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Débats du Mouvement Québec Indépendant - Hydro-Québec, base de notre indépendance

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Samedi 8 juin
13h30-16h30
Foyer St-Antoine-Salle Elisabeth
150 rue Grant, Longueuil

Diffusion en direct :
https://www.facebook.com/mouvementquebecindependant/live_videos

(En présentiel et en virtuel)

La nationalisation de notre électricité, décidée en 1962 à la suite de l'unique élection référendaire jamais tenue au Québec, a marqué le coup d'envoi de la révolution tranquille. Un demi-siècle plus tard, Hydro-Québec tient toujours une place à part dans la fierté collective du peuple québécois. Le « Maître chez nous" de 1962 a alimenté une volonté populaire d'indépendance qui s'est manifestée en particulier par le référendum volé de 1995. Aujourd'hui on assiste à un mouvement inverse où s'accélère le processus de privatisation de notre production électrique. Alors que la question de l'indépendance revient à l'avant-scène politique en vue de l'élection de 2026, peut-on faire l'indépendance en continuant ainsi de dilapider notre principale richesse naturelle ? Poser la question c'est y répondre.

Le 8 juin prochain, le Mouvement Québec Indépendant organise une conférence visant à clarifier les enjeux sur cette question cruciale. Elle débutera avec un exposé de Michel Roche qui soulignera l'importance du « geste fondateur » de 1962 et de ceux qui ont suivi dans le processus d'affirmation du peuple québécois. Dans un deuxième temps, Robert Laplante brossera l'historique de ce processus d'autodestruction par la privatisation, en en soulignant les impacts négatifs majeurs. En conclusion, Martine Ouellet fera le point sur la situation actuelle en mettant en évidence le front de résistance en train d'émerger actuellement au Québec en faveur du maintien d'Hydro-Québec sous le contrôle public.

MICHEL ROCHE

Professeur et chercheur en sciences politiques à L'Université du Québec à Chicoutimi, Michel Roche est spécialiste de la politique russe. Il a publié sur l'éclatement de l'URSS. Il a aussi publié sur la gauche et l'indépendance du Québec et sur la mobilisation étudiante de 2012. Cette année, il vient de publier un ouvrage remarqué intitulé « La question nationale, une question sociale – Essai sur la crise du mouvement indépendantiste québécois. »

ROBERT LAPLANTE

Sociologue de formation, Robert Laplante est le directeur de la revue souverainiste L'Action nationale depuis 1999 et du magazine Les Cahiers de lecture consacré à la recension des essais québécois. Il a notamment publié "Revoir le cadre stratégique", demandant une révision de la stratégie péquiste. Il dirige l'institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) qui vient de publier sous sa direction « La privatisation de l'énergie éolienne et la mission d'Hydro-Québec. »

MARTINE OUELLET

Ingénieure de formation, Martine Ouellet a fait carrière à Hydro-Québec. Avant son entrée en politique, elle milite dans le mouvement écologique Eau Secours. De 2010 à 2019, elle est députée de Vachon pour le Parti québécois et ministre des Ressources naturelles dans le gouvernement Marois. Elle est par la suite candidate à la direction du PQ à deux reprises. En 2017-2018 elle est cheffe du Bloc québécois. En mai 2021, elle crée son propre parti écologiste et indépendantiste, Climat Québec.

PRÉFACE – La Plateforme d’Archinov, ou comment organiser la révolution

31 mai 2024, par Archives Révolutionnaires
Nos camarades de M Éditeur ont eu l’heureuse idée de republier la Plateforme d’organisation des communistes libertaires. À la suite de l’expérience anarchiste en Ukraine (…)

Nos camarades de M Éditeur ont eu l’heureuse idée de republier la Plateforme d’organisation des communistes libertaires. À la suite de l’expérience anarchiste en Ukraine concomitante à la Révolution russe, ce document se veut une réponse pratique à l’organisation révolutionnaire dans une perspective libertaire. Texte canonique du début du XXe siècle, il cherche à ouvrir une voie mitoyenne entre les bolcheviks et les anarchistes synthésistes, refusant l’autoritarisme des uns, et le manque d’unité et de coordination des autres. Avec l’autorisation de M Éditeur, Archives Révolutionnaires a le plaisir de republier la préface originale de l’ouvrage, rédigée par Alexis Lafleur-Paiement, membre de notre collectif.

On trouvera la Plateforme d’organisation des communistes libertaires dans une bonne librairie près de chez vous !

Le lancement de la Plateforme a eu lieu le 4 avril 2024 à la librairie n’était-ce pas l’été, Montréal.


La Plateforme d’Archinov, ou comment organiser la révolution

Par Alexis Lafleur-Paiement [1]

L’année 1917 voit s’abattre coup sur coup deux révolutions en Russie : celle de Février qui emporte la monarchie et celle d’Octobre qui permet aux bolcheviks de prendre le pouvoir[2]. À travers ces bouleversements, de larges espaces de liberté sont dégagés, favorisant l’apparition de différents projets émancipateurs, dont ceux des soviets urbains et des bolcheviks, mais aussi des « armées vertes » paysannes et de « l’Ukraine libertaire » à partir de la fin de l’année 1917. Cette dernière, constituée dans le sud-est du pays, s’organise autour de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne, plus connue sous le nom de Makhnovchtchina, en référence à son leader Nestor Makhno (1888-1934). Elle porte un projet de révolution sociale communiste libertaire en rupture avec les nationalistes ukrainiens ainsi qu’avec les bolcheviks. Sa farouche indépendance la pousse à lutter contre les autres forces en présence, réactionnaires ou révolutionnaires, étrangères ou locales. Ainsi, de 1918 à 1921, elle combat tour à tour les forces d’occupation austro-allemandes, l’armée du gouvernement ukrainien (répondant à la Rada centrale), les soldats blancs de Denikine et de Wrangel, puis l’Armée rouge. Vaincue par cette dernière en août 1921 et sans avoir réellement mené à terme son projet d’émancipation, la Makhnovchtchina est dissoute et ses dirigeants sont forcés à l’exil[3].

Si les alliances tactiques entre la Makhnovchtchina et les bolcheviks (printemps 1919, été et automne 1920) indiquent une certaine affinité politique, la rupture finale de 1921 se fonde sur des divergences bien réelles. D’abord, le mouvement ukrainien est plus foncièrement paysan – dans sa composition et dans le rôle qu’il attribue aux populations rurales – que celui des bolcheviks, impliquant un rapport différencié à la terre et à sa propriété. Ensuite, Makhno adopte une position véritablement libertaire : « l’organisation a pour seul but l’œuvre libertaire au sein des masses laborieuses, par la propagande anarchiste », « l’organisation des anarchistes n’assumera dans aucun cas le rôle des partis politiques », « elle s’abstient de participer à des actions visant la prise du pouvoir[4] ». Ces conceptions se cristalliseront au sein de la diaspora makhnoviste, alors que les réalités de la guerre (qui impliquent un certain dirigisme) deviennent plus lointaines. Cela dit, Makhno et ses camarades considèrent que l’organisation sur des bases claires est essentielle ; seulement, cette organisation doit être horizontale et viser l’abolition du pouvoir d’État au profit du pouvoir des comités ouvriers et paysans.

« Des agitateurs éparpillent des tracts à la Maison des Soviets » (Vyazma, 1917).

La Plateforme (1926) et le débat avec le synthésisme

Après une période d’errements marqués par des emprisonnements politiques en Roumanie, en Pologne et en Allemagne, Nestor Makhno réussit à rejoindre Paris en 1925. Il y retrouve un milieu acquis à l’anarchisme, ainsi que plusieurs anciens compagnons d’armes, dont Piotr Archinov et Voline. Dès lors, un groupe d’exilé·es ukrainien·nes et russes fondent le journal Diélo Trouda (La Cause du travail) qui devient un pôle important de l’anarchisme social, en opposition aux courants plus individualistes. Dans ces pages, Makhno revient sur plusieurs problèmes politiques, dont l’organisation (no 4, septembre 1925), la question de l’égalité (no 9, février 1926), l’insurrection de Kronstadt (no 10, mars 1926), la lutte contre l’État (no 17, octobre 1926), la question nationale ukrainienne (no 19, décembre 1926), la paysannerie (no 33-34, février-mars 1928) et le mouvement makhnoviste (no 44-45, janvier-février 1929)[5]. Mais c’est surtout la publication de la Plateforme d’organisation de l’Union générale des anarchistes à partir du no 13-14 (juin-juillet 1926) qui retient l’attention des militant·es.

Ce texte-manifeste signé par le Groupe des anarchistes russes à l’étranger (plus précisément Piotr Archinov, Linsky, Nestor Makhno, Ida Mett et Jean Walecki) va inaugurer un débat majeur sur l’organisation dans les cercles anarchistes. Cinq ans après la défaite de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne, la Plateforme reprend et systématise les principales thèses sociales et organisationnelles des makhnovistes. Bien qu’elle ait été rédigée principalement par Archinov (1887-1938), camarade et ami de Makhno depuis 1911, elle reflète les idées du groupe. Le texte circule d’abord dans les milieux des exilé·es d’Europe de l’Est (polonais, russes, ukrainiens), mais sa traduction rapide par le militant anarchiste Voline (1882-1945) permet aux groupes francophones de prendre part à la polémique qui grandit. Les milieux libertaires parisiens puis français, ainsi que ceux de plusieurs pays européens, prennent position en faveur ou en opposition au texte[6].

Le document, aussi connu sous les noms de Plateforme d’organisation des communistes libertaires ou de Plateforme d’Archinov, poursuit un débat qui traverse le mouvement anarchiste depuis ses débuts, et qui a pris une tournure particulière à la suite de la prise du pouvoir par les bolcheviks : comment organiser les anarchistes tout en préservant l’autonomie individuelle au cœur du projet libertaire ? Pour les plateformistes, il faut se doter d’un plan d’action commun qui rend compte des objectifs libertaires et qui canalise les forces dispersées. Cette organisation doit se faire sur une base d’adhésion volontaire et arrimer ses moyens à ses fins, soit l’instauration d’une société sans État ni propriété, composée d’individus autonomes et contractant librement leurs relations. Autrement dit, il faut une organisation commune, avec une doctrine et des moyens d’action, le tout dans une perspective libertaire[7]. Qu’est-ce qui fait débat alors ? Pour plusieurs militant·es, cette approche est déjà trop centralisatrice et s’éloigne de l’anarchisme véritable, censé respecter la diversité des idées, des modes d’organisation et des choix d’action. Pour celles et ceux qu’on appellera les synthésistes, la seule alliance acceptable entre les anarchistes est la libre association des multiples tendances et individus qui respecte entièrement les divergences des uns et des autres, sans obligation d’adhérer à une organisation ou à une stratégie unique, et sans redevabilité mutuelle.

Le débat porte prioritairement sur l’enjeu « d’une orientation idéologique et tactique homogènes[8] » qui réponde à la contradiction fondamentale de la lutte des classes afin d’assurer le développement du mouvement communiste libertaire. L’argument principal de Makhno et de son groupe est simple : l’histoire récente prouve que seule une pratique unifiée et claire permet des gains objectifs au niveau politique. L’organisation qu’il·les prônent est donc une condition sine qua non à la relance du mouvement libertaire, puis à l’obtention de victoires significatives et pérennes[9]. La réplique vient d’abord de Maria Korn, militante kropotkiniste de longue date, à qui répondent les plateformistes dès novembre 1926, ainsi que de Jean Grave, célèbre militant français, qui se voit aussi réfuté par Archinov en avril-mai 1927[10]. Par la suite, les attaques de Voline – le traducteur de la Plateforme – et de son ami l’anarchiste français Sébastien Faure (1858-1942), qui voient dans le document organisationnel une déviation bolchevique, sont plus soutenues, tout en offrant une solution de rechange, le synthésisme[11].

Voline exprime longuement ses récriminations dans la Réponse de quelques anarchistes russes à la Plateforme[12]. Il souligne que la faiblesse de l’anarchisme ne découle pas de son manque d’organisation, mais plutôt du manque de clarté de certaines de ses idées de base, de problèmes de diffusion auprès des masses et de la répression étatique. Voline reproche aux plateformistes leur approche centrée sur la lutte des classes, alors que l’anarchisme est selon lui aussi humanitaire et individuel. L’idée d’une coordination centralisée est décriée, bien que cette pratique ait été au fondement des victoires militaires de la Makhnovchtchina et du sauvetage de l’autonomie acquise dans le sud-est de l’Ukraine en 1918-1920. La véhémence de Voline le pousse à des excès langagiers, voire à des calomnies, comme lorsqu’il affirme que les plateformistes désirent instaurer une police politique sur le modèle de la Tchéka. Dans ce texte, « tout y est inacceptable : ses principes de base, son essence et son esprit même[13] ». Le Groupe des anarchistes russes à l’étranger contre-attaque dans sa Réponse aux confusionnistes de l’anarchisme (août 1927), sans pour autant réussir à se défaire de l’épithète de « bolchevisme » qui demeurera associée à la Plateforme[14].

Par ailleurs, un nombre important d’anarchistes exilé·es ou français·es adhèrent aux principes de la Plateforme et proposent, en février 1927, de mettre sur pied une Internationale anarchiste. Celle-ci voit le jour en avril 1927 sous le nom de la Fédération communiste libertaire internationale, mais le projet capote rapidement faute d’avoir les moyens de ses ambitions. C’est plutôt au sein de l’Union anarchiste française (1920-1939) que l’impact de la Plateforme se fait sentir, à la suite de son adoption officielle à l’automne 1927. Malgré le départ de quelques irréductibles synthésistes, dont Sébastien Faure, l’anarchisme français se coalise autour de la Plateforme, dont les principes restent influents jusqu’à la Seconde Guerre mondiale[15]. L’anarchiste italien Errico Malatesta (1853-1932) se montre initialement réticent, avant de convenir de la proximité entre ses positions et celles de Makhno[16], à l’image de nombreux groupes libertaires à travers l’Europe au tournant des années 1920-1930. En définitive, il est vrai que le texte-manifeste reprend l’esprit de Bakounine concernant la nécessité de s’organiser sur des bases claires et unitaires, afin de déployer une stratégie cohérente et efficace ; il est normal que l’anarchisme social européen lui soit favorable.

Dielo Trouda, nos. 13-14, 1926.

Thèses et lignes de force de la Plateforme

Au-delà du contexte historique, la Plateforme d’Archinov demeure un document important pour réfléchir à la question de l’organisation politique dans une perspective communiste libertaire. Le texte se divise en trois parties. La première, générale, traite de la lutte des classes, de la nécessité de la révolution et du communisme libertaire. La seconde, dite constructive, est une proposition sur la manière d’organiser une société révolutionnée. Enfin, la troisième partie aborde la question de l’organisation, soit de ce qu’il faut faire pour passer des principes à l’utopie réalisée. Elle se concentre sur les enjeux d’unité et de responsabilité collective. Aux yeux des auteur·rices, « il est temps pour l’anarchisme de sortir du marais de la désorganisation, de mettre fin aux vacillations interminables dans les questions théoriques et tactiques les plus importantes, de prendre résolument le chemin du but clairement conçu, d’une pratique collective organisée[17] ». La possibilité de la révolution sociale est à ce prix.

La Plateforme commence par rappeler que le monde est structuré par la lutte des classes, c’est-à-dire qu’il est composé de deux groupes antagoniques, la bourgeoisie et le prolétariat, qui s’affrontent[18]. Les bourgeois possèdent les moyens de production et le pouvoir, ce contre quoi les masses laborieuses doivent lutter afin d’instaurer une société égalitaire. Plus exactement, le prolétariat doit mener une révolution violente, à laquelle concourent les anarchistes organisé·es, afin d’instaurer le communisme libertaire, un monde sans propriété privée, sans État et sans domination. Cela permettra, suivant le mot de Karl Marx repris deux fois dans le texte, de transiter « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins[19] ».

La première tâche des révolutionnaires consiste à s’organiser et à développer un programme commun, puis à préparer les ouvrier·ères et les paysan·nes en vue de la révolution. Pour ce faire, les anarchistes doivent exacerber la lutte des classes sur les plans sociaux et économiques, ce qui inclut l’organisation des éléments les plus politisés et leur intégration au mouvement libertaire. En sus de la propagande, les anarchistes doivent prendre la direction théorique du mouvement révolutionnaire, sans pour autant adopter le dirigisme politique. Ils devront faire montre d’une activité incomparable afin de galvaniser le mouvement et de le maintenir dans une direction libertaire. Ainsi, pour les rédacteurs de la Plateforme, les anarchistes organisé·e·s inspirent et encadrent le mouvement révolutionnaire des masses, mais sans imposer leur autorité, un complexe travail d’équilibriste. À cette difficulté s’ajoute celle d’un passage quasi immédiat (sans période de transition) au communisme libertaire, peut-être souhaitable, mais passablement utopique[20].

La Plateforme poursuit en exposant la manière dont la nouvelle économie et les nouveaux rapports sociaux devront être établis après la révolution. L’ensemble des moyens de production seront collectivisés et les marchandises réparties également entre les travailleur·euses. L’économie sera gérée au niveau local par des comités ouvriers, fédérés entre eux au niveau national. La prompte réalisation de ces objectifs fortifiera la détermination des masses laborieuses qui seront alors en mesure de lutter efficacement contre la réaction ; l’unité d’action des travailleurs déterminera la rapidité de leur triomphe définitif. C’est pour faciliter l’atteinte de l’ensemble des objectifs nommés que la Plateforme est rédigée et qu’elle doit, selon ses auteur·rices, servir de base à une organisation – l’Union générale des anarchistes – dont la structure est décrite à la fin du texte. Elle devra posséder une unité idéologique et tactique, ainsi qu’adopter les principes de responsabilité collective et du fédéralisme. Partant, une telle organisation pourra clarifier les buts du communisme libertaire, afin de « remplir sa tâche, sa mission idéologique et historique dans la révolution sociale des travailleurs, et devenir l’avant-garde organisée de leur processus émancipateur[21] ».

* * *

Au final, il semble que la Plateforme d’organisation des communistes libertaires doive éveiller notre intérêt sur (au moins) trois plans interreliés. D’abord, elle nous offre un bilan de l’expérience de la Makhnovchtchina, dont elle tente de synthétiser les meilleures pratiques. Ensuite, elle résume les fondements du communisme libertaire avec limpidité[22]. Enfin, elle présente une manière d’envisager la politique qui demeure pertinente à ce jour. La Plateforme nous rappelle que nos sociétés sont traversées par une lutte entre les propriétaires et les producteur·rices, et que nous devons penser notre action à l’aune de cette réalité. Face à un adversaire aussi puissant que le capitalisme, les travailleuses et les travailleurs doivent s’organiser en acceptant une unité – idéologique et pratique – réelle, et le principe de la responsabilité collective. Nous devons assumer les décisions prises en commun au profit d’une plus grande efficacité. L’approche unitaire et solidaire des plateformistes leur a permis de triompher dans des circonstances extrêmes, et elle peut inspirer notre lutte contre le régime d’exploitation actuel[23]. Les dangers qui nous menacent – la violence capitaliste, l’impérialisme, la crise écologique, la montée du fascisme – imposent plus que jamais de prendre au sérieux l’organisation révolutionnaire, afin de les dépasser et d’instaurer un monde égalitaire.

Montréal, le 1er décembre 2023


[1] Doctorant en philosophie politique (codirection Université de Montréal / Université de Lille), chargé de cours en philosophie (Université de Montréal) et membre fondateur du collectif Archives Révolutionnaires. L’auteur tient à remercier David Mandel et Nicolas Phébus pour leurs commentaires, tout en assumant l’entièreté des erreurs qui pourraient subsister.

[2] Parmi une riche littérature, on consultera notamment RABINOWITCH, Alexander. Les bolcheviks prennent le pouvoir, Paris, La Fabrique, 2016.

[3] Pour une histoire synthétique et fiable de la Makhnovchtchina, voir AVRICH, Paul. Les anarchistes russes, Paris, Maspero, 1979, pages 233-266.

[4] Principes de base de l’organisation de l’Union des anarchistes de Gouliaï-Polié dans MAKHNO, Nestor. Mémoires et écrits (1917-1932), Paris, Ivrea, 2009, page 463. Le groupe de Gouliaï-Polié, auquel appartient Makhno, assume la direction politico-militaire de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne.

[5] Ces articles, ainsi que plusieurs autres, sont disponibles dans MAKHNO. Mémoires et écrits, 2009, pages 501-558.

[6] Sur l’attribution du texte et cette polémique, voir SKIRDA, Alexandre. Autonomie individuelle et force collective. Les anarchistes et l’organisation de Proudhon à nos jours, Paris, autoédité, 1987, pages 161-188 et 245-246.

[7] Dans un article préfigurant la Plateforme, Archinov précise que la seule solution est « l’organisation commune de nos forces sur la base de la responsabilité collective et de la méthode collective d’action », dans Diélo Trouda no 3 (août 1925), cité par SKIRDA. Autonomie individuelle, 1987, page 163.

[8] SKIRDA. Autonomie individuelle, 1987, page 165.

[9] Archinov s’exprime à plusieurs reprises durant l’été 1926 pour défendre cette position, arguant que « l’anarchisme est l’idéologie de la classe ouvrière et sa meilleure tactique, aussi il doit se présenter de manière unitaire tant théoriquement qu’organisationnellement », sinon « la révolution anéantira ceux qui ne se seront pas organisés à temps ». Voir SKIRDA. Autonomie individuelle, 1987, page 166.

[10] Korn et Grave interrogent notamment les rapports entre majorité et minorité au sein du mouvement anarchiste, ainsi que la tension entre organisation versus centralisation. Ces débats ont une importance modérée pour le mouvement anarchiste puisqu’elles traitent des modalités organisationnelles plutôt que du principe même d’une organisation commune.

[11] Le synthésisme cherche à unir les trois tendances que sont l’individualisme, l’anarcho-syndicalisme et le communisme libertaire, mais sans abolir leur distinction ni leur imposer une direction.

[12] Cette brochure, rédigée par Voline, est contresignée par sept autres camarades (Ervantian, Fléchine, Lia, Roman, Schwartz, Sobol et Mollie Steimer). Voir SKIRDA. Autonomie individuelle, 1987, page 174-177 pour l’analyse de ce texte.

[13] Cité par SKIRDA. Autonomie individuelle, 1987, page 175.

[14] Une association peu crédible en regard de l’histoire de la Makhnovchtchina, mais renforcée par le fait que Piotr Archinov soit rentré en URSS en 1933 avec l’accord du Parti bolchevique.

[15] L’Union anarchiste abandonne la Plateforme comme fondement organisationnel en 1930, mais le communisme libertaire et les idées plateformistes restent présentes chez les anarchistes français jusqu’à la guerre et même ensuite. Voir MAITRON, Jean. Le mouvement anarchiste en France (vol. 2), Paris, Maspero, 1975, pages 80-89.

[16] Cette proximité, réelle, n’implique pas une similitude de vue. En effet, Malatesta insiste particulièrement sur la libre association dans l’organisation, comme l’exprime cet extrait : « Les bases d’une organisation anarchiste doivent être les suivantes, à mon avis : pleine autonomie, pleine indépendance et donc, pleine responsabilité des individus et des groupes ; libre accord entre ceux qui croient utile de s’unir pour coopérer dans un but commun ; devoir moral de tenir les engagements pris et de ne rien faire qui contredise le programme accepté. » (Il Risveglio, 15 octobre 1927). Voir MALATESTA, Errico. Écrits choisis (vol. 2), Annecy, Groupe 1er Mai, page 42.

[17] ARCHINOV, Piotr et al. Plateforme d’organisation des communistes libertaires, Montréal, M Éditeur, 2024, page 4.

[18] Pour une étude approfondie de la notion de lutte des classes, on consultera LOSURDO, Domenico. La lutte des classes. Une histoire politique et philosophique, Paris, Delga, 2016.

[19] Critique du programme du Parti ouvrier allemand dans MARX, Karl. Œuvres. Économie I, Paris, Gallimard, 1965, page 1420 et ARCHINOV. Plateforme, 2024, pages 15 et 33.

[20] Ces éléments – le rôle de l’organisation, la transition, la question de l’État – sont au cœur des polémiques entre communistes libertaires et bolcheviks. À ce sujet, voir MAITRON. Le mouvement anarchiste (vol. 2), 1975, pages 139-173 et 185-206.

[21] ARCHINOV. Plateforme, 2024, page 53.

[22] Afin de pousser la réflexion, on consultera l’ouvrage de SKIRDA. Autonomie individuelle, 1987, qui offre de nombreux autres textes concernant le débat entre plateformisme et synthésisme, pages 247-341. Voir aussi le Supplément à la Plateforme organisationnelle (questions et réponses) dans ARCHINOV. Plateforme, 2024, pages 55-76.

[23] La Plateforme peut servir de référence, mais doit être complétée, notamment puisqu’elle fait l’impasse sur les questions féministes et l’impérialisme, des sujets importants et débattus depuis déjà longtemps en 1926.

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28 mai 2024 | Photo : Un des tracteurs formant le convoi de manifestation. L'Hebdo Mékinac /Des Chenaux

La privatisation de l'énergie éolienne et son impact sur la mission d'Hydro-Québec [1]

En fait, la privatisation de la production de l'énergie éolienne est amorcée depuis des années. Hydro-Québec achetait l'énergie produite par les producteurs privés. Mais le gouvernement Legault a choisi d'approfondir la privatisation de la production de l'énergie éolienne et de soutenir les promoteurs privés de ce secteur pour attirer les multinationales des filières batteries et d'autres entreprises grandes consommatrices d'énergie. C'est là son nouveau modèle de développement économique. Le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon, a parcouru le monde pour offrir à ces entreprises une énergie renouvelable à faible prix. Il a tellement promis qu'il a créé une situation qu'il a caractérisée comme étant celle d'une société québécoise en pénurie d'électricité. Depuis des mois déjà, le ministre annonce le dépôt d'un projet de loi qui ouvrirait la production et la distribution de l'électricité au privé mettant ainsi fin au monopole d'Hydro-Québec. En fait, cette loi ne ferait que lever les obstacles législatifs bloquant les différentes initiatives du privé dans le secteur.

La suite coule de source. Il faudrait augmenter la production de l'énergie électrique au Québec pour répondre aux besoins créés pour attirer ces entreprises. Comme la construction de barrages hydro-électriques demande au moins une décennie sinon davantage, la décision de soutenir le développement des parcs d'éoliennes s'avère la solution la plus facile à opérationnaliser.

Mais pour le gouvernement Legault, cette opération devait être confiée aux promoteurs privés, quitte à demander le versement de certaines redevances aux municipalités, redevances peu contraignantes compte tenu des profits envisagés par ces promoteurs.

Si Hydro-Québec doit fournir l'énergie à la filière batteries, la course à l'éolien privé a pour objectif de permettre d'assurer que la production privée puisse non seulement être achetée par Hydro-Québec, mais permettre l'autoproduction d'électricité pour des projets industriels particuliers. Cette électricité pourra être transportée également par des réseaux privés jusqu'à leurs entreprises ou achetée par d'autres entreprises. C'est le cadre légal de ces démarches que veut fournir le projet de loi que le ministre Pierre Fitzgibbon s'apprête à déposer.

Le projet de TES Canada est exemplaire à cet égard. [2] C'est un projet de 4 milliards de dollars. Il s'agirait de produire de l'hydrogène à partir de l'électrolyse de l'eau, un procédé qui nécessite une grande quantité d'énergie. Selon ses promoteurs, les deux tiers du courant nécessaire viendront de leurs propres éoliennes. Le promoteur propose de construire 140 éoliennes capables de produire 800 mégawatts reliées à l'usine par un réseau de câblage souterrain privé. Les deux tiers de l'hydrogène produit seront convertis en gaz naturel synthétique pour Énergir qui alimentera son réseau de gazoducs. « De son côté, le professeur Bruno Detucq a évalué que le gaz réformé de TES Canada Canada pourrait chauffer 40 000 maisons comparativement à 666 000 maisons, soit 16 fois plus, si la même quantité d'électricité était utilisée directement avec une thermopompe. Le projet de TES Canada représente un gaspillage immoral de notre précieuse énergie . » [3]

À la demande des entrepreneurs privés de l'éolien, comme TransCanada, Boralex, Energir, EDF, le gouvernement a choisi de soutenir l'installation d'éoliennes dans la vallée du Saint-Laurent, principalement en terres agricoles et en lieux habités.

Des conséquences antiécologiques, antisociales et antidémocratiques de la privatisation de l'éolien

Cette privatisation de l'éolien a une série de conséquences désastreuses pour la société québécoise. Même si les gisements les plus importants d'énergie éolienne se trouvent dans le Grand Nord, il n'était pas question pour les entreprises de ce secteur de se lancer dans ces grands travaux. Ils sont trop coûteux pour une seule entreprise privée ou un simple trust. Seule une société comme Hydro-Québec serait à même de mener de tels travaux et aurait pu utiliser les grandes lignes de transmission déjà en place pour transporter l'électricité produite. Ce développement aurait été rentable et n'aurait pas envahi les terres agricoles et causé de multiples problèmes aux personnes habitant la vallée du Saint-Laurent.

Hydro-Québec n'a pu utiliser les meilleurs gisements d'énergie éolienne, car les choix de développement lui échappent de plus en plus en plus. La construction d'éoliennes dans le Grand Nord et dans les zones non habitées est maintenant écartée. Le développement se fera de plus en plus à l'initiative des entreprises privées permettant à terme la perte d'expertise d'Hydro-Québec. Le développement de l'énergie éolienne sera de plus en plus motivé par la recherche de profits à court terme et au moindre coût. C'est pourquoi les champs d'éoliennes sont développés dans le sud et sur les terres agricoles.

Alors qu'Hydro-Québec est une source importante de revenus pour l'État québécois, les nouveaux revenus générés par les champs d'éoliennes tomberont dans les poches des promoteurs privés, diminuant d'autant les redevances possibles pouvant être reçues par le trésor public.

Pour s'implanter, les promoteurs privés promettent monts et merveilles aux agriculteurs et agricultrices et aux municipalités qui sont souvent à court d'argent et leur font signer des ententes confidentielles permettant l'installation d'éoliennes sur leurs terres.

La résistance du monde rural à la privatisation de l'éolien et la lutte pour la protection du territoire agricole

L'UPA a pris clairement position et s'est opposée à l'implantation des parcs éoliens et des fermes solaires en zone agricole. [4], Un manifeste a été publié par l'UPA de la Mauricie qui appelle à la protection des terres agricoles dans les MRC des Chenaux et Mékinac. [5] Il demande que les terres agricoles soient réservées aux activités de nature agricole.

Un regroupement de maires et mairesses, Vents d'élus [6], a publié un mémoire qui dénonce l'utilisation des terres agricoles à des fins non agricoles. Ce mémoire souligne la rareté des terres agricoles au Québec qui représente à peine 2% du territoire. Et le fait que les promoteurs, dans une volonté de procéder au plus vite sans tenir compte des volontés citoyennes, se permettent de créer des divisions entre les habitant-e-s des régions, entre les personnes et les institutions qui ont besoin d'argent et qui espèrent en tirer des redevances à court terme et les personnes et les institutions qui estiment que ce sera une perte sur le long terme pour la production agricole et pour leurs conditions de vie compte tenu des nuisances créées par ces champs d'éoliennes. Nous reproduisons ci-dessous une pétition Pour un BAPE générique, qui résume très bien les enjeux de cette installation des champs d'éoliennes dans les terres agricoles et les zones habitées.

Les perspectives d'un parti de gauche authentique

Le développement de l'éolien privé constitue le vol du siècle comme l'affirmait un militant du SCFP au colloque organisé par ce syndicat contre la privatisation d'Hydro-Québec. Non seulement il détourne des revenus de la société québécoise dans les poches d'entrepreneurs privés, mais il induit un type de développement anarchique. Il met en cause la possibilité d'une planification d'ensemble de la production des besoins énergétiques du Québec. De plus, il se fait sur des terres agricoles, en bousculant les aspirations à un contrôle citoyen sur leur propre vie.

C'est pourquoi la nationalisation/socialisation (soit le fait de considérer l'énergie comme un bien commun) de la production des énergies renouvelables est un incontournable pour créer les conditions d'une véritable transition énergétique et écologique. Ces mobilisations citoyennes dans le monde rural tirent aujourd'hui la sonnette d'alarme. Le gouvernement Legault, au service des grandes entreprises, ne constitue en rien un allié de ces mobilisations. Au contraire, il est le meilleur allié de ces promoteurs. C'est pourquoi, la seule perspective envers ce gouvernement n'est pas d'en faire un partenaire d'une véritable transition écologique, mais de démontrer l'absence de légitimité de ses politiques et la nécessité de le remplacer par un gouvernement de rupture qui définit ses politiques à partir des mobilisations citoyennes et qui compte sur leur force pour écarter les promoteurs privés et autres multinationales, et assurer le contrôle de la majorité citoyenne sur la transition énergétique au Québec.

Annexe

Résolution : BAPE générique sur la filière éolienne

CONSIDÉRANT la prolifération de projets éoliens sur le territoire agricole et habité du Québec ;

CONSIDÉRANT qu'au Québec, le territoire cultivable ne représente que 2% du territoire , soit 0,28 hectare cultivable par habitant ;

CONSIDÉRANT que la sécurité et l'autonomie alimentaire sont essentielles ;

CONSIDÉRANT que toute réduction du territoire cultivable menace la sécurité et l'autonomie alimentaire ;

CONSIDÉRANT que la Commission de la protection du territoire agricole (CPTAQ) a autorisé à ce jour 99% des demandes de dérogations pour l'installation d'éoliennes en milieu agricole ;

CONSIDÉRANT le rapport de Madame Janique Lambert, commissaire au développement durable du Québec, publié le 25 avril 2024, soulignant que les terres agricoles sont « essentielle[s] à l'autonomie alimentaire de la population et au développement du secteur bioalimentaire. Il importe donc d'assurer la protection et la mise en valeur du territoire agricole, et ce, au bénéfice des générations actuelles et futures. » ;

CONSIDÉRANT que plusieurs personnalités publiques, incluant le premier ministre, le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, le président général de l'Union des producteurs agricoles et les deux présidents des unions municipales québécoises, se sont prononcées publiquement en faveur de la protection des terres agricoles et de l'autonomie alimentaire ;

CONSIDÉRANT l'étude de l'Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) du 14 mars 2024 démontrant que les retombés économiques du développement de la filière éolienne privée ne profitent pas de façon équitable aux municipalités et aux citoyens du Québec, mais profitent surtout à l'industrie privée et à ses actionnaires ;

CONSIDÉRANT que dans cette même étude, le développement de la filière éolienne privée soulève d'importants enjeux concernant la mission d'Hydro-Québec ;

CONSIDÉRANT les nombreuses préoccupations citoyennes soulevées depuis plusieurs mois, autant dans notre municipalité qu'ailleurs au Québec, au sujet du développement de la filière éolienne ;

CONSIDÉRANT les nombreuses questions soulevées, autant par les élus que par les citoyens de nombreuses MRC au Québec qui demeurent sans réponses claires et satisfaisantes ;

CONSIDÉRANT les préoccupations de ce conseil pour l'avenir des terres agricoles, des milieux naturels et de la qualité du milieu de vie de ses citoyens ;

CONSIDÉRANT qu'il y a urgence d'agir compte tenu de l'objectif d'Hydro-Québec de tripler le nombre d'éoliennes sur le territoire d'ici 2035 ;

CONSIDÉRANT que le gouvernement du Québec n'a pas jugé bon de déclencher une étude environnementale stratégique sur la filière éolienne conformément à l'article 95.10 de la Loi sur la qualité de l'environnement (LQE) qui prévoit que « les stratégies, les plans ou les autres formes d'orientations… doivent faire l'objet d'une évaluation environnementale stratégique. » ;

CONSIDÉRANT que de nombreuses audiences du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) ont eu lieu au Québec au sujet de nombreux projets éoliens, mais qu'aucune analyse d'ensemble n'a été faite à ce jour ;

CONSIDÉRANT qu'un BAPE générique serait le meilleur outil pour faire cette analyse d'ensemble ;

CONSIDÉRANT le désir de ce conseil pour que les enjeux entourant le développement éolien en milieu habité et agricole soient éclairés par le biais d'un BAPE générique ;

CONSIDÉRANT que selon l'article 6.3 de la Loi sur la qualité de l'environnement (LQE), « le BAPE a pour fonctions d'enquêter sur toute question relative à la qualité de l'environnement que lui soumet le ministre de l'Environnement et de faire rapport à ce dernier de ses constatations ainsi que de l'analyse qu'il en a faite. » ;

CONSIDÉRANT que selon l'article 6.3 de la LQE, le BAPE doit « tenir des audiences publiques ou des consultations ciblées dans les cas où le ministre le requiert. » ;

EN CONSÉQUENCE ET POUR CES MOTIFS, IL EST PROPOSÉ PAR XXX et résolu par ce Conseil :

• Que le conseil municipal de … prenne position en faveur d'un BAPE générique sur la filière éolienne ;

• Que le conseil municipal de … demande au ministre de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Monsieur Benoit Charrette, de se prévaloir du pouvoir qui lui est confié en vertu de l'article 6.3 de la LQE et de donner le mandat d'un BAPE générique sur la filière éolienne au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement ;

• De transmettre cette résolution aux personnes et aux organismes désignés ci-dessous en réitérant la position du conseil et en leur demandant de l'adopter, de l'appuyer ou d'agir selon leur champ de compétences afin d'exiger la tenue d'un BAPE générique sur la filière éolienne :

o Les municipalités de la MRC de … ;
o La MRC de … ;
o Le Ministre de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Monsieur Benoit Charette ;
o Le Ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, Monsieur André Lamontagne ;
o La Ministre des Affaires municipales et de l'Habitation, Madame Andrée Laforest ;
o Le Ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Monsieur Pierre Fitzgibbon ;
o Le premier ministre, Monsieur François Legault ;
o Le député ou la députée provincial ;
o Monsieur Marc Tanguay, chef du parti Libéral du Québec ;
o Monsieur Gabriel Nadeau-Dubois et Madame Christine Labrie, co-portes-paroles de Québec Solidaire ;
o Monsieur Paul Saint-Pierre-Plamondon, chef du parti québécois ;
o Monsieur Éric Duhaime, chef du parti Conservateur du Québec ;
o Madame Martine Ouellet, cheffe de Climat Québec ;
o Monsieur Martin Caron, président général de l'Union des producteurs agricoles ;
o Le président ou la présidente de l'UPA régional ;
o Monsieur Jacques Demers, président de la Fédération Québécoise des Municipalités ;
o Monsieur Martin Damphousse, président de l'Union des Municipalités du Québec ;
o Monsieur Patrick Gloutney, Président du Syndicat SCFP-QUEBEC ;
o Madame Carole-Anne Lapierre, Alliance SaluTERRE ;
o Monsieur Normand Beaudet, Fondation Rivières ;
o Madame Mélanie Busby, Front commun pour la transition énergétique ;
o Monsieur Philippe Duhamel, Regroupement vigilance énergie Québec ;
o Madame Myriam Thériault, Mères au front ;
o Madame Rachel Fahlman, Vent d'élus ;
o Comité citoyen local.

ADOPTÉ À L'UNANIMITÉ ou MAJORITÉ DES MEMBRES PRÉSENTS.

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[2] Pierre Dubuc, Hydrogène vert, le retour des trusts d'électricité, L'Action nationale, Vol, CXIII, no 10, décembre 2023

[3] Martine Ouellet, Hydrogène « vert » de TES Canada, la Grande imposture, Journal de Montréal, 19 avril 2024 - https://www.journaldemontreal.com/2024/04/19/hydrogene-vert-de-tes-canada-la-grande-imposture

[4] Charles-Félix Ross, Le développement éolien au Québec : les enjeux en milieu agricole, l'auteur est directeur général de l'Union des Producteurs Agricoles. Cette allocution a été livrée dans le cadre du Congrès Mines + Énergie en 2023, tirée de l'Action nationale, décembre 2023, vol. CXIII, no. 10

[5] UPA de la Mauricie, Manifeste pour la protection des terres agricoles dans les MRC des Chenaux et de Mékinac, https://www.mauricie.upa.qc.ca/manifeste

[6] Course à l'énergie, déni de démocratie, Libre Media, 7 décembre 2023, https://libre-media.com/articles/course-a-lenergie-deni-de-democratie

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Alors que les manifestations « Occupy » de 2011 s'épuisaient, un tournant dramatique de manifestations et vers l'activité politique est apparu. Aux États-Unis, l'énergie a été canalisée vers la campagne de 2016 de Bernie Sanders pour l'investiture du Parti démocrate à la présidentielle. Lorsque cela a également déraillé, de nombreux partisan.e.s de Sanders se sont tourné.e.s, une fois de plus, vers le mouvement ouvrier comme fondement d'un changement social radical.

le 20 mai 2024 | tiré de Socialistproject.ca | traduction : David Mandel
HTTPS ://SOCIALISTPROJECT.CA/2024/05/GENERATIONAL-CHALLENGE-TAMING-AMAZON-RENEWING-LABOUR/

D'un point de vue historique, ces « tournants » ont marqué une avancée dans la longue marche de la recherche d'une nouvelle politique socialiste. Mais le véritable contenu politique du moment s'est avérée mince. Les partisan.e.s de Sanders, malgré tout leur enthousiasme, semblaient chercher un raccourci électoral pour affronter « le système » et le pouvoir de l'État. Cela a été démontré lorsque, dans l'ombre de la défaite de Sanders, une grande partie du mouvement qu'il a inspiré est revenue à ce qu'elle faisait auparavant ou s'est discrètement dissipée. Même le tournant le plus substantiel vers les syndicats avait tendance à idéaliser les travailleurs et travailleuses et leurs luttes fragmentées et largement défensives.

Néanmoins, dans cette effervescence se trouvaient également des groupes de (principalement) jeunes socialistes, petits en nombre mais grands en ambition, qui en sont venus à saisir plus clairement les limites d'une politique électorale non soutenue par une base ouvrière substantielle. Leur priorité était la construction, à la fois large et approfondie, à long terme de cette base indispensable. Pour une partie de ce mouvement, l'engagement en faveur d'une politique de classe enracinée s'est concrétisé par l'identification d'Amazon comme incarnant le défi décisif pour le mouvement syndical de cette génération.

Amazon, pensaient-ils et elles, pourrait devenir un catalyseur de changements plus importants dans le monde du travail, changements qui se classaient au même rang que les succès du CIO dans les années 1930. Ils et elles se sont fait embauché.e.s chez Amazon aux États-Unis et au Canada ou ont travaillé comme organisateurs et organisatrices externes. Leur activité organisatrice était locale mais liée aux réseaux d'autres sections régionales de socialistes qui partageaient leurs idées.

Lorsque l'on considère ce « défi Amazon », deux réalités interdépendantes, controversées pour beaucoup, sont centrales : l'ampleur de la défaite du mouvement ouvrier qui dure depuis des décennies et l'identification d'Amazon comme l'entreprise emblématique du 21e siècle. Le succès des efforts consacrés à Amazon pourrait rendre crédible l'affirmation syndicale selon laquelle « entre nos mains est placé un pouvoir plus grand que leur or thésaurisé ». Un échec consoliderait les défaites de la classe ouvrière.

Les parties I et II de cet essai discutent des réalités contextuelles des défaites politiques du monde du travail depuis les années 1970 et la récente montée remarquable d'Amazon. Cela servira de contexte de la troisième partie, d'une discussion des questions stratégiques liées au but d'une victoire sur Amazon. La section finale étend la discussion des obstacles auxquels se heurte la syndicalisation d'Amazon aux obstacles auxquels se heurtent l'organisation syndicale et la classe ouvrière de manière plus générale.

Partie I

Le monde du travail – est-il en train de gagner ?

Un refrain courant sur la gauche affirme que le mouvement syndical américain est de nouveau en marche. La question de validité de cette évaluation est critique pour toute discussion d'orientation stratégique. Si le mouvement syndical est en train de gagner, il suffit alors de « continuer à avancer ». Mais si les syndicats ne gagnent pas, alors nous devons changer de vitesse et faire quelque chose de résolument différent.

Des évolutions prometteuses existent évidemment. Les récentes victoires chez Starbucks démontrent la volonté obstinée des baristas de se syndiquer. Et même si les espoirs chez Starbucks ne se concrétisent pas, ces jeunes militant.e.s engagé.e.s pourraient se lancer dans la construction du pouvoir des travailleurs et des travailleuses ailleurs.

Le fait que les Travailleurs et travailleuses uni.e.s de l'automobile (UAW) aient mis de côté leurs anciennes pratiques lors du dernier cycle de négociations avec les « Trois Grands » en faveur d'un combat créatif et discipliné de « chaos organisé » a été particulièrement significatif. Les progrès de l'UAW ont été impressionnants. Mais c'est l'esprit combatif du syndicat qui a été la clé, après deux déceptions précédentes, pour amener l'usine Volkswagen du Tennessee dans le giron. Il s'agissait de la première usine de montage automobile étrangère à être yndiquée dans le sud des États-Unis, une région en expansion démographique et économique, mais particulièrement hostile aux syndicats. L'élan suscité par la participation remarquable (84%) et le vote (trois contre un) a été détourné par la défaite de Mercedes-Benz en Alabama. Mais il est néanmoins probable qu'il se poursuive avec la syndicalisation de dizaines de milliers d'autres travailleurs et travailleuses nouvellement enthousiastes.

Les succès de l'UAW en matière de négociation et d'organisation ne s'arrêtent pas non plus à la frontière entre l'économie et un plus grand engagement social. Ému par l'horreur des bombardements à Gaza et soutenu par l'autorité des récents succès du syndicat (ainsi que par le nombre croissant d'étudiant.e.s et d'assistant.e.s diplômé.e.s membres de l'UAW), le président de l'UAW, Shawn Fain, s'est prononcé avec force en faveur des campements de protestation sur les campus universitaires.

Ce ne sont pas les seules histoires encourageantes. Le mouvement ouvrier est certainement en pleine effervescence, et le potentiel qu'il laisse entrevoir est réel. Mais après des décennies de défaites et de stagnation, les déclarations d'un renversement définitif – affirmées si souvent et avec assurance au fil des années par les commentateurs et commentatrices de gauche – reflètent un abaissement de la barre de mesure du succès et minimisent la réalité d'un mouvement ouvrier qui continue, au mieux, à marcher seulement sur place.

Aussi séduisantes que puissent être les proclamations optimistes, les luttes ouvrières (quelques exemples très importants mis à part) sont encore généralement localisées, sporadiques et défensives, tandis que le pouvoir des travailleurs et des travailleuses sur les lieux de travail, dans la communauté et dans la vie politique reste incontestablement subordonné. Nier cela pour tenter de garder le moral des militant.e.s n'est pas une faveur pour les syndicats. Cela fait obstacle à une confrontation honnête avec ce qu'il faudrait réellement faire pour créer et maintenir le type de mouvement syndical dont nous avons désespérément besoin.

Considérez ce marqueur important. Le temps de travail perdu à cause de grèves, en pourcentage du temps de travail total, était en effet plus élevé en 2023 qu'il ne l'a été depuis le tournant du millénaire (2000). Mais comparer l'année dernière avec une période prolongée au cours de laquelle le monde du travail a été humilié témoigne davantage de la baisse accumulée des attentes des travailleurs et des travailleuses et des syndicats que de la naissance d'une nouvelle ère. Dans les années 1960 et 1970, le temps perdu en raison de grèves majeures était en moyenne plus de trois fois supérieur à celui de 2023, et même cela a été suivi dans les années 1970 par l'assaut agressif et soutenu contre le travail qui hante toujours les travailleurs et les travailleuses.

Ou bien considérez le taux de syndicalisation. Le taux aux États-Unis s'élève à 10 %, soit la moitié de ce qu'il était au début des années 80. (Au cours de cette période, la population active a augmenté de quelque 50 millions, tandis que le nombre de travailleurs et travailleuses syndiqué.e.s a chuté d'un tiers). Aux États-Unis, le taux de syndicalisation est désormais inférieur à ce qu'il était il y a un siècle, voire encore plus bas si l'on considère uniquement le secteur privé.

Cela n'est pas surprenant puisque très peu de percées ont eu lieu dans de nouveaux secteurs ou parmi les entreprises les plus importantes. La syndicalisation chez Walmart, par exemple, a été identifiée il n'y a pas si longtemps comme une nécessité pour les travailleurs et les travailleuses, dans l'attente d'un bond en avant en matière de syndicalisation dans le commerce de détail à bas salaires. Aujourd'hui Walmart et sa leçon ne semblent plus sur le radar de mouvement ouvrier.

Quoi qu'il en soit, le problème s'étend au-delà de la stagnation de la dite densité syndicale et s'étend aux types de syndicats que les travailleurs et travailleuses ont construits. Au Canada, le taux de syndicalisation est désormais de 29 %, soit environ le triple de celui des États-Unis. Pourtant, cela n'a pas conduit à un mouvement plus dynamique que son homologue américain. Les rébellions initiées par en bas pour ouvrir des conventions collectives et compenser l'inflation ont été rares. Plus rares encore ont été les grèves sauvages face à l'intensification du travail.

Les syndicats canadiens n'ont pas non plus battu une unité sensiblement plus grande entre les syndicats et les communautés. Une grève illégale particulièrement louable en novembre 2022 en. Ontario des cols bleus de l'éducation, résultat de plus de huit mois d'éducation et de mobilisation par leur syndicat, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), a reçu l'appui rhétorique d'autres syndicats, mais pas le niveau de soutien que la lutte exigeait.

Il était bien sûr naïf d'attendre davantage du reste du mouvement syndical, puisque les autres syndicats n'avaient pas procédé à une préparation similaire de leurs propres membres. Mais le point le plus révélateur est que l'exemple du SCFP n'a pas suscité une émulation générale de la leçon encourageante que les syndicats regardent en face : les travailleurs et travailleuses, souvent tenu.e.s pour acquis.es et sous-estimé.e.s, peuvent s'organiser pour contester leur situation et même la loi.

La syndicalisation aux États-Unis de quelque 400 lieux de travail dispersés de Starbucks (environ 2,5 % des 16,000 cafés détenus ou franchisés par Starbucks à travers les États-Unis) reste loin de représenter un pouvoir pratique sur le lieu de travail. Si les travailleurs et les travailleuses de Starbucks parvenaient d'une manière ou d'une autre à conclure une convention collective nationale et à se syndiquer pleinement, ce serait une réalisation très importante et inspirante, mais cela n'aurait pas le poids économique d'organiser une entreprise du genre d'Amazon.

Le secteur automobile, en revanche, représente une grande importance économique et sociale. L'UAW cherche syndiquer 150 000 travailleurs et travailleuses de l'automobile de plus – un objectif clairement impressionnant et même monumental par rapport aux normes récentes. Mais Amazon, avec ses 1 million de travailleurs et travailleuses, reste, comme Walmart et d'autres détaillants, non syndiqué. En mesurant l'état général du monde du travail, il faut reconnaître que l'esprit rajeuni de l'UAW n'a pas encore été repris ailleurs.

Quant au revirement bienvenu de l'évaluation des syndicats dans l'opinion publique, la prudence est ici également de mise. Les récentes attitudes positives à l'égard des syndicats peuvent, par exemple, être liées à une longue période sans périodes majeures de perturbations provoquées par les syndicats dans la vie des gens. Plus important encore, la délégitimation des principales institutions américaines – les gouvernements, les partis politiques, la Cour suprême, les médias, les entreprises dont les « libertés » portent atteinte aux libertés des travailleurs et travailleuses, et (dans une certaine mesure) la police – a sans aucun doute quelque chose à voir avec le soutien aux groupes oppositionnels. Mais cela ne s'applique pas uniquement aux syndicats. Cela s'applique aussi à la droite populiste, ce qui – bien que cela soit souvent exagéré – a également touché de nombreux set de nombreuses syndicalistes frustré.e.s. Cette montée de la droite, sous toutes ses formes complexes, doit être incluse dans toute évaluation visant à déterminer si la classe des travailleurs et des travailleuses en « en train de gagner ».

On ne peut nier l'empathie surprenante récente, et le soutien souvent actif, envers les grèves, qu'elles soient dans le secteur public ou privé. Cela semble confirmer une plus grande acceptation des syndicats aujourd'hui. Pourtant, aussi encourageants que soient ces signes et d'autres signes passionnants de la vie dans le monde du travail, ce que cela met en évidence n'est pas encore un renouveau définitif des syndicats et de leur position publique, mais plutôt des ouvertures qui suscitent de l'espoir de faire progresser le plein potentiel encore non réalisé de la classe ouvrière en tant que force sociale.

Ce qui est le plus révélateur de la situation du monde du travail, c'est que même si certain.e.s travailleurs et travailleuses gagnent des victoires partielles, les travailleurs et les travailleuses eux-mêmes et elles-mêmes savent généralement très bien que les travailleurs et les travailleuses ne sont certainement pas en train de gagner. Les inégalités de classe flagrantes s'aggravent ; la charge de travail continue de s'intensifier ; l'insécurité permanente est la réalité dominante de la classe ouvrière, car le dit « progrès » économique n'est pas synonyme de libération, mais de menaces.

Nier cette réalité pour inspirer les travailleuses et les travailleurs n'est pas organiser. Ce sont des illusions. L'inspiration sans les stratégies et les capacités collectives nécessaires pour les réaliser obscurcit tout ce qui doit être fait pour construire les structures et les pratiques qui pourraient apporter de véritables possibilités de réussite. Cette tâche exige également un examen sobre des limites structurelles des syndicats.

Syndicats : une plongée plus profonde

En réponse aux défaites subites par le mouvement syndical, les dirigeant.e.s syndicaux et syndicales et leurs sympathisant.e.s ont pointé du doigt toute une série de causes externes – entreprises avides, gouvernements hostiles, mondialisation, concurrence chinoise, finance parasitaire – et/ou ont placé leurs espoirs dans un renversement du cycle économique ou dans un changement des vents politiques qui amélioreront enfin le climat de négociation.

Tout cela est bien sûr très pertinent. Mais ce que les syndicats ont largement évité, et évitent encore, est la question : « Qu'est-ce qui doit changer au sein de nos propres organisations, si nous voulons faire face et progresser ? »

Par conséquent, à part quelques exemples importants, il y a eu beaucoup trop peu de discussions/débats impliquant les membres, au sein des syndicats et entre les syndicats, sur la refonte des stratégies, des structures et des pratiques. Comme on pouvait s'y attendre, l'hésitation du mouvement syndical à pénétrer des territoires inexplorés et à enquêter sur ses propres échecs compromet l'élaboration de réponses susceptibles de surmonter sa stagnation.

Le mouvement de gauche à l'extérieur des syndicats, révélant ses propres limites, a largement échoué à ouvrir un dialogue avec le mouvement ouvrier, ou à réévaluer honnêtement ses propres opportunités manquées. Une compréhension trop simpliste du mouvement syndical n'aide pas. Pour une grande partie de la gauche, la faiblesse des travailleurs et des travailleuses se réduit à une bureaucratie syndicale qui restreint la démocratie et sape le militantisme de la base travailleuse.

Il y a sans aucun doute des dirigeant.e.s syndicaux et syndicales habitué.e.s aux attentes réduites que le capitalisme impose aux travailleurs et aux travailleuses. Des attentes réduites entraînent moins de pression venant d'en bas et évitent le risque de nouvelles orientations pour le syndicat. Mais rejeter toute la faute sur les dirigeant.e.s syndicaux et syndicales tend également à idéaliser les travailleurs et les travailleuses et à ignorer leur propre passivité. Si les travailleurs et les travailleuses de base profondément frustré.e.s sont si facilement intimidé.e.s par leurs dirigeant.e.s élu.e.s, pourquoi est-il crédible d'imaginer les travailleurs et les travailleuses s'en prendre un jour aux patron.ne.s, à l'État, et au capitalisme lui-même ?

Le fait est que les travailleurs et les travailleuses ne sont par nature ni révolutionnaires ni passifs et passives. Ils et elles tentent de résister et de survivre dans l'environnement hostile dans lequel ils et elles se trouvent. Organiser – développer activement le pouvoir et la confiance du collectif – est le facteur décisif. À cet égard, il est impératif de noter que les syndicats émergent de la classe ouvrière mais ne sont pas eux-mêmes des institutions de classe. Ce sont des organisations plutôt particularistes, représentant des groupes de travailleurs et de travailleuses ayant des perspectives et des intérêts politiques différents et travaillant dans des entreprises spécifiques.

La « solidarité » de travailleurs et travailleuses organisé.e.s est biaisée en faveur de leurs propres lieux de travail et peut-être de leur syndicat ou secteur. Cela a peut-être semblé suffisant pour réaliser des gains salariaux et des avantages sociaux au cours des décennies uniques après la Seconde guerre mondiale. Mais cela n'a pas été suffisant pour faire face à la restructuration ultérieure par le capitalisme de l'économie, de l'État, et de la classe ouvrière elle-même.

Dans les nouvelles circonstances, le résultat du lien entre démocratie et militantisme, sans prêter attention à l'idéologie de classe, ne peut être présumé progressiste. Cela peut tout aussi bien déboucher sur ce que Raymond Williams a qualifié de « particularisme militant » – une indifférence, voire un antagonisme, à l'égard d'intérêts de classe plus larges. Un exemple est que les travailleurs peuvent prendre des décisions qui sont formellement démocratiques et qui, de manière populiste, remettent en question « de façon militante » l'idée selon laquelle leurs cotisations devraient soutenir d'autres luttes, des mouvements ou des causes internationales.

Cela recoupe la tendance – sous la pression combinée d'entreprises déterminées à maintenir leur droit absolu de gérance, l'engagement des États en faveur des droits de propriété, et le souci des travailleurs et des travailleuses de soutenir leurs familles – à renoncer à la lutte pour de meilleurs les conditions de travail en échange de salaires et d'avantages sociaux. Tout comme le particularisme mine l'orientation de classe, cet arbitrage mine l'implication quotidienne des travailleurs et des travailleuses dans l'élaboration de leur vie, qui devrait être au cœur de la démocratie sur les lieux de travail. Plutôt que de contester régulièrement la réduction de leurs capacités productives à des marchandises, le débat se réduit à un conflit périodique autour du prix de leur subordination, considérée comme allant de soi.

Et alors que les luttes autour des conditions de travail tendent à une décentralisation de l'activisme syndical et à un plus grand engagement des travailleurs et des travailleuses, la négociation des salaires et des avantages sociaux tend à une centralisation de la stratégie au niveau des plus hauts dirigeants, plus hautes dirigeantes, réduisant la participation des travailleurs et des travailleuses à la ratification de résultats qui leur sont proposés et à de grèves occasionnelles.

Cette marginalisation des luttes autour des conditions quotidiennes renforce la bureaucratisation et la passivité relative de la base travailleuse, prédisposant les relations entre travailleurs, travailleuses et leurs syndicats à une police d'assurance : les travailleurs et les travailleuses versent une prime (les cotisations) à une institution (le syndicat) en échange d'une « compensation » (le terme précis pour sacrifier le contrôle de votre force de travail au profit du pouvoir plus passif de la consommation individuelle). Avec peu de place pour la participation directe et la perturbation tactique qui sont l'oxygène de la résistance, la résistance s'atrophie.

Avant de relier ceci à la réponse stratégique que cela pourrait impliquer pour la lutte contre Amazon, nous devons établir pourquoi Amazon est, pour reprendre les termes de Jane McAlevey, un si important « test de structure » pour le mouvement syndical.

Partie II : Amazon Pourquoi Amazon ?

Des campagnes cruciales qui pourraient renforcer considérablement le mouvement syndical ne manquent pas. Mettre fin à la position exceptionnelle des E-U en matière de soins de santé universels et la volonté de l'UAW de réaliser une percée syndicale véritablement importante dans le sud des États-Unis n'en sont que deux exemples. L'idée selon laquelle Amazon représente le défi décisif pour les syndicats ne cherche pas à minimiser les autres enjeux. Cela reflète plutôt deux attributs distinctifs d'Amazon : a) sa dominance socio-économique, et b) les défis particuliers posés par la tentative de syndicalisation d'Amazon expriment clairement les défis stratégiques d'une vision plus large de renouveau syndical.

Commençons par la prééminence d'Amazon. Ce qui rend Amazon emblématique parmi les acteurs capitalistes, c'est la combinaison de son ampleur, sa portée et sa domination multidimensionnelle. (À ce sujet voir le prochain rapport sur Amazon de Steve Maher et Scott Aquanno.) Amazon est le deuxième employeur privé au monde, dépassé seulement par Walmart. (Et les bénéfices d'Amazon sont plus élevés). Une idée de la taille d'Amazon peut être tirée du fait qu'Amazon emploie plus d'un million de travailleurs et de travailleuses aux États-Unis, soit 2,5 fois le total employé par les quinze plus grandes entreprises de construction d'automobiles au E-U et à l'extérieur des E-U (388 000).

Amazon est un centre commercial électronique, la principale référence pour les commandes en ligne. Soixante pour cent des foyers américains sont abonnés à Amazon Prime, avec livraison gratuite le lendemain et streaming vidéo moyennant des frais initiaux. (Le nombre d'abonné.e.s dans le monde dépasse les 230 millions.) Il se classe deuxième, derrière Netflix en matière de streaming vidéo, et compte 80 millions d'abonné.e.s à la musique.

Amazon est également le leader mondial de la logistique, livrant à votre porte les colis commandés à domicile. Ses décisions de localisation et ses itinéraires de livraison remodèlent nos villes et nos banlieues. Elle est également leader en matière de collecte de revenus publicitaires et elle dépense plus en recherche que toute autre entreprise. Il s'agit de loin du plus grand acteur des services de cloud computing et elle a rejoint la course à la suprématie en IA.

L'Institute for Local Self-Reliancea souligné qu'Amazon fonctionne comme un service public privatisé, auquel les autres entreprises ne peuvent accéder qu'en payant un péage. Environ 60% des colis d'Amazon proviennent de tiers, Amazon faisant office d'intermédiaire entre le producteur, la productrice et le consommateur, la consommatrice, récoltant jusqu'à 50 % du prix final (environ 15 % pour l'utilisation de la plateforme ; 10 % pour la publicité ; 25 % ou plus pour la livraison). Entre autres choses, compte tenu de son pouvoir démesuré et de son rôle essentiel dans la livraison des colis, la question qui se pose est de savoir pourquoi Amazon n'est pas intégré dans un service public, c'est-à-dire un bureau de poste modernisé et socialement responsable.

Par ailleurs, Amazon bénéficie également d'un accès au financement très favorable. Sa position privilégiée lui permet de générer des prêts essentiellement sans intérêt tout au long du cycle de trésorerie. Car elle est payée immédiatement pour les commandes mais elle ne paie les fournisseurs qu'avec un certain décalage. Et les investisseur.e.s sont heureux et heureuses d'acheter des actions Amazon sans exiger de dividendes, car ils et elles s'attendent à ce que les actions augmentent en valeur régulièrement et rapidement.

Les 1,6 millions de colis livrés quotidiennement par Amazon sont également des colis culturels qui ont pour effet de réduire la société à des consommateurs et consommatrices privé.e.s, qui souhaite désespérément d'obtenir leurs produits « maintenant ! » Ce biais consumériste inhérent au capitalisme tend à servir de compensation pour les nombreuses choses qui ne vont pas dans la vie des gens. Car il occulte les gens en tant que travailleurs et travailleuses et sous-estime la consommation sociale (des soins de santé universels à l'éducation gratuite, des transports publics gratuits aux espaces physiques et culturels partagés).

Avant tout, le succès d'Amazon est indissociable de sa relation avec ses salarié.e.s. Amazon a fait de Jeff Bezos le troisième homme le plus riche du monde (aujourd'hui à la retraite avec une valeur nette estimée à $196 milliards), mais d'une manière ou d'une autre, l'entreprise « ne peut » payer à ses travailleurs et travailleuses même le salaire moyen américain (actuellement environ 50 % au-dessus du standard d'Amazon).

Et malgré toute sa technologie et son intelligence, ce leader mondial refuse de fournir un lieu de travail sécuritaire. Alors qu'Amazon proclame fièrement que « nous nous engageons et investissons dans la sécurité », sa recherche de profits se fait au détriment de son souci de la santé des travailleurs et des travailleuses. Le taux de blessures d'Amazon est le double de celui du reste du secteur de l'entreposage, qui connaît lui-même des taux de blessures plus élevés que l'ensemble de l'économie. Une fenêtre sur les sentiments sous-jacents d'Amazon en matière de sécurité du travail est révélée par la façon dont il fournit gratuitement des analgésiques via des distributeurs automatiques dispersées dans ses entrepôts.

L'attitude d'Amazon envers sa main-d'œuvre s'étend naturellement à son mépris pour tout degré de démocratie ouvrière. Pour Amazon, la « démocratie » signifie voter avec son argent sur ce qu'il faut acheter, et la « liberté » signifie des marchés commerciaux non réglementés. Pour Amazon, refuser à ses salarié.e.s le droit de choisir, sans ingérence, par qui et comment ils et elles devraient être représenté.e.s n'est pas un affront condescendant et arrogant à la démocratie et aux libertés des travailleurs et des travailleuses, mais plutôt un statu quo. Au-delà de ses intimidations sur le lieu de travail, Amazon dépense des millions – en fin de compte, plus de $14 millions pour les seul.e.s consultant.e.s – pour empêcher les syndicats de limiter son pouvoir.

Plus récemment, le mépris d'Amazon pour la démocratie est allé jusqu'à intenter une action en justice pour rendre inconstitutionnelle la National Labour Relations Act. Pour la perspective d'Amazon sur la liberté, le préambule de cette loi allait trop loin, introduisant une institution qui « protège la démocratie sur le lieu de travail en offrant aux employé.e.s… le droit fondamental de rechercher de meilleures conditions de travail et la désignation d'un.e représentant.e sans crainte de représailles ».

Oui, des gens choisissent quand même de travailler chez Amazon, syndiqué ou non. Mais cela témoigne des choix limités dans une société dans laquelle les profits capitalistes l'emportent sur les autres priorités. (Cela est, bien sûr, la raison pour laquelle nous appelons une telle société « capitaliste »).

Amazon peut-elle être apprivoisée ?

Mettre en avant la puissance d'Amazon peut conduire à un sentiment paralysant de son invincibilité. Si Amazon est un monopole tout-puissant et ne fait face à aucune concurrence, elle pourrait tolérer les perturbations des travailleurs et des travailleuses. Mais si Amazon fait face à une concurrence féroce, alors les actions des travailleurs et des travailleuses comptent beaucoup. Car leurs actions peuvent menacer la réputation de fiabilité et d'immédiateté d'Amazon, menaçant ainsi les ventes. Les structures de coûts permanents élevées d'Amazon rendent cela particulièrement important. La combinaison de coûts fixes élevés et de revenus menacés par une baisse de part de marché se traduit directement par une baisse des bénéfices.

Ces coûts élevés sont principalement la conséquence de la quantité et de la variété des produits qu'Amazon doit pouvoir disposer, ce qui nécessite des investissements massifs dans des entrepôts. De plus, aucune méthode de livraison n'est plus coûteuse que l'envoi de colis individuels à domicile. Et les systèmes logistiques d'Amazon qui coordonnent l'arrivée et la distribution quotidiennes de millions de produits en provenance du monde entier nécessitent les plus hauts niveaux de recherche et d'investissement continus en logiciels et en matériel informatique.

La concentration du capital représentée par Amazon inclut bien entendu des éléments de « pouvoir monopolistique ». Mais la concentration n'exclut pas nécessairement la concurrence. D'une part, plus le capital investi est important, plus il est essentiel d'élargir le marché pour justifier les investissements importants. D'autre part, les entreprises puissantes doivent constamment régénérer leur statut concurrentiel, si elles veulent conserver leurs avantages sur le marché.

Par conséquent, le développement du capitalisme a intensifié, non pas diminué, la concurrence. L'émergence de marchés nationaux a fragilisé les monopoles régionaux. La mondialisation internationalise la concurrence. La financiarisation – en raison de sa relative facilité à évoluer vers des projets plus favorables – pousse les entreprises et les États à rivaliser pour un accès privilégié aux fonds en prouvant leur engagement à donner la priorité aux objectifs capitalistes, et non pas aux objectifs sociaux.

Dans le secteur de vente au détail, l'agressivité de la concurrence se reflète clairement dans les marges bénéficiaires notoirement faibles du secteur. Amazon se bat continuellement contre les autres détaillants pour sa part de marché et surtout pour sa part des bénéfices globaux générés. La concurrence oppose également Amazon aux fournisseurs des biens qu'elle vend : les expéditeurs, les compagnies ferroviaires et les opérateurs portuaires qui amènent les marchandises dans ses entrepôts et les camionneur.e.s et postier.e.s qui acheminent ensuite les marchandises aux consommateurs et consommatrices. Il existe bien sûr une concurrence de la part d'entreprises qui tentent de suivre le rythme d'Amazon ou de s'y implanter (Walmart, Target, Best Buy) et de nouveaux entrants dans le commerce en ligne comme Shopify.

Amazon est notamment en concurrence également avec d'autres prétendus « monopoles », comme Google et Facebook - pour l'argent publicitaire, Microsoft - pour le « cloud », et avec de nouvelles et anciennes entreprises pour l'IA.

Il peut sembler que ces pressions soient atténuées par l'accès privilégié d'Amazon au financement et par sa capacité à évincer les vendeurs et vendeuses tiers via sa « route à péage » privatisée. Mais ces avantages ne constituent pas le cœur de sa puissance. Elle découle de sa capacité à fournir rapidement ce que les gens veulent. C'est la capacité organisée des travailleurs et des travailleuses à procéder à une « rétro-ingénierie » du lieu de travail afin de transformer la force fondamentale d'Amazon en sa plus grande vulnérabilité qui constitue la plus grande menace pour Amazon.

Le maintien de sa réputation sacrée de fiabilité pousse Amazon à redoubler d'efforts en matière de contrôle des coûts, de surveillance rigide des travailleurs et des travailleuses et de détermination à empêcher les travailleurs et les travailleuses de toute agence de contrôle de leur main-d'œuvre. Et pourtant, même si cela peut faire échouer un soulèvement ouvrier particulier, cela peut aussi intensifier la sympathie pour le syndicalisme. Cependant, même si le potentiel de syndicalisation persiste chez Amazon, l'approche syndicale traditionnelle – remporter un vote d'accréditation, négocier un accord et faire grève si nécessaire – se heurte à des limites particulières, peut-être insurmontables.

Cela nous amène à la question des stratégies des travailleurs et des travailleuses.

Partie III Stratégie Amazon et le pouvoir des travailleurs et des travailleuses

Pour les jeunes socialistes qui ont rejoint la main-d'œuvre d'Amazon pour aider à l'organiser ou qui ont contribué en tant qu'organisateurs et organisatrices externes, le point de départ était la permanence de la lutte des classes sous le capitalisme. La signature de conventions collectives ne met pas fin à cette bataille, mais crée plutôt une « paix » asymétrique.

L'entreprise fait quelques concessions mais conserve le droit de gérer, de réorganiser le travail, et d'augmenter les normes de production pendant les 3 à 5 ans de l'entente. Le syndicat peut obtenir quelques droits, mais il accepte essentiellement d'exclure les perturbations provoquées par la main-d'œuvre. Comme l'a dit un organisateur, cela laisse les travailleurs et les travailleuses confronté.e.s à une période de lutte de classe dans laquelle un seul camp se bat.

Le modèle d'organisation qui s'y oppose est composé de trois éléments : une perspective de classe centrée sur le lieu de travail, un engagement en faveur d'une organisation à la fois globale et approfondie, et une capacité à perturber Amazon de manière continue et imprévisible. Cette compréhension radicale a considérablement élevé le niveau du débat stratégique parmi les organisateurs et organisatrices socialistes et a conduit à la détermination spécifique de syndiquer Amazon comme étape dans la transformation des syndicats et la construction de la base nécessaire à la transformation de la société.

Ce qui suit est une discussion des réponses, éclairées par cette orientation, aux problèmes clés qui ont fait surface au cours de la campagne d'organisation d'Amazon. Cette discussion, il faut le souligner, n'a pas pour but d'être définitive, mais de stimuler le débat et la réévaluation à mesure que progresse l'organisation d'Amazon.

L'objectif stratégique

L'objectif est de renforcer le pouvoir des travailleurs et des travailleuses chez Amazon. La certification, amener un nombre suffisant de travailleurs et de travailleuses à signer des cartes secrètes appelant à un vote sur la syndicalisation, peut certainement jouer un rôle en unifiant et en soutenant les travailleurs et les travailleuses dans la dynamique de renforcement du pouvoir sur le lieu de travail. Sa réalisation pourrait également offrir une certaine protection contre le licenciement des militant.e.s et fournir un financement via un prélèvement à la source des cotisations pour tous les travailleurs, toutes les travailleuses. Mais la certification en elle-même – version « légère » d'organisation – ne devrait pas être confondue avec la construction d'un pouvoir durable sur le lieu de travail.

La courte histoire de l'organisation chez Amazon témoigne de ce danger. Les certifications ont été soit perdues par une approche traditionnelle (RWDSU à Bessemer, Alabama), soit réussies mais n'ont pas eu la capacité de répondre lorsqu'Amazon a refusé de reconnaître le syndicat (ALU à Staten Island). À Chicago, une minorité militante a renoncé complètement à la certification, mais sans avoir un modèle alternatif pour unir et soutenir un grand nombre de travailleurs et travailleuses, elle a également disparu.

La force

Les organisateurs et organisatrices socialistes ont bien compris que la clé du renouveau syndical est indissociable du développement de la capacité des travailleurs et des travailleuses sur les lieux de travail à défier le contrôle de la direction par une résistance décentralisée, mais finalement coordonnée. Des grèves à grande échelle ne sont pas exclues, mais l'arsenal des travailleurs et des travailleuses requiert toute la gamme des perturbations : grèves de ralentissements, grèves d'occupation, débrayages dans des départements clés, refus liés aux enjeux de santé et de sécurité, résistance à l'augmentation des cadences de production, etc.

Les grèves traditionnelles sont particulièrement limitées chez Amazon en raison de la capacité excédentaire intégrée à ses opérations et de sa capacité logistique à réacheminer les colis. Dans chaque région, Amazon dispose de groupes d'installations qui effectuent un travail similaire, et cette homogénéité rend possible le déplacement de la production. De plus, contrairement à la tendance générale à réduire les stocks excédentaires et les capacités excédentaires (« production allégée »), les installations d'Amazon fonctionnent avec une surcapacité permanente, comme en témoigne la capacité d'Amazon à augmenter d'environ 50 % ou plus ses livraisons de colis pendant les Prime Days.

L'unité organisationnelle

Le fondement pour la construction du pouvoir des travailleurs et des travailleuses vis-à-vis de la direction exige des organisateurs et des organisatrices formé.e.s pour maximiser la participation des travailleurs et des travailleuses de chaque département et entre les divers groupes sociaux (des blocs ethniques importants sont courants dans de nombreuses installations d'Amazon). Cela doit conduire à ce que Jane McAlevey appelle des « super-majorités » sur le lieu de travail. Ce n'est pas qu'une question de chiffres, mais aussi de la profondeur de participation, ce qui demande le développement des capacités et de la confiance des travailleurs et des travailleuses pour qu'ils et elles participent réellement. Cela demande non seulement l'accréditation d'un syndicat mais, grâce à une telle participation, la construction d'un syndicat démocratique.

Cette priorité accordée à la capacité collective de perturber/contrôler la production à travers ce qui est essentiellement une guérilla sur le lieu de travail contraste, dans l'esprit et dans la pratique, avec la formation de comités chargés de recueillir des signatures de certification avec l'espoir de renforcer le pouvoir plus tard. Chez Amazon « plus tard » pourrait ne jamais arriver si Amazon refuse de reconnaître la certification. (Ou, si la certification arrive trop rapidement, cela peut cacher le manque de préparation.) Encore une fois, il ne s'agit pas de rejeter la certification comme tactique, mais de la placer dans le contexte qui la subordonne à la volonté d'agir comme un syndicat.

Pourtant, un seul établissement syndiqué, même si le syndicat est doté de telles capacités créatives et perturbatrices, est peu susceptible (mis à part les principaux hubs aériens) de suffire aux capacités créatives d'Amazon pour contourner des perturbations isolées. Une base dans plusieurs établissements sera nécessaire.

Lieux d'organisation : régionaux ou nationaux ?

Il peut sembler qu'Amazon doit être organisé à une échelle qui correspond à, ou s'approche de, l'échelle nationale/internationale propre à Amazon. En fin de compte, ce serait bien sûr le bienvenu. Mais le recrutement est toujours local et, dans le cas d'Amazon, son propre modèle opérationnel offre une opportunité tactique de se concentrer sur la région. Le fait qu'Amazon soit structuré autour de clusters régionaux de zones urbaines étendues permet d'agir comme un syndicat au sein de ces espaces régionaux et de démontrer la pertinence d'un syndicat bien avant que les objectifs nationaux de syndicalisation ne soient atteints.

Définir l'espace critique de l'organisation au niveau national plutôt qu'au niveau régional a trois implications particulières. Premièrement, cela exclut immédiatement les syndicats indépendants. Ils n'ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour s'en charger. La logique de départ privilégie donc un virage vers un syndicat comme celui des Teamsters avec ses ressources et sa présence nationale.

Deuxièmement, l'accent mis sur le fait de ne s'attaquer à Amazon qu'une fois qu'on dispose d'une masse critique d'entrepôts à volume élevé à travers le pays, puis de faire grève aux dates clés (les Prime Days très chargés d'Amazon), semble nous ramener à l'approche syndicale traditionnelle. Il intègre une tendance à se concentrer sur la fédération des sections locales régionales avant que le forage profond essentiel au sein de chaque section n'ait été réalisé. Affirmer que nous devons faire les deux laisse encore en suspens la question de l'équilibre et du calendrier entre les deux.

Troisièmement, si l'argument est qu'il faut une large présence nationale pour mener une grève traditionnelle, alors l'inégalité de l'organisation entre les régions impliquera qu'un bon nombre de sections attendront cette grève pendant de longues années. Un tel flou est la mort de l'organisation. En revanche, un modèle basé sur les régions et les perturbations au sein des régions évite une attente indéfinie. Il permet d'agir comme un syndicat au niveau régional, tandis que d'autres rattrapent leur retard puis s'unissent organiquement dans une fédération de sections semi-autonomes fortes.

L'attente d'une approche régionale est que, si Amazon fait des concessions substantielles dans une région, cela s'étendra sûrement à d'autres régions. Amazon mesurerait donc les coûts de toute concession régionale par rapport à sa multiplication bien au-delà de cette région et résisterait d'autant plus durement. Une grève nationale ou quasi nationale des installations clés serait donc la seule option.

Cela ne devrait pas être écarté légèrement. Mais les limites de l'option nationale suggèrent une autre alternative : des perturbations dans des régions particulières qui stimulent, ou opèrent parallèlement à, des perturbations dans plusieurs régions. À un degré égal ou supérieur à un test de force national, cela pourrait livrer un message stratégique à savoir qu'Amazon ne peut fonctionner sans interruption si elle ne fait pas de concessions aux travailleurs et aux travailleuses.

Ces premières victoires des travailleurs et des travailleuses pourraient être modestes, mais elles peuvent jeter les bases de luttes plus vastes à venir au niveau national, comme pour un plus grand choix en matière d'horaires de travail, pour des meilleures conditions de santé-sécurité, pour des pauses plus longues, pour consacrer les gains de productivité à l'allongement des périodes de repos et à des rythmes de travail plus humains qui obligent Amazon à respecter ses engagements envers les consommateurs et consommatrices en embauchant davantage de travailleurs et travailleuses plutôt qu'en accélérant le travail, et ainsi de suite.

Le site spatial des luttes au sein des régions

La question d'échelle est une question tactique également au sein de chaque région. En dehors du pouvoir perturbateur d'un ou de deux hubs aériens clés qui transportent des colis à travers les États-Unis pour une livraison le jour même ou le lendemain, l'organisation de plus de deux installations dans une grande région sera probablement essentielle pour forcer Amazon à négocier.

Le nombre critique d'installations communes nécessaires dans une région est indéterminé dans l'abstrait. Un petit nombre d'installations pour les petits et moyens colis ou pour les gros colis peuvent suffire à imposer des coûts importants à Amazon. La recherche peut être suggestive, mais le nombre exact d'installations nécessaires n'apparaîtra probablement qu'au cours des tests réels d'Amazon.

Le point de lutte fonctionnel

Les travailleurs et les travailleuses les mieux placé.e.s stratégiquement sont les technicien.ne.s en col blanc d'Amazon Web Services (AWS). Mais bien qu'ils et elles aient exprimé des positions progressistes sur les enjeux de race, sexe, immigration et environnement, ils et elles n'ont pas manifesté d'intérêt pour la syndicalisation, même face aux récents licenciements. Tout ce que nous pouvons espérer de cette couche de travailleurs et de travailleuses, c'est que, à mesure que les cols bleus acquièrent un certain pouvoir sur le lieu de travail, leurs collègues plus qualifié.e.s soient incité.e.s à se joindre à la lutte et à élever leur propre voix, en particulier en tant que lanceurs d'alerte protégés par des syndicats.

Le débat-clé est donc de savoir si l'effort d'organisation doit donner la priorité aux grands centres de distribution (FC) ou aux stations de livraison et à leurs chauffeur.e.s. Les deux parties dans ce débat reconnaissent que le grand nombre de cols bleus des FC doivent en fin de compte être organisés pour attirer le maximum de travailleurs et de travailleuses dans le mouvement syndical et avoir un impact dramatique sur les stratégies. Les deux parties conviennent également que plus il y aura de maillons syndiqués dans la chaîne, plus le syndicat sera fort. La controverse est de savoir sur quoi se concentrer en premier.

L'argument en faveur des stations de livraison est qu'elles seraient plus faciles à syndiquer en raison de leur plus petite taille et qu'elles pourraient servir de point d'appui pour passer à la plus grande gagne des centres de distribution. Il est particulièrement important que les postes de livraison soient considérés comme des « points d'étranglement » : si on ferme les postes de livraison, rien n'arrive aux portes.

Le défi commence par le fait qu'il n'est pas évident que l'organisation des chauffeur.e.s s'étendrait aux travailleurs et travailleuses des entrepôts, ni que cela serait décisif pour convaincre les FC. Mais si les FC sont l'objectif ultime, pourquoi ne pas commencer par eux ? Quant aux postes de livraison qui représentent des points de débrayage critiques, ils peuvent devenir une variante de la stratégie syndicale traditionnelle de négociations collectives formelles périodiques avec une touche militante, au lieu que cet effet de levier distinct soit une capacité généralisée à perturber, si et quand cela est nécessaire.

De plus, étant donné que le travail d'un groupe de chauffeur.e.s peut facilement être réacheminé (à moins que leur station de livraison à domicile ne soit situé dans un emplacement unique), les chauffeur.e.s sous-traitant.e.s peuvent être transféré.e.s vers d'autres entrepreneur.e.s.
Par conséquent plusieurs stations devraient être syndiquées pour être efficaces, ce qui réduirait l'argument de « facilité de syndicalisation ». Et même si la fermeture et le remplacement d'une station de livraison pour éviter la syndicalisation peuvent être perturbateurs, Amazon fonctionne généralement avec un nombre excédentaire de stations. Fermer une station problématique reste bien plus facile que fermer un entrepôt gigantesque, étant donné la taille relative de l'investissement impliqué.

L'entrée des Teamsters : un tournant ?

Les Teamsters avaient Amazon dans leur ligne de mire depuis un certain temps, mais leurs récentes interventions par le biais d'une Division Amazon nouvellement formée changent clairement la donne. Ce qui a renforcé l'importance des Teamsters, c'est que le projet d'organisation des militant.e.s socialistes est par nature un processus lent à construire pour des raisons pratiques (c'est déjà difficile, et Amazon rend les choses plus difficiles), contextuelles. (Cela même si les manifestations dans les universités à propos de Gaza signalent une nouvelle radicalisation des jeunes. Mais ce n'est pas encore le moment où des rébellions explosives sont « dans l'air », comme c'était le cas dans les années 60). En plus, le rythme même du modèle appliqué – le renforcement méthodique des capacités – prend tout simplement du temps.

Ces facteurs ont eu des conséquences néfastes et ont joué à l'avantage des Teamsters. Ce que les Teamsters offrent, ce sont les avantages matériels (et psychologiques) d'une institution établie, avec une expérience en logistique et du soutien des travailleurs et travailleuses. Les Teamsters ont les ressources nécessaires pour payer des organisateurs et des organisatrices à temps plein et à temps partiel, ainsi que la littérature d'agitation, des espaces pour des réunions, ainsi que
des honoraires d'avocat à un moment où la force collective nécessaire pour mener une action directe pour bloquer les licenciements ou les suspensions n'existe pas encore. Les Teamsters peuvent également, grâce à leurs ressources, faire une promesse crédible de faire avancer les choses plus rapidement, ce qui séduirait naturellement de nombreux travailleurs, nombreuses travailleuses qui ne sont pas encore convaincu.e.s par une stratégie à échéancier indéterminé.

La nouvelle division Amazon des Teamsters dispose jusqu'à présent de l'autonomie et des ressources nécessaires pour surmonter les obstacles rencontrés. Comme pour le CIO dans les années 1930, la Division Amazon a accueilli des organisateurs et des organisatrices efficaces, quelle que soit leur appartenance politique. Et la division ne s'est pas précipitée vers des certifications rapides mais a mis l'accent, comme le faisaient les socialistes indépendant.e.s, sur la formation systématique de cadres capables de mener une organisation en profondeur et de construire des super-majorités. La Division a rapidement conquis et embauché certains des meilleur.e.s organisateurs et organisatrices dans des centres clés, tels que San Bernardino, Philadelphie, New York et Kentucky. Cela a renforcé le sentiment général dans les régions selon lequel s'adresser aux Teamsters est désormais une question de « quand », et non de « si ».

Actuellement, deux questions particulières se posent. La priorité donnée par les Teamsters aux stations de livraison – assez naturelle compte tenu de leur base de chauffeur.e.s – est-elle la bonne voie pour organiser Amazon ? (La division Amazon semble développer une certaine flexibilité à ce sujet ces derniers temps, en incluant les FC dans son plan). Et y a-t-il une contradiction entre l'ouverture de la Division Amazon à une nouvelle approche et la tentative de le faire au sein d'un syndicat qui reste, globalement, encore traditionnel ?

Un test de cette contradiction potentielle tourne autour du poids accordé aux changements juridiques et au cycle politique. Les Teamsters se battent pour redéfinir les chauffeures-livreurs et livreuses sous-traitant.e.s comme des travailleurs et travailleuses de facto d'Amazon (ce qu'ils et elles sont en fait). De plus, une nouvelle décision du National Labour Relations Board (NLRB) affirme que si une majorité des travailleurs et des travailleuses adhèrent au syndicat et que, sur le point d'être voté, la société est jugée avoir commis une pratique déloyale, le NLRB peut imposer une convention collective. Avec l'approche des élections américaines et la nervosité à l'idée d'une victoire de Trump qui annulerait ces acquis juridiques et administratifs, des pressions pourraient émerger au sein du syndicat pour accélérer les certifications.

Le problème n'est pas que le souci des aspects juridiques et des développements politiques soit un péché, mais plutôt – comme pour toute tactique – le danger de la tactique qui sous-tend la stratégie de renforcement du pouvoir des travailleurs et des travailleuses. Si, par exemple, les calendriers de recrutement sont ajustés pour s'adapter au cycle politique, cela pourrait offrir des succès à court terme. Mais à moins que l'objectif de construire la base ne soit ferme, même une convention collective chez Amazon peut être mise à mal pendant la durée de l'accord ou lors du conflit sur l'accord subséquent.

Si les résultats positifs tardent à arriver alors que les coûts augmentent, le risque que les dirigeant.e.s des Teamsters poussent la campagne Amazon vers les canaux traditionnels ou même abandonnent prématurément la campagne ne peut être ignoré. Cependant, à ce jour, la Division Amazon semble disposer de l'autonomie nécessaire pour s'en tenir à son plan d'organisation et à son calendrier.

Pour les socialistes, une autre série de questions se pose. Si leur avenir réside au sein des Teamsters, comment fonctionneront-ils et elles au sein de ce syndicat ? Quelles leçons peut-on tirer de l'expérience des Teamsters for a Democratic Union (TDU), autrefois une force d'opposition courageuse et efficace pour la démocratie, mais aujourd'hui essentiellement la branche militante intégrée des Teamsters (que certain.e.s caractérisent comme du « syndicalisme d'affaires militant ») ? Les socialistes et un TDU relancé pourraient-ils et elles faire passer les Teamsters d'un syndicat principalement axé sur les chauffeurs à un syndicat d'entrepôt et de logistique ?

Les socialistes pourraient-ils et elles insérer « classe » dans l'analyse, comme une question pratique, plutôt que simplement rhétorique ? Autrement dit, les organisateurs et organisatrices socialistes peuvent-ils et elles convaincre que l'intégration d'un souci prédominant de classe peut rendre les syndicats plus efficaces ? De plus, puisque toute bataille exige une compréhension de l'ennemi, une gauche au sein des Teamsters pourrait-elle convaincre les travailleurs et les travailleuses à considérer le capitalisme – et pas seulement l'employeur – comme l'obstacle ultime à une vie plus sûre et plus épanouie ? (Il y a aussi la question inquiétante de savoir quelles pourraient être les conséquences si même les Teamsters échouaient chez Amazon.)

En ce qui concerne le rôle des Teamsters, la situation canadienne est différente. Même si les Teamsters américain.e.s sont devenu.e.s, parmi les syndicats établis, « le syndicat d'Amazon », ce n'est pas le cas au Canada. Au Canada, les Teamsters sont plus petit.e.s et plus faibles qu'aux États-Unis, et il y a maintenant deux ou trois autres syndicats, aucun clairement en tête, qui se joignent aux Teamsters pour tâter le terrain en vue d'une campagne Amazon : le Syndicat canadien des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), passif ces derniers temps), Unifor (anciennement les TCA) en Colombie-Britannique, et la CSN (une fédération de syndicats québécoise).

Cela laisse ouverte la possibilité au Canada – sans doute peu certaine – que le mouvement syndical dans son ensemble, ou une coalition de syndicats soutenant un fonds centralisé pour un syndicat indépendant, donnent à ce dernier accès à leurs propres membres pour les convaincre de la centralité fondamentale d'Amazon au renouveau syndical global, pour rassembler les contacts que ces travailleurs et travailleuses ont par le biais de liens familiaux ou d'amitiés avec les travailleurs et travailleuses d'Amazon, et même pour recruter des personnes acceptant des emplois chez Amazon avec l'intention de créer un syndicat.

Cela, de manière cruciale, poserait également les bases, à mesure que la lutte progresse, pour apprivoiser Amazon, grâce à des actions coordonnées de soutien de la part des débardeurs et débardeuses, des cheminots, des manutentionnaires de colis, des camionneur.e.s, des postiers et postières, etc. En fin de compte, les travailleurs et les travailleuses d'Amazon décideraient s'ils et elles veulent rester indépendant.e.s ou choisir l'un des syndicats en lice (une incitation pour les syndicats hésitants à faire preuve d'une solidarité concrète afin de « rester dans le jeu »).

Toutefois, les développements récents indiquent que des syndicats spécifiques président, ou du moins influencent grandement, la syndicalisation d'Amazon au Canada. La CSN a récemment remporté la première accréditation au Canada dans un centre de tri (200 travailleurs et travaillleuses) et Unifor semble être sur le point de déposer une demande d'accréditation auprès de deux FC (peut-être 2000 travailleurs et travailleuses). Notez qu'au Québec et en Colombie-Britannique la certification automatique n'exige de dépasser que 50 % et 55 % respectivement. De plus, face à la détermination d'Amazon d'ignorer les accréditations syndicales, les commissions du travail des deux provinces peuvent imposer un premier contrat dans le cas où le syndicat est accrédité mais les deux parties ne parviennent pas à conclure une convention collective.

Conclusion

Le modèle d'organisation d'Amazon discuté ici présente trois épreuves aux syndicats et à la gauche. Le syndicalisme traditionnel peut-il apporter du pouvoir aux travailleurs et travailleuses d'Amazon, et sinon, quel type de syndicalisme pourrait-il en donner ? La lutte pour Amazon peut-elle contribuer à transformer le mouvement syndical ? Et les syndicats – la principale institution économique de la classe ouvrière – sont-ils adéquats pour affronter le capitalisme moderne, ou doivent-ils être complétés par d'autres formes d'organisation de la classe ouvrière ?

Le défi pour les syndicats n'est pas seulement d'obtenir la certification, mais aussi de renforcer le pouvoir des travailleurs et des travailleuses. Chez Amazon, les chances d'y parvenir par des moyens traditionnels ne sont pas grandes – même avec les meilleures intentions et le plus grand engagement de ressources. La plus prometteuse est l'orientation des nouveaux organisateurs, nouvelles organisatrices socialistes.

Autrement dit, tout en respectant la trajectoire du mouvement syndical, consistant à mettre l'accent sur une meilleure compensation pour les conditions écrasantes auxquelles les travailleurs et les travailleuses sont confront.e.s, il faut souligner l'urgence de s'attaquer à l'amélioration de ces conditions de travail elles-mêmes. Il faut lier ce tournant vers les conditions de travail à la nécessité de développer une capacité à perturber de manière constante, et pas seulement à des grèves périodiques. Et il faut surtout bâtir la profondeur du collectif de travailleurs, ne pas rechercher que le nombre. Cela exige en outre de développer des dirigeants et dirigeantes les mieux formé.e.s possibles sur le lieu de travail et d'organiser à l'extérieur pour obtenir le soutien le plus total du mouvement syndical dans son ensemble.

D. Taylor, président récemment retraité d'UNITE HERE, va encore plus loin, en soulignant les limites d'un seul syndicat s'attaquant à Amazon, même avec du « soutien » d'autres syndicats. Pour organiser Amazon, affirme-t-il, « il faudra non pas un syndicat mais une puissante coalition de syndicats, une force comme le CIO des années 1930 ». Le sentiment de classe de Taylor doit être valorisé. Mais son appel à une croisade lancée par les syndicats existants sous-estime l'impact de la longue défaite de la classe ouvrière et les transformations préalables nécessaires au sein des syndicats pour y parvenir.

La référence au CIO met en évidence les différences historiques qui bloquent sa proposition. Malgré toutes les inégalités, malgré les irrationalités et les souffrances que connaissent aujourd'hui les États-Unis, la crise n'a pas encore atteint l'ampleur de la Grande Dépression. À cette époque, un travailleur, une travailleuse sur quatre était au chômage, les luttes communautaires contre le sans-abrisme étaient courantes et les travailleurs et travailleuses étaient en marche. De plus, les syndicats dominés par les couches qualifiées à l'époque n'étaient pas seulement indifférents, mais activement opposés à l'organisation de la « racaille » non qualifiée. Cela a souligné la nécessité d'envisager de nouveaux syndicats.

Les syndicats d'aujourd'hui sont, en revanche, soucieux d'intégrer les travailleurs et les travailleuses dans le mouvement, quel que soit leur niveau de qualification, mais ils ont un bilan contrasté dans leur capacité à le faire. Il y avait aussi un autre facteur qui explique le succès du premier CIO : un Parti communiste qui formait et envoyait des travailleurs et travailleuses engagé.e.s sur les lieux de travail pour organiser et qui étaient soutenu.e.s par une supervision stratégique de la part du parti. Rien de comparable n'existe aujourd'hui.

Enfin, nous ne devons pas oublier que même si les meilleurs syndicats font tout correctement, les travailleurs et les travailleuses retournent après chaque lutte sur un lieu de travail dans lequel leur employeur.e déterminent toujours l'embauche et le licenciement, les bases de l'organisation du travail, la manière dont les compétences des travailleurs et des travailleuses sont développées (ou restreintes), comment et où les profits sont investis, ainsi que les produits et les services qui sont produits.

Ces limites ne doivent pas nous amener à sous-estimer ce que les travailleurs et les travailleuses peuvent gagner en termes de respect et de limites du pouvoir de la direction des entreprises. Il s'agit plutôt d'un rappel de considérer les acquis syndicaux, non pas comme des points finaux, mais comme des éléments de base, des étapes vers une société et une vie transformées.

Sam Gindin a été directeur de recherche pour les TCAs de 1974 à 2000. Il est co-auteur (avec Leo Panitch) de The Making of Global Capitalism (Verso), et co-auteur avec Leo Panitch et Steve Maher de The Socialist Challenge Today (Haymarket).

Un premier bilan

28 mai 2024, par André Frappier —
Le Conseil national s'est déroulé dans un climat tendu à cause du non-dit sous-jacent aux propositions soumises par la direction de QS tant à propos de la déclaration de (…)

Le Conseil national s'est déroulé dans un climat tendu à cause du non-dit sous-jacent aux propositions soumises par la direction de QS tant à propos de la déclaration de Saguenay que la révision du programme. Ce constat est tellement évident, même les médias parlent clairement de recentrage pour écarter les positions de gauche. Il y a une conception stratégique derrière la déclaration de Saguenay et la réécriture du programme, c'était l'éléphant dans la pièce. Les membres délégués méritaient que la direction de QS fasse preuve de limpidité, ça n'a pas été le cas et cela a alimenté les tensions.

Le Conseil national de février 2023 avait pris acte de la nécessité de renforcir la présence de QS en région et avait décidé de lancer « une tournée de mobilisation et de consultation dans les régions du Québec, afin de consulter les membres solidaires de ces régions, la population québécoise, la société civile et les mouvements sociaux, pour mieux enraciner le projet solidaire dans la réalité de l'ensemble des régions. » Il avait été décidé « que les résultats de cette tournée soient soumis aux membres lors d'une future instance nationale. »

Or, il n'y a pas eu de rapport. Rien qui indiquait quelles régions ont été visitées, quels groupes on a rencontré, quelles préoccupations elles ont soumis et quelles ont été nos réponses. Est-ce qu'on a tenté d'expliquer les motifs qui soutiennent nos positions ? Quelles étaient les difficultés rencontrées ?

La déclaration de Saguenay ne contenait aucun élément de rapport qui aurait pu nous mettre sur la piste des motifs qui soutenaient les propositions avancées dans le cahier. Il fallait faire un acte de foi. Ce travail aurait été pourtant essentiel et respectueux.

On aurait ainsi pu regarder ensemble les constats de la tournée, en tirer des conclusions sur ce qui doit être fait pour mieux rejoindre les préoccupations en région et mandater le prochain congrès pour en disposer. Cela aurait été un exercice collectif beaucoup plus rassembleur et correspondant au mandat d'un CN : organiser la discussion du congrès.

La révision du programme

On nous a imposé au pas accéléré un texte de révision programmatique qui contenait en plus des changements aux politiques de notre programme et de nos plateformes antérieures en ce qui a trait à l'industrie forestière et notre position en agriculture concernant l'UPA. Comment la direction de QS ne pouvait-elle pas s'attendre à une résistance ? Au lieu de composer avec les membres, on a senti la direction en affrontement contre ceux et celles qui questionnaient ses propositions d'orientation.

Certaines propositions adoptées ont permis de sauvegarder des éléments importants et de permettre un échéancier un peu plus long, - comme le retrait de l'appui au monopole syndical de l'UPA, le choix clair du CN de rejeter la proposition principale de “modernisation” du programme entendu comme une refonte totale - en faveur plutôt de sa réactualisation entendue comme une mise à jour ciblée.

Cependant la proposition pour que le programme soit exempt d'engagements politiques trop spécifiques a été adopté. À quoi peut-on maintenant s'attendre maintenant dans cette révision du programme sinon qu'elle efface les éléments trop revendicateurs ? On en a eu un aperçu avec la déclaration de Saguenay concernant la reconnaissance du rôle central de l'industrie forestière stipulant « qu'un gouvernement solidaire va adopter une stratégie d'adaptation des forêts aux changements climatiques, en collaboration avec les communautés touchées et l'industrie. »

Le programme actuel stipule que : « En plus du secteur minier, Québec solidaire préconise de placer la grande industrie forestière sous contrôle public (participation majoritaire de l'État) en envisageant, au besoin, la nationalisation complète. »

Avant de procéder à un changement de cap aussi important, il serait approprié de faire une étude un peu plus approfondie concernant les bénéfices de la nationalisation par rapport aux subventions gouvernementales faramineuses accordées au fil des ans à cette industrie. Il nous semble que c'est un minimum de rigueur.

La direction de Québec solidaire nous amène ainsi bien en deçà de ce que René Lévesque avait préconisé concernant une de nos ressources naturelles importantes, la nationalisation de l'hydroélectricité.

André Frappier
28 mai 2024

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Semaine nationale d’actions régionales de la Coalition solidarité santé Le privé, c’est tout sauf santé !

28 mai 2024, par Coalition Solidarité Santé — , ,
C'est avec conviction, espoir et détermination que la Coalition solidarité santé [1] organise, avec l'appui de ses membres très mobilisés, une Semaine nationale d'actions (…)

C'est avec conviction, espoir et détermination que la Coalition solidarité santé [1] organise, avec l'appui de ses membres très mobilisés, une Semaine nationale d'actions régionales contre la controversée réforme Dubé en santé et la privatisation des soins de
santé et de services sociaux.

Dans presque toutes les régions du Québec, des activités auront lieu lors desquelles plusieurs organisations viendront exprimer leur désaccord avec les politiques visant la privatisation des services de santé ainsi que leur centralisation. Il y a consensus au sein de la société civile et nous souhaitons nous faire entendre.

Pendant la dernière semaine de mai, nous lancerons au gouvernement un message fort et clair : _Le privé, c'est tout sauf santé !_ L'objectif de ces actions est non seulement de faire pression sur le gouvernement pour arrêter la privatisation de notre réseau, mais aussi de sensibiliser la population aux dangers qui guettent l'accessibilité aux soins et aux services.

Selon les organisations membre de notre coalition, lesquelles proviennent de tous les secteurs de la société civile, le gouvernement du Québec fait fausse route en disant que le privé est la solution aux problèmes d'accessibilité au réseau public, alors qu'on sait très bien qu'il en est plutôt la cause ! « Chaque clinique ou hôpital privé qui ouvre vient drainer les ressources du public et aggrave ainsi les problèmes d'accès au réseau public. Les médecins et le personnel de la santé et des services sociaux ne poussent pas dans les arbres, chaque travailleur.se qui va vers le privé est un.e travailleur.se de moins dans le public. On ne peut juste pas se permettre de voir le privé s'accaparer les précieuses et rares ressources du public », déclare Sophie Verdon, co-coordonnatrice à la Coalition solidarité santé.

En effet, le gouvernement choisit d'orchestrer un système où l'État subventionne les compagnies privées pour qu'elles dispensent des soins de santé. On rassure la population en lui disant qu'elle n'aura rien à payer car ce sera couvert par la carte d'assurance-maladie, mais au final, ce sont les Québécois.e.s qui, collectivement par le biais de leurs impôts, assumeront des coûts beaucoup plus élevés en santé afin de couvrir la portion importante de profits inhérente à la médecine privée.

Selon Geneviève Lamarche, co-coordonnatrice de la Coalition solidarité santé, « environ la moitié des soins de santé et de service sociaux sont déjà privatisés au Québec. Ceux-ci sont généralement moins performants et plus coûteux. De plus, le secteur à but lucratif induit de graves lacunes dans les soins offerts, comme ce fut le cas dans les résidences privées pour aînés pendant la pandémie. Même le ministre Dubé, favorable au privé, a dû interdire progressivement les agences privées au moyen d'une loi pour contrer leurs effets délétères désorganisant le réseau ».

« La Coalition ne peut accepter cette nouvelle réforme qui centralisera et privatisera davantage le réseau public de la santé. L'amélioration de l'accès aux soins et aux services de santé et services sociaux doit plutôt passer par une valorisation du réseau public et de son personnel. Les entreprises à but lucratif ne visent tout simplement pas les mêmes objectifs que ceux de l'État et de la santé publique », rappelle Sophie Verdon.

Pour consulter la liste des événements régionaux.

À propos de la Coalition Solidarité Santé

La Coalition Solidarité Santé est un regroupement québécois d'organisations syndicales, communautaires, de groupes de personnes âgées, de personnes en situation de handicap et de personnes proches aidantes. La défense des grands principes qui constituent les pierres angulaires du réseau de santé depuis sa mise sur pied, à savoir le caractère public, la gratuité, l'accessibilité, l'universalité et l'intégralité, sont à la base de toutes les interventions de la Coalition Solidarité Santé.

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Tu nous manques

28 mai 2024, par Jan J. Dominique — , ,
TU NOUS MANQUES Jan J. Dominique En 1957, à Port-au-Prince, naît Karine Rivel. La même année, François Duvalier, dit Papa Doc, est élu à la tête d'Haïti, quelque temps avant (…)

TU NOUS MANQUES
Jan J. Dominique

En 1957, à Port-au-Prince, naît Karine Rivel. La même année, François Duvalier, dit Papa Doc, est élu à la tête d'Haïti, quelque temps avant d'en devenir le dictateur brutal et d'imposer sa milice tortionnaire. Le destin de Karine, et de tous les membres de sa famille, sera à jamais marqué par cette dramatique coïncidence.

Une fabrique de gris-gris pour sauver Philippe, un enfant emmuré dans un silence traumatique. Le dévouement d'un médecin-sorcier-écrivain, Jacques, qui met tout en œuvre pour l'aider. La fuite de Karine, devenue médecin, qui soigne les pauvres et devra se cacher pour sauver sa peau et celle de ses enfants. L'exil d'un frère rebelle, Jean Baptiste, et la quête de sa fille, Isabel, qui part à sa recherche en Amérique latine. Et le regard tendre et lucide de Simone, Man Mona, fantôme veillant sur chacun d'eux.

Entre les souvenirs familiaux et le présent des retrouvailles, Tu nous manques suit le destin des femmes vaillantes de cette famille haïtienne ordinaire et extraordinaire, marquée dans sa chair par la violence politique, les mensonges et la résistance. Comment survivre, sinon en combattant la terreur ? Que veut encore dire « libérer la terre natale » lorsque tous les morceaux ont volé en éclats ?

Jan J. Dominique a travaillé comme éducatrice et journaliste à Radio Haïti Inter à Port-au-Prince. L'assassinat de son père en 2000, puis un attentat et des menaces l'obligent à partir. Elle vit aujourd'hui à Montréal. Aux Éditions du remue-ménage, elle a publié Mémoire d'une amnésique (2004), La Célestine (2007), Mémoire errante (2008) et L'écho de leurs voix (2016).

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photo ©Chloé Charbonnier

« Le devoir-taire des femmes » – au sujet de 3 livres

28 mai 2024, par Jean-François Laé — ,
Trois livres démontent les mécanismes du silence imposé à des femmes par les violences domestiques ou celles de la rue. Tiré de Entre les lignes et les mots (…)

Trois livres démontent les mécanismes du silence imposé à des femmes par les violences domestiques ou celles de la rue.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/05/22/le-devoir-taire-des-femmes-au-sujet-de-3-livres/

Forts, utiles, complexes, ils aident à penser des questions urgentes et les réponses possibles de la société Comment sont entendues les femmes soumises à des violences dites domestiques par le tribunal civil ? se demande Solenne Jouanneau dans Les femmes et les enfants d'abord ?. L'enquête porte sur l'ordonnance de protection de 2010 qui devrait permettre de « sécuriser la séparation » d'avec le conjoint maltraitant. Avec Les femmes du coin de la rue, Patricia Bouhnik enquête au plus près de celles qui sont déjà séparées et rendues muettes, réduites aux figures déviantes du féminin. Son ouvrage nous conduit vers des scènes de rue, où chacune d'elles cherche à se cacher plus encore. Enfin, Carol Gilligan développe une éthique de résistance et de libération qui commence par l'écoute radicale.

Ces trois ouvrages démontent – chacun à sa manière – les mécanismes du devoir-taire. Comment disparaître, se masquer, éteindre l'incendie, retenir les mots, se couvrir et s'éclipser, s'enfermer en cas de danger, écarter la menace ou le chantage, échapper à l'accusation en somme. « Savoir s'effacer » serait-il un art genré ? Le droit ne cesse de se cogner à des corps en mouvement. Il se heurte aux transformations des sensibilités envers les femmes « en danger ». Mal armés, les magistrats entendent peu les menaces psychologiques en deçà des coups, des chocs et des blessures. Comment entendre la vérité de l'abus, du chantage, de la faiblesse économique, de la domination, tant que le langage du droit l'enfermera sous la cloche du seul « conflit familial » ? Combien de fois les femmes devront-elles répéter les mêmes choses, dans différentes instances, dire et répéter les détails de ce qui a eu lieu et continue d'avoir lieu ? Comment élargir les vues des magistrats, pour une prise en compte des « atteintes » à la volonté des femmes, la captation de leur décision, les barrages faits à leur autonomie ? Du combat féministe à la cause publique, les violences au sein du couple ont été peu à peu « déprivatisées » depuis que le caractère « aggravé » des actes de maltraitance est entré dans la loi. Problème public ? Solenne Jouanneau étudie – au-delà de la punition – comment protéger matériellement les femmes et les enfants par une audience en urgence afin de les faire bénéficier de plusieurs mesures de protection : être autorisé à dissimuler son adresse ; interdire à l'agresseur de posséder une arme ; lui interdire d'entrer en contact avec les personnes protégées ; enfin organiser autrement les relations avec les enfants, notamment leur garde. L'ouvrage enquête dans plusieurs tribunaux, dresse des statistiques, épluche des décisions de justice, entend des magistrats, explore les formations des juristes. Massivement, à plus de 80%, ce sont des femmes pauvres économiquement qui font appel au dispositif des ordonnances de protection. Sans ressources propres, elles ne peuvent s'extraire du danger, se dégager du chantage, se retirer des pièges. Sont-elles pour autant entendues ? Comme l'explique un juge : « On ne nous demande pas de juger de la réalité des violences. On nous demande d'apprécier la vraisemblance des violences, qui peuvent être physiques, mais pas seulement, elles peuvent aussi être psychologiques par exemple, ce qui est encore plus dur à évaluer ; et si cette violence place une personne, ex-conjoint ou conjoint, dans une situation de danger. » L'embarras est de mise.

L'enquête se loge dans cet écart. On entre dans le bureau du juge aux affaires familiales qui interprète les critères d'appréciation énoncés par la loi. Et de se prononcer sur les seuils de la violence – suffisamment grave ou pas – pour engager ou écarter une protection en urgence. Car 60% des demandes de protection seront rejetées ! En matière civile, on découvre que les mots sont en bataille. Cent fois on s'interroge. Qu'est-ce qu'une relation de couple, une violence conjugale, une tension, un danger, un risque ? Et les magistrats de fouiller certes les codes civil et pénal, mais aussi l'intranet des tribunaux, les définitions mises en circulation par l'action publique en matière de « lutte contre les violences faites aux femmes » ; les actions de communication gouvernementale ; les cours d'appel ou les délégations régionales à l'Égalité Femmes-Hommes ou encore l'Observatoire des violences envers les femmes. Bataille de définitions, à chacun son langage. « En quoi une violence conjugale, demande un magistrat, serait séparable des conditions de logement, de l'argent qui manque, du souci des enfants ? » Ah non, répond un second : « Les violences physiques donnent lieu à des constatations physiques, des certificats médicaux. En matière de violence psychologique, c'est beaucoup plus compliqué à retenir. Ça crée trop d'hésitations. Et la problématique de preuve ? Pour ma part, j'admets plus facilement le concept de violence psychologique en plus des éléments permettant de croire aussi à des violences physiques ».

Les jugements tremblent. Il en découle que sur 6 000 demandes par an, 40% sont refusées. Entre conflits conjugaux, disputes parentales, violences conjugales, les juges se heurtent à des événements, tentent de les empoigner, glissent sur des affects contraires, alors les mots souvent se désagrègent. La violence s'envole vers d'autres contrées ! Pour les spécialistes des violences de genre, la différence entre « le conflit » et « la violence » tient à la nature de la relation qui unit les deux partenaires. Est-elle égalitaire ou inégalitaire ? Est-elle ou non basée sur la recherche du contrôle et de la domination de l'autre ? Rien à voir avec la démarche des magistrats qui dessine tout autrement la frontière entre le conflit et la violence : les faits de violences ont-ils une cause ? se demandent-ils. Peut-on imputer la responsabilité de ces actes de violence à une seule des deux parties ? Sont-ils suffisamment graves pour justifier l'impossibilité d'une démarche de conciliation ? Et après, comment déterminer les conditions d'organisation de la séparation et les droits qui seront accordés à chaque partie ? Qui va garder le logement à son nom ?

Ces questions sont d'autant plus fortes chez les juges qu'ils se méfient des scènes entendues, soupçonnent des chausse-trappes, hésitent entre le droit des enfants et un risque de manipulation puisque l'ordonnance permet d'obtenir des droits spécifiques tout en en retirant à l'auteur vraisemblable des violences. Ainsi, pour les couples pacsés ou les concubins, l'attribution du logement commun ne relève normalement pas de la compétence du juge. Selon la même logique, les chances d'obtenir l'exercice unilatéral de l'autorité parentale, la suppression du droit de visite ou la mise en place d'un droit de visite avec un médiateur sont beaucoup plus importantes dans le cadre de cette procédure que dans les procédures classiques.

Dès lors, les violences dénoncées font l'objet d'une hiérarchisation implicite. C'est en particulier le cas des violences physiques dites « légères » et des pratiques de harcèlement psychologique, notamment lorsqu'elles sont interprétées comme une conséquence des « conflits » générés par la séparation du couple. Les jugements dansent entre « violence conjugale » et « conflit conjugal », dans une pesée largement aveugle aux enjeux de la domination masculine. Il ne s'agit plus de protéger les femmes qui le demandent mais de fixer un seuil de violence variable dans le couple, un quantum socialement et juridiquement tolérable. De sorte que les violences se trouvent profondément remaniées à travers un filtre, une méthode de traduction de « ce qui s'est passé ». Un nouveau voilage, en somme. Car le magistrat travaille à l'horizon de la plus simple preuve, ce qui a pour effet de « donner la prime à l'hématome et aux bras cassés parce que c'est bien clair, bien net », confirme une magistrate. À l'inverse, la notion de « vraisemblance » ne favorise pas la prise en considération des violences psychologiques ou verbales qui, si elles n'ont pas été commises devant témoin ou enregistrées, ne laissent que peu de traces. Le vraisemblable, de quoi s'approcher du doute, de l'incertitude, d'une sorte de neutralité qui fait baisser la tête sur ses chaussures. De sorte qu'en 2024 cette ordonnance de protection des femmes fléchit et s'incline. À peine quelques centaines. Entendre les femmes, au tribunal civil : le chemin est encore long.

Hématomes et bras cassés ? Et après ? Que se passe-t-il pour certaines d'entre elles ? Pour celles qui n'auront pas été protégées ou pour qui la protection de la justice aura été absente ? Nombre de femmes au fil des ruptures se retrouveront sans domicile. Bien après les séances au tribunal, l'ouvrage de Patricia Bouhnik propose une cartographie de la ville et de ses « femmes de la rue » : « je suis partie de ces disparitions-là pour tisser le fil des histoires, recouper les contextes et déterminants et tenter de restituer la force des expériences et capabilités engagées ».

Ruptures familiales ou conjugales, perte d'emploi, placement des enfants, exil, expulsions. Ces femmes n'ont pas osé porter plainte ou la police n'a pas voulu les entendre. Certaines ont frôlé la mort, elles ont réussi à partir, s'appauvrissant encore. D'autres vivent ces violences au quotidien, taillent une pipe contre une dose de crack. Le déclassement se mesure aussi à des formes successives de dépouillement. Partie avec trois valises dans lesquelles Cathy a rangé son passé, il ne lui en reste plus qu'une aujourd'hui. La vie entière de Coralie tient, quant à elle, dans un sac à dos. Awa et Farhia n'ont plus de sac du tout.

Les femmes – dans ce paysage de désolation – complètement oubliées ? De l'école à la psychiatrie, du centre de protection maternelle au médecin généraliste, les systèmes d'alerte ne sont pas branchés les uns aux autres. Les femmes se murent. Comment s'en étonner tant on leur a appris à souffrir en silence. Disparaitre est la seule issue. S'enfermer en cas de danger : la menace subie, le chantage, le trafic, l'argent si rare, les excès. Se retirer sur la pointe des pieds, le sacrifice ultime. Au bout de l'oubli, de l'endurance et de la survie, invisibles et monotones comme la prison ou la prostitution, ces filles, ces femmes, ces mères, ces grands-mères échangent avec Patricia Bouhnik d'une manière incomparable. Le miroir narratif coupe le souffle.

À la dérive on les suit. Il s'agit pour elles de marcher sur les frontières des zones de passage – chambres d'hôtel, compagnons de fortune –, des points de replis sur des recoins – embrasures, bancs, friches, stations de métro, gares – ou de rejoindre des regroupements discrets en squats ou chambres proposées dans des foyers, hôtels sociaux, centres d'hébergement d'urgence ou associatifs, appartements vétustes ou précaires ; avec parfois un passage en prison ou aux urgences psychiatriques. La tournée de ces lieux éclaire les nuits de dépendance et de pénitence. « J'ai mal partout, tout le temps, susurre Nadia qui a 22 ans. Les enfants sont tout le temps fatigués et malades, on ne s'arrête jamais, on va d'un endroit à l'autre pour manger, demander, on est tout le temps dans la rue, c'est très difficile… J'attends dans la rue, je me cache, des fois, quand je vois la police. Neige, pas neige, beau pas beau, c'est tous les jours la même chose. Je mange dehors, les enfants c'est pareil que moi, comme tout le monde… Quand il fait très froid c'est le plus dur ». Ne jamais s'arrêter de circuler. Passer de lieu en lieu en courant, c'est le prix à payer pour gagner une petite sécurité sans agression, en évitant l'insulte de « mauvaise mère », en attendant un pli de rue, un recoin ou un bout de chambre pour se réfugier.

Et une pluie qui tombe. Incapables, incompétentes, indigentes, indignes, infâmes, la liste est longue de ces forces négatives qui peuplent ces dominations souterraines, avec ces mots mi-juridiques mi-psychiatriques qui hantent le langage institutionnel jusqu'à contaminer le plus ordinaire des gestes. Cette série des « in » marque les actes moteurs autant que les actes mentaux. Dans ces interstices, le droit n'agit qu'en « négatif sur » les modes de repos, les circulations, les recoins, les manières de se laver, d'aimer même. Femme vieille, seule, sans attache, pauvre de surcroit, mal née et mal aimée, chaos humain comme autant de cicatrices, dans ce sous-sol strié de menaces existentielles imminentes. Le retrait du droit de ces espaces de danger accentue les effondrements. L'idée même de « non-assistance à personne en danger » se dissout dans le caniveau. Ce serait la faute à « pas de chance » ?

Nous sommes bien entre l'implicite, le non-dit, le devoir-taire que l'on nomme à tort le silence, autant dire le dernier maillon de la traque. Nous sommes bien au bord du féminicide. Discret, celui-là. Faire revenir les voix des femmes dans la conversation humaine et dans les arènes sociales ?Psychologue et philosophe, auteure d'un ouvrage de référence en sciences humaines, Une voix différente (In a Different Voice : Psychological Theory and Women's Development, 1982, trad. fr., Flammarion, 1986), Carol Gilligan poursuit cette idée en toute modestie dans Une voix humaine, sorte de conversation chaleureuse envers les femmes et toutes les populations assignées et rendues invisibles. Peut-on changer la tonalité de cette conversation ? se demande-t-elle, donner voix aux expériences humaines qui ne sont ni parlées, ni vues. Pour ce faire, ne faut-il pas un changement dans l'organisation ou la structure même de la conversation, qu'elle porte non seulement sur le genre mais aussi sur le soi, les relations avec les proches, l'interdépendance, la morale ?

Avec Carol Gilligan se prolonge une réflexion sur le silence et la parole, sur la différence entre le fait de pouvoir s'exprimer et celui d'être entendue, sur l'écoute radicale comme acte politique. Dès lors, l'écoute est une manifestation de l'éthique du care : faire attention, répondre précisément aux questions, prendre au sérieux et résister au cadre patriarcal de ses propres réponses. Cultiver la voix et l'écoute, n'est-ce pas exercer justement une éthique de la démocratie ? Néanmoins, cela suppose tout un travail sur ce fameux cadre patriarcal, les fenêtres étroites de qui doit être entendu (la voix du père) ou pas, notamment dans les chaînes de grande vulnérabilité exposées dans les deux ouvrages précédents. Penser et ressentir, dire et savoir, autant d'oppositions par lesquelles la voix de l'expérience est perdue ou discréditée, déplacée par une autre voix, détentrice d'une autorité – le patriarcat – que l'on prend pour sienne. C'est dans ce plissement que se tient l'écoute radicale suggérée par Gilligan, « une façon de s'accorder à la voix sourde, sous-jacente, à cette autre conversation qui se joue entre les lignes de dialogue ». L'auteure s'attache ainsi à promouvoir des voix de résistance, dans des situations concrètes et pratiques, une attitude de « sollicitude » envers toutes les positions de vulnérabilité, une éthique attentive aux singularités et non pas impérative et impersonnelle. Se rejouent ainsi les questions un peu plus compliquées qu'il n'y paraît : « qu'est-ce que parler veut dire ? » ; « qu'est-ce que prendre la parole offre comme perspective et à quel coût ? » ; « qui donne ou retire la parole ? ».

Jean-François Laé

Solenne Jouanneau : Les femmes et les enfants d'abord ? Enquête sur l'ordonnance de protection. CNRS, 412 p., 26 €

Patricia Bouhnik : Les femmes du coin de la rue. Corps à corps avec la précarité. Syllepse, 174 p., 17 €

Carol Gilligan : Une voix humaine. L'éthique du care revisitée. Climats, 192 p., 22 €

Le Courrier de la Marche Mondiale des Femmes contre les Violences et la Pauvreté – N° 431 – 12 mai 2024

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Femmes et dettes dans les mailles du capitalisme et du patriarcat

28 mai 2024, par Christine Pagnoulle, Govindan Venkatasubramanian, Isabelle Guérin, Santosh Kumar — ,
Le livre présente une recherche collective combinant anthropologie, économie politique et histoire. Tiré de CADTM infolettre , le 2024-05-23 07:56 21 mai par Christine (…)

Le livre présente une recherche collective combinant anthropologie, économie politique et histoire.

Tiré de CADTM infolettre , le 2024-05-23 07:56
21 mai par Christine Pagnoulle , Isabelle Guérin , Santosh Kumar , Govindan Venkatasubramanian

Isabelle Guérin, Santosh Kumar & Govindan Venkatasubramanian, The Indebted Woman. Kinship, Sexuality, and Capitalism¸ Stanford University Press (California), 2023, 229 p. dont 13 pages de notes, 23 pages de bibliographie et un index de 11 pages.


Note de lecture de Christine Pagnoulle

Elle s'appuie sur des observations menées conjointement pendant deux décennies dans une communauté du Tamil Nadu où habitent, dans des zones distinctes, des Dalits et des personnes appartenant à des castes reconnues. Cette étude vient compenser le peu d'attention accordée aux femmes dans le capitalisme financier, alors que les femmes et plus spécifiquement les femmes endettées, constituent un rouage essentiel de ses mécanismes. Il ajoute la dimension sexuelle, l'utilisation du corps en garantie de dettes, qui n'est sinon quasi jamais abordée. Deux des huit chapitres y sont consacrés. Ils montrent entre autres que les femmes endettées ne sont pas victimes passives, qu'il y ait ou non une véritable attirance amoureuse, la dette s'immisçant au plus intime de leur vie, elles négocient habilement, tant avec leur mari qu'avec un amant-créancier. En même temps, les rapports sexuels hors mariage sont jugés déviants et transgressifs, et cela de plus en plus compte tenu de la montée des conservatismes. Les femmes sont donc tiraillées dans leur féminité : comment être femme, avoir besoin d'un prêt et préserver sa respectabilité ?

L'endettement est omniprésent dans la vie quotidienne des classes exploitées. Or au sein d'un ménage l'endettement des hommes et des femmes est de nature différente. Les hommes se tournent davantage vers des créanciers qui sont des personnalités connues, leurs employeurs, des amis ou parents alors que les femmes recourent à des prêts sur gage et utilisent le microcrédit, qui est à la fois cher et dégradant. La destination des prêts varie également selon les genres, mais de façon moins marquée. Il s'agit relativement peu de lancer une entreprise, contrairement aux discours des promoteurs de microcrédit, mais plutôt de faire face aux dépenses quotidiennes, aux frais de scolarité et de santé, et – de façon écrasante – au coût des cérémonies (voir tableau page 76).

Certes le néolibéralisme a réussi à instiller chez les pauvres le sentiment qu'ils sont personnellement responsables de leur condition et doivent par conséquent se soumettre à tout ce qui peut leur être imposé. Mais dans le cas de la femme endettée, en tout cas dans la communauté étudiée, la dette (impayable) est avant tout envers la parentèle et la caste. Notons que le statut de la femme a subi une évolution négative, en parallèle avec la détérioration des politiques sociales, et la fin de la mise en cause de la hiérarchie de castes et le renforcement du patriarcat : là où elle représentait un bien désirable, une source de revenus sur le marché du travail et faisait l'objet de dons avant le mariage, elle est désormais perçue comme un poids et c'est la famille de l'épousée qui doit apporter une dot. Voilà qui constitue une dette initiale, tant morale que matérielle, vis-à-vis de leur propre famille. Pourtant, le recours à un endettement financier extérieur peut les aider à briser certaines contraintes familiales et le carcan des castes. Des groupes d'entraide permettent l'accès au capital financier mondialisé et ainsi d'échapper à une relation de dépendance personnelle et dans certains cas d'affirmer sa crédibilité en tant qu'agent économique. Ces groupes d'entraide ont hélas décliné avec l'emprise du microcrédit ; celui-ci permet de limiter les dettes de caste mais déplace plutôt qu'il n'élimine la domination : les femmes sont désormais dépendantes du marché : la domination se déplace et se multiplie.

La gestion des dettes par les femmes représente un travail considérable, indispensable au fonctionnement du capitalisme, et visible. Le travail, ce n'est pas seulement la production de biens et de services avec valeur marchande, c'est aussi le travail de reproduction sociale, dont fait partie la gestion du budget du ménage. Quand les ressources financières manquent, elles doivent jongler avec les créances, emprunter là pour payer ici. La complexité des opérations est illustrée par un schéma qui donne le vertige page 93. Ce travail trop souvent ignoré tant des chercheurs que des proches compense les failles du capital privé (salaires trop bas) et de l'État (manque de protection sociale). Les remboursements absorbent en moyenne 48% des revenus du ménage, dont 30% pour les intérêts. L'objectif visé par la gestion des dettes est d'en réduire le coût, en négociant les taux d'intérêt et les délais de remboursement, mais aussi en créant des circuits propres qui échappent au secteur financier. Par ailleurs le ‘travail de la dette' génère de la plus-value pour le capital, et ceci de deux façons, directement par le paiement d'intérêt et indirectement, en compensant des salaires trop bas, source évidente de plus-value pour les patrons.

En plus de leur savoir-faire et de leur ingéniosité, les femmes doivent pouvoir compter sur la solidarité. Ensemble, elles créent des interstices hors capitalisme et obligations de parenté.

La situation des femmes endettées au Tamil Nadu rappelle la condition des ouvrières de l'époque victorienne, qui assumaient de la même manière la gestion des dettes, à une différence près : la culture capitaliste du 19e siècle valorisait l'épargne alors que la spéculation actuelle multiplie les sollicitations à la dépense à crédit. Elle est similaire à celles des femmes dans bien d'autres parties du monde.
Pour conclure, si les contraintes du mariage et des liens de parenté sont tout autant des formes de violence et d'oppression sur la ‘femme endettée' que l'argent et le marché, il ne faut pas sous-estimer sa capacité à créer des espaces interstitiels de liberté (pour leur corps et pour leur parole) en dehors des règles du patriarcat et du marché.

Certains débiteurs sont davantage que d'autres astreints au remboursement, les femmes le sont au premier chef. Mais cela n'a rien d'inévitable et les campagnes pour l'annulation des dettes se multiplient. Cependant à elle seule une annulation ne suffit pas : il faut remédier aux causes structurelles de l'endettement. Enfin soyons conscient·es que si l'on tient compte de tout le travail gratuit fourni par les femmes, la situation d'endettement est renversée : les femmes sont en fait créancières d'une énorme dette de soins et à ce titre aussi il faut en finir avec la honte et la culpabilité que ressentent trop souvent les femmes endettées.

Isabelle Guérin est directrice de recherche en socio-économie à l'Institut de Recherche et Développement. Elle définit l'objet de ses travaux actuels comme étant « la financiarisation des économies, ce qu'elles produisent en termes de renforcement et reconfiguration des inégalités mais aussi d'émergence de pratiques alternatives et solidaires ».

Santosh Kumar, outre son activité de chercheur, est directeur de la Mithralaya International School of music, dance and arts qu'il a fondée en 2012.

Govindan Venkatasubramanian est un sociologue à l'Institut français de Pondichéry ; ses recherches portent entre autre sur les rapports entre travail, finance et dynamique sociale.

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G7 : Poursuite ou non de la suspension du paiement de la dette ukrainienne

28 mai 2024, par Éric Toussaint — , ,
Dans cet entretien publié par la CADTM, Éric Toussaint raconte les discussions (et désaccords) en cours dans les grandes puissances impérialistes concernant la dette de (…)

Dans cet entretien publié par la CADTM, Éric Toussaint raconte les discussions (et désaccords) en cours dans les grandes puissances impérialistes concernant la dette de l'Ukraine et les sanctions contre la Russie, ainsi que des propositions que les anticapitalistes peuvent défendre.

21 mai 2024 | tiré du site d'Inprecor

Pourquoi le G7 discute-t-il de la dette de l'Ukraine ?

Depuis plus d'un an dans le cadre du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni), les dirigeants des principales puissances alliées contre la Russie suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, débattent et n'arrivent pas à trouver un point d'accord concernant le financement de la guerre et de la reconstruction de l'Ukraine.

Il faut rappeler que dans le cadre des sanctions prises par les alliés autour de l'OTAN, les actifs de la Fédération de Russie dans les pays occidentaux s'élevant à environ un peu moins de 300 milliards de dollars ont été bloqués. Et la majeure partie de ces actifs se trouve dans une « clearhouse » nommée Euroclear basée à Bruxelles.

Quels sont les créanciers de l'Ukraine ?

L'aide apportée par les États-Unis et par les puissances occidentales européennes se fait, dans le cas des États-Unis, sous forme de dons d'armes ou d'autres aides financières, tandis que les Européens fournissent les armes sous forme de dons, et tout le reste de ladite aide financière est sous forme de prêts que l'Ukraine devra rembourser. La dette de l'Ukraine s'élève à plus de 100 milliards de dollars. Les marchés financiers, c'est-à-dire de grands fonds d'investissement et des banques, parmi les grands fonds d'investissement, par exemple BlackRock et PIMCO, sont détenteurs de titres de la dette ukrainienne. Il y a aussi des fonds vautour qui rôdent et ont acheté des titres de la dette ukrainienne à des prix très bas, avec une décote de 70 à 80%. Du côté des institutions multilatérales, il y a la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, qui sont des créanciers de l'Ukraine. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ne font aucun don et le FMI a continué pendant la guerre à exiger le remboursement de ses crédits en prélevant un taux d'intérêt élevé.

Y a-t-il eu une décision des créanciers de suspendre les remboursements demandés à l'Ukraine ?

En juillet 2022, les puissances occidentales se sont mises d'accord pour reporter tous les paiements de la dette pour une période de deux ans. En juillet 2024, si la suspension du paiement de la dette n'est pas prolongée, l'Ukraine doit reprendre les paiements.

Et en conséquence, depuis des mois, des négociations sont en cours sur ce qui va se passer après juillet 2024. L'Union européenne a reporté la date à laquelle les remboursements devront reprendre, un report de plusieurs années. Et donc, ce qui est en question, c'est principalement les remboursements aux créanciers privés, ainsi qu'à des pays qui ne sont pas directement dans l'alliance occidentale, ou qui sont même opposés à cette alliance occidentale, et notamment la Chine qui est aussi une créancière de l'Ukraine, mais aussi la Russie.

Il faut préciser également que les autorités de Kiev ne demandent pas l'annulation de la dette ukrainienne. Ils sont pour poursuivre l'endettement du pays. Le gouvernement néolibéral de Zelensky a emprunté à l'intérieur de l'Ukraine pour financer la guerre, la résistance à l'invasion russe, et a continué à emprunter à l'étranger, notamment auprès du FMI, de l'UE, etc.

En 2022, faut-il rappeler qu'une pétition avait été lancée pour l'annulation de la dette ?

Du côté des mouvements sociaux et de l'opposition de gauche à la guerre, il y a une exigence d'annuler complètement la dette de l'Ukraine pour libérer le peuple ukrainien de ce fardeau et lui permettre de résister et d'avoir droit à une reconstruction du pays conforme à ses intérêts. Une pétition mondiale a circulé dès 2022.

Pourquoi la négociation a-t-elle lieu au sein du G7 et pas du G20 ?

La négociation sur comment financer la guerre et la reconstruction se fait au sein du G7, parce que si cela devait se discuter au sein du G20, cela inclurait les puissances du Sud global, notamment les BRICS, et donc y compris la Russie et la Chine qui sont opposés à la politique occidentale de sanctions. Le Brésil, l'Inde et l'Afrique du sud sont aussi opposées aux sanctions. Par exemple bien que l'Inde soit alliée aux États-Unis, elle a augmenté depuis l'invasion de l'Ukraine ses achats de pétrole auprès de la Fédération de Russie.

Quels sont les désaccords entre les membres du G7 ?

À l'intérieur du G7, il y a des désaccords importants. Le gouvernement des États-Unis dit qu'il est possible de saisir les avoirs de la Fédération de Russie, et ces avoirs se trouvent principalement en Europe et en particulier à Bruxelles. Les États-Unis disent : « Prenons ces avoirs, ces actifs financiers, mettons-les dans un fonds pour financer la guerre et la reconstruction », tandis que les Européens, la majorité des Européens jusqu'ici, de l'Union Européenne, disent : « Non, si on fait ça, on touche à l'immunité des États, et ça ne concernera pas que la Fédération de Russie » mais surtout ce qui compte pour eux, c'est que si on saisit les avoirs de la Fédération de Russie, et notamment ceux qui se trouvent à Bruxelles, le risque c'est que les puissances comme la Chine, les États du Golfe, et d'autres pays qui placent leur argent en Europe, retirent leurs actifs financiers des banques européennes, parce que ce qui arrive à la Fédération de Russie pourrait leur arriver aussi dans le cadre de sanctions qui seraient prises contre eux pour d'autres raisons dans le futur. Et donc les Européens, et notamment Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, mais aussi le gouvernement italien, les Belges, les Français, les Allemands, sont contre qu'on touche, qu'on prenne carrément les actifs de la Fédération de Russie qui se trouve à Bruxelles, pour les conséquences que cela aurait pour l'euro comme monnaie de réserve internationale et pour les grandes banques privées européennes. L'euro perdrait son statut de monnaie de réserve, ou en tout cas son statut de monnaie de réserve internationale risquerait selon eux d'être fortement affaibli vu ce précédent. Une partie importante des dépôts de puissances comme la Chine ou du Moyen-Orient dans les banques privées européennes risqueraient également d'être retirée. Les Britanniques se rangent plutôt du côté de Washington dans cette discussion mais ils sont plus prudents que les dirigeants d'Outre Atlantique.

Vers quel compromis s'oriente le G7 ?

On va certainement vers le fait que le G7 va décider de ne pas exproprier les avoirs russes, et donc de maintenir le gel des avoirs russes, et sur la base de ces actifs russes, ils vont créer un mécanisme pour émettre des titres de la dette au nom de l'Ukraine, on peut le supposer, ou au nom d'un consortium de pays pour prêter cet argent à l'Ukraine.

Et donc, dans ce cas-là, les actifs russes serviraient de garantie aux grands fonds d'investissement et aux grandes banques qui achèteraient des titres de cet emprunt qui ensuite fournirait l'argent qui serait prêté à l'Ukraine, et qui donc augmentera de manière substantielle la dette ukrainienne.
Dans la presse spécialisée, on parle d'un emprunt de 30 milliards de dollars.

Qu'est-ce qu'il faudrait défendre comme position ?

Je dirais qu'en principe, les actifs d'un État agresseur, un État qui a envahi le territoire d'un autre, ou qui activement participe à l'agression militaire d'un autre pays, devraient pouvoir être saisis. Mais la question, c'est qui gère les actifs, et pour quels objectifs ? Et là, dans la situation internationale actuelle, on ne voit absolument pas comment serait réalisable le fait qu'une saisie soit contrôlée par les mouvements sociaux, par les citoyen·nes du pays agressé, de manière à ce que l'utilisation des fonds saisis serve réellement aux intérêts du peuple du pays agressé. La saisie des biens d'un pays agresseur devrait évidemment concerner tous les pays agresseurs et cela veut dire que les États-Unis et ses alliés qui ont réalisé de nombreuses agressions et invasions devraient être soumis à cette règle. Or ce n'est évidemment pas le cas. Les États-Unis ont multiplié depuis près d'un siècle et demi la saisie de biens d'autres États à commencer par les biens des États qu'ils agressaient ou envahissaient comme cela a été le cas à Haïti à partir de 1915, pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres.

Mais il n'y a pas que la saisie des actifs d'un pays agresseur qui devrait être prise en considération comme mesure possible. Un fonds de financement de la reconstruction de l'Ukraine et de la résistance ukrainienne à l'agression pourrait être financé ou devrait être financé par un impôt prélevé sur les grandes entreprises privées qui profitent de la guerre. Les industries d'armement allemandes, françaises, nord-américaines et d'autres pays profitent d'une manière très importante de l'augmentation des budgets militaires, des fournitures d'armes à l'Ukraine (Bien sûr du côté russe l'industrie d'armement fonctionne à plein régime également.).

C'est le cas par exemple de l'entreprise Rheinmetall en Allemagne qui fait des profits extraordinaires, mais ça concerne d'autres très grandes entreprises d'armement. Il faudrait au minimum qu'elles payent un impôt proportionnel à l'augmentation de leurs bénéfices ou égal à l'augmentation de leurs bénéfices et que ce montant soit transféré à un fonds de développement géré avec la participation directe du peuple ukrainien.

Il faudrait également qu'on saisisse les avoirs des oligarques qui profitent de l'agression de l'Ukraine, tant les oligarques russes que des oligarques ukrainiens qui profitent de la situation. Ainsi, des montants substantiels pourraient être récoltés pour financer la résistance du peuple ukrainien et la reconstruction du pays.

A noter que si on prélevait un impôt équivalent aux bénéfices supplémentaires faits par les entreprises d'armement dans le cadre de cette guerre et d'autres guerres en général, ça limiterait la propension de ces entreprises à se réjouir de la poursuite de la guerre et à y contribuer car elles n'en tireraient pas directement un bénéfice.

Les mesures en termes de saisie des biens des oligarques, de saisie, donc confiscation, expropriation de leurs biens, vont directement à l'encontre du caractère sacré de la propriété privée, et donc on n'a pas vu depuis 2022 des saisies importantes car les gouvernements occidentaux ne sont pas du tout enclins à y procéder même s'ils sont opposés à la Fédération de Russie. Il faudrait recenser exactement ce qui a été fait, mais c'était extrêmement limité et ça n'a pas été transféré dans un fonds sous contrôle des populations ukrainiennes. En fait, il n'y a eu aucun impôt spécial par rapport aux entreprises qui profitent de la guerre. J'ai parlé des entreprises productrices d'armes, mais on peut aussi parler des superprofits faits par les sociétés gazières et pétrolières qui ont bénéficié de l'augmentation énorme du prix du gaz liquide et du pétrole suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

On peut aussi parler de l'augmentation des bénéfices des entreprises qui commercialisent les céréales au niveau mondial, comme les quatre grandes entreprises multinationales qui contrôlent 80 % du marché mondial des céréales. Ce sont trois entreprises américaines et une entreprise européenne. Un impôt spécial sur les bénéfices de ces entreprises aurait dû être prélevé, devrait être prélevé, y compris de manière rétroactive à la fois pour financer les besoins de toutes les populations et pour venir en aide au peuple ukrainien. Il faut également continuer à revendiquer l'annulation de la dette ukrainienne.

Rien de cela n'est envisagé par les dirigeants du G7 et donc il faut avancer une position clairement alternative et en opposition à la politique du G7 qui vise à prolonger la guerre à la financer largement par de la dette. La position des pays membres du G7 vise à utiliser la situation y compris avec la perspective de prendre le contrôle de richesses naturelles de l'Ukraine, d'obtenir la privatisation d'entreprises publiques ukrainiennes comme l'entreprise de gaz, ainsi que l'entreprise de production et distribution électrique. Ces entreprises sont des entreprises publiques et le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, les gouvernements d'Europe, de l'Union européenne, de la Grande-Bretagne, des États-Unis voudraient les voir privatisées.

Et il faut lutter bien sûr aussi contre les grands fonds d'investissement, les grandes banques privées qui tirent profit de la guerre en prêtant de l'argent aux puissances directement investies dans cette guerre et à l'Ukraine et qui en tirent un profit important.

Il faut aussi savoir que plusieurs banques privées européennes, dont l'autrichienne Raiffaisen, les allemandes Deutsche Bank et Commerzbank, les italiennes Unicredit et Intesa Sanpaolo ont poursuivi des activités dans la Fédération de Russie. Et malgré les sanctions, elles ont multiplié par 4 leurs profits dans ce pays depuis le début de l'invasion de l'Ukraine. Elles viennent de payer 800 millions d'euros d'impôts sur bénéfices aux autorités russes sans qu'aucune mesure ne soit prise de la part des autorités européennes. Voir les révélations du Financial Times datant du 28 avril 2024.

L'auteur remercie Sushovan Dhar pour son aide.

Le 21 mai 2024.

Pourquoi publier une revue antispéciste ?

28 mai 2024, par Martin Gibert — , ,
Des militantes francophones contre le spécisme publient pour la première fois une revue papier. À quoi pense le mouvement animaliste ? Quels débats le nourrissent ? Réponse (…)

Des militantes francophones contre le spécisme publient pour la première fois une revue papier. À quoi pense le mouvement animaliste ? Quels débats le nourrissent ? Réponse argumentée et présentation de ce numéro par la corédactrice en chef de L'Amorce.

Tiré d'AOC media

Des militantes francophones contre le spécisme publient pour la première fois une revue papier. À quoi pense le mouvement animaliste ? Quels débats le nourrissent ? Réponse argumentée et présentation de ce numéro par la corédactrice en chef de L'Amorce.

Ce printemps 2024, paraît une nouveauté, L'Amorce, au sous-titre sans équivoque : revue contre le spécisme. Sous une couverture orangée, on y trouve des articles en forme de questions : « Faut-il se fier aux intuitions spécistes ? » ou « Pourquoi la droite tient-elle tant à son verre de lait ? ». On peut aussi y lire une entrevue avec le philosophe Peter Singer, auteur du fameux Animal liberation (1975). Et qui analyse la polémique sur Sandrine Rousseau et les barbecues ? Nulle autre que l'autrice de La Politique sexuelle de la viande, l'écoféministe Carol J. Adams.

Je le sais parce que je suis co-rédactrice en chef de L'Amorce. Cette revue, en ligne depuis 2018, est le fruit d'un collectif de philosophes, sociologues, intellectuelles et militantes qui s'intéressent de près au spécisme. (Nous utilisons le féminin par défaut pour certains groupes mixtes ; c'est étrange au début, mais c'est comme pour le tofu : on s'habitue). Ce qui est nouveau ce printemps, c'est que la revue est pour la première fois publiée en un volume papier aux éditions Éliott. Voilà donc l'occasion de répondre à une question aussi simple que légitime : pourquoi publier une revue antispéciste ?

À bien y penser, je vois au moins quatre raisons.

La première raison, c'est que nous avons raison. Il existe bel et bien une oppression massive, violente et omniprésente, contre les animaux. Qui plus est, cette oppression passe largement inaperçue. Il faut donc en parler. Le spécisme, cette discrimination en fonction de l'espèce, n'est pas seulement un concept abstrait : des dizaines de milliards d'animaux terrestres (sans compter d'innombrables animaux aquatiques) sont élevés et envoyés chaque année à l'abattoir alors que l'on sait pertinemment qu'on pourrait s'en passer.

Dire, un peu crânement, je vous l'accorde, que nous avons raison, c'est dire que le spécisme existe et qu'il y a d'excellentes raisons morales de le combattre. C'est assumer son identité de revue militante. Comment rester indifférents et ne pas vouloir amorcer (et oui) un changement culturel lorsqu'on prend la mesure des violences spécistes ?

En philosophie morale, presque personne ne soutient sérieusement qu'il est légitime de discriminer les individus en fonction de l'espèce. Comme le montre François Jaquet dans son dernier livre, Le pire des maux : éthique et ontologie du spécisme, le spécisme, tout comme le racisme, viole un principe fondamental d'égal traitement des individus. Nous avons raison, mais nous savons aussi que les gens s'en remettent rarement à la raison dans leurs jugements moraux. Dans ce premier numéro de L'Amorce, le philosophe suisse interroge la psychologie morale des intuitions spécistes, celles-là mêmes qui conduisent à minimiser ou ignorer les intérêts des animaux.

Ces intuitions, constate-t-il, s'expliquent par le tribalisme et la dissonance cognitive. On perçoit moralement les animaux comme des membres d'une autre tribu, et on ajuste nos croyances à nos pratiques – culinaires notamment. Puisque ces facteurs explicatifs sont sans rapports avec la vérité des intuitions spécistes, il s'ensuit qu'elles ne sont pas fiables. Pour penser le spécisme, il faut donc se méfier de nos intuitions – qui correspondent au système 1 du psychologue Daniel Kahneman – et examiner des arguments en mobilisant le système 2, la raison. À la réflexion, n'est-ce pas ce qu'essaye de faire une revue ?

La seconde raison de publier, c'est de rassembler. Car un volume papier, c'est d'abord ça : réunir sous une même couverture des auteurs et des autrices dont on juge la parole pertinente. Et ce faisant, créer du lien, constituer un « nous ». Car ce rassemblement a bien sûr un sens politique. Il signale une présence : nous sommes nombreux, y compris dans le monde universitaire, à penser que nous avons un gros problème avec le spécisme. En ce sens, publier une revue antispéciste, c'est donc participer à un mouvement social et politique, à un projet collectif.

La revue s'ouvre d'ailleurs avec un texte collectif, La Déclaration de Montréal sur l'exploitation animale, lancé le 4 octobre 2023. Signée par plus de 500 philosophes moraux et politiques, elle ne plaide pas pour la viande locale ou bio, mais condamne explicitement toute forme d'exploitation des animaux sentients, c'est-à-dire capables d'éprouver du plaisir, de la douleur ou des émotions. Lorsqu'il m'arrive d'avoir des doutes (déformation professionnelle), je me souviens qu'il existe une expertise philosophique, et que ce n'est pas demain la veille que 500 philosophes moraux et politiques seront prêts à se commettre pour défendre l'exploitation animale.

Mais quand bien même les antispécistes auraient tout faux, cela ne changerait rien à la troisième raison de publier : c'est intéressant. Contrairement à ce qui se passe pour la plupart des gens – ce qui inclut la plupart des journalistes et des intellos – il faut bien comprendre que, pour les animalistes, la question de l'éthique de l'exploitation animale est réglée depuis longtemps. Nous nous intéressons aujourd'hui à d'autres questions, plus pragmatiques, plus politiques.

L'humanisme de la gauche possède un revers embarrassant : le suprémacisme humain.

D'ailleurs, où situer politiquement l'animalisme ? Si les organisations féministes manifestent souvent leur soutien à Black Lives Matter, aux immigré·es ou aux homosexuel·les, « les groupes animalistes restent en dehors de ces solidarités progressistes », constate Will Kymlicka. Cela viendrait d'une croyance profondément enracinée en chacune, à savoir que la valeur de l'humanité réside dans sa différence avec l'animalité.

On le voit bien avec les métaphores et les insultes animalières utilisées pour dévaloriser, en les déshumanisant/animalisant, des groupes vulnérables (femmes, musulman·es, Noir·es), ceux-là même que défend la gauche. Et le philosophe canadien de résumer : « L'argument le plus courant en faveur des droits des animaux repose sur la continuité entre les humains et les animaux ; à l'inverse, l'argument le plus courant pour les droits des groupes déshumanisés repose sur une discontinuité radicale entre les humains et les animaux. » Qui l'eut cru, l'humanisme de la gauche possède un revers embarrassant : le suprémacisme humain.

Un écho très concret de ces préoccupations résonne dans la lettre ouverte qu'adressent des militantes antispécistes – des orphelines de la gauche – aux féministes. Les autrices proposent à leurs alliées une « solidarité passive », le respect d'un principe de non-nuisance. Concrètement, cela implique par exemple « de cesser d'alimenter le spécisme via des slogans suprémacistes humains (« nous ne sommes pas des animaux », ou encore « nous ne sommes pas du bétail », « ni viande ni objet ») » ou que l'option végétalienne soit offerte par défaut dans les rassemblements militants.

De même, au Brésil, explique Sandra Guimarães en entrevue, le mouvement du « véganisme populaire » construit des ponts avec la lutte des paysans sans terre et d'autres mouvements de justice sociale. L'activiste brésilienne du réseau antispéciste UVA (União Vegana de Ativismo) s'empare de thèmes comme la réforme agraire, l'agroécologie, la souveraineté alimentaire ou la décolonisation des pratiques agricoles. Pour elle, toute bonne stratégie doit tenir compte des besoins des gens : « La vie du peuple est tellement difficile que si la lutte n'améliore pas concrètement la vie des classes populaires dans le présent, elle ne fera jamais sens pour nous. »

En Amérique du Nord, les masculinistes se moquent des soy boys, ces hommes véganes soi-disant féminisés par le soja. Mais ce n'est pas tout. Comme le rappelle Élise Desaulniers, l'extrême droite instrumentalise aussi un fait biologique, à savoir que tous les êtres humains ne sont pas égaux devant la digestion du lait, pour valoriser la « race blanche ». En effet, seules les populations (adultes) qui possèdent une mutation génétique capitale, la « persistance de la lactase » peuvent digérer le lait. Pour les personnes d'ascendance européenne et des peuples nomades d'Afrique, c'est un héritage de leur ancêtre ayant domestiqué les vaches. Ajoutez à cela la couleur du lait et voyez comment l'extrême-droite peut en faire un symbole qui conjugue suprémacisme humain et suprémacisme blanc. Avouez que c'est intéressant.

Publier une revue antispéciste, c'est rassembler en créant des juxtapositions inédites : c'est touiller de l'information et lancer des idées. Que se passera-t-il dans la tête des lectrices qui liront un article sur l'intelligence artificielle, un autre sur la souffrance des animaux dans la nature et un troisième sur le Black veganism ? Quelles connexions inédites vont s'enclencher ?

Publier une revue contre le spécisme, c'est chercher une reconnaissance intellectuelle.

Quant à la quatrième raison, c'est qu'il y a de la place pour nous. Hélas. La couverture médiatique est en effet saturée de spécisme : presque tous les vecteurs d'information tiennent pour acquis que l'espèce est un critère de discrimination légitime. Or, pour avoir un marché libre des idées, il est crucial que toutes les positions soient exprimées (et en particulier les bonnes !). Cette dernière raison, même nos détracteurs devraient l'endosser. Brisons les monopoles idéologiques et accueillons, sous vos applaudissements, une nouvelle perspective cohérente et radicale.

La revue mérite en particulier d'exister dans l'espace informationnel francophone. Car L'Amorce n'est pas particulièrement une revue française. Cinq d'entre nous vivent à Montréal ou sont québécoises, l'un vient de Suisse, deux vivent en Angleterre et une demeure même à la campagne, en Ardèche. De fait, nous sommes bien placées pour apprécier la lenteur d'allumage relative des intellos aux enjeux animalistes dans divers pays. Et la France ne nous impressionne pas beaucoup.

Dans les journaux, lorsqu'on s'aventure à parler d'antispécisme, on équilibre aussitôt le papier avec « l'autre côté de la médaille ». Des ouvrages publiés par des journalistes (par exemple du Figaro ou de Philosophie magazine) prétendent invalider l'antispécisme. Ils agitent le spectre de la panique morale et hurlent au loup, ce qui ne contribue pas à élever le débat. Je me souviens en particulier d'un dialogue de sourds lorsque Valéry Giroux fut invitée par Alain Finkielkraut sur France Culture à défendre son Que sais-je ? sur l'antispécisme.

Notre projet consiste à offrir des analyses que l'on n'entend pas à la radio. Ainsi, Valéry Giroux pose dans ce numéro une question qui fâche, impubliable ailleurs : les véganes qui, comme moi, se privent au quotidien des délices tirées de l'exploitation animale, ne le feraient-il pas pour rien ? Quelle est l'efficacité réelle du boycott végane ? Avec sa rigueur habituelle, la philosophe québécoise analyse la plus récente littérature scientifique sur le sujet et conclut qu'il existe de bonnes raisons non seulement déontologiques, mais aussi conséquentialistes de se priver (ouf !). Elle s'inscrit par-là dans le courant très « esprit critique » ou zététique qui se développe depuis quelques années dans le monde animaliste – et dont Florence Dellerie est une autre représentante, en plus d'avoir paré ce premier numéro de ses croquis animaliers.

En définitive, je crois que c'est une certaine reconnaissance intellectuelle que l'on va chercher lorsqu'on décide de publier une revue contre le spécisme. C'est la responsabilité de contribuer au débat et le droit de répliquer lorsqu'on juge que des intellos disent n'importe quoi sur le sujet. Ce qui arrive plus souvent qu'autrement. Thomas Lepeltier, dont la revue papier reprend une tribune contre certaines thèses environnementalistes, a écrit tout un livre sur le sujet, L'imposture intellectuelle des carnivores.

Les intellos sont responsables de ce qu'ils écrivent. Ainsi, lorsque Baptiste Morizot attaque l'antispécisme avec un mauvais argument, nous estimons devoir lui répondre (« Un philosophe confondant »). Lorsque l'anthropologue Charles Stépanoff cire les bottes des chasseurs français, nous pensons qu'une riposte est requise (« Un anthropologue chachant chacher »). Publier une revue contre le spécisme, c'est assumer le contre. C'est tenir son cap dans la bataille des idées et donner le change aux défenseurs du spécisme.

En résumé, je vois au moins quatre raisons, en 2024, de publier une revue francophone contre le spécisme : parce qu'il y des raisons morales de combattre cette discrimination, parce que c'est politiquement rassembleur, parce que c'est intéressant et pour donner à la critique du spécisme la place légitime qui lui revient dans le monde des idées. Gageons que ce sont autant de raisons de lire une revue antispéciste.

NDLR – Après cinq ans d'existence en ligne, le revue L'Amorce a publié un premier numéro papier paru le 17 avril.

Martin Gibert
PHILOSOPHE, CHERCHEUR EN ÉTHIQUE DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AFFILIÉ AU CENTRE DE RECHERCHE EN ÉTHIQUE (CRÉ) ET À L'INSTITUT DE VALORISATION DES DONNÉES (IVADO) À L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

L’ascension d’un nouveau paradigme économique : le cybersocialisme

28 mai 2024, par John Olympio — , ,
Si l'histoire est écrite par les vainqueurs, la multiplication des échecs de l'hégémon capitaliste nous invite à revisiter le passé pour explorer des solutions négligées. Telle (…)

Si l'histoire est écrite par les vainqueurs, la multiplication des échecs de l'hégémon capitaliste nous invite à revisiter le passé pour explorer des solutions négligées. Telle est l'approche de Cédric Durand et Razmig Keucheyan dans leur ouvrage « Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique », où les auteurs mobilisent l'histoire et des institutions existantes pour proposer un modèle alternatif concret, bien qu'ambitieux.

23 mai 2024 | Joutnsl des Alternatives
https://alter.quebec/lascension-dun-nouveau-paradigme-economique-le-cybersocialisme/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=Sinformer-et-agir--lactualite-a-ne-pas-manquer-avec-le-Journal-des-Alternatives

Cédric Durand était l'invité d'un séminaire organisé par l'atelier d'Écologie sociale du capitalisme avancé (ESCA) en collaboration avec l'Institut de recherches et d'informations socioéconomiques (IRIS Québec) et le Centre de recherche sur les innovations et les transformations sociales (CRITS) pour défendre la dimension économique de son livre qu'il a écrit en collaboration.
Repenser le rapport avec la nature

Si les adeptes du modèle néolibéral attribuent les failles du marché à une trop grande ingérence de l'État dans l'économie, selon Cédric Durand, nous avons aujourd'hui perdu la maîtrise de notre rapport avec la nature. Mais comment restaurer le métabolisme entre les humains et la planète Terre quand « le capital ne sait pas payer pour des choses qui ne rapportent absolument rien ». Pour les auteurs cela implique d'inverser la dialectique d'efficacité et de protection de l'environnement.

Face à cela, le capitalisme vert est une fausse bonne idée, selon M. Durand. D'une part, le principe du « pollueur-payeur » est injuste, car il implique que plus on est riche, plus on a le droit de polluer. Mais en plus, les incitatifs sont souvent mal définis et donc inefficaces. La nature, dans sa complexité, et sa multiplicité dépassent grandement le raisonnement économique traditionnel.

La planification : un outil de regain de contrôle

Face à ces enjeux, les auteurs proposent de raviver l'antagoniste historique du marché : la planification. Mais qu'est-ce que la planification économique ? Elle consiste à nationaliser les moteurs stratégiques de l'économie et à offrir une politique de crédit selon les priorités planifiées, permettant ainsi aux individus de se réapproprier les modes de production.

Cette planification doit être technologique, écologiquement viable et démocratique. Contrairement au XXe siècle, les progrès technologiques en matière d'information permettent aujourd'hui une planification plus précise et efficace. On peut désormais utiliser une panoplie d'outils pour mesurer l'impact écologique et intégrer ces données dans l'évaluation de la viabilité des entreprises.

Une démocratie renforcée par la planification

Dans l'imaginaire collectif, le modèle économique libéral est souvent perçu comme le seul défenseur de la démocratie face aux économies planifiées autoritaires. Cependant, Durand et Keucheyan soutiennent que la démocratie peut légitimer la planification. En effet, il s'agirait de choisir entre plusieurs scénarios possibles, avec une implication directe du peuple dans les décisions à l'échelle nationale et locale.

Cette transition nécessiterait une profonde modification de nos modes de consommation, telle qu'exigée par les crises écologiques et sociales. Bien que la planification soit souvent associée à la dictature des besoins, comme dans le communisme soviétique, cela n'est pas une fatalité. Plusieurs outils peuvent être mis en place pour éviter ces dérives, notamment en éliminant les besoins artificiels imposés par le marketing et de rendre la consommation plus intelligente et consciente des réalités humaines et sociales.

Le renforcement des services publics jouerait également un rôle crucial en allégeant le poids de l'incertitude et de la précarité sur les populations. Grâce à des services publics robustes, les individus seraient libérés de nombreuses contraintes économiques privées. Par exemple, on pourrait se rendre au travail ou se promener dans un parc sans se soucier de la facture d'hôpital en cas d'accident. Ces services publics garantiraient un filet de sécurité, permettant.e de vivre sans la peur constante de l'insécurité.

En somme, les auteurs envisagent un modèle « cyber-socialiste » où la technologie et la planification écologique se combinent pour offrir une alternative viable et inspirante au capitalisme. Bien qu'ils proposent une réponse claire à la question « que faire ? », l'éternelle question du « comment ? » reste en partie insoluble.

Pour en savoir plus, on vous invite à lire « Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique » de Cédric Durand et Razmig Keucheyan, aux éditions La découverte.

Vers un grand mouvement écosocialiste international

28 mai 2024, par Robin Bonneau-Patry — , , ,
La sixième Rencontre écosocialiste internationale et la toute première Rencontre écosocialiste d'Amérique latine et des Caraïbes a eu lieu du 9 au 11 mai dernier à Buenos (…)

La sixième Rencontre écosocialiste internationale et la toute première Rencontre écosocialiste d'Amérique latine et des Caraïbes a eu lieu du 9 au 11 mai dernier à Buenos Aires. Cet événement a réuni environ 300 personnes d'une quinzaine de pays pour discuter des stratégies de résistance contre le capitalisme et pour explorer des alternatives nécessaires et urgentes à ce système. Il a été unanimement reconnu qu'un fort mouvement écosocialiste international est la clé pour répondre aux crises écologiques et sociales actuelles.

Tiré d'Alter Québec.

La rencontre a mis en évidence l'urgence d'agir face aux limites planétaires et à la menace que représente le modèle actuel de production et de consommation. Les participant.es ont souligné l'importance de construire un monde fondé sur la justice climatique, environnementale et sociale. Ces dernier.ères ont discuté des diverses luttes menées par différents groupes dans le monde entier, cherchant à transformer radicalement le système actuel. Les discussions ont mis en avant la résistance contre l'accumulation de capital et les privilèges d'une minorité qui détruit les biens communs.

De plus, l'événement a insisté sur le besoin urgent de dépasser la simple survie en tant qu'espèce. Les participant.es ont exprimé leur engagement à construire une alternative au capitalisme actuel, qu'il soit néolibéral, colonial, extractiviste, raciste ou patriarcal. Dans cette perspective, l'écosocialisme se présente comme la voie privilégiée, éloigné des formes d'exploitation dominantes.

Plaidoyer pour un vaste mouvement international écosocialiste

Le panel de clôture, intitulé « Vers un grand mouvement écosocialiste international », a marqué un moment fort de la rencontre. Modéré par Juan Tortosa (Solidarités Suisse), il a réuni des figures clés telles que Germán Bernasconi (Poder Popular Argentine), Sébastien Brulez (Gauche anticapitaliste de Belgique), Felipe Gutiérrez Ríos (Observatorio Petrolero Sur argentin) et Vanessa Dourado d'ATTAC Argentine.

Le débat s'est ouvert sur l'importance de replacer les luttes écologiques dans une perspective historique et culturelle, en se connectant à la nature de manière profonde. Par exemple, les limitations du progressisme actuel ont été soulignées, avec un accent mis sur l'agroécologie comme solution viable pour nourrir à la fois les familles individuelles et la population dans son ensemble. En effet, cette approche de l'agriculture permet de produire la nourriture de manière durable en harmonie avec les écosystèmes naturels, tout en soutenant les communautés locales et en réduisant la dépendance aux intrants chimiques.

Les discussions ont également reconnu la diversité des visions du socialisme moderne parmi les participant.es, mais ont affirmé un consensus anticapitaliste fort. D'après Vanesa Dourado (ATTAC Argentine), cette diversité de perspectives doit être considérée comme un enrichissement pour le mouvement, tout en mettant également en lumière l'importance des luttes territoriales en tant que bastions essentiels de résistance.

La nécessité d'une réinvention de l'espoir face à la cooptation des agendas capitalistes par des partis supposément de gauche — notamment le PS européen — a été un point crucial du débat. Les participant.es ont insisté sur l'importance d'un mouvement de masse pour un véritable changement systémique, soulignant que ce changement ne peut être atteint que par une mobilisation collective large et inclusive. Cet appel nous encourage à poursuivre le travail que nous faisons au Journal des Alternatives, notamment sur l'importance de l'internationalisme comme fondement essentiel pour la réalisation de changements durables, y compris dans la perspective d'une action politique électorale.

En conclusion, les participant.es ont exprimé leur détermination à renforcer leurs organisations et à poursuivre la lutte contre le capitalisme sur tous les continents. L'idée de continuer à grandir et à se préparer pour les futures batailles a été mise en avant, avec l'engagement de se réunir à nouveau pour lutter où que ce soit, sur n'importe quel continent. Ainsi, la concertation des luttes écosocialistes entend se poursuivre avec la 2e Rencontre écosocialiste d'Amérique Latine et des Caraïbes à l'occasion de la 30 COP, qui se tiendra à Belém, au Brésil, l'année prochaine.

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La 6e Rencontre écosocialiste internationale et la 1re Rencontre écosocialiste d’Amérique latine et des Caraïbes se sont terminées

28 mai 2024, par Maria Elena Saludas — , ,
La ville de Buenos Aires a accueilli pendant 3 jours (9, 10 et 11 mai) environ 250 militant·es venu·es de 30 pays différents. Après plus d'un an de préparation, nous avons (…)

La ville de Buenos Aires a accueilli pendant 3 jours (9, 10 et 11 mai) environ 250 militant·es venu·es de 30 pays différents. Après plus d'un an de préparation, nous avons réussi à nous réunir dans l'Auditorium de l'ATE (Association des Travailleurs de l'État) pour discuter et essayer de penser à des stratégies pour alimenter la résistance dans la bataille contre le système capitaliste.

23 mai 2024 | tiré de site du CADTM
https://www.cadtm.org/La-6e-Rencontre-ecosocialiste-internationale-et-la-1re-Rencontre-ecosocialiste

Comme l'a dit Michael Löwy, cet événement écosocialiste est « historique ». "On perçoit que l'axe de l'écosocialisme mondial se déplace du centre vers la périphérie... car nous sommes confrontés à une crise écologique très grave qui affecte davantage le Sud.

Nous le constatons actuellement au Brésil, dans la région du Rio Grande do Sul, dont la capitale, Porto Alegre, a été inondée, faisant des centaines de mort·es, des disparu·es et des millions de sinistré·es. Cette catastrophe est étroitement liée à la déforestation en Amazonie (entre 2020 et 2021, l'Amazonie brésilienne perdra 8712 km2 de forêt), qui est à l'origine du réchauffement climatique, les sols n'absorbant pas. Ce phénomène est aggravé dans cette région par la substitution de la biodiversité par des méga-cultures de soja et des méga-productions bovines. Tout cela est encouragé par le banc ruraliste du Congrès fédéral, connu sous le nom de « banc de bœufs », qui s'emploie à détruire la « législation environnementale ».

De nombreuses questions ont été abordées au cours de ces journées intenses et enthousiastes. Elles ont commencé par le panel des histoires des Rencontres écosocialistes internationales avec Juan Tortosa de SolidaritéS (Suisse), Alice Gato de Climáximo (Portugal), Iñaki Bárcenas de EH Gune Ecosozialista (Pays basque) et la modératrice Vanesa Dourado d'ATTAC Argentine. Ils ont souligné la nécessité d'« agir globalement », d'avoir « un projet de société différent du capitalisme » et que la transition industrielle en Europe « ne peut se faire au détriment de l'Amérique latine et des Caraïbes ».

Plusieurs ateliers se sont déroulés simultanément : sur l'extractivisme dans le Cerrado brésilien et la restriction des ressources en eau, ou encore sur les débats écomarxistes avec Facundo Nahuel Martín, du CONICET Argentine, Iñaki Barcena de EH Gune Ecosozialista et modérés par Martina Eme Halpin de Poder Popular.

Enfin, au même moment, l'atelier Racismes environnementaux s'est tenu avec les camarades brésiliennes Natália Chaves, co-conseillère de la Banque féministe de São Pablo, du PSOL, et Joziléia Kaingang, Coordination nationale des femmes indigènes, et Gregorio Mejía du Syndicat des travailleur·euses et de la centrale unitaire des travailleur·euses de Colombie. Mejía a dénoncé le fait que « sans eau ni nourriture, à cause de la contamination de l'extractivisme, les gens sont la proie du trafic de drogue ». Cháves a déclaré : « La révolution sera indigène et noire ou ne sera pas ».

Pendant le déjeuner, les participant·es ont échangé les points de vue et les idées qui ont émergé au cours des différents ateliers. L'une d'entre elles est celle d'Evelyn Vallejos, de Catamarca, qui a déclaré « être venue avec l'intention de contribuer à la construction d'un programme commun et d'une stratégie mondiale avec lesquels nous pourrons faire face à la droite internationale ».

Les ateliers ont repris dans l'après-midi, l'un d'entre eux traitant de la réalité de la situation face à la dépossession : Spoliation des territoires et des corps, auquel ont participé Karina Navone de l'ISP (Argentine), Emilio Téllez du Sindicato Nacional del Bosque (Mexique), María Eva Koustsovits de l'ATE Nacional (Argentine), Iñigo Antepara de EH Gune Ekosozialista (Pays Basque), Edid Escobar du Congreso de los Pueblos (Colombie) et la participation virtuelle de Rafaela Pimentel de Territorio Doméstico (Espagne).

Simultanément, l'atelier Libre-échange et environnement : une tension insurmontable dans le capitalisme ? s'est tenu avec Luciana Ghiotto du Transnational Institute et d'ATTAC Argentine, Pablo Solón de l'Assemblée mondiale pour l'Amazonie (Bolivie), Julio Gambina de CPI/ATTAC Argentine et Francisca Fernández Droguett du Movimiento por el Agua y los Territorios MAT et de l'Escuela Popular Campesina de Curaco de Vélez (Chili).

Ce même après-midi, a eu lieu l'atelier sur le changement climatique et le militarisme, animé par Juan Tortosa de SolidaritéS (Suisse), avec la participation d'Elsa Bruzzone du CEMIDA (Argentine), de Tárzia Madeiros du Setorial Ecossocialista do PSOL (Brésil) et, virtuellement, de Nick Buxton du Transnational Institute.

Les ateliers se sont poursuivis par une série de débats sur le climat, la science et l'écosocialisme, avec la participation de José Seoane de l'IEALC (UBA) d'Argentine et de João Camargo de Climáximo (Portugal), tandis qu'Alexandre Araújo Costa de l'Universidade Estadual do Ceará du Venezuela et Liliana Buitrago de l'Observatoire d'écologie politique du Venezuela y ont participé virtuellement.

Parallèlement, un atelier sur la dette et la financiarisation de la nature a été organisé, animé par María Elena Saludas du CADTM/ATTAC Argentine, avec la participation de : Fernanda Gadea d'ATTAC Espagne, Éric Toussaint, porte-parole du CADTM International et Beverly Keene, membre de Dialogue 2000 et coordinatrice de Jubilé Amériques du Sud.

L'atelier sur le droit et la transition écosociale a suscité un grand intérêt, avec la participation des députés PSOL Brésil Renato Roseno de Ceará et Flavio Serafini de Rio de Janeiro, ainsi que Claudio Katz, économiste de la gauche argentine (EDI) et Joziléia Kaingang de l'Articulation nationale des femmes indigènes (Brésil). M. Katz a affirmé que « les scénarios de catastrophe environnementale n'ont pas de solution avec le capitalisme ». Il a été démontré qu'il est impossible d'humaniser le capitalisme. En ce sens, Roseno a expliqué que « la logique du capital a toujours été irrationnelle, le socialisme est la seule possibilité de survie » et que, par conséquent, « nous devons recréer les formes politiques ». « L'un des piliers de la droite est la propagande des valeurs conservatrices sous l'idée d'un passé meilleur », a-t-il ajouté, précisant que « notre défaite a été idéologique ». La jeunesse marginalisée de la périphérie a été éduquée avec des valeurs réactionnaires. La contre-culture a été cooptée par la droite. M. Serafini a ajouté une autre réflexion sur le scénario : « Nous ne pouvons pas céder à l'idée que Twitter est la liberté, qu'il a un propriétaire derrière lui, qu'il est de droite et qu'il intervient dans l'avenir politique des pays ».

L'après-midi, un atelier sur les luttes territoriales et la criminalisation a été présenté, modéré par Germán Bernasconi de Poder Popular et avec la participation de : Mariana Katz de l'équipe des peuples indigènes du SERPAJ (Argentine), Enzo Brizuela de l'Assemblée Algarrobo (Andalgalá, Argentine), Silvina Álvarez de Mar Libre de Petroleras Red de Comunidades Costeras (Mar del Plata, Argentine), Evelyn Vallejos de l'Unión de Trabajadores de la Economía Popular (UTEP) (Catamarca, Argentine), Matías Crespo de Marabunta (Chubut, Argentine), Mauricio Cornaglia de la Marcha de los Barbijos de Rosario (Argentine) et de l'Asamblea Popular por el Agua (Mendoza, Argentine).

La journée s'est terminée par une invitation à regarder l'excellent documentaire El Paraná : La Disputa por el Río au cinéma Gaumont. Ce film d'Alejo di Rissio et Franco González, qui se sont aventurés le long du bassin du Paraná pour explorer la réalité profonde des riverains, parle des projets d'exportation mondiaux et de la mesure dans laquelle ils affectent les pêcheurs, les insulaires et les communautés locales. Il met l'accent sur la perte absolue de souveraineté.

Le dernier jour de cette réunion cruciale s'est déroulé le samedi 11 avec la transmission en direct du débat écosocialiste avec la participation de : Suelma Ribeiro de la Rede Brasileira de Eccosocialistas (Brésil), Jawad Moustakbal d'ATTAC CADTM Maroc et la présence virtuelle de Michael Lowy de la IVe Internationale. La conférence était animée par Arlindo Rodrigues du Rede Brasileira de Eccosocialistas (Brésil). M. Lowy a déclaré que « le changement climatique est la pointe la plus dramatique de la crise environnementale, une menace sans précédent dans l'histoire de l'humanité ». Il a ajouté : « Nous sommes les passagers d'un train suicidaire appelé civilisation industrielle capitaliste moderne et la tâche urgente est de l'arrêter. C'est la révolution que nous devons faire ».

Puis ce fut le tour de l'atelier COP 30 : Premier entretien de la réunion d'Amérique latine et des Caraïbes, animé par Júlia Câmara de Subverta PSOL (Brésil) et dont les intervenants étaient : Pablo Solón de l'Assemblée mondiale pour l'Amazonie (Bolivie), Alice Gato de Climáximo (Portugal), Arlindo Rodrigues de Rede Brasileira de Eccosocialistas (Brésil) et Eduardo Giesen de Grupo Iniciativa Ecosocialista (Chili). Solon a déclaré : « Nous avons un consensus, personne ne croit aux COP. Par conséquent, nous devons proposer un accord différent de l'accord de Paris et aller de l'avant ». « Nous devons conclure un accord qui soit le fruit d'un débat avec les communautés et les mouvements », a proposé M. Rodrigues. Dans ce sens, Lexe a indiqué que « faire un contre-sommet, c'est profiter du fait que l'attention est là et que, depuis les socialismes, nous devons nous mettre au premier plan ». « Un contre-accord est fondamental, mais il doit être soutenu par une rupture écosocialiste. La COP doit être empêchée et brisée », a prévenu M. Gato.

Après le déjeuner, l'atelier Souveraineté alimentaire : l'agroécologie en tant que pratique politique a débuté, animé par Fernando González Cantero du CONICET (Argentine), avec la participation de Perla Britez de CONAMURI-Vía Campesina (Paraguay), de la Fédération rurale et de Damian Verzeñassi de l'Institut de la santé socio-environnementale. Après l'atelier, Mme Britez a déclaré : « Dans la Via Campesina, nous disons qu'il faut mondialiser la lutte et l'espoir, car la résistance est territoriale, mais le capitalisme est mondial ». Yanina Settembrino a ajouté qu'en Argentine, « 60% de ce que les familles consomment aujourd'hui est produit par l'agriculture familiale ».

Parallèlement, l'atelier Énergie et capitalisme s'est déroulé, sous la direction de Carla Isarrualde, de l'organisation 19 de Diciembre (Argentine). Les participants étaient Melisa Argento du Colectivo de Acción por la Justicia Ecosocial (CAJE) et de l'Asociación Argentina de Abogadxs Ambientalistas (Argentine), Nicolás Nuñez d'Ambiente en Lucha et membre de la Coordinadora BFS (Argentine). Nuñez a averti que « loin d'être d'accord avec l'hypothèse de l'effondrement, la crise environnementale ne détruira pas le capitalisme. Une crise environnementale ne détruira pas le capitalisme, mais celui-ci s'effondrera grâce à la pratique politique d'une lutte organisée ». Bertalot a expliqué : « D'une certaine manière, l'histoire du capitalisme est l'histoire de la consommation d'énergie fossile ». « Les énergies renouvelables au sein du capitalisme se font aussi sous la règle de l'extractivisme de l'accumulation par dépossession », a-t-il poursuivi, ajoutant qu'en plus de l'aliénation des travailleur·euses de ce qu'ils produisent, « on pourrait aussi parler d'une aliénation du flux d'énergie de la production grâce à la mécanisation ».

Deux ateliers simultanés ont suivi. L'un d'eux était Ecoféminismes, animé par Paula Delfino de Marabunta (Argentine) et auquel ont participé : Juana Antieco qui est Kimelfe (éducatrice traditionnelle de la communauté Mapuche Tehuelche Newentuaiñ Inchin de Costa Lepa), Francisca Fernández Droguett du Movimiento por el Agua y los Territorios MAT et de l'Escuela Popular Campesina de Curaco de Vélez (Chili), Natália Chaves, co-conseillère de la Banca Feminista de São Pablo du PSOL (Brésil), et Jessi Gentile de la Coordinadora de la Red Ecosocialista MST et membre de la Coordinadora BFS (Argentine). Juana Antieco a déclaré : « Il est fondamental de passer de la résistance à la construction politique ». Droguett a déclaré : "L'écoféminisme est pour et par les gens, pas seulement les femmes. Nous partons de nos propres expériences d'oppression, mais nous nous battons pour les gens.

Analía Zárate de l'Observatorio Petrolero Sur - FOL (Argentine), Ariel Moreno, travailleur de Secco PTS (Argentine) et Luján Rodriguez de Marabunta (Argentine) ont participé à l'atelier sur les perspectives de classe pour la transition énergétique. Il était animé par Martín Álvarez de l'Observatorio Petrolero Sur (Argentine). M. Zárate a lancé un avertissement : « Nous devons réfléchir à la transition énergétique en fonction des intérêts qui seront en jeu et de la manière dont nous allons nous positionner. Jusqu'à présent, il ne semble pas y avoir d'autre voie que l'extractivisme ». En ce sens, M. Moreno a déclaré : « Nous nous battons pour que la transition aille de pair avec la nationalisation des entreprises énergétiques, afin qu'elles soient sous le contrôle des travailleur·euses ».

Après de longs et puissants débats, le dernier panel, intitulé « Vers un grand mouvement écosocialiste international », a pris place. Il était modéré par Juan Tortosa de SolidaritéS (Suisse) et réunissait Vanessa Dourado d'ATTAC Argentine, Germán Bernasconi de Poder Popular Argentine, Felipe Gutiérrez Ríos de Marabunta et de l'Observatorio Petrolero Sur d'Argentine, et Sébastien Brulez de Gauche Anticapitaliste de Belgique, ce dernier représentant ceux qui accueilleront la prochaine Rencontre écosocialiste internationale qui se tiendra en 2026.

Dans le panel de clôture, Gutiérrez Ríos a expliqué que « le capitalisme a généré un concept d'environnement qui n'a pas d'histoire. Et c'est le cas. Le Pehuén (arbre sacré de la mythologie mapuche) d'aujourd'hui n'est pas le même qu'il y a 500 ans. Nous faisons partie de cette nature ». « Cela n'a pas de sens d'être dans le wagon de queue du progressisme actuel parce que nous savons, et cela a été démontré, qu'il ne sert pas à résoudre le problème entre le capitalisme et la nature », a-t-il averti. « Penser la préfiguration comme un espace de pouvoir. L'agroécologie, non pas comme un moyen de nourrir ma famille, mais comme un moyen de nourrir l'ensemble de la population », a-t-il prédit. Ce fut ensuite au tour de Vanesa Dourado d'ATTAC Argentine, qui a déclaré à propos de cette réunion : « Il est clair que nous avons des différences sur la façon dont le socialisme devrait être aujourd'hui. Mais nous sommes d'accord sur le fait que nous sommes en rupture, que nous sommes anticapitalistes. Il y a eu un accord sur le fait que les mouvements de lutte, les mouvements territoriaux, sont les lieux de lutte. C'est là que nous pourrons gagner », a-t-il déclaré. M. Brulez a mis en garde contre le fait que « le PS européen a réalisé l'agenda capitaliste avec l'aile droite », de sorte qu'« il est nécessaire de réinventer l'espoir ». C'est le monde écosocialiste. « Le changement systémique ne se produit qu'avec un mouvement de masse, c'est comme ça », a-t-il conclu.

Nous nous sommes quittés en rappelant les paroles de Felipe Gutiérrez Ríos :

« Maintenant, nous allons retourner dans nos territoires et nous allons nous réunir à nouveau, revenons avec des triomphes la prochaine fois. Faisons grandir nos organisations, que les capitalistes se méfient car nous allons nous réunir à nouveau et nous allons continuer à lutter où que nous soyons, sur n'importe quel continent ».

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L’historien Ilan Pappé sous interrogatoire à un aéroport américain et son opinion sur « l’effondrement du projet sioniste »

28 mai 2024, par Amy Goodman, Ilan Pappé — , , ,
Amy Goodman : (…) nous (recevons) le renommé professeur d'histoire et directeur du Centre européen d'études sur la Palestine à l'Université Exeter. Il nous parle depuis Doha au (…)

Amy Goodman : (…) nous (recevons) le renommé professeur d'histoire et directeur du Centre européen d'études sur la Palestine à l'Université Exeter. Il nous parle depuis Doha au Qatar. (…)

Democracy Now, 21 mai 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Professeur Pappé, je veux que vous nous parliez de votre récent voyage aux États-Unis. Lorsque vous êtes arrivé à l'aéroport de Détroit vous avez été questionné pendant des heures par des agents fédéraux à propos de Gaza, du Hamas et d'autres sujets. Ils ne vous ont permis de rentrer dans le pays qu'après qu'ils aient copié les contenus de votre téléphone. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé ?

Ilan Pappé : Oui, je vais le faire. Mais si vous le permettez, je voudrais seulement dire qu'il y a plus important que la seule question de savoir si Israël est soumise ou non aux déclarations de la Cour pénale internationale. Je pense qu'il s'agit d'un moment de vérité pour les tribunaux internationaux comme celui-ci et la Cour internationale de justice. Nous sommes face à des gouvernements qui n'obtempéreront probablement pas, n'appliqueront pas les jugements parce qu'Israël a encore des alliés très solides. Je pense que le reste du monde, spécialement le Sud global, va vérifier si les termes « universels » et « international » veulent vraiment dire quelque chose. Je pense aussi que la Palestine n'est qu'un cas parmi beaucoup d'autres où nous devons vraiment nous battre pour redéfinir ce qui est universel, ce que sont les valeurs universelles et ce qu'est la justice internationale. Voilà ce qui donne à ce moment une valeur historique si importante.

Alors je reviens à ce qui m'est arrivé et qui n'est pas si important en soi mais qui, je pense, fait partie d'une situation plus étendue. Je suis arrivé à Détroit après huit heures de vol depuis Londres. Des agents fédéraux m'ont immédiatement amené dans une pièce à côté. Leurs questions portaient sur deux éléments : d'abord, mes vues sur le Hamas et sur ce qui se passe à Gaza. Par exemple est-ce que je qualifie cela de « génocide » ? Ils voulaient connaitre ma réaction au slogan : « La Palestine du fleuve à la mer ». Ils ont refusé de me dire pourquoi ils m'avaient intercepté et pourquoi je devais répondre à ces questions. L'autre versant de leurs préoccupations portait sur la communauté musulmane américaine, sur les Arabes américains.es et la communauté palestinienne aux États-Unis. Après cela ils m'ont pris mon téléphone pendant un bon moment. Ils m'ont fait attendre encore pendant qu'ils téléphonaient et m'ont ensuite permis de rentrer dans ce pays.

A.G. : Puis-je vous demander, Professeur Pappé, ce que vous leur avez répondu à la question de savoir ce que vous pensez de « La Palestine du fleuve à la mer » ? Et si vous pensez qu'un génocide est commis à Gaza ?

I.P. : D'accord ! À la question de savoir si je définie le Hamas comme une organisation terroriste, j'ai refusé de répondre. Je leur ai plutôt suggéré de se rendre à mes conférences au Michigan parce que j'y discute de cela. Pour ce qui est de la question du génocide, j'ai répondu laconiquement oui. Je qualifie les actions d'Israël à Gaza de génocide. Mais, encore une fois, je leur ai suggéré, s'ils voulaient entendre des analyses plus détaillées à ce sujet, de lire mes articles ou de venir à mes conférences au Michigan.

Et à la question de ma réponse au slogan, « La Palestine du fleuve à la mer » j'ai répondu que partout où il y a un fleuve et une mer, les peuples qui vivent entre les deux ils devraient être libres. Et ce fut un moment un peu comique et ironique. L'un d'entre eux m'a sorti ses connaissances en géographie et m'a demandé : « Alors, qu'en est-il de l'Arabie saoudite » ? J'ai donc corrigé ma phrase et dit : « OK, partout où il y a des pays entre deux sources d'eau, le peuple doit être libre ». Cela a semblé les satisfaire en ce moment particulier.

Je dois dire qu'ils ont été très polis. Je ne veux pas décrire cela comme une épreuve. Ils ont été polis. Mais ce qui me dérange particulièrement c'est : avaient-ils le droit de me questionner ? Quel était le sous-texte de toute cette affaire ? J'ai ma propre compréhension même si je n'ai pas tous les faits devant moi.

Juan Gonzalez (D.N.) : Professeur, vous vous êtes adressé à d'énormes foules de jeunes gens partout dans le monde, dont aux protestataires, aux étudiants.es qui s'opposent à l'aide américaine à la guerre à Gaza. Un de vos livres, The Ethnic Cleansing of Palestine, a beaucoup été lu au cours des derniers mois. Pouvez-vous nous en parler ? La Nakba, ou le nettoyage ethnique de la Palestine n'a pas commencé en 1948, on en voit le processus même durant la période du mandat britannique, où la révolte arabe de 1936 contre les règles britanniques a été réprimée.

I.P. : Oui, oui, c'est un fait. Le terme Nakba est un peu trompeur. En Arabe il signifie « catastrophe ». Mais, en réalité, ce que les Palestiniens.nes ont subi n'était pas une catastrophe nouvelle mais bien un nettoyage ethnique clairement motivé par une idéologie transparente. Cette politique faisait partie intégrante du programme sioniste pour la Palestine depuis les tous débuts de ce mouvement au début du 19ième siècle. Évidemment, au point de départ, les moyens de procéder à ce nettoyage ethnique n'existaient pas. Mais, déjà au milieu des années 1920, alors que la communauté sioniste était très limitée en Palestine, grâce à des achats de terres où se trouvaient plusieurs villages palestiniens, elle a pu convaincre le pouvoir mandataire britannique d'évincer les populations de 13 villages. C'était entre 1925 et 1926. Et, tranquillement, ce processus d'achat de terres et d'évictions de personnes qui vivaient là depuis des centaines d'années, a permis au mouvement sioniste de posséder au moins 6% de la terre palestinienne, ce qui n'était pas assez. Le gros du nettoyage ethnique s'est donc passé en 1948.

Et, nous le savons, ça ne s'est pas arrêté en 1948. Israël a continué d'expulser de leurs villages de 1948 à 1967 qui représentaient une minorité dans le pays, les habitants.es présumés.es citoyens.nes israéliens.nes. Israël a expulsé 300,000 Palestiniens.nes lors de la guerre des six jours en juin 1967. Depuis ce moment jusqu'à maintenant, environ 600,000 résidents.es de Palestine ont été déracinés.es par Israël. Donc, nous avons maintenant la mesure de ce nettoyage ethnique qui dépasse celui de 1948. Il n'y a aucun moment dans l'histoire de la Palestine, depuis l'arrivée des sionistes, où les habitants.es de cette terre n'ont pas été menacés.es de perdre leur maison, leurs champs, leurs entreprises et leur terre natale.

A.G. : Finalement, Ilan Pappé, comme vous l'avez dit, plus de Palestiniens.nes ont été tués.es durant les derniers mois, qu'en aucun moment au cours des 76 dernières années. Plus ont été forcés.es de se déplacer qu'ils ne l'ont été lors de la Nakba au moment de la fondation d'Israël. Où trouvez-vous l'espoir ? Vous êtes un historien israélien estimé partout dans le monde. En moins d'une minute….

I.P. : Ce qui me donne de l'espoir, c'est que le projet sioniste en Israël et en Palestine tel que nous le voyons aujourd'hui, n'en a plus pour longtemps. Je pense que nous sommes dans un processus important qui va mener à son effondrement. J'espère que le mouvement national palestinien et tous ceux et celles qui s'impliquent en Israël et en Palestine vont être capables de remplacer l'État d'apartheid, ce régime oppressif, par une vie démocratique pour les populations qui vivent entre le fleuve et la mer, pour tous les Palestiniens.nes qui ont été expulsés.es depuis 1948 jusqu'à maintenant. Je pense qu'un processus historique commence. Malheureusement, ça va prendre du temps et les deux prochaines années seront en équilibre instable et dangereuses. Mais à long terme, je suis convaincu qu'il y aura une vie différente pour les Juifs et les Arabes entre le fleuve et la mer dans une Palestine démocratique et libre.

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Kanaky : le gouvernement français tente de minoriser les indépendantistes kanak·es

Après l'avancement unilatéral du dernier référendum pour l'indépendance de 2021, largement boycotté par les Kanak·es, le projet de loi élargissant le corps électoral de la (…)

Après l'avancement unilatéral du dernier référendum pour l'indépendance de 2021, largement boycotté par les Kanak·es, le projet de loi élargissant le corps électoral de la Kanaky attise les tensions, nie une fois de plus le droit à l'autodétermination des autochtones et met à nu la brutalité coloniale de l'Etat français.

23 mai 2024 | tiré du site de la Gauche écosocialiste
https://gauche-ecosocialiste.org/processus-de-decolonisation-en-kanaky-le-gouvernement-francais-tente-de-minoriser-les-independantistes-kanaks/

Ce lundi 13 mai 2024, l'Assemblée nationale votait le projet de loi constitutionnelle “portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie”1 présentée par le gouvernement français. Ce projet de loi élargit le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie à quelques 25 000 citoyen·nes supplémentaires né·es ou résidant depuis plus de 10 ans sur le territoire pour les prochaines élections locales.

Il existe actuellement trois corps électoraux différents2 :

  • La liste électorale générale
    (concerne tous les citoyen·nes français·es majeur·es, pour les élections municipales, les présidentielles, les législatives, les européennes et les référendums nationaux)
  • La liste électorale spéciale pour les provinciales
    (concerne les citoyen·nes français·es majeur·es, justifiant de 10 ans de domiciliation sur le territoire depuis 1998 (accords de Nouméa) ou 10 ans de domiciliation sur le territoire depuis 2021 si un parent est inscrit·e sur la liste électorale générale, pour voter aux élections provinciales et à celles du Congrès)
  • La liste électorale spéciale consultation
    (concerne les citoyen·nes français·es majeur·es, ayant eu le droit de vote lors de la consultation de 1998, né-es en Kanaky, ayant le statut civil coutumier Kanak et justifiant de 20 ans de domicile continue depuis 2014, pour voter aux consultations concernant l'avenir de la Kanaky)

La Kanaky, un territoire singulier

Pour comprendre l'impact de ce projet, il est nécessaire de revenir brièvement sur l'histoire de ces territoires. Ce que l'Etat français appelle la Nouvelle-Calédonie est un ensemble d'îles et d'archipels de l'ouest de l'océan Pacifique. Territoire colonisé depuis 1853, il s'agit d'abord d'une colonie pénitentiaire où sont déporté·es les condamné·es à des peines de travaux forcés, puis les communard·es et les indépendantistes algérien·nes. Devenue colonie de peuplement, la Nouvelle-Calédonie est un territoire inscrit sur la liste des territoires non autonomes3 à décoloniser établie par les Nations Unies depuis 1986, à l'instar de la Polynésie française.

Habitant ces territoires depuis environ trois mille ans, les Kanak·es sont le peuple premier de la Kanaky. En 2019, on compte près de 271 407 habitants, dont 41,21 % de Kanak·es, 24,13 % d'Européen·nes et 11,33 % de métis. Les statistiques ethniques étant très encadrées dans le droit français, les populations de Kanaky sont une exception à la règle du fait de son histoire singulière.

Avec près de 171 ans de colonisation, cet archipel est marqué par des inégalités socio-économiques4 racialisées importantes. Majoritaires jusque dans les années 1970, les Kanak·es perdent la majorité numérique qualifiée sur leur propre terre du fait de l'arrivée de nouvelles populations lors du boom du nickel. 20 à 30 % des réserves mondiales de nickel5 se trouveraient en Kanaky, une richesse stratégique pour son usage (acier inoxydable, batteries…). Pourtant, le taux d'activité des Kanak·es est inférieur de 20 points à celui des Européen·nes en 2014 tandis que le taux de non-diplômé-es est 4 fois plus important chez les Kanak·es que chez les Européen·nes. Seulement 4,1 % des Kanak·es sont diplômé·es de l'enseignement supérieur, contre près de 40 % des Européen·nes en 2014.

La lutte pour l'autodétermination du peuple kanak

Dans leur lettre ouverte au peuple de France6, le peuple kanak revient sur l'histoire des luttes d'indépendance et ses nombreuses révoltes (1878, 1917, 1984/1988 pour ne citer que celles-ci). A Nainville-les-Roches, en juillet 1983, deux principes importants sont posés : la reconnaissance par l'Etat français du “droit inné et actif à l'indépendance” pour le peuple kanak et l'acceptation par le peuple kanak d'associer les différentes communautés au processus de décolonisation de la Kanaky. Ces deux principes sont intrinsèquement liés, le deuxième ne saurait être mis en œuvre en l'absence du premier.

En 1998, avec les accords de Nouméa7 l'Etat français reconnaît pour la première fois les violences coloniales et prévoit un transfert progressif de compétence vers la Kanaky, un plan de réduction des inégalités ainsi que 3 référendums pour déterminer l'indépendance de la Kanaky. Afin de préciser les éléments concernant les listes électorales présents dans ces accords, en 2006 est adopté le gel du corps électoral en Kanaky8, réservant le droit de vote aux élections provinciales et territoriales aux personnes installées sur le territoire depuis 10 ans à la date du 8 novembre 1998.

La continuité coloniale française à l'oeuvre

Aujourd'hui, le projet de loi constitutionnel devrait élargir de 14 % l'électorat local. Les groupes indépendantistes acceptent d'ajouter aux listes provinciales les personnes nées après 1998, mais refusent l'élargissement aux nouveaux arrivants de Kanaky. L'Etat propose ainsi une condition de résidence de 10 ans, sans pour autant fournir une étude d'impact de cette réforme sur les prochaines échéances électorales.

Ce projet de loi reste dans la continuité de la brutalité juridique de l'Etat. Prévus par les accords de Nouméa, trois référendums pour l'indépendance ont eu lieu : 2018 (56,7 % de non), en 2020 (53,3 % de non) puis le scrutin prévu initialement en 2022 a été avancé par E. Macron contre l'avis des populations locales en 2021, présentant une abstention record de 56,13%. Largement boycotté par les Kanak·es, ce référendum ne peut être considéré comme légitime, et le projet de loi du gouvernement n'est qu'une énième provocation Il n'est ainsi pas seulement question de l'élargissement du corps électoral, mais bien la remise en cause par le gouvernement du processus de décolonisation et la construction locale d'une communauté de destin en Kanaky.

​​Depuis lundi 13 mai, de nombreuses révoltes et barrages ont éclaté sur l'archipel à l'appel du peuple kanak. Une situation jugée insurrectionnelle par le gouvernement, qui a décidé de réprimer violemment une insurrection qu'ils ont eux-mêmes provoquée. L'état d'urgence a été décrété mercredi 15 mai, s'accompagnant de restriction des libertés et d'un ban de TikTok. Trois Kanaks ont été assassinés par balle lors des affrontements, a priori tués par des Européen·nes. Ce bilan sanglant aurait pu être évité si le gouvernement avait choisi de respecter le processus de décolonisation, au lieu de provoquer le peuple kanak.

Nora K-M.

Notes

1 Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (PJLC)

2 Les 3 listes électorales – Élections Nouvelle-Calédonie (elections-nc.fr)

3 Nouvelle-Calédonie | Les Nations Unies et la décolonisation

4 En Nouvelle-Calédonie, des inégalités entre Kanak et non-Kanak toujours criantes

5 Nouvelle-Calédonie : le nickel au cœur de la crise – Libération (liberation.fr)

6 Lettre ouverte du peuple Kanak au peuple de France

7 Préambule accords de Nouméa 5 mai 1998

8 Les députés adoptent le gel du corps électoral

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Gabriel Nadeau Dubois a-t-il remporté son pari ?

28 mai 2024, par Pierre Mouterde — , ,
Gabriel Nadeau Dubois, a-t-il remporté son pari ? Si on s'en tient "au spin médiatique", c'est-à-dire aux grandes lignes de presse qui ont suivi le Conseil national de Québec (…)

Gabriel Nadeau Dubois, a-t-il remporté son pari ? Si on s'en tient "au spin médiatique", c'est-à-dire aux grandes lignes de presse qui ont suivi le Conseil national de Québec solidaire des 24, 25 et 26 mai 2024 à Jonquière, la réponse est assurément affirmative. De quoi conclure sans ambages que malgré la démission fracassante de la co-porte-parole, Emilise Lessard Therrien, malgré les critiques de fond qui, depuis lors, ont fusé de tous côtés, le co-porte-parole masculin de QS serait arrivé à faire accepter la déclaration du Saguenay tout comme une actualisation du programme du parti, ouvrant ainsi, bien pragmatiquement, la voie à "une alternative crédible de gouvernement".

27 mai 2024

Tel est le narratif qui s'est imposé dans les médias et qu'a si bien résumé le journaliste "mordu de politique", Sébastien Bovet de Radio Canada ! Mais est-ce si sûr, et n'y-a-t-il pas là bien des raccourcis trompeurs, plus encore une manière de présenter les choses tendant à faire oublier les enjeux politiques de fond qui pourtant, en arrière plan, crèvent les yeux ?

Le fond du problème

C'est la première chose qu'il faut souligner et que justement le discours médiatique dominant pousse à occulter : depuis les résultats de la dernière élection de 2022 (où QS a obtenu 12 députés mais sans augmenter ses pourcentages électoraux de soutien et en rompant brusquement avec la parité hommes/femmes), se sont élevées bien des critiques à l'intérieur du parti sur son mode de fonctionnement insuffisamment transparent ou démocratique ou féministe, sur la place trop grande prise par la députation, sur le rôle omnipotent de son porte-parole masculin et de "son groupe de com". Le tout, renvoyant à une question de fond touchant à ce qui pouvait être considéré comme l'âme du parti : Qs est né comme "un parti des urnes et de la rue", aspirant bien sûr à être un parti des urnes (donc de gouvernement), mais sans jamais pour autant mettre de côté les aspirations au changement social de la rue, portées par les divers mouvements sociaux, féministe, indépendantistes, autochtone, altermondialiste, écologiste, sociaux, communautaires dont il cherchait à se faire l'écho au plan politique.

Etre tout à la fois un parti des urnes et de la rue, c'est là sans doute 2 préoccupations qui ne sont pas toujours faciles à conjuguer, mais c'est néanmoins, la condition sine qua non, la seule manière de pouvoir être capable un jour de gouverner "autrement", c'est-à-dire d'arriver au gouvernement, en ayant tout à la fois les appuis populaires et les rapports de force sociaux nécessaires pour mettre concrètement en route les transformations structurelles qu'on retrouve dans notre programme et qui sont exigées par les grands défis écologiques et sociaux qui se dressent devant nous.

Ce que la déclaration du Saguenay remet en cause

Or c'est justement ce que le recentrage initié par Gabriel Nadeau-Dubois est en train de saborder : cette unité entre l'un et l'autre. Et la déclaration du Saguenay montre comment ? En collant au plus près —non pas d'abord des revendication des mouvements sociaux les plus actifs et déterminés— mais des institutions et diverses associations de la société civile des régions qui ont actuellement pignon sur rue et qui électoralement pourraient éventuellement se rapprocher de QS, en votant pour lui. D'où toutes ces propositions ambigües que la direction a essayé de faire voter au conseil de Saguenay et qui ont d'abord pour but de gagner au plus vite des électeurs pour 2026. Mais dans l'impatience et sans grand principe, en oubliant autant l'histoire de Qs que celle des luttes sociales au Québec : ainsi en fut-il –à titre exemplaire— de la proposition de l'UPA où l'on nous demandait (sic !) de reconnaître le monopole syndical de l'UPA et de renoncer à réformer le syndicalisme agricole, en abandonnant l'idée même de pluralisme.

Ainsi en fut-il aussi de cette volonté affichée de « moderniser « en profondeur et en quelques mois le programme de QS, en faisant fi de tous les patients efforts qui en près de 15 ans avaient permis de le bâtir peu à peu.

Arrondir les angles

Il y a une chose que l'on peut dire cependant : sans rien casser et sans créer de divisions irréversibles, il a été possible depuis le plancher de la conférence et avec les efforts de bien des militants-es des circonscriptions de freiner et d'amoindrir le recentrage proposé par Gabriel Nadeau Dubois, d'en arrondir les angles, d'en supprimer les dimensions les plus dangereuses et symboliques. Ainsi on a pu faire retirer l'appui au monopole syndical de l'UPA. On a pu aussi faire rejeter la proposition principale de « modernisation » du programme, entendue comme une refonte totale en faveur plutôt de sa « réactualisation » entendue comme une mise à jour ciblée. On a pu enfin faire accepter un calendrier plus étalé donnant plus de temps pour mener les débats les plus délicats.

Ce sont des gains non négligeables. Mais eu égard au virage annoncé et surtout aux mécontentements et aux insatisfactions qui n'ont cessé de s'exprimer de multiples façons lors de ce conseil, elles sont loin d'être suffisantes et une garantie pour l'avenir. Il est vrai qu'il a été aussi voté un plan d'action (des plus vertueux !) pour améliorer nos pratiques démocratiques internes. Mais comme ce plan en reste à des mesures de type organisationnel ou éthique, sans toucher à la question politique de fond (celle de l'existence d'une concentration du pouvoir mise au service d'une stratégie de gouvernement dont on n'a pas pris le temps de mesurer démocratiquement et à travers un débat de fond toutes les incidences), il a peu de chance de résoudre ce qu'il cherche à solutionner.

Un vaste courant oppositionnel et démocratique

On comprendra, dans un tel contexte, qu'il reste bien des défis devant nous. Et d'abord celui de donner voix et force à toutes les oppositions qui s'expriment au sein du parti, mais de manière si fragmentée et dispersée qu'elles restent sans grande efficacité aux moments décisifs, comme on a pu le constater parfois lors des votes à Jonquière.

En fait il s'agirait de stimuler et de donner vie à un vaste courant oppositionnel, rassembleur et démocratique, mobilisé (comme le sont ces jeunes du réseau militant jeunesse de Québec solidaire tout juste reconnu officiellement) et susceptible de trouver cette voie de passage dont on ressent comme jamais la nécessité.

Oui c'est cela, redonner une voie –et une voie unie et forte— à tous ceux et celles qui ne se retrouvent plus dans l'orientation actuelle du parti et qui souhaiteraient qu'il soit certes un parti qui veuille gouverner, mais d'abord et avant tout un parti qui veuille gouverner autrement.

Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
présent lors de ce Conseil national comme un des délégués de Taschereau

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La Caisse de dépôt a doublé ses investissements dans l’apartheid israélien en 2023

Le « bas de laine » des Québécois·es finance des compagnies d'armement et de surveillance complices de la répression et des crimes de guerres en cours dans les territoires (…)

Le « bas de laine » des Québécois·es finance des compagnies d'armement et de surveillance complices de la répression et des crimes de guerres en cours dans les territoires occupés palestiniens.

13 mai 2024 | tiré de pivot.québec | Premier plan : Édifice Jacques-Parizeau, siège de la CDPQ. Photo : Jean Gagnon (CC BY-SA 3.0). Montage : Pivot

Au courant de l'année 2023, la Caisse de dépôt et placement du Québec a doublé ses avoirs dans des entreprises ciblées par la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) menée pour mettre de la pression sur l'État d'Israël, et ce, malgré le lourd bilan de l'offensive guerrière en cours.

Selon les données du plus récent rapport annuel de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), le fonds d'investissement qui gère la caisse de retraite de l'État québécois, a plus que doublé ses avoirs totaux dans onze entreprises liées à l'apartheid israélien. Ces sommes sont passées de 559,9 millions $ au 31 décembre 2022 à 1204 millions $ au 31 décembre 2023.

Ces chiffres concordent avec une analyse effectuée par le groupe Labour for Palestine, qui a noté plus spécifiquement que les avoirs de la CDPQ en titres émis par des entreprises sur le marché américain et impliquées dans l'apartheid israélien étaient passés de 444 millions $ US à 836 millions $ US entre le 30 septembre et le 30 décembre 2023.

L'actuelle campagne militaire d'Israël contre Gaza a été déclenchée suite à l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023. Cette attaque a fait au moins 1160 morts. La réponse punitive israélienne a fait près de 35 000 morts, selon les autorités sanitaires locales, la majorité des civil·es. La population fait face à la famine, selon l'ONU, et 84 % des infrastructures médicales ont été détruites ou endommagées, selon un rapport de la Banque mondiale. Le 26 janvier dernier, la Cour internationale de justice a jugé qu'il y avait un « risque plausible de génocide » à Gaza.

La CDPQ a augmenté sa participation financière dans les compagnies suivantes : Hewlett-Packard, Intel, Leidos, General Electric, Caterpillar et Palantir. Elle possède également des investissements dans General Dynamics, Honeywell, Lockheed Martin, Boeing et Northrop Grumman.

Toutes ces entreprises contribuent aux efforts de guerre de l'armée israélienne, au contrôle quotidien des populations palestiniennes soumises à l'apartheid dans les territoires occupés, ou encore bénéficient de ce régime d'apartheid. C'est pourquoi elles sont ciblées par la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), une campagne internationale ciblant Israël et ses partenaires, appelant notamment à leur retirer tout soutien financier.

En réponse aux questions de Pivot concernant cette augmentation de l'investissement dans des compagnies ciblées par la campagne BDS, un représentant de la Caisse a répondu : « Nous suivons de près l'évolution du conflit et sommes évidemment préoccupés par son impact sur les populations dans la région.

Qui sont ces entreprises ciblées par la campagne BDS ?

Hewlett-Packard (HP) : Cette entreprise informatique est impliquée dans l'infrastructure technologique qui permet le système de contrôle de la population palestinienne. Elle fournissait les serveurs hébergeant les bases de données du système Aviv, contenant des données sur la population palestinienne dans le territoire occupé de Jérusalem-Est, mais ce programme touche à sa fin. L'entreprise fournit toujours des services de maintenance informatique pour les prisons et des serveurs pour les forces policières.

Intel : En décembre 2023, l'entreprise informatique et électronique a annoncé des plans pour la construction d'une usine de processeurs en Israël, un investissement historique évalué à 25 milliards $.

Leidos : Cette entreprise d'armement fournit des technologies de surveillance utilisées dans les points de contrôle dans les territoires palestiniens occupés. Elle fournit aussi les prototypes pour un mur de défense au laser.

General Electric (GE) : L'entreprise fournit des turbines et des services de maintenance pour des éoliennes dans les territoires occupés du Golan syrien. GE fournit des moteurs utilisés par plusieurs avions et hélicoptères de l'armée israélienne.

Caterpillar (CAT) : Les bulldozers de Caterpillar ont été utilisés pour démolir les maisons des Palestinien·nes dans les territoires occupés et pour la construction de colonies illégales. L'entreprise fournit des bulldozers blindés à l'armée israélienne.

Palantir
: Cette entreprise logicielle, fondée par le milliardaire conservateur et libertarien Peter Thiel, offre des services de renseignement et de surveillance à l'armée israélienne. Elle offre également un service de « police prédictive », utilisant l'intelligence artificielle. En janvier 2024, Palantir a conclu un partenariat stratégique avec les forces armées israéliennes pour offrir du soutien lors de « missions de guerre ».

General Dynamics : Cette compagnie d'armement fournit Israël en munitions et en armements.

Honeywell : Cette entreprise aérospatiale fournit des moteurs pour l'aviation militaire israélienne. Ses usines fabriquent des composantes pour le l'avion F-35 de Lockheed Martin.

Lockheed Martin : Première compagnie d'armement mondiale, ses avions militaires F-16 et F-35 sont utilisés contre la population de Gaza. L'entreprise fabrique les missiles utilisés par les hélicoptères Apache de Boeing, employés durant le génocide plausible en cours.

Boeing : Cette entreprise aéronautique fabrique de l'armement vendu aux forces armées israéliennes. Des filiales canadiennes de Boeing fabriquent des composantes pour les hélicoptères Apache de la compagnie ainsi que les avions F-15 de Lockheed Martin.

Northrop Grumman : Cette compagnie d'armement fournit des systèmes de missiles pour les hélicoptères Apache et des systèmes de guidage au laser pour les avions de chasse.

Le courriel explique que les investissements de la CDPQ « dans la région » équivalent à moins de 0,1 % de ses actifs. Les compagnies ciblées ne sont pourtant pas des entreprises localisées au Moyen-Orient, mais plutôt des entreprises faisant affaire avec Israël et profitant du conflit en cours.

« La CDPQ est parmi les investisseurs les plus respectés au monde sur les critères ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance], qu'on applique de manière rigoureuse », ajoute la Caisse.

La campagne BDS

Omar Barghouti, co-fondateur du mouvement BDS et récipiendaire du prix Gandhi pour la paix en 2017, explique que ce mouvement non violent et antiraciste né en 2005 « est dirigé par la plus grande coalition dans la société civile palestinienne ». Ce mouvement s'est inspiré de la lutte victorieuse contre l'apartheid sud-africain.

« Bien avant le génocide, BDS a joué un rôle dans le désinvestissement de fonds d'investissement d'État géants en Norvège, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande et ailleurs [pour qu'ils retirent leur argent] des compagnies et banques complices », rapporte M. Barghouti.

« L'impact du mouvement a grandi considérablement avec l'assaut d'Israël contre les 2,3 millions de Palestinien·nes dans le territoire occupé et assiégé de Gaza, ce que la Cour internationale de justice a qualifié de génocide plausible ».

Omar Barghouti rappelle qu'en février 2024, des expert·es en droits humains de l'ONU appelaient à un arrêt « immédiat » de l'exportation d'armes vers Israël, en raison du risque qu'elles soient utilisées pour commettre des violations sévères du droit international. Selon ces expert·es, les mesures à prendre par les États envers Israël pourraient inclure des « sanctions sur les échanges commerciaux, la finance, les voyages, la technologie et la coopération ».

Pour le porte-parole de la campagne BDS, le fait que l'État israélien dédie un ministère, le ministère des Affaires stratégiques, pour combattre la campagne de BDS est un gage de son efficacité. « Israël et ses groupes de lobbys aux États-Unis ont dépensé des centaines de millions $ au cours des dernières années », ajoute-t-il.

La CDPQ a déjà joué un rôle dans le désinvestissement

Nous avons demandé à M. Barghouti, comment il voyait l'augmentation des investissements de la CDPQ dans les entreprises ciblées par BDS. « Les Palestinien·nes ne mendient pas la charité au monde. Nous appelons à la solidarité, mais avant tout, nous appelons à mettre fin à la complicité. Au minimum, ne faites pas de tort », a-t-il répondu.

« Les syndicats et organisations progressistes au Québec ont déjà joué un rôle clé pour mettre fin à la complicité honteuse du Québec et du Canada dans l'apartheid colonial israélien. »

« L'année dernière, ce sont les pressions exercées sur la Caisse qui ont finalement contraint Allied Universal, la société mère du mammouth de la sécurité G4S, à complètement cesser ses activités en Israël », dit Omar Barghouti.

En effet, la campagne BDS avait lancé une campagne contre l'entreprise G4S en 2012. L'entreprise G4S est une multinationale de la sécurité acquise par Allied Universal en 2021. G4S possédait en partie une école de police israélienne et offrait également des services pour les prisons israéliennes et les postes de contrôle dans les territoires occupés.

La CDPQ avait investi dans Allied Universal dès 2019. En mai 2023, le député solidaire Haroun Bouazzi demandait à la CDPQ comment elle pouvait justifier un tel investissement, alors que des révélations de torture contre des prisonniers politiques, incluant des mineurs, étaient documentées en Israël.
Le patron de la Caisse avait répondu qu'il était d'accord et que son institution mettait de la pression sur l'entreprise, dont elle détenait alors 28 %.

La pression sur Allied Universal avait poussé l'entreprise G4S à cesser ses activités en Israël en juin 2023, citant des dommages réputationnels et des pertes de contrats en raison de la campagne BDS.
« Nous appelons les personnes de conscience au Québec, la société civile et les syndicats, à le faire de nouveau, à pousser la CDPQ à cesser ces investissements honteux dans des compagnies d'armement qui permettent le génocide en cours », dit Omar Barghouti.

« Le retour sur ces investissements est imprégné du sang palestinien, des villes, universités et hôpitaux rasés par les bombardements, des dizaines de milliers de Palestinien·nes massacré·es par les forces génocidaires israéliennes. »

Un projet de loi pour des investissements éthiques

Le député solidaire de Maurice-Richard, Haroun Bouazzi, a questionné le patron de la Caisse de dépôt à nouveau cette année, lors de l'étude des crédits budgétaires. « On a attiré l'attention de la Caisse sur des investissements qui sont tout à fait contraires à l'éthique », dit-il en entrevue.

Il rappelle qu'il a récemment déposé le projet de loi 299, qui propose que « la question du respect des droits de la personne et la question du respect des limites de la capacité de la planète, la lutte contre la crise climatique, soient intrinsèquement inscrites dans [la] mission [de la CDPQ] ».
Pour le député solidaire, « la Caisse doit revoir ces investissements dans un contexte où la Cour internationale parle de génocide plausible ».

Haroun Bouazzi ajoute qu'il y a quelques semaines, tous les partis ont « salué le courage de [l'ex-premier ministre canadien Brian] Mulroney dans la question du boycott de l'Afrique du Sud pour lutter contre l'apartheid ». Il se désole que cet hommage ne soit pas accompagné d'une véritable volonté politique et que le gouvernement décide de « fermer les yeux sur des investissements financiers qui ne font que contribuer à la politique de colonisation, aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité, voire au crime de génocide ».

« On a montré qu'on est capable d'être meilleur que ce qu'on fait en ce moment », affirme le député Bouazzi. Mais il craint qu'on « va se retrouver à redire “ plus jamais ” devant un crime dont on a été témoin au jour le jour ».
Auteur·e

SAM HARPER

Sam Harper est journaliste d'enquête pour Pivot, depuis le Bas-Saint-Laurent. Il est passionné par la cybersécurité et les renseignements de sources ouvertes. Il s'intéresse également aux inégalités sociales et à l'extrême droite. Il est titulaire d'un doctorat en médecine et d'un DEC en techniques de l'informatique. Mastodon : mstdn.social/@acetum

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Mythes et réalité de la pénurie de main-d’œuvre en santé et services sociaux au Québec

28 mai 2024, par Anne Plourde — , ,
L'objectif principal de cette note de recherche est de départager les mythes de la réalité et d'évaluer dans quelle mesure il est exact d'affirmer qu'il existe une pénurie de (…)

L'objectif principal de cette note de recherche est de départager les mythes de la réalité et d'évaluer dans quelle mesure il est exact d'affirmer qu'il existe une pénurie de main-d'œuvre en santé et services sociaux.

Pour lire la note, cliquez sur l'icône

La présente analyse, qui tient compte du vieillissement de la population, démontre qu'à l'exception des infirmières et des médecins, pour lesquels on remarque une diminution ou une stagnation du nombre de professionnel·le·s par habitant·e, la main-d'œuvre totale en santé et services sociaux est actuellement plus abondante qu'au cours des 30 dernières années. Ce portrait de l'ensemble du marché du travail contraste toutefois avec un manque chronique de personnel au sein du système public de santé dans presque toutes les catégories d'emploi, confirmant ainsi l'existence d'un exode vers le secteur privé.

Faits saillants

01. Même en tenant compte du vieillissement de la population, la main-d'œuvre totale en santé et services sociaux (des secteurs public et privé) par habitant·e était 35 % plus élevée en 2022 qu'en 1991. Toutes proportions gardées, on compte actuellement l'équivalent de 131675 personnes de plus qui exercent leurs activités dans ce secteur qu'en 1991.

02. Ce constat général d'une main-d'œuvre abondante malgré l'augmentation des besoins due au vieillissement de la population, qui s'applique à toutes les catégories professionnelles en santé et services sociaux, comporte deux exceptions importantes. On observe du côté des médecins, particulièrement des omnipraticien·ne·s, une stagnation de leur nombre par habitant·e. Pour les infirmières, on constate une pénurie de maind'œuvre générale qui est encore plus aiguë au public.

03. Le virage ambulatoire et les mises à la retraite des années 1990 ont eu des conséquences dramatiques sur les effectifs du réseau public, qui ont été aggravées par les réformes subséquentes. Les pertes d'effectifs des années 1990 n'ont jamais été pleinement compensées malgré la forte croissance de la maind'œuvre totale en santé et services sociaux depuis la fin des années 1990. Cela est vrai dans presque toutes les catégories professionnelles. 04.En tenant compte des effets associés au vieillissement de la population, on peut affirmer que le réseau public a affronté la pandémie avec des effectifs 17 % moins élevés qu'au début des années 1990 et que, même à la suite des embauches massives effectuées durant la pandémie, la quantité d'employé·e·s par habitant·e dans le réseau public de santé est de 14 % inférieure au sommet observé en 1991.

Pour retrouver ce niveau, il faudrait ajouter 45362 employé·e·s aux effectifs actuels.

Anne Plourde, chercheuse

Cette publication est une production du Laboratoire de recherche et d'informations en santé et services sociaux (LaRISSS) de l'IRIS. LaRISSS

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Pratique de la médecine : Pourquoi nous défendons notre régime public

28 mai 2024, par Élise Girouard-Chantal — , , ,
Les Médecins québécois pour le régime public réagissent à la lettre « Médecine de famille – Pourquoi j'ai choisi le privé⁠(1) », de la Dre Marie-Lou Sauvé, médecin de famille (…)

Les Médecins québécois pour le régime public réagissent à la lettre « Médecine de famille – Pourquoi j'ai choisi le privé⁠(1) », de la Dre Marie-Lou Sauvé, médecin de famille travaillant au privé.

L'autrice est résidente finissante en médecine familiale et elle écrit au nom du conseil d'administration de Médecins québécois pour le régime public (MQRP).

Nous, médecins qui avons choisi de travailler dans le système public, trouvons un sens profond dans notre travail. Nous avons la chance de traiter une grande diversité de patients et de contribuer positivement à leur bien-être, sans qu'ils aient à se soucier des coûts associés à leurs soins.

Nous sommes conscients des problèmes d'accessibilité et d'organisation dans notre système. Nous voyons le privé non pas comme une bouée de sauvetage à ceux-ci, mais une des causes primaires de l'effritement des soins au Québec. Cela étant dit, la Dre Sauvé indique avoir choisi le privé faute de postes disponibles au public dans sa région. C'est un enjeu qui est de plus en plus rapporté par les médecins résidents qui terminent leur formation en médecine de famille et dans certaines autres spécialités, et qui devrait être reconnu et amélioré par notre gouvernement.

Contrairement à ce que suggère cette lettre, la rémunération des médecins de famille au Québec est plus que décente.

Selon l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS), la rémunération moyenne des médecins de famille au Québec en 2022 était de 331 615 $ par année⁠(2). Il nous semble exagéré de qualifier cette rémunération comme étant « non décente », encore moins de « déficitaire », même en prenant en compte les frais de cabinet.

En fait, notre salaire dans le secteur public est compétitif par rapport aux autres provinces canadiennes, et les données de l'ICIS suggèrent que les médecins canadiens sont parmi les mieux payés au monde⁠(3).

Payer en double

Qui plus est, beaucoup d'entre nous ont opté pour des postes où la rémunération est au moins partiellement basée sur le temps de consultation. Cela nous permet de consacrer le temps nécessaire à chaque patient, surtout pour ceux qui ont des problèmes de santé complexes. Ce modèle est en constante évolution et en constante amélioration pour mieux répondre aux besoins des patients et des professionnels de la santé.

L'affirmation selon laquelle le fait de demander aux patients de payer améliore l'accès aux soins est erronée. Cela crée une barrière économique insurmontable pour la grande majorité de la population.

En fait, cela ne rend les soins accessibles qu'à une minorité capable de payer. Les « vrais malades », ceux qui ont des besoins complexes et continus, se trouvent dans le système public parce qu'ils ne peuvent pas se permettre de doubler leurs dépenses de santé et parce que le privé ne les considère pas comme une source de profit qui en vaut la peine.

Nous payons déjà pour notre système de santé public par l'intermédiaire de nos impôts. Lorsque les patients se tournent vers le privé, ils paient en double pour des services qu'ils ont déjà financés par leurs impôts. Cette double facturation n'est pas seulement injuste, elle est également inefficace économiquement et n'améliore pas l'accessibilité. Beaucoup d'études portant sur l'accessibilité des soins dans des pays et provinces ayant des systèmes parallèles privé-public comme l'Australie⁠(4) et l'Alberta(⁠5) démontrent que le recours au privé ne fait qu'augmenter les temps d'attente populationnels.

Il est crucial de faire attention aux discours qui légitiment et normalisent le recours au privé. Ces discours peuvent insidieusement affaiblir notre système de santé public en accentuant les inégalités d'accès et en drainant des ressources essentielles.

Le recours au privé n'est pas une solution viable pour un système de santé accessible à tous.

Notes

1. Lisez « Médecine de famille – Pourquoi j'ai choisi le privé »

2. Consultez le site de l'Institut canadien d'information sur la santé

3. Lisez « Nos médecins parmi les mieux payés au monde »

4. Lisez « Does hybrid health care improve public health services ? Lessons learned from Australia » (en anglais)

5. Lisez « New study shows fewer surgeries performed under Alberta Surgical Initiative » (en anglais)

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