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La nouvelle législation belge sur la prostitution : Distinguer la réalité de la fiction

En lisant les récents titres tels que « Les travailleuses du sexe belges bénéficient d'un congé de maternité et d'une pension en vertu d'une loi inédite », on pourrait penser que la Belgique est en train de réaliser une avancée positive sans précédent pour les femmes. Mais la réalité est quelque peu différente.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/18/la-nouvelle-legislation-belge-sur-la-prostitution-distinguer-la-realite-de-la-fiction/?jetpack_skip_subscription_popup
Une législation similaire est en place en Allemagne et en Nouvelle-Zélande depuis des années. Mais essayer de faire entrer une pratique fondamentalement exploiteuse et dangereuse dans le cadre du droit du travail ne la transforme pas en quelque chose de sain et de respectueux, à l'instar du métier de serveuse ou des soins de santé. Croire le contraire est un symptôme de pensée magique qui serait attachante chez un enfant en bas âge mais qui est férocement irresponsable chez un adulte.
Mais, la BBC a dit qu'elle allait assurer la sécurité des femmes, leur permettre de refuser des « clients » et leur accorder des avantages et des pensions. La BBC – la BBC ! – ne peut pas s'être trompée à ce point ? Mais en vérité, il y a une longue histoire de médias grand public qui se laissent convaincre par les intérêts particuliers. Il suffit de penser à la façon dont les barons du tabac et de l'amiante ont longtemps trompé la vigilance de tant de personnes. Et la BBC aurait-elle un dossier équilibré sur cette question ?
L'industrie de la sexploitation fait fortune. Non pas pour les femmes qui en sont la matière première, mais pour des tiers – proxénètes, trafiquants, tenanciers de maisons closes et grands sites web qui inondent les ondes de pornographie violente, misogyne et raciste et d'immenses catalogues de femmes que les hommes peuvent louer pour en user et en abuser sexuellement.
Tout comme les barons du tabac et de l'amiante, les proxénètes se sont emparés des institutions, des gouvernements et même des agences des Nations unies. Les organismes de financement, comme l'Open Society Foundation et ses filiales, la Fondation Bill et Melinda Gates, Mama Cash, la Fondation Ford et de nombreuses filiales des Nations unies, exigent souvent un soutien à la « décriminalisation du travail du sexe » comme condition d'obtention du financement.
En conséquence, les organisations de femmes qui ne soutiennent pas ce principe sont privées de financement et celles du Sud, en particulier, n'ont souvent pas les ressources nécessaires pour créer un site web et sont donc plus ou moins inconnues au niveau international. Les lobbyistes de l'industrie du sexe peuvent donc affirmer, sans sourciller, que « toutes les organisations dirigées par des travailleuses du sexe » soutiennent la « décriminalisation du travail sexuel ». Mais ils n'expliquent évidemment pas qu'ils entendent par là : la dépénalisation de l'ensemble de l'industrie, y compris les proxénètes et les tenanciers de maisons closes (aujourd'hui redéfinis comme « gérants »), la publicité et les clients. Ils pourraient dire haut et fort que, bien sûr, le trafic sexuel serait illégal, mais pas qu'ils l'ont redéfini de telle sorte que la plupart des trafiquants de sexe passeraient à travers les mailles du filet sans être inquiétés.
Malgré tous ces avantages – médias dociles, mainmise sur les principales institutions, financement généreux des fantassins, etc. -, les proxénètes ont essuyé de sérieux revers ces dernières années.
En septembre 2023, le Parlement européen a voté en faveur d'une résolution qui définit la prostitution comme une forme de violence, à la fois cause et conséquence de l'inégalité persistante entre les femmes et les hommes, et qui encourage les États membres à adopter une approche fondée sur le modèle nordique.
Cette année, Reem Alsalem, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence à l'égard des femmes, a présenté aux Nations unies un rapport novateur qui définit également la prostitution comme une forme de violence et plaide en faveur du modèle nordique. Elle a ensuite rédigé un excellent document de synthèse sur la lutte des femmes pour sortir de la prostitution et sur le soutien dont elles ont désespérément besoin.
Cette année encore, la Cour européenne des droits de l'homme a statué que la loi française sur le modèle nordique ne violait pas la Convention européenne des droits de l'homme.
Cette décision a évidemment porté un coup dur aux proxénètes et à ceux qui les encouragent, qui ont l'habitude de dominer le discours. Mais leurs problèmes remontent à plus loin. Il fut un temps, il y a une quinzaine d'années, où ils présentaient l'Allemagne comme le modèle que tous les pays devraient suivre.
Mais l'Allemagne, avec ses méga-bordels propres et efficaces et son million d'hommes payant pour des actes sexuels chaque jour, s'est révélée n'être pas si propre que cela. Il s'est avéré que ces méga-bordels étaient remplis de femmes migrantes, la plupart victimes de la traite des êtres humains depuis les régions les plus pauvres d'Europe de l'Est et d'Afrique subsaharienne, qui subissent des horreurs inimaginables, et qu'il existe une clandestinité rampante largement contrôlée par des syndicats du crime organisé et des gangs de motards. Les problèmes pour les femmes et pour la société étaient trop difficiles à ignorer, et les proxénètes ont donc changé leur fusil d'épaule.
L'Allemagne a une législation, ont-ils dit, ce qui signifie, comme l'a expliqué Franki Mirren, la meneuse de claques de l'industrie du sexe, que « le travail sexuel est contrôlé par le gouvernement et n'est légal que dans certaines conditions spécifiées par l'État ». Ce qui est vraiment le mieux pour les « travailleuses du sexe », insistent les proxénètes, c'est la décriminalisation qui, selon Mirren, implique « la suppression de toutes les lois spécifiques à la prostitution », comme cela a été mis en œuvre en Nouvelle-Zélande en 2003. Cela convenait au lobby des proxénètes, car la faible population de la Nouvelle-Zélande et son isolement géographique font qu'il est difficile pour le lobby de l'abolition de la prostitution, beaucoup moins bien financé, de contester les affirmations hyperboliques de son succès.
Mais nous avons contesté ces affirmations et un nombre croissant de femmes néo-zélandaises qui ont vécu l'expérience du système ont courageusement commencé à parler de sa réalité (voir les liens à la fin de cet article pour des exemples). Peu à peu, la prise de conscience du fait que le système néo-zélandais était lui aussi loin d'être parfait a commencé à se répandre.
Les abolitionnistes allemands·e ont compilé des données sur le nombre d'homicides commis par des proxénètes et des parieurs, sur des femmes impliquées dans la prostitution sous différents régimes. Nous avons dressé un tableau de ces données qui montre clairement que le nombre d'homicides est beaucoup plus élevé en Nouvelle-Zélande, avec son système décriminalisé, en Allemagne et aux Pays-Bas, avec leur système légalisé, qu'en Suède, en Norvège et en France, qui ont adopté le modèle nordique.
Il serait tentant de suggérer sur cette base que le modèle nordique est plus sûr pour les femmes. Mais la vérité est que la prostitution est l'activité la plus dangereuse au monde et que rien ne peut la rendre sûre. Ce que fait le modèle nordique, lorsqu'il est bien appliqué, c'est de réduire la taille de l'industrie, le nombre de femmes impliquées et le nombre d'hommes qui achètent des services sexuels, ce qui, heureusement, entraîne une diminution du nombre de meurtres.
En résumé, les proxénètes avaient un sérieux problème de relations publiques.
Leur solution ? La Belgique !
En 2022, la Belgique a dépénalisé la prostitution en fanfare : Le premier pays européen à dépénaliser la prostitution ! Le début d'une révolution européenne éclairée ! Et ainsi de suite.
Mais un peu plus d'un an plus tard, la Belgique a adopté une nouvelle législation sur le « travail du sexe » – la législation qui vient d'entrer en vigueur dans les articles triomphants de la BBC et d'autres. Mais attendez une minute – la caractéristique principale de la décriminalisation totale n'est-elle pas qu'il ne devrait pas y avoir de lois spécifiques à la prostitution ? Cela ne signifie-t-il pas que la Belgique n'a plus de décriminalisation et qu'elle a maintenant une légalisation Tout à fait. Mais qu'est-ce qui est gênant entre les proxénètes et leurs partisan·es ? S'ils disent que c'est la dépénalisation, alors c'est la dépénalisation, d'accord ?
Espace P, une organisation belge qui apporte son soutien aux « travailleuses du sexe », a utilement publié le texte de la nouvelle législation en anglais. Elle prévoit des contrats de travail légaux, qui donnent accès aux prestations de sécurité sociale habituelles des employé·es, ainsi qu'à certaines protections spéciales. Cela signifie que le gouvernement belge reconnaît désormais la prostitution comme un travail normal, même s'il nécessite quelques garanties supplémentaires.
L'une des principales garanties est que les « employeurs » ne peuvent pas obliger les « travailleuses du sexe » à « avoir des relations » avec un « client » spécifique ou à se livrer à une pratique spécifique, et qu'un tel refus ne peut pas être considéré comme une « rupture du contrat de travail et ne doit pas entraîner de conséquences négatives pour la “travailleuse du sexe” sur le plan de l'emploi ». Toutefois, si elle exerce ce droit de refus plus de dix fois en six mois, la loi prévoit des services de médiation pour aider à la résolution du problème.
Il reste à voir comment cela fonctionnera dans la pratique. Esther, survivante de la prostitution et experte politique du NMN, est sceptique. La loi ignore les forces du marché et la coercition causée par les exigences des acheteurs, et la manière dont cela se répercutera sur ce que les propriétaires de maisons closes considèrent comme des services normaux. Les femmes qui refusent certaines pratiques (comme la pénétration anale ou le fisting) risquent de ne plus trouver beaucoup d'acheteurs une fois que ces pratiques seront considérées comme des services normaux. Comment les propriétaires de maisons closes réagiront-ils à cette situation ? Pourront-ils même se maintenir à flot si les femmes refusent les actes sexuels dangereux popularisés par le porno en ligne ?
C'est un peu comme les femmes sur OnlyFans contraintes de faire des choses de plus en plus extrêmes à cause de la concurrence et de leur besoin de gagner de l'argent. Les trafiquants seront moins chers que les maisons closes en contraignant les femmes qu'ils contrôlent, qui n'auront pas de contrat de travail. Cela conduira soit à un système à deux vitesses (l'une des principales choses dont se plaignent les proxénètes et leurs meneurs dans le cadre de la « légalisation »), soit les propriétaires de maisons closes utiliseront leur pouvoir de persuasion pour s'assurer que les femmes qu'ils emploient ne refusent jamais une pratique, comme ils le font en Nouvelle-Zélande, ainsi qu'en a témoigné Chelsea Geddes.
Esther a résumé la situation : « Une femme seule avec un acheteur pourra-t-elle refuser un acte sexuel pour ces raisons ? Les personnes qui rédigent ces lois n'ont aucune idée de la manière dont la coercition et cette industrie fonctionnent réellement ».
Un autre problème est que, selon le système de sécurité sociale belge, vous n'avez pas droit aux allocations de chômage si vous quittez volontairement un emploi ou si vous refusez d'en accepter un qui vous est proposé. Quelles sont les conséquences de cette situation, maintenant que la prostitution est officiellement acceptée comme un travail normal ? Les chômeuses seront-elles contraintes d'accepter un emploi dans une maison close ? Les femmes qui quittent une maison close se verront-elles refuser les allocations de chômage et seront-elles donc contraintes de rester dans la prostitution contre leur gré ? Que signifierait le « droit » de refuser des actes sexuels spécifiques dans ces circonstances ? Nous supposons que cela ne signifie pas qu'elle peut refuser d'avoir des « relations » avec n'importe quel client tout en étant payée.
Dans cet article, nous n'avons abordé que quelques-unes des contradictions inhérentes à tout système de prostitution régularisé, que les proxénètes et leurs pom-pom girls préféreraient que nous ne soulignons pas. Esther a beaucoup écrit sur de nombreuses autres contradictions et sur le fait que la prostitution ne pourra jamais se conformer aux normes modernes de santé et de sécurité, aux réglementations en matière d'emploi et à la législation sur l'égalité. Prétendre que c'est le cas risque d'avoir des conséquences négatives pour les autres travailleurs et travailleuses et de conduire à un affaiblissement des normes, en particulier pour les femmes. Si une « travailleuse du sexe » fait des fellations dans le cadre de son contrat de travail, qu'est-ce qui empêcherait le patron de n'importe quelle autre entreprise d'inclure dans la description de votre travail le fait de faire des fellations à des clients importants et à des cadres ?
En définitive, ce nouveau développement est très éloigné de la prétendue libération proclamée si bruyamment. En réalité, elle inscrit dans la loi le droit des hommes à l'accès sexuel aux femmes et place les femmes dans une position de subordination par rapport aux hommes. Cela n'est pas compatible avec les aspirations d'une société démocratique moderne et égalitaire. C'est pourquoi nous demandons l'adoption du modèle nordique.
Témoignage des femmes néo-zélandaises
La réalité du commerce sexuel dépénalisé en Nouvelle-Zélande
Sur #DECRIM : Chelsea Geddes sur le système de prostitution dépénalisé de la Nouvelle-Zélande
« Je rêvais souvent de quelque chose de mieux, mais au fond de moi, j'ai toujours su que c'était un rêve
»
« Je crois que la prostitution légalisée renforce et enhardit les attitudes misogynes chez les hommes
»
Sara Smiles : Mon histoire dans le monde du viol rémunéré.
https://nordicmodelnow.org/2024/12/11/belgiums-new-prostitution-legislation-separating-fact-from-fiction/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Remettre le monde à l’endroit : point sur les i concernant la « prostitution des mineures », des enfants.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/10/remettre-le-monde-a-lendroit/?jetpack_skip_subscription_popup
Remettre le monde à l'endroit : point sur les i concernant la « prostitution des mineures », des enfants.
Si la prostitution des mineures est constamment dans les médias, la couverture du sujet a pour angle mort le trou béant qui existe entre la vie d'un enfant et celle des adultes ainsi que le rôle des adultes et de la société entière dans la construction et la protection des enfants.
On nous rebat les oreilles avec les chiffres accablants(20 000 enfants victimes ?) et les risques accrus présentés par les réseaux sociaux. On réfléchit aux facteurs de risque et à la population visée en mettant l'accent sur l'adolescente en situation difficile.
Les images choisies et le discours mentionnent des jeunes filles vulnérables comme si la vulnérabilité était la cause du problème et son explication. Leur vulnérabilité est présentée comme une porte d'entrée vers la prostitution… alors qu'en réalité elle n'en est que le moyen. Mais les enfants sont vulnérables, par définition ! Ce sont les adultes qui les exploitent.
Les enfants ne font qu'évoluer dans la société que nous, les adultes, créons. Et ce sont les adultes qui voient en eux des proies faciles et opportunes et abusent de leur vulnérabilité.
Les adultes gagnent de l'argent, connaissent le coût psychologique et humain de leurs actions, la stratégie de l'agresseur, le besoin dans l'adolescence de se sentir important, vu, valorisé. Ils savent la difficulté de cette période de la vie qu'ils ont déjà vécue. Surtout, ils savent mille fois plus de choses que les enfants sur la sexualité.
Ne nous méprenons pas : les enfants mis en situation de prostitution ne sont pas idiots, ou incapables d'accomplir des choses merveilleuses, ce n'est pas cela qu'on dit. Mais il faut du temps et de l'expérience pour apprécier l'existence du bien et du mal, la réalité de l'humanité et la bonté et la saleté humaine. Quand les expériences fondamentales d'un enfant tournent autour de personnes qui les considèrent comme des proies faciles pour leurs idées perverses, on ne peut pas construire un autre monde dans sa tête et, oui, on est sur-vulnérable. La vulnérabilité n'autorise pas les adultes à faire n'importe quoi. Depuis quand être vulnérable autorise l'autre (adulte ou enfant) à traiter un être humain comme un objet ou un moins que rien ?
Comme il est facile de trouver des annonces sur internet et de contacter « comme si de rien n'était » un proxénète ou un enfant, ou de trouver du contenu pédocriminel ! On dirait presque une pêche à la ligne de canard à la fête foraine. La prostitution des enfants en France, ce sont des chiffres faramineux mais pour chaque enfant, combien d'adultes pédocriminels et violeurs ?
Le monde à l'endroit
Pour chaque vidéo sur internet, combien d'hommes pervers à se masturber ? Combien d'adultes qui se sont dit que c'était acceptable ? Combien d'adultes pour s'exciter sexuellement exclusivement quand c'est une situation de contrainte ? Combien d'adultes se sont dit que ce n'est pas grave parce qu'ils lui donnent de l'argent de poche, lui qui n'a même pas l'âge d'être embauché pour un travail rémunéré ? Combien d'adultes se sont confortés dans leur choix en se disant qu'elle était « consentante » par la simple présence de l'enfant ? Combien d'adultes pour gâcher la vie des adultes de demain pour satisfaire leur perversité ?
La vulnérabilité des enfants n'est pas leur responsabilité et ils et elles n'en ont d'ailleurs souvent pas conscience, surtout pendant l'adolescence. Pourtant, ils et elles sont physiquement et psychologiquement différents des adultes. Il nous appartient de dire la vérité, pour remettre les adultes à leur place et regarder bien en face nos obligations et responsabilités et notre société.
Il faut remettre le monde à l'endroit !
A lire également :notre guide à destination des pros
Rosalie
https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/tribunes/le-monde-a-lendroit/
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Le début de l’IA populaire ?

Comme Prométhée qui a dérobé le feu aux dieux de l'Olympe pour en faire don aux humains, DeepSeek a donné l'IA à la population en général et surtout aux universitaires du monde entier en leur fournissant un puissant code source ouvert peu dispendieux capable de faire compétition aux géants de l'industrie.
En dévoilant officiellement son dernier né, DeepSeek-R1 le 20 janvier, le jour de l'investiture de Donald Trump, l'entreprise basée à Hangzhou dans l'est de la Chine, a révolutionné l'intelligence artificielle (IA). Le président américain qui a lancé Stargate, le plan IA sur cinq ans de 500 milliards de dollars, a qualifié l'arrivée de cette IA, de signal d'alarme pour l'industrie technologique américaine. En quelques jours DeepSeek-R1 a battu ChatGPT et est devenue l'application gratuite la plus téléchargée sur l'App Store américain d'Apple, se retrouvant parmi les cinq meilleures IA conversationnelles dans le classement de l'Université de Berkeley.
Changement de paradigme
Alors qu'OpenAI voulais augmenter significativement ses tarifs, DeepSeek-R1 a des prix 95 % inférieur. En rendant disponible au monde entier une IA ayant les capacités des meilleurs moteurs privés actuellement sur le marché à des coûts de l'ordre du million de dollars plutôt que du milliard, DeepSeek fait comme Prométhée et donne à la majorité des humains l'accès à une invention équivalente à celle du feu. Les universités, écoles de formation, petites entreprises et surdoués de toute la planète qui ne pouvaient que regardés envieux les puissantes entreprises informatiques développé ces outils à technologie privée qui étaient hors de porté de prix pour eux, ont déjà téléchargé par centaines de milliers le nouveau logiciel libre.
Les caractéristiques du logiciel sont tellement révolutionnaires qu'on pourrait avancer que c'est en janvier 2025 qu'est née l'IA populaire. L'ancien paradigme qu'il fallait avoir des milliards de dollars pour espérer créer quelque chose de valable en IA est maintenant mort et enterré. Le patron d'OpenAI, Sam Altman, a estimé il y a quelques jours que son entreprise est maintenant du « mauvais côté de l'Histoire » parce que son modèle d'intelligence artificielle (IA) n'est pas ouvert et que les développeurs ne peuvent pas les télécharger gratuitement et modifier leur code source.
Les gros se relèveront
Avec des entreprises comme Meta, Google, Microsoft, Nvidia et OpenAI, les États-Unis qui dominaient le secteur doivent maintenant se battre pour conserver leur première place. La diminution de 1000 milliards en quelques jours de leur valeur en bourse n'est qu'une perte à court terme pour les investisseurs de ces puissances de l'informatique. Plusieurs commencent déjà à se refaire. Ils profiteront comme toutes les autres parties prenantes de cette industrie de la très importante baisse des coûts de production.
Au cours du mois de janvier, Meta a indiqué qu'il dépenserait jusqu'à 65 milliards de dollars en 2025 pour étendre ses infrastructures d'IA. Microsoft pense investir 80 milliards cette année. Son patron Mark Zuckerberg a aussi annoncé « plusieurs centaines de milliards de dollars » d'investissements dans l'intelligence artificielle au cours des années à venir.
Pour sa part OpenAI, associé à Oracle et à SoftBank, a projeté d'injecter rapidement 100 milliards de dollars et jusqu'à 500 milliards au cours des prochaines années. Apple, qui était très en retard au niveau de l'IA, pourrait aussi profiter du nouveau paradigme pour se mettre à niveau.
En France, l'entreprise « Mistral AI », qui vient de lancer son propre nouveau modèle « Mistral Small 3 », voit un élément important et complémentaire de sa technologie dans DeepSeek-R1.
Les défis à régler de l'intelligence artificielle
Ce don aux humains ordinaires de la planète du Prométhée DeepSeek ne veut pas dire que tout est maintenant au beau fixe dans l'industrie de l'IA. Son empreinte environnementale augmente sans cesse. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), une requête sur ChatGPT consomme dix fois plus qu'une recherche sur Google, soit 2,9 Wh d'électricité. Or ChatGPT traite actuellement environ 1 milliard de requêtes par jour provenant de 300 millions d'utilisateurs hebdomadaires. Les fermes de serveurs ont consommé en 2023 environs 1,4 % de l'électrique mondial et cela pourrait monter à 3 % d'ici 2030. L'approvisionnement mondial en électricité pourrait donc devenir insuffisant d'ici aussi peu de temps qu'en 2027.
Les centres de données nécessitent par ailleurs des systèmes de refroidissement qui consomment beaucoup d'eau. On parle entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes d'eau en 2027. Selon une étude parue dans la revue scientifique Nature Computational Science, le matériel qui sert à la production de l'IA, comme les cartes mémoire, graphiques et les serveurs ont créés 2,600 tonnes de déchets électroniques en 2023 et pourrait atteindre 2,5 millions de tonnes en 2030.
Les robots conversationnels sont aussi sujets à des hallucinations. Celle baptisé Lucie en France a récemment du être retiré au bout de trois jours pour avoir fournis des calculs incohérents comme le poids d'un trou de gruyère et parlé d'œufs de vache. Un développeur informatique américain, Tyler Glaiel, a eu comme réponse d'une AI à la question « peut-on faire fondre des oeufs », que c'était possible et que la façon la plus courante était de le chauffer à l'aide d'une cuisinière ou d'un four à micro-ondes. Il y a aussi la possibilité que des hallucinations servent de références à des questions futures.
De plus, les réponses des IA peuvent être manipulées ou soumises à de la censure. Quand il est interrogé sur la crise du Covid, la censure en Chine ou les Ouïghours, DeepSeek R1 répond par des éléments de propagande chinoise.
Michel Gourd
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Intelligence artificielle : la surprise chinoise

Effondrement du marché boursier. Des pertes de plusieurs millions de dollars pour les entreprises technologiques. Surprise et stupéfaction face aux progrès de la Chine dans le domaine de l'intelligence artificielle. Le moment DeepSeek.
tiré de Viento Sur
https://vientosur.info/inteligencia-artificial-capitalismo-y-geopolitica/
Le 27 janvier, un tremblement de terre a traversé l'échiquier géopolitique international. Wall Street a vu les prix s'effondrer. À l'avant-garde de cet effondrement se trouvaient les actions des entreprises technologiques, qui ont entraîné le reste vers le bas, puis ont eu un impact sur les marchés boursiers mondiaux. Un vrai lundi noir. En quelques heures, les grandes entreprises technologiques ont perdu près de 1 000 milliards de dollars ce jour-là.
Qu'est-ce qui avait causé une telle dissolution ? L'annonce qu'une entreprise chinoise a mis sur le marché un assistant d'Intelligence Artificielle qui utilise des processeurs à faible coût, qui seraient plus efficaces dans le traitement des données et donc moins énergivores. Son coût de production est bien inférieur à celui de ses semblables d'origine américaine, tout comme son coût pour le public. Sinon, il est open source, ce qui signifie que tout utilisateur peut en savoir plus sur ses sources, voir comment l'algorithme a été construit et même l'adapter à ses besoins.
Cependant, DeepSeek R1 n'est pas sans restrictions. Par exemple, pour « éviter les contenus qui menacent la sécurité nationale », il ne donne pas d'informations sur la place Tiananmen ou Taïwan. En outre, les services sont réglementés de manière à ce que « les valeurs socialistes fondamentales soient respectées »
Le moment DeepSeek
En 1957, l'URSS a lancé son satellite Spoutnik 1 dans l'espace, ce qui a surpris le monde et suscité de grandes attentes, tout en indiquant clairement que l'Union soviétique avait été en avance dans la course à l'espace et que cela pouvait constituer une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. Cet événement est depuis connu sous le nom de moment Spoutnik.
La situation posée par le lancement par l'entreprise chinoise d'un modèle de chatbot de recherche IA, capable de rivaliser avec des avantages avec les moteurs de recherche ChapGPT, Gemini ou Meta AI, peut être assimilée, en raison de sa surprise et de son choc, à ce moment de la fin des années 50 du siècle dernier.
Bien sûr, il y a des différences. Le lancement de Spoutnik 1 a eu lieu en pleine guerre froide, qui a connu son moment le plus dangereux avec la crise des missiles de Cuba, qui a confronté deux modèles différents d'accumulation et de gestion de la main-d'œuvre. Au contraire, le lancement de DeepSeekR1 s'inscrit dans le cadre de la dialectique dispute-collaboration entre les deux grandes puissances de l'époque, les États-Unis et la Chine.
Sinon, ce lancement a signifié « le début de la course à l'espace entre les États-Unis et l'Union soviétique » qui, selon Meta AI, « a eu un impact significatif sur l'histoire de l'exploration spatiale et a marqué une nouvelle ère dans laquelle l'humanité a commencé à comprendre l'espace ». Au contraire, l'apparition du moteur de recherche DeepSeekR1 est un nouveau chapitre dans la lutte pour le leadership géopolitique dans le domaine technologique, en particulier dans l'IA la plus avancée...
Géopolitique et technologie
Ces derniers temps, les deux grandes puissances ont pris des mesures protectionnistes. Les États-Unis, sous l'administration Biden, ont élargi les contrôles établis par la première administration Trump. Il a interdit la vente de produits de haute technologie à la Chine, puis a fait pression sur le Japon et les Pays-Bas pour qu'ils se joignent à l'interdiction d'exporter des équipements de fabrication de puces avancés vers la République populaire. La réponse de la Chine à ces obstacles ne s'est pas fait attendre. Il a restreint l'exportation de deux minéraux clés – le germanium et le gallium – essentiels à la production de puces de pointe, et a également interdit l'achat de produits de la société américaine Micron.
Les principales entreprises américaines de haute technologie ont averti opportunément que la politique protectionniste nuirait à leur propre industrie et finirait par favoriser la production chinoise. À la fois parce qu'elle interdisait à leurs entreprises de participer au marché chinois – elles exportaient quelque 400 000 millions de dollars par an en puces – et parce qu'elles favorisaient la recherche de substitution en République populaire.
Ils avaient raison. La société DeepSeek a été fondée en 2023, au moment où les États-Unis commençaient à renforcer leurs restrictions. Peu de temps après, et de manière surprenante, les entreprises chinoises ont annoncé des résultats très positifs dans la production d'un type de puces compétitives, même supérieures à celles développées par Nvidia et AMD aux États-Unis. Il est devenu clair que les restrictions imposées par les États-Unis n'ont pas retardé le développement chinois ; au contraire, ils l'ont stimulé.
C'était maintenant au tour de la R1, qui utilise des puces fabriquées par Nvidia. Ces puces ne sont pas à la pointe de la technologie, elles sont donc moins chères. Le budget de formation du nouveau moteur de recherche ne représente que 10% de ce qui est investi dans ChatGPT. Ces données remettent en question les gros investissements réalisés par Microsoft ou Meta AI, par exemple, lorsque l'entreprise chinoise y est parvenue avec beaucoup moins de ressources. Il se peut qu'à partir de maintenant, les critères d'évaluation de l'efficacité des dépenses et des investissements dans la haute technologie changent.
L'instant de l'instant
La Chine a annoncé le 20 janvier le lancement de DeepSeek R1, quelques heures avant que Donald Trump, déjà président par intérim, n'annonce, en grande pompe, un investissement de 500 000 milliards de dollars dans le projet Stragate, conçu pour construire des centres de données basés sur de nouvelles entreprises d'IA. C'est le début de l'âge d'or des États-Unis qui annonce le jour de son investiture.
Le moment DeepSeek, qui a laissé Donald Trump très instable et minimisé son annonce, était-il le produit de l'évolution logique du calendrier du projet ou ce moment a-t-il été politiquement pensé ? En d'autres termes, le fait de le faire connaître le 20 janvier était-il une décision de l'entreprise qui le produit ou de l'État chinois ?
Quelle que soit la réponse, il est clair que la Chine progresse dans la réduction de l'écart technologique avec les États-Unis. Ce n'est pas pour rien que Trump et Elon Musk ont annoncé qu'ils chercheraient un accord stratégique avec la République populaire. C'est parce qu'il existe une forte interdépendance économique entre les puissances et que les nouvelles technologies jouent un rôle central dans cette intégration conflictuelle. C'est que le contrôle de l'IA, le plus avancé des processus technologiques actuels, sera décisif dans la résolution du différend actuel entre les deux grandes puissances.
Ainsi, la collaboration compétitive s'impose, si un nouveau cygne noir n'apparaît pas...
29/01/2025
Eduardo Lucita est membre du collectif EDI – Economists of the Left
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Une reconfiguration du capitalisme ?

Cet article est un chapitre d'une note de la Fondation Copernic à paraître aux Éditions du Croquant, « Que faire de l'IA ? », 2025 ».
Les possibles-ATTAC nº 41 (hiver 2024-2025)
« Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel » écrivait Marx dans Misère de la philosophie (1847). La combinaison du big data, du cloud et de l'IA pourrait-elle donner naissance à une nouvelle forme de capitalisme ? Il faut certes se défier de tout déterminisme technologique et, disons-le, Marx n'y échappe pas avec cette formulation. En fait, les rapports sociaux entretiennent avec le développement scientifique et technique un double lien. D'une part, l'utilisation d'une technologie, plutôt qu'une autre parmi toutes celles qui sont potentiellement disponibles, dépend de la configuration des rapports sociaux et en particulier des rapports de production. D'autre part, la technologie utilisée peut elle-même participer d'une reconfiguration de ces rapports sociaux.
Ainsi par exemple, l'invention du grand moulin hydraulique a été faite au début de l'Empire romain. Cette invention n'a jamais été utilisée à l'époque où elle a vu le jour parce que les grands propriétaires d'esclaves n'en avaient pas besoin. Elle réapparaît un millier d'années plus tard au XIe siècle dans le contexte de rapports sociaux différents dans le cadre de la domination seigneuriale. Le grand moulin s'impose contre le petit moulin à bras des paysans pour conforter la domination seigneuriale et reconfigure en partie cette dernière1.
Il est utilisé dans la production de textiles dans des centres spécialisés, accroissant ainsi les échanges, entraînant l'apparition de nouvelles couches sociales que ce soit leurs travailleurs ou les « bourgeois » propriétaires. De même, la généralisation du machinisme, permise par l'invention de la machine à vapeur, en Angleterre, berceau du capitalisme industriel, supposait qu'auparavant en soient créées les conditions politiques et sociales : reprise du mouvement des enclosures au XVIIIe siècle qui rend disponible la main d'œuvre pour travailler dans les fabriques ; victoire politique des forces contre-révolutionnaires à la fin du XVIIIe siècle ; écrasement de la révolte luddiste au début du XIXe siècle. Ce n'est qu'à partir du moment où ces conditions politiques et sociales ont été remplies que la « révolution industrielle », marquée par un bouquet d'innovations techniques, allait être une arme aux mains de la classe dominante britannique pour permettre la mise en place du capitalisme industriel.
Cependant, même s'il faut refuser tout déterminisme technologique, la question ne se pose pas moins de savoir quelles sont les conséquences de l'introduction de technologies numériques nouvelles dans l'organisation du capitalisme ou, pour le dire autrement, le mode d'accumulation du capital en sera-t-il transformé ? Il nous faut pour cela revenir sur l'histoire du capitalisme lui-même.
Du capitalisme fordiste au capitalisme financier
Après la seconde guerre mondiale, sur la base des rapports de forces de l'époque, se met en place dans les pays du Nord ce que les économistes régulationnistes ont appelé le « capitalisme fordiste ». Si les formes concrètes qu'il peut prendre diffèrent suivant les pays, ce type de capitalisme possède néanmoins des traits communs. Il s'agit d'un capitalisme essentiellement organisé sur une base nationale avec un pilotage macroéconomique effectué par l'État dans le cadre de politiques contracycliques dites « keynésiennes ». Au niveau international, les accords de Bretton-Woods assurent une stabilité financière et économique et l'hégémonie des États-Unis, malgré l'existence du bloc soviétique. La finance est bridée, que ce soit à l'échelle nationale ou mondiale. Un nouveau rapport salarial se met en place sur la base de compromis sociaux institutionnalisés caractérisés par l'existence de conventions collectives nationales ou de branches, ce qui limite les effets de la concurrence entre les entreprises. Ce qui domine, c'est le modèle de la grande entreprise managériale intégrée dans laquelle les actionnaires sont, de fait, contenus, avec une organisation du travail taylorienne qui autorise une production de masse, l'augmentation régulière des salaires avec un partage des gains de productivité permettant une consommation de masse. Se met en place parallèlement un État social avec le développement de la protection sociale.
Cet agencement s'adosse à la seconde révolution industrielle apparue à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle (électricité, automobile, téléphone). Cette vague d'innovations naît durant la grande dépression de la fin du XIXe siècle (1873-1896) qui marque la fin du capitalisme concurrentiel, celui analysé par Marx, et la naissance du capitalisme monopoliste caractérisé par la formation de firmes géantes avec une structuration oligopolistique des marchés et la mise en place du taylorisme qui va s'imposer progressivement malgré une forte résistance ouvrière. Elle sera brisée en Europe pendant la première guerre mondiale au nom de l'Union sacrée et aux États-Unis par une violence de classe d'un niveau inouï. Le mouvement continu de concentration industrielle, combiné à cette nouvelle organisation du travail, permet une forte croissance de la productivité et crée les conditions d'une production de masse standardisée. Mais ce capitalisme est pris d'emblée dans une contradiction entre la production de masse et l'insuffisance de la demande solvable. En effet, à une production de masse doit correspondre une consommation de masse, ce qui nécessite l'accroissement du pouvoir d'achat des salariés qui forment désormais la majorité de la population, ce à quoi se refusent les classes dirigeantes. Cette contradiction va être à l'origine de la crise des années 1930 et sera résolue après la seconde guerre mondiale par la mise en place du capitalisme fordiste.
On a alors affaire à un ordre productif cohérent capable d'assurer sur la longue durée les conditions d'une accumulation efficace du capital. Rétrospectivement cette période apparaît comme un « âge d'or », mais les « Trente Glorieuses » ne l'étaient pas pour les salarié·e·s soumis à une division du travail hiérarchique aliénante, ni pour les femmes enserrées dans une domination patriarcale, ni pour les équilibres écologiques avec une « société de consommation » où les « désirs » de consommation sont façonnés par les grandes entreprises.
Cette forme particulière de capitalisme entre progressivement en crise à la fin des années 1960 sous la conjonction de plusieurs éléments qui se combinent. D'une part, l'internationalisation croissante des grandes entreprises rend de moins en moins efficace les politiques macroéconomiques menées au niveau national. D'autre part, la période de reconstruction de l'après-guerre et la première phase d'équipement des ménages se terminent, ce qui amoindrit l'effet d'entraînement de la demande solvable. Enfin, la multiplication des révoltes ouvrières, la montée d'un puissant sentiment de remise en cause du capitalisme lui-même dans de nombreux pays, indiquent clairement que le fordisme a atteint ses limites. Les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 servent de détonateurs à la crise qui se traduit par une forte chute de la rentabilité du capital et par la « stagflation », combinaison d'une stagnation économique et d'une forte inflation Au milieu des années 1980 se met en place un nouveau mode de gestion des entreprises dont l'objectif est la valorisation continue du cours de l'action en Bourse et l'augmentation des dividendes versés aux actionnaires. L'entreprise est mise au service des actionnaires. Les intérêts des dirigeants deviennent étroitement liés à ceux des actionnaires avec une explosion de la rémunération des dirigeants (stock options, salaire lié au cours de l'action, bonus…). C'est cette envolée des profits non réinvestis qui, en permettant de dégager des liquidités très importantes, a nourri la financiarisation de l'économie.
Cette financiarisation a été permise et s'est développée avec la déréglementation des marchés financiers qui a levé tous les obstacles à la liberté de circulation des capitaux et qui a fortement réduit les contrôles publics sur les institutions financières. Elle a abouti à une globalisation du capital, la mondialisation néolibérale. Mais la stagnation des salaires, voire dans certains pays leur recul, a fait resurgir un vieux problème du capitalisme vu en leur temps par Marx et Keynes. Le salaire est certes un coût pour chaque entreprise qui cherche donc à payer ses employés le moins cher possible. Mais c'est aussi un élément décisif pour assurer une demande solvable surtout dans des pays où l'énorme majorité de la population est salariée. Ainsi, aux États-Unis et dans l'Union européenne, 60 % à 70 % de la demande est d'origine salariale et cette demande a des conséquences sur la hauteur de l'investissement productif. Or nous avons assisté depuis les années 1970 à une baisse tendancielle des gains de productivité à tel point que certains économistes ont pu parler de « stagnation séculaire ».
Comment en effet soutenir l'activité économique, source de profits, quand les salaires stagnent ou régressent ?
La réponse du néolibéralisme à cette question a été : de moins en moins de salaires, mais de plus en plus de dettes. Si ce modèle a été totalement adopté par les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Irlande, tous les pays capitalistes développés s'y sont plus ou moins engagés. Aux États-Unis, cette logique n'a pas concerné simplement les biens immobiliers mais aussi les dépenses courantes des ménages, notamment les plus pauvres. Grâce à un marketing bancaire souvent à la limite de l'escroquerie et à des techniques financières « innovantes » (titrisation, réalimentation permanente du crédit…), les institutions financières ont repoussé au maximum les limites possibles de l'endettement.
C'est l'origine de la crise financière de 2007-2008.
La crise a commencé quand les ménages les plus exposés ont été dans l'incapacité de rembourser leurs emprunts et elle s'est répandue comme une traînée de poudre, les pare-feux permettant de cloisonner l'incendie ayant été détruits systématiquement par la déréglementation financière. Cette crise peut donc être considérée comme une crise du régime d'accumulation du capitalisme néolibéral. C'est ce qui s'est passé dans la sphère de production qui a été à la racine de la crise qui s'est déclenchée dans la sphère financière. Si les classes dirigeantes ont été capables de colmater les brèches par des politiques monétaires « non conventionnelles », elles n'ont pas réussi à stabiliser le système dans son ensemble, ce d'autant plus que la crise écologique qui s'aggrave jour après jour mine les bases physiques sur lesquelles il est construit. C'est dans ce cadre qu'il faut regarder l'arrivée des nouvelles technologies.
Les effets paradoxaux des innovations techniques
Le dernier quart du Xxe siècle a vu l'apparition d'une nouvelle base technologique avec la « révolution numérique ». La mise en place du capitalisme néolibéral s'est accompagnée d'une transformation des conditions de la production permises par l'arrivée d'une grappe de nouvelles technologies. Les effets en ont été contrastés. À l'exception des États-Unis pendant une courte période à la fin des années 1990 et au début des années 2000, la baisse des gains de productivité a continué.
On connait le fameux paradoxe de Robert Solow, « prix Nobel » d'économie » : « On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de la productivité ». Et de fait, en dépit des apparentes fabuleuses avancées de l'informatique, les gains de productivité se sont ralentis partout, passant d'environ 5 % par an dans les années 1950 à moins de 1 % avant la crise sanitaire et même une baisse nette de la productivité en Europe depuis. Pour le dire encore autrement, la loi dite de Moore à propos des progrès fulgurants des ordinateurs reste pour le moment confinée aux ordinateurs eux-mêmes sans développer la productivité des autres secteurs, en tout cas dans des proportions comparables.
L'introduction des nouvelles technologies numériques est censée booster une productivité atone, notamment par l'automatisation du travail. Or après des décennies, et malgré une sophistication croissante de ces outils, il n'en est rien. Comment expliquer ce paradoxe ? Une première explication renvoie à la déconnexion entre l'évolution croissante des profits des entreprises et la quasi-stagnation de l'investissement productif, une part de plus en plus importante des profits étant, sous une forme ou une autre, redistribuée aux actionnaires. Le néolibéralisme se caractérise par une utilisation des profits à des fins essentiellement de rentabilité financière, ce qui se traduit par un arbitrage favorable à la distribution des dividendes aux actionnaires et aux rachats par les entreprises de leurs propres actions plutôt que d'augmenter les investissements nets. Mais ce déficit d'investissements ne peut tout expliquer, car les entreprises continuent malgré tout d'investir avec le renouvellement accéléré des équipements. Et, prises dans une logique concurrentielle et dans un discours idéologique les incitant sans cesse à adopter les dernières technologies numériques, elles sont souvent amenées à une fuite en avant où, à côté de leur fonctionnement traditionnel qu'elles dominent plus ou moins, s'ajoutent de nouveaux processus peu maitrisés avec de nouveaux métiers qui viennent se surajouter aux anciens. Loin donc d'être un facteur de rationalisation, l'introduction des technologies numériques a été un facteur de complexité supplémentaire et donc de perte de productivité, ce d'autant plus que la destruction du modèle social entrepris depuis des décennies ne prédispose pas à une haute productivité des salarié.es. Toute la question est de savoir si l'introduction massive de l'IA va changer cette situation ou va au contraire l'aggraver.
De plus, des études de plus en plus nombreuses commencent à avancer l'idée que les innovations techniques autour de l'informatique qui sont apparues depuis la fin du XXe siècle n'apportent pas autant de changements que l'on pourrait croire parce que les nouveaux objets nous font faire différemment les mêmes choses qu'autrefois et non pas des choses nouvelles. Exemples : on achète les billets de train par internet mais ce n'est pas ça qui nous fait voyager plus ou autrement ; le click and collect dans les grandes surfaces ne transforme pas nos habitudes alimentaires et ne nous fait pas manger davantage ni mieux. C'est une des différences avec le cycle antérieur du capitalisme fordiste qui a produit de nouveaux objets qui ont modifié en profondeur notre façon de vivre par rapport aux générations précédentes. Est-ce que l'apparition du big data, du cloud et de l'IA pourront changer cette situation ? La généralisation des algorithmes va-t-elle aboutir à une révolution des objets et à une transformation radicale de la sphère des services ?
Mais une telle éventualité est-elle soutenable ? En effet, l'empreinte écologique du monde numérique est colossale. Contrairement à ce que véhicule une vision naïve, le monde numérique est loin d'être immatériel. Il est constitué de métaux rares, de pétrole et s'appuie sur une infrastructure considérable et énergivore. De plus, même si l'efficacité énergétique des appareils électroniques s'améliore au fil du temps, on assiste assez classiquement à un effet rebond car non seulement ils sont de plus en plus nombreux, envahissant notre vie quotidienne, mais étant de plus en plus sophistiqués, leur fabrication génère des dégâts écologiques de plus en plus importants. Cet effet rebond est d'autant plus fort que la concurrence entre les entreprises du secteur favorise le renouvellement régulier des appareils, avec comme conséquence l'amoncellement des déchets électroniques. Avec l'IA et la concurrence nouvelle qu'elle induit entre les firmes, on assiste à la recherche continue d'une puissance de calcul et de stockage des données de plus en plus importante avec la construction de supercalculateurs et la multiplication des data centers énormes consommateurs d'énergie. La généralisation des technologies numériques va donc accroître la contradiction entre le respect des équilibres écologiques et la dynamique d'un capitalisme reconfiguré par les technologies numériques.
La valorisation du recours aux algorithmes passe sous silence que rien ne serait possible sans une intervention massive des « travailleurs du clic » qui collectent, transforment les données ou « entraînent » les algorithmes2.
Cette « tâcheronisation » du travail avec des emplois précarisés et sous-payés est l'envers du décor de l'intelligence artificielle. Il faut y ajouter les emplois « ubérisés » des travailleurs des plates-formes, rémunérés à la tâche et ceux de la logistique soumis à une discipline de travail déshumanisante. Enfin, il faut noter que les usagers des plates-formes fournissent un travail souvent gratuit qui permet l'amélioration de leur fonctionnement par exemple le fait de noter des contenus. Loin de disparaître, le travail humain est la condition de l'existence de la généralisation de la numérisation et du développement de l'IA.
Un nouveau capitalisme ?
Nous assistons à un double phénomène. D'une part, les impératifs de l'accumulation du capital influencent le développement des algorithmes. D'autre part ces derniers transforment le processus de l'accumulation3.
Quoi que l'on puisse penser des usages possibles des données massives et de l'IA, il faut partir d'un constat : aujourd'hui les technologies numériques sont utilisées et développées par les entreprises en tant que moyen d'accumulation du capital. Elles utilisent pour cela gratuitement les expériences fournies par l'activité humaine qu'elles transforment en données, données elles-mêmes transformées en produits prédictifs destinés soit à cibler les acheteurs de leurs produits, soit à être vendus à des acteurs économiques qui les utiliseront à leur tour pour cibler les consommateurs finaux.
La logique de l'accumulation capitaliste s'applique ici à fond : pour être de plus en plus efficace pour prédire et formater les comportements des consommateurs finaux, il faut augmenter sans cesse la quantité de données disponibles, leur variété, mais surtout utiliser des données qui renvoient aux comportements les plus intimes. On assiste ainsi à une accumulation exponentielle des données, le big data, permise par l'arrivée du cloud qui permet de les stocker et de les utiliser dans des machines apprenantes formatées par l'apprentissage profond, le deep learning. De plus, l'invention des « larges modèles de langage » (LLM) permet la génération de textes de plus en plus performants (IA générative) et les progrès considérables de la performance des processeurs graphiques (GPU) permet qu'un même ensemble d'algorithmes puissent être utilisés dans une grande variété de situations.
Cette grappe d'innovations est d'abord utilisée dans un nouveau type d'entreprise, la plateforme, qui est techniquement un ensemble d'ordinateurs en réseau gouvernés par des algorithmes et dont la fonction est d'être un intermédiaire qui facilite les interactions entre plusieurs groupes d'utilisateurs, particuliers ou agents économiques (plateforme dite multiface) ou qui sert d'intermédiaire entre le consommateur et les produits ou services qu'il désire (plateforme dite revendeur)4.
Mais ces technologies numériques peuvent être utilisées dans à peu près tous les secteurs de la vie sociale. Loin de se réduire aux entreprises de plateformes, la logique algorithmique infuse l'ensemble de l'économie et, au-delà la vie sociale dans son ensemble. Ainsi les entreprises traditionnelles non seulement utilisent massivement les données qui leurs sont fournies par les firmes numériques, mais produisent elles-mêmes des objets connectés fournissant à leur tour de nouvelles données. De plus, la capacité prédictive de l'IA tend à faire de l'être humain un simple accessoire de la machine.
Même si l'être humain reste le décideur en dernier ressort, qui osera aller contre la « recommandation » d'une machine ayant mouliné des milliards de données ? La décision humaine ne relèverait plus d'un débat et d'une confrontation entre des choix distincts basés sur des options politiques et des conceptions éthiques différentes, mais sur le traitement statistique probabiliste de milliards de données. Car il s'agit non seulement d'anticiper les comportements des consommateurs mais aussi d'influencer leur consommation future.
Ce dernier objectif n'est, en soi, pas nouveau. De « la réclame » lors de la création des grands magasins, que décrit Zola dans Au bonheur des dames, à la publicité moderne, contrôler et influencer les consommateurs a toujours été un objectif allant de pair avec une marchandisation croissante. Cependant la publicité traditionnelle agit de l'extérieur sur les individus - elle est donc repérable -, et de façon globale, même si elle se veut ciblée, ce qui limite malgré tout sa portée. L'IA agit au contraire de manière quasi invisible, ciblant les individus à partir de leurs comportements antérieurs. Pire même, le développement des robots conversationnels (chatbot) permet à la plateforme d'échanger directement avec les personnes qui les utilisent, leur soutirant ainsi de nouvelles informations sur elles-mêmes, informations qui seront ensuite transformées en données qui serviront à la production de nouveaux produits. Ainsi, la production de marchandises est maintenant soumise à un processus de numérisation des activités humaines. L'extraction de données personnelles, qui permet la manipulation des comportements, tend à devenir le carburant de l'accumulation du capital. En elle-même cette accumulation de données ne servirait pas à grand-chose si elle n'était pas réinjectée d'une façon ou d'une autre dans le circuit de production des marchandises, c'est-à-dire de biens et de services ayant une utilité sociale, une « valeur d'usage », pouvant être soit fournis « gratuitement » en échange de l'abandon de leurs données par les utilisateurs, soit monétisés et vendus.
Le développement de l'IA, le cloud computing et le big data vont-ils entraîner une nouvelle logique d'accumulation du capital ? Tout d'abord, il faut noter le développement de phénomènes rentiers qui peuvent faire penser à l'avènement d'un « techno-féodalisme ». Ces rentes peuvent être de plusieurs sortes5 : rente liée à la propriété intellectuelle ; rente liée à l'utilisation d'actifs « intangibles » (logiciels, bases de données, procédures informatiques, etc.) qui, une fois l'investissement initial réalisé, peuvent être reproduits à des coûts marginaux6 négligeables ; rente dite « d'innovation dynamique » permise par l'accumulation de données dans les chaînes de valeur contrôlées par les firmes. Remarquons toutefois que ce phénomène de rente est consubstantiel au fonctionnement du capitalisme – Marx parlait même de « féodalisme industriel » – et s'est considérablement aggravé avec la naissance du capitalisme monopoliste où les profits des firmes reposent à la fois sur l'exploitation du travail et sur l'existence de rentes liées à leur pouvoir de marché.
On retrouve ce même pouvoir de marché dans le cas des plateformes à travers « l'effet réseau » qui se manifeste doublement : d'une part, plus le nombre de personnes utilisant un service croît et plus ce service devient utile et efficace pour ses utilisateurs ; d'autre part, un nombre croissant d'utilisateurs augmente la valeur économique du service en question. La valeur ou l'utilité à rejoindre la plateforme dépend du nombre d'utilisateurs. L'effet réseau pousse donc au monopole avec pour conséquence que le « vainqueur prend tout », winner-take-all. Ce n'est donc pas a priori la plateforme la plus performante qui l'emporte, mais celle qui, pour une raison ou une autre, réussit à attirer de plus en plus d'utilisateurs. Ces derniers sont d'ailleurs prisonniers de cette plateforme, le coût du changement étant élevé, car la quitter fait perdre ce qui en est l'atout principal, le nombre très élevé d'utilisateurs.
Il faut insister sur un point concernant la formation du prix des services rendus par la plateforme. Le pouvoir de marché de l'effet réseau lui permet d'élever ses prix au-dessus de ses coûts alors même que le service est rendu à un coût marginal quasi nul. Il s'agit donc de prix administrés par la plateforme et qui ne correspondent à aucune réalité économique nécessaire, si ce n'est la volonté de faire les profits les plus élevés possibles. Mais là aussi on retrouve de fortes similitudes dans le capitalisme moderne.
Contrairement à ce qu'affirme l'économie standard, le prix n'est en général pas le mécanisme d'adéquation entre l'offre et la demande sur un marché, tout simplement parce que le marché n'existe pas, sauf pour quelques produits et pour les actifs financiers. Pour qu'un marché existe, il faut une institution qui l'organise et qui permette de mettre en relation acheteurs et vendeurs. Pour des millions de produits disponibles, il n'y a pas de marché au sens strict du terme et les prix sont administrés par les entreprises. Ces dernières, campagnes de publicité à l'appui, essaient de faire distinguer leurs produits par des qualités réelles ou supposées, le prix n'étant qu'un des éléments du choix du consommateur. Parler ici de « marché » est abusif et signifie simplement que la validation sociale de la production se fait a postériori dans l'échange.
Toutefois il est clair que des modifications substantielles du capitalisme sont en cours : apparition d'un nouveau type d'entreprise, la plateforme ; d'un moteur nouveau de l'accumulation, les données ; recomposition des frontières entre travail gratuit et travail rémunéré ; nouveau type de travail polarisé à l'extrême qui combine emplois précarisés et sous-payés, régis de plus en plus par des contrats commerciaux (auto-entreprenariat), et emplois de haut niveau ultra qualifiés ; nouvelle forme de capital qui s'entremêle avec le capital financier et le capital industriel, le capital numérique ou algorithmique, qui a sa propre logique et qui tend à se diffuser dans toutes les sphères de la vie sociale.
Cette nouvelle forme de capital repose certes sur l'exploitation du travail mais aussi, à une échelle jamais vue, intègre dans son processus de valorisation les données issues de l'expérience humaine. Ce qui est nouveau, c'est que les plateformes s'appuient sur l'exploitation du comportement des utilisateurs pour développer et revendre une capacité à prédire leurs comportements. Cet effet boucle a pu se retrouver sous une forme différente dans le capitalisme fordiste où les salarié·e·s.e.s participaient à leur propre exploitation et oppression en échange de pouvoir accéder à des biens de consommation dont ils étaient les producteurs. La différence essentielle tient au fait que ce qui était un processus en grande partie extérieur, en surplomb – d'où les révoltes ouvrières de la fin des années 1960 – devient maintenant, de fait, quasi invisible et donc intériorisé.
Cette nouvelle configuration ne remplace pas le capitalisme financiarisé du néolibéralisme, bien au contraire. Tout d'abord, la logique néolibérale, tout entière tournée vers la marchandisation de toutes les activités sociales, a été la condition pour que le capitalisme numérique voit le jour, que ce soit par la déréglementation du secteur des nouvelles technologies, en particulier celui des télécommunications, ou par le durcissement considérable du droit de propriété intellectuelle et la possibilité de marchandiser les données. Ensuite ce capitalisme numérique ou algorithmique s'articule avec le capitalisme financier, industriel ou commercial. Si la logique d'accumulation néolibérale, dominée par le poids déterminant des actionnaires, notamment des institutions financières, n'a pas disparue, elle est de plus en plus en plus dépendante des plateformes et des machines algorithmiques.
Tend ainsi à se combiner dans le fonctionnement des entreprises à la fois la logique entrepreneuriale qui fait de la concurrence le moteur de l'action et la logique algorithmique qui s'appuie sur des processus prédictifs aboutissant à des décisions automatisées, logique qui se décline aussi au sein des institutions publiques. Enfin, les firmes numériques participent pleinement au jeu du capitalisme financier (cotations boursières, rachat d'entreprises, etc.).
Il faut pour terminer souligner un point. Le capitalisme a toujours fonctionné historiquement avec l'hégémonie d'une grande puissance, le Royaume-Uni au XIXe siècle, les États-Unis par la suite. Le déclin relatif de l'hégémonie états-unienne et la montée impressionnante de la Chine comme postulant à cette hégémonie structurent en grande partie les relations internationales. Cette lutte pour la suprématie se joue en grande partie sur le terrain des technologies numériques comme le montrent les mesures de rétorsion prises par les États-Unis contre la Chine. Dans cette situation, non seulement la plupart des pays, en particulier l'Union européenne, sont dans une situation de subordination, mais la question de la régulation de l'IA, afin qu'elle puisse rester sous contrôle politique et citoyen risque de passer au second plan.
Novembre 2024
NOTES
1. Voir Pierre Dockes, La libération médiévale, Flammarion 1979 et Mathieu Arnoux, Le temps des laboureurs, Albin Michel 2012.
2. Voir Antonio A. Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Seuil 2019.
3. Nous nous appuyons ici sur quatre ouvrages qui, au-delà de leurs divergences, synthétisent et globalisent une énorme production de travaux : Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l'économie numérique, Zones 2020 ; Maya Bacache Beauvallet, Marc Bourreau, Économie des plateformes, La Découverte, 2022 ; Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, Le capitalisme algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l'ère de l'intelligence artificielle, Écosociété 2023 ; Yanis Varoufakis, Les nouveaux serfs de l'économie, LLL 2024. Voir aussi Daniel Bachet, Les marchés réorientés : plateformes, intelligence artificielle et capitalisme algorithmique, https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-40-ete-2024/dossier-ou-en-est-l-altermondialisme-dans-le contexte-de-la-crise-globale-du/article/les-marches-reorientes-plateformes-intelligence-artificielle-et-capitalisme
4. Ces définitions sont issues de Maya Bacache-Beauvalleyt et Marc Bourreau, op cit.
5. Nous reprenons ici l'essentiel de la taxonomie mise en évidence par Cédric Durand, op cit.
6. Le coût marginal désigne le coût de production d'une unité supplémentaire.
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« La RD Congo est une réserve pour les dominants »

Dans Barbarie numérique, une autre histoire du monde connecté, le sociologue Fabien Lebrun explore les conséquences d'un monde toujours plus connecté, notamment en République démocratique du Congo, où une grande partie des minerais nécessaires à cette « révolution numérique » sont disponibles. Pour lui, cette situation est l'une des principales causes des guerres dans l'est du pays depuis trente ans.
Tiré d'Afrique XXI.
Nous avons toutes et tous des minerais de sang dans la poche et sommes les complices indirect·es de crimes abominables pour répondre aux injonctions du monde numérique. C'est du moins le propos défendu dans Barbarie numérique, une autre histoire du monde connecté (préfacé par le philosophe québécois Alain Deneault, avec un avant-propos du prix Nobel de la paix Denis Mukwege), du sociologue Fabien Lebrun. Dans cet ouvrage, il revisite la « révolution numérique » au prisme de l'histoire du capitalisme mondial et de la République démocratique du Congo (RD Congo). Pour lui, la « transition » (qu'elle soit énergétique ou numérique) vantée par « l'idéologie du capital » n'existe pas. Seule l'addition de besoins et de technologies (production d'hydrocarbures et extractivisme pour les énergies renouvelables, la numérisation et l'intelligence artificielle) et l'accumulation financière demeurent, avec des conséquences environnementales et sociétales désastreuses.
En RD Congo, où la situation dans l'Est s'est détériorée ces derniers jours avec l'offensive du M23, groupe armé soutenu par le Rwanda, ses habitant·es sont exploité·es depuis toujours pour nourrir une mondialisation effrénée, estime le sociologue. « Scandaleusement » riches, ses terres sont convoitées au mépris des Congolais·es qui vivent dessus. Hier, il s'agissait d'esclaves. Puis du caoutchouc et des minerais pour les armes (dont l'uranium qui a servi pour construire la bombe atomique lâchée le 6 août 1945 sur Hiroshima). Aujourd'hui, le cobalt, le tantale, le tungstène et autres terres rares nécessaires pour les smartphones et les batteries électriques suscitent autant d'appétit que l'or au temps des conquistadors, qui ont pillé les Amériques à partir du XVIe siècle.
La thèse défendue par l'auteur peut être toutefois interprétée comme une forme de dépolitisation des guerres à répétition dans la région. Comme le soulignent par exemple Christoph Vogel et Aymar Nyenyezi Bisoka dans Afrique XXI, ces points de vue (comme d'autres) ont tendance à enfermer l'Afrique « dans une vision réductrice ». « Ces récits tendent à réduire l'Afrique à un simple réceptacle de politiques extérieures », écrivent les chercheurs. Selon eux, ces discours perpétuent l'idée du « fardeau de l'homme blanc », ce qui « justifie ainsi les interventions internationales sous prétexte de paix, de stabilité et de développement ».
Fabien Lebrun avance l'idée que ce « technocolonialisme » utilise les mêmes pratiques que le colonialisme et le néocolonialisme : travail forcé, fraude, financements de groupes armés… Les « minerais de sang » sont au cœur d'une plainte déposée en France et en Belgique les 16 et 17 décembre 2024 par la RD Congo contre des filiales du géant américain Apple pour recel de crimes de guerre, blanchiment de faux et tromperie des consommateurs. Celui-ci a annoncé avoir suspendu ses livraisons, ce qui, selon les avocats de Kinshasa, ne l'exonère pas de ses crimes passés.
Dans cet entretien, le sociologue, également auteur d'un essai sur le rôle néfaste des écrans sur les enfants (On achève bien les enfants. Écrans et barbarie numérique, éditions Le bord de l'eau, 2020, 16 €), lie le « boom minier » des années 1990 aux guerres à répétition dans le pays depuis trois décennies. Il estime qu'il est nécessaire de revoir notre rapport à la connexion et aux technologies, d'« entamer une décroissance minérale et numérique » pour préserver des vies en RD Congo.
« Les puissances capitalistes financent les milices »
Michael Pauron : Dans Barbarie numérique, vous connectez les guerres qui déchirent l'est de la RD Congo depuis trente ans à l'exploitation des minerais nécessaires pour construire les appareils connectés... N'est-ce pas dépolitiser ces conflits qui ont bien souvent des ressors socio-politiques plus complexes ?
Fabien Lebrun : Les ressources dont a besoin la « révolution numérique » sont très mal réparties sur terre : la RD Congo est sans doute le seul pays au monde qui dispose dans son sol et son sous-sol de la quasi-totalité de la table de Mendeleïev [qui recense tous les éléments chimiques connus, NDLR]. Et, depuis trente ans, des centaines de milices évoluent dans la région. Qui finance ? Les puissances capitalistes et aussi le secteur extractif mondial. Pour moi, d'un point de vue économique et industriel, c'est l'élément central de ces guerres à répétition. Tout cela correspond à la période de la numérisation et de la miniaturisation.
Rappelons que, chaque année, sont vendus environ 1,5 milliard de smartphones, 500 millions de téléviseurs, 500 millions de PC, 200 millions de tablettes, 50 millions de consoles de jeux vidéos… Sans oublier les milliards d'écrans, d'objets connectés (comme le réfrigérateur, la voiture…) qui dépendent de minerais et de métaux dont une grande partie se trouve en Afrique centrale – du moins pour les plus stratégiques.
Michael Pauron : Pour vous, tout tend à prouver que le retour du groupe armé soutenu par le Rwanda, le M23, en 2021, est intimement lié aux minerais… Quelle est votre hypothèse ?
Fabien Lebrun : En 2021, Félix Tshisekedi passe un accord avec l'Ouganda pour faciliter la construction de routes et l'acheminement de produits miniers, forestiers et agricoles. Presque au même moment, plusieurs rapports montrent qu'il va falloir davantage de tantale et de minerais stratégiques pour la 5G et pour la voiture électrique notamment.
Dans ce contexte, plusieurs observateurs estiment que le Rwanda, qui ne veut pas se voir priver de certaines sorties et donc d'une partie de ce marché, a réactivé le M23 en réaction aux accords entre l'Ouganda et la RD Congo. Je penche pour cette hypothèse, d'autant que le M23 a rapidement mis la main sur la mine de Rubaya, dans le Rutshuru, où sont présentes 15 % des réserves mondiales de coltan. Cela étant dit, certains réfugiés du M23 sont en Ouganda. Kampala a donc au minimum fermé les yeux.
Michael Pauron : La RD Congo accuse le Rwanda de piller ses sous-sols. On sait que l'Ouganda en profite également... Cette situation pourrait-elle exister sans la complicité de certaines élites congolaises ?
Fabien Lebrun : Il y a des intérêts divergents et contradictoires des élites de la région. Pendant les deux guerres du Congo [de 1996 à 1997 et de 1998 à 2002, NDLR], les armées sur place qui découvrent toutes ces richesses se sont fait beaucoup d'argent. Il y a eu toute une économie de guerre. Ensuite, les armées ne pouvaient pas rester sur place. Des groupes ont donc été téléguidés. Quatre-vingt-dix pour cent des minerais 3TG [étain, tantale, tungstène et or, NDLR] estampillés rwandais sont congolais. Et ce pillage bénéficie de la complicité de Congolais, c'est évident.
Félix Tshisekedi (comme Joseph Kabila avant lui) pourrait stopper ce pillage mais les Forces armées de RD Congo participent largement à cette exploitation, comme les centaines de groupes armés. Les élites congolaises y compris locales signent des contrats, bradent les terres de leur population et se font beaucoup d'argent.
« L'Histoire permet de voir une continuité »
Michael Pauron : Mi-décembre 2024, la RD Congo a déposé plusieurs plaintes en France et en Belgique contre des filiales d'Apple qui exploitent des « minerais de sang ». Quelles pourraient-être les conséquences d'une telle démarche ?
Fabien Lebrun : Il y a déjà eu une plainte en 2019 aux États-Unis (1) d'un collectif de juristes contre Apple, Dell, Microsoft et Tesla pour complicité de mort d'enfants dans des mines de cobalt congolaises. La plainte a finalement été rejetée en mars 2024. Mais le fait que ce soit un État qui attaque est inédit. Tant mieux si cette plainte conduit à une prise de conscience plus large, car il y a déjà eu de nombreuses campagnes contre les minerais de sang sans que cela ne change quoi que ce soit.
Michael Pauron : À travers l'histoire de la RD Congo et de la « révolution numérique », vous dénoncez une continuité du capitalisme, de la traite négrière à l'extractivisme des métaux nécessaires pour construire nos appareils connectés. Quels sont les points communs entre le commerce triangulaire et l'exploitation des mines en RD Congo ?
Fabien Lebrun : La démarche du livre est de remettre en perspective le dernier quart de siècle du numérique avec cette grande histoire du capitalisme. À travers la technologie et l'histoire du Congo, on reprécise ce qu'on entend par capitalisme et son développement, ses racines et sa naissance. On peut se concentrer sur ses pratiques, son rapport à la terre et à l'exploitation minière.
Je pars de ce que Karl Marx appelait « l'accumulation primitive du capital (2) », à savoir la longue période de la traite négrière et du commerce triangulaire, du XVIe au XIXe siècle, qui met en relation Europe, Afrique et Amérique. Il s'agit du commencement de la mondialisation, qui participe aux premiers profits, ou capitaux, notamment européens à travers les conquistadors et les colons (espagnols, portugais, français, hollandais et anglais). Nous assistons à la naissance de l'extractivisme : l'or et l'argent, énormément puisés sur le continent américain dès le XVIe siècle, ont fait la richesse de l'Espagne et du Portugal.
Plonger dans l'Histoire permet de voir une continuité dans l'apparition conjointe d'une révolution industrielle – ou de la transformation du capitalisme – et un besoin de prélèvement de ressources naturelles. Le Congo est à ce titre emblématique : des hommes, des femmes et des enfants ont été « prélevé·es » pendant la traite négrière afin de répondre à la demande de sucre, de café ou encore de cacao en Europe ; à partir de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, la forêt a été exploitée de manière intensive dans ce pays, notamment pour le caoutchouc avec l'expansion de l'automobile et de l'industrie du pneu ; durant les guerres du XXe siècle, des métaux essentiels à l'industrie de l'armement sont exploités au Congo – citons l'uranium du Katanga et la course aux armements durant la guerre froide ; et, dans les années 1990, avec l'informatisation du monde, le pays répond une nouvelle fois présent avec la richesse de son sous-sol et sa diversité minéralogique.
« L'état d'esprit colonial perdure »
Michael Pauron : Vous expliquez que la notion d'extractivisme avait pratiquement disparu. Quand réapparaît-elle ?
Fabien Lebrun : Le concept d'extractivisme est revenu il y a vingt-cinq ans lors d'une période qu'on a qualifié de « boom minier », qui correspond au développement du numérique mais aussi à la forte demande des pays émergents (Inde, Chine…). Plusieurs travaux montrent une forte augmentation de la pression sur les terres, principalement dites « métalliques ». Cette période a été rapprochée du XVIe siècle, baptisé « le siècle de l'or ». C'est une continuité.
Michael Pauron : Vous parlez également de la continuité du colonialisme, que vous qualifiez de néocolonialisme ou de « technocolonialisme ». Qu'entendez-vous par là ?
Fabien Lebrun : L'état d'esprit des structures coloniales et des institutions ainsi que leurs pratiques perdurent à travers une division internationale du travail et une production mondialisée. Les pratiques criminelles se poursuivent dans ce nouveau stade du capitalisme : extractivisme, fraude et travail forcé qu'on peut comparer à l'esclavagisme. En définitive, il faut faire travailler les Congolaises et les Congolais pour alimenter notre mondialisation.
Michael Pauron : Le colonialisme se perpétue également à travers le vocabulaire, comme l'expression de « scandale géologique » pour qualifier la RD Congo...
Fabien Lebrun : L'expression vient des colons belges, et plus exactement du géologue Jules Cornet au début des années 1880, d'abord pour parler du Katanga, puis de l'ensemble de la RD Congo. À travers ce terme, on voit bien la convoitise et la potentielle goinfrerie : le sol est considéré riche en matière première pour pouvoir développer différents marchés, différentes marchandises, différents produits de la société occidentale. Derrière cette expression, on parle d'un lieu voué à être exploité. C'est une réserve pour les dominants. On parle de la terre pour la maltraiter. On a là un lieu, un territoire qui va participer à l'économie mondialisée. Une projection utilitariste. Ni la nature ni l'humain ne comptent.
« Il n'y a pas de transition, il y a addition et accumulation »
Michael Pauron : Dans votre ouvrage, vous remettez en cause le narratif de ce capitalisme numérique, comme les mots « dématérialisation » et « transition ». Pourquoi les considérez-vous comme inappropriés ?
Fabien Lebrun : Au niveau de l'idéologie, de l'utilisation des mots et de la langue, le terme « dématérialisation » est en effet un de mes pires ennemis. Il est central dans l'idéologie capitaliste contemporaine. « Dématérialiser » sous-entend « numériser » et « informatiser ». À travers ce terme et d'autres, comme « cloud », « cyberespace »..., on cherche à rendre « éthéré » des choses sur lesquelles on n'aurait pas de prise. Or un smartphone c'est 60 métaux et la voiture électrique c'est 70 métaux, la quasi-totalité des 88 disponibles dans la croûte terrestre. Plus on vend des technologies efficaces et plus on miniaturise, plus on recourt à l'ensemble de la table de Mendeleïev. Dans les vingt à trente prochaines années, il va falloir extraire plus de métaux qu'on en a extrait dans toute l'histoire de l'humanité. Nous n'avons jamais été dans une société aussi matérielle. Parler de « dématérialisation » est simplement faux.
C'est la même chose avec l'intelligence artificielle. Il s'agit d'une puissance de calcul qu'il faut rendre plus performante, et qui est basée sur une somme de données qu'il faut traiter, stocker, analyser. On va multiplier la construction des centres de données (les « data centers »), ce qui correspond à du béton, du verre, de l'acier et de l'eau pour refroidir.
Les énergies renouvelables reposent sur le même type de ressources. L'idéologie du capital appelle ça une « transition ». Or il n'y a pas de transition, il y a addition et accumulation, comme le montre très bien l'historien Jean-Baptiste Fressoz, et conformément au principe du capitalisme qui repose sur une croissance infinie.
Elon Musk sait que les minerais s'épuisent, raison pour laquelle il veut aller les chercher sur la Lune et sur les autres planètes ou sur les astéroïdes. Emmanuel Macron et d'autres veulent aller les chercher dans les fonds marins. La Russie et la Chine veulent aller sous les pôles. Tous pensent que le XXIe siècle est un siècle extractiviste et que ces nouveaux secteurs permettront d'éviter l'effondrement du capitalisme. Or cet effondrement est déjà entamé.
Michael Pauron : Votre ouvrage prône la déconnexion. Comment y parvenir dans un monde ultra connecté ? Comment limiter la marche technologique actuelle pour sauver des vies congolaises ?
Fabien Lebrun : Beaucoup de gens me disent que c'est impossible. Mais si on réfléchit à la production de tous ces appareils connectés, on tombe forcément sur l'Afrique centrale, et en particulier sur la RD Congo, qui concentre de nombreuses problématiques liées à la production des technologies connectées. Dans ce cas, si on pense à la place que prennent ces appareils dans notre vie et les conséquences que cela engendre au Congo, il m'apparaît évident qu'il faut revoir nos technologies, la façon dont elles sont conçues, et sans doute accepter qu'elle deviennent moins performantes, moins efficaces, afin qu'elles exigent moins de pression sur la terre, la géologie, le foncier et l'humain.
Il faut réintroduire la notion de limite. On n'a pas le choix. Il va falloir entamer une décroissance minérale et numérique. Se déconnecter d'un seul coup est compliqué mais il faut politiser la technologie car elle donne une direction à notre monde, à notre société et à différentes formes de dominations et d'oppressions. Tout cela devrait être débattu dans toutes les assemblées, dans toutes les administrations et dans toutes les entreprises.
Il faut se questionner sur nos besoins réels et non pas sur ceux créés par l'industrie. Un téléphone à clapet, c'est une trentaine de métaux, soit deux fois moins de pressions qu'un smartphone. D'un point de vue coût-bénéfice, un smartphone avec soixante métaux est inutile.
Notes
1- Le collectif international Rights Advocates (IRAdvocates) représentant quatorze victimes congolaises avait porté plainte en décembre 2019 devant la Cour fédérale. Les parties civiles reprochent à ces sociétés d'avoir tiré profit du travail forcé d'enfants dans les mines de cobalt en RD Congo.
2- Karl Marx, Le Capital. Critique de l'économie politique, 1867.
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Mali. L’État rompt avec l’ordre libéral dans les mines industrielles

Depuis le coup d'État militaire de 2020, les autorités maliennes se sont engagées dans un bras de fer tendu avec les compagnies étrangères titulaires des permis miniers. Les deux parties se disputent âprement les revenus du sous-sol autour de la nouvelle législation.
Tiré d'Afrique XXI.
En novembre 2024, l'État malien emprisonne Terence Holohan, le PDG de la compagnie australienne Resolute Mining, qui extrait de l'or dans le sud du Mali depuis 2008. En décembre, la justice malienne émet un mandat d'arrêt contre Mark Bristow, le PDG de l'entreprise canadienne Barrick Gold, qui réplique par la suspension de ses opérations à Loulo-Gounkoto (1). Décrite comme l'une des plus grandes entreprises aurifères au monde, Barrick Gold exploite l'or dans l'ouest du Mali depuis sa fusion avec la société anglaise Randgold, en 2018. C'est au Mali que cette dernière avait commencé l'exploitation aurifère, en 1996, grâce au rachat des actifs de la compagnie austro-américaine BHP-Utah.
Les motifs de ces actions judiciaires convergent vers l'accusation que ces compagnies spolient l'État. Parallèlement, l'État impose désormais les dispositions du code minier de 2023, qui lui est beaucoup plus favorable, aux contrats en vigueur signés antérieurement.
Avant le coup d'État de 2020, le Mali s'était toujours abstenu d'incarcérer les représentants des groupes miniers. Qui plus est, depuis 1987, il s'était résolu à recourir à l'arbitrage international pour résoudre ses différends avec les compagnies minières étrangères. Et, jusque-là, le Mali ne les contraignait pas à se conformer à la nouvelle réglementation tant que les contrats étaient en cours de validité.
En réalité, ces inflexions traduisent l'affirmation d'une rupture de l'État malien avec l'ordre libéral qui s'est imposé au monde depuis la chute du mur de Berlin. Et cette rupture s'inscrit dans une certaine profondeur historique.
À l'indépendance, la nationalisation
L'ordre libéral repose sur des idées et des pratiques qui prônent le désengagement de l'État dans la production au profit des acteurs privés et la privatisation des actifs publics. D'après Daniel Yergin et Joseph Stanislaw (2), la plus grosse vente des actifs publics dans le monde s'est produite après la chute du mur de Berlin.
Dans le secteur extractif malien, il s'est traduit notamment par la suppression de toutes les entreprises publiques ; la limitation à 20 % de la participation de l'État au capital des entreprises mixtes ; l'absence de représentant de l'État dans les mines ; le transfert de l'autorité judiciaire vers le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi).
Ancienne colonie française, le Mali accède à l'indépendance en 1960 sous la présidence socialiste de Modibo Keïta, un civil. Avec l'aide de l'URSS, l'État crée dès 1961 le Bureau minier du Mali, une société nationale. Celle-ci est rebaptisée Société nationale de recherches et d'exploitation des ressources minières (Sonarem) en 1963. Son rôle est d'entreprendre l'exploration et l'extraction des ressources du sous-sol. En 1963, le Mali met en place son premier code minier postcolonial, qui fait implicitement de la Sonarem l'unique entité autorisée à entreprendre les activités minières à caractère industriel. En d'autres termes, les entreprises privées sont exclues du droit de propriété sur les ressources minérales. Ces entreprises ne peuvent s'engager dans la recherche et l'extraction des ressources que pour le compte de l'État, contre rémunération. Il s'agit d'une rupture avec le libéralisme colonial fondé sur la reconnaissance du droit de propriété privée.
Le socialisme, « seul gage de la stabilité »
Ainsi, dans la période 1963-1968, seules deux entreprises privées occidentales interviennent dans le secteur extractif malien pour le compte de l'État. Il s'agit de la société allemande Klöckner (pour l'étude de faisabilité sur l'exploitation des gisements de phosphate de Tilemsi, dans le Nord) et de la compagnie anglaise Selection Trust (pour l'exploration de diamant à Kéniéba, dans l'Ouest). La plupart des travaux géologiques sont menés par l'État en partenariat avec l'URSS et non plus avec la France. Jusque-là acteur principal de l'exploration minière, la France est écartée à la suite des tensions nées de la dislocation de la Fédération du Mali.
Les mines ne sont pas le seul secteur que l'État nationalise dans les années 1960. La plupart des secteurs de l'économie sont concernés. Par exemple, 1960 voit la naissance de la Société malienne pour l'importation et l'exportation (Somiex), qui détient le monopole sur le commerce (3). À l'époque, l'étatisation de l'économie s'inscrit dans la stratégie d'importation de l'État socialiste. Pour les dirigeants du moment, comme Seydou Badian Kouyaté (4) (ministre du Développement de 1962 à 1965), le socialisme est « le seul gage de la stabilité politique ».
En novembre 1968, le gouvernement de Modibo Keïta est renversé par un coup d'État militaire mené par le lieutenant Moussa Traoré, qui deviendra plus tard général d'armée. Ce putsch montre que l'importation du socialisme au Mali n'a pas assuré la stabilité politique. L'une des rhétoriques de légitimation du nouveau pouvoir est l'élimination du socialisme. L'insertion de l'ordre libéral dans l'économie malienne en général et dans les mines en particulier est, dès lors, progressive, allant de la reconnaissance du droit de propriété privée à la vente des actifs publics.
Les pressions de la France
À l'arrivée aux affaires de Moussa Traoré, le Mali s'est déjà rapproché de la France pour rompre avec la nationalisation de l'économie. Cet engagement a été pris par le gouvernement de Modibo Keïta dans le cadre des accords monétaires franco-maliens (1967), dont l'une des conséquences immédiates est la dévaluation du franc malien la même année. La libéralisation de l'économie malienne était la condition posée par le gouvernement de Gaulle pour coopérer à la convertibilité du franc malien, créé depuis 1962 (5).
Au cours des deux ans qui suivent la prise du pouvoir par les militaires, plusieurs missions diplomatiques françaises se rendent au Mali pour rappeler l'exigence française de l'application de ces accords. L'extrait suivant du compte rendu de la mission conduite auprès de Moussa Traoré, en janvier 1970, par Yvon Bourges (alors secrétaire d'État aux Affaires étrangères), témoigne de la pression française sur le dirigeant malien :
- Monsieur Yvon Bourges a souligné avec la plus grande insistance les graves préoccupations que causait au gouvernement français l'aggravation de la situation générale du Mali sur les plans économique et financier, et en particulier la détérioration constante du compte d'opération, la persistance du déficit budgétaire et l'absence de tout signe de redressement des sociétés d'État et de la Banque du développement du Mali. Il a insisté très vivement sur la nécessité de prendre dans tous ces domaines des mesures immédiates […] et indiqué que l'effort de la France en faveur du Mali ne pourrait se poursuivre que si le gouvernement malien donnait des preuves de sa bonne volonté d'aboutir : l'heure n'est plus aux déclarations d'intention mais aux actes.
C'est dans ce contexte que le gouvernement de Moussa Traoré libéralise l'économie, en cassant le monopole des entreprises publiques. L'une des mesures emblématiques est la suppression, en 1971, du monopole de la Somiex sur le commerce. Pour le cas particulier des mines, l'État reconnaît le droit de propriété privée sur celles-ci grâce à la réforme du code minier de 1969, qui met fin également au monopole de la Sonarem.
Attirer les investisseurs étrangers
Par ailleurs, l'État supprime, dès 1969, la disposition légale qui excluait la privatisation des entreprises publiques sous Modibo Keïta. Cela signifie qu'au Mali le mouvement de privatisation est antérieur aux programmes d'ajustement structurel (PAS) des institutions financières internationales, qui ne commencent qu'en 1982. Néanmoins, c'est dans le cadre des PAS – autrement dit sur l'injonction de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international – que la plupart des entreprises publiques sont dissoutes, comme la Somiex, en 1988.
Le gouvernement Moussa Traoré ne dissout pas d'entreprise minière. Au contraire, en partenariat avec l'URSS, il crée une entreprise publique extractive en 1983, la Société de gestion et d'exploitation des mines d'or de Kalana (Sogemork). Le gouvernement vend, toutefois, des données géologiques nationales aux compagnies étrangères : l'américaine Ree-Co Minerals Inc, l'austro-américaine BHP-Utah et la canadienne Iamgold. En outre, pour offrir une meilleure protection juridique aux groupes miniers étrangers, le gouvernement consent, à partir de 1987, au transfert de l'autorité judiciaire de l'État vers le Cirdi. Ce dernier appartient au groupe de la Banque mondiale et siège à Paris.
Comme l'illustre l'extrait suivant d'un entretien à Bamako, en 2017, avec un ancien haut fonctionnaire des mines, ces politiques libérales visaient à rendre le sous-sol attractif :
- Nos pays ont décidé de créer les meilleures conditions pour attirer les investisseurs. C'est là où on a mis la stabilisation du régime, c'est là où on a mis les exonérations douanières, les exonérations fiscales ; c'est là où on a conçu la limitation de la participation, c'est là où on a mis tellement de petites choses qui pouvaient attirer les investisseurs. Et dont l'objectif était de permettre à ces investisseurs de rentrer le plus facilement dans leurs fonds. Donc, les garanties participaient de cela, les avantages fiscaux participaient de là, la fiscalité et mieux encore, même en ce qui concerne le règlement des différends. On a décidé que ces différends ne seront plus réglés dans nos pays, que c'est le Cirdi qui sera l'instance de règlement des différends entre les sociétés minières et nous. Les sociétés minières, en réalité, ce ne sont pas des sujets de droit international. Ce sont les États qui sont sujets de droit international. Mais par cet artifice juridique, on les a élevées au même niveau que nous.
Dans le même sens, en juillet 1995, Ibrahim Abba Kantao (directeur national de la Géologie et des Mines) soutient dans L'Essor (média public) que, sans les multinationales, le développement des industries extractives au Mali sera impossible : « Je ne pense pas que la libéralisation du secteur minier soit préjudiciable à notre pays. [...] Et tant qu'on ne prône pas le libéralisme, nos ressources n'auront pas de chance d'être exploitées. »
En 1991, un code minier ultralibéral
L'introduction de l'ordre libéral au Mali et plus généralement en Afrique ne s'est pas opérée uniquement sous la pression de l'extérieur. Elle est le fruit de la « rencontre (6) » entre des volontés locales et extérieures.
En mars 1991, le pouvoir de Moussa Traoré est renversé à son tour par un coup d'État militaire conduit par le colonel Amadou Toumani Touré, communément appelé ATT. Celui-ci deviendra plus tard général d'armée, comme son prédécesseur. ATT rend le pouvoir aux civils un an plus tard, avant de le reprendre par les urnes en 2002. Cependant, dans la courte période 1991-1992, son gouvernement franchit un pas décisif. Il dissout la Sogemork en février 1992.
Un an plus tôt, avec l'assistance de la Banque mondiale, son gouvernement élabore un nouveau code minier, le plus favorable aux compagnies privées de toute l'histoire du Mali, y compris la période coloniale. Ce code octroie des exonérations douanières aux entreprises sur les produits pétroliers pour toute la durée de leur contrat, soit trente ans, alors que dans le code précédent (1970) ces exonérations n'étaient concédées qu'en phase de recherche géologique. En outre, il baisse la taxe ad valorem (taxe sur la valeur des ventes) de 5 % à 3 %. Aussi, contrairement au code de 1970 qui ne prévoit pas de seuil de participation de l'État dans les sociétés mixtes, celui de 1991 limite cette participation à 20 %. De plus, le code de 1991 cantonne les droits de l'État sur les produits miniers à la stricte perception des impôts et dividendes.
Les injonctions de la Banque mondiale
La plupart de ces dispositions seront reprises dans les codes ultérieurs, jusqu'à celui de 2023. Contrairement à ses successeurs, le code de 1991 impose peu de contraintes écologiques aux multinationales. Enfin, il leur garantit la stabilité fiscale tout en leur permettant de choisir le code qui leur paraît le plus favorable. En d'autres termes, l'État ne les contraint pas à se soumettre à la nouvelle réglementation, mais les multinationales sont libres de migrer vers elle à leur guise.
Ainsi, les multinationales, dont les activités étaient jusque-là régies par le code minier de 1970, obtiennent les avantages de celui de 1991. C'est ce qui explique pourquoi, de 1991 à 2017, les plus importantes mines d'or maliennes étaient régies par le code de 1991, bien qu'initialement soumises à celui de 1970. C'est le cas des mines de Loulou (exploitée par Randgold puis Barrick Gold), Syama (exploitée par BHP-Utah, Randgold puis Resolute Mining), Sadiola (exploitée par Iamgold et la sud-africaine Anglogold Ashanti puis la canadienne Allied Gold). Lorsqu'il est question de renouveler leur contrat d'extraction de la mine de Sadiola, en 2017, Anglogold Ashanti et Iamgold sont réticentes à se voir appliquer le code de 2012 alors en vigueur, revendiquant les avantages du code de 1991. C'est le principal point de désaccord avec l'État.
Le point culminant de la libéralisation de l'extraction industrielle des mines maliennes est la dissolution, en 2000, de la dernière société publique minière, la Sonarem, par le gouvernement Alpha Oumar Konaré. Cela fait écho à l'idée de la Banque mondiale selon laquelle les États doivent se désengager de l'extraction au profit du privé pour leur stabilité politique. Lors d'une interview réalisée en 2021, un ancien conseiller de cette institution a expliqué que cette idée avait été diffusée en Amérique latine d'abord, puis en Afrique : « C'est la Banque mondiale qui a commencé à dire : “Voilà, vous avez un potentiel en cuivre, en or, etc. Vous ne pouvez pas continuer à exploiter par vous-mêmes ces gisements. Parce que le risque est trop grand. Vous avez un gisement de cuivre et le prix du cuivre tombe : vous ne pouvez plus continuer à sortir du cuivre. Et vous faites ça avec l'argent de la nation.” La Banque mondiale a dit : “Laissez les compagnies minières prendre ce risque d'investir.” »
Rangold, « l'une des grosses plaies »
Les pressions que les militaires exercent sur les firmes transnationales minières résultent d'idées antérieures à leur arrivée au pouvoir sur le partage jugé inéquitable des ressources. Cette perception de certains hauts cadres était aussi celle de beaucoup de citoyens maliens.
Interviewé en 2017, le représentant malien d'une multinationale confiait que sa propre épouse l'accusait de complicité de pillage des ressources du Mali. Même certains de ceux qui s'enrichissaient avec l'or du Mali admettaient que l'État gagnait moins que les compagnies étrangères. Les avantages du code de 1991 étaient perçus comme abusifs par de hauts responsables de l'administration des Mines, qui s'en ouvraient régulièrement, y compris en public.
Pour le cas particulier de Randgold (devenue Barrick Gold), de hauts fonctionnaires chargés du recouvrement des revenus miniers de l'État ne cachaient pas leur exaspération qu'elle n'ait versé aucun dividende au Mali depuis le démarrage de l'exploitation de la mine de Loulo, en 2005. L'extrait suivant de l'entretien réalisé avec l'un d'eux, par l'auteur de ces lignes, en 2017, en témoigne :
- L'une des grosses plaies du secteur minier actuellement concerne Randgold. À chaque réunion, nous attirons l'attention des gouvernants sur ce point-là. Depuis la création de Loulo, il y a bientôt vingt ans, Randgold n'a pas payé un franc de dividende à l'État. Parce que dans leur convention, il y a un paragraphe qui dit que tant que [la mine] doit un franc à un actionnaire, il ne peut pas y avoir de dividende tant que ce montant n'a pas été soldé. Donc, Randgold a profité de cette clause pour endetter la mine régulièrement, bien que faisant des profits extrêmes. On a toujours dénoncé ça. À chaque fois qu'un nouveau ministre des Finances vient ou un ministre des Mines, ils disent qu'ils vont revoir la situation. Mais après ça, quand ils rencontrent la société, on n'entend plus rien.
En réalité, la critique des politiques libérales de l'État et des multinationales remonte aux années 1990. Si les gouvernements successifs ont souvent été dénoncés pour leur bienveillance à l'égard des multinationales, aucun n'a pris de décision radicale. La critique restait donc dans le vide.
La fin de l'âge d'or du libéralisme ?
En comblant ce vide par des poursuites pénales contre des responsables de compagnies étrangères, par l'imposition d'un nouveau code minier rétroactif, par le rehaussement de la participation de l'État dans le capital des sociétés minières à 30 % avec la possibilité d'obtenir cette part en produits miniers, ainsi que par la création d'une société publique minière (2022), les militaires au pouvoir rompent avec l'héritage des programmes d'ajustement structurel. Indéniablement, c'est la fin de l'âge d'or du libéralisme dans l'extraction minière industrielle au Mali.
Avant eux, d'autres militaires, autour du capitaine Amadou Haya Sanogo, tombeur d'ATT en 2012, ont esquissé une posture de fermeté à l'égard des compagnies minières. C'est ainsi qu'ils se sont rendus, armés, sur le site aurifère de Sadiola, dans l'Ouest, pour inspecter le local où l'or était transformé en lingots. Mais le pouvoir de Sanogo fut trop éphémère pour s'imposer.
À ce stade, il est difficile de parler de retour de l'histoire. Car, contrairement au pouvoir de Modibo Keïta, le pouvoir actuel ne revendique pas le monopole de l'État sur les mines et n'a pas aboli le droit de propriété privée. Les nationalisations en cours diffèrent de celles de la décennie 1960 en ceci qu'elles ne portent pas sur l'appropriation totale des activités d'extraction industrielle minière. Il s'agit plutôt du rachat par l'État de mines antérieurement exploitées par les multinationales. Mais les deux régimes ont en commun de s'inscrire dans le renforcement de l'entrepreneuriat d'État, entretenu par rhétorique de la souveraineté nationale.
Notes
1- Les deux parties ont entamé un nouveau cycle de discussions le 28 janvier.
2- Daniel Yergin, Joseph Stanislaw, La Grande Bataille : les marchés à l'assaut du pouvoir, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000.
3- Journal officiel malien, 15 novembre 1960.
4- Seydou Badian Kouyaté, Les Dirigeants africains face à leur peuple, Paris, François Maspero, 1964.
5- Loi n° 62-54 A.N.-R.M « portant réforme monétaire en République du Mali ».
6- Anna Lowenhaupt Tsing, Friction : délires et faux-semblants de la globalité, Paris, La Découverte, 2020.
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Sheinbaum contre Trump

Je pense aux menaces d'augmentation des droits de douane contre la Colombie et contre le Panama que D. Trump prétend reprendre. Beaucoup ne savent pas que tout cela, mêmes ces menaces proférées sont en violation de la Charte de l'Organisation des États américains que les États-Unis ont contribué à fonder. Son art. 20 stipule : « Aucun État ne peut utiliser ou encourager l'utilisation de mesures coercitives de caractère économique ou politique en vue de contraindre la volonté d'un autre État pour en tirer quelque avantage que ce soit ».
Democracy Now, 29 janvier 2025
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr
Amy Goodman : (…) Jeudi, la Présidente du Mexique, Mme Claudia Sheinbaum, rejoindra d'autres leaders latinoaméricains.es à Teguicigalpa au Honduras. C'est une réunion d'urgence pour s'entendre sur la réponse à donner aux expulsions de masse et autres décisions du Président américain. Dans un de ses premiers décrets, il désigne les cartels mexicains « d'organisations terroristes » et poursuit en envoyant 1,500 soldats.es à la frontière avec le Mexique. Voici la réponse de Mme Sheinbaum à une question d'un.e journaliste à ce sujet.
Journaliste : Les cartels étant considérés comme des organisations terroristes, quelles mesures le Mexique va-t-il prendre dans de futurs cas comme celui-ci Mme la Présidente ?
Mme Sheinbaum : Nous combattons ces groupes criminels et ce que nous demandons, c'est de la collaboration et de la coordination. Les décisions unilatérales n'aident pas. La collaboration, oui. Nous procédons en ce moment à une analyse des implications pour diverses organisations non liées au crime pour qui par cette décision pourraient être confrontée à des problèmes économiques. Quoi qu'il en soit, nous voulons faire une proposition aux États-Unis avec qui nous devons travailler pour que nous puissions collaborer.
A.G. : En même temps, Mme Sheinbaum s'est moquée de la volonté du Président Trump de renommer le Golfe du Mexique, « Golfe de l'Amérique » tel qu'il l'a annoncé durant une récente conférence de presse. Elle s'est installé devant une carte datant de 1607 où la majorité de l'Amérique du nord est identifiée comme « Amérique mexicaine ».
Mme Sheinbaum : Les Nations unies ont reconnu le nom de « Golfe du Mexique ». Mais pourquoi ne pas adopter le terme Amérique mexicaine ? Ça a belle allure n'est-ce pas ? Depuis 1607, la Constitution de Apatzingan parlait d'Amérique mexicaine, donc, allons-y, utilisons ce vocable. Ça a belle allure n'est-ce pas ? Alors, le Golfe du Mexique se nomme ainsi depuis 1607 et il est aussi reconnu internationalement.
A.G. : Cette semaine, Google a annoncé qu'il renommerait le Golfe du Mexique, « Golfe d'Amérique » sur son moteur Google Map pour les utisateurs.rices américians.es.
Pour aller plus loin quant aux 100 jours de la Présidente mexicaine, Mme Sheibaum, nous rejoignons Edwin Ackerman, sociologue et professeur à l'Université de Syracuse. Il est l'auteur de « Origins of the Mass Parties : Dispossession and the Party-Form in Mexico and Bolivia.
Professeur Ackerman, soyez à nouveau le bienvenu sur Democracy Now. Pourquoi ne répondez-vous pas à ce que nous venons juste de diffuser ? Et donnez-nous vos commentaires sur les 100 premiers jours de la première Présidente du Mexique.
Edwin Ackerman : Merci beaucoup de votre invitation.
Je pense que ces 100 derniers jours ont été définis par une constante tension dans les négociations avec l'administration Trump ; nous pourrons en parler un peu plus. Mais je voudrais aussi souligner qu'intérieurement, ces 100 jours ont valu la peine publiquement au Mexique. Ils ont été marqués par une série de réformes constitutionnelles, environ une douzaine, au cours de ces trois mois. Il faut se rappeler que Mme Sheinbaum a été élue avec une forte majorité, soit les deux tiers dans les deux Chambres. C'est en quelque sorte un héritage de la popularité de son prédécesseur appelé familièrement AMLO. À titre personnel elle détient un niveau de popularité qui lui a permis de mettre de l'avant de très importantes réformes constitutionnelles qui vont des droits des autochtones, aux droits au logement et probablement le plus controversé portant sur la sécurité nationale. N'est-ce pas une très importante partie de ces 100 jours ?
Il y a aussi eu le dévoilement du très important plan économique de six ans qui devrait toucher plusieurs éléments de ce qu'on appelle, industrialisation pour substituer aux importations. C'est une sorte de politique qui a existé dans les pays d'Amérique latine durant les années 1950 jusqu'aux années 1970 approximativement et qui a donné une croissance économique significative en développant la production nationale pour remplacer les importations de façon stratégique.
Ceci dit, la violence des cartels continue. C'est clairement un enjeu de long terme. Elle n'a pas diminué d'aucune façon. On voit quelques signes de baisse dans le taux d'homicide mais par ailleurs, il y a des concentrations significatives de la violence, des poches notamment dans l'État de Sinaloa (qui se sont renforcées) au cours des trois derniers mois. La ville de Culiacan a été paralysée par la violence. Donc ça continue et c'est très sérieux.
Finalement, je veux mentionner les relations avec D. Trump qui a menacé (le Mexique) de droits de douane supplémentaires en lien avec le trafic et la production de Fentanyl au Mexique. Ou plutôt, présumément la production de Fentanyl dans le pays et encore la question de savoir comment gérer les expulsions, non seulement celle des citoyens.nes du Mexique mais encore plus difficile celle des non citoyens.nes qui arriveront sur le sol mexicain ; c'est un autre niveau de complications dans les négociations.
Juan Ganzalez (d.n.) : Professeur Ackerman je voulais vous demander si vous pourriez nous en dire plus sur les réformes qui ont été adoptées. (Mme Sheinbaum) profite de 80% d'appuis positifs par le public mexicain. Beaucoup qui n'ont pas voté pour elle la soutienne maintenant. Certaines de ces réformes comme la baisse de l'âge de la retraite pour les femmes de 65 ans à 60 ans. Quel est son argumentation à ce sujet ?
E.A. : D'accord. Il y a eu une série de réformes qui expliquent en partie sa popularité comme vous l'avez mentionné. En particulier celles qui visent les femmes. Elle a expliqué lors de ces conférences matinales que, pour des raisons historiques, ce sont les femmes qui ont toujours absorbé une part très importante des tâches domestiques sans salaire. Comme elle l'a souligné encore une fois, c'était ainsi pour des raisons historiques. Donc, pour elle c'est une raison de baisser leur âge d'accès à la retraite contrairement aux hommes.
J.G. : Et il y a eu des changements majeurs du côté des ressources naturelles du Mexique, par exemple pour ce qui est des bénéfices sociaux que les compagnies pétrolières et autres industries critiques devront appliquer. Pouvez-vous nous parler de cela aussi ?
E.A. : D'accord. Il y a eu d'importants changements dans le secteur de l'énergie ; le gouvernement en veut une part plus importante ou devenir un actionnaire plus important dans les marchés et recentrer son rôle. En examinant la liste des réformes vous voyez que c'est le thème dominant. Par exemple, dans un secteur un peu différent, celui du logement, une importante réforme est maintenant en place qui transforme l'existant fond national de crédit qui est là depuis des décennies, et lui donne maintenant l'obligation de mettre de ces crédits dans la construction de logements abordables. C'est faire de cette institution de fonds une agence active dans la construction avec le but de construire un million de nouveaux logements au cours des six prochaines années. L'État s'introduit directement dans l'enjeu du logement.
A.G. : Mme Sheinbaum est une scientifique du climat et elle est l'ancienne mairesse de Mexico. Pouvez-vous nous parler de ce que représente l'arrivée de D. Trump à la présidence et comment Mme Sheinbaum devrait répondre ? J. Trudeau est allé souper à Mar-a-Lago et il a dû démissionner. (…) Mme Sheinbaum n'a pas fait ça ni rien de semblable (…) même quand la menace d'augmentation des droits de douanes contre son pays (…) est arrivée (…) mais elle accepte le retour des migrants.es citoyens.nes du Mexique expulsés.es par avion.
E.A. : D'accord, c'est exact. Donc, je pense que le gouvernement mexicain a adopté une stratégie basée sur son expérience antérieure durant le premier mandat de D.Trump. Il faut se rappeler que AMLO était au pouvoir une partie du temps. Nous avons quelques archives, une sorte d'histoire de la manière de négocier avec D. Trump. Il semble que le gouvernement ait évalué que la diplomatie, une sorte de pensée diplomatique stratégique, valait mieux que les confrontations publiques pour atteindre des résultats. On a vu plusieurs exemples de ça durant le premier mandat Trump dans ses interactions avec AMLO. Il y a aussi eu des menaces d'augmentation des droits de douanes à cette époque. Plusieurs de ces mesures ont été neutralisées après avoir été brandies. Je pense que Mme Sheinbaum a été capable jusqu'à maintenant d'en faire autant.
Je pense que cela a à voir avec certaines choses. Premièrement, il faut se placer avant les années Trump. Il n'est pas exagéré de dire que, du point de vue mexicain à propos de beaucoup d'enjeux, il n'y a pas de différence entre les administrations démocrates ou républicaines. Si vous pensez à la construction du mur, elle a commencé sous une administration démocrate sous Clinton en 1994 et s'est poursuivie sous Obama. Donc, ce mur n'est pas le propre de D. Trump. Quant aux expulsions de masse, je ne doute pas que votre auditoire est bien au fait que durant les administrations Obama et Biden il y en a eu un nombre significatif encore plus important que durant le premier mandat de D. Trump. Et même les pressions pour que le Mexique prenne des mesures contre l'entrée de migrants.es de l'Amérique centrale aux États-Unis ont été exercées avant que D. Trump ne le fasse. Il y a donc une longue expérience de négociations ou de conversations évidemment très difficiles (entre ces deux pays) dans des conditions complètement inégales.
Ensuite, je veux dire aussi que l'administration mexicaine pense que cette histoire de droits de douanes est un bluff. Pas seulement parce que de telles menaces ont déjà existé sans rien donner de concret mais aussi parce qu'il y a des raisons structurelles pour que cette imposition n'aie pas lieu ; les États-Unis se tireraient dans le pied. Non seulement les prix pratiqués aux États-Unis augmenteraient et seraient refilés aux consommateurs.rices mais plus largement cet usage des droits de douanes est lié à un stade de développement du capitalisme qui n'existe plus. Le point de vue qui guide D. Trump prétend que vous pouvez propulser les capitalistes nationaux alors que nous sommes à l'âge de la globalisation du capital. Par exemple, vous imposez des droits de douane aux importations venant du Mexique, est-ce que l'on sait si ces produits ont été produit avec des capitaux mexicains plutôt qu'américains ou internationaux ? Donc, cela établit des limites à la politique des droits de douane.
J.G. : Professeur, je veux que nous continuions sur ce sujet parce que clairement, puisque le Mexique est le plus important partenaire commercial des États-Unis en ce moment, cette politique serait contreproductive pour le Mexique mais aussi pour de plus petits pays d'Amérique latine.
E.A. : C'est vrai.
J.G. : Je pense aux menaces d'augmentation des droits de douane contre la Colombie et contre le Panama que D. Trump prétend reprendre. Beaucoup ne savent pas que tout cela, mêmes ces menaces proférées sont en violation de la Charte de l'Organisation des États américains que les États-Unis ont contribué à fonder. Son art. 20 stipule : « Aucun État ne peut utiliser ou encourager l'utilisation de mesures coercitives de caractère économique ou politique en vue de contraindre la volonté d'un autre État pour en tirer quelque avantage que ce soit ». Croyez-vous que cette politique du Président Trump va renforcer l'opposition de l'Amérique latine contre les États-Unis ?
E.A. : Je le crois. On soupçonne que cela est en train d'arriver en ce moment. Il y a des discussions, des possibilités de réunions pour rafraîchir certaines tentatives de collaboration qui existaient déjà sous des formes institutionnelles. Cela a été particulièrement en marche durant ce qui a été une première vague dite « vague rose » qui a commencé au début des années 2000 quand une série de gouvernements progressistes sont arrivé au pouvoir sur tout le continent sud-américain. Certains de ces efforts ont ensuite été abandonnés ou mis de côté lorsque les formations de droite ont été élues dans ces pays. Mais une nouvelle vague rose arrive qui est partiellement intéressée et ce avant la prise du pouvoir par D. Trump, à créer des liens plus solides politiquement pour coordonner les réponses et économiquement pour une certaine intégration de leurs économies. On a beaucoup entendu parler de cela au cours des trois derniers mois.
A.G. : Je vous remercie Professeur Ackerman. (…) Dernière heure : La Présidente du Honduras, Mme. Xiomara Castro déclare qu'elle a annulé la réunion de mardi de la CELAC (Communauté des États latinos américains et caraïbéens) pour manque de consensus.
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L’ennemi numéro un du Mexique

Il n'y a pas de place pour l'erreur. Le président des États-Unis, Donald J. Trump, aujourd'hui pour la deuxième fois, n'est pas un simple homme dérangé qui laisse libre cours à ses caprices et à ses excentricités politiques. Au-delà de sa personnalité dure et abominable, il est, et a toujours été, un homme d'affaires qui, en tant que tel, vient à personnifier les tendances idéologiques et politiques qui ont pris racine dans un large secteur de la société américaine. Et c'est là que réside le danger.
https://rebelion.org/el-enemigo-numero-uno-de-mexico/
27 janvier 2025
Plusieurs éléments, même contradictoires, s'entremêlent dans cette idéologie : le classisme, le racisme, la xénophobie, le nationalisme exacerbé et agressif, la nostalgie d'une époque imaginaire où les États-Unis ont émergé en puissance, par conséquent un expansionnisme et un néocolonialisme ravivés qui nous renvoient plus au XIXe siècle ou au début du XXe qu'au XXIe. Par son homophobie et son suprémacisme WASP (blanc, anglo-saxon, protestant), entre autres.
L'idée centrale de Trump (au moins au niveau de la propagande), qui avait déjà pénétré un large secteur de la société américaine depuis sa campagne de 2016 mais encore plus dans cette campagne de 2024, est incarnée dans le slogan Make America great again (MEGA). On y voit l'attitude défensive face au déclin de la puissance américaine sur la scène planétaire et le monde multipolaire. Un déclin lent mais très perceptible. Les prévisions indiquent que d'ici quelques années, la Chine sera la première puissance mondiale dans l'ordre économique, technologique et peut-être militaire. Le groupe croissant des BRICS apparaît à ses côtés, qui vise à éliminer le dollar en tant que monnaie dominante dans le commerce et la finance au niveau international. La balance commerciale des États-Unis est déficitaire avec les principales nations dans les termes de l'échange : le Mexique, la Chine et le Canada. Malgré la tendance présumée à la relocalisation des entreprises, 59 milles nouvelles entreprises ont été créées en Chine en 2024 en tant qu'investissement direct étranger (IDE), ce qui impliquait une augmentation de 9,9% en glissement annuel (https://www.jornada.com.mx/noticia/2025/01/18/economia/china-arribaron-59-mil-empresas-de-inversion-extranjera-en-2024-1306).
L'idéologie politique et sociale du trumpisme est alimentée centralement par le néoconservatisme qui a émergé dans la seconde moitié des années 1970 en réponse à la révolution culturelle et au virage à gauche du Parti démocrate après 1968, contre la guerre du Vietnam, dans les luttes pour les droits civils des minorités et la révolution sexuelle. La « révolution conservatrice » a été menée par des idéologues et des politiciens tels que Raymond Aaron, Patrick Moynihan, Daniel Bell, Newt Gringrich, Milton Friedman et d'autres, qui ont atteint le pouvoir politique avec l'arrivée de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis et l'accession de Margaret Thatcher comme première ministre de Grande-Bretagne. Ils ont postulé la réduction des impôts, la déréglementation des marchés et la contraction de l'État uniquement à ses fonctions minimales de sécurité nationale et de sécurité publique, au détriment des fonctions sociales telles que l'éducation, la santé et l'assistance aux pauvres.
La différence entre Trump et ceux qui l'entourent et leurs prédécesseurs dans les années 1980 et 1990 est qu'ils étaient libéraux en ce qui concerne le commerce. Trump a incorporé le protectionnisme comme expression du nationalisme extrême. Mais, comme pour eux, sa base est constituée par les secteurs religieux traditionnels et le conservatisme ancestral de la société américaine. À présent, il a également intégré les secteurs intermédiaires avec ses aspirations et les groupes qui se sentent menacés ou ont été touchés par l'ouverture du commerce aux fabricants asiatiques, beaucoup d'entre eux entrant par le Mexique par l'ancien ALENA, puis l'AEUMC, y compris le prolétariat des anciennes industries situées dans le nord du pays. Ajoutez à cela son aversion xénophobe pour les immigrants, chez qui il voit également une menace pour l'emploi blanc parce qu'ils acceptent des salaires plus bas et changent le profil démographique du pays.
Or ce Trump 2.0 ou « reloaded », comme il est traité dans la presse, propose un isolationnisme virtuel et un discours impérialiste qui réédite la politique américaine du XIXe siècle et du début du XXe. Dans son discours d'investiture, il a fait référence à la Loi sur les ennemis étrangers de 1798, à la Destinée manifeste et aux anciens présidents McKinley et Theodore Roosevelt, des protectionnistes qui, depuis la guerre avec l'Espagne décadente, ont étendu leurs domaines territoriaux à Porto Rico, aux Philippines et à Cuba. Il s'agit d'un revers idéologique d'au moins 150 ans, mais avec la puissance technologique et militaire supérieure que les États-Unis conservent encore aujourd'hui. Sur cette base, il propose de conquérir le Groenland, de récupérer le canal de Panama pour les États-Unis et même d'annexer le Canada en tant que nouvel État de l'Union américaine. Des objectifs que même l'impérialisme le plus extrême ne s'était pas fixés jusqu'à récemment, peut-être en pratique irréalisables pour des raisons que je n'exposerai pas ici.
Trump, un grand magnat de l'immobilier, bien qu'il ait eu quelques échecs dans ce domaine, n'arrive pas seul. Depuis sa campagne, et plus encore lorsqu'il a triomphé aux élections de novembre, il a intégré plusieurs des hommes les plus riches des États-Unis et du monde. Elon Musk, le plus haut représentant de l'oligarchie technologique, se distingue comme un proche conseiller et promoteur de l'actuel président, et nouveau fonctionnaire en charge du département de l'efficacité du gouvernement, également nouvellement créé. Entre autres tâches, il cherchera à moderniser les instruments de gestion pour la collecte des tarifs que le président a l'intention de facturer, et à appliquer une « austérité franciscaine » pour réduire les dépenses et réduire l'énorme déficit budgétaire dont il a hérité. Avec Trump, l'oligarchie pétrolière arrive à la Maison-Blanche, détruisant des projets d'économie verte et des sources d'énergie propre, cherchant à augmenter considérablement la production de pétrole brut et de ses dérivés et proposant de revitaliser l'industrie nationale de l'essence, aujourd'hui menacée par des unités d'origine asiatique.
L'intégration de ces personnages, devenant à la fois grands hommes d'affaires et fonctionnaires de l'État, soulève à nouveau le vieux débat parmi les marxistes sur l'État : la classe capitaliste a-t-elle tendance à occuper directement la direction des institutions de l'État ou à déléguer cette fonction aux professionnels de l'administration publique, une bureaucratie d'État comme celle proposée par Max Weber ?
L'administration Trump est consciente de la détérioration et du déclin de son pays dans le contexte mondial et cherche à l'inverser en peu de temps avec des mesures radicales qui nichent dans l'imaginaire collectif d'une grande partie de la société américaine : retrouver son rôle non seulement hégémonique mais dominant dans le contexte mondial. Il parle ainsi, de manière populiste, d'une « révolution du bon sens » et d'un nouvel « âge d'or » du pouvoir américain.
Quant au Mexique, Trump a depuis longtemps ouvert ses cartes. Les points de pression sur le gouvernement récemment installé de Claudia Sheinbaum sont connus : la menace d'imposer des droits de douane en dehors de l'AEUMC et maintenant la demande de le revoir avant 2026 ; la déclaration déjà exécutée de considérer les cartels de drogue comme des gangs terroristes, ce qui ouvre la porte à une plus grande ingérence, même territoriale, dans notre pays ; la fermeture de la frontière avec le Mexique pour prévenir l'immigration illégale et lutter contre le trafic de drogues, en particulier le fentanyl ; la transformation une nouvelle fois du Mexique – comme il l'a fait en juin 2019 – en un tiers pays sûr pour retenir les migrants d'autres pays ici et expulser ceux qui se trouvent déjà sur le territoire américain ; la reprise de la construction du mur frontalier suspendu par l'administration de Joe Biden ; pour expulser des centaines de milliers de travailleurs mexicains (qui, selon les estimations, pourraient atteindre cinq millions) qui sont sans documents d'immigration aux États-Unis.
Le nouveau président yankee est donc présenté comme la plus grande menace et le plus grand ennemi du Mexique en ce moment. Son argument essentiel s'appelle la force. Il peut ainsi contourner les lois et les traités (tels que l'AEUMC et les conventions sur les droits de l'homme), intervenir dans d'autres territoires, violer les droits des travailleurs immigrés et menacer d'autres pays à la convenance de l'oligarchie financière qui a directement pris le pouvoir politico-militaire de ce qui est encore la plus grande puissance mondiale. La guerre tarifaire entre les États-Unis et le Mexique, si elle était déclenchée, tuerait dans le berceau le soi-disant Plan Mexique, qui tente d'attirer des investissements industriels et de services en tirant parti de l'avantage comparatif que l'AEUMC donne à notre pays, et même les entreprises du secteur automobile déjà établies sur notre territoire pourraient émigrer.
Et Trump trouve notre pays dans des conditions de grande vulnérabilité. Avec un déficit budgétaire historique de 5,9% du PIB hérité du gouvernement de López Obrador et que Claudia Sheinbaum doit de toute urgence réduire (c'est-à-dire sans marge pour augmenter les dépenses sociales en faveur des personnes expulsées massivement) ; avec une dette publique qui atteint un niveau record, de 16 billions de pesos ; avec une faible croissance économique prévue à 1,2% par la CEPALC pour 2025, la plus faible du continent américain ; avec près de 80% de notre commerce extérieur qui dépend des États-Unis ; avec l'intention de relocaliser l'industrie et les services en suspens, en raison des doutes que la réforme judiciaire et la disparition des organismes autonomes suscitent quant à la sécurité juridique dans le pays, et en raison des problèmes de sécurité publique eux-mêmes ; avec la dépendance croissante de la balance des paiements mexicaine à l'égard des envois de fonds du nord ; avec des réductions budgétaires pour le service consulaire, qui aurait entre ses mains la responsabilité de défendre les Mexicains menacés d'expulsion ; et sans avoir conclu le remplacement à l'Institut national des migrations, toujours en charge de l'infortuné Francisco Garduño et aussi avec un budget insuffisant, le Mexique sera, une fois de plus, le troisième pays sûr dont Trump a besoin pour plaire à ses électeurs anti-immigrants.
De plus, déjà en 2019, Trump a soumis le gouvernement mexicain en le forçant, sous la menace d'augmenter les droits de douane, qu'il répète maintenant, à recevoir des immigrants sans papiers de toutes nationalités expulsés par les États-Unis et à fermer les frontières nord et sud en utilisant l'armée et la Garde nationale, donnant un virage radical à la politique d'immigration que López Obrador avait initialement proposée. Quelque temps plus tard, Trump se moquait de cet épisode tragique pour des myriades de travailleurs migrants et leurs familles et pour le pays, racontant comment il a mis à genoux le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Marcelo Ebrard. « Je n'ai jamais vu quelqu'un plier comme ça », a-t-il déclaré lors d'un rassemblement avec des supporters dans l'Ohio en 2022.
Pendant des décennies, le Mexique a fondé ses relations étrangères presque exclusivement sur le Nord. L'ALENA et l'AEUMC sont l'expression de cette politique préférentielle ou obligatoire, tout comme la coopération militaire des gouvernements récents, y compris ceux d'Andrés Manuel López Obrador et de Claudia Sheinbaum Pardo. Cela est corroboré par d'autres formes de dépendance : financière, technologique, monétaire (en raison de l'afflux croissant d'envois de fonds qui contribuent aux réserves nationales et à la stabilité du peso).
Aujourd'hui, le Nord menace de se retourner contre le Mexique, et nos liens avec le Sud et les autres blocs internationaux sont trop faibles pour y trouver suffisamment de soutien pour résister. La solitude du pays dans le nouveau contexte géopolitique qui devrait être menaçant semble être la destination de l'ère Trump 2.0 qu'on inaugure.
Il est vrai que la politique agressive du trumpisme dans les différents ordres fait face à de nombreux inconvénients pour son propre pays, tels que la pression au niveau des salaires due aux pénuries de main-d'œuvre dans certains secteurs, et ils trouveront des formes de résistance - ils les trouvent déjà - à la fois au pays et à l'étranger. Pourtant, c'est une menace qui tend maintenant à être établie à long terme pour le Mexique, un pays pour lequel la croissance a été construite sur une dépendance négociée dont les règles ont maintenant changé.
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Brésil : « Le gouvernement a célébré l’accord Mercosur-Union européenne »

Bientôt deux ans après le retour de Lula au pouvoir, Israel Dutra, membre de la direction du MES (Movimiento Esquerda Socialista) et du PSOL (Partido Socialismo e Liberdade) du Brésil, dresse pour nous un tableau de la situation sociale et politique.
16 janvier 2025 | Hebdo L'Anticapitaliste - 737
Peux-tu établir un bilan des dernières élections municipales au Brésil fin 2024, et en particulier des résultats de la gauche ?
Le résultat des élections municipales d'octobre a renforcé la formation des forces dites du « centrão » qui en réalité n'est pas un courant de centre, mais un secteur de droite qui s'allie tantôt avec le gouvernement, tantôt avec l'opposition plus conservatrice...
Quatre éléments principaux peuvent être mis en évidence :
∙ Une forte tendance à réélire les maires en place, en raison des manipulations de fonds publics, fonds électoraux, investissements publics et autres avantages concentrés dans les mains de ceux qui sont déjà au gouvernement municipal ;
∙ Une grande apathie du mouvement de masse, accrue par l'abstention et le nombre de votes blancs et nuls ; il n'y a pas eu de grands événements ou de rassemblements de masse au cours de la période électorale. Le poids du financement public (un fonds d'un milliard de dollars pour tous les partis) a également provoqué une distorsion entre le grand nombre de personnes payées par les grands partis pour faire la campagne et la majorité militante des autres, réduisant l'espace pour le travail bénévole et l'action spontanée ;
∙ Au sein de la droite et de l'extrême droite, le résultat a été plus contradictoire. Alors que l'extrême droite a gagné des positions, avec des postes de maires et de conseillers municipaux, Bolsonaro a été davantage remis en question en tant que leader, alors que de nouveaux secteurs de droite ont émergé régionalement. Le renforcement des partis liés au « centrão », tels que le MDB (Movimiento democratico brasileno) et le PSD (Partido social democratico), témoigne de cette tendance ;
∙ La gauche en général et particulièrement le PT (Partido dos trabalhadores) et le PSOL lorsqu'il était allié au PT a été affaiblie comme cela a été le cas à Sao Paulo et à Belem (où le PSOL a perdu la mairie).
Malgré tout, le PSOL garde un poids significatif, remportant d'importantes victoires électorales, conservant et même augmentant son nombre de conseillerEs dans les principales capitales. L'élection de Porto Alegre — où le PSOL a remporté un siège, même si le candidat du PT a perdu au second tour — est un exemple.
Qu'en est-il de la campagne visant à envoyer Bolsonaro en prison après la publication du rapport de la police fédérale sur la tentative de coup d'État du 8 janvier 2023 ?
Après les élections, la situation nationale a connu des changements majeurs. Outre l'entrée en scène des jeunes secteurs du prolétariat (dont nous parlerons plus loin), Bolsonaro et ses pairs ont vu leur situation se compliquer fortement avec la révélation de plans de coup d'État incluant l'assassinat de Lula, du vice-président Alckmin et du ministre de la Cour suprême, Alexandre de Moraes. La violence et l'improvisation de ces plans, qui ont été révélés par la police fédérale, accusant 37 personnes, dont Bolsonaro, ont suscité une grande indignation au sein de la population. Malheureusement, il n'y a pas eu de grandes mobilisations pour cette campagne. Nous avons plaidé pour l'arrestation immédiate de Bolsonaro et de tous les auteurs du coup d'État, ce qui inclut des dirigeants politiques, des militants et même des chefs d'entreprise.
Quelles sont les grandes luttes du moment ? Vous pouvez notamment parler de la « VAT », la grève de Pepsico et la lutte contre le « 6 × 1 » ?
Les « bonnes nouvelles » viennent des lieux de travail. Un mouvement s'est formé contre le régime 6 × 1 (6 jours travaillés, 1 jour de repos) — qui est le temps de travail actuel dans la plupart des cas — exigeant une réduction de la semaine de travail. Ce mouvement a été organisé et centralisé par un mouvement national appelé « VAT » (Vida Além do Trabalho, « La vie au-delà du travail ») dont le principal dirigeant est Rick Azevedo, le conseiller PSOL le mieux élu à Rio de Janeiro. Un rassemblement national a été organisé le 15 novembre et a réuni des milliers de personnes, en particulier des jeunes, dans les rues afin de faire pression pour que le projet de loi sur la réduction du temps de travail soit adopté par le Parlement. La pétition en ligne a recueilli plus de 3 millions de signatures.
Parallèlement, les salariéEs de la multinationale Pepsico (Pepsicola) ont mené une grève de grande ampleur pendant neuf jours, donnant ainsi un retentissement national à la lutte contre le régime 6 × 1. Cette grève a été exemplaire, car bien qu'elle n'ait pas obtenu de résultats significatifs — seulement des victoires sur une partie des revendications initiales — elle a mis à l'ordre du jour la lutte pour la réduction de la journée de travail.
Qu'en est-il des autres mouvements sociaux, des sans-terre, des sans-abri ?
Nous sommes dans une période de grand reflux des mouvements sociaux, avec de nombreux secteurs sur la défensive. Il y a de grandes revendications, motivées par les inégalités dans le pays. Le MST (Mouvement des Sans-Terre) a adopté un ton plus critique à l'égard des mesures gouvernementales, tant en ce qui concerne la réforme agraire que les questions environnementales. C'est justifié, car on a de plus en plus l'impression que les choix du gouvernement fédéral en matière d'agenda économique sont une continuation de l'ajustement [du FMI], comme le paquet que le ministère des Finances veut approuver, qui comprend des coupes budgétaires dans plusieurs domaines sociaux. C'est absurde et nous faisons campagne contre ces coupes.
D'autre part, le mouvement environnemental commence à organiser sa mobilisation pour une année décisive, puisqu'en 2025 nous aurons la COP30 au Brésil, au cœur de l'Amazonie. Et les mouvements sociaux organiseront un vaste programme parallèle de mobilisation et de débats.
Quelles sont les mesures d'austérité budgétaire du ministre Haddad ? Qui s'y oppose et propose de les combattre ?
La proposition du ministre des Finances, Haddad, est accueillie avec euphorie par la fédération des banquiers (Febraban). Elle consiste à suivre le prétendu « plafond de dépenses », qui a été configuré par le prétendu « nouveau cadre fiscal », qui n'est rien d'autre qu'un modèle qui évite les dépenses publiques afin de continuer à payer les titres de la dette.
Le résultat concret est de réduire les prestations pour les plus pauvres (les personnes ayant besoin d'une assistance sociale) et de geler les salaires des fonctionnaires, ainsi que de réduire la croissance du salaire minimum pendant quelques années.
Il y a quatre semaines, nous avons lancé, avec des dirigeantEs politiques, des intellectuelLEs et des leaders sociaux, un manifeste contre ce train de mesures, qui n'a cessé de gagner en force et en soutien. Pour sortir de la crise budgétaire, il faudrait taxer les plus riches, lutter contre les privilèges, s'attaquer aux profits abusifs des banques et rouvrir le débat sur la dette publique.
Quelles sont les réactions à propos de l'accord Mercosur-Union européenne ?
Le Brésil a un poids fondamental dans une série d'accords politiques internationaux ayant un impact géopolitique. La position de Lula, par exemple sur la Palestine, dénonçant ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie comme un génocide, était correcte et importante.
Récemment, nous avons eu des réunions comme celle du G20 au Brésil. L'année prochaine, la COP30 se tiendra en Amazonie. C'est dans ce cadre que l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur a été annoncé, sous les vives protestations de pays comme la France.
Le gouvernement a célébré l'accord Mercosur-Union européenne comme une victoire, mais les mouvements sociaux émettent de fortes réserves. En particulier au sein du MST et de la Via Campesina, selon leurs dirigeants cela conduirait à une recolonisation européenne des pays du Mercosur. Il en résulterait un renforcement du modèle historique, oppressif et prédateur de la monoculture agro-exportatrice. Il s'agirait d'une étape dans la « reprimarisation » fondée sur quatre secteurs économiques majeurs : les produits agricoles, les minéraux, le bétail et la cellulose. La question des droits de douane par rapport aux secteurs industriels nationaux suscite des inquiétudes.
Propos recueillis par la Commission Amérique latine
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