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Pinel : Les cas complexes crient au secours !

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Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2024

Pinel : Les cas complexes crient au secours !

Jean-François Plouffe, chargé de dossiers et de communications, Action Autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal 1961 : Jean-Charles Pagé publie Les fous crient au secours, le récit de son internement de près d’un an à l’asile Saint-Jean-de-Dieu, devenu plus tard l’hôpital Louis-Hyppolite-Lafontaine et aujourd’hui l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal1. Il consacre un chapitre aux sinistres Salles à cellules, le repaire des malades qui ont manqué à la discipline :

« La façade comprend de lourdes portes de bois ayant au moins six pouces d’épaisseur, consolidées de deux verrous aux extrémités. Au centre, une énorme chaîne et un robuste cadenas. Sur l’uniformité de la porte, un judas de huit pouces carrés muni d’un carreau détachable qu’ouvrent les gardiens à l’occasion, afin de vérifier si le captif n’est pas mort. […]

Dans la pénombre d’une cellule, on aperçoit un homme maigre n’ayant pour tout vêtement que la salopette gris-bleu spéciale à cette salle. […]

      • Depuis combien de jours es-tu ici ?
      • Un an, quatre mois, dix-sept jours.
      • Sans jamais sortir de cette cellule ?
      • Non, toujours enfermé. […]

À voix basse, je demande au gardien la cause de son incarcération.

Il a frappé une sœur. »

On pourrait penser que ces méthodes brutales, arbitraires, inhumaines et dégradantes n’ont plus cours de nos jours dans nos établissements de santé mentale où règnent l’excellence, les bonnes pratiques et l’amélioration continue. Malheureusement, elles existent toujours… 2024 : Après avoir commis un crime violent, Gilbert2 est détenu depuis six ans à l’Institut de psychiatrie légale Philippe-Pinel (Pinel). À la suite de conflits qui l’ont opposé à des membres du personnel, il est confiné depuis sept mois à sa chambre, 24 heures par jour. S’il doit sortir, par exemple pour aller à la douche, il est menotté aux poignets et enchaîné aux chevilles. Lors de très rares et très courtes sorties à l’extérieur, il est enchaîné à un fauteuil roulant. Gilbert est un cas complexe, selon la terminologie de l’établissement. Sa situation n’est pas exceptionnelle. Des dizaines de personnes incarcérées à Pinel subissent ou ont subi un traitement semblable au sien.

« Je suis un sportif, j’aimerais dépenser mon énergie, ça m’aiderait à me recentrer et ça me permettrait peut-être de diminuer mes doses de médicaments. Je voudrais apprendre un métier et reprendre une vie un peu plus normale. Au lieu de ça, je perds mon temps dans ma cellule à regarder les murs » déplore Gilbert.

Le Code criminel prévoit que les mécanismes liés à la non-responsabilité pour cause de troubles mentaux n’ont pas pour but de punir les personnes concernées, puisque l’acte qu’elles ont posé n’engage pas leur responsabilité criminelle. À l’usage, pourtant, les conséquences de ce plaidoyer peuvent être beaucoup plus contraignantes qu’une peine d’emprisonnement. Elles sont si contraignantes que ce sont souvent les procureur-e-s de la Couronne qui enclenchent le processus. Contrairement à une sentence de prison, un suivi par la Commission d’examen des troubles mentaux3 (CETM) n’a pas de durée prédéfinie et peut être beaucoup plus difficile à vivre qu’un séjour en prison.  
En pratique, il règne à Pinel, tout comme dans la plupart des établissements institutionnels en santé mentale, une culture directement héritée des asiles d’aliéné-e-s. C’est une culture basée sur la méfiance, l’autoritarisme et le rapport de force.
On retrouve des personnes suivies par la CETM dans différents établissements du réseau de la santé mais c’est l’Institut Pinel qui porte le mandat de « l’évaluation, la garde et le traitement des accusés déclarés inaptes à subir leur procès ou non criminellement responsables et soumis à une décision de détention stricte en raison du risque très élevé qu’ils représentent pour la sécurité publique4 ». C’est à cet endroit que se concentrent la plupart des cas complexes, comme Gilbert. Pinel fait étalage de sa vision où « le patient est au centre des soins et services qu’il reçoit, où la primauté de l’individu est un enjeu quotidien et qui se distingue par son désir de toujours être à l’affût des meilleures pratiques5 ». En pratique, il règne à Pinel, tout comme dans la plupart des établissements institutionnels en santé mentale, une culture directement héritée des asiles d’aliéné-e-s, que Jean-Charles Pagé a très bien décrite au fil de son récit. C’est une culture basée sur la méfiance, l’autoritarisme et le rapport de force. Si la personne collabore au traitement préconisé par les soignant-e-s, elle sera valorisée et cheminera sur la voie du rétablissement. Si elle s’oppose ou émet des réserves ou des questionnements, souvent en raison des importants effets secondaires physiques et psychiques que les médicaments provoquent chez elle, elle fera face aux contraintes, à l’intimidation et à l’autoritarisme et même à l’hostilité des soignant-e-s, souvent amplifiés par des décisions obtenues auprès des tribunaux.
Pour les cas complexes, tout se passe comme si on voulait casser par la force et par des manœuvres punitives la résistance de la personne aux interventions décrétées par les psychiatres et les autres membres de l’équipe traitante, sans jamais se demander si d’autres options peuvent exister.
À Pinel, la culture des asiles d’aliéné-e-s est d’autant plus présente qu’elle est légitimée en amont par le tribunal et qu’elle s’appuie sur la commission passée d’un acte criminel. La personne n’est pas que folle, elle a aussi un passé violent qui légitime les abus de droit dont elle fait l’objet. Pour les cas complexes, tout se passe comme si on voulait casser par la force et par des manœuvres punitives la résistance de la personne aux interventions décrétées par les psychiatres et les autres membres de l’équipe traitante, sans jamais se demander si d’autres options peuvent exister. À Saint-Jean-de-Dieu, dans les années 1960, on avait une expression pour ça. Les gardien-ne-s disaient : Y va d’y goûter comme il faut… Résultat, un nombre non négligeable de personnes référées vers Pinel pour y obtenir des soins favorisant leur réinsertion sociale n’en sortiront jamais plus. Elles y auront vécu, parfois pendant des décennies, une accumulation de frustrations et de vexations qui ont aggravé les difficultés  émotionnelles  réelles avec lesquelles elles étaient aux prises et qu’on devait les aider à surmonter. À Pinel, comme dans tout le réseau québécois de la psychiatrie, il faut explorer des avenues autres que la médication, améliorer la capacité d’écoute des équipes soignantes et associer davantage les personnes concernées à l’élaboration de leurs traitements. En d’autres termes, délaisser l’approche autoritariste traditionnelle pour miser davantage sur les forces des personnes, sur leurs talents et sur leur motivation à acquérir le maximum d’autonomie. Moins d’un mois après la publication de Les fous crient au secours, le gouvernement Lesage mettait en place une commission d’étude des hôpitaux psychiatriques, la Commission Bédard, qui a mené à des changements importants dans les conditions d’hébergement et de traitement des personnes porteuses de diagnostic en santé mentale. Plus de 60 ans après la Commission Bédard, le gouvernement du Québec et le ministère de la Santé et des Services sociaux devraient de nouveau prendre les moyens pour mettre un terme aux privations de droits et de dignité imposées quotidiennement aux cas complexes de Pinel et à de trop nombreux autres utilisatrices et utilisateurs de services en psychiatrie.
  1. Jean-Charles Pagé, Les fous crient au secours, réédition présentée par Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin, Montréal, Éditions Écosociété,
  2. Le nom de la personne a été changé pour préserver sa vie privée.
  3. « La Commission d’examen des troubles mentaux relève du Tribunal administratif du Québec. Elle a entre autres pour mandat d’évaluer « l’importance du risque que représente une personne accusée [d’un délit criminel] pour la sécurité du public, en fonction, notamment, de son état Elle décide si la personne doit être libérée, avec ou sans condition. Si elle décide que la personne doit être détenue dans un hôpital, elle fixe les mesures qui doivent être prises pour assurer la sécurité du public. »  En ligne : https://www.taq.gouv.qc.ca/fr/sante-mentale/commission-d-examen-des-troubles-mentaux/role
  4. En ligne : https://pinel.qc.ca/qui-sommes-nous/
  5. Ibid.

L’article Pinel : Les cas complexes crient au secours ! est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Tous égaux face à l’inflation ?

11 septembre 2024, par Julia Posca — , ,
Faut-il à ce point se méfier de l'inflation ? Si la question peut étonner, la poser nous permet de souligner que ce phénomène n'a pas les mêmes conséquences pour tous et (…)

Faut-il à ce point se méfier de l'inflation ? Si la question peut étonner, la poser nous permet de souligner que ce phénomène n'a pas les mêmes conséquences pour tous et toutes, mais aussi que la manière d'y réagir entraîne des effets différents selon la position que chacun·e occupe dans l'économie.

Le thème de l'inflation était absent de l'espace public au Québec comme au Canada depuis plus de trente ans. Or, en 2022, il ne s'est pratiquement pas déroulé une semaine sans qu'il en soit question. Les premières interventions de Pierre Poilievre à titre de chef du Parti conservateur du Canada ont porté sur la « Justinflation » et le rôle présumé des dépenses du gouvernement fédéral dans la hausse des prix pendant la pandémie. Au Québec, François Legault a cherché à en faire « la question de l'urne » lors de la dernière élection provinciale.

Faut-il donc à ce point se méfier de l'inflation ? Au moment d'écrire ces lignes, la hausse des prix atteignait des niveaux jamais vus depuis trente ans. En effet, l'inflation a atteint 7,0 % au Canada et 7,1 % au Québec en août 2022 par rapport au même mois l'année précédente, alors qu'elle avait été sous la barre des 3 % presque chaque année depuis le début des années 2000. La même tendance s'observe dans la plupart des économies du monde entier depuis 2021. Alors qu'elle s'élevait en moyenne à 1,24 % dans les pays de l'OCDE en décembre 2020, l'inflation avait atteint 10,27 % en juin 2022.

Des causes multiples

Plusieurs facteurs expliquent cette conjoncture particulière, mais contrairement à ce que prétendent certains (dont M. Poilievre), l'inflation actuelle découle avant tout de problèmes rencontrés par les producteurs de biens et de services (l'offre) et non des comportements des consommateurs et des consommatrices (la demande).

En effet, la pandémie a entraîné une paralysie des chaînes d'approvisionnement qui a réduit l'offre pour plusieurs biens, une situation qui commence à peine à se résorber. Au même moment, les pays producteurs de pétrole réduisaient leur offre pour soutenir le cours de l'or noir, avec pour résultat un prix à la pompe en hausse dès la fin de 2020. La recrudescence et l'intensification des catastrophes naturelles

en raison des changements climatiques ont en outre nui aux récoltes et aux exportations, tirant ainsi le prix des denrées vers le haut. La guerre qui fait toujours rage en Ukraine, un important producteur agricole, n'a fait qu'empirer la situation. La crise sanitaire a par ailleurs alimenté la spéculation sur le marché immobilier et exacerbé la tendance à la hausse des prix des maisons, qui est cela dit soutenue depuis deux décennies au Canada. Enfin, la hausse des profits des entreprises, qui ont vraisemblablement profité du contexte inflationniste pour augmenter leurs prix, est un facteur à considérer bien qu'il soit largement passé sous le radar de nombre d'analystes.

Cette inflation est problématique pour les travailleurs et les travailleuses, puisqu'à moins que leur salaire ne suive le rythme de l'augmentation des prix, elle a pour effet de réduire leur pouvoir d'achat. Au Québec, le salaire horaire moyen des employé·es a augmenté de 8,1 % entre juillet 2021 et juillet 2022, mais cette hausse n'avait été que de 1,0 % l'année précédente (et de 3 % en moyenne dans les cinq années qui ont précédé la pandémie). Il faudra voir si cette tendance se maintient et si elle permet le rattrapage qui était nécessaire dans les secteurs à plus faibles salaires.

En revanche, l'inflation a l'avantage de réduire le poids des dettes des ménages et de plomber les revenus qu'en tirent les créanciers. Autrement dit, une inflation modérée peut avoir un effet positif (ou du moins neutre) sur la situation financière de travailleurs et de travailleuses dont l'endettement est une source de profits pour les banques. Elle entraîne aussi une hausse des revenus des gouvernements, qui peuvent utiliser ces fonds supplémentaires pour venir en aide aux ménages. Tant Québec qu'Ottawa ont d'ailleurs réagi dans les derniers mois en procédant à des transferts, quoique pas toujours bien ciblés, aux citoyen·nes comme moyen d'augmenter leurs revenus en cette période inflationniste.

Les retombées de la politique monétaire

Puisque l'inflation s'est installée en dehors de sa cible de 1 % à 3 %, la Banque du Canada a commencé à intervenir – c'est son principal mandat – pour freiner la hausse des prix. Pour ce faire, elle utilise le seul outil dont elle dispose, à savoir le taux directeur. En haussant ce dernier, la banque centrale fait augmenter le coût des emprunts pour les entreprises comme pour les ménages. Elle espère ainsi faire reculer la demande et relâcher la pression sur les prix. Alors qu'il était à 0,25 % en janvier 2022, le taux directeur a été porté à 3,25 % en septembre 2022 et devrait être rehaussé à nouveau dans les prochains mois.

Quel est le problème avec cette stratégie ? D'une part, comme l'action de la banque a un effet sur la demande plutôt que sur l'offre qui, comme nous l'avons vu plus haut, est à l'origine de la poussée inflationniste, l'efficacité de cette stratégie est incertaine. Au moment d'écrire cet article, elle avait commencé à reculer très légèrement pour un deuxième mois de suite, principalement en raison du recul des coûts de l'énergie (et du pétrole en particulier) à l'échelle mondiale. Pour le reste, la hausse des taux s'est jusqu'ici surtout fait ressentir sur le marché immobilier, alors que des données de Desjardins montrent que les ventes et le prix des maisons au Canada étaient en baisse depuis le printemps, particulièrement en Ontario et en Colombie-Britannique.

D'autre part, une hausse prolongée du taux directeur s'accompagne d'un risque non négligeable de provoquer une récession. En effet, si la demande se resserre trop, les entreprises peuvent en venir à reporter des investissements et à embaucher moins, ce qui ferait augmenter le chômage et plomberait le revenu des ménages. L'économiste David MacDonald, du Centre canadien de politiques alternatives, rappelait dans un article paru en juillet dernier que chaque fois que la banque centrale a voulu réduire l'inflation en haussant le taux directeur depuis les années 1960, elle a provoqué une récession, et donc une baisse de l'emploi et une hausse du chômage. Plusieurs autres économistes et analystes ont aussi souligné dans les derniers mois l'existence de ce risque, et ce même chez les économistes orthodoxes.

Combattre les effets de l'inflation

Vu les causes et le niveau actuel de l'inflation, il serait préférable de mettre en place des moyens d'atténuer ses effets sur les ménages. Les entreprises doivent octroyer des hausses de salaire à leurs employé·es pour s'assurer qu'ils et elles ne s'appauvrissent pas en travaillant. Tant que ces hausses couvrent l'inflation, elles ne risquent pas d'y participer, car les salaires ne sont qu'une des dépenses auxquelles les entreprises doivent faire face. Il serait alors difficile pour ces dernières de justifier auprès de leur clientèle des hausses équivalentes du prix des biens ou des services qu'elles offrent.

Les gouvernements disposent pour leur part de plusieurs outils pour soutenir les ménages, particulièrement ceux à faible revenu. Si les aides ponctuelles qui ont été versées dans les derniers mois témoignent du souci des gouvernements d'agir face à la situation, l'absence de solutions plus structurantes participe d'un refus de s'attaquer, à plus long terme, à certains problèmes structurels que l'inflation actuelle met en lumière.

En effet, la paralysie des chaînes d'approvisionnement a mis en évidence la fragilité de nos économies mondialisées et le besoin de relocaliser la production de certains biens essentiels ; la vulnérabilité de l'agriculture aux conditions météorologiques rappelle l'importance de s'attaquer aux changements climatiques, à défaut de quoi le coût du panier d'épicerie pourrait durablement en subir les conséquences ; l'explosion des prix de l'immobilier est le reflet d'un marché peu régulé et de l'échec des gouvernements à protéger le droit au logement ; enfin, les fluctuations des prix de l'énergie rappellent l'urgence de modifier nos modes de transport et de réduire la dépendance à l'automobile et aux combustibles fossiles qui l'alimente.

La question de l'inflation nous rappelle combien les réponses aux problèmes économiques, si elles ne tiennent pas compte des inégalités qui traversent les économies capitalistes, peuvent avoir des conséquences désastreuses sur les salarié·es et les ménages vulnérables. Cette conjoncture particulière met aussi en lumière le rôle évident que peut jouer l'État pour stabiliser l'économie et mieux encadrer les marchés afin de protéger la qualité de vie de la population de manière pérenne.

Julia Posca est chercheuse à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS).

Des essais pour ados

11 septembre 2024, par Philippe de Grosbois — , , ,
La maison d'édition Écosociété s'est taillé une place de choix dans le monde des essais québécois au fil de ses 30 années d'activités. Pour son anniversaire, elle lance une (…)

La maison d'édition Écosociété s'est taillé une place de choix dans le monde des essais québécois au fil de ses 30 années d'activités. Pour son anniversaire, elle lance une nouvelle collection destinée aux adolescent·es et aux jeunes adultes. À bâbord ! s'est entretenue avec Pauline Gagnon, directrice de la collection Radar.

Propos recueillis par Philippe de Grosbois

À bâbord ! : Écosociété souligne ses 30 ans cette année. Comment en êtes-vous arrivé·es à l'idée de vous adresser plus spécifiquement aux ados et aux jeunes adultes ?

Pauline Gagnon : Depuis longtemps, l'équipe souhaitait offrir des livres destinés à un lectorat plus jeune. D'ailleurs, on nous le demandait régulièrement lors de rencontres avec nos lecteurs et lectrices dans les Salons du livre. Comme on trouve d'excellents documentaires pour les plus jeunes et très peu d'essais destinés aux 15 ans et plus, le projet d'une collection pour les ados s'est rapidement imposé. Ainsi, Radar – le nom choisi pour la collection – viendra combler un important vide éditorial. L'adolescence est une période tellement charnière. C'est le moment où l'on commence à mieux comprendre le monde, les injustices qui le traversent et cela nous révolte ! C'est aussi un moment où l'on se cherche, où l'on fait des rencontres et des apprentissages qui forgent l'adulte en devenir. Bref, c'est un moment où les questionnements politiques pointent leur nez. Pourquoi ne pas assumer la nécessité de parler d'enjeux sociaux et politiques avec cette tranche d'âge qui vit aussi de grands bouleversements en comprenant l'urgence climatique ?

Et, pour souligner nos 30 ans d'existence, nous ne pouvions nous offrir plus beau cadeau que d'agrandir notre lectorat !

AB ! : La littérature jeunesse est maintenant bien développée au Québec. Dans ce qui s'adresse aux adolescent·es, on trouve une fiction de grande qualité, mais peu d'essais. Comment expliquer cette absence ? Est-ce que ça a déjà existé par le passé ? Est-ce que ça se fait actuellement ailleurs dans le monde ?

P. G. : C'est certain que, pour une maison d'édition, créer une collection d'essais pour ados demeure un défi de taille, autant dans l'ensemble de la francophonie qu'ici, au Québec ! Ce n'est pas un hasard si ce segment de l'édition n'est pas aussi développé que celui des documentaires jeunesse. Ce groupe d'âge, les 15 ans et plus, navigue entre la fin de l'enfance et le début de l'âge adulte ; et on y trouve un lectorat extrêmement diversifié. C'est aussi un moment de la vie où les centres d'intérêt sont multiples et parfois aussi une période où la lecture devient moins prioritaire. C'est là qu'il devient essentiel de miser sur leur curiosité, sur leur besoin de trouver des réponses aux nombreuses questions qu'iels se posent. Ça demande aussi une certaine part d'audace, un pari qu'un éditeur doit faire lorsqu'on désire rejoindre les adolescent·es en leur offrant des livres qui ouvrent aux multiples manières de voir et penser le monde.

AB ! : Comment aller chercher l'intérêt pour des enjeux plus vastes ? Comment savoir ce qui peut intéresser les jeunes de ce groupe d'âge ?

P. G. : Les adolescent·es s'intéressent déjà à plusieurs enjeux sociaux et environnementaux ; plusieurs sont impliqué·es dans des mouvements qui revendiquent des changements. Iels mesurent bien la complexité du monde qui les entoure et ont une conscience planétaire que nous n'avions pas à leur âge. L'objectif est d'atteindre autant les plus militant·es que celleux dont on entend peu la parole. Comment les intéresser ? En leur offrant des livres qui abordent des sujets qui les préoccupent sous un angle original, afin de les aider à mieux comprendre le monde dans lequel iels vivent. Dès que je suis entrée en poste, j'ai voulu aller confirmer ou infirmer mes intuitions sur les thématiques que je voulais aborder dans Radar. Nous avons donc fait circuler un sondage auprès de 200 adolescent·es, qui ont fait ressortir plusieurs thématiques que je me suis ensuite attelée à explorer avec les auteur·es. Cela allait de la place de l'anxiété face aux changements climatiques ou de la performance à la sexualité en passant par l'amitié, les enjeux de genre et des enjeux propres aux communautés LGBTQ+. Une grande place était aussi consacrée à l'environnement dans les préoccupations des jeunes. Cela m'a beaucoup guidée tout au long du travail éditorial pour approcher les auteur·es. Par ailleurs, nous croyons fortement en la nécessité de transmettre les thématiques que nous abordons déjà pour les adultes aux jeunes. Il faut donc trouver un équilibre entre les sujets que nous voulons proposer à réfléchir et ceux qu'il faut absolument aborder pour répondre à leurs préoccupations. Évidemment, les deux peuvent se rejoindre.

AB ! : Un premier essai porte sur l'amitié. Écosociété étant une maison d'édition qui aborde surtout des enjeux sociaux et écologiques, je suppose qu'il y avait là un certain défi d'articuler l'intime et le politique ?

P. G. : Cet essai sur l'amitié, il est tout à fait dans l'esprit de la collection Radar. L'amitié, c'est beaucoup plus subversif qu'on ne le croit ! D'ailleurs le titre est, à cet effet, fort éloquent : S'engager en amitié. Non seulement le lien amical est un outil d'émancipation individuelle, mais il permet également de déconstruire certains modèles sociaux que, trop souvent, on oublie de questionner. Camille Toffoli parle d'amitié d'une façon tout à fait originale et qui fait tellement de bien. Pour faire le lien avec le politique, elle rappelle l'importance d'instaurer des « espaces de vulnérabilité » dans notre rapport à l'amitié. Ces communautés, dans lesquelles on peut parler librement de ce qui nous affecte, peuvent nous donner envie de nous mobiliser pour améliorer nos conditions de vie et celles des gens qui vivent des problèmes semblables aux nôtres.

AB ! : L'autre essai porte sur les GAFAM. Ici, le défi était peut-être la vulgarisation de questions complexes… Comment vous y êtes-vous pris ?

P. G. : Parce qu'il enseigne depuis plus de 30 ans à des ados l'éducation aux médias, l'auteur Philippe Gendreau présente une impressionnante somme d'informations avec une grande simplicité. Il débroussaille le sujet, montre les rouages de ces grandes entreprises, met en évidence certains de leurs côtés plus obscurs tout en démontrant la place prépondérante qu'elles occupent dans nos vies. Nous avons travaillé à responsabiliser, sans culpabiliser. Philippe donne des clés pour ouvrir les multiples portes que ces entreprises ont érigées entre eux et nous. Cet essai va aider les ados à se retrouver dans cet univers complexe.

AB ! : D'ailleurs, j'imagine que le ton à utiliser pour cette collection a dû susciter plusieurs questionnements. Comment être accessible sans être racoleur, comment être pédagogue sans sursimplifier ?

P. G. : C'est là que se trouve le vrai défi pour Radar ! Les auteur·es présentent l'information de manière simple, efficace et concise. Évitant les raccourcis et les longues tirades, on s'adresse à eux et elles en faisant appel à leur capacité à comprendre les grands enjeux sociaux et environnementaux.

Il faut aussi mettre de côté ses a priori et s'abstenir de toute complaisance. Surtout, l'important pour nous est de ne pas sous-estimer les lecteur·rices, ni les prendre de haut, tout en leur offrant des textes accessibles dans une présentation graphique qui va leur plaire et leur donner envie de lire.

Avec les titres de la collection Radar, on souhaite que les essais figurent dans le choix de lectures des ados, au même titre que les ouvrages de fiction.

Illustration : Elisabeth Doyon

Q comme qomplot. Comment les fantasmes du complot défendent le système

11 septembre 2024, par Nathalie Garceau — , ,
Wu Ming 1, Q comme qomplot. Comment les fantasmes du complot défendent le système, Traduit de l'italien par Anne Echenoz et Serge Quadruppani, Lux, 2022, 576 pages. Wu Ming (…)

Wu Ming 1, Q comme qomplot. Comment les fantasmes du complot défendent le système, Traduit de l'italien par Anne Echenoz et Serge Quadruppani, Lux, 2022, 576 pages.

Wu Ming est le nom d'un collectif d'écrivains italiens fondé en 2000. Wu Ming signifie « anonyme » en mandarin. Le groupe est reconnu entre autres pour son projet Luther Blisset et son livre Q publié en 1999.

Pavé de 576 pages, Q comme qomplot est un livre titanesque, bourré d'informations diverses. Son objectif principal est de faciliter la compréhension du mouvement QAnon et des théories du complot pour mieux les combattre.

Le livre est divisé en deux parties fort différentes l'une de l'autre. La première partie est un véritable fourre-tout d'histoires et de récits sur le complotisme, que ce soit sur l'origine de QAnon sur le forum web 4chan ou encore la conspiration concernant la mort de Paul McCartney dans un accident de voiture. Dans son analyse, l'auteur décide de différencier les hypothèses de complot (spécifiques et situés ayant un but précis – pensons au Watergate) des fantasmes du complot. Ces derniers « concernent toujours une conspiration universelle, qui a comme but la conquête ou la destruction du monde entier par des sociétés secrètes, des confraternités occultes, des races sournoises (…) ou des conquérants extraterrestres. »

La deuxième partie se lit comme une fascinante fresque historique sur la genèse des plus importants fantasmes du complot. L'auteur remonte à plusieurs siècles pour expliquer les origines du complot juif, des Illuminati et du satanisme. Ces chapitres nous rappellent les moments peu glorieux de notre histoire collective comme les paniques sataniques, les chasses aux sorcières ou encore la persécution du peuple juif. L'auteur tient à historiciser tous ces faits pour une raison simple, mais importante : en comprenant d'où ces fantasmes proviennent, on peut mieux les déconstruire.

Facile à lire, mais parfois difficile à suivre : le livre de Wu Ming 1 est captivant, mais manque souvent de cohérence, particulièrement dans la première partie. Le fil directeur est flou ; les chapitres se suivent, mais ne se ressemblent pas. La deuxième partie est la plus prenante ; le dévoilement historique qui s'impose à nous entraîne de nombreux moments de subites illuminations et encourage une réflexion approfondie.

Cette différence entre les deux parties se retrouve aussi dans le style narratif : la première partie est très explicative ; on décrit des faits, on énumère des arguments et on définit des termes. La deuxième partie est plus poétique ; l'auteur raconte un rêve dans lequel il enseigne à un groupe de personnes les origines des fantasmes du complot.

Tout au long du livre, l'auteur ne ridiculise pas les fantasmes du complot ni ses adeptes : il a la volonté louable de vouloir disséquer ce qui se cache derrière ceux-ci et de comprendre pourquoi certains y adhèrent. Selon lui, le conspirationnisme offre une porte d'entrée à toute personne désireuse de changer le monde ; il offre des causes pour lesquelles militer et donne en bonus une explication aux petits et grands malheurs qui ponctuent notre vie. Les fantasmes du complot deviennent alors la réalité des complotistes et leur raison d'être. C'est une fascination qui ne cesse d'être alimentée par les réseaux sociaux et la communauté qui s'y investit.

La masse d'informations que cet ouvrage contient et sa longueur pourront en décourager certains. C'est à se demander si celui-ci n'aurait pas dû être divisé en deux volumes plus courts. Toutefois, il est décidément un ouvrage majeur pour aider à comprendre les origines de Qanon et les fantasmes du complot en général.

Faire ses recherches. Cartographie de la pensée conspi

11 septembre 2024, par Philippe de Grosbois — , , ,
Tristan Péloquin, Faire ses recherches. Cartographie de la pensée conspi, Québec Amérique, 2022, 194 p. Faire ses recherches est le fruit de deux ans d'enquête du (…)

Tristan Péloquin, Faire ses recherches. Cartographie de la pensée conspi, Québec Amérique, 2022, 194 p.

Faire ses recherches est le fruit de deux ans d'enquête du journaliste de La Presse, Tristan Péloquin, sur les principaux acteurs de la mouvance conspirationniste québécoise. Comme le sous-titre du livre l'indique, l'auteur nous offre un tour d'horizon fort instructif de ce courant : le parcours et les idées d'Alexis Cossette-Trudel, Mario Roy, Stéphane Blais et Maxime Ouimet, entre autres, nous sont amenés tour à tour.

Ce travail de recherche et de divulgation a valu à Péloquin d'être l'objet de menaces, de harcèlement et de doxxing (divulgation de son numéro de téléphone privé) de la part de personnes ciblées par ses articles. Ce fut aussi le cas pour Camille Lopez, Xavier Camus et quelques autres ; comme quoi le simple fait de jeter un éclairage sur les pratiques délétères de ces mouvements xénophobes, autoritaires et antiscience plonge ses principaux leaders dans l'inconfort. En cela, il s'agit donc d'un travail à la fois courageux et utile pour quiconque a à cœur le maintien de bases démocratiques et respectueuses des droits dans notre société. C'est d'ailleurs tout à l'honneur de Péloquin de saluer la contribution d'informateurs discrets, parfois proches des antifascistes, à son travail.

Là où le livre déçoit, cependant, c'est dans l'analyse des causes du phénomène et des manières d'y répondre. On retient principalement que ces mouvements « prennent naissance dans les coins les plus sombres de l'internet » et forme « une contre-culture malsaine engendrée dans les chambres d'écho que sont devenus les réseaux sociaux ». Ces lieux communs sont souvent répétés dans les médias d'information, mais rarement démontrés. Hélas, c'est le cas ici aussi : pensons par exemple à la responsabilité d'autres types de médias (notamment une entrevue complaisante offerte à Alexis Cossette-Trudel dans le journal Le Devoir ou le rôle de certaines radios d'opinion de Québec) qui est à peine évoquée.

Surtout, les causes politiques de cette ascension auraient mérité d'être davantage investiguées. Péloquin mentionne à l'occasion les liens qu'ont entretenus certains de ces leaders avec des groupes comme La Meute, Storm Alliance et Atalante, mais l'articulation entre des discours et organisations nationalistes identitaires et islamophobes et ceux portant sur la pandémie n'est malheureusement pas creusée significativement.

Les quelques solutions évoquées en fin d'ouvrage laissent également sur notre faim. L'auteur souligne à juste titre la nécessité d'intervenir sur les algorithmes des médias sociaux de manière à réduire leur influence, et heureusement, il ne souhaite pas faire des GAFAM des polices de l'espace numérique. Péloquin presse aussi le système de justice de revoir son approche, mais il aurait été salutaire de s'interroger sur l'état de nos institutions de manière générale : que faire pour réduire le fossé grandissant entre les médias dits traditionnels et la science d'une part, et une portion significative de la population d'autre part ?

Bref, si Faire ses recherches remplit bien son mandat de cartographier un courant d'extrême droite qu'il est nécessaire de surveiller, il nous offre peu de pistes concrètes permettant de comprendre et de stopper sa progression.

Télévision queer

11 septembre 2024, par Audrée T. Lafontaine — , , ,
Joëlle Rouleau (dir.), Télévision queer, Remue-Ménage, 2022, 176 p. La télévision peut-elle être queer ? Peut-elle entraîner un changement social ? Peut-elle offrir un (…)

Joëlle Rouleau (dir.), Télévision queer, Remue-Ménage, 2022, 176 p.

La télévision peut-elle être queer ? Peut-elle entraîner un changement social ? Peut-elle offrir un espace complexe de réflexion ? Pour répondre à ces questions, Télévision queer rassemble plusieurs essais afin d'analyser différentes productions télévisuelles dites mainstream, et ce, dans diverses cultures.

Dans le contexte récent de démocratisation de la création audiovisuelle et le déploiement d'une multiplicité de formats, nous nous sommes éloigné·es du média traditionnel et avons permis la multiplication des voix. Le médium des webséries, notamment, réduit la pression traditionnelle des cotes d'écoute et de la recherche de profit. Dans ce contexte, la télévision peut-elle devenir un lieu de résistance et de transformation sociale, ou représente-t-elle toujours un outil de normalisation ? Qu'est-ce qui motive cette plus grande visibilité et comment est-elle pensée ou représentée ?

Les essais présentés nous aident à comprendre ce qu'on entend par sensibilités queer, soit la conception d'une multiplicité de dimensions de l'identité et donc de la perception, de la représentation et de l'analyse. L'approche d'un recueil d'essais, et donc de diverses perspectives, prend ici tout son sens.

Ces textes font la démonstration de la force des oppressions patriarcale, coloniale et hétéronormative dans les médias mainstream. Ils illustrent les tensions entre la représentation de la diversité et la reproduction des normes sociosexuelles, défendues ou portées par la « majorité », soit le grand public ou par les créateur·rices même. Si nous déstigmatisons la diversité sexuelle et de genre, est-ce pour la resituer dans les normes sociales prédéfinies ? Est-ce pour recréer une nouvelle norme et donc risquer à nouveau d'exclure ? Ou est-ce réellement pour déconstruire les normes ?

Si l'on peut ressentir qu'il semble impossible d'atteindre l'idéal queer, ou que le regard critique ainsi posé crée une forme perpétuelle de déconstruction, j'invite les lecteur·rices à la patience et l'humilité. Car ce que cela démontre, c'est justement cette omniprésence des normes sociales qui créent l'exclusion. Si les déchirements des « grands mouvements sociaux » actuels peuvent nous apprendre quelque chose, c'est bien cette difficulté que nous avons à pleinement y déconstruire les rapports de pouvoir. Les sensibilités queer tentent cet exercice de déconstruction, mais bien au-delà des identités sexuelles et de genre : elles déstabilisent les normes qui sous-tendent l'entièreté de nos rapports sociaux.

La queerisation, soit cette constante recherche de déconstruction des normes, doit donc justement être inconfortable, constante et radicale. On retrouve alors des exemples de queerisation de la télévision par des créateur·rices qui rompent avec tous les codes attendus, qui refusent la hiérarchisation et les préconceptions de l'identité sexuelle ou sociale, mais aussi de la technique et de l'esthétique télévisuelles. Le potentiel transformateur de la pensée queer est ici réalisé concrètement.

Cette lecture inspire assurément un regard plus critique sur l'offre télévisuelle. J'espère qu'elle inspirera d'autant plus des créateur·rices qui souhaitent contribuer à cette utopie queer !

Souvenirs de prison

Jules Fournier, Souvenirs de prison, Lux, 2021 (nouvelle édition), 110p. Ce petit livre s'avère cinglant à l'égard du despotisme et des raisons invoquées pour emprisonner (…)

Jules Fournier, Souvenirs de prison, Lux, 2021 (nouvelle édition), 110p.

Ce petit livre s'avère cinglant à l'égard du despotisme et des raisons invoquées pour emprisonner la très grande majorité des personnes qui le sont. Effacer quelqu'un du paysage humain, doit-on le rappeler, implique des coûts astronomiques et génère le plus souvent des effets pervers qui enfonceront encore plus la personne dans une spirale sans fin… Mais, là n'est pas le principal objet de cette savoureuse plaquette de Jules Fournier (1884-1918), journaliste polémiste qui signa un article intitulé « La prostitution de la justice » qui accusait vertement deux ex-organisateurs du Parti libéral devenus juges de… partialité. La farce devient grossière tandis que le premier ministre du Québec, Lomer Gouin, ordonne que le scribouillard soit traduit en justice. En effet, ce sera devant nul autre que l'un des deux juges visés par l'article incriminé : François Langelier !!! Sans surprise, le pitre le condamnera à trois mois de détention à la prison de Québec. Le journaliste ainsi incarcéré trouvera matière à ce pamphlet qu'il adresse au régime en place, mais tout autant, en connaissance de cause, contre la situation faite aux détenus. L'Histoire ne trouve pas toujours chaussure à sa bêtise ; ici, au contraire, « l'humour mordant et la dérision cinglante » de Fournier se retournent contre elle avec un aplomb absolument jouissif.

Vivre fluide

11 septembre 2024, par Valentin Tardi — , ,
Mathilde Ramadier, Vivre fluide, Éditions du Faubourg, 2022, 304p. Si l'idée que la fluidité puisse être une façon de vivre sa vie et sa sexualité semble aller de soi, en (…)

Mathilde Ramadier, Vivre fluide, Éditions du Faubourg, 2022, 304p.

Si l'idée que la fluidité puisse être une façon de vivre sa vie et sa sexualité semble aller de soi, en pratique, il n'en va pas de même… du tout. On est toujours les parias d'un Politburo ou d'une intelligentsia, même si elles-mêmes souffrent d'être mal-aimées. La fluidité passe entre les mailles des étiquettes et des codes stricts et immédiatement identifiables, tout en apparaissant au sein de l'univers LGBTQ+. On parle bien de bisexualité (« B ») au cœur de la dénomination inclusive, tout en allant autrement plus loin qu'une catégorie réductrice dans l'essai que signe Mathilde Ramadier. Ramadier est également scénariste de BD adultes. Mentionnons son percutant et féministe Corps public, publié aux Éditions du Faubourg en 2021 et illustré par Camille Ulrich sur les aléas sociaux de la maternité. Ramadier est aussi traductrice. Elle sous-titre son présent essai Quand les femmes s'émancipent de l'hétérosexualité. Nommément, elle fouille l'histoire et la littérature scientifique sur ce sujet sensible tout en proposant une enquête liant autant sa propre intimité que celle d'une cinquantaine de femmes auprès desquelles elle a réalisé une enquête. L'objectif, rappelle-t-elle, n'est pas de produire du dogme, mais plutôt d'ouvrir sur un facteur d'exploration et de liberté, voire d'anarchie au niveau de la sexualité ! Pas surprenant, en fait, que la fluidité ramène à des défis particuliers, dont celui du polyamour et de combattre nombre de stéréotypes, dont celui d'une personne « mangeant allègrement à tous les râteliers ».

Au nom des femmes

11 septembre 2024, par Viviana Isaza — , , ,
Sara R. Harris, Au nom des femmes, M Éditeur, 2022, 304p. L'autrice Sara R. Farris est professeure en sociologie à l'Université Goldsmith de Londres. Elle s'intéresse aux (…)

Sara R. Harris, Au nom des femmes, M Éditeur, 2022, 304p.

L'autrice Sara R. Farris est professeure en sociologie à l'Université Goldsmith de Londres. Elle s'intéresse aux mouvements féministes, au racisme et au marxisme. En 2017, elle publie la version originale de son livre In the Name of Women's Rights : The Rise of Femonationalism aux Presses universitaires de Duke. Dans cet ouvrage, elle expose sa thèse sur le fémonationalisme : elle est la première à introduire ce terme dans l'analyse politique.

Pour Farris, le fémonationalisme est l'exploitation des termes féministes par les parties nationalistes de droite et néo-libéraux qui renforcent leurs campagnes anti-Islam et anti-immigration au nom de l'égalité des genres. La notion de fémonationalisme offre un cadre théorique permettant l'analyse du déploiement de l'égalité des genres dans les campagnes xénophobes et dans les programmes politico-économiques visant notamment l'intégration civique des immigrant·es. L'autrice démontre que la revendication de l'inclusion des genres est imposée comme une valeur supérieure qui est fondamentale à l'intégration des immigrant·es dans une société occidentale. Cependant, cette valeur renforce le caractère raciste et nationaliste de leurs programmes et leurs campagnes en décrivant les Autres masculins, les non-Occidentaux, comme des oppresseurs, et les Autres femmes comme étant des victimes, des femmes qu'il faut sauver. Cette notion de « racialisation du sexisme » (p. 81) renforce la propagande des partis nationalistes de droite : les Autres ne représentent pas les valeurs occidentales. Cette formation idéologique s'inscrit dans des contextes spécifiques permettant l'instrumentalisation ou l'institutionnalisation du fémonationalisme.

L'ouvrage académique est divisé en cinq chapitres étayant l'instrumentalisation du fémonationalisme et les paradoxes de cette stéréotypisation dans les rôles sociaux et économiques des femmes. Par exemple, l'autrice nous démontre comment le rôle des femmes dans l'économie alimente paradoxalement la féminisation et la racialisation des marchés du travail au lieu de favoriser l'émancipation des droits des femmes. Par conséquent, il y a une contradiction lorsque les féministes ou les fémocrates poussent l'émancipation des femmes musulmanes et non occidentales tout en les orientant dans les secteurs domestiques peu rémunérateurs et précaires comme femme de ménage, gardienne, assistante pour les personnes âgées, tandis que le mouvement féministe cherche à libérer les femmes de ces secteurs (p. 33). Dans son analyse multidimensionnelle des dynamiques sociales, politiques et économiques, elle démontre que ce n'est pas une simple contradiction rhétorique, mais une « contradiction performative ». (p. 33).

L'autrice se réfère au contexte des Pays-Bas, de la France et de l'Italie depuis les années 2000 pour l'étude du fémonationalisme. Elle tente de faire ressortir les parallèles sur les contextes nationaux et les acteurs et actrices politiques pour démontrer le caractère transnational du fémonationalisme (p. 35). Elle offre cette théorisation pour mettre une analyse politique de ce phénomène dans la politique nationale des pays d'Europe occidentale, mais pour l'Occident en général (p. 36).

Ray-Mont Logistiques : Résister et fleurir dans Hochelaga

11 septembre 2024, par Estelle Grandbois-Bernard — , ,
Dans Hochelaga-Maisonneuve, des citoyen·nes se mobilisent depuis six ans contre l'implantation d'une plateforme de transbordement de marchandises à quelques mètres de leur (…)

Dans Hochelaga-Maisonneuve, des citoyen·nes se mobilisent depuis six ans contre l'implantation d'une plateforme de transbordement de marchandises à quelques mètres de leur maison. Récit d'une lutte sans relâche pour la justice environnementale.

Tout à l'est du quartier Hochelaga-Maisonneuve existe un grand terrain vague formé de boisés et de friches industrielles, à l'abandon depuis une vingtaine d'années. Le site est situé aux abords d'une coopérative d'habitation, de rues résidentielles et de ruelles vertes, d'un parc de quartier et d'un CHSLD. S'il a été longtemps occupé par des installations industrielles, le terrain s'est reverdi avec les années, et il est maintenant habité d'une végétation florissante et d'une faune diversifiée. Il accueille quotidiennement les promeneur·euses, les sportif·ves et les familles du quartier, venus profiter de ce qui ressemble aujourd'hui à un immense parc-nature.

En 2016, une partie de ce terrain a été achetée par l'entreprise Gaïa inc. pour les activités de Ray-Mont Logistiques (RML), qui planifie y installer l'une des plus grandes plateformes de transbordement de marchandises en Amérique du Nord. Déjà implantée à Pointe-Saint-Charles, RML opère une plateforme intermodale permettant de transborder du grain arrivant par train des Prairies et du Mid-West américain dans des conteneurs maritimes transportés par camion vers le port de Montréal. L'acquisition d'un terrain de 2,5 millions de pieds carrés dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve lui permet de rapprocher ses activités des terminaux du port et d'en augmenter de dix à quinze fois le volume. À terme, le projet vise à transborder 100 wagons de train par jour, ce qui impliquerait d'être en activité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cela générerait un millier de déplacements de camion par jour, un brouhaha constant lié au passage de trains et l'entreposage de plus de 10 000 conteneurs sur le site alors complètement asphalté. Les nuisances principales attendues, identifiées par l'entreprise, sont le bruit et les vibrations sonores, la pollution atmosphérique, lumineuse et visuelle, la création d'îlots de chaleur ainsi que la présence de vermine et de parasites.

Historique de la mobilisation

Dès l'achat du terrain en 2016, les résident·es des alentours sont alerté·es par le bruit lié aux travaux de concassage et la destruction des espaces boisés qui se trouvaient sur le site. Ils et elles s'organisent rapidement pour exiger d'être consulté·es sur les développements prévus dans leur quartier, et lancent une pétition en vertu du droit d'initiative en consultation publique de la Ville de Montréal. La mobilisation citoyenne « 5000 signatures pour MHM » voit alors le jour. En moins de trois mois, c'est finalement 6600 signatures qui sont amassées, menant à la tenue en 2019 d'une consultation publique sur l'avenir du secteur Assomption-sud-Longue-Pointe. Le nom du regroupement Mobilisation 6600 Parc-nature MHM porte le souvenir de cette victoire citoyenne.

Lors de la consultation menée par l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM), plus de cinquante mémoires sont déposés. Des projets de création d'un parc-nature, d'agriculture urbaine ou de réhabilitation d'un ruisseau enfoui sont présentés aux commissaires. La Direction régionale de santé publique présente aussi un mémoire recommandant la réduction des nuisances dans le secteur de Viauville, où les résident·es, la plupart socioéconomiquement défavorisé·es, subissent déjà les préjudices de la circulation sur la rue Notre-Dame et des activités du port de Montréal.

Par ailleurs, en 2017, l'arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve refuse de délivrer le permis de construction demandé par Ray-Mont Logistiques, jugeant que les installations prévues pour son projet de plateforme intermodale ne respectent pas le cadre réglementaire du secteur. Poursuivi en justice par l'entreprise pour ce refus d'émission de permis, l'arrondissement perd une première fois en Cour supérieure en 2018, puis en cour d'appel en 2021. Forcé de délivrer le permis en avril 2021, l'arrondissement est aujourd'hui poursuivi en justice par RML pour des dommages évalués à 373 millions $.

Développements récents

La victoire de RML en cour d'appel donne un nouveau souffle à la mobilisation citoyenne. En 2021 et 2022, des manifestations rassemblant jusqu'à un millier de personnes sont organisées pour dénoncer le projet de Ray-Mont, demander la préservation de tous les espaces verts du terrain vague (le boisé Vimont, le boisé Steinberg, la friche ferroviaire et le terrain de Ray-Mont) ainsi que la création d'un parc-nature sur le site. Le slogan « Résister et fleurir » est alors adopté par les militant·es, et des semaines d'actions donnent lieu à de nombreuses activités : randonnées guidées du terrain, activités artistiques pour la famille, conférences, jardinage, flash mob, barbecues militants et rencontres entre luttes citoyennes pour la justice environnementale. Une pétition comptant plus de 8000 signatures est déposée à l'Assemblée nationale à l'automne 2021 pour demander au ministre de l'Environnement et de la Lutte aux changements climatiques, Benoit Charette, de soumettre le projet de RML à une évaluation environnementale complète menant à une évaluation du BAPE. De plus, en mars 2022, plus de 70 commerçant·es et organismes communautaires d'Hochelaga-Maisonneuve, des médecins et les élu·es provinciaux et fédéraux du secteur se lient à la mobilisation dans le cadre d'une déclaration conjointe contre Ray-Mont Logistiques, demandant un développement économique à échelle humaine pour le quartier. Mobilisation 6600 reçoit aussi l'appui de nombreux organismes et mouvements œuvrant en environnement, comme Nature Québec, la Fondation David Suzuki, l'Association québécoise des médecins pour l'environnement et la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social.

La créativité et l'audace des militant·es de la mobilisation ont mené à l'organisation de nombreux blocages du chantier et à des coups d'éclat comme la plantation symbolique d'une forêt de conifères (des sapins de Noël récupérés) sur le terrain de Ray-Mont, ou le dévoilement, en septembre 2022, d'une immense bannière entre les cheminées de l'ancien incinérateur Dickson. Les citoyen·nes mobilisé·es ont aussi réussi à retarder l'arrivée des conteneurs, initiée en mars 2022, en interpellant la Direction régionale de l'environnement. L'entreprise, qui ne détenait pas les autorisations nécessaires pour débuter ses travaux, a été rappelée à l'ordre par le ministère, et est actuellement en attente de l'autorisation qui lui permettra d'entamer le déménagement de ses activités dans Hochelaga-Maisonneuve.

Pour la justice environnementale

Les militant·es de Mobilisation 6600 Parc-nature MHM n'ont pas dit leur dernier mot. Le travail d'éducation et de mobilisation se poursuit actuellement par l'organisation de conférences, de projections de films militants, de visites du terrain pour les groupes scolaires et universitaires, et d'une tournée des associations étudiantes sur les enjeux de la mobilisation. Mobilisation 6600 présentera par ailleurs son projet de Parc-nature dans le cadre des activités entourant la COP15 à Montréal et les militant·es se tiennent prêt·es à accueillir les conteneurs dans le cas où l'entreprise recevrait ses autorisations.

La bataille menée par Mobilisation 6600 est une lutte pour la justice sociale et environnementale. Comme l'affirme la Fondation David Suzuki, les quartiers et les populations historiquement défavorisés sur les plans économique et social subissent plus souvent les nuisances de projets industriels qui ne verraient jamais le jour dans des quartiers comme Westmount ou Outremont. Pourtant, les impacts du bruit sur la santé des populations sont bien documentés et ceux des îlots de chaleur peuvent être fatals pour les populations à risque. La santé et la vie des personnes d'Hochelaga ou de Mercier-Est valent-elles moins que celles des personnes vivant dans des quartiers plus riches ? Valent-elles moins que les éventuels profits d'une entreprise déjà millionnaire ?

Le modèle de développement qui sous-tend le projet de RML est insoutenable sur les plans environnemental et social. À l'heure des bouleversements climatiques, nous nous devons de réduire le transport lié au commerce international, de miser sur l'agriculture de proximité et l'autonomie alimentaire des villes et des quartiers, sur le logement social et la densification urbaine, sur la décontamination des sites industriels et la préservation de tous les espaces verts. Nous ne pouvons plus nous permettre, en 2022, de couper des arbres pour asphalter des terrains où stationner des conteneurs.

Mobilisation 6600 Parc-nature MHM milite pour que les espaces en friche d'Hochelaga reviennent à la communauté, pour qu'ils deviennent un lieu où se retrouver et imaginer de nouvelles manières d'habiter la ville et d'aménager nos quartiers. Les militant·es sont déterminé·es et confiant·es : ils et elles savent que de la résistance émerge les plus belles floraisons.

Estelle Grandbois-Bernard est militante de Mobilisation 6600 Parc-nature MHM.

Illustration : Elisabeth Doyon

Décision décevante :
Le ministère de l'Environnement finalement autorisé la mise en œuvre de la phase 1 du projet de transbordement de Ray-Mont Logistiques le vendredi 4 novembre 2022. Certaines contraintes ont été imposées à l'entreprise, notamment en ce qui concerne le bruit. Certain·es résident·es sont toutefois insatisfait·es de ces mesures, puisqu'on autorise tout de même le passage de 1500 camions par jour dans le quartier, ce qui aura des conséquences importantes sur la qualité de l'air et causera de la pollution sonore.

Pour rester connecté·e : Suivez Mobilisation Parc-nature MHM sur Facebook, Instagram, Twitter et sur resisteretfleurir.info.

La SAAQ, un enfer bureaucratique écrasant pour des accidentés de la route

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/09/signal-2024-09-06-161632_005-2-e1726102043435-1024x596.jpeg11 septembre 2024, par Comité de Montreal
Depuis plus d'une semaine, des membres de l'Association des Accidentés de la Route Victimes de la SAAQ (AARVS) passent 24 heures sur 24 devant les bureaux de la Société de (…)

Depuis plus d'une semaine, des membres de l'Association des Accidentés de la Route Victimes de la SAAQ (AARVS) passent 24 heures sur 24 devant les bureaux de la Société de l'Assurance Automobile du Québec (SAAQ). Au cœur de ce combat, l'histoire de Kevin Turcotte, opérateur de machinerie lourde, (…)

Itinérance. Aider, mais pas n’importe comment

Nos concitoyen·nes de la rue sont les premier·ères à subir les conséquences des crises multiples que nous traversons –, pandémie, crise du logement, coût de la vie, surdoses, (…)

Nos concitoyen·nes de la rue sont les premier·ères à subir les conséquences des crises multiples que nous traversons –, pandémie, crise du logement, coût de la vie, surdoses, crise climatique… Or, plutôt que de considérer les besoins de ces personnes et de soulever les dénis de droits qu'elles subissent au sein du système, on perpétue les préjugés, la stigmatisation et une vision pour le moins réductrice de l'itinérance.

Comment considérons-nous collectivement l'itinérance ? En tant que problématique sociale ou conséquence de « mauvais » choix individuels ? Comment ces conceptions influencent-elles nos gouvernements et, donc, les réponses publiques à l'itinérance ? Quels sont les acteurs qui profitent de ces réponses ?

Depuis les 25 dernières années, trois manières distinctes de considérer l'itinérance dans le discours public ont été identifiées : écosanitaire, salutaire et démocratique. Ces conceptions sont explicitées par Michel Parazelli et une équipe de chercheur·euses dans le livre Itinérance et cohabitation urbaine paru en 2021 [1]. Chacune de ces conceptions est associée à un idéal et dirige des actions à prendre en lien avec l'itinérance. Elles sont aussi, sur plusieurs points, en opposition les unes des autres.

L'itinérance comme une vermine

La conception écosanitaire de l'itinérance fait référence à l'idée qu'un équilibre social serait menacé par les personnes habitant l'espace public. Dans cet idéal, toutes et tous seraient des citoyen·nes « civilisé·es » qui respectent les conventions sociales et ainsi, maintiendraient un climat de sécurité. Les personnes en situation d'itinérance sont ici considérées comme des menaces à cet équilibre social.

Pour illustrer cette conception, on peut penser aux discours qui associent l'itinérance à la criminalité. On justifiera alors une présence accrue de policier·ère·s pour maintenir cet équilibre pour la population en général. C'est aussi sous cette conception qu'on associe l'itinérance à la malpropreté. On peut penser à certaines demandes des milieux du commerce ou du tourisme d'être « libérés » de la présence de personnes en situation d'itinérance qui « entachent » la réputation des commerces ou de la ville ou « font peur aux client·es ». Les « pics anti-itinérant·es » installés sur au moins une façade d'un commerce de Montréal en 2014 sont un bon exemple de réponse écosanitaire aux enjeux d'itinérance.

Bref, cette conception considère l'itinérance comme une nuisance au bon cours des activités « normales » de la société et vise à maintenir « l'ordre et la sécurité ». Évidemment, respecter les droits et répondre aux besoins des personnes vivant l'itinérance n'est pas une priorité ici. Dans une certaine mesure, on pourrait aussi considérer la frénésie presque hégémonique pour l'approche « logement d'abord » comme une réponse écosanitaire. Dans cette approche, l'objectif est de donner un logement aux personnes itinérantes en priorité sous prétexte que c'est en logement qu'elles pourront s'attaquer à d'autres enjeux qu'elles vivent. Les personnes ayant accès à un logement ne se retrouveront donc plus dans les quartiers centraux et commerçants à « déranger » les activités commerciales et touristiques des « bon·nes citoyen·nes ». D'autant plus que le Mouvement pour mettre fin à l'itinérance à Montréal (MMFIM), fervent défenseur de ladite approche, compte deux anciens dirigeants de la société de développement commercial Destination Centre-Ville parmi ses membres.

L'itinérance comme une erreur de parcours

Pour ce qui est de la conception salutaire de l'itinérance, elle se rapproche de la vision judéo-chrétienne qui, bien qu'on tende à dire le contraire, n'est pas si loin de notre époque et continue de l'influencer. En effet, cette conception sous-entend que les personnes en situation d'exclusion sociale et de marginalité urbaines se seraient « égarées du droit chemin » et devraient donc être prises en charge et « sauvées » par des membres de la société qui auraient « le cœur à la bonne place ». On reconnaît ici la logique de la charité. On souhaiterait donc que les personnes qui « échoueraient » en situation d'itinérance – en consommant des substances psychoactives, en étant absent·es du marché du travail et en n'ayant pas de numéro de porte – s'intègrent à la société en se défaisant de ces « vices ». L'itinérance, sous cette conception, est vue comme étant négative en soi ; on veut s'assurer de « motiver » les personnes qui la vivent à s'en sortir à tout prix.

Le programme Objectif-emploi de l'aide sociale qui contraint toute personne qui en fait une première demande à entamer des démarches de réinsertion à l'emploi est un bon exemple de réponse salutaire. On vise à aider les personnes, mais à condition qu'elles se « prennent en main » et qu'elles n'aient plus besoin de cette aide à court terme. Dans le même sens, on pourrait nommer certains programmes d'hébergement

pour personnes consommant des substances psychoactives qui exigent que ces dernières entament des démarches vers la sobriété pour être admises. L'approche « logement d'abord » répondrait aussi à cette conception en envoyant les personnes le plus directement possible dans un logement, élément fondamental d'une « bonne » vie en cité. La conception salutaire a d'ailleurs plusieurs atomes crochus avec la conception écosanitaire. Encore une fois, cette conception accueille les personnes vivant dans l'espace public, mais en considérant que la situation d'itinérance elle-même est à faire disparaître, ce qui peut interférer avec les besoins réels des personnes qui vivent la rue.

L'itinérance comme une conséquence de systèmes d'oppression

La troisième vision de l'itinérance est la conception démocratique et c'est celle qui nous rejoint le plus comme regroupement d'action communautaire autonome. L'idéal, sous cette conception, serait que les personnes en situation d'exclusion sociale et de marginalité urbaine soient traitées avec équité et dignité à l'égard des autres citoyen·nes, qu'elles puissent choisir par et pour elles-mêmes ce qui est le mieux pour elles. Ce sont la dignité humaine et l'approche basée sur les droits de la personne qui doivent déterminer les réponses démocratiques. De ce fait, on exige la prise en compte des besoins des personnes dans les politiques publiques.

Cette conception prend souvent la forme de contestation d'injustices que subissent les membres de la communauté itinérante. On peut penser aux profilages social et racial, qui ne sont plus à prouver, et à l'inaccessibilité de services de santé qui correspondent à la vie dans la rue. Pour ce qui est du pôle de l'autonomie, on est ici en contradiction avec la conception salutaire : plutôt que d'imposer de manière top down des « solutions » aux personnes (un logement, un arrêt de consommation ou une intégration au marché du travail), on privilégie une posture d'écoute et de respect du rythme des personnes. La personne concernée devient l'experte de ce qui est bon et nécessaire pour elle-même. Un exemple d'autonomie donnée aux personnes concernées peut être l'organisme par et pour les travailleur·euses du sexe Stella, l'amie de Maimie. Finalement, on dénonce l'exclusion des personnes de leur milieu de vie, comme le démantèlement du Campement Notre-Dame qui a été vivement critiqué par le RAPSIM et ses membres qui interviennent sur le terrain, notamment les organismes en travail de rue.

Dans cette conception à laquelle adhère le RAPSIM, les actions à prendre en lien avec l'itinérance doivent être dans l'intérêt des personnes qui la vivent. Un premier pour personnes consommant des substances psychoactives qui exigent que ces dernières entament des démarches vers la sobriété pour être admises. L'approche « logement d'abord » répondrait aussi à cette conception en envoyant les personnes le plus directement possible dans un logement, élément fondamental d'une « bonne » vie en cité. La conception salutaire a d'ailleurs plusieurs atomes crochus avec la conception écosanitaire. Encore une fois, cette conception accueille les personnes vivant dans l'espace public, mais en considérant que la situation d'itinérance elle-même est à faire disparaître, ce qui peut interférer avec les besoins réels des personnes qui vivent la rue.

L'itinérance comme une conséquence de systèmes d'oppression

La troisième vision de l'itinérance est la conception démocratique et c'est celle qui nous rejoint le plus comme regroupement d'action communautaire autonome. L'idéal, sous cette conception, serait que les personnes en situation d'exclusion sociale et de marginalité urbaine soient traitées avec équité et dignité à l'égard des autres citoyen·nes, qu'elles puissent choisir par et pour elles-mêmes ce qui est le mieux pour elles. Ce sont la dignité humaine et l'approche basée sur les droits de la personne qui doivent déterminer les réponses démocratiques. De ce fait, on exige la prise en compte des besoins des personnes dans les politiques publiques.

Cette conception prend souvent la forme de contestation d'injustices que subissent les membres de la communauté itinérante. On peut penser aux profilages social et racial, qui ne sont plus à prouver, et à l'inaccessibilité de services de santé qui correspondent à la vie dans la rue. Pour ce qui est du pôle de l'autonomie, on est ici en contradiction avec la conception salutaire : plutôt que d'imposer de manière top down des « solutions » aux personnes (un logement, un arrêt de consommation ou une intégration au marché du travail), on privilégie une posture d'écoute et de respect du rythme des personnes. La personne concernée devient l'experte de ce qui est bon et nécessaire pour elle-même. Un exemple d'autonomie donnée aux personnes concernées peut être l'organisme par et pour les travailleur·euses du sexe Stella, l'amie de Maimie. Finalement, on dénonce l'exclusion des personnes de leur milieu de vie, comme le démantèlement du Campement Notre-Dame qui a été vivement critiqué par le RAPSIM et ses membres qui interviennent sur le terrain, notamment les organismes en travail de rue.

Dans cette conception à laquelle adhère le RAPSIM, les actions à prendre en lien avec l'itinérance doivent être dans l'intérêt des personnes qui la vivent. Un premier pas dans la bonne direction serait d'écouter ce qu'elles nous disent sur le terrain !


[1] Ce texte est librement inspiré de Michel Parazelli et al., Itinérance et cohabitation urbaine, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2021, pp. 117 à 142.

Jérémie Lamarche est organisateur communautaire au Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

Illustration : Ramon Vitesse

Deuxième mandat de la CAQ : Cette priorité prioritaire qui cherchait une crise à résoudre

11 septembre 2024, par Wilfried Cordeau — , ,
Réélu, le gouvernement Legault veut redonner la priorité à l'éducation. Or, après un début de règne marqué par des mesures audacieuses, bien que fort discutables (abolition des (…)

Réélu, le gouvernement Legault veut redonner la priorité à l'éducation. Or, après un début de règne marqué par des mesures audacieuses, bien que fort discutables (abolition des commissions scolaires, généralisation des maternelles 4 ans, harmonisation de la taxe scolaire, abolition du cours ECR), le projet de la CAQ pour l'éducation semble s'essouffler. De quelle « priorité des priorités » parle-t-elle donc ?

Selon les dictionnaires, une priorité est le caractère de ce qui vient en premier, qui prévaut, qui a préséance. En clair : rien ne devrait être égal ou supérieur à ce qui fait l'objet d'une priorité. Encore faut-il que cette dernière ait un sens, une substance propres. Bref, qu'elle traduise un projet.

Au sommet : priorité à la continuité

Prioritaire, l'éducation l'est pour la CAQ depuis sa fondation en 2012. Son chef François Legault en fait en 2018 la « première priorité » de son gouvernement, proclamant le « redressement national ». Des mots et un ton forts, qui laissent entendre qu'il y a 1. un problème fondamental, voire une crise ; 2. urgence d'agir, et donc ; 3. nécessité d'un coup de barre pour reprendre le contrôle et donner une direction claire. L'ennui, c'est qu'on n'a jamais trop compris quelle était la crise ni perçu l'urgence pour un gouvernement qui, par contre, tenait à donner des coups de barre, malgré la réprobation générale, pour bien affirmer son leadership. Quant au redressement national, il se fait toujours attendre…

De la petite enfance à l'université, la question de l'éducation a pourtant brillé par son absence durant la dernière campagne électorale. Et pour cause : reléguée à l'avant-dernière section de la plateforme électorale caquiste (à la page 40 !), ce qui est désormais « la priorité des priorités » semble en panne de projet pour les quatre prochaines années. Les grands jalons de son programme posés dans le premier mandat, la CAQ semble vouloir se satisfaire désormais d'une confortable gouvernance tranquille, plein cap sur la hausse des taux de diplomation. Position surprenante de la part d'un gouvernement ultra majoritaire, qui aurait pu se permettre davantage d'audace. Plus qu'une dissonance, l'absence de proposition structurée, claire et originale traduit un problème profond de vision pour une éducation qui n'a plus de priorité que le nom.

À la base : priorité à la refondation

Bien qu'invisible à l'œil du gouvernement, la crise de notre système éducatif s'avère pourtant de plus en plus évidente à celles et ceux qui réclament en conséquence depuis plusieurs années de faire de l'éducation une priorité nationale. Essentiellement, les espoirs formulés lors des États généraux en 1995-1996 ont été trahis par des gouvernements qui disaient avoir l'éducation pour priorité, à travers des politiques néolibérales et d'austérité, des réformes managériales, et l'arrimage du système éducatif à l'économie du savoir. Sur ces constats, une douzaine d'organisations syndicales et étudiantes réclamaient en 2008 que « l'État québécois assume pleinement ses responsabilités démocratiques et se dote d'une véritable politique nationale de l'éducation publique réellement fondée sur les valeurs humanistes de justice sociale, d'égalité des chances, de solidarité et de coopération. » [1]

À l'occasion des 50 ans du Rapport Parent, en 2013, Paul-Gérin Lajoie s'inquiétant des « inégalités éducatives et culturelles » persistantes, appelait à une nouvelle commission d'enquête pour un nouvel élan collectif : « une deuxième Révolution tranquille doit être mise en chantier pour assurer l'exercice du droit de tous les jeunes et des moins jeunes à une éducation de qualité » et « mobiliser la collectivité autour des injustices scolaires. » [2] L'idée de cette commission 2.0 a depuis fait son chemin dans l'espace public, notamment en réaction aux réformes de structures à l'emporte-pièce, aux politiques d'austérité ou au déni obstiné de reconnaître les effets ségrégatifs d'un système éducatif à trois vitesses.

Plus récemment, la pandémie de COVID-19 a mis au jour toutes les vulnérabilités de notre système scolaire, depuis la vétusté de ses équipements et infrastructures, jusqu'à sa gouvernance opaque et chancelante, en passant par l'insuffisance des moyens déployés pour accompagner les élèves à besoins particuliers, la difficulté du réseau public à soutenir et retenir ses élèves comme son personnel, pour n'en nommer que quelques-unes. Essoufflée, l'école québécoise semblerait craquer jusque dans ses fondations. La crise existe. L'urgence est là. La grande discussion collective sur les coups de barre à donner ne saurait attendre davantage.

Vers des forums citoyens…

Las du déni et de l'inaction gouvernementaux face aux problèmes de fond et devant l'absence d'orientations structurantes pour repositionner l'école québécoise, des groupes citoyens ont choisi de ne plus attendre après le gouvernement pour s'y attaquer. Créé en 2017, le collectif citoyen Debout pour l'école ! s'est donné comme mission de refaire de l'éducation un enjeu social et politique, accessible et discuté par la population, à qui les institutions scolaires et leurs finalités appartiennent. Rédigé par une centaine de ses membres, l'ouvrage Une autre école est possible et nécessaire [3] propose un diagnostic large des enjeux et défis actuels de l'école québécoise, et convie la population à réagir à la dérive marchande et à la dépossession de l'éducation dans une grande discussion nationale.

Cette discussion, les collectifs Debout pour l'école !, Je protège mon école publique, École ensemble, et Mouvement pour une éducation moderne et ouverte (MEMO) ont décidé de l'organiser en marge des autorités gouvernementales, avec le soutien de quelques dizaines d'organisations partenaires de la société civile. Dès le printemps 2023, et sous la gouverne d'un groupe de commissaires dont l'autorité et l'expertise sont reconnues, une vingtaine de forums citoyens se succéderont dans autant de villes à travers le Québec pour se porter à l'écoute de la population, recueillir ses idées, imaginer des solutions et dégager des consensus pour influencer les décideurs et politiques publiques. Des sujets importants y seront soumis à la discussion, tels que la mission de l'école québécoise face aux défis actuels et futurs, l'égalité des chances face au contexte de compétition scolaire, l'inclusion et l'adaptation de l'école à l'heure de la diversité sociale et culturelle, la reconnaissance et le soutien des personnels scolaires, la participation démocratique au sein du système scolaire face à la régulation managériale, etc.

Inédit, cet exercice invite certainement à une grande mobilisation citoyenne et à un acte de réappropriation de la chose éducative par la population du Québec. Plus encore, il faut qu'il puisse jeter les bases d'une véritable refondation de l'institution scolaire et d'un projet rassembleur, clairvoyant et structurant pour l'avenir de notre société.

Forger une priorité nationale ?

Ces dernières années, l'éducation est redevenue un enjeu important pour la population du Québec, une priorité sociale. Occupant davantage le débat public, elle réunit et met en mouvement des milliers de citoyens et citoyennes, parents ou membres de la communauté éducative autour de collectifs, de débats, d'idées. Pour un gouvernement qui se targue d'en faire sa priorité politique, ce devrait être un signal positif et une invitation à construire ensemble un édifice plus solide. Malheureusement, la CAQ a choisi d'abolir la démocratie scolaire et de renforcer l'opacité et les silos qui dépossèdent la population de son institution. François Legault avait rapidement fermé la porte à une commission Parent 2.0, se disant plutôt à l'étape de l'action. Il faut croire que les caquistes savent ce qui est bon pour l'éducation de la nation, et qu'ils ne s'abaisseront pas à en discuter avec elle. Ni en campagne électorale, ni jamais.

C'est dans ce contexte que Bernard Drainville s'installe au ministère de l'Éducation. Lui qui plaidait en 2011 que la classe politique et la gouvernance devaient se rapprocher des citoyens, dit ne pas fermer la porte pour l'instant à un grand rendez-vous pour parler des problèmes du système d'éducation, si cela peut permettre d'identifier des priorités d'action. Dès la fin de l'hiver, des forums citoyens clés en main lui seront offerts sur un plateau d'argent : définition des problèmes et des solutions incluse. À défaut d'avoir un plan ou un projet fort pour répondre à cette crise de l'éducation qu'il ne voit pas, le ministre serait bien avisé de se présenter dans un de ces forums où l'avenir de notre système d'éducation et de notre société pourrait bien se forger autour de celles et ceux qui font et vivent l'école. À lui de décider si la priorité des priorités gouvernementale est suffisamment prioritaire pour s'abreuver à la volonté populaire et en faire une réelle priorité nationale.


[1] Manifeste. Faire de l'éducation publique la priorité nationale du Québec, 2008, p.14. numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3748255

[2] Paul Gérin-Lajoie, « Je ne peux demeurer « tranquille », même à l'approche de mes 94 ans », Le Devoir, 21 septembre 2013.

[3] Collectif Debout pour l'école !, Une autre école est possible et nécessaire, Montréal, Del Busso Éditeur, 2022, 472 pages.

Photo : MR (CC BY-ND 2.0)

GA(F)AM : la tyrannie de la popularité

Si on compare les cinq géants technologiques par leur capitalisation boursière, Facebook arrive en dernière position. Difficile de quitter Facebook sans compromettre les liens (…)

Si on compare les cinq géants technologiques par leur capitalisation boursière, Facebook arrive en dernière position. Difficile de quitter Facebook sans compromettre les liens avec nos proches.

Le site est lancé dans la controverse en 2004 comme outil de réseautage entre étudiantes et étudiants d'Harvard. L'utilisation de photos sans consentement a presque mené son créateur à l'expulsion de l'université. Le site sera par la suite offert à d'autres universités américaines pour être ouvert au public à partir de 2006. Il sera rejoint par un nombre de personnes en croissance régulière pour atteindre aujourd'hui 2,7 milliards d'utilisateur·rices actif·ves mensuellement, soit approximativement un tiers de la population mondiale. C'est le troisième site Web le plus visité et il est utilisé par près de 6 internautes sur 10. Un site aussi populaire est une mine d'or publicitaire que le géant exploite au maximum. Ainsi, près de la totalité de ses revenus de 118 milliards $ US en 2021 proviennent de la publicité ciblée affichée sur ses différentes plateformes (Facebook, Instagram, WhatsApp). À l'instar des autres géants technologiques, Facebook a pratiqué pendant des années l'évitement fiscal à grande échelle.

Facebook a utilisé à maintes reprises l'achat de concurrents potentiels à coups de milliards pour conserver sa position dominante. Pensons notamment à Instagram en 2012 ou WhatsApp en 2014, le réseau de clavardage avec des centaines de millions d'usager·ères. Ces deux acquisitions ont placé Facebook dans une position dominante qui a mené en 2020 la Federal Trade Commission et une coalition d'états états-uniens à porter plainte pour pratiques anticoncurrentielles. La cause a été rejetée par le tribunal en 2021. Le géant a aussi absorbé plusieurs autres entreprises pour prendre le contrôle des technologies qu'elles ont développées. On pense par exemple à Face.com en 2012 pour la technologie de reconnaissance faciale qui sera intégrée aux fonctionnalités de Facebook et à Oculus VR, acheté en 2014 afin de mettre la main sur sa plateforme de réalité virtuelle. Le géant utilise enfin une stratégie qui lui est propre pour lutter contre les concurrents qu'elle ne peut acheter : utiliser à son avantage sa capacité à copier très rapidement leurs produits pour les intégrer dans les siens, espérant ainsi que la masse de ses usager·ères adopte sa copie plutôt que l'original de ses rivaux. Ce stratagème est par exemple celui adopté contre TikTok.

Après une croissance ininterrompue sur une décennie, Facebook cherche maintenant à se redéfinir pour faire face à la stagnation de son nombre d'utilisateurs et d'utilisatrices, notamment à cause de pertes grandissantes au profit de nouveaux concurrents. L'entreprise est aussi soumise à des règles plus sévères de protection de la vie privée qui limitent sa capacité à récolter l'information nécessaire à son lucratif ciblage publicitaire. Facebook décide de se rebaptiser « Meta Platforms ». Tout en maintenant ses plateformes actuelles, elle décide de développer ses activités dans le monde de la réalité virtuelle en cherchant à devenir une force centrale dans l'adoption du « metavers ». Celui-ci est un environnement virtuel et interactif à la croisée des réseaux sociaux et des jeux vidéo. Le PDG de Meta le conçoit d'ailleurs comme l'avenir d'Internet. Le géant présente le métavers comme une manière d'enrichir les contacts humains ayant lieu par l'entremise d'Internet, ce qui devrait lui faire occuper une place croissante dans nos vies. On peut cependant se questionner sur les effets potentiels d'une éventuelle adoption généralisée de l'univers virtuel de Meta, car il sera ultimement construit selon la vision capitaliste de la compagnie : monnaie électronique, marché spéculatif d'art et d'objets numériques mus par une rareté artificielle créée technologiquement, travail à distance dans des bureaux virtuels, surveillance patronale accrue, multiplication des occasions d'accumulation de données personnelles pour des fins publicitaires, etc. Le métavers de Meta est un projet qui n'est pas encore rentable et qui est accueilli avec scepticisme par divers analystes et même au sein de l'entreprise.

Un média perturbateur

L'arrivée des « médias sociaux » a été présentée dans les « médias traditionnels » comme une nouvelle curiosité technologique à décrire et à vulgariser avec un certain enthousiasme et peu de critiques. Cela n'a pas manqué d'alimenter la popularité des principales plateformes du genre comme Facebook et Twitter. Ironiquement, cette popularité a fini par détourner l'attention du public de la télé, de la radio et de la presse écrite en faveur des nouvelles plateformes, diminuant ainsi les revenus publicitaires des médias traditionnels. De plus, il est reconnu que le partage de contenus créés par les « anciens médias » contribue aux revenus publicitaires de Facebook et cie. Par exemple, Jean-Hugues Roy de l'école des médias de l'UQAM a estimé qu'en 2017 Facebook a reçu 23 millions $ en revenus publicitaires grâce aux médias du Québec et que le géant aurait dû leur donner en retour 11,5 millions $.

Dans plusieurs pays, dont le Canada avec l'actuel projet de loi C-18, on tente de mettre en place des lois visant à forcer les géants technologiques à partager leurs revenus publicitaires avec les médias créateurs de contenu. De telles règles ne font cependant que reconnaître la suprématie des plateformes les plus populaires, où les médias locaux doivent maintenant diffuser leurs contenus pour atteindre leurs publics, contribuant ainsi par rétroaction à la popularité − et aux revenus − de Facebook et de ses semblables.

Des expériences de manipulation sociale

Facebook a un immense pouvoir d'influence sociale, démontré par quelques expériences menées par l'entreprise visant à influencer l'humeur ou le comportement des usager·ères de ses sites. Ces expériences ont été dénoncées et critiquées, mais elles peuvent faire perdre de vue que l'expérimentation sociale est constante chez Facebook. Elle cherche depuis ses débuts à maximiser l'« engagement » des usager·ères, c'est-à-dire leur tendance à utiliser ses plateformes activement sur une base régulière. Cela est quantifié de différentes manières afin d'améliorer l'efficacité des annonces publicitaires. La valeur boursière de l'entreprise dépend tellement de cette mesure qu'elle est publiée dans ses rapports financiers.

À l'époque où Facebook atteignait la barre du milliard d'usager·ères, afin de s'assurer de poursuivre sa croissance, la compagnie a remplacé le travail d'expérimentation des ingénieur·euses visant à maximiser l'engagement par l'utilisation de l'intelligence artificielle. On analyse les données amassées pour créer des modèles qui seront premièrement testés à petite échelle afin de déterminer de quelle manière les mesures d'engagement sont modifiées pour ensuite être rejetées ou être utilisées sur l'ensemble du site. Ce cycle est maintenant répété régulièrement, de nouveaux modèles pouvant être testés quotidiennement.

Ces expériences peuvent avoir des effets collatéraux : l'engagement dans les discussions sur Facebook semble favorisé par la controverse et la désinformation. Ainsi, la plateforme propose à ses usager·ères de joindre des groupes où règne la controverse, ce qui va souvent de pair avec la circulation d'idées extrémistes. Amnistie internationale accuse d'ailleurs Meta d'avoir alimenté la haine envers les Rohingyas au Myanmar par l'effet de leurs choix algorithmiques, ce qui a encouragé la persécution des Rohingyas. Les messages haineux et les appels au meurtre ont été diffusés par la plateforme, qui mettra des années à intervenir.

Le principal produit de Meta étant sa connaissance fine de ce qui influence ses usager·ères, il n'est pas surprenant que ce pouvoir d'influence soit aussi utilisé à des fins politiques. C'est exactement l'activité de compagnie Cambridge Analytica, dont les services ont été utilisés par la campagne de Trump.

La double tyrannie

La tyrannie de la popularité de Facebook est double. La plateforme a été conçue à une époque où différents sites ont expérimenté pour trouver les meilleurs moyens de devenir populaires en nous présentant sur Internet le reflet de notre popularité personnelle. Facebook a sans doute été le site le plus habilement construit, au point où sa popularité est devenue une tyrannie tant il est difficile de sortir de son emprise. Il est impossible de passer à une plateforme moins populaire sans avoir l'impression de perdre contact avec ses proches, mais surtout de ne plus jouir de l'attention que notre cercle social nous procure à coups de petits signaux appréciatifs répétés

Terre-Neuve-Et-Labrador : Le pétrole au secours de l’écologie

Le 6 avril dernier, Steven Guilbeault donnait son aval au controversé mégaprojet pétrolier Bay du Nord au large de l'île de Terre-Neuve. Cette nouvelle a été accueillie très (…)

Le 6 avril dernier, Steven Guilbeault donnait son aval au controversé mégaprojet pétrolier Bay du Nord au large de l'île de Terre-Neuve. Cette nouvelle a été accueillie très favorablement par des milliers de personnes qui travaillent et dépendent de l'industrie pétrolière. Bien qu'une grande portion de la population de la province appuie le projet, un clivage social s'est creusé par rapport à ce dernier et a divisé cette province où l'extraction de ressources naturelles est toujours centrale.

Ce projet se veut l'un des plus ambitieux projets d'extraction pétrolière que le pays ait connus. La firme pétrolière norvégienne Equinor en est devenue responsable après avoir trouvé, en 2013, des gisements pétroliers à plus de 1 170 mètres de profondeur, sous le sol océanique et à 500 km au large de l'île de Terre-Neuve. D'autres gisements potentiels ont aussi été découverts entre 2016 et 2020 dans le même secteur. L'entreprise propose une exploitation pétrolière en cohérence avec sa vision d'un « futur neutre en carbone » [1] grâce à sa plateforme de forage pétrolier amovible plus performante que celles utilisées habituellement. Grâce à cette innovation, la province de Terre-Neuve-et-Labrador serait plus compétitive dans l'industrie pétrolière mondiale.

Solution au réchauffement climatique ?

Cette proposition a immédiatement piqué l'intérêt du gouvernement fédéral, qui a commandé une étude des potentiels impacts environnementaux. En 2022, l'Agence d'évaluation d'impact du Canada (AEIC) dépose son rapport concluant que l'extraction pétrolière du sol océanique « n'est pas susceptible d'entraîner des effets environnementaux négatifs importants ». Le projet est ensuite autorisé, sous réserve de mesures strictes visant à protéger l'environnement. Toujours selon l'AEIC, Bay du Nord cadre avec le plan du gouvernement fédéral d'atteindre la neutralité en carbone d'ici 2050. Le rapport stipule que : « le projet d'exploitation de Bay du Nord est un exemple de la façon dont le Canada peut tracer la voie à suivre pour produire de l'énergie à la plus faible intensité d'émissions possible tout en envisageant un avenir carboneutre. »

Même son de cloche du côté du premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, pour qui ce mégaprojet constitue une des solutions pour la transition écologique. « Notre gouvernement provincial a travaillé sans relâche pour défendre cette décision prudente du gouvernement fédéral, surtout que les bénéfices environnementaux et économiques du projet Bay du Nord sont maintenant clairs » [2], expliquait Andrew Furey le 6 avril 2022 dans un communiqué de presse par rapport à la décision positive d'Ottawa.

Ces deux exemples représentent bien la logique gouvernementale derrière ce projet. Le gouvernement fédéral, tout comme celui provincial à Terre-Neuve-et-Labrador, sont d'avis que l'extraction pétrolière peut être faite de manière à respecter les plans fédéraux en vigueur de réduction des émissions de gaz à effet de serre, sans contrevenir à l'objectif d'atteindre la carboneutralité dans les prochaines décennies. Cette logique est d'autant plus appuyée par l'idée que la population mondiale a toujours besoin de pétrole. Ceci permet de justifier la nécessité d'explorer et d'exploiter encore plus de gisements dans des milieux de plus en plus à risque.

« I Love NL Oil and Gas », et les autres

Avant même qu'Ottawa n'approuve le projet, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) avait déjà signalé l'impossibilité de réconcilier exploitation pétrolière et lutte au réchauffement climatique. En ce qui a trait à Bay du Nord, le GIEC avait estimé le potentiel de pollution de Bay du Nord de 7 à 10 millions de voitures à essence sur les routes chaque année, traduisant les risques d'une augmentation accrue des gaz à effet de serre émis au Canada. Cela n'a pas convaincu Ottawa de faire marche arrière sur le projet.

Deux camps irréconciliables se sont formés par rapport à ce projet : d'un côté celles et ceux qui croient que le projet est une bonne nouvelle sur le plan économique ; de l'autre, beaucoup moins nombreuses sont les personnes convaincues que ce projet est une erreur monumentale dans un monde où la crise climatique affecte un plus grand nombre de gens chaque année. Les détracteurs et détractrices du projet ne comptent que pour 8 % de la population de Terre-Neuve : une grande acceptabilité sociale se dégage de la province par rapport à ce projet extractif. Chacun des deux camps considère les priorités de l'autre comme étant responsable d'une potentielle réduction de la qualité de vie de la population de la province, mais les voix contre Bay du Nord peinent à se faire entendre dans l'espace public.

Je me suis entretenu avec deux militantes de la Social Justice Co-operative of Newfoundland-Labrador, une organisation communautaire de luttes aux inégalités sociales et économiques dans la province, pour mieux comprendre leurs positions face à ce projet pétrolier.

Pour Kerri Claire Neil, co-présidente de la Social Justice Co-op, le projet Bay du Nord a mené la population de la province à se politiser. Selon la militante, le secteur pétrolier mise sur le patriotisme terre-neuvien-et-labradorien pour justifier le projet, en utilisant notamment des stratégies de marketing, comme des vêtements ou des autocollants où l'on peut voir le slogan « I Love NL Oil & Gas ». Cela effraie beaucoup de gens qui souhaiteraient se positionner contre le projet ou simplement débattre du potentiel de ce dernier. « L'industrie mise sur ce sentiment de patriotisme avec des formules du genre “ Si vous ne supportez pas le projet, vous ne supportez pas la province ”. Ça fait en sorte que les écologistes et les gens qui sont contre Bay du Nord sont perçus comme des ennemis et sont souvent associés au socialisme et à la mauvaise santé financière de Terre-Neuve-et-Labrador », explique-t-elle. Cette peur est alimentée en outre par l'absence de perspectives pour les travailleurs et travailleuses, surtout dans le domaine pétrolier, où la propagande misant sur cette insécurité est palpable.

Ainsi, plusieurs progressistes ont qualifié l'approbation du projet Bay du Nord d'un manque de vision pour la province. Pour Sarah Sauvé, militante au sein de la Social Justice Co-op, l'absence de diversification économique et d'investissements dans de réelles alternatives énergétiques ne peut que rendre Terre-Neuve-et-Labrador plus vulnérable aux changements climatiques. De plus, les promesses faites par l'industrie pour alimenter l'approbation sociale face à leur projet ne sont bien souvent que des mots qui ne se concrétisent pas. Comme l'explique Sarah Sauvé, les engagements de l'industrie pétrolière afin de renflouer les coffres et payer les dettes de la province ne se sont jamais matérialisés, malgré tous les mégaprojets et toutes les promesses de retombées économiques. En quoi le projet Bay du Nord serait-il différent ?

Il faut aussi souligner la faiblesse des mouvements communautaires et sociaux qui pourraient contester Bay du Nord dans la province. Ce qui fait la force de la Social Justice Co-op dans ses luttes sociales contre le projet Bay du Nord, c'est qu'elle est un mouvement populaire entièrement financé par la base, contrairement à la majorité des autres organismes, qui sont subventionnés par le gouvernement. « Puisque les autres organismes reçoivent l'argent du gouvernement propétrole et pro-Bay du Nord, ils doivent faire des compromis et adopter des postures moins critiques, ce qui nuit à la contestation du projet et donne plus de raisons au gouvernement d'aller de l'avant », précise Kerri Claire Neil.

Ainsi, la coopérative est l'un des seuls groupes organisés qui peuvent protester contre le projet. Les militant·es au sein de l'organisation sont malgré tout marginaux·ales et marginalisé·es en raison de leur insistance sur un changement de paradigme énergétique et une juste transition écologique.


[1] Tel que décrit sur le site Web de l'entreprise Equinor, « The Bay du Nord project » : www.equinor.com/where-we-are/canada-bay-du-nord

[2] Gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, « Premier Furey and Minister Parsons Comment on Bay du Nord Development Project ». En ligne : www.gov.nl.ca/releases/2022/exec/0406n06/

David Beauchamp est journaliste et ancien résident de Terre-Neuve.

Photo : Kerri Claire Neil pour la Social Justice Co-op

Les Soulèvements du Fleuve

11 septembre 2024, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Les Soulèvements du Fleuve sont nés de la convergence de plusieurs luttes locales dispersées à travers divers (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local Les Soulèvements du Fleuve sont nés de la convergence de plusieurs luttes locales dispersées à travers divers territoires, avec pour ambition de mettre en mouvement un vaste réseau de résistance contre le développement industriel, (…)

La bataille de Saint-Léonard, un documentaire de Félix Rose

11 septembre 2024, par Par L'aut'journal
Assistez à la première du film le 14 septembre au cinéma Le Diamant à Québec dans le cadre du Festival de cinéma de la ville de Québec

Assistez à la première du film le 14 septembre au cinéma Le Diamant à Québec dans le cadre du Festival de cinéma de la ville de Québec

Quelques faits saillants (et scandales) de la carrière politique de Fitzgibbon

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2024/09/PierreFitzgibbon-topaz-1024x629.jpg10 septembre 2024, par Comité de Montreal
Alors que son parti connait une baisse importante dans les sondages, le superministre de la CAQ, Pierre Fitzgibbon a annoncé sa décision de quitter la vie politique après avoir (…)

Alors que son parti connait une baisse importante dans les sondages, le superministre de la CAQ, Pierre Fitzgibbon a annoncé sa décision de quitter la vie politique après avoir complété la moitié de son mandat. L'ancien comptable a présenté sa démission la semaine dernière à son ancien camarade (…)

Stoppons le financement du Fonds National Juif

10 septembre 2024, par Ghislaine Raymond — ,
Le 5 septembre dernier, Journée internationale de la charité instaurée par l'ONU dans le but de sensibiliser et mobiliser les acteurs de la société civile au besoin de lutter (…)

Le 5 septembre dernier, Journée internationale de la charité instaurée par l'ONU dans le but de sensibiliser et mobiliser les acteurs de la société civile au besoin de lutter contre les inégalités dans le monde, a été retenu par le Mouvement pour une Paix juste, l'Institut canadien de politique étrangère et Voix juives indépendantes, afin d'exiger la fin du financement au Canada au Fonds national juif (FNJ) et aux organismes similaires qui soutiennent le génocide du peuple palestinien qui a cours.

Des rassemblements ont été tenus dans 20 villes canadiennes devant les bureaux de l'Agence de revenu du Canada (ARC). Le statut d'organisme de charité a été révoqué au FNJ le 10 août dernier après plus d'une dizaine d'année de lutte. Toutefois le FNJ est en appel de cette décision et c'est pourquoi cette mobilisation pancanadienne s'est tenue.

À Montréal, une militante rappelait que le JNF Canada a depuis longtemps violé la loi fiscale canadienne et s'est soustrait aux réglementations gouvernementales. La révocation du statut d'organisme de charité au FNJ indique que cette victoire est le prélude à la poursuite de la lutte contre les nombreux organismes de bienfaisance au Canada qui continuent de soutenir les poussées expansionnistes israéliennes tant à Gaza, qu'en Cisjordanie et à Jérusalem Est grâce à leur statut d'organisme de charité qui leur est toujours octroyé.

Northvolt, développement durable ou pas endurable ?

10 septembre 2024, par Ellen Nutbrown — , ,
À la lumière des dernières informations recueillies dans Le Devoir, la situation avec l'usine Northvolt s'annonce périlleuse dans tous les sens du terme pour tout le monde. (1) (…)

À la lumière des dernières informations recueillies dans Le Devoir, la situation avec l'usine Northvolt s'annonce périlleuse dans tous les sens du terme pour tout le monde. (1)

Rappelons-nous les paroles même du Ministre de l'environnement, Benoit Charrette, qui disait : « on ne fait pas de BAPE, car ça n'aurait pas passé… », ou « si on avait fait un BAPE la compagnie serait allée aller ailleurs… ». En fait, si la compagnie était allée à New-York, nous aurions économisé 7 milliards de dollars et nous pourrions tout de même acheter leurs batteries.

Le BAPE n'aurait pas passé ; devrions-nous interpréter cela comme le projet n'a pas d'allure ou n'est pas assez bon ? En fait le gouvernement a changé la Loi afin de permettre à Northvolt d'échapper au BAPE. C'est alors qu'on nous a laissé entendre que la fenêtre requise pour l'implantation et la mise en production de l'usine Northvolt était étroite ; ils avaient un carnet de commandes et il n'y avait pas de temps à perdre dans cette course contre la montre pour aller vers le bon développement vert et « durable ». Cherchez l'erreur… maintenant lorsque la compagnie nous dit qu'elle doit revoir ses plans et se mettre sur pause momentanément afin de résoudre certains problèmes… ! Mais lesquels ?
La police suédoise enquête au sujet d'employés qui ont été victimes d'accidents. La presse anglophone relate quatre morts. La compagnie a dû ralentir. Leur carnet de commande est en train de se vider et d'autres compagnies optent pour les modèles de voitures hybrides.

Lors des séances tenues avec les citoyens de McMasterville et de St-Basile, les représentants du gouvernement ont maintes fois mentionné qu'ils n'avaient pas les réponses à nos questions et qu'il n'y a pas de normes pour ce genre d'industrie au Québec. Pas de normes ! Doit-on comprendre cela comme : ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent ! ? Ce serait un vœu pieux de penser que le bon gouvernement établira de bonnes normes, lorsqu'on sait qu'ils ont rehaussé les normes pour le nickel dans l'air près du port de Québec et pour plaire ou faciliter les choses à la Fonderie Horne. Cette fonderie est l'exemple criant que le Ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatique ne se tient pas debout.

Selon Northvolt qui a besoin de 9 milliards de litre d'eau annuellement, l'eau rejetée dans la rivière après avoir été utilisée dans son complexe industriel ne représentera pas de risque pour l'environnement, puisqu'elle sera « traitée par une usine de traitement sur le site ». Elle promet de se conformer aux « normes de rejet qui seront établies pour le projet de Northvolt Six selon la qualité de la rivière Richelieu à l'état actuel… Nous attendons patiemment de connaître ces normes… Et selon le directeur de la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP), M Branchaud, les informations que nous avons ne sont pas rassurantes. Le principe de précaution devrait s'appliquer pour le chevalier cuivré et il faudra faire beaucoup de tests avant de déterminer les rejets adéquats pour la faune (1) et j'ajouterais pour le citoyen qui boit l'eau de la rivière Richelieu. Fait à noter, le gouvernement Legault s'est opposé à la Loi de protection du chevalier cuivré en 2021, pour des raisons économiques. (2)

Le gouvernement nous a présenté Northvolt comme une compagnie exemplaire, mais elle accumule les calamités financières : on voit des gains privés et des pertes socialisées et c'est nous qui payons toutes les factures en bout de ligne.

« Aux larmes citoyens » n'est pas une option envisageable. Nous ne les laisserons pas saccager notre eau et notre environnement. Les armes que nous avons sont multiples : des plumes bien aiguisées, des langues bien pendues qui transmettent toute l'information et la vérité aux voisins et aux élus, en formulant toutes nos réticences et inquiétudes qui jusqu'à maintenant n'ont pas été prises en considérations : BAPE écarté, normes inexistantes ou rehaussement des niveaux pour divers contaminants dont le nickel. C'est inquiétant pour les abeilles qui y sont très sensibles et pour nos pommiculteurs dans la région qui ont besoin de ces pollinisateurs.

Nous avons sauvé les baleines avec l'invention du kérosène autour des années 1850. Ça ne veut pas dire que les baleines vont très bien. Et nous pourrions avoir à sauver les humains prochainement si nous ne pensons pas à nous développer de façon véritablement durable. Le nombre de claims miniers a bondi de 83,000 au cours de la dernière année, ce qui représente 10% du territoire. (3) Il est question de claims pour extraire le lithium, le cobalt, le nickel, le graphite et j'en passe.

Et encore une fois, si c'est nous qui devrons payer pour la décontamination de ces sites miniers, on est du bon monde ! Ecologie ou escrologie ! On a qu'à penser aux sous que Fitzgibbon donne à Nemaska Lithium. (4)

Il y a plusieurs années, Pierre Béland, écotoxicologue, ramassait des carcasses de bélugas le long du Fleuve St-Laurent et à quelques reprises il en a fait acheminer vers l'Institut Vétérinaire de St-Hyacinthe. Nous apprenions qu'un de ces bélugas était tellement contaminé, que le transporter aurait pu être illégal. C'est connu, les toxines s'accumulent dans nos tissus graisseux. Des études en témoignent. (5) Si Northvolt s'installe dans notre région, il n'y aura pas que les bélugas qui vont souffrir, mais toute la faune et les citoyens de la région. Pensez-y.

1. https://www.ledevoir.com/environnement/818950/northvolt-veut-pomper-neuf-milliards-litres-eau-annee-riviere-richelieu

2. https://www.ledevoir.com/environnement/604556/le-gouvernement-legault-s-est-oppose-a-la-protection-du-chevalier-cuivre-une-espece-en-peril

3. https://www.ledevoir.com/environnement/804467/environnement-boom-permis-exploration-miniere-2023-quebec

4. https://www.journaldemontreal.com/2020/08/24/le-gouvernement-du-quebec-reinvestit-dans-nemaska-lithium

5. https://baleinesendirect.org/nager-dans-un-fleuve-de-polluants-les-belugas-seraient-quatre-fois-plus-contamines-que-les-petits-rorquals/

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Québec solidaire, l’indépendance et la lutte dans l’État canadien

10 septembre 2024, par André Frappier — ,
Dans un communiqué envoyé récemment, la direction de Québec solidaire exprimait sa position concernant les élections fédérales à venir. Elle rappelait que les instances du (…)

Dans un communiqué envoyé récemment, la direction de Québec solidaire exprimait sa position concernant les élections fédérales à venir. Elle rappelait que les instances du parti n'appuyaient aucun parti ou candidature et que ce devoir d'impartialité s'appliquait à toutes les personnes élues et porte-paroles des instances locales et régionales.

Cette position n'est pas complètement différente de ce qui a été décidé par le passé, le CCN s'est toujours abstenu d'appuyer un parti politique lors des élections fédérales.

Lors du Conseil national de mars 2019 les membres avaient adopté la position suivante :
Il est proposé qu'en prévision des prochaines élections partielles fédérales et des
élections générales qui se tiendront à l'automne :
a) Les instances de Québec solidaire (Comité de coordination national, comités de
coordination régionaux et locaux, Aile parlementaire, etc.) n'appuient directement
ou indirectement aucun parti ou candidature ;
b) Que ce devoir d'impartialité s'applique également aux personnes élues des
instances nationales de Québec solidaire ainsi qu'aux porte-parole des instances
locales et régionales ;
c) Qu'aucune ressource humaine, logistique, informationnelle ou financière de
Québec solidaire et de ses instances ne soit mise à la disposition d'un parti
politique fédéral ;
d) Que les autres membres de Québec solidaire, sur une base individuelle, soient
invités à soutenir le parti qui représente le mieux leurs valeurs en s'engageant à y
défendre les principes et le projet de société de Québec solidaire.

Le problème majeur cependant, est que cette position évacue tout le débat politique concernant notre stratégie dans l'État canadien.

Par le passé, la direction de QS considérait important de se préoccuper de la solidarité avec les travailleurs et travailleuses et les mouvements sociaux du Reste du Canada, même si la consigne de vote est demeurée complexe au niveau fédéral.

Lors des élections de 2015 le CCN (dont je faisais partie) avait décidé ce qui suit : « Que dans le cadre de l'élection fédérale, QS intervienne publiquement sur les enjeux qu'il jugera prioritaire pour mettre de l'avant sa propre vision solidaire. Que QS continue à s'impliquer dans la solidarité des peuples dans l'État canadien sur des questions comme l'austérité et les changements climatiques et qu'il fasse la promotion du droit à l'autodétermination du Québec. On convient de la nécessité de faire le bilan de notre position de neutralité après la tenue des élections. »

Le CCN avait mis sur pied un sous-comité de réflexion qui avait produit le document suivant :

Texte du sous-comité de réflexion : A : Élections fédérales

« Quelle que soit notre position, les élections fédérales nous interpellent. D'une part parce que la politique fédérale nous concerne. Le débat engendré au Québec par les politiques conservatrices et le désir de chasser Harper le démontre. D'autre part il y a un lien politique et organisationnel évident entre le BQ et le PQ. La gouvernance fédéraliste vient compléter la gouvernance souverainiste. Il y a ici une confusion des genres. Le Bloc est une extension du PQ qui vient couvrir leur angle mort sur la scène fédérale, ce faisant il s'adresse en bonne partie à nos militants et militantes et à notre clientèle électorale. Pour ces raisons nous serons toujours la cible des bloquistes même si nous ne prenons pas position, ou plutôt parce-que nous ne prenons pas position pour eux. Il sera donc nécessaire de nous démarquer afin de sortir de notre position défensive. Il n'y a pas beaucoup d'issue, tenant compte de notre position d'abstention. Cependant si nous avons une position de neutralité quant à l'élection, nous ne sommes pas neutres en ce qui concerne les enjeux.

Nous pouvons mettre l'accent sur les enjeux énergétiques en démystifiant les positions des partis concernant le pétrole et Énergie Est.

Notre travail de solidarité avec les progressistes du reste du Canada et les peuples autochtones met en lumière notre vision différente de la souveraineté ; construire une solidarité des peuples contre l'austérité mais aussi solidaires de la lutte sociale pour la souveraineté au Québec. »

Le CCN avait ensuite adopté en décembre 2016 une résolution visant à formaliser le travail pancanadien :

« André Frappier présente le document déjà envoyé et les objectifs poursuivis. Cela fait deux ans qu'il a entamé ces travaux avec d'autres progressistes canadiens. Il fait également état des activités et conférences organisées régulièrement. L'expérience de Québec solidaire a su inspirer plusieurs groupes progressistes du reste du Canada. Ce serait bien que ce travail soit un peu plus formalisé et que ce dossier soit reconnu au sein du comité de coordination national. Ainsi, ce pourrait être d'autres personnes du CCN qui participe à ces activités et, si nécessaire, un soutien financier pourrait être accordé. »

« Que ce travail avec les progressistes canadiens soit formalisé en confiant cette responsabilité aux porte-parole (qui pourront déléguer au besoin) et qu'un budget soit accordé lorsqu'il y a représentation formelle au nom de QS. Qu'on informe autant que possible nos membres sur la gauche canadienne. »

Durant cette période plusieurs militants et militantes de QS, dont Amir Khadir, Benoit Renaud, Jessica Squires, Roger Rashi, Andrea Levy et moi-même, ont participé ou initié des conférences dans le Reste du Canada et travaillé à créer un réseau militant qui a duré quelques années.

Bien que cette résolution soit toujours valide, cette perspective a été mise de côté. Depuis 2018 la direction de QS n'a effectué aucun travail dans ce sens.

Quelles perspectives ?

Le changement de société que nous revendiquons ne peut se réaliser dans le cadre de l'État canadien, qui a démontré son rôle antidémocratique à plus d'une reprise envers les décisions du Québec. Le Canada est un État impérialiste où les partis bourgeois sont les accessoires, les portes tournantes entre les fonctions ministérielles et celles des chefs d'entreprise en font foi.

Plus de 75% des sociétés mondiales d'exploration ou d'exploitation minière ont leur siège social au Canada et près de 60% de celles cotées en Bourse s'enregistrent à Toronto à cause des avantages juridictionnels et réglementaires réservés par le Canada à ce secteur d'activité. L'ex premier ministre Brian Mulroney et l'investisseur Paul Desmarais ont fait partie du Conseil international de Barrick Gold, une des pétrolières présentes au Nigéria TG World Energy Corp. de Calgary était représentée par l'ancien premier ministre Jean Chrétien et Joe Clark a représenté les intérêts de First Quantum Mining en Afrique. [1]

Par son historique politique et culturel et d'oppression nationale, le Québec constitue le maillon faible où il est possible de réaliser un projet de société au moyen de l'indépendance. Mais ce projet ne se fera pas sans riposte. Le scandale du programme des commandites (1996 à 2004) dont les malversations avaient été révélées par la commission Gomery en 2004 n'est qu'un pâle exemple des capacités dont l'État canadien peut utiliser pour conserver le statu quo fédéral. Le love-in d'octobre 1995 à Montréal au moment du référendum du PQ, où des milliers de citoyens et citoyennes de Reste du Canada sont venus influencer le vote référendaire le démontre également. Parmi les milliers de personnes qui investissent le centre-ville de Montréal, on trouve des Néo-Brunswickois venus dans des autocars nolisés par la pétrolière Irving, des étudiants venus d'aussi loin que Vancouver grâce à un rabais de 90 % d'Air Canada, des employés de la municipalité d'Ottawa-Carleton qui ont obtenu un congé payé, etc. [2]

Pour contrer ces offensives, l'indépendance du Québec ne pourra se réaliser que par une mobilisation large de la population du Québec dans un projet de société démocratique, inclusif et égalitaire. Mais ce projet doit dès maintenant interpeller les progressistes de Reste du Canada au fait qu'ils ont intérêt à appuyer la lutte d'émancipation sociale au Québec et qu'il en va également de leur avenir. Dans ce combat, soutenir la bourgeoisie canadienne irait contre leurs propres intérêts.

Si les options soumises lors des élections fédérales ne sont pas appropriées et que le choix pour la direction de QS s'avère la neutralité, il demeure à tout le moins essentiel de construire un réseau de solidarité avec les progressistes du Reste du Canada et en lien avec les peuples autochtones. Il faut trouver des pistes alternatives, on ne peut pas seulement demeurer neutre et attendre que le train de droite nous passe dessus.

Nos camarades catalans de la CUP ont innové lors des deux dernières élections espagnoles et ont décidé de présenter leurs propres candidatures (en Catalogne). Au printemps dernier, j'ai tenté d'organiser une rencontre virtuelle avec ces camarades et des membres de la direction de QS afin de discuter avec eux des conclusions de leurs expériences. Le processus a finalement échoué par manque de disponibilité.

Il faut persévérer dans cette réflexion, s'inspirer des expériences internationales et trouver nos propres solutions alternatives. Chose certaine, avec la montée de l'extrême droite nous ne pouvons plus nous offrir le luxe de demeurer les bras croisés.

André Frappier

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[1] ( Paradis sous Terre, Alain Deneault, William Sacher)

[2] (Journal Métro 23 octobre 2015 Je me souviens de 1995 : Un élan d'amour controversé)

Les Soulèvements du fleuve : ces cousins québécois des luttes françaises

10 septembre 2024, par Clément Villaume — ,
Au Québec, le fleuve Saint-Laurent et ses berges sont artificialisés. Les collectifs de défense se regroupent au sein des Soulèvements du fleuve, inspirés des Soulèvements (…)

Au Québec, le fleuve Saint-Laurent et ses berges sont artificialisés. Les collectifs de défense se regroupent au sein des Soulèvements du fleuve, inspirés des Soulèvements français.

3 septembre 2024 | tiré du site reporterre.net

Du haut de ce talus en plein cœur de Montréal, nous sommes en équilibre entre deux mondes. D'un côté, le quartier de Maisonneuve, avec des enfants qui jouent, des gens qui se baladent dans la forêt, ce poumon vert qui accueille des chauves-souris, et la migration du papillon monarque, une espèce protégée. De l'autre, du béton, du macadam et des centaines de conteneurs de toutes les couleurs empilés sur des dizaines de mètres de hauteur.

« Ici, c'étaient des bois auparavant. C'est là que nos enfants ont appris à marcher. On faisait des pique-niques tous les week-ends. Aujourd'hui, il n'y a plus rien, tout est asphalté », dit Anaïs Houde, militante de Mobilisation 6600, un regroupement citoyen qui s'oppose à la réindustrialisation des berges du fleuve Saint-Laurent.

Agrandissement de ports, nouvelles autoroutes ou zones industrielles... Dans la province du Québec, les projets portés par le lobby de la logistique fleurissent — tout en bétonnant et privatisant les berges du fleuve. Depuis l'été, tous les collectifs en lutte contre cette Silicon Valley québécoise ont décidé de se regrouper à travers Les Soulèvements du fleuve, un mouvement inspiré des Soulèvements de la Terre en France. L'idée ? « Montrer que nous ne sommes pas des luttes locales isolées, mais que l'on se bat pour un enjeu global. Et au passage, fournir un discours théorique et politique sur ce que ce monde-là nous prépare », explique Joris Maillochon, lui aussi membre de Mobilisation 6600.

D'ici, on ne voit même pas le fleuve Saint-Laurent, pourtant tout près, caché par d'immenses grues. « Oh, un renard qui se balade au milieu des conteneurs », s'amuse Joris Maillochon. C'est une partie du boisé Steinberg, au sud de Montréal, que la compagnie privée Ray-Mont Logistics veut raser pour y implanter la plus grande plateforme de transbordement d'Amérique du Nord. Cette installation permettrait à l'entreprise de multiplier son activité par quinze.

Balance ton mégaport

Plus au nord de Montréal, le port de Contrecœur devrait, lui, doubler sa capacité actuelle, dans le but d'accueillir 1 million de conteneurs par an. « Pour cela, ils vont couper 22 000 arbres, c'est énorme, explique Gilles Dubois, militant d'une vigie citoyenne qui s'oppose à ce mégaprojet. Sans compter les milliers de camions qui vont venir ici chaque jour pour décharger des marchandises. »

À Lévis, petite ville en face de Québec, le Collectif Sauvetage veut sauvegarder 272 hectares de terres agricoles, de forêts et d'érablières vouées à disparaître pour un « complexe industriel et portuaire ». « Nous sommes près de superbes falaises, où je me balade souvent en kayak. C'est une bordure sauvage, sans aucun habitant, avec beaucoup d'arbres, de fleurs et d'animaux rares. Ce sont les terres de mes grands-parents. Rien à faire, ils veulent détruire encore et encore », souffle Michel Bégin-Lamy, militant du collectif.

Alors, les militants s'organisent. Le 16 juin dernier, après le camp climat organisé au boisé Steinberg, Les Soulèvements du fleuve sont entrés par effraction sur le terrain de la plateforme Ray-Mont Logistics pour « désarmer » le lieu. Ils ont, entre autres, couvert des engins de peinture, crevé des pneus et ouvert des conteneurs à la meuleuse.

À travers Les Soulèvements du fleuve, ces militants masqués veulent ouvrir la porte à une radicalité plus assumée. « L'action directe, pourquoi pas, ça permet de rendre les contradictions plus visibles. Mais la lutte ne peut pas être totalitaire, elle ne doit pas oublier le reste », analyse Gilles Dubois. « D'un côté, on organise des manifestations familiales et pacifistes, des barbecues, des ateliers, une foire paysanne, des jeux pour les enfants... Et de l'autre, des personnes masquées construisent un mur de briques sur un boulevard ou taguent des machines. C'est le fun de travailler ensemble », sourit Anaïs Houde.

« Quand j'ai vu ce que Les Soulèvements de la Terre ont fait cet été en bloquant le port de La Rochelle, j'étais vraiment impressionné, dit Joris Maillochon. Les militants sont allés jusqu'au bout de la chaîne pour montrer jusqu'où vont les dangers de l'agro-industrie. C'est cohérent et ça permet de peser dans les médias. On a compris qu'il fallait que l'on sorte de notre quartier pour gagner !

Sur le talus du boisé Steinberg, la présence des militants n'est pas la bienvenue. Une compagnie de sécurité privée surveille l'endroit 7j/7. Ils redescendent. En contrebas, les habitants des résidences voisines ont installé des pancartes sur des grilles : « Le port nous envahit », « Canopée en phase terminale » ou encore « Résister et fleurir ». Si le projet de plateforme logistique voit le jour, des dizaines de rails ferroviaires vont être construits ici. Au-dessus de nos têtes, un échangeur d'autoroute sortira de terre pour « fluidifier » le trafic. Les riverains s'inquiètent de l'augmentation de la circulation qui affecterait grandement la qualité de l'air.

Dans le bas Saint-Laurent, des militants s'opposent au prolongement de l'autoroute 20 entre Rimouski et Trois-Pistoles, un projet directement lié à l'explosion de l'activité économique en bord de fleuve. « C'est une question de santé mentale, explique Sébastien Rioux, du collectif Non à la 20. L'autoroute va passer juste à côté du village, là où les gens se baignent tous les jours. Ils se vantent de vouloir construire le plus haut pont du Québec. Quelle fierté, waouh ! »

Le silence complice du gouvernement

« À chaque fois, ce sont les pouvoirs publics qui construisent avec notre argent des infrastructures qui servent uniquement aux intérêts des grandes compagnies privées », se désole Joris Maillochon.

Pour l'agrandissement du port de Contrecœur, les gouvernements du Canada et du Québec vont, par exemple, investir plus de 1,4 milliard de dollars dans le cadre du plan de stratégie maritime « Avantage Saint-Laurent ». « On investit des milliards pour seulement créer un millier d'emplois, ce n'est rien du tout », argue Gilles Dubois.

Au boisé Steinberg, ancienne friche industrielle, le ministère de l'Environnement a même soutenu que raser la forêt et mettre de l'asphalte était la meilleure solution pour sauvegarder la faune et la flore. « Évidemment, quand il n'y a plus de nature, tout est protégé », ironise Anaïs Houde. Contacté, le ministère des Transports et de la mobilité durable du Québec n'a toujours pas répondu à notre demande d'interview.

Ces projets de bétonisation des berges du fleuve datent tous de plusieurs décennies. « On croirait que nos politiques sont encore dans les années 1950, où l'on pensait que la croissance économique allait sortir les gens de la pauvreté. Avec les enjeux écologiques actuels, cette logique-là ne tient plus la route », poursuit Gilles Dubois. « On veut réussir ici ce qui se passe en France, bien que la situation soit différente du point de vue colonial et historique, conclut Joris Maillochon. Créer des cortèges comprenant un large spectre qui va des élus et familles aux groupes anarchistes autonomes. C'est vraiment inspirant. »

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De Fitzgibbon à Fréchette : l’objectif de privatisation de l’électricité reste le même

10 septembre 2024, par Martine Ouellet — ,
À l'aube de l'étude du fumeux PL 69 sur la dépossession de notre bien commun qu'est l'électricité, nous venons de vivre un réel séisme politique et ce n'est pas un hasard. (…)

À l'aube de l'étude du fumeux PL 69 sur la dépossession de notre bien commun qu'est l'électricité, nous venons de vivre un réel séisme politique et ce n'est pas un hasard. Pierre Fitzgibbon, le père du projet de loi controversé, s'est fait montrer la porte qu'il avait lui-même entrouverte. Pour réussir à faire passer la couleuvre qu'est PL 69, le miel est de mise. La stratégie bulldozer du ministre aux propos provocateurs qui a permis à la CAQ d'opérer un siphonnage sans précédent de milliards et milliards de $ d'argent public vers des affairistes aux projets douteux a atteint ses limites.

Il a même réussi à avoir la réputation de ne pas avoir la « langue de bois », tant il s'amusait à mêler des vérités de la palisse et des faussetés. Un savant mélange qui ne faisait que détourner l'attention du public des véritables enjeux de privatisation du bien commun qui se jouent en coulisse.

Le choix de Christine Fréchette comme ministre remplaçante qui est aux antipodes de son prédécesseur démontre l'habileté des apparatchiks caquistes. Décrite comme studieuse et efficace, elle évite habilement de contredire le premier ministre. Elle a un ton plus posé et une attitude moins arrogante. Toutefois, cela ne devrait pas nous faire oublier que le changement de joueur vise principalement à faire baisser la pression de la mobilisation contre le PL 69 sans en changer les fondamentaux.

L'abandon du Pl 69 serait la meilleure solution

Marwah Rizqy du PLQ, QS ainsi que plusieurs groupes environnementaux, de consommateurs et syndicaux ont raison de demandé l'abandon pur et simple du pl 69 et la mise en place d'une vaste consultation publique sur l'énergie. Le PL 69 n'est tout simplement pas réformable. Malheureusement, la CAQ en choisissant de changer de porte-parole à la veille du début des audiences ne permet pas au mouvement de prendre l'ampleur nécessaire.

La seule alternative : filibuster le PL 69

Comme la CAQ est majoritaire, la seule chose que les oppositions contrôlent c'est le temps. Elles peuvent proposer amendement après amendement et utiliser tout le temps permis par député et ainsi aaaaallllllonger l'étude du projet de loi à ne plus finir. Il n'y a que le bâillon qui permettrait à la CAQ de couper court et de voter le PL 69. Or, cette procédure exceptionnelle ne peut être utilisée qu'une seule fois par session. C'est pourquoi il faudrait filibuster également un 2e projet de loi encore plus cher aux yeux de la CAQ, afin que le bâillon soit utilisé sur ce 2e projet de loi.

Comme ma demande de participer aux consultations du PL 69 a été refusée, j'offre mon aide à un ou des partis d'opposition qui voudrait filibuster le PL 69. J'ai acquis à l'Assemblée nationale une assez bonne expérience en ce domaine.

Martine Ouellet, ing., MBA

Cheffe de Climat Québec

Ancienne ministre des Ressources naturelles

SOURCES :

climat.quebec

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États-Unis - Harris, en quête d’une majorité, passe à droite

10 septembre 2024, par Dan La Botz — ,
La vice-présidente Kamala Harris, qui est désormais la candidate démocrate d'un parti enthousiaste, a connu un succès initial phénoménal. Hebdo L'Anticapitaliste - 719 (…)

La vice-présidente Kamala Harris, qui est désormais la candidate démocrate d'un parti enthousiaste, a connu un succès initial phénoménal.

Hebdo L'Anticapitaliste - 719 (05/09/2024)

Par Dan La Botz

Depuis son entrée en lice le 21 juillet, elle et son colistier, le gouverneur du Minnesota Tim Walz, ont levé 540 millions de dollars, organisé des appels Zoom impliquant des centaines de milliers de partisanEs et tenu des rassemblements de milliers de personnes. Les NoirEs, les Latinos, les femmes et les jeunes électeurEs sont à l'origine de sa montée en puissance. Son parti la soutenant fermement, elle s'est tournée vers la droite pour tenter de rallier les indépendants et peut-être même certains républicains.

Du centre à la droite

En tant que candidate à la présidence lors des primaires démocrates de 2020, Kamala Harris s'est d'abord présentée comme une progressiste. Mais lorsqu'elle a été critiquée, elle s'est rapprochée du centre libéral, puis a perdu des soutiens en raison de ses hésitations, et a finalement abandonné avant les élections primaires. Cette fois-ci, elle n'a pas l'intention de commettre une telle erreur. Elle est au centre et apprend à droite.

Dans son discours d'acceptation à la Convention nationale du parti démocrate (DNC), elle s'est montrée ardemment patriotique. L'Amérique, a-t-elle déclaré, « est la plus grande nation du monde » et « la plus grande démocratie de l'histoire du monde ». Elle a promis qu'« en tant que commandante en chef, je veillerai à ce que l'Amérique dispose toujours de la force de frappe la plus puissante et la plus meurtrière au monde. » Et elle a ajouté : « Je veillerai à ce que ce soit l'Amérique, et non la Chine, qui remporte la compétition du 21e siècle. Et que nous renforcions – et non abdiquions – notre leadership mondial ». Les organisateurs de la Convention ont veillé à ce que la salle soit remplie de milliers de drapeaux américains et à ce que les déléguéEs scandent « USA », deux caractéristiques ­généralement associées aux républicains.

Renoncements sociaux et écologiques

Kamala Harris a modéré ses positions antérieures sur plusieurs autres questions. Autrefois opposée à l'assurance maladie privée et partisane d'une assurance publique universelle, elle a abandonné cette position en 2020. Autrefois opposée à la fracturation hydraulique, elle l'accepte aujourd'hui car s'y opposer pourrait lui coûter l'État clé de Pennsylvanie, où cette activité est un élément important de l'économie et un pourvoyeur d'emplois. Elle a également soutenu la position selon laquelle toutes les voitures devraient avoir zéro émission d'ici à 2040, mais elle ne soutient plus l'idée d'une subvention pour les véhicules électriques. De même, après l'affaire Black Lives Matter, elle était favorable à la réduction des budgets de la police et à l'augmentation des fonds alloués aux services sociaux. Elle n'est plus favorable à la réduction des budgets de la police. Elle s'est d'abord opposée au mur frontalier de l'ancien président Donald Trump, puis, lorsque le président Joe Biden a accepté l'idée, elle a fait de même. Elle déclare aujourd'hui que si le projet de loi bipartisan prévoyant un mur frontalier est adopté par le Congrès, elle le signera. En 2020, elle a soutenu un programme de rachat obligatoire des armes d'assaut de type militaire (Lillis et Schnell, « 5 issues », The Hill, 29/08/24)

La question de la Palestine

À propos du Moyen-Orient, elle adhère au soutien de Biden à Israël tout en soutenant nominalement un cessez-le-feu. Elle a déclaré dans son discours d'acceptation : « Le président Biden et moi-même nous efforçons de mettre fin à cette guerre afin qu'Israël soit en sécurité, que les otages soient libérés, que les souffrances à Gaza cessent et que le peuple palestinien puisse exercer son droit à la dignité. À la Sécurité. À la liberté. Et à l'autodétermination ». Des mots nobles. Mais ils ne sont accompagnés d'aucune proposition concrète susceptible d'aboutir à un tel résultat, comme la réduction de l'aide militaire à Israël.

L'approche de Harris semble fonctionner. Le dernier sondage réalisé par USA Today et Suffolk University montre qu'elle devance Trump de 48 % à 43 %, et qu'elle a mis en balance quatre États qui penchaient auparavant en faveur de Trump : l'Arizona, la Géorgie, le Nevada et la Caroline du Nord. Tous ces États sont déterminants pour l'élection. Harris et Trump débattront le 10 septembre.

Avant l'entrée en lice de Harris, des centaines de milliers d'électeurEs du Parti démocrate opposéEs à la politique des États-Unis à l'égard de la Palestine ont voté sans s'engager lors des élections primaires. La question de savoir comment ils voteront lors de l'élection du mardi 5 novembre reste ouverte. Malgré toutes les positions problématiques de Harris, elle reste le seul moyen de vaincre Trump.

Dan La Botz, traduit par la rédaction

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Les Olympiques du climat

10 septembre 2024, par Jacques Benoit — , ,
Alors que Paris a célébré les Jeux olympiques et paralympiques pendant quelques semaines, les Olympiques du climat, eux, se déroulent chaque jour partout dans le monde et se (…)

Alors que Paris a célébré les Jeux olympiques et paralympiques pendant quelques semaines, les Olympiques du climat, eux, se déroulent chaque jour partout dans le monde et se poursuivront pendant les années à venir.

Jacques Benoit,
Co-initiateur de la Déclaration citoyenne universelle d'urgence climatique - DUC
Co-rédacteur duPlan de la DUC
Membre de GMob.

Et le Canada y bat un à un ses propres records. Parmi les “médailles d'or” climatiques canadiennes 2024, on retrouve :

le plus grand incendie de forêt en 100 ans dans le parc national de Jasper,qui a rasé 30 % de la ville touristique du même nom ;
• des grêlons de la taille d'un œuf de poule qui ont endommagé biens privés et publics, dont une partie de l'aéroport international de Calgary ;
• des pluies diluviennes qui se sont abattues au Québec battant tous les records existants, 194 municipalités touchées par les inondations,70 000 réclamations comptabilisées au 22 août, des factures de plusieurs millions de dollars pour les assureurs qui entraîneront des hausses de primes et de franchises, 170 routes endommagées, l'autoroute 13 fermée, plusieurs municipalités sans eau courante, l'état d'urgence déclarée en plusieurs endroits, sans compter les effets sous-estimés sur la santé mentale des sinistré.e.s.

À quand la prochaine fois ? À quelle fréquence ? Quelle durée ? Et sous quelle forme : canicule ? Sécheresse ? Inondation ? Tornade ? Même pandémie ?… Impossible de le prédire, mais ça se reproduira, n'en doutons pas.

Ces extrêmes découlent du réchauffement climatique causé par nos émissions de gaz à effet de serre (GES), qu'on ne cesse d'accroître. L'Accord de Paris pour contrer les changements climatiques signé il y a dix ans visait à ce que l'augmentation de la température planétaire ne dépasse pas 2 °C d'ici 2100, bien en dessous de 1,5 °C. Conséquemment, il fallait réduire fortement et rapidement nos émissions de GES. Cette infographie de 2019 du Programme des Nations Unies pour l'Environnement montrait bien que plus on perd de temps, plus les efforts à fournir seraient élevés.

Mais nos gouvernements ont préféré répéter que nous devions nous adapter. Or, vouloir s'adapter sans s'attaquer aux causes est un cul-de-sac. Avant le 9 août, il y a eu Baie-Saint-Paul en 2023, les inondations de 2019, de2017, etc.

Oubliez 2100 : nous nous dirigeons plutôt vers une augmentation de 1,5 °C aussitôt qu'en 2025, pouvant atteindre 2 °C avant 2040, comme nous en ont alerté des scientifiques australiens en 2020 !

Nos gouvernements de tous les paliers doivent prendre leurs responsabilités et agir pour que l'addition de tous les gestes individuels de leurs citoyen.ne.s ne soit pas annulée par des actions irréfléchies, le plus souvent celles des acteurs économiques.

Le gouvernement Trudeau a fait beaucoup de déclarations climatiques ici et à l'international, mais la réalité est que sous son règne, parmi les pays du G20, le Canada arrive au deuxième rang de ceux qui financent le plus les projets de combustibles fossilesavec des fonds publics.

Ayons cela en tête en repensant à sa visite à la mairesse de Longueuil le 22 février 2023.
Couvrant l'événement, LeCourrier du Sud écrivait que le premier ministre se considérait « aligné [avec la mairesse] sur plusieurs dossiers, comme ceux de la lutte aux changements climatiques… »

Sa visite avait débuté par l'atterrissage de son avion à l'Aéroport de Saint-Hubert moins d'une semaine avant une conférence de presse où la mairesse trônait fièrement pour annoncer le développement de ce même aéroport.

Sachant que l'aviation commerciale est responsable de 3 % à 6 % du réchauffementclimatique mondial, on comprend mieux en quoi le premier ministre et la mairesse s'entendaient si bien sur la lutte aux changements climatiques. Malgré leurs vertes déclarations, leur message était « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! »

Parce qu'en soutenant un développement de l'aéroport qui fera passer de 11 000 à 4 millions le nombre de passagers par année, qui se traduira par plus d'une centaine de vols par jour, 6 à 8 vols par heure, la mairesse soutient une hausse importante de la pollution atmosphérique affectant sa population et une augmentation des émissions de GES qui fera disparaître tout effet positif de son plan climatique à venir, pour lequel elle a reçu 3,1 M$ de Québec, le montant le plus élevé du programme "Accélérerla transition climatique locale".

Si dans les 30 dernières années, la consommation de kérosène des avions a diminué de 70 %, le trafic, lui, a été multiplié par 13 et devrait tripler d'ici 2050, selon Mehran Ebrahimi, directeur de l'Observatoire international de l'aéronautique et de l'aviation civile et… directeur scientifique de l'aéroport Saint-Hubert !

L'avion électrique, qui fait étinceler les yeux de la mairesse quand elle parle de sa Zone d'innovation aéroportuaire, c'est comme la capture du carbone pour le gouvernement Trudeau : ça paraît bien sur papier et dans des déclarations, mais c'est un gouffre à argent public et c'est totalement insuffisant pour le défi climatique auquel nous faisons face. Au mieux, ça prendra des décennies à se réaliser, des décennies que nous n'avons pas dans la lutte aux changements climatiques.

Ça suffit !

La mairesse devrait se souvenir à quoi devait servir la chaise des générations qu'elle avait commandée à Mères au front Rive-Sud et fait placer dans la salle du Conseil municipal : à rappeler aux dirigeant.e.s que le futur des enfants se dessine à travers les décisions prises aujourd'hui.

Alors s'il vous plaît, monsieur Trudeau, madame la mairesse : exit discours, excuses, projets inutiles et nuisibles.

Place à l'action conséquente pour que nos enfants aient un futur possible.

4 septembre 2024

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La Grande transition 2025 : Raviver les solidarités post-capitalistes

10 septembre 2024, par La Grande transition 2025 — , ,
Le Collectif La Grande transition appelle toutes les personnes souhaitant construire un avenir plus juste à proposer des activités pour la cinquième édition de sa conférence (…)

Le Collectif La Grande transition appelle toutes les personnes souhaitant construire un avenir plus juste à proposer des activités pour la cinquième édition de sa conférence internationale. Celle-ci vise à réfléchir ensemble aux manières de renforcer les gauches, les mouvements sociaux et les groupes militants, tant dans leurs pratiques que dans leurs analyses théoriques. Cette année, La Grande transition s'inscrit dans le cadre du premier Forum social mondial des intersections, qui invite au décloisonnement des luttes, aux rencontres, aux alliances, aux fronts communs élargis.

Tiré d'Alter-Québec.

Le monde brûle. Les feux de forêt, les sécheresses et les inondations se multiplient à travers le monde. L'État israélien massacre la population palestinienne avec la complicité des puissances occidentales, mettant à risque la région. Les inégalités augmentent un peu partout sur la planète. Des gens sont évincés de leur logement et d'autres peinent à payer leur loyer tandis que les propriétaires s'enrichissent. L'épicerie coûte de plus en plus cher alors que les grands commerces d'alimentation réalisent des profits records. Des migrant·e·s se noient en traversant le Rio Grande et la Méditerranée pendant que leurs confrères et leurs consœurs sont exploité·e·s et sous-payé·e·s dans les champs, les entrepôts et les hôpitaux du Nord global.

Il est de plus en plus urgent de mettre en œuvre des solutions de gauche radicale : socialiser les moyens de production ; créer des coopératives de travail et de consommation ; verdir et désasphalter nos milieux de vie ; développer des logements hors marché ; décentraliser le pouvoir ; partager collectivement le travail de soins ; démilitariser nos sociétés. Ces mesures apparaissent comme le minimum nécessaire pour créer les conditions d'une vie décente pour toutes et tous. Il semble évident que le capitalisme, le patriarcat et le colonialisme doivent être démantelés.

Pourtant, la droite autoritaire et l'extrême droite montent en puissance. Elles ont pris le pouvoir dans plusieurs pays ; elles sont aux portes du pouvoir dans plusieurs autres. Comme elles l'ont toujours fait, elles détournent l'attention des vrais problèmes en s'attaquant à des boucs émissaires comme les personnes racisées ou les personnes LGBTQ+. Même si elles poursuivent des politiques favorables au grand capital, elles se donnent parfois une image « sociale » ou se drapent dans un discours soi-disant anti-élite. Force est d'admettre qu'elles réussissent à convaincre une partie des classes populaires.

La gauche a connu récemment certains succès électoraux et certaines mobilisations importantes, mais ses propositions les plus fortes peinent à s'imposer. Souvent, les mouvements politiques de gauche se cantonnent à la protection des acquis sociaux. Comment reprendre l'offensive ? Comment contrer à la fois le discours néolibéral et celui de l'extrême-droite ? Comment changer le rapport de forces pour que les idées et les pratiques de gauche s'implantent durablement ?

La pandémie a brisé une vague de contestation qui semblait prendre de l'ampleur ; du Chili à Hong Kong, en passant par le Liban et le Soudan, des soulèvements populaires ébranlaient le pouvoir, et les manifestations climatiques rassemblaient de plus en plus de gens. Pour cette cinquième édition de la Grande transition, nous souhaitons retrouver cet élan et renouer avec l'énergie créatrice des mobilisations d'envergure.

Nous voulons aussi trouver des manières pour la gauche de rejoindre nos voisin·e·s, nos collègues et nos concitoyen·ne·s, de s'ancrer dans nos milieux de vie, de développer des liens de confiance avec ceux et celles qui nous entourent, de créer des communautés. Ces alliances seront nécessaires pour lutter contre l'exploitation et l'expropriation de masse, protéger nos espaces naturels et construire ensemble des quartiers et des villages vivants et habitables.

Raviver les solidarités post-capitalistes, c'est aussi reconnaître la richesse des expériences qui préfigurent le monde à bâtir. Il s'agit de s'inspirer par exemple des pratiques autochtones de protection du territoire, des communautés qui ont su mettre en œuvre une réelle autogestion ou encore des services publics démocratiques qui accroissent notre liberté et notre autonomie.

L'heure est venue de dépasser la critique pour s'organiser et aller de l'avant. Nous vous invitons à proposer pour la Grande transition 2025 des ateliers et des communications sur les tactiques, les stratégies, les bilans d'expériences passées et récentes et les modèles alternatifs qui nous aident à avancer vers un monde post-capitaliste.

Pour soumettre une activité cliquez ici

Comment contribuer ?

Nous encourageons les activités qui sortent du format « panel » classique : ateliers pratiques, partages d'expériences, discussions stratégiques, débats, mémoires de luttes, remue-méninges, performances artistiques et culturelles, actions militantes, etc. Les activités donnant la parole à plusieurs participant·e·s seront favorisées, mais les propositions individuelles seront aussi considérées. Nous accueillons avec un enthousiasme accru les soumissions provenant de personnes marginalisées et issues de la diversité. Il est possible que les propositions qui ne tiennent pas compte de cet idéal de diversité soient refusées. Notez aussi que nous encourageons les activités qui visent à initier le public à un thème dans une perspective d'éducation populaire. L'évènement sera principalement en français et en anglais. Nous avons hâte de lire vos idées les plus audacieuses !

Qu'est-ce que le Forum social mondial des intersections (FSMI) ?

Cette édition thématique du Forum social mondial promeut une conception de l'intersection en tant que démarche concrète pour favoriser des changements systémiques. Dans un contexte où l'intersectionnalité met en lumière les croisements entre oppressions et privilèges, il s'agit plutôt de créer des opportunités de co-apprentissage qui mènent à l'action, en décloisonnant les différents milieux tels que l'urbain et le rural, l'action environnementale et sociale, les féminismes et l'action climatique, l'académie et l'activisme, etc. Ce concept préconise une approche intergénérationnelle et relie les échelles locales et globales pour la multiplication de transformations profondes et inclusives.

Comme La Grande transition 2025 sera tenue dans le cadre du FSMI, nous vous invitons à soumettre des propositions qui s'inspirent de cette volonté de croiser des expériences et des expertises dans l'espoir de créer des solidarités post-capitalistes sans frontières.

Exemples de thèmes

Transformation du capitalisme à l'ère des changements climatiques

Décroissance, transition juste et création de nouveaux communs

Mouvements de solidarité internationale (Boycott, désinvestissement, sanctions contre l'État d'Israël (BDS) ; Black Lives Matter ; mouvements anti-paradis fiscaux, Marche mondiale des femmes, etc.)

Luttes syndicales et luttes pour le droit à la mobilité et à la dignité de travailleurs et travailleuses temporaires, de migrants et migrantes, de sans papiers

Mouvements pour le droit au logement et pour le droit à la ville, résistance contre des mégaprojets urbains

Initiatives locales et internationales d'émancipation, d'éducation populaire et de démocratisation

Luttes contre la hausse du coût de la vie, réponses collectives contre la pauvreté et l'exclusion

Coopératives d'habitation, squats, occupations et autres solutions contre la crise du logement

Bilans des campements de solidarité avec la Palestine

Mouvements pour la démilitarisation et contre la guerre

Blocages et résistance contre des projets écocidaires et extractivistes

Relations entre différents mouvements sociaux : créer des alliances, des convergences, élaborer des stratégies communes, mener ensemble des campagnes d'action

Définancement de la police et opposition à la répression

Réflexions sur le rapport de la gauche à l'État

Alternatives féministes, queers, décoloniales, antiracistes et anticapitalistes au système actuel

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Les inégalités en éducation persistent

10 septembre 2024, par Julien Poirier, Nathalie Chabot — , , ,
Malgré le mouvement de démocratisation qui a accompagné la mise en place des cégeps, il y a plus de 50 ans, le revenu et le niveau de scolarité des parents influencent encore (…)

Malgré le mouvement de démocratisation qui a accompagné la mise en place des cégeps, il y a plus de 50 ans, le revenu et le niveau de scolarité des parents influencent encore aujourd'hui l'accès aux études postsecondaires et la réussite des étudiantes et étudiants, révèle la seconde édition du Bulletin de l'égalité des chances en éducation, publié récemment par l'Observatoire québécois des inégalités.

Tiré de Ma CSQ cette semaine. L'auteur et l'autrice sont conseiller.ère.s. à la CSQ.

L'édition 2024 du Bulletin, qui présente une foule d'indicateurs clés de l'égalité des chances de la petite enfance à l'enseignement supérieur, met cette année l'accent sur les études postsecondaires grâce à une analyse thématique et à un sondage Léger sur les cégeps. Les données révèlent que « l'origine sociale affecte encore les trajectoires scolaires » des jeunes.

« C'est avec inquiétude que nous prenons connaissance des conclusions du plus récent Bulletin de l'égalité des chances en éducation. La réussite tout autant que l'accès peuvent et doivent être également accessibles à toutes les personnes étudiant dans nos cégeps », a dit la vice-présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Anne Dionne.

C'est d'ailleurs l'une des préoccupations qui est ressortie du Congrès de la CSQ tenu en juin dernier. Non seulement les obstacles à un accès juste et équitable à l'éducation doivent être levés, mais les étudiantes et étudiants doivent avoir des conditions de vie leur permettant d'achever leur parcours d'études.

À ce chapitre, l'Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur (ORES) propose, dans un dossier thématique au sujet de l'accessibilité financière aux études réalisé en 2023, des pistes de solutions qui méritent d'être prises en compte.

Regard sur la petite enfance et le préscolaire

Dans son Bulletin, l'Observatoire québécois des inégalités propose une nouvelle section sur le secteur de la petite enfance et met en lumière des données inédites permettant, notamment, de connaître la répartition des centres de la petite enfance selon l'indice de défavorisation matérielle et sociale des régions administratives.
Le Bulletin révèle que, depuis 2012, une augmentation graduelle de la proportion d'enfants dits vulnérables dans au moins un domaine de leur développement à la maternelle 5 ans est observée.

Remettre l'égalité des chances au cœur des préoccupations

Les constats tirés du Bulletin de l'égalité des chances en éducation rappellent l'importance des politiques éducatives et sociales destinées à contrer les inégalités. Le Bulletin est une source d'informations fiable et sérieuse qui peut assurément nourrir la réflexion collective en éducation dont le Québec a tant besoin.

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Le transport scolaire au Québec. Portrait d’un service public mis à mal

10 septembre 2024, par Colin Pratte — , ,
Au Québec, près de 580 000 élèves du primaire et du secondaire empruntent quotidiennement quelque 11 000 véhicules scolaires pour se déplacer vers leur école [1]. Depuis les (…)

Au Québec, près de 580 000 élèves du primaire et du secondaire empruntent quotidiennement quelque 11 000 véhicules scolaires pour se déplacer vers leur école [1]. Depuis les dernières années, on observe une augmentation des bris de service de transport scolaire, d'ailleurs rapportés périodiquement par des articles de presse [2]. La présente étude brosse un portrait de ce service public de transport en commun, justifié par ses récents bouleversements et le peu de documentation à jour pour comprendre les enjeux contemporains entourant le transport scolaire au Québec.

4 septembre 2024 | tiré du site de l'IRIS
https://iris-recherche.qc.ca/publications/transport-scolaire/

Pour lire l'ensemble de la recherche, cliquez sur l'icône :

Faits saillants

Les bris de service en transport scolaire au Québec ont été en moyenne de 200 par jour lors de l'année scolaire 2022-2023 et de 137 par jour en 2023-2024, soit une moyenne respective de 8 000 et 5 500 élèves sans service. Ces nombres contrastent avec les années précédentes, où les bris de service étaient exceptionnels. La pénurie de personnel et les conflits de travail sont les deux facteurs premiers de ces bris de service.

Les données du ministère des Finances du Québec démontrent que le taux de bénéfice moyen avant impôt des entreprises de transport scolaire a été de 13,5 % entre 2012 et 2019. Durant la même période, le taux de bénéfice moyen avant impôt des entreprises non financières au Canada a été de 6,5 %. Transport scolaire Sogesco, qui contrôle environ 12 % du marché québécois, affiche un taux de rendement moyen avant impôt de 15,5 % entre 2014 et 2023.

En 2011, un rapport du Vérificateur général du Québec estimait que 10 entreprises contrôlaient 35 % de l'industrie du transport scolaire au Québec, ce qui posait un risque financier important pour les finances publiques, d'autant plus que la quasi-totalité des contrats de service est toujours conclue de gré à gré. Les 10 premières entreprises de transport scolaire contrôle désormais environ 40 % du marché.

Certains projets pilotes de transport scolaire menés par les organismes scolaires eux-mêmes ont permis de diminuer les bris de service causés par un manque de personnel entre les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024 ; jusqu'à 95 % dans le cas du centre de services scolaire des Affluents, dans Lanaudière.

Le recours systématique à la sous-traitance privée est l'exception plutôt que la règle au Canada. La flotte de véhicules scolaires de plusieurs provinces canadiennes est en tout ou en partie publique. Afin de faire contrepoids à la concentration de l'industrie et de lutter durablement contre la pénurie de main-d'œuvre, l'État québécois devrait augmenter la proportion publique des véhicules scolaires, qui est à l'heure actuelle de moins de 1 %.

3. Conclusion et recommandations

Environ 40 % du marché du transport scolaire est contrôlé par 10 entreprises. Faute de mesures politiques conséquentes pour faire suite au rapport du VG en 2011, qui indiquait clairement une tendance à la concentration de l'industrie, la situation s'est aggravée depuis. Les données présentées dans cette étude démontrent une prise de bénéfice importante de la part du secteur privé.

Comparativement au rendement raisonnable moyen de 8 % avancé par la firme comptable Deloitte pour ce secteur économique, certaines entreprises obtiennent un taux de rendement moyen doublement supérieur. Afin de contrer cette dynamique et de freiner l'oligopolisation de l'industrie du transport scolaire, des efforts de décentralisation doivent être accomplis. À cet égard, et à partir des modèles pratiqués dans d'autres provinces canadiennes et par certains organismes scolaires du Québec, l'État doit faire contrepoids au secteur privé en augmentant la proportion de véhicules scolaires détenus par le public.

Dans un contexte de ruptures de service de transport scolaire, il importe de réitérer les mérites de ce service public. En plus de ses bienfaits écologiques, par sa qualité de transport collectif, le transport scolaire est un mode 72 fois plus sécuritaire que le transport à l'école par automobile62. Sa gratuité est également un atout pour la fréquentation scolaire et l'inclusion sociale, particulièrement pour les ménages moins nantis qui peuvent ne pas avoir accès à d'autres modes de transport alternatif pour assurer les déplacements scolaires des enfants et adolescent·e·s. Une étude en ce sens aux États-Unis a révélé la prévalence des familles à faible revenu dans le recours au service de transport scolaire, ce qui, à notre connaissance, n'a pas été accompli à ce jour au Canada63.

Les analyses présentées dans ce document ont abordé divers aspects du transport scolaire au Québec et permettent de dresser les constats suivants :

  • Les interruptions de service, à raison de plus ou moins 170 par jour scolaire dans les deux dernières années, sont principalement attribuables à des questions de main-d'œuvre.
  • Il n'existe pas de procédure et de norme communes de compilation des bris de service à l'échelle du Québec.
  • Le nombre de détenteurs et détentrices de certificat de compétence de transport scolaire semble engagé dans une tendance baissière. La proprotion des conducteurs et conductrices âgé·e·s de 55 ans et plus atteint désormais près de 70 %.
  • À ce jour, l'approche des primes salariales a constitué la principale réponse des pouvoirs publics à l'égard des bris de service systémiques.
  • Les entreprises de transport scolaire affirment qu'elles ne disposent pas de marge de manœuvre financière et réclament du financement public supplémentaire. Pourtant :
  • Le ratio entre les bénéfices nets avant impôts et les revenus bruts des entreprises privées de transport scolaire ont avoisiné 13,5 % durant la période de 2012 à 2019, soit un taux supérieur à la norme proposée par une étude de la firme comptable Deloitte en 2008.
  • Durant la période de 2019 à 2023, le taux moyen des bénéfices nets avant impôt sur les revenus bruts a été de 16,86 % pour l'entreprise Transport scolaire Sogesco, le plus important transporteur du Québec.
  • Les avertissements du VG émis en 2011 à propos des risques posés par la concentration du marché du transport scolaire au Québec sont demeurés lettre morte. Selon nos estimations, les 10 entreprises de transport scolaire les plus importantes contrôlent désormais environ 40 % du marché, comparativement à 35 % en 2011. Les acquisitions récentes d'entreprises de transport scolaire par de grands groupes indiquent qu'en l'absence d'intervention politico-économique, l'oligopolisation de l'industrie du transport scolaire se poursuivra dans les années à venir et représentera un risque accru lors du renouvellement des règles budgétaires du transport scolaire en 2027-2028.
  • Le rehaussement sans condition du financement public du transport scolaire ainsi que le programme de primes salariales comportent le risque de subventionner les profits du secteur privé, de plus en plus composé de fonds d'investissements privés étrangers.
  • Au Canada, le modèle économique et politique du transport scolaire est majoritairement public, et la sous-traitance systématique est, au vu des informations disponibles, le fait des seules provinces de Québec et de l'Ontario.
  • Le gouvernement du Québec a entrepris, de concert avec certains CSS, et malgré l'opposition des transporteurs privés, des projets pilotes de transport scolaire en régie. Cette initiative a eu des effets positifs marqués : les bris de service du CSS des Affluents, dans Lanaudière, ont diminué de 95 % entre les années 2022-2023 et 2023-2024, c'est-à-dire qu'ils sont passés d'environ 6 500 bris à 324 pour l'année 2023-2024, en date du 21 mai.

Les réponses politiques aux constats ci-dessus sont complexifiées par le caractère de sous-traitance du transport scolaire, où les actifs de ce service public n'appartiennent pas à l'État. Une partie des problèmes constatés découlent d'ailleurs de cet aspect. Dans une perspective de résilience du réseau et de rééquilibrage des rapports de force entre une industrie de plus en plus concentrée et un État et des organismes scolaires dépendants de ceux-ci pour la prestation du service, la constitution progressive d'une flotte publique partielle ou totale représente une avenue de réforme porteuse, à l'instar d'autres provinces canadiennes. Voici la synthèse des recommandations évoquées dans les chapitres d'analyse de cette étude :

  • Établir une compilation détaillée des bris de service de transport scolaire à l'échelle du Québec, dans une perspective de meilleure compréhension et d'amélioration de ce service public.
  • Introduire une rémunération minimale des conducteurs et conductrices dans le cadre de l'élaboration quinquennale des règles budgétaires du transport scolaire, de manière à assurer des conditions de travail attractives et éviter le risque de subventionner un taux de surprofit privé en rehaussant sans condition le financement du transport scolaire.
  • Établir au sein du MEQ une politique de compilation d'informations relatives aux entreprises privées de transport scolaire – nombre, taille, circuits de transport scolaire sous contrat, informations aux états financiers – et rendre disponibles au public les informations pouvant l'être. Cette pratique constituerait une forme renouvelée de publication d'« indicateurs de gestion » produits jusqu'en 2012-2013 par le MEQ.
  • Étudier davantage les barrières à la concurrence et les causes de la prévalence des ententes de gré à gré entre les organismes scolaires et les transporteurs privés, afin d'envisager des politiques réglementaires de protection de la concurrence telles que celles entourant la disponibilité des cours d'entreposage de véhicules scolaires à proximité des organismes scolaires.
  • Profiter du renouvellement en cours du parc de véhicules scolaires dans le cadre de la politique d'électrification du secteur pour favoriser la détention publique des véhicules et le transport en régie. Cette approche est de nature à diminuer les risques économiques posés par la concentration progressive de l'industrie du transport scolaire, en plus de prévoir des conditions de travail accrues.
  • Faire l'acquisition publique d'entreprises de transport scolaire privées, surtout celles susceptibles d'être vendues à de grands groupes ; intégrer leurs actifs dans les organismes scolaires à proximité par le biais du transport en régie. Cette démarche peut contribuer à rééquilibrer le rapport de force entre l'industrie du transport scolaire et l'État pour les questions entourant la concentration croissante du marché.
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[1] Compilation des rapports financiers (TRAFICS) respectifs des 72 organismes scolaires du Québec pour l'année 2022-2023, tableau « Dépenses du transport quotidien ».

[2] AGENCE QMI, « Environ 1500 circuits d'autobus scolaires annulés depuis le début de l'année scolaire », Le Journal de Montréal, 7 octobre 2021, www.journaldemontreal.com/2021/10/07/environ-1500-circuits-dautobus-scolaires-annules-depuis-le-debut-de-lannee-scolaire-1.

Pour que l’humain demeure au cœur des services publics !

10 septembre 2024, par Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées , Collectif pour un Québec sans pauvreté, Fédération des mouvements personne d'abord du Québec , Le Front commun des personnes assistées sociales du Québec , Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) — , ,
Le Québec doit conserver des services publics en personne et maintenir des alternatives au numérique. Il doit garantir l'accès à des services de qualité pour tous et toutes en (…)

Le Québec doit conserver des services publics en personne et maintenir des alternatives au numérique. Il doit garantir l'accès à des services de qualité pour tous et toutes en simplifiant ses écrits, son langage et ses procédures et en humanisant ses services. Il faut également trouver des solutions pour remédier aux fractures numériques, notamment en offrant l'accès à Internet et aux outils numériques à faible coût.

On dit que le numérique ça facilite notre vie. Ce n'est pas vrai.
Personne participante de la Marée des Mots

Pour inscrire son enfant à la garderie, prendre un rendez-vous médical ou remplir des papiers administratifs, ça se passe de plus en plus en ligne. Quand tout fonctionne bien, c'est un gain de temps et d'énergie pour la plupart d'entre nous. Mais quand ça bogue, on est vite démunis derrière notre écran.

Pour les personnes qui rencontrent des difficultés avec les ordinateurs et Internet, tout devient encore plus complexe. Pour elles, le numérique, c'est un mur. Un mur infranchissable. Un mur qui exclut.

Et on ne parle pas d'une poignée de personnes. Les gens qui ont des difficultés avec le numérique sont plus nombreux qu'on ne le pense ! Il y a des personnes peu alphabétisées et en situation de pauvreté, des personnes immigrées, autochtones, des personnes en situation de handicap, des personnes âgées et même des jeunes !

Ça s'en vient compliqué la vie…
Personne participante de CLEF Mitis-Neigette

Depuis quelques années, le Québec accélère le virage numérique des services publics. D'ici 2025, il compte implanter l'Identité numérique, qui deviendra alors le premier point d'accès pour les services gouvernementaux1. Pourtant, plusieurs drapeaux rouges devraient alerter le gouvernement sur la faisabilité de ce projet. Par exemple, en 2022, il a dû reculer sur le déplacement en ligne du carnet de réclamation des personnes bénéficiaires de l'aide sociale, à la suite de la forte mobilisation des groupes qui les soutiennent2. On se souvient aussi du lancement chaotique de la SAAQclic au printemps 2023, qui a révélé les ratés d'une transition numérique faite à la va-vite, sans prendre en compte la réalité de la population3.

Le virage numérique restreint les droits de nombreuses personnes, notamment leur droit d'être informés et d'avoir accès aux services publics.

Avec la fermeture des guichets, le renvoi vers des boites vocales ou des formulaires en ligne, elles ont plus de difficultés à obtenir du soutien en personne ou au téléphone. Elles risquent de ne pas demander les services et aides auxquels elles ont droit par manque d'information, par incompréhension de l'information, mais aussi et surtout, parce qu'elles ont trop de difficultés à faire leurs démarches en ligne4. Ceci a de graves conséquences sur leurs revenus, leur état de santé et leur qualité de vie, qui dépendent justement des services et aides du gouvernement !

Je me sens mise à part dans la société.
Personne participante de la Maison populaire d'Argenteuil

On ne peut pas emprunter aveuglément la voie du numérique en laissant de côté les personnes qui en sont exclues !

Le Québec doit conserver des services publics en personne et maintenir des alternatives au numérique. Il doit garantir l'accès à des services de qualité pour tous et toutes en simplifiant ses écrits, son langage et ses procédures et en humanisant ses services. Il faut également trouver des solutions pour remédier aux fractures numériques, notamment en offrant l'accès à Internet et aux outils numériques à faible coût.

Ensemble, traversons l'écran pour que l'humain demeure au cœur des services publics !

Pour appuyer nos demandes et signer notre déclaration, rendez-vous sur : https://rgpaq.qc.ca/traversons#déclaration

Signataires
Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec
Collectif pour un Québec sans pauvreté
Fédération des mouvements personne d'abord du Québec
Front commun des personnes assistées sociales du Québec
Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées

Notes
1. https://www.lapresse.ca/contexte/2022-11-20/identite-numerique/une-solution-mille-interrogations.php
2.https://www.lesoleil.com/2022/11/27/dematerialisation-des-services-dassistance-sociale-des-effets-prejudiciables-0db6932fbff4a11d67a5496391198909/?fbclid=IwAR3NZym3kfyuuUHMUN8notWM1aCsdGfzkzGKgAtRVxiQHHi0bMp3tpbqD1c
3.https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1975312/saaq-automobiliste-delai-retard-portail-numerique
4.ACORN Canada, Barriers to digital equity in Canada, 2019, p.10. URL : https://acorncanada.org/resources/barriers-digital-equality-canada/.

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Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

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Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

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