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Mort du président iranien Raïssi : les images de deuil ne disent rien de la détestation des Iraniens pour un pouvoir bourreau

28 mai 2024, par Chowra Makaremi — , ,
La mère de l'anthropologue Chowra Makaremi est morte dans les purges de 1988 auxquelles le président mort le 18 mai avait participé. Elle souligne la violence du traitement (…)

La mère de l'anthropologue Chowra Makaremi est morte dans les purges de 1988 auxquelles le président mort le 18 mai avait participé. Elle souligne la violence du traitement médiatique qui a privilégié la foule en pleurs aux messages de joie sur les réseaux sociaux qui étaient une façon de dire : « On est encore là, on n'oublie pas et on ne pardonne pas ».

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Il y a trente-six ans, un hélicoptère promenait quatre membres des ministères de la Justice et des Renseignements iraniens, de prison en prison, à travers le pays : leur mission était d'interroger les opposants détenus qui défilaient devant eux en longues queues, puis de les ordonner en deux rangs.

Celles et ceux de gauche partaient vers la mort, celles et ceux de droite retournaient dans leurs cellules où ils seraient fouettés à l'heure de chaque prière, jusqu'à ce qu'ils acceptent de prier ou meurent à leur tour sous les coups.

Les files de gauche étaient les plus grosses, témoignent les survivants. Mais nul d'entre elles et eux ne savaient à l'époque ce que signifiaient ces tris et ce qui les attendait. Les questions étaient insolites : « Priez-vous ? », « Vos parents priaient-ils ? », « Que pensez-vous de la république islamique ? ».

Les prisonniers, détenus pour la plupart depuis le début des années 80, purgeaient la fin de leur peine : on leur avait parlé du passage devant une « commission d'amnistie ».

Le groupe était, en réalité, chargé d'appliquer le décret du Guide suprême, Khomeiny, qui ordonnait la mort de tous les prisonniers restés « fidèles à leurs positions ».
On ne sait pas combien moururent, quand et comment en ces mois d'été 1988, au moins plusieurs milliers. Ma mère en faisait partie.

Dans cette « commission de la mort », comme on l'appelle depuis, siégeait Ebrahim Raissi, président de la république islamique mort le 18 mai dernier à bord d'un hélicoptère.

Leur disparition ne modifie rien, ne menace rien, n'ouvre rien

Dans les dernières décennies, les récits de ces événements se sont progressivement fait entendre, redessinant une autre généalogie de l'Iran postrévolutionnaire.

Le meurtre et les tortures de masse dont Raïssi, comme beaucoup d'autres aujourd'hui au pouvoir, fut un exécutant zélé, ne sont pas seulement « restés impunis » : ils ont été une rampe de lancement de la carrière des médiocres, leur vaisseau de colonisation de l'Etat.

La violence, la cruauté et le féminicide ne sont pas des déviances déplorables – fougues de jeunesse de la république islamique – mais un processus de construction de l'appareil d'Etat.

Ce fait historique, simple et pourtant si long à émerger sous les discours réformateurs, et si prompt à disparaître à nouveau sous les discours experts, est mis à nu depuis le soulèvement « Femme, vie, liberté » de 2022 : comme une créature qui porte ses tripes au-dehors, comme le monument de Beaubourg à Paris porte ses tuyaux sur son flanc.

Les figures criminelles de haute volée, catapultées au sommet de l'Etat sur la volonté du Guide suprême, comme feu Raïssi mais aussi Mohseni Ejei, actuel chef du système judiciaire et membre du comité en charge de l'intérim présidentiel, ont occupé l'espace politique (peut-on encore l'appeler ainsi ?) en réprimant par le meurtre les résistances têtues de la société iranienne, comme on enfile les perles d'un collier : assassinat à la chaîne des intellectuels dans les années 2000, tortures et suppression des manifestants du « mouvement vert » de 2009, meurtres des manifestants de novembre 2019, meurtres et viols des manifestants du soulèvement « Femme, vie, liberté ».

Ces politiciens sont ceux qui demeurent quand tous les autres ont évacué la scène purges après purges : de plus en plus vieux, de plus en plus exclusifs, de plus en plus paranoïaques.

Mais il ne faudrait pas croire que ces éléments puissent constituer des facteurs de fragilité du pouvoir iranien.

C'est l'analyse principale qui entoure aujourd'hui la mort soudaine du président iranien et de son ministre des Affaires étrangères. Leur disparition ne modifie rien, ne menace rien, n'ouvre rien. Cela ne saurait déstabiliser le pouvoir iranien. « Oui chef, tout est normal » pour reprendre une chanson du rappeur opposant Toomaj Salehi, condamné à mort en avril dernier.

Le crash de leur hélicoptère n'est qu'un accident dû au mauvais temps, et, au pire, au régime des sanctions américain qui empêche l'Iran de renouveler sa flotte.

Des feux d'artifice ont été tirés à Saqqez

Pourtant, cette mort fut une expérience différente pour les Iraniens.

Samedi 18 mai au soir, les médias annonçaient que l'hélicoptère du Président s'était écrasé dans les montages, dans une forêt dense, peu accessible aux humains, peuplée de bêtes sauvages, précisaient-ils. L'image a quelque chose d'halluciné, et de fort ironique.

S'ensuit une nuit d'hilarité et d'ahurissement sur les réseaux sociaux, qui mobilise les muscles du sourcil, levé, et ceux du ventre, secoué de rire.

C'est dans cette réalité que nous vivons pourtant : un monde où les bureaucrates de la mort s'écrasent dans des forêts brumeuses. Un monde où l'on ne sait pas s'ils sont morts d'accident ou de manigance, entre loups qui se mangent les uns les autres. Un monde où leur rôle comme président de la république était si prévisible et inconséquent que leur mort soudaine n'est même pas vraiment grave : c'est ce que répètent tous les experts du monde entier.

On peut simplement s'en esclaffer. Les Iraniens, dans leur vaste majorité, sont allés plus loin que le gloussement cependant : ils ont manifesté de la joie. Des feux d'artifice ont été tirés à Saqqez, la ville de Jina Mahsa Amini dont la mort avait mis le feu aux poudres du soulèvement « Femme, vie, liberté ».

Dans le contexte de répression féroce qui prévaut depuis, cela demande un certain cran. La vague de vidéos et de messages de joie qui a saturé les réseaux sociaux était aussi une façon de dire : « On est encore là, on n'oublie pas et on ne pardonne pas ».

Une petite fenêtre de tir à investir pour profaner et rendre visible sa détestation du pouvoir. Une autre façon de donner corps à la résistance à travers nos émotions : l'empathie pour les victimes d'exécutions, là où le pouvoir se nourrit de l'indifférence et de l'atomisation ; la jubilation pour une mort officielle qui commande le deuil.

Ces images cependant n'ont pas fait le tour du monde. Là où les images du soulèvement « Femme, vie, liberté » nous parvenaient par les réseaux sociaux, cette fois, ce sont celles produites par les médias iraniens qui ont été relayées en boucle par les chaînes d'informations occidentales : un spectacle de deuil public et de chancelleries.

Les Iraniens ont cessé de consentir aux fictions d'ordre et de puissance

D'un côté, les événements dans leur imprévisibilité et leur opacité – dans les jeux d'ombres du cortège de symboles, de coïncidences, de signes et de rumeurs qu'ils charrient.

D'un autre côté, les analyses, les commentaires, les pronostics et les explications médiatiques qui ordonnent cette réalité en une information consommable mondialement.

Entre les deux, un décalage brutal qui participe à la violence du monde – laquelle est indicible dans les mots et les raisonnements des experts.

Or, cette opacité, cette brutalité existent : elles ne cessent de faire irruption et de déchirer nos vies ; elles tissent aussi nos choix et la trame de nos actions. Les badigeonner de pronostics informés comporte peu d'intérêt.

Pourquoi rassembler des experts pour débattre à propos de qui sera le prochain président, élu le 28 juin 2024, tout en rappelant que cette élection n'en sera pas une (tout comme celle du défunt président n'en fut pas une) ?

Pourquoi tant d'efforts pour mettre en ordre ce qui, de toute évidence, n'en finit pas de dérailler ? Nous voulons rendre le monde lisible et objectivable dans tout son sérieux, et nous normalisons sa violence, nous amplifions le silence.

Les Iraniennes et les Iraniens, dans une majorité inouïe, ont cessé de consentir aux fictions d'ordre et de puissance que se donne ce pouvoir. Quel intérêt avons-nous, ici, à retricoter dans nos analyses et nos commentaires, cette légitimité longtemps perdue ?

Ne doutez pas que les images de foules en pleurs sont produites à destination de l'étranger qui y croit encore.

Celle qui émeut les Iraniennes et les Iraniens est indélébile et puissante. Elle n'existe pas ailleurs que dans nos têtes, mais elle est tout aussi réelle, sinon plus, que celle des foules en pleurs : c'est celle du corps des bourreaux devenus gouvernants, écrasé dans leurs hélicoptères (les mêmes qu'en 1988), perdus dans le brouillard, à la merci des fauves qui rôdent quand la nuit tombe.

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Le malaise de la gauche face à la République populaire de Chine

28 mai 2024, par Martine Bulard — , ,
À gauche, la République populaire de Chine (RPC) déroute toujours autant. Dans les pays émergents elle est parfois érigée en modèle, ou perçue comme une alliée, en raison de (…)

À gauche, la République populaire de Chine (RPC) déroute toujours autant. Dans les pays émergents elle est parfois érigée en modèle, ou perçue comme une alliée, en raison de son rôle central dans la dynamique de désoccidentalisation qui s'amorce. En Europe, elle est souvent considérée avec une défiance qui rejoint parfois celle des dirigeants américains. Pour échapper à ces deux impasses, il faut appréhender la géopolitique chinoise à l'aune de transformations économiques en cours depuis la mort de Mao Zedong. Par Martine Bulard [1].

21 mai 2024 | tiré de la lettre Le Vent Se Lève (LVSL) | Illustration : LHB pour LVSL
https://lvsl.fr/le-malaise-de-la-gauche-face-a-la-republique-populaire-de-chine/

Aux yeux d'une fraction – très minoritaire – du camp progressiste, la RPC apparaît, sinon comme un phare, du moins un pôle de contestation de l'hégémonie américaine. Pour la grande majorité, c'est une toute autre vision qui prédomine, alimentée par des clichés médiatiques : nouvel empire du mal, « péril jaune », omniprésence de la main de Pékin, etc. Mais que veut exactement la Chine ? Comprendre les ressorts de sa politique étrangère implique de considérer ses ambitions à la lueur de son histoire.

L'irrésistible ascension de la Chine

Du XVIè siècle au début du XIXè, on comptait la Chine et l'Inde au nombre des puissances dominantes. Les expéditions militaires occidentales devaient changer la donne, au prix d'un dépeçage de ces pays – lequel a pris la forme d'une occupation en Inde, et d'enclaves territoriales étrangères en Chine. Si des causes internes ont également conduit au déclin subséquent de celle-ci, ce sont les facteurs exogènes que la population chinoise garde aujourd'hui à l'esprit. Ainsi, l'idée qu'aujourd'hui leur pays ne fait que reprendre sa place dans le monde demeure prégnante. Tout comme celle d'associer intimement prospérité économique et intégrité territoriale. Ces éléments permettent de comprendre pourquoi le gouvernement de la RPC est aujourd'hui soutenu par la majorité des Chinois, malgré la répression et les difficultés quotidiennes.

Peut-on s'appuyer sur la Chine, sinon pour construire un bloc alternatif aux États-Unis, du moins s'en servir comme point d'appui face à la puissance américaine ? Pour répondre, il faut revenir sur la manière dont la Chine s'est insérée dans l'ordre international actuel. Et rappeler quelques faits élémentaires : à la mort de Mao Zedong, la Chine ne possède pratiquement pas d'industrie, de capitaux et de technologie. Tout juste une main d'oeuvre qui sait lire et écrire, avec un taux d'alphabétisation qui avoisine les 60 à 75 %. Il s'agit d'un acquis remarquable si l'on garde à l'esprit qu'en Inde, à l'époque, seuls 40 à 42 % de la population maîtrise la lecture et l'écriture.

On dit parfois que Pékin menace de vendre ses dollars, mais il ne peut le faire du jour au lendemain : la valeur du billet vert diminuerait alors considérablement et paupériserait… ses détenteurs

Au sortir de la période maoïste, la Chine cherche un mode de développement, et lorgne du côté de Singapour ou du Japon – deux modèles capitalistes avec un degré variable d'autoritarisme. Elle se tourne vers l'Occident pour obtenir des investissements, mais avec une condition essentielle : elle exige des capitaux productifs, et non de simples capitaux financiers. Les Chinois deviennent ainsi rapidement en mesure d'exiger des transferts de technologie, comme ce fut par exemple le cas pour les investissements nucléaires français.

Heureuse coïncidence : cette ouverture de la Chine rencontre la vague de dérèglementation et de délocalisations qui frappe alors le « premier monde ». Pour le patronat occidental, il s'agit d'accroître ses profits par l'exploitation d'une main-d'oeuvre à bas coût et de pressurer les salaires européens et américains, contre une importation de biens chinois à prix modiques. Au fil du temps, la Chine se développe. Elle devient l'« atelier du monde », inondant la planète de produits finis. Mais elle n'en reste pas là et fabrique des biens de plus en plus sophistiqués, à « haute valeur ajoutée », comme les nomment les économistes. Au point de mettre en danger les multinationales occidentales, qui lui avaient fait la courte-échelle.

Avec cette stratégie, les dirigeants chinois ont gagné leur pari de développer leur pays, fût-ce à marche forcée, au prix d'une exploitation de la main d'oeuvre et d'un sabotage de l'environnement. Toutefois 800 millions de personnes sont sorties de la grande pauvreté, et plus personne n'y meurt aujourd'hui de faim.

Nouvelle lueur à l'Est ou « péril jaune » ?

La Chine a choisi le capitalisme – un capitalisme d'État, certes, mais un capitalisme tout de même, avec ses inégalités et ses crises cycliques. Elle n'a accouché d'aucun « modèle » alternatif. Et si elle peut faire figure d'exemple pour de nombreux pays en voie de développement pour la vitesse à laquelle elle s'est industrialisée, elle demeure fortement dépendante du reste du monde. Les États-Unis et l'Europe ne peuvent vivre sans marchandises chinoises, de même que les Chinois ont besoin des technologies occidentales.

Le degré d'interdépendance financière sino-américaine est tout aussi parlant. La Chine demeure le deuxième acheteur de la dette américaine, derrière le Japon. En janvier 2024, on comptait dans les caisses chinoises près de 800 milliards de dollars. On dit parfois que Pékin menace de les vendre mais il ne peut le faire du jour au lendemain : la valeur du billet vert baisserait alors considérablement et paupériserait… ses détenteurs. Ainsi, les Chinois financent les Américains, lesquels achètent des produits chinois, qui permettent en retour aux Chinois d'acheter de la dette américaine. Cette chaîne perverse, la RPC n'a pas réussi à la rompre, même si l'affrontement sino-américain actuel risque d'accélérer le découplage.

La Chine s'est ainsi insérée dans le système international sans barguigner, et ne souhaite nullement le remettre en cause : elle veut y avoir toute sa place, ce qui n'est pas la même chose. Retournement de situation : ce sont les États-Unis qui ne veulent plus de cet ordre international. Les Américains multiplient les mesures protectionnistes, ainsi que les subventions pour encourager les capitaux délocalisés à revenir sur leur territoire. De manière tout à fait extraordinaire, alors que pendant des années les États-Unis ont dénoncé le montant des subventions chinoises – supposément en contradiction avec les règles de la libre concurrence -, aujourd'hui ce sont eux qui, avec l'Inflation Reduction Act (IRA) financent la relocalisation de leur économie !Ils veulent y consacrer 369 milliards de dollars !

La Chine ne souhaite pas être le chef de file d'un camp. Elle n'est à la tête d'aucune alliance militaire. Elle demeure traumatisée par l'expérience soviétique, estimant que l'URSS a payé le prix de son positionnement « campiste »

Sur le plan des mesures protectionnistes, on a vu les Big Tech américaines s'allier à Donald Trump pour interdire ou taxer les produits de haute technologique venus de Chine. En plus, Washington brandit la dimension extraterritoriale du droit américain qui est une arme létale : il suffit, par exemple, qu'un produit français ait utilisé un seul composant chinois, dans une série de secteurs de haute technologie, pour que l'entreprise coupable tombe sous le coup des sanctions. Ou à l'inverse que cette société utilise un élément américain ou même un morceau de logiciel pour qu'elle ne puisse plus exporter son produit en Chine sous peine d'amende. Et l'on sait à quel point elles peuvent être sévères : BNP-Paribas a été condamnée à payer 9 milliards d'euros au Trésor américain en 2013 pour avoir commercé en dollars avec des pays sous embargo américain (et non de l'ONU), sans protestation notable des élites françaises…

Les États-Unis veulent garder leur avance technologique et bloquer les produits novateurs sur lesquels la Chine possède un avantage comparatif. Ils ont donc organisé un blocus total des semi-conducteurs de la dernière génération auquel participent Taïwan, le Japon et les Pays-Bas. Du jour au lendemain, les entreprises chinoises doivent se rabattre sur des semi-conducteurs moins performants. Dès 2019, le numéro un chinois des smartphones et de la 5G, Huawei, a vu son marché occidental s'effondrer, faute de puces performantes. Il s'est depuis requinqué au moins en Chine et dans le reste du monde, mais le coup fut rude. Si d'une façon plus générale, l'industrie chinoise est touchée par cet embargo, l'État a lancé un vaste plan de recherche-développement dans le domaine des semi-conducteurs et dans celui de l'intelligence artificielle, pour tenter de combler son retard et acquérir son indépendance. Gagnera-t-il son pari ? Trop tôt pour le dire.

Porte-avions à Formose et explosion des budgets militaires

Autre noeud des affrontements américano-chinois : Taïwan. Les États-Unis, sur cette question, agitent le chiffon rouge – ce qui ne veut pas dire que, dans ses rapports avec l'île, Pékin est blanc comme neige. Dans le Détroit de Formose, assez étroit, les médias parlent souvent des incursions d'avions et de navires chinois ­— réelles — mais rarement des avions militaires et porte-avions américains, et même un porte-avion français, qui y circulent régulièrement. Imagine-t-on la réaction américaine si un porte-avion chinois bordait les côtes américaines, entre la Floride et Cuba ? Ou si les Chinois installaient un système de surveillance à proximité à cet endroit, comme les Américains l'ont fait à Formose ? Ils ont même établi un contingent de forces spéciales sur la petite île taïwanaise de Kinmen (ou Quemoy) qui se situe à 4,5 kilomètres de la Chine continentale.

On ne peut que regretter l'alignement européen sur ces manoeuvres américaines. Reconnaissons au président Emmanuel Macron la justesse de sa position diplomatique lorsqu'il a rappelé la doctrine officielle de la France (qui est aussi celle de l'ONU) : il n'existe qu'une seule Chine – il est même allé plus loin, rappelant que Taiwan n'était pas une affaire française ni américaine.
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Taïwan, à l'ombre des empires

Des provocations américaines de cette nature constituent un jeu dangereux, dans une région qui compte trois puissances nucléaires : Inde, Pakistan, Chine – et presque une quatrième, la Corée du Nord. Cet accroissement des tensions conduit à une escalade sans fin des budgets militaires. Rappelons que le Japon – à la Constitution « pacifiste » depuis 1945 – est en passe de multiplier son budget de défense par deux, essentiellement pour alimenter l'industrie américaine de défense. Il est de bon ton de s'extasier devant la croissance outre-Atlantique… en oubliant de rappeler le rôle qu'y tient l'armement, lui-même alimenté par les commandes des alliés des États-Unis.

Cette dynamique d'accroissement des tensions conduit à un rapprochement entre Russie et Chine. Ces deux pays ne sont pourtant pas des alliés naturels : gardons simplement à l'esprit les conflits sino-soviétiques qui ont failli dégénérer en guerre en 1969. C'est l'agressivité américaine actuelle qui les conduit au rapprochement.

La Chine et les BRICS, au-delà des fantasmes

La Chine souhaite-t-elle construire un bloc anti-occidental ? Les BRICS sont l'objet de tous les fantasmes. La dernière réunion de ce groupe a généré des commentaires médiatiques particulièrement fournis – et hostiles. On peut le comprendre : que ce groupe informel parvienne à se structurer, et à intégrer cinq nouveaux membres – Arabie Saoudite, Iran, Émirats arabes unis, Éthiopie et Égypte – mérite que l'on s'y arrête [NDLR : l'Argentine devait rallier les BRICS, mais cet agenda est devenu lettre morte depuis l'élection de Javier Milei].

Ce nouveau bloc possède de 45 à 55% des réserves pétrolières du monde, et près de la moitié des réserves de métaux rares. Ces matières premières s'échangent en dollars mais les BRICS souhaitent dé-dollariser le monde ou en tout cas commencer à s'en émanciper.

Il faut dire que la politique de sanctions tous azimuts des États-Unis conduit plutôt à fragiliser l'empire du billet vert. Que les États-Unis aient gelé les fonds souverains de Russie et expulsé ce pays du système SWIFT – une première mondiale – ont fait paniquer de nombreuses grandes fortunes. Personne ne se sent à l'abri – et certainement pas les pays qui carburent aux pétro-dollars, comme l'Arabie Saoudite. On comprend donc l'intérêt, pour les BRICS, de la Nouvelle banque de développement impulsés par Pékin, qui permet de commercer en monnaies nationales. Pour la Russie, la possibilité d'échanger sans dollar est fondamentale.

Certes, on est encore loin d'une dédollarisation, telle que la réclamait le Brésil lors du sommet des BRICS d'août 2023. Mais ces dynamiques ne devraient pas être balayées d'un revers de la main. Rappelons simplement que les BRICS, s'ils se coalisent, ont un droit de veto au FMI. Pour l'heure, cette condition n'a bien sûr rien d'évident : elle nécessiterait qu'Inde, Chine et Arabie Saoudite s'entendent pour défier les États-Unis… Les BRICS ont-ils le pouvoir d'édifier un nouvel ordre ? Non. Les BRICS ont-ils un vrai pouvoir de bousculer certaines règles ? Oui. Ce qui les unit, c'est simplement la volonté de se faire une place au soleil dans un système international conçu au temps où ils n'étaient que des nains économiques et politiques.

La Chine ne souhaite pas être le chef de file d'un camp. Elle n'est à la tête d'aucune alliance militaire – et c'est assez rare pour être souligné. Elle ne possède qu'une seule base à l'étranger, à Djibouti. Elle demeure traumatisée par l'expérience soviétique, estimant que l'URSS a payé le prix de son positionnement « campiste » et de sa militarisation. Elle cite souvent l'Organisation de Shanghai, qui réunit la Russie, la Chine, les pays d'Asie centrale, l'Inde et le Pakistan, etc, comme le modèle de sa conception du monde. Ces pays qui ne sont pas des alliés et sont parfois en conflits plus ou moins larvés, se parlent pourtant régulièrement dans ce forum et peuvent même faire avancer des dossiers communs. De plus, Pékin s'inscrit dans un temps long. C'est ainsi qu'il faut entendre la vision « multi-civilisationnelle » évoquée par Xi Jinping – ce qui ne manque pas de sel, lorsqu'on considère ce qu'il fait de la diversité culturelle au sein de son propre pays…

La Chine ne cherche pas à remplacer les États-Unis, comme puissance dominante. Elle veut offrir un modèle alternatif suivant de nouvelles normes de relations internationales, et retrouver la place qui était la sienne avant l'ère coloniale – si possible au centre du monde…

Note :

[1] Martine Bulard est journaliste, spécialiste de la région asiatique. Cet article est issu de son intervention à la conférence « Occident : fin de l'hégémonie » co-organisée par LVSL et l'Institut la Boétie. Martine Bulard y est intervenue aux côtés de Jean-Luc Mélenchon, Christophe Ventura et Didier Billion – ces deux derniers étant auteurs du livre Désoccidentalisation paru chez Agone (2023).

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Même s’il évite la guerre civile, la crise finale d’Israël s’annonce cataclysmique !

En juillet 2021, commentant les avertissements prophétiques formulés par Albert Einstein dès 1948 sur l'avenir désastreux d'Israël, nous terminions notre texte par le constat (…)

En juillet 2021, commentant les avertissements prophétiques formulés par Albert Einstein dès 1948 sur l'avenir désastreux d'Israël, nous terminions notre texte par le constat et, en même temps, la prédiction suivants : « Malheureusement, tout montre qu'Einstein a eu de nouveau raison. Avec les Britanniques étant depuis longtemps un lointain souvenir, ce sont effectivement les épigones des « organisations terroristes » de 1948 qui inéluctablement conduisent Israël -qu'ils gouvernent- vers la « catastrophe finale » ! Un Israël qui peut se montrer maintenant plus puissant et arrogant que jamais, mais qui, en même temps, est en train de traverser sa plus grande crise existentielle de son histoire, pourrissant et se désintégrant à son intérieur. Le compte à rebours a déjà commencé et l'heure de la vérité approche... » [1]

Tiré du site du CADTM.

Peut-être plus vite que nous ne l'avions prévu, tout indique en ce printemps 2024, que l'heure de la grande vérité de l'État juif n'est pas seulement proche, mais qu'elle est déjà arrivée, qu'elle est là et qu'elle se déroule sous nos yeux ! Et les pronostics ne sont pas du tout optimistes. En Israël même, les premières voix commencent à se faire entendre, exprimant des doutes sur la viabilité de l'État d'Israël. Comme, par exemple, celles des auteurs du texte au titre éloquent « A ce rythme, Israël n'atteindra pas son centième anniversaire », qui a été reproduit et discuté ces derniers jours comme aucun autre en Israël et hors d'Israël. L'une des raisons de ce choc est que ses deux auteurs, Eugene Kandel et Ron Tzu, sont tous deux des membres éminents de l'establishment gouvernemental israélien, le premier ayant dirigé pendant des années le Conseil économique national de Netanyahou ! La deuxième raison, la plus importante, est que le document estime que, à moins d'un changement de cap radical de la part d'un personnel politique radicalement différent, la crise existentielle que les Israéliens commencent à vivre conduira à la fin d'Israël, ce qui signifiera nécessairement la fin aussi du « rêve sioniste »...

Ce n'est pas un hasard si, au moment même où l'on parle tant de la « solution à deux États » et où l'État palestinien commence à être reconnu même par des pays membres de l'Union européenne, des voix s'élèvent en Israël même pour parler d'une... « solution à trois États » ! En effet, à côté de l'État palestinien de demain, elles considèrent qu'il existe déjà - de facto - non pas un, mais deux États juifs ! C'est exactement ce que dit l'ancien diplomate Alon Pinkas lorsqu'il fait les constats suivants dans un article très récent dans Haaretz : « Il y a désormais, ici, deux États – Israël et la Judée –, avec des visions opposées de ce que doit être une nation. Il y a un « éléphant dans la pièce » et ce n'est pas l'occupation, bien que celle-ci en soit la cause principale. Cet “éléphant dans la pièce” est constitué par le fait qu'Israël est progressivement mais inéluctablement divisé entre l'État d'Israël – high-tech, laïc, ouvert vers l'extérieur, imparfait mais libéral – et le royaume de Judée, une théocratie suprémaciste juive ultranationaliste antidémocratique et isolationniste. »I.

Bien sûr, Pinkas, qui appartient au premier, à cet Israël moderne et « ouvert sur l'extérieur », a tendance à l'idéaliser et évite de tirer ses conclusions jusqu'au bout. Mais d'autres le font, notamment le vétéran de la gauche israélienne antisioniste Michel Warschawski, qui répond comme suit à la question de savoir s'il entrevoit la possibilité d'une guerre civile en Israël : « J'ai souvent été interrogé sur les risques d'une guerre civile : j'ai toujours dit que ce n'était pas possible.Aujourd'hui, j'en suis beaucoup moins sûr. Et ce n'est pas lié à Gaza. Il n'y a pas simplement deux Israël sociologiques. Nous sommes en présence de deux projets de société irréconciliables. Avec à la tête du pays le gouvernement le plus faible que nous ayons jamais eu, et Netanyahou incapable de contrôler des ministres qui pour certains sont des fous furieux ».

Nous pensons que Warshawski a raison à la fois lorsqu'il n'exclut plus la possibilité d'une guerre civile en Israël et lorsqu'il affirme que cela n'a rien à voir avec Gaza et le génocide en cours des Palestiniens. Certes, le fait est que le spectre du génocide et de la guerre plane sur Israël et sa société. Mais c'est aussi un fait que la grande, voire l'écrasante majorité des citoyens israéliens, des hommes politiques et de leurs partis se montrent, aujourd'hui encore, indifférents à l'incroyable souffrance que leur propre État inflige aux Palestiniens, alors même qu'ils manifestent contre Netanyahou et se heurtent parfois violemment à sa police. À l'exception de quelques petits groupes de citoyens qui perpétuent les vieilles traditions juives humanistes et internationalistes, en déclarant leur solidarité et leur soutien au peuple palestinien, la société israélienne ne veut ni entendre ni voir l'horrible tragédie qui se déroule à quelques kilomètres de ses villes et de ses kibboutz, faisant preuve de la plus monstrueuse insensibilité face au génocide en cours commis par sa propre armée et son propre État ! Et c'est pour cela qu'il se rallie - de facto - même à ce Netanyahou par ailleurs si détesté, lorsque, par exemple, la Cour Pénale Internationale ose lancer un mandat d'arrêt contre lui, tout comme il se rallie à l'État israélien lorsque certains pays européens osent reconnaître l'État palestinien...

Shlomo Sand, dans son dernier et magnifique livre « Deux peuples, pour un État ? », attribue cette monstrueuse insensibilité et ce tout aussi monstrueux « patriotisme », entre autres, au « lavage de cerveau » auquel les citoyens d'Israël sont systématiquement et méthodiquement soumis tout au long de leur vie afin de croire fermement que c'est... la volonté de Dieu que tous les territoires occupés, de Hébron, Jéricho et Bethléem à Jérusalem, soient israéliens ! C'est donc cette relation étroite entre messianisme nationaliste et messianisme religieux -qui non seulement a existé dès l'origine dans le projet sioniste, mais constitue le pilier idéologique central de l'État israélien, surtout depuis que la référence initiale à un certain « socialisme des kibboutz » mythique a été « jetée dans les poubelles de l'histoire »-, qui nous a fait constater il y a trois mois, que « cette actuelle ferveur exterminatrice de la société israélienne ne serait pas possible si elle n'était pas le produit et l'aboutissement de la logique interne du projet constitutif de l'État hébreu, du projet sioniste ! ». [2]

C'est donc pour toutes ces raisons que nous assistons aujourd'hui à des développements qui auraient été totalement inimaginables à la naissance d'Israël. Comme, par exemple, l'alliance du gouvernement israélien avec des antisémites notoires d'extrême droite ou même avec des leaders néo-fascistes de cette Internationale Brune en gestation, tels que l'Italienne Meloni, la Française Le Pen, l'Argentin Milei, le Hongrois Orban, le Portugais Ventura et plusieurs autres d'Europe et d'Amérique du Nord et du Sud, qui se sont réunis il y a quelques jours à Madrid sous l'égide du Vox des nostalgiques du franquisme. C'est à ce rassemblement madrilène de ce ramassis fasciste, qui s'est transformé en une manifestation de soutien à Netanyahou, que le ministre israélien de la diaspora, Amichai Chikli a envoyé un message de remerciement et d'encouragement confirmant ce que nous savions depuis longtemps : que Netanyahou et l'extrême droite israélienne sont devenus le symbole et le drapeau des racistes, de l'extrême droite et des néo-fascistes du monde entier, dont la plupart continuent d'ailleurs à être des ...antisémites décomplexés !

La boucle du projet sioniste et en même temps de l'État juif d'Israël est donc en train d'être bouclé, dans une atmosphère non seulement de crise généralisée, mais aussi de décadence morale généralisée. Et ce n'est pas un hasard si son élément fondateur fondamentale, le racisme à l'égard des Palestiniens, coule aujourd'hui dans ses veines comme un poison au point de permettre aux ministres Gvir et Smotrich et à leurs amis colons et autres de parler de la nécessité d'expulser (violemment) de la terre de leur mythique Grand Israël (Eretz Israël) non seulement les Palestiniens mais même les citoyens israéliens juifs qui ne partagent pas leurs opinions et leurs choix barbares et inhumains !

Nous concluons donc comme nous avons commencé : il est désormais manifeste que le prix que paie l'Israël sioniste pour l'exhibition de son arrogance et de sa toute-puissance mesurée par les hécatombes de morts civils palestiniens à Gaza, est sa propre décadence morale et sa propre décomposition sociale et politique. Avec ou sans guerre civile, la crise finale d'Israël s'annonce cataclysmique.

Notes

[1] Voir notre article « Quand Einstein appelait « fascistes » ceux qui gouvernent aujourd'hui Israël » : https://www.pressegauche.org/Quand-Einstein-appelait-fascistes-ceux-qui-gouvernent-Israel-depuis-44-ans

[2] Voir notre article « Essayant de comprendre la dérive génocidaire de la société israélienne » : 22320

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La résistance palestinienne brouille les cartes du gouvernement israélien : Netanyahu face aux doutes de l’appareil militaire

28 mai 2024, par Mourad Slimani — , ,
Plus de sept mois après le déclenchement de la guerre et le début de l'offensive terrestre à Ghaza, la résistance palestinienne arrive à asséner des coups surprenants à l'armée (…)

Plus de sept mois après le déclenchement de la guerre et le début de l'offensive terrestre à Ghaza, la résistance palestinienne arrive à asséner des coups surprenants à l'armée israélienne. Mercredi dernier, une embuscade conjointe entre les éléments des brigades Al Qassam, affiliées au Hamas, et les brigades Al Qods de la faction du Djihad islamique, a fait entre 10 et 20 morts, selon des sources, parmi les troupes engagées dans des opérations dans le camp de réfugiés de Jabaliya, au nord de Rafah.

Tiré de Algeria-Watch
18 mai 2024

Par Mourad Slimani

Les porte-paroles de l'armée israélienne ont, dans un premier temps, avancé la thèse des « tirs amis » ayant résulté d'un manque de coordination à une phase de l'offensive, avant de reconnaître que les pertes ont été subies lors d'opérations conduites par les éléments du Hamas.

D'autres opérations, sur les bilans desquels les informations sont restées contradictoires, ont eu lieu depuis deux jours dans le périmètre, démontrant une fois de plus que malgré la puissance de feu criminelle et sans précédent lâchée sans discontinuation contre l'enclave palestinienne depuis plus de 220 jours, des foyers de résistance restent actifs, enlisant l'armée israélienne dans un conflit qui n'est pas prêt de connaître une issue.

La témérité de la résistance palestinienne se manifeste par des coups d'éclats non seulement dans ce nouveau front que constitue la région de Rafah, mais aussi dans certains points du nord de l'enclave de Ghaza théoriquement passés au peigne fin, les mois derniers et les semaines dernières, après avoir été complètement dévastés.

On ne sait pas si ce sont ces événements qui ont vaincu les dernières réticences du ministre israélien de la Défense à faire part publiquement des difficultés auxquelles fait face son armée sur le terrain, après sept mois de mobilisation extrême et, surtout, de l'incapacité du gouvernement à tracer un plan politique et un objectif clair à un déploiement militaire de plus en plus coûteux et de plus en plus incertain.

Ce faisant, Yoav Gallant, un des trois hommes qui composent le Cabinet de guerre, entre en confrontation directe avec Benyamin Netanyahu et sa garde rapprochée d'extrême droite, et donne un aperçu des failles qui se sont creusées au fil des déconvenues diplomatique et stratégique dans l'Exécutif aux commandes à Tel-Aviv.

« Efforts sisyphiens » à Ghaza

Le ministre de la Guerre a ainsi exprimé, dans une déclaration télévisée, son opposition au plan de contrôle militaire de Ghaza après la fin de la guerre, tel que préconisé par le Premier ministre, renouvelant sa préférence pour une autorité combinée associant des représentants de tribus arabes locales « non hostiles » et une coalition internationale dont il reste à définir les contributeurs.

Très peu élaborée, la proposition de Gallant semble plus viser une porte de sortie à l'armée du bourbier ghazaoui, d'autant que, argue-t-il, une présence sur la durée des forces israéliennes sur le territoire est synonyme de pertes supplémentaires dans les rangs et un coût social et économique que l'Etat hébreu aura du mal à assumer.

Sans le reconnaître ouvertement, il laisse entendre donc que l'objectif d'anéantir le Hamas et ses capacités militaires va rester hors de portée et qu'il faudra donc éviter de surexposer l'armée sur le terme par une occupation prolongée, ou définitive, de Ghaza. Quelques jours auparavant, un son de cloche aussi sceptique et polémique a été développé par le chef d'état major, lui-même gagné par le doute quant à l'efficacité de l'effort de guerre engagé à Ghaza sans perspectives politiques clairement déclarées sur le fameux « jour d'après » par le gouvernement.

Il aurait ainsi lâché, lors d'une entrevue avec le Premier ministre, que le gouvernement avait compromis l'armée dans des « efforts sisyphiens » et qu'il était temps de changer de fusil d'épaule. Les faits font suite à d'autres marques de défiance de l'appareil sécuritaire et militaire contestant ces dernières semaines la navigation à vue du gouvernement s'agissant de la durée prévisionnelle de la guerre, ainsi que sur ses objectifs tactique et stratégique.

Le roc de la résistance palestinienne

La réponse à cette montée au créneau est venue rapide et sans précautions de forme. Près d'une heure après les déclarations de Gallant, Benyamin Netanyahu rétorque qu'elles sont simplement « dénuées de substance » et qu'elles ne méritent donc pas d'être considérées au-delà de ce commentaire.

Le Premier ministre ajoute cependant qu'il n'est pas question d'envisager une alternative de gouvernance à Ghaza tant que le Hamas garde la moindre possibilité d'entreprendre des actions et que ladite alternative ne portera surtout pas le cachet du Fatah ni de l'Autorité palestinienne qui siège à Ramallah.

C'est la première fois depuis le début du conflit qu'une passe d'armes pareille oppose le sommet du gouvernement au département de la guerre ; le désaccord, en débordant l'obligation de confidentialité institutionnelle, atteste d'une tension qui accentue l'isolement de Netanyahu, certes, sans effets réels sur ses choix politiques pour le moment.

Encore une fois, il n'a dû compter que sur le soutien des forcenés de la coalition d'extrême droite. Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité intérieure et dirigeant du parti suprémaciste Force juive, dénonce les « visions défaitistes » du ministre de la Défense et appelle Netanyahu à le limoger sans tarder. Bezalel Smotrich, dirigeant du Parti sioniste religieux, ramassis de colons racistes et boulimiques, enjoint, lui, Yoav Gallant à démissionner immédiatement s'il ne partage pas les options du gouvernement.

Le ministre de la Défense, détenteur pourtant d'un palmarès fourni en actes et déclarations criminels contre les Palestiniens, dont l'appel à traiter les Ghazaouis « comme des animaux », au tout début de l'offensive, passe dans le contexte pour un tiède qui ne fait pas l'affaire, juste parce qu'il émet l'idée de ne pas occuper Ghaza. C'est dire la qualité du climat actuellement dans les rouages de décisions au sein de l'Etat hébreu et l'impasse dans laquelle le pousse l'héroïque résilience palestinienne.

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Que se cache-t-il derrière l’accusation d’antisémitisme lancée contre Karim Khan ?

Si toute cette colère sioniste et pro-israélienne contre la position du procureur de la CPI, Karim Khan, indique quelque chose, c'est bien son importance, qu'il n'est pas (…)

Si toute cette colère sioniste et pro-israélienne contre la position du procureur de la CPI, Karim Khan, indique quelque chose, c'est bien son importance, qu'il n'est pas exagéré de qualifier d'historique. (Traduit de l'arabe.)

Tiré de https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/220524/que-se-cache-t-il-derriere-l-accusation-d-antisemitisme-lancee-contre-karim-khan

Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.

L'affaire était si évidente qu'il ne valait pas la peine de parier dessus. Il était tout à fait évident et absolument certain que la demande du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Ahmed Khan, d'émettre des mandats d'arrêt internationaux contre le premier ministre et le ministre de la « défense » israéliens conduirait l'establishment sioniste à lancer l'accusation d'antisémitisme à son encontre et à celle de la cour. Comme les chiens du savant russe Ivan Pavlov, qui ont confirmé sa célèbre étude du réflexe conditionné, Netanyahu et Gallant, ainsi que l'ensemble de l'élite du pouvoir sioniste, y compris Gantz, le chef du bloc d'opposition qui coopère actuellement avec le Likoud, le parti des deux inculpés et Lapid, le leader du principal bloc d'opposition qui refuse de les rejoindre, ont tous immédiatement et violemment condamné la position du procureur tout en la qualifiant d'« antisémite ».

C'est en effet à la quasi-unanimité que la classe politique sioniste – 106 des 120 membres de la Knesset, le parlement israélien (outre les dix membres des listes « arabes », les quatre députés du parti travailliste sont restés à l'écart du consensus sioniste en raison de leur forte hostilité à l'égard de Netanyahu) – a approuvé une déclaration condamnant le procureur et qualifiant son inculpation du gouvernement sioniste et des dirigeants du Hamas pour crimes contre l'humanité de « comparaison scandaleuse » qui constitue « un crime historique indélébile et une expression claire d'antisémitisme ». Netanyahu a vu dans sa condamnation par Karim Ahmad Khan une occasion de renforcer sa popularité en déclin en se présentant comme un symbole de l'État sioniste. Il a déclaré que « le mandat absurde et fallacieux du procureur de La Haye est dirigé non seulement contre le premier ministre et le ministre de la défense israéliens, mais contre l'État d'Israël tout entier ». Il a ensuite ajouté, s'adressant directement au procureur : « Avec quel culot osez-vous comparer les monstres du Hamas aux soldats de Tsahal, l'armée la plus morale du monde ? » La position de Netanyahu a été rejointe par Gantz, son partenaire au sein du cabinet de guerre israélien, qui a affirmé que l'armée israélienne « se bat avec l'un des codes moraux les plus stricts de l'histoire ».

Il est, bien sûr, d'un aplomb sans précédent de la part de quiconque de décrire les forces génocidaires sionistes comme « l'armée la plus morale du monde », mais cette impudence est devenue monnaie courante. Répéter cela en qualifiant d'impudente une critique des actions de l'armée sioniste, que la Cour internationale de justice a considérées comme relevant de la catégorie du génocide, porte le toupet à un paroxysme propre à Netanyahu et très difficile à égaler. Comme à son habitude, le premier ministre israélien a eu recours à ce que l'on appelle en anglais des insinuations par « sifflet à chien » en pointant indirectement la descendance de Karim Ahmed Khan d'une famille d'origine pakistanaise appartenant à la communauté musulmane Ahmadiyya. L'insinuation est apparue dans la déclaration de Netanyahu selon laquelle le « nouvel antisémitisme » – une expression souvent utilisée pour décrire l'hostilité envers l'État d'Israël lorsqu'elle est exprimée par des musulmans – « s'est déplacé des campus occidentaux vers la cour de La Haye » !

Si le Hamas avait ajouté à sa condamnation parallèle du procureur pour l'avoir mis sur le banc des accusés aux côtés du gouvernement sioniste, l'affirmation que la position de ce dernier reflétait la haine de l'islam (ou islamophobie), le monde entier se serait moqué du mouvement. Mais le Hamas ne revendique pas et ne peut pas revendiquer le monopole de la représentation des musulmans comme l'État sioniste revendique le monopole de la représentation des Juifs, avec l'approbation de la plupart des dirigeants occidentaux. Ainsi, bien que l'administration américaine se soit abstenue de qualifier la position de Karim Khan d'« antisémite », Biden n'a pas tardé à la qualifier de scandaleuse et à renouveler son engagement à « toujours se tenir aux côtés d'Israël contre les menaces à sa sécurité ». De son côté, son secrétaire d'État, Blinken, a réitéré la description de l'opération Déluge d'al-Aqsa menée par le Hamas comme « le pire massacre de Juifs depuis l'Holocauste » – une description devenue un mantra dont le but est de dépeindre l'hostilité des Palestiniens envers les Israéliens comme une hostilité envers les Juifs inspirée par « l'antisémitisme » plutôt qu'une hostilité envers une persécution sioniste féroce qui insiste pour se décrire comme juive (pour plus sur ce sujet, voir mon article « Gaza : le 7 octobre en perspective historique »).

Si toute cette colère sioniste et pro-israélienne contre la position de Karim Khan indique quelque chose, c'est bien son importance, qu'il n'est pas exagéré de qualifier d'historique. En effet, la CPI, depuis sa création jusqu'à présent, n'a traité que de plaintes contre des personnes originaires des pays du Sud mondial, du continent africain en particulier, en plus des dirigeants russes récemment inculpés en raison de l'invasion de l'Ukraine par leur armée. Il était devenu habituel de considérer cette cour, créée en 2002 au plus fort de l'hégémonie occidentale, comme l'un des outils politiques de l'Occident, au point que les familles de 34 Israéliens morts ou enlevés lors de l'opération Déluge d'al-Aqsa ont déposé une plainte contre le Hamas auprès d'elle, quelques jours après l'événement. Il est en effet très significatif que les seuls actes d'accusation émis par la CPI au sujet de l'Irak concernent l'organisation de l'État islamique et non l'armée et le gouvernement américains.

C'est donc la première fois que le tribunal inculpe deux dirigeants d'un pays considéré comme faisant partie du camp occidental, ce qui explique le ressentiment exprimé à l'égard de la position du procureur par le gouvernement américain et le gouvernement britannique, son fidèle partenaire (notamment dans l'occupation de l'Irak), ainsi que quelques autres gouvernements occidentaux. C'est pourquoi la position du procureur est très inquiétante aux yeux du gouvernement sioniste et de ses alliés les plus fidèles. Elle s'ajoute au procès intenté par l'Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de Justice pour tourner la page de l'hégémonie occidentale sur les instances judiciaires internationales, en général, et confirmer la condamnation mondiale croissante du comportement criminel de l'État sioniste à la lumière de la guerre génocidaire qu'il mène à Gaza, en particulier.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe,Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 21 mai en ligne et dans le numéro imprimé du 22 mai. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Israël : côté obscur de l’armée la plus morale du monde entier

28 mai 2024, par Ovide Bastien — , ,
À Gaza, le nombre de morts atteint 36 000 et de blessés 80 000... Depuis deux semaines, environ 900 000 Gazaouis, soumis à d'incessants bombardements et attaques israéliens, (…)

À Gaza, le nombre de morts atteint 36 000 et de blessés 80 000... Depuis deux semaines, environ 900 000 Gazaouis, soumis à d'incessants bombardements et attaques israéliens, quittent Rafah et se dirigent ailleurs à Gaza, cette fois où presque tout a été démoli et où trouver eau, nourriture, et abris s'avère quasi impossible...

Ovide Bastien

Alors que la famine devient chaque jour plus évidente, Israël non seulement restreint l'aide humanitaire qui entre à Gaza, mais ferme carrément celle qui entre de l'Égypte par Rafah et permet à des colons juifs, pour une deuxième fois en quelques jours, d'attaquer et saccager impunément des camions qui transportent de l'aide humanitaire en provenance de la Jordanie...

Le 20 mai le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, annonce qu'il fait la demande de mandats d'arrêt à l'encontre du premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou et de son ministre de la Défense Yoav Gallant pour des crimes de guerre – faim utilisée comme arme de guerre, notamment en privant les Gazaouis d'aide humanitaire, et ciblage intentionnel de civils, extermination – ainsi que de trois dirigeants du Hamas pour les atrocités commises le 7 octobre dernier – extermination, viols, prise d'otages.

Le même jour, le président Joe Biden, principal fournisseur d'armes à Israël, affirme aux étudiants qui, lors d'une cérémonie de graduation, l'accusent de complicité dans un génocide :

« Je sais que la situation vous brise le cœur, mais elle brise le mien aussi. » Et, commentant la décision de Karim Khan, il affirme, « Il n'y a pas un iota d'équivalence entre Israël et le Hamas. La décision de la CPI est choquante. Nous appuierons toujours Israël d'une main de fer. Il n'y a pas de génocide à Gaza ! »

Le 23 mai, l'Espagne, l'Irlande et la Norvège annoncent que leur pays va se joindre aux 145 autres pays qui ont déjà reconnu la Palestine comme État. Le lendemain, la Cour internationale de justice, à la suite d'une nouvelle demande provenant de l'Afrique du Sud, ordonne à Israël de mettre immédiatement fin à son offensive militaire à Rafah, à son blocage de l'aide humanitaire à Rafah, et de permettre aux agences de l'ONU d'entrer à Gaza afin de pouvoir y réaliser des enquêtes.

Peu étonnamment, Benjamin Nétanyahou réagit avec colère. Des exemples éhontés d'antisémitisme, affirme-t-il. Des pays et des juges antisémites, qui se comportent comme ceux qui ont facilité l'Holocauste ! Nous avons l'armée la plus morale dans le monde entier ! Rien ni personne ne nous empêchera de nous défendre !

*************
De toute évidence, Israël se trouve de plus en plus isolée sur la scène internationale. Plus ces gestes concrets la noircissent, plus elle s'affirme pure et innocente et se présente comme LA victime du monde entier, que seul le géant étatsunien protège.
Dans ce qui suit, j'aimerais illustrer à lectrices et lecteurs un côté obscur d'Israël que m'a permis de découvrir la lecture d'un livre qui apparaissait à peine quelques semaines avant l'attaque violente d'Israël par le Hamas le 7 octobre dernier, The Palestine Laboratory : How Israel Exports the Technology of Occupation around the World.

Rédigé par le journaliste juif australien Antony Loewenstein, ce livre montre comment Israël, dont la population dépasse à peine celle du Québec, est devenue, grâce à son appareil de sécurité et de technologies et tactiques sophistiquées développés pour maintenir le contrôle sur la population palestinienne, le dixième plus grand exportateur d'armes au monde ainsi qu'un leader dans l'exportation d'outils de surveillance, de répression et de contrôle. Drones, caméras de surveillance, logiciels comme Pegasus qui espionnent les cellulaires, reconnaissance faciale, systèmes de sécurité aux frontières, armes de contrôle des foules, etc., tous ces outils, affirme Loewenstein, ont été perfectionnés dans le creuset du conflit palestinien et sont désormais commercialisés et vendus aux gouvernements et aux forces de sécurité du monde entier. Que ces gouvernements bafouent systématiquement les droits de la personne, cela importe peu à Israël.

« Il existe aujourd'hui en Israël plus de trois cents multinationales et six mille start-ups qui emploient des centaines de milliers de personnes, » rappelle Loewenstein. « Les ventes sont en plein essor, les exportations de matériel de défense atteignant en 2021 un niveau record de 11,3 milliards de dollars, soit une augmentation de 55 % en deux ans. Les entreprises israéliennes de cybersécurité sont également en plein essor, avec 8,8 milliards de dollars US obtenus dans le cadre de cent transactions en 2021. La même année, les entreprises israéliennes de cybersécurité ont reçu 40 % du financement mondial dans ce secteur. »

Les exemples que donne Loewenstein sont nombreux et fort troublants. En voici quelques-uns.

Afrique du Sud

L'Afrique du Sud représente sans doute le cas le plus spectaculaire. Si Israël a été le plus grand et fidèle allié du régime d'apartheid dans ce pays, ce n'est pas seulement, rappelle Loewenstein, parce que ce dernier achetait beaucoup de ses armes. C'est aussi et surtout, insiste-t-il, en raison de la très forte communauté de pensée qui existait entre les deux. Ici, les Afrikaners se percevaient comme les civilisés, et ne voyaient chez les Noirs que barbarie, méchanceté, et terrorisme. Là, les Israéliens se perçoivent comme les civilisés, et ne voient chez les Palestiniens que barbarie, méchanceté, et terrorisme.

Il est assez révélateur que Nelson Mandela, dans son discours du 4 décembre 1997, affirmait : « Notre liberté ne saura être complète sans celle du peuple palestinien ».
Il est assez révélateur, aussi, que ce soit l'Afrique du Sud qui prenait l'initiative, décembre dernier, d'accuser Israël, auprès de la Cour internationale de justice, de génocide à Gaza.

Chili

J'étais au Chili au moment où la junte militaire renversait le gouvernement de Salvador Allende en septembre 1973. J'ai pu voir de mes yeux, au jour le jour pendant un an, la répression impitoyable – censure, torture, exécution sommaire, camps de concentration - qui s'abattait sur le peuple chilien. La dictature a duré 17 ans, a fait plus de 3 000 victimes, et a torturé plus de 40 000 Chiliens et Chiliennes. De centaines de milliers, afin de fuir la terreur, se sont réfugiés à l'étranger.

Ce n'est qu'aujourd'hui, grâce à Loewenstein, que j'apprends qu'Israël vendait des armes à la dictature. En 1976, le Congrès étatsunien décrétait un embargo sur les armes à destination du Chili. Loewenstein cite un télégramme, provenant de l'ambassade étatsunienne à Santiago le 24 avril 1980, où on reconnait qu'Israël, malgré l'embargo de son grand allié, non seulement continue à vendre des armes à la dictature, mais est même un de ses principaux fournisseurs !

L'Inde

Une communauté de pensée existe, selon Loewenstein, entre l'ethno nationalisme d'Israël et celui du régime de Narendra Modi en Inde, où les Musulmans sont perçus comme des citoyens inférieurs. À la suite d'un accord conclu en 2014 entre Israël et l'Inde, ces deux pays se sont engagés à collaborer en matière de sécurité publique et intérieure. Par la suite, plusieurs officiers, forces spéciales, pilotes et commandos indiens se sont rendus en Israël pour y suivre une formation. Entre 2015 et 2020, le principal marché d'exportation d'armes d'Israël est l'Inde, avec 43 % des ventes totales. Les drones israéliens Heron survolent le Cachemire, tout comme ils survolent les territoires occupés de la Palestine, affirme Loewenstein. Plusieurs militants israéliens des droits de l'homme, notamment Eitay Mack, ont adressé une pétition à la Cour suprême d'Israël en 2020, exigeant qu'Israël cesse de former des policiers indiens qui « aveuglent, assassinent, violent, torturent et font disparaitre des civils dans le Cachemire ».

Guatemala

Dans les années 1970s et 1980s, Israël a collaboré avec les États-Unis pour fournir un appui militaire, diplomatique et idéologique au régime génocidaire du Guatemala, affirme Loewenstein. Dans un pays où la majorité de la population est indigène, le gouvernement, poursuivant l'objectif intitulé ‘pacification des campagnes', a construit des ‘villages modèles' où les populations indigènes furent forcées de vivre. Celles-ci ont lutté contre cette répression, et environ 200 000 personnes, presque tous indigènes, ont été tuées entre 1960 et 1996.

L'un des moyens les plus efficaces utilisés par Israël pour aider le régime guatémaltèque a été l'installation d'un centre d'écoute informatique par la société privée israélienne Tadiran Israel Electronics Industries, poursuit Loewenstein. Devenu opérationnel à la fin de 1979, ce centre contenait les noms d'au moins 80 % de la population et pouvait détecter les changements dans l'utilisation de l'électricité ou de l'eau dans les maisons privées, ce qui permettait de repérer les activités antigouvernementales – par exemple, si une presse d'imprimerie était utilisée. Les médias israéliens rapportaient, précise Loewenstein, que l'objectif de ce centre était de « suivre les mouvements de la guérilla indigène dans la capitale ».

On sait que Ríos Montt, qui a géré le Guatemala de 1982 à 1983, a été condamné en 2013 à 80 ans de prison pour génocide et crimes contre l'humanité. Or, lorsqu'il a pris le pouvoir par un coup d'État le 23 mars 1982, les médias israéliens ont rapporté que des conseillers militaires israéliens avaient participé à ce coup. Et Montt a lui-même déclaré à un journaliste d'ABC, souligne Loewenstein, que si le coup d'État avait été un succès éclatant, c'est « parce que beaucoup de nos soldats avaient été formés par les Israéliens ».

La collaboration d'Israël avec Montt ne se limitait pas, cependant, à n'offrir que conseils et formation à ses militaires, poursuit Loewenstein. Le 6 décembre 1982, Montt commettait, dans le petit village indigène de Dos Erres, un des massacres les plus horribles et notoires de son règne. Environ trois cents personnes furent massacrées avec une brutalité choquante – crânes fracassés à coups de masse et corps jetés dans un puits.

« Toutes les preuves balistiques retrouvées correspondaient à des fragments de balles provenant d'armes à feu et de cosses de fusils Galil, fabriqués en Israël, » déclarait en 1999, la Commission vérité des Nations unies, après s'être rendue sur place pour exhumer les cadavres.

Colombie

Israël et les États-Unis ont formé et armé des escadrons de la mort en Colombie jusque dans les années 2000, affirme Loewenstein. « Les tristement célèbres fusils Galil de fabrication israélienne, autrefois utilisés dans le génocide guatémaltèque, se sont retrouvés chez des barons de la drogue colombiens à la fin des années 1980. Fabriquées par Israel Military Industries, rachetées par Elbit Systems en 2018, ces armes faisaient partie d'une présence israélienne beaucoup plus importante en Colombie, » poursuit-il. L'ancien trafiquant de drogue Carlos Castaño, qui dirigeait une force paramilitaire d'extrême droite, explique dans son autobiographie rédigée par un écrivain fantôme : « J'ai appris une quantité infinie de choses en Israël [dans les années 1980], et c'est à ce pays que je dois une partie de mon identité, de mes réalisations humaines et militaires. J'ai copié le concept des forces paramilitaires sur les Israéliens ».

L'ex-président colombien, Juan Manuel Santos a fait l'éloge de la société israélienne qui avait formé ses militaires, poursuit Loewenstein. Dans une émission de télévision israélienne, il déclarait : « On nous a même accusé d'être les Israélites de l'Amérique latine, ce qui me rend personnellement très fier. » L'émission mentionnait le raid colombien de 2008 en Équateur et l'assassinat du commandant en second des FARC, Paul Reyes.

Il est peu étonnant que le président progressiste de la Colombie, Gustavo Petro, soit un des critiques les plus virulents des actions génocidaires d'Israël à Gaza depuis le 7 octobre dernier. Le 1 mai 2024, il annonçait que son pays coupait tout lien diplomatique avec Israël.

La frontière entre les États-Unis et le Mexique

Les entreprises israéliennes de sécurité et de surveillance jouent un rôle important dans la protection de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Leur activité en Palestine s'avère, à cet égard, un outil précieux de promotion et commercialisation, affirme Loewenstein. La sécurisation de la frontière de 3 000 kilomètres bénéficie d'un grand soutien de la Maison Blanche, peu importe que celle-ci soit contrôlée par un Démocrate ou un Républicain. Et pour militariser cette frontière, on se sert fondamentalement de la technologie israélienne. L'objectif est de combiner la technologie de surveillance, l'infrastructure frontalière, les unités tactiques et le système de tours intégrées pour empêcher et dissuader les migrants d'entrer dans le pays et de traverser le désert mortel.
C'est l'objectif déclaré. Cependant, une telle militarisation de la frontière ne peut qu'aboutir à des morts, et en grand nombre, affirme Loewenstein. En constitue une preuve éloquente le fait que, depuis les années 1990, on ait retrouvé sept mille cadavres à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

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Les Palestiniens dénoncent un “massacre” à Rafah

L'Autorité palestinienne a accusé Israël d'avoir perpétré “un massacre” dimanche, en frappant un centre pour personnes déplacées à Rafah. L'attaque, qui a fait au moins 35 (…)

L'Autorité palestinienne a accusé Israël d'avoir perpétré “un massacre” dimanche, en frappant un centre pour personnes déplacées à Rafah. L'attaque, qui a fait au moins 35 morts selon les autorités de Gaza, a été confirmée par l'armée israélienne, qui assure avoir visé “un quartier général du Hamas”.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Un incendie fait rage dans un centre pour personnes déplacées à Rafah, dans la Bande de Gaza, après une frappe israélienne, le 26 mai 2024. Photo Reuters TV / Reuters.

La présidence palestinienne a accusé Israël d'avoir ciblé “délibérément” un centre pour personnes déplacées, géré par l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) au nord-ouest de Rafah, rapporte Middle East Eye.

“Cet atroce massacre perpétré par les forces d'occupation israéliennes est un défi à toutes les résolutions internationales”, a tonné l'Autorité palestinienne, trois jours après une décision de la Cour internationale de justice (CIJ) ordonnant à Israël de suspendre immédiatement ses opérations militaires à Rafah.

Sami Abu Zuhri, un haut responsable du Hamas, a lui aussi “qualifié l'attaque de Rafah de massacre, tenant les États-Unis pour responsables, compte tenu de leur aide militaire et financière à Israël”, ajoute Middle East Eye. Selon les autorités de Gaza, aux mains du Hamas, l'attaque aurait fait au moins 35 morts, dont une majorité de femmes et d'enfants.

“Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent un énorme incendie sur le site, alors que les ambulanciers et les pompiers semblent avoir du mal à gérer la situation”, écrit CNN. “La zone ciblée comprenait un grand conteneur utilisé comme abri par des dizaines de familles, entouré de centaines de tentes”, ajoute la chaîne américaine.

Deux hauts responsables du Hamas tués

Selon Al-Jazeera, des dizaines de milliers de Palestiniens ont décidé d'installer leurs tentes dans cette zonne de Rafah, car le fait d'être “à côté d'un espace logistique de l'UNRWA” leur paraissait “plus sûr”. La chaîne qatarie précise que le feu s'est propagé à tout le secteur car “de nombreuses tentes sont en plastique et en tissu”.

“L'armée israélienne a confirmé l'attaque” mais a indiqué “avoir visé un quartier général du Hamas, où se tenait une réunion de haut niveau” du groupe armé, rapporte La Stampa. La décision de la CIJ publiée vendredi “semble donc avoir été inutile”, déplore le titre italien.

Le porte-parole de Tsahal a précisé que “deux hauts responsables du Hamas” avaient été tués lors de l'opération : “Yassin Rabia, responsable des opérations du Hamas en Cisjordanie, et Khaled Nagar, autre responsable du Hamas en Cisjordanie”, relève Ha'Aretz.

L'armée israélienne a également soutenu que les frappes avaient été menées “contre des cibles légitimes au regard du droit international, grâce à l'utilisation de munitions précises et sur la base de renseignements précis indiquant l'utilisation de la zone par le Hamas”. Elle a aussi concédé “avoir connaissance d'informations” selon lesquelles “un certain nombre d'individus non impliqués [avaient] été touchés” dans l'attaque et que “l'incident [était] en cours d'examen”.

“Isolement grandissant d'Israël”

Le New York Times souligne que les frappes israéliennes ont eu lieu “quelques heures après que le Hamas eut tiré plusieurs roquettes vers le centre d'Israël, déclenchant les sirènes d'alerte à Tel-Aviv pour la première fois depuis des mois”.

“Le Hamas se sent renforcé par l'isolement grandissant d'Israël et la pression internationale croissante pour que cesse l'offensive” sur Gaza, “malgré l'absence d'accord sur les otages”, analyse El Mundo. Un avis partagé par la BBC, pour qui “ce barrage de roquettes met en évidence la menace que le Hamas représente toujours pour la population d'Israël, même si aucun blessé n'a été signalé”.

La radiotélévision britannique remarque en outre que les événements de dimanche ont lieu “avant de nouvelles négociations de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, qui devraient reprendre la semaine prochaine”, sous l'égide des États-Unis, de l'Égypte et du Qatar.

Mais peu avant une réunion du cabinet de guerre dimanche soir à Tel-Aviv, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a assuré qu'il “[s'opposait] fermement” à la fin de la guerre dans les conditions actuelles.

Courrier international

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Israël / Cisjordanie : la génération Tik Tok ne baisse pas les armes

Benjamin Netanyahou est sur deux fronts simultanément. Il doit mener à bien sa réforme du système judiciaire israélien contre une opposition qui manifeste dans les rues, bloque (…)

Benjamin Netanyahou est sur deux fronts simultanément. Il doit mener à bien sa réforme du système judiciaire israélien contre une opposition qui manifeste dans les rues, bloque les voitures de députés de la majorité et tente de dresser les Démocrates américains et les institutions juives américaines contre lui.

Tiré de MondAfrique.

Simultanément, le Premier ministre israélien doit affronter une tension croissante avec la génération islamiste Tik Tok en Cisjordanie. Ces jeunes qui affrontent les troupes israéliennes n'appartiennent à aucun groupe islamiste répertorié, mais sont armés et financés par le Hamas ou le Jihad Islamique quand ce n'est pas par les brigades al Aqsa de l'Autorité Palestinienne. Ils se distinguent du guérillero palestinien traditionnel en ce qu'ils ont renoncé à la mythologie nationale palestinienne et font volontiers des vidéos d'eux-mêmes en trans de brandir des armes, vidéos qu'ils mettent ensuite en ligne pour épater les jeunes filles.

Les troupes israéliennes à Naplouse

Les troupes israéliennes sont entrées mercredi à Naplouse pour arrêter ces miliciens Tik Tok qui planifiaient une attaque de type terroriste. Il en est résulté une fusillade qui a fait six morts parmi les hommes armés, mais en réalité beaucoup plus. Un Palestinien âgé serait décédé également ainsi que d'autres qui semblent ne faire partie d'aucun groupe. Le raid aurait ainsi fait en tout onze victimes. L'affrontement a eu lieu cette fois ci non pas dans un quartier isolé, mais au centre ville près d'un supermarché très fréquenté.

Le processus d'intervention de l'armée israélienne est souvent le même : des véhicules civils transportant des soldats sans uniforme ou des policiers en civil arrivent sur le lieu de l'affrontement et fixent les combattants, puis les véhicules de transport blindés débarquent et ceinturent le périmètre de combat, généralement une maison ou un immeuble. Aisément reconnaissables, ces véhicules blindés déchainent la fureur de la population qui les inonde de projectiles en tous genres tout au long de leur déplacement dans les rues de Naplouse ou Jenine.

Les deux derniers mois ont été le début d'année le plus meurtrier en Cisjordanie depuis au moins 2000. Selon un décompte du Wall Street Journal, au moins 60 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie et à Jérusalem-Est depuis soixante jours.

Ces jeunes qui meurent

Selon la journaliste Amira Hass du journal Haaretz, ces jeunes qui meurent en Cisjordanie, ne sont pas des combattants très aguerris et ne pèsent pas lourd face aux snipers et aux voitures de transports de troupes blindées de l'armée israélienne.

Après le raid meurtrier, la police israélienne a relevé son niveau d'alerte dans tout le pays mercredi soir, craignant des représailles. Une opération israélienne similaire à Jenine fin janvier qui a fait 10 morts a été rapidement suivie par l'attaque d'une synagogue à Jérusalem ou sept Israéliens ont trouvé la mort, soit l'attaque la plus meurtrière dans la ville depuis 2008. Le gouvernement israélien a promis une répression sévère contre l'activisme palestinien à l'approche du mois de Ramadan, à fin mars.

Les tensions en Cisjordanie ont aussi réveillé les tensions avec le Hamas. Le mouvement islamiste qui contrôle Gaza a tiré six roquettes en direction du territoire israélien. Ces roquettes ont été interceptées part Iron Dome, le système de défense anti-missile des Israéliens. Néanmoins, en riposte contre ces tirs de roquette contre la population civile israélienne, l'aviation israélienne est intervenue. Une usine de fabrication d'armes et un site militaire du Hamas à Jabalia, dans le nord de Gaza ont été détruits.

Les responsables palestiniens à Gaza n'ont signalé aucun blessé, bien que le site soit situé dans un quartier résidentiel près d'une école et d'un dispensaire.

Des « boucliers humains »

L'armée israélienne a dénoncé l'utilisation de « boucliers humains » par le Hamas qui « place ses moyens militaires au milieu de la population civile ». Le Hamas a juré que les frappes n'arrêteraient pas ses actions contre Israël et a déclaré que « la réponse à l'agression de l'occupation demeurera ».

L'envoyé des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Tor Wennesland, s'est rendu dans la bande de Gaza jeudi matin. M. Wennesland rencontrera des responsables du Hamas dans le cadre des efforts visant à éviter que le conflit ne devienne incontrôlable, a déclaré un diplomate.

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Une interdiction des livres au « pays de la liberté »

28 mai 2024, par Renán Vega Cantor — , ,
Les États-Unis sont le pays qui se proclame le royaume de la liberté et dont l'histoire est marquée par des agressions contre sa propre population et celle du reste du monde (…)

Les États-Unis sont le pays qui se proclame le royaume de la liberté et dont l'histoire est marquée par des agressions contre sa propre population et celle du reste du monde pour imposer, dans le sang et le feu, ses prétendus idéaux de justice, de liberté et de droits de l'homme. Ces dernières années, les livres ont été interdits, la censure culturelle et éducative a été imposée, et des enseignant-e-s ont été expulsés des écoles et des universités pour ne pas se soumettre aux diktats des parents, des entreprises ou des groupes de pression, à la tête desquels se trouve le puissant lobby sioniste.

18 mai 2024 | tiré de Rebelion.org | Sources : El Colectivo (Medellín) - Rebelion
https://rebelion.org/prohicion-de-libros-en-el-pais-de-la-libertad/

De telles pratiques de la censure a été déclenchée en 1982, lorsqu'un conseil scolaire de New York a retiré es livres au motif que leurs auteurs étaient « anti-américains, antichrétiens, antisémites et tout simplement dégoûtant." À partir de ce moment, l'interdiction de livres et auteurs à travers les États-Unis, a été tel qu'en 2023, 4240 titres ont été retirés des bibliothèques scolaires, ce qui représente une augmentation de 65 % par rapport à 2022, année où ont été interdits 2571 titres. Des livres ont été interdits dans 41 États, ce qui affecte des millions d'enfants et de jeunes.

L'attaque contre les livres fait désormais partie du programme politique des groupes organisés, qui sont liés au Parti Républicain. Dans une moindre mesure, il y a de la censure au nom de la politique concernant certaines questions de genre et le sexe.

Plusieurs États, notamment le Texas, l'Oklahoma et la Floride, ont promulgué des lois restreignant officiellement les livres dans les écoles dont le contenu est considéré comme obscène ou dangereux en termes de race, de genre, de classe ou de sexe. Les livres qui traitent du racisme, de l'exclusion de la population noire, de la violence sexuelle ou qui parlent simplement de relations sexuelles, de consommation d'alcool ou d'inégalités sociales sont interdits.

Ceux qui promeuvent la censure s'organisent en groupes, en principe composés de quelques belligérants et ignorants, qui Ils pointent du doigt les livres qu'ils veulent retirer des écoles. Ces nouveaux Inquisiteurs ont développé une sorte de livre noir, dans lequel une liste de livres dont on a souligné les « passages obscènes ou offensants », qui devraient être retirées de la circulation dans les établissements d'enseignement. Quand Un parent signale un livre comme inapproprié, pornographique ou dangereux. il doit être immédiatement retiré de la bibliothèque de l'école, jusqu'à ce que le Le conseil scolaire détermine si le texte est inapproprié ou non.

Le mouvement national qui a commencé comme un groupe de Facebook en Floride s'appelle « Moms for Freedom ». Son objectif est de pour lutter « pour la survie de l'Amérique (États-Unis), unifier, éduquer et donner aux parents les moyens de défendre leurs droits parentaux à tous les niveaux des institutions d'enseignement. Et cela signifie choisir des candidats pour les représenter dans les comités Éducatif dans chaque école. Leurs intérêts sont ceux de l'extrême droite, avec leurs conceptions rétrogrades en matière sociale, culturelle et éducative, fondées sur ceux et celles qui défendent le racisme, la discrimination, l'inégalité, la violence et l'oppression sous toutes ses formes et expressions.

Les censeurs modernes, qui utilisent le technologies numériques sophistiquées, invitent les parents à créer un compte sur (anti)réseaux sociaux dans lesquels ils documentent des exemples d'endoctrinement pour faire connaître à la communauté les idées « méchantes et maléfiques » qui se retrouvent dans ces œuvres. Ils leur fournissent un modèle de lettre à envoyer à différents représentant-e-s. Cela a des effets immédiats, puisque, par exemple, dans les écoles de Floride, n'importe qui peut demander de retirer un livre et de le retirer immédiatement de l'étagère.

L'interdiction des livres est devenue une partie des manifestes électoraux des candidats au poste de gouverneur du GOP (les Républicains), et certains d'entre eux ont gagné. Ainsi, en 2020, Glenn Youngkin a été élu gouverneur de Virginie. Il a annoncé pendant la campagne électorale qu'il interdirait les cours sur le racisme dans le programme scolaire de l'État. Cet exemple a ensuite été repris par d'autres candidats, puis par des gouverneurs.

Ron DeSantis, actuel gouverneur de Floride, et qui était le candidat présidentiel du Parti républicain, est en tête dans sa campagne contre les livres et l'éducation. En mars 2022, il a promulgué les Droits parentaux dans l'éducation, mieux connue sous le nom de loi Don't Say Gay, Gay, qui interdit la distribution d'information et la discussion sur l'orientation sexuelle avant l'âge de onze ans. Lles discussions sur le racisme et l'esclavage ont été restreintes, et un poste de professeur d'histoire afro-américaine pour les enfants de moins de 18 ans est interdit. La loi stipule que les parents peuvent poursuivre les enseignants qui ne se conforment pas aux prescriptions énoncées dans la loi.

Cela génère de la peur et de l'autocensure parmi les des enseignants qui ne peuvent plus parler de pratiquement rien ou montrer des objets qui peuvent être considéré comme inapproprié. À cet égard, et dans une affaire tragi-comique, une école de Tallahasee, la capitale de l'État de Floride, a été expulsée de sa position un enseignant qui a montré des photographies du David de Michel-Ange, dans un cours d'art.

La liste des livres et auteurs interdits est et les raisons invoquées pour restreindre la lecture de certaines ou de toutes ces œuvres sont frappants par leur ridicule et leur stupidité, ce qui éclaire leurs intentions et le niveau intellectuel atteint les États-Unis, le pays de la « liberté ». Entre Les auteurs qui ont été bannis dans ce pays forment une liste qui n'a rien à envier à celle de la Sainte Inquisition. Ce sont des auteurs de la stature de William Shakespeare, Gabriel García Márquez, Mark Twain, Gustave Flaubert, John Milton, Aldous Huxley, Fiodor Dostoïevski qui sont visés. La plupart des auteurs interdits viennent des États-Unis. Parmi les cas les plus tristement célèbres, il y a celui de Toni Morrison, une femme et une femme noire qui a remporté le prix Nobel de littérature en 1992.

Le niveau des censeurs se mesure aux raisons invoquées pour interdire des livres, comme le montrent quelques exemples : Le Petit Chaperon Rouge parce qu'elle a du vin dans le panier qu'elle porte pour Mamie ; Les Aventures de Tom Sawyer de Mark Twain, parce qu'il est moralement discutable ; "Trop de sexe" est invoqué pour interdire Roméo et Juliette de Shakespeare ; Blue Eyes, écrit par Toni Morrison, a été censuré parce qu'il était considéré comme sexuellement explicite et parce qu'il parle d'abus sexuels sur des enfants... En revanche, Mein Kampf d'Adolf Hitler n'a jamais été retiré de la circulation, ni interdit dans les écoles.

L'interdiction des livres visent particulièrement les livres qui parlent de la pauvreté, de la différence de classe, du racisme et regardent l'histoire et la société des États-Unis avec des perspectives critiques. Dans la logique des censeurs, ni le capitalisme, ni le marché libre, ni les diverses formes d'oppression qui existent aux États-Unis et que ce pays impose au reste du monde ne peuvent être remis en question. La plupart des parents d'élèves sont convaincus, sur la base de leurs croyances conservatrices et de leurs préjugés idéologiques et culturels, que des points de vue alternatifs ne peuvent être offerts aux élèves qui remettent en question la façon dont l'Amérique fonctionne et les informent sur cette autre histoire du « pays de la liberté », c'est-à-dire celle de l'oppression, de l'injustice et de l'inégalité.

Publié en version imprimée dans El Colectivo (Medellín), avril 2024

Rebelión a publié cet article avec l'autorisation de l'auteur sous une licence Creative Commons, dans le respect de sa liberté de le publier dans d'autres sources.

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Génocide à Gaza : Biden prêt à sanctionner la Cour pénale internationale pour protéger Netanyahou

Le secrétaire d'Etat américain Anthony Blinken veut un accord bipartisan avec les Républicains pour prendre des sanctions contre la Cour pénale internationale, après que le (…)

Le secrétaire d'Etat américain Anthony Blinken veut un accord bipartisan avec les Républicains pour prendre des sanctions contre la Cour pénale internationale, après que le procureur ait requis des mandats contre Benjamin Netanyahou et son ministre de la Défense.

22 mai 2024 | tiré de Révolution permanente

Ce lundi, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), M. Khan a demandé plusieurs mandats d'arrêt contre le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son ministre de la défense, Yoav Gallant, ainsi que contre des membres du bureau politique du Hamas. Si cette demande doit encore être examinée par les juges de la CPI, le président américain n'a pas tardé à réagir. Le jour même de l'annonce, Joe Bidena condamné en conférence de presse la décision du procureur de poursuivre des responsables israéliens : « Permettez-moi d'être clair : nous rejetons la demande de la Cour pénale internationale de délivrer des mandats d'arrêt contre des dirigeants israéliens. Contrairement aux allégations de la Cour internationale de justice à l'encontre d'Israël, ce qui se passe n'est pas un génocide. Nous rejetons ces allégations ».

Ce mardi, c'était au tour du secrétaire d'Etat Anthony Blinken de menacer la CPI d'éventuelles sanctions de l'Etat américain. L'administration de Joe Biden va ainsi travailler avec le Congrès américain pour sanctionner la Cour pénale internationale pour être intervenu dans les affaires des États-Unis. Si la nature des sanctions n'a pas encore été annoncée, elles pourraient être similaires à celles imposées par l'administration Trump à Fatou Bensouda, alors procureur en chef de la CPI, et à Phakiso Mochochoko, chef de juridiction de la Cour, pour leur enquête sur les crimes de guerre présumés des États-Unis en Afghanistan : un gel de leurs avoirs et une interdiction de déplacement aux États-Unis.

Des mesures qui vont nécessiter une étroite collaboration entre l'administration démocrate et les Républicains, majoritaires au Congrès, comme l'a assumé Anthony Blinken dans des propos rapportés par le Financial Times : « Nous voulons travailler avec vous sur une base bipartisane pour trouver une réponse appropriée ». Une nouvelle démonstration de l'unité de l'establishment étatsunien derrière la politique du gouvernement israélien, le soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël étant un axiome commun aux Républicains comme aux Démocrates, et de la continuité de la politique étrangère de Trump et de Biden.

Pourtant, les attaques contre la Cour pénale internationale pourraient aiguiser encore davantage les contradictions qui fissurent le camp démocrate, déjà affecté par la mobilisation étudiante contre les massacres à Gaza et la complicité de Genocide Joe. Sous la pression du mouvement propalestinien, la position de l'aile gauche du parti démocrate a grandement évolué ces derniers mois. Si les démocrates ne parviennent pas à instrumentaliser les mobilisations, l'aile gauche tente de se distinguer pour capitaliser sur le mouvement : Bernie Sanders a ainsi annoncé « soutenir la CPI et ses actions ».

Si l'administration étatsunienne tente toujours de pousser le gouvernement israélien à abandonner son projet d'invasion à Rafah, la décision de la Cour décrédibilise la diplomatie étatsunienne qui espérait pouvoir convaincre Netanyahou de renoncer à prendre Rafah en contrepartie de la fin de l'enquête de la CPI. Si le gouvernement étatsunien joue de la menace pour empêcher la suite de la procédure, l'émission de mandats d'arrêt à l'encontre des gouvernants israéliens affaiblirait encore davantage Joe Biden, déjà dans une situation particulièrement délicate.

Pour autant, ces mandats d'arrêt ne forceraient pas le gouvernement étatsunien à arrêter Benjamin Netanyahou ou Yoav Gallant, les Etats-Unis n'étant pas signataires des statuts de Rome. Même dans l'hypothèse où la CPI parviendrait à ne pas céder à la pression, il est très improbable que les mandats soient exécutés. La CPI dépend en effet de la bonne volonté des Etats membres pour arrêter les personnes ciblées par un mandat, puisqu'elle ne dispose d'aucune force indépendante. La CPI ne peut pas non plus juger les accusés par coutumace, c'est-à-dire en leur absence, et il y a donc fort à parier que les dirigeants israéliens ne répondront jamais aux accusations qui les visent devant la CPI. Si la position de la CPI est pour le moment la plus « dure » exprimée à l'encontre du gouvernement israélien, elle ne devrait pas avoir d'impact sur la situation à Gaza et la politique menée par Benjamin Netanyahou.

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