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Le futur président Donald J. Trump a appelé à la plus importante déportation de l’histoire ds Etats-Unis

4 février, par Solidarity — , ,
Le futur président Donald J. Trump a appelé au « plus grand programme de déportation de l'histoire américaine ». Il s'agit d'une crise sur plusieurs fronts pour des millions (…)

Le futur président Donald J. Trump a appelé au « plus grand programme de déportation de l'histoire américaine ». Il s'agit d'une crise sur plusieurs fronts pour des millions d'immigré·s et leurs familles, d'autant plus que Trump a élargi la catégorie des personnes « expulsables ». Il a même menacé de passer outre la Constitution américaine et de mettre fin à la citoyenneté de naissance, qui a été ajoutée à la Constitution après l'abolition de l'esclavage.

Tiré de NPA 29
30 janvier 2025
USA (Solidarity)

Photo El Gran Paro Americano (la grande grève américaine), Los Angeles, le 1er mai 2006, lorsque plus d'un million d'immigrant·es et leurs sympathisant·es ont protesté contre un projet de loi anti-immigrants au Congrès. De grandes manifestations ont eu lieu à Chicago, New York, Houston et dans de nombreuses autres villes. Le projet de loi n'a pas abouti.

États-Unis : Défendons les immigré·es !

Trump diabolise les immigrant·es, affirmant qu'ils empoisonnent, volent, assassinent et prennent les ressources des citoyens. Si les immigrant·es ont quitté leur pays pour diverses raisons, les récits révèlent le désespoir de ceux qui fuient la guerre, la violence, la pauvreté et les catastrophes climatiques.

De nombreux·ses Américain·es pensent que les immigré·es sans papiers devraient être expulsé·es parce qu'ils se sont faufilés hors de la file d'attente pour demander l'asile. Mais il n'y a pas de file d'attente ordonnée ! Le système est cassé, délibérément.

D'autres peuvent être gêné·es par le fait que le pays se diversifie de plus en plus. En 1965, moins de 5 % de la population était née en dehors des États-Unis, contre 15 % aujourd'hui. En outre, près de 90 % des immigrant·es proviennent de pays non européens. Ce pays a eu des frontières ouvertes pendant la majeure partie de son histoire, mais lorsque des Chinois ont été recrutés pour construire le chemin de fer transcontinental, des lois d'exclusion ont été mises en place.

Revendiquant un mandat, l'administration Trump mettra en œuvre une politique anti-immigration sévère dès le premier jour. Bien que les nouveaux responsables n'aient pas fixé d'objectif quant au nombre de personnes qu'ils prévoient d'expulser au cours de la première année, Stephen Miller, le chef de cabinet adjoint de Trump chargé de la politique, parle avec fermeté de fermer la frontière et de procéder à des déportations massives. Cela ne peut se faire qu'en annulant les différentes catégories dans lesquelles la plupart des immigré·es sans papiers bénéficient d'une protection minimale.

Trump utilisera également le commerce comme monnaie d'échange. Sa menace d'imposer des droits de douane de 25 % sur les produits mexicains et canadiens est sa première tentative pour effrayer les autorités canadiennes et mexicaines et les forcer à patrouiller à leur frontière avec les États-Unis. Un mois avant l'investiture de Trump, le gouvernement canadien a proposé 1,3 milliard de dollars canadiens (913,05 millions de dollars) pour renforcer la sécurité à la frontière, afin de se prémunir contre l'augmentation des droits de douane proposée. (Alors qu'un million de personnes tentent de franchir la frontière sud chaque année, moins de 20 000 franchissent la frontière nord). Pourtant, M. Trump continue d'exacerber la rhétorique en demandant que le Canada devienne le 51e État.

Aujourd'hui, sur les plus de 40 millions de résidents qui ont immigré aux États-Unis, environ 11 millions sont sans papiers. Sur ces 11 millions, près de 90 % travaillent, ce qui représente près de 5 % de la main-d'œuvre totale. De nombreux employeurs et secteurs d'activité cherchent déjà des « solutions de contournement » pour leurs employés, mais il existe un risque évident de lier les immigrant·es à un employeur spécifique.

Et malgré tous les discours sur la fermeture des frontières, deux tiers des 11 millions sont arrivés avec un visa d'étudiant, de travail ou de touriste et ont dépassé la durée de leur séjour.

L'héritage Biden

Alors que Trump a dénoncé le bilan de Biden en matière d'expulsions, la réalité est que Biden a expulsé plus de personnes chaque année de sa présidence que Trump. Au cours du premier mandat de Trump, environ 1,2 million de personnes ont été rapatriées.

Au début de la pandémie de grippe aviaire, Trump a ressuscité le titre 42 pour des raisons de santé, mettant fin à toute possibilité d'asile. Cet ordre général a été en vigueur de mars 2020 à mai 2023, chevauchant les administrations Trump-Biden. En fait, sur les 4 677 540 rapatriés sous Biden, 2 754 120 étaient en réalité exclus en vertu du Titre 42. Néanmoins, c'est Obama qui détient le titre de « Déporteur en chef » pour avoir déporté près de trois millions de personnes au cours de son premier mandat et près de deux millions au cours de son second mandat, pour un total d'un peu moins de cinq millions au cours de ses huit années de mandat.

Alors que l'administration Obama s'est concentrée sur l'expulsion des immigrants qui avaient été condamnés pour un crime, Trump a élargi le champ d'action à tous les immigrants sans papiers. Actuellement, environ 40 000 immigrant·es sont en détention, dont près de 80 % sont hébergés dans des prisons privées (principalement au Texas, dans le Mississippi ou en Californie). Thomas Homan, nommé par Trump pour être en charge de la sécurité des frontières, explique que l'administration commencera par déporter les « criminels ». En réalité, selon des chiffres récents, pas plus de 20 à 33% des personnes déportées sont condamnées pour un quelconque crime.

Si, sur le papier, la politique américaine professe des valeurs humanitaires, la nécessité de réunir les familles et encourage l'emploi, le système d'immigration n'a pas été mis à jour pour faire face à la nouvelle réalité des réfugié·es. Voici un aperçu de certaines de ces réalités.

Environ 1,6 million de demandeur·ses d'asile attendent que leur dossier soit examiné. Le temps d'attente moyen est de 4,3 ans. En vertu du droit international, l'asile devrait être accordé à ceux qui craignent de subir un préjudice crédible de la part de l'État s'ils sont renvoyés dans leur pays, mais le gouvernement américain rejette la plupart des demandes d'asile. En 2020, par exemple, l'administration Trump n'en a approuvé que 15 000.

Trois à quatre millions d'autres immigrant·es sont également en attente d'une audience. Lorsque les services de l'immigration et des douanes (ICE) jugent que ces personnes sont en sécurité, ils les remettent à leur famille ou les obligent à s'inscrire à des programmes de surveillance. Développés par l'industrie pénitentiaire privée, ces programmes comprennent les SmartLINKS et les moniteurs de cheville et de poignet.

Au moins 700 000 citoyen·nes de 17 pays différents ayant connu des guerres ou des catastrophes environnementales ont obtenu un statut de protection temporaire (TPS). Ce statut, d'une durée de six à dix-huit mois, est souvent renouvelé. Les demandeurs bénéficiant du TPS reçoivent un permis de travail et sont protégés contre l'expulsion. Si le secrétaire à la sécurité intérieure décide de ne pas renouveler le TPS pour un pays donné, les personnes concernées retrouvent leur statut antérieur. Quatorze des 17 pays devaient faire l'objet d'un renouvellement en 2025, mais M. Biden a reporté la date limite à 2026. Trump a qualifié plusieurs de ces pays, dont Haïti, de « pays de merde ».

Environ 530 000 jeunes sans-papiers qui sont arrivé·es aux États-Unis lorsqu'ils ou elles étaient enfants ont bénéficié d'une protection temporaire dans le cadre du programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals, Action différée pour les arrivées d'enfants). Cette politique a été mise en œuvre par l'administration Obama en juin 2012 après plusieurs sit-in et manifestations impressionnants de jeunes immigrés. Comme le TPS, elle fournit une autorisation de travail et protège les bénéficiaires de l'expulsion. Pourtant, les bénéficiaires du DACA n'ont pas de statut légal ni de voie d'accès à la citoyenneté. En fait, il y a jusqu'à trois millions de « Dreamers » qui n'ont pas déposé de demande alors que le DACA acceptait encore des candidats. Bien que ce programme soit populaire auprès d'une majorité d'Américains, il pourrait être supprimé par une décision de la Cour suprême ou par Trump.

Déjà 1,3 million de personnes ont reçu des mesures d'éloignement, mais leur pays n'a pas accepté leur retour. L'équipe de Trump s'efforce de trouver des pays tiers disposés à les accueillir.

Le plan de l'administration entrante ciblera probablement les hommes immigrés – de préférence célibataires – dans les villes où ils peuvent être arrêtés et expulsés : Chicago, Denver, Houston, Los Angeles, Miami, New York, Philadelphie et Washington. L'objectif est de les expulser rapidement avant qu'ils ne puissent faire l'objet d'une action en justice. En 2013, l'ACLU a rapporté que 83 % des personnes expulsées n'avaient pas vu leur affaire entendue par un juge.

Mais même si l'administration Trump ne peut pas expulser toutes les personnes arrêtées, le gouvernement pourrait les retenir en développant rapidement le « soft housing » : Un ancien fonctionnaire a déclaré qu'ils pourraient préparer 25 grands magasins fermés avec des lits de camp, des Port-a-Potties et un approvisionnement alimentaire de base dans les 90 jours. Le gouvernement du Texas a déjà offert 70 terrains de football pour ce type d'hébergement.

Un autre problème auquel se heurte un plan d'expulsion gouvernemental est que les 4,6 millions d'immigrés sans papiers vivent dans des familles à « statut mixte ». Comme certains de leurs membres sont citoyens américains, ces familles ont plus de chances de contester l'expulsion. Une étude portant sur les communautés ayant subi des perquisitions massives sur leur lieu de travail a révélé un traumatisme important au sein de la communauté. Mais la réponse de Tom Homan à une question de CBS News sur la possibilité de procéder à des expulsions massives sans séparer les familles a été froide : « Les familles peuvent être expulsées ensemble ».

Le Conseil américain de l'immigration a estimé que « l'arrestation, la détention, le traitement et l'expulsion d'un million de personnes par an » coûterait 88 milliards de dollars par an. Le Conseil conclut également que les déportations massives réduiraient le PIB américain de 4,2 à 6,8 %, soit de 1,1 à 1,7 billion de dollars (en dollars de 2022) par an. (Le comité éditorial du New York Times a publié un long article soulignant que l'économie américaine a besoin de 1,6 million d'immigrant·es par an pour maintenir sa croissance économique. Il concentre ses suggestions sur un processus ordonné par lequel le monde fournirait aux États-Unis ses membres les plus jeunes et les plus résistants. Les rédacteurs du Timesont commencé l'article en appelant à un renforcement de la « sécurité » aux frontières).

D'après ce que nous savons des précédentes déportations massives dans les années 1930 et 1950, certains immigrant·es se sentiront si peu sûrs d'eux qu'ils s'expulseront d'eux-mêmes. Le Conseil américain de l'immigration estime que l'auto-déportation représente environ 20 % du total, mais je pense que le chiffre pourrait être beaucoup plus élevé – plus proche de 75 %. Une grande partie de la rhétorique de Trump à l'encontre des immigrés pourrait viser à les effrayer pour qu'ils partent.
La menace

Voici quelques-uns des moyens utilisés par le projet 2025 pour mettre en place un plan de déportation :

• La mise en place d'une machine à expulser à l'échelle nationale : Le projet prévoit d'autoriser l'ICE à recourir à l'« expulsion accélérée » contre les immigré·es trouvé·es n'importe où dans le pays. Outre les descentes sur les lieux de travail, il permettrait des descentes dans les écoles, les hôpitaux et les institutions religieuses. L'administration tentera d'utiliser l'Alien Enemy Act de 1798 pour mener à bien son projet, une absurdité puisque les États-Unis ne sont en guerre avec aucun autre pays et qu'il n'y a donc pas d'« étrangers ennemis ». Trump a également laissé entendre qu'il pourrait déclarer une urgence nationale.

• Militarisation des frontières : Le projet 2025 prévoit « l'utilisation de personnel et de matériel militaires » pour empêcher les passages aux frontières. Cela signifie davantage de surveillance et de murs. (Pour 2025, l'ICE dispose d'un budget de 350 millions de dollars, soit 30 millions de plus que l'année précédente. Mais ce budget est insuffisant pour le projet de Trump).

• L'expansion des centres de « détention » des immigrant·es : Le projet prévoit de plus que doubler le nombre d'immigré·es détenu·es alors qu'ils/elles sont menacé·ees d'expulsion. Actuellement, environ 50 000 d'entre eux et elles sont emprisonné·es, la plupart dans des centres privés, d'autres dans des prisons.

• Élimination de programmes : tels que les Programmes de Statut de Protection Temporaire pour les personnes venant de pays où il y a une catastrophe naturelle ou un conflit armé. Établi par le Congrès en 1990, il légalise actuellement le statut de personnes originaires de 16 pays différents pour une période de temps spécifique et renouvelable.

Les groupes les plus importants sont les suivants : 350 000 Vénézuélien·nes, 200 000 Haïtien·nes et 175 000 Ukrainien·nes. Ces personnes ont un statut légal et peuvent travailler tant que le programme est renouvelé. Trump a tenté de se débarrasser du programme au cours de son premier mandat, mais il en a été empêché par une action en justice de l'ACLU. Il ne fait aucun doute qu'il essaiera à nouveau. Le programme DACA pourrait être une autre cible. D'autres programmes pourraient être renforcés, comme les visas H-B1 qui permettent l'entrée de travailleurs étrangers qualifiés, les visas H-B2 qui couvrent les travailleurs à bas salaire, en particulier les travailleurs agricoles et les travailleurs de l'industrie hôtelière (tels que ceux utilisés par les entreprises Trump), ou les visas de regroupement familial. Des factions des partisans MAGA de Trump se disputent le programme HB-1.

• Rendre obligatoires les programmes de vérification du travail : Le projet 2025 étendrait E-Verify, un système mal organisé destiné à prouver que les employés ont le droit de travailler aux États-Unis. Les secteurs de l'agriculture, de la construction et de l'hôtellerie dépendent de la main-d'œuvre immigrée et cherchent déjà des exceptions pour pouvoir continuer à fonctionner.

• L'enchevêtrement des contrôles locaux et fédéraux : Le projet 2025 appelle à l'extension de la participation des polices locales et d'État à l'application des lois fédérales sur l'immigration. Ceux qui s'y refusent risquent de se voir refuser tout financement fédéral, y compris pour les écoles qui enregistrent et éduquent les enfants d'immigrés. Les villes, comtés et États « sanctuaires » qui coopèrent peu avec l'ICE seront sans aucun doute visés.

Que pouvons-nous faire ?

Il existe un certain nombre d'organisations et de syndicats dans tout le pays qui œuvrent depuis des années pour la justice envers les immigré·es. Les socialistes peuvent contribuer à la mise en place de campagnes de soutien à celles et ceux qui ont fui leur pays à cause de la guerre, de la violence – notamment sexuelle -, du manque de travail ou des ravages du changement climatique.

En particulier depuis que la communauté immigrée s'est mobilisée pour rejeter le projet de loi Sensenbrenner, entre 2006 et 2008, les syndicats soutiennent de plus en plus les droits des immigré·es. Les syndicats qui comptent un nombre important de travailleur·ses immigré·es sont notamment SEIU, HERE et UE, et ils ont aidé l'AFL-CIO à les soutenir également. Comme l'a fait remarquer Liz Shuler, présidente de l'AFL-CIO, « Un·e immigré·e ne s'interpose pas entre vous et un bon emploi, c'est un milliardaire qui le fait. C'est un milliardaire qui le fait ».

Les délégations syndicales au Congrès ont insisté sur le fait que la frontière est une distraction par rapport aux problèmes du lieu de travail. Elles soulignent que tous les travailleurs, quel que soit leur statut en matière d'immigration, devraient avoir accès à la pleine protection des lois sur le travail et l'emploi. C'est l'absence d'une telle protection qui crée une « économie souterraine », source d'exploitation et de conditions de travail dangereuses pour ceux qui n'ont pas de statut légal.

Voici quelques suggestions sur la manière dont nous pouvons protéger les personnes sans statut légal :

Les campagnes doivent indiquer clairement aux fonctionnaires que nous nous opposons à ce que les gouvernements locaux et nationaux collaborent avec les autorités fédérales pour mettre en œuvre leurs plans d'expulsion.

Nous devons soulever l'injustice du système d'immigration, qui est conçu pour « échouer », dans nos syndicats et nos organisations communautaires. Cela signifie des discussions individuelles, en soulevant la question de manière concrète lors de réunions et de conférences.

Début janvier, Labor Notes a organisé une réunion en ligne pour les syndicalistes, à laquelle ont participé plus de 200 personnes. Un article citait cinq façons d'aider les membres et incluait le guide du National Immigration Law Center à l'intention des employeurs pour prévenir la persécution des travailleurs, qui suggérait des demandes contractuelles concrètes que le syndicat pourrait proposer. Contrairement à la diabolisation des immigré·es par Trump, notre message de solidarité considère que nos voisins et nos collègues contribuent à construire une société plus forte et plus saine. Ils ont fui des conditions difficiles, souvent à cause des politiques de Washington.

Dans nos communautés, nous devons trouver des moyens de faire savoir aux sans-papiers que nous les soutenons.
Cela peut prendre la forme de « veilles communautaires », en s'assurant que leurs enfants sont protégés, et d'autres méthodes d'accompagnement.

Publié le 14 janvier 2025 par Solidarity

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Afrique du Sud, l’indignité d’une politique

4 février, par Paul Martial — , ,
Les autorités sud-africaines n'ont pas hésité à provoquer la mort de dizaines de personnes en assiégeant les mineurs clandestins. Tiré de NPA 29 « Vala Umgodi » est le (…)

Les autorités sud-africaines n'ont pas hésité à provoquer la mort de dizaines de personnes en assiégeant les mineurs clandestins.

Tiré de NPA 29

« Vala Umgodi » est le nom du projet du gouvernement sud-africain. En langue nguni, cela signifie « boucher les trous » et dans la réalité le projet vise avant tout les mineurs illégaux qui continuent d'exploiter des mines ­abandonnées parce que jugées non rentables.
Affamer les mineurs

Les forces de police se sont positionnées à l'entrée de la mine aurifère de Stillfontein dans le but d'arrêter les mineurs clandestins depuis août 2024. Ils étaient plusieurs centaines. Elles ont ainsi empêché le ravitaillement en nourriture et en eau des mineurEs par les habitantEs des townships ­environnants afin de les obliger à sortir.

Par peur d'être arrêtés, mais aussi sous la menace des gangs qui contrôlent la mine, les « zama zamas » (« ceux qui tentent leur chance » en zoulou) sont restés bloqués pendant des semaines. Les volontaires sont descendus dans la mine et ont expliqué que les mineurs étaient désormais bien trop faibles pour remonter à l'aide des cordages comme ils en avaient l'habitude. Ils ont aussi demandé que les morts puissent être évacués. Ces demandes se sont heurtées à l'intransigeance des autorités expliquant que ce n'était pas à la police de récupérer « les dépouilles des criminels ».

Certains responsables de l'ANC ont parlé d'enfumer les mineurs, la porte-parole du gouvernement Khumbudzo Ntshavheni déclarait : « Nous allons les asphyxier, ils vont remonter. Les criminels ne doivent pas recevoir d'aide, ils doivent être persécutés ». Il a donc fallu une décision de justice pour obliger le gouvernement à mettre en place un système de sauvetage pour extraire les travailleurs qui sont dans un état de faiblesse extrême, le 13 janvier. Le bilan est terrible puisque l'on décompte 87 morts.
Politique anti-ouvrière

Préférant mener une politique libérale, les dirigeants de l'ANC sont incapables de répondre aux besoins sociaux des populations. Ils n'hésitent pas alors à utiliser des boucs émissaires comme les populations immigrées ou criminaliser ceux qui luttent.

Une stratégie qui n'est pas nouvelle, puisque déjà le gouvernement en 2012 avait traité de hors-la-loi les mineurs grévistes de Marikana, justifiant une répression faisant 34 morts.

Les caciques de l'ANC se réfugient derrière le respect de la légalité, comme le ministre des Mines, Gwede Mantashe, en affirmant : « C'est un crime contre l'économie, c'est une attaque contre l'économie », pour justifier cette politique indigne, alors que la plupart sont éclaboussés par des scandales de corruption et de détournement de fonds.

Les « zama zamas » sont avant tout des travailleurs pauvres qui tentent de récupérer quelques minerais pour faire vivre leur famille.

La seule solution qui vaille est de régulariser cette activité, ce que d'ailleurs beaucoup de pays africains ont fait. Cela aurait l'avantage de soustraire ces travailleurs aux mafias locales en favorisant leur auto-organisation.

Paul Martial

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C’est la fin de la vendetta RNC contre la Coalition sortons les radios-poubelles

4 février, par La Coalition sortons les poubelles de Québec — , ,
RNC abandonne sa chasse aux fantômes. RNC Média, pourtant très pressée de se vanter de sa poursuite bidon et de ses recherches pointues pour nous trouver (ahem ahem) ne s'est (…)

RNC abandonne sa chasse aux fantômes. RNC Média, pourtant très pressée de se vanter de sa poursuite bidon et de ses recherches pointues pour nous trouver (ahem ahem) ne s'est pas félicitée de son fiasco.

Alors que le 30 janvier devait être une date pour préparer le procès, voilà que ce sont plutôt des désistements et règlements sans préjudice qui sont survenus la semaine précédente, sans tambour ni trompette.

Depuis juin 2021, l'entreprise médiatique persécutait judiciairement deux pauvres bougres qu'elle croyait liés à la Coalition ; par la suite, elle a ajouté 3 autres personnes tombées des nues.

RNC tentait de lever l'anonymat de la Coalition en instrumentalisant les tribunaux, croyant que ça ne serait qu'une formalité.

Mais les mesures de sécurité de la Coalition ont tenu le coup. La sauvegarde de notre identité est indemne.

C'est une bonne nouvelle pour la liberté et la démocratie. Ça signifie que de simples citoyens et citoyennes peuvent critiquer une entreprise à condition de prendre de solides précautions afin de se protéger.

Mais des personnes innocentes ont quand même vécu un important stress, et ont été prises en otage par les poursuites judiciaires de RNC.

Comme l'ont rappelé plusieurs juges, l'anonymat est une composante essentielle de l'exercice de la liberté d'expression.

La sécurité des membres de la Coalition était menacée. Depuis plus de 25 ans, la radio-poubelle met en danger les gens qui la dénoncent. Durant les années du harcèlement par Radio X, le lecteur de nouvelles Pierre Jobin a développé une grave dépression. Sophie Chiasson a perdu sa carrière et a tenté de se suicider. Encore aujourd'hui, les noms et adresses de boucs émissaires sont révélés en ondes, jetés en pâture aux laquais décérébrés et violents de la radio-poubelle.

Ce média n'a jamais été crédible ni fiable. On l'a toujours dit. Radio X, l'officine de RNC à Québec, n'a plus aucun garde-fou, aucune limite. C'est la base pour les porte-paroles et représentants des Trump, Poutine et autres dangers de ce monde.

Radio X n'est plus seulement une radio-poubelle, dans le contexte actuel, c'est une radio d'égout. Elle célèbre l'élection de leur président champion Donald Trump.

Mais leur fiesta reste ombragée par notre petite victoire.


La Coalition sortons les radio-poubelles de Québec

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L’organisation des anarchistes en Ukraine – le point de vue d’un activiste local

Présentation par Robert : Un document important qui nous vient d'un chercheur danois, Bjarke Friborg, travaillant sur le mouvement ouvrier, donne la parole ici à un militant (…)

Présentation par Robert :

Un document important qui nous vient d'un chercheur danois, Bjarke Friborg, travaillant sur le mouvement ouvrier, donne la parole ici à un militant libertaire ukrainien, dont l'identité n'est pas dévoilée. Il brosse un tableau de l'activité des groupes libertaires en soutien à leurs camarades soldats sur le front, qui appartiennent à la gauche anti-autoritaire et au syndicalisme indépendant. Ce témoignage fournit des éléments d'informations très intéressants sur la gauche ukrainienne en général. Au début du conflit il y avait une division entre les pacifistes, ceux qui soutenaient une démarche diplomatique et le soutien à une résistance armée contre l'envahisseur. Les pacifistes regardaient avec méfiance la militarisation du corps social, la déclarant porteuse de valeurs antidémocratiques. Mais le caractère même de l'offensive militaire du régime de Poutine a fait que les deux courants se sont unis pour se défendre par les armes, ou pour répondre ici aux besoins de leurs camarades montés au front.

Nous avions publié précédemment l'interview de Maxim Butkevitch , libertaire et antimilitariste, expliquant son évolution politique. Il expliquait d'ailleurs que, lorsque la guerre se terminerait, il ne manquera pas de revenir à ses options de militant libertaire. Si, dans le combat de l'opposition russe se manifeste, malgré le caractère dictatorial du régime, des voix qui pensent la Russie d'après Poutine, en Ukraine se dégagent aussi des forces qui posent la question de la reconstruction du mouvement ouvrier. Le militant parle de six à sept projets politiques de gauche, dont l'un envisageant la construction d'un parti de gauche.

Document

Les anarchistes ukrainiens sont parmi les plus actifs de l'aile gauche du pays. Dans cette interview, Ksusha de Kiev parle de ce que la guerre a signifié pour elle et pour le mouvement, et des perspectives d'avenir pour une Ukraine libre.

Tout d'abord, j'aimerais vous parler de mon parcours et de moi-même. Je m'appelle Ksusha et je suis un anarchiste d'Ukraine. Je vis actuellement à Kyiv, où je suis actif dans les collectifs de solidarité. Mon intérêt pour les idées anarchistes est né lors du soulèvement de Maïdan de 2013 et 2014 à Kharkiv, où je suis né et où je vivais à l'époque.

Dans la période post-Maïdan, lorsque la Russie a attaqué Louhansk et Donetsk – et en réponse à la première vague de réfugiés de la région – les anarchistes de Kharkiv ont entrepris de transformer un bâtiment occupé en résidence temporaire pour certains réfugiés. L'objectif était de les aider à se remettre sur pied et de pouvoir leur proposer rapidement un logement.

Un ami qui était membre d'un collectif anarchiste m'a invité à participer à la rénovation du bâtiment. C'est ainsi que je me suis impliqué dans les activités anarchistes. Dès lors, j'ai participé continuellement à des projets anarchistes et à diverses actions et manifestations contre l'État policier. Je suis également devenu membre d'un groupe éco-anarchiste qui luttait contre les projets de construction et la déforestation, participait à des actions contre la production de fourrure et organisait des marchés aux puces gratuits.

C'est ainsi que se sont déroulées les six années suivantes. Puis j'ai déménagé à Kiev, et mon activité anarchiste a diminué parce que je n'ai pas trouvé de collectif approprié. Lorsque la guerre à grande échelle a commencé en 2022, je n'avais toujours pas de liens actifs avec les anarchistes locaux. Ce n'est qu'environ un mois plus tard que j'ai pris contact avec un gars qui m'a présenté une initiative organisée par des anarchistes appelée Opération Solidarité. L'intention était de soutenir les camarades qui étaient allés au front.

Les personnes que nous soutenions appartenaient largement à la gauche anti-autoritaire, incluant des socialistes, des anarchistes, des punks, des antifascistes, des féministes – tous avec des opinions progressistes et de gauche. Ce fut le début de mon travail actif au sein du collectif. Plus tard, l'Opération Solidarité s'est scindée en deux, mais la plupart des militants se sont rapidement regroupés sous le nom de Collectifs de Solidarité.

Soutien aux anti-autoritaires et aux syndicalistes au front

Je voudrais maintenant vous parler un peu plus du groupe Collectifs Solidaires et de ses activités. Les collectifs de solidarité sont principalement constitués d'anarchistes et leurs activités sont divisées en trois domaines principaux.

Le premier axe est consacré au soutien militaire aux figures anti-autoritaires qui sont au front. Nous fournissons des vêtements, du matériel de premiers secours tactiques, des technologies comme des talkies-walkies et des lunettes de vision nocturne, ainsi que des tablettes, des ordinateurs portables, des voitures et même des avions et des drones coûteux – en bref, tout ce dont les soldats ont besoin mais que l'armée ne peut pas fournir.

L'armée souffre toujours d'importantes pénuries de fournitures pour les soldats, et une très grande partie de l'équipement de base nécessaire provient de volontaires civils. Les personnes qui soutiennent leurs amis, leur famille, leurs connaissances et leurs collègues qui participent à la guerre ont créé un vaste réseau d'entraide.

Collectifs Solidaires fait partie de ce réseau, mais avec la différence que nous soutenons exclusivement des individus anti-autoritaires. Nous soutenons actuellement 80 à 100 personnes, dont des anarchistes, des antifascistes, des punks, des éco-anarchistes, des féministes, des BZers, des personnes LGBTQ+ et des militants syndicaux. Le nombre de camarades que nous soutenons a considérablement augmenté au fil du temps.

Le deuxième domaine est l'aide humanitaire . Nous soutenons les personnes qui souffrent des conséquences directes de la guerre : celles qui ont perdu leur maison ou qui ne reçoivent pas d'aide de l'État pour leurs besoins de base, comme les médicaments ou l'équipement technique dont elles ont besoin.

Nous participons à des projets où nous réparons des maisons, par exemple dans la région de Kherson, où les inondations ont causé d'énormes dégâts après que les forces russes ont détruit le barrage de Kakhovka. Nous aidons les écoles dans les zones de guerre en leur fournissant, entre autres, des ordinateurs portables à usage éducatif. Chaque mois, nous visitons les zones proches des lignes de front pour aider les habitants d'une manière ou d'une autre.

Le troisième domaine est le travail médiatique . Le but de notre groupe média est de mettre en lumière les activités des anti-autoritaires pendant la guerre. Au lieu d'être marginalisés, nous voulons faire partie de la société, communiquer nos activités à l'extérieur, être en contact avec nos camarades de l'Ouest et rendre compte de notre travail.

Un réseau d'action pour la survie

Les Collectifs de Solidarité ne sont pas une entité centralisée. Il a toujours été important pour nous de fonctionner en réseau. Nous travaillons avec un large éventail de personnes.

Certains ont un potentiel politique et prévoient de créer une organisation ou un projet, tandis que d'autres ont déjà des projets politiques en cours. Certains ont déjà été actifs, par exemple en organisant des manifestations et en ouvrant des centres sociaux, mais dans cette situation de guerre, ils ont choisi de se concentrer sur leurs tâches immédiates. Nous ne sommes donc pas limités à soutenir uniquement les camarades politiquement actifs qui construisent actuellement quelque chose de social.

Ce qui est important pour nous, c'est l'action décentralisée, le soutien aux projets politiques et une saine volonté d'aider, mais nous n'excluons pas ceux qui ne sont pas actifs politiquement en ce moment ou qui ne planifient rien pour l'avenir. Nous avons été critiqués pour cela, mais notre priorité initiale était d'aider nos camarades à survivre à cette guerre.

Les collectifs de solidarité tentent d'obtenir des résultats en collaborant avec les syndicats. C'est un domaine sur lequel nous mettons particulièrement l'accent car le travail syndical n'est pas très populaire aujourd'hui. Avec les réformes néolibérales en Ukraine, l'ensemble du mouvement risque d'être réprimé, mais nous essayons de soutenir les projets restants et ceux qui sont actifs professionnellement.

Nous n'avons pas de ressources pour d'autres formes d'activités sociopolitiques. Cependant, toutes nos actions peuvent être considérées comme politiques. Lorsque nous soutenons les militants syndicaux, cela affecte la lutte pour les droits des travailleurs et constitue une manière d'entraver les réformes néolibérales qui prévalent actuellement en Ukraine. Mais l'entraide entre camarades au front et le soutien aux communautés locales sont certainement aussi politiques.

Les anarchistes dans l'armée

Je vais maintenant essayer de répondre à la question sur l'organisation des anarchistes dans l'armée ukrainienne.

Au début de la guerre à grande échelle, plusieurs camarades ont convenu de créer une organisation unifiée qui pourrait réunir tous les individus anti-autoritaires combattants en Ukraine en une seule unité, qu'il s'agisse d'un groupe, d'une entreprise ou de quelque chose de plus grand. Ces rêves existent toujours. Au moins un camarade travaille toujours activement à la réalisation de cette idée, et d'autres anarchistes l'espèrent également.

Cependant, après avoir discuté avec plusieurs camarades de l'armée, je suis arrivé à la conclusion qu'il est beaucoup plus durable d'avoir une centaine de camarades répartis sur une ligne de front de mille kilomètres. Ils ont lancé de petits projets dans différentes unités et plantent ainsi les graines de méthodes collaboratives anti-autoritaires partout où ils se trouvent.

Tout d'abord, c'est beaucoup plus sûr. Si une équipe anarchiste de près de 50 personnes était envoyée dans le combat le plus intense, il serait très probable que l'équipe entière soit anéantie.

Dans tous les cas, l'unité des camarades ferait partie de l'armée ukrainienne, car des unités indépendantes ne peuvent pas exister dans une guerre de cette nature, où nous nous défendons contre une invasion à grande échelle. Ce n'est pas une guerre de guérilla. Il n'est pas possible d'être une force armée dans cette guerre sans être sous le contrôle de l'armée ukrainienne.

Bien sûr, je ne suis pas contre une entité anti-autoritaire par principe – au contraire, cela semble fantastique. Mais lorsque l'unité a été créée au cours des premiers mois de la guerre à grande échelle, la plupart des anti-autoritaires et des anarchistes n'avaient qu'une expérience de la vie civile, et nous n'avions aucune formation militaire.

Presque aucun des fondateurs de l'unité anti-autoritaire n'avait d'expérience en matière de coopération avec l'armée ukrainienne ou d'organisation d'unités et d'opérations militaires. Il n'y avait aucun lien avec ce genre de structures. Dans l'ensemble, nous avions de mauvaises cartes en main. Quand la guerre a commencé, nous n'étions pas prêts.

L'unité anti-autoritaire n'a pu être créée que grâce à un commandant bienveillant, Youri Samoilenko. Il avait des liens avec les Forces de défense territoriale, qui organisaient des volontaires au sein des forces armées ukrainiennes. Au sein de ces forces, Samoilenko a réussi à organiser une sorte de sous-unité.

Cependant, le groupe a été entravé par l'attitude des hauts dirigeants de l'armée. Le groupe n'a pas pu développer ses compétences ni participer aux batailles, même si la majorité le souhaitait. Les gens ont donc commencé à se disperser dans différentes unités.

Germes anti-autoritaires

Maintenant que deux ans et demi se sont écoulés depuis le début de la guerre à grande échelle, nous avons environ trois projets prometteurs.

Je n'entrerai pas dans les détails sur où et comment ils ont été formés. Des camarades anti-autoritaires se sont établis dans les unités dont ils font partie. Ils ont des gens à différents niveaux dans l'armée, des relations, une compréhension des opérations de guerre et des connaissances sur la façon de travailler avec les gens dans l'armée. Une compréhension a été obtenue de ce qui peut être développé et de ce qui peut être dangereux. Dans l'ensemble, une combinaison de compréhension et d'expérience a été obtenue.

Les projets se développent progressivement et des individus antiautoritaires les rejoindront de plus en plus à l'avenir, y compris depuis l'étranger. Les projets ne sont pas aussi vastes que ceux que souhaitaient les fondateurs de l'entité anti-autoritaire, mais ils sont viables dans des conditions de guerre. Ce sont des modes d'organisation qui progressent lentement mais sûrement.

À mon avis, la pratique est plus importante qu'un plan politique ambitieux et bien ficelé. Les petits projets au sein de l'armée sont quelque chose qui nous est possible, et nous pouvons les développer avec les forces dont nous disposons.

En ce qui concerne les nuances des formations militaires anarchistes en Ukraine, il faut tenir compte du fait qu'au siècle dernier, l'Union soviétique a détruit toute la culture politique anarchiste par la répression, la terreur et la famine.

De plus, le mot « gauche » est aujourd'hui diabolisé en Ukraine. De gauche, rouge, communiste : pour beaucoup, tout est associé au communisme soviétique. Notre mouvement anarchiste est donc assez jeune comparé, par exemple, au mouvement anarchiste espagnol ou au mouvement de libération du Kurdistan.

L'activité anarchiste est liée à la gauche libertaire, qui en Ukraine n'existe que depuis 20 à 30 ans. Tout devait être reparti de zéro, et il n'était pas possible de s'appuyer sur un contexte existant ou sur des institutions fonctionnant depuis longtemps. Lorsque nous lançons des projets dans l'armée ou dans la société civile, nous sommes confrontés à une diabolisation de nos idées. Il y a de la méfiance à notre égard : « Les gauchistes, ce sont des communistes. Les communistes, c'est ça l'Union soviétique. Et l'Union soviétique est un grand traumatisme ».

C'est un véritable exploit que, malgré de tels obstacles, nous ayons aujourd'hui une centaine de personnes dans l'armée. Ce n'est pas un grand nombre, mais ils créent et développent des projets là-bas. Bien sûr, ce sont des projets qui sont encore beaucoup plus jeunes que le mouvement lui-même, mais j'ai confiance en leur potentiel car ils ont rapidement pris de l'ampleur. Au cours des deux dernières années, quelques groupes ont connu une évolution prometteuse.

Ce que la guerre nous a appris

Je voudrais vous parler un peu de ce que nous avons appris de l'époque d'avant la guerre. La situation est peut-être similaire à celle d'autres pays limitrophes de la Russie ou de la Biélorussie, comme la Finlande, les pays baltes et la Pologne.

Avant le début de cette guerre à grande échelle, la société ne comprenait pas que nous pourrions être attaqués avec une telle force. Personne n'aurait pu imaginer quelque chose d'aussi vaste et sanglant que l'attaque qui a débuté en 2022.

À mon avis, le mouvement de gauche de l'époque était divisé en deux camps. On prévoyait une certaine forme d'escalade militaire, mais pas une guerre à grande échelle. On pensait que la guerre à Louhansk et dans le Donbass pourrait s'étendre. Mais je ne pense pas que quiconque s'attendait à des attaques de missiles, à des sabotages d'infrastructures et à des attaques venant de toutes les directions. Ceux qui s'attendaient à un certain degré d'escalade mettaient en pratique des compétences tactiques et croyaient que la société devait investir dans la préparation à la guerre et que les gens devaient se préparer en acquérant des compétences militaires et de premiers secours.

L'autre camp, en revanche, considérait l'escalade comme peu probable et avait une attitude extrêmement négative à l'égard de tout ce qui ressemblait à une militarisation. Selon eux, la préparation militaire et la préparation militaire constituaient un soutien à des valeurs profondément antidémocratiques. Ce camp plus pacifiste voyait des traits autoritaires dans l'acquisition de compétences militaires. À leurs yeux, l'Ukraine ne doit pas être militarisée, car cela provoquerait en soi de la violence, et le mouvement ne doit pas s'orienter vers la capacité d'agir militairement.

Ce camp voulait se concentrer sur la résolution des problèmes internes de l'Ukraine – sur la lutte contre le néolibéralisme et contre l'extrémisme de droite.

De cette façon, le mouvement était caractérisé par deux ailes différentes jusqu'à ce que Poutine annonce qu'il utiliserait la force militaire contre l'Ukraine. C'est là que les deux groupes se sont réunis. La veille du début de l'invasion à grande échelle, une réunion conjointe a eu lieu sur la manière de procéder en cas d'attaque. Je dois dire que le mouvement s'est préparé assez tard au type de guerre à laquelle nous étions confrontés.

Tant ceux qui réclamaient une préparation que ceux qui s'y opposaient n'étaient pas préparés. Le groupe qui avait participé aux exercices avait peut-être des compétences militaires de base, mais il n'était pas préparé aux frappes aériennes et aux tirs d'artillerie. Les connaissances qu'ils avaient étaient peut-être plus adaptées à la guérilla.

Sur cette base, on peut peut-être conclure que dans les pays voisins de la Russie en Europe, où les gens vivent actuellement en paix, il est nécessaire de reconnaître que la Russie est un État impérialiste – un agresseur qui essaie de tout résoudre par la force plutôt que par la diplomatie. Il ne faut pas exclure la possibilité que le pays dans lequel on vit soit exposé au même terrorisme que l'Ukraine.

L'extrême gauche doit se préparer

Il est absurde de rêver d'une autodéfense par la démocratie et par des moyens diplomatiques lorsqu'il s'agit d'un État comme la Russie. Les histoires de pacifisme et de paix et les discours sur la nécessité d'éviter de provoquer la violence ne fonctionnent pas face à un agresseur violent.

S'il existe un intérêt pour l'autodéfense parmi les camarades en Finlande, dans les pays baltes ou en Pologne, je dirais qu'une certaine forme de préparation pratique et d'acquisition de connaissances théoriques peut avoir des effets positifs. La pratique des premiers secours, la participation à des cours de défense publique, la construction de drones et de nombreuses autres activités civiles peuvent créer une bonne base pour être prêt à agir en cas d'attaque.

Les militants de gauche en Ukraine, qui pratiquaient des compétences tactiques et suivaient des cours de premiers secours, n'étaient certainement pas préparés à l'attaque massive russe, mais ils avaient néanmoins une certaine expérience et une certaine préparation qui leur ont permis de rejoindre des unités militaires spécialisées. Ils avaient une longueur d'avance sur ceux qui rejoignaient la défense sans aucune connaissance ou compétence de base.

Ils étaient nombreux dans ce dernier groupe. Mais certains avaient déjà mis en pratique leurs compétences tactiques sur différents types de terrain. Des exercices comprenant le maniement des armes, les techniques de mouvement, le camouflage et d'autres compétences de base qui offraient certainement un avantage par rapport à l'absence de connaissances en combat armé.

Une certaine forme de préparation mentale peut également être utile. Si vous ne rejetez pas simplement la possibilité qu'une attaque puisse être dirigée contre vous, vos communautés et votre pays, vous pouvez vous préparer à l'avance à assumer un rôle qui n'est pas celui de la victime, du réfugié ou du destinataire passif. , mais plutôt quelqu'un qui participe à la résistance.

« Qu'as-tu fait pendant la guerre ? »

Certains camarades justifient leur participation à la guerre en arguant qu'elle nous donne des « points » sociaux qui nous prépareront mieux pour l'avenir. Nous pouvons dire que nous avons également participé à la guerre, et nous en serons reconnaissants.

Nous partons du principe que la guerre prendra fin un jour et que le temps viendra de promouvoir le changement social et de lancer des projets sociaux. On nous demandera : « Et qu'avez-vous fait pendant la guerre ? » « Quelle a été votre contribution ? »

Il se peut que dans la société d'après-guerre, des tendances désagréables apparaissent, selon lesquelles ceux qui ont participé aux activités militaires s'élèvent plus haut dans la hiérarchie et sont plus valorisés que les civils et les réfugiés.

L'idée selon laquelle nous participons à la guerre pour être visibles et obtenir le droit d'agir dans une société d'après-guerre repose sur l'hypothèse que l'Ukraine évoluera vers une direction plus hiérarchisée et militarisée. Je ne dis pas que cela n'arrivera pas, et je ne nie pas qu'aller à la guerre, soutenir les soldats et aider les civils qui souffrent pendant la guerre puisse, pour ainsi dire, fournir des arguments politiques pour des actions futures.

Mais pour moi, tant personnellement qu'en tant qu'anarchiste, c'est la pratique qui me motive : la pratique de la création de relations horizontales, la pratique du présent. Je considère personnellement l'entraide – même à plus petite échelle – comme une activité politique et une réalisation de la philosophie de l'anarchisme. Je ne veux pas m'enfermer dans des théories et des considérations sur ce qui est bien et ce qui est mal à faire dans cette situation.

Lorsque vous ressentez le besoin d'aider vos camarades et les personnes touchées par la guerre, il est très humain de vouloir participer à des activités de soutien et de décider de contrer les valeurs anti-humaines que représente le régime agresseur.

Espoir pour l'avenir

Je dirais que la petite réalité – les collectifs de solidarité – que nous créons actuellement et que nous avons expérimentés nous-mêmes en cours de route, peut grandir et se développer. Cela peut offrir de nouvelles opportunités pour des projets collectifs tels que des coopératives de drones, la réhabilitation des victimes de guerre, des projets culturels, des maisons occupées pour les réfugiés – c'est ce dont je rêve.

Ce sont des rêves qui peuvent se réaliser parce que nous avons un projet dans lequel les personnes impliquées font actuellement un effort énorme et qui, je crois, donne de bons résultats. En tant qu'anarchiste, c'est ma perspective centrale pour l'avenir.

Quand il s'agit de grands slogans, tendances et projets politiques, je dirais que construire un mouvement n'a jamais été une valeur absolue pour moi. Un mouvement se crée de lui-même lorsqu'il y a activité. À l'heure actuelle, il est créé de manière très décentralisée, mais avec une collaboration interfonctionnelle. D'après ce que je sais, il y a actuellement six ou sept projets de gauche en Ukraine.

Certains sont de petits groupes de trois ou quatre personnes, d'autres sont plus grands. L'un des groupes souhaite créer un parti de gauche en Ukraine. Nous avons donc des valeurs assez différentes, mais nous collaborons toujours. Les projets fonctionnent de manière indépendante, mais s'entraident d'une manière ou d'une autre.

Le processus de construction d'un mouvement ne peut pas être accéléré par la force, et de nouvelles ressources n'apparaissent pas de nulle part. On ne peut investir dans un projet et le développer qu'au stade où il se trouve à ce moment-là.

L'article est traduit de l'anglais par Bjarke Friborg du magazine en ligne finlandais Takku. Il a été publié plus tard en finnois dans le magazine Kapinatyöläinen n°1. 61 . L'auteur est anonyme. Les colonnes interstitielles sont celles de la rédaction.

https://solidaritet.dk/om-at-organisere-anarkister-i-ukraine-som-en-lokal-aktivist-ser-det/

Source : Aplutsoc. https://aplutsoc.org/2025/01/31/lorganisation-des-anarchistes-en-ukraine-le-point-de-vue-dun-activiste-local/

Illustration : Liberté pour l'Ukraine. 2022, l'année où Poutine s'est assis sur le dos du tigre. Illustration : Per Johan Svendsen.

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Nous sommes de grands combattants pour la liberté, affirme à Davos le président argentin Javier Milei, qui décide d’éliminer le féminicide du code pénal argentin

La semaine dernière, j'exprimais la tristesse profonde que je ressentais en apprenant que dans les premiers quinze jours de 2025, huit Nicaraguayennes avaient été tué par leur (…)

La semaine dernière, j'exprimais la tristesse profonde que je ressentais en apprenant que dans les premiers quinze jours de 2025, huit Nicaraguayennes avaient été tué par leur conjoint. Un fait qui ramenait immédiatement à ma mémoire des scènes de violence familiale dont j'avais été témoin lors de mes séjours annuels au Nicaragua, de 1995 à 2018, accompagnant la plupart du temps des étudiants et étudiantes du Collège Dawson. Des scènes tellement troublantes qu'elles resteront à jamais gravées dans ma mémoire.

À peine deux jours après que j'eus rédigé cet article, j'apprends un autre événement bouleversant. Le président argentin, Javier Milei, annonce qu'il va éliminer du code pénal le féminicide. Un crime qui ne fut ajouté à ce code qu'en 2012, et ce à la suite d'un très long et fort impressionnant combat des femmes en Argentine.

Fini, dit Milei, le temps où le féminisme fanatique faisait en sorte qu'on place la femme sur un piédestal en imposant une sentence plus sévère si c'était elle plutôt qu'un homme qui se faisait assassiner !

Quelques jours plus tôt, au Sommet de Davos où se réunissaient des délégués issus du monde des affaires, des gouvernements, de la société civile, des médias et du monde universitaire, le président argentin Milei prenait la parole.

L'année dernière, dit-il à son auditoire, je me sentais un peu seul ici.

Je ne me sens plus seul, car tout au long de cette année, j'ai pu trouver des camarades dans cette lutte pour les idées de liberté aux quatre coins de la planète », poursuit-il. « Du merveilleux Elon Musk à la féroce dame italienne, ma chère amie, Giorgia Meloni ; de Bukele au Salvador à Viktor Orbán en Hongrie ; de Benjamin Netanyahu en Israël à Donald Trump aux États-Unis. Lentement, une alliance internationale de toutes les nations qui veulent être libres et qui croient aux idées de liberté s'est formée.

De quelle liberté exactement parlez-vous, M. Milei ?

Le premier ministre d'Israël Benjamin Netanyahou, votre camarade dans cette lutte pour les idées de liberté, ne fait que resserrer l'étau d'une occupation brutale et illégale des terres ancestrales des Palestiniens et Palestiniennes. Au lieu de libérer le peuple palestinien d'une oppression qui dure depuis des décennies, il ne fait qu'accentuer celle-ci. Il vient de massacrer 48 000 Palestiniens à Gaza ; il en a blessé 112 000. La plupart enfants et femmes. Il a tué 18 000 enfants, dont 1 000 bébés. Dans son zèle pour faire augmenter la liberté d'expression dans le monde, il a libéré la planète d'un nombre record, en temps de guerre, de journalistes ; il a aussi libéré Gaza de journalistes étrangers, défendant à ceux-ci d'y faire des reportages. Il a non seulement libéré Gaza du plus grand nombre, en temps de guerre, d'employés de l'ONU mais il a eu le courage énorme de libérer Gaza, et de fait tous les autres territoires palestiniens occupés, de l'UNRWA, l'immense agence de l'ONU qui, depuis 1948, offre de l'aide humanitaire aux réfugiés palestiniens. Il a libéré 17 000 enfants de leurs parents – ils n'en ont plus ! –, et a libéré un nombre record d'enfants, en temps de guerre, d'un ou deux de leurs membres, les enfants ayant subi une amputation, souvent sans anesthésie aucune parce que votre camarade Netanyahou empêchait l'aide humanitaire d'entrer à Gaza. La Cour pénale internationale a d'ailleurs émis un mandat d'arrêt contre lui pour crimes contre l'humanité, et l'immense majorité de la population de la planète croit que l'invasion de Gaza fut génocidaire.

Votre autre grand camarade dans cette lutte pour les idées de liberté, Donald Trump, accueille, aujourd'hui 4 février, Netanyahou à la Maison Blanche. Il est le tout premier leader d'un pays invité par Trump.

Trump voudrait donner un coup de main au premier ministre d'Israël qui, malgré un effort impressionnant de destruction massive d'infrastructures – Gaza a été réduit à de pures décombres – n'a pas réussi à réaliser son grand objectif – libérer Gaza de ses quelques 2,3 millions de survivants. Ces derniers jours, presque un million de Gazaouis remontent courageusement au nord de Gaza, la plupart à pied. Ils restent obstinément sur leurs terres ancestrales, même si cela veut dire ne vivre que dans de simples tentes !

Que l'Égypte et la Jordanie et d'autres pays arabes accueillent les Gazaouis comme immigrants, affirmait Trump il y a quelques jours, alors qu'exactement au même moment, il procédait lui-même à l'expulsion de son propre pays de milliers d'immigrants, les retournant dans des avions militaires, souvent mains et biens menottés, dans leur pays d'origine !

Je vais utiliser Guantanamo, à Cuba – lieu de détention et de torture qui a fort terni la réputation des États-Unis en termes de droits humains – pour emprisonner les 30 000 immigrants sans papier qui sont extrêmement dangereux, affirme Trump, dans un style carrément fasciste ! Ainsi, dit-il, je ferai d'une pierre deux coups : se trouveront libérés de ces criminels à la fois mon pays et celui d'où ils proviennent !

M. Milei ! De quelle liberté parlez-vous ?

Votre camarade Trump vient de cibler, sans preuve aucune comme d'habitude, les minorités. Fonçant de l'avant comme un soldat courageux qui, dans cette lutte pour les idées de liberté que vous menez ensemble, n'a absolument peur de rien, il affirme que si soixante-sept personnes sont mortes après qu'un avion de ligne eut heurté un hélicoptère militaire en vol près de l'aéroport Ronald Reagan de Washington DC mercredi soir, 29 janvier, c'est à cause du « wokisme malsain » que vous avez eu le courage de dénoncer avec tant de vigueur à Davos. Au lieu d'embaucher une personne compétente comme contrôleur aérien, autrement dit un homme blanc normal, on avait embauché, dit Trump, et ce à cause des programmes de diversité, d'équité et d'inclusion mis en place dans les gouvernements antérieurs, un noir, un Latino, un gay, un musulman, etc.

Comme vous l'aviez déjà fait en Argentine, votre camarade Trump, en prenant le pouvoir, a aboli tous ces programmes ! La liberté progresse dans le monde ! Seront dorénavant libérées de leur emploi des milliers de personnes issues des minorités. Bravo chers combattants pour la liberté !

Juste avant de laisser le pouvoir après avoir imposé une dictature brutale de presque 17 ans, votre voisin, le Chilien Augusto Pinochet, avait pris soin, dans son combat pour le droit à la vie et à la liberté, de durcir considérablement la loi anti-avortement de son pays. L'avortement, stipule la loi No. 18.826 adoptée par Pinochet en 1989, sera interdit en toutes circonstances : Aucune action ne sera entreprise dans le but de provoquer un avortement.

Certes, la lutte de Pinochet pour défendre la liberté, la vie, et la propriété privée ne fut pas facile. Pour y arriver, votre précurseur dans cette voie du néolibéralisme radical que vous empruntez, a dû effectuer, comme votre camarade Netanyahou, des tâches difficiles. Il a dû relever courageusement des défis gigantesques.

Comme vous, M. Milei, Pinochet percevait le socialisme comme le cancer qui ronge l'âme judéo-chrétienne de son peuple. Pour restaurer cette âme, il a dû torturer quelques 27 000 Chiliens et Chiliennes, en emprisonner environ 250 000, soit dans le stade national ou dans des camps de concentration, et en tuer ou faire disparaitre plus de 3000.

J'oubliais un détail. Comme vous, M. Milei, Pinochet se scandalisait devant cette déviation culturelle qui amenait les femmes à porter des pantalons plutôt que des robes ; qui amenait les curés à croire à cette fausse idée qu'est la justice sociale, et à vivre avec et comme les pauvres dans les bidonvilles. Il a donc obligé les femmes à porter des robes et a carrément expulsé du Chili – non pas à Guantanamo, cependant ! – tous ces curés, sauf quelques-uns qu'il a torturés et tués.

Cependant, Pinochet a réussi à faire ce que vous tentez de réaliser présentement : une économie carrément néolibérale où santé, éducation, logement, eau, et même pension, etc. ne sont, comme nous l'indique le gros bon sens, que de simples marchandises à vendre sur le marché. Salvador Allende, que Pinochet a courageusement renversé du pouvoir, croyait à des idées complètement fausses ! Il pensait que tout cela représentait des droits fondamentaux ! Mais quelle stupidité !

M. Milei !

Je fais de mon mieux pour exprimer fidèlement votre pensée et votre vision du monde. Cependant, lectrices et lecteurs trouveront peut-être que je déforme quelque peu vos propos. Que je verse un peu trop dans l'ironie et le sarcasme....

Je vous laisse donc la parole, M. Milei. Vous êtes sans doute mieux placé que moi pour dire ce que vous voulez dire !

Extraits du discours du président argentin Javier Milei à Davos le 23 janvier dernier

Dans mon discours, ici, devant vous l'année dernière, je vous ai dit que c'était le début d'une nouvelle Argentine, que l'Argentine avait été infectée par le socialisme pendant trop longtemps et qu'avec nous, elle allait embrasser à nouveau les idées de liberté ; un modèle que nous résumions dans la défense de la vie, de la liberté et de la propriété privée. (...)

Et voilà qu'un an plus tard, l'Argentine est devenue un exemple mondial de responsabilité fiscale, de respect de nos obligations, de la façon de mettre fin au problème de l'inflation et aussi d'une nouvelle façon de faire de la politique, qui consiste à dire la vérité en face et à faire confiance aux gens pour qu'ils comprennent. (...)

Je suis venu ici aujourd'hui pour vous dire que notre bataille n'est pas gagnée, que si l'espoir renaît, il est de notre devoir moral et de notre responsabilité historique de démanteler l'édifice idéologique du wokisme malsain. Tant que nous n'aurons pas réussi à reconstruire notre cathédrale historique, tant que nous n'aurons pas réussi à faire en sorte que la majorité des pays occidentaux embrassent à nouveau les idées de liberté, tant que nos idées ne seront pas devenues la monnaie courante dans les couloirs d'événements comme celui-ci, nous ne pouvons pas abandonner car, je dois le dire, des forums comme celui-ci ont été les protagonistes et les promoteurs du sinistre agenda du wokisme qui cause tant de dommages à l'Occident. Si nous voulons changer, si nous voulons vraiment défendre les droits des citoyens, nous devons commencer par leur dire la vérité.

Et la vérité, c'est qu'il y a quelque chose de profondément erroné dans les idées qui ont été promues dans des forums comme celui-ci. (...) ...une grande partie du monde libre préfère encore le confort du connu, même si c'est la mauvaise voie, et s'obstine à appliquer les recettes de l'échec. Et la grande pierre d'achoppement qui apparaît comme le dénominateur commun des pays et des institutions qui échouent, c'est le virus mental de l'idéologie du wokisme. C'est la grande épidémie de notre époque qu'il faut soigner, c'est le cancer qu'il faut éliminer.

Cette idéologie a colonisé les institutions les plus importantes du monde, depuis les partis et les États des pays libres de l'Occident jusqu'aux organisations de gouvernance mondiale, en passant par les institutions non gouvernementales, les universités et les médias, et a façonné le cours de la conversation mondiale au cours des dernières décennies. Tant que nous n'aurons pas éliminé cette idéologie aberrante de notre culture, de nos institutions et de nos lois, la civilisation occidentale et même l'espèce humaine ne pourront pas retrouver la voie du progrès que notre esprit pionnier exige.

Il est essentiel de briser ces chaînes idéologiques si nous voulons entrer dans un nouvel âge d'or. (...) L'Occident représente l'apogée de l'espèce humaine, le terreau fertile de son héritage gréco-romain et de ses valeurs judéo-chrétiennes a planté les graines d'un événement sans précédent dans l'histoire. S'imposant définitivement face à l'absolutisme, le libéralisme a inauguré une nouvelle ère de l'existence humaine. Dans ce nouveau cadre moral et philosophique qui place la liberté individuelle au-dessus des caprices du tyran, l'Occident a pu libérer la capacité créatrice de l'homme, initiant un processus de création de richesses jamais vu auparavant.

Je m'excuse, M. Milei, de m'immiscer dans votre discours. Mon seul but, en résumant ici votre pensée, est de raccourcir un peu cet article.

Vous vantez, comme l'avait fait Adam Smith, les progrès immenses que permettait l'arrivée du capitalisme. PIB par habitant montant en flèche, 90% de la population mondiale qui sort de la pauvreté, etc. Et tout cela, vous dites, grâce à une convergence de valeurs fondamentales, le respect de la vie, de la liberté et de la propriété, qui a rendu possible le libre-échange, la liberté d'expression, la liberté de religion et les autres piliers de la civilisation occidentale.

Ensuite, faisant vôtre les idées de Milton Friedman, vous dénoncez l'arrivée du socialisme qui, sous le couvert d'un paradis égalitaire, s'est mis à distribuer la richesse en s'attaquant aux créateurs de cette richesse, les capitalistes, ce qui n'a mené qu'à l'appauvrissement. Peut-être plus dangereux encore que le socialisme, dites-vous, sont ces leaders qui disent adopter le capitalisme mais qui, en avançant des idées complètement erronées comme le droit fondamental à la santé, à l'éducation, au logement, etc. et un wokisme malsain – environnementalisme fanatique, féminisme radical, immigration de masse issue d'une fausse culpabilité, programmes de diversité, d'équité et d'inclusion – finissent par saper ce capitalisme, détruisant ainsi les fondements culturels de notre grande civilisation !

Je vous redonne la parole, M. Milei :

Poussant un programme socialiste, mais opérant insidieusement au sein du paradigme libéral, cette nouvelle classe politique a déformé les valeurs du libéralisme. Elle a remplacé la liberté par la libération, en utilisant le pouvoir coercitif de l'État pour distribuer la richesse créée par le capitalisme. Leur justification était l'idée sinistre, injuste et aberrante de justice sociale, complétée par des cadres théoriques marxistes visant à libérer l'individu de ses besoins. Et au cœur de ce nouveau système de valeurs, le principe fondamental de l'égalité devant la loi ne suffit pas, car il existe des injustices cachées à la base qui doivent être corrigées, ce qui représente une mine d'or pour les bureaucrates qui aspirent à la toute-puissance.

Chacun des piliers de notre civilisation a été transformé en une version déformée de lui-même par l'introduction de divers mécanismes de sa version culturelle. Des droits négatifs à la vie, à la liberté et à la propriété, nous sommes passés à un nombre artificiellement infini de droits positifs. Ce fut d'abord l'éducation, puis le logement et de là, à des choses dérisoires comme l'accès à l'internet, au football télévisé, au théâtre, aux soins esthétiques et à une foule d'autres désirs qui ont été transformés en droits humains fondamentaux, des droits que, bien sûr, quelqu'un doit payer.

Et qui ne peuvent être garantis que par l'expansion infinie et aberrante de l'État. En d'autres termes, du concept de liberté comme protection fondamentale de l'individu contre l'intervention du tyran, nous sommes passés au concept de libération par l'intervention de l'État. C'est sur cette base que s'est construit le wokisme, un régime de pensée unique, et soutenu par différentes institutions dont l'objectif est de criminaliser la dissidence. Féminisme, diversité, inclusion, égalité, immigration, avortement, environnementalisme, idéologie du genre : voilà autant de têtes d'une même créature dont l'objectif est de justifier l'avancée de l'État par l'appropriation et la déformation de nobles causes.

Examinons-en quelques-unes. Le féminisme radical est une distorsion du concept d'égalité et, même dans sa forme la plus bienveillante, il est redondant, puisque l'égalité devant la loi existe déjà en Occident. Tout le reste n'est que recherche de privilèges, et c'est bien là l'essence du féminisme radical : opposer une moitié de la population à l'autre alors qu'elles devraient être du même côté. Nous allons même jusqu'à normaliser le fait que, dans de nombreux pays prétendument civilisés, si vous tuez une femme, cela s'appelle un féminicide, et que cela entraîne une peine plus lourde que si vous tuez un homme, simplement en raison du sexe de la victime.

Légaliser, en fait, que la vie d'une femme vaut plus que celle d'un homme, c'est brandir l'étendard de l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes, mais lorsqu'on examine les données, il est clair qu'il n'y a pas d'inégalité pour une même tâche, mais que la plupart des hommes ont tendance à être mieux payés que la plupart des femmes. Toutefois, elles ne se plaignent pas que la plupart des prisonniers soient des hommes, que la plupart des plombiers soient des hommes, que la plupart des victimes de vols ou de meurtres soient des hommes, et encore moins que la plupart des personnes tuées à la guerre soient des hommes. (...)

Le wokisme se manifeste d'ailleurs par un sinistre environnementalisme radical et la bannière du changement climatique. Préserver notre planète pour les générations futures est une question de bon sens - personne ne veut vivre dans une décharge. Mais là encore, le wokisme a réussi à pervertir cette idée élémentaire de préservation de l'environnement pour le plaisir des êtres humains, et nous sommes passés à un environnementalisme fanatique où l'homme est un cancer qu'il faut éliminer, et où le développement économique n'est rien de moins qu'un crime contre la nature.

Toutefois, lorsqu'on affirme que la Terre a déjà connu cinq cycles de changements brusques de température et que, dans quatre d'entre eux, l'homme n'existait même pas, on nous traite de gens qui croient encore que la terre est plate. Ceci, afin de discréditer nos idées, et sans même tenir compte du fait que la science et les données nous donnent raison.

Ce n'est pas une coïncidence si ces mêmes personnes sont les principaux promoteurs de l'agenda sanguinaire et meurtrier de l'avortement, un agenda conçu sur la base du postulat malthusien selon lequel la surpopulation détruira la terre et que nous devons donc mettre en œuvre un mécanisme de contrôle de la population. En fait, ce principe a déjà été adopté, à tel point que le taux de croissance de la population sur la planète commence aujourd'hui à poser problème.

Quelle tâche ils se sont assignés avec ces aberrations de l'avortement ! Depuis ces forums, ils ont promu l'agenda LGBT, voulant nous imposer que les femmes sont des hommes et que les hommes ne sont des femmes que si c'est ainsi qu'ils se perçoivent, et ils ne disent rien lorsqu'un homme se déguise en femme et tue son rival sur un ring de boxe ou lorsqu'un prisonnier prétend être une femme et finit par violer toutes les femmes qui croisent son chemin en prison. (...) ...dans ses versions les plus extrêmes, l'idéologie du genre constitue une véritable maltraitance des enfants. Ce sont des pédophiles, je veux donc savoir qui cautionne ces comportements.

D'autre part, dans nos entreprises, nos institutions publiques et nos établissements d'enseignement, le mérite a été mis à l'écart par la doctrine de la diversité, ce qui implique une régression vers les systèmes nobiliaires d'antan. On invente des quotas pour toutes les minorités que les politiciens peuvent imaginer, ce qui ne fait que nuire à l'excellence de ces institutions. Le wokisme a également dénaturé la cause de l'immigration ; la libre circulation des biens et des personnes est au cœur du libéralisme, comme nous le savons, l'Argentine, les États-Unis et bien d'autres pays ont été rendus grands par les immigrants qui ont quitté leur patrie à la recherche de nouvelles opportunités.

Cependant, de la tentative d'attirer des talents étrangers pour promouvoir le développement, nous sommes passés à une immigration de masse motivée non pas par l'intérêt national, mais par la culpabilité. L'Occident étant la cause supposée de tous les maux de l'histoire, il doit se racheter en ouvrant ses frontières au monde entier, ce qui aboutit nécessairement à une colonisation à rebours, qui s'apparente à un suicide collectif.

C'est ainsi que nous voyons aujourd'hui des images de hordes d'immigrés abusant, violant ou tuant des citoyens européens qui n'ont commis que le péché de ne pas avoir adhéré à une religion particulière. Mais quand on s'interroge sur ces situations, on est taxé de raciste, de xénophobe ou de nazi. Le wokisme a imprégné nos sociétés si profondément, promu par des institutions telles que celle-ci, que l'idée même de sexe a été remise en question par l'infâme idéologie du genre. (...)

Car en dominant les chaires des universités les plus prestigieuses du monde, elle forme les élites de nos pays à contester et à nier la culture, les idées et les valeurs qui ont fait notre grandeur, endommageant encore davantage notre tissu social. Que reste-t-il pour l'avenir si nous enseignons à nos jeunes à avoir honte de notre passé ? « (...) Le marché étant un mécanisme de coopération sociale où les droits de propriété sont échangés volontairement, la prétendue défaillance du marché est une contradiction dans les termes. La seule chose qu'une intervention de l'État génère, ce sont de nouvelles distorsions du système des prix, qui à leur tour entravent le calcul économique, l'épargne et l'investissement, et finissent donc par engendrer plus de pauvreté ou un enchevêtrement immonde de réglementations, par exemple, comme celles qui existent en Europe, et qui tuent la croissance économique.

Pour cette même raison, puisque le wokisme n'est ni plus ni moins qu'un plan systématique de l'État-parti pour justifier l'intervention de l'État et l'augmentation des dépenses publiques, cela signifie que notre première croisade, la plus importante si nous voulons retrouver l'Occident du progrès, si nous voulons construire un nouvel âge d'or, doit être la réduction drastique de la taille de l'État. Non seulement dans chacun de nos pays, mais aussi dans tous les organismes supranationaux.

Le 1er février, le camarade de Milei, Donald Trump, impose un tarif de 25% sur tous les produits provenant du Canada (pour l'énergie, il sera de 10%) et du Mexique

Au moment même où, en Argentine, plus de deux millions de vos concitoyens et concitoyennes prenaient la rue, samedi 1er février, pour dénoncer les propos que vous teniez à Davos, M. Milei, votre camarade dans la lutte pour les idées de liberté, Donald Trump, annonçait une nouvelle mesure fracassante pour faire avancer cette liberté dans le monde.

Celui, dont l'élan pour une plus grande liberté dans le monde le poussait à affirmer qu'il allait, par une guerre commerciale, faire du Canada un autre état de son pays ; qu'il allait s'accaparer, par la force si nécessaire, le Canal de Panama et le Groenland, annonce, samedi 1er février, qu'à partir du 4 février prochain, il va imposer un tarif de 25% sur les produits provenant du Canada et du Mexique.

Mon tarif pour l'énergie provenant du Canada sera de 10%, poursuit-il.

Et si le gouvernement Trudeau ose riposter en imposant un tarif sur nos produits, je vais simplement augmenter encore plus le tarif sur les produits canadiens !

Le représentant du pays qui, depuis des décennies, a sans cesse prêché, et souvent imposé le libre échange aux autres pays, surtout les plus pauvres de la planète ; le Donald Trump dont la marque de commerce est de faire des ‘deals', et qui avait conclu avec le gouvernement Trudeau et le gouvernement mexicain le ‘deal' qu'est le libre-échange USA-Mexique-Canada ; le Donald Trump dont la grande spécialité, qu'il a perfectionnée pendant des années dans son émission de télévision The Apprentice, est de manipuler la population en lui faisant croire aveuglément au récit qu'il invente, plante un couteau tarifaire dans le dos du Canada et du Mexique.

Le Canada et le Mexique nous traitent très mal, annonce-t-il ! Notre déficit commercial avec eux est énorme. Et ils laissent entrer chez nous une immense quantité de fentanyl et d'immigrants illégaux !

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Derrière la guerre russe, le conflit de classes

4 février, par Volodimir Ichtchenko — , ,
Volodimir Ichtchenko est sociologue et collaborateur scientifique de l'Osteuropa-Institut [Institut de l'Europe orientale] à la Freie Universität [Université Libre] de Berlin. (…)

Volodimir Ichtchenko est sociologue et collaborateur scientifique de l'Osteuropa-Institut [Institut de l'Europe orientale] à la Freie Universität [Université Libre] de Berlin.

Texte original : The class conflict behind Russia's war
https://alameda.institute/publishing/dossier-ukraine/.
Traduction de Gérard Billy à partir de la version allemande (légèrement abrégée) parue dans SoZ 1 Januar 2025. avec vérification et compléments tirés du texte original.

Contraintes intrinsèques et contradictions du capitalisme rentier post-soviétique

À l'origine de l'invasion de l'Ukraine, il n'y a pas simplement l'expansionnisme de Vladimir Poutine. Il y a un projet du capitalisme russe, celui que lui-même et ses alliés mettent en œuvre depuis l'effondrement de l'Union Soviétique, écrit Volodimir Ichtchenko, dans un article qui se donne pour objectif « d'expliquer comment les fondements politiques et idéologiques de l'invasion reflètent les intérêts de la classe dominante ».

Poutine n'est pas un déséquilibré avide de pouvoir, pas plus qu'il n'est un exalté habité par une idéologie ni un malade mental. En faisant la guerre à l'Ukraine, il défend les intérêts collectifs rationnels de la classe dirigeante russe. Il n'est pas du tout inhabituel que les intérêts de classe collectifs ne se recoupent que partiellement avec ceux des représentants individuels de cette classe, ou même les contredisent. Mais quelle est en réalité la classe qui gouverne en Russie – et quels sont ses intérêts collectifs ?

Si on demande quelle classe est au pouvoir en Russie, à gauche, la réponse sera probablement la plupart du temps : des capitalistes. Dans l'espace post-soviétique, le citoyen moyen les traitera sûrement de voleurs, escrocs, ou mafieux. Une réponse se voulant légèrement plus intellectuelle sera : des oligarques. Il est facile d'écarter les réponses de ce type comme reflétant une fausse conscience. Cependant, une démarche analytique plus productive consisterait à se demander pourquoi les citoyens post-soviétiques soulignent l'aspect brigandage et l'interdépendance étroite entre le monde des affaires privées et l'État, qui est contenue dans le terme « oligarques ».

Nous avons besoin de nous attaquer sérieusement à la spécificité du monde post-soviétique.

Historiquement, l'« accumulation primitive » s'est faite dans et par le processus de désintégration centrifuge qui a emporté l'État et l'économie soviétiques. Le politologue Steven Stolnick a qualifié ce processus de « brigandage aux dépens de l'État ».

Les membres de la nouvelle classe dominante ont, ou bien privatisé la propriété étatique (et souvent pour « trois francs six sous »), ou bien saisi les occasions, nombreuses, de siphonner les profits provenant d'établissements formellement publics pour les faire aboutir dans les poches de personnes privées. Ils ont mis à profit leurs relations informelles avec des fonctionnaires de l'État et les possibilités légales, souvent ouvertes à cette seule fin, de fraude fiscale massive et de fuite des capitaux, tout en organisant simultanément des prises de contrôle hostiles sur les entreprises dans le but d'engranger à court terme des gains rapides.

L'économiste russe Ruslan Dzarasov a formalisé ces pratiques avec le concept de « rente d'initié » : grâce au contrôle qu'ils exercent sur les flux financiers des entreprises, les initiés, qui dépendent des relations qu'ils entretiennent avec les détenteurs du pouvoir, perçoivent des revenus qui ont un caractère analogue à celui d'une rente. On trouvera assurément des pratiques de ce genre aussi dans d'autres parties du monde, mais le rôle qu'elles jouent dans la formation et la reproduction de la classe dominante russe est bien plus important en raison des formes prises par la transformation post-soviétique à ses débuts, avec l'effondrement centrifuge du socialisme d'État et la reconsolidation politico-économique qui a suivi sur une base clientéliste.

D'autres chercheurs de premier plan, comme le sociologue hongrois Iván Szelényi qualifient ce genre de phénomène de « capitalisme politique ». À la suite de Max Weber, on pourrait dire que le capitalisme politique se caractérise par le fait d'utiliser l'occupation de fonctions politiques pour accumuler une richesse privée. Je dirais que les capitalistes politiques sont la fraction de la classe capitaliste dont le principal atout compétitif réside dans les privilèges qui lui sont octroyés de par ses liens avec l'État, par opposition aux capitalistes qui fondent leur supériorité sur des innovations technologiques ou le coût particulièrement bas de la force de travail.

On ne trouve pas des capitalistes politiques seulement dans les pays post-soviétiques, mais ils prospèrent principalement dans les régions où l'État joue traditionnellement un rôle dominant dans l'économie et a accumulé un capital immense qui est désormais à la disposition de l'exploitation privée.

Le concept de capitalisme politique est capital pour comprendre en quoi, lorsqu'il parle de « souveraineté » ou de « sphères d'influence », le Kremlin ne tient pas un discours irrationnel tissé de concepts périmés. En même temps, cette rhétorique n'exprime pas nécessairement l'intérêt national de la Russie, mais elle reflète directement les intérêts de classe des capitalistes politiques russes.

Si les privilèges accordés par l'État sont un facteur décisif pour accumuler de la richesse, ces capitalistes n'ont pas d'autre choix que de marquer avec précision les contours du territoire sur lequel ils exercent un contrôle monopolistique, contrôle qui ne peut être partager avec aucune autre fraction de la classe capitaliste.

Contradictions internes

Normalement, dans les États capitalistes, la bourgeoisie ne se mêle pas directement de la conduite de l'État. La bureaucratie étatique jouit en règle générale d'une large autonomie vis-à-vis de la classe capitaliste, qu'elle sert cependant en établissant et mettant en œuvre les règles qui profitent à l'accumulation capitaliste. Les capitalistes politiques, eux, ne sont pas demandeurs de règles générales, ils veulent en revanche pouvoir contrôler de près les décideurs politiques. Ou bien ils investissent eux-mêmes les postes de responsabilité politique et les mettent au service de leur enrichissement privé.

Un grand nombre des figures emblématiques classiques du capitalisme entrepreneurial ont profité de subventions de l'État, de réglementations fiscales avantageuses ou de mesures protectionnistes variées. Mais à l'inverse des capitalistes politiques, leur survie et leur expansion sur le marché ne dépendent que rarement du personnel politique affecté à telle ou telle fonction, de l'occupation du pouvoir par tel ou tel parti ou de tel ou tel type de régime politique. Le capital transnational pourrait tout à fait survivre et survivrait même sans les États-nations où il a son siège. Les capitalistes politiques ne peuvent s'en tirer dans la compétition mondiale s'ils ne disposent pas au moins d'un territoire où ils puissent récolter des rentes d'initiés sans immixtion extérieure.

La corruption est pour cette raison un problème endémique du capitalisme politique, même quand celui-ci est géré par une bureaucratie efficace, technocratique et autonome.

Le meilleur exemple d'un capitalisme politique qui a réussi, c'est la Chine. Mais en Russie, à la différence de la Chine, les institutions du PC soviétique se sont désintégrées, elles ont été remplacées par un régime qui s'appuie sur des réseaux clientélistes personnels qui ont faussé la façade formelle de la démocratie libérale pour la faire fonctionner à leur profit. Souvent, les initiatives visant à moderniser et professionnaliser l'économie s'en trouvent contrariées.

Mais, pour le dire sans fard, on ne peut pas sempiternellement voler aux mêmes endroits. Il devient nécessaire de muer pour aller vers un modèle différent de capitalisme pour maintenir le taux de profit, que ce soit par des investissements en capital ou en intensifiant l'exploitation de la force de travail – ou bien il faut s'étendre dans l'espace pour trouver de nouvelles sources d'extraction de la rente.

Réinvestissement et exploitation de la force de travail se heurtent l'un et l'autre à des entraves structurelles dans le capitalisme politique post-soviétique. D'un côté, beaucoup hésitent à se lancer dans des investissements à long terme, quand leur modèle d'entreprise et même la détention de leur titre de propriété dépendent fondamentalement de la présence de certaines personnes aux manettes du pouvoir. En général, il est apparu plus judicieux de placer simplement les gains obtenus sur des comptes offshore.

D'un autre côté, la main-d'oeuvre post-soviétique est urbanisée, bien formée et coûteuse. Les salaires relativement bas pratiqués dans la région ne sont possibles que parce qu'il subsiste une infrastructure matérielle développée et des institutions sociales que l'Union Soviétique a laissées en héritage. Celui-ci représente une lourde charge pour l'État, mais il n'est pas possible de s'en défaire sans saborder le soutien de secteurs-clés de l'électorat.

Aspirant à mettre fin aux rivalités entre capitalistes politiques qui étaient la marque des années 90, les dirigeants bonapartistes du type Poutine et autres autocrates post-soviétiques ont amorti la guerre de tous contre tous en servant les intérêts de certaines fractions de l'élite et en réprimant les autres – sans pour autant rien changer aux fondements du capitalisme politique.

En Ukraine

Quand l'expansion prédatrice a commencé à se cogner à ses limites internes, les élites russes ont tenté de la délocaliser, pour maintenir la rentabilité de leurs investissements en augmentant les dimensions de leur champ d'action. D'où l'intensification des projets d'intégration sous direction russe comme l'Union Économique Eurasienne. Celle-ci s'est heurtée à deux obstacles. Le premier était relativement secondaire : les capitalistes politiques locaux. En Ukraine, par exemple, ceux-ci étaient intéressés par l'énergie russe à bon marché, mais ils tenaient aussi à leur propre droit souverain de récolter les rentes d'initiés afférentes à leur territoire. Ils ont pu instrumentaliser le nationalisme antirusse pour légitimer leurs propres prétentions sur la partie ukrainienne de l'État soviétique en décomposition, mais sans réussir à mettre au point un projet propre de développement national.

L'alliance entre le capital transnational et les classes moyennes professionnelles dans l'espace post-soviétique, politiquement représentées par les sociétés civiles pro-occidentales en lien avec les ONG, a davantage bousculé en donnant une idée de ce qui pourrait pousser au milieu des ruines d'un socialisme d'État dégradé et désintégré. Pour l'intégration post-soviétique menée par la Russie, elle était un obstacle plus important. De là est né le principal conflit politique qui agite l'espace post-soviétique, lequel a culminé avec l'invasion de l'Ukraine.

La stabilisation bonapartiste décrétée par Poutine et autres dirigeants post-soviétiques a favorisé la croissance d'une classe moyenne professionnelle. Une fraction d'entre elle profite des avantages du système, p.ex. quand elle est employée dans l'appareil d'État ou dans des entreprises d'État stratégiques. Mais une grande majorité est néanmoins exclue du capitalisme politique.

Les plus importantes chances d'améliorer leurs revenus et de faire carrière, de même que de gagner en poids politique, sont liées à la perspective d'une intensification des relations politiques, économiques et culturelles avec l'occident. Ces personnes sont en même temps l'avant-garde du soft power occidental. L'intégration dans des institutions à direction européenne (UE) ou américaine (USA) représentent pour elles un projet de modernisation de substitution, pour entrer dans le « vrai » capitalisme aussi bien que dans le « monde civilisé » en général. Cela signifie par la force des choses une rupture avec les élites post-soviétiques, leurs institutions et la mentalité socialiste profondément enracinée des masses plébéiennes « arriérées » qui, après le désastre des années 90, tiennent au moins à une certaine stabilité.

Pour la plupart des Ukrainiens, cette guerre est une guerre d'autodéfense. Le reconnaître ne doit pas faire oublier l'abîme qui sépare leurs intérêts de ceux qui prétendent parler en leur nom.

Le caractère profondément élitiste du projet pro-occidental est la raison qui explique pourquoi celui-ci n'est parvenu dans aucun des pays post-soviétiques à devenir réellement hégémonique, même quand il était soutenu par un nationalisme antirusse historique. Même maintenant, la coalition négative qui s'est mobilisée contre l'invasion russe, ne signifie pas que les Ukrainiens sont unis autour d‘un agenda positif déterminé. Ceci explique aussi la neutralité sceptique du Sud global quand il est sommé de se solidariser, ou bien avec un prétendant au pouvoir mondial (la Russie), ou bien avec un candidat à l'intégration à l'occident (l'Ukraine), dont l'objectif n'est pas de lutter contre l'impérialisme, mais de s'associer à celui qui réussit le mieux.

Ce que signifie « lutte contre la corruption »

La discussion concernant le rôle de l'occident dans les enchaînements qui ont conduit à l'invasion russe se concentre en règle générale sur les gesticulations menaçantes de l'OTAN en direction de la Russie. Mais si on prend en considération la structure politique spécifique du capitalisme politique, on voit immédiatement pourquoi une intégration de la Russie à l'occident n'aurait jamais pu fonctionner sans une transformation politique radicale de celle-ci.

Il était totalement impossible d'intégrer les capitalistes politiques post-soviétiques dans des institutions dirigées par l'occident alors que le but explicite de celles-ci était de les éliminer comme classe en les privant de leur avantage concurrentiel le plus important : les privilèges sélectifs que leur accordaient les États post-soviétiques.

Ce qui s'appelle l'agenda anticorruption est un chapitre essentiel, sinon même le chapitre le plus important des projets forgés par les institutions occidentales pour l'espace post-soviétique. Ceux-ci sont repris dans leur ensemble par la classe moyenne pro-occidentale de la région. Mais pour les capitalistes politiques, l'aboutissement de cet agenda signifierait leur mort politique et économique.

Devant l'opinion publique, le Kremlin s'efforce de présenter la guerre comme une lutte pour la survie de la Russie comme nation souveraine. L'enjeu principal est néanmoins d'assurer la survie de la classe dominante russe et de son modèle de capitalisme politique. La restructuration « multipolaire » de l'ordre mondial résoudrait le problème pour un certain temps.

Voilà pourquoi le Kremlin tente de vendre son projet – qui n'a pour motivation que ses intérêts de classe – aux élites du Sud global en leur faisant miroiter qu'elles conserveraient leur propre « zone d'influence » souveraine, fondée sur leur droit à « représenter une civilisation ».

La crise du bonapartisme post-soviétique

Les intérêts contradictoires des capitalistes politiques post-soviétiques, des classes moyennes professionnelles et du capital transnational constituent la structure du conflit politique d'où a surgi en fin de compte la guerre actuelle. Mais la crise de l'organisation politique des capitalistes politiques a exacerbé les menaces qui pèsent sur elle.

Les régimes bonapartistes comme celui de Poutine ou d'Alexandre Loukachenko au Belarus reposent sur un soutien passif et dépolitisé et tirent leur légitimité du fait qu'ils ont surmonté le désastre de l'effondrement post-soviétique, et non d'un consentement actif qui garantirait l'hégémonie politique de la classe dirigeante. Ce type de régime autoritaire personnalisé est fondamentalement fragile en raison du problème de la succession. Il n'existe pas de règles ou de traditions claires pour transférer le pouvoir, pas d'idéologie articulée à laquelle un nouveau dirigeant devrait adhérer, et pas de parti ou de mouvement dans lequel celui-ci pourrait être socialisé. La question de la succession représente le point faible où les conflits internes au sein de l'élite peuvent s'échauffer dangereusement et par où les soulèvements d'en bas ont le plus de chances de réussir.

De tels soulèvements se sont multipliés à la périphérie de la Russie ces dernières années : non seulement l'Euromaidan ukrainien de 2014, mais aussi les révolutions en Arménie, la troisième révolution au Kirghizstan, le soulèvement raté de 2020 au Belarus et, plus récemment, le soulèvement au Kazakhstan. Dans les deux derniers cas, le soutien russe s'est avéré crucial pour assurer la survie du régime local.

En Russie même, les rassemblements « Pour des élections équitables » organisés en 2011 et 2012, ainsi que les mobilisations ultérieures inspirées par Alexei Navalny, n'ont pas été négligeables. À la veille de l'invasion, l'agitation sociale grossissait, tandis que les scrutins montraient une baisse de la confiance en Poutine et un nombre croissant de personnes souhaitant qu'il se retire. Il est à noter que l'opposition à Poutine était d'autant plus forte que les personnes interrogées étaient jeunes.

Aucune des dites révolutions de couleur post-soviétiques n'a représenté par elle-même une menace existentielle pour les capitalistes politiques post-soviétiques comme classe. Elles ont seulement amené au pouvoir d'autres fractions de la même classe, et ce faisant, aggravé la crise de la représentation politique à laquelle elles avaient tout d'abord été une réaction. C'est ce qui explique la fréquence de ce genre de protestation.

Les révolutions de couleur sont, comme le dit le politologue Beissinger, des révolutions citoyennes et citadines typiques de notre époque. En s'appuyant sur une énorme quantité de données statistiques, il montre que les révolutions citoyennes et urbaines, à la différence des révolutions sociales du passé, n'affaiblissent que passagèrement les dominations autoritaires et ne renforcent les sociétés civiles que provisoirement. Elles ne débouchent ni sur une organisation politique plus solide ou plus égalitaire, ni sur des transformations démocratiques durables.

Il est significatif que les « révolutions de couleur » s'étant déroulées dans les pays post-soviétiques aient affaibli l'État et rendu les capitalistes politiques locaux plus vulnérables face à la pression du capital transnational – tant directement qu'indirectement par l'intermédiaire des ONG pro-occidentales. En Ukraine, par exemple, après l'Euromaidan, FMI, G7 et société civile se sont opiniâtrement attachés à la mise en place d'institutions « anti-corruption » .

Les huit années qui se sont écoulées ensuite n'ont vu éclater aucun scandale de corruption d'une certaine ampleur. En revanche a été institutionnalisée la surveillance d'importantes entreprises étatiques et du système judiciaire par des citoyens d'États étrangers et des activistes anti-corruption, restreignant ainsi pour les capitalistes politiques autochtones les possibilités d'engranger des rentes d'initiés. Les capitalistes politiques russes ont de bonnes raisons de se sentir devenir nerveux en voyant les problèmes dans lesquels sont embarqués ces oligarques ukrainiens jadis si puissants.

La date de l'invasion, de même que l'erreur de pronostic de Poutine croyant à une victoire rapide et facile peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs : ainsi l'avance temporaire de la Russie en matière d'armement hypersonique, la dépendance de l'Europe par rapport à l'énergie russe, la répression de l'opposition dite pro-russe en Ukraine, la stagnation du protocole de Minsk de 2015 après la guerre du Donbass, ou bien encore le fonctionnement défaillant des services de renseignement russes en Ukraine.

J'ai cherché à esquisser à grands traits le conflit de classe qui est à l'arrière-plan de l'invasion, à savoir entre les capitalistes politiques intéressés par l'expansion territoriale pour soutenir le taux de rente, d'une part, et le capital transnational allié aux classes moyennes professionnelles – qui ont été exclues du capitalisme politique – d'autre part.

Le concept marxiste d'impérialisme ne peut être utilement appliqué à la guerre actuelle que si nous pouvons identifier les intérêts matériels qui la sous-tendent. En même temps, le conflit ne concerne pas seulement l'impérialisme russe. Le conflit actuellement résolu en Ukraine par les chars, l'artillerie et les roquettes est le même que celui que les matraques de la police ont réprimé au Belarus et en Russie même.

L'aggravation de la crise d'hégémonie post-soviétique – l'incapacité de la classe dominante à mettre sur pied une direction politique, morale et intellectuelle stable – est la cause principale de l'escalade de la violence.

Conséquences contradictoires

La classe dirigeante russe n'est pas uniforme. Il y a des secteurs à qui les sanctions occidentales font subir de lourdes pertes. Mais la relative autonomie du régime russe par rapport à la classe dominante lui permet de défendre les intérêts collectifs de long terme indépendamment des pertes endurées par certains représentants ou certains groupes. En même temps, la crise qui, à la périphérie de la Russie,secoue des régimes analogues, alourdit les menaces existentielles qui pèsent sur la classe dominante russe prise dans sa totalité.

Les fractions plutôt souverainistes du capital politique russe ont pris l'avantage sur celles qui se prêteraient à des compromis, mais même ces dernières comprennent probablement qu'elles perdraient toutes à la chute du régime.

Avec cette guerre, le Kremlin a tenté de désamorcer ces menaces à l'horizon d'un avenir prévisible, en se donnant pour but ultime une restructuration « multipolaire » de l'ordre mondial. En dépit de son coût élevé, la guerre donne une légitimité au découplage de la Russie par rapport à l'occident et rend en même temps extrêmement difficile de revenir en arrière après l'annexion de nouveaux territoires ukrainiens.

En même temps, la clique russe au pouvoir élève l'organisation politique et la légitimité idéologique de la classe dominante à un niveau supérieur. Il y a déjà des signes indiquant une évolution vers un régime politique autoritaire renforcé, plus idéologique et volontariste, s'inspirant explicitement du modèle plus efficace du capitalisme politique chinois.

Pour Poutine, cela représente pour l'essentiel une nouvelle étape du processus de consolidation post-soviétique qu'il a démarré au début des années 2000 en mettant au pas l'oligarchie russe. Au récit un peu flou de la première phase, mettant en avant la prévention des catastrophes et le rétablissement de la « stabilité », succède un nationalisme conservateur plus nettement articulé, lequel prend pour cibles à l'étranger l'Ukraine et l'Occident, et à l'intérieur les « traîtres » cosmopolites. C'est à peu près le seul langage idéologique disponible dans le contexte de la crise idéologique post-soviétique.

Certains auteurs avancent que le renforcement d'une politique d'hégémonie par en haut peut favoriser la montée d'une politique contre-hégémonique plus vigoureuse par en bas. Si cela est exact, il se pourrait que le tournant du Kremlin en direction d'une politique idéologiquement plus marquée et se voulant plus volontaire, crée les conditions d'une opposition politique de masse mieux organisée, plus consciente et plus enracinée dans les classes populaires que n'en a jamais vu aucun pays post-soviétique, et ouvrir en fin de compte la voie à une nouvelle vague de révolution sociale.

Une évolution de ce genre pourrait à son tour modifier fondamentalement l'équilibre des forces sociales et politiques dans cette partie du monde, avec une possibilité de mettre fin au cercle vicieux dans lequel elle se débat depuis l'effondrement de l'Union Soviétique il y a à peu près trente ans.

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Le techno-féodalisme est un Léviathan de pacotille

4 février, par Cédric Durand — ,
Qu'exprime le retour au pouvoir de Donald Trump et plus spécifiquement son alliance avec Elon Musk et les patrons de Meta, Amazon, Google, etc. ? Une nouvelle étape dans (…)

Qu'exprime le retour au pouvoir de Donald Trump et plus spécifiquement son alliance avec Elon Musk et les patrons de Meta, Amazon, Google, etc. ? Une nouvelle étape dans l'ascension de seigneurs techno-féodaux, analyse icil'économiste Cédric Durand, qui s'interroge également sur la politique qu'il nous faudrait opposer à ce qui pourrait bien constituer un « grand événement de l'histoire universelle. »

3 février 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/techno-feodalisme-leviathan-trump-musk/

Dans, L'homme sans qualité, le grand Roman de Robert Musil qui se déroule à Vienne dans l'année qui précède la première guerre mondiale, le général Stumm fait à Ulrich, le personnage principal, une remarque dont le narrateur nous dit qu'elle est pleine de sagesse :

« Vois-tu, tu voudrais toujours qu'on soit clair (…). Certes, j'admire ce trait, mais si tu pensais historiquement, une fois ? Comment donc ceux qui participent immédiatement à un grand évènement pourraient-ils savoir à l'avance s'il sera un grand évènement ? Tout au plus en s'imaginant qu'il en est un ! Si tu me permets un paradoxe, j'affirmerai donc que l'histoire universelle est écrite avant de se produire : elle commence toujours par être des racontars ».

Les racontars du grand évènement en cours sont ceux qui entourent l'arrivée au pouvoir de Donald Trump et le vent glacial qu'a fait souffler la cérémonie d'investiture du 20 janvier 2025 sur la situation politique mondiale. Si l'avalanche de décrets [executive orders] – plus d'une centaine en une semaine – et d'agressions verbales étaient attendues, la mise en scène de la fusion entre le pouvoir politique et les géants de la Tech américaine fut une surprise.

Contrairement à l'usage qui veut que les premières places soient réservées aux anciens présidents et aux autres invités d'honneur, Mark Zuckerberg de Meta, Jeff Bezos d'Amazon, Sundar Pichai de Google et Elon Musk de Tesla étaient à proximité immédiate du président. Plus à l'arrière, Tim Cook d'Apple, Sam Altman d'Open AI et Shou Zi Chew de Tik Tok se trouvaient, mêlés dans la petite foule des dignitaires du nouveau régime, avec Barack Obama, Georges W. Bush, les Clinton et les ministres choisis par Trump lui-même.

Quelques heures plus tard, les deux saluts nazis d'Elon Musk adressés à la foule des supporter trumpistes ne faisait que conforter de la pire manière l'avertissement donné par Joe Biden au peuple étasunien au moment de quitter la maison blanche : “une oligarchie dotée d'une richesse, d'un pouvoir et d'une influence extrêmes est en train de prendre forme en Amérique et menace directement notre démocratie tout entière”. Ce constat du président sortant, trop tardivement lucide, ne mord pas.

D'abord parce que l'influence des plus riches aux États-Unis donne depuis longtemps un caractère oligarchique au régime politique. Ensuite, parce que ces milliardaires de la Tech furent très majoritairement, jusqu'à ces dernières années, des soutiens du parti démocrate et des adversaires déclarés de Donald Trump. Celui-ci ne manqua d'ailleurs pas de le souligner : “Ils l'ont déserté”. “Ils étaient tous avec lui, chacun d'entre eux, et maintenant ils sont tous avec moi.-”.

La question cruciale porte sur la nature de ce réalignement de la Tech : s'agit-il d'un simple revirement opportuniste, dans les mêmes grands paramètres systémiques, ou bien d'un moment de rupture digne de la qualification de grand évènement de l'histoire universelle ? Risquons-nous à cette seconde hypothèse.

Le contraire d'un absolutisme

Trump aime les hommages ostentatoires. Lorsque les puissants courtisans s'empressent auprès du souverain, « The great estate of Palm Beach », comme il appelle sa résidence de Mar el Lago, ne prend-il pas des airs de petit Versailles ? Mais Trump n'a rien d'un apprenti Louis XIV.

Loin d'une reprise en main centralisatrice du pays, son retour au pouvoir s'effectue sous le signe du rejet de l'interventionnisme et des restrictions imposées par l'administration Biden : si l'argent du fossile était acquis à Trump, le basculement de la tech et de la frange la plus mobilisée de la finance répond à la vigoureuse politique anti-trust menée par Lina Khan, à l'attitude défiante vis-à-vis des cryptos de Gary Gensler à la tête de la Security Exchange Commission et à l'orientation modérément progressiste des démocrates sur le plan de la fiscalité.

Autrement dit, le ralliement des entrepreneurs de la Tech à Trump s'effectue sous le signe de la réaction et vise à l'élargissement de leur champ d'action. Y compris sur la scène internationale où ils comptent sur l'activisme de la nouvelle administration, notamment en Europe, pour faire bouger les lignes réglementaires et fiscales en leur faveur.

Deux décrets signés par Donald Trump le jour même de son investiture ne laissent aucun doute sur l'orientation prise. Le premier révoque une décision de Joe Biden relative à la sécurité des systèmes d'intelligence artificielle qui obligeait “les développeurs de systèmes d'IA qui présentent des risques pour la sécurité nationale, l'économie, la santé ou la sécurité publique des États-Unis à partager les résultats des tests de sécurité avec le gouvernement américain”.

En somme, les autorités publiques gardaient un droit de regard sur les évolutions à la frontière de l'IA. Ce n'est plus le cas. On peut objecter que si les promesses de la Tech sont loin d'être toujours tenues, il doit en être de même pour les menaces existentielles que la foison de dystopies numériques envisage. Maigre consolation. S'agissant de la technologie la plus disruptive de notre époque, avec la volonté de se soustraire à toute forme de supervision publique, c'est l'intention qui compte.

L'autonomisation des Big Tech du fait de la dérégulation de l'IA se double d'une forme de subordination de la puissance publique. Dans la même rafale inaugurale, un second décret annonce la création du Department of Government Efficiency (DOGE service), dont la direction est confiée à Musk, sur la base de la réorganisation du US Digital Services (USDS).

L'USDS a été institué sous l'administration Obama pour mieux intégrer les systèmes d'information entre les différentes branches du gouvernement. Pour Richard Pierce, un professeur de droit à l'université George Washington, cette manière d'intégrer DOGE au gouvernement fédéral va fonctionner, c'est-à-dire qu'elle va « lui donner une plate-forme de surveillance et de projection de ces recommandations » . La nouvelle entité dispose en effet ainsi d'un accès illimité aux données non classifiées de toutes les agences gouvernementales.

Il est difficile de surestimer les potentielles conséquences de cette nouvelle situation. Mais la première mission confiée à DOGE ce même 20 janvier, permet d'imaginer ce que cela implique. Sous le label “reformer le processus fédéral de recrutement et rétablir le mérite dans la fonction publique », la nouvelle administration entend exercer un contrôle beaucoup plus étroit sur les fonctionnaires, notamment en ce qui concerne leur « engagement en faveur des idéaux, des valeurs et des intérêts américains » et leur volonté de « servir loyalement le pouvoir exécutif ».
A cette fin de surveillance politique, DOGE est convoqué de manière à “intégrer des technologies modernes pour soutenir le processus de recrutement et de sélection […et..] veiller à ce que les responsables des départements et des agences, ou les personnes désignées par eux, participent activement à la mise en œuvre des nouveaux processus et à l'ensemble du processus de recrutement ». En somme, Musk et ses machines se voient confier l'encadrement politique des fonctionnaires fédéraux, ce qui nourrit à juste titre les craintes de chasse aux sorcières et de politiques discriminatoires magnifiées par la puissance algorithmique.

Le fond de ces deux décisions ne souffre d'aucune ambiguïté : d'un côté, les entrepreneurs de la Tech se débarrassent de la supervision publique pour leurs applications les plus sensibles ; de l'autre, le cœur de ce qui fait l'État – la gestion des carrières de la bureaucratie – se soumet à leur dispositif de surveillance. Le nouveau trumpisme n'est donc pas un absolutisme car il ne vise pas à opérer l'unification politique des classes dominantes dans l'État fédéral. Son essence est au contraire d'émanciper la fraction la plus offensive du capital de toute contrainte sérieuse de la part de l'État fédéral tout en mettant l'appareil administratif sous son contrôle.

Il serait folie de ne pas prendre au sérieux l'affirmation au cœur de la principale puissance mondiale d'un projet aussi radical. Le grand évènement qui s'esquisse touche aux rapports entre Capital et État et pourrait affecter tant les rapports de classe que les relations internationales. C'est une velléité de techno-féodalisme aux visées hégémoniques globales qu'on peut décrire à grands traits.

A l'assaut de la puissance publique

Tout d'abord, il faut rappeler que si la transformation des rapports économiques associée au déploiement des technologies numériques rend possible le techno-féodalisme, cela ne résulte pas d'un déterminisme technique. En Chine où l'essor des Big Tech est, comme aux États-Unis, remarquable, les rapports entre celles-ci et l'État sont volatiles mais marqués par la persistance d'une capacité de la puissance publique à imposer un alignement du secteur avec des objectifs développementistes définis par le politique.

En Occident, l'exemple de la Libra offre une autre illustration du fait que le techno-féodalisme est résistible. En 2018, Facebook fut à l'initiative de ce projet de crypto monnaie. Pour les plus de 2 milliards d'utilisateurs de la plateforme cette crypto aurait eu l'avantage d'offrir un moyen pratique et bon marché de transférer de l'argent dans le monde entier. Pour le réseau social l'opportunité de profit était évidente : plus d'engagement des utilisateurs, plus de données grâce aux opérations commerciales et des revenus additionnels issus des commissions sur les transactions. Mais, en 2021, le verdict final des parlementaires, du département étasunien du Trésor et de la Fed est tombé : Niet. L'échelle du projet était telle qu'il représentait une menace en termes de risque financier systémique, de concentration de pouvoir économique, voire de fragilisation du dollar.

De l'autre côté de l'Atlantique, à la banque des règlement internationaux, Benoît Cœuré ne fait pas mystère de ce qui est en jeu : « la mère de toutes les questions politiques […] est l'équilibre des pouvoirs entre le gouvernement et les Big Tech dans l'élaboration de l'avenir des paiements et du contrôle des données qui y sont liés”. Face aux crypto-monnaies, il est essentiel que les autorités publiques développent des monnaies numériques de banques centrales.

Quatre ans plus tard, la première décision de Donald Trump en ce domaine prend l'exact contrepied de la position de Cœuré : d'un côté, il laisse le champ libre aux zélateurs des crypto-monnaies en appelant à la mise en place d'une régulation qui soutienne « l'innovation dans les actifs financiers numériques et les blockchains ». De l'autre, il lie les mains des banques centrales en exigeant “des mesures qui protègent les Américains des risques liés aux monnaies numériques des banques centrales (MNBC) (….), notamment en interdisant l'établissement, l'émission, la circulation et l'utilisation d'une telle monnaie dans la juridiction des États-Unis ”.

Moins d'État plus de Big tech. Ou plus tôt, une dislocation de l'autonomie du politique sous l'emprise du capital numérique telle est donc la première caractéristique du techno-féodalisme qui se met en place aux Etats-Unis. Le mouvement général est le suivant : 1) la monopolisation des connaissances va de pair avec la centralisation des moyens algorithmiques de coordination des activités humaines ; 2) en l'absence de contrepoids du côté de la puissance publique, elle donne lieu à déplacement du pouvoir d'organisation du social dans les mains des Big Tech ; 3) le corolaire est une capacité hors norme et croissante d'influence de ces acteurs privés sur les comportements individuels et collectifs.

La fragmentation de conversation publique par les réseaux sociaux, la volonté de capture du pouvoir monétaire par le biais crypto-monnaies et, plus fondamentalement, la tentative de centralisation de ce que Marx appela le général intellect par l'IA participent de ce même mouvement de déplacement du pouvoir politique un peu plus loin des institutions publiques.

La haine de l'égalité

La privatisation tendancielle du politique, c'est-à-dire l'affaiblissement des médiations des rapports entre classes et fractions de classe ouvre un abime de questions qu'on laissera de côté ici. Mais elle s'accompagne d'une pulsion antidémocratique qui renvoie à un second trait du techno-féodalisme : la haine de l'égalité.

Au début des années 1990, le manifeste Cyberspace and the American Dream [Le cyberspace et le rêve américain] était hanté par le radicalisme de l'icône libertarienne Ayn Rand. Son idéologie qui prône le droit des pionniers à enfreindre toute règle collective pour mener à bien leur action créatrice tend jusqu'à aujourd'hui un miroir complaisant dans lequel nombre d'entrepreneurs de la tech aiment se reconnaître. La sortie de Marc Zuckerberg plaidant pour davantage d'énergie masculine » n'est que la pointe émergée d'une culture sexiste omniprésente dans le secteur de la Tech qui manifeste la brutalité d'une passion pour l'inégalité.

Le culte randien de la performance et le mépris de ceux considérés comme faibles ou déviants – femmes, racisés, pauvres, trans…- sont les deux faces d'une même pièce. C'est ce socle qui a rendu possible le rapprochement rapide avec l'extrême droite. Et c'est lui encore que l'on trouve dans le dédain pour l'intégrité de la personnalité qu'exprime le refus de la régulation en matière numérique, c'est-à-dire le primat donné au droit à l'innovation des grandes firmes sur la protection des individus et du commun dans la gouvernementalité algorithmique.

Un régime prédateur

Le troisième caractère distinctif de ce régime émergent résulte de la substitution de la logique productiviste/consumériste du capitalisme par un principe de prédation et d'attachement. Si l'appétit de profit reste aussi vorace que dans les périodes précédentes du capitalisme, chez les Big Tech les ressorts de la recherche de profit ont changé. Quand le capital traditionnel investit pour baisser les coûts ou servir de nouveaux besoins solvables le capital techno-féodal investit pour prendre le contrôle de champs d'activité sociale de manière à créer des rapports de dépendance qu'il peut ensuite monétiser.

Les services que proposent les monopoles numériques ne sont pas des produits comme les autres. D'abord, ils constituent des infrastructures critiques : la panne géante de Microsoft à l'été 2024 a rappelé qu'un bug pouvait impacter significativement l'activité dans un grand nombre de secteurs tels que les aéroports, les hôpitaux, les banques, les administrations, la grande distribution….

Ensuite, en utilisant massivement leurs services, nous renforçons le pouvoir de ces géants américains, qui ne cessent d'apprendre sur la base des données que nous générons. Plus nous faisons appel à leurs services, plus Microsoft, Google, Amazon et l'empire de Musk renforcent leur avance commerciale et technologique, ce qui rend leurs services encore plus performants et ainsi la dépendance plus aiguë. Enfin, sur le plan économique, cette subordination se paye cash en termes de capture de valeur. La facture que règle les états et les entreprises aux Big Tech ne cesse d'enfler.

Dans le jeu à somme nulle qui s'installe, la contrepartie de l'accélération de l'accumulation dans les Big Tech, c'est la stagnation ailleurs. A l'échelle de l'économie mondiale, c'est une question de développement inégal, dont l'Europe est désormais aussi une victime, amenée dans ce domaine à rejoindre la totalité des autres pays, à l'exception de la Chine.

Au sein du capital, c'est une stratification qui se met en place dans laquelle une grande part des géants économiques des autre secteurs sont progressivement relégués au second plan à mesure qu'ils accroissent leur dépendance au cloud et à l'IA. Quand bien même l'engouement boursier pour l'IA a une dimension spéculative, synonyme d'instabilité, les mouvements de capital considérables autour de la Tech depuis une décennie correspondent à une réorganisation économique de grande ampleur dont la conséquence est une concentration et une centralisation extrême de l'accumulation du capital.

Au sein de la population, la logique est celle d'une polarisation aggravée, les inégalités corollaires à l'exploitation capitaliste étant redoublées par l'appropriation rentière de valeur par les monopoles intellectuels. Last but not least, le principe de prédation est aussi celui qui préside à la réification du vivant et au pillage de la nature. Les besoins effrénés de ressources que requiert le numérique se traduisent par des destructions écologiques qui, du point de vue des humains, sont aussi une perte de valeur d'usage donnant à la croissance ainsi générée a un caractère antiéconomique.

Chercher la contradiction

Pour la gauche, l'emprise directe sur les processus politiques des dirigeants de la Tech et l'alignement tendanciel de l'appareil d'État étasunien et de sa projection globale sur leurs intérêts posent des questions stratégiques épineuses. Quelle place donner au combat contre les Big Tech ? Comment l'articuler au combat anticapitaliste qui la définit, fonde son ancrage populaire et tisse le lien avec les mouvements sociaux ? Quel sens donner à l'internationalisme face à un adversaire techno-féodal qui déborde d'emblée les cadres nationaux ?

Il n'existe pas de réponses simples à ces questions. A un moment où, dans nombre de pays, notamment en Europe, la dégradation de l'emploi vient fragiliser un peu plus la situation d'un monde du travail déjà malmené par le choc inflationniste et où l'agenda de l'extrême droite progresse à grand pas, il n'est pas évident de définir la place à accorder à une menace moins immédiate et plus insaisissable.

Cette difficulté n'est pas sans rappeler celle qui se pose dans l'articulation des combats écologiques et pour la justice sociale. A la différence cependant qu'avec le tandem Trump-Musk, l'offensive techno-féodale prend la forme d'une agression ouverte face à laquelle vont rapidement se dessiner les figures classiques de la capitulation, de la collaboration et de la résistance. Or pour ce genre de configuration, la gauche historique dispose d'une riche expérience théorique et pratique, notamment dans le contexte de la lutte antifasciste et des mouvements de libération nationale.

On doit à Mao Tse-Toung, dans son texte classique De la contradiction (1937) une des manières les plus ramassées de saisir le problème. Et c'est le philosophe Slavoj Žižek qui nous en donne la quintessence :

La contradiction principale (universelle) n'est pas superposable à la contradiction qui doit être traitée comme dominante dans une situation particulière – la dimension universelle réside littéralement dans cette contradiction particulière. Dans chaque situation concrète réside une contradiction ‘particulière' distincte, au sens précis où, pour remporter la bataille de la résolution de la contradiction principale, il convient de traiter une contradiction particulière comm

e la contradiction prédominante à laquelle doivent être subordonnées toutes les autres luttes.

Dans le contexte actuel, la contradiction principale, universelle, reste celle née de l'exploitation capitaliste qui oppose de manière antagonique le capital au travail vivant. Mais l'offensive techno-féodale risque de déboucher rapidement sur une situation dans laquelle l'opposition aux Big Tech étasuniennes passerait au premier plan, devenant la contradiction prédominante, celle dont la résolution est un prérequis pour remporter la bataille principale. Lorsque nous en serons là, si nous n'y sommes pas déjà arrivés, les tâches de la gauche vont s'en trouver bouleversées.

Prenant l'exemple des guerres coloniales dont fut victime la Chine, Mao explique ainsi :

Quand l'impérialisme lance une guerre d'agression contre un tel pays, les diverses classes de ce pays, à l'exception d'un petit nombre de traîtres à la nation, peuvent s'unir temporairement dans une guerre nationale contre l'impérialisme. La contradiction entre l'impérialisme et le pays considéré devient alors la contradiction principale et toutes les contradictions entre les diverses classes à l'intérieur du pays (y compris la contradiction, qui était la principale, entre le régime féodal et les masses populaires) passent temporairement au second plan et à une position subordonnée.

Les conditions d'un front anti-techno-féodal

Dans la configuration qui nous intéresse, cette plasticité tactique implique d'être prêt à la constitution d'un front anti-techno-féodal qui inclurait, au-delà des forces de gauche, des forces démocratiques, y compris donc des fractions du capital en rupture avec les Big Tech.

Pour échapper au processus de colonisation numérique, son agenda devrait-être celui d'une politique numérique non-alignée avec pour objectif de créer un espace économique pour que les différentes couches constitutives alternatives aux Big Tech puissent se développer. Cette stratégie de souveraineté implique simultanément une forme de protectionnisme numérique – ou de démantèlement si l'on se situe aux États-Unis, et un nouvel internationalisme technologique fondé sur des coopérations à géométrie variable qui permettent d'opérer à des échelles suffisamment vastes.

Mais la perspective d'une telle alliance de circonstance ne doit pas créer d'illusions. D'abord, les contours de celle-ci sont aujourd'hui extrêmement incertains. La confusion idéologique résultant d'une situation qui se transforme à grande vitesse est bien sûr en cause, mais des raisons structurelles jouent aussi. Parce que le capitalisme contemporain se caractérise par des formes complexes d'interpénétration et d'articulation des différents capitaux entre les secteurs et les territoires, il est difficile de lire où et comment des fissures vont se former et s'élargir au point de devenir des oppositions et quels vont être les points institutionnels où il faudra appuyer pour les travailler.

Ensuite, parce que la mise en œuvre du programme qui la cimentera ne va pas de soi. Une des grandes leçons des expériences développementistes est que, souvent, la bourgeoisie nationale échoue. Faute de discipline suffisante, les capitaux domestiques adoptent une attitude rentière dans laquelle la puissance publique devient une vache-à-lait, meilleure à reproduire les inégalités existantes qu'à impulser la transformation structurelle qui permettrait de rompre la dépendance.

Enfin, parce que la puissance de la gouvernementalité algorithmique et l'impératif écologique de parcimonie obligent à anticiper les risques de capture bureaucratique. La résistance au techno-féodalisme doit avoir une dimension populaire. L'implication directe des masses dans la bataille passe par la question des usages et des outils numériques. Mais elle ne s'y limite pas. L'opposition au techno-féodalisme exige la construction de capacités administratives et de politiques industrielles pour orienter l'investissement. Les mettre sous tension démocratique implique d'y adjoindre des contre-pouvoirs et d'établir des formes de contrôle sur les ressources mobilisées afin de générer des boucles de rétroactions nécessaire pour soutenir la légitimité de l'action publique.

Les milliardaires de la Tech ne sont pas seulement des riches qui convoitent la proximité du pouvoir pour défendre leurs intérêts ploutocratiques. Ces capitalistes sont des seigneurs techno-féodaux en devenir, déterminés à saisir l'opportunité de leur alliance avec Trump pour abattre les derniers obstacles politiques à l'instauration d'un nouvel ordre social fondé sur la projection et la manipulation des algorithmies afin de centraliser la valeur produite par le travail et d'imposer leurs lubies millénaristes.

Cette ascension techno-féodale n'a rien d'inéluctable. L'étroitesse extrême de la base sociale sur laquelle elle repose, son aspiration à faire disparaître les médiations politiques ou encore les valorisations financières fictives auxquelles elle donne lieu en font un échafaudage vulnérable. La brutalité avec laquelle le projet avance garantit que la détestation qu'il suscite va aller croissant. Déjà, au sein même de la galaxie MAGA, Steve Bannon promet de combattre de toutes ses forces les tentatives de Musk « mettre en œuvre le techno-féodalisme à l'échelle mondiale ».

Sous les coups de boutoirs des prouesses numériques chinoises, le vernis des prétention suprématiste des géants de la côte ouest s'écaille, instillant le doute sur leur invincibilité. Le techno-féodalisme étasunien est un Leviathan de pacotille. Mais la nature de la coalition qui va l'abattre reste incertaine. Si la gauche est à sa tête, alors, vraiment, il faudra comme le général Stumm parler de grand évènement.

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Prendre au sérieux l’alliance des tours et des bourgs. Pour un antiracisme de classe

4 février, par Stathis Kouvelakis — , ,
Le weekend du 11 et 12 janvier se sont tenues à Pantin à l'appel de plusieurs organisations et collectifs, dont Contretemps, des journées de débat sur le thème « L'alliance des (…)

Le weekend du 11 et 12 janvier se sont tenues à Pantin à l'appel de plusieurs organisations et collectifs, dont Contretemps, des journées de débat sur le thème « L'alliance des tours et des bourgs ? Chiche ! ». Nous reprenons ici l'intervention de Stathis Kouvélakis. Les vidéos de ces journées sont disponibles ici, ici et ici.

28 janvier 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/alliance-tours-bourgs-antiracisme-classe/

Nous l'avions dit lors du meeting organisé en juillet dernier, dans la foulée des législatives : le sursaut qui a permis de mettre un coup d'arrêt à la marche vers le pouvoir de l'extrême droite n'est qu'un sursis. Il en faut bien davantage pour inverser la tendance, battre durablement l'extrême droite et propulser une véritable alternative de gauche, c'est-à-dire portée par une gauche de rupture. Sans minorer l'importance de la mobilisation multiforme qui a permis ce sursaut, il convient d'en souligner la fragilité et tenir un langage de vérité et non d'autosatisfaction ou d'optimisme forcé.

La percée de l'extrême droite dans les classes populaires

Voici donc quelques faits, sous forme de chiffres, qui devraient inciter à réflexion. Commençons par ceux justement des législatives. Il est vrai que, démentant tous les sondages, le NFP est arrivé en tête du second tour en termes de sièges, et le RN en 3e position seulement. Mais il n'en reste pas moins qu'en termes de suffrages, le RN se place nettement en tête, aussi bien au premier qu'au second tour, avec, respectivement, 1 million et 3 millions de voix de plus que le total de la gauche.

Cette avance inverse l'ordre d'arrivée des précédents scrutins nationaux. En 2022, la gauche avait en effet nettement devancé l'extrême droite aux deux tours des élections législatives, et fait jeu égal au premier tour de la présidentielle. Force est donc de constater que la dynamique électorale est aujourd'hui du côté de l'extrême droite. Celle-ci progresse à chaque scrutin, et franchit désormais nettement la barre des 30%, tandis que la gauche stagne autour d'un petit tiers des voix, soit un niveau d'une faiblesse inédite depuis plus d'un siècle. Elle ne parvient d'ailleurs même pas à atteindre cet étiage bas lorsqu'elle se présente rassemblée, ce qui, rappelons-le, ne s'était jamais produit pour un scrutin législatif avant 2022 et dément l'idée intuitive que l'unité débouche sur un total supérieur à la somme des parties.

La question qui se pose dès lors est celle des fondements de cette évolution différentielle. Allons directement au nœud du problème : le moteur de la dynamique de l'extrême droite se trouve dans la position dominante qu'elle a su au fil des années conquérir au sein des classes populaires, en particulier dans ce qu'on peut considérer comme leur épicentre, les ouvriers et les employés. Et rien n'indique que cette dynamique se soit atténuée ou, a fortiori, inversée. Regardons quelques données de sociologie électorale tirées d'enquêtes réalisées le jour du vote[1].

En 2017, au 1er tour de la présidentielle, l'extrême droite obtient 42% du vote des ouvriers, 39% de celui des employés, un groupe composé aux trois quarts de femmes. En 2022, au même tour de scrutin, les scores sont respectivement de 47% et de 39%. Au premier tour des législatives de juin dernier, ils dépassent les 50% et les 44% selon les instituts de sondages. Même en tenant compte de l'abstention, 31% des ouvriers et 28% des employés ont voté pour l'extrême droite, soit une proportion égale à celle de l'abstention, pourtant élevée dans ces catégories.

On ne peut donc plus dire, comme ce fut naguère le cas, que l'abstention est le premier parti chez les ouvriers et les classes populaires[2]. Si au fil des scrutins, l'extrême droite progresse dans toutes les catégories de la population, sa progression la plus importante continue de s'opérer au sein des classes travailleuses. Ce phénomène apporte également un démenti flagrant aux théories dominantes chez les politologues selon lesquelles les classes moyennes diplômées sont le socle de toute stratégie électorale gagnante.

L'évolution du vote du gauche est une image inversée de ce qui précède : dans ces mêmes catégories elle se situe dans les scrutins présidentiels autour de sa moyenne nationale, à savoir un petit tiers. Les trois quarts environ de cette part revient au vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon, seul candidat de gauche à obtenir des résultats un tant soit peu significatifs parmi les ouvriers et les employés. Dans le scrutin législatif de mai dernier les scores du NFP sont particulièrement faibles dans ces catégories, ce qui renvoie à une abstention sensiblement supérieure à la moyenne, et qui semble avoir touché davantage l'électorat de LFI que celui de la gauche dite « modérée ». A l'inverse, la gauche, et surtout cette gauche « modérée », obtient des scores supérieurs à sa moyenne nationale dans le salariat dit intermédiaire et les cadres et professions intellectuelles, des catégories par ailleurs moins touchées par l'abstention.

Que viennent faire dans ce tableau les « tours » et les « bourgs » ? La réponse réside dans une lecture spatiale, ou géospatiale, de ces résultats. Il apparaît en effet clairement que le vote RN progresse en proportion inverse de la taille de l'agglomération. A l'inverse, le vote de gauche, en particulier celui de LFI, est nettement polarisé vers les grandes agglomérations. Lors de la dernière présidentielle, Mélenchon est arrivé en tête dans les villes de plus de 30 mille habitants, et Le Pen en 3e position, l'écart étant presque de 1 à 3 pour les villes de plus de 100 mille habitants.

À l'inverse, la candidate d'extrême droite était nettement en tête dans les bourgs de moins de 3500 habitants, l'écart variant du simple au double pour les communes de moins de 1000 habitants. Plus préoccupant encore, dans ces petites communes, le score de Mélenchon est en recul par rapport à 2017, alors qu'au niveau national il progresse de plus de deux points. Lors des dernières législatives, le RN devance de nouveau nettement la gauche dans les agglomérations de moins de 50 mille habitants, l'écart s'approchant du simple au double pour celles de moins de 10 mille habitants.

De là vient naturellement l'image des « tours » et des « bourgs », avec sa part de vérité mais aussi d'illusion. Car ce qui apparaît comme une question territoriale renvoie en fait à une double fracture : tout d'abord une fracture de classe. Ces différentiels de comportement électoral ne renvoient pas à des qualités intrinsèques aux espaces en question mais avant tout à la projection spatiale d'une polarisation de classe. Chassées par la spéculation immobilière, les classes populaires quittent les grandes agglomérations, en particulier les centres-villes, et investissent massivement les espaces qu'on appelle « périurbains » et « ruraux », eux-mêmes très diversifiés. A l'inverse, dans les villes se concentre une population plus jeune, plus diplômée et la très grande majorité de l'emploi de cadres (dont 45% est concentré en Ile de France). Dit autrement, le différentiel s'explique avant tout par la différence de composition sociale entre ces espaces[3].

Mais une deuxième ligne de fracture intervient aussitôt, qui comporte elle une projection spatiale, à savoir la fracture raciale. Les fractions racisées des classes travailleuses se retrouvent davantage dans les grandes agglomérations, en particulier dans leurs banlieues populaires, ou même dans les poches populaires subsistantes des centres-villes, tandis que les classes travailleuses blanches les quittent, ou bien demeurent dans des espaces périphériques où se maintient un tissu industriel, souvent dégradé. Ce que désigne donc la métaphore des tours et des bourgs, qui n'est une métaphore à manier avec précaution, c'est l'enchevêtrement de cette double fracture, en d'autres termes la dynamique de racisation de la fracture de classe de la société française.

Trois écueils pour une politique antiraciste

Qui dit racisation dit racisme car c'est bien le racisme qui produit les races et non l'inverse. Aussi bien l'expérience ordinaire de la réalité sociale que le travail militant et les multiples travaux sociologiques consacrés à cette question nous informent que le racisme est bien au cœur de l'adhésion croissante à l'extrême droite, une force politique dont le racisme constitue la colonne vertébrale idéologique. Ceci étant dit, qui nous semble peu prêter à controverse, plusieurs écueils se présentent, qui entravent la compréhension du phénomène et empêchent le déploiement de stratégies aptes à le combattre.

Premier écueil, l'idée selon laquelle le racisme serait l'apanage de l'électorat d'extrême droite, présenté de la sorte comme une excroissance pathologique de la société française. Cela revient à nier le fait massif que le racisme est un phénomène structurant de ladite société, qu'il est enraciné dans son histoire longue, notamment coloniale, dans ses institutions et dans son fonctionnement économique. Il serait absurde de penser que celles et ceux qui ne votent pas pour l'extrême droite en seraient préservés. Et pourtant, l'extrême droite est restée politiquement marginale jusqu'au début des années 1980. Il a fallu donc le basculement dans une conjoncture nouvelle, à la fois sur le plan économique, social et politique pour que le racisme préexistant se traduise sur le champ politique par la percée électorale et idéologique d'une formation d'extrême droite.

Les éléments de cette conjoncture ont été analysés maintes fois, je ne ferai donc que les énumérer rapidement : contre-réforme néolibérale et liquidation du compromis social de l'après-guerre. Ralliement de la gauche dite de gouvernement à ces politiques néolibérales, donc trahisons répétées des attentes qu'elle a pu susciter. Transformation des partis, en particulier des partis de gauche, en simples machines électorales et rétrécissement spectaculaire de leur base sociale, détachée de sa composante ouvrière et populaire au profit des classes moyennes et diplômées.

Affaiblissement dramatique du tissu syndical, associatif, culturel, qui, malgré ses lacunes et ses biais, notamment raciaux, a assuré pendant plus d'un siècle la présence concrète de la gauche dans le quotidien des classes populaires et permis de déjouer au moins partiellement leur fracturation. Renforcement de cette exclusion du champ politique par la dépossession démocratique impulsée par la mondialisation du capitalisme néolibéral, orchestrée en France et dans cette région du monde par l'Union européenne. En parallèle, ralliement de la droite et de la gauche de gouvernement au consensus raciste et autoritaire, fait de discours et de politiques anti-immigration, islamophobes et de plus en plus axées sur la répression.

C'est dans ce contexte qu'émerge ce que les sociologues ont appelé la « conscience triangulaire » à savoir le fait que les classes populaires se définissent par opposition aux élites qui les dominent mais aussi à celles et ceux qui se trouvent « en-dessous » d'elles, à savoir les minorités racisées. Celles-ci leur apparaissent comme d'autant plus menaçantes qu'elles représentent à la fois une forme de déchéance contre laquelle il s'agit de se défendre, par la revendication de blanchité et de francité, mais aussi un concurrent.

Un concurrent d'autant plus redoutable que les avantages de cette blanchité nationale sont perçues comme fragiles, remises en causes par des mécanismes échappant à leur contrôle, que ce soit la mondialisation, le retrait de l'Etat social et de sa logique d'universalité des droits, l'arrogance des élites politiques et intellectuelles ou les transformations d'un marché du travail structuré de façon croissante par le capital scolaire et la logique des diplômes. C'est dans cette conscience triangulaire que réside la mentalité de qu'on appelle parfois de « petit blanc », pour désigner le racisme ordinaire des classes populaires blanches, avec le risque d'énonciation à partir d'une position de surplomb que comporte ce vocable et qui ne peut, à mon sens, que reconduire le problème qu'il est censé mettre à distance.

La politisation du racisme qui est le carburant de la montrée de l'extrême droite renvoie donc à un ensemble de tendances lourdes qui traversent la société française et sans doute la plus grande partie du monde. Le racisme est intrinsèquement une façon globale d'organiser et de percevoir des questions d'ordre matériel, qui relèvent de la division sociale du travail, du logement, du système scolaire, du mode de vie. Et aussi, j'y reviens dans un instant, une façon de se situer sur le plan symbolique, au premier lieu celui de l'appartenance nationale, l'ensemble s'inscrivant dans la logique des rapports capitalistes qui structurent l'ensemble du monde social. C'est pourquoi il est parfaitement trompeur, pour ne pas dire pathétique, de le présenter comme un problème de « valeurs », d'ordre simplement moral ou culturel, ce qu'on désigne parfois comme « le sociétal ».

Cette façon de voir se décline de deux façons : l'une relève du mainstream libéral, l'autre imprègne cette gauche qui s'obstine à contourner la question du racisme. Dans la vision libérale, les classes populaires sont perçues comme frustes et culturellement arriérées, donc, s'agissant des classes populaires blanches, comme plus ou moins naturellement ou spontanément racistes. On se retrouve alors face au choix suivant : l'adaptation à cette vision, et c'est la version conservatrice qui incite à en rabattre sur les « valeurs progressistes ». Ou alors, c'est la version morale et « humaniste », le pari qu'une bonne pédagogie permettra à ces couches de s'ouvrir aux valeurs « universalistes » prétendument portées par les classes moyennes éduquées.

Pour la gauche qui se veut colorblind, disons, pour aller vite, celle que représente François Ruffin, le racisme n'est qu'une fausse conscience, un voile d'illusions appelé à se dissoudre dès lors que les « vrais » problèmes, d'ordre socioéconomique, sont mis en avant, moyennant un discours adéquat. Cette approche pêche d'une part par son économisme, à savoir la croyance que des revendications économiques, pour cruciales qu'elles soient, suffisent en elles-mêmes à dépasser la fragmentation produites par le jeu des petites différences matérielles et symboliques, redoublées par les effets des discours racistes qui saturent la sphère publique.

Cette croyance économiciste s'accompagne, d'autre part, de la confiance dans les vertus d'une bonne petite pédagogie humaniste, celle que François Ruffin désigne, je le cite dans le texte, comme son « laïus, mille fois répété : ‘Devant la justice, la police, la santé, l'éducation, qu'importe notre religion, notre couleur de peau, nous devons être tous et toutes égaux' ». On peut effectivement lui accorder que ce n'est qu'un laïus, c'est-à-dire, selon la définition du Larousse un « discours vague, creux et emphatique ». Un laïus qui remplit pourtant une fonction précise, à savoir l'idée parfaitement illusoire que pour détacher les classes populaires de l'emprise de l'extrême droite il faut renoncer à combattre le racisme.

À ce premier écueil vient s'ajouter un second, qui est en quelque sorte son symétrique inversé. Non pas contourner le problème, ou penser qu'on peut s'en tirer à peu de frais, voire en lui cédant une part de terrain, mais le considérer comme un fait intangible. Donc faire une croix sur les secteurs populaires qui sont tombés dans l'orbite de l'extrême droite, en les considérant comme irrécupérables car imprégnés de racisme. Le combat antiraciste se ramène ainsi à une dénonciation permanente des « racistes » qui « votent mal » et grossissent les rangs de l'électorat d'extrême droite. Alors qu'elle en perçoit la fonction sociale et politique, cette conception du racisme aboutit paradoxalement à une attitude moralisatrice semblable à celle de la vision libérale.

L'issue résiderait-elle alors dans un secteur de la société qui serait plus ou moins préservé de la contamination raciste, qu'il faudrait chercher parmi les « abstentionnistes » ? Mais les abstentionnistes ne sont pas un groupe nettement séparé du corps des votants. L'abstentionnisme n'est pas une sécession définitive mais le résultat d'une participation électorale intermittente.

Ainsi, au cours d'une année électorale combinant scrutin présidentiel et législatif, seuls 14% des inscrits n'ont participé à aucun scrutin. Bien entendu, cette participation est inégale selon l'âge et les catégories sociales : elle varie du simple au double entre ouvriers et cadres et du simple au triple entre les jeunes et les plus âgés. Sa constante progression est un élément central de l'exclusion politique des classes populaires qui caractérise l'ère néolibérale à l'échelle internationale. Il va donc de soi que l'élargissement de la base de la gauche, et tout particulièrement de la gauche de rupture, passe par une mobilisation accrue de la jeunesse et des classes populaires, racisées ou non.

Mais l'abstentionnisme est un agrégat hétérogène tant socialement que sur le plan idéologique. Du fait justement de l'intermittence croissante de la participation, on y retrouve les mêmes grandes tendances que parmi les votants. C'est pourquoi le RN s'est également révélé capable d'y puiser des forces, d'autant que sa position dominante parmi les classes populaires, combinée à son absence de toute expérience de pouvoir, en fait le réceptacle privilégié d'un vote de défiance. La conclusion qui me semble s'imposer est qu'au vu de l'état actuel des rapports de forces, la gauche ne peut retrouver une dynamique majoritaire, donc une possibilité de victoire, sans gagner une partie substantielle des classes populaires blanches actuellement sous l'emprise de l'extrême droite.

Quelle stratégie pour l'antiracisme ?

Comment saper la base populaire du bloc d'extrême droite et unifier les classes travailleuses et populaires, telle est la question stratégique que nous devons affronter de toute urgence. Une autre réponse se présente ici, c'est celle qui passe par les affects, ressort indispensable de la constitution de tout groupe. Son point fort est qu'elle place la focale sur le facteur subjectif. Il est en effet certain que les sujets racistes sont d'abord soudés par l'affect. Ils partagent des stéréotypes qui les constituent en communauté et produisent en miroir la communauté de leurs cibles.

Pourtant, s'il constitue un puissant ciment, l'affect ne suffit pas en lui-même à constituer le groupe. Les affects n'existent pas à l'état pur, dans une sorte de communion intersubjective sans autre condition que leur propre circulation. Les affects durables et partageables sont structurés par un ensemble de représentations et de discours. Disons pour faire vite qu'ils s'encastrent dans une idéologie. Et pour agir à une échelle de masse, une idéologie doit communiquer, fut-ce de façon biaisée, avec des expériences réelles, c'est-à-dire avec les intérêts matériels des groupes sociaux antagonistes.

L'affect raciste a donc besoin d'une grille d'interprétation de la réalité, qui comporte plusieurs niveaux d'élaboration, qui vont du langage ordinaire et de ses clichés jusqu'aux visions d'ensemble systématisées, qui se donnent mêmes les apparences d'une connaissance savante du monde. Dans une configuration partiellement refoulée de nos jours, les discours racistes s'adossaient à la pseudo-science coloniale fondée sur l'idée d'une hiérarchie naturelle des races. Aujourd'hui, ils relèvent davantage d'un essentialisme culturaliste et d'une sociologie de bazar. Leur objectif est de « démontrer » le lien entre immigration, chômage et délinquance, ou l'incompatibilité entre islam et République, ou encore l'existence d'un « grand remplacement », dans un retour explicite au bon vieux racisme biologique qui n'était de toute façon jamais bien loin.

Allons au plus pressé : la médiation idéologique fondamentale du discours raciste est celle de la nation. Les groupes racisés ne sont pas tant perçus comme des étrangers, des éléments extérieurs à la société, mais bien davantage comme des « étrangers de l'intérieur », c'est-à-dire comme des faux nationaux, des nationaux toujours en manque de la véritable essence nationale. Être racisé en France aujourd'hui c'est avant tout subir un « déni de francité » pour reprendre l'expression de Patrick Simon et de Vincent Tiberj. C'est pourquoi du reste l'islamophobie est le nom actuellement dominant du racisme même si l'« islam » ne renvoie pas en tant que tel à une race, tout comme d'ailleurs le terme d'« immigré ». Le fantasme raciste consiste alors à restituer l'intégrité supposée perdue ou menacée de la nation en la débarrassant d'une façon ou d'une autre de cet élément dissolvant. Le conflit de classe est ainsi déplacé en conflit racial, toujours présenté comme une forme de purification nationale.

Mais, aussi désirable et radicale qu'elle puisse paraître, l'exclusion des « ennemis de l'intérieur » ne suffit pas. Elle demande à être complétée par des mesures d'inclusion à destination des « bons nationaux », ou du moins par une promesse de telles mesures. A défaut de résoudre le chômage et la misère par l'économie de guerre et l'expansion territoriale, à l'instar du fascisme des années 1930, l'extrême droite actuelle promet du protectionnisme et une forme de redistribution interne aux classes populaires, consistant à déshabiller les uns pour soi-disant mieux vêtir les autres. Certes, ce programme social est vague et criblé de contradictions. Il n'en constitue pas moins un ingrédient constitutif du projet d'ensemble, car indispensable au maintien de sa base populaire, comme on le voit par exemple par le fait que le RN continue de défendre, au moins formellement, l'abrogation de la réforme des retraites, la baisse de certaines taxes frappant la consommation populaire et même, malgré son aversion des fonctionnaires, certains services publics.

Plutôt que de se livrer à des diatribes morales, qui ne font que conforter son image de donneuse de leçons, la gauche ferait donc mieux de s'attacher à déconstruire sans relâche ce programme social et montrer en quoi les classes populaires blanches n'ont rien de substantiel à gagner de son application. En d'autres termes, que les avantages symboliques et les micro-privilèges matériels de la blanchité sont dérisoires comparées aux ravages d'un cadre capitaliste néolibéral que l'extrême droite ne ferait que radicaliser si elle parvenait au pouvoir, notamment en écrasant toute contestation. Si elle n'est pas suffisante en elle-même, cette partie de la démonstration me semble essentielle : on ne gagnera jamais une partie quelconque des classes populaires durement frappées par des décennies de saccage social, et tout particulièrement les classes travailleuses blanches, si on ne les convainc pas qu'elles ont quelque chose à gagner matériellement en se tournant vers la gauche.

Le deuxième volet de cette même démonstration est que pour gagner véritablement quelque chose, il faut le prendre aux vrais possédants, et non aux plus proches, et orienter vers cette cible les affects négatifs qui surgissent de la situation d'injustice et d'oppression. On ne peut donc séparer, même à ce niveau, l'économique de l'idéologique, l'affect de l'intérêt matériel. Et l'efficacité de cette démonstration d'ensemble dépend largement de sa possibilité d'être portée sur le terrain, par un travail d'enracinement militant et de reconstitution d'un maillage de proximité aujourd'hui déficient.

Dialectiser le rapport à la nation

Mais cela n'est qu'une partie de la réponse. L'autre partie se joue sur le terrain qui apparaît comme celui privilégient l'extrême droite, et, plus généralement, les forces conservatrices et réactionnaires, à savoir le terrain de la nation. La thèse que je soutiens est la suivante : oui, la nation est l'opérateur nécessaire du racisme, la manière dont le conflit de classe est nié, neutralisé, ou rendu invisible. Mais la nation est aussi un terrain contesté, celui où peut se construire un peuple nouveau, dépassant la fracture raciale, celui où peut se construire une volonté collective de transformation sociale, celui qui n'enferme pas dans des frontières mais se conçoit comme la médiation nécessaire à la mise en œuvre d'un projet émancipateur qui les dépasse. Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels écrivaient que « comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique », il doit « s'ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation ». En d'autres termes, la nation est le terrain où se joue la capacité de direction, celle de l'hégémonie d'une classe et du bloc social qu'elle rassemble autour d'elle.

Aujourd'hui, dans les mouvements populaires qui ont éclaté un peu partout dans le monde au cours des dernières décennies, de l'Amérique latine aux printemps arabes, et des occupations des places espagnoles ou grecques aux Gilets jaunes, on a vu surgir en masse les drapeaux nationaux, et eux seuls. Ce message venant d'en bas, des peuples insurgés contre l'injustice, n'était nullement celui du nationalisme et du racisme mais celui, démocratique et égalitaire, qui disait : « nous sommes le peuple », « le pays est à nous », « nous avons le droit de décider de notre devenir collectif ». C'était également une telle volonté qui a majoritairement animé le non français de 2005 au TCE, et aussi celle qui a fait triompher en 2011 le non du peuple grec aux diktats de la Troïka européenne, des votes que les élites politiques des deux pays se sont empressées de fouler aux pieds.

Cette notion de souveraineté populaire n'a comme seul cadre d'exercice concret, du moins dans un premier temps, que le cadre national. En l'assumant, elle renoue avec la conception révolutionnaire de la nation, celle de 1789 et de 1793, celle aussi de la Commune de Paris, qui se dressait contre une bourgeoisie qui préférait capituler devant Bismarck plutôt que de céder au peuple, comme elle préféra par la suite Hitler au Front populaire. Cette souveraineté est émancipatrice et internationaliste à condition d'assumer aussi la part obscure de l'histoire nationale, les réalités de la colonisation et de l'impérialisme, pour mener à son terme un travail de décolonisation des pratiques, des institutions et des esprits. Cette « reconquête de la souveraineté populaire » dont parle Houria Bouteldja dans son dernier ouvrage rejoint la construction de cette « nouvelle France » qu'évoque Jean-Luc Mélenchon. Une France désoccidentalisée, multiraciale, solidaire des peuples du Sud, à commencer par le peuple palestinien. Seule une telle vision de la nation peut porter un projet contre-hégémonique, une alternative de pouvoir en mesure de battre le fascisme et de mettre fin à la longue nuit néolibérale.

Pantin, 11 janvier 2025.

Notes

[1] Chiffres des sondages jour du vote IPSOS.

[2] Comme le soulignait notamment Annie Collowald, un constat encore valide au début des années 2000, quand le score national du FN se situait entre 18% (présidentielle de 2002) et 10,4% (présidentielle de 2007).

[3] Cf. notamment les analyses d'Olivier Bouba-Olga ici et ici. Cf. également les données de l'INSEE montrant l'accroissement des disparités sociales entres quartiers dans la plupart des grandes villes.

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Grossesse forcée : Les politiques oppressives du régime iranien à l’égard des femmes

En Iran, les femmes sont confrontées à une discrimination systémique inscrite dans le cadre juridique du pays. Tiré de Entre les lignes et les mots (…)

En Iran, les femmes sont confrontées à une discrimination systémique inscrite dans le cadre juridique du pays.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/01/28/grossesse-forcee-les-politiques-oppressives-du-regime-iranien-a-legard-des-femmes/?jetpack_skip_subscription_popup

Le régime iranien a mis en œuvre et appliqué une série de politiques oppressives qui violent les droits des femmes, allant des lois sur le hijab obligatoire aux grossesses forcées, en passant par les restrictions à l'avortement, les mariages d'enfants, la violence domestique et le féminicide.

Cet article se penche sur ces questions et souligne que les femmes iraniennes sont soumises à certaines des lois les plus répressives au monde. Nous nous penchons sur l'impact de ces lois sur la vie des femmes en Iran.

Les lois misogynes du régime iranien

Le régime iranien a une longue histoire de promulgation de lois qui suppriment les droits des femmes. L'une de ces lois est la « Loi sur la protection de la famille et la croissance démographique des jeunes », adoptée le 16 octobre 2021 et promulguée par le président Ebrahim Raïssi, aujourd'hui décédé, le 19 novembre 2021.

Cette loi vise à accroître la population en encourageant les naissances, souvent au détriment de la santé et de l'autonomie des femmes. En vertu de cette loi, les professionnels de la santé qui pratiquent des avortements de manière répétée sont qualifiés d'« ennemis de Dieu », une accusation passible de lourdes peines.

La loi interdit également les avortements thérapeutiques pour les fœtus de plus de quatre mois, même lorsque la grossesse met en danger la santé de la mère ou que le fœtus est gravement malformé.

En outre, tous les établissements de santé et les laboratoires sont tenus d'enregistrer et de communiquer des informations sur les femmes enceintes, en particulier celles qui demandent un avortement, afin que l'État puisse les surveiller et éventuellement les punir.

Grossesses forcées et restrictions en matière de contraception

Des informations récentes émanant de femmes iraniennes âgées de 25 à 35 ans confirment l'existence d'un « comportement policier » dans les centres de soins de santé en ce qui concerne la grossesse. Ces femmes rapportent que les professionnels de la santé subissent des pressions pour promouvoir la grossesse et décourager l'utilisation de contraceptifs. La situation est encore plus désastreuse dans les zones rurales pauvres comme Ghal'e Ganj, dans le sud-est de l'Iran.

Un agent de santé de cette région a révélé qu'il y a 3 ans, les autorités locales lui ont ordonné de cesser d'enseigner les méthodes de contraception, de retirer toutes les fournitures contraceptives et de ne promouvoir que les « grossesses saines ». Lorsqu'elle s'est inquiétée des difficultés économiques rencontrées par ces familles, elle a été menacée d'être réaffectée dans une région frontalière reculée entre les provinces de Kerman et de Sistan-Balouchestan, des zones connues pour leurs conditions de vie difficiles.

Les experts décrivent la « loi sur la protection de la famille et la croissance démographique des jeunes » comme l'une des lois les plus discriminatoires à l'égard des femmes en Iran. Cette loi prévoit des incitations financières pour encourager la natalité, notamment des subventions pour investir dans le marché boursier, une augmentation des prêts immobiliers et un accès prioritaire aux produits subventionnés par le gouvernement. Toutefois, ces promesses sont restées largement lettre morte et n'ont pas convaincu de nombreuses femmes.

La loi interdit également la distribution de contraceptifs et interdit aux médecins d'en recommander l'utilisation. Même le dépistage génétique visant à prévenir la naissance d'enfants souffrant de handicaps congénitaux a été limité, mais pas entièrement supprimé. L'objectif du régime semble être de forcer les femmes à avoir autant d'enfants que possible, sans tenir compte de leur situation ou de l'impact potentiel sur leur santé.

Le mariage des enfants : Une réalité tragique

Le mariage des enfants est un autre problème grave en Iran, où les filles peuvent être légalement mariées à un très jeune âge, souvent sans leur consentement. La loi sur la protection de la famille et la croissance démographique des jeunes encourage explicitement le mariage des enfants, en particulier dans les zones rurales et pauvres. De nombreuses jeunes filles sont mariées de force par leur père, souvent à des hommes beaucoup plus âgés qu'elles. Ces filles sont privées de leur enfance et subissent de graves traumatismes physiques et psychologiques en raison des grossesses précoces et des responsabilités de la vie conjugale.

Dans la ville de Machhad, au nord-est du pays, des fillettes de 10 ans ont été retirées de l'école pour épouser des hommes qu'elles ne connaissaient pas. Ces filles souffrent souvent de graves problèmes de santé dus à des complications lors de l'accouchement, et certaines restent handicapées à vie. La cause première de cette pratique est l'aggravation de la pauvreté en Iran, qui pousse les familles à marier leurs filles en échange d'une aide financière.

Le sort des femmes iraniennes mariées à l'étranger

L'absence de protection juridique pour les femmes iraniennes mariées à des ressortissants étrangers est un autre problème alarmant. Ces mariages impliquent souvent la vente de jeunes filles à des hommes originaires de pays voisins comme l'Afghanistan, le Pakistan et l'Irak.

Ces mariages sont rarement enregistrés légalement, laissant les femmes et leurs enfants sans droits légaux ni citoyenneté. Beaucoup de ces hommes sont déportés ou tués dans les conflits, laissant leurs femmes comme de jeunes veuves sans aucun moyen de subsistance. Le régime iranien ne reconnaît pas ces enfants comme des citoyens iraniens, les laissant apatrides et sans accès aux droits fondamentaux.

Les femmes iraniennes sont soumises à certaines des lois les plus oppressives au monde, des lois qui les privent de leur autonomie, de leur dignité et de leurs droits humains fondamentaux.Du hijab et de la grossesse forcés au mariage des enfants et à l'apatridie, le cadre juridique du régime iranien est profondément ancré dans la misogynie. La communauté internationale doit reconnaître la gravité de ces violations et défendre les droits des femmes iraniennes, qui continuent de souffrir sous un régime qui leur refuse justice et égalité.

https://wncri.org/fr/2025/01/25/grossesses-forcees/

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Les femmes résistantes méconnues débarquent enfin sur Wikipédia

Après plusieurs rejets de la plateforme pour « manque de sources », le musée de la Résistance en Morvan organise des ateliers pour la rédaction de fiches Wikipédia sur les (…)

Après plusieurs rejets de la plateforme pour « manque de sources », le musée de la Résistance en Morvan organise des ateliers pour la rédaction de fiches Wikipédia sur les femmes méconnues de la Résistance.

Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/politique/histoire/les-femmes-resistantes-meconnues-debarquent-enfin-sur-wikipedia
Publié le 28 janvier 2025
Emma Meulenyser
photo © Rafael Henrique / SOPA Images / SPUS / ABACA

Le musée de la Résistance en Morvan organise des ateliers ouverts à tous, pour la rédaction de fiches Wikipédia sur les femmes résistantes méconnues du grand public.

Une belle initiative pour donner plus de visibilité aux femmes qui ont fait l'histoire. Le musée de la Résistance en Morvan propose au grand public des ateliers de rédaction de fiches Wikipédia pour mettre en avant des femmes ayant résisté contre le nazisme, dont les noms ont disparu de la mémoire collective.

La région, qui fût elle-même un haut lieu de résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, a perçu la légitimité qu'une fiche Wikipédia confère à qui en est l'objet et s'est ainsi fixé l'objectif de rendre hommage à toutes ces femmes comme Janette Colas, Lise Le Bournot, Yvonne Moreau ou encore Louise Aubin, méconnues du grand public.

L'idée est partie d'un simple constat : une adhérente du musée a souhaité rédiger une fiche Wikipédia sur Lise Le Bournot, mais celle-ci fut rejetée par la plateforme pour « manque de sources », explique l'historienne Aurore Callewaert à France Inter. L'implication du musée a ainsi permis de multiplier ces sources et rendre enfin leur légitimité à certaines des nombreuses femmes de la Résistance.

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