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Russie. « Le voyage continue » : une lettre de prison de Boris Kagarlitsky

9 avril 2024, par Boris Kagarlitsky — , ,
Boris Kagarlitsky, sociologue russe de renom, a été incarcéré le 13 février 2024 pour une durée de cinq ans sur la base d'accusations forgées de toutes pièces de « (…)

Boris Kagarlitsky, sociologue russe de renom, a été incarcéré le 13 février 2024 pour une durée de cinq ans sur la base d'accusations forgées de toutes pièces de « justification du terrorisme ». En réalité, son seul crime a été de s'élever contre la guerre menée par la Russie en Ukraine.

Son dernier appel devant être entendu début mai, la campagne de solidarité internationale Boris Kagarlitsky a lancé une pétition internationale demandant sa libération ainsi que celle de tous les autres prisonniers politiques. [La rédaction d'Alencontre s'associe à cette campagne.]

Vous trouverez ci-dessous la première lettre publique que Boris Kagarlitsky a envoyée depuis le centre de détention n° 12 de Zelenograd, où il est actuellement détenu. Ecrite à sa fille Ksenia, elle a été traduite par Renfrey Clarke à partir de la version russe originale publiée par Rabkor [dont Kagarlitsky était rédacteur en chef]. Renfrey Clarke a également traduit le dernier livre de Boris Kagarlitsky, The Long Retreat : Strategies to Reverse the Decline of the Left, disponible en pré-commande chez Pluto Press.

2 avril 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/europe/russie/russie-le-voyage-continue-une-lettre-de-prison-de-boris-kagarlitsky.html

***

Après mon retour à Moscou depuis Syktyvkar [république des Komis, à 1300 km au nord-est de Moscou], un journaliste de ma connaissance m'a incité à écrire quelque chose sur mes expériences en prison. L'idée m'a séduit et je me suis immédiatement mis au travail. Mais après avoir écrit une quinzaine de pages, je me suis rendu compte que je n'avais pas assez de matière pour un livre entier. Le problème a été rapidement résolu, car le Léviathan a veillé à ce que j'aie de nouvelles occasions d'approfondir mes connaissances sur la vie en prison. A la suite d'une requête du bureau du procureur, une cour d'appel a décidé de réexaminer la peine prononcée à Syktyvkar [le 26 juillet 2023 pour « appels publics au terrorisme »] et m'a de nouveau envoyé [le 13 février 2024] derrière les barreaux [après avoir été libéré le 13 décembre].

Ma dernière expérience de la prison s'est révélée différente à bien des égards de la précédente. En l'espace d'un peu plus d'un mois, je suis passé par trois prisons et cinq cellules, avant de m'installer dans ma « cellule longue durée » [à Zelenograd, dans l'oblast de Moscou], où j'écris ces lignes. Le résultat est que j'ai fait la connaissance de nouvelles personnes et que j'ai eu accès à un matériel extrêmement riche. Beaucoup de nouvelles pensées me sont venues à l'esprit et je les écris petit à petit (ces pensées n'ont pas toujours un rapport avec la vie carcérale, mais elles sont évidemment influencées par l'expérience que j'ai vécue ici). Les occasions de réfléchir à la philosophie et à la psychologie ne manquent pas, mais les découvertes les plus riches sont liées aux transferts d'un endroit à l'autre que j'ai été obligé de subir.

Bien que les règles de la vie carcérale soient fondamentalement les mêmes partout, la pratique réelle peut être très différente, non seulement d'une prison à l'autre, mais même d'une cellule à l'autre. Dans chaque lieu, des communautés distinctes naissent, évoluent, se désagrègent et se reforment au gré des circonstances. Il y a des grandes et des petites prisons, des riches et des pauvres, dans les provinces et dans la capitale. Les gardiens peuvent être aimables et même compréhensifs, mais ils peuvent aussi être méchants. Les détenus sont de différents profils humains, appartenant à différents groupes culturels et classes sociales. Il y a toujours des sujets de conversation, même si ces conversations ne sont pas toujours agréables. Lorsque les détenus sont transférés d'une prison à l'autre, ils échangent des informations sur ce qui se passait dans leur dernier lieu de détention et sur ce à quoi ils peuvent s'attendre dans le nouvel établissement. Ce qui intéresse le plus les gens, c'est bien sûr la nourriture. Manger décemment est l'un des principaux plaisirs que l'on peut espérer de la vie en prison, et la qualité de la nourriture carcérale fait donc l'objet de discussions particulièrement animées.

Lorsque je suis arrivé à Zelenograd, j'ai été placé, pour une raison quelconque, dans une cellule de quarantaine, bien que les deux semaines que j'avais passées à Kapotnya [sud-est de la municipalité de Moscou] équivalaient déjà à une quarantaine. Le problème de cette quarantaine était que les gens de l'extérieur ne pouvaient pas me contacter normalement. Je ne recevais pas de colis et mes trois nouveaux compagnons de cellule étaient exactement dans la même situation. C'est là que j'ai entendu parler de la maison d'arrêt de Medvedkovo [Moscou], où, paraît-il, les prisonniers sont très bien nourris. Oh, les louanges que j'ai entendues sur les cuisiniers de cette prison pendant ma période de quarantaine à Zelenograd ! Le porridge dans cet endroit ! La quantité de viande dans la soupe ! La taille des portions distribuées au dîner ! A en juger par les commentaires de mes compagnons de cellule, cet établissement méritait une étoile Michelin.

Lorsque vous atterrissez dans une cellule dotée d'un réfrigérateur et d'un téléviseur, vous commencez à dépendre moins de la cuisine de la prison et plus des colis alimentaires et de vos compagnons de cellule. Tout n'est pas partagé, ni avec tout le monde, mais la gestion en commun des ressources est tout à fait naturelle et raisonnable. Dans la cellule où j'ai été placé à Kapotnya, j'ai été frappé par le fait que des procédures démocratiques avaient été mises en place, certaines questions étant décidées par vote, d'autres par consensus. La nourriture, en revanche, ne relevait pas de la propriété commune. Les détenus s'étaient répartis en plusieurs groupes (nous étions en tout entre 13 et 15, avec des arrivées et des départs constants), et à l'intérieur de ces groupes, les ressources étaient partagées. J'ai fini par y voir une sorte d'anarcho-socialisme, même s'il y avait aussi des individualistes. Par exemple, il y avait un ancien responsable universitaire qui avait été emprisonné pour corruption. Le réfrigérateur était rempli par ses réserves de nourriture, qu'il ne partageait avec personne. Une fois, il est vrai, il s'est approché de moi et m'a offert un morceau de gâteau. J'ai été étonné et j'ai accepté le cadeau avec gratitude. Malheureusement, la raison de sa générosité est apparue immédiatement : le gâteau avait dépassé sa date de péremption.

Ici, à Zelenograd, la cellule est plus petite et il ne vient à l'idée de personne d'établir des procédures formelles, et encore moins de procéder à des votes. Néanmoins, des communautés informelles prennent inévitablement forme et fonctionnent selon leurs propres règles. Le degré de solidarité et d'entraide qui y règne est sensiblement plus élevé qu'à l'extérieur.

Bien sûr, j'ai eu de la chance. J'ai été placé dans une cellule avec des gens corrects, pour autant que cela soit possible dans de telles conditions. Mais ce n'est peut-être pas si surprenant. La plupart des détenus, après tout, ne sont pas des malfaiteurs endurcis, mais des gens ordinaires qui sont entrés en conflit avec la loi, qui ont cédé à une tentation ou qui ont perdu le contrôle de leur situation. Lorsque j'ai été placé dans ma cellule à Kapotnya, l'un des détenus, qui était là depuis plus longtemps que les autres, m'a immédiatement dit : « Vous seriez ici pour un meurtre, n'est-ce pas ? » J'ai été choqué. « Est-ce que j'ai vraiment l'air d'un meurtrier ? » La réponse fut encore plus inattendue que la question : « Les gens qui sont ici pour meurtre non prémédité sont tous très décents, intelligents et gentils. » En revanche, la réputation des prisonniers politiques n'est pas toujours très bonne. « Certains d'entre eux ont une trop haute opinion d'eux-mêmes et, dans l'ensemble, ils sont enclins à l'hystérie. » J'espère avoir pu améliorer quelque peu la réputation des prisonniers politiques aux yeux de mes compagnons de cellule.

La prison de Zelenograd, où l'on a fini par me placer, est petite et dispose de ressources limitées. Cela se voit dans la quantité et la qualité de la nourriture, et dans le fait que l'établissement est en sous-effectif chronique. Les gardiens se plaignent constamment de tout cela, s'attirant la sympathie et la compréhension des prisonniers. En général, cependant, la qualité de la nourriture de la prison cesse de vous déranger une fois que vous êtes placé dans une cellule équipée d'un réfrigérateur. Notre cellule est particulièrement chanceuse : l'un des détenus est diplômé d'un institut de cuisine et est pâtissier de métier. Il a réussi à obtenir une cocotte-minue pour la cellule, et chaque soir, l'endroit est rempli d'arômes délicieux.

Malheureusement, si un réfrigérateur peut devenir source d'émotions positives, il en va tout autrement d'un téléviseur. Curieusement, ces deux appareils existent dans une sorte d'unité organique : soit vous avez les deux, soit vous n'avez rien. Chaque jour, la télévision vous abreuve de propagande qui se transforme en une sorte de bruit de fond auquel il est difficile d'échapper en changeant de chaîne – le message est partout le même. Au bout d'un certain temps, cependant, on développe une immunité. La télévision a également une fonction positive : elle permet de connaître l'heure.

En discutant avec mes compagnons de cellule pendant quelques semaines, et dans certains cas seulement quelques heures, j'ai peu à peu constitué une sorte d'encyclopédie des types humains et des histoires de vie, sur la base de laquelle je pourrais peut-être, un jour, écrire un bon livre. Toutes ces expériences et connaissances devront cependant encore être résumées et retravaillées. J'espère pouvoir le faire à l'extérieur ! Pour l'instant, je me contente d'accumuler des connaissances. Le voyage continue. – Zelenograd, 25 mars 2024 (Texte en anglais publié par LINKS International Journal of Socialist Renewal ; traduction rédaction A l'Encontre)


Russie. « Soutenir les prisonniers politiques de gauche est un acte de solidarité pratique »

8 avril 2024 | Alencontre
Par Boris Kagarlitsky

Depuis une prison russe, le sociologue Boris Kagarlitsky a écrit la lettre ouverte qui suit afin de soutenir une large campagne de solidarité avec les prisonniers politiques russes de gauche.

Boris Kagarlitsky a lui-même été emprisonné pour cinq ans le 13 février 2024 sur la base d'accusations – forgées de toutes pièces – de « justification du terrorisme ». En réalité, son seul crime a été de s'élever contre la guerre menée par la Russie en Ukraine.

Une pétition mondiale appelant à sa libération et à celle de tous les autres prisonniers politiques opposés à la guerre peut être signée ici.

La lettre a été traduite par Renfrey Clarke à partir de la version russe originale. Renfrey Clarke a également traduit le dernier livre de Boris Kagarlitsky, The Long Retreat : Strategies to Reverse the Decline of the Left, à paraître chez Pluto Press.

***

Dans son rapport à la Douma d'Etat [de la Fédération de Russie], le Premier ministre russe, Mikhaïl Michoustine, a cité une multitude de chiffres témoignant de la croissance de l'économie et de l'amélioration du bien-être de la population. Malheureusement, il existe dans notre pays un autre indice qui ne cesse de croître. Il s'agit du nombre de prisonniers politiques.

Un nombre important des personnes qui sont derrière les barreaux pour leurs convictions politiques appartiennent à des organisations de gauche. Des socialistes, des communistes et des anarchistes, ainsi que des démocrates de gauche qui ne sont membres d'aucun parti ou organisation, sont constamment victimes de la machine répressive. Chaque dossier a bien sûr ses particularités, mais la situation générale est claire. Le mouvement de gauche s'exprime en faveur des droits sociaux et démocratiques, contre le militarisme et l'autoritarisme, et il en paie le prix.

Heureusement, le soutien aux prisonniers politiques dans notre pays devient également un phénomène important. Des milliers de personnes écrivent à ceux qui ont été arrêtés, préparent des colis et envoient de la nourriture ainsi que des vêtements chauds. Il est incontestablement nécessaire de soutenir tous ceux qui, sans recourir à la violence, défendent leurs opinions et subissent de ce fait des persécutions. Nous devons connaître et nous souvenir de tous leurs noms.

Néanmoins, les gens de gauche peuvent et doivent faire plus pour ceux et celles qui partagent des opinions analogues. Le plus important est qu'en combinant nos efforts pour aider les prisonniers politiques, nous contribuons à renforcer le mouvement et à établir une coordination entre les individus et les groupes. Il est beaucoup plus fructueux de travailler ensemble pour aider ceux qui, partageant les mêmes convictions, souffrent pour leurs idées que de poursuivre d'interminables discussions pour savoir qui avait raison dans les discussions politiques soviétiques des années 1920, pour savoir comment considérer Staline et Trotsky, et pour savoir qui doit être considéré comme un marxiste irréprochable et qui comme un réformiste, un opportuniste ou, à l'inverse, un sectaire.

L'unité politique et la maturité politique s'acquièrent au cours de l'activité politique. Dans les conditions actuelles, où l'action politique et l'auto-organisation dans notre pays sont devenues extrêmement difficiles, aider nos « compagnons de pensée » emprisonnés n'est pas seulement un acte humanitaire, mais aussi un geste politique important, un acte de solidarité pratique.

Maintenant que cette initiative [de soutien aux prisonniers politiques de gauche] se concrétise enfin, nous devons tous la soutenir. Nous pouvons et devons nous unir à son sujet. Après ce premier pas, d'autres suivront. Pour que l'avenir devienne réalité, nous devons y travailler dès maintenant.

J'espère vivement que ceux et celles qui partagent mes messages sur les réseaux sociaux et mes lecteurs soutiendront l'initiative unitaire en faveur des prisonniers politiques et de tous les militant·e·s de gauche qui ont souffert de la répression politique. C'est ainsi que nous pouvons gagner ! – Boris Kagarlitsky, 4 avril 2024 (Lettre publiée sur le site Links le 7 avril 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

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Grande manifestation régionale pour le Jour de la Terre

9 avril 2024, par Coalition régionale justice climatique et sociale —
URGENCE CLIMATIQUE ! URGENCE SOCIALE ! Parc du Musée du Québec Dimanche 21 avril 2024 à 13:00 Il y a quelques jours, on apprenait que le réchauffement de la planète (…)

URGENCE CLIMATIQUE ! URGENCE SOCIALE !
Parc du Musée du Québec
Dimanche 21 avril 2024 à 13:00

Il y a quelques jours, on apprenait que le réchauffement de la planète avait franchi le cap dramatique de 1,5°C avec près de 6 ans d'avance sur les prévisions les plus pessimistes. L'urgence d'agir n'a jamais été aussi grande car c'est maintenant la limite des 2°C qui pourrait être franchie d'ici la fin de la décennie. Événements météorologiques extrêmes, augmentation du coût de la vie, problèmes de santé, destruction des milieux naturels, érosion des berges, etc. Si les conséquences sont connues et de plus en plus visibles, les actions de nos dirigeantEs tardent à se concrétiser.

La mobilisation de la population est essentielle pour forcer nos gouvernements à agir ici, mais également au niveau international pour accélérer la transition. C'est pourquoi les milieux étudiants, syndicaux, communautaires, féministes et environnementaux de la région de Québec ont choisi d'unir leurs forces pour la justice climatique et sociale et d'organiser une grande manifestation régionale à Québec le 21 avril prochain, pour le Jour de la Terre, autour des trois revendications suivantes :

1- l'accélération de la lutte et de l'adaptation aux crises climatiques et de la biodiversité, notamment par la sortie urgente des énergies fossiles ;

2- un réinvestissement massif dans les services publics et les programmes sociaux, notamment en taxant davantage la richesse ;

3- une transition juste et inclusive pour les communautés et les travailleuses et travailleurs.
Toute la population est invitée à descendre dans la rue le dimanche 21 avril afin d'exiger une transition juste, sociale et écologique.

Faire face aux défis environnementaux et rebâtir ensemble une plus grande justice sociale fondée sur des services publics et des programmes sociaux de qualité, c'est désormais une question de survie !

*il y a aura une traduction LSQ*

🌎 21 avril 2024 - Montréal :
https://www.facebook.com/events/934588828244577
🌎 21 avril 2024 - Capitale nationale :
https://www.facebook.com/events/1449343342665697
🌎 22 avril 2024 - Sherbrooke :
https://www.facebook.com/events/431264126061443

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La crise agricole a rejoint le Québec… fin prêt à l’accueillir et l’envenimer

9 avril 2024, par Marc Bonhomme — ,
Comme en Inde et Europe, c'est le clash agro-industrie versus climat La crise agricole a rejoint le Québec — si le Premier ministre le dit ! — après avoir soulevé les (…)

Comme en Inde et Europe, c'est le clash agro-industrie versus climat La crise agricole a rejoint le Québec — si le Premier ministre le dit ! — après avoir soulevé les agriculteurs de l'Inde et de l'Union européenne. Le vent européen a frappé l'Est du Québec avant de toucher la plaine montréalaise. C'est le signal qu'il faut des changements structuraux au-delà « des indemnisations historiques en assurance récolte » de cette année. Les fermes familiales québécoises, malgré le phénomène marginale des micro-fermes maraîchères vendant directement aux consommatrices, fusionnent historiquement comme ailleurs. Même devenant agroindustrielles, elles restent cependant plus modestes que celles canadiennes ou étatsuniennes. Avant même le dernier été catastrophique de pluies trop abondantes ou de sécheresse, de hausse du prix des engrais due à la guerre contre l'Ukraine et, last but not least, de la hausse des taux d'intérêt, elles étaient au bord du gouffre.

7 avril 2024

Au Québec la politique de soutien du lait pour le marché intérieur, principale production québécoise, est fort différente de celle du porc vendu mondialement. La volatilité des prix mondiaux favorise les « intégrateurs » porcins qui réduisent les fermiers à la sous-traitance par manque de capitaux sans toutefois leur enlever le risque de marché. Quant aux quotas, « l'une des plus lourdes hypothèques qui pèsent sur l'agriculture québécoise » (Rapport Pronovost, 2008), ils lestent de 60% la valeur marchande de la ferme laitière moyenne, ce qui handicape tant les investissements productifs que la relève. En résulte un « endettement sans précédent des agriculteurs », relativement plus important de 50% qu'en Ontario et plus du triple qu'aux ÉU et qui « a doublé au cours des dix dernières années » d'ajouter le rapport Pronovost, ce qui provoque « la baisse des revenus agricoles ». Cette baisse a obligé les ménages agricoles, particulièrement la conjointe, à travailler à l'extérieur de la ferme pour les deux tiers de leurs revenus afin de se maintenir à flot.

Le rapport Pronovost n'ayant pas été appliqué sauf à la marge, l'agriculture québécoise est devenue fragile aux bouleversements mondiaux, dussent-ils être climatiques, géopolitiques et économiques, qui ont convergé sur le monde postpandémie. Éclatait le printemps passé sur la scène publique la crise du porc qui n'a pu être colmatée que sur le dos du prolétariat sous-payé et en partie racisé du monopsone Olymel, des petits éleveurs porcins et du contribuable… mais pas suffisamment selon le président de l'UPA. Pour la production maraîchère mal assurée, grande ou petite, c'est la crise totale à faire pleurer. Si on en juge par leur participation aux actuelles mobilisations, les producteurs de lait, du moins la relève, bénéficiant de la protection des quotas acquis à prix d'or, tirent aussi le diable par la queue.

Plus ça change… plus est sacrifiée l'agriculture à la filière batterie

De constater le président de l'UPA au congrès de décembre dernier : « Nos coûts sont plus élevés, on s'endette plus, pour moins de profit. C'est ça la réalité ». Plus ça change….

Depuis 2015, la dette des agriculteurs québécois a plus que doublé, connaissant une hausse de 115 %, pour atteindre 29,4 milliards de dollars. Sur la même période, leurs revenus ont baissé de 38 %, d'après des données de la Financière agricole citées par Martin Caron [président de l'UPA]. […] Près d'une famille agricole sur deux dépendrait aussi d'un revenu extérieur, une proportion en hausse depuis quelques années. […] À ces pressions économiques se sont ajoutés les événements environnementaux extrêmes de l'été. Gel tardif au printemps, feux de forêt, sécheresse ou pluies abondantes ont affecté les récoltes, selon les régions.

Des mesures d'urgence sont en cours nous dit-on soit « le travail de réforme du programme d'assurance récolte […], la demande au gouvernement fédéral que soit déclenché le programme Agri-relance [qui vise spécifiquement à aider les producteurs agricoles touchés par une catastrophe naturelle, NDLR] et le grand chantier que Québec a entrepris pour alléger le fardeau administratif des agriculteurs et qui devrait apporter des résultats d'ici l'automne. » C'est indispensable mais l'agriculture a surtout besoin d'être sortie du « business as usual » de l'agro-industrie carnée vers l'agroécologie végétarienne en commençant par la préservation des terres agricoles de la menace tant du capital financier, que réclame Québec solidaire, que de l'industrie éolienne :

Au Québec, la superficie des terres en culture est de 0,24 hectare par habitant. C'est le taux le plus bas au sein de l'OCDE [l'Organisation de coopération et de développement économiques, qui regroupe 38 pays développés]. Aux États-Unis, ce taux est de 1,52 hectare par habitant. La zone agricole est constamment grugée et grignotée par des développements de toutes sortes. En plus des superficies exclues de la zone agricole, des milliers d'hectares ont été sacrifiés pour des « utilisations non agricoles » (UNA) en zone verte. Depuis 25 ans, la perte réelle représente 57 000 hectares [570 km2 , soit plus que l'île de Montréal]. Les UNA sont une approche sournoise. Les terres visées par leur implantation demeurent comptabilisées en zone verte. Or, elles perdent leur vocation agricole et, plus souvent qu'autrement, de manière irrémédiable.

L'implantation de parcs éoliens en zone agricole est un exemple type d'UNA. Imaginez 3000 à 5000 éoliennes sur le territoire agricole du Québec, soit le nombre nécessaire pour répondre à la demande d'Hydro-Québec. […] Avec près de 3000 éoliennes de cinq mégawatts installées pour atteindre les objectifs de demande […], c'est près de 100 milliards $ qui seront versés aux promoteurs éoliens au cours de cette période [30 ans]. Tout dépendamment de leurs marges bénéficiaires, ce sont des centaines de millions de dollars de profits que nous nous apprêtons à leur accorder chaque année.

Soulignons qu'il s'agit ici d'assurer en toute sécurité, donc dans une perspective de souveraineté alimentaire, au peuple québécois la nourriture quotidienne soit la base de son existence. À cet égard, le président de l'UPA « estime que les gouvernements fédéraux et provinciaux doivent accroître la part de leur budget consacré à l'agriculture. D'après des données de l'UPA, cette proportion était de 1,47 % au fédéral en 2013, elle est passée à 0,42 %. Au provincial, la proportion du budget réservée à l'agriculture et à l'agroalimentaire est passée de 1,47 % il y a 10 ans à 0,98 % aujourd'hui. » De répondre Québec solidaire aux maniaques de la lutte contre la dette publique pourtant nettement sous contrôle malgré les apparences et sachant que billionnaires, multimillionnaires et grandes entreprises sont loin de payer leur juste part :

Quand c'est le temps de donner des milliards pour des multinationales étrangères pour faire des batteries, il ne manque jamais d'argent. Mais quand vient le temps de soutenir les hommes et les femmes qui nourrissent le Québec, le gouvernement de François Legault leur réserve moins de 1% du budget. (Discours de Gabriel NadeauDubois lors de la manifestation de St-Jean-sur-Richelieu)

La révolution agrobiologique passe par le rejet du joug financier du libre-échange

Il faudrait cependant pousser plus loin la coche de la critique comme le fait l'organisme de gauche paysanne mondiale Via Campesina en réaction aux manifestations agricoles européennes :

À cette situation s'ajoutent de nouvelles ambitions en matière de transition écologique et de lutte contre le dérèglement climatique. L'Union européenne a souhaité mettre en place le Green deal, un pacte vert en vue de réduire l'utilisation des émissions de carbone, de pesticides, promouvoir des systèmes alimentaires durables, augmenter les surfaces en bio, etc. Le Copa-Cogeca [fédération européenne des grandes entreprises agro-industrielles] s'y est tout de suite opposé alors que ECVC [Coordination européenne de Via Campesina] de son côté a salué les objectifs en déplorant le manque d'outils de mise en œuvre. La montée en gamme engendre forcément une augmentation des couts de production, et elle ne peut pas se faire dans le cadre du libre-échange. On a ainsi un pôle qui défend le business contre la transition, et un autre qui défend la sortie du libéralisme pour pouvoir mettre en place des politiques écologiques. À l'heure actuelle on a clairement perdu une bataille, même si un débat intéressant a émergé au niveau européen.

Face au discours anti-paperasse des protestataires, on a parfois l'impression d'un mot-code anti-écologie bien qu'iels ont cent fois raison de réclamer un soutien majoré pour s'y conformer. Et il va falloir soulever la pression du libre-échange qui y est pour beaucoup dans la crise du porc et l'est en sous-main pour ce qui est de la production maraîchère et même céréalière. L'épuisement des sols, la pollution aquatique et les émanations de GES de l'agro-industrie s'acheminent à la vitesse grand V vers un clash, tout en y contribuant, eu égard aux crises du climat et de la biodiversité. On est encore loin du compte d'une solution structurelle de la crise.

Sans une remise en cause de l'endettement des fermes familiales et de leur concentration/transformation en fermes capitalistes, de la monopolisation des industries en amont et en aval de la production agricole, en particulier de l'hyperconcentration de la distribution soit trois distributeurs dont deux hors Québec contrôlant de 90 à 95% du marché, on sera coincé entre le Charybde du libreéchange et le Sylla du protectionnisme. Historiquement, le recours au coopératives dans un environnement capitaliste a été un échec. Desjardins, Coop fédérée/Olymel et Agropur participent comme les autres banques et autres fournisseurs à l'étouffement de la ferme familiale, sans compter leur antisyndicalisme notoire. On a du pain sur la planche.

Marc Bonhomme, 7 avril 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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La lutte aux changements climatiques au-delà de la taxe carbone canadienne

9 avril 2024, par Richard Fidler — ,
Nous devons avoir un autre type de gouvernement attaché au soutien aux victimes des changements climatiques, pas à ceux et celles qui les alimentent Richard Fidler, (…)

Nous devons avoir un autre type de gouvernement attaché au soutien aux victimes des changements climatiques, pas à ceux et celles qui les alimentent

Richard Fidler, Canadian Dimension 25 mars 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Les changements climatiques sont la partie très visible, la plus menaçante expression, d'une crise écologique planétaire. Ils sont au cœur et le résultat d'un système économique basé sur les énergies fossiles et qui poursuit sans fin la croissance basée sur l'exploitation des ressources naturelles renouvelables ou non, en dépassant les capacités de la nature.

Notre approche doit être à l'avenant face aux défis structurels que présente cette crise à l'organisation sociale, si nous voulons mettre un frein et inverser la catastrophe écologique. Elle nous heurte de front mais elle est alimentée par notre propre dépendance aux énergies fossiles.

Globalement, nous nous battons encore pour faire reconnaitre cette dépendance. La récente conférence COP28, la 28ième depuis celle de Kyoto en 1990, a réussi pour la première fois à trouver un consensus sur l'obligation dans laquelle nous sommes d'entreprendre une transition de sortie des énergies fossiles si nous voulons atteindre l'objectif mondial de « zéro émission » de GES en 2050.

Est-ce que nous y sommes ? Le Centre de politiques alternatives canadien a publié dernièrement les résultats d'une étude récente qui nous informent que la moitié du pétrole utilisée par les humains.es l'a été durant les 27 dernières années. La moitié du gaz l'a été durant les 21 dernières années et la moitié du charbon durant les 37 dernières années. Résultat : la moitié des 1,77 mille milliards de tonnes de dioxyde de carbone émises l'ont été durant les 30 dernières années. 14% l'ont été depuis l'accord de Paris en 2015.

À ce jour les énergies renouvelables, éoliennes, solaires et thermales n'ont fait aucune différence sur l'usage des énergies fossiles per capita. Elles n'ont servi qu'à augmenter notre consommation. En 2022, les énergies fossiles représentaient 82,9% de la consommation totale mondiale.

Pourtant leur production et leur utilisation sont en train de détruire la planète. Nous devons donc trouver et développer les renouvelables pour remplacer les fossiles. Et peut-être encore plus important, trouver des moyens d'éliminer l'inefficacité et l'aspect socialement indésirable de cette consommation. Nos sociétés doivent devenir moins dépendantes des forces du marché qui mènent à la production et la consommation des énergies fossiles dans notre système capitaliste. En plus de générer de plus en plus d'inégalités sociales et de détérioration des services publics.

Où en est le Canada ?

Il est le 4ième plus grand producteur de pétrole au monde. Plus de la moitié de sa production est exportée. 90,8% concerne les énergies primaires : 54% de pétrole, 31% de gaz naturel, 6% de charbon. Les énergies hydrauliques, nucléaires et renouvelables constituent le reste.

La dernière publication du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, le Plan de réduction des émissions, affiche un engagement de réduction des GES de 40 à 45% sous le niveau de 2005 en 2030 et l'élimination complète en 2050.

Le plan annonce un plafond d'émissions à venir, une stratégie de construction verte et la création de réseaux électriques alimentés par des énergies renouvelables. Il prévoit aussi la promotion des véhicules électriques, surtout les voitures, des investissements majeurs dans les technologies de captation du carbone et son entreposage ou encore des captations directement dans l'air et la fin de l'extraction du pétrole et du gaz. Jusqu'ici, pratiquement, ce dernier engagement est introuvable (dans les faits).

Et nous voilà avec de nouveaux oléoducs et des installations construites pour exporter le GNL (gaz naturel liquéfié) et les autres produits des énergies fossiles qui seront extraits pendant plusieurs années à venir. Les statistiques ne tiennent pas compte des émissions émises et consommées en dehors du Canada. L'achat du projet d'oléoduc Trans Mountain par le gouvernement canadien a coûté jusqu'à maintenant, environ 35 milliards de dollars. Les installations de Prince Rupert pour traiter le GNL, dans lesquelles investit la controversée compagnie Northern Gateway, et dans l'oléoduc attenant, a coûté 40 milliards. Quatre autres installations semblables sont envisagées.

La mise en œuvre du plan fédéral est laissée aux provinces et aux entreprises privées, les résultats sont donc douteux. En Ontario, le Premier ministre D. Ford a mis fin à un grand nombre de projets d'énergies renouvelables, augmentant ainsi la dépendance de la province au gaz naturel. La Première ministre albertaine, D. Smith a considérablement réduit les projets d'énergies renouvelables. En Colombie Britannique, le gouvernement NPD poursuit l'expansion (de la production) de GNL et supervise une augmentation de la production des gaz de schiste. À Terre-Neuve et Labrador, les revenus du pétrole et du gaz comptent pour environ 25% du produit intérieur brut de la province et elle prévoit doubler sa production de pétrole.

L'élément central du plan fédéral réside dans le prix du carbone déjà en place avec les programmes de la Colombie Britannique et du Québec. Le plan souligne que « mettre un prix sur la pollution est largement reconnu comme la formule pertinente et efficientes pour réduire les GES ». Les producteurs et les consommateurs.trices sujets.tes à des augmentations périodiques du prix du carbone pourraient changer leurs habitudes pour celles plus favorables au climat.

Mais, il faut être clairs. La régulation des émissions est une alternative à la planification et la quantification des réductions dans l'extraction et le développement des énergies fossiles. Comme beaucoup de critiques l'on souligné, l'imposition d'un prix au carbone ne régule pas les émissions. Il s'agit d'une mesure basée sur un calcul arbitraire qui ne prend pas en compte, en général, les « externalités » l'accumulation des émissions, les trous dans les vérifications et, dans le cas des crédits attachés au marché du carbone, les impacts disproportionnés des changements climatiques dans les pays du sud. Pour les milieux d'affaire, il ne s'agit que d'un coût pour faire des affaires. Et le programme sera toujours à la bonne hauteur pour assurer au monde des affaires du Canada qu'il ne sera pas désavantagé face à leurs compétiteurs.trices. On évitera ainsi des soubresauts économiques qui nécessiteraient plus d'intervention sur les marchés.

Toutefois, les consommateurs.trices, ceux et celles qui utilisent les énergies fossiles pour le chauffage ou le transport, portent la responsabilité morale et financière du prix du carbone. Le gouvernement fédéral a tenté de faire baisser la grogne avec des rabais pour 80% de ces personnes. Et plus récemment, l'opposition populaire l'a obligé à exempter de ce frais, les habitants.tes des Maritimes qui se chauffent au fuel. Mais le gouvernement insiste encore pour dire que l'imposition du prix au carbone va permettre de réduire les émissions de GES d'un tiers d'ici 2030.

Clairement, l'objectif général du Plan canadien est de faire durer le plus longtemps possible les énergies fossiles comme source principale d'énergie en utilisant les « compensations » qu'offre le marché et le commerce du carbone pour arriver à « zéro-net » émissions. Sans surprises, beaucoup de Canadiens.nes sont réticents.es envers ces politiques anti sociales et anti écologiques qu'ils et elles sont obligés.es de payer en partie.

Quelle est l'alternative ?

Dans son dernier ouvrage, A Good War : Mobilizing Canada for the Climate Emergency, Seth Klein défend de manière convaincante l'idée qu'il nous faut changer d'approche. Il compare le peu que le Canada fait face à la crise climatique avec la mobilisation massive du pays lors de la seconde guerre mondiale. Les esprits étaient en état d'urgence, on a imposé des mesures, on a reconfiguré la production industrielle en faisant construire des tanks et de jeeps au lieu des autos, et par-dessus tout, on ne s'est pas fié aux forces des marchés. Il y a eu une vraie planification, la nationalisation d'environ 50 compagnies de la couronne et on a dépensé tout ce qu'il fallait pour gagner.

M. Klein soutient que c'est ce qu'il nous faut en ce moment. D'abord un inventaire national car c'est sur une telle base qu'on pourra coordonner la production de masse des équipements nécessaires pour réussir à atteindre les nouvelles cibles de réduction des GES. Il faudra construire toutes les nouvelles usines nécessaires pour produire les panneaux solaires, les éoliennes, les thermo pompes et les autobus électriques en masse. La technologie existe déjà. Une programmation précise devra être adoptée pour la réduction de l'extraction des énergies fossiles au Canada. Elle devra s'accompagner d'un plan solide et juste de transition pour les travailleurs du secteur et les communautés qui dépendent de cette industrie.

En même temps que l'interdiction de nouvelles infrastructures liées aux énergies fossiles, nous devrons élaborer un plan de développement majeur d'installations publiques pour une production verte qui devra impliquer tous les niveaux de gouvernement. Des milliards de dollars devront être investit dans les énergies renouvelables. Il faudra mettre aux nouvelles normes, les trains à grande vitesse, la poursuite de l'électrification du réseau ferroviaire du pays, celle des transports publics et le développement des bornes de recharge, de la capture du méthane dans les fermes et sur les sites d'enfouissement.

Mais, malgré le meilleur des scénarios, S. Klein nous prévient qu'il restera un certain niveau de réchauffement climatique. Donc nous sommes obligés.es dès maintenant d'investir des sommes importantes dans l'adaptation à cette situation, dans la résilience des infrastructures et se préoccupant particulièrement des communautés vulnérables qui ont besoin d'être mieux protégées des désastres climatiques comme les feux de forêts, les chaleurs extrêmes, les inondations etc. Nous devons aussi investir des sommes importantes dans l'aménagement des forêts pour diminuer les risques de feux dans les zones rurales et près des communautés des Premières nations. Cela devrait apporter des milliers d'emplois durables dans les zones qui dépendent des ressources naturelles. Nous devons avoir un grand plan pour réparer et rehausser les systèmes naturels de séquestration (du carbone) canadien. Il faut aider la nature à capter le carbone dans l'atmosphère. Cela veut dire un programme majeur de reforestation et bien sûr, la préservation des forêts existantes.

Et M. Klein ajoute un point important. Comme les militants.es pour un Nouveau plan vert l'ont souligné : « nous avons besoin de plus que des investissements directs dans les infrastructures climatiques ; nous devons aussi consentir des investissements extrêmement importants dans les infrastructures sociales et dans une économie compatissante. Cela veut dire des investissements de tous les niveaux de gouvernement dans l'habitation publique sans émissions de GES, leur engagement solide à construire des centaines de milliers de nouveaux logements non soumis aux marchés. Donc, que le fédéral et les provinces financent des services universels publics, accessibles et de qualité, de garde des enfants, de soins aux personnes âgées et aux handicapés.es. Ce sont des services déjà presque sans émissions et qui représenteraient un renforcement important à l'accès aux logements abordables ».

Finalement, nous devons adopter une série de lois et de règlements qui vont établir un calendrier pour s'assurer de l'application de certains éléments : « Des cibles claires … intégrées dans les lois et bien publicisées vont donner un signal plus important aux marchés que n'importe quel prix donné au carbone. Les industries et les consommateurs.trices sauront qu'il leur faut modifier leurs plans en conséquence. Si elles sont renforcées, ces cibles vont forcer les manufactures, les constructeurs.trices, les installateurs.trices et les compagnies extractives à planifier leurs investissements en fonction de ce calendrier ».

J'ajouterais quelques remarques au tableau de S. Klein. En plus de ses perspectives nationales, il faut prendre en considérations les dimensions internationales. Il faut être solidaires avec les luttes pour la justice climatique des peuples du sud. Ils sont les premières victimes du réchauffement de la planète. Ils s'opposent aussi aux relations commerciales inégales, a la sur-exploration de leur travail, au pillage de leurs ressources naturelles par les capitaux internationaux et demandent le retrait de leurs dettes illégitimes. Cela implique de collaborer avec des pays comme la Chine pour développer un marché mondial des ressources et des technologies alternatives.

Les Premières nations sont les principales cibles qu'on tente de forcer ou d'intégrer dans des « partenariats » avec des entreprises et les gouvernements dans l'exploitation capitaliste de leurs territoires et ressources. La solidarité avec leurs luttes pour l'auto détermination et l'autonomie est essentielle.

La transition en elle-même va apporter un surcroît d'émissions (de GES). Il faudra l'éliminer si on ne veut pas que le « budget carbone » n'explose. Il faut donc combattre l'impératif de croissance capitaliste.

Est-ce que cela signifie aller vers la décroissance ? Certaines productions et certains services ne devraient pas décroître mais être supprimés aussi tôt que possible. Par exemple : les mines et les installations liées au charbon, au pétrole, à la production de munitions, la publicité industrielle, les plastiques, les pesticides, etc. Mais d'autres, au contraire, devraient progresser : les énergies renouvelables, l'agriculture biologique, les services essentiels comme l'éducation, les soins de santé et la culture.

Globalement, cette contreproposition vise un « changement de système » d'approche aux changements climatiques. La stratégie, les programmes, sont orientés vers la satisfaction des besoins sociaux et communautaires, en dehors de la recherche du profit. Et, si je puis me permettre, cela est considérablement différent de l'analogie que fait S. Klein avec la mobilisation durant la seconde guerre mondiale. À cette époque, c'est la classe dirigeante qui s'est unie dans un effort national. Ce sont les intérêts de classe qui ont mené à cette une unité.

Aujourd'hui, cette unanimité inter classes n'existe pas. Nous sommes plutôt devant ce que certains.es critiques appellent : « un régime d'obstruction » élaboré à partir d'une matrice de contrôle corporatif et financier de nos processus politiques et économiques, des diffuseurs de nouvelles et d'autres médias culturels. Leurs centres de pouvoir se trouvent dans une combinaison d'intérêts pétroliers basés à Calgary et bancaires et financiers à Toronto. Nous avons un problème structurel. Pour le vaincre nous devons développer des alliances, des coalitions de travailleurs.euses, de fermiers.ères, de communautés amérindiennes, de minorités radicales, d'étudiants.es, de jeunes, de pauvres, contre l'oligarchie gazière et pétrolière. Il faut aussi coupler la lutte aux GES à l'opposition à l'austérité capitaliste.

Un défi majeur : restructurer les transports

L'étude des émissions de GES par secteurs au Canada montre que plus de la moitié est produite par l'extraction des ressources fossiles et 25% à 28% par les transports. Quelle pourrait-être une stratégie alternative pour ce secteur qui compte autant comme service que le logement et les soins de santé dans la vie quotidienne des populations ?

S. Klein met en tête de liste, « d'étendre les transports publics avec un plan pour non seulement pour les rendre plus accessibles mais aussi singulièrement plus abordables. Ce qui veut dire minimalement, la gratuité pour les populations à faible revenu mais qui puisse évoluer vers des services payés par la puissance publique, donc gratuit au même titre que les soins de santé ».

C'est ce que nous avec Free Transit Ottawa : rendre le système de transport public accessible à tous et toutes, sans frais tout comme les écoles publiques, les pistes cyclables et les trottoirs. Ces transports publics radicalement améliorés non seulement combattraient la pauvreté et l'exclusion sociale mais serait en plus une des mesures les plus importantes dans la lutte aux changements climatiques.

Et les autos et les camions ? L'extension des chemins de fer réduirait sensiblement le camionnage sur les grandes routes et en ville les camions devraient être électrifiés. La voiture individuelle a déterminé le schéma de nos villes et de notre culture depuis des centaines d'années. Elle a contribué au développement de l'étalement urbain, à empiéter sur les terres agricoles et humides. Elle induit des dépenses supplémentaires et des pertes de temps à ceux et celles qui l'utilisent pour leurs déplacements quotidiens. Non seulement faut-il mettre fin à la construction, la vente et la publicité pour ces véhicules qui fonctionnent aux énergies fossiles mais il faut les remplacer par des transports publics plus étendus, électrifiés pour le transport inter cité par rail également.

Les travailleurs.euses de l'usine GM à Oshawa ont défendu cette option quand, en 2019, la compagnie a mis fin à ses opérations sur ce cite où elle produisait depuis plus de 100 ans. Le comité d'action politique du local 222 du syndicat Unifor a mené une campagne appelée Green Jobs Oshawa. Il appelait le gouvernement fédéral à prendre l'usine en mains, d'en faire une propriété publique et de la convertir pour la fabrication de véhicules électriques en mettant la priorité sur les équipements gouvernementaux comme les camions de Postes Canada. D'ailleurs, le syndicat de Postes Canada avait déjà fait la proposition de passer à l'électrification (de sa flotte) et de créer de nouvelles fonctions de services bancaires et de services à domiciles, localement.

Le gouvernement fédéral et certaines provinces ont choisi de ne pas remplacer les autos mais simplement de les électrifier. Ils ont plutôt investi environ 50 milliard de dollars dans la construction de 3 usines géantes, 2 en Ontario et une au Québec, pour la fabrication des batteries pour les véhicules électriques. Ces usines sont des propriétés privées. Les critiques soulèvent la question de la pertinence de ce dernier investissement à une compagnie étrangère qui aurait pu construire son installation et produire sans cette subvention. On peut aussi se demander ce qu'il en serait si ces sommes étaient investies dans l'extension de transports publics électriques. Et qu'en est-il des coûts environnementaux pour l'extraction des métaux nécessaires à la fabrication des batteries ? Est-ce logique de vouloir réduire les émissions de GES en développant massivement les mines parmi les plus gourmandes en énergie et très polluantes ?

Finalement il faut garder à l'esprit qu'une campagne pour des transports publics améliorés et gratuits va se frapper à une sérieuse opposition de la part des développeurs qui détiennent de grandes proportions de terres aux abord des villes, de l'industrie pétrolière et automobile et d'autres secteurs d'affaire qui favorisent la faible taxation et de la part des politiciens.nes qui les représentent.

Pour mettre en place des transports publics accessibles et gratuits il faudra développer un puissant mouvement qui puisse combattre efficacement cette opposition. Il devra s'appuyer sur ceux et celles qui dépendent des transports publics, sur le environnementalistes militants.es mais il devra aussi inclure une large frange de travailleurs.euses et de professionnels.les dont les employés.es actuels des sociétés de transport comme OC Transpo. Pour y arriver, nous devrons mettre des énergies dans l'éducation autant que dans les luttes pour des réformes immédiates de baisse du coût de ces transports et pour en accroitre l'accessibilité. Il faudra nous joindre aux luttes existantes et en initier de nouvelles.

En dernier ressort, nous devrons avoir une autre sorte de gouvernement qui aura la volonté politique de coordonner et consolider la transition, un gouvernement qui appuiera l'aide aux victimes des changements climatiques pas ceux et celles qui participent à leur production.

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« Lavender », l’intelligence artificielle qui dirige les bombardements israéliens à Gaza

9 avril 2024, par Yuval Abraham — , ,
L'armée israélienne a désigné des dizaines de milliers d'habitants de Gaza comme des suspects, cibles d'assassinat, en utilisant un système de ciblage par intelligence (…)

L'armée israélienne a désigné des dizaines de milliers d'habitants de Gaza comme des suspects, cibles d'assassinat, en utilisant un système de ciblage par intelligence artificielle (IA), avec peu de contrôle humain et une politique permissive en matière de pertes « collatérales », révèlent le magazine +972 et le site d'informations Local Call.

Tiré de France Palestine Solidarité. Article initialement paru dans +972 Magazine. Photo : Octobre 2023, vue aérienne de bâtiments écroulés et de la destruction dans la bande de Gaza © UNRWA Photo/Ashraf Amra

En 2021, un livre intitulé L'équipe humain-machine, comment créer une synergie entre humain et intelligence artificielle qui va révolutionner le monde a été publié en anglais sous le pseudonyme de « Brigadier General Y.S. ». Dans cet ouvrage, l'auteur – un homme dont nous pouvons confirmer qu'il est l'actuel commandant de l'unité d'élite du renseignement israélien 8200 – plaide en faveur de la conception d'une machine spéciale capable de traiter rapidement des quantités massives de données afin de générer des milliers de « cibles » potentielles pour des frappes militaires dans le feu de l'action. Une telle technologie, écrit-il, résoudrait ce qu'il décrit comme un « goulot d'étranglement humain à la fois pour la localisation des nouvelles cibles et la prise de décision pour approuver les cibles ».

Il s'avère qu'une telle machine existe réellement. Une nouvelle enquête menée par +972 Magazine et Local Call révèle que l'armée israélienne a mis au point un programme basé sur l'intelligence artificielle (IA), connu sous le nom de « Lavender », dévoilé ici pour la première fois.

Selon six officiers du renseignement israélien, qui ont tous servi dans l'armée pendant la guerre actuelle contre la bande de Gaza et ont été directement impliqués dans l'utilisation de l'intelligence artificielle pour générer des cibles à assassiner, Lavender a joué un rôle central dans le bombardement sans précédent des Palestiniens, en particulier pendant les premières phases de la guerre. En fait, selon ces sources, son influence sur les opérations militaires était telle qu'elles traitaient les résultats de la machine d'IA « comme s'il s'agissait de décisions humaines ».

Officiellement, le système Lavender est conçu pour marquer tous les agents présumés des ailes militaires du Hamas et du Jihad islamique palestinien, y compris les moins gradés, comme des cibles potentielles pour les bombardements. Ces sources ont déclaré à +972 et à Local Call que, pendant les premières semaines de la guerre, l'armée s'est presque entièrement appuyée sur Lavender, qui a marqué jusqu'à 37 000 Palestiniens comme militants présumés – avec leurs maisons – en vue d'éventuelles frappes aériennes.

Au début de la guerre, l'armée a largement autorisé les officiers à adopter les listes d'objectifs de Lavender, sans exiger de vérification approfondie des raisons pour lesquelles la machine avait fait ces choix, ni d'examen des données brutes de renseignement sur lesquelles elles étaient basées. Une source a déclaré que le personnel humain ne faisait souvent qu'entériner les décisions de la machine, ajoutant que, normalement, il ne consacrait personnellement qu'environ « 20 secondes » à chaque cible avant d'autoriser un bombardement – juste pour s'assurer que la cible marquée par Lavender est bien un homme. Et ce, tout en sachant que le système commet ce que l'on considère comme des « erreurs » dans environ 10 % des cas, et qu'il est connu pour marquer occasionnellement des individus qui n'ont qu'un lien ténu avec des groupes militants, voire aucun lien du tout.

En outre, l'armée israélienne a systématiquement attaqué les personnes ciblées alors qu'elles se trouvaient chez elles – généralement la nuit, en présence de toute leur famille – plutôt qu'au cours d'une activité militaire. Selon les sources, cela s'explique par le fait que, du point de vue du renseignement, il est plus facile de localiser les individus dans leurs maisons privées. Lavender a marqué jusqu'à 37 000 Palestiniens comme militants présumés – avec leurs maisons – en vue d'éventuelles frappes aériennes.

D'autres systèmes automatisés, dont celui appelé « Where's Daddy ? » (Où est papa ?), également révélé ici pour la première fois, ont été utilisés spécifiquement pour suivre les individus ciblés et commettre des attentats à la bombe lorsqu'ils étaient entrés dans les résidences de leur famille.

Le résultat, comme en témoignent ces sources, est que des milliers de Palestiniens – pour la plupart des femmes et des enfants ou des personnes qui n'étaient pas impliquées dans les combats – ont été éliminés par les frappes aériennes israéliennes, en particulier au cours des premières semaines de la guerre, en raison des décisions du programme d'intelligence artificielle.

« Nous ne voulions pas tuer les agents [du Hamas] uniquement lorsqu'ils se trouvaient dans un bâtiment militaire ou participaient à une activité militaire », a déclaré A., un officier de renseignement, à +972 et à Local Call. « Au contraire, l'armée israélienne les a bombardés dans leurs maisons sans hésitation, comme première option. Il est beaucoup plus facile de bombarder la maison d'une famille. Le système est conçu pour les rechercher dans ces situations. »

La machine Lavender rejoint un autre système d'IA, « The Gospel », au sujet duquel des informations ont été révélées lors d'une précédente enquête menée par +972 et Local Call en novembre 2023, ainsi que dans les propres publications de l'armée israélienne. La différence fondamentale entre les deux systèmes réside dans la définition de la cible : alors que The Gospel marque les bâtiments et les structures à partir desquels, selon l'armée, les militants opèrent, Lavender marque les personnes – et les inscrit sur une liste de personnes à abattre.

En outre, selon les sources, lorsqu'il s'agissait de cibler de jeunes militants présumés marqués par Lavender, l'armée préférait n'utiliser que des missiles non guidés, communément appelés bombes « stupides » (par opposition aux bombes de précision « intelligentes »), qui peuvent détruire des bâtiments entiers sur leurs occupants et causer d'importantes pertes humaines. « Vous ne voulez pas gaspiller des bombes coûteuses sur des personnes sans importance - cela coûte très cher au pays et il y a une pénurie [de ces bombes] », a déclaré C., l'un des officiers de renseignement. Une autre source a déclaré qu'ils avaient personnellement autorisé le bombardement de « centaines » de domiciles privés d'agents subalternes présumés marqués par Lavender, nombre de ces attaques tuant des civils et des familles entières en tant que « dommages collatéraux ».

Selon deux des sources, l'armée a également décidé, au cours des premières semaines de la guerre, que pour chaque agent subalterne du Hamas marqué par Lavender, il était permis de tuer jusqu'à 15 ou 20 civils ; par le passé, l'armée n'autorisait aucun « dommage collatéral » lors de l'assassinat de militants de bas rang. Les sources ont ajouté que, dans le cas où la cible était un haut responsable du Hamas ayant le rang de commandant de bataillon ou de brigade, l'armée a autorisé à plusieurs reprises le meurtre de plus de 100 civils lors de l'assassinat d'un seul commandant.

L'enquête qui suit est organisée selon les six étapes chronologiques de la production hautement automatisée de cibles par l'armée israélienne au cours des premières semaines de la guerre de Gaza.

Tout d'abord, nous expliquons le fonctionnement de la machine Lavender elle-même, qui a marqué des dizaines de milliers de Palestiniens à l'aide de l'IA.

Ensuite, nous révélons le système « Where's Daddy ? » (Où est papa ?), qui a suivi ces cibles et signalé à l'armée qu'elles entraient dans leurs maisons familiales.

Troisièmement, nous décrivons comment des bombes « stupides » ont été choisies pour frapper ces maisons.

Quatrièmement, nous expliquons comment l'armée a assoupli le nombre de civils pouvant être tués lors du bombardement d'une cible.

Cinquièmement, nous expliquons comment un logiciel automatisé a calculé de manière inexacte le nombre de non-combattants dans chaque foyer.

Sixièmement, nous montrons qu'à plusieurs reprises, lorsqu'une maison a été frappée, généralement la nuit, la cible individuelle n'était parfois pas du tout à l'intérieur, parce que les officiers militaires n'ont pas vérifié l'information en temps réel.

Étape 1 : Générer des cibles

« Une fois que l'on passe à l'automatisme, la génération des cibles devient folle »

Dans l'armée israélienne, l'expression « cible humaine » désignait autrefois un haut responsable militaire qui, selon les règles du département du droit international de l'armée, pouvait être tué à son domicile privé, même s'il y avait des civils à proximité.

Des sources du renseignement ont déclaré à +972 et à Local Call qu'au cours des précédentes guerres conduites par Israël, étant donné qu'il s'agissait d'une manière « particulièrement brutale » de tuer quelqu'un – souvent en tuant toute une famille aux côtés de la cible – ces cibles humaines étaient marquées très soigneusement : seuls les commandants militaires de haut rang étaient bombardés à leur domicile, afin de maintenir le principe de proportionnalité en vertu du droit international.

Mais après le 7 octobre, lorsque les militants du Hamas ont lancé un assaut meurtrier contre les communautés du sud d'Israël, tuant environ 1 200 personnes et en enlevant 240, l'armée a adopté une approche radicalement différente, selon les sources. Dans le cadre de l'opération « Épées de fer », l'armée a décidé de désigner tous les agents de la branche militaire du Hamas comme des cibles humaines, quel que soit leur rang ou leur importance militaire. Cela a tout changé.

Cette nouvelle politique a également posé un problème technique aux services de renseignement israéliens. Au cours des guerres précédentes, pour autoriser l'assassinat d'une seule cible humaine, un officier devait passer par un processus d'« incrimination » long et complexe : vérifier par recoupement les preuves que la personne était bien un membre haut placé de l'aile militaire du Hamas, découvrir où elle vivait, ses coordonnées, et enfin savoir quand elle était chez elle en temps réel. Lorsque la liste des cibles ne comptait que quelques dizaines d'agents de haut rang, les services de renseignement pouvaient s'occuper individuellement du travail d'incrimination et de localisation.

Mais une fois que la liste a été élargie pour y inclure des dizaines de milliers d'agents de rang inférieur, l'armée israélienne a compris qu'elle devait s'appuyer sur des logiciels automatisés et sur l'intelligence artificielle. Le résultat, selon les sources, est que le rôle du personnel humain dans l'incrimination des Palestiniens en tant qu'agents militaires a été mis de côté et que l'intelligence artificielle a fait le gros du travail à sa place.

Selon quatre des sources qui ont parlé à +972 et à Local Call, Lavender – qui a été développé pour créer des cibles humaines dans la guerre actuelle – a marqué quelque 37 000 Palestiniens comme étant des « militants du Hamas » présumés, des jeunes pour la plupart d'entre eux, en vue de leur assassinat (le porte-parole de l'armée israélienne a nié l'existence d'une telle liste dans une déclaration à +972 et à Local Call).

« Nous ne savions pas qui étaient les agents subalternes, parce qu'Israël ne les suivait pas régulièrement [avant la guerre] », a expliqué l'officier supérieur B. à +972 et à Local Call, expliquant ainsi la raison pour laquelle cette machine à cibler a été mise au point pour la guerre en cours. « Ils voulaient nous permettre d'attaquer automatiquement [les agents subalternes]. C'est le Saint Graal. Une fois que l'on passe à l'automatisation, la génération des cibles devient folle ».

Les sources ont déclaré que l'autorisation d'adopter automatiquement les listes d'objectifs de Lavender, qui n'avaient été utilisées auparavant que comme outil auxiliaire, a été accordée environ deux semaines après le début de la guerre, après que le personnel des services de renseignement a vérifié « manuellement » l'exactitude d'un échantillon aléatoire de plusieurs centaines de cibles sélectionnées par le système d'intelligence artificielle.

Lorsque cet échantillon a révélé que les résultats de Lavender avaient atteint une précision de 90 % dans l'identification de l'affiliation d'un individu au Hamas, l'armée a autorisé l'utilisation généralisée du système. À partir de ce moment-là, ces sources ont déclaré que si Lavender décidait qu'un individu était un militant du Hamas, il leur était essentiellement demandé de traiter cela comme un ordre, sans qu'il soit nécessaire de vérifier de manière indépendante pourquoi la machine avait fait ce choix ou d'examiner les données brutes de renseignement sur lesquelles elle est basée.

« À 5 heures du matin, [l'armée de l'air] arrivait et bombardait toutes les maisons que nous avions marquées », raconte B.. « Nous avons éliminé des milliers de personnes. Nous ne les avons pas examinées une par une – nous avons tout mis dans des systèmes automatisés, et dès que l'une [des personnes marquées] était chez elle, elle devenait immédiatement une cible. Nous la bombardions, elle et sa maison ».

Les résultats meurtriers de ce relâchement des restrictions au début de la guerre ont été stupéfiants. Selon les données du ministère palestinien de la Santé à Gaza, sur lesquelles l'armée israélienne s'appuie presque exclusivement depuis le début de la guerre, Israël a tué quelque 15 000 Palestiniens – soit près de la moitié du nombre de morts à ce jour – au cours des six premières semaines de la guerre, jusqu'à ce qu'un cessez-le-feu d'une semaine soit conclu le 24 novembre.

« Plus il y a d'informations et de variété, mieux c'est »

Le logiciel Lavender analyse les informations recueillies sur la plupart des 2,3 millions d'habitants de la bande de Gaza grâce à un système de surveillance de masse, puis évalue et classe la probabilité que chaque personne soit active dans l'aile militaire du Hamas ou du Jihad islamique. Selon certaines sources, la machine attribue à presque chaque habitant de Gaza une note de 1 à 100, exprimant la probabilité qu'il s'agisse d'un militant.

Lavender apprend à identifier les caractéristiques des agents connus du Hamas et du Jihad islamique, dont les informations ont été transmises à la machine en tant que données d'entraînement, puis à repérer ces mêmes caractéristiques – également appelées « traits » – au sein de la population générale, ont expliqué les sources. Une personne présentant plusieurs caractéristiques incriminantes différentes obtient une note élevée et devient ainsi automatiquement une cible potentielle pour un assassinat.

Dans L'équipe humain-machine, le livre cité au début de cet article, l'actuel commandant de l'unité 8 200 plaide en faveur d'un tel système sans citer Lavender nommément. (Le commandant lui-même n'est pas nommé, mais cinq sources au sein de l'unité 8 200 ont confirmé que le commandant était l'auteur de ce livre, comme l'a également rapporté Haaretz ).

Décrivant le personnel humain comme un « goulot d'étranglement » qui limite la capacité de l'armée au cours d'une opération militaire, le commandant se lamente : « Nous [les humains] ne pouvons pas traiter autant d'informations. Peu importe le nombre de personnes chargées de produire des objectifs pendant la guerre, il est toujours impossible de produire suffisamment d'objectifs par jour ».

Selon lui, la solution à ce problème réside dans l'intelligence artificielle. Le livre propose un petit guide pour construire une « machine à cibles », similaire à Lavender, basée sur l'intelligence artificielle et des algorithmes d'apprentissage automatique. Ce guide contient plusieurs exemples de « centaines et de milliers » de caractéristiques susceptibles d'augmenter la cote d'un individu, comme le fait de faire partie d'un groupe Whatsapp avec un militant connu, de changer de téléphone portable tous les quelques mois et de changer fréquemment d'adresse.

« Plus il y a d'informations et plus elles sont variées, mieux c'est », écrit le commandant. « Informations visuelles, informations cellulaires, connexions aux médias sociaux, informations sur le champ de bataille, contacts téléphoniques, photos. Si, dans un premier temps, ce sont les humains qui sélectionnent ces caractéristiques, poursuit le commandant, au fil du temps, la machine en viendra à les identifier d'elle-même. » Selon lui, cela peut permettre aux armées de créer « des dizaines de milliers de cibles », la décision de les attaquer ou non restant du ressort de l'homme.

Ce livre n'est pas la seule source où un haut commandant israélien a fait allusion à l'existence de machines à cibles humaines comme Lavender. +972 et Local Call ont obtenu des images d'une conférence privée donnée par le commandant du centre secret de science des données et d'IA de l'unité 8200, le « colonel Yoav », lors de la semaine de l'IA à l'université de Tel-Aviv en 2023, dont les médias israéliens ont parlé à l'époque.

Dans cette conférence, le commandant parle d'une nouvelle machine cible sophistiquée utilisée par l'armée israélienne, qui détecte les « personnes dangereuses » en se basant sur leur ressemblance avec les listes existantes de militants connus sur lesquelles elle a été entraînée. « Grâce à ce système, nous avons réussi à identifier les commandants des escadrons de missiles du Hamas », a déclaré le colonel Yoav lors de la conférence, en faisant référence à l'opération militaire israélienne de mai 2021 à Gaza, au cours de laquelle la machine a été utilisée pour la première fois.

Les diapositives de la présentation, également obtenues par +972 et Local Call, contiennent des illustrations du fonctionnement de la machine : elle est alimentée en données sur les agents du Hamas existants, elle apprend à remarquer leurs caractéristiques, puis elle évalue d'autres Palestiniens en fonction de leur degré de ressemblance avec les militants.

« Nous classons les résultats et déterminons le seuil [à partir duquel il convient d'attaquer une cible] », a déclaré le colonel Yoav lors de la conférence, soulignant qu'« en fin de compte, ce sont des personnes en chair et en os qui prennent les décisions. » « Dans le domaine de la défense, d'un point de vue éthique, nous insistons beaucoup sur ce point. Ces outils sont destinés à aider [les officiers de renseignement] à franchir leurs barrières. »

Dans la pratique, cependant, les sources qui ont utilisé Lavender au cours des derniers mois affirment que l'action humaine et la précision ont été remplacées par la création de cibles de masse et la létalité.

« Il n'y avait pas de politique “zéro erreur” »

B., un officier supérieur qui a utilisé Lavender, a expliqué à +972 et à Local Call que dans la guerre actuelle, les officiers n'étaient pas tenus d'examiner de manière indépendante les évaluations du système d'IA, afin de gagner du temps et de permettre la production en masse de cibles humaines sans entraves.

« Tout était statistique, tout était ordonné – c'était très sec », a déclaré B.. Il a noté que ce manque de supervision a été autorisé malgré des contrôles internes montrant que les calculs de Lavender n'étaient considérés comme exacts que dans 90 % des cas ; en d'autres termes, on savait à l'avance que 10 % des cibles humaines destinées à être assassinées n'étaient pas du tout des membres de l'aile militaire du Hamas.

Par exemple, des sources ont expliqué que la machine Lavender signalait parfois par erreur des individus dont les modes de communication étaient similaires à ceux d'agents connus du Hamas ou du Jihad islamique, notamment des policiers et des membres de la défense civile, des parents de militants, des habitants dont le nom et le surnom étaient identiques à ceux d'un agent, et des habitants de Gaza qui utilisaient un appareil ayant appartenu à un agent du Hamas.

« À quel point une personne doit-elle être proche du Hamas pour être [considérée par une machine d'IA comme] affiliée à l'organisation ? », s'est demandé une source critiquant l'inexactitude de Lavender. « Il s'agit d'une limite vague. Une personne qui ne reçoit pas de salaire du Hamas, mais qui l'aide pour toutes sortes de choses, est-elle un agent du Hamas ? Une personne qui a fait partie du Hamas dans le passé, mais qui n'y est plus aujourd'hui, est-elle un agent du Hamas ? Chacune de ces caractéristiques – des caractéristiques qu'une machine signalerait comme suspectes – est inexacte ».

Des problèmes similaires se posent en ce qui concerne la capacité des machines de ciblage à évaluer le téléphone utilisé par une personne désignée pour être assassinée. « En temps de guerre, les Palestiniens changent de téléphone en permanence », explique cette source. « Les gens perdent le contact avec leur famille, donnent leur téléphone à un ami ou à une épouse, ou le perdent. Il est impossible de se fier à 100 % au mécanisme automatique qui détermine quel numéro de téléphone appartient à qui ».

Selon les sources, l'armée savait que la supervision humaine minimale en place ne permettrait pas de découvrir ces failles. Il n'y avait pas de politique « zéro erreur ». « Les erreurs étaient traitées statistiquement », a déclaré une source qui a utilisé Lavender. « En raison de la portée et de l'ampleur du projet, le protocole était le suivant : même si l'on n'est pas sûr que la machine est bonne, on sait que statistiquement, elle est bonne. C'est pourquoi on l'utilise. »

« Elle a fait ses preuves », a déclaré B., la source principale. « Il y a quelque chose dans l'approche statistique qui vous fait respecter une certaine norme et un certain standard. Il y a eu un nombre illogique de [bombardements] dans cette opération. De mémoire, c'est sans précédent. Et je fais bien plus confiance à un mécanisme statistique qu'à un soldat qui a perdu un ami il y a deux jours. Tout le monde, y compris moi, a perdu des proches le 7 octobre. La machine l'a fait froidement. Et cela a facilité les choses. »

Une autre source du renseignement, qui a défendu le recours aux listes de suspects palestiniens établies par Lavender, a fait valoir qu'il valait la peine d'investir le temps d'un officier de renseignement uniquement pour vérifier les informations si la cible était un commandant de haut rang du Hamas. « Mais lorsqu'il s'agit d'un militant subalterne, il n'est pas souhaitable d'investir du temps et de la main-d'œuvre dans cette tâche », a-t-elle déclaré. « En temps de guerre, on n'a pas le temps d'incriminer chaque cible. On est donc prêt à prendre la marge d'erreur de l'utilisation de l'intelligence artificielle, à risquer des dommages collatéraux et la mort de civils, et à risquer d'attaquer par erreur, et à s'en accommoder ».

B. explique que la raison de cette automatisation est la volonté constante de créer davantage de cibles à assassiner. « Le jour où il n'y avait pas de cibles [dont l'évaluation des caractéristiques était suffisante pour autoriser une frappe], nous attaquions à un seuil plus bas. On nous mettait constamment la pression : "Apportez-nous plus de cibles". Ils nous ont vraiment crié dessus. Nous avons fini [par tuer] nos cibles très rapidement ».

Il a expliqué qu'en abaissant le seuil d'évaluation de Lavender, le système marquait plus de personnes comme cibles pour les frappes. « À son apogée, le système a réussi à générer 37 000 personnes comme cibles humaines potentielles », a déclaré B. « Mais les chiffres changeaient tout le temps, parce que cela dépendait de l'endroit où l'on plaçait la barre de ce qu'était un agent du Hamas. À certains moments, la définition d'un agent du Hamas était plus large, puis la machine a commencé à nous fournir toutes sortes d'agents de la défense civile et de la police, sur lesquels il serait dommage de gaspiller des bombes. Ils aident le gouvernement du Hamas, mais ne mettent pas vraiment les soldats en danger ».

Une source qui a travaillé avec l'équipe militaire d'analyse des données qui a entrainé Lavender a déclaré que les données collectées auprès des employés du ministère de la sécurité intérieure dirigé par le Hamas, qu'il ne considère pas comme des militants, ont également été introduites dans la machine. « J'ai été gêné par le fait que lors de la formation de Lavender, le terme "agent du Hamas" a été utilisé de manière vague et que des personnes travaillant pour la défense civile ont été incluses dans l'ensemble de données de formation », a-t-il déclaré.

La source a ajouté que même si l'on pense que ces personnes méritent d'être tuées, le fait d'entraîner le système sur la base de leurs profils de communication rendait Lavender plus susceptible de sélectionner des civils par erreur lorsque ses algorithmes étaient appliqués à l'ensemble de la population. « Comme il s'agit d'un système automatique qui n'est pas géré manuellement par des humains, la signification de cette décision est dramatique : cela signifie que vous incluez de nombreuses personnes ayant un profil de communication civil en tant que cibles potentielles. »

« Nous avons seulement vérifié que la cible était un homme »

L'armée israélienne rejette catégoriquement ces affirmations. Dans une déclaration à +972 et Local Call, son porte-parole a nié l'usage de l'intelligence artificielle pour incriminer des cibles, affirmant qu'il s'agit simplement « d'outils auxiliaires qui aident les officiers dans le processus d'incrimination ». Le communiqué poursuit : « Dans tous les cas, un examen indépendant par un analyste [du renseignement] est nécessaire, qui vérifie que les cibles identifiées sont des cibles légitimes pour l'attaque, conformément aux conditions énoncées dans les directives de Tsahal et le droit international. »

Toutefois, des sources ont indiqué que le seul protocole de supervision humaine mis en place avant de bombarder les maisons de militants « juniors » présumés marqués par Lavender consistait à effectuer une seule vérification : s'assurer que la cible sélectionnée par l'IA était un homme plutôt qu'une femme. L'armée partait du principe que s'il s'agissait d'une femme, la machine avait probablement commis une erreur, car il n'y a pas de femmes dans les rangs des ailes militaires du Hamas et du Jihad islamique.

« Un être humain devait [vérifier la cible] pendant quelques secondes seulement », a déclaré B., expliquant que ce protocole a été adopté après avoir constaté que le système Lavender « avait raison » la plupart du temps. « Au début, nous faisions des vérifications pour nous assurer que la machine ne s'embrouillait pas. Mais à un moment donné, nous nous sommes fiés au système automatique et nous nous sommes contentés de vérifier que [la cible] était un homme – c'était suffisant. Il ne faut pas beaucoup de temps pour savoir si quelqu'un a une voix d'homme ou de femme ».

Pour effectuer la vérification homme/femme, B. affirme que dans la guerre actuelle, il « consacrerait 20 secondes à chaque cible à ce stade, [pour en faire] des dizaines par jour. Je n'avais aucune valeur ajoutée en tant qu'humain, si ce n'est d'être un tampon d'approbation. Cela permettait de gagner beaucoup de temps. Si [l'agent] apparaissait dans le mécanisme automatisé et que je vérifiais qu'il s'agissait d'un homme, j'avais l'autorisation de le bombarder, sous réserve d'un examen des dommages collatéraux ».

Dans la pratique, les sources ont déclaré que cela signifiait que pour les hommes civils marqués par erreur par Lavender, il n'y avait pas de mécanisme de supervision en place pour détecter l'erreur. Selon B., une erreur courante se produit « si la cible [du Hamas] donne [son téléphone] à son fils, à son frère aîné ou à un homme au hasard. Cette personne sera bombardée dans sa maison avec sa famille. Cela s'est souvent produit. C'est la plupart des erreurs causées par Lavender », a déclaré B.

Étape 2 : Relier les cibles aux domiciles familiaux

L'étape suivante de la procédure d'assassinat de l'armée israélienne consiste à déterminer où attaquer les cibles générées par Lavender.

Dans une déclaration à +972 et à Local Call, le porte-parole de l'armée israélienne a affirmé, en réponse à cet article, que « le Hamas place ses agents et ses moyens militaires au cœur de la population civile, utilise systématiquement la population civile comme bouclier humain et mène des combats à l'intérieur de structures civiles, y compris des sites sensibles tels que des hôpitaux, des mosquées, des écoles et des installations de l'ONU. Les Forces de défense israélienne sont liées par le droit international et agissent conformément à celui-ci, en dirigeant leurs attaques uniquement contre des cibles militaires et des agents militaires ».

Les six sources avec lesquelles nous nous sommes entretenus ont fait écho à ces propos dans une certaine mesure, affirmant que le vaste réseau de tunnels du Hamas passe délibérément sous les hôpitaux et les écoles, que les militants du Hamas utilisent des ambulances pour se déplacer et qu'un nombre incalculable de moyens militaires ont été placés à proximité de bâtiments civils.

Les sources affirment que de nombreuses frappes israéliennes tuent des civils en raison de ces tactiques du Hamas – une caractérisation qui, selon les groupes de défense des droits de l'homme, élude la responsabilité d'Israël dans l'apparition de ces victimes.

Toutefois, contrairement aux déclarations officielles de l'armée israélienne, les sources ont expliqué que l'une des principales raisons du nombre sans précédent de victimes des bombardements israéliens actuels est le fait que l'armée a systématiquement attaqué les cibles dans leurs maisons privées, avec leurs familles – en partie parce qu'il était plus facile, du point de vue du renseignement, de marquer les maisons familiales à l'aide de systèmes automatisés.

En effet, plusieurs sources ont souligné que, contrairement aux nombreux cas d'agents du Hamas engagés dans des activités militaires depuis des zones civiles, dans le cas des frappes d'assassinat systématiques, l'armée a régulièrement fait le choix actif de bombarder des militants présumés lorsqu'ils se trouvaient à l'intérieur de maisons civiles où aucune activité militaire n'avait lieu. Ce choix, ont-ils déclaré, est le reflet de la manière dont le système israélien de surveillance de masse à Gaza est conçu.

Les sources ont déclaré à +972 et à Local Call que, puisque chaque habitant de Gaza avait une maison privée à laquelle il pouvait être associé, les systèmes de surveillance de l'armée pouvaient facilement et automatiquement « relier » les individus aux maisons familiales. Afin d'identifier en temps réel le moment où les agents entrent dans leurs maisons, divers logiciels automatiques supplémentaires ont été développés.

Ces programmes suivent des milliers d'individus simultanément, identifient le moment où ils sont chez eux et envoient une alerte automatique à l'officier chargé du ciblage, qui marque alors la maison pour le bombardement. L'un de ces logiciels, révélé ici pour la première fois, s'appelle « Where's Daddy ? » (Où est papa ?).

« Vous entrez des centaines [de cibles] dans le système et vous attendez de voir qui vous pouvez tuer », a déclaré une source connaissant le système. « C'est ce qu'on appelle la chasse au large : vous copiez-collez les listes produites par le système de ciblage. »

La preuve de cette politique est également évidente dans les données : au cours du premier mois de la guerre, plus de la moitié des victimes – 6 120 personnes – appartenaient à 1 340 familles, dont beaucoup ont été complètement anéanties à l'intérieur de leur maison, selon les chiffres de l'ONU. La proportion de familles entières bombardées dans leurs maisons dans la guerre actuelle est beaucoup plus élevée que lors de l'opération israélienne de 2014 à Gaza, ce qui confirme l'importance de cette politique.

Une autre source a déclaré qu'à chaque fois que le rythme des assassinats diminuait, d'autres cibles étaient ajoutées à des systèmes tels que « Where's Daddy ? » pour localiser les individus qui entraient chez eux et pouvaient donc être bombardés. Elle a ajouté que la décision de placer des personnes dans les systèmes de repérage pouvait être prise par des officiers de rang relativement bas dans la hiérarchie militaire.

« Un jour, de mon propre chef, j'ai ajouté quelque 1 200 nouvelles cibles au système [de repérage], parce que le nombre d'attaques [que nous menions] diminuait », a déclaré cette source. « Cela me paraissait logique. Rétrospectivement, cela semble être une décision sérieuse que j'ai prise. Et de telles décisions n'ont pas été prises à des niveaux élevés ».

Les sources ont indiqué qu'au cours des deux premières semaines de la guerre, « plusieurs milliers » de cibles ont été initialement entrées dans des programmes de localisation tels que « Where's Daddy ? ». Il s'agissait notamment de tous les membres de l'unité d'élite des forces spéciales du Hamas, la Nukhba, de tous les agents antichars du Hamas et de toute personne ayant pénétré en Israël le 7 octobre. Mais très vite, la liste des personnes à abattre s'est considérablement allongée.

« À la fin, il s'agissait de tout le monde [marqué par Lavender] », a expliqué une source. « Des dizaines de milliers. Cela s'est produit quelques semaines plus tard, lorsque les brigades [israéliennes] sont entrées dans Gaza et qu'il y avait déjà moins de personnes non impliquées [c'est-à-dire de civils] dans les zones du nord ». Selon cette source, même certains mineurs ont été désignés par Lavender comme des cibles à bombarder. « Normalement, les agents ont plus de 17 ans, mais ce n'était pas une condition. »

Lavender et des systèmes comme « Where's Daddy ? » ont donc été combinés avec un effet mortel, tuant des familles entières, selon certaines sources. En ajoutant un nom figurant sur les listes générées par Lavender au système de localisation des maisons « Where's Daddy ? », a expliqué A., la personne marquée était placée sous surveillance permanente et pouvait être attaquée dès qu'elle mettait le pied chez elle, ce qui faisait s'effondrer la maison sur toutes les personnes qui s'y trouvaient.

« Disons que vous calculez [qu'il y a un] [agent du Hamas] et 10 [civils dans la maison], a déclaré A.. En général, ces dix personnes sont des femmes et des enfants. De manière absurde, il s'avère que la plupart des personnes que vous avez tuées étaient des femmes et des enfants ».

Étape 3 : Le choix de l'arme

« Nous menions généralement nos attaques à l'aide de "bombes stupides" »Une fois que Lavender a désigné une cible à assassiner, que le personnel de l'armée a vérifié qu'il s'agit bien d'un homme et qu'un logiciel de suivi a localisé la cible à son domicile, l'étape suivante consiste à choisir la munition avec laquelle on va la bombarder.

En décembre 2023, CNN a rapporté que, selon les estimations des services de renseignement américains, environ 45 % des munitions utilisées par l'armée de l'air israélienne à Gaza étaient des bombes dites « stupides », connues pour causer davantage de dommages collatéraux que les bombes guidées.

En réponse à l'article de CNN, un porte-parole de l'armée cité dans l'article a déclaré : « En tant qu'armée attachée au droit international et à un code de conduite moral, nous consacrons de vastes ressources à minimiser les dommages causés aux civils que le Hamas a contraints à jouer le rôle de boucliers humains. Notre guerre est contre le Hamas, pas contre la population de Gaza ».

Trois sources des services de renseignement ont cependant déclaré à +972 et à Local Call que les agents subalternes marqués par Lavender n'ont été assassinés qu'avec des bombes stupides, afin d'économiser des armements plus coûteux. L'une des sources a expliqué que l'armée ne frappait pas une cible subalterne si elle vivait dans un immeuble de grande hauteur, parce qu'elle ne voulait pas dépenser une « bombe au sol » plus précise et plus chère (avec des effets collatéraux plus limités) pour la tuer. En revanche, si une cible de rang inférieur vivait dans un immeuble de quelques étages seulement, l'armée était autorisée à la tuer, ainsi que tous les habitants de l'immeuble, à l'aide d'une bombe muette.

« C'était comme ça pour toutes les cibles juniors », témoigne C., qui a utilisé divers programmes automatisés dans la guerre actuelle. « La seule question était de savoir s'il était possible d'attaquer le bâtiment en limitant les dommages collatéraux. En effet, nous menions généralement les attaques avec des bombes stupides, ce qui signifiait détruire littéralement toute la maison et ses occupants. Mais même si une attaque est évitée, on s'en fiche, on passe immédiatement à la cible suivante. Grâce au système, les cibles ne s'arrêtent jamais. Il y en a encore 36 000 qui attendent ».

Étape 4 : Autoriser les pertes civiles

« Nous avons attaqué presque sans tenir compte des dommages collatéraux »

Une source a déclaré que lors de l'attaque d'agents subalternes, y compris ceux marqués par des systèmes d'intelligence artificielle comme Lavender, le nombre de civils qu'ils étaient autorisés à tuer à côté de chaque cible était fixé, pendant les premières semaines de la guerre, à 20 au maximum.

Selon une autre source, ce nombre aurait été fixé à 15. Ces « degrés de dommages collatéraux », comme les militaires les appellent, ont été appliqués de manière générale à tous les militants juniors présumés, selon les sources, indépendamment de leur rang, de leur importance militaire et de leur âge, et sans examen spécifique au cas par cas pour évaluer l'avantage militaire de les assassiner par rapport aux dommages attendus pour les civils.

Selon A., qui était officier dans une salle d'opération cible pendant la guerre actuelle, le département du droit international de l'armée n'a jamais auparavant donné une telle « approbation générale » pour un degré de dommages collatéraux aussi élevé. « Ce n'est pas seulement que vous pouvez tuer toute personne qui est un soldat du Hamas, ce qui est clairement autorisé et légitime en termes de droit international », a déclaré A.. « Mais ils vous disent directement : Vous êtes autorisés à les tuer en même temps que de nombreux civils. »

« Chaque personne ayant porté un uniforme du Hamas au cours de l'année ou des deux dernières années pouvait être bombardée avec 20 [civils tués] comme dommages collatéraux, même sans autorisation spéciale », a poursuivi A.. « Dans la pratique, le principe de proportionnalité n'existait pas. »

Selon A., cette politique a été appliquée pendant la majeure partie de la période où il a servi. Ce n'est que plus tard que l'armée a abaissé le niveau des dommages collatéraux. « Dans ce calcul, il peut s'agir de 20 enfants pour un agent subalterne… Ce n'était vraiment pas le cas dans le passé », explique A.. Interrogé sur la logique sécuritaire qui sous-tend cette politique, A. a répondu : « La létalité ».

Le degré de dommages collatéraux prédéterminé et fixe a contribué à accélérer la création massive de cibles à l'aide de la machine Lavender, selon les sources, car cela permettait de gagner du temps. B. a affirmé que le nombre de civils qu'ils étaient autorisés à tuer par militant junior présumé marqué par l'IA au cours de la première semaine de la guerre était de quinze, mais que ce nombre « augmentait et diminuait » au fil du temps.

« Au début, nous avons attaqué presque sans tenir compte des dommages collatéraux », a déclaré B. à propos de la première semaine qui a suivi le 7 octobre. « En pratique, on ne comptait pas vraiment les gens [dans chaque maison bombardée], parce qu'on ne pouvait pas vraiment savoir s'ils étaient chez eux ou non. Au bout d'une semaine, les restrictions sur les dommages collatéraux ont commencé. Le nombre est passé [de 15] à cinq, ce qui a rendu nos attaques très difficiles, car si toute la famille était à la maison, nous ne pouvions pas la bombarder. Puis ils ont à nouveau augmenté ce nombre. »

« Nous savions que nous allions tuer plus de 100 civils »

Des sources ont déclaré à +972 et à Local Call que maintenant, en partie à cause de la pression américaine, l'armée israélienne ne génère plus en masse des cibles humaines subalternes à bombarder dans les maisons civiles. Le fait que la plupart des maisons de la bande de Gaza aient déjà été détruites ou endommagées, et que la quasi-totalité de la population ait été déplacée, a également empêché l'armée de s'appuyer sur des bases de données de renseignements et des programmes automatisés de localisation des maisons.

E. a affirmé que les bombardements massifs des militants juniors n'ont eu lieu que pendant la première ou les deux premières semaines de la guerre, et qu'ils ont ensuite été interrompus principalement pour ne pas gaspiller les bombes. « Il existe une économie des munitions », a déclaré E.. « Ils ont toujours eu peur qu'il y ait [une guerre] dans l'arène nord [avec le Hezbollah au Liban]. Ils ne s'attaquent plus du tout à ce genre de personnes [de rang inférieur] ».

Cependant, les frappes aériennes contre les commandants de haut rang du Hamas se poursuivent, et des sources ont déclaré que pour ces attaques, l'armée autorise le meurtre de « centaines » de civils par cible – une politique officielle pour laquelle il n'y a pas de précédent historique en Israël, ni même dans les récentes opérations militaires américaines.

« Lors du bombardement du commandant du bataillon Shuja'iya, nous savions que nous allions tuer plus de 100 civils », a rappelé B. à propos d'un bombardement du 2 décembre qui, selon le porte-parole de l'armée israélienne, visait à assassiner Wisam Farhat. « Pour moi, psychologiquement, c'était inhabituel. Plus de 100 civils, c'est une ligne rouge à ne pas franchir. »

Amjad Al-Sheikh, un jeune Palestinien de Gaza, a déclaré que de nombreux membres de sa famille avaient été tués lors de ce bombardement. Habitant de Shuja'iya, à l'est de la ville de Gaza, il se trouvait ce jour-là dans un supermarché local lorsqu'il a entendu cinq explosions qui ont brisé les vitres.

« J'ai couru vers la maison de ma famille, mais il n'y avait plus d'immeubles », a déclaré M. Al-Sheikh à +972 et à Local Call. « La rue était remplie de cris et de fumée. Des pâtés de maisons entiers se sont transformés en montagnes de décombres et en fosses profondes. Les gens ont commencé à chercher dans le ciment, avec leurs mains, et j'ai fait de même, à la recherche de traces de la maison de ma famille. »

La femme et la petite fille d'Al-Sheikh ont survécu – protégées des décombres par une armoire qui leur est tombée dessus – mais il a retrouvé 11 autres membres de sa famille, dont ses sœurs, ses frères et leurs jeunes enfants, morts sous les décombres. Selon l'organisation de défense des droits de l'homme B'Tselem, les bombardements de ce jour-là ont détruit des dizaines de bâtiments, tués des dizaines de personnes et en ont enseveli des centaines sous les ruines de leurs maisons.

« Des familles entières ont été tuées »

Des sources des services de renseignement ont déclaré à +972 et à Local Call qu'ils avaient participé à des frappes encore plus meurtrières. Afin d'assassiner Ayman Nofal, le commandant de la brigade centrale de Gaza du Hamas, une source a déclaré que l'armée avait autorisé le meurtre d'environ 300 civils, détruisant plusieurs bâtiments lors de frappes aériennes sur le camp de réfugiés d'Al-Bureij le 17 octobre, sur la base d'un repérage imprécis de Nofal. Des images satellite et des vidéos de la scène montrent la destruction de plusieurs grands immeubles d'habitation à plusieurs étages.

« Entre 16 et 18 maisons ont été détruites lors de l'attaque », a déclaré Amro Al-Khatib, un résident du camp, à +972 et à Local Call. « Nous ne pouvions pas distinguer un appartement d'un autre – ils ont tous été mélangés dans les décombres, et nous avons trouvé des parties de corps humains partout ».

Al-Khatib se souvient qu'une cinquantaine de cadavres ont été retirés des décombres et qu'environ 200 personnes ont été blessées, dont beaucoup grièvement. Mais ce n'était que le premier jour. Les résidents du camp ont passé cinq jours à sortir les morts et les blessés.

Nael Al-Bahisi, ambulancier, a été l'un des premiers à arriver sur les lieux. Il a dénombré entre 50 et 70 victimes ce premier jour. « À un moment donné, nous avons compris que la cible de la frappe était le commandant du Hamas Ayman Nofal », a-t-il déclaré à +972 et à Local Call. « Ils l'ont tué, ainsi que de nombreuses personnes qui ne savaient pas qu'il était là. Des familles entières avec des enfants ont été tuées. »

Une autre source du renseignement a déclaré à +972 et à Local Call que l'armée avait détruit une tour à Rafah à la mi-décembre, tuant « des dizaines de civils », afin d'essayer de tuer Mohammed Shabaneh, le commandant de la brigade du Hamas à Rafah (on ne sait pas s'il a été tué ou non lors de l'attaque). Selon cette source, les hauts commandants se cachent souvent dans des tunnels qui passent sous des bâtiments civils, et le choix de les assassiner par une frappe aérienne tue donc nécessairement des civils.

« La plupart des blessés étaient des enfants », a déclaré Wael Al-Sir, 55 ans, qui a assisté à la frappe de grande envergure que certains habitants de Gaza considèrent comme une tentative d'assassinat. Il a déclaré à +972 et à Local Call que le bombardement du 20 décembre a détruit un « bloc résidentiel entier » et tué au moins 10 enfants.

« Il y avait une politique totalement permissive concernant les victimes des opérations [de bombardement] – tellement permissive qu'à mon avis, il y avait un élément de vengeance », a affirmé D., une source des services de renseignement. « L'élément central était l'assassinat de hauts responsables [du Hamas et du Jihad islamique] pour lesquels ils étaient prêts à tuer des centaines de civils. Nous avions un calcul : combien pour un commandant de brigade, combien pour un commandant de bataillon, etc. »

« Il y avait des règles, mais elles étaient très indulgentes », a déclaré E., une autre source du renseignement. « Nous avons tué des gens avec des dommages collatéraux à deux chiffres, voire à trois chiffres. Ce sont des choses qui ne s'étaient jamais produites auparavant ».

Un taux aussi élevé de « dommages collatéraux » est exceptionnel non seulement par rapport à ce que l'armée israélienne jugeait auparavant acceptable, mais aussi par rapport aux guerres menées par les États-Unis en Irak, en Syrie et en Afghanistan.

Le général Peter Gersten, commandant adjoint des opérations et du renseignement dans l'opération de lutte contre l'Etat islamique en Irak et en Syrie, a déclaré à un magazine de défense américain en 2021 qu'une attaque avec des dommages collatéraux de 15 civils s'écartait de la procédure ; pour la mener à bien, il avait dû obtenir une autorisation spéciale du chef du Commandement central des États-Unis, le général Lloyd Austin, qui est aujourd'hui secrétaire à la Défense.

« Dans le cas d'Oussama Ben Laden, la NCV (Non-Combatant Casualty Value) était de 30, mais dans le cas d'un commandant de rang inférieur, la NCV était généralement de zéro », a expliqué M. Gersten. « Nous sommes restés à zéro pendant très longtemps. »

« On nous disait : "Faites tout ce que vous pouvez, bombardez" »

Toutes les sources interrogées dans le cadre de cette enquête ont déclaré que les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre et l'enlèvement d'otages avaient fortement influencé la politique de l'armée en matière de tirs et de degrés de dommages collatéraux.

« Au début, l'atmosphère était pénible et vindicative », a déclaré B., qui a été enrôlé dans l'armée immédiatement après le 7 octobre et a servi dans une salle d'opération. « Les règles étaient très souples. Ils ont détruit quatre bâtiments alors qu'ils savaient que la cible se trouvait dans l'un d'entre eux. C'était de la folie. »

« Il y avait une dissonance : d'une part, les gens ici étaient frustrés que nous n'attaquions pas assez », poursuit B.. « D'autre part, à la fin de la journée, on constate qu'un millier d'habitants de Gaza sont morts, la plupart d'entre eux étant des civils. »

« L'hystérie régnait dans les rangs des professionnels », affirme D., qui a également été incorporé immédiatement après le 7 octobre. « Ils ne savaient pas du tout comment réagir. La seule chose qu'ils savaient faire était de commencer à bombarder comme des fous pour essayer de démanteler les capacités du Hamas. »

D. a souligné qu'on ne leur avait pas dit explicitement que l'objectif de l'armée était la « vengeance », mais a exprimé que « dès que chaque cible liée au Hamas devient légitime, et que presque tous les dommages collatéraux sont approuvés, il est clair que des milliers de personnes vont être tuées. Même si officiellement chaque cible est liée au Hamas, lorsque la politique est si permissive, elle perd tout son sens ».

A. a également utilisé le mot « vengeance » pour décrire l'atmosphère qui régnait au sein de l'armée après le 7 octobre. « Personne n'a pensé à ce qu'il faudrait faire après, une fois la guerre terminée, ni à la façon dont il serait possible de vivre à Gaza et à ce qu'ils en feraient », a déclaré A.. « On nous a dit : maintenant, il faut foutre en l'air le Hamas, quel qu'en soit le prix. Tout ce que vous pouvez, vous le bombardez ».

B., la source principale du renseignement, a déclaré qu'avec le recul, il pense que cette politique « disproportionnée » consistant à tuer des Palestiniens à Gaza met également en danger les Israéliens, et que c'est l'une des raisons pour lesquelles il a décidé de se prêter à l'exercice de l'interview.

« À court terme, nous sommes plus en sécurité, car nous avons blessé le Hamas. Mais je pense que nous sommes moins en sécurité à long terme. Je vois comment toutes les familles endeuillées à Gaza – c'est-à-dire presque tout le monde – motiveront les gens à rejoindre le Hamas dans dix ans. Et il sera beaucoup plus facile pour [le Hamas] de les recruter ».

Dans une déclaration à +972 et à Local Call, l'armée israélienne a démenti une grande partie de ce que les sources nous ont dit, affirmant que « chaque cible est examinée individuellement, tandis qu'une évaluation individuelle est faite de l'avantage militaire et des dommages collatéraux attendus de l'attaque… Les Forces de défense israéliennes ne mènent pas d'attaques lorsque les dommages collatéraux attendus de l'attaque sont excessifs par rapport à l'avantage militaire ».

Étape 5 : Calcul des dommages collatéraux

« Le modèle n'était pas lié à la réalité »

Selon les sources du renseignement, le calcul par l'armée israélienne du nombre de civils susceptibles d'être tués dans chaque maison située à côté d'une cible – une procédure examinée dans une enquête précédente de +972 et Local Call – a été effectué à l'aide d'outils automatiques et imprécis.

Lors des guerres précédentes, les services de renseignement passaient beaucoup de temps à vérifier le nombre de personnes présentes dans une maison destinée à être bombardée, le nombre de civils susceptibles d'être tués étant répertorié dans un « fichier cible ». Après le 7 octobre, cependant, cette vérification minutieuse a été largement abandonnée au profit de l'automatisation.

En octobre, le New York Times a fait état d'un système exploité à partir d'une base spéciale dans le sud d'Israël, qui recueille des informations à partir de téléphones portables dans la bande de Gaza et fournit à l'armée une estimation en temps réel du nombre de Palestiniens qui ont fui le nord de la bande de Gaza vers le sud.

Le général de brigade Udi Ben Muha a déclaré au New York Times : « Ce n'est pas un système parfait à 100 %, mais il vous donne les informations dont vous avez besoin pour prendre une décision ». Le système fonctionne par couleurs : le rouge indique les zones où il y a beaucoup de monde, tandis que le vert et le jaune indiquent les zones qui ont été relativement débarrassées de leurs habitants.

Les sources qui ont parlé à +972 et à Local Call ont décrit un système similaire de calcul des dommages collatéraux, utilisé pour décider de bombarder ou non un bâtiment à Gaza. Elles ont indiqué que le logiciel calculait le nombre de civils résidant dans chaque maison avant la guerre – en évaluant la taille du bâtiment et en examinant sa liste de résidents – puis réduisait ces chiffres en fonction de la proportion de résidents censés avoir évacué le quartier.

Par exemple, si l'armée estime que la moitié des habitants d'un quartier sont partis, le programme comptabilise une maison qui compte habituellement 10 habitants comme une maison contenant cinq personnes. Pour gagner du temps, l'armée n'a pas surveillé les maisons pour vérifier combien de personnes y vivaient réellement, comme elle l'avait fait lors d'opérations précédentes, afin de savoir si l'estimation du programme était effectivement exacte.

« Ce modèle n'était pas lié à la réalité », a déclaré l'une des sources. « Il n'y avait aucun lien entre les personnes qui vivaient dans la maison aujourd'hui, pendant la guerre, et celles qui étaient répertoriées comme vivant dans la maison avant la guerre. Il nous est arrivé de bombarder une maison sans savoir qu'il y avait plusieurs familles à l'intérieur, qui se cachaient ensemble. »

Selon cette source, bien que l'armée sache que de telles erreurs peuvent se produire, ce modèle imprécis a tout de même été adopté, parce qu'il était plus rapide. Ainsi, selon cette source, « le calcul des dommages collatéraux était complètement automatique et statistique » – produisant même des chiffres qui n'étaient pas des nombres entiers.

Étape 6 : Bombarder la maison d'une famille

« Vous avez tué une famille sans raison »

Les sources qui ont parlé à +972 et à Local Call ont expliqué qu'il y avait parfois un décalage important entre le moment où les systèmes de repérage comme Where's Daddy ? alertaient un officier qu'une cible était entrée dans sa maison, et le bombardement lui-même – ce qui a conduit à la mort de familles entières, même sans atteindre la cible de l'armée. « Il m'est arrivé plusieurs fois d'attaquer une maison, mais la personne n'était même pas chez elle », a déclaré une source. « Le résultat est que vous avez tué une famille sans raison. »

Trois sources du renseignement ont déclaré à +972 et à Local Call qu'elles avaient été témoins d'un incident au cours duquel l'armée israélienne avait bombardé la maison privée d'une famille, et qu'il s'était avéré par la suite que la cible visée par l'assassinat n'était même pas à l'intérieur de la maison, étant donné qu'aucune vérification supplémentaire n'avait été effectuée en temps réel.

« Parfois, [la cible] était chez elle plus tôt, puis le soir, elle est allée dormir ailleurs, par exemple dans un sous-sol, et vous ne le saviez pas », a déclaré l'une des sources. Il y a des moments où l'on vérifie deux fois l'emplacement, et d'autres où l'on se dit simplement : « D'accord, il était dans la maison au cours des dernières heures, alors vous pouvez simplement bombarder ».

Une autre source a décrit un incident similaire qui l'a affecté et l'a incité à accepter d'être interrogé dans le cadre de cette enquête. « Nous avons compris que la cible était chez elle à 20 heures. Finalement, l'armée de l'air a bombardé la maison à 3 heures du matin. Il y avait deux autres familles avec des enfants dans le bâtiment que nous avons bombardé ».

Lors des précédentes guerres à Gaza, après l'assassinat de cibles humaines, les services de renseignement israéliens appliquaient des procédures d'évaluation des dommages causés par les bombes (BDA) – une vérification de routine après la frappe pour voir si le commandant en chef avait été tué et combien de civils avaient été tués en même temps que lui.

Comme l'a révélé une précédente enquête sur le +972 et Local call, ces procédures impliquaient l'écoute des appels téléphoniques des parents ayant perdu un être cher. Dans la guerre actuelle, cependant, au moins en ce qui concerne les militants subalternes marqués à l'aide de l'IA, les sources affirment que cette procédure a été supprimée afin de gagner du temps.

Les sources ont déclaré qu'elles ne savaient pas combien de civils avaient été effectivement tués dans chaque frappe, et pour les militants présumés de bas rang du Hamas et du Jihad islamique marqués par l'IA, elles ne savaient même pas si la cible elle-même avait été tuée.

« Vous ne savez pas exactement combien vous avez tué, ni qui vous avez tué », a déclaré une source des services de renseignement à Local Call dans le cadre d'une précédente enquête publiée en janvier. « Ce n'est que lorsqu'il s'agit de hauts responsables du Hamas que vous suivez la procédure du BDA. Dans les autres cas, vous ne vous en souciez pas. Vous recevez un rapport de l'armée de l'air indiquant si le bâtiment a explosé, et c'est tout. Vous n'avez aucune idée de l'ampleur des dommages collatéraux ; vous passez immédiatement à la cible suivante. L'accent était mis sur la création d'autant de cibles que possible, aussi rapidement que possible ».

Mais alors que l'armée israélienne peut tourner la page de chaque frappe sans s'attarder sur le nombre de victimes, Amjad Al-Sheikh, le résident de Shuja'iya qui a perdu 11 membres de sa famille dans le bombardement du 2 décembre, a déclaré que lui et ses voisins sont toujours à la recherche de cadavres.

« Jusqu'à présent, il y a des corps sous les décombres », a-t-il déclaré. « Quatorze bâtiments résidentiels ont été bombardés avec leurs habitants à l'intérieur. Certains de mes proches et de mes voisins sont toujours ensevelis. »

Traduction : AFPS

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Santé inc. Mythes et faillites du privé en santé

9 avril 2024, par GMob-GroupMobilisation — , ,
Le privé en santé, est-ce que ça fonctionne ? Au-delà des considérations morales et idéologiques, Anne Plourde, chercheuse à l'Institut de recherche et d'informations (…)

Le privé en santé, est-ce que ça fonctionne ? Au-delà des considérations morales et idéologiques, Anne Plourde, chercheuse à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), a voulu confronter cinq mythes sur le privé en santé à la réalité des faits. À la lumière des expériences menées au Québec et ailleurs dans le monde, son constat est implacable : le privé multiplie les échecs depuis un siècle, il ne coûte pas moins cher, n'est pas plus efficace, ne réduit pas les listes d'attente et n'améliore pas la qualité des soins. Autrement dit, le privé fait moins avec plus, ce qui est l'exact contraire de l'effet recherché. Mais ce n'est pas une fatalité. À rebours des discours officiels, il est temps de procéder à une déprivatisation complète des services de santé pour résoudre l'état de crise quasi permanent qui affecte notre système public.

4 avril 2024 | tiré de la lettre de GMOB

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Québec solidaire demande à la CAQ de stopper l’ouverture de nouvelles cliniques spécialisées privées

9 avril 2024, par Québec solidaire — , ,
Pour mettre fin à l'expansion du privé qui fait mal à notre réseau public de santé, le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, et le responsable en matière de (…)

Pour mettre fin à l'expansion du privé qui fait mal à notre réseau public de santé, le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, et le responsable en matière de santé, Vincent Marissal, demandent au ministre Christian Dubé de stopper dès maintenant l'émission de nouveaux permis de centres meìdicaux speìcialiseìs (CMS).

27 mars 2024 | Québec solidaire

« L'entêtement idéologique de la CAQ envers le privé pour régler les problèmes du réseau de la santé ne fonctionne pas. Les Québécois se font avoir, ils paient de l'impôt et s'attendent à recevoir des services de santé, mais beaucoup n'ont pas le choix de se tourner vers le privé ou ils paient très cher pour avoir des soins. Ce système à deux vitesses ne fonctionne pas, ni pour les patients, ni pour les fonds publics. Il faut dès maintenant stopper l'ouverture de nouveaux centres médicaux spécialisés (CMS) qui ont explosé sous la CAQ et privent le public de ressources », a déclaré Gabriel Nadeau-Dubois en point de presse mercredi matin à Montréal.

En 2021, la CAQ elle-même annonçait vouloir freiner l'essor des CMS, qui grugent les ressources du public et coûtent cher à l'État, mais le gouvernement Legault a finalement décidé de les autoriser, soi-disant pour baisser les listes d'attente en chirurgie. Le constat d'échec est frappant : les listes ne bougent pratiquement pas.

« Les cliniques médicales spécialisées qui pratiquent des chirurgies d'un jour se construisent souvent à proximité des hôpitaux, dont elles grugent les ressources et le personnel. Résultat des courses : on enrichit le privé et on s'appauvrit collectivement. Il faut arrêter de s'entêter avec un modèle qui coûte cher, à l'État comme aux patients et qui, en plus, ne réduit pas les listes d'attente en chirurgie longues de milliers de personnes », a ajouté M. Marissal.

Faits saillants

Depuis l'arrivée au pouvoir de la CAQ, le ministère de la Santé et des Services sociaux a délivré plus de 36 nouveaux permis pour des centres médicaux spécialisés.

Le nombre de médecins spécialistes ayant exercé au sein d'un CMS dans le cadre du régime public est passé de 226 en 2018 à 917 en 2023.

Selon une analyse de l'IRIS, certaines opérations chirurgicales au privé peuvent coûter jusqu'au triple du coût d'une même opération effectuée au public.

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Électricité bradée et privatisation :

9 avril 2024, par Germain Dallaire — , ,
Depuis principalement le début du deuxième mandat caquiste, c'est un euphémisme de dire que les repaires habituels de la population québécoise sont bousculés. Au début des (…)

Depuis principalement le début du deuxième mandat caquiste, c'est un euphémisme de dire que les repaires habituels de la population québécoise sont bousculés. Au début des années 2020, on était dans le surplus énergétique confortable et Hydro-Québec offrait cette image rassurante de navire amiral de notre économie. En l'espace de quelques mois, on est passé à un climat de panique où il faudrait plus que doubler la production d'électricité. Hydro est pratiquement devenu un bazou passé de mode et prêt pour la casse. Malgré l'hiver exceptionnellement doux qu'on vient de connaître, certains ont même évoqué le spectre du bris de service. Même l'énergie nucléaire reprend du galon.

Évidemment, on connaît la raison de ce virage. Prétextant la transition énergétique, le gouvernement a ouvert toute grande la porte aux entreprises voulant profiter de nos bas tarifs d'électricité. À 5,3 sous le kilowattheure pour la grande industrie, nos tarifs sont parmi les plus bas au monde mais ce n'était pas suffisant puisque jusqu'au 31 décembre dernier, les entreprises avaient la possibilité de demander un rabais de 20% sur ce tarif, rabais applicable jusqu'en 2032. Fin octobre, lorsque le gouvernement a annoncé la date limite du 31 décembre, déjà 82 des 165 clients industriels s'étaient prévalus du rabais. Suite à son annonce, on sait que les entreprises se sont garrochées. On ne connaît pas encore le nombre et la liste est confidentielle, top secret commercial... On sait cependant les chiffres des entreprises toutes catégories qui ont demandé des capacités supplémentaires d'électricité s'élève à 150. Même le très prodigue Fitzgibbon annonce qu'il ne pourra répondre favorablement à toutes les demandes faute d'énergie disponible. Du même souffle… il invite les entreprises à l'auto-production d'électricité. Et les cadres d'Hydro-Québec dirigés par Monsieur privatisation Michael Sabia de reprendre le message. Peut-être que l'augmentation de 21% des primes en 2023 encourage… Ainsi, nos p'tits copains de la CAQ, non seulement vont s'enrichir avec l'électricité à vil prix mais en plus on va attaquer sérieusement le monopole d'Hydro. Le monde des affaires est aux anges. N'en jetez plus, la cour est pleine. Quel pactole que cette transition énergétique !

Et voilà maintenant que sur le vaste territoire québécois, les éoliennes s'apprêtent à contester aux épinettes leur statut dominant. C'est la frénésie actuellement. En 2023, le Québec comptait 1500 éoliennes. D'ici 2035, Hydro-Québec compte tripler la production actuelle (4000 mégawatts). Selon le plan Sabia, les éoliennes supplémentaires occuperont l'équivalent de 15 fois la superficie de l'île de Montréal.

Comme des enfants qui ont trouvé un truc nouveau, les caquistes justifient tous ces chambardements en parlant de transition énergétique. Leurs critères concernant l'octroi de la réduction de 20% aux entreprises sont simples : augmentation de la production, amélioration de la productivité ou ajout d'une nouvelle production. À ce compte, le Québec fait de la transition énergétique depuis le début du XXième siècle lors de la construction de ses premiers barrages . C'est si peu de la transition énergétique que même l'expression écoblanchiment paraît déplacée. Il faut tout simplement parler d'électricité bradée et d'accélération du processus de privatisation d'Hydro-Québec, tout ça au profit des p'tits copains. Duplessis est passé à l'histoire avec son fer à 1 cent la tonne, Legault risque de le faire pour son électricité à 4 sous le kilowattheure.

L'hypocrisie des caquistes saute aux yeux quand on prend en considération ses agissements en matière d'environnement. Au début de mars, le ministre de l'environnement n'a surpris personne en révélant que c'est par crainte de voir Northvolt s'installer ailleurs que le gouvernement caquiste a bafoué toutes les règles environnementales régissant le Québec . Pour les installations d'éoliennes, les caquistes ont aussi assoupli les règles. Ces actions sont d'ailleurs tout ce qu'il y a de plus cohérent avec l'ensemble de leur œuvre. On n'a qu'à penser à la fonderie Horne, aux émanations de cuivre dans le port de Québec, au traitement des caribous ou encore à leur inaction totale dans le transport en commun, les faits démontrent à l'envie que la transition énergétique sert de faible prétexte à la dollarisation et la privatisation de l'électricité. Le ministère de l'environnement en est réduit à être l'essuie-pied du super-ministre Fitzgibbon.

Pourtant, des solutions existent qui n'ont pas besoin de bouleverser les acquis fondamentaux de la société québécoise. Un, dans une période de rareté de main d'œuvre, il est illogique de favoriser un développement industriel tout azimut. Pour pallier cette rareté, on a ouvert toutes grandes les portes aux travailleurs étrangers ce qui a pour effet d'accentuer la crise du français, celle du logement et de mettre sous pression l'ensemble de nos services publics qui sont déjà plutôt mal en point. On note au passage que cette main d'œuvre bien vulnérable comble d'aise le p'tits copains. Deux, ce qui était acceptable en période de surplus d'électricité devient aberrant en période de pénurie. Le Québec a signé deux contrats de vente d'électricité avec le Maine et la Ville de New York. À eux seuls, ces contrats représentent 10% de la production d'électricité actuelle d'Hydro-Québec. En période de surplus, ces contrats étaient avantageux. En période de pénurie, le coût de construction des installations nécessaires pour honorer ces contrats les rend déficitaires. En plus de l'électricité, c'est de l'argent que nous allons exporter, de l'argent tiré de la poche des consommateurs québécois d'électricité. La résiliation de ces deux contrats s'impose. Trois, avant de tapisser le territoire du Québec de parcs éoliens, il faudrait exploiter le potentiel offert par le territoire des grands barrages. En plus d'offrir une connexion facile au réseau, ces territoires ont l'avantage d'être éloignés des populations minimisant d'autant la pollution visuelle et sonore des parcs éoliens.

Terminons maintenant avec la cerise sur le sundae. Voilà que notre pyromane en chef Fitzgibbon joue les pompiers en pointant un doigt accusateur vers les consommateurs ordinaires d'électricité en disant qu'ils gaspillent notre précieuse ressource. C'est le comble, celui-là même qui favorise la vente de feu de nos kilowattheures et la privatisation d'Hydro-Québec se permet de nous faire la leçon. Comme dirait l'autre « Plus c'est gros, plus il y a de chances que ça passe ». Qu'on ne s'y trompe pas. Comme à son habitude, notre cher super-ministre maquille de mots vertueux une immense couleuvre. Ainsi, en divisant les Québécois entre bons et mauvais consommateurs, on tasse ces derniers dans le coin ouvrant la porte à des augmentations de prix que tout le monde va souhaiter. La désignation d'un délinquant, c'est la première étape vers la remise en question d'un programme universel. Il s'agit d'un procédé classique. De plus, pendant que la populace se chicane entre elle, notre stratège en chef continue bien tranquillement à jouer au Père Noël avec notre acquis collectif.

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Comment réduire les inégalités de richesse au Québec ?

9 avril 2024, par Gabriel Danis — , ,
Une délégation de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) a participé au Forum Patrimoine et santé, le 3 avril dernier, à Montréal. Organisé par l'Observatoire québécois des (…)

Une délégation de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) a participé au Forum Patrimoine et santé, le 3 avril dernier, à Montréal. Organisé par l'Observatoire québécois des inégalités, ce colloque a permis d'explorer les enjeux sociaux importants qui se cachent derrière les inégalités de patrimoine et de richesse au Québec.

Gabriel Danis est conseiller CSQ.

4 avril 2024 | tiré du site de la CSQ
https://www.lacsq.org/actualite/comment-reduire-les-inegalites-de-richesse-au-quebec/

Avec la crise du logement et les difficultés croissantes d'accès à la propriété, les effets concrets des inégalités de patrimoine et de richesse se font de plus en plus sentir. Alors que les inégalités de revenu peuvent être réduites par la fiscalité, les services publics et les luttes syndicales pour de meilleures conditions de travail, les inégalités de patrimoine explosent et passent pourtant sous le radar des politiques publiques et fiscales.

L'état des inégalités au Québec

Au Québec, en 2019, les 10 % des familles les plus riches accaparent, en moyenne, un revenu 9 fois plus élevé que celui des familles faisant partie des 40 % des plus pauvres. Or, ces mêmes familles les plus nanties possèdent, en moyenne, un patrimoine 76 fois plus élevé que celui des 40 % des familles les plus pauvres ! Qui plus est, les 20 % des familles les plus nanties possèdent 68 % de la richesse accumulée alors que les 40 % des familles les plus pauvres ne possèdent que 3 % du patrimoine.

Ces inégalités criantes ne sont pas neutres et touchent principalement les femmes, les locataires et les populations marginalisées.

Quels effets ?

Les effets des inégalités de richesse sont connus et bien réels. Par exemple, ce sont notamment d'importants déterminants des inégalités sociales de santé, de réussite scolaire et d'égalité des chances. Ainsi, les inégalités de richesse et de patrimoine contribuent à compromettre une mobilité sociale qui est de plus en plus en panne au Québec et au Canada.

Quels leviers d'action ?

On oublie souvent que les inégalités croissantes de richesse ne vont pas nécessairement de soi et sont le fruit de décisions collectives. Dit autrement, il s'agit d'une question foncièrement politique et morale. Si nous souhaitons ne pas reproduire les niveaux d'inégalités que l'on retrouve aux États-Unis, le laissez-faire ne peut perdurer.

Heureusement, des solutions existent ! Qu'on pense à l'amélioration des régimes de retraite publics, à la pleine imposition des gains en capitaux, à l'imposition d'une partie des gains en capital sur la vente de la résidence permanente, d'un impôt partiel sur les héritages de plus d'un million, etc. L'accroissement des inégalités n'est pas inévitable, il relève davantage d'un manque de volonté politique à agir sur ces causes.

Pourtant, selon un récent sondage, dont les résultats ont été présentés pendant l'évènement, la population québécoise est majoritairement favorable à plusieurs mesures visant à réduire les inégalités de richesse.


L'endettement comme générateur d'inégalités au Québec

3 avril 2024 | par Geoffroy Boucher et Sandy Torres
https://observatoiredesinegalites.com/endettement-inegalites-quebec/

Cette note d'analyse est la troisième d'une série explorant les liens entre les inégalités de patrimoine et de santé. Si l'étude du patrimoine dans sa globalité est éclairante à bien des égards, un examen plus approfondi de la dimension de l'endettement met en lumière certaines disparités, notamment en matière d'accès au crédit et de capacité d'emprunt. En quoi l'endettement influence les inégalités au Québec et plus particulièrement les inégalités sociales de santé ?

Faits saillants

  • La dette des familles moins nanties est majoritairement composée (74 %) de dettes à la consommation. Pour les familles les mieux nanties, c'est l'inverse : la dette est principalement (78 à 86 %) de nature hypothécaire.
  • Le prêt hypothécaire est le principal facteur d'accumulation de richesse pour un grand nombre de familles au Québec. De 1999 à 2019, la dette hypothécaire a augmenté de 154 milliards de dollars, alors que la valeur des actifs immobiliers a augmenté de 503 milliards de dollars.
  • L'accès au crédit est toutefois inégal. 1 personne sur 5 ayant déjà fait une demande de crédit s'est déjà fait refuser celle-ci. Cette proportion est plus élevée chez les hommes (23,2 %), les personnes autochtones (38,5 %), les personnes racisées (28,4 %) et les personnes à plus faible revenu (25,6 %).
  • Les personnes n'ayant pas accès au crédit dans les institutions financières se tournent parfois vers des prêts alternatifs à des taux d'intérêt très élevés. Au Québec, 3,7 % des personnes ont eu recours à des prêts alternatifs au cours des 24 derniers mois, tels que des prêteurs non bancaires en ligne, des prêteurs sur gages ou sur salaires. Cette proportion est plus élevée chez les femmes (4,3 %), les personnes racisées (7 %) et les personnes autochtones (9 %).
  • Parmi les personnes ayant des dettes, 28 % éprouvent des difficultés de remboursement . Ces difficultés sont davantage observées chez les personnes qui ont eu recours au crédit pour pallier une situation difficile, telle qu'une perte d'emploi ou une maladie (70 %) ou une combinaison de difficultés économiques (62 %).
  • Au Québec, les personnes ayant recours à l'endettement pour effectuer des dépenses courantes affichent un moins bon état de santé générale que celles n'y ayant pas recours. En effet, près du quart des ménages ayant un tel usage compensatoire du crédit perçoit sa santé comme mauvaise ou passable. Cette proportion est de 11 % chez les ménages qui n'ont pas recours à l'endettement pour effectuer des dépenses courantes.
  • On observe une relation positive entre le niveau de stress autoévalué et la difficulté à rembourser ses dettes. Au Québec, le niveau de stress engendré par les dettes atteint une moyenne de 2,9 (sur une échelle de 1 à 10) chez les personnes ne présentant aucune difficulté à rembourser leurs dettes. Chez les personnes pour lesquelles le remboursement des dettes s'avère très difficile, le niveau de stress moyen grimpe à 9,8.

Pour lire l'étude : L'endettement comme générateur d'inégalités au Québec, cliquez sur l'icône :

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Développons ensemble une vision concertée de la forêt

9 avril 2024, par Collectif — , ,
Dans le cadre de la démarche de réflexion sur l'avenir de la forêt lancée par le gouvernement depuis février dernier, plus d'une vingtaine de partenaires du milieu forestier (…)

Dans le cadre de la démarche de réflexion sur l'avenir de la forêt lancée par le gouvernement depuis février dernier, plus d'une vingtaine de partenaires du milieu forestier unissent leurs voix dans un consensus historique pour demander des changements majeurs quant à la manière dont la forêt est aménagée et gérée.

Tous ensemble, nous convenons que la Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier adoptée en 2010 doit être revue en profondeur pour amener des changements ambitieux au régime forestier actuel dans le respect des acquis, mais qui favoriseront une foresterie innovante et rassembleuse. Ce consensus rallie aussi bien l'industrie forestière, sylvicole, acéricole et faunique, les coopératives forestières, les représentants de la forêt privée et des utilisateurs de la forêt à des fins récréatives, les syndicats de travailleurs, des groupes environnementaux et de conservation de la nature ainsi que des élus municipaux.

Pour les partenaires, le manque de prévisibilité actuel rend difficiles un aménagement et une utilisation cohérents du territoire et limite les initiatives innovantes.

La gouvernance de la forêt, lourde et complexe, se retrouve déconnectée de ce qui se passe dans les régions, sur le terrain, et de ceux qui y vivent et en vivent. La collaboration et la concertation doivent être remises de l'avant, car elles se perdent à travers une myriade de tables.

Ces enjeux exigent une réponse coordonnée et ambitieuse pour assurer l'adaptation de notre forêt aux menaces des changements climatiques qui s'accélèrent.

Un aménagiste indépendant par territoire

Ainsi, nous proposons de réviser le cadre de gouvernance pour établir les responsabilités aux bons niveaux territoriaux afin d'être plus près des enjeux, en mettant en place un aménagiste indépendant par territoire, intégré et imputable. Nous proposons également d'intégrer les différents usages et les différentes valeurs de la forêt à même la planification de l'aménagement forestier.

Enfin, nous proposons aussi de continuer de miser sur la forêt naturelle et son dynamisme pour s'adapter, favorisant ainsi la résilience des écosystèmes et le maintien des services socioécologiques attendus. Ces mesures, parmi d'autres, sont essentielles pour maintenir la vitalité économique des entreprises du territoire, maximiser les retombées pour la société québécoise, soutenir les travailleurs et leurs communautés ainsi que protéger la biodiversité et la santé des forêts du Québec.

Qui plus est, les partenaires attestent que l'aménagement du territoire forestier devra reconnaître les droits des Premières Nations en leur accordant la place qui leur revient.

La forêt privée ne doit pas être oubliée lors de cette remise en question. Ainsi, les partenaires sont d'avis que le ministère des Ressources naturelles et des Forêts doit être plus actif en amont des processus gouvernementaux de manière à s'assurer que les règlements et lois soient modernisés et plus respectueux du droit de produire des propriétaires forestiers. Une amélioration de l'environnement d'affaires des propriétaires forestiers est également souhaitée.

Nous faisons donc appel aux acteurs gouvernementaux ainsi qu'à la société civile pour soutenir ces propositions, qui constituent une occasion unique de réaliser une transition juste vers une gestion durable et inclusive de nos forêts. Celles-ci, ainsi que les activités qu'elles soutiennent, sont trop importantes pour les régions du Québec, comme pour l'ensemble de la société, pour les laisser plus longtemps confinées à un régime qui ne permet pas de répondre aux défis actuels et à venir, aussi bien sur le plan économique qu'environnemental.

Ensemble, nous pouvons mettre sur pied un aménagement digne d'une forêt d'avenir et faire de ce projet de société une fierté nationale. Il est temps de passer à l'action !

Consultez la brochure : Propositions des partenaires pour l'avenir de la forêt québecoise

Yanick Baillargeon, président, Alliance Forêt boréale

Rénald Bernier, président, Groupements forestiers Québec

Louis Bégin, président, Fédération de l'industrie manufacturière FIM‐CSN

Gaétan Boudreault, président, Fédération des producteurs forestiers du Québec

Daniel Cloutier, directeur québécois, Unifor

Claire Ducharme, vice‐présidente, Conservation de la nature Canada

Dominic Dugré, président‐directeur général, Fédération des pourvoiries du Québec

Normand Fiset, président, Fédération québécoise pour le saumon atlantique

Louis‐Serge Gagnon, président, SFI‐Québec

Stéphane Gagnon, président, Fédération québécoise des coopératives forestières

Nancy Gélinas, doyenne, faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, Université Laval

Luc Goulet, président, Producteurs et productrices acéricoles du Québec

Jacques Laliberté, président, Association des grands propriétaires forestiers du Québec

Charles‐Philippe Mimeault‐Laflamme, président, Association des entrepreneurs en travaux sylvicoles du Québec

Guillaume Ouellet, président, ZECs Québec

Jean‐François Samray, président‐directeur général, Conseil de l'industrie forestière du Québec

Alice‐Anne Simard, directrice générale, Nature Québec

Luc Vachon, président, Centrale des syndicats démocratiques (CSD)

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