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Révélations du journal britannique "The Guardian" : La guerre secrète d’Israël contre la CPI

Israël a mené une véritable guerre de l'ombre pour éviter que ses dirigeants ne soient poursuivis par la CPI, incluant des écoutes téléphoniques et des menaces physiques.
Tiré de El Watan-dz
30 mai 2024
Par Amel Blidi
Photo : D. R.
Lorsque le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé qu'il visait à obtenir des mandats d'arrêt contre des dirigeants israéliens et du Hamas, il a émis un avertissement clair : « J'insiste pour que cessent immédiatement toutes les tentatives d'entraver, d'intimider ou d'influencer indûment les responsables de cette Cour. »
Dans une enquête conjointe publiée mardi 28 mai par le quotidien britannique The Guardian et le site d'information israélien +972, il est révélé qu'Israël a mené une véritable guerre de l'ombre pour éviter que ses dirigeants ne soient poursuivis par la CPI, incluant des écoutes téléphoniques et des menaces physiques. Le pays a mobilisé ses agences de renseignement pour surveiller, pirater, faire pression, diffamer et, selon certaines allégations, menacer des hauts responsables de la CPI, afin de freiner les enquêtes de la Cour.
Les services de renseignement israéliens ont intercepté les communications de nombreux responsables de la CPI, y compris celles de Karim Khan et de son prédécesseur, Fatou Bensouda. Ces interceptions incluaient des appels téléphoniques, des messages, des courriels et des documents.
Les renseignements obtenus permettaient au Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, de connaître à l'avance les intentions du procureur. Une communication interceptée récemment suggérait que Khan souhaitait émettre des mandats d'arrêt contre des Israéliens, mais subissait une « pression énorme des Etats-Unis », selon une source informée.
Netanyahu aurait, selon l'article du Guardian, suivi de près les opérations de renseignement contre la CPI, étant décrit par une source de renseignement comme « obsédé » par les interceptions liées à l'affaire. Ces efforts, supervisés par ses conseillers en sécurité nationale, impliquaient l'agence de renseignement intérieure Shin Bet, la direction du renseignement militaire Aman et la division de cyber-renseignement, l'unité 8200. Les renseignements collectés étaient ensuite partagés avec les ministères de la Justice, des Affaires étrangères et des Affaires stratégiques.
L'inquiétude des responsables politiques et militaires israéliens face à d'éventuelles poursuites remonte, selon l'enquête du Guardian, aux premières visites de l'Autorité palestinienne à la Cour en 2009. Lorsque la Palestine a adhéré à la CPI en avril 2015, Israël a immédiatement mis en place une stratégie nationale pour neutraliser toute menace de poursuites contre ses dirigeants et soldats.
Le site d'investigation israélien +972 explique notamment que « les échanges privés avec des responsables palestiniens étaient régulièrement surveillés et largement partagés entre les communautés du renseignement ». D'après The Guardian, Yossi Cohen, ancien chef du Mossad de 2016 à 2021 et proche de Benyamin Netanyahu, aurait personnellement dirigé cette opération. Il aurait, entre autres, montré à la procureure de la CPI une photo d'elle prise lors d'un voyage privé à Londres avec son mari. « Vous devriez nous aider et nous laisser prendre soin de vous. Vous ne voulez pas vous engager dans des choses qui pourraient compromettre votre sécurité ou celle de votre famille », lui aurait dit le maître espion israélien.
« Terrorisme diplomatique »
L'enquête conjointe s'appuie sur des entretiens avec plus de deux douzaines d'officiers de renseignement israéliens et de responsables gouvernementaux, de hauts responsables de la CPI, de diplomates et d'avocats familiers de l'affaire.
La perspective de poursuites à La Haye a conduit l'ensemble de l'establishment militaire et politique israélien à considérer la contre-offensive contre la CPI comme une guerre à mener, selon un ancien responsable du renseignement israélien. Cette « guerre » a commencé en janvier 2015, lorsque la Palestine a rejoint la cour, après avoir été reconnue comme Etat par l'Assemblée générale de l'ONU, un acte condamné par les responsables israéliens comme une forme de « terrorisme diplomatique ».
Le 16 janvier 2015, quelques semaines après l'adhésion de la Palestine, Fatou Bensouda, avocate gambienne respectée élue procureure en chef de la CPI en 2012, a ouvert un examen préliminaire sur ce que la Cour appelait en termes juridiques « la situation en Palestine ». Le mois suivant, deux hommes qui avaient réussi à obtenir l'adresse privée de la procureure se sont présentés à son domicile à La Haye.
Selon l'article du journal britannique, les hommes ont refusé de s'identifier à leur arrivée, affirmant qu'ils voulaient remettre une lettre à Bensouda de la part d'une femme allemande inconnue qui souhaitait la remercier. L'enveloppe contenait des centaines de dollars en espèces et un mot avec un numéro de téléphone israélien.
Cette tentative de livraison inhabituelle et suspecte a été perçue comme une tentative d'intimidation directe envers Bensouda, visant à la dissuader de poursuivre les enquêtes sur les crimes de guerre présumés dans les territoires palestiniens occupés. Cet incident s'inscrit dans une série de pressions et d'interférences que les responsables israéliens ont exercées pour empêcher la CPI de mener ses enquêtes impartiales.
Quelques années plus tard, lorsqu'il a pris les rênes du bureau du procureur de la CPI en juin 2021, Karim Khan a aussi hérité d'une enquête qu'il décrivait plus tard comme étant « sur la faille de San Andreas de la politique internationale et des intérêts stratégiques ». L'enquête de la CPI a néanmoins traîné en longueur. Selon The Guardian, l'entité sioniste a tenté d'empêcher la Cour d'ouvrir une enquête criminelle exhaustive. Après que celle-ci a été lancée en 2021, elle « a cherché à s'assurer qu'elle n'aboutirait à rien ».
Il a fallu attendre l'affreuse guerre menée contre Ghaza pour voir le procureur britannique élever le ton contre Israël. En février 2024, Khan a publié une déclaration très ferme que les conseillers juridiques de Netanyahu ont interprétée comme un signe inquiétant.
Dans un message sur X, il a, en effet, averti Israël de ne pas lancer d'assaut sur Rafah, la ville la plus au sud de Ghaza où plus d'un million de personnes déplacées étaient réfugiées à l'époque. « Ce tweet nous a beaucoup surpris », a déclaré un haut responsable israélien cité par The Guardian.
Les services de renseignement israéliens avaient intercepté des courriels, des pièces jointes et des messages texte de Khan et d'autres responsables de son bureau. « Le sujet de la CPI a grimpé dans la liste des priorités du renseignement israélien », a déclaré une source du renseignement.
A Washington, un groupe de sénateurs républicains américains avait déjà envoyé une lettre menaçante à Khan avec un avertissement clair : « Cibler Israël et nous vous ciblerons. » La CPI, quant à elle, a renforcé sa sécurité avec des contrôles réguliers des bureaux du procureur, des vérifications de sécurité sur les appareils, des zones sans téléphone, des évaluations hebdomadaires des menaces et l'introduction d'équipements spécialisés.
Un porte-parole de la CPI a déclaré que le bureau de Khan avait été soumis à « plusieurs formes de menaces et de communications pouvant être considérées comme des tentatives d'influencer indûment ses activités ».
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L’impérialisme et l’anti-impérialisme aujourd’hui

Les États-Unis restent l'État le plus puissant du monde, avec la plus forte économie, le dollar comme monnaie de réserve mondiale, l'armée la plus puissante, le plus grand réseau d'alliances et, par conséquent, la plus grande puissance géopolitique. Mais il doit faire face à des concurrents de nature impériale, comme la Chine et la Russie, et à des rivaux de nature sub-impériale dans toutes les régions du globe.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
24 mai 2024
Par Ashley Smith
Le capitalisme engendre l'impérialisme, c'est-à-dire la concurrence entre les grandes puissances et leurs grands groupes pour le partage et le redécoupage du marché mondial. Cette concurrence génère une dynamique de hiérarchisation des États, avec les plus puissants au sommet, les puissances moyennes ou sous-impériales en dessous, et les nations opprimées en bas de l'échelle.
Aucune hiérarchie n'est permanente. La loi du développement inégal et combiné du capitalisme, ses périodes d'expansion et de ralentissement, la concurrence entre les grands groupes, les conflits entre États et les soulèvements des exploité.e.s et des opprimé.e.s déstabilisent et restructurent le système étatique.
En conséquence, l'histoire de l'impérialisme a connu une succession de phases. Un ordre multipolaire a caractérisé la période allant de la fin du XIXe siècle à 1945. Il a produit les grands empires coloniaux et deux guerres mondiales. Il a été supplanté par un ordre bipolaire entre 1945 et 1991, les États-Unis et l'Union soviétique luttant pour l'hégémonie sur les nouveaux États indépendants libérés de la domination coloniale.
Avec l'effondrement de l'empire soviétique, les États-Unis ont présidé à un ordre unipolaire de mondialisation néolibérale, sans aucune superpuissance rivale, et ont mené une série de guerres pour imposer leur soi-disant ordre fondé sur des règles du capitalisme mondial, de 1991 au début des années 2000. Cet ordre a trouvé sa fin avec le déclin relatif des États-Unis, la montée en puissance de la Chine et la renaissance de la Russie, ouvrant la voie à l'ordre multipolaire asymétrique tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Les États-Unis restent la puissance dominante, mais ils sont désormais engagés dans une compétition avec la Chine et la Russie, surplombant des États sub-impériaux qui s'affirment de plus en plus, tels qu'Israël, l'Iran, l'Arabie Saoudite, l'Inde et le Brésil, ainsi que des nations assujetties qui souffrent d'une oppression à la fois politique et économique. Face à la menace d'une nouvelle époque de crises, de guerres et de révoltes, la gauche mondiale se doit de construire la solidarité internationale par en bas entre les travailleurs et les opprimés dans une lutte contre l'impérialisme et pour le socialisme dans le monde entier.
Les multiples crises du capitalisme mondial
Le capitalisme mondial a engendré de multiples crises qui se recoupent et qui intensifient les conflits entre les États et à l'intérieur de ceux-ci. Ces crises sont : l'effondrement de l'économie mondiale, l'exacerbation de la rivalité entre les États-Unis, la Chine et la Russie, le changement climatique, les migrations mondiales sans précédent et les pandémies, dont le COVID-19 n'est que l'exemple le plus récent. Ces crises ont ébranlé le système en place, provoqué une polarisation politique dans la plupart des pays du monde, ouvert la porte à la fois à la droite et à la gauche, et déclenché des vagues de luttes explosives, mais ponctuelles, depuis la base. Nous n'avons pas connu une telle période de crise, de conflit, de guerre, d'instabilité politique et de révolte depuis des décennies.
Tout cela constitue un défi et une chance pour une gauche internationale et un mouvement ouvrier qui souffrent encore des conséquences de plusieurs décennies de défaite et de recul. C'est aussi une ouverture pour une nouvelle extrême droite qui présente des solutions autoritaires autour de la promesse de restaurer l'ordre social en désignant des boucs émissaires parmi les opprimé.e.s à l'intérieur du pays et en attisant des formes réactionnaires de nationalisme contre les ennemis de l'étranger.
Une fois au pouvoir, cette nouvelle extrême droite a échoué à surmonter les crises et les inégalités du capitalisme mondial. Au contraire, elle les a exacerbées. En conséquence, ni les dirigeants en place ni leurs opposants d'extrême droite ne proposent d'issue pour sortir de cette époque de catastrophes.
Nous n'avons pas connu une telle période de crise, de conflits, de guerres, d'instabilité politique et de révoltes depuis des décennies. Tout cela constitue un défi et une chance pour une gauche internationale et un mouvement ouvrier qui souffrent encore des conséquences de plusieurs décennies de défaite et de recul.
L'ordre mondial multipolaire asymétrique
Dans ce contexte de crises qui se multiplient comme des métastases, les États-Unis ne sont plus au sommet d'un ordre mondial unipolaire. Ils ont subi un déclin relatif à la suite du long cycle de prospérité néolibéral, de l'échec de leurs guerres en Irak et en Afghanistan et de la grande récession. Ces évolutions ont permis la progression de la Chine en tant que nouvelle puissance impériale et la résurgence de la Russie en tant que pétro-puissance dotée de l'arme nucléaire. Dans le même temps, une multitude de puissances sub-impériales se sont affirmées plus que par le passé, mettant en concurrence les grandes puissances et cherchant à prendre l'avantage dans leur région.
Tout cela a donné naissance à l'ordre mondial multipolaire asymétrique d'aujourd'hui. Les États-Unis restent l'État le plus puissant du monde, avec la plus importante économie, le dollar comme monnaie de réserve mondiale, l'armée la plus puissante, le plus grand réseau d'alliances et, par conséquent, la plus grande puissance géopolitique. Mais il doit faire face à des concurrents impériaux en Chine et en Russie et à des rivaux sous-impérialistes dans toutes les régions du globe.
Ces antagonismes n'ont pas donné naissance à des blocs géopolitiques et économiques cohérents. La mondialisation a fortement imbriqué la plupart des économies du monde, empêchant le retour de blocs tels qu'ils existaient à l'époque de la guerre froide.
Ainsi, les deux plus grands rivaux, les États-Unis et la Chine, sont aussi deux des plus intégrés au monde. Pensez à l'iPhone d'Apple, conçu en Californie, fabriqué en Chine dans des usines sous propriété taïwanaise et exporté vers des vendeurs situés aux États-Unis et dans le reste du monde.
Les nouvelles puissances sous-impériales ne se montrent loyales ni envers la Chine ni envers les États-Unis, mais concluent de manière opportuniste des pactes avec l'une ou l'autre puissance pour servir leurs propres intérêts capitalistes. Par exemple, tout en concluant des accords avec la Chine dans le cadre de l'alliance BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) contre les États-Unis, l'Inde est partie prenante de l'alliance QUAD (États-Unis, Australie, Inde, Japon) de Washington contre la Chine.
Cela dit, le marasme économique mondial, l'intensification de la rivalité entre les États-Unis et la Chine, et surtout la guerre impérialiste que mène la Russie en Ukraine et les sanctions des États-Unis et de l'OTAN contre Moscou commencent à ébranler la mondialisation telle que nous l'avons connue. En effet, la mondialisation a atteint un plateau et a commencé à décliner.
Par exemple, dans le cadre de ce qu'on appelle la guerre des puces, les États-Unis et la Chine sont en train de mettre à part la partie supérieure de leurs économies de haute technologie. Par ailleurs, les sanctions occidentales imposées à la Russie en raison de la guerre impérialiste qu'elle mene contre l'Ukraine l'ont exclue des échanges commerciaux et des investissements des États-Unis et de l'Union européenne (UE), l'obligeant à se tourner vers les marchés chinois et iranien.
Il en résulte que nous sommes sur une trajectoire de division économique croissante, de rivalité géopolitique et même de conflit militaire entre les États-Unis, la Chine et la Russie, ainsi qu'entre eux et les puissances sub-impériales. Dans le même temps, la profonde intégration économique des États-Unis et de la Chine en particulier, ainsi que le fait que chacun possède des armes nucléaires, contrecarrent la tendance à la guerre ouverte, qui risquerait d'entraîner une destruction mutuelle certaine et l'effondrement de l'économie mondiale.
Washington réarme pour se préparer à la rivalité des grandes puissances
Depuis l'administration Obama, l'État américain tente de mettre en place une nouvelle stratégie afin de contrer la montée en puissance de la Chine et la résurgence de la Russie. Obama avait lancé son fameux « pivot vers l'Asie » et Trump avait ouvertement mis la compétition entre grandes puissances avec Pékin et Moscou au centre de sa stratégie de sécurité nationale, mais ni l'un ni l'autre n'a défini une approche globale de ces conflits ou d'autres dans le cadre du nouvel ordre mondial asymétrique et multipolaire.
Nous sommes sur la voie d'une division économique croissante, d'une rivalité géopolitique et même d'un conflit militaire entre les États-Unis, la Chine et la Russie, ainsi qu'entre eux et les puissances sub-impériales.
Le président Barack Obama était resté concentré sur le Moyen-Orient, où il a mis fin aux occupations de l'Irak et de l'Afghanistan, avant de consolider l'ordre existant dans la région après le printemps arabe et la montée en puissance de Daech. Trump a affiché haut et fort sa stratégie de confrontation entre grandes puissances, mais celle-ci s'est révélée incohérente dans la pratique. Elle consistait en un amalgame de nationalisme d'extrême droite, de protectionnisme, de menaces d'abandon d'alliances historiques telles que l'OTAN et d'accords bilatéraux négociés à la fois avec des adversaires déclarés et avec des alliés traditionnels. Ses années erratiques de mauvaise conduite des affaires ont entraîné la poursuite du déclin relatif des États-Unis.
Le président Joe Biden a adopté la stratégie la plus cohérente à ce jour. Son idée était de récupérer les luttes sociales et de classes par des réformes mineures, de mettre en œuvre une nouvelle politique industrielle pour garantir la compétitivité des États-Unis dans la fabrication de produits de haute technologie, de restaurer les alliances de Washington, comme l'OTAN, et de les élargir en lançant une « Ligue des démocraties » contre les rivaux autocratiques de Washington.
En fin de compte, les Démocrates du centre, les Républicains et les Cours de justice ont bloqué bon nombre de ses réformes destinées à atténuer l'inégalité sociale. Mais il a réussi à mettre en œuvre sa politique industrielle au moyen de plusieurs textes de loi. Biden a également commencé à remettre en état et à élargir les alliances des États-Unis par le biais de nouveaux pactes et d'initiatives économiques. L'objectif est de contenir la Chine, de contrer l'expansionnisme russe en Europe de l'Est et de ramener le plus grand nombre possible de puissances sous-impérialistes, d'États subordonnés et de nations opprimées sous l'hégémonie américaine et l'ordre international qui lui est attaché.
M. Biden a poursuivi sur la lancée de ses prédécesseurs dans leurs efforts pour sortir les États-Unis du bourbier des opérations d'occupation. Il a finalement mis fin à vingt années d'occupation de l'Afghanistan de façon chaotique, sur fond de crimes de guerre et en abandonnant le pays aux Talibans. Il a ensuite tenté de stabiliser le Moyen-Orient en maintenant les accords d'Abraham conclus sous Trump et en intensifiant les efforts de normalisation des relations avec Israël par l'établissement de relations officielles entre les régimes arabes et Tel-Aviv. Bien entendu, cela a donné le feu vert au Premier ministre Benjamin Netanyahou pour poursuivre le siège de Gaza, l'expansion des colons en Cisjordanie occupée et l'approfondissement de l'apartheid en Israël, qui trouve aujourd'hui son horrible expression dans la guerre génocidaire d'Israël contre Gaza. En Europe, Biden a réengagé les États-Unis dans l'OTAN, envoyant ainsi le signal à la Russie que Washington, et non Moscou, resterait la puissance hégémonique prédominante dans la région.
Mais la principale cible de la stratégie de Biden en matière de rivalité entre grandes puissances est la Chine. Sur le plan économique, sa politique industrielle est conçue pour restaurer, protéger et étendre la suprématie économique des États-Unis face à Pékin, en particulier dans le domaine de la haute technologie. Elle a pour objectif de relocaliser la fabrication de produits de haute technologie sur le territoire américain ou dans des pays amis, d'imposer une barrière protectionniste élevée autour de la conception et de l'ingénierie des puces informatiques produites aux États-Unis et de soutenir financièrement les entreprises et les universités américaines de haute technologie dans les domaines des STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) afin d'asseoir leur domination dans le domaine de l'IA (intelligence artificielle) et d'autres technologies de pointe, en particulier en raison de leurs éventuelles applications militaires.
Sur le plan géopolitique, Biden a consolidé les accords existants avec le Japon et les a élargis pour inclure en particulier les pays que la Chine cherche à déstabiliser, notamment le Viêt Nam et les Philippines. Il a également réaffirmé la politique dite de la « Chine unique », qui ne reconnaît que Pékin, et l'ambiguïté stratégique à l'égard de Taïwan, qui conduit les États-Unis à armer la nation insulaire comme un « porc-épic » pour dissuader l'agression chinoise, tout en restant vagues sur la question de savoir s'ils s'engageraient dans la défense de l'île en cas d'agression ou d'invasion.
Sur le plan militaire, Biden a renforcé les alliances militaires américaines telles que le QUAD et le Five Eyes (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et États-Unis), et en a créé de nouvelles, notamment celle entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS) pour le déploiement de sous-marins nucléaires en Australie. Washington est en plein processus de déclenchement d'une course à l'armement et à la construction de bases avec la Chine dans toute l'Asie-Pacifique.
Les rivaux impérialistes de Washington : La Chine et la Russie
La Chine et la Russie ont mis en œuvre leur propre stratégie pour faire valoir leurs ambitions impériales. Ces trois puissances forment ce que Gilbert Achcar a appelé la « triade stratégique » de l'impérialisme mondial.
Sous la direction de Xi Jinping, la Chine a cherché à restaurer son statut de grande puissance dans le cadre du capitalisme mondial. Elle a mis en œuvre une stratégie économique qui consiste à s'élever dans la chaîne de valeur pour être compétitive au plus haut niveau de la conception, de l'ingénierie et de la fabrication. Elle a investi des capitaux publics et privés dans le cadre de programmes tels que « Chine 2025 », qui vise à faire de certaines entreprises des champions nationaux dans le domaine des hautes technologies.
Ce programme a été couronné de succès, Huawei et BYD, entre autres, s'étant imposés comme des acteurs de premier plan au niveau mondial. La Chine est désormais un leader industriel dans des domaines tels que l'énergie solaire et les véhicules électriques, défiant ainsi le capital américain, européen et japonais.
Avec son expansion économique massive, la Chine a tenté d'exporter ses excédents de capitaux et de capacités à l'étranger par le biais de son programme « Les Nouvelles Routes de la Soie » (Belt and Road Initiative,BRI), d'une valeur de 1 000 milliards de dollars, un vaste plan de développement d'infrastructures dans le monde entier, en particulier dans les pays du Sud. Rien de tout cela n'est altruiste. La plupart de ces investissements sont destinés à construire des infrastructures, des voies ferrées, des routes et des ports pour exporter des matières premières vers la Chine. La Chine exporte ensuite ses produits finis vers ces pays, selon un schéma impérialiste classique. Mais le ralentissement de son économie, les problèmes bancaires et les crises de la dette dans les pays auxquels elle avait accordé des prêts, ont conduit la Chine à renoncer à ses plus grandes ambitions en matière d'investissement direct à l'étranger.
Néanmoins, la Chine tente de transformer ces efforts en influence géopolitique au travers de regroupements économiques tels que les BRICS, ainsi que de pactes politiques et de sécurité tels que l'Organisation de coopération de Shanghai (qui regroupe la Chine, la Russie, l'Inde, le Pakistan, l'Iran et une série d'États d'Asie centrale). Elle a également affirmé son influence au Moyen-Orient en soutenant la normalisation des relations diplomatiques entre son allié l'Iran et l'Arabie saoudite, dont elle dépend pour l'essentiel de son pétrole.
Pour étayer son importance économique nouvelle au moyen d'une puissance militaire, la Chine modernise ses forces armées, en particulier sa marine, dans le but bien précis de contester l'hégémonie navale des États-Unis dans le Pacifique. C'est dans cette optique qu'elle s'est emparée d'îles revendiquées par d'autres États, ce qui a engendré des conflits avec le Japon, le Viêt Nam, les Philippines et de nombreux autres pays. Elle a procédé à la militarisation de certaines d'entre elles, notamment en mer de Chine méridionale, afin de mettre en avant sa puissance, de protéger les routes maritimes et de revendiquer des droits sur les réserves sous-marines de pétrole et de gaz naturel.
Enfin, Pékin fait valoir ses revendications historiques sur ce qu'il considère comme son territoire national dans le cadre d'un projet de régénération de la nation. Elle a ainsi imposé sa domination sur Hong Kong par la force brutale, conduit une véritable guerre contre des menées terroristes ainsi qu'un génocide culturel à l'encontre des Ouïghours du Xinjiang, et a accentué ses menaces d'invasion de Taïwan, qu'elle considère comme une province dissidente.
Sous le règne de Vladimir Poutine, la classe dirigeante russe a cherché à restaurer son pouvoir impérial, si durement ébranlé par l'effondrement de l'empire soviétique en Europe de l'Est et par la mise en œuvre désastreuse de la thérapie de choc néolibérale. Elle a vu les États-Unis et l'impérialisme européen absorber son ancienne sphère d'influence par le biais de l'expansion de l'OTAN et de l'UE.
Poutine a reconstruit la Russie en tant que puissance pétrolière dotée d'armes nucléaires avec pour objectif de reconquérir son ancien empire en Europe de l'Est et en Asie centrale, tout en imposant l'ordre à l'intérieur du pays contre toute dissidence populaire et en particulier contre ses républiques parfois récalcitrantes. Elle a tenté de consolider son emprise sur son ancienne sphère d'influence en collaborant avec la Chine au sein de l'Organisation de coopération de Shanghai.
Ce projet impérialiste l'a conduite à engager une série de guerres en Tchétchénie (1996, 1999), en Géorgie (2008), en Ukraine (2014, 2022-) ainsi que des interventions en Syrie et dans plusieurs pays d'Afrique. L'affirmation impériale de la Russie a suscité la résistance des États et des peuples qu'elle a pris pour cible, ainsi que des contre-offensives impérialistes de la part des États-Unis, de l'OTAN et de l'UE.
La guerre impérialiste russe contre l'Ukraine
Trois nœuds stratégiques ont porté ces rivalités interimpériales à leur paroxysme : l'Ukraine, Gaza et Taïwan.
L'Ukraine est devenue le théâtre d'une guerre majeure en Europe pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. La Russie a envahi le pays en 2014, puis à nouveau en 2022, dans un acte d'agression impérialiste évident, tentant de s'emparer de l'ensemble du pays et d'y imposer un régime semi-colonial. Poutine a justifié son geste par des mensonges sur la dénazification (à peine croyable de la part d'un des États les plus réactionnaires au monde et allié de l'extrême droite à l'échelle internationale).
Bien sûr, cette agression était en partie une réponse à l'expansion des États-Unis, de l'OTAN et de l'UE, mais cela n'enlève rien à la nature impérialiste de cette guerre. L'objectif était d'utiliser la conquête de l'Ukraine comme un tremplin pour récupérer son ancienne sphère d'influence dans le reste de l'Europe de l'Est.
L'État, l'armée et le peuple ukrainiens se sont soulevés contre l'invasion dans une lutte pour l'autodétermination nationale.
Biden a fourni à l'Ukraine une aide économique et militaire au nom des intérêts impériaux de Washington. Washington n'est pas un allié des luttes de libération nationale, comme l'atteste sa longue histoire de guerres impérialistes, des Philippines au Viêt Nam et à l'Irak. Washington a pour objectif d'affaiblir la Russie, de l'empêcher d'empiéter sur sa sphère d'influence élargie en Europe de l'Est et de dresser ses alliés de l'OTAN non seulement contre Moscou, mais aussi contre la Chine, que l'OTAN a désignée comme un point stratégique pour la première fois de son histoire.
Les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN ont imposé à la Russie les sanctions les plus sévères de l'histoire et ont fait pression sur l'Europe occidentale pour qu'elle se désengage de l'approvisionnement énergétique russe et fasse plutôt appel aux exportations de gaz naturel en provenance des États-Unis. Par réaction, la Russie est devenue de plus en plus dépendante de la Chine pour le commerce et la technologie, ainsi que de la Corée du Nord et de l'Iran pour les missiles, les drones et d'autres matériels militaires.
Washington a également tenté d'utiliser l'agression de la Russie pour rallier les pays du Sud à sa position. Mais il n'a pas eu beaucoup de chance avec les gouvernements de ces États, malgré l'identification populaire de la plupart de ces pays anciennement colonisés avec la lutte de l'Ukraine pour l'autodétermination. Néanmoins, Biden a utilisé l'Ukraine pour consolider ses alliances mondiales et le pouvoir de séduction de Washington, qui s'est posé en défenseur de l'autodétermination et de son pseudo ordre fondé sur des règles de droit, face à l'impérialisme russe.
La guerre génocidaire d'Israël à Gaza, soutenue par les États-Unis
La guerre génocidaire d'Israël à Gaza a bouleversé les plans impériaux de Washington pour l'ensemble du Moyen-Orient et l'a précipité dans sa plus grande crise géopolitique depuis le Viêtnam. Confronté à un lent étranglement dû au siège total de Gaza, le Hamas a entrepris une tentative désespérée d'évasion le 7 octobre, capturant des otages et tuant un grand nombre de soldats et de civils.
Son attaque a mis en lumière les faiblesses des services de renseignement israéliens et du contrôle des frontières le long de son mur d'apartheid. En réaction, Israël a engagé la plus importante incursion militaire jamais réalisée dans la bande de Gaza, dans le but déclaré de récupérer les otages et de détruire le Hamas. Il n'a réussi ni l'un ni l'autre. Au lieu de cela, il a détruit Gaza dans une guerre en forme de punition collective, de nettoyage ethnique et de génocide. L'administration Biden l'a soutenue à chaque étape, en la finançant, en lui fournissant une couverture politique avec des vetos aux Nations unies et en l'armant jusqu'aux dents.
Mais il existe un fossé entre Israël et les États-Unis. Si Washington soutient l'objectif d'Israël de détruire la résistance palestinienne, il a tenté de le persuader de modifier sa stratégie en passant des bombardements de Gaza et des meurtres de civils à des opérations spéciales visant le Hamas. Le désaccord stratégique de l'administration Biden avec Israël a atteint son paroxysme lors de l'assaut de Rafah, les États-Unis interrompant les livraisons de certaines de leurs bombes les plus destructrices.
Le gouvernement des États-Unis n'approuve pas non plus les offensives de plus en plus nombreuses d'Israël dans la région, notamment les bombardements en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen. Washington ne s'est pas ouvertement opposé à ces frappes, mais a plutôt tenté de faire pression sur les régimes visés pour qu'ils ne réagissent pas.
Les États-Unis n'ont pas été en mesure de freiner Netanyahou, prisonnier des fascistes de son gouvernement de coalition qui appellent au génocide et à la guerre régionale, en particulier contre l'Iran. Netanyahou leur a emboîté le pas pour préserver son gouvernement de coalition, car s'il tombe, il sera probablement emprisonné sur la base d'accusations de corruption.
Ainsi, la guerre génocidaire et l'agression régionale d'Israël pourraient déclencher une guerre plus large. Déjà, elle a incité les Houthis au Yémen à mener des opérations contre des navires pétroliers et commerciaux, menaçant ainsi l'économie mondiale et conduisant les États-Unis à mettre sur pied une coalition pour protéger leurs navires et menacer les Houthis.
Mais le conflit le plus aigu et le plus dangereux de tous ceux qu'Israël a orchestrés est celui qui l'oppose à l'Iran. Il a bombardé l'ambassade de Téhéran à Damas, tuant l'un des dirigeants des Gardiens de la révolution islamique. Washington s'est empressé de faire pression sur l'Iran pour qu'il ne frappe pas Israël et ne déclenche pas une guerre à grande échelle.
Finalement, l'Iran a mené une attaque largement symbolique contre Israël. Il a télégraphié ses plans aux États-Unis et aux pays arabes, ce qui a permis à Israël et à ses alliés d'abattre la quasi-totalité des drones et des missiles. Les États-Unis ont ensuite fait pression sur Israël pour qu'il limite sa contre-attaque. Tel-Aviv a néanmoins envoyé un message inquiétant en frappant, certes de manière limitée, les installations nucléaires iraniennes. En retour, Téhéran poursuivra ses efforts de développement d'armes nucléaires et Israël répondra par des frappes militaires afin de protéger son monopole nucléaire régional, menaçant ainsi la région d'un Armageddon.
Au milieu de ce tourbillon, la barbarie d'Israël a déclenché des protestations de masse dans tout le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord et dans le monde entier, faisant apparaître et isolant à la fois Israël et les États-Unis comme les architectes et les auteurs d'un génocide. L'Afrique du Sud a porté plainte contre Israël devant la Cour internationale de justice, l'accusant de génocide, une affaire que la Cour a déclarée recevable.
La Chine et la Russie ont profité de la crise pour se poser en alliés de la Palestine, malgré leurs étroites relations économiques et diplomatiques avec Israël et leur soutien à la stabilisation du statu quo dans la région. Les oppresseurs du Xinjiang et de l'Ukraine n'ont aucune raison de se dire favorables à l'autodétermination nationale.
Néanmoins, les États-Unis ont subi un énorme revers. Leur capacité de s'imposer en douceur a été profondément ébranlée. Personne ne peut plus guère croire que les États-Unis soutiennent « un ordre fondé sur des règles de droit », « l'autodétermination » ou même « la démocratie ».
Les projets de normalisation des relations avec Israël par le biais des accords d'Abraham ont été pour le moment interrompus. Alors que leurs populations sont descendues dans la rue et expriment à tout le moins de la sympathie pour les Palestiniens, aucun régime arabe ne conclura publiquement un accord avec Israël, malgré leur intégration économique croissante avec l'État d'apartheid, bien qu'un certain nombre d'entre eux continuent de faire avancer ces projets à huis clos.
Aucun de ces régimes, ni l'Iran, ne peut être considéré comme un allié de la lutte palestinienne. À l'exception des Houthis, tous ont limité les ripostes militaires à Israël. Aucun n'a interrompu ses livraisons de pétrole aux grandes puissances.
Il n'y a pas véritablement d'« axe de la résistance ». Tous ces États prennent des postures pour empêcher la solidarité populaire avec la Palestine de basculer dans l'opposition à leur propre régime despotique. Et lorsqu'ils ont été confrontés à une quelconque résistance intérieure, tous, de l'Égypte à l'Iran, l'ont réprimée avec une force brutale. Ce sont tous des régimes capitalistes contre-révolutionnaires.
La guerre génocidaire d'Israël a toutefois fondamentalement sapé la tentative de Washington de courtiser les États et les impérialismes secondaires de la région et de l'ensemble du Sud. Les souvenirs que ces États et leurs peuples ont de leur propre lutte de libération les amènent à s'identifier à la Palestine et à s'opposer à la fois aux États-Unis et à Israël. Cela a suscité une vague mondiale sans précédent de protestations populaires en solidarité avec la Palestine. Parallèlement, le soutien sans faille de l'administration Biden à Israël a déclenché des protestations ininterrompues au cours des six derniers mois, qui ont culminé avec une rébellion étudiante sur les campus de tout le pays. Mettant encore plus à mal les prétentions de Washington à être un modèle de démocratie, les deux grands partis politiques, en collaboration avec les administrations libérales et conservatrices des universités, ont réprimé cette rébellion étudiante avec la plus grande brutalité.
Israël a ainsi réduit à néant toutes les avancées géopolitiques réalisées par les États-Unis grâce à ses prises de position autour de l'Ukraine, a plongé l'impérialisme américain dans une crise et a mis en péril la réélection de Biden. Il a également ouvert un large espace aux adversaires mondiaux et régionaux de Washington pour qu'ils affirment de plus en plus leurs propres intérêts, ce qui a entraîné une escalade des conflits dans le monde entier.
Taïwan : épicentre de la rivalité entre les États-Unis et la Chine
Taïwan est devenu l'épicentre de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. La Chine a fait de la réunification, c'est-à-dire de la prise de Taïwan, l'un de ses principaux objectifs impérialistes. Si Joe Biden a promis de maintenir la politique d'une seule Chine et l'ambiguïté stratégique, il a promis à plusieurs reprises de prendre la défense de Taïwan en cas de guerre.
Pour se préparer à une telle conflagration, il tente de surmonter l'antagonisme historique entre les alliés régionaux que sont le Japon, les Philippines, la Corée du Sud, le Viêt Nam et d'autres, afin de les unir autour de divers pactes multilatéraux et bilatéraux dirigés contre la Chine. Tout cela ne fait qu'attiser le conflit sur Taïwan.
Dans le même temps, l'intégration économique des États-Unis, de la Chine et de Taïwan atténue la dérive vers la guerre. Foxconn, l'une des multinationales taïwanaises, fabrique l'iPhone d'Apple dans des usines géantes en Chine pour l'exporter dans le monde entier, y compris aux États-Unis. La société taïwanaise TSMC fabrique également 90 % des microprocesseurs les plus sophistiqués au monde, qui sont utilisés dans tous les domaines, des grille-pain aux armes de haute technologie, en passant par les chasseurs bombardiers tels que le F-35.
En dépit de cette intégration, le conflit entre les États-Unis et la Chine autour de Taïwan s'est intensifié tout au long du mandat de Biden, et les dirigeants américains l'ont encore aggravé par des visites provocatrices. Par exemple, Nancy Pelosi a organisé un voyage diplomatique au cours duquel elle a promis le soutien des États-Unis à Taïwan, ce qui a incité la Chine à répondre par des manœuvres militaires menaçantes. De son côté, la Chine s'est également livrée à des provocations pour influer sur la politique taïwanaise et envoyer un message à Washington.
En réalité, aucune des deux grandes puissances ne respecte le droit à l'autodétermination de Taïwan. La Chine veut l'annexer et Washington n'utilise Taipei que dans le cadre de son offensive impériale contre Pékin.
Bien que la guerre soit peu probable, parce qu'elle pourrait déclencher une conflagration nucléaire et anéantir l'économie mondiale en interrompant la production et le commerce des puces électroniques, de matières premières aussi essentielles que le pétrole au fonctionnement du capitalisme mondial contemporain, elle ne peut être exclue étant donné que les conflits impérialistes s'exacerbent.
Le marasme intensifie la rivalité interimpérialiste
Le marasme mondial du capitalisme intensifie la rivalité entre les États-Unis, la Chine et la Russie sur tous les terrains, du commerce à la géopolitique, en passant par ces points stratégiques névralgiques. Le marasme mondial exacerbe également les inégalités au sein des nations et entre elles à travers le monde.
En tant que puissance impérialiste dominante qui contrôle la monnaie de réserve mondiale (le dollar), les États-Unis se sont remis de la récession due à la pandémie avec plus de succès que leurs rivaux. C'est l'exception, et non la norme, dans le monde capitaliste avancé. Malgré cela, l'inflation a frappé de plein fouet la classe ouvrière et intensifié les divisions sociales et de classe.
L'Europe et le Japon oscillent entre récession et croissance lente, avec une aggravation des inégalités entre les classes. La Chine poursuit sa croissance, mais à un rythme très réduit. La Russie a mis en place une économie de guerre pour échapper aux pires conséquences des sanctions et maintenir ses taux de croissance, mais cette situation n'est pas viable. Dans ces deux pays, les inégalités se creusent.
Le marasme mondial a des effets du même ordre sur les puissances sub-impériales, dont beaucoup dépendent de la diminution des marchés d'exportation dans le monde capitaliste avancé. Par ailleurs, une grave crise de la dette souveraine a éclaté dans les pays opprimés et endettés du Sud. La combinaison d'une croissance lente, de marchés d'exportation affaiblis, de l'inflation et de taux d'intérêt élevés les a rendus incapables de rembourser leurs emprunts. Bien que les prêteurs capitalistes privés, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les banques d'État ou contrôlées par la Chine aient accepté de procéder à des accords de réajustement partiel avec les pays endettés, ils veulent toujours que leurs prêts soient remboursés et ont imposé diverses conditions pour le garantir. Tout cela exacerbe les divisions sociales et de classe, provoquant dans certains cas la hausse de l'extrême pauvreté, qui avait reculé au cours de la phase d'expansion néolibérale.
Polarisation, révolte et révolution
Le fait que les institutions du capitalisme, qu'il s'agisse de démocraties libérales ou d'autocraties, soient incapables de surmonter ce marasme, entraînera une polarisation politique de plus en plus forte, ouvrant la voie à la fois à la gauche et à la droite.
Compte tenu des faiblesses de l'extrême gauche et des organisations de classe et de lutte sociale, diverses formes de réformisme ont été la principale expression d'une alternative à gauche. Mais, comme on pouvait s'y attendre, les réformistes au gouvernement ont été entravés par la bureaucratie d'État capitaliste et par la faiblesse de leurs économies secouées par la crise, ce qui les a conduits soit à ne pas tenir leurs promesses, soit à les trahir et à opter pour des politiques capitalistes traditionnelles.
Les échecs de la classe dirigeante capitaliste et de ses opposants réformistes ouvrent partout la porte à l'extrême droite électorale et aux forces fascistes naissantes.
L'exemple type est celui de Syriza en Grèce. Il a trahi son engagement à s'opposer à l'UE et aux créanciers internationaux et a capitulé devant leur programme d'austérité, ce qui lui a valu d'être rejeté par les électeurs au profit d'un gouvernement néolibéral de droite.
Les échecs de la classe dirigeante capitaliste et de ses opposants réformistes ouvrent partout la porte à l'extrême droite électorale et aux forces fascistes naissantes. Même si elle est ethnonationaliste, autoritaire et réactionnaire, la majeure partie de cette nouvelle droite n'est pas fasciste. Elle ne construit pas de mouvements de masse pour renverser la démocratie bourgeoise, imposer la dictature et écraser les luttes des travailleurs et des opprimés. Ils tentent plutôt de gagner les élections dans le cadre de la démocratie bourgeoise et d'utiliser l'État pour réimposer un certain ordre social par le biais de politiques sécuritaires tournées vers divers boucs émissaires, en particulier les migrant.e.s fuyant la pauvreté, les crises politiques et le changement climatique.
Aux États-Unis, en Europe, en Inde, en Chine, en Russie et dans d'autres pays, l'extrême droite se montre particulièrement encline à s'en prendre aux musulmans. Presque sans exception, la droite promet de restaurer l'ordre social en imposant les « valeurs familiales » au détriment des féministes, des transgenres et des militants LGBTQ.
La droite a déjà réalisé des avancées historiques en Europe, en Asie et en Amérique latine. Et en 2024, avec des élections dans 50 pays impliquant 2 milliards de personnes, les partis de droite sont bien placés pour réaliser de nouvelles avancées.
C'est peut-être aux États-Unis que ces changements auront le plus d'impact sur la politique mondiale : Biden se présente en consolidant les alliances et les projets de l'impérialisme américain à l'étranger et en défendant prétendument la démocratie à l'intérieur du pays. Trump menace d'abandonner le grand projet de l'impérialisme américain, le contrôle du capitalisme mondial, de se retirer de ses alliances multilatérales, d'imposer davantage de mesures économiques nationalistes et de faire des opprimé.e.s des boucs émissaires à l'intérieur et à l'extérieur du pays pour y réussir. Ce faisant, il accélérerait le déclin relatif de Washington, accentuerait les inégalités intérieures et exacerberait les antagonismes inter-impériaux et inter-étatiques.
Ni Trump ni l'extrême droite où que ce soit dans le monde n'ont de solutions à proposer aux exploité.e.s et aux opprimé.e.s face aux crises qu'ils.elles subissent. De ce fait, leurs victoires ne déboucheront pas sur des régimes stables, mais ouvriront la porte à la réélection des partis traditionnellement établis.
Depuis la Grande Récession, la combinaison des crises et de l'incapacité des gouvernements, quels qu'ils soient, à les résoudre a régulièrement entraîné les travailleurs et les opprimés dans des vagues de lutte . En effet, les 15 dernières années ont été marquées par certaines des plus grandes révoltes depuis les années 1960.
Presque tous les pays du monde ont connu une forme ou une autre de lutte de masse par en bas, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Toutes ces luttes ont été entravées par les défaites et les reculs des dernières décennies, qui ont affaibli l'organisation sociale et de classe et brisé la gauche révolutionnaire.
En conséquence, même les révoltes les plus puissantes n'ont pas été en mesure de mener à bien des révolutions politiques ou sociales. Cela a laissé une ouverture à la classe dirigeante et à ses représentants politiques qui ont pu maintenir leur hégémonie, souvent avec le soutien de telle ou telle puissance impérialiste ou sous-impérialiste.
Par exemple, la Russie, l'Iran et le Hezbollah ont sauvé le régime barbare de Bachar el-Assad en le protégeant de la révolution. De même, la stratégie américaine de préservation du régime a aidé la classe dirigeante égyptienne à réimposer une dictature féroce dirigée par Abdel Fattah el-Sisi. Mais ces régimes n'ont en aucun cas stabilisé leurs sociétés. Les crises persistantes et le niveau scandaleux d'inégalité et d'oppression continuent d'alimenter la résistance par en bas dans le monde entier.
Les trois pièges de l'anti-impérialisme
Le nouvel ordre mondial multipolaire asymétrique, avec ses rivalités interimpériales croissantes, ses conflits interétatiques et ses vagues de révolte à l'intérieur des sociétés, a posé à la gauche internationale des questions auxquelles elle est mal préparée à répondre. Dans le ventre de la bête, les États-Unis, la gauche a majoritairement adopté trois positions erronées, qui nuisent toutes à la construction d'une solidarité internationale par en bas contre l'impérialisme et le capitalisme mondial.
Premièrement, les partisans du parti démocrate sont tombés dans le piège du soutien social-patriote aux États-Unis contre leurs rivaux. Ils ont soutenu l'appel de Joe Biden à former une « ligue des démocraties » contre la Chine et la Russie. C'est particulièrement le cas des partisans de Bernie Sanders qui, même s'ils critiquent telle ou telle politique américaine « erronée », considèrent Washington comme une force du bien au plan mondial.
En réalité, comme le prouve le soutien de Biden à la guerre génocidaire d'Israël, les États-Unis sont l'un des principaux ennemis de la libération nationale et de la révolution sociale dans le monde. C'est la principale puissance hégémonique qui vise à imposer un misérable statu quo et qui est donc un adversaire, et non un allié, de la libération collective à l'échelle internationale.
Deuxièmement, d'autres secteurs de la gauche ont commis l'erreur inverse en traitant « l'ennemi de mon ennemi comme mon ami ». Qu'on la qualifie d'anti-impérialisme vulgaire, de faux anti-impérialisme ou de campisme, cette position soutient les rivaux impérialistes de Washington en qualité de prétendu axe de résistance. Certains de ses adeptes vont même jusqu'à prétendre que des États manifestement capitalistes comme la Chine représentent une sorte d'alternative socialiste (alors même que, par exemple, Xi Jinping fait l'éloge du premier ministre hongrois d'extrême droite Viktor Orbán et vante le « partenariat stratégique global pour la nouvelle ère » conclu entre la Chine et la Hongrie). Ainsi, ils soutiennent les grandes puissances émergentes, les États semi-impériaux et les diverses dictatures dans les pays dominés.
Ce faisant, ils ignorent la nature impérialiste d'États comme la Chine et la Russie et la nature contre-révolutionnaire de régimes comme ceux de l'Iran et de la Syrie, et peu importe la répression qu'ils exercent sur les travailleurs et les opprimés. Enfin, ils s'opposent à la solidarité avec les luttes populaires d'en bas au sein de ces pays, les qualifiant de pseudo « révolutions des couleurs » orchestrées par l'impérialisme américain.
Ils ont également trouvé des justifications à la guerre de la Russie contre l'Ukraine et à l'écrasement par la Chine du soulèvement démocratique à Hong Kong, et dans certains cas, ils les ont ouvertement soutenus. En fin de compte, ils se placent du côté d'autres États impérialistes et capitalistes, en recourant à des contorsions mentales pour nier leur caractère capitaliste, exploiteur et oppressif.
Enfin, certain.nes membres de la gauche ont adopté une position simpliste sur le plan géopolitique. Iles reconnaissent la nature prédatrice des différents États impérialistes et ne soutiennent aucun d'entre eux. Mais lorsque ces puissances entrent en conflit avec des nations opprimées, au lieu de défendre le droit de ces nations à l'autodétermination, y compris leur droit à se procurer des armes pour obtenir leur libération, ils ramènent ces situations sur l'axe unique de la rivalité interimpériale. Ce faisant, ils privent les nations opprimées de leur droit d'agir en fonction de leurs intérêts.
Des secteurs de la gauche ont commis l'erreur de traiter « l'ennemi de mon ennemi comme mon ami ». Cette position, qu'on la qualifie d'anti-impérialisme vulgaire, de faux anti-impérialisme ou de campisme, soutient les adversaires impériaux de Washington en tant que prétendu axe de la résistance.
Bien sûr, les puissances impérialistes peuvent manipuler les luttes de libération nationale à un point tel qu'elles ne deviennent rien de plus que des guerres par procuration. Mais les réductionnistes géopolitiques utilisent cette possibilité pour refuser de soutenir les luttes légitimes de libération aujourd'hui.
Telle a été la position de nombreuses et nombreux partisan.nes de la gauche concernant la guerre impérialiste que mène la Russie contre l'Ukraine, la réduisant à une simple guerre par procuration entre Moscou et Washington. Mais comme le démontrent les sondages en Ukraine et la résistance nationale, les Ukrainiens se battent pour leur propre libération, et non pas pour servir de marionnette à l'impérialisme américain.
Sur la base de leur analyse erronée de la guerre, les réductionnistes géopolitiques se sont opposés au droit de l'Ukraine à se procurer des armes pour se libérer de l'impérialisme russe et se sont opposés aux livraisons, certains allant même jusqu'à organiser des actions visant à les empêcher. Un éventuel blocage de ces livraisons conduirait à une victoire de l'impérialisme russe, ce qui serait un désastre pour le peuple ukrainien et le condamnerait au même sort que ceux qui ont été massacrés à Bucha et à Mariupol.
Aucune de ces trois positions ne fournit à la gauche internationale un guide pour aborder les questions posées par le nouvel ordre mondial multipolaire asymétrique.
L'anti-impérialisme internationaliste
L'anti-impérialisme internationaliste est une bien meilleure approche. Au lieu de prendre le parti de tel ou tel État impérialiste ou capitaliste, les partisans de cette position s'opposent à tous les impérialismes ainsi qu'aux régimes capitalistes moins puissants, et ce tout en nous opposant aux interventions impérialistes dirigées contre eux. Nous sommes solidaires de toutes les luttes populaires de libération, de réforme et de révolution, partout dans le monde et sans exception.
En ce qui concerne la libération nationale, nous nous rangeons inconditionnellement mais de manière critique aux côtés des opprimé.e.s dans leur lutte pour la liberté. Dans ces luttes, cependant, nous ne faisons pas l'amalgame entre libération nationale et socialisme, rejetant la tentation de peindre ces combats au pinceau rouge.
Au lieu de cela, nous adoptons une approche indépendante consistant à construire des liens de solidarité avec les travailleur.es et les opprimé.es dans ces luttes et à cultiver des relations politiques avec leurs forces progressistes et révolutionnaires afin de transformer les luttes pour la libération nationale en luttes pour le socialisme.
Cela nous amène à adopter des positions distinctes de celles d'une grande partie de la gauche sur les trois points stratégiques dans l'ordre impérialiste d'aujourd'hui.
Premièrement, dans le cas de l'Ukraine, nous soutenons sa lutte de libération et défendons son droit à obtenir des armes, même de la part des États-Unis et de l'OTAN, mais nous ne soutenons pas le gouvernement néolibéral de Volodymyr Zelensky. Nous nous opposons également à ce que l'impérialisme occidental utilise l'Ukraine pour promouvoir ses propres ambitions prédatrices et ouvrir le pays et la région à ses banques et à ses entreprises.
En revanche, nous entretenons des relations avec la gauche ukrainienne et le mouvement syndical du pays. Nous soutenons leurs revendications contre le néolibéralisme, contre la reconstruction par l'endettement et contre l'ouverture de l'économie ukrainienne au capital multinational. Nous soutenons leur appel en faveur d'une reconstruction populaire du pays basée sur des investissements du secteur public, avec un salaire décent pour tous les travailleurs, et réalisée par des travailleurs syndiqués.
Dans le cas de la Palestine, nous nous opposons au soutien de l'impérialisme américain à la guerre génocidaire d'Israël à Gaza et nous soutenons inconditionnellement la résistance palestinienne. Mais cela ne signifie pas que nous soutenons sa direction politique actuelle ou sa stratégie et ses tactiques. Nous adoptons une position critique à l'égard de ses partis bourgeois et petit-bourgeois, qu'il s'agisse de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) ou de son pendant fondamentaliste islamique, le Hamas.
La principale direction de l'OLP, le Fatah, a abandonné la lutte armée au profit de l'illusion d'une solution diplomatique à deux États. Trois décennies de diplomatie ont échoué, laissant la Cisjordanie occupée, Gaza assiégée et Israël soumettant les Palestiniens à un régime d'apartheid à l'intérieur des frontières de 1948.
Le Hamas a comblé le vide laissé dans la résistance par la capitulation du Fatah. Il n'a cependant pas développé de stratégie alternative, poursuivant au contraire l'ancienne stratégie du Fatah consistant à s'appuyer sur des alliés arabes et iraniens supposés amicaux pour l'aider dans sa lutte militaire contre Israël. Il n'y a aucune raison de penser que cette stratégie, qui a échoué quand elle était pratiquée par l'OLP, sera couronnée de succès aujourd'hui.
Soutenu par l'impérialisme américain et renforcé par des alliances avec la plupart des régimes arabes, Israël ne peut être vaincu uniquement sur le plan militaire. Seule une stratégie combinant la résistance palestinienne contre Israël, la lutte révolutionnaire contre tous les régimes de la région et les mouvements anti-impérialistes au sein de toutes les grandes puissances peut libérer les Palestiniens de l'apartheid israélien et établir un État laïque et démocratique du fleuve à la mer, avec des droits égaux pour tous et toutes, y compris le droit des Palestiniens à retourner dans les maisons et sur les terres qui leur ont été volées.
Enfin, dans le cas de Taïwan, nous nous opposons à la menace chinoise d'annexer l'île et défendons le droit de Taïwan à l'autodétermination, y compris par l'autodéfense armée, tout en nous opposant à la volonté de Washington d'armer le pays dans le cadre de sa rivalité impériale avec la Chine.
L'anti-impérialisme internationaliste constitue une stratégie pour construire la solidarité par en bas entre les travailleurs et les opprimés contre toutes les grandes puissances et tous les États capitalistes du monde. Nous avons une occasion et une responsabilité énormes de promouvoir cette démarche auprès d'une nouvelle génération d'activistes.
Nous ne soutenons aucun des partis bourgeois en lice pour la présidence de Taïwan, mais nous sommes solidaires de la gauche émergente, des organisations populaires et des syndicats du pays. Eux seuls ont un intérêt et les moyens de défier les puissances impérialistes et la classe capitaliste taïwanaise et de construire une solidarité avec les travailleurs et les opprimés en Chine, dans la région et aux Etats-Unis.
Ainsi, l'anti-impérialisme internationaliste constitue une stratégie pour construire la solidarité par en bas entre les travailleurs et les opprimés contre toutes les grandes puissances et tous les États capitalistes du monde. Nous avons une occasion et une responsabilité énormes de promouvoir cette démarche auprès d'une nouvelle génération de militant.e.s qui sont instinctivement opposés à l'impérialisme américain et méfiants à l'égard des autres grandes puissances et des États oppresseurs.
C'est seulement dans la pratique, dans les luttes vivantes, que nous pourrons prouver la supériorité de ces idées, qu'il s'agisse des luttes de classe et des luttes sociales nationales ou des luttes de solidarité avec la Palestine, l'Ukraine et d'autres nations opprimées. Ce faisant, nous pouvons contribuer à forger une nouvelle gauche internationale engagée dans la construction de la solidarité par en bas dans la lutte contre le capitalisme mondial et pour le socialisme international.
Ashley Smith
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.
Source : TEMPEST. PUBLIÉ LE 24 MAI 2024 :
https://tempestmag.org/2024/05/imperialism-and-anti-imperialism-today/
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L’avenir de l’Inde si Modi est réélu – une entrevue avec Christophe Jaffrelot

Alors que l'Inde s'apprête à réélire son parlement, Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'Inde, répond aux questions de Corinne Deloydu Centre d'étude et de recherches internationales sur l'avenir de l'Inde et sur les élections qui se déroulent depuis le 19 avril et qui se terminent le 1er juin prochain.
Tiré du Journal des alternatives.
CERI : Les élections générales se déroulent en Inde du 19 avril au 1er juin. Pouvez-vous nous dire comment se dérouleront ces élections inhabituelles ?
Christophe Jaffrelot (CJ) – Les élections se déroulent sur six semaines cette année, un record ! C'est évidemment pour permettre à Narendra Modi de sillonner le pays, puisqu'il reste l'atout du BJP, le parti au pouvoir étant bien moins populaire que son leader : c'est lui qui peut faire élire suffisamment de députés pour remporter les élections.
En outre, des machines électroniques seront à nouveau utilisées pour enregistrer les votes des citoyens, mais elles font l'objet de critiques croissantes car les ingénieurs informatiques ont prouvé qu'elles pouvaient être facilement falsifiées. L'opposition réclame depuis des années la mise en place d'un système de vérification des votes, au moins dans les circonscriptions où la différence de voix est faible.
La Commission électorale qui chargée d'organiser le scrutin et de veiller à son bon déroulement, refuse catégoriquement d'appliquer cette simple mesure, ce qui accroît les soupçons de fraude, d'autant plus que, cette année, le gouvernement a refusé d'inclure le président de la Cour suprême dans le collège chargé de nommer les membres de cette commission (ce qui permet au gouvernement d'avoir les mains libres pour procéder aux nominations), et que deux de ses trois membres viennent d'être nouvellement nommés à la suite d'une démission surprise et de vacances programmées…
Le fait que ces élections ne seront pas aussi libres et équitables que les précédentes a déjà été démontré par l'arrestation du ministre en chef de Delhi, Arvind Kejriwal, une figure de l'opposition assez populaire, et par le gel des comptes bancaires appartenant au Parti du Congrès, ce qui limite donc leurs moyens de campagne.
Les élections de 2024 sont également moins équitables que les précédentes en raison du déséquilibre en termes de couverture médiatique : depuis le rachat de New Delhi Tele Vision (NDTV) par Gautam Adani, l'étoile montante des oligarques qui dominent désormais le monde des affaires indien, il n'y a pas une seule chaîne de télévision qui soit un tant soit peu critique à l'égard du gouvernement.
Le BJP bénéficie également de ressources financières abondantes grâce au système des obligations électorales qui, depuis 2017, permet aux partis politiques de recevoir des dons anonymes, les donateurs pouvant bénéficier de faveurs en retour. La Cour suprême a déclaré ce dispositif inconstitutionnel le mois dernier, mais les caisses du parti au pouvoir sont déjà pleines ! En 2019, le BJP a dépensé 3,5 milliards de dollars…
CERI – Quels sont les principaux thèmes de campagne ?
CJ – En Inde, les élections ne reposent pas seulement sur des questions, mais aussi sur des émotions. Et Narendra Modi profite du sentiment ethnonationaliste d'au moins deux façons. Tout d'abord, il fait appel à la fibre religieuse de la communauté hindoue (qui représente environ 80% des Indiens). Le 22 janvier, il a joué le rôle de grand prêtre hindou en présidant la cérémonie d'inauguration du temple d'Ayodhya, construit sur les décombres d'une mosquée du XVIe siècle détruite par des militants nationalistes hindous en 1992. Cette cérémonie, diffusée en boucle sur toutes les chaînes, marque le lancement de la campagne électorale du BJP. En même temps, il polarise les électeurs sur des lignes religieuses en stigmatisant les musulmans, consolidant ainsi sa base électorale majoritairement hindoue. Il a récemment qualifié les musulmans d'« infiltrés » (terme faisant allusion aux migrants bangladais) et de ceux qui ont « plus d'enfants » (faisant appel aux craintes démographiques des hindous, qui représentent encore 80% de la population).
D'autre part, Modi joue sur la fierté que les Indiens tirent de la reconnaissance internationale suscitée par les rencontres de leur leader avec les grands de ce monde, qui sont d'ailleurs retransmises en boucle à la télévision. Le sommet du G20 qui s'est tenu à Delhi il y a quelques mois a été l'occasion d'exploiter ce sentiment, avec de nombreuses images de Narendra Modi aux côtés des logos du G20. Ce n'était pas le tour de l'Inde d'accueillir cette réunion, mais New Delhi a réussi à échanger sa place avec le Brésil pour montrer à quel point Modi avait « rendu l'Inde grande à nouveau » avant les élections.
L'opposition s'évertue à pointer du doigt la hausse du chômage, la crise environnementale (qui se traduit par des pénuries d'eau, une pollution atmosphérique record et de nouvelles formes de déforestation) et le capitalisme de connivence à l'origine de l'ascension fulgurante de personnalités telles que Gautam Adani. Mais Modi semble intouchable. L'opinion publique blâme plus volontiers les fonctionnaires et même les ministres, et surtout les anciens dirigeants, dont Nehru que Modi accuse de tous les maux.
CERI – Quel rôle jouent les médias dans la campagne actuelle ? Certaines parties des médias sont-elles indépendantes du contrôle du gouvernement ?
CJ – Pendant longtemps, la scène médiatique indienne a été l'une des plus riches au monde ! Aujourd'hui, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Dans le domaine de la radiodiffusion, des chaînes de télévision indépendantes ont été rachetées par des amis du gouvernement (comme l'acquisition de NDTV par Gautam Adani) et de nouvelles chaînes ont été créées pour relayer la ligne du gouvernement, comme Republic TV, une sorte de Fox News à l'indienne.
Dans la presse écrite, la situation est un peu plus variée, mais en règle générale, les propriétaires de journaux, qui possèdent généralement plusieurs autres entreprises, préfèrent que leurs journaux n'apparaissent pas trop critiques à l'égard du gouvernement afin d'éviter des contrôles fiscaux ou d'autres enquêtes qui mettraient en péril leur activité.
Pour savoir ce qui se passe, il faut suivre les quelques journaux en ligne comme The Wire ou Scroll.in, ou des publications mensuelles comme The Caravan, qui sont animées par des journalistes d'un courage remarquable et qui font un travail exceptionnel.
CERI – Quel est le bilan économique de Narendra Modi, à la tête de l'Inde depuis maintenant dix ans ?
CJ – Le bilan économique et social est très mitigé : le taux de chômage n'a jamais été aussi élevé depuis les années 1970, surtout chez les jeunes citadins, où il s'élève à environ 25%. De nombreuses jeunes femmes ne cherchent même plus de travail, et le taux de participation des femmes au marché du travail s'élève à 16%. Dans le même temps, l'inflation reste élevée, en particulier pour les denrées alimentaires, ce qui pénalise les plus pauvres. La décision de doubler le nombre de personnes éligibles à l'aide alimentaire pendant la pandémie de Covid-19 a également été prolongée : 800 millions de personnes sont désormais éligibles à l'aide alimentaire, ce qui contraste fortement avec l'affirmation du gouvernement selon laquelle seulement 5% de la population indienne est pauvre. Alors que les Indiens ont dû puiser massivement dans leurs réserves, le taux d'épargne est en baisse depuis des années, ce qui explique en partie pourquoi le taux d'investissement privé est également très faible. Une autre raison est la faiblesse de la demande. Dans ce contexte, de nombreux économistes expriment des doutes sur la fiabilité du taux de croissance officiel d'environ 8%.
En effet, l'économie indienne ne s'est jamais vraiment remise de la « démonétisation » de 2016, année où Modi a fait retirer 85% de la masse monétaire de la circulation, sous prétexte de lutter contre l'argent sale, mais plus vraisemblablement dans le but de vider les caisses des partis d'opposition.
Cela dit, la classe moyenne supérieure et, plus encore, les super-riches, bénéficient du système économique mis en place par Modi : non seulement son gouvernement développe une politique de l'offre basée notamment sur des réductions d'impôts pour de nombreuses entreprises, mais la charge fiscale est déplacée de l'imposition directe des individus (dont l'impôt sur le revenu et l'impôt sur la fortune) vers les impôts indirects, qui frappent le plus durement les pauvres.
CERI – Existe-t-il encore une opposition en Inde après la mise à l'écart de Rahul Gandhi ? Quelles sont les principales forces d'opposition ? Sont-elles unies dans un front anti-Modi ? Y a-t-il un leader émergent ?
CJ – C'est la grande inconnue de cette élection. Pour la première fois, plus de vingt partis d'opposition ont formé une alliance appelée INDIA. Mais cette alliance a subi d'importantes défections : certains partis l'ont quittée et le BJP a débauché un certain nombre de députés sortants du Parti du Congrès ou d'autres partis d'opposition (environ un quart des candidats du BJP viennent d'un autre parti, une situation sans précédent). Toutefois, si, dans le cadre du système électoral uninominal à un tour, l'unité de l'opposition permet de limiter le nombre de « votes gaspillés », le BJP pourrait ne pas remporter autant de sièges qu'en 2019.
CERI – À quoi ressemblerait un troisième mandat pour Narendra Modi ?
CJ – Tout dépend de la taille de sa majorité. Si le BJP remporte 400 sièges, il sera en mesure de réviser la Constitution. Il supprimerait alors probablement les références à la laïcité (mot désignant ici la reconnaissance égale de toutes les religions) et les articles soutenant ce principe, comme ceux qui permettent aux minorités de demander des subventions publiques pour leurs écoles. Les révisions constitutionnelles affaibliraient également le fédéralisme en Inde. Non seulement le gouvernement central accumulerait plus de pouvoir, mais l'utilisation de l'hindi se développerait probablement au détriment des langues régionales. Si le BJP n'obtient pas la majorité des deux tiers nécessaire pour réformer la Constitution, Modi se contentera probablement de réformes telles que l'introduction d'un code civil uniforme qui, parmi les grands objectifs que le BJP s'est fixés dans les années 1990, est le dernier à rester inachevé. Cela permettrait de réduire le rôle des lois personnelles en vigueur pour certaines minorités, comme la charia, qui régissent des aspects de la vie religieuse, politique, sociale et individuelle.
CERI – Narendra Modi est souvent comparé à Vladimir Poutine ou à Xi Jinping. Diriez-vous que, dans son cas, il y a néanmoins quelque chose d'exclusivement indien ? Et si oui, comment le décririez-vous ?
CJ – Modi n'appartient pas à cette catégorie, mais plutôt à celle des Erdoğan, Orban, Netanyahu, Bolsonaro, Dutertre… des nationaux-populistes qui risquent de perdre une élection — ce qui ne concerne pas Poutine ou Xi. Contrairement aux dictateurs, les nationaux-populistes ont besoin d'un mandat populaire qui leur donne une légitimité suffisante pour imposer leur volonté aux institutions de leur État, à commencer par le pouvoir judiciaire, qui est toujours leur première cible. Ces points communs n'empêchent pas d'identifier une spécificité indienne, mais celle-ci ne peut être que relative.
Par exemple, Modi joue certainement plus sur l'élément religieux que la plupart des nationaux-populistes, au point d'être devenu le grand prêtre de la nation hindoue. Mais sa religiosité s'inscrit dans une veine ethnonationaliste comparable à celle de tous ceux que j'ai cités plus haut… Modi a peut-être aussi réussi à « rendre l'Inde grande à nouveau », aux yeux de nombreux Indiens, en faisant de la réunion du G20 à Delhi et de toutes ses visites à Washington, Paris, etc. des événements grandioses, retransmis en boucle à la télévision. Mais le nationalisme est monnaie courante chez les populistes, et j'ai d'ailleurs fait allusion au slogan de Trump pour décrire ce comportement.
L'exploit le plus singulier de Modi est sa capacité à être exactement ce que tout le monde veut voir en lui : il est à la fois le grand prêtre de l'hindouisme (et même le sage méditant dans sa grotte ou priant immergé jusqu'au cou dans le Gange), l'homme fort protégeant l'Inde contre le Pakistan et les islamistes, l'homme du développement qui promet de doubler le revenu des paysans (alors qu'il stagne en réalité…), le conseiller des pauvres qui s'exprime à la radio tous les mois depuis 2014, dans l'émission Mann ki Baat (Talking from the Heart), en prétendant être la voix des masses… Modi est un véritable caméléon, comme en témoigne sa capacité à adapter son langage corporel (et même ses vêtements) en fonction du public. Mais s'il y a quelque chose de typiquement indien en lui, c'est peut-être la tradition de la relation entre maître et disciples (le guru-shishya parampara), qui conduit ces derniers à suivre aveuglément le premier.
****
Entretien mené par Corinne Deloy pour le Centre de recherches internationales (CERI) et traduit en anglais par Sam Ferguson. Article disponible en anglais sur le site d'Alternatives International. La présente version en français peut ne pas correspondre avec la version originale publiée sur le site du CERI.
En savoir plus
Une présentation du récent ouvrage de Christophe Jaffrelot, Gujarat Under Modi. Laboratoire de l'Inde d'aujourd'hui (Hurst, 2024) Lien :
Ressources du CERI sur l'Inde, disponibles en ligne (français et anglais)
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Victoire historique pour toute la communauté universitaire de l’UQAM !

L'Université populaire Al-Aqsa de l'UQAM (UPA-UQAM) se félicite que le Conseil d'Administration (CA) de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) adopte une résolution instituant un boycott académique à l'égard des universités israéliennes. Ainsi, l'UPA-UQAM considère que le contenu de la résolution et ses dispositions répondent favorablement aux conditions minimales de réalisation de ses demandes face à l'UQAM.
Le 30 mai 2024
À Tiohtia ;ke, Montréal,
*En l'honneur de tous les sacrifices du peuple palestinien *
Il s'agit d'une avancée hautement symbolique à l'UQAM et dans la lutte internationale de solidarité avec la Palestine. Nous rappelons que c'est la mobilisation étudiante, communautaire et populaire qui a permis cette victoire politique.
« *Par notre occupation et notre courage, on a prouvé que c'est possible d'établir un rapport de force et d'obtenir des gains significatifs. Par cette mobilisation historique, nous envoyons un message clair aux administrations des autres universités. Si vous souhaitez voir la fin des campements, vous devez poser des actes courageux pour cesser toute
complicité avec l'État sioniste et les actes génocidaires contre le peuple palestinien : désinvestir, boycotter les universités israéliennes ou couper tout lien avec l'État israélien* », affirme Leila Khaled, étudiante à l'UQAM et porte-parole de l'UPA-UQAM.
Pour l'UPA-UQAM, bien que le rectorat refuse d'utiliser le terme « boycott académique », le résultat reste significatif pour nous. En effet, la résolution ne mentionne pas spécifiquement un boycott académique à l'égard d'Israël. Néanmoins, elle reconnait, d'une part, « la violation du droit à l'autodétermination du peuple palestinien », d'autre part les décisions de la Cour internationale de justice du 26 janvier, du 28 mars et du 24 mai
2024 qui font état de risques plausibles de génocide commis par Israël à
l'encontre des Palestinien-ne-s de Gaza.
D'autre part, la résolution adoptée au Conseil d'Administration demande à l'Université de veiller à ce qu'aucune de ses ententes académiques actuelles et futures, dont celles avec des universités israéliennes, n'entre en conflit avec le respect du droit international. L'UPA-UQAM rappelle que le droit international reconnait le droit au retour des réfugié-es palestinien-nes, la fin de la colonisation, l'illégalité de l'occupation et de l'apartheid, de même que le droit à la résistance du peuple palestinien. Affaires Mondiales Canada a par ailleurs reconnu par voie d'un communiqué le 16 mai 2024 que les colonies israéliennes dans les territoires occupés sont en violation des résolutions 446 (1979) et 465
(1980) du Conseil de sécurité des Nations Unies et de la Quatrième Convention de Genève. Les liens de l'UQAM avec des universités israéliennes devront également être évalués à partir de leurs liens avec la colonisation sur les territoires palestiniens.
Ainsi, en constatant les violations du droit international par Israël et en exigeant qu'il n'y ait aucun accord académique qui entre en conflit avec le droit international humanitaire, l'UQAM vient implicitement à boycotter les universités israéliennes et établit de bonnes conditions allant vers un réel boycott académique.
« *Nous aurions certes aimé avoir une résolution plus explicite sur le boycott académique à l'égard de l'entité sioniste, ainsi que sur la reconnaissance du génocide sans établir de rapport de symétrie entre "colonisateur" et "colonisé"* » explique Leila Khaled. Malgré tout, l'UPA-UQAM considère que cette résolution va en partie dans le sens de ses
demandes minimales politiques. « *Cette victoire politique doit servir de tremplin pour aller plus loin dans les revendications de l'UPA * », ajoute-t-elle.
*Ce n'est qu'un début, le combat continue*
L'UPA-UQAM est déterminée à continuer la lutte pour la libération du peuple palestinien et rappelle pourquoi elle se mobilise : « *Le génocide qui prend place à Gaza ne fait que s'accentuer et les États occidentaux, dont ceux des soi-disant Canada et Québec, sont complices. L'heure est grave, la situation est urgente. Il faut se soulever maintenant* », scande Kalida Jarrar, étudiante à l'UQAM.
Dans les derniers jours, la communauté internationale a été témoin du massacre de centaines de personnes et d'encore plus de blessé-es à Rafah et en Palestine. On recense désormais un minimum de 36 000 personnes martyrisées et 10 000 personnes encore coincées sous les décombres. À cela s'ajoute entre autres un nombre indéfini de blessé-es, de malades, d'orphelin-es, de personnes en situation de famine. Il est déjà présumé que le désastre est d'une ampleur considérable.
« *Notre position est simple, elle est du côté de la justice, des opprimé-es et de la résistance* » continue Khalida.
Le campement de l'UPA-UQAM prouve qu'avec le courage, la force collective et la détermination, les gains sont possibles.
« *Nous espérons que cette résolution établisse un précédent pour l'ensemble des universités canadiennes et nous les empressons d'emboîter le pas* », déclare Leila Khaled.
L'UPA-UQAM appelle maintenant la population qui regarde avec horreur depuis maintenant plus de 8 mois les exactions de l'entité sioniste en Palestine, à exiger du gouvernement du Québec qu'il prenne acte du génocide en cours et coupe ses liens avec l'État israélien, en commençant par abolir urgemment le bureau du Québec à Tel-Aviv.
L'UPA-UQAM exprime également sa reconnaissance envers les personnes ayant
initié le mouvement au campement de McGill, à Tiohtia:ke, Montréal. En solidarité avec nos camarades qui font toujours face au refus de l'administration de répondre à leurs demandes, nous resterons constamment à leurs côtés pour les soutenir.
*La lutte pour la libération de la Palestine continue !*
L'UPA continuera à offrir à la communauté universitaire et à la population ses activités culturelles et ses ateliers d'éducation populaire au cours de la prochaine semaine. Elle entend lever son campement au plus tard le 6 juin 2024, suite à l'adoption des balises concrètes de mise en œuvre du boycott académique par la Commission des études du 4 juin. Notre départ ne signifie pas la fin de notre mobilisation. Nous invitons la population à
poursuivre la lutte en participant à une grande manifestation réclamant l'abolition du bureau du Québec à Tel-Aviv, le 6 juin à 19h. Elle partira du Cœur des sciences de l'UQAM (175 avenue Président-Kennedy).
*« La lutte palestinienne a été et demeura toujours une source d'inspiration pour nos propres luttes, nous guidant ainsi vers notre libération collective »*
*النضال الفلسطيني كان وسيبقى النضال الذي نقتدي به، وسيحررنا جميعا*
Solidarité pour les droits Humains des Palestiniennes et Palestiniens
(SDHPP) basée à l'UQAM
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Projet de loi 57 : Une menace pour l’action politique des groupes communautaires

La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a déposé le 10 avril dernier, le projet de loi 57 « visant à protéger les élus et favoriser l'exercice sans entraves de leurs fonctions. »
Tiré du site du Mepacq
Un objectif louable
Nous reconnaissons qu'il est fort important de préserver le droit à un environnement de travail sans harcèlement ou violence. Toutefois, le projet semble mélanger autant des individus violents à l'égard des personnes élues que des groupes communautaires qui font des actions collectives pour influencer des décisions politiques.
Des entraves aux actions démocratiques
Le projet de loi permettrait de donner des amendes à des individus qui « entravent indûment l'exercice [des] fonctions ou portent atteinte [au] droit à la vie privée » des élus. Cette définition floue englobe autant une personne menaçant une personne élue, mais également un individu qui tente de faire entendre son opinion politique, bien qu'elle puisse déranger l'élu concerné. Ce sont deux choses complètement différentes !
Quel est l'objectif ?
Est-ce qu'on veut réellement lutter contre les violences vécues par les personnes élues ou limiter la parole de la population et des mouvements sociaux lorsqu'ils ne sont pas d'accord ? Nous sommes en droit de nous poser la question dans le climat actuel où les réactions à la contestation sociale sont plutôt négatives. Récemment, un groupe communautaire s'est même vu menacé de poursuite pour avoir fait une campagne de lettres à un élu.
L'action politique des groupes communautaires est essentielle
Les personnes élues sont en situation de pouvoir. Elles prennent part aux décisions et leur voix est largement entendue dans les médias. Ce n'est que très peu le cas des gens qui fréquentent les groupes communautaires : pensons aux personnes bénéficiaires de l'aide sociale, celles en situation d'itinérance ou aux personnes âgées évincées par centaines. C'est pourquoi l'action politique, notamment dirigée à l'endroit des personnes élues, est essentielle. L'action politique permet de s'exprimer, possiblement être entendu et respecté, de faire malgré les obstacles à la participation au système politique.
L'action politique moteur de notre démocratie
Le projet de loi 57 soulève de vives inquiétudes et des questionnements importants quant à la place de la population dans nos institutions démocratiques lorsqu'elle souhaite faire valoir une position politique. L'action politique constitue un contrepoids au pouvoir de l'État et permet de mettre en lumière les angles morts des décisions politiques. Les voix des personnes principalement concernées doivent être entendues pour que notre démocratie soit saine et représentative.
Des consultations bidons en mode express
À peine 2 semaines après le dépôt du projet, nous avons appris que les consultations sur le projet de loi auraient lieu du 30 avril au 2 mai 2024. Ce délai est trop court pour faire une analyse en profondeur du projet et pour laisser le temps aux organismes de manifester leur souhait de participer. Les enjeux qui se retrouvent dans le projet de loi mérite pourtant un réel débat public et non pas une consultation à la va vite.
Repenser le projet de loi 57 !
Le projet de loi de la ministre Andrée Laforest soulève des questions importantes quant à la place de la population dans nos institutions démocratiques. Il semble vouloir écarter la population des débats publics, surtout lorsqu'elle exprime son désaccord avec les décisions prise par la classe politique. Le projet de loi 57 doit être repensé pour cibler les individus qui menacent des personnes élues et de vraies consultations doivent être menées pour entendre la société civile.
Écrivez à la Ministre pour faire entendre votre voix !
Le projet de loi 57 aura des impacts pour nos organismes, faisons-le savoir à la Ministre !
Aux courriels suivant :
Andree.Laforest.CHIC@assnat.qc.ca, Andree.Laforest@assnat.qc.ca et ministre@mam.gouv.qc.ca
Ainsi que l'opposition :Etienne Grandmont (QS)
Etienne.Grandmont.TASC@assnat.qc.ca
Etienne.Grandmont@assnat.qc.ca
Michelle Setlakwe (PLQ)
Michelle.Setlakwe.MROU@assnat.qc.ca
Michelle.Setlakwe@assnat.qc.ca
Paul St-Pierre Plamondon (PQ)
chef.pspp@assnat.qc.ca
Joël Arseneau
Joel.Arseneau.IDLM@assnat.qc.ca
Avec le MÉPACQ en CC
communication@mepacq.qc.ca
On vous invite si vous le souhaitez à mettre en CC vos députés locaux.
Vous pouvez modifier ou adapter le message suivant :
Bonjour Madame Laforest,
Nous sommes grandement préoccupées par le dépôt et par la rapidité des consultations sur le projet de loi 57 « visant à protéger les élus et favoriser l'exercice sans entraves de leurs fonctions ». Nous reconnaissons qu'il est fort important de préserver le droit à un environnement de travail sans harcèlement ou violence. Toutefois le projet de loi créera des entraves potentielles à l'expression politique des citoyennes et citoyens ainsi qu'à l'action politique des groupes communautaires.
Les définitions présentes dans le projet de loi englobent autant une personne menaçant un élu, qu'un individu qui tente de faire entendre son opinion politique, bien qu'elle puisse déranger l'élu concerné. Ce sont deux choses complètement différentes. L'action politique n'est pas à confondre avec la violence, le harcèlement ou l'intimidation pouvant être perpétrés à l'égard d'une personne élue.
Le projet de loi 57 soulève de vives inquiétudes et des questionnements importants quant à la place de la population dans nos institutions démocratiques. Il semble vouloir écarter la population des débats publics, surtout lorsqu'elle exprime son désaccord avec les décisions prise par la classe politique.
En effet, les personnes élues sont en situation de pouvoir. Elles prennent part aux décisions et leur voix est largement entendue dans les médias. Ce n'est que très peu le cas des gens qui fréquentent les groupes communautaire ; pensons aux personnes bénéficiaires de l'aide sociale, celles en situation d'itinérance ou aux personnes âgées évincées par centaines. (VOUS POUVEZ ICI PARLER DES GENS QUI FRÉQUENTENT VOTRE GROUPE). L'action politique permet de s'exprimer, possiblement être entendu et respecté, malgré les obstacles à la participation au système politique. C'est pourquoi nos campagnes de cartes postales, nos envois de courriel, nos rassemblements à des bureaux de circonscriptions ou nos actions de perturbation sont essentielles.
Les consultations sur le projet de loi ont lieu du 30 avril au 2 mai 2024. Ce délai est trop court pour que les acteurs de la société civile puissent en faire une analyse en profondeur et manifester leur souhait d'y participer. Les enjeux qui se retrouvent dans le projet de loi mérite pourtant un réel débat public et non pas une consultation à la va-vite.
Ainsi, nous demandons que le projet de loi 57 soit repensé pour cibler les individus et les élus qui menacent d'autres élus et que de vraies consultations doivent être menées pour entendre la société civile.
Merci de l'attention que vous porterez à cette demande.
Bien à vous,
–
Nos vignettes s'inspirent librement d'une lettre ouverte de la chercheuse Joëlle Dussault que nous avons co-signée, pour la consulter c'est par ici
La liste des intervenants invités lors des consultations
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Confiance brisée : le MSSS a caché qu’il ne rehausserait pas les subventions pour la mission globale en 2024

Montréal, le 29 mai 2024._ La Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles [1] est outrée de découvrir que le MSSS a caché qu'il ne rehaussera pas les subventions pour la mission globale de 3000 organismes communautaires autonomes du domaine de la santé et des services sociaux (OCASSS). Globalement, tout ce que ces derniers recevront c'est l'indexation de la subvention de l'année précédente, de surcroît au taux insuffisant de 2,7 %. [2]
Rappelons que lors du dépôt du Budget 2024 du Québec, le 12 mars dernier, une somme de 10 M$ a été présentée comme étant destinée au rehaussement des subventions à la mission globale des 3000 OCASSS [3], par le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) [4]. Cette somme s'ajoutait à l'indexation automatique des subventions et nous n'avions aucune raison d'en douter. « Or, nous apprenons
aujourd'hui non seulement que le 10 M$ ne sera pas versé pour la mission
globale, mais que le gouvernement n'en aurait jamais eu l'intention. Cette nouvelle équivaut à dire que, dès le budget, le choix était fait de ne pas bonifier l'enveloppe pour le financement à la mission globale des OCASSS », s'insurge Stéphanie Vallée, présidente de la Table.
Que ce soit par le communiqué de presse émis par la Table le 12 mars [5], ou par les nombreux échanges avec le personnel politique et administratif du MSSS, autour et depuis le budget, à aucun moment cette information n'a été divulguée. « Même le 26 avril dernier, alors que nous rencontrions le ministre Lionel Carmant, responsable des Services sociaux [6], celui-ci n'a pas rectifié l'information qui circulait depuis presque trois mois. Ne serait-ce que par nos notes prises durant la rencontre, le ministre a eu au moins six occasions de donner l'heure juste, mais il ne l'a pas fait. Nous ne nous expliquons pas ce
procédé », poursuit Stéphanie Vallée.
Soulignons qu'aucune communication officielle n'a encore été transmise ni à la Table ni aux 3000 OCASSS ; la correspondance de la Table, adressée d'urgence au ministre Carmant, ayant été répondue par ses attachées politiques.
La Table a de plus appris que les modalités de distribution du 10 M$ n'étaient pas encore définies, et qu'il faudrait plusieurs semaines pour les déterminer, tant au niveau des destinataires visées que de la forme du financement. « Cela veut dire que le 10 M$ pourrait même être attribué par des ententes de services, alors que celles-ci sont beaucoup plus contraignantes qu'une subvention pour la mission globale et ne
favorisent pas l'autonomie des groupes. Il est quand même aberrant que le ministère affirme ne pas savoir comment les sommes seront attribuées, tout en affirmant que cela exclue le financement pour la mission globale. Combien de semaines ou de mois les OCASSS devront-ils attendre pour avoir l'heure juste ? » questionne Mercédez Roberge, coordonnatrice de la
Table.
Rappelons que les 10 M$ annoncés laissaient déjà les OCASSS sur leur faim, puisque la revendication portée par la campagne _CA$$$H _(_Communautaire autonome en santé et services sociaux — Haussez le financement)_ [7] vise l'ajout de 1,7 G$ pour permettre à la population d'accéder aux organismes qu'elle s'est donnés [8]. « En mars,
nous disions que ce 10 M$ était vraiment insuffisant, considérant que l'enveloppe pour la mission globale était de 788 M$. La découverte d'aujourd'hui fait vivre une situation inédite et est très inquiétante pour la suite. Les OCASSS n'ont pas à faire les frais
d'un tel cafouillage. Le gouvernement doit destiner le 10 M$, comme il l'a laissé entendre, au fonctionnement des 3000 OCASSS. Sans attendre, il doit démontrer son appréciation de leurs missions en leur obtenant un financement à la hauteur des besoins », de conclure Stéphanie Vallée, présidente de la Table.
SOURCE :
Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et
bénévoles (TRPOCB), [9]
* Stéphanie Vallée est présidente de la Table des regroupements
provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles. Elle est
également co-coordonnatrice de L'R des centres de femmes du Québec
[10].
* Mercédez Roberge est coordonnatrice de la Table des regroupements
provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles [11].
À propos
Fondée en 1995, la Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles [12] (TRPOCB) est formée de 44 regroupements nationaux [13], rejoignant plus de 3 000 groupes communautaires autonomes à travers le Québec. Ce sont, par exemple, des maisons de jeunes, des centres de femmes, des cuisines collectives, des maisons d'hébergement, des groupes d'entraide, des centres communautaires, des groupes qui luttent contre des injustices ayant des répercussions sur la santé.
Ceux-ci représentent les ¾ des organismes communautaires autonomes du
Québec. Ceux-ci abordent la santé et les services sociaux sous différentes perspectives (femmes, jeunes, hébergement, famille, personnes handicapées, communautés ethnoculturelles, sécurité alimentaire, santé mentale, violence, périnatalité, toxicomanie, etc.).
La Table coordonne la campagne [14]_CA$$$H_ [15] (Communautaire autonome en
santé et services sociaux – Haussez le financement [16]). Lancée le 17 octobre 2017, cette campagne vise l'amélioration substantielle du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), au bénéfice de plus de 3 000 organismes communautaires autonomes subventionnés par le MSSS. À compter de 2024, les revendications de la campagne CA$$$H sont : L'ajout de 1,7 G$ à l'enveloppe annuelle du PSOC [17] (mission globale), l'indexation
annuelle des subventions en fonction de l'Indice des coûts de fonctionnement du communautaire (ICFC [18]) et l'atteinte de l'équité de financement et de traitement partout au Québec [19].
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Le privé c’est tout sauf la santé

Saint-Jérôme, le 29 mai 2024 – En collaboration avec le Regroupement citoyens santé Laurentides (RCSL) et l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux des Laurentides (APTS), le Regroupement des organismes communautaires des Laurentides (ROCL) a tenu une conférence de presse le 29 mai dernier à l'Hôtel Best Western de Saint-Jérôme dans le cadre de la semaine nationale d'actions régionales contre la réforme de santé organisées par la Coalition Solidarité Santé (CSS).
photo : De gauche à droite sur la photo : Benoit Larocque - ROCL, Marie-Ève Meilleur - APTS-L, Mario Leone - RCSL
L'adoption sous bâillon, en décembre dernier, du controversé projet de loi 15 nous oblige à constater que la CAQ continue l'œuvre des réformes précédentes en santé pour centraliser et privatiser toujours davantage le réseau public. Alors que le Ministre Dubé a promis aux Québécoises et aux Québécois de mettre fin au statu quo et d'appliquer un plan d'action pour améliorer l'accessibilité et l'efficacité du réseau de la santé et des services sociaux, force est de constater que la mise en place de l'Agence santé Québec, avec en tête Geneviève Biron, une top gun issue du privé, ne fait qu'ouvrir davantage la porte au privé et exacerbe le problème.
« Pour nos organisations, le gouvernement du Québec fait fausse route. Le ministre dit aux Québécois.e.s que l'ouverture au privé est la solution aux problèmes d'accessibilité au réseau public alors qu'on sait très bien que c'est plutôt l'origine des difficultés. Chaque clinique ou hôpital privé qui ouvre vient drainer les ressources du public et aggrave ainsi les problèmes d'accès. De plus, depuis le début avec le PL-15, la constante est la suivante : le gouvernement avance à toute vapeur, sans consulter les gens sur le terrain. On dénote une importante perte d'espace démocratique et on se demande comment les citoyens et citoyennes des Laurentides peuvent-ils encore se faire entendre ? » a déclaré Mario Leone, président du RCSL.
Le gouvernement choisit en effet d'orchestrer un système où l'État subventionne les compagnies privées pour qu'elles dispensent des soins de santé. On rassure la population en lui disant qu'elle n'aura rien à payer, car ce sera couvert par la carte d'assurance-maladie, mais au final, ce sont les Québécois.e.s qui, collectivement, par le biais de leurs impôts, assurent des coûts plus élevés en santé afin de couvrir la portion importante de profits inhérente à la médecine privée.
« Avec la création de Santé Québec qui deviendra le plus gros employeur au Canada, on dévalorise encore une fois le travail du personnel du réseau public sans améliorer les conditions de travail et on favorise le développement de l'entreprise privée à but lucratif. Pour nous, la santé de la population ne devrait jamais être liée à la recherche de profits de quelques privilégiés » a affirmé Marie-Ève Meilleur, représentante nationale à l'APTS des Laurentides.
« Ce n'est pas d'hier que le gouvernement voit le milieu communautaire comme une solution pour pallier sa responsabilité populationnelle inscrite dans la loi de la santé et des services sociaux (LSSSS). Le ROCL, comme plusieurs regroupements d'organismes communautaires, craignent que le vieux réflexe du gouvernement de transférer ses responsabilités vers les organismes s'accentue en force avec cette réforme » a quant à lui affirmé Benoit Larocque, coordonnateur du ROCL.
« Pour les organismes communautaires, l'enjeu principal des prochaines années ne sera pas exclusivement financier mais davantage lié à leur autonomie et à l'intégrité de leur identité. Avec le fractionnement des sources de financement, les projets non récurrents et les commandes ministérielles, on est de plus en plus amenés sur le terrain de la sous-traitance pour faire à la place de l'État, à moindre coût, et il sera de plus en plus exigeant pour les organismes de garder un esprit critique et de jouer leur rôle de transformation sociale » a-t-il poursuivi. « Dans ce contexte, le financement à la mission des organismes restera toujours le meilleur moyen de réellement nous soutenir ».
À l'instar de plusieurs régions du Québec qui sont mobilisées pour dénoncer la privatisation et la centralisation du réseau de la santé et des services sociaux qu'entraîne la réforme Dubé, le point de presse est l'occasion de rappeler que la population attend une amélioration concrète de l'accès aux soins et aux services de santé et non la vente de notre système de santé public au nom du profit. Le privé, c'est TOUT SAUF SANTÉ.
À propos du RCSL
Le Regroupement citoyen pour la santé des Laurentides (RCSL) est constitué de citoyens et citoyennes de plusieurs MRC de la région des Laurentides, en provenance de divers horizons, outré.e.s par l'état déplorable du système public de santé qui porte atteinte au plein droit de la population, voire à la dignité des personnes les plus vulnérables. Nous croyons qu'il est temps d'agir. Nous nous mobilisons autour de 3 objectifs : le financement juste et équitable pour les Laurentides en santé et services sociaux, une décentralisation du système de santé et un régime public équitable.
À propos de l'APTS
L'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) regroupe et représente quelque 65 000 membres qui jouent un rôle indispensable au bon fonctionnement des établissements du réseau, dont 4400 dans les Laurentides. Nos gens offrent une multitude de services en matière de diagnostic, de réadaptation, de nutrition, d'intervention psychosociale et de soutien clinique et de prévention, autant de services qui s'adressent à l'ensemble de la population.
À propos du ROCL
Le ROCL est un regroupement existant depuis maintenant 30 ans constitué de plus de 160 organismes communautaires autonomes qui œuvrent dans les Laurentides. Lieu de rassemblement pour les organismes de la région, il offre de la formation, de l'accompagnement et du soutien aux organismes du territoire afin de leur permettre de s'épanouir pleinement dans leurs racines communautaires. Il vise par son action, son approche et son rôle de représentation à faire rayonner l'identité des organismes communautaires autonomes et à opérer de profonds changements pour plus de démocratie, d'équité et de justice sociale et climatique.
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Il est temps d’avoir une conversation franche sur les personnes handicapées

C'est aujourd'hui que débute la Semaine québécoise des personnes handicapées. C'est une occasion unique pour des organisations telles que la Confédération des personnes handicapées du Québec (COPHAN) et ses quelque 50 organismes membres, de prendre la parole concernant les enjeux auxquels font face les personnes en situation de handicap (PSH), mais aussi de souligner les gestes qui rendent nos communautés plus inclusives à leur égard.
Paul Lupien est président de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec et membre des comités d'administration du Réseau québécois des personnes sourdes et malentendantes et de l'Institut national pour l'équité, l'égalité et l'inclusion des personnes en situation de handicap
De fait, la COPHAN, ses membres et ses partenaires remettront leurs Prix Papillon le 14 juin prochain lors d'une soirée gala. Ces prix visent à souligner les bons coups d'organisations ou d'individus qui œuvrent pour rendre notre société plus inclusive pour les PSH.
Cet événement tient sa deuxième édition cette année avec le soutien d'organisations importantes comme le Local 1999 du syndicat de Teamsters, la Ville de Québec, AMI-Télé, Cogeco Média, les COOPS de l'information, l'OPHQ et le gouvernement du Québec, notamment.
Les Prix Papillon viennent mettre en évidence les petites et grandes victoires d'un milieu associatif vivant, efficace et pugnace dont je suis très fier.
Par exemple, on se souviendra que Québec a mis fin aux clauses inéquitables de la loi de la RRQ lors du dernier budget Girard, sur demande d'organismes comme celui que je préside. Il y a aussi le Réseau de transport de la Capitale qui a finalement décidé de conserver le formulaire accessible en ligne pour les personnes sourdes, sur insistance du milieu associatif.
Un de nos membres, le Comité d'action des personnes vivant des situations de handicap (CAPVISH), continue une tournée pour assurer que les commerces de la ville de Québec soient accessibles. Et n'oublions pas les interventions publiques des leaders du milieu associatif, comme Finautonome, qui rappellent jour après jour sur la place publique qu'une proportion non négligeable des personnes handicapées vivent dans une pauvreté abjecte malgré la PCPH dont je parlais plus haut.
En fait, les gens en situation de handicap en âge de travailler au Canada sont deux fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les personnes qui ne le sont pas. Pour en venir à bout, le Québec devra se donner des objectifs beaucoup plus ambitieux pour rehausser l'inclusion des personnes handicapées sur le marché du travail.
Plus de personnes handicapées, moins de financement des OBNL
Un sondage de Statistique Canada paru en 2023 indique que le nombre de personnes handicapées a augmenté au cours des dernières années. Les types de handicap aussi. Le vieillissement de la population, les troubles musculosquelettiques, les problèmes de santé liés à la crise environnementale, notamment, sont autant de sources de handicaps ou de limitations fonctionnelles importantes. Le nombre de dossiers que le milieu associatif traite chaque année est en progression marquée.
Parallèlement, les différents paliers de gouvernement réduisent le financement des organismes qui donnent des services directs aux personnes handicapées, ou celles qui, comme la Confédération, les défendent sur la scène politique.
Ce sont les raisons pour lesquelles la COPHAN a décidé de crever l'abcès une fois pour toutes.
Avec nos membres, partenaires et allié·es, nous avons décidé de mettre sur pied le premier Sommet national sur le handicap auquel participeront des sommités provenant de diverses sphères d'activité. Ce grand rassemblement aura lieu le 7 octobre prochain à l'Université Laval, à Québec.
Il est temps de tenir une conversation franche, mais difficile, sur les personnes en situation de handicap. Nous ne pouvons plus nous permettre de détourner le regard de la vulnérabilité et des difficultés auxquelles elles font face. La classe politique, les capitaines d'industrie, les personnes qui œuvrent dans le système de santé, les leaders d'opinion et l'ensemble de la population doivent aussi se mobiliser pour changer les choses avec nous.
Le slogan « IN/VISIBLE » qui a été choisi pour le Sommet est éloquent. Il caractérise bien ce que nos clientèles vivent chaque jour.
Bref, il est temps que des vérités inconfortables soient dites afin de poser les gestes réparateurs qui rendront nos communautés véritablement accueillantes pour les personnes en situation de handicap.
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Daniel Tanuro, « Ecologie, luttes sociales et révolution (entretiens) »

[En mars 2024, les éditions La Dispute publiaient cet ouvrage. Dans l'avant-propos, Alexis Cukier et Marina Garrisi indiquaient : « Dès le lancement de la collection « Entretiens » nous souhaitions publier un ouvrage pour déplier les enjeux et les problèmes que les catastrophes écologiques en cours posent à la théorie et à l'action politiques. » Dans ce but, ils se sont adressés à Daniel Tanuro, dont les compétences professionnelles, l'activité militante et les élaborations théoriques se sont déjà explicitées dans divers ouvrages tels que L'Impossible capitalisme vert (La Découverte, 2010), Trop tard pour être pessimiste (Textuel, 2020) et Luttes sociales et écologiques dans le monde, avec Michael Löwy (Textuel, 2021).
Tiré de A l'Encontre
31 mai 2024
Par Daniel Tanuro
Ces entretiens ont été préfacés par Timothée Parrique ; le titre de sa contribution désigne une question d'importance : « La décroissance comme transition, l'écosocialisme comme destination ». La lecture de cet ouvrage, dont la rigueur ne fait pas obstacle à l'accessibilité, constitue un instrument pour une activité écosocialiste informée. Les deux grands entretiens qui structurent l'ouvrage – « Ce que l'on sait », « Ce que l'on peut faire » – l'illustrent. Un ouvrage à lire (et pour cela à acquérir…). Le choix des extraits, publiés ci-dessous, a été proposé par Robert Mertzig. – Réd.]
Daniel Tanuro, Ecologie, luttes sociales et révolution, préface de Timothée Parrique, La Dispute, coll. « Entretiens », 2024.
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« Du point de vue de l'état des connaissances scientifiques, je le répète, il n'y a pas de doute ni sur la gravité de la crise, ni sur ses causes « anthropiques ». Comment qualifier cette crise ? En grec ancien, katastrophè signifie retournement, changement complet, révolution. Cette définition implique un moment brusque de basculement. À première vue, on n'est pas vraiment dans ce scénario. Plutôt dans celui d'une catastrophe qui dure. Elle a débuté assez lentement dans l'après-guerre, puis a grossi de plus en plus vite. Aujourd'hui, elle se manifeste dans des accidents spectaculaires : les mégafeux en Australie en 2020 et au Canada en 2023, les inondations au Pakistan en 2022, les sécheresses graves dans l'isthme centraméricain ou en Afrique de l'Est, les records de chaleur un peu partout, etc. Quand on regarde ces phénomènes avec quelques décennies de recul, aucun doute n'est permis : primo, leur nombre et leur intensité augmentent ; secundo, les politiques censées les enrayer sont inopérantes. On songe alors à la citation de Walter Benjamin : « La catastrophe, c'est que tout continue comme avant. » Nous sommes effectivement déjà dans la catastrophe, nous nous y enfonçons, elle monte autour de nous, des points de bascule partiels sont franchis. Mais sa temporalité longue ne doit pas faire perdre de vue la menace d'un « grand basculement ». Les processus ne sont pas linéaires. La quantité se transforme toujours, à un moment ou l'autre, en qualité. »
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« On parle d'un changement d'ère géologique (ou au moins d'un événement géologique), il faut donc appliquer les critères des géologues. Un changement d'ère se caractérise par la présence globale dans la croûte terrestre de marqueurs objectifs, stratigraphiques. Les principaux marqueurs possibles d'un Anthropocène pourraient être : la trace laissée par la hausse du niveau des océans au XXe siècle, les témoignages fossiles du déclin brutal de la biodiversité, la présence dans les roches de nouvelles entités chimiques telles que des microplastiques et des nucléides radioactifs. Ces critères fournissent une base solide pour situer le début de l'Anthropocène après la Seconde Guerre mondiale. Le phénomène est donc directement lié à cette période que les spécialistes du changement global appellent la grande accélération, les historiens les Trente Glorieuses et que les marxistes désignent comme l'onde longue de croissance du capitalisme dans l'après-guerre. … Selon moi, les écosocialistes ont doublement intérêt à s'en tenir aux marqueurs géologiques car ils sont les plus solides scientifiquement, et conduisent tout droit à la conclusion simple que le changement intervient dans les années 1950, comme résultat d'un siècle et demi d'accumulation capitaliste. Par rapport à cet enjeu, le débat sémantique me semble très secondaire. Pour moi, les propositions de Capitalocène, de Plantationocène, d'Androcène (pour ne pas parler du Chthulucène de Donna Haraway) sont à côté du sujet.
Les anticapitalistes préfèrent parler de Capitalocène plutôt que d'Anthropocène pour souligner que c'est le capitalisme qui est responsable, et pas l'espèce Homo sapiens. Dans le même ordre d'idées, je peux comprendre que des personnes investies dans les luttes d'émancipation anticoloniales préfèrent parler de Plantationocène, et que des féministes proposent le terme Androcène. Ces volontés de mettre en accusation le capitalisme, le colonialisme et la domination patriarcale sont mille fois justifiées. Il faut en effet s'opposer aux tentatives d'utiliser « l'Anthropocène contre l'histoire », comme dit fort bien Andreas Malm. Ces tentatives escamotent les déterminants sociaux, les dissolvent dans les lois de la nature. On efface ainsi l'histoire, en particulier le capitalisme, le colonialisme et le patriarcat. C'est du scientisme et le scientisme est une arme idéologique aux mains de la classe dominante. »
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« Un troisième problème surgit quand on se rappelle que la catastrophe écologique n'est pas due uniquement au capitalisme. L'URSS stalinienne, les pays du glacis soviétique et la Chine maoïste portent une responsabilité non négligeable. Une manière simple de parer l'objection consiste à prétendre que ces pays connaissaient un capitalisme d'État, mais ce simplisme ne s'accorde pas avec la définition scientifique du capitalisme proposée par Marx : une société de (sur)production généralisée de marchandises, basée sur la propriété privée des moyens de production, constamment bouleversée par la concurrence pour le profit. L'ex-URSS ne cochait aucune de ces cases. Il me semble beaucoup plus convaincant de dire qu'il s'agissait d'une société en transition vers un socialisme qui ne pouvait exister qu'au niveau mondial, que son évolution non capitaliste a été bloquée par une contre-révolution nationale-bureaucratique, et qu'il en est résulté une forme sociale sclérosée, non viable. J'admets que cette explication est plus complexe, mais elle a l'avantage de faire surgir les questions stratégiques que la théorie du capitalisme d'État laisse dans l'ombre : comment éviter qu'un productivisme spécifique, qui n'est pas exactement le même que le productivisme capitaliste, puisse se développer dans le cadre d'une économie collectivisée ? Comment éradiquer l'idéologie bourgeoise de domination de la nature dans le cadre d'un processus révolutionnaire ? Et les réponses à ces questions sont nécessaires à nos luttes. »
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« On a d'un côté les économistes mainstream, selon qui la croissance capitaliste est nécessaire pour produire les technologies nécessaires à la transition. Et de l'autre ces économistes critiques qui répondent que c'est impossible parce que cette production demande plus d'énergies fossiles, donc plus d'émissions, qu'il faut donc décroître en satisfaisant les besoins de base, dans la justice sociale. Les implications politiques de cette controverse sont évidentes. Le développement de ce courant de la décroissance juste me réjouit tout particulièrement, j'y retrouve des arguments que je développais il y a treize ans dans mon livre L'Impossible capitalisme vert : on ne peut pas à la fois passer aux renouvelables, augmenter radicalement l'efficience énergétique, poursuivre la croissance du PIB et sauver le climat en réduisant les émissions. Pour une raison évidente : les renouvelables et l'efficience demandent d'énormes investissements, donc beaucoup d'énergie… fossile à 80%, donc source d'émissions. Je pense que cette controverse va s'approfondir… »
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« Le savoir écologique traditionnel, avec sa part de croyances et de magie, serait-il plus efficace que le savoir scientifique moderne ? … Une réponse est suggérée par les chercheurs et chercheuses qui travaillent sur « l'ingénierie écologique ». Ils et elles soulignent que les techniques découlant des savoirs écologiques traditionnels sont d'une grande importance pour relever les défis de la catastrophe actuelle. Les écosystèmes ont été façonnés par l'activité humaine pendant des générations, on ne peut les restaurer technocratiquement, en faisant fi de ce qui a guidé cette activité. Appréhender les techniques implique la reconnaissance des modes de production de l'existence où les techniques se sont développées. Ici, l'intérêt se porte surtout sur les communautés où les savoirs traditionnels sont les mieux préservés – c'est-à-dire les communautés indigènes. Le paradoxe du savoir s'explique alors par les différences entre modes de production. Il n'exprime pas la supériorité des croyances et de la magie sur la raison scientifique, il exprime la supériorité, notamment face aux catastrophes, d'un mode de production sans classes, où les humains puisent directement dans l'environnement de quoi produire les valeurs d'usage nécessaires à l'existence sociale. »
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« Du point de vue des savoirs, le capitalisme présente… deux mouvements contradictoires. D'une part, les connaissances scientifiques basées sur la raison progressent spectaculairement et percolent plus ou moins dans toute la société par le biais du système éducatif. D'autre part, la dépossession du travail social, sa soumission croissante au capital et l'appropriation capitaliste de la science engendrent un abêtissement de masse qui favorise la déraison, sur laquelle surfent les climatosceptiques, les négationnistes du Covid-19, etc. Nous sommes des animaux sociaux qui produisent leur existence collective par le biais d'une activité consciente (le travail) que notre intelligence développe au fil des générations. En s'appropriant le travail, en l'émiettant et en le soumettant à sa logique absurde, le capitalisme déconnecte cette intelligence de son objet principal. Il fait de nous des créatures mutilées qui errent sans but dans un univers absurde. Je pense que cela contribue à expliquer le sentiment d'impuissance qui obscurcit considérablement la prise de conscience. »
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« D'un côté, on voit à quel point l'impasse du capitalisme est profonde : le « capitalisme vert » est vraiment impossible, il ne nous sortira pas de la catastrophe et est même incapable de la freiner. De l'autre côté, il faut être aveugle pour ne pas voir les difficultés immenses de l'alternative. Un bouleversement complet, révolutionnaire, est nécessaire. Comment le rendre désirable aux yeux d'une majorité sociale ? Comment répondre aux inquiétudes des exploité·es et des dominé·es sur l'emploi, les revenus, les droits démocratiques, l'avenir en général ? Tel est le défi que nous avons à relever. En tant que tel, le plaidoyer philosophique contre le dualisme entre nature et culture n'est d'aucune aide dans cette entreprise. Même quand il est prononcé au nom du marxisme et de la lutte contre le Capitalocène, à la manière de Jason Moore. C'est sur l'élaboration d'un programme à la fois social et environnemental, sur l'invention d'une stratégie et sur la mise au point de tactiques de lutte qu'il faut se concentrer et se rassembler. »
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« On observe partout une répression croissante de ce que nous avons appelé avec Michael Löwy les luttes écosociales. Ce phénomène est à appréhender dans le cadre de la crise très profonde du capitalisme. Confrontés à une baisse régulière des gains de productivité, les capitaux sont attirés par les investissements dans les richesses naturelles, parce qu'elles sont gratuites. Le secteur minier, les groupes énergétiques, l'agrobusiness rivalisent pour s'approprier toujours plus de ressources, au détriment des communautés locales. C'est ce que le géographe marxiste David Harvey nomme l'accumulation par dépossession. Dans les pays du Sud principalement, les multinationales lorgnent vers des territoires, y compris des réserves naturelles, abritant des gisements de pétrole ou de minéraux, des aquifères ou des ressources hydroélectriques inexploitées. Cette tendance est porteuse d'une brutalité croissante. En effet, la raréfaction des ressources exacerbe la concurrence et la violence. Un·e activiste investi·e dans la lutte écosociale a été tué·e tous les deux jours dans le monde en 2022. »
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« Pour ma part, je n'emploie l ‘expression « capitalisme vert » que pour désigner les secteurs du capital qui prétendent investir dans la transition écologique et leurs représentants politiques. Mais il faut bien comprendre que, d'une manière générale, c'est un oxymore. Il n'y a aucune compatibilité entre la dynamique intrinsèque d'accumulation du capital et la gestion rationnelle des échanges de matières, à la fois au sein de la société humaine et entre celle-ci et le reste de la nature. En tant que système, le capitalisme est par définition insoutenable, à la fois du point de vue écologique et du point de vue social. Ce qui se passe, c'est que les menaces que la catastrophe climatique fait peser sur la stabilité de ce système sont tellement inquiétantes que les plus lucides des responsables veulent croire à l'impossible : guérir par le capitalisme le mal congénital du capitalisme. L'Union européenne est en pointe de ces tentatives. Les États-Unis et la Chine sont pour le moment sur leurs talons. Mais la réalité est aux antipodes des belles promesses. »
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« L'ère de la domination absolue du monde par les États-Unis est en effet révolue. Nous sommes entrés dans une configuration nouvelle, où plusieurs impérialismes se disputent l'hégémonie. La Chine est devenue une superpuissance en reproduisant à très grande échelle la recette des « tigres asiatiques », soit le développement rapide d'un capitalisme sous contrôle étatique. Les « nouvelles routes de la soie » matérialisent le projet impérialiste de Pékin. Celui-ci s'accompagne logiquement de la constitution d'une force armée capable de se projeter sur les théâtres extérieurs. Moscou s'allie avec Pékin contre l'Occident tout en poursuivant son propre objectif de reconstitution de l'empire russe, notamment en Asie centrale, une zone également convoitée par la Chine. Des puissances intermédiaires profitent de cette situation complexe pour développer leur autonomie et offrir leur soutien à la plus offrande des puissances – tantôt l'une, tantôt l'autre. Dans les pays dominés, ces différents éléments se traduisent par une intensification de la destruction écologique et de ses conséquences sociales, notamment l'appropriation des terres (land grabbing). Nous n'assistons pas à un retour de la guerre froide entre blocs bien délimités, les rapports de force sont plus mouvants et les guerres se multiplient. C'est une banalité de dire qu'elles sont à l'opposé d'une politique écologiquement responsable. … Sous le capitalisme, le progrès technologique met constamment de nouveaux moyens à disposition des militaires. »
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« L'analyse aide au moins à prendre la mesure du problème. Il est gigantesque. Matt Huber a entièrement raison de dire que les dépossédé·es restent le sujet par excellence d'une révolution nécessaire, mais l'ampleur et la profondeur de leur dépossession – leur « dépendance absolue du capital » – entraînent une énorme difficulté à penser une autre société non pas seulement comme utopie abstraite, mais comme projet concret impliquant des luttes, des revendications, des formes d'organisation, une vision sur l'unification entre couches différentes au sein de la classe, une tactique vis-à-vis des bureaucraties cogestionnaires, des alliances avec d'autres mouvements sociaux, des étapes transitoires, bref, une stratégie. C'est vraiment compliqué. D'autant plus compliqué qu'il y a en toile de fond la faillite au XXe siècle du projet socialiste dont les deux versions dominantes – la social-démocratie et le stalinisme – sont des repoussoirs. »
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« La seconde remarque concerne « le parti ». Je ne suis pas spontanéiste : une organisation politique est nécessaire pour assimiler les leçons de l'histoire, tracer des perspectives et organiser des membres sur un programme, par-delà les hauts et les bas des luttes. Par ailleurs, faire converger ces luttes est une tâche complexe. Cela requiert la présence, dans le plus grand nombre de secteurs et de mouvements, de militant·es partageant une même vision stratégique, et qui échangent les informations, les analyses. Pour être utile à un projet émancipateur, cette organisation politique ne peut être ni un parti au sens institutionnel du terme, ni le genre de regroupement autour d'un leader charismatique que proposent les populistes de gauche. Ces deux types de formation ont en effet un point commun : le verticalisme qui écrase la spontanéité au profit de la priorité donnée à l'occupation du pouvoir par la voie électorale. Les partis d'avant-garde autoproclamés ne sont pas davantage appropriés à la tâche. Comment faire émerger une formation anticapitaliste composée de militantes et militants qui mettent en pratique une stratégie authentiquement révolutionnaire d'auto-organisation démocratique des mouvements, en solidarité internationaliste avec tou·tes les exploité·es et tou·tes les opprimé·es ? Après un demi-siècle engagement, j'avoue avoir plus d'interrogations que de réponses à ce sujet. »
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« Je participe à un travail collectif … [écologisation du programme de transition] au sein du mouvement dont je suis membre, la Quatrième Internationale. Il est clair que la méthode dite « transitoire » est d'une actualité brûlante. On peut moins que jamais se contenter d'agiter des revendications immédiates, d'une part, et de propager l'idée d'une société socialiste ou écosocialiste, d'autre part. Il faut jeter un pont entre les deux. Cette préoccupation était déjà présente chez Marx et Engels. Jaurès a tenté de la développer avant 1914. Trotsky, dans les années 1930, lui a donné sa formulation la plus achevée. Il proposait de présenter un ensemble de revendications fournissant une réponse globale, cohérente, aux contradictions de la société en crise. Prises isolément, expliquait-il, certaines de ces revendications sont compatibles avec le capitalisme, mais elles sont reliées entre elles, de sorte que le programme dans son ensemble est en contradiction avec le fonctionnement normal du système. C'est pourquoi il débouche sur une conclusion centrale : la nécessité de s'emparer du pouvoir politique, d'instaurer par la mobilisation un gouvernement aussi fidèle aux exploité·es et aux opprimé·es que tous les gouvernements actuels sont fidèles aux capitalistes. »
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« Il n'est pas encore minuit dans le siècle mais on risque de s'en approcher. De Buenos Aires à Mar-a-Lago, de Moscou à Tel Aviv, de Rome à Paris, le déni climatique et la « liberté » du renard dans le poulailler dessinent le nouveau visage du nihilisme fasciste au service du capitalisme fossile. Le péril est immense, mais le néofascisme est une carte dangereuse à jouer pour la classe dominante. Plus d'une fois il a amené des retours de flamme. Je ne céderai pas à la facilité de ressortir la citation fameuse de Gramsci, tout le monde la connaît. J'ajouterai seulement ceci : face à la menace d'une nouvelle plongée dans la barbarie, nous n'avons tout simplement pas d'autre choix que l'espérance. Nous n'avons pas d'autre choix que de lutter pour un programme rouge et vert, un programme qui réponde aux besoins fondamentaux des classes populaires en jetant un pont vers la transformation révolutionnaire de la société. La difficulté est énorme, mais il n'y a pas d'autre voie. Il n'y a pas de fatalité à voir la catastrophe devenir cataclysme. Homo sapiens produit sa propre existence sociale, j'ai rappelé cette vérité élémentaire plusieurs fois au cours de l'entretien. « Produire » signifie « faire apparaître », « faire naître ». Les exploité·es, les opprimé·es uni·es peuvent « produire », « faire apparaître », « faire naître » une alternative lumineuse aux ténèbres. À chaque étape de la catastrophe grandissante, leurs luttes pour l'émancipation du travail peuvent ouvrir la voie vers un autre possible, digne de la nature humaine. On ne peut prévoir que la lutte. On ne peut que s'accrocher à l'espérance pour y puiser l'énergie nécessaire à la lutte. »
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L’Écoblanchiment : comprendre, identifier et lutter contre un fléau

À mesure que l'urgence climatique se fait sentir, il devient essentiel de distinguer les véritables efforts environnementaux des tactiques de marketing trompeuses utilisées par les entreprises pour se donner une image « verte ». Ce phénomène, connu sous le nom d'écoblanchiment, est particulièrement répandu dans l'industrie des combustibles fossiles, notamment chez les entreprises gazières.
Pour aider le public à identifier et à combattre ces pratiques, des organisations telles que l'Association canadienne des médecins pour l'environnement (ACME) (dont l'AQME, un des membres de la coalition Sortons le gaz ! est un comité régional), Greenpeace Canada et le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) fournissent des ressources inestimables.
Pourquoi l'écoblanchiment est-il dangereux ?
L'écoblanchiment permet aux entreprises de maintenir leur acceptabilité sociale tout en se soustrayant à leur responsabilité envers les préjudices environnementaux. En normalisant les combustibles fossiles, cette pratique retarde la transition nécessaire vers des sources d'énergie plus viables, mettant ainsi des vies en danger et exacerbant la crise climatique.
Le Manuel d'écoblanchiment des grandes industries pétrolières et gazières de l'ACME et Greenpeace
Ce manuel, élaboré par Greenpeace Canada et l'Association canadienne des médecins pour l'environnement (ACME), constitue une analyse approfondie des pratiques d'écoblanchiment utilisées par les entreprises de combustibles fossiles, notamment les entreprises productrices et distributrices de gaz. Déjà disponible dans le Canada anglophone, il est aussi offert en version en français et s'avère un complément intéressant au travail effectué par le CQDE.
Le rapport – intitulé « Le manuel d'écoblanchiment des grandes entreprises pétrolières et gazières » – expose des pratiques telles que la dissimulation stratégique, la supercherie des compensations carbone, la pseudoscience fossile et les déclarations aspirationnelles. Ces tactiques permettent aux entreprises d'induire le public en erreur en lui faisant croire qu'elles agissent de manière responsable, alors qu'elles poursuivent des activités nuisibles pour l'environnement et la santé.
Bien que n'étant pas un phénomène nouveau, l'écoblanchiment connaît aujourd'hui une ampleur sans précédent. Des études révèlent que les entreprises de combustibles fossiles investissent des milliards pour retarder et entraver les actions climatiques, en désinformant le public et les décideurs afin de maximiser leurs profits. Il est possible de combattre ces pratiques trompeuses. Le manuel de l'ACME et de Greenpeace fournit une trousse d'outils pratique pour signaler les publicités mensongères et déposer des plaintes. Ce guide vous montre précisément comment procéder, en vous aidant à détecter et agir contre l'écoblanchiment, réduisant ainsi l'impact de la désinformation et influençant positivement les politiques environnementales futures.
Le webinaire du CQDE : « Comment signaler des cas d'écoblanchiment ? »
L'ACME et Greenpeace ne sont pas les seuls à œuvrer pour lutter contre l'écoblanchiment. En effet, le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) a récemment organisé un webinaire essentiel intitulé « Comment signaler des cas d'écoblanchiment ? ».
Ce webinaire détaille les différentes formes d'écoblanchiment, qui peuvent porter sur les caractéristiques environnementales de produits, de services, de marques, de secteurs d'activité et de faits scientifiques liés à un produit ou à un service, ou des activités d'entreprise. Il permet aussi d'apprendre à identifier des déclarations trompeuses, qu'il s'agisse de lobbying trompeur, de fausses déclarations, de preuves insuffisantes, de déclarations sélectives ou d'exagérations.
N'hésitez pas également à consulter la synthèse proposée par la CQDE pour obtenir toutes les informations clés et vous aussi, signaler des cas d'écoblanchiment.
Exemple de plainte dans le cadre d'écoblanchiment : le cas d'Énergir
Le 1er juin 2023, les membres de la coalition Sortons le gaz ! ont déposé une plainte auprès de l'Office de la protection du consommateur (OPC) contre Énergir. Ils accusent l'entreprise de diffuser des informations trompeuses concernant son offre de gaz naturel renouvelable (GNR). Énergir prétend que ses clients peuvent choisir la proportion de GNR qu'ils consomment, pouvant aller jusqu'à 100 %, en payant un supplément. Cependant, la coalition soutient que cette offre est fallacieuse car le réseau d'Énergir ne peut pas acheminer le GNR séparément des autres types de gaz. Ainsi, qu'ils paient davantage ou non, tous les consommateurs reçoivent en réalité la même proportion de GNR.
La coalition a exprimé son indignation face à ces pratiques qu'elle qualifie de trompeuses. Elle a demandé à l'OPC de mener une enquête approfondie et de prendre des mesures pour corriger les informations diffusées par Énergir. Parmi ces mesures, la coalition suggère le retrait des publicités trompeuses, la diffusion d'un message rectificatif expliquant la véritable répartition du GNR dans le réseau, et l'imposition d'une amende pouvant atteindre 100 000 dollars. La plainte est à ce jour encore à l'étude par l'OPC.
Ce cas illustre parfaitement les dangers de l'écoblanchiment. En donnant une fausse impression de choix et d'impact environnemental, les entreprises comme Énergir exploitent la bonne foi des consommateurs, les incitant à payer davantage sans leur offrir le produit promis. La plainte de la coalition Sortons le gaz ! met en lumière l'importance d'une information transparente et honnête, surtout dans un contexte d'urgence climatique où la transition énergétique est cruciale.
Conclusion
L'écoblanchiment est une menace insidieuse à notre quête collective pour un avenir plus viable face aux changements climatiques. En déguisant des pratiques polluantes sous un vernis vert, certaines entreprises nuisent à la transition énergétique nécessaire pour faire face à la crise climatique. Heureusement, nous ne sommes pas impuissants face à cette supercherie. Grâce aux initiatives comme le Manuel d'écoblanchiment de l'ACME et Greenpeace et le webinaire du CQDE, nous avons les moyens d'identifier, de signaler et de combattre ces pratiques trompeuses.
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