoir les droits des plus vulnérables lorsqu’ils sont bafoués par les décisions des autorités gouvernementales.

Webinaire 3 : Le droit à la protection sociale : un droit nouveau?

Le troisième webinaire a traité du droit à la protection sociale et des mécanismes de protection mis en place par le gouvernement pour répondre à la perte d’emplois en raison de la COVID-19. Rappelons qu’en mars 2020, le gouvernement a d’abord instauré la Prestation canadienne d’urgence (PCU) qui a été remplacée par la Prestation canadienne de la relance économique, en septembre 2020. Les conférencières et le conférencier se sont demandé si ces prestations pouvaient être annonciatrices de changements favorables en matière de protection sociale. D’abord, Marie-Pierre Boucher, professeure au Département de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais, a souligné les caractéristiques positives de la PCU en comparaison aux formes actuelles d’exclusion de l’assurance-emploi. La PCU reposait sur un principe universel (tout le monde y avait droit, même les travailleurs‑euses autonomes), elle n’exigeait pas de faire la démonstration de la recherche active d’emploi (pas d’obligation de travailler en raison des consignes sanitaires), l’accessibilité à la prestation était accélérée pour répondre aux besoins et les critères d’admissibilité étaient validés a posteriori. Ces particularités permettaient de croire à un droit à la protection sociale plus large qu’un simple droit à la protection du revenu. Par ailleurs, Marie-Pierre Boucher déplorait l’occasion manquée pour tester un projet pilote d’un revenu de base universel à l’échelle du pays. Pour sa part, Lucie Lamarche, professeure au Département de sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal, a partagé des réflexions permettant de cerner ce qu’est le droit humain à la protection sociale. Elle a évoqué que le droit à la protection sociale doit être universel (ne laissant personne pour compte ce qui n’exige pas la même réponse pour tous), il doit être protégé par la loi et inclus dans les budgets et il ne peut pas être pensé séparément des services publics et du respect des autres droits desquels il s’avère interdépendant. Lamarche a terminé en interrogeant le rôle des gouvernements en matière d’intervention sur le système de l’emploi, lequel reste marqué par d’importantes conditions d’exploitation – ce qui élargit les discussions sur le droit à la protection sociale. Enfin, Maxime Boucher, coordonnateur du Groupe de recherche et de formation sur la pauvreté au Québec, a poursuivi la réflexion sur les quelques avancées en matière de droit à la protection sociale. La PCU était plus généreuse (que l’assurance chômage et l’aide sociale) et se situait au‑dessus des seuils de pauvreté (et non, sur la stricte mesure du panier de consommation). Il a conclu en soulignant le paradoxe suivant : dans le capitalisme, l’amélioration des conditions d’existence par l’accroissement des revenus suppose une croissance économique qui détruit nos écosystèmes. Il s’agit bien là de l’autre crise qui nous assaille, celle environnementale.

Webinaire 4 : La santé publique dévoilée 

La pandémie de COVID-19 a révélé l’importance des autorités de la santé publique et le quatrième webinaire a porté sur son rôle au Québec. Pour sa part, Dr Yv Bonnier Viger, directeur régional de santé publique de la Gaspésie‑Îles‑de‑la‑Madeleine, a présenté la structure de la santé publique, dont son directeur national, Dr Horacio Arruda, est désormais célèbre. La santé publique se déploie sur trois paliers (local, régional, provincial) et ses rôles sont variés : promouvoir la santé, prévenir les maladies et protéger la santé de la population. Pour ce faire, les équipes formées de spécialistes de tous horizons établissent des partenariats avec les municipalités, les ministères reliés, les écoles et les organisations communautaires afin de produire de la santé. Même si ces rôles sont concertés au niveau provincial, les actions doivent se déployer localement en raison des priorités divergentes en termes de déterminants sociaux de la santé. À ce titre, Bonnier Viger déplorait les effets toujours actuels de la réforme Barette de 2015 qui a entraîné l’abolition des agences régionales de santé publique affectant directement les partenariats locaux. De son côté, Dre Marie-France Raynault, professeure au Département de médecine préventive et santé publique de l’Université de Montréal et cheffe du Département de médecine préventive et santé publique du CHUM, a été assez explicite sur ce que ce veut dire produire de la santé en agissant sur les déterminants sociaux de la santé, c’est-à-dire par une action concertée sur les conditions de vie des personnes, leur environnement immédiat et les réalités socio-économiques des populations[6]. À son avis, la pandémie de la COVID-19 a réitéré l’importance d’agir sur les déterminants sociaux de la santé pour assurer la réalisation du droit à la santé. À titre d’exemple, elle faisait valoir qu’à Montréal les taux plus élevés de contamination à la maladie ont été enregistrés dans les quartiers les plus défavorisés dans lesquels le surpeuplement des logements est un problème et où les personnes se retrouvent surreprésentées dans des emplois à haut risque. En somme, pour tendre vers la réalisation du droit à la santé, il reste insuffisant d’augmenter que le budget du ministère de la Santé et des Services sociaux, il faut aussi (et surtout) soutenir les autres ministères qui agissent sur les déterminants de la santé, comme le logement, la culture, les garderies, les groupes communautaires, les conditions de travail. D’ailleurs, Raynault soutenait que des équipes de la santé publique sont déjà à l’œuvre pour interpeller les autorités gouvernementales sur les avenues pour la relance économique du Québec qui favoriseraient la réalisation du droit à la santé.

Webinaire 5 : Les outils numériques et services publics

Le cinquième webinaire s’est intéressé à l’utilisation des outils numériques pour la prestation de services publics lors de la crise sanitaire et à leurs conséquences sur les droits humains. Au cours de la dernière année, Alexandra Bahary-Dionne, doctorante à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, et Karine Gentelet, professeure au Département de sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais, ont conduit une étude portant sur les réponses numériques des gouvernements du Québec et du Canada : l’information sur la pandémie, les mesures sanitaires à appliquer, la télémédecine, les prestations d’enseignement à distance, etc. Elles ont observé que les inégalités sociales en santé sont aussi des inégalités numériques. D’abord, il faut considérer l’accès effectif aux technologies, ce qui suppose de disposer d’un appareil et d’un accès à Internet (certaines personnes n’y ont accès que dans les bibliothèques ou par le truchement des ressources communautaires qui sont demeurées longtemps fermées). Ensuite, la disparité de l’utilisation qui se révèle entre les personnes qui ont et n’ont pas une bonne maîtrise des outils pour tirer profit de leurs recherches, ce qui exige un niveau de littératie suffisant. Enfin, cette disparité des usages laisse des traces concrètes dans les données produites et collectées par les autorités. D’ailleurs, Julie Paquette, professeure à l’École d’éthique, de justice sociale et de service public de l’Université Saint‑ Paul, prolongeait la discussion sur les données produites par les usages des outils numériques et leurs conséquences. Ces données collectées massivement ne sont pas neutres et elles ne proviennent pas de l’ensemble de la population : elles sont marquées des fractures numériques présentées plus haut (ce qu’on appelle les déserts de données). En collectant ces données, les algorithmes transforment et analysent ces dernières comme si elles étaient le réel. Ces données sont donc biaisées et limitées pour orienter les décisions en matière de santé publique. Les conférencières soutenaient que les technologies maintiennent et accentuent les inégalités sociales dont leurs effets sont indéniables sur la réalisation du droit à la santé. En outre, elles soulignent la pertinence de considérer l’accès à Internet comme un déterminant social de la santé.

Webinaire 6 : Le racisme systémique révélé

La dernière rencontre de la série s’est penchée sur une analyse des conséquences engendrées par le racisme systémique lors la pandémie de la COVID-19[7]. Rappelons que le racisme systémique désigne : Une production sociale d’une inégalité fondée sur la race dans les décisions dont les gens font l’objet et les traitements qui leur sont dispensés. L’inégalité raciale est le résultat de la combinaison de ce qui suit : la construction sociale des races comme réelles, différentes et inégales (racialisation) ; les normes, les processus et la prestation de services utilisés par un système social (structure) ; les actions et les décisions des gens qui travaillent pour les systèmes sociaux (personnel)[8]. D’abord, Jill Hanley, professeure à l’École de travail social de l’Université McGill, a exposé les résultats d’une recherche conduite lors de l’été 2020 qui documentait l’expérience faite de la pandémie par les communautés immigrantes et les personnes racisées à Montréal. En comparaison avec la moyenne québécoise blanche, ces groupes étaient disproportionnellement à risque de contracter la maladie en raison des emplois occupés (par exemple : dans les services et les soins où les protections individuelles ont tardé à arriver et le télétravail impossible), à cause de leur utilisation plus importante des transports en commun ou du surpeuplement des logements. De plus, elle a soulevé les difficultés d’accès au dépistage en raison de l’éloignement géographique. Notons qu’au cœur de la première vague, alors que Montréal-Nord était jugé l’un des épicentres de la pandémie, il n’y avait pas de centre de dépistage à proximité. De plus, il ne faut pas négliger les barrières linguistiques et les enjeux de statut précaire, même si, normalement, la carte d’assurance maladie ne devait pas être réclamée pour obtenir ces services. Enfin, Hanley a relevé le caractère paradoxal de l’application par la police des mesures de santé publique (le couvre‑feu, notamment), car les groupes racisés ont déjà des relations difficiles avec cette institution en raison des formes avérées de profilage. Ensuite, Nargess Mustapha, militante antiraciste et féministe, cofondatrice du collectif Montréal‑Nord Républik ainsi que de l’organisme Hoodstock, a fait état du travail communautaire fait à Montréal-Nord, par Hoodstock[9], pour contrer les effets de la COVID-19 qui n’a fait qu’exacerber les crises déjà existantes dans l’arrondissement. Mustapha prolongeait les propos de Hanley lorsqu’elle rappelait, qu’en considérant les déterminants sociaux de la santé, les autorités gouvernementales ne pouvaient pas se surprendre de l’ampleur de la crise dans les quartiers les plus défavorisés et racisés de Montréal. Sans attendre les réponses des autorités, la communauté s’est mobilisée pour distribuer des kits sanitaires et des masques, répondre aux besoins alimentaires, documenter la réalité des résident.es ou distribuer des ordinateurs pour l’école à distance des enfants. Enfin, les deux présentatrices ont conclu que la réponse à la crise sanitaire a été largement communautaire, quand pourtant elle aurait dû venir du gouvernement qui doit être à l’écoute et se concerter avec les groupes qui font le travail de terrain. En somme, par cette série de webinaires sur la COVID‑19, la LDL a fait honneur à sa mission politique d’éducation du grand public sur la question des droits humains et de leur interdépendance. Sans l’ombre d’un doute, la crise sanitaire actuelle et ses effets multiformes graves qui ont à leur tour révélé d’autres crises qui bafouent les droits (par exemple : le droit à l’égalité, au logement, à la santé, à un environnement sain) dessinent pour la société civile un agenda politique qui devra mettre sans complaisance l’État face à ses obligations de garantir et respecter les droits humains. Les webinaires sont disponibles pour le visionnement sur le site Web de la LDL.
[1] Les conférences sont disponibles sur le site de la LDL, « Droits humains et COVID‑19 : Quelles perspectives? », Ligue des droits et libertés. En ligne : https://liguedesdroits.ca/webinaires‑COVID/ [2] Au nom du CA de la LDL, je tiens à remercier Martine Letarte, qui est journaliste indépendante depuis 2005, d’avoir assuré l’animation de la série de webinaires. [3] J’espère que les intervenant-e-s ne m’en voudront pas d’avoir retenu que certaines dimensions de leur présentation afin d’en faire une synthèse. [4] La Loi sur la santé publique a été adoptée en 2001. [5] Loi visant la relance de l’économie du Québec et l’atténuation des conséquences de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 13 mars 2020 en raison de la pandémie de la COVID-19. [6] Pour aller plus loin, consultez la revue de la LDL intitulée : Le droit à la santé : au-delà des soins, Droits et libertés, 39, No. 2, automne 2020. [7] Pour consulter les publications de la LDL sur le racisme systémique. En ligne : https://liguedesdroits.ca/racisme [8] Office de consultation publique de Montréal, Racisme et discrimination systémiques dans les compétences de la Ville de Montréal, Rapport de consultation publique, 3 juin 2020, 8. En ligne : https://ocpm.qc.ca/sites/ocpm.qc.ca/files/pdf/P99/rapport‑reds.pdf. [9] Hoodstock, site officiel. En ligne : https://www.hoodstock.ca
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Une crise qui affecte les droits humains à Gatineau

18 février 2022, par Revue Droits et libertés

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Hors dossier : Logement Une crise qui affecte les droits humains à Gatineau

François Saillant, rapporteur mandaté par la Ligue des droits et libertés et expert des enjeux de logement À l’été et à l’automne 2020, j’ai eu l’occasion de mener une mission d’observation pour la Ligue des droits et libertés (LDL) sur la crise du logement qui sévit à Gatineau. Le signe le plus visible en est le nombre alarmant de familles et de personnes sans domicile fixe. Des familles avec enfants doivent vivre pendant plusieurs mois, entassées dans des chambres d’hôtel ou de motel. Des personnes en situation d’itinérance s’entassent en pleine pandémie dans des lits de camp, séparés par de simples rideaux, sur le plancher de l’aréna Robert‑Guertin. Des sans-abris érigent des campements de tentes, fréquemment démantelés par les autorités. Ce n’est pourtant là que la pointe de l’iceberg, bien d’autres problèmes étant vécus entre les quatre murs des maisons : coût inabordable des loyers, évictions pour non‑paiement, logements inhabitables, inaccessibilité pour des personnes en situation de handicap, etc. Soucieuse d’avoir un portrait d’ensemble de la situation, la mission a rencontré virtuellement plusieurs organismes, des experts, ainsi que les autorités politiques. Malheureusement, les députés caquistes de la région n’ont été rencontrés qu’après la mission. Enfin, une vingtaine de familles sans‑logis ou mal‑logées, de même qu’une dizaine de personnes en situation d’itinérance, ont pu témoigner de leurs réalités.
Le rapport publié en février 2021 conclut que Gatineau vit une situation d’urgence permanente et que les multiples entraves au droit au logement qui y sont vécues compromettent d’autres droits économiques, sociaux et culturels, mais aussi civils et politiques.
En quelques jours, le rapport a suscité plusieurs réactions dont celle du maire de Gatineau, Maxime Pedneaud‑Jobin, des organismes communautaires, de l’Office d’habitation de l’Outaouais et même d’un des plus gros investisseurs immobiliers de la ville. Personne n’a remis ses constats en question. Dans un commentaire publié dans Le Droit du 12 février, le chroniqueur Patrick Duquette écrit: « Les principales victimes de cette crise? Les femmes, les familles nombreuses, souvent issues de l’immigration, et celles qui ont de la misère à joindre les deux bouts. Dans leur cas, la violation du droit à un loyer décent se traduit par une cascade d’autres violations à leurs droits fondamentaux: sécurité, alimentation, santé, éducation… Le rapport nous rappelle que pour une femme sans logis, trouver un toit, c’est parfois accepter de retourner vivre avec un conjoint violent ou qui exige des faveurs sexuelles. Pour une famille d’immigré‑e‑s noir‑e‑s, c’est la quasi‑certitude de se faire exiger un dossier de crédit ou des références qu’elle n’a pas. Ou de se faire revirer de bord par un propriétaire raciste: c’est déjà loué, meilleure chance la prochaine fois ».

Pourquoi Gatineau?

Ce n’est pas que la gravité et la persistance des problèmes qui ont convaincu la LDL d’acquiescer à la demande de mission d’observation, mais aussi certaines particularités vécues dans cette ville. Gatineau est voisine d’Ottawa où le coût des logements est beaucoup plus élevé que de l’autre côté de la rivière Outaouais. De nombreux ménages ontariens sont donc tentés de déménager à Gatineau, ce qui a pour effet d’y accroître la rareté des logements locatifs et d’y contribuer à la hausse des loyers. Le voisinage avec la capitale canadienne contribue aussi à ce que Gatineau soit le deuxième pôle québécois d’attraction de l’immigration internationale qui se combine de surcroît avec une forte migration interprovinciale. Tout cela fait en sorte que le taux de logements inoccupés a été sous la barre d’équilibre de 3 % au cours de 13 des 21 dernières années et que Gatineau soit maintenant la région métropolitaine où le coût du logement est le plus élevé au Québec. Une autre spécificité de la ville est le nombre et la dureté de catastrophes dites naturelles qui l’ont frappée dans les dernières années. En 2017 et 2019, la ville a vécu deux graves inondations printanières, alors que c’est une tornade de force F3 qui l’a touchée de plein fouet en 2018. Plus de 5 500 bâtiments résidentiels ont au total été touchés, dont plusieurs centaines de logements locatifs qui ont été totalement rasés ou qui sont maintenant considérés comme non habitables. Or, plusieurs témoignages ont permis de constater que ces catastrophes, qui sont destinées à se reproduire avec la crise climatique, ont donné lieu à des injustices environnementales.
Ainsi, ce sont des quartiers socioéconomiquement défavorisés qui ont été les plus durement affectés par les catastrophes naturelles.
L’exemple du secteur du Mont-Bleu est éloquent. Avant la tornade de 2018, il était habité par des familles nombreuses, très souvent racisées, en situation de pauvreté. Celles qui ont dû quitter les immeubles ravagés ont vécu de pénibles situations d’hébergement. Certaines ont été accueillies par leurs familles dans des logements déjà surpeuplés, alors que d’autres étaient placées dans des motels parfois situés dans des endroits aussi éloignés que Mont-Laurier, alors que les enfants devaient se rendre quotidiennement à l’école à Gatineau. La recherche de logements a été tout aussi ardue, se butant au coût et à la rareté des appartements familiaux, mais aussi à la discrimination. Or, la reconstruction, qui est en cours au Mont‑Bleu, exclut maintenant ces familles. Les nouveaux appartements, dont la construction a été abandonnée à la discrétion de promoteurs privés, sont petits, luxueux, à loyer très élevé… Les familles, elles, sont durablement privées des ressources communautaires et des services qui leur étaient jusque-là accessibles.

Les suites

La LDL a décidé de soumettre le rapport au Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU qui doit, au cours des prochains mois, se pencher sur le cas du Canada. Comme l’a expliqué la LDL lors d’une rencontre avec les organismes qui ont participé à la mission d’observation, c’est toutefois leur travail sur le terrain qui fera en sorte que la mission aura ou non des suites. Ils disposent désormais d’un outil supplémentaire pour le faire.
Le rapport de la mission d’observation intitulé La situation du logement à Gatineau et ses impacts sur les droits humains est disponible en ligne sur le site Web de la LDL. Des exemplaires imprimés sont aussi disponibles sur demande.
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La démocratie mise en péril

18 février 2022, par Revue Droits et libertés

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Chronique Un monde de lecture La démocratie mise en péril

Catherine Guindon, enseignante, CÉGEP de Saint‑Laurent Compte-rendu de l’ouvrage Prendre part : Considérations sur la démocratie et ses fins[1] Les professeurs de philosophie David Robichaud (Université d’Ottawa) et Patrick Turmel (Université Laval) nous avaient proposé il y a quelques années La Juste part[2], un ouvrage fort pertinent se portant à la défense d’une juste distribution des richesses. Le duo récidive cette fois avec Prendre part. Cet essai que nous avons beaucoup apprécié porte sur la démocratie, ce qui la menace et notre responsabilité pour la préserver. La démocratie est un régime politique qui, de nos jours, paraît aller de soi. Ses institutions doivent permettre l’expression de l’autonomie individuelle et, au-delà du pluralisme des valeurs individuelles, la réalisation de fins collectives. Son idéal vise « une organisation égalitaire de la vie collective qui offre à chaque individu la plus grande sphère de liberté possible[3] ». Malgré son rôle de premier plan pour la promotion des droits à l’égalité et la liberté, on prend trop souvent la démocratie pour acquise, réduisant souvent les citoyen-ne-s à leur rôle d’électeurs et d’électrices.
Or, la démocratie est bien plus que cela et elle ne se maintient pas par elle‑même. D’ailleurs, elle se porte actuellement plutôt mal. C’est qu’elle est en effet menacée dans ses principes et ses institutions, d’un côté, par le mouvement populiste et, de l’autre, par le minimalisme libéral.
Les populistes se présentent comme des critiques des élites pour diverses raisons, telles que leur manque occasionnel de transparence. Mais en plus de se méfier des grands décideurs, les populistes revendiquent un antipluralisme des valeurs. Au nom de la volonté du vrai peuple, d’un nous constitutif d’une société, ils récusent la pluralité des valeurs des citoyen-ne-s. Les populistes rejettent donc ce qui peut s’opposer à ce peuple homogène idéalisé, que ce soient les élites économiques, les minorités sexuelles, les immigrant-e-s, les syndiqué-e-s ou les intellectuel-le-s. Or, ce peuple uni est une vue de l’esprit. Effectivement, au‑delà de valeurs communes et d’une culture dominante, le pluralisme et la diversité sont, rappellent les auteurs, « la conséquence des principes fondamentaux de la démocratie : l’égalité de droit et la liberté de tous[4] ». Les minimalistes libérales et libéraux, quant à eux, constituent un second groupe d’adversaires de la démocratie et de l’égale liberté pour tous et toutes. Ils réduisent le rôle des citoyen-ne-s aux élections de leur député‑e, considérant qu’ils, elles n’ont pas les compétences nécessaires pour prendre de bonnes décisions. Ainsi peuvent être légitimés des projets de loi omnibus ou l’utilisation du pouvoir du bâillon par un gouvernement. Face à ces menaces envers la démocratie, Robichaud et Turmel proposent des remèdes. Contre le populisme, les auteurs plaident pour la fin du cynisme face aux décideur‑e‑s politiques. Il importe de protéger les institutions démocratiques permettant l’expression de la diversité et la protection de l’égale liberté des citoyen-ne-s, comme les commissions parlementaires, par exemple. Contre le minimalisme libéral, il faut stimuler la délibération et le débat d’idées à l’extérieur de la sphère institutionnelle officielle, les responsabilités des citoyen‑ne‑s ne se limitant pas aux élections. Il faut ménager des espaces pour que soit exercée la liberté d’expression des citoyen‑ne‑s et diffuser la pluralité des idées de chacune et chacun. Les citoyen-ne-s, en plus de voter, doivent s’informer, discuter, participer à la discussion publique, aiguiser leur sens critique. Il est donc urgent, selon les auteurs, de mieux prendre soin de notre régime démocratique afin qu’il préserve l’égalité et les libertés fondamentales, ce qui constitue sa fin ultime. On ne peut que recommander la lecture de cet essai aux idées percutantes qui nous invite à prendre part activement aux institutions démocratiques afin qu’elles soient assez robustes pour préserver nos libertés fondamentales.
[1] David Robichaud et Patrick Turmel, Montréal, Atelier 10, 2020, 112 pages. [2] La Juste part : Repenser les inégalités, la richesse et la fabrication des grille- pains, Montréal, Atelier 10, 2012, 93 pages. [3] Page 13 de l’édition Kindle. [4] Page 18 de l’édition Kindle.
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L’UE s’apprête à mettre à la poubelle plus de doses de vaccins qu’elle n’en a donné à l’Afrique

17 février 2022, par CAP-NCS
Par Jake Johnson Une nouvelle analyse publiée mercredi par l’Alliance populaire pour les vaccins [1] montre que, d’ici à la fin février, l’Union européenne (UE) devra (…)

Par Jake Johnson

Une nouvelle analyse publiée mercredi par l’Alliance populaire pour les vaccins [1] montre que, d’ici à la fin février, l’Union européenne (UE) devra détruire près de deux fois plus de doses de vaccin contre le coronavirus qu’elle n’en a donné à l’Afrique depuis le début de l’année.

Citant les données d’Airfinity [site d’information et d’analyse portant sur les problèmes de santé à l’échelle internationale], l’Alliance note que 55 millions de doses de vaccin contre le coronavirus de l’UE seront périmées d’ici la fin du mois. Depuis le début de l’année, l’Union européenne, premier exportateur mondial de vaccins contre le Covid-19, a fait don d’environ 30 millions de doses à l’Afrique, où seulement 11% de la population adulte est entièrement vaccinée deux ans après le début de la pandémie mondiale mortelle.

L’Alliance populaire pour les vaccins présente également des données montrant que 204 millions de personnes vivant dans les pays de l’UE ont reçu des rappels, alors que seulement 151 millions de personnes en Afrique ont été entièrement vaccinées.

«La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré au début de la pandémie que le vaccin devait être un bien public mondial», a souligné Joab Okanda, responsable pour l’Afrique de l’ONG Christian Aid, dans un communiqué mercredi 16 février. «Pourtant, au lieu de cela, elle s’est assurée qu’il s’agissait d’une opportunité en faveur du profit privé, accumulant des milliards pour les Big Pharma et l’UE, alors que près de neuf personnes sur dix en Afrique ne sont pas entièrement vaccinées… C’est une honte», a déclaré Joab Okanda.

La nouvelle analyse de l’Alliance populaire pour les vaccins a été publiée un jour avant le début du sixième sommet de l’Union européenne et de l’Union africaine à Bruxelles, jeudi 17 février, une réunion qui intervient alors que les dirigeants européens et africains restent enfermés dans un conflit tendu sur la question de savoir s’il faut suspendre les protections de la propriété intellectuelle pour les vaccins et les traitements contre le coronavirus [2].

L’Union africaine a exprimé son soutien à une dérogation temporaire aux brevets et aux efforts de transfert de technologie visant à permettre aux pays à faible revenu de produire des vaccins génériques contre le Covid-19 pour leurs populations. Mais depuis plus d’un an, l’Union européenne bloque la proposition d’exemption de brevet de l’Afrique du Sud et de l’Inde auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui rend furieux les dirigeants africains qui affirment que l’Europe met en place un système d’«apartheid vaccinal».

«Ils ont accumulé des vaccins, ils ont commandé plus de vaccins que ce dont leurs populations ont besoin», a déclaré le président sud-africain Cyril Ramaphosa à propos des nations européennes en décembre 2021. «La cupidité dont ils ont fait preuve était décevante, surtout quand ils disent être nos partenaires.»

L’AFP a rapporté mardi que l’Union africaine s’efforce d’imposer une demande d’exemption de brevet dans le document de conclusion du sommet de Bruxelles, mais cet effort se heurte à la résistance des principaux pays membres de l’UE, tels que l’Allemagne, où se trouve BioNTech, le partenaire de Pfizer pour le vaccin contre le coronavirus. «L’Union africaine… demande instamment à l’Union européenne de s’engager de manière constructive vers la conclusion d’une dérogation ciblée et limitée dans le temps», peut-on lire dans une proposition africaine consultée par l’AFP.

En l’absence d’une renonciation aux brevets et aux techniques de production, les pays africains ont été contraints de s’en remettre à la charité des pays riches en matière de vaccins – un arrangement qui a connu un certain nombre de problèmes graves, notamment l’arrivée de doses proches de leur date de péremption.

En novembre, le Nigeria a été contraint de se débarrasser de centaines de milliers de doses de vaccin inutilisées, arrivées d’Europe à quelques semaines de leur date de péremption.

Sani Baba Mohammed, secrétaire régional de l’Internationale des services publics [sise à Ferney-Voltaire à la frontière de Genève] pour l’Afrique et les pays arabes, a déclaré mercredi dans un communiqué qu’«il est encourageant que l’Union africaine tienne tête à l’UE et demande qu’une référence à la dérogation ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle) soit incluse dans le document final du sommet».

«L’UE prétend promouvoir un “partenariat prospère d’égal à égal” avec l’Union africaine – alors qu’elle jette plus de doses de vaccins à la poubelle qu’elle ne nous en donne, tout en continuant à bloquer une levée des brevets sur les vaccins qui nous permettrait de produire nos propres vaccins», a déclaré Sani Baba Mohammed. «Qu’y a-t-il d’égal à cela?»

«Cet apartheid vaccinal – perpétué par l’UE – a un coût humain brutal», poursuit Sani Baba Mohammed. «Nos moyens de subsistance continuent d’être détruits, nos économies brisées, nos travailleurs et travailleuses de la santé poussés au bord du gouffre… Nous avons besoin de la dérogation ADPIC maintenant et l’UE doit cesser de s’y opposer.» (Article publié sur le site Common Dreams, le 16 février 2022; traduction rédaction A l’Encontre)


[1] The People’s Vaccine Alliance regroupe quelque 100 organisations incluant African Alliance, Christian Aid, Oxfam, Public Services International et ONUSIDA. (Réd.)

[2] Selon le site AfricaNews: Joe Biden et même Emmanuel Macron avaient montré des signes d’ouverture l’an dernier mais la porte s’est très vite refermée. Pas plus tard que lundi 14 février, Franck Riester, le ministre français délégué au Commerce extérieur, a déclaré au nom des Européens qu’il n’était pas question «de remettre en cause un système de propriété intellectuelle qui permet l’innovation, qui a permis notamment d’avoir très rapidement un vaccin pour l’humanité contre le Covid-19». (Réd.)

 

Caminando, vol. 36, no. 1 : Appel à illustrations

16 février 2022, par CDHAL
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Le patriarcat climatique capitaliste racial

16 février 2022, par CAP-NCS
Par JULIE GOREKKI L’effondrement du climat est le souffle chaud et toxique du patriarcat capitaliste suprémaciste blanc. Des femmes, des féministes et des personnes (…)

Par JULIE GOREKKI

L’effondrement du climat est le souffle chaud et toxique du patriarcat capitaliste suprémaciste blanc. Des femmes, des féministes et des personnes LGBTQIA2S+ de toute la planète dénoncent depuis des décennies que la crise climatique a des racines patriarcales. Qu’elles se disent écoféministes, féministes du climat ou écoqueers , les militantes féministes du climat prônent “un changement de système féministe, pas un changement climatique”, comme le dit l’un des slogans du mouvement.

Women and Feminists for Climate Justice est devenue une force transnationale qui a son propre acronyme : WFCJ. Alors que le réchauffement climatique s’accélère, ce mouvement intensifie son activisme mondial pour la justice climatique féministe sur tous les continents. Bien que la WFCJ soit le moteur de la mobilisation mondiale, elle est née d’une résistance et d’une action localisées aux niveaux communautaire, régional et national.

Transnational

Les femmes autochtones qui ont défendu les ressources en eau à Camp Standing Rock et leur victoire sur les promoteurs du pipeline d’accès XL Dakota symbolisent les innombrables luttes localisées contre les projets d’extraction minière menés par des femmes autochtones à travers le monde. Les campagnes communautaires des paysannes de La Vía Campesina pour combattre et démanteler les structures patriarcales nationales ont cimenté leur activisme internationaliste pour le féminisme paysan contre l’agriculture industrielle mondiale.

Il y a aussi le Collectif écoféministe africain, qui milite pour la récupération des biens communs et s’oppose aux multinationales et au néolibéralisme. Le mouvement des femmes kurdes renforce les alliances écoféministes transfrontalières en construisant une société écoféministe au Rojava sur leur terre. Il y a aussi le bloc Queer Pink dans la campagne contre le charbon en Allemagne, Ende Gelände, qui conteste la structure cis-hétéronormative d’un système patriarcal transnational qui détruit le climat. Ce sont quelques exemples d’activités féministes écologiques locales qui ont construit des solidarités transnationales avec WFCJ dans le monde entier.

Solidarité

Les luttes locales sont au cœur de ce mouvement. Ils sont spécifiques, historiquement situés et intersectionnels. Les nommer est crucial pour éviter les revendications essentialistes, ethnocentriques et universalistes sur le genre et le climat au-delà des frontières. Les mouvements cités ci-dessus établissent des solidarités entre les luttes locales et intercontinentales, de la même manière que les militantes universitaires Linda E. Carty et Chandra T. Mohanty ont soutenu qu’elles sont essentielles à la construction de mouvements féministes transnationaux réussis.

En bref, WFCJ n’est pas monolithique. Carty et Mohanty soulignent également la nécessité d’aborder et de surmonter les difficultés de la fracture Nord-Sud, un terme utilisé pour décrire l’inégalité d’accès aux ressources matérielles, à la production de connaissances et au pouvoir en général entre les femmes du Nord et celles du monde. sud, à la fois historiquement et aujourd’hui. Les femmes du WFCJ se rassemblent pour mettre en œuvre ce type de solidarité sur les scènes internationales pour l’action climatique. Cela montre que, comme la résistance climatique, la justice climatique féministe n’est pas seulement nationale, mais mondiale.

Libérateur

Dans une présentation en ligne en 2020, Ruth Nyambura, écologiste politique kényane et cofondatrice du Collectif écoféministe africain, a exposé les complexités de ce qu’elle a appelé la politique de solidarité féministe transnationale. Il a souligné l’importance de “travailler collectivement, avec soin et tendresse, pour transformer les luttes locales en luttes mondiales”. Il a expliqué comment « nos luttes ne sont pas seulement similaires, mais il semble que nous combattons les mêmes pouvoirs », que « le contexte qui nous unit est réel, mais aussi celui qui nous divise… » et combien « de personnes… vivent aussi les effets et les conséquences de la colonisation ».

Il a également fait une proposition vitale pour le mouvement lorsqu’il a déclaré que « mon appel n’est pas à une solidarité romancée, mais à ce que nous nous engagions vraiment avec ses possibilités. Réfléchissons à ce que pourraient être ces nouveaux mondes libérés.” Les paroles de Nyambura étaient également accompagnées d’un message sur les possibilités anticapitalistes et décoloniales en tant que questions centrales dans la vision du mouvement.

Women’s Earth & Climate Action Network (WECAN), Women’s Environmental & Development Organization (WEDO), MADRE Global Women’s Rights and Development Alternatives Development Alternatives with Women for a New Era (DAWN) sont les principales ONG féminines pour le climat qui défendent les mondes libérateurs auxquels Nyambura nous invite. imaginer.

Sécheresses

L’Agenda féministe pour un nouveau pacte social vert (FemGND), l’École des organisations féministes autochtones, l’ École Berta Cáceres de l’Organisation féministe internationale , l’Union mondiale des femmes autochtones Cura da Terra Pre-Ella et le Women and Gender Constituency (WGC) sont quelques-unes des initiatives percutantes qui galvanisent un mouvement WFCJ transnational. Ils sont en première ligne des communautés à la pointe de solutions climatiques réelles et robustes.

La WFCJ a construit une présence dynamique et populaire à la Conférence des Nations Unies sur le climat COP26 de cette année à Glasgow. Même Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), la députée américaine, a rejoint sa plateforme climatique anti-patriarcale en portant l’un de ses masques “Feminist Climate Justice”.

L’un des rapports les plus largement diffusés sur le climat et le genre est peut-être celui qui montre que les femmes, en particulier les femmes autochtones et celles du sud, sont les plus touchées de manière disproportionnée dans le monde par le changement climatique. Ce sont eux qui subissent les impacts et supportent le plus lourd fardeau des catastrophes naturelles liées au changement climatique. Les inondations, les sécheresses, les glissements de terrain, le manque d’eau, l’augmentation des maladies infectieuses et les problèmes respiratoires frappent d’abord et plus durement les femmes.

Communautés

Selon des études des Nations Unies, les femmes représentent 80 % des personnes contraintes de fuir leur foyer lors de catastrophes climatiques. Elles sont également 14 fois plus susceptibles que les hommes de mourir d’une catastrophe liée au changement climatique. Les personnes trans et non binaires, surtout si elles sont de couleur, sont également touchées de manière disproportionnée par le changement climatique. Pendant et après une catastrophe environnementale, il y a plus d’actes de violence physique et sexuelle à leur encontre. Ils sont également confrontés à plus de danger lors d’urgences météorologiques car ils sont moins susceptibles d’être évacués car ils sont isolés en raison de la discrimination.

Phillip Brown, femme queer non binaire, militante pour la justice climatique, artiste et écrivaine, nous rappelle comment « les corps queer résistent, les corps queer appartiennent, les corps queer protègent » . Ayant immigré aux États-Unis depuis Kingston, en Jamaïque, à l’âge de 18 ans, Phillip m’a un jour expliqué pourquoi les communautés queer et trans sont cruciales pour la justice climatique. Comment ses manifestations d’authenticité et la création de communautés sont structurées autour de la coopération et de l’amour, qui font partie intégrante de l’éthique de soin nécessaire à un monde véritablement climatiquement juste.

Multiplicité

Cependant, alors que les fardeaux du changement climatique varient selon le sexe, le changement climatique affecte également différemment les différents groupes de femmes. Non seulement le sexe, mais aussi la race et la classe sociale déterminent les impacts du réchauffement climatique sur les femmes d’identités, de pays et de milieux sociopolitiques différents. Si tel est le cas, comment les femmes et les féministes de tous les continents construisent-elles la solidarité dans un mouvement transnational pour la justice climatique ?

Si vous dites « le système », ding ding ding… correct ! ( emoji haussement d’épaules ). Mais j’espère que vous serez d’accord pour aller plus loin et l’appeler par son nom : c’est le patriarcat climatique. Ou plus précisément, le patriarcat climatique capitaliste racial, un système qui dévalorise les femmes et marchandise la planète et qui a été historiquement encouragé et soutenu par le colonialisme et l’impérialisme et par l’imposition de modèles familiaux et de subjectivités cis-hétérosexuelles dominantes. Je voudrais également souligner qu’au sein de cette structure transnationale, il existe une multiplicité de patriarcats climatiques capitalistes raciaux, une pléthore de manifestations plus spécifiques à un lieu ou localisées du système mondial du patriarcat climatique capitaliste racial.

Écologique

Les patriarcats climatiques sont caractérisés par des emplacements géographiques et des histoires sociopolitiques spécifiques, et par des personnalités subjectives déterminées par le sexe, la race et la classe. Je suis une femme blanche occidentale cisgenre (elle) et une militante universitaire. J’essaie d’éclairer la théorie que j’écris avec les mouvements militants de base auxquels je participe. J’agis avec des femmes et des féministes transnationales pour la justice climatique depuis près d’une décennie. Beaucoup d’entre eux sont maintenant mes amis et collègues les plus chers.

L’action directe, l’impression de slogans féministes sur des banderoles pour la justice climatique, le retrait de l’insigne de la COP “qui d’autre” et la recherche collective d’idées et de solutions pour la résistance féministe au climat sont quelques-unes de mes expériences dans ce mouvement, avec les grandes âmes qui le composent. J’ai interviewé plus d’une centaine de femmes WFCJ de dizaines de pays lors d’événements souvent cités des deux côtés de l’Atlantique. J’ai lu la théorie et la littérature qui relient le genre et le climat dans le monde et la théorie écoféministe qui explique comment tout cela s’est produit.

Inégalités

Ce qui est clair, c’est qu’il existe à la fois une science académique et un récit commun de la WFCJ sur l’impact disproportionné du climat sur le travail écologique et foncier des femmes, leur pouvoir, leur corps et leurs épistémologies à travers ce mouvement transnational, mais de manière nettement manières différentes et intersectionnelles. Ce qui unit la WFCJ est un sentiment partagé de caractériser le système économique mondial actuel, qui a ses racines dans les héritages coloniaux racistes, comme la cause historique et actuelle de sa déresponsabilisation et de sa subordination en provoquant et en aggravant le changement climatique lui-même. .

Il existe une structure patriarcale raciale capitaliste à laquelle nous résistons collectivement. Cependant, cela nous affecte tous différemment, en fonction de nos positions localisées spécifiques et de nos histoires matérielles. Les charges disproportionnées du changement climatique sur le genre et la race dans le monde ne sont pas une coïncidence, ni une sorte de plan patriarcal mondial. Ce que les données empiriques nous montrent, c’est que le changement climatique exacerbe les inégalités structurelles préexistantes pour les femmes.

Décolonial

Les attaques internationales contre les droits reproductifs, les crises de fémicides, le machisme implacable, les emplois sous-évalués et non rémunérés, les niveaux croissants de pauvreté et de sans-abrisme, les déplacements géographiques, les niveaux croissants de maladies et les taux toujours croissants de violence sexuelle ressemblent à une liste surchargée décrivant les portes enflammées du patriarcat. l’enfer. Tragiquement, ce n’est rien de plus qu’un résumé des charges structurelles disproportionnées que les femmes ont dû supporter sous le capitalisme pendant des centaines d’années. La mondialisation et le néolibéralisme sont les instigateurs de ces attaques sans frontières.

Tetet Nera-Lauron, une militante de longue date de la WFCJ et conseillère auprès de la Rosa-Luxemburg-Stifung chez elle à Manille, aux Philippines, m’a expliqué comment les inégalités systémiques sont enracinées dans une “mauvaise logique inhérente à une architecture commerciale mondiale brisée”. ”. Il a ajouté en expliquant comment « dans un contexte où le covid-19 et l’aggravation de la récession économique ont amplifié les vulnérabilités préexistantes dans le sud et le nord du monde ; l’incapacité du paradigme dominant du développement à offrir des solutions justes et durables à de multiples crises est devenue plus évidente que jamais ». Dans son récent article Climate migration is a feminist issue ,Nera-Lauron explique également comment, en réponse aux inégalités systémiques de genre qui entraînent des impacts climatiques disproportionnés pour les femmes, un nouveau pacte social vert mondial, décolonial et féministe doit être proposé.

Renommer

Le terme patriarcat climatique capitaliste racial n’est pas seulement un slogan ou un ensemble de mots non liés réunis en une seule expression, mais vise à nommer et à expliquer les hiérarchies structurelles mondiales de pouvoir et d’oppression. Le concept a ses racines dans des décennies d’activisme féministe fondamental et de théories sur les modèles systémiques d’oppression de genre, de race et de classe remontant aux années 1970. nous la connaissons

Le patriarcat climatique capitaliste racial est une adaptation du patriarcat capitaliste , un terme inventé par Zillah R. Eisenstein en 1978. Il exprime que le capitalisme n’est pas le seul système à causer des inégalités mondiales et que l’oppression capitaliste est aussi patriarcale et raciste, en plus d’être de classe. Il essaie de trouver les racines les plus profondes de l’inégalité mondiale et de les localiser dans l’oppression raciale de genre.

En 1983, le professeur Cedric J. Robinson développe et théorise le terme de capitalisme racial . Ce terme englobe la relation d’interdépendance entre l’oppression raciale et le capitalisme mondial, soulevée des décennies plus tôt par des penseurs révolutionnaires tels que WEB Du Bois, Oliver Cromwell Cox et Frantz Fanon, entre autres. Dans les années 1990, la grande professeure féministe Bell Hooks confond les termes de patriarcat capitaliste et de capitalisme racial , rebaptisant le système mondial avec l’expression « patriarcat capitaliste impérial suprémaciste blanc ».

Oppression

Dans une interview de 2015 avec le professeur George Yancy, Hooks réaffirme l’importance du terme pour l’analyse structurelle mondiale actuelle, déclarant que « … pour moi, cette expression me renvoie toujours à un contexte mondial, au contexte de classe, d’empire, de capitalisme, de racisme. et le patriarcat. Toutes ces choses ont à voir les unes avec les autres : un système interconnecté. Cette même année, l’actrice et militante trans Laverne Cox a donné sa version du terme, en tweetant : « En fait, votre patriarcat capitaliste suprématiste blanc impérialiste hétéronormatif cisnormatif… ». Cela ajoute à la panoplie l’oppression structurelle des binaires cisgenres hégémoniques.

Le patriarcat climatique capitaliste racial repose sur les contributions de ces penseurs militants. Dans sa forme la plus médiatisée, il s’agit du patriarcat climatique capitaliste hétéronormatif cisnormatif impérialiste suprémaciste blanc. Dans la lignée de ces penseuses féministes et transnationales du système mondial, je crois qu’il est essentiel de décrire l’oppression climatique comme un système racine d’oppression, inséparablement interconnecté avec les autres.

Écoféminisme

L’oppression climatique est extractive et écocide. Il traite les femmes et les personnes marginalisées de la même manière qu’il traite la planète. Les militantes et les universitaires féministes écologistes soutiennent depuis longtemps qu’il est impossible de libérer la nature sans libérer les femmes et les personnes trans et non binaires. Ils affirment que l’idéologie fondatrice du capitalisme de croissance continue – manifestée sous la forme d’une extraction infinie de ressources naturelles finies – est rendue possible par la subordination interconnectée des femmes, des peuples racialisés et marginalisés et de la nature.

Dans son livre de 1974 Le féminisme ou la mort , la féministe française Françoise d’Eaubonne soutient qu’une oppression historique interconnectée des femmes et de la planète est à l’origine à la fois de la crise environnementale et de l’oppression systémique omniprésente des femmes et des hommes. est en fait le résultat de l’oppression des femmes. Pour D’Eaubonne, le remède à cette crise est l’ écoféminisme , Le féminisme ou la mort étant le livre dans lequel le terme a été publié pour la première fois.

Socles

Néanmoins, les féministes et les militantes indigènes ont articulé la double subordination du genre et de l’environnement sous le capitalisme depuis le début de la crise climatique. Plus récemment, Tom Goldtooth, Dine’ and Dakota directeur de l’Indigenous Environmental Network (IEN), s’est exprimé devant l’assemblée générale de la Coalition COP26 et a souligné que « le système qui objective les femmes est le même système qui objective la Terre Mère ». Ses propos font écho à ceux de la militante crie Melina Laboucan-Massimo lorsqu’elle disait que « la violence contre la Terre engendre la violence contre les femmes ». Et très récemment la membre du clan gidimt’en et défenseure du territoire wet’suwet’en, Delee Nikal, a exprimé comment   « le fémicide est directement lié à l’écocide » .

Le colonialisme est le véhicule qui a exporté le patriarcat climatique capitaliste racial dans le monde entier à travers des projets de développement et d’industrialisation. « Le colonialisme a causé le changement climatique » était un message central de la base lors de la COP26 de cette année.

Promesses

Lors de la séance plénière d’ouverture, la militante climatique maorie India Logan-Riley a expliqué comment « le changement climatique est le résultat final du projet colonial, et dans notre réponse, nous devons être décoloniaux, fondés sur la justice et prendre soin des communautés comme la mienne, qui ont supporté le fardeau de la cupidité du Nord global depuis bien trop longtemps. Le patriarcat climatique capitaliste racial n’est pas une structure immuable contre laquelle nous n’avons pas d’alternative. Et les WFCJ ne sont pas des victimes, mais des cibles, comme beaucoup l’ont expliqué.

De plus, les WFCJ et les communautés de première ligne ont toujours été les pionniers de solutions climatiques réelles et innovantes. Les militants de la base continuent de faire pression pour le changement systémique nécessaire pour sauver la planète, mais ils ont été bloqués par les gardiens de ce système violent au sein de la COP, les lobbyistes des combustibles fossiles : il y en avait deux pour chaque autochtone dans cette COP ; des interventions d’opérette par des dirigeants mondiaux prenant des engagements infondés tout en reniant leurs promesses précédentes. La logique institutionnelle de la structure même de la COP est constituée des forces mêmes contre lesquelles ces militants se battent.

Intersectionnel

Le dernier jour de la conférence, lors de la Plénière des Peuples, Ta’kaiya Blaney, du peuple Tla’amin, a représenté les peuples autochtones en expliquant que « je ne viens pas chez mes colonisateurs à la recherche de solutions… nous rejetons les les fausses solutions de nos colonisateurs ! Le message faisait écho aux paroles de Riley au début de la conférence lorsqu’il s’est exclamé : « Retourne la terre, retourne les océans ! c’est ce qui revient à la justice climatique. Il a terminé par un avertissement à ceux qui freinent une véritable action climatique : “unissez-vous ou écartez-vous du chemin”.

Les femmes et les féministes pour la justice climatique ont également été explicites concernant les demandes de justice climatique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la COP. Comme me l’a dit Andrea Vega Troncoso de l’Organisation des femmes pour l’environnement et le développement (WEDO), le mouvement ne s’arrêtera pas tant qu’il n’y aura pas “un changement féministe du système centré sur un féminisme intersectionnel sans plus de patriarcat, plus de colonialisme et plus de capitalisme.”


Julie Gorecki est une enseignante écoféministe, militante et écrivaine.

 

 

 

L’homme qui a poussé les conservateurs canadiens plus à droite

15 février 2022, par CAP-NCS
PAR MITCHELL THOMPSON Ted Byfield, le fondateur du groupe d’extrême droite Alberta Report , a laissé une marque indélébile sur le conservatisme canadien. Il était chargé (…)

PAR MITCHELL THOMPSON

Ted Byfield, le fondateur du groupe d’extrême droite Alberta Report , a laissé une marque indélébile sur le conservatisme canadien. Il était chargé d’enhardir les éléments les plus racistes et anti-ouvriers de la droite.

Le 23 décembre 2021, Ted Byfield, éditeur de l’ Alberta Report, est décédé. Le lectorat de l’hebdomadaire conservateur a culminé à environ 400 000 par semaine à la fin des années 90 avant de disparaître en 2003. À sa mort, Byfield a reçu des éloges de la part des députés actuels et anciens , des premiers ministres et des chroniqueurs .

Surnommé le « grand patriarche du mouvement conservateur canadien », Byfield a plaidé, dans les pages de son magazine, pour un nouveau parti de droite plus agressif. À l’époque, il n’était peut-être pas très lu, mais ceux qui lisaient son journal avaient accès à l’argent et au pouvoir.

Byfield et l’ Alberta Report ont été, pendant un certain temps, l’identité du conservatisme canadien. Les riches partisans rarement mentionnés du Parti réformiste — la plus grande composante du Parti conservateur du Canada d’aujourd’hui — n’étaient que trop heureux d’utiliser Byfield et le Rapport pour aider à mobiliser un électorat agressif, zélé et déséquilibré comme point d’appui pour des politiques d’austérité plus agressives. Puis, comme cela arrive souvent, les bailleurs de fonds ont perdu le contrôle.

Les militants réactionnaires comme Byfield ne peuvent pas être confinés dans les couloirs étroits du pouvoir et finissent souvent par être mis de côté lorsqu’ils ne sont plus d’aucune utilité pour la direction du parti. Ils laissent néanmoins leurs empreintes sur le caractère et l’apparence des partis qu’ils dynamisent.

La cabale de droite de Calgary

Au cours des années 1970, les rivalités entre les économies pétrolières des provinces de l’Ouest du Canada et les tenants du pouvoir de l’Est industriel se sont intensifiées. Cette tension s’exprime dans la formation de nouveaux groupes de pression de droite comme la Canada West Foundation et la National Citizens Coalition . Elle a aussi été marquée, en Alberta, par la montée des partis politiques fondamentalistes et « séparatistes ». Mais elle a trouvé son expression la plus pure dans l’ Alberta Report de Ted Byfield .

Pendant des années, Byfield a mis toute son énergie à défendre les idées de droite, publiant les demandes de réductions d’impôts des patrons du pétrole , ponctuées d’occasionnelles attaques réactionnaires anti-Québec. En 1984, il baissé de moitié la place accordée au conservatisme de l’Ouest canadien dans sa chronique, et a réclamé la création d’un nouveau parti de droite pour évincer les Tories, insuffisamment conservateurs à son goût.

Byfield et l’ Alberta Report ont été, pendant un certain temps, l’identité du conservatisme canadien.

L’appel a été repris par le consultant en gestion Preston Manning. Manning a joint une copie du magazine à une note de service adressée à Bob Muir de Dome Petroleum, au cofondateur de Canadian Hunter Exploration James Gray, au directeur de la Canada West Foundation David Elton et à l’ oligarque local Francis Winspear.

La note proposait un «mouvement de réforme occidental» avec «les fonds pour faire le travail». Deux ans plus tard, en 1986, une coalition, galvanisée par la note de service, ouvre la voie à la fondation du Reform Party en 1987, avec Manning à sa tête. Trevor Harrison note que l’argent seul n’était pas à la hauteur de la tâche de construire une base politique. Pendant des années après la proposition, et malgré sa caisse noire , le Parti réformiste et Manning sont restés « dépendants des magazines de Byfield pour diffuser les messages réformistes ».

On n’a besoin d’aucune personne homosexuelle, syndicaliste ou des bâtarde de l’Est.

Byfield a commencé le rapport en 1979, après sa conversion religieuse à l’anglicanisme. Tout au long des années 1980, ses magazines combinaient des chroniques religieuses, des reportages tabloïds et ses propres Lettres de l’éditeur.

Comme une grande partie de la droite à l’époque, le rapport soutenait que la criminalité juvénile était “l’héritage des années 60, qui porte maintenant ses fruits amers”, que les châtiments corporels (en particulier la fessée “avec une lanière de cuir”) résoudraient toutes sortes de problèmes sociaux et que les syndicats d’enseignants de l’Alberta devaient être détruits.

Sur les questions économiques, Byfield s’est particulièrement offensé des réglementations fédérales sur le boeuf et le pétrole . Il a vu la portée excessive de ce qu’il a appelé le Big Government comme un signe que «la démocratie échouera après tout». Byfield a également appelé à la privatisation élargie des écoles et de la plupart des services sociaux gérés par l’État.

En 1986, le rapport a appuyé les briseurs de grève (« une armée de demandeurs d’emploi ») qui ont aidé à saper les travailleurs en grève de l’emballage de viande d’Edmonton chez Gainers Inc Le magazine a cité Peter Pocklington, qui était, à l’époque, PDG de Gainers Inc :

Les syndicats sont très égoïstes. À Taiwan, les travailleurs reçoivent 300 dollars par mois pour le même travail. Et Taïwan n’est pas si loin en avion. Ils doivent découvrir quelles sont les nouvelles réalités des affaires.

Cependant, ce n’est pas pour ce tarif standard de droite que l’on se souvient généralement du Rapport . Son héritage dans les archives publiques découle en grande partie d’une affaire judiciaire infâme. En 1999, la régie régionale de la santé de Calgary a gagné une affaire judiciaire « préservant la nature privée et confidentielle » des documents de santé des patients — contre le rapport de l’Alberta .

Selon le Journal de l’Association médicale canadienne, un groupe «d’infirmières en colère et pro-vie» a divulgué des informations sur l’interruption de grossesse au Rapport . Cette atteinte à la vie privée des patientes a servi de base à plusieurs articles du rapport accusant un médecin – décrit comme un « avorteur » – d’« homicide coupable ». Les travailleurs de la santé, note le journal, craignent pour leur sécurité.

La croisade anti-avortement du magazine n’était pas sans précédent. En 1984, une décision de justice autorisant les femmes à accéder à des services d’avortement sans la permission d’un homme a été décrite par Byfield comme “une décision judiciaire qui nous ramène à l’ère pré-barbare”. Ailleurs, le magazine a comparé les services d’avortement à l’échelle des Prairies à « un holocauste légèrement plus petit ». 

Le rapport n’était pas plus gentil avec la communauté gay, qu’il qualifiait d'”homosexuels militants”. Il affirmait que les homosexuels voulaient adopter des enfants uniquement parce que « leur mode de vie les met constamment en contact avec la mort ». “S’ils veulent se reproduire”, affirmait le rapport , “ils doivent le faire politiquement, essentiellement en prenant en charge les enfants des autres”. Manning lui-même, en tant que chef du Parti réformiste, remarquera plus tard publiquement que «l’homosexualité est destructrice pour l’individu et, à long terme, pour la société».

Pour ne pas être en reste dans les jérémiades contre la tolérance, Byfield, a écrit un article appuyant le négationniste de l’holocauste.Dans ce document, il a déploré: “Nous sommes maintenant déterminés à être une province aimante, miséricordieuse et infiniment tolérante, et donc quiconque agit autrement sera battu jusqu’à ce qu’il crie pour la miséricorde.”

Tout au long de la fin des années 1980, Byfield a été un conférencier régulier lors des conférences du Parti réformiste. La « philosophie fiscale » du parti — des budgets équilibrés obligatoires — a été rédigée et signée par son fils, Link Byfield, et adoptée avec empressement par la direction du parti.

La plate-forme et l’énoncé de principes du Parti réformiste de 1988 étaient aussi idéologiques que le Rapport . Il a proposé une privatisation de masse, une taxe forfaitaire, la fin du contrôle des prix du pétrole, la suppression des protections de monopole syndical pour les syndicats et même l’ abolition des lois sur le salaire minimum. Parallèlement aux mesures de répression de la criminalité, il a averti que l’immigration ne doit pas être “conçue pour modifier radicalement ou soudainement la composition ethnique du Canada, comme cela semble de plus en plus être le cas”.

Manning, pour sa part, a promu des politiques anti-ouvrières régressives comme essentielles à la construction d’un « Nouveau Canada » – marqué par « un passage d’une société industrielle à une société post-industrielle » – mais où les profits pourraient encore être garantis. Pourtant, malgré son influence, le magazine Byfield a été mis sous séquestre au début des années 1990.

Byfield a été renfloué par le fondateur à la retraite de Westburne Oil, John Scrymgeour , et ses anciens membres du conseil d’administration. Interrogé par Byfield sur ce qu’il voulait faire du magazine, Scrymgeour lui a répondu: “Continuez simplement à faire ce que vous faites.”

Une avant-garde marginalisée

Lorsque les conservateurs se sont effondrés lors des élections de 1993 , les réformistes sont devenus le plus grand parti de droite. En montant au firmament étoilé de l’establishment politique, il a été contraint d’en poncer les aspérités. Grâce à des rencontres organisées par Conrad Black et le milliardaire Hal Jackman , les dirigeants réformistes ont tenté de courtiser l’argent de Bay Street et le soutien des courtiers en électricité de l’Est. Manning a accepté la chirurgie dentaire esthétique, une nouvelle coupe de cheveux et une chirurgie oculaire au laser, s’est engagé à former une « opposition constructive » et a promis d’éliminer les extrémistes.

Interrogé sur la présence de racistes, de théoriciens du complot et de semeurs de haine dans son parti, Manning aimait dire : « Si vous allumez une lumière, vous allez attirer des insectes». Cependant, les bugs étaient de plus en plus un handicap plutôt qu’un simple embarras.

La droite est toujours dans une alliance quelque peu inconfortable entre les extrêmement riches, ceux qui propagent la haine et les dérangés.

Pendant ce temps, d’autres éléments de l’establishment montraient un penchant croissant pour la réforme. En 1995, le stratège républicain David Frum a travaillé pour réparer les relations entre les électeurs réformistes et les conservateurs de l’establishment. Son recrutement a été décroché après avoir estimé que les conservateurs “se souciaient beaucoup trop d’apaiser les marchands d’opinion libéraux à Toronto, sur des questions allant des droits des homosexuels aux sanctions contre l’Afrique du Sud”. Frum a proposé d’écrire une préface élogieuse pour la collection de colonnes de Byfield, The Book of Ted: Epistles from an Unrepentant Redneck .

La nouvelle place du Parti réformiste dans les couloirs du pouvoir au Canada a commencé à s’accorder avec les éléments les plus populistes du Rapport . Le magazine s’est de plus en plus offert comme exutoire pour ceux qui pensaient que «M. Manning et son cercle de conseillers ont trop de contrôle dans un parti qui se targue d’une prise de décision ascendante et non descendante.

À l’approche des élections de 1997, une autre controverse a éclaté au sein du parti. Cherchant à rejoindre les communautés au-delà de son caucus entièrement blanc, plusieurs députés réformistes ont appuyé la candidature de l’ancien membre du personnel libéral Rahim Jaffer pour Edmonton-Strathcona. Les opposants de Jaffer se sont insurgés contre lui au motif qu’il avait, comme l’a dit un militant réformiste cité dans le rapport de l’Alberta , des « maladies étrangères » et une « peau décolorée ».

Après les élections de 1997, le Rapport est devenu encore plus idéologique. Un article, sur la stérilisation forcée des femmes autochtones, avait pour titre « Tirer profit de la victimisation». Dans une autre chronique, Link Byfield avertit ses lecteurs que là où nous avons des minorités qui ne sont pas encore nombreuses et concentrées, nous ne devons pas les aider à le devenir, comme nous le faisons avec nos Indiens. Il ne peut en résulter que des ennuis, tôt ou tard.

Peu de temps après, une chronique intitulée « To the Re-education C amp , Go ! a proposé une défense du leader d’extrême droite français Jean-Marie Le Pen contre des accusations d’antisémitisme au motif qu’il soutenait la campagne militaire d’Israël dans les territoires occupés.

Souhaitant que le Canada ait son propre Le Pen, l’article du Rapport affirmait en outre :

Israël agit toujours dans son propre intérêt. On peut ergoter, peut-être, sur ses méthodes mais pas sur son intention. Les gouvernements occidentaux, d’autre part, agissent sans exception pour éradiquer leurs nations. Au Canada, nous avons tellement peur des xénophiles que l’opposition à cette éradication ne s’exprime que de manière intermittente et incohérente.

Par la suite, un article intitulé “L’Occident est le meilleur  était encore plus explicite en ouvrant la voie aux futurs théoriciens du ” Grand Remplacement “:

La vraie nature du multiculturalisme est le génocide européen. Le Canada n’existe tout simplement pas en tant qu’entité culturelle, économique, politique ou philosophique. Il disparaîtra dans 20 ans. Rien dans le cœur ne le maintien ensemble. Il est mûr pour l’invasion qui se produit.

La politique identitaire de la suprématie blanche exposée ici, bien que sans aucun doute haineuse, n’était pas sans précédent. La politique raciste a toujours été dans l’ADN du Rapport et du Reform Party. Stan Waters, un proche partenaire du magnat de la construction Fred Mannix et l’un des premiers candidats du Reform Party, a utilisé le même langage dans les années 80 pour défendre le régime de la minorité blanche en Afrique du Sud : « L’Afrique du Sud devrait réfléchir à deux fois avant d’autoriser le régime majoritaire car la plupart des pays d’Afrique noire vivre sous la tyrannie.

Byfield et William Gairdner , tous deux orateurs réguliers lors des rassemblements réformistes, étaient également d’ardents défenseurs de l’apartheid – ils étaient de fervents opposants à ce que Gairdner appelait les “dictatures à parti unique des pays d’Afrique noire”. Ailleurs , Gairdner, exigeant des restrictions sur l’immigration non blanche, a écrit que «la nation a le droit de se défendre contre la capture démographique ou, si vous préférez, contre la prise de contrôle raciale ou culturelle passive».

La fin de la fête

En mars 2000, après l’échec de son expansion lors des élections de 1997, Manning a préparé les 66 000 membres réformistes à « tuer le parti » afin qu’il puisse rechercher l’unité avec les conservateurs. Pendant ce temps, le Rapport déclinait. Son offre publique n’a pas réussi à attirer l’argent des investisseurs et, entre 1999 et 2002, elle a perdu plus de dix mille abonnés. Avec un lectorat vieillissant, son impact et sa liste d’abonnements devaient encore diminuer. Le dernier clou dans le cercueil, comme l’ a noté Alberta Views , était que les anciens «renfloueurs» du rapport ont refusé de le faire à nouveau. Le magazine a fermé ses portes au printemps 2003.

Byfield s’est tourné vers des activités plus personnelles, écrivant des histoires en plusieurs parties sur l’Alberta et les croisades – célébrant ces dernières avec des titres de chapitre tels que ” L’Occident contre-attaque enfin l’islam “. Il s’est également mis à bloguer sur les alliances homosexuelles dans les écoles (” clubs sexuels “) , le spectre du “réseau musulman de pédophilie ” et ses propres désaccords personnels avec les dirigeants du mouvement conservateur canadien.

En 2011, lorsqu’il a été invité à célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la fondation du Reform Party aux côtés de membres clés du cabinet conservateur, il a pris ses distances avec les affirmations selon lesquelles il avait contribué à fonder la droite canadienne moderne. “C’est un non-sens”, a déclaré Byfield à la foule, avec fausse modestie. « Le Parti réformiste était un produit de Preston Manning. Le reste d’entre nous a aidé un peu.

L’histoire de Byfield nous rappelle que la droite ne peut accéder au pouvoir sans une base mobilisée. Paradoxalement, cependant, cette base doit être mobilisée – en grande partie contre son propre intérêt. Cela signifie inévitablement tirer parti de problèmes sociaux difficiles pour obtenir un avantage politique.

La droite est toujours dans une alliance quelque peu inconfortable entre les extrêmement riches, les agressifs et les dérangés. Parfois, la base conservatrice est contrôlée par ses agents politiques les plus avertis, comme Manning. Lorsque cela se produit, les vrais idéologues, comme Byfield, se retrouvent à distance du pouvoir et de l’influence. Mais ils ne sont jamais entièrement poussés à la marge.

Nous le voyons avec le descendant du Parti réformiste, le Parti conservateur moderne. Le parti lutte rarement pour des fonds – quelles que soient ses perspectives électorales – mais dépend d’un effectif dont les opinions sur les questions sociales se situent bien en dehors du courant dominant. Fondamentalement, l’équilibre est instable – et la base de la droite composée de fondamentalistes et de fanatiques devient inévitablement une menace pour la classe ouvrière, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses enceintes idéologiques.

Le cas de Byfield montre à quel point les positions de la droite radicale sont utiles à l’avancement du conservatisme de l’establishment – même si elles doivent être abandonnées lors des réceptions de vin et de fromage. La droite marginale n’est pas un bug – c’est une caractéristique des partis conservateurs et de la droite plus largement.

Traduction NCS

En Allemagne, deux lignes pour un même camp

15 février 2022, par CAP-NCS
par Peter Wahl  En deçà d’un certain seuil, une défaite électorale devient une raclée. Et c’est sans doute ainsi qu’il faut qualifier le score de 4,9 % obtenu par le parti (…)

par Peter Wahl

 En deçà d’un certain seuil, une défaite électorale devient une raclée. Et c’est sans doute ainsi qu’il faut qualifier le score de 4,9 % obtenu par le parti allemand Die Linke (La Gauche) lors des élections fédérales de septembre dernier. Seule l’application d’une règle spéciale sauve sa présence au Bundestag : même s’il ne franchit pas la barre des 5 %, un parti qui obtient la majorité dans au moins trois circonscriptions (sur 299) peut former un groupe parlementaire. Le décrochage n’en reste pas moins spectaculaire pour cette formation qui frôlait les 12 % en 2009 et se maintenait encore à 9,2 % en 2017. Elle ne rassemble plus cette fois que 2,3 millions de voix, presque la moitié des 4,3 millions de 2017. Et son groupe parlementaire ne compte plus que 39 députés, contre 69 auparavant, sur un total de 736.

Cette débâcle ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire déjà riche en défaites de la « gauche de gauche » allemande d’après-guerre. Le Parti communiste est interdit en Allemagne de l’Ouest en 1956, et il faut attendre 1983 pour que les Verts (Die Grünen) — avec leur direction explicitement écosocialiste — représentent à nouveau cette sensibilité au Parlement. Après l’unification de 1990, cependant, les Grünen se recentrent au point de participer au gouvernement néolibéral de M. Gerhard Schröder (1998-2005) et jouent un rôle moteur dans l’engagement militaire allemand contre la Yougoslavie en 1999.

Die Linke émerge de ces ruines en 2007, en réunissant dans un nouveau parti deux composantes distinctes. D’un côté, des syndicalistes et d’anciens sociaux-démocrates déçus par le recentrage de leur formation ; de l’autre, le Parti du socialisme démocratique (PDS), héritier du parti qui avait gouverné l’Allemagne de l’Est. Grâce à son ancrage dans les Länder orientaux, le PDS avait franchi la barre des 5 % en 2005 pour la première fois depuis l’unification (1). Die Linke s’épanouit parce qu’il comble un vide.

Ce cycle paraît révolu. Die Linke perd un à un ses bastions. Non seulement dans les régions de l’Est en général, où son score a été divisé par deux en dix ans (de 20 % à 9,8 %), mais également dans des circonscriptions symboliques, comme celle de Marzahn-Hellersdorf, dans l’est de Berlin, conquise en septembre par la droite alors qu’elle votait encore à 51 % pour le parti postcommuniste en 2001…

Pourquoi la gauche perd-elle ? D’abord, pour des raisons démographiques : le noyau dur de l’électorat postcommuniste qui a vécu l’unification comme une annexion vieillit et se réduit. Et surtout ne se renouvelle plus, à mesure que Die Linke cesse de représenter les intérêts des populations de l’Est, rôle qui lui permettait d’attirer de nouveaux sympathisants contestataires. Les motifs de mécontentement ne manquent pourtant pas : trente ans après la chute du Mur, un rideau de fer partage toujours l’Allemagne en matière de niveau de vie, de salaires, de pensions. Mais, à la différence des années 2000, Die Linke participe à l’exécutif à Berlin, dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, dirige celui de Thuringe… C’est désormais la formation d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui capte un vote protestataire à l’Est et incarne l’opposition — réactionnaire — dans les ex-bastions orientaux de la gauche.

Les élections de septembre dernier posent pour Die Linke un problème plus épineux encore. Comment expliquer sa chute au sein des groupes qui forment traditionnellement sa base sociale — ouvriers, chômeurs, précaires et groupes à bas salaires —, alors même que la sécurité sociale s’était imposée comme le thème dominant de la campagne électorale, devant l’économie, le travail, l’environnement et le climat (2) ? Et comment comprendre que la désaffection frappe également les centres métropolitains et étudiants, comme Brême et Hambourg, où de nombreux jeunes avaient voté pour le parti en 2017 ? Ceux qui tablaient sur cet électorat diplômé pour former la nouvelle base du parti ont vu leurs espoirs douchés, les jeunes urbains ayant plus souvent accordé leurs suffrages aux Verts, ou même aux libéraux.

Chez les moins jeunes, le Parti social-démocrate (SPD) a capté près d’un tiers des voix perdues par Die Linke. Après de nombreuses années de crise, les sociaux-démocrates ont fait oublier l’ère néolibérale de M. Schröder (3) et concurrencent Die Linke sur son terrain, en proposant, par exemple, une hausse du salaire minimum à 12 euros (contre 9,82 euros actuellement). La bascule s’observe dans le comportement électoral des syndicalistes : 11,8 % votaient pour La Gauche en 2017, contre 6,6 % en septembre — un score qui ramène Die Linke derrière l’AfD (12,2 %) et le Parti libéral-démocrate (FDP, 9 %)…

Tout effondrement politique implique des causes internes à l’organisation, et Die Linke ne fait pas exception. Les nouvelles coprésidentes du parti, Mmes Janine Wissler et Susanne Hennig-Wellsow, ont pris leurs fonctions quelques mois à peine avant le scrutin ; peu connues du grand public, elles n’ont guère pu faire campagne en raison des restrictions sanitaires. Fin août, un spectaculaire cafouillage parlementaire a fait jaser la presse : lors du vote sur la participation de la Bundeswehr à l’opération d’évacuation de Kaboul, une partie des députés de gauche s’est prononcée pour, une autre contre, tandis qu’une troisième s’abstenait… Enfin, l’annonce, sans débat au sein du parti et avant même le scrutin, de concessions considérables en cas de participation au gouvernement n’a sans doute pas galvanisé les sympathisants.

La convulsion qui tétanise Die Linke affecte d’autres formations de gauche, comme Attac Allemagne

Toutefois, ces incidents récents ne rendent pas raison des mauvais résultats régionaux ou européens accumulés depuis 2019. Le problème le plus fondamental tient au conflit d’orientation qui oppose différents courants du parti. C’est la crise dite « des réfugiés », en 2015, qui a mis ce clivage au grand jour. Se référant au programme de 2011, qui exige « les frontières ouvertes pour tous les humains », une grande partie des militants a accueilli avec enthousiasme la levée des obstacles à l’immigration et réclamé la pérennisation de la liberté d’installation. Mais un autre courant juge au contraire irréaliste le slogan des « frontières ouvertes pour tous ». Mme Sahra Wagenknecht incarne cette ligne. Alors coprésidente du groupe parlementaire, forte d’une popularité étendue bien au-delà des cercles militants, cette femme charismatique et ses partisans soutiennent à l’égard des réfugiés une position fondée sur le droit international, mais réclament également une régulation des migrations.

Si l’on retrouve semblable clivage au sein de la gauche française, britannique ou américaine, celui-ci se superpose en Allemagne à la fracture Est-Ouest. Le débat sur la politique migratoire a vite dégénéré : Mme Wagenknecht a été qualifiée publiquement de « nationale Sozialistin » — socialiste nationale, en référence au Parti national-socialiste d’Adolf Hitler — par des membres de sa propre formation. En 2018, elle braquait un peu plus ses camarades en lançant sans succès le mouvement Aufstehen (« Soulevez-vous »), perçu comme concurrent de Die Linke. Retirée de la direction du groupe parlementaire depuis 2019, la députée demeure très présente, notamment dans les médias.

Ainsi, le climat délétère du débat public allemand de l’après-2015 se décalque-t-il sur le parti de gauche. Polluées par les polémiques sur les politiques de l’identité et la cancel culture (« culture du bannissement »), les discussions stratégiques perdent en analyse et en dialogue ce qu’elles gagnent en condamnation morale et en hostilité personnelle. « Le message central qui semblait émaner du dernier congrès n’était pas un positionnement politique particulier ou le programme électoral de Die Linke, mais plutôt la “diversité” de sa nouvelle direction et le caractère inattaquable de ses références pro-LGBTQ [lesbiennes, gays, bisexuels, trans et queer], féministes et antiracistes. Il est certain qu’un parti socialiste devrait être tout cela », a observé Loren Balhorn, rédacteur à la Fondation Rosa-Luxembourg et directeur de l’édition allemande de la revue Jacobin. « Toutefois, ajoutait-il, on peut se demander si ce genre de message trouve de l’écho au-delà des cercles partisans immédiats de Die Linke, et s’il donne à la population une raison de voter pour lui » (4).

C’est ce type d’analyse qu’approfondit Mme Wagenknecht dans un livre publié en avril 2021, Die Selbstgerechten (« Les bien-pensants ») (5), rapidement propulsé dans la liste des meilleures ventes. Regrettant que la gauche s’apparente de plus en plus à un style de vie branché, universitaire et vertueux, la députée impute l’effritement de la base sociale de son parti à l’accent mis sur les politiques identitaires au détriment de la question sociale. Elle plaide pour la primauté de la question de classe, dans laquelle féminisme, antiracisme, lutte contre l’homophobie, etc., s’intègrent dans un rapport dialectique entre général et particulier — à rebours, estime-t-elle, des approches intersectionnelles, qui, sous le terme « classisme », renvoient la question sociale à une forme de discrimination, au même titre que le sexisme ou le racisme.

Publié quelques mois avant les élections, l’ouvrage a exacerbé la crise interne au point que certains militants ont réclamé — en vain — l’expulsion de la trouble-fête. S’ils découragent l’électorat, ces conflits affaiblissent aussi le parti en repoussant aux calendes grecques la mise au point de stratégies appropriées face à la crise climatique, à la numérisation ou aux transformations des équilibres internationaux. Fait remarquable, la convulsion qui tétanise Die Linke affecte d’autres formations de gauche, comme Attac Allemagne. L’association, qui a joué un rôle important jusqu’à la crise financière de 2008, n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même, incapable non seulement d’actualiser l’altermondialisme, mais également de surmonter de manière constructive ses déchirements.

Die Linke y parviendra-t-elle ? Trois mois après les élections, la bataille des courants internes n’a pas cessé. L’exécutif, dominé par la gauche mouvementiste (Bewegungslinke) d’orientation « sociétale », s’oppose au groupe parlementaire, où prédomine une alliance entre les « réalistes », souvent issus de l’Est, et des députés plus ou moins proches de Mme Wagenknecht.

Le plus petit groupe parlementaire du Bundestag jouira toutefois d’un avantage : Die Linke incarne désormais seule l’opposition de gauche à la coalition gouvernementale entre les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux. La configuration rappelle celle de l’ère Schröder, qui avait favorisé le parti de gauche. La présence du FDP au sein de la coalition intensifie les contradictions au sein de ce gouvernement et réduit ses possibilités de répondre à la question sociale. Comme le suggère la hausse des prix de l’énergie, la dimension sociale de la transformation écologique s’impose avec fracas. Une occasion pour Die Linke ?


Auteur de Gilets Jaunes. Anatomie einer ungewöhnlichen sozialen Bewegung, PapyRossa Verlag, Cologne, 2019.

(1) Lire Peter Linden, « Ce nouveau parti qui bouscule le paysage politique allemand », Le Monde diplomatique, mai 2008.

(2) Source : ARD – infratest dimap.

(3) Lire Rachel Knaebel, « L’aubaine des sociaux-démocrates allemands », Le Monde diplomatique, décembre 2021.

(4www.jacobinmag.com, 14 mars 2021.

(5) Sahra Wagenknecht, Die Selbstgerechten : Mein Gegenprogramm — für Gemeinsinn und Zusammenhalt, Campus Verlag, Francfort, 2021.

 

Pour une désescalade de la crise autour de l’Ukraine

14 février 2022, par CAP-NCS
Pour une désescalade de la crise autour de l’Ukraine Cela fait maintenant deux mois qu’a éclaté la crise entourant le déploiement de quelque 100 000 soldats russes à 350 (…)

Pour une désescalade de la crise autour de l’Ukraine

Collectif Échec à la guerre

Cela fait maintenant deux mois qu’a éclaté la crise entourant le déploiement de quelque 100 000 soldats russes à 350 km de la frontière ukrainienne et l’exigence formulée par la Russie que ses intérêts sécuritaires soient pris en considération. Un intense ballet diplomatique s’ensuit depuis, ponctué de menaces, de rumeurs, de nouveaux déploiements militaires et de nouvelles livraisons d’armes. Que se passe-t-il au juste? Quelles sont les issues possibles?

La crise

Pour une rare fois, la Russie a investi le centre de la scène mondiale en indiquant avoir des exigences incontournables et en proposant des projets de traités pour en discuter. Le projet de traité avec l’OTAN, à l’instar de l’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997, réaffirme qu’aucun pays ne doit renforcer sa sécurité aux dépens de celle des autres. Il appelle à ce que troupes étrangères et armements soient retirés des 14 pays d’Europe de l’Est qui sont devenus membres de l’OTAN après 1997 et à ce qu’aucun missile terrestre à portée courte ou intermédiaire ne soit déployé là où il permettrait d’atteindre le territoire d’autres États Parties. Il appelle aussi à la non-expansion de l’OTAN et à la cessation de toute activité militaire en Ukraine et dans d’autres États d’Europe de l’Est, du Caucase-Sud et d’Asie centrale. À l’appui de sa « posture de négociation », outre les importants déploiements d’effectifs à la frontière ukrainienne, la Russie participe aussi en ce moment à des exercices militaires d’envergure en Biélorussie, pays limitrophe de l’Ukraine au nord.

Même s’ils savent que ni la France ni l’Allemagne n’appuieraient l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, les États-Unis invoquent quand même le principe de la « porte ouverte » de l’OTAN pour rejeter en bloc les principales demandes russes. Avec les échos fidèles du Royaume-Uni et du Canada, ils alimentent un climat de guerre en claironnant l’imminence d’une invasion russe, en retirant le personnel non essentiel de leurs ambassades et en lançant de nombreuses rumeurs sans jamais en offrir de preuves. Ainsi la Russie serait responsable d’attaques informatiques de sites gouvernementaux, puis de centaines de fausses alertes à la bombe en Ukraine; elle  aurait infiltré des agents pour fabriquer des prétextes à une invasion; elle chercherait à imposer un dirigeant pro-russe à Kiev; elle préparerait une vidéo de propagande d’une fausse attaque des forces ukrainiennes, etc. Notons, au passage, qu’autant les États-Unis que la Russie sont capables de tels gestes pour l’avancement de leurs intérêts…

Après avoir clarifié que leur armée ne combattrait pas pour repousser une invasion russe, c’est par la menace de sanctions draconiennes que les États-Unis tentent de rendre leur dissuasion crédible tant auprès de la Russie (si tant est qu’ils croient vraiment à l’imminence d’une invasion) qu’auprès d’autres pays pouvant se sentir menacés par elle (et par le climat de guerre alimenté par les États-Unis).

Genèse des enjeux sécuritaires actuels pour la Russie

Malgré les dénis officiels occidentaux, l’adhésion à l’OTAN de très nombreux pays d’Europe de l’Est – qui étaient auparavant membres du Pacte de Varsovie sous l’égide de l’URSS – s’est réalisée en brisant une promesse faite à Gorbatchev en 1990, alors qu’on négociait l’assentiment soviétique à une Allemagne réunifiée qui serait membre de l’OTAN. « Pas un pouce vers l’Est » avait été la formule garantissant qu’il n’y aurait pas d’expansion de l’OTAN. Cet engagement avait été rendu d’autant plus crédible qu’on promettait, de surcroît, que l’OTAN jouerait à l’avenir un rôle davantage politique et que les enjeux de sécurité européenne seraient dorénavant l’apanage d’une Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) renforcée, dont la Russie faisait partie. Tous les dirigeants d’URSS/Russie, de Gorbatchev à Poutine, ont dénoncé cette promesse rompue.

L’expansion de l’OTAN l’a amenée aux frontières mêmes de la Russie dès 2004, avec l’adhésion de l’Estonie et de la Lettonie (plus de 500 km de frontières communes avec la Russie). L’adhésion envisagée de l’Ukraine et de la Géorgie ajouterait plus de 2 200 km de frontière commune entre l’OTAN et la Russie!

Graduellement, cette expansion de l’OTAN s’est accompagnée de déploiements militaires dans les nouveaux pays membres, d’exercices militaires de plus en plus importants aux portes de la Russie. Des systèmes de missiles antibalistiques ont aussi été déployés en Pologne et en Roumanie. Une véritable mine d’or pour les complexes militaro-industriels occidentaux, États-Unis en tête.

Il n’est pas étonnant que la Russie perçoive toute cette évolution comme menaçante pour elle. On n’a qu’à imaginer un instant comment les États-Unis réagiraient si les pays d’Amérique centrale étaient déjà presque tous membres d’une alliance militaire dominée par la Russie, si cette dernière y déployait des troupes, des armements, des missiles et s’il était maintenant question d’étendre cette alliance hostile au Mexique. On se souviendra qu’en 1962 les États-Unis avaient imposé un blocus et risqué l’affrontement avec l’URSS pour forcer le retrait de ses missiles de Cuba.

Et l’Ukraine là-dedans?

Rappelons qu’en 2013-2014, nos médias et nos gouvernements nous ont offert une vision tronquée et simpliste de la « révolution » qui se produisaient alors en Ukraine, la présentant comme un soulèvement spontané et généralisé contre un gouvernement inféodé à la Russie. Il y avait pourtant des signes évidents d’ingérence étrangère, notamment la participation aux manifestations du sénateur John McCain, du directeur de la CIA, John Brennan et même de notre ministre des Affaires étrangères de l’époque John Baird. En février 2014, des manifestations tournent à la violence, des snipers d’appartenance inconnue tirent sur des manifestants et des policiers, des armes sont volées à la police et à des garnisons militaires. Le président Ianoukovitch fuit le pays, et les États-Unis, l’OTAN et le Canada reconnaissent rapidement un gouvernement intérimaire, dont sept membres du cabinet sont issus de Svoboda… une organisation ultranationaliste, néo-nazie.

Le portrait des forces en présence en Ukraine était donc nettement plus complexe qu’on nous le présentait. L’Est et l’Ouest de ce pays ayant eu des parcours historiques très différents, il s’agissait d’un pays pluriel et divisé, sur des bases linguistiques, religieuses mais aussi idéologiques. Et le débat national à savoir si le pays devait s’aligner sur la Russie ou l’Occident a dégénéré en conflit armé au cours duquel près de 14 000 personnes sont mortes et 1,5 millions ont été déplacées. Dans l’est ukrainien, deux sous-régions administratives du Donbass, Donetsk et Lugansk, ont proclamé leur indépendance et se sont alignées sur la Russie. On peut parler de guerre civile pour décrire ce qui s’est passé et qui perdure encore.

Malheureusement, rien n’est réglé dans l’Est de l’Ukraine où les violations du cessez-le-feu et les accusations mutuelles à cet égard sont quasi-journalières. Si l’on sait comment les crises commencent, il est bien difficile de prédire comment elles se terminent. En haut lieu et à l’abri des conséquences, les dirigeants politiques, alternant menaces et ouvertures à la conciliation, étirent souvent les crises pour sortir avantagés au maximum de la solution ultimement négociée. Mais ils n’ont pas nécessairement le contrôle de ce qui se passe sur le terrain sur les ‘fronts’ des conflits. Des erreurs de perception, d’évaluation sont possibles. Des gestes non autorisés par ‘en haut’ sont possibles. Et dans tout cela, c’est avant tout la population de l’Ukraine qui en paierait le prix.

Les enjeux nucléaires

Une guerre entre les États-Unis et la Russie – deux puissances qui ensemble détiennent 90 % des armes nucléaires – risquerait de ne pas rester conventionnelle longtemps. La perspective d’une défaite ou de pertes jugées trop importantes pourrait entraîner le recours aux armes nucléaires dans une escalade risquant le sort de l’humanité. L’OTAN compte aussi deux autres pays nucléaires : la France et le Royaume-Uni. De plus, le concept de « parapluie nucléaire » assurant la protection de tous les États membres de l’OTAN a fait en sorte que 100 à 150 bombes nucléaires étasuniennes B61 sont ‘stationnées’ dans 5 pays non-nucléaires de l’Europe : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie. S’étant retirés du Traité sur les missiles antibalistiques en 2002, les États-Unis ont depuis déployé plusieurs systèmes ABM, notamment en Pologne et en Roumanie. Souvent présentés comme purement défensifs, ces systèmes peuvent très bien être envisagés comme protection contre une réplique nucléaire lors d’une première frappe nucléaire. C’est la raison pour laquelle les États-Unis et l’URSS s’étaient entendus pour les interdire en 1972.

De son côté, la Russie a déployé des missiles Iskander d’une portée de 500 km – pouvant porter des ogives nucléaires ou conventionnelles – dans son enclave de Kaliningrad située sur la mer Baltique, entre la Lituanie et la Pologne. D’autre part, un référendum est prévu en Biélorussie le 27 février pour modifier la constitution de 1991 du pays qui le proclamait alors territoire sans armes nucléaires. Alexandre Loukachenko, président biélorusse depuis 1994, permettrait à la Russie de ramener des armes nucléaires sur son territoire et la Russie affirme qu’elle envisagerait un tel déploiement si l’Ukraine devenait membre de l’OTAN ou si les États-Unis déployaient des armes nucléaires en Pologne. Cette dernière perspective a été évoquée par l’OTAN face à la possibilité que le nouveau gouvernement de coalition en Allemagne – qui a décidé de participer, en tant qu’observateur, à la première rencontre (à venir) des États Parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) – demande que les armes nucléaires étasuniennes soient retirées du pays.

À cela s’ajoute maintenant le possible déploiement, par les États-Unis et la Russie, de missiles de croisière et de missiles balistiques à portée intermédiaire (entre 500 et 5 500 km) et à charge conventionnelle ou nucléaire. Le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), entré en vigueur en juin 1988, avait amené l’élimination et l’interdiction de cette catégorie d’armes, mais les deux pays s’en sont retirés en 2019 en s’accusant mutuellement de l’avoir violé.

De plus en plus, comme dans les années 1980, se profile la perspective d’un affrontement nucléaire entre les États-Unis et la Russie qui serait d’abord livré en Europe et anéantirait rapidement le continent. À l’époque, cela avait donné lieu à des mobilisations citoyennes de très grande ampleur, en Europe mais aussi en Amérique du Nord, qui avaient justement conduit à l’adoption du Traité FNI.

Le rôle néfaste du Canada

Quand le premier ministre Trudeau et la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly affirment que toutes les actions du Canada « ont pour but de diminuer la tension et de trouver une solution diplomatique », on ne saurait être plus éloignés de la réalité.

De 2013-2014 à aujourd’hui, la politique étrangère du Canada vis-à-vis la crise en Ukraine a été calquée sur celle des États-Unis, à commencer par l’ingérence du ministre des Affaires étrangères de l’époque, John Baird, en appui aux manifestations à Kiev.

Depuis 2015, dans le cadre de l’Opération UNIFIER, le Canada déploie environ 200 militaires en Ukraine, en rotations de 6 mois, dans un rôle de formation et d’entraînement « harmonisé » aux efforts d’autres pays comprenant aussi la Lituanie, la Pologne, l’Ukraine, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Danemark et la Suède. Le 26 janvier 2022, le Canada annonçait l’élargissement – jusqu’à 260 militaires et peut-être même 400 – et la prolongation de cette opération pour trois ans, en y consacrant 340 millions $ supplémentaires.

Depuis 2014, l’Opération REASSURANCE en Europe centrale et en Europe de l’Ouest est le plus important déploiement militaire du Canada à l’étranger, comptant plus de 900 militaires sur mer, au sol et dans les airs, dans le cadre de l’OTAN : 240 marins à bord d’une frégate, 540 militaires dirigeant un « groupe tactique de présence avancée renforcée » de l’OTAN en Lettonie, pays frontalier de la Russie, et 135 membres de l’Aviation royale canadienne et six avions de chasse CF-18 Hornet participant à des activités de police aérienne renforcées de l’OTAN. Il y a quelques jours, la ministre canadienne de la Défense, Anita Anand, annonçait que le Canada envisageait envoyer d’autres soldats en Pologne et dans les pays baltes.

Par la réitération de son appui à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et l’annonce – en écho à celle des États-Unis et du Royaume-Uni – du retrait du personnel non essentiel de son ambassade, le Canada jette aussi de l’huile sur le feu.

Le Canada ayant de très importants projets d’exportation de gaz naturel vers l’Allemagne, il a aussi un certain intérêt objectif à ce que les exportations russes vers ce pays soient perturbées ou réduites…

Favoriser la désescalade

L’humanité ne peut pas se permettre d’envisager un affrontement militaire entre les grandes puissances de ce monde, étant donné la puissance apocalyptique des armes nucléaires dont elles sont dotées. C’est pour cela que l’on doit s’opposer au développement d’une nouvelle guerre froide entre les États-Unis et l’OTAN, d’une part, et la Chine et la Russie, d’autre part.

Il n’y aura pas de solution diplomatique à la crise actuelle sans que ses protagonistes acceptent de faire de compromis. Dans ce cas-ci, la balle est d’abord dans le camp des États-Unis, qui doivent reconnaître que l’expansion sans limite de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie ne sera jamais acceptable pour cette dernière. Ne rien céder là-dessus ne peut mener qu’à une confrontation encore plus dangereuse.

Un statut de neutralité pour l’Ukraine ou, tout au moins, un moratoire de longue durée sur l’accession de l’Ukraine et la Géorgie à l’OTAN – sans travailler pendant ce temps à y créer une inféodation militaire de fait à l’OTAN – pourrait être une voie de sortie. En ce qui concerne le conflit qui perdure dans l’Est ukrainien, une réelle mise en œuvre des accords de Minsk II s’impose, notamment par une réforme constitutionnelle en faveur d’un système fédéral prévoyant une large autonomie pour Donetsk et Lougansk.

Les États-Unis et la Russie devraient aussi entamer de sérieuses négociations de limitation des armements, notamment en ce qui concerne les missiles à portée intermédiaires et les antimissiles balistiques. L’escalade des moyens d’intimidation doit cesser. Les budgets astronomiques qui y sont consacrés doivent être réaffectés à la lutte contre le réchauffement climatique et à la satisfaction des autres besoins fondamentaux de l’humanité.

S’il veut vraiment favoriser la voie diplomatique, le Canada doit cesser d’appuyer l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et mettre fin à tous ses déploiements militaires en Ukraine et en Europe de l’Est. Il doit aussi rompre avec la rhétorique de guerre froide dans laquelle il s’est engagé, renoncer à la politique nucléaire de l’OTAN et réellement œuvrer pour le désarmement nucléaire en signant immédiatement et s’engageant à ratifier le TIAN.

Autant aux États-Unis qu’en Europe et ici, il nous faut des mouvements citoyens puissants pour forcer nos gouvernements à s’engager dans cette voie avant qu’il ne soit trop tard.

Le Comité porte-parole du Collectif Échec à la guerre

Judith Berlyn

Martine Eloy

Raymond Legault

Suzanne Loiselle

 

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